7
Cahiers de nutrition et de diététique (2012) 47, 35—41 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ÉCONOMIE Les effets de la réforme de la politique sucrière et des politiques de taxation sur le marché des boissons sucrées The impacts of the sugar policy reform and taxation policies on the market for soft drinks Céline Bonnet , Vincent Réquillart Toulouse School of Economics, GREMAQ, UMR CNRS/EHESS/Inra/UT1 C, 21, allée de Brienne, 31000 Toulouse, France Rec ¸u le 5 ecembre 2011 ; accepté le 20 ecembre 2011 Disponible sur Internet le 26 janvier 2012 MOTS CLÉS Politique agricole ; Économie ; Boissons sucrées ; Taxation Résumé Après un rappel de l’évolution des consommations alimentaires, nous mettons en évidence une certaine déconnexion entre l’évolution des prix des produits agricoles et des prix aux consommateurs. Dans un deuxième temps nous évaluons l’impact potentiel de la réforme de la politique sucrière européenne sur les prix et la consommation des boissons rafraichissantes sans alcool (BRSA). Nous montrons qu’une baisse de 36 % du prix du sucre entraînerait une baisse des prix de détail des principales marques de BRSA de 4 % environ provoquant ainsi une hausse de la consommation de ces produits d’environ 10 % au détriment des boissons sans sucre et des jus de fruits. Nous évaluons également l’impact de la taxation des BRSA qui devrait entrer en vigueur en France au 1 er janvier 2012. Selon nos résultats la taxe de 0,0716 D/litre entraînerait une hausse des prix de détail de l’ordre de 11 %, et une baisse de la consommation de l’ordre de 3,4 L/personne par an. © 2012 Société franc ¸aise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Agricultural policy; Economics; Soft drinks; Taxation Summary After a review of change in food consumption during the last century, we highlight some disconnection between price movements of agricultural products and consumer prices. In a second step we assess the potential impact of the reform of EU sugar policy on prices and consumption of soft drinks (SD). We show that a 36% reduction in sugar price lead to lower retail prices of regular SD brands by approximately 4% causing an increase in consumption of these products by 10% at the expense of diet products and fruit juices. We also assess the impact Texte issu d’une conférence de V. Réquillart dans le cadre des JFN de Reims, décembre 2011. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Réquillart). 0007-9960/$ see front matter © 2012 Société franc ¸aise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.cnd.2011.12.003

Les effets de la réforme de la politique sucrière et des politiques de taxation sur le marché des boissons sucrées

  • Upload
    vincent

  • View
    230

  • Download
    10

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les effets de la réforme de la politique sucrière et des politiques de taxation sur le marché des boissons sucrées

Cahiers de nutrition et de diététique (2012) 47, 35—41

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ÉCONOMIE

Les effets de la réforme de la politique sucrière etdes politiques de taxation sur le marché desboissons sucrées�

The impacts of the sugar policy reform and taxation policies on the market forsoft drinks

Céline Bonnet, Vincent Réquillart ∗

Toulouse School of Economics, GREMAQ, UMR CNRS/EHESS/Inra/UT1 C,21, allée de Brienne, 31000 Toulouse, France

Recu le 5 decembre 2011 ; accepté le 20 decembre 2011Disponible sur Internet le 26 janvier 2012

MOTS CLÉSPolitique agricole ;Économie ;Boissons sucrées ;Taxation

Résumé Après un rappel de l’évolution des consommations alimentaires, nous mettons enévidence une certaine déconnexion entre l’évolution des prix des produits agricoles et des prixaux consommateurs. Dans un deuxième temps nous évaluons l’impact potentiel de la réformede la politique sucrière européenne sur les prix et la consommation des boissons rafraichissantessans alcool (BRSA). Nous montrons qu’une baisse de 36 % du prix du sucre entraînerait une baissedes prix de détail des principales marques de BRSA de 4 % environ provoquant ainsi une haussede la consommation de ces produits d’environ 10 % au détriment des boissons sans sucre et desjus de fruits. Nous évaluons également l’impact de la taxation des BRSA qui devrait entrer envigueur en France au 1er janvier 2012. Selon nos résultats la taxe de 0,0716 D/litre entraîneraitune hausse des prix de détail de l’ordre de 11 %, et une baisse de la consommation de l’ordrede 3,4 L/personne par an.© 2012 Société francaise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSAgricultural policy;Economics;Soft drinks;Taxation

Summary After a review of change in food consumption during the last century, we highlightsome disconnection between price movements of agricultural products and consumer prices.In a second step we assess the potential impact of the reform of EU sugar policy on prices andconsumption of soft drinks (SD). We show that a 36% reduction in sugar price lead to lower retailprices of regular SD brands by approximately 4% causing an increase in consumption of theseproducts by 10% at the expense of diet products and fruit juices. We also assess the impact

� Texte issu d’une conférence de V. Réquillart dans le cadre des JFN de Reims, décembre 2011.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (V. Réquillart).

0007-9960/$ — see front matter © 2012 Société francaise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.cnd.2011.12.003

Page 2: Les effets de la réforme de la politique sucrière et des politiques de taxation sur le marché des boissons sucrées

3

uld cill incon p

nutr

I

Lmééets(epelleàcràcgtpmqlàs1bruaqpàLsdsd

bsloapddlf

epddq

sqtpsdpmadits

Llongue période

Alors que la consommation de calories par personne a peuévoluée au cours du xxe siècle, la structure de la consom-mation a été profondément modifiée [6]. De 1900 à 2000, lapart des calories glucidiques passe de 70 % à 45 % de l’apporténergétique total ; la part des calories lipidiques passe de20 % à 40 % dans le même temps. La part des calories proti-diques reste quant à elle sensiblement constante. Depuis lesannées 1980, on assiste à une stabilisation de la structureglobale de consommation (Fig. 1). Au cours du siècle, lesviandes, produits laitiers, graisses et sucres ont progressi-vement remplacé les aliments de base (céréales, féculents,légumes secs). Ces évolutions, observées dans la plupart despays développés, même si le timing est différent d’un paysà l’autre, s’explique notamment par la croissance des reve-nus : une fois le niveau de satiété atteint, ce qui en Franceest atteint au début du xxe siècle, la croissance des revenus

6

of taxation of SD, which shoresults the 0.0716 D/L tax wof approximately 3.4 L/pers© 2012 Société francaise de

ntroduction

’analyse des impacts des politiques agricoles sur la consom-ation alimentaire et les implications sur la santé ont

té traitées selon deux approches différentes. La premièremane des chercheurs en nutrition ou plus généralementn santé publique. Selon ce courant de recherches, la poli-ique agricole commune (PAC) a eu un rôle néfaste sur laanté en incitant à la consommation de graisses animalesvia la politique de subvention à la consommation de beurre)t en limitant la consommation de fruits et légumes (via laolitique de retraits du marché) [1,2]. Ces travaux mettentn évidence le fort soutien du contribuable aux productionsaitières et l’absence de soutien à la production de fruits etégumes. Ces analyses portent davantage sur l’offre de bienst mettent en cause les politiques européennes d’incitation

la production, de produits laitiers notamment. Le secondourant, porté par les économistes, consiste plutôt à compa-er la situation observée (i.e. incluant la politique agricole)

celle qui prévaudrait si l’on supprimait les politiques agri-oles. Elle insiste davantage sur le rôle des prix et aboutitlobalement à une conclusion inverse, ou tout au moins net-ement plus nuancée [3,4]. Par exemple dans le cas desroduits laitiers, la politique de subvention de la consom-ation de beurre par certaines industries alimentaires n’estu’un des éléments de la politique laitière qui fondamenta-ement a maintenu les prix européens des produits laitiers

des niveaux très nettement supérieurs à ceux en vigueurur le marché mondial (de l’ordre du double sur la période990—2000). Pour les économistes, la politique laitière a glo-alement conduit à une limitation de la consommation parapport à la situation qui prévaudrait en son absence. Ainsi,n travail portant sur la situation de la Finlande avant etprès son accession dans l’Union Européenne (UE) montre

ue suite à l’entrée dans l’UE le prix relatif de la margarinear rapport à celui du beurre a baissé et que cela a contribué

la réduction de la consommation de graisses saturées [5].a différence d’analyse porte donc essentiellement sur laituation de référence utilisée dans l’analyse : suppression’une mesure dans le cas des chercheurs en santé publique,uppression de l’ensemble de la politique laitière dans le cases économistes.

Dans le cas de l’UE, la PAC a maintenu les prix de nom-reux produits agricoles à des niveaux significativementupérieurs à ceux qui prévaudraient en son absence. C’este cas notamment pour les produits laitiers et le sucre. Enutre, la faible protection accordée aux fruits et légumes

permis de rendre ces produits accessibles dans l’UE à desrix relativement proches de ceux que l’on aurait en cas’absence de protection. La PAC, tout au moins avant lesernières réformes, a donc plutôt agi comme une taxe sure gras et le sucre et n’a pas découragé la consommation deruits et légumes.

Cela étant, différentes réformes de la PAC ont été misesn œuvre récemment et visent globalement à rapprocherour les produits agricoles les prix européens des prix mon-iaux. Dans le cas du sucre cela peut conduire à des baissese prix importantes, de l’ordre d’un quart à un tiers enuatre ans. Cette réforme va de facon évidente dans le

eaddnd

Fd

C. Bonnet, V. Réquillart

ome into force in France on 1 January 2012. According to ourrease retail prices by 11% leading to a decrease in consumption

er year.ition. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

ens inverse de celui des recommandations nutritionnellesui visent à limiter la consommation de sucres simples ajou-és. Nous proposons une analyse approfondie des impactsotentiels de cette réforme sur la consommation de bois-ons sucrées et évaluons l’impact des récentes propositionse taxations des boissons sucrées. Pour donner une visionlus globale à notre analyse, nous reviendrons dans un pre-ier temps sur l’évolution de la consommation alimentaire

u siècle dernier. Nous analyserons notamment l’évolutiones prix des produits alimentaires, le prix étant un élémentmportant dans le choix des consommateurs. Dans un secondemps nous aborderons plus spécifiquement le cas des bois-ons sucrées et de la réforme sucrière.

’évolution de l’alimentation sur une

ntraîne un accroissement de la consommation de produitsnimaux, plus onéreux, au détriment des produits végétauxe base. Ainsi, à partir de l’observation d’un grand nombree pays, Périssé et al. ont montré que la croissance des reve-us s’accompagne d’un accroissement de la consommatione lipides, d’une diminution de la consommation de glucides

igure 1. Évolution de la part des glucides, lipides et protéinesans la consommation alimentaire en France [7].

Page 3: Les effets de la réforme de la politique sucrière et des politiques de taxation sur le marché des boissons sucrées

ique

1975

Les effets de la réforme de la politique sucrière et des polit

Figure 2. Évolution des prix des produits agricoles en France de

D’après données INSEE.

et d’une stagnation de la consommation de protéines — lahausse de la consommation de protéines animales compen-sant la baisse de la consommation de protéines végétales[8].

Ces mêmes auteurs ont également montré que la dimi-nution globale de la part des glucides dans l’alimentationétait le résultat d’une forte réduction de la consommationde glucides complexes, tel que l’amidon, et d’un accrois-sement significatif de la consommation de sucres simples.Aujourd’hui, alors que l’apport en glucides n’est que de 44 %des apports énergétiques au lieu des 50 % recommandés parle PNNS, l’apport en sucres simples dépasse d’un tiers lesrecommandations [9].

Par conséquent, l’alimentation des francais en cette findes années 2000 comporte un apport trop important enlipides et en glucides simples et un apport trop faible englucides complexes.

L’évolution des prix des produits agricoleset des prix alimentaires

De 1975 à 2000, les prix des produits agricoles ont signifi-cativement baissé en France, et plus largement dans l’UE.En monnaie constante, l’indice des prix a été divisé pardeux entre 1975 et les années 2000. Dans le cas des céréaleset des betteraves, la baisse est encore plus forte puisquel’indice a été divisé par respectivement quatre et trois.

Tableau 1 Part du produit agricole dans le prix du produit fin

Produits Part du produit agricole (%)

Pommea 41

Tomatea 56

Viande bovine 42

Poulet prêt à cuire 22

Boissons sucréesb 8

D’après données de l’observatoire des prix et des marges.a Cours expédition/prix détail.b Prix du sucre/prix des boissons.

s de taxation 37

à 2010 ; monnaie constante, Indice 100 = 1975.

Les récentes hausses, 2007 notamment, ne remettent pas encause l’ampleur de la baisse même s’il y a débat pour savoirs’il s’agit ou non d’une inversion de tendance. La décrois-sance globale des prix est liée aux gains de productivité

induisant des baisses importantes des coûts de productiondes produits agricoles. Cette baisse des coûts a été trans-férée vers l’aval sous forme d’une baisse des prix. De plus,dans le cas de l’UE, la baisse des prix ces dernières annéess’explique aussi par la réforme de la politique agricole per-mettant de rapprocher les prix européens des prix mondiauxgénéralement plus faibles. C’est notamment le cas pour lesecteur sucrier comme en témoigne l’évolution récente duprix des betteraves sucrières dans l’UE dont l’indice en eurosconstant est passé de 55 en 2005 à 35 en 2010 soit une dimi-nution d’environ 40 % (Fig. 2).

Les produits agricoles font pour la plupart l’objet detransformations avant d’atteindre l’assiette du consomma-teur. Même lorsqu’ils ne sont pas transformés, il faut lestransporter, les conditionner. Ainsi pour des produits fraistels que la pomme ou la tomate la part du produit agri-cole dans le prix final est de l’ordre de 50 %. Dès qu’il s’agitde produits faisant l’objet d’une transformation cette partdiminue et n’est, par exemple, que de 15 % dans le cas desyaourts nature. Dans le cas des boissons sucrées, la part estinférieure à 10 % (Tableau 1).

Compte tenu de la part relativement faible du produitagricole dans le prix du produit final, on peut s’attendre àce que l’évolution du prix au consommateur des produitsalimentaires ne suive pas la même évolution que les prix

al, France, 2010.

Produits Part du produit agricole (%)

Produits laitiersLait UHT 33Emmental 44Yaourt nature 15

Page 4: Les effets de la réforme de la politique sucrière et des politiques de taxation sur le marché des boissons sucrées

3

F on eI

dmqsamdpucfp

mpbmsaisrmml

rtlmnmmLptsutdeltpta

Les

DempsddrpJieAoml

8

igure 3. Évolution entre 1975 et 2010 des prix à la consommatiNSEE.

es produits agricoles (Fig. 3). Ainsi, l’indice des prix ali-entaires en 2009 est peu différent de l’indice en 1975, ceui signifie qu’en moyenne aujourd’hui les prix de détail neont pas significativement différents de ceux prévalant il y

35 ans. En revanche, la structure des prix a considérable-ent changé. Les produits animaux ont vu leur prix baissere facon importante alors que le pain ou les fruits ont vu leurrix augmenter de facon sensible. Dans le cas du pain, il y ane déconnexion quasi totale entre l’évolution du prix deséréales et l’évolution du prix du pain au consommateur. Enait l’évolution du prix du pain s’explique essentiellementar l’évolution du coût du travail.

Ce qui apparaît clairement au niveau des prix au consom-ateur, c’est le changement important du rapport desrix entre produits animaux et produits végétaux. Laaisse importante du prix des produits animaux relative-ent aux prix des produits végétaux explique en partie la

ubstitution forte observée sur la période entre produitsnimaux et produits végétaux. De même l’augmentationmportante des prix du pain va à l’encontre d’un accrois-ement de la consommation de sucres complexes. On

emarquera que le prix des produits sucrés a légère-ent baissé depuis les années 2005 mais dans une moindreesure que le prix du bien agricole, les betteraves en

’occurence.Si l’évolution des prix des produits alimentaires a un

ôle important dans l’évolution des choix de consomma-ion, selon Cutler et al., la montée de l’obésité danses pays développés est plus globalement liée au change-ent technologique qu’a connu l’agro-alimentaire [10]. Ce

e serait donc pas uniquement la baisse du prix des ali-ents qui serait responsable de la montée de l’obésitéais plutôt la diminution globale du coût pour s’alimenter.

e changement technologique a permis de centraliser laroduction des aliments transformés réduisant ainsi leemps que passe le consommateur à préparer lui-mêmees repas. Ainsi, le coût total des repas, calculé commene somme entre les dépenses d’achat d’aliments et leemps passé à préparer les repas, a considérablementiminué entraînant un accroissement de la consommationt de la variété des produits utilisés. Une analyse de’évolution sur longue période des consommations alimen-aires doit donc intégrer non seulement l’évolution desrix des produits alimentaires, des revenus des consomma-eurs mais aussi l’évolution des modes de préparation desliments.

s

tncldtlmtb(el

ss(dnpftp

C. Bonnet, V. Réquillart

n France ; monnaie constante, Indice 100 = 1975. D’après données

’exemple de la politique sucrièreuropéenne et du marché des boissonsucrées

epuis de nombreuses années, le prix du sucre en Europest significativement plus élevé que le prix mondial. Enoyenne sur la période 1990—2004, le prix intérieur euro-éen a été environ 2,5 fois plus élevé que le prix mondial duucre. Cela résulte d’une politique de quota limitant la pro-uction, de prix minimum garanti et de taxation à l’entréee l’UE. En 2006 la commission européenne a décidé d’uneéforme de la politique sucrière entrainant une baisse durix de soutien de 36 % en quatre ans (de 2006 à 2010).usqu’alors la baisse du prix intérieur n’a pas été aussimportante, de l’ordre de 25 % entre 2006 et 2010 (http://c.europa.eu/agriculture/minco/manco/cmo/index.htm).u cours du deuxième semestre 2011, les prix du sucrent augmenté en lien avec l’évolution à la hausse des prixondiaux. De nombreux travaux considèrent néanmoins que

es prix intérieurs du sucre vont baisser significativement

ous l’effet de la réforme.

Cette réforme, dictée par des considérations de poli-ique agricole, va à l’encontre des recommandations desutritionnistes qui plaident pour une diminution de laonsommation de sucres simples. Chez les adultes, d’aprèses données INCA2, la consommation de glucides simples este 95 g/jour. Les principaux groupes d’aliments contribu-eurs sont les fruits (15,9 %), les ‘sucres et dérivés’ (15,9 %),es boissons fraîches sans alcool (13,3 %) et dans une moindreesure les pâtisseries et gâteaux (8,1 %) et l’ultra-frais lai-

ier (7,0 %) [11]. Chez les enfants de trois à 17 ans, lesoissons fraîches sans alcool sont le premier contributeur19,1 %) devancant largement le lait (8,5 %) et les pâtisseriest gâteaux (8,2 %). Ainsi, les sucres simples sont essentiel-ement consommés dans les aliments transformés.

Nous avons choisi de nous focaliser sur l’un des principauxecteurs contribuant à l’apport de sucres simples ajoutés, àavoir le secteur des boissons rafraichissantes sans alcoolBRSA). Ce choix s’explique également par d’autres consi-érations. D’une part, le sucre représente une part nonégligeable des coûts de production de ces produits, d’autreart l’absorption de sucre dans les boissons semble moinsacilement régulée par l’organisme. Ainsi, une consomma-ion importante de BRSA est souvent corrélée à un excès deoids [12].

Page 5: Les effets de la réforme de la politique sucrière et des politiques de taxation sur le marché des boissons sucrées

ique

Les effets de la réforme de la politique sucrière et des polit

Quelques informations descriptives du marché

En 2004, l’industrie des boissons sucrées (colas, boissons àbase de thé, boissons gazeuses aux fruits. . .) a réalisé unchiffre d’affaire de 2,2 milliards d’euros soit 1,6 % du chiffred’affaires de l’ensemble des IAA. La consommation de bois-sons sucrées représente environ 11 % de la consommationtotale de boissons (eau, thé, café, jus de fruits, boissonsalcoolisées) en France. La consommation s’élève à 42,5 Lpar an et par personne en 2004 et a cru de 32 % en dix ans.Cela étant la consommation reste faible par rapport à lamoyenne européenne (71 L).

Dans ce travail, nous focalisons notre attention sur laconsommation à domicile des principales boissons rafraichis-santes sans alcool que sont les colas, les boissons à basede thé et les boissons gazeuses aux fruits. Nous incluonségalement un bien substitut à ces produits qui regroupeprincipalement les jus de fruits et nectars. Nous considé-rons les ventes des principales marques (grandes marqueset marques de distributeurs) par les principales chaînes dedistribution. La consommation de ce sous-ensemble de pro-duits est de l’ordre de 15 L par an et par personne. Dansce sous-ensemble, les boissons sucrées, contenant de 60 à110 g de sucre par litre, représentent environ 80 % du mar-

ché considéré. Elles sont en moyenne moins onéreuses queleur équivalent allégé (Tableau 2). On note un écart impor-tant entre les prix moyens des grandes marques et celui desmarques de distributeurs. La consommation du bien substi-tut, essentiellement composé des jus de fruits est de 17 Lpar an et par personne. Ces produits ne contiennent en géné-ral pas ou peu de sucres ajoutés, ils ne sont donc que trèsfaiblement impacté par la réforme de la politique sucrière.

La production est dominée par deux grands groupes :l’alliance Coca Cola — Cadbury Schweppes, d’une part, etl’alliance Unilever — PepsiCo, d’autre part. Par ailleurs,la distribution est assurée par quelques grands distri-buteurs. Comme dans le cas de nombreux secteurs del’agro-alimentaire, on est en présence d’une industrie deproduction et de la distribution très concentrées. Dans cecontexte, fort éloigné d’un schéma de concurrence ‘par-faite’, on ne peut faire l’hypothèse qu’un changement descoûts en amont sera répercuté dans la même proportion surles prix de détail. De même, on ne peut faire l’hypothèseque l’instauration d’une nouvelle taxe (comme celle quientrera en vigueur en 2012) soit répercutée identiquementau consommateur. Selon les caractéristiques du marché, etnotamment selon la réaction de la demande aux variationsde prix, les agents économiques pourront avoir intérêt à

Tableau 2 Prix moyen au consommateur et part demarché des BRSA. France, 2003—2005.

Prix (D/L) Part demarché (%)

Prix moyen tous produits 0,81

Type de produitsSucré 0,78 81Allégé 0,92 19

Type de marquesGrandes marques 0,93 73Marques de distributeurs 0,47 27

Nos calculs, d’après données Kantar

s de taxation 39

n’en répercuter qu’une partie ou au contraire à répercu-ter plus que proportionnellement la variation de coûts oul’instauration d’une taxe.

Demande des consommateurs et relationsverticales au sein de la filière

L’approche retenue consiste à estimer dans un premiertemps la demande des consommateurs en utilisant lesdonnées d’un panel de 19000 ménages collectées parKantar/TNS WorldPanel. Ce panel, représentatif de la popu-lation francaise, fournit des informations sur l’ensemble desachats alimentaires de ces ménages ainsi que sur les caracté-ristiques des ménages. Nous utilisons les données de 2003 à2005. Les principaux résultats de l’analyse économétriquede la demande montrent que : (i) compte tenu du nombreimportant de marques disponibles sur le marché, la demandepour un bien est sensible à son prix ; la quantité demandéediminue fortement quand son prix augmente et se reporte enpartie sur les autres produits ; (ii) la demande des produitsallégés est plus sensible à des variations de prix que celledes produits sucrés ; (ii) la présence de personnes obèsesou en surpoids au sein des ménages rend la demande moinssensible au prix ; (iv) en absence de leur marque préféréeles consommateurs préfèrent changer de distributeur plutôtque de changer de marque ; cela confère aux firmes amontun fort pouvoir de négociation avec les distributeurs [13].

Dans un deuxième temps, l’approche consiste à sélec-tionner, sur la base de tests économétriques, le modèlede relations verticales entre industriels et distributeurs quireprésente le mieux la réalité. Dans notre cas, il s’avèreque le modèle choisi est celui d’une tarification non linéaire.Les industriels proposent alors aux distributeurs des contratsconsistant en un prix de gros et une franchise fixe. Noustrouvons également que les industriels imposent aux distri-buteurs les prix de revente finaux. Ce type de tarificationpermet à l’ensemble industrie-distribution d’obtenir un pro-fit plus élevé que celui qui prévaudrait dans le cas d’unetarification linéaire ne fixant que les prix de vente en gros[14].

Impact de la réforme sucrière sur les prix etles consommations

À partir du modèle définissant la réaction de la demande àune variation des prix et représentant le comportement desfirmes, nous simulons l’impact de la réforme de la politiquesucrière. On suppose dans cette simulation que la baissedu prix du sucre est de 36 %, baisse maximale que l’on peutattendre de la réforme de la politique sucrière. Cette baisseaffecte donc les coûts de production des boissons sucrées.Son impact varie selon les produits puisque les différentesboissons considérées dans l’étude n’ont pas la même teneuren sucres. Parmi les produits sucrés, environ 40 % ont uneteneur en sucres supérieure à 100 g/L et 40 % ont une teneurentre 80 et 100 g/L. Bien évidemment, les coûts de produc-tion des produits allégés ne sont pas affectés par la réformede la politique sucrière.

Le prix des boissons sucrées diminue en moyenne de 4 %alors que celui des boissons allégées augmente légèrement.La variation de prix de détail (en valeur) est plus forteque la variation des coûts. Cela résulte du comportementstratégique des firmes qui dans le cas présent répercutentau consommateur plus que la variation de leur coût. Ceréajustement des prix entraîne une augmentation de la

Page 6: Les effets de la réforme de la politique sucrière et des politiques de taxation sur le marché des boissons sucrées

40 C. Bonnet, V. Réquillart

Tableau 3 Impact d’une baisse de 36 % du prix de sucre sur les prix et les consommations des principales marques de

(en

9,5 %8,0 %11,0

10,7

con

ucré

en li

clpm−érapmtpqtclst

I

Lrtlbp0sjlcgc

pslmn

tmcltclpdnsrs

boissons sucrées. France, 2003—2005.

�prix

(%) Boissons

Boissons sucrées −4,2 +1,6 (+Grandes marques −3,3 +1,0 (+Marques de distributeurs −5,8 +0,6 (+Boissons allégées +0,7 −0,4 (+

Tableau 4 Impact d’une taxation des BRSA sur les prix et2003—2005.

Taxation des seules boissons s

�prix (%) �consommation (

Boissons sucrées 12,7 −4,1 (−22 %)

Grandes marques 9,4 −2,5 (−20 %)

Marques de distributeurs 19,0 −1,6 (−27 %)

Boissons allégées −1,7 +1,2 (+33 %)

Ensemble 8,7 −2,9

onsommation de boissons sucrées et en sucres ajoutées de’ordre de 10 %, respectivement de 1,6 L et de 154 grammesar personne et par an (Tableau 3). Cela correspond globale-ent à une élasticité prix de la demande de l’ordre de −2 à2,5. À un niveau plus agrégé, Allais et al. obtiennent deslasticités de l’ordre de −1 [15]. Nos estimations sont cohé-entes avec d’autres estimations réalisées sur le marchéméricain [16]. La variation quantitative de consommationeut paraître faible. Elle doit néanmoins être rapportée auarché étudié. En effet, l’analyse concerne la consomma-

ion à domicile des BRSA, qui est de l’ordre de 35 litresar personne et par an. Et le marché étudié ne représenteu’une partie de cet ensemble. La hausse de consomma-ion se fait au détriment de la consommation de boissonsontenant peu ou pas de sucres ajoutés. En ce qui concerne

a consommation de sucres simples ajoutées, la politiqueucrière européenne va donc à l’encontre des recommanda-ions du PNNS, même si l’impact reste limité.

mpact de la taxation des boissons sucrées

a France a décidé en octobre 2011 de taxer les boissonsafraichissantes sans alcool. Dans un premier temps, laaxe, présentée comme un moyen de lutter contre le déve-oppement de l’obésité, devait porter uniquement sur lesoissons sucrées. Un tel objectif a été fortement combattuar l’industrie agro-alimentaire [17]. Finalement, la taxe de,0716 D/L portera sur l’ensemble des boissons rafraichis-antes sans alcool que celles-ci soient sucrées ou non, lesus de fruits et nectars n’étant pas taxés. Nous avons simulé’impact de ces deux options de taxation. Comme dans leas précédent, l’industrie dans son ensemble réagit straté-iquement au changement de contexte et répercute sur leonsommateur plus que la taxe (environ 110 %).

La taxe proposée a des effets importants sur les prixuisque ceux-ci augmentent de 8,7 et 11,0 % en moyenneelon que la taxe porte sur les boissons sucrées ou sur’ensemble des BRSA (Tableau 4). L’impact sur le prix desarques de distributeurs, de l’ordre de 20 %, est loin d’être

égligeable. L’impact sur les ventes de marques de dis-

C

Lvbtepcicsdnsbsm(usdupl

�consommation

litres et [%]) Sucres ajoutés (en grammes et [%])

) +154 (+9,7 %)) +100 (+8,9 %)%) +54 (+11,4 %)%)

sommations des principales marques de boissons. France,

es Taxation de l’ensemble des boissons

tres et [%]) �prix (%) �consommation (en litres et [%])

12,1 −3,0 (−16 %)8,6 −1,5 (−12 %)

18,9 −1,5 (−25 %)8,1 −0,4 (−10 %)

11,0 −3,4

ributeurs est plus important que l’impact sur les grandesarques. La taxe sur les BRSA entraîne une baisse de

onsommation de 3 à 3,5 litres par personne et par an pour’ensemble des marques considérées selon le schéma deaxation retenu. Cela représente entre 12 et 15 % de laonsommation initiale des produits considérés. L’impact sura consommation de boissons sucrées est donc important. Delus, la comparaison des deux simulations montre que le fait’étendre la taxation aux boissons allégées a un impact nonégligeable sur l’évolution des consommations de boissonsucrées. En effet, l’extension de la taxe aux produits allégéséduit l’impact de la taxe sur la consommation de produitsucrés d’environ un quart.

onclusion

es principales conclusions de cette analyse sont les sui-antes : (1) la part du produit agricole dans le prix final desiens alimentaires est relativement faible pour les produitsransformés ; il n’y a donc pas systématiquement un lien fortntre évolution du prix des produits agricoles et évolution durix de détail des biens alimentaires ; (2) la politique agri-ole européenne explique partiellement l’évolution des prixntérieurs des produits agricoles, la baisse tendancielle deeux-ci est liée aux importants gains de productivité réali-és ; (3) la baisse du prix du sucre, résultant de la réformee la politique sucrière, va à l’encontre de la politiqueutritionnelle qui vise à limiter la consommation de sucresimples ajoutés ; (4) cette réforme pourrait entraîner uneaisse des prix des BRSA sucrées de l’ordre de 4 % ; l’impactur les parts de marché de ces boissons n’est pas négligeableais l’impact sur les volumes consommés reste modeste ;

5) la taxe de 0,0716 D/L prévue à partir de janvier 2012 an impact important sur les prix des BRSA et notammentur les prix des marques de distributeurs ; (6) compte tenues élasticités prix de la demande, l’utilisation de taxes an effet significatif sur la consommation des boissons viséesar la taxe ; (7) la baisse de consommation qui découle dea mise en place de la taxe sur l’ensemble des produits,

Page 7: Les effets de la réforme de la politique sucrière et des politiques de taxation sur le marché des boissons sucrées

ique

Les effets de la réforme de la politique sucrière et des polit

dans les conditions de prix et de consommation de la période2003—2005, est de l’ordre de 3,4 litres par personne par ande BRSA ; (8) l’application de cette taxe à l’ensemble desBRSA plutôt qu’aux seules BRSA sucrées limite fortement(25 %) l’impact de la taxe sur la consommation des BRSAsucrées.

Une des limites de l’étude réside dans la définition dumarché considéré. En effet, compte tenu de la modélisa-tion retenue, une partie des BRSA n’est pas directementprise en compte (les marques secondaires ou les grandesmarques distribuées dans les réseaux moins importants) dansl’analyse. Cela étant, les estimations de l’élasticité de lademande de BRSA sont cohérentes avec celles obtenues dansd’autres travaux, même si elles se situent globalement dansune fourchette haute. Une autre limite réside dans l’analyse

de la consommation à domicile. Cela étant, la consomma-tion hors domicile risque d’être moins impactée par la baissedu prix du sucre ou par la taxation sur les boissons car leprix de vente unitaire est alors plus élevé. La variation duprix en pourcentage restera faible. Enfin, il faut soulignerque les données utilisées sont celles des années 2003—2005.Une extrapolation à la situation actuelle devra tenir compteà la fois du changement de la taille du marché mais aussi duniveau des prix avant instauration de la taxe.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

Références

[1] Lloyd-Williams F, O’Flaherty M, Mwatsana M, Birt C, IrelandR, Capewell S. Estimating the cardiovascular mortality burdenattributable to the European Common Agricultural Policy ondietary saturated fats. Bull WHO 2008;86(7):537—41.

[2] Veerman JL, Barendregt JJ, Mackenbach JP. The EuropeanCommon Agricultural Policy on fruit and vegetables: exploring

[

[

[

[

[

[

[

[

s de taxation 41

potential health gain from reform. Eur J Public Health2005;16(1):31—5.

[3] Alston JM, Sumner DA, Vosti SA. Farm subsidies and obesity inthe United States: National evidence and international compa-risons. Food Policy 2008;33:470—9.

[4] Mazzochi M, Traill BW, Shogren JF. Fat economics. Nutrition,health and economic policy. Oxford: Oxford University Press;2009, p. 1—181.

[5] Prattala R. Dietary changes in Finland: success stories andfuture challenges. Appetite 2003;41(3):245—9.

[6] Combris P, Maire B, Réquillart V. Consommations et consom-mateurs. In: Esnouf C, Russel M, Bricas N, editors. duALIne— durabilité de l’alimentation face à de nouveaux enjeux.Questions à la recherche. Rapport Inra-CIRAD (France);2011:p. 26—43.

[7] Combris P. Le poids des contraintes économiques dans les choix

alimentaires. Cah Nutr Diet 2006;41(5):279—84.

[8] Périssé J, Sizaret F, Francois P. Effet du revenu sur la structurede la ration alimentaire. Bull Nutr FAO 1969;7(3):1—10.

[9] Hercberg S. Le Programme National Nutrition Santé (PNNS) :un vrai programme de santé publique. Cah Nutr Diet2011;46:S5—10.

10] Cutler DM, Glaeser EL, Shapiro JM. Why have Americansbecome more obese? J Econ Persp 2003;17(3):93—118.

11] AFSSA. Étude Individuelle Nationale des Consommations Ali-mentaires 2 (INCA2, 2006—2007). Rapport, 2009; p. 1—228.

12] Malik VS, Shulze MB, Hu FB. Intake of sugar-sweetened beve-rages and weight gain: a systematic review. Am J Clin Nutr2006;84:274—88.

13] Bonnet C, Requillart V. Does the EU sugar policy reform increaseadded sugar consumption? An empirical evidence on the softdrink market. Health Econ 2011;20(9):1012—24.

14] Bonnet C, Réquillart V. Strategic Pricing and Health Price Poli-cies. TSE working paper, 2011, no 11—233.

15] Allais O, Bertail P, Nichele V. The effects of a fat tax on Frenchhouseholds’ purchases: a nutritional approach. Am J Ag Econ2010;92:228—45.

16] Gasmi F, Laffont JJ, Vuong Q. Econometric analysis of col-lusive behavior in a soft drink market. J Econ Manag Str1992;1(2):277—311.

17] http://www.rayon-boissons.com/Boissons-sans-alcool-et-Eaux/Taxe-sur-les-boissons-sucrees-la-drole-de-rejouissance-des-fabricants-de-sodas-16299.