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AGATHA CHRISTIE

LES ENQUÊTESD’HERCULE POIROT

(POIROT INVESTIGATES)

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LE MASQUE

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L’AVENTURE DEL’ÉTOILE DE

L’OUEST

Placé devant la fenêtre del’appartement de Poirot, j’observaisdistraitement la rue en contrebas.

— Étrange… lançai-je brusquement,le souffle court.

— Quoi donc, mon ami ? demandaplacidement Poirot du fond de sonconfortable fauteuil.

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— Jugez vous-même, Poirot : unejeune femme élégamment vêtue – chapeau coquet, fourrure somptueuse –avance lentement en levant les yeux surles maisons alentour. Sans le savoir, elleest pistée par trois hommes et une autrefemme. Un garçon de courses vient justede se joindre au groupe et montrel’inconnue du doigt avec de grandsgestes. Quel drame est en train de senouer ? La jeune personne est-elle unemalfaitrice et ses suiveurs des détectivessur le point de l’arrêter… Ou desmisérables prêts à attaquer uneinnocente victime ? Qu’en pense legrand détective ?

— Le grand détective, mon ami,

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choisit comme toujours le parti le plussimple. Il se lève pour se rendre comptepar lui-même.

Et Poirot me rejoignit à la fenêtre.Un moment plus tard, il laissa

échapper un gloussement amusé.— Comme d’habitude, votre

romantisme marque vos observations.Cette personne est miss Mary Marvell,l’actrice de cinéma. Elle est suivie parune troupe d’admirateurs qui l’areconnue. Et, en passant, mon cher,j’ajouterai qu’elle se rend parfaitementcompte de la chose.

J’éclatai de rire.— Ainsi, tout s’explique. Mais vous

ne marquez aucun point, Poirot. Ce

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n’était que pour vous mettre à l’épreuve.— En vérité ! Et combien de fois

avez-vous vu Mary Marvell à l’écran ?Je réfléchis.— Environ une douzaine de fois.— Et moi… une seule ! Cependant

je la reconnais et vous pas.— Elle semble si différente,

hasardai-je assez mollement.— Ah ! Espériez-vous qu’elle se

promènerait dans les rues de Londrescoiffée d’un chapeau de cow-boy, oupieds nus et les cheveux en désordre, entypique jeune fille irlandaise ? Avecvous, c’est toujours l’accessoire :souvenez-vous de l’affaire de ladanseuse Valérie Saintclair.

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Je haussai les épaules, légèrementvexé.

— Mais consolez-vous, mon ami,continua Poirot en se calmant. Tout lemonde ne peut être comme HerculePoirot ! Je le sais bien.

— Je n’ai jamais rencontréquelqu’un qui eût une aussi bonneopinion de soi ! m’exclamai-je, à la foisamusé et agacé.

— Que voulez-vous ! Lorsque l’onest unique, on le sait ! Et d’autrespartagent cette opinion… même missMary Marvell, si je ne me trompe.

— Quoi ?— Sans aucun doute, elle vient ici.— Qu’est-ce qui vous le fait

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penser ?— Très simple. Cette rue n’est pas

aristocratique, mon ami. Elle ne comptepas de médecins ou de dentistes envogue… encore moins de modistes !Mais il y a un détective célèbre ! Oui,mon ami, c’est ainsi. Je suis devenu à lamode, le dernier cri ! On se chuchote del’un à l’autre « Comment ? Vous avezperdu votre étui à cigarettes en or ? Vousdevriez aller consulter le petit Belge. Ilest merveilleux ! Tout le monde y va !Courez ! ». Et ils arrivent. En masse,mon ami ! Avec les problèmes les plusfous ! Le timbre d’une sonnette résonneen bas. Que vous disais-je ? C’est missMarvell.

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Comme de coutume, Poirot avaitraison. Après un court intervalle,l’actrice américaine fut introduite dansla pièce et nous nous levâmes.

Mary Marvell était une des actricesles plus populaires de l’écran. Ellevenait d’arriver en Angleterre,accompagnée de son mari, Gregory B.Rolf, lui aussi acteur de cinéma. Leurmariage avait eu lieu environ une annéeplus tôt aux États-Unis et c’était là leurpremière visite en Grande-Bretagne. Onleur avait fait une réception grandiose.Tout le monde était prêt à raffoler deMary Marvell, de ses vêtementsmerveilleux, de ses fourrures, de sesbijoux, d’un bijou surtout, le gros

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diamant dont le surnom s’accordait bienavec sa propriétaire : « l’Étoile del’Ouest ». Beaucoup de vrai et de fauxavait été écrit au sujet de cette fameusepierre dont on disait qu’elle étaitassurée pour la somme colossale decinquante mille livres.

Tous ces détails me traversèrentrapidement l’esprit alors que je mejoignais à Poirot pour accueillir notrebelle cliente.

Miss Marvell était petite, mince,blonde, d’apparence très jeune avec lesgrands yeux innocents d’une fillette.

Poirot lui avança une chaise et elledéclara tout de suite :

— Vous allez probablement penser

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que je suis ridicule, monsieur Poirot,mais Lord Cronshaw me racontait hier lafaçon ingénieuse dont vous avez éclaircile mystère de la mort de son frère et j’aieu le sentiment qu’il me fallait recourir àvotre expérience. J’ose affirmer qu’il nes’agit, en fait, que d’une mauvaiseplaisanterie – c’est ce que penseGregory – cependant je suis terriblementinquiète.

Elle s’interrompit pour reprendrehaleine.

Poirot l’encouragea d’un sourire.— Poursuivez, madame, pour le

moment, je ne sais encore rien.— Ce sont ces lettres. Miss Marvell

ouvrit son sac à main et en sortit trois

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enveloppes qu’elle tendit au Belge.Il les examina minutieusement tout

en remarquant :— Papier bon marché… Le nom et

l’adresse prudemment tapés à lamachine. Voyons l’intérieur.

Il sortit le contenu de la premièreenveloppe et je m’approchai pour lirepar-dessus son épaule, il n’y avaitqu’une seule phrase tapée elle aussi à lamachine :

« Le gros diamant qui est l’œilgauche du dieu doit retourner à sa placeoriginelle. »

La seconde lettre était rédigéeexactement dans les mêmes termes, maisla troisième s’avérait plus explicite :

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« Vous avez été prévenue. Vousn’avez pas obéi. Le diamant va doncvous être enlevé. À la pleine lune, lesdeux diamants qui sont l’œil gauche etl’œil droit du dieu lui seront restitués.C’est écrit. »

— J’ai traité la première lettrecomme une plaisanterie, expliqua missMarvell. Lorsque j’ai reçu la deuxième,j’ai commencé à être intriguée. Latroisième m’est parvenue hier et il m’aalors semblé que l’affaire pourrait êtreplus sérieuse que je ne l’imaginais toutd’abord.

— Je vois que ces lettres ne sont paspassées par la poste.

— Non, elles ont été apportées…

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par un Chinois. C’est ce qui m’effraie.— Pourquoi ?— Parce que c’est à un Chinois que

Gregory a acheté la pierre, il y a troisans, à San Francisco.

— Je vois que vous êtes convaincue,madame, que le diamant en questionest…

— … « l’Etoile de l’Ouest ». C’estexact. Gregory se souvient qu’àl’époque une histoire se rapportait à lapierre, mais le Chinois ne fournit aucuneexplication. Il paraissait seulement mortde peur et terriblement pressé de sedébarrasser de l’objet. Il n’en demandaitque le dixième de sa valeur. C’est lecadeau de mariage de mon mari.

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Poirot hocha pensivement la tête.— L’histoire semble d’un

romantisme presque incroyable. Etcependant… qui sait ? Hastings, passez-moi mon almanach, je vous prie.

Je m’exécutai.— Voyons, murmura le petit homme

en tournant les pages. Quelle est la datede la pleine lune ? Ah ! vendrediprochain. Dans trois jours. Eh bien,madame, vous souhaitez mon avis ? Jevous le donne. Cette belle, bellehistoire, peut être une mauvaiseplaisanterie, mais il est permis d’endouter. En ce cas, je vous conseille deplacer ce diamant sous ma gardejusqu’après vendredi prochain. Nous

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pourrons prendre, ensuite, les mesuresqu’il vous plaira.

Un léger nuage passa sur le visagede l’actrice qui répondit, consternée :

— J’ai peur que cela ne soit paspossible.

— Vous l’avez avec vous, n’est-cepas ? Poirot l’observait avec attention.

La jeune femme hésita, puis glissantla main dans l’ouverture de sa robe, elletira une longue chaîne fine. Elle sepencha et découvrit dans sa paume unepierre d’une eau admirable,merveilleusement sertie dans unecouronne de platine, et qui jetait millefeux.

— Ça alors ! murmura-t-il. Vous

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permettez, madame ?Il prit le bijou et l’examina

avidement avant de le rendre à la jeunefemme avec une légère inclinaison detête.

— Une pierre magnifique… Sans lemoindre défaut. Ah ! Et vous la portezsur vous, comme ça !

— Non, non. En fait, je suis trèsprudente, monsieur Poirot.Habituellement, elle est enfermée dansma boîte à bijoux et déposée dans lecoffre de l’hôtel. Nous sommesdescendus au Magnifique. Je ne la porteaujourd’hui que parce que je voulaisvous la montrer.

— Et vous allez me la laisser, n’est-

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ce pas ? Vous suivrez les conseils depapa Poirot ?

— Il faut que je vous explique,monsieur Poirot. Vendredi prochain nousallons à Yardly Chase pour passerquelques jours avec Lord et LadyYardly.

Ces mots éveillèrent en moi unevague réminiscence… Certainsracontars… Quelques années plus tôt,Lord et Lady Yardly s’étaient rendus auxÉtats-Unis et la rumeur affirmait que levicomte y avait, en quelque sorte, menéla grande vie avec l’aide de quelquesamies… Mais il y avait sûrement plusque cela, quelque chose d’encore plusmalveillant qui associait le nom de Lady

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Yardly à celui d’une vedette de l’écranlors de son passage en Californie…Cela me vint à l’esprit comme un éclair.Bien sûr ! Il s’agissait tout simplementde Gregory B. Rolf.

— Je vais vous confier un petitsecret, monsieur Poirot, continuait missMarvell. Nous sommes en traind’arranger une affaire avec Lord Yardly.Il y a des chances pour que noustournions un film sur son domaine.

— À Yardly Chase ? m’écriai-jeintéressé. Mais c’est un monumentd’intérêt touristique !

— J’imagine que c’est en effet ungenre de vieillerie authentique. MaisLord Yardly demande un prix assez

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élevé et je ne sais pas encore si l’affairese fera. Cependant, Greg et moi aimonsjoindre l’utile à l’agréable.

— Je vous demande pardon si jevous parais stupide, madame. Il estcertainement possible de visiter YardlyChase sans emporter le diamant ?

Le regard de miss Marvell se durcit,perdant son apparence enfantine.L’actrice parut soudain beaucoup plusâgée.

— Je veux le porter là-bas.— Sans aucun doute, dis-je

brusquement, la collection Yardlycompte des bijoux très célèbres dont untrès gros diamant, je crois ?

— En effet, répondit-elle

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brièvement.J’entendis Poirot grommeler

sourdement : « Ah, c’est comme ça ! »Puis à voix haute, avec son inexplicablechance habituelle de faire mouche qu’ilnommait pompeusement « psychologie »,il dit :

— Vous connaissez donc déjà LadyYardly ou peut-être est-ce votre mari quila connaît ?

— Greg a fait sa connaissancelorsqu’elle se trouvait dans les États-Unis de l’Ouest, il y a trois ans. Ellehésita un moment avant de lancer d’unton brusque : l’un de vous a-t-il lu lemagazine Les Cancans de la Société ?

Nous fûmes forcés d’avouer

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honteusement notre ignorance.— Je vous le demande, parce que

cette semaine un article a paru au sujetde bijoux célèbres et il est vraiment trèscurieux… elle s’interrompit.

J’allai vers la table placée àl’extrémité de la pièce et rapportai larevue en question. Elle me la prit desmains, chercha l’article, le trouva et lutà haute voix :

« Parmi les nombreuses pierrescélèbres, on compte « l’Étoile de l’Est »un diamant actuellement en possessionde la famille Yardly. Un ancêtre del’actuel Lord Yardly le rapporta deChine et une histoire romanesque estréputée s’y attacher. La pierre aurait été

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l’œil droit du dieu d’un temple sacré. Unautre diamant de forme et de dimensionsidentiques aurait représenté l’œil gauchede ce même dieu et la date de sadisparition est inconnue. Un œil du dieuira à l’Ouest, et l’autre ira à l’Estjusqu’à ce qu’ils se rencontrent ànouveau et retournent triomphalement àleurs places. Par une curieusecoïncidence, une pierre connue sous lenom d’« Étoile de l’Ouest » correspondparfaitement à la description de« l’Étoile de l’Est ». Elle estactuellement la propriété de la célèbreactrice de cinéma, miss Mary Marvell.Une comparaison entre les deux joyauxserait intéressante. » La lectrice

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s’interrompit.— Épatant, s’exclama Poirot, sans

aucun doute, un roman de premier ordre.Et vous n’avez pas peur, madame ? Vousne redoutez pas de confronter deuxsœurs jumelles de crainte qu’un Chinoisn’apparaisse et, passez muscade, lesremporte à toute allure en Chine ?

Sous son ton moqueur, je devinaisune gravité voilée.

— Je ne crois pas un instant que lediamant de Lady Yardly vaille le mien,répondit la jeune femme. En tout cas, jevais bientôt pouvoir en juger.

Je ne sais ce qu’aurait pu ajouterPoirot, car à ce moment, la portes’ouvrit pour livrer passage à un homme

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superbe. De sa tête brune et bouclée à lapointe de ses bottes vernies, ilreprésentait le parfait héros de roman.

— J’avais promis que je viendraisvous chercher, Mary, lança GregoryRolf, et me voici. Que dit M. Poirot denotre petit problème ? Une mauvaiseplaisanterie comme je vous l’affirmais ?

Poirot sourit. L’acteur et luiformaient un contraste ridicule.

— Mauvaise plaisanterie ou pas,répliqua-t-il sèchement, j’ai conseillé àmadame votre épouse de ne pasemporter le diamant à Yardly Chase.

— Je vous comprends, monsieur.J’ai déjà donné le même conseil à Mary,mais voilà, elle est femme, et j’imagine

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qu’elle ne peut supporter l’idée qu’uneautre femme l’éclipse en bijoux.

— Quelle absurdité, Gregory !répondit vertement Mary Marvell, qui,cependant, rougit de colère.

Poirot haussa les épaules.— Madame, je vous ai donné mon

avis. Je ne puis rien de plus. C’est fini.Il les raccompagna à la porte.

— Ah, là, là ! soupira-t-il enrevenant. Histoires de femmes ! Le bonmari a frappé droit au but… Tout demême, il a manqué de tact !

Je lui confiai mes vaguesréminiscences et il hochavigoureusement la tête.

— Je m’en doutais. Cependant, il y a

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quelque chose de bizarre dans tout cela.Avec votre permission, mon ami, je vaisprendre l’air. Je vous prie d’attendremon retour, je ne serai pas long.

J’étais à demi assoupi, lorsque lalogeuse frappa à la porte et passa la têtepar l’entrebâillement pour chuchoter :

— C’est une autre lady qui vientvoir M. Poirot. Je lui ai dit qu’il étaitsorti mais elle préfère attendre, car ellearrive de la campagne.

— Faites-la entrer, Mrs.Murchinson. Peut-être pourrais-je luiêtre utile ?

Lorsque la personne fut introduite,mon cœur fit un bond car je lareconnaissais. La photo de Lady Yardly

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avait figuré trop souvent dans lesjournaux mondains pour qu’elle me fûtinconnue.

— Prenez place, Lady Yardly, et jelui avançai un siège tout en expliquant :mon ami Poirot est absent, mais il serabientôt de retour.

Elle me remercia et s’assit. Un typede femme bien différent de MaryMarvell. Grande, brune, avec des yeuxpétillants dans un visage pâle et fin,avec toutefois quelque chose dedésenchanté dans le dessin de la bouche.

J’éprouvai le désir de me montrer àla hauteur de la situation. Pourquoi pas ?En la présence de Poirot, je ressenssouvent une sorte de gêne, je ne parais

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pas à mon avantage. Et cependant, moiaussi, je possède sans aucun doute unecertaine puissance de raisonnement.

Poussé par une brusque impulsion,je me penchai vers la visiteuse etremarquai :

— Lady Yardly, je sais pourquoivous êtes ici. Vous avez reçu des lettresde chantage au sujet du diamant ?

Mon attaque fit son effet. Elle mecontempla, la bouche ouverte, toutecouleur ayant disparu de ses joues.

— Vous savez, souffla-t-elle.Comment ?

Je souris.— Par un procédé parfaitement

logique. Si miss Marvell a reçu des

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lettres de menaces…— Miss Marvell ? Elle est venue

ici ?— Aujourd’hui même. Comme je

vous le disais, si, en tant que détentricede l’un des diamants jumeaux, elle areçu des lettres de menacesmystérieuses, vous, qui possédez l’autrejoyau, devez être placée dans la mêmesituation. Vous voyez que c’est trèssimple. Je ne me trompe pas, n’est-cepas ? Vous aussi avez bien reçu deslettres comminatoires ?

Elle m’étudia un moment, semblanthésiter à m’accorder sa confiance, puiselle hocha la tête avec un petit sourire.

— En effet.

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— Vos lettres furent-elles livréespar un Chinois… comme celles de missMarvell ?

— Non, elles arrivèrent par lecourrier. Mais dites-moi, miss Marvell adonc subi la même épreuve ?

Je lui contai les nouvelles de lamatinée qu’elle écouta avec attention.Finalement, elle hocha la tête.

— Tout concorde. Nos lettres sontidentiques. Il est vrai que les miennessont arrivées par le courrier, mais en lesouvrant, j’ai cru reconnaître un parfumimprégnant le papier, quelque chosecomme… de l’encens. Cela m’a pousséetout de suite à penser à l’Orient. Qu’est-ce que cela signifie, à votre avis ?

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— C’est ce que nous devronsdécouvrir. Vous avez les lettres avecvous ? Nous pourrons peut-êtreapprendre quelque chose par le tamponde la poste.

— Malheureusement, je les aidétruites. Vous comprenez, sur lemoment, je les ai tenues pour uneplaisanterie stupide. Est-il possible quequelque gang chinois essaie derécupérer ces deux diamants ? Cela meparaît tellement inconcevable !

Nous revînmes sur les faits mainteset maintes fois sans pour cela avancervers la solution. Enfin Lady Yardly seleva.

— Je ne pense pas qu’il me soit

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nécessaire d’attendre M. Poirot pluslongtemps. Vous saurez lui expliquer lesraisons de ma visite, n’est-ce pas ?Merci mille fois, Mr… ?

— Capitaine Hastings.— Oh, mais bien sûr ! Que je suis

sotte ! Vous êtes un ami des Cavendish,n’est-il pas vrai ? C’est Mary Cavendishqui m’envoie à M. Poirot.

Lorsque mon ami revint, je prisplaisir à lui raconter les derniersévénements. Il m’interrompit par desèches questions quant à la façon dontnotre conversation s’était déroulée et jedevinais qu’il n’était pas trop contentd’avoir manqué notre dernière cliente.Pour ma part, je me plaisais à imaginer

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que le cher Poirot se montrait un peujaloux. C’était presque devenu unehabitude chez lui que d’amoindrirconsidérablement mes capacités et jecrois qu’il se trouvait dépité de netrouver aucun motif pour me critiquer.J’étais intérieurement assez satisfait demoi, bien qu’essayant de n’en rienmontrer de peur de l’irriter. Malgré sonégocentrisme, j’étais profondémentattaché à mon déconcertant ami.

— Bien, déclara-t-il d’un tonbrusque, une étrange expression sur levisage. L’intrigue suit son cours. Passez-moi, je vous prie, le nobiliaire qui setrouve sur cette étagère supérieure. Il entourna les pages. Ah, voici ! Yardly…

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10e vicomte, servit en Afrique du Sud.Tout ça n’a pas d’importance… Épousaen 1907, l’Hon. Maud Stopperton,quatrième fille du troisième baronCotteril… etc., etc., descendance : deuxfilles nées en 1908 et 1910… Clubs…Résidences… Voilà. Cela ne nousapprend pas grand-chose, mais demainmatin nous verrons ce lord.

— Comment ?— Je lui ai envoyé un télégramme.— Je croyais que vous vous étiez

lavé les mains de l’affaire ?— Je n’agis pas pour miss Marvell

puisqu’elle a refusé de se laisser guiderpar mes conseils. Ce que je vais faire àprésent sera pour ma propre

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satisfaction… La satisfaction d’HerculePoirot ! Décidément, je veux jouer monrôle dans cette histoire.

— Et vous envoyez un télégramme àLord Yardly afin qu’il se précipite àLondres, simplement pour complaire àvotre ambition personnelle ! Il ne serapas enchanté.

— Au contraire. Si je préserve sondiamant de famille, il ne pourra quem’être reconnaissant.

— Ainsi vous pensez qu’il y avraiment une chance qu’il soit volé ?

— Presque certainement. Toutsemble le prouver.

— Mais comment ?Poirot arrêta ma question d’un geste

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vague de la main.— Pas maintenant, je vous prie. Ne

brouillons pas notre esprit. Et regardezce nobiliaire… Comment l’avez-vousrangé ! Ne voyez-vous pas que les livressont disposés par rang de taille ? Decette manière nous avons de l’ordre, dela méthode, dont, comme je vous l’aisouvent fait remarquer, Hastings…

— Exactement, coupais-je vivement,remettant le volume à sa placehabituelle.

Lord Yardly offrait l’apparence d’un

sportif joyeux au teint plutôt rouge, quis’exprimait d’une voix forte, maisdégageait une bonhomie optimiste

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palliant son manque d’esprit.— Une histoire extraordinaire,

monsieur Poirot, à laquelle je necomprends rien. Il semblerait que mafemme ait reçu d’étranges missives ainsique miss Marvell. Qu’est-ce que toutcela veut dire ?

Poirot lui tendit la brochure« Cancans de la Société ».

— Tout d’abord, milord, je vousdemanderai de confirmer si cet articleest exact ?

Le visage du pair s’assombrit alorsqu’il parcourait l’article des yeux.

— Absurdités, bredouilla-t-il, il n’ya jamais eu d’histoire romanesqueattachée à ce diamant. Je crois savoir

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qu’à l’origine il est venu de l’Inde, maisje n’ai jamais eu connaissance de ceconte de dieu chinois !

— Cependant, la pierre est connuesous le nom d’« Étoile de l’Est ».

— Et alors ?Poirot ne répondit pas directement.— Je vous ai prié de venir pour

vous demander de me laisser carteblanche, milord. Si vous acceptez sansréserve, j’ai grand espoir d’éviter lacatastrophe.

— Vous pensez donc que cesextravagances cachent vraiment quelquechose ?

— Me ferez-vous confiance ?— Bien sûr, mais…

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— Permettez-moi alors de vousposer quelques questions. Cette affaireau sujet de Yardly Chase est-elleconclue entre vous et Mr. Rolf ?

— Oh ! Il vous en a donc parlé ?Non, rien n’est encore décidé. Il parutgêné, alors que son teint brique prenaitune nuance plus accusée. Autant vousmettre au courant. J’ai commis pas malde bêtises, monsieur Poirot… et je suiscouvert de dettes… Mais je veux meressaisir. J’aime mes enfants et je désirearranger mes affaires afin de continuer àvivre dans ma vieille propriété. GregoryRolf m’offre beaucoup d’argent… assezpour me permettre de me rétablir.Cependant, j’hésite encore à accepter. Je

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déteste l’idée de cette foule jouant lacomédie autour de « Chase ». Il estpossible que je sois forcé d’y consentir,à moins… Il s’interrompit.

Poirot leva vivement les yeux.— Vous avez une autre corde à votre

arc, milord ? Permettez-moi d’avancerune conjecture. S’agirait-il de la ventede l’« Étoile de l’Est » ?

— En effet. Elle est dans ma familledepuis des générations, mais n’entrecependant pas dans l’héritage. Cela dit,trouver un acheteur n’est pas des plusfacile. Hoffberg, le type de « HattonGarden », est à la recherche d’un clientsérieux.

— Encore une question, permettez…

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Ce plan a l’approbation de LadyYardly ?

— Elle s’oppose à ce que je vendele bijou. Vous connaissez les femmes !Elle préfère opter pour ce film tapageur.

— Je comprends. Poirot réfléchit unmoment, puis se leva. Vous retournezdirectement à Yardly Chase ? Bien ! Pasun mot à quiconque… à quiconque, vouscomprenez ? Mais attendez-nous ce soir.Nous arriverons peu après cinq heures.

— D’accord, mais je ne vois pas…— Cela n’a pas d’importance,

répondit Poirot d’un ton léger. Vousdésirez que je vous conserve votrediamant, n’est-ce pas ?

— Oui, mais…

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— Alors, agissez comme je vous ledis.

Triste et dérouté, le noble gentlemanquitta la pièce.

Il était cinq heures trente lorsque

nous arrivâmes à Yardly Chase etsuivîmes le maître d’hôtel plein dedignité qui nous guida à travers le hallaux lambris anciens que réchauffait unbon feu de bois. Un touchant tableaus’offrit à nos yeux : la tête brune et fièrede Lady Yardly penchée sur ses deuxfillettes blondes et, debout près d’ellesLord Yardly qui les contemplait ensouriant.

— M. Poirot et le capitaine

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Hastings, annonça le maître d’hôtel.Lady Yardly leva la tête en

sursautant alors que son mari s’avançait,indécis, quêtant du regard lesinstructions de Poirot.

Le petit homme fut à la hauteur de lasituation.

— Toutes mes excuses, j’enquêteencore sur cette histoire se rapportant àmiss Marvell. Elle vient chez vousvendredi, je crois ? Me permettez-vousune petite visite préliminaire pourm’assurer que tout est en ordre ? Jevoudrais aussi demander à Lady Yardlysi elle se souvient des tampons queportaient les lettres qu’elle a reçues ?

Lady Yardly, un peu confuse,

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répondit :— J’ai bien peur que non. C’est une

étourderie de ma part, mais vouscomprenez, je ne les prenais pas ausérieux.

— Vous restez pour la nuit ? s’enquitLord Yardly.

— Oh ! Milord, j’ai peur de vousincommoder. Nous avons laissé nos sacsà l’auberge.

— Aucune importance (Lord Yardlyjouait son rôle). Nous les enverronschercher… Aucun dérangement, je vousassure.

Poirot se laissa persuader, et prenantplace près de Lady Yardly, il s’employaà se faire des amis des enfants. Au bout

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de peu de temps, ils jouaient tousensemble et m’avaient décidé à mejoindre à eux.

— Madame, vous êtes une tendremère remarqua Poirot en s’inclinantgalamment, alors que les enfants étaiententraînés à contrecœur par unegouvernante sévère.

Lady Yardly arrangea sa coiffure endésordre et répondit d’une voixessoufflée :

— Je les adore.— Les enfants vous le rendent…

avec raison ! Poirot s’inclina à nouveau.Un gong résonna et nous nous

levâmes pour gagner nos chambres. À cemoment, le maître d’hôtel entra, un

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télégramme posé sur un plateau d’argentqu’il tendit au Vicomte. Ce dernierl’ouvrit après un bref mot d’excuse.

Son visage se contracta et, avec uneexclamation d’étonnement, tendit le pli àsa femme. Puis il se tourna vivementvers mon ami qui allait sortir :

— Un moment, monsieur Poirot ! Jecrois que vous devez être mis aucourant. C’est d’Hoffberg. Il pense avoirtrouvé un acheteur pour le diamant : unAméricain qui retourne demain auxÉtats-Unis. Ils envoient un type ce soirpour examiner la pierre. Par Jupiter ! Si,cependant, cette affaire…

Les mots lui manquèrent.Lady Yardly s’était détournée. Elle

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tenait encore le télégramme en main.— Je préférerais que vous ne le

vendiez pas, Georges, dit-elle d’unevoix grave. Il est dans la famille depuissi longtemps. Elle sembla attendre uneréponse qui ne vint pas. Elle haussa lesépaules et ajouta : il faut que j’aille mechanger. Je suppose qu’il va me falloirétaler la « marchandise », elle se tournavers Poirot avec une petite grimace :c’est l’un des plus odieux colliers qui futdessiné ! Georges m’a toujours promisde faire ressertir les pierres, mais ellesattendent encore.

Elle se retira.Une demi-heure plus tard, nous

étions réunis tous trois dans la grande

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salle à manger attendant la maîtresse demaison. L’heure du dîner était passée dedeux minutes.

Un léger frou-frou nous avertit del’arrivée de Lady Yardly qui s’encadradans la porte, silhouette lumineusedrapée dans une longue robe blanchesoyeuse. Autour de son cou étincelaitune rivière de diamants.

La jeune femme resta immobile, unemain posée sur le joyau.

— Contemplez l’objet du sacrifice,lança-t-elle gaiement. Sa mauvaisehumeur semblait avoir disparu. Attendezque je donne l’éclairage central et vouspourrez vous régaler du spectacle duplus laid collier d’Angleterre !

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Les interrupteurs se trouvaient dansle hall près de la porte. Alors qu’elletendait la main pour les atteindre,l’incroyable se produisit. Les lumièress’éteignirent brusquement, la porteclaqua et, de l’extérieur, s’éleva le criprolongé d’une femme.

— Mon Dieu ! souffla Lord Yardly,c’est la voix de Maud. Qu’est-il arrivé ?

Nous nous élançâmes à l’aveuglette,nous heurtant dans l’obscurité. Il nousfallut plusieurs minutes pour atteindre laporte. Quel spectacle nous attendait !Lady Yardly gisait sur le sol de marbre,inconsciente, une marque violacéeautour du cou, d’où le collier avait étéarraché.

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Alors que nous nous penchions surla jeune femme ne sachant pas sur lemoment si elle était morte ou seulementévanouie, ses paupières s’ouvrirent etelle murmura :

— Le Chinois… le Chinois… laporte de côté.

Lord Yardly se précipita vers l’issueen jurant et je m’élançai à sa suite, lecœur battant. Encore le Chinois !

La porte latérale en questions’ouvrait dans un angle du mur, environà dix mètres de l’endroit où s’étaitdéroulée la tragédie. En l’atteignant, jepoussai un cri. Près du seuil se trouvaitle collier, apparemment abandonné parle voleur pris de panique. Tout heureux,

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je me penchai pour le ramasser, mais jepoussai un autre cri auquel Lord Yardlyfit écho.

Le centre du collier était vide,l’« Étoile de l’Est » avait disparu.

— Voilà qui est net, m’exclamai-jesourdement, il ne s’agit pas de voleursordinaires. Cette pierre était la seule quiles intéressait.

— Mais comment le type s’est-ilintroduit ici ?

— Par cette porte.— Impossible, elle est toujours

fermée à clef.— Pas à présent, voyez !Je poussai le battant et mon geste fit

tomber quelque chose de léger sur le

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sol. C’était un morceau de soie dont ledessin ne permettait aucun doute. Il avaitété arraché à un vêtement oriental.

— Dans sa hâte, un pan de sa robeest resté coincé. Venez vite. Il n’asûrement pas eu le temps d’aller bienloin.

Nous explorâmes en vain lesenvirons. Avantagé par l’obscurité, levoleur avait effectué une retraite facile.Nous rentrâmes à contrecœur et LordYardly dépêcha un domestique pouraller quérir la police.

Lady Yardly, calmée par Poirot quipossédait comme une femme le don deréconforter, était suffisamment remisepour nous expliquer ce qui s’était passé.

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— J’allais tourner l’interrupteurlorsqu’un homme me saisit par-derrière.Il m’arracha le collier avec une telleforce que je tombai au sol. Dans machute, je le vis disparaître par la portelatérale et compris d’après sa natte et sarobe brodée qu’il s’agissait d’unChinois. Elle s’interrompit en frisonnant.

Le maître d’hôtel reparut. Il annonçad’une voix lugubre :

— Un gentleman de la part de Mr.Hoffberg, milord. Il dit que vousattendez sa visite.

— Grand Dieu ! s’écria le lordaffolé. Il va falloir que je lui explique…Pas ici, Mullings, conduisez-le dans labibliothèque.

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J’entraînai Poirot à part.— Écoutez, mon vieux, ne croyez-

vous pas que nous ferions mieux deretourner à Londres ?

— Vraiment, Hastings ? Pourquoi ?— C’est que… Je toussai

discrètement. Les choses ne se sont pastrès bien déroulées, je crois ? Vousconseillez à Lord Yardly de s’enremettre à vous, que tout ira bien… et lediamant disparaît juste sous votre nez !

— Exact, concéda-t-il assez penaud,cela ne semble pas avoir été un de mestriomphes les plus éclatants !

Cette façon de définir la situation mefit presque sourire, mais je gardai monopinion pour moi.

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— Ainsi, ayant, pardonnez-moil’expression, causé un gros gâchis, necroyez-vous pas qu’il serait plus élégantde partir immédiatement ?

— Et le dîner ? Il sera sans douteexcellent, préparé par le chef de LordYardly !

— Oh ! Qu’est-ce qu’un dîner !répliquai-je agacé.

Poirot leva les yeux au ciel.— Mon Dieu, dans votre pays, vous

traitez la gastronomie avec uneindifférence vraiment criminelle.

— Il y a une autre raison pourlaquelle nous devrions rentrer à Londresle plus rapidement possible.

— Laquelle, mon ami ?

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— L’autre diamant, celui de missMarvell.

— Eh bien ?— Ne devinez-vous pas ? Sa

stupidité insolite m’irritait au plus hautpoint ; qu’était devenu son esprithabituellement si prompt ? Maintenantqu’ils en possèdent un, ils vont chercherà escamoter le second.

— Tiens, s’écria Poirot en reculantd’un pas et me contemplant avecadmiration, mais votre cerveau marche àmerveille, mon ami ! Imaginez que, surle moment, je n’avais pas pensé à cela.Cependant, nous avons grandement letemps, car la pleine lune ne se montrerapas avant vendredi.

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Je hochai dubitativement la tête.L’idée de la pleine lune nem’impressionnait pas. J’avais cependantréussi à convaincre Poirot et nouspartîmes immédiatement, laissant un motd’explications et d’excuse pour LordYardly.

Mon intention était que nous nousrendions directement au Magnifiquepour relater à miss Marvell les derniersévénements de Yardly Chase, maisPoirot opposa son veto en affirmant quedemain matin serait bien assez tôt. Jem’inclinai en rechignant.

Au matin, Poirot se montra peudisposé à sortir. Je commençai àsoupçonner qu’après l’échec qu’il venait

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d’essuyer, il lui répugnait de poursuivrel’affaire. En réponse à mesraisonnements pressants, il remarqua,avec une logique sans faille, qu’étantdonné que les détails de l’affaire deYardly Chase étaient dans les journaux,les Rolf devaient en savoir aussi longque nous. J’abandonnai à contrecœur.

Les faits qui suivirent, prouvèrentque mes pressentiments étaient justifiés.Vers deux heures, le téléphone sonna etPoirot répondit. Il écouta un moment,puis après un bref : « Bien j’y serai », ilraccrocha et se tourna vers moi.

— Qu’en pensez-vous, mon ami ? Ilaffichait un air en même temps piteux etexcité. Le diamant de miss Marvell a été

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volé.— Quoi ? Et la pleine lune, alors ?

Poirot baissa la tête. Quand cela s’est-ilproduit ?

— Ce matin, parait-il.— Si seulement vous m’aviez

écouté ! Vous voyez ? J’avais raison.— Apparemment, mon ami, répliqua

Poirot, les apparences sont trompeuses,dit-on, mais dans ce cas, elles sont àvotre avantage.

Alors que nous roulions rapidementvers le Magnifique, j’exposai à Poirotla véritable construction du plan, mis enœuvre par les voleurs.

— Cette idée de pleine lune s’estaffirmée ingénieuse. Le principal

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objectif consistait à attirer notreattention sur vendredi, afin que nous nesoyons pas sur nos gardes avant. Il estdommage que vous ne l’ayez pas deviné.

— Ma foi ! répondit Poirot d’un airvague, sa nonchalance revenue après unebrève éclipse. On ne peut penser à tout.

J’éprouvai une grande pitié pour lui.Je déteste le voir échouer.

— Courage, dis-je pour le consoler,vous aurez plus de chance la prochainefois.

Au Magnifique, nous fûmesimmédiatement introduits dans le bureaudu gérant. Gregory Rolf s’y trouvaitavec deux hommes de Scotland Yard etun employé qui leur faisait face.

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Rolf salua notre entrée d’un signe detête.

— Nous arrivons au fond duproblème, dit-il mais c’est presqueincroyable. Comment le gars a-t-il pumontrer un pareil sang-froid, je n’arrivepas à comprendre.

Quelques minutes suffirent à nousmettre au courant. Mr. Rolf était sorti del’hôtel à 11 h 15. À 11 h 30, un hommelui ressemblant étrangement, se présentaà la réception et demanda le coffre àbijoux dans le coffre de l’hôtel. Il signadûment le reçu tout en remarquant d’unair détaché : « C’est un peu différent dema signature habituelle, mais je me suismeurtri la main en sortant du taxi. »

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L’employé sourit poliment en affirmantqu’il y voyait très peu de différence.L’homme rit et répliqua : « En tout cas,ne me prenez pas pour un malfaiteur. J’aireçu des lettres de menaces d’un Chinoiset le pire est que je ressemble moi-même assez à un Chinois. Quelque chosedans la forme des yeux. »

Je l’ai dévisagé, expliqua l’employéqui nous racontait l’histoire, et j’ai toutde suite compris ce qu’il voulait dire.Ses yeux s’allongeaient vers les tempescomme ceux d’un oriental. Je ne l’avaispas remarqué auparavant.

— Bon sang, rugit Gregory Rolf sepenchant vers l’homme, le remarquez-vous à présent ?

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L’employé le regarda et sursauta :— Oh ! Non, monsieur !Et, en fait, il n’y avait rien qui fût,

même vaguement, oriental dans le regarddirect qui se posait sur nous.

L’homme de Scotland Yardgrommela :

— Un malin ! Il a pensé que ses yeuxl’impliqueraient et il a pris le taureaupar les cornes pour désarmer toutsoupçon. Il a dû surveiller votre sortie,monsieur et s’assurer que vous étiezbien parti pour se présenter à laréception de l’hôtel.

— Et le coffre à bijoux ? demandai-je.

— Il a été trouvé dans un couloir de

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l’hôtel. Un seul manquait : l’« Étoile del’Ouest » !

Nous nous regardâmes, perplexes.Toute l’affaire était tellement bizarre,insolite…

Poirot se leva.— Je n’ai pas été d’une grande

utilité, je le crains, remarqua-t-il avecregret. Me serait-il permis de rencontrermiss Marvell ?

— Elle est encore bouleversée,protesta Rolf.

— Alors, je puis peut-être vousentretenir en privé, Mr. Rolf ?

— Certainement.Environ cinq minutes plus tard,

Poirot reparut.

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— À présent, mon ami, lança-t-ilgaiement, rendons-nous dans une poste,il faut que j’envoie un télégramme.

— À qui ?— À Lord Yardly.Il découragea toute question

supplémentaire en passant son bras sousle mien et en concluant :

— Mon ami, je sais exactement ceque vous ressentez au sujet de cettecurieuse affaire. Je ne m’y suis pasdistingué ! Vous, à ma place, auriez peut-être réussi. Bien ! Tout est admis,oublions cela et allons déjeuner.

Il était environ quatre heures lorsquenous revînmes chez Poirot. À notreentrée, une silhouette se découpant

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devant la fenêtre, se leva. C’était LordYardly. Il paraissait décomposé etaffligé.

— J’ai reçu votre télégramme et suisvenu directement. Savez-vous que jesuis passé chez Hoffberg et qu’il ne saitrien du type qui est venu chez moi hiersoir, pas plus que du télégramme.Croyez-vous que…

Poirot leva la main.— Mes excuses ! J’ai envoyé ce

télégramme et le gentleman moi-même.— Vous… Mais pourquoi ?— Ma petite idée était de pousser à

agir une certaine personne.— Une certaine personne ?— Et ma ruse a réussi. Grâce à elle,

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j’ai grand plaisir à vous retourner…ceci, milord !

Avec un geste dramatique, ilproduisit un objet étincelant.

— « L’Étoile de l’Est » ! s’exclamaLord Yardly, d’une voix entrecoupée,mais je ne comprends plus…

— Aucune importance. Croyez-moi,il était nécessaire que le diamant fûtvolé. Je vous ai promis qu’il seraitsauvé et j’ai tenu parole. Vous mepermettrez de garder mon petit secret.Transmettez, je vous prie, l’assurance demon profond respect à Lady Yardly etdites-lui à quel point je suis heureux depouvoir lui restituer son joyau. Quelbeau temps, ne trouvez-vous pas ?

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Bonne journée, milord.Souriant et babillant,

l’extraordinaire petit homme escorta levisiteur jusqu’à la porte.

Il revint en se frottant doucement lesmains.

— Poirot, dis-je, suis-jecomplètement idiot ?

— Non, non, mon ami, mais vousêtes, comme toujours, plongé dans unbrouillard mental.

— Comment avez-vous récupéré lediamant ?

— De Rolf.— Rolf ?— Mais oui ! Les lettres de menace,

le Chinois, l’article dans Les Cancans

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de la Société, tout cela est né de l’espritingénieux de Mr. Rolf ! Les deuxdiamants supposés être simiraculeusement identiques. Fadaises !Ils n’existaient pas. Il n’y avait qu’unseul diamant, mon ami ! À l’origine,dans la collection Yardly, il fut pendanttrois ans la possession de Rolf. Il l’avolé ce matin en se maquillant les yeux.Ah ! il faut que je le voie dans un de sesfilms, il est vraiment artiste, celui-là !

— Mais pourquoi irait-il voler sonpropre diamant ? demandai-je, necomprenant toujours rien.

— Pour diverses raisons.Premièrement, Lady Yardly commençaità devenir rétive.

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— Lady Yardly ?— Vous devez comprendre qu’en

Californie, elle se trouvait assez seule.Son mari s’amusait ailleurs. Mr. Rolfétait beau et auréolé d’une toucheromantique. Mais, au fond, il est trèshomme d’affaires, ce Monsieur ! Il jouale chevalier servant auprès d’elle etensuite la fit chanter. J’ai forcé LadyYardly à admettre la vérité l’autre soir.Elle jura qu’elle n’avait étéqu’imprudence et je la crois. Mais sansaucun doute, Rolf détenait des lettresd’elle, dont le sens aurait pu facilementêtre interprété différemment. Atterréepar la menace d’un divorce et laperspective d’être séparée de ses

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enfants, elle accepta les conditionsqu’on lui imposait. Ne possédant pas defortune personnelle, elle fut forcée de luipermettre de substituer au vrai diamant,un faux. La coïncidence de la date àlaquelle l’« Étoile de l’Ouest » apparut,m’intrigua dès l’abord. Ensuite, LordYardly se prépara à se ranger, s’assagir,d’où la menace de la vente du diamant.La substitution allait être découverte.Sans aucun doute, Lady Yardly écrivit àRolf qui arrivait juste en Angleterre,pour lui expliquer la situation, il larassure en promettant de tout arranger etmet alors sur pied, le plan d’un doublevol. De cette manière, il calmait la jeunefemme qui, un jour ou l’autre, aurait pu

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tout raconter à son mari, éventualitéembarrassante pour notre maîtrechanteur. De plus, il empochera lescinquante mille livres d’assurance (vousoubliez cela !) et le diamant restera ensa possession. À ce moment, j’entre enscène. L’arrivée d’un expert en diamantsest annoncée, Lady Yardly, comme jem’en doutais, organise immédiatement levol du faux diamant et s’en tire très bien.Mais Hercule Poirot ne voit que lesfaits. Que se passe-t-il en réalité ? Ladame tourne l’interrupteur, plongeant lapièce dans l’obscurité, fait claquer laporte, jette le collier loin d’elle et crie.Dans sa chambre, quelques minutes plustôt, elle a déjà enlevé le diamant central

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à l’aide d’une pince…— Mais nous avons vu le collier

autour de son cou !— Je vous demande pardon, mon

ami, sa main dissimulait l’endroit où levide eût été visible. Placer un morceaude soie dans une porte est un jeud’enfant ! Naturellement, dès que Rolfapprit le vol par les journaux, ilarrangea sa petite comédie… qu’il jouaà la perfection.

— Que lui avez-vous dit lorsquevous l’avez vu en particulier ?

— Que Lady Yardly avait toutraconté à son mari, que je possédais lespleins pouvoirs pour récupérer lediamant, et que s’il ne m’était pas remis

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immédiatement, un procès serait intenté.En plus de tout cela, quelques petitsmensonges supplémentaires qui mevinrent à l’esprit. Il était comme de lacire entre mes mains.

Je réfléchis à la question.— N’est-ce pas injuste pour miss

Marvell ? Elle a perdu son diamant sansle mériter.

— Bah ! répondit Poirot sèchement,cela lui fait une magnifique publicité.C’est tout ce qui l’intéresse, celle-là !L’autre, par contre, est très différente.Bonne mère, très femme !

— Oui, conclus-je mollement, nepartageant pas l’opinion de Poirot sur laféminité. Je suppose que c’est Rolf qui

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lui envoya les lettres de chantage ?— Pas du tout. Lady Yardly vint me

trouver sur le conseil de MaryCavendish, pour faire appel à mon aideet résoudre son problème. C’est alorsqu’elle apprit la visite de Mary Marvell,qu’elle savait être son ennemie et ellechangea d’avis, sautant sur le prétexte,que vous, mon ami, lui avez suggéré.Quelques questions suffisent à medémontrer que c’est vous qui lui avezparlé des lettres, pas elle ! Elle saisit lachance que vous lui offriez !

— Je n’en crois rien ! m’écriai-je,piqué au vif.

— Dommage que vous n’étudiez pasla psychologie ! Cette dame vous dit que

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les lettres sont détruites ! Oh, là, là,jamais une femme ne détruit une lettre sielle peut l’éviter. Pas même s’il est plusprudent de s’en débarrasser !

— Tout ça est bel et bien,m’emportai-je, ma colère croissant,mais vous m’avez rendu complètementridicule du début à la fin ! C’est bienbeau d’expliquer, après, mais il y a deslimites !

— Vous y preniez tant de plaisir,mon ami, je n’avais pas le courage debriser vos illusions.

— Vous êtes allé un peu trop loin,cette fois !

— Mon Dieu, vous vous énervezpour un rien, Hastings !

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— J’en ai marre !Je sortis en claquant la porte. Poirot

avait fait de moi un objet de risée. Jedécidai qu’il avait besoin d’une bonneleçon. Je ne lui pardonnerais pas desitôt !

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LA TRAGÉDIE DEMARDSON MANOR

J’avais été appelé hors de lacapitale durant quelques jours et, à monretour, je trouvai Poirot occupé àboucler sa petite valise.

— À la bonne heure, Hastings, jecraignais que vous ne soyez pas revenu àtemps pour m’accompagner.

— On vous a donc appelé à l’aidequelque part ?

— Oui, bien que je doive admettre,

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d’après les apparences, que l’affaire nesemble pas passionnante. La Compagnied’assurances, l’Union de l’Ouest, m’ademandé d’enquêter sur la mort d’uncertain Maltravers qui avait contractéchez eux, quelques semaines plus tôt,une assurance sur la vie pour la bellesomme de cinquante mille livres !

— Vraiment ? m’exclamai-jeintéressé.

— Il y avait, bien sûr, la clausehabituelle soulignant l’éventualité d’unsuicide. Dans le cas où le client se seraittué volontairement au cours de lapremière année, l’assurance aurait étéannulée. Mr. Maltravers a été dûmentexaminé par le médecin de la compagnie

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et, bien qu’il soit un homme ayantlégèrement dépassé le bel âge, il futreconnu comme jouissant d’une santérobuste. Quoi qu’il en soit, mercredidernier, c’est-à-dire avant-hier, le corpsde Maltravers a été trouvé sur le terrainde sa propriété en Essex, MardsonManor, et la cause de sa mort serait unesorte d’hémorragie interne. Ce fait parlui-même n’aurait rien de singulier, maisde sinistres rumeurs se rapportant auxdifficultés financières de Maltraverstraînaient dans l’air depuis peu etl’Union de l’Ouest a découvert, sansdoute possible, que le gentleman enquestion était à deux doigts de la faillite.Cela change considérablement les

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choses. De plus, il avait une femmejeune et belle. On soupçonne qu’il auraitpu ramasser tout l’argent liquide dont ildisposait pour payer l’assurance-viedont son épouse bénéficierait etqu’ensuite, il se serait suicidé ! Une tellehistoire n’a rien d’exceptionnel. En toutcas, mon ami, Alfred Wright, qui est undes directeurs de l’Union de l’Ouest,m’a demandé de découvrir la vérité surcette affaire, mais, comme je vous l’aidit, je n’ai pas grand espoir de réussir.Si sa mort avait été causée par un arrêtdu cœur, je serais plus optimiste. C’estlà un verdict qui peut toujours passerpour un aveu d’incapacité du médecinlocal, ignorant la véritable cause du

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décès de son malade. Mais, quand il y ahémorragie, aucune erreur n’estpossible. Cependant, tout ce que nouspouvons faire est de chercher desrenseignements utiles. Cinq minutes pourboucler votre bagage, Hastings, et nousprendrons un taxi pour gagner la gare.

Environ une heure plus tard, nousdescendions d’un train à la petite stationde Mardson Leigh. Nous apprîmes d’unemployé que Mardson Manor se trouvaità un mile de distance. Poirot décida des’y rendre à pied et nous cheminâmes lelong de la rue principale.

— Quel est votre plan de campagneà présent ?

— Tout d’abord, passer chez le

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médecin. J’ai appris qu’il n’y en avaitqu’un à Mardson Leigh : le Dr RalphBernard. Ah ! voici justement sa maison.Un cottage de belle apparence, situé enretrait de la rue. Une plaque de cuivreportait le nom du médecin.

Nous suivîmes l’allée et sonnâmes àla porte. Nous avions de la chance, car,bien que ce fût l’heure des consultations,pour le moment, aucun maladen’attendait.

Le Dr Bernard était un homme d’uncertain âge, aux larges épaules voûtéeset aux manières plaisantes.

Poirot se présenta et expliqua laraison de notre visite, ajoutant que lescompagnies d’assurances étaient

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obligées d’entreprendre, dans un cassemblable, une enquête approfondie.

— Bien sûr, bien sûr, répondit lemédecin d’un air vague. J’imagine,qu’étant un homme riche, Maltraversavait pris une grosse assurance ?

— Vous le considériez comme unhomme riche, docteur ?

Le praticien parut surpris.— Ne l’était-il pas ? Il possédait

deux voitures, vous savez, et MardsonManor est une assez importantepropriété et sûrement coûteuse àentretenir, bien qu’il l’ait obtenue, jeprésume, à très bas prix.

— Je crois savoir qu’il a subidernièrement de considérables pertes

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d’argent, répliqua Poirot en l’observantattentivement.

Le médecin se contenta de hochertristement la tête.

— Vraiment ? Tiens ! C’est donc unechance pour sa femme qu’il y ait cetteassurance. Une jeune personne très belleet charmante, mais terriblement ébranléepar cette déplorable catastrophe. Unpaquet de nerfs, la pauvre enfant… J’aiessayé de la calmer le plus possiblemais naturellement, il fallait s’attendre àce que le choc soit très rude.

— Vous aviez soigné Mr.Maltravers, récemment ?

— Mon cher monsieur, je ne l’aijamais soigné.

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— Comment ?— Je crois savoir que Mr.

Maltravers était un scientiste chrétien…ou quelque chose de semblable.

— Mais vous avez examiné lecorps ?

— Certainement, un aide-jardinierest venu me chercher.

— Et la cause de sa mort n’offraitaucun doute ?

— Aucun. Il y avait du sang sur leslèvres, mais la plus grande partie del’hémorragie a dû être interne.

— L’avez-vous trouvé à l’endroitmême où il était tombé ?

— Oui, le corps n’avait pas ététouché. Il fut découvert à l’orée d’une

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petite plantation. Mr. Maltravers,apparemment, tirait des corbeaux, carune carabine de chasse, modèle réduit,se trouvait près de lui. L’hémorragie adû survenir brusquement, sans doute unulcère à l’estomac.

— Pas question qu’il ait été tué, biensûr ?

— Cher monsieur !— Je vous demande pardon,

s’excusa Poirot, mais si ma mémoire neme fait pas défaut, au sujet d’un meurtrerécent, le médecin rendit tout d’abord leverdict : arrêt du cœur… Il dut lemodifier lorsque la police remarquaqu’une balle avait traversé la tête de lavictime.

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— Vous ne trouverez aucune trace deballe sur le corps de Mr. Maltravers,coupa le médecin sèchement. À présent,gentlemen, s’il n’y a rien de plus…

Nous nous le tînmes pour dit.— Bonne journée et merci

beaucoup, docteur, pour avoir répondusi aimablement à nos questions. Au fait,vous n’avez pas jugé utile de réclamerune autopsie ?

— Certainement pas ! Le visage dumédecin devint brusquementapoplectique. La cause de la mort nelaissait place à nulle incertitude et, dansma profession, nous ne jugeons pasnécessaire de tourmenter sans raison lesparents d’un défunt.

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Là-dessus, nous tournant les talons,il nous ferma la porte au nez.

— Que pensez-vous du Dr Bernard,Hastings ? demanda Poirot alors quenous reprenions notre chemin versMardson Manor.

— Un vieil imbécile.— Exactement. Votre jugement des

caractères est toujours très profond, monami.

Je l’observai à la dérobée, mal àl’aise, mais il paraissait parfaitementsérieux, une lueur fugitive brillacependant dans son regard alors qu’ilajoutait d’un ton malicieux : sauf quandil s’agit d’une belle jeune femme !

Cette fois je le regardai avec

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froideur.À notre arrivée au manoir, la porte

nous fut ouverte par une domestiqueâgée. Poirot lui tendit sa carte et unelettre de la compagnie d’assurances pourMrs. Maltravers. Elle nous conduisit àun petit salon et se retira pour informersa maîtresse. Une dizaine de minutespassèrent, puis la porte s’ouvrit et unemince silhouette vêtue de noir, s’encadrasur le seuil.

— Monsieur Poirot ? s’enquit-elled’une voix brisée.

— Madame ! Poirot se leva ets’avança vivement vers elle. Je ne puisdire à quel point je regrette de vousdéranger en un pareil moment. Mais que

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voulez-vous ? Les affaires… elles, neconnaissent aucune pitié.

Mrs. Maltravers lui permit de laconduire à un siège. Ses yeux étaientrouges d’avoir trop pleuré, mais sestraits, momentanément bouffis, nepouvaient altérer son extraordinairebeauté. Elle avait vingt-sept ou vingt-huit ans, très blonde, avec de grandsyeux bleus et de jolies lèvres boudeuses.

— C’est au sujet de l’assurancecontractée par mon mari, n’est-ce pas ?Mais dois-je être ennuyée, maintenant…si tôt ?

— Courage, chère madame,courage ! Vous voyez, votre défunt maria pris une assurance sur la vie qui doit

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vous rapporter une assez grosse sommeet, dans un tel cas, la compagnie estcontrainte de vérifier certains détails.Elle m’a donné le pouvoir d’agir en sonnom. Vous pouvez être sûr que je feraide mon mieux pour vous rendrel’enquête le moins désagréable possible.Pouvez-vous me raconter brièvement lestristes événements de mercredi dernier ?

— Je me changeais pour le thé,lorsque ma bonne est venue… L’un desjardiniers arrivait juste en courant à lamaison. Il avait trouvé…

La voix lui manqua. Poirot lui pressala main avec sympathie.

— Je comprends. Arrêtons là…Aviez-vous vu votre mari, plus tôt, dans

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l’après-midi ?— Pas depuis le déjeuner. Je m’étais

rendue au village pour acheter destimbres. Je savais qu’il bricolait dans leparc.

— Tirant les corbeaux ?— Oui, il avait l’habitude

d’emporter sa petite carabine de chasseet j’ai entendu un ou deux coups de feudans le lointain.

— Où se trouve cette arme, àprésent ?

— Dans le hall, je pense.Elle nous précéda hors de la pièce,

attrapa la carabine et la tendit à Poirotqui l’examina avec curiosité.

— Je vois qu’il y a deux balles en

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moins, remarqua-t-il en rendant l’objet.Et maintenant, madame, si je puis voir…

Il s’interrompit avec délicatesse.— La servante vous conduira,

murmura-t-elle en détournant les yeux.La bonne, appelée, conduisit Poirot

à l’étage. Je restai avec la ravissante etmalheureuse veuve. Il était difficile desavoir s’il valait mieux parler ou garderle silence. Je hasardai une ou deuxremarques d’ordre général auxquelleselle répondit d’un air absent et Poirotnous rejoignit.

— Je vous remercie pour toutes vosbontés, madame. Je ne pense pas qu’onait besoin de vous tourmenter plus avant.Au fait, êtes-vous au courant de la

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situation financière de votre époux ?Elle hocha la tête.— Absolument pas. Je ne connais

rien à ces questions.— Alors, vous ne pouvez nous

donner aucun éclaircissement sur lemotif qui a pu le pousser à souscrirebrusquement une assurance sur la vie ?

— Nous n’avons été mariés qu’unpeu plus d’une année. Mais je puis vousrenseigner sur sa soudaine décision.Mon mari était absolument persuadéqu’il ne vivrait pas longtemps. Ilpressentait sa mort prochaine. J’imaginequ’il avait déjà eu une hémorragie par lepassé et qu’il savait qu’une seconde luiserait fatale… J’ai essayé de dissiper

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ces sombres appréhensions, mais envain. Hélas, il ne se trompait pas.

Les yeux remplis de larmes, ellenous salua avec dignité.

Alors que nous nous éloignions lelong du sentier, Poirot fit un geste qui luiétait particulier.

— Eh bien, voilà ! Nous retournonsà Londres, mon ami. Il semble n’y avoiraucune souris dans le nid et cependant…

— Cependant, quoi ?— Une légère contradiction, sans

plus. L’avez-vous remarquée ? Non.Mais la vie est pleine de contradictions.Il est certain que Maltravers ne peuts’être suicidé… Aucun poison neprovoque une pareille hémorragie ni ne

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met un tel flot de sang dans la bouche.Non, non, je dois me résigner, Hastings,à accepter l’événement tel qu’il est,franc et loyal… Mais qui arrive là-bas ?

Un grand jeune homme venait versnous à longues enjambées. Il nousdépassa sans nous saluer. Au passage, jeremarquai qu’il n’était pas laid du toutavec son fin visage très bronzétémoignant d’un long séjour sous unclimat tropical.

Un jardinier occupé à balayer desfeuillages, s’étant interrompu un momentdans sa tâche, Poirot alla rapidement àlui.

— Dites-moi, je vous prie, qui estce gentleman ? Le connaissez-vous ?

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— Je ne me souviens pas de sonnom, monsieur, bien que je l’aie entenduprononcer. Il a passé la nuit ici, mardidernier.

Nous nous hâtâmes sur la trace de lasilhouette qui s’éloignait le long dusentier. L’apparition d’une forme vêtuede noir sur la terrasse à l’angle de lamaison, notre gibier isolé et nous sur sestalons, nous permirent d’être témoins dela rencontre.

À la vue du jeune homme, Mrs.Maltravers pâlit, chancelant presque.

— Vous ! souffla-t-elle. Je vouscroyais en mer… En route pourl’Afrique Orientale ?

— Une lettre inattendue de mes

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hommes de loi m’a retenu à la dernièreminute. Mon vieil oncle d’Écosse estmort brusquement, me laissant del’argent. En l’occurrence, il valait mieuxque j’annule mon départ. Ensuite, j’aiappris par les journaux la mauvaisenouvelle, et je viens voir si je puis vousêtre utile. Vous aurez peut-être besoin dequelqu’un pour vous seconder pendantquelque temps ?

À ce moment, ils devinrentconscients de notre présence. Poirots’avança et, avec beaucoup d’excuses, ilexpliqua qu’il avait oublié sa canne dansle vestibule. Je crus deviner que Mrs.Maltravers procéda aux présentationsnécessaires avec assez de mauvaise

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grâce.— Monsieur Poirot, capitaine Black.Quelques minutes de conversation

suivirent, au cours desquelles Poirotdécouvrit que le capitaine était descenduà l’auberge « Anchor ».

La canne égarée n’ayant pas étéretrouvée, et pour cause, Poirot présentade nouvelles excuses et nous nousretirâmes.

Nous rejoignîmes le village à viveallure et Poirot gagna directementl’auberge « Anchor. »

— Nous nous y établissons jusqu’auretour de notre ami le capitaine,expliqua-t-il. Vous avez remarquécombien j’ai insisté sur le fait que nous

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retournions à Londres par le premiertrain ? Vous pensiez que j’en avaisvraiment l’intention ? Mais non ! Avez-vous observé le visage de Mrs.Maltravers lorsqu’elle aperçut le jeuneBlack ? Elle était visiblement surprise etlui… eh bien ! il se montra très dévoué.N’est-ce pas votre avis ? Et il était icimardi soir… La veille du jour oùMaltravers est mort. Nous devonsvérifier les faits et gestes du capitaine,Hastings.

Environ une demi-heure plus tard,nous aperçûmes notre suspect quiapprochait de l’auberge. Poirot sortit etl’accosta. Bientôt, les deux hommespénétraient dans la chambre que nous

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avions retenue.Après avoir expliqué au capitaine

Black la mission qui l’avait amené danscette maison, il lui dit :

— Vous comprenez à présent qu’ilme faut connaître l’état d’esprit danslequel Mr. Maltravers se trouvait justeavant sa mort. Comme je veux éviter detourmenter sa jeune veuve, en lui posantdes questions pénibles, j’ai recours àvous. Voyons, vous étiez là peu de tempsavant le malheur. Pouvez-vous nousdonner des détails qui nous seraientprécieux ?

— Je ferai tout mon possible pourvous aider, mais j’ai bien peur den’avoir rien remarqué d’anormal dans le

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comportement de Maltravers. Car, bienqu’il ait été un vieil ami de ma famille,je ne le connaissais pas intimement.

— Vous êtes arrivé… quand ?— Mardi dans l’après-midi pour

repartir mercredi de bonne heure carmon bateau levait l’ancre de Tilburyvers midi. Mais les nouvelles qui meparvinrent juste avant mon départ, meforcèrent à changer mes plans, comme jesoupçonne que vous me l’avez entendudire à Mrs. Maltravers.

— Vous retourniez en AfriqueOrientale, n’est-ce pas ?

— Oui, j’y vis depuis la fin de laguerre. Un merveilleux pays.

— Certainement. À propos, de quoi

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a-t-on parlé au dîner ?— Oh ! Je ne sais plus ! Les vieux

sujets habituels. Maltravers m’ademandé des nouvelles de mes parents,puis nous avons discuté le problème desréparations allemandes. Ensuite, Mrs.Maltravers m’a posé un tas de questionssur l’Afrique Orientale et je leur airaconté une ou deux histoires. C’est àpeu près tout, je crois.

— Merci.Poirot resta un moment silencieux

puis il déclara doucement :— Avec votre permission,

j’aimerais tenter une petite expérience.Vous nous avez rapporté tout ce quevotre être conscient se rappelait, mais je

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voudrais, à présent, questionner votresubconscient.

— De la psychanalyse ? s’écriaBlack, visiblement alarmé.

— Oh ! non, rassurez-vous ! Je vaisvous expliquer. Je vous donne un mot,vous répondez par un autre et ainsi desuite. Vous prononcez n’importe quelmot, le premier qui vous vient à l’esprit.D’accord ?

— D’accord, répondit le jeunehomme apparemment mal à l’aise.

— Prenez les mots en note, je vousprie, Hastings.

Poirot sortit de sa poche sa grossemontre bombée qu’il déposa sur la tabledevant lui.

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— Nous commençons : jour.Après une légère hésitation, Jack

lança :— Nuit.Au fur et à mesure que Poirot

poursuivait l’expérience, les réponsesme parurent plus spontanées.

— Nom.— Lieu.— Bernard.— Shaw.— Mardi.— Dîner.— Voyage.— Bateau.— Pays.— Ouganda.

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— Histoire.— Lions.— Petite carabine de chasse.— Ferme.— Coup de feu.— Suicide.— Éléphant.— Défense.— Argent.— Notaire.— Merci, capitaine Black. Peut-être

pourriez-vous me consacrer quelquesminutes d’ici une demi-heure ?

— Certainement.Le jeune officier le regarda avec

curiosité puis s’essuya le front en selevant.

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— Et maintenant, Hastings, s’enquitPoirot en souriant alors que la porte serefermait sur le visiteur, vous compreneztout, n’est-ce pas ?

— Absolument rien.— Cette liste de mots, pourtant…Je scrutai intensément la liste, mais

force me fut de hocher négativement latête.

— Je vais vous aider. Pourcommencer, Black a bien répondu auxquestions dans la limite de tempsnormale, sans hésiter, de sorte que nouspouvons conclure qu’il n’avait rien àcacher : « jour » pour « nuit » et « lieu »pour « nom » sont des associationscommunes. J’ai commencé à le sonder

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avec Bernard qui aurait pu suggérer lemédecin local s’il était venu à lerencontrer. De toute évidence, il ne l’apas vu. Il répondit « dîner » pour« mardi », mais à « voyage » et « pays »il répondit par « bateau » et « Ouganda »montrant ainsi clairement que c’est sonvoyage à l’étranger qui avait del’importance pour lui et non celui quil’amena ici. « Histoire » le fit sesouvenir d’une anecdote où il estquestion de « lions », racontée sansdoute au cours du repas de mardi soir.J’ai lancé « petite carabine de chasse »et sa réponse « ferme » s’avéra tout àfait inattendue. Lorsque j’ai dit « coupde feu », il répliqua immédiatement

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« suicide ». L’association paraît claire.Un homme qu’il connaissait s’est suicidéavec une petite carabine de chasse, dansune ferme quelque part. N’oubliez pasque son esprit est encore axé sur leshistoires qu’il a racontées mardi soir etje pense que vous découvrirez aisémentque je ne suis pas loin de la vérité, si jerappelle le jeune Black et lui demandede répéter pour nous l’histoire d’unsuicide qu’il a rapportée mardi soir auxMaltravers.

Interrogé par Poirot, Black nemarqua aucune hésitation.

— Oui, à présent que j’y pense, jeleur ai bien raconté cette pénible affaire.Un type s’est suicidé dans une ferme du

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pays d’où je viens. Il usa d’une petitecarabine de chasse. La balle lui traversale palais et le cerveau. Les médecins n’ycomprenaient rien… Ils ne trouvèrentaucune marque, sinon un mince filet desang sur les lèvres. Mais quel…

— Quel rapport cette histoire a-t-elle avec Mr. Maltravers ? Je vois quevous ignorez qu’on a découvert une armeidentique à ses côtés.

— Vous voulez direqu’inconsciemment je lui ai suggéré…Mais c’est affreux !

— Ne vous désespérez pas… Celaserait arrivé d’une manière ou d’uneautre. Eh bien ! Il faut que je téléphone àLondres.

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Poirot eut une longue conversationtéléphonique et revint, pensif. Il sortitseul dans l’après-midi et ce ne fut pasavant sept heures qu’il annonça qu’il nepouvait attendre plus longtemps pourapprendre la nouvelle à la jeune veuve.Être laissée ainsi sans ressources etdécouvrir en même temps que son maris’était suicidé pour assurer son avenir,s’avérait un lourd fardeau à supporter,pour n’importe quelle femme. Jenourrissais cependant le secret espoirque le jeune Black se montrerait capablede la consoler, lorsque le temps auraitatténué sa première douleur. De touteévidence, il l’admirait énormément.

Notre entretien avec la jeune veuve

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fut pénible. Elle refusa avec véhémencede croire aux faits que Poirot avançait,puis lorsqu’elle fut finalementconvaincue, elle s’effondra, versant deslarmes amères. Un examen du corpsconfirma nos soupçons. Poirot étaitdésolé pour la jolie veuve, mais, aprèstout, il représentait la compagnied’assurances et ne pouvait rien faired’autre.

Alors que nous nous apprêtions àsortir, il se tourna vers Mrs. Maltraverset remarqua gentiment :

— Madame, vous, mieux quepersonne, devriez savoir que la mortn’existe pas.

Elle se troubla et ouvrit de grands

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yeux.— Que voulez-vous dire ?— N’avez-vous jamais pris part à

des séances de spiritisme ? Vous êtesmédium, vous le savez ?

— On me l’a dit. Mais sûrementvous ne croyez pas au spiritisme ?

— Madame, j’ai vu tant de chosesétranges. Vous savez que dans le villageon prétend que cette maison est hantée ?

Elle inclina la tête et, à ce moment,la bonne vint annoncer que le dîner étaitservi.

— Ne resterez-vous pas pour metenir compagnie ?

Nous acceptâmes avec gratitude et jesentis que notre présence pourrait au

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moins la distraire un peu de sa douleur.Nous finissions juste notre potage

lorsqu’un cri s’éleva de l’autre côté dela porte, suivi d’un bruit de vaissellebrisée. Nous sursautâmes.

La bonne apparut, pressant ses mainssur son cœur.

— Un homme… debout, dans lepassage !

Poirot bondit hors de la pièce etrevint rapidement.

— Il n’y a personne !— En êtes-vous sûr, monsieur ?

demanda faiblement la domestique. Oh !Ça m’a donné un coup !

— Mais pourquoi ?Elle baissa le ton pour chuchoter :

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— J’ai cru… J’ai cru que c’était lemaître… Il lui ressemblait.

Je vis Mrs. Maltravers frissonner deterreur et mon esprit vola vers la vieillesuperstition affirmant qu’un suicidé nepeut rester en paix. Notre hôtesse ypensa sûrement aussi, car une minuteplus tard elle agrippa le bras de Poiroten poussant un cri.

— N’avez-vous pas entendu ? Cestrois coups sur la vitre ? C’est la façondont il frappait toujours lorsqu’il faisaitle tour de la maison.

— Le lierre, m’écriais-je. C’était lelierre qui heurtait le carreau !

Mais une sorte de terreur nous avaittous gagnés. La bonne était visiblement

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affolée et, lorsque le repas fut terminé,Mrs. Maltravers supplia Poirot de resterencore un peu. Elle redoutaitévidemment de se retrouver seule. Nousnous installâmes dans le petit salon. Levent se levait et mugissait autour de lamaison d’une manière quasi irréelle.Deux fois la porte de la pièces’entrouvrit doucement et chaque fois, lajeune femme se serra contre moi avec unhalètement de terreur.

— Ah ! Mais cette porte estensorcelée ! cria finalement Poirotfurieux. Il se leva, la poussa, tournant laclef dans la serrure.

— Je la ferme à clef, là !— N’en faites rien, souffla Mrs.

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Maltravers. Si elle devait se rouvrir àprésent…

Et, à l’instant même où elleprononçait ces mots, l’impossible seproduisit. La porte verrouillées’entrebâilla lentement.

De ma place, je ne pouvaisapercevoir l’ouverture, mais Poirot etnotre hôtesse lui faisaient face. Ellepoussa un long cri et se tourna vers sonvoisin.

— Vous l’avez vu… Là ! Dans lepassage ?

Mon ami la regarda avec un visageinterrogateur, puis hocha négativement latête. Elle insista :

— Je l’ai vu ! Mon mari… Vous

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devez l’avoir vu aussi ?— Madame, je n’ai rien remarqué.

Vous n’êtes pas bien… Vos nerfs…— Je suis parfaitement bien. Je…

Oh, mon Dieu !Les lumières vacillèrent

brusquement, puis s’éteignirent. Dans lenoir, trois coups distincts résonnèrent.J’entendais Mrs. Maltravers gémir.

Puis… Je vis !L’homme que j’avais contemplé,

étendu sur son lit à l’étage au-dessus, setenait debout, éclairé par une faiblelueur fantomatique, il y avait du sang surses lèvres et il tenait sa main droitepointée en avant. Soudain, une lumièreradiante sembla se dégager de lui,

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passer au-dessus de la tête de Poirot etde la mienne pour s’arrêter sur la jeunefemme dont le visage reflétait l’horreur.Je remarquai autre chose qui me fitcrier :

— Grand-Dieu ! Poirot ! Regardezsa main ! Sa main droite ! Elle est touterouge !

Mrs. Maltravers fixa sa main etaprès un haut-le-corps glissa sur le sol.

— Du sang, hurla-t-elle, hystérique.Oui, c’est du sang ! Je l’ai tué ! C’estmoi ! Il me montrait… et j’ai mis lamain sur la gâchette et j’ai pressé.Sauvez-moi de lui… Sauvez-moi ! Il estrevenu !

Sa voix mourut dans un râle.

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— Lumières, lança Poirot.Comme par magie l’électricité

jaillit.— Voilà, continua-t-il. Vous avez

entendu, Hastings, et vous aussiEverett ? Ah ! au fait, je vous présenteMr. Everett, un personnage assez connudans les milieux du théâtre. Je lui avaistéléphoné cet après-midi. Ne trouvez-vous pas son maquillage parfait ? Ilressemble assez au mort. Avec unetorche et les produits phosphorescentsnécessaires, il a su créer l’impressionvoulue… Et maintenant, il ne faut pasque nous rations notre train. L’inspecteurJapp est dehors, près de la fenêtre. Unemauvaise nuit… Mais il a pu tromper

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son ennui en frappant sur le carreau pourse distraire !

— Vous voyez, continua Poirot alorsque nous avancions à grands pas àtravers le vent et la pluie, il y avait bienune légère contradiction. Le médecinsemblait penser que le mort était unscientiste chrétien mais qui aurait pu luidonner cette impression, sinon Mrs.Maltravers ? Cependant, à nous, elledécrivit son mari comme vivant dansl’appréhension à cause de sa santé.Autre remarque : pourquoi fut-elle sitroublée par l’apparition inattendue dujeune Black ? Et finalement, bien que lesconventions exigent qu’une femme portele deuil de son mari et le pleure, je ne

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prise pas beaucoup ces paupières sirouges ! Vous ne les avez pasremarquées, Hastings ? Non ? Comme jevous le dis toujours, vous ne voyezjamais rien !

Je ne protestai pas et Poirotcontinua :

— Il existait deux possibilités :l’histoire racontée par Black avait-ellesuggéré une ingénieuse méthode desuicide à Mr. Maltravers, ou bien, safemme, ayant écouté le récit, y vit-elleun moyen commode de commettre unmeurtre ? J’optai pour la deuxièmehypothèse, car pour se tirer dans labouche de la manière indiquée,Maltravers aurait été obligé de presser

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la gâchette avec ses doigts de pied…C’est du moins ce que j’imagine. Sidonc Maltravers avait été trouvé étenduavec une botte en moins, nous en aurionscertainement entendu parler. Un détail, siétrange, n’eût pas manqué d’êtreremarqué.

En fait, j’inclinais à croire que nousnous trouvions en présence d’un meurtre,mais je ne possédais pas l’ombre d’unepreuve pour appuyer ma théorie. De là,la petite comédie que vous m’avez vujouer ce soir.

J’avouai :— Même à présent, je ne réalise pas

très bien ce crime et son exécution !— Commençons par le

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commencement. Nous avons une jeunefemme clairvoyante et calculatrice qui,connaissant la débâcle financière de sonmari et lasse d’un compagnonvieillissant qu’elle n’avait épousé quepour son argent, pousse ce dernier àcontracter une importante assurance surla vie en sa faveur. Ceci fait, ellecherche le moyen d’accomplir sondessein. La chance le lui offre !L’étrange aventure racontée par le jeuneofficier ! L’après-midi suivant, lorsqueMonsieur le Capitaine est en haute mer,comme elle le pense, elle et son mariflânent sur les pelouses et j’imagine leurdialogue : « Quelle bizarre histoireBlack nous a racontée, hier soir au

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souper, observe-t-elle. Un homme peut-il vraiment se suicider de cette façon ?Montrez-moi si c’est possible ? ». Lepauvre fou lui montre, il placel’extrémité du fusil dans sa bouche. Ellese baisse et pose la main sur la gâchette,riant en levant les yeux sur lui : « Etmaintenant, monsieur, conclut-ellefriponne, supposons que je presse lagâchette ? ». Et alors… Et alors,Hastings… Elle la presse !

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L’AVENTURE DEL’APPARTEMENT

BON MARCHÉ

Dans les affaires que j’ai relatéesjusqu’ici, les enquêtes de Poirotcommençaient par le fait essentiel, qu’ils’agisse de meurtre ou de cambriolage,et s’enchaînaient selon un procédé dedéductions logiques, jusqu’audénouement triomphant. Au cours desévénements dont je me propose deprésenter la chronique, une remarquable

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série de circonstances insignifiantes enapparence, mais qui attirèrent tout desuite l’attention de Poirot, nous conduisitaux révélations sinistres qui élucidèrentune des affaires les plus insolites.

J’avais passé la soirée avec un demes vieux amis, Gérald Parker. En plusde mon hôte et de moi-même, cinq ou sixpersonnes étaient présentes. Laconversation tomba, comme cela arrivaittôt ou tard en n’importe quel endroit oùse trouvait Parker, sur la recherche d’undomicile à Londres. Depuis la fin de laguerre mon ami avait occupé au moinsune demi-douzaine d’appartements etmaisonnettes différents. Pas plus tôt setrouvait-il installé quelque part, qu’il

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convoitait brusquement une nouvelledécouverte et rebouclait sans délai sacset bagages. Ses déménagementss’accompagnaient presque toujours d’unléger profit réalisé sur la place qu’ilabandonnait, car il était hommed’affaires et très habile. Cependant lavérité oblige à dire que c’est l’amour dece sport qui l’animait bien plus que ledésir de gagner quelque chose. Nousécoutâmes Parker un bon moment, avecle respect que nourrit le novice à l’égardde l’expert, puis ce fut à notre tour deparler et un brouhaha de conversationss’ensuivit. Finalement, la parole futlaissée à Mrs. Robinson, une charmantejeune femme accompagnée de son mari.

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Je ne les avais jamais rencontrésauparavant car Robinson était unerécente connaissance de Parker.

— À propos d’appartement, lança-t-elle, avez-vous entendu parler de notrecoup de chance, Parker ? Nous en avonstrouvé un… enfin ! À MontaguMansions.

— Ma foi, j’ai toujours affirmé qu’ily a beaucoup de logementsdisponibles… Du moment qu’on est prêtà payer !

— Oui, mais celui-ci n’est pas cher !Il est incroyablement bon marché.Quatre-vingts livres par an !

— Mais… Montagu Mansions estjuste à la limite de Knightsbridge, je

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crois. Un grand bâtiment luxueux, il mesemble ? À moins que vous ne fassiezallusion à quelque parent pauvre cachédans un quartier populeux ?

— Pas du tout ! Il s’agit bien duMontagu Mansions de Knightsbridge.C’est ce qui rend notre chance simerveilleuse !

— Merveilleuse est le mot ! Unsacré miracle, si vous voulez mon avis !Mais il doit y avoir un piège quelquepart ! Un pas-de-porte colossal…

— Pas de pas-de-porte !— Pas de pas-de-porte… Oh ! Vite,

mes amis, pincez-moi ! gémit Parker.— Cependant, il faut que nous

achetions les meubles, concéda la jeune

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femme.— Ah ! Je savais bien qu’il y avait

une attrape !— Pour cinquante livres… Et ils

sont magnifiques !— J’abandonne ! Les occupants

actuels doivent être des lunatiques avecun goût marqué pour la philanthropie !

Mrs. Robinson se troubla. Une petiteride se creusa entre ses fins sourcils.

— C’est étrange, n’est-ce pas ? Vousne pensez pas que… que l’endroit esthanté ?

— Jamais entendu parler d’unappartement hanté, coupa Parker d’unton ferme.

— N…on… La jeune femme

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semblait cependant loin d’êtreconvaincue. Mais il y a quand mêmequelques détails qui m’ont intriguéeparce que… bizarres !

— Par exemple ? suggérai-je.— Ah ! s’écria Parker, l’attention de

notre expert criminel est éveillée !Épanchez-vous auprès de lui, Mrs.Robinson. Il est un grand démêleurd’intrigues.

Je ris, embarrassé, mais pastellement mécontent du rôle qu’onm’attribuait.

— Oh ! Pas vraiment bizarres,capitaine Hastings, corrigea Mrs.Robinson, mais lorsque nous nousprésentâmes à l’agence immobilière

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« Stosser et Paul » (nous ne nous étionspas adressés à eux auparavant car ils nes’occupent que des appartements trèscoûteux de Mayfair, mais nous avionspensé qu’une démarche chez eux ne vousengagerait pas) tout ce qu’ils nousoffrirent s’élevait à quatre ou cinq centslivres par an, ou comprenait de lourdspas-de-porte. Et puis, juste comme nousallions sortir, ils mentionnèrent unappartement de quatre-vingts livres,doutant cependant qu’il vaille la peineque nous allions le visiter, car ilsl’avaient dans leurs dossiers depuis pasmal de temps déjà, et tant de clientsétaient allés le voir qu’il était sûrementpris, « happé » est le mot exact dont usa

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l’employé, seulement on avait dûomettre de les en informer et ilscontinuaient à envoyer des clients qui semontraient sans doute fort mécontents deleur inutile dérangement.

Mrs. Robinson s’interrompit pourreprendre haleine et enchaîna :

— Nous les remerciâmes enrépondant que nous aimerions recevoirquand même une autorisation de visite.Nous nous y rendîmes en taxiimmédiatement, car on ne sait jamais…Le numéro 4 se situait au second étage,et, alors que nous attendions l’ascenseur,Elsie Fergusson, une de mes amies quicherche un logement, déboucha del’escalier et s’exclama : « Je vous

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devance pour une fois. Mais il est inutilede monter, il est déjà pris. » Celasemblait terminer notre entreprise, mais,comme le remarqua John, le loyer étanttrès bon marché, nous pouvions nouspermettre d’offrir plus et peut-être mêmede proposer un pas-de-porte. J’ai hontede vous avouer cela, capitaine Hastings,mais vous savez ce que c’est que dechercher un domicile.

Je la rassurai en remarquant que,dans la lutte pour le logement, on devaitsouvent faire taire ses scrupules et quela loi bien connue : les loups se mangententre eux, s’appliquait toujours en cedomaine.

— Donc, nous montâmes, et le

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croiriez-vous : l’appartement n’était paspris du tout. La bonne nous le fit visiter,nous vîmes la maîtresse de maison ettout fut arrangé sur-le-champ : entrée enpossession immédiate, après paiementdes meubles. L’accord fut signé le jourmême et nous nous installons demain !La jeune femme s’arrêta, triomphante.

— Et Mrs. Fergusson ? demandaParker, quelles sont vos déductions àson sujet. Hastings ?

— Sans aucun doute, mon cherWatson, répliquai-je d’un ton léger, ellevenait d’un autre appartement situé dansle même immeuble !

— Oh ! Capitaine Hastings, quevous êtes ingénieux ! s’exclama Mrs.

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Robinson avec admiration.J’aurais bien voulu que Poirot fût

présent. Parfois, j’ai l’impression qu’ilsous-estime mes capacités.

Cette histoire était assez amusante

et, le lendemain matin, je la soumis àPoirot comme un problème burlesque. Ilparut intéressé et me posa un tas dequestions sur le prix des appartementsdans différents quartiers.

— Une histoire curieuse, murmura-t-il pensivement. Excusez-moi, Hastings.il faut que je fasse un petit tour.

Lorsqu’il revint environ une heureplus tard, ses yeux brillaient d’uneexcitation particulière. Avant de parler,

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il posa sa canne sur la table et lissa lefeutre de son chapeau avec son soinhabituel.

— C’est rudement bien, mon ami,que nous n’ayons pas d’affaire sur lesbras pour le moment. Nous allonspouvoir nous consacrer entièrement ànotre enquête.

— Quelle enquête ?— L’appartement remarquablement

bon marché de votre amie, Mrs.Robinson.

— Poirot, vous n’êtes pas sérieux ?— Des plus sérieux. Figurez-vous

que le véritable loyer de ces logementsest de trois cent cinquante livres. Jeviens juste de me le faire certifier par

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l’agent du propriétaire. Et cependant, cetappartement en question est sous-louépour le prix modique de quatre-vingtslivres ! Pourquoi ?

— Il doit y avoir quelque chose quicloche. Peut-être est-il hanté, comme lesuggérait Mrs. Robinson ?

Poirot hocha énergiquement la têteen fronçant les sourcils.

— Et puis, n’est-il pas curieuxencore que son amie lui apprenne quel’appartement est loué et que,lorsqu’elle s’y rend elle-même pour levoir, il n’en soit rien !

— Mais voyons, vous devezsûrement penser comme moi que l’amies’était adressée à un autre appartement ?

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C’est la seule solution possible.— Que votre raisonnement sur ce

point soit juste ou faux, Hastings, il n’enest pas moins vrai que de nombreuxautres candidats ont visité l’appartementen question et qu’en dépit de son loyerétonnamment bas, il se trouvait encoresur le marché lorsque Mrs. Robinson s’yprésenta.

— Cela prouve simplement que Mrs.Robinson doit s’attendre à une mauvaisesurprise.

— Mrs. Robinson ne semble pasavoir remarqué quoi que ce soitd’anormal. Très curieux, n’est-ce pas ?Cette Mrs. Robinson vous a-t-elle donnél’impression d’être une femme sincère,

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Hastings ?— Une créature délicieuse !— Évidemment, puisqu’elle vous a

rendu incapable de répondre à maquestion. Décrivez-la-moi donc ?

— Eh bien ! Elle est grande etbelle ; ses cheveux ont un ravissantreflet auburn…

— Vous avez toujours eu un penchantpour cette couleur de cheveux, murmuraPoirot. Mais continuez ?

— Yeux bleus, un très joli teint et…c’est tout, je crois, concluai-je assez malà l’aise.

— Et son mari ?— Oh ! Un type assez gentil, mais

rien d’extraordinaire.

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— Brun ou blond ?— Je ne sais pas… Entre les deux,

je pense et un visage tout à fait banal.Poirot hocha la tête.— Oui, il existe des milliers de ces

Anglais moyens… Et, de toute façon,vous témoignez plus de sympathie et degoût dans vos descriptions féminines.Que savez-vous de ce couple ? Parkerles connaît-il bien ?

— Ce sont des relations récentes, jecrois. Mais sûrement, Poirot, vousn’imaginez pas une minute…

Poirot leva la main.— Tout doucement, mon ami. Ai-je

dit que j’imaginais quoi que ce soit ?Mon seul avis est… que c’est une

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curieuse histoire. Et il n’y a rien quil’éclaircisse, sauf peut-être, le nom decette personne, eh, Hastings ?

— Son nom est Stella, répondis-jeavec raideur, mais je ne vois pas…

Poirot m’interrompit par unformidable gloussement. Quelque chosesemblait l’amuser énormément.

— Et Stella signifie étoile. Fameux !— Que diable !— Et les étoiles donnent la lumière !

Voilà ! Calmez-vous, Hastings, ne prenezpas cet air de dignité offensée ! Venez,nous allons nous rendre à MontaguMansions et y recueillir quelquesrenseignements.

Les Mansions comprenaient un

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ensemble de beaux bâtiments en parfaitétat. Un portier en uniforme prenait lesoleil sur le seuil de l’entrée principaleet c’est à lui que Poirot s’adressa :

— Pardonnez-moi, pourriez-vous medire si un certain Mr. Robinson résideici ?

L’homme n’était pas bavard etparaissait de tempérament acariâtre,voire soupçonneux, il nous regarda àpeine et grogna :

— Numéro 4. Deuxième étage.— Je vous remercie. Depuis

combien de temps habite-t-il ici ?— Six mois.J’eus un haut-le-corps d’étonnement

et j’attrapai au vol la grimace

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malicieuse de Poirot.— Impossible ! m’écriai-je, vous

devez faire erreur !— Six mois.— Êtes-vous sûr ? Mrs. Robinson

est grande, avec des cheveux roux foncéet…

— C’est elle, coupa le portier, sonmari et elle sont arrivés en octobredernier. Ça fait juste six mois.

Après cet effort, il parut sedésintéresser de nous et battit lentementen retraite dans le hall. Je suivis Poirotqui s’éloignait.

— Eh bien, Hastings, me demandamon ami d’un ton railleur, êtes-vousencore certain que les jolies femmes

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disent toujours la vérité ?Je ne répondis pas.Poirot était parvenu dans Brompton

Road avant que je ne lui demande cequ’il allait entreprendre et où nous nousrendions.

— Chez les agents de location,Hastings. J’ai grande envie de louer unappartement à Montagu Mansions. Si jene me trompe, des choses intéressantess’y passeront avant longtemps.

Nous eûmes de la chance dans notredémarche. Le numéro 8 au quatrièmeétage était à louer pour dix guinées parsemaine. Poirot le prit immédiatementpour un mois. Lorsque nous nousretrouvâmes dehors, il arrêta mes

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protestations.— Mais je gagne de l’argent

actuellement ! Pourquoi ne m’offrirais-jepas un caprice ? À propos, Hastings,avez-vous un revolver ?

— Oui, quelque part, répondis-je,légèrement troublé, pensez-vous que…

— Que vous en aurez besoin. C’estbien possible. L’idée vous plaît, je vois.Le spectaculaire et le romanesque vousséduisent toujours.

Le jour suivant, nous étions installésdans notre « home » provisoire.L’appartement s’agrémentait de meublesplaisants. Il occupait la même situationque celui des Robinson, deux étages plushaut.

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Le lendemain était un dimanche.Dans l’après-midi, Poirot laissa la portedu palier entrouverte et m’appelarapidement alors qu’une porte claquaitquelque part, plus bas.

— Jetez un coup d’œil par-dessus larampe. S’agit-il de vos amis ? Ne leslaissez pas vous voir.

J’avançai prudemment la tête.— Ce sont eux, chuchotai-je.— Bon, attendez un moment.Environ une demi-heure plus tard,

une jeune personne apparut portant unetoilette aux couleurs vives. Avec unsoupir de satisfaction, Poirot repénétradans notre appartement sur la pointe despieds.

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— C’est ça. Après les maîtres, labonne. L’appartement devrait être vide àprésent.

— Qu’allons-nous faire ? demandai-je, mal à l’aise.

Poirot s’était rendu dans l’arrière-cuisine à petits pas pressés et tirait lacorde du monte-charge.

— Nous sommes sur le point dedescendre à la manière des poubelles,expliqua-t-il allègrement. Personne nenous remarquera. Le concert dudimanche, la promenade du dimancheaprès-midi et finalement la sieste dudimanche qui suit le repas anglais, lerosbif… Tout cela distraira l’attentiondes gens susceptibles de s’intéresser à

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Hercule Poirot. Venez, mon ami.Il se glissa sur l’engin de bois

grossier et je le suivis avec précaution.— Allons-nous nous introduire chez

eux par effraction ? questionnai-je d’unair de doute.

— Pas aujourd’hui.Tirant la corde, nous descendîmes

lentement jusqu’au second étage. Poirotpoussa une exclamation de satisfactionen constatant que la porte de serviceétait ouverte.

— Vous remarquez ? Ils neverrouillent jamais ces portes pendant lajournée. Et cependant, n’importe quipourrait monter ou descendre commenous l’avons fait. La nuit, oui… Et

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encore pas toujours… Et c’est contrecela que nous allons prendre lesdispositions nécessaires.

Tout en parlant, il tira des outils desa poche et se mit prestement au travail,son objectif étant d’arranger la serrurede manière à ce qu’il soit possible del’ouvrir de l’extérieur. L’opération ne luiprit pas plus de trois minutes. Ilrempocha ses outils et nous regagnâmesnotre domaine personnel.

Lundi, Poirot fut absent toute la

journée et, lorsqu’il revint dans lasoirée, il se laissa tomber dans sonfauteuil avec un soupir de soulagement.

— Hastings, voulez-vous que je

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vous raconte une petite histoire ? Unehistoire comme vous les aimez et quivous rappellera vos films favoris.

— Je vous écoute. Je présume quec’est une anecdote authentique et non unede ces fables nées de votreimagination ?

— C’est assez véridique.L’inspecteur Japp, de Scotland Yard,pourra répondre de son exactitude, étantdonné que c’est grâce à ses bons officesqu’elle est parvenue à mon oreille.Écoutez, Hastings, il y a un peu plus desix mois, des plans maritimes importantsont été dérobés dans un servicegouvernemental américain. Ilsindiquaient la position de quelques-uns

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des plus importants ports de défense etreprésentent une valeur considérablepour n’importe quel gouvernementétranger. Les soupçons se portèrent surun certain Luigi Valdarno, italien denaissance, qui occupait un postesubalterne au ministère et qui disparut àla même époque que les documents. QueLuigi Valdarno ait été le voleur ou non,on retrouva son corps criblé de balles,deux jours plus tard, dans le quartier Estde New York. Les documents n’étaientpas sur lui. Ceci dit, on apprit que legarçon s’était affiché durant quelquetemps avec une certaine Miss ElsaHardt, jeune chanteuse récemmentapparue, qui habitait avec son frère à

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Washington. On ne sait rien du passé demiss Hardt qui se volatilisa brusquementvers l’époque de la mort de Valdarno.On a de fortes raisons de croire qu’elleétait en réalité une habile espionneinternationale, se servant de nomsd’emprunt variés et à laquelle onattribuait de nombreuses missionsnéfastes pour nous. Les services secretsaméricains, tout en faisant de leur mieuxpour retrouver la trace de miss Hardt,gardaient l’œil sur un certain gentlemanjaponais résidant à Washington. Lesautorités pressentaient que, lorsque lajeune femme aurait suffisamment effacésa piste, elle approcherait le gentlemanen question. L’un d’eux partit

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brusquement pour l’Angleterre, il y aquinze jours. Donc, d’après lesapparences, il semblerait qu’Elsa Hardtsoit ici.

Poirot s’interrompit et repritdoucement :

— Le signalement de miss Hardt estle suivant : 5 pieds 7 pouces, yeux bleus,cheveux auburn, teint clair, nez droit, pasde signe particulier.

— Mrs. Robinson ! m’exclamai-jed’une voix altérée.

— Disons qu’il y a une chance pourqu’il s’agisse d’elle, rectifia Poirot. J’aiaussi appris qu’un homme au teintbasané, un étranger en quelque sorte, serenseignait sur les occupants du numéro

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4, et cela pas plus tard que ce matin. Parconséquent, mon ami, je crains qu’il nevous faille renoncer à vous coucher tôtce soir, et vous préparer à partager manuit de veille dans l’appartement numéro4… armé de votre revolver, bienentendu !

— Je vous crois, m’exclamai-jeenthousiasmé. Quand partons-nous ?

— Minuit me paraît être l’heure à lafois classique et appropriée. Rien n’estsusceptible de se produire plus tôt.

À minuit précis, nous nousintroduisîmes avec précaution dans lemonte-charge qui nous conduisit ausecond. Sous la manipulation de Poirot,la porte de bois s’ouvrit sans mal et

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nous pénétrâmes dans l’appartement. Del’office, nous passâmes dans la cuisineoù nous nous installâmesconfortablement sur des chaises, avec laporte, donnant sur le hall, entrouverte.

— À présent, rien d’autre à fairequ’attendre, murmura Poirot, satisfait, enfermant les yeux.

L’attente me parut interminable.J’étais terrifié à l’idée que je pouvaism’endormir. Il me semblait que nousveillions depuis huit heures au moins,alors qu’en réalité, comme je l’apprisplus tard, cela n’avait pas duré plusd’une heure et vingt minutes, lorsque jeperçus un léger grattement. La main dePoirot toucha la mienne. Je me levai et,

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ensemble, nous nous dirigeâmes avecprécaution vers le hall d’où le sonprovenait. Poirot me chuchota àl’oreille :

— À l’extérieur de la porte d’entrée,il est en train de limer la serrure. Quandje vous en donnerai l’ordre, pas avant,sautez-lui dessus par-derrière etmaintenez-le-bien. Prenez garde, car ilaura certainement un poignard.

Bientôt il y eut le bruit d’un métalqui cède et un petit cercle de lumièreéclaira l’espace laissé par la serrure. Laclarté disparut et aussitôt la porte futlentement poussée. Poirot et moi nousnous collâmes contre le mur. J’entendisla respiration de l’homme alors qu’il

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passait près de nous. Il alluma sa torcheet au même instant. Poirot me souffla àl’oreille :

— Allez !Nous nous sommes élancés

ensemble. Poirot enveloppa la tête del’intrus avec une écharpe de laine tandisque je lui arrachai un couteau des mains.Toute l’affaire fut rapide et silencieuse,Poirot abaissa l’écharpe de devant lesyeux de l’homme tout en lui laissant lebas du visage couvert. Je lui montraimon revolver pour qu’il comprenne quetoute résistance était inutile. Alors qu’ilse calmait, Poirot approcha ses lèvresde son oreille et lui parla avecvolubilité. Au bout d’une minute, l’autre

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hocha la tête et Poirot, imposant lesilence d’un geste, nous entraîna hors del’appartement. Nous descendîmesl’escalier, notre captif derrière Poirot etmoi fermant la marche, revolver aupoing. Lorsque nous eûmes atteint la ruemon ami se retourna.

— Il y a un taxi qui attend juste aucoin. Donnez-moi le revolver, nous n’enauront plus besoin à présent.

— Mais si ce type essaie de sesauver ?

Poirot sourit.— Il n’essaiera pas.Je revins quelques secondes plus

tard avec le taxi.L’écharpe avait été retirée du visage

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de l’étranger et je sursautai :— Ce n’est pas un Jap, murmurai-je

dans un souffle à l’oreille de Poirot.— L’observation a été toujours votre

point fort, Hastings ! Rien ne vouséchappe. Non, l’homme n’est pas unJaponais, c’est un Italien.

Ayant pris place dans le taxi, Poirotdonna au chauffeur une adresse à Saint-John Wood. J’étais complètement perdu.Ne voulant pas demander à mon ami oùnous nous rendions en présence de notrecaptif, je tentai de vains efforts pourobtenir quelques éclaircissements surles événements en cours.

Nous descendîmes devant une petitemaison située en retrait de la rue. Un

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passant attardé, légèrement éméché,titubant le long du trottoir, se heurtapresque à Poirot qui lui lança quelquesmots acerbes que je ne compris pas.Nous montâmes tous trois les degrés duperron. Poirot sonna à la porte, tout ennous demandant de nous tenir un peu enretrait. N’obtenant pas de réponse, ilsonna à nouveau, puis saisit le heurtoiret en frappa plusieurs fois le panneauavec vigueur.

Une lumière apparut soudain au-dessus de l’imposte et la portes’entrouvrit légèrement.

— Que diable voulez-vous ? s’écriaune voix d’homme.

— Voir le médecin ! Ma femme est

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malade !— Il n’y a pas de médecin ici !L’homme s’apprêta à refermer le

battant mais Poirot plaça adroitementson pied dans l’ouverture. Il devintbrusquement la parfaite caricature duFrançais furieux.

— Que racontez-vous là ? Il n’y apas de médecin ici ? Je vais vousintenter un procès. Vous devez venir ! Jeresterai ici à sonner et à frapper toute lanuit s’il le faut !

— Cher monsieur…La porte s’ouvrit toute grande et

l’homme, vêtu d’une robe de chambre etchaussé de pantoufles, s’avança pourcalmer son visiteur, tout en jetant un

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coup d’œil gêné alentour.— Je vais appeler la police.Poirot s’apprêta à redescendre les

marches, mais l’homme se précipita surses talons.

— Non, ne faites pas cela pourl’amour de Dieu !

D’une poussée brusque, Poirotl’envoya trébucher sur les marches et, enmoins d’une minute, nous étions toustrois dans la place fermée et verrouillée.

— Vite… Par ici ! Poirot nous guidadans la pièce la plus proche, pressant lecommutateur électrique au passage. Etvous… derrière le rideau.

— Si signor, répondit l’Italien qui seglissa prestement derrière les longs

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rideaux de velours rose masquant lafenêtre.

Il était temps. Une femme entrabrusquement dans la pièce. Elle étaitgrande, avec des cheveux roux foncé etportait un kimono pourpre qui dessinaitsa taille fine.

— Où est mon mari ? cria-t-elle enregardant autour d’elle d’un air apeuré.Qui êtes-vous ?

Poirot s’avança en s’inclinant.— Il est à souhaiter que votre mari

n’attrape pas un rhume. J’ai remarquéqu’il portait heureusement despantoufles et que sa robe de chambreétait épaisse.

— Qui êtes-vous ? Que faites-vous

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chez moi ?— Il est vrai que nous n’avons pas

le plaisir de vous connaître, madame.C’est particulièrement regrettable pourl’un de nous, venu spécialement de NewYork pour vous rencontrer.

Les rideaux s’entrouvrirent alors etl’Italien s’avança. À ma stupéfaction, jeconstatai qu’il brandissait le revolverque Poirot avait dû, par mégarde,déposer sur la banquette du taxi.

La femme poussa un cri aigu et sedétourna pour s’enfuir, mais Poirot setenait devant la porte fermée.

— Laissez-moi passer, cria-t-elle, ilva m’assassiner !

— Qui a tué Luigi Valdarno ?

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demanda l’Italien d’une voix rauque,pointant le revolver vers le groupe quenous formions. Nous n’osions pasbouger.

— Mon Dieu, Poirot, c’est affreux !Qu’allons-nous faire ?

— Vous m’obligerez en vousabstenant de tant parler, Hastings, jevous assure que notre ami ne tirera pasavant que je ne le lui en donne lapermission.

— Vous en êtes sûr, hé ! ricanal’Italien.

J’étais épouvanté, mais la femme setourna brusquement vers Poirot.

— Que voulez-vous ?Poirot s’inclina.

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— Je ne pense pas qu’il soitnécessaire d’insulter à l’intelligence demiss Elsa Hardt en le lui précisant.

D’un mouvement vif, elle souleva ungros chat de velours noir qui servaitd’enveloppe au téléphone.

— Ils sont cousus dans la doublure.— Ingénieux, murmura Poirot d’un

ton approbateur. Il s’écarta de la porte.Bonsoir, madame. Je vais retenir votreami de New York pendant que vousassurez votre sortie.

— Quel fou ! rugit le grand Italienqui leva le revolver et tira à bout portantsur la silhouette de la jeune femme quis’esquivait.

Je bondis sur lui, mais l’arme ne fit

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que claquer à vide et Poirot remarquasur un ton faussement peiné :

— Jamais vous ne ferez confiance àvotre vieil ami, Hastings. Je n’aime pasque mes amis portent un pistolet chargésur eux et je le permettrai encore moinsà une simple et récente relation.

Puis, s’adressant à l’Italien quijurait, furieux :

— Pensez donc à ce que j’ai faitpour vous : je viens tout bonnement devous sauver du gibet. Et ne croyez pasque notre belle dame s’échappera… Lamaison est gardée de tous côtés, elletombera tout droit dans les bras de lapolice. N’est-ce pas là une penséeréconfortante ? Oui, vous pouvez partir

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maintenant. Mais prenez garde… Prenezgarde… Je… Ah, il est parti ! Et monami Hastings me contemple avec un airde reproche. Mais tout était si simple ! Ils’avérait clairement, dès le début, queparmi des centaines de postulants àl’appartement 4 de Montagu Mansions,seuls les Robinson furent trouvésacceptables. Pourquoi ? Qu’est-ce quiles distinguait des autres ? Et du premiercoup d’œil ? Leur apparence ? Possible,mais elle n’avait rien de si singulier nonplus ! Ah ! Sapristi, mais c’est ça !C’était là la question ! Elsa et son mariou son frère ou quel qu’il soit, viennentde New York et louent un appartementsous le nom de Robinson. Soudain, ils

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apprennent qu’une société secrète, laMafia ou la Camorra, à laquelle sansaucun doute Luigi Valdarno appartenaitest sur leurs traces. Que font-ils ? Ilsadoptent un plan d’une simplicitétransparente. De toute évidence, ilssavaient que leurs poursuivants ne lesconnaissaient pas de vue. Quoi de plussimple alors ? Ils offrent l’appartement àun prix ridiculement bas. Parmi lesmilliers de jeunes couples qui cherchentun logement à Londres, il se trouverabien plusieurs Robinson. Ce n’estqu’une question de patience. Si vousjetez un coup d’œil sur l’annuairetéléphonique, vous admettrez qu’ildevait fatalement exister au moins une

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Mrs. Robinson aux cheveux auburn,laquelle se présenterait un jour oul’autre. Ensuite, que doit-il se passer ?Le vengeur arrive. Il connaît le nom, ilconnaît l’adresse ! Il porte son coup !Tout est terminé, la vengeance estsatisfaite et miss Elsa Hardt s’estéchappée une fois de plus. À propos,Hastings, il faudra me présenter à lavraie Mrs. Robinson… cette créaturedélicieuse et digne de confiance. Quepenseront-ils, les Robinson lorsqu’ilsconstateront que leur appartement a étéforcé ? Nous devons vite retourner là-bas ! Ah, cela doit être Japp et ses amisqui arrivent !

Une série de coups violents ébranla

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la porte.— Comment connaissez-vous cette

adresse ? demandai-je alors que nousretournions dans le hall. Oh, mais j’ysuis ! Vous avez fait suivre la premièreMrs. Robinson lorsqu’elle abandonnal’autre appartement !

— À la bonne heure, Hastings, vousfaites enfin marcher vos cellules grises.À présent, une surprise pour Japp.

Tournant doucement la poignée de laporte, il plaça la tête du chat dansl’entrebâillement en poussant un« miaou » perçant.

L’inspecteur de Scotland Yard, quise tenait à l’extérieur accompagné d’unétranger, sursauta.

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— Oh ! Ce n’est que Mr. Poirot dansune de ses petites plaisanteries,s’exclama-t-il, alors que la tête du petitdétective apparaissait derrière celle duchat. Pouvons-nous entrer ?

— Vous avez mis nos amis ensécurité ?

— Oui, nous avons cueilli lesoiseaux, mais ils ne portaient pas lamarchandise sur eux.

— Je vois… Alors, vous venez dansla maison pour la chercher ? Eh bien ! jesuis sur le point de partir avec Hastings,mais auparavant, j’aimerais vous donnerune petite leçon sur l’histoire et leshabitudes du chat domestique.

— Seigneur ! Êtes-vous devenu

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complètement maboul ?— Le chat, déclama Poirot, était

adoré par les Égyptiens anciens. Onconsidère encore comme un signe dechance le fait qu’un chat noir croisevotre chemin. Or, ce chat a croisé votrechemin, Japp. Parler de l’intérieur d’unanimal ou d’une personne n’est pas jugécorrect en Angleterre. Mais l’intérieurde ce chat est tout ce qu’il y a de plusdélicat ! Je parle de sa doublure, bienentendu.

Avec un brusque grognement,l’homme qui accompagnait l’inspecteursaisit l’animal des mains de Poirot.

— Oh ! J’oubliais de vous présenter,s’exclama Japp : Monsieur Poirot, voici

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Mr. Burt, du service secret des États-Unis.

Les doigts experts de l’Américaintrouvèrent ce qu’ils cherchaient. Mr.Burt ouvrit sa main et, durant un moment,la parole lui manqua. Puis, il se montra àla hauteur de la situation :

— Heureux de faire votreconnaissance, Monsieur Poirot.

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LE MYSTÈRE DEHUNTER’S LODGE

— Mon cher Hastings, je comprendsque je ne vais pas mourir cette fois-ci,murmura Poirot.

Cette remarque optimiste, d’unmalade atteint de la terrible grippe, étaitd’un heureux effet. J’avais le premiersouffert de cette maladie, et Poirot n’yavait pas échappé. Il était maintenantassis sur son lit, appuyé sur de nombreuxoreillers, la tête émergeant d’un châle de

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laine, et il buvait lentement une tisaneque j’avais soigneusement préparéed’après ses instructions.

— Eh bien, oui ! continua mon ami,je vais redevenir moi-même, le grandHercule Poirot, la terreur desmalfaiteurs !

— Mais vous êtes une personnalité,Poirot. Et heureusement pour vous, vousn’avez manqué dernièrement aucuneaffaire intéressante.

— C’est vrai… Je n’ai pas àregretter les quelques cas que j’airefusés.

À cet instant, la propriétaire entra.— Il y a en bas un monsieur qui veut

absolument voir M. Poirot ou vous,

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capitaine Hastings. Il a très grand air…Voici sa carte.

Elle me tendit le bristol et je lus :« Monsieur Roger Havering. »

Poirot dirigea ses regards vers labibliothèque ; immédiatement je comprisce qu’il voulait et lui tendis le Gotha. Ille feuilleta rapidement :

« Deuxième fils du cinquième baronWindsor. Épousa en 1913, Zoé,quatrième fille de William Crabb. »

— Hum ! dis-je, je crois bien quec’est elle qui jouait au théâtre« Frivolity » mais elle se faisait appelerZoé Carrisbrook. Je me souviens qu’elleépousa un jeune homme de la sociétéavant la guerre.

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— Voulez-vous aller voir ce quedésire ce visiteur, Hastings ? Excusez-moi auprès de lui.

Roger Havering était un hommed’environ quarante ans, grand et trèsélégant. Mais ses traits étaient contractéset ses yeux hagards. Je comprisimmédiatement qu’il était en proie à uneterrible agitation.

— Capitaine Hastings ? Vous êtes lecollaborateur de M. Poirot, n’est-cepas ? Il faut absolument qu’il vienneavec moi dans le Derbyshireaujourd’hui.

— Je suis navré, monsieur, maisc’est impossible, répliquai-je, Poirot estau lit, il a la grippe.

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— Mon Dieu ! murmura-t-ildécouragé, cela est un coup terrible pourmoi. Je comptais tant sur lui !

— C’est donc une affaire trèssérieuse ?

— Oh ! oui ! Mon oncle, le meilleurami que j’avais sur terre, a été assassinéla nuit dernière.

— À Londres ?— Non, dans le Derbyshire. J’étais

à Londres et j’ai reçu un télégramme dema femme ce matin : c’est pourquoi jesuis venu tout de suite prier M. Poirot deprendre l’affaire en main.

— Excusez-moi un instant, je vousprie, dis-je, frappé par une idéelumineuse.

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Je montai l’escalier quatre à quatre,et en quelques mots, je mis Poirot aucourant de la situation. Il ne me laissapas achever.

— Je comprends, je comprends…Vous voulez y aller vous-même, n’est-cepas ? Eh bien, pourquoi pas ? Je penseque maintenant vous connaissez maméthode. Tout ce que je vous demandec’est de me faire un rapport chaque jour,et de suivre à la lettre les instructionsque je vous télégraphierai…

Je fus d’accord avec lui et partis.Une heure plus tard, je quittai

Londres, assis en face de Mr. Havering,dans un compartiment de premièreclasse du Midland Railway.

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— Pour commencer, CapitaineHastings, il faut que je vous expliqueque Hunter’s Lodge, le lieu du drame,n’est qu’un petit chalet de chasse aumilieu des marais du Derbyshire. Notredomicile habituel est près deNewmarket, et nous louons généralementun appartement en ville pour la saison.Hunter’s Lodge est entretenu par unefemme de charge qui suffit bien à nousservir seule quand nous y allons passerun week-end. Bien entendu, pendant lachasse, nous emmenons nos domestiquesde Newmarket. Mon oncle, Mr.Harrington Pace (vous savezprobablement que ma mère était unedemoiselle Pace de New York), habite

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avec nous depuis trois ans. Il ne s’estjamais bien accordé ni avec mon père,ni avec mon frère aîné, mais il metémoignait une grande affection. Je suispauvre, et mon oncle était très riche…Enfin, il nous aidait beaucoup. De plus,sa compagnie étant agréable, nous nousentendions très bien tous les trois.

« Il y a deux jours, il se sentit fatiguéde la vie mouvementée de la ville, etnous proposa de passer deux ou troisjours à Hunter’s Lodge. Ma femmetélégraphia à Mrs. Middleton, la femmede charge, et nous partîmes aussitôt.Hier, je fus obligé de revenir à Londres,mais ma femme et mon oncle restèrent.Ce matin, j’ai reçu ce télégramme. »

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Il me le tendit.« Venez tout de suite, oncle

Harrington assassiné hier soir, amenezbon détective si possible, mais venezvite. Zoé. »

— Et vous n’avez aucun détail ?— Non.À trois heures, nous arrivâmes à la

petite gare de Elmer’s Dale. Là, nousprîmes une auto, car cinq kilomètresnous séparaient encore de Hunter’sLodge. En arrivant à cette maison depierre grise, seule au milieu des marais,je ne pus m’empêcher de frissonner.

— Comme c’est triste ! murmurai-je.— Je vais essayer de m’en

débarrasser, répondit Havering, jamais

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plus je ne pourrai vivre dans cettemaison.

Il ouvrit la grille, et nous longionsl’étroit sentier qui conduit à la maison,lorsqu’une silhouette familière apparutet vint à notre rencontre.

— Japp ! m’écriai-je.L’inspecteur de Scotland Yard me fit

un petit signe amical avant de s’adresserà mon compagnon.

— Monsieur Havering, je suppose ?Je suis envoyé de Londres pourm’occuper de cette affaire, et j’aimeraisvous parler un instant, s’il vous plaît.

— Ma femme…— Je l’ai vue, monsieur, ainsi que la

femme de charge. Je ne vous retiendrai

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qu’un instant, mais il me tarde deretourner au village à présent que j’ai vutout ce qui pouvait m’intéresser ici.

— Je ne sais rien…— Évidemment, reprit Japp, mais

néanmoins, je serais heureux d’avoirvotre opinion sur une ou deux petiteschoses. Le capitaine Hastings va allerannoncer à Mrs. Havering votre arrivée.Au fait, qu’avez-vous fait de votre petitami, capitaine ?

— Il a la grippe.— Ah ! oui ? Je suis navré. Vous

voir ici sans lui me fait penser un peu àune voiture sans son cheval, n’est-cepas ?

Sur cette obligeante réflexion, je me

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dirigeai vers la maison. Je sonnai, carJapp avait refermé la porte derrière lui.Au bout de quelques instants, une femmed’environ cinquante ans, vêtue de noir,m’ouvrit.

— Mr. Havering sera ici dans uninstant, expliquai-je. Il est retenu parl’inspecteur. Je suis venu de Londresavec votre maître pour l’aider dans sesrecherches. Vous allez peut-être pouvoirme dire en quelques mots ce qui estarrivé la nuit dernière ?

— Entrez donc, monsieur.Elle referma la porte derrière moi et

c’est dans un hall assez sombre qu’elleme parla.

— Un homme est venu hier soir

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après dîner. Il m’a dit qu’il voulait voirMr. Pace, et je l’ai fait entrer dans lebureau où Mr. Havering range ses fusils,il n’a pas voulu me dire son nom… Surle moment je n’y ai pas attachéd’importance, mais maintenant cela meparaît un peu étrange. Je suis alléeprévenir Mr. Pace, qui sembla étonné decette visite tardive. Il a simplement dit àMadame : « Excusez-moi, Zoé, il fautque j’aille voir ce que me veut cethomme. » Puis, il est entré dans lebureau et je suis retournée à la cuisine.

Quelques minutes après, j’ai entenduun bruit de querelle, et je suis sortiedans le couloir. Au même instant,Madame est sortie, elle aussi, et c’est

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alors que nous entendîmes unedétonation, puis un silence de mort.Nous nous sommes précipitées vers lebureau, mais la porte était fermée à clef.Nous avons été obligées de passer par lafenêtre, qui était ouverte. À l’intérieur,Mr. Pace gisait au milieu d’une mare desang.

— Qu’était devenu le visiteur ?— Il se sera certainement enfui par

la fenêtre, monsieur, avant que nousayons eu le temps d’arriver.

— Et après ?— Mrs. Havering m’a envoyé

chercher la police. Il y avait cinqkilomètres de marche à faire. Lespoliciers sont revenus avec moi, et le

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chef a passé la nuit à la maison.L’inspecteur de Londres est arrivé cematin.

— Comment était cet homme qui vintvoir Mr. Pace ?

La femme de charge réfléchit uninstant :

— Il avait une barbe noire,monsieur, paraissait avoir de quarante àcinquante ans, et portait un pardessusclair. Ce qui m’a le plus frappée, c’estson accent américain.

— Très bien, merci. Pourrais-je voirMrs. Havering ?

— Elle est en haut, monsieur, dois-jel’appeler ?

— S’il vous plaît. Dites-lui que Mr.

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Havering est dans le jardin avecl’inspecteur Japp, et que le monsieurqu’il a amené de Londres serait heureuxde lui parler le plus tôt possible.

— Entendu, monsieur.Mrs. Havering ne se fit pas attendre

longtemps. J’entendis bientôt un pasléger qui descendait l’escalier, et, enlevant la tête, je vis une jolie jeunefemme s’avancer vers moi. Elle étaitvêtue d’un pull-over rouge feu et d’unchapeau de même teinte, qui seyaientmerveilleusement à sa physionomieéveillée et vivante. Même la tragédiequi venait de se dérouler presque sousses yeux n’avait pas réussi à diminuer lapuissance de vie qui semblait émaner

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d’elle.— Oh ! Mais j’ai souvent entendu

parler de vous et de votre collègue, M.Poirot, dit-elle. Vous avez fait ensembledes choses admirables. Je suis ravie quemon mari ait pu vous atteindre aussirapidement. Maintenant, désirez-vousme poser quelques questions ? C’est lemeilleur moyen d’apprendre tout ce dontvous avez besoin sur cette pénibleaffaire, n’est-ce pas ?

— En effet, madame. Pouvez-vousme dire à quelle heure cet homme estarrivé ?

— Il devait être neuf heures. Nousavions fini de dîner, et prenions le caféen fumant une cigarette.

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— Votre mari était déjà parti pourLondres ?

— Oui, il est parti par le train de6 h 15.

— Est-il allé à pied ou en auto à lagare ?

— Notre auto n’est pas ici. Unevoiture du garage de Elmer’s Dale estvenue le chercher pour le conduire à lagare.

— Mr. Pace était-il dans son étatnormal ?

— Oh ! Très normal, à tous points devue.

— Maintenant, madame, vous serait-il possible de me décrire le visiteur ?

— Malheureusement non, je ne l’ai

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pas vu. Mrs. Middleton l’a fait entrerdirectement dans le bureau et est venueprévenir mon oncle.

— Et qu’a dit votre oncle ?— Il a paru assez contrarié, mais est

cependant allé tout de suite voir cethomme. C’est à peu près au bout de cinqminutes que j’ai entendu les voixs’élever. Je me suis précipitée dans lehall au moment même où Mrs.Middleton sortait de la cuisine. À cetinstant nous avons entendu le coup defusil. La porte du bureau était fermée àclef de l’intérieur, et nous avons dûentrer par la fenêtre. Naturellement celanous prit quelques minutes, quipermirent au meurtrier de s’échapper…

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Mon pauvre oncle – sa voix se brisa –avait reçu une balle dans la tête. Je vistout de suite qu’il était mort. J’envoyaiMrs. Middleton chercher la police. J’aibien pris soin de ne toucher à rien dansla pièce, de tout laisser tel que je l’avaistrouvé.

— Vous avez bien fait. Mais…l’arme ?

— Je crois pouvoir imaginer ce quis’est passé, capitaine. Deux revolversappartenant à mon mari étaientaccrochés au mur, l’un d’eux n’y estplus. Je l’ai fait remarquer aux policiers,et ils ont emporté l’autre. Quand ilsauront pu retirer la balle de la blessure,je suppose qu’ils identifieront l’arme.

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— Puis-je aller dans le bureau ?— Certainement. La police a terminé

dans cette pièce. Mais le corps a étéenlevé.

Elle m’accompagna. À ce moment,Havering entra dans le hall, et, avec unmot d’excuse, sa femme courut à lui. Jerestai donc seul pour entreprendre mesrecherches.

Je ne trouvai aucun indice.Seule une immense tache de sang sur

le tapis. J’examinai tout avec grandeattention et pris deux photographies dela pièce avec le petit appareil quej’avais emporté. J’examinai aussi, dansle jardin, le terrain à proximité de lafenêtre, mais il avait été tellement

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piétiné qu’il était inutile de perdre montemps.

Ayant vu tout ce que Hunter’s Lodgepouvait me montrer, je n’avais plus qu’àretourner à Elmer’s Dale et à me mettreen rapport avec Japp. Je pris donc congédes Havering.

Je trouvai Japp à Matlocks Arms, etil m’emmena voir le corps. HarringtonPace était petit, complètement rasé, levrai type de l’Américain. Le coupl’avait atteint derrière la tête, et fut, sansaucun doute, tiré de très près.

— Il se retourna un instant, déclaraJapp, son visiteur arracha un revolver dumur, et le tua. Celui que Mrs. Haveringnous a confié était chargé, donc je

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suppose que l’autre l’était également.L’inconscience de certaines personnesest inconcevable ! Accrocher deuxrevolvers chargés à un mur ! Oh ! Non,tout de même !

— Que pensez-vous de tout cela ?demandai-je quand nous nous fûmesretirés.

— Pour commencer, je surveilleHavering. Oui, oui, ajouta-t-il devant mastupéfaction. Havering a une ou deuxpetites affaires louches dans son passé.Quand il était encore enfant, à Oxford, ily eut une histoire au sujet d’un chèque deson père qu’il avait signé. Puis il abeaucoup de dettes en ce moment. Cesont des dettes desquelles il n’aurait pas

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voulu parler à son oncle. Oui…J’ouvrirai l’œil sur lui, et c’est pourquoije tenais à lui parler avant qu’il n’ait vusa femme, mais leurs déclarationsconcordent très bien ; je suis allé à lagare, et il est réellement parti par letrain de 6 h 15 hier. Cela le menait àLondres vers 10 h 30. Il dit être allédirectement à son club et si cela estconfirmé, il n’aurait, bien entendu, paspu tuer son oncle ici à 9 h sous l’aspectd’un homme à barbe noire.

— J’allais justement vous demanderce que vous pensiez de cette barbe ?

Japp fronça les sourcils.— Je pense qu’elle a poussé très

vite, pendant les cinq kilomètres qui

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séparent Elmer’s Dale de Hunter’sLodge. Tous les Américains que j’aiconnus étaient rasés. C’est parmi lesassociés américains de Mr. Pace qu’ilfaudra rechercher le meurtrier. J’aiinterrogé la femme de charge d’abord,puis sa maîtresse, et leurs dépositions nese contredisent en aucun point. Mais jeregrette que Mrs. Havering n’ait pu voirce visiteur.

Je me mis à écrire un rapportdétaillé à Poirot. Avant d’expédier malettre, je pus y ajouter quelquesrenseignements supplémentaires.

On avait retiré la balle du cadavre,et constaté qu’elle avait été tirée avec unrevolver identique à celui qu’avait pris

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la police dans le bureau de Hunter’sLodge. De plus, tous les déplacementsde Mr. Havering au cours de la nuitprécédente avaient été vérifiés, et il futprouvé qu’il était bien arrivé à Londrespar le train désigné. Enfin, unedécouverte importante venait d’êtrefaite : un gentleman de Londres habitantEaling avait trouvé, le matin, entraversant le passage à niveau, un paquetenveloppé de papier marron entre lesrails. En l’ouvrant, il vit un revolver,qu’il s’empressa de remettre à la policedu lieu. Quelques heures plus tard, cettearme fut reconnue comme étant biencelle que nous cherchions, semblable àcelle que Mrs. Havering nous avait

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donnée. Une balle en avait été tirée.Le lendemain matin, pendant que je

prenais mon petit déjeuner, je reçus untélégramme de Poirot.

« Naturellement, l’homme à barbenoire n’était pas Havering. Il n’y a quevous ou Japp pour avoir une telle idée.Télégraphiez-moi description femme decharge. Quels habits elle portait hier,ainsi que Mrs. Havering ? Inutile perdretemps à prendre photos d’intérieur. Tropposées et pas du tout artistiques. »

Poirot me parut légèrementironique ! Je pensai aussi qu’il était unpeu jaloux de moi. Je trouvai sademande au sujet des habits portés parles deux femmes absolument ridicule,

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mais je lui obéis.À onze heures, la réponse de Poirot

arriva :« Conseillez Japp arrêter femme de

charge avant qu’il ne soit trop tard. »Complètement dérouté, j’allai

montrer ce télégramme à Japp.— Si M. Poirot dit cela, c’est qu’il y

a une raison. J’ai à peine vu cettefemme, je ne sais si je peux aller jusqu’àl’arrêter déjà, mais je vais la fairesurveiller. Allons à Hunter’s Lodge toutde suite.

Mais il était trop tard ! Mrs.Middleton, cette femme si tranquille etsi respectable avait disparu, laissant samalle qui ne contenait rien d’anormal, et

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rien ne pouvait nous révéler son identité.Mrs. Havering nous dit ce qu’elle

savait d’elle :— Je l’ai engagée, il y a à peu près

trois semaines, nous dit-elle, quand Mrs.Emery, notre précédente femme decharge nous quitta. Elle me fut indiquéepar le bureau de placement de Mrs.Selbourne, dans Mount Street. C’est delà que me viennent tous mesdomestiques, et de toutes, Mrs.Middleton me parut la plus gentille, ellepossédait d’ailleurs de très bonnesréférences. Je l’ai engagée tout de suite,et en ai informé l’agence. Je crois cettefemme à l’abri de tout soupçon, elle étaitsi calme et si douce !

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Il y avait là un mystère. Il était clairque cette femme n’aurait pu commettrele crime elle-même, puisque Mrs.Havering était près d’elle quand le couppartit. Cependant, si elle n’avait pas étémêlée à ce meurtre, pourquoi aurait-elletourné les talons si brusquement ?

Je télégraphiai ces dernièresnouvelles à Poirot, et suggérai de faireune enquête à l’agence de Selbourne.

Sa réponse ne tarda pas :« Enquête agence inutile, on n’aura

jamais entendu parler d’elle. Cherchezquel véhicule la conduisit à Hunter’sLodge le jour de son arrivée. »

Quoiqu’un peu étonné, jem’exécutai. Les moyens de transport

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étaient très restreints à Elmer’s Dale. Legarage avait deux Ford, mais aucune nefut demandée ce jour-là. Mrs. Haveringexpliqua qu’elle avait donné à Mrs.Middleton suffisamment d’argent pourson voyage jusqu’au Derbyshire et louerune voiture pour la conduire à Hunter’sLodge.

Il restait toujours une Forddisponible à la gare de Elmer’s Dale, etpersonne, le soir du meurtre, n’avait vuun étranger à barbe noire. On en conclutdonc que le visiteur de Mr. Pace vintdirectement en auto, repartit de même, etque cette auto devait être celle qui avaitamené la femme de charge, lorsqu’elleentra au service des Havering.

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Je dois avouer que lesrenseignements pris à l’agence deplacement démontrèrent que Poirot avaitraison. On ne connaissait pas de Mrs.Middleton. Le directeur avait, en effet,reçu la demande de l’honorable Mrs.Havering, et lui avait envoyé plusieurspersonnes. Mais quand celle-ci payal’agence, elle oublia de dire qui elleavait choisi.

Un peu découragé, je rentrai àLondres. J’y trouvai Poirot dans unfauteuil.

— Mon ami Hastings ! Comme jesuis heureux de vous voir ! Vous vousêtes bien amusé ? Vous avez bien trottéavec ce bon Japp ? Vous avez interrogé

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et enquêté tout votre saoul ?— Poirot, dis-je, cette affaire est un

profond mystère qui ne sera jamaiséclairci.

— Ce n’est pas cela quim’embarrasse. Je sais très bien qui a tuéHarrington Pace.

— Vous le savez ? Mais commentl’avez-vous découvert ?

— Tout simplement parce que vousavez répondu à mes télégrammes.Reprenons les faits ensemble, voulez-vous ? 1° Mr. Harrington Pace possèdeune énorme fortune qui passera sansaucun doute à son neveu ; 2° on sait queson neveu est dans une situation trèsembarrassante ; 3° on sait aussi que ce

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neveu n’a pas une conscience très pure.— Mais on a la certitude que Roger

Havering était à Londres le soir ducrime.

— Oui. Puisque Mr. Havering aquitté Elmer’s Dale à 6 h 15 et qued’après les déclarations du docteur, Mr.Pace n’est pas mort avant son départ,nous en concluons que Roger Haveringn’a pas tué son oncle. Mais il y a uneMrs. Havering, Hastings.

— C’est impossible, la femme decharge était avec elle quand le coup futtiré.

— Ah, oui ! La femme de charge,mais elle a disparu.

— On la retrouvera.

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— Je ne le pense pas, il y a quelquechose de bizarre au sujet de cette femmequi m’a frappé tout de suite, Hastings.

— Elle avait un rôle à jouer, jesuppose.

— Et quel rôle ?— Probablement de laisser entrer

l’homme à la barbe noire, répondis-je.— Oh, non ! Pas cela. Son rôle était

de fournir un alibi à Mrs. Havering aumoment où le coup fut tiré. Et personnene la retrouvera, mon ami, parce qu’ellen’existe pas.

— Que voulez-vous dire, Poirot ?— Tout simplement que Zoé

Havering était une actrice avant sonmariage, que vous et Japp n’avez vu la

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femme de charge que dans un hall trèssombre, une humble silhouette en noir,parlant d’une voix faible, et enfin, nivous, ni Japp, ni personne de la policelocale, n’a vu ensemble Mrs. Middletonet sa maîtresse. Mais, mon cherHastings, c’était un jeu d’enfant pourcette intrépide jeune femme ! Sousprétexte de prévenir sa maîtresse, ellemonte, enfile un pull-over d’une couleurvive, et un chapeau assorti auquel sontattachées des boucles brunes. Le fardqui la vieillissait disparaît rapidement ;un peu de rouge, un nuage de poudre etla brillante Zoé Havering descend,reprend sa voix claire et chantante, etjoue son autre rôle… le sien, cette fois.

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On ne s’inquiète pas particulièrement dela femme de charge. À quoi bon ? Ellene peut pas être mêlée au crime, elle aaussi un alibi !

— Mais le revolver que l’on atrouvé à Ealing ? Ce n’est pas Mrs.Havering qui a pu l’y déposer ?

— Non, c’est Roger Havering. Maislà, il a commis une faute qui m’a mis sursa trace. Un homme qui trouve unrevolver à l’endroit même où il commetson crime ne l’emporte pas à Londres, ille jette n’importe où. Le plus clair del’affaire, c’est que les criminelsvoulaient à tout prix éloigner la policede Hunter’s Lodge en portant lessoupçons hors du Derbyshire. Bien

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entendu, ce n’est pas avec le revolvertrouvé à Ealing que Mr. Pace a été tué.Roger Havering a tiré une balle aveccette arme pour nous dérouter, l’aemportée à Londres, est allé tout droit àson club pour avoir un alibi, il estreparti immédiatement pour Ealing parle train de banlieue. Là, il a déposé lepaquet à l’endroit où on l’a trouvé, et estrevenu en ville. La charmante créaturequ’est sa femme a tranquillement tué sononcle après le dîner. Vous vous souvenezque la balle l’a atteint derrière la tête ?Puis elle a rechargé le revolver, l’aremis à sa place, et a commencé à jouersa petite comédie !

— C’est incroyable, murmurai-je,

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fasciné, et cependant…— Et cependant c’est vrai. Mais oui,

mon cher, vrai ! Quant à fairecomparaître ce couple en justice, c’estune autre histoire ! J’ai écrit tout cela àJapp, il faut qu’il fasse tout ce qu’ilpourra, mais j’ai bien peur, Hastings,que nous soyons obligés de laisser cescriminels au bon gré du sort, ou du bonDieu, si vous préférez…

Poirot avait raison, il fut impossibled’établir des preuves suffisantes pourpermettre l’arrestation des Havering.

La grande fortune de Mr. Pace passaaux mains de ses assassins. Cependant,elle ne leur porta pas bonheur. Quelquetemps après, je lus dans les journaux que

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Roger et Mrs. Havering se trouvaientparmi les victimes de l’accident d’aviondu courrier « Paris-Londres ».

La « justice » était satisfaite.

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VOL D’UN MILLIONDE DOLLARS DE

BONS

— Le nombre de vols de valeurs quiont eu lieu ces temps-ci est fantastique,observais-je un matin en repoussant lejournal. Poirot, abandonnons donc leplaisir de la découverte pour nousoccuper du crime. Vous avez lu ledernier coup ? Les Bons « Liberty »d’une valeur d’un million de dollars,

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que la banque de Londres et d’Écosseenvoyait à New York, ont disparu d’unemanière effarante à bord de« l’Olympia ».

— Si ce n’était le mal de mer et ladifficulté de pratiquer pour le combattrela méthode si parfaite de Laverguierpendant la traversée de l’Atlantique, jeserais ravi de voyager à bord d’un deces grands paquebots, soupira Poirotd’un air rêveur.

— Assurément, répondis-je avecenthousiasme. Certains d’entre euxdoivent être de parfaits palaces avecleurs piscines, leurs salons, leursrestaurants… Vraiment, il doit êtredifficile de réaliser qu’on se trouve en

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mer.— Moi, je sais toujours quand je

suis en mer, déclara tristement Poirot. Ettoutes ces bagatelles que vousm’énumérez ne me disent rien, mais,mon ami, considérez un moment lesgénies qui voyagent pour ainsi direincognito, à bord de ces palacesflottants, comme vous les nommez sijustement, il est possible d’y rencontrerl’élite, la haute noblesse du mondecriminel !

Je ris.— C’est donc là la raison de votre

intérêt pour les voyages maritimes ?Vous auriez aimé croiser le fer aveccelui qui subtilisa les Bons Liberty ?

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Notre gouvernante nous interrompit :— Une jeune lady désire vous voir,

monsieur Poirot. Voici sa carte.Le bristol portait l’inscription : miss

Esmée Farquhar, et Poirot, après avoirplongé sous la table pour y pêcher unemiette égarée qu’il mit soigneusementdans la corbeille à papier, fit signe à lalogeuse de laisser entrer la visiteuse.

Une minute plus tard, une des pluscharmantes jeunes filles que j’aie vues,fut introduite dans la pièce. Environvingt-cinq ans, des grands yeux marronet une silhouette parfaite. Elle était vêtueavec élégance et témoignait de manièresagréables.

— Asseyez-vous, je vous prie, miss.

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Je vous présente le capitaine Hastingsqui m’aide dans mes petits problèmes.

— J’ai peur que ce ne soit un grosproblème que je vous apporteaujourd’hui, monsieur Poirot, répondit lajeune fille, m’adressant un gracieuxsigne de tête alors qu’elle s’asseyait. Ilest probable que vous en avez entenduparler par les journaux. Je fais allusionau vol des Bons Liberty sur« l’Olympia ».

Le visage de Poirot dut exprimer del’étonnement car elle poursuivitvivement :

— Vous vous demandez sans doutequelle relation j’ai avec un aussiimportant établissement que la banque

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de Londres et d’Écosse ? Dans un sens,aucune, dans l’autre, une majeure.Monsieur Poirot, je suis fiancée à Mr.Philippe Ridgeway.

— Ah ! Et Mr. Philippe Ridgeway…— … Était préposé à la garde des

bons lorsqu’ils furent volés.Naturellement, aucune faute ne peut luiêtre imputée et, de toute façon, il n’estpour rien dans l’affaire. Néanmoins,cette histoire lui fait presque perdre laraison et je sais que son oncle a dûreconnaître que Philippe les avait en sapossession au moment du vol. C’est uncoup terrible pour sa carrière.

— Qui est son oncle ?— Mr. Vavasour, codirecteur

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général de la banque de Londres etd’Écosse.

— Supposons, miss Farquhar, quevous me racontiez toute l’histoire ?

— Très bien. Comme vous le savez,la banque désirait étendre son crédit enAmérique et, pour cela, décidad’envoyer un million de dollars en BonsLiberty. Mr. Vavasour choisit commemessager son neveu qui, depuisplusieurs années, occupe dans la banqueun poste de confiance et qui, de plus,était au courant de tous les détailsconcernant les rapports entre la banqueet New York. « L’Olympia » leval’ancre de Liverpool le 23 et les bonsfurent remis à Philippe le matin même,

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en main propre, par Mr. Vavasour et Mr.Shaw, les deux directeurs de la banque.Les bons comptés, empaquetés et scellésen sa présence, Philippe les enfermadans sa malle.

— Une malle munie d’une serrureordinaire ?

— Non, Mr. Shaw avait insisté pourqu’un système spécial y fut adapté parHubb’s. Philippe, comme je vous l’aidit, plaça le paquet dans le fond de samalle où il fut volé juste quelquesheures avant l’arrivée à New York. Unefouille rigoureuse du paquebot ne donnaaucun résultat. Les bons semblaients’être littéralement évaporés dans l’air.

Poirot eut une grimace.

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— Mais ils ne disparurent pas, car, àce que je comprends, ils ont été venduspar petits paquets, dans la demi-heurequi suivit l’entrée de « l’Olympia » dansle port ! Eh bien ! Il va falloir sansaucun doute, que je voie Mr. Ridgeway.

— J’allais vous suggérer de venirdéjeuner au « Chestire Cheese » !Philippe m’y attend, mais il ne sait pasencore que je vous ai consulté en sonnom.

Nous acceptâmes et prîmes un taxipour nous rendre au lieu du rendez-vous.Philippe Ridgeway s’y trouvait déjà eteut un geste de surprise en voyant safiancée apparaître en compagnie de deuxinconnus. Grand et mince, élégant,

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Ridgeway avait une touche de gris auxtempes bien que son âge ne dût pasatteindre la trentaine.

Miss Farquhar s’avança vers lui etposa la main sur son bras.

— Pardonnez-moi d’avoir agi sansvous consulter, Philippe. Permettez-moide vous présenter M. Hercule Poirot,dont vous avez sûrement entendu parler,et son ami le capitaine Hastings.

Ridgeway nous salua sans songer àmasquer sa surprise.

— Bien sûr, j’ai entendu parler devous, monsieur Poirot. Mais je ne savaispas qu’Esmée songeait à vous consulterau sujet de mon… de notre problème.

— J’avais peur que vous refusiez de

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me laisser faire, Philippe, expliqua missFarquhar avec douceur.

Il sourit :— J’espère que M. Poirot pourra

éclaircir cette extraordinaire énigme, carje confesse franchement que je devienspresque fou d’anxiété à ce sujet.

En fait, son visage paraissait crispéet ne montrait que trop clairement lesouci qui le rongeait.

— Voyons, dit Poirot, mettons-nousà table et, tout en déjeunant, nouspourrons conférer et voir ce qu’il estpossible de tenter. Je veux que Mr.Ridgeway me raconte son histoire lui-même.

Tandis que nous dégustions

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l’excellent steak et kidney pudding[1]

del’établissement, Philippe Ridgewaynarra les circonstances précédant ladisparition des bons. Son récitcorrespondait à celui de miss Farquhar.Lorsqu’il eut terminé, Poirot posa sapremière question.

— Qu’est-ce qui vous a amené àdécouvrir que les bons avaient été volés,Mr. Ridgeway ?

L’interpellé eut un ricanement amer :— Cela me sauta aux yeux, monsieur

Poirot. Je n’aurais pu me méprendre. Mamalle de cabine était à demi tirée desous la couchette où je l’avais placée etsa serrure portait des marques prouvantqu’on avait essayé de la forcer.

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— Mais j’avais cru comprendrequ’elle avait été ouverte avec une clef ?

— C’est exact. On a d’abord essayéde l’ouvrir par la force, mais en vain. Àla fin, on a dû employer un autre moyen.

— Curieux, murmura Poirot, dont lesyeux commençaient à refléter cette lueurverte que je connaissais si bien. Trèscurieux ! Les voleurs perdent un tempsconsidérable à essayer de forcer laserrure et puis… sapristi ! Ilsdécouvrent qu’ils détenaient la clefpendant tout ce temps… car chaqueserrure venant de chez Hubb’s estunique.

— C’est bien pour cela qu’ils nepouvaient être en possession de la clef.

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Elle ne m’a jamais quitté de jour ou denuit.

— En êtes-vous sûr ?— Certain ! Et de plus, s’ils

l’avaient eue, ou son double, pourquoiauraient-ils perdu des minutesprécieuses à essayer de forcer uneserrure impossible à ouvrir de cettefaçon ?

— C’est exactement là la questionque nous nous posons. Je me permets deprophétiser que la solution, si nous latrouvons jamais, tourne autour de ce faitcurieux et paradoxal. Je vous prie de nepas m’en vouloir de vous poser cettedernière question : Êtes-vousabsolument certain de n’avoir jamais

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laissé la malle non verrouillée ?Philipe Ridgeway se contenta de le

regarder et Poirot eut un geste d’excuse.— Ces choses peuvent arriver, je

vous assure. Bien, les bons furent doncvolés. Qu’en a fait le voleur ? Commentest-il parvenu à descendre à terre en lesemportant ?

— Comment ? Je ne sais. Lesautorités douanières aussitôt informéesont passé au peigne fin chaque voyageurà son arrivée à New York.

— Et les bons, j’imagine, formaientun paquet volumineux ?

— Certainement, ils auraient pudifficilement être dissimulés à bord dunavire… Et, de toute façon, nous savons

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que cela n’est pas, car ils apparurent surle marché dans la demi-heure qui suivitl’arrivée de « l’Olympia », longtempsavant que j’en communique les numérospar télégraphe. Un courtier affirme qu’ilen acheta alors que « l’Olympia »n’avait pas encore accosté. Or, il n’estpas possible d’envoyer des bons parcâble télégraphique.

— Non, mais est-ce qu’aucunremorqueur n’a rejoint votre paquebot ?

— Uniquement ceux des servicesofficiels et cela seulement après quel’alarme fut donnée, lorsqu’oncommençait déjà à fouiller partout… Jesurveillais moi-même les remorqueursau cas où le paquet aurait été passé à

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quelqu’un de cette manière. Mon Dieu !Monsieur Poirot ! Cette affaire merendra fou ! On commence à murmurerque je pourrais être l’auteur du vol.

— Mais on vous a fouillé, vousaussi, à votre débarquement ? demandadoucement Poirot.

— Oui.Le jeune homme le regarda, intrigué.— Je vois que vous ne comprenez

pas ma pensée, et Poirot eut un sourireénigmatique. À présent, j’aimeraisdemander quelques renseignements à labanque.

Ridgeway sortit une carte de sapoche sur laquelle il griffonna quelquesmots.

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— Montrez ceci, et mon oncle vousrecevra sans délai.

Poirot le remercia, salua missFarquhar et, ensemble, nous nousrendîmes à Threadneedle Sreet où sedressait la maison mère de la Banque deLondres et d’Écosse. Sur présentation dela carte de Ridgeway, nous fûmesconduits à travers un labyrinthe decomptoirs et bureaux où s’affairaient unefile d’employés encaissant etdéboursant. Au premier étage, les deuxcodirecteurs nous reçurent dans unepetite pièce à usage privé. Deuxgentlemen graves, vieillis au service dela banque. Mr. Vavasour portait unecourte barbe blanche, Mr. Shaw était

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rasé de frais.— Si je comprends bien, vous êtes

exclusivement un agent de recherchesprivé ? entama Mr. Vavasour. D’accord,d’accord. Nous nous sommes, bienentendu, placés entre les mains deScotland Yard. L’inspecteur Mc Neil estchargé de l’affaire. Un policier trèshabile, je crois.

— J’en suis sûr, répondit Poirotpoliment. Me permettez-vous de vousposer quelques questions au nom devotre neveu ? À propos de cette serrure,vous l’avez commandée chez Hubb’s ?

— Je m’en suis chargé moi-même,intervint Mr. Shaw. Je n’aurais confiécette mission à personne. Quant aux

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clefs, Mr. Ridgeway en avait une et lesdeux autres sont à la garde de moncollègue et de moi-même.

— Et il n’aurait pas été possiblequ’un employé pût s’en approcher ?

Mr. Shaw jeta un coup d’œilinterrogateur à son associé qui prit laparole.

— Je crois pouvoir vous affirmerqu’elles sont restées dans le coffre oùnous les avons placées le 23. Moncollègue fut malheureusement malade ily a quinze jours… En fait, le jour mêmeoù Philippe nous quitta. Il vientseulement de se rétablir.

— Une sévère bronchite n’est pasune plaisanterie pour un homme de mon

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âge, expliqua l’intéressé d’un tonlugubre, mais j’ai peur que Mr. Vavasourn’ait souffert du surplus de travailqu’imposa mon absence, surtout avec cegros ennui imprévu.

Poirot posa quelques questionssupplémentaires. Je soupçonnais qu’ildésirait mesurer le degré d’intimitéexistant entre l’oncle et le neveu. Lesréponses de Mr. Vavasour furent brèveset précises. Son neveu était un employéde confiance, n’ayant à sa connaissanceni dettes ni difficultés d’argent. On luiavait confié auparavant des missionsidentiques.

Finalement, nous fûmes polimentcongédiés.

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— Je suis déçu, remarqua Poirot,alors que nous nous retrouvions dans larue.

— Vous espériez découvrir plus ?Ce sont des vieillards tellementbalourds !

— Ce n’est pas leur air balourd quime déçoit, mon ami. Je n’espère pastrouver en un directeur de banque, un« financier alerte à l’œil perçant »comme le dépeignent vos romanciersfavoris. Non, c’est l’affaire qui medéçoit… C’est trop facile !

— Facile ?— Oui, ne la trouvez-vous pas d’une

simplicité presque enfantine ?— Vous savez qui a volé les bons ?

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— Je le sais.— Mais alors… Nous devons…

Pourquoi…— Ne vous embrouillez pas et ne

vous agitez pas, Hastings. Nous n’allonsrien entreprendre pour le moment.

— Mais pourquoi ? Qu’attendons-nous ?

— « L’Olympia ». Il doit revenir deson voyage à New York mardi prochain.

— Mais si vous savez qui a volé lesbons, pourquoi lambiner ? Il peuts’échapper.

— Vers une île des mers du Sud oùl’extradition ne s’applique pas ? Non,mon ami, il y trouverait la vie peuagréable. Quant à la raison pour laquelle

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j’attends… Eh bien, disons que pourl’intelligence d’Hercule Poirot,l’histoire est parfaitement claire, maisque pour d’autres personnes moinsheureusement douées par le Bon Dieu,l’inspecteur Mc Neil, par exemple, ilserait bon de poursuivre l’enquête afinde trouver les preuves corroborant lesfaits. Il faut avoir de l’indulgence pourceux qui sont moins favorisés que soi.

— Grand Dieu ! Poirot ! Savez-vousque je donnerais une somme d’argentconsidérable pour vous voir agir d’unemanière stupide rien qu’une fois ? Vousêtes d’une telle vanité !

— N’enragez pas, Hastings. Envérité, je remarque qu’il y a des

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moments où vous me détestez presque !Hélas, je souffre des conséquences dema propre grandeur !

Le petit homme bomba le torse etsoupira de manière si comique que je fusforcé de rire.

Le mardi suivant, nous étionsconfortablement installés dans uncompartiment de première classe dutrain nous menant à Liverpool. Poirotavait obstinément refusé de m’éclairersur ses soupçons… ou incertitudes. Il secontentait d’exprimer son étonnement enconstatant que je n’étais pas, comme lui,au courant de la situation. Je dédaignaide discuter et dissimulai ma curiositéderrière un rempart d’indifférence

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calculée. Arrivé au port, face au grandpaquebot transatlantique, Poirot semontra actif. Il interrogeasuccessivement quatre garçons de bord,s’informant d’un ami qui avait dûvoyager sur le navire, lors de sadernière traversée vers New York, le23 :

— Un gentleman d’un certain âge,portant des lunettes, grand invalide,bougeant à peine de sa cabine.

La description parut correspondre àun Mr. Ventnor qui avait occupé lacabine C 24, voisine de celle dePhilippe Ridgeway. Bien qu’incapablede deviner comment Poirot découvritl’existence et la présence de Mr. Ventnor

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sur le bateau, j’étais très intéressé.— Dites-moi, interrompis-je, ce

gentleman fut-il l’un des premiers àdescendre à terre à son arrivée à NewYork ?

— Pas du tout, monsieur, il fut aucontraire l’un des derniers.

Je battis en retraite, déconfit etobservai Poirot qui me grimaça unsourire. Il remercia le garçon, lui glissaun billet et nous repartîmes.

— Tout ça est bien beau, remarquai-je avec emportement, et vous pouvezricaner tant qu’il vous plaira, mais cettedernière réponse a dû détruire toutevotre précieuse théorie ?

— Comme toujours, vous ne voyez

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rien, Hastings ! Cette dernière réponseaffirme, au contraire, le succès de mathéorie.

Je levai les mains au ciel en signe dedésespoir.

— J’abandonne ! Dans le train nous ramenant à

Londres, Poirot se concentra un momentpour écrire un billet qu’il glissa dansune enveloppe.

— Ceci est pour l’inspecteur McNeil. Nous le déposerons à ScotlandYard en passant, puis nous ironsdirectement au restaurant « CheshireCheese », où j’ai prié miss Farquhar denous faire l’honneur de dîner avec nous.

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— Et Ridgeway ?— Eh bien ? demanda Poirot avec

une lueur de malice dans le regard.— Mais sûrement… Vous ne pensez

pas… Vous ne pouvez pas…— L’incohérence devient chez vous

une habitude, Hastings. J’ai pensé,précisément, que si Ridgeway avait étéle voleur, ce qui était parfaitementpossible, l’affaire aurait été délicate…Un beau travail.

— Mais pas aussi « délicate » pourmiss Farquhar ?

— Vous avez probablement raison.Donc tout est pour le mieux. À présent,Hastings, revoyons l’histoire. Je sensque vous en mourez d’impatience. Le

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paquet scellé est retiré de la malle et« s’évapore » suivant l’expression demiss Farquhar. Nous écarterons lathéorie de l’évaporation que condamnela science de notre époque, pourconsidérer ce qu’en réalité il a pudevenir. Tout le monde refuse de croirequ’il a été passé en fraude…

— Oui, mais nous savons…— Vous, peut-être, mais pas moi,

Hastings. Je considère que, puisque cen’était pas possible, ce fut impossible. Ilreste alors deux moyens valables : oul’on a caché le paquet à bord – également difficile, il me semble – ouon l’a jeté par-dessus bord.

— Avec flotteur, vous voulez dire ?

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— Sans flotteur.Je le regardai ahuri.— Mais si les bons avaient été jetés

par-dessus bord, ils n’auraient pas puêtre vendus à New York !

— J’admire votre esprit logique,Hastings. Les bons étant vendus à NewYork, il nous faut éliminer cettepossibilité. Vous voyez où cela mène ?

— Au point de départ où nousétions.

— Jamais de la vie ! Si le paquet aété balancé par-dessus bord et les bonsvendus à New York, ledit paquet nepouvait contenir les bons. Possédons-nous la certitude que le paquet contenaitbien les bons ? Souvenez-vous : Mr.

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Ridgeway ne l’ouvrit jamais à partir dumoment où il lui fut confié en mainpropre à Londres.

— Oui, mais à ce moment-là…— Permettez-moi de continuer. Le

dernier instant où on les a vus, ces bons,ils étaient encore dans le bureau de labanque de Londres et d’Écosse, le matindu 23. Ils réapparaissent ensuite à NewYork, une demi-heure après que« l’Olympia » y arrive et, suivant unhomme que personne n’écoute, avantmême son arrivée. Supposons qu’ils nese trouvèrent jamais sur « l’Olympia »,pouvaient-ils parvenir à New York parquelque autre moyen ? Oui, le« Gigantic » quitte Southampton le même

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jour que « l’Olympia » et bat le recordde l’Atlantique. Expédiés par le« Gigantic » les bons arriveraient enAmérique un jour plus tôt ! Dès lors, toutest clair et l’affaire commence às’expliquer. Le paquet scellé n’est qu’unfaux et sa substitution doit se produiredans le bureau de la banque à Londres.Il aurait été facile pour n’importe lequeldes trois hommes présents d’avoirpréparé un paquet exactementsemblable, pouvant passer pourl’original. Très bien. Les bons sontenvoyés à un complice à New York,avec l’ordre de vendre dès que« l’Olympia » arrivera au port ; maisquelqu’un doit voyager à bord de

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« l’Olympia » pour déclencher leprétendu vol.

— Mais pourquoi ?— Parce que Ridgeway n’aurait eu

qu’à ouvrir le paquet et découvrir qu’ils’agissait d’un faux et que les soupçonspèsent directement sur Londres. Non,l’homme à bord, dans la cabine voisinede celle de Ridgeway fait son travail,prétend forcer la serrure d’une manièreflagrante afin d’attirer immédiatementl’attention sur un hypothétique voleur derencontre et ouvre la malle avec une clefduplicata, jette le paquet par-dessusbord et attend le dernier moment pourquitter le navire. Naturellement, il portedes lunettes pour masquer ses yeux et est

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invalide, car il ne veut pas risquer derencontrer Ridgeway. Il met pied à terreà New York et revient par le premierpaquebot.

— Mais qui ?— L’homme qui détenait une des

trois clefs, celui qui commanda laserrure et qui n’a nullement été victimed’une bronchite, chez lui, à lacampagne… enfin le vieillard« balourd », Mr. Shaw ! Il existe parfoisdes criminels qui occupent des postesimportants, mon ami. Ah ! Nous sommesarrivés. Miss, j’ai réussi ! Vouspermettez ?

Et, radieux, Poirot posa un légerbaiser sur les joues de la jeune fille

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étonnée !

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L’AVENTURE DUTOMBEAUÉGYPTIEN

Parmi les nombreuses aventuresauxquelles j’ai pris part avec Poirot, laplus sensationnelle et certainement laplus dramatique de toutes, fut celle quinous entraîna à enquêter sur une insolitesuccession de morts, survenues à la suitede la découverte et de l’ouverture dutombeau du roi Men-her-Ra.

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Peu après la découverte del’hypogée de Toutankhamon, par LordCarnavon, Sir John Willard et Mr.Bleinner de New York, poursuivantleurs fouilles non loin du Caire, àproximité des pyramides de Gizeh,arrivèrent par hasard à une série dechambres mortuaires. Cette nouvelleaffaire intéressa les experts au plus hautpoint. Cette sépulture était celle de Men-her-Ra, l’un de ces rois obscurs de lahuitième Dynastie, période de ladécadence du vieux royaume, dont on nesavait presque rien. La découverte futlonguement commentée par les journaux.

Un événement qui survint peu après,frappa profondément l’esprit du public :

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Sir John Willard mourut brusquementd’un arrêt du cœur.

Les journaux à sensation saisirentimmédiatement l’occasion pour rappelerles vieilles superstitions touchant lamalédiction attachée à certains trésorségyptiens. L’écho, déjà usé, de la momiemaléfique du British Museum fut ressortiavec des détails nouveaux et piquants.Bien que le musée continuât à ledémentir, il connut sa vogue habituelle.

Deux semaines plus tard, Mr.Bleinner succomba à unempoisonnement aigu du sang et,quelques jours plus tard, à New York, unde ses neveux se tira une balle dans latête. La « malédiction de Men-her-Ra »

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était la conversation du jour et lepouvoir magique de l’Égypte morte futélevé jusqu’aux limites d’un culte.

C’est à ce moment que Poirot reçutun court billet de Lady Willard, veuvede l’archéologue récemment décédé lepriant de lui rendre visite chez elle àKensington Square. J’accompagnai monami.

Lady Willard portait le grand deuil.Son visage aux traits tirés témoignaitavec éloquence de sa récente douleur.

— C’est très aimable à vous d’êtrevenu si promptement, monsieur Poirot.

— Je suis à votre service, LadyWillard. Vous désiriez me consulter ?

— Je n’ignore pas que vous êtes

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détective, mais ce n’est pas seulement encette qualité que je souhaite votre aide.Je sais que vous êtes un homme àl’esprit original, possédant del’imagination et l’expérience du monde.Monsieur Poirot, que pensez-vous dusurnaturel ?

Poirot hésita. Il réfléchit longuementavant de répondre :

— Parlons net, Lady Willard. Cen’est pas une question d’ordre généralque vous me posez. Elle vise unepersonne en particulier, n’est-ce pas ?Vous faites allusion à votre défunt mari ?

— Effectivement.— Vous voulez que j’enquête sur les

circonstances de sa mort ?

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— Je veux que vous vérifiiez pourmoi jusqu’à quel point les racontars desjournaux se basent sur des faits réels.Trois morts, monsieur Poirot… Chacuneexplicable si on la considèreséparément, mais qui, jointe aux autres,offre une coïncidence à peine croyable,et toutes les trois survenues dans le moisqui suit l’ouverture de la tombe ! Peut-être n’est-ce que pure superstition ?Peut-être est-ce l’effet de quelquepuissante malédiction venant du passé etqui agirait sur le présent d’une façon quela science moderne ne soupçonne pas ?Pourtant la réalité, ce sont ces troismorts ! Et j’ai peur, monsieur Poirot,terriblement peur. Il se peut que ce ne

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soit pas fini.— Pour qui êtes-vous inquiète ?— Pour mon fils. Lorsque la

nouvelle de la mort de mon mari meparvint, j’étais malade. Mon fils quiarrivait juste d’Oxford se rendit surplace. Il ramena le… corps, mais il estretourné là-bas en dépit de mes prièreset supplications. Il est tellement fascinépar ce travail qu’il a l’intention deprendre la place de son père et decontinuer sa méthode de fouille. Vous meprenez peut-être pour une femmeinsensée, facilement impressionnable,mais j’ai peur, monsieur Poirot.Supposons que l’esprit du roi mort nesoit pas encore apaisé ? Vous estimez

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sans doute que je raconte des bêtises…— Pas du tout, Lady Willard,

l’interrompit vivement Poirot, moi aussije crois au pouvoir de la superstition,l’une des plus grandes influences que lemonde ait jamais connue !

Je l’observai, étonné. Jamais jen’aurais pensé que Poirot fûtsuperstitieux. Le petit homme avaitnéanmoins l’air profondément sincère.

— En somme, ce que vous attendezde moi, c’est que je protège votre fils ?Je ferai tout mon possible pour éviterqu’il lui arrive malheur.

— Dans des circonstancesordinaires, j’en suis persuadée… Maisque pourriez-vous contre une puissance

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occulte ?— Dans les ouvrages du Moyen

Âge, Lady Willard, vous trouverezdivers moyens de neutraliser la magienoire. Peut-être étaient-ils plus savantsque nous à l’époque, malgré notrescience dont nous nous vantons. Àprésent, venons-en aux faits, afin que jepuisse m’orienter. Votre mari a toujoursété un égyptologue convaincu, je crois ?

— Depuis sa jeunesse. Il était, enarchéologie, l’une des plus grandespersonnalités contemporaines.

— Il me semble que, pour sa part,Mr. Bleinner n’était guère qu’unamateur ?

— En effet. Très riche, il se mêlait

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avec joie à toute activité quil’intéressait. Mon mari réussit à lepassionner pour l’égyptologie et sonargent fut très utile pour financerl’expédition.

— Et le neveu ? Que savez-vous deses goûts ? Se joignit-il jamais àl’expédition ?

— Je ne pense pas ; au vrai,j’ignorais complètement son existenceavant d’apprendre sa mort par lesjournaux. Je ne pense pas que son oncleet lui aient entretenu de grands rapportsd’amitié. Mr. Bleinner n’a jamais laisséentendre qu’il avait de la famille.

— Quels étaient les autres membresde l’expédition ?

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— Il y a le Dr Tosswill, unfonctionnaire délégué par le BritishMuseum ; Mr. Schneider duMetropolitan Museum à New York ; unjeune secrétaire américain ; le Dr Amesqui escorte l’expédition en qualité demédecin et Hassan le domestique,profondément dévoué à mon mari.

— Vous souvenez-vous du nom dusecrétaire américain ?

— Harper, je crois, mais je n’en suispas sûre. Je sais seulement qu’il n’étaitau service de Mr. Bleinner que depuispeu. C’est un jeune homme très aimable.

— Merci, Lady Willard.— S’il y a autre chose…— Pour le moment, rien. Désormais,

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cela me regarde, et soyez assurée quej’agirai de mon mieux pour protégervotre fils.

Ce n’étaient pas là des mots trèsconvaincants et je vis Lady Willardtressaillir. Tout de même, le fait quePoirot n’avait pas pris ses craintes à lalégère, lui procurait quelquesoulagement.

Pour ma part, je n’avais jamaissoupçonné que Poirot fût d’une natureencline à la superstition.

Je l’entrepris à ce sujet alors quenous retournions chez nous. Il ne sedépartit pas de son air grave.

— Mais si, Hastings, je crois à ceschoses. Vous ne devez pas sous-évaluer

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le pouvoir de la superstition.— Qu’allons-nous faire ?— Toujours pratique, ce bon

Hastings ! Eh bien, pour commencer,nous allons nous mettre en rapport avecNew York pour obtenir de plus amplesdétails sur la mort du jeune Mr.Bleinner.

Il envoya son message et reçutbientôt une réponse intéressante. Lejeune Rupert Bleinner avait vécu dans lagêne depuis plusieurs années. Il fut unrôdeur de grève et un propre à rien dansplusieurs îles du Pacifique, puis revint àNew York il y a deux ans pour sombrerde plus en plus dans la débauche ! Je fusfrappé par le fait qu’il avait réussi

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récemment à se procurer assez d’argentpour se rendre en Égypte. « J’ai là-basun bon ami qui pourra m’aiderfinancièrement » avait-il déclaré avantson départ. Arrivé sur place, cependant,ses plans échouèrent : Sir John Willardmourut pendant son court séjour enÉgypte. Il retourna à New York,maudissant son avare d’oncle qui sesouciait plus des os des rois morts quede ses propres parents. Rupert sereplongea pendant quelque temps danssa vie de débauche puis, sans préavis, sesuicida, laissant derrière lui une lettreaux phrases curieuses et qui paraissaitavoir été écrite dans un moment deremords, il se disait un lépreux n’ayant

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plus sa place dans la société. Il terminaitson billet en déclarant que, dans l’étatoù il se trouvait, il serait aussi bienmort.

Une vague théorie me traversal’esprit. Je n’avais jamais vraiment cru àcette histoire de vengeance de roi, mortdepuis des siècles. Il devait s’agir d’uncrime plus moderne. Supposons, parexemple que ce jeune homme ait décidéde supprimer son oncle… choisissant depréférence l’empoisonnement. Sir JohnWillard absorbe le poison par erreur. Lejeune homme retourne à New York,obsédé par son crime et, lorsqu’ilapprend la mort de son oncle, il réaliseà quel point son geste avait été inutile.

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Accablé de remords, il se tue.J’exposai à grands traits ma solution

à Poirot qui se montra intéressé.— C’est ingénieux ce que vous

pensez là… Incontestablementingénieux. Il est même possible que cesoit la réalité. Mais vous laissez de côtéle pouvoir maléfique du tombeau ?

Je haussai les épaules.— Vous pensez encore qu’il joue un

rôle dans l’affaire ?— Tellement, mon ami, que nous

partons demain pour l’Égypte.— Comment ? m’écriai-je étonné.

Nous nous embarquons demain.Son visage exprima d’une manière

dramatique le sentiment de son

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héroïsme. Il ne put cependants’empêcher de gémir :

— Oh ! La mer… Cette abominablemer !

Une semaine plus tard nous foulionsle sable du désert alors qu’un soleil deplomb nous écrasait. Poirot, l’airmalheureux au possible, se traînait à mescôtés. Le petit détective n’était pas bonvoyageur. Nos quatre jours de croisièredepuis Marseille furent pour lui unelongue agonie. Arrivé à Alexandrie, iln’était plus que l’ombre de lui-même etson apparence, toujours si soignée,n’était plus qu’un souvenir. Au Caire,nous nous étions rendus directement envoiture à l’hôtel Mena House situé à

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l’ombre des Pyramides.Le charme de l’Égypte m’envoûtait,

mais pas Poirot. Habillé exactement dela même manière qu’à Londres, il portaitdans sa poche une petite brosse à habitset faisait une guerre incessante à lapoussière qui s’accumulait sur soncomplet sombre.

— Et mes chaussures, se lamentait-il, regardez-les, Hastings ! Meschaussures vernies habituellement siélégantes ! Vous voyez ? Le sable estentré dedans, ce qui est douloureux, etles recouvre, ce qui offense la vue !Quant à la chaleur elle rend mesmoustaches molles… Mais molles !

— Regardez plutôt le Sphinx !

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répliquai-je. Même moi, je suis capablede ressentir le mystère et le charme quis’en dégagent.

Poirot le contempla, amer :— Il n’a pas l’air heureux. Comment

le pourrait-il, d’ailleurs, à demi enterrédans le sable ! Ah ! Ce sable maudit !

— Voyons Poirot, il y a aussibeaucoup de sable en Belgique, luirappelai-je, me souvenant de vacancespassées à Knokke-le-Zoute, au milieudes « dunes impeccables », pourreprendre l’expression du guide de larégion.

— Pas à Bruxelles, répliqua-t-il enexaminant pensivement les pyramides.C’est vrai qu’au moins elles sont de

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forme solide et géométrique, mais leursurface est d’une irrégularité qui offensele goût. Quant aux palmiers, je ne lesaime pas. Ils ne sont même pas plantésen rangs !

Je coupai court à ses lamentations enlui rappelant qu’il nous fallait nousmettre en route vers le campement. Nousdevions nous y rendre à dos de chameauet les bêtes agenouillées attendaientpatiemment que nous les montions,gardées par plusieurs garçonspittoresques et un interprète expansif.

Je passe sur le spectacle de Poirotjuché sur un chameau. Il commença pardes gémissements et termina par des crisaigus, des gesticulations, des

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invocations à la Vierge Marie et à tousles saints du calendrier. Il finit pardescendre de l’animal d’une manièrehonteuse et termina le trajet sur un âneminuscule. Je dois avouer qu’unchameau avançant au trot n’est pas uneplaisanterie pour amateur et j’en restaicourbatu pendant plusieurs jours.

Nous arrivâmes finalement sur leterrain des fouilles. Un homme, auvisage brûlé par le soleil, caché enpartie par une barbe grise, vêtu de blancet coiffé d’un casque colonial, s’avançaà notre rencontre.

— M. Poirot et le capitaineHastings ? Nous avons reçu votre câbleet je suis désolé que personne ne se soit

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trouvé au Caire pour vous y accueillir.Un événement imprévu a désorganisécomplètement nos plans.

Poirot pâlit. Sur le point de brosserson habit, il suspendit son geste.

— Pas une autre mort ? souffla-t-il.— Si !— Sir Guy Willard ! criai-je.— Non, capitaine Hastings, il s’agit

de mon collègue américain, Mr.Schneider.

— Cause de la mort ? demandavivement Poirot.

— Tétanos.Je pâlis à mon tour. Je sentis autour

de moi comme une atmosphère maudite,subtile et menaçante. Une pensée

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horrible me frappa : supposons que jesois le suivant ?

— Mon Dieu, murmura Poirot d’unevoix profonde, je ne comprends pas,c’est affreux ! Dites-moi, monsieur, il nefait aucun doute qu’il s’agissait bien dutétanos ?

— Je pense. Mais le Dr Ames vousrenseignera mieux que moi.

— Ah ? Bien sûr, vous n’êtes pas ledocteur.

— Mon nom est Tosswill.C’était donc lui l’expert britannique

que Lady Willard avait cité commefonctionnaire du British Museum. Sonattitude grave et décidée me futsympathique.

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— Si vous voulez bien me suivre,reprit-il, je vais vous conduire jusqu’àSir Guy Willard. Il était très anxieuxd’être informé de votre arrivée.

Nous le suivîmes à travers lecampement pour nous arrêter devant unetente dont il souleva le rabat pour nouslaisser entrer. Nous nous trouvâmes enface de trois hommes assis.

— M. Poirot et le capitaine Hastingsviennent d’arriver, Sir Guy, annonçaTosswill.

Le plus jeune du groupe se levavivement et s’avança pour nous saluer.Ses manières spontanées me rappelèrentsa mère. Son teint moins bronzé quecelui de ses compagnons et l’expression

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légèrement hagarde de ses yeux lefaisaient paraître plus âgé que ses vingt-deux ans. Il s’efforçait visiblement desurmonter la tension qui le rongeait.

Il nous présenta ses deuxcompagnons : le Dr Ames, un hommed’environ trente ans, l’air compétent,une touche de gris aux tempes, et Mr.Harper, le secrétaire, jeune hommemince, portant les traditionnelleslunettes à large monture de corne.

Après quelques minutes deconversation d’ordre général, lesecrétaire se retira, imité par le Dr

Tosswill. Nous fûmes laissés seuls avecSir Guy Willard et le Dr Ames.

— Je vous en prie, posez toutes les

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questions qu’il vous plaira, monsieurPoirot, déclara Willard. Nous sommesabsolument stupéfaits devant cetteétrange série de désastres, mais cen’est… Ce n’est peut-être qu’unecoïncidence !

Sa nervosité, cependant, démentaitses paroles. Je notai que Poirotl’observait attentivement.

— Vous prenez vraiment ce travail àcœur, Sir Guy ?

— Je vous crois ! Peu importe cequi arrive ou ce qu’il en résulte, letravail continue. Résignez-vous àaccepter cet état de choses !

Poirot se tourna vers Ames.— Qu’avez-vous à dire à cela,

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monsieur le Docteur ?— Eh bien, répondit ce dernier

d’une voix traînante, je ne suis pas, moinon plus, d’avis d’abandonner.

Poirot eut une de ses grimacesexpressives.

— Dans ce cas, évidemment, nousdevons découvrir où nous en sommes.Quand a eu lieu la mort de Mr.Schneider ?

— Il y a trois jours.— Vous êtes sûr qu’il était atteint du

tétanos ?— Absolument.— Il n’aurait pu s’agir d’un cas

d’empoisonnement par la strychnine, parexemple ?

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— Non, monsieur Poirot, je vois oùvous voulez en venir, mais c’était un castrès net de tétanos.

— N’avez-vous pas injectéimmédiatement de sérum antitétanique ?

— Certainement, répondit sèchementle médecin, nous avons tentél’impossible pour le sauver.

— Aviez-vous le sérum avec vous ?— Non, nous avons dû le faire venir

du Caire.— Y eut-il d’autres cas de tétanos

dans le camp ?— Non, aucun.— Êtes-vous certain que Mr.

Bleinner n’a pas contracté le tétanos, luiaussi ?

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— Absolument. Il avait uneégratignure sur le pouce qui s’infecta etla septicémie s’ensuivit. Je doisadmettre que, pour un profane, les deuxcas pourraient paraître similaires, mais,croyez-moi, ils sont complètementdifférents.

— Donc, nous avons eu quatremorts, chacune très distincte : un arrêt ducœur, un empoisonnement du sang, unsuicide et le tétanos.

— Exactement, monsieur Poirot.— Êtes-vous convaincu que ces

quatre morts n’ont pas un point communentre elles ?

— Qu’entendez-vous par là ?— Simplement ceci : quatre hommes

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auraient-ils pu commettre une mêmeaction susceptible de passer pour del’irrespect envers l’esprit de Men-her-Ra ?

Le médecin eut l’air étonné.— Vous extravaguez, monsieur

Poirot ! Vous ne vous êtes quand mêmepas laissé impressionner par toutes cesidioties ?

— Absurdités, ni plus ni moins,grommela Willard furieux.

Poirot resta impassible, fermant àdemi ses yeux de chat.

— Alors, vous ne le pensez pas,monsieur le Docteur ?

— Non, Sir, non : je suis unscientifique.

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— La science n’existait-elle doncpas du temps de l’ancienne Égypte ?s’enquit doucement Poirot.

Il n’attendit pas de réponse du Dr

Ames qui semblait plutôt embarrassé.— Non, non, ne me répondez pas,

mais dites-moi plutôt ce que pensent lestravailleurs indigènes ?

— J’imagine que, lorsque les Blancsperdent la tête, les indigènes ne sont pasloin de les imiter. J’admets qu’ilscommencent à s’affoler… Mais sansaucun motif.

— C’est ce que je me demande,commenta Poirot avec réserve.

Sir Guy se pencha vers lui pourclamer :

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— Voyons, il est impossible quevous ajoutiez foi à… Mais enfin, c’estimpensable ! Cela prouverait que vousne savez rien de l’ancienne Égypte.

Pour toute réponse, Poirot sortit desa poche un vieux volume tout déchiré. Ilnous montra la couverture où je lus :« La Magie des Égyptiens et desChaldéens », puis, nous tournant le dos,il sortit de la tente à grands pas. Ledocteur me regarda ébahi.

— Quelle est sa petite idée ?La phrase si familière à Poirot me fit

sourire, prononcée par un autre.— Je ne sais trop. Il a certains

projets pour exorciser les mauvaisesprits, je crois.

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Je partis à la recherche de mon amique je trouvai conversant avec le jeunehomme au long visage, qui avait été lesecrétaire de Mr. Bleinner.

— Non, disait Mr. Harper, je ne faispartie de l’expédition que depuis sixmois. Oui, j’étais assez au courant desaffaires de Mr. Bleinner.

— Pouvez-vous me raconter quelquechose sur son neveu ?

— Un jour, il est arrivé aucampement un garçon assez bien de sapersonne. Je ne le connaissais pas maisd’autres membres de l’expéditionl’avaient déjà rencontré, Ames, je crois,et Schneider. Mon patron ne fut pas dutout content de le voir. Ils n’ont pas mis

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longtemps à se disputer : « Pas un sou,criait l’oncle, pas un sou, ni maintenant,ni à ma mort. J’ai l’intention de laissermon argent pour la poursuite de monœuvre. J’en ai parlé à Schneideraujourd’hui même. » Le jeune Bleinnerrepartit directement pour le Caire aprèscette altercation.

— Se trouvait-il en parfaite santé, àce moment-là ?

— Qui ? Le vieux Bleinner ?— Non, le jeune.— Il me semble qu’il a fait allusion

à quelque chose qui n’allait pas. Mais cene pouvait être sérieux, sinon, je m’ensouviendrais.

— Encore une chose, Mr. Bleinner

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a-t-il laissé un testament ?— Pas à ma connaissance.— Resterez-vous avec l’expédition,

Mr. Harper ?— Oh, non ! Dès que j’aurai réglé

mes affaires ici, je retournerai à NewYork. Vous pouvez rire si le cœur vousen dit, mais je ne tiens pas à être laprochaine victime de ce maudit Men-her-Ra, ce qui arrivera sûrement si jereste.

En s’éloignant, Poirot lança par-dessus son épaule, avec un souriresardonique :

— Souvenez-vous qu’il a atteint unede ses victimes à New York…

— Au diable ! lança Harper.

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— Ce jeune homme a les nerfs à vif,remarqua pensivement Poirot,absolument à vif.

J’observai mon ami mais son sourireénigmatique ne m’apprit rien.Accompagnés de Sir Guy Willard et duDr Tosswill, nous visitâmes les fouilles.Les parties les plus importantes dutombeau avaient été envoyées au Caire,mais certains des accessoires encoreprésents nous intéressèrent vivement. Jecrus détecter chez le jeune baronnet tropd’enthousiasme, une sorted’appréhension devant la menace muettequi planait dans l’air. Alors que nouspénétrions dans la tente qui nous avaitété assignée pour nous changer avant le

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repas du soir, une longue silhouettevêtue de blanc, se rangea de côté pournous laisser passer, avec un gestegracieux et un mot d’accueil murmuré enarabe.

Poirot s’arrêta.— Vous êtes Hassan, le serviteur de

Sir John Willard ?— J’ai servi Sir John, à présent je

sers son fils. Il s’avança d’un pas etbaissa le ton pour ajouter : on dit quevous êtes sorcier ayant appris à semettre en relation avec les mauvaisesprits ? Faites en sorte que le jeunemaître parte d’ici. Le malheur plane surnous.

D’un brusque mouvement et sans

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attendre la réponse, il s’éloignarapidement.

— Du malheur dans l’air, murmuraPoirot, oui, je le sens…

Notre repas ne fut pas des plus gais.La parole avait été laissée au Dr

Tosswill qui disserta longuement sur lesantiquités égyptiennes. Comme nousallions nous retirer, Sir Guy saisit lebras de Poirot et pointa du doigt versune vague silhouette qui rôdait autourdes tentes. Elle n’avait rien d’humain, jereconnus distinctement la forme à tête dechacal, pareille à la gravure qui ornaitles murs de la tombe.

Mon sang se glaça.— Mon Dieu ! souffla Poirot, se

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signant vivement, Anubis, le Dieu desâmes qui quittent ce monde.

— Quelqu’un est en train de nousmystifier ! cria le Dr Tosswill, se levantindigné.

— Il s’est rendu dans votre tente,Harper, marmotta Willard, affreusementpâle.

— Non, corrigea Poirot, dans celledu Dr Ames.

Le médecin le fixa, incrédule, puis,répétant les mots de Tosswill, ils’écria :

— Quelqu’un est en train de nousmystifier. Venez, nous allons attraper lefarceur.

Sans hésiter, il se précipita à la

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recherche de l’apparition. Je l’imitai,mais nous eûmes beau inspecter la tenteet les environs, nous ne pûmes trouvertrace d’aucune âme vivante. Retournantvers nos compagnons, en proie à uneforte émotion, nous trouvâmes Poirotprenant des mesures énergiques pourassurer sa sécurité personnelle. Il traçaitfébrilement dans le sable autour de notretente, des diagrammes et des inscriptionsvariées. Je reconnus l’étoile pentaclerépétée plusieurs fois. Suivant sonhabitude, Poirot faisait en même tempsune dissertation impromptue sur lasorcellerie et la magie en général, lamagie blanche qui s’oppose à la magienoire, avec une allusion au Ka et au

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Livre des morts.Cela eut pour effet de lui attirer le

profond mépris du Dr Tosswill qui mepoussa pour exploser :

— Balivernes ! Pures balivernes !Cet homme est un imposteur. Il n’aaucune notion de la différence entre lessuperstitions du Moyen Âge et lescroyances de l’ancienne Égypte. Je n’aijamais entendu pareil mélanged’ignorance et de crédulité.

Je calmai l’expert furieux etrejoignis Poirot sous notre tente. Le petitdétective était radieux.

— À présent, nous pourrons dormirtranquille, déclara-t-il, et je dormiraisvolontiers. Ma tête me fait horriblement

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mal ! Ah ! Que j’aimerais avoir unebonne tisane !

Semblant répondre à sa prière, lebattant de toile se souleva et Hassanapparut portant une tasse fumante qu’iloffrit à Poirot. C’était un mélange de théet de camomille que Poirot aimait toutparticulièrement. Ayant remercié Hassanet, pour ma part, refusé une tasse de cebreuvage, nous fûmes laissés seuls. Jerestais un moment debout près del’ouverture de la tente à contempler ledésert.

— Un site splendide, remarquai-je,et un travail passionnant. Cette vie dansle désert, ce coup de sonde au cœurd’une civilisation disparue… Voyons,

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Poirot, il est impossible que vous n’enressentiez pas l’attrait ?

Je n’obtins pas de réponse et meretournai légèrement irrité. Monexaspération se changea vite enangoisse. Poirot se tenait renversé enarrière sur sa couche, le visagehorriblement convulsé. Près de lui, jeremarquai la tasse vide. Je bondisprécipitamment au dehors à la recherchedu Dr Ames.

— Dr Ames ! criai-je en arrivantdevant sa tente, venez immédiatement !

— Que se passe-t-il ? questionna lemédecin apparaissant en pyjama.

— Mon ami, il est malade…Mourant… Le thé à la camomille. Ne

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laissez pas Hassan quitter le camp !En un éclair, le docteur arriva à

notre tente où Poirot se trouvait toujoursdans la position où je l’avais laissé.

— Extraordinaire, s’exclama lemédecin, il semble avoir eu une attaqued’apoplexie… Ou alors… Qu’avez-vousdit au sujet d’un breuvage ?

Il prit la tasse vide.— Seulement, je n’ai pas bu,

prononça dans notre dos une voix calme.Nous nous retournâmes stupéfaits.

Poirot s’était redressé sur le lit etsouriait.

— Non, enchaîna-t-il doucement, jene l’ai pas bu… Alors que mon bon amiHastings admirait lyriquement la nuit,

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j’ai choisi l’occasion pour vider latasse, non dans mon gosier, mais dansune petite bouteille. Cette petitebouteille ira au chimiste expert. Non,coupa-t-il à l’adresse du médecin quiesquissait un geste. En hommeintelligent, vous comprendrez que laviolence ne servirait à rien. Pendantl’absence d’Hastings, qui allait vousquérir, j’ai eu le temps de placer labouteille en lieu sûr. Ah ! Vite,Hastings ! Tenez-le !

J’interprétai mal l’avertissement dePoirot. Anxieux de sauver mon ami, jeme jetai devant lui. Mais le mouvementvif du docteur avait un autre sens. Ilporta la main à sa bouche, une odeur

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d’amande amère alourdit l’atmosphèreet il s’écroula.

— Encore une victime, remarquaPoirot, mais la dernière, cette fois. Peut-être est-ce mieux ainsi. Il a trois mortssur la conscience.

— Le Dr Ames ? m’écriai-je, maisne croyiez-vous pas à quelque influenceocculte ?

— Vous m’avez mal compris,Hastings. Je voulais dire que je crois àla puissance terrifiante de lasuperstition. Pour peu que vous fassiezétablir fermement qu’une série de mortsest surnaturelle, vous pourriez presquepoignarder un homme en plein jour etl’affaire serait encore mise au compte de

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la malédiction. Je soupçonnais dès ledébut que quelqu’un tirait avantage decette histoire. J’imagine que l’idée luiest venue au moment de la mort de SirJohn Willard. Les racontars ayant trait àune soi-disant malédiction prirentaussitôt leur vol. À mon avis, personnene pouvait tirer un profit particulier dela mort de Sir John. Pour Mr. Bleinner,c’était différent du fait de sa fortune. Lesinformations que je reçus de New Yorkm’apportèrent plusieurs détailsintéressants. Pour commencer, le jeuneBleinner aurait déclaré avoir un bon amien Égypte, capable de l’aiderfinancièrement. On aurait pu penser qu’ilfaisait allusion à son oncle, mais dans ce

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cas, il l’aurait spécifié clairement. Envérité, il ne parlait pas de son parentmais d’un ami fidèle. Autre chose, ilréunit assez d’argent pour entreprendrele voyage et, bien que son oncle aitrefusé de lui avancer un sou, il trouve lasomme nécessaire pour retourner à NewYork. Quelqu’un a donc dû lui prêtercette somme.

— Tout ça est assez mince, non ?— Il y a plus, Hastings. Il arrive

assez souvent que des mots prononcésmétaphoriquement soient interprétés à lalettre. Le contraire peut aussi seproduire : dans cette affaire, parexemple. Le jeune Bleinner écritsimplement « je suis un lépreux » et

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personne n’a compris qu’il s’étaitsuicidé parce qu’il croyait réellementavoir contracté l’horrible maladie qu’estla lèpre.

— Comment a-t-il pu croire ?— Perfide machination d’un esprit

diabolique. Le jeune Bleinner souffraitd’une légère irritation de la peau. Or, ilavait vécu dans les îles du Pacifique oùla lèpre existe. Ames étant un de sesvieux amis et un médecin renommé, il nepouvait pas douter de son diagnostic etAmes le disait lépreux. À mon arrivéeici, j’hésitai à porter mes soupçons surHarper ou sur Ames, mais je réalisaibientôt que seul le docteur pouvait avoircommis et masqué les crimes. Par

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Harper, je sus qu’Ames avait connuRupert Bleinner quelques annéesauparavant. Sans aucun doute le jeunegarçon fit un jour un testament ou assurasa vie en faveur du docteur qui entrevitune chance de devenir riche. Rien deplus facile pour le médecin d’inoculerles germes mortels à Mr. Bleinner. Leneveu arrive ensuite et, désespéré parl’horrible révélation que luicommunique son ami, se suicide. Mr.Bleinner, qu’elles qu’aient pu être sesintentions, n’avait pas rédigé detestament. Sa fortune devait passer à sonneveu et, de ce dernier, au docteur.

— Et Mr. Schneider ?— Nous ne pouvons acquérir de

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certitude sur son cas. N’oubliez pas,d’une part, qu’il connaissait le jeuneBleinner et pouvait avoir soupçonnéquelque chose. D’autre part, le médecina peut-être pensé qu’une nouvelle mortrenforcerait le climat d’angoissesuperstitieuse. En outre, je vais vousrévéler un fait psychologiqueintéressant, Hastings : un meurtrier atoujours un grand désir de recommencerun crime qu’il tient pour parfait, saréussite l’envoûte. De là mes craintespour le jeune Willard. La formed’Anubis que vous avez vu ce soir, étaitHassan, déguisé par mes ordres. Jevoulais voir si je réussirais à effrayer ledocteur. Mais il aurait fallu plus que le

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surnaturel pour l’impressionner ! J’airemarqué qu’il n’était pas complètementdupe de ma crédulité quant au domainede l’occulte. Ma petite comédie, jouéepour lui, ne l’a pas trompé. Je medoutais qu’il essayerait de faire de moila prochaine victime… Mais en dépit dela mer maudite, la chaleur abominable etles inconvénients du sable, mes petitescellules grises fonctionnent encore !

Poirot prouva avoir vu juste dansses déductions : quelques années plustôt, le jeune Bleinner à la suite d’uneivresse joyeuse, avait fait un testamentfacétieux, laissant « mon étui à cigarettesque vous admirez tant, et tout ce que jeposséderai à ma mort, principalement

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mes dettes, à mon bon ami Robert Ames,qui me sauva un jour la vie alors que jemanquais me noyer ».

L’affaire fut étouffée le plus possibleet, aujourd’hui encore, on parle de lasingulière série de morts se rattachant autombeau de Men-her-Ra, comme d’unetriomphante preuve de la vengeance d’unroi disparu, contre les profanateurs deson tombeau.

— Une croyance qui, comme me lefit remarquer Poirot, est contraire à toutela philosophie égyptienne !

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L’ENLÈVEMENT DUPREMIERMINISTRE

Maintenant que la guerre et tous sesproblèmes sont loin dans le passé, jecrois pouvoir m’aventurer à révéler aumonde le rôle que joua mon ami Poirotdans cette période de crise nationale. Lesecret a été bien gardé ; pas un écho n’enatteignit la presse. Mais maintenant qu’iln’y a plus de raison de se taire, il me

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paraît juste que l’Angleterre connaissela dette qu’elle a envers mon ami qui,par son intelligence merveilleuse, aévité une si grande catastrophe.

Un soir, après dîner, mon ami et moiétions assis dans son appartement. Je nepréciserai pas la date, il suffira de direque c’était à un moment où la « paix parnégociation » était ardemment réclaméepar tous les ennemis de l’Angleterre.Après avoir été réformé à la suite d’uneblessure, j’obtins un emploi dans unbureau de recrutement ; j’avais prisl’habitude de venir tous les soirs passerla veillée chez Poirot et de m’entreteniravec lui de tous les cas intéressants quilui étaient confiés.

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Nous commençâmes à discuter desnouvelles sensationnelles de la journée :il ne s’agissait de rien moins que de latentative d’assassinat de Mr. David MacAdam, Premier Ministre anglais. Il estévident que le compte rendu desjournaux avait été soigneusementcensuré. On ne donnait aucun détail, sice n’est que le Premier Ministre avaitéchappé par miracle à la balle qui frôlasa joue.

Je ne pus m’empêcher de trouvernotre police honteusement négligented’avoir laissé se produire une telletentative ; mais je comprenaisparfaitement que les agents allemands enAngleterre fussent prêts à tout risquer

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pour supprimer le Premier Ministre.« Mac le Batailleur », comme l’avaitsurnommé son parti, avaitvigoureusement combattu l’influencepacifiste qui avait pris tantd’importance.

Il était plus que le Premier Ministreanglais ; il représentait la nationanglaise, et le faire disparaître de sonposte de commandement devait porter àl’Angleterre un coup terrible en lafrappant d’inertie.

Poirot était occupé à nettoyer uncostume gris avec une petite éponge. Iln’y eut jamais de pire dandy qu’HerculePoirot. Il avait la passion de l’ordre etde la netteté. Je le sentais bien, tant que

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cette odeur de benzine remplirait l’air, ilserait incapable de m’accorder sonattention.

— Je suis à vous dans une minute,mon ami. J’ai presque fini. Plus quecette tache de graisse. Voilà.

Il frotta son vêtement. Je souris touten allumant une autre cigarette.

— Rien d’intéressant en cemoment ? demandai-je après un instant.

— J’aide une femme abandonnée àretrouver son mari. Une affaire difficile,et qui demande du tact, car j’ail’impression que s’il est découvert, iln’en sera pas ravi. Et cela se conçoit.Pour ma part, je le comprendsparfaitement, il a été bien avisé de

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disparaître.Je souris.— Enfin ! Ma tache ne se voit plus.

Je suis à votre disposition.— Je vous demandais ce que vous

pensiez de cet attentat contre MacAdam ?

— Enfantillage, répliquapromptement Poirot. Il est difficile de leprendre au sérieux. Conçoit-on qu’ontire, de nos jours, à la carabine ? C’étaitbon autrefois.

— Oui, mais la carabine a bien failliatteindre son but, cette fois, lui rappelai-je.

Poirot secoua la tête avecimpatience. Il allait répondre quand la

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porte entrebâillée laissa voir la tête dela propriétaire. Celle-ci annonça qu’enbas deux messieurs demandaient à luiparler :

— Ils ne veulent pas donner leurnom, monsieur, mais ils disent que c’esttrès important.

— Faites-les monter, dit Poirot enpliant soigneusement son pantalon gris.

Quelques minutes après, les deuxvisiteurs furent introduits, et je fus saisien reconnaissant dans le premier unpersonnage aussi considérable que LordEstair, président de la Chambre desCommunes ; son compagnon, Mr.Bernard Dodge, était un personnageimportant du ministère de la Guerre, et à

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ce que je savais, ami intime du PremierMinistre.

— Monsieur Poirot ? interrogeaLord Estair.

Mon ami s’inclina. Le grand hommeme regarda en hésitant.

— Je viens pour une affaireconfidentielle.

— Vous pouvez parler librementdevant le capitaine Hastings, dit monami en me faisant signe de rester. S’iln’est pas un détective parfait, je répondsde sa discrétion.

Lord Estair hésitait encore, mais Mr.Dodge intervint brusquement.

— Oh ! Allons, ne faisons pas demanières ! Il est trop certain que toute

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l’Angleterre connaîtra l’affaire bienassez tôt. Hâtons-nous, le tout n’estqu’une question de temps.

— Asseyez-vous, messieurs, je vousen prie, dit poliment Poirot. Voulez-vousprendre le grand fauteuil, milord ?

Lord Estair tressaillit légèrement :— Vous me connaissez ?Poirot sourit :— Certainement. Je lis les journaux

et je vois les photographies. Commentpourrais-je ne pas vous connaître ?

— Monsieur Poirot, je suis venuvous consulter au sujet d’une affaireurgente et d’une importance vitale. Maisje dois vous demander le secret absolu.

— Vous avez la parole d’Hercule

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Poirot, je ne peux pas dire plus, dit monami avec une teinte de grandiloquence.

— Il s’agit du Premier Ministre.Nous sommes très troublés.

— La situation est critique, ajoutaMr. Dodge.

— La blessure est sérieuse, alors ?demandai-je.

— Quelle blessure ?— La balle qu’il a reçue.— Oh ! Cela ! s’écria Mr. Dodge

avec dédain, c’est de l’histoireancienne.

— Comme vous l’explique moncollègue, continua Lord Estair, il n’estplus question de cette affaire. Elle aheureusement échoué. Je voudrais

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pouvoir en dire autant de la secondetentative.

— Il y a donc eu une secondetentative ?

— Oui, mais pas de même nature.Monsieur Poirot, le Premier Ministre adisparu.

— Comment !— Il a été enlevé !— C’est impossible ! m’écriai-je,

stupéfait.Poirot me lança un regard foudroyant

qui m’enjoignait de garder le silence.— Aussi impossible que cela

paraisse, ce n’est malheureusement quetrop vrai, continua Son Excellence.

Poirot regarda Mr. Dodge :

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— Vous venez de dire, monsieur, quetout n’est qu’une question de temps. Quevoulez-vous dire par là ?

Les deux hommes échangèrent unregard, puis Lord Estair commença :

— Vous avez entendu parler,monsieur Poirot, de la prochaineconférence des Alliés ?

Mon ami fit un signe de têteaffirmatif.

— Pour des raisons trop évidentes,on n’a donné aucun détail sur le lieu etla date de la conférence. Mais, bien quenon publié dans les journaux, le jour estnaturellement connu dans les milieuxdiplomatiques. La conférence se tientdemain soir jeudi, à Versailles. Vous

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pouvez mesurer maintenant la gravitéterrible de la situation. Je ne vouscacherai pas que la présence du PremierMinistre à la conférence est d’unenécessité vitale. La propagandepacifiste, entreprise et maintenue par desagents allemands dans notre milieuanglais est très active. De l’avisunanime, la note essentielle de laconférence sera donnée par la puissantepersonnalité du Premier Ministre. Sonabsence risque d’avoir les résultats lesplus graves… Et nous n’avons personnecapable de le remplacer. Lui seul peutreprésenter l’Angleterre.

Le visage de Poirot était devenugrave.

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— Ainsi, vous considérez quel’enlèvement du Premier Ministre a pourbut immédiat d’empêcher sa présence àla conférence ?

— J’en suis absolument persuadé. Ilétait en route vers la France.

— Et la conférence se tiendra ?— Demain soir à neuf heures.Poirot tira de sa poche une montre

énorme.— Il est exactement neuf heures

moins le quart.— Cela fait vingt-quatre heures, dit

Mr. Dodge d’un ton pensif.— Un quart, ajouta Poirot.

N’oubliez pas le quart d’heure,monsieur, il peut nous être utile…

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Maintenant les détails : cet enlèvementa-t-il eu lieu en Angleterre ou enFrance ?

— En France, Mr. Mac Adam a faitla traversée ce matin. Il devait passer lanuit chez le commandant en chef, etcontinuer demain sur Paris. Il a traverséla Manche sur un destroyer. À Boulogne,il était attendu par l’un des aides decamp du commandant en chef et une autodu quartier général.

— Eh bien ?— Eh bien ! Il est parti de Boulogne,

mais il n’est jamais arrivé.— Comment ?— Monsieur Poirot, ce n’était pas

l’auto du quartier général, et un faux

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aide de camp. La voiture qui lui avaitété envoyée fut retrouvée dans un petitchemin, le commandant et son chauffeurbâillonnés et ligotés.

— Et la fausse auto ?— Elle roule encore.Poirot eut un geste d’impatience.— C’est incroyable ! Sûrement, elle

ne peut plus échapper longtemps àl’attention.

— C’est bien ce que nous pensions.Il nous semblait qu’il ne s’agissait quede chercher soigneusement. Cette partiede la France est sous l’occupationmilitaire. Nous étions convaincus quel’auto ne pouvait pas rester longtempsintrouvable. La police française, nos

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agents de Scotland Yard et les agentsmilitaires sont sur les dents. C’estincroyable, comme vous le dites, maison n’a rien découvert.

À ce moment-là, on frappa à la porteet un jeune officier entra tenant unelourde enveloppe scellée qu’il tendit àLord Estair.

— J’arrive de France à l’instant,monsieur. J’ai apporté ceci selon vosinstructions.

Le Ministre déchira l’enveloppeavidement et poussa une exclamation.L’officier se retira.

— Voilà enfin des nouvelles ! Onvient tout juste de déchiffrer cetélégramme. Ils ont trouvé la seconde

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auto et aussi le secrétaire Daniels,chloroformé, ligoté et blessé, dans uneferme abandonnée près de C… Il ne sesouvient de rien ! Il a seulement lesentiment de quelque chose qu’on auraitpressé sur ses lèvres et dans ses narines,et d’une lutte pour se libérer. La policeest convaincue de sa bonne foi.

— Et c’est tout ce qu’ils ont trouvé ?— Oui.— Pas le cadavre du Premier

Ministre ? Alors, il y a de l’espoir. Maisc’est étrange. Pourquoi après avoiressayé de le tuer, ce matin, prennent-ilstant de peine maintenant pour le gardervivant ?

Dodge secoua la tête :

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— Il y a une chose tout à faitcertaine, c’est qu’ils sont déterminés àtout prix à empêcher le Premier Ministred’assister à la conférence.

— Si c’est humainement possible, ily assistera. Dieu veuille qu’il ne soit pastrop tard. Maintenant, messieurs,racontez-moi tout depuis lecommencement. Je voudrais connaîtreaussi cette histoire de coup de carabine.

— La nuit dernière, le PremierMinistre et l’un de ses secrétaires, lecapitaine Daniels…

— Celui qui l’accompagnait enFrance ?

— Oui. Comme je le disais, ils serendaient en auto à Windsor où une

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audience devait être accordée auPremier Ministre. Ce matin, de bonneheure, il rentre en ville, et c’est pendantce voyage qu’eut lieu la tentatived’assassinat.

— Un moment, s’il vous plaît. Quiest ce capitaine Daniels ? Avez-vous sondossier ?

Lord Estair sourit :— Je pensais que vous me poseriez

cette question. Nous ne savons pasgrand-chose de lui. Il n’est pas d’unefamille connue. Il a servi dans l’arméeanglaise, et il est un excellent secrétaire,il est exceptionnellement bon linguiste.Je crois qu’il parle sept langues. C’estpour cette raison que le Premier

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Ministre l’avait choisi pourl’accompagner en France.

— A-t-il quelque parent enAngleterre ?

— Deux tantes, une certaine Mrs.Everard, qui habite à Hampstead et uneMiss Daniels, qui vit près de Ascot.

— Ascot ? Ce n’est pas loin deWindsor, n’est-ce pas ?

— On a négligé ce point. Mais celane nous aurait menés à rien.

— Alors, vous considérez lecapitaine Daniels comme au-dessus detout soupçon ?

Une ombre d’amertume passa dansses yeux comme il répondait.

— Non, monsieur Poirot, à notre

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époque, j’hésiterais avant de déclarerqui que ce soit au-dessus de toutsoupçon.

— Très bien. Et je comprendsmaintenant, milord, la nécessité degarder le Premier Ministre sous laprotection vigilante de la police.

Lord Estair inclina la tête.— C’est cela. L’auto du Premier

Ministre était suivie de près par uneautre occupée par des détectives encivil. Mr. Mac Adam ignorait cesprécautions. Il est personnellement trèscourageux, et s’y serait opposé. Mais,naturellement, personne n’a rien à voirdans les dispositions prises par lapolice. En fait, la voiture du Premier

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Ministre était conduite par son chauffeurO’Murphy.

— O’Murphy ? C’est un nomirlandais ?

— Oui. Il est, en effet, irlandais.— De quelle partie de l’Irlande ?— County Clarc, je crois.— Tiens ! Mais, continuez, milord.— Le Premier Ministre partit pour

Londres. Il était dans une voiture fermée,lui et le capitaine Daniels s’assirent àl’arrière. Mais, heureusement, pour uneraison inconnue, sa voiture abandonna laroute nationale.

— À un tournant de la route,interrompit Poirot.

— Oui, mais comment le savez-

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vous ?— Oh ! C’est évident ! Continuez.— Je disais donc que, pour une

raison inconnue, continua Lord Estair,l’auto du Premier Ministre abandonna lagrand-route. Les policiers, sansremarquer le changement de direction,continuèrent sur la grand-route. Après uncourt trajet dans le chemin désert, l’autodu Premier Ministre fut soudain arrêtéepar une bande d’hommes masqués. Lechauffeur…

— Ce brave O’Murphy, murmurarêveusement Poirot.

— Le chauffeur, un moment affolé,donna un brusque coup de frein. LePremier Ministre mit la tête à la

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portière. Immédiatement une balle siffla,puis une autre. La première frôla sajoue, la seconde, heureusement, manquason but. Le chauffeur, réalisant alors ledanger, accéléra et partit droit devantlui, éparpillant la bande d’assaillants.

— Nous pouvons dire qu’il l’aéchappé belle, articulai-je enfrissonnant.

— Mr. Mac Adam refusa de prêteraucune attention à la légère blessurequ’il avait reçue. Il déclara que cen’était qu’une égratignure. Il s’arrêtaseulement à un poste de secours pour sefaire panser, mais il ne révéla pas, bienentendu, son identité. Il se rendit alorstout droit à la gare de Charing Cross, où

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un train spécial l’attendait pour leconduire à Douvres, et, après un brefrécit du capitaine Daniels à la policeanxieuse, il partit pour la France. ÀDouvres, il s’embarqua sur le destroyerqui l’attendait. À Boulogne, comme vousle savez, la fameuse auto l’attendait,portant le drapeau anglais et tous lesinsignes officiels.

— Est-ce tout ce que vous avez à medire ?

— Oui.— N’avez-vous omis aucun détail,

milord ?— Eh bien ! Oui, il y a une autre

chose assez curieuse.— Vraiment ?

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— Voilà, l’auto du Premier Ministrene reparut pas après l’avoir déposé àCharing Cross. La police désiraitbeaucoup interroger O’Murphy, aussiouvrit-elle immédiatement une enquête.Elle fut découverte à la porte d’unrestaurant louche de Soho, bien connucomme rendez-vous des agentsallemands.

— Et le chauffeur ?— Le chauffeur est encore à

découvrir. Lui aussi a disparu.— Ainsi, dit Poirot rêveusement, il y

a deux disparitions : le Premier Ministreen France et O’Murphy à Londres.

Il lança un regard scrutateur à LordEstair qui eut un geste d’impuissance.

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— Tout ce que je peux vous dire,monsieur Poirot, c’est que si, hier,quelqu’un m’avait suggéré queO’Murphy était un traître, je lui aurais riau nez.

— Et aujourd’hui ?— Aujourd’hui, je ne sais plus ce

qu’il faut penser.Poirot secoua gravement la tête. Il

consulta de nouveau son énorme montre.— Je pense, messieurs, que vous me

donnez carte blanche – je veux dire surtoute la ligne ? – Il faut que je puissealler où je désire, et par les moyens queje choisis.

— Parfaitement. Un train spécial vapartir pour Douvres dans une heure,

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avec un nouveau contingent de ScotlandYard. Vous serez accompagné par unofficier de la police militaire et un autreagent qui se tiendra à votre entièredisposition. Êtes-vous satisfait ?

— Tout à fait. Encore une question,s’il vous plaît, avant que vous nepartiez, messieurs. Qui est-ce qui vous adonné l’idée de venir me trouver ? Jesuis obscur et inconnu dans votre grandLondres.

— Nous sommes venus vouschercher sur la recommandationpressante et le désir d’un très grandhomme de votre pays.

— Comment, mon vieil ami lepréfet ?

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Lord Estair secoua la tête.— Plus grand que le préfet. Un

homme dont la parole a fait et feraencore loi en Belgique ! À quil’Angleterre est liée par le serment leplus sacré.

Poirot fit de la main un salut théâtral.— Alors, je m’incline, messieurs,

vous pouvez être sûrs que moi, HerculePoirot, je vous servirai fidèlement.Fasse seulement le ciel qu’il soit encoretemps… Mais c’est tout de même bienobscur. Je n’arrive pas à y voir.

— Alors, Poirot, m’écriai-je,impatiemment, comme la porte sefermait derrière les visiteurs, qu’enpensez-vous ?

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Mon ami préparait déjà, de sesgestes rapides et précis, la minusculevalise qui le suivait partout. Il secouaprécipitamment ta tête.

— Je ne sais que penser. Mes idéess’embrouillent.

— Pourquoi, comme vous le disiez,le faire disparaître, quand un bon coupsur la tête aurait eu le même effet ?m’étonnai-je.

— Je m’en tiens à ce que j’ai dit. Ilétait certainement beaucoup plusintéressant pour eux de l’enlever.

— Mais pourquoi ?— Parce que l’incertitude crée la

panique, et c’est une bonne raison. Si lePremier Ministre était mort, ce serait

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une terrible calamité, mais il faudraitfaire face à la situation. Tandis quemaintenant on est paralysé. Le PremierMinistre va-t-il reparaître ou non ? Est-il mort ou vivant ? Tout le mondel’ignore ; et jusqu’à ce qu’on le sache,on ne sait que faire. Et, comme je vousl’expliquais, l’incertitude engendre lapanique, et c’est précisément ce querecherchent les Allemands. Et puis, sises ravisseurs le cachent quelque part ilsauront l’avantage de poser leursconditions aux deux parties. Legouvernement allemand n’estgénéralement pas un payeur généreux.Mais quelle bonne occasion de lui fairecracher de fortes sommes ! Enfin,

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n’attentant pas à sa vie, ils ne courentpas le risque d’être pendus. Oh !Décidément, cet enlèvement est bien leuraffaire !

— Mais alors, pourquoi auraient-ilsd’abord essayé de le tuer ?

Poirot fit un geste d’impatience.— Voilà, c’est justement ce que je ne

comprends pas. C’est inexplicable,absurde. Ils ont pris toutes leursdispositions et d’excellentes pourl’enlèvement, et cependant ils courent lerisque de compromettre toute l’affairepar une attaque mélodramatique digne ducinéma, et aussi invraisemblable. Il estpresque impossible de croire à cettebande d’hommes armés, à moins de

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vingt miles de Londres !— Peut-être s’agit-il de deux

tentatives sans aucun rapport entreelles ? suggérai-je.

— La coïncidence serait trop forte !Et puis, il y a une autre question : qui estle traître ? Il faut qu’il y en ait un, dansla première affaire, dans tous les cas.Mais, est-ce Daniels ou O’Murphy ? Cene peut être que l’un des deux, ou alors,pourquoi la voiture aurait-elleabandonné la route nationale ? Nous nepouvons tout de même pas supposer quele Premier Ministre ait voulu participerà son propre assassinat ? MaisO’Murphy a-t-il pris ce tournant sur sapropre inspiration ou sur le

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commandement de Daniels ?— Sûrement O’Murphy est le traître.— Oui, parce que si c’était Daniels,

le Premier Ministre aurait entendul’ordre et en aurait demandé la raison.Mais il y a beaucoup de « pourquoi »dans cette affaire, et ils se contredisent.Si O’Murphy est un homme honnête,pourquoi a-t-il laissé la grand-route ? Ets’il est coupable, pourquoi a-t-il remisl’auto en marche après la deuxièmeballe, sauvant ainsi, selon touteprobabilité, la vie du Premier Ministre ?Et de plus, s’il est honnête, pourquoi toutde suite après avoir quitté CharingCross, alla-t-il à un rendez-vous bienconnu d’espions allemands ?

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— Tout cela est bien embrouillé,dis-je.

— Examinons le cas avec méthode.Quelles données avons-nous pour oucontre ces deux hommes ? Prenonsd’abord O’Murphy. Contre : sa conduiteau moment où il quitte la grand-route estdouteuse ; il est irlandais et habiteCounty Clarc ; il disparaît d’une manièreassez significative… Pour : sapromptitude à lancer l’auto a sauvé lavie du Premier Ministre ; il est agent duScotland Yard, et, si nous considérons lamission qu’on lui confie, regardé commeun détective sûr. Et maintenant, Daniels.Nous n’avons rien contre lui, excepté lefait que nous ne savons rien de ses

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antécédents, et qu’il parle trop delangues pour un bon Anglais (excusez-moi, mon ami, mais comme linguistes,vous êtes déplorables !). Maintenant, ensa faveur, nous avons le fait qu’il futdécouvert ligoté, bâillonné etchloroformé, ce qui semble prouverqu’il n’eut rien à voir avec cette affaire.

— Il peut s’être attaché lui-mêmepour écarter les soupçons.

Poirot secoua la tête :— La police française n’aurait pas

commis une erreur de cette taille. Deplus, une fois son but atteint, et lePremier Ministre subtilisé et en sûreté,il n’avait aucune raison de rester enarrière. Il est possible, naturellement,

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que ses complices l’aient attaché etchloroformé ; mais je n’arrive pas à voirdans quel but. Il ne peut plus leur êtred’une grande utilité ; jusqu’à ce que lescirconstances de l’enlèvement duPremier Ministre soient tirées au clair, ilsera étroitement surveillé.

— Peut-être espérait-il lancer lapolice sur une fausse piste ?

— Alors, pourquoi ne l’a-t-il pasfait vraiment ? Il dit seulement avoirsenti quelque chose dans son nez et danssa bouche et c’est tout ce dont il sesouvient, je ne vois pas là de faussepiste, et cela a toute l’apparence de lavérité.

— Eh bien ! dis-je en regardant la

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pendule, je crois bien que nous ferionsmieux de partir pour la gare. Voustrouverez peut-être plus d’indices enFrance.

— C’est possible, mon ami, maisj’en doute. Je trouve incroyable que l’onn’ait pu découvrir le Premier Ministredans cette région, étroitement limitée, oùla difficulté de le cacher doit êtreénorme. Si la police et l’armée de deuxpays n’ont pu le retrouver, comment yparviendrais-je ?

À Charing Cross, nous rencontrâmesMr. Dodge qui nous attendait.

— Voici le détective Barnes, deScotland Yard, et le major Norman. Ilsse tiendront à votre disposition. Je vous

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souhaite bonne chance. C’est une affairedifficile ; mais je n’ai pas perdu espoir.Il faut maintenant que je vous quitte.

Et le Ministre s’éloigna rapidement.Nous causâmes librement avec le

major Norman. Au centre d’un petitgroupe, sur le quai, je reconnus unpersonnage de petite taille, à tête defouine, qui parlait avec un homme grandet blond. C’était une vieilleconnaissance de Poirot, l’inspecteurJapp, réputé comme l’un des officiersles plus élégants de Scotland Yard. Ils’avança et salua joyeusement mon ami.

— J’ai entendu dire que vous vousoccupiez aussi de cette affaire. Un beautravail sur la planche. Parfait tant qu’ils

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peuvent filer avec leur butin. Mais je nepeux croire qu’ils arrivent à ledissimuler longtemps. Nos agentssillonnent la France dans tous les sens,et les Français en font autant. Je ne peuxm’empêcher de penser que ce n’est plusqu’une question d’heures.

— Oui, s’il est encore vivant,remarqua sombrement l’autre détective.

Le visage de Japp s’obscurcit.— Sans doute, mais cependant, j’ai

le pressentiment qu’il est en parfaitesanté.

Poirot approuva de la tête.— Oui, oui, il est vivant, mais

pourra-t-on le retrouver à temps ?Comme vous, je ne pensais pas qu’on

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pût le tenir si longtemps caché.Le train siffla et nous montâmes dans

le pullman. Un léger sursaut, unglissement doux et le train sortit de lagare.

Ce fut un curieux voyage. Les agentsde Scotland Yard s’étaient groupés. Ilsdéplièrent des cartes du nord de laFrance et suivirent de leurs doigtsnerveux les lignes des routes et le tracédes villages. Chacun avait sa théoriepersonnelle. Poirot ne parlait pas ; ilrestait assis les yeux fixes ; l’expressionde son visage me fit penser à celle d’unenfant cherchant la solution d’unproblème difficile. Je causais avecNorman, et ses idées me parurent

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originales. En arrivant à Douvres, Poirotse comporta de la façon la plusamusante : le petit homme, en montantdans le bateau, s’accrochadésespérément à mon bras. Un ventfurieux soufflait.

— Mon Dieu, murmura-t-il, c’estterrible.

— Courage, Poirot, m’écriai-je :vous réussirez à le retrouver, j’en suissûr.

— Ah ! Mon ami, vous vousméprenez sur la cause de mon émotion.C’est cette mer agitée qui me fait peur.Le mal de mer, songez donc ! C’est unehorrible souffrance !

— Ah ! dis-je assez déconcerté.

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Aux premières secousses du bateau,Poirot ferma les yeux en gémissant.

— Le major Norman possède unecarte du nord de la France, si vousvoulez l’étudier ?

Poirot secoua impatiemment la tête.— Mais non, mais non, laissez-moi,

mon ami. Voyez-vous, pour réfléchir, ilfaut avoir l’estomac et le cerveau enéquilibre. Laverguier a une méthodemerveilleuse pour prévenir le mal demer : vous inspirez, puis vous expirezdoucement, comme ça, en tournant la têtede gauche à droite et en comptantjusqu’à six entre chaque opération.

Je l’abandonnai à ses exercices degymnastique et je montai sur le pont.

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Comme nous entrions dans le port deBoulogne, nous vîmes apparaître Poirotnet et souriant. Il m’annonça à l’oreilleque le système de Laverguier avaitmerveilleusement réussi.

Japp continuait à tracer du doigt desroutes imaginaires sur la carte.

— Inutile ! L’auto est partie deBoulogne. Là, elle a prisl’embranchement ; maintenant, mon idée,c’est qu’ils ont transporté le PremierMinistre dans une autre voiture, vouscomprenez ?

— Eh bien ! Moi, dit l’autredétective, je vais visiter les ports demer. Je vous parie tout ce que vousvoudrez qu’ils l’ont embarqué sur un

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bateau.— On y a pensé. On a

immédiatement donné l’ordre de fermertous les ports.

Le jour se levait à peine quand noustouchâmes terre. Le major Norman saisitle bras de Poirot.

— Il y a là une auto militaire quivous attend, monsieur.

— Merci beaucoup, monsieur :mais, pour le moment, je n’ai pasl’intention de quitter Boulogne.

— Comment ?— Nous allons entrer dans cet hôtel

sur le quai.Il y alla, demanda une chambre

particulière. Nous le suivîmes tous les

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trois sans rien comprendre. Il nous lançaun coup d’œil rapide.

— Ce n’est pas ainsi qu’agit un bondétective, n’est-ce pas ? Je saisis votrepensée : il doit être plein d’énergie, seprécipiter s’il le faut à droite et àgauche, se coucher à plat ventre sur laroute et chercher dans la poussière lestraces des pneus avec une loupe. Il doitrecueillir le bout de cigarette etl’allumette brûlée ?

Ses yeux nous provoquaient.— Mais moi, Hercule Poirot, je

vous dis que tout cela ne signifie rien.La solution véritable se trouve là-dedans.

Il se toucha le front.

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— Voyez-vous, je n’aurais pas dûquitter Londres. Il me suffisait dedemeurer tranquillement assis dans monbureau. Tout ce qui importe, c’est letravail des petites cellules grises. Ellesle font silencieusement et secrètement,jusqu’à ce que, tout à coup, je demandeune carte et que je pose mon doigt sur unpoint, comme ça, en disant : « LePremier Ministre est là ! » Et il y est.Avec de la méthode et de la logique onpeut tout ! Notre ruée frénétique sur laFrance est une faute ; c’est un jeu decache-cache puéril. Mais, maintenant,quoiqu’il soit peut-être trop tard, je vaistravailler selon la vraie méthode, cellede la réflexion. Silence, mes amis, je

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vous en prie.Et, pendant cinq longues heures, le

petit homme demeura assis, sansmouvement. Ses yeux plissés commeceux d’un chat, devenaient de plus enplus étincelants et plus verts. L’agent deScotland Yard prenait des airssupérieurs et exaspérés. Le majorNorman ne pouvait dissimuler sonimpatience, et je trouvais moi-même letemps désespérément long.

Finalement, las de mon oisiveté, jeme levai et me dirigeai aussisilencieusement que possible vers lafenêtre. L’aventure touchait à la farce.J’étais en moi-même honteux de monami. S’il devait échouer, j’aurais préféré

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que ce fût d’une manière moins ridicule.De la fenêtre, mes yeux se posèrent surle bateau du soir qui attendait le long duquai, lançant vers le ciel des colonnesde fumée. Tout à coup, la voix de Poirot,tout près de moi, me fit tressaillir.

— Mes amis, allons-nous-en.Je me retournai. Mon ami m’apparut

entièrement transformé. Ses yeuxpétillaient d’excitation, sa poitrine sesoulevait presque.

— Je n’ai été qu’un imbécile, mesamis ! Mais j’y vois clair enfin.

Le major Norman se dirigea en hâtevers la porte.

— Je vais commander la voiture.— Ce n’est pas la peine, je ne m’en

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servirai pas. Grâce au ciel le vent esttombé.

— Voulez-vous dire que vous allezmarcher à pied, monsieur ?

— Non, mon jeune ami, je ne suispas saint Pierre. Je préfère traverser lamer en bateau.

— Traverser la mer ?— Oui. Pour travailler avec

méthode, il faut commencer par lecommencement. Et le commencement decette affaire était en Angleterre. Voilàpourquoi nous y retournons.

Donc, à trois heures, nous nous

retrouvions sur le quai de la gare deCharing Cross. Poirot refusait

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d’entendre toutes nos remontrances ; ilne cessait de répéter que ce n’est pointperdre du temps que de commencer parle commencement, seule méthodepossible et logique.

Pendant la traversée, il avait eu unentretien à voix basse avec Norman, etce dernier avait expédié de Douvres unpaquet de télégrammes.

Grâce au laisser-passer obtenu parNorman, nous pûmes aller partout oùnous le désirions en un temps record. ÀLondres, une confortable auto de lapolice nous attendait avec quelquesagents en civil ; l’un d’eux tendit à monami une feuille de papier écrite à lamachine. Celui-ci répondit à mon regard

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interrogateur.— C’est la liste des postes de

secours dans un certain rayon à l’ouestde Londres. Je l’ai demandéetélégraphiquement à Douvres.

Nous traversâmes à vive allure lesrues de Londres, puis Bath Road,Hammersmith, Chiswick et Brent fort. Jecommençais à comprendre où nousallions en venir. Après avoir passéWindsor, nous prîmes la route d’Ascot.Mon cœur se mit à battre. Ascot !L’endroit où vivait l’une des tantes deDaniels. C’est donc lui que nouspoursuivions et non O’Murphy.

Nous nous arrêtâmes à la ported’une jolie villa. Poirot bondit hors de

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l’auto et frappa à la porte. Je vis unfroncement de sourcils obscurcir sonvisage radieux. Il n’était évidemmentpas satisfait. On vint ouvrir, et il futintroduit. Quelques minutes plus tard, ilressortit et remonta dans l’auto enesquissant un hochement de tête. Il étaitalors quatre heures et demi. Que seraitle profit s’il arrivait à trouver lecoupable ? À moins de lui faire avouerl’endroit exact où l’on retenait en Francele Premier Ministre ? Notre voyage versLondres fut souvent interrompu. Il nousarriva plus d’une fois d’abandonner lagrand-route et de nous arrêter auprèsd’une petite chaumière dans laquelle iln’était pas difficile de reconnaître un

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poste de secours. Poirot ne s’arrêtait quequelques minutes, mais son assurancedevenait plus évidente à chaque halte. Ildit quelque chose à l’oreille de Normanet celui-ci répondit :

— Oui, tournez à gauche, vous alleztrouver, il vous attend sur le pont.

Nous prîmes un chemin montant, et,dans la lumière qui baissait, je pusdiscerner une seconde voiture arrêtéesur le bord de la route. Deux hommes encivil étaient là. Poirot descendit leurparler, puis nous repartîmes vers le nordsuivis de près par l’autre auto. Nousnous dirigions évidemment vers l’unedes banlieues au nord de Londres.Finalement, nous nous arrêtâmes devant

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le portail d’une grande maison bâtie unpeu en retrait de la route, au milieud’une cour. Norman et moi, nous fûmeslaissés dans l’auto, Poirot et l’un desdétectives sonnèrent à la porte. Unefemme de chambre à la mise nette vintouvrir. Le détective parla :

— Je suis officier de police, et j’aiordre de fouiller cette maison.

La jeune fille poussa un petit cri, etune femme grande et belle, d’un âgemoyen, apparut derrière elle, dans lehall.

— Fermez la porte, Edith, ce sontpeut-être des voleurs.

Mais Poirot bloqua rapidement laporte avec le pied et lança en même

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temps un coup de sifflet. Les autresdétectives accoururent et seprécipitèrent dans la maison, en fermantla porte derrière eux.

Norman et moi passâmes à peu prèscinq minutes à maudire notre inactionforcée. La porte s’ouvrit enfin et lesagents parurent, escortant troisprisonniers : une femme et deuxhommes. La femme et l’un des hommesfurent conduits dans la secondeautomobile. L’autre fut placé dans notrevoiture par Poirot lui-même.

— Il faut que j’aille avec les autres,mon ami. Mais prenez bien soin de cemonsieur. Vous ne le connaissez pas ? Ehbien ! permettez-moi de vous présenter

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Mr. O’Murphy.O’Murphy ! Je le considérai bouche

bée, tandis que nous démarrions. Il neportait pas de menottes, mais j’étaisconvaincu qu’il n’essaierait pas des’échapper. Il regardait fixement en facede lui, comme saisi de vertige. S’il avaiteu envie de fuir, Norman et moi étions làpour le retenir.

À ma grande surprise, l’auto pritencore une route vers le nord. Nous neretournions donc pas à Londres ? Je necomprenais plus. Bientôt je reconnusque nous étions près de l’aérodrome deHendon. Je saisis immédiatement ledessein de Poirot. Il voulait atteindre laFrance par avion.

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C’était une idée très hardie, maisirréalisable. Un télégramme seraitbeaucoup plus rapide, et la question étaitd’arriver à temps. Il devait laisser àd’autres la gloire de délivrer le PremierMinistre.

Nous étions à peine arrêtés que lemajor Norman sautait de l’auto et qu’unhomme en civil prenait sa place. Iléchangea quelques mots avec Poirot,puis sortit rapidement.

Je sautai moi aussi de l’auto, et jesaisis Poirot par le bras :

— Je vous félicite, mon vieux ! Ilsvous ont dit où ils le cachaient ? Mais,écoutez-moi, télégraphiezimmédiatement en France. Vous

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arriverez trop tard si vous y allez vous-même.

Poirot me considéra avecstupéfaction une minute ou deux.

— Malheureusement, mon ami, il y ades choses qu’on ne peut pas envoyerpar télégramme.

À ce moment, le major Norman

revint accompagné d’un jeune officier enuniforme d’aviateur.

— Voici le capitaine Lyall, qui vavous conduire en France. Il peut partirtout de suite.

— Couvrez-vous chaudement,monsieur, dit le jeune pilote. Je peuxvous prêter un manteau si vous le

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désirez.Poirot consulta son énorme montre.

Il murmura :— Oui, il est temps, mais bien juste.Il releva la tête, s’inclina poliment

devant le jeune officier.— Je vous remercie, monsieur, mais

ce n’est pas moi qui suis votre passager,c’est ce monsieur.

Il s’écarta en parlant, et unesilhouette sortit de l’obscurité. Jereconnus le prisonnier de la secondeauto, quand la lumière tomba sur sonvisage, j’eus un mouvement destupéfaction : c’était le PremierMinistre !

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— Pour l’amour du ciel, racontez-moi tout, m’écriai-je impatiemment,quand Poirot, Norman et moi fûmes dansl’auto qui nous ramenait à Londres.

— Comment diable ont-ils pu sedébrouiller pour le ramener enAngleterre ?

— Ils n’ont pas eu besoin de l’yramener, répondit Poirot sèchement. LePremier Ministre n’a jamais quittél’Angleterre. Il a été enlevé entreWindsor et Londres.

— Quoi ?— Je vais tout vous expliquer. Le

Premier Ministre était dans son autoavec son secrétaire derrière lui.Soudain, on lui appliqua sur le visage un

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tampon imbibé de chloroforme.— Mais qui ?— Le linguiste si fort, le capitaine

Daniels. Aussitôt que le PremierMinistre eut perdu connaissance,Daniels saisit le cornet acoustique etordonna à O’Murphy de tourner àdroite ; le chauffeur obéit sans méfiance.Quelques mètres après l’embranchementde ce chemin désert se trouve uneautomobile luxueuse, apparemment enpanne. Son chauffeur fit signe àO’Murphy d’arrêter. Celui-ci ralentit.L’étranger s’approche. Daniels sepenche à la portière et, probablement àl’aide d’un anesthésique instantané, telque le chlorure d’éthyle, le tour est joué

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une seconde fois. En quelques secondes,les deux hommes inanimés sont traînésjusqu’à l’autre voiture, et deux autresleur sont substitués.

— C’est impossible !— Pas du tout ! N’avez-vous jamais

vu dans les music-hall des imitationsparfaites de gens célèbres ? Il n’y a riende plus simple que de représenter unepersonnalité en vue, et le PremierMinistre anglais est bien plus facile àimiter que le premier Smith venu. Quantau « double » de O’Murphy, personne nedevait faire attention à lui jusqu’audépart du Premier Ministre, et ensuite, ilavait le temps de disparaître. Il va toutdroit de Charing Cross au restaurant, où

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sont réunis ses amis. Il y entre sous lestraits de O’Murphy, et en sort tout à faitdifférent. Et le tour est joué ; O’Murphya disparu, laissant derrière lui une pistesuspecte à souhait.

— Mais l’homme qui personnifiaitle Premier Ministre a été vu par tout lemonde !

— Oui, mais par aucun de sesintimes. Et Daniels le tenait aussiéloigné que possible de la foule. Et, deplus, il avait la tête bandée et l’on auraitpu attribuer au choc qu’il venait de subirdu fait de l’attentat, tout ce qui aurait puparaître anormal dans ses manières. Mr.Mac Adam a la gorge fragile, et ménagetoujours sa voix avant un discours

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important. La duperie était bien facile àmaintenir jusqu’à l’arrivée en France.Là, elle deviendrait difficile et mêmeimpossible, aussi le Premier Ministredisparaît. La police de votre pays sehâte de traverser la Manche, et personnene songe à examiner les détails dupremier attentat. Pour augmenterl’illusion de l’enlèvement en France,Daniels est chloroformé et ligoté d’unemanière convaincante.

— Et l’homme qui jouait le rôle duPremier Ministre ?

— Il abandonne son déguisement.Lui et le faux chauffeur peuvent êtrearrêtés comme suspects, mais personnene songe à soupçonner leur vrai rôle

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dans le drame et l’on ne pourra que lesrelâcher par manque d’évidence.

— Et le Premier Ministre, où est-il ?— Lui et O’Murphy sont amenés

directement chez Mrs. Everard, àHampstead, la soi-disant tante deDaniels. Elle est en réalité Frau BerthaEbenthal, recherchée depuis quelquetemps par la police. C’est un présentprécieux que je viens de faire à lapolice, pour ne pas parler de Daniels !Ah, c’était un plan habile, mais ilcomptait sans l’habileté d’HerculePoirot !

Je pense qu’on peut bien luipardonner ce moment de vanité.

— À quel moment avez-vous

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commencé à soupçonner la vérité ?— Quand je me suis mis à travailler

selon la vraie méthode : la réflexion ! Jen’arrivais pas à faire cadrer cettehistoire d’attentat : je vis soudain queson résultat le plus clair était de fairevenir le Premier Ministre en Franceavec un bandeau sur le visage, alors jecommençai à comprendre. Mais quandla visite de tous les postes de secoursentre Windsor et Londres me révéla quepersonne répondant à cette descriptionn’y avait été soigné ce matin-là, j’acquisla certitude ! Après cela, ce fut un jeud’enfant pour un esprit tel que le mien !

Le matin suivant, Poirot me montra

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un télégramme qu’il venait de recevoir.Il ne portait ni nom de ville, ni signaturemais disait seulement :

« À temps. »Quelques heures plus tard, les

journaux du soir publiaient un compterendu de la conférence des Alliés. Ilsinsistaient sur l’importance de lamagnifique ovation faite à Mr. DavidMac Adam, dont le discours éloquentavait produit une impression profondeque l’on sentait durable.

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LE CRIME DEREGENT’S COURT

Poirot et moi avions, parmi nosamis, le Dr Hawker, un de nos voisins,personnalité très en vue du mondemédical. Ce cher docteur avaitl’habitude de venir bavarder avec Poirotaprès le dîner.

Un soir du début de juin, il arrivavers huit heures et demie et entamaimmédiatement une discussion sur lafréquence des empoisonnements par

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l’arsenic.Il y avait à peine un quart d’heure

qu’il était là lorsque la porte de notresalon s’ouvrit brusquement, et unefemme qui paraissait affolée se précipitaau milieu de la pièce.

— Oh ! Docteur, on vous demande…Je reconnus vite la femme de

chambre de Dr Hawker, Miss Rider. Ledocteur était célibataire et habitait unevieille maison à quelques mètres de lanôtre. Miss Rider, habituellement calmeet réservée, était en ce momentcomplètement bouleversée.

— Mon Dieu, Miss Rider, qu’y a-t-il ?

— Le téléphone… docteur. J’ai

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répondu et une voix disait : « Ausecours ! » Alors, j’ai demandé : « Quiparle ? » On m’a répondu, mais cen’était plus qu’un souffle de voix. Je necompris que Foscatine, quelque chosecomme cela, Regent’s Court.

Le docteur ne put contenir sasurprise :

— Le comte Foscatini a unappartement à Regent’s Court. Il faut quej’y aille tout de suite. Qu’a-t-il bien pului arriver ?

— Un de vos clients ? demandaPoirot.

— Je l’ai soigné il y a quelquetemps pour une légère indisposition.C’est un Italien, mais il parle

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couramment l’anglais. Je suis obligé devous quitter, monsieur Poirot, à moinsque…

Il hésita.— Je devine ce que vous voulez, dit

Poirot en souriant. Je serai ravi de vousaccompagner. Hastings, descendezarrêter un taxi.

Quelques secondes plus tard, nousroulions dans la direction de Regent’sCourt. Il y avait là un bloc de maisonsrécemment construites, et lesappartements étaient pourvus desinstallations les plus perfectionnées.

Il n’y avait personne dans le halllorsque nous entrâmes. Le docteurappela l’ascenseur et questionna le

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groom d’une voix impatiente.— Appartement II. Comte Foscatini.

Il vient d’y avoir un accident, je crois.Le garçon le fixa, étonné.— Première nouvelle ! Mr. Graves,

le valet de chambre du comte Foscatini,est sorti il y a à peu près une demi-heure, et il n’a rien dit.

— Le comte est-il seul chez lui ?— Non, deux messieurs dînent avec

lui.— Comment sont-ils ? demandai-je.— Je ne les ai pas vus moi-même,

monsieur, mais je crois que ce sont desétrangers.

L’ascenseur arrivait au deuxièmeétage, et nous nous trouvâmes juste en

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face du numéro II. Le docteur sonna. Pasde réponse, et on n’entendait aucun bruit.Il resonna plusieurs fois sans obteniraucun résultat.

— Cela devient sérieux, murmura-t-il.

Puis, se tournant vers le groom :— Avez-vous une clef de cette

porte ?— Il y en a une dans le bureau du

portier, en bas.— Allez la chercher, et je crois

aussi que vous feriez bien d’appeler lapolice.

Le groom revint bientôt accompagnédu directeur de l’établissement.

— Pourriez-vous me dire ce qu’il se

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passe, messieurs ?— Certainement, répondit le

docteur. J’ai reçu un coup de téléphonedu comte Foscatini me disant qu’il étaitattaqué et il m’appelait à son secours.

Le directeur ouvrit la porte et nousentrâmes tous dans l’appartement. Noustraversâmes d’abord une antichambre.Sur la droite, une porte était ouverte.

— La salle à manger, nous dit ledirecteur.

Le Dr Hawker entra le premier.Nous le suivions pas à pas. En pénétrantdans la pièce, je ne pus retenir uneexclamation. Au milieu de la table setrouvaient les restes d’un repas, troischaises en avaient été écartées comme si

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les occupants venaient juste de se lever.Dans un coin, à droite de la

cheminée, un homme était assis devantun bureau.

Sa main droite tenait encore letéléphone, mais un coup frappé derrièrela tête l’avaient renversé sur le bureau ;à côté de lui, une statuette de marbretachée de sang à la base.

En une minute, le docteur compritqu’il n’y avait plus rien à tenter.

— La mort a dû être instantanée, dit-il. Je me demande même comment il a putéléphoner. Il ne faut toucher à rien avantl’arrivée de la police, surtout.

Nous commençâmes à examinerchaque pièce de l’appartement mais il

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n’y avait personne. Lorsque nousrevînmes dans la salle à manger, Poirotqui ne nous avait pas suivis était en traind’étudier avec grande attention le centrede la table… Un vase de roses ledécorait. Il y restait un compotier defruits, mais les trois assiettes à dessertétaient propres ; sur trois tasses à café,deux portaient des traces de café noir, etl’autre de café crème. Les trois hommesavaient bu du marc, car le carafon était àmoitié plein. L’un d’eux avait fumé uncigare, les deux autres des cigarettes.

Je remarquai tous ces faits, mais fusobligé de reconnaître qu’ilsn’éclairaient pas la situation. J’étaiscurieux de savoir ce que Poirot pouvait

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bien y chercher pour être si absorbé. Jele lui demandai.

— Mon ami, répliqua-t-il, vous n’ycomprenez rien. Je cherche quelquechose que je ne vois pas.

— Quoi ?— Une faute, une toute petite faute

même, commise par l’assassin.Il alla dans la cuisine, tourna la tête

de tous côtés, mais ne parut pas avoirtrouvé ce qu’il cherchait.

— Monsieur, dit-il au directeur,voulez-vous avoir l’obligeance dem’expliquer comment on sert les repasici ?

— Ceci est le monte-charge, voyez-vous, expliqua-t-il ; il fonctionne depuis

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la cuisine jusqu’au dernier étage de lamaison. Vous commandez par téléphone,et on vous envoie les plats par le monte-charge les uns après les autres. Lavaisselle sale est redescendue par lemême système. Ainsi, vous n’avez aucunsouci, et c’est plus agréable que de dînertous les jours dans un restaurant.

Poirot approuva.— Ainsi, les assiettes et les plats

qui ont servi ici ce soir sont à la cuisinemaintenant ? Puis-je descendre ?

— Oh ! Certainement. Roberts, legarçon va vous y conduire.

Ensemble, nous visitâmes lescuisines et nous questionnâmes l’hommequi avait pris les ordres de

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l’appartement II.— L’ordre fut donné pour trois,

d’après la carte, expliqua-t-il. SoupeJulienne, filet de sole normande,tournedos, soufflé de riz.

— À quelle heure ?— Environ vers huit heures, dit-il.

Je crains que la vaisselle ne soit lavéemaintenant. Vous pensiez trouver desempreintes digitales, je suppose ?

— Pas précisément, dit Poirot, avecun sourire énigmatique. Je seraisbeaucoup plus intéressé par l’appétit ducomte et de ses invités.

— Oui, mais il m’est impossible devous dire exactement quelle quantité ilsont consommée. Toutes les assiettes

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étaient sales et les plats vides, exceptécelui du soufflé au riz. Il en restaitbeaucoup.

— Ah ! Ah ! dit Poirot d’un airsatisfait.

Comme nous remontions àl’appartement. Poirot me murmura àl’oreille :

— Nous avons affaire à un hommeméticuleux.

— Parlez-vous de l’assassin ou ducomte ?

— Le comte était sans aucun douteun homme soigneux. Après avoir appeléau secours, il raccrocha le téléphone.

Je fixai Poirot étonné.— Vous supposez qu’il est mort

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empoisonné ? murmurai-je. Le coup surla tête n’aurait été qu’un simulacre ?

Poirot sourit finalement.L’inspecteur et deux policiers étaient

arrivés, lorsque nous fûmes de retour.Poirot eut besoin de se recommander deson ami l’inspecteur Japp, de ScotlandYard, pour qu’il nous soit permis ànouveau d’entrer dans l’appartement.

Heureusement que nous étions là, carcinq minutes plus tard un hommebouleversé se précipita dans la pièce.

C’était Graves, le valet de chambredu comte Foscatini. Il nous raconta quela veille au matin, deux messieursavaient rendu visite à son maître,c’étaient des Italiens ; le plus vieux des

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deux, un homme d’une quarantained’années, se nommait signor Ascanio, leplus jeune était un élégant jeune hommede vingt-quatre à vingt-cinq ans.

Le comte Foscatini attendait leurvisite et, dès leur arrivée, envoyaGraves faire quelques courses. À cetendroit de son récit, le valet de chambreparut hésiter. Il avoua à la fin, que cettevisite l’ayant intrigué, il n’avait pas obéitout de suite à son maître et était restépour écouter à la porte.

Les trois hommes parlaient très bas,mais il put comprendre cependant qu’ilétait question d’argent et de menaces. Ladiscussion semblait assez aigre-douce.

À la fin, le comte Foscatini éleva la

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voix et Graves entendit ces mots :— Je n’ai pas le temps de discuter

plus longtemps, messieurs. Si vousvoulez venir dîner avec moi demain soir,nous reprendrons cette discussion.

De peur d’être découvert, Gravesn’attendit pas plus longtemps.

Ce soir, les deux hommes arrivèrentà huit heures… Durant le dîner, laconversation ne roula que sur des chosesinsignifiantes. Quand Graves eut apportéle café et la fine, son maître lui dit qu’ilpouvait sortir.

— Est-ce que cela était dans seshabitudes de vous renvoyer quand ilavait des invités ? demanda l’inspecteur.

— Non, monsieur. Cela me fit

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penser qu’il devait avoir à parlerd’affaires sérieuses avec ces messieurs.

Cela termina le récit de Graves. Ilsortit vers huit heures et demie, et, ayantrencontré un ami, il alla avec lui auconcert.

Personne n’avait vu partir les deuxhommes, mais on pouvait fixer l’heuredu meurtre à huit heures quarante-sept.La petite pendule de bureau avait étérenversée par le bras de Foscatini ets’était arrêtée à cette heure quiconcordait parfaitement avec le coup detéléphone reçu par Miss Rider.

Le médecin légiste, après avoirexaminé le corps, le fit porter sur le lit.

— Bien, dit l’inspecteur en rangeant

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son carnet de notes. L’affaire me paraîtclaire, la seule difficulté sera de mettrela main sur le signor Ascanio. Je nepense pas que son adresse soit notée surun carnet ?

Ainsi que Poirot le jugeait, le comteFoscatini était un homme méthodique.Sur le carnet, écrit d’une main ferme, onlisait : « Signor Paolo Ascanio,Grosvenor Hôtel. »

L’inspecteur courut au téléphone,puis se retourna vers nous.

— Nous arrivons juste à temps, cebeau monsieur allait justement partirpour le continent. Bien, messieurs, c’esttout ce que nous pouvons faire ici. C’estune triste affaire qui paraît assez nette.

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En redescendant le Dr Hawkersemblait très surexcité.

— C’est le commencement d’unroman, dit-il, on ne le croirait pas si onle lisait.

Poirot ne disait rien. Il restaitsongeur, ayant à peine parlé durant lasoirée.

— Qu’en pense le maître détective ?demanda le Dr Hawker en lui frappantdans le dos. Vous n’avez plus rien àdécouvrir, sans doute ?

— Qu’en savez-vous ?— Que serait-ce ?— Eh bien ! Par exemple, il y a la

fenêtre.— La fenêtre ? répondit le docteur,

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elle était fermée.— Et par quoi avez-vous pu

remarquer cela ?Le docteur parut troublé.Poirot se hâta d’expliquer :— C’est des rideaux que je veux

parler, ils n’étaient pas tirés. C’est unpeu bizarre… Puis, il y a le café, du cafétrès noir.

— Et alors ?— Très noir, répéta Poirot.

Souvenez-vous qu’il fut mangé très peude soufflé au riz.

— Oui, mais je ne vois pas où vousvoulez en venir, avouai-je.

— Vous ne suspectez pas le valet dechambre ? Il aurait pu faire partie de la

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bande et mettre du poison dans le café.Je suppose qu’on vérifiera son alibi ?

— Sans doute, mon ami, mais c’estl’alibi du signor Ascanio quim’intéresse.

— Vous pensez qu’il a un alibi ?— C’est ce qui me tracasse, mais

nous aurons bientôt deséclaircissements.

Le signor Ascanio fut arrêté etaccusé du meurtre du comte Foscatini.

Après son arrestation, il affirmaqu’il ne connaissait pas le comte, etqu’il n’avait jamais été à Regent’sCourt, pas plus le soir du crime que lematin précédent. Le jeune homme qui,soi-disant, l’accompagnait avait

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complètement disparu. Signor Ascanioétait arrivé seul au Grosvenor, venant ducontinent, deux jours avant le meurtre.Tous les efforts pour retrouver le jeunehomme demeurèrent vains.

Cependant, Ascanio ne fut pas jugé.L’ambassadeur d’Italie, lui-même, vintdéclarer à la police qu’Ascanio setrouvait avec lui à l’ambassade le soirdu drame, de huit heures à neuf heures.Le prisonnier fut donc relâché.Naturellement, beaucoup de personnespensèrent qu’on était en présence d’uncrime politique, et qu’on l’étouffaitvolontairement.

Poirot s’était beaucoup intéressé àcette affaire. Néanmoins, qu’elle ne fut

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pas ma surprise lorsqu’il me dit un matinqu’il attendait quelqu’un à onze heures,et que cette personne n’était autrequ’Ascanio lui-même…

— Il veut vous voir ? demandai-je.— Du tout, Hastings. C’est moi qui

veux lui parler.— À quel sujet ?— Du meurtre de Regent’s Court.— Vous allez lui prouver qu’il est

coupable ?— Un homme ne peut pas être jugé

deux fois, Hastings. Essayez doncd’avoir un peu de bon sens. Ah ! Voilà lecoup de sonnette de notre ami.

Quelques minutes plus tard, signorAscanio entrait ; c’était un homme mince

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et de petite taille. Il nous lança à tousdeux des regards suspects.

— Monsieur Poirot ?Mon ami l’accueillit aimablement.— Asseyez-vous, monsieur. Vous

avez reçu ma lettre, n’est-ce pas ? J’airésolu d’aller jusqu’au bout de cetteaffaire. Commençons : en compagnied’un ami, vous êtes allé voir le comteFoscatini le mardi matin.

L’Italien eut un mouvement decolère.

— Jamais de la vie. Je l’aid’ailleurs juré au tribunal.

— Je le sais, mais j’ai dans l’idéeque vous avez menti.

— Vous me menacez ?

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— Il vaut mieux que vous soyezfranc avec moi. Je ne vous demande pasce qui vous a amené en Angleterre. Jesais déjà que vous êtes venu uniquementpour voir le comte Foscatini.

— Il n’était pas comte, grognal’Italien.

— J’ai déjà remarqué que son nomne figurait pas au Gotha.

— Je vois que vous êtes bienrenseigné, il ne me reste plus qu’à vousparler franchement. Oui, je suis allé chezFoscatini le mardi matin, mais pas lesoir de sa mort. Je n’avais plus besoinde le voir, je vais vous expliquer :Foscatini était un maître chanteur ;certains papiers concernant un homme

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très haut placé en Italie se trouvaient ensa possession. Il demandait une grossesomme d’argent pour les restituer. Jesuis venu en Angleterre pour arrangerl’affaire. J’avais rendez-vous avec luice matin-là. Un jeune secrétaired’ambassade m’accompagnait. Le comtefut beaucoup plus sociable que je nel’avais prévu. Mais la somme que je luiai payée était énorme.

— Pardon, comment l’avez-vouspayée cette somme ?

— En petits billets de banqueitaliens. Je lui ai donné l’argent de lamain à la main, et il m’a rendu lespapiers. Je ne l’ai pas revu depuis.

— Pourquoi n’avez-vous pas dit

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cela lors de votre arrestation ?— J’étais dans une situation si

délicate qu’il m’était impossibled’avouer connaître cet homme.

— Et comment alors, expliquez-vousce qui s’est passé le soir du meurtre ?

— Tout ce que je peux penser, c’estque quelqu’un s’est présenté sous monnom. D’après ce que j’ai compris, onn’a pas trouvé d’argent dansl’appartement.

Poirot le regarda et secoua la tête.— Je vous crois, signor Ascanio,

votre récit concorde presque avec ceque j’avais supposé, mais je voulaism’en assurer. Au revoir, monsieur.

Après avoir reconduit son visiteur.

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Poirot revint s’asseoir en riant.— Eh bien ! Capitaine Hastings,

qu’en pensez-vous ?— Je suppose qu’Ascanio a raison,

quelqu’un s’est présenté sous son nom.— Non, non, vous n’avez pas encore

assez d’esprit. Rappelez-vous lesparoles que j’ai prononcées en quittantl’appartement du mort. J’ai parlé desrideaux qui n’étaient pas tirés. Nousétions au mois de juin. Il fait encore jourà huit heures. Le jour baisse à la demie.Ça vous dit quelque chose ? Et puis lecafé, je l’ai dit, était très noir. Les dentsdu comte Foscatini étaientmerveilleusement blanches. Mais le cafétache les dents. Nous en concluons que

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le comte Foscatini n’avait pas bu decafé. Et cependant, il restait des tracesde café dans les trois tasses. Pourquoidonc quelqu’un aurait-il voulu fairecroire que le comte Foscatini en avaitbu, quand il n’en était rien ?

Je secouai la tête, complètementahuri.

— Allons, je vais vous aider.Qu’est-ce qui me prouve que le signorAscanio et son compagnon sont venus àl’appartement de Foscatini le soir de samort ? Personne ne les a vus entrer,personne ne les a vus sortir. Nousn’avons pour preuve que la présenced’une foule d’objets inanimés…

— Vous voulez dire ?

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— Je veux dire les couteaux, lesfourchettes, les assiettes et les platsvides. Ah ! Mais c’est très malin.Graves est un voleur mais un hommeprévoyant. Il entend assez de laconversation le matin pour comprendrequ’il sera difficile à Ascanio de sedéfendre. Le soir suivant, il dit à sonmaître qu’on le demande au téléphone.Foscatini s’assoit, prend le téléphone et,pendant ce temps, Graves le frappeviolemment à la tête avec la statuette demarbre. Puis, il commande le dîner pourtrois. Quand les plats arrivent, il met lecouvert, salit les assiettes, les couverts,etc. Mais il faut qu’il se débarrasse dela nourriture – il n’a pas seulement de la

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tête, il a un fort appétit. Mais après letournedos, le soufflé de riz est trop grospour lui. Il fume même un cigare et deuxcigarettes. Vous voyez, c’était biencombiné. Après avoir mis les aiguillesde la pendulette sur 8 h 47, il l’arrête etla renverse. Il a simplement oublié detirer les rideaux. Si Foscatini avaitréellement donné un dîner, les rideauxauraient été tirés une fois la nuit venue.Ensuite, il sort, dit au garçon del’ascenseur que son maître a des invités.Il se hâte vers une cabine téléphonique,vers 8 h 47, il appelle le docteur enimitant le cri de mort de son maître. Oncrut tellement en lui qu’on ne pensajamais à demander si l’appel

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téléphonique venait bien del’appartement II à cette heure-là !

Il fut prouvé, naturellement, commetoujours, que Poirot avait raison !

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L’ÉNIGME DUTESTAMENT DE Mr

MARSH

Le problème que nous soumit missViolet Marsh nous changea agréablementde notre travail habituel. Le détectivePoirot, ayant reçu de cette personne unebrève missive demandant un rendez-vous, répondit qu’il l’attendrait lelendemain matin à onze heures.

Elle fut ponctuelle : une belle grandejeune femme vêtue simplement mais

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avec goût, l’air franc et déterminé.Quelqu’un qui, visiblement, avaitl’intention de réussir dans la vie.Personnellement je ne suis pas grandadmirateur de ce qu’on appelle la« Nouvelle Femme », et malgré uneapparence plaidant en sa faveur, jen’étais pas particulièrement enclin àtrouver sympathique miss Marsh.

— Mon affaire est d’une natureassez spéciale, monsieur Poirot,commença-t-elle. Pour que vouscompreniez, je dois entreprendre un longretour en arrière.

— Je vous écoute, miss.— Je suis orpheline. Mon père et

son frère étaient les fils d’un petit

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propriétaire fermier du Devonshire. Laferme ne prospérant pas, mon oncleAndrew émigra pour l’Australie où, à lasuite de spéculations heureuses sur desterrains, il devint très riche. Mon père,par contre, ne se sentait pas attiré par lavie campagnarde, il réussit à s’instruireun peu et entra dans une petite étude enqualité de clerc. Il épousa la fille d’unartiste pauvre, mais d’un milieu socialun peu au-dessus du sien. Mon pèremourut lorsque j’avais six ans et mamère le suivit dans la tombe huit ansplus tard. Il ne me restait que mon oncleAndrew, revenu alors d’Australie, et quiavait acheté une propriété, CrabtreeManor, dans son comté natal. Il fut très

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bon pour moi, me prit avec lui, metraitant comme sa propre fille.

Crabtree Manor, malgré son nom,n’est en fait qu’une vieille maison defermier. Mon oncle avait le goût de lacampagne dans le sang et s’intéressa àdiverses expériences d’exploitationsagricoles modernes. Il avaitmalheureusement des idées préconçuessur tout ce qui touche à l’éducation desfemmes. Lui-même d’une instruction trèsrudimentaire, compensée par unremarquable bon sens, accordait peu devaleur à ce qu’il appelait « lesconnaissances livresques ». À son avis,les jeunes filles devaient se contenterd’apprendre à devenir des maîtresses de

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maison accomplies et perdre le moins detemps possible avec les livres. Il meproposa de m’élever suivant ceprincipe, à mon grand désespoir. Jerefusai d’emblée, car je me sentaisattirée par l’étude et ne possédais aucundon pour les travaux ménagers. Nousnous disputâmes souvent sur ce sujet,car, bien que très attachés l’un à l’autre,nous étions tous deux des entêtés. J’eusla chance d’obtenir une bourse d’étudesqui me permit de m’engager dans lechemin que j’avais choisi. Le momentdécisif arriva lorsque je décidai de

m’inscrire à Girton[2]

. Je possédais unpeu d’argent laissé par ma mère etj’étais résolue à profiter des dons que

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Dieu m’avait donnés. J’eus une longue etdernière discussion avec mon oncle quise montra très franc avec moi. J’étais saseule parente et il avait l’intention de mefaire son héritière. Comme je vous l’aidit, il était très riche. Si néanmoins jepersistais dans mes « résolutions d’unmodernisme outré », il était inutile quej’attende quoi que ce soit de lui. Je luirépondis poliment, mais avec fermeté,que je devais décider seule de mapropre vie, ce qui ne m’empêchera pasde lui rester profondément attachée.Nous nous séparâmes après qu’il eutajouté : « Contentez-vous de votre petitecervelle, ma fille. Je ne suis pas unintellectuel, mais je mesurerai mon

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savoir au vôtre quand vous le voudrez.Nous verrons bien alors qui avaitraison. »

« C’était il y a neuf ans. Je passaisparfois mes fins de semaine avec lui etnos rapports restaient parfaitementamicaux, bien que ses vues ne semodifiassent pas. Il ne fit jamaisallusion à mes succès : mon entrée àl’université et mes réussites auxdifférents examens. Au cours des troisdernières années, la santé de mon oncles’altéra. Il est mort le mois dernier.

« J’en viens à présent au but de mavisite. Mon oncle a laissé un testamentdes plus extraordinaires d’après lequelCrabtree Manor et son contenu sont à ma

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disposition durant la première année quisuivra sa mort « année pendant laquellemon intelligente nièce pourra prouverl’ingéniosité de son esprit » écrit-il. Auterme de cette période, « monintelligence s’étant montrée supérieure àla sienne », tous les biens iront àdifférentes institutions charitables.

— C’est là une décision bien sévère,miss, du fait que vous êtes la seuleparente de Mr. Marsh.

— Je ne vois pas la chose sous cetangle. Oncle Andrew m’avait prévenueet j’ai choisi d’agir à ma tête. Ayantrefusé de me plier à ses désirs, il avaitparfaitement le droit de disposer de safortune à sa guise.

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— Le testament a-t-il été rédigédevant notaire ?

— Non, il a été rédigé à la main, parmon oncle et le couple ayant la chargede la maison a signé en qualité detémoin.

— Il est peut-être possibled’attaquer ce testament ?

— Je ne voudrais pour rien aumonde entreprendre une telle action.

— Vous le considérez comme un défisportif de la part de votre oncle ?

— Exactement.— Les termes employés permettent

certainement cette explication, réponditpensivement Poirot. Je pense que,quelque part, dans ce vieux manoir,

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plein de coins et de recoins, votre onclea dissimulé une somme d’argent ou peut-être un second testament et vous a donnéun an pour exercer votre perspicacité etle découvrir.

— C’est ce que je crois, monsieurPoirot, et je vous paierai ce que vousvoudrez, convaincue que votre astucesera beaucoup plus grande que lamienne, pour mener à bien cetterecherche.

— Eh, eh ! Voilà qui est vraimentcharmant de votre part. Mes cellulesgrises sont à votre disposition, miss.Vous n’avez pas encore entrepris derecherches vous-même ?

— Superficiellement, rien de plus,

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mais je respecte trop l’intelligenceincontestable de mon oncle pour penserque la tâche sera aisée.

— Avez-vous le texte du testamentsur vous ?

Miss Marsh lui tendit un documentqu’il parcourut des yeux en hochant latête.

— Rédigé il y a trois ans, portant ladate du 25 mars et même l’heure – 11 heures – détail très intéressant quidoit restreindre notre terrain derecherches. Sans aucun doute, il nousfaut trouver un autre testament. Écrit,même une demi-heure après celui-ci, ilsera le seul valable. Eh bien, miss, c’estun problème attrayant et ingénieux que

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vous me proposez là. J’aurais plaisir àle résoudre pour vous. En admettantmême que votre oncle ait été unadversaire intéressant, ses cellulesgrises ne pouvaient être de la qualité decelles d’Hercule Poirot !

(Vraiment, la vanité de Poirotdevient insupportable.)

— Par bonheur, je n’ai rien à fairepour le moment. Hastings et moi irons àCrabtree Manor ce soir même. L’hommeet la femme qui s’occupaient de votreoncle y sont encore, je présume ?

— Oui, leur nom est Baker.Le lendemain matin, nous

commençâmes la chasse proprementdite. Nous étions arrivés au manoir tard

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dans la soirée et avions été accueillispar les Baker, avertis par télégramme denotre arrivée. Un couple charmant.L’homme sec et noueux, les joues roseset ratatinées ; la femme massive et calmecomme le sont les natifs du Devonshire.

Fatigués par notre voyage et les huitmiles et demi en voiture depuis la gare,nous étions allés nous coucherimmédiatement, après avoir soupé d’unpoulet rôti et d’une tarte aux pommesaccompagnée de crème du Devonshire.Nous venions de terminer un excellentpetit déjeuner, installés dans une piècelambrissée qui avait servi de cabinet detravail et de salon à Mr. Marsh. Unbureau américain chargé de dossiers,

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tous soigneusement étiquetés, était placécontre un mur et un lourd fauteuil de cuirmontrait clairement qu’il avait été lerefuge préféré où son propriétaire sereposait. Un divan massif, recouvertd’une housse à fleurs, occupait le muropposé, et les sièges profonds, placésdevant la fenêtre, portaient les mêmeshousses aux couleurs délavées.

— Eh bien, mon ami, remarquaPoirot en allumant une de ses minusculescigarettes, nous devons nous tracer unplan de campagne. J’ai déjà eu un vagueaperçu de la maison, mais j’ail’impression que la piste susceptible denous intéresser, se trouve dans cettepièce. Il nous faudra parcourir les

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documents du bureau avec un soinméticuleux. Naturellement, je nem’attends pas à trouver le testamentparmi eux, mais il est possible quequelque papier, apparemment innocent,contienne un indice sur la cachette. Toutd’abord, nous avons besoin d’un petitrenseignement. Tirez le cordon deservice, je vous prie.

J’obéis. Alors que nous attendions,Poirot marchait de long en large, jetantautour de lui des coups d’œilinquisiteurs.

— Un homme méthodique, ce Mr.Marsh. Admirez comme les piles depapiers sont rangées avec soin et la clefde chaque tiroir a son étiquette d’ivoire

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ainsi que celle de la vitrine murale. Etvoyez avec quelle minutie la porcelaineest disposée à l’intérieur de cettevitrine. Cela réjouit le cœur. Rien icin’offense le regard…

Il s’arrêta brusquement devant laclef du secrétaire à laquelle une vieilleenveloppe était fixée. Poirot fronça lessourcils et retira la clef de la serrure.Sur le papier, les mots « clef dusecrétaire américain » étaient griffonnésd’une manière presque illisible etcontrastant avec les nettes inscriptionsque portaient les autres clefs.

— Une note discordante, soulignaPoirot. Je pourrais jurer que nous nesommes plus en présence d’une

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initiative de Mr. Marsh. Mais quid’autre s’est trouvé dans la maison ?Seulement miss Marsh… Et elle aussi, sije ne me trompe, est une personned’ordre et de méthode.

Barker arriva à l’appel.— Voulez-vous aller chercher Mrs.

Barker et répondre à quelquesquestions ?

L’homme disparut et revint unmoment plus tard accompagné de sonépouse qui, le visage intrigué, s’essuyaitles mains à son tablier.

En quelques mots brefs, Poirotexpliqua l’objet de sa mission. LesBarker furent immédiatement d’accord.

— On ne veut pas que miss Violet

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perde ce qui est à elle, déclara lafemme. Ce serait injuste de voir le toutaller à des hôpitaux.

Poirot commença son interrogatoire.Oui, Mr. et Mrs. Barker se souvenaienttrès bien d’avoir signé le testament.Auparavant Barker avait été dépêché auvillage pour s’y procurer deux formulestestamentaires.

— Deux ? coupa vivement Poirot.— Oui, sir, par précaution

j’imagine, au cas où il aurait raturé surla première… Et en fait c’est ce qui estarrivé. On en avait signé une…

— À quelle heure de la journée ?L’homme se gratta le crâne, mais sa

femme fut plus prompte.

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— Je me souviens très bien. Jevenais juste de mettre le lait sur le feupour le chocolat, à onze heures. Vous nevous souvenez pas, Jim ? Il avaitdébordé sur le poêle quand on estrevenu à la cuisine !

— Et après ?— Ce devait être environ une heure

plus tard. Le maître nous a rappelés.« J’ai commis une erreur, qu’il a dit. J’aidû déchirer le papier. Je vais vousdemander de bien vouloir signer ànouveau. » Et on a signé. Après ça, lemaître nous a donné une bonne sommed’argent à chacun… « Je ne vous laisserien dans mon testament, dit-il, maischaque année, vous en recevrez autant

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pour vous permettre de vivre de vosrentes quand je serai mort. » Et pour sûr,il a tenu sa promesse.

Poirot réfléchit un moment.— Après que vous eûtes signé une

seconde fois, que fit Mr. Marsh ? Vousen souvenez-vous ?

— Il est allé au village payer la notedes fournisseurs.

Cela ne semblait pas très prometteur.Poirot essaya une autre voie. Il montra laclef du secrétaire :

— Est-ce là l’écriture de votremaître ?

Je me trompai peut-être, mais j’eusl’impression que Barker hésita unmoment avant de répondre.

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— Oui, sir.« Il ment, pensai-je, mais

pourquoi ? »— Votre maître a-t-il loué la

maison ? Des étrangers sont-ils venus iciau cours de ces trois dernières années ?

— Non, sir.— Pas de visiteurs ?— Seulement miss Violet.— Personne en dehors d’elle ne

s’est trouvé dans cette pièce ?— Non, sir.— Vous oubliez les ouvriers, Jim,

lui rappela sa femme.— Les ouvriers ? lança Poirot.

Quels ouvriers ?La domestique expliqua qu’environ

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deux ans et demi plus tôt, des ouvriersétaient venus pour entreprendre desréparations. Elle ne savait pasexactement de quoi il s’agissait, mais, àson avis, ce n’était rien d’autre qu’uncaprice de son maître et tout à faitinutile. La moitié du temps les ouvrierstravaillaient dans le bureau, mais cequ’ils y avaient fait, elle ne pouvait pasle dire car le maître ne les faisait jamaisentrer dans la pièce tant que ces hommesy étaient. Malheureusement, ni elle, nison mari ne se souvenaient du nom del’entreprise employée, à part qu’ellevenait de Plymouth.

— Nous progressons, Hastings,déclara Poirot en se frottant les mains,

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alors que les Barker se retiraient. Sansaucun doute, Marsh a rédigé un secondtestament et a appelé les ouvriers dePlymouth pour lui construire unecachette appropriée. Au lieu de perdrenotre temps à enlever les lattes duparquet ou frapper les murs, nous allonsnous rendre à Plymouth.

Après plusieurs essais infructueux,nous réussîmes à retrouver l’entrepriseen question. La firme employait lesmêmes ouvriers depuis des années et ilfut facile d’interroger les deux quiavaient travaillé sous les ordres de Mr.Marsh. Ils se souvenaient du travail.Parmi diverses tâches sans importance,ils avaient retiré une brique de la vieille

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cheminée du bureau, creusé une cavitéderrière la place occupée par la briquequ’ils avaient arrangée ensuite, de tellesorte qu’il était impossible de ladifférencier des autres. En pressant cettebrique, l’avant-dernière, on découvraitla cavité. Un travail très délicat, pourlequel le vieux gentleman s’était montrétrès exigeant.

Nous retournâmes à Crabtree à touteallure et fermâmes derrière nous la portedu bureau afin d’expérimenter en toutequiétude. Aucune marque spécialen’était visible sur la façade de lacheminée et cependant lorsque nousappuyâmes sur la brique indiquée, unesombre cavité apparut immédiatement.

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Poirot y plongea la main mais son visageexprima brusquement une profondedéception… Il ne trouva rien d’autrequ’un fragment de papier carbonisé !

— Sacré ! lança-t-il furieux.Quelqu’un est venu avant nous !

Nous examinâmes le papier noirci,sans aucun doute l’ultime vestige de cequi nous intéressait. Seule, une partie dela signature de Barker était encorevisible.

Poirot s’accroupit sur ses talons. Sinous n’avions pas été si dépités l’un etl’autre, j’aurais trouvé son expressioncomique.

— Je ne comprends pas, grogna-t-il,qui a détruit ce testament ? Et pour quel

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motif ?— Les Barker ? suggérai-je.— Pourquoi ? Aucun des deux

testaments n’est en leur faveur, et ils ontplus de chance de garder leur place avecmiss Violet qu’avec l’hôpital quidisposerait de la propriété. Comment ladestruction de ce testament pourrait-elleprofiter à quelqu’un ? Les hôpitaux entireront avantage, sans aucun doute…Mais on ne peut soupçonner desinstitutions d’utilité publique.

— Peut-être le vieil hommechangea-t-il d’idée et le détruisit-il lui-même ?

Poirot se releva en brossant lapoussière de ses genoux avec sa minutie

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habituelle.— C’est possible, admit-il. Voici

une de vos observations les plussensées, Hastings. Eh bien ! Rien nenous retient plus ici. Nous avons fait toutce qui est humainement possible defaire. Nous avons réussi à surpasserl’ingéniosité de Mr. Marsh, mais,malheureusement, sa nièce ne s’entrouve pas mieux pour cela.

En retournant sans délai à la gare,nous eûmes juste le temps d’attraper untrain omnibus pour Londres. Poirot étaitd’une humeur maussade. Quant à moi,fatigué, je m’assoupis dans un coin ducompartiment. Soudain, au moment où letrain quittait la gare de Taunton, Poirot

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poussa un cri perçant…— Vite, Hastings ! Réveillez-vous et

sautez ! Sautez donc, je vous dis !Avant de réaliser ce qui se passait,

nous étions sur le quai, nu-tête et sansnos valises, tandis que le trains’éloignait dans la nuit. J’étais furieux,mais Poirot n’y prêta aucune attention.

— Quel imbécile j’ai été !s’exclamait-il. Triple imbécile ! Jamaisplus je ne vanterai mes petites cellulesgrises !

— Ce sera au moins une bonnechose, grognai-je de mauvaise humeur.De quoi s’agit-il ?

Comme toujours lorsqu’il suivait sespropres pensées, Poirot ne m’écoutait

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pas.— Des comptes de fournisseurs…

Je les ai complètement négligés. Oui,mais où ? Où ? Aucune importance, jene puis me tromper et nous devonsretourner de suite.

Plus facile à dire qu’à faire. Nouseûmes cependant la chance de trouver untrain qui nous amena à Exeter où Poirotloua une voiture. Nous arrivâmes àCrabtree Manor avant le point du jour.Je passe sous silence la confusion desBarker lorsque nous eûmes finalementréussi à les obliger à se lever. Neprêtant aucune attention à personne.Poirot se rendit directement dans lebureau.

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— Je n’ai pas été trois fois, maistrente-six fois un imbécile, mon ami,daigna-t-il remarquer. À présent, voyez !

Allant droit au secrétaire, il en retirala clef, et détacha l’enveloppe qui ypendait. Je suivis ses gestes d’un œilstupide. Comment pouvait-il bienespérer trouver une longue formuletestamentaire dans cette minusculeenveloppe ?

Avec d’infinies précautions, Poirotl’ouvrit et la déploya. Puis il alluma lefeu et tendit l’intérieur du papier vers laflamme. Au bout de quelques instantsdes caractères commencèrent àapparaître.

— Regardez, mon ami ! s’exclama

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Poirot triomphant.Je regardais. Quelques lignes d’une

écriture à peine visible précisaientbrièvement qu’Andrew Marsh léguaittous ses biens à sa nièce Violet Marsh. Ily avait la date : 25 mars, et l’heure :12 h 30. Légalisés par Albert Pike,confiseur et Jessie Pike, sa femme.

— Croyez-vous que c’est valable ?soufflai-je.

— Autant que je sache, aucune loi nes’oppose à ce qu’on écrive sontestament en se servant d’encresympathique. L’intention du testateur estclaire et le bénéficiaire est sa seuleparente vivante. Mais quelle ingéniositéde sa part !… Il se procura deux

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formules de testament, demanda auxdomestiques de signer à deux reprises,puis se rendit au village avec sontestament écrit à l’intérieur d’une vieilleenveloppe et un stylo contenant son petitmélange d’encre. Sous un prétextequelconque, il poussa les confiseurs àapposer leur signature sous la sienne,attacha l’enveloppe à la clef dusecrétaire et rit dans sa barbe. Si sanièce mettait à jour sa petite ruse, elleaura eu raison de se consacrer auxétudes, et méritera de profiter de sonargent.

— Mais elle n’a pas deviné, envérité, remarquai-je lentement. Ce n’estpas très juste, car c’est bien le vieil

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homme qui a gagné !— Mais non, Hastings. Vous faites

fausse route. Miss Marsh prouva lafinesse de son esprit et ce quel’éducation approfondie donne auxfemmes, en remettant tout de suitel’affaire entre mes mains. Référez-voustoujours à l’expert. Elle a largementprouvé son droit à l’argent !

Je me demande… Je me demandevraiment ce que le vieux Andrew Marshen aurait pensé !

FIN

[1] Hachis de viande et de rognons en

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croûte.[2] Collège de Cambridge.