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Laurence Vianès-Abou Samra Les Errances d'Ulysse par Matthieu d'Éphèse, alias Manuel Gabalas (XIVe siècle) In: Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque. Numéro 7, 2003. pp. 461-480. Citer ce document / Cite this document : Vianès-Abou Samra Laurence. Les Errances d'Ulysse par Matthieu d'Éphèse, alias Manuel Gabalas (XIVe siècle). In: Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque. Numéro 7, 2003. pp. 461-480. doi : 10.3406/gaia.2003.1438 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/gaia_1287-3349_2003_num_7_1_1438

Les Errances d'Ulysse par Matthieu d'Éphèse, alias Manuel Gabalas (XIVe siècle)

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Laurence Vianès-Abou Samra

Les Errances d'Ulysse par Matthieu d'Éphèse, alias ManuelGabalas (XIVe siècle)In: Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque. Numéro 7, 2003. pp. 461-480.

Citer ce document / Cite this document :

Vianès-Abou Samra Laurence. Les Errances d'Ulysse par Matthieu d'Éphèse, alias Manuel Gabalas (XIVe siècle). In: Gaia :revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque. Numéro 7, 2003. pp. 461-480.

doi : 10.3406/gaia.2003.1438

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/gaia_1287-3349_2003_num_7_1_1438

RésuméUn manuscrit autographe de Matthieu, métropolite d'Éphèse, livre une adaptation en prose des voyagesd'Ulysse dans l'Odyssée. La section correspondant à la Nekuya est publiée pour la première fois dansl'annexe. Le corps de l'article étudie la langue et les procédés de traduction de Matthieu, le textehomérique qu'il lit, la façon dont il réorganise le récit pour mettre en valeur l'énergie d'Ulysse et le rôledu libre arbitre. A cette occasion il prête au héros certains traits empruntés à la littérature chrétiennemonastique et ascétique. Dans son traitement des éléments païens, il omet souvent les références auxdieux de moindre importance, mais rend le nom de Zeus par « la divinité » : le récit reçoit une colorationmonothéiste, sans que l'on tente d'harmoniser à toute force la théologie homérique avec la chrétienne.Le texte ne paraît pas viser un but scolaire ni philosophique : il s'adresserait plutôt au Byzantin adultesoucieux d'acquérir rapidement un vernis de culture homérique.

AbstractThe subject is a prose version of Ulysses' travels in the Odyssey by Matthew of Ephesos (14th century).A first edition of the portion of the text corresponding to the Nekuya is given in the appendix. The articleitself très to characterize Matthew's language and technique of translation, the type of Homeric text hewas reading, the way he reorganizes the narrative in order to stress Ulysses' active response todangers and the importance of human free will. In so doing he incidentally describes the hero in termsreminding of Christian monastic literature. In his treatment of pagan references, while frequently omittingthe mention of lower-ranking gods, he rarely does so for Zeus, but rather interprets him as «thedivinity», thus making the Odyssey compatible with monotheism without trying to forcefully harmonizethe Homeric and Christian theologies. The text appears to serve neither a scholarly purpose nor aphilosophical one but to simply aim at giving a Byzantine adult reader with pretensions to culture, aquick knowledge of «die essential Homer».

Les Errances d'Ulysse

par Matthieu d'Éphèse,

alias Manuel Gabalas (xive siècle)

Laurence VlANÈS-ABOU Samra Université Stendhal-Grenoble 3

Cet article est consacré à un petit texte byzantin intitulé «Les errances d'Ulysse» (al πλάναι του 'Οδυσσέως). Son auteur est Manuel Gabalas 1, dont la carrière couvre la première moitié du XIVe siècle : il était né en 1271 ou 1272. Veuf, Manuel Gabalas devint moine, puis évêque métropolite d'Éphèse en 1329 et prit à cette occasion le prénom de Matthieu, sous lequel il est plus connu, notamment pour sa correspondance. On ne sait de quelle période de sa vie date son œuvre sur Homère. Il est l'auteur également de prologues à des livres bibliques.

1. Oxford Dictionnary of Byzantium, p. 811 (A.M. Talbot); PLP t. 2, 1977, n° 3309; Treu M., Matthaios Metropolit von Epbesos, ueber sein Leben und seine Schrifien, in Pro- gramm des Viktoria-Gymnasiums zu Potsdam, Ostern 1901 ; Κουρουσης Στ. Ι., Μανουήλ Γαβαλας, είτα Ματθαίο*? μητροπολίτης Εφέσου τ.1· τα βιογραφικά, Athènes, 1972; Darrouzès J., Regestes I/V, passim; Σιδεράς· Α., 25 ανέκδοτοι βυζαντινοί επιτάφιοι = Sidéras Α., 25 unedierte byzantinische Grabreden, «Κλασικά Γράμματα 5, Παρατηρητής·, Θεσσαλονίκη, 1991, ρ. 269-278; Previale L., «Due monodie inédite di Matteo di Efeso», BZ 41, 1941, p. 4-39; Pignani A. éd., Matteo di Efeso, Uekpbrans per L· f esta di Pasqua, Napoli, 1981 ; Angelou A. «Matthaios Gabalas and his Kephalaia», in Maistor: Classical, Byzantine and Renaissance Studies for Robert Browning, A. Moffatt éd., Canberra, 1984, p. 259-267 ; Κουρουση ΣΤ. L, Παρατηρήσεις επί τινών επιστολών του πρωτονοτάριου Φιλαδέλφειας Μανουήλ Γαβαλα, ' Επετηρις της ' Εταιρείας Βυζαντινών Σπουδών 39-40, 1972-73, ρ. 114-127; Schreiner P., «Zur Geschichte Philadelpheias im 14. Jah- rhundert (1293-1390)» Orientalia Christiana Periodica 35, 1969, p. 375-431 : p. 396 sq.; Guilland R., Correspondance de Nicéphore Grégoras, Paris, 1927, p. 115 ; Beyer H.-V. éd., Nikephoros Gregoras, Antirrhetika I, «Wiener byzantinistische Studien» ΧΠ, Wien, 1976, p. 31-35 et 72.

Gâta 7, 2003, p. 461-480. 461

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Les «Errances d'Ulysse» se trouvent dans un unique manuscrit viennois 2, autographe, qui comprend aussi des opuscules d'exégèse biblique. Elles sont précédées d'un prologue 3 qui fait l'éloge d'Homère et en particulier de Y Odyssée, et suivies d'un «Abrégé des errances d'Ulysse» à caractère moralisateur, destiné à la jeunesse4. Ces deux morceaux ont été publiés au XDC siècle ; des Errances elles-mêmes, deux chapitres ont été édités jusqu'ici5. On en trouvera de nouveaux morceaux en annexe de cette communication.

Le quatorzième siècle est une période paradoxale dans l'histoire de Byzance. Au plan politique, l'Empire abattu par la Quatrième Croisade ne réussit qu'un rétablissement extrêmement fragile. En revanche, il connaît une renaissance intellectuelle brillante : il voit paraître Y Anthologie de Maxime Planude, les éditions des tragiques par Démétrius Tricli- nius, l'œuvre de Théodore Métochite. Au niveau du grand public, caractéristiques de cette époque sont les récritures en prose ordinaire de grandes œuvres du passé byzantin que leur style littéraire sophistiqué rendait peu accessibles6. Ce mouvement s'étend à des œuvres classiques. Manuel Moschopoulos, contemporain de Matthieu d'Éphèse, donne des paraphrases des Travaux et des Jours d'Hésiode et des deux premiers livres de Y Iliade, moins le catalogue des vaisseaux; il produit en outre des éditions abrégées de Pindare et de Théocrite 7. C'est sans doute de son

2. Vienne, Ôsterreichische Nationalbibliothek, Theol. gr. 174, f. 88-1 16v. Cf. Hunger H., Kresten O. & Hannick C, Katahg der griechischen Handschriften der b'sterreichischen Nationalbibliothek, 111 : Codices theologici 101-200, Wien, 1984.

3. Folios 86-88. Publié partiellement sous le nom de Nicéphore Grégoras par Matranga P., Anecdota graeca Ι-Π, Romae, 1850, p. 520-524. Complété par Treu, op. cit., P· 41.

4. Publié sous le nom de Nicéphore Grégoras par Westermann Α., Mutbografoi: Scrip- tores pœticae historiae Graeci, Braunschweig 1843, p. 329-344 et Praef. p. xvii. Corrections proposées par Hercher, «Zu Nikephoros Grégoras' de erroribus Ulixis», Pbïlologvs 8, 1853, p. 755-758.

5. Chap, iii (les Lotophages), in Reinsch D., Die Briefe des Matthaios von Ephesos im Codex Vindobonensis Theol. gr. 174, Berlin, 1974, p. 15-16, avec une brève étude des trois textes homériques de Matthieu, p. 11-16. Chap, vu (Circé), in R. Browning, «A Fourteenth-Century Prose Version of the Odyssey», in Homo Byzantinus, Papers in Honor of Alexander Kazhdan, ed. Cutler A. & Franklin S., «Dumbarton Oaks Papers» 46, 1992, p. 29-36: texte p. 31-35.

6. Browning, art. cit. p. 29. 7. Voir Ν. Wilson, Schohrs of Byzantium, Londres, 1983, p. 244-247. La paraphrase

du premier livre de Ylliade a été éditée par Simonetta Grandolini, «La parafrasi al primo libro dell'Hiade di Manuel Moschopulosi, in Studi in Onore di Aristide Colonna, Pérouse, 1982, p. 131-149. Une autre paraphrase de Ylliade faite au IXe siècle par l'higoumène Sophronios, plus tard patriarche d'Alexandrie, doit être éditée par P. Nikolopoulos : P. Géhin - S. Froyshov, «Nouvelles découvertes sinaïtiques. A propos de la parution de l'inventaire des mss. grecs», Revue des Etudes byzantines 58, 2000, p. 170, etM.J. Apthorp, «New Light from Mount Sinai on the Text of the Iliad», Zeitschrift fur Papyrologie und Epigraphik 127, 1999, p. 141-148.

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œuvre que se rapproche le plus celle de Matthieu, que je vais maintenant décrire dans plus de détail.

Les Errances d'Ulysse comportent quinze chapitres de longueur très inégale, numérotés dans la marge. Ils correspondent aux quinze «errances» que l'auteur identifie dans les aventures d'Ulysse, en commençant par le séjour chez les Cicones et en terminant par celui chez les Phéaciens8. Les chapitres les plus longs sont divisés en sections marquées par une croix en tête de l'alinéa.

Le texte tient le milieu entre une traduction de Y Odyssée en prose byzantine classique et une paraphrase résumée. Chaque chapitre ou section de chapitre commence par une phrase d'introduction qui met en perspective l'épisode dont il s'agit, en rappelant souvent d'un mot l'épisode précédent et en insistant sur la dureté croissante des épreuves subies. De même, en conclusion des sections Matthieu s'essaie à donner au récit une touche de suspense : il éclaire l'état psychologique d'Ulysse et de ses compagnons en soulignant non seulement leur douleur actuelle, comme le fait souvent aussi le texte épique, mais aussi leur appréhension de l'avenir9.

Hormis ces passages qui font office de chevilles, il y n'a que peu de commentaires ajoutés du cru de Matthieu : la plupart du temps son récit suit au plus près celui d'Homère. Il s'agit alors d'une traduction selon les règles de la prose : les termes archaïques sont remplacés par de plus clas-

8. Voici une liste des chapitres : P. 88, lre errance: les Cicones. Ρ 88-88ν: 2e errance : la tempête. Ρ 88v-89 : 3 e errance : les Lotophages. Ρ 89-P 94v, 4e errance : le Cyclope. Ρ 94ν-95ν: 5e errance; l'île d'Éole. Ρ 95v-96, 6e errance : les Lestrygons. Ρ 96-100v: 7e errance: Circé. Ρ 100v-103, 8e errance : la visite aux Enfers. Ρ 1Ο3-1Ο3ν, 9e errance: les sirènes. Ρ 103-104v, 10e errance: Charybde et Scylla. Ρ 104ν-106, 11e errance: les vaches du Soleil. Ρ 106-107, 12e errance: tempête. Ρ 107-108, 13e errance: Calypso. Ρ 108-110, 14e errance: l'ultime tempête. Ρ 110-106, 15e errance: chez les Phéaciens.

9. Par exemple en conclusion au deuxième chapitre : <δν άπαλλαγέντες, ούχ ήττω την εφεξής συμφοραν εμελλον εύρεΐν, ή την φθάσασαν, ou au chapitre des Lotophages: εκλαιον δ' ούν όμως: λυπούμενοι (= IX, 105) ούκ είδότες" ol πλέουσιν ούδ' ού λήξουσι του κακού καί τόν εντεύθεν προοιμιαζόμενοι κίνδυνον ώπερ μετ' ολίγον περιπεσείν εμελλον. (Ρ 89 = Reinsch p. 16). Au contraire, à la fin du quatorzième chapitre Matthieu annonce l'amélioration qu'apportera au sort d'Ulysse l'épisode suivant: ΰπνου μεν δι' όλης της νυκτός απολαύων, ημέρας δε μέλλων προς έτέραν πλάνην άνίστασθαι, ήτις αύτώ λήξιν των πολλών κακών εμελλεν οίσειν.

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siques, et la syntaxe standardisée de la même façon. La subordination est introduite en de nombreux endroits où Homère emploie la parataxe. Ce seul fait suffirait à faire comprendre qu'il ne s'agit pas d'une traduction juxtalinéaire : elle ne saurait remplacer les explications du grammairien pour la compréhension du texte épique, et n'est sans doute pas à concevoir comme un auxiliaire du travail scolaire. On en voit un autre signe dans le fait que de nombreuses épithètes homériques sont simplement omises: Matthieu ne se préoccupe pas de livrer le sens des différents adjectifs qualifiant, par exemple, les bateaux dans YOdyssée, mais il les passe sous silence lorsqu'ils ne sont pas utiles au récit. Son contemporain Manuel Moschopoulos agit différemment dans sa paraphrase de Ylliade : il amplifie souvent, mais n'abrège jamais : ainsi dans le prologue, il traduit scrupuleusement Πηληιάδεω Άχιλήος par Αχιλλέως τοΰ υίοΰ τοΰ Πηλέως, puis δίος Άχιλλεύς par ό ένδοξος Άχιλλεύς 10.

Notre auteur ne met pas une grande constance dans ses règles de traduction. La plupart du temps il rétablit l'article et l'ordre des mots naturel à la prose. Mais il lui arrive de reproduire des vers ou bribes de vers avec leurs particularités d'expression presque intactes, ainsi pour décrire le bateau d'Ulysse voguant il reprend les mots : την δε άνεμος' τε και κυβερνήτης ϊθυνεν11, ou pour la sottise des compagnons: μέγα νήπιοι12, un usage peu classique de μέγα. C'était sans doute un exercice délicat que de traduire d'une langue littéraire artificielle, celle de l'épopée, dans une autre langue littéraire presque aussi artificielle, la prose byzantine classiciste: celle-ci se montre souvent accueillante pour le vocabulaire d'origine poétique, qu'elle considère comme un ornement. Ainsi Matthieu conserve sans les traduire certains mots dont l'usage est uniquement poétique : toute la famille des adverbes comme έξήμαρ, έννημαρ, les adjectifs πανημέριος, υπερφίαλος 13, εύπλόκαμος, le verbe δαμάζω, etc.14 L'adaptation à la prose n'est donc pas complète. On en retire en tout cas l'impression que le public pour lequel il écrit a déjà une certaine habitude de lire Homère «dans le texte» et n'a pas besoin qu'on lui explique les termes homériques les plus banals.

10. Grandolini, art. cit. (note 7), p. 134. 11. Chap, viii, Ρ ΙΟΟν De même au chap, ix, Ρ 103: την δε άνεμος όμοΰ τε καί

κυβερνήτης ίθυνε. 12. Chap, i, P 88. 13. Chap, ix, Ρ ΙΟΟν. 14. D'autres archaïsmes de la langue de Matthieu ne lui viennent pas du texte homér

ique, ainsi lorsqu'il emploie oi comme datif du pronom anaphorique. Chap, xv, Ρ 1 1 1 ν 1. 2 : ταΰτά οι έγένετο (commentaire ajouté). Chap, vii, Ρ 96ν, éd. Browning p. 3 1 1. 2 1 : συνέδησέ oi τους πόδας" (cf. Od. X, 168 : seulement συνέδησα πόδας").

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II n'est guère possible de savoir comment notre auteur comprenait les passages les plus obscurs 1S, puisqu'il ne s'attarde pas sur les difficultés. En revanche, il conserve assez d'éléments de la langue originale pour que l'on puisse identifier la tradition textuelle sous-jacente : plusieurs indices permettent de faire l'hypothèse que le manuscrit que lisait Matthieu appartenait à la famille désignée comme «a» dans l'édition d'Oxford16.

Les passages homériques qui se trouvent omis ou résumés sont plus nombreux que ceux qui reçoivent l'ajout d'un commentaire. Aussi la façon qu'a Matthieu d'aborder Y Odyssée se révélera-t-elle surtout dans les omissions. Celles-ci sont faciles à repérer et à délimiter. Certes, les omissions de mots ornementaux, surtout des adjectifs, s'observent un peu partout et ne sauraient être recensées ; mais hormis ce cas, Matthieu rend d'habitude le texte jusque dans ses détails - jusqu'à prendre le temps de dire, par exemple, qu'Ulysse quitte le pays des morts « d'abord à la rame, puis sous un vent favorable 17 » - ; lorsqu'il y a omission, celle-ci concerne au moins un vers entier, le plus souvent un groupe de vers ou tout un épisode. Ainsi on observe aisément que dans la première section de la huitième errance, qui reprend la Nékuya du chant XI, les v. 25 à 99 sont tout simplement omis, les v. 100 à 111, vigoureusement résumés; les trente-huit vers suivants reçoivent une traduction assez fidèle, puis du v. 149 on saute directement à la fin du chant XI, avec les v. 632-640.

15. On glane cependant quelques données éparses. Ainsi en Od. IX, 52, ήέριοι ne signifierait pas « matinaux ι, mais ne serait qu'une graphie pour αέριοι : il glose ώσπερεί τίνες πτηνοι δι' αέρος θέοντες. En Od. VI, 129, μήδεα φωτός comme désignant les parties sexuelles ne semble pas compris, la paraphrase est embarrassée: όπως αυτόν τε γυμνόν και τό βούλευμα κρύψειεν. En Od. XII, 104-105, les sens respectifs de άναρ- ροιβδ£ν et d'aviévcu sont inversés par rapport à la compréhension moderne, le premier étant glosé par έξεμεΐυ, le second par άναφοράν (cf. notre édition en annexe).

16. Voici une liste de leçons remarquables chez Matthieu, comparées à l'apparat critique de l'édition de T.W. Allen, Oxford 1917 2. :

VI, 122 : άϋτμή avec g (fort.), C, H3 corr. IX, 89 (éd. Reinsch p. 1 5 1. 1 3 - 14) : Mt lit le v. 89 avant 90, avec j c Br M2 Pal et le Cae-

senas. Les autres familles, y compris le reste de a, omettent ce vers ou lisent 90 avant 89. IX, 103 : εΐσβαινον (éd. Reinsch p. 16 1. 4) avec la plupart des mss : εμβαινον d. X, 146 : από νηός (éd. Browning p. 3 1 1. 1 1) avec a d 1 r : les autres, παρά νηός. Χ, 199 est omis, leçon isolée (Matthieu «traduit» les v. 198-200: «en entendant cela,

même le Cyclope tueur d'hommes, s'il avait été présent, aurait eu le cœur brisé»). X, 223 : δώρα (éd. Browning p. 32 1. 49) avec a d 1 : les autres, έργα. X, 233a: Mt a un vers supplémentaire, avec a d f r P1. Il ressort de ces notations que le texte homérique de Matthieu se rattache au groupe

désigné comme a: dans cette famille, il est particulièrement proche du ms. Caesenas 27.11 (daté de 1311), qui est le seul à concorder avec lui à la fois dans les autres leçons et en VI, 22 et IX, 89.

17. Chap, viii section 1, cf. Od. XI, 640.

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Nous avons affaire à une série de morceaux choisis de VOdyssée, cousus entre eux par des phrases de transition qui résument parfois des dizaines ou des centaines de vers.

Si ce texte n'est sans doute pas écrit à usage scolaire, il donne cependant une idée des passages qui avaient le plus d'importance aux yeux des Byzantins, et qu'un professeur aurait pu choisir pour les expliquer devant ses élèves. Quels sont donc ces passages ?

Première remarque : ce sont uniquement - comme le titre l'indique - ceux qui concernent les errances d'Ulysse depuis Troie jusqu'à son retour au pays. Rien n'est dit des voyages de Télémaque. Pas davantage sur les événements survenus à Ithaque après l'arrivée d'Ulysse, ses ruses, la façon dont il se débarrasse finalement des prétendants. Le texte se termine au moment où le navire phéacien le dépose sur la plage (Od. Xlll, 125), avec ces mots: «Alors eux, prirent le chemin du retour; quant à Ulysse, il revit sa patrie et sa maison, tua les prétendants ; et il retrouva son cher enfant ainsi que sa femme dans l'état qu'il souhaitait, et Dieu exauça ses vœux 18 ».

Les errances elles-mêmes ne se présentent pas dans l'ordre où l'épopée les raconte, mais dans leur ordre chronologique, en commençant par les Cicones et en terminant par la rencontre avec Nausicaa. La structure narrative complexe de VOdyssée, avec le retour en arrière que constituent les récits chez Alkinoos, cède la place à une construction linéaire. L'une des conséquences de ce fait est que le séjour chez Calypso cesse d'être le point focal du récit, celui d'où tout commence et où l'on aboutit à nouveau une fois refermée la boucle : nous verrons plus loin comment cela modifie le regard porté sur le sort d'Ulysse. La recomposition a aussi pour effet, sur le plan grammatical, de faire passer de la première à la troisième personne l'ensemble des récits chez Alkinoos. En général, d'ailleurs, Matthieu affectionne la troisième personne et transforme systématiquement en discours indirect ce qui est chez Homère discours direct.

On peut mettre au compte du même souci de simplifier le récit et de le rendre linéaire, la suppression des répétitions. Notre texte dit bien que Circé révéla à Ulysse le moyen d'échapper aux sirènes, mais c'est seulement au moment où Ulysse met en œuvre ce moyen que nous apprenons en quoi il consiste. Le sort du compagnon Elpénor est évoqué en trois occasions dans VOdyssée, lors de sa mort accidentelle, de son apparition aux Enfers et de ses funérailles : Matthieu les réduit à deux en ne men-

18. Ρ 116ν: και oi μέν, αύθις· οικαδε ένεζεύγνυον, ό δε γε 'Οδυσσεύς, την πατρίδα και τόν οίκον έώρα, καί τους μνηστήρας άπέκτεινε, καί τον φίλον παΐδα μετά της γυναικός άπείληφεν ώσπερ ηΰχετο καί θεός έτέλει τα της ευχής .

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donnant la scène des Enfers qu'au moment où sont célébrées les funérailles.

C'est que le plaisir du récit, avec ses anticipations et ses reprises, ses prophéties suivies de réalisation, ses mises en abyme, qui joue un tel rôle dans la construction de Y Odyssée et qui est explicitement affirmé par les personnages19, n'a plus de place dans cette interprétation austère: il s'agit désormais de raconter la biographie du héros «qui a beaucoup souffert», en montrant comment il surmonte l'un après l'autre les coups que lui envoie le sort. L'ingéniosité, la ruse, aussi bien que le désir de vengeance, qui se manifestent dans les événements d'Ithaque, ne font pas partie des vertus que Matthieu entend louer chez Ulysse : il s'intéresse plutôt à son endurance, à sa patience, et aussi, faut-il ajouter, à son esprit de décision: dans le prologue il fait de l'exemple du héros un remède à l'aboulie. Régulièrement il souligne que le héros s'intéresse plus à ce qui l'attend qu'aux épreuves déjà subies 2(\

A ce titre, l'Ulysse de Matthieu d'Éphèse est l'héritier direct de celui des cyniques et des stoïciens, ce modèle de résistance à la douleur comme au plaisir. On retrouve chez Matthieu les traces de cette interprétation traditionnelle. Par deux fois, il souligne le contraste entre un Ulysse maître de lui et ses compagnons qui cèdent de façon irréfléchie à l'attrait des sens : lorsqu'ils s'attardent à l'excès pour banqueter chez les Cicones : « en comparaison du plaisir immédiat du manger et du boire, prévoir ce qui devait survenir ensuite leur paraissait une chose secondaire21». Et quand ils abattent les vaches du Soleil: «Ils ne s'apercevaient pas qu'ils causaient leur propre mort plutôt qu'ils ne se nourrissaient, et que pour un plaisir minime ils se mettaient dans un péril extrême : à cause de cela ils périrent tous aussitôt après22».

Cependant, à cette figure antique du sage s'en superpose une autre qui lui est toute proche, mais plus familière à la littérature byzantine: celle de l'ascète chrétien. Celui-ci est en butte à des tentations que lui envoie le diable, et l'expression dont se servent à ce sujet les vies de saints byzantines vient sous la plume de Matthieu pour désigner Poséidon hostile à Ulysse: «le démon qui lui faisait la guerre», ό πολέμων αύτώ

19. Od.lX, 2-11. 20. Ainsi dans la conclusion du chap, viii, voir en annexe : των μεν άπιόντων, ουδέν,

των δε έπιόντων, πολλήν ώς εικός τιθέμενοι την φροντίδα. 21. Chap, i, Ρ 88 : προς γαρ την παραυτίκα ήδονήν τοΰ πίνειν τε και έσθίειν το προ-

νοείν τι περί των έξης έκείνοις συμβησομένων, δεύτερον καθάπαξ έτίθεντο. 22. Desinit du chap, xi, f° 106 : αλλ' oi μέν εταίροι τοΰ ' Οδυσσέως καίπερ των τεράτων

την σφετέραν ελεγχόντων παρανομίαν, έξήμαρ είσθιώντο τας άρίστας βούς έλαύνοντές τε και θύοντες, έλάνθανον δε μάλλον εαυτούς άποκτείνοντες ή τρέφοντες, και σμικρός ηδονής έσχατους κινδύνους ώνούμενοι, έξ ών πανωλεθρίαν εφεξής υπέστησαν.

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δαίμων23. L'ascète chrétien se doit de résister tout particulièrement aux attraits de la chair. Dans l'interprétation antique, les poisons de Circé qui transforment l'homme en porc représentaient depuis longtemps les plaisirs du corps qui enferment l'esprit dans le monde de la génération24. Ulysse s'en préserva grâce au moly offert par Hermès, mais il lui fut nécessaire de partager le Ut de la déesse pour obtenir la délivrance de ses compagnons (cf. Od. X, 297-298, 347). Chez notre auteur, c'est après avoir délibéré avec sa propre « raison prévoyante » qu'Ulysse se procure, tout seul, le moly. Mais le lit de Circé n'offre pas moins de danger que ses potions, et là où Y Odyssée nous montre Ulysse acceptant finalement les avances de la déesse, Matthieu escamote ce détail :

Elle l'invita à la rejoindre au lit, afin qu'ils aient confiance l'un dans l'autre... Or il ne se laissa pas non plus envoûter par le poison de l'amour, mais posa comme condition qu'elle jurât par le grand serment de ne plus chercher à lui faire du tort. Elle le jura aussitôt, et ils eurent confiance l'un dans l'autre25.

On voit comment le péril incarné par Circé, qui est chez Homère d'ordre magique, prend ici la forme beaucoup plus ordinaire des « pièges de la femme ».

Le même thème revient à propos du séjour chez Calypso. Le chapitre commence par un portrait de la nymphe qui constitue l'un des plus longs commentaires ajoutés. A vrai dire, Matthieu semble éprouver ici de l'embarras. Il se trouve à la suture de son récit, là où il lui faut raccorder la fin des Récits chez Alkinoos avec le début du chant V. Or si Calypso est le point focal de la narration dans Y Odyssée, sa figure n'est qu'esquissée brièvement, elle oscille entre le positif et le négatif; les sept ans qu'Ulysse passe à ses côtés occupent un seul vers ; on sait qu'il l'a aimée, et seul son regret de Pénélope fait finalement de ce séjour une épreuve pénible. Et comment comprendre le fait qu'elle lui ait offert l'immortalité? Pour atténuer l'inconséquence apparente du comportement du héros, Matthieu décrit Calypso comme une autre sorcière, en se servant de traits empruntés à Circé :

Cette femme, d'autant plus qu'elle était joliment bouclée et bien douée des Muses, était experte à rallumer un amour qui faiblissait avec le temps et à convaincre de s'intéresser à elle. Cependant elle ne le cédait pas non plus à Circé dans l'art de la malfaisance, pour ce qui est d'envoûter, de

23. Chap, ii, Ρ 88. 24. Cf. Buffière F., Les Mythes d'Homère et la Pensée grecque, Paris, 1956, p. 379, 506-

515 (Pseudo-Heraclite, néo-platoniciens); N. Wilson, op. cit., p. 162 (Psellos). 25. Chap.vii, Ρ 98v, éd. Browning p. 33 1. 112-117.

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faire perdre le sens, et de jeter sur qui elle voulait des sortilèges auxquels on ne pouvait échapper26.

Quand V Odyssée dit que Calypso a donné à Ulysse des vêtements, signes du luxe dans lequel elle l'entretient, notre texte rappelle qu'il est arrivé chez elle nu27: son insistance sur ce point semble provenir, autant que de la confusion avec Nausicaa, du souci de montrer le héros sans défense devant une femme dangereuse28.

L'ascète byzantin ne résiste pas seulement à l'attrait des plaisirs, mais à tout attachement terrestre. C'est sans doute sous l'influence de ce thème que Matthieu supprime la plus grande partie de la Nékuya et ne conserve que l'apparition de Tirésias. Certes, comme nous le verrons, il y a là aussi le souci de négliger les épisodes secondaires par rapport au problème du retour d'Ulysse au pays : certes encore, la revue des habitants des Enfers appelait trop la comparaison avec les textes parallèles du folklore chrétien pour ne pas causer quelque embarras ; malgré tout cela, on est surpris de voir pratiquement passée sous silence la rencontre d'Ulysse avec sa mère. UOdyssée y perd l'un de ses moments les plus pathétiques. Mais ce genre de pathos convenait-il au portrait que Matthieu voulait tracer de son héros? Voici tout ce qu'il en dit: «Ulysse, après avoir vu les âmes de ceux qui lui étaient proches par le sang et par la fréquentation familière, et les avoir interrogées, revint à son navire29». L'expression καθ' αίμα semble faire écho aux condamnations portées par l'Évangile contre «la chair et le sang» et les excès de l'attachement familial. La littérature monastique byzantine est remplie de moines qui, au nom de leur vocation, refusent tout contact avec leur mère ou une ex-épouse. Conformément à ce modèle, l'Ulysse de notre texte ne regarde pas en arrière. Il se préoccupe moins de connaître le sort de ceux qu'il a laissés, que de savoir comment agir pour atteindre son

26. Chap, xiii, Ρ 107 : δεινή γαρ fjv ή γυνή και άλλως· εύπλόκαμος ούσα και μουσική, ερωτάς άνάψαι καταμαρανθέντας τώ χρόνω και αύτη πείσαι προσέχειν τόν νουν. όμως ουδέ της κατά τήν Κίρκην κακοτεχνίας έλείπετο μή καταγοητεΰσαι και παρατρέψαι τάς γνώμας και άνάγκας έπιθεΐναι άφύκτους ώ βούλοιτο. Comparer avec la description de Circé, chap, vii, Ρ 96-96v, éd. Browning p. 3 1 1. 3-5 : δεινή και κακότεχνος και πάντ' επισταμένη πραξαι κακά φαρμάκων εργοις και έπωδαΐς, άλλως μέντοι εύπλόκαμος και την φωνήν έναρμόνιος.

27. Chap, xiii P. 107 : γυμνός έκ ναυαγίου περισωθείς, puis à nouveau αναλαμβάνει τόν άνδρα ή Καλυψώ γυμνόν.

28. En revanche, ce n'est pas à une obsession de la chair chez Matthieu, mais simplement à une leçon variante, qu'il faut imputer un trait assez comique: en Od. VI, 122, Ulysse réveillé en sursaut, avant d'apercevoir Nausicaa et ses compagnes, commence par percevoir «une odeur de femme». C'est la leçon άϋτμή au lieu d'atiiri, cf. note 16.

29. Chap, viii, f. 101-101v (voir annexe): των καθ' αίμα καί συνήθειαν άλλως όντων αύτω τάς ψυχας ίδών τε και άνερόμενος ήλθεν έπι τήν ναύν.

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but. La consultation de Tirésias à ce sujet, qui est le but avoué de la Nékuya, mais se trouve quelque peu éclipsée dans V Odyssée par d'autres scènes plus poignantes, reprend ici toute son importance. Matthieu lui adjoint une autre justification pour le voyage chez les morts : « Était-ce là un prélude à la véritable arrivée aux Enfers des malheureux compagnons ? La suite du récit le fera voir». Il y a ainsi dans ce voyage une initiation à la mort, une exercitatio mortis: elle a fonction d'avertissement moral pour les compagnons - avertissement dépourvu d'effet, hélas - et pour Ulysse, d'exercice philosophique et ascétique. De Tirésias, lui vient aussi la révélation de sa propre fin. Cela pouvait paraître plus important que les assurances reçues d'Anticlée sur la fidélité de Pénélope ou l'état du domaine d'Ithaque.

Le récit est tout entier centré sur Ulysse et sa recherche du retour. Les personnages secondaires ne reçoivent que peu d'attention, et les épisodes qui ne servent pas directement ce but sont en général négligés. C'est l'une des raisons pour ne pas avoir mentionné, au début du chant VI, Athéna apparaissant en rêve à^Nausicaa. Il y a une autre raison, évidente : avec cet épisode, Matthieu d'Éphèse affrontait le problème des interventions divines dans Y Odyssée.

Bien des Byzantins, à la suite des hommes de l'Antiquité tardive, ont résolu ce problème par l'exégèse allégorique 30. Pour Jean Tzetzès, au xne siècle, Athéna représentait d'habitude la réflexion, la phronèsis, quand elle ne s'identifiait pas à l'un des quatre éléments.

Matthieu suit cette tradition lorsqu'il présente l'apparition d'Hermès, apportant à Ulysse le moly, comme un colloque du héros avec sa propre intelligence. Dans le reste de l'œuvre, il ne fait pas grand usage de l'allégorie morale. Au premier aspect, il semble que son attitude préférée vis- à-vis des dieux helléniques soit le silence. Quand il omet de traduire un vers ou deux, ou un hémistiche, on constate souvent qu'il y était question de l'influence divine dans un événement mineur. Relevons quelques exemples de ces morceaux non traduits : dans l'épisode de Circé, Od. X, 141 «un dieu nous guidait (vers le port)»; X, 157-158 «quelque divinité eut pitié de mon abandon et mit sur mon chemin un grand cerf31 ». Dans la rencontre avec Nausicaa: VI, 139-140, «Athéna lui donnait du cou-

30. P. Cesaretti, Allegoristi di Omero a Bisanzio. Ricerche ermeneutiche (XI-XII secolo), Milano, 1991.

31. Autres exemples : Od. X, 305-306 «les mortels ont peine à arracher (le moly), mais les dieux peuvent tout» devient «quand on l'arrache de face (αντικρύ), sa racine procure la mort, mais si on y parvient par un moyen détourné, elle est inoffensive»; Od. X, 331, «Tu es cet Ulysse que m'annonçait Hermès» devient «que m'annonçait une parole d'oracle (μαντικός λόγος)»; Od. X, 350-351, «(les servantes) étaient filles des sources, des bosquets et des fleuves sacrés».

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rage et chassait la peur de ses membres»; VI, 172-175, «une divinité m'a jeté sur ces bords pour y subir quelque malheur, sans doute, car je pense que les dieux m'en réservent encore. . . »

Dans tous ces passages, des événements qui pourraient être interprétés comme l'effet du hasard ou de la volonté libre d'un personnage sont rapportés par Homère à l'intervention d'un dieu. En supprimant ce trait, Matthieu écarte l'idée que des puissances supérieures gouvernent les détails de l'action humaine. La vertu des personnages, par contraste, ressort : c'est par son habileté qu'Ulysse mène son bateau au port, c'est son courage propre qui retient Nausicaa de s'enfuir. Les omissions plus importantes participent du même souci d'affirmer la liberté de l'homme : ainsi celle du rêve où Athéna incite Nausicaa à se rendre au fleuve. La plus significative est peut-être l'une des moins apparentes : je veux parler de l'ordre donné par les Olympiens à Calypso de renvoyer Ulysse. Ordre presque entièrement arbitraire, et néanmoins décisif, puisqu'il donne l'impulsion initiale à la chaîne d'événements qui forme la trame de YOdyssée. Du fait de la réorganisation des épisodes chez Matthieu, qui fait perdre au séjour chez Calypso son statut particulier, l'incongru de sa longueur exceptionnelle, la façon injustifiée dont il y est mis fin tout d'un coup, sont facilement escamotés, sans qu'il soit besoin d'évoquer une décision divine. L'effacement des dieux sert le but moral de l'œuvre. D'autant meilleure est la leçon d'endurance et d'énergie que le lecteur peut dériver des aventures d'Ulysse, que leur dénouement n'était inscrit à l'avance dans aucun destin.

Cependant, les références à la divinité sont loin d'être absentes de cette paraphrase. D'une lecture cursive du manuscrit une impression se dégage - qui serait à confirmer : les différents dieux semblent recevoir un traitement différent. Poséidon, l'ennemi d'Ulysse, est souvent expulsé du texte de Matthieu, mais d'autres fois il est désigné comme « le démon de la mer», ou encore comme «le démon qui faisait la guerre (à Ulysse) » : comme je l'ai dit, par cette expression il devient l'équivalent des puissances diaboliques que l'on voit agir dans les vies de saints. S'il y a place, dans cette réinterprétation byzantine, pour un démon tentateur, il n'y a pas place pour une multiplicité de puissances bonnes : aussi les Olympiens qui assistent Ulysse de façon concrète : Athéna, Hermès, disparaissent-ils sans presque laisser de traces. Il ne reste alors qu'un seul dieu véritable : Zeus. Il semble que les endroits où il est nommé reçoivent d'habitude une attention particulière de la part de Matthieu - d'autant plus facilement, peut-être, que l'action de Zeus dans V Odyssée est en général indirecte et invisible32. Par exemple, en Od. ΧΠ, 445-446 :

32. La mention de la divinité est conservée également dans les prières: Od. ΧΠ, 38

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« Le Père des hommes et des dieux ne laissa pas Scylla m'apercevoir » est rendu : « Scylla n'aperçut pas (Ulysse), à coup sûr par une Providence divine.» L'application de cette règle fait parfois sortir du cadre de l'interprétation christianisante, ainsi en IX, 52, la notion de «malédiction de Zeus» (Διός αί σα) se maintient sous le nom de «vengeance divine », θεία μήνις, expression peu cohérente avec l'idée que la divinité est toujours bonne33. En général, cependant, ce sont les hasards favorables à Ulysse qui sont attribués à Dieu 34. En donnant à Zeus un statut particulier, Matthieu pourrait refléter l'influence de Michel Psellos, l'érudit du XIe siècle pour lequel le Zeus d'Homère s'identifiait au Dieu unique et les autres dieux, à ses anges35.

On remarque encore un infléchissement tendant à écarter l'idée de destin, à propos de la phrase de Nausicaa : « C'est Zeus l'Olympien qui accorde le bonheur (όλβον) aux hommes, aux bons et aux méchants, comme il lui plaît» (VI, 188-189). Traduit tel quel, ce jugement pourrait accréditer l'idée d'un arbitraire divin qui ne tient pas compte du mérite, mais Matthieu comprend όλβος comme signifiant πλούτος", «la richesse36», et il n'y a plus rien de choquant pour un Byzantin à penser que l'opulence ou la pauvreté, tout en dépendant d'une décision du ciel, ne signifient rien quant à la vertu du récipiendaire mais en constituent plutôt une mise à l'épreuve. En conseillant à Ulysse d'être patient dans le dénuement que lui impose Dieu, Nausicaa ne fait que l'assimiler à un autre Job.

Ce texte sans prétentions donne un aperçu sur une certaine façon qu'avaient les Byzantins de lire Homère, qui est peu représentée par ailleurs. Nous connaissons, par les paraphrases littérales et les scholies, le travail du grammairien et de son élève: travail linguistique minutieux consistant en explications grammaticales, en acquisition de vocabulaire. A l'autre extrémité, Michel Psellos, Eustathe de Thessalonique, Jean Tzetzès, nous restituent une exégèse allégorisante, soit physique, soit

«Écoute ce que je dis: un dieu d'ailleurs te le rappellera» devient «(Circé) prie Dieu qu'(Ulysse) garde cela en mémoire» (εύχεται θεώ δια μνήμη? ταΰτ' έχει ν άεί). VI, 180 « Les dieux puissent-ils t'accorder ce que tu désires » devient « H prie qu'elle reçoive de Dieu tout ce qu'elle souhaite» (θεόθεν αύτη γε εύχεται, όπόσα ταύτη [sic] γε βούληται). Assez étrangement, la mention du langage des dieux en Od. ΧΠ, 61 est conservée : πέτρα? έπηρρεφείς πλακτάς [sic] κεκλημένας θεόθεν, Ρ 102 (voir annexe).

33. Expression semblable à la fin du chap, xiii, où on annonce pour l'épisode suivant un Ulysse πειραθεις μήνιδος θεηλάτου. Ici, le dieu vengeur pourrait être Poséidon (Od. V, 282 sqq.), mais aussi bien Zeus (Od. V, 304)

34. Début du chap, xv, Ρ 1 10 : έκ μεταβολής τινός θειοτέρας. 35. Wilson, op. cit. (n. 7), p. 162. 36. Chap, xv, Ρ 1 1 1 : (Nausicaa) εισηγείται δε όπως έκ θείας άρα προνοίας πλούτος

άνθρώποις άγαθόΐς τε και πονηροΐς δίδοται, και χρή και αυτόν ταύτα πάσχοντα έκ θεού καρτερεΐν.

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éthique, qui justifie Homère aux yeux de la théologie chrétienne et fait même de lui une source de vérité. Mais quel était l'état d'esprit de l'« honnête homme» qui lisait Homère sans se piquer de science ou de philosophie, pour son plaisir - ou bien pour acquérir en peu de temps la culture littéraire qui seule permet, en contexte byzantin, de briller dans le monde ? L'opuscule de Matthieu d'Ephèse pouvait lui servir de guide. Il fournissait d'abord une traduction en prose soignée, mais limpide, qui devait faciliter une lecture cursive de Y Odyssée (mais non pas la remplacer, sans doute, étant donné ses faibles prétentions stylistiques) : on y conservait l'essentiel du sens, tout en négligeant les ornements tels que répétitions, épithètes formulaires ou tournures idiomatiques. Ensuite, on y proposait un parcours de morceaux choisis, rétablis dans leur ordre chronologique, celui de la vie du héros ; s'en trouvaient exclus les épisodes les plus embarrassants, c'est-à-dire les plus nettement marqués de croyances païennes, ainsi que tout ce qui pouvait être considéré comme intrigue secondaire. Enfin, à l'égard des éléments de paganisme qui restaient malgré tout disséminés dans le texte épique, l'ouvrage suggérait une attitude de sereine distanciation : les passer sous silence, ce n'est pas tant les condamner que les considérer comme de simples façons de parler, à l'égal des épithètes formulaires ou des comparaisons : ce sont là des particularités de l'expression homérique qui se justifient par l'ancienneté du texte et que l'on doit voir avec indulgence, en décelant sous ce vernis extérieur la possibilité d'une interprétation monothéiste. Attitude qui n'atteint pas aux raffinements de l'exégèse allégorico-morale, mais se montre somme toute assez respectueuse de l'œuvre, et qui permet dans une certaine mesure de la lire hors de tout souci apologétique, simplement en tenant présente à l'esprit la distance temporelle entre Homère et son lecteur byzantin.

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Annexe : edition du huttieme chapitre

(= Odyssée XI ;XII,1-143)

L'orthographe de Matthieu d'Éphèse, en général très correcte, a été conservée avec ses particularités : l'accent grave ne redevient pas aigu devant pause ; l'iota final est en général souscrit sous l'êta, absent sous alpha ou oméga. Là où Matthieu met un point, nous mettons l'un des signes de ponctuation ordinaires.

Ms. : Vienne, Ôsterreichische Nationalbibliothek, Theol. gr. 174,f°100v-l(B.

[f. lOOv ] (in mg mimeras ̂ η) + όγδόην πλάνην την nepl CW.XI.2- 19 τόν #δην ήδη στ€λλόμ€νο? συν τοί? εταίροι? Όδυσσ€υ?, €λκ€ΐ την μ£ν ναυν έπι τήν θάλατταν, του? δ' εταίρου? έτη τήν ναυν, και ttoVt1 €νθεμ€νοι και ττάνβ'ώς Ικέλευσεν ή Κίρκη διαπραξάμενοι Ιπλ€ον λυποΰμ€νοι και δακρυοντ€?. α"ν€μον δ' αυτοί? οΰρον €ΤΤΕμτΐ€ν ή δεινή γυνή κατόττισθ€ν της" ν€ω?, οί 6k κατά τήν ναυν δπλα έκαστα διαπονησάμ€νοι €Κ<ίθηντο. τήρ δέ αν€μ(& τ€ καΐ τη? δη των ιστίων τ€ταμ^νων ποντοπορουσης", έπει νυξ ην, elç τα του Ώκ€ανοΰ πέρατα παρ€γ€νοντο, Ινθα δήμο? ανδρών Κιμμερίων και πόλι? €ΐσι, ξόφω κ€καλυμμ€νοι. ούδ€ yàp αυτούς ποτβ ήλιο? έφορφ, οΰθ' οπόταν στ€ίχη npôç ουρανός οΰθ' δταν εις τούπίσω έπι τήν γήν αξ ουρανού τραττηται, άλλα νυξ έπιτ€ΐν€ται τοις- ταλαίπωροι? έκβίνοι? βροτοί?.

τήν μέν ουν ναυν €Κ€ΐσ€ ελθόντ€? προσώρμισαν, Od. XI.20-24 έξ^ίλοντο δ€ τα πρόβατα, αυτοί ôk παρά τδν ρουν ή€σαν του ώκ€ανοΟ €ω? ei? τον τόπον άφίκοντο, αν ίφρασεν ή Κίρκΐ} τώ'Οδυσσέί. Ινθα Π^ριμήδη? μέν και Εύρΰλοχο? κατ^σχον τα icpcia, 6Όδυσσ€υ? δ€ το ξίφο? λαβών, πανθ' έξη? έξβιργασατο, όπόσα και

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Les Errances d'Ulysse par Matthieu d'Ephèse

τδν Τβιρησίαν παρά τής· Κίρκης· μεμάθηκ€ γ€νόμ€να

θ€ραπ€υ€ΐν, ωστ' elnéîv αύτώ τα 4σόμ€να.

ών δή γ€γονότων, τον έπι την πατρίδα νόστον αύτώ προμηνυ€ΐ, όποιος· δ' £σται προς τί\ς θαλάττης· και τοΟ ταύτης1 δαίμονος έπι τή του Κυκλωπος* έκτυφλώσ€ΐ, χαλ€π6ς* 6e πάντως- καΐ λίαν οδυνηρός· κα\ ναυαγίων ίϋμπλεως·.

ου μην αλλά και ούτως- ήξ€ΐν πολλά παθόντα κακά μ€τα των εταίρων, €Χτ€ àaivcîç τας- iepàç βους* καΐ τα μήλα €ασαΐ€ν τη θρινακία νήσω προσορμισθ^ντ€?· ci δ' ανόσια πρα*ξαΐ€ν, τότ€ τή νηΐ τε καΐ toîç έταίροις· δλ€θρον κ€Ϊσ€σθαι, αΰτον δ' €ΐπ€ρ έκφΰγοι τους1 εταίρους· μ€τα τής* ν€ώς*

όλ€σαντα, πλ€υσ€ΐσθαι [sic] kiA vcùç άλλοτρίας- καΐ

συμφοράς* αν οίκω eupcîv, âvâpaç δηλονότι ύπ€ρφιάλου$\ ο% τ6ν αυτού βίον έσθίουσι μνώμ€νοι την Πην€λόπην, και eât'a αιαόντές.

€ΐτα, και ώς iKeiMW μ£ν την β(αν όποτίσηται έλθών, ή οόλω, ή €Κ τοΟ προφανούς-, οΰτω ταΟΘ' 6 Τειρησίας· τώ Όδυσσ€Ϊ Τ€κμηράμ€νος προσ€χώς·

αύτώ παραγγέλλει, ως· έπ€ΐδαν ταΟτα δή και πάθη και πράξη, κώπην λαβόντα Ιρχ€σθαι, Ιως· αν €ΐς· τοιούτους· ανθρώπους άφικηται, ot ούκ ΐσασι θάίλασσαν ούα'άλσι μ€μιγμένομ βρώμα έσθίουσιν ουδέ ναΟς* ΐσασιν δλως* ούδ£ τα π€ρί τας· vaOç. σημβιον δ' αύτώ δίδωσι τοιούτους· eîvai τους·

άνδρας·, όπότ£ ttç δδίτης· αύτώ ξυμβαλών πτΰον αντί κώπης· αύτδν ^χ€ΐν άνα τους ώμους· èpéî. άλλα τότ€ και τον 'Οδυσσέα μ€μνήσθαι τήν κώπην ΤΌ 7Τ) ττήξαντα οΐκαδ€ Ιρχεσθαι iepeîa καλά θυσαντα, €νθα δή και θάνατον αύτώ ηξ€ΐν €κ τής αλός €πιλ^γ€ΐ, γηρα λιπαρώ τας* δυνάμβις· άφηρημένω.

Od. XI, 100-1 11

Od. XI, 112-1 17

Od. XI, 118- 137

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ταΟτα προ€ΐπών και διδάξας- πώς* αν καΐ τί Od. XI, 138-640 πράξας και αλλ' ά*ττα μαθοί παρά τών έν ά'δου ψυχών, αύτδς* μέν clç ά*δην φχητο, ό δ1 'Οδυσ- [f. ΙΟΙν] σ€υς τιράξας ώς* €Κ€λ€ΐίσθη καί τών καθ'αιμα και συνήθβιαν άλλως* δντων αύτώ, τας ψυχας· ίδών τ€ και άνερόμ^νος ηλθ€ν έτη. την ναυν, έδ€δί€ΐ γαρ μη βραδύ νων επί πλέον €K€Îae, κακόν τι πάθη παρά ττ\ς Γοργούς", ή γαρ άν €π€μψ€ν αύτώ τήν αυτή? Κ€φαλήν έκ τοΰ αδου ή δβινή Π€ρσ€φόνη. Καί αύτίκα άναβ^ντ€5* επί τήν ναΟν €φ€ροντο κατά τον Ώκ^ανόν ποταμον τώ τοΟ ρ€υματο5" κιίματι, πρώτα μέν elpeoia, €ΐτα και ουρώ άνέμω. κα\ ταΟτα μ€ν e\ç αδου Ιόντα τ6ν' Οδυσσέα

καί αύθις άπιόντα, και lôeîv φασχ καί μαθ€ΐν. €ί δέ προοίμιον τής" αληθούς* αφίξζως τουτ' ην €iç

τοις άθλίοις" εταίροι?, £.ξί\ς 6 λόγος1 δηλώσ€ΐ.+ οΰτω το ρ€θμα του Ώκ€ανοΟ καταλιπών Όδυσ- CW.XII.1-10 μ€τα τών σφ€Τ€ρων εταίρων κα\ δή και προς* (+ XI, 51-83)

τήν Αιαίαν νήσον, £νθα τ\μέρα oikcî και χοροί dca καΐ άνατολαΐ ηλίου παραγ€νόμ€νοι, τήν μέν ναΟν

μ€τα τών εταίρων προσώρμισ€ν έν τή αύτος- δέ κατακοιμηθβΐς- περι^μ€ν6 τήν

ήμ^ραν. ΟΉτ\νίκα δ'έφάνη, τότ€ δή τους* εταίρους·

προΐ€ΐ €Îç τα τής· Κίρκης* δώματα τον Τ€θνηκότα

Έλπήνορα ν€κρον οΐσ€ΐν αύτδν. το γαρ €Ϊδωλον εκείνου, πολλά γ€ τον Όδυσσ^α dç ά'δου ιόντα έξ€λιπα'ρ€ΐ μή λιπ€Ϊν ^ταφον, μηδέ της- νβνομισμ^νης- όσιας· τον ν€κρον ύστ€ρήσαι.

άλλ'έπ^ι πάντα έπί τώ ν€κρώ τ€Τ€λ€στο κομισ- Od. XII, 16-24 θ€ντι, οίίκουν ουδέ τήν Κιρκην εξ αδου παραγ€νόμ€νος· ό Όδυσσβύς- ^λαθ€ν, αλλά μάλα ταχέως* έληλυθ€ν, αύτου τ€υξομενη, άμα 6' αύτ^ καί άμφίπολοι Ιφ€ρον, τα προς* τροφήν τ€ και πόσιν.

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οίκτισαμ€νη δ' αυτού? δτι ζώντες ύπήλθον τα έν αδου δώματα κα\ δισθανάτου? εΙπουσα δτιπ€ρ άπαξ άλλοι θνήσκουσιν άνθρωποι, έσθΐ€ΐν καΐ πίν€ΐν πανημβρίου? προτρ€Ή€ται.

δ'€στιωμ<Ενων παρήλθ€ν ημέρα, κα\ νυξ Od. ΧΠ,29-38 ci? ΰπνον toos" δυστυχ€Ϊ?, τότε δη κοα αύτη

τον 'Οδυσσέα της· χβιρό? έλουσα, χωρίς: ττου των φίλων εταίρων ηρ€το έκαστα, δ 6k πάντα κατά τάξιν €Ϊπ€ν αύτη, ή 6é, άλλα ταΰτα μέν, Ιφη, καΐ 6eiva π€ρ δντα, τ€Τ€λ€σται. €ΐτ' άκου€ΐν αύτον Κ€λ€υ€ΐ [f. 102] ά'περ èpcî. πρώτα δ' ευχ€ται θ€ώ δια μνήμη? ταυτ' €χ€ΐν del καθιστάμ€νον €Ϊς αυτά τα δ€ΐνά, €ΐτα και καταλεγ€ΐ έξη? του? κίνδυνου? προ? ου? παραβαλ€σθαι ^μ£λλ€ν.

αρχήν δ€, τα? θ€λξίνου? αύτώ φράζ€ΐ σ€ΐρή- Od.Xtt$9-54 νας, δπω? πάντα? άνθρωπου? θβλγουσιν δστι? αν εις αυτά? άφίκηται ούκ €ΐδώ?. ού γαρ ακοΰσαντα τον φθόγγον έκ€ίνων, οϊκαδε νοστ€Ϊν, και γυναίκα και τ€κνα αύτώ παριστασθαι, λιγυρα Sk θ€λγομ^νον αοιδή, ήν αρμόζονται καθήμενοι kv λ^ιμώνι, αύτοΟ που τήν ψυχήν αφΐ€ναι. πολύν δ' £ντ€θθ€ν καΐ σωρον civai €Κ€ΐσ€ όστ€ων των πυθομενων ανδρών, του? γαρ ρινού? ήφανίσθαι· €ΐτα και τί αν πράξα? καΐ δπω? rbv γλυκύν €κβίνων παρ€ξ€λάσ<Ξΐ€ θάνατον.

δ€ΰτερον δ' αύτώ γ€ σημαΐν€ΐ, φρικτά τινά Od. XII.55-72 και άκουσαι πράγματα 4κδ€ξομ€να αυτού? άμφοτ€ρωθ€ν ■ /"yûev μέν γαρ eîvai nérpaç έπηρρεφέί? πλακτα? [sic] ούτω π€ρ Κ€κλημ€να? θ€θθ€ν, προ? α? καΐ μ^γα κΟμα ^>οχθ€Ϊν τή? θαλασσή?, €νθα ουδέ πτηνά παρέρχ€ται, ουδέ neÀ€iai, άλλα κα\ τούτων τήν πτήσιν, άφαιρ^ται τδ τών πετρών ύψηλόν Τ€ και λέΐον δλλην δ' αυ

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ταύΥαι? ενηριθμήσθαι παρεμβληθεΧσαν έτέρωθεν, και οΰπω τι? έξεφυγε ναΟ? εκεί παριουσα, αλλ' όμοΟ τ€ τα? των νεών πίνακα? και τα σώματα των ανδρών, φέρει τα κύματα, καΐ θΰελλαι πυρό? όλ€θρίου. μόνην δε ταυτην παραπλευσαι την 'Αργώ ναΟν, δια το φίλον είναι τον 'Ιάσονα τη πρόνοια.

των μέν ουν δυο τουτωνΐ [ici un long trait] σκο- Od. XII.73-84

πελων, τον μεν αυθι? εφη μέχρις" αυτοΰ yc του ούρανοΟ την κορυφήν Ιχειν φθονούσαν καΐ ούδ^ποτ€ απολ€ΐπ€σθαν ν€φ€λης αυτόν, ούδ' αϊθριαν ποτέ κατά την κορυφήν £χ€ΐν οΰτ€ έν θέρ€ΐ οίίτ€ δ€ kv όπώρα, αλλ' ούδ' άναβα{ν€ΐν αυτόν άνθρωπον ή καταβαίν€ΐν δυνασθαι, ούδ' ci xcîpcç αύτώ βΐκοσι και πόδ€£ cîev. πβτρα γαρ έοικ€ναι π€ρΐ€ξ€σμενη μηδ€μίαν αντίληψιν παρ€χομ€νη τη βάσει, ώ δή σκοπελω, èv μέσω είναι αντρον τί [sic] σκοτ€ΐνόν προς1 ζόφον €ΐς €ρ€βος· Τ€τραμμ€νον. Ινθα κα\ τον 'Οδυσσέα παριθύνειν ^φη τήν ναΟν Ιλαττον κακόν του μεί£ονο£ [f. 102v] προτιμώντα, τοσούτον δ' αφίστασθαι καθ' ΰψος· της1 θαλάττη? το άντρον,

ως μηδ' είναι το παράπαν αύτου καθικεσθαι τόξου βολήν.

ένθα καΐ τήν λυσσώδην Σκυλλαν οικειν Seuar Od. ΧΠ,85-100 λ^Αακυΐαν, γίν€σθαι δ' αυτής τήν φωνή ν, όπόση νεογιλή? tivoç σκΰλακο?. αυτήν 6' είναι μέγα κακόν, ην ούκ ά*ν τίνα γηθησαι ίδοντα. ταιίτης· δ' είναι πόδας" μεν δυώδεκα πάντας" αώρου?, εξ δε

περιμήκει? τραχήλου? και κεφάλα? δε τοσαΰτα?, οδόντα? δ' άν' έκάστην τριστοίχου?, πυκνού? τε

και θαμινού? πλήρει? δντα? θανάτου, ην δή καίπερ μεσην του κοίλου σπηλαίου καταδεδυκυίαν, Ιξω δ' ούν ό'μω? του δεινού βαράθρου προΐσχειν τα? κεφάλα?, καΐ αύτου ίχθυαν περισκοποΰσαν τόν

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Les Errances d'Ulysse par Matthieu d'Ephèse

σκόπ€λον δ€λφΐνα? καΐ κΰνα? και ει τιου μείζον €λη κήτο? α βάλασσα βόσκ€ΐ μύρια, καΐ ουδέ ναυ'τα? (in mg αλιίπω?) φυγ€ΐν ποτ€ αυτήν καυχήσασθαι συν νηΐ, άλλ1 έκάστην κεφαλήν φ€ρ€ΐν άνδρα της1 νεώς έξαρπάσασαν.

και τοιοΟτον μεν τον €να έσημήνατο σκόπ€λον, Od. XII, 101-1 10 τον δ'£τ€ρον χθαμαλώτ€ρον φανήναι τώ Όδυσσεί, πλησίον αλλήλων, ώστ€ καΐ τοξάσαντα έφικ^σθαι. èv ώ 6ή και μεγαν elvai èpivcov φυλλοι? πολλοίς Τ€θηλοτα, υπό δη τοΰτω τρι? τή^ ημέρας1 άναρροιβδον €Ϊτ' ουν έξβμεΐν ΰδωρ την χάρυβδιν, τρις" δ€ καΐ ανι^ναι €Ϊτ' οίΐν άναρροφαν, eiç τούπίσω κατά τον βυθον τ6 ύδωρ άναλαμβάνουσαν, και μη δ€ τυχ€Ϊν €Κ€Ϊσ€ν αύτώ €υχ€ται, οτ€ ί>οιβδήσ€ΐ€, μή 6k γαρ αν ρυσθήναι έκ τοΟ κακοΟ, άλλ'όραν μάλα τώ σκοπ€λω της· Σκυ'λλα? πλησιασαντα, ταχέως €Κ€ΐθ€ν τήν ναΟν αύτίκα παρ€^ελαν, έπα. κρ€ΐττον ctvai εξ εταίρους εν νηι καταπ€πό*σθαι, ή αμα πάντα?.

άλλ' δ γε Όδυσσ€υ? ατυζόμ€νο£ ήρετο εΧ -πως Od. XII, 11 1-126 τήν μίν όλεθρίαν προφυγοι Χάρυβδιν τήν δ^ Σκύλλα ν άμυνοιτο, δτ€ βλάπτ€ΐν έπιχ€ΐροΐ τοί»? εταίρους·, ή 6k σχ^τλιον προσ€ΐπ€ν αύτδν, δτι προ? ούτω κακόν αθάνατο ν âeiyov re καΐ αγριον ου μ€ νου ν το παραπαν oôâé μαχητόν πολ€μικών Ιργων και πόνων αύτώ μ€λ€ΐ, καΐ ούδ' ύπ€ί- [f. 103] κ€ΐν €θ€λ€ΐ toîç κρ€ΐττοσιν. ην γαρ βραδύντ) (έλεγε π€ρι τη πετρά ότιλιζόμενος, δέος μή αυθι? έξορμηθ€ΐσα τόσου? άνδρα? τόσαι? δή Κ€φαλαΐ? Ιληται αύτου που καταλαβοΰσα. ούκουν καΐ έλαν μάλα σφοδρώ? €Κ€λ€υε καΐ θ€οκλυτεΐν ό'πω? θ€ΐα τι? αυτήν βία άποπαΰση 4? ΰστ€ρον 6ρμηθήναι.

ταυθ' ή πανοΟργο? ύποθ€μ4νη και προ€ΐποΟσα Od. XII, 127- 145

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GAIA7

τώ Ό6υσσ€ΐ, προσ€π€ΐποΰσα 6' όπως* και τας φυλαξηται βοΟ$" αυτός· τ€ καΐ οί εταίροι

παραγ€νόμ€νοι £ς την Θρινακίαν ώσπ€ρ καΐ 6 Teipeoiaç npoTepov, αυτή μέν φανβίση? ήμ^ρα?, επί τους· oîkouç άφίκ€το, ό 6' Ό6υσσ€ύ$" προς" τα

μ€γάλα ταΟτα δ€ΐνα παρ€σκ€υάζ€το πλ^ιν, των μέν άττιόντων, ού6€ν, τών 6è έπιόντων, πολλήν (in mg ώς όκος) τιθ^μΕνοί τήν φροντίδα.

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