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LesfillesauchocolatTome5½
CŒURSUCRÉ
CathyCassidy
Traduitdel’anglaisparAnneGuitton
©Sty lismeculinaireetphotographiedecouverture:Anne-LiseDugat
Créationgraphique:LaurenceNingre
L’éditionoriginaledecelivreaétépubliéepourlapremièrefoisen2014,enanglais,parPuffinBooks(ThePenguinGroup,London,England),sousforme
dedeuxnouvelles,lapremière,sousletitreChocolatesandFlowers:Alfie’sStory,ladeuxièmesousletitreHopesandDreams:Jodie’sStory.
Copy right©2014parCathy CassidyTousdroitsréservés
Traductionfrançaise©2015ÉditionsNATHAN,SEJER,25,avenuePierre-de-Coubertin,75013Paris
Loin°49-956du16juillet1949surlespublicationsdestinéesàlajeunesse,modifiéeparlaloin°2011-525du17mai2011.
« Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévueparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelaPropriétéIntellectuelle.L’éditeurseréserveledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales.»
ISBN978-2-09-255805-8
Sommaire
Couverture
Copyright
L’étoiledelaSaint-Valentin
Chapitre1
Chapitre2
Chapitre3
Chapitre4
Chapitre5
Chapitre6
Dansl’ombredesprojecteurs
Chapitre1
Chapitre2
Chapitre3
Chapitre4
Chapitre5
Chapitre6
Lesfillesauchocolat
CherryCostello
CocoTanberry
SkyeTanberry
SummerTanberry
HoneyTanberry
Lesrecettesauchocolat
ClafoutisfaçonCherry
LemoelleuxdeSkye
Muffinsàlamandarineetauxamandes
RocherssaveurCoco
LesbrowniesdeHoney
Quellefilleauchocolates-tu?
L’auteur
Auxdélicesdesanges-Extrait
Chapitre1
Chapitre2
L’étoiledelaSaint-Valentin
1
Je ne sais pas si c’est une bonne chose d’avoir une copine dont l’anniversaire tombe le jour de laSaint-Valentin.D’uncôté,c’estunedoubleraisondefairelafête;maisdel’autre,lesenjeuxsontdeuxfoisplusélevés.Impossibledesecontenterd’unecarteringardeetd’unsachetdebonbonsenformedecœur.Entoutcas,passilacopineenquestions’appelleSummerTanberry.Summera toujours été la filledemes rêves. Je suis foud’elledepuis lamaternelle,quand sa sœur
jumelle Skye et elle promenaient leurs grands yeux bleus et leurs couettes blondes dans la cour derécréation. Elles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, et même la maîtresse les confondaitsouvent.Maispasmoi.Pour commencer, Skye ne se séparait jamais d’un vieux boa en plumes déniché dans le coffre à
déguisementsdelaclasse.EtlesyeuxdeSummerbrillaientd’unéclatdifférent,d’uneflammepleinedepromesses.Elleavaitunmilliond’amis,etlesprofesseursl’adoraient.Moi,c’étaittoutlecontraire.Jemefaisaisgronderpouravoiressuyémesmainscouvertesdepeinture
bleuesur la jupedeMissMartin.Oupouravoirmangéseptgâteauxauchocolatetpiquéunecrisedenerfsàlacantine.Oupouravoirracontéquej’avaisunsingeapprivoiséàlamaison,avantd’expliqueràlamaîtressequejevoulaisparlerdemapetitesœur.Summerdébordaitd’énergieetellem’impressionnait.Jen’osaispas l’approcher.Etpuisunjour, je
l’aivuedanser.LadernièrerépétitionduspectacledeNoëlvenaitdeseterminer.Déguisésenbergers,rois mages, anges ou chameaux, nous avions récité notre texte et entonné en chœur des chansons decirconstance,jusqu’àcequeMarisaMcTaggartvomissesursoncostumeetdoiveêtreaccompagnéeauxtoilettes.MissMartinm’a grondéparce que j’avaismodifié les paroles en y ajoutant lemot « culotte ».Au
momentderegagnerlaclasse,ellem’aplacéentêtedugroupepourmegarderàl’œil.Soudain,jemesuisaperçuquej’avaislaissésurscènemacouronneenpapiermâché.Ellen’étaitpastrèsbelle,maisjel’avaisdécoréetoutseulavectellementdepaillettesetdegommettesquelesfemmesdeménages’étaientplainteslelendemaind’enavoirretrouvépartout.MissMartin a poussé un gros soupir et m’a ordonné d’aller la chercher avant qu’elle finisse à la
poubelle.Enarrivantdevantlaportedelasalle,j’aiétésurprisd’entendrelamusiquede«Doucenuit».Yavait-ilencorequelqu’unàl’intérieur?J’aijetéuncoupd’œiletdécouvertSummer.Elletourbillonnaitlespaupièresclosesdanssoncostume
d’ange,l’auréoledetraverssursestressesblondes.J’ai refermé la porte sans bruit et suis retourné en classe, où Summer nous a rejoints peu après. Il
régnaituntelbrouhahaquej’enaiviteoubliémacouronne.Lelendemain,pourlespectacle,j’aidûmecontenterd’unbandeaudepapiercrépon.MissMartinétaitfurieuse.Quelquesjoursplustard,lorsdela
pêcheàlalignedeNoël,j’aigagnélelotleplusnul:uneboîtedeharicotsàlatomate.Jepariequecen’étaitpasunecoïncidence.Maistoutcelaremonteàbienlongtemps.Nous avons grandi, et plus les années passaient, plus je faisais des bêtises. J’étais le clown de la
classe,celuiquienchaînaitlesfarcesetamusaitlagalerie.Maiscontrairementauxautres,Summernemetrouvaitpasdrôle.J’avaisbeaufairemonpossiblepourqu’ellemeremarque,sonregardglissaitsurmoicomme si j’étais invisible. À mes yeux, elle incarnait la perfection. Elle était intelligente, belle,populaire,etc’étaitunedanseuse-née.Unjour,ensixième,onnousademandéd’écrireunerédactionsurnos rêves. Summer a raconté qu’elle espérait devenir danseuse étoile et se produire sur la scène del’Opéraroyaldansuntutublanc,avecdesplumesdanssonchignon.Jecroisqu’elleparlaitduLacdescygnes.Lorsqu’ellenousalusontexteàlademandeduprofesseur,unedéterminationfarouchebrillaitdansses
yeux.Iln’yavaitaucundoute:ellefiniraitparaccomplirsonrêve.Cen’étaitqu’unequestiondetemps.Summermesemblaitsiinaccessiblequej’avaislevertigerienqued’ypenser.Maisc’étaitplusfort
quemoi,ellemefascinait.JemesuisrapprochédeSkye,sajumelle,afind’enapprendredavantagesurelle.J’aiarrêtédefairele
clown,changédecoupedecheveuxetessayédeparaîtrecooletmystérieux.D’aprèsSkye,sijevoulaisplaireàsasœur,jenepouvaispascontinueràjouerlescrétins.C’étaitduràentendre,maisj’aifaitdemonmieux.L’annéedernière,pourNoël,j’aidéposédansle
casierdeSummerunebarretteornéed’uneroseensoie,avecunecartesignée«Unadmirateursecret».Malheureusement,monplanaéchoué.Elleacruque lecadeauvenaitdeZackJones,etelleest sortieavec lui. À ce moment-là, j’ai failli baisser les bras. Mais les sentiments ne se contrôlent pas sifacilement.MoncœurappartenaitàSummer.Etquandl’éclatdesesyeuxs’estassombri,quandelleacommencéà
vaciller,j’étaislàpourlarattraper.Elleétaitperdue,épuisée,auborddugouffre.Ellenemangeaitplus,neréfléchissaitplus.Onauraitdit
qu’elleessayaitdedisparaître,dedevenirinvisible,desedissoudredansl’air.Commej’observaissesmoindresgestes,jem’ensuisrenducompteavanttoutlemonde.Jelavoyais
remplir son assiette de feuilles de salade, ou porter une cuillère de crème dessert à sa bouche et lareposersansytoucher.Jeremarquaistout.Elleétaitenchutelibre.EllearompuavecZack.Etunjour,ellem’aenfinregardé,pourdevrai.Jen’étaisencorepourelle
qu’unami,maisc’étaitundébut.J’avaisattendusilongtempsqu’elles’aperçoivedemonexistence.AvecSummer,j’aiapprisàêtrepatient.Notrerelationestunesortededanse,unechorégraphielenteet
délicate.Leproblème, c’estque je suisun trèsmauvaisdanseur. J’aideuxpiedsgauches,voire trois.Oui,jesais,c’estimpossible,maisc’estl’impressionqueçamedonne.Nous avons commencépar nous tenir lamain, puis il y a eu les baisers, les promesses, les secrets
murmurés.Aujourd’hui, tout se passe très bien entre nous.Mais j’ai peur de perdre le rythme, demetromperdanslespasetdetoutgâcher.EtquandSummermeregardeavecsesgrandsyeuxdepetitefilleperdue,jemedemandes’ilsfiniront
parretrouverleuréclatd’autrefois.
2
Après les cours, je travaille souvent dans l’épicerie bio de mes parents. Aujourd’hui, c’est plutôtcalme.Leseulclientestunvieuxmonsieurenpantalondevelours,chaussettesetsandales.Plantédevantlerayondesinfusions,ilal’aird’hésiterentrelaréglisseetl’ortie.Mamanapparaît,vêtued’unelonguejupevertedontlesgrelotstintentàchaquepas.Nousvivonsau-
dessus dumagasin, et elle s’en sert un peu commed’un garde-manger.Cette fois, elle récupère de lacrèmedesojaetdupaprika.–Jepréparedescrêpesàl’épeautrepourledîner,m’informe-t-elle.C’estunenouvellerecette.–Euh…super!–Jesaisquetun’aspasétéconvaincuparcellesàlafarinedepoischiches,maistuvasvoir,cesera
trèsdifférent.L’épeautreaungoûtdenoixsurprenantetdélicieux.Voilà ce qui se passequandonvit dansune famille dehippies. J’adoremesparents etmespetites
sœurs,même si elles sont parfois insupportables.Mamère est passionnée par la diététique, d’où cesplongéesfascinantesdanslemondedesfarinesalternatives.–Ettoi,tut’ensors?m’interroge-t-elle.Tusaurasfairelacaissetoutseul?Jeluirépondsdenepass’inquiéter:jevaisterminermesdevoirssurl’ordinateurdelaboutique,puis
jefermerai.Alorsqu’elledisparaîtdansl’escalier,leclients’approchedelacaisse.Ils’estfinalementdécidépouruneinfusionauxglandsdechênequi, j’enaifait l’amèreexpérience,aungoûtdevieilleschaussettes.Ilaégalementprisuneboîtedechocolatsvégétaliensenformedecœur.–C’estpourlaSaint-Valentin?jedemande.Ilm’expliquequ’ilaimeraitinviterunedamedesoncoursdedessinàsortiraveclui.Jelerassure:–Leschocolatsetlesfleurs,cesontdesvaleurssûres.Jepariequ’ellevadireoui!Siseulementc’étaitaussisimpleavecSummer…Unefoislemonsieurparti, j’allumel’ordinateuret
me connecte sur Internet en quête d’inspiration. Je cherche le cadeau idéal depuis lemois de janvier.Jusqu’ici, j’aieubeauécumertouslesmagasinsdelaville, jen’airientrouvé.Mesparentsmepaientmes heures de travail, et j’ai économisé pas mal d’argent au moment des fêtes de fin d’année enconseillantlesgenssurlessubstitutsdedindeàbasedesojaousurlesbiscuitssansgluten.Mais je n’ai pas d’idées. Les chocolats sont hors de question : le beau-père de Summer, Paddy,
possèdesaproprechocolaterieet,detoutefaçon,elleatoujoursbeaucoupdemalaveclanourriture.Elleestsuiviedansunecliniquespécialiséedans les troublesalimentaires.J’ai l’impressionqueça l’aide,mêmesipourl’instant,elleconsidèrelechocolatcommeunpoison.Ellerefusedemettreunpieddansl’atelierdePaddydepeurd’inhaleraccidentellementquelquescalories.Quantauxfleurs,jetrouveçatropprévisible.Sanscompterquedansunesemaine,ellesserontfanées,
etnelaisserontderrièreellesquedespétalesflétrisetdesfeuillesdesséchées.J’airegardédesfoulards,dessacs,desbouclesd’oreilles,desmédaillons…rienàfaire,jesuisincapabledechoisir.
Aprèsuncoupd’œilàmamontre,jetournelepanneaudelaporteducôté«Fermé».Puisjefaislacaisse,rangeunpeulerayondeslégumesbioetpasselebalaisanscesserderéfléchir.Il y a quelques jours, j’ai demandé à Summer ce qu’elle souhaiterait le plus au monde. Elle m’a
répondu qu’elle aimerait guérir pour pouvoir recommencer à danser. Cette année, elle suit encore uncoursparsemaine,maiselleseplaintdenepasréussiràmémoriserleschorégraphies.Selonelle,sesmouvementssontdevenuslourds,maladroits.–J’aitoutgâché,a-t-elleconcluavecunsoupir.J’aiessayédelaconvaincreducontraire–envain.– Si, c’est vrai, a-t-elle insisté. Les catastrophes s’enchaînent. J’aimerais tant que Honey rentre
d’Australie…Jesuisperduesanselle.Lessœurssontfaitespourvivreensemble.–Malheureusement,jenesuispascertaind’avoirassezd’économiespourt’offrirunbilletd’avion…–Ilnefallaitpasmeposerlaquestion!a-t-ellerétorquéenriant.Cen’estpasmafautesimesrêves
sontirréalisables.Jevoudraisneplusêtremalade,neplusmesentiraussifaible.Jevoudraisredevenirmoi-même.–Tuvasyarriver.–Jen’ensuispassisûre,Tommy.Avant,c’étaittellementplusfacile.Quandj’étaispetite,jen’avais
quedescertitudes.Mesrêvesetmesespoirsétaientsiréelsquejen’avaisqu’àtendrelamainpourlescueillir. Jemesouviensqu’un jour, justeavantNoël, jesuis restéedans lasalledespectacleaprès larépétition.J’airemisledisqueetj’aidansétouteseule,commeunefolle,sur«DouceNuit».C’étaitunmomentparfait.Jen’encroyaispasmesoreilles.Elleparlaitdujouroùj’avaisoubliémacouronne–lejouroùellea
ravimoncœur.–Voilàcequejesouhaiteplusquetout,a-t-ellecontinuéd’unevoixtriste.Retrouverlamagiedecet
instant.Tucomprends?Jemesuismordulalèvre,carmalheureusement,cequ’elledésirenes’achètepas.– Je pensais plutôt à quelque chose de concret, ai-je avoué. Comme… je ne sais pas, un livre, un
braceletouunbouquetdefleurs.ParcequetonanniversaireetlaSaint-Valentinapprochent.J’aisentilerougememonterauxjoues.Summerasecouélatête.–Tun’espasobligédem’offrirquoiquecesoit,nipourmonanniversairenipourlaSaint-Valentin.Je
nesuispasvraimentd’humeuràlafête.Taprésencemesuffit,Tommy.Cesderniersmois,tueslaseulechosepositivequimesoitarrivée.Elleapassésesbrasautourdemoncou,etjel’aiserréecontremoi.Elleétaitaussifragileetparfaite
qu’unoiseausauvagequirisquaitàtoutmomentdes’envoler.Depuis cette conversation, je suis plus déterminé que jamais à lui trouver un cadeau extraordinaire
qu’ellen’oublierapasetquiraviveral’éclatdesesyeuxbleus.Uncadeauquidira«jet’aime»sansquej’aiebesoindeprononcercesmots.Jenesuispastrèsdouépourlesdéclarations,etjenevoudraispaseffrayerSummer.Serai-jecapabled’aiderlafilledemesrêvesàguérir?Deluirendresajoiedevivrealorsquemême
ladansen’yparvientplus?Peuàpeu,uneidéeprendformedansmonesprit.Summeradoredanser;c’estcequ’elleaimeleplus
aumonde.Sapassionétaitd’ailleurs sidévorantequ’ellen’apassupporté lapression lorsqu’on luiaproposéd’intégrerunegrandeécole.Deperfectionnistetalentueuse,elles’esttransforméeenpetitefilleperduequitentetantbienquemaldes’ensortir.
Etsijepouvaisinverserlecoursdeschoses?Désormais,quandelleparledesonrêve,c’estd’unevoixtristeetrésignée.Etsijeluipermettaisd’ycroireànouveau?Jeveuxqu’elleretrouvelamagiedeladanse.
Ilvafalloirquejem’organise.Parchance,laSaint-Valentintombependantlesvacancesdefévrier.Je
téléphoneàFinn,lecopaindeSkyequivitàLondres,pourluidemanderuncoupdemain.–Superidée,Tommy,mefélicite-t-il.Tupeuxcomptersurmoipourlesbillets.J’emprunterailacarte
bancairedemamère,ettularembourserasquandonseverra.–Tuveuxtejoindreànous?AvecSkye?Onpourraitenprofiterpourorganiserunesortieàquatre.Finnréfléchituninstant.–Nousnesommesplusaussiprochesqu’aumoisd’août.Lesrelationsàdistance,cen’estpasévident.–Justement,çavousferaitdubien.Elleapprécieralegeste,çaluimontreraquetutiensàelle.–Jepensaismecontenterd’unecarted’anniversaire,m’avoue-t-ilenriant.Maisjen’aiplustrople
choix,pasvrai?ÀcôtédecequetuprévoispourSummer,j’aurail’airminableavecmapetitecarte!–C’estsûr!–Bon,jevaisypenser…–Toiquirêvesdedeveniracteur,c’estl’occasiond’enapprendreplussurlemilieuartistique.–D’accord.Maisjetepréviens,sijem’ennuie,tumelepaieras!conclut-ilavecunéclatderire.Ànousdeux,nousnetardonspasàréglerlesdétailslogistiques: ilviendranouschercheràlagare
routièreetnousserviradeguidedanslemétro.–Unedernièrechose,ajoute-t-il.TuescertainqueçavaplaireàSummer?Çanerisquepasde…de
faireremonterdessouvenirspénibles,deladéprimerdavantage?–Biensûrquenon.Elleseraravie.Enfin,jel’espère.
3
Enplusdel’alarmedemontéléphone,j’airéglédeuxréveilssur3h45dumatin.Àpeinedebout,jepasseuncoupdefilàTanglewoodpourm’assurerqueSkyeetSummersontréveillées.Puis,aprèsunedouche rapide, jem’habilleet tentededisciplinermescheveuxavecdugel–aunaturel, j’ai toujoursl’aird’avoirmislesdoigtsdansunepriseélectrique.Papa,notrepremierchauffeurdelajournée,estentraindeboireunetassedethévertdanslacuisine.–Summerestunefilleadorable,melance-t-il,maisétait-celapeinedetedonnertantdemal?–Oui,ellelemérite.–Hum.Ehbien,j’espèrequ’elleapprécieratesefforts.Etlefaitquetum’aiestirédulitaumilieude
lanuit.Lorsque nous nous engageons dans l’allée de gravier de Tanglewood, papa klaxonne. Les jumelles
apparaissentsurlepasdelaporte,emmitoufléesdansdesmanteauxetdesécharpes.Ellesclignentdesyeuxd’unairhésitantdanslalumièredesphares.Jeleuraidemandédesefairebelles,etjenesuispasdéçu.Skyeporteunduffel-coatvintaged’oùdépasse levolantd’une jupe imprimée ;quantàSummer,elleapasséunevestedevelourssurunerobeentullerose.Danssescheveux,jereconnaislafleurensoiequejeluiaioffertel’annéedernière,agrémentéedequelquesplumes.J’aihâtedevoirsonvisagelorsqu’elledécouvriraoùnousallons.–Onétaitobligéesdeseleveraussitôt?bougonneSkyeenmontantdanslavoiture.Etoùest-cequetu
nousemmènes?EnSibérie?–Ons’ycroiraitdéjà,répliqueSummer.Jesuisgelée!Enfin…j’aitoutletempsfroidencemoment.
Alors,onvaoù?–Àlagareroutièred’Exeter,répondpapa.Jenepeuxrienvousdiredeplus–mavieendépend!–Pourquoi tantdecachotteries ?demandeSkye.Etqu’est-ceque je fais là,moi ?Tuasdécidéde
frimeravecdeuxfillesàtonbras,Tommy?–Mince,jesuisdémasqué.Tumeconnaisparcœur,SkyeTanberry.–Aufond,c’estchouette.J’adorelessurprises.–Maistunousdoisuneexplication!protesteSummer.Onadûsemettresurnotretrenteetunàcinq
heuresdumatin,etonnesaitmêmepaspourquoi…–Oui,donne-nousunindice!réclameSkye.Touràtour,ellesmebombardentdequestionstandisquenousroulonssurlespetitesroutesplongées
danslenoir.JefinisbientôtparcéderetleurrévèlequenousallonsprendrelecarpourLondres.–J’enétaissûre!s’exclameSkye.Finnestdanslaconfidence?Parcequejevouspréviens,s’ilne
vientpasetquejedoistenirlachandelle,jeseraitrèscontrariée!–Ilnousattendralà-bas,oui.–Youpi!seréjouitSummer.C’estsuper,onseratouslesquatre,commel’étédernier.
–Mêmesijeluienveuxàmort,reprendSkye.Jen’aipaseudenouvellesdeluidepuisuneéternité…etpendantcetemps-là,vouscomplotiezderrièrenotredos!Nousarrivonsàlagareroutièrepileàl’heureetnousinstallonsaufondducar.Summers’assiedau
milieu, entre Skye et moi. J’ai apporté un petit-déjeuner équilibré – pommes, barres de céréales etsmoothies aux fruits – pour ne pas effrayer Summer. Skye, beaucoup moins regardante que moi,s’empresse d’y ajouter des tablettes de chocolat. Summer n’y touche pas,mais ça n’a pas l’air de ladéranger.–Toiaussitut’esfaitbeau,commente-t-ellelorsquejeretiremonanorak.C’esttonplusbeaupullde
Noël,n’est-cepas?Quenousvautcethonneur?–Riendespécial.Maisjen’aipasenvied’avoirl’aird’unplouc!–OnvavisiterLondres?m’interrogeSkye.Jen’ysuispasalléedepuisdesannées.Ladernièrefois,
papavivaitencoreavecnous.OnétaitallésvoirBuckinghamPalace,laTourdeLondresetleParlement.Onavaitaussiprisunbusàimpériale,etcommeils’étaitmisàpleuvoir,mamannousavaitoffertdesparapluies…–Avecdesmotifsdetaxislondoniens!ajouteSummer.–Ensuite,maman était entrée dans une boutique pour nous acheter des tee-shirts, et des sandwichs
parcequ’onmouraitdefaim.Onavaitraténotretrainetpapaavaitdûpayerunsupplémentpourqu’onprennelesuivant,etilsavaientpassélecheminduretouràsedisputer.–Cocon’arrêtaitpasdepleurer,enchaîneSummer.Elledevaitavoirquatreans…–Quedebonssouvenirs,conclutSkye.Enfinnon,pasvraiment.–Aujourd’huiceseramieux,jeleurpromets.–Normal,faitSkye.Puisquepapaneserapaslà.Iln’ajamaisétédouépourlessortiesenfamille.–Iln’ajamaisétédouépourlafamilleengénéral,résumeSummer.Ellebâilleetposesatêtesurmonépauleavantd’ajouter:–Net’enfaispas,Tommy.Quoiquetuaiesprévu,jesaisqu’onvapasserunesuperjournée.Pourvuquejeneladéçoivepas…
FinnnousretrouvecommeconvenuàlagareVictoria,trèscooldansunevieillevestedecostumeaux
manchesremontéessurletee-shirtd’ungroupederockalternatifquim’esttotalementinconnu.Aussitôt,jeregretted’avoirmisunpullenlaineetunanorak.Moiquivisaislestyledécalé,jecrainssoudaindepasserpourunringard.C’estdéprimant.–Venez,lanceFinnauxdeuxfilles.Votresurprisevousattend!Suivez-moi…–Oùça?demandeSkye.–Auboutdumonde!Enfin,onvacommencerparlemarchécouvertdeCoventGarden.Jemesuisdit
qu’onpourraitydégusterunbrunchd’anniversaireenattendantleCadeauSpécial.–Génial,acquiesceSkye.Jemeursdefaim.Summermejetteunregardinquietetglissesamaindanslamienne.Finnfendlafouleendirectiondes
escalatorsdumétro.Nousnousentassonsdansunwagonbondé.Une fois arrivés à destination, nous déambulons un moment sur la place envahie de touristes et
d’artistes de rue. Nous admirons un cracheur de feu et deux acrobates, puis nous nous demandonscommentunhommepeintendoréparvientàresterassislesjambescroiséesdanslesairs,enlévitationsur un bâton. Enfin, Finn jette unœil à samontre et nous conduit vers un café qui propose unmenudiététique.Summercommandedesœufspochésauxépinards,dontellemangequelquesbouchées.
–C’estquoi,lasurprise?merépète-t-ellepourlamillièmefois.Tuneveuxriennousdire?Oualors,c’est juste une journée àLondres ? Parce que c’est déjà fantastique…mais commeFinn a parlé d’unCadeauSpécial…Devantsonregardpleind’espoir,jedevinequ’ellecommenceàassemblerlespiècesdupuzzle.–Unpeudepatience.Tusaurasbientôttout.Nous réglons l’addition et enfilons nos manteaux avant de ressortir dans le froid. Finn et moi
échangeonsunregardcomplice.–Ok,allons-y!jelance.Fermezlesyeux.–Tuplaisantes,pasvrai?protesteSkye.MaisFinnl’entraînedéjà.Summersouritnerveusement,lespaupièrescloses.Ellen’osepasencorey
croire.Jelaprendsparlamainetlaguideàtraverslafoule.Nousnousarrêtonsàl’autreboutdelaplace.–C’estbon,vouspouvezregarder!j’annonce.Àcetinstant,unejoieintensesepeintsurlevisagedeSummer.–L’Opéraroyal…souffle-t-elle.RoméoetJuliette!Oh,Tommy!C’esttropbeaupourêtrevrai!
4
CommeFinnadéjàrécupérélesbillets,nouslaissonsnosmanteauxauvestiaireetmontonsl’escalierquimèneàlapartieamphithéâtre,toutenhaut,làoùsetrouventlesplaceslesmoinschères.Ilvanousfalloiruntélescopepourvoirlesdanseurs,maispeuimporte.Onsecroiraitdansunpalais.Comme dans un rêve, Summer avance au ralenti sur l’épaisse moquette. Elle s’approche de la
rambardeafindecontemplerlesbalcons,lesbaignoiresetlascèneencoremasquéepardelourdsrideauxdevelourspourpre.Puissesyeuxseposentsurlesfauteuilsrougeetdorédeslogesd’honneur.Elleestparfaitedanssaroberosepâledontletissulégerévoqueuntutudedanseuse.Lafleuretles
plumesdesescheveuxaccrochentlalumièrelorsqu’ellesepenche,fascinée,pouradmirerlasalle.Jelarejoins.–Alors,tuesheureuse?jeluidemande.–Très!Tommy,c’estlaplusbellesurprisequ’onm’aitjamaisfaite.Tueslemeilleurpetitcopaindu
monde.C’estgénial!J’aitoujoursrêvédevenirici.–Jesais.–Çaadûtecoûterunefortune!–J’avaisdeséconomies.Etjevoulaismarquerlecoup.Ellem’embrassesur leboutdunez,puism’attrapepar lamainetpirouettedevantmoienriant.Cet
instantàluiseuljustifietousmesefforts.Jevaism’asseoir,maisSummerrestedeboutauborddubalconpendantquelesmusicienscommencent
às’accorder.Autourdenous,lethéâtreseremplitlentement.Jegigotesurmonsiège,malàl’aisedansmonpulldeNoël.Jenemesenspasàmaplace,etjesuisbiencontentqueSkyeetFinnsoientlà.J’ail’impressionderessembleràunépouvantailàcôtédesvieuxmessieursennœudpapillonetdesjeuneshommesenvestedeveloursetfoulardimprimé.Quantauxfemmes,ellesfontpresquepeur,surtout lesvieillesdamesauxchemisiersornésdegrossesbrochesclinquantes.Summersuitduregardunefamilleentraindes’installer:lesparentssourientàleursdeuxpetitesfillesvêtuesderobesdesatinassorties,avecsocquettesdedentelleblancheetchaussuresvernies.Songe-t-elleàl’époqueoùelleavaitlemêmeâgeetvenaitdedécouvrirladanse?QuandFinns’éclipsepouralleracheterunprogramme,Skyesetourneversmoi.–Tutiensbeaucoupàmasœur,hein?NousregardonsSummer,magnifiqueetdélicateaumilieudecedécorsomptueux.–Évidemment,jeréponds.Cen’estpasnouveau.–Tut’esdonnédumalpourorganisercettejournée.Etc’estgentildenousavoirproposédevenir,à
Finnetmoi.
– J’ai besoin de votre soutien psychologique. Vous vous rendez compte,moi, TommyAnderson, àl’opéra!Enplus,RoméoetJulietteestundesballetslesplusromantiques…J’aibeauavoirl’aircalme,jesuisterrifié!–Çan’apasd’importance.Tuesquelqu’undebien.–Merci…entoutcas,j’essaie!–Parcontre,neleprendspasmal,maistunedevraispastefairetropd’illusions.J’aicomprisceque
tuasderrièrelatête…– Comment ça ? Je voulais juste organiser un anniversaire inoubliable pour les deux filles que je
préfère.–Tut’inquiètespourSummer,commemoi.Commenous tous.Tuferaisn’importequoipourqu’elle
aillemieux,pourqu’elleretrouvelesourire.Etcommeelleadoreladanse, tu t’esditquel’inviter iciseraituneexcellenteidée.C’estadorabledetapart.Maisçarisqueaussid’êtredifficilepourelle.Tucomprends?–Oui,mais…c’estcequ’elleaimeleplusaumonde,n’est-cepas?Net’enfaispas,Skye, toutira
bien.–Leproblème,c’estqueSummer rêvaitdedanserà l’Opéra royal.Et aujourd’hui, elle saitquece
rêveneseréaliserajamais.–Passûr.–Si.J’aibeaurefuserdel’admettre,jesaisqu’ellearaison.– Que les choses soient claires, reprend-elle. Moi aussi j’aimerais y croire – presque autant que
Summerelle-même.Maisilfautêtreréaliste,Tommy.Elleestmalade.Ellen’estplusenétatd’intégreruneécolededanse,nides’entraîneravecdesprofessionnels.Etilyapeudechancesquecelachangeunjour. Elle deviendra peut-être professeur, ou chorégraphe ; elle pourrait aussi monter une boutiqued’accessoiresdedansepourgarderunpieddanslemilieu.Maiselleneserajamaisballerine.Elleesttropfragilepourça.Ellenesupporteraitpaslapression.Unfrissondecolèreetdefrustrationmeparcourtlecorps.JehaislamaladiedeSummerdetoutmon
être,parcequ’ellel’aprivéedesonrêve.Cen’estpasjuste.J’aienviededonneruncoupdepoingdanslesmouluresdoréesdesmursdel’opéra,dedéfoncerlarambardedubalcon,dedétruirecetendroit.Saufqueçanerégleraitrien.–Ilyatoujoursdel’espoir,jeréponds.Ellevaguérir–elleestdéjàplusfortedejourenjour.Peut-
êtrequecespectacleagiracommeundéclencheuretluidonneraenviedesebattreànouveau.Au fond de moi, je sens pourtant que courir après un rêve impossible n’aidera pas Summer. Au
contraire, cela pourrait même la faire régresser, la replonger dans les abîmes de son anorexie.Lorsqu’ellevients’asseoirprèsdenous,jelisdelatristessedanssesyeux.PourvuqueSkyesetrompe…
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Finnrevientjusteavantquelalumières’éteigneetquel’orchestreattaquel’introduction.Lamusiqueemplit l’auditoriumet, lorsqu’elleatteintsonpointculminant, lerideauselèvesurundécordemarchéhistorique.Même si le ballet n’est pas vraiment mon truc – j’ai un peu demal avec les hommes encollant–,jem’aperçoisquel’histoireestfacileàsuivre.Desjeunesgarçonstententdeséduiredesjeunesfilles, comme cela arrive chaque jour dans notre collège.Deux familles rivales se battent à coups decouteauetd’épée,jusqu’àcequ’untypetrèsricheviennes’interposer.C’estmoinsennuyeuxquejelecraignais.La danseuse qui interprète Juliette est blonde et très belle. Jeme prends à imaginer qu’il s’agit de
Summeretque je suis sonRoméo,mêmes’ilyapeudechancesque jem’habillecomme luiun jour.Après une scène d’amour un peumièvre entre les deux héros, c’est l’entracte. Skye avait tout faux :rayonnante,Summerm’expliquequelesfamilless’appellentMontaiguetCapulet,queJulietteestcenséeavoir quatorze ans, queMargot Fonteyn et Rudolf Noureev ont dansé les rôles-titres dans les annéessoixantesurcesplanches.Ellefeuilletteleprogrammeetmelitlecastingàhautevoix,pendantqueSkyeetFinnfontlaqueuepouracheterdesglaces.Puislesspectateursreprennentleursplaces,etledeuxièmeactecommence.Cette fois, il est question de mariage secret et de meurtre. Summer se penche en avant, les yeux
écarquillés,pournepasperdreunemietteduspectacle.Pendantlesecondentracte,elleretournes’appuyeràlarambardedubalconafindecontemplerlasalle
etlepublic.Jelarejoins.– J’aurais aimé pouvoir nous offrir de meilleurs sièges. Mais ces gens en bas doivent être
millionnaires.–Jem’enmoque.Laseulechosequicompte,c’estquejesoisici,avectoi.Jesuistrèstouchéeparce
cadeau,Tommy.Tuesgénial!Je rougis encore du compliment quand les lumières s’éteignent. Le dernier acte est complètement
dingue. Il y a des potions de sommeil, des fioles de poison et des lettres secrètes qui ne sont jamaisremisesàleursdestinataires.Pluslatensionaugmente,pluslamusiquemonteenpuissance.CroyantàtortqueJulietteestmorte,Roméos’empoisonne,etlorsquesonamanteseréveilleets’enaperçoit,ellesetued’uncoupdepoignard…etc’estlafin.Lerideauretombesurleursdeuxcadavres.Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais pas à ça. Je croyais que les histoires d’amourmièvres
finissaienttoujoursbien.Apparemment,jemesuistrompé.Un tonnerre d’applaudissements s’élève dans la salle, et les danseurs reviennent sur scène pour le
salut.RoméoetJulietteontmiraculeusementressuscité.Unepetitefilleboucléetendunbouquetpresqueaussigrandqu’elleàladanseuseétoile.Desrosesrougesetblanches.
LorsquejemetourneversSummer,jem’aperçoisquedeslarmesroulentsursesjoues.Ça,cen’étaitpasprévu.Jemurmure:–Désolé…jenesavaispasquel’histoireétaitsitriste.C’estunpeudéprimant.Ellesecontentedehocherlatêteetsecachederrièresescheveux.–Çava?luidemandeSkye.Summer,qu’est-cequetuas?Sajumellesemetàsanglotersanspouvoirs’arrêter,lecorpssecouédegroshoquets.Autourdenous,
lesgensquicommencentàse leverpoursortirnous regardentbizarrement.Skyeenlace sa sœuret luiparledoucementàl’oreille,maisleslarmesdeSummerreprennentdeplusbelle.–Qu’est-cequ’onpeutfaire?m’interrogeFinn,perdu.Peut-êtrequ’unetassedethéluiferaitdubien?–Jen’ensaisrien,Finn.–Summer,parle-moi,supplieSkye.Maiselleestincapabledeprononcerunmot.Skyemejetteunregardlourddereproches.Toutestma
faute.Finnetellem’avaientprévenu.Jemesuiscruplusmalin,etj’aieutort.Jefinisparintervenir.–Vouspouveznouslaisserunpeuseuls?BienqueSkyen’aitpasl’airconvaincue,ilssedirigentverslaporte.Desfemmesdeménagearrivent
etsemettentautravail.Profitantdubruitdel’aspirateurquimasquenotreconversation,jem’assiedsprèsd’elleetlaprendsdansmesbras.–Jepensaistefaireplaisir.Jenem’attendaispasàcequecesoitsitriste.LespleursdeSummersecalment.Ellereprendsonsouffle.–Cen’estpasça,merépond-elleenfin.Leballetétaitmagnifique.Incroyable.J’aiadoré.–Alors,qu’est-cequicloche?Elles’essuielesyeuxdureversdelamain.–Tunecomprendspas.Personnenecomprend.Cetendroit…ilsignifiebeaucouppourmoi.Ilestliéà
mesrêvesd’autrefois,desrêvesquineseréaliserontjamais.J’aitoutgâché,Tommy.–Biensûrquenon!Nedispasça!–Si,c’estvrai.Ladanseestunedisciplineexigeante.J’aiéchoué,etj’aimanquémachanced’intégrer
uneécoleprestigieusenonpasunefois,maisdeux.Onn’enapasdetroisièmedanscemilieu.Ilfautquejel’admette:jenesuispastailléepourunecarrièrededanseuse.Lapressionesttropimportantepourmoi.Çamefaitpaniquer,perdremesmoyens.Etparfois,j’aipeurquemamaladiemedévoreetqu’ilneresteplusriendemoi.Cettepenséemedonnelachairdepoule.–Tuvasguérir.Cen’estqu’unpetitcontretemps.Bientôt,tuirasmieuxet…– Et il sera trop tard. Trop tard pour mon rêve. Danser sur la scène de l’Opéra royal ? Autant
demanderlalune.Çan’arriverajamais.Maistun’yespourrien,Tommy.Etjesuistrèsheureused’êtreici,jetelejure.Elle s’essuie de nouveau les yeux et redresse la tête. Je regarde l’auditorium vide dans lequel les
femmesdeménage s’affairent.Celles qui nous entourent ont conscience qu’il se passe quelque chose,maisellesrespectentnotretristesseetnotreintimité.Jereprendslaparole.–Lesrêvesseréalisentparfoisd’unemanièreinattendue,tusais.–Pastous.Paslemien.–Tumefaisconfiance?Summerlèvesesgrandsyeuxbleusversmoi.–Évidemment.
C’est tout ce que j’avais besoin d’entendre. Je me redresse d’un bond, la prends par la main etl’entraînederrièremoi.FinnetSkyesontadossésaumur,enhautdel’escalier.Nouslesdépassonsencourantetdévalonslesmarchesquatreàquatre.–Qu’est-cequivousarrive?crieFinndansnotredos.JeregardeSummer.Unsouriresedessinesurseslèvres,etbientôtelleéclated’unrirefrancetjoyeux.
Nousnousarrêtonsdevantlesportesmouluréesquiconduisentàlafossed’orchestre.JemetourneversFinnetSkye,etjelance:–Onréalisenosrêves!
6
Alorsquejem’apprêteàpousserlaporte,elles’ouvresurunpetitgroupedefemmesdeménageenuniforme.Trois d’entre elles disparaissent au bout du couloir avec leurs chiffons et leurs aspirateurs,tandisqueladernières’apprêteàfermeràclé.–Attendez! jem’écrie.J’aioubliémontéléphoneàl’intérieur.Ilcoûtetrèscher–monpèrevame
tuersijeleperds!–Iln’yestpas,merépond-elle.Onatoutnettoyéetonn’arientrouvé.Désolée.–Si,si,jesaisexactementoùilest.C’étaitidiotdemapart,jel’aicachésouslesiège.Sivousvoulez
biennouslaisserentrer,çaneprendraqu’uneminute.–S’ilvousplaît!insisteSummer.Ilvaavoirdesproblèmes.Sonpèreesttrèssévère.Lafemmehésite.Elleestpresqueconvaincue.Maisellesecouelatête.–Impossible,conclut-elle.Jesuisnavrée,maisjenepeuxpasrisquermonpostedechefd’équipepour
ça.Passezàl’accueiletexpliquez-leurlasituation.Ilsenverrontquelqu’uncherchervotretéléphone.Etsionnouslerapporte,onvouspréviendra.Moncœurseserre.FinnetSkyeapparaissentderrièreelle.Ilesttempsdepartir.C’estalorsqueFinnsemetàhurler:–Ausecours!Ausecours!Ilyaunvieuxmonsieurlà-hautquifaitunecrisecardiaque.Ilétouffeetil
esttoutpâle…venezvite!Finnaraisondevouloirfaireducinéma.C’estunacteur-né!–Dépêchez-vous,c’estpeut-êtreunequestiondevieoudemort!ajoute-t-il.–Mais,je…protestelafemme.Finnl’entraîneverslesescaliers.Aussitôt,jepousselaportedel’auditoriumetmeglisseàl’intérieur
avecSummer.Lasalleestdésertesousleslumièrestamisées.Nousdescendonsaupremierrangetlongeonslafosse
d’orchestrevidejusqu’auxpetitesmarchesquiconduisentàlascène.JetienslamaindeSummerpourl’aideràmonter.Ellejetteunregardinquietautourd’elle,craignant
sans doute que la femme deménage débarque ou qu’une sirène se déclenche pour prévenir lemondeentierquelafillelaplussagedupaysviolelerèglement.Maisriennesepasse.–Vas-y,jesouffle.Onyest.C’esttonmoment!Ellemedévisage.Jemedemandesiellevarenoncer,maisellefinitparmelancerseschaussureset
songilet.Elleresteimmobileuneminute,frissonnantedanssarobedetullerose.Ellesembletellementperdue,tellementhésitante…Etsic’étaitunemauvaiseidée?Puiselle lève lesyeuxvers la sallecommesiellecontemplaitunpublic invisible.Elle redresse le
menton,sourit,etjecomprendsqu’elleentendetvoitdeschosesquim’échappent.
Alors, debout sur lapointedespieds, elle semet àdanser.Audébut, sesmouvements sont lents etprécautionneux.Ellenedisposequedelapetitebandedescènesituéedevantlerideau.Maispeuàpeu,elle prend confiance en elle. On dirait qu’elle danse là tous les jours. Elle s’élance et enchaîne lespirouettesdansuntourbillondetulle,lesbrastendusau-dessusdelatête.C’estmagnifique.Sachorégraphiedélicategagneprogressivementen intensité,devient frénétique. Il
n’yapasdemusique,mais je l’entendsrésonnerdansmesoreilles, je lasensmontercrescendotandisqueSummerbonditetvirevoltedanslapénombre,forte,sûred’elle,parfaite.Uneboufféed’amouretdefiertém’envahit. Je suis certain que personne n’a jamais aussi bien dansé qu’elle en cet instant. ElledansemieuxquelorsdesonauditionsurL’Oiseaudefeu,mieuxqueJuliette,mieuxquelecygneblancde son ballet préféré. Elle est magique. C’est son histoire qu’elle raconte, et je ressens chacune desémotionsqu’ellefaitpasser.J’ail’impressionquemoncœurvaexploserdebonheur.Unrêveprendviesousmesyeux,etjeneveuxsurtoutpasmeréveiller.Soudain,unprojecteurs’allumeau-dessusdenous.Sanshésiter,Summeroffresonvisageàlalumière
comme si elle réalisait enfinqu’elle est là, àLondres, sur la scènede l’Opéra royal.Elle a parcourubeaucoupdechemindepuislejouroù,petitefille,elledansaitdanslasalledel’écoleenfaisantvalsersestresses.Maisc’estlamêmeforce,lamêmejoiequil’habitentaujourd’hui.Lorsqu’elles’inclineenuneultimerévérence,jem’aperçoisquemesjouessonttrempéesdelarmes.Je
me dépêche de les essuyer avant de l’applaudir. Des clappements de mains s’élèvent de la salle, etlorsque jeme retourne, je découvreFinn,Skye et plusieurs femmesdeménagedans l’undesbalcons.D’autresapplaudissements,unpeuétouffés, résonnentdans lescoulisses,etquelqu’unsiffledepuis lescintresavantd’éteindreleprojecteur.C’estalorsqueseproduitunechoseincroyable.Une silhouette apparaît sur le côté. Ses cheveux blonds tressés sont retenus par une multitude
d’épingles,etelleporteencoresonmaquillagedescène.JereconnaisladanseusequiinterprétaitJuliette,cellequim’afaitpenseràSummer.Jeretiensmonsouffle.Derrièreelle,unepoignéed’autresartistess’avancentensouriant.–C’étaitmerveilleux,déclarelajeunefemme.Nousn’avonspasl’habitudequel’ondansepournous,
surtoutavecautantdepassion.Bravo!LevisagedeSummerrayonneetsonregards’illumine,commejel’espéraisdepuissilongtemps.–Juliette,murmure-t-elle.Vousétiezincroyable…Ladanseuseprendsonbouquetderosesrougesetblanchesdesmainsd’undesescamarades.–C’esttoiquiesincroyable,répondladanseuse.Vraiment.Tiens,tulesmérites.Puiselleluifaitlabiseetrepartverslescoulisses.Summerseretrouveseuledanslapénombre,des
fleurspleinlesbrasetunimmensesourireauxlèvres.Ellesaitqu’ellenedanserasansdouteplusjamaissurcettescène,qu’ellenerecevrapasd’autrebouquetcommecelui-là…maisencetinstant,ellevitunrêveéveillé.Quand lesportes s’ouvrentpour laisserpasserFinn,Skyeet la responsablede l’équipedeménage,
Summerestdéjàentrainderemettreseschaussures.Anticipantlesreproches,jem’écrie:–Ons’enva,ons’enva!Jemesuistrompé,enfait,j’aioubliémontéléphonechezmoi.Merciquand
même…LesyeuxrivéssurSummer,lafemmenemerépondpas.Lorsquenousnousfaufilonsdevantellepour
sortir,elleluieffleurelebrasendisant:–C’étaittrèsbeau.
Aprèsavoirrécupérénosmanteauxauvestiaire,nousémergeonsdanslalumièredéclinantedelafin
d’après-midi.LesboutiquesdeCoventGardensontilluminées,maisriennepeutrivaliseravecl’éclatduregarddeSummer.–Tommy,jeretiretoutcequej’aidit,déclareSkye.Tuesungénie.Jenedouteraiplusjamaisdetoi.–Bienjoué,monpote,renchéritFinn.Sacréejournée.Summer,elle,garde le silence.Elle secontentede serrermamain très fort avantdem’entraîneren
tourbillonnant à travers la place. Finn et Skye se lancent à notre poursuite en riant comme des fous,jusqu’àcequelamèredeFinnviennenouschercherpournousrameneràlagareroutière.Sur le chemindu retour,Summer serre sonbouquet contre elle et respire àpleinspoumons ledoux
parfumdesroses.–JepeuxdiresanshésiterquecesontlesplusbellesfleursdeSaint-Valentinquej’aiejamaisreçues,
meconfie-t-elle.Etquejerecevraisansdoutejamais!Merci!–Trèsoriginale,taméthodedelivraison,renchéritSkye.Jesuisépatée.–Oh,cen’estpasgrand-chose.Voussavez,j’aidesamistrèshautplacés.Je sourismalgrémoi. Parfois, l’imprévu se révèle encore plusmerveilleux que tout ce qu’on a pu
organiser.Tandisquelecarsortdelaville,Skyes’endort,pelotonnéesursonsiège.Summerseblottitdansmes
brasenrépétantquec’étaitleplusbelanniversaireetlameilleureSaint-Valentindesavie.Enlaserrantcontremoi,jemerendscomptequ’elleparaîtplusforteetpeut-êtreunpeumoinsperduequ’àl’aller.Jesuislegarçonlepluschanceuxdelaterre.–J’ignoraisquetuavaisdestalentscachés,TommyAnderson,murmure-t-elle.Tuasledonderéaliser
lesrêves.–Jen’ysuispourrien.C’est toiquiasassuré.Jemesuiscontentédefairediversion,avecunpetit
coupdemaindelapartdeFinn.–N’empêcheque,sanstoi,çaneseraitpasarrivé.Tueslemeilleurpetitcopaindumonde.Jen’aipas
intérêtàtelâcher.–Non,tun’aspasintérêt.Jeposemeslèvressursescheveux,etnousrestonsainsijusqu’àlafindutrajet.
Dansl’ombredesprojecteurs
4septembreChèreSummer,J’ai recommencé cette lettre un million de fois, et je ne sais pas quoi te dire à part que je suisvraiment,vraimentdésolée.Onpartageaitlemêmerêve,lesmêmesespoirs,maisj’aitoujourssuquetuétaislaplusdouéedenousdeux.Jen’auraisjamaispuentreràlaRochelleAcademy,cetteplaceauraitdûterevenir…maistuestombéemalade.C’esttrèsbizarre.J’ail’impressiond’êtrelafillelapluschanceusedelaterre,etdeuxminutesaprès,je suis envahie par un sentiment de culpabilité tellement violent que j’ai dumal à respirer. Si j’aiobtenucequejevoulais,c’estparcequetoi,tunevaspasbien.Souvent,lanuit,quandjen’arrivepasàdormir,jemedemandesitumepardonnerasunjour.Jesuistellement,tellementnavréedecequis’estpassé.J’auraisaiméqu’ilensoitautrement,quetuguérissesetqu’onseretrouveicitouteslesdeux.Peut-êtreque,danscesconditions,j’auraiseumoinspeur.Jet’embrassetrèsfort,Jodie
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–Salut,melanceGrace,unedemestroiscamaradesd’internat,tandisquejedéballemesaffairesdansnotrechambrebleuciel.TudoisêtreSummerTanberry.–Euh,non.Jem’appelleJodie,JodieRivers.Gracefroncelessourcils.–Pourtant,d’aprèslecourrierquej’aireçu,jedevaislogeravecNaomiPrince,OliviaMulgraveet
SummerTanberry!Ildoityavoiruneerreur.J’essaiedegarderuntonenjoué.– Summer n’a pas pu venir. Elle est tombée malade et a dû abandonner. Moi, j’étais sur la liste
d’attente.–Oh,jevois,murmureGraceenéchangeantunregardaveclesdeuxautres.Lalisted’attente…Je tente de sourire, mais je devine que leur opinion est déjà faite. Ces filles sont toutes minces,
longilignesetdiscrètes,avecunportdetêteetdeschignonsblondsparfaits.Jeneleurressemblepas.Jesuis rondeet bavarde, etmes longuesbouclesbrunes indisciplinées finissent toujourspar sedétacher,quellequesoitlaquantitéd’épinglesetdelaquequej’utilise.Jesuisunedesraresélèvesayantobtenuunebourseaumériteenplusd’avoirréussil’audition.Alors
pourquoiest-cequejemesenssipeuàmaplace?Grace,NaomietOliviamesourientpoliment,puiscontinuentàdisposerdescadressurleurstablesde
nuitetàrangerdesvêtementsdansleurscommodes.Jenesuispascertainedepouvoirtenirdixminutesdeplusdanscetendroit,sansparlerdessixsemainesquimeséparentdesprochainesvacances.Commentai-jepupenserquec’étaitunebonneidée?J’aimeraisretournerdansmonancienneécole,oùjen’avaisplusàprouvermavaleur.Commej’étaisencompétitionavecSummer, jenem’étaispasprojetéeà laRochelleAcademy.Quandonm’aoffertunechanced’yentrer,j’étaisfolledejoie,évidemment.Maisjenemesuissansdoutepasassezpréparée,etj’aipeurdenepasêtreàlahauteur.Mesparentssontpartisdepuisuneheure,etj’aidéjàenviedelesappelerpourqu’ilsreviennentme
chercher.Maisjenesuispasdugenreàbaisserlesbras.Etj’aitoujoursrêvéd’uninternatcommecelui-là.Enfin,jecrois.Summer se serait intégrée sans problème ; elle aurait charmé tout le monde et se serait fait trois
nouvellesamiesenunclind’œil.DommagepourGrace,NaomietOlivia;ellesvontdevoirsecontenterdemoi.Quelqu’unfrappeàlaporte.–Quiçapeutbienêtre?murmureOlivia.Jemelèveenriant,amuséeparsatimidité,etdécouvrequatrefillesderrièrelebattant.
–Salut!lanceunejolieIndienne.Onestvosvoisinesd’àcôté!Jem’appellePriya,etvoiciAnnabel,TashaetNiamh…onpeutentrer?Onaapportédescadeauxdebienvenue!Quelquesminutesplustard,serréesàhuitdansnotrepetitechambre,nouspartageonsdesbiscuitsau
chocolat et du jus d’orange en nous racontant d’où nous venons et à quel point nous sommes excitéesd’êtrelà.Laglaceestbrisée.Nosvoisinessontsympas,ouvertesetdrôles;soudain,mescolocatairesontl’airmoinssûresd’elles,moinsparfaitesqu’àmonarrivée.Ellessontpeut-êtreaussistresséesquemoi,aufond.Nouspourrionsfinirparnousentendre.L’espoir renaît en moi, et j’oublie un peu mon impression de n’être qu’un second choix. C’est un
nouveaudépartpournous,dansunenouvelleécoledirigéeparlacélèbredanseuseSylvieRochelle.Ici,toutsemblepossible.–Lescoursdémarrentdemainmatin,annonceTasha,unejeunefillenoireetsvelteàlacoiffuretressée
magnifique.Jen’aipastrèsenviedemeremettreauxmathsetauxsciences,surtoutqu’oncommenceàhuitheures.Enfin,ilvafalloirs’yhabituer!–Aumoins,onseradébarrasséesàmidi, jesouligne.Ensuite,après lapausedéjeuner, imaginezun
peu…onauraunaprès-midientierdedanse!Etceseracommeçachaquejourdelasemaine,pluslesamedienoption.Lerêve!–J’aipeurdenepastenirlerythme,confesseNaomi.Jusqu’ici,jen’aijamaisprisplusdetroiscours
parsemaine…–Etmoideux,renchéritAnnabel.Jevaisêtrecomplètementàlatraîne.C’estbiencequejepensais:malgréleurcalmeetleurapparenteperfection,ellessontaussinerveuses
quemoi.MêmeGracehochelatête.– Je crois que c’est normal de ressentir de l’appréhension. Il faut dire que, chez nous, on était les
meilleuresdanseusesdel’école;ici,çavaêtredifférent!Je garde le silence. Moi, je n’étais même pas la meilleure. Ça a toujours été Summer. Le doute
m’envahitdenouveau,maisjelerepoussedansuncoindemonespritetdéclare:–L’essentiel,c’estqu’onpuissecompterlesunessurlesautres.Mesnouvellescamaradesm’écoutentavecattention,commesijem’apprêtaisàdirequelquechosede
trèsimportant.–Nousavons toutes rêvédecette école.Aujourd’hui,nous faisonspartiedes trenteprivilégiéesde
notresection.C’estgénial,non?Jenedispasqueceserafacile,aucontraire.Onrisquedesouffrir,etilyaurasûrementdesmomentsdedécouragementoùnousregretteronsd’avoirpassécetteaudition…maisnousdevonsnousréjouird’êtrelà.Nousn’avonspasbesoind’êtreencompétition.Franchement,ladanseimpliquedéjàsuffisammentdepressioncommeça.Ilfautqu’onsoitamiesetqu’onsesoutienne.–Jodiearaison,confirmePriya.Sionseserrelescoudes,onyarrivera.Pourmoi,leplusdursera
d’êtreséparéedemafamille.Jesuisàdescentainesdekilomètresdechezmoi,alorsjenepourraimêmepasrentreràtouteslesvacances!–Moi, c’estmon copain qui vamemanquer, enchaîneNaomi.On ne sort ensemble que depuis six
semaines,maisjetiensbeaucoupàlui.Çavafairebizarrederestertoutletempsentrefilles…–D’unautrecôté,ditNiamh,iln’yaurapasdegarçonspournousdistraireounouscasserlespieds…–Maispasnonplusd’amourettes,conclutPriyad’unevoixtriste.– Et on est la plus âgée des trois promos de l’école, nous rappelle Olivia. On n’aura personne à
admirer,personneàquidemanderconseil.Onvasesentirseules!
Nous réfléchissons en silence à la perspective des longues semaines de travail acharné qui nousattendent.Cen’estpastrèsréjouissant.Naomirenifleuneoudeuxfois,lesyeuxhumides,etjecomprendsqu’àmoinsd’agirrapidement,cettepetiteréunionimproviséevaseterminerdansleslarmes.Alorsjemelèved’unbondpuisattrapePriyaetTashaparlamain.–Venez!Allonsexplorerleslieux.C’estexcitant,non?J’ail’impressiond’êtreHarryPotteràl’école
dessorciers–saufquelespointesetlesjustaucorpsontremplacélesbaguettesmagiques!Graceétudieledépliantdebienvenuequ’onnousaremis.–Ledînerd’accueilauralieuàdix-huitheures,lit-elle.Enattendant,lesélèvessontinvitésàdéballer
leursaffairesetàseprésenteràleurscamaradesdechambre.Ilspeuventégalementseretrouverdanslefoyerdupremierétage…–Allons-y,j’insiste.Çanouschangeralesidées.Nousnetardonspasàlocaliserlefoyer,unegrandepiècelambrisséeauparquetcouvertdevieuxtapis
persans.Elleestmeubléedequatrecanapésdépareillés,deplusieursgrospoufsetd’unetablebasseenboisverni.Aufond,unpoêleimposantdégageuneodeurréconfortantedefeudeboisquimerappellelesfêtessurlaplagedemonenfance.Lesquatreélèvesavachisautourn’ontrienàvoiraveclesballerinesquej’airencontréesjusque-là.Ilslèventlesyeuxversnousensouriant.–Oh.Mon.Dieu…souffleTasha.Desgarçons!Finalement,ilsembleraitquelaRochelleAcademynesoitpasréservéeauxfilles…
7octobreChèreSummer,J’espèrequetuasreçumadernièrelettre.Jesaisquetun’espastrèsenforme,etmerépondrenefaitsans doute pas partie de tes priorités, mais je croise les doigts pour que tu ne m’en veuilles pasd’avoirpristaplaceàlaRochelleAcademy.J’aibeauêtrequasimentsûrequenon,tumeconnais…jesuisd’unnaturelinquiet.Jecommenceàmesentirchezmoiici.Mesmeilleuresamiess’appellentNaomietTasha,etilyaaussiungarçon,Sparks.Oui,jesais…ungarçon!Jepensaisquel’écoleseraitréservéeauxfilles,maisenfait, notre promo compte quatre garçons. Tu te rends compte ? Sparks, Josh,Matt et unFrançais,SébastienDubois,lefilleuldeSylvieRochelle.Cool,non?Jetelaisseimaginerl’ambiancequirègneici!PlusieursdemescamaradescraquentpourSparks,maislesfillesnesontpastropsatassedethé,situvoiscequejeveuxdire.Ilestdrôleetsupersympa.C’estgrâceàluiquejenesuispasencoredevenuefolle.Àpartça,j’adorelescoursdedanseclassique,maisjenecomprendsrienàladansecontemporaine…leprofesseurdoitmetrouvernulle.Iln’arrêtepasdeparlerderessentirlamusiqueetdeselaisseraller ;maismoi, sanschorégraphie, jesuisperdue.Toiparcontre, jesuissûrequeça teplairait !Voilàpourlesdernièresnouvelles.Ilnerestequedeuxsemainesavantlesvacances.Onvapouvoirenprofiterpoursevoir,ceseraplusfacilequeleslettres!Est-cequetupréfèresquejetetéléphoneavantdepasser?J’espèrequetoutvabien pour toi et que tu te sens mieux. Qui sait, tu pourras peut-être repasser l’audition l’annéeprochaineetmerejoindreici!Tonamiequit’adore,Jodie
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Assis surmon lit, Sparks ébouriffe et crêpe ses cheveux blonds jusqu’à ressembler à un porc-épicpunk.Ilterminesonœuvreparunnuagedelaque,toutenpestantàproposdesmaths.–Lesfractions,leséquationsetlesracinescarrées,çanesertàrien!ronchonne-t-il.Jen’enauraipas
besoinquandjeseraiundanseurcélèbre,alorspourquoimeprendrelatêteavecçaaujourd’hui?C’estcruel.Siçasetrouve,c’estconsidérécommeunetorturedanscertainspays.–N’importequoi,jerépondssansleverlenezdemoncahierd’exercices.Lesmaths,c’estimportant.
Tuserasbiencontentd’avoirquelquesnotionsquandtudevrasnégociertonsalaireauBalletroyal!–Siseulement…Laportes’ouvresurGrace,quiparaîtcontrariéedevoirSparksdansnotrechambre.–Qu’est-cequ’ilficheici?Lesgarçonsn’ontpasledroitdetraînerdanslesdortoirsdesfilles,Jodie.
Imaginequejesortedeladouche!Lerèglement,cen’estpaspourleschiens.–Euh,salut!intervientSparks.Jesuislà,jetesignale.Tupeuxt’adresserdirectementàmoi.Ettune
sorspasdeladouche,doncjenerisquepasdem’évanouiràlavuedeteschevillesnues.Iln’yapasdequoienfaireunfromage.Ondiscutaitenrévisantnosmaths,cequiàmaconnaissancen’estniillégal,nidangereuxpourl’avenirdelasociété.Arrêteunpeudecréerdesproblèmeslàoùiln’yenapas…–Sparksestunami!jerenchéris.–Maisc’estungarçon.–Auxdernièresnouvelles,oui,confirmeSparks.–Tuasutilisémabrosse!s’exclamesoudainGrace.Etmalaque!Sparks,tupassesplusdetempsici
quedanstaproprechambre.Franchement,j’enaimarre!Sparks soupire, se lèveet traverse lapièceenunsuperbegrand jeté, avantde faire la révérenceet
d’envoyerunbaiseràGrace.–Mercipourlalaque,lance-t-il.Laprochainefois,prendsplutôtlaversionextra-forte.Jesaisquetu
détestesavoirlemoindrecheveuquidépasse.Surcesmots,ils’enfuitencourantdanslecouloir.Jelesuisenréprimantunfourire.Gracen’apas
toujoursboncaractère,etelleesttrèsmaniaque.Parmoments,j’ail’impressionquemaseuleprésenceladérange,commesilesimplefaitquejerespire,quejeparleouquej’exprimeuneopinionétaitsourcededésordre.Lorsqu’elle devient trop insupportable, jeme réfugie dans le foyer ou je sors prendre l’air. Vivre
vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec une trentaine de garçons et de filles dingues de ballet peutparfoisdevenirpesant.–Graceestpénible!gémitSparksens’affalantsurunpouf.QuelquesélèvesregardentunDVDàl’autreboutdelapièce.Lesdialoguesdufilmcouvrentnosvoix.
–Jecroisqu’elleestjalousedetoi,Jodie,reprendmonami.ElleapeurquetudécrocheslepremierrôleduspectacledeNoël.–Oualors,ellemedéteste.Elleesttellementsérieuse,tellementdéterminée…ellefinirasûrementpar
intégrer une compagnie prestigieuse. Franchement, elle n’a pas grand-chose à craindre de moi.Contrairementàlaplupartdesfillesdecetteécole,jen’aipasunphysiquededanseuseclassique.Etjenesuispasassezdouéepourunecarrièresolo.Jenecomprendsmêmepasqu’onm’aitacceptéeici.Sparkslèvelesyeuxauciel.–Ont’aacceptéeparcequetuesincroyable!Tuasuntalentinnéquiémanedetouslesporesdeta
peau.Graceenaconscience,etça lacontrarie,parcequ’elleaurabeautravaillercommeunefolle,cegenredechosesnes’acquiertpas.Etjenevoispaspourquoituneseraispassoliste.Tudevraistemettredavantageenavant,tusais!– Je préfère rester à l’arrière-plan.Maismerci pour les compliments ! Toi aussi tu te débrouilles
plutôtbien,Sparks.–Queveux-tu,toietmoi,onsortdulot…Blagueàpart,Graceauneautreraisondet’envouloir.–Ahbon?Laquelle?–Elletientenunmot:SébastienDubois!–Çafaitdeuxmots,jerépliqueenessayantdenepasvireraurougevif.Etjenesaispasdequoitu
parles.Sparksmefaitunclind’œil,etnousnoustournonsverslegroupeinstallésurlescanapés.Sébastien,
plongédanssonfilm,nesemblepasserendrecomptedesregardsénamourésdesfillesquil’entourent.Avecsescheveuxbrunsenbataille,sesyeuxnoirsetsonteintmat,ilesttrèsséduisant.C’estvraiqu’ilnemelaissepasindifférente,mêmesijefaistoutpourlecacher.–Oh là là,murmure Sparks enme donnant un petit coup de coude. J’en connais une qui semeurt
d’amour!Neleniepas,jelesais!–N’importequoi!Jeleconnaisàpeine.–Maistuaimeraisqueçachange,pasvrai?ToutcommeGrace.Dèsqu’ilestdanslesparages,elle
n’ad’yeuxquepourlui.Voilàpourquoielleestjalousedetoi!–Jeleluilaisse.Ilestbeaucouptropbeaupourmoi.Sparkssecouelatêted’unairdésespéré.–Arrête!Ladanse,tonphysique…tuterabaissestoutletemps!–C’estdel’auto-défense.Quandonnesefaitpasdefauxespoirs,ontombedemoinshaut.Au fonddemoi, jen’ensuispasconvaincue.Lorsque leschoses tournentmal, je souffreautantque
n’importequi.Çam’estdéjàarrivéplusieursfois :quandj’avaisdixans, j’aiéchouéauxauditionsduBalletroyal;etjenedoismaprésenceiciqu’àladéfectiondeSummer.D’unautrecôté,lafréquenternem’apasvraimentaidéeàprendreconfianceenmoi.Notreprofesseurdedanse,MissElise,m’atoujoursencouragée,maisc’étaitSummerlastardel’école.Plusellesedonnaitdemal,plusj’essayaisd’avoirl’airdétachée.Reconnaîtreàquelpointtoutcelam’atteignaitauraitétéunaveudefaiblesse.LorsqueSummeradécrochélaplaceàlaRochelleAcademydontnousrêvionstouteslesdeux,jeme
suissincèrementréjouiepourelle.C’étaitunedemesmeilleuresamies,etelleméritaitcettechance.J’aipleurédansmonoreillerpendantunesemaine,sansquepersonnenesacheàquelpointj’étaisdéçue.EtpuisSummeradûrenonceràintégrerl’internat,etonm’aoffertdelaremplacer.–Jesuissifièredetoi,Jodie!m’afélicitéemamère.Ilsn’ontsélectionnéquelesjeunesdanseuses
lesplusprometteuses!
J’aisouri,maisjesavaisqueSummerseraittoujoursmeilleurequemoi.–Lamodestienetemèneranullepart,meprévientSparks,lesorteilstendusverslepoêle.Tunepeux
pasmettretapassionensourdinecommesirienn’avaitd’importance.Ilfautvivretavieàfond,Jodie!Tun’enaspasconscience,maistudégagesquelquechosedespécial.MonregardcroiseceluideSébastien,quimedécocheunpetitsourireavantderetourneràsonfilm.
Est-ce qu’il se doute que je pense à lui le soir avant de m’endormir, ou le matin dans mon demi-sommeil? Ilestgentilavec tous lesélèves ; jepariequ’ilnesaitmêmepasqui jesuis. Je répondsàSparks:–Jesuisjusteréaliste.Àquoibonrêverdedécrocherlalunequandonn’apasdefuséepouryaller?–Moinonplus,jen’aipasdefusée.Maiscen’estpasçaquivam’arrêter.Aujourd’hui,laRochelle
Academy…etdemain,lemonde!Siseulementj’avaisneserait-cequelamoitiédesonassurance…
10novembreChèreSummer,Jesuisdésoléequ’onn’aitpasréussiàsevoirpendantlesvacances.Jet’aitéléphonéplusieursfois,maisçaavaitl’aird’êtrelafolie,cheztoi.Etcommetunem’aspasrappelée,jemesuisdemandésiont’avaitbientransmismesmessages.J’espèrequetun’espasfâchéecontremoi.J’aiparléàSkye, ladernière fois.Ellem’aditque tuallaismieux,maisque tupassaispasmaldetempsàlacliniqueetquetum’écriraissionn’arrivaitpasàsevoir.Jel’espère!Jesuisheureusedesavoirquetuterétablis,Summer.Jeneparvienspasàt’imaginermalade,toiquiastoujoursétésiforte.Çam’afaitbizarrederentreràlamaison.Jen’attendaisqueçadepuissixsemaines,mais,àpeinearrivée,jemesuismiseàcompterlesjoursquimeséparaientdemonretouràlaRochelleAcademy.J’aidumalàl’expliquer…jen’aijamaistravailléaussidurdemavie,etpourtantj’adoreça.Jenepourraisplusm’enpasser.Jesuissûrequetumecomprends.OnesttrèsoccupésparlespréparatifsduspectacledeNoël;cettesemaine,onvaenfinsavoirquelballetondoitinterpréter.Toutlemonderedouble d’efforts dans l’espoir de décrocher l’un des premiers rôles – même si, en ce qui meconcerne, je neme fais pas tropd’illusions. Skyem’aannoncéque tu sortais avecTommy ; quellesurprise ! J’espère qu’il te rend heureuse. Moi j’ai eu un petit coup de cœur, pour Sébastien, leFrançais dont je t’ai parlé. Je ne suismême pas certaine qu’il sache que j’existe, mais bon… lessentiments,çanesecontrôlepas!Jemesensunpeubêtedem’acharneràt’écrirealorsquetunemerépondspas.Ducoup,sanssignedetapart,jetelaisseraitranquillejusqu’àcequ’onsevoieaumomentdesfêtes.Maisjepenseraiàtoitouslesjours,c’estpromis.Jet’embrassetrèsfort,Jodie
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Jepensaisdéjàavoir ladansedans le sang,maisaprèsdes semainesdepratiquequotidienne,c’estdevenuencoreplusnaturelpourmoiquedeclignerdesyeux.Lesmouvementsquimedonnaientencoredufilàretordreilyadeuxmoispassentdésormaistoutseuls.Pourtant,lesprofesseursmettentlabarreunpeuplushautchaquesemaine;ilsnouspoussentànoussurpasserpouratteindreunbutimpossibleetinvisible.Alorsnousredoublonsd’efforts.Moncorpsestdeplusenplusminceetmusclé.J’aidescourbaturespartoutetlesorteilsdouloureuxà
forcedepasserdesheuressurmespointes.ÀlaRochelleAcademy,onvitetonrespirepourladanse.Celafaitpartieducontrat.Nous attendons avec impatiencede connaître le ballet deNoël et le nomdes solistes.Une semaine
aprèsleretourdesvacances,SylvieRochellenousconvoquedansleStudioUnetnousannoncequenousinterpréteronsCasse-Noisettequelquesjoursavantlesfêtes,danslethéâtredePlymouth.Chaqueélèveauraaumoinsunpetitrôle.JeregardeSparks,deboutàmadroite,quicroiselesdoigtsdetoutessesforces.Tasha,àmagauche,
semordleslèvres.Unmètreplusloin,Gracesetienttrèsdroite,lefrontplisséparunmélangedepeuretd’espoir.Autourdenous,chacunseprendàrêver.Lestressestsipalpablequ’onpourraitlecouperaucouteau.J’essaie de garder l’air détaché. Comme je ne fais pas partie des meilleurs, je ne peux pas me
permettrede tropycroire.Etpuis lecorpsdeballet suffiraamplementàmonbonheur. Jenesuispaspresséed’occuperledevantdelascène.Le rôledeClaraest attribuéàAnnabel, et celuide laFéeDragéeàGrace.QuandSylvieRochelle
annoncequeSparkssera leprinceCasse-Noisette, ilpousseuncride joieetsauteaucoudeceuxquil’entourent.Onpassealorsauxsecondsrôlesdudeuxièmeacte,celuioùClaradécouvreleRoyaumedesdélices. Je me vois confier la danse espagnole du Chocolat, et je suis partagée entre la terreur etl’allégresse.Naomi,Priya,Niamh,Tashaetlesautresferontellesaussidebrèvesapparitions.Puisnotredirectricedésignelesélèvesplusjeunesquijouerontlesinvitésdelafêteetlessouris.Jen’arrivepasàréaliserquej’aidécrochéunsolo,unrôlerespectableetintéressant.Maisbientôt,lesdoutesm’assaillentde nouveau. Je ne suis pas prête, pas assez courageuse, pas assez douée. Tout le monde va s’enapercevoir.–C’estgénial!souffleTasha.Onadessolos!–Oui,c’estcool.Àcôtédemoi,SparksrayonnedebonheuretGracen’enrevient toujourspasd’avoirobtenuundes
rôlesprincipaux.Jesaiscombienelleytenait,alorsj’essaiedemeréjouirpourelle.–Nouscommenceronslesrépétitionsdemain,déclareSylvieRochelle.Bravoàtous–jecomptesur
vouspourfairedevotremieux.Etmaintenant,jevouslibère,meschéris!
LorsquejepassedevantelleavecNaomi,TashaetSparks,ellemeretientparlebras.–Jodie,j’aimeraisteparleruneminute.Moncœurs’arrêtedebattre.Ai-jefaitquelquechosedemal?Vais-jeavoirdesproblèmes?–Euh,oui,biensûr.–Ont’attend?meproposeTasha.–Non,allez-y,jevousrejoins.SylvieRochelleetmoinousécartonspourlaissersortirlesderniersélèves.Depuissixsemaines,j’ai
eu cours de ballet tous les jours avec elle. C’est une professeure stricte et exigeante,mais aussi trèsencourageante.D’unseulcoupd’œil,elledétectenospointsfortsetnosfaiblesses.Est-cedeceladontelleveutdiscuteravecmoi?Ellelissesescheveuxgrisetredresselementon.Sesyeuxbleutrèsclairsemblentlireenmoicomme
dansunlivreouvert.–Jet’aiobservéeavecattention,Jodie.Techniquement,tuestrèsdouée,maisj’ail’impressionqu’ilte
manquequelquechose.Magorgeseserre.Àquoifait-elleallusion?Jem’entraînependantdesheures, jetravailleplusdur
quejamais.Jenevoispascommentjepourraisenfairedavantage.Celasignifie-t-ilquemonséjouràlaRochelleAcademytoucheàsafin?–Jodie?répète-t-elledoucement,sonaccentfrançaisdonnantunesonoritéexotiqueàmonprénom.Tu
comprends?Lorsdesauditions,aumoisd’aoûtdernier,j’avaisdéjàeulasensationquetunetedonnaispasentièrement.C’estpourcetteraisonquenousnet’avionspasproposédeplaceici.Aujourd’hui, jeretrouvelamême…réservequandtudanses.Tuappliquesmesconseilsàlalettre,tutravaillesdur,etpourtantc’estcommesitun’étaispasvraimentlà.Jeveuxquemesélèvesdansentavecleurcœuretleurâme,passeulementavecleurcorps.Ilfautquetuleveuilles,Jodie.Quetuleveuillesplusquetoutaumonde.Lorsquetuyarriveras,lamagiepourraopérer.–Jefaisdemonmieux!–Jenecroispas.Jepensequetuhésitesàprendredesrisques.J’attendsdetoiquetut’ouvres,quetu
memontrescequetuasàoffrir!–Oui,madameRochelle…Jetournelestalons, lesépaulesenarrièreet la têtehaute,rassemblanttoutel’énergiequ’ilmereste
pourquitterlapiècesansfondreenlarmes.Leproblème,dansuninternat,c’estqu’onn’aaucuneintimité.Jepartagemachambreavectroisfilles,etilyatoujoursunebonnedemi-douzainedepersonnesdanslefoyer.Quantauxtoilettes,dèsqu’ons’yattardeunpeutrop,quelqu’unvientdemandercequisepasse.ÀlaRochelleAcademy,quandonveutêtreseul,iln’yaqu’unesolution.Jelongelecouloir,pousselagrosseporteenchênedel’entréeetdévalelesmarchespourrejoindrela
pelouse couverte de givre.Au fond du parc, àmoitié caché derrière un bosquet de saules bordant larivière,sedresseunvieuxpavillond’été.Lesfenêtressontdeguingois,lapeinturedelavérandapartenlambeauxetlespoutresdeboisontprisuneteintegriseaufildesans.Àenjugerparlescouvertures,lesemballagesdechocolat,lespeauxdebananeetlescannettesvidesquijonchentlesolprèsd’unantiquefauteuil en osier, je ne dois pas être la seule à connaître cet endroit – mais je n’y ai jamais croisépersonne.Des larmes brûlantes, amères et salées semettent à rouler surmes joues.Assise sur le perron, les
genoux repliéscontre lapoitrine, je laisseenfin librecoursàmes sanglots.CommentSylvieRochelle
peut-ellepenserquejenemedonnepasàfond?Jemetueàlatâche,maiscen’estpasencoresuffisant.Enréalité,elleadûcomprendrequejen’étaispasassezdouéeetquejeneméritaispasmaplace.Quandmes sanglots finissent par se calmer, je m’aperçois que je suis encore en tenue de danse :
justaucorps,collants,guêtres,cache-cœuretpointes.Jegrelottedefroid.J’ail’impressiond’avoirtouchélefond,maislepireresteàvenir.–Salut,lanceunevoixdansmondos.Quelqu’unposeunevestebienchaudesurmesépaulesavantdes’asseoiràcôtédemoi, levisageà
moitiécachéparunemèchedecheveuxbruns.Sébastien.
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Jem’essuie le visage avecmamanche et pose la tête surmes genoux. Peut-être que, si je comptejusqu’àdix,Sébastiendisparaîtra?Raté.Lorsquejerelèvelatête,ilesttoujourslàetmedévisaged’unairinquiet.Jereconnaislaveste
en velours dont ilm’a enveloppée ; c’est celle qu’il porte tout le temps, avec son revers couvert debadges.–Tueslàdepuisquand?jedemanded’unepetitevoix.–Unmoment.Jesuissortijusteaprèsl’annonceducasting.Félicitationspourtonsolo,aufait.Moi,je
seraileRoidessouris.Quellechance!–C’estunjolirôle.–Çava.Aumoins,çaprouveque,contrairementàcequepensentcertains, jenebénéficiepasd’un
traitementdefaveurentantquefilleuldeladirectrice.Elleestd’unehonnêtetésansfaille,non?–Parfoistrop.Ellevientdemereprocherdenepasmedonneràfondquandjedanse.Queveut-ellede
plus?Dusang?Aussitôt,jeregrettecesparoles.Jeneconnaismêmepascegarçon,etjeviensdeluirévéleràquel
pointjemanquedeconfianceenmoi.Pire,j’aicritiquéSylvieRochelledevantlui,alorsquec’estuneimmensedanseuseetsurtoutsamarraine.Siseulementjepouvaisdisparaîtresousterre…Sébastienéclatederire.–C’estpourçaquetupleures?Voyons,Jodie,c’estnormalqueSylvietepousseàtesurpasser.Ellea
consciencedetonpotentiel,etellevoudraitquelerestedumondes’enaperçoive!–Jenevoulaispasmemontrernégative.Elleest formidable,c’estuneprofgéniale.Maispourêtre
franche,jenecroispasqu’elleaitdéceléquoiquecesoitchezmoi.Àmonavis,elleregretteplutôtdem’avoirdonnéuneplace.–Çam’étonnerait.Mamarrainenecommetjamaisd’erreurs.–Jedoisêtrel’exceptionquiconfirmelarègle.J’aipassél’auditionenmêmetempsqu’uneamiede
monancienneécole,unedanseusetrèsdouée.C’estellequiaétéretenue,maiselleesttombéemaladeetadûsedésister.SylvieRochellenem’apasvraimentchoisie;sijesuislà,c’estpardéfaut.Jenesuispascertainequecesconfessionsetmonvisagetrempédelarmessoientlemeilleurmoyen
d’impressionner un garçon. J’aurais mieux fait deme taire, mais c’est trop tard : maintenant que lesvannessontouvertes,jenepeuxplusm’arrêter.Sébastienfroncelessourcils.–Tudoutestoujoursautantdetoi?Tupensesvraimentquetun’aspastaplaceici?Crois-moi,Jodie,
mamarrainen’estpasdugenreàprendredesdécisions«pardéfaut».Jeserrelespansdesavesteautourdemoienfrissonnant.
–Maisc’estuneréalité:jesuisuneremplaçantededernièreminute.Jetelaisseimaginercequeçafait.–Jetecomprends,parcequejesuisunpeudanslemêmecas.Jenesuispasunmauvaisdanseur,mais
Sylvie était d’accord avecmoi : j’aurais mieux fait de rester à Paris pour intégrer l’école de dansecontemporainedemesrêves.Quittermamaison,mesamisetmonpaysn’étaitnimonchoixni lesien,maisceluidemamère.Jelui jetteunregardencoin.Soudain, ilmesemblemoinssûrdelui,plusvulnérable.Unelueurde
douteassombritsesyeuxbleus.–Pourquoi?–Disonsqueçal’arrangeaitquejem’absentequelquetemps.Elleestdivorcéeetsortavecquelqu’un
depuispeu.Ellen’avaitplustrèsenviedes’occuperd’unadolescent,alorsmevoilà.–Tun’espasheureuxd’êtreici?– Je ne suis pas idiot. Sylvie est l’un des meilleurs professeurs d’Europe ; travailler avec elle
m’ouvrira forcément des portes. C’est une femme très généreuse, qui estime qu’un bon danseur peutdevenirbrillantàconditiondelevouloir.J’aidelachancedel’avoirpourmarraine.Etjenesuispasgênéqueçam’aitpermisd’entrerici,aucontraire.J’ail’intentiondefairedeuxfoisplusd’effortspourluiprouverqu’elleaeuraisondecroireenmoi.Quelques élèves envieux ont effectivement sous-entendu que Sébastien ne devait sa place qu’à ses
relations,maisilsuffitdelevoirdanserpourcomprendrequec’estfaux.Ilestdoué,etiltravailledur.Maintenantjesaispourquoi.Quandnosregardssecroisent,unesorted’étincelleseproduitentrenous.Pourtant,jedoisfairepeur,
avecmonmascaraquiacouléetmonchignondéfait.L’espaced’uninstant,j’aienviedeleverlamainpoureffleurerlajouedeSébastien,maisjerougisaussitôtettentedemeconcentrersurcequ’ilvientdemedire.–Jesuisdésolée.Jenemedoutaispasquec’étaitsicompliquépourtoi.Ilsetourneverslessaulesetlapelousequinousséparentdubâtimentprincipal.–Net’enfaispas,çava.Mamèrem’aime,elleveutsimplementcequ’ilyademieuxpourmoi.Eten
l’occurrence,ilsetrouvequeçal’arrangeaussi.Maistuveuxbiengarderçapourtoi?Jen’enaiparléàpersonne.–Promis.–Jemeplaisici.J’adorelescoursdedansecontemporaine.JoeNashestunprofincroyable.–Oui,ilestcool.Mêmesijemesensunpeuperdue.–Normal,tun’aspasl’habitude.Nousrestonsassisunmomentensilence,moipelotonnéedanslavesteenvelours,Sébastienaccoudé
surlesvieillesmarchesduperron.– Je crois quemamarraine a raison, déclare-t-il enfin. Tu ne te livres pas complètement quand tu
danses.Dequoias-tupeur?–Derien!C’estunmensonge.Pourcommencer,j’aipeurqu’onmerejette.J’aidéjàencaissédeuxrefus,lorsde
l’auditionduBalletroyalquandj’avaisdixans,puisl’annéedernière,delapartdeSylvieRochelle.Etparfois,mêmesijetrouvaisnormalqueSummerattiretouslesregards,j’avaispeurdedisparaîtredanssonombre.
–Jesuisunpeudanslaretenue,c’estvrai.Maiscen’estpasuncrime,si?Jen’aijamaiseulegoûtdurisque,cen’estpasdansmanature.–Pourtant,çapeutêtredrôle.Tudevraisessayer,Jodie!Jesecouelatête.–MonamieSummer,elle,n’hésitait jamaisàprendredes risques.Et regardecequi luiestarrivé !
Elles’estlaisséconsumer,dévorer…–Commentest-elletombéemalade?Etsoudain,voilàquejeluiracontetoutel’histoire,alorsquejen’enavaisencoreparléàpersonne–ni
àSparks,niàNaomi,niàTasha,nimêmeàmesparents.JesensquejepeuxmeconfieràSébastien.Çafaitdubien.JeluiexpliquecommentlapressionafaitbasculerSummerdansl’anorexie,commentelleafiniparseperdreetparoubliersonamourdeladanse.–C’estdur,commente-t-illorsquej’aiterminé.J’espèrequetonamieseremettrabientôt.Maisquoi
qu’ilsesoitpassé,tun’yespourrien,Jodie.Simamarrainet’aoffertcettebourse,c’estparcequetuasundon…etc’estcequ’ellevoudraitvoirquandtudanses.–Atteindrelaperfectiontechniquedemandedéjàénormémentdetravail.Pourquoiest-cequeçanelui
suffitpas?Pourquoiexige-t-elledavantagedemoi?–Parcequ’ellesaitcedonttuescapable.Moiaussi,jeledevine.Soustacarapace,tucachesquelque
chosed’unique,JodieRivers.Ilseredresseenfrissonnantetm’aideàmeleverpourregagnerlebâtimentprincipal.J’aimesentirsamaindanslamienne,et jecroisquec’estréciproque.Jevoudraisneplusjamaisla
lâcher.
15décembreChèreJodie,JemedoutequetuespéraisquecesoitSummerquit’écrive,maisjesuistombéesurunedeteslettresetj’aidécidédetedonnerdesesnouvelles.Mêmesielleneterépondpas,tescourriersluifontunbienfou,crois-moi.Elleleslitetlesrelitdesdizainesdefoisavantdelesrangersoigneusementdansletiroirdesonbureau.Pourelle,cespetitsaperçusdetavieàl’écolededansesontdevraiespépites.C’estunpeudifficilepourelleencemoment,maislesmédecinsnousavaientprévenusquel’approchedesfêtesseraitdélicate.Aucasoùtuteposeraislaquestion,jeluiaitransmistonmessagelorsquetuasappelépendantlesvacances.Maisjecroisquelaperspectivedeterevoirluifaisaitencorepeur,etc’était lafolieàlamaison–pourchanger.Jenesaispassi tuesaucourant,maisHoneyestalléetroploinetnosparentsontprisunedécisionradicale:ellevitdésormaisàSydneyavecnotrepère.Summerabeaucoupdemalàs’enremettre.Donc voilà… comme tu peux le constater, nos journées sont toujours aussi mouvementées, etl’ambiancen’estpasvraimentàlafête.Heureusement,ceserabientôtNoël.Summerm’aditqu’elleaimerait passer un peu de temps avec toi, si tu es disponible, bien sûr. Je parie que tu sauras luiremonterlemoralmieuxquen’importequi.J’espèrequetunem’envoudraspasdet’avoirécrit…jevoulaissimplementterassurerausujetdeSummer.Préviens-moiquandtuserasrentrée,onessaierad’organiserdesretrouvailles!Àbientôt,Skye
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Avec ses vitrines décorées de guirlandes lumineuses, leChapelier Fou forme une oasis étincelantedans la rue principale deKitnor.Vu le froid glacial, il ne devrait pas tarder à neiger.Mon pèremedépose devant le café en me promettant de venir me chercher dans une heure. Je regarde sa voitures’éloigner,leventrenouéparl’appréhension.Cerendez-vousavecSummerva-t-ilvraimentluiremonterlemoral,commel’espèreSkye,ouva-t-ilaucontraireempirerleschoses?Çanevapasêtrefacilepourelledem’écouterparlerdelaviemerveilleusequ’elleauraitdûmeneràmaplace.Lorsque je pousse la porte du salon de thé, je découvre les deux jumelles assises dans un coin. Je
m’approcheenleurfaisantsigne.Leursboissonssontdéjàposéesdevantelles:Summeraprisunsodalight,etSkyeunchocolatchaudavecde lachantillyetdeschamallows. Jecommande lamêmechose,ainsiqu’uncupcakeornéd’unetêtederenneaunezrouge.–Jenerestepas,meprévientSkye toutenvidantsa tasse.Jedoism’occuperdescostumespour le
spectacledeNoël.Onm’attenddanscinqminutes.Jesuisjustepasséetedirebonjour.–Salut!Çaal’airgénial,ceboulot.–Oui,c’estsuper!Bon,jefile.Amusez-vousbien.Elleenfileunmanteaude laine rougeàcoldeveloursnoir,puis sortenagitant lamain.Unsilence
timides’installe.Summeresttoutefrêle.Sapeauestsipâlequ’elleparaît translucide,etsesyeuxsontcernésdebleu.Jeprendslaparole:–Çamefaitplaisirdetevoir.Tum’ashorriblementmanqué.– Désolée de ne pas avoir répondu à tes lettres. J’adore les lire. Elles me donnent presque
l’impressiond’êtrelà-bas,avectoi.Maisaprès,jemesouviensquejen’ysuispas,etçamerendtriste.–Jemedoutequecen’estpasévident…Moiaussi,j’aimeraist’avoiràmescôtés.L’écoleteplairait.
Elle est située dans un vieuxmanoir absolumentmagnifique. Les chambres sont peintes dans des tonspastel.Lanôtreestbleue,maisGracedétestecettecouleur,alorselleessaied’obtenirl’autorisationdelarepeindreenrose…Jeparlesansdiscontinuerafind’éviterlesblancsetdemasquermagêne.Summerposesamainsurla
mienne.–Ducalme,Jodie.Jenet’enveuxpas.JesuisheureusequetuaiesintégrélaRochelleAcademy.Je
n’étaispasenétatd’yaller,etjepréfèrequecesoittoiplutôtqu’uneautre.Vas-y,raconte-moitout!Est-cequeSylvieRochelleestsévère?Comments’estpasséleballetdeNoël?Tut’esbienamusée?Jeveuxtoutsavoir…enparticulierausujetdesgarçons!J’éclatederire,etlatensionquirégnaitdepuismonarrivéesedissipeenfin.Jeluiracontelescoursde
danseclassique,lesateliersd’interprétation,ladansecontemporainequej’apprendsàaimerdeplusenplus,mon solodansCasse-Noisette…Puis je lui décrisNaomi,Tasha,Sparks, etGracequime rendfolleavecsesgrandsairsetsonétagèredepeluches.
–Alorscommeça,Sparksestjusteunami?–Oui.Ilestdrôle,unpeudingueetextrêmementdoué.Jesuissûrequ’ildeviendracélèbre…–Ettesamours?–Tu te souviensdeSébastien, leFrançaisdont je t’aiparlédansmes lettres ?Le filleuldeSylvie
Rochelle?Ilestsuperbeauetilaunaccenttropcraquant.Bref,onestplusoumoinsensemble…Jesorsmontéléphonepourluimontrerquelquesphotos.–Ouah!s’exclameSummer.Ilestcanon!–Oui,jesais.Jemedemandecequ’ilmetrouve!– Ne dis pas n’importe quoi. Il voit en toi une fille adorable, douce et intelligente qui n’a pas la
moindre idéedesabeautéetdeson talent. Je suisvraimentcontentepour toi.C’étaitécrit : tudevaisallerdanscetteécolepoury rencontrerSébastien !Etmoi, il fallaitque je reste icipourapprendreàmieuxconnaîtreTommy!–Voussorteztoujoursensemble?–Biensûr. Ilm’aideà tenir lecoupetànepasdevenir folle.Sincèrement,Jodie, tuméritescequi
t’arrive.UneplaceàlaRochelleAcademy,etungentilgarçon…c’estsuper.Jetripotemoncupcake,incapabledesoutenirleregarddemonamie.–Hé, reprend-elle. Neme dis pas que tu t’en veux encore ? Parce que je n’ai aucun regret, je te
promets!Jetentedesourireafindelarassurer,maisjen’yparvienspas.– Tu ne comprends pas… C’est tellement dur. Tu ne sais pas ce que c’est d’être éternellement
deuxième,desavoirqu’onaétéchoisiepardéfaut…–Non,non,necroispasça !Ledestin t’offreunechanced’accomplir ton rêve, Jodie.Tudois tout
fairepourqueçamarche!–MadameRochelleetSébastienpensentquejenemedonnepasàcentpourcentquandjedanse.Ils
ontpeut-êtreraison.J’aipeur,Summer.Quesepassera-t-ilsijem’investisàfond,etquejem’aperçoivequeçanesuffitpas?–Etsitut’apercevaisducontraire?Dequoias-tupeur,aujuste?D’échouer,ouderéussir?–Commentça?–Depuisquejeteconnais,tuestoujoursrestéeenretrait.Tum’aslaisséeprendrelapremièreplace
souslesprojecteurs.Jemedisaisquec’étaittanature,quetutesentaisplusàl’aiseausecondplan.Tuastoujoursétési raisonnable, sidétachéepar rapportà toutça…commesi tu temoquaisunpeudurôlequ’ont’attribueraitoudurésultatdel’audition.Aveclerecul,jemedemandesicen’étaitpasunmoyendeteprotéger.Tuévitesdetemettreendangerdansl’espoirdemoinssouffrirencasd’échec.–Possible.Jesuisprudente.–Oualors,tuchoisislasolutiondefacilité.Maisjetepréviens,Jodie:situgaspilleslachancequi
t’estofferteaujourd’hui,jenesuispassûredepouvoirtelepardonner.Toietmoi,onatoujoursrêvédedevenir danseuses.En ce quime concerne, c’est fichu,mais toi tu peux encore y croire.Alors nemedéçoispas.Mets-ytouttoncœur.Ettoutetonâme.Lesoulagementm’envahit.Pourlapremièrefoisdepuislongtemps,jemereprendsàespérer.Jesouris
malgré moi. Dans une semaine, une nouvelle année débutera, et je sais déjà quelle sera ma bonnerésolution.Toutmoncœurettoutemonâme.C’estsimple,maisçapeutchangermavie.
En un clin d’œil,mon amitié avec Summer a repris son cours. La gêne que je ressentais face à samaladie,monsentimentdeculpabilité,leslettresàsensunique,touts’estenvolé.Dehors,degrosfloconssemettentàtomber.C’estenfinNoël.Nouséchangeonsdespetitscadeaux:unfoulardrosepailletépourSummer,unpendentifenformede
cœurpourmoi.Ilsefaittard.Laserveusecommenceàempilerleschaisesetàessuyerlestables.Despharesapprochentdanslarue,etjereconnaislavoituredemonpère.Nousenfilonsnosmanteaux,réglonslanoteetnousdirigeonsverslaporte.Deboutsouslaneige,nous
nousétreignonslonguement.Malgrélescouchesdevêtementsqu’elleporte,jesenscombienSummerestmaigre.Unebourrasqueunpeuforterisqueraitdel’emporter.Àprésent,jen’aiplusl’impressiondeluiavoirvolésonavenir.Aucontraire,jemeprometsdefaire
lemaximumpourmemontreràlahauteurdemesrêves,etdessiens.Jemurmure:– Je suis heureuse de te retrouver. Tu es quelqu’un d’extraordinaire, Summer. Soigne-toi bien,
d’accord?–C’estpromis.Etjet’écrirai.N’oubliepas:mets-ytouttoncœur,ettoutetonâme.Jelaregardes’éloignerdanslenoir,silhouettefrêleetsolitairetrébuchantdanslaneigefraîche.Nos
cheminssesontéloignés,maisjesaisdésormaisquenotreamitiésurvivraquoiqu’ilarrive.
5marsChèreSummer,Mercipourtadernièrelettre.JesuisraviequeHoneysoitrentréeetquetucommencesàallermieux.QuantàlasurprisequeTommyt’aorganiséepourlaSaint-Valentin,waouh!AvecSébastien,ons’estcontentés d’un pique-nique aux chandelles dans le vieux pavillon. Ça ne vaut pas une journée àLondres,maisc’étaitquandmêmegénial.Sinon,pourrépondreàtaquestion,jevaissuperbien.J’aisuivitesconseils,etmadeviseestdésormais:«Mets-ytouttoncœurettoutetonâme.»MadameRochelle neme reconnaît plus.Etmonprofesseurdedanse contemporaine, JoeNash,m’a félicitéepourmon talent et mon intuition.Moi, Jodie Rivers… tu te rends compte ?Depuis des années, jem’échineàapprendreladanseclassique,alorsqu’enréalitéj’étaisfaitepourlecontemporain.Quil’eûtcru!Onn’apasuneminuteànous,maisçanemedérangepas.J’aienfinl’impressiond’êtreàmaplace.La semainedernière, j’aiapprisunenouvelle très excitante.Onest en traindemettre en scèneunballet contemporain intitulé L’Éveil du printemps.On doit créer nous-mêmes les chorégraphies àpartird’improvisations.EtSébastienetmoiavonsdécroché lesdeuxpremiers rôles ! J’aibeaumepincertouteslescinqsecondes,jen’enrevienstoujourspas.Jevaisenfinmeretrouveraucentredelascène!Jet’embrassetrèsfort,Jodie
6
Lorsqu’on a passé sa vie à cacher ses sentiments, apprendre à s’ouvrir ne se fait pas du jour aulendemain. Il faut du temps pour s’habituer au regard des autres et pour ne plus craindre qu’ils sedétournentenvoyantquionestvraiment.L’amour, le doute, la colère ou la tristesse neme font plus peur car, désormais, jem’en libère en
dansant.Lamusiqueestlacléd’unmondeplusvasteoùjepeuxenfinmedonnertoutentière.MêmeGraceme
considèredifféremment,avecuneformederespect.J’aifiniparcomprendrecequ’onattendaitdemoiendansecontemporaine:ilsuffitderépondreàla
musique, de l’interpréter, de l’incarner. Je me demande comment j’ai pu passer à côté d’une telleévidencependantsilongtemps.J’ail’impressiond’avoirvécuensomnambule.–Excellent,excellent,meféliciteSylvieRochellequelquessemainesaprèsledébutdutrimestre.Tu
t’esenfinréveillée!Jesavaisquetuyarriverais,Jodie!JoeNashestencoreplusraviqu’elle.–Oui ! s’écrie-t-il tandis que Sébastien etmoi improvisons une chorégraphie sur la fin de l’hiver.
Laissezvoscorpsraconterunehistoire…cesontvosinstrumentsdemusique,vostoilesetvospinceaux!Oubliezlespas,oubliezcequ’onvousaapprisenclassique.Vivezlamusique…fantastique,Jodie!Lethèmemecorrespondparfaitement,àmoiquiail’impressiondesortird’unlongsommeil.Jesuis
habitéeparuneespècedemagiequis’exprimedanschaquerespiration,chaquebattementdemoncœur.Etc’estunesensationgrisante.– Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? je demande à Sébastien à la fin de la répétition. Tu aurais dû
m’expliquerquejefaisaisfausseroute!J’aigâchédesannéesàresterdansl’ombre,àmecontenterduminimumenpensantquec’étaitsuffisant.Pourquoipersonnenem’ariendit?–Tun’étaispasprêteàécouter.Ilaraison.Sylvie,Summer,lui:ilsmel’onttousdit,maisilm’afalludutempspourcomprendre.Et
cela ne vaut pas simplement pour la danse. Quand on tient à quelque chose dans la vie, il faut s’yconsacrerentièrement.Peuàpeu,notrecréationcollectivefinitparprendreforme.Aprèsavoirchoisilesmusiquesettracé
lesgrandeslignesdel’histoire,Joenousalaissésfairelaplusgrandepartiedutravail.Lastructureestbeaucoup plus abstraite que dans un ballet classique ; c’est l’équivalent d’un grand tableauexpressionnisteparoppositionàuncahierdecoloriage.Aulieudemefragiliser,cettelibertém’inspire.Jesuisenfinmoi-même.L’après-midi de la représentation, dans les loges du théâtre dePlymouth, j’enfile un tutu en chiffon
vert,unleggingassortietunevesteenveloursblancornéederubansbleupâle.PuisTasharecouvremonvisageetmesbrasdefonddeteintverttendre,surlequelelledessinedesarabesquescouleurémeraude.
–Ondiraituneœuvred’artvivante!commente-t-ellequandelleaterminé.Tuessuperbe!Debout devant lemiroir, je détachemes cheveux. Pas besoin de chignon pour ce spectacle.Naomi
crêpemesbouclesafindeleurdonneruncôtésauvage,etNiamhytressedesrubansvertsetdespetitesfleurs.Jen’aipasl’habituded’êtreainsiaucentredel’attention.Aujourd’hui,lemomentestvenupourmoi
d’entrerdanslalumière.Àcettepensée,uneboufféed’appréhensionmeserreleventre.Est-cepourcetteraisonquej’aiattendu
silongtemps?Sentais-jeinconsciemmentquelestressmeparalyseraitauderniermoment?Mesmainssemettentàtrembler,etjemurmure:–Jenepeuxpas.Tasha éclate de rire.Naomi se contente de hausser les épaules. Tandis que les filles enfilent leurs
costumes,lapaniquem’envahit.Jeneparviensplusàréfléchir.Jenemesouviensplusdecequejedoisfaire,etcommeunegrandepartieduballetreposesurl’improvisation,jenepeuxmêmepascomptersurlachorégraphiepourm’ensortir.Soudain,quelqu’unmeprendparlatailleetm’embrassedanslecou.Sébastien.–Çava,Jodie?C’estbientôtànous!Jemeretourne.–Non,çanevapas.Jen’yarriveraijamais…Jesuismortedepeur.Jevaistoutgâcher,m’emmêler
danslespas,trébucher…–Maisnon,net’inquiètepas.C’estjusteletrac.Çavapasser.Tuserasparfaite,commetoujours.–Leverderideaudanscinqminutes!lanceJoeNashenentrantdanslaloge.Préparez-vousàbriller,
les enfants !Sébastien, qu’est-ceque tu fiches ici ?Tudevraisdéjà être sur scène, enplacepour tonentrée.Lesfilles,allez-yvousaussi.Çavacommencer.Parici!Ilemmènetoutlemondeet jemeretrouveseuleavecSylvieRochelle,quim’observedepuisl’autre
boutdelapièce.–Angoissée?medemande-t-elle.J’ailabouchetellementsèchequejesuisincapabledeluirépondre.–C’estnormal,reprend-elle.L’adrénalineestcequinouspermetdenousconcentrer.Jesecouelatête.–Non,non,c’estpirequeça.Jesensquejevaisperdremesmoyens.Voilàpourquoij’étaisrestéeen
retraitjusqu’ici.Jenesaispasgérerlapression.Jen’aiplusenvied’yaller!Sylvie s’approche et prend mes mains dans les siennes. Comme par magie, mes tremblements
s’arrêtent.–Biensûrquesi,voyons.C’estcedontturêvesdepuistoujours,Jodie.Tonheuredegloireestenfin
arrivée.Ettuesprête!–Maisj’aitroppeur!–Etalors?Tucroisquemoi, jen’ai jamaiseule tracavantunereprésentation?Si,àchaquefois.
Celafaitpartiedumétier.Maisdèsquelerideauselèvera,tunepenserasplusqu’àladanse.Oublietapeur,etva.Ellemepousseverslecôtédroitdelascène.L’orchestresemetàjoueretlerideauselèvesurmes
camarades,rouléesenboulecommesiellesétaientendormies.–Non,jesouffle.MadameRochelle,jenepeuxpas.Jepensevraimentque…–Nepensepas.Danse.
Reconnaissantl’envoléedeviolonsquimarquemonentrée,jem’élancepiedsnussurleplancher.Jedistingue des rangées de spectateurs dans la pénombre. Peur ou pas, c’est le moment d’entamermonpremiersolo.Lamusiquemeprendparlamainetm’emporte.Alorsjem’yabandonnedetoutmoncœuretdetoutemonâme.Jetourbillonneàtraverslascèneenfaisantvolermonmanteaud’hiver,quejefinisparlaissertombertandisquelamusiquemontecrescendo.Jesuisleprintemps,lerenouveauquiréveillelesfillesuneàunepourlesentraînerdanssadanse.Puis lamusique ralentit et les autres s’agenouillent en demi-cercle autour demoi.Un projecteur se
braquesurlefonddelascèneoùSébastien,vêtud’orangeetd’ocre,s’étireetsedresselentement,tellesoleil.Ils’avanceversmoi,m’attirecontrelui,etnousnouslançonsdansunevalseendiablée.Notreduosetermineparunportéflamboyant,etnousnousécroulonsausol.C’estlafindupremieracte.Lepublicnousacclamependantsilongtempsquejemedemandesijenesuispasentrainderêver.Plus tard, quand le spectacle s’achève sur l’entrée d’un groupe de filles aux tenues multicolores
incarnantl’été,j’ail’impressionquemoncœurvaexploserdebonheur.Cachésdanslescoulisses,nousécoutonsletonnerred’applaudissementsquisuitnotreprestation,avantderemontersurscèneencourantpourunultimesalut.Lorsquejemeredresse,jevoismamère,monpèreetmespetitsfrèresaupremierrang.Et justederrièreeux,Summer,Skye,Tommy,CharlotteetPaddy,quicrientplusfortquetouslesautres.Jem’inclinedevanteux,lesyeuxremplisdelarmesdejoie.
Cette soiréemémorable se prolongepar une fête improvisée dans le café du théâtre.Maman, papa,
Summer,Sylvie,Joeetmêmedeparfaitsinconnusm’embrassentetmefélicitent.Onmeprendenphotopourlejournallocal.Sousmesyeuxébahis,lajournalistegriffonnedanssoncarnet:«JodieRivers,unejeunedanseuseprometteuse.»–Tuasétégéniale,déclareSummer.Jelaserresurmoncœurenluiavouantquej’aidansépourelleautantquepourmoi.–Jesais,murmure-t-elle.Quand tout lemonde est parti, nousmontons en bavardant gaiement dans les cars qui doivent nous
ramener à l’internat. Nous rions devant nos visages presque méconnaissables sous les restes demaquillage,lesfauxcilsimmenses,lesrubansetlesfleurs.–C’étaitincroyable,commenteSparks.Onacassélabaraque!AvecunsacrécoupdemaindeJodie
etdeSébastien,quandmême…–Tuasétésuperbe,meféliciteTasha.–Fantastique,renchéritNaomi.Gracemesouritetsepenchepar-dessussonaccoudoir.–Jen’avaisjamaisvraimentcomprisladansecontemporaine…jusqu’àcesoir.Tuasdonnévieàton
rôle,Jodie.Bravo!Detouslescomplimentsquej’aireçus,c’estceluiquimetoucheleplus.Enarrivantàl’école,nousdécouvronsunbuffetfroidpréparéparlescuisiniers.Pendantquenousnous
jetonssurlesquiches,lessaladesetlesgâteaux,SylvieetJoenousrépètentqu’ilssontfiersdenous.Cesoir,lecouvre-feuestoublié;personnen’aenvied’allersecoucher.Vers23h30,lafatiguecommencenéanmoinsàsefairesentir.Alorsquejem’apprêteàm’éclipser,
Sylviemeretientparlebras.
–Tu vois ?me taquine-t-elle.Occuper le centre de la scène, ce n’est pas si désagréable.Certainsd’entrenoussontnéspourça,Jodie.Onn’échappepasàsondestin.Jeluisouris,émerveilléedeconstaterqu’ellemeconnaîtmieuxquemoi-même.–Merci,jeréponds.Mercidem’avoirdonnémachance!–Jenedemandaisqueça.Ilfallaitseulementquetusoisprêteàlasaisir!–Etmoi?intervientSébastienennousrejoignant.Jenemesuispastropmaldébrouillé?–Tuasétéexcellent,lerassureSylvie.Commetoujours.Ilmeprendparlamainetnousquittonslapièce,longeantlescouloirsdésertsavantdesortirsansbruit
parlaportedelacuisinequepersonnenepensejamaisàfermer.Noustraversonslapelouseilluminéeparleclairdeluneverslessaulescouvertsdejeunesfeuilles,pournousréfugierdanslevieuxpavillon.Nousnousasseyonscôteàcôtesousleporche,commenousl’avonsfaitilyadesmoisdeça.LamèredeSébastienn’apaspuvenirlevoirdanser.Ellel’avaitprévenu,maisçanel’empêchepas
d’être triste.Mesparentsm’ontproposéde l’inviterà lamaisonà la finde l’annéescolaire.Quisait,peut-êtreque,dansquelquetemps,ceseraluiquim’emmèneraàParis?Jeposematêtesursonépaule,ilm’enveloppedesesbras,etjecomprendsencetinstantquejeviens
depasserlaplusbellejournéedemavie.J’aiétélastarduspectacle,jemesuisdécouvertdesréservesdecourageinsoupçonnées,j’aidansémieuxquejamaiset,surtout,j’aiprofitédechaqueseconde.Etpourcouronnerletout,elles’achèvedansmonendroitpréféré,encompagniedelapersonnequejepréfère.Les ultimes minutes de la soirée filent comme du sable entre nos doigts, mais ça n’a aucune
importance.Cesdernièressemaines,j’aiapprisénormémentsurladétermination,l’amitiéetlaconfiance.J’aiapprisàsortirdel’ombrepourm’avancersouslefeudesprojecteurs.Etjen’aipasl’intentiondefairemachinearrière.
Lesfillesauchocolat
CherryCostello
Timide,sage,toujoursàl’écartElleaparfoisdumalàdistinguerlerêvedelaréalité
14ans
Néeà:GlasgowMère:KikoPère:Paddy
Allure:petite,mince,lapeaucaféaulait,lescheveuxraidesetnoirsavecunefrange,elleasouvent
deuxpetitschignons
Style:jeansmoulantsdetouteslescouleurs,tee-shirtsàmotifsjaponais
Aime:rêver,leshistoires,lesfleursdecerisier,lesoda,lesroulottes
Trésors:kimono,ombrelle,éventailjaponais,unephotodesamère
Rêve:fairepartied’unefamille
CocoTanberry
Chipie,sympaetpleined’énergieElleadorel’aventureetlanature
12ans
Néeà:KitnorMère:Charlotte
Père:Greg
Allure:cheveuxblondsetbouclés,coupésaucarréettoujoursenbroussaille,yeuxbleus,tachesderousseur,grandsourire
Style:garçonmanqué,jeans,tee-shirts,elleesttoujoursdébrailléeetmalcoiffée
Aime:lesanimaux,grimperauxarbres,sebaignerdanslamer
Trésors:Fredlechienetlescanards
Rêve:avoirunlama,unâneetunperroquet
SkyeTanberry
Avenante,excentrique,indépendanteetpleined’imagination13ans
SœurjumelledeSummer
Néeà:KitnorMère:Charlotte
Père:Greg
Allure:cheveuxblondsjusqu’auxépaules,yeuxbleus,grandsourire
Style:chapeauxetrobeschinésdansdesfriperies
Aime:l’histoire,l’astrologie,rêveretdessiner
Trésors:sacollectionderobesvintageetunfossiletrouvésurlaplage
Rêve:voyagerdansletempspourvoiràquoiressemblaitvraimentlepassé…
SummerTanberry
Calme,sûred’elle,jolieetpopulaireElleprendladansetrèsausérieux
13ansSœurjumelledeSkye
Néeà:Kitnor
Mère:CharlottePère:Greg
Allure:longscheveuxblondstressésourelevésenchignondedanseuse,yeuxbleus,gracieuse
Style:toutcequiestrose…Tenuesdedanseuseetvêtementsàlamode,elleesttoujourstrèssoignée
Aime:ladanse,surtoutladanseclassique
Trésors:sespointesetsestutus
Rêve:devenirdanseuseétoile,puismontersapropreécole
HoneyTanberry
Lunatique,égoïste,souventtriste…Elleadorelesdrames,maisellesaitaussisemontrerintelligente,charmante,organiséeettrès
douce15ans
Néeà:LondresMère:Charlotte
Père:Greg
Allure:cheveuxblondsondulés,yeuxbleus,peaulaiteuse,grandeetmince
Style:branché,robesimprimées,sandales,shortsettee-shirts
Aime:dessiner,peindre,lamode,lamusique…
Trésors:soncarnetàdessinetsachambreenhautdelatour
Rêve:devenirpeintre,actriceoucréatricedemode
Lesrecettesauchocolat
ClafoutisfaçonCherry
Iltefaut:50gdecerisesdénoyautées•115gdefarine•30gdebeurredoux•25cldelait•3œufs•80gdesucreenpoudre•1sachetdesucrevanillé•dusel•dusucreglace1. Préchauffelefourà200°C.2. Faisfondrelebeurreàfeudoux.3. Casselesœufsdansunbol,puisbats-lescommepouruneomelette.4. Dansunsaladier,mélangelafarine,lesucre,lesucrevanilléetunepincéedesel.Ajoutelesœufsbattus puis, petit à petit, le lait, sans cesser de mélanger. Ajoute enfin le beurre fondu à tapréparation.Tudoisobtenirunepâtehomogène.
5. Dépose les cerises au fond d’un moule beurré. Verse ta pâte par-dessus, puis enfourne le toutpendant35minutes.
6. Unefoisleclafoutissortidufour,saupoudre-ledesucreglace.
LemoelleuxdeSkye
Iltefaut:175gdechocolatnoir•unequinzained’oursonsàlaguimauve•3œufs•125gdebeurre•140gdesucre•100gdefarine•dusel1. Préchauffelefourà180°C.2. Beurreunmouleàgâteau.3. Faisfondrelechocolataveclebeurre,àfeutrèsdoux,sanscesserdemélanger.4. Casse lesœufs en séparant lesblancsdes jaunes.Ajouteunepincéede sel dans lesblancs, puismonte-lesenneige.
5. Dans un saladier, bats les jaunes d’œufs avec la farine et le sucre. Ajoute le chocolat fondu.Mélangebien,puisincorporedélicatementlesblancsenneige.
6. Coupelesoursonsàlaguimauveendeuxetajoute-lesàlapréparation.7. Verseletoutdanslemoulebeurréquetumettrasaufourpendant35minutes.
Muffinsàlamandarineetauxamandes
Iltefaut:2œufs•250gdefarine•½sachetdelevurechimique•1sachetdesucrevanillé•150gdesucre•150gdebeurre•150gdemandarines•150gd’amandeseffilées•150gdelait•dusel •dusucreglace1. Préchauffelefourà180°C.2. Faisfondrelebeurreàfeutrèsdoux.3. Dansunsaladier,mélangelebeurrefondu,lesucre,lesucrevanillé,lalevure,lelaitetunepincéedesel.Ajouteensuitelesœufs,lafarineetlesamandeseffilées.
4. Épluchelesmandarines,coupelesquartiersendeux,puisincorpore-lesàlapréparation.5. Verseletoutdansdesmoulesàmuffinsetajoutequelquesamandeseffiléespourfairejoli.6. Faiscuirelesmuffinspendant30minutes.
RocherssaveurCoco
Iltefaut:200gdenoixdecocorâpée•125gdesucre•2œufs1. Préchauffelefourà180°C.2. Casselesœufsenséparantlesblancsdesjaunes.3. Dansunbol,montelesblancsenneige.4. Dans un saladier, mélange les jaunes d’œufs, la noix de coco et le sucre, puis incorporedélicatementlesblancsenneigeàlapréparation.
5. Formedespetitesboulesaveclapâteobtenueetdépose-lessuruneplaquedecuissonrecouvertedepapiercuisson.
6. Faiscuirelesrochersaufourpendant20minutes.Ilsdoiventêtredorés.
LesbrowniesdeHoney
Iltefaut:200gdechocolatnoiràpâtisser•150gdebeurre•150gdesucre•150gdecerneauxdenoix •3œufs•50gdefarine•dusel1. Préchauffelefourà180°C.2. Faisfondrelechocolataveclebeurreàfeudoux.3. Dansunsaladier,batslesœufsaveclesucrejusqu’àcequelemélangeblanchisse.Ajoutelafarine,puislechocolatfonduetlescerneauxdenoix.Saupoudreletoutd’unepincéedesel.
4. Faiscuireaufourpendant20minutes.
Quellefilleauchocolates-tu?
Tonreflet,tulevois:1. Dansunebouledecristal2. Danslerefletdumiroir3. Dansleshistoiresquetulis4. Danslesflaquesd’eaudepluie5. Dansunebouleàfacettes
Tonsportdeprédilection:1. Fouinerdanslesbrocantesetlesdépôts-ventes2. Ildemandesouplesseetcoordination3. Roulerdansl’herbeetcompterlesnuages4. Lacourse,lamarche,touteffortquisefaitaugrandair!5. Estconsidéré«àrisque»,tuaimeslessensationsfortes
Àlatélé,tuaimesparticulièrementregarder:1. Pasgrand-chose,d’ailleurstun’aspaslatélé2. Desémissionsdetélé-réalitéentreamis3. Desfilmsetdesséries4. Desdocumentaires,desémissionsdevoyage5. Desclipsdemusique,despublicités
Tuteconfiesfacilementà:1. Tavieillevoisinequiteracontetoujoursdeshistoiresincroyables2. Tesmeilleursamis3. Lapersonnequetuaimes4. Tesparents5. Uninconnu
Ontereprochesouvent:1. D’êtretêteenl’air2. Detoujoursvouloirdirigerleschoses3. D’arrangerlaréalité4. Detoutprendretropàcœur5. Den’enfairequ’àtatête
Situétaistrèsriche,tuvivrais:1. Dansunchâteauromantiqueavecvuesurunlac2. Dansunappartementhigh-techaucœurd’unecapitale3. Surunepetiteîlejaponaisequetuauraisachetée
4. Avecteschevaux,danstonharas5. DansunloftàNewYork,avecpleind’œuvresd’art
Onteproposedeparticiperàunepiècedethéâtre,tupréfères:1. T’occuperdescostumes2. Fairepartiedescomédiens3. Écrirelapièce4. T’occuperdusonetdelalumière5. Fairelesaffichesetlesflyers
Tuasobtenuunmaximumde1:SkyeOriginale, romanesque, créative et très curieuse, tu aimes lire, te déguiser, fouiller, te documenter…N’aurais-tupasuneâmededétective?Tuasobtenuunmaximumde2:SummerDéterminée, passionnée et sensible, tu es prête à tout pour aller au bout de tes rêves… ce qui net’empêchepasd’adorerlessortiesentrecopines!Tuasobtenuunmaximumde3:CherryTu aimes les histoires, celles que tu lis mais aussi celles que tu inventes. Romantique, tu aimes lesendroitsquiattisenttacréativitéetturêvesdelonguespromenadesaubrasdetonamoureux…Tuasobtenuunmaximumde4:CocoRiennet’amuseplusqu’enfilerdesbottesencaoutchoucetsauterdanslesflaquesd’eauencriant.Aprèstout,pourquois’enpriver?Pourtoi,ilfautprofiterdelavie,toutenprotégeantsonenvironnement;tuesunevraiegrained’écologiste!Tuasobtenuunmaximumde5:HoneyTuesàl’affûtdesdernièrestendancesetcultivestonlookbranché.Tufaisparfoisl’effetd’unouraganàtonentouragequinesaitpastoujourscomments’yprendreavectoi…Pourtanttuaimestesentirentourée.
L’auteur
CathyCassidyaécritsonpremierlivreàl’âgedehuitouneufans,poursonpetitfrère,etellenes’estpasarrêtéedepuis.Elleasouvententendudireque lemieux,c’estd’écriresurcequ’onaime.Commeiln’yapasgrand-chosequ’elle aimeplusque le chocolat…ce sujet lui a longtemps trottédans la tête.Puis,quanduneamie luiaparlédesamèrequiavait travaillédansune fabriquedechocolat, l’idéede la série«LesFillesauchocolat»estnée!CathyvitenÉcosseavecsafamille.Elleaexercébeaucoupdemétiers,maisceluid’écrivainestdeloinsonpréféré,carc’estleseulquiluidonneunebonneexcusepourrêver!
DanslamêmesérieTome1:Cœurcerise
Tome2:CœurguimauveTome3:CœurmandarineTome31/2:CœursaléTome4:CœurcocoTome5:Cœurvanille
DécouvreviteunextraitdeAuxDélicesdesangesdeCathyCassidy
Actuellementenlibrairie
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Nosdernièresaffairesontétéempaquetées.Mamancourtdans l’appartement,unplumeauà lamain,pours’assurerquetoutsoitparfaitavantl’arrivéedesprochainslocataires.Kazia,assisesursavalise,serrecontreellelevieuxlapintricotépargrand-mèreenretenantseslarmes.Jelacomprends.J’aibeauêtreexcitéeàl’idéededéménager,moiaussi,j’aiunpeupeur.J’aiimaginé
cet instant si souvent…maintenantquenousy sommesenfin, je tremble commeune feuille et j’ai unegrossebouleauventre.Leschosesseprécipitentlorsquegrand-pèreetgrand-mèreviennentnouschercherpournousconduire
àl’aéroport.Leplusdur,c’estlemomentdesadieux.Ilsm’étreignentdetoutesleursforces,commepourprendre l’empreinte demon corps.Entre deux sanglots, ils nous recommandent d’être courageuses, depenserànotreaveniretdeprofiteraumaximumdelanouvelleviequinousattendàLiverpool.Jeleurpromets:–Onvousécrira,onvousappellera,onvousenverradese-mails…Etpuisonvousrendravisite,et
vousviendrezpourNoël.–Biensûr,répondgrand-mère.Jesaisquec’estfaux.IlspasserontlesfêtesdansleurgrandappartementaveconcleZarek,tantePetra
etlescousins,autourdelatabledresséeprèsdufeudecheminée.Commetouslesans,ilsprévoirontuncouvertenplus,aucasoùunétrangerfrapperaitàlaporte.Le temps de franchir la douane,maman et Kazia sont en larmes, elles aussi. Je prends une grande
inspiration pour retenir lesmiennes. C’est dur de quitter Cracovie et la Pologne pour se lancer versl’inconnu.Durdelaissersafamille,sesamis,samaison…Maisc’estcedontjerêvedepuisdesannées.J’avaisneufansquandpapaestparti travaillerenGrande-Bretagne.Mamannousaexpliquéqu’ily
gagneraitplusqu’avantetqu’un jour,bientôtpeut-être, ilviendraitnouschercher.Là-bas, lavieseraitplusbelle.Pourtant,avantqu’ils’enaille,nousn’étionspasmalheureux.Papa me manquait beaucoup. Assise à la fenêtre de ma chambre, je contemplais les toits. Les
hirondelles qui nichaient dans les combles de notre immeuble s’élançaient vers le ciel bleu avant deredescendreenpiqué.Jemedemandaiss’ilyenavaitenAngleterre.Est-cequemonpèrelesregardaitvirevolterluiaussi?Àl’approchedel’hiver,jerêvaisdem’envoleravecelles,versunpaysdusudoùlesoleilbrillerait
toutel’année.Etoùnotrefamilleseraitenfinréunie.ÀCracovie,leshiverssontrudes.Uneépaissecouchedeneigerecouvrelesolpendantdesmois.Les
toitssontsaupoudrésd’unnappageblanc,etilfautporterdeuxpairesdechaussettespournepasavoirlesorteilsgelés.–Est-cequ’ilneigeenAngleterre?ademandéKaziaàpapalorsqu’ilestrevenupourNoël.
–Parfois.Maisilnefaitpasaussifroidqu’ici!–Tupeuxnousyemmener?ai-jeenchaîné.–Unjour,Anya!Danscepays,toutestpossible;letravailyestrécompenséàsajustevaleur.Les
ruessontpavéesd’or.Enfin,pasausenspropre,biensûr!Jen’étaispas sûredecomprendre. Jeme représentaisunendroitmagnifique,où lesgens souriaient
constammentcarilspouvaientavoirtoutcequ’ilsvoulaient.–Unbelavenirnousattendpeut-êtrelà-bas,amurmurémonpère,leregardrêveur.–Est-cequ’ilyadeshirondelles?Ilaéclatéderire.–Oui!Lesmêmesqu’ici.L’Angleterren’estpassidifférentedelaPologne,tusais.Pourtant,j’avaisl’impressionqu’ilmeparlaitd’unautremonde.
Ilaurafallutroisansàpapapours’installer.Troisansdecartespostales,delettresetd’appelslongue
distance. Quelquefois, pour notre plus grand plaisir, il joignait à ses envois des petites figurinesd’animauxqu’ilsculptaitetpeignaitlorsdeseslonguessoiréessolitaires.Ilacceptaittouslespostesquiseprésentaient:cueillettedefruits,chantiersdeconstructionouveille
denuit dansuneusinede cornichons. Je nevoyais pas vraiment enquoi c’étaitmieuxque son ancientravail–àCracovie,ilétaitresponsabled’uneéquipedemenuisiers-charpentierspourlecompted’unegrossesociété–,maisjen’aipasposédequestions.Etpuisunjour,àLiverpool,ilarencontréYuri,unUkrainienquitenaituneagencedeplacementpour
les travailleurs émigrés.Mon père s’y est présenté, et au lieu de l’inscrire sur ses listes, Yuri lui aproposédedevenirsonassocié.–Ilpensequemonexpériencedemanagerpourraitluiêtreutile,nousaexpliquépapaautéléphone.
Ainsi que ma connaissance des langues étrangères. Grâce à moi et aux clients polonais que je luiapporterai,ilespèredevenirlemeilleurspécialistedelarégiondanssondomaine.–Merveilleux,acommentémaman.Pourtant,jevoyaisbienqu’elleétaitinquiète.L’Angleterreétaitlerêvedemonpère,paslesien.– C’est l’occasion rêvée, a-t-il insisté. Cette agence va nous rendre riches. Notre nouvelle vie va
commencer!Il avait repéré unemaisonnette avec jardin, dans un quartier agréable. Jem’imaginais déjà un joli
cottageauxmursblancs,àlaporterougeetàlafaçadecouvertederosiersgrimpants,commedansleslivresquemonpèrem’envoyaitpourquejeprogresseenanglais.Dansmonfuturcollège,lesélèvesporteraientdesuniformesimpeccablesetjoueraientauhockeyouau
quidditch.J’auraisdenouvellesamiesetpeut-êtremêmeunpetitcopain.Maman a démissionné de son travail à la boulangerie où elle préparait des gâteaux demariage et
d’anniversaireainsiqueladélicieusetourteauxgrainesdepavotdontlesgensraffolentpourNoël.–Fini,lesgâteaux,s’estlamentéemasœur.–Jecontinueraiàvousenfaire!apromismaman.L’existenceseraitbienfadesansunepetitedouceur
detempsentemps.Aprèsquoinousavonsfaitnoscartons,etditaurevoirànotrefamilleetànosamis.Nous voilà maintenant à bord de l’avion, partagées entre la peur, l’excitation et l’émerveillement.
C’estunepremièrepournoustrois.Kazia,inquiètedepuisquemamanabouclésaceinture,secramponne
àsonlapinentricot.Lemomentestvenudelaissernotreviederrièrenouspourenbâtirunenouvelle,dansunevilleappeléeLiverpool,oùlesruessontpavéesd’or.Jememordsleslèvres.L’appareils’élèveàtraverslagrisaillejusqu’àatteindreunezonedecielbleu.
Les nuages forment un tapis de cotonblanc sous nos pieds ; lemondeparaît neuf, étincelant.Le paysmerveilleuxdontjerêvedepuisdesannéesestenfinàmaportée.L’Angleterre.Jesuisprête.J’aitravaillétrèsdurencoursd’anglais;auderniercontrôle,j’aieulameilleurenotede
laclasse.Kazia,assiseàcôtédemoi,glissesapetitemaindanslamienne.–Jenesauraipasquoidireauxgens,chuchote-t-elle.Jenemerappelleplusaucunmot.Alorsquetoi,
tuessuperforteenanglais!–Toiaussi.Ons’ensortiratrèsbien!–Çaneserapasévident,nousprévientmaman.Ilfaudras’habituerauxaccents–surtoutqued’après
votrepère,celuideLiverpoolesttrèsmarqué.Maisonyarrivera.Je lui souris et appuiemon front contre le hublot. Je pense aux hirondelles qui partent vers le sud,
annéeaprèsannée,sansjamaissavoircequilesattend.Jevaisessayerdememontreraussicourageusequ’elles.Maisnousnepouvonspasflotteréternellementau-dessusdesnuagesdecoton,etl’avionnetardepasà
entamer sa descente en direction de l’aéroport John Lennon. Main dans la main, nous attendonsl’atterrissage,lesyeuxécarquillésetlecœurbattant.Lorsquenousdescendonslesmarchesetposonslepiedsurlesolanglais,nousdécouvronsunmondegrisetsombreoùleventfouettenoscheveuxetoùlapluietombeàverse.–OnsecroiraitàCracovie,plaisantemaman.Aprèsavoirrécupérénosvalises,franchilecontrôledespasseportsetl’immigration,nousdébouchons
danslehalloùpapanousattend.Ilnousfaitdegrandssignes,unimmensesourireauxlèvres.–Mesfilles!hurle-t-il.Mesfillesadorées!Noussautonsdanssesbras.
2
LaGrande-Bretagneneressembleenrienàcequej’avaisimaginé.Pasdecielbleunidesoleil,justedesnuagesgrisetunepluie incessantequis’infiltre jusquedans lesos.Onestaumoisd’octobre.Leshirondellessontparties,nelaissantderrièreellesquedespigeonsetdesmouettescriardes.C’estfoucommelesrêvess’effondrentvite.Aulieudelamaisonnetteévoquéeparpapa,nousemménageonsdansunappartementminusculesitué
au-dessus d’un restaurant de fish and chips. Le propriétaire s’appelleM. Yip. Le papier peint est àmoitié décollé par l’humidité, et une odeur de friture rance règne dans lesmoindres recoins. Papa aréparéunefenêtrecasséeet leplacarddelacuisine,maisçaresteuntaudis.Àdéfautderosiers,nousdevronsnouscontenterdesmauvaisesherbesjauniesquipoussententrelespavésjonchésdepapiersgrasdelarue.Ils’avèrequel’agencedepapanefonctionnepassibienqueça:elleluiprendtoutsontempsetilya
déjàengloutiunepartiedeseséconomies.–C’estjusteunproblèmedetrésorerie,nousrassure-t-il.Jevousaipromisunevraiemaison,etvous
l’aurez,dèsquelesaffairesirontmieux.Cen’estquetemporaire.Quandmamanvisitel’appartement,elleestauborddeslarmes.– Ça va marcher, insiste papa. Faites-moi confiance. On a eu quelques soucis financiers, mais
maintenantquej’aiinvestiunpeud’argent,onnetarderapasàengrangerdesbénéfices.Jenevoulaispasque vous annuliez vos projets, et puis j’avais hâte de vous retrouver. On a été séparés pendant silongtemps…Papanousserretouteslestroisdanssesbras,etl’espaced’uninstantnousoublionsletristedécorqui
nousentoure.Cequicompte,aprèstout,c’estd’êtreensemble.Etdevivreuneaventure…C’estcequejemerépètecesoir-là,blottiedansmonlitgrinçant,tandisquelalumièreduclairdelune
inondelachambreetquemapetitesœursanglotedanssonoreiller.C’estaussiceque jemerépète le lendemain,quandnous traversons lavillepourallerassisterà la
messepolonaise.Maman,Kaziaetmoiregardonslesvieillesmaisonsquinousentourentetquisemblentavoir connu des jours plus glorieux. Un caleçon en lambeaux pendouille à un arbre, et le caniveaudébordedecanettesdebière.Mêmelacathédraleestaffreuse.Ondiraituncornetdeglacerenversésurletrottoir,ouunvaisseau
spatialéchouéenpleineville.Onestàdesmillionsd’annéesdesélégantsclochersdeCracovie.Une fois à l’intérieur, c’est beaucoupmieux. La lumière filtre à travers les vitraux comme dans un
kaléidoscope géant aux couleurs de l’arc-en-ciel. Pendant lamesse, je ferme les yeux en priant pourqu’unmiracleseproduise,quemafamillesetéléporteloindecetappartementmisérableetdecettepluieincessante.Jevoudraisretrouvermonrêve,bienplusbeauquelaréalité.Aprèsl’office,papanousprésenteàsesamisetcollèguessurlesmarchesdelacathédrale.
–VoiciTomaszetStefan,quitravaillentavecmoi.EtM.etMmeNovak,M.etMmeZamoïsky…–Enchanté…évidemment, ce n’est pas lameilleure périodepour se lancer… les affairesmarchent
moinsqu’autrefois,maisjesuiscertainquevousyarriverez!Bienvenue,bienvenue!Nousserronsdesmainsetsourionsjusqu’àenavoirdescrampes.–Tuvasvoir,c’esttrèsdifférentdecheznous,meconfieunefille.Moi,audébut,j’aidétesté.–Neleurmontrepasquetuaspeur,meconseilleuneautre.–Maisjen’aipaspeur!Ellesmeregardentd’unairentendu.Aprèstout,ellessaventdequoiellesparlent.Lelendemain,j’enfileunechemiseblancheetunejupenoire,puisunevested’occasionàliserérouge
deuxfoistropgrandepourmoi.Elleaappartenuaufilsd’undesouvriersdepapa,quiestallédanslecollègeoùjesuisinscrite.Iln’enaplusbesoincarsafamilleetluisontrentrésàVarsovie.Quandjevoislecielgrisetpluvieux,jelesenviepresque.Mamannousaccompagneà l’école, l’airdéterminé.LacourducollègeStPierreetPaulest encore
quasimentvidequandnousentronsdanslebureaudel’administration.Nousmettonsuneéternitéàremplirlesformulaires.Mamann’arrêtepasdemeregarderpourquejelui
traduiselesconsignesdessecrétaires,maisleuranglaisneressemblepasdutoutàceluiquej’aiétudiéàCracovie.Jen’ycomprendsrienetnousensommesréduitsàcommuniquerparsignes.Ledirecteur,M.Fisher,meserre lamainetmesouhaite labienvenuedans sonétablissementd’une
voixexagérémentforte,enarticulantchaquemot.PuismamanetKaziam’abandonnentpourrecommencerlesmêmesdémarchesdansl’écoleprimairedemasœur.Quand je sors dans le couloir, je me retrouve face à unemarée d’adolescents qui se poussent, se
bousculent,crientetrientauxéclats.Lasecrétairefendlafoulepourmeguiderjusqu’ensalle21a.Puisellerepartverssonbureau.Aussitôt,lesélèvessejettentsurmoitelsdesvautourssuruncadavre.Ilsmetâtentlebras,tirentsurlamanchedemaveste,sanscesserdeparler,derireetdemeposerdes
questionsauxquellesjenecomprendsrien.Quandleprofesseurarriveenfin,ilssontentraindemehurlerdanslesoreilles:–CO-MMENT-TU-T’A-PPELLES?–D’OÙ-TU-VIENS?J’ouvrelabouchepourrépondre,maisaucunmotn’ensort.Leprofesseurfrappesursonbureaupour
réclamerlesilence.Jemelaissetombersurunechaisedupremierrang,tremblante, lesyeuxpleinsdelarmes.PuisjerepenseauxconseilsdesjeunesPolonaisesrencontréesaprèslamesse,etjetentedeprendreun
airassuré.Àl’intercours,deuxfillesm’adoptentetmepromènentdanslescouloirscommeunpetitchien.–VoiciAnya,répètent-elles.EllevientdePologne.Vas-y,disquelquechose,Anya!Dèsquejetentedem’exprimer,toutlemondeexplosederire.Quandlafindelajournéearrive,jesuis
épuisée.Jenesaismêmepassij’aurailaforcederentrer.Cecollègen’arienàvoiravecceuxdeslivresquepapam’envoyait.Riendutout.Jenem’ysentiraijamaisàmaplace.Quand je regagne notre petit logement au-dessus du fish and chips, Kazia danse dans le salon en
chantantenanglais.Elleseprécipiteversmoi,uncahieràlamain.–Jemesuisfaittroisnouvellescopines!Jodie,LaurenetAmber.Mamaîtresses’appelleMmeGreen.
Elleesttrèsgentille!Ettoi,c’étaitcomment?–Bien,jemarmonne.
–C’estchouette,ici,continueKazia.Lesgenssontsupersympas.Jenepeuxquandmêmepasêtrejalousedemapetitesœur,si?–Etdevinequoi…intervientmaman.J’aitrouvédutravail!Jevaispouvoiraidervotrepère,etavec
unpeudechancenouspourronsbientôtemménagerdansunendroitplusagréable.–Génial.C’estquoi,cetravail?Elledétourneleregard.– Justedesheuresdeménage.Monanglaisn’estpas assezbonpourque jeprétendeà autre chose.
Maisjen’aijamaisrechignéàlatâche,etpuisc’estundébut.Jemeforceàsourire.–Dis,maman,qu’est-cequisepasserasionn’arrivepasàs’intégrer?Sionneseplaîtpasici?Sion
serendcomptequemalgrénosefforts,l’Angleterren’estpasfaitepournous?Ellefroncelessourcils.–Onvas’intégrer,Anya.Onnes’attendaitpasàunappartementcommecelui-ci,etlespremiersjours
àl’écoleneserontpasévidents.Maisons’endoutait.Ici,nousavonsunechancedenousbâtirunebellevie.Tonpères’estdonnébeaucoupdemalpourcela…onnedoitpasbaisserlesbras.Onneretournerapasenarrière.J’encaisselechocensongeantausoleilquiscintillesurlaVistule,auxhirondellesdansleciel,aux
toitsblancsdeneigeetàmameilleureamie,Nadia,assiseàcôtédemachaisevide.Moncœurestaussilourdqu’unepierre.
CelivrenumériqueaétéconvertiinitialementauformatEPUBparIsakowww.isako.comàpartirdel'éditionpapierdumêmeouvrage.