3
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 855-7, cahier 3 S 855 Les guidelines thérapeutiques dans les schizophrénies F. PETITJEAN (1) (1) SHU, Hôpital Sainte-Anne, 1 rue Cabanis, 75014 Paris. Depuis une quinzaine d’années, de nombreux guideli- nes ou recommandations ont été publiées en psychiatrie. Ce terme suscite certaines controverses, et il paraît utile de préciser les raisons qui sont à l’origine de la publication de ces guidelines. Il s’agit tout d’abord d’identifier les connaissances scientifiques dans un domaine particulier, pour combler un fossé entre des pratiques de soins sur le terrain et les données de la recherche. La démocratisation croissante du savoir pousse les usagers et les familles à réclamer une information sur les méthodes de soins mises en œuvres par les médecins ; de plus les décisions concer- nant les politiques de soins doivent être soutenues par un niveau de preuve suffisant. L’ensemble de la démarche conduisant à l’élaboration de guidelines s’inscrit dans le cadre de l’Evidence Based Medicine. Les différentes étapes de cette médecine fon- dée sur les preuves consistent à traduire les besoins d’information en questions auxquelles il est possible d’apporter des réponses, à rechercher les meilleures preuves qui permettent de répondre à ces questions, à soumettre ces preuves à une évaluation critique, afin de juger de leur validité et de leur utilité, à les mettre en pra- tique, et enfin à évaluer la performance ultérieure réalisée à l’issue de la mise en pratique de ces recommandations. De nombreux systèmes de recommandations ont été élaborés pour les pathologies schizophréniques : on peut les regrouper en deux catégories : certaines sont issues de méthodologies de type « recommandations pour la pra- tique clinique » ou « consensus d’experts » : c’est le cas par exemple des Practice Guidelines de l’APA, en 1997 et en 2004, des recommandations du NICE (National Ins- titute for Clinical Excellence) au Royaume Uni en 2003, celles du PORT (Patient Outcome Research Teams) en 2003, celles du Maudsley Hospital à Londres (Maudsley Prescribing Guidelines, 2003) ; c’est également le cas pour la présente démarche de Consensus. La seconde catégorie de recommandations sont celles qui sont issues de Conférences de Consensus, avec par exemple en France les deux conférences sur « Les stra- tégies thérapeutiques à long terme dans les schizophrénies » en 1994 et sur « Les schizophrénies débutantes : diagnostic et modalités thérapeutiques » en 2003, organisées par la Fédération Française de Psychia- trie, ou en Belgique la conférence sur les troubles schi- zophréniques, tenue en 2000. MÉTHODOLOGIE DES CONFÉRENCES DE CONSENSUS Les Conférences de Consensus reposent sur une méthode visant à définir une position dans une contro- verse qui porte sur une procédure médicale, dans le but d’améliorer la pratique clinique. Elle vise à dégager les points d’accord et de divergence relatifs à une intervention de santé, qu’il s’agisse de la procédure diagnostique, de la stratégie thérapeutique ou des aspects liés à l’organi- sation du système de santé. Cette démarche est fondée sur la réunion d’un jury pluriprofessionnel appelé à faire la synthèse et élaborer des recommandations, qui sont évaluées selon une grille dite « AGREI » (Appraisal of Gui- delines for Research and Evaluation Instrument). Les recommandations pour la pratique clinique (RPC) (selon la définition initiale de la Haute Autorité de Santé) sont élaborées selon une méthode différente : il s’agit d’une méthode d’élaboration de recommandations médi- cales et professionnelles, à partir d’un groupe de travail de professionnels qui établissent, par une synthèse scien- tifique, l’état des connaissances à propos de situations cli- niques, avec un objectif d’amélioration de la qualité des soins par les recommandations ; celles-ci sont également évaluées selon la grille AGREI. Il n’y a donc pas, dans ce cas, recours à un jury pluriprofessionnel.

Les guidelines thérapeutiques dans les schizophrénies

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les guidelines thérapeutiques dans les schizophrénies

L’Encéphale, 2006 ;

32 :

855-7, cahier 3

S 855

Les guidelines thérapeutiques dans les schizophrénies

F. PETITJEAN

(1)

(1) SHU, Hôpital Sainte-Anne, 1 rue Cabanis, 75014 Paris.

Depuis une quinzaine d’années, de nombreux guideli-nes ou recommandations ont été publiées en psychiatrie.Ce terme suscite certaines controverses, et il paraît utilede préciser les raisons qui sont à l’origine de la publicationde ces guidelines.

Il s’agit tout d’abord d’identifier les connaissancesscientifiques dans un domaine particulier, pour comblerun fossé entre des pratiques de soins sur le terrain et lesdonnées de la recherche. La démocratisation croissantedu savoir pousse les usagers et les familles à réclamerune information sur les méthodes de soins mises enœuvres par les médecins

; de plus les décisions concer-nant les politiques de soins doivent être soutenues par unniveau de preuve suffisant.

L’ensemble de la démarche conduisant à l’élaborationde guidelines s’inscrit dans le cadre de l’

Evidence BasedMedicine

. Les différentes étapes de cette médecine fon-dée sur les preuves consistent à traduire les besoinsd’information en questions auxquelles il est possibled’apporter des réponses, à rechercher les meilleurespreuves qui permettent de répondre à ces questions, àsoumettre ces preuves à une évaluation critique, afin dejuger de leur validité et de leur utilité, à les mettre en pra-tique, et enfin à évaluer la performance ultérieure réaliséeà l’issue de la mise en pratique de ces recommandations.

De nombreux systèmes de recommandations ont étéélaborés pour les pathologies schizophréniques : on peutles regrouper en deux catégories : certaines sont issuesde méthodologies de type « recommandations pour la pra-tique clinique » ou « consensus d’experts » : c’est le caspar exemple des Practice Guidelines de l’APA, en 1997et en 2004, des recommandations du NICE

(National Ins-titute for Clinical Excellence)

au Royaume Uni en 2003,celles du PORT

(Patient Outcome Research Teams)

en2003, celles du Maudsley Hospital à Londres (MaudsleyPrescribing Guidelines, 2003) ; c’est également le caspour la présente démarche de Consensus.

La seconde catégorie de recommandations sont cellesqui sont issues de Conférences de Consensus, avec parexemple en France les deux conférences sur « Les stra-tégies thérapeutiques à long terme dans lesschizophrénies » en 1994 et sur « Les schizophréniesdébutantes : diagnostic et modalités thérapeutiques » en2003, organisées par la Fédération Française de Psychia-trie, ou en Belgique la conférence sur les troubles schi-zophréniques, tenue en 2000.

MÉTHODOLOGIE DES CONFÉRENCES DE CONSENSUS

Les Conférences de Consensus reposent sur uneméthode visant à définir une position dans une contro-verse qui porte sur une procédure médicale, dans le butd’améliorer la pratique clinique. Elle vise à dégager lespoints d’accord et de divergence relatifs à une interventionde santé, qu’il s’agisse de la procédure diagnostique, dela stratégie thérapeutique ou des aspects liés à l’organi-sation du système de santé. Cette démarche est fondéesur la réunion d’un jury pluriprofessionnel appelé à fairela synthèse et élaborer des recommandations, qui sontévaluées selon une grille dite « AGREI »

(Appraisal of Gui-delines for Research and Evaluation Instrument)

.Les recommandations pour la pratique clinique (RPC)

(selon la définition initiale de la Haute Autorité de Santé)sont élaborées selon une méthode différente : il s’agitd’une méthode d’élaboration de recommandations médi-cales et professionnelles, à partir d’un groupe de travailde professionnels qui établissent, par une synthèse scien-tifique, l’état des connaissances à propos de situations cli-niques, avec un objectif d’amélioration de la qualité dessoins par les recommandations ; celles-ci sont égalementévaluées selon la grille AGREI. Il n’y a donc pas, dans cecas, recours à un jury pluriprofessionnel.

Page 2: Les guidelines thérapeutiques dans les schizophrénies

F. Petitjean L’Encéphale, 2006 ;

32 :

855-7, cahier 3

S 856

NIVEAUX DE PREUVE

Les recommandations sont indexées selon le niveau depreuve dont on dispose pour les édicter. Il existe ainsi desrecommandations de niveau A lorsqu’elles se font sur labase de références cliniques substantielles, avec plu-sieurs études contrôlées ; de niveau B lorsqu’elles se fontsur la base de références cliniques moins complètes, avecpeu d’études et des données moins consistantes ; ou enfinde niveau C, lorsque les recommandations peuvent êtrefaites sur la base d’opinions d’experts, avec des résultatscontroversés ou insuffisamment prouvés.

CONSENSUS SUR L’UTILISATION DES ANTIPSYCHOTIQUES

En 1994, la première Conférence de Consensus fran-çaise avait recommandé de recourir à une monothérapieneuroleptique lors du traitement au long cours, d’éviter laprescription systématique d’antiparkinsoniens, de ne pasrecourir aux antidépresseurs en phase aiguë. Elle avaitégalement souligné l’importance d’une information sim-ple, complète et compréhensible sur la maladie et les trai-tements pour l’observance thérapeutique.

Une synthèse des guidelines plus récents, rédigésaprès l’apparition des antipsychotiques de seconde géné-ration, conduit à souligner que l’objectif du traitement d’unépisode aigu est de contrôler l’émergence des symptômespsychotiques et des troubles du comportement pour per-mettre le retour à un bon niveau de fonctionnement psy-chosocial. Le choix de la molécule doit être fait en fonctionde la voie d’administration, de la symptomatologie pré-pondérante (positive ou négative), des effets indésirableséventuels, et de la réponse antérieure éventuelle

; lesrecommandations récentes préconisent toutes l’utilisationdes antipsychotiques de seconde génération en premièreintention.

Ces guidelines récents recommandent, pour le traitementd’entretien, une durée du traitement de 12 à 24

mois aprèsun premier épisode, avec une prolongation en cas d’épiso-des multiples (5

ans après le dernier épisode). Ils décon-seillent les traitements intermittents, et indiquent un traite-ment pour la vie entière en cas de comportements violents.

L’adaptation des posologies doit se faire par une dimi-nution graduelle, jusqu’à l’obtention de la posologie mini-male (par exemple d’un cinquième de la posologie initialetous les six mois pour les antipsychotiques de premièregénération, selon l’APA en 2003). Cette stratégie restetoutefois discutée à l’heure actuelle. Les traitements adju-vants doivent être discutés en fonction de la symptoma-tologie associée (benzodiazépines, normothymiques,anticholinergiques…).

Toujours pour l’APA en 2003, les antipsychotiques deseconde génération possèdent une meilleure toléranceneurologique, mais ils nécessitent une surveillance de cer-tains paramètres cliniques et biologiques (poids, pressionartérielle, glycémie, bilan lipidique, ionogramme sanguin,électrocardiogramme).

Des études complémentaires apparaissent nécessai-res afin de mieux évaluer l’efficacité et le rapport bénéfice/risque (notamment la tolérance au long cours) des antip-sychotiques de seconde génération.

APPROCHES PSYCHOSOCIALES

Le traitement des schizophrénies s’inscrit dans un pro-cessus de prise en charge qui doit être bio-psychosocial,incluant le dépistage des comorbidités, et la prise encharge, lorsque c’est possible, en structures de soins etde dépistage. Outre l’utilisation des agents pharmacolo-giques (antipsychotiques de seconde génération, thymo-régulateurs…), les recommandations de l’APA mettentl’accent sur la nécessité d’approches psychothérapiquesadaptées, d’une démarche devant conduire à une alliancethérapeutique, et qui doit s’appuyer sur un soutien apportéaux familles.

La prise en charge doit être intégrée et à long terme ;elle doit tenir compte des spécificités individuelles quesont le fonctionnement cognitif du patient, ses habiletéssociales, l’évolution de sa pathologie dans le temps, et lesfacteurs traumatiques qui peuvent être associés à sapathologie.

Sur le plan psychothérapique, la pratique de la cure typepsychanalytique est contre indiquée

; cependant il existeun certain consensus professionnel pour estimer que cetteapproche peut apporter un éclairage utile à la compréhen-sion des troubles. En revanche, les thérapeutiques cogni-tives et comportementales doivent être mises en place,en complément des autres thérapeutiques, dès le dia-gnostic établi (grade A).

Les récentes recommandations du PORT font uneplace importante aux traitements psychosociaux, en récu-sant le réductionnisme biologique et en soulignant l’intérêtd’un modèle intégré bio-psychosocial.

Les programmes d’intervention psychosociale mis enavant dans les recommandations sont les programmesd’

Assertive Community Treatment

, les programmes psy-cho-éducatifs concernant les familles, le soutien à la réin-sertion professionnelle, les traitements cognitivo-compor-tementaux, l’entraînement aux habiletés sociales.L’importance d’une mise en œuvre précoce de ces traite-ments est également soulignée.

L’

Assertive Community Treatment

est une méthodethérapeutique décrite en 1980 par Stein et Test dans leWisconsin. Cette technique, largement utilisée aux États-Unis et au Royaume-Uni, a conduit à de nombreuses étu-des contrôlées et à un nombre important de recherches(Mueser

et al.

, Schizophrenia Bull 1998). Ce modèlerecouvre étroitement ce qui est pratiqué en France dansle cadre du Secteur psychiatrique : il s’agit d’un modèlede prise en charge de la schizophrénie basé sur la proxi-mité, la mobilité, la flexibilité, sur des services accessiblesdirectement et sur de larges plages horaires, des dossierspartagés entre cliniciens, une continuité de soins et uneprise en charge qui n’est pas limitée dans le temps. Ce

Page 3: Les guidelines thérapeutiques dans les schizophrénies

L’Encéphale, 2006 ;

32 :

855-7, cahier 3 Les guidelines thérapeutiques dans les schizophrénies

S 857

modèle a été évalué et prouvé efficace dans un grandnombre de dimensions (diminution de l’hospitalisation,qualité de vie, symptomatologie…).

L’entraînement aux habiletés sociales consiste à aiderle patient à développer au maximum ses capacités et àaméliorer son fonctionnement social et son autonomie.Ceci est rendu possible grâce à un soutien et des procédésd’apprentissage (techniques individuelles ou de groupe,jeux de rôle, etc), concernant les conversations, la réso-lution de problèmes, l’hygiène… De nombreuses étudescontrôlées ont établi l’intérêt de ces thérapeutiques.

Les traitements cognitivo-comportementaux concer-nent surtout les patients qui présentent des symptômeshallucinatoires ou délirants persistants et résistants auxthérapeutiques usuelles. De nombreuses études contrô-lées en ont également établi l’intérêt.

Les techniques de remédiation cognitive s’appuient surun moins grand nombre de données probantes, mais ils’agit d’une approche prometteuse, notamment avec desprogrammes intégrés en combinaison avec l’entraîne-ment aux habiletés sociales. La remédiation cognitive estbasée sur le constat d’une relation entre déficits cognitifset fonctionnement psychosocial ; les programmes com-portent une évaluation des fonctions cognitives puis desexercices cognitifs basés sur la rééducation neuropsycho-logique.

CONCLUSION

À la lecture de ces recommandations, on constate unepréférence nette pour les antipsychotiques de seconde

génération dans les premiers épisodes, ceci dans tous lesguidelines. En revanche pour les rechutes, l’accent est missur la nécessité de prendre en compte les antécédentspsychiatriques et médicaux, les préférences du patient,les effets secondaires.

En lien étroit avec les traitements pharmacologiques, ilest nécessaire de mettre en œuvre des traitements psy-chosociaux, dont beaucoup ont démontré leur efficacitédans de nombreux domaines : l’autonomie sociale, ladiminution des rechutes, l’observance thérapeutique,l’amélioration des symptômes résistants (notamment lesthérapies cognitivo-comportementales). Il est égalementimportant de tenir compte de la dimension cognitive pourpermettre l’inscription des patients dans un processus deréhabilitation.

Références

1. SCHIZOPHRENIA NATIONAL CLINICAL GUIDELINE. NationalInstitute for Clinical Excellence. Nice : Gaskell, 2003.

2. AGENCE NATIONALE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L’ÉVA-LUATION MÉDICALE. Stratégies thérapeutiques à long terme dansles psychoses schizophréniques. Texte du consensus. Paris :Andem, 1994 : 32 pages.

3. BUCHANAN RW, KREYENBUHL J, ZITO JM

et al.

The schizophre-nia PORT pharmacological treatment recommendations : confor-mance and implications for symptoms and functional outcome. Schi-zophrenia Bull 2002 ; 28 (1) : 63-73.

4. TAYLOR D, PATON C, KERWIN R. The South London and Maud-sley NHS Trust 2003 Prescribing Guidelines. London : Martin Dunitz,2003.

5. PRACTICE GUIDELINE FOR THE TREATMENT OF PATIENTSWITH SCHIZOPHRENIA. Am Psychiatric Association 2003 (2

nd

edi-tion).