Les marques, capital entreprises

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    1/43

    JEAN-NOL KAPFERER

    LES MARQUES,

    CAPITAL DE LENTREPRISE

    Crer et dvelopperdes marques fortes

    Quatrime dition

    Groupe Eyrolles, 2007

    ISBN : 978-2-212-53908-0

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    2/43

    G

    roup

    eEyrolles

    Chapitre 2

    La logique de marque

    Quest-ce quune dmarche demarque ? En quoi cela affecte-t-il toutes lesfonctions de lentreprise ? quoi celaengage-t-il ? Quen attendre ? Quels obsta-cles trouve-t-on typiquement pour emp-cher la ralisation pleine de la politique demarque et donc lobtention de ses fruits ?

    Maintes entreprises ont oubli le pourquoi de

    leurs marques. Une attention considrable estporte lactivit de marquage elle-mme,faisant appel aux designers, aux graphistes,aux agences de publicit. Cette activitdevient une fin en soi et reoit lessentiel delattention. Ce faisant, on oublie quellenest quun moyen. On fait du marquagelapanage exclusif du marketing et de lacommunication, sous-estimant le rle desautres fonctions de lentreprise dans larussite de la dmarche de marque.

    Or le marquage, sil est indispensable, est laphase terminale dun processus, impli-quant et focalisant les ressources de lentre-prise et toutes ses fonctions au service duneintention stratgique : crer une diffrence,seule faon pour lentreprise de se dmar-

    quer des concurrents, en mobilisant toutesses sources internes de valeur ajoute et

    acqurir une rputation dexcellence surcette diffrence, attache un nom.

    QUEST-CEQUEMARQUER ?

    Marquer va bien au-del du seul marquage,ce dernier signalant extrieurement quunproduit ou service a reu la marque,lempreinte dune organisation. Marquerest une dmarche rigoureuse, continue,exigeante, dans le but de crer de la valeur.Nous en dtaillons ici les facettes.

    Marquer cest transformerla catgorie du produit

    Diffrencier loffre

    La marque sinscrit dans une logique dediffrenciation de loffre. Lentreprise alambition de mieux coller aux attentesdune certaine clientle et se focalise pourlui fournir de faon constante et rpte lacombinaison idale dattributs tangibles etintangibles, fonctionnels et hdonistes,visibles et invisibles, dans des conditionsviables conomiquement pour elle-mme.

    Lentreprise veut marquer le secteur de sonempreinte, imprimer sa marque au pro-

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    3/43

    38 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    duit. Ce nest pas un hasard si lquivalentanglais de marque est brand : driv de

    brandon, ce mot renvoie un acte quipntrait la chair de lanimal ainsi marquen mme temps quil en signalait lappro-priation. Parler dun micro-ordinateurApple cest en fait dire quil y a du Appledans ce micro-ordinateur. Le premiertravail de rflexion sur la marque consisteprcisment dfinir ce que la marqueinjecte dans le produit (ou le service), en

    quoi elle le transforme : quels attributs sy matrialisent ? quels avantages sy incorporent ? quels bnfices sy dposent ? quelles obsessions sy inscrivent ? quelle mission sy dessine ?

    Ce sens profond de la marque est souventoubli ou volontairement omis. Ainsi, il est

    frquent dentendre dire par certainsdistributeurs : Pour nous, la marque cestsecondaire, pas besoin de mettre quelque chosesur le produit. Cest rduire la marque lasuperficie, ltiquette : marquer ce nestpas tre dessus, mais dedans. Le produit ouservice ainsi augment doit bien tresignal si lon veut quil soit repr parlacheteur potentiel et si lentreprise veutrcuprer les fruits de sa dmarche avantquelle ne soit copie par dautres, cest--dire les distributeurs eux-mmes.

    Il est dailleurs hautement significatif quelobjet dmarqu conserve une valeur sup-rieure celle du produit sans marque. Dansune logique assimilant marque tiquette, superficialit, il ne devrait plus rien valoir,

    car il ne porte plus de marque sur lui. Maisil continue de la porter en lui : une marque

    est passe et la transform intimement.Do la valeur des Lacoste sans le crocodile,

    des Adidas sans le trfle. Elles valent plusque les contrefaons, car mme invisible lamarque est prsente. Dans la contrefaonau contraire, bien que visible, la marque estabsente.

    La marque, ordonnatrice du march

    Certaines marques tmoignent par leur

    slogan quelles ont bien compris cette mis-sion profonde : transformer la catgorie deproduit. La marque nest pas simplementun acteur du march, elle doit en tre unordonnateur, m par une vision, une mis-sion, une conception de ce que doit devenirla catgorie. Ainsi en 1993 Candia, marquede lait, catgorie combien banalise,

    abandonnait sa signature Candia, rienque toi , nombriliste et gratuite, pour unesignature exprimant sa raison dtreprofonde : Candia fait du bien au lait. Cette signature exprime bien que la mar-que nest pas le produit, mais une mise distance par rapport au produit (Attali,1993). Lerreur et t dopter pour dessignatures du type Candia, les bienfaitsdu lait o lapport de la marque la cat-gorie, sa valeur ajoute disparaissent. Tropde marques veulent absolument se confon-dre avec la catgorie de produit, croyantainsi se lapproprier alors quen fait elles sydissolvent : Frigidaire, Klaxon, Cumulus,Caddie, Scotch, Kleenex sont ainsi devenusdes noms gnriques. force dtre

    Lesieur, lhuile darachide , o est lavaleur ajoute Lesieur ? Carrefour ou

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    4/43

    La logique de marque 39

    G

    roup

    eEyrolles

    Casino aussi peuvent promouvoir unehuile darachide.

    La transformation de la catgorie selon lamission que la marque se donne passe parune prise de distance par rapport au pro-duit. Concrtement, cela signifie que lamarque est faible lorsque le produit esttransparent. Parler dhuile dolive deGrce, premire pression par exemple,cest rendre le produit transparent, prati-

    quement dfini dans son intgralit, etrsum dans ces seuls attributs. Or, il existedes dizaines de marques pouvant mettre surle march une telle huile. linverse, il estsignificatif que le succs de Fruidor sestaccompagn dune perte de contact avec leproduit : lemballage jaune opaque protgelhuile de la lumire, mais cre structurelle-ment cette distance vitale avec le produit.

    Le passage du vrac lemballage est symp-tomatique aussi de ce phnomne. Lafaiblesse des marques dans les produits fraissous vide tient pour partie ce que, pourappter, leur conditionnement prsentepar exemple toute la choucroute en bar-quette sous cellophane, recrant de la trans-parence. Dans le march du verre

    correcteur, cest structurellement la causede la faiblesse de la marque Essilor aux yeuxdes consommateurs. Ceux-ci ne visualisentpas comment Essilor transforme le produit,son apport, sa valeur ajoute. Pour eux, duverre cest du verre auquel on peut, lins-tar de lautomobile, ajouter des options(anti reflet, incassable, etc.). La valeur ajou-te semble ne rsider que dans le style de la

    monture (do la floraison de griffes dansles lunettes) ou dans le service, palpable et

    tangible au magasin (do les rputationsdenseigne telles Afflelou, Krys, Optic

    2000). Ce qui est invisible nest pas peru,donc nexiste pas leurs yeux. Nanmoins,lexemple des eaux minrales est l pourrappeler que lon peut toujours rendreopaque un produit transparent et ainsi ledbanaliser. Les grandes marques deauminrale nont pu natre, crotre et prosp-rer que parce quelles ont rendu visiblelinvisible. On ne pouvait plus choisir son

    eau au hasard : lquilibre et linnocuittaient apports par vian, la minceur parContrex et la vitalit par Vittel. La compo-sition diffrente et invisible de ces eauxfondait ces positionnements. Dune faongnrale, tout ce qui complexifie la compo-sition contribue aussi crer de la distanceavec le produit. De ce point de vue, Coca-

    Cola a raison de maintenir secrte sacomposition. La reprise dOrangina sestaccompagne dune recomplexification delextrait. Antoine Riboud traduisait la mmeproccupation lorsquil dclara : Je nefabrique pas des yaourts mais des Danone.

    La mission de la marque

    La marque est un point de vue sur lacatgorie de produit. Les grandes marquesont plus quun positionnement ou uneposition dominante dans le march : ellesont une certaine position sur la catgorie deproduit. Cest cette position, cette concep-tion, qui donne lnergie la marque etnourrit les transformations quelle opresur les produits pour les rendre conformes

    son idal. Cest cette conception quijustifie lexistence de la marque, sa raison

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    5/43

    40 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    dtre sur le march et fournit un fil direc-teur son volution dans le temps. Or,

    combien de marques sont aujourdhuicapables de rpondre la question crucialesuivante : que manquerait-il au march sinous nexistions pas ? La finalit de lentre-prise est de gnrer des profits, des emplois.Mais la mission de marque est dun autreregistre. Trop souvent, lon confond projetdentreprise et projet de marque. Le pre-mier aboutit le plus souvent des truismes

    du type mieux satisfaire les clients . Sp-cifier la mission de la marque consiste (re)dfinir la raison dtre de celle-ci, sonimprieuse ncessit. La notion de missionde marque est absente de la plupart desmanuels de marketing. De fait, elle estrcente et traduit la conception mergentede la marque comme une force de proposi-

    tion crative sur un march. Sil y a force, ily a nergie. La marque puise ses ressourcesdans les moyens financiers et humains delentreprise, mais tire son nergie dunpoint de vue quelle a sur la catgorie deproduit. La marque part de ce point de vuefondateur. Si elle ne se sent pas habite parune intense ncessit intrieure, elle naurapas de potentiel de proslytisme, dentra-

    nement et dnergie. En cela, elle diffre delentreprise. Les clients deviennent ambas-sadeurs de la marque habite par un idal etle ralisant. Les entreprises, les groupesmotivent moins.

    Maintes banques se dfinissent par limagesuivante : proche des clients, moderne, auxproduits performants, avec un service per-

    sonnalis. Ces traits sont utiles aux hom-mes dtude lorsquil sagit de mesurer les

    perceptions renvoyes par le march. Maisde quel programme dynamique sont-ils

    lmanation, de quelle vision sont-ilslexpression ? Certaines banques lontspcifi : pour les unes cest changer lerapport des Franais largent , pourdautres cest rappeler que largent nestquun moyen au service du dveloppe-ment personnel . Plusieurs banques ontrcemment cherch redfinir leur raisondtre singulire. Toutes auront le faire.

    La marque porte un dessein : cest un fac-teur de mobilisation interne et externe.

    Les marques gnralistes ont plus que touteautre besoin de reprciser leur propre mis-sion. Lexemple automobile est typique. Lamarque gnraliste veut couvrir tous lessegments du march. Chaque modledonne lieu maintes versions pour en

    maximiser (en thorie) le nombre dache-teurs potentiels : diesel, essence, bi-corps,tri-corps, break, coup, cabriolet, etc. Leproblme est qu force de devoir respecterles critres cls de chaque segment (le basde gamme, le moyen-bas, le moyen-haut etle haut de gamme) et plaire tout le mondeen multipliant lenvi les versions et en vi-

    tant de trop typer un modle pour ne heur-ter personne, on aboutit des marquescamlons. part le signe sur le capot oulair de famille du dessin des voitures, on nesent plus un dessein commun qui sourceces automobiles et anime les forces crati-ves et productrices de lentreprise. Le com-bat concurrentiel se fait alors sur le prix ousur le nombre doptions proposes pour ce

    prix. Elles ne sont plus des marques maisdes noms sur un capot ou sur les murs du

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    6/43

    La logique de marque 41

    G

    roup

    eEyrolles

    concessionnaire. Ce mot est devenu large-ment vide de sens.

    Une analyse pyramidale

    Les grandes marques gnralistes peu-vent tre compares une pyramide (figure2.1.). son sommet sexpriment la vision,la mission, la conception que la marque ade lautomobile, par exemple, du typedautomobiles quelle veut et a toujours

    voulu crer, le concept automobile qui estle sien et qui peut ou non tre exprim parun slogan. Cet tage nourrit celui du ton etdes codes gnraux de la marque. En effet,la personnalit et le style de la marquesexpriment moins par des mots que parune faon dtre, de communiquer. Loindtre livrs la seule inspiration fluctuantedes cratifs, ces codes doivent tre spcifis

    pour tmoigner de lunicit de la marquesans pour autant imposer un corset mono-lithique, impossible ds lors quil sagitdune marque gnraliste et multi-produits. Le deuxime tage est celui destraits dimage stratgiques de la marque :au nombre de trois ou quatre ils dcoulentde la vision et sincarnent dans les produits,

    la communication et les actes de la marque.On retrouve ici les axes de positionnementtels que par exemple pour Volvo scurit,fiabilit, robustesse ou pour Peugeot dyna-misme, esthtique et valeur sre. Puis leplan des produits, la base de la pyramide estcelui des positionnements des modlesdans leurs sous-marchs, chaque modletant la concrtisation des valeurs de la

    marque. Enfin, le plan de lexprientiel, duvcu, du sensoriel.

    Le problme est que les consommateursregardent la pyramide den bas. Ils partent

    du rel, du tangible, de lexprientiel. Plusla base est large, plus lincertitude crotquant au fait que toutes ces voitures ma-nent bien dune mme conception delautomobile, quelles portent bien la mar-que, lempreinte du mme projet automo-bile. Le management de la marque consistelui partir du haut et dfinir la concep-tion que la marque a de lautomobile et qui

    permet de dlimiter partir de quand unevoiture est ou nest plus porteuse de cetteconception, donc en toute logique nedevrait pas porter le nom de marque, esthors marque, hors de son territoire.

    Lhistoire de lautomobile tant faite degrands succs suivis de ressacs mal vcus, lesgrandes marques gnralistes sont rguli-

    rement saisies par le doute quant leurvision. Ainsi, aprs le phnomnal succsde la 205 et de la 405, une srie dedconvenues sur la 605 et le dmarrage endouceur du couple 106/306 dstabilisrentun peu la marque Peugeot en interne et enexterne. La question fondamentale futpose : les Peugeot sont-elles toujours desPeugeot ? La rponse supposait que lonredfinisse ce que lon entend long termepar cest une Peugeot, bref quelle concep-tion durable la marque a de lautomobile.Peugeot nous consulta pour redfinir samission, son identit, son positionnementet son slogan actuel.

    Cest souvent loccasion dune recherchede slogans que lon dcouvre un flottement

    en interne sur la marque. Lre nest plusaux slogans creux et gratuits de type

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    7/43

    42 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    lesprit automobile qui ne disent en rienlidal automobile de la marque en ques-tion et ne servent pas de guide pour lesconcepteurs, crateurs, les dveloppeurs etles producteurs, lorsquil sagit de faire deschoix trs concrets entre des facettes quisexcluent : confort et tenue de route, aro-dynamisme et impression de robustesse,etc. Dans cette logique, nous avons pro-pos Peugeot une mission dont elle a fait

    son slogan : pour que lautomobile soittoujours un plaisir . Tout nouveau capdoit tre clam haut et fort en interne.

    Remarquons que les valeurs de la marquedoivent tre explicites dabord en interne,

    car ce qui se vit lintrieur de lentreprisese mue alors en produits, en services, enrelations de marque . Dautre part, cesvaleurs simposent aux produits de lagamme. Certes, chaque modle de Peugeot

    Fluctuations permanentes du marchvolution des consommateurs, des styles de vie, de la concurrence

    VisionMission

    Ton et codegnraux

    Traits dimages stratgiques(3 ou 4 hirarchiss)

    Produits Actes

    Exprientiel Sensoriel

    TerritoireHors marque

    TerritoireHors marque

    Figure 2.1. Le systme de la marque

    GammeDiffrenciation entre modles,

    mais chacundoit porter toutes les

    valeurs de sa marque

    Figure 2.2. Comment chaque produit dcline sa marque

    DE V

    S

    VSED

    D E

    DynamismeEsthtiqueValeur sre

    Facettes noyau de l'identit(explicites et normatives)

    PEUGEOTMarque mre

    207 607307

    VS

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    8/43

    La logique de marque 43

    G

    roup

    eEyrolles

    vise un segment et doit y russir. Mais il estaussi le vhicule des valeurs Peugeot. Cest

    pourquoi chaque modle doit porter toutesles valeurs de la marque qui dfinissent sonidentit. En revanche, pour crer la nces-saire complmentarit entre modles, cesvaleurs sont modules selon le niveau de lagamme (figure 2.2.).

    Une diffrence toujours

    renouvele par linnovationIl est souvent avanc que les produits demarques diffrentes sont parfois identiques.Daucuns en dduisent que dans cecontexte, la marque ne serait quun coupde bluff , un artifice pour chercher sedmarquer sur des marchs o lon trouvedes produits qui ont du mal se diffrencier.

    Cette remarque oublie le facteur temps et lalogique concurrentielle. La marque semanifeste par les produits quelle cre etapporte au march. Toute innovation parla marque scrte ncessairement lesuivisme. Tout progrs devient vite unstandard auquel les acheteurs shabituent :les marques concurrentes doivent alorsladopter si elles ne veulent pas tre en

    retrait par rapport aux attentes du march.Pendant une courte priode, la marqueinnovante jouira dun monopole fragile,car vite contest si linnovation nest pasbrevete ou brevetable. La fonction dunom est prcisment de protgerlinnovation : cest un brevet mental.

    Ainsi, la marque Lu cra un nouveau con-

    cept de biscuit fond sur les fibres et lenaturel, trs valoriss dans lalimentation

    moderne. Compte tenu de son succs,dautres fabricants produiront le leur. Si Lu

    avait appel son biscuit de faon gnrique,biscuit naturel aux fibres, le consommateuraurait dcouvert quelques mois plus tardun biscuit naturel de Carrefour, de Casino.Le nom propre (Mukti) qui fut choisi rendle produit innovant spcifique : commetout nom propre, il dsigne un tre unique.Le nom du produit donne linnovationune exclusivit et le protge contre les stric-tes imitations, ce qui nest aprs tout que lajuste rmunration de linnovation, desefforts et du risque. Mais si lentrepriseinnove en lanant hier Mikado et Sirtaki,demain Mukti, il ny a pas de capitalisationde ses efforts : Lu, cratif inventeur de cesbiscuits originaux nen tire aucune notorit.On aura donc besoin, en plus des noms de

    produits spcifiques, dinstaller son nom demarque, en loccurrence Lu. Grce sa pr-sence sur ces innovations, Lu va acqurir uncapital de confiance, une image de crateurludique de haute qualit et ainsi tirer lesbnfices de son innovation rpte. La mar-que permet de capitaliser, aussi bien pourlacheteur que pour le vendeur.

    Sil est vrai que la photographie statique dunmarch rvle souvent des produits similaires,une vision dynamique rappelle qui a innov etpar son succs entran les concurrents : lamarque protge linnovateur, lui confre uneexclusivit provisoire et rcompense son com-portement de prise de risque. Cest donclaccumulation au fil du temps de ces diffren-

    ces provisoires qui constitue le rvlateur dusens de la marque et justifie sa fonction

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    9/43

    44 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    conomique, donc sa prime de prix. Cest laconcurrence dynamique.

    La marque ne se rduit donc pas un signesur un produit, simple exercice graphiqueet cosmtique : elle signe un acte crateurqui dlivre aujourdhui le nouveauproduit A, demain les nouveaux produitsB, C, etc. Les produits naissent, vivent etdisparaissent, mais la marque reste. Ce sontles constantes de cet acte crateur qui cons-

    tituent le sens de la marque, son contenu etses attributs. La marque exige du temps etde lidentit pour que laccumulation deces innovations produise du sens.

    La marque est une mmoire

    Crer une marque, cest construire unerputation durable dexcellence dans quel-

    que chose. Mais la marque ne se manifesteque par ses actes (modles, produits, com-munication, rseau). Son contenu natdu cumul mmoris de ceux-ci, dans lamesure o ils apparaissent gouverns parun principe commun, un fil directeur. Ilfaut quil y ait cumul et non simplejuxtaposition. De fait, Lu ne signe pasnimporte quels produits : Sirtaki, Mikado,

    Mukti, Prince ou Pims portent bien lessymptmes dune marque commune rv-lateurs de ses valeurs, de ses attributs, deson intention. Ce sont des produits origi-naux, cratifs, sains, de notre temps,universalistes et dune grande finesse detrait. La marque a du brio, de linventivitet une maestria qualitative.

    Limportance de la mmoire dans la consti-tution de la marque explique les diffrences

    structurelles dimage entre les gnrations.Ceux qui ont connu Lu alors que, contrac-

    tion de la raison sociale de lentrepriseLefvre-Utile, elle signait le fameux petit-beurre, gardent une conception de lamarque ncessairement diffrente de celledes jeunes adeptes de Figolu et de Prince.Le premier point de contact avec la marqueconstitue un ple mmoriel structurant lesperceptions venir. Cest l le problme demarques doubles telles que Citron :

    limage de marque de ceux qui lont dcou-verte par la 2 CV, la Dyane ou la Mhariest aux antipodes de celle des dcouvreursde la DS ou de la SM. Quant ceux qui ontconnu la fameuse traction avant-guerre, ilssen souviennent encore. Le facteur mmo-riel explique aussi, pour partie, la prennitdes prfrences individuelles : au sein dune

    mme gnration, les marques aimes entre7 et 18 ans le restent ultrieurement jusquvingt ans aprs (Guest, 1964 ; Fry et al.,1973 ; Jacoby et Chestnut, 1978).

    Ce sont les premiers actes et messages de lamarque qui laissent la trace la plus durableet structurent sa perception long terme.De ce point de vue, la marque cre un filtrecognitif : ce qui est dissonant et atypiqueest dcrt comme non reprsentatif,dcompt, puis oubli. Cest pourquoi leschecs ns de lextension de marque sur desproduits atypiques ne heurtent pas la mar-que (alors quils branlent la confiance desinvestisseurs dans lentreprise). Lchec deBic dans les parfums en est un exemple.

    Cest parce que la marque est la mmoire

    des produits quelle peut exercer sa fonc-tion de repre stable et durable. vacuant

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    10/43

    La logique de marque 45

    G

    roup

    eEyrolles

    ce qui est atypique, dissonant, la marqueest une mmoire slective, do sa perma-

    nence. Cest pourquoi la marque est moinslastique que ses produits. Ce point fut lorigine dun conflit entre le crateurDaniel Hechter et son licenci la socitBiderman. Sachant que la marque se cons-truit par son discours dorigine, la marqueHechter a vite t associe des produits forte valeur ajoute crative, des vtements la fois de ville et dcontracts, forts enstyle et en couleurs, conviviaux. LhommeHechter, le reflet de la marque, apprcielanti-formalisme, lpicurisme, le ctfacile vivre et la dcontraction. Toutelimage de la marque Hechter est ne dusportswear travaill, typique des premiresannes. Limage du crateur lui-mme,Daniel Hechter, un peu flambeur, mana-

    ger hdoniste et businessman esthte,renfora la perception prcise de lidentitde marque Hechter. Tout alla bien entreHechter et Biderman jusquau jour o lescroquis apports par les crateurs dessi-naient des lignes de plus en plus formelleset classiques, moindre valeur ajoutecrative. Les produits scartaient donc deplus en plus de limage de la marque. Cer-tes, les valeurs de marque smantisent leproduit, en proposent une certaine lecture,nous y reviendrons ci-aprs. Nanmoins, lamarque ne peut transformer un produit enson contraire. Ce qui est formel nest pasinformel, ce qui est guind nest pasdestructur, ce qui est classique nest pasmode. Loin dattirer une clientle nouvelle,

    qui sest dj fait une ide prcise de lamarque, cette volution dHechter prenait

    le risque de dcourager les fidles. Ce quiamena Biderman refuser cette volution

    hors marque , bien que signe Hechter.Le crateur doit respecter le contrat de lamarque ponyme quil a cre.

    La marque est un programmegntique

    La marque est la mmoire et le futur desproduits. Lanalogie avec la mmoire gn-tique est au cur de la comprhension dela marque. En effet, la mmoire ainsiforme porte en elle le programme desdveloppements futurs, les caractristiquesdes modles venir, leurs traits communs,leur air de famille transcendant leurs diversespersonnalits. Comprendre le programme dela marque permet de reprer son territoire

    de lgitimit, le domaine o la marque peutstendre, en dehors des produits qui luiont donn naissance. Le programme impli-cite de la marque indique le sens desproduits passs et venir.

    Sil existe, ce programme est dcelable travers lanalyse des productions, commu-nications et actes significatifs de la marque,

    depuis sa cration. Sil existe un fil direc-teur, une permanence implicite, elle doittransparatre. La vrit dune marque est enelle-mme. Les tudes didentit de marqueont donc toujours deux volets : lanalyse dela production de la marque et lanalyse dela rception, de limage renvoye par lemarch. En effet, limage est elle-mmeune mmoire, stable comme en atteste la

    difficult de la faire voluer court terme.La fidlisation implique un respect des fac-

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    11/43

    46 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    teurs qui ont sduit initialement les clients.Si par relchement, dfaillance ou manque

    dinvestissement, les produits ne sont plus la hauteur des attentes des clients, il vautmieux revenir cette hauteur, plutt quechanger dattentes. Pour fidliser sesclients, la marque doit rester fidle elle-mme et ainsi capitaliser.

    Sinterroger sur son pass, essayer de dcelerle programme implicite de la marque, ce

    nest pas tourner le dos au futur, mais mieuxle prparer en lui donnant racines, lgitimitet continuit. Lerreur est de pratiquerlembaumement de la marque et de rpterau prsent ses productions du pass. Or,soumises concurrence, les productions dela marque doivent toujours tre intimementde leur temps, mais sa manire. Revitaliser

    Burberry ou Givenchy, cest rinsrer leuressence dans la modernit et non se figerdans le respect des codes passs que lonvoudrait perptuer.

    La marque nest donc pas une ralit fige.Aprs tout, les consommateurs nachtentpas des marques, mais des produits demarque. Ils doivent tre de leur temps, tant

    sur le plan technologique, cologique,ergonomique quhdonique. Ils doiventaussi sinsrer dans les normes toujours enprogrs des prix moyens du march : soiten bas, soit au milieu, soit en haut de lafourchette, mais jamais en dehors. Unconstructeur automobile qui ne serait pasen mesure dapprocher le zro dfaut, la

    qualit totale tout en restant comptitif entermes de prix, ne pourra subsister demain.

    La marque doit sadapter son temps, auxvolutions des acheteurs et de la technolo-

    gie. Cest ainsi quelle reste actuelle : par sesproductions concrtes (les produits ouservices) et symboliques (la communica-tion). La marque se btit donc chaque jouret nest pas inscrite une fois pour toutes. Lepass ne doit pas dicter le futur dune faontroite. Mais voluer dans tous les sens, lamarque perd son sens et se vide de contenu.

    La marque est le sens des produitsLes grandes marques ont un sens qui

    indique leur contenu et leur direction. Parexemple dans llectromnager, Siemenssignifie durabilit, srieux, confiance : onimagine le travail attentionn et mticuleuxdes travailleurs allemands. Brandt signifiepraticit, absence de soucis, familiarit, au

    sens dun ami proche de la famille qui a vugrandir les enfants. Philips a acquis le sensdinnovation grand public, de techniquemise au service du plus grand nombre. Surtous les marchs, on saperoit ainsi quechaque marque notoire a un sens particu-lier. Il est trs important pour lindustriel,car il indique aux acheteurs dans quelledirection doivent se faire la recherche,linnovation, les efforts de la marque. Icidurabilit, l praticit ou simplicit. Demme quun mot ne peut avoir deux sens la fois, lun dominant toujours lautre,aucune marque ne cherche concentrer surelle tous les sens. Chacune trace son propresillon, imprime sa marque.

    Lexistence de produits communs dans les

    gammes de plusieurs marques ninvalidepas celles-ci, si elle sait rester limite. En

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    12/43

    La logique de marque 47

    G

    roup

    eEyrolles

    effet, la duplication sur certains modlesdune gamme est inluctable. Supposons

    que la marque A poursuive la durabilit, Bla praticit et C la simplicit, cet esprit demarque va se manifester remarquablementsur certains produits appels prototypes dela marque. Dans chaque gamme, il existeainsi des produits o la marque dmontresa valeur-guide, son obsession : ils sont por-teurs du sens de la marque. Ce sont les pro-duits 100 % marque.

    Cependant, il existe aussi des produits de lagamme o lintention de la marque, sesattributs ont plus de mal se manifester.Dans lautomobile, les contraintes de cotslies au bas de gamme sont telles quil estdifficile de fabriquer un modle trs diff-

    rent de celui du voisin. Mais pour des rai-sons conomiques, les marques sont parfoiscontraintes dtre prsentes aussi sur ce typede march, en gnral trs concurrentiel. Demme, chaque banque dut bien produireson PEP (plan dpargne populaire), identi-que celui des autres banques. Lexistencede produits communs correspond unefrange limite de loffre de chaque marque(figure 2.3.). Chacune nen garde pasmoins une direction qui la tire vers desproduits hors du commun, le long duncertain axe de dveloppement. Cest pour-quoi limportant est de communiquer surceux-ci, car ils rvlent le sens de la marque.

    Ainsi, bien que les modles de Peugeot etCitron comportent des lments identi-

    ques, les marques, elles, nont pas la mmesignification, pas la mme identit.

    Le problme nat quand lintersection, la

    partie commune des marques est tropimportante et empche chacune dexprimerson identit. Vouloir mettre les mmesmoteurs chez Peugeot et Citron, cesthandicaper Peugeot, dont lidentit reposedsormais largement sur le dynamisme auto-mobile. Lorsque plusieurs marques vendentle mme produit, la marque devient carica-

    turale. Si, sur un plan conomique, pourconcurrencer lEspace de Renault et leVoyager de Chrysler, ni Peugeot, ni Citron,ni Fiat, ni Lancia ne pouvaient prendre lerisque de crer seul une usine, en revanche,la production dun vhicule commununique relgue la marque ltat dartificeextrieur. Le message didentit se limita laseule peau extrieure. En look, chacune des

    marques dut tre caricaturale pour facilitersa reconnaissance.

    Sens de lamarque B

    Sens de lamarque A

    Sens de la marque C

    Produitscommuns auxtrois marques

    Figure 2.3. Marques et recoupementdes gammes de produits

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    13/43

    48 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    La marque smantise les produits

    Les produits sont muets, cest la marquequi leur donne un sens. On dcode les pro-duits travers le prisme de la marque, seslunettes. Renault nous invita lire en sesmodles des voitures vivre . La marqueoriente notre perception des produits. Elleretire alors deux un cho qui cautionne etconstruit lidentit de marque. Lautomo-bile fournit la dmonstration de ce fait : la

    plupart des innovations techniques sy dif-fusent rapidement entre toutes les mar-ques. Ainsi, lABS se trouve aussi bien chezVolvo que chez BMW, dont on ne peutdire quelles aient la mme identit. Y a-t-ill incohrence de marque ? Non, car lABSest un progrs qui simpose tous.

    En revanche, la marque ne se construisantque par une cohrence long terme, sourceet tmoignage de son identit, le mmeABS naura pas la mme signification chezlun ou lautre constructeur. Pour Volvo,aptre de la scurit totale, lABS est unencessit au service des valeurs et des obses-sions de la marque : il matrialise les attri-buts de celle-ci. BMW, marque de

    performance, ne peut parler de lABS en cestermes : ce serait renier son idologie, le

    systme de valeurs qui dynamise toutelorganisation et engendre les fameuxmodles de la marque munichoise. BMWprsente lABS comme le moyen dallerplus vite. De la mme faon, comment lamarque scuritaire intgra-t-elle sa partici-pation aux championnats dEurope desvoitures de tourisme ? En disant : Mieuxtester le produit pour quil dure plus

    longtemps. Le vhicule monospace commun Peu-geot, Citron, Fiat et Lancia ne laisse plusaux marques que ce rle : aider sa lecture,donc son appropriation, selon les valeurspropres de chaque marque : imagination etvasion chez Citron, qualit de conduiteet fiabilit chez Peugeot, brio et standing

    chez Lancia, praticit chez Fiat.Pour des raisons conomiques, les construc-teurs dveloppent des modles communs.Tant que cela reste limit, la marque estsauve. Encore faut-il parler de ce modlecommun de faon diffrencie : chaquemarque va le prsenter comme conforme

    PerformanceRobustesse

    Peugeot Citron Fiat Lancia

    Monospace

    StandingBrio

    PrixPraticit

    Imaginationvasion

    Figure 2.4. La marque donne son sens linnovation

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    14/43

    La logique de marque 49

    G

    roup

    eEyrolles

    son identit. Ainsi, lidentit de marquenest jamais acquise partir dun dtail,

    mais celui-ci, interprt, donne du poids une stratgie plus large. Un dtail ne peutlaisser de traces dans la marque que sil esten rsonance avec elle, faisant cho etamplifiant les valeurs de la marque. Cestpourquoi les marques faibles ne parvien-nent capitaliser sur des innovations : ellesnarrivent pas leur imprimer un sens et crer cet cho.

    linverse, ne parler que de prix et duneliste doptions offertes ne btit pas de capi-tal de marque. La climatisation est intres-sante condition quelle nourrisse unconcept, une valeur de marque.

    La marque est donc un prisme de lecture desproduits. Elle dfinit le type et le niveau des

    attentes vis--vis de ceux-ci lorsquils portentson nom. Une innovation qui serait peruecomme trs originale pour une Fiat seraperue comme banale pour Citron. Enrevanche, le recul des motorisations quiserait pass inaperu chez maints construc-teurs heurte le socle identitaire de Peugeot etles attentes quil a suscites, qui font dsor-mais partie de ce quil faut appeler son

    contrat de marque , fait de dynamisme,desthtique et de valeur sre.

    La marque est un contrat

    Par lobstination et la rptition, lamarque devient crdible. Avec le temps, leprogramme de la marque lengage. Cra-teur de satisfaction et de fidlit, il oblige la

    marque tre la hauteur du quasi-contratqui la lie au march. En change elle bn-

    ficie dun a priorifavorable de la part de cedernier en ce qui concerne les futurs pro-

    duits venir. Cet engagement rciproqueexplique que des marques dont les produitsont provisoirement dfailli naient pas dis-paru pour autant. La marque se juge sur lelong terme : un chec est toujours possible.Lattachement la marque lui ouvre unrpit pour se reprendre. Sans celui-ci,Jaguar aurait depuis longtemps disparu :toute autre marque naurait pas rsist la

    baisse de qualit de ses automobiles pen-dant les annes 1970. Cest l un des bn-fices de la marque pour lentreprise, outreles effets de capitalisation et de brevetageprsents supra.

    Le contrat de marque est conomique, pasjuridique. En cela, la marque diffre desautres signes de la qualit que sont les labels

    et les certifications. Les premiers attestentofficiellement et juridiquement quunproduit possde un ensemble de caractris-tiques spcifiques, pralablement fixes(par concertation entre les pouvoirspublics, les producteurs et les consomma-teurs) et tablissant un niveau de qualitsuprieure le distinguant des produits simi-

    laires. Le label est une marque collectivedtenue par un organisme certificateur, quihomologue les productions en fonction durespect dun cahier des charges. Cettehomologation nest donc jamais dfinitiveet peut tre retire. Le label agricole natio-nal Label Rouge garantit un niveau objectifde qualit suprieure. La Woolmark est unlabel particulier : cest bien une marque

    collective, mais gre et dtenue par unorganisme priv (les producteurs de laine

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    15/43

    50 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    dAustralie qui seule a droit au label). Ni lamarque (ni dailleurs lappellation

    dorigine contrle) ne sont des garantiesjuridiques dun niveau de qualit objectif.Donc, cest la pratique de la marque qui enfait un contrat.

    Les exigences du contratde marque : lautodpassement

    On attend des clients leur fidlit. Enchange, la marque doit tre fidle soncontrat. Qui dit contrat dit contrainte. Lalogique de marque suppose en premier lieuune focalisation de lorganisation et de sesdiverses fonctions : R & D, production,mthodes, logistique, marketing, finances. Ilen va de mme de la marque de service :certes, les facettes R & D et production sont

    absentes, mais cela fait peser le respect de lacontinuit et de la cohrence sur les paulesdes hommes et du personnel, acteurs essen-tiels de la relation avec la clientle.

    La logique de marque suppose un marke-ting autant interne quexterne. La marque, la diffrence du label, fixe ses propresstandards. Elle doit donc sy conformer et

    sauto-dpasser en permanence sur ses pro-duits mme de base, pour tre la hauteurdes attentes des clients qui shabituent viteau dernier progrs de la marque. Elle doitaussi communiquer, se faire connatre lextrieur. I1 sagit dune dmarche soli-taire, visant la diffrenciation et lacquisi-tion dun halo dexclusivit. Tous les cotsinternes et externes ne seront supports que

    par elle. Quels sont ces exigences et cescots ?

    anticiper les besoins et attentes des ache-teurs potentiels : cest le rle des tudes

    de march ; tirer parti du progrs technique ettechnologique ds quil peut crer unavantage diffrentiel de cot et deperformance ;

    tre capable dassurer en mme tempsvolume et qualit constante du produit(ou du service), seuls garants du renou-vellement des achats ;

    matriser les approvisionnements quanti-tatifs et qualitatifs ;

    tre capable de livrer aux intermdiaires(distributeurs) dans les dlais, conditionset formats dsirs par ceux-ci, de faonrgulire dans le temps ;

    tre capable de donner un contenuimmatriel la marque, dindiquer au

    public cible sa signification pour en faire terme un repre de lidentit et delexclusivit de loffre : cest le rle desbudgets de communication.

    Les cinq premiers points expliquent pour-quoi la France na pas su temps crer desmarques de vin pour les nouveaux marchs.La production est trop morcele, fragmen-

    te et mconnat le consommateur anglais.La marque forte devient un facteur essen-tiel de mobilisation interne et de ralliementexterne. Panache de lentreprise, elle en estle moteur. Cest pourquoi aujourdhui, onmanage les entreprises par leur marque : enintrojetant (Coumau, Gagne et Josserand,2005) leurs valeurs au sein de lentreprise.Cest ce que fait Orange pour France Tele-

    com. Cest pour cela aussi que des entrepri-ses se dbaptisent et prennent le nom de

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    16/43

    La logique de marque 51

    G

    roup

    eEyrolles

    leur marque fleuron : BSN devint Danone.En cela, elle dpasse bien des projets

    dentreprise. Ceux-ci ne vivent que pen-dant leur laboration et sont oublis aprs,ou dbouchent sur des phrases grandilo-quentes (la passion de lexcellence)affiches dans les couloirs. La marque,faade externe de lorganisation, maintientson exigence et la ncessit dun perptueldpassement.

    La prise de conscience que la marque est uncontrat est source de bien dautres obliga-tions trop oublies. Comme le rappelle lediffrend entre Biderman et DanielHechter, le crateur, mme sil souhaitevoluer personnellement, ne doit pas tropsloigner de son contrat de marque, cest--dire de ce pourquoi il a t initialement

    connu, reconnu et enfin prfr.Le slogan, la signature de marque sont enthorie lexpression du contrat de marque.Cest pourquoi les bons slogans sont engnral rejets par les directions gnrales,car ils engagent. Normalement, la signa-ture est un repre clair et externalis auquelon peut faire rfrence en cas de dbat,

    dhsitations concernant des dcisions liesaux produits, aux services. Ce faisant, ilsdeviennent un outil de dlgation, uneligne directrice clairement exprime. Cesdcisions ne sont plus alors le seul fait duprince. Il fallait du courage des entrepri-ses comme la SNCF pour avoir adopt desslogans porteurs dun rel contrat ( Avec la

    SNCF, cest possible , Le progrs ne vautque sil est partag ).

    LAMARQUEETLESAUTRESSIGNESDELAQUALIT

    Protger ou promouvoirDans de nombreux secteurs, la marque

    cohabite avec dautres signes de la qualit.Ainsi dans lagro-alimentaire, ct desmarques on trouve les labels de qualit, lescertificats de conformit des normes, lesappellations dorigine contrle. La multi-plication de ces autres signes rsulte dundouble objectif : protger ou promouvoir.Les appellations dorigine (real ScotchWhisky) ont pour but de protger une agri-culture et des produits dont la qualit estminemment lie un terroir et un savoir-faire spcifiques. Lappellation doriginesinscrit dans une conception subjective etculturelle de la qualit, faite de mystre et

    de typicit lie au milieu. Elle segmente lemarch en refusant lappellation tout pro-duit non n dans une zone dlimite etlev selon les usages traditionnels. Ainsi,depuis la loi du 2 juillet 1990, le Roquefortest dsormais une appellation contrle.Mme si les groupes fromagers trangersArla ou Campina taient capables de pro-duire ailleurs un roquefort que les ache-teurs ne diffrencieraient pas des roquefortsfaits au village de Roquefort, selon lesmodes ancestraux, il ne pourrait plus pr-tendre sappeler Roquefort.

    Les labels, eux, sont des instruments depromotion. Ils sinscrivent dans une autreconception de la qualit, industrielle, scien-tifique. Pour elle, un fromage correspond

    un savoir-faire objectif, un certain lait ense-menc avec une bactrie slectionne, etc.

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    17/43

    52 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    Le label tablit une segmentation hirarchi-que, correspondant des paliers de qualit

    objective. Il ne sagit plus de typicit, maisde la correspondance un rseau serr decritres objectifs. Le Label Rouge en est lemodle (cf.aussi p. 49).

    travers la garantie juridique de typicit,lappellation contrle se distingue de lasimple indication de provenance, quinimplique aucune spcificit lie aux fac-teurs naturels ou sociaux, mais peut laissercroire lacheteur quil en existe une. Deplus, brouillant les cartes du vrai ou dufaux, plusieurs fromages modernes adop-tent des noms pouvant tre pris pour desnoms de lieux ou de villages afin de se crerun imaginaire de rusticit et de typicit (leSaint-Moret, le Chaumes par exemple).Quant au label, par sa garantie juridique de

    qualit objective, il vise recrer un l-ment de transparence face des noms demarque choisis pour voquer lexcellence :ainsi le poulet de marque Duc de Bourgo-gne voque par son titre ducal un hautniveau qualitatif alors quil nest mme pas poulet fermier et par sa rgion (Bourgo-gne), un halo dexcellence gastronomique,alors quil ne sagit que dune indication deprovenance, nimpliquant aucune spcificitou typicit. Le label na pas dimaginaire :il prouve.

    La marque, rfrence uniqueLa prennit des signes qualitatifs offi-

    ciels en Europe est lobjet dpres dbatsentre les pays du Nord (Royaume-Uni,

    Danemark) partisans de la seule logiquede marque et les pays du Sud (France, Espa-

    gne, Italie) dfenseurs des signes collectifsofficiels ct des marques (Feral, 1989).

    Pour les premiers, cest aux marques et elles seules de segmenter le march et deconstruire une rputation dexcellenceautour de leur nom, par le fruit de leursefforts de production, de distribution et demarketing. Ces pays adhrent plutt uneconception objective de la qualit : peuimporte que la feta prfre des Grecs soit

    fabrique en Hollande ou dans lAveyron,ou que la vodka Smirnoff ne soit plus russe.Pour le second groupe de pays, les signescollectifs permettent des petites entrepri-ses de faire connatre leur niveau et/ou leurtypicit, malgr labsence de marque con-nue. Leurs produits tant muets, le label oulappellation les positionnent. Comme on levoit, derrire le dbat europen concernant

    la cohabitation de marques privatives qui seforgent elles-mmes leur rputation et designes collectifs officiels de la qualit, se pro-file un dbat plus fondamental entre lestenants de lconomie librale et les parti-sans dune intervention des pouvoirspublics pour en rguler le fonctionnement.Du point de vue de lentreprise, le choix

    dune logique de marque ou au contraire designes collectifs relve de la stratgie et desmoyens prts tre engags. La marquedfinit elle-mme son propre standard :juridiquement elle nest gage de rien, maisempiriquement elle devient promesse dunfaisceau spcifique dattributs et de valeurs.Elle vise donc devenir en elle-mme unerfrence, si ce nest la rfrence unique

    (comme cest le cas pour Socit, symbole parexcellence du roquefort). Ainsi la marque est

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    18/43

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    19/43

    54 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    du fait que le roquefort soit dsormais uneappellation dorigine contrle. Jusqu ce

    jour, force de constance, de respect de latradition et dobsession de la qualit, cettemarque la premire historiquement, carcre en 1842 est devenue la premire enpart de march. Dans lesprit du public etdes connaisseurs, Socit signifie lauthen-ticit du lieu et du savoir-faire (donc latypicit) et lexcellence du got (donc laqualit). Dun seul coup, la segmentationquelle avait russi crer entre elle et tou-tes les autres marques est rduite parlintroduction dun signe collectif detypicit : une partie de la diffrence entre lamarque fleuron et ses concurrents est ro-de par la lgislation. Cela contraintSocit devenir pour Roquefort ce que leChteau Margaux est Margaux, ce que lui

    conteste Papillon.

    La marque forte est celle qui distribue sesvaleurs et parvient segmenter le marchselon ses propres normes. Elle cherche imposer son standard, pour en devenir larfrence. Elle prend donc ses distances parrapport aux segmentations collectives. Kritera remarquablement russi dpasser lessignes collectifs et restrictifs. Objectivementcest une marque de mousseux et elle napas le droit lappellation champagne.Subjectivement, son nom a russi signifier un produit unique, proche duchampagne en got et en tout cas en style.Il est vrai que le succs de Kriter rsulte dedeux facteurs : linconstance et la dception

    des champagnes bon march ainsi quuneintressante politique de communication

    de marque, imitant celle des grands nomsde champagne.

    Certaines grandes marques voient dans leslabels un tremplin utile et ncessaire. Ellescommencent par y participer pour pro-mouvoir un signe de qualit qui rejaillirasur certains de leurs produits. Puis, lorsqueleur poids dans le financement de la pro-motion du label collectif grossit, elles prf-rent rserver ces sommes importantes ldification de leur propre marque et sadiffrenciation par rapport la concur-rence. La marque doit tre plus avanceque le label, prometteuse dun palier encoresuprieur quelle est seule signifier. Ainsi,les volailles de Lou ont dabord bti leurrputation sur le label rouge signe col-lectif de haute qualit objective avantdinvestir sur leur propre marque (Birol et

    Kapferer, 1991).Lexemple de Fleury Michon est rvlateuraussi. Cette marque ambitionnait de deve-nir le grand traiteur qualitatif et avaitbesoin dun changement dimage. Face lincrdulit et au doute systmatique desclients de charcuterie pr-emballe,Fleury Michon dcida de saccrocher tous

    les lments positifs attestant de la qualitet par consquent collabora aux campagnespublicitaires collectives pour dvelopper lanotorit du label rouge . Mais cette par-ticipation avait avant tout une vocationinterne : elle servait daiguillon et de con-trainte llvation effective de la qualit auniveau des produits. Sur le plan externe, laprsence du label rouge sur les produits

    cautionna lvolution qualitative de la mar-que tant auprs de la distribution que des

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    20/43

    La logique de marque 55

    G

    roup

    eEyrolles

    consommateurs. Fleury Michon utilisaaussi ces produits innovants labelliss dans

    sa publicit. Mais la marque va plus loinque le label et en dpasse dsormais les nor-mes. Le label sanctionne un niveau de qua-lit ractualis : la marque est unefocalisation sur la performance, affirmantun standard quelle veut toujours pousserplus loin.

    Lambivalence des relations entre marque

    et signes collectifs peut tre tendue auxcampagnes collectives elles-mmes, visant modifier limage du secteur ou de la catgo-rie de produit dans son ensemble. Il arrivequun secteur tout entier soit menac.Habitues la lutte concurrentielle entreelles, parfois aucune marque ne veut pren-dre en charge la dfense du secteur. Cest lecas lorsque le leader a en ralit une

    faible part de march relative. En ce cas, lacampagne collective est ncessaire,porteuse dun message diffrent de celuides marques. En revanche, quand unemarque est dominante, elle peut avoir int-rt incarner le secteur dans son ensembleen prenant la parole en son nom. Sous undiscours de marque, elle fait un travailprofitant limage du secteur, mais retom-bant en priorit sur elle. Cest pourquoi lesleaders ont un discours plus gnrique queles challengers. Danone rappelle que lesproduits lacts sont bons pour la sant.

    OBSTACLESLALOGIQUEDE MARQUE

    Au sein mme de lentreprise, la dmar-che de marque se heurte dautres logiques,

    celles des process, de la production, des silos,des baronnies, de lhabitude, etc. Non

    crites, implicites, elles sont considrescomme neutres, alors quen ralit elles fontobstacle une relle politique de marque.

    La comptabilit

    La comptabilit des entreprises pendantlongtemps ne favorisa pas la marque. Eneffet, la comptabilit est gouverne par le

    principe de prudence : la consquence estde comptabiliser comme charge et noncomme actif toute dpense dont on ne peuttre sr quelle va donner lieu rcupra-tion future. Cest le cas des investissementsen communication, qui signalent au plusgrand nombre et affirment la diffrence demarque. Faute de pouvoir mesurer avecprcision quelle part du budget annuel

    engendre des retours immdiats, ou dansune, deux ou n annes, lensemble est con-sidr comme une charge dexploitation etvient donc en dduction des rsultats netsde lexercice annuel. Or, la publicitcomme les investissements en machines,hommes de talent, R &D, contribuent crer le capital de marque. Ainsi, la comp-

    tabilit introduit un biais qui handicape lesentreprises marques, car elle donne dellesune image sous-value. Considrons eneffet une entreprise A investissant lourde-ment pour dvelopper la notorit et larputation du nom de la marque. Devantcomptablement enregistrer cet investisse-ment en charges, cela entranera de faiblesprofits annuels et son bilan ne montrera

    quun maigre actif. Cela une priode cri-tique du dveloppement de la socit, o

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    21/43

    56 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    elle peut avoir besoin du concours extrieurdinvestisseurs et de banquiers. Comparons

    avec une socit B, investissant les mmessommes en machines et en production etaucunement sur le nom, limage et la rpu-tation. tant autorise comptabiliser cesinvestissements corporels en actifs et lesamortir graduellement chaque anne, Bpourra publier de plus hauts profits et sonbilan sera plus flatteur, disposant dun actiflev. B aura donc une meilleure image

    comptable, alors que A est en fait en meilleureposture pour diffrencier ses produits.

    Le principe dvaluation comptableannuelle des produits freine aussi la logiquede marque. Chaque chef de produit estjug sur ses rsultats annuels, la contribu-tion nette dgage par son produit. Ceciconduit un court-termisme dans lva-

    luation des dcisions, privilgiant cellesdont les retombes seront vite mesurables celles qui btissent un capital de marque,plus lentement certes, mais meilleur garantde lavenir. De plus, la logique des comptespar produit fait que les chefs de produits neveulent pas prendre en charge un suppl-ment de publicit dont la fonction

    essentielle est de servir et de nourrir lamarque, lorsque celle-ci est ombrelle etsigne dautres produits. Ils ne voientquune chose : cette surpression intrtcollectif va tre impute sur leur comptedexploitation individuel. titre dexem-ple, Palmolive est une marque signantplusieurs produits : liquide vaisselle,shampooing, mousse raser La marque

    pourrait dcider de ne communiquer quesur un de ceux-ci, trs porteur dimage,

    donc avec un montant dinvestissementsuprieur ce qui serait lgitime au seul vu

    des ventes attendues sur ce produit spcifi-que, sur lequel limage collective prendraappui pour slever. Cette surpression seratoujours considre comme charge et affec-te au produit en question alors que safinalit est collective et profitera tous lesproduits sous lombrelle.

    Cest pour ragir contre le biais court-ter-

    miste introduit par la comptabilit et lasous-valuation de la valeur reflte par lesbilans, que des entreprises marque britan-niques ont commenc inscrire la valeur deleurs propres marques, lactif du bilan.Ceci a dclench un dbat de fond sur lavalidit de pratiques comptables nes lpoque des commodits , o le capital

    essentiel rsidait dans les terrains, lesimmeubles et les machines. Or ce jour, lesactifs immatriels sont ceux qui font la dif-frence long terme (savoir-faire, brevets,rputation). Au-del dun dbat ouvert surle plan europen et mondial sur la compta-bilisation des marques (voir chapitre 19), ilnen reste pas moins ncessaire dintroduireau sein des entreprises une comptabilisationdes avantages et inconvnients long termedes dcisions court terme concernant lamarque. Cela est dautant plus ncessaireque les dcisionnaires des marques eux-mmes tournent trs (trop ?) souvent. Lesnouvelles normes comptables internationa-les sont un pas en ce sens, en ce quiconcerne les marques achetes, car elles

    seules sont inscrites au bilan et doivent tredprcies si besoin est.

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    22/43

    La logique de marque 57

    G

    roup

    eEyrolles

    La communication

    Lorganisation des diffrents prestatairesde service en communication, elle-mme, neconcide pas avec les exigences dune sainelogique de marque. En effet, mme lorsquelagence de publicit sest dote dun rseaude prestataires en recherche de nom, enpackaging, identit graphique, communica-tion dentreprise, vnementielle ou promo-tionnelle, srigeant en groupe de

    communication intgr, la ralit est quelagence de publicit reste le cur dusystme. Or celle-ci ne pense quen termesde campagnes et fonctionne sur un horizontemporel court, un an. La logique demarque est autre : elle se construit sur unelongue priode et ncessite que tous lesmoyens soient envisags en mme temps, de

    faon totalement intgre.Force est de reconnatre qu lintrieur desgroupes dits de communication, les entre-prises ne trouvent pas dinterlocuteurschargs de rflchir et recommander dunefaon intgratrice, sans privilgier la publi-cit, sans se sentir obligs de vendre unecampagne. De plus, lagence de publicit

    ne peut rpondre des questions stratgi-ques telles que, par exemple, le choix dunombre optimal de marques conserverdans un portefeuille. Dans la mesure o larponse va affecter la survie des marquesdont elle gre la publicit, on comprend ladifficult dtre juge et partie. Cest pour-quoi un nouveau mtier est n : celui deconseil en gestion stratgique des marques.

    Il tait temps que les entreprises trouventen face delles des interlocuteurs ayant une

    vision moyen terme, non lis une tech-nique particulire et capables de prsenter

    des schmas de dveloppement cohrent etintgr du portefeuille de marques.

    Le changement du personnelLe changement des hommes nuit la

    ncessaire continuit de la marque. Or,dans leur fonctionnement actuel, les entre-prises organisent la rotation du personnel

    sur les marques ! Ainsi, les marques sontconfies aux jeunes diplms sansexprience, frachement sortis de leur cole,ft-elle grande. Ceux-ci attendent unepromotion dont la manifestation est dtreaffects une autre marque ! Le chef demarque doit donc produire des rsultatsvisibles court terme. Ceci explique proba-blement en partie nombre de changements

    de stratgie ou dexcution publicitaire, dedcisions dextensions de marque, depromotions ou de remises. Leur cause relleest le changement dhommes.

    Il est significatif que les marques ayant euun discours continu et homogne manentdentreprises o les dcisionnaires de mar-ques sont stables. Cest le cas des marques

    de luxe : la prsence du mme crateur oudu fondateur cre les conditions dunesaine gestion long terme. Cest aussi le casdes enseignes de la distribution, dont lespatrons changent peu et font souvent eux-mmes la communication ou en tout casdcident ultimement. Pour attnuer leseffets de la trop grande rotation des chefsde marque, outre lintroduction de la

    valeur de marque dans la comptabilit, lesentreprises ont adopt le principe dune

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    23/43

    58 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    plate-forme de marque, document crit etdiffus, qui est un ncessaire garde-fou et

    un instrument de continuit (cf.p. 223).

    Lorganisation des entreprisesLorganisation des entreprises en silos

    est parfois un obstacle la marque. Ainsi,pour tre plus efficaces commercialement,les socits de services en informatique sontorganises en divisions : chacune vise

    pouser les problmes dun secteur oudune fonction particulire, pour mieux yrpondre. Avant dtre rachet par ADP,GSI, par exemple, comportait une divisionTourisme, Transports, conomie et Finan-ces, Gestion des Ressources Humaines,Marketing Le problme est quil taitalors difficile de procder des investisse-ments collectifs sur le nom commun GSI.

    La logique organisationnelle le permettaitdifficilement : chaque patron de divisiontant valu sur son propre compte dersultats, cherchait tout naturellement loptimiser. Quand France Telecom taitorganis en silos, le client ne pouvait semouvoir dun silo lautre : par exemple, ilne pouvait garder son numro detlphone. Il navait pas dinterlocuteurunique non plus.Un autre syndrome classique est la crationdune marque unique non soutenue parune organisation spcifique, capable de luidonner un corps, une consistance, doncune cohrence. Or, dire marque unique par exemple en supprimant toutes lesautres du portefeuille cest faire aussi une

    promesse organisationnelle, centre sur leclient : celle des chargs de clientle.

    Le troisime syndrome concerne les rap-ports entre la production et la vente. Ainsi

    dans le groupe Electrolux, les units de pro-duction sont spcialises par produit. Ellessont mono-produits et multimarchs, ven-dant ce produit aux units commercialesqui elles, au contraire, sont mono-marchmulti-produits (regroups sous une mar-que ombrelle). Le problme est que cesdivisions commerciales autonomes ayantchacune leur marque veulent toutes

    bnficier de la dernire innovation crepar la division de production, pourmaximiser leurs rsultats individuels. I1manque une structure de gestion et dallo-cation des innovations en fonction dunevision cohrente et globale du portefeuilledes marques. On le verra, cela ne sert riende confrer une innovation forte une

    marque faible. En outre cela dtruit lefondement mme de la logique de lamarque : la diffrenciation.

    Enfin, si les mots ont un sens, le directeurde la communication doit tre capabledempcher des actions contraires lint-rt de la marque. Ainsi, Philips navaitjamais russi tirer pleinement parti de sa

    signature de marque : Philips, cest djdemain. Pour cela, il et fallu interdiretoute publicit sur les piles lectriques ousur les ampoules lectriques, qui banalisentla dclaration, voire la dmentaient ou larelguaient ltat demphase publicitaire.On aurait aussi pu ne communiquer quesur les ampoules du futur et non sur lesmeilleures ventes actuelles. Hlas, personne

    dans lorganisation navait le pouvoir (ou ledsir) dimposer ce type de contraintes.

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    24/43

    La logique de marque 59

    G

    roup

    eEyrolles

    Lorsque Whirlpool fut cr, les managersissus de Philips se dotrent des moyens

    organisationnels dune vraie politique demarque : la direction de la communicationdpendait de la direction gnrale et put dece fait crer une situation optimale pour lelancement de la marque Whirlpool eninterdisant pendant trois ans : toute communication sur un produit

    banalisant ; toute communication sur un produit

    best-seller.

    La non-gestion des innovationsElle produit des effets trs ngatifs sur le

    capital de marque. En laissant chaque divi-sion commerciale sapproprier la mmeinnovation, en mme temps, on affaiblit lesmarques fortes sans pour autant aider vrai-

    ment les marques faibles.Bien que les vendeurs crient au scandalequand on la leur refuse, cest une erreur demettre une innovation forte sur unemarque faible, surtout dans les groupesmulti-marques. En effet, sagissant dunemarque faible, on doit inciter la distribu-tion au rfrencement par un prix trs

    incitatif (100). Mais, comme les consom-mateurs de la marque nattendent pas cetteinnovation (chaque marque dfinit sontype et niveau dattentes), la rotation duproduit est insuffisante. Quant aux non-clients, cette marque-l ne les rassure pas.Si quelques semaines plus tard linnovationsort sous la marque leader, les distributeursrefusent de la payer avec la prime due au

    leader (150), car ils lont achete 100 quel-que temps plus tt la mme entreprise.

    On doit donc diminuer le prix de cessionsur la marque forte elle-mme.

    Vritable ppinire de marques fortes,LOral attribue les dcouvertes aux diff-rentes affaires en fonction de la force desmarques. Linnovation va en premier auxmarques de prestige vendues en circuitslectif, pour amortir les cots de recherchegrce au prix lev des produits. Cest ainsique les liposomes furent dabord exploitspar Lancme et le nouveau filtre solaireMexoryl SX par Vichy. Puis linnovationest diffuse aux autres circuits et enfin lagrande distribution. ce moment, les mar-ques du circuit slectif ont dj mis sur lemarch une autre nouveaut pour se distin-guer. Ce schma est nanmoins perturbpar le fait que linnovation nappartenantpas une seule entreprise, elle se diffuse

    vite chez les concurrents eux-mmes, ce quioblige ragir.

    Dans le mme ordre dides, lorsque desproducteurs fournissent une marque dedistributeur un produit identique leurpropre marque, il sagit dune dmarcherodant terme le capital de marque et plusgnralement la respectabilit mme du

    concept de marque. En effet, cela signifieque la diffrence de prix paye par lesclients ne rmunre quun nom et riendautre. dissocier la marque du produitaugment quelle identifie et signale, on enfait un acte superficiel et artificiel, doncnayant pas de lgitimit rationnelle. Cecise paye ultrieurement par lrosion desventes et la capacit offerte la distribution

    de clamer publicitairement que la marquenationale asservit les consommateurs et

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    25/43

    60 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    quil faut donc les en librer grce aux pro-duits marque de distributeur (cest le dis-

    cours officiel de Carrefour depuis 1976).Ceci lgitime aussi lindolence des pouvoirspublics face la monte de la contrefaonau sein des marques de distributeurs. Ceciconduit enfin une reprsentation collec-tive errone de la marque, mme chez lesleaders dopinion, laissant se dvelopperune rumeur selon laquelle dsormais tousles produits se valent !

    La logique de marque

    La maximisation des rsultats commer-ciaux court terme est contraire la logi-que de marque, que lon dclare par ailleurssuivre urbi et orbi. La marque doit savoirdire non ses clients lorsque les demandesde ceux-ci en modifient la nature. Une

    marque jeune doit-elle crer une ligne deproduits pour ses meilleurs clients quiprennent de lge ? La logique de branchenuit-elle la logique de marque ? Cest laquestion laquelle est confront actuelle-ment le groupe LVMH, numro un duluxe dans le monde. Lorganisation parbranche sest introduite dans de nombreu-

    ses entreprises : elle regroupe typiquementdes marques dun mme mtier. On trouveainsi chez LVMH les divisions parfum,horlogerie, etc. Lintroduction des bran-ches visait utiliser au mieux les synergies,mais surtout trancher dans les allocationsde priorits entre les marques : sur lesquel-les investir ? Dans quels pays ? La crationdun tage de dcision suprieur avait

    lavantage de donner une hauteur de dci-sion. Mais trs vite, une drive sopre : le

    pouvoir est en effet au niveau de la branchequi regarde les gestionnaires de marque

    den haut. Les meilleurs cadres aspirent tre au niveau de la branche, plus de la mar-que. Plus grave, lADN de la marque, saspcificit respecter tout prix, paraissentmoins nettes, vu de ltage branche. Dansla branche horlogre de LVMH, toutes lesmarques sont comme dans un cataloguecommun, ce qui nuit leur diffrenciation, la force de leur unicit.

    On doit reconnatre que la logique duclient heurte un peu celle de marque. Cestpourquoi on doit trouver un quilibreentre les deux. Chacun sait quil existe deuxfaons de faire faillite : ne pas couter lesclients ou bien les couter trop. De fait,dans un portefeuille de marques, chacunene pense qu elle et ses clients quelle

    veut fidliser par sa propre carte. Mais leclient a des besoins variables selon lemoment : aucune marque ne peut le satis-faire de ce fait en permanence. De plus enplus, les groupes hteliers multimarquesutilisent leur nom comme ombrelle oucaution : lide est de permettre au client depasser dune marque dhtel lautre selon

    les circonstances, incit en cela aussi par lespoints gagns dans chacun deux et quisont cumulables. Ainsi, Starwood possdela marque dhtels Sheraton, mais aussiWestin, St. Regis, ou les htelsLe Meridien. Cest Starwood qui envoie lesSMS et e-mails de promotion aux clients delun ou lautre de ses htels. Il en est demme dAccor Hotels, qui a cr une carte,

    Accor Favorite Guest, mettant fin aux car-tes de fidlit par marque (Novotel, Mer-

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    26/43

    La logique de marque 61

    G

    roup

    eEyrolles

    cure, Ibis, Etap, etc.). Ce faisant, on credes marques de niveaux dans une gamme

    Accor Hotels. Cela rode leur lustre et leurspcificit. En 2007, Accor fit doncmachine arrire.

    IMPLICATIONSDUCONCEPTDE CAPITALDEMARQUE

    Sil est dsormais acquis que la marque estle capital de 1entreprise, on na pas assez

    tir les consquences de cette prise de cons-cience. Comme souvent, les phrases tellesque les marques sont notre capital deviennent des leitmotive dans lentrepriseet semblent grenes dans un but exclusive-ment incantatoire. En ralit, prise la let-tre, cette conscience de la marquecapital produit une rvolution dans le

    marketing oprationnel. Nous en abordonsles facettes les plus significatives ci-dessous.

    Limplication au plus haut niveau

    Un premier changement notable tient ce que la marque est dsormais lobjet dunintrt soutenu de la direction gnraleelle-mme. Alors quelle fut dabord un

    simple problme de communication puislapanage exclusif des directions marketing,la marque est considre par les dirigeantseux-mmes comme de leur ressort.Yves Barbieux, alors prsident de NestlFrance, ne dclara-t-il pas : On ne pourraplus confier la marque aux gens demarketing. Il y a donc eu dune certainefaon une dsappropriation, le marketing

    nayant plus le monopole de la rflexion surla marque. Sy mlent dsormais la direc-

    tion financire, comptable, technique,juridique et bien sr la direction gnrale.

    La marque est un thme transversal delentreprise, parce quelle en est la facettevisible, dynamique, porteuse des valeurs etde la rputation. Une autre consquence decet tat de fait est la position nouvelle desdirections de la communication dans lesgroupes multi-marques. Loin dtre un l-ment dpendant du marketing, elles sontdirectement lies la direction gnrale.

    Cest le cas chez Whirlpool France : cetteposition permet de grer lallocation desfonds pour la cration de la nouvelle mar-que indpendamment des contraintes departs de march ou des forces relatives desdiffrentes marques du groupe (Whirlpool,Laden, Bauknecht, Ignis).

    La fin de la dispersionEn dehors de ce nouvel environnement

    interne de la marque, lide de capital demarque dbouche sur la ncessit de grerla valeur de ce capital. Le matre mot de lagestion de cette valeur de marque est capi-taliser. Or, on ne peut capitaliser surplusieurs marques la fois, moins dtre

    une multinationale puissante. La plupartdes entreprises rduisent donc leur porte-feuille de marques pour se concentrer surune ou quelques marques seulement. Defait, les portefeuilles de marques taientsouvent plthoriques et le rsultat dacqui-sitions successives plus que dune rflexionavance sur la fonction de chaque marquevis--vis des consommateurs ( travers leur

    positionnement) ou des canaux de distri-bution (pour viter les conflits). En milieu

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    27/43

    62 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    industriel, cest encore le cas, les entreprisesayant poursuivi leur croissance par rachats

    dautres entreprises se retrouvent avec unimbroglio de marques locales, marques deproduits, de gammes, marques entrepriseset une problmatique laquelle elles nesont pas prpares. ce titre, Legrand faitfigure de prcurseur : toutes les entreprisesrachetes deviennent de simples noms degammes dans le catalogue gnral avant deperdre dfinitivement leur nom spcifique

    et devenir part entire produit doutillagelectrique Legrand.

    La cure damaigrissement est impose parles cots de soutien publi-promotionneldune marque, au niveau national et a for-tioriau niveau europen. Le groupe Saupi-quet, avec un chiffre daffaires dunmilliard huit cent millions, ne pouvait

    longtemps soutenir la marque Saupiquet etla marque Cassegrain. La cession de cetteseconde a libr les nergies qui se concen-trent dsormais enfin sur la seule marqueSaupiquet, tous les niveaux de lentre-prise. Cela concerne aussi Danone qui asupprim LAlsacienne, Vandamme etGringoire, pour capitaliser sur Lu.

    La rduction des portefeuilles de marques apour corollaire que moins de marques vontdsormais recouvrir plus de produits. Eneffet, les produits des marques supprimesdoivent tre allous aux marques existantes.Ainsi, Danone recouvre plus de cent rf-rences. Cela oblige crer des marquesgammes, intermdiaires, pour structurerloffre Danone : ce sont Taillefine, Charles

    Gervais, Kid, Bio, Petits Muscls, etc. Cha-que marque gamme a sa cible et son posi-

    tionnement et a pour vocation deregrouper plusieurs produits. Lre de la

    marque produit est bien rvolue chezDanone. Loffre est structure de faonpyramidale sous Danone et sous les diff-rentes marques gammes. Pour assurer queldifice profite Danone et ne soit pas unpatchwork, chaque marque gamme pour-suit des objectifs dimage spcifiques, maistoutes ont en commun deux traits constitu-tifs du noyau de limage voulue pour

    Danone : proximit et sant active.

    La fin de la prolifrationdes marques nouvelles

    La volont de capitaliser met donc fin la prolifration des marques et des dsigna-tions de produit dont ont souffert jusquprsent tous les grands groupes. Il est vrai

    que tout chef de produit charg de lancerun nouveau produit est tent de lui donnerun nom propre, une marque. Ceci estencore plus vrai en milieu industriel. Celaconfre sa tche une visibilit forte danslentreprise : seul ce qui est baptis a uneexistence reconnue de tous. Cest pour-quoi, encourag en cela par lidologie

    proctrienne classique de la marque pro-duit, les entreprises ont dpos tour debras des dizaines de marques pour dnom-mer leurs nouveaux produits. Cette re estrvolue. Non seulement cela savraitcoteux (Air Liquide dpense plus dunmillion deuros pour lentretien des dptsjuridiques de toutes ses dsignations deproduits sur un plan international), mais

    en plus suicidaire : parmi ces noms, laplupart restaient inconnus et ntaient

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    28/43

    La logique de marque 63

    G

    roup

    eEyrolles

    marques quau plan juridique, maisnavaient gure de sens pour les acheteurs.

    Il valait mieux prendre deux ou trois noms,les plus connus, et les dcliner comme mar-ques ombrelles. Ainsi seulement peut-oncapitaliser.

    Soumis au mme syndrome, Nestl dcidade crer une direction des marques Vevey, seule habilite autoriser la crationde marques nouvelles o que ce soit dans le

    monde. Les effets furent immdiats :Nestl lana prs de cent nouveaux pro-duits dans le monde, mais ne cra que cinqmarques nouvelles. Ainsi quatre-vingt-seizeinnovations furent lances sous lombrelleou la caution des marques dj existantes !Pour ne pas faire de cette direction desmarques un organisme peru comme cen-seur et arbitraire, surnomm souvent

    Logocop ou police du logo, 3M a dif-fus largement en interne, dans tous lespays, un manuel dans lequel sont spcifiesles conditions de march pouvant autoriserla cration dune marque nouvelle (commePost-it), et celles largement prvalantes o 1innovation doit tre nomme defaon gnrique et dote de la seule marque

    3M, ou encore nomme de faon gnri-que sous une marque gamme (cassettes deScotch), ou dote dun prnom mais sousune marque gamme dj existante (MagicTape de Scotch). Ce document appel Brand Asset Management ( Gestion delactif marque ), a permis dinternaliser lesprincipes de gestion (lire page 475). Cestpourquoi alors quil y avait eu 244 deman-

    des de crations de marques en 1981, il nyen eut plus que 70 en 1991. Seules quatre

    furent acceptes cette anne-l, contre 73en 1989. Cest ainsi que 3M a aussi rduit

    son portefeuille de 1 500 700 marques !Chez 3M, toute marque a pour vocationdtre globale, mondiale : aussi la crationde marques locales est dsormais interdite.La seule condition ouvrant la possibilit decrer une marque nouvelle est la dcouvertedune nouvelle demande primaire : ce fut lecas de Post-it. Quant la cration dunenouvelle marque prnom (sub-brand), telle

    que Scotch Magic , elle nest possibleque si le nom de marque (ici Scotch) utilisseul ne permet pas assez la diffrenciationdes produits.

    Nourrir les marquespar les innovations

    De lextrieur, ces rgles peuvent para-

    tre contraignantes et castratrices pour lacrativit. De lintrieur, elles seules per-mettent en ralit dentretenir les marquesexistantes, daugmenter leur valeur et leurrayonnement. En effet, une marque necrot que si elle se renouvelle en perma-nence et que les nouveaux produits repr-sentent une part significative de son chiffre

    daffaires. Elle prouve son actualit et sapertinence par sa capacit mettre sur lemarch des produits nouveaux rpondantaux besoins de son temps. Or, le plus sou-vent, les chefs de produit nont quuneenvie : lancer linnovation sous sa propremarque, nouvelle. Ceci aboutit priver lesmarques existantes du flux dimagemoderne n de ces produits. En lanant la

    pure instantane sous le nom Mousline etnon comme pure de Maggi, on donna un

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    29/43

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    30/43

    La logique de marque 65

    G

    roup

    eEyrolles

    conformes lidentit profonde de la mar-que. Celle-ci se btit par la continuit et le

    temps. Elle saccommode mal du turnoveractuel des managers du marketing. Cestpourquoi il faut une charte de la marque,prisme de son identit, garante de la per-manence, de la cohrence, et qui simpose travers les produits quelle signe, les payset les managers. Seule la connaissanceintime du projet de la marque permet de lefaire partager en interne et en externe et de

    se projeter dans le futur.

    Exploiter le capital de marque

    Sil est souhaitable de capitaliser, il estaussi lgitime de tirer parti des fruits ducapital de valeur et de valeurs ainsiaccumul dans une marque. Cest la fonc-tion de lextension de marque. Pendant des

    dcennies le marketing a suivi le modle degestion de marque de Procter & Gamble.Ce temps est rvolu. Restreindre la marque un produit et un seul en limite le capitalet menace la marque, car tout produitmeurt terme, risquant demporter avec luila marque. Les valeurs attaches unemarque permettent souvent de segmenter

    dautres marchs que celui dans lequel lamarque est ne. Ainsi, Bic signifie pascher, vie dcontracte, produit simple,pratique . Ces valeurs incarnes daborddans le fameux stylo-bille ont aussi prouvleur pertinence pour les briquets jetables etles rasoirs jetables. Lextension tait lgi-time, renforce par la similitude des canauxde distribution et la matrise industrielle du

    plastique. En revanche, ces valeurs ne seg-mentent pas le march du parfum person-

    nel. Cette extension fut un chec, mais etbien convenu aux dsodorisants datmos-

    phre. Lextension de marque tire doncparti du capital de notorit et dimage btiici pour acqurir une part de march signi-ficative l, en minimisant les cotsdentre. Cest ainsi quEssilor est dsor-mais menac par deux nouveaux entrantsdans le verre correcteur : Seiko et Nikon.Les valeurs de prcision, minutie, et hautetechnologie associes mondialement la

    marque Seiko rendent celle-ci pertinentedans cet norme march mondial jusque-ldomin par Essilor. Comme on le voit lesvaleurs de la marque sont sources de valeurde marque, de justification du prix et sontdes leviers de diversification.

    Dfendre la prfrence de marque

    Le capital de marque nest pas ternel.Les prfrences des clients doivent treentretenues, renforces en permanence.Ainsi, sil surgissait un nouveau concurrentinconnu, ces clients ne prendraient pas lerisque dessayer. Pour cela, il faut commu-niquer sur les avantages du produit dela marque.

    Pourtant, depuis vingt ans, Bic ne fait pasde publicit sur ses briquets jetables. Cestune catgorie dont il est le leader : aussi, lamarque a estim ne pas avoir soutenir lesprfrences des consommateurs en leurrappelant par exemple combien les Bicssont srs. De toute faon, les consomma-teurs nont pas le choix : en magasin, on netrouve que des Bic. Sa force de vente visite

    rgulirement les bureaux de tabac, les sta-tions services et autres points de vente, et

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    31/43

    66 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    sassure de la bonne visibilit des briquetsprs des caisses enregistreuses, pour garan-

    tir ses ventes.Comme Bic est une marque dite ombrelle,recouvrant de ce seul nom plusieurs mar-chs totalement diffrents (stylos, rasoirs,briquets), cela permet de bnficier ici de lanotorit de la marque entretenue ailleurs :un argument de plus pour viter de faire dela publicit sur le march des briquets.

    Aujourdhui, Bic paye cher le fait davoirnglig les exigences du leader : entretenirle risque peru dans le march du briquetjetable en Europe. Le problme est survenulorsquun concurrent chinois, nouveau etinattendu, a propos ces mmes distribu-teurs des briquets moins chers lachatpour eux, plus ludiques, avec plusieurs col-

    lections par an, permettant ainsi dgayer leproduit et le client. Or, en le vendant aumme prix quun Bic, le dtaillant doublesa marge, un paramtre trs important une poque o leur chiffre daffaires li auxventes de cigarettes rgresse.

    Non seulement les dtaillants ont adoptces briquets chinois, mais les consomma-

    teurs aussi : ils ont pris ce quil y avait lacaisse. Fondamentalement, cela signifieque la marque Bic tenait sa part de marchdune position dominante vis--vis de ladistribution et non dune prfrence desclients qui, de toute faon, navaient pas lechoix (il ny avait que Bic). Sa notorit demarque ne lui sert rien dans la situationnouvelle. En ayant fait des conomies de

    publicit pendant des annes, Bic na pasfait le travail numro un de la grande

    marque : donner de bonnes raisons de pr-frer les briquets Bic pour prparer le jour

    o la concurrence sera l. La marque nestpas une rente, mais doit tre entretenue enpermanence par la communication.

    Or, de fait, les briquets dimportation sontloin dtre srs. Par exemple, poss sur laplage arrire dune voiture lt, au soleil,ils peuvent exploser une temprature bienplus basse quun Bic. De mme, les risques

    de flamme sont bien plus importants.Autant de faits objectifs, prouvs. Mais enmarketing, seule la perception compte.Pour conomiser, on na jamais ensemenc.Qui plus est, on na pas fait le travail delobbying Bruxelles pour hausser lesstandards de scurit des briquets danslUnion europenne. Lorsque les importa-tions asiatiques arrivent, il est trop tard. Ce

    dfaut dentretien du niveau de risqueperu dans un march comme celui dubriquet est dautant plus curieux que, auxtats-Unis, Bic a toujours communiqusur la scurit de ses briquets et promu desstandards levs qui empchent lentre desimportations bas prix et peu sres.

    Capital de marque et guerredes prix

    Au moment o le hard discount sestinstall, comme les concurrents dits lowcost, il est devenu frquent dentendre par-ler de droute des marques, deffondre-ment des marques. Ces dclarationsalarmistes concernent surtout les biens de

    grande consommation et moins les servicesou les biens industriels. Nanmoins, elles

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    32/43

    La logique de marque 67

    G

    roup

    eEyrolles

    posent le problme de la valeur des mar-ques dans maints marchs. De fait, la part

    des marques de distributeurs et des pro-duits premier prix avoisine 70 % dans biendes linaires des grandes surfaces. Ceci estun fait durable qui pose la question de lasurvie de bien des marques nationales. quoi tient lrosion constate de lattractiondes marques ou, en tout cas, de certainesmarques notoires ?

    Le principal facteur, le dsquilibre entreprix et valeur, est imputable aux fabricantseux-mmes. Trop parmi eux ont pris leconcept de capital de marque pour unerente. Ngligeant leur travail de maintiende la diffrence perue, ils ont systmati-quement rehauss les prix de vente et pasassez innov ni cherch crer de nouveauxsegments. En somme, on tira le prix de plus

    en plus haut, entranant derrire soi lesmarques de distributeur classiques. Ce fai-sant, on laissa natre un segmentinexploit : celui des acheteurs soucieuxdacheter le moins cher possible. Or, ilnexiste pas de fidlit la marque nimporte quel prix.

    Quelles stratgies alors retenir pour les

    marques ? On doit distinguer selon deuxtypes de marques. Celles qui ont un fonde-ment technologique (cosmtique, hygine,beaut, dtergents) doivent investir enR & D, recrer un cart de performance eten nourrir la marque par la publicit. Lesautres nont dautre choix que de prserverles volumes pour couvrir leurs cots fixes.Lanalyse de la valeur est donc ncessaire

    ce maintien. En effet, il importe de crerdes produits daccs la marque, quitte

    ensuite faire voluer le consommateurvers plus de qualit. Pour maintenir les prix

    un seuil accessible, il faut analyser chaqueconstituant du cot et sinterroger sur savaleur perue.

    LECO-BRANDINGLes produits ayant deux crateurs et le

    signalant par leur double signature se mul-tiplient, tel Inneov de Nestl et LOral, la

    premire pilule nutritionnelle qui prvientla chute des cheveux, lance en novembre2006 en pharmacie. On connaissait djDanao de Danone et Minute Maid. Philipscra une rvolution avec son rasoir Cools-kin, qui utilise une crme hydratanteconfie mondialement Nivea et signalesur tous les emballages du rasoir ainsi quedans les publicits. En outre, chacun

    connat la signature Intel Inside ,prsente sur tous les ordinateurs qui utili-sent Intel, et dans leurs publicits.

    La monte du co-branding est trs sympto-matique de notre poque, de sa culture detravail en rseau, en partenariats. Ellersulte aussi dune volont de rester dans lechamp des comptences cls de lentre-

    prise, quitte chercher celles qui fontdfaut ailleurs. Nous lui consacrons doncun dveloppement approfondi.

    Pourquoi cette montedu co-branding ?

    Les origines du co-brandingLe co-branding rsulte fondamentale-

    ment de la ncessit de crotre toujoursplus. Mais, alors quhier on aurait cherch

  • 8/12/2019 Les marques, capital entreprises

    33/43

    68 COMPRENDRELAMARQUE

    G

    roup

    eEyrolles

    tout prix acqurir soi-mme les nouvellescomptences qui font dfaut et freinent les

    capacits dinnovation, aujourdhui oncherche trouver un partenaire pour co-crer . Lre est aux alliances, aux partena-riats, lconomie en rseau, o chacungarde sa spcificit, sa comptence cl etutilise au mieux celle des autres. Dans ladmarche de croissance, on rencontre eneffet vite la difficult de concilier celle-ciavec le maintien de la spcificit de la

    marque et le savoir-faire de lentreprise.

    En Occident, la marque est le nom dunsavoir-faire ou dun savoir tre spcifique,mais en Asie, la marque est bien moins sp-cialise. Pour crotre, la marque peutatteindre les limites de son identit, de saspcificit : elle a alors besoin dun alli luiapportant ce en quoi elle nest pas comp-

    tente et lgitime. Quand cet alli estcomptent mais non lgitime, le partena-riat ne donne pas lieu un co-branding.Par exemple, Weight Watchers a eu besoinde la comptence industrielle et distribu-tive de Fleury Michon pour dvelopperune vraie gamme qualitative de plats prpa-rs sous vide. Mais cela ntait mentionn

    nulle part sur lemballage. En effet, nonseulement la marque Weight Watchers elle seule se suffit auprs des adeptes durgime minceur, mais sa mariabilit avec Fleury Michon, marque picuriennedu bien vivre la franaise nest pasvidente, voire contradictoire. En revan-che, en cas de bonne complmentarit desimages, on signe fortement des deux mar-

    ques. Ainsi, pour plaire aux jeunesdaujourdhui, de plus en plus sduits par

    les jeux et les consoles informatiques, Legopensa adjoindre llectronique ses pro-

    duits. Mais non seulement Lego na aucunecomptence industrielle dans ce domaine(ce qui peut toujours tre sous-trait), maissurtout son image de marque ne crdibili-serait pas ses nouveaux produits. La signa-ture dune marque rpute en lectroniqueauprs des jeunes lvera cet obstacle. Mattellavait dj fait avec Compaq pour crerune ligne de jouets interactifs, high-tech.

    Plusieurs questions stratgiques se posentdonc, on le voit, en matire de co-branding : lalliance visible des deux marques va-t-

    elle crer une perception favorable auprsdes clients ?

    y a-t-il une bonne complmentarit entreles deux images de marque, cratrice de

    valeur ? y a-t-il un bon fit entre ces deux mar-ques, du fait de leurs statuts respectifsdans lopinion ? Comme dans unmariage russi, il faut, certes, quil y aitcomplmentarit, mais aussi vision com-mune, partage de valeurs ;

    linnovation va-t-elle bien tre attribueaux deux partenaires ou lun dentre

    eux uniquement ?

    Les situations typiques conduisantau co-branding

    Extension de marque

    Le co-branding est ncessaire pour accrotreles chances de succs dune extension demarque hors de son march dorigine. Ainsi,

    trs marque enfant, Kelloggs signa explici-tement ses nouvelles crales destines aux