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Bénodet VIEUX MÉTIERS LE FORGERON ET MARÉCHAL-FERRANT Les métiers naissent avec besoins et disparaissent souvent avec l'évolution de leur environnement. Le pays a vécu longtemps dans une quasi autarcie et les activités répondaient essentiellement aux besoins locaux. aux travaux de la terre, aux ménages. Le bouleversement des moyens de production a condamné à la disparition toute une panoplie de professions dont il reste encore quelques représentants ou quelques témoins. Route du Letty, à BÉNODET, habite un personnage qui incarne parfaitement une de ces activités intimement liées à la campagne, à la petite agriculture, et qui ont disparu avec la transformation de celle-ci, Nous avons nommé Maurice BERROU. FORGERON MARECHAL FERRANT Le forgeron n'est pas nécessairement maréchal-ferrant, mais dans la région de Fouesnant le même homme exerçait généralement les deux métiers. Le même feu, la même enclume servaient à chauffer et à forger le fer du cheval comme le crochet de son collier d'attelage. Maurice BERROU, qui a 86 ans, (il est né le 21 Juin 1905 à BÉNODET) est un des derniers représentants de cette profession; en nous contant ce que fut son métier, il nous fait entrer dans cet univers du début du siècle: Je suis àKerliézec, en BÉNODET, dans une famille de petits fermiers. Je suis allé à l'école, mais à la déclaration de la grande guerre. en 1914, mon père étant mobilisé, j'ai dû aider mon grand-père à la ferme de Kervao où nous nous étions installés l'année précédente; dès lors, je n'allais plus en classe que de temps en temps, l'hiver et quand le temps était mauvais. Au retour de la guerre, mon père toucha son "pécule" qui lui permit d'acheter un cheval (1.050 F,) et de se faire fabriquer une charrette chez Le LORC'H à Pont-Henvez. A 14 ans, une de mes occupations favorites était d'aller charger du goëmon à Mousterlin pour engraisser la terre, tandis que mon père aidait aux travaux dans les grandes fermes. En 1920, j'étais gagé comme "petit domestique" à Kerhall-Vihan en Clohars Fouesnant, pour 600 Francs l'an. L'année suivante j'avais 9oo Francs chez NÉDELEC à Kerguel, mais je n'y suis resté que onze mois: j'avais décidé de quitter le travail de la terre, et je me suis fait embaucher comme apprenti forgeron maréchal-ferrant chez LE MAOUT, à Pleuven. Je dus payer 500 Francs pour les six premiers mois d'apprentissage, mais j'étais nourri et logé. Après ces six mois, le patron me payait 60 Francs par mois, et je suis resté trois ans dans ces conditions. Au mois d'août 1924, sur un coup de tête, j'ai quitté mon emploi. J'ai donné un coup de main à droite et à gauche pour la moisson; puis j'ai trouvé à travailler sur mon métier à Troyallac'h, en Saint- Evarzec. Je n'y suis resté que sept mois, avant de venir chez Jacob QUILFEN à Pont-Henvez,qui m'a gardé huit mois, jusqu'à mon départ au régiment, au 2. Chasseurs d'Afrique à Mascara, où j'ai naturellement été affecté à la forge et où j'ai suivi des cours de maréchalerie. A mon retour du régiment, en mai 1927, j'ai repris mon travail chez Jacob 1/4

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Bénodet

VIEUX MÉTIERSLE FORGERON ET MARÉCHAL-FERRANT

Les métiers naissent avec besoins etdisparaissent souvent avec l'évolution deleur environnement. Le pays a véculongtemps dans une quasi autarcie et lesactivités répondaient essentiellement auxbesoins locaux. aux travaux de la terre, auxménages. Le bouleversement des moyensde production a condamné à la disparitiontoute une panoplie de professions dont ilreste encore quelques représentants ouquelques témoins.

Route du Letty, à BÉNODET,habite un personnage qui incarneparfaitement une de ces activitésintimement liées à la campagne, à la petiteagriculture, et qui ont disparu avec latransformation de celle-ci, Nous avonsnommé Maurice BERROU.

FORGERON MARECHAL FERRANT

Le forgeron n'est pasnécessairement maréchal-ferrant, maisdans la région de Fouesnant le mêmehomme exerçait généralement les deuxmétiers. Le même feu, la même enclumeservaient à chauffer et à forger le fer ducheval comme le crochet de son collierd'attelage.

Maurice BERROU, qui a 86 ans, (ilest né le 21 Juin 1905 à BÉNODET) est undes derniers représentants de cetteprofession; en nous contant ce que fut sonmétier, il nous fait entrer dans cet universdu début du siècle:

Je suis né àKerliézec, enBÉNODET, dans une famille de petitsfermiers. Je suis allé à l'école, mais à ladéclaration de la grande guerre. en 1914,mon père étant mobilisé, j'ai dû aider mongrand-père à la ferme de Kervao où nousnous étions installés l'année précédente;

dès lors, je n'allais plus en classe que detemps en temps, l'hiver et quand le tempsétait mauvais. Au retour de la guerre, monpère toucha son "pécule" qui lui permitd'acheter un cheval (1.050 F,) et de se fairefabriquer une charrette chez Le LORC'H àPont-Henvez. A 14 ans, une de mesoccupations favorites était d'aller chargerdu goëmon à Mousterlin pour engraisser laterre, tandis que mon père aidait auxtravaux dans les grandes fermes.

En 1920, j'étais gagé comme "petitdomestique" à Kerhall-Vihan en CloharsFouesnant, pour 600 Francs l'an. L'annéesuivante j'avais 9oo Francs chezNÉDELEC à Kerguel, mais je n'y suisresté que onze mois: j'avais décidé dequitter le travail de la terre, et je me suisfait embaucher comme apprenti forgeronmaréchal-ferrant chez LE MAOUT, àPleuven. Je dus payer 500 Francs pour lessix premiers mois d'apprentissage, maisj'étais nourri et logé. Après ces six mois, lepatron me payait 60 Francs par mois, et jesuis resté trois ans dans ces conditions.

Au mois d'août 1924, sur un coupde tête, j'ai quitté mon emploi. J'ai donnéun coup de main à droite et à gauche pourla moisson; puis j'ai trouvé à travailler surmon métier à Troyallac'h, en Saint-Evarzec. Je n'y suis resté que sept mois,avant de venir chez Jacob QUILFEN àPont-Henvez,qui m'a gardé huit mois,jusqu'à mon départ au régiment, au 2.Chasseurs d'Afrique à Mascara, où j'ainaturellement été affecté à la forge et oùj'ai suivi des cours de maréchalerie.

A mon retour du régiment, en mai1927, j'ai repris mon travail chez Jacob

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QIUILFEN, je me suis marié à MarieJeanne LOUÉDEC le 24 avril 1929 et noussommes allés habiter la propriétéBOUILLOUX LAFONT au bourg deBÉNODET. Puis, e me suis installé à moncompte chez M Le GOFF, où estmaintenant le "YANNICK CLUB". Et c'estlà, puis dans ma nouvelle forge, de l'autrecôté de la route, que j'ai exercé; jusqu'à laretraite le métier de forgeron, tandis quema femme tenait un café épicerie etquincaillerie. Et j'ai cédé laPlace à mon fils Maurice, qui 'lient à sontour de prendre sa retraite.

LE MARÉCHAL FERRANT,

A cette époque, culture n'était pasencore mécanisée : c’est le cheval quifaisait tous les travaux et les charrois.

Je connaissais tous les cultivateurs:ils venaient à la forge avec leurs chevauxdès qu’ils se rendaient compte que ceux-ciavaient perdu un de leurs fers.

Au début, je n'avais pas de travail,c’est-à-dire d'appareil pour maintenir lesbêtes pendant qu'an les ferre: c'était un demes ouvriers, ou le propriétaire de l'animallui-même qui en tenait le pied pendant quej'ajustais et clouais le fer. Je forgeais moi-même les fers à la dimension du sabot.Parfois au lieu d'utiliser du métal neuf, jefaisais un bon fer avec deux vieux.

La plupart des chevaux étaientdociles, mais il y en avait aussi de rétifsdont il fallait se méfier. Les carnesn'aimaient pas beaucoup le maréchal-ferrant et leurs sabots ont souvent sifflé àmes oreilles, mais je n'ai jamais été touché.

LE FORGERON

Le forgeron devait savoir faire deses mains. Il recevait des barres de fer dedifférents profils dont il tirait les objets quilui étaient demandés. Et tout était soudésur l'enclume, au feu de la forge.

Ainsi, je fabriquais des socs charruemême les plus grands pour ouvrir les terresde lande et les couterelles qui tracent lesillon: des pioches, des "tranches" de

toutes tailles, des marres, des haches, descognées, des herminettes : des barres àmine, marteaux et poinçons pour lescarriers; les marteaux de maçon et leschâsses des tailleurs de pierre: les gonds etles pentures...

Toute l'année, il fallait réparerinstruments agricoles: faucheuses,faneuses, rracheuses de pommes de terre

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Terre, manèges, tarares, batteuses, etc... Etil fallait souvent faire preuve d'espritinventif et réparer au plus vite, avant que lapluie arrive.

Ferrer une charrette neuve était untravail important qu'on ne confiait qu'à desouvriers confirmés. Toute la partie "bois"était l'affaire du charron, et c’est leforgeron qui terminait l’ouvrage. Sapremière intervention consistait à poser des"frettes" sur le moyeu pour éviter qu'iln'éclate lors de la pose des rais qui étaientemboîtés a force. Ensuite venait la posedes crochets, des chaînes pour lespanneaux et les ridelles, les "mouflettes"pour l'extrémité des brancards, le systèmede bascule pour les tombereaux. . .Pour leschars à bancs, les voitures Anglaises, le travail était plus soigné.

LE CERCLAGE DES ROUES.

Pour le bandage des roues de charrettesnous utilisions lies barres de fer plat de 7 à

8 centimètres de large et 27 millimètresd'épaisseur. La confection du cercledemandait beaucoup lie précision etd'adresse, et aussi de l'expérience, Il fallaitd'abord, couper la barre à la bonnedimension en tenant compte de la bridepour la soudure, puis la former sur lacintreuse. Terminée son diamètre devaitêtre légèrement inférieur à celui de la jantede bois. La pose donnait lieu à une "grandejournée", car il fallait de cinq à sixpersonnes pour assurer la chauffe. Celle-cise faisait en plein air au moyen de fagotsdont il fallait une grande quantité, jusqu'à300 et plus…Les cercles étaient disposésl’un sur l’autre sur un lit de fagots et le feuallumé à l'extérieur pour assurer un bontirage. Le feu était entretenu jusqu'à ce quele fer soit chauffé a blanc. Le maniementde ces cercles était alors délicat et mêmedangereux: les plus gros pouvaient peser80 à 85 kilos! Ils étaient manipulés avecde longues pinces et des outils spéciaux,par dies hommes d'expérience. Je mesouviens d’une de ces journées (c’était undimanche des Rameaux), où j’ai ferré 34roues : 24 grandes et une dizaine pourcharrettes de cantonnier et brouettes.

UN MÉTIER PÉNIBLE. MAIS PASD'ACCIDENT.

Ni maladie, ni accident durant cette longueexistence à la forge : des mains intactes.

Un incident tout de même : « le 6juin 1925, je relevais le défi de sauter surle dos d’un grand cheval que je venais deferrer. J’ai pris trop d’élan, passe par-dessus la bête et je me suis cassé le pied enretombant : ce qui m’a valu quelquessemaines de repos… les seules de mavie ».

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COUREUR CYCLISTE!

L'aventure commence le 1er Janvier1922, Maurice demande à son patron,Monsieur Le MAOUT, l'autorisationd'utiliser la bicyclette d'un client pour allersouhaiter la bonne année à ses parents àBÉNODET.

"Devant la ferme de Penanguer, jemanque le virage et je tombe dans fossérempli de purin. Heureusement que mamère avait du linge propre à me donner.C'étai t le premier pas d’une passion quidevait durer qui, devait jusqu’à monmariage. (Confiant dans mes possibilitésphysiques, j'achète un vélo d’occasion et jem’aligne dans les courses quicommençaient à connaître la vogue desfêtes et les Pardons.Un 14 Juillet, à Bénodet, j’emporte lepremier prix. Bientôt, j’achète un véloneuf, un WARRIOR « tour de France » etjusqu’à mon départ au régiment je rafletous les premiers prix du Canton.

Ces succès me valaient d'être connuet d’avoir la réputation de bien préparer

mon vélo. Chez Jacob à Pont Henvez, jecommençai à réparer les machines quim’étaient confiées après ma journée detravail. Et bientôt j’en vendis de neuvesdes sous-marques, que je faisais venir « endouce ». Installé à mon propre compte àMénez Kernun, j’ai continué à vendre desvélos. J’avais initié ma femme et mesenfants au montage des roues et même mafille Yvonne se passionnait à croiser lesrayons, le soir après souper.

Le forgeron maréchal ferrant étaitun homme estimé, recherché descultivateurs : c’était leur dépanneur. Il n’yavait pas une commune ou même un bonhameau sans forge.

Le tracteur a remplacé le cheval, laremorque fabriquée en série a supplaNté lacharrette et les vieux métiers ont disparu.Maurice BERROU, qui est sans doute leseul ancien forgeron maréchal ferrantencore vivant dans le canton de Fouesnantnous a fait partager ses souvenirs, pournotre profit et surtout celui de nos jeuneslecteurs.René BLEUZEN

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