544
Institut d'Etudes Politiques de Paris ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES PO Programme doctoral Europe CERI Doctorat de science politique Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme Démocratique (PDS) face à l’extrême droite. La figure de l’ennemi dans le jeu politique. Johanna Edelbloude Thèse dirigée par Dominique Colas, Professeur à l’IEP de Paris/ CERI, soutenue le 3 mars 2006 Jury : M. Dominique Colas, Professeur à l’IEP de Paris, Mme Pascale Laborier, Professeure à l’Université de Picardie, directrice du CURAPP et du Centre Marc Bloch de Berlin (rapporteur), M. Georges Mink, Directeur de recherche au CNRS, LASP (rapporteur), M. Pascal Perrineau, Professeur à l’IEP de Paris, directeur du CEVIPOF, M. Claus Offe, Professeur à l’Université Humboldt de Berlin.

Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Institut d'Etudes Politiques de Paris

ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES PO

Programme doctoral Europe

CERI Doctorat de science politique

Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme Démocratique (PDS) face à l’extrême droite.

La figure de l’ennemi dans le jeu politique.

Johanna Edelbloude

Thèse dirigée par Dominique Colas, Professeur à l’IEP de Paris/ CERI,

soutenue le 3 mars 2006

Jury :

M. Dominique Colas, Professeur à l’IEP de Paris, Mme Pascale Laborier, Professeure à l’Université de Picardie, directrice du CURAPP et du Centre Marc Bloch de Berlin (rapporteur), M. Georges Mink, Directeur de recherche au CNRS, LASP (rapporteur), M. Pascal Perrineau, Professeur à l’IEP de Paris, directeur du CEVIPOF, M. Claus Offe, Professeur à l’Université Humboldt de Berlin.

Page 2: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme
Page 3: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

III

Institut d'Etudes Politiques de Paris

ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES PO

Programme doctoral Europe

CERI Doctorat de science politique

Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme Démocratique (PDS) face à l’extrême droite.

La figure de l’ennemi dans le jeu politique.

Johanna Edelbloude

Thèse dirigée par Dominique Colas, Professeur à l’IEP de Paris/ CERI,

soutenue le 3 mars 2006

Jury :

M. Dominique Colas, Professeur à l’IEP de Paris, Mme Pascale Laborier, Professeure à l’Université de Picardie, directrice du CURAPP et du Centre Marc Bloch de Berlin (rapporteur), M. Georges Mink, Directeur de recherche au CNRS, LASP (rapporteur), M. Pascal Perrineau, Professeur à l’IEP de Paris, directeur du CEVIPOF, M. Claus Offe, Professeur à l’Université Humboldt de Berlin.

Page 4: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

IV

Page 5: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

L’Institut d’Etudes Politiques de Paris n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse, ces opinions devront être considérées comme propres à leur auteur.

Page 6: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

VI

Page 7: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

VII

Je tiens d’abord à remercier vivement Dominique Colas qui a dirigé mes recherches et fait preuve d’une grande disponibilité.

Entre Paris, Berlin, Bordeaux et La Rochelle, Claus Offe, Yves Sintomer, Fabien Jobard, Catherine Perron, Anne Marijnen et Pierre Mazet m’ont accordé leur attention, leur sympathie, m’ont fait partager leur expérience et leur savoir, m’ont donné ma chance ou encore les moyens de finir cette thèse dans de bonnes conditions. Qu’ils en soient ici très sincèrement remerciés.

Ma reconnaissance va également à ceux du PDS et d’ailleurs qui m’ont offert de leur temps.

D’un point de vue plus logistique, l’équipe du Centre Marc Bloch de Berlin a brillé par la qualité de son accueil et Joëlle Moras de l’Ecole doctorale de l’IEP de Paris pour son efficacité. Mes bailleurs de fonds du DAAD et du Studienstiftung des Berliner Abgeordnetenhauses m’ont permis de réaliser mon travail de terrain.

Nombreux sont ceux qui de près ou de loin m’ont aidée, souvent sans se rendre compte de l’importance de leur soutien. Je pense d’abord et dans des domaines différents à Anne-Laure, Kristina, Fabrice, Jean-Christophe et Haude.

Ma famille m’a constamment soutenue et encouragée. Clara, Mathias, Savannah et mes parents ne mesurent pas l’ampleur de ce que je leur dois.

Enfin et surtout Hugues était en permanence à mes côtés. Mais c’est pour tout le reste que je profite de l’occasion pour lui dire un grand merci.

Page 8: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

VIII

Page 9: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

IX

Sommaire

Abréviations, sigles et germanismes utilisés .......................................................XI

INTRODUCTION GENERALE........................................................................1

PREMIERE PARTIE - LA CONSTRUCTION D’UNE FIGURE NORMATIVE DE L’ENNEMI........................................................................75

CHAPITRE 1 - LE POIDS DES LOGIQUES ELECTORALES SUR LE STATUT DE L’ENNEMI...........................................................................................................................77

CHAPITRE 2 - LES USAGES PARTISANS DE LA VALEUR ANTIFASCISTE .........131

CHAPITRE 3 - FIGURER L’INIMITIE DANS LE JEU PARLEMENTAIRE................189

DEUXIEME PARTIE - LES FIGURES DU REEL OU LA MISE A L’EPREUVE DE L’ENNEMI PAR LA POLITIQUE LOCALE ..............253

CHAPITRE 4 - LA DESORGANISATION DU JEU POLITIQUE LOCAL PAR L’ENNEMI INCARNE ......................................................................................................257

CHAPITRE 5 - LA FIGURE DU GUIDE. LE MAIRE PDS CONFRONTE A LA PRESENCE DE L’ENNEMI DANS SA COMMUNE......................................................321

CHAPITRE 6 - LA FIGURE DU DEVIANT OU LA QUESTION DE L’HOMOGENEISATION DES PRATIQUES LOCALES PAR LE RESPECT DE L’ANTIFASCISME ...........................................................................................................377

CONCLUSION GENERALE.........................................................................437

ANNEXES.........................................................................................................465

BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE INDICATIVE.........................................489

Liste des tableaux et graphiques........................................................................519

Table des matières .............................................................................................521

Page 10: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

X

Page 11: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

XI

Abréviations, sigles et germanismes utilisés

ABL Alte Bundesländer Anciens Bundesländer (ancienne RFA, analogie aux NBL)

AG Arbeitsgemeinschaft, Arbeitsgruppe Communauté ou Groupe de travail

AgR Aktion gegen Rechts Action contre l’extrême droite (association de Lichtenberg)

AK Arbeitskreis Cercle de travail

APUZ Aus Politik und Zeitgeschichte

ARI Antirassistische Initiative Berlin e.V Initiative antiraciste de Berlin (association)

ARIC Antirassistisch-Interkulturelles Centre d’information antiraciste et interculturel

Informationszentrum (association)

B90/G Bündnis 90/ Die Grünen Alliance 90/ Les Verts

BfV Bundesamt für Verfassungsschutz Office fédéral de protection de la constitution

BKA Bundeskriminalamt Office fédéral de la criminalité

BT Bundestag Parlement fédéral (Assemblée législative du Bund) BVV Bezirksverordnetenversammlung Conseil d’arrondissement (conseil communal d’un

arrondissement berlinois)

C. Wahlkreis Circonscription

CA Bezirksverordnetenversammlung Conseil d’Arrondissement des arrondissements berlinois

CDB Abgeordnetenhaus Chambre des députés du Land de Berlin

CDU Christlich-Demokratische Union Union chrétienne démocrate

CSU Christlich-Soziale Union Union chrétienne sociale

C-W Charlottenburg-Wilmersdorf Arrondissement de Berlin-Ouest

DBD Demokratische Bauernpartei Parti paysan démocrate (RDA)

DKP Deutsche Kommunistische Partei Parti Communiste Allemand (succède au KPD en 1968)

DVU Deutsche Volksunion Union populaire allemande

FAZ Frankfurter Allgemeine Zeitung

FDJ Freie Deutsche Jugend Jeunesse allemande libre (RDA)

FDP Freie Demokratische Partei Parti libéral (RFA)

FES Friedrich-Ebert-Stiftung Fondation Friedrich Ebert (fondation politique du SPD)

GG Grundgesetz Loi fondamentale

GP Fraktion Groupe Parlementaire

H. Hohenschönhausen Arrondissement de Berlin-Est, rattaché à Lichtenberg depuis 2001

K-F Kreuzberg-Frriedrichshain Arrondissement mixte de Berlin

KPD Kommunistische Partei Deutschlands Parti communiste d’Allemagne (RFA, interdit en 1956)

KPF Kommunistische Plattform Plate-forme communiste du PDS

L. Lichtenberg Arrondissement de Berlin-Est, inclut Hohenschönhausen à partir de 2001

LDPD Liberaldemokratische Partei Deutschlands Parti libéral- démocrate d’Allemagne (RDA)

LfV Landesamt für Verfassungsschutz Office régional de protection de la constitution

LT Landtag Parlement régional (Assemblée législative de chaque Land)

MdA Mitglied des Abgeordnetenhauses Berlin Membre de la Chambre des Députés de Berlin

MdB Mitglied des Bundestages Membre du Bundestag

Page 12: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

XII

MdL Mitglied des Landtages Membre du Landtag

MfS Ministerium für Staatssicherheit Ministère de la sécurité d’Etat ou Stasi (en RDA)

NBL Neue Bundesländer Nouveaux Bundesländer

ND Neues Deutschland Ancien organe de presse du SED, proche du PDS depuis 1990

NDPD National-Demokratische Partei Parti national- démocrate d’Allemagne (en RDA) Deutschlands

NPD Nationaldemokratische Partei Parti national-démocrate d’Allemagne (en RFA) Deutschland

NKFD Nationalkomitee «Freies Deutschland » Comité National « Allemagne Libre » (Groupe Ulbricht) NO Nationale Offensive Offensive Nationale

NSDAP National-Sozialistische Partei Parti national-socialiste ouvrier allemand Deutschlands

PDS Partei des Demokratischen Sozialismus Parti du Socialisme Démocratique

PEC(O) Pays d’Europe Centrale (et Orientale)

PP Sprecher (in) Porte-Parole

RAF Rote Armee Fraktion Fraction Armée Rouge

RDA Deutsche Demokratische Republik République Démocratique Allemande

REP Die Republikaner Les Républicains

RFA Bundesrepublik Deutschland République fédérale d’Allemagne

RLS Rosa-Luxemburg-Stiftung Fondation Rosa Luxemburg

SBZ Sovjetische Besatzungszone Zone d’occupation soviétique (1945-1949)

SED Sozialistische Einheitspartei Deutschlands Parti socialiste unifié d’Allemagne (en RDA)

SNBP Soziales und Nationales Bündnis Pommern Union sociale et nationale de la Poméranie

SPD Sozialdemokratische Partei Deutschlands Parti social-démocrate d’Allemagne

Stasi Ministerium für Staatssicherheit Ministère de la sécurité d’Etat (en RDA)

VK Volkskammer Chambre du peuple (Assemblée législative de la RDA)

WASG Wahlalternative Arbeit und Alternative électorale travail et justice sociale soziale Gerechtigkeit

ZdK Zentrum für demokratische Kultur Centre pour la culture démocratique

Bezirk Arrondissement (Berlin) et district (découpage administratif en RDA)

Parteitag Congrès du parti

Parteivorstand Comité directeur du parti

Volkpartei Parti interclassiste, populaire ou de masse (M. Duverger)

Wende « Tournant » (Période précédant la réunification, de l’été 1989 à octobre 1990, date d’entrée en vigueur du traité de réunification)

Page 13: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

XIII

Page 14: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

XIV

Page 15: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

1

INTRODUCTION GENERALE

« Au nom du groupe parlementaire du PDS [Parti du Socialisme Démocratique], je dois éclaircir sans

attendre un point important. La séance constituante du Landtag de Saxe-Anhalt pour la troisième

période législative vient d’être inaugurée par le plus âgé d’entre nous.[…] Jusqu’à présent, nous

n’avions eu aucune raison ou occasion de remettre en cause le bien-fondé du principe selon lequel c’est

le député le plus âgé qui tient le rôle de doyen du Parlement. Ceci a changé. Le fait que cette fonction

incombe à un député dont le parti revendique des principes qui méprisent une partie de l’humanité,

défend un populisme social-chauvin et des positions révisionnistes, est une offense faite à ce principe.

Grâce à leur longue expérience de la vie, les doyens sont en effet considérés comme sages et patients,

tolérants et prudents dans leurs relations humaines. Peut-être ceci rappelle-t-il à certains d’entre vous

Nathan le Sage1. Nos attentes reposent en tout cas sur cette conception.

Le député le plus âgé de cette assemblée est né en 1929. Il a eu conscience du national-socialisme, en

tout cas de sa ruine. Il a éprouvé la période difficile de l’après-guerre. Lors de la création des deux Etats

allemands, il avait exactement vingt ans. Ces Etats avaient beau poursuivre des modèles de société

différents, leur création reposait, dans un premier temps, sur le même consensus, à savoir l’antifascisme.

Le député le plus âgé a vécu et travaillé durant quarante ans en RDA [République Démocratique

Allemande]. Il appartient à une génération qui a fortement influencé, en matière d’éducation par

exemple, ma propre génération. Lui aussi est en partie responsable de l’histoire de la RDA, de ce

qu’elle est devenue, de son évolution et de sa chute. Ses ambitions politiques se sont prolongées après

l’unification. Du LDPD en passant par le FDP [partis libéraux de la RDA et de la RFA], on le retrouve

maintenant à la DVU [parti d’extrême droite].

Le magazine Stern qualifie ses convictions d’‘empreintes d’une forte conscience du peuple’. Avec votre

accord, Monsieur le Président, je cite : Le futur doyen du Landtag de Magdebourg discerne deux fronts

avec clarté : ‘Multiculturel est pour moi synonyme de multicriminel’. L’ancien libéral de la RDA

considère la plupart des étrangers comme incapables de s’intégrer. ‘Ils n’apprendront jamais

l’application et le goût pour l’ordre allemands’. Comme l’ensemble de mon groupe parlementaire, je

me demande ce qui est passé par la tête de cet homme. A-t-il sans arrêt changé d’avis ou a-t-il menti à la

fin du national-socialisme, à l’époque de la RDA et encore aujourd’hui ? Le bilan de sa vie est tellement

1 Personnage central de la pièce de théâtre éponyme de G-E. Lessing (1792-1781), Nathan der Weise, Nathan le Sage incarne un idéal de fraternité et donne une leçon de tolérance, religieuse notamment.

Page 16: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

2

inhumain que nous ne pouvons que le rejeter. Il va de soi, Monsieur, que vous ne rendez en aucun cas

justice aux fonctions de doyen d’un Parlement. La neutralité de votre discours de ce jour ne nous

trompera pas. C’est une manipulation tactique ! C’est la raison pour laquelle nous vous dénions toute

légitimité à représenter ce parlement et ses députés, en refusant de vous reconnaître le statut de doyen.

Et de la même manière que nous nous en prenons aujourd’hui à vous en personne et aux positions que

vous défendez, nous continuerons à l’avenir à démasquer votre parti et votre groupe parlementaire. » 2

C’est en ces termes que les néo-socialistes du Parti du Socialisme Démocratique (PDS)

déclarent la guerre aux premiers élus d’extrême droite entrés dans un Parlement régional

(Landtag) est-allemand en 19983. Les héritiers des communistes de la République

Démocratique Allemande (RDA) se démarquent des autres partis par la virulence de leur

attitude à l’égard des députés de la DVU (Deutsche Volksunion), l’Union populaire

allemande.

L’attitude du PDS face à l’extrême droite, de 1990 à 2002, est l’objet de ce travail. La

figure de l’ennemi d’extrême droite forgée par le PDS, en partie sur le legs de la RDA, y est

confrontée à la réalité du jeu politique4. L’influence de cette figure sur l’activité politique des

acteurs du parti (dirigeants et élus) et la manière dont la réalité du jeu politique transfigure

l’ennemi sont les éléments centraux de l’analyse.

L’unification allemande peut être appréhendée comme une « expérimentation

naturelle »5 dont les conditions seraient impossibles à reproduire en laboratoire. Le système

partisan de la RFA unifiée qui en découle est hybride, né de la rencontre entre un système issu

d’un régime communiste et un système démocratique. La portée de ces transformations du

champ politique6, conduites par la conversion à la démocratie, se mesure dans l’attitude

2 Discours de la présidente du groupe parlementaire du PDS, Petra Sitte, lors de la séance constituante du Parlement régional (Landtag) de Saxe-Anhalt (25. 5.1998). « Wir erkennen Ihre Alterspräsidentschaft nicht an ». Service de presse du PDS (Pressedienst), 22/1998, p. 8. En l’absence de précision, toutes les traductions sont de l’auteur. 3 L’adjectif fédéral renvoie dans ce travail à l’Etat fédéral (Bund), celui de régional est quant à lui relatif aux Länder, y compris lorsqu’il qualifie les fédérations régionales des partis. Pour les unités géographiques et administratives inférieures, notamment pour les arrondissements de Berlin, le terme de local est employé. 4 Sur ce point, l’analyse s’appuie sur F. G. Bailey : Les règles du jeu politique. Etude anthropologique. (Stratagems and Spoils. A Social Anthropology of Politics) Traduit par J. Copans. PUF, 1971. 5 Selon C. Offe : Der Tunnel am Ende des Lichts. Erkundungen der politischen Transformation im Neuen Osten. Francfort-sur-le-Main/ New York : Campus, 1994, p. 43. 6 Nous conservons de la notion de champ politique développée par P. Bourdieu l’idée d’un espace de concurrence avec des enjeux propres, d’une interdépendance et d’effets réciproques, éventuellement pervers, en tout cas non spécialement escomptés (Voir P. Bourdieu : « La représentation politique. Eléments pour une théorie du champ politique ». Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 36-37, 1981, pp. 3-24 et Propos sur le champ politique. Lyon : Presses Universitaires de Lyon, 2000, pp. 49-69). En dépit des distances qui méritent ici d’être prises avec le caractère autonome du champ politique dans la conception bourdieusienne, l’usage du terme

Page 17: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

3

adoptée par les héritiers du SED7 face à l’extrême droite. La particularité du PDS dans ce

contexte est de s’appuyer sur l’héritage dictatorial de la RDA pour prouver sa volonté de

respecter les règles du jeu de la démocratie pluraliste. Ce sont tout autant le mythe antifasciste

fondateur de la RDA, que la volonté du PDS de montrer qu’il respecte l’ordre établi en RFA

qui désignent l’extrême droite comme l’ennemi du PDS.

« Ce n’est pas seulement l’étude de la doctrine et de la composition sociale des partis

qui manquent en effet à l’ouvrage de Maurice Duverger, mais plus encore celle des types de

société et de civilisation où se meuvent les partis, celle des conditions économiques et des

circonstances historiques dans lesquelles ils évoluent. »8 La critique de G. Lavau vaut pour

une analyse du PDS, qui doit tenir compte de sa position à l’intérieur d’un système allemand

des partis politiques marqué par une forte tradition anticommuniste, ainsi que du contexte

post-communiste de transition démocratique. Si 1990 inaugure, avec l’intégration de la RDA

à la RFA, la conversion des Allemands de l’Est à la démocratie, elle ouvre également la voie

au règlement des comptes de la société est-allemande avec le passé national-socialiste9. Le

seul processus d’unification contraint donc la société est-allemande à prendre position face à

l’extrême droite. Dès lors, les enjeux de la conversion du PDS à la démocratie, sous le poids

prépondérant du passé, fondent en partie les affronts systématiques et de principe qu’il fait

aux forces d’extrême droite.

L’introduction commence ainsi par présenter le cadre politique général issu de

l’unification. Les principaux acteurs (le PDS et l’extrême droite) y sont replacés, en préalable

à une exposition des enjeux de ce travail. A ces premiers volets, thématique et analytique,

succède une présentation de la méthodologie de l’enquête de terrain, qui retrace notamment

son déroulement.

se justifie, comme nous le verrons dans le premier chapitre, par la distinction d’un champ central (pan-allemand) et d’un champ périphérique (spécifique aux NBL). La notion de champ permet en outre de délimiter le cadre des activités auxquelles les règles politiques s’appliquent. 7 Le Parti socialiste unifié, Sozialistische Einheitspartei (SED) est le parti communiste au pouvoir en RDA. « Noyau de l’appareil d’Etat, matrice et épurateur de la société, le parti-Etat était la seule institution pleinement légitime » comme l’écrit D. Colas au sujet du parti communiste en URSS. D. Colas, Sociologie politique, PUF, 1994, p. 246. 8 G. Lavau : Partis politiques et réalités sociales. Armand Colin, 1953, p. 7. 9 Tant que persistent des différences notables entre l’Est et l’Ouest, et surtout tant qu’elles sont explicables par un vécu spécifique à chacune des deux parties de l’Allemagne, les qualificatifs « ouest-» ou « est-allemand » conservent une valeur analytique. Tant qu’ils attestent de phénomènes touchant exclusivement l’un des deux territoires ou dont la forme diffère en fonction de celui-ci, en somme tant que certains processus n’existent pas dans une forme pan-allemande, la distinction paraît nécessaire.

Page 18: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

4

Présentation du cadre général

La présentation du cadre général comprend trois temps. Elle commence par rappeler

brièvement l’histoire de l’objet de recherche, le PDS, avant 1990. La place occupée par le

PDS dans les nouveaux Bundesländer (NBL)10 offre ensuite l’occasion d’interroger la

réception de ce parti politique dans l’Allemagne unifiée, notamment en regard du statut

d’ennemi de la République adopté dans l’après-nazisme immédiat, au moment de la partition

de l’Allemagne en deux Etats.

Le PDS, héritier de la RDA et acteur politique central dans l’est de l’Allemagne unifiée

A la transformation du SED en PDS succède la phase d’installation du nouveau parti

dans les NBL, plus que sur l’ensemble de la fédération (1990-1994), qui aboutit aux

caractéristiques du PDS en 2005.

Successeur du SED, Etat-parti en RDA, le PDS est né en février 1990 de la volonté de

sauver une institution que l’imminence de l’unification promettait de faire disparaître.

Lorsque le régime mis en place par le SED s’effrite en octobre 1989 sous la pression des

manifestations de masse11, l’opinion qui domine au sein du régime est d’abord que le système

tout comme le parti sont encore en mesure d’être réformés. Le 9 novembre 1989, le bureau

politique (Politbüro) de la RDA démissionne. Dans la soirée, Günter Schabowski, membre du

comité central du SED, annonce à la surprise générale la levée de toutes les restrictions de

voyage et l’ouverture des frontières. A Berlin-Est, les gens se précipitent à l’Ouest et le mur,

symbole de la division, est détruit dans la nuit.

10 Les nouveaux Länder (NBL) correspondent au territoire de la RDA, qui après abandon du découpage en Länder en 1952, l’avait rétabli en vue de l’unification. Ils sont au nombre de cinq: Brandebourg, la Saxe, la Thuringe, la Saxe-Anhalt et le Mecklembourg-Poméranie occidentale. La partie orientale de Berlin y est communément associée. 11 Au cours des années 1980, les élites politiques du SED s’isolent progressivement. Elles se coupent peu à peu à la fois des attentes de la population est-allemande et des tendances réformatrices émergentes dans les autres Etats communistes d’Europe centrale et orientale. Dès le mois de mai 1989, de nombreux Allemands de l’Est fuient la RDA par la Hongrie, avant de se réfugier au cours de l’été 1989 dans les ambassades ouest-allemandes en Pologne et en République tchèque. Les manifestations populaires du lundi (Montagsdemonstrationen) débutent à Leipzig en septembre 1989. Le nombre de participants est exponentiel et atteint 320 000 le 23 octobre. Les revendications populaires de réforme du système politique incluent désormais l’unification de l’Allemagne. Pour une analyse des événements ayant conduit à l’unification et à la chute des régimes communistes dans les PECO, voir C. S. Maier : Dissolution: The Crisis of Communism and the End of East Germany. Princeton : University Press, 1997 et F. Fejtö : La fin des démocraties populaires : les chemins du post-communisme. Seuil (Collection Points Histoire), 1997, 2ème édition, pp. 275-289.

Page 19: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

5

Après la démission d’Erich Honecker des postes de secrétaire général du Comité

central, membre du bureau politique du SED, président du conseil de sécurité et du conseil

national de sécurité, le Parlement de la RDA (la Volkskammer) abolit l’article 1 de la

constitution de la RDA le 1er décembre 1989, article qui fondait juridiquement le rôle

dirigeant du SED12. À partir du 7 décembre, le nouveau gouvernement dirigé par Hans

Modrow accepte de discuter avec les nouveaux groupes d’oppositions et les Églises dans le

cadre des négociations restées sous le nom de « tables rondes ». Les principales

revendications des opposants portent sur la démocratisation du régime, la tenue d’élections

libres et la dissolution du Ministère pour la sécurité d’Etat (Ministerium für Staatssicherheit,

plus connu sous l’abréviation Stasi).

A défaut de préserver le système, il s’agit alors de sauver le parti. Convoqués en session

exceptionnelle les 8/9 et 16/17 décembre 1989, les membres du bureau politique ne

parviennent pas à se résoudre à une dissolution du SED. Le Comité directeur adopte un

compromis à travers la création du SED-PDS dont l’orateur Gregor Gysi prend la tête. Né en

1948 dans une famille juive, d’un père (Klaus) ambassadeur et ministre de la culture de la

RDA, il est avocat depuis 1971 et il défend des dissidents du système de RDA, notamment les

célèbres Robert Havemann et Bärbel Bohley13. Avec lui, le parti est pris en mains par des

intellectuels socialistes qui n’exerçaient aucune fonction dans l’appareil du SED. Parmi eux,

Lothar Bisky en est toujours président en 2005, en dépit d’une interruption entre 2000 et

2003, qui voit Gabrielle Zimmer assumer la présidence du PDS. G. Gysi, chouchou des

médias, reste la figure de proue du PDS. Par son humour, sa répartie et son excellence

oratoire, il a grandement contribué à moderniser l’image du PDS.

Le SED-PDS ne parvient pas à exprimer une position claire au sujet de la question

allemande ; il rejette l’unification tout en retenant le principe d’une association entre les deux

12 « La République démocratique allemande est un Etat socialiste des ouvriers et des paysans. C’est l’organisation politique des actifs dans les villes et dans les campagnes, sous la direction de la classe ouvrière et de son parti marxiste-léniniste » figure à l’article premier, première phrase de la constitution de 1974. 13 Communiste résistant face au Troisième Reich, R. Havemann (1910-1982) est exclu du SED en 1964 et se voit interdit d’exercer sa profession d’enseignant-chercheur en chimie un an plus tard, en raison de ses prises de positions très critiques à l’égard du régime du SED. Après avoir protesté contre la dénaturalisation du chansonnier Wolf Biermann, il est assigné à résidence durant trois années, à l’issue desquelles il reste sous étroite surveillance de la Stasi jusqu’à sa mort. Autre figure de la dissidence en RDA, d’ailleurs officiellement décorée par l’Allemagne unifiée pour sa contribution à la révolution pacifique de RDA, B. Bohley, née en 1945, est artiste-peintre. Pacifiste, elle attire l’attention des autorités de RDA par ses contacts avec les écologistes ouest-allemands. Arrêtée lors d’une manifestation, elle est envoyée en RFA, mais regagne la RDA quelques mois plus tard, pour y créer le mouvement des droits civiques Neues Forum. Après consultation de son propre dossier de la Stasi, elle accuse son ancien avocat G. Gysi d’être un « collaborateur officieux » ou IM (Inoffizieller Mitarbeiter) des services secrets est-allemands.

Page 20: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

6

Etats allemands. Le 4 février 1990, le Directoire du SED-PDS abandonne la référence

explicite au SED. Le PDS est né. La formation politique, qui accède à un nouveau statut, est

sauvée, sa succession financière assurée. Un statut propre est adopté lors du premier congrès

du PDS (Wahlparteitag) les 24/25 février 199014. Tout en entérinant l’unification progressive

des deux Etats allemands, le congrès crée un « mouvement de rassemblement pour sauver

l’identité de la RDA »15. Il soumet l’unification à la condition du respect de la RDA et du

maintien de ses standards sociaux.

Dès le 18 mars 1990 se tiennent de nouvelles élections pour la Volkskammer de la RDA.

La victoire des conservateurs de l’Allianz für Deutschland favorables à l’unification ouvre la

voie aux négociations. La Volkskammer adopte le principe d’une unification sur la base de

l’article 23 de la Loi fondamentale, qui rattache le territoire de la RDA à la RFA. Le traité

d'unification (Einigungsvertrag), qui fixe les modalités de l’unification, est signé à Berlin le

31 août 1990. Son entrée en vigueur est fixée au 3 octobre 1990, devenu fête nationale. La

signature du traité 2+4, entre les deux États allemands et les quatre puissances victorieuses de

la Seconde Guerre mondiale (États-Unis, France, Royaume Uni et Union Soviétique) le 12

septembre 1990 à Moscou redonne à l'Allemagne unifiée sa pleine souveraineté. Mikhaïl

Gorbatchev, qui indiquait dès le 6 juillet que l’Union soviétique n'interviendrait pas pour

réprimer les mouvements qui agitent alors la RDA, déclare dès l’automne 1989 que la

réunification est une question qu’il revient aux Allemands de régler. Un dernier traité signé le

14 novembre 1990 à Varsovie fixe les limites de l'Allemagne unifiée à la ligne Oder-Neiße,

frontière effective depuis 1945.

Depuis sa création, l’évolution du PDS s’inscrit dans un double processus d’adaptation.

D’une part, comme les autres partis communistes au pouvoir en Europe de l’Est jusqu’à 1989,

il a dû se convertir à la démocratie et au multipartisme effectif. D’autre part, à la différence

des autres, il s’est vu contraint de trouver sa place au sein d’un système démocratique de

partis préexistant, lui-même élaboré en réaction à un régime totalitaire. La spécificité

14 Sur le passage du SED au PDS, se reporter à la bibliographie. 15 G-J. Glaessner : Der schwierige Weg zur Demokratie. Vom Ende der DDR zur deutschen Einheit. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1991, p. 112. Sans toutefois s’opposer ouvertement à l’unification au cours de la campagne électorale précédant les premières élections libres en RDA (mars 1990), ce statut met en garde contre les conséquences négatives de l’unification. De la constitution de la première assemblée législative issue des élections libres à l’entrée en vigueur du traité d’unification (3.10.1990), on observe une curieuse bipolarisation de la Volkskammer : les partis gouvernementaux (partis de l’Alliance et SPD) sous influence du nouveau premier ministre Lothar De Maizière, sont favorables à une union monétaire et à l’unification, tandis que les mouvements des citoyens et le PDS, troisième force politique du parlement est-allemand (Volkskammer) avec 66 députés essaient, s’ils ne peuvent pas l’enrayer, au moins de ralentir le processus. Le PDS a obtenu 16,4% des suffrages, 30,2% à Berlin-Est à l’issue des élections du 18 mars 1990.

Page 21: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

7

allemande de cette évolution réside en effet dans le rattachement du territoire de la RDA à la

RFA, que le PDS dénonce comme un Anschluss (ou annexion)16.

Le PDS est le seul parti existant en RDA ou issu des premières élections libres du 18

mars 1990 à ne pas s’être allié à un parti de l’Allemagne occidentale. Les organisations

politiques existant en RDA ont effectivement rapidement été absorbées par leurs pendants

occidentaux17. Le système en place en RDA n’était en effet pas un système de parti unique, le

SED ayant adopté le maintien formel d’un système de partis pluraliste. S’il avait le monopole

des décisions politiques et de l’administration en RDA, d’autres organisations politiques et

sociales représentaient une couche déterminée de la population qu’il convenait d’intégrer dans

la société socialiste. Quatre partis sont alliés au SED par le système du « Bloc » dans le cadre

de l’organisation appelée « Front national », qui est « l’alliance de toutes les organisations

sociales et de tous les partis politiques qui soutiennent le régime »18. Ces partis sont autant de

courroies de transmission du parti communiste. Trois d’entre eux sont voués à intégrer les

classes moyennes dans le système de la RDA. Officiellement, ces formations se réclament de

catégories idéologiques distinctes : chrétienne pour la CDU (Union chrétienne-démocrate),

libérale pour le LDPD (Liberaldemokratische Partei Deutschlands) et nationale pour le

NDPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands, parti national-démocrate). Le quatrième

parti associé au SED, le DBD (Demokratische Bauernpartei, parti paysan démocrate) est le

prolongement du SED dans les campagnes. « L’alliance du Front national s’est révélée […]

un instrument efficace pour imposer la domination communiste dans un pays qui était au

départ fortement anticommuniste » concluent W. Bleek et K. Sontheimer 19. Il convient dans

ce contexte de souligner l’aspect contraignant de l’adhésion à un parti politique en RDA. Si

l’adhésion au SED ou à l’un des Blockparteien n’était pas obligatoire, sauf pour exercer de

16 Le terme d’Anschluss désigne habituellement l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie le 12 mars 1938, entérinée par référendum le 10 avril. 17 A la suite de l’unification, la CDU et le FDP absorbent leur pendant oriental (respectivement CDU et LDPD), le SPD s’associe au SDP (parti social-démocrate de la RDA créé en 1989), les mouvements de citoyens de RDA rallient les Verts et créent Bündnis 90/Die Grünen en 1993. 18 W. Bleek, K. Sontheimer: La République démocratique allemande. Armand Colin, 1975, p. 61. « Le Front national a ainsi une fonction d’intégration. Les partis du bloc et les organisations sont à cet égard des partenaires du SED et reconnaissent naturellement son rôle dirigeant au nom de la primauté du prolétariat sur l’ensemble des autres classes qu’ils sont censés représenter et guider. Le Front national constitue l’exemple même de l’instrumentalisation de la vie politique et sociale par un parti marxiste-léniniste en vue d’assurer sa domination.» résume P-Y. Boissy : Aspects politiques de l’héritage de la nation socialiste au sein de la République fédérale d’Allemagne. Rôle et place du PDS dans le système politique allemand. Thèse de doctorat, Dir. : D. Colas. Université Paris IX-Dauphine, 2000, p. 60. 19 W. Bleek et K. Sontheimer: op.cit., p. 64. Les Soviétiques et communistes allemands, conscients de la prégnance du sentiment anticommuniste chez la majorité du peuple allemand, ont jugé préférable de laisser une marge d’activité propre aux couches bourgeoises de la population, pour les faire adhérer progressivement au nouveau régime.

Page 22: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

8

très hautes fonctions ou travailler dans le domaine de la sécurité (police, renseignements et

armée), elle facilitait néanmoins grandement l’avancement professionnel20.

Entre 1990 et 1994, le PDS cherche sa place au sein du système pan-allemand des

partis. Alors qu’au cours des années qui suivent immédiatement l’unification, les autres partis

se dissolvent dans les intérêts de leurs associés de l’Ouest, le PDS jouit du monopole de la

défense d’une identité et d’intérêts spécifiquement est-allemands. Il se nourrit de l’absence de

représentation des nouveaux Länder dans le système parlementaire pan-allemand. Ni les

institutions ni les partis politiques n’ont en effet su aménager en leur sein une place

particulière à la représentation politique et sociale des habitants des cinq NBL21. Ce déficit

explique le succès de G. Gysi qui, à l’heure de l’épuration du personnel politique est-

allemand, relaie les difficultés de l’Allemagne orientale22. Par ailleurs, le PDS n’a pas

accompli de revirement idéologique radical susceptible d’être perçu comme une reconversion

opportuniste23. Il ne renie pas son passé et l’utilise pour souligner l’identité spécifique des

habitants des NBL.

Outre ce modèle unique de transition démocratique24, la composition de l’échiquier

politique des NBL issu de la RDA a contribué à la survie du PDS. D’une part, le PDS a pu

s’imposer au sein d’un paysage politique dont les mouvements des citoyens sont absents. La

faiblesse des partis politiques issus du mouvement des citoyens dès les premières élections

pan-allemandes, autre trait particulier de l’Allemagne de l’Est, a levé un obstacle au maintien

des néo-socialistes dans les NBL.

20 Sur l’encadrement de la société est-allemande par le SED, voir S. Meuschel : Legitimation und Parteiherrschaft : zum Paradox von Stabilität und Revolution in der DDR. 1945-1989. Francfort sur le Main : Suhrkamp, 1992 et K. Schröder : Der SED-Staat. Partei, Staat und Gesellschaft 1949-1990. Munich/ Vienne : Carl Hanser Verlag, 1998. 21 Par exemple, les modifications constitutionnelles engendrées par l’unification renforcent encore le poids des quatre Länder occidentaux les plus peuplés au sein du Bundesrat. Une sixième voix a été accordée aux Länder de plus de 7 millions d’habitants, afin que les quatre Länder occidentaux les plus peuplés conservent leur minorité de blocage. W. Weidenfeld, K-R. Korte (dir.) : Handbuch zur deutschen Einheit. 1949-1989-1999. Bonn : Bundeszentrale für politische Bildung, 1999, pp. 408-409. 22 « Les dirigeants de Bonn ne connaissent rien à l’Allemagne de l’Est, c’est comme s’ils menaient leur campagne électorale.... au Népal » déclare G.Gysi. L’Humanité du 23.11.1994. 23 G.-J. Glaessner s’étonne de la rapidité avec laquelle les partis traditionnels de la RDA se sont transformés, du moins en apparence, en partis de type occidental. « Ils ont renoncé à s’appréhender comme représentants de certains concepts idéologiques ou de certains groupes sociaux. Ceci a été remplacé par la tentative de se détacher de son propre passé compromis, en s’adaptant rapidement et de manière visible au modèle occidental de partis universels (catch-all-parties) ou de masse (Volksparteien). » G.-J. Glaessner : op .cit., p. 104. 24 Le chapitre premier analyse ses effets sur le sujet qui nous intéresse.

Page 23: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

9

D’autre part, le succès du PDS est en partie lié à la faiblesse du SPD dans les NBL. Au

moment de la Wende25, à la différence des autres partis, le SPD ne peut appuyer son expansion

à l’Est sur son pendant oriental. Le SDP, parti social-démocrate de la RDA

(Sozialdemokratische Partei in der DDR), qui vient de se constituer quelques mois avant

l’unification, ne dispose pas d’infrastructures conséquentes dans les NBL26. Ce net

désavantage aurait aisément pu être surmonté si les sociaux-démocrates avaient pu profiter

d’une forte implantation dans les usines, comme le SPD à l’Ouest. Cette stratégie de

recrutement rappelait trop le système imposé par le SED pour fonctionner27. En outre, pour ne

pas risquer d’être accusé de se rapprocher des communistes, le SPD doit dans un premier

temps refuser l’admission d’anciens membres du SED. En pratique, leur adhésion est par la

suite examinée au cas par cas par les sections locales. Les sociaux-démocrates, abusés par la

« fusion forcée »28 du KPD et du SPD dans la zone d’occupation soviétique, qui a signé l’acte

de naissance du SED29, ont souffert des persécutions et des emprisonnements orchestrées par

les autorités de la RDA. L’aveu des pressions exercées à cette époque par le KPD sur le SPD

constitue ainsi pour les dirigeants sociaux-démocrates la condition préalable à toute

coopération avec le PDS à l’échelle fédérale. Le PDS cède à mi-mots en 200130. Au moment

de l’unification, un reclassement au sein de la sociale-démocratie leur étant exclu, une partie

des élites du SED s’engage au PDS, tandis que l’élite intellectuelle, majoritaire, qui avait

adhéré au SED pour faire carrière, se tourne par défaut vers la CDU ou le FDP.

25 Ce terme, « tournant » en français, caractérise les événements de 1989 qui menèrent à l’unification. Plus largement, il désigne couramment le vent de contestation ou de réforme qui souffle sur la RDA à compter de cette année. 26 Le SDP, créé le 7 octobre 1989, s’allie au SPD le 26 septembre 1990. 27 C. Perron : La recomposition de l’échiquier politique est-allemand après 1989. Mémoire de DEA, IEP de Paris, 1994, p. 57. 28 « S’il est incontestable que des pressions se sont exercées sur le SPD, il serait faux de penser que l’ensemble de ses dirigeants et de ses militants ont rejoint le SED contre leur gré » conclut, en insistant sur le contexte de l’après-guerre marqué par une volonté farouche d’instaurer un ordre antifasciste, P.-Y. Boissy : op. cit., p. 36. 29 Dans la zone d’occupation soviétique, le SPD et le KPD fusionnent les 22 et 23 avril 1946 à Berlin lors du 1er congrès du SED (ou congrès d’unification). Dans les autres zones, le SPD conserve son indépendance. Le système des partis allemand est ainsi l’une des premières victimes de la Guerre Froide. En juin 1945, le SPD propose aux communistes l’unification des deux grands partis ouvriers allemands dans la SBZ. Dans un premier temps, la direction du KPD refuse. Puis, voyant que le KPD n’est ni en passe ni en mesure de devenir un parti de masse, et par peur de la perte d’influence des communistes, elle revient sur sa décision. Entre autres choses, les faibles résultats obtenus par les partis communistes autrichiens et hongrois au cours de l’année 1945 ne laissaient rien présager de bon pour l’issue des élections prévues en Allemagne en 1946 . En novembre, les élections générales donnent au PC hongrois seulement 70 sièges sur les 409 qui forment le parlement. Kurt Schumacher, responsable du SPD dans les zones d’occupation occidentales, rescapé des camps de la mort et réputé pour sa ligne strictement anticommuniste, refuse alors catégoriquement, cependant qu’à Berlin-Est le dirigeant du SPD, Otto Grotewohl, plus directement encore confronté à la domination communiste, cherche un compromis. 30 Nous y reviendrons. « Halbherzige Entschuldigung für Zwangsvereinigung ». Dépêche, Spiegel Online (http://www.spiegel.de), 18.04. 2001, 18h59.

Page 24: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

10

A cela s’ajoute la déception des Allemands de l’Est face à l’attitude du SPD à l’égard de

l’unification. Les Allemands de l’Est identifiaient les sociaux-démocrates de la RFA à la

politique d’ouverture à l’Est (Ostpolitik) du chancelier de Willy Brandt. Les mises en garde

du candidat social-démocrate à la chancellerie en 1990 Oskar Lafontaine contre les coûts

économiques et financiers d’une unification immédiate ternissent rapidement l’image du SPD

auprès de la population est-allemande. Lafontaine dit alors préférer une mise à niveau

progressive de la RDA à l’adoption radicale du système économique et sociale de la RFA,

convenue par la signature du traité d’union économique, monétaire et sociale du 18 mai 1990.

Le vote du SPD en faveur de Bonn comme capitale et les thèmes abordés lors du Congrès de

Brèmes en 199131 accentuent le sentiment d’affront éprouvé à son égard par un certain

nombre de citoyens est-allemands.

Depuis la création du PDS, le clivage inter-allemand entre l’Est et l’Ouest constitue la

principale caractéristique d’un parti fortement présent à l’Est, quasi-inexistant à l’Ouest.

Quinze ans après sa création, les problèmes que rencontre le PDS incarnent tant les

changements qu’ont connu les anciens régimes communistes d’Europe Centrale et Orientale

que les difficultés rencontrées par les démocraties occidentales à la fin du XXème siècle. Les

contraintes liées à la transition démocratique (conversion à l’économie de marché et au

multipartisme effectif, abandon de la doctrine léniniste du parti) ont été surmontées par le

PDS dès sa création, du fait de l’évidente nécessité d’affirmer la rupture pour survivre. Ce

sont finalement les obstacles rencontrés par les partis de gauche depuis l’échec de la tentative

de mise en œuvre d’une politique socialiste qui pèsent le plus sur l’avenir du PDS.

C’est pourquoi nous utilisons le terme de « néo-socialiste » pour désigner le PDS. Celui

de post-communisme, qui lui est couramment apposé, fait référence au contexte et au passé, et

non à la nature du parti. Les partis héritiers des partis communistes au pouvoir dans les

« démocraties populaires » des PECO (pays d’Europe centrale et orientale) sont post-

communistes, quelle que soit l’orientation politique choisie et le revirement idéologique

opéré32. C’est la réponse donnée par chaque mouvement politique à la nouvelle situation, en

fonction de son histoire et du contexte socio-politique de son pays, qu’il convient de qualifier,

31 Il y avait été autant question de la possibilité d’intervention de la Bundeswehr sous égide de l’ONU à l’extérieur du territoire allemand, que des problèmes issus de l’unification et des difficultés à l’Est. 32 Les termes de post-stalinisme ou de « post-soviétisme » (F. Fejtö) ne sont-ils pas davantage appropriés pour désigner la rupture des partis communistes occidentaux avec la doctrine stalinienne ? L’utilisation de la notion de post-communisme nous semble devoir se limiter au contexte de transformations né de la chute d’un régime communiste. Le post-communisme désigne le processus opéré par l’ensemble des partis communistes suite à la perte de crédibilité d’un modèle inspiré du marxiste-léninisme consécutive à l’effondrement du bloc soviétique.

Page 25: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

11

non le contexte commun dans lequel ils évoluent. Or, le PDS n’utilise plus le terme de

communisme, ni dans son discours officiel ni en réunions de sections. Sa création même signe

la rupture avec le communisme, ce qui ne le dédouane pas de la lourde gestion de cet héritage.

Son idéologie ne repose pas sur le marxisme, il ne prétend pas rompre avec l’économie de

marché mais bien rectifier ce qu’il considère comme les abus du capitalisme, en premier lieu

dans le domaine de la justice sociale33.

Ainsi, la place du PDS en RFA dépend de sa capacité à articuler les attentes des

Allemands autour d’une nouvelle forme de socialisme. A partir de 1998, l’évolution interne

du PDS est marquée par des tiraillements en son sein entre les partisans du seul rôle

d’opposition et les dirigeants privilégiant une participation gouvernementale. Les

transformations de l’échiquier politique allemand consécutives à l’unification, doublées de

l’alliance gouvernementale du SPD et des Verts entre 1998 et 2005, ont initié un mouvement

de recomposition des forces politiques à gauche de la gauche34. Le PDS, en investissant cet

espace d’opposition libéré sur leur gauche par les Verts, tente de développer une alternative

contestataire. Dans le même temps pourtant, son implication croissante dans la vie politique

fédérale se traduit de plus en plus par sa participation gouvernementale à l’échelle des Länder.

Ainsi, à l’issue des élections régionales de 2001, les sociaux-démocrates du SPD s’associent à

lui, peut-être par dépit35, afin de former la coalition gouvernant la capitale, Berlin.

Au regard de ces considérations, le profil du PDS ne peut être qu’hétéroclite ; il

rassemble en son sein des composantes de gauche et d’extrême gauche. Au côté des staliniens

et communistes orthodoxes hérités du SED, il attire désormais des anarchistes, socialistes et

déçus des Verts, des jeunes revendiquant le multiculturalisme, des altermondialistes et des

syndicalistes déçus du SPD36. Ce pluralisme engendre d’importantes luttes idéologiques et

stratégiques internes qui complexifient la tâche de ses dirigeants. En l’an 2005, le PDS est

ainsi en voie d’être reconnu comme un parti comme un autre. L’alliance du PDS avec la

WASG contribue davantage à le dissocier du passé du SED. Elle inaugure une approche plus

nuancée du jugement répandu d’un PDS dont le sort est lié à l’achèvement du processus

d’unification, que signerait la disparition du « mur dans les têtes » (Greiffenhagen).

33 L’opinion défendue ici ne fait pas l’objet d’un consensus. C’est le résultat de la confrontation de lectures avec l’observation sur le terrain. Le PDS est un parti démocratique, bien qu’il héberge une minorité marxiste. 34 Un processus que renforce la perspective d’une Grande coalition (alliant conservateurs et sociaux-démocrates) à la tête de la fédération. 35 Après l’échec de premières négociations ouvertes avec les écologistes et les libéraux. 36 L’alliance électorale avec O. Lafontaine et la WASG en vue des élections législatives fédérales de septembre 2005, qui porte le nom de Parti de la gauche (Linkspartei) témoigne, entre autres choses, de cette diversité.

Page 26: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

12

Le PDS est le premier parti en nombre d’adhérents dans les NBL, en dépit du départ de

nombreux anciens adhérents du SED, dont il hérite en 199037. Ses résultats électoraux sont en

constante progression, autant à l’Est (où il remporte en moyenne 20% des suffrages) que bien

plus relativement à l’Ouest, où il ne joue qu’un rôle marginal (son score y oscille entre 1 et

3%)38.

Tableau 1- Résultats des principales formations politiques et d’extrême droite (REP, NPD et DVU) aux élections législatives fédérales (Bundestagswahlen) 1990-2005

1990 1994 1998 2002 2005

Taux de participation 77,8 79 82,2 79,1 77,7

CDU/CSU 43,8 41,5 35,1 38,5 35,2

SPD 33,5 36,4 40,9 38,5 34,2

FDP 11 6,9 6,2 7,4 9,8

B90/G 3,8 7,3 6,7 8,6 8,1

PDS 2,4 4,4 5,1 4 8,7 39

REP NC40 1,9 1,8 0,6 0,6

NPD NC 0,3 0,4 1,6

DVU NC 1,2 -

Autres 4,2 1,6 2,6 2 1,6

Source : Statistisches Bundesamt Deutschland, Bundeswahlleiter

Les néo-socialistes sont représentés à la Chambre basse du Parlement fédéral

(Bundestag) depuis les premières élections pan-allemandes de décembre 199041, jusqu’à la

déroute de 2002. A cette date, avec seulement deux représentants (contre 36 auparavant), ils

perdent leur statut de groupe parlementaire. En 2005, sous la forme de Linkspartei, il regagne

37 Dans les nouveaux Länder et à Berlin-Est, le nombre d’adhérents chute de moitié entre 1992 (146 086) et 2003 (61 191) ; dans les anciens Länder, il est multiplié par sept dans le même intervalle de temps (617 – 4378). A titre de comparaison, le SED comptait 2 340 000 membres en janvier 1988 et le SED-PDS 1 780 000 en décembre 1989, chiffre qui chute au cours de l’année 1990 (283 882 en décembre 1990). Source : PDS. 38 En l’absence de précision contraire, les tableaux et les graphiques sont réalisés par l’auteur, sur la base des données tirées des sources indiquées. 39 Die Linkspartei. 40 NC indique que les scores, faibles, sont comptabilités dans « Autres ». 41 Une disposition exceptionnelle adoptée pour les premières élections législatives fédérales pan-allemandes de 1990 permet aux partis dont le résultat à l’échelle de la fédération est inférieur aux 5% exigés, d’envoyer des représentants au Bundestag. Elle est propre à cette élection et différente de celle permettant aux partis obtenant quatre mandats directs de siéger, à la proportionnelle, sans avoir atteint le seuil des 5%.

Page 27: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

13

le statut de groupe parlementaire. Aucun des trois partis d’extrême droite ne franchit le seuil

des 5%, qui autorise un parti à envoyer des représentants au Bundestag42.

Tableau 2- Résultats des principales formations politiques aux élections législatives régionales (Landtagswahlen)43 dans les nouveaux Länder et à Berlin (1990-2004, en % des secondes voix exprimées44)

Taux de participati

on CDU SPD FDP B90/G45 PDS46 REP NPD DVU Autres

BERLIN

1990 80,8 40,4 30,4 7,1 9,4 9,2 3,1 0,4

1995 68,6 37,4 23,6 2,5 13,2 14,6 2,7 6

1999 65,9 40,8 22,4 2,7 9,9 17,7 2,7 4,3

2001 68,1 23,8 29,7 9,9 9,1 22,6 1,3 3,7

BRANDEBOURG

1990 67,4 29,4 38,2 6,6 9,4 13,4 1,1 1,9

1994 56,3 18,7 54,1 2,2 2,9 18,7 1,1 2,2

1999 54,4 26,6 39,3 1,9 1,9 23,3 5,3 1,7

2004 56,4 19,4 31,9 3,3 3,6 28 6,1 7,7

MECKLEMBOURG-POMERANIE ANTERIEURE

1990 65,2 38,3 27 5,5 6,4 15,7 6,9

1994 72,9 37,7 29,5 3,8 3,7 22,7 1,6

1998 80,2 30,2 34,3 1,6 2,7 24,4 2,9 3,8

2002 70,6 31,4 40,6 4,7 2,6 16,4 0,3 0,8 3,2

SAXE

1990 73,5 53,8 19,1 5,3 10,2 0,7 11

1994 59,4 58,1 16,6 1,7 4,1 16,5 3

1999 61,1 56,9 10,7 1,1 2,6 22,2 6,5

2004 59,6 41,1 9,8 5,9 5,1 23,6 9,2 5,3

SAXE-ANHALT

1990 65,6 39 26 13,5 5,3 12 0,7 3,5

1994 54,8 34,4 34 3,6 5,1 19,9 1,4 1,7

1998 71,5 22 35,9 4,2 3,2 19,6 12,9 2,2

2002 56,5 37,3 20 13,3 2 20,4 7,1

THURINGE

1990 72,1 45,4 22,8 9,3 6,5 9,8 0,8 5,4

1994 74,8 42,6 29,5 3,2 4,5 16,5 1,3 2,3

1999 59,9 51 18,5 1,1 1,9 21,4 3,1 3

2004 53,8 43 14,5 3,6 4,5 26,1 2 1,6 4,8 Source : Statistisches Bundesamt Deutschland, Bundeswahlleiter et Statistisches Amt de chaque Land

42 La clause des 5% (Fünf-Prozent-Klausel) introduite en 1949 et modifiée en 1953 vise à limiter la représentation parlementaire de petits partis un an après l’interdiction du parti néo-national-socialiste du SRP. 43 Elections à la CDB (Abgeordnetenhaus) pour Berlin, Bürgerschaftswahlen pour Brême et Hambourg. 44 Les secondes voix correspondent au pourcentage retenu pour déterminer le nombre de mandats d’un parti. Le mode de scrutin allemand est précisé plus avant dans l’introduction. 45 Grüne/ Alternative Liste pour Berlin, Brandebourg 1990 et Hambourg 1991-2004. 46 PDS/ Linke Liste en 1990 ainsi que pour Hambourg.

Page 28: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

14

Au niveau régional, au sein des Landtage, le rapport de force à l’Est est de plus en plus

favorable au PDS. Depuis 1999, les élections régionales le placent régulièrement en deuxième

position dans les NBL (devant le SPD en Thuringe et en Saxe, ainsi que dans la partie

orientale de Berlin ; devant la CDU dans le Brandebourg en 2004). A l’Ouest, il émerge en

Rhénanie du Nord-Westphalie et est présent à Brême depuis 199047.

Depuis 1994, l’électorat du PDS n’est plus composé des « perdants de l’unification ».

C’est désormais un Volkspartei qui, à l’instar du SPD et de la CDU, recrute dans tous les

groupes sociaux, dans une proportion similaire48. L’une des spécificités du PDS est la

disproportion persistante entre l’âge de son électorat et celle de ses membres. Malgré la

surreprésentation de retraités, son électorat est plus jeune que ses adhérents. Son électorat est-

allemand répond à trois motivations principales liées à l’identité, à la protestation et à la

proximité. Il y a adéquation entre le vote PDS et l’expression d’une identité politique et

collective est-allemande.

Si cette installation du PDS modifie le paysage partisan pan-allemand, il bouleverse

également l’identité des ennemis de la République fédérale identifiés dès l’après-guerre.

L’extrémisme, ennemi de la République fédérale

Le paradigme de l’ennemi est marqué du sceau de son utilisation par les systèmes

totalitaires. La théorisation scientiste du juif-ennemi a permis à l’Allemagne nazie de

renforcer l’entre-soi populaire en réactivant un sentiment identitaire annonciateur d’un destin

commun49 ; l’Union soviétique a usé à outrance de l’image de l’ennemi pour asseoir son

47 En ce qui concerne la progression du PDS dans les Länder occidentaux, voir l’Annexe liminaire, tableau 1. 48 La notion de Volkspartei, qui a acquis en Allemagne une valeur analytique et normative, désigne un parti politique dépassant les clivages confessionnels et de classe. Pour O. Kirchheimer, dont les travaux sont à l’origine du terme, le Volkspartei succède en effet à la fois aux partis bourgeois et aux partis apparus dans les années 1920-1930 dont la caractéristique est d’intégrer les masses (Massenintegrationspartei). Après la Seconde Guerre mondiale, un nouveau type de partis naît de l’acceptation des lois du marché politique. Le Allerweltspartei, que Kirchheimer appelle également catch-all-party, remplace alors ces partis. C’est un Volkspartei en cela qu’il prétend intégrer au système politique établi non une classe sociale déterminée, mais bien le peuple. Cette mue en Allerweltspartei, qui implique le dépassement des intérêts de groupe, « est un produit de la compétition », donc de la démocratie représentative. Le Allerweltspartei de Kirchcheimer est une fiction, en partie car il implique la désidéologisation des entreprises partisanes. Dans la réalité, les partis prennent la forme de Volkspartei. O. Kirchheimer : « Der Wandel des europäischen Parteiensystems ». Politische Vierteljahresschrift, 1965, pp. 20-41. Le Volkspartei correspond au parti de masse dans la classification de M. Duverger (Les partis politiques. Le Seuil, 1951). Les termes de « grand parti populaire » ou de « parti interclassiste » évoqué par P. Perrineau au sujet du Front national de J-M. Le Pen seraient plus proches du mot allemand. 49 L’ennemi, objectivé, est ennemi « de l’Histoire ou de la Nature, de la classe ou de la race » H. Arendt : Les origines du totalitarisme. Le système totalitaire (3ème partie). Seuil, 1972, p. 210. L’ennemi commun définit en

Page 29: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

15

pouvoir. Dans une démocratie représentative pluraliste caractérisée par la notion

d’affrontement partisan telle que la « démocratie des partis » allemande (Parteiendemokratie),

quelle place reste-t-il à l’ennemi ? Nous verrons qu’en République fédérale d’Allemagne, la

notion d’inimitié est intimement liée à celle d’extrémisme.

Proche, intime, infiltré ou de l’intérieur, l’ennemi est davantage qu’une production

discursive. C’est une catégorie nommée, identifiée, mise en scène par le politique. Pour son

théoricien en politique, Carl Schmitt, il est le critère du politique. De la même manière que le

couple beau / laid conditionne l’esthétisme, bien / mal, la morale, l’existence d’un ami et d’un

ennemi est la marque de l’existence du fait politique50. La complexité de la réception de la vie

et de l’œuvre de C. Schmitt témoigne de l’ambiguïté de l’usage fait de l’ennemi en politique,

certains s’appuyant sur la proximité initiale de l’homme avec le régime nazi pour déceler dans

sa théorisation des ferments totalitaires.

Dans la conception schmittienne, l’ennemi public (hostis et non inimicus au sens plus

large de « rival personnel, privé, que l’on hait et pour qui on ressent de l’antipathie »51), en

tant que référent extérieur, a des effets structurants sur l’Etat. Ce n’est pas tant la structuration

autour du clivage ami-ennemi qui fait le politique, que sa finalité, c’est-à-dire la manière dont

la figure de l’ennemi est soumise au combat politique.

Des institutions qui permettent l’interdiction de partis politiques anticonstitutionnels

La RFA confère à la figure de l’ennemi un statut particulier. Au moment de

l’élaboration de la Loi fondamentale (Grundgesetz), dans le contexte de l’après-nazisme, les

leçons sont tirées de l’échec de la République de Weimar (1918-1933), qui a permis l’accès

de Hitler au pouvoir. En premier lieu, la Loi fondamentale, promulguée dès 1949, reconnaît

que la démocratie fondée sur le respect des droits et l’acceptation du pluralisme des valeurs

n’est pas en mesure de faire face à l’ennemi sans renoncer à quelques uns de ses principes.

Elle définit des critères d’inimitié en établissant la notion d’ennemi de la constitution

(Verfassungsfeind). Cette énonciation a une vocation pédagogique ; la création de

outre l’appartenance à une culture commune. Selon E.C. Hugues, « une culture se constitue chaque fois qu’un groupe de personnes mène une existence en partie commune, avec un minimum d’isolement par rapport aux autres, une même position dans la société et peut-être un ou deux ennemis en commun.» E. C. Hughes : Student’s Culture and Perspectives: Lectures on Medical and General Education. Lawrence Kansas: University of Kansas Law School, 1961, pp. 28-29. 50 C. Schmitt : La notion de politique (Der Begriff des Politischen). Flammarion, 1992. Sur sa réception, cf. H. Quaritsch (dir.) : Complexio Oppositorium. Über Carl Schmitt. Berlin: Duncker & Humblot, 1988. 51 C. Schmitt : op.cit., p. 67.

Page 30: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

16

mécanismes institutionnels doit pallier l’immaturité politique des citoyens. L’extension de

cette vocation éducative dans le contexte de démocratisation des nouveaux Länder réactualise

ce critère du politique de la RFA, marqué par l’opposition entre les démocrates (amis) et les

extrémistes (ennemis)52.

La République fédérale se définit comme une démocratie « en état de se défendre » ou

« vaillante »53. La Loi fondamentale prévoit des mécanismes de protection de l’ordre

démocratique : elle garantit le respect de certains principes constitutionnels –qu’aucune

majorité parlementaire ne peut modifier- tels que la dignité de l’homme (article 1) et les

principes de démocratie, d’Etat de droit, d’Etat fédéral et d’Etat social (article 20). Ce noyau

constitutionnel est garanti par une « clause d’éternité » (article 79§3).

La Loi fondamentale prévoit en outre la possibilité d’interdire des organisations ou

partis politiques extrémistes. Après observation, l’Office de protection de la Constitution

(BfV- Bundesamt für Verfassungschutz), qui relève du ministère de l’intérieur, informe les

pouvoirs publics sur l’existence et les activités d’organisations susceptibles de représenter un

danger pour la République54. Le Tribunal constitutionnel fédéral (Bundesverfassungsgericht)

se prononce sur la constitutionnalité des partis ; une décision négative de sa part entraîne

l’interdiction dudit parti55.

Le clivage extrémiste/ démocratique au cœur du système de défense de la RFA

Ces dispositions permettent à la démocratie allemande de se protéger des organisations

extrémistes et définissent précisément la limite, au-delà de laquelle il est question

d’extrémisme56.

52 Tel est le sens du travail de C.-L. Buis : L’extrême droite en Allemagne, figure de l’ennemi intérieur ? L’interdiction du NPD et la question du pluralisme dans un cadre démocratique. Mémoire de DEA de Pensée politique, IEP Paris, dir. : M. Sadoun, 2001. 53 « Wehrhaft » et « streitbar ». Voir H.-G. Jaschke : Streitbare Demokratie und innere Sicherheit. Opladen, 1991. 54 Ces dispositifs de surveillance se retrouvent au niveau des Länder. Une organisation régionale peut être interdite au niveau du Land. 55 L’article 21 de la Loi fondamentale, §2 stipule : « Les partis qui, d’après leur programme ou d’après le comportement de leurs sympathisants tendent à porter atteinte à l’ordre fondamental démocratique et libéral ou à le supprimer, ou encore à mettre en péril l’existence de la République fédérale d’Allemagne, sont anticonstitutionnels. Il appartient au Tribunal constitutionnel fédéral de se prononcer sur la question de l’anticonstitutionnalité. » 56 S. M. Lipset, E. Raab: The politics of unreason : right-wing extremism in America, 1790- 1970. New-York: Evanston et Londres: Harpers & Row, 1970. Voir aussi P. Merkl, L. Weinberg: Encounters with the political Radical right. Boulder (Colorado), 1993.

Page 31: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

17

Deux définitions de l’extrémisme sont en concurrence en Allemagne. L’une relève de la

terminologie administrative et juridique, l’autre est utilisée dans les sciences sociales. La

première définit l’extrémisme par rapport à l’ordre démocratique libéral établi, tel que précisé

par le Tribunal constitutionnel fédéral57. Sont considérées comme extrémistes les initiatives

« dirigées contre l’ordre démocratique libéral établi, contre la pérennité ou la sécurité du Bund

ou d’un Land ou encore qui sont contraires à la loi parce qu’elles ont pour but de porter

préjudice à la gestion des organes constitutionnels par le Bund ou un Land »58. Toute tentative

de renversement du régime en place constitue potentiellement une menace extrémiste59. C’est

sur la base de cette définition de l’extrémisme que la terminologie juridique justifie le

caractère anticonstitutionnel (verfassungswidrig) d’une organisation politique. Cette

définition trouve un écho dans certains milieux scientifiques prolixes et contestés60.

L’extrémisme est alors en premier lieu « un terme fourre-tout pour diverses tentatives anti-

démocratiques » qui ont en commun le refus de l’Etat démocratique constitutionnel61. La base

normative de cette qualification rend scientifiquement problématique son application à des

phénomènes ayant existé en RDA, puisque le terme n’existe pas en dehors du système régi

par la Loi fondamentale.

L’autre conception, celle des sciences sociales, est propre aux spécialistes de l’extrême

droite, qu’ils définissent comme « l’ensemble des opinions, des comportements et des actions,

organisés ou non, qui revendiquent l’inégalité entre les hommes, basée sur des préceptes

racistes ou ethniques, qui exigent l’homogénéité ethnique des peuples et rejettent le principe

d’égalité de la déclaration des droits de l’homme, qui insistent sur la préséance de la

communauté sur l’individu et la soumission du citoyen à la raison d’Etat, enfin qui rejettent le

pluralisme des valeurs existant en démocratie libérale et remettent en cause la

57 L’ordre démocratique libéral établi (freiheitliche demokratische Grundordnung) se caractérise par le respect des huit principes suivants : les droits de l’homme, la souveraineté populaire, la séparation des pouvoirs, la responsabilité du gouvernement, l’égalité de l’administration, l’indépendance des tribunaux, le pluralisme des partis et l’égalité des chances des partis, y compris dans la liberté d’opposition. 58 R. Stöss : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland. Bonn : Friedrich-Ebert-Stiftung, 1999, p. 16. 59 Si l’on applique cette définition au cas français, sans distinguer le régime du respect de ses principes, les partisans socialistes d’une VIème République (La Convention pour la VIème République, présidée par A. Montebourg) entrent dans la catégorie des extrémistes puisqu’ils prônent la disparition du système en vigueur. « La C6R est une machine à transformer la République. […] La C6R n’aura plus de vocation d’être lorsqu’une nouvelle Constitution, rompant avec les travers de la 5ème, sera soumise aux Français par référendum » peut-on lire à la rubrique « Qu’est-ce que le C6R ? » de son site http://www.c6r-fr.org/rubrique.php3?id_rubrique=1 (06.09.2005). 60 Avant tout U. Backes et E. Jesse : Politischer Extremismus in der Bundesrepublik. Bonn: Bundeszentrale für politische Bildung, 1993. Cette définition se rapproche de la « théorie de l’extrémisme » qui met sur le même plan l’extrême droite et l’extrême gauche. 61A. Pfahl-Traughber : Rechtsextremismus in der Bundesrepublik. Munich : Beck, 1999, p. 12 et 17.

Page 32: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

18

démocratisation elle-même »62. L’approche qui prévaut actuellement dans les sciences

sociales allemandes se prête particulièrement à l’analyse d’un contexte de transition

démocratique. L’extrême droite y est appréhendée comme une réponse aux exigences de la

modernité en termes de concurrence et de productivité, donc d’exclusion a contrario63.

C’est à cette seconde définition que nous nous référons. Elle recouvre ce que nous

englobons ici sous l’appellation « extrême droite ». En dépit de l’évolution de la science, qui

se réfère de plus en plus à la notion de droite radicale64, le terme d’extrême droite est utilisé à

dessein dans le contexte allemand pour plusieurs raisons. D’abord car l’adjectif radical

qualifie également, de manière positive, un acte ou une pensée absolus, « qui vise(nt) à agir

sur la cause profonde des effets qu’on veut modifier »65. Certains extrémistes de droite

allemands utilisent cet argument précisément pour échapper à la qualification d’extrémisme,

qui a une valeur non seulement analytique, mais juridique en RFA, puisqu’associé à l’adjectif

« anticonstitutionnel » (verfassungswidrig), il qualifie des mouvements susceptibles d’être

interdits. Le terme semble faible pour rendre compte de tendances néo-nazies nostalgiques du

Troisième Reich et violentes comme les Skinheads. En outre, ce terme générique est

précisément utilisé, parce qu’il permet d’englober des réalités aussi diverses que les partis

nationalistes post-industriels et les phénomènes émergents en Europe centrale et orientale66.

Quatre éléments idéologiques constituent la base commune aux différentes formes

d’extrême droite : une conscience excessive de son appartenance ethnique, une idéologie

inégalitaire (ces deux aspects incluant le nationalisme et le racisme), ainsi que deux

caractéristiques qu’elle a en commun avec l’extrême gauche : l’antipluralisme et

l’autoritarisme. L’extrême droite est ainsi à la fois une idéologie et un mode de vie

62 H-G. Jaschke : Rechtsextremismus und Fremdenfeindlichkeit. Opladen: Westdeustcher Verlag, 1994, p. 31. Cette définition présente l’avantage de ne faire de référence explicite ni au National-Socialisme ni à l’antisémitisme tout en les incluant dans une définition plus large, ce qui rend possible le dépassement du seul cadre allemand. Sur la notion d’extrémisme dans la science politique allemande, voir la synthèse de A. Pfahl-Traughber : « Der Extremismusbegriff in der politikwissenschaftlichen Diskussion- Definitionen, Kritik, Alternativen » in U. Backes, E. Jesse (dir.) : Extremismus und Demokratie 4. Bonn, 1992, pp. 67-86. En langue française, une bonne analyse du phénomène d’extrême droite en Allemagne est livrée par les contributions de M. Minkenberg, U. Backes et D. Loch in P. Perrineau (dir.) : Les croisés de la société fermée. L’Europe des extrêmes droites. Editions de l’Aube, 2001. 63 Nous reviendrons sur ce mode d’explication et renvoyons ici aux travaux de E. Scheuch, H-D. Klingemann et M. Minkenberg indiqués en bibliographie. 64 Le terme est notamment employé par M. Minkenberg : Die neue radikale Rechte im Vergleich. Opladen/ Wiesbaden : Westdeutscher Verlag, 1998. P. Perrineau, dans sa préface souligne l’emploi de ce terme par H.-G. Betz : La droite populiste en Europe : extrême et démocrate ? Editions Autrement, 2004, pp. 7-12. 65 Dictionnaire Le Petit Robert. 66 Voir le débat sur l’extrême droite dans les pays en transition amorcé par T. Beichelt, M. Minkenberg : « Rechtsradikalismus in Transformationsgesellschaften. Entstehungsbedingungen und Erklärungsmodell ». Osteuropa, 3, 2002, pp. 247-262.

Page 33: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

19

idéologico-culturel, avéré ou souhaité67. Une étude de l’extrême droite nécessite que soient

pris en compte quatre éléments centraux : les idées, l’organisation, le comportement électoral

et le comportement protestataire et provocateur. Ci-dessous est reproduite sous forme de

schéma l’imbrication des convictions et du comportement dans l’adhésion individuelle à

l’extrême droite.

Les dimensions couvertes par l’extrême droite68

Cette dualité de l’extrême droite doit ici être considérée comme sa caractéristique

centrale. Elle peut être à la fois opinion et action, mais ne doit pas l’être forcément

simultanément. Dans les NBL en effet, les convictions restent en 2005 plus répandues que les

comportements. L’adhésion à l’extrême droite nécessite la combinaison des convictions et du

comportement. La xénophobie n’implique pas systématiquement l’appartenance à l’extrême

droite. C’est précisément ce qui est caractéristique de l’extrême droite est-allemande : c’est

parce que la xénophobie y est banalisée que l’extrême droite se construit et peut se

développer.

Deux formations politiques ont fait l’objet d’une interdiction. Le SRP (Sozialistische

Reichspartei), formation d’extrême droite dirigée par d’anciens nazis, est interdit le 23

octobre 1952 après une plainte déposée par le gouvernement fédéral. Dans le même

mouvement, le parti communiste KPD est interdit en 1956, les juges de Karlsruhe considérant

67 L’extrême droite fait par ailleurs partie de la culture politique allemande selon R. Stöss : Die extreme Rechte in der Bundesrepublik Deutschland. Entwicklung - Ursachen - Gegenmassnahmen. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1989. 68 Extrait et traduit de O. Niedermayer, R. Stöss : Rechtsextremismus, politische Unzufriedenheit und das Wählerpotential rechtsextremer Parteien in der Bundesrepublik im Frühsommer 1998. Berlin : Freie Universität Berlin: Arbeitspapier des Otto-Stammer-Zentrums, 1998, p. 5.

Extrême droite

Convictions Comportement

Autoritarisme Nationalisme Xénophobie :

ethnique raciste socio-économique

Antisémitisme Pronazisme

Comportement électoral

Militantisme

Violence/ Terreur

Protestation/ Provocation

Page 34: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

20

que le marxisme-léninisme est incompatible avec « l’ordre fondamental, libéral et

démocratique ». Ils évoquaient en outre une propension naturelle de ce parti, en raison de son

idéologie, à commettre des actes anticonstitutionnels. Le système de défense de la RFA est

prévu pour prévenir les dangers de l’extrémisme venant des deux bords (extrême droite et

extrême gauche). L’arrivée du PDS, héritier du SED, dans la vie politique du pays devrait par

conséquent avoir des effets sur ce système de protection de l’ordre établi en RFA.

Retombées sur l’acceptation du PDS au sein du nouveau paysage politique

La protection de l’ordre libéral démocratique implique une certaine limitation de la

liberté d’expression. Ses ennemis ne doivent en effet pouvoir utiliser les armes de la

démocratie pour la combattre. Ces restrictions, qui trouvent leur légitimation dans le contexte

antifasciste de l’après-nazisme, s’étendent également aux communistes. A cette époque, face

aux libertés supprimées à l’Est, l’anticommunisme est d’abord synonyme de défense d’un

régime démocratique fondé sur la liberté et le pluralisme. L’anticommunisme contribue à

stabiliser le régime démocratique en RFA, sans pour autant être instrumentalisé et érigé à un

rang semblable à celui de l’antifascisme en RDA, sur lequel nous reviendrons. La valeur

centrale, fondatrice de la RFA est la démocratie. Durant la Guerre froide, l’anticommunisme

renforce l’insertion de la RFA au sein du bloc occidental et ancre le système de la démocratie

parlementaire dans la conscience politique du pays. Il influence également la politique

intérieure, les revendications économiques de la gauche en faveur notamment d’une

amélioration du régime de la propriété pouvant être discréditées comme tendanciellement

communistes. L’anticommunisme dépassait ainsi le simple rejet, légitime, des prétentions

politiques des communistes pour devenir non seulement une idéologie, mais encore

l’instrument de la discipline sociale69.

Si l’unification n’a pas modifié la stricte définition de l’extrémisme prévalant en

Allemagne, elle en a élargi le champ des possibles. La présence du PDS au sein des

institutions politiques de la RFA trouble l’appréhension de l’extrémisme politique.

69 W. Hofmann : Stalinismus und Antikommunismus. Zur Soziologie des Ost-West-Konflikts. Francfort sur le Main : Suhrkamp, 1970. Voir également H. Hurwitz (dir.) : Demokratie und Antikommunismus in Berlin nach 1945. Cologne : Verlag Wissenschaft und Politik, 4 volumes édités entre 1983 et 1990.

Page 35: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

21

Parce qu’il « dispose du quasi-monopole de désignation de l’ennemi intérieur au sein de

la RFA »70, l’Office de protection de la Constitution (BfV) régule le paysage politique fédéral.

Il contribue à la diabolisation des partis qu’il exclut de la catégorie des partis institutionnels.

Le PDS est certes considéré par le BfV comme un parti démocratique71, mais il continue à être

sous surveillance par l’intermédiaire de certaines de ses composantes, classées dans les

rapports annuels du BfV comme d’extrême gauche72. La défiance à l’égard de la nature

extrémiste du PDS repose sur deux points principaux. D’une part, le PDS assume l’héritage

du SED. Pour le BfV, né de la Guerre froide, la défense de la tradition de la RDA, étrangère

voire opposée à celle de la RFA, suffit à stigmatiser le PDScomme un parti extrémiste par

essence. D’autre part, son action fédératrice sur l’ensemble de la mouvance reconnue comme

d’extrême gauche le rend suspect.

Le PDS ironise sur ce thème en adoptant des slogans tels que : « Votez PDS, personne

ne le saura »73. La stigmatisation du PDS sur le seul fondement de sa filiation originelle au

SED est synthétisée à travers l’expression de « chaussettes rouges » (rote Socken) qui, en

Allemagne, désigne communément les communistes. Le terme est utilisé par la CDU dès

1994 pour désigner les membres et dirigeants du PDS, suspectés de continuer à défendre le

communisme de la RDA. Seule la couleur des chaussettes, qui peut facilement être tenue

secrète, dévoile les vraies visées des dirigeants du PDS. S’il est difficile de croire que la CDU

espère encore réellement de ce fait fédérer les milieux conservateurs en brandissant la menace

communiste issue de la Guerre froide, l’image est utile pour dénoncer un éventuel

rapprochement du SPD avec le PDS74. Cette stratégie s’avère être une bonne publicité pour le

PDS, qui sait détourner ces attaques à son avantage75.

70 P-Y. Boissy : op. cit., p. 439. 71 Seul le Land de Bavière le classe dans les partis extrémistes. 72 Se reporter aux rapports annuels du BfV (Bundesamt für Verfassungschutz) et de ses pendants régionaux. Les principaux pôles extrémistes dénoncés par le BfV sont la plateforme communiste KPF du PDS, ses groupes de travail AG Junge GenossInnen et Autonome Gruppen, le Forum marxiste de U.J. Heuer, ainsi que de manière plus vague les membres du PDS issus de la scène d’extrême gauche de l’ancienne RFA. 73 « Wählen Sie PDS, es sieht ja keiner ». M. Brie, M. Herzig, T. Koch (dir.): Die PDS- Postkommunistische Kaderorganisation, ostdeutscher Traditionsverein oder linke Volkspartei? Cologne : Payrossa Verlag, 1995, p. 151. 74 Après une campagne sur ce thème qui s’avère peu efficace en 1998, la CDU y renonce en 2002 pour se concentrer plus directement sur le SPD. 75 La CDU adopte comme slogan « En avant… mais pas avec des chaussettes rouges » (Auf in die Zukunft...aber nicht auf roten Socken). Le PDS réagit avec : « Chaussettes rouges : pieds au chaud » (Rote Socken : Warme Füsse). Le SPD qui, à quelques jours seulement de la création du premier cabinet minoritaire en Saxe-Anhalt toléré par le PDS se sent indirectement attaqué, contre-attaque avec: « 100% tricoté mains » (Alles selbstgestrickt).

Page 36: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

22

La notion d’ennemi est ainsi au centre de la manière dont le PDS est perçu dans la vie

politique et sociale de la fédération. Le fait d’être soupçonné d’être un ennemi de la nation

encourage le PDS à mettre en scène l’extrême droite comme l’ennemi de la République

fédérale. Ce mouvement est en outre conforté par la tradition antifasciste héritée de la RDA.

Présentation des enjeux : Pourquoi l’extrême droite incarne-t-elle l’ennemi pour le PDS ?

« Dis, Papa, j’ai entendu que tu avais été très courageux pendant la période nazie. Alors, pourquoi as-tu été si lâche au SED en tant qu’antifasciste ? » 76

Comparativement aux autres partis allemands, la spécificité du PDS face à l’extrême

droite réside dans l’utilisation qu’il fait d’un antifascisme hérité du SED. C’est sur la valeur

antifasciste que le PDS bâtit son opposition de principe à l’extrême droite. Nous verrons donc

le rôle joué par l’antifascisme en RDA, avant de nous intéresser aux conséquences de cette

propagande du SED sur l’émergence de l’extrême droite en RDA et la forme qu’elle prend par

la suite dans les nouveaux Länder.

L’héritage antifasciste du PDS ou les usages politiques de la doctrine antifasciste en RDA

L’antifascisme est utilisé par le SED dès 1945, pour légitimer et asseoir le pouvoir des

communistes dans la zone d’occupation soviétique, puis en RDA. Cette période entre 1946 et

1948, qui constitue « l’enfance idéalisée du SED »77, est qualifiée de phase antifasciste-

démocratique. Elle se déroule en parallèle d’un processus de dénazification qui n’exclut pas

entièrement les anciens nationaux-socialistes de la construction du nouvel Etat socialiste. Un

parti politique, le NDPD, est en effet créé dans le but de les intégrer au nouveau système.

76 La question est posée après 1989 par le fils cadet de Fred Löwenberg, connu pour ses convictions antifascistes. Interné à Buchenwald pour son adhésion au communisme et en raison de ses origines juives, il se tourne en 1960 vers le KPD (interdit en 1956) après avoir été exclu du SPD de la RFA. En 1969, il émigre en RDA (Berlin-Est). C. V. Ditfurth: Ostalgie oder linke Alternative. Meine Reise durch die PDS. Cologne: Kiepenheuer und Witsch, 1998, p. 159. 77 P-Y. Boissy : op.cit., p. 28.

Page 37: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

23

Le mythe fondateur légitimant l’exercice du pouvoir par le SED78

Le terme d’antifascisme, communément défini comme la lutte contre la domination

fasciste existante ou menaçante, apparaît en même temps que le mouvement fasciste, soit en

1919-1920 en Italie et en 1922-1923 en Allemagne79. Désignant à l’origine l’ensemble des

opposants à Mussolini, la notion est revisitée au fil des ans à travers le prisme théorique du

matérialisme historique80. Déformé, l’antifascisme se transforme en un instrument fondant

idéologiquement l’action communiste81. Dans la terminologie marxiste, le terme de fascisme

désigne une dictature capitaliste qui cherche à s'opposer à la voie sacrée du communisme.

La propagande antifasciste développée par le SED s’appuie sur l’approche marxiste du

fascisme théorisée par le fonctionnaire bulgare du Komintern Georgi Dimitrov. Elle voit le

jour en 1924 dans le cadre des tentatives du parti communiste allemand, le KPD

(Kommunistische Partei Deutschland), de créer un Front populaire contre le fascisme

émergent. Rapidement reprise par les divers courants communistes à travers le monde, elle est

acceptée comme doctrine marxiste-léniniste officielle. Lors du VIIème Congrès mondial de

l’Internationale Communiste en 1935, Dimitrov définit le fascisme au pouvoir comme « la

dictature ouvertement terroriste des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins et les

plus impérialistes du capital financier »82.

Cette définition ignore (ou feint d’ignorer) la conjoncture psychosociale qui a permis

l’arrivée de Hitler au pouvoir et en particulier l’appui des classes moyennes sur lequel le

fascisme a bâti son succès. Le National-socialisme n’est alors plus perçu comme un

phénomène spécifique de l’histoire allemande, puisque les conditions de son apparition sont

78 Sur l’antifascisme de la RDA, voir S. Meuschel : Legitimation und Parteiherrschaft. Zum Paradox von Stabilität und Revolution in der DDR 1945-1989. Francfort sur le Main : Suhrkamp, 1992. 79 Le fascisme, considéré ici dans une acception large, désigne un système de domination nationaliste à l’extrême, anti-libéral et anti-marxiste organisé selon le principe du « Führer » ou leader charismatique. 80 Dans la théorie socialiste, le fascisme n’est qu’une période intermédiaire dans l’histoire mondiale entre le capitalisme et le socialisme, période durant laquelle les composantes les plus agressives et réactionnaires du capital sont au pouvoir. Selon le dictionnaire philosophique marxiste, référence en RDA, édité par G. Klaus et M. Buhr, « Le fascisme est la réaction de la bourgeoisie impérialiste aux changements dans les rapports de forces apparus depuis le début de la crise générale du capitalisme, depuis la victoire de la grande révolution d’octobre qui a déclenché la transition du capitalisme au socialisme. » G. Klaus, M. Buhr (dir.) : Philosophisches Wörterbuch, Leipzig, 1964, 2 vol. 81 Sur les origines historiques de la notion et pour une dénonciation de l’appropriation communiste du terme qu’il suggère de remplacer par « antitotalitarisme » ou « antiextrémisme », niant ainsi sa portée historique et en cela son devoir particulier de mémoire, voir U. Backes : « Antifaschismus- Anmerkungen zu Begriff und Geschichte » in : M. Agethen, E. Jesse, E. Neubert (dir.) : Der mißbrauchte Antifaschismus. DDR-Staatsdoktrin und Lebenslüge der deutschen Linken. Freibourg/ Basel/Vienne: Herder, 2002, pp. 31-39. 82 H. Münkler : « Antifaschismus und antifaschistischer Widerstand als politischer Gründungsmythos der DDR ». APUZ, 45, 1998, pp. 16-29, p. 16.

Page 38: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

24

élargies à l’ensemble de l’Europe. D’après l’analyse de Dimitrov, si le fascisme a pris en

Allemagne une forme plus aboutie qu’en Italie ou en Espagne83, c’est parce que la lutte des

classes entre la bourgeoisie et le prolétariat y avait atteint un stade plus avancé. La RDA a

ainsi universalisé le passé national-socialiste84.

De l’armistice signé le 8 mai 1945 à la création de la RDA, les communistes sous tutelle

soviétique puis le SED font un usage rationalisé de la dictature (nazie). Dans la zone

d’occupation soviétique (SBZ-Sovjetische Besatzungszone), l’antifascisme version Dimitrov

est au cœur de la dénazification85. Les mesures d'épuration se caractérisent par la distinction

opérée entre les « activistes » (responsables nationaux-socialistes et membres ayant adhéré

avant 1937) et les « simples membres ». Ceux-ci étaient soit membres du NSDAP (National-

Sozialistische Deutsche ArbeiterPartei, parti national-socialiste de la classe ouvrière, le parti

d’A. Hitler), soit ils appartenaient aux organisations et institutions sous contrôle du parti nazi

(essentiellement l’armée et la police, c’est-à-dire la Wehrmacht, les SS et la Gestapo). Ces

activistes sont exclus des services publics, leur retraite et leurs moyens de subsistance

réduits86. Un certain nombre de personnes est condamné pour crimes de guerre ou crimes

contre l’humanité. Les directives prévoient par contre d’épargner aux simples membres les

mesures de répression87. En évitant aux anciens membres d’organisations nazies de souffrir de

mesures judiciaires, les nouveaux dirigeants espèrent les intégrer à la reconstruction

démocratique du pays. Dans la SBZ, les commissions de dénazification sont levées le 10 avril

1948 en SBZ, la force d’occupation soviétique est ainsi la première à mettre officiellement fin

83 Au point de devenir totalitarisme. Voir l’analyse désormais classique d’H. Arendt à ce sujet. Le système totalitaire. (Les origines du totalitarisme, tome 3) Paris, Le Seuil, 1979. 84 Selon R. Lepsius, les trois Etats issus de la chute du Grand Reich (Großdeutsches Reich), soit la République autrichienne, la RDA et la RFA ont géré différemment le passé national-socialiste. Le National-socialisme s’est trouvé externalisé en Autriche où il a été appréhendé comme un phénomène venu de l’extérieur ; en RFA, on l’a internalisé c’est-à-dire accepté comme partie intégrante de sa propre histoire et la RDA l’a traduit en lutte des classes. R. Lepsius : « Das Erbe des Nationalsozialismus und die politische Kultur der Nachfolgestaaten des "Grossdeutschen Reiches" » in M. Heller [et al.] (dir.) : Kultur und Gesellschaft (Culture et société), Francfort sur le Main, p. 247 et s. 85 La première initiative des forces d’occupation alliées mises en place en application des accords de Postdam vise le renouvellement des élites. Il s’agit de veiller à l’élimination du nationalisme et du militarisme, d’assister la création d’administrations locales et centrales par une instance alliée de contrôle (Kontrollrat) et de prendre le contrôle de l’industrie. Pour créer les conditions nécessaires à l’organisation d’une vie sociale, il convient d’éloigner les fonctionnaires et membres du NSDAP, parti national-socialiste, de la fonction publique. Malgré le programme commun de dénazification établi par les Alliés, le résultat s’avère différent dans les quatre zones d’occupation, conformément aux perceptions et projets sociaux-politiques de chacune des puissances vainqueurs. 86 Outre les mesures matérielles prises à leur encontre (demandes d’indemnisations, intensification du travail d’intérêt public dans le cadre de l’effort de reconstruction), ils sont déchus de leurs droits politiques, l’appartenance à un parti politique ou à un syndicat leur fut notamment interdite. 87 L’ordre 201 du 16 août 1947 rend seulement passibles de sanctions les nazis actifs. Les simples membres regagnent quant à eux par cette directive le droit de vote ainsi que la plupart de leurs droits civiques et politiques.

Page 39: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

25

aux mesures de dénazification. Dans la pratique, cette décision revient à amnistier ceux qui, à

cette date, ont échappé aux mesures répressives88.

Dans la phase de construction : L’antifascisme pour dépasser le sentiment de culpabilité lié au nazisme

L’aura acquise par les communistes résistants au régime national-socialiste au retour de

leur exil moscovite leur permet de mettre en place sur le sol allemand un système élaboré sous

étroite surveillance soviétique. Durant la période de transition allant de la zone d’occupation

soviétique à la proclamation officielle de la RDA par le Conseil d’Etat (Volksrat) en octobre

1949, l’antifascisme sert à présenter la RDA comme la « bonne » Allemagne et par là même à

légitimer l’établissement d’un Etat satellite de l’Union Soviétique et son allégeance à cette

dernière89.

Non seulement la population est-allemande s’est trouvée de facto dénazifiée par la

simple condamnation de ceux qui avaient servi l’Etat nazi, mais elle s’est vue lavée de tout

soupçon moral par la seule théorie communiste du fascisme. La retombée la plus flagrante de

cette théorie est le mythe fondateur antifasciste de la RDA. Hitler, et avec lui la faute du

Troisième Reich, devenaient ouest-allemands. Ainsi, le mythe de création antifasciste de la

RDA a été conçu en premier lieu comme une épuration de la mémoire collective. Mis en

avant comme « fondement idéologique de la légitimité de la RDA », l’antifascisme, « cette

légende héroïque servait aussi à occulter la mémoire de l'adhésion massive au nazisme »90. La

théorie du matérialisme historique retirait toute responsabilité aux individus. L'élément

principal de cet acquittement est l'oubli du génocide perpétré à l'encontre des Juifs, ignoré par

le Komintern91. Le fait que la RFA se considère comme le successeur officiel du Troisième

88 Le 9 novembre 1949, l’organe législatif de la RDA (la Volkskammer) inscrit l’ordre de fin de dénazification dans son patrimoine juridique naissant. Les anciens nazis peuvent de nouveau exercer une activité professionnelle dans tous les domaines à l’exception de la justice et du ministère de l’intérieur. Ils récupèrent en cela la plénitude de leurs droits civiques. 89 Dès 1945 dans la SBZ, l’utilisation du terme d’antifascisme vise « la propagande et la réalisation de la stratégie préparée par le SED. C’est la raison pour laquelle le terme d'antifascisme en RDA regroupait non seulement cette attitude d’opposition, logique et défendable en ses termes même et par égard pour ses origines historiques, mais également le devoir de loyauté envers la politique officiellement représentée par le SED ». Voir la contribution de R. Schnell sur l’antifascisme in W. R. Langenbucher, R. Rytlewski, B. Weyergraf (dir.): Kulturpolitisches Wörterbuch Bundesrepublik Deutschland/ DDR im Vergleich. Stuttgart : J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, 1983, pp. 35-37. 90 V. Pelosse: « Ossis, Wessis: identité est-allemande ou le peuple impossible » in G. Mink, J.-C. Szurek : Cet étrange post-communisme. Ruptures et transitions en Europe centrale et orientale. Presses du CNRS-La Découverte, 1992, pp. 165-184, p. 173 et s. 91 H. Münkler : op. cit., p. 22. Sur la relation de la RDA à la communauté juive et aux victimes de l’Holocauste, voir J. Illichmann : Die DDR und die Juden. Die deutschlandpolitische Instrumentalisierung von Juden und

Page 40: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

26

Reich tant moralement (elle en reconnaît la faute) que matériellement (puisqu’elle paie des

réparations), encourage la RDA à n’engager aucun travail relatif au « devoir de mémoire »

(Vergangenheitsbewältigung).

Le prisme idéologique à travers lequel le SED appréhende le passé nazi change à partir

des années 1948-1950, avec l’adoption du modèle stalinien et autoritaire d’organisation de la

société. A la suite de la reconnaissance officielle de la RDA par Staline92, les termes de

fascisme et d'antifascisme deviennent davantage encore des instruments de propagande. Ils

sont tour à tour utilisés pour désigner la Yougoslavie (« régime fasciste de Tito »), reprocher

au gouvernement de Bonn sa « terreur fasciste » et qualifier le 17 juin 1953 de « putsch

fasciste »93. L'antifascisme conserve cette fonction de dénonciation tout au long de l’histoire

de la RDA, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières. Utilisé pour faciliter

l’intégration de groupes sociaux hétérogènes et « diffamer et marginaliser les opposants qui

malgré (ou justement grâce à) leur profession de foi antifasciste n’étaient pas disposés à

garder le silence »94, il devient un instrument de pouvoir et de domination. Il intervient

notamment dans la neutralisation des adversaires. Appréhendé comme une composante de la

lutte internationale des classes, l’antifascisme s’avère constitutif de l’Etat est-allemand. Il

légitime le système aussi bien à l’intérieur qu'à l’extérieur de ses frontières. En matière de

politique extérieure, il justifie avant tout la distance prise avec la République fédérale. Fort de

ce principe, le mur de Berlin est qualifié de « mur de protection antifasciste », ce qui suffit

aux yeux des autorités à en légitimer la construction le 13 août 196195.

Judentum durch die Partei- und Staatsführung der SBZ.DDR von 1945 bis 1990. Francfort sur le Main : Peter Lang Verlag, 1997 ; U. Offenberg : Seid vorsichtig gegen die Machthaber. Die jüdischen Gemeinden in der SBZ und der DDR 1945 bis 1990. Berlin : Aufbau-Verlag, 1998; A. Timm: Jewish Claims against East Germany. Moral Obligations and Pragmatic Policy. Budapest : Central European University Press, 1998. 92 « La création de la RDA pacifiste représente un tournant dans l’histoire de l'Europe » écrit Staline dans son télégramme de félicitations à l’occasion de la naissance de la RDA en 1949. 93 A la suite de la protestation populaire sévèrement réprimée le 17 juin 1953, les autorités est-allemandes se donnent beaucoup de mal pour prouver que les manifestants et le comité qui appellent à la grève étaient dirigés et manipulés par d’anciens nazis. La « commandeuse » Erna Dorn, libérée de prison le jour même du soulèvement, fut présentée comme la principale responsable des évènements, en sa qualité d’ancienne surveillante du camp de concentration féminin de Ravensbrück (dont tout prête à croire qu’il s’agit d’une invention des services secrets). W. Schubarth, T. Schmidt : « ’Sieger der Geschichte". Verordneter Antifaschismus und die Folgen » in K-H. Heinemann, W. Schuharth (dir.) : Der antifaschistische Staat entläßt seine Kinder. Jugend und Rechtsextremismus in Ostdeutschland. Cologne : PapyRossa Verlag, 1992, pp. 12-28. 94 M. Neureiter : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland. Eine Untersuchung sozialwissenschaftlicher Deutungsmuster und Erklärungsansätze. Marburg : Tectum Verlag, 1996, p. 36. 95 Dans le processus d’utilisation de l’antifascisme contre la RFA, un rôle particulier incombe au « Comité pour l’unité allemande » créé le 7 janvier 1954, en activité jusqu'en 1965. Lorsqu’il fut constaté que les reproches de « renazification » ne restaient pas sans effet sur la politique inter-allemande de la RDA, cette argumentation fut systématiquement utilisée contre la RFA au côté d’autres plus classiques tel le réarmement. A partir de 1958, le comité commence ainsi à mettre en avant l’argument antifasciste dans sa propagande à l’encontre de la

Page 41: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

27

L’Etat est-allemand rencontrait d’importantes difficultés pour se faire reconnaître. La

fragilité de cet Etat satellite de l’URSS était à l’origine de problèmes importants d’identité en

Allemagne de l’Est, une fragilité accrue par la ligne de conduite adoptée par la RFA en

matière de politique internationale. La RFA refuse de reconnaître la RDA et se considère

comme le seul Etat allemand légitime et habilité à représenter l’Allemagne et les Allemands

sur la scène internationale. A la suite de l’adoption de la « doctrine Hallstein » (du nom du

secrétaire d’Etat aux affaires étrangères entre 1951 et 1958) à partir de 1955, la RFA menace

de rompre ses relations diplomatiques avec tous les Etats qui entretiennent des contacts avec

la RDA. Cette doctrine est officiellement abandonnée par Willy Brandt en 1969, qui lance une

politique de détente avec l’Est (Ostpolitik).

La dénazification prive dans un second temps une partie de la bourgeoisie de ses droits

civiques, notamment du droit de vote. Au moment de la mise en place d’un système entérinant

l’hégémonie du SED, ceci est stratégiquement intéressant. Par son ordre 2 du 10 juin 1945,

l’administration soviétique en Allemagne (SMAD) autorise le rétablissement des partis

politiques et des syndicats « antifascistes » dans la SBZ. Dès le lendemain, le KPD est le

premier parti à se reformer officiellement, à travers une déclaration de son comité central.

Cette rapidité ne s’explique pas seulement par la sympathie des autorités soviétiques à son

égard. Le parti communiste a été paradoxalement préservé par son interdiction sous le

Troisième Reich. En ne faisant preuve d’aucune clémence à l’égard du KPD, les autorités

national-socialistes ont paradoxalement contribué à préserver le parti communiste allemand et

à préparer l’après nazisme. L’interdiction du KPD, comme des autres partis, suite à l’incendie

du Reichstag, qui dans le cadre d’une « révolution légale » permet la mainmise totale du

NSDAP sur l’Etat et la société, préserve le KPD. Contraints à l’exil, ses dirigeants échappent

à la répression nationale-socialiste. De plus, par l’intermédiaire du Comité national

« Allemagne libre »96 fondé à Moscou en 1943 sous l’impulsion de Walter Ulbricht (d’où son

appellation plus répandue de Groupe Ulbricht), ses dirigeants ont préparé l’après défaite.

En l’espace d’un mois, en juin 1945, les principaux partis existants sous la République

de Weimar réapparaissent officiellement pour adhérer au « bloc des partis antifascistes

démocratiques » constitué le 14 juillet 1945. Après la création de la RDA le 7 octobre 1949, le

« Bloc des partis antifascistes démocratiques » lui succède.

République fédérale. Au début des années 1960, le comité tend à instrumentaliser de manière croissante et non sans succès l’argument antifasciste, en révisant par exemple les biographies de personnes influentes. 96 Ou NKFD pour Nationalkomitee Freies Deutschland.

Page 42: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

28

Le NDPD : un « anachronisme politique »97 ou l’intégration d’anciens nationaux-socialistes au système du SED

En parallèle d’une dénazification massive, le nouveau pouvoir en RDA préserve un

vivier d’anciens bureaucrates du régime nazi. Un parti politique, le NDPD, est même créé

pour intégrer l’ennemi dans ses propres rangs. Sans doute faut-il voir dans le caractère

remédiable de l’inimitié davantage qu’une croyance toute socialiste en la bonté de l’homme et

en sa capacité à changer. Les Mitläufer, ces « suiveurs » qui se plièrent docilement aux

nationaux-socialistes sans forcément partager leur idéologie, n’acquirent jamais un poids

politique important en RDA, mais remplirent souvent des fonctions d’appoint. Petites mains,

ils contribuèrent à la mise en place du socialisme98.

Tandis que les dirigeants de la RDA dénoncent le « recyclage » d’anciens nazis au sein

des administrations et autres institutions politiques, économiques et juridiques de la

République fédérale et usent de cet argument pour stigmatiser la RFA, le SED, sous couvert

d’une véritable épuration, s’assure les services d’anciens fonctionnaires nazis, dont ils

apprécient le professionnalisme. M. Hantke évoque la « morale à deux vitesses » des

dirigeants de la RDA qui montrent du doigt la RFA tout en pratiquant le recours à d’anciens

nazis au sein des institutions est-allemandes, autant semble-t-il par réaction pragmatique au

manque de fonctionnaires compétents lavés de tout soupçon que par volonté, en les intégrant,

de les rééduquer99. Cette duplicité serait encouragée par la force d’occupation soviétique.

« Une politique d’alliance conséquente se devait d’intégrer, également sous le mot d’ordre

antifasciste, l’ensemble, fût-il impressionnant, des anciens membres du NSDAP [….]. Le

NSDAP constituait précisément un réservoir de cadres »100.

Dans ce cadre, la création du parti national-démocrate NDPD (Nationaldemokratische

Partei Deutschlands)101 est largement encouragée par le SED, car il contribue au renforcement

97 K. W. Fricke : « Partei als Anachronismus: Nationaldemokraten in der DDR ». Informationsdienst des Katholischen Arbeitskreises für Zeitgeschichtliche Fragen, 104, 1980, pp. 11-19, p. 11. 98 En 1965, 37 des 434 députés de la Volkskammer sont d’anciens membres du NSDAP, ce qui représente 8,5% des parlementaires; la même année trois ministres, deux secrétaires d’Etat et un ministre suppléant ayant appartenu à une organisation nazie font partie du gouvernement. Cinq ans après la création de la RDA, les différents districts de la RDA comptent entre 25 et 35% d’anciens membres du NSDAP ou d’organisations sous son contrôle. Selon une analyse du comité central du SED datée du 16 janvier 1954, ils représentent par exemple 26,5% de l’ensemble des adhérents du district de Magdebourg, 35.8% à Erfurt. O. Kappelt : op.cit., p. 323. 99 M. Hantke: Zur Bewältigung der NS-Zeit in der DDR. Defizite und Neubewertung. Edité par la Friedrich-Ebert-Stiftung, Bonn, 1989, p. 44. 100 O. Kappelt : Die Entnazifizierung in der SBZ sowie die Rolle und der Einfluss ehemaliger Nationalsozialisten in der DDR als ein soziologisches Phänomen. Hambourg : Kovac, 1997, pp. 533-534 et p. 561. 101 Le NDPD est un objet peu étudié, autant en histoire qu’en science politique. En marge des études réalisées sur ses adhérents et ses premières années, de nombreux aspects de cet acteur politique restent flous, notamment sa

Page 43: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

29

de sa main-mise politique sur la société est-allemande. Le 16 juin 1948, le NDP, parti

national-démocrate, section chargée de représenter les intérêts des anciens membres du

NSDAP dans la SBZ, reçoit l’autorisation officielle du SMAD de créer un parti politique.

Ainsi naît le NDPD, qui est intégré au « bloc démocratique des partis» lors de son congrès de

Postdam les 2 et 3 septembre 1948. L’influence du SED sur le NDPD est forte, notamment du

fait de la continuité de personnel avec le « Groupe Ulbricht ».

Créé pour encadrer les anciens membres du NSDAP, le NDPD s’établit bientôt comme

le parti des classes moyennes et des artisans. La fonction qui lui est dévolue avant

l’établissement du socialisme sur le territoire de la SBZ/RDA est de « rééduquer les anciennes

forces national-socialistes et d’élargir le système d’alliances du SED en y intégrant à sa base

la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie »102. Par la suite, la composante fortement anti-libérale

du parti doit permettre de rivaliser avec le parti libéral (LDPD), qui par l’étendue de son

influence politique, représente un concurrent permanent du SED. Le NDPD est ainsi un

élément important de la politique d’alliance du SED, constitutive de la stabilisation de son

pouvoir. A partir de la reconnaissance officielle en 1956 de l’achèvement de l’intégration

politique des anciens du NDSAP, le NDPD se considère comme le parti des classes moyennes

urbaines. Dès les années 1950, il regroupe majoritairement des employés et des

fonctionnaires103.

Le NDPD n’a élaboré de politique propre que durant les trois premières années de son

existence. L’apport principal de son action se limite à une revalorisation de l’idée de nation,

discréditée (entre autres notions) par la propagande national-socialiste et la capitulation de la

Wehrmacht. Cette mise en berne rhétorique de la nation possède une dimension pan-

allemande revendicative, qui traduit le regret ressenti face à la division de l’Allemagne. Parmi

les initiatives autonomes du NDPD, son engagement entre 1947 et 1948 en faveur de l’octroi

du droit de vote aux anciens membres du NSDAP mérite d’être soulignée. L’argument :

« Même celui qui s’est trompé une fois est allemand » finit par convaincre jusqu’au Conseil

populaire de la RDA (le Deutscher Volksrat) qui, dans sa décision du 14 mai 1949, tranche en

création, son financement et l’attitude de l’Union Soviétique comme du SED à son égard. Sur cette question, J. Frölich : « Transmissionsriemien, Interessenvertretung des Handwerks oder Nischenpartei ? Zu Rolle, Bedeutung und Wirkungsmöglichkeiten der NDPD » in Materialen der Enquete-Kommission "Aufarbeitung von Geschichte und Folgen der SED-Diktatur in Deutschland. Volume III/2, pp. 1542-1578. 102 Selon les termes du fameux manuel de la RDA de 1979, DDR-Handbuch, p. 761. 103 A l’inverse des militaires de haut-rang qui occupent de manière quasi-exclusive les instances dirigeantes du NDPD, les électeurs et simples adhérents du NSDAP y sont sous-représentés. Début 1950, 3916 anciens du NDSAP adhérent au SED, ils sont 8627 fin 1951, soit entre 8,5 et 11% du nombre total.

Page 44: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

30

sa faveur104. La victoire est symbolique, puisqu’en RDA, les élections ne sont qu’une occasion

privilégiée parmi d’autres (campagnes de publicité, fêtes patriotiques..) de symboliser

l’alliance nationale de l’ensemble des forces politiques et sociales du pays.

En 1952, le NDPD se proclame « national-bolcheviste » et affirme vouloir œuvrer à la

construction du socialisme au côté du SED105. Il se fait par ailleurs l’ardent défenseur du

réarmement de la RDA et joue un rôle très important dans la levée des armées en RDA. Il est

également utilisé comme un pan de la campagne du SED contre l’intégration de la RFA dans

les différentes alliances de défense occidentales106. La baisse des adhésions au NDPD dans le

courant des décennies 1960 et 1970 s’explique par le fait qu’il a alors rempli sa mission

initiale107.

La fidélité dont font preuve les fonctionnaires du NDPD à l’égard du SED vient

rapidement à bout de sa relative méfiance, essentiellement due à la présence d’anciens nazis

dans ses rangs. Par son soutien à la politique du SED, le NDPD contribue à équilibrer, en

faveur du SED, le rapport de force au sein du « bloc démocratique des partis » et des

parlements régionaux. Il cesse d’exister en mars 1990. Son caractère de reliquat de l’histoire

et son manque de conscience historiques ont eu raison d’un parti qui, né par et pour le SED,

ne survit pas à son démiurge. Le 28 mars 1990, par son adhésion à l’Alliance des démocrates

libres (Bund Freier Demokraten) apparue en prévision des premières élections libres en RDA,

le NPDP cesse d’exister. Une partie de sa base rejoint le parti libéral du FDP, qui gère sa

succession notamment l’intégralité de ses archives.

104 Notons au passage que le futur président de la RDA, Wilhelm Pieck, militait lui aussi pour davantage de tolérance à l’égard des anciens nationaux-socialistes. 105 Le caractère « progressiste » du NDPD, le terme désignant dans le jargon des dirigeants est-allemands la fidélité à l’égard du SED, prend dès le début des années 1950 le dessus sur les autres buts que s’est fixés le parti. Les autorités dirigeantes reconnaissent le rôle de courroie de transmission à destination des classes moyennes comme la fonction principale de leur parti. La programmatique du NDPD repose de plus en plus sur le mot d’ordre de l’alliance avec la classe ouvrière et d’amitié avec l’Union Soviétique. 106 J. Haas : Die NDPD. Geschichte, Struktur und Funktion einer DDR-Blockpartei. Thèse de doctorat, Erlangen-Nürenberg, 1987 p. 172 et s. 107 Le NDPD qui, au moment de sa création en octobre 1948 compte 1998 membres, a entre 1951 et 1989 un nombre constant de membres compris entre 80 000 et 100 000. Le nombre d’adhérents connaît une croissance régulière au début des années 1950 avant de diminuer puis de bénéficier d’un souffle nouveau dans la deuxième moitié des années 1970. Le nombre d’adhérents passe la barre des 100 000 fin 1951, ne compte plus que 80 000 membres en 1975 et remonte à 85 000 adhérents en 1977, 91 000 en 1982 et 110 000 en 1987. Chiffres établis par J. Frölich : op. cit.

Page 45: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

31

L’antifascisme dans l’Etat socialiste pour légitimer et asseoir le pouvoir des dirigeants

L’antifascisme, alors synonyme de victoire acquise sur le nazisme grâce à la valeureuse

résistance communiste, sert ensuite d’argument à la collectivisation des terres. Dans le cadre

des mesures de dénazification, l’appartenance à une classe sociale a en réalité été plus

déterminante que le comportement individuel durant la période nazie108. La dénazification a

ainsi, pour une grande part, été utilisée dans le but d’asseoir le pouvoir communiste, elle est

en cela intimement liée au remplacement des anciennes élites nazies par la mise en place

d’une nouvelle élite composée de cadres du SED. Les mesures de dénazification ont permis

non seulement d’écarter les éventuels concurrents politiques du KPD109, mais également de

justifier les premières mesures de mise en commun des unités de production et le lancement

de la réforme agraire. C’est ce que Richard Schröder qualifie de « tare congénitale » du mythe

antifasciste du SED/RDA. Selon la propagande officielle, l’antifascisme provient du camp des

vainqueurs de l’histoire. En réalité, il est entièrement appréhendé en termes de lutte des

classes, les victimes du National-socialisme étant avant tout les communistes. Arracher le

fascisme à la racine, selon les termes officiels, permet en réalité d’abroger la propriété

privée110.

Au cœur du système de la RDA, la thèse antifasciste remplit une double fonction

idéologique et stratégique de politique d’alliance. Après qu’elle a contribué à l’établissement

et à la légitimation du système, les autorités l’ont mise en avant dès lors qu’une menace plane

sur le système. « Au sein de l’ensemble des valeurs prônées par la RDA, l’antifascisme s’était

élevé au rang de norme. Moins l’avenir paraissait appartenir au socialisme, plus l’ersatz de

valeur incarnée par la tradition d’un passé antifasciste devenait primordial.»111

La propagande antifasciste de la RDA s’appuie sur l’idée que les communistes sont les

« vainqueurs de l’histoire »112. La place prépondérante occupée par la classe ouvrière dans le

108 Aussi les grands industriels, la noblesse, l’aristocratie terriennes et les militaires sont-ils tenus pour responsables de la prise de pouvoir du nazisme et de la guerre. Les classes moyennes sont pour leur part considérées comme des « Mitläufer », de simples suiveurs. La classe ouvrière se voit décerner, par l’intermédiaire du mythe de l’antifascisme, une immunité et une opposition de principe au régime hitlérien. W. Schubarth, T. Schmidt : op. cit. 109 Lors de la guerre civile espagnole, l’antifascisme avait déjà servi de prétexte à Staline pour éliminer ses opposants dans le combat des brigades internationales. 110 Entretien réalisé avec R. Schröder le 03.09.2002. 111 L. Niethammer : Der "gesäuberte" Antifaschismus. Berlin: Akademie Verlag, 1994, p. 15-16. 112 L’écrivain est-allemand Stephan Hermlin décrit ainsi les effets sociaux-psychologiques de la relation liant mythe fondateur de la RDA et la résistance antifasciste : « La majorité de la population savait pertinemment qu’elle avait, d’une manière ou d’une autre, soutenu le fascisme et se sentait coupable. C’est alors que nos chefs de propagande ont eu l’idée d’utiliser la formule curieuse de ‘vainqueurs de l’histoire’. Une absurdité en soi

Page 46: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

32

combat contre le nazisme représente aux yeux des dirigeants de la zone d’occupation

soviétique, puis de la RDA, un véritable progrès social et définit un nouveau rapport de force

entre les classes sociales. Le fait que la victoire contre le fascisme n’ait été possible qu’avec la

constitution d’un front de lutte international confère à l’antifascisme une dimension

internationale indéniable113. Cette manipulation vise à faire de l’antifascisme une norme

éducative et religieuse : l’histoire, au service de la domination idéologique, est élevée au rang

de religion universelle, avec ses propres rites. L’antifascisme tient ainsi lieu de religion

séculier au peuple est-allemand ; le rôle de martyrs est joué par les résistants114. En tant que

vecteur de l’idéologie de la lutte des classes, il constitue le trait d’union liant le peuple avec le

nouveau régime. L’antifascisme est également la clé de l’identité nationale. « Ersatz de

patriotisme »115, il est le « substitut politico-moral à la force d’intégration nationale sur

laquelle pouvaient se baser les nouveaux régimes dans les autres parties de l’Europe de

l’Est »116. Sur la scène internationale, la RDA se prétend être la moitié antifasciste de

l’Allemagne, cette spécificité est présentée comme une garantie de la paix en Europe117.

L’antifascisme remplit ainsi une fonction à la fois exclusive et inclusive d’intégration ; il est

tout autant catharsis que conversion morales selon C. Offe118. « En tant que facteur

parce que l’histoire ne connaît pas de vainqueurs. […] Dédouané par cette flatterie, le peuple devenait plus facile à gouverner, tant il est difficile dans la durée de gouverner des gens qui, d’une certaine manière, se sentent coupables. Grâce à cette formule, la RDA gagnait du même coup une autorité politique certaine ! » S. Hermlin : In den Kämpfen dieser Zeit. Berlin : Wagenbach, 1995, p. 28. 113 « C’est en ce sens que le fait de se reconnaître des idéaux de la résistance antifasciste inclut un sentiment de responsabilité à l'égard de la communauté internationale des peuples, dont le but est de préserver une paix durement acquise, de faire en sorte que le fascisme et la guerre fassent définitivement partie du passé. » H. Meier : « Antifaschistisches Bewusstsein heute - Anforderungen an die geschichtsideologische Arbeit » in H. Bleiber, W. Schmidt (dir.): Demokratie, Antifaschismus und Sozialismus in der deutschen Geschichte. Berlin : Akademie-Verlag, 1988, pp. 329-337, p. 330. 114 Toute forme d’organisation religieuse représentait un concurrent pour le pouvoir communiste de type soviétique, car elle offrait un espace de liberté incompatible avec son régime logocratique tel qu’il fut mis en place dans les PECO, où la doctrine marxiste-léniniste tenait, entre autres, lieu de religion. Voir B. Faulenbach: « Die DDR als antifaschistischer Staat » in R. Eckert, B. Faulenbach (dir.): Halbherziger Revisionismus - zum postkommunistischen Geschichtsbild. Munich et Landsberg am Lech : Günter Olzog Verlag, 1996, pp. 47-68. Il évoque notamment un « véritable culte antifasciste quasi-religieux » de l’Etat. 115 B. Faulenbach : op. cit. Sur le nationalisme dans les premières années de la RDA, voir M. Lemke : « Nationalismus und Patriotismus in den frühen Jahren der DDR ». APUZ, 50, 2000. 116 C. Offe: Der Tunnel… op. cit., chapitre 9, p. 251 traduit dans C. Offe : Les démocraties modernes à l’épreuve. L’Harmattan, 1997, p. 310. 117 Selon le député Dr. Keller (PDS/LL), l’instrumentalisation et l’utilisation abusive de la notion d’antifascisme n’est pas compréhensible, si l’on ne tient pas compte de ce que l’antifascisme signifiait avant tout pour toute une génération, à savoir une attitude « anti-guerre », un attachement profond à la paix. Propos tenus lors de la 30ème séance des débats de la commission d’enquête sur la dictature de la RDA. Deutscher Bundestag (éd.): Materialien der Enquete-Kommission „Aufarbeitung von Geschichte und Folgen der SED-Diktatur in Deutschland“. Baden-Baden/Frankcfort sur le Main : Nomos Verlag/Suhrkamp Verlag, 1995, 9 tomes, tome IX, p. 155. 118 « Moralische Katharsis und Umkehr » dans la version allemande. C. Offe : Der Tunnel ... op. cit., p. 251.

Page 47: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

33

d’intégration stabilisant et légitimant, l’efficacité de l’antifascisme dépassait celle du

socialisme » peut-on résumer119.

En outre, les autorités de la RDA n’hésitent pas à mettre la question de l’extrême droite

au service de la Guerre Froide. Elles l’utilisent contre la RFA, en finançant des organisations

politiques neutralistes en Allemagne de l’Ouest, en orchestrant des « campagnes

antifascistes » de désinformation, enfin en infiltrant des agents au sein de l’extrême droite

ouest-allemande120. La Stasi joue une double carte terroriste, soutenant non seulement le

groupe terroriste d’extrême gauche la Fraction Armée Rouge, mais également l’extrême

droite ouest-allemande, car tous deux déstabilisent fortement le régime ouest-allemand.

L’antifascisme est un « pilier de l’éducation populaire en RDA »121, comme en témoigne

la désignation des organisations de jeunesse. En 1987, un quart des brigades de jeunesse, un

tiers des organisations principales de l’organisation de jeunesse de la RDA (FDJ- Freie

Deutsche Jugend) et deux tiers des amicales de pionniers portent le nom d’ « antifasciste ».

Ernst Thälmann, président du KPD interné et assassiné à Buchenwald, devient un « martyr du

socialisme » et la principale figure d’identification de la RDA122. Loin d’aller de pair avec la

démocratisation des rapports sociétaux, l’éducation antifasciste dégénère ainsi en « instrument

d’endoctrinement totalitaire »123.

119 M. Richter, auteur de l’article sur l’antifascisme. R. Eppelmann, H. Möller, G. Nokke, D. Wilms (dir.) : Lexikon des DDR-Sozialismus. Das Staats- und Gesellschaftssystem der DDR. 2 tomes. Paderborn : Verlag Ferdinand Schöningh, 1997 (2ème éd.), tome 1, p. 68. 120 Dans les années 1950 et 1960, de grandes « campagnes antifascistes » sont également lancées par la Stasi. Une part importante d’entre elles diffame la République fédérale en tant qu’Etat qui n’a pas rompu avec le national-socialisme, ni du point de vue de son personnel administratif, ni en ce qui concerne son idéologie, notamment l’antisémitisme. Voir A. Weinke : « Der Kampf um die Akten. Zur Kooperation zwischen MfS und osteuropäischen Sicherheitsorganen bei der Vorbereitung antifaschistischer Kampagnen ». Deutschland-Archiv, 4, 1999, pp. 564-577. 121 W. Schubarth, T. Schmidt : op. cit. 122 Les cours d’histoire perpétuent et entretiennent le mythe. Dans les écoles de RDA, la question de la responsabilité collective des Allemands est, au cours des décennies, de moins en moins discutée. Au début des années 1950, le problème est traité dans le contexte de l’attaque de l’Union Soviétique, extrêmement rarement pour ne pas dire quasiment jamais en relation avec l’Holocauste. Par la suite, les manuels scolaires ont tendance à présenter le peuple allemand comme la victime trompée d’un psychopathe. Au début des années 1970, la propagande met en avant le fait que le peuple allemand, au côté de l’Union Soviétique et des Polonais, a fourni le plus gros contingent de victimes. Dans le dernier manuel d’histoire de la RDA paru en 1988, le problème du nazisme est entièrement imputé à l’impérialisme. Parallèlement à ce processus de négation de la responsabilité du peuple, la résistance antifasciste prend de plus en plus d’importance (14% de ce qui est écrit sur la période de 1933 à 1945 en 1951, près d’un tiers en 1970). L’essentiel traite du combat du KPD, la résistance des sociaux-démocrates et des chrétiens n’est que sommairement évoquée. Jusqu’aux années 1980, le statut d’acte de résistance est par exemple nié à l’attentat du 20 juillet 1944. W. Schubarth, T. Schmidt : op. cit., pp. 14-17 et F. Neubacher : Jugend und Rechtsextremismus in Ostdeutschland. Vor und nach der Wende. Bonn : Forum Verlag Godesberg, 1994, pp. 26-28. 123 F. Neubacher : op. cit., p. 26.

Page 48: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

34

A l’instar de J. Rovan qui parle d’ « antifascisme en paroles »124 en référence à la place

qu’occupait la rhétorique antifasciste en RDA, ou de l’antifascisme « sur commande » de R.

Giordano125 évoquant un sentiment présent dans la population est-allemande et mobilisable

par le parti à des fins de propagande, il nous semble plus pertinent de parler d’antifascisme de

façade. L’antifascisme, qui s’inscrit dans un processus de valorisation de soi a une véritable

fonction structurelle et organisationnelle.

En particulier, la propagande antifasciste se porte officiellement garante de l’absence

d’extrême droite en RDA, sans pour autant parvenir à l’éradiquer comme s’en vantait pourtant

le régime. Le SED, en légitimant sa domination par l’antifascisme, prétendait avoir aboli

juridiquement l’éventualité fasciste en éliminant le capitalisme. Le respect de l’antifascisme

est d’ailleurs inscrit dans les constitutions successives de la RDA126. Comment les dirigeants

est-allemands ont-ils réagi lorsqu’à partir des années 1980, les mythes officiels et les formules

de propagande rencontrent un écho négatif chez la jeune génération et que l’antifascisme

devient la cible d’une jeunesse contestataire qui se tourne parfois vers l’extrême droite ?

124 « Wortantifaschismus ». Die Welt du 16.2.1993. 125 R. Giordano : Die zweite Schuld oder von der Last, ein Deutscher zu sein. Munich : Rasch und Röhring, 1987. Voir aussi la réponse de H. Kühnrich : « Verordnet und nichts weiter? ». Zeitschrift für Geschichtswissenschaft, 40(9), 1992, pp. 819-833. 126 La première constitution de la RDA (1949) condamne pénalement toute atteinte aux institutions et organisations démocratiques, tout appel au meurtre de responsables politiques démocrates, « toute exhortation à la haine religieuse, raciale ou entre les peuples, propagande militaire, ainsi que l’appel à la guerre et toutes les actions quelles qu’elles soient qui vont à l’encontre du principe d’égalité. » (art.6). Des exceptions au principe de non-rétroactivité des lois sont accordées pour les mesures et décisions prises pour surmonter le nazisme, le fascisme et le militarisme ou nécessaires à la répression des crimes contre l’humanité (art. 135). Dans le même temps, la RDA décline toute responsabilité quant aux dommages causés par le Troisième Reich (Art. 144). L’insistance de la première constitution de la RDA sur le fondement antifasciste du nouvel Etat s’explique par différents facteurs. En premier lieu, si la constitution ne vaut que sur le territoire de la RDA, elle est considérée comme un engagement politique des forces démocratiques de l’entité allemande, engagement contracté en vue de surmonter la politique de division impérialiste et ses conséquences. Ceci revient à se réserver un éventuel droit d’intervention afin d’empêcher un hypothétique retour du fascisme et du militarisme en RFA. La RDA se pose ainsi en donneur de leçons face à la tolérance de l’administration fédérale à l’égard des anciens nazis. La Loi Fondamentale entrée en vigueur le 8 mai 1949, qui constitue l’acte de naissance de la République fédérale d’Allemagne, ne condamne en effet pas explicitement le militarisme et le fascisme, pas plus que leurs partisans. Son article 131 garantit par contre aux fonctionnaires de l’Etat nazi une reconversion et une pension de retraite. L’inscription forcenée du caractère éminemment antifasciste de la RDA est donc à la fois une manière de se démarquer de la RFA et de se présenter comme plus responsable dans la lutte contre le nazisme. La deuxième constitution de la RDA, adoptée par référendum en 1968, exprime plus clairement encore l’importance de l’antifascisme. Son article premier reconnaissait enfin ouvertement la suprématie du SED dans l’ordre social et politique de la RDA. L’art. 1 al. 1 de la dernière constitution de la RDA promulguée en 1974 énonce clairement la victoire de la RDA sur le fascisme : « La République démocratique allemande a, sur son territoire et en accord avec les intérêts du peuple et ses devoirs à l’échelle internationale, vaincu le militarisme et le nazisme allemands. » Sur ce point, voir E. Poppe : « Demokratie, Antifaschismus und Sozialismus in der ersten Verfassung der Deutschen Demokratischen Republik » in H. Bleiber, W. Schmidt (dir.) : Demokratie, Antifaschismus und Sozialismus in der deutschen Geschichte. Berlin : Akademie-Verlag, 1988, pp. 312-318.

Page 49: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

35

Conséquences de la propagande antifasciste du SED sur la présence de l’extrême droite dans les NBL, le territoire naturel du PDS

La propagande antifasciste de la RDA influe fortement la forme que prend l’extrême

droite dans les nouveaux Länder (NBL). Cristallisée au moment de la Wende, celle-ci devient

visible en RDA au moment de l’implosion d’un régime communiste fortement contesté.

Généalogie de l’extrême droite en RDA

La forme spécifique que prend l’extrême droite en RDA résulte de la gestion du

phénomène par ses autorités, autant qu’elle est la marque de leur défaillance127. D’un

mouvement contestataire apolitique et inorganisé de jeunesse, l’extrême droite se transforme

au cours des années 1980 en mouvement politique en RDA. Cette politisation est accentuée

par la coopération avec l’extrême droite ouest-allemande après l’ouverture des frontières. La

division de l’Allemagne contribue à cette politisation en y intégrant une problématique

nationaliste. De ce fait, et de par le caractère logocratique d’un système totalitaire, les

caractéristiques de l’extrême droite en RDA sont indissociables de son appréhension par les

organes institutionnels du SED/RDA, en premier lieu par les services de la police politique.

Lorsqu’à partir de 1987, les autorités sont obligées de reconnaître l’existence de

tendances sinon de groupes d’extrême droite, elles tiennent les puissances occidentales pour

responsables de l’apparition de ceux-ci sur leur sol128. La thèse du Ministère de la sécurité de

l’Etat (Stasi) et du SED est celle d’un pilotage du mouvement d’extrême droite par l’extérieur.

Contrairement au discours officiel, l’extrémisme de droite n’a pourtant pas été introduit en

RDA par l’Ouest. On trouve trace d’activités et de pensées qualifiées de « décadentes et

d’amorales » chez des adolescents dès le courant des années 1960. L’Etat s’intéresse 127 « La formation et le développement d’une scène adolescente radiale de droite en RDA constitue ainsi une expression marquante des inconvénients et de la crise du système du socialisme réel » écrit par exemple W. Melzer : Jugend und Politik in Deutschland : gesellschaftliche Einstellungen, Zukunftsorientierungen und Rechtsextremismus-Potential Jugendlicher in Ost- und Westdeutschland. Opladen : Leske und Budrich, 1992, p. 120. 128 W. Brück, sociologue est-allemand (Lepzig) spécialiste des questions relatives au droit et à la criminalité, considère l’extrémisme de droite comme un résidu de l’ancienne société de la RDA. Les modalités de fonctionnement du régime – et ses dysfonctionnements - sont à l’origine de l’apparition de phénomènes d’extrême droite en RDA, un Etat dépossédant le peuple d’un pouvoir confié à une élite produit de l’extrémisme. « La société de RDA avant la Wende considérait les phénomènes sociaux qui n’entraient pas dans la ligne du ‘socialisme réel’ comme par essence étrangères au système. Aucune réflexion n’était engagée sur le fait que des phénomènes sociaux contredisant le système puissent être constitutifs de l’ordre établi d’une société en pleine crise identitaire. Ce sont cette crise d’identité et l’autodestruction du système qui ont ravivé l’extrême droite. » W. Brück : « Skinheads als Vorboten der Systemkrise » in K.-H. Heinemann, W. Schubarth (dir.) : Der antifaschistische Staat entläßt seine Kinder. Cologne : PapyRossa Verlag, 1992, pp. 37-46, p. 37.

Page 50: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

36

officiellement au phénomène à partir de 1987, à la suite de l’agression des spectateurs d’un

concert punk par une trentaine de skinheads, dans la Zionskirche de Berlin-Est le 17

octobre1987. La couverture médiatique de cet événement rend alors inévitable l’organisation

d’un procès129. Dès lors, l’objectif de la Stasi est de contenir les velléités agressives de

l’extrême droite naissante. La scène néonazie et skinheads, de même que les hooligans et

supporters de football, sont surveillés par le département XX de la Stasi, celui même qui en

charge la surveillance des opposants politiques de l’intérieur130.

Avec les skinheads de droite, l’extrémisme de droite s’établit à partir des années 1980

dans l’univers des adolescents. Fin 1988, le milieu d’extrême droite se distingue par l’usage

qu’il fait d’une violence d’abord considérée comme légitime à l’encontre des étrangers qui,

prétendent-ils, abâtardissent la race allemande, diffusent le sida et contribuent à la croissance

du chômage. A partir de la fin 1989, lorsque le SED commence à perdre le pouvoir, la

violence prend également pour cible « la ‘mafia communiste’». « Ultime faillite du système

communiste, ces jeunes criminels sont, dans leur majorité, bien intégrés dans les structures

relais du SED: syndicats, mouvements de jeunesse, groupes sportifs »131. Ceci pose un gros

problème au MfS, au pouvoir exécutif lui-même (Bureau Politique) ainsi qu’aux autres

institutions associées au pouvoir, comme l’organisation de jeunesse de la RDA (la FDJ).

L’extrême droite en RDA est en outre enfant de la répression étatique, le fruit des

structures répressives du régime. L’importance du monde carcéral dans la construction d’une

identité politique d’extrême droite est un élément primordial souvent délaissé par la

recherche. Le témoignage d’un néonazi repenti, Ingo Hasselbach132, montre bien dans quelle

129 Sur cette question, voir T. Ammer: « Prozesse gegen Skinheads in der DDR ». Deutschland-Archiv, 8, 1988, p. 804 et Korfes: « Rechtsextremismus in der DDR ». Kriminologisches Journal, 1, 1992, p. 54. 130 Le département XX s’intéresse à l’appareil d’Etat, à la culture, à l’Eglise et à la clandestinité (Staatapparat, Kultur, Kirche, Untergrund). 131 P. Moreau : Les héritiers du Troisième Reich. L’extrême droite allemande de 1945 à nos jours. Le Seuil, 1994, p. 310. Les statistiques criminelles de 1988 et 1989 permettent d’établir un profil sociologique des auteurs de violences d’extrême droite. Il s’agit majoritairement d’adolescents issus de structures familiales en crise, mais intégrés dans la société. 2% d’entre eux sont diplômés du supérieur, 5% écoliers ou lycéens, 24% des apprentis et 56% des ouvriers. La proportion des femmes est faible (15%). 132 « Je pense que ces circonstances, en prison, étaient idéalement appropriées à la future vie dans la scène néo-nazie. Pour de nombreuses jeunes personnes, la prison n’est pas seulement un sol fertile pour l’adoption de la pensée nazie que leur inculquaient les co-incarcérés plus âgés, c’est également une sorte d’école de caractère, qui prépare à l’existence dans une communauté sans scrupules.» I. Hasselbach, W. Bonengel : Die Abrechnung. Ein Neonazi steigt aus. Berlin: Aufbau Taschenbuch, 2001, pp. 30-31. Né à Berlin-Est en 1967, I. Hasselbach habite l’arrondissement de Lichtenberg jusqu’à son retrait de la scène néo-nazie. Condamné une première fois en 1985 pour « vandalisme » (il est alors punk), il est ensuite co-fondateur des organisations néonazies « Lichtenberger Front » et « Bewegung 30. Januar ». Après avoir tenté de fuir la RDA, il devient président de Nationale Offensive, la plus grande organisation néo-nazie de l’Allemagne dont il installe le siège à Lichtenberg. Condamné en tout sept fois, il quitte la scène néonazie en février 1993, soutenu par le cinéaste W. Bonengel, rencontré au cours du tournage d’un documentaire sur ses activités. Ce sont les pogroms 1992 (Mölln, Rostock)

Page 51: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

37

mesure un certain nombre de jeunes rebelles, anti-système en RDA, arrêtés pour ce que le

système soviétique qualifiait de hooliganisme, se politisent et se forment à l’extrême droite

dans les prisons, notamment au contact des anciens nationaux-socialistes incarcérés par le

régime communiste.

Aussi peut-on s’interroger sur les modalités de production de l’extrême droite par les

régimes de type communiste, en particulier en Allemagne. La thèse de la responsabilité du

système de domination socialiste (en réalité autoritariste, nationaliste, militariste et

antisémite) dans la présence d’extrémistes de droite en RDA est étayée par de nombreuses

études empiriques133. Dans un Etat proclamant officiellement son antifascisme, la contestation

s’oriente vers son contraire. Eduqués à une vision manichéenne, qui divise le monde en deux

(les amis de l’URSS, donc de la RDA, et ses ennemis), les habitants de la RDA qui veulent

montrer aux autorités communistes leur désapprobation, se réclament alors de manière non

réfléchie et indifférenciée pour l’ennemi du communisme134. Les adolescents, auquel le

régime interdit de contester ouvertement ses thèses officielles, réagissent en relayant, à droite

cette fois, le mode socialiste autoritaire de règlement des conflits. Leur attitude met en

évidence l’absence de légitimité d’un régime qui, succédant au Troisième Reich en le reniant

catégoriquement, établit un système tout aussi autoritaire et collectiviste. Le fait que la RFA,

qui a rompu avec cet héritage du nazisme en instaurant un régime résolument respectueux des

principes démocratiques, incarne la terre de la liberté et de la prospérité économique, accentue

ce désaveu. En cela, si la présence de l’extrême droite dans les NBL est partiellement un

héritage de la RDA, elle trouve aussi ses origines dans la continuité de valeurs et des

mentalités de l’époque nationale-socialiste. La persistance de pratiques non démocratiques et

totalitaires est perceptible non seulement dans les institutions, mais également dans les modes

individuels de pensée et d’action135.

qui le décident à changer de vie. Repenti, il témoigne par écrit de sa jeunesse et de sa difficile rupture avec les milieux d’extrême droite. Suite à la publication du livre en 1993, il fait des lectures en Europe et aux Etats-Unis durant trois ans. Devenu journaliste, il s’engage contre la peine de mort aux Etats-Unis. 133 Elles attestent d’un sentiment autoritariste significativement plus fort chez les adolescents est-allemands que chez leurs pairs occidentaux, ainsi que d’une remarquable antipathie à l’égard des Israéliens et des Juifs. L’instrumentalisation de l’antifascisme comme technique de domination est particulièrement dirigée contre la politique prétendument impérialiste et sioniste d’Israël. W. Melzer : op. cit., pp. 130-133 et G. Lederer: « Autoritarismus unter Jugendlichen der ehemaligen DDR ». Deutschland-Archiv, 6, 1991, pp. 587-596. 134 Comme le dit R. Schröder au cours de l’entretien du 03.09.2002 avec l’auteur. 135 W. Brück : « Skinhead als Vorboten der Systemkrise » in K.-H. Heinemann, W. Schubarth : op. cit., p. 37.

« Le parti de cadres communiste n’encourageait pas l’adhésion aux vertus démocratiques, mais récompensait par de nouveaux privilèges l’esprit de soumission et l’obéissance au parti.» K. Weiß : « Die braune Stafette ». Zeitmagazin du 30.06.1989, p. 44.

Page 52: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

38

La présence de mouvements d’extrême droite en RDA et dans les NBL témoigne-t-elle

de l’échec de la tentative d’instaurer un régime basé sur une interprétation du marxisme-

léninisme ou de la voie particulière allemande (Sonderweg) ? Le mouvement d’extrême droite

peut-il être considéré comme inhérent au caractère logocratique du régime ? R. Schröder

souligne le caractère provocateur des symboles nationaux-socialistes en RDA et ironise : si la

faucille et le marteau avaient été interdits en RDA, combien en auraient été peints sur les

murs?136

L’extrême droite apparaît ainsi en RDA sous les traits d’une forme particulière de

dissidence qui se distingue par sa nature discriminatoire et anti-humaniste137. L’opposition

d’extrême droite est une particularité dans le mouvement de dissidence apparu dans les

régimes communistes est-européens. Il est toutefois préférable, s’interrogeant sur la nature

même de la dissidence, de lui préférer le terme de contestation. En effet, il est difficile de

considérer comme dissident un mouvement qui détruit sans revendiquer ni proposer la

démocratie comme alternative. Ne s’agit-il pas ici davantage de « hooliganisme » au sens où

l’entendent les Tchékistes138? Sa forme particulière est indubitablement le fruit du caractère

autoritaire d’un régime qui se proclame antifasciste.

Au moment de la Wende, le contexte anomique lié en particulier à la suppression des

mécanismes étatiques de contrôle social, notamment des autorités policières, permet à

l’extrême droite adolescente, auparavant réprimée, de s’articuler ouvertement. Intimement

liée au mouvement skinhead, l’histoire de l’extrémisme de droite en RDA, autant qu’il est

possible de le qualifier de la sorte, n’est néanmoins pas un produit de la Wende, bien que son

développement à cette époque marque fortement la forme que prend aujourd’hui l’extrême

droite dans les NBL. Il convient donc d’éclairer le poids de l’extrémisme de droite en

Allemagne depuis l’unification, afin de nuancer l’idée reçue d’une prétendue explosion de

l’extrême droite dans les NBL.

136 Entretien du 03.09.2002. 137 B. Wagner parle de « révolte contre la structure autoritaire-paternaliste de la société de RDA », contre « la fossilisation, l’intolérance et la stagnation ». B. Wagner: « Rechtsextremismus und kulturelle Subversion in den neuen Ländern ». Bulletin. Schriftenreihe des Zentrum für demokratische Kultur, 1998, pp. 16-17. 138 La Tcheka est la police secrète chargée de combattre la contre-révolution en Russie soviétique de 1917 à 1922. C’est l’ancêtre du KGB soviétique.

Page 53: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

39

La forte présence de l’extrême droite dans les nouveaux Länder

Depuis l’unification, l’extrême droite tente de s’implanter sur les terres du PDS.

L’absence de pluralisme démocratique effectif dans les régimes communistes centre-

européens et l’éradication, sur un mode logocratique, du phénomène d’extrême droite par la

RDA engendrent une situation inédite pour les néo-socialistes. Ceux-ci découvrent l’extrême

droite en même temps que la démocratie. Cette découverte les contraint en plus à définir non

seulement leur rapport à la nation allemande et leur place dans la société est-allemande, mais

également à se positionner face à la doctrine antifasciste du SED. Dans ce processus, ils se

trouvent confrontés à une extrême droite qui émerge sur la scène politique et sociale orientale.

L’extrême droite comme phénomène politique et électoral

En premier lieu, l’extrême droite se manifeste sur la scène électorale est-allemande

depuis le milieu des années 1990. La faiblesse structurelle des partis d’extrême droite au plan

électoral est essentiellement due au système électoral de la RFA. Celui-ci combine deux

facteurs défavorables aux petits partis. D’une part, le mode de scrutin est un système mixte

qui associe le principe majoritaire à la représentation proportionnelle, que l’on peut qualifier

de système de représentation proportionnelle personnalisée. Les électeurs donnent deux voix :

l’une à un candidat de la circonscription, l’autre à un parti. Le décompte des premières voix

détermine les élus « directs », celui des secondes les élus « sur liste » à la proportionnelle139.

D’autre part, un parti doit obtenir au minimum 5% des suffrages exprimés (ou trois mandats

directs140) pour obtenir des représentants au Bundestag et dans les parlements régionaux. Leur

nombre est alors calculé à la proportionnelle. En outre, la RFA compte trois principaux partis

d’extrême droite (les REP, la DVU et le NPD). Cette concurrence accentue encore leurs

difficultés à dépasser le seuil des 5%141.

139 A. Grosser explique ce système en ces termes : « Chaque électeur doit placer deux croix sur son bulletin. Dans une colonne, il vote pour un homme, dans l’autre, pour un parti. La République fédérale est en effet divisée en circonscriptions. Dans chacune, il n’y a qu’un seul député qui est élu à la majorité relative, comme en Grande-Bretagne. Mais les ‘sièges directs’ ne représentent que la moitié des mandats parlementaires. Les autres membres du Bundestag proviennent des listes établies dans chaque Land par les partis. Les attributions de mandats sur ces listes sont effectuées de telle façon que chaque parti dispose, sièges directs et mandats de liste additionnés, du nombre de députés qui lui reviendrait d’après une répartition proportionnelle, à la plus forte moyenne, des ‘secondes voix’ ». A. Grosser : L’Allemagne en Occident. Fayard, 1985, p. 272-273. 140 Notons que cette condition d’obtention de mandats directs à défaut de 5% est initialement prévue pour permettre la représentation de la CSU. 141 A l’occasion des élections régionales dans les Länder est-allemands de Saxe et du Brandebourg en septembre 2004, les trois principaux partis d’extrême droite relancent le processus d’entente électorale. L’obstacle de la division susceptible de bloquer l’entrée de l’un des partis dans un parlement est ainsi levé.

Page 54: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

40

Tableau 3- Résultats des trois grands partis d’extrême droite aux élections législatives régionales (Landtagswahlen), dans les nouveaux et anciens Länder et à Berlin (1990-2005) 142

NOUVEAUX LÄNDER

Participation

REP NPD DVU Total ANCIENS LÄNDER

Participation

REP NPD DVU Total

BRANDEBOURG 1990

67,4

1,1

1,1

BADE-WURTEMBERG 1992

70,1

10,9

10,9

1999 54,4 5,3 5,3 1996 67,5 9,1 9,1

2004 56,4 6,1 6,1 2001 62,6 4,4 0,2 4,6

MECKL. POM. ANTERIEURE 1990

65,2

BAVIERE 1990

66

4,9

4,9

1994 72,9 1994 67,8 3,9 3,9

1998 80,2 2,9 2,9 1998 69,8 NC NC NC

2002 70,6 0,3 0,8 1,1 2003 57,1 2,2 2,2

SAXE 1990

73,5

0,7

0,7

HESSE 1991

70,8

1994 59,4 1995 66,3

1999 61,1 1999 66,4 2,7 2,7

2004 59,6 9,2 9,2 2003 64,6 1,3 1,3

SAXE-ANHALT 1990

65,6

0,7

0,7

BASSE-SAXE 1990

74,6

0,2

0,2

1994 54,8 1,4 1,4 1994 73,8 3,7 3,7

1998 71,5 12,9 12,9 1998 73,8 2,8 2,8

2002 56,5 2003 67 0,4 0,4

THURINGE 1990

72,1

0,8

0,8

RH. DU NORD- WESTPHALIE 1990

71,8

1994 74,8 1,3 1,3 1995 64,1 0,5 0,5

1999 59,9 3,1 3,1 2000 56,7 1,1 1,1

2004 53,8 2 1,6 3,6 2005 63 0,8 0,9 1,7

BERLIN 1990

80,8

3,1

3,1

RHENANIE-PALATINAT 1991

73,9

1995 68,6 2,7 2,7 1996 72

1999 65,9 2,7 2,7 2001 62,1 2,4 0,5 2,9

2001 68,1 1,3 1,3 SARRE 1990

83,2

0,2

0,2

1995 83,5 1,4 3,1 4,5

1999 68,7 1,3 1,3

2004 55,5 4 4,6 8,6

SCHLESWIG-HOLSTEIN

1992 71,8 6,3 6,3

1996 71,8 4,3 4,3

2000 69,5 1 1

Source : Statistisches Bundesamt Deutschland, Bundeswahlleiter et Statistisches Amt de chaque Land.

2005 66,6 1,9 1,9

142 Elections à la Chambre des Députés (Abgeordnetenhaus) pour Berlin (CDB), Bürgerschaftswahlen pour Brême et Hambourg. Résultats exprimés en pourcentage des secondes voix obtenues.

Page 55: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bien que les partis d’extrême droite ne dépassent pas le seuil des 5% lors d’échéances

électorales, ils profitent de la perte d’influence des partis établis143. La part de l’électorat se

déclarant proche de leurs idées a doublé à l’Est entre 1994 et 1998. La propension au vote

pour l’extrême droite y croît depuis la fin des années 1990, au point de dépasser celle de

l’ancienne RFA. Aux élections législatives fédérales de 1998, les scores réunis de la DVU, du

NPD et des Republikaner représentent 2,9% du total des suffrages dans la partie occidentale

de l’Allemagne contre 5,0% dans les NBL.

Le graphique ci-dessous donne une vue d’ensemble de l’évolution de la composition de

la scène d’extrême droite allemande depuis 1987144.

Graphique 1- Composition de la scène d’extrême droite et évolution (en valeur brute, 1987-3004)

0

2000

4000

6000

8000

10000

12000

14000

16000

18000

20000

22000

24000

26000

28000

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004Année

Nom

bre

d'a

dhére

nts

ou d

'adepte

s

Dont REPDont DVUDont NPDAdhérents d’autres organisations d’extrême droite Adeptes de subcultures et autres groupes violents, dont les skinheadsNéonazis

Le contexte immédiat de l’unification a engendré une explosion de l’extrême droite sur

l’ensemble du territoire allemand. Entre 1988 et 1993 (en dépit d’une baisse en 1989-1990), le

nombre d’extrémistes de droite augmente brutalement145. Ils sont 64500 au total en 1993, puis

tombent à 45300 en 1996 pour remonter à partir de cette date. En 1998, ils sont 53600, un

143 Les gagnants de la perte d’influence de la CDU/CSU et du FDP (les premiers perdent 24,1 points de suffrages à l’Est entre 1990 et 1998, les seconds perdent 10% à l’Ouest sur la même période) au cours de la décennie 1990 sont ainsi le SPD, le PDS et les partis d’extrême droite. Ces derniers gagnent 3,4 points à l’Est, tandis qu’ils en perdent 0,3 à l’Ouest. R. Stöss : « Rechtsextremismus in West- und Ostdeutschland ». Bonn : Friedrich-Ebert-Stiftung, 2000, p. 136. 144 Pour le détail des chiffres, se reporter au tableau 2 de l’annexe liminaire. 145 Cette explosion est due à une poussée des adhésions aux REP et à la DVU.

Page 56: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

42

chiffre qui baisse ensuite régulièrement pour atteindre en 2004 le niveau le plus bas, avec

40700.

En se penchant sur le détail de la composition de la scène, on remarque qu’à moyen

terme, l’unification a renforcé les éléments violents et isolés de la scène pan-allemande au

détriment des organisations politiques encadrées. En effet, le nombre d’adhérents à des partis

politiques diminue depuis les années 1980, tandis que celui d’adeptes de subcultures et autres

groupes violents (dont les skinheads) augmente depuis 1994, tout comme celui des néonazis.

Cette évolution est due en grande partie à la nature de l’extrême droite dans les NBL.

Les adeptes de l’extrême droite tendent davantage à s’y regrouper en petits groupes, non

organisés et peu politisés qu’à s’affilier à des partis politiques. Ces groupes se composent

principalement de mouvements de jeunesse dits subculturels qui adhérent à un discours et à

une symbolique d’extrême droite. La notion de subculture renvoie à une culture adolescente

(définie par l’acceptation d’un comportement, d’un discours et de normes communes)

caractérisée par une distanciation à la culture des adultes. Cette forme d’extrémisme de droite

est très répandue dans les nouveaux Länder. Le mouvement skinhead en fait partie. En marge

de la scène d’extrême droite, il représente une scène isolée et non organisée, politisée

seulement depuis le milieu des années 1970, malgré les tentatives infructueuses des

organisations néonazies de les intégrer en leur sein.

Le décalage entre les questions soulevées par l’extrême droite occidentale et les

questions qui préoccupent les citoyens de l’ex-RDA d’une part, l’organisation des partis et les

conflits de personnalités dirigeantes, perçues comme des intrigues politiques d’autre part146,

préservent néanmoins les NBL de l’implantation des partis d’extrême droite au cours de la

décennie 1990. La scène néonazie ouest-allemande s’est par contre avérée particulièrement en

symbiose avec l’extrême droite telle qu’elle était apparue en RDA. En dépit de la méfiance

des néo-nazis est-allemands, les néo-nazis de RFA ont réussi à créer un tissu (un groupe

d’activistes et de cadres) en mesure de recruter et de mobiliser ses sympathisants. Il en résulte

une coopération qui permet aux néonazis ouest-allemands de modeler la conception,

malléable, du monde de leurs camarades de l’Est, de former des cadres, d’élaborer des

structures organisationnelles, bref de s’implanter à l’Est.

146 Les divisions de l’extrême droite ouest-allemande au sujet de l’interprétation de l’histoire allemande donnent l’impression que ces organisations sont coupées des préoccupations quotidiennes des citoyens. Il découle en outre de ces divisions un combat des chefs perpétuel et des rivalités, les dirigeants des différents partis se menant une lutte acharnée pour augmenter leur sphère d’influence, notamment lors des échéances électorales.

Page 57: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

43

L’extrême droite comme phénomène violent

Les groupes qui progressent dans les NBL sont caractérisés par une forte propension à

user de la violence, au point que celle-ci y joue un rôle identitaire d’intégration des

sympathisants. La violence est alors la solution apportée individuellement à un problème

collectif. En conséquence, les actes liés à la propagation d’idées nationalistes et xénophobes

punis par la loi (c’est à dire les actes de violence ou de propagande commis par des personnes

appartenant à l’extrême droite ou motivés par son idéologie) se multiplient 147. La répartition

structurelle des groupes d’extrême droite à Berlin en 2001 fait apparaître une tendance

marquée à la violence, en particulier en provenance de groupes non organisés148. Depuis 1997,

on assiste à une escalade des actes de violence motivés par le racisme, l’antisémitisme, la

xénophobie et les actes commis à l’encontre d’adversaires politiques. Ils ont augmenté de

27% entre 1997 et 1998, surtout dans les NBL149. Ceci contraint les autorités concernées par

ces pics de violence à mettre en place des brigades spécialisées. Des unités spéciales

(Sondereinsatzkommandos gegen Rechts, commandos de mission spéciale) ont ainsi été créées

en Saxe et dans le Brandebourg150. Les deux tiers (73%) des délits politiques enregistrés par

147 Il existe 143 organisations et rassemblements de personnes appartenant à la scène d’extrême droite en Allemagne à la fin de l’année 2001, un chiffre en augmentation depuis la fin des années 1990. Sauf précision, les chiffres cités ici émanent du Ministère fédéral de l’Intérieur allemand ou de l’une de ses composantes, le Bundesamt für Verfassungschutz, l’Office fédéral pour la protection de la constitution. Si le potentiel d’adeptes est en baisse, le nombre des extrémistes de droite susceptibles d’avoir recours à la violence augmente et s’élève à 10400 en 2001 (8200 en 1998 ; 9000 en 1999 ; 9700 en 2000, + 27% en trois ans). Ceci confirme l’augmentation observée depuis 1996 des violences commises par les extrémistes de droite qui, soit ont déjà eu recours à la violence, soit ne l’excluent pas. Parmi eux, le groupe le plus important est celui des skinheads, suivis des néonazis. Parallèlement, le nombre de personnes organisées au sein de partis politiques est en baisse (39000 en 1999 ; 33000 en 2001). Seul le NPD parvient à gagner des adhérents. Un renforcement d’une partie de la scène d’extrême droite est également perceptible à travers l’augmentation du nombre de groupes et d’activistes néonazis (41 groupes regroupant 2400 individus en 1998, 65 pour 2800 individus en 2001). 148 En effet, skinheads, néonazis et autres extrémistes violents représentent 43,5% de l’ensemble de la scène et 90% des activistes non encadrés par des organisations politiques. Voir Annexes 2, Extrême droite, graphique 5. 149 Les NBL sont le terrain privilégié d’exercice de la violence d’extrême droite depuis 1996. En 1998, 46% des actes de violence liés à la scène d’extrême droite, un chiffre stable, ont été commis sur le territoire correspondant à l’ancienne RDA. Les NBL sont pourtant cinq fois moins peuplés que les Länder composant la RFA avant l’unification. Dans les NBL, qui arrivent tous les cinq en tête du nombre d’agressions par habitant, 2,4 actes de violence sont enregistrés en moyenne pour 100 000 habitants, soit plus de 3 fois plus que dans les anciens Länder (0,7). Cette surreprésentation est liée en partie à l’importance du milieu skinhead dans cette région. Plus de la moitié des extrémistes de droite prêts à avoir recours à la violence (8200 en 1998 contre 7600 en 1997) habite dans les NBL. Le processus d’unification a engendré plusieurs vagues de violence d’extrême droite, avec un pic atteint entre 1992 et 1994, endigué par un renforcement des mesures policières et l’interdiction de certains groupes. 150 Elles portent respectivement le nom de « Commission spéciale extrême droite » (Sonderkommission Rechtsextremismus-SoKo Rex) et « Groupes d’action mobile contre la violence et la xénophobie » (Mobile Einsatzgruppe gegen Gewalt und Ausländerfeindlichkeit-MEGA). Notons que la Saxe a également mis en place une section spéciale contre l’extrême gauche ainsi qu’une brigade spécialisée dans l’intervention dans le milieu vietnamien. Depuis la RDA, cette communauté est à la fois l’une des plus importantes minorités des NBL et la plus touchée par les agressions d’extrême droite.

Page 58: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

44

l’Office fédéral de la criminalité (Bundeskriminalamt, BKA) sont causés par l’extrême droite,

contre 22% par l’extrême gauche. Seuls 5% sont imputables à la « criminalité étrangère »

(organisations nationalistes, extrémistes ou terroristes d’origine étrangère ou concernant des

réalités étrangères )151.

En Allemagne, le rapport gauche-droite en matière de recours à la violence s’inverse

seulement à partir de 1991. Jusqu’à ce que l’extrême droite ne se livre à des explosions de

violence au début des années 1990152, les services de renseignements surveillent étroitement et

surtout, depuis 1968, la scène d’extrême gauche et sa branche terroriste, la Fraction Armée

Rouge (RAF) dont les attentats terrorisent le pays153.

L’extrême gauche et l’extrême droite se distinguent par l’usage qu’elles font de la

violence. D’une manière générale, l’extrême gauche recourt à la violence de manière

exclusivement planifiée (non spontanée). Tandis qu’à l’extrême droite, la violence (ou le fait

de ne pas recourir à la violence) est appréhendée de manière fonctionnelle. Lorsqu’elle n’est

pas exercée, ce n’est pas du fait de considérations morales, mais bien parce qu’il n’est pas

dans l’intérêt des protagonistes d’en faire preuve dans un contexte donné154. Les jeunes

151 Plus de la moitié (55,5% soit 14730) des 26520 délits motivés politiquement enregistrés par le BKA sont des délits de propagande et 8,9% (2368) relèvent de violences motivées politiquement. La majorité (64%) de ceux de droite concerne des délits de propagande et 6,66% (soit 980) des actes de violence. Les délits de propagande concernent la diffusion de matériel de propagande d’organisations contraires à la constitution et l’utilisation ou le port de symboles d’organisations contraires à la constitution (§ 86 du Strafgesetzbuch, Code Pénal ). 12 562 délits (soit près de la moitié) sont considérés comme des actes extrémistes dont 80% sont imputés à la droite (10054, 1895 à la gauche, 511 aux étrangers). Sur ces 10054 délits extrémistes de droite, 709 concernent des actes de violence dirigés dans 22% des cas contre des extrémistes de gauche (ou présumés), dans 6,5% contre d’autres opposants politiques. 3% d’entre eux sont antisémites. L’énorme majorité restante (53%) des violences est motivée par la xénophobie. Pour de plus amples informations sur les procédures administratives de recensement et les évolutions qu’elles induisent, se reporter au rapport de l’Office berlinois de protection de la constitution pour 2002, p. 10. 152 En 1992, dix fois plus de crimes ou délits graves sont enregistrés par rapport à 1990. En 1991, 84,6% des délits commis le sont contre des étrangers, chiffre qui atteint 88% en 1992 (soit 1255 cas en 1991, 2285 en 1992). Cette augmentation de la violence est due à l’effet d’entraînement consécutif aux agressions de Hoyerswerda (Saxe) en septembre 1991 et de Rostock (Mecklembourg-Poméranie) en août 1992. Ces événements rappellent le contexte anomique de la RDA car la police s’est effacée dans les deux cas, donnant l’impression de cautionner les attaques en n’intervenant que tardivement. 153 Au début des années 1970, l’agitation universitaire fait place en Allemagne de l’Ouest à une vague terroriste perpétuée par la première génération de la Fraction Armée Rouge, communément appelée la Bande à Baader. Celle-ci provoque une psychose d’autant plus entretenue par la presse que le patronat et les chefs d’entreprise constituent une cible privilégiée des attentats. Le gouvernement de W. Brandt doit alors prendre des mesures autoritaires au sein de l’administration. La violence culmine en 1977 avec l’enlèvement puis l’assassinat de H. M. Schleyer, président du patronat allemand, à laquelle succède la mort de trois des principaux dirigeants de la bande terroriste par les forces de police. La RAF annonce sa dissolution officielle dans les années 1990. Sur la réaction de l’Etat de RFA face à cette extrême gauche, voir la thèse de doctorat de D. Linhardt : La force de l’Etat en démocratie : la République fédérale d’Allemagne aux prises avec la guérilla urbaine (1967-1982). EHESS/ CSI, Dir. : B. Latour et L. Boltanski, 2004. 154 D. Borstel, L. Korgel, K. Sischka, B. Wagner : Rechtsextreme Tendenzen und Erfordernisse demokratischen Handelns in Berlin-Hohenschönhausen. Etude pilote commandée par l’arrondissement de Berlin-H. ZdK, 2000.

Page 59: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

45

d’extrême droite peuvent ainsi donner d’eux une image pacifique et se distinguer

positivement de leurs adversaires d’extrême gauche. Les étrangers (« Anallemands »

phénotypiques) et les « gauchistes » (« Anallemands » du fait de leur culture et idéologie, soit

d’un racisme sociologique) sont les principales victimes des extrémistes de droite. Le danger

que constitue leur présence pour les extrémistes de droite (en termes de menace de la

perpétuation du peuple allemand) rend moralement légitime de les combattre physiquement.

Tel est le paradoxe de la violence raciste : les étrangers étant illégitimes sur le sol allemand

aux yeux des extrémistes de droite, l’exercice de violences xénophobes leur parait légitime.

L’autre catégorie de victimes englobe de manière non exhaustive les juifs, les homosexuels,

les marginaux de toutes sortes considérés comme asociaux, les handicapés et les personnes

ouvertes à d’autres cultures (les « multiculturels » dans la terminologie)155. A l’Est, les

groupes Anti-Antifas élargissent la notion d’ennemi et légitiment le recours à la violence

contre les personnes qui s’expriment publiquement contre l’extrême droite.

Si la présence de l’extrême droite dans les NBL est forte, elle est masquée par la

faiblesse relative des partis d’extrême droite à l’Est, en comparaison de la situation ouest-

allemande.

L’extrême droite comme phénomène partisan

Dans les NBL, les partis d’extrême droite ne sont qu’une branche régionale des trois

grands partis implantés en RFA : les REP, la DVU et le NPD.

Les REP (Die Republikaner, les « Républicains ») sont les plus institutionnalisés, les

plus ancrés dans la vie politique et les plus modérés. Ces ultra-conservateurs sont créés en

1983 par Franz Schönhuber et deux députés du Bundestag démissionnaires de la CSU156. Par

leur défection, ces deux députés (Franz Handlos et Ekkehard Voigt) entendent protester contre

le crédit d’un milliard de marks accordé sans contrepartie à la RDA par le ministre-président

de Bavière et président de la CSU, Franz Josef Strauss. F. Schönhuber est alors président

d’honneur du cercle bavarois des Journalistes (Bayerischer Journalistenverband). Licencié en

1982 par la télévision bavaroise (Bayerischer Rundfunk) suite à la publication de ses

mémoires intitulées J’y étais (Ich war dabei) dans lesquelles il relate non sans fierté son

expérience chez les SS, il se reconvertit en politique. Le mécontentement grossit dans les

155 Sont également considérés comme ennemis un certain nombre de professions (personnalités politiques, policiers, banquiers ainsi que l’ensemble des professions incarnant le capitalisme). 156 La CSU (Union Chrétienne-Sociale, Christlich-Soziale Union) est le pendant bavarois de la CDU. La CSU est exclusivement présente en Bavière. Sur le reste du territoire, les deux formations sont alliées. Au plan organisationnel, la CSU a ses propres structures.

Page 60: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

46

rangs des REP à mesure que Schönhuber impose au parti un cours « social-patriote » inspiré

du Front national de Jean-Marie le Pen. Les tentatives de rapprochement qu’il opère en

direction de la présidence de la DVU, autre parti d’extrême droite, renversent le rapport de

forces internes en sa défaveur157. Rolf Schlierer finit par le remplacer en 1994 à la tête du

parti. Une année plus tard, F. Schönhuber rend sa carte du parti. Depuis, il reste la figure

centrale de l’extrême droite allemande dont il souhaite l’alliance et se rapproche du NPD qu’il

conseille depuis 2004.

Bien que R. Schlierer se soucie de donner à son parti l’image sérieuse d’un parti

conservateur de droite, de nombreux groupes affiliés aux REP ne cachent pas leur refus de

l’ordre libéral et démocratique établi. Les principaux thèmes autour desquels le parti tente de

mobiliser entachent ces velléités progressistes : xénophobie, relativisation des crimes commis

sous le Troisième Reich et contestation du principe de démocratie. La propagande des REP

est xénophobe. Les dirigeants cultivent la peur d’une « invasion étrangère » (Überfremdung)

et d’une conspiration visant à transformer le peuple allemand en une population métissée. Les

bons résultats électoraux des REP en 1989-1990 ne se sont depuis renouvelés que localement.

Créée d’abord en tant qu’association en 1971, la DVU (Deutsche Volksunion, Union

populaire allemande) devient un parti politique en 1987. Son créateur et président, Gerhard

Frey, souhaite alors affilier à une organisation politique le lectorat de son journal nationaliste

Deutsche National-Zeitung (DNZ), le plus gros tirage d’extrême droite158. DNZ succède au

Journal des soldats allemands (Deutsche Soldatenzeitung), fondé au début des années 1950

pour défendre les soldats de la Seconde Guerre mondiale. Ce dernier s’engage en faveur de la

fin des procès de guerre et minimise les crimes nationaux-socialistes. D’abord limitées à

l’édition, les activités de la DVU changent dans les années 1980 avec l’émission de consignes

de vote en faveur du NPD. La rédaction de DNZ plaide dès lors pour une union des forces

d’extrême droite, avec le Front national français pour modèle.

La structure, centralisée, est l’instrument de son président. « La DVU est une machine à

imprimer de l’argent » critique un fonctionnaire des REP159. Le nombre rapidement important

157 La signature d’un accord de non-concurrence électorale avec G. Frey sans consultation préalable des instances dirigeantes du parti sonne le glas de sa présidence. Deutsche National-Zeitung du 26.08.1994. 158 Courant 1999, le quotidien Deutsche National-Zeitung (diffusé alors à 33 000 exemplaires) et la revue hebdomadaire Deutsche Wochen-Zeitung (diffusion à 17 000) fusionnent pour devenir le National-Zeitung, tiré chaque semaine à 48 000 exemplaires. 159 Dans un entretien avec l’auteur le 31.01.2002.

Page 61: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

47

de ses adhérents (ils sont 5 000 en 1976, 22 000 en 1990) doit être relativisé par leur

passivité160. En regard du travail accompli par ses militants à la base, la DVU est un parti

fantôme. Le nombre d’adhérents s’effondre à la fin des années 1990 (de 18 000 en 1998, il

tombe à 11 500 en 2003 à l’échelle de la fédération) au point que G. Frey renonce à la fête

nationale du parti en 2002, puis à nouveau en 2003. Dans le Land oriental de Saxe-Anhalt, les

adhésions chutent de 700 en 1999 au lendemain de son succès, à 50 seulement en 2003. Le

nombre restreint de militants et de personnel est compensé par d’importantes campagnes

d’affichage et d’envoi de courriers publicitaires.

Les thèmes de politique intérieure jouent un rôle marginal dans les milieux de la DVU,

jusqu’à ce qu’à partir des années 1980, l’immigration n’occupe une place centrale. Le

ressentiment, la menace du peuple allemand et la critique des partis établis passent alors au

premier plan de la rhétorique de la DVU. Son premier programme en 1987 adopte pour mot

d’ordre « L’Allemagne d’abord » (Deutschland zuerst). Il prévoit de limiter la proportion

d’étrangers, de stopper l’augmentation du flux d’immigration, d’accélérer les procédures

d’expulsion des étrangers criminels tout en continuant à banaliser les crimes du Troisième

Reich. Une modification du programme en 1993 ajoute aux risques d’« invasion » par

l’immigration celui de la dissolution de l’Allemagne dans l’Union européenne. C’est en 1998

que le personnel politique démocratique est accusé de tromper le peuple et jugé responsable

du chômage161. L’argument premier de la DVU : « Voter pour protester-Voter allemand »

(Protest wählen- Deutsch wählen) prend dès lors une teinte anti-establishment162.

Durant les années 1990, la DVU rencontre quelques succès dans le Nord du pays. Elle

remporte 6,2% des suffrages aux élections communales de Brèmes en 1991, 4,9% à

Hambourg en 1997 et 6,3% aux élections régionales du Schleswig-Holstein en 1992. La

première participation de la DVU à des élections dans la partie orientale de l’Allemagne date

seulement de 1998. A cette date, pour la première fois, un parti d’extrême droite est

représenté dans un parlement oriental. Forte de 12,9% des suffrages exprimés lors des

160 L’accroissement rapide du nombre d’adhérents peu après sa création (entre 1987 et 1993) s’explique sans doute également par le faible coût de la cotisation à cette époque (3 Deutschemarks soit moins de 1,5 euros). En 2005, elle est de 3 euros par mois. 161 Avec des slogans tels que : « Ce n’est pas le peuple, mais les pontes de la politique qui doivent pointer au chômage » (Nicht das Volk- Die Politbonzen sollen stempeln gehen). 162 L’argumentaire électoral de la DVU en 1998 est composé de cinq points : « De l’argent allemand pour des emplois allemands. Les étrangers criminels dehors ! Cette fois, votez pour la protestation. Créer des places d’apprentis. Diminuer les traitements des hommes politiques. » Voir le rapport annuel de l’Office fédéral de protection de la constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz), téléchargeable à partir du site du ministère fédéral de l’intérieur (http://www.bmi.bund.de; 21.06.2005), ainsi que les rapports des Offices régionaux.

Page 62: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

48

élections législatives de Saxe-Anhalt, la DVU dispose de 16 députés au Parlement régional.

En 1999, avec 5,3% des voix, elle connaît une seconde victoire en envoyant 5 députés siéger

au Parlement régional brandebourgeois163.

Le NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands, Parti national-démocrate

d’Allemagne) est le parti le plus radical de l'extrême droite allemande. Il est fondé le 28

novembre 1964 par d’anciens militants nazis soucieux de faire perdurer l’idéologie nazie dans

l’immédiat après-guerre. Il s’agit d’adhérents du SRP (Sozialistische Reichspartei, interdit en

1952) et du DRP (Deutsche Reichspartei). Le NPD défend une idéologie nationaliste,

xénophobe et révisionniste (il conteste notamment la « culture de la culpabilité » qui domine

la République fédérale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale). Toutefois, à l’inverse de

ses prédécesseurs du SRP et du DRP, il masque publiquement sa filiation au NSDAP.

L’origine de la plupart de ses dirigeants, la continuité organisationnelle avec le DRP et la

structure interne antidémocratique sont autant d’indices de la tradition nationale-socialiste

dans laquelle s’inscrit le NPD. Le NPD connaît quelques succès électoraux dans les années

1960, localement et à l’échelle régionale (jusqu'à 9,8 % en 1968 dans le Bade-Wurtemberg).

Avec 4,3% des suffrages, il échoue de peu à entrer au Bundestag en 1969. A compter de cette

date, ses scores diminuent et le parti disparaît quasiment de la scène politique jusqu’à

l’unification.

Avec l’accès de Udo Voigt à la présidence en 1996, le parti s’oriente sur une voie

anticapitaliste-révolutionnaire et prône un « socialisme national »164. Son ouverture aux

milieux néonazis et skinheads lui vaut de faire l’objet d'une triple demande d'interdiction

(Verbotsantrag) de la part du gouvernement fédéral et des deux chambres du Parlement

(Bundestag et Bundesrat) en janvier 2001. La Cour constitutionnelle

(Bundesverfassungsgericht) rejette la procédure en 2002. L’impartialité des témoins versés

par l’Etat est remise en cause puisque ceux-ci, bien que membres du NPD, sont employés par

l’Etat en tant qu’informateurs des services de renseignement. Le NPD échappe ainsi à

l’interdiction par l’annulation des pourparlers par le Tribunal constitutionnel fédéral le 18

mars 2003. Cette tentative d’interdiction a des conséquences plutôt négatives pour le parti. Le

procès ayant mis en évidence les nombreux contacts existant entre le personnel du NDP et les

services de renseignement allemands, ceux qui voyaient au NPD un parti anti-système quittent

163 Nous y reviendrons amplement. 164 Le chapitre premier traite cet aspect.

Page 63: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

49

l’organisation165. Cette tendance s’inverse en 2004, lorsque le NPD parvient, pour la première

fois depuis 1968, à obtenir des représentants au Parlement de Saxe. Ces députés font scandale

à plusieurs reprises, notamment lorsque le 21 janvier 2005, ils refusent de s’associer à une

minute de silence en la mémoire des victimes du national-socialisme. De nouveaux militants

adhèrent alors au NPD, notamment les déçus par le nouveau positionnement, plus modéré, des

Republikaner.

En dépit de ce succès, le NPD compte seulement 5 000 adhérents en 2004, un chiffre en

baisse par rapport à l’année précédente (6 100) et sans commune mesure avec le nombre

d’adhérents qu’avait le parti dans les années 1960. En 1967, ils étaient 30 000, un chiffre qui

tombe sous la barre des 10 000 en 1976. Depuis les années 1980, le nombre d’adhérents est

stable autour de 5 000166.

L’implantation des partis d’extrême droite dans les nouveaux Länder

Bien que l’unification allemande offre une seconde jeunesse à l’extrême droite, les REP

et la DVU continuent à recruter leurs adhérents à plus de 90% sur l’ancien territoire de la

République fédérale. La moitié de leurs suffrages provient des deux grands Etats du

Sud (Bavière et Bade-Wurtemberg)167. Le stéréotype d’une explosion de l’extrême droite

politique à l’Est dès 1990 demeure néanmoins. Il contient une part de fantasme liée à la

méconnaissance des réalités est-allemandes, comme s’en indigne R. Schröder, qui dénonce

l’amalgame que font les médias:

« La journaliste me demande pourquoi il y a tant d’extrémistes de droite à l’Est. Je lui dis : entre 75 et

90% des adhérents des partis d’extrême droite sont ouest-allemands. Alors, elle me demande pourquoi

donc sont-ils tous allés en Saxe ? Je réponds : [énervé] ils ne sont pas partis en Saxe, ils continuent à

habiter dans le Bade-Wurtemberg ! Mais vous ne le savez pas, c’est tout ! On retrouve la conviction que

l’extrême droite est un phénomène oriental. [..] C’est très étonnant cette autosuggestion, là, avec cette

jeune journaliste, qui a reposé la question après l’émission. Ils vivent convaincus que les Republikaner

ou autres ont un nombre conséquent d’adhérents est-allemands.» 168

165 Sur cette question, voir L. Flemming : « Die NPD nach dem Verbotsverfahren – Der Weg aus der Bedeutungslosigkeit in die Bedeutungslosigkeit ? ». Extremismus und Demokratie, 16, 2004, pp. 145-154. 166 Voir l’annexe liminaire, tableau 3. 167 A l’Ouest, la DVU dépasse le seuil des 5% dès 1991 à Brême lors d’élections communales, un an plus tard dans le Schleswig-Holstein. Les REP entrent au parlement régional du Bade-Wurtemberg en 1992, y restent à l’issue des élections de 1996, forts de 10% des suffrages exprimés. A Hambourg lors des élections locales de 1993 et 1997, les partis d’extrême droite rassemblent plus de 5% des voix. En Bavière, les REP atteignent 4,9% des suffrages en 1990 et 3,9% en 1994. 168 Entretien réalisé avec R. Schröder le 03.09.2002.

Page 64: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

50

Seul le NPD, bien que minoritaire, recrute de plus en plus à l’Est. Il est à la fois le plus

ancien des partis d’extrême droite allemands, l’héritier le plus direct du NSDAP et le plus

capable d’adaptation. C’est le premier (chronologiquement) à tenter de conquérir les NBL. Le

NPD doit son dynamisme à l’Est à son rapprochement avec les milieux violents des néonazis

et skinhead, auxquels il doit la majorité de ses recrutements. A la suite de mesures de

répressions étatiques sévères prises entre 1992 et 1995 (interdiction des principales

organisations néonazies), la scène néonazie des NBL entame, dans la seconde moitié des

années 1990, une « organisation par la désorganisation »169 qui vise à réduire au maximum les

possibilités d’actions répressives des autorités en leur offrant une scène divisée et organisée

en groupes décentralisés. Le NPD offre alors un abri aux associations interdites par

l’intermédiaire de son organisation de jeunesse JN (Junge Nationaldemokraten, les jeunes

nationaux-démocrates), espérant ainsi jouer un rôle d’avant-garde dans le domaine des

subcultures.

A l’Est, le nombre d’adhérents de partis et organisations d’extrême droite a presque

doublé entre 1990 et 1993. Le nombre d’adhérents des partis d’extrême droite est en baisse

depuis le milieu des années 1990, mais la part des adeptes du NPD dans la scène est de plus

en plus importante, comme en témoignent les graphiques ci-dessous.

Graphique 2- Evolution des adhésions des partis d'extrême droite (1987-2004)

0

10000

20000

30000

40000

50000

60000

1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004

Total adhérents des principaux partis politiques REP DVU NPD

169 R. Stöss : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland. Bonn : Friedrich-Ebert-Stiftung, 1999, p. 98.

Page 65: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

51

Graphique 3- Evolution de la part d’Allemands de l’Est parmi les adhérents des partis d’extrême droite

0

5

10

15

20

25

30

35En pourcentage du

total des

adhérents de l'extrêm

e droite

1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998

AnnéeMoyenne pour les NBL Dont REP Dont DVU Dont NPD

Le deuxième graphique met en évidence la tendance plus récente d’un fort recrutement

du NPD dans les NBL. A partir de 1996, la proportion d’Allemands de l’Est dans les effectifs

du NPD atteint même un tiers170.

C’est ainsi une forme hybride, violente de l’extrémisme de droite et de plus en plus

politisée par le NPD qui se développe depuis l’unification sur le sol est-allemand. La forme

que prend l’extrême droite dans les NBL est fortement héritée de la RDA. Son apparition en

réaction au dogme antifasciste ainsi que les œillères de la Stasi et du SED à son égard pèsent

lourdement sur la prise en charge de la problématique de l’extrême droite par le PDS, mais

également comme nous le verrons, par l’ensemble des autorités politiques, institutionnelles et

sociales. Le PDS est indirectement tenu responsable de la politique des autorités communistes

à l’égard de l’extrême droite en RDA. L’existence de l’extrême droite sur le territoire des

NBL met ainsi le PDS face à son héritage totalitaire. L’acteur principal de la recherche étant

présenté et l’arrière-plan historique planté, il convient de détailler l’objet de la recherche.

170 Pour le détail des chiffres, se reporter aux tableaux 4 et 5 de l’annexe liminaire.

Page 66: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

52

Objet de la recherche et hypothèses de travail

L’ennemi d’extrême droite, une réponse du PDS aux exigences démocratiques qui tente de masquer la présence de l’ennemi à

l’intérieur

L’argument valorisant de l’antifascisme est réactualisé par le PDS dès l’unification en

réaction aux tentatives d’implantation de l’extrême droite ouest-allemande sur le territoire issu

de la RDA. Pour les Allemands de l’Est, l’antifascisme est, avec un certain sens de la justice

sociale, la seule valeur positive héritée de la RDA. Il remplit des fonctions idéologiques,

symboliques et identitaires essentielles au PDS. Parce qu’il met en scène l’attachement

affectif de la base au PDS, il conditionne la survie du parti. Après avoir comblé le vide laissé

par l’ébranlement des idéologies, il demeure le garant générique de la culture du parti171.

Incontournable référent identitaire, le mythe antifasciste est au PDS l’« invitation constante à

communier » ; il régule « la dialectique de l’ordre et du mouvement »172. En tant qu’ensemble

de représentations du monde social structuré par la croyance et la violence

symbolique, l’idéologie antifasciste remplit au PDS une fonction similaire à celle que

remplissait la mythologie dans l’Antiquité : elle explique les phénomènes incompris.

La manière dont le PDS, sur cette base antifasciste, investit l’extrême droite du rôle de

l’ennemi résulte de son interprétation des règles de fonctionnement de la démocratie

représentative. Cette investiture lui permet de concilier deux exigences contradictoires que

sont d’une part la nécessité de se redéfinir pour l’avenir et d’autre part celle d’assumer son

passé. La croyance en l’antifascisme donne sa réalité sociale à un ennemi d’extrême droite,

qui remplit les trois usages principaux de l’ennemi en politique : instrument de structuration

cognitive, il sert à édifier des coalitions politiques autant qu’à stabiliser l’organisation173. En

somme, il ancre le parti dans une configuration démocratique.

La construction d’une figure ennemie au PDS est rendue nécessaire par l’héritage

contraignant de l’antifascisme. Ce legs handicape néanmoins fortement le PDS, puisqu’il

comprend un mode autoritaire de règlement des conflits commun au communisme et au 171 Le terme de culture est ici entendu comme « l’accord mutuel sur les idées conventionnelles, manifestes dans les actions et les objets, qui caractérise toute société ». R. Redfield : The Folk Culture of Yucatan. Chicago : University of Chicago Press, 1941, p. 132. 172 M. Hastings : Aborder la science politique. Seuil, 1996, p. 13. 173 M. Edelman : Pièces et règles du jeu politique (Constructing the Political Spectacle). Le Seuil, 1991, en particulier le chapitre 4 : « La construction et les usages des ennemis politiques », pp. 129-170.

Page 67: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

53

national-socialisme. Pour cette raison, l’image de l’ennemi repose sur la nécessité de prouver

que l’extrême droite est étrangère au corps social du PDS.

Cette distanciation nécessite que l’antifascisme accède au statut de norme en usage, tel

que défini par H.S. Becker174. L’antifascisme au PDS n’est pas édicté par la loi mais résulte

d’accords informels. Il s’impose lorsque le compromis est impossible ou inefficace à venir à

bout du conflit. Le conflit ici envisagé oppose la croyance en un consensus antifasciste

régissant les interactions sociales du PDS et la réalité des convictions d’une partie des anciens

du SED, qui s’avèrent proches de l’extrême droite. Au PDS, l’ennemi est d’extrême droite et

infiltré à l’intérieur même du parti. C’est cette réalité que la norme antifasciste tente de

masquer. En tant que norme, l’antifascisme est une croyance à ne pas remettre en question,

qui édicte des règles de comportement. Il est « valeur obligatoire attachée à une règle de

conduite »175.

Parce que, comme nous l’avons vu au sujet de l’extrémisme, le débat démocratique

recourt également à la figure de l’inimitié176, nous souhaitons confronter l’image de l’ennemi

qu’un groupe se construit, à la réalité de la compétition politique177. La notion de norme

contient non seulement l’idée, mais également les modalités de sa transgression, autant que le

concept de démocratie fonde celui d’extrémisme.

Au cœur de la figure de l’ennemi construite par le parti se situe dès lors le décalage

entre la norme imposée par le collectif et la manière dont les individus lui donnent forme.

Dans cette confrontation de l’idéologie aux pratiques politiques, de l’individu au collectif

partisan, c’est la rationalisation du procédé d’adhésion à l’organisation politique qui est en

jeu. Confronter le PDS à son ennemi revient à démystifier la « culture du parti ».

L’hypothèse principale de ce travail peut se résumer de la sorte : c’est pour satisfaire

aux exigences du régime démocratique de la RFA que le PDS confère lourdement à l’extrême

droite le statut d’ennemi. Or, l’illusion antifasciste sur laquelle repose cette mise en scène est

inadaptée à la réalité du jeu concurrentiel de la démocratie représentative. D’une part car

l’ennemi est en réalité à l’intérieur du parti, d’autre part car l’image unie, voire unique que le

174 H.S. Becker : Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Métailié, 1985, p. 152. 175 C’est l’une des définitions que lui donne G. Cornu (dir.): Vocabulaire juridique. PUF, 2004 (6ème édition), p. 607. 176 M. Edelman : op. cit. 177 La démocratie représentative se caractérise par la « compétition pour la conquête de positions de pouvoir dans l’Etat. » D. Gaxie : La démocratie représentative. Montchrestien, 2003, p. 11.

Page 68: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

54

parti cherche à donner de lui-même n’existe pas. Il ne vit que par et à travers les agents qui

s’en investissent.

L’objet ici n’est pas démêler la croyance (antifasciste) de l’action (contre l’extrême

droite), mais de montrer comment la figure de l’ennemi se décompose dès qu’elle s’incarne

dans le jeu politique. La seule incarnation de l’ennemi d’extrême droite suffit pour que les

acteurs du PDS modifient l’ensemble des règles du jeu qui structurent normalement l’activité

politique et indiquent à l’ensemble des acteurs qui interagissent dans le champ politique

comment ils doivent se comporter face à leurs concurrents, qu’ils se situent à l’intérieur ou à

l’extérieur de leur parti.

La figure de l’ennemi adoptée par le PDS s’avère incapable de transformer le modèle

éthique en modèle politique. L’antifascisme répond en effet à la logique des impératifs

catégoriques (dont le critère est la morale). Or, dans la réalité politique, il doit aussi répondre

à des impératifs hypothétiques (dont le critère est la pratique)178. En somme, il doit être à la

fois une fin et un moyen.

Ainsi, parce qu’elle est politique, l’attitude du PDS face à l’extrême droite ne saurait

être désintéressée. Dans le même temps, elle est le fruit d’une mise en scène d’un parti qui se

fantasme en « entrepreneur de morale »179. La manière dont la croyance en l’antifascisme

s’incarne en lutte contre l’extrême droite est doublement régie par les règles du jeu

politique180. L’existence de règles pragmatiques renvoie à la question de son efficacité, les

règles normatives à la fois à la raison ostensible et intime de l’action. C’est parce que

l’antifascisme exerce une contrainte éthique sur l’action qu’il agit comme une norme. Or,

cette norme structure l’entrée dans le nouveau système en fixant l’idéal démocratique. Elle

reflète les attentes des dirigeants envers leurs militants, tout autant que la manière dont le PDS

perçoit les attentes du système à son égard.

178 L’impératif hypothétique « subordonne l’ordre à une fin au moins possible ou souhaitée, et le transforme ainsi en simple moyen, relevant de l’habileté ou de la prudence » ; l’impératif catégorique « ordonne sans condition : seul moral à proprement parler, il concerne, non la matière de l’acte ou son résultat, mais uniquement sa forme, c’est-à-dire son rapport à une exigence d’universalisation ». G. Durozoi, A. Roussel : Dictionnaire de philosophie. Nathan, 1990, p. 170. Voir I. Kant : Fondements de la métaphysique des mœurs (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten). Delagrave, 1991. 179 H.S. Becker : op. cit. 180 La structure politique est également, dans une certaine mesure, « un ensemble de règles destiné à codifier la compétition.» Certaines d’entre elles sont sacrées et ne peuvent être sacrifiées, même pour gagner une élection. Ce sont les règles normatives. Les règles pragmatiques, elles renvoient à la tactique de jeu, ce sont « des instructions pratiques quant à la manière de gagner » F.G. Bailey : op. cit., pp. 13-18.

Page 69: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

55

La filiation théorique

Ce travail applique l’analyse sociologique à un parti politique. Il analyse le PDS sous l’angle

de sa place dans la société est-allemande, en s’appuyant sur la recherche existant en France et

en Allemagne.

Une approche sociale et individualisante d’un parti politique

En tant que contribution à l’analyse sociologique d’un parti politique, ce travail

s’attarde sur la manière dont les agents, à titre individuel, incarnent leur rôle politique et

interagissent face à l’extrême droite.

Parce qu’un parti politique est tout autant créateur que produit de routinisation (en tant

qu’il transforme des actions accomplies par habitude en actions ou attitudes culturellement

acquises), son analyse doit tenir compte aussi bien de ce qui permet à l’institution politique de

conserver sa cohésion, que de la capacité des agents à l’inventer et des effets créateurs des

divers territoires sur lesquels il prend forme. L’étude d’une politique partisane de l’inimitié

nécessite donc d’élargir le parti à un « milieu social », en tenant compte de l’influence des

soutiens dont bénéficient les leaders sur la production et la diffusion des biens politiques181.

Ces soutiens renvoient également à la notion de réseaux, dont l’usage permet d’intégrer, au-

delà de « l’imbrication du politique et des autres dimensions du social »182, le poids du passé,

primordial dans le cas du PDS. L’approche doit également tenir compte de l’influence

réciproque de la société et du parti. La manière dont ce dernier retranscrit son idéologie à

travers des pratiques est le produit de cette négociation entre le parti et la société, retraduite en

interne par un procédé constant de négociation entre l’institution et ses agents.

Loin de penser et d’agir comme un seul homme, un parti politique est d’abord

l’ensemble des individus mus par des intérêts (collectifs et individuels), par une cause et une

identité communes que structure l’adhésion à une idéologie. Bien que M. Weber définisse un

parti politique comme un type particulier de « sociation » (Vergesellschaftung) 183, le cas du

181 La notion de milieu permet d’appréhender « l’existence de groupes sociaux importants et influents dont la solidarité tient à des facteurs d’ordre idéologique, formulés et explicités, parfois même articulés en un ensemble cohérent, par des leaders, des ‘constructeurs d’opinion’ ; ces leaders possèdent ou acquièrent une autorité directe ou indirecte sur les membres des milieux dont ils sont aussi, d’une certaine manière, les interprètes. » J. Lagroye : Société et politique. Chaban-Delmas à Bordeaux. Pedone, 1973, p. 4. 182 M. Abélès : Anthropologie de l’Etat. A. Colin, 1990, p. 7. 183 Un parti politique est « sociation » (Vergesellschaftung) en cela et tant que « la disposition de l’activité sociale se fonde sur un compromis (Ausgleich) d’intérêts motivé rationnellement (en valeur ou en finalité) ou sur une coordination (Verbindung) d’intérêts motivée de la même manière ». Dans le cas d’un parti politique, la

Page 70: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

56

PDS implique d’y adjoindre une analyse en termes de « communalisation »

(Vergemeinschaftung)184. Une part importante de son influence repose en effet sur la force et

le caractère univoque des liens identitaires et affectifs le liant à sa base. Ils conditionnent la

réaction de celle-ci à l’extrême droite en ce sens que l’émotion en est partie intégrante.

Etat de la recherche

L’insertion de cette problématique dans une perspective centre-européenne traduit la

volonté de se démarquer des travaux menés en France dans le domaine de la science politique,

qui limitent l’Allemagne unifiée à une puissance occidentale dont la situation intérieure et

extérieure aurait été normalisée du simple fait de l’unification.

Le PDS et l’extrême droite sont devenus avec l’unification des domaines privilégiés de

recherche des politologues allemands185. Les sciences sociales disqualifient pourtant

volontiers le PDS par une condamnation morale a priori, tant il est disqualifié par l’héritage

dictatorial du SED en RDA. Cette organisation partisane se voit ainsi essentiellement analysée

en termes fonctionnels (rapport à la démocratie) et/ou organisationnels (continuité avec le

passé)186. Les sciences sociales allemandes font une analyse majoritairement structurelle du

PDS. Outre le classique positionnement Est-Ouest inhérent à la situation allemande, ces

études sont de plus très fortement idéologisées, au point qu’il arrive que l’objet de recherche

soit fantasmé187.

« sociation » repose « sur un engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d’un groupement et à leurs militants actifs des chances – idéales ou matérielles - de poursuivre des buts objectifs, d’obtenir des avantages personnels, ou de réaliser les deux ensemble.» M. Weber : Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriss der verstehenden Soziologie. Tubingen : J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1980, 5ème édition (Studienausgabe de J. Winckelmann), p. 21 et 67. Pour la traduction: M. Weber : Economie et société. Plon, coll. Pocket, 1995. Tome 1, p. 78-80 et p. 371. 184 La communalisation, fondée sur « n’importe quelle espèce de fondement affectif, émotionnel ou encore traditionnel » désigne une « relation sociale lorsque, et tant que, la disposition de l’activité sociale se fonde –dans le cas particulier, en moyenne ou dans le type pur - sur le sentiment subjectif (traditionnel ou affectif) des participants d’appartenir à une même communauté (Zusammengehörigkeit) ». M. Weber : Wirtschaft und Gesellschaft, p. 21. M. Weber : Economie et société, pp. 78-79. 185 Sur la spécificité, notamment historique, de la science politique allemande, se reporter à P. Laborier, D. Trom : « La science politique dans tous ses états. Controverse autour de la naissance d’une discipline entre enjeux théoriques, luttes de savoirs et transferts culturels ». Politix, 59, 2002, pp. 33-66. 186 Pour une vision conservatrice du PDS, répandue en Allemagne de l’Ouest, voir P. Moreau : Die PDS: Profil einer antidemokratischen Partei. Munich : Hans-Seidel-Stiftung, 1998. Pour une synthèse de la nature et des fonctions du PDS en l’an 2000 et la portée de l’héritage du SED, voir la thèse de P.-Y.Boissy : op. cit. 187 Tel nous semble être le cas notamment de certains proches des fondations politiques de la CDU ou de la CSU. Notre opinion est partagée par les auteurs de l’ouvrage de référence traitant du PDS, R. Stöss et G. Neugebauer ainsi que par A. Thumfart, auteur d’un ouvrage très complet sur l’intégration politique de l’Allemagne de l’Est. R. Stöss, G. Neugebauer : Die PDS. Geschichte. Organisation. Wähler. Konkurrenten. Opladen : Leske und

Page 71: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

57

Ni les travaux portant sur la vie politique occidentale ni ceux des transitologues ne

s’attardent sur la RDA, le PDS ou plus généralement la situation des NBL188. Les chercheurs

en France s’intéressent peu à l’extrême droite en dehors des frontières de leur pays ; de même

la référence à la notion d’antifascisme reste rare189. L’extrême droite et l’héritage communiste

sont analysés en parallèle dans le cadre de la théorie du totalitarisme posant la validité de la

comparaison du communisme et du nazisme190. L’engagement des forces politiques pour ou

contre l’extrême droite et son idéologie font rarement l’objet d’une recherche191, exception

faite de la sociologie des mobilisations. Les chercheurs s’attardent en outre peu sur les effets

de la représentation de partis extrémistes au sein des institutions politiques192. Dès lors, l’étude

réalisée ici souhaite dévoiler une partie de la production universitaire allemande dans le

domaine de l’extrémisme politique (une branche de la science politique allemande,

l’Extremismusforschung, lui est exclusivement consacrée). Les outils utilisés divergent

également. Par exemple, les enquêtes sociologiques de longue durée (portant sur une dizaine

d’années), fort courantes en Allemagne, sont peu utilisées en France193.

Budrich, 1996, pp. 197-198 et A. Thumfart : Die politische Integration Ostdeutschlands. Francfort sur le Main : Suhrkamp 2002. Ce dernier écrit notamment que J. P. Lang et P. Moreau « peignent un fantôme sur les murs qui parait tout droit sorti de leurs propres craintes », p. 262. 188 L’Allemagne est quasi-inexistante du Livre noir du communisme de S. Courtois, N. Werth, K. Bartosek [et al.]. Robert Laffont, 1998 ; l’édition annuelle de L’Europe centrale et orientale dirigée par E. Lhomel et T. Schreiber (La Documentation Française) ne l’évoque pas. A l’inverse, un chapitre est par exemple consacré au PDS dans l’ouvrage de M. J. Bull, P. Heywood (dir.) : West European Communist Parties after the Revolution of 1989. New York : Saint Martin Press, 1994. 189 De nombreux aspects traités en Allemagne le sont peu en France (parmi eux : la portée et l’héritage de la propagande antifasciste, l’approche transitologique du devenir des partis communistes -également occidentaux- après la chute du mur de Berlin et de l’héritage des dictatures communistes dans les sociétés post-communistes à la veille de l’élargissement de l’Union européenne, la sociologie de l’extrême droite comme phénomène de jeunesse) ou différemment (la question des initiatives mises en place pour combattre l’extrême droite est par exemple un classique allemand, y compris au niveau des politiques publiques et locales). En France, cette approche est encore essentiellement militante, donc politique ou associative, bien que la science commence à s’y associer. Voir notamment C. Rojzman, V. Le Gaziou : Comment ne pas devenir électeur du Front national. Desclée De Brouwer, 1998 (Préface de P.-A. Taguieff). 190 Pour la France, se référer au débat autour du Livre noir du communisme. Récurrente en Allemagne, la controverse oppose historiens du temps présent, politologues, sociologues et juristes autant qu’elle nourrit le combat politique. 191 Exception faite d’une thèse sur les grands partis politiques et l’extrême droite dans les débats du Bundestag entre 1990 et 1994. H. Lynen von Berg: Politische Mitte und Rechtsextremismus. Diskurse zu fremdenfeindlicher Gewalt im 12. Deutschen Bundestag (1990-1994). Opladen : Leske und Budrich, 2000. Elle correspond davantage à une étude de discours et conclut à une forte instrumentalisation du débat par ces partis, une utilisation propre à leur couleur politique, qui offre un point de départ à la comparaison. En outre, nous avons eu l’occasion, au cours d’un entretien, de discuter avec son auteur ses hypothèses au sujet du PDS. 192 On peut toutefois citer sur ce point l’analyse de G. Birenbaum: « Le FN à l'assemblée (1986-1988). Respect et subversion de la règle du jeu parlementaire ». Politix, 20, 1992, pp. 99-118. 193 En Allemagne, elles traitent couramment de la jeunesse (est-) allemande, du phénomène d’extrême droite ou encore de la xénophobie et de l’attrait que ceux-ci représentent pour la population. Une référence en la matière est W. Heitmeyer : Die Bielefelder Rechtsextremismusstudie. Erste Langzeituntersuchung zur politischen Sozialisation männlicher Jugendlicher. Munich/ Weinheim : Juventa-Verlag, 1993 (2ème édition).

Page 72: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

58

Présentation de la méthode

L’analyse couvre la période 1990-2002 en insistant sur l’avant-dernière législature

fédérale (1998-2002). Le travail de terrain effectué à Berlin entre octobre 2000 et octobre

2002 a été complété par un court séjour de recherche dans la capitale saxonne, Dresde.

Le cadre temporel

L’année 2002 s’ouvre avec la formation d’une coalition PDS-SPD à la tête de la capitale

berlinoise. A l’issue des élections fédérales de 2002, le PDS perd son statut de groupe

parlementaire au Bundestag. Cet échec entraîne de profondes remises en question

(organisationnelles et fonctionnelles) qui rendent l’après 2002 peu propice à l’analyse réalisée

ici. L’appareil du PDS privilégié pour l’analyse, celui de l’arrondissement Lichtenberg de

Berlin-Est, en tant que vivier de personnel, paraît incarner l’avenir du parti dans une capitale

qui est déjà le centre névralgique de l’activité néo-socialiste194.

L’été 2000 ouvre une fenêtre politique qui accroît l’attention portée à l’extrême droite195.

Un attentat à Düsseldorf fait prendre conscience, à la société allemande, du danger que

représente l’extrême droite et aux élites, du pouvoir de mobilisation de ce danger. Le 27 juillet

2000, une bombe blesse gravement dix réfugiés de confession juive revenant de la synagogue.

Immédiatement imputé aux extrémistes de droite, bien que les coupables n’aient, cinq années

plus tard, toujours pas été identifiés, cet attentat place l’extrême droite sur le devant de la

scène publique. Devant les pressions exercées par les milieux économiques qui craignent une

chute des investissements étrangers, le pouvoir politique s’empare de la problématique et une

batterie de mesures préventives et répressives est adoptée. La création d’initiatives locales,

régionales ou fédérales antiracistes se multiplie. Le refus de l’extrême droite acquiert une

forte visibilité, notamment à travers des campagnes de publicité196. Ce débat de l’été 2000

comble le manque d’actualité de la période estivale, ce qui lui vaut le surnom de « trou 194 Elus locaux du conseil d’arrondissement, députés régionaux de Berlin et du Parlement fédéral élus dans cette circonscription, membres du Comité régional ou fédéral du parti, enfin, candidats pressentis à un poste de sénateur berlinois se rencontrent dans le microcosme lichtenbergeois. 195 Une fenêtre politique ouvre une période de plus grande réceptivité de la part des acteurs politiques ; elle représente une « opportunité pour les acteurs mobilisés de promouvoir leurs solutions préférées ou de faire porter l’attention sur leurs problèmes particuliers ». J. Kingdon : Agendas, Alternatives and Public Policies. Boston: Little Brown, 1984, p. 212. 196 Elles ont en commun la volonté d’encourager le citoyen à s’opposer aux faits d’extrême droite rencontrés au quotidien. Ainsi voit-on, dans une publicité diffusée au cinéma, le feu se propager dans une cuisine tandis qu’une famille allemande traditionnelle poursuit son dîner en faisant semblant de ne se rendre compte de rien. « Ne détournez pas le regard lorsque le feu éclate » conseille le slogan. Une autre publicité montre les passagers d’un bus jeter littéralement dehors deux jeunes au look de skinheads et au comportement raciste.

Page 73: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

59

estival » (Sommerloch). Il culmine à Berlin le 9 novembre 2000 lors d’une grande

mobilisation populaire restée sous le nom d’ «insurrection des gens honnêtes » (Aufstand der

Anständigen), à laquelle s’associent les pouvoirs publics. Des personnalités de partis

politiques représentés au Bundestag ainsi que des figures morales de la politique (le Président

Johannes Rau, SPD) ou de la société (Paul Spiegel, représentant de la communauté juive

d’Allemagne) se succèdent sous la Porte de Brandebourg au terme d’une manifestation

populaire rassemblant près de 10 000 personnes.

Le cadre géographique : Berlin (-Est) et l’arrondissement de Lichtenberg197

Le fait de limiter le cadre de la recherche aux NBL reflète la nature du PDS, ensemble

puissant et cohérent à l’Est, phénomène marginal et hétéroclite dans la partie occidentale de

l’Allemagne. Berlin centralise les organes institutionnels de l'Etat fédéral et les instances

fédérales dirigeantes du PDS (son directoire fédéral, son groupe parlementaire au Bundestag

et la fédération berlinoise). Le choix de Berlin découle aussi de la volonté de privilégier une

approche qualitative, la ville rendant possible l'étude de la politique du parti aussi bien à

l'échelle communale que régionale et fédérale198.

Au-delà des traits spécifiques à l’ancienne RDA, la ville de Berlin n’est pourtant

représentative ni de la société allemande ni de la société est-allemande. Elle en est

emblématique : la confrontation quotidienne avec l’ouest berlinois souligne les traits

caractéristiques de l’ancienne RDA.

L’arrondissement (Bezirk) de Lichtenberg à Berlin-Est a été choisi en raison de sa

situation géographique et politique. Lichtenberg s’est rapidement imposé en tant qu’unité

locale du fait de la majorité absolue des sièges dont dispose le PDS au sein de son conseil

communal et de la forte tradition de l’extrême droite. Lichtenberg a en effet joué un rôle

essentiel dans la constitution et l’organisation de la scène est-allemande d’extrême droite dès

la fin des années 1980.

Parce que, comme nous le verrons, le local est l’espace à la fois du présent et du passé,

l’étude localisée est un excellent cadre d’analyse du processus de transition démocratique199.

197 Voir la carte de l’Allemagne et des arrondissements de Berlin en Annexes carthographies. 198 Ville-région, Berlin a officiellement retrouvé son statut de capitale en l’an 2000. Ceci fait suite à une résolution adoptée le 20 juin 1991 par le Bundestag qui décide le transfert de son siège ainsi que de des principaux services gouvernementaux à Berlin. 199 Voir C. Perron : Les pionniers de la démocratie. PUF, 2004.

Page 74: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

60

La réalité locale rend compte des bouleversements politiques, économiques et sociaux que la

population est-allemande affronte depuis l’unification. Face à ces bouleversements, la

tendance est au repli sur l’espace local, en tant que marque proche donc rassurante d’une

identité collective. Or le PDS, en tant qu’instrument politique de ces changements, se situe

précisément au croisement du passé et du présent. En regard d’une identité collective, il

constitue en outre un point de repère pour les Allemands de l’Est. La situation de Lichtenberg,

à Berlin, ajoute à la visibilité du processus de démocratisation.

La réalisation d’une enquête de terrain empruntant à la sociologie dans le cadre d’une

thèse de science politique répond à plusieurs objectifs et contraintes. Comprendre le succès du

PDS permet d’approcher les raisons de l’attrait d’une partie de la société est-allemande pour

l’extrême droite, autant que de sa supposée nostalgie du communisme. Pour ces raisons, le

choix a été fait de réaliser une enquête sociologique de type participatif en immersion totale ;

le fait d’habiter sur place décuple les occasions d’observation directe du microcosme choisi

ainsi que des interactions confrontant le PDS à l’extrême droite.

L’immersion dans un bastion du PDS aide à appréhender la nature d’un parti qui

avoisine quasi-immuablement les 45% des suffrages. La vie à Lichtenberg montre que le PDS

fait davantage partie de la vie des gens qu’il ne représente leurs idées politiques200. L’arrivée à

Lichtenberg donne l’impression de se mouvoir dans un décor de cinéma représentant la RDA

dix ans après sa disparition. Ce sentiment s’accroît en regard de l’étonnement suscité, voire du

dégoût affiché par certains, pour ce lieu, ce qui en réaction, développe la fibre du romantisme

industriel201. Le quartier du parc zoologique (Tierpark) que nous avons habité se compose

essentiellement de Plattenbauten, soit des cités-dortoirs modernes en préfabriqué, un luxe de

l’habitat réservé aux nomenklaturistes du temps de la RDA. Et ils étaient nombreux autour du

siège de la police d’Etat de Hohenschönhausen (H.). Une ligne de métro va du centre de

Berlin à Tierpark et conduit au centre de Berlin-Est, la fameuse Alexanderplatz en 20

minutes. A quelques stations se situe l’imposante Allée Staline (Stalinallee), rebaptisée Allée

de Francfort (Frankfurter Allee), celle là même qui vit la seule insurrection ouvrière de

l’histoire de la RDA écrasée dans le sang le 17 juin 1953. C’est de la gare de Lichtenberg, à

200 Le PDS parraine par exemple les kermesses locales organisées le week-end sur la place du marché, à la sortie du U-Bahn (métro). 201 Quelque peu horrifié, le chauffeur de taxi qui, après s’être perdu dans des rues semblables au milieu de tours que rien ne distingue, nous dépose au pied de ces barres, nous recommande vivement de déménager et de nous « trouver une gentille petite chambre à Prenzlauer Berg », quartier étudiant de Berlin-Est.

Page 75: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

61

deux stations de Tierpark, que partent les trains pour la côte Baltique, haut-lieu de villégiature

de la nomenklatura communiste.

A Tierpark, dans l’ensemble de la Sewannstrasse, la population estudiantine étrangère

est accueillie, mais elle est mise à l’écart. Comment en serait-il autrement lorsque les

Allemands ne veulent pas habiter cette résidence universitaire réhabilitée au mobilier encore

marqué de l’insigne de la seule université orientale du Berlin divisé, la Humboldt-

Universität ? Ceci crée une concentration d’étudiants étrangers hébergés en fonction de leur

pays d’origine202. Les Russes arrivés après 1990, ainsi que les travailleurs vietnamiens restés

après l’unification semblent repeupler le quartier. L’insigne MacDonald du métro cède une

partie de son bail au commerçant de produits russes.

Chiffres et documents ne rendent pas la peur qui se lit dans les yeux de personnes de

couleur (étudiants camerounais ou travailleurs libanais) descendant la nuit du métro en même

temps qu’un groupe de skinheads203. Chiffres et documents confirment l’impression d’une

société ethnocentrée jusque que dans l’homogénéité de la physionomie. Sa tentation pour

l’extrême droite se devine à travers la présence surnuméraire de pancartes électorales militant

en faveur du plus agressif des partis d’extrême droite, le NPD. Ou alors faut-il n’y voir qu’une

obsession d’extrême droite pour un eldorado électoral ? Autant de non-dits que l’on devine

derrière les propos de nos interlocuteurs dont une grande partie officie à Lichtenberg. La

deuxième année passée en plein cœur de Berlin-Ouest nous a offert l’opportunité de mettre en

évidence ces traits caractéristiques de Lichtenberg204.

Un outil : l’enquête de terrain

En marge de cette immersion, les choix théoriques et méthodologiques opérés visent à

dépasser le stade du discours idéologique des acteurs pour atteindre les pratiques. Parce

qu’elle livre des informations factuelles d’une part, et qu’elle met à l’épreuve l’engagement

antifasciste et antiraciste supposé d’un individu et à travers lui d’une institution d’autre part,

l’enquête de terrain permet de qualifier l’intérêt porté par une organisation politique à un

202 Les étudiants camerounais habitent tel immeuble et notre colocataire bulgare retrouve un certain nombre d’amis d’enfance à son étage et dans un périmètre de trois pâtés de maison. 203 L’une d’entre elles, percevant notre affolement, se veut rassurante : « Tout va bien se passer » disent les signes qu’envoient ses mains à travers la vitre du métro. 204 L’obtention d’une bourse de recherche de la Fondation universitaire de la CDB (Studiumstiftung des Berliner Abgeordnetenhauses) ouvre droit de manière quasi-obligatoire à un hébergement dans un foyer select pour étudiants étrangers. L’Internationales Studienzentrum Berlin (isb) est situé à Charlottenbourg, Theodeor-Heuss-Platz, à proximité de la forêt de Grünewald et de Wannsee.

Page 76: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

62

problème de société. L’usage d’outils sociologiques permet de dépasser le cadre de l’action

officielle de l’institution pour entrevoir la diversité des pratiques qu’elle héberge. La méthode

sociologique d’enquête qualitative dévoile les pratiques (transmission de règles propres et de

savoir-faire spécifique), les interactions entre les agents et les transactions idéologiques qui se

déroulent au sein d’un parti politique. Elle offre ainsi la possibilité d’évaluer non seulement la

place qu’il accorde véritablement à une thématique particulière mais également les ressorts

que celle-ci constitue pour son combat politique.

Des choix méthodologiques, rarement limitatifs, ont été faits. Le premier porte sur le

cadre théorique et fait intervenir des outils de recherche empruntés à la sociologie.

L’empirique complète alors la théorie. La réalisation d’une enquête de terrain répond à la

volonté d’appréhender l’objet partisan à la fois comme institution et comme l’ensemble

d’individus s’y engageant. Il est aisé de déterminer l’action officielle de l’institution. Les

nombreux documents internes produits par le parti sur la question de l’extrême droite sont

accessibles. Mais il s’agit avant tout de littérature grise, produite par des intellectuels et

chercheurs proches du parti. De nombreuses sources primaires sont également disponibles. En

interne, il s’agit d’une documentation rapportant les débats et discussions du personnel

politique du PDS, ainsi, à l’inverse, que de la production, plus rare, des partis d’extrême

droite sur le PDS. Le travail parlementaire des élus (au sein du Bundestag, des parlements

régionaux ou encore des conseils communaux) est rendu autant par la documentation interne

au parti que par les archives publiques et/ou locales205. La presse a constitué une source

importante d’informations, systématiquement dépouillée, sur la vie du parti, ses prises de

position dans les débats publics, ainsi que pour l’appréhension du phénomène d’extrême

droite.

S’il est facile d’accéder à l’ensemble des actions menées contre l’extrême droite par les

groupes parlementaires du PDS au Bundestag et au Parlement régional berlinois (la Chambre

des députés de Berlin, Berliner Abgeordnetenhaus, CDB), les motivations des individus

engagés et leur portée ne sont pas qualifiables à la simple lecture de ces sources206. Il s’agit

ensuite d’obtenir le versant des informations officielles, de dépasser ce que veut bien

205 Les débats du Bundestag et des parlements régionaux sont rendus publics et donc disponibles sur place, auprès des députés ou directement sur internet, de même que les discours, propositions de lois et « petites questions au gouvernement » (Kleine Anfragen) des députés. Le travail des élus locaux est plus difficilement accessible. Les archives sont consultables sur place à la demande. Nous avons ainsi pris la mesure du travail réalisé par un élu d’extrême droite au sein du conseil communal de Lichtenberg. 206 « En sciences sociales, le choix de l’approche qualitative [...] répond souvent à des problèmes de délimitation de la population étudiée, ainsi qu’à un manque de connaissances préalables » du sujet, deux réalités auxquelles nous avons été confrontées. M. Pollak, N. Heinich : « Le témoignage ». ARSS, 62-63, 1986, p. 3.

Page 77: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

63

communiquer le service des relations publiques. Enfin, il est important de nuancer l’opinion

dominante à l’intérieur du PDS en la confrontant à un jugement extérieur. Pour parer au

sentiment d’empathie pour un parti qui facilite énormément l’accès du chercheur à

l’information, renforcé par une problématique qui contient un risque de polarisation excessive

en faveur d’un camp contre l’autre, il apparaît nécessaire de recueillir l’opinion de chercheurs,

de militants associatifs spécialisés ou de représentants politiques d’autres forces politiques sur

l’action du PDS dans le domaine de la lutte contre l’extrême droite.

La démarche s’appuie sur un groupe ouvert d’interlocuteurs, tant au plan géographique

que politique207. Il s’agit de ne pas être trop tributaire de la bonne volonté d’individus à

répondre favorablement à une demande d’entretien. L’autre facteur fondant l’ouverture du

mode de recrutement est le caractère frileux du microcosme du PDS lichtenbergeois, qui

excluait que la recherche se limite à son cadre (si nos interlocuteurs de Lichtenberg font

preuve de bonne volonté dans les promesses, leur degré d’implication est faible et leurs

initiatives minimes). Il s’avère difficile de parier sur la bonne volonté d’une personnalité

politique à s’exprimer sur un sujet délicat, capable de faire et de défaire des carrières, au

moment où son organisation est en proie à de nombreux changements et modifications à

l’intérieur et de surcroît en campagne électorale à l’extérieur. A cela s’ajoute la fusion des

arrondissements berlinois au 1er janvier 2001. Celle de Lichtenberg et de Hohenschönhausen

contraint le parti à une complète réorganisation administrative et du personnel. A la réduction

de postes s’ajoute la nécessité de refonte des institutions locales du parti, ce qui crée une

situation de crise au sein de l’arrondissement. Or, c’est bien dans les situations de crise,

lorsque le fonctionnement de l’appareil est mis à nu, que les réseaux d’interaction sont les

plus visibles.

Questions de neutralité et de connivence

Le choix de l’objet de recherche et la nationalité de son auteur font souvent l’objet de

curiosité de la part des interlocuteurs. Le fait de ne pas être allemand constitue à n’en pas

douter un atout lorsque l’on s’intéresse à une problématique est-allemande, puisqu’il exempte

des suspicions habituelles quant au positionnement dans le débat inter-allemand208. Le fait

d’être française permet en outre de détabouiser le sujet particulièrement délicat de l’extrême

droite en Allemagne. Les interlocuteurs saisissent l’opportunité de se dédouaner en comparant

207 Se reporter à l’Annexe 1 pour les interlocuteurs, dates et contexte des entretiens. 208 Les observateurs de la vie politique et sociale allemande sont en effet stigmatisés comme est- ou ouest-allemands et leurs prises de positions sur les problèmes de société analysées en fonction de cela.

Page 78: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

64

la situation de l’extrême droite dans leur pays avec celle de la France. Ce qui servait de

garantie a même pu fonctionner comme un motif d’acceptation de l’entretien après le 21 avril

2002.

La France joue un rôle de modèle pour le PDS autant que pour les partis allemands

d’extrême droite. Nombreux étaient ceux au PDS en 2002 à rêver d’une évolution comparable

à celle du Parti Communiste Français, qui a surmonté son passé stalinien pour devenir

partenaire d’une coalition de gauche (la gauche plurielle). L’intérêt suscité par la situation et

surtout l’avenir du PCF y est vif. L’extrême droite allemande projette les mêmes aspirations

sur le Front National, en particulier sur son chef charismatique209. Les interlocuteurs

manifestent bien souvent leur intérêt en adaptant leurs exemples au contexte français, plus

rarement en posant des questions sur la situation française210.

Chez certains pointe une certaine fierté à l’idée d’intéresser jusqu’à l’étranger211. En

atteste l’énergie déployée par une responsable de la fraction PDS de Charlottenbourg pour

nous permettre de multiplier les contacts. Sa section, qui compte une dizaine de membres

dans un quartier bourgeois sans tradition communiste, a grand besoin de promouvoir ses

activités. Aucun interlocuteur n’a refusé que son nom soit cité, ce qui explique que les propos

tenus ici ne soient qu’exceptionnellement anonymisés212.

Limites de l’entretien pré-structuré213

Le choix de l’entretien semi-directif procède d’une adaptation au public concerné. Le

risque principal face à des professionnels du discours est de recueillir un discours-type,

surtout dans le cas d’anciens dirigeants communistes rompus à la rhétorique.

209 Un ancien fonctionnaire d’un parti d’extrême droite, exprimant son désir de lire le travail fini, s’exclame, alors que nous lui annonçons que la thèse sera rédigée en français : « Ce n’est pas grave, je demanderai à ma femme de me la traduire. Elle m’a déjà traduit tant de discours de Jean-Marie !» [Le Pen]. Il est fier de pouvoir dire qu’il a déjà « eu l’honneur de le rencontrer ». 210 Un député du SPD à qui nous demandons si la différence est perceptible au sein de son parti entre les anciens citoyens de la RDA et de la RFA, nous répond finement : « La différence de culture est évidente. On reconnaît aussi les différences entre un Bavarois et un Schleswig-Holsteiner. Vous faites vous mêmes la différence entre un Normand et un Provençal, non ? » Entretien du 09.7.2002. 211 Un membre social-démocrate de la CDB nous présente à un collègue de bureau en précisant bien qu’il s’agit d’une interview sur l’extrême droite avec « quelqu’un de Paris ». 212 L’anonymat ne vaut que pour les personnes qui interviennent d’une manière ou d’une autre dans le travail, sans avoir eu l’occasion d’approuver formellement que leurs propos soient rendus publics. Les interlocuteurs ont donné un accord préalable au moment de l’entretien, confirmé après l’envoi de l’entretien retranscrit. Rares sont ceux qui ont demandé la possibilité de réécrire certains passages. 213 Selon la terminologie de M. Simonot : « Entretien non-directif, entretien non-préstructuré : pour une validation méthodologique et une formalisation pédagogique ». Bulletin de psychologie, 33, 1979.

Page 79: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

65

La question de l’extrême droite peut susciter un discours peu construit, sauf chez les

rares personnalités politiques spécialisées ou lors d’entretiens collectifs chaperonnés par un

chef214. Certains professionnels, habitués au format des sollicitations médiatiques, apprécient

de pouvoir s’exprimer longuement215. Non seulement ils déplorent le poids que peuvent avoir

des citations hors contexte, mais ayant pour la plupart effectué des études supérieures, ils

accordent en outre une certaine foi et crédibilité à l’intellectualisme et à la recherche. Ils

fixent parfois préalablement la durée de l’entretien216. Le rendez-vous se déroule souvent sur

le lieu de travail de la personne interviewée. Tous les interlocuteurs ne sont cependant pas

habitués à ce type de relation sociale, notamment en raison de l’absence de médiatisation

inhérente à leur poste. C’est le cas des assistants parlementaires par exemple, qui se sont

avérés constituer de très bonnes sources217.

Les entretiens réalisés apportent deux types d’informations. Factuels, ils explicitent un

phénomène. Biographiques, ils dévoilent un parcours individuel ainsi qu’une « identité

personnelle »218, notamment à travers des motifs d’engagement. Les entretiens confrontent

ainsi les discours officiel du parti et individuel des agents. Un intérêt particulier est pour cette

raison accordé aux silences et aux non-dits. Ainsi, la question de l’attitude face aux étrangers,

qui sous-tend la notion-clé de racisme, n’est pas posée telle quelle ; la manière dont elle est

tue ou évoquée est bien davantage révélatrice d’un état d’esprit qu’un discours politiquement

correct forcément valorisant. Ainsi, s’il est difficile d’imaginer qu’un élu ou permanent du

PDS réponde autre chose que « tous les hommes sont égaux » à une question relative à son

214 Un interlocuteur du SPD visiblement concerné par le sujet se rend ainsi compte au cours de l’entretien qu’en dehors d’un évident discours humaniste, il a finalement peu de choses à dire sur le sujet. C’est soulagé qu’il se souvient tardivement de sa participation à une manifestation contre l’extrême droite. 215 L’un d’entre eux dit estimer pouvoir parler « librement », l’autre apprécier le climat de confiance et de travail que crée la connaissance de la réalité du parti. 216 Et mettent en place les mécanismes nécessaires au respect de la durée fixée. Un assistant est par exemple chargé d’intervenir au bout de trente minutes, ou une pause dans une réunion de travail est l’occasion saisie pour accorder l’entretien. La prolongation de la durée prescrite est promesse de confidences. Ainsi, la vice-présidente du Bundestag fixe d’elle-même la durée de l’entretien à une petite demi-heure. Au moment où les questions portent plus individuellement sur les difficultés qu’elle peut rencontrer dans sa position de personnage imminent de la République tout en représentant un parti non encore normalisé, elle s’ouvre sur ses doutes, ses méthodes, son implication dans le parti et ses réactions (ambiguës) à l’extrême droite. L’entretien se prolonge alors. 217 Il est difficile de vérifier les informations officieuses délivrées par ces assistants. Les agents mis en cause refusaient souvent de s’en entretenir avec nous. Dès lors que ces informations étaient recoupées par deux de ces trois sources officieuses, elles ont été considérées comme fiables. Deux assistants secondaient ou avaient secondé la députée en charge de la problématique de l’extrême droite au Bundestag pour le PDS, U. Jelpke, un autre assistait son homologue écologiste. Les opinions émises représentaient un enjeu mineur pour des assistants peu insérés dans le parti et parfois déjà sortis du système. 218Au sens que lui confère E. Goffman. Opposée à l’identification sociale qui établit ce qu’est un individu d’après sa biographie, l’identité personnelle renvoie à la manière dont il se perçoit et vit cette identité. E. Goffman : Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. (Stigma). Les Editions de Minuit, 1975, pp. 72-79.

Page 80: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

66

attitude à l’égard des étrangers, la manière dont il s’exprime spontanément sur cette

population, plus exactement la manière dont il évite la question ou fonctionne par non-dits, est

bien plus riche en enseignements.

La grille d’entretien élaborée est adaptée à la personne interviewée219, la technique de

l’entretien « compréhensif » utilisée face aux chercheurs et intellectuels220. La grille ne

s’attarde pas sur les données factuelles221. Les élites du PDS ont été contraintes de jouer la

transparence au sujet de leur rôle sous le régime communiste. Ce qui prime est le subjectif, la

perception qu’a un agent de son activité ou de son organisation. Bien que le choix initial soit

précisément d’opérer une distinction entre l’attitude actuelle et le passé, il est arrivé que nous

regrettions de ne pas être en mesure d’apprécier le lien entre un parcours et une attitude222.

Notre étude privilégie les dirigeants qui incarnent à nos yeux, davantage que les

militants et électeurs, le décalage inhérent au PDS entre passé (héritage post-totalitaire),

présent (parti néo-socialiste) et futur (sociale-démocratie ou alternative oppositionnelle de

gauche). Les études portant sur le PDS, lorsqu’elles ne sont ni fonctionnelles ni sociologiques

(elles reposent alors sur une enquête quantitative) se concentrent sur la « base », que ce soit

dans le cas d’études locales de terrain ou de voyages initiatiques à l’intérieur du parti223.

L’approche choisie ici privilégie l’étude des élus et fonctionnaires, sans toutefois que l’intérêt

219 Certains sujets sont évoqués de manière récurrente. Ainsi, le système de la RDA est systématiquement évoqué bien qu’il ne fasse l’objet d’aucune question. De même, la spécificité de la politique communale fait surface dès que l’interviewé est un élu local. La grille comprend des questions portant sur la biographie politique (entrée en politique, opinion sur l ‘évolution du parti, les formes et motifs individuels d’engagement contre l’extrême droite), les réseaux (partenaires) et la situation du PDS et de l’extrême droite dans les NBL (héritage de la RDA, action du parti concerné et du PDS contre l’extrême droite, concurrence électorale de l’extrême droite). Les interrogations qui varient s’organisent autour des axes suivants : échelle locale/ fédérale, travail parlementaire, rôle particulier joué dans un événement (manifestation, initiative),... 220 Elle considère l’interlocuteur également comme producteur d’hypothèses. J.-C. Kaufmann : L’entretien compréhensif. Nathan (coll. Université), 1996. 221 Dans le cas de personnalités publiques, une recherche documentaire ouvre accès aux informations (officielles) d’ordre biographique ainsi qu’à la participation à certaines initiatives et activités. 222 Les informations qui n’apparaissent ni dans la biographie officielle ni dans les coupures de presse sont extrêmement difficiles à requérir à l’oral au cours de l’entretien, y compris off-band. Un fonctionnaire d’un parti d’extrême droite s’est ainsi agacé de notre insistance à vouloir mesurer ses sentiments nationalistes à l’égard de la RDA et à savoir si ses penchants d’extrême droite étaient nés au moment de la déliquescence de la RDA. Saisir à quel moment une identité d’extrême droite s’est cristallisée en lui, ou plutôt sous quel régime, est pourtant primordial pour comprendre son rejet éventuel du système de la République fédérale autant que son aversion pour le PDS. 223 Respectivement L. Probst : « Wer ist die PDS- zum Beispiel in Rostock ? ». Zeitschrift für Parlamentsfragen, 2, 1997, pp. 216-229 et C. von Ditfurth : op. cit.

Page 81: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

67

ne soit porté sur les processus de reconversion des élites du SED au sein ou en marge du

PDS224.

Ces élites valent en outre par leur atypisme, courant au PDS, si l’on en croit l’originalité

des parcours et des discours des élus et fonctionnaires du parti, mais qui dénotent au sein du

paysage politique allemand et européen, y compris à l’intérieur des PECO225. Le PDS est un

parti bien vivant et bigarré, grâce au caractère éclectique de son personnel. Il fallait un certain

franc-parler et un rien de marginalité pour s’imposer comme réformateur au sein du SED à la

fin des années 1980. Tel est le profil d’une grande partie des élus et fonctionnaires rencontrés.

Une part importante du personnel du PDS est issue de l’intelligentsia est-allemande226.

Intellectuels destinés à faire carrière au sein de l’appareil d’Etat, ils sont souvent titulaires

d’un doctorat227. A la suite du processus d’épuration228 appliqué avec une sévérité particulière

dans le milieu universitaire, le PDS a par ailleurs offert la possibilité à certains intellectuels

déclassés membres du SED de poursuivre une activité de recherche229.

Le choix des interlocuteurs

Les interlocuteurs sont choisis en raison de la fonction qu’ils occupent ou de leur

attitude face à l’extrême droite, qui peut traduire soit un engagement particulièrement

224 Sur la conversion des élites en Europe centrale et orientale, se reporter aux travaux de G. Mink, J.-C. Szurek : La grande conversion : le destin des communistes en Europe de l’Est. Seuil, 1999. 225 Ce que confirme par exemple C. Perron : op.cit. 226 A. Gabelin, ancienne chef de section locale à Lichtenberg (PDS) explique off band comment elle est passée de la philosophie à la politique puis à la finance. Promise à une carrière d’Akademiker (personne ayant fait des études universitaires), elle est envoyée poursuivre ses études de philosophie et de science politique à Leningrad. De retour à Berlin, dans l’arrondissement de Hohenschönhausen, mariée à un Russe, elle enseigne au centre de formation des cadres du SED. Arrive l’année 1989 avec ses manifestations populaires. Devant ces bouleversements, les enseignants de l’école des cadres (dont elle fait partie) décident de créer un nouveau programme et en débutent l’enseignement en janvier 1990. Initiée ainsi à la politique, elle s’engage dans la campagne des premières élections législatives libres du 18 mars 1990, puis des premières élections de l’Allemagne unifiée. Elle entre au PDS à travers le courant réformateur du SED, un parcours typique du PDS. 227 Le respect de la doctrine marxiste-léniniste conditionnait d’ailleurs la poursuite d’études. « Je n’ai jamais compris ce qu’était le communisme. [rires] Je suis allée à l’université mais je n’ai pas eu le droit de faire un doctorat parce que je ne parvenais pas à comprendre ce qu’était le ‘mode de vie socialiste’. C’était un chapitre de la théorie du communisme scientifique » témoigne B. Grygier, ancienne maire d’arrondissement berlinois pour le PDS. 228 Le terme de lustration, appliqué, partant de la Tchécoslovaquie, à l’ensemble des pays d’Europe centrale, n’est pas assez fort pour qualifier la situation subie par l’ex-RDA. Rite de purification spirituelle dans sa désinence originelle, la lustration désigne dans le contexte de l’après-communisme l’ensemble des procédés et mesures réglant les comptes avec le passé communiste dictatorial. Dans la pratique, il revient à purger les postes à responsabilités des personnes ayant collaboré avec la police politique. Il faut pouvoir remplacer les épurés. « Seule l’ancienne RDA peut se permettre le luxe d’une épuration massive. » J. Rupnik : L’autre Europe. Crise et fin du communisme. Editions Odile Jacob, 1993, p. 408. 229 Au sein de certaines composantes du PDS (ses nombreux groupes de travail, sa commission traitant de l’histoire) ou plus indirectement de sa fondation politique.

Page 82: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

68

volontaire soit une ambiguïté à son égard. Les élus de la circonscription de Lichtenberg et les

personnes responsables, au sein des institutions partisanes ou politiques, de la problématique

de l’extrême droite, antifasciste ou antiraciste, ont ainsi été interrogés. Parallèlement, des

interviews ont été réalisés avec des dirigeants ou des élus politiques d’autres partis et de la

société civile, notamment d’universitaires.

Le mode de sélection a évolué en fonction de l’exploitabilité des données recueillies230,

notamment auprès d’élus et permanents établis au plus haut niveau, qui restituent un discours

et une programmatique partisans sans qu’une expérimentation concrète de ces discours ne les

incite à la réflexion231.

Contexte et agenda politiques ont par ailleurs fortement influencé le choix des

interlocuteurs puisqu’au fur et à mesure qu’approchait l’échéance des élections législatives de

septembre 2002, il devenait de plus en plus difficile d’obtenir un rendez-vous avec des

personnalités en vue232. La publication, dans la gazette du groupe de travail sur l’extrême

droite et l’antifascisme du PDS, d’une interview où nous expliquons les objectifs de notre

travail, constitue dans ce contexte une carte de visite à l’intérieur du PDS233.

Retour sur le déroulement de l’enquête

Les entretiens représentent ainsi une source importante, celle qu’il faut prendre en

compte en l’absence de référence234. S’ajoutent deux entretiens exploratifs (avec un militant

230 Le mode de sollicitation des membres d’autres partis et non-universitaires a été révisé. Une première demande énonçant le véritable sujet de la recherche ayant essuyé un certain nombre de silences, il a été présenté comme se rapportant à l’ensemble du paysage politique allemand, argument qui s’est avéré efficace. 231 Si les élus et fonctionnaires locaux se considèrent eux-mêmes comme des gestionnaires des préoccupations quotidiennes, déclarant à plusieurs reprises qu’il y a peu d’idéologie dans ce qu’ils font, la manière dont sont réglées certaines tâches est révélatrice des interactions entre les différents partis et du rapport de ces individus à la chose politique. Ceci permet de prendre conscience de la nature davantage pragmatique qu’idéologique de la gestion du phénomène d’extrême droite. 232 Ainsi un entretien « décroché » après moult efforts avec Wolfgang Thierse (SPD), président du Bundestag, est-allemand et engagé dans la lutte contre l’extrême droite, a-t-il été ajourné au dernier moment pour cause de tumultes dans les affaires de l’Etat. Reporté après les élections, il n’a jamais eu lieu. 233 A la recherche d’archives, nous rencontrons Rolf Richter, chargé des questions de l’antifascisme et de l’extrême droite à la Fondation Rosa Luxembourg proche du PDS. Il nous encourage à rencontrer K. Böttcher, porte-parole du groupe de travail du comité directeur du PDS sur les mêmes questions. Fin 2000, R. Richter nous demande de répondre à quelques questions expliquant le choix du sujet, la problématique, les sources exploitées. Après réflexion et concertation avec des chercheurs, nous n’y avons vu aucune objection, étant entendu que les propos, y compris les plus sévères, étaient libres et qu’une introduction dans le milieu du PDS s’en trouverait facilitée. L’interview est publiée dans la lettre du groupe de travail de K. Böttcher (AG Antifascisme/ Extrême droite). Rundbrief AG Rechtsextremismus/ Antifaschismus beim Parteivorstand der PDS 1/2001, pp. 32-33. Un seul interlocuteur a toutefois justifié son accord par ce mode d’introduction. 234 Le corpus final regroupe 32 entretiens. 21 élus et fonctionnaires du PDS (7 fonctionnaires, 5 députés du Bundestag, 3 de la Chambre des députés de Berlin), 7 d’autres partis (parmi eux, 2 de partis d’extrême droite) et 4 de la société civile (universitaires) ont été interviewées. Six sont membres du conseil d’arrondissement de Lichtenberg (du PDS, du SPD, de la CDU ou des REP).

Page 83: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

69

de Charlottenbourg-Wilmersdorf ainsi que des rencontres régulières avec un assistant

parlementaire du PDS). Par ailleurs, deux interviews de groupes, rassemblant entre 5 et 8

personnes, ont été organisées, l’une avec de jeunes sympathisants du PDS membres de

l’association de jeunesse Soli’d proche du parti, l’autre avec une partie du groupe

parlementaire du PDS au Parlement de Saxe. Enfin, treize manifestations, la plupart

concernant la problématique de l’extrême droite, ont été l’occasion de séances d’observation

participante. Elles ont offert autant d’opportunités d’observer le PDS en interaction avec

d’autres forces politiques, dont l’extrême gauche, et la société civile235.

Le questionnaire électronique semblait un moyen pratique d’accéder à des informations

annexes. Son utilisation, marginale, a essuyé un échec, certes relativisé par la faiblesse des

attentes qui y étaient liées. La passation de questionnaires à des associations actives dans le

domaine de la lutte antiraciste et contre l’extrême droite s’est révélée peu fructueuse. Le taux

de réponse est meilleur, mais faible, chez les sympathisants du PDS (sympathisants du parti

ou activistes des milieux antifascistes), sollicités de visu.

Les questionnaires retournés sont donc exploités comme autant de témoignages

individuels. Les difficultés rencontrées au cours de ce type d’investigation ont permis de

mettre en évidence le caractère d’apparatchik, fermé de l’appareil du PDS à Lichtenberg.

Elles sont également révélatrices de l’esprit clanique et méfiant des milieux antifascistes236,

235 Des séances d’observation participante ont été réalisées au cours de réunions politiques du PDS (réunions de cellule du PDS de Lichtenberg et de Charlottenbourg, observation de la préparation des campagnes électorales régionales de 2001 et fédérales de 2002, accompagnement d’une députée lors d’une journée de visite d’associations de sa circonscription) ainsi qu’à l’occasion d’échéances opposant la société civile à l’extrême droite (Réunion de préparation d’un rassemblement contre une manifestation annoncée par le NPD à Dresde à l’occasion du 1er mai 2002, manifestations contre l’extrême droite, réunion de l’association Bündnis Demokratie jetzt de Charlottenbourg-Wilmersdorf, conférence organisée par la fraction PDS du Bundestag « conférence pour une politique antifasciste de terrain », présentation des premiers résultats de l’étude commandée par le Conseil communal de Friedrichshain- Kreuzberg sur la présence de l’extrême droite et du racisme dans l’arrondissement, manifestations de rue, notamment la fameuse « insurrection des gens honnêtes » (Aufstand der Anständigen) du 09.11.2000 et célébration de l’anniversaire de Karl-Liebknecht et Rosa Luxembourg le 13.01.2002). 236 Seuls deux questionnaires remplis ont été reçus en réponse à la cinquantaine de questionnaires électroniques envoyée à plusieurs reprises à des groupes et associations Antifas ainsi qu’à divers acteurs institutionnels (initiatives contre l’extrême droite, souvent soutenues par les pouvoirs publics). Aucune réponse des Antifas, sous quelle forme que ce soit, n’a été obtenue. Si une quantité d’explications peut appuyer les réticences des acteurs institutionnels, elles ne sont pas du même ordre que celles qui prévalent dans le milieu Antifa. Un contact, assistant parlementaire d’une députée PDS au Bundestag, nous organise une rencontre avec une activiste d’un groupe Antifa de Hohenschönhausen, laquelle, déjà peu expansive au téléphone lors de la prise de contact, ne s’est pas rendue au rendez-vous. Quelques temps plus tard, une connaissance proche des associations d’anciens résistants au nazisme nous interpelle au sujet des messages électroniques envoyés, témoignant ainsi de leur connaissance de la demande dont ils admirent, dit-il, le courage et l’initiative. Il explique leur silence par la méfiance (s’agirait-il d’une manipulation du BfV?) mais se propose de servir d’intermédiaire. Ces promesses de rencontres ne se sont pas concrétisées.

Page 84: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

70

enfin éclairantes quant à l’état de coquille vide d’un certain nombre d’initiatives contre

l’extrême droite créées suite à l’été 2000 et financées en partie par les fonds publics237.

Une partie des difficultés rencontrées sont liées au fait qu’une partie des personnes

enquêtées appartiennent à des organisations étiquetées comme extrémistes. L’enquêteur doit

alors surmonter la méfiance et la peur d’être stigmatisé, ce qui nécessite un investissement,

notamment du temps, que nous n’avions pas. Cette méfiance est renforcée par le caractère

sinon tabou du moins extrêmement délicat du sujet de la recherche. Les forces progressives du

PDS s’efforcent néanmoins de répondre à cette menace par une volonté marquée de

transparence et d’ouverture238.

L’entretien se déroule en général sans réticence, exception faite de l’« épreuve de

force » 239 qui ouvre l’entretien avec un représentant d’extrême droite. Le fonctionnaire d’un

parti d’extrême droite interrompt la présentation de l’objet de la recherche pour demander :

« Qu’entendez-vous exactement par ‘extrême droite’ ?» Surprise, nous nous sommes

contentées de bafouiller que notre intérêt portait moins sur l’idéologie que sur les formes

politiques sous lesquelles l’extrême droite apparaît. Une réponse qui a malgré tout semblé le

satisfaire puisqu’il n’a pas récidivé. Dans certaines situations, la question se pose ainsi de

savoir qui de l’enquêteur ou de l’enquêté subit la violence symbolique240. Enfin, un travers se

doit d’être avoué, celui d’avoir parfois eu des remords à noter scrupuleusement et à

237 Il convient d’inventorier rapidement les témoignages recueillis par ce biais et leur insertion dans l’ensemble des données recueillies. Le témoignage d’un responsable d’une association antiraciste a été recueilli par oral, plusieurs associations ont brièvement décrit par mail la nature de leur relation avec le PDS, seuls deux collaborateurs d’équipes mobiles d’intervention du Brandebourg qui conseillent les collectivités locales confrontées au problème de l’extrême droite (Mobile Beratungsteams) ont retourné un questionnaire exploitable. Huit questionnaires de militants (4 de Lichtenberg-Hohenschönhausen, autant de Charlottenbourg-Wilmersdorf) constituent autant de parcours militants et complètent une séance d’observation participante ou une situation interactive d’entretien. Il sont particulièrement intéressants car d’une part, les enquêtés correspondent à un public avec lequel il nous a été donné de dialoguer et/ou d’observer en interaction. Ils donnent donc la possibilité de percevoir la face cachée d’un phénomène appréhendé d’abord comme collectif, et ainsi d’en analyser éventuellement les divergences. D’autre part, il s’agit de deux populations qui se distinguent de par leur âge et leur origine (âgée à l’Ouest et jeune à l’Est). Leurs réponses mettent en évidence le caractère inopérant de certains clichés : les militants sont âgés à l’Ouest, jeunes à l’Est, moins réactionnaires à l’Ouest qu’à l’Est… 238 Au cours de deux réunions de section où nous avons pu présenté notre démarche et, soutenus par les responsables, encouragé à remplir le questionnaire, la réaction a jailli : « Encore ! ». Le taux de retour des questionnaires s’est avéré été très faible. De nombreuses tentatives de prise de contact ont échoué à cause d’un intermédiaire qui a ignoré la demande ou n’a pas fait suivre. Les occasions d’échange véritable avec les militants ont en outre été rares. Enfin, la participation d’une partie de la population ciblée (d’extrême gauche) aurait nécessité davantage d’immersion, une approche préalable avant l’attaque frontale. Le fait que seules de rares associations ou organisations publiques, co-financées par l’Etat et apolitiques se manifestent suite à notre requête abonde dans ce sens. 239 Terme emprunté à G. Birenbaum : « Elites ‘illégitimes’, élites illégitimées : les responsables des FN » in S. Cohen : L’art d’interviewer les dirigeants. PUF, 1999, pp. 133-161. 240 A deux reprises, c’est l’enquêteur qui a mis un terme à l’entretien au bout de près de deux heures, faute de parvenir à conserver le ton impassible et intéressé indispensable à l’interaction.

Page 85: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

71

retranscrire certaines informations livrées dans un cadre moins professionnel241. Les données

recueillies par ce biais sont insérées comme autant d’expériences qui ont permis de voir à

l’intérieur du parti, ses négociations internes, ses réseaux personnels et à mieux comprendre le

microcosme PDS.

Plan de la thèse

Le principe qui guide l’organisation de la thèse est celui de la complémentarité du

système démocratique et de ses acteurs. D’une part, le fonctionnement de la démocratie

représentative en RFA exige de tenir compte du rôle dévolu aux partis politiques, tant dans la

formation de l’opinion publique et l’association des citoyens à la vie politique du pays242,

qu’en regard de l’importance des alliances (coalitions) et de la fonction d’opposition243.

D’autre part, l’attention accordée localement aux interactions opposant le PDS à l’extrême

droite justifie que la thèse soit organisée autour de figures réelles. Celles-ci sont autant de

membres du PDS confrontés à l’extrême droite.

La thèse est organisée en deux parties, l’une axée sur la construction collective d’une

figure ennemie par les instances centrales du parti, l’autre sur la manière dont les membres de

ce parti la modifient localement en l’investissant. Ce principe d’organisation confronte

l’attitude du parti face à l’extrême droite, entendue à la fois comme la conduite générale de

l’institution et comme l’ensemble des dispositions souhaitées et recommandées par le PDS, au

comportement individuel de chacun de ses acteurs.

La première partie traite des effets structurants de la figure de l’ennemi sur

l’organisation partisane, dès lors qu’il n’y a pas de confrontation directe. L’interaction

241 Lorsque B. Grygier poursuit la discussion off-band après une heure et demie d’entretien, il nous semble inconvenant, percevant l’intérêt de ses propos, de rebrancher un dictaphone éteint à la fin de l’entretien. De même aurions nous eu l’impression de trahir notre contact en retranscrivant des propos personnels, souvent acides sur son parti. 242 En vertu de l’article 21 al. 1 de la Loi fondamentale : « Les partis politiques concourent à la formation de la volonté politique du peuple. Leur création est libre. Leur organisation interne doit être conforme aux principes démocratiques. Ils doivent rendre compte publiquement de l’origine de leurs ressources ». La Loi du 24 juillet 1967 sur les partis politiques complète cette disposition. 243 L’Allemagne est l’un des rares pays où l’opposition peut, quoi que minoritaire, provoquer la création d’une commission d’enquête, élément essentiel de la fonction de contrôle. La loi sur le financement des partis octroie en outre un bonus à l’opposition : les groupes dans l’opposition reçoivent un supplément de fonds publics pour compenser l’absence de visibilité gouvernementale.

Page 86: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

72

fantasmée entre le PDS et l’extrême droite est un idéal-type. Soumis à la norme antifasciste, le

PDS prend alors l’apparence d’un « champ symbolique unifié »244.

Parce qu’en démocratie représentative les partis concourent au pouvoir par le biais

d’élections, l’étude commence par évaluer les retombées des enjeux électoraux sur le statut de

l’ennemi. L’ennemi n’est pas un concurrent comme les autres (Chapitre 1).

Au sein du PDS, l’opposition à l’extrême droite constitue une ressource importante en

termes de mobilisation, tant comme facteur de cohésion interne que dans une logique

d’alliance. Précisément parce que l’opposition à l’extrême droite constitue le principal repère

identitaire de l’organisation, elle perpétue les contradictions du parti. Elle donne certes une

image positive du parti sur la scène publique, mais elle contraint également ses dirigeants à

une profession de foi rituelle (Chapitre 2).

« La politique possède donc un visage public (les règles normatives) et une sagesse

privée (les règles pragmatiques) »245. La manière dont le PDS répond à cette dualité se

manifeste en particulier dans les interactions parlementaires. L’importance accordée par le

PDS à la lutte extra-parlementaire est susceptible d’entrer en conflit avec l’institution

législative. Le respect de la norme antifasciste réconcilie néanmoins ces deux logiques. La

problématique de l’extrême droite est en effet déléguée à des députés issus du milieu

associatif et recrutés pour leurs qualités d’expertise. Cette délégation, en ouvrant le parlement

sur l’extérieur, met en lumière les contraintes du parlementarisme, autant que la ressource que

constitue la coopération avec la société civile. L’intrusion de la norme antifasciste dans

l’arène parlementaire contribue à renouveler les pratiques professionnelles des députés

(Chapitre 3).

La première partie s’attache ainsi à démontrer que le PDS régule les tensions entre les

règles normatives et les règles pragmatiques inhérentes au jeu politique en dématérialisant

l’ennemi. Or, les effets contraignants de cette mise en scène visant à préserver la cohésion du

parti pèsent lourdement sur des agents, insérés dans des logiques multiples (territoriales,

associatives, amicales,...) au sein desquelles les liens avec le parti peuvent n’être que faibles.

Le fardeau de cette inimitié normative s’impose aux agents confrontés localement à l’extrême

244 L’expression est utilisée par J. Leca dans le cadre des effets d’homogénéisation que le centre d’un parti impose à sa périphérie. « Un Que sais-je? en questions. Débat autour des Partis politiques de M. Offerlé. » Politix, 2, 1988, p. 55. 245 F.G. Bailey : op.cit., p. 17.

Page 87: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

73

droite. De ressource pour le parti, l’opposition à l’extrême droite devient une contrainte

symbolisant la discipline qu’un acteur du PDS doit à son parti.

La deuxième partie prend ses distances avec le parti en tant que collectif pour

s’intéresser à ses membres et à la manière dont l’opposition à l’extrême droite régule leur

action politique. A l’échelle locale, l’ennemi n’est plus facteur d’ « interactions invisibles »246,

il s’incarne dans le jeu politique. Dès lors, sa figure immuable s’effrite au profit d’une

pluralité de figures réelles de l’adversité.

L’arrondissement de Lichtenberg à Berlin-Est sert de cadre aux deux premiers chapitres

de la seconde partie. La première configuration renvoie à la figure de l’ennemi transfiguré,

celle de l’adversaire. La présence d’un élu d’extrême droite au sein d’un conseil communal

dominé par le PDS a des effets déstructurants sur la position des acteurs dans le champ

politique. L’ordre et le désordre s’affrontent alors à travers l’ami et l’ennemi (Chapitre 4).

L’issue de cette confrontation est fonction de la manière dont les acteurs du PDS en

présence investissent l’antifascisme. Ainsi, un maire d’arrondissement, entendant tenir son

rôle, s’attache à débusquer l’ennemi. Situant l’ennemi à l’intérieur de sa circonscription et de

son parti, il déroge aux exigences collectives et s’exclut conjointement de ces deux espaces

(Chapitre 5).

L’interrogation relative aux effets du territoire et de la personnalité politique sur la

traduction locale de la norme se poursuit dans le dernier chapitre. L’attitude qu’un acteur

déviant adopte face à l’extrême droite dépasse la simple adaptation pragmatique, pour

remettre en cause le bien fondé de la norme. Or, cette remise en cause a des fondements

électoralistes (Chapitre 6), ce qui clôt la réflexion initiée dans le premier chapitre.

246 Les « interactions invisibles » sont « tout ce qui fait le liant, le ‘ce-qui-va-de-soi’, la ‘tradition’ objectivée d’un parti politique et qui, bien entendu, est présente dans des objets et dans des corps, lorsque se déroulent les interactions ‘visibles’ entre les agents. » « Un Que sais-je? en questions. Débat autour des Partis politiques de Michel Offerlé. » Politix, 2, 1988, pp. 46-59, p. 48.

Page 88: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

74

Page 89: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Introduction

75

PREMIERE PARTIE

LA CONSTRUCTION D’UNE FIGURE NORMATIVE

DE L’ENNEMI

Page 90: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

76

Un consensus règne dans les démocraties européennes depuis la Seconde Guerre

mondiale sur le caractère officiel du refus de l’extrême droite et de ses valeurs. Le discours

antiraciste est ainsi un discours « sans opposants », il concerne « des systèmes d’énoncés qui

ne se heurtent pas à l’opposition concertée d’acteurs organisés »247. C’est d’ailleurs souvent

sur l’argument antiraciste que se cristallise l’opposition aux partis d’extrême droite. En

France, même le leader du Front National se défend d’être raciste248.

La question qui sous-tend l’analyse est celle de la possibilité même de l’existence d’un

ennemi dans le contexte concurrentiel de démocratie représentative. L’héritage idéologique

d’une famille politique et les logiques politiques de concurrence sont intimement mêlés dans

le processus de désignation de l’ennemi. Les partis d’extrême droite n’accèdent au statut

d’ennemi qu’après avoir prouvé leur poids électoral. Les risques de conflits augmentent avec

la concurrence pour la conquête des mêmes segments de l’électorat. La figure de l’ennemi est

construite en regard d’une situation de concurrence, et non l’inverse. C’est le concurrent qui

fait l’ennemi et non l’ennemi qui fait le concurrent.

L’objectif de cette première partie est d’illustrer la manière dont l’opposition à

l’extrême droite, érigée en norme au sein du PDS, fixe les comportements collectifs et

individuels, professionnels et profanes. La première partie répond à la question du mode de

production et de pérennisation d’une figure de l’ennemi avec ses phases respectives de

désignation, d’institutionnalisation et de routinisation.

Après avoir mis en évidence que ce sont les logiques concurrentielles qui rendent

nécessaire la désignation d’un ennemi (chapitre 1), le deuxième chapitre traite de son érection

au statut de norme et de son institutionnalisation par l’organisation partisane du PDS, sur la

base de la valeur antifasciste héritée de la RDA. La première partie se clôt sur la manière dont

le collectif partisan, fait respecter la norme antifasciste en encadrant sa routinisation à travers

les institutions parlementaires (Chapitre 3).

247 P. Juhem : « La logique du succès des énoncés humanitaires : un discours sans adversaires ». Mots, 65, 2001, pp. 9-26. 248 Au sens strict, le racisme justifie l’exploitation d’individus considérés comme inférieurs par la théorie scientiste de l’inégalité des races. La xénophobie est plus courante et désigne une animosité de tous les jours envers l’étranger. Elle correspond à l’idée d’hétérophobie d’Albert Memmi qui distingue le racisme, qu’il définit comme « la valorisation, généralisée et définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier une agression » de l’hétérophobie. Si la racisme inclut le passage à l’acte, l’hétérophobie contient déjà en tant que « refus agressif de l’autre » l’idée d’une agression. A. Memmi : Le racisme. Description, définitions, traitement. Gallimard, 1994, p. 113.

Page 91: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

77

CHAPITRE 1

LE POIDS DES LOGIQUES ELECTORALES

SUR LE STATUT DE L’ENNEMI

Les logiques électoralistes, indissociables de la démocratie parlementaire, interviennent

dans la désignation de l’ennemi. L’ennemi est-il désigné comme tel pour répondre à la

demande électorale ou pour contrecarrer une offre concurrente? Il convient en effet de prendre

en compte les attentes de la base ainsi que le positionnement du PDS et de l’extrême droite

sur le marché politique est-allemand pour comprendre les conditions d’élaboration de la

norme. La concurrence de l’extrême droite est réelle pour le PDS, elle menace de dévoiler

l’existence de penchants d’extrême droite au sein même de son électorat. Construire l’ennemi

est d’abord une manière de s’en démarquer. Ceci passe par le refus d’accorder à l’extrême

droite le statut de concurrent. La nature de la concurrence entre le PDS et l’extrême droite

tient en partie au contexte d’unification dans lequel ces deux forces apparaissent et

s’imposent. Depuis 1990, le fort potentiel électoral de l’extrême droite dans les nouveaux

Länder est en partie absorbé par le PDS.

Page 92: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

78

Section 1 Une relation concurrentielle liée à la situation des

nouveaux Länder

Les succès du PDS et l’émergence de l’extrême droite sont les deux facettes de

sentiments provoqués par les énormes bouleversements sociaux, politiques et économiques

que subit la population est-allemande depuis la Wende249. Nous verrons que les deux forces

politiques évoluent à l’Est sur le terrain d’une insatisfaction née non de l’unification en tant

que telle mais des modalités choisies pour l’accomplir. Il convient auparavant de montrer de

quelle manière les partis d’extrême droite s’inspirent de l’héritage communiste pour essayer

de s’implanter dans les nouveaux Länder.

A) Une concurrence par mimétisme

Dans la décennie qui suit l’unification, l’adaptation de l’offre d’extrême droite à ce

qu’elle considère comme la demande est-allemande fait de l’extrême droite est-allemande le

principal concurrent du PDS dans le secteur de la défense des intérêts est-allemands.

La conversion de l’extrême droite au marché électoral des NBL

Dans un premier temps, l’existence d’un marché électoral est-allemand est postulée, sur

lequel le PDS et l’extrême droite est-allemande s’affrontent. Il a pour particularité qu’une

partie des transactions qui s’y déroulent concerne un bien symbolique qui a trait à une

valorisation partielle du passé communiste. Il peut concerner certains acquis sociaux de la

RDA (tel un taux de chômage quasi-inexistant) ou la défense des biographies est-allemandes.

Ce marché est, à l’image du sous-champ politique est-allemand, structuré autour de la

présence du PDS, seul acteur politique spécifiquement est-allemand. C’est en cela qu’il

diffère d’un marché fédéral traditionnel dans les démocraties représentatives d’Europe

occidentale. Les partis ouest-allemands appréhendent le PDS et son succès d’une manière

249 Sur la notion d’anomie, voir E. Durkheim : Le suicide. Etude de sociologie. 1897 et De la division du travail social. Alean, 1893 ; P. Besnard : L’anomie, ses usages et ses fonctions dans la discipline sociologique depuis Durkheim. PUF, 1987. Sur l’analyse de la Wende en termes d’anomie : W. Glatzer, M. Bös : « Anomietendenzen im Transformationsprozeß –Analysen mit den Wohlfahrtssurveys » in W. Heitmeyer (dir.) : Was treibt die Gesellschaft auseinander? Francfort : Suhrkamp, 1997, pp. 557-585 et H. Funke : “Jetzt sind wir dran“. Nationalismus im geeinten Deutschland. Aspekte der Einigungspolitik und nationalistische Potentiale in Deutschland. Berlin : Aktion Sühnezeichen, Friedensdienste, 1991, p. 132 et s.. J. Raschert établit que les personnes touchées par un sentiment anomique, limitées dans leur capacité à penser par elles-mêmes, sont moins ouvertes aux structures démocratiques reposant sur la liberté de choix. J. Raschert : « Zum Begriff der Anomie » in P. E. Kalb (dir.): Werte und Erziehung. Weinheim/ Basel, 1996, pp. 24-28.

Page 93: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

79

caractéristique des acteurs extérieurs aux nouveaux Länder (NBL), comme l’avocat de la

RDA et de ses habitants.

Il est dès lors possible de se demander dans quelle mesure le décalage postulé entre

l’offre (le fantasme d’un post-communisme nostalgique) et la demande (les attentes de

reconnaissance des citoyens est-allemands) est une conséquence du fait que l’offre destinée au

marché est-allemand soit produite par des entrepreneurs ouest-allemands250.

Partant de la définition d’un champ comme « un espace caractérisé par un type d’enjeux

qui fonctionne comme un marché où des individus et/ ou des groupes sont en compétition et

qui produit sur chacun d’entre eux des effets spécifiques de méconnaissance »251, on peut

qualifier de champ politique un espace de concurrence pour « l’’exercice du pouvoir’

politique, la prise des décisions et la production des biens publics »252. Parmi ces biens, nous

verrons que l’existence de biens spécifiquement est-allemands justifie de considérer

l’existence d’un champ politique propre aux Länder issus de la RDA. Entendu par P.

Bourdieu à la fois comme un champ de forces et un champ des luttes, un champ politique est

« le lieu d’une concurrence pour le pouvoir qui s’accomplit par l’intermédiaire d’une

concurrence pour les profanes ou, mieux, pour le monopole du droit de parler et d’agir au

nom d’une partie ou de la totalité des profanes. »253 Le champ politique a néanmoins une

autonomie limitée, tant l’offre dépend des effets de la situation sociale, économique et

identitaire et tant la sélection des candidats et leur chance de succès sont tributaires de

l’histoire est-allemande, du rôle qu’ils ont joué en RDA. C’est ce qui rend nécessaire de

distinguer le champ politique central (pan-allemand) du champ politique périphérique (est-

allemand), caractérisé par l’existence d’intérêts spécifiques et plus ou moins intégré au champ

politique central. La seule existence d’un sous-marché est-allemand témoigne par conséquent

du caractère inadapté du système politique pan-allemand aux revendications est-allemandes.

250 Cette inadaptation est d’ailleurs induite par la notion même de champ politique selon P. Bourdieu. Plus les consommateurs sont éloignés du lieu de production de l’offre politique, plus les chances de malentendu entre producteurs et consommateurs sont grandes. P. Bourdieu : « La représentation politique. Eléments pour une théorie du champ politique ». ARSS, 36/37, 1981, pp. 3-24. 251 D. Colas, Sociologie politique, PUF, 1994, p. 140. 252 D. Gaxie : La démocratie représentative. Montchrestien, EJA (coll. Clefs), 2003 (4ème édition), p. 16. 253 P. Bourdieu : op. cit., p. 13. Notons par ailleurs que P. Bourdieu explique l’implosion de la RDA par l’absence de pouvoir symbolique des autorités communistes: « Politisches Feld und symbolische Macht ». Berliner Zeitung für Soziologie, 4, 1991, pp. 583-588. La question est également évoquée dans P. Bourdieu: «Monopolisation politique et révolutions symboliques» in Propos sur le champ politique. Lyon : Presses Universitaires de Lyon, 2000, pp. 99-108.

Page 94: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

80

Ce clivage Est/ Ouest, version allemande d’une lutte des classes post-réunification, se

prolonge au sein de la catégorie extrémisme de droite. La dénomination d’extrême droite est-

allemande se justifie ainsi par la forme que l’extrémisme de droite prend dans les NBL. Il

s’agit d’un phénomène social et culturel, peu encadré politiquement, plus désorganisé et plus

ouvertement violent à l’égard des minorités, dont les agressions sont souvent tacitement

cautionnées par la population locale. C’est bien une extrême droite spécifiquement est-

allemande qui s’est constituée, avec le soutien des organisations ouest-allemandes, dans les

NBL. Depuis 1996, cette scène évolue d’un mouvement subculturel de jeunesse lié au milieu

skinheads en un style de vie socio-culturel254. L’extrême droite est-allemande se mue en « un

paysage culturel de jeunesse véritablement hétérogène qui se conçoit comme ‘de droite’,

apparemment apolitique et comme un système populaire et un renouveau social »255.

« L’extrême droite moderne est désormais d’autant plus capable de se reproduire qu’elle

constitue un mouvement culturel avec certaines tendances d’un mouvement social et

d’implication politique et non un mouvement politique avec des implications culturelles »

conclut Bernd Wagner, spécialiste de l’extrême droite en RDA et dans les NBL256.

Ces différents groupes et sous-cultures, noyés dans un « entourage extrémiste latent »257

ne sont ainsi ni isolés de la population ni susceptibles d’être considérés comme un problème

de jeunesse258. L’extrême droite dans les NBL n’est pas le seul fruit de la faiblesse

traditionnelle des structures de la société civile caractéristique des sociétés en transition259. A

254 Le motif d’adhésion fondamental des Kameradschaften (camaraderies) est le partage d’une identité collective. « Il fallait toujours donner aux prétendants le sentiment de leur importance pour la ‘camaraderie’. La plupart des adolescents qui s’adressaient à nous étaient frustrés. Ils n’avaient aucune perspective d’avenir. Je les structurais et faisais leur éloge à l’occasion, de manière à renforcer le sentiment de leur propre valeur. Une telle reconnaissance les rendait tout à fait dépendants de la communauté que nous appelons ‘camaraderie’. Cette ‘camaraderie’ devient pour beaucoup une drogue dont ils ne peuvent pas décrocher. Comme aucune reconnaissance ne leur vient de l’extérieur, ils continuent à être isolés et il leur manque d’autres contacts sociaux.» I. Hasselbach, W. Bonengel : Die Abrechnung. Ein Neonazi steigt aus. Berlin : Aufbau Taschenbuch Verlag, 2001, p. 105. 255 Etude pilote du ZdK sur l’arrondissement Hohenschönhausen de Berlin (Est) : Rechtsextreme Tendenzen und Erfordernisse demokratischen Handelns in Berlin-H., 2001, p. 47. 256 B. Wagner: Rechtsextremismus und kulturelle Subversion in den neuen Bundesländern. Berlin : Zentrum für demokratische Kultur, 1998, p. 50. 257 R. Stöss: « Rechtsextremismus in West- und Ostdeutschland » in Forschungsinstitut der Friedrich-Ebert-Stiftung (dir.): Rechtsextremismus und Fremdenfeindlichkeit im vereinten Deutschland: Erscheinungsformen und Gegenstrategien. Bonn : Friedrich-Ebert-Stiftung, 1999, p. 33-42, p. 35. 258 Bernd Wagner y perçoit avec inquiétude « une coalition ouverte entre la jeune génération et la génération adulte ». Contribution orale de B. Wagner : « Jugend-Banden oder mehr ? », journée d’étude « Ausländerfeindlichkeit und Rechtsextremismus in den neuen Bundesländern » organisée le 19.05.1998 à Magdeburg par le Ausländerbeauftragten der Landesregierung Sachsen-Anhalt. 259 C. Lemke: « Protestverhalten in Transformationsgesellschaften ». Politische Vierteljahresschrift, 1, 1997, pp. 50-78, p. 77.

Page 95: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

81

l’argument de la déception liée à l’espoir de voir certaines valeurs se concrétiser260 s’ajoutent

les troubles identitaires d’une jeunesse est-allemande qui ne s’identifie ni à l’ordre de la RDA

ni à celui de la RFA261.

En somme, si un processus d’organisation de l’extrême droite est-allemande s’est

amorcé, qui est loin d’être terminé, sa survie dépend des mêmes critères que celle du PDS :

elle est conditionnée par le renouvellement des générations et l’alignement à terme des modes

et conditions de vie des habitants des NBL sur celui des anciens Länder.

C’est la représentation exclusive d’intérêts est-allemands qui assigne à la concurrence

électorale que se livrent le PDS et l’extrême droite est-allemande une dimension spécifique.

L’extrême droite dans les NBL se distingue de celle qui est traditionnelle en RFA certes par

une stratégie qui recoupe celle de la Nouvelle Droite (et s’appuie sur l’antiparlementarisme et

l’hégémonie culturelle), mais surtout parce qu’elle s’estime porteuse de l’identité est-

allemande. La chute du mur de Berlin a engendré un rapprochement idéologique entre la

scène d’extrême droite est-allemande et le PDS, qui incarne pour celle-ci le post-communisme

réactionnaire. Cette proximité thématique est liée au discours anticapitaliste traditionnel des

deux bords, mais également à la défense de certaines vertus idéologiques de la RDA. Celles-ci

sont avant tout l’expression de sentiments contestataires à l’encontre de l’ordre établi en

République fédérale (anti-occidentalisme et anti-communisme), contre la puissance

américaine (anti-capitalisme, anti-impérialisme et pacifisme) et contre le multiculturalisme

(anti-internationalisme et anti-mondialisation)262. Cette stratégie est particulièrement

perceptible dans l’évolution du NPD depuis l’unification.

260 R. Stöss : « Rechtsextremismus im vereinten Deutschland. West-Ost-Unterschiede und Institutionentransfer seit der deutschen Einheit ». Deutschland-Archiv, 2, 2000, pp. 181-193. 261 La jeunesse est-allemande ne s’identifie pleinement, en terme de citoyenneté, ni avec la RDA, ni avec la RFA. La part de ceux qui disent se sentir « les deux » est par contre en augmentation et atteint entre 60 et 70%. La RDA n’est cependant pas idéalisée. Les sciences sociales allemandes -en particulier leur branche « sociologie de la jeunesse » (Jugendsoziologie)- ont produit un nombre extrêmement important d’ouvrages –parfois alarmistes- sur la jeunesse issue de la RDA. Sur les changements de mentalité politique de la jeunesse est-allemande, voir la recherche « de longue durée », inscrite sur 12 années (1987-2002) de P. Förster : Junge Ostdeutsche auf der Suche nach der Freiheit. Eine Längsschnittstudie zum politischen Mentalitätswechsel vor und nach der Wende. Opladen : Leske und Budrich, 2002. Egalement D. Sturzbecher (dir.) : Jugend in Ostdeutschland. Lebenssituationen und Delinquenz. Opladen : Leske und Budrich, 2001. Pour une approche comparative de la recherche sur la jeunesse de l’Europe de l’Est voir W. Melzer (dir.) : Osteuropäische Jugend im Wandel. Ergebnisse vergleichender Jugendforschung in der Sowjetunion, Polen, Ungarn und der ehemaligen DDR. Weinheim/Munich: Juventa Verlag, 1991. 262 « La critique anticapitaliste de la mondialisation couplée avec une vision antiaméricaine, (Democracy), antisémite et anticapitaliste sont au premier rang au NPD. Les barrières avec le marxisme, le communisme et le bolchevisme sont démolies, l’idéologie du SED, les idées de Mao Tsé Toung et de Kim II Sung triomphent et sont synthétisées de manière nationaliste avec l’idée du Reich en arrière plan sous les couleurs noir-blanc-rouge. Milosevic y est également très côté ». Etude pilote du ZdK : op. cit., p. 54.

Page 96: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

82

L’offre idéologique du NPD stratégiquement inspirée du marxisme

Les partis d’extrême droite occidentaux ont appris à leurs dépends au moment de la

Wende qu’on ne mobilise pas les Allemands de l’Est comme ceux de l’Ouest. Cette

constatation engendre des révisions programmatiques qui mettent les préoccupations et

intérêts des Allemands de l’Est au premier plan. L’échange de biens électoraux sur lequel se

positionne l’extrême droite est-allemande allie des visées stratégiques et idéologiques.

Corrélées à la nécessité de gommer sa tradition anticommuniste, celles-ci reposent en partie

sur la récupération de théoriciens d’inspiration marxiste. Ci-dessous est reproduit un tract

distribué par la fédération de Saxe du NPD263. Il illustre cette rhétorique nationale-démocrate

d’un nouveau type, qui ne compte pas les héritiers des communistes parmi ses adversaires

directs :

« Ce sont les équipes dirigeantes de la CDU/SCU, du SPD, du FDP et de Bündnis 90/ Die Grünen que

nous considérons comme nos adversaires directs. Etant donné que les forces dirigeantes des

Republikaner, de la DVU et d’autres groupes se sont mis du côté des partis du grand capital et partagent

avec eux un anticommunisme virulent à l’encontre des citoyens de l’ex-RDA, nous ne ressentons

aucune affinité avec eux sur le plan politique. Nous observons avec inquiétude comment certaines

tendances se développent au sein de la direction du PDS qui se plient aux règles du jeu faussées des

vieux partis afin de trahir leurs électeurs et de se dégager toujours davantage de l’histoire de la RDA.

Nous autres membres du NPD en Saxe assumons toute l’histoire de l’Allemagne et également celle de

la RDA. La majorité de nos membres est d’avis, en cette huitième année d’adhésion de la RDA à la

RFA, que la RDA était une meilleure Allemagne. Nous voulons pour cette raison contribuer à la

politique de l’Allemagne en lui apportant les expériences positives de la RDA.

Mettons fin à la discrimination des Saxons par le gouvernement régional ouest-allemand à Dresde! [...]

Pour un Front National de l’Allemagne en Saxe! »264

Ce tract mêle un discours traditionnel d’extrême droite (démarcation sans équivoque par

rapport aux autres partis d’extrême droite) à la rhétorique communiste (utilisation du clivage

« Eux/Nous » caractéristique des représentations des sociétés sous le communisme et de

l’imagerie populaire265, référence à l’identité communiste, utilisation du terme de Front

National pour en appeler à une alliance contre un danger imminent, communément utilisé

pour désigner les tentatives d’alliance contre le Troisième Reich) ainsi qu’à la défense des

anciens citoyens de la RDA (allusion au ressentiment des citoyens d’ex-RDA par rapport à la

263 Le NPD a échappé en 2003 à l’interdiction pour des motifs administratifs. Voir l’introduction générale. 264 DESG-inform 6/1998. 265 R. Hoggart : La culture du pauvre. Essai sur le style de vie des classes populaires en Angleterre. (The Uses of Literacy) Editions de Minuit, 1970, pp. 117-146 (chapitre 3 « Eux » et « Nous »).

Page 97: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

83

RFA, citoyens de deuxième classe, utilisation du terme d’Anschluss pour désigner

l’unification).

Devant le succès rencontré en Saxe par cette stratégie266, le directoire fédéral du NPD

s’en inspire en posant la revalorisation des acquis sociaux de la RDA comme la ligne à

défendre. Il se réclame ainsi ouvertement de la succession communiste et accorde la primauté

à la question sociale, en considérant notamment que le salut viendra d’un « (néo)racisme »267.

Le terme de « socialisme national », qui associe des positions anticapitalistes et ethniques,

apparaît comme une version post-réunification de l’héritage national-socialiste268. La nouvelle

politique du NPD joue sur le développement d’une « nostalgie de la RDA » d’extrême droite

et cherche à mobiliser des sentiments nationaux liés à l’identité collective par la défense de

l’idée de socialisme, qui continue à être perçue positivement dans les NBL269. Partant de la

spécificité des dirigeants du NPD, Bernd Wagner dresse un inventaire des thèmes

« vendeurs » en ex-RDA sollicités par le NPD :

« Ils croient naturellement très fortement en cette ‘caricature’ de la RDA, on peut très bien l’utiliser

pour absorber la frustration. […] Ils peuvent aussi jouer la carte antisémite. Ca marche bien, surtout

chez les jeunes. Ces thèmes économiques rapportent bien. La mondialisation aussi se vend bien, les

idées altermondialistes. Le thème de la culture allemande, ethnocentriste, attire beaucoup de personnes

également. Mais il faut que des atteintes soient faites à la culture allemande, ce qui est difficile, mais

faisable. En règle générale, les sujets historiques sont porteurs également. Une assertion telle que : la

RDA n’ était pas bonne, mais des deux Etats allemands nés du Troisième Reich, c’était le meilleur.

C’est une idée qui revient souvent au NPD. »270

266 Le nombre des adhérents du NPD a presque doublé en 5 ans (1996 et 2001 ; il est passé de 3700 à 6500), dont 1/5 (1200 adhérents) dans la première fédération en nombre, celle de Saxe (chiffres de 1998 de l’Office saxon de protection de la Constitution). 267 Le président du NPD, Udo Voigt, a par exemple posé la revalorisation des acquis sociaux de la RDA comme ligne à défendre. Il déclare : « Nous devons justement faire comprendre à l’Allemagne centrale que ce sont nous, les Nationaux, qui avons en réalité pris la succession des communistes dans la représentation des intérêts sociaux vitaux du peuple allemand. » En décembre 1996, lors de son congrès national à Ohrel (Basse-Saxe), le NPD rend public son nouveau programme. La « question nationale » et le révisionnisme cèdent leur place de premier plan aux questions de politique économique et sociale, à une critique du capitalisme, à des visées ethnopluralistes et une rhétorique nationale-révolutionnaire. Deutsche Stimme – Extra, Stuttgart, 7, 1998, p. 2. 268 « Beaucoup de choses rappellent les positions socialistes du NSDAP avant 1933 » écrit le journaliste Markus Lesch, soulignant l’existence de ressemblances avec l’aile ‘de gauche’ du parti nazi. Un tract du NPD fait référence aux frères Strasser (Gregor et Otto) ainsi qu’à Gottfried Feder, idéologue du NSDAP à l’époque d’Alfred Rosenberg. « NPD-Parteitag sucht Hilfe bei linken Glaubenssätzen ». Die Welt online, 25.01. 1999. 269 Cf. chapitre 1, section 1, A. R. Schröder s’amuse par exemple d’une affiche d’une organisation d’extrême droite en Saxe : « Le pays allemand entre les mains des ouvriers et des paysans », la référence à la RDA, Etat des ouvriers et des paysans, est clairement établie. 270 Entretien du 04.06.2002.

Page 98: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

84

B. Wagner évoque également la présence de procommunistes à l'intérieur du NPD, qui

rompt avec la forte tradition antimarxiste de l'extrême droite allemande et conduit à adopter

certaines thèses communistes271.

La conversion idéologique s’accompagne d’un recours stratégique à certains idéologues

marxistes. Dans la deuxième moitié des années 1990, ce procédé s’accompagne d’un

rapprochement avec la scène néo-nazie et skinhead, plus présente à l’Est qui permet au NPD,

à son organisation de jeunesse et aux Kameradschaften de faire de plus en plus du local un

terrain d’action privilégié. S’appuyant sur une relecture “nouvelle droite” du philosophe

italien Antonio Gramsci et de son concept d’hégémonie272, ils cherchent avant tout à

conquérir l’espace communal. Pour ce faire, ils essaient d’y implanter ce qu’ils appellent des

« zones nationales libérées » (NBZ), des zones de non droit sous contrôle de l’extrême droite

inspirées des mouvements de guérilla d’Amérique latine contre les systèmes autoritaires à

partir des années 1960-1970273. L’objectif est d’empreindre les mentalités de manière à former

des individus acquis à la cause. Ceci implique qu’une attention particulière soit portée sur

l’encadrement social et culturel de la jeunesse274.

271 « A l’intérieur du NPD, il y avait un groupe de travail, ‘les socialistes’, quelque chose comme ça. On en disait qu’il y avait une dispute importante autour de l’adoption d’idées communistes par le NPD. En ce moment, on dirait que les anticommunistes ont le dessus, mais les procommunistes y sont encore. Pendant longtemps, ils étaient même assez forts.[..] Communisme est entendu ici dans son assertion la plus large. Les nazis sont en principe antimarxistes. C’est comme ça que le souhaitait Hitler, même ses sujets devaient être antimarxistes, un monde antimarxiste et antibourgeois devait naître, ce qui n’est jamais arrivé. Ces théories antimarxistes ont été révisées : ‘ce sont des bêtises tout ce que les antimarxistes ont dit des partis communistes. Dans la pratique, nous devrions certes être critiques, mais pas arrogants.’ Il y a eu une discussion où l’on a décidé qu’il fallait lire l’histoire des partis du Parti Communiste d’Union Soviétique et du DKP et s’en servir comme d’un chantier. On s’est aussi rapproché du maoïsme, on peut se servir des grands moments, pour le peuple. Ils n’ont pas si peur. » Entretien du 04.06.2002. 272 L’idée principale de la nouvelle droite française apparue à la fin des années 1960 et qui a inspiré le renouveau de l’extrême droite allemande est de confronter l’ensemble de la société avec l’idéologie d’extrême droite et d’accéder par ce biais à une « hégémonie culturelle ». Ce premier échelon gravi, le pouvoir politique viendrait naturellement entre les mains de l’extrême droite. Cette stratégie inspirée du marxiste italien Antonio Gramsci (1891-1937) est rendue par la nouvelle droite, en particulier le GRECE (Groupe de Recherche et d’Etudes pour la Civilisation Européenne) sous le concept de « métapolitique ». A. Gramsci traite de l’hégémonie culturelle dans ses Cahiers de prison 12, 13, 14 et 15. 273 Cette notion de « zones nationales libérées » (National befreite Zonen - NBZ) lancée par le NPD est tirée d’une lecture abusive de Gramsci. Il s’agit d’une zone de non droit sous contrôle de l’extrême droite. Dans un papier stratégique de la fédération étudiante national-démocrate, le NHB (Nationaldemokratische Hochschulbund) du NPD, on peut lire : « Nous devons créer des espaces ouverts, dans lesquels NOUS exerçons finalement le pouvoir, dans lesquels NOUS décidons des sanctions, c’est-à-dire que NOUS punissons les dissidents et les ennemis [...] D’un point de vue militant, nous nous trouverons ainsi dans une ZONE LIBEREE, non seulement lorsque nous pourrons manifester et tenir des stands d’informations sans en être inquiétés, mais précisément lorsque les contre-révolutionnaires ne pourront PAS le faire [...] Nous devons agir de sorte de nager dans une mer de sympathie, nous devons faire en sorte que les citoyens ‘normaux’ nous fassent aveuglément confiance». « Revolutionärer Weg konkret : Schafft befreite Zonen ! ». Vorderste Front. Zeitschrift für politische Theorie & Strategie, 2, 1991, p. 4 et 6. 274 Ce point est analysé dans le chapitre 5 à travers le cas de Hohenschönhausen.

Page 99: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

85

Nous avons vu que dans la décennie 1990, une partie des extrémistes de droite (ouest-)

allemands choisit de s’imposer à l’Est comme les défenseurs des acquis du socialisme. Or, le

succès en matière de reconversion lui apparaît sous les traits PDS. Les similitudes

programmatiques entre l’extrême droite est-allemande et le PDS s’expliquent par l’intérêt

porté par les deux parties à un électorat est-allemand que les partis traditionnels ne

parviennent pas à fidéliser.

B) Deux acteurs issus d’un même processus

Le terme de transfert s’est imposé pour décrire la « voie particulière » (Sonderweg) de

la transition démocratique allemande en regard du processus de transition en cours dans

l’ensemble des PECO275. Les conséquences de cette unification par transfert sur la démocratie

allemande pousse le PDS à se démarquer ouvertement de l’extrême droite.

Une unification par transfert de système

Les NBL (et Berlin est en cela emblématique) sont le laboratoire d’une expérience qui

vise à calquer, sans transition ni adaptation, le régime d’une démocratie occidentale sur une

société issue d’un régime se réclamant du « socialisme démocratique »276.

Les politologues allemands voient en l’unification un transfert en Allemagne de l’Est

des modes dominants de conduite des politiques publiques (absorption des institutions et des

groupes d’intérêt est-allemands par leurs homologues transférés)277. Les difficultés qui en

découlent sont accentuées par le fait que le processus revient à appliquer un système fédéral à

un territoire régi par un pouvoir centralisé278. Rappelons que l’ordre constitutionnel régissant

la RFA, la Loi fondamentale de 1949, était provisoire et prévue uniquement dans l’attente

d’une unification dont l’article 146 prévoyait les modalités (élaboration d’une constitution

275 C. Offe : Der Tunnel ..., chapitre 2, pp. 21-42. 276 Sur le caractère expérimental des transformations impulsées par l’unification pour les sciences sociales, voir B. Giesen, C. Leggewie (dir.) : Experiment Vereinigung. Ein sozialer Grossversuch. Berlin : Rotbuch, 1991, notamment la contribution de C. Offe : « Die deutsche Vereinigung als ‚natürliches Experiment’», pp. 77-86. 277 Voir P. Hassenteufel : « La science politique et l’unification. Eléments d’orientation bibliographique » Politix, 33, 1996, pp. 156-161. Egalement G. Lehmbruch : « Institutionentransfert im Prozeß der Vereinigung. Zur politischen Logik der Verwaltungsintegration in Deustchland » in W. Seibel, A. Benz, H. Mäding (dir.): Verwaltungsreform und Verwaltungsspolitik im Prozeß der deutschen Einigung. Kronberg: Skriptor, 1993 et V. Eichener (dir.): Organisierte Interessen in Ost-Deutschland. Marburg : Metropolis Verlag, 1992. 278 P. Laborier a souligné cet aspect de l’unification au sujet de la politique culturelle, domaine réservé des Länder. P. Laborier : Culture et édification nationale en Allemagne : genèse des politiques de la culture. Thèse de science politique, IEP Paris, dir. : J. Leca, 1996.

Page 100: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

86

commune soumise à référendum)279. On lui a pourtant préféré l’article 23 qui prévoyait le

rattachement d‘ « autres parties de l’Allemagne » à la RFA après référendum, ce qui

simplifiait et accélérait le processus280. Ce même article avait permis le rattachement de la

Sarre à l’Allemagne de l’Ouest en 1957.

Ce choix témoigne d’un empressement à réaliser l’unification, non d’un dénigrement du

territoire rattaché. Mais la chance qui s’est présentée à cette occasion d’élaborer un projet

commun de société n’a pas été saisie. Pour C. Offe, la « cession de souveraineté » de la RDA

est le résultat d’un choix collectif de l’option défection développée par A. Hirschmann281.

Cette « délégation de l’initiative à l’extérieur est vécue par la population de l’ex-RDA

comme un déficit démocratique » ; « mise sous tutelle politiquement, on ne lui demande pas

assez sur le plan moral », en déduit C. Offe282. Ce jugement, qui domine les sciences sociales

allemandes, ne saurait être assimilé à un refus de l’unification, il s’agit d’une critique de ses

modalités. Le terme de colonisation283 est parfois utilisé pour souligner l’unilatéralité du

transfert et la prévalence des intérêts occidentaux284. Le PDS pour sa part fait campagne dès

1990 sur le thème de la « Kohlonisation », en référence au chancelier Kohl285. En attisant une

opinion répandue, engendrée par la réalité du processus d’unification, le PDS constitue « le

point de cristallisation d’une subculture est-allemande »286. Il prolonge pourtant le modèle sur

lequel s’appuie la perception dualiste entre amis et ennemis.

En dépit de l’énorme chance que représente l’adoption du modèle ouest-allemand, les

premiers effets négatifs de la transition économique en ex-RDA se font sentir au plan

économique. L’importante aide financière dont ont bénéficié les nouveaux Länder est

279 Les rares mesures prises pour débattre de l’héritage laissé par la RDA à une RFA agrandie peuvent se résumer à une « décommunisation ». Tout citoyen allemand se voit accordé le droit de consulter son propre dossier auprès de l’ « administration Gauck » (Gauckbehörde) selon une loi adoptée par le Bundestag le 14 novembre 1991. Le 7 juin 1990, la Volkskammer de la RDA crée une commission parlementaire afin de contrôler la liquidation de la Stasi. Le pasteur J. Gauck (Bündnis 90) en prend la tête et lui donne son nom. 280 C’est par « l’hypothèque » de la RDA que le spécialiste Bernd Wagner (ZdK) explique la force du potentiel d’extrême droite à l’Est. Entretien du 04.06.2002. 281 C. Offe : Der Tunnel.., chap 9, pp. 230-276. Dans le modèle d’A. Hirschmann, la « défection » est la conséquence d’un sentiment de trahison, de défaite idéologique. A. Hirschmann : Défection et prise de parole. Théorie et applications (Exit, voice and loyalty). Fayard, 1995. 282 C. Offe : op.cit., pp. 261-262. 283 Se reporter sur ce sujet à l’analyse de M. L. Müller : « Identitätsprobleme der Menschen in der DDR seit 1989/1990 » in W. Dümcke, F. Vilmar (dir.) : Kolonalisierung der DDR. Kritische Analysen und Alternativen des Forschungsprozesses. Münster: Agenda Verlag, 1996, pp. 209-241. 284 H. Wiesenthal : « Die Transformation Ostdeutschlands » in H. Wollman,H. Wiesenthal, F. Bönker (dir.) : Transformation sozialistischer Gesellschaften: am Ende des Anfanges. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1995. 285 G.-J. Glaessner : op.cit., p. 112. 286 O. W. Gabriel: « Immer mehr Gemeinsamkeiten? Politische Kultur im vereinigten Deutschland » in E. Jesse, R. Altenhof (dir.): Das wiedervereinigte Deutschland. Düsseldorf : Droste, 1995, pp. 243-274.

Page 101: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

87

paradoxalement à l’origine d’une mise sous tutelle de l’économie est-allemande287. Le mode

de restructuration appliqué aux NBL après 1990 a avant tout misé sur une privatisation

accélérée par l’intermédiaire de la Treuhandanstalt288. La privatisation a « conduit à un cercle

vicieux : chômage, charges sociales croissantes, coût du travail plus élevé »289.

Les restructurations économiques ont des conséquences importantes sur la société est-

allemande. Cette dernière découvre rapidement la menace du chômage, phénomène

jusqu’alors inconnu. Il existait certes en RDA un chômage caché (équivalent au chômage

technique, il touche des individus qui ont un emploi, mais pas de réelle activité), mais

personne n’était exclu du marché du travail. Si le changement de système est suivi d’une

phase (1991/1992) marquée par la satisfaction des citoyens est-allemands qui se livrent aux

plaisirs de la consommation et profitent de la liberté de voyager, rapidement toutefois, la

généralisation du chômage290 ternit les espoirs mis dans l’unification. Sur le territoire de l’ex-

RDA, l’emploi s’est effondré de près de 30% depuis les premiers pas vers l’unification (9,4

millions d’actifs avant l’union monétaire, contre seulement 6,2 au second semestre de 1991).

Le taux de chômage dans les nouveaux Länder est de 19,4% fin 1998 contre 9,5% pour les

anciens Länder291.

Le démantèlement de l’industrie a des conséquences importantes dans une société

organisée autour de combinats qui prennent en charge et organisent la vie sociale292. Les

changements sont d’autant plus difficiles à vivre pour les Allemands de l’Est que ces derniers

ne découvrent le mode d’emploi du nouveau système qu’à la suite d’un long processus

287 Malgré les investissements massifs de la RFA, les NBL restent peu attrayants aux yeux des entrepreneurs étrangers. Le décalage entre la productivité et le niveau de salaire est important. Les coûts salariaux unitaires de l’ex-RDA sont supérieurs à ceux de l’ex-RFA à cause d’une productivité moindre. 288 Entre 1990 et 1994 les deux tiers des entreprises est-allemandes ont été privatisés, reprivatisés ou transférés aux communes grâce à l’action centralisée de la Treuhandanstalt, l’Office fédéral chargé de la liquidation des entreprises de la RDA. R. Lallement: L’unification sans miracle. L’économie allemande en mutation 1990-1995. Travaux et documents du CIRAC, Levallois-Perret, 1995, p. 58. 289 D. Läpple : « L’Allemagne, la fin d’un ‘modèle’? ». Documents, 4, 1997, p. 37. Les entreprises souffrent d’un manque d’investissements auquel s’ajoutent des installations héritées du système soviétique (équipements vétustes), une main d’œuvre peu qualifiée et en sureffectif et une organisation interne de l’entreprise qui freine la productivité. L’économie est-allemande doit en outre faire face à une hémorragie de consommateurs. Environ un million d’habitants quitte la RDA puis les nouveaux Länder entre 1989 et 1993, dont le taux de natalité chute de 12 pour mille en 1989 à 5,1 en 1993 selon Läpple. La population est-allemande continue à diminuer régulièrement depuis. 290 Les NBL comptent 642 000 chômeurs le 8 janvier 1991, 757 161 le 30 du même mois, soit 15% de plus, selon les chiffres de l’Office fédéral des statistiques allemand (Statistisches Bundesamt). 291 Les femmes sont particulièrement touchées puisqu’elles représentent 52% des chômeurs à l’Est et que leur taux de chômage s’élève à 22,5% (11% en ex-République fédérale) selon les chiffres de l’Office fédéral des statistiques. 292 Voir S. Kott : Vivre sous le communisme. Les entreprises est-allemandes entre Etat et société, 1949-1989. Belin, 2001.

Page 102: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

88

d’apprentissage et de socialisation. Comme la menace du chômage293, l’insécurité devant

l’avenir est source d’incertitude et d’angoisse. L’impression de perdre la maîtrise du

processus d’unification fait naître un sentiment d’impuissance qui se reporte sur l’étranger.

Dès 1990, la frustration rapidement suscitée par les effets de l’unification s’exprime contre les

travailleurs immigrés. S’ils ne profitent que partiellement des libertés démocratiques au

moment de l’ouverture de la RDA, les étrangers sont les premiers touchés par le chômage,

l’insécurité sociale et la violence294.

La recomposition de la scène politique est-allemande s’est faite au profit du PDS. La

dichotomie persistante entre Est et Ouest repose certes sur des conflits d’intérêts liés à une

forte carence de représentation des intérêts est-allemands dans les domaines politique,

économique et institutionnel au sein de la RFA, mais elle a été renforcée par le fait qu’aucune

discussion n’ait même été initiée sur l’héritage du socialisme, alors que certains acquis du

communisme étaient perçus de manière positive par les habitants de l’Est. Le jugement

négatif porté sur la situation économique générale et l’identification de la population avec

certains aspects de la RDA sont au coeur de la manière dont les Allemands de l’Est

appréhendent le système démocratique.

Conséquences de l’unification pour la démocratie

Il serait hâtif d’évoquer l’existence d’une culture politique295 commune à l’Allemagne

unifiée296. Les nouveaux Länder sont bien davantage en voie d’appropriation d’une culture de

la démocratie.

293 Voir par exemple à ce sujet M. Hermanns : « Auswirkungen der Jugendarbeitslosigkeit » APUZ, 27, 199, p. 24. 294 I. Schmidt : « Ausländer in der DDR. Ihre Erfahrungen vor und nach der Wende » in K.-H. Heinemann, W. Schubarth (dir.) : Der antifaschistische Staat entläßt seine Kinder. Jugend und Rechtsextremismus in Ostdeutschland. Cologne : PapyRossa Verlag, 1992, pp. 64-76. 295 La culture politique peut se définir comme l’ensemble des valeurs et des croyances concernant la politique qui caractérisent une société nationale selon la définition proposée par G. Almond et S. Verba : The Civic Culture Revisited. Boston : Little Brown, 1980. Le terme « national » étant problématique en ce qui concerne les NBL, il convient d’y ajouter une pratique quotidienne et un référent, et de concevoir la culture politique comme l’ « héritage de savoirs, croyances et valeurs qui donnent sens à l’expérience routinière que les individus ont de leurs rapports au pouvoir qui les régit et aux groupes qui leur servent de référence identitaire ». P. Braud : Sociologie politique. LGDJ, 1992, p. 454. Sur la disparité Est-Ouest en matière de culture politique, voir O. Niedermayer, K. von Beyme (dir.) : Politische Kultur in Ost- und Westdeutschland. Berlin : Akademie Verlag, 1994. Une approche positive de la question qui analyse l’enrichissement d’une culture politique « complétée, pluralisée et ainsi, dans une certaine mesure, normalisée » par l’unification est esquissée par T. Ahbe, M. Gibas : « Der Osten in der Berliner Republik ». APUZ, 1-2, 2001. 296 O. W. Gabriel : « Immer mehr Gemeinsamkeiten? Politische Kultur im vereinigten Deutschland » in E. Jesse, R. Altenhof (dir.) : op.cit., pp. 243-274, p. 249.

Page 103: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

89

L’héritage antifasciste de la RDA est contraignant en matière de débat démocratique.

Les déficits du régime logocratique de la RDA en matière d'éducation au débat (confrontation

avec certains arguments, apprentissage de la discussion) ont des effets négatifs sur la capacité

des citoyens est-allemands à débattre démocratiquement. « On n’a pas appris, en RDA, à

débattre des textes de manière critique. On nous a toujours désigné ce qui était vrai ou devait

l’être. Je n’étais absolument pas obligée de me demander si c’était vrai ou non. En RDA, nous

n’avions pas de libre accès à l’information. »297 Dans les NBL, le fait de débattre, fondement

du fonctionnement démocratique, est perçu comme une faiblesse. Le souhait autoritariste de

solutions simples pourrait remonter non simplement à la RDA, mais à l’échec de la

République de Weimar, si l’on en croit le social-démocrate B. Flemming, député à la CDB :

« A droite comme à gauche, la République de Weimar a été perçue comme une forme d’Etat –disons-

pas si bonne que cela. Les uns voulaient la dictature du prolétariat, un gouvernement monopartisan, en

fait le gouvernement par un seul Comité central, et les autres voulaient un homme fort au sens des

extrémistes de droite. C’est la différence entre les deux Etats [communiste et fasciste], qui sont par

ailleurs autoritaires et rejettent la démocratie. Cela se passe comme ça : quelqu’un dit : ‘on fait cela

comme ça ‘, c’est fait, et le problème est réglé. En démocratie, tout le monde discute, un compromis

tombe pour régler le problème. Cela dérange les gens. Lorsqu’on les interroge très concrètement, ils

disent vouloir un homme d’Etat comme alternative, mais si on demande des précisions, ils se rétractent.

Indirectement, ils ne veulent pas de système unique, estiment fortement le système démocratique, mais

ils ont dans la tête qu’ils regrettent les structures autoritaires. »

L’absence de pratique de la démocratie à l’Est a des conséquences importantes sur

l’intégration des citoyens des NBL. A l’Est, les modalités du processus d’unification n’ont

que partiellement encouragé l’émancipation du sujet politique, tandis qu’il fallait

s’accommoder de certains éléments de la culture politique est-allemande tels que le

nationalisme, l’autoritarisme étatique, la peur du conflit et la recherche de sécurité 298. Le repli

sur la vie privée, considérée comme opposée à la sphère politique, et ses valeurs sont autant

de traces marquantes laissées par le régime de la RDA.

297 Propos tenus en entretien par K. Köditz, députée PDS du Landtag de Saxe. 298 C’est en ce sens que H. Funke voit deux causes au « nationalisme de défense » (Abwehrnationalismus) de l’Allemagne de l’Est que sont d’une part la tradition sociétale autoritaire en ex-RDA, d’autre part « l’échec passager de la tentative sociétale d’auto affranchissement de la population de l’ex-RDA». H. Funke : « Jetzt sind wir dran ». Nationalismus im geeinten Deutschland. Berlin, 1991, p. 151. C. Butterwege note également que la « recapitalisation sans égards d’une RDA en lambeaux […] n’a engendré aucun processus global de démocratisation, démilitarisation et humanisation.» C. Butterwege : « Gesellschaftliche Ursachen Erscheinungsformen und Entwicklungstendenzen des Rechtsradikalismus » in C. Butterwege, H. Isola (dir.): Rechtsextremismus im vereinten Deutschland. Randerscheinung oder Gefahr für die Demokratie? Berlin : Ch. Links, 1990, p. 29.

Page 104: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

90

Au moment de l’unification, la culture politique est-allemande est marquée par une

passivité et une absence d’identification au système politique, déjà caractéristiques de

l’attitude des Allemands de l’Ouest dans la décennie 1950 d’après-guerre299. Dans les années

1970 et 1980, l’engagement actif a remplacé la passivité et les liens affectifs au système

politique ont cru. Il est possible de supposer que l’Est va suivre la même conversion aux

valeurs démocratiques. Depuis 1990, les mentalités y évoluent bien plus rapidement que dans

les années 1950.

Des différences perdurent en l’an 2000 : les préoccupations sociales et l’autoritarisme

dominent clairement l’orientation idéologique dans les nouveaux Länder, tandis que les

Allemands de l’ouest se sentent plus proches de pensées libertaires qu’autoritaires300. En

comparaison de leurs pairs occidentaux, les Allemands de l’Est attendent également

davantage d’intervention de l’Etat dans les questions économiques et de société301, avant tout

dans le domaine de la justice sociale, qui occupe une place particulière dans la culture est-

allemande. Plus qu’une revendication, ce terme de justice sociale renvoie à une identité

collective est-allemande attachée à la valeur d’égalité et à la notion de redistribution. C’est

ainsi que l’idée de socialisme continue à être perçue positivement dans les NBL302.

Une critique du passé et du présent se développe dans les deux parties de l’Allemagne à

partir de 1994-1995. A l’Est, on l’appelle l’Ostalgie, un néologisme composé des termes Est

et nostalgie. Elle ne traduit en fait que le regret que certains acquis positifs de la RDA (justice

et sûreté sociales) n’aient pas été intégrés d’une manière ou d’une autre dans le processus

d’unification. Elle exprime la déception du dénigrement à l’égard des Allemands de l’Est dans

un processus d’unification qui s’apparente à un rattachement, non le souhait de revenir aux

anciens rapports sociaux303. On peut alors s’associer à la prédiction de L. Fritze selon laquelle

299 D. P. Conradt : « Changing German Political Culture » in G.A. Almond, S. Verba (dir.) : op. cit., pp. 212-272. 300 R. Stöss, G. Neugebauer : Die PDS. Geschichte, Organisation, Wähler, Konkurrenten. Opladen : Leske und Budrich, 1996, pp. 275-296. 301 J. W. Falter, O. W. Gabriel, H. Rattinger (dir.) : Wirklich ein Volk? Die politischen Orientierungen von Ost- und Westdeutschen im Vergleich. Opladen : Leske und Budrich, 2000 et K. Arzheimer, J.W. Falter : « Ist der Osten wirklich rot? Das Wahlverhalten bei der Bundestagswahl 2002 in Ost-West-Perspektive ». APuZ, 49-50, 2002, pp. 27-35. 302 Se reporter ici aux nombreux travaux de Arzheimer, Falter, Greiffenhagen ainsi qu’à la bibliographie. Nous analyserons dans la seconde section de ce chapitre les retombées électorales de ces éléments de la culture politique est-allemande. 303 Elle exprime « l’incertitude face aux problèmes économiques et sociaux croissants ainsi que la conviction que l’on ne peut pas se débarrasser aussi facilement des expériences faites durant quarante ans » selon G.-J. Glaessner : op.cit., p. 209. L’Ostalgie « reprend en fait ce qu’il y a de plus progressiste dans l’attitude des citoyens de RDA à la fin de leur existence étatique – la vision critique de l’évolution de la société du pays » pour R. Stöss : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland, 1996, p. 66.

Page 105: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

91

à long terme, seules les affinités (fortes) avec l’idée de justice et de sécurité dans le domaine

social resteront304.

Or, le changement d’atmosphère observé en 1994 parmi les Allemands de l’Est, qui se

traduit par une montée dramatique du mécontentement, du pessimisme et de la déception à

l’égard du système, notamment de la société de bien être (Wohlfahrt) et de consommation

capitalistes, accroît les conditions de succès certes du PDS, mais également des partis

d’extrême droite305.

La (re)composition du jeu politique conduit à une érosion de la polarisation droite-

gauche dans l’Europe orientale post-communiste306. L’explication tient d’une part à

l’existence d’une coopération entre les postcommunistes et les ultranationalistes, d’autre part

à un système changeant prompt à favoriser l’émergence de tendances populistes radicales de

droite307. Le populisme est une réaction à la modernisation, les régimes communistes ayant

beaucoup mais mal modernisé. Le sentiment d’être perdants de la modernisation, qui

fonctionne comme une menace dans les PECO, est réel dans le cas est-allemand. Les

habitants des NBL ne connaissent pas la pauvreté de certains pays en transition. Le bénéfice

qu’ils tirent du système de protection sociale, notamment en ce qui concerne les retraites, en

304 L. Fritze : « Identifikation mit dem gelebten Leben. Gibt es DDR-Nostalgie in den NBL? » in E. Jesse, R. Altenhof (dir.) : op. cit., pp. 290-291. 305 En témoignent les propos du néonazi repenti I. Hasselbach, pourtant opposé au système de RDA. S’adressant à son père, haut-fonctionnaire de RDA, il exprime ainsi son désenchantement consécutif à l’unification :

« Si j’avais vécu depuis le début en République fédérale, je serais peut-être allé à la RAF ou dans la scène violente de gauche. Le manque d’amour et de reconnaissance conduisent à une frustration qui peut grandir jusqu’à devenir une haine aveugle. […] Je dois maintenant m’accommoder d’une époque où seuls l’argent et le succès comptent. L’intérêt de chacun pour tous les autres ne compte plus qu’à peine, on ne peut plus d’un autre côté, comme à l’époque en RDA, en faire un usage si nuisible. Chacun est seul responsable de soi-même, personne n’empêche personne de penser. Les pensées nationales-socialistes et les formes organisationnelles qui soumettent l’individu et lui retirent toute chance d’épanouissement individuel sont inaptes au futur. [..] Je dois te parler de mon passé et du tien, te dire combien cet Etat autoritaire de la RDA était moins humain que celui dans lequel nous vivons maintenant, combien pourtant, dans de nombreux domaines, la vie en RDA était plus humaine, pas seulement dans tout ce qui était proclamé sans cesse. […] Que manque-t-il dans ce pays ? Je n’ai jamais été un fan de la RDA et de sa politique étatique de jeunesse. Mais lorsque l’on a, comme après la chute du mur, rien de mieux à faire que de couper à la racine les structures existantes et de ne rien proposer pour les remplacer, il ne faudrait pas s’étonner de la violence, de la perte d’orientation et de perspectives. » I. Hasselbach, W. Bonengel : op.cit., p. 133, 134 et 150. 306 K. von Beyme : « Rechtsextremismus in Osteuropa » in J.W. Falter, H-G. Jaschke, J. Winkler : Rechtsextremismus. Ergebnisse und Perspektive der Forschung. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1996, pp. 423-442. 307 K. von Beyme : op. cit., p. 433. Ce populisme apparaît en premier lieu dans les pays où « un nouveau groupuscule doit s’imposer en opposition à un système partisan établi », ce qui est rare en ECO, à l’exception de la Hongrie et de la République tchèque, où le système partisan est relativement consolidé. Les paysages politiques de la République tchèque, de la Hongrie et de la Pologne n’ont pourtant connu aucune forme de « reddish-brownish cooperation » ou accords, souvent ponctuels, entre les successeurs des partis communistes et les ultra-nationalistes. J. T. Ishiyama : « Strange bedfellows : explaining political cooperation between communist successor parties and nationalists in Eastern Europe ». Nations and Nationalism, 4, 1998, pp. 61-85.

Page 106: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

92

font des privilégiés dans les PECO. La portée positive de cette situation objective est

cependant ternie parce c’est aux Allemands de l’Ouest, et non aux habitants des PECO, que

les citoyens des NBL la comparent308. La population est-allemande ne souffre pas de pauvreté,

mais d’une « arriération » au regard du niveau de vie ouest-allemand309.

Ceci pose plus largement la question du rapport d’une part entre transition démocratique

et nationalisme, d’autre part entre post-communisme et antifascisme. Pour J. T. Ishiyama,

l’entente entre les deux extrêmes naît de la capacité des héritiers des partis communistes

anciennement au pouvoir à forger une identité nouvelle et fédératrice310. En Europe centrale,

c’est par exemple dans le pays où les communistes convaincus (partisans de l’ordre

soviétique) sont les plus nombreux que l’extrême droite est la plus puissante. Ainsi, en

République tchèque, le parti communiste, le KSCM (qui a recueilli 18,5% des suffrages

exprimés lors des élections législatives de 2002) utilise à des fins de propagande, au-delà de

l’anticapitalisme, les thèmes de nationalisme et d’antigermanisme. Il reprend en cela non

seulement l’un de ses vieux leitmotivs en réactivant la menace allemande, très souvent

brandie durant la Guerre froide, mais aussi l’un des thèmes favoris du principal parti

d’extrême droite tchèque, le SPR-RSC311 de Miroslav Sladek. Avec 3, 9% des voix, ce dernier

a perdu plus de quatre points lors des mêmes élections de 1998312. De même, les héritiers du

parti communiste n’hésitent pas à mettre en avant l’antifascisme, exception positive dans

l’héritage socialisant du communisme313. La conviction antifasciste a été fortement intériorisée

par la population centre- et est-européenne, en premier lieu par les Allemands de l’Est314.

308 Ces propos sont proches de ceux que tient le député social-démocrate à la CDB, B. Flemming en entretien. Il observe que, si les changements liés à l’unification ont indéniablement apporté une amélioration matérielle aux Allemands de l’Est, le fait que ceux-ci comparent leur nouvelle situation avec celle des Allemands de l’Ouest, et non avec leurs voisins anciennement communistes, fait émerger l’impression que leur condition s’est détériorée. Il poursuit : le dénigrement de leur biographie est le fruit d’une distinction opérée à l’Ouest entre les bons et les mauvais Allemands. L’unification a donné naissance à un sentiment d’inégalité et d’injustice unique dans les PECO qu’est un jugement moral de valeur appliqué à une partie de la population. Ce mécontentement dans l’appréciation de sa situation personnelle a des répercussions sur l’attitude face à la politique, qui, sans se traduire par un rejet de la démocratie, peut prendre la forme d'une velléité de démocratie autoritaire. 309 « Rückstand », non « Armut » selon C. Offe : Der Tunnel…, p. 261. 310 J. T. Ishiyama : op. cit. 311Assemblée pour la République, Parti Républicain tchécoslovaque. Le SPR-RSC est le parti qui se rapproche le plus, dans sa base sociale (victimes de la modernisation, citadins de villes moyennes ou grandes, majoritairement masculins et avec un niveau d’ éducation relativement faible), des Republikaner allemands. 312 Ces éléments s’inspirent de C. Perron, J. Rupnik : « Les singularités du PC tchèque » In G.Hermet, L. Marcou : Des partis comme les autres ? Les anciens communistes en Europe de l’Est. Editions Complexe, 1998, pp. 77-94. 313 Les partis communistes réformés de Pologne, Hongrie et Bulgarie ont ceci en commun que leur composante orthodoxe, fidèle au communisme, se rattache à l’identité de la lutte antifasciste. 314 79% des personnes interrogées dans les NBL approuvent la déclaration suivante : « La liberté de parole ne devrait pas être accordée aux fascistes. » Ils sont 62% en Pologne et 73% en Ukraine. Ce sont l’Allemagne de

Page 107: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

93

L’extrême droite et le PDS se disputent ainsi le « leadership de recomposition »315 de la

situation issue de l’unification. Ils n’exploitent plus seulement les éléments encadrant la

relation de représentation, mais les transforment. Ils s’opposent toutefois dans le type de

leadership mis en avant. L’extrême droite mobilise un registre personnalisé, proche de

l’autorité charismatique de M. Weber. Les solutions qu’elle propose sont immédiatement

compréhensibles, tandis que l’approche du PDS, plus cognitive, exige davantage de

pédagogie.

La situation concurrentielle engendre des tentatives de séduction opérées par l’extrême

droite en direction du PDS. Certains dirigeants du PDS confient ainsi tout à fait

officieusement, que le NPD envoie régulièrement des courriers dans ce sens au siège du parti.

Le PDS tait cette information et s’efforce d’ignorer ces tentatives de rapprochement. Cette

volonté unilatérale de coopération invalide tout fantasme d’un rapprochement rouge-brun. Le

refus du PDS de se pencher vers le brun relève non seulement d’un consensus antifasciste

mais certainement plus encore du refus de se reconnaître dans ce que l’extrême droite pense -

ou souhaite- être le PDS. Pour s’ancrer durablement dans le paysage politique allemand, les

néo-socialistes doivent non seulement s’imposer en tant que parti résolument respectueux des

règles du jeu démocratique, mais encore contrecarrer leur réputation de parti non

démocratique puisque issu d’un système totalitaire. Ainsi, des facteurs à la fois stratégiques et

éthiques rendent officiellement impossible, pour les néo-socialistes, toute coopération avec

l’extrême droite.

Rejet de la promiscuité idéologique

« Après 1989, le régime est-allemand n’a plus été considéré comme une conséquence de la voie

particulière allemande [Sonderweg] culminant dans la catastrophe national-socialiste, mais comme une

continuation ou une variante d’une configuration culturelle, économique et politique autoritaire

spécifiquement allemande. […] avec la ‘question du nazisme’ est suggéré un caractère commun entre le

‘totalitarisme’ de gauche et de droite ; cette proximité fut renforcée par la manière de penser

l’unification dans le champ politique et médiatique comme une répétition, à quarante-cinq ans de

distance, de la démocratisation de l’Ouest en 1945.»316

l’Ouest (59%) et la Grèce (63%) qui se rapprochent le plus des scores est-européens. Ces chiffres restent à manipuler avec précaution puisque le terme de fascisme utilisé correspond davantage à un ennemi historique qu’à une nouvelle menace concrète, ils sont donc de bons indicateurs de l’idéalisation de la lutte contre le fascisme. K. von Beyme : op. cit., p. 430. 315 J. Burns : Leadership. New York: Harper and Row, 1978. 316 J. Rowell : « L’étonnant retour du ‘totalitarisme’. Réflexions sur le ‘tournant’ de 1989 et l’historiographie de la RDA » Politix, 47, 1999 (Changer de régime), pp. 131-150, p. 135-137. Pour une analyse comparative des transitions que connaît l’Allemagne en 1945 et 1989, voir C. Offe : Les démocraties à l’épreuve, op. cit.,

Page 108: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

94

L’héritage de la RDA et du Troisième Reich est au coeur de la relation du PDS à

l’extrême droite. En sus de l’héritage du socialisme réel, celui du National-Socialisme pèse

lourdement dans ce processus. La comparaison entre 1945 et 1990 a pour conséquence

principale de faire porter au PDS la responsabilité de « la deuxième dictature sur le sol

allemand», dressant ainsi ouvertement un parallèle entre le Troisième Reich et la RDA317. La

RDA est rétrospectivement analysée en regard de la thèse totalitaire. Bien que le concept de

totalitarisme ne soit plus majoritairement usité par la recherche dix ans après l’unification, on

peut se demander avec J. Rowell si « les représentations politiques qu’il a permis de forger se

sont elles aussi évanouies ou si elles n’ont pas été transférées sur la société est-allemande et

ses habitants devenus des survivants d’un ancien régime, des attardés en quelque sorte. »318

La comparaison entre la RDA et le Troisième Reich pousse certains sympathisants du

PDS à relativiser les crimes nazis pour revaloriser leur propre biographie entachée par la

RDA319. Ceci est perçu comme un réflexe dépourvu de contenu idéologique pour les

dirigeants ; il s’agit par exemple d’un réflexe d’auto-protection apolitique pour l’ancienne

vice-présidente du PDS A. Marquardt320.

Le système né de l’unification et de la fin de la Guerre froide désorganise les scènes

politiques d’extrême droite comme d’extrême gauche. La perte de crédibilité du système

soviétique dont la RDA était l’élève modèle et la preuve de l’invalidité du modèle inspiré par

la doctrine marxiste-léniniste ont autant perturbé la scène d’extrême gauche que la fin de la

Guerre froide et l’unification ont poussé l’extrême droite vers d’autres horizons idéologiques

et stratégiques. A l’extrême droite, la perte du cheval de bataille anticommuniste et de sa pp. 232-251 (chapitre 6 : « Les deux transitions à la démocratie. Une comparaison entre l’Allemagne de l’Ouest après 1945 et l’Allemagne de l’Est après 1989 »). 317 Pour preuve de l’ancrage de cette comparaison au sein de l’opinion publique et des milieux dirigeants (ouest) allemands, le volume IX du protocole des séances de la commission d’enquête Aufarbeitung von Geschichte und Folgen der SED-Diktatur in Deutschland du Bundestag porte le titre de « Zwei Diktaturen in Deutschland » (Deux dictatures en Allemagne). 318 J. Rowell : op. cit., p. 150. Sur la question de l’historiographie de la RDA en République fédérale depuis 1990, voir entre autres C. Klessmann : « Der schwierige gesamtdeutsche Umgang mit der DDR-Geschichte ». APUZ, 30-31, 2001 ; APUZ, 26, 1997; W. Müller : « Die DDR in der deutschen Geschichte ». APUZ, 28, 2001. 319 « Lors de discussions avec des militants du PDS, je remarquai que l’on décomptait les bienfaits du SED de manière à améliorer le bilan du régime. Lorsque je faisais remarquer qu’il est possible également, de cette manière, d’enjoliver le national-socialisme, j’entendis plus d’une fois la réponse suivante : oui, peut-être faudrait-il considérer le Troisième Reich de manière ‘plus différenciée’. On peut tomber si bas que cela pour sauver sa propre biographie ! » C. v. Ditfurth : Ostalgie oder linke Alternative. Meine Reise durch die PDS. Cologne : Kiepenheuer und Witsch, 1998, p. 55. 320 La perception qu’ont les adhérents de l’histoire vise à « préserver les biographies d’une saisie étatique ou étrangère. » A. Marquardt : « Rückwärts in die Zukunft? Wenn der Vergangenheitsdebatte das Ziel fehlt » in L. Bisky, J. Czerny, H. Mayer, M. Schumann (dir.): Die PDS - Herkunft und Selbstverständnis. Berlin : Dietz, 1996.

Page 109: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

95

principale revendication, l’unification des deux Etats allemands, a rendu inévitable une

reconversion idéologique. Elle découvre pourtant dans les NBL un eldorado. A l’extrême

gauche, un point de repère idéologique fondamental disparaît en même temps que le

« socialisme réel ». La source financière tarie, elle se divise, voire implose tandis qu’une

partie de ses courants est hébergée par le PDS.

Depuis les années 1980, l’extrême droite exerce des pressions sur le centre politique.

L’aile néonazie militante de la droite extrême parvint à se démarquer et à sortir de la

marginalité en se faisant connaître de l’opinion publique par ses actes de violence.

L’idéologie d’extrême droite réussit à trouver une certaine résonance chez les conservateurs.

C’est ainsi que la frontière entre une argumentation de droite et une argumentation d’extrême

droite tend peu à peu à disparaître. Un décalage s’impose que le contexte post-unifié renforce

: les valeurs humanistes traditionnelles ou démocratiques libérales sont considérées comme

étant de gauche par l’opinion publique et les médias321.

Le combat autoproclamé du PDS contre l’extrême droite prétend agir contre une

normalisation de certains arguments d’extrême droite dans la société allemande. L’extrême

droite compte désormais indéniablement parmi les éléments composant le paysage politique

allemand. Une confrontation politique directe avec des élus de partis d’extrême droite au sein

des institutions politiques locales et régionales s’ajoute aux altercations tapageuses et aux

rixes de rue qui opposent régulièrement, principalement à Berlin, les adeptes des deux camps.

La traduction politique de ces phénomènes réside dans l’apparition d’une concurrence

électorale directe à l’heure où l’extrême droite tente de reprendre à son compte ce qu’elle

considère comme le fond de commerce du PDS et de gagner du terrain auprès d’un électorat

PDS conservateur.

Le contexte né de l’unification allemande tend à brouiller le clivage existant entre

l’extrême droite et le PDS au sein du microcosme est-allemand. La revendication des

thématiques anticapitalistes et anti-américaines322 ainsi que la corrélation de l’argument

identitaire à un sentiment nationaliste323 est commune aux néo-socialistes et aux extrémistes

321 Voir l’interview de B. Wagner, Bulletin n° 1 du ZdK. 322 Deux tendances politiques manifestaient par exemple le 22 mai 2002 à l’occasion de la visite du Président américain G. W. Bush à Berlin : l’une rassemblait, sous le nom d’ « Axe pour la paix » en référence à la célèbre formule « axe du mal », des associations altermondialistes telles attac, les partis PDS et Bündnis 90/ Die Grünen, les Verts allemands, tandis que l’autre, d’extrême droite, se déclarait solidaire de ce même « Axe pour la paix ». 323 La question a été fortement débattue au sein même du PDS après que sa présidente de l’époque, G. Zimmer, revendiquant avec fierté son appartenance à la nation allemande, a inauguré le nouveau millénaire en provoquant un tollé et relancé le vieux débat sur la gauche et le nationalisme. « Ich liebe Deutschland », interview accordée par G. Zimmer au taz (Die Tageszeitung) des 28 et 29 octobre 2000.

Page 110: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

96

de droite est-allemands. Ce positionnement est à la fois signe de l’adaptation des deux parties

à la nouvelle donne (rupture avec la doctrine communiste orthodoxe d’un côté/ adaptation à la

demande est-allemande de l’autre) et signe de tradition propre à chaque camp (justice sociale

contre préférence nationale).

Dans ce processus, l’idée que l’extrême droite se fait du PDS, comme incarnant à la fois

l’extrême gauche post-réunification et les reliquats d’un système communiste défunt et

susceptible d’être regretté, est au centre d’une adaptation unilatérale (car née d’une

philantropie communiste) de l’extrême droite à la demande électorale est-allemande.

L’extrême droite allemande saisit l’opportunité de séduire la clientèle est-allemande et

s’adapte dès lors à ces fins. Ce faisant, elle pousse le PDS à réactiver les réflexes antifascistes

hérités de la RDA.

Le fait que l’antifascisme brandi par le PDS pour se dédouaner de toute affiliation

idéologique à l’extrême droite (par le biais du racisme, nationalisme, conservatisme, etc.) soit

compatible avec ce type de pensées, complexifie encore sa situation. Le caractère répandu des

idées d’extrême droite, de la xénophobie et de l’insatisfaction avec le système démocratique à

l’Est fonde la concurrence électorale de l’extrême droite au PDS.

Page 111: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

97

Section 2 Une communauté de convictions au cœur de l’élévation de

l’extrême droite au rang d’ennemi du PDS

Cette seconde section s’attache à déterminer ce qui, au PDS, fonde la stigmatisation du

concurrent en ennemi. La relation de concurrence liant le PDS à l’extrême droite est d’autant

plus contraignante pour le PDS qu’elle repose sur des valeurs constitutives du parti, mais

contre lesquelles les dirigeants réformistes se battent324. C’est précisément parce qu’elle

renvoie à des croyances que le PDS est contraint d’adopter le registre de l’inimitié. La base

comprend ici dans une assertion large les militants (l’ensemble des «individu[s] durablement

engagé[s] dans une organisation au service d’une cause collective »325), les adhérents

(membres du parti dont l’activisme peut varier) et l’électorat captif.

Dans un premier temps, la construction d’une figure ennemie d’extrême droite est un

moyen pour le PDS de conserver un électorat convoité par l’extrême droite. La gestion

électorale de la stigmatisation nécessite d’opérer une dissociation entre son électorat,

victimisé, et le parti. « On s’associe ainsi à la douleur qu’exprime le vote [d’extrême

droite]»326, tout en tentant de démontrer que l’électeur fait l’objet d’une manipulation. Il s’agit

de minimiser la portée électorale de son geste pour préparer le retour à un vote conventionnel.

Dans un second temps, élever l’extrême droite au rang d’ennemi permet au PDS de garder

secret le fait que son électorat partage avec l’extrême droite certaines convictions.

Après avoir interrogé l’offre électorale, nous considérons à présent sa rencontre avec la

demande est-allemande. La conversion d’un potentiel à un électorat d’extrême droite, d’un

partage de convictions à un vote, entre en conflit avec l’héritage antifasciste de la RDA. Il fait

donc face à un certain nombre d’obstacles parmi lesquels le PDS joue un important rôle de

rempart, notamment à travers la réactivation de la norme antifasciste. Il s’agit donc davantage

de montrer comment les Allemands de l’Est sont devenus de potentiels électeurs d’extrême

324 Dans ce contexte, la distinction opérée par M Weber entre les Akklamanten, susceptibles de jouer sous certaines conditions le rôle d’« instances de contrôle, de discussion, de remontrance, de résolution ,.. » et les « masses associées » (électeurs et votants), « objet de recrutement au moment des élections ou des votes (‘ceux qui font nombre’ passivement) » ne nous semble pas applicable. M. Weber : Economie et société, tome 1, p. 372. 325 R. Mouriaux : Les Syndicats dans la société française. Presses de la FNSP, 1983, p. 53-70. 326 B. Villalba : « L’esquive. La gauche et la droite face au Front national » in in P. Delwit, J.-M. De Waele, A. Rea (dir.) : L’extrême droite en France et en Belgique. Bruxelles : Editions Complexe, 1998, pp. 203- 225, p. 208-209.

Page 112: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

98

droite, que de déterminer la composition et les motifs de vote de l’électorat du PDS, par

ailleurs largement analysés327.

Après avoir analysé la pénétration des idées d’extrême droite dans le corps électoral des

NBL, cette section en mesure la portée électorale. Elle estime d’abord dans l’absolu le

potentiel d’électeurs d’extrême droite en Allemagne de l’Est, puis confronte ce potentiel à

l’électorat du PDS, en étudiant une élection particulière.

A) Des idées d’extrême droite répandues dans le corps électoral est-allemand

Le recours au vote d’extrême droite est tributaire de convictions politiques et d’un

ensemble de valeurs. La défense des croyances, c’est à dire l’adhésion à un ensemble cohérent

de valeurs fondamentales est décisive, y compris –peut-être surtout- lorsque le motif de vote

est contestataire328. « Les partis d’extrême droite mobilisent ceux qui possèdent déjà les

valeurs requises pour un tel vote »329. Il est nécessaire de distinguer en préalable l’origine

sociale de la motivation du vote d’extrême droite. Le vote pour un parti d’extrême droite ne

dépend pas exclusivement de la situation sociale ; il traduit avant tout des convictions

politiques et un ensemble de valeurs. L’acte de vote, s’il signe l’attachement à des valeurs,

n’exclut pas que l’électeur adopte par ce biais une stratégie plus ou moins rationnelle330.

Dresser le profil idéologique des habitants des NBL permet d’identifier les valeurs et les

motifs de vote sur lesquels le PDS et l’extrême droite est-allemande sont en concurrence. Le

327 Sur les motifs du vote PDS et les caractéristiques sociales de son électorat, voir la bibliographie, notamment P.-Y. Boissy : op. cit.. et les travaux de P. Moreau et G. Neugebauer, R. Stöss : Die PDS, op .cit, pp. 157- 297. 328 Ainsi, si le facteur du chômage (parce qu’il allie situation précaire, propension au vote protestataire classique et ethnocentrisme) augmente la probabilité de la défection en faveur de l’extrême droite, seuls les jeunes chômeurs qui partagent une vision d’extrême droite comptent parmi l’électorat des partis d’extrême droite. Voir G. Grunberg, E. Schweisguth : « Vers une tripartition de l’espace politique » in D. Boy, N. Mayer (dir.) : L’Electeur français en questions. Presses de la FNSP, 1990, pp. 179-218 et P. Perrineau : Le Symptôme Le Pen. Radiographie des électeurs du Front national. Fayard, 1997, p. 218-219. 329 J. Evans : « Les bases sociales et psychologiques du passage gauche-extrême droite. Exception française ou mutation européenne ? » in P. Perrineau (dir.) : Les croisés de la société fermée. L’Europe des extrêmes droites. Editions de l’Aube, 2001, pp. 73-101, p. 94. 330 Ceci renvoie au modèle de l’économie symbolique, qui conçoit les votes non comme l’expression d’opinions et le moyen de désigner des représentants, mais comme une demande de biens et de services politiques (symboliques et/ou matériels) censée satisfaire les attentes des électeurs. Voir A. Downs : An Economic Theory of Democracy. New York: Harper, 1957. La problématique de l’électeur rationnel de Downs repose sur la notion de gain matérialisable et s’inscrit donc dans une perspective stratégique individualiste. Sur ces questions, L. Blondiaux : « Mort et résurrection de l’électeur rationnel : les métamorphoses d'une problématique incertaine ». RFSP, 5, 1996, pp. 753-791.

Page 113: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

99

tableau ci-dessous montre la présence de certaines convictions sur lesquelles s’appuie

l’extrême droite, surtout l’autoritarisme et la xénophobie, dans une approche comparative Est/

Ouest. Les effets négatifs de la manipulation communiste de l’historiographie sont limités ; le

pronazisme et l’antisémitisme ne sont pas plus répandus dans les NBL qu’à l’ouest du pays.

En dépit de la continuité entre le Troisième Reich et la RDA en termes de domination331,

l’autoritarisme (ou la demande d’un bras musclé pour diriger le pays) est plus également

réparti entre l’Est et l’Ouest que l’ethnocentrisme et la xénophobie socio-économique, bien

plus répandus à l’Est.

Tableau 4- Le potentiel d’adhésion à l’idéologie d’extrême droite en Allemagne de l’Est et de l’Ouest (%) République fédérale Ouest Est Autoritarisme 11 10 16 Nationalisme 13 13 13 Xénophobie (ethnique) 15 14 20 Xénophobie (socio-économique) 26 23 39 Convictions pro-nazies 6 6 5 Antisémitisme 6 6 5 Potentiel d’extrême droite 13 12 17

Source : Forsa. Sondage réalisé en mai-juillet 1998, auprès d’une population âgée de 14 ans et plus332.

La xénophobie s’appuie très couramment à l’Est sur une argumentation socio-

économique, héritée de la situation des étrangers en RDA. A travers l’exemple de la

xénophobie, nous tenterons de montrer que le PDS utilise l’argument antifasciste pour

relativiser la part de l’électorat potentiel de l’extrême droite dans son propre électorat effectif.

Une xénophobie répandue dans les NBL : la voie ouverte vers l’extrême droite

La forte propension à la xénophobie constitue le point d’ancrage de l’extrême droite

dans les NBL. Trois questions dominent la recherche allemande sur l’extrême droite dans les

NBL :

• Peut-on parler de transfert de la scène d’extrême droite des anciens vers les NBL ?

• Ce qui apparaît comme une explosion de la violence d’extrême droite dans les NBL

est-elle à considérer comme un héritage de la RDA ou comme une forme transitoire

d’adaptation au contexte socio-économique engendré par l’unification ?

331 Sur l’autoritarisme dans les NBL, voir K. Weiss : « Die neue alte Gefahr. Junge Faschisten in der DDR » in Landeszentrale für politische Bildung Thüringen (dir.) : Rechtsextremismus in den neuen Bundesländern. Erfurt, 1992, pp. 6-23. 332 O. Niedermayer, R. Stöss : Rechtsextremismus, politische Unzufriedenheit und das Wählerpotential rechtsextremer Parteien in der Bundesrepublik im Frühsommer 1998. Berlin: Freie Universität Berlin, Arbeitspapier des Otto-Stammer-Zentrums, 1998, p. 12.

Page 114: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

100

• Quel rôle l’héritage du système autoritaire de la RDA mis en place par le SED joue-t-il

dans la capacité d’absorption de l’idéologie d’extrême droite ainsi que dans la

violence contre les étrangers ?

Sur ce dernier point, le modèle de société domine le débat sur les origines de l’extrême

droite dans les NBL. Spécifiant l’idée d’une « société à risque » avancé par U. Beck333, W.

Heitmeyer interprète l’extrême droite chez les adolescents comme une réaction à un déficit de

modernisation, à la désintégration sociale ainsi qu’au poids de l’expérience de

l’individualisation334. Ce phénomène traduit le clivage existant entre deux modèles de société,

l’un collectivisant, l’autre individualiste. L’extrême droite apparaît comme un problème post-

moderne, fruit du capitalisme. W. Heitmeyer défend la thèse de l’apparition prochaine d’une

forme moderne d’extrémisme de droite, dérivée de la mondialisation335. Il est le premier à

émettre l’idée que l’extrême droite provient du milieu de la société, les extrémistes ne

constituant pas des cas exceptionnels dans une société intacte par ailleurs. Aussi l’extrême

droite dans les NBL est en partie liée au contexte international de mondialisation (synonyme

de dénationalisation)336.

Si les auteurs de violences d’extrême droite sont essentiellement jeunes et masculins, la

violence xénophobe est tolérée par une majorité silencieuse qui recouvre l’ensemble des

couches sociales. Pour le spécialiste H. Lynen Von Berg, la xénophobie, réaction aux

changements brusques de la société consécutifs à l’unification et à la fin de la Guerre Froide,

est la « part d’ombre de la modernisation ».

« Je pense que pour les Allemands de l’Est, la xénophobie est une manière de faire face à certains

problèmes qu’ils ne maîtrisent pas, qu’ils ne parviennent pas à contrôler ; et cela leur semble

l’explication la plus plausible dans ce contexte, du moins de manière socio-psychologique, à titre

individuel, c’est une explication qui permet de stabiliser une situation personnelle. » H. Lynen von

Berg.

333 Egalement appelée « société à boucs-émissaires ». U. Beck : Risikogesellschaft. Auf dem Weg in eine andere Moderne. (La société du risque : sur la voie d'une autre modernité) Francfort sur le Main : Suhrkamp, 1986, p. 111. 334 W. Heitmeyer: Rechtsextremistische Orientierungen bei Jugendlichen. Empirische Ergebnisse und Erklärungsmuster einer Untersuchung zur politischen Sozialisation. Weinheim/ Munich: Juventa-Verlag, 1995, 5ème édition. 335 W. Heitmeyer: « Die Widerspiegelung von Modernisierungsrückständen im Rechtsextremismus » in K.-H. Heinemann, W. Schubarth (dir.): Der antifaschistische Staat entläßt seine Kinder.., pp. 100-115, p. 112. 336 Ceci vaut aussi pour la xénophobie. Certaines caractéristiques marquées de l’extrême droite des NBL, telles que l’antiaméricanisme, la défense de la culture allemande et un anticapitalisme national, vont dans ce sens.

Page 115: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

101

La politique d’immigration, sans doute l’un des pans le plus négligés de la recherche sur

la RDA337, offre pourtant une explication de la xénophobie est-allemande. La majorité des

étrangers vivant sur le sol de la RDA étaient des travailleurs immigrés ou en formation. Ils

étaient en RDA pour une durée définie par des accords bilatéraux entre Etats socialistes.

Logés dans des foyers surveillés, isolés des citoyens est-allemands, ils avaient un statut

particulier. Ils bénéficiaient de certains avantages, pouvaient notamment envoyer dans leur

pays d’origine des produits dont ne disposait pas la majorité des citoyens de RDA338. Se

répand alors dans l’imaginaire collectif est-allemand l’image d’étrangers privilégiés, d’autant

plus facilement colportée que dans une société égalitariste, l’inconnu339 est perçu comme une

menace pour l’intégrité de la société340. Parce que la vocation égalitariste de la société de la

RDA n’incluait pas les étrangers, ces derniers étaient mis à l’écart341.

L’étranger est un inconnu avant même d’être un immigré, ce qui postule une

« inconvertibilité essentielle » entre cet étranger et soi342. Les deux tiers des Allemands

interrogés surestiment la proportion d’étrangers vivant en RFA. Cette mésestimation est

renforcée par le fait que les personnes naturalisées sont souvent considérées comme

étrangères, un constat que font certains de nos interlocuteurs.

« A l’Est, dans les Länder orientaux, en Saxe, on a une proportion totale d’étrangers de 1,2%. Ils n’ont

rien à voir avec nos 20% de chômeurs, mais si l’on n’y réfléchit pas... A la place, j’entends dire, au

337 Sur cette question, voir l’ouvrage synthétique et critique de M. Krüger- Potratz : Anderssein gab es nicht. Ausländer und Minderheiten in der DDR. Münster/ New York: Waxmann 1991. M. Henze : Soziologische Erklärungsansätze zur Ausländerfeindlichkeit am Beispiel einer empirischen Studie in Halle-Neustadt (non publié), Université Martin-Luther de Halle-Wittenberg, 05.10.2000, allie une bonne vue d’ensemble de la situation à une étude empirique dans la ville de Halle. Enfin, I. Runge : Ausland DDR : Fremdenhass. Berlin : Dietz Verlag, 1990, présente de nombreux témoignages issus de la Wende. 338 L’exemple le plus cité par nos interlocuteurs pour illustrer la cruauté de ce système ainsi que le caractère provisoire de l’accueil réservé aux travailleurs immigrés, est celui d’une citoyenne vietnamienne tombée enceinte au cours de son séjour en RDA et tenue de se faire avorter ou de rentrer au pays. Sur ce point, voir N. T. Cu : « Zur Situation der Ausländer in den neuen Bundesländern ». Zeitschrift für Ausländerrecht und Ausländerpolitik, 12 (1), 1992, pp. 20-24. Sur le statut social et juridique des travailleurs immigrés, voir S. Paul : « Inseldasein im fremden Land. Der rechtliche und soziale Status der Arbeitsmigranten in der DDR » Zeitschrift des Forschungsverbundes SED-Staat, 7, 1999, pp. 59-67 et H. Thomä-Venske : « Notizen zur Situation der Ausländer in der DDR ». Zeitschrift für Ausländerrecht und Ausländerpolitik, 10 (3), 1990, pp.125- 131. 339 L’adjectif fremd recouvre les termes français d’inconnu et d’étranger. Le terme d’Ausländer, étranger désigne couramment les immigrés sans distinction (qu’ils soient réfugiés, naturalisés, voire rapatriés alors que la loi allemande leur octroie le statut d’Allemand). La langue est ici en accord avec le droit du sang. 340 A. Kahane: « Angst vor den Fremden » in B. Nirumand (dir.) : Angst vor den Deutschen. Reinbeck : Rowohlt, 1992, pp. 231-237. 341 L’idée est répandue que la xénophobie des habitants des NBL s’explique par le fait qu’ils n’ont pas appris à partager la vie quotidienne d’autres communautés, une idée que défend par exemple Wolfgang Thierse (SPD), ancien militant de défense des droits civiques (Bürgerrechtler) et président du Bundestag depuis 1998. W. Thierse : « Deutsch-deutsche Gewalt » in B. Nirumand (dir.): op.cit., pp. 67-74. 342 Selon l’expression empruntée à C. Castoriadis pour désigner les individus qui pourraient s’intégrer mais ne le font pas. « Haine de soi, haine de l’autre ». Le Monde du 09.01.1999.

Page 116: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

102

milieu de la société et dans les partis bourgeois : ‘la barque est pleine’. Alors oui, je me mets à croire

qu’il y a au moins 20% d’étrangers en Saxe. Sur les simples consommateurs, de telles affirmations font

leur effet car personne ne connaît les chiffres de la population étrangère», se plaint la députée du

Landtag de Saxe pour le PDS K. Köditz.

Les étrangers intégrés (qui travaillent en Allemagne, paient des impôts et maîtrisent la

langue allemande) sont bien perçus tandis que les demandeurs d’asile et les réfugiés font

l’objet d’un rejet massif343. Une corrélation des sentiments à l’égard des étrangers avec le

degré de satisfaction vis-à-vis du système politique fait apparaître que les déçus du système

ont davantage de préjugés.

Le clivage Est-Ouest apparaît lorsqu’il s’agit d’expliquer la montée de la violence à

l’égard des étrangers. Schématiquement, les Allemands de l’Ouest sont persuadés que les

étrangers ne prennent pas le travail des Allemands. Ils expliquent les violences qui leur sont

faites par l’émotion engendrée par une « tabouisation » de la relation aux étrangers (les

critiques exprimées à leur encontre se devant d’être politiquement correctes), la responsabilité

partielle de partis politiques qui usent parfois de slogans xénophobes, ainsi que par la

différenciation établie entre les immigrés « utiles » et « inutiles »344. A l’Est, on explique la

violence subie par les étrangers par une peur originelle, renforcée par le fait qu’ils incarnent

l’ennemi en remplacement de l’ennemi de classe345. Pour cette raison, la violence ne touche

pas seulement les étrangers mais tous ceux qui ont un style de vie qui déroge au schéma

traditionnel (étrangers, homosexuels, SDF...).

343 87% de la population interrogée disent ne rien avoir contre les étrangers intégrés. Pas moins de 80% des Allemands de l’Ouest et 87% à l’Est exigent des étrangers davantage d’adaptation. Un bon tiers des personnes interrogées se dit gêné par la quantité d’étrangers, bien que les deux tiers d’entre elles déclarent avoir plutôt fait de bonnes expériences avec eux. Friedrich-Ebert-Stiftung : Die gesellschaftliche Akzeptanz von Rechtsextremismus und Gewalt. 2000, p. 9. 344 Le camp conservateur (CDU/CSU) ne manque pas de débattre sur les thèmes de l’ethnocentrisme, du patriotisme et de l’homogénéité nationale, tels celui de la « culture dominante» initié à l’automne 2000, relancé en 2004. Il use également de slogans de campagne anti-immigration à l’instar de « Des gamins valent mieux que des Indiens », qui fait allusion à la proposition gouvernementale d’accorder un titre de séjour à un certain nombre d’informaticiens indiens pour pallier les lacunes en matière de main-d’œuvre qualifiée. En vue des élections fédérales de 2002, le Forum des droits de l’homme appelle d’ailleurs les candidats à s’engager en faveur d’ « élections sans racisme et sans stigmatisation » en se gardant d’exprimer ou de soutenir des idées xénophobes. Un communiqué de presse du PDS daté du 04.06.2002 honore d’ailleurs la signature de l’appel par sa présidente G. Zimmer. Pour une rapide présentation de la politique allemande d’immigration en langue française, voir C. Withol de Wenden : L’immigration en Europe. La Documentation française, 1999. En ce qui concerne la perception de l’immigration dans la culture allemande, voir K. J. Bade, M. Bommes : « Migration und politische Kultur im ‘Nicht-Einwanderungsland’ » in K. J. Bade, R. Münz (dir.) : Migrationsreport 2000. Bonn : Bundeszentrale für politische Bildung, 2000, pp. 163-204. Pour une chronique des débats relatifs à l‘immigration (1998-2000), voir la documentation livrée par V. Vitt, F. Heckmann : « Migration und Migrationspolitik in Deutschland 1998-2000» in K. J. Bade, R. Münz : op.cit., pp. 223-278. 345 FES : Die gesellschaftliche Akzeptanz von Rechtsextremismus und Gewalt, 2000.

Page 117: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

103

Les jalons d’une réflexion scientifique sur les causes historiques de la violence dans les

NBL sont posés en l’an 2000 par les historiens P.-G. Poutrus, J. C. Behrends et D. Kuck346. Ils

défendent la thèse de la responsabilité principale des rapports sociaux en RDA pour expliquer

une xénophobie en RDA qui s’appuie sur la continuité mentale du mythe fondateur

antifasciste, du nationalisme de RDA et de la situation des étrangers. Les auteurs voient trois

causes principales à la xénophobie dans les NBL. D’une part, le déficit de légitimation de la

dictature du SED a conduit la population à se distancier du pouvoir. Or, la présence

d’immigrés en RDA étant étroitement liée aux intérêts du SED, ceux-ci sont considérés

comme des symboles de la domination socialiste. D’autre part, il n’y eut aucune

dévalorisation officielle de la vision nationale-socialiste de l’organisation du monde et de la

place que doit y occuper l’Allemagne. Pour la population de RDA, la nation allemande

continue d’être le centre de gravité du régime. La nation socialiste est dès lors perçue de

l’intérieur comme une communauté fermée, aux ressources de laquelle les « étrangers » ne

doivent pas avoir accès. Enfin, les rituels d’amitié mis en scène sur le thème de

l’internationalisme rendent tabous les conflits opposant Allemands et étrangers. Dans les

années de pénurie et de déliquescence du système de la décennie 1980, ces derniers

deviennent d’« illégitimes concurrents en matière de consommation ». Comme le résume le

théologien est-allemand R. Schröder : « Les étrangers aimaient acheter et envoyer dans leur

pays d’origine. Or, dans une société de pénurie, acheter est un acte de compétition, c’est perçu

comme une agression ; les gens disaient : ‘Ils nous volent les choses en les achetant!’

[rires] » 347.

Dans le milieu universitaire, la responsabilité de la RDA dans la présence de la

xénophobie en Allemagne de l’Est est reconnue. Au cours de l’entretien, M. Chrapa,

sociologue proche du PDS, s’appuie sur les travaux de son collègue P. Förster348 pour

expliquer que la « fixation autoritaire des Allemands de l’Est » et l’influence du collectif, ne

sont pas suffisants. Il faut y adjoindre le déficit de culture démocratique, la politique

d’immigration du SED et la limitation des contacts avec les étrangers.

346 P. G. Poutrus, J. C. Behrends, D. Kuck : « Historische Ursachen der Fremdenfeindlichkeit in den neuen Bundesländern ». APUZ, 39, 2000. Cet article présente les conclusions d’un projet de recherche du centre de recherche d’histoire contemporaine (ZZF) de Potsdam portant sur « Les étrangers et le fait d’être étranger en RDA ». Disponible sur http://www.zzf-pdm.de/papers/thesl.html au 15.01.2001, assorti d’une bibliographie exhaustive. A compléter avec W. Friedrich : « Ist der Rechtsextremismus im Osten ein Produkt der autoritären DDR ? ». APUZ, 46, 2001. 347 Entretien du 03.09.2002. 348 Auteur entre autres de Junge Ostdeutsche auf der Suche nach der Freiheit. Eine Längsschnittstudie zum politischen Mentalitätswechsel vor und nach der Wende. Opladen : Leske und Budrich, 2002.

Page 118: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

104

Pour R. Schröder, la xénophobie résulte du besoin qu’ont les Allemands de l’Est de

sentir qu’ils appartient à une collectivité. La xénophobie repose sur un pacte par lequel un

collectif désigne un bouc émissaire pour se rassurer. La projection de la frustration ressentie

sur un groupe socialement faible ou discriminé contribue à expliquer la xénophobie dans les

NBL. C. Offe désigne par le terme d’« ethnicisation secondaire » le procédé par lequel les

Allemands de l’Est transfèrent sur l’immigré l’aliénation qu’ils subissent eux-mêmes des

Allemands de l’Ouest349. Cette idée est également défendue en entretien par Lynen von Berg,

qui voit par ailleurs dans la xénophobie une réaction d'autoprotection à une situation perçue

comme injuste.

Une mise en forme discursive du débat qui stigmatise le PDS

Au sein du PDS, l’idée de la responsabilité du SED dans la xénophobie des NBL reste

par contre officiellement taboue. Le cloisonnement des immigrés en RDA (il n’est pas rare

d’entendre parler de ghettoïsation) est reconnu par l’ensemble des interlocuteurs, tout comme

l’inconnu que représente pour les anciens citoyens de la RDA la vie dans un environnement

multiculturel350.

La dénonciation d’une République raciste

La responsabilité du SED dans la xénophobie est-allemande, qui engage indirectement

celle du PDS, ne peut être avouée par les néo-socialistes sans dénoncer les sentiments

xénophobes présents en RFA. Cette accusation permet de relativiser le caractère quasi-

normatif de la xénophobie dans les NBL, tout en attestant de l’intégration des Allemands de

l’Est dans la culture de la nouvelle République. La thèse d’un racisme structurel en

Allemagne est ainsi défendue par de nombreux interlocuteurs du PDS. Le climat xénophobe

est une conséquence non seulement de la politique étatique à l’égard des minorités ethniques,

mais également de l’attitude des dirigeants politiques et des médias qui relaient des idées

racistes et antisémites351. Le milieu politique ne remplit pas sa fonction de modèle. Une

349 En référence au phénomène d’ethnicisation primaire se rapportant à la situation des Allemands de l’Est dans la RFA unifiée. C. Offe : Der Tunnel.., p. 271, emprunte le terme d’ethnicisation à L. Grinberg, D. Levy : « Reconstructing the Wall. A Theoretical Framework for the Analysis of German Unification », texte inédit. Les auteurs définissent ainsi « the conflictual relationship that develops between two unequal groups that promts each side to ‘discover’ its cultural uniqueness vis-a-vis the other, even when the two share a common language, history, and national identity ». 350 La politique étatique de la RDA a pour conséquence que certaines personnes réagissent envers un inconnu « comme un petit enfant avec un homme noir », c’est-à-dire sans assurance et sans parvenir à être communicatifs estime en entretien M. Schrader, chef local du PDS à Dresde. 351 Estime Nicole, assistante parlementaire de U. Jelpke (PDS) au cours de l’entretien.

Page 119: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

105

experte du PDS pour les questions de défense des droits des immigrés parle même de

« racisme étatique »352.

« La politique [de la RFA] à l’égard des migrants et des réfugiés est pour moi en grande partie une

politique raciste ; il s’agit avant tout d’un problème de racisme structurel : politique d’immigration,

droit d’asile, il y a beaucoup de racisme structurel là-dedans. […] Ce que je trouve pire encore, c’est de

retrouver ce problème dans la société. Nous avons dans cette société la preuve d’une opinion raciste

répandue, qui est un effet de l’exemple donné par la politique. Si la politique n’agit pas autrement, on ne

peut pas attendre des gens dans la société qu’ils réagissent différemment. Beaucoup de préjugés sont

renforcés par une politique qui donne l’impression d’être inégale, ce qui signifie que l’on attribue

certaines caractéristiques à des gens en fonction de leur origine ethno-culturelle et qu’on les discrimine.

C’est vraiment comme cela qu’on fait de la politique.» K. Hopfmann, experte des questions

d’immigration pour le PDS à la CDB353

Cette stigmatisation des pouvoirs publics et partis de gouvernement par le racisme n’est

pas l’apanage du PDS, il s’agit d’un trait commun aux milieux (politiques ou associatifs)

antiracistes354. La xénophobie socio-économique est un problème structurel, sur lequel

s’appuie une extrême droite qui profite de la mauvaise santé économique du pays.

« Ma thèse est que plus la situation économique et sociale est précaire, […] plus la réceptivité à un

racisme socio-politique ou à l’extrême droite est élevée. Mais même le bon ouvrier du bâtiment avec un

travail assuré ou le manager avec un emploi assuré sont racistes. L’ouvrier du bâtiment par exemple

trouve que tous ces Portugais ne devraient pas venir en Allemagne, tout comme le chef d’entreprise qui

fait une blague antisémite. Ils ne sont pas pour autant d’extrême droite, mais ils défendent des positions

racistes ou antisémites, c’est un problème puisque c’est la base de l’extrême droite. » B. Hoff, député

PDS à la CDB.

352 Le terme est utilisé par K. Hopfmann dans un courriel du 14.11.2001 adressé à l’auteur. Autres opinions recueillies en entretien : « Dans ce pays, il est légitime de penser ainsi » selon B. Grygier, ancienne maire d’arrondissement à Berlin ; « Racisme d’Etat structurel est peut-être trop fort, mais au moins une basse accommodation du racisme » estime S. Wagenknecht de la KPF du PDS. 353 K. Hopfmann ne voit aucune amélioration dans l’attitude adoptée face aux étrangers depuis la RDA, si ce n'est une aggravation suite à l’adoption des lois antiterroristes conséquemment au 11 septembre 2001. Elle ajoute à son argumentation les statistiques policières comme preuves d’une discrimination officiellement pratiquée. Les chiffres communiqués dans les statistiques policières sont ceux des personnes interpellées. Or la proportion de personnes d’origine étrangère dans celles-ci est très élevée, ce qui renforce la thèse des étrangers criminogènes. La part d’étrangers condamnés, non publiée, est pourtant selon elle bien inférieure à celle des étrangers interpellés. 354 L’assistant parlementaire d’une députée (B90/G) au Bundestag déplore que l’on retrouve les mêmes idées et dispositions racistes dans la politique. il cite des propos xénophobes ou ethnocentristes d’hommes politiques, notamment du candidat de l’Union à la chancellerie en 2002, E. Stoiber, ainsi que d’élus ou ministres écologistes et sociaux-démocrates, « cela a toujours été le cas au SPD ».

Page 120: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

106

Le discours sur la responsabilité de la RDA dans la xénophobie est-allemande est

révélateur du positionnement idéologique de l’acteur du PDS interrogé sur l’axe

réactionnaires-réformateurs.

Une reconnaissance de la xénophobie dans les NBL révélatrice d’un positionnement à

l’égard de la RDA

Le leader de la plate-forme communiste du PDS (KPF), S. Wagenknecht et le stratège

T. Falkner, membres du Directoire fédéral (Bundesvorstand) du PDS, défendent sur ce point,

en entretien, des positions opposées. S. Wagenknecht, proche de l’extrême gauche, persiste à

considérer l’extrême droite en RDA comme un phénomène importé de l’Ouest. Elle estime

que la manière dont la RDA a implosé (avec un taux de chômage important et l’exacerbation

des conflits sociaux) a créé un potentiel pour les extrémistes de droite. De plus, l’extrême

droite profite du vide laissé par l’implosion de la RDA en termes d’encadrement de la vie

sociale. Elle gagne du terrain en proposant des loisirs à une jeunesse délaissée par les

pouvoirs publics. S. Wagenknecht qualifie la thèse de la responsabilité de la RDA à travers «

un système d’assistance excessif » de « tout à fait absurde ». Les extrémistes des années 1990-

2000 ont à peine connu la RDA, donc elle ne peut pas être responsable de leurs penchants

actuels. L’extrême droite, phénomène marginal en RDA, était de plus sévèrement puni. A

travers les propos de S. Wagenknecht perce un reproche de laxisme envers la RFA :

« On peut reprocher beaucoup de choses à la RDA, mais chez nous, personne n’avait peur de marcher

dans la rue, uniquement parce qu’il avait une couleur de peau différente. Personne n’aurait tenu des

propos d’extrême droite comme ça, sous peine de poursuites bien plus strictes qu’aujourd’hui. Cela

aurait vraiment eu de graves conséquences, ce que je trouve parfaitement légitime dans ce cas. »

La représentante de la KPF est la seule de nos interlocuteurs à ne pas voir dans

l’isolement de la RDA par rapport au reste du monde une lacune susceptible d’accroître les

difficultés des citoyens à vivre en démocratie.

A l’inverse, T. Falkner rappelle que la RDA était une société fermée et élitiste, « les

socialistes prussiens étaient considérés comme les socialistes modèles ». La défense de cette

opinion par la propagande d’Etat offrait une base raciste et ethnocentriste stéréotypée aux

ressentiments nationaux, qui se sont logiquement transformés en nationalisme, en mépris pour

les étrangers et en violences. T. Falkner déclare :

Page 121: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

107

« Le danger est naturellement que de nombreux Allemands de l’Est se sentent incriminés lorsque l’on

dit : parce que vous avez vécu en RDA, vous êtes tous des extrémistes de droite potentiels. Ce n’est pas

vrai, mais il ne faut pas dire pour autant : la RDA était antifasciste, tout n’est alors qu’un produit de la

République fédérale. La RDA a préparé le terrain aux penchants nationalistes et d’extrême droite chez

les adolescents et les personnes âgées, qui se sentent menacés. »

T. Falkner estime que les jeunes recherchent en l’extrême droite « la proximité d'un

nouveau collectivisme » et une chaleur humaine dans lesquelles ce qui est national

(völkisch355) joue un rôle important. Le succès de l'extrême droite à l’Est, en premier lieu du

NPD chez les jeunes, est moins dû au contenu des éléments de RDA revendiqués par le NPD,

qu’au fait que ceux-ci fonctionnent de manière structurante ; ils redonnent le goût de la patrie

(Heimat) et de la solidarité à une population déracinée par l’unification. T. Falkner prolonge

ici un discours souvent entendu, au-delà des seuls rangs du PDS, celui du déphasage et de la

perte de valeurs et de repères consécutifs à l’effondrement de la RDA. Même si les citoyens

n’y croyaient pas, le fait que le système les prenne en charge était rassurant, explique-t-il :

« Ce déracinement social dans les années 1990, qui génère la propension à la violence, s’est produit

dans une phase de leur vie où ces jeunes gens étaient conscients de ce qui se passait, de la promesse

rompue, de l’attente déçue, de l’expérience de l’injustice, du sentiment de leurs parents d’être des

citoyens de deuxième classe. Tout cela n’excuse rien mais doit être pris en compte pour connaître le

caractère dramatique de la situation. C’est un problème qui se construit, qui ne s’est pas arrêté avec les

derniers enfants des dernières crèches de la RDA.»

Dans les deux discours analysés, la responsabilité de la RDA dans la propagation

d’opinions xénophobes est présentée comme un dommage collatéral du socialisme,

indépendant de la volonté politique de ses dirigeants. La responsabilité peut également être

déléguée à la RFA356, voire au Troisième Reich357.

355 L’adjectif « völkisch », connoté négativement, renvoie à l’ethnocentrisme. Dans la terminologie nationale-socialiste, il désigne l’appartenance à la « race » germanique, que perpétue le droit du sang. 356 Autres exemples : Le déni de la valeur des citoyens est-allemands crée une énorme perte d’identité qui produit la xénophobie (propos tenus en entretien par G. Sayan, député PDS à la CDB). Le maire PDS de l’arrondissement Lichtenberg de Berlin-Est, W. Friedersdorff, livre en entretien la variante économique de l’insatisfaction identitaire ; le discours xénophobe d’extrême droite a trouvé un terrain favorable chez les déçus de l’unification. « Un telle diffusion implique l’existence d’un milieu spécifique, caractérisé avant tout par un mécontentement des gens avec leur situation. On a vu le cas de nombreuses personnes, en 1993 mais également avant, entrées dans le processus d’unification avec de hautes attentes et rapidement déçues par ce qui arriva. Pas de travail, pas de boulot, une vie au rang de la société. C’est tout. De cette déception est née l’envie. Alors, on s’est mis à chercher ceux dont on pensait qu’ils gagnaient mieux leur vie. » 357 Les retraités du PDS sont les actifs de RDA, qui étaient eux-mêmes les adolescents du Troisième Reich. Ils n’ont connu le phénomène d’immigration dans aucun des deux systèmes (B. Hoff, député de la CDB).

Page 122: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

108

La déculpabilisation par l’argument antifasciste

L’idée que la xénophobie relève de la normalité dans les NBL reste taboue, y compris

chez les spécialistes dans ce domaine, qui reconnaissent néanmoins que la xénophobie (en

pensée plus qu'en actes) y est très répandue au quotidien. L’antifascisme n’agit pas comme un

facteur immunisant contre la xénophobie.

« Le fondement de la xénophobie n’est pas canalisé et c’est normal, c’est-à-dire que tous sont d’accord

pour dire que ce n’est pas négatif. » H. Lynen von Berg, chercheur.

« Celui qui dit: je suis contre le fascisme est parfois aussi celui qui dit ne rien vouloir avoir à faire avec

des Turcs » M. Chrapa, sociologue et sympathisant PDS.

« Il existe un antifascisme qui peut être raciste. Les membres du PDS ou les sympathisants ont ce

schéma antisémite-raciste en dépit du mythe antifasciste, comme les Socialistes Nationaux ou les

Néonazis qui peuvent être d’anciens socialistes ou communistes. C’est une curieuse combinaison

idéologique : on est antifasciste et on a des idées racistes, on hait les Juifs, du moins si on ne les hait

pas, on les regarde avec un œil critique.[..] C’est pour cela que là, l’antifascisme c’est n’importe quoi ! »

B. Wagner, directeur du ZdK.

Dans le discours scientifique, la xénophobie et l’antifascisme sont compatibles. Le PDS

par contre utilise la propagande antifasciste du SED comme un argument de taille dans une

logique de déculpabilisation358. Si l’antifascisme n'exclut pas la xénophobie, il en constitue la

limite. Les limites de l’intériorisation de l’antifascisme se situent souvent au niveau de

l’attitude à l’égard des étrangers, jusque dans les rangs des élites du PDS. B. Grygier se

demande par exemple si les élus et dirigeants du PDS sont capables de définir l’antifascisme.

Ironisant sur le non-sens du terme, à l’instar de catégories comme les « chefs d'entreprises de

gauche » (« Je ne sais pas ce que cela peut être »), elle émet un doute sur la conviction

antifasciste des dirigeants du PDS. S’il faut considérer que l’antifascisme exclut le racisme,

dit-elle, alors l’existence d’un consensus antifasciste au sein du PDS est à mettre en cause.

« Chez les activistes, [l’antifascisme] est une condition fondamentale, que l’on retrouve également chez

les électeurs. Cela change avec le comportement à l’égard des étrangers. Bien sûr, c’est contradictoire,

mais je pense que même les gens, la base du PDS ou son électorat, qui ont peut-être une idée du droit

d’asile qui est différente de celle que nous défendons ici au Bundestag, ressentent cela à travers leur

sensibilité antifasciste. » P. Bläss, vice-présidente du Bundestag (1998-2002).

358 Ce point est traité dans le chapitre 2, section 1, A.

Page 123: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

109

« L’antifascisme s’arrête où commence la xénophobie, y compris à l’intérieur même du PDS »

U. Adamczyk, porte-parole de la politique antifasciste du groupe PDS au Landtag de Saxe.

En dépit de la propension des anciens citoyens de RDA à succomber à la simplicité des

solutions proposées par l’extrême droite, l’antifascisme, qu’incarne le PDS immunise, non

contre les idées, mais contre l’acte de vote, estime B. Hoff, député à la CDB.

Les marques profondes laissées par la propagande étatique antifasciste du SED au sein

de la population est-allemande font désormais l’objet d’un consensus au sein du PDS.

Toutefois, l’idée que l’antifascisme est conciliable avec le sentiment xénophobe et le partage

de certaines convictions d’extrême droite reste minoritaire359. Ceci permet de comprendre

« pourquoi, dans l’Est de l’Allemagne, des attitudes critiques face au nazisme et des attitudes

xénophobes peuvent coexister : les premières marquent la distance face au national-

socialisme, les secondes sont le résultat de la façon dont la rupture sociopolitique a été

assumée au plan psychique. Il faut supposer que le radicalisme de droite, qui est plutôt

spontané, peu organisé, idéologiquement mal fondé, mais particulièrement agressif, est né de

cette coexistence ambivalente. »360. Les témoignages recueillis ici ne reflètent pas la position

officielle du parti, qui n’évoque ni la politique d’immigration ni le rôle joué par l’antifascisme

dans le système du SED.

Après avoir fait état de l’importante propagation du sentiment xénophobe au sein de la

population est-allemande, l’analyse porte sur les effets de la diffusion d’idées relayées par

l’extrême droite sur le comportement électoral.

359 Le fait que l’héritage antifasciste n’immunise pas contre l’extrême droite confirme la thèse de la rémanence de N. Mayer et B. Klandermans. « On fera l’hypothèse qu’en fonction des diverses structures de ‘rémanence’ existant dans un pays donné, les mouvements d’extrême droite seront très différents tant par leur idéologie que par leurs structures. Et que ces différences devraient se retraduire au niveau des trois motivations militantes ici privilégiées, l’instrumentalité, la quête d’identité et de sens.» B. Klandermans, N. Mayer : « Militer à l’extrême droite » in P. Perrineau (dir.) : Les croisés de la société fermée, pp. 147- 162, p. 155. 360 D. Loch : « La droite radicale en Allemagne: un cas particulier? » in P. Perrineau (dir.) : op.cit., p. 313.

Page 124: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

110

B) Retombées électorales de cette communauté d’opinions

En 1998, 10% du corps électoral361, également répartis dans les deux parties du pays, se

disent prêts à voter pour l’extrême droite, s’ils ne l’ont pas déjà fait. Le pourcentage de ceux

qui excluent catégoriquement cette possibilité est stable à 87%. A la fin des années 1990, 17%

des Allemands de l’Est contre 12% de leurs pairs occidentaux ont pourtant une vision du

monde d’extrême droite362. Seule une minorité d’électeurs adhérant aux thèses de l’extrême

droite vote ainsi en sa faveur, ce qui pousse à interroger le comportement électoral de ceux

qui approuvent certaines idées de l’extrême droite, c’est-à-dire bqui forment avec elle une

communauté d’opinions.

Rappelons que l’électorat des partis d’extrême droite se distingue par ses convictions

ethnocentriques et autoritaristes363, qui mêlent « xénophobie et défense de situations sociales,

formant ce chauvinisme du bien-être à mille lieues des ambitions de la droite radicale

traditionnelle»364. L’insécurité, c’est-à-dire le sentiment d’une menace réelle ou perçue comme

telle, débouche sur une exigence de « law and order » qui génère un attachement accru à un

symbole rassurant tel que l’Etat fort365.

La répartition électorale du potentiel d’extrême droite

Si le potentiel d’extrême droite est fort dans les NBL, il est absorbé par l’ensemble des

partis politiques. Nous entendons par potentiel d’extrême droite les électeurs qui avouent se

reconnaître dans la vision du monde que propose l’extrême droite et n’excluent pas de voter

pour elle. Le vote, motivé par l’adhésion à certaines des idées défendues par l’extrême droite,

361 Ensemble de la population disposant du droit de vote indépendamment de l’usage qu’elle en fait. 362 R. Stöss : « Rechtsextremismus in West- und Ostdeutschland », p. 136. 363 En France, les trois quarts de l’électorat du FN se disent prioritairement préoccupés par le chômage, l’immigration et l’insécurité ou plus exactement par les « incivilités » (ensemble des désagréments et impolitesses (insultes, menaces et dégradations) qui accompagnent la délinquance). L’immigration et l’insécurité constituent l’épicentre du vote FN en termes de motivation : elles sont à ses électeurs ce que les préoccupations environnementales sont aux écologistes. Voir P. Perrineau : Le Symptôme Le Pen. 364 M. Minkenberg : « La nouvelle droite radicale, ses électeurs et ses milieux partisans : vote protestataire, phénomène xénophobe ou modernization losers ? » in P. Perrineau (dir.) : Les croisés, op. cit., p. 398. 365 Selon P. Ignazi, cette exigence ne naît ni de la croissance de la peur ni de la montée de la criminalité, mais du « refoulement de ces inquiétudes pendant plus d’une décennie » P. Ignazi : « Un nouvel acteur politique » in N. Mayer, P. Perrineau (dir.): Le Front National à découvert. Presses de la FNSP, pp. 63-80, p. 69-70. Le PDS et le Front National français ont en commun d’avoir réussi à les canaliser et à leur donner une expression.

Page 125: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

111

ne se fait pas forcément en faveur des partis d’extrême droite comme le montre le tableau ci-

dessous.

Tableau 5- Intention de vote du potentiel d’extrême droite en prévision des élections législatives de 1998 (et en comparaison des intentions de vote de l’ensemble du corps électoral)

Ensemble de la

population

Autori-tarisme

Nationa- lisme

Xéno-phobie

Chauvi-nisme de bien-être

Pronazi-sme

Antisémi- tisme

Extrême droite

CDU/CSU 19 19 17 18 22 19 24 21 SPD 30 24 32 28 27 27 29 29 FDP 2 3 1 2 2 3 2 1 B90/G 4 1 1 0 1 2 0 1 PDS 2 4 1 3 2 2 2 2 DVU/NPD/REP 1 5 3 4 4 8 8 6 Ne vote pas 7 9 7 6 7 7 6 7 Sans opinion 35 35 38 39 35 32 29 33

Source: Etabli d’après R. Stöss: Rechtsextremismus im vereinten Deutschland, p. 140.

Le parti écologiste, B90/G, est le moins attrayant aux yeux de l’électorat sensible aux

propositions de l’extrême droite. Le PDS l’est autant que les libéraux et attire surtout les

électeurs sensibles aux rhétoriques autoritariste et xénophobe366. Les électeurs de cette

sensibilité éprouvent majoritairement peu de sympathie à l’égard des trois partis d’extrême

droite. C’est ce que confirme le tableau ci-dessous, qui précise l’orientation partisane en

regard de critères xénophobes, ethnocentristes et de la propension à la discrimination dans le

Land de Thuringe.

Tableau 6- Affinités partisanes de l’électorat des différents partis en fonction des convictions xénophobes, ethnocentristes et discriminatoires (valeurs moyennes selon l’échelle –5/+5)

CDU SPD PDS DVU NPD REP Moyenne 0,9 1,5 0,3 -3,9 -3,7 -4,0 Xénophobie: Forte 1,0 1,1 -0,2 -3,3 -2,7 -3,6 Moyenne 1,0 1,4 0,4 -3,8 -3,7 -3,9 Inexistante 0,8 2,2 0,5 -4,4 -4,3 -4,4 Opinions ethnocentristes : Manifestes -0,1 1,0 0,5 -2,7 -2,9 -3,2 Latentes 1,3 1,4 0,3 -2,7 -2,8 -2,9 Inexistantes 0,9 1,6 0,3 -4,1 -3,8 -4,2 Propension à la discrimination : Oui 1,0 1,2 0,2 -3,4 -3,1 -3,2

Non 0,9 1,6 0,4 -4,0 -3,9 -4,2 Source : K. Dicke, M. Edinger, K. Schmitt: Politische Kultur im Freistaat Thüringen. Ergebnisse des Thüringen-

Monitors 2000. Institut für Politikwissenschaft Friedrich-Schiller-Universität Jena.

366 Gageons que les intentions de vote en fonction d’idées co-substantielles de l’extrême droite sont ici relatives au succès des différents partis. Parce que le SPD arrive en tête des sondages, le nombre de personnes respectivement nationalistes, autoritaires, etc... qui souhaitent voter pour lui est plus important qu’au FDP par exemple. C’est donc comme des indicateurs qualitatifs et sectoriels qu’il faut lire ces chiffres, en relevant par exemple que c’est dans la catégorie des nationalistes que le SPD de G. Schröder recrute le plus. Même phénomène à la CDU/CSU auprès de la catégorie antisémites.

Page 126: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

112

L’échelle utilisée va de –5 (aucune sympathie à l’égard du parti) à +5 (forte sympathie

partisane). Les personnes interrogées éprouvent peu de sympathie pour les partis d’extrême

droite (le NPD obtient -3,7 en moyenne, les REP -4,0) et sont par contre proches du SPD

(+1,5). Ceci explique certains résultats étonnants, notamment le fait que les personnes

fortement xénophobes aient plus de sympathie pour le PDS (-0,2) que pour la DVU (-3 ,3).

C’est le SPD qui a la meilleure côte de sympathie auprès de la population non

xénophobe, non ethnocentriste et contre la discrimination. Il est suivi de la CDU puis du PDS,

qui reste néanmoins attrayant pour cette population. Le PDS obtient sa seule valeur négative

auprès des électeurs fortement xénophobes, qui n’apprécient pas sa politique engagée en

faveur des immigrés, réfugiés et rapatriés367.

Comme le montre le graphique ci-dessous, la majorité du potentiel électoral de

l’extrême droite (c’est-à-dire d’électeurs qui disposent d’une vision du monde d’extrême

droite) vote ainsi pour les partis établis, auxquels appartient le PDS dans les NBL.

Graphique 4- Intentions de vote du potentiel de l’extrême droite

0

10

20

30

40

CDU SPD FDP B90/G PDS REP Non votant Indécis

Ouest

Est

Source : O. Niedermayer, R. Stöss : Rechtsextremismus, politische Unzufriedenheit... , p. 16368.

Bien qu’ils soient fortement indécis (ou préfèrent dissimuler leur intention de vote), les

électeurs partageant les idées de l’extrême droite préfèrent les grands partis (l’Union et le

SPD). Si la majorité de l’électorat des partis d’extrême droite provient ainsi du camp

conservateur, les électeurs partageant les idées de l’extrême droite sont trois fois moins

nombreux à se projeter dans un vote d’extrême droite que dans un vote social-démocrate369. Ils

envisagent avec dans une même proportion de voter pour l’extrême droite et pour le PDS.

367 Nous reviendrons sur ce point. 368 D’après Forsa, sondage réalisé en mai-juin 1998. Intentions de vote aux élections législatives de 1998. REP englobe ici REP, DVU et NPD. 369 29% du potentiel d’extrême droite prévoit en effet au début de l’été 1998 de voter pour le SPD, 21 pour la CDU/CSU, 6 pour la DVU, le NPD ou les REP.

Page 127: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

113

La part d’électeurs aux idées d’extrême droite dans l’électorat respectif de chacun des

partis avoisine les 10% à l’Ouest, les 20% à l’Est comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Graphique 5- Part du potentiel d’extrême droite au sein de l’électorat de chacun des partis

0

10

20

30

40

50

60

70

CDU SPD FDP B90/G PDS REP Non votant Indécis

Ouest

Est

Source : O. Niedermayer, R. Stöss : Rechtsextremismus, politische Unzufriedenheit..., p. 17370.

Le degré d’affiliation du potentiel d’extrême droite à un parti d’extrême droite est

similaire dans les deux parties de l’Allemagne avec un peu plus de 50%. La part d’extrémistes

de droite au sein de l’électorat du PDS est, avec 9%, bien inférieure à celle des deux grands

partis (CDU 21%, SPD 19%) et trois fois inférieure à celle du FDP (27%). L’électorat le plus

menacé par l’extrême droite à l’Est est celui des Libéraux, les moins exposés sont les Verts.

Les électorats du PDS et des REP sont par ailleurs les seuls à compter plus de personnes

sensibles aux idées d’extrême droite à l’Ouest qu’à l’Est. Ceci conforte la particularité

contestataire des néo-socialistes à l’Ouest du pays, mais davantage encore leur propension au

radicalisme. La critique du système démocratique est telle qu’il est fort probable qu’une part

non négligeable des anciens extrémistes de gauche que compte le PDS dans les anciens

Länder préfère l’extrémisme, qu’il soit de droite ou de gauche, à la démocratie371.

Dans la majorité des cas, l’électorat potentiel de l’extrême droite choisit les

Volksparteien. Le PDS est moins touché que le SPD ou la CDU par la concurrence d’extrême

droite, sans toutefois atteindre la quasi-impunité dont bénéficient les écologistes. Afin de

déterminer les couches de l’électorat que se disputent le PDS et les partis d’extrême droite,

nous devons, après avoir quantifié l’adhésion idéologique, interroger les motifs de vote en

faveur des deux parties et leur déterminisme en termes de catégories sociales.

370 En pourcentage de l’électorat de chaque parti aux élections législatives de 1998. REP englobe ici REP, DVU et NPD. D’après un sondage Forsa réalisé en mai-juin 1998. 371 Sur le profil du PDS à l’Ouest, voir V. Neu : « Am Ende der Hoffnung : Die PDS im Westen ». Konrad-Adenauer-Stiftung e.V., août 2000.

Page 128: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

114

L’analyse déterministe de la propension est-allemande au vote d’extrême droite

Ce paragraphe procède à une analyse classique du vote en termes d’appartenance aux

catégories socio-professionnelles. Les deux tableaux ci-dessous rendent compte de la

proportion d’individus susceptibles de voter pour un parti d’extrême droite en fonction de

catégories d’âge ou de catégories socio-professionnelles.

Tableau 7- Potentiel idéologique d’extrême droite en pourcentage de l’ensemble de la tranche d’âge République

fédérale Ouest Est

14-17 8 5 17 18-24 8 6 15 25-34 10 8 20

35-44 9 7 15 45-54 14 14 14

55-64 15 15 17 65-74 21 20 25 75- 22 23 16

Total 13 12 17

Source : Forsa, enquête réalisée entre mai et juin 1998. O. Niedermayer, R. Stöss : Rechtsextremismus, politische Unzufriedenheit .., p. 14.

Tableau 8- Propension au vote en faveur de l’un des trois partis d’extrême droite en fonction du sexe

et de l’âge dans une approche comparative Est/ Ouest

République fédérale

Ouest Est

Hommes 12 11 14

Femmes 8 8 7 18-24 11 9 21 25-34 11 11 12

35-44 7 7 8 45-54 9 10 8

55-64 7 7 6 65-74 7 7 7 75- 5 6 0

Total 8 8 9

Source : Forsa, enquête réalisée entre mai et juin 1998. Inspiré de

R. Stöss : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland, p. 137.

Alors que les femmes sont aussi réceptives que les hommes au discours d’extrême

droite, elles sont moins disposées à voter en sa faveur. Le vote d’extrême droite est surtout

l’affaire de jeunes hommes, très jeunes à l’Est. En effet, si 9% des 18-24 ans déclarent

pouvoir voter pour l’extrême droite à l’Ouest, ils sont deux fois plus nombreux (21%) à l’Est.

La sensibilité aux idées d’extrême droite évolue en fonction de l’âge. A l’Est, les jeunes sont

bien davantage touchés par le phénomène (de deux à trois fois plus) qu’à l’Ouest, mais ils n’y

sont pas hypersensibles puisque ces tranches d’âges restent dans la moyenne orientale.

Page 129: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

115

Les personnes n’exerçant plus d’activité professionnelle (retraités), les ouvriers et les

chômeurs est-allemands se montrent plus sensibles aux idées de l’extrême droite372. Ceci ne se

traduit pourtant pas forcément par un vote, ainsi que le montre le tableau ci-dessous.

Tableau 9- Propension à voter pour l’un des trois partis d’extrême droite en fonction de la situation

professionnelle et des revenus (nets) du ménage373 République

fédérale Ouest Est

Chômeur 12 14 9

Ouvrier 18 19 15 Employé 5 5 6 Fonctionnaire 2 2 0

Profession libérale 10 9 16 Sans activité professionnelle

7 7 8

- de 1300 Euros 10 11 7 1300-3000 Euros 8 8 9 Plus de 3000 Euros 6 6 11

Total 8 8 9

Source : Forsa. Enquête réalisée entre mai et juin 1998. Inspiré de R. Stöss : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland, p. 137.

L’appartenance à une profession libérale et à la classe ouvrière à l’Ouest, à la classe

ouvrière et chômeuse à l’Est sont des facteurs favorisant le vote à l’extrême droite374. Plus les

revenus baissent, plus la propension au vote (comme le potentiel idéologique) augmente,

exception faite des NBL où l’augmentation des revenus facilite le passage à l’acte.

L’analyse par les motivations

L’ajout des motifs de vote aux convictions fait apparaître des similitudes entre les

électorats du PDS et de l’extrême droite.

372 Les chômeurs est-allemands sont trois fois plus nombreux que ceux de l’ouest à partager des idées avec l’extrême droite (7% contre 22%). D’après Forsa in O. Niedermayer, R. Stöss : Rechtsextremismus, politische Unzufriedenheit…, p. 15. 373 Exprimés en DM, les revenus ont été convertis par nos soins. 374 Le même phénomène est observé en France avec le Front National. Entre 1988-1995, son leader, Le Pen progresse de 12 points en milieu ouvrier, de 13 auprès des chômeurs. Aux élections présidentielles de 1995, 30% des ouvriers (Jospin : 21, Chirac : 19, Hue : 8) et 25% des chômeurs (Jospin : 21, Hue : 10) ont voté Le Pen. « Nous sommes devenus le premier parti ouvrier, nous sommes le parti de la classe ouvrière » clame ainsi le leader national-frontiste au milieu des années 1990 dans les colonnes de National Hebdo d’après P. Perrineau : « L’électorat du Front National : permanences et nouveautés », op. cit. Le phénomène de prolétarisation de l’électorat d’extrême droite que connaît la France n’est pourtant pas transposable aux NBL. L’ensemble des partis politiques absorbe en Allemagne une partie de l’électorat potentiel d’extrême droite, alors que l’assise du Front national (FN) permet à la fois une manifestation claire et un isolement de cet électorat. Les partis allemands d’extrême droite ne sont ainsi pas en mesure de recruter dans toutes les classes sociales pour devenir comme le FN un « parti interclassiste » (P. Perrineau) ou Volkspartei.

Page 130: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

116

On peut distinguer avec R. Stöss et O. Niedermayer trois catégories de citoyens en

fonction de leur opinion sur le système démocratique : les citoyens satisfaits des principes

constitutionnels et du fonctionnement de la démocratie (les satisfaits) ; les déçus de la

politique, certes satisfaits des principes constitutionnels et démocratiques mais mécontents de

leur fonctionnement et les déçus du système qui diffèrent de ces derniers en cela qu’ils

s’opposent également aux principes constitutionnels. Les déçus du système représentent une

part importante du corps électoral allemand. Une forte disparité Est-Ouest est décelable dans

cette catégorie, puisqu’un électeur est-allemand sur deux est déçu du système, contre un

Allemand sur trois seulement en moyenne375. Un tiers du corps électoral ouest-allemand,

seulement un cinquième à l’Est compte parmi les satisfaits, un quart à l’Ouest et un peu moins

à l’Est est déçu de la politique.

Tableau 10- Satisfaits, déçus de la politique et du système en pourcentage du corps électoral

République fédérale Ouest Est Satisfaits 34 37 21 Déçus de la politique 25 25 22 Déçus du système 36 33 50

Source : Forsa, sondage réalisé entre mai et juillet 1998.O. Niedermayer, R. Stöss : Rechtsextremismus, politische Unzufriedenheit, 1998, p. 20.

Une comptabilisation commune des déçus de la politique et du système établit que 61%

du corps électoral sont mécontents de la démocratie allemande, 58% à l’Ouest et près des

deux tiers (72%) des citoyens est-allemands. Ce mécontentement, répandu dans toute

l’Allemagne, s’appuie à l’Est davantage sur les fondements même de la démocratie

constitutionnelle allemande. Or, cette frange politiquement déçue de la population est

particulièrement mobilisable par le PDS et l’extrême droite.

Le PDS mobilise en effet en majorité des électeurs mécontents de la démocratie. Son

électorat compte 21% seulement de satisfaits, 53% de déçus de la politique et 26% de déçus

de la démocratie contre respectivement environ 30%, 40% et 30% pour la CDU et le SPD.

L’électorat berlinois du PDS est néanmoins à 89% (contre 81 pour la CDU) favorable à l’idée

de démocratie376.

375 O. Niedermayer, R. Stöss : Rechtsextremismus, politische Unzufriedenheit.... 376 O. Niedermayer, R. Stöss : Berlin-Brandenburg-Bus 2002. Politische Einstellungen in der Region Berlin-Brandenburg. Dossier de presse, collaboration du Deutsche Paul Lazarsfeld-Gesellschaft, du Otto-Stammer-Zentrum de la FU de Berlin et de l’institut de sondages Forsa, 10 juillet 2002, p. 13. Les études statistiques (Eurobaromètres et World Values Study) montrent d’ailleurs que la démocratie est acceptée comme le système idéal par la quasi-totalité des citoyens occidentaux, comme en attestent entre autres les travaux de H.D.

Page 131: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

117

Tableau 11- Degré de satisfaction du corps électoral de Berlin et du Brandebourg en regard du système démocratique (2002)

Berlin Brandebourg Satisfaits Déçus de la

politique Déçus de la démocratie

Satisfaits Déçus de la politique

Déçus de la démocratie

CDU 38 45 17 28 43 29 SPD 49 37 14 29 37 34 PDS 21 53 26 17 40 43 Autres partis 49 35 16 34 39 27 Abstentionniste 14 43 43 24 21 55 Indécis 31 40 29 23 32 45 Total 38 41 21 26 37 37

Source : Institut forsa, sondage réalisé entre mars et avril 2002 auprès du corps électoral. O. Niedermayer, R. Stöss : Berlin-Brandenburg-Bus 2002, p. 14.

L’électorat du PDS se distingue par son attachement à l’idée de justice, plus exactement

par la conviction que la société allemande est injuste377. Les électeurs berlinois de la CDU et

du SPD sont satisfaits du degré de la justice sociale dans leur pays à 35%, ceux du PDS à 9%

seulement. A l’inverse, 40% des électeurs conservateurs et sociaux-démocrates jugent la

société injuste, tandis qu’ils sont 62% au PDS.

Tableau 12- Appréhension de l’ordre social des électeurs des différents partis, des abstentionnistes et des indécis de Berlin et du Brandebourg (en pourcentage de l’électorat de chacun des partis et groupes)

Berlin Brandebourg Juste Juste et

injuste Injuste Juste Juste et

injuste Injuste

CDU 35 24 41 20 23 57 SPD 34 27 39 17 18 65 PDS 9 29 62 6 21 73 Autres partis 39 18 43 12 22 66 Abstentionniste 12 15 73 7 14 79 Indécis 24 22 54 11 27 62 Total 28 24 48 14 21 65

Source : Institut forsa, sondage réalisé entre mars et avril 2002 auprès du corps électoral. O. Niedermayer, R. Stöss : Berlin-Brandenburg-Bus 2002, p. 16.

Chez les citoyens qui partagent les idées de l’extrême droite, la propension au vote

d’extrême droite croît en fonction du degré de mécontentement à l’égard du système

démocratique, en particulier de l’ordre social établi. Plus le système apparaît juste, plus le

Klingemann, notamment « Mapping Political Support in the 1990s. A Global Analysis. » in P. Norris (dir.): Critical Citizens. Oxford : Oxford University Press, 1999, pp. 31-56, p. 42-46. 377 Le décalage est flagrant dans le Brandebourg, Land qui entoure Berlin et qui a le taux le plus élevé de pénétration de l’extrême droite. 19% de sa population adulte (âgée de plus de 14 ans) appartient au potentiel d’extrême droite. D’après O. Niedermayer, R. Stöss: Rechtsextremismus, politische Unzufriedenheit... , p. 13. Dans ce classement, les cinq NBL arrivent en tête, avec un potentiel estimé entre 15 et 19%, devant la Bavière (15%) et le Bade-Wurtemberg (13%). Berlin (11%) se situe sous la moyenne (13%). Le Land le moins touché est la Sarre (4%), ce qui ne manque pas d’intriguer le lecteur français qui sait qu’en France les régions frontalières sont fortement touchées par le vote en faveur de J-M. Le Pen.

Page 132: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

118

risque de vote extrémiste est faible378. S’il ne partage pas les idées d’extrême droite, l’électeur

contestataire choisit souvent l’abstention379. S’il est est-allemand, l’alternative du PDS s’offre

à lui. Les partis d’extrême droite et le PDS se partageraient en somme dans les NBL une

partie de l’électorat désabusé. Le PDS mobilise avant tout les mécontents des classes

moyennes et supérieures, les partis d’extrême droite ceux des classes inférieures380.

La question des facteurs favorables à la conversion d’un potentiel à un électorat soulève

celle des circonstances nécessaires à la rencontre de l’offre avec la demande électorale.

Lorsque cela arrive, est-ce au détriment du PDS ?

C) L’exemple du succès de la DVU en Saxe-Anhalt, avril 1998

La manière dont l’ensemble de ces éléments entre en interaction mérite d’être illustrée à

travers les élections régionales de Saxe-Anhalt en avril 1998381.

Un contexte prompt à la contestation

Le 26 avril 1998, la DVU est non seulement la première force d’extrême droite à

envoyer des représentants dans un Parlement est-allemand, mais, avec 12,9% des suffrages

exprimés, elle réalise en outre le meilleur score atteint par un parti d’extrême droite allemand

depuis 1949. Avec un taux de participation élevé (71,7% soit 17 points de plus qu’en 1994),

378 Ce que confirme J. P. Falter au sujet de l’électorat des REP, et qui vaut par ailleurs dans d’autres démocraties occidentales (France, Belgique, Danemark, Italie). J. P. Falter : Wer wählt rechts? Die Wähler und Anhänger rechtsextremistischer Parteien im vereinigten Deutschland. Munich: Beck, 1994, pp. 147-157. J. W. Falter, M. Klein : « The Mass Basis of the Extreme Right. Contemporary Europe in a Comparative Perspective ». Research on Democracy and Society, 3, 1996, pp. 41-61. Ces auteurs attirent ainsi l’attention « sur le fait que des attitudes radicales de droite n’aboutiraient à un soutien de ces partis que si les motifs de protestation et le sentiment d’être lésé socialement et économiquement venaient s’y ajouter.» Traduction de D. Loch : « La droite radicale en Allemagne: un cas particulier ? » in P. Perrineau (dir.) : Les croisés… op.cit., pp. 303-322, p. 314. A l’ouest de l’Allemagne, seulement 7% des personnes qui se considèrent comme des « gagnants » de l’unification (contre 19% chez les « perdants » de l’unification) sont prêts à donner leur voix à l’extrême droite. Le sentiment d’appartenance à l’une des catégories n’engendre pas une telle disproportion à l’Est puisqu’ils sont 8% des « vainqueurs » et 7% des « perdants » à faire part de l’éventualité d’un vote en faveur de l’extrême droite. 379 Notons le pourcentage extrêmement élevé d’individus estimant l’ordre sociétal injuste chez les abstentionnistes. 380 R. Stöss : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland..., p. 139. 381 Sur la situation politique en Saxe-Anhalt, voir A. Thumfart : Die politische Integration Ostdeutschlands. Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp, 2002, pp. 473-483 et pp. 504-515 ; sur l’influence du type de gouvernement sur l’issue des élections de 1998, voir S. Schieren : « Die Landtagswahlen in Sachsen-Anhalt vom 26. April 1998 : ‚Magdeburger Modell’ mit Mängeln ». Zeitschrift für Parlamentsfragen, I, 1999, pp. 56-78.

Page 133: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

119

cette échéance électorale à enjeu peut être qualifiée d’élection « de combat »382. Jusqu’en

1998, la DVU délaisse les NBL, sa candidature en Saxe-Anhalt est la première sur ce

territoire. La participation de la DVU aux élections se fait en effet de manière sporadique, en

fonction de l’évaluation des chances de son parti par son président Gerhardt Frey.

Depuis 1994, le PDS est indirectement associé au pouvoir dans ce Land oriental,

puisqu’il « tolère » la coalition minoritaire unissant sociaux-démocrates et écologistes. A

travers ce procédé, appelé « modèle de Magdebourg » du nom de la capitale de Saxe-Anhalt,

le PDS ne remplit plus son rôle d’opposition. La CDU, qui ne s’acquitte pas de cette charge,

s’en trouve lourdement sanctionnée et perd 12 points.

Tableau 13- Résultats des élections régionales de Saxe-Anhalt (1994-2002), en pourcentage des suffrages exprimés

2002

Premières voix

2002 Secondes

voix

1998 Premières

voix

1998 Secondes

voix

1994 Premières

voix

1994 Secondes

voix Taux de participation

56,5 71,7 54,8

CDU 38,2 37,3 27,0 22 35,1 34,4 SPD 21,3 20 39,4 35,9 32,3 34 PDS 21 20,4 23,3 19,6 20,5 19,9 GRÜENE 2,1 2 3,2 3,2 6,8 5,1 FDP 13,1 13,3 6 4,2 3,8 3,6 DVU - - - 12,9 - - REP 0,1 0,7 - 1,4 Autres 4,3383 7,1 - 2,3 1,4 1,7

Source : Landeswahlleiter

L’unique succès rencontré par la DVU en 1998 dont atteste le tableau ci-dessus conduit

à penser qu’il résulte d’une transaction réussie dont il convient de déterminer l’objet. Afin de

déterminer de quelle manière cette mobilisation en faveur de la DVU s’est faite au détriment

des autres partis, en particulier du PDS, la thèse protestataire mérite d’être envisagée. Elle

soulève la question du poids de l’adhésion idéologique dans le vote. Nous considérons que le

vote d’extrême droite résulte de la rencontre entre le partage de convictions d’extrême droite

et une volonté de contester384. Seule la rencontre de ces deux facteurs conduit au vote

d’extrême droite. Le vote protestataire est l’expression à la fois d’une contestation et

l’approbation d’une alternative idéologique ; autrement dit son objectif n’est pas uniquement

d’attirer l’attention en provoquant.

382 A. Siegfried l’oppose à l’élection d’apaisement. A. Siegfried : Tableau politique de la France de l’Ouest sous la IIIème République. A. Colin, 1980 (1913 pour la 1ère édition). 383 Dont 3,2% pour le Schill-Partei, proche de l’extrême droite. 384 J. Falter, M. Klein : Wer wählt rechts? Die Wähler und Anhänger rechtsextremistischer Parteien im vereinigten Deutschland. Munich : Beck, 1994.

Page 134: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

120

Au niveau de l’offre électorale, la DVU appelle directement à l’expression d’un vote

protestataire. Sa campagne a concentré ses ressources sur un battage médiatique financé par la

fortune de son président. 1,2 millions de lettres (« Cette fois, votons pour protester ») ont été

envoyées à l’ensemble des ménages du Land385. G. Frey a même quasiment renoncé au

révisionnisme, sur lequel il a bâti sa fortune, par égard pour une mentalité est-allemande peu

mobilisable sur ce thème. 1998 marque un tournant dans la programmatique de la DVU, qui

se traduit par un intérêt accru aux thèmes de politique intérieure. C’est à cette date que la

DVU commence à accuser le personnel politique démocratique de tromper le peuple et à le

juger responsable du chômage386. L’argument premier de la DVU: « Voter pour protester-

Voter allemand » (Protest wählen- Deutsch wählen) prend dès lors une teinte anti-

establishment387. A cela s’ajoutent sans doute les effets contre-productifs d’une grande

campagne de prévention orchestrée par le PDS et dirigée contre la DVU, qui contribuent à

rendre crédible le motif de la protestation. Enfin, les résultats des élections régionales

suivantes, qui ont lieu en 2002, révèlent d’énormes disparités dans les résultats. Ceci

encourage la thèse d’un contexte particulièrement favorable à la DVU en 1998, une thèse

confortée par les catégories d’électeurs qui se mobilisent en sa faveur.

Un report des voix au détriment du PDS ?

Le mode de scrutin allemand dit « de représentation proportionnelle personnalisée»388

permet de progresser dans la reconstitution de l’itinéraire individuel de l’électeur. Le fait que

les choix d’un candidat et d’un parti soient dissociés éclaire ses motifs de vote. Ceci est

particulièrement éclairant dans le cas où un parti ne présente pas de candidats au vote direct,

mais uniquement des listes. C’est le cas de la DVU en 1998, qui, par manque de personnel

qualifié, renonce à présenter des candidats au vote direct.

Les électeurs de la DVU reportent leurs premières voix (nominatives) sur des candidats

d’autres partis, du PDS en premier lieu. Ainsi, 23% des électeurs ayant confié leur première

385 3 millions de marks (plus d’un million et demi d’euros) sont investis dans la campagne, soit plus que le SPD et la CDU réunis. Berliner Zeitung du 8 avril 1998. 386 Avec des slogans tels que : « Ce n’est pas le peuple, mais les pontes de la politique qui doivent pointer au chômage » (Nicht das Volk- Die Politbonzen sollen stempeln gehen). 387 L’argumentaire électoral de la DVU en 1998 repose sur cinq points : « De l’argent allemand pour des emplois allemands. Les étrangers criminels dehors ! Cette fois, votez pour la protestation. Créer des places en formation. Diminuer les salaires des hommes politiques. » Rapport 1999 du Landesamt für Verfassungsschutz du Brandebourg. 388 Voir l’introduction générale.

Page 135: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

121

voix à l’un des trois principaux partis (CDU, SPD et PDS)389 donnent leur deuxième voix à la

DVU. Par contre, les préférences partisanes du potentiel d’extrémistes de droite se

concentrent à 32% sur la CDU, puis à 19% sur le SPD enfin à 14% sur le PDS390. En ce qui

concerne les secondes voix, 6% des suffrages reçus par la DVU proviennent d’anciens

électeurs du PDS, soit autant qu’au SPD et deux fois plus qu’à la CDU. La DVU doit par

contre 60% de ses voix aux jeunes de 18 à 25 ans, qu’ils votent ou non pour la première fois.

28% des 18-24 ont voté pour la DVU et avec 22%, elle est devant le PDS (21%) chez les 25-

34 ans391.

Tableau 14- Origine des électeurs de la DVU lors des élections régionales de Saxe-Anhalt en 1998 (% de son électorat total)

Origine Proportion de l’électorat de la DVU Premier vote 53 Jeunes électeurs 7 Anciens électeurs de la CDU 13 Anciens électeurs du SPD 6 Anciens électeurs du PDS 6 Anciens électeurs d’autres partis 13 Source : Document de travail de la Fondation Konrad-Adenauer, avril 1998.

R. Stöss : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland, p. 145.

La DVU doit son succès à sa capacité de mobilisation des abstentionnistes qui

composent 53% de son électorat. 102 000 électeurs qui s’étaient abstenus en 1994 ont voté

pour la DVU en 1998. Aux élections suivantes, plus de la moitié d’entre eux ont à nouveau

choisi l’abstention, comme le met en évidence le tableau ci-dessous.

Tableau 15- Origine des électeurs de la DVU aux élections régionales de S-A d’avril 1998 en fonction de leur comportement électoral lors des précédentes élections régionales et le report de leurs voix en 2002

Comportement électoral en 1994

CDU SPD PDS B/Gr FDP

Schill Partei Autres partis

Abstentionnistes Primo-votants

Autres Total

Electeurs de la DVU en 1998 26 000 12 000 11 000 2 000 3 000

19 000 102 000 13 000 4 000 192 000

Reports de voix en 2002 47 000 21 000 12 000

9 000 14 000 4 000 63 000

Source : Infratest dimap, Landtagswahl 1998, p. 31

389 Source: Infratest dimap, p. 44. 390 Sondage réalisé par Forsa entre mars et avril 2002 auprès de la population disposant du droit de vote pour une échéance législative générale. O. Niedermayer, R. Stöss : Berlin-Brandenburg-Bus 2002, p. 21. 391 Infratest dimap,- p. 31. Dans l’un des fiefs du PDS, l’arrondissement de Hohenschönhausen (Berlin-Est), qui sert de cadre à l’analyse développée dans la seconde partie, le PDS et les REP se partagent les jeunes électeurs est-allemands qui votent pour la première fois.

Page 136: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

122

Le résultat des élections de 2002 encourage à penser que le vote pour la DVU en avril

1998 n’est pas une voix contre, mais une voix pour une offre alternative. En 2002, en effet

près du tiers des électeurs de la DVU en 1998 se réfugie dans l’abstention. La participation

perd 15 points et retombe à son niveau de 1994 ; le SPD perd 15 points tandis que la CDU en

gagne autant et les libéraux du FDP font une poussée et atteignent 13% des suffrages.

L’électorat de la DVU en 1998 se reporte sur le PDS dans des proportions correspondant à

son statut de troisième parti du Land. Celui-ci, qui passe de 19,6% des secondes voix en 1998

à 20,4% en 2002, profite ainsi, comme les autres, de l’absence de la DVU392.

Les électorats de la DVU et du PDS se distinguent de l’ensemble du corps électoral par

leur pessimisme au regard de la situation économique et de ses perspectives d’amélioration393.

Un sympathisant de la DVU et du PDS sur deux se considère comme un perdant de

l’unification394. Ils font montre en outre de fortes similitudes dans leur estimation négative du

fonctionnement de la démocratie en Allemagne. DVU et PDS mobilisent avant tout les

électeurs athées ou non pratiquant et les chômeurs395. La principale différence réside dans ce

que « le PDS sert avant tout les intérêts des Akademiker. La DVU s’adresse en premier lieu

aux ouvriers.»396 L’intensité du lien unissant électeurs et parti les distingue toutefois : fort au

PDS, il est plus distendu à la DVU.

L’électorat de base du PDS est remarquable par sa stabilité, sa permanence et la solidité

des liens qui l’unissent au parti. En cela, il se rapproche fortement du profil des adhérents, qui

voient dans le PDS leur patrie politique. Seuls 20% de son électorat proviennent d’autres

partis397. La forte identification au parti repose sur une communauté de convictions et

d’expérience vécue. Le PDS ne doit pas son succès à des électeurs déçus, désabusés qui

votent en sa faveur pour donner une leçon à leur parti d’origine, mais à sa capacité à

diversifier la base de ces expériences et convictions communes. Son électorat rajeunit et se

diversifie depuis 2002.

392 Source : infratest dimap Wahlberichterstattung, 1998,

http://www.kas.de/upload/wahlen/wahlergebnisse/waehlerwan_sachsen-anhalt_ltw02.pdf, 10.05.2005. 393 Infratest dimap- p. 94. 394 Infratest dimap- p. 6 et s. 395 En avril 1998, ceux-ci ont massivement voté pour le SPD (34%), puis pour le PDS (22%) et la DVU (19%). Infratest dimap- p. 37-41. 396 Infratest dimap- p. 9. 397 G. Neugebauer, R. Stöss : Die PDS ..., p. 247.

Page 137: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

123

Dans les NBL, le comportement électoral majoritaire, particulièrement changeant,

s’avère favorable à un vote contestataire d’extrême droite. Les Allemands de l’Est ont hérité

de la RDA l’absence de liens stables, privilégiés avec les partis politiques. Il en découle que,

davantage qu’à l’Ouest, le vote y est influencé par des éléments conjoncturels propres à la

campagne, notamment les thèmes de campagne et les candidats en lice398. Ce taux de chômage

le plus élevé de la République est un enjeu d’autant plus important qu’il fait partie des

éléments sociaux objectifs favorables à un vote pour l’extrême droite399 ou le PDS400. Ce taux

ne cesse de croître en Saxe-Anhalt depuis 1991. Le chômage touche 10,3 % de la population

active en 1991, 16,5 % en 1995 et 20,4 en 2000.

L’électorat d’extrême droite comprend donc une majorité d’électeurs cherchant avant

tout à faire part de leur désapprobation à leur parti d’origine, à lui « donner une leçon » selon

l’expression consacrée en Allemagne ou encore d’abstentionnistes. Le vote pour le PDS à

l’Est du pays est davantage un vote d’adhésion au sein duquel certaines catégories d’électeurs,

notamment ceux qui se sentent exclus du système social, sont fortement représentées.

Tableau 16- Part du vote « donneur de leçon » dans l’électorat de chacun des partis401 Sympathisants Allemagne de l’Ouest Allemagne de l’Est CDU/CSU 9 7 SPD 28 21 FDP 21 36 B90/G 18 9 PDS 55 30 DVU/NPD/REP 81 77

Source : Sondage Forsa réalisé entre mai et juin 1998.R. Stöss : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland, p. 141.

Le fait que le PDS et la DVU aient en commun un électorat protestataire soulève la

question de savoir si les critiques du système faites essentiellement par l’extrême droite et la

gauche communiste traditionnelle, supposée nostalgique de la RDA, sont susceptibles de

toucher un même électorat.

398 Le chancelier G. Schröder doit sa réélection en 2002 à sa mobilisation contre les inondations qui touchent les NBL quelques semaines avant les élections fédérales. Son comportement a eu une incidence importante sur le vote des Allemands de l’Est en faveur du SPD, au détriment du PDS. 399 Un taux de chômage élevé est un critère favorable à un vote pour la DVU. Comme l’a entre autres montré l’Infas (Institut für angewandte Sozialwissenschaft) in K. Starzacher (dir.) : Protestwähler und Wahlverweigerer ? Cologne : Bund-Verlag, 1992. Le facteur de la proportion de population étrangère, établi à cette époque pour la RFA, ne s’applique pas aux nouveaux Länder. 400 A l’Est comme à l’Ouest, le PDS rencontre un succès particulier dans les zones à forte densité démographique, dont le taux de chômage est supérieur à la moyenne fédérale. Voir les travaux de P. Moreau, V. Neu ou R. Stöss sur le PDS. 401 En réponse à la question : « Souhaitez-vous par votre vote faire la leçon à un ou tous les autres partis à cause de leur politique actuelle ? ».

Page 138: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

124

La corrélation entre l’héritage du socialisme et le potentiel d’extrême droite

Une unique étude à notre connaissance s’est attachée à établir que tendances au

« socialisme traditionnel » et à l’extrême droite peuvent co-exister au sein d’un même

électorat402. Elle pourrait constituer un point d’ancrage pour étudier le comportement

d’électeurs optant tour à tour pour les partis communistes (ou leurs héritiers) et pour l’extrême

droite. Non exclusivement utilisable dans un contexte post-communiste, cette étude atteste de

la malléabilité des frontières entre nostalgie communiste et idées d’extrême droite403. D’un

côté, l’échelle du « socialisme traditionnel » mesure les convictions des défenseurs du

« socialisme réel » en son temps, c’est-à-dire favorables au SED et à la RDA404 (autrement dit,

la fraction orthodoxe, minoritaire, du PDS). De l’autre, le potentiel d’extrême droite regroupe

les individus qui partagent les idées de l’extrême droite. Selon cette étude, un électeur sur cinq

se sent proche des idées anticapitalistes, anti-impérialistes et antifasciste du modèle

« socialiste traditionnel »405. Ce potentiel critique à l’égard du système est également présent à

l’Ouest, bien que dans une moindre mesure.

A Berlin, 20% (30 dans le Brandebourg) des personnes se définissant elles-mêmes

comme de droite (respectivement 29% et 36% parmi celles qui se disent de gauche) avouent

avoir une vision « socialiste traditionnelle » de la société. La barrière entre la droite et le

« socialisme traditionnel » a disparu, ce dernier est apprécié également à (l’extrême) droite406.

402 O. Niedermayer, R. Stöss : Berlin-Brandenburg-Bus 2002, p. 17-19. 403 Ce processus pourrait être analysé comme une redistribution des rôles face à un processus de désaffiliation dû à l’érosion d’un lien social jadis incarné par les partis communistes. Voir à ce sujet l’étude de Y. Sintomer, qui s’inspire du concept de désaffiliation développé par R. Castel. Y. Sintomer : « Désaffiliation politique et vote frontiste dans l’ancienne banlieue rouge. L’exemple du quartier Allende à St-Denis » in F. Haegel, H. Rey, Y. Sintomer : La xénophobie en banlieue. Effets et expressions. L’Harmattan, 2000, pp. 91-115. 404 A savoir le SED, le SEW et le DKP. Le SEW, Parti socialiste unifié de Berlin-Ouest (Sozialistische Einheitspartei Westberlin) est le prolongement du SED dans la partie occidentale de Berlin. Le DKP est le Parti communiste allemand (Ouest et RFA unifiée). La position du panel sur cette échelle se mesure d’après le jugement (de tout à fait vrai à tout à fait faux) porté à des assertions relatives à la nécessité de nationaliser les grandes entreprises, au danger que représente l’impérialisme américain pour la paix mondiale, à l’obstacle que représente le capitalisme à une véritable démocratie, au développement fascisant que connaît la RFA, à l’absence regrettée d’un parti véritablement de gauche qui défende les intérêts de la classe ouvrière de manière conséquente et à la nécessité d’accorder dans les entreprises aux salariés un droit de parole égal à celui des employeurs. Les pensées dérivées de l’anarchie en sont exclues. Etude réalisée par O. Niedermayer, R. Stöss : Berlin-Brandenburg-Bus 2002. 405 16% des Berlinois (12% à Berlin-Ouest, 23% à l’Est) et 29% des Brandebourgeois se reconnaissent dans le « socialisme traditionnel ». La défense d’idées socialistes traditionnelles est plus fréquente chez les femmes (29% contre 20% chez les hommes), les 17-24 s’avèrent également particulièrement prompts à partager des idées d’extrême droite, mais encore davantage les idées « socialistes traditionnelles » (à 52%). Les chômeurs et simples ouvriers défendent les deux de manière égale. Il est prouvé que les gens de gauche tendent certes plus au « socialisme traditionnel » que ceux de droite et que cette valeur n’est pas la caractéristique première des personnes se reconnaissant de gauche. 406 O. Niedermayer, R. Stöss : Berlin-Brandenburg-Bus 2002, p. 26. Les personnes interrogées se classent elles-mêmes dans l’une des quatre catégories suivantes : gauche, centre-gauche, centre-droite et droite.

Page 139: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

125

Ces deux tendances touchent les couches inférieures de la société et concernent avant tout

« les personnes pessimistes quant à l’avenir, qui voient leur statut menacé ou se considèrent

comme des perdants de la modernisation, plus exactement de l’unification »407.

Tableau 17- Le potentiel d’extrême droite et socialiste traditionnel chez certains groupes sociaux dans la région Berlin-Brandebourg en 2002 (en % de l’ensemble de la population concernée)

Extrême droite Socialiste Traditionnel Hommes 16 20 Femmes 17 29 14-17 ans 20 52 18-24 17 28 25-34 11 21 35-44 15 19 45-54 16 22 55-64 19 23 65-74 17 24 75-

27 21

Chômeurs 21 32 Ouvriers (non spécialisés) 24 36 Ouvriers spécialisés 28 24 Employés 12 21 Cadres 10 16 Fonctionnaires 2 14 Professions libérales 12 6 Sans profession 17 27 Dont retraités

22 25

Faible niveau d’éducation 24 25 Niveau d’éducation moyen 16 21 Niveau d’éducation élevé 4 19 Bas revenus 22 29 Revenus moyens 18 22 Hauts revenus

8 16

Couche inférieure 24 28 Classe moyenne 14 20 Classe supérieure 6 15 Tous groupes confondus 17 24

Source : Sondage Forsa, établi d’après Niedermayer, Stöss : Berlin-Brandenburg-Bus 2002, pp. 23-27.

L’intention de vote des « socialistes traditionnels » à Berlin se porte à 32% sur le SPD, à

28 sur le PDS tandis que le vote brandebourgeois de cette catégorie se reporte deux fois plus

sur le SPD que sur le PDS. Comme l’illustre le tableau ci-dessous, ce vote critique profite à la

gauche (SPD, PDS et B90/G certainement dans les « autres partis ») et n’est pas l’apanage du

PDS.

407 O. Niedermayer, R. Stöss : Berlin-Brandenburg-Bus 2002, pp. 23-24.

Page 140: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

126

Tableau 18- Intention de vote du potentiel « socialiste traditionnel » à Berlin et dans le Brandebourg en 2002 (%)

Berlin Brandebourg CDU 5 16 SPD 32 39 PDS 28 20 Autres partis 13 3 Abstentionnistes 6 8 Indécis 16 14

Source : Forsa, sondage réalisé entre mars et avril 2002 auprès du corps électoral pour une

échéance législative fédérale. O. Niedermayer, R. Stöss : Berlin-Brandenburg-Bus 2002, p. 18.

Les extrémistes de droite potentiels et les socialistes traditionnels sont présents dans

l’électorat de chaque parti. Les premiers sont surreprésentés au sein de la CDU (à Berlin et

dans le Brandebourg), les deuxièmes au PDS et chez les Verts en ce qui concerne les

Allemands de l’Ouest. Restent 35% d’indécis à Berlin, 53 dans le Brandebourg qui cherchent

à exprimer une attitude critique vis à vis du système, qu’elle soit de droite ou de gauche.

41% des individus sensibles aux idées d’extrême droite ont une mentalité « socialiste

traditionnelle » (25% à Berlin et 49% dans le Brandebourg). Dans la même logique, 30%

(18% à Berlin, 58% dans le Brandebourg) du potentiel « socialiste traditionnel » est composé

d’extrémistes de droite.

Tableau 19- Part du potentiel idéologiquement d’extrême droite (ED) ou socialiste traditionnel (ST) au sein de l’électorat de chacun des partis, des abstentionnistes et des indécis 2002 (%)

Berlin Brandebourg ED ST ED ST CDU 18 4 26 24 SPD 6 16 22 28 B90/G - 19 - - PDS 10 34 24 43 Autres partis 3 14 25 11 Abstentionnistes 13 13 20 32 Indécis 13 22 32 32 Ensemble des personnes interrogées 10 16 24 29

Source : Forsa, sondage réalisé entre mars et avril 2002 auprès du corps électoral pour une échéance législative fédérale. O. Niedermayer, R. Stöss : Berlin-Brandenburg-Bus 2002, p. 27.

Par les chiffres, l’étude établit d’une part que la barrière entre la droite extrême et le

« socialisme traditionnel » a disparu, ce dernier est apprécié également à (l’extrême) droite,

d’autre part que les idées d’extrême droite et « socialistes traditionnelles » sont conciliables et

non exclusives les unes des autres. O. Niedermayer et R. Stöss sont ainsi parvenus à prouver

empiriquement l’imbrication des critiques du système propres à l’extrême droite et à la

gauche socialiste traditionnelle. Ces phénomènes touchent essentiellement les couches

inférieures de la société, les personnes pessimistes quant à l’avenir, qui se considèrent comme

des perdants de la modernisation ou ont objectivement vu leur situation sociale dévalorisée

Page 141: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

127

suite à l’unification. Ces caractéristiques recoupent en partie les électorats du PDS et de

l’extrême droite408. Les « socialistes traditionnels » sont particulièrement enclins à voter PDS,

mais ne représentent qu’une part minime et en diminution de l’ensemble de son électorat. Le

PDS n’est en effet pas un parti de classes inférieures, bien que de nombreux chômeurs s’y

reconnaissent.

Il n’est pas possible en conclusion d’affirmer qu’une partie de l’électorat potentiel de

l’extrême droite est transférée sur le PDS, parce qu’elle partage des convictions « socialistes

traditionnelles » représentées seulement par ce dernier. La frange de l’électorat touchée

conjointement par ces deux phénomènes est toutefois trop marginale (elle s’élève à 7%, 2% à

Berlin, 12% dans le Brandebourg409) pour expliquer à elle seule un vote massif en faveur de la

DVU.

On ne saurait analyser cette relation sans s’interroger sur la véracité d’un phénomène

est-allemand analogue au « gaucho-»410 ou « ouvrièro-lepénisme »411 . La différence entre ces

termes repose sur les liens existant depuis la décennie 1990 entre la gauche et le milieu

ouvrier ; l’hypothèse « ouvrièro-lepéniste » suppose leur quasi-inexistence. En réalité, comme

dans le cas allemand, le transfert de voix communistes sur le FN n’est que l’un des modes de

défection électorale de l’ancien électorat communiste412. Les ingrédients nécessaires à une

défection (de gauche ou d’extrême gauche) en faveur de l’extrême droite sont un sentiment

excessif de perte, une attitude ethnocentriste et un mécontentement politique. Longtemps

analysé comme relevant de l’association intuitive, du système de croyances, du processus

d’identification413, le passage d’une extrémité du champ partisan à l’autre résulte de la

408 O. Niedermayer, R. Stöss : Ibidem. 409 Ibidem. 410 La question d’un transfert de votes de gauche à l’électorat national-frontiste –et ses modalités- sont âprement discutées en France. Le terme de « gaucho-lepénisme » désigne la propension du Front national à recruter des électeurs dans des milieux, ouvriers notamment, qui constituaient anciennement les bastions de la gauche. P. Perrineau : « La dynamique du vote Le Pen : le poids du gaucho-lepénisme » in P. Perrineau, C. Ysmal (dir.) : Le vote de crise. Figaro et Presses de la FNSP, 1995. 411 L’ « ouvrièro-lepénisme » caractérise la propension du FN à recruter dans les milieux ouvriers des électeurs qui pour la plupart ne sont pas de gauche. N. Mayer : Ces Français qui votent Front National. Flammarion, 1999. 412 « Il serait évidemment ridicule de considérer un tel transfert comme un itinéraire privilégié de l’électorat infidèle au Parti communiste» argumente A. Lancelot dès 1986 : « Le brise-lame. Les élections du 16 mars 1986 » Projet, 199, 1986, p. 15. Les transfuges de la droite composent aux deux tiers les nouveaux ralliés au FN, qui sont deux fois plus nombreux que ceux de la gauche. N. Mayer : « Les hauts et les bas du vote Le Pen 2002 ». RFSP, 5-6, 2002, pp. 505-520, p. 513. 413 L’étude de l’électorat du FN confirme que « dans une occasion où il impensable de voter en faveur de la ‘droite’, ennemi de toujours, et où il devient difficile de reconnaître dans ce qui risque d’advenir le visage ouvriériste de l’action traditionnelle de la gauche, la logique pratique de la rancœur, enfermée dans l’étau de la double dénonciation, ne peut plus s’exprimer, pour tous ceux que le ressentiment conduit à l’abandon des

Page 142: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

128

combinaison de l’adhésion idéologique avec trois caractéristiques sociales subjectives que

sont la marginalisation sociale, la xénophobie et le mécontentement politique414. Il semble

qu’en Allemagne de l’Est le potentiel soit important pour des transferts de vote de ce genre.

Les sciences sociales françaises permettent d’affiner l’analyse sur un point

supplémentaire. Le résultat de Saxe-Anhalt plaide en faveur d’une approche urbaniste du

phénomène électoral d’extrême droite. C’est en effet dans les circonscriptions urbaines à

lotissements de type cités (Magdebourg et Halle) que le PDS a perdu le plus de voix au profit

de la DVU (-4% et plus)415. L’analyse en termes d’urbanisme et de revalorisation de quartiers,

courante en France, n’est que très peu usitée en Allemagne. Les NBL peuvent pourtant être

analysés comme une ancienne banlieue rouge, dévalorisée par l’implosion de la RDA416. Un

certain nombre de similitudes existent en termes d’encadrement structurel et d’affiliation

politique entre la perte d’influence du PCF sur les banlieues rouges et la disparition de la

mainmise du SED sur la société est-allemande. La société est-allemande serait une immense

ville ouvrière, sous contrôle du SED. Le faux semblant de liens symbiotiques entretenus par le

SED avec la population repose en effet sur la coercition417. Bien que la comparaison soit ainsi

problématique sur un nombre évident de points418, c’est précisément en essayant de renouveler

les liens sociaux et politiques qui unissaient la société est-allemande au SED que le PDS se

trouve en concurrence avec l’extrême droite.

fidélités passées, qu’à travers ce qui lui est offert : soit le refuge dans le refus qu’est l’abstention, soit le vote autre, protestataire, et dont il importe peu, alors, qu’il soit socialement stigmatisé comme ‘extrémiste’.» B. Lacroix : « Ordre politique et ordre social » in M. Grawitz, J. Leca (dir.) : Traité de science politique. PUF, 1985, tome 1, p. 556. 414 Comme l’a montré J. Evans : « Le vote gaucho-lepéniste. Le masque extrême d’une dynamique normale ». RFSP, 50, 2000, pp. 21-51. 415 Source: Infratest dimap, p. 51. Pour une analyse du vote d’extrême droite dans ces quartiers, cf. J. Dinse : Zum Rechtsextremismus in Bremen. Ursachen und Hintergründe der Erfolge rechtsextremer Parteien. Bremen, 1992, p. 68. 416 L’attachement au quartier, au Kiez berlinois repose sur ce lien de confiance qui rassure une population soucieuse de préserver son identité et de lutter contre la désintégration sociale et politique ou « l’écho politique de l’anomie urbaine ». N. Mayer, P. Perrineau : « L’introuvable équation Le Pen » in N. Mayer, P. Perrineau (dir.): Le Front National à découvert. Presses de la FNSP, p. 346. A. Tristan n’évoque-t-elle pas Marseille comme « cette terre aride qui n’irrigue plus aucune solidarité, de ce désert où sévit le mirage lepéniste » ? A. Tristan : Au Front. Gallimard, 1987, p. 253. 417 Ceci nuance la définition de la ville ouvrière par Y. Sintomer, comme l’ « existence, dans des territoires déterminés, d’une identité de classe, basée sur des rapports au travail, des modes de sociabilité et un réseau organisationnel (politique et associatif) spécifiques, charpentée par une politique municipale en symbiose relative avec la population et renforcée par de forts liens d’appartenance sociale ». Cette définition (Y. Sintomer : op.cit.) s’appuie sur : M.-H. Bacqué, S. Fol : Le devenir des banlieues rouges. L’Harmattan, 1997 et A. Fourcault : Bobigny, banlieue rouge. Les Editions Ouvrières/ Presses de la FNSP, 1986. 418 Cette approche, en ne tenant pas compte des différences dans l’exercice du pouvoir et de la nature obligeante du lien de la population envers le SED, exclut de son analyse la diversité des choix individuels et leur fondement. Par ailleurs, considérant les NBL comme une entité, elle ignore toute forme de particularisme (individuel, local et régional).

Page 143: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

129

Faut-il alors appréhender l’extrême droite dans sa forme est-allemande comme une

contre-affiliation 419 ? Le postcommunisme ne saurait certes être exclusivement considéré

comme synonyme de redistribution des affiliations (démocratiques) suite à une désaffiliation

massive (communiste dictatoriale), mais la forme que prend la transition en Allemagne

semble se prêter à cette approche. L’unification en elle-même n’incarne-t-elle pas une

désaffiliation massive et brutale au système du SED solutionnée par une réaffiliation

immédiate (la question du choix des modalités reste ici encore en suspens) à la RFA ?

****

La culture politique des NBL crée les conditions de l’émergence d’une extrême droite

est-allemande tout en faisant obstacle à sa pleine expansion électorale. La stratégie de

l’extrême droite est-allemande s’inspirant du PDS, les néo-socialistes font rempart à l’extrême

droite en absorbant une part de son électorat potentiel.

En investissant le champ au sein duquel évolue le PDS, l’ennemi d’extrême droite vient

troubler ce dernier. Pour défendre autant son propre intérêt à faire rempart à la concurrence

que l’intérêt collectif à ce que le marché ne soit pas désorganisé, le PDS instaure

l’antifascisme comme instance de régulation. La concurrence que l’extrême droite impose par

mimétisme au PDS pousse ce dernier à réactiver une figure de l’ennemi construite sur

l’antifascisme. Cette conviction s’insère parfaitement dans le schéma de représentation des

Allemands de l’Est et a un fort effet repoussoir sur le passage à l’acte que constitue le vote

pour un parti d’extrême droite. Le PDS construit ainsi une figure partisane de l’ennemi pour

garantir la cohésion de la communauté, donc son existence politique420.

419 A l’image de l’analyse de Y. Sintomer qui s’interroge face à un processus général de « désaffiliation politique massive à l’égard des structures d’encadrement politique de la ville ouvrière » qui affecte jusqu’au PCF dans ses fiefs. Dans ce contexte, le vote frontiste relève-t-il d’un processus de réaffiliation ou de contre-affiliation ? Y. Sintomer : op.cit. 420 C. Schmitt évoque cet usage de l’ennemi dans La notion de politique, pp. 83-84.

Page 144: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 1- Le poids des logiques électorales sur le statut de l’ennemi

130

Page 145: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

131

CHAPITRE 2

LES USAGES PARTISANS DE LA VALEUR ANTIFASCISTE

En politique, il convient de lier constamment les éthiques de conviction (qui

commandent d’accomplir son devoir sans se soucier des conséquences) et de responsabilité

(qui consistent à faire son devoir tout en considérant comme inévitables ses conséquences

prévisibles, y compris néfastes)421 de manière à ce que les actions qui en découlent soient à la

fois légitimes et morales. Retracer l’« histoire naturelle »422 de l’opposition à l’extrême droite

au sein du PDS permet de montrer comment elle tente de combiner les éthiques de conviction

et de responsabilité. L’hypothèse défendue est que ce sont d’abord la construction d’une

figure de l’ennemi, puis son élévation au rang de norme qui traduisent l’opposition à

l’extrême droite en objet politique.

L’antifascisme permet au PDS de concilier sa représentation du monde avec la logique

de la conquête du pouvoir. L’objectif est de mobiliser durablement le plus grand nombre

possible de personnes, ce qui est la condition de l’existence des partis politiques. Dans cette

421 L’éthique de conviction accorde toute priorité au droit, quoi qu’il puisse en résulter et préfère le respect de ses principes à la recherche incertaine de conséquences positives. L’éthique de la responsabilité n’exclut pas la conviction, mais considère comme un devoir de tenir compte des nuisances éventuelles et conséquences fâcheuses des moyens utilisés pour y parvenir. Elle ne consiste donc pas à dire que la fin justifie les moyens, mais que la fin exige les moyens. M. Weber : « Le métier et la vocation d’homme politique » (Politik als Beruf). Le savant et le politique, 10/18, 1963, p. 72. 422 Pour H. S. Becker, l’ « histoire naturelle » d’une norme comprend les trois phases de son imposition : 1- une norme spécifique est déduite à partir d’une valeur générale ; 2- la norme doit être appliquée (dans des cas définis et à des individus particuliers) ; 3- la norme « doit trouver sa phase finale dans les actes particuliers par lesquels on la fait respecter ». H. S. Becker : Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Métailié, 1985, p. 155.

Page 146: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

132

approche, le parti lui-même est envisagé comme une institution423; les discours et pratiques

antifascistes de ses agents contribuent fortement à sa « formalisation »424.

Ce chapitre analyse la manière dont le PDS, à travers un processus

d’institutionnalisation425 permanent, perpétue la croyance en l’antifascisme en son sein. Afin

qu’elle n’entre pas en conflit avec les logiques partisanes, la valeur426 antifasciste est

institutionnalisée. Le rôle que joue l’antifascisme dans le processus d’auto-production de

légitimité du PDS est ainsi au cœur de l’analyse. En tant que « seuil infranchissable »427 de

l’organisation partisane, l’antifascisme fixe les règles comportementales et idéologiques qui

s’imposent aux agents. En cela, son institutionnalisation est un garant de la cohésion

partisane.

La première section s’attache à montrer le potentiel mobilisateur de la croyance en

l’antifascisme à l’intérieur du parti, tandis que la seconde s’intéresse à son pouvoir fédérateur

à l’extérieur, dans la stratégie d’alliance extra-parlementaire des néo-socialistes.

423 Une institution est « un organisme relativement stable, soumis à des règles de fonctionnement et accomplissant des fonctions sociales spécifiques ; plus largement encore, il se reporte à cette forme de l’organisation sociale qui lie des valeurs, des normes, des rôles, des modèles de relations et de conduite. » M. Douglas : Comment pensent les institutions. La Découverte, 1999, pp. 16-17. 424 Entendue comme l’« effet des processus établissant la ‘figure’ de l’institution et conférant du sens aux pratiques qui en relèvent. S’inscrit dans cet ensemble de processus la multiplicité des discours tenus et des conduites adoptées par un grand nombre d’agents dispersés, engagés simultanément dans plusieurs sites d’interaction et dont les activités font surgir les différents aspects d’une identité institutionnelle irréductible au seul discours officiel. » B. Lacroix, J. Lagroye : « Introduction » in B. Lacroix, J. Lagroye (dir.): Le président de la République. Usages et genèses d’une institution. Presses de la FNSP, 1992, p. 10. 425 Institutionnalisation étant entendue comme l’ensemble des phénomènes qui contribuent à construire l’institution comme entité sociale cohérente, qui lui confèrent une existence indépendamment de la manière dont elle est incarnée, ou qui sont les conditions de son incarnation. 426 Les valeurs peuvent être définies comme des « croyances mobilisatrices d’affects aux fins de légitimer (ou de stigmatiser) des attitudes, des opinions et des comportements.» P. Braud : « La réactivation du mythe présidentiel. Effets de langage et manipulations symboliques » in B. Lacroix, J. Lagroye (dir.): Le président de la République, p. 392. 427 A l’instar des valeurs fondamentales, il s’agit de la limite non négociable que ne doivent dépasser ni les membres d’un parti, sous peine d’exclusion, ni l’organisation elle-même. « Les groupes politiques dans leur environnement » in M. Grawitz, J. Leca : Traité de science politique. PUF, 1985, tome 3, pp. 429-496, p. 473.

Page 147: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

133

Section 1 La réactualisation de l’héritage antifasciste par la

valorisation

Le terme d’antifascisme est difficile à définir en raison de ses significations multiples et

souvent contradictoires. Dans son sens le plus courant, il désigne « à la fois un mouvement

historique réel, organisé ou spontané, d’opposition et de résistance au fascisme ». Il renvoie

également à « une idéologie, une stratégie politique, une référence identitaire, une source de

légitimité politique, une sensibilité politique, une attitude morale (‘antifascisme éthique’), une

forme de religion civile, un certain type de militantisme, une formule de gouvernement

(‘coalition antifasciste’), une tradition, un mythe. »428 Autant de facettes qui le rendent

susceptible d’être utilisé en politique.

En regard de l’histoire du mouvement communiste, l’héritage antifasciste légué par le

SED et sa réactualisation par le PDS n’est pas une évidence, mais bien davantage une

construction. Les dirigeants du PDS mettent la valeur antifasciste en avant, parce qu’elle

constitue une ressource collective primordiale, qui moralise et universalise leurs prétentions

politiques.

A) La valorisation de la ressource antifasciste

L’héritage antifasciste est à double tranchant pour le PDS. S’il témoigne de son

opposition à l’extrême droite, il lui fait porter la responsabilité de la dictature du SED. Pour

l’utiliser dans la compétition politique, le PDS doit valoriser cet héritage.

La genèse de l’antifascisme du PDS

Le rapprochement escompté par le PDS avec les sociaux-démocrates du SPD à compter

de 1990 nécessite de reconnaître l’erreur « sociale fasciste » autant que de faire oublier le

divorce des socialistes et des communistes allemands au début du XXème siècle.

428 B. Groppo : « Fascismes, antifascismes et communismes » in M. Dreyfus, B. Groppo, C. Pennetier, B. Pudal [et al.] : Le siècle des communismes. Seuil, 2004, pp. 739-758.

Page 148: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

134

Un héritage pesant

A la fin du XIXème siècle, les lois socialistes (Sozialistengesetze) du chancelier

Bismarck légalisent la répression des socialistes, en leur interdisant toute activité à l’extérieur

du Reichstag. Entre 1878 et 1890, la lutte contre le socialisme touche de manière égale les

sociaux-démocrates et les communistes, qui ne se sont pas encore scindés. Les deux groupes

sont stigmatisés comme des ennemis de l’Empire (Reichsfeinde).

La Première Guerre mondiale signe la séparation des sociaux-démocrates et des

communistes en deux partis distincts. Le vote des crédits de guerre le 4 août 1914 par les

parlementaires du SPD, premier parti ouvrier en Europe sur lequel Lénine comptait pour

étendre la révolution aux démocraties occidentales, marque la rupture entre socialistes et

communistes. Seul Karl Liebknecht, assassiné en janvier 1919 en même temps que Rosa

Luxemburg par des membres des corps francs suite à l’insurrection spartakiste à Berlin, s’y

oppose. A la fin de la guerre, la mise en place de Conseils ouvriers (Soviets) de type

soviétique, premier pas vers la dictature du prolétariat, est évitée grâce à un pacte conclu en

novembre 1918 entre le chef du SPD Friedrich Ebert (1871-1925), élu un an plus tard à la tête

de l’Etat, et le successeur du Général Ludendorff, le Général W. Groener (1867-1939).

Socialistes et conservateurs préfèrent s’allier que de voir triompher le bolchevisme.

La thèse du social-fascisme rappelle par exemple que l’extrême droite n’est l’ennemi

des organisations qui s’inspirent du marxisme que depuis l’avènement des fascistes au

pouvoir. Sous la République de Weimar (1918-1933), social-démocratie et fascisme sont

stigmatisés comme les principaux ennemis de la classe ouvrière. Dès 1924, le théoricien du

Komintern, Zinoviev, déclare que fascisme et social-démocratie ne sont que « la main droite

et la main gauche du capitalisme moderne ». La même année, Staline parle de la sociale-

démocratie comme de « l’aile tolérée du fascisme »429. En 1928, la thèse des « frères

ennemis » (le fascisme et la social-démocratie ne sont que les deux faces d’un même

phénomène) reprise et développée par Staline devient le socle politique du KPD. Son comité

central déclare ainsi dès 1929 que les sociaux-démocrates sont des « agents sociaux-

fascistes », la sociale-démocratie « le vaste bélier du fascisme et de l’impérialisme »430. « Le

SPD et le NSDAP sont des jumeaux » clame en 1932 E. Thälmann, qui dirige le KPD depuis

429 Deutscher Bundestag (dir.) : Materialien der Enquete-Kommission „Aufarbeitung von Geschichte und Folgen der SED-Diktatur in Deutschland“. Baden-Baden/Francfort sur le Main : Nomos/Suhrkamp, 1995, volume III/1 (Rolle und Bedeutung der Ideologie, integrativer Faktoren und diszipliniereender Praktiken in Staat und Gesellschaft der DDR), p. 103. 430 Rote Fahne, organe du KPD, du 13.4.1929.

Page 149: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

135

1925, pour ne citer que quelques unes des agressions verbales des communistes allemands à

l’égard des sociaux-démocrates431. Le KPD applique strictement la thèse du social fascisme

jusqu’en 1935, lorsque la théorie du « front populaire », qui prône l’union de toutes les forces

de gauche contre le fascisme, est adoptée par l’Internationale. Cette animosité entre socialistes

et communistes va si loin que, sous la République de Weimar, le KPD s’allie même

ponctuellement au NSDAP contre le SPD432.

Le « social-fascisme » ou la mise sur un pied d’égalité des socialistes et des fascistes

comme ennemis à abattre sera reconnue comme l’une des plus grosses erreurs de Staline

pendant la Seconde Guerre mondiale. La division du mouvement ouvrier, en raison de cette

opposition entre les communistes et les sociaux-démocrates, a facilité l’accession de Hitler au

pouvoir. Après l’avoir longtemps soutenue, le SED reconnaît en 1989 la thèse du social

fascisme comme « dès l’origine erronée »433.

L’antifascisme, parce qu’il masque une partie de l’histoire difficile à assumer, constitue

ainsi une ressource pour le PDS dans sa réconciliation avec la gauche allemande, avec le SPD

en premier lieu. L’argument antifasciste constitue également un atout important dans la

normalisation des relations du PDS avec les héritiers du communisme dans les PECO. Le

PDS justifie sa rupture d’engagement avec certains anciens partis communistes des PECO par

leurs penchants racistes ou antisémites. Le PDS se présente en opposition comme le parti

antifasciste de l’espace post-communiste434. Les deux arguments se recoupent, puisqu’au

début des années 1990, la majorité des anciens partis communistes des PECO opte pour

l’adhésion à l’Internationale Socialiste. Ce faisant, ils cherchent à nouer des liens avec le

431 Discours de E. Thälmann du 19.02.1932 cité par H. Weber : « ‚Hauptfeind Sozialdemokrat’ : Zur Problematik der deutschen Kommunisten gegenüber den Sozialdemokraten zwischen 1930 und 1950 » in R. Eckert, B. Faulenbach (dir.) : Halbherziger Revisionismus – zum postkommunistischen Geschichtsbild. Munich/ Landsberg am Lech: Günter Olzog Verlag, 1996, pp. 25-46. 432 Ainsi lors du référendum de l’été 1931 sur la dissolution du Landtag prussien gouverné par le social-démocrate Braun ou durant la grève des employés des transports publics en novembre 1932. 433 H. Weber : « Die Stalinismus-Diskussion geht weiter : Widerspüche "Aufarbeitung" der Geschichte in der DDR ». Deutschland-Archiv, 8, 1990, pp. 1259-1266. 434 T. Falkner, en charge des questions stratégiques et fondamentales du PDS, évoque les relations de son parti avec le parti communiste de Russie en ces termes : « La différence est bien entendue très grande [rires], autant dans la relation au communisme et au socialisme réel qu’à cause de ses tendances nationalistes et antisémites, qui nous posent problème. Puisqu’on parle de l’extrême droite par exemple, il n’existe aucune base commune. Et lorsque le parti a en plus des problèmes avec l’antisémitisme, c’est difficile. »

Page 150: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

136

SPD, au détriment d’un PDS qui, isolé, s’insère dans des réseaux occidentaux plus

qu’orientaux435.

L’ennemi comme source de jouvence dans la transition du SED au PDS

Nous avons vu que la thèse antifasciste a constamment été mise en avant par les

autorités de la RDA dès lors qu’une menace planait sur le système436. Dès sa création, le PDS

reprend cette valeur à son compte. Au moment de la mue du SED en SED-PDS puis en PDS

entre la fin de l’année 1989 et le début de 1990, les dirigeants est-allemands utilisent

l’argument antifasciste pour tenter de sauver leur parti. L’épisode de Treptow ci-dessous

relaté initie le renouvellement du répertoire d’action que signe le passage du SED au PDS : la

mobilisation contestataire remplace la propagande antifasciste d’Etat. A défaut de sauver le

régime, la désignation de l’ennemi pourrait sauver au moins le parti, si elle parvient à recréer

des liens avec la population.

Lorsque des inscriptions antisoviétiques et nationalistes sont découvertes sur le

monument érigé en l’honneur des soldats de l’Armée rouge dans le quartier de Treptow à

Berlin-Est le 28 décembre 1989, l’événement est rapidement interprété par le SED-PDS

comme la menace d’une recrudescence du danger néonazi. Il appelle à un grand

rassemblement (resté sous le nom de « manifestation de combat », Kampfdemonstration) qui

se tient le 3 janvier à Treptow. Devant une assemblée de 250 000 participants, G. Gysi, alors

président du SED-PDS, réclame que s’organise la résistance, en appelant à « un front

commun contre le néonazisme, le néofascisme, la haine raciale et la xénophobie ». Il exige un

renforcement de l’autorité policière pour lutter contre la menace du néofascisme437. Or le mois

précédent, la population, en occupant ses administrations locales et en détruisant une partie

des actes, avait ouvertement exprimé son aversion pour la Stasi. A travers ce symbole, c’est

l’existence même de l’Etat de RDA que visait la population.

Ces graffitis dénonciateurs tombent tellement à point pour réhabiliter la nécessité de

l’institution que d’aucuns pensent qu’il s’agit d’une mise en scène de la Stasi438. Les dirigeants

435 A l’intérieur du réseau de la Nouvelle Gauche Européenne au Parlement européen, le PDS est le plus important représentant de l’ancien bloc oriental. Selon les dires de ses dirigeants, il s’investit davantage dans ce réseau qu’auprès des anciens partis communistes des PECO. 436 Voir l’introduction générale. 437 Deutscher Bundestag (dir.): Materialien zur Enquete-Kommission, op. cit., p. 177. 438 L’intellectuel dissident K. Weiss se déclare par exemple convaincu qu’il s’agit d’une action de la Stasi et non de radicaux de droite. Ibidem. Cet argument est également utilisé par l’extrême droite pour se dédouaner T. Weisbrich, fonctionnaire des REP, considère Treptow comme une « manœuvre» visant à diffamer l’extrême

Page 151: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

137

du SED-PDS auraient ainsi réaffirmé le danger fasciste de manière à justifier la poursuite de

l’existence d’un ministère de la sécurité de l’Etat extrêmement menacé439. L’abolition de la

Stasi est d’ailleurs l’un des trois champs d’action principaux, avec l’organisation d’élections

libres et l’élaboration d’une nouvelle constitution, sur lesquels les tables rondes lancées dès

décembre 1989 à l’initiative des Eglises, s’accordent, dans le but de créer un contre-pouvoir

au SED440. Dans ce contexte, les graffitis du mémorial de Treptow livrent aux représentants du

SED (W. Berghofer, L.Bisky et G.Gysi) des arguments contre la dissolution de la Stasi441.

« La manifestation [..] apparaît comme un repli sécuritaire vers les traditions du

SED»442. En permettant aux dirigeants est-allemands d’affirmer son attachement à la

collectivité tout en se distinguant de l’offre du SED, l’antifascisme remplit à plein sa fonction

de mobilisation. La valeur de mobilisation sert d’une part à « rassurer, c’est-à-dire exorciser

les peurs, forclore toute menace de violence sociale ou politique » et suppose de « susciter

d’artificielles frayeurs pour être en mesure de les apaiser d’autant plus facilement ensuite ».

D’autre part, elle contribue à « susciter des espérances au sein du système politique »443.

L’acte de naissance antifasciste de Treptow signe, dans la terminologie wébérienne, le

passage d’un parti de patronage à prétention de parti de classe (le SED), à un parti traditionnel

fortement inspiré d’une vision du monde (Weltanschauungspartei)444.

L’antifascisme est une fixation idéologique du SED épargnée par la Wende, l’un des

rares éléments à survivre à l’effondrement du mythe socialiste et à la remise en cause du SED

par la population est-allemande. A la suite de l’unification, il apparaît publiquement comme

un héritage positif de la RDA. Dans la stratégie du PDS, Treptow signe le remplacement de

droite. Il ironise : « C’est étrange, mais au fur et à mesure que le pouvoir du SED s’étiolait, le fascisme ou le néofascisme gagnait en puissance en RDA.» 439 Sous un autre nom, celui d’Office pour la sûreté nationale, Amt für Nationale Sicherheit- AfNS. G.-J. Glaessner : Der schwierige Weg zur Demokratie. Vom Ende der DDR zur deutschen Einheit. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1991, pp. 118-119. 440 Sur la question des tables rondes, voir U. Thaysen : Der Runde Tisch. Oder: Wo blieb das Volk? Der Weg der DDR in die Demokratie. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1990. 441 « L’intention est incontestable : le SED-PDS tenta, grâce au lien antifasciste, de récupérer l’initiative politique perdue et put dans le même souffle conserver intacte une administration de sûreté. Dans ce calcul, le SED joua la carte de la soit-disant menace d’extrême droite. » M. Gerner : Partei ohne Zukunft ? Von der SED zur PDS. Munich : T. Tilsner Verlag, 1994, p. 35. 442 P-Y. Boissy : op.cit., p. 482 (chronologie). 443 Selon la distinction développée au sujet des valeurs mobilisées par les candidats à l’élection présidentielle par P. Braud : op. cit. pp. 389-390. Les « valeurs de mobilisation » peuvent être communes, c’est-à-dire constituer un passage obligé (union, paix, liberté, solidarité) ou spécifiques à un camp ou à un parti (socialisme, pacifisme, ordre chrétien, laïcité, élitisme,..). 444 M. Weber : Economie et société, tome 1, pp. 371-376.

Page 152: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

138

l’obligatoire communion anti-nazie du SED445 par la mobilisation populaire et contestataire

contre l’extrême droite.

C’est encore sur le terrain de l’antifascisme que les premiers signes officiels de rupture

avec le stalinisme et la politique autoritaire du SED sont amorcés au sein du PDS. Au tout

début de l’année 1990, dans le cadre du lancement du processus de rénovation du parti, le

PDS tente de raviver la tradition antifasciste. Au cours d’une réunion officielle du comité

directeur du PDS, son numéro un, G. Gysi, distingue deux types d’antifascistes à l’origine de

la RDA : une petite minorité d’individus qui disposait de fonctions importantes au sein du

SED, devenus « des despostes petit-bourgeois » d’un côté, une grande majorité de l’autre

côté, qui n’a joué aucun rôle de premier plan au sein du système de la RDA et qui a depuis

gagné les rangs du PDS446. Ainsi dans la phase de transition, dans un contexte de perte de

légitimité du SED, les autorités est-allemandes tentent de se racheter grâce à l’antifascisme.

L’antifascisme, principale ressource collective du PDS

« Rien ne sert tant la cohésion du PDS qu’un ennemi commun» 447

De la même manière que la valorisation de la filiation antifasciste a permis de rompre

avec le SED, elle légitime l’existence du PDS au sein du nouveau système. Si l’antifascisme

445 K. Böttcher, président du groupe de travail en charge de la question de l’extrême droite et de l’antifascisme (l’AG Rechtsextremismus/ Antifascisme) du PDS, dénonce le fait que l’antifascisme en RDA ait porté le discrédit sur la visite de monuments commémoratifs. Il raconte de quelle manière sa voisine, enseignante, lui répond naïvement quelques temps après l’unification, alors qu’ il lui demande si elle emmène toujours ses élèves visiter le camp de Sachsenhausen : « On a toujours le droit ? », comme si la chute du régime communiste interdisait d’honorer la mémoire des victimes du national-socialisme.

Sachsenhausen à Oranienburg (Brandebourg) dans la banlieue de Berlin est le premier camp de concentration aménagé par les Nationaux-Socialistes à la fin de l’année 1933. Il accueille d’abord des prisonniers membres du SPD et du KPD. 100 000 personnes y meurent entre 1936 et 1945. A la fin de la guerre, les soviétiques le transforment en camp d’internement. Sa visite au printemps 2001 nous a laissé un goût amer. Les panneaux explicatifs datent de l’époque de la RDA et on peut s’y étonner de la place démesurée, quasi-exclusive, accordée aux prisonniers communistes. Leurs actes de bravoure résistants, y compris à l’intérieur du camp, sont contés. Le camp était certes prévu comme camp de travail et d’opposants politiques, mais l’évocation, dans l’exposition, de Juifs uniquement dans un panneau concernant la réalisation de fausse-monnaie, a des relents antisémites. A la décharge de la fondation du Brandebourg en charge de la mémoire et des monuments commémoratifs, il faut préciser que de nouveaux panneaux explicatifs étaient en cours de préparation au moment de la visite, ce qui n’était nullement indiqué, pas plus que l’origine des panneaux exposés, pourtant éloquents exemples de la propagande du SED. 446 « Klausurtagung des PDS-Parteivorstands, 12./13 Mai 1990 ». Archives du Comité directeur du PDS, séances du conseil. 447 Première « Loi fondamentale » de C. Ostrowski : Ossi's PDS-Gesetze. Warum auch in der PDS alles schiefgeht (Les lois est-allemandes du PDS. Pourquoi tout va aussi mal au PDS). 4ème édition, 1996 (disponible sur www.christine-ostrowski.de, 07. 2001).

Page 153: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

139

est moins obligeant au PDS, sa fonction de lien identitaire entre la base populaire et les élites

perdure, au point de constituer la principale ressource collective du parti.

Depuis 1945, l’antifascisme scelle l’union du socialisme avec le peuple ; l’adhésion au

SED constituait la plus importante profession de foi antifasciste448. La naissance du PDS

marque le passage, dans les catégories wébériennes, de l’antifascisme comme ordre de droit

(juridiquement garanti) à une convention (Konvention) dont « la validité est garantie

extérieurement par la chance que, si on s’en écarte à l’intérieur d’un groupe d’hommes

déterminé, on s’expose à une réprobation [Missbilligung] (relativement générale) et

pratiquement perceptible »449. La conviction antifasciste est inscrite dans le statut du PDS dont

le préambule stipule :

« En souvenir de l’histoire mouvementée de l’idée du socialisme et des gauches en Allemagne, de

l’échec de la tentative d’instauration du socialisme sans démocratie, des efforts sincères, des erreurs et

des expériences tragiques de cette époque ; avec le respect dû à la résistance contre toute forme de

dictature totalitaire, à l’antifascisme, à l’insurrection de l’automne 1989 ; dans le respect des idées de

révolution démocratique et de solidarité internationale ; avec la conviction qu’il est nécessaire de

trouver des alternatives sociales tout en assumant la responsabilité liée au passé, à ce qui en reste et à ce

qui en adviendra, les socialistes ont défini les principes de leur action au Parti du Socialisme

Démocratique (PDS) et donné un statut à leur organisation.

1. Comme l’indique son nom, le parti tend au socialisme démocratique, c’est-à-dire une société qui

évolue vers la paix, la non-violence et la justice sociale, abolit l’exploitation de l’être humain et le

pillage de la nature, une société empreinte d’un antiracisme résolu, régie par l’égalité sociale et

culturelle des peuples, des sexes et de tous les êtres humains, indépendamment de leur orientation

sexuelle, une société qui assure l’autodétermination démocratique de l’être humain, une réelle égalité

des chances aux personnes handicapées et une qualité de vie élevée pour tous, et qui repose sur une

économie hautement productive et orientée vers le bien être collectif, organisée humainement, qui

épargne la nature et préserve les ressources naturelles. » 450

448 H.-J. Maaz : « Sozialpsychologische Ursachen von Rechtsextremismus. Erfahrungen eines Psychoanalytikers » in K.-H. Heinemann, W. Schubarth (dir.) : Der antifaschistische Staat entläßt seine Kinder. Jugend und Rechtsextremismus in Ostdeutschland. Cologne : PapyRossa Verlag, 1992, pp. 116-125. 449 M. Weber : Wirtschaft und Gesellschaft, p. 18 ; Economie et société, tome 1, p. 68 pour la traduction. 450 Préambule adopté lors de la création du PDS, modifié pour la dernière fois en avril 2000 et adopté sans modification lors de la session extraordinaire du 17 juillet 2005 qui entérine l’alliance Die Linkspartei. PDS. (http://sozialisten.de/download/dokumente/grundsatzdokumente_partei/statut.pdf, 21.09.2005).

Page 154: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

140

A l’instar du stalinisme, le racisme et le nationalisme sont considérés comme

incompatibles avec l’adhésion au PDS451 ; ces idées ne peuvent être ouvertement exprimées

par le parti.

Au PDS, l’antifascisme est considéré comme une « supervaleur » (Superwert)452.

Interrogés sur les activités importantes pour le parti, les militants renvoient à la nécessité de

développer certains pôles d’activité, telles la justice sociale et la lutte contre l’extrême droite.

« Agir résolument contre l’extrême droite » arrive directement derrière la défense de la justice

sociale parmi les activités que les militants considèrent comme les plus importantes pour le

PDS à l’avenir. Les fonctionnaires et élus du PDS (78%) jugent cet engagement (contre

l’extrême droite) plus important que chez les simples adhérents (70%), ce qui tend à étayer la

thèse de l’importance de cette valeur pour l’image que le PDS souhaite donner de lui même.

La figure imposée de l’antifascisme : un rite contraignant

Le caractère contraignant de l’antifascisme oblige ses dirigeants à renouveler les

professions de foi. Les personnalités les plus controversées s’y prêtent volontiers, pour

prouver qu’ils se soumettent à l’autorité partisane453. Les dirigeants du parti sont non

seulement confrontés à la nécessité de réitérer leur appartenance au parti par le biais de vœux

antifascistes, ils doivent en plus le faire selon la norme, c’est-à-dire dans la forme et selon la

formule usitée. Ce rituel constitue également un rite d’allégeance au parti.

Le discours des élus et dirigeants atteste de cette obligation antifasciste. Les

témoignages mettent l’accent sur l’intériorisation du sentiment antifasciste, conséquence de la

propagande antifasciste de la RDA. L’argument antifasciste a fini par convaincre, la remise en

cause du consensus antifasciste dans les NBL constitue une diffamation.

451 La première séance du 4ème congrès du PDS en janvier 1995 confirme le « consensus antistalinien » déclaré lors du Congrès extraordinaire de décembre 1989: « Nous rompons irrévocablement avec le stalinisme en tant que système. » C. V. Ditfurth : op. cit., p. 55. « Le PDS est pluraliste, mais ne doit pas devenir n’importe quoi, ce qui signifie qu’il existe des positions qui ne peuvent d’après moi être représentées au sein du PDS, par exemple les hommages au stalinisme ou le nationalisme ou même le racisme» déclare G. Gysi à ND du 28.01.1993. 452 M. Chrapa, D. Wittich: Die Mitgliedschaft, der große Lümmel… Studie zur Mitgliederbefragung 2000 der PDS, Mai 2001, http://www.linxxnet.de/linxxikon/04_07_01_mitgliederbefragung.pdf., 26.11.2005. 453 L’élection en 1999 de Dieter Dehm, un Wessi (Allemand de l’Ouest) fiché par la Stasi, ancien manager à succès de la patineuse K. Witt et démissionnaire du SPD en signe de protestation contre la politique du chancelier Schröder, à la vice-présidence du PDS, a levé des protestations. Interrogé en réaction aux propos de la présidente G. Zimmer, ce vice-président du PDS répond à la question de savoir s’il est fier d’être Allemand : « Je suis fier des antifascistes en Allemagne, je suis fier de la période classique, je suis fier de Karl Marx, de Goethe, de Heine et de Brecht. J’ai honte de l’anticommunisme allemand, du militarisme et du fait que la gauche n’ait pas réussi à être suffisamment soudée pour empêcher un Hitler ou un Adenauer ». Jungle World, 17.01.2001.

Page 155: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

141

« Nous étions tous tellement convaincus qu’il n’y avait pas de cela chez nous. Un paradigme de la

politique de la RDA a toujours été l’antifascisme officiel. Mais c’est quelque chose qui existait quand

même, et que l’on pouvait voir, si on le voulait. » B. Grygier, ancien maire de Berlin-Lichtenberg et

figure médiatique de l’éducation sexuelle en RDA.

« Pour les gens qui ont été socialisés en RDA, qui y ont passé des décennies de leur vie, qui ont même

été actifs politiquement, il est difficile de se séparer, tout à coup, de ces positions antifascistes, jusque

dans ses arguments et ses fondements, uniquement parce que les historiens décident tout à coup qu’elles

ne sont pas sincères. » C. Luft, dernière ministre de l’économie de la RDA et députée du Bundestag

(1994-2002).

« Mais il s’agit en tout cas d’un consensus fondamental […], c’est quelque chose de profondément

intériorisé. C’est un point sur lequel les Allemands de l’Est étaient et sont toujours extrêmement

sensibles, lorsqu’il est dit, et ça arrive très souvent, qu’il vient d’en haut. Ce n’est pas vrai. Celui qui dit

ça ne nous connaît pas. Je ne veux pas dire que nous sommes meilleurs mais c’est une diffamation dont

on a assez. Naturellement, il y avait énormément d’idéologie, mais je remarque, également en discutant

avec les anciennes générations, qu’elles sont très informées. Il est faux de dire que c’était seulement

imposé d’en haut. » P. Bläss, vice-présidente du Bundestag (1998-2002).

Pour de nombreux acteurs du PDS, le mot d’ordre est « mieux vaut un antifascisme sur

commande que pas d’antifascisme du tout »454. Certains expriment des doutes sur la

profondeur du sentiment antifasciste au PDS. K. Böttcher dit constater un antifascisme

« sincère », « convaincu » et « sentimental » chez de nombreux Allemands de l'Est et

membres du PDS, qui s’inscrit dans la lignée du respect des droits de l'homme et de la

tolérance. Il dénonce un certain « antifascisme de façade » au sein même du PDS. Il faut selon

lui se battre pour imposer la lutte contre l’extrême droite comme un sujet important.

Cet antifascisme reste un principe fondamental du PDS et vanté par nos interlocuteurs.

Le PDS est « le seul parti antifasciste et antiraciste des NBL » (G. Sayan, député) ;

l’antifascisme est l’un des « points de cohésion centraux du PDS » (B. Hoff, député). Au

niveau individuel, c’est une motivation suffisante pour s’engager contre l’extrême droite.

« Une inquiétude accrue face aux tendances xénophobes d’extrême droite fait partie d’un consensus

fondamental, elle touche à l’identité du PDS et y bénéficie d’une haute considération. La nécessité de

faire de la lutte contre ces tendances une haute priorité en Allemagne est une maxime adoptée par le

parti. […] C’est très vivace au parti. C’est tout simplement une partie de la vie politique quotidienne du

parti et cela s’exprime au quotidien. » T. Falkner, stratège fédéral

454 « Je préfère que l’on manie l’antifascisme comme en RDA plutôt que de le voir considéré comme une antiquité et de laisser fleurir n’importe quoi à la place. » C. Luft.

Page 156: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

142

« Au PDS, l’antifascisme est l’une des valeurs fondamentales sur laquelle repose la cohérence du parti.

Je pense que dans la société, ce n’est pas aussi conscient, mais que c’est profondément ancré. […] On

nous a imposé l’antifascisme avec toute la force disponible. Ma motivation, au fond, c’est : je suis un

enfant de la RDA, la société dans son ensemble m’a éduqué de manière antifasciste. L’antifascisme est

pour moi une valeur très profondément enracinée, pour ainsi dire un humanisme antifasciste au sens

large. » M. Schrader, chef du PDS de Dresde455

La mise en scène de l’antifascisme réactive le mythe d’héroïsation du parti456 ; elle

simplifie la confrontation avec l’extrême droite en contournant la question de la responsabilité

du PDS457. Telle est également l’argument des détracteurs du PDS, qui dénoncent le fait que

ce dernier utilise l’antifascisme pour se défausser de toute responsabilité face à l’extrême

droite. Ce faisant, il dévalorise la valeur antifasciste458. Associé à la dénonciation d’une

société inégalitaire, l’antifascisme est a contrario utilisé pour remettre en cause la légitimité

de l’adversaire459. L’apposition du terme de fascisme à l’Union, conservatrice (CDU et CSU)

vise avant tout à la disqualifier. Cette instrumentalisation de la notion antifasciste est

d’ailleurs critiquée à l’intérieur du parti460.

De nombreux observateurs qualifient de « grand écart » (Spagat) les tentatives que fait

le PDS pour s’implanter à l’ouest tout en conservant leur influence sur la société est-

allemande. Ce grand écart vaut bien davantage selon nous en ce qui concerne les pressions

455 Pour M. Schrader, les cas où la propagande n’a pas fonctionné s’expliquent par des facteurs biographiques (familiaux, affectifs..) propres à chaque individu. Il évoque alors le cas de son frère qui a « une autre histoire politique » puisque, dans la mouvance néo-nazie, il a été jugé pour sa participation au pogrom de Rostock. M. Schrader s’est par contre identifié à l’antifascisme. Il est le seul interlocuteur à nous adresser un message de colère et ses « salutations de Dresde antifasciste » le lendemain de 21 avril 2002 : « Peux-tu m’expliquer ce que tes compatriotes ont voulu signifier au monde en envoyant Le Pen au second tour ?» Courriel à l’auteur du 22 avril 2002. Le tutoiement est d’usage au PDS. 456 Le terme de mythe d’héroïsation du parti est emprunté à R. Girardet : Mythes et mythologies politiques. Le Seuil, 1986. 457 C’est également l’opinion du sociologue M. Chrapa proche du PDS qui estime qu’en brandissant l’antifascisme, on se place dans le camp des bons, évitant ainsi une discussion difficile autour des causes de la présence de l’extrême droite dans les NBL. 458 B. Wagner (B90/G) s’insurge contre la « criminalisation » de la notion d'antifascisme, une conséquence de la RDA. L’antifascisme auquel il s’est identifié en tant que Wessi n'a rien à voir avec celui de la RDA. « Personne ne peut s'identifier à l'antifascisme de la RDA ». Le PDS utilise selon lui cette notion à mauvais escient. B. Flemming, député de la CDB (SPD), insiste sur le fait que le PDS procède comme en RDA, en faisant une utilisation abusive du terme et de la problématique antifasciste. Le PDS ment en outre en se déclarant, comme le SED, le seul parti antifasciste. La politique antifasciste de la RDA joue un rôle minime, mais dangereux, car le PDS rejette toutes les fautes sur l’extrême droite. 459 Voir A. Collovald : « Histoire d’un mot de passe: le poujadisme. Contribution à une analyse des ‘ismes’ ». Genèses, 3, 1991, pp. 97-119. 460 Ainsi Roland Claus, qui succède à G. Gysi en tant que porte-parole de la fraction PDS au Bundestag, déclare-t-il lors du 7ème Congrès du PDS à Cottbus en octobre 2000 : « Il nous faut un antifascisme conquérant, vainqueur, pas un antifascisme qui exclut. Je souhaite combattre l’extrême droite avec le gouvernement fédéral, pas le gouvernement fédéral avec le thème de l’extrême droite. » W. Schulz : «’Für Gabi tun wir alles’. Vom Cottbuser Bundesparteitag und dem Doppelcharakter der PDS ». Deutschland-Archiv, 6, 2000, pp. 882-886.

Page 157: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

143

exercées par une base réactionnaire sur des élites réformatrices461. Les dirigeants du PDS

doivent faire accepter l’option choisie depuis 1995, celle d’un parti moderne, de gauche et

d’opposition, dont le champ d’action ne se restreint pas aux NBL, à une base vieillissante. En

effet, ses militants sont à 60% retraités, les plus de 60 ans constituent 68,7% des adhérents462.

La présidence de Gabi Zimmer entre 2000 et 2002 atteste de la complexité de la situation.

Avec G. Zimmer, qui a une carrière typique du SED463, le PDS semblait désireux de renouer

avec sa base. Le réformateur et co-fondateur du PDS Lothar Bisky reprend néanmoins

rapidement la tête du parti. Le Congrès fédéral du PDS qui porte G. Zimmer à sa présidence

les 14 et 15 octobre 2000 adopte également une résolution, par laquelle la nouvelle présidente

réaffirme son attachement à un antifascisme qui ne se démarque pas du dogme antifasciste de

la RDA. La résolution dite de Cottbus défend la thèse d’une extrême droite qui, interdite en

RDA (de même que l’antisémitisme et la xénophobie), s’exprime pleinement en RFA. Ceci

est symptomatique des déclarations officielles du parti sur le passé de la RDA. Certaines

velléités dirigeantes de règlement de compte avec le passé criminel du SED sont découragées

par leur réception à la base, où elles sont perçues comme diffamatoires464.

Une ressource en termes d’intégration

La norme antifasciste n’est pas constitutive d’une « société d’honneur »465 ; elle remplit

donc des fonctions hautement politiques, surtout en termes d’intégration. Le PDS use de cette

461 Telle est aussi l’opinion de R. Schröder : « En la personne d’un matador comme Gysi, mais également comme une bonne part de ses députés, [le PDS] donne une image tout à fait fausse des mentalités qui dominent la base du PDS. Maintenant que G. Gysi a quitté la vie politique, ma conviction est que ce ton original du PDS va devenir de plus en plus perceptible. G. Zimmer est bien plus représentative du milieu PDS.» 462 Chiffres du PDS au 30.03.2004 (http://sozialisten.de/partei/daten/mitgliederzahlen/struktur.htm, 27.08.2004). Le chapitre 5, section 3, B, développe les effets de la composition de ses militants sur le cours idéologique et stratégique adopté par le PDS. 463 Entrée au SED en 1981, à 26 ans, elle gravit les échelons après l’unification. D’abord conseillère communale de Suhl, elle est ensuite députée régionale de Thuringe, chef du groupe parlementaire régional, avant d’être élue vice-présidente du parti en 1997. Sur le congrès de Cottbus, voir W. Schulz : « ‚Für Gabi tun wir alles’- Vom Cottbuser Bundesparteitag und dem Doppelcharakter der PDS ». Deutschland-Archiv, 6, 2000, pp. 882-886. 464 La tentative de dénonciation de la fusion forcée à l’origine de la naissance du SED par P. Pau et G. Zimmer illustre cette acrobatie. Dans une logique de rapprochement avec le SPD à des fins gouvernementales, voire de fusion à l’Est du pays, la présidence parvient à annoncer qu’elle s’en excuse sans prononcer le terme de « fusion forcée » prohibé dans les milieux anciennement proches du SED. « La création et la formation du SED a également été accomplie grâce aux tromperies, contraintes et répressions politiques. Nombreux sont ceux qui, s’opposant à l’époque à la fusion du KPD et du SPD, le payèrent de leur liberté, de leur santé, certains mêmes, et ce ne fut pas rare, de leur vie. » « Halbherzige Entschuldigung für Zwangsvereinigung ». Dépêche, Spiegel Online (http://www.spiegel.de), 18.04. 2001, 18h59. 465 Définie comme une unité sociale ayant pour principe « une économie des biens symboliques fondée sur le refoulement collectif de l’intérêt, et, plus largement, de la vérité de la production et de la circulation, qui tend à produire des habitus ‘désintéressés’, des habitus anti-économiques, disposés à refouler les intérêts, au sens étroit du terme (c’est-à-dire la poursuite des profits économiques) » P. Bourdieu : Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action. Le Seuil, 1994, pp. 162-164 et 211-213.

Page 158: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

144

ressource identitaire et idéologique qu’est l’antifascisme pour s’intégrer à la communauté

pan-allemande466. En perpétuant la tradition antifasciste de la RDA, le PDS adopte pour

ennemi celui de la collectivité allemande, ce qui doit lui offrir de communier avec elle.

L’adoption de l’antifascisme comme norme constitue ainsi un contre-poids à la tradition

anticommuniste de la RFA au sein de laquelle il souhaite être accepté. Eu égard à la farouche

volonté d’implantation du parti à l’ouest du pays, l’antifascisme représente sans doute le mot

d’ordre le plus approprié à l’émergence d’une conscience commune aux habitants des anciens

et des nouveaux Länder.

L’antifascisme joue un rôle central dans la tentative de réhabilitation, non du système

autoritaire instauré par le SED, mais de sa légitimation historique. Il permet de défendre l’idée

de la création d’un Etat sur la base du socialisme, lequel se voulait dans l’idée égalitariste,

humaniste et éclairé (au sens de représentant du siècle des Lumières).

La valeur antifasciste contribue en outre fortement à la cohésion interne du parti. Les

valeurs que permet de raviver la menace de l’extrême droite (solidarité, justice sociale,

tolérance, égalité, intégration, etc...) jouent un rôle fédérateur fondamental. C’est sur leur

respect que s’accordent les différentes composantes du parti. Ceci est de première importance

au regard des difficultés au moins persistantes que rencontre le PDS depuis sa création dans

l’adoption d’une voie et d’un programme qui fassent l’unanimité en son sein. Cette dualité

(ressource et contrainte à la fois) de la valeur antifasciste conditionne la manière dont le parti

l’institutionnalise.

B) Institutionnalisation de la valeur antifasciste par le PDS

La croyance en l’antifascisme doit être institutionnalisée pour devenir une

idéologie capable d’édicter des consignes et de produire des savoir-faire, bref de fonder une

action politique contre l’extrême droite. L’idéologie est le résultat d’une construction

doctrinale, un « produit collectif partiellement contrôlé, obtenu par sédimentations et

retouches à la marge »467. En tant qu’« élément d’un système symbolique qui sert de critère

pour choisir une orientation parmi les diverses possibilités qu’une situation laisse par elle-

même ouvertes » 468, l’idéologie tient compte des intérêts du parti.

466 Cet usage est assimilable au phénomène développé par H. Thomas : « L’hypercivisme apolitique des exclus » in N. Mayer (dir.) : Les modèles explicatifs du vote. L’Harmattan, 1997, pp. 269- 288. 467 D. Gaxie : La démocratie représentative. Montchrestien, 2003 (4ème éd.), p. 133. 468 T. Parsons : The social System. New York: The Free Press of Glencoe, 1952, p. 12.

Page 159: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

145

L’idéologie antifasciste est représentée dans les structures fédérales du PDS à travers

deux registres d’insertion dont l’un est discursif, l’autre savant. Pour P. Bourdieu, la force des

idées politiques oscille entre la science (qui renvoie à la valeur de vérité) et le plébiscite (qui

relève du registre de la mobilisation) 469. Ces deux champs méritent d’être analysés tour à tour.

La production de consignes: l’institutionnalisation par le discours

L’antifascisme étant d’abord voué à représenter le parti, il investit le discours de ses

instances supérieures. A cette échelle, l’action politique se limite à la production d’un

discours antifasciste. Le prétexte de la lutte contre l’extrême droite est saisi pour raviver la

mémoire antifasciste.

Les déclarations et décisions officielles des instances fédérales

La contribution des instances fédérales dirigeantes du PDS à la lutte contre l’extrême

droite est évaluée d’après les mesures prises par la troïka berlinoise : le Comité

directeur (Bundesvorstand), le groupe parlementaire au Bundestag (Bundestagsfraktion) et la

fédération régionale de Berlin (Berliner Landesverband).

Ci-dessous, une chronologie récapitule les prises de position officielles du PDS sur la

question de l’extrême droite (1990-2002). Elle tient compte des déclarations publiques de ces

instances, des débats internes et de la programmatique du parti (statut, programmes, décisions

issues des congrès,…) 470.

31.01.1990 Le PDS/SED orchestre une grande manifestation contre la profanation du mémorial antifasciste de

Treptow471.

30.06.1991 A travers une « Résolution sur le (néo) fascisme et l’antifascisme, le Comité directeur s’associe

officiellement à la rencontre « des nouveaux et des anciens antifascistes » à Wunsiedel (Bavière) à

laquelle participent d’autres « antifascistes de la RDA » (VVdN, Verts).

19.07.1991 H. Modrow, le président d’honneur du PDS, s’associe aux groupes de travail (AG) féministe et

lesbien du PDS pour contester la construction d’une zone industrielle à l’emplacement du camp de

concentration des femmes de Ravensbrück.

469 P. Bourdieu : « La représentation politique. Eléments pour une théorie du champ politique », ARSS, 36-37, 1981, pp. 3-24, p. 13. 470 En l’absence de précision, la source utilisée pour la chronologie est le service de presse du PDS (PDS-Pressedienst). Un CD-Rom (sélectif) synthétise l’action du PDS contre l’extrême droite de 1990 à 2000. CD-Rom: Handeln gegen Rechts. Dokumente, Aktionen, Plakate, Flugblätter der PDS zum Kampf gegen den Rechtsextremismus 1990-2000, 2001. Voir aussi la chronologie (1989-1999) réalisée par P-Y. Boissy : op.cit., pp. 475- 572. 471 Ce point a été évoqué dans la section 1, A.

Page 160: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

146

26.08.1992 Discours de G. Gysi au Bundestag au nom du groupe PDS/LL contre le refus du Bundestag

d’organiser une session spéciale en l’honneur des pogroms de Rostock. Le titre en est éloquent :

« Rostock annonce l’exécution- le Parlement se tait ».

13/15. 11.1992 Le PDS organise un « Congrès européen contre le racisme » (500 participants).

29/31.01.1993 Le nouveau programme propose, dans ses «voies alternatives de développement », d’ « endiguer

la pression de l’extrême droite » en combattant le chômage de masse et en réformant le droit

d’asile.

02.06. 1993 Déclaration du Comité directeur fédéral sur la « terreur en Allemagne » qui dénonce les pogroms

23.10.1993 Le groupe PDS/LL au Bundestag, le comité directeur fédéral du PDS et l’AG ED/A organisent à

Berlin une conférence « Arguments contre la droite ».

1994 Le programme électoral du PDS se mobilise pour une « société ouverte et tolérante » et exige

l’interdiction des organisations antisémites, racistes et fascistes.

15.03.1995 Proposition de loi du groupe du PDS au Bundestag pour faire du 8 mai la journée commémorative

de la libération du fascisme.

25/26.10.1996 Le groupe du PDS au Bundestag et l’AG ED/A organisent à Salzgitter/Lebenstedt (Ouest) une

conférence sur l’extrême droite en Allemagne et en Europe intitulée « A quel point l’esprit du

temps est-il à droite ? » (visite des monuments commémoratifs locaux et cercles de travail dirigés

par N. Madloch, R. Bach et R. Richter).

19.02.1997 Suite à l’attentat perpétué par un activiste d’extrême droite contre le siège fédéral du PDS à

Berlin au cours duquel un proche du PDS est grièvement blessé, le PDS se pose en victime des

extrémistes de droite.

12.03.1997 Le groupe PDS au Bundestag exige de ce dernier qu’il confirme la véracité historique des faits

développés dans l’exposition sur les crimes de la Wehrmacht472, contestés par des extrémistes de

droite fortement mobilisés.

15/16.05.1998 Conférence organisée à Nuremberg par le Comité directeur du PDS et son groupe au Bundestag

et « Ne pas s’habituer- Comment contrer un ‘esprit du temps ‘de droite ? »473

04.07.1998 Déclaration commune du Comité directeur fédéral et du Conseil fédéral du PDS « Contre la

xénophobie et le racisme- tolérance et vivre-ensemble solidaire »474 qui appelle les citoyens à une

« résistance concrète, visible et publique contre cette politique de droite, démagogique et

incendiaire. Aux côtés des migrants et de toutes les autres forces démocrates, nous souhaitons

adresser un signal, résister et organiser la contre-attaque ».

1998 Le programme électoral en vue des élections fédérales « Les mêmes droits pour tous- Ensemble

contre le racisme et la mise à l’écart » 475 confirme l’appel à la résistance et plaide en faveur

d’une société multiculturelle, terre d’accueil des demandeurs d’asile, réfugiés et immigrés.

472 « Vernichtungskrieg. Verbrechen der Wehrmacht 1941-1944 ». 473 « Wider die Gewöhnung- die rechte Zeitgeist und seine Abwehr ». 474 « Gegen Fremdenfeindlichkeit und Rassismus- Toleranz und solidarisches Mieinander ». 475 « Gleiche Rechte für alle- Gemeinsam gegen Rassismus und Ausgrenzung ».

Page 161: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

147

16.01.1999 Une décision de la première séance du 6ème Congrès appelle les citoyens à se mobiliser contre

l’installation du siège fédéral des REP à Berlin-Pankow (Est), qui plus est dans une maison

spoliée à des citoyens juifs en 1939.

Avril 1999 Une décision officielle du parti appelle à poursuivre le débat historiographique interne lancé par

le magasine Disput sur les causes de la forte présence de l’extrême droite et la manière de la

contrer.

Mars 1999 Le programme pour les élections européennes « Empêcher le racisme et la xénophobie » s’engage

en faveur d’une politique d’immigration communautaire et d’un élargissement des conditions

d’accès au statut de demandeur d’asile.

Mars 1999 Dans le débat parlementaire fédéral au sujet de la révision du code de la nationalité, le PDS

s’exprime en faveur du droit à la double nationalité, que ne prévoit pas le projet de loi.

Mars 1999 Forte implication du PDS dans le processus d’indemnisation des travailleurs forcés par

l’intermédiaire de la députée au Bundestag U. Jelpke.

Juin 1999 Le groupe PDS au Bundestag prend position en faveur de la construction d’un monument

commémorant l’ensemble des victimes de l’Holocauste (Juifs, Sinti et Roms, homosexuels,

témoins de Jéhovah…).

Août 2000 Le PDS lance l’initiative « Chasser les Nazis d’internet ! », qui encouragent les propriétaires et

gestionnaires de sites internet à accoler sur leur site une icône signalant leur refus de l’extrême

droite476.

13.08.2000 Le maire PDS de Sangerhausen (Saxe-Anhalt), Fritz-Dieter Kupfernagel adresse une lettre

ouverte à son parti pour initier un débat sur les possibilités concrètes d’action locale contre

l’extrême droite. Il présente les moyens d’action qui lui sont connus, propose qu’une rencontre

entre citoyens, acteurs, société civile, politiques et institutions soit organisée dans ce sens et

appelle les élus et fonctionnaires communaux du PDS à y participer. Un certain nombre de

déclarations publiques officielles proposant des solutions qui se veulent concrètes s’ensuit. Fin

2004, seules quelques sections locales du PDS (Gräfenhainichen et Kiel) et quelques individus

ont réagi (positivement) à l’initiative de Kupfernagel. Parallèlement, le débat d’intellectuels du

PDS sur la reconnaissance de la responsabilité de la RDA dans la forte représentation de

l’extrême droite dans les NBL se poursuit.477

14.08.2000 Une décision du comité directeur « Agir contre la droite »478 marque un changement de cap et de

tonalité consécutif à l’initiative de Kupfernagel. Elle reconnaît que les déclarations et professions

de foi sont importantes, mais que c’est l’action d’individus qui est déterminante quant aux

chances de succès d’un effort collectif contre l’extrême droite. Pour la première fois, il appelle

clairement à s’engager avec des formules générales (« faire preuve de courage civique et de

476 « Nazis raus aus dem Internet ». 477 Interrogé sur les motifs de sa mobilisation, Kupfernagel répond qu’il y a un représentant du NPD dans le conseil communal, donc, poursuit-il naïvement, il y a des citoyens qui votent pour l’extrême droite. Il rapporte par ailleurs que les représentants du conseil communal ont décidé de verser un euro symbolique par habitant au fond fédéral d’indemnisation des travailleurs forcés et incite les autres communes à y participer. 30 travailleurs forcés auraient été employés à Sangerhausen. Interview dans ND, 26/27.08.2000, p. 8. 478 « Handeln gegen Rechts ».

Page 162: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

148

détermination démocratique »), mais aussi en préconisant certaines actions concrètes adaptées au

public concerné (jeunes, personnes âgées..).

15.08.2000 U. Jelpke profite du contexte pour publier un document intitulé « 10 points pour un programme

immédiat contre l’extrême droite »479 qui résume la politique qu’elle mène au Bundestag.

09. 2000 Dans un communiqué, la KPF nie vigoureusement le fait que le système du SED/RDA ait une

quelconque influence sur la présence de l’extrême droite en Allemagne de l’Est.480

18.11.2000 La Fondation Rosa Luxemburg (Rosa-Luxemburg-Stiftung ou RLS) organise à Francfort-sur-

l’Oder une conférence intitulée « Chercher de nouvelles voies pour entrer dans le XXIème

siècle sans laisser de champ libre à l’extrême droite: plaidoyer pour la justice, la tolérance et

l’ouverture au monde »481.

14/15.10.2000 Le 7ème congrès adopte une résolution, dite de Cottbus (« Le PDS et l’antifascisme ») à travers

laquelle le PDS renouvelle ses vœux antifascistes tout en reconnaissant l’instrumentalisation de

l’antifascisme en RDA482.

24.10.2000 Les dirigeants du PDS signent « l’appel à la tolérance », appel à la grande manifestation contre

l’intolérance, le racisme et la violence du 9 novembre.

12.05.2001 Le Comité directeur, le groupe parlementaire du PDS au Bundestag ainsi que le Forum de la

Nouvelle Gauche Européenne/ la Gauche Ecologiste du Nord organisent une conférence

internationale à Berlin « Pour une société tolérante- contre l’extrême droite et le racisme ». La

présidente du PDS, G. Zimmer, y reconnaît en partie l’héritage de la RDA dans l’extrême droite

en Allemagne de l’Est : « Nous devons accepter le fait que l’éducation autoritaire de la RDA,

l’ordre établi de sa vie publique d’après des normes partiellement sans fondement et les opinions

mesquines à l’égard des gens qui pensent et vivent différemment, élevées au rang de l’intolérance

politique, ont été socialement reconnues. Ceci a également des conséquences sur la socialisation

des jeunes. Le peuple et le parti agissant en gouvernement de la RDA ont rarement été autant

d’accord que lorsqu’il s’agissait de mettre des individus à l’écart. »

07-09. 2001 La Fondation Rosa Luxemburg, l’Institut fédéral pour l’instruction civique (Bundeszentrale für

politische Bildung) et son homologue néerlandais (IPP d’Amsterdam- Instituut voor Publiek en

Politiek) co-organisent une conférence sur l’extrême droite, la migration et l’égalité des sexes en

Pologne, en République tchèque et en Allemagne483 (Berlin).

07.012002 Dans l’accord de coalition régionale signé à Berlin, le PDS et le SPD s’engagent à encourager la

mobilisation de la société civile contre l’extrême droite. L’accord final renonce à la création

479 « 10-Punkte Sofortprogramm gegen Rechts ». 480 « Une étude portant sur l’extrême droite ou la poursuite de la doctrine totalitaire par d’autres moyens » (« Eine Studie über Rechtsextremismus oder die Fortsetzung der Totalitarismusdoktrin mit anderen Mitteln »). 481 « Wegsuche in das 21. Jahrhundert : für Gerechtigkeit, Toleranz und Weltoffenheit- der extremen Rechte kein Feld überlassend ». 482 « Le SED a aussi utilisé l’antifascisme pour justifier une politique non démocratique et répressive » cité par P. Moreau, R. Schorpp-Graliak: „Man muß so radikal sein wie die Wirklichkeit“- Die PDS. Eine Bilanz. Baden-Baden : Nomos Verlagsgesellschaft, 2002, p. 167. 483 « Grenzübertretungen- Umgang mit dem Anderen ».

Page 163: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

149

d’une équipe mobile de conseil contre l’extrême droite (Mobile Beratungsteam)484 évoquée

durant les négociations.

09. 2002 Dans son programme électoral pour les élections fédérales, le PDS renouvelle ses vœux

antifascistes en se disant favorable aux alliances pour contrer l’extrême droite.

La chronologie met en avant le décalage existant, dans les initiatives publiques, entre la

place occupée par les questions de mémoire liées au passé nazi et l’attention accordée, en

interne, à la politique d’endiguement de l’extrême droite. Le pic de mobilisation à l’approche

d’échéances électorales et particulièrement suite à l’été 2000 n’est pas spécifique au PDS. La

traduction systématique de la problématique en une rhétorique antifasciste alarmiste constitue

une constante du parti485. Associé aux idées de rendez-vous avec l’histoire et de front

populaire, le discours antifasciste du PDS rappelle une vision communiste de l’histoire486. Or

le rôle joué dans ce contexte par la société civile, dont le PDS encourage l’engagement contre

l’extrême droite, mérite d’être éclairé487.

Les consignes d’engagement dans « la société civile » données à la base

Le terme désigne ici l’ensemble des organisations non politiques qui structurent une

mobilisation sociale et constituent un pouvoir parallèle aux pouvoirs publics, davantage

envisagé comme prolongement du pouvoir étatique que comme contre-pouvoir. La société

civile peut alors être définie comme l’ensemble des associations qui encadrent, voire rendent

possibles les mobilisations individuelles488. Elle organise la participation citoyenne « pour

484 Voir le chapitre 5, section 3, B. 485 Les réactions au résultat des élections présidentielles françaises en 2002 en sont symptomatiques. A l’issue du premier tour, la députée européenne S-Y. Kaufmann adresse cet appel : « Il faut défendre la démocratie en Europe !», tandis que le secrétaire général D. Bartsch annonce que le PDS est « extrêmement touché », ce dont attestent clairement les propos de sa présidente G. Zimmer le soir du second tour : « Le PDS voit la gauche française devant la tâche de convaincre […] de son engagement en faveur d’une France sociale, démocratique et ouverte sur le monde, de manière à atteindre un bon score aux élections législatives. […] Le PDS a compris les signaux donnés par Paris et s’engage à agir, avec ses partenaires politiques en France, en faveur d’un projet de gauche en France et dans l’Union européenne ». Communiqués de presse du PDS des 22.04.2002 et 06.05.2002. 486 En atteste l’appel solennel de G. Marchais le 06.09.1983 au lendemain du score historique du Front National aux élections municipales partielles de Dreux. Le 04.09.1983, la liste conduite par J-P. Stirbois recueille 16,7% des suffrages. La fusion avec la liste RPR-UDF au second tour lui permet d’entrer au conseil communal. Le leader communiste se revendique porte-flambeau de l’antifascisme et appelle Dreux à faire barrage au FN. « Je connais le FN et je connais son chef, l’ancien factieux de l’OAS Le Pen. Le FN c’est ouvertement le racisme le plus odieux, la violence en paroles et en actes, contre la démocratie, l’hystérie anticommuniste. Bref les armes répugnantes de la haine employées partout et de tout temps par le fascisme et ses émules. ». Le Monde, 07.09.1983. 487 Ce lien est précisé par une approche localisée dans le chapitre 5, section 3. 488 Au sujet de la société civile, voir les travaux de Offe sur les nouveaux mouvements sociaux. C. Offe : « New social Movements : Challenging the Boundaries of Institutional Politics » in Social Research, 52, 4, 1985, pp. 817-868.

Page 164: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

150

assurer la médiation des intérêts et plus largement la diffusion d’une culture civique »489. Avec

le rôle joué dans les ruptures politiques d’Europe centrale en 1989 par une population

organisée, souvent qualifiée de société civile, cette définition s’est imposée dans la

théorisation des nouveaux mouvements sociaux. Le terme Zivilgesellschaft, décliné en

Zivilcourage (courage civil) lorsqu’il concerne l’opposition à l’extrême droite, s’est imposé

dans l’Allemagne unifiée pour désigner la société civile.

La différence existant dans la terminologie allemande entre Zivilgesellschaft et

Bürgergesellschaft, respectivement société civile et société civique est davantage temporelle

que qualitative. Elle est relative non seulement à un nouveau mode de mobilisation, mais

également aux attentes qu’il recouvre. Le terme de Zivilgesellschaft s’impose durant la Guerre

froide comme modèle de société face à la puissance d’un Etat dictatorial, voire totalitaire. A

partir des années 1970, la société est « ce qui dans la société ne relève pas de l’Etat ou, de

façon plus positive, ce qui naît de l’auto-organisation des acteurs sociaux » 490. Démocratie et

Zivilgesellschaft (civil society) sont ainsi indissociables l’une de l’autre491. Le terme de

Bürgergesellschaft postule l’homme comme un citoyen libre, qui à travers ses praxis sociales,

crée diverses communautés avant l’intervention du politique, de l’Etat ou de l’économie492. La

Bürgergesellschaft est en cela la condition de l’avènement d’une Zivilgesellschaft, qui renvoie

elle à la conscience collective, à un lien qui permet aux sociétés d’assurer leur cohésion face

au processus de modernisation493. La portée initiale d’un terme général qui qualifiait une

sphère d’action collective et de discours public opérant entre la sphère privée et l’Etat, s’est

fortement précisée grâce aux mobilisations populaires qui entraînèrent l’effondrement des

régimes communistes en Europe.

489 R.-P. Chibret : « Une société civile en transition. L’exemple des mobilisations écologiques à l’Est de l’Allemagne ». Politix, 33, 1996, pp. 29-43, p. 30. En langue allemande et appliqué aux NBL : R. Roth : « Besonderheiten des bürgerschaftlichen Engagements in den neuen Bundesländern ». APUZ, 39-40, 2001, pp. 15-22 ; S. Benzler : « Chancen der Zivilgesellschaft in den neuen Bundesländern » in S. Benzler, U. Bullmann, D. Eissel : Deutschland- Ost vor Ort. Anfänge der lokalen Politik in den NBL. Opladen : Leske und Budrich, 1995, pp. 13-48 et sa bibliographie. 490 D. Colas : « Société civile, Etat, nation » in D. Colas (dir.) : L’Europe post-communiste. PUF, 2002, pp. 13-110, p. 31. Pour l’usage antérieur du terme, voir D. Colas : Le glaive et le fléau. Généalogie du fanatisme et de la société civile. Grasset, 1992. 491 M. Walzer : Zivile Gesellschaft und amerikanische Demokratie. Berlin : Rotbuch Verlag, 1992, pp. 64-65. 492 Hegel, puis Marx utilisent le terme de Bürgergesellschaft pour désigner deux réalités différentes. Pour Hegel, l’Etat offre les conditions de l’existence de la société civile. Celle-ci ne peut donc exister sans l’Etat. Marx la conçoit comme la sphère de l’économie politique. Pour lui, l’Etat est une aliénation née de la société civile. C’est ainsi que l’on peut dire avec D. Colas que le communisme nie la société civile. D. Colas : L’Europe post-communiste, op. cit. 493 A. Sölter : « Zivilgesellschaft als demokratietheoretisches Konzept ». Jahrbuch für Politik, 3 (1), 1993, pp. 145-180.

Page 165: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

151

Le PDS en appelle souvent à la société civile pour mener une action qu’il n’entend pas

assumer lui-même. Il relaie le principe accommodant pour lui d’une répartition des tâches et

enjoint ses sympathisants à se mobiliser dans ce qui est qualifié de société civile, sans

davantage de précisions.

Dans la réalité, la « politique antifasciste » du PDS se borne à encourager les actions

concrètes de ses militants et élus, comme le montre l’exemple de deux documents évoqués

dans la chronologie. Le premier est une décision prise par le Comité directeur le 14.08.2000,

intitulée « Agir contre l’extrême droite »494. Elle témoigne des efforts du PDS pour concrétiser

l’intervention en adaptant les recommandations aux différentes catégories de ses

sympathisants. Le PDS recommande ainsi :

Les adhérents et les électeurs sont priés de rendre visite aux personnes sans domicile fixe dans

des foyers afin de les assurer de leur soutien, d’intervenir lors d’agressions, ne serait-ce qu’en appelant

la police, ou encore de s’insurger publiquement contre les propos xénophobes.

Le PDS déclare s’engager à l’échelle fédérale pour que cesse la discrimination par la loi des

étrangers vivant en Allemagne (« démocratisation » du code de la nationalité, droit de vote aux

étrangers, abolition de réglementations spéciales pour les réfugiés) et préconise d’adopter une loi

condamnant tout type de discrimination. Il est favorable à ce qu’un soutien financier soit accordé aux

initiatives visant à encourager le développement de la culture démocratique chez les jeunes.

Les Länder sont appelés à engager un débat public sur le racisme et l’extrême droite, à former

le corps enseignant dans ce sens, ainsi que les équipes qui encadrent les adolescents dans leurs loisirs, à

créer des équipes mobiles d’intervention (à l’instar de celles du Brandebourg), à poursuivre comme le

prévoit la loi les délits et crimes liés à l’extrême droite, à réunir le Bund et les Länder au sein d’une

instance visant à préserver les monuments commémorant la mémoire des victimes du nazisme.

Les acteurs politiques locaux sont invités à engager ou poursuivre un dialogue « offensif », à

mettre en place des permanences d’arbitrage ou de relais pour les personnes victimes d’actes de racisme

ou de discriminations en collaboration avec l’Eglise ou des associations (comme Amnesty International

ou la Ligue des droits de l’homme), à associer davantage les institutions menacées (foyers de SDF, de

réfugiés,..) aux manifestations publiques (kermesses, compétitions sportives..) et à créer des partenariats

entre les institutions communales (écoles, associations,..) et les victimes potentielles, enfin à favoriser

l’interculturalisme et l’organisation des jeunes issus de l’immigration.

Dans ce dernier point, le PDS recommande clairement à ses sympathisants de multiplier

les liens avec les diverses associations et structures, internationales notamment, de la société

civile. Le combat concret contre l’extrême droite et le soutien à ses victimes relèvent a priori

davantage des activités de la société civile que du champ politique.

494 « Handeln gegen Rechts ».

Page 166: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

152

On retrouve cette idée dans le second document. Rendu public le 18 août 2000, il relaie

l’initiative du maire Kupfernagel évoquée dans la chronologie, qui proposait au PDS de

débattre enfin ouvertement de la gestion de l’extrême droite dans les communes. La réponse

du PDS est rédigée par un collectif qui appelle de ses vœux l’organisation d’une table ronde,

tout en précisant que celle-ci n’aura de succès que si elle « dit les choses clairement. Une

politique du plus petit dénominateur commun ne sera pas à la hauteur des exigences

actuelles». Huit points de ce programme visant à « combattre l’extrême droite sur le terrain et

de manière concrète à Berlin » sont mis en avant. Ils pourraient constituer le concept fondant

la politique du PDS contre l’extrême droite.

1. Les écoles berlinoises doivent jouer un rôle central dans la confrontation avec le racisme et l’extrême

droite495.

2. C’est sur le terrain, c’est-à-dire dans les communes (ou arrondissements en ce qui concerne Berlin) que la

société civile et les institutions étatiques sont appelées à occuper le terrain. Ceci passe par la

généralisation de l’étude réalisée à Hohenschönhausen sur la présence de l’extrême droite dans

l’arrondissement496, par l’élaboration de plans d’action pratiques et par la présence accrue des forces de

police sur les lieux de rassemblement des groupes d’extrême droite.

3. Il faut créer des équipes mobiles de conseil contre l’extrême droite et le racisme (MBT) semblables à

celles du Brandebourg (Mobile Beratungsteams gegen Rechtsextremismus und Rassismus). Leur but est

de régler les conflits opposant citoyens, institutions et extrémistes de droite, d’éduquer aux structures et

subcultures d’extrême droite, de soutenir la formation des enseignants, d’aider au développement de

contre stratégies locales et de soutenir les victimes potentielles.

4. Il faut générer dans la société un climat opposé à l’extrême droite. Les partis démocratiques doivent

donner l’exemple en se mobilisant, avec les groupes sociaux, contre les manifestations d’extrême

droite ; ils doivent cesser de faire campagne avec des slogans d’extrême droite et d’encourager la

discrimination des étrangers par leur politique d’immigration. Ceci vaut également pour les services de

police.

5. Il faut intensifier la confrontation avec les crimes du régime nazi et soutenir les lieux de mémoire pour les

victimes, par exemple en ne les déplaçant pas du centre aux abords des villes.

6. Le refus de l’extrême droite doit être visible dans la société à travers des campagnes de publicité en

coopération avec les Eglises, syndicats, associations sportives et représentants d’entreprises, ainsi que

par l’organisation d’une grande manifestation le 27 janvier, jour de commémoration des victimes de

l’Holocauste.

495 Propositions : y inviter des témoins et victimes du national-socialisme, ainsi que des représentants d’initiatives antiracistes, des personnalités publiques et politiques doivent aller dans les écoles pour s’exprimer contre ces phénomènes, le Sénat doit créer un concours primant des initiatives créatives d’écoliers et de lycéens sur le thème de l’antiracisme et de la tolérance, enfin, élargir l’offre de formation en direction du corps enseignant sur les formes actuelles de l’extrême droite. 496 Ce point est analysé dans le chapitre 5.

Page 167: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

153

7. L’engagement antifasciste et antiraciste de la société doit être encouragé et non traité de marginal et

d’extrémiste, ce qui passe par le soutien financier et logistique des initiatives antiracistes, le soutien de

la politique dans ce domaine et l’arrêt de la suspicion par les services de protection de la constitution.

8. Il est dangereux de réduire la confrontation avec l’extrême droite à la répression ou aux interdictions. Le

problème ne se règle pas de manière administrative. Le démantèlement des droits démocratiques –

comme celui de rassemblement- [..] est la mauvaise voie, davantage de droits citoyens et d’engagement

actif pour la démocratie la bonne.

En marge des considérations caractéristiques des revendications du PDS (plaidoyer en

faveur de la liberté de manifestation et dénonciation des campagnes électorales de la CDU),

le programme suggère une alliance des forces démocratiques contre l’extrême droite, qui

inclurait bien entendu le PDS. Selon les spécialistes, l’endiguement de l’extrême droite passe

par la création d’un climat de société opposé non seulement à l’idéologie

(xénophobie, nationalisme), mais également à son mode de règlement des conflits

(autoritarisme, intolérance)497. Difficile toutefois pour le PDS d’éduquer les esprits en

dénonçant les racines nationales-socialistes sans toucher ni au passé de la RDA ni à la

xénophobie ambiante sur son territoire naturel. Le dilemme est tranché par un report de la

responsabilité d’une part à la société civile, d’autre part à l’échelon local. Ces déclarations de

principe, liées à l’actualité, n’ont certes été suivies d’aucun fait, mais présentent la

particularité de dépasser la simple profession de foi antifasciste.

L’ensemble de ces documents met en avant le double discours du PDS, qui utilise un

langage clos pour se comprendre à l’intérieur du parti, un langage ouvert pour s’adapter à

l’extérieur498. On note ainsi un décalage entre les débats internes et les prises de position

publiques. Les discussions internes sur l’histoire et l’héritage de la RDA, nombreuses et

violentes, ne sont que rarement rendues publiques, uniquement lorsque l’auditoire s’y prête499.

Ainsi, lorsque L. Bisky reconnaît à demi mots le caractère antisémite de la RDA, c’est dans

une lettre à Paul Spiegel, représentant de la communauté juive d’Allemagne, pour l’assurer du

soutien de son parti500.

497 Voir les analyses de R. Stöss, B. Wagner et L. von Berg, ainsi par exemple que celles de B. Holthusen, M. Jänecke : Rechtsextremismus in Berlin. Aktuelle Erscheinungsformen. Ursachen. Gegenmaßnahmen. Marburg : Schüren, 1994, pp. 202 s. Sur les stratégies contre l’extrême droite; K. Schacht, T. Leif, H. Janssen (dir.) : Hilflos gegen Rechtsextremismus ? Ursachen- Handlungsfelder- Projekterfahrungen. Cologne : Bund-Verlag, 1995. 498 J. Gerstlé : Le langage des socialistes. Stanké, 1979, pp. 171- 173. 499 Voir le discours de G. Zimmer à l’ouverture de la conférence internationale du 12 mai 2001 (chronologie). 500 « Ceci inclut à nos yeux une auto-critique reconnaissant que l’antisémitisme existe également dans des formes moins voyantes et la reconnaissance qu’un maximum de sensibilité, de culture et de sentiment de responsabilité est nécessaire pour mettre en évidence ses apparitions, y compris dans l’histoire de la gauche allemande, du SED

Page 168: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

154

Un discours antifasciste qui exclut une action concrète contre l’extrême droite

« La xénophobie est un thème dont on peut discuter au PDS. […] Mais le gros problème, c’est l’action

concrète contre l’extrême droite. … Cela dépend de la position qu’on occupe dans la hiérarchie du parti.

Une partie des fonctionnaires n’a pour cette raison aucune idée de ce que signifie être actif. Ils livrent

certes un combat en paroles, mais font en sorte qu’il soit filmé par les caméras de télévision, mais le

travail à la base n’est pas hautement considéré au PDS. [Je prends l’exemple de mon expérience à

Dessau]. Je n’ai pas été félicité par le PDS pour cela. On m’est peut-être reconnaissant pour les études

sociologiques que je réalise pour le PDS, mais pas pour mon action concrète sur le terrain qui énerve.

Question : Cela signifie-t-il que vous n’êtes pas soutenu ?

MC : Je ne suis absolument pas soutenu. ... Connie [C. Hildebrandt de la RLS] participe aussi. Dans une

ville de Saxe-Anhalt, Dessau, il y a eu un décès il y a quelques années. Adriano, un Mozambicain, s’est

fait tué et notre institut [FOKUS] a été chargé de développer un plan d’action pour la tolérance et la

démocratie. […] On a décidé de mettre en place une alliance très vaste, la plus vaste possible, avec

toutes les composantes, des conservateurs de droite à la gauche antifasciste, en essayant de les réunir

tous ensemble. J’en suis devenu le porte-parole, mais pas en tant que représentant du PDS. Nombreux

étaient les gens du PDS à ne pas intervenir en tant que tels. Ce n’est pas le travail du PDS au quotidien.

Il y a des jeunes qui participent, mais le problème, c’est que le PDS ne valorise pas cet engagement. Il

voit bien davantage les problèmes que ces jeunes pourraient causer.[…] L’engagement politique des

jeunes contre l’extrême droite existe, mais son acceptation au PDS est très variable. Et elle est limitée

par le fait que l’on continue à penser qu’ils sont tous violents et pourraient bien entendu nuire au parti.»

C’est en ces termes que M. Chrapa, sociologue proche du PDS, évoque sa participation

à une initiative locale contre l’extrême droite. Ses propos montrent à quel point en dépit d’un

discours antifasciste engagé, la lutte contre l’extrême droite se concrétise sans le PDS. De

nombreux sympathisants ou adhérents du PDS s’engagent ainsi à titre individuel et non au

nom du parti. En s’engageant dans des actions concrètes contre l’extrême droite, ils rompent

avec le rite du parti, qui alors ne les soutient plus.

Il y existe un fossé entre la quantité d’écrits à prétention scientifique produite par le

PDS sur l’antifascisme et l’extrême droite, et l’absence de débat théorique au sein du parti sur

l’action à mener concrètement. Ce décalage n’est certes pas propre au PDS. Un élu social-

démocrate témoigne des similitudes dans le traitement du problème de l’extrême droite par les

et de la RDA. » Lettre de L. Bisky à Paul Spiegel en l’honneur des 50 ans de la création du Conseil central des juifs en Allemagne (19.07.2000). http://www.pds-online.de/druckversion/007/bisky_spiegel.htm, 14.11.2000.

Page 169: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

155

deux partis501. Ce décalage est néanmoins particulièrement frappant chez les néo-socialistes

qui revendiquent le monopole de l’antifascisme502.

« Il y a eu x conférences, il y a des papiers là-dessus. Mais je suis quasiment sûr que la plupart de

sympathisants ne les a pas lus, comme tous les concepts faits par le parti d’ailleurs. Seules les personnes

intéressées participent.[…] Elles se rencontrent une fois par mois pour faire quelque chose. Les congrès

du parti aussi font l’opinion, avec une grande acuité. On fait des discours ou encore des appels, et ça

touche les gens. Mais cela ne veut pas dire que dans les faits, on fasse quelque chose contre l’extrême

droite. Il s’agit simplement d’une opinion de fond. » B. Flemming, député SPD à la CDB au sujet du

SPD oriental, « plus à gauche que le SPD-Ouest »

Les défenseurs du PDS ne peuvent étayer leurs propos par une action concrète. Désireux

de démontrer l’activisme du PDS contre l’extrême droite, le député B. Hoff définit quatre

éléments centraux de cette action (le soutien apporté aux initiatives culturelles engagées

contre l’extrême droite, le développement de papiers développant des « thèses internes »,

enfin, une politique sociale et une politique migratoire « sensées »), il se montre ensuite

incapable de détailler : « Sinon, l’activité du PDS consiste en un millier de petites et grandes

actions contre l’extrême droite. Dans chaque conseil, il y a des initiatives pour soutenir les

associations de migrants.»

Dès lors, leur argumentation se focalise sur l’utilité des déclarations de principe. La

logique de cause à effet s’inverse parfois pour aboutir à l’idée que l’action des autorités

fédérales doit nécessairement être démonstrative, puisque son but est de donner l’exemple.

Ainsi, M. Chrapa estime que les prises de position du Comité directeur sont importantes car

« elles donnent le ton », mais leur caractère essentiellement réactif, spontané et ponctuel ne

permet pas d’insérer la problématique dans la stratégie partisane. Pour le maire de

l’arrondissement Lichtenberg de Berlin-Est W. Friedersdorff par contre, il est nécessaire de

faire passer certaines idées par l'émotion, les grands discours sont donc nécessaires. Seuls les

« porte-drapeaux » du parti (il cite P. Pau et G. Gysi) ont le pouvoir de mobiliser la

population. Les témoignages recueillis montrent que, même institutionnalisée, la norme

501 Le chapitre précédent a mis en évidence la relation ambiguë de la clientèle de l’ensemble des partis politiques à l’égard des idées d’extrême droite. 502 La problématique de l’extrême droite subit des travers propres au PDS selon B. Grygier. D’une part, « ils » ont peur du pouvoir, d’autre part la hiérarchie y est très respectée. Enfin, « ils » veulent une opinion unique, celle du parti, « ils » sont habitués à cela depuis la RDA. C’est selon elle ce qui est spécifique au PDS : les gens sont habitués à ce qu’on leur dise ce qui est bien ou pas.

Page 170: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

156

antifasciste est incapable de fonder une action politique, ce dont conviennent parmi nos

interlocuteurs, ceux qui sont les plus éloignés du centre du pouvoir503.

Le caractère fortement codifié et ritualisé du discours officiel des instances dirigeantes

sur l’antifascisme et l’antifascisme est à relier à l’existence d’un organe en charge de produire

un savoir sur ces questions au sein du PDS.

La tentative de conversion en un savoir-faire spécifique : l’institutionnalisation de

l’antifascisme par le savoir

Au PDS, la question antifasciste est traitée par un organe spécifique, un groupe de

travail soumis aux principes d’organisation et de hiérarchie qui régissent le parti. Il est ainsi

davantage instance de consultation que de décision.

Les deux principes (géographique et thématique) d’organisation du PDS au niveau fédéral

« A l’organisation verticale héritée du SED et fortement remaniée, s’est ajoutée une

organisation horizontale et radicalement nouvelle qui reflète la pluralité des courants et des

intérêts au sein du PDS. L’articulation entre ces deux niveaux est assurée par les organes du

parti »504. Les différentes structures du PDS sont soumises à un double principe hiérarchique

et thématique d’organisation.

Le principe essentiel d’organisation du PDS est vertical. Territorial, il respecte les

divisions administratives. Les fédérations régionales correspondant aux Länder, sont elles-

mêmes composées de fédérations locales (Gebietsverbände), d’arrondissements

(Kreisverbände ou Bezirksverbände pour Berlin) et/ou de villes (Stadtverbände).

Le parti est pour l’essentiel dirigé par trois organes (Gremien) que sont le Comité

directeur (Bundesvorstand), le Conseil (Parteirat) et le Congrès (Parteitag) qui demeure

l’organe suprême505. A chaque congrès, le Comité directeur, organe exécutif, élit 19 membres

503 S. Wagenknecht, représentante du courant marxiste et M. Chrapa, réformateur proche du parti, se rejoignent sur l’absence de concept réel du parti ou de « concept quotidien pour le traitement de tous les jours » (« Alltagskonzept für den täglichen Umgang »). 504 P-Y. Boissy : op.cit., p. 146. 505 Les organes fédéraux connexes sont présentés ici succinctement d’après leur fonction. Le conseil des anciens (Ältestenrat) est un organe consultatif qui se rassemble sur demande du président du parti. Il a son pendant auprès de la jeunesse, conseil de la jeunesse (Jugendrat) qui conseille le président. Le PDS compte deux organes de contrôle : la commission d’arbitrage (Bundesschiedskommission) intervient en cas de litige relatif au statut du parti et à son règlement intérieur ; la commission de révision financière (Bundesfinanzrevisionskommission) examine l’activité financière du parti et de ses structures et soutient ses filiales régionales. Son autonomie date du scandale financier de 1990, qui mettait en cause le droit du PDS à réclamer l’héritage financier du PDS. La Commission historique (Historische Kommission) conseille le Comité directeur au sujet de l’interprétation historico-politique du passé (la construction du mur de Berlin par exemple). La Commission fondamentale

Page 171: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

157

pour une période de deux ans. Le Conseil a une fonction consultative, de contrôle et

d’initiative auprès du Comité directeur. Il se compose des représentants des différents groupes

d’intérêts (1/3 des 72 membres) et de représentants des fédérations régionales du parti (aux

2/3). Un tiers de ses sièges est réservé au « Conseil des Anciens » (Ältestenrat), créé en 1991

sur décision du second Congrès pour constituer un contre-poids pluraliste au Bundesvorstand

ainsi que pour concilier d’éventuelles oppositions.

L’organisation horizontale ou thématique repose sur la multiplication des centres

d’intérêts qui s’affirment au sein du SED à la fin de l’année 1989. Militants et permanents se

réunissent sur la base d’une communauté d’idées ou d’intérêts. Les groupes de travail (AG-

Arbeitsgemeinschaften) ou d’intérêt (IG- Interessengemeinschaften) défendent des intérêts

thématiques ou sociaux. Les plates-formes (PF- Plattformen) ou forums (F- Foren)

représentent surtout des courants idéologiques et politiques.

Si le poids de ces groupes sur la politique fédérale est extrêmement variable, l’AG

Extrême droite/ Antifascisme (AG ED/A) fait partie de ceux qui exercent le plus d’influence,

au côté de la KPF. La KPF est la seule des plates-formes créées au moment de la

transformation du SED au SED-PDS à peser sur la vie fédérale du parti506. Ses nombreuses

fédérations locales rassemblent environ 1000 membres à la fin des années 1990507. Il

conviendrait d’adjoindre aux groupements qui comptent Soli’d, l’association de jeunesse non

officielle du PDS. Son caractère officieux est lié à la mauvaise expérience du PDS avec l’AG

Junge GenossInen. Organisée également au niveau local, elle constituait un fort mouvement

d’opposition idéologique. Son radicalisme conduit le PDS à la dissoudre en 1997.

Dans un esprit respectant la pluralité d’opinions, ces groupements d’intérêt sont

officiellement représentés au sein du Comité directeur. Ils disposent d’un ou de deux mandats

au Conseil (Parteirat), selon un principe tournant de représentation. Leur variété (AG, IG et

PF/F) est perceptible à travers la liste ci-dessous508.

(Grundsatzkommission) tire des conclusions programmatiques de l’évolution de l’économie, de la politique et de la société. La Commission des statuts (Statutenkommission) vise à moderniser le statut du parti. (http://www.pds-online.de/partei/strukturen, 28.04.2004 ; structure inchangée en 2005, http://sozialisten.de/partei/strukturen/

index.htm , 21.09.2005). 506 Elle est créée le 30.12.1989 avant la création en janvier 1990 des plate-formes « troisième voie », « socialisme démocratique » et « sociale-démocrate ». 507 Selon une estimation du Bundesvorstand du PDS. 508 Le nombre de mandats au Conseil (en 1998) est indiqué par un astérisque.

Page 172: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

158

Tableau 20- Communautés d’idées et d’intérêt du PDS

Groupe Nom Centre d’intérêt AG *509AG Agrarpolitik und ländlicher Raum Politique agraire et questions rurales (Groupe de AG Antirassismus, ImmigrantInnen- und Flüchtlingspolitik Antiracisme, situation des immigrés et des réfugiés Travail) *AG Betrieb und Gewerkschaft Entreprise et syndicat *AG Bildungspolitik Professionnels de l’éducation AG Christinnen und Christen bei der PDS Chrétiens au PDS AG Cuba Si beim Parteivorstand der PDS Solidarité avec Cuba AG Erholungsgrundstücke und Kleingartenwesen Jardins ouvriers AG Ethnische Minderheiten Minorités ethniques **AG Feministische Frauenarbeitsgemeinschaft LISA Revendications féministes *AG Frieden- und internationale Politik Politique internationale et relations avec les autres partis de

gauche. Divisée en ateliers par zone géographique AG Frieden und Sicherheitspolitik Politique de paix et de sécurité *AG JuristInnen Juristes *AG Kommunalpolitik und parlamentarische Arbeit beim

Parteivorstand Politique communale et travail parlementaire

AG Medien Média *AG Rechtsextremismus/Antifaschismus Extrême droite/ Antifascisme **AG Selbstbestimmte Behindertenpolitik der PDS Pour l’autonomie des personnes handicapées *AG Seniorenarbeitsgemeinschaft der PDS Troisième Age AG Ständige Kulturpolitische Konferenz Conférence permanente de culture politique *AG Wirtschaftspolitik Politique économique *AG Wissenschafts- und Hochschulpolitik Milieu scientifique et universitaire AG Wohnen Logement ARGE Konkrete Demokratie - Soziale Befreiung Démocratie concrète : échanges entre les militants orientaux

et occidentaux BAG BAG Bahn und Verkehr Chemin de fer et transports (Groupe de BAG Bürgerrechte und Demokratie Droits des citoyens et démocratie travail BAG Internationalismus in und bei der PDS Internationalisme Fédéral) BAG queer (anciennement « Two in One ») Minorités homo- et transsexuelles

BAG Umwelt-Energie-Verkehr Environnement- Energie- Transports Geraer Dialog/Sozialistischer Dialog Dialogue socialiste, essentiellement critique du capitalisme IG (Groupe d’intérêt)

* IG Gesundheit und Soziales Santé et politique sociale

PF/F (Plate-Forme)

**Kommunistische Plattform der PDS Plate-forme communiste

Linke Opposition Opposition de gauche Marxistisches Forum Forum marxiste, créé en 1995, dans la tradition de la RDA Netzwerk Reformlinks Réseau de la gauche réformiste *Ökologische Plattform bei der PDS Plate-forme écologiste

Source : Parteivorstand du PDS, au 19.02.2004510

Pour de nombreux observateurs suspicieux quant aux objectifs implicites du PDS, ces

groupes de travail, groupes d’intérêt, plate-formes et forums constituent un moyen pour les

néo-socialistes de pénétrer l’ensemble des domaines couverts par la gauche511. La plate-forme

communiste (KPF) est une charnière vers le DKP, l’AG Betriebs- und Gewerkschaftsarbeit

(Entreprises et syndicats) vers les syndicats, la plate-forme écologiste vers le parti des Verts,

enfin l’AG A/E (Antifascisme/Extrémisme de droite) et Soli’d non affiliée au PDS servent de

tremplin vers les Antifas et les Autonomes512.

509 Mandat partagé avec l’AG Wirtschaftspolitik. 510 http://www.pds-online.de/partei/strukturen/agigs/index.htm, 28.03.2004. 511 Voir P. Moreau : Die PDS: Profil einer antidemokratischen Partei. Munich : Hans-Seidel-Stiftung, 1998. 512 Sur ce dernier point, voir la section 2 A.

Page 173: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

159

La relégation de la question de l’extrême droite à un organe savant : le groupe de travail

Extrême droite/ Antifascisme

Parmi toutes ces communautés d’idées et d’intérêt, c’est au groupe de travail AG

Extrême droite/ Antifascisme qu’est déléguée la problématique de l’extrême droite. Créée le

25.09.1990, elle fait partie des premières communautés d’intérêt (non idéologiques) apparues

au PDS. Constituée à l’été 1990 en réaction à la multiplication des délits d’extrême droite

dans la partie orientale du pays, l’AG est renommée une année plus tard. Le nom d’ « AG

extrême droite » tout court « portait à confusion » (K. Böttcher), certains pensaient qu’il

s’agissait d’un groupe défendant les idées d’extrême droite au sein du PDS. L’ajout du terme

« antifascisme » clarifie le rôle de l’AG. Sa tâche est de « tenir le PDS et l’opinion publique

informés de l’évolution et de l’interpénétration du spectre d’extrême droite ainsi que de

l’activité antifasciste des différents partis, mouvements et initiatives.»513 L’initiative aurait été

fortement soutenue par le groupe PDS/ Linke Liste au Bundestag.

A l’origine de l’AG se trouve un cercle d’intellectuels et de scientifiques issus de

l’appareil du SED. Nombre d’entre eux sont d’anciens collaborateurs de l’Académie des

Sciences (sociales) du Comité Central du SED (historiens, sociologues ou pédagogues)514, qui

du fait de l’unification se retrouvent sans emploi en septembre 1990515. Les membres

fondateurs (R. Richter, N. Madloch, M. Otto, R. Zilkenat, H. Dohle et K.Böttcher) sont

encore actifs en 2002. L’assistante de la députée U. Jelpke évoque l’AG sous l’angle d’un

décalage intergénérationnel caractéristique du PDS :

« Il s’agit d’anciens membres du parti, le parti se doit donc de pourvoir à leurs besoins. Mais ils sont

très actifs. Si j’ai bonne mémoire, ils ont énormément travaillé, énormément publié, beaucoup organisé.

[…] Je crois qu’ils sont très liés aux Antifascistes. Je pense que leur influence relative révèle un

problème générationnel. Lorsqu’on participe aux réunions, on fait très rapidement monter la moyenne

d’âge. Pour moi, c’est une très belle expérience que celle d’avoir fait la connaissance du PDS et grâce à

lui de gens plus âgés, de la génération de nos parents, voire de nos grands-parents. Dans ma famille, ce

n’était pas comme cela, on n’a jamais eu de discussions politiques. J’apprécie cela au PDS, de pouvoir

vraiment discuter avec de vieilles personnes qui ont vécu le fascisme et y ont survécu. [..] Je trouve ça

513 Böttcher, Madloch, Paff, Richter: Nachdenken über Antifaschismus. Manuscrit, 1995, p. 5. 514 Akademie der Wissenschaft beim Zentralkomitee der SED. 515 N. Madloch et W. Paff perdent leur emploi lorsque l’ « Institut d’étude de l’impérialisme » (Institut für Imperialismusforschung) disparaît. R. Richter subit le même tort après avoir travaillé à l’ « Institut d’histoire du mouvement ouvrier en Allemagne » (Institut für die Geschichte der deutschen Arbeiterbewegung). K. Böttcher est à dix années de la retraite en 1990 lorsqu’il perd de facto ses fonctions de directeur d’un établissement supérieur de la FDJ (Direktor der FDJ-Jugendhochschule).

Page 174: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

160

bien. D’un autre côté, concrètement, en politique, ce problème de génération est difficile à surmonter.»

Nicole, assistante parlementaire.

La création de l’AG répond à un besoin évident de reclasser une partie des élites

intellectuelles et universitaires de la RDA que l’épuration consécutive à l’unification laisse

désoeuvrée516. Néanmoins, la continuité idéologique avec la RDA est faible. Les intellectuels

de l’Académie des Sciences Sociales ont, déjà du temps de la RDA, la réputation d’être

critiques à l’égard du régime du SED. Dès le mois de juin 1990, R. Richter et R. Bach

défendent auprès du Comité directeur du PDS l’idée que l’antifascisme « ne doit pas être

utilisé par un parti unique à ses propres fins, ou même ordonné ». Cet aveu préalable constitue

un pas indispensable à un « traitement sincère de l’histoire » et à une « régénération

spirituelle » de l’antifascisme517.

Entre 1990 et 2000, K. Böttcher représente l’AG auprès du Comité directeur. Le conseil

(Sprecherrat) de l’AG compte sept membres. Au début de l’année 2003, il comprend, outre

quatre des fondateurs évoqués ci-dessus (Madloch, Bach, Richter et Böttcher), trois jeunes

représentants du PDS, notamment occidentaux518. Fin 1997, 40 personnes (membres ou

sympathisants du PDS) participent à l’organisation des activités de l’AG. K. Böttcher estime

le cercle restreint de membres actifs à 70-100 personnes, le cercle passif (les personnes

invitées aux actions) comptant entre 300 et 400 personnes. Il se targue d’avoir organisé 202

réunions en l’an 2000, souligne la multiplication des initiatives de l’AG suite à l’été 2000

ainsi qu’une participation accrue d’individus extérieurs au PDS, y compris, de sympathisants

et responsables de la CDU. L’AG existe également sous une forme régionale dans certains

Länder tels que le Mecklembourg-Poméranie antérieure, Berlin, la Bavière et le Bade-

Wurtemberg.

Activités et fonction de l’AG à l’intérieur du parti

L’AG est une « AktionsAG », un groupe de travail dont le but est l’action, contrairement

aux groupes de réflexion. L’AG entend sensibiliser la population et le parti au danger que

représente l’extrême droite. « L’AG ne disposait au départ d’aucune structure, il a vraiment

fallu se battre pour l’imposer » confesse K. Böttcher. L’un de ses buts est donc d’empêcher

516 T. Peters : « Der Antifaschismus der PDS » in U. Backes, E. Jesse (dir.) : Extremismus und Demokratie. Baden-Baden : Nomos Verlagsgesellschaft, 2003, pp. 177-193, p. 178. 517 Pressedienst, 28.06.1990. Déclaration du cercle de travail partis et mouvements de la commission « Système politique » du Comité directeur (Arbeitskreis Parteien und Bewegungen der Kommission Politisches System beim Parteivorstand). 518 T. Peters : op. cit., p. 180.

Page 175: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

161

que des opinions d’extrême droite ne s’expriment au sein du PDS. Elle partage en outre avec

la Fondation Rosa Luxemburg (RLS)519 la conduite du débat idéologique nécessaire pour faire

évoluer la programmatique du PDS vers une prise en compte accrue de la question de

l’extrême droite520. Durant la campagne électorale de 1998 (Bundestagswahl), elle encourage

par exemple le PDS à poursuivre son engagement en faveur des individus socialement

défavorisés, en premier lieu des étrangers521. La RLS est un partenaire important de l’AG. Elle

prend de plus en plus en charge le débat intellectuel et la recherche sur l’extrême droite. Dotée

d’importants moyens financiers entre 1998 et 2002522, elle apporte son soutien logistique à

l’AG dont les moyens financiers sont extrêmement limités523.

L’AG est un groupe de savants spécialistes de l’extrême droite qui, à l’occasion, prêtent

leurs services aux différentes instances du parti, y compris au groupe parlementaire du PDS

au Bundestag pour la rédaction de « petites questions au gouvernement »524. En relation avec

le Comité directeur, elle rédige les décisions spéciales votées lors des Congrès ou inscrites

dans le programme. Tandis qu’un autre groupe de travail, l’AG Antiracisme/ Politique

d’immigration (AG Antirassismus/ Flüchtlingspolitik) s’intéresse, au sein du Comité directeur,

aux victimes de l’extrême droite, l’AG ED/A s’occupe des acteurs.

En marge de cette fonction de conseil, le travail de l’AG est essentiellement informatif

et dirigé vers l’opinion publique. Dans ce but, des conférences thématiques, actions

commémorant les victimes du fascisme et manifestations à destination des plus jeunes sont

régulièrement organisées. Le calendrier et le type d’activités est déterminé par l’actualité, car

une « feuille volante » (freien Blatt) un pamphlet ou une manifestation organisé sans lien avec

l’actualité « n’apporte pas grand chose » (K. Böttcher). Les rares actions engagées sur le

terrain sont des manifestations ou contre-manifestations co-organisées avec l’extrême gauche.

La principale réussite de l’AG est d’avoir rendue digne d’intérêt la production

d’analyses portant sur l’extrême droite. Ses publications renforcent la coopération du parti 519 Un rapport indépendant rédigé par les services scientifiques du Bundestag note un engagement particulier de la RLS. Wissenschaftliche Dienste des deutschen Bundestages : Förderprogramme in der Erwachsenen- und Jugendbildung sowie in der berufsbegleitenden Bildungsarbeit zum Rechtsextremismus und verwandten Themenbereichen, avril 2001. 520 Selon R. Richter, chercheur associé à la RLS, conversation du 21.11.2000. 521 Pressedienst 39/1997. 522 Les fonds alloués aux différentes fondations sont fixés par le budget fédéral voté annuellement par le Bundestag. Leur attribution est soumise à la condition de la présence du parti au Bundestag durant deux périodes législatives successives. La RLS en a ainsi bénéficié entre 1998 et 2002. Le montant varie en regard des résultats électoraux, mais tend à favoriser les petits partis. 523 Son budget pour 2003 s’élève à seulement 2500 euros. T. Peters : op. cit., p. 180. 524 Selon T. Peters : op. cit., p. 181.

Page 176: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

162

avec divers partenaires institutionnels. L’AG dispose d’un organe de presse écrite, la

« circulaire » (Rundbrief) qui paraît en règle générale quatre fois par an depuis 1997. A

l’origine destinée à financer les activités de l’AG, sa vente participe encore en 2002 pour une

bonne part à son financement. Depuis 2000, sa diffusion se stabilise à 300-500 exemplaires.

Les rares publicités pour le PDS ou des associations qu’il soutient que contient cette

publication concernent néanmoins la problématique de l’extrême droite. L’offre de la

Rundbrief de l’AG peut être ponctuelle, « selon les besoins » (K. Böttcher), pour publier les

textes des contributions aux conférences organisées par le PDS ou analyser des résultats

électoraux, ou couvrir des thématiques de fond (tels les femmes et l’extrême droite par

exemple). Les contributions scientifiques d’intellectuels proches du PDS y côtoient les prises

de position de représentants de partis, réformateurs ou communistes orthodoxes, ainsi que des

contributions d’antifascistes de la scène d’extrême gauche et le témoignage d’élus ou de

permanents locaux. L’offre s’est professionnalisée et étoffée au cours des années525. Elle

s’ouvre à des scientifiques, universitaires extérieurs au parti mais spécialistes de l’extrême

droite526 ou encore des publicistes ou élus d’autres couleurs politiques. L’ouverture vers

l’extérieur vaut également en direction de la société civile, pour des représentants

d’associations antifascistes, des syndicats (DGB), des professionnels (travailleurs sociaux) ou

simples citoyens engagés. Ceci s’insère dans la double stratégie d’inclusion et d’exclusion du

PDS à compter de 1994, qui se caractérise par la poursuite d’ « actions orientées contre les

idées conservatrices avec une insistance particulière » en parallèle d’une coopération accrue

avec les représentants des Antifascistes occidentaux, les groupes d’Autonomes, les « chrétiens

et syndicats progressistes»527.

Portée et prétentions de l’AG

L’AG guide le parti dans la marche intellectuelle à suivre contre l’extrême droite. Ce

cercle de réflexion joue le rôle de conscience morale du PDS dans ce domaine. Courroie de

transmission de la problématique dans les affaires du parti, elle a le pouvoir de filtrer la

manière dont le parti en traite.

Dans la mise en scène de soi antifasciste du PDS, l’AG est une fin plus qu’un moyen.

Elle ne domine pas la représentation de l’extrême droite au sein des organes du parti. Le jeune

chercheur à la recherche d’interlocuteurs est renvoyé à U. Jelpke, députée du Bundestag, de

525 Le premier numéro paru en 1997 est un feuillet comprenant un seul article (de Madloch) sur 6 pages ; la moyenne en 2000 est d’une dizaine d’articles sur une trentaine de pages. 526 L’historien H. Funke (HU-Berlin) 3/98, le politologue C. Butterwegge, 4, 98. 527 P. Moreau, R. Schorpp-Graliak : op.cit., p. 173.

Page 177: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

163

manière rarissime à l’AG. Le rôle apolitique de faire-valoir qui est lui est dévolu explique la

restriction de son champ de compétences et son manque de visibilité à l’extérieur du parti528.

En réalité, l’AG joue le rôle d’organe de formation du parti contre l’extrême droite.

D’une part, elle insiste sur le danger que représente ce phénomène (notamment sur la base

d’une analyse sociopolitique reposant sur la littérature universitaire) et permet aux individus

d’adopter une stratégie offensive. D’autre part elle valide le discours et les positions

politiques du PDS. A l’image de l’ensemble des groupes de travail thématique, l’AG ED/A

joue un rôle secondaire au PDS, en regard des autres structures qui le composent. Leur

multiplication réduit en fait leur influence sur la programmatique du parti529.

La prédominance du travail intellectuel et scientifique de l’AG, au détriment de l’action

sur le terrain, est le signe de l’institutionnalisation de l’entreprise antifasciste au PDS, autant

qu’il conditionne l’acceptation de l’AG au sein du PDS. L’un de ses piliers, R. Richter, est par

exemple très actif dans l’encadrement d’initiatives communales contre l’extrême droite, mais

refuse de parler de ses activités extra-institutionnelles530 en relation avec le PDS.

Institutionnalisée, la cause antifasciste débouche sur la production de déclarations de

principe qui établissent la forme dominante du discours légitime. Il convient maintenant de

mettre à l’épreuve la capacité de ce discours à structurer une action collective en dehors des

structures du parti.

528 Seules deux sources évoquent l’AG; elles sont plus nombreuses à citer la RLS, bien qu’il faille parfois parier sur une confusion entre les deux. Par ailleurs, certaines institutions publiques spécialisées dans la lutte contre l’extrême droite à l’échelle communale (les MBT) ignorent son existence, comme nous le verrons. 529 C’est notamment ce que fait apparaître une comparaison avec le Conseil Scientifique du Front National français analysé par A. Dézé : « Justifier l’injustifiable. Fondements, place et fonctions du discours scientifique dans la propagande xénophobe du Front national » in P. Hamman, J-M. Méon, B. Verrier (dir.) : Discours savants, discours militants. L’Harmattan, 2002, pp. 57-82. 530 Il a encadré la création d’une structure de loisirs démocratique pour contrecarrer l’installation d’une culture d’extrême droite auprès de la jeunesse d’une petite ville du Brandebourg.

Page 178: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

164

Section 2 La croyance antifasciste au service de la mobilisation

« Les chances de survie d’une structure politique spécifique et les valeurs qui la fondent peuvent être

accrues dans certaines conditions par l’engagement. On hisse son drapeau moral en haut du mât et on

affirme que l’on défendra la position jusqu’au dernier homme et jusqu’au dernier round. Mais un tel

acte n’est efficace que si le défi est renforcé par un contrôle de ressources suffisantes, que si

l’adversaire peut lire le message et se décourage. Le défi n’empêchera pas la marée de monter531. »

Le fait de brandir une figure ennemie permet de se faire des amis532. Cela peut s’avérer

particulièrement intéressant dans le cas où un allié naturel devient embarrassant. Tel est le cas

de l’extrême gauche pour le PDS. Dans le contexte né de l’unification, la tradition antifasciste

légitime le fait que le PDS maintienne des contacts hérités du SED avec des organisations

considérées en RFA comme anticonstitutionnelles. Dans la mesure où la revendication de

l’antifascisme élargit le spectre des sympathisants potentiels du PDS, elle renforce son

ancrage dans la société civile. L’antifascisme offre également au PDS un droit d’entrée dans

des milieux (immigrés, jeunesse contestataire, Eglises, etc.) où il est traditionnellement peu

représenté.

En fonction du public qu’il est appelé à mobiliser, le PDS traduit plus ou moins

l’argument antifasciste en lutte contre l’extrême droite. Lorsqu’il s’adresse à l’opinion

publique allemande et à l’ensemble des partenaires politiques panallemands, l’encodage est

maximum et l’antifascisme s’efface alors au profit de la lutte contre l’extrême droite. Quand il

interpelle sa propre clientèle et l’extrême gauche, l’antifascisme est mis en berne. Le message

est plus délicat dans le cas où le PDS s’adresse à la société est-allemande. Ce dernier doit

articuler la réminiscence du lien populaire que constituait l’antifascisme en RDA avec celle

des mobilisations civiles qui ont conduit à la chute du régime de RDA, en la conciliant à une

tradition contestataire d’extrême gauche. Contraint d’allier des registres antagoniques, le PDS

recourt alors à la manifestation comme répertoire d’action.

531 F.G. Bailey : Les règles du jeu politique. Etude anthropologique (Stratagems and Spoils. A Social Anthropology of Politics). PUF, 1971, p. 203. 532 M. Edelman : Pièces et règles du jeu politique (Constructing the Political Spectacle). Le Seuil, 1991, p. 129.

Page 179: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

165

A) Le grand écart pacifiste du PDS face aux Antifas d’extrême gauche

Le PDS souhaite se démarquer du mode opératoire violent de la partie de l’extrême

gauche qui se revendique de l’antifascisme. La violence est officiellement refusée par le PDS

d’une part car il souhaite que l’extrême droite soit la seule force accusée d’en faire usage;

d’autre part parce que le risque de violence constitue un obstacle à une vaste mobilisation

populaire. Les Antifas placent les néo-socialistes dans une position de grand écart entre le

partage d’une valeur commune et le refus de la violence.

Les Antifas, cette extrême gauche qui se définit par l’antifascisme

Il est une partie de l’extrême gauche allemande qui se définit par l’antifascisme. Il s’agit

des Antifas, les activistes (jeunes pour la plupart) qui combattent les ‘fascistes’ par tous les

moyens, y compris par la violence pour les Autonomes. Nous les distinguerons des

Antifascistes, les anciens résistants au National-Socialisme.

Antifas et Autonomes

Depuis 1945, la scène d’extrême gauche contemporaine allemande se rejoint sur

l’opposition à l’ordre social et étatique d’une RFA considérée comme capitaliste, impérialiste

et raciste. Elle est divisée sur l’acceptation des théories marxistes-léninistes. Les groupes

« dogmatiques » ou marxistes révolutionnaires (parmi lesquels les Maoïstes), communément

appelés les « groupes K » (K-Gruppen, le K renvoyant à l’affiliation au communisme), font

partie des communistes orthodoxes. L’autre courant, incarné par les groupuscules

« spontanés » de la fin des années 1960-début des années 1970, plonge ses racines dans la

mouvance anarchiste. C’est à cette branche que se raccroche le courant des Autonomes, tels

qu’ils se désignent eux mêmes. Dans les années 1970-1980, la question pacifiste engendre une

scission au sein du mouvement. Une partie de l’extrême gauche non marxiste rejoint alors le

parti des Verts, tandis que les Autonomes se radicalisent et prônent l’usage de la violence.

« Survivance décomposée et résiduelle des alternatifs des années 1970 », les Autonomes sont

« une mouvance ‘de gauche’ ouverte aux étrangers, à la liberté radicale des choix individuels,

à la contestation de tout ordre »533.

533 A. Peralva : « La violence Skinhead » in P. Perrineau (dir.) : L’engagement politique : déclin ou mutation ? Presses de la FNSP, 1994, pp. 141-156, p. 150.

Page 180: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

166

Les Renseignements Généraux allemands, l’Office fédéral de protection de la

Constitution (BfV)534 distinguent, au sein de la scène d’extrême gauche, les partis et groupes

non violents, des Autonomes et anarchistes traditionnels (notamment certaines structures

proches de la RAF) qu’ils qualifient de violents535. Les Antifascistes, organisés en associations

de victimes et d’anciens résistants au nazisme, relèvent de la première catégorie. La principale

association, l’Union des persécutés du régime nazi- Alliance des Antifascistes536 (VVN-BdA)

est créée en 1947. Proche du parti communiste (DKP), elle repose sur la théorie communiste

orthodoxe, qui voit le fascisme et l’extrême droite comme des produits du capitalisme. La

VVN-BdA est favorable à une d’alliance avec les partis démocratiques et les groupuscules

violents d’extrême gauche, mais rejette les initiatives démocratiques contre l’extrême droite

telle « l’insurrection des gens honnêtes » du 9 novembre 2000537. Ces Antifascistes du VVN-

BdA ont un équivalent à l’Est : la Fédération des anciens participants à la résistance

antifasciste, persécutés du régime nazi et leurs descendants- Alliance des Antifascistes

(BdA)538. Née sur le sol de la RDA en 1990, elle défend la conception de l’antifascisme

prônée par le RDA. Bon nombre d’Antifas et Autonomes des NBL y appartiennent.

La scène Antifas est ainsi hétérogène tant dans ses origines que dans ses idées,

notamment en ce qui concerne les politiques d’alliance et l’usage de la violence.

Selon le BfV, 33000 individus appartiennent à l’extrême gauche en 2001. La majorité

d’entre eux (26300) fait partie de groupes marxistes-léninistes, trotskistes et autres marxistes

révolutionnaires. 1500 sont membres de la KPF du PDS, 7000 anarchistes (parmi eux 6000

sont des Autonomes)539. Le tendance du recrutement sur l’ensemble de la scène est à la baisse,

à l’exception des anarchistes traditionnels et des Autonomes. En 2001, ces deux catégories ont

commis 518 actes de violence, dont près des trois quarts (72%) sont des agressions contre des

534 Voir l’introduction générale. 535 Le BfV considère comme principales organisations d’extrême gauche les groupes et partis suivants : le DKP (Parti Communiste Allemand), créé en 1968 suite à l’interdiction du KPD, compte 4500 adhérents en 2001 dont 500 dans les NBL et s’appuie sur les théories de Marx, Engels et Lénine ; certains regroupements à l’intérieur du PDS ; le MLPD (Parti Marxiste-Léniniste d’Allemagne), créé en 1982, affilié à Staline et Mao Tse-Tung, est isolé à l’intérieur de la scène ainsi que divers groupes trotskistes. Leur rôle politique se limite à une participation électorale ponctuelle et à la participation à certaines manifestations publiques. 536 Vereinigung der Verfolgten des Naziregimes- Bund der Antifaschistinnen und Antifaschisten. 537 Aufstand der Anständigen. Ainsi est couramment nommée la grande mobilisation populaire née de l’émoi de l’été 2000, organisée par l’ensemble des forces politiques (CDU comprise) et de la société civile. La manifestation du 9 novembre 2000 à Berlin a connu un immense succès. Voir l’introduction générale. 538Verband ehemaliger Teilnehmer am antifaschistischen Widerstand, Verfolgten des Naziregimes und Hinterbliebenen- Bund des Antifaschisten. 539 Sauf précision, les chiffres cités dans cette section sont issus du rapport annuel de 2001 du BfV.

Page 181: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

167

individus d’extrême droite ou supposés tels540. Une large majorité de ces actions a lieu à

Berlin.

Le combat contre l’extrême droite : l’élément fédérateur de l’extrême gauche depuis

l’unification ?

Nous avons vu que la cible de l’extrême gauche allemande est « l’ordre démocratico-

libéral » de la RFA, un système capitaliste dans lequel le fascisme trouve ses racines. Depuis

l’unification, la lutte contre l’extrême droite occupe une place de plus en plus importante au

sein de la scène. Pour les Autonomes, elle revêt un caractère existentiel. Le « combat

antifasciste » compte parmi les sept éléments du consensus idéologique minimal nécessaire à

l’affiliation aux Autonomes541. L’antifascisme permet à ces derniers, au-delà des divergences

idéologiques et des difficultés nées de la chute du mur de Berlin, de créer des alliances

ponctuelles avec l’ensemble de la scène d’extrême gauche. Il est précisément le drapeau qui

permet à la scène Autonome de sortir de l’isolement, voire le point d’achoppement entre cette

extrême gauche et la gauche542. En outre, ce sont les affrontements non plus avec la police543

(exception faite du traditionnel « 1er mai révolutionnaire » à Kreuzberg) mais avec les groupes

d’extrême droite, en premier lieu les Skinheads, qui leur assurent une existence collective544.

La fonction dévolue à l’usage de la violence diffère chez les Skinheads d’extrême droite

et les Autonomes. Fin chez les Skinheads, elle constitue pour les Autonomes le moyen

d’imposer une conception politique. A ce sujet, on peut se demander si la violence des

Autonomes Antifas et d’une partie de l’extrême droite dans les NBL est due à l’héritage de la

540 Le reste des actes de violence se répartit ainsi : 85 actes (soit 16,4%) ont lieu dans le cadre de campagnes contre l’énergie nucléaire (dont les oppositions aux transports CASTOR de déchets radioactifs) et 11,6%, soit 60 actes de violence, s’opposent à la mondialisation. 541 En plus des combats antifasciste et antiraciste (qui incluent à partir de 1993 la contestation de la pratique étatique de l’expulsion et de la limitation du droit d’asile), il s’agit du soutien internationaliste aux mouvements de libération, contre l’énergie nucléaire et le transport de résidus radioactifs et contre le rôle de grande puissance joué par la RFA. S’y ajoutent à Berlin des actions contre la « restructuration » de la capitale, c’est-à-dire son aménagement en métropole gouvernementale et de services. Depuis le début des années 1990, un courant militant antifasciste organisé s’établit même à l’intérieur du mouvement Autonome. Les Antifas Autonomes, dont l’activisme repose principalement sur le « combat antifasciste », tentent d’investir une thématique anticapitaliste plus globale. 542 U. Backes, E. Jesse: « Autonome und Skinheads- Ein Vergleich » in Extremismus und Demokratie. Baden-Baden : Nomos Verlagsgesellschaft, 1994, pp. 7-34, p. 29. 543 Parce qu’il incarne l’Etat, « violence pure, répression, fascisme », « le flic est l’ennemi numéro un de tous les Autonomes ». Autonome Studis (Bolschewiki) : Mit den überlieferten Vorstellungen radikal brechen. Ein Blick über den Tellerrand autonomer Basisbanalitäten. Fribourg, 1990 (2ème édition), p. 10. 544 « Dans l’affrontement entre skinheads et autonomes, c’est le passé et l’avenir qui s’opposent, le désir de fermeture sur une identité culturelle et le désir d’ouverture au monde. » A. Peralva : op.cit., p. 150. Sur la violence des Autonomes, cf. H. J. Horchem : « Die Grenzen ‚autonomer‚ Gewalt. Eine Bilanz nach der Wiedervereinigung » in K. Löw (dir.): Terror und Extremismus in Deutschland. Ursachen, Erscheinungsformen, Wege zur Überwindung. Berlin : Duncker & Humblot, 1994, pp. 113- 127.

Page 182: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

168

RDA ou si elle prouve que le politique est secondaire par rapport aux liens communautaristes

que renforce la violence.

Les Antifas dominent la scène antifasciste des NBL et la stigmatisent. L’usage qu’ils

font de la violence permet à leurs détracteurs de les comparer avec l’extrême droite. La

confusion entre Antifas et Antifascistes s’avère sans doute favorable au plébiscite du terme

d’antifascisme par le PDS. En l’utilisant, il s’adresse à tous les Antifascistes, y compris ceux

d’extrême gauche, tout en pouvant se défendre de compter les Autonomen violents parmi les

Antifascistes. La violence des Antifas rend d’autant plus difficile toute coopération avec les

partis établis, qu’elle est conçue comme un instrument légitime d’action politique.

Des divergences dans le choix des armes

au cœur de la relation du PDS avec les Antifas

Les relations du PDS avec l’extrême gauche se limitent au DKP (une coopération

qualifiée de critique, justifiée par la tradition commune avec le SED), aux Antifascistes

orientaux du BdA et aux Autonomes. Plus que toute autre, son alliance ponctuelle est

controversée au PDS. A l’extérieur, elle est citée comme preuve de l’appartenance du PDS à

l’extrême gauche545. Dans les NBL, la coopération se limite à l’organisation d’actions

« antifascistes » communes, tandis que les relations sont plus ténues en Allemagne de l’Ouest.

Avec l’extrême gauche, la coopération est rarement officielle, elle se traduit plus rarement

encore par une aide logistique. Le PDS met souvent à disposition de groupes ou associations

une partie de ses infrastructures et des moyens institutionnels dont il dispose en tant que parti

politique au pouvoir dans les Länder ou les communes, ou parce qu’il est représenté au

Bundestag. Il prête des locaux, du matériel technique ou encore publie dans sa presse une

annonce ou une publicité pour eux. Les moyens institutionnels des élus sont souvent utilisés

par procuration pour annoncer une manifestation aux autorités policières ou interroger le

gouvernement par le biais des questions parlementaires546.

Le partage d’une valeur commune et la participation gouvernementale des sociaux-

démocrates et des écologistes à l’échelle du Bund fait du PDS non seulement le partenaire

545 Dans son rapport annuel pour l’année 2001, le BfV cite par exemple des propos tenus par la présidente du PDS G. Zimmer en ouverture d’une conférence sur l’extrême droite à Berlin le 12 mai 2001. Partant du principe d’une absence de rupture politique réelle de la République fédérale avec le « fascisme allemand » (parce qu’il contient le mot socialisme, certains membres du PDS préfèrent une périphrase au terme de National-Socialisme, totalement inusité en RDA), G. Zimmer plaidait à cette occasion en faveur d’un engagement du PDS pour que cesse la discrimination des « groupes Antifas », notamment par le BfV. Verfassungsschutzbericht 2001, p. 189. 546 Ces conclusions issues de nos observations sont partagées par le BfVS. Voir notamment Verfassungsschutzbericht 2001, p. 178.

Page 183: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

169

naturel, mais également le premier partenaire potentiel des Antifas. Ceci suffit à perpétuer une

tradition d’alliance qui fonctionne pour les deux partenaires à la fois comme une ressource et

une contrainte.

Une coopération ambiguë

L’attitude du PDS face aux Antifas est ambiguë. Il leur refuse son soutien officiel tout

en les reconnaissant comme son seul partenaire institutionnel potentiel.

Les liens unissant les Antifascistes et Antifas au PDS ont pu être observés au cours

d’une conférence organisée par l’un des forums du PDS (2000plus!) avec le soutien logistique

de son groupe parlementaire au Bundestag. Intitulée « Consolider les initiatives locales de

jeunesse ! Conférence pour une politique antifasciste sur le terrain », elle souhaitait renforcer

les initiatives locales contre l’extrême droite547.

Si de nombreux Autonomes sont présents (et reconnaissables au port d’un sweat-shirt noir à capuche,

signe distinctif de la scène) les personnes invitées à témoigner de leur expérience se démarquent de la

scène Antifas. Une part importante des échanges est consacrée aux acteurs politiques et institutionnels.

Ainsi, Ingo, une vingtaine d’années, cheveux bleus et anneau à la narine, témoigne de son action au sein

du Réseau pour la Culture démocratique (Netzwerk für demokratische Kultur) de Wurzen en Saxe, dont

le but est de renforcer la culture démocratique par des actions pacifiques. Il déplore que la polarisation

autour de la question de l’extrême gauche et de l’extrême droite ait pour conséquence que des personnes

appartenant à son initiative soient stigmatisées comme extrémistes de gauche, alors que leur motivation

réside par exemple dans une foi chrétienne.

Même constat pour Martin de l’Offensive Antifa (Antifa-Offensive) d’une petite ville du Brandebourg. Il

refuse de se reconnaître dans le terme Antifas, tout autant que dans l’usage de la violence « sauf dans les

cas d’auto-défense ». Il préfère se battre pour quelque chose (la démocratie) que contre (le fascisme). Le

« travail antifasciste », principalement l’éducation par l’histoire, est pourtant un noyau des activités de

son organisation. Relatant son expérience avec les pouvoirs publics, il s’attriste de ce que le maire

(SPD) de sa ville essaie de « cacher » et d’« étouffer» le problème que constitue l’extrême droite dans

sa commune. Lorsque le maire, en privé, reconnaît l’existence de l’extrême droite, il élargit le problème

à l’extrême gauche. Il a ainsi répondu à une alliance citoyenne qui souhaitait organiser une réunion avec

l’Offensive Antifa qu’il ne débloquerait aucun fond tant que l’organisation Antifa serait associée au

projet. L’avènement du PDS à la tête de la commune en l’an 2000 change peu de choses. La

coopération avec le PDS est « certes positive mais moins bonne que l’on pourrait l’imaginer », le parti

continuant à refuser de financer l’Alliance tant que les Antifas en font partie.

Nadine, de l’association Café Mittendrin, relate l’expérience qu’elle fait à Neuruppin (Brandebourg). Le

fait que le maire O. Theel soit du PDS constitue « une très bonne base » et « fait partie des conditions

favorables ». L’initiative siège dans les conseils consultatifs de la commune et ses délégués sont

547 « Lokale Jugendinitiativen stärken ! Konferenz zu antifaschistischer Politik vor Ort ». Organisée par Forum2000plus! et PDS im Bundestag, elle s’est tenue à Berlin le 8 décembre 2001.

Page 184: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

170

acceptés en tant que partenaires, sauf dans des cas « isolés ». Elle rapporte un échange caractéristique :

les participants aux conseils critiquent les Antifas, mais disent à Nadine et à ses acolytes qu’ils

apprécient de travailler avec eux. Ils sont extrêmement surpris d’apprendre à cette occasion que ce sont

eux les Antifas.

Si la proximité idéologique et de sensibilité entre le PDS et l’extrême gauche est

indéniable, sa traduction en action dépend des particularismes locaux et des affinités

personnelles.

Une ambiguïté qui pèse davantage sur les individus que sur les institutions

La question de l’alliance avec une partie de l’extrême gauche fait débat au sein du PDS,

en dépit de l’indéniable communauté d’idées. Parce qu’ils sont persuadés, par pragmatisme,

que le PDS doit établir des contacts avec la jeunesse, nos interlocuteurs du PDS sont

favorables à une coopération avec les Antifas. Ils se justifient à travers l’argument suivant : en

intégrant les forces d’extrême gauche, on diminue les violences. Même le stratège T. Falkner,

s’il déplore la manière d'agir des Antifas, approuve leurs motivations morales. Dès lors, les

négociations liées à la participation d’Antifas aux activités du PDS limitent la marge de

manœuvre du parti qui se retrouve « dans la position délicate du funambule sur son fil »548.

Au-delà des arguments de certains membres du PDS relatifs aux différences culturelles

et au manque de discipline des Antifas549, ce qui se joue dans la conciliation des conceptions

du PDS et des Antifas, c’est la relation au pouvoir étatique. La culture du conflit des Antifas

les exclut du camp des démocrates. Elle s’oppose aux velléités gouvernementales du PDS550.

548 J. Hornig, élu local du PDS à Berlin-Ouest. 549 Pour K. Köditz, députée PDS au Landtag de Saxe, par exemple, la culture des Antifas orientaux complexifie l’organisation d’actions communes, ce qu’elle illustre à travers l’exemple « classique » de l’alcool. A l’Est, elle est obligée de procéder à des contrôles d’alcoolémie avant les manifestations, tandis que la tradition d’interdiction de consommation d’alcool à l’Ouest est scrupuleusement respectée. « Lorsque je fais une manifestation et que je vois arriver des Punks avec une caisse de bière, je me demande : que viennent-ils faire dans cette manif ? [...] Cela limite ma capacité d’action, je n’arrive pas à avoir une discussion correcte avec la police. Enfin, je veux dire : à une manif, tu dois avoir l’esprit clair ! » 550 C’est finalement ce qui ressort du témoignage de l’assistante parlementaire d’U. Jelpke. Elle a milité trois années durant au sein d’un groupe d’Antifas Autonomes à l’Ouest (c’est d’ailleurs par ce biais qu’elle a rencontré Jelpke), qu’elle qualifie de « dogmatiques ». Nicole explique qu’il y a toujours eu un problème entre les groupes Antifas et l'engagement « citoyen » des syndicats et partis politiques. Elle fait état de différences notables dans les cultures orientale et occidentale des Antifas. Les Antifas occidentaux se distancient fortement de l’Etat, une « certaine opposition contre l'Etat, qui n'existe ni chez les électeurs PDS, ni chez les jeunes Antifas [orientaux] ». A l’inverse, elle note une propension particulière au respect de l’autorité étatique chez les anciens citoyens de RDA: « Même si ils étaient dans l’opposition à leur propre Etat, c’était plus leur Etat que [la RFA] pour les Allemands de l’Ouest ». C'est aussi ce qui contribue à l'isolement des Antifas Autonomes, qui contrairement au SPD, à la VNN, aux syndicats, n’« ont pas tiré de conséquences de l'histoire », notamment de la chute de la

Page 185: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

171

En intégrant les Antifas (certains sont membres du PDS), le PDS prend le risque de voir

dévoilées les tendances xénophobes de certains de ses sympathisants. Ce qui transparaît des

propos de M. Schrader, leader du PDS à Dresde.

« Bien sûr, les adolescents [de la scène Autonomes-Antifas] voient la menace fasciste d’une toute autre

manière, ils interprètent les propos racistes tenus au cours de réunions de locataires autrement que nous,

de telle manière qu’ils identifient ces locataires comme appartenant à l’extrême droite. Ils demandent au

simple citoyen : pourquoi as-tu peur des Africains ? C’est facile alors de dire : l’ennemi est au milieu de

la société, c’est lui qu’il faut combattre. Là, il y a des différences notables dans la manière de voir les

choses, entre le PDS et eux. D’un autre côté, c’est bien aussi, parce que ce sont bien sûr des alliés

naturels et le fait qu’ils voient les choses autrement est très excitant.»

La ligne de conduite en matière de coopération est fixée par le leader local551. Elle

dépend en partie de la place dévolue à l’usage de la violence par les groupes Antifas locaux552.

Sur ce point, il arrive que le capital individuel d’un leader entre en conflit avec les

ressources collectives du parti, tant en termes identitaires que stratégiques. Une socialisation

proche de l’extrême gauche augmente la propension d’un acteur néo-socialiste à coopérer

avec les Antifas, autant que les sollicitations de ces derniers à son encontre. Ainsi, S.

Wagenknecht (porte-paroles de la KPF) et U. Jelpke (députée au Bundestag issue des K-

Gruppen de RFA) entretiennent une relation étroite avec les Antifas. S.Wagenknecht est

sollicitée en raison de ses altercations régulières avec les instances supérieures du parti, qui

témoignent du rôle de contre-pouvoir interne joué par la KPF. U. Jelpke dispose de ressources

institutionnelles qui échappent aux Antifas et qu’elle met souvent à leur service553. Toutes

République de Weimar. A l’Ouest, les Antifas continuent à s’opposer strictement aux mesures étatiques de répression, telles les interdictions. 551 A Dresde par exemple, C. Ostrowski est favorable à une alliance de toutes les forces sauf des « chaotiques de gauche ». Cette fervente opposition, qui repose sur le refus de la violence, est intégrée par les instances locales et régionales qui excluent l’idée d’une alliance avec les Antifas dans la capitale saxonne. 552 C’est ce qu’il ressort de l’expérience de l’arrondissement de Lichtenberg (Berlin-Est). Son maire W. Friedersdorff, se dit favorable à une coopération « mesurée, encadrée ». Il soumet la participation des Antifas à une contre-manifestation pacifique contre le NPD à l’absence d’« action » violente de leur part, pour ne pas « effrayer » la population. La manifestation visant à empêcher le NPD de faire une déclaration publique, il s’agit de la part de organisations politiques (SPD, Verts et PDS), d’occuper l’espace public en tenant des stands d’information. « Le NPD n’a même pas pu sortir de la bouche de métro » et W. Friedersdorff met le succès de la mobilisation sur le compte de son caractère populaire et pacifiste, qui repose partiellement sur le musellement de l’extrême gauche. Les activités des Antifas sont tolérées par l’administration de l’arrondissement, car ils s'opposent à l'extrême droite « de manière intelligente, c’est-à-dire essentiellement en argumentant et en éduquant ». A. Gabelin, ancienne chef de section locale du PDS. D’une manière générale pourtant, la proximité avec la scène Antifa constitue selon elle davantage un « obstacle » à la politique du PDS face à l’extrême droite. Les Antifas sont associés aux initiatives à condition qu’ils soient discrets et pacifistes. 553 La coopération d’U. Jelpke et du groupe du parlement régional de Berlin avec les groupes Antifas Autonomes ne va pas de soi. Son assistante cite l’exemple de la journée contre la guerre (Antikriegstag) du 1er septembre 2001 à Leipzig à l’occasion de laquelle une Kameradschaft d’extrême droite avait annoncé sa volonté de

Page 186: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

172

deux ont le profil de ceux qui, estimant l’engagement du PDS contre l’extrême droite

insuffisant, acceptent d’entrer en conflit ouvert avec lui et continuent d’entretenir des soutiens

extérieurs.

Une forte insertion au sein des institutions politiques fédérales peut fonder le refus de

coopération d’un agent du PDS avec les Antifas,. Ainsi la vice-présidente du Bundestag P.

Bläss estime ne pas pouvoir risquer la réputation de son poste, en se retrouvant dans une

action violente et estime que la participation à ce type d’action relève d’un juste partage des

tâches au sein du PDS :

« J’éprouve une sensibilité particulière et nécessaire, parce que je ne peux rien risquer à ce poste. Je n’ai

plus, depuis [mon élection à la vice-présidence du Bundestag], participé à ces manifestations Antifas un

peu acharnées. Je pense que le partage du travail est important. Il ne s’agit pas d’opportunisme de ma

part, c’est parfaitement normal. Le PDS exprime clairement sa préférence pour les actions non

violentes. Un peu de distance est là indispensable, il faut que certains députés coopèrent de manière très

active avec ces groupes, comme Angela Marquardt ou Jelpke, qui prennent cela en charge. […] Moi, je

m’arrête là, je ne me risquerai pas aux actions militantes. Pour les déclarations publiques par exemple,

je veille à ce que tout ait été précisément vérifié. Je n’y vais pas automatiquement, à cause de mon poste

et je trouve cela relativement normal, c’est comme ça que ça fonctionne en politique. »

L’argument des agissements des activistes Antifas cache une relation variable à

l’autorité étatique. La position des élus et permanents du PDS est relativement homogène

quant au respect des droits fondamentaux ; le refus d’une limitation des droits fondamentaux

de réunion et d’expression est unanime554. La question de la répression appelle, elle, des

réponses plus équivoques. Ce sujet n’est que rarement prétexte à une critique du

fonctionnement des institutions.

L’opinion de nos interlocuteurs diverge au sujet du principe de l’interdiction des

organisations d’extrême droite. L’interdiction est soutenue plus par principe qu’en raison

d’une efficacité présumée555. Ce pluralisme se retrouve dans la position adoptée à l’égard de

manifester. A la demande de l’Alliance contre l’extrême droite (Bündnis gegen Rechts) de Leipzig (qualifiés d’« Antifas très dogmatiques » par Nicole, assistante parlementaire), la députée Jelpke accepte de déposer une demande d’autorisation pour organiser une contre-manifestation. Le PDS de Leipzig rejette d’abord l’initiative de Jelpke, puis finit par se laisser convaincre. 554 Cette argumentation est au cœur de la position défendue par le PDS dans le débat sur la restriction du droit de réunion qui, en février et mars 2005, remplace la question de la validité de l’interdiction du NPD, redevenu d’actualité avec les bons résultats du NPD en Saxe en septembre 2004. 555 W. Friedersdorff qui « en principe » n’est pas pour l'usage de la violence, s’exprime en faveur d'une interdiction « claire, rapide et conséquente » de ces groupes et déplore que les tribunaux et les personnalités politiques manquent parfois à leur devoir. S. Wagenknecht est en faveur de l’interdiction non seulement du NPD mais des organisations « fascistes » en général, la répression doit prévaloir à l’encontre des organisations qui

Page 187: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

173

l’interdiction du NPD. Bien que divisé sur le bien fondé de l’interdiction, le groupe

parlementaire du PDS au Bundestag apporte son soutien officiel à la démarche des autorités.

La position du PDS sur l’interdiction du NPD peut être synthétisée en ces termes, empruntés à

la députée Petra Pau : « Absolument pour [l’interdiction], parce que le fascisme n’est pas une

opinion mais un crime. Favorable à l’interdiction pour des raisons pragmatiques, parce que

l’extrême droite ne devrait bénéficier d’aucun des privilèges accordés aux partis. Par principe

contre, parce que l’extrême droite ne saurait être interdite sans que les droits des citoyens ne

soient fondamentalement amputés. » 556

La question d’une coopération avec les Antifas se pose également aux élus sociaux-

démocrates, bien qu’avec une moindre acuité. L’argument du respect inconditionnel de

l’ordre établi semble primer sur un quelconque sentiment d’obligation à l’égard des Antifas.

La dénonciation d’une telle coopération, sous couvert de légalisme, stigmatise le PDS et est

utilisée dans ce but par nos interlocuteurs du SPD557.

On comprend dès lors que la manifestation soit plébiscitée par le PDS, en raison de

l’opportunité qu’elle offre d’associer l’extrême gauche à une forme non violente et populaire

de contestation.

B) Les vertus de la manifestation comme facteur de mobilisation

Le succès rencontré par les mobilisations antifascistes et antiracistes en Europe

occidentale peut s’expliquer par leur capacité à renouveler les modes traditionnels de

participation politique et à recréer du lien social558. Si ce mode de revendication apparaît

comme une solution lorsque les moyens traditionnels de participation et d’intervention défendent ouvertement une idéologie néo-fasciste, raciste par exemple, car elles « n'ont rien à faire dans un Etat démocratique ». 556 Petra Pau : « Aktuelle Notiz: Bundestag, NPD, Versammlungsrecht ». 11. 03 2005. Site personnel http://www.petra-pau.de, 18.10.2005. 557 Le député régional B. Flemming (SPD) est le seul à dénoncer l’utilisation par le PDS des groupes Antifas pour sa propre promotion antifasciste, « comme du temps de la RDA ». Elu social-démocrate à Lichtenberg, A. Geisel reconnaît par exemple avoir un problème avec le travail Antifas accompli dans l’arrondissement « en ce qui concerne l’acceptation de la violence ». « Je trouve que le monopole de violence est entre les mains de l’Etat et doit le rester. » Il a déjà participé à une manifestation co-organisée par les Antifas, mais refuse de le faire si elle est couplée d’un appel à la violence. Il insiste, lourdement allusif : « L’intolérance ne se trouve pas seulement à la droite du spectre politique. L’intolérance et les ennemis de la démocratie ne sont pas seulement d’extrême droite.» Il estime que la « tolérance zéro » qu’il défend face aux actions d'extrême droite est représentative de son parti. 558 N. Mayer : « La mobilisation anti-Front National » in P. Perrineau (dir.) : L’engagement politique. Déclin ou mutation ? Presses de la FNSP, 1994, pp. 335-358 ; P. Juhem : op. cit.

Page 188: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

174

politiques ne suffisent pas, il est surtout pour le PDS un moyen de contrecarrer les effets du

port du stigmate. D’une manière générale, le sentiment de son incapacité à influer sur la vie

politique pan-allemande pousse le PDS à privilégier ce registre. La manifestation lui permet

de faire une démonstration de force de son poids dans la société est-allemande (manifestation

se dit d’ailleurs Demonstration en allemand). Elle montre par ailleurs sa capacité à mobiliser

au-delà des seuls rangs de ses militants. En tant que moyen peu coûteux de mettre à profit la

principale ressource collective du PDS, ses militants, ce support offre un maximum de

visibilité pour un coût minimum.

En ce qui concerne le domaine antifasciste et antiraciste en particulier, la manifestation,

en particulier la contre-manifestation, s’impose au cours de la décennie 1990 comme le

répertoire d’action privilégié du PDS. Parce qu’elle fonctionne sur le mode de l’émotion et du

symbole, elle permet de jouer sur la valeur antifasciste sans avoir à la transformer en une

politique d’action. La manifestation renvoyant à une appréhension immédiate de la chose

politique, elle permet l’adhésion irréfléchie et sans intermédiaire d’une grande variété de

publics. Elle répond ainsi au double impératif de recrutement et de communion populaire.

Ces développements se penchent sur une question peu traitée par la sociologie de la

mobilisation, celui de l’usage de la manifestation par un parti politique559. Ils analysent

d’abord les raisons du choix du registre manifestant fait par le PDS, avant de s’intéresser à la

place qu’occupe la manifestation dans le parcours des militants et des acteurs politiques d’une

part, dans leur relation au PDS, perçu alors comme une communauté d’autre part.

Le choix du non conventionnel fait par défaut ?

Est-ce parce les moyens institutionnels à la disposition du PDS pour imposer sa vision

du monde sur la scène politique et sociale pan-allemande sont réduits que le mode d’action

manifestant est privilégié ?

Les limites de l’action conventionnelle. Leçons de la « clause antifasciste »

L’épisode de la « clause antifasciste » met en évidence les limites d’une action

conventionnelle, législative notamment, pour les partis de l’opposition. Au parlement régional

(Landtag) de Saxe, le groupe parlementaire du PDS s’engage en faveur de l’inscription, dans

559 Cette section ne vise pas l’analyse de la manifestation en tant que fait social d’une manière générale ; nous souhaitons uniquement éclairer l’usage que fait le PDS de ce type d’actions.

Page 189: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

175

la Loi fondamentale (LF), de la condamnation des opinions d’extrême droite560. Il propose

ainsi de compléter l’article 26 § 1 de la Loi fondamentale par une « clause antifasciste »561.

L’argumentation repose sur le fait que les droits fondamentaux (art. 8 et 9 sur la liberté de

rassemblement et de réunion) ainsi que l’article 21 sur les partis politiques permettent certes

d’agir à l’encontre de rassemblements ou d’organisations perpétuant une tradition ou

défendant des convictions nationales-socialistes ; mais la loi ne déclare toutefois pas

explicitement selon le PDS que la revivification de convictions nationales-socialistes est

contraire à la constitution. La solution proposée par le PDS est de compléter l’article 26 § 1

(interdiction de la préparation d’une guerre d’agression) d’une clause précisant que les actions

accomplies dans le but de raviver les convictions nationales-socialistes sont également

anticonstitutionnelles.

Le groupe parlementaire du PDS de Saxe voit dans l’inscription constitutionnelle d’une

clause antifasciste un moyen d’allier les deux registres prévalant selon lui dans la lutte contre

l’extrême droite, la prévention et la répression. L’intérêt d’une modification de la Loi

fondamentale réside également dans le fait qu’un référendum portant sur une révision

« antifasciste » de la constitution contraindrait la population à prendre ouvertement position

contre l’extrême droite. Ceci est rendu nécessaire par la stratégie locale de l’extrême droite,

qui ayant pour objectif la prise de pouvoir par la rue, multiplie les rassemblements publics.

L’extrême droite gagne ainsi en acceptabilité auprès d’une population dont le soutien aux

contre-manifestations tend à diminuer depuis le début de la décennie 2000. La Saxe est

particulièrement touchée par ce phénomène, comme l’estime la députée K. Köditz.

« J’observe en ce moment une évolution qui risque de compliquer nos initiatives. La confrontation avec

l’extrême droite se déplace et devient le domaine de compétences de la police et des tribunaux. Alors, le

simple citoyen qui intervient dérange. J’y vois un danger, parce que si j’interdis au citoyen de résister,

cela signifie que la société souscrit à cette idéologie. Bien sûr, je peux me réjouir quand, comme à

Leipzig, le week-end précédent, la police parvient à empêcher, certes par la force, un défilé nazi, mais je

suis encore plus contente lorsque 10 000 personnes descendent dans la rue pour dire non. Je ne souhaite

pas que l’Etat, en tant qu’instrument de pouvoir c’est-à-dire à travers la police et les tribunaux, se

charge de la confrontation à l’extrême droite.

Question : Comment le citoyen réagit-il ? Plutôt contre les extrémistes de droite ou contre votre

initiative ?

560 Cette analyse repose sur une lecture des documents parlementaires officiels complétée par une rencontre de 90 minutes avec une partie du groupe parlementaire du PDS. Elle a eu lieu le 18.04.2002 dans les locaux du Parlement de Saxe sous la forme d’un entretien de groupe. Un entretien approfondi avec la députée spécialiste de l’extrême droite K. Köditz le même jour complète cette rencontre. 561 22.01. 2001, Ds 14/5127 « Proposition d’une loi modifiant la constitution (Art. 26 § 1, clause antifasciste) ».

Page 190: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

176

KK [soupire]: Ca dépend complètement. Des fois, on est content juste à cause d’un autocollant sur une

voiture, ce qui est un petit acte de résistance, ou d’un courrier de lecteur dans le journal. Une discussion

est lancée à Leipzig, où 1000 policiers se tenaient prêts à intervenir. Les gens ont pensé que si des

contre-manifestants n’avaient pas annoncé leur intention de manifester, on n’aurait pas eu besoin de tant

de policiers, et cela n’aurait pas coûté aussi cher. Nous, les contribuables, devons maintenant payer ce

grand déploiement de policiers, seulement parce que des contre-manifestants ont voulu venir. J’ai

vraiment peur que cela évolue de telle manière que ceux qui manifestent contre l’extrême droite soient

considérés par l’opinion publique comme les éléments perturbateurs. Pour empêcher que les extrémistes

de droite et leur idéologie ne progressent dans la société, j’ai besoin du simple citoyen. Je ne veux pas

lui retirer cette responsabilité. »

La révision constitutionnelle apparaît en même temps comme un moyen de marquer la

Loi Fondamentale du sceau est-allemand en y ancrant la valeur phare de la RDA,

l’antifascisme. La population est-allemande interviendrait ainsi enfin dans l’élaboration de la

constitution fédérale. Ce projet est envisagé par le PDS comme une manière de rattraper un

devoir de mémoire non accompli en RDA, qui confronte les citoyens à la question de la

responsabilité individuelle devant les crimes nazis (Bartl parle de « rendre l’individu

responsable »). Le PDS rachèterait ainsi une part sombre de son histoire.

Extrait d’une discussion entre députés mettant en scène l’intérêt de l’adoption d’une

telle clause à laquelle participent, sur invitation de K. Bartl, chef de fraction, E-J. Steckl,

porte-parole de politique intérieure, U. Adamczyk, porte-parole de la politique antifasciste et

K. Köditz, députée562.

« Köditz : Le chef de la police de ma circonscription, le Multentalkreis (oui, j’ai de la chance, c'est

l’ancien chef des Soko Rex563) projette de faire le tour des infrastructures de loisirs pour les jeunes ; il

souhaite évaluer le nombre d’extrémistes de droite en leur sein et savoir si leur présence est connue.

C’est le problème que les institutions rencontrent dans le privé : elles n’ont aucun accès à ce type

d’informations. Or la scène se réunit de plus en plus souvent dans des lieux privés, donc inaccessibles

aux policiers. Les instances publiques dans ce domaine manquent cruellement de personnel qualifié, une

fois de plus à cause du manque de moyens financiers.

Bartl : Il faut trouver un moyen de pénaliser ce phénomène.

Steckl: Exactement !

Bartl [s’interrogeant sur la constitutionnalité de la proposition] : Une idéologie qui, lorsqu’elle est

appliquée, représente un danger pour la société, pour la paix, n’a aucune raison de ne pas être

condamnable, puisque son objectif est clairement incriminant. […]

Köditz : Je refuse de confier le problème à la police, il s’agit d’un problème civique.

562 Rencontre du 18.04.2002. 563 Unités de police spéciales chargées de l’extrême droite.

Page 191: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

177

Bartl : Je souhaite que la société s’organise. Pour cette raison, je suis en faveur d’un référendum.

Köditz : Qui l’initie?

Bartl : Il faut que des gens s’engagent. Il faut essayer, le référendum est dans ce sens un message clair.

Köditz : il faut prévoir cela à moyen terme, on ne va pas réussir cette année. En attendant, il faut réussir

à amener le citoyen dans la rue, à le mobiliser.»

La marge de manœuvre du PDS est limitée et la visibilité que confère le travail

parlementaire faible. La question soulevée quant à son efficience dépasse alors le cadre du

PDS puisqu’il s’agit de trouver des modes d’action opératoires contre l’extrême droite.

Une pratique contestataire ou normalisatrice ?

L’image positive de la manifestation dans les NBL et l’acte fondateur, pour le PDS, du

rassemblement de Treptow, n’expliquent pas à eux seuls le recours systématique du PDS à la

manifestation. Si cette dernière est l’instrument de mobilisation privilégié par le PDS, ce n’est

pas en raison de son caractère contestataire, mais au contraire parce qu’elle contribue à la

l’acceptation publique à la fois du PDS et de la population est-allemande564. En manifestant

contre l’extrême droite, cette dernière s’émancipe de la tutelle ouest-allemande, autant qu’elle

marque son refus de l’extrême droite. Dans ce contexte, la manifestation est un mode d’action

plus conformiste que contestataire. Pour la société est-allemande, l’expérience de cette

pratique comme mode pacifique de revendication remonte à la Wende. Il s’agit donc à l’Est

d’une activité extrêmement valorisée non seulement parce qu’elle est démocratique, mais

également car elle s’est avérée efficace pour causer l’implosion du système communiste de la

RDA565.

Définie comme « toute occupation momentanée par plusieurs personnes d’un lieu

ouvert public ou privé et qui comporte directement ou indirectement l’expression d’opinions

politiques »566, l’action manifestante n’implique pas nécessairement de revendication. Dans sa

forme analysée ici, elle est davantage vouée à créer un effet cathartique qu’à exprimer une

exigence. En ce sens, la manifestation contre l’extrême droite orchestrée par le PDS est

564 La portée synecdotique de la manifestation n’est pas à sous-estimer, « les individus et les personnes collectives s’y donnent à voir comme représentants de groupes de références plus larges ». O. Fillieule: Stratégies de la rue. Les manifestations en France. Presses de Sciences Po., 1997, p. 13. 565 Les revendications scandées en RDA dans les « manifestations du lundi », notamment le passage de « Wir sind das Volk » (Le peuple c’est nous) à « Wir sind ein Volk» (Nous sommes un peuple) atteste de ce caractère fédérateur. Ceci doit être entendu en ayant conscience du caractère de propagande de ce nationalisme de substitution mis en évidence par C. Offe : Der Tunnel am Ende des Lichts. Erkundungen der politischen Transformation im Neuen Osten. Francfort-sur-le-Main/ New York: Campus, 1994, pp. 22-24. 566 O. Fillieule: op.cit., p. 44.

Page 192: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

178

« routinière », alors qu’elle se revendique « initiatrice » selon la typologie établie par P.

Favre567. En effet, sous couvert d’imposer sur la scène politique un enjeu considéré comme

délaissé par les pouvoirs publics, elle constitue un rituel affirmant le pouvoir de mobilisation

du PDS et son identité.

Dans ce contexte, la manifestation n’est pas uniquement le moyen de faire prévaloir une

opposition, elle tient également lieu, par sa seule tenue, de solution au problème568. La

revendication anti-extrême permet une mobilisation d’autant plus large qu’elle défend des

valeurs « post-matérialistes »569. La capacité à mobiliser au-delà des rangs des

organisateurs augmente en fonction du caractère général (ou universel) de l’intérêt défendu.

Une manifestation contre l’extrême droite devrait donc connaître un grand succès570, s’il ne

fallait y ajouter des motifs de démobilisation. Le risque ou la peur de la violence571 confère

souvent à la manifestation un coût trop élevé pour les retraités, ce qui soumet à conditions le

principal atout du PDS, la capacité de mobilisation de ses militants572.

Les bienfaits de la manifestation en termes de communion dépassent le cadre du parti,

pour toucher les liens du PDS avec la population est-allemande, les partisans de la gauche et

la scène d’extrême gauche. Dans les NBL, le PDS tend, par défaut, à devenir le principal

vecteur de l’action collective contestataire. Il s’inscrit dans une tradition de gauche qui 567 P. Favre distingue trois types de manifestations : « initiatrice » (exemple des revendications écologistes ou féministes dans les années 1970), « routinière » (manifestations régulièrement organisées par les syndicats) et les manifestations associées à des crises politiques globales, dont l’enjeu est le maintien ou la chute des pouvoirs publics. Dans les trois cas, le but est d’atteindre le maximum de visibilité. P. Favre : La manifestation. Presses de la FNSP, 1990, p. 34 et s. 568 Illustration du fait que la manifestation tienne lieu de solution au problème et de preuve de l’engagement du PDS contre l’extrême droite, cet extrait d’une interview accordée par l’un des rares vice-premier-ministres PDS en exercice dans un Land : Helmut Holter, chef régional du PDS et ministre du travail dans le Mecklembourg-Poméranie antérieure : « Depuis le début, le PDS a un profil antifasciste et antiraciste très clair. Nous avons par exemple participé aux grandes manifestations contre la droite en 1992 au moment des accès de violence de Rostock-Lichtenhagen. Le PDS est là aussi dans de nombreuses petites actions […]. Nous sommes partout dès qu’il s’agit de combattre la droite, et ça va continuer comme cela. Nous allons continuer à développer cette activité. » Interview radiophonique diffusée le 23.08.2000 sur DeutschlandRadio (www.dradio.de/). 569 Les valeurs « post-matérialistes » sont définies par R. Inglehart : Cultural Shifts in Advanced Industrial Societies. Princeton (NJ): Princeton University Press, 1990. 570 D’autant plus que les manifestants antiracistes et antifascistes constituent en cela une exception dans l’action protestataire qu’ils ne déclinent par leur identité en termes de statut professionnel. Ils sont en cela potentiellement interclassistes. P. Favre, O. Fillieule, N. Mayer : « La fin d’une étrange lacune de la sociologie des mobilisations ». RFSP, 1, 1997, pp. 3-28. 571 Un des critères d’efficience de la mobilisation est effectivement numérique. Dès lors, une part importante du travail du parti consiste à limiter les pertes quantitatives que créent les différentes étapes de la mobilisation en multipliant les réseaux de recrutement. Le caractère local de ces manifestations augmente la peur de représailles. L’existence de jeunes extrémistes de droite dans son voisinage a un effet doublement pervers. Non seulement, il tend à masquer le problème en le banalisant (discours classique de voisinage : « ce sont de braves garçons, ils ne sont pas d’extrême droite »), mais en plus, il stigmatise les contre-manifestants en les exposant à des rétorsions. 572 Le degré d’identification au parti n’est par conséquent pas plus important chez les manifestants que chez les non-manifestants

Page 193: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

179

rappelle autant le rôle joué par les syndicats et la sociale-démocratie dans l’encadrement des

revendications sociales, que l’action protestataire des nouveaux mouvements sociaux

soutenus par les Verts. Depuis 1998, la coalition gouvernementale du SPD et de B90/G

mobilise la gauche sur un terrain plus conventionnel. Revendiquer dans la rue n’est, pas plus

qu’ailleurs, une tradition de la droite allemande573. L’absence de ces partis sur le terrain de la

mobilisation contestataire laisse le monopole au PDS. La manifestation devient alors pour ce

dernier l’espace- temps social et politique dans lequel il incarne les revendications de la

gauche et constitue seul le contre-pouvoir. Il y incarne en somme l’image fantasmée de lui-

même. C’est ainsi que la manifestation constitue un outil essentiel de la mise en scène de soi

du PDS. D’alibi, elle devient rite identitaire et prospectif574.

Au côté du nombre de participants, la composition et le déroulement du défilé est un

critère supplémentaire de l’efficience de la capacité de mobilisation de l’activité manifestante

du PDS. Le fait que l’activisme du PDS dans le domaine de la lutte contre l’extrême droite

réside essentiellement dans l’organisation de contre-manifestations encourage à interroger la

fonction et le déroulement de ces actions. Leur analyse repose ici essentiellement sur une mise

en perspective de témoignages de militants et d’élus.

Récits manifestants

« Souvent, il faut faire preuve d’imagination pour embarquer d’autres personnes. J’y vois aussi une

manière de contrer la peur qu’ont les gens des « chaotiques d’extrême gauche ». Nombreux sont ceux,

au milieu de la société, qui ne veulent rien avoir à faire avec eux […] Et pour une action comme celle

qu’on a fait par exemple à Grimma en novembre à l’occasion de ce défilé nazi, un certain degré de

discipline est nécessaire. Nous nous sommes postés devant une maison qui avait appartenu à une famille

juive. Et lorsque les nazis sont arrivés, nous les avons provoqués en leur tournant le dos. C’est vraiment

une chose pour laquelle il faut être sûr que tout le monde participe, sinon toute l’action échoue. [...]

Question : Comment est née l’idée de tourner le dos ?

573 Interrogé sur sa participation à des manifestations, un député régional de la CDU répond, presque offensé: «Mais je ne suis pas un manifestant ! » 574 Il n’est donc pas étonnant de constater que les militants du PDS plébiscitent la manifestation comme forme concrète d’engagement. Dans les témoignages recueillis par écrit, 6 militants sur 8 déclarent manifester contre l’extrême droite. Cette activité est plus courante que les autres formes d’engagement contre l’extrême droite, qu’il s’agisse de travail social, de tenir un stand d’information (4/8) ou de formes plus énigmatiques « d’engagement antiraciste » (3/8). Seul un militant déclare s’investir dans la défense des victimes (intégration et soutien). Un jeune militant livre pourtant un constat cinglant, qui insiste sur le caractère démonstratif de la manifestation : « On fait beaucoup de choses, mais elles restent sans effet, étant donné que le but de la plupart des actions est d’attirer l’attention sur le problème, sans le solutionner. »

Page 194: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

180

KK : 20-30 personnes y ont spontanément pensé. Ils se sont demandé : qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

On se bat ? On se tait ? On était d’accord sur le silence : ils arrivent, on se retourne et lorsqu’ils sont

partis, on se retourne. C’était une idée spontanée, née comme cela et immédiatement appliquée.

Question : Comment ont-ils réagi ?

KK : Les Nazis étaient là, nous avons réussi à stopper le défilé sans aucune violence. Mais ils se sont

sentis tellement provoqués qu’ils se sont arrêtés d’eux mêmes. On peut les stopper en bloquant la rue,

mais là on a réussi par ce biais. Et bien entendu, on a montré que Grimma n’était pas d’accord avec

eux !

Question : Pensez-vous que ce genre d’initiatives, pacifiques, peuvent pousser les gens à s’engager

davantage ?

KK : Pas seulement pacifiques, imaginatives aussi. A Leipzig quand elle était capitale européenne de la

culture, je ne sais pas si ça a été fait, mais on avait pensé à distribuer des patins aux nazis, pour leur

dire : vous ne pouvez pas défiler comme ça avec vos bottes brunes, ne détruisez pas notre ville ! Ce qui

a souvent été fait, à Grimma également, c’est de les inonder de musique, pour qu’ils n’arrivent plus à

marcher au pas. » K. Köditz, députée au Landtag de Saxe.

Le récit de K. Köditz met en évidence les efforts développés en matière de stratégie

militante pour faire défiler les citoyens est-allemands au côté des Antifas. De cette stratégie

dépend l’opportunité d’un recours à la violence et donc les chances de réussite d’un

mouvement populaire. Pacifiste et inventive, la mobilisation neutralise le risque de violence

que comporte toute manifestation.

Pousser la logique de l’ennemi au bout en privilégiant la (contre-)manifestation

Le fait de s’attaquer directement à l’ennemi dans le cadre d’une contre-manifestation,

qui vise à faire échouer la mobilisation prévue par l’adversaire, accroît les risques de violence.

Si le droit de manifester paraît intouchable aux yeux de la gauche, cette dernière envisage

pourtant l’usage de la force par l’Etat lorsqu’il s’agit de s’opposer à l’extrême droite. En

fonction des individus, le fait que les manifestations d’extrême droite soient autorisées est

signe de la puissance ou de la faiblesse de l’Etat, dans les deux cas de son caractère

démocratique575. Entre principes et pragmatisme, le discours du député à la CDB B.

Hoff (PDS) rend compte de la complexité de la situation :

575 A. Geisel (SPD), qui délivre les autorisations de manifester à Hohenschönhausen, interdit systématiquement celles d’extrême droite sur ce territoire. « Je trouve que l’Etat démocratique doit clairement montrer aux antidémocrates où se situent les frontières. Je souhaite qu’un signal leur soit envoyé par l’Etat : nous ne nous laissons pas faire ».

Page 195: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

181

« Je pense que l’Etat ne doit pas avoir le droit d’interdire des manifestations. Pas automatiquement, pas

parce que je pense qu’il interdirait automatiquement celles de gauche, mais je ne souhaite pas que l’Etat

ait le pouvoir politique de décider quelles sont les manifestations autorisées et quelles sont celles à

interdire. Mais cela dépend... Une manifestation qui exhorte à agresser un groupe doit bien entendu être

interdite. .. Je considère qu’il est de mon devoir civique de manifester aussi contre des rassemblements

d’extrême droite.. »

Les liens entre les questions de violence et de liberté opèrent comme un frein au

légalisme évoqué plus haut. La violence peut en effet paraître légitime lorsqu’elle conduit à

contrer l’extrême droite. Au PDS, l’acceptation de la violence comme un moyen d’imposer

une fin politique est intimement liée à la proximité d’un acteur avec l’extrême gauche. Seuls

les néo-socialistes proches de l’extrême gauche revendiquent l’usage de la violence contre

l’extrême droite576.

Chez une partie de l’extrême gauche, notamment chez les Antifas, l’affrontement avec

la police fonde l’identité collective. Par un processus de substitution, les policiers qui font

obstacle à une confrontation directe avec l’extrême droite se transforment en ennemi. Face à

un déploiement démesuré des forces de police lors de manifestations annoncées par l’extrême

droite, le sentiment d’impuissance et d’injustice des opposants est alors proportionnel à

l’impression de puissance que renvoient les manifestants (d’extrême droite). Pour

l’intellectuel R. Schröder, l’usage de la violence par l’extrême gauche et la préférence des

contre-manifestations expose le PDS à un cercle vicieux. Le risque d’escalade inhérent à la

contre-manifestation le contraint à recruter des manifestants dans les milieux Autonomes et

Antifas plus que dans ses propres rangs. Or la présence de ces manifestants, qui ne sont pas

des adeptes du principe de « law and order », fait naître dans la population l’impression

« macabre » d’une extrême droite qui défile proprement et « d’une gauche qui lance des

pierres.» Cette analyse rejoint la tendance précédemment observée en Saxe.

S. Wagenknecht de la KPF envisage la question sous l’angle des limites à poser à la

liberté d'expression. Son caractère inconditionnel est remis en cause lorsqu’il est fait appel à

la violence et à l’agression de certaines personnes. « La rue n'est que le dernier recours », c'est

parfois le seul moyen d’empêcher une manifestation d’extrême droite en palliant le devoir des

576 Ainsi, Angela Marquardt, députée, ex-vice présidente du parti, à l’époque chef de l’organisation de jeunesse proche de l’extrême gauche « Junge GenossInen » (Jeunes Camarades) approuve en 1995 l’attaque du siège d’une revue d’extrême droite. A la question : « Que pensez-vous du fait que des incendies criminels soient dirigés contre le journal de droite Junge Freiheit ? », elle répond : « Je trouve légitime d’empêcher l’impression de Junge Freiheit ». Faits relatés par le Berliner Zeitung, 05.02.1997.

Page 196: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

182

autorités étatiques. Derrière ce discours rationalisé se cache une réalité sensible. Le discours

de Wagenknecht sur le comportement des forces de police au cours de manifestations n’en

dit-il pas plus long sur son rapport à l’Etat de droit (et à la légitimité de son monopole de la

violence) que l’ensemble de son argumentation ?

« Question : Que pensez-vous du fait que des bagarres éclatent régulièrement entre les extrémistes de

droite et de gauche ?

SW : Oh, c’est aussi comme ça qu’en parlent les médias. Le problème au sujet des manifs, c’est que la

police se met entre les deux, d’accord, mais ensuite elle ‘charge’ seulement ceux de droite, alors qu’elle

tire carrément sur la gauche ! Les bagarres ont plutôt lieu entre la police et les manifestants de gauche.

J’en ai fait l’expérience. J’étais moi même à une manifestation où la violence n’a pas commencé du côté

des manifestants, mais elle a été provoquée par la police, de sorte qu’à un moment les pierres ont volé.

[…]

Question : Pourquoi la police aurait-elle intérêt à ce que les manifestants se bagarrent entre eux ?

SW : Pas entre eux ! La police elle même contre les manifestants de gauche. Pourquoi le fait-elle ? Ca

criminalise une certaine scène. Il y a un intérêt répugnant à ce que les gens aient peur d’aller à ce genre

de manifestation. S’il faut toujours avoir peur qu’une bagarre éclate au cours d’une manif antinazie,

certaines personnes, comme les plus âgées, ont peur d’y aller. [..] La police le sait, elle a des stratégies

précises. Il est possible d’agir de manière à ce que cela n’arrive pas. Lorsqu’il y a des bagarres, c’est

qu’on a travaillé pour ça, parce que ça n’arrive pas tout seul. C’est juste le signe de la défaillance totale

du pouvoir étatique.[..] Ensuite, je ne souhaite pas spéculer exagérément au sujet de l’orientation

idéologique de certaines unités de police, mais ça joue aussi un rôle. On a bien l’impression que la

sympathie est clairement accordée à l’un des deux camps [rires]. […] On ne peut pas être catégorique,

mais si je me remémore les manifs au cours desquelles la police matraquait, on avait quand même en

partie l’impression qu’ils prenaient plaisir à s’avancer, toujours vers ceux de gauche, avec leurs

matraques en avant. Pas seulement sur ordre, non, ça dépend aussi des opinions (politiques) des

policiers à titre individuel. Sans être catégorique. Ce serait injuste de dire que les policiers sont des

racistes en règle générale. Ça non. Mais, comme je l’ai déjà dit, les procédés sont parfois effrayants.» 577

La porte-parole de la KPF est la seule personne interrogée, avec les jeunes militants de

Soli’d de Lichtenberg évoqués plus loin, à mettre ainsi en cause les forces de police578. Cette

577 Ses allégations sur les opinions politiques des policiers peuvent être analysées sous l’angle de la confusion entre l’envie d’action et le racisme. Ceci renvoie à la difficulté de faire respecter le principe de la non violence par les policiers aussi bien que par les contre-manifestants. Sur les questions de violence policière, se reporter aux travaux de F. Jobard, notamment Bavures policières ? La force publique et son usage. La Découverte, 2002. 578 O. Fillieule offre une interprétation nuancée de l’usage de la violence en fonction du camp dans lequel se trouve l’auteur de violences . La traduction de la responsabilité se fait en effet en termes individuels pour la police, collectifs pour les manifestants. Si un manifestant lance des pierres, son comportement est généralisé à l’ensemble des manifestants et devient collectif : ce sont les manifestants qui ont été violents. Tandis qu’un geste violent de la part d’un policier pousse à l’isoler. Le groupe n’est pas mis en cause, la défaillance expliquée par un « élément incontrôlé ». O. Fillieule : op.cit., p. 309.

Page 197: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

183

perception évolue en fonction de la manière dont est perçue la manifestation, entre héroïsation

et routine.

Les deux visages de la manifestation, entre routine et fait d’armes

Les récits soulignent le fait que la manifestation est d’abord un construit social. Elle n’a

ni la même réalité, ni la même fonction selon les générations et le degré d’insertion des

sympathisants dans l’organisation partisane. La mise en parallèle de deux discours tenus par

des collectifs de militants du PDS (députés au Parlement de Saxe d’un côté, jeunes militants

de Berlin-Est de l’autre) atteste de l’évolution de la conception de l’action politique tant, à

titre individuel, en fonction du cycle de vie, qu’à titre collectif en regard du degré d’insertion

du parti dans les institutions du pays.

Le 1er décembre 2001, le NPD prévoit de manifester à Berlin contre l’exposition sur les

crimes de la Wehrmacht, sous le mot d’ordre: « Nos pères n’étaient pas des criminels ». Les

groupes Antifas, nombreux à Berlin, se mobilisent fortement contre cette manifestation. Alors

que le cortège traverse le quartier juif (Oranienburgstrasse dans l’arrondissement du centre-

ville, Mitte) une rixe éclate entre les contre-manifestants et la police. Les habitants du quartier

interviennent en faveur de contre-manifestants agacés par l’attitude de la police qui, en les

empêchant d’approcher le cortège, donne l’impression de faire obstacle à la contre-

mobilisation tout en protégeant les adeptes du NPD. En ce 1er décembre 2002, la stratégie

policière vise à éviter à tout prix la confrontation entre les manifestants et les contre-

manifestants579. Voici comment de jeunes militants évoquent le déroulement de cette

manifestation580.

Extrait d’une discussion qui se déroule dans les locaux de la mairie de Lichtenberg, Berlin-Est le jeudi

06.12. 2001 à 19h30. Sont présents des militants de l’officieuse association de jeunesse Soli’d du PDS :

Holger, 21 ans, étudiant, conseiller d’arrondissement membre du PDS; Peter, Jürgen, le plus jeune,

Tom, 23 ans, mécanicien dans l’industrie et Eva, 19 ans, lycéenne, sympathisants du PDS ; Kristof,

membre de Solid-Lichtenberg581.

Tom parle des jets d’eau de la police582 qui « leur sont tombés dessus sans qu'ils comprennent

pourquoi ».

579 Sur la stratégie de maintien de l’ordre, voir O. Fillieule : op.cit., p. 270 et 281. 580 Les propos sont rapportés dans l’ordre de leur énonciation et ont au besoin été clarifiés afin d’éviter les malentendus et les redondances. Des crochets indiquent que les propos ne se suivent pas directement. En italique sont rapportées les idées collégiales ou qui font l’unanimité. 581 Noms d’emprunt. 582 A l’exception de l’élu du groupe, Holger, tous utilisent le terme de « flics » (Bullen) pour désigner les forces de l’ordre.

Page 198: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

184

Kristof, qui était dans le quartier avec son école, dit avoir vu les bouteilles voler. Pour lui, les policiers

sont partis du principe que des pierres allaient voler, puisqu’ils ont demandé aux manifestants de baisser

leurs pancartes de manière à voir arriver les pierres.

L’intervention de la police était brutale, excessive, ce n’est pas normal qu’ils bloquent le quartier!

Tom récapitule les événements: les policiers avaient décidé dès le début de ne pas laisser la situation

escalader comme ça avait été le cas par exemple lors du 1er mai. Le bruit a couru parmi les participants

que le NPD avait l'intention de traverser le quartier juif au lieu de se cantonner comme prévu à la

Friedrichstrasse. C'est pour cela que les manifestants se sont mobilisés dans la Oranienburgerstrasse

Peter: Il y avait beaucoup de contre-manifestants: des gens de gauche, des Autonomes, des résidents, des

partis politiques et des policiers en civil également. [..]

Jürgen a été impressionné par ce rabbin et ce pasteur agenouillés côte à côte qu’il a vus à la télévision.

Tom : une partie de la police est correcte, sympa, on peut parler avec elle. Cela dépend des unités, la 23

par exemple est mauvaise. […]

Peter raconte qu’alors qu’il parlait avec une unité de policiers qu'il connaît, « des types sympas », le

cortège PDS est arrivé en vue et les policiers ont dit à Peter et à ses amis qu’ils feraient mieux de ne pas

rester ici. Les policiers ‘ont chargé’ au moment où le PDS est arrivé à leur hauteur. En tout cas, se

reprend Peter, le moment de l'attaque a coïncidé avec le passage du PDS.

Peter précise que les Autonomes avaient prévenu la police qu'il faudrait compter sur une escalade de la

violence si on leur interdisait d'approcher la manifestation du NPD.

Ce récit de la manifestation diverge de son observation ou de l’image qu’en ont donnée

les médias583 sur la tentative qui vise à faire passer l’interposition musclée des forces de police

pour une agression du PDS. La manifestation est ici un fait d’armes, le PDS et les contre-

manifestants des victimes. Les récits manifestants prennent une toute autre forme dans les

locaux du groupe parlementaire du PDS au sein du Landtag de Saxe, à Dresde.

Jeudi 18.04.2002, Dresde, Landtag de Saxe. Les propos sont tenus par K. Bartl, chef de fraction ; E-J.

Steckl, porte-parole de la politique intérieure; U. Adamczyk, porte-parole du groupe parlementaire pour

« la politique antifasciste » et K. Köditz, députée spécialisée dans la question de l’extrême droite.

583 Les jeunes militants éludent entièrement l’appel à la non violence de G. Gysi. Le soir de cette manifestation, un reportage du journal télévisé montre l’intervention de G. Gysi, figure charismatique du PDS, prendre la parole dans une fourgonnette de la police pour calmer les contre-manifestants, arguant : il s’agit d’une manifestation contre le NPD, pas contre la police. Le reportage se termine sur l’impression que le calme est revenu. Les militants interrogés sur ce point ne se sont pas du tout montrés convaincus par l’effet salvateur de la présence de G. Gysi au sujet duquel ils disent « préférer » se taire. Le rôle du très médiatique G. Gysi a vraisemblablement été exagéré par les médias, ce qui agace sans doute les jeunes militants.

Page 199: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

185

U. Adamczyk reconnaît qu'une grande partie des réunions contre l’extrême droite n’est pas déclarée

auprès des services de police et se déroule donc illégalement584. Diverses tentatives visant à organiser la

sécurité lors d’actions de la scène Antifa ont échoué. « Ce milieu n’a pas atteint le stade de la

responsabilité ». U. Adamczyk souhaite néanmoins amener un peu de ce milieu au Landtag, mais n'a

toujours pas de concept précis sur la manière de le faire. [..]

Il faut avant tout sensibiliser la population et la pousser à intervenir sur la question de l’extrême droite.

Köditz insiste sur la nécessité d’un travail en direction de l’opinion publique car la stratégie première,

dès lors qu'un problème apparaît sur le terrain est de le cacher ; alors que dès qu'il devient public,

nombreux sont ceux qui s’associent aux contre-mesures. […]

Steckl déplore que la notion même d'antifascisme soit utilisée comme une arme politique

(Kampfbegriff). Il est nécessaire de s’intéresser sur le fond aux notions de fascisme et de social-

fascisme.

Les Nationaux-Socialistes ne s'appelaient pas ainsi par hasard.

Steckl : c’est sur cette base que repose la mise en parallèle des deux formes d'extrémismes que même la

police utilise. Et il évoque les Soko Links, ces forces spéciales de police qui, sur l’exemple de celles

spécialisées contre l'extrême droite en place depuis quelques années en Saxe, seront chargées de lutter

contre les violences d’extrême gauche le 1er mai. Ceci envoie un signal « peu clair ».

Adamczyk compatit : Il faut comprendre ces jeunes, même s'ils réagissent parfois très violemment.

Parce que c’est vraiment un choc pour eux d’entendre de simples citoyens (comme c'était le cas à

Leipzig la dernière fois) dire que ce sont les contre-militants qui coûtent cher à l'Etat car ils obligent à

mettre en place un service spécialisé et à décupler le personnel.

Steckl: Ca a coûté un million la dernière fois!

Köditz: (ironique) Le citoyen comme risque pour la sécurité. On aura tout vu !

Adamczyk évoque le comportement « limité » et non exemplaire de la population. De plus, les

personnalités politiques locales refusent très souvent de reconnaître l’existence même du problème. Les

objectifs des extrémistes de droite ne simplifient pas les choses. Ils se mettent maintenant à défiler en

signe de solidarité avec la Palestine. Que voulez-vous que l’on fasse contre ça ? Nous nous engageons

depuis des années en faveur de la Palestine et maintenant, nous voilà mis dans le même sac qu'eux !?

Alors qu’ils se déclarent pro-palestiniens pour des raisons effrontément antisémites!

Bartl: ce qui prouve bien qu’un engagement contre la violence est nécessaire. Il faut sortir du débat

parlementaire, créer un réseau concret au coeur de la société.

Dans le cas des députés, qui affirment leur volonté de désinvestir la scène Antifa du

combat anti-extrême droite pour le confier à la population civile, la problématisation et les

tentatives de conciliation remplacent l’événementiel vécu sur le mode identitaire d’un

584 Notons qu’en France, la propension à l’illégalisme qui varie en fonction de la cause défendue, est particulièrement élevée chez les manifestants anti-racistes. Si 80% des manifestants interrogés se déclarent prêts à participer à une manifestation interdite, ce pourcentage s’élève à 94% lors d’une manifestation antiraciste. O. Fillieule : op.cit., p. 144.

Page 200: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

186

« moratoire de la jeunesse »585. Le discours, bien que moins homogène, met en évidence le fait

que la manifestation fait non seulement partie de la routine des députés du PDS, mais qu’elle

fait en plus pour ces deniers partie de leurs attributions. Le renforcement du lien identitaire est

pourtant au centre de la portée de la manifestation, qui offre l’occasion de faire communier la

foule avec le parti par l’émotion.

« On se sent tous toujours formidablement bien lorsqu’on est tous ensemble à une manif’ et qu’on tient

des bougies. Le plus difficile est de transposer ce sentiment à l’échelle de l’individu, de l’inscrire dans

les crânes de manière à ce qu’il fonde un mode de pensée humain, afin que la nécessité d’empêcher

[l’extrême droite] soit intériorisée et que cette discussion continue à être alimentée. C’est plus difficile

que de tenir des bougies. »

Parce que l’efficacité de ce type de mobilisation réside essentiellement dans son

caractère démonstratif, le (contre)-manifestant acquiert une stature chevaleresque586. Ainsi, si

dans l’esprit des jeunes militants de Soli’d, la manifestation est un fait d’arme, elle relève pour

les élus et dirigeants de logiques de routinisation. C’est l’occasion de faire fusionner la base,

voire le peuple, avec les élites sur la base du partage d’émotions galvanisantes. Le lieu de

l’action influe par ailleurs fortement sur le déroulement de la manifestation, selon qu’elle se

déroule en terrain conquis ou non.

Finalement, la mobilisation anti-extrême droite, même lorsque le PDS essaie d’en

orchestrer l’organisation, se distingue peu du mouvement anti-Front national analysé en

France par N. Mayer587. Paradoxalement, c’est précisément parce que l’antifascisme se

détache du statut de concept pour devenir une subculture qu’il fonctionne. C’est cette

confusion dans la revendication du terme, notion historique pour les plus âgés,

585 Le terme de moratoire désigne ici la période d’attente précédant l’affirmation de l’identité politique caractéristique des années de jeunesse. A. Muxel : « Le moratoire des années de jeunesse » in A. Percheron, R. Rémond (dir.) : Âges, attitudes et comportements politiques. A. Colin, 1990, pp. 224-225. 586 C’est ce que montre le romantisme que la population attache à la réaction populaire de l’arrondissement berlinois de Hohenschönhausen au transfert de la manifestation du NPD le 1er mai 1998. Cette communion des partenaires sociaux et politiques avec la population (« C’est tout un quartier qui dit non » selon A. Gabelin), fortement associée à l’identité de la classe ouvrière, est traitée dans le chapitre 5 section 3, A. 587 Parmi les opposants au FN, ceux qui se mobilisent, les « antilepénistes protestataires » ont un profil semblable aux Antifas. Ils sont jeunes, ont un fort degré de politisation (s’intéressent à la politique, se sentent proches d’un parti politique et participent activement à la vie politique) et sont surtout issus de la gauche non sociale-démocrate (électeurs et sympathisants de l’extrême gauche, du PC et des Verts). Antiracisme et antifascisme apparaissent comme la cure de jouvence des partis de gauche. La revendication d’un antifascisme issu de la résistance au national-socialisme n’est pas propre au PDS. La plupart des anti-lepénistes « se sont coulés dans le moule idéologique de l’antifascisme tel qu’il s’est développé dans les années trente», soit à l’époque de Dimitrov N. Mayer in Perrineau : op.cit.

Page 201: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 2- Usages partisans de la valeur antifasciste

187

« investissement spontanéiste contre culturel »588 chez les plus jeunes et les plus radicaux, qui

rend la mobilisation possible589.

****

Au sein du PDS, la croyance en l’antifascisme est non seulement le garant du système

éthique, mais elle transforme également le parti en « communauté émotionnelle». La

routinisation de l’antifascisme pour faire « entrer la doctrine du prophète dans la vie

quotidienne »590 est le moyen qu’a trouvé le PDS pour pérenniser son mouvement en associant

l’identité et l’émotion à l’adhésion idéologique.

Après avoir montré comment la valeur antifasciste, élevée au rang de norme

idéologique, est utilisée pour fédérer les milieux proches du PDS, il s’agit maintenant de se

pencher sur la manière dont le parti utilise cette idéologie dans un espace dont les règles lui

sont cette fois imposées. Comment le PDS investit-il la cause antifasciste lorsqu’il n’est plus

le maître du jeu ?

588 O. Fillieule (« Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel». RFSP, 1-2, 2001, p. 210) s’appuie ici sur l’analyse de C. Péchu. Le terme de contre-culture implique à nos yeux que les valeurs véhiculées aillent à l’encontre de celles dominant la société et fondant l’ordre établi, ce qui paraît difficilement applicable à la France comme à l’Allemagne ; c’est pourquoi nous préférons employer le terme de subculture. 589 Les manifestations prennent d’ailleurs une place importante dans les « petites questions au gouvernement » du groupe parlementaire du PDS au Landtag de Saxe, comme le montre la section 1 du chapitre 3. 590 M. Weber : Economie et société, t. 2, pp. 204- 209.

Page 202: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

188

Page 203: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

189

CHAPITRE 3

FIGURER L’INIMITIE DANS LE JEU PARLEMENTAIRE

Ce chapitre confronte la manière dont le parti, en interne, construit une figure de

l’ennemi, à l’extérieur, par l’intermédiaire de l’arène parlementaire. L’espace parlementaire

est ici appréhendé comme celui de la rencontre entre des pratiques professionnelles et la

dimension spirituelle du politique591. La superposition de ces deux dimensions conduit à

utiliser le terme d’arène, pour désigner le lieu de la confrontation parlementaire. L’arène n’est

pas appréhendée comme un espace clos et hermétique, elle est soumise aux contraintes

extérieures, non seulement politiques mais également sociales.

Nous verrons que lorsque la cause est construite en objet d’action législatif, les règles

du jeu parlementaire et partisan entrent en conflit. La confrontation aux exigences d’une

assemblée parlementaire qui fixe elle même les règles du jeu, individualise et contraint à

l’extériorisation de la problématique par un processus de délégation. Dans sa tentative de

transférer à l’espace parlementaire la lutte symbolique qu’il a livrée pour s’attribuer le

monopole légitime de l’opposition à l’extrême droite, le PDS va en effet devoir affronter la

dénonciation de sa prétention au monopole de défense de cette cause. La routinisation de la

problématique de l’extrême droite par le parti au sein du parlement (et non l’inverse) conduit

à sa délégation à des députés du PDS spécialisés, que nous appellerons des experts.

591 C. Schmitt pose la spiritualité et les croyances comme les fondements de l’institution parlementaire. Son analyse identifie les « fondements spirituels » qui ont conduit à la prééminence du législatif à travers ce qu’il appelle la « métaphysique libérale ». Cette approche ne manque toutefois pas d’intégrer un schème rationnel : « Dès lors, le parlement est le lieu où les parcelles de raison disséminées parmi les hommes et inéquitablement distribuées entre eux se rassemblent et se portent publiquement au pouvoir.» C. Schmitt : Parlementarisme et démocratie (Die geistlichgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus) Seuil, 1988, p. 10 et pp. 42-47.

Page 204: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

190

La manière dont l’opposition à l’extrême droite est figurée, c’est-à-dire mise en scène

dans le jeu parlementaire, est analysée à travers les constellations du Bundestag et du Landtag

de Saxe au cours de l’avant-dernière législature (soit respectivement 1998-2002 et 1999-

2004). Tandis que la première section s’intéresse à la manière dont l’opposition à l’extrême

droite est susceptible d’être mise en forme comme une cause consensuelle dans le respect des

règles parlementaires, la seconde procède à une analyse précise des activités législatives du

PDS dans le Landtag de Saxe contre l’extrême droite. Elle conclut à une délégation de la

cause antifasciste à des experts dont d’un côté le profil, de l’autre l’apport aux causes

antifasciste et antiraciste sont analysés dans la dernière section.

Page 205: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

191

Section 1 Les contraintes politiques qui pèsent sur la représentation

parlementaire de la cause anti-extrême droite

Le fonctionnement du système parlementaire fédéral allemand mérite au préalable

d’être succinctement précisé592. La chambre basse ou Parlement fédéral (Bundestag) assume

essentiellement la fonction législative pour les affaires de la fédération593. L’existence de

moyens de contrôle spécifiques, ainsi qu’une forte tradition de juridisme et de contrôle

juridictionnel, contribuent à expliquer que le Bundestag travaille davantage à la législation

qu’au contrôle de l’administration594. Les groupes parlementaires exercent toutefois un fort

contrôle sur l’administration judiciaire et policière. Ce système se reproduit à l’échelle des

Etats fédérés. Les Länder possèdent un gouvernement (dirigé par un Ministre-président) et un

parlement (Landtag) propres. Ce dernier est en charge de la législation relative à son

territoire, de l’application des lois fédérales sur celui-ci ainsi que du contrôle du

gouvernement régional595.

En fonction du territoire sur lequel elle agit et de l’angle sous lequel elle est considérée,

la problématique de l’extrême droite au sens large peut donc être du ressort de chaque Land

ou du Bund. Souvent, elle n’intervient néanmoins qu’indirectement dans l’arène législative.

592 A. Le Divellec : Le gouvernement parlementaire en Allemagne. Contribution à une théorie générale. LGDJ, 2004. 593 La participation des Etats fédérés aux affaires fédérales se fait par l’intermédiaire de la chambre haute, le Bundesrat (Conseil fédéral), composé de représentants des exécutifs fédérés investis d’un mandat impératif. Son rôle est essentiellement circonscrit aux affaires fédérées pour lesquelles il dispose d’un veto absolu (que même l’unanimité du Bundestag ne peut surmonter). Pour les questions fédérales, son veto est suspensif, il peut être remis en cause par la majorité absolue du Bundestag. « Véritable contre-pouvoir dès lors que les Länder sont en cause, le Bundesrat n’assume donc plus que le rôle d’un sage, d’un frein moral dans tout ce qui est affaire nationale.» C. Grewe : Le système politique ouest-allemand. PUF (Coll. Que sais-je ?), 1986, p. 47 et s. 594 Ces moyens de contrôle sont essentiellement le droit de pétition des citoyens au Bundestag (il en reçoit plus de 12000 par an) et le droit de toute personne à saisir le tribunal constitutionnel fédéral d’une plainte pour violation des droits fondamentaux. 595 La répartition juridique des compétences entre les Etats fédérés et l’Etat fédéral est fixée par la Loi Fondamentale (GG) dont le chapitre VII définit trois domaines de législation : le domaine exclusif du Bund, celui des Länder et les domaines concurrentiels. Le Bund bénéficie d’une primauté en matière législative relative à la souveraineté (Article 31 GG: « Le droit fédéral casse le droit fédéré »), le Land pour la gestion des affaires locales. Les Länder bénéficient du monopole législatif dans le domaine de l’éducation (écoles et universités), de la politique culturelle (domaine partagé avec les communes) et des relations avec les Eglises. Dans le domaine culturel, le Bund ne peut donc s’engager sans accord préalable des Länder. Le Bund et les Länder sont en concurrence dans les domaines non réglementés par l’Etat fédéral. Ainsi, les Länder ont le droit de négocier des contrats avec des Etats étrangers, avec l’accord du Bund. C’est le Tribunal constitutionnel fédéral (Bundesverfassungsgericht) qui règle les différends (art 93). Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland. Bundeszentrale für politische Bildung, 1999. En langue française, voir les documents réunis et commentés par M. Fromont : Les institutions de la République fédérale d’Allemagne. La Documentation Française (Coll. Documents d’études), 1999.

Page 206: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

192

La question de l’extrême droite ne passe au premier plan de la vie parlementaire de la

fédération qu’à titre exceptionnel, ainsi entre 1992 et 1993 lorsque le Bundestag procède à

une révision de la loi sur le droit d’asile dans un contexte de violentes agressions xénophobes,

ou encore en 2002 lorsqu’il dépose, parallèlement au gouvernement fédéral et au Bundesrat,

une demande d’examen de la conformité du NPD à la Loi fondamentale auprès du Tribunal

Constitutionnel fédéral. En dehors de ces périodes de crise, la question de l’opposition à

l’extrême droite est soumise aux contraintes habituelles propres à l’activité politique et

parlementaire.

A) Le poids des cycles politiques

Ce paragraphe s’intéresse à l’influence du rapport de forces politique et du climat social

sur le traitement de la cause antifaciste. Il cherche à mettre en évidence la manière dont les

cycles du politique pèsent sur son traitement parlementaire.

Les conséquences de l’alternance gouvernementale

L’arrivée d’une majorité de gauche à la tête de la fédération à l’issue des élections

législatives de septembre 1998 a cette conséquence paradoxale que l'institution s’engage

moins sur les voies anti-extrême droite et antiraciste. Pour la première fois dans l’histoire de

la RFA, une coalition de gauche associe sociaux-démocrates et écologistes au pouvoir596, dans

un contexte où les prérogatives nationales et internationales entrent en conflit. En Allemagne

en effet après l’été 2000, le climat est favorable aux luttes antiraciste et anti-extrême droite,

tandis qu’en réaction au 11 septembre 2001, le contexte international dominé par la lutte anti-

terroriste implique une régression des droits des étrangers. Or, c’est le ministre de l’intérieur

social-démocrate, Otto Schily, un proche du chancelier Gerhard Schröder, qui répond à ces

exigences sécuritaires. Dès lors, la déception d’une partie de la gauche liée à l’exercice du

pouvoir se concentre sur la personnalité de ce transfuge des Verts597 et génère des conflits au

596 A l’issue des élections au Bundestag de 1998, le SPD arrive en tête avec 40, 9% des suffrages exprimés (+4,5 par rapport aux élections précédentes de 1994), suivi de la CDU/CSU 35,1% (-6,3), des Grünen 6,7% (-0,6), des Libéraux 6,2% (+0,7) et des « post-communistes » 5,1% (+0,7). La répartition des sièges se fait ainsi : 298 sur 603 pour le SPD, 47 pour les Grünen soit 345 pour la majorité, 245 pour la CDU/CSU, 43 pour le FDP et 36 pour le PDS. 597 Les débuts politiques d’Otto Schily ressemblent à ceux du ministre écologiste des Affaires étrangères Joschka Fischer. Contestataire proche de l’extrême gauche, avocat de l’ancien terroriste Horst Mahler (époque Fraction Armée Rouge), il entre chez les Verts en 1980 avant d’adhérer au SPD en 1989. Ce passé pèse lourd sur sa marge d’action politique. Ainsi, alors que l’un de ses projets est contesté par les services de police au début de l’année 2001, l’un de leurs syndicats lance une campagne qui met en scène son passé contestataire. Des affiches

Page 207: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

193

sein de la coalition. Les écologistes en particulier sont obligés « d’avaler cette politique »598

sous peine de mettre en cause tout le gouvernement à travers le seul ministre de l’intérieur.

Pour H. Lynen von Berg, spécialiste du discours parlementaire des grands partis sur l’extrême

droite, l’exercice du pouvoir par O. Schily met le SPD et les Grünen sous pression.

« Schily est naturellement quelqu’un qui, dans certaines situations, se sert de manière véhémente de

préjugés criminels xénophobes par exemple et utilise très fortement, comme après le 11 septembre de

l’année dernière [2001], les préjugés contre l’Islam. […] Au sein des partis, chez les Verts je l’ai appris

de manière explicite, mais également au SPD, il y avait en 2000-2001 un cercle de députés très engagés

en faveur de ce programme [contre l’extrême droite]. Chez les Verts, cette députée ne va pas se

représenter. En arrière plan il y a aussi le fait qu’elle n’ait pas approuvé la participation à la guerre du

Kosovo et c’est ce potentiel critique chez les Verts qui est de plus en plus marginal. Et ils ont

certainement aussi sacrifié ce sujet à la sécurité intérieure. Ils se sont laissés clouer à cette ligne par

Schily, par l’intermédiaire de l’interdiction du NPD, où ils se sont tout à coup mis à croire qu’ils

peuvent venir à bout du sujet par des moyens répressifs. Et ce sont précisément ces personnes, celles qui

se sont engagées, qui ne sont plus représentées. [..] Au SPD, c’est à peu près la même chose. Tout à

coup le sujet s’est consolidé, l’engagement faiblit et on adopte une ligne qui joue sur la peur. »

Mis en minorité et incapables d’agir, les députés de la coalition mobilisés contre

l’extrême droite délèguent alors la défense de la cause anti-extrême droite au PDS. En janvier

2002, une proposition de loi en faveur de la création d’un observatoire et de l’élaboration

d’une étude relatifs à l’extrême droite, élaborée conjointement par le PDS et quelques députés

du SPD est rejetée. Un député du SPD demande alors au bureau de la porte-parole du PDS

pour la politique intérieure U. Jelpke de poursuivre ce projet contre l’extrême droite. Il

indique n’être lui même plus en mesure de le faire et souhaiter conserver l’anonymat.

L’alliance gouvernementale rouge-verte engendre non seulement une révision des

pratiques, mais également une renégociation des réseaux de soutiens. Une coopération

officieuse existe bien à l’intérieur du Bundestag entre certains individus de différents groupes

parlementaires. Elle donne parfois, à titre exceptionnel, naissance à une proposition

commune. Cependant, il n’existe pas de groupe de travail thématique commun au SPD et aux

Verts ; la volonté de certains députés d’imposer une politique antiraciste et antifasciste est

source de conflits au sein même des groupes parlementaires. Pour certains agents, le conflit se

transforme en rupture. Madame A., députée écologiste spécialisée dans la politique

antifasciste, rencontre par exemple d’énormes difficultés avec son groupe parlementaire. Ne

montrent une photo d’O. Schily, refusant d’interrompre son sit-in au cours d’une manifestation, emmené de force par quatre policiers. 598 H. Schröder, assistant parlementaire de Petra Pau spécialisé dans la question de l’extrême droite.

Page 208: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

194

parvenant pas à imposer une problématique soutenue ni par le gouvernement ni par la

direction de son groupe parlementaire, elle refuse de se représenter aux élections en 2002.

La visibilité de la thématique antiraciste et anti-extrême droite au Bundestag est

conditionnée par la capacité des individus qui investissent ce champ d’action politique à

coopérer. Le noyau du réseau anti-extrême droite au Bundestag est la coopération entre le

bureau de U. Jelpke (PDS pour l’opposition) et de Madame A. (écologiste, pour la majorité).

Trois facteurs rendent cette coopération possible : d’une part, la situation de rupture de la

députée écologiste avec les exigences disciplinaires de son groupe parlementaire, d’autre part

la nature associative plus que politique de son engagement (elle a milité localement dans de

nombreuses associations antifascistes avant son élection), enfin le fait qu’U. Jelpke ait été

politiquement socialisée au sein du parti écologiste599.

La faiblesse de la coopération interpartisane sur ce sujet s’explique également par le

champ de compétences de la commission qui en traite. La question de l’extrême droite relève

de la commission parlementaire de la politique intérieure, au sein de laquelle les

problématiques antiracistes et antifascistes jouent un rôle mineur. Il y a davantage de

coopération inter-partisane dans les commissions orientées plus directement sur un

engagement éthique600. A l’intérieur de la gauche (SPD, Verts, PDS), la problématique traitée

n’exacerbe pas à ce point les clivages idéologiques pré-existants entre les partis ; elle en

exclut néanmoins la droite (CDU, CSU et Libéraux).

La fenêtre de l’été 2000

La fenêtre ouverte par l’été 2000601 opère un repositionnement général qui présente

l’extrême droite comme un problème global de société et non comme un phénomène politique

marginal602. L’été 2000 fonctionne comme une fenêtre politique, elle est l’occasion d’imposer

des mesures en préparation depuis longtemps, voire rejetées au cours de la même législature. 599 Voir sa biographie en section 3, B. 600 Comme la commission des droits de l'homme, de la coopération et du développement économiques, davantage marquée par les exigences humanitaires. 601 Voir l’introduction générale. 602 Le contenu des brochures publiées par le bureau de U. Jelpke depuis 1990 est à ce sujet représentatif. Elles rassemblent les petites questions écrites et réponses du gouvernement, communiqués de presse ainsi que l’ensemble des initiatives parlementaires. Jusqu’en l’an 2000, les documents privilégient un classement thématique (exemple : délits antisémites de 1995 à 1997). Le premier document rendant compte des activités de l’année 2000 parait sous la forme plus généraliste « Extrémisme de droite. Six premiers mois de 2000 », intégrant ainsi par exemple les délits antisémites. Il se découpe en quatre grandes questions: les délits extrémistes de droite et antisémites, combattre l’extrême droite, questions diverses sur l’extrême droite et l’« Alliance pour la démocratie et la tolérance- Contre l’extrémisme et la violence » (Bündnis für Demokratie und Toleranz - gegen Extremismus und Gewalt).

Page 209: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

195

Ainsi, une proposition pour la protection des victimes élaborée par les groupes parlementaires

de la coalition, à laquelle s’associent le PDS et le FDP, est adoptée en mars 2001 après avoir

été rejetée une première fois en juin 2000603. Le débat de l'été 2000 offre l’opportunité de faire

adopter une proposition en attente.

Avec le déploiement d’initiatives consécutif à l’été 2000, le gouvernement déclare

l’endiguement de l’extrême droite inscrit sur l’agenda. L’opinion d’une absence d’action

effective du gouvernement est pourtant répandue dans les milieux associatifs et politiques

engagés contre l’extrême droite, y compris dans les rangs du gouvernement. Selon certains

interlocuteurs du PDS, les 600 millions de DM (320 millions d’euros) alloués à la lutte contre

l’extrême droite mis en avant par le gouvernement fédéral ne seraient que le résultat de la

comptabilisation de toutes les subventions accordées aux problématiques afférentes (telles que

la lutte contre le chômage, l’ensemble des initiatives en direction de la jeunesse,…) 604.

Si l’été 2000 donne lieu à une problématisation de la question, l’absence de décisions et

de production d’alternatives, notamment l’échec de la tentative d’interdiction du NPD, tend à

ranger la prise en compte politique de l’existence sociale de l’extrême droite dans la catégorie

des émergences factices605. Elle ne fait qu’offrir un champ d’action publique à ceux qui sont

déjà mobilisés.

B) La représentation de la cause soumise aux règles du parlement

La représentation de la croyance au sein de l’espace politique nécessite que les espaces

sociaux qu’elle représente y soient transférés. La question se pose alors, non seulement de la

traduction politique d’une cause œcuménique, mais encore des logiques qui prévalent à son

investissement.

« Il faudrait réfléchir à la spécificité de l’extrême droite en tant que problème social. En fait, il en va de

même pour tous les problèmes sociaux, on préférerait qu’ils n’existent pas. Mais l’extrême droite et

l’antisémitisme sont entachés de honte, ils ne devraient pas exister. C’est pourquoi il est difficile de

thématiser ces questions en continu, parce que l’on souhaiterait les cacher, comme les sévices faits aux

enfants ou la pédophilie. Il en va autrement de l’immigration ou de la modernisation de l’économie,

dont on parle facilement dans les banques ou les petites entreprises. Mais insister sur l’extrême droite,

603 Un débat parlementaire est consacré à une proposition commune à tous ces groupes parlementaires intitulée : « Contre l’extrême droite, la xénophobie, l’antisémitisme et la violence », en date du 8 juin 2000. Une proposition identique (mêmes initiateurs, même énoncé) est (re)déposée le 06.03.2001. 604 H. Schröder, assistant parlementaire de Petra Pau spécialisé dans la question de l’extrême droite. 605 P. Favre (dir.): Sida et politique. L’Harmattan, 1992, p. 12.

Page 210: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

196

c’est difficile, parce que cela revient, indirectement, à reprocher aux gens d’en être complices, de

regarder sans protester. » M. Chrapa, sociologue proche du PDS.

C’est d’une préoccupation sociale que la question de l’extrême droite, dans son

traitement, se rapproche le plus606. La question se pose donc, d’une part de la possibilité de

transférer les représentations sociales liées à la défense de cette cause œcuménique dans

l’arène parlementaire. D’autre part, la volonté parlementaire de traiter une problématique

transversale, qui n’existe que parce qu’elle en englobe d’autres (notamment celle du racisme,

de l’immigration, de la liberté de penser, de la sécurité intérieure, de l’image du pays à

l’international..) mérite d’être analysée. L’opposition à l’extrême droite, qui n’existe pas en

tant que telle comme problème parlementaire, doit d’abord être construite. La présente section

s’attache donc à montrer qu’un conditionnement de la question est nécessaire pour qu’émerge

un discours dicible susceptible de conduire à son traitement parlementaire.

« J’ignorai qu’il existait certaines règles au Bundestag. La première semaine, je suis restée sagement

assise au Bundestag, où personne ne reste jamais, parce que je voulais entendre et voir ce qui s’y

passait. Par pure curiosité. On m’a dit : seuls les Nuls, les idiots du Parlement, restent dans l’hémicycle

toute la journée. Parce que les gens importants bien sûr ont d’autres rendez-vous. Ils ont des

commissions, des commissions d’enquête, des discussions, etc. Tu ne restes pas toute la journée. Tu

viens pour un sujet et tu repars. Deuxième règle : tu ne dois pas applaudir quand quelqu’un d’un autre

groupe parlementaire dit quelque chose d’intelligent. Moi, j’étais tout à fait fascinée par un magnifique

discours d’une écologiste et j’ai dit : exactement ! […] Il n’y a pas de coalition d’approbation entre les

fractions. [..] Il ne faut jamais le faire. Une sorte de nationalisme par l’applaudissement.» B. Grygier,

députée au Bundestag, ancienne maire d’arrondissements berlinois.

B. Grygier, parachutée députée au Bundestag, décrit ici le poids de l’institution à travers

des pratiques intériorisées, relevant de la « conscience discursive »607. Dès lors que la cause

doit être routinisée pour devenir objet de législation ou exercer un contrôle sur le pouvoir

exécutif, sa représentation est non seulement soumise aux règles formelles et informelles de

fonctionnement du parlement, mais elle devient un enjeu politique. L’investissement

parlementaire de la cause est ainsi intimement lié à son institutionnalisation autant qu’à son

pouvoir de représentation. Le terme de représentation renvoie d’une part à la relation qui unit

606 Voir à ce sujet A. Collovald, B. Gaïti : « Discours sous surveillances : Le social à l’Assemblée » in CURAPP, D. Gaxie (dir.) : Le « social » transfiguré. Sur la représentation politique des préoccupations « sociales ». PUF, 1990, pp. 9- 53. 607 Les députés fédéraux savent comment faire sans savoir dire ce qu’ils font. A. Giddens : La Constitution de la Société. PUF, 1987, p. 72.

Page 211: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

197

les élus (les représentants) à leur électorat (les représentés), d’autre part à l’acte qui consiste à

se faire le porte-parole d’une cause (d’en être le représentant).

Un objet parlementaire au service de l’opposition

Tableau 21- Initiatives parlementaires du PDS au Bundestag classées par thème, outil parlementaire et

ordre décroissant de leur importance (1994-1998) Amende

ment Autre proposition

Petite question écrite608

Grande question écrite

Proposition de loi

Proposition de loi collective

Résolution

Extrême droite, xénophobie, antisémitisme, passé nazi

1 0 59 0 1 0 0

Autres thèmes 2 14 32 1 6 1 1

Extérieur, développement, droits de l’homme, Europe

0 7 28 0 0 0 2

Travail, activité, formation, profession, répartition des revenus

12 5 10 0 2 4 1

Finances, budget, fiscalité 13 3 5 0 0 0 3 Social (Allemagne de l’Est), assurance santé, handicapés

3 5 9 0 2 0 0

Jeunesse, famille, santé 1 5 9 0 1 0 1 Asile, réfugiés, rapatriés 0 2 15 0 0 0 0 Zone d’occupation soviétique/ RDA609

1 5 7 0 1 0 0

Bâtiment, logement 8 4 4 0 1 0 2 Services secrets, protection de la constitution

0 1 1 0 0 0 0

Industrie, économie, recherche 0 1 8 1 0 0 1 Défense, sûreté, armement 0 5 2 0 0 0 1 Environnement, protection de la nature

0 2 4 0 0 0 1

Chômage 0 1 6 0 0 0 0 Pétitions (réclamations citoyennes) 6 0 0 0 0 0 0 Retraites 0 1 3 0 0 3 0 Droit pénal, législation carcérale 1 0 3 0 1 0 0 Poste et télécommunications 0 2 3 0 0 0 0 Politique agricole 0 2 0 0 0 0 3 Assimilation/ émancipation 0 0 2 0 0 1 1 Energie atomique, politique énergétique

0 2 0 0 0 0 1

Code de la nationalité 0 0 2 0 0 0 0 Total 48 68 212 2 15 9 17

Source : D’après les calculs du groupe CDU/CSU au Bundestag, mis à jour au 03 mars 1998610

608 Le droit allemand distingue la « petite question » (écrite) et la « grande question » (écrite et débattue en séance), aussi appelées « petite interpellation » et « interpellation classique » dans le cas de grandes questions. Une question écrite peut aussi être transformée en interrogation orale dans le cas où le député n’obtient pas de réponse dans le délai fixé pour la réponse. 609 Cette catégorie comprend les questions liées à la réforme agraire, d’expropriation, de restitution, de police politique, de dettes ainsi que la question des frontières. 610 Reproduit par J. P. Lang : Das Prinzip Gegenmacht. PDS und Parlamentarismus. Saint-Augustin : Fondation Konrad-Adenauer (CDU), étude interne n° 166, juillet 1998.

Page 212: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

198

La question de l’extrême droite611 arrive en tête des problèmes évoqués au Bundestag

par le PDS, juste devant la politique étrangère, les droits de l’homme, le travail, l’économie et

les finances. Le tableau ci-dessus, qui récapitule les initiatives parlementaires du PDS au

cours de la 13ème législature par thème, instrument parlementaire et ordre décroissant de leur

importance, en atteste.

Plus d’un quart des « petites questions écrites au gouvernement »612, soit 59, concerne la

question de l’extrême droite et des problématiques afférentes, tandis qu’elle fait par ailleurs

l’objet d’un seul amendement et d’une unique proposition de loi. Aucune initiative collégiale

n’en traite. Ces disparités méritent d’être analysées.

La surreprésentation numérique de la question de l’extrême droite est significative

d’une activité monothématique d’un de ses membres en la personne de Ulla Jelpke.

Officiellement porte-parole de la politique intérieure du groupe, elle se consacre

exclusivement à l’extrême droite et à ses problématiques annexes. Nous verrons qu’en Saxe,

U. Adamczyk, officiellement « porte-parole de la politique antifasciste » remplit la même

fonction.

Le contenu des « petites questions » reflète la ligne suivie par U. Jelpke au Bundestag

depuis 1992613. En ce qui concerne le contenu, son action vise à démontrer la responsabilité

des pouvoirs publics dans la présence et la banalisation de l’extrême droite. La majorité des

« petites questions » porte, à travers un décompte systématique (mensuel, annuel et par zone

géographique) sur la dénonciation de crimes et délits racistes, antisémites ou xénophobes,

dont U. Jelpke estime que le gouvernement fédéral minimise les chiffres. Les « petites

questions » ont ainsi pour objectif de dénoncer l’attitude ambiguë des pouvoirs publics à

611 Ces initiatives directement dirigées contre l’extrême droite concernent l’interdiction d’organisations et de partis d’extrême droite, la gestion des relations entre les extrémistes de droite et les services de renseignements (offices de protection de la constitution), le soutien des pouvoirs publics aux associations et autres initiatives qui luttent contre l’extrême droite, son idéologie ou l’ensemble des valeurs qui la rendent contraire aux principes démocratiques et républicains (autoritarisme, racisme, ...). Les initiatives parlementaires traitent également des questions impliquant indirectement l’extrême droite, soit essentiellement la relation au passé nazi (révisionnisme) et le statut des victimes potentielles de l’extrême droite, les immigrés en premier lieu. 612 En dehors des débats, l’activité parlementaire prend forme à travers les questions (orales ou écrites), les amendements et les propositions de loi. La question s’adresse à un ministre sur un problème relevant de son administration. Des « questions écrites », plus simples d’utilisation et plus courantes, il est fait un usage abondant (environ 5000 par an en Allemagne dont la majorité reçoit une réponse écrite). L’arrivée des Verts au Bundestag a en outre, en rendant les débats moins consensuels, engendré une augmentation des petites et grandes questions à partir de 1983. Les « questions écrites » font partie des techniques d’information et d’investigation. Elles permettent d’exiger une prise de position gouvernementale et de demander des comptes au gouvernement. 613 Pour le bras droit de U. Jelpke, les « petites questions » appuient un travail de communication en direction de l'opinion publique. Elles délimitent les zones d'ombre de l’attitude gouvernementale, la « zone grise entre conservatisme et néofascisme ». Le principe est simple : si le gouvernement refuse de répondre à plusieurs reprises, alors on peut se douter qu'il existe par exemple une coopération non avouable entre la CDU et le NPD.

Page 213: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

199

l’égard de l’extrême droite614. Le reste des « petites questions » dresse un portrait détaillé de

l’évolution de la scène par composante (avec un accroissement de l’intérêt porté aux

nouvelles technologies), ainsi qu’à l’aide apportée aux victimes. U. Jelpke s’est par exemple

distinguée par son engagement dans le cadre du processus d’indemnisation des anciens

travailleurs forcés durant la période nazie.

Le traitement parlementaire de la question de l’extrême droite est conforme à la manière

dont le PDS entend remplir sa fonction parlementaire. L’utilisation surnuméraire et

privilégiée de la « petite question » traduit sa volonté de jouer le jeu de l’opposition (la voie

classique pour un petit parti d’opposition est d’exprimer ses convictions par l’intermédiaire de

questions au gouvernement) davantage que d’initier des entreprises indépendantes au contenu

propre, comme l’ont fait les Verts avant 1998 par exemple615. La « petite question » représente

un atout pour le travail extra-parlementaire. En permettant d'obtenir donc de communiquer

des informations officielles, elle facilite la coopération avec des acteurs non institutionnels616.

L’usage de la « petite question » relève au PDS d’une conviction collective primordiale

pour son action parlementaire : exclu par les autres partis politiques du Bundestag, le PDS

doit user de tous les moyens institutionnels mis à sa disposition pour espérer peser sur la vie

politique du pays.

Traitement parlementaire d’une proposition a priori consensuelle. La proposition de

loi antiraciste du PDS

L’élaboration de nouvelles législations joue un rôle extrêmement mineur dans les

initiatives parlementaires du PDS au Bundestag. Les propositions de loi portant directement

614 Les « petites questions » interrogent le financement d’organisations d’extrême droite par les pouvoirs publics, l’existence de relations entre l’Etat et ces organisations, le caractère extrémiste de personnages officiels, les honneurs (décorations,..) accordés à des personnes en relation avec le milieu d’extrême droite, la présence de membres d’organisations d’extrême droite au sein des services publics et administratifs (notamment au sein de l’armée allemande, la Bundeswehr) et l’autorisation de rassemblements d’extrême droite (concerts skinheads, célébrations de dates anniversaires du IIIème Reich). 615 Sur l’ensemble des instruments au service de l’opposition et l’utilisation qu’elle en fait, se reporter à H.- J. Veen : Opposition im Bundestag. Ihre Funktionen, institutionellen Handlungsbedingungen und das Verhalten der CDU/CSU in der 6. Wahlperiode 1969-1972, Bonn, 1976 p. 40 et s., 103 et s.. Sur les stratégies parlementaires fédérales d’opposition et du PDS Cf. U. Kranenpohl : « Im Schatten der Macht » ? Kleinfraktionen im Deutschen Bundestag 1949 bis 1994. Thèse de doctorat, Passau, 1996 et U. Kranenpohl: Zur parlamentarischen Strategie der PDS im Bundestag. Manuscript, 1995. 616 Le détournement des instruments au service des parlementaires n’est pas propre aux néo-socialistes, l’utilisation clientéliste des « questions écrites » ou à destination de lobbys est courante.

Page 214: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

200

sur l’extrême droite, au nombre très réduit, sont néanmoins plus courantes au PDS qu’à

l’initiative d’autres forces politiques617.

Entre 1990 et 2001, quatre propositions de loi ont été émises par le PDS dans le

domaine de la lutte contre l’extrême droite. L’une demande la création d’une commission

d’experts chargée de vérifier que les lois, décrets et décisions administratives de l’Etat fédéral

sont conformes aux mesures anti-discriminatoires protégeant les étrangers618. L’autre souhaite

la suppression de la détention de sûreté précédant l’expulsion619. Face à un gouvernement

conservateur et sans le soutien du SPD, ces deux propositions ne sortent pas de la marginalité.

Une troisième proposition favorable à l’initiation d’un programme fédéral d’éducation civique

contre le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie et au renforcement des mesures de

protection des victimes d’agressions racistes, antisémites et xénophobes620 est rejetée. Une

proposition de modification de la loi relative à la glorification d’organisations nationales-

socialistes interdites subit le même sort621. Le rejet des propositions porte davantage sur le

refus de laisser le PDS s’approprier la protection d’un bien commun. L’opposition aux valeurs

véhiculées par l’extrême droite fonctionne en effet au niveau parlementaire comme un « être

métaphysique »622. C’est ce qui ressort du sort dévolu à la proposition dite de loi antiraciste.

Cet épisode se joue en trois actes étalés sur trois ans623.

Acte un- En janvier 1994 au cours de sa 13ème législature, le Bundestag débat d’une proposition de loi

dite antiraciste (Antirassismusgesetz) déposée par le groupe PDS. Elle vise à inscrire le principe de la

non-discrimination dans la constitution et à rendre le racisme punissable dans l’ensemble des situations

quotidiennes. Elle prévoit en outre un dédommagement en cas de violation. La proposition est rejetée

par la commission des affaires intérieures du Bundestag624.

617 La classification utilisée reprend le numéro d’enregistrement officiel du service de documentation du Bundestag ou Landtag de Saxe). 618 B90/G s’associe au vote du PDS. 13ème législature, 17.5.1995, Ds 13/1405, proposition collégiale du PDS. 619 « Modification de la loi relative au statut des étrangers » : suppression du § 57 –2 de la loi relative à la situation des étrangers (suppression de la détention de sûreté, précédant l’expulsion). 13ème lég., 10.1.1996, Ds. 13/ 3626, déposée par Jelpke pour le groupe PDS. 620 « Action contre le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie et la violence en résultant ». 14ème législature, 27.9.2000, Drs. 14/ 4145, déposée par Jelpke, Gysi, Jünger, Bläss, Pau. 621« Modification de la loi relative à la glorification d’organisations nationales-socialistes interdites : Compléter l’article 86 b LF relatif à la haute trahison, menace de l’Etat démocratique de droit en y ajoutant la glorification d’organisations nazies interdites ». 10.5.2000, Drs. 14/ 3309, déposée par Jelpke, Kenzler, Pau, Claus. 622 Comme la démocratie, l’égalité des chances, l’intérêt général, la tradition républicaine,.. selon J-P. Heurtin : L’espace public parlementaire. Essai sur les raisons du législateur. PUF, 1999, p. 259. 623 L’analyse est établie d’après les protocoles des séances parlementaires. 624 Le PDS n’est à cette époque pas représenté au sein des commissions parlementaires. Le règlement du Bundestag réserve le statut de groupe parlementaire (Fraktion) aux partis ayant obtenu plus de 5% des deuxièmes voix aux élections générales. Une formation politique ayant obtenu au minimum quatre mandats directs est ainsi représenté mais ne dispose que du statut de groupe (Gruppe). Ses possibilités d’action sont

Page 215: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

201

Acte deux- Le 19.5.1995, au cours de la législature suivante, le PDS, prétextant honorer l’année

européenne contre le racisme, dépose à nouveau sa proposition. Lors du débat parlementaire du 23 juin

1995, deux propositions du PDS sont regroupées à l’ordre du jour : la loi antiraciste et la demande,

évoquée plus haut, de création d’une commission d’experts chargée de vérifier le caractère non

discriminatoire et non raciste des lois, décrets et décisions administratives de l’Etat fédéral.

Les principales critiques portent sur la définition que donne le PDS de la notion de racisme, qui englobe

la couleur de peau, la nationalité, l’origine ethnique, la culture et l’appartenance religieuse. Sur le

principe, les Verts et le SPD tendent à soutenir l’initiative. Les écologistes sont d’accord avec la

nécessité d’une action législative, mais estiment que pour solutionner le problème, une telle mesure doit

être globale. Elle doit inclure les attaques liées à la préférence ou l’identité sexuelles dans les critères de

discrimination et s’attacher à protéger également les handicapés et autres groupes sociaux exposés à la

discrimination. La proposition du PDS ne va pas assez loin pour les écologistes, puisque la loi en

vigueur répond déjà à ces exigences. Une partie des députés de B90/G estime quant à elle qu’il s’agit là

d’un problème de société, engageant la société civile, pas les législateurs.

La démarche intellectuelle du SPD est similaire. Ses représentants estiment qu’une démarche juridique

contre les discriminations doit couvrir l’ensemble des personnes susceptibles d’être concernées. Elle

doit protéger les rapatriés (expatriés d’anciens territoires allemands), les homosexuels, les personnes de

confession juive, sans domicile et non exclusivement les personnes non dépositaires d’un passeport

allemand. Les sociaux-démocrates approuvent le principe d’une instance de contrôle en faveur des

immigrés et le principe du dédommagement des victimes de discriminations. La lutte contre la

discrimination passe aussi par le plein droit à la participation politique, d’où la nécessité de favoriser la

naturalisation et d’accepter le principe de la double nationalité. Ils entendent concentrer leurs efforts sur

ce dernier point.

La CDU reconnaît pour sa part que des discriminations existent dans le domaine du travail et de la

recherche de logement, mais l’article 3 de la Loi Fondamentale traite déjà ce point. Les discriminations

contre les étrangers ne sauraient être combattues par d’autres moyens qu’en éduquant les esprits. Le

projet du gouvernement est donc de prendre des mesures en matière d’intégration. L’orateur (M. Belle

CDU/ CSU) en appelle à soutenir la mesure gouvernementale de prévention de la violence chez les

adolescents, qui est la contribution de son parti à la lutte contre la violence et la xénophobie.

Le FDP ne se démarque pas de l’analyse des chrétiens-démocrates, auxquels il est associé par des

accords de coalition. Il résume le débat : tous sont d’accord sur le fond, définissant le même but à

atteindre, à savoir l’arrêt des discriminations et des violences faites à l’encontre des étrangers, mais pas

sur les moyens de l’atteindre.

Le débat débouche sur le renvoi de ces deux propositions en commissions pour étude.

La Commission des questions intérieures s’exprime le 13.03.1996 à l’unanimité en faveur du rejet des

deux propositions. Elle juge les propositions du PDS inadaptées et en cela inefficaces, en dépit de la

réalité des discriminations et des agressions verbales et physiques que subissent les étrangers.

limitées en comparaison des groupes parlementaires (Fraktionen). La terminologie de groupe parlementaire systématiquement utilisée ici ne rend pas compte de cette nuance.

Page 216: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

202

Acte trois- Le 27 février 1997, U. Jelpke défend au nom du PDS la proposition de loi au cours d’une

deuxième séance de débat625. Elle accorde aux Verts et au SPD qu’il est nécessaire d’aller plus loin et

d’englober d’autres minorités, mais les incite à faire un premier pas dans cette direction en acceptant les

deux propositions. Elle se dit à son tour en faveur du droit de vote aux personnes immigrées qui vivent

durablement sur le sol allemand. Les arguments des autres partis sont les mêmes que lors de la première

discussion. Conformément aux conseils de la commission de l’intérieur, la proposition de loi antiraciste

est rejetée; la proposition d’institution d’une commission d’experts également, malgré l’approbation des

Verts.

Si la proposition échoue, ce n’est pas en raison d’une remise en question idéologique de

son bien-fondé. Le protocole en témoigne, la proposition du PDS est débattue. L’ensemble

des députés ne réfute pas l’existence de discriminations, comme ce peut être le cas dans

certaines assemblées locales626. Le problème est reconnu de manière consensuelle. En cela, la

discussion relative aux propositions de loi du PDS évoquées est le produit de la rhétorique

parlementaire : l’échange est de façade, l’assemblée ne donne lieu à aucune discussion

réelle627. Le discours parlementaire, parce qu’il est « collectivement souhaitable »628, est

forcément lisse629, en particulier lorsqu’il porte sur un problème aussi politiquement correct

que la nécessité de combattre la discrimination et le racisme. En cela, cet épisode est

symptomatique non seulement des identités partisanes mais également du rapport de force

conditionnant les relations entre les partis630.

S’il est possible de s’interroger sur la capacité du législateur à réguler des problèmes

sociaux, légiférer dans ce domaine est essentiel pour déterminer le référentiel qui sert de

repère sur le terrain. Dans ce domaine, la législation est la preuve de la cohésion du système et

du refus étatique du phénomène d’extrême droite. La leçon à tirer du refus de la proposition

de loi antiraciste a trait au fait que l’ensemble des partis établis ne saurait tolérer que ces

625 La procédure législative allemande prévoit la soumission d’une proposition de loi à trois lectures, l’examen en commissions intervenant entre la première et la deuxième lecture. 626 L’aspect local est traité en deuxième partie, la question du déni essentiellement dans le chapitre 5. 627 « Les orateurs se succèdent sans se rencontrer », « ils n’écoutent point car ce qu’ils entendraient ne doit rien changer à ce qu’ils vont dire. Ils attendent que celui qu’ils doivent remplacer ait fini. » écrivait déjà B. Constant : Principes de politique (1815). Chap. VII : « De la discussion dans les assemblées représentatives » Œuvres. Ed. A. Roulin. Gallimard (coll. La Pléiade), 1957, p. 1155. 628 La discussion parlementaire fonctionne sur le mode de la départicularisation. Loin d’être un échange d’opinions, elle peut être perçue comme une procédure « dont l’objet est de réduire la pluralité en l’unicité d’une volonté commune. » J-P. Heurtin : op. cit., p. 159. 629 En ce sens, l’institution parlementaire peut donc être conçue comme une « société de pensée », « un instrument qui sert à fabriquer de l’opinion unanime » « Le but de la société de pensée [...], c’est de dégager d’entre ses membres et de la discussion une opinion commune, un consensus, qui sera exprimé, proposé, défendu.» F. Furet : Penser la Révolution française. Gallimard, 1978, p. 272. 630 Pointe ici l’évidence des affinités des futures forces coalisantes (SPD et B90/G), notamment sur la question de la révision du code de la nationalité, réglée par la coalition rouge-verte de la législature suivante.

Page 217: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

203

marques d’un engagement étatique contre l’extrême droite émanent du PDS. Il apparaît avant

tout que ce dernier n’a pas la légitimité nécessaire pour imposer des principes fondateurs en

matière d’antiracisme. Les causes sociales n’échappant pas aux règles politiques et

institutionnelles, elles sont susceptibles d’être instrumentalisées en fonction d’enjeux

découlant de la compétition partisane631.

Le PDS instrumentalise-t-il la question de l’extrême droite au Bundestag ?

Dans l’imaginaire collectif du PDS, l’instrumentalisation de la problématique de

l’extrême droite est synonyme de transgression. Elle équivaut à blasphémer, à renier toute

croyance en l’antifascisme. Instrumentraliser signifie utiliser une question pour parvenir à une

fin indépendante, susceptible de s’avérer contraire à son traitement. Tel est le contenu des

critiques faites à U. Jelpke, porte-parole du groupe PDS au Bundestag pour les questions

intérieures. Elle poursuit une ligne systématique, empruntée à l’extrême gauche, dans laquelle

bon nombre de citoyens et de députés du PDS ne se reconnaissent pas. Nous avons vu que,

mis au service de l’opposition, les outils parlementaires servent aussi à stigmatiser

l’adversaire politique, notamment à maintenir le gouvernement sous pression. Liée à la charge

émotionnelle dramatique dont U. Jelpke investit la question, cette instrumentalisation s’inscrit

dans une stratégie de décrédibilisation du gouvernement fédéral. Rares sont les députés du

PDS à oser dénoncer ce mode de fonctionnement de U. Jelpke,

« La ‘petite question écrite’ est le plus bel instrument dont dispose un homme politique dans

l’opposition. Dans tous les cas, on obtient une réponse et on peut grâce à cela agir en direction de

l’opinion publique. C’est pour cela que, quand on est dans l’opposition, on en pose beaucoup. […] D’un

côté, cela permet de confondre le gouvernement, en disant : ‘Vous n’en avez aucune idée !’ […] Je

considère qu’instrumentaliser l’extrême droite est une erreur ; mais attirer l’attention sur les fautes du

gouvernement est juste. Le tout est de trouver la juste mesure. Je veux dire, nous avons une députée au

Bundestag, U. Jelpke, qui travaille sur le sujet avec de très très nombreuses ‘petites questions’ au

gouvernement et depuis des années. C’est une assez bonne chose, elle est citée dès qu’il s’agit de lutte

contre l’extrême droite,.. Mais… » B. Hoff, député PDS à la CDB.

Le discours des élus et dirigeants du PDS est fermement opposé à l’instrumentalisation

de la question de l’extrême droite, en partie seulement car elle risquerait de s’avérer contre-

productive.

631 Phénomène évoqué également au sujet de l’engagement en faveur du mouvement des sans papiers. J. Siméant : La cause des sans-papiers. Presses de la FNSP. 1998, p. 175.

Page 218: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

204

L’analyse des spécialistes diverge sur ce point. Si B. Wagner (ZdK) estime que le PDS

n’instrumentalise pas la question de l’extrême droite, Lynen von Berg, s’appuyant sur

l’analyse de la période 1990-1994, considère que comme les autres sujets, cette thématique est

instrumentalisée en fonction des impératifs et de la compétition politiques. Dans ce processus,

les partis politiques usent fortement de l'argument émotionnel et moralisateur. Il est tout aussi

difficile dans le cas du PDS que chez les Verts ou au SPD de déterminer si l'antifascisme

relève d'une tentative d'instrumentalisation ou d'une tradition632. La perversion politique de la

cause antifasciste ne concerne que de rares agents du PDS. Leur attitude n’est pas

représentative de l’enjeu que représente la cause antifasciste pour le parti.

« En même temps, il y a des gens, c’est bien sûr toujours un problème, qui ont utilisé ce thème de

manière véhémente ces dernières années, que ce soit avec des questions au Bundestag, avec des

chroniques rendues publiques ou pour reprocher aux autres partis leur inactivité et leur responsabilité

dans l’extrémisme de droite. Je crois que c’est le fond de commerce quotidien de la politique, l’extrême

droite est elle aussi instrumentalisée ou alors dramatisée en permanence. En même temps il y a bien sûr

aussi (mais il m’est difficile de l’évaluer) un désir fondamental de se consacrer à ce sujet en raison

d’une tradition historico-politique. Mais tout ceci se mélange, il est difficile de les séparer. Cela dépend

toujours des personnes. Depuis des années, Madame Jelpke cherche obstinément à prouver que c’est

volontairement que l’Etat ne classe pas certains actes de violence comme relevant de l’extrême droite.

C’est sans doute partiellement le cas, mais cette forme d’action (les ‘petites questions’) masque bien sûr

une stratégie politique primordiale et tout à fait consciente. » H. Lynen von Berg, spécialiste du discours

parlementaire sur l’extrême droite.

Dans son analyse du discours des deux grands partis au Bundestag sur la question de

l’extrême droite et de ses violences, H. Lynen von Berg montre que les partis politiques

cherchent à rendre leur discours cohérent à la fois avec leur profil partisan et leurs objectifs

politiques633. Von Berg conclut ainsi à une instrumentalisation du sujet qui passe

nécessairement par une décomplexification634 du sujet. Au PDS, ce processus conduit à une

traduction de toutes ces questions dans le registre antifasciste. Le sujet traité est ainsi

secondaire par rapport à l’utilisation qui en est faite ; et le discours produit résulte d’une

632 Cette analyse, livrée au cours de l’entretien, est développée dans sa thèse de doctorat. H. Lynen von Berg : Politische Mitte und Rechtsextremismus. Diskurse zu fremdenfeindlicher Gewalt im 12. Deutschen Bundestag (1990-1994). Opladen: Leske und Budrich, 2000. 633 Il isole cinq facteurs institutionnels qui déterminent le discours parlementaire sur l’extrême droite : (1) la concurrence entre les partis au sein du Parlement, (2) la bipolarité gouvernement/ opposition, (3) les règles et fonctions institutionnelles des débats en séance plénière, notamment en direction de l’opinion publique, (4) le concept de « démocratie combative » comme cadre d’interprétation et (5) l’orientation politico-idéologique des partis. 634 H. Lynen von Berg : op.cit.

Page 219: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

205

stratégie qui tient moins compte de la question traitée, que du rapport de forces existant entre

les partis au sein du parlement.

A travers la manière dont il prend position contre l’extrême droite, c’est-à-dire en usant

de l’argumentation antifasciste, le PDS défend l’honneur des habitants des NBL, soupçonnés

de connivence avec les jeunes extrémistes de droite. Le sujet de l’extrême droite sert ainsi à

merveille la fonction tribunitienne qu’il remplit635. Les questions afférentes à l’extrême droite

(telle la défense des intérêts de groupes peu représentés comme la population étrangère)

popularisent en outre ses exigences du PDS. C’est bien parce qu’elles lui servent de faire-

valoir que l’usage qu’il en fait est populiste636.

Si la cause de la lutte contre l’extrême droite et des problématiques afférentes revêt une

dimension potentiellement consensuelle, sa mise en forme parlementaire est tributaire du

climat social autant que des logiques politiques. Le PDS est le parti qui « en fait le plus d'un

point de vue déclaratif » selon le directeur du ZdK Bernd Wagner. Nous avons établi des

principes généraux de fonctionnement à l’échelle du Bundestag, fortement liés à la

personnalité de U. Jelpke et à la configuration des forces en présence. Il convient maintenant

de s’intéresser à une région fortement touchée par l’extrême droite, afin de distinguer les

éléments qui influent sur le traitement parlementaire de cette question. Le modèle de L. von

Berg est-il un type idéal ou un principe de fonctionnement général, quelles que soient

l’actualité de l’extrême droite et la position du PDS dans le rapport de forces régional ?

635 G. Lavau : A quoi sert le parti communiste français? Fayard, 1981, pp. 36-37. 636 Réduit à son noyau normatif le plus dur, le populisme se définit « par sa référence aux doubles notions de peuple » comme source du pouvoir et de communauté. « Par sa définition du peuple ; plus encore par sa fonction et le rôle qu’il lui attribue dans le fonctionnement du système politique », le populisme se démarque des partis classiques par un refus de la représentation. Les populistes ne sont pas antidémocratiques en cela qu’ils font de la « surenchère démocratique ». « Cette attitude [..] trouve son origine dans la contradiction jamais surmontée entre la démocratie idéale (qui devrait permettre un réel accès des masses à la politique) et la démocratie en action (qui ne réalise qu’imparfaitement cet idéal ou qui cherche précisément à canaliser l’impact populaire)» Y. Mény, Y. Surel : Par le peuple, pour le peuple. Le populisme et les démocraties. Fayard, 2000, p. 304-305 et 32. Dans le même ordre d’idées, P.-A. Taguieff écrit : « Le ‘populisme’, dans son ambiguïté constitutive, peut être considéré comme une corruption idéologique de la démocratie, si cette dernière, étant fondée sur des principes transmissibles, implique, selon le mot de Proudhon, une ‘démopédie’ c’est-à-dire le souci d’instruire et d’éduquer le peuple, plutôt que de le séduire pour le faire agir dans le sens voulu. ». P.-A. Taguieff : « Le populisme et la science politique : Du mirage conceptuel aux vrais problèmes ». XXème siècle. Revue d’histoire, 56, 1997, p. 11.

Page 220: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

206

Section 2 La problématique de l’extrême droite comme objet d’activité parlementaire. Le cas du Landtag de Saxe

L’étude de cas présentée ici porte sur les initiatives parlementaires du groupe

parlementaire PDS au Landtag de Saxe. Elle illustre la manière dont le PDS essaie de faire

apparaître l’ennemi dans l’arène parlementaire. L’analyse des « petites questions » produites

par le groupe parlementaire du PDS en Saxe met en évidence la manière dont ce dernier fait

de la problématique de l’extrême droite un objet d’activité parlementaire, sans qu’aucun débat

n’ait lieu à ce sujet. Elle montre en outre le caractère réversible de l’inimitié, à travers le

travail de délégitimation du PDS entrepris par la CDU saxonne par l’intermédiaire des mêmes

outils.

A) Présentation générale des initiatives parlementaires du PDS

contre l’extrême droite au sein du parlement saxon

Une part importante des activités du groupe parlementaire du PDS en Saxe est

consacrée aux « petites questions au gouvernement », non exclusivement parce qu’il est dans

l’opposition. Le particularisme saxon réside d’une part dans le conservatisme du PDS dans ce

Land637, d’autre part dans la forte identité régionale saxonne, enfin dans l’existence d’une

tradition d’extrême droite dans cette région frontalière638.

Le cadre du Landtag de Saxe

Dès 1990, la CDU s’impose en Saxe, où elle ne perd sa majorité absolue qu’en 2004,

tout en restant néanmoins largement majoritaire639. Durant la période traitée ici, la troisième

637 Le chapitre 6, section 1, B, revient plus longuement sur l’histoire de la Saxe et du milieu PDS dans ce Land. 638 Non seulement, comme nous le verrons, les extrémistes de droite y sont nombreux, mais ils sont en outre particulièrement violents. A l’échelle de la République fédérale, on trouve en l’an 2000 12 extrémistes de droite violents pour 100 000 habitants contre 29 en Saxe. Skinheads de droite et autres extrémistes violents sont ainsi sur-représentés en Saxe où ils sont proportionnellement deux fois plus nombreux que sur l’ensemble des nouveaux Länder (41% des extrémistes de droite en Saxe contre 19% pour l’Etat fédéral selon les chiffres du BfV. 639 L’assemblée élue en septembre 2004 a un profil très différent. La nouvelle assemblée est composée de 6 partis, dont le NPD avec 12 députés, qui entre dans un parlement régional pour la première fois depuis 1968.

Page 221: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

207

législature (1999-2004), le parlement saxon est dominé par une CDU qui bénéficie d’une

large majorité absolue. Elle a recueilli 56,9% des suffrages exprimés, avec un taux de

participation de 61,1%. Le PDS constitue le deuxième groupe le plus important (avec 22,2%

des suffrages exprimés). Il profite d’un SPD très affaibli (10,7% des voix, aucun mandat

direct). Ces trois partis sont les seuls représentés au Landtag640. La CDU y occupe 76 sièges

sur 120 (dont 60 mandats directs641), le PDS 30 et le SPD 14.

Graphique 6- Répartition des sièges au Landtag de Saxe (1999-2004)

CDU63%

PDS25%

SPD12%

CDU PDS SPD

Le PDS est le « vainqueur provisoire de l’absence d’opposition »642. Le SPD saxon ne

remplit plus sa fonction d’opposition depuis sa participation au gouvernement fédéral, rôle

que les Verts et le FDP ne sont pas en mesure de remplir en raison de la faiblesse de leur

implantation dans les NBL.

L’insertion du PDS dans le jeu politique régional dépend en grande partie de facteurs

variables, liés à la configuration régionale (politique d’alliance, ligne fixée par la fédération

régionale, conceptions politiques du chef de file régional, etc.)643. En Saxe, le SPD refuse une

coopération directe, bien que les partis s’associent dans la pratique. Ceci ne limite que peu la

marge de manœuvre du PDS, premier parti d’opposition. Il compense ce handicap par un

Grâce à la progression des écologistes et des libéraux qui dépassent la barre des 5%. Le résultat des élections de 2004 est analysé dans la conclusion générale. 640 Un certain nombre de partis politiques ne dépassent pas le seuil des 5%. Parmi eux, des partis traditionnels mis à mal par les rapports de force régionaux (B90/ Grünen : 2,6% des voix ; FDP : 1,1), corporatistes (Die Grauen, les panthères grises, 0,3%, défendent les Seniors) ou religieux (Parti des Chrétiens fidèles à la Bible, Partei Bibeltreuer Christen- PBC- 0,3%). Deux des trois partis d’extrême droite participent aux élections (REP : 1,5% ; NPD 1,4%) ainsi que certaines organisations régionales proches de l’extrême droite (Deutsche Soziale Union- DSU, 0,4% et l’initiative de défense du Deutschemark, Initiative Pro D-Mark, à tendance nationaliste. 641 Est élu directement dans une circonscription le candidat qui recueille la majorité des premières voix (nominatives). 642 A. Thumfart: Die politische Integration Ostdeutschlands. Francfort-sur-le-Main: Suhrkamp, 2002, p. 532. 643 Ainsi, selon J.P. Lang, si le groupe du Brandebourg (contrairement à celui de Saxe) agit concrètement, en posant des exigences réalistes, c’est grâce à la personnalité du chef de fraction. Pour L. Bisky dans le Brandebourg, ancien président du PDS, l’évolution partisane doit trouver son dénouement dans le pragmatisme des communes et fractions régionales. Ceci a également des conséquences sur la politique d’alliance. Le niveau le plus élevé de coopération est atteint dans le Brandebourg où PDS et SPD présentent des propositions de loi communes. J. P. Lang: Das Prinzip Gegenmacht. PDS und Parlamentarismus. Saint-Augustin: Fondation Konrad-Adenauer (CDU) Etude interne n° 166, juillet 1998, p. 48.

Page 222: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

208

accroissement de ses initiatives parlementaires, comme le montre le tableau ci-dessous qui

présente les initiatives parlementaires du PDS au sein des parlements régionaux est-

allemands.

Tableau 22- Initiatives des groupes parlementaires du PDS dans les Landtage est-allemands et la CDB à Berlin

Propositions de loi Amendements

Grandes questions au gouvernement

Berlin 14 96 5 Brandebourg 15 130 12 Mecklembourg-Poméranie antérieure

14 155 6

Saxe 19 186 24 Saxe-Anhalt 15 158 6 Thuringe 9 123 6

Source : Parteivorstand der PDS (dir.) : Studien zur inneren Verfaßtheit der PDS. Berlin, 1997, p. 17.

Dans les parlements régionaux, les groupes parlementaires du PDS se distinguent par

une activité accrue, concentrée sur la problématique est-allemande, en particulier sur les

difficultés économiques des NBL et leurs conséquences sociales644. La problématique de

l’extrême droite, contrairement à celles afférentes (comme la politique d’immigration et de

l’extrémisme en général) ne fait pas partie des domaines d’action privilégiée du PDS en Saxe.

Remarques préalables sur le corpus et l’exploitation des données

La présente étude a pour objet les « petites questions écrites au gouvernement » émises

par le groupe PDS du Landtag de Saxe sur le thème général de l’extrémisme. La

documentation étudiée couvre les trois premières années de la troisième législature (1999-

2004). Le corpus étudié comprend l’intégralité des « petites questions » du PDS sur cette

période, ainsi qu’un certain nombre de documents du même type émanant du groupe CDU, ce

qui ouvre à une comparaison645. L’analyse porte (après tri646) sur 369 « petites questions »

644 Les activités des groupes régionaux du PDS se concentrent traditionnellement sur les domaines suivants : politique sociale (loyers et habitations, aides sociales, retraites), économie (chômage, succession de la Treuhandanstalt, opposition à de grands projets), culture (maintien du paysage culturel d’un Land), éducation (postes d’enseignants, aménagement, élargissement du paysage des établissements d’enseignement supérieur), communes (dotations financières, question des eaux résiduaires), politique des réfugiés (aide aux demandeurs d’asile, arrêt des expulsions) et politique intérieure (protection de la constitution, « discrimination » des anciens citoyens de RDA). Parteivorstand der PDS (dir.): op. cit., p. 18. 645 L’intégralité de ces documents a été mis à notre disposition par un député PDS du Landtag de Saxe. Nous nous sommes assurés de la représentativité des données analysées, qui n’ont été le fruit d’aucune sélection. 646 Doublons, « petites questions » s’éloignant du sujet qui nous intéresse directement, relatives par exemple aux libertés individuelles d’une manière générale et à la vidéosurveillance en particulier.

Page 223: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

209

émises par différents membres du groupe du PDS entre le 14 octobre 1999 et le 19 février

2002647.

Devant la variété et la quantité de « petites questions » disponibles, certains choix ont

été opérés, notamment celui d’un classement thématique par année, qui insiste sur l’évolution

des thématiques concernées648. Si l’on se penche sur la répartition par année, l’année 2000

paraît être le point culminant. Les 369 « petites questions » du PDS sont au nombre de 50

pour 1999, 161 pour 2000, 128 pour 2001, 30 pour 2002. Aucun effet propre à l’été 2000 ne

transparaissant néanmoins649, les sources traitées sont considérées comme plus caractéristiques

de l’activité parlementaire du PDS qu’exceptionnelles.

Analyse quantitative : croisement des variables thématiques et chronologiques

Le tableau ci-contre comptabilise la part de chaque thème par année en valeur brute et

en pourcentage de l’ensemble des « petites questions ». Trois degrés sont distingués dans

l’apparition de l’extrême droite. Un premier degré concerne l’extrême droite en tant que

phénomène650. Le deuxième degré traite de sujets indirectement relatifs à l’extrême droite651.

Enfin, le troisième degré concerne la politique d’immigration.

647 Date à laquelle les petites questions parviennent au gouvernement. La dernière réponse date du 28.03.2002. 648 Les autres choix opérés en matière de classement sont les suivants :

Traiter séparément de l’extrême droite et de l’extrême gauche, la proportion de « petites questions » du PDS consacrées à cette dernière n’excédant pas 10% chaque année.

Traiter séparément ce qui touche à la politique à l’égard des étrangers (leur traitement par les autorités publiques). Cette problématique est révélatrice d’un climat social à travers lequel les extrémistes de droite se sentent légitimés dans leurs actions, notamment dans les agressions physiques à l’égard des immigrés. Il apparaît que cet aspect, central pour le climat social dans lequel évolue l’extrême droite, est souvent négligé et considéré comme marginal. En outre, les milieux antifascistes et proches du PDS insistent sur cette question.

Enfin apparaît en marge de tout ceci une interrogation sur les autres formes d’extrémisme, surtout à la suite des attentats du 11 septembre 2001, dont il est difficile de ne pas tenir compte. 649 On ne note ni sur proportion des « petites questions » à partir de l’été, ni prépondérance de thématiques de fond, déconnectées du contexte immédiat. Par exemple, c’est bien en 2000 que le groupe demande des comptes sur le recensement de crimes et délits par année, mais en mai ; il s’agit donc seulement d’un bilan de dix ans, pas d’un « effet été». 650 Il regroupe son apparition directe sous la forme de crimes et délits (parmi lesquels propagande, coups et blessures, incitation à la haine raciale et nostalgie affichée du Troisième Reich), d’organisations et d’activités auxquelles s’ajoute ce que nous appelons les recensements, c’est-à-dire la comptabilité (mensuelle ou annuelle) des actes racistes et antisémites tels que recensés par les autorités policières. 651 Parmi ces sujets : le travail social en direction de la jeunesse dès qu’il inclut des adeptes de la scène d’extrême droite, allusions ou relations au passé nazi, éventuellement à la RDA, et les services de protection de la constitution en regard de la protection des libertés individuelles.

Page 224: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

210

Tableau 23- Détail thématique et évolution des « petites questions » par année652

1999 (valeur brute)

1999 (en % du total annuel)

2000 (valeur brute)

2000 (en % du total annuel)

2001 (valeur brute)

2001 (en % du total annuel)

2002 (valeur brute)

2002 (en % du total annuel)

Extrême gauche, recensements y compris653 3

6 10

6.2 15

11.7 3

10

Extrémisme sans distinction gauche-droite

0 3 0

Extrême droite 1er degré 37 74 121 75.2 73 57 20 66.7 Extrême droite en général

5 1 0 0

Crimes et délits 3 6 38 23.6 18 14.1 7 23.3 Délits en général 0 17 11 4 Meurtres 0 11 1 1 Délits xénophobes 1 1 1 0 Propagande 1 5 2 1 Violences et rixes

0 4 3 1

Recensement des activités d’extrême droite 13 26 31 19.2 33 26 6 20 Organisations 9 18 8 5 5 3.9 1 3.3 Organisations de jeunesse 4 2 3 0 Partis politiques 3 4 2 1 Coopération/ collaboration avec des forces démocratiques

2 2 0 0

Activités 7 14 43 26.7 17 13.3 6 20 Réunions publiques organisées 2 12 2 1 Musique et concerts 5 16 5 3 Manifestations 0 13 8 1 Programmes publics contre l’extrême droite

0 2 2 1

Extrême droite 2ème degré 10 20 30 18.6 37 28.9 7 23.3 Travail social à destination de la jeunesse 3 6,4 0 0 0 0 0 0 Passé du Troisième Reich 1 4,5 4 2,6 6 4,7 0 0 Passé de la RDA 0 0 0 0 1 0 0 Protection de l’Etat et des libertés individuelles 3 6,4 3 10 1 0,7 0 7,4 Autres formes d’extrémisme

0 0 2 9 0 0

Politique d’immigration 3ème degré 3 6.4 21 13 20 15.6 7 23.3 Dont expulsion

0

6

28,6

0

0

1

14.3

Droit d’asile 2 67,7 6 28,6 12 60 2 28.6 Expulsés de la 2ème guerre mondiale 1 33,3 0 0 3 15 0 0 Immigration 0 0 4 19 0 0 0 0 Intégration 0 0 1 4,8 0 0 2 28.6 Autres 0 0 3 14,3 5 25 1 14.3 TOTAL (recensements y compris) : 369 50 100 161 100 128 100 30 100

Source : Tableau établi d’après les « petites questions » des services de documentation du Landtag de Saxe

La baisse de la part du premier degré et l’augmentation corrélative du deuxième degré

sont les premières constatations faites à la lecture du tableau. La simple comptabilisation des

crimes et délits extrémistes (recensement) diminue au profit de demandes plus précises et

localisées, qui s’attachent à des formes plus variées d’apparition de l’extrême droite.

652 Ce tableau, tout comme les graphiques et tableaux de cette section, a été établi par l’auteur après dépouillement du corpus de « petites questions » analysé. 1999 : 14.10-31.12 ; 2002 : 02.01.2002-19.02.02 (date d’enregistrement). 653 Comptabilisation (mensuelle ou annuelle) des actes racistes et antisémites enregistrés par les autorités policières.

Page 225: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

211

Graphique 7- Répartition des « petites questions» entre le premier

et le deuxième degré de l’extrême droite

0

20

40

60

80

1999 2000 2001 2002

Année

En p

ourc

enta

ge d

u tota

l des

'petit

es

ques

tions'

1er degré

2ème degré

Les problématiques de premier degré diminuent fortement au profit du deuxième, qui

représente approximativement le double des demandes. L’analyse fonctionnelle prend le pas

sur l’analyse organisationnelle, ce que semble confirmer le graphique suivant qui analyse

l’évolution thématique de l’extrême droite premier degré.

Graphique 8- Evolution de l’extrême droite, premier degré par thème

0

10

20

30

1999 2000 2001 2002

Année

Pourcentage

Délits et crimes Organisations Activités

Au fil des années, l’intérêt porté aux organisations perd du terrain au profit des crimes et

délits. Parallèlement, la part du troisième degré (qui regroupe essentiellement la politique à

l’égard des étrangers) augmente sensiblement.

Graphique 9- Répartition entre premier, deuxième et troisième degrés

0

20

40

60

80

En pourcentage du total des 'petites

questions'

1999 2000 2001 2002

Année

Premier degré

Deuxième degré

Troisième degré

Toutefois, la part moyenne consacrée aux autres problématiques diverses ne représente

guère que moins de 10% de l’ensemble, la majorité des questions s’attachant au premier

degré.

Page 226: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

212

Graphique 10- Répartition moyenne entre les différents degrés (en pourcentage du total des

« petites questions »)

22,7

68,2

9,1Deuxième degré

Premier degré

Troisième degré

La thématique de la politique

d’immigration gagne en importance. Par

ailleurs, le travail social pour la jeunesse, à

la mode au début des années 1990,

disparaît des sujets traités au profit d’un

retour de l’histoire en 2000-2001.

Graphique 11- Evolution thématique des deuxième et troisièmes degrés

1999 20002001

2002

0

10

20

30

40

En p

ourc

enta

ge

du t

ota

l

Année

Politique d'immigration

Etat et libertés individuelles

Règlement du passé

Travail social en direction dela jeunesse

Sur l’ensemble des « petites questions » analysées, c’est l’intérêt porté à la politique

d’immigration qui se diversifie le plus entre 1999 et 2002, tant au niveau des auteurs que des

problématiques traitées, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Graphique 12- Evolution thématique de la politique d’immigration

0% 20% 40% 60% 80% 100%

1999

2000

2001

2002Expulsion

Demandeurs d'asile

Rapatriés

Migration

Intégration

Autre

La part la plus importante des « questions » relatives à la politique d’immigration est

consacrée aux demandeurs d’asile. Cette part est constante au cours des années 1990. Notons

en outre la disparition de la question des rapatriés au profit de celle de l’intégration654. Cette

évolution est en phase avec l’actualité et l’intérêt que l’opinion publique porte à ces questions.

654 Il s’agit des rapatriés des anciens territoires allemands après 1945 (Spätaussiedler).

Page 227: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

213

Le graphique ci-dessous synthétise l’implication grandissante de députés non spécialisés

dans la « politique antifasciste » dont U. Adamczyk est le porte-parole officiel. Le détail de

l’origine des « petites questions » est présenté dans le tableau qui lui succède.

Graphique 13- Auteurs des « petites questions »

0

20

40

60

80En pourcentag

e de l'ensemble des petites questions

1999 2000 2001 2002

Adamczyk Autres

Tableau 24- Principaux députés à l’origine des petites questions

1999 2000 2001 2002

TOTAL 38 130 107 28

DONT ADAMCZYK 26 87 70 14

SOIT EN % 68 67 65 50

DONT AUTRES 12 43 37 14

SOIT EN % 32 33 35 50

DONT PELLMAN 1 5 4

C. ERNST 2 15 9 4

HILKER 2 4 9 2

TIPPACH 6 3 2

NEUBERT 4 6

BARTL 3 1

Groupe PDS 3

Complété par un classement par auteur, qui distingue les « petites questions » de U.

Adamczyk de celles émanant d’autres députés, le classement thématique permet de clarifier

l’origine des « petites questions ». L’intérêt croissant pour la problématique de l’extrême

droite est perceptible à travers la diversification des thèmes traités. Cette pluridisciplinarité

accrue va de pair avec la disparition du quasi-monopole du traitement de ces questions par U.

Adamczyk655. La diversification des auteurs dénote une prise de conscience de l’opportunité

que constitue le sujet par le groupe dans son entier. Parmi les facteurs explicatifs, il faut

considérer conjointement le discrédit apporté par le traitement exclusivement « antifasciste »

qu’en fait U. Adamczyk et un pragmatisme accru qui pousse chaque député à couvrir

l’ensemble de son domaine de compétences656.

Le croisement de la variable auteur avec celle du thème confirme ces constatations. Le

tableau ci-dessous met en lumière la part des initiatives du porte parole de la politique

antifasciste (1ère colonne pour chaque année) et celle des autres députés sur l’ensemble des

sujets traités.

655 La part des trois députés membres de la commission de la politique intérieure (Admaczyk, Ernst et Tippach) diminue progressivement. Ils totalisent près de 90% des petites questions au gouvernement pour l’année 1999, 80% an 2000, 75% en 2001 et 65% en 2002. Notons que ce phénomène se retrouve à la CDU où L. Rohwer, en charge de la politique de l’enfance, se taille « la part du lion », tandis que Pfeiffer et Seidel, membres de la commission des questions intérieures, n’interviennent qu’en marge dans cette problématique. 656 On note par exemple l’apparition du spécialiste de la protection des données, des nouvelles technologies et d’Internet dans ce domaine.

Page 228: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

214

Graphique 14- Evolution de la répartition par thème et par auteur (en pourcentage de l’ensemble des « petites questions »)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

1999

ADAM.

1999

AUTRES

2000

ADAM.

2000

AUTRES

2001

ADAM.

2001

AUTRES

20002

ADAM.

20002

AUTRES

Politique d'immigration

Extrême droite 2ème degré

Extrême droite activités

Extrême droite organisations

Extrême droite recensement

Extrême droite délits

Extrême droite 1er degré

Extrême gauche

Outre l’ouverture des problématiques à l’ensemble des députés, on remarque une

restriction des problématiques traitées par Adamczyk, ainsi qu’un accroissement de l’intérêt

porté à l’extrême gauche par les autres députés. Cette évolution est à mettre en parallèle avec

l’intérêt ponctuel ou systématique porté à certaines problématiques. Les domaines privilégiés

par Adamczyk sont constants et homogènes, ce qui permet d’établir les frontières de son

domaine réservé d’action, dont la politique d’immigration est par exemple exclue. La vue

d’ensemble établie quantitativement est à présent complétée par une analyse systématique des

« petites questions ».

B) Les usages politiques de la problématique de l’extrême droite

D’après l’analyse amorcée dans la première section, il semble que les « petites

questions » ne constituent pas la base d’un programme cohérent d’action, qui définit des

objectifs. La problématique est bien davantage au service du combat politique. Cette

interprétation est confortée par l’analyse qualitative des « petites questions » relatives à

l’extrême droite. Elles ont pour origine un événement ponctuel ou régulier. Elles révèlent

deux types de motivation. Il peut s’agir d’une part d’exercer un contrôle sur l’administration,

le bien-fondé de certaines pratiques policières et décisions judiciaires est alors interrogé.

D’autre part, la « petite question » permet d’obtenir des informations officielles (car émanant

des services régionaux de protection de la constitution ou un service homologue du ministère

de l’intérieur) sur un mouvement ou une activité. Dans le premier cas, la motivation porte sur

la dénonciation de dysfonctionnements des services de l’Etat, dans le second, il s’agit de

Page 229: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

215

rendre justice, parfois dans une logique d’auto-défense, à la mobilisation anti-extrême droite.

La dénonciation d’une action limitée de l’Etat fédéré contre l’extrême droite cache la carte

jouée par le PDS, celle de la victimisation face à un Etat policier.

Remise en cause de la légitimité de l’Etat et victimisation du PDS

Les « petites questions » relatives à l’extrême droite visent d’abord à mettre en cause la

légitimité de l’Etat, par l’intermédiaire de ses administrations judiciaires et policières. Une

grande partie des « petites questions » dénonce l’existence légale de certains groupes

d’extrême droite, qui parviennent même à organiser des rassemblements publics.

Ces documents permettent d’établir un calendrier des manifestations d’extrême droite,

pour la plupart des rassemblements commémoratifs étroitement surveillés par les services de

police657. En marge de ce calendrier, des fêtes populaires ou religieuses (tels le réveillon de la

Saint-Sylvestre et l’Ascension) sont autant d’occasions pour les partisans de la scène

d’extrême droite et les antifascistes de l’extrême gauche de s’affronter violemment.

Les ambiguïtés de l’Etat démocratique, pris entre les exigences contradictoires de la

répression et de la liberté d’expression se retrouvent à travers les difficultés que représente

pour les autorités le repli de la scène d’extrême droite sur la sphère privée, suite à la vague

d’interdictions du début des années 1990. Ce contre-coup illustre les limites de l’interdiction.

L’Etat ne peut intervenir dans le cas de réunions d’extrême droite organisées dans des

locaux privés. Ainsi, la Deutsche Kulturgemeinschaft (DKG), la communauté de culture

allemande peut poursuivre ses activités et réunir annuellement les scènes d’extrême droite

allemande et autrichienne, alors même que ses activités sont connues depuis 1992 comme

relevant de l’extrême droite. Le gouvernement reconnaît son impuissance à agir face à un

propriétaire qui accepte de louer ses locaux à de telles associations658. Autre illustration de la

657 Ainsi, le 27 janvier commémore les victimes du National-socialisme, le 13 février l’anniversaire de la mort de R. Hess, qui coïncide avec le jour-anniversaire des bombardements de Dresde, avril est le mois où hommage est rendu à A. Hitler (le 20 est commémorée sa naissance, le 30 sa mort), l’extrême droite n’échappe pas au rituel des défilés du 1er mai, la victoire des Alliés le 8 mai est une occasion de plus de (se) manifester. La nuit de cristal (9 novembre) est publiquement épargnée. 658 3/0421. La 23ème semaine d’hôtes a eu lieu du 11 au 18.09.1999. Ces rencontres font l’objet de débats parlementaires au Landtag depuis 1997. Au moins trois « petites questions » s’y réfèrent au cours de la législature précédente. Non seulement le gouvernement les a qualifiées d’extrême droite les années précédentes, mais le ministère de l’intérieur a déclaré en 1998 qu’elles constituent « l’un des plus importants rassemblements d’extrémistes de droite allemand avec des corelégionnaires étrangers ». U. Adamczyk, initiateur de la « petite question », s’indigne qu’elles ne soient pas interdites et s’interroge sur la tolérance du gouvernement. Bien que la propriétaire de la salle qui les accueille ait promis l’année dernière de ne pas prolonger son contrat avec le DKG, la réunion a pourtant lieu une fois encore. Le gouvernement ne peut, en réponse, que regretter son impuissance.

Page 230: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

216

complexité de l’action judiciaire au sujet d’un concert de Skinheads qui, identifié comme tel

par les autorités, a lieu dans un endroit privé659. Le concert aurait pu et du être interdit, bien

qu’une salle privée de concert ait alors contourné l’interdiction660.

Les « petites questions », en relevant des dysfonctionnements, remplissent parfois la

tâche parlementaire essentielle de contrôle de l’administration, notamment en matière de

justice661. Ce contrôle parlementaire des administrations se mêle à une attitude anti-policière

propre aux milieux proches de l’extrême gauche, que l’on retrouve dans le discours des élus et

dirigeants PDS662. L’usage que fait l’Etat fédéré (conservateur) du monopole de la violence est

ainsi fortement remis en cause.

Une part importante des « petites questions » s’intéresse aux statistiques policières. Elle

vise un décompte (ou recensement) des crimes et délits imputés à l’extrême droite. Les

statistiques policières comptabilisent les crimes et délits racistes, antisémites et relevant de

l’extrême droite au sein d’une catégorie propre663. Ceux-ci représentent moins de 1% de

l’ensemble des crimes et délits constatés en Saxe. Dans la grande majorité des cas, il s’agit de

659 En novembre 1999, un concert a lieu à Ottendorf-Okrilla. Suspectant un concert d’extrême droite, la « petite question » s’interroge sur sa nature. La réponse stipule qu’il s’agit d’un concert Skinheads d’extrême droite et précise que les noms des groupes présents a été communiqué par un député PDS du Landtag. La demande d’autorisation de réunion a été déposée par un individu connu des services de police comme appartenant à cette scène, pour une fête privée d’anniversaire. Ceci n’a pas empêché sa tenue, bien qu’elle n’ait pas eu lieu dans le lieu public prévu mais dans un endroit privé. 3/0283-85. 660 La réponse à deux « petites questions » de 2001 s’interrogeant sur la portée des interdictions de concerts révèle en outre que celles-ci se sont avérées efficaces et dissuasives, puisque non seulement le nombre de concerts tout comme les tentatives d’organisation également ont diminué (3/5612-13). 661 Un député demande par exemple confirmation, à travers une « petite question » d’une information lue dans le Bild-Zeitung, tabloïd et plus gros tirage quotidien outre-Rhin. Celui-ci, dans son numéro du 05.11.2001 rapporte que J. Schwalm, procureur général de Saxe, aurait décidé que la formule « Honneur et gloire des SS » ne serait plus punissable par la loi, seule la formule : « Honneur et gloire des Waffen-SS » le serait (« Ruhm und Ehre der SS » vs. « Ruhm und Ehre der Waffen-SS »). Par conséquent, 282 procédures pénales engagées à la suite d’une manifestation à Leipzig devraient être abandonnées. Cette modification relèverait d’un échange officieux d’opinons entre procureurs généraux de la République. Sollicité, le ministère fédéral de la Justice exclut que cette initiative ait un quelconque fondement juridique et demande expressément au bureau du procureur de reprendre les poursuites liées à la manifestation de Leipzig. 3/5262-3 (Pellmann) 662 Voir le chapitre 2, section 2. 663 Jusqu’au 31.12.2000, les crimes et délits à motivation extrémiste, c’est-à-dire dans le but de renverser le système, étaient enregistrés selon le système du Staatsschutz (Protection de l’Etat- KPMD-S). La notion d’extrémisme alors employée conduisant à des déficits d’enregistrement, le 10 mai 2001, la conférence permanente des ministres (et sénateurs) de l’intérieur du Bund et des Länder (IMK) décide la mise en place d’un nouveau système de définition. Le PMK (criminalité motivée politiquement) entre rétroactivement en fonction au 01.01.2001. Au centre du nouveau système d’enregistrement se trouve désormais le critère de l’acte motivé politiquement qui détermine un acte dont les circonstances ou les convictions de son auteur laissent présager qu’il est dirigé contre une personne en raison de ses opinions politiques, sa nationalité, son appartenance à un peuple, sa race, sa couleur de peau, sa religion, ses convictions, ses origines, ses préférences sexuelles, son handicap, son apparence extérieure ou encore son statut social. Si ce nouveau système a pour avantage de préciser le cadre de l’enregistrement des statistiques, en élargissant la définition de la notion d’extrémisme, il rend impossible la comparaison avec les années antérieures.

Page 231: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

217

délits de propagande, c’est-à-dire du port ou de l’utilisation de symboles d’organisations

anticonstitutionnelles interdites, nazis pour la plupart. En marge d’une comptabilisation

mensuelle de l’ensemble de ces méfaits, la demande localisée de recensement est à mettre en

relation avec le lien qui unit les députés à leur circonscription664. Ces demandes de

recensement se font exclusivement durant la période estivale (entre juin et septembre), ce qui

tend à supposer un intérêt secondaire porté à ces questions, dont le traitement est réservé à une

période de moindre activité. Les autorités policières sont soupçonnées de minimiser le nombre

de crimes et délits d’extrême droite apparaissant dans les statistiques policières.

Un certain nombre de questions porte sur la présence d’extrémistes de droite dans la

fonction publique, surtout l’armée665, ou au sein d’institutions gérées par l’Etat fédéré (Land)

telles les écoles666. Le traitement de l’extrême droite par le groupe parlementaire PDS se limite

à ce plan institutionnel. Il implique une mise en cause des services d’information de l’Etat,

notamment les services secrets et l’Office régional de protection de la constitution. La plainte

déposée contre le NPD par le Bundestag, le gouvernement fédéral et le Bundesrat, pour

l’interdire consécutivement à l’été 2000, étale sur la place publique certaines pratiques

étatiques de renseignement, notamment le versement de salaires à des informateurs membres

de partis et organisations d’extrême droite. Dès 1999, une question porte en substance sur

l’utilité de ce type d’échange (soutien financier), étant donné que la valeur juridique du

témoignage des informateurs (V- Männer) n’est pas établie667. Cette dénonciation sélective de

la présence de l’extrême droite dans la société allemande résulte, de la part du PDS, d’une

stratégie de mise en scène de soi qui vise à se présenter comme la victime d’un Etat

conservateur policier.

Les « petites questions » relatives aux activités policières concernent essentiellement ce

que leurs auteurs considèrent soit comme du laxisme668, soit comme un usage excessif et

664 Parmi elles se trouvent des localités importantes comme Dresde ou Leipzig. Soit le NPD tente de s’y implanter pour des raisons logistiques, un échec dans telle zone entraînant un redéploiement sur d’autres (c’est le cas dans le Muldentalkreis), soit ces localités connaissent une tradition d’extrême droite spécifique (telle la Suisse saxonne où sévissent les Skinheads de la Suisse Saxonne, les SSS, interdits en avril 2001). 665 Le dénombrement d’actes d’extrême droite, antisémites ou xénophobes commis par des membres de la Bundeswehr, exigé chaque année (3/3276 pour 2000) est difficile à établir. La réponse révèle certes que 13 personnes travaillant pour la Bundeswehr sont engagées dans 8 délits mais les personnes inculpées ne sont pas obligées d’avouer leur appartenance à la Bundeswehr. En 1997, un scandale dénonçait qu’un nombre isolé de soldats se livraient à des jeux et entraînements racistes, non cautionnés par les autorités militaires. 666 L’éducation est domaine réservé des Länder. 667 C’est d’ailleurs cet argument qui fait obstacle à l’interdiction du NPD en 2003. Voir l’introduction générale. 668 En plus des suspicions portées sur les statistiques policières évoquées précédemment, l’attention est portée sur certains dysfonctionnements, notamment en matière de coopération transfrontalière des services de police. En 1999, une question réagit à l’agression d’un commerçant vietnamien par un jeune homme de Dresde de 19 ans.

Page 232: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

218

inadapté de la violence par les forces de police, notamment dans le cas de contre-

manifestations civiles contre l’extrême droite. Sur ce point, l’importance accordée à la lutte

extra-parlementaire et la profession de foi antifasciste placent les députés dans une situation

ambiguë. Elles les renvoient devant leur triple rôle de représentants à la fois d’une population,

d’un pouvoir politique et d’une cause. Ils s’en sortent souvent par une stratégie de

victimisation. Ainsi, le député PDS A. Hahn, invité, comme de nombreuses personnalités

politiques, économiques ou syndicales, à une manifestation locale (à Pirna) en faveur du

« courage civique » (Aktion Zivilcourage) le 04.11.2000, s’interroge sur le mode

d’intervention des forces de police à cette occasion. Il s’étonne pêle-mêle de l’insuffisance du

service d’ordre pour éviter une confrontation avec les contre-manifestants d’extrême droite et

de la gestion de la sécurité, notamment de l’intervention des Bundesgrenzschutz (Forces de

protection des frontières), les forces armées d’intervention relevant de l’autorité de l’Etat

fédéral. Il se plaint du fait que l’hélicoptère de la police se soit tenu en permanence au dessus

du podium et ait selon lui fait en sorte, à trois reprises, que certains discours soient à peine

audibles du public. Le gouvernement nie toute volonté de nuire au bon déroulement de

l’événement669. La députée K. Köditz est fière d’une manifestation, pacifiste et inventive,

contre le NPD à Grimma670. On imagine sa déception lorsqu’une réponse du gouvernement à

une « petite question » de la CDU fait état de violences survenues à cette occasion. Elle exige

que justice soit rendue à la bonne tenue des manifestants et reçoit l’assentiment du

gouvernement pour l’influence positive exercée par le maire et les députés régionaux

présents671.

Si les « petites questions » du PDS ont souvent pour objectif de rendre justice aux

acteurs « antifascistes », il n’est pas question pour les néo-socialistes d’interroger l’impact de

Si celui-ci a été emmené par la police, les autres agresseurs, que des témoins ont vu faire un salut hitlérien, ont pu regagner le territoire allemand sans encombres. L’unique information préliminaire en cours est contre le jeune homme. Le gouvernement déclare ne disposer d’aucune information attestant de son appartenance a la scène d’extrême droite, alors même que les autorités tchèques ont prévenu la police allemande en évoquant des radicaux de droite. Ce sont ici la capacité de collaboration de la police allemande autant que sa crédibilité qui sont mises en cause. (La « petite question » Ds 3/0423 revient sur la réponse donnée à Ds 2/11824). Notons que la communauté vietnamienne constitue une cible particulièrement visée, comme l’illustre la re-formation d’une brigade de police qui lui est spécialement consacrée. 669 3/3076-79 (Hahn). 670 Lire le témoignage de K. Köditz dans le chapitre 2, section 2 B. 671 En réponse à la question 4 –explicite- « Y avait-il des gens du côté des opposants à la manifestation qui ont agi sur place de manière rassurante afin d’éviter une escalade de la violence ? », le gouvernement admet : « Des personnes de la vie publique de Grimma (entre autres le maire) ainsi que des députés du Parlement saxon ont accepté les indications du chef de la police et influencé de manière positive la pondération des autres contre-manifestants. » 3/5935 (K. Köditz et P. Porsch)

Page 233: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

219

la culture d’extrême droite au sein de la population, mais de mettre en cause l’Etat à travers sa

gestion du phénomène d’extrême droite.

La question de l’ennemi au service de la concurrence partisane

Cette stratégie de victimisation se double d’une stigmatisation de l’adversaire politique,

qui, à l’instar de l’action de U. Jelpke au Bundestag, met en scène la proximité des

concurrents du PDS avec l’extrême droite. Si l’ensemble de la scène d’extrême droite est

passée au crible et son financement en partie public dénoncé672, ce sont finalement les partis

politiques d’extrême droite, non représentés au Landtag, qui éveillent le moins la curiosité673.

Bien qu’ils bénéficient du statut légal d’organisation politique, leur influence politique est

moins importante que leur pouvoir de mobilisation sociale. Seul le NPD (dont les liens

concurrentiels particuliers avec le PDS ont précédemment été soulignés) fait l’objet de

nombreuses « petites questions » relatives à ses activités ponctuelles ou à son exploitation

d’un présumé sentiment de nostalgie de RDA674. Parmi les rassemblements publics du NPD,

on note en particulier la célébration du 17 juin 1953 en 2000 et 2001, la récupération de

l’antifascisme avec la constitution d’une alliance d’extrême droite « contre la dictature

antifasciste se profilant sur le sol allemand »675 ainsi qu’une manifestation adoptant pour

672 Les « petites questions » mettent en évidence l’existence d’une multitude d’organisations politiques ou de jeunesse proches de l’extrême droite. Leur statut d’association ou d’organisations culturelles et de loisirs pour la jeunesse, l’ignorance de leurs réelles activités et de leurs dirigeants leur permettent de bénéficier de financements publics. Il s’agit de groupements aussi divers que les « Kameradschaften » et associations d’étudiants, l’organisation de jeunesse du NPD (les Junge Nationalen), les obscures et spécifiquement saxonnes Junge Landsmannschaft Ostpreussen et la Wanderjugend Gibor (spécialisées dans l’organisation de séjours à la campagne soit avec soirées au coin du feu, chants nationalistes et SS soit dans des camps d’entraînement militaire), la branche saxonne du VR (Partei Vereinigte Rechte, parti des droites unifiées) et les Anti-Antifas dont l’essentiel de l’activité consiste à publier sur internet des listes de noms et d’adresses d’opposants. On retrouve également les groupes violents (Hooligans et Skinheads) qui constituent notamment la frange la plus active dans le domaine de la culture (Fanzines et concerts). Le portrait dressé par les « questions » donne une bonne et actuelle vue d’ensemble de la scène d’extrême droite quant à sa nature et composition. Y apparaît notamment dès 1999 son rapprochement avec la scène sataniste. 673 La présence du NPD dans le Landtag de Saxe depuis septembre 2004 renforce l’intérêt porté à ce dernier, comme le laissent entendre les premières initiatives parlementaires du PDS, notamment le dépôt d’un projet (Antrag) exigeant du gouvernement qu’il rende publiques les informations en sa possession sur les relations existant entre le NPD et la scène militante d’extrême droite (dont les SSS, expressément nommées). (Ds. 4/0836, déposée le 24.02.2005 par P. Porsch, président du groupe parlementaire). Le fait qu’il s’agisse d’un projet et non d’une « petite question » témoigne d’un intérêt accru, de même que l’insistance du PDS sur le caractère extrémiste donc anticonstitutionnel de l’organisation. 674 La réponse à une « question » portant sur les activités du NPD en Saxe pour l’année 2000 fait état de 16 réunions publiques, sans compter les réunions internes au parti et les stands d’information tenus dans la rue à l’automne 2000 pour informer du processus d’interdiction en cours à son encontre. Ces réunions rassemblent entre 6 et 550 participants. 675 Elle associe les trois partis d’extrême droite (REP, DVU, NPD et son organisation de jeunesse JLO) à la DSU (Deutsche Soziale Union), l’Union sociale allemande, qui relève de la zone grise entre conservatisme et extrême

Page 234: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

220

slogan : « Imposer la justice sociale- à travail identique, salaire identique » (3/4242). Autant

de thèmes inspirés des revendications du PDS.

Les parlementaires saxons du PDS font preuve d’un intérêt prononcé pour les réseaux

des partis d’extrême droite676. La coopération de partis politiques établis avec des

organisations d’extrême droite677 ou des organisations terroristes678 est une problématique

récurrente, que l’on retrouve également à la CDU.

La disqualification de l’adversaire et la dénonciation de la connivence de l’Etat avec

l’extrême droite trouvent leur apogée dans les règlements de compte avec le passé nazi679.

L’argument du Troisième Reich est souvent utilisé soit pour dénoncer un anticommunisme

persistant680 dont sont victimes les néo-socialistes, soit, plus couramment, pour revivifier les

convictions antifascistes. Une partie des « questions » concerne des domaines aussi variés que

l’indemnisation des travailleurs forcés681, notamment l’accès aux archives682, le

révisionnisme683, la réhabilitation de personnes condamnées par le Troisième Reich684, la

restitution d’œuvres d’art spoliées685, la commémoration686, les réparations, notamment à

droite, et aux Kameradschaften ainsi qu’à d’autres organisations d’extrême droite (Vereinte Rechte) ou nationaliste (Bündnis Deutschland). 676 Trois « questions » portent sur la coopération institutionnelle de membres de partis établis avec l’extrême droite ou d’autres formes d’extrémisme, ou sur la coopération entre les extrêmes droite de différents pays. 677 A l’occasion de l’annonce le 28.8.1999 de l’alliance des députés de la DSU et du FDP avec l’unique député du NPD au sein d’une fraction commune dans une petite ville saxonne, une « question » interroge ainsi les pratiques locales du NPD et notamment sa coopération avec des organisations non extrémistes, 3/0382. 678 Une autre « question » met en cause la participation de députés saxons au Bundestag de la CDU et du SPD à une conférence de presse du Conseil National de la Résistance iranienne. Or cette organisation est considérée comme extrémiste par les offices saxon et fédéral de protection de la Constitution. Le gouvernement ne conclut pas à une coopération mais au soutien d’une initiative, ce qui ne prête selon lui pas à conséquence. 3/2476 (Tippach). 679 Difficilement traduisible, le terme de Vergangenheitsbewältigung qualifie le travail de mémoire à accomplir pour surmonter la culpabilité du passé nazi. 680 Le député Bramke interroge par exemple le gouvernement au sujet d’accusations portées par un député saxon de la CDU, Schimpff, à l’encontre d’un journaliste de radio qu’il a suspecté de faire de la propagande communiste et d’être un « surveillant spirituel de camp de concentration ». L’initiative de Bramke dénonce en réalité le parallèle établi entre communisme et national-socialisme et se rend justice (3/0953). 681 A l’occasion de la création du fonds d’indemnisations, il s’agit de déterminer si les industries qui refusent d’y participer ont utilisé ou non des travailleurs forcés. 3/0300 (Hilker) 682 Un député déplore la fermeture des archives régionales jusqu’en 2010 et demande quel est son fondement juridique. Il exige des explications sur l’impossibilité d’accéder aux archives qui concernent le camp de concentration des entreprises NAGEMA et demande s’il a un rapport avec le processus d’indemnisation en cours. 3/3865 (Weckesser). 683 En Saxe, l’examen de fin d’études en droit proposait un sujet considéré comme révisionniste car relativisant l’importance des camps de concentration. 3/2590 (Bramke). 684 Comment la nouvelle loi fédérale (BGBl, 1998 Teil 1 n°58 du 31.08.1998, qui réhabilite les personnes condamnées par le IIIème Reich pour « manquement aux principes élémentaires de justice ») va-t-elle être appliquée en Saxe ? 3/3520 (M. Friedrich) 685 3/2714 (groupe).

Page 235: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

221

l’égard de la minorité Roms687, enfin la manière dont la Saxe prévoit le règlement de la

question des retraites allouées aux anciens SS688. Apparaissent également de nouvelles

accusations de collaboration avec les nazis, notamment à l’encontre de la Max-Planck-

Gesellschaft, célèbre centre de recherches dont certains chercheurs sont accusés d’avoir

procédé à des expérimentations génétiques au service des crimes nazis689.

Le ton change lorsqu’est incriminé le passé de la RDA, par exemple lorsqu’une

exposition présentant les œuvres du célèbre artiste est-allemand, Willi Sitte, accusé de

collaboration avec la Stasi, crée la controverse690. Le PDS se présente tour à tour en

inquisiteur d’un pouvoir en place soupçonné de connivence avec l’extrême droite et de

laxisme vis-à-vis de son administration, et en avocat des intérêts est-allemands. L’acte peut

ainsi également être clientéliste lorsque la défense de la spécificité des biographies est-

allemandes prime691.

Une comparaison de la production parlementaire du PDS avec celle de la CDU montre à

quel point il s’agit d’une mise en scène de la croyance, pour répondre à la logique de la

concurrence politique.

C) Comparaison avec les initiatives parlementaires de la CDU

Au pouvoir en Saxe, la CDU fait un usage plus sporadique et ciblé des « petites

questions ». Celles qu’elle produit sur l’extrémisme en général portent sur l’extrême gauche et

la politique d’immigration et visent avant tout à décrédibiliser le PDS. Le fait que la CDU, au

686 Plusieurs « questions » traitent de la remise en cause du statut du cimetière militaire du camp de prisonniers de Zeithain. Alors que le site est préservé juridiquement, un projet prévoit de le vendre pour le transformer en terrain de chasse ; un terrain sous protection de la Fondation saxonne de préservation des monuments commémoratifs (Stiftung Sächsische Gedenkstätten) a été vendu à un particulier. 3/2617, 3/3421 et 3/3423 (Zschoche). 687 Manière dont le gouvernement prévoit les réparations, 3/3142 (Pellmann). 688 Après l’entrée en vigueur le 21.1.1998 d’une loi visant à diminuer voire retirer leur droit à la retraite aux personnes qui ont contrevenu aux principes de l’humanité, les Länder ont commencé à étudier les actes. Qu’en est-il en Saxe ? 3/3948 (Hilker) 689 3/4456, (Bramke). 690 3/3350, (Hilker). 691 Une « petite question » relève ainsi le cas d’une enseignante suspendue pour antiaméricanisme après avoir déclaré le lendemain du 11 septembre 2001: « Enfin, les Etats-Unis ont reçu une leçon. Pourquoi donc se mêlent-ils de tout partout dans le monde? » Comment expliquer cette suspension alors que les enseignants de Saxe n’ont pas le statut de fonctionnaires, ne connaissent donc pas de restriction de leur liberté d’opinion, y compris dans l’exercice de leurs fonctions s’interrogent les députés? 3/4908, (Schneider/Bartl). Rappelons d’une part que les fonctionnaires et les enseignants constituent une part importante de l’électorat du PDS, d’autre part que l’antiaméricanisme est une denrée répandue en ex-RDA que le PDS reprend volontiers bien qu’indirectement à son compte.

Page 236: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

222

pouvoir, transfère le port du stigmate sur le PDS, montre que la désignation de l’ennemi

répond autant à des critères idéologiques qu’à des positions de pouvoir occupées par les

organisations politiques.

La problématisation de l’extrême gauche ou le transfert de l’inimitié

En ce qui concerne la CDU, nous disposons de 46 « petites questions » sur deux

années692. La part consacrée à chaque sujet est constante.

Tableau 25- « Petites questions » du groupe CDU sur l’extrémisme et la politique d’immigration

Total Extrême

droite Extrême gauche

Immigra-tion

2000 23 4 11 5 2001 23 7 12 -

Le principal constat est l’importance accordée par la CDU à la l’extrême gauche.

Ramenée en pourcentage, la proportion de « petites questions » relatives à l’extrême gauche

sur l’ensemble des questions traitant de l’extrémisme est frappante, puisque ce sont 52,4% en

2000 et 60% en 2001 des questions traitées qui lui sont consacrées. La différence avec le PDS

est flagrante.

Graphique 15- Comparaison CDU-PDS en pourcentage du total des questions par parti

0

20

40

60

80

CDU 2000 PDS 2000 CDU 2001 PDS 2001

Extrême gauche

Extrême droite

Extrême droite 2ème degré

Toutes les questions enregistrées en l’an 2000 le sont après l’été, ce qui pourrait

signifier un intérêt ponctuel et tardif porté à la problématique.

Les questions de la CDU relatives à l’extrême droite portent autant sur son organisation

de manière générale693, que sur les violences qui ont lieu au cours de manifestations. On

retrouve également, mais plus rarement qu’au PDS, des interrogations nées de situations

692 Ces documents nous ont été prêtés par le porte-parole « de la politique antifasciste » du PDS au Landtag de Saxe. Si leur représentativité peut être mise en doute à ce titre, ils n’en constituent pas moins pour autant d’authentiques témoignages de l’appréhension de certains sujets par la CDU. 693 Tel le spectre de l’extrême droite en Saxe et sur Internet, 3/2742 et 3/2804. Une question seulement évoque une organisation précise et ses réseaux, la Junge Landmannschaft Ostpreussen (JLO), 3/5047.

Page 237: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

223

ponctuelles et localisées. Par exemple, pourquoi une salle est-elle louée par la commune de

Zittau au Bloc de la jeunesse nationale (Nationaler Jugendblock- NJB) d’extrême droite?694

Une députée prend ses renseignements sur un journaliste radio (de la Hessischen Rundfunk)

accusé d’avoir engagé des acteurs pour les besoins d’un reportage à Wurzen. Quelle est

réellement la situation à Wurzen s’interroge A. Pfeiffer?695

Le déroulement de manifestations d’organisations d’extrême droite, surtout du NPD,

fait l’objet de quatre des six questions consacrées aux manifestations696. Leur multiplication

suite à la demande d’interdiction déposée à l’encontre du NPD et leur forte concentration en

Saxe fondent ces demandes de précisions. Enfin, une partie des interrogations porte sur les

risques de rixes et sur les rixes avérées entre l’extrême droite et l’extrême gauche et entend

déterminer la responsabilité de chacun des deux camps697.

Le passé nazi joue un rôle mineur, révélateur néanmoins de la perception

historiographique de la CDU, qui s’interroge dans le même mouvement et d’une manière très

générale sur le nombre de monuments commémoratifs pour les périodes respectives de

l’Empire (Deutsches Kaiserreich), du IIIème Reich, de l’occupation soviétique (1945-1949),

de la RDA, ainsi que depuis 1989698.

Traitement de la problématique de l’extrême gauche : Relativisation au PDS…

L’étude des « petites questions » du PDS relatives à l’extrême gauche met en lumière

l’intensité des échanges existant entre les néo-socialistes et les milieux d’extrême gauche.

Graphique 16- Part totale de l’extrême gauche dans le total des « petites questions » (%)

0

5

10

15

1999 2000 2001 2002

Part de l'extrême gauche

694 3/4766. Le maire de Zittau, K.Voigt, est chrétien-démocrate, la CDU bénéficie d’une très courte majorité (la CDU compte 12 élus de l’assemblée locale, le PDS 5, le SPD 5 et la FDP 1). L’intérêt porté à cette affaire semble d’ordre partisan.Voir « Stadt Zittau verpachtet Haus an rechtsextremen Verein », dépêche AP du 26.10.2001, 13h59. 695 3/4756 (A. Pfeiffer). 696 Manifestations du NPD à Grimma à Leizpig en novembre 2001, 3/5350 (Rohwer)-3/5351 (Rohwer- Clemen); à Dresde le 1.05.01, 3/4157 et d’extrême droite à Leipzig le 1.09.01, 3/4809. 697 3/2444 ainsi que 3/2447 à l’occasion des cérémonies de l’unification. 698 3/2543.

Page 238: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

224

L’augmentation de la part des « questions » relatives à l’extrême gauche va de pair avec

la diversification de leurs auteurs et la redistribution des « questions » consécutive à

l’éclatement du monopole des agents proches de l’extrême gauche. Dans le but de relativiser

les crimes et délits de l’extrême gauche au détriment de ceux de l’extrême droite, la majorité

des interrogations relatives à l’extrême gauche consiste en une comptabilisation d’actes

délictueux commis en son nom. Non seulement cette énumération représente 65% des

« petites questions » portant sur l’extrême gauche, mais en plus, un quart des « petites

questions » consacrées au recensement (extrême droite et extrême gauche confondues) porte

sur l’extrême gauche.

Le PDS apparaît à l’occasion de la présence d’« informateurs » (V-Männer) du LfV au

sein du PDS de Saxe699. Les « petites questions » du PDS relatives à l’extrême gauche

répondent à une stratégie de légitimation des activités et des partenariats néo-socialistes.

... et dénonciation de la proximité des nouveaux partis de gauche avec l’extrême gauche à la

CDU

Parce qu’elles sont davantage destinées à décrédibiliser les partis de gauche dans

l’opposition, les initiatives parlementaires de la CDU s’attachent à alimenter la figure de

l’ennemi à travers la dénonciation de l’extrême gauche.

Les « petites questions » que la CDU consacre à l’extrême gauche concernent trois

acteurs principaux. Il s’agit d’une part des groupes antifascistes (les Antifas), d’autre part des

groupes radicaux et violents (les Autonomes), enfin de la coopération entre ces groupes et des

organisations non extrémistes. Les questions posées au sujet des Antifas sont essentiellement

d’ordre organisationnel700. Les autres s’attardent sur les troubles de manifestations politiques

(attendus ou avérés) occasionnés par des Autonomes. Il peut s’agir de manifestations

publiques commémoratives701, contre l’extrême droite702 ou encore d’une réunion de

699 Les « petites questions » restantes portent sur le port de symboles interdits par la scène. Le groupe Armée Rouge, l’organisation de jeunesse de la RDA (FDJ) ou le KPD, interdit en 1956, comptent parmi les organisations contraires à la constitution dont le port de symbole est interdit par le code pénal. Elles interrogent également les raisons de la mise sous surveillance d’une association sportive de Leizpig, les structures antifascistes d’un quartier de cette même ville et l’activité d’extrême gauche à Dresde. 700 Elles interrogent le nombre, les structures, les réseaux et les zones d’influence d’une structure particulière plus souvent que l’idéologie. Infoladen Dresden, 3/244 ; Infoladen Leipzig 3/2942 (R. Clemen) ; AZ Conni Dresden, 3/4568. Il en va de même pour les « questions » qui concernent d’autres organisations d’extrême gauche telles « Katjuscha », 3/3576 et l’ «Alternative Socialiste En Avant ! » (Sozialistische Alternative Voran), 3/4834. 701 Les Autonomes appellent à faire obstacle au bon déroulement du 10ème anniversaire de l’unification, 3/2446.

Page 239: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

225

campagne de la CDU à Dresde dérangée par l’intervention de militants proches des

Autonomes arrêtés à l’occasion703.

Il est courant qu’une demande relative à l’extrême gauche soit déposée le même jour par

le même député conservateur au sujet de l’extrême droite, ce qui va dans le sens de la théorie

de l’extrémisme évoquée plus avant704. Le procédé est très peu usité par le PDS.

Comme au PDS, il arrive que le motif d’une « petite question » semble résolument auto-

centré. L’une d’entre elles interroge précisément, outre la quantité et la violence, la nature des

noms et adresses d’opposants mis en ligne par des extrémistes de gauche sur Internet : « Dans

quelle mesure les noms et adresses d’opposants politiques réels ou pressentis (par exemple

des gens de droite ou des conservateurs) sont-ils publiés ? »705

Les demandes relatives aux manifestations publiques traitent essentiellement de la

présence et de l’activité de l’extrême gauche, alors que l’intérêt du PDS porte essentiellement

sur la contestation de la stratégie policière. L’approche policière est privilégiée par la CDU

dans un cas seulement, celui de la brigade spéciale active dans la lutte contre l’extrême

gauche706.

Le plus surprenant en comparaison des demandes du PDS est l’attachement de la CDU à

dénoncer une coopération des partis de gauche, exception faite de la sociale-démocratie (à

savoir Verts et PDS) avec l’extrême gauche. Une question porte par exemple sur une

éventuelle implication du PDS dans des actes de violence d’extrême gauche707. Tandis que

cinq questions seulement se rapportent à la politique d’immigration, pas moins de huit

demandes concernent directement (elles en font l’objet) ou indirectement (elles sont au centre

d’au moins une sous-question) les réseaux extra-parlementaires de ces partis ou de militants

ou députés y appartenant. Un unique député est à l’origine des trois demandes portant sur

702 La manifestation du comité « Montrer son visage » (Gesicht zeigen) du 01.09.2001 à Leipzig a été troublée par des radicaux d’extrême gauche, des Antifas de l’Alliance contre l’extrême droite (Bündnis gegen Rechts, BgR). 3/4812 ou à l’occasion de contre-manifestations, 3/4810. 703 3/0509. 704 Ainsi, la CDU dépose le même jour une « question » sur les Antifas en Saxe et sur les Anti-Antifas. Ces groupes d’extrême droite ne combattent pas Antifas mais rendent publics les noms et adresses des opposants à l’extrême droite, 3/2445. De même, la publication de fanzines de gauche ou Skinheads est étudiée avec le même intérêt, 3/3824 (A.Heinz). 705 3/2805. Notons que le procédé est là aussi doublé d’une question similaire portant sur l’extrême droite. 706 Tenants et aboutissants du projet, 3/ 4813. 707 Le 01.09.01 à Leipzig, 3/4811.

Page 240: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

226

l’existence d’une coopération directe. Enregistrées à la suite, donc déposées en même temps

selon nos suppositions, elles ne sont que des formulations différentes d’une même question708.

Les « petites questions » traitant indirectement des réseaux des nouveaux partis de

gauche sont deux fois plus nombreuses. Le PDS et les Verts y apparaissent soit dans les

questions, soit dans les réponses. Une « petite question » porte par exemple sur un réseau

antifasciste dresdois abrité par la Maison de la Rencontre (Haus der Begegnung). Or, cet

immeuble est une propriété du PDS, sa section locale et sa fédération régionale y ont le siège,

ce que ne précise pas la demande. L’une des sous-questions porte d’ailleurs sur les liens

éventuels du réseau avec le PDS709. Une manifestation contre la vidéo-surveillance à

Leipzig710 et les événements en marge des sommets officiels du G8 de Gènes et Göteborg font

l’objet d’interrogations sur une participation du PDS, une alliance active dans la mouvance

anti-atomique de contacts avec des groupes d’extrême gauche et de relations éventuelles avec

B90/Grünen et d’autres mouvements écologistes711. La CDU s’interroge en outre sur les délits

commis au cours de rassemblements ou manifestations d’extrême gauche ou antifascistes,

dont les autorisations ont été déposées par des membres du Parlement régional appartenant

aux groupes du PDS ou des Verts712. L’ennemi est ici d’extrême gauche et dénoncé pour

remettre en question le caractère démocratique du PDS, le principal adversaire de la CDU au

sein du Landtag saxon.

Des divergences idéologiques évidentes en matière d’immigration

Avec une capitale située à 40 km de la frontière tchèque et à 80 km de la Pologne, la

Saxe est au centre du triangle germano-tchèco-polonais. Seulement 1,7% de la population

saxonne est étrangère, c’est-à-dire qu’elle ne possède pas de passeport allemand, alors qu’elle

s’élève à 8,9% de l’ensemble de la population allemande. La proportion de population

étrangère est inégalement répartie entre les anciens et les nouveaux Länder. Elle est constante

sur l’ensemble du territoire mais en augmentation à l’Est, où elle reste toutefois extrêmement

708 « Contacts de députés du Landtag avec des cercles d’extrême gauche », 3/3737 (Heinz) ; « Relations de députés du Landtag aux cercles d’extrême gauche », 3/3738 (Heinz) ; « Députés du Landtag dans les associations d’extrême gauche », 3/3739 (Heinz). Après avoir répondu négativement aux deux premières, les services du gouvernement laissent la dernière sans réponse, montrant qu’ils ne sont pas dupes de l’acharnement qui préside ici aux interrogations. 709 Antifa-Schulnetzwerk Dresden, 3/2445. 710 Co-organisée par l’Alliance contre l’extrême droite (Bündnis gegen Rechts) et la « Bloc des femmes antifascistes » (Antifa.en Frauenblock) le 14.10.2000. 3/2830-31 (C. Clauss) 711 La première conclut à une participation du PDS et de l’extrême gauche, 3/4567. Dans la deuxième, le gouvernement affirme ne pas être en mesure d’en attester, 3/3918. 712 3/4163.

Page 241: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

227

marginale (entre 1,5 et 3% en moyenne). En 2002, la population étrangère est

proportionnellement entre quatre et cinq fois plus nombreuse dans les ABL713.

La politique d’immigration n’est pas un enjeu majeur pour le Land de Saxe. Elle occupe

pourtant une place importante au sein de l’activité parlementaire tant du PDS que de la CDU,

ce qui conduit à penser qu’elle revêt une forte fonction de référent identitaire.

La défense des droits de la population immigrée au PDS

La thématique de l’immigration est primordiale dans la mise en scène de soi du PDS en

tant que parti antifasciste.

Au sein des « petites questions » sont à distinguer les demandes d’informations

quantitatives et qualitatives. Les premières portent sur le nombre de réfugiés (du Kosovo et de

Bosnie-Herzégovine), demandeurs d’asile et rapatriés ainsi que sur les critères définissant leur

lieu de séjour714, le coût que représente leur accueil et sa répartition entre les diverses

instances géographiques et administratives715. Ce dernier point témoigne d’un intérêt

particulier porté aux finances des communes716.

Les deuxièmes ont trait aux conditions de vie717, également dans des cas particuliers

comme celui d’un traitement thérapeutique718, aux droits des réfugiés, demandeurs d’asile et

rapatriés, notamment au travail719 et à leur situation en regard de la loi, à la régulation des

réfugiés de guerre de Bosnie-Herzégovine720, aux ressources financières allouées aux

713 Source : Statistisches Bundesamt Deutschland 2003, office fédéral des statistiques, au 31.12. 2002. A Berlin par exemple la part de la population sans passeport allemand s’élève à 12,7% en 1995 répartis ainsi : 17,4 à l’Ouest contre 5,3 à l’Est. 714 D’une manière générale, les « questions » ont trait au taux de remplissage des foyers, à leur capacité d’accueil, aux ethnies les plus représentées. Par exemple, la répartition des demandeurs d’asile dans les villes se fait-elle en fonction du nombre d’habitants ou en fonction du nombre de foyers ? De fortes disparités entre la population totale et le nombre de demandeurs d’asile dans un lieu donné engendre une contre-interrogation relative aux critères de répartition annoncés. 3/5264 et 3/4946 (Pellmann). 715 Une « question » sur le coût journalier engendré par l’accueil de demandeurs d’asile fait apparaître un coût nettement moins élevé en Saxe que dans les autres Länder, 3/3153 (Ernst). 716 Dans quelle mesure, en raison du changement de loi, les coûts vont être reportés sur les communes? Et à combien faut-il estimer ceux-ci? 3/3154 (Ernst). 717 Notamment au travail social accompli dans les foyers de demandeurs d’asile. 3/3346 (Ernst). 718 Quelles régions de Saxe proposent-elles des permanences de conseil psycho-social pour les citoyens non-allemands? 3/5447 (Dürrschmidt). Qui paie les frais de traduction dans le cas où un traitement thérapeutique est ordonné et qu’il ne peut se dérouler sans l’aide d’un interprète ? 3/5446 (Dürrschmidt). 719 3/3155 (Ernst). 720 3/1924 (Ernst).

Page 242: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

228

demandeurs d’asile721... Les « petites questions » laissent entrevoir, sans en traiter, un certain

nombre de conflits liés à la présence d’un foyer ou au contraire à l’annonce de la fermeture

d’une structure d’accueil722. La question des discriminations subies par cette population

apparaît également (dans le monde du travail et dans l’univers carcéral)723. La pratique de

l’expulsion, en particulier de la chambre d’isolement la précédant, donne également lieu à de

nombreuses « questions » divisibles là encore en préoccupations quantitatives (nombre de

personnes en attente d’être expulsées, nationalités concernées, durée moyenne de l’attente,

coûts)724 et qualitatives (situation)725. Le but est de porter le discrédit sur les pratiques

d’expulsion726. Une députée fait de la révision de la pratique de l’expulsion son cheval de

bataille727.

Le PDS se fait ainsi le défenseur des droits des « étrangers » (immigrés, réfugiés,

demandeurs d’asile) et des rapatriés (Aussiedler) 728. Chassés d’anciens territoires orientaux

(polonais et russes) allemands sous le Troisième Reich, ils sont souvent considérés comme

des étrangers. Selon le droit allemand, bien qu’ayant quitté le territoire depuis plusieurs

générations, et de ce fait ne maîtrisant souvent pas la langue allemande, ils sont Allemands et

peuvent, dès leur entrée sur le territoire, prétendre à un passeport729.

721 3/3156 (Ernst). 722 Ainsi, six questions sont consacrées à la fermeture du foyer de Radeberg qui portent d’une part sur la qualité des infrastructures, la manière dont les personnes sont hébergées, d’autre part sur la réaction des personnes hébergées à l’annonce de la fermeture du foyer (pourquoi ont-ils résisté, combien de blessés y-a-t-il eu et combien ont été arrêtées ?) 3/3410-15 (Ernst). 723 Comment s’assurer que les travailleurs étrangers bénéficient des mêmes conditions de travail que les Allemands? 3/4057 (Ernst). Comment améliorer la coopération entre les services administratifs respectivement en charge des étrangers et des établissements pénitentiaires pour résoudre les problèmes des étrangers incarcérés ? 3/4389 (Kosel). Le mariage blanc (son importance et les procédés juridiques utilisés) porte également à questionnement, 3/3523 (Friedrich). 724 3/1427, 3/2493 et 3/2492 (Ernst). 725 3/2815-16 (Ernst). 726 Deux questions s’intéressent aux cas de personnes étrangères décédées en 1999 en garde-à-vue, dans l’attente de l’expulsion ou en essayant de passer illégalement la frontière. 3/0617 et 3/5616 (Ernst). 727 C. Ernst, députée depuis 1998 et présidente de la fédération régionale (Landesverband) du PDS depuis novembre 2001. U. Jelpke au Bundestag, K. Hopfmann à la CDB défendent aussi cette cause. 728 Une « petite question » exige ainsi du gouvernement qu’il prenne position sur la distinction opérée par un journal qui évoquait des difficultés d’entente entre des « rapatriés russes » et des « adolescents allemands ». La réponse tombe, claire : en effet, la juxtaposition de ces deux termes prête à confusion et donner l’impression au lecteur que les rapatriés ne sont pas des Allemands mais des étrangers, 3/5023 (Pellmann). Notons qu’une question déposée par la CDU demande des précisions sur l’engagement de managers de crise à Delitzsch, chargés d’empêcher les conflits sociaux entre ces populations, 3/4765 (Rohwer). Cette commune est connue pour avoir offert à un club de Skinheads une subvention et engagé un néonazi notoire comme travailleur social. 729 De nombreux citoyens russes ont profité de cette disposition après la chute du régime soviétique pour immigrer en RFA.

Page 243: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

229

Une partie croissante, néanmoins marginale des « petites questions » touche à

l’intégration des citoyens étrangers, notamment au sein des services de police730, des enfants et

adolescents étrangers dans les services d’aides à l’enfance731, leur intégration scolaire732 ainsi

qu’aux mesures envisagées par le gouvernement pour favoriser l’intégration des immigrés733.

Un nombre extrêmement restreint de questions sous-divise les catégories, s’interrogeant par

exemple sur les femmes demandeurs d’asile (leur proportion, motivations et les cas de

violences faites aux femmes dans les foyers)734. Enfin, un volet immigration a trait aux

modalités d’application de nouvelles lois fédérales en Saxe (Green Card et accueil

d’informaticiens étrangers en Saxe et nouveau code de la nationalité)735.

Les principes défendus par les députés saxons du PDS en matière de politique

d’immigration sont ceux de défense des immigrés. Les néo-socialistes engagés dans ce

domaine militent pour une prise en compte de la diversité des statuts et des situations des

immigrés, ainsi que de la multitude des discriminations dont ils font l’objet, surtout par les

pouvoirs publics. L’objectif est de montrer que le système même de gestion de l’immigration

par l’Etat de Saxe est discriminant.

Les priorités de la CDU en matière d’immigration

Le traitement de la politique d’immigration de la CDU diffère de celui du PDS sur un

point central : bien qu’accordant une place importante à la question de l’intégration736,

l’approche de la CDU est moins tournée sur la dénonciation des conditions de vie, que sur les

difficultés que cause la présence des « étrangers », sans distinction entre demandeurs d’asile,

réfugiés et rapatriés737. Une question intitulée « Abus du droit d’asile politique » porte par

exemple sur l’utilisation, à Brème, d’une « zone grise » du droit d’asile par des Kurdes de

730 Est-elle encouragée par le gouvernement saxon comme c’est le cas dans d’autres Länder ? 3/1502 (Ernst). 731 3/5702-03 (Ernst- Neubert). 732 Est-il vrai, comme l’annonce l’étude PISA (étude comparative des résultats scolaires et connaissances d’élèves scolarisés dans chaque Land) que les enfants étrangers sont les plus touchés par l’échec scolaire ? Quelles mesures sont envisagées par le gouvernement pour y remédier ? 3/5721 (Ernst) 733 3/5698 (Ernst) 734 3/0219 (Ernst) 735 3/1383 (Ernst) ; 3/0848 (Ernst); 3/2925 (M. Werner) et 3/1180 (Hilker) 736 Question de la création d’un organisme régional des questions d’intégration en Saxe, 3/0540 et l’existence d’un concept d’intégration ou de transition des rapatriés face aux communes qui en ont désormais la charge ainsi que la contribution financière versée par l’Etat fédéral à la Saxe, 3/3204 (A. Grapatin) 737 La problématique de l’immigration paraît se limiter pour la CDU à la région de la Turquie et du Proche Orient. Ainsi, lorsqu’elle s’interroge sur le nombre annuel de demandeurs d’asile en Saxe, sa première sous-question porte sur leur appartenance à une église chrétienne du Proche Orient, 3/2761 (A. Grapatin).

Page 244: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

230

Turquie pour rester sur le territoire allemand. Cette malhonnêteté coûtant cher au

gouvernement, quelle est la situation en Saxe ?738 L’une des sous-questions interroge, outre le

soutien apporté par leur ambassade, le moyen de mettre en place un programme pour aider la

première génération d’immigrés turcs en Allemagne (les travailleurs invités, Gastarbeiter) à

regagner la Turquie739.

Les pratiques parlementaires du PDS en direction de l’extrême droite et celles de la

CDU à l’égard de l’extrême gauche sont révélatrices du poids des valeurs partisanes. Dans le

premier cas, elles témoignent en outre de la difficulté du PDS à allier représentation et

opposition, parlementarisme et extra-parlementarisme. Dans son activité parlementaire sur la

question de l’extrême droite non plus, le PDS n’a pas réussi à jouer le rôle de l’opposition tout

en étant un élément intégrateur et responsable à l’intérieur du système, susceptible de

succéder au SPD740. Ses divisions internes relatives aux intérêts de ses agents (députés

radicaux de gauche d’un côté, des esprits conservateurs en faveur d’une participation

gouvernementale de l’autre) sont particulièrement prégnantes dans l’attitude des agents face à

la scène d’extrême gauche741. Puisque l’usage idéologique fait de certaines pratiques

parlementaires n’est pas l’apanage du PDS, comme le montre le cas de la CDU, la question du

respect ou non du système parlementaire par le PDS n’est pas de mise742.

La CDU fait subir au PDS le sort que celui-ci inflige à l’extrême droite, certains

mécanismes sont similaires, notamment dans l’occupation déléguée de sous-espaces

parlementaires. La problématique de l’extrémisme met à mal un des principes de

fonctionnement de l’assemblée qu’est sa dépersonnalisation. Près de 70% des « petites

questions »743 émanent de Lars Rohwer, ce qui va dans le sens d’une répartition des thèmes

également au sein du groupe conservateur. Le profil de L. Rohwer est marqué par les

questions sociales liées à la famille et à la jeunesse. En attestent son activité au sein des

commissions « Ecole et sport », « Social, santé, famille, femmes et enfance » ainsi que du

738 Ils se seraient fait passer pour des Libanais, lesquels ne peuvent être reconduits à la frontière que s’ils sont enregistrés au Liban. 3/1304 739 3/1717 (A. Grapatin). 740 Sur ce dernier point, H. Hüning: « ‘Fremde im feindlichen System’. Bewältigt die PDS die Erosion der Ausgrenzung? ». Sozialismus, 2, 1996, pp. 19-27. 741 Les manifestations et le rôle de la police dans celles-ci sont au cœur de cette diversité. Selon J.P. Lang, le cas saxon témoigne de cette évolution du PDS. J. P. Lang : op.cit., p. 45. 742 Contrairement à l’analyse de J.P. Lang pour qui « le parti considère le parlementarisme non comme principe d’éducation à des fins démocratiques, mais bien davantage comme objet de confrontation idéologique, autant qu’à l’inverse les parlements représentent pour lui une arène du combat politique.» J. P. Lang : op.cit., p. 61. 743 14 sur 23 pour 2000, 18 sur 23 pour 2001.

Page 245: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

231

comité régional d’aide à l’enfance. En cela, il se distingue de U. Adamczyk et U. Jelpke, dont

la biographie et le parcours politique sont marqués par la question de l’extrémisme. Autant de

raisons de s’intéresser à présent à ces députés qui épousent au PDS la cause anti-extrême

droite et aux registres d’action qu’ils mobilisent.

Page 246: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

232

Section 3 La délégation de la cause antifasciste à l’expertise

Seul le PDS dispose dans chacun des parlements où il est représenté d’une personne en

charge de la question antifasciste et/ou antiraciste. Un même député prend souvent, mais pas

toujours, en charge les questions liées à l’extrême droite et la politique d’immigration. Tel est

le cas des experts analysés ici, ce qui exclut un traitement différencié des engagements

antifasciste et antiraciste.

Il convient dans un premier temps de se demander pourquoi un parti comme le PDS

délègue à des experts une problématique aussi essentielle en termes identitaires que

l’antifascisme. Dans un second temps, les mécanismes par lesquels certains agents politiques

investissent une cause indicible ou intraitable, dont la majorité du personnel politique tente de

se défausser, méritent d’être analysés.

A) La délégation, un principe en harmonie avec la stratégie

parlementaire du PDS

L’importance qu’il accorde à la lutte extra-parlementaire conduit le PDS à faire entrer

dans l’arène parlementaire non seulement des considérations, mais également des individus

issus du milieu associatif, donc étrangers à la fois au parlement et à l’institution partisane.

L’analyse doit donc inclure l’apport exodéterministe contraignant de la cause antifasciste à

ces espaces traditionnellement clos. Il convient dès lors de se demander si le principe de la

délégation du traitement parlementaire de la problématique de l’extrême droite est lié à la

stratégie parlementaire du PDS, inhérente à la cause ou encore au traitement de la cause par

des experts.

Un moyen de concilier travail parlementaire et lutte extra-parlementaire

« Pour parvenir au but recherché du socialisme démocratique, le PDS utilise toutes les possibilités

d’autodétermination démocratique par le biais de mouvements extra-parlementaires et d’action

parlementaire. Il vise une extension fondamentale et un développement qualitatif de la démocratie à

toutes les échelles de la vie en collectivité. Il s’engage en faveur de nouvelles formes d’auto-

organisation démocratique, en particulier pour une démocratie directe et une participation active des

Page 247: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

233

hommes aux processus politiques, économiques, sociaux, culturels et écologiques de planification et de

décision »

Dans son préambule, le PDS revendique le recours conjoint au parlementarisme et à la

lutte extra-parlementaire, afin de développer la pratique de la démocratie744.

Un groupe parlementaire-type, rationalisé dans sa composition

La lutte extra-parlementaire s’insère donc jusque dans les rangs du groupe

parlementaire du PDS. Pour constituer une ressource, l’insertion de la composante extra-

parlementaire de la lutte doit être rationalisée. Depuis 1990, le PDS procède à cette

rationalisation à travers l’adoption de listes ouvertes au monde associatif.

Le PDS est continuellement représenté au Bundestag depuis 1990, année où sa stratégie

d’alliance avec une partie de l’extrême gauche (restée sous le nom de Liste de gauche- Linke

Liste) lui permet de gagner les quatre mandats directs nécessaires à une entrée au Bundestag.

L’adoption des Listes ouvertes en 1994 « traduit une volonté d’ouverture et une prise en

compte accrue de la diversité de la société. Moins centrée sur la mouvance extrémiste de

gauche, elle s’adresse plus particulièrement aux milieux syndicaux et associatifs, en vertu du

principe qui privilégie l’action extra-parlementaire et supra-partisane»745. Il s’agit de rompre

avec la logique du parti unique et de marginalisation à l’extrémité de l’échiquier politique tout

en marquant sa singularité. L’activité parlementaire du PDS sert autant, en fonction des sujets

et des besoins du parti, de profession de foi au système démocratique parlementaire que de

tribune où il peut se distinguer en adoptant une position en marge des autres forces

politiques746.

Les succès électoraux du PDS en 1994, « super année électorale »747, inaugurent la voie

de la normalisation, ce que confirme l’élection de P. Bläss (PDS) au poste de vice-présidente

744 Deuxième point du préambule adopté lors de sa création et modifié pour la dernière fois en avril 2000. (http://sozialisten.de/partei/grundsatzdokumente/statut/index.htm, 12.09.2004) 745 P-Y. Boissy : op.cit., p. 362. 746 A l’instar de ce que G. Birenbaum a démontré au sujet du Front National G. Birenbaum : Le Front National en politique. Balland, 1992. 747 Les deuxièmes élections législatives pan-allemandes en 1994 confirment le PDS au troisième rang des forces politiques dans les nouveaux Länder, il y obtient 20% des suffrages, jusqu’à 35% à Berlin-Est (1% seulement à Berlin-Ouest).

Page 248: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

234

du Bundestag le 26 octobre1998748. Ces listes ont ainsi permis au PDS d’élargir sa clientèle à

l’électorat traditionnel des Verts et à la frange progressiste du SPD, tout en créant un lien

identitaire fort avec le PDS, susceptibles de fidéliser ces nouveaux électeurs. Comme en

témoigne B. Grygier, élue locale, puis députée apparentée au PDS, bien qu’elle émette des

doutes sur la validité du concept à l’échelle fédérale:

« Le PDS a vraiment décidé lors de son premier congrès, en 1990, de faire de la politique avec tous

ceux qui défendent notre programme, mais ils ne sont pas obligés d’adhérer. La liste est ouverte

également à des personnes qui, peut-être, ne soutiennent pas le programme dans son intégralité, peut-

être quelques points seulement, mais s’engagent tout de même. Faire de la politique avec ces gens-là, je

trouve ça génial. Je considère que c’est une situation de départ géniale. […] A l’échelle communale.»

Cette diversité implique une sélection des candidatures pour donner au groupe

parlementaire le profil désiré, censé contrebalancer l’image vieillotte et réactionnaire du PDS.

Benjamin Hoff, qui a 19 ans au moment de son élection à la CDB, témoigne :

« En 1995, je suis devenu député pour des raisons politiques et publicitaires. Les raisons politiques

résidaient dans mon action militante en marge du PDS. A l’époque, PDS avait un intérêt politique, qui

s’est accru depuis, à recruter des acteurs politiques issus des mouvements sociaux, qu’ils soient

membres du parti ou non. Cela a certes beaucoup à voir avec le renouveau politique du parti à cette

époque, mais également avec la nécessité de mettre en avant ce renouveau à l’extérieur du parti.

Deuxième point : le PDS avait à l’époque avec Stefan Heym le plus vieux député au Bundestag, et moi,

en 1995, j’étais le plus jeune député jamais élu. Pour le PDS dont on disait que c’était l’ancien SED,

c’était bien sûr très important pour l’opinion publique. »

En 1998, après avoir obtenu 5,1% des suffrages, le PDS accède pour la première fois au

Bundestag au statut officiel de groupe parlementaire749. Ce dernier se distingue des groupes

des partis traditionnels par son hétérogénéité. 21 des 36 députés sont des femmes, six ont été

élus dans des Länder occidentaux, sept sont sans étiquette. Le PDS compte en outre parmi ses

748 Les vice-présidents sont proposés par l’ensemble des groupes du Bundestag, à l’exception du plus important d’entre eux qui propose le Président. Certes, le règlement du Bundestag ne précise pas le nombre de vice-présidents, dont la fonction principale est de décharger le Président du Bundestag dans la direction des séances publiques. Il est néanmoins spécifié depuis 1994 que tout groupe parlementaire a le droit d’être représenté au sein du Bureau du Bundestag par un vice-président au moins. Le Divellec : op. cit., pp. 86-87. Toutefois, le quadruple échec de L. Bisky, président du PDS, à l’élection de l’un des vice-présidents en novembre 2005 atteste du caractère non automatique de cette élection. 749 Auparavant, à défaut d’avoir atteint les 5% des suffrages exprimés, ses attributions étaient réduites.

Page 249: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

235

députés à la fois le doyen de l’assemblée et la plus jeune députée750. Avec 36 députés, le

groupe de la 14ème période législative est le plus petit du Bundestag751. Tout comme sa

direction élargie, le groupe du PDS « reflète plus précisément [..] l’image idéale et stratégique

que le parti choisit de donner de lui-même » ; il « apparaît, à la fois, comme une vitrine et une

tribune, assurant la promotion pan-allemande du parti»752. Non seulement cette décision

stratégique produit une identité, mais elle influe également sur l’idéologie guidant son activité

parlementaire.

La composition du groupe PDS au Bundestag est révélatrice de l’ouverture du parti en

direction de la société civile, de l’ouest, de l’extrême gauche et de la gauche traditionnelle.

Figures symboliques des nostalgiques de la RDA (parmi lesquelles la lanceuse de javelot Ruth

Fuchs) y côtoient des professionnels de la politique, qu’ils soient anciens activistes de

l’extrême gauche occidentale (W. Gehrcke, E. Bulling-Schröter, U. Jelpke, H. Knake-

Werner753 ou W. Wolf) ou anciens fonctionnaires locaux ou régionaux du SED, qui

constituent l’essentiel des troupes ; Wessis sans parti (Président berlinois du syndicat HBV M.

Müller) travaillent avec des scientifiques et économistes en vue à l’époque de la RDA dont la

part diminue (C. Luft) et des transfuges du SPD (F. Gebhardt, U. Hiksch). De nombreux

groupes sociaux sont également représentés comme les chômeurs (K. Grehn), les handicapés

(I. Seifert) et les homosexuels (S. Jünger, C Schenk). La population immigrée ne figure par

contre pas dans cette diversité.

Les contraintes de la diversité

La structure du groupe explique partiellement le fonctionnement de ses activités

parlementaires. Le principe de la répartition des tâches entre députés, voire du domaine

réservé, permet pourtant de dénouer le dilemme stratégique inhérent au parti, entre la volonté

de gouverner et le confort de l’opposition. En alliant les principes antagoniques de

parlementarisme et de l’extra-parlementarisme, le PDS espère contourner un choix dangereux

pour la cohésion du parti.

750 Respectivement F. Gebhardt, né en 1928 et issu du SPD et S. Jünger, 25 ans au moment de son élection. 751 Le petit groupe des Verts a un profil similaire en termes quantitatifs (47 députés) et qualitatifs (diversité des origines et des intérêts), à l’exception d’un taux plus élevé d’adhésion au parti. A l’issue des élections de septembre 1998, sur les 669 sièges à pourvoir, le SPD en obtient 298, la CDU/CSU 245, B90/G 47, le FDP 43 et le PDS 35. En octobre 1999, le groupe du PDS est rejoint par un élu du SPD. 752 P-Y. Boissy : op. cit., p. 377. 753 Elle devient sénatrice de Berlin en 2002.

Page 250: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

236

La diversité permet au groupe de fonctionner sur le mode de la répartition des tâches,

chaque député étant en charge d’un domaine correspondant soit à des compétences politiques

ou sociales particulières, soit à un statut ou des qualités propres (tel que l’âge par exemple)754.

Cette hétérogénéité se retrouve dans la diversité des attitudes et des engagements contre

l’extrême droite. Les députés, en fonction de leur biographie, de leur insertion dans le parti et

dans les rapports dominants dans leur circonscription (dans certaines, la question de l’extrême

droite ne se pose pas ou peu) ne sont en effet pas concernés avec la même intensité755.

La présence d’anciennes figures de la RDA et de représentants du SED au Bundestag

dès l’année qui suivit l’unification, a donné lieu à d’âpres altercations. Ainsi s’est-elle traduite

dans un premier temps, après quarante ans d’anticommunisme, par des agressions verbales, un

mépris et une méfiance violemment ressentis par les élus du PDS756. D’autant plus que le PDS

persiste alors à assumer publiquement l’héritage de la RDA, parfois non sans provocation. Au

moment où une commission du Bundestag enquête sur l’histoire et les conséquences de la

dictature du SED, le groupe PDS du Bundestag projette par exemple d’engager le célèbre

espion est-allemand R. Rupp alias “Topas” comme conseiller. Il y renonce finalement.

L’importance théorique et pragmatique accordée à la composante extra-parlementaire

du combat politique marque le comportement du PDS au sein des institutions politiques pan-

allemandes. Elle est relayée par une stigmatisation originelle que l’imaginaire collectif du

parti pérennise, comme nous l’avons vu au sujet de sa proposition de loi antiraciste757.

La délégation comme étape vers la normalisation du PDS

Le sentiment de marginalité du PDS le pousse à minimiser l’investissement collectif de

causes susceptibles d’aggraver la marginalisation du PDS au sein des institutions.

754 P. Bläss, du mouvement pour la libération des femmes de RDA, est ainsi responsable des questions relatives aux femmes, la cadette S. Jünger de la jeunesse, C. Luft, dernière ministre de l’économie en RDA, des finances, P. Pau, présidente de la fédération berlinoise, des questions relatives à Berlin. 755 La position médiane est décrite par la députée élue directe de Lichtenberg, pourtant touchée par la problématique de l’extrême droite. C. Luft définit son implication dans cette problématique comme indirecte, en tant qu'elle soutient les initiatives de son groupe, mais ses thèmes de prédilection sont l’économie, les finances et les transports. Comme la plupart de ses collègues, elle renvoie pour ces questions aux responsables de la politique intérieure. 756 G. Riege, un député PDS au Bundestag, se suicide en février 1992. Il écrit notamment dans sa lettre d’adieu : « J’ai peur de la haine qui me frappe à travers des paroles, des regards et des attitudes. » (Die Zeit 24.6.94) 757 L’idée que le PDS est victime de discriminations est répandue en son sein. B. Grygier, nouvellement promue députée, évoque une sorte de perception paranoïaque de la discrimination du PDS : « Le PDS défend toujours cette position idiote au Bundestag que tout ce qui vient de lui est par principe rejeté par les autres ».

Page 251: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

237

L’alignement du PDS hors du groupe que constitue le Bundestag rappelle l’analyse d’E.

Goffman sur la dissimulation du stigmate, en particulier sur les procédés qui font naître la

« normalité fantôme »758. Les procédés d’individualisation des élus par délégation, mis en

œuvre par le PDS, constituent une réponse à sa stigmatisation originelle au Bundestag. Ils

traduisent la « normalité fantôme » endossée par lui autant que par la cause qu’il entend

(faire) défendre. Dans ce cadre, l’instauration du principe de délégation de problématiques qui

marquent fortement le PDS, permet de transformer celles-ci en une cause individuelle, au

besoin une cause personnelle.

La délégation permet également à la cause, à travers son institutionnalisation,

d’échapper au cycle ordinaire de la politique. La construction de la problématique comme un

enjeu interne au parti sur le mode de l’expertise tient ces agents en marge des conflits et des

rapports de forces partisans. Tenue à l’écart des rapports de force internes, la problématique

peut être investie sur le mode de la continuité. Lors du renouvellement du parlement, la

neutralisation de la problématique est évitée par ce biais.

Le principe de délégation est lié à ce qu’H. Arendt appelle « la politique de la pitié », à

travers laquelle elle insiste sur le spectacle de la souffrance759. Pour qu’une cause soit

entendue, celui qui s’en fait le dénonciateur doit se démarquer à la fois de ceux qui font et de

ceux qui subissent l’injustice760. La crédibilité de la défense passe par la distanciation avec le

groupe représenté, ce qui nécessite un effacement de l’orateur. Ce processus de

dépersonnalisation passe au PDS par la mise en avant d’une personnalité entrée en politique

pour et par la cause et perçue de manière caricaturale comme apartisane, voire apolitique. La

délégation à un député issu du milieu associatif permet à la cause d’échapper au sens

pratique du professionnel de la politique. La représentation de la cause est ainsi rendue

imprévisible pour l’ensemble des agents parlementaires. Par le même mouvement, elle

échappe à ces derniers, qui ne sont plus habilités à la défendre. La question de l’extrême

droite se trouve ainsi isolée.

Dans le discours officiel du PDS, l’activité des experts s’inscrit dans une stratégie

partisane de partage des tâches : la lutte contre l’extrême droite est une cause collective dont

758 E. Goffman : Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. (Stigma). Les Editions de Minuit, 1975, p. 145. 759 H. Arendt : Essai sur la révolution. Gallimard, 1967, pp. 82-165. 760 Voir L. Boltanski : L’amour et la justice comme compétence. Trois essais de sociologie de l’action. Métailié, 1990, p. 284-285.

Page 252: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

238

les experts sont seulement les porte-parole761. La délégation permet le report de la

stigmatisation sur des agents semi-extérieurs au parti. Le bénéfice de leur engagement se

reporte néanmoins sur le parti. En cela, les experts, tout en remplissant en plein le rôle de

représentants762 de leur parti, témoignent de la « réserve »763 de ce dernier à investir la cause.

Le PDS est « entrepreneur de morale »764 par procuration.

La délégation, en plus de répondre à une logique de rationalisation du travail

parlementaire, s’inscrit dans le respect du principe organisationnel du parti. On comprend

l’intérêt du PDS à déléguer la représentation de la cause antifasciste à des experts, dont il

s’agit désormais de déterminer les motivations.

B) Les experts, entre politiques et savants : imbrication des registres

d’action

Le terme d’expert désigne ici les agents qui institutionnalisent une conviction et

défendent une cause éthique au sein de l’arène parlementaire, à l’aide des outils dont

disposent les députés. Le qualificatif d’expert est préféré à celui de technicien ou de

spécialiste, pour souligner le caractère à la fois scientifique, politique et moral de leur

engagement. Le technicien paraît extérieur aux logiques politiques, le spécialiste atteste à

l’inverse d’une compétence politique plus que thématique. L’expert se caractérise ici par sa

volonté d’agir et la mise de ses réseaux extra-parlementaires au service de son action. Leurs

ressources académiques ne sont pas déterminantes par rapport aux réseaux dont ils

disposent765. En outre, le processus de sélection des experts les rend susceptibles d’être

761 Cet engagement constitue un point essentiel de la mise en scène du parti. Extraits discursifs : Le stratège fédéral du PDS, T. Falkner, rejette l’idée de « combattants isolés »: il existe certes à l'intérieur de partis des spécialistes de la question, qui ont des compétences particulières, mais ils sont là pour aider les autres et le parti dans son ensemble. Les logiques d’investissement de cette cause sont similaires chez les Verts et au SPD. Sur le principe, la valeur est portée par chaque membre du groupe, mais l’engagement individuel varie en fonction du député. L’engagement contre l'extrême droite résulte d’une démarche individuelle (F. Felgentreu, SPD). Certains sont très engagés parce qu'ils sont confrontés au problème (ou à une problématique dérivée) dans leur circonscription (B. Wagner, B90/G). 762Au sens que lui confère Weber qui y adjoint la notion de légitimité, la représentation est « la situation de fait [...] qui veut que l’action de certains membres du groupement (représentants) soit imputée aux autres ou bien qu’elle doive être considérée par ces derniers comme ‘légitime’ et que, les liant, elle le devienne en fait. » M. Weber : Wirtschaft und Gesellschaft, op. cit., p. 171; Economie et société, tome 1, p. 381 pour la traduction. 763 Attitude typique des habitants des grandes villes à ne pas intervenir pour dénoncer une effraction, puisqu’ils délèguent la tache à des professionnels. 764 L’« entrepreneur de morale » fait respecter la norme. H. S. Becker : Outsiders, op. cit., p. 168. 765 La forte dotation en capitaux culturels, sociaux et politiques que nécessite l’expertise semble moins importante ici que dans le cas des écologistes par exemple. S. Ollitrault : « Les écologistes français, des experts en action ». RFSP, 51 (1-2), 2001, pp. 105-130.

Page 253: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

239

entendus par plusieurs communautés. Souvent issus du milieu associatif et entrés par ce biais

en politique, ils renouvellent les pratiques militantes et parlementaires. La poursuite d’une

activité concrète en parallèle de la production d’instructions ou de recommandations nous

semble être le critère de l’expertise766.

Cette qualification arrêtée, les modes d’accès à l’expertise doivent être désignés, les

registres d’action qualifiés, enfin l’accès à la légitimité validée. Le principe légitimateur des

experts réside en effet dans leur capacité à mêler un discours d'expertise fondé sur la

compétence et un discours de médiation fondé sur la représentation. L’investissement d’une

cause morale par l’expertise, en permettant d’échapper en partie aux contraintes

institutionnelles et parlementaires, rééquilibre la relation de domination en faveur de députés,

qui se rapprochent du statut des représentants « libres »767. L’investissement de la cause par

l’expertise fonctionne par émancipation : du politique sous prétexte de la science, du député à

l’égard de son parti ainsi que, nous l’avons vu, émancipation du parti vis-à-vis de la cause.

Au service d’une cause, ces experts antifascistes sont-ils de ceux qui vivent « pour » ou

« de » la politique768? En tant qu’ils produisent des connaissances à des fins politiques, ils se

situent à l’intersection entre le savant et le politique769. Les experts se distinguent des

scientifiques par leur rapport à la cause ; ils découvrent moins qu’ils ne dénoncent l’attitude

des pouvoirs publics face à l’extrême droite. En cela, il ne s’agit pas d’une expertise

classique, qui signe la participation des intellectuels à l’élaboration des décisions publiques.

Cette militance orientée contre les pouvoirs publics rend difficile l’accord d’un statut

scientifique aux conclusions de ces experts du PDS.

Les experts eux aussi ont recours à la figure d’un ennemi, qui leur permet de satisfaire

conjointement à l’ensemble des exigences liées à l’ambiguïté de leur statut, en respectant le

fonctionnement du parlement tout en défendant les causes antifasciste et antiraciste. L’intérêt

des experts est donc de mettre en avant cette figure de l’ennemi construite par le PDS, pour

surmonter les contradictions inhérentes à leur propre statut, notamment leur incapacité à peser

sur les décisions et initiatives partisanes. Après avoir mis en évidence l’existence de deux

766 Par la fréquence de la cooptation entre politiques et experts, les politiques antiracistes et antifascistes rejoignent ainsi des domaines engagés tels que l’environnement, l’humanitaire ou la lutte contre le Sida. 767 M. Weber parle de représentation libre (freie Repräsentation) lorsque le représentant, en général élu, « n’est lié par aucune instruction et [qu’] il demeure le propre maître de sa conduite. Son devoir ne le renvoie qu’à ses propres convictions objectives, non à la prise en considération des intérêts de ceux qui l’ont délégué. » M. Weber : Wirtschaft und Gesellschaft, p. 172, Economie et société, tome 1, pp. 381-390 pour la traduction. 768 M. Weber: Le savant et le politique. 10/18, 1963, p. 101 et 111. 769 L’usage de la science à des fins politiques, notamment l’accès à la vérité, n’est pas analysé dans ce cadre.

Page 254: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

240

types d’experts, nous verrons qu’ils n’accèdent à la légitimité ni grâce à leurs compétences

politiques, ni à leurs connaissances scientifiques, mais bien par la reconnaissance du caractère

avant tout éthique de leur engagement.

Quand l’activité politique se limite à la lutte contre l’extrême droite

Quels intérêts se cachent derrière un engagement éthique au nom d’un collectif ? Par

quels raisonnements stratégiques et quelles normes sociales certains acteurs politiques

déguisent-ils « leurs intérêts personnels derrière des appels à l’intérêt public »770 ?

Engagement n’est pas synonyme d’expertise, comme en attestent les cas de G. Sayan et

K. Köditz. Tous deux existent politiquement grâce à l’investissement de ce champ particulier.

C’est en effet parce que K. Köditz et G. Sayan se singularisent en s’appropriant ces questions

qu’ils deviennent partie prenante de leur organisation. La première remplace une députée en

cours de législature, quant au second, son recrutement repose sans doute sur des critères

autant ethniques que politiques771. L’engagement contre l’extrême droite, dans le cas de

Köditz et de Sayan, s’insère dans un combat plus global en faveur de l’égalité, qui procède

fortement de l’identification.

« Question : Sur quoi votre engagement repose-t-il ?

A l’origine, mon principal domaine de compétences est la politique féministe. Cette confrontation avec

l’extrême droite repose sur l’interprétation du concept d’égalité. Dis moi ce que tu penses de l’égalité, je

te dirai à quel point tu es de droite ou de gauche » K. Köditz772

« Cela me touche que l’on remette les compétences [des Allemands de l’Est] en question, que l’on

ignore leurs diplômes, leur expérience, tout ce qu’ils ont appris là-bas, les compétences acquises grâce à

la vie… C’est ce qu’on fait en République fédérale. Egalement avec les huit millions de migrants. Leurs

compétences ne sont pas reconnues. Des milliers de vendeurs de fruits et légumes et de chauffeurs de

taxi à Berlin sont des Libanais, des Arabes ou des Turcs qualifiés qui ne trouvent pas de travail. Des

milliers de gens n’ont aucune chance ici, simplement parce que l’on refuse de reconnaître leurs

770 J. Elster : « Argumenter et négocier dans deux Assemblées constituantes ». RFSP, 44 (2), 1994, pp. 187-256. 771Au cours de réunions publiques officielles du PDS régional, il est non seulement le seul élu issu de l’immigration, mais ses origines sont en outre mises en avant publiquement, au point de suffire à le qualifier politiquement. Giyasettin Sayan, député à la CDB actif dans les domaines de l’intégration et de l’opposition à l’extrême droite, se distingue des élus types du PDS sur plusieurs points. Kurde de Turquie, immigré en RFA, il s’engage d’abord à l’Ouest, chez les écologistes puis est recruté par le PDS en 1995. Il en devient membre en 1999. Il est le seul de nos interlocuteurs du PDS à ne pas se revendiquer de l’antifascisme. C’est, dit-il, l’engagement du parti en matière de défense des biographies est-allemandes qui le lie au PDS. Il fait le parallèle entre la défense des droits des immigrés, dont il est, et les anciens habitants de la RDA. 772 P. Bläss, vice-présidente du Bundestag de 1998 à 2002 pour le PDS, inscrit elle aussi son action contre l’extrême droite dans la continuité de son engagement féministe.

Page 255: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

241

qualifications. Je suis solidaire parce que je suis moi aussi concerné. J’ai étudié la science politique et la

gestion d’entreprise et ai travaillé des années en tant que travailleur social, un poste pour lequel j’étais

surqualifié. » G. Sayan.

Il ne s’agit pas pour autant forcément d’expertise, mais souvent de simples élus ou

dirigeants se livrant à l’attendue profession de foi antifasciste773. Les experts se distinguent de

l’ensemble des agents du PDS par leur savoir-faire technique, leur connaissance scientifique

du phénomène et l’exclusivité de leur engagement. Ils sont non seulement clairement

identifiables, mais également tenus pour responsables du sort de la problématique.

Deux catégories d’experts se distinguent par leur degré d’implication dans les affaires

du parti (pris volontairement au sens large). L’hypothèse étudiée est que plus l’expert est

désengagé vis-à-vis des enjeux partisans globaux, plus son engagement est éthique.

La socialisation politique joue un rôle essentiel dans la manière de concevoir

l’investissement de la cause. Cette dernière est appréhendée comme une question politique

par certains, tandis que d’autres y voient un combat moral que le politique peut contribuer à

solutionner. La politique est une fin dans le premier cas, un moyen dans le second. Le premier

profil s’apparente à celui de professionnels de la politique (U. Jelpke, U. Adamczyk)

spécialisés dans la lutte contre l’extrême droite. Le second profil (K. Hopfmann) tend au

« militantisme moral »774, notion qui insiste sur la prétention collective des militants et le

degré d’intéressement des individus qui prennent en charge certaines problématiques.

Portraits d’antifascistes professionnels (U. Jelpke, U. Adamczyk) Deux experts relèvent selon nous de la catégorie des antifascistes professionnels.

Ulla Jelpke est citoyenne ouest-allemande, née en 1951 à Hambourg, coiffeuse, puis libraire de

formation. Elle reprend des études et est diplômée de sociologie en 1993. Engagée dans le mouvement

de 1968 d’abord dans le courant féministe puis de protection de l’environnement, elle est élue à

Hambourg sur la liste alternative des Verts (Grün-Alternative Liste -GAL) entre 1981 et 1989. Elle

s’intéresse alors à la politique intérieure, aux questions juridiques et sociales ainsi qu’à la condition des

femmes. De 1990 à 2002, elle est députée du Bundestag pour le PDS. Elue dans une circonscription

occidentale, elle est porte-parole du groupe parlementaire pour les questions de politique intérieure

(Innenpolitische Sprecherin). Elle n’est pas adhérente au PDS.

773 Telles P. Pau, A. Marquardt et P. Bläss. 774 E. Reynaud : « Le militantisme moral » in H. Mendras : La sagesse et le désordre. Gallimard, 1980, pp. 271-286.

Page 256: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

242

Uwe Adamczyk est officiellement le « porte-parole du travail antifasciste » (Sprecher für

antifaschistische Arbeit) du groupe parlementaire du PDS au Landtag de Saxe. Son parcours est plus

traditionnel et caractéristique du PDS. Ancien secrétaire local de l’organisation de jeunesse de la RDA

(FDJ) à titre honorifique, il devient membre du SED en 1989. Il exerce des fonctions d’élu et de

permanent au sein de l’appareil du parti, d’abord à l’échelle locale puis régionale. Il est député régional

de 1994 (il a alors 32 ans) à 2004. Handicapé physique, il est employé administratif dans les services de

santé de formation.

La socialisation de ces experts est marquée par une proximité avec l’extrême gauche

militante ; ses effets sur leur degré d’insertion à l’intérieur du parti et du Parlement sont

variables. Marginalisée à l'intérieur du groupe du PDS au Bundestag ou au sein des instances

fédérales du parti non seulement parce qu'elle fait de la « politique des réfugiés », mais

également car elle coopère avec les Antifas d’extrême gauche, U. Jelpke bénéficie de soutiens

auprès des écologistes et de certains sociaux-démocrates. Elle est l’interlocutrice privilégiée

de divers groupes et mouvements extra-parlementaires, ce qui ne manque pas d’irriter les

instances supérieures de son parti775. Comme elle l’était chez les Verts, elle se place du côté

des fondamentalistes et s’oppose aux réalistes, majoritaires dans la direction du parti776. Elle

représente le PDS dès qu’il s’agit de défendre des droits de l’homme et des valeurs

traditionnelles d’extrême gauche777.

Le fait qu’U. Adamczyk ait présidé l’AG régionale Junge GenossInen témoigne de sa

proximité avec l’extrême gauche. Il explique avoir commencé à s’intéresser au phénomène de

l’extrême droite après la Wende. Lorsqu'il a été élu au Landtag, il ne voulait pas faire de la

politique sociale ; son seul handicap ne lui apparaissait pas comme un argument suffisant et

légitime à l’investissement de la cause des handicapés. Sa bonne connaissance de la jeunesse

le conduit alors à la politique antifasciste778. Tandis que U. Adamczyk évoque le besoin

d’éducation antiraciste qui persiste à l'intérieur même du parti, l’agacement qui se lit sur le

visage d’autres membres de son groupe parlementaire traduit tout autant sa marginalité que

775 « Depuis des années déjà – et c’est toléré par le parti- son bureau fait fonction d’instance de coordination et de contacts du spectre radical de gauche occidental » J. P. Lang : op. cit., p. 53. 776 La distinction entre fondamentalistes (Fundis) et réalistes (Realos) marque les débats internes des écologistes allemands. Les Fundis rejettent la participation au pouvoir. Au début des années 1990, une partie d’entre eux, devenus minoritaires chez les Verts, rejoignent le PDS. 777 Ainsi, lorsqu’à la mi-janvier 2002 des voix s’élèvent pour protester contre le traitement des prisonniers talibans par les Américains, c’est Jelpke qui monte au créneau au-delà du seul PDS pour les parlementaires en général. 778 Entretien collectif du 18.04.2002.

Page 257: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

243

l’indulgence dont le groupe parlementaire s’efforce de faire preuve à son égard, précisément

en raison de sa marginalité.

Un engagement éthique (K. Hopfmann) L’engagement antiraciste de la députée K. Hopfmann est de type associatif.

Karin Hopfmann est la porte-parole de la politique à l’égard des réfugiés pour le PDS à la Chambre des

Députes de Berlin depuis 1995. Elle est approchée par le PDS au début des années 1990 en raison de

son engagement dès la fin des années 1980 (en RDA) dans le milieu antiraciste associatif. Parce qu’elle

est au chômage, elle accepte de devenir la spécialiste (Fachpolitikerin) des questions de migration et de

politique d’asile à la CDB de Berlin. Elle finit par adhérer au PDS en 1997, après avoir été apparentée.

Le cas de K. Hopfmann s’inscrit dans la perspective d’un militantisme donnant lieu à

rétributions, sous forme d’une activité professionnelle rémunérée et valorisée. Son

engagement n’en est pas moins éthique.

La différence précédemment évoquée entre les militants d’un parti (U. Jelpke) et ceux

d’une cause (K. Hopfmann) soulève la question des motifs de l’engagement individuel en

faveur d’une cause. Le cas des experts parlementaires du PDS met en évidence la différence

entre les agents qui se construisent une carrière politique en utilisant une cause (ceux qui se

servent de la cause) et ceux qui saisissent une opportunité politique pour accomplir une

activité associative et militante (ceux qui servent la cause). L’action des antifascistes

professionnels ayant été analysée précédemment au travers des « petites questions », nous

nous intéressons maintenant au profil de K. Hopfmann, qui diffère par une socialisation

secondaire d’abord non politique. Les normes et valeurs de la corporation, communes aux

professionnels de la politique, sont intériorisées par Hopfmann après celles induites par la

cause. C’est sur ce profil que nous nous appuyons pour analyser les ressorts de

l’investissement d’une cause morale d’une part, l’adaptation politique à la défense d’une

cause valorisée éthiquement d’autre part.

Page 258: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

244

C) L’engagement moral pour la cause antifasciste

Les experts de la lutte contre l’extrême droite du PDS tirent leur légitimité de leur

compétence à « couler dans le moule parlementaire » une problématique qui, dans

l’imaginaire partisan, relève de la croyance. Cette légitimité peut également être auto-octroyée

par habitude, par l’intermédiaire de ce que R. Michels appelle le « droit moral à la

délégation »779.

Le caractère déconcerné de l’engagement (les agents ne sont ni directement concernés

ni désintéressés) est pourtant relatif, étant donné que les militants et responsables PDS font

partie des groupes désignés comme des victimes potentielles par la culture d’extrême droite.

Le qualificatif s’applique néanmoins sans restriction dans le domaine antiraciste. Nous

considérons ainsi que l’engagement analysé ici, celui de K. Hopfmann, s’apparente à du

« militantisme moral », « par conscience » ou encore « de solidarité ». Ces notions, opposées

à une conception utilitariste du militantisme, désignent « l’engagement dans des luttes

politiques sectorielles de ceux qui ne sont pas directement concernés par ces causes »780. Ceci

explique que la professionnalisation et les logiques de recrutement des experts soient

spécifiques.

L’accès à la « compétence morale […] se construit [donc] à la faveur de distanciations

multiples, destinées à masquer la force des investissements individuels et collectifs qui la

soutiennent, autant qu’à tenir à distance ceux qui ne sauraient faire preuve d’une telle

‘maîtrise’ »781. Ce type d’activité nécessite ainsi une distanciation certes avec le parti, mais

avec la cause et ses victimes également. La prise en charge d’un problème dont le traitement

n’est exigé ni par l’urgence ni par un besoin clairement identifiable, semble en effet résider

dans la capacité de ses défenseurs à le généraliser. Elle implique en outre également une

neutralisation des propres intérêts de l’entrepreneur politique782. Dès lors, si la délégation de

fait est confortable pour le parti, l’activité des experts les exclut davantage du jeu partisan

qu’elle ne les y insère.

779 « L’habitude se transforme en droit. L’individu régulièrement délégué pour une certaine durée finit par prétendre que la délégation constitue sa propriété.» R. Michels : Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties. Flammarion, 1971, p. 45. 780 E. Agrikolianski : « Carrières militantes et vocation à la morale : les militants de la LDH dans les années 1980 ». RFSP, 51 (1-2), 2001, pp. 27-46. 781 D. Memmi : « La compétence morale ». Politix, 17, 1992, pp. 104-124, p. 124. 782 En dépit des rétributions matérielles que confère à K. Hopfmann son statut d’élu, enviable par rapport à celui de demandeur d’emploi, nous concluons au « militantisme moral ».

Page 259: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

245

Une contrainte en termes de carrière politique et partisane ?

L’opposition à l’extrême droite est donc l’affaire de quelques uns. Les engagés contre

l’extrême droite souffrent en effet d’un double isolement (au sein du parti et des

parlementaires) dont il convient d’identifier les causes. Ces individus sont-ils stigmatisés en

raison de leurs prises de position mono-thématiques ou s’engagent-ils en faveur d’une cause

stigmatisante car leur parcours fait d’eux des marginaux au sein du PDS?

Le discours des experts, certes dominant sur la question de l’extrême droite, est

marginal en ce qui concerne l’ensemble des autres domaines de la politique et de la vie du

parti. Les experts antifasciste et antiraciste sont des combattants isolés au double sens du

terme. Clairement identifiables du fait même de leur spécialisation, ils occupent une place à

part au sein de leur parti et de l’institution parlementaire. Ceci aboutit à une mise à l’écart qui,

pour certains, s’apparente à de la stigmatisation.

Les charges antiraciste et antifasciste relèvent d’une logique de marginalisation

davantage que de la valorisation d’agents. Ceux qui en ont la charge ne sont pas insérés dans

des débats stratégiques et programmatiques partisans, pas davantage qu’ils ne sont pris au

sérieux sur d’autres problématiques. Etre en charge de la lutte antiraciste ne confère pas

d’autorité783. L’engagement antifasciste et l’antiraciste n’est pas valorisé, en termes de

carrière. Privilégier le thème de l'extrême droite est « politiquement suicidaire », en aucun cas

« bénéfique pour la carrière »784.

L’expert est non seulement souvent critique à l’égard du cours choisi par les instances

fédérales du parti, mais encore le bon accomplissement de sa tâche exige qu’il le soit. Il est

souvent non adhérent au parti ou alors a adhéré tardivement. Au cours de la 13ème législature,

43% des députés du groupe PDS au Bundestag ne sont pas membres du parti, ce qui constitue

une exception dans le paysage parlementaire allemand785. Ce fait résulte, nous l’avons vu,

d’une volonté stratégique du parti d’inscrire une partie de ses activités dans le volet extra-

783 Cette analyse rejoint celle d’A. Collovald et B. Gaïti sur la mise en avant des ténors du parti socialiste français lors des débats parlementaires touchant au « social ». Parce que la problématique légitime le fondement idéologique du parti, la tâche oratoire est confiée aux « experts » (de la politique partisane) plus qu’aux « spécialistes » (d’une thématique en particulier). Il est courant que ce soient les hautes personnalités politiques qui présentent le résultat du travail des experts. A. Collovald, B. Gaïti : « Discours sous surveillances », op. cit.. et W. Ismayr : Der Deutsche Bundestag. Funktionen, Willensbildung, Reformansätze. Opladen 1992, p. 52. 784 Propos respectivement tenus par B. Grygier, maire pour le PDS et M. Chrapa, sociologue proche du PDS. 785 W. Ismayr : « Parteien in Bundestag und Bundesregierung » in O. W. Gabriel, O. Niedermayer, R. Stöss (dir.) : Parteiendemokratie in Deutschland. Bonn : Bundeszentrale für politische Bildung, 1997, pp. 384-406, p. 385.

Page 260: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

246

parlementaire. Cette liberté de choix bénéficie tout autant au député, qui voit sa marge de

manœuvre accrue par sa non-adhésion, tout du moins tant qu’il respecte le principal

mécanisme de régulation interne de l’hétérogénéité qu’est la discipline exigée par

l’appartenance au groupe parlementaire. Les députés sont soumis à une double discipline,

entendue comme « la soumission aux dirigeants »786, au parti et à l’institution parlementaire.

Ces deux logiques sont d’autant plus susceptibles d’entrer en conflit, que le PDS réserve une

place importante à la mobilisation extra-parlementaire.

La cause antifasciste n’étant pas centrale pour les affaires courantes du parti, sa défense

ne permet pas aux experts de se positionner dans les luttes de pouvoir et de prétendre aux

postes à haute responsabilité. K. Hopfmann en a conscience : « Vous savez, je ne souhaite pas

devenir une personnalité politique de haut rang. Le pouvoir ne m’intéresse pas. [..] Je veux

faire du travail concret. Cela me semble plus efficace.» Ce propos ne l’exclut pas de ceux qui

vivent de la politique et implique la volonté de se maintenir dans cette position ou d’accéder à

des positions supérieures. L’engagement de K. Hopfmann repose sur une estimation

rationnelle de la capacité d’action des ressources parlementaires, supérieures à celles du

milieu associatif.

La problématique antiraciste n’est pas « payante » électoralement, d’autant plus que la

population dont les intérêts sont principalement défendus ne dispose pas du droit de vote. En

fonction de la cible électorale, elle peut constituer un handicap si elle n’est pas compensée par

un solide atout, par exemple un rapport de forces en faveur du PDS. Ainsi, son poids dans

l’arrondissement de Lichtenberg, l’un de ses fiefs à Berlin-Est, permet au PDS d’imposer des

problématiques en présentant des candidats dont la spécialité politique constitue un handicap

à leur élection. Contrairement à la démonstration valorisante faite par le maire de

l’arrondissement de Lichtenberg, W. Friedersdorff, si G. Sayan et K. Hopfmann sont élus

directement à Lichtenberg, ce n’est pas parce que la population est particulièrement

sensibilisée à la problématique. Ils ne sont pas élus grâce à leur engagement dans ce domaine

(les électeurs ignorent leur domaine de compétences), mais bien malgré lui sur simple

étiquette PDS. En regard des chances d’élection d’un candidat du PDS à Lichtenberg, le

domaine d’action est secondaire par rapport au fait de pouvoir se revendiquer du PDS :

« Question: pensez-vous avoir été élue à L-H. parce que vous faîtes de la politique d’immigration ?

K. Hopfmann : Non, je ne pense pas. [..] Nous sommes tous pareils, les candidats du PDS, tous au-

dessus de 40%. Non, je crois que cela dépend du fait que je représente le PDS dans son ensemble et

786 P. Bourdieu : La représentation politique, op.cit., p. 13.

Page 261: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

247

[hésitations] que les gens votent PDS. Je ne pense pas qu’ils élisent un candidat ou un autre en fonction

de sa personnalité, mais qu’ils votent pour le PDS. Ils sont en accord avec la politique de ce parti. Peu

importe que ce soit telle ou telle personne. Je pense même au contraire que si je rendais précisément

compte de mon action, au cours des discussions, de tout ce que je fais dans le contenu en tant que

chargée de la question des réfugiés, les gens seraient plutôt effrayés. Oui, oui, parce que je prends la

défense de tierces personnes, de gens dont ils ont peur : les demandeurs d’asile, etc. » K. Hopfmann,

députée à la CDB pour le PDS

« Question : j’ai l’impression que dans ces arrondissements où il a la majorité , le PDS pourrait se

permettre.. Enfin, le candidat du PDS est élu quoi qu’il en soit. Je ne veux pas dire..

B. Hoff [interrompt] : non, je sais bien. Il faut juste être du PDS et n’importe qui serait élu. Vous

n’allez pas trop loin. C’est bien ainsi que je vois les choses moi aussi. » B. Hoff, député PDS à la CDB

Aux habitus787 qui prévalent à la défense d’intérêts sociaux correspondent des règles de

jeu que les experts importent en politique et qui diffèrent de celles convenues dans

l’interaction parlementaire. Reste à savoir si la manière dont les experts investissent ce

domaine atypique, pluridisciplinaire et fortement chargé en idéologie, échappe à la

routinisation des pratiques parlementaires.

L’intrusion de ressources associatives dans l’arène parlementaire ou mise à la disposition des outils parlementaires au service d’associations ?

L’action engagée au nom du groupe parlementaire PDS comprend un volet extra-

parlementaire dans lequel les instruments parlementaires, par l’intermédiaire des experts, sont

parfois mis au service de la société civile. Les réseaux mobilisés dans ce contexte sont des

réseaux de dominés, qui laissent donc un espace à la construction de problèmes par la

contestation et le recours à des répertoires d’action non conventionnels788.

K. Hopfmann est le principal soutien institutionnel de l’AriC Berlin, centre

d’information antiraciste et interculturel, qui bénéficie du statut d’association (e.V, loi

1901)789. Essentiellement conçu pour offrir un accès à une base de données (ARiCbase

787 La notion d’habitus renvoie ici à une intériorisation de normes d’usages et d’obligations, qui produit les pratiques professionnelles permettant aux acteurs d’investir leur rôle politique. 788 Ils se distinguent de ceux, de dominants, de l’ « éco-pouvoir », qui signe le triomphe politique de l’écologie grâce aux appuis scientifiques et techniques. P. Lascoumes : L’Eco-pouvoir. Environnement et politiques. La Découverte, 1995. 789 Ce paragraphe repose sur le témoignage sous forme écrite (réponse à un questionnaire) de collaborateurs des deux associations, recueilli en juin 2001, recoupé avec l’entretien réalisé avec K. Hopfmann ainsi qu’avec diverses sources écrites. C’est elle qu’évoque le militant associatif sans la nommer. L’AriC (Antirassistisch-

Page 262: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

248

accessible depuis son site Internet depuis 1997), l’ARIC a été créée en septembre 1993. Avec

l’implosion du système du SED à la fin des années 1980, la situation des immigrés, très

officiellement réglementée en RDA, dégénère rapidement. K. Hopfmann fait alors partie des

co-fondateurs d’une association défendant les droits des immigrés790.

« J’ai commencé en 1989, au moment de la Wende, à participer à la mise en place de structures de

coopération interculturelle ainsi que contre le néofascisme et l’extrême droite. En mars 1990, on a créé

une initiative de citoyens à Hohenschönhausen qui a mis en place des projets très concrets pour

conseiller les immigrés et réfugiés. A l’époque, il s’agissait surtout de travailleurs sous contrat du

Vietnam, du Mozambique, d’Angola. Beaucoup habitaient dans des foyers, parfois de vrais ghettos, [..].

On a commencé à s’occuper de leur situation pour deux raisons : d’abord, leurs conditions de séjour

étaient incertaines. Il était prévu qu’ils rentrent tous chez eux, et étaient licenciés sans préavis. Ils ont

été les premiers à être au chômage. Et le deuxième point, c’est que les tendances xénophobes et racistes

ont commencé à devenir visibles dans la rue. » K. Hopfmann

La coopération de l’ARIC avec le PDS se déroule essentiellement de manière officieuse

et interpersonnelle. Centralisée par K.Hopfmann, elle ne prend que rarement une forme

institutionnelle791. La présence de K.Hopfmann au sein de son comité directeur accroît les

contacts avec le PDS, autant qu’elle rend difficile la coopération de l’ARIC avec d’autres

organisations politiques. La proximité avec le PDS n’est pas perçue en termes de ressource ou

de contrainte, mais de préférence identitaire et idéologique792.

La primauté des liens interpersonnels vaut pour une autre association antiraciste,

l’ARI793, bien que les motivations diffèrent. L’initiative antiraciste de Berlin, politiquement

indépendante, existe depuis 1988. Ses activités visent essentiellement à offrir un soutien aux

Interkulturelles Informationszentrum) s’inspire du modèle hollandais (Rotterdam). Elle est en relation avec les administrations en charge de la situation des immigrés (Ausländerbeauftragte) à l’échelle des arrondissements, du Land et de l’Etat fédéral. Le principe fondamental de l’association étant un « travail en réseau», toute coopération institutionnelle jugée utile est acceptée. Elle souhaite toutefois conserver son indépendance politique. 790 Le témoignage de K. Hopfmann illustre bien l’influence bipolaire de la Wende sur la situation des étrangers. Faibles socialement et de ce fait victimes d’agressions, leur situation devenant visible et publique, ils se transforment enfin en sujets de solidarité. 791 C’est le cas par exemple en 1995, lorsqu’une demande d’aide financière à la publication déposée par l’ARIC est accordée par la fédération berlinoise du PDS. Les contacts se réduisent en règle générale à un nombre restreint de dirigeants du groupe parlementaire du Bundestag, de la fédération régionale de Berlin et des organisations locales. Aucun lien n’est noué avec l’AG A/ED. 792 « Le fait que l’association n’ait jamais nié son identité et son ancrage est-allemands constitue un obstacle au contact avec certaines institutions et organisations. Mais cela cache toujours une politique ou une préférence partisane» confie un collaborateur. 793 Antirassistische Initiative Berlin e.V.

Page 263: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

249

victimes d’agressions ou de « violence étatique »794. Si les contacts avec le PDS semblent

privilégiés, c’est par dépit, tant il est difficile à l’ARI de lier de bons et fructueux contacts, y

compris financiers, avec d’autres partis et organisations. La coopération de l’ARI avec le PDS

depuis 1993 revêt une forme essentiellement interpersonnelle. U. Jelpke, porte-parole du

groupe parlementaire du PDS au Bundestag, dépose des « questions au gouvernement » en

son nom, K. Hopfmann apporte son aide sur les questions d’expulsion et P. Bläss, vice-

présidente du Bundestag, soutient officiellement l’association. D’autres contacts existent

localement avec des élus et représentants du PDS dans les arrondissements de Berlin-Est. Les

contacts de l’ARI avec le siège du PDS consistent essentiellement en un soutien logistique :

photocopies de tracts, prêt de véhicule équipé de haut-parleur et annonce de manifestations

dans la presse du PDS. Les relations entretenues avec les Verts sont du même type, bien que

plus rares795.

Les collaborateurs des deux associations (ARI et ARIC) se rejoignent sur le constat du

décalage qui existe entre l’engagement officiel du PDS contre le racisme et l’extrême droite et

la faible traduction de son programme dans la réalité796.

Entre expertise et croisade

L’engagement des experts est le produit de la rencontre entre une instance partisane en

voie de modernisation et des individus engagés au sein d’organisations politiques à la

recherche d’un champ à investir, d’une cause à défendre ou des moyens de le faire. En cela,

l’analyse produite ici se rapporte bien à des carrières militantes797. L’entrée de K. Hopfmann

794 Dans le premier cas, elle encadre les victimes par la mise à disposition d’un avocat et assiste le dépôt de plainte auprès des services de police. Dans le second, elle apporte son soutien aux personnes en cours d’expulsion, informe l’opinion publique des victimes (blessés ou morts) d’agressions racistes et milite contre l’assignation à résidence. Les soutiens sont divers : l’ARI bénéficie ponctuellement du soutien d’administrations d’arrondissements, ce qui permet par exemple d’organiser des expositions dans les arrondissements, il a « reçu beaucoup d’argent » du Conseil mondial des Eglises. 795 Les contacts avec les Grünen sont moins nombreux qu’avec le PDS et ont diminué avec la participation gouvernementale des écologistes, du fait entre autres de la nomination d’O. Schily (voir la section 1). De nombreuses demandes de l’ARI restent ainsi sans réponse. Une personnalité importante chez les Verts, députée du Bundestag et du Parlement européen, a ainsi fourni des informations à l’ARI ; un député de la CDB a contribué à rendre publiques certaines actions revendicatives. 796 Le collaborateur de l’ARIC estime que, bien qu’un « non clair et acceptable » existe officiellement, la question de l’extrême droite n’est pas discutée. « Défendre ce non activement en agissant n’est pas si facile pour tous les adhérents, la formation et le courage manquent.» 797 Les concepts de carrière (Everett Hughes) et de trajectoire (Anselm Strauss), élaborés dans le cadre de l’interactionnisme symbolique, rendent compte d’un processus. Appliqués aux militants de la Ligue des Droits de l’Homme, ils mettent en évidence l’opposition existant dans leur discours et leur revendication entre l’éthique (tels qu’ils le vivent à travers la LDH) et le militantisme partisan (que nombre d’entre eux ont connu au parti

Page 264: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

250

en politique correspond par exemple davantage à un accroissement des registres potentiels

d’action associative que d’un passage à l’acte militant. Les motifs d’engagement des experts

restent ainsi complexes798. Sans que soit levé le voile sur les motifs individuels de passage à

l’acte dans l’investissement d’une cause, la manière dont le « privé » interfère dans les prises

de position publiques serait-elle, comme le suggère D. Memmi, le seul moyen de connaître les

motivations du passage à l’acte799? K. Hopfmann incarne la figure du croisé qui entreprend

« de créer une nouvelle pièce dans l’organisation morale de la société, dans son code du bien

et du mal »800. Sa carrière relève essentiellement d’un militantisme associatif opérant grâce

aux ressources d’une structure partisane. Elle se distingue par la prétention universelle de

l’usage qu’elle fait des ressources du parti, qui lui confère l’autorité morale nécessaire pour

investir la cause801. Appliquée au cas de Hopfmann, militante associative en politique802, cette

duplicité interroge les logiques de recrutement au niveau du parti, les motifs d’engagement

(dont il faut distinguer en politique et en faveur de la cause antiraciste), et la

professionnalisation à l’échelle de l’individu. La logique de professionnalisation de

K. Hopfmann peut également s’analyser comme un processus collectif dans le sens où son

entrée en politique fait partie du renouvellement stratégique de son personnel par le PDS. Ses

ressources individuelles empruntent ainsi beaucoup aux collectives.

C’est pourtant bien la dimension éthique de l’engagement des experts qui soulève des

interrogations. Qu’est-ce qui distingue l’engagement des experts de celui des simples

militants si ce n’est la légitimité morale ? Si les experts, pour être reconnus comme légitimes,

doivent être appréhendés tout autant comme croyants que comme compétents, la délégation à

des « croisés de la morale » qui « s’intéressent moins aux moyens qu’aux fins »803 permet au

socialiste). L’engagement antiraciste de K. Hopfmann au sein d’une institution est en cela assimilable aux carrières militantes de la LDH analysée par E. Agrikolianski, op. cit. 798 Ils ne dérogent ainsi pas aux lacunes décriées de la sociologie des mobilisations, les motifs individuels de la mobilisation, du passage à l’acte demeurent opaques. 799 Le terme « privé » est ici entendu au sens large de ce que l’agent ne souhaite pas voir diffusé dans la sphère publique. D. Memmi : « La compétence morale ». Politix, 17, 1992, pp. 104-124, p. 115 s. K. Hopfmann par exemple s’inquiète de n’avoir eu que trop de temps à consacrer à ses enfants ces dernières années et émet le souhait que sa propre progéniture ne « tombe pas » dans le racisme. 800 H. S. Becker : op.cit., p. 168. 801 A l’instar des participants aux conférences relatives à la procréation assistée analysés par D. Memmi : op.cit.. 802 Nous répondons en cela par la négative à l’interrogation de H. Rey et F. Subileau : « doit-on considérer que ne sont de vrais militants que les militants de base et non les responsables des partis politiques ? » qui justifie par ailleurs le caractère répandu de l’assimilation exclusive du dirigeant ou élu à un professionnel. H. Rey, F. Subileau: Les militants socialistes à l'épreuve du pouvoir. Presses de la FNSP, 1991, p. 17. 803 H. S Becker fait ici allusion au fait que les croisés délèguent le règlement des modalités pratiques du combat à des spécialistes compétents (juristes pour rédiger le texte de loi, psychanalystes..), ce qui n’est pas le cas des experts analysés dans ce chapitre. H. S. Becker : Oustiders, p. 173.

Page 265: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

251

parti d’accéder à la légitimité dans son action contre l’extrême droite. En accédant à la

domination du savoir, la cause devient légitime. Cette même multipositionnalité, qui fonde

l’expertise militante, rend ceux qui la mènent suspects aux yeux du « corps » des députés et

de leur parti. Aux yeux des experts, la cause prime sur les autres contingences. En cela, la

problématique de l’extrême droite, avec toutes ses questions connexes, est bien une « niche

politique » 804 pour le PDS, à l’instar de ces thématiques propres qui servent de sujet de repli

identitaire aux petits groupes parlementaires dans l’opposition.

Au PDS, la délégation de la lutte contre l’extrême droite à des experts résulte d’un

processus de traduction et de rattachement à des croyances, par lequel l’enceinte

parlementaire convertit les préoccupations sociales. La spécificité de l’investissement

parlementaire de la cause par une personnalité issue du milieu associatif est liée tant à la

thématique qu’au caractère exodéterminé de sa prise en charge. Le fait que la cause

antifasciste soit portée par des experts atteste non seulement des effets contraignants de

l’institutionnalisation, mais aussi de la difficulté de faire entrer certaines causes dans le champ

parlementaire, voire politique. La défense parlementaire de la cause antifasciste accentue la

séparation entre « le ici de l’espace parlementaire et le là-bas du peuple » (ce que bon nombre

d’interlocuteurs du PDS appelle « la vie réelle »)805. B. Grygier, ancienne maire de

l’arrondissement Hohenschönhausen de Berlin-Est, raconte en ces termes sa découverte du

Bundestag :

« Je ne savais pas exactement si j’étais capable de faire preuve d’esprit de groupe pour une fraction. Il y

a bien sûr une fraction au Bundestag, classiquement assise sous la coupole de droite et ils parlent aussi

comme ça. Ils sont assis sous la coupole, à droite et parlent eux aussi continuellement de « ceux du

dehors ». [...] Je ne comprends moi-même pas toujours les débats, mais c’est pour ceux du dehors. Et

pour eux, c’est tout à fait différent de ce qui se passe en interne au Bundestag. Ca me rend très inquiète

de dire tout le temps : il faut qu’on en parle avec ceux du dehors. J’ai toujours pensé que lorsque l’on

est dans ce monde, c’est justement pour représenter ceux du dehors. [rires] Et puis, ça va tellement de

soi de dire une chose pareille. Ca me déconcerte et je me demande : Qui sont donc ceux du dehors ? Ai-

je peur de ceux de dehors ? [...] En fait, c’est plutôt l’ennemi qui est là dehors. »

804 Selon U. Kranenpohl, les petits groupes parlementaires (minoritaires, souvent ponctuellement représentés), qui réussissent possèdent une « niche politique » (l’écologie pour les Verts, l’antifascisme pour le PDS). Ainsi, le groupe parlementaire écologiste « s’engage en faveur de problèmes qui n’avaient jusque là trouvé de porte-parole ni en politique ni dans l’opinion publique » telles les violences sexuelles faites aux enfants. U. Kranenpohl : « Zwischen politischer Nische und programmatischer Öffnung: kleine Parteien und ihre Bundestagsfraktionen 1949 bis 1994 ». Zeitschrift für Parlamentsfragen, 2, 1998, pp. 244-261, p. 254. 805 Le peuple est exclu en réalité de l’espace parlementaire, si ce n’est en tant que référent critique extérieur.

Page 266: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 3- Figurer l’inimitié dans le jeu parlementaire

252

Il serait excessif d’affirmer pour autant qu’avec l’entrée au Bundestag, le député ne

connaît plus qu’un ennemi, le peuple. Les députés continueraient à jouer le jeu de l’ennemi

d’extrême droite pour masquer ce transfert, qu’ils n’assument pas totalement. La délégation

de cette tâche à des boucs émissaires recrutés dans ce seul but apparaîtrait comme une

solution collective.

****

Le processus de singularisation des engagements et des décisions entamé avec les

experts mérite d’être poursuivi. Le bien-fondé d’une action publique contre l’extrême droite

varie en fonction des agents qui s’en chargent, autant que de l’enceinte qui les accueille. Nous

avons vu que les contextes institutionnels de l’organisation partisane et de l’assemblée

parlementaire se prêtent à mystifier l’ennemi. L’abstraction d’un ennemi stigmatisé rend

facile sa dénonciation, ce que renforce le fait qu’il puisse être utilisé à des fins politiques pour

se valoriser dans le jeu concurrentiel. Incarné, l’ennemi peut également desservir la logique

du jeu politique.

Dans le contexte de gestion d’une collectivité locale, la confrontation directe avec le

problème traité transforme l’ennemi symbolique en ennemi réel. La forte personnalisation et

territorialisation des rapports politiques qui prévaut dans l’espace local va à l’encontre du

« principe de l’interdiction des personnalités » des assemblées législatives806. Les discours et

les actions produits localement, s’ils tiennent compte de la réalité du phénomène d’extrême

droite, ne sont pas pour autant désidéologisés et vidés de toute référence éthique.

806 J-P. Heurtin : op.cit., p. 148.

Page 267: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

253

DEUXIEME PARTIE

LES FIGURES DU REEL OU LA MISE A L’EPREUVE DE L’ENNEMI PAR LA POLITIQUE LOCALE

Page 268: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

254

« Pour paraphraser une expression connue, certaines personnes peuvent être des fanatiques tout le

temps et tout le monde peut être fanatique pendant un temps mais tout le monde n’est pas fanatique tout

le temps. Autrement il n’y aurait pas de compétition politique, mais uniquement des luttes, ce qui en fin

de compte viderait le terrain de tous ses joueurs.» 807

Que se passe-t-il dès lors que l’hostis n’est plus un fantasme collectif mais exige une

réponse concrète? Tel pourrait être le fil rouge de cette seconde partie, qui fait s’entrecroiser

les logiques individuelles et locales dans trois configurations808 particulières. Chaque

commune ou conseil d’arrondissement809, en tant que configuration spécifique de joueurs, fixe

ses propres règles pour assurer l’ordre. Chaque joueur doit connaître ces règles et savoir les

appliquer810.

La première partie s’intéressait au traitement de l’ennemi en tant que phénomène

extérieur, désincarné et dépersonnalisé. Ici, l’ennemi est réel. En tentant d’imposer ses

propres règles du jeu pour insuffler du désordre dans l’arène, il impose aux acteurs du PDS de

réviser la manière dont ils investissent leur rôle politique.

La fréquentation de l’ennemi semble effectivement aller de pair avec une modification

de sa perception et de son degré de dangerosité. Incarnée, l’extrême droite n’est plus une

« figure de l’extrême », qui renvoie à « un réel amplifié, saturé plus que déformé »811. Elle

déstabilise en remettant en cause les repères pré-établis.

Comment « calmer le jobard »812 lorsque l’ennemi est dans la place ? La gestion de la

présence de l’ennemi conduit à la déconstruction de sa figure, que remplacent trois figures

réelles de l’hérésie. Le mode de règlement du conflit avec l’extrême droite met en jeu la

relation que l’élu entretient avec son parti autant qu’avec son territoire. Il renvoie donc

également à des logiques d’harmonisation, d’autonomisation et de discipline. Deux logiques 807 F.G Bailey: Les règles du jeu politique. Etude anthropologique. PUF, 1971, p. 203. 808 Le concept de configuration désigne la « figure globale toujours changeante » que forment plusieurs hommes entre eux ; il insiste sur les facteurs d’interdépendance humaine. N. Elias : Qu’est-ce que la sociologie ? (Was ist Soziologie ?) Edition de l’Aube, 1991, pp. 154-161. 809 L’analyse localisée n’inclut pas ici l’échelle régionale, contrairement à l’approche privilégiée en France. Deux filières de recrutement des élus se distinguent en Allemagne. D’un côté, les Länder constituent un sous-système fédéral. On retrouve à leur échelle les mêmes rapports de force qu’au niveau du Bund. Les assemblées fonctionnement de la même manière, les petits partis ne sont pas représentés, les relations dépersonnalisées. De l’autre côté, les voies de recrutement locales sont propres. Berlin, ville-Etat, constitue néanmoins une exception en raison des passerelles existant entre les arrondissements et l’espace fédéral et régional. 810 F.G Bailey : op.cit., p. 47. 811 J-M. Donégani, M. Sadoun : « Les droites au miroir des gauches » in J-F. Sirinelli (dir.) : Histoire des droites en France. Gallimard, 1993, pp. 759- 785, p. 761. 812 E. Goffman : « Calmer le jobard: Quelques aspects de l’adaptation à l’échec» in E. Goffmann : Le parler frais d’E. Goffman. Les Editions de Minuit, 1969, pp. 277-300.

Page 269: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

255

sont ainsi imbriquées dans ces trois figures, celle de la gestion de la déviance d’une part et de

la responsabilité qu’induit le principe de représentation d’autre part.

Le détour par le local permet d’appréhender, à travers un « site d’interaction »813, la

rencontre d’acteurs sur un territoire donné, qui entretiennent des relations avec une

organisation centrale. Rattachée à la notion de milieu, l’approche localisée renvoie à la

transmission et au devoir de préservation de l’identité collective du PDS. Les exigences

croissantes de la fonction symbolique du local, qui devient le « territoire premier de l’identité

de chacun et des groupes »814, doivent particulièrement être prises en considération dans le cas

du PDS, dont le passé pèse si lourdement sur ses chances de réussite. Symbole de la

pérennité, l’espace local est également celui de l’innovation et de l’émergence des nouveaux

enjeux de la société. L’usage politique d’une identité perçue comme une « construction

permanente »815 ne se construit-il pas lui-même autour d’un axe culturel- politique associé à

l’axe passé-présent ?

813 Comme l’une des « régions pertinentes où se déroulent des activités sociales concrètes (des interactions répétées, des échanges routinisés entre certaines catégories d’acteurs bien délimitées) … qui permettent d’observer la production et la reproduction des institutions.». F. Sawicki : Les réseaux du Parti Socialiste. Sociologie d’un milieu partisan. Belin, 1997, p. 30. 814 J. Viard : « Les nouveaux enjeux du local » in P. Perrineau (dir.) : L’engagement politique. Déclin ou mutation ? Presses de la FNSP, 1994. pp. 387- 403, p. 390 et 401. 815 F. Rangeon : « L’identité locale» in CRISPA/ CURAPP : L’identité politique. PUF, 1994, pp. 327-329.

Page 270: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

256

Page 271: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

257

CHAPITRE 4

LA DESORGANISATION DU JEU POLITIQUE LOCAL PAR L’ENNEMI INCARNE

Dans l’approche de l’activité politique comme un jeu, les idées de bluff et de duel

jouent un rôle important816. Elles sont ainsi au coeur des interactions que suscite, au sein d’un

conseil communal dominé par le PDS, la présence d’un élu d’extrême droite. Thomas Kay, un

élu des Republikaner (REP) est propulsé en territoire ennemi, dans l’arrondissement de

Hohenschönhausen817. En personnalisant la lutte, en en faisant une affaire d’individus et de

personnalité(s) politique(s), il redéfinit les rapports de domination. Ennemi et adversaire

semblent ici se confondre et l’animosité est réciproque. L’élection de Kay montre de quelle

manière l’apparition d’un nouvel acteur transforme le champ politique et influe sur la position

des différents acteurs dans le champ818.

Après avoir mis en évidence les mécanismes de domination de l’arrondissement par

l’appareil du PDS, nous les confronterons à un arrondissement témoin de Berlin-Ouest

(Charlottenbourg-Wilmersdorf). Le fonctionnement de son conseil, qui comprend un seul élu

du PDS, illustre la manière dont opère le retournement du stigmate. La seconde section

s’intéresse à la manière dont le PDS s’emploie à rationaliser la présence de l’extrême droite

au sein du conseil d’arrondissement, face aux tentatives de maintien du désordre opérées par

T. Kay.

816 F.G Bailey : op.cit., p. 126. 817 En 2001, l’arrondissement de Hohenschönhausen est absorbé par son voisin Lichtenberg. Le grand arrondissement obtenu par fusion porte le nom de Lichtenberg. Nous utilisons le terme de Lichtenberg pour qualifier l’arrondissement de Lichtenberg avant et après la fusion de 2001, tandis que Hohenschönhausen désigne Hohenschönhausen avant la fusion. 818 Au sujet des effets de la présence de l’ennemi sur les stratégies d’alliances, C. Ysmal a montré que la percée électorale du Front National à Dreux renforce, dans un premier temps, l’alliance de la droite contre la gauche. C. Ysmal : « Le RPR et l’UDF face au FN : concurrence et connivence ». Revue politique et parlementaire, 913, 1984, pp. 6-20.

Page 272: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

258

Section 1 L’appareil du PDS comme facteur d’ordre à Lichtenberg

Dans la rhétorique communiste, le terme d’appareil renvoie aux simples structures

organisationnelles du parti et s’oppose en quelque sorte à son histoire sociale819. A

Lichtenberg, le PDS peut s’appuyer sur un important appareil de parti820. Le fait de bénéficier

de structures fortes, diversifiées et intégrées dans le tissu local lui permet de se positionner

rapidement et stratégiquement à l’intérieur du champ politique. En ce sens, l’appareil est

également facteur d’institutionnalisation du capital politique, donc synonyme d’ordre. Il est

néanmoins susceptible de connaître une dérive oligarchique.

Le contexte de Lichtenberg pousse ainsi à s’interroger sur la pertinence d’une analyse

en termes d’oligarchie appliquée au PDS. Au début des années 1970, H. Kaack observait, au

sujet d’une collectivité locale fictive, qu’un contexte de pénurie de personnel qualifié facilite

la formation de structures oligarchiques821. R. Michels de son côté a mis en évidence que la

constitution d’un groupe oligarchique de dirigeants, qui prennent les décisions à huis clos, est

due autant aux caractéristiques des masses qu’aux exigences de technicité et de compétence

des dirigeants822 . Bien que le poids de la « pathologie de la foule » soit à minorer, nous

retenons que le processus oligarchique est indissociable de la bureaucratisation et de la

rémunération de l’activité politique. L’arrondissement de Lichtenberg est lui aussi touché par

cette évolution, mais il échappe à la pénurie de structures et de personnel inhérente à la

politique communale, précisément grâce à la place qu’y occupe le PDS. Dans ses fiefs plus

qu’ailleurs, le PDS fonctionne pourtant comme un appareil oligarchique. Le complexe

oligarchique du PDS conditionne la vie politique de Lichtenberg. Parce que la reconnaissance

d’un fonctionnement oligarchique serait synonyme de trahison tant à l’esprit du parti qu’aux

fondements de sa légitimité, à savoir la proximité et la représentation des besoins et intérêts

des citoyens, le parti récuse ce terme.

819 Comme le montre B. Pudal : Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF. Presses de la FNSP, 1989. 820 En admettant que les adhérents du PDS restent relativement dépourvus en capital démocratique selon les critères de P. Bourdieu : « La représentation politique ». ARSS, 36-37, 1981, pp. 3-24. 821 H. Kaack : « Die Basis der Parteien. Struktur und Funktionen der Ortsvereine ». Zeitschrift für Parlamentsfragen 1, 1971, p. 36. 822 R. Michels : Les partis politiques. Flammarion, 1971.

Page 273: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

259

Le PDS n’en structure pas moins l’espace politique et social local de Lichtenberg et de

Hohenschönhausen à plusieurs titres. Son poids en ce lieu se mesure non seulement à son

ascendance politique et à son rôle au sein du conseil d’arrondissement, mais également aux

liens qu’il entretient avec la population et à son insertion dans la société civile. Son statut

d’appareil à Lichtenberg n’empêche pas le PDS d’encadrer la vie sociale locale, tant il y est

inséré dans un circuit d’échanges de services de type « chabaniste » 823. Il convient dans un

premier temps de présenter le site considéré.

A) Lichtenberg : arrondissement de Berlin-Est, fief du PDS et repaire mythifié des extrémistes de droite

« Evitez les districts orientaux Marzahn, Hohenschönhausen et Lichtenberg

et leurs horribles blocs grisâtres. Si vous voyez des Skinheads, fuyez – et vite.» 824

Lichtenberg est l’un des douze arrondissements825 du Berlin réunifié. Situé au nord-est

de la capitale allemande, il hébergeait à l’époque de la RDA de nombreux dignitaires et

administrations. Depuis 2001 et la fusion des arrondissements opérée pour des raisons

financières, il inclut son voisin Hohenschönhausen (H). La fusion a rassemblé en une seule

unité administrative deux arrondissements au paysage urbain similaire et à la préférence

politique affirmée en faveur du PDS, dont les scores dépassent souvent les 40%826. Le statut

de fief du PDS de Lichtenberg s’explique en partie par l’histoire récente de l’arrondissement.

Présentation historique de l’arrondissement

Fondé au Moyen-Âge (vers 1230), le village de Lichtenberg change de visage du temps

de Frédéric II (1740-1786), en s’agrandissant en une « banlieue de villas ». Il est alors l’un

823 J. Lagroye : Société et politique. Chaban-Delmas à Bordeaux. Pedone, 1973. 824 Conseils aux voyageurs donnés par le guide Lonely planet. 825 Le terme de Bezirk, arrondissement, est employé aussi bien pour les divisions administratives de Berlin qu’il l’était pour celles de la RDA, qui s’apparentaient davantage à des provinces. La traduction d’arrondissement a été préférée à celle, couramment employée, de district, moins évocateur aux lecteurs français. 826 En 2005 lors des élections au Bundestag, le PDS rebaptisé Linkspartei obtient son meilleur score dans la circonscription de Lichtenberg. Avec 35,5% il arrive en tête devant le SPD (34,4%) et la CDU (12,6%). Sa candidate au mandat direct, Gesine Lötzsch, est élue avec 42,9% des voix.

Les deux seules députées du Bundestag survivantes des élections législatives de 2002 ont été élues au scrutin nominal respectivement à Lichtenberg pour G. Lötzsch (ancienne conseillère de Lichtenberg) et dans l’arrondissement au profil voisin de Marzahn-Hellersdorf pour Petra Pau, figure importante du parti, à la tête de l’importante fédération berlinoise. Cette dernière remplace, dans sa circonscription, le leader charismatique G. Gysi.

Page 274: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

260

des lieux de villégiature préférés des Berlinois827, avant de devenir à la fin du XIXème

siècle un vaste quartier industriel et ouvrier828. Elevé au rang de ville en 1907, Lichtenberg

devient en 1920 le 17ème arrondissement de la grande agglomération berlinoise (Grossberlin)

fondée à cette époque829. Entre autres curiosités touristiques, on y trouve alors l’hippodrome le

plus en vogue dans l’après-guerre et en RDA (à Karlhorst) et le plus grand (en superficie)

parc zoologique d’Europe, le Tierpark. Le paysage de Lichtenberg est ainsi d’abord marqué

par des expériences architecturales, avant d’être au centre de l’histoire allemande et

définitivement marqué au fer rouge par un régime du SED qui investit l’arrondissement.

C’est à Lichtenberg, dans l’ancien casino de l’Ecole de Génie militaire de la Wehrmacht

(aujourd’hui Musée de la Capitulation allemande) que l’Allemagne nazie signe la capitulation

sans conditions le 9 mai 1945. A cette date et jusqu’en 1949, l’Etat-major de l’administration

militaire soviétique en Allemagne s’y installe. Karlhorst est alors considéré comme la

banlieue de Moscou ; jusqu’à la Wende les décisions relatives à la situation de l’Allemagne de

l’Est y sont prises par les Soviétiques. C’est encore à Lichtenberg que le Ministère pour la

sécurité intérieure (MfS ou Stasi) installe son siège berlinois sous la forme d’un immense

complexe (devenu en partie Musée de la Stasi en 1990) 830.

La chute du régime modifie cruellement l’image de Lichtenberg Les nombreuses zones

résidentielles construites à partir des années 1960, qui attiraient l’intelligentsia du régime,

deviennent synonymes du triste décor d’un passé honteux. L’histoire de

l’arrondissement explique son visage architectural où se mêlent habitations à l’architecture

traditionnelle des années 1920, surtout à l’ouest ; à l’est et au sud des lotissements de petites

maisons et des colonies de villas (Villenkolonien) de la même époque ; au nord et au centre de

827 Le gouverneur de Berlin en personne, le lieutenant général W. J. H. von Möllendorff, qui donnera son nom à la rue où se tient la mairie, s’y fait construire une villa. 828 Entre 1872 et 1875 y est construite la Victoriastadt, le premier (en date et en taille au niveau mondial) lotissement ouvrier en béton. De nombreux lotissements semblables sont construits par la suite au cours des années 1920 dans certains quartiers de Lichtenberg (Karlhorst et Friedrichsfelde). 829 Il comprend alors les communes avoisinantes de Friedrichsfelde, Biersdorf, Kaulsdorf, Mahlsdorf, Marzahn et Hellersdorf. A la suite de la création des arrondissements de Marzahn (1979) et Hellersdorf (1986) et de la cession de certaines communes par Lichtenberg, l’arrondissement ne regroupe plus que les collectivités de Friedrichsfelde, Karlshorst et Rummelsburg. 830 « Curieux endroit que cet ex-QG de la police politique, planté dans une zone cernée de HLM. Un pâté de maisons délimité par Normanstrasse, Magdalenenstrasse, Frankfurter Allee et Ruschstrasse. D’un côté, les bureaux de la Stasi (aujourd’hui, le musée), un peu plus loin son hôpital (aujourd’hui son hôpital civil), son camp d’entraînement (aujourd’hui, un gymnase), et enfin sa prison (aujourd’hui, une prison civile). La réalité s’est décalée, mais chaque élément demeure en l’état.» Selon la description de journalistes en 1993. S. Perez, A. Brendt : « A Berlin, Wessi et Ossi ont reconstruit un mur » Le Nouvel Economiste, 05.11.1993. La prison politique de Hohenschönhausen a été préservée et est devenue un monument historique commémorant les victimes politiques et civiles des persécutions de la Stasi.

Page 275: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

261

nombreuses grandes constructions de type « Plattenbau »831 issues de l’après-guerre et, pour

les plus modernes, de la décennie même de la chute du régime.

Si les deux arrondissements de Lichtenberg et de Hohenschönhausen sont de même

taille (2600 hectares), Lichtenberg compte davantage d’habitants et d’anciennes

constructions832. Hohenschönhausen a été, tout au long des deux siècles précédents, une zone

d’expérimentation urbaniste d’habitations, l’un des lieux d’industrie les plus importants de

l’est de la ville dans un paysage mi-industriel, mi-bourgeois833.

L’image de l’arrondissement unifié souffre fortement de la présence de ces bâtiments

moroses. Le vieux Hohenschönhausen est une « zone morte »834 où rien ne se passe.

« Aujourd’hui, avec ses grands ensembles, c’est l’un des quartiers les plus ‘gris’ de Berlin.»835

831 La traduction choisie de « cités-dortoirs », « grands ensembles » ou « barres » pour le terme de Plattenbau ne correspond que partiellement à la réalité. Le terme de Plattenbau, spécifique à la RDA, met l’accent sur le caractère préfabriqué de cet assemblage de dalles bétonnées. Le paysage urbain engendré par le rassemblement de ces constructions est à l’image des barres des cités de la banlieue française. 832 Lichtenberg comprend quatre quartiers distincts :

- Karlhorst, marqué par la présence de l’armée soviétique, est un quartier résidentiel indépendant, clairement délimité et marqué par l’absence d’industrie et par une évolution démographique rassurante.

- Le quartier autour de la Sewanstrasse (ancien Hans-Loch-Viertel, situé dans le quartier de Friedrichsfelde proche du parc zoologique Tierpark) composé essentiellement de constructions récentes de type « barres » datant des décennies 1960 et 1970, est le quartier le plus problématique de Lichtenberg tant au niveau démographique que social. Deux populations y cohabitent qui vivent de manière ethnocentrée : des personnes âgées et des étudiants étrangers concentrés dans des foyers. Le taux de chômage y est par conséquent loin d’être inquiétant mais les revenus par foyer sont faibles. En outre, c’est le quartier où vivent le plus de personnes lourdement handicapées. Ceci est lié d’une part à un facteur démographique (personnes âgées), d’autre part aux structures adaptées qu’offrent les constructions nouvelles. 29,6% des foyers de ce quartier comprennent ainsi une personne handicapée (contre près de 4% à Karlshorst et Roedeliusplatz et 15,5 pour le reste de Lichtenberg). C’est le quartier que nous avons habité d’octobre 2000 à octobre 2001.

- Roedeliusplatz, autour de la place Roedelius, est un quartier de vieilles constructions situé au nord de la gare de Lichtenberg. On y trouve l’ancien ministère de la police politique de RDA, reconverti en musée et en bureaux où siègent notamment la société allemande de chemin de fers (Bundesbahn), l’agence pour l’emploi et l’administration berlinoise des finances. Sa situation démographique est similaire à celle de Karlshorst, son niveau de vie dans la moyenne de l’arrondissement.

- Le quartier autour de la place Anton-Saefkow, apparu entre 1972 et 1980, est composé de constructions nouvelles de type « Plattenbau ». C’est une ville dans la ville, avec toutes les infrastructures commerçantes ou sportives, comparable au Märkischen Viertel ou à la cité-dortoir de Gropius (Gropiusstadt) de Berlin-Ouest (où vivent 50000 personnes) construits dans les années 1960. C’est le plus peuplé des quartiers et, bien que ce soit celui où vivent aussi le plus d’enfants, une zone menacée par le vieillissement. 833 Dans les quartiers de Malchow, Falkenberg, Wartenberg et Hohenschönhausen poussent, dans les décennies 1970 et 1980, tant de nouvelles habitations sur les champs d’épandage alimentant les cultures de légumes que ces quelques 30000 appartements de type « Plattenbau » deviennent un arrondissement à part entière. Hohenschönhausen, intégrée à Berlin en 1985, fait partie des villes nouvelles de la RDA. 834 Selon une députée de la CDB originaire et élue directe à Hohenschönhausen, qui parle de « tote Gegend » et « tote Hosen ». 835 Guide Vert Berlin Potsdam, 1997, p. 191.

Page 276: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

262

Lichtenberg, Hohenschönhausen, Marzahn et Hellersdorf forment la plus grande cité-dortoir

d’Europe836.

S’il existe une corrélation entre les bons scores du PDS, de l’extrême droite et la

domination des cités dans le paysage urbain, l’explication urbaniste par lieu et mode

d’habitation (banlieues, cités-dortoirs), classique en France, est un schéma explicatif très peu

usité en Allemagne837. Pourtant, le rôle joué par certains facteurs (déracinement, anomie, tissu

social en désagrégation) est évident.

Grande zone d’activité, notamment industrielle du temps de la RDA, l’arrondissement

est durement touché par la crise économique consécutive à l’unification838. L’administration

de l’arrondissement tend, depuis 1992, à privilégier l’installation de petites et moyennes

entreprises, d’entreprises familiales ou artisanales et développe le secteur des services839.

Symbole du capitalisme dans ce morne paysage industriel, c’est à Hohenschönhausen que

Coca Cola installe sa plus grande usine de soutirage en Europe. L’Université d’économie de

la RDA (DDR-Hochschule für Ökonomie) attirée à Lichtenberg par la présence de

nombreuses industries et combinats, se transforme en 1991 en Institut supérieur de technique

et d’économie (Fachhochschule für Technik und Wirtschaft- FHTW840).

Afin de dynamiser l’industrie dans l’arrondissement, l’administration PDS de

Lichtenberg en coopération avec celle de Marzahn-Hellersdorf, prévoit en 2001 la création

d’une agence économique pour la zone Est de Berlin. Il s’agit là aussi d’améliorer

l’attractivité de l’arrondissement, de ralentir l’exode, de stabiliser certaines cités-dortoirs,

836 « Marzahn : grisaille tous azimuts. Là-bas, même les couleurs sont grises : jaune-gris, orange-gris, blanc-gris. Un conglomérat de tours sans fin où nichent 165 000 âmes (trois fois la population de Sarcelles)». S . Perez, A. Brendt : « A Berlin, Wessi et Ossi ont reconstruit un mur » Le Nouvel Economiste, 5.11.1993. 837 Seule une personne interrogée dans le cadre de l’étude pilote réalisée à Hohenschönhausen semble voir une corrélation entre le fait d’habiter et d’avoir grandi dans des barres en pré-fabriqué et la propension à accepter l’extrême droite et son idéologie. Etude pilote réalisée à Hohenschönhausen sur les tendances d’extrême droite, p. 155. B. Wagner, D. Borstel, L. Korgel, K. Sischka: Rechtsextreme Tendenzen und Erfordernisse demokratischen Handelns in Berlin-Hohenschönhausen. Eine Pilotuntersuchung 1999/2000 im Auftrag des Bezirksamtes Berlin-Hohenschönhausen.. Etude pilote commandée par l’arrondissement de Berlin-H, éditée par le Zentrum für demokratische Kultur (ZdK), 2000 et analysée dans le chapitre 5. 838 30 000 personnes travaillaient par exemple encore en 1989 dans la Herzbergstrasse de Lichtenberg. Ils sont dix fois moins nombreux (3 000) en 2001. 839 L’administration locale a ainsi, fin 2002 et à la suite de longues négociations, autorisé l’installation d’un centre commercial comptant des entreprises de services, de divertissement et un magasin de meubles Ikea. Afin d’éviter l’effet zone industrielle qui ternirait l’image de l’arrondissement, elle pose la préservation de la capacité d’innovation des petites et moyennes entreprises comme condition à l’installation d’Ikea. 840 Les Fachhochschulen sont des instituts supérieurs spécialisés dans la formation des ingénieurs et techniciens de production industrielle.

Page 277: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

263

d’améliorer la prise en charge des personnes âgées et des enfants (surtout en matière de

loisirs) ainsi que la qualité des infrastructures sociales et techniques.

Les pouvoirs publics locaux se mobilisent pour tenter de faire de Lichtenberg un

quartier agréable à vivre et dynamique au plan économique. Le maire PDS de Lichtenberg

déclare, dans son programme pour l’arrondissement, refuser de faire des économies sur le

social, tout en limitant les dépenses en matière de culture et d’éducation. Il s’oppose en cela à

son voisin de Marzahn-Hellersdorf qui considère l’endiguement de l’extrême droite comme

prioritaire et accroît l’enveloppe budgétaire de l’éducation et de la formation. La situation

socio-économique de l’arrondissement est meilleure que son image, voire bonne en regard de

l’ensemble des arrondissements berlinois.

Situation démographique et socio-économique

Une présentation de la situation démographique et socio-économique de la capitale

allemande, en particulier de son arrondissement oriental de Lichtenberg, s’impose en

préalable à une analyse du poids politique du PDS dans cet arrondissement.

Berlin

Berlin est redevenue capitale de l’Allemagne au 1er janvier 2000, ce qui en fait une

métropole en pleine évolution, redevenue centre politique, économique et administratif de la

République fédérale. Des quartiers entiers sont réhabilités et les infrastructures rationalisées

dans ce sens. La capitale perd, avec son caractère alternatif, une partie de sa population. Le

déménagement de la capitale s’est accompagné d’un recentrage du pays vers l’Est, Berlin

n’étant qu’à 60 km de la Pologne.

Berlin couvre une superficie près de neuf fois équivalente à celle de Paris et habitée par

3, 4 millions de personnes (fin 1999), soit 4,2% de la population totale de l’Etat fédéral. Les

deux tiers de la population berlinoise (soit 2,1 millions de personnes) habitent les

arrondissements occidentaux, qui couvrent une superficie identique à l’Est berlinois (que

peuplent 1,3 million d’habitants). Les Berlinois sont de l’Est ou de l’Ouest et se mélangent

peu. La population de Berlin, vieillissante à majorité protestante, compte 4% d’étudiants. La

population étrangère (sans passeport allemand) est en constante augmentation depuis

l’unification. Elle représente 12,8% de la population berlinoise fin 1999, soit 434 000

personnes. Comme sur le territoire fédéral, sa répartition est très inégale entre l’Est et l’Ouest

Page 278: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

264

de Berlin. La ville reste profondément marquée, surtout au niveau économique, par le mur

qui, de 1961 à 1989, coupe Berlin en deux841. La dichotomie salariale persiste en 2005842.

Le redéploiement des industries a eu des conséquences sociales dommageables sur

l’ensemble du territoire berlinois843. La stratégie de privatisation par la Treuhandanstalt n’a en

effet laissé qu’une marge de manœuvre limitée aux responsables politiques de la ville, pour

mettre en place une politique de transformation compatible avec les exigences sociales.

A ce clivage persistant entre Berlin-Est et Berlin-Ouest, corrélatif de la situation

fédérale, s’ajoute celui distinguant le centre de la périphérie. Ainsi, les quelques données

socio-économiques compilées ci-dessous indiquent que les arrondissements centraux sont

plus densément peuplés que leurs pendants en périphérie et sont davantage tributaires des

aides sociales versées par l’Etat. Les revenus moyens ne sont pas, contrairement à ce que l’on

pourrait croire, plus élevés à l’Ouest. Ceci s’explique sans doute d’une part par les

subventions accordées à l’emploi et à l’industrie dans les arrondissements orientaux, d’autre

part par l’héritage de la RDA en matière de féminisation du travail, qui procure un double

salaire à bon nombre de foyers de Berlin-Est.

841 Le PIB du Grand Berlin s’élève à 156,2 milliards de marks en 1997, soit un peu moins de 80 milliards d’euros, ou 4,3% du PIB total de la fédération. La part occidentale représente à elle seule 74,4% du PIB berlinois (58 milliards d’euros), l’Est produisant un quart du PIB. Plus révélateur des disparités, le PIB (par actif), au-dessus de la moyenne fédérale (Grand Berlin : 108 454 DM, chiffre fédéral : 107 339), est de 117 961 marks à l’Ouest pour 87 838 à l’Est, soit un décalage d’un tiers en faveur des arrondissements occidentaux. 842 Illustration au sein de l’administration berlinoise, dans l’arrondissement unifié de Friedrichshain (à l’Est)- Kreuzberg (à l’Ouest) : les employés de la rive orientale de la Spree travaillent une heure et demie de plus par semaine que leurs collègues occidentaux pour un salaire inférieur de plus d’un dixième, selon un reportage du Tagesspiegel 14.02.2001. 843 La structure industrielle est identique dans les deux parties de la ville, avec le même développement du secteur des services. Les branches industrielles qui emploient le plus sont l’industrie électronique (un quart des salariés), l’alimentation (13,3% des emplois), la construction de machines (12%) et l’industrie du papier et de l’édition (11,8%). Tous ces changements font de Berlin la puissance financière la plus faible de tous les Länder.

Page 279: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

265

Tableau 26- Quelques données relatives à la situation socio-économique des arrondissements berlinois844

Arrondissement Densité de population (au km²)

Proportion de personnes vivant de l’aide sociale*

Revenus moyens mensuels (en euros)845

Taux de chômage (en % de la population active) au 31.12.2002846

Proportion d’étrangers**

1- Mitte, Tiergarten, Wedding 81 137 1280 16,2 (+1,7) 25,7 2-Friedrichshain, Kreuzberg 123 132 1227 18,6 (+4,1) 22,7 3- Prenzlauer Berg, Weißensee, Pankow 32 60 1414 13,8 (-0,7) 5,6 4-Charlottenbourg-Wilmersdorf 49 67 1600 12,1 (-2,4) 15,5 5- Spandau 24 91 1627 15,8 (+1,3) 12,6 6-Zehlendorf, Steglitz 28 41 1840 9,3 (-5,2) 8,9 7-Schöneberg, Tempelhof 64 83 1520 13,3 (-1,2) 14,7 8- Neukölln 68 131 1387 17,2 (+2,7) 20,8 9-Treptow-Köpenick 14 36 1600 13,0 (-1,5) 3,8 10-Marzahn, Hellersdorf 44 56 1680 16,3 (+1,8) 3,2 11-Lichtenberg 51 57 1467 15,2 (-0,7) 8,0 12- Reinickendorf 28 76 1654 12,3 (-2,2) 8,6

Moyenne berlinoise 80,6 1525 14,5 13 Source : Statistisches Landesamt Berlin

Lichtenberg

Comme en atteste le tableau ci-dessus et contrairement aux clichés véhiculés,

Lichtenberg n’est pas un arrondissement pauvre où les difficultés sociales sont importantes.

Le taux de personnes vivant de l’aide sociale y est nettement inférieur à la moyenne

berlinoise. Le revenu moyen mensuel est par contre légèrement inférieur à celle-ci. La moitié

de la population active de Lichtenberg exerce une activité professionnelle stable. Ces actifs

constituent la base de la stabilité sociale ; ils gagnent bien leur vie et sont majoritairement

satisfaits de leur situation financière847. La tendance est pourtant à la paupérisation en raison

de l’augmentation du décalage existant entre les foyers qui s’enrichissent et ceux qui

s’appauvrissent. A Lichtenberg, une famille sur dix vit à la limite ou en dessous du seuil de

844 Au 31.12.1999 (sauf pour les chiffres du chômage) selon les chiffres officiels fournis par les services administratifs de la mairie de Berlin. * Pour mille habitants. 845 Convertis par nos soins à partir des données en deutschemarks. 846 Le chiffre entre parenthèses indique la tendance par rapport à l’année précédente. Cette catégorie est incomplète. Les chiffres du chômage par arrondissement sont difficiles à obtenir parce que les zones couvertes par les agences pour l’emploi ne coïncident pas avec les frontières d’arrondissement. ** En pourcentage de l’ensemble de la population de l’arrondissement. 847 Ce paragraphe résume les résultats d’une enquête quantitative portant sur la structure sociale et les conditions de vie, réalisée en 1995 auprès des habitants de Lichtenberg. W. Bey [et al.] : Entwicklung von Sozialstruktur und Lebenslagen in Berlin-Lichtenberg. Vergleichende Analyse der Ergebnisse von zwei repräsentativen Befragungen im Januar und September 1995. Berlin: isda (Institut für Sozialdatenanalyse), 1997.

Page 280: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

266

pauvreté. Le nombre de personnes aisées reste, en 1995, nettement inférieur à la moyenne

allemande.

Le taux de chômage est élevé (15,2 % de la population active au 31.12.2002), mais

relativement stable depuis 2000, après une forte hausse au début de la décennie 1990. Fin

1998, 13,6% de la population active de Hohenschönhausen était au chômage. Les personnes

les plus touchées par l’inactivité professionnelle sont les jeunes et les plus de 55 ans. Ainsi, le

chômage touche 16,1% des moins de 25 ans à Hohenschönhausen et 13,7% à Lichtenberg, ce

qui reste toutefois en dessous de la moyenne berlinoise (18,3% en 2000). Respectivement

11,9% (à Hohenschönhausen) et 18,3% (à Lichtenberg) des plus de 55 ans sont concernés848.

Le taux de chômage semble toutefois avoir perdu son caractère dramatique du début des

années 1990 et ne l’est pas en regard de la situation générale de l’Allemagne, de l’Est en

particulier, et de certains arrondissements berlinois. Fin 1998, 19,4% de la population active

des nouveaux Länder (NBL) étaient au chômage, soit deux fois plus que dans l’ancienne

République fédérale (9,5%). La population étrangère est la première victime du chômage.

Non seulement elle a été la première à perdre son emploi suite à l’unification, mais en 2005,

elle en souffre dans des proportions bien supérieures à la population allemande849.

A Lichtenberg est également associée l’image d’un arrondissement vieillissant. Alors

qu’avant la fusion Lichtenberg constituait l’arrondissement le plus peuplé de la partie

orientale de la ville850, il devient, fusionné, l’un des plus petits arrondissements berlinois (avec

une surface de 2636 hectares), ainsi que l’un des moins peuplés (252 953 habitants). Le

troisième âge n’y est statistiquement pas surreprésenté, bien qu’il soit en augmentation851. En

2001, 12,3% de la population de Lichtenberg est âgée de plus de 65 ans, 17,8 de moins de 18

ans852. La population vieillit plus rapidement à Lichtenberg qu’à Berlin et se renouvelle

moins853. Lichtenberg a certes un solde migratoire négatif (il a perdu 5100 habitants en 2000, -

848 « Viele junge Menschen ohne Job ». Berliner Morgenpost du 07.12.2001. 849 A Kreuzberg par exemple en janvier 2003, le chômage touche 30% de la population active et plus d’un étranger sur trois (34%). Bien que ce chiffre soit compensé par le bon résultat de Friedrichshain, plus dynamique (16%), l’arrondissement fusionné affiche, avec 24,2%, le taux de chômage le plus élevé de Berlin. 850 Avec une densité de 63 habitants au km², la moyenne pour l’Est se situant à 32, contre 45 à l’Ouest. 851 Ainsi, alors que la proportion de seniors (plus de 65 ans) baisse de près de 4% entre 1993 et 1996 dans les arrondissements occidentaux, elle augmente de 7% dans la partie est de la capitale. Les arrondissements connaissant la plus forte hausse sont Hellersdorf et Marzahn (20%) suivis de Hohenschönhausen (16%) et Lichtenberg (11%). Selon l’administration du Sénat. Ausstattung der Berliner Bezirke mit sozialer Infrastruktur 1996. Berlin: Senatsverwaltung für Stadtentwicklung, Umweltschutz und Technologie. 1998, p. 11. 852 Source : Statistisches Landesamt Berlin. 853 La moyenne d’âge de l’arrondissement fusionné est la même qu’à Berlin (41,7 ans en 2003), mais la population y vieillit plus rapidement. Elle était de 39,5 en 1991 pour Berlin et 36 en 1991 à Lichtenberg. Le taux de fécondité de Lichtenberg est de 31,6 pour mille seulement en 2001 contre 39,5 pour Berlin. Avec 10,6

Page 281: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

267

0,8 pour mille en 2001), mais dans la moyenne berlinoise autour de 1%, sans différence

notable entre l’Est et l’Ouest. Le profil démographique de l’arrondissement évolue beaucoup

depuis l’unification. De fortes disparités persistent en outre au sein de l’arrondissement

fusionné entre l’ancien Lichtenberg et Hohenschönhausen.

La particularité démographique de Lichtenberg et Hohenschönhausen (les tranches

d’âges des 6-15 ans et des 45-60 sont sur représentées) s’explique par la forte proportion

d’habitations modernes. De nombreux jeunes parents (ou qui n’allaient pas tarder à la

devenir) ont emménagé dans ces habitations neuves, très modernes et de ce fait très prisées

peu après leur construction dans la deuxième moitié des années 1980.

Avec l’amélioration d’un équipement déjà bon pour la garde d’enfants, l’arrondissement

mise sur l’accueil de jeunes familles854. Certes, les logements sont petits855, mais il n’y a point

de pénurie d’infrastructures sociales. La grande majorité d’entre elles est héritée de la RDA,

ce qui explique que les équipements et conditions d’accueil des enfants, comme les

infrastructures de loisirs de type bibliothèques municipales, soient plus nombreux dans les

arrondissements occidentaux. A l’inverse, l’arrondissement est très mal équipé pour l’accueil

de personnes âgées puisqu’il ne possède que deux places en institution pour cent seniors. Une

autre dichotomie, cette fois centre-périphérie, est donc avérée. D’une manière générale, les

arrondissements extérieurs sont moins bien équipés, toutes infrastructures sociales confondues

à l’exception des équipements sportifs856, que le centre de la ville857.

Une société ethno-homogène

La répartition de la population étrangère à Berlin témoigne elle aussi de la division de la

ville. En 1999, le taux de population étrangère des arrondissements orientaux est, avec 5,1%,

près de trois fois inférieur à celui des arrondissements occidentaux et de la moyenne

naissances pour 1000 habitants, la moyenne des naissances en 1995 est inférieure à celle de l’ensemble des arrondissements orientaux (13,2). La part d’enfants de moins de six ans au sein de la population s’élève seulement à 5,8%, valeur la plus faible de tout Berlin-Est. Entre 1993 et 1996, ce sont là encore les arrondissements de Marzahn (-29%) et de Hohenschönhausen (-24%) qui connaissent la plus forte diminution du nombre d’enfants de 12 ans et moins. 854 Il arrive second sur 23 Länder (avant la fusion) en équipement derrière Mitte (89%), le rapport entre le nombre de places en crèche pour le nombre d’enfants y est de 84%. 855 Chaque habitant y dispose de 28m² en moyenne. Seuls Marzahn, Hohenschönhausen et Hellersdorf disposent d’une superficie inférieure par habitant. 856 Ausstattung der Berliner Bezirke mit sozialer Infrastruktur 1996, op.cit., p. 17. 857 Lichtenberg est ici comptabilisé dans les arrondissements du centre (comme Charlottenbourg et Wilmersdorf ) tandis que Hohenschönhausen est considéré comme périphérique.

Page 282: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

268

berlinoise (13,0%). En 1997, les 13% d’étrangers berlinois habitent à 16,3% dans la partie

orientale de la ville contre 83,7% à l’Ouest, soit un rapport de un sixième à cinq sixièmes858.

Ce sont les arrondissements orientaux qui rencontrent l’homogénéité ethnique la plus

importante (seulement entre 2 et 4% de population étrangère)859. Situés sur le territoire de la

RDA, ils ne connaissent ni tradition ni réel mouvement d’immigration860. Ces arrondissements

ethnohomogènes ont en outre un solde d’immigration étrangère négatif, et en recul, un

phénomène apparu en 1996-1997861.

La part de la population étrangère (sans passeport allemand) est très variable selon les

arrondissements. Certes, Lichtenberg est l’arrondissement dans lequel habitent le plus

d’étrangers de tout l’est de Berlin. La population de l’arrondissement fusionné compte 7,7%

d’étrangers dont 1,1% de ressortissants de l’Union Européenne (à quinze). En 1999, quelques

15 000 Berlinois sans passeport allemand issus de 120 nationalités différentes et quelques

6000 personnes rapatriées des anciens territoires allemands après 1945 (Spätaussiedler)

habitent à Lichtenberg.

L’évolution de la part de la population étrangère à Lichtenberg en parallèle de celles de

Berlin et de l’arrondissement occidental de Charlottenbourg-Wilmersdorf est homogène sur

l’ensemble des trois sites. Berlin se situe à la moyenne des taux de Charlottenbourg-

Wilmersdorf et de Lichtenberg.

858 Chiffres de l’office berlinois des statistiques (Statistisches Landesamt Berlin). 859 En tête ceux de Hellersdorf (2,6%), Marzahn (3,4%), Köpenick (3,7%) et Weissensee (3,8%). Avec 24,2% en moyenne, la particularité des arrondissements mixtes (1- Mitte, Tiergarten, Wedding et 2-Friedrichshain, Kreuzberg) résulte sans doute de la fusion hasardeuse d’arrondissements qui connaissent un métissage traditionnel. Ainsi, Kreuzberg et Wedding constituent les points centraux de l’immigration turque issue de l’après-guerre. L’arrondissement le plus multiculturel est Kreuzberg (1/3 de population étrangère ou 33,9% de la population totale de l’arrondissement), suivi de Wedding (29,2%), Tiergarten (26,7) et Schöneberg (22,7). 860 La population de RDA comptait environ et en moyenne sur les années 1% d’étrangers. Elle était ainsi le pays européen au plus fort degré d’homogénéité ethnique. Un tiers d’entre eux était Vietnamiens (31,4% au 31.12.1989, ce qui représente 60 000 personnes), 27,1% Polonais. Le reste se répartit entre travailleurs autorisés et étudiants des pays frères, majoritairement mozambicains (8,1%), d’Union Soviétique (7,8%), Hongrois (7%), Cubains (4,2%) et en dessous Bulgares, Tchécoslovaques, Yougoslaves, Angolais et Roumains. La répartition géographique se faisait essentiellement dans les arrondissements de RDA à fort potentiel industriel, à savoir Berlin-Est (1,6% d’étrangers), Cottbus, Karl-Marx-Stadt, Leipzig ainsi que Dresde (1,5%) Les grands arrondissements de Potsdam, Schwerin, Suhl et Neubrandenburg à dominance agricole comptaient moins d’1 % de population étrangère. Source : Office statistique fédéral (selon les chiffres fournis par le ministère de l’intérieur de la RDA) cité par W. Breuer : Ausländerfeindlichkeit in der ehemaligen DDR. Studien zu Ursachen, Umfang und Auswirkungen von Ausländerfeindlichkeit im Gebiet der ehemaligen DDR und zu den Möglichkeiten ihrer Überwindung. Schriftenreihe: Forschungsbericht/ Bundesministerium für Arbeit und Sozialordnung; 210. Cologne, 1991, p. 4. 861 Hohenschönhausen a perdu 9,5% de sa population étrangère, Marzahn 9,2 et Hellersdorf 6,4.

Page 283: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

269

Graphique 17- Evolution de la population étrangère à Berlin, Lichtenberg et Charlottenbourg, 1992-2001 (en pourcentage de la population totale)

0

5

10

15

20

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Berlin Lichtenberg Charlottenbourg

Source : Statistisches Landesamt Berlin

L’origine géographique de la population étrangère résidant à Hohenschönhausen donne

une idée de cette mixité. Près du tiers (32%) d’entre elle est issue de l’ex-Yougoslavie, les

Turcs n’en représentent que 2,5%, soit moins que les Polonais (3,7%). A titre de comparaison,

la majorité des étrangers de Berlin viennent de Turquie (31%), d’ex-Yougoslavie pour 9,1%

d’entre eux et 6,6% sont Polonais d’origine. Hohenschönhausen possède un foyer de réfugiés

dans la Gehrenseestrasse où vivent 4000 personnes (dont une centaine de personnes

anciennement sans domicile fixe). Bien qu’il connaisse une hausse constante et régulière

depuis l’unification, le taux d’étrangers y reste toutefois plus de deux fois inférieur à la

moyenne berlinoise et des arrondissements occidentaux.

Une ville, deux systèmes de partis

La dichotomie Est-Ouest caractérise également le paysage politique berlinois. A l’ouest

subsiste un système quadripartite traditionnel organisé autour de l’opposition des deux grands

partis (SPD et CDU). La particularité du sous-système oriental réside dans la présence des

néo-socialistes, qui conditionne un tripartisme (CDU, SPD, PDS). C’est d’ailleurs à son

succès dans les arrondissements orientaux que le PDS doit d’être représenté au sein du

Bundestag862.

Ville-Etat, Berlin est gouvernée par un gouvernement régional appelé Sénat, ses

habitants représentés par un parlement régional (Berliner Abgeordnetenhaus, la Chambre des

Députés de Berlin- CDB. Les premières élections du Berlin réunifié ont porté E. Diepgen

(CDU) devenu « maire-gouverneur » à la tête d’un Sénat de grande coalition portée par la

862 C’est l’obtention, en 1994, de quatre mandats directs dans des circonscriptions de Berlin-Est, qui lui permet de conserver une représentation au Bundestag. Même s’il perd son statut de groupe parlementaire à l’issue des élections de 2002, mais remporte à Berlin-Est deux uniques mandats (directs).

Page 284: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

270

CDU et le SPD. C’est un scandale financier qui, en 2001 après trois législatures, conduit la

coalition à la dissolution. A l’issue d’élections régionales, le SPD signe l’ouverture de

négociations controversées avec le PDS en vue de former une coalition « rouge-rouge »863. En

effet, si 47,6% des habitants de Berlin-Est, soit près d’un sur deux, ont voté pour le PDS, il

continue à être décrié dans les arrondissements de Berlin-Ouest864. Pour la première fois, le

PDS dépasse pourtant la barre des 5% dans une circonscription occidentale et obtient près de

7% des suffrages à Berlin-Ouest. En janvier 2002, K. Wowereit (SPD) est élu maire-

gouverneur de la capitale et trois personnalités du PDS accèdent à un poste de sénateur865. La

formation d’une coalition PDS-SPD à la tête de la capitale atteste de la correspondance

directe entre l’importance électorale du PDS et son rôle au sein des institutions régionales.

Berlin compte proportionnellement beaucoup de maires et d’adjoints du PDS866.

Le résultat des élections régionales de Berlin (élection à la Chambre des Députés)

illustre l’évolution du paysage politique berlinois. La décennie consécutive à l’unification est

marquée par une baisse de la CDU, parallèlement à une montée du SPD, du PDS et du FDP.

La CDU est fortement ancrée à l’Ouest, en dépit de l’accident électoral de 2001, qui repose

sur sa mise en cause dans la faillite déclarée de la capitale. La CDU peine à trouver un

candidat capable de succéder au maire Diepgen, entaché par le scandale financier. Le SPD,

stable à l’Ouest, chute à l’Est corrélativement à la forte progression du PDS. Les Verts et les

Libéraux se livrent une âpre concurrence pour la quatrième place. Die Grünen jouent un rôle

bien plus important à l’Ouest, alors que le FDP y est marginal. Du fait de la mainmise de la

CDU sur l’électorat de droite, les scores des Libéraux sont souvent inférieurs à ceux des partis

863 Le SPD, en tête des élections, annonce sa volonté de former une coalition « feu de circulation » (Ampelkoalition) avec les Verts et les libéraux du FDP, soit rouge-verte-jaune selon les couleurs communément associées à ces partis politiques. Alors que les négociations sont rendues laborieuses par d’importants désaccords entre écologistes et libéraux, le PDS semble dès novembre se préparer à entrer en scène. En témoignent des tractations internes auxquelles participent notamment G. Lötzsch et T. Flierl, fils du célèbre architecte de RDA. 864 Ses affiches électorales continuent à être affublées d’un « Stasi » dénonciateur et plein de ressentiment. 865 T. Flierl à la culture, H. Knacke-Werner à la santé et G. Gysi, en charge de l’économie, des finances, du travail et des femmes, devient du même coup vice-maire-gouverneur. B. Grygier, ancienne maire de Hohenschönhausen et W. Friedersdorff, maire de Lichtenberg, étaient pressentis pour ces postes. Mis en doute dans l’affaire des « miles » de la Lufthansa à l’époque où il était député du Bundestag, G. Gysi démissionne quelques mois plus tard de ce poste et de ses fonctions au PDS. Si l’échec des législatives de 2002 lui est imputé, on chuchote dans le milieu du PDS que sa démission n’est pas liée à l’opprobre née de l’usage fait, à titre privé, d’avantages acquis dans le cadre de l’exercice de ses fonctions (Miles de Lufthansa). Cette affaire aurait servi de prétexte pour abandonner une tâche qui ne le passionne pas et rendue difficile et impopulaire dans un contexte d’économie sinistrée et de restrictions budgétaires, pour se consacrer à sa vie familiale. Il est remplacé au poste de sénateur par H. Wolf, député à la CDB, élu direct à Lichtenberg. 866 Tandis que certains proches du PDS se plaignent du fait que ses bons scores dans les NBL ne se traduisent pas toujours par un nombre corrélatif de hauts-représentants (maires) malgré la proportion de conseillers. G. Pollach: « Die PDS im kommunalen Parteiensystem » in M. Brie, R. Woderich (dir.): Die PDS im Parteiensystem. Berlin: Karl Dietz Verlag, 2000, pp. 194-207.

Page 285: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

271

d’extrême droite. La situation électorale des Verts, qui connaissent un renforcement de leurs

bases à l’Ouest et une baisse à l’Est, se détache de cet ensemble.

Tableau 27- Résultats comparatifs des élections à la CDB Est-Ouest 1990-2001

en pourcentage du total des suffrages exprimés (deuxièmes voix)

BERLIN BERLIN-OUEST BERLIN-EST

2.12. 1990

22.10. 1995

10.10. 1999

21.10. 2001

2.12. 1990

22.10. 1995

10.10. 1999

21.10. 2001

2.12. 1990

22.10. 1995

10.10. 1999

21.10. 2001

Taux de

participation

80,8 68,4 65,5 68,2 83,7 71,2 68,0 70,6 76,2 64,0 62,6 64,4

CDU 40,4 37,4 40,8 23,7 49,0 45,4 49,3 30,8 25,0 23,6 26,9 12,4 SPD 30,4 23,6 22,4 29,7 29,5 25,5 25,2 33,7 32,1 20,2 17,8 23,2 PDS 9,2 14,6 17,7 22,6 1,1 2,1 4,2 6,9 23,6 36,2 39,5 47,6 B90/GR. 8,2 13,2 9,9 9,1 8,2 15,0 12,1 11,1 11,4 10,0 6,4 5,9 FDP 7,2 2,5 2,7 9,9 7,9 3,4 2,8 12,8 5,6 1,1 1,1 5,3 REP 2,7 1,3 2,6 1,4 2,8 1,2 NPD 0,8 0,9 0,5 1,6 AUTRES 3,2 8,6 4,3 2,6 5,3 8,6 4,2 2,3 8,8 5,5

Source : Statistisches Landesamt Berlin

Le taux d’abstention est plus élevé à l’Est, bien qu’il augmente de manière continue

dans l’ensemble de la ville. Cet abstentionnisme est-allemand est sans doute révélateur d’une

médiocre insertion sociale867. Le facteur d’un appauvrissement structurel du tissu social parait

décisif dans le cas de Berlin-Est868.

Le clivage Est-Ouest se répercute sur les acteurs d’extrême droite. Les REP, ultra

conservateurs et nationalistes, participent aux élections à l’Ouest, tandis qu’un NPD militant,

proche des milieux Skinheads et néonazis est présent à l’Est. Le premier est en baisse tandis

que le second émerge depuis peu sur la scène orientale869.

Lichtenberg : un repaire d’extrémistes de droite ?

Lichtenberg et Hohenschönhausen partagent la réputation de constituer le centre

névralgique de l’activité de l’extrême droite à Berlin. Les élus et fonctionnaires locaux sont

867 A. Lancelot : L’abstentionnisme électoral en France. A. Colin, 1968 et « L’orientation du comportement politique » in Traité de science politique. PUF, 1985, tome 3, p. 418. La deuxième catégorie d’abstentionnistes évoquée par A. Lancelot, celle des citoyens intéressés par la politique mais soucieux de voter par choix et non par dépit et qui témoignent de leur mécontentement face à un système politique incapable de présenter un candidat qui les satisfait réellement, semble lui s’appliquer bien davantage aux habitants des arrondissements centraux et occidentaux. 868 Hellersdorf, qui connaît un fort abstentionnisme, est typique des grands ensembles urbains mal intégrés dans le tissu social. 869 Voir Annexes 2, Tableaux 1 et 2 (Elections à la CDB).

Page 286: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

272

conscients de l’image véhiculée par Lichtenberg, qui mêle extrême droite, aspects

condamnables de la RDA et misère urbaine : « Cité-Stasi-Nazi » comme la résume A. Geisel,

conseiller d’arrondissement (SPD)870. Beaucoup relativisent l’influence de l’extrême droite

dans l’arrondissement, en argumentant que la situation de Lichtenberg n’est pas

catastrophique comparée à celle de l’ensemble des nouveaux Länder et que l’extrême droite

ne touche qu’une minorité de la population871. Il convient donc de confronter cette réputation

au rôle joué par l’extrême droite dans l’arrondissement en termes structurels et subculturels.

Faible présence de l’extrême droite politique à l’exception des REP

Comme sur l’ensemble du territoire, les résultats électoraux des partis d’extrême droite

dans la capitale berlinoise sont inférieurs à 5%. Leur capacité de mobilisation respecte

également la tendance fédérale872. Berlin se distingue en matière d’extrême droite par la

régularité de l’absence de la DVU, l’émergence du NPD à l’Est et sa tradition

« républicaine »873.

C’est en effet à Berlin que les Republikaner (REP) rencontrent deux succès consécutifs

en 1989 et 1992. Ce n’est que très occasionnellement qu’un parti d’extrême droite parvient à

envoyer un représentant au sein des assemblées locales874. En 1992, les REP renouvellent

l’exploit des 7,5% obtenus aux élections de Berlin (Ouest) en 1989. Avec 8,3% des suffrages

recueillis aux élections communales de 1992, ils investissent l’ensemble des conseils

870 B. Grygier confirme : « Hohenschönhausen se voit confronté au stigmate d’une retraite pour l’extrême droite et la xénophobie». J. Hoffmann (CDU) déplore la mauvaise image de l’arrondissement qui n’a selon lui rien à voir avec la réalité. 871 L’argumentation du maire de Lichtenberg, W. Friedersdorff, est caractéristique de cette mésestimation. Il minimise la présence de l’extrême droite à Lichtenberg en argumentant d’un phénomène touchant fortement Berlin-Est. Le nombre d’actes de violences et délits commis dans l’arrondissement est inférieur à la moyenne orientale de l’Allemagne et bien en dessous du Brandebourg voisin ; les partis d’extrême droite ne sont pas représentés au sein du conseil d’arrondissement, le NPD atteint 3% des suffrages, 10% dans un seul bureau de vote. La confusion règne lorsqu’il évoque les causes et les effets. De nombreux lycées sont selon lui certes dominés par des structures démocratiques de gauche, estimant en substance que cela dépend du niveau intellectuel de la population, « mais cela n’a rien à voir avec l’extrême droite » puisqu’il ne s’agit pas d’idéologie, mais d’un processus non réfléchi, d’une estimation de fond chez les adolescents. « Nombreux sont ceux qui reproduisent un mode de pensée présent non seulement dans leur cercle d’amis mais également parfois dans l’entourage parental. » Le phénomène est selon lui représentatif d’un certain milieu, celui des déçus de l’unification. Il poursuit : la population de l’arrondissement ne fait montre d’aucune sympathie ouverte pour l’extrême droite. Le problème à Lichtenberg, finit-il par admettre, réside dans « certaines tendances » et une culture de jeunesse susceptibles d’être récupérés par l’extrême droite, surtout grâce aux loisirs qu’elle propose. Ceci est en effet un peu inquiétant reconnaît-il. 872 Les REP sont en baisse (–20% entre 1999 et 2000), la DVU stable et le NPD en progression (+8,5%). Le nombre d’adhérents connaît une évolution similaire. Voir Annexes 2, extrême droite, militantisme, tableau 1. 873 Estimant qu’en France, le terme Républicain, traduction littérale de Republikaner recouvre une réalité qui ne correspond pas à ce parti, nous choisissons d’utiliser la traduction entre guillemets ou le mot allemand. Le diminutif REP est le plus usité ici pour des considérations essentiellement pratiques. 874 Voir Annexes 2, Extrême droite, Résultats électoraux.

Page 287: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

273

d’arrondissement de Berlin. Quatre arrondissements choisissent même l’un de leurs

représentants comme adjoint au maire875. Lors des échéances suivantes, en 1995, ils échouent

à dépasser la barre des 5%. Tout comme le FDP et le PDS, ils portent plainte contre cette

clause, condition à la représentation au sein des conseils d’arrondissement. Ils obtiennent gain

de cause et la clause est ramenée à 3%. Ce qui leur permet, à l’issue des élections de 1999,

d’être représentés par 8 conseillers d’arrondissement : 6 à l’Ouest (2 dans chacun des

arrondissements de Wedding, Neukölln et Reinickendorf) et 2 à l’Est (Hohenschönhausen et

Pankow). A Hohenschönhausen, ils réalisent leur deuxième meilleur score derrière Wedding

(5%), bien que Neukölln, Wedding et Reinickendorf soient considérés comme leurs fiefs

berlinois. Les élections à la CDB se déroulent le même jour et c’est là encore à

Hohenschönhausen, dans le bureau de vote 224, que les REP obtiennent l’un de leur meilleur

score. Dans ce même bureau de vote, le PDS remporte les trois quarts des suffrages exprimés

(75,8%).

Les REP comptent 850 adhérents à Berlin. La tendance est à la régression des adhésions

depuis 1992, dans les deux parties de la ville, avec une tendance plus marquée à l’Ouest. Les

deux arrondissements de Lichtenberg et de Charlottenbourg suivent la même évolution pour

se rejoindre en 2001 autour d’une trentaine d’adhérents (34 adhérents à Lichtenberg 31 à

Charlottenbourg-Wilmersdorf). En 1992, les adhérents sont néanmoins près de trois fois plus

nombreux à Charlottenbourg-Wilmersdorf (132 membres pour 50 à Lichtenberg)876.

A la fin des années 1990, la stratégie des REP, qui mettent en place un parrainage avec

Hohenschönhausen et en font un centre de gravité pour les élections, s’avère payante. Avant

que le responsable des Jeunesses Républicaines, Thomas Kay, ne crée et ne prenne en charge

le parrainage de l’arrondissement, la section des REP à Hohenschönhausen comptait 20

membres877. Ce nombre double suite à cette action pour s’élever à une quarantaine en 1999.

La structure des adhérents à Hohenschönhausen se caractérise par sa jeunesse. La section de

Hohenschönhausen est la plus jeune de Berlin, la moyenne d’âge ne dépasse pas 28 ans. A

Hohenschönhausen, les REP comptent sur leur pouvoir de séduction auprès des jeunes. En

1999, les REP prévoient d’envoyer des courriers aux primo-votants (18 ans) dans tout Berlin

875 I. Seifert, conseillère (REP) adjointe aux affaires sociales à Reinickendorf entre 1992 et 1995, est la seule des quatre conseillers-adjoints élus en 1992 à être réélue en 1995. 876 Voir Annexes 2, extrême droite, militantisme. 877 En 1998, le NPD dispose d’une section locale Nord-Est qui rassemble les arrondissements de Friedrichshain, Hohenschönhausen, Lichtenberg et Weissensee et compte environ 30 membres, soit autant que la seule section locale réunissant Marzahn et Hellersdorf.

Page 288: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

274

et, exclusivement à Hohenschönhausen, également à destination de l’ensemble des jeunes

électeurs (18-25 ans).

Pour l’élu des REP T. Kay, le succès de son parti est essentiellement dû à sa présence

sur place, à sa proximité avec les habitants. Evoquant de nombreux courriers publicitaires et

le succès rencontré lors de la tenue de stands d’information au cours de la campagne de 1999,

il affirme : « Le parti est là, présent, palpable et à l’écoute sur le terrain. C’est ce qui nous

différencie peut-être aussi de partis comme le NPD, que je n’ai encore jamais vu là-bas.»878.

Le rôle politique des autres organisations d’extrême droite à Lichtenberg, comme à

Berlin, est extrêmement réduit, malgré la sympathie dont bénéficient les idées de la DVU et

du NPD. Ce dernier dispose d’une section locale commune à Hohenschönhausen, Lichtenberg

et Friedrichshain qui rassemble 50 membres (sur ses 220 berlinois). Moins d’un cinquième

d’entre eux, soit une petite dizaine, est domicilié à Hohenschönhausen. L’influence du NPD

se mesure toutefois moins au travail politique quotidien effectué dans l’arrondissement, qu’à

l’influence idéologique qu’il exerce sur les milieux subculturels. Cette influence est

perceptible à travers les discours entendus dans les infrastructures sportives, scolaires et

d’accueil de la jeunesse. Fêtes, concerts et manifestations sont autant d’occasions où s’exerce

son attractivité879. La forte concentration d’affiches électorales du NPD à Hohenschönhausen

observée en 1999 se reproduit en 2001. Le parti prévoit de multiplier ses efforts pour accroître

sa présence dans l’arrondissement, ce que semble confirmer en 2001 le lancement d’une

campagne de soutien contre son interdiction. A travers la distribution de tracts dans les boîtes

à lettres ou la tenue de stands d’informations, essentiellement à Hohenschönhausen, le NPD

se pose en victime de la répression étatique. Le transfert du siège fédéral du NPD fin janvier

2001 de Stuttgart vers l’arrondissement oriental de Köpenick témoigne par ailleurs de cette

volonté d’implantation à Berlin-Est.

Une extrême droite très présente, mais peu de violences commises dans l’arrondissement

Si la présence de l’extrême droite reste fortement démonstrative à Lichtenberg, peu de

violences y sont proportionnellement commises. Les arrondissements orientaux détiennent le

record des délits d’extrême droite enregistrés880. Plus de la moitié d’entre eux (60% en 1997)

878 Etude pilote p. 70. 879 Selon les conclusions de l’étude pilote développées dans le chapitre 5, section 2, B. 880 Ne sont comptabilisés dans les statistiques policières que les actes de violence qui font l’objet d’un dépôt de plainte auprès des services de police. Par peur des victimes, expérience de discrimination ou de banalisation, remise en question de son utilité, etc. une certaine part d’entre eux n’entre donc pas dans les statistiques.

Page 289: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

275

ont lieu dans les arrondissements de Lichtenberg et Marzahn-Hellersdorf881. Parmi les points

de rencontre d’extrémistes de droite connus à Berlin, cinq se situent à Lichtenberg, 2 à

Köpenick et 1 à Hohenschönhausen882. Les skinheads, qui ont commis les 93 délits d’extrême

droite enregistrés à Berlin en 1996, habitent pour 61% d’entre eux à l’est de la ville883, alors

que la population est deux fois plus nombreuse dans la partie occidentale de la capitale884.

Cette proportion augmente puisqu’en l’an 2000, ce sont les trois quarts des 283 auteurs de

délits imputés à l’extrême droite qui sont domiciliés dans un arrondissement oriental de la

capitale885. Ce type d’activités délictueuses est fortement concentrée dans les arrondissements

de Lichtenberg, Hohenschönhausen, Marzahn et Hellersdorf (les « blocs grisâtres » évoqués

plus haut) de Berlin-Est.

Ainsi, si Lichtenberg semble désormais isolé au sein de la scène d’extrême droite et ne

joue plus de rôle fédérateur à l’échelle fédérale, comme c’était le cas au début des années

1990, l’extrême droite imprègne le paysage urbain de l’arrondissement. Une réalité à laquelle

le PDS, en raison du rôle qu’il joue dans l’arrondissement, ne peut qu’être confronté.

B) Les ressources de l’appareil du PDS dans son fief de Lichtenberg

L’appareil dont disposent les élus et permanents du PDS à Lichtenberg leur permet non

seulement de gouverner l’arrondissement, mais également d’exercer une influence sur

l’organisation fédérale du PDS. L’appareil de l’arrondissement en soi, en tant que fief,

881 En 1997 par exemple, l’Office régional de protection de la constitution dénombre 467 délits imputés à la scène d’extrême droite à Berlin dont la plupart a été commis à Lichtenberg (57), à Treptow (40) et à Pankow (36). 882 Sauf précision, les chiffres communiqués ici sont fournis par l’Office régional de protection de la constitution. 883 Lichtenberg héberge à lui seul 11 des 93 auteurs de ces violences, soit près de 12%, 16% dans l’arrondissement agrandi en y ajoutant les 4 de Hohenschönhausen. Arrivent ensuite Neukölln (8), Hellersdorf (7) et Marzahn (6). Les arrondissements restants se répartissent le reste avec six ou moins par unité administrative. 884 Ainsi, en 1997, les 467 Skinheads connus à Berlin sont pour près de la moitié (214) domiciliés dans les arrondissements de Lichtenberg (48), Hohenschönhausen (24), Marzahn (69) et Hellersdorf (69). Une attention particulière prêtée aux lieux où ont été commis ces délits porte également Lichtenberg en tête : 16/93 soit 17, 2%, 21,5 % en intégrant Hohenschönhausen. Source : Landesamt für Verfassungsschutz: Rechtsextreme Bestrebungen in Berlin. Berlin: Verwaltungsdruckerei, 1996, pp. 141-145. 885 Lichtenberg, Hohenschönhausen, Marzahn et Hellersdorf hébergent à eux seuls un tiers des auteurs de ces délits. Le domicile des responsables est un indicateur plus pertinent en termes sociologiques que le lieu du délit. Ainsi par exemple, sur les 71 délits enregistrés à Mitte, 22 l’ont été au cours de manifestations du NPD et ne sont donc pas imputables à quelques uns de ses habitants. Dans la même logique, les cibles des agresseurs sont déterminantes. Toujours à Mitte, 21 des délits commis visent la communauté juive dont le centre historique se situe dans ce quartier. Voir Annexes 2, Extrême droite, Arrondissement de domiciliation des Skinheads violents.

Page 290: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

276

constitue une ressource pour le PDS dans son ensemble, notamment en termes

d’infrastructures et de personnel.

Le PDS, première force politique de Lichtenberg

Le poids politique du PDS à Lichtenberg est d’abord numérique. Il se mesure d’une part

à l’augmentation constante de ses résultats électoraux depuis 1990, qui se traduit par une

présence accrue au conseil d’arrondissement, d’autre part au nombre et à la visibilité de ses

militants en ce lieu.

Une représentation accrue au sein du conseil d’arrondissement

Le PDS recueille régulièrement environ 35% des voix à Lichtenberg et 45% à

Hohenschönhausen. Notons que le PDS est le seul parti dont le score des secondes voix

(scrutin à la proportionnelle) est supérieur à celui des premières (scrutin nominatif). Les

électeurs de Lichtenberg votent donc massivement pour le parti PDS plus que précisément

pour l’un de ses candidats.

Tableau 28- Résultats des élections aux conseils d’arrondissements de Lichtenberg et Hohenschönhausen

depuis 1990 (principales formations, en pourcentage des deuxièmes voix exprimées)

L. 1990

L. 1992

L. 1999

H.

1990

H.

1992

H.

1999

L. 1999-2001

L. 2001

Participation 71,4 58,6 61,4 70,2 55,2 60,2 60,9 61,7 PDS 35,1 35,4 48,2 39,9 35,5 46,9 47,7 51,8 CDU 15,1 13,6 24,0 16,1 13,1 26,0 24,8 12,9 SPD 32,3 30,8 17,0 28,0 27,3 15,3 16,3 22,5 B90/G 9,1 11,4 3,3 8,8 10,4 2,4 2,9 2,9 FDP - 3,3 0,9 - 3,3 0,9 3,9 REP - 5,1 2,6 - 5,2 3,5 2,9 1,4 Autres 8,4 0,5 NPD 2,2 7,2 5,2 NPD 2,0 NPD 2,1 NPD 2,3

Source : Etabli par l’auteur d’après Statistisches Landesamt Berlin

Comme le montre le tableau ci-dessus, le rapport de forces politique dans

l’arrondissement est de plus en plus favorable au PDS. Le processus de fusion a accru la

domination déjà indéniable du PDS sur le jeu électoral, jusqu’à ce que ce dernier obtienne la

majorité absolue. La mainmise du PDS sur le conseil d’arrondissement apparaît distinctement

Page 291: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

277

à travers les schémas suivants, qui synthétisent la composition des conseils d’arrondissement

de Lichtenberg avant et après la fusion886.

Graphiques 18 et 19- Composition du conseil d’arrondissement de Lichtenberg

Lichtenberg 1999-2001

3719

11 111

PDS CDU SPD B90/G. REP Autres

Lichtenberg 2001

328

130002

PDS CDU SPD B90/G. REP Autres FDP

La fusion a renforcé des positions acquises dans deux lieux voisins. Le pouvoir du parti

dans l’arrondissement repose également sur ses ressources militantes.

D’importantes ressources militantes

Les militants sont à n’en pas douter la principale ressource collective du PDS, par leur

nombre d’abord. A eux seuls, les 3718 adhérents de Lichtenberg (sur 260 000 habitants)

représentent près d’un quart (23% fin 1999) des adhérents berlinois du PDS887. A Lichtenberg,

près de 80% des adhérents à un parti politique militent en sa faveur. Ils sont dix fois plus

nombreux qu’à la CDU et cent fois plus que chez les REP888. En valeur brute comme ramenée

à la population totale de l’arrondissement, Lichtenberg est l’arrondissement berlinois qui

compte le plus d’adhérents au PDS889. La répartition des militants fin 1999 à Lichtenberg met

en évidence cette prépondérance du PDS890.

886 Composition exprimée en nombre de mandats par parti. Pour une évolution de la composition des conseils d’arrondissement de Hohenschönhausen et de Lichtenberg depuis l’unification, voir Annexes 3, graphiques 7 à 11. 887 Source : Statistisches Landesamt Berlin. Voir Annexes 2, Militantisme, graphiques 2 et 3 pour les adhérents berlinois du PDS. 888 Pour la répartition des adhérents des REP à Berlin, voir les Annexes 2, Extrême droite, Graphique 4. 889 En ce qui concerne les chiffres des militants politiques berlinois, voir Annexes 2, Militantisme. Les tableaux 4 et 5 comparent le nombre d’adhérents à la population des arrondissements, les tableaux 6 et 7 à l’ensemble des militants berlinois. La répartition géographique des militants s’explique parfois dans la tradition de chaque arrondissement, critère que la fusion rend difficile à prendre en compte. Le taux de militantisme s’explique également par l’attachement traditionnel des Berlinois occidentaux aux grands partis, comme c’est le cas à Charlottenburg-Wilmersdorf. 890 Exprimée en valeur brute. Source : Landesamt Berlin für Statistik.

Page 292: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

278

Graphique 20- Appartenance politique des adhérents de partis politiques à Lichtenberg

374407

3718

79

3864

CDU SPD PDS B90/G. FDP REP

Les Berlinois de l’Est ne s’engagent pas moins que les autres citoyens en faveur d’un

parti politique. C’est néanmoins grâce à un engagement accrû en faveur du PDS que leur taux

de militantisme reste dans la moyenne berlinoise, plus exactement grâce à une maîtrise des

défections des anciens adhérents du SED. Le PDS a su conserver les structures d’un SED

quadrillant la société est-allemande. Ainsi, dans les arrondissements orientaux, les néo-

socialistes comptent deux fois plus d’adhérents que tous les partis réunis. Malgré la faiblesse

de son recrutement à l’Est, le PDS se maintient ainsi, en regard du nombre de militants, au

rang de premier parti de Berlin-Est, au deuxième rang derrière le SPD sur l’ensemble de la

ville891.

Un statut d’appareil créateur de conflits

L’importance numérique des élus et militants ne confère pas seule au PDS local le statut

d’appareil à Lichtenberg. Le terme d’appareil induit en effet une certaine lourdeur et l’idée de

fermeture, que l’on retrouve dans un esprit d’apparatchik persistant chez les permanents du

parti892. Désignant originellement un membre influent du parti communiste, formé par celui-

ci, le terme d’apparatchik renvoie par extension à un homme de l’appareil.

La section locale constitue un vivier de fonctionnaires et de dirigeants. Les exemples de

personnalités politiques issues de Lichtenberg propulsées aux plus hautes fonctions partisanes

ou électives à l’échelle régionale et fédérale ne manquent pas893. Tout en renforçant encore le

891 Voir Annexes 2, Militantisme, tableau 5. Une analyse qualitative du militantisme (développée dans le chapitre 5, section 3, B., complète cette esquisse quantitative du militantisme local. 892 La méfiance dont G. Lötzsch, alors députée de la CDB élue directement à Lichtenberg et chef de sa section PDS, a fait part à notre égard, donnant l’impression de défendre son territoire face à des tentatives d’intrusion en témoigne. 893 Entre 2000 et 2002, A. Gabelin (chef de section locale de Hohenschönhausen est élue vice-présidente de la fédération berlinoise en charge de l’expansion partisane dans les arrondissements occidentaux), B. Grygier (ancienne maire de Hohenschönhausen devenue maire d’un arrondissement occidental pour le PDS est propulsée remplaçante du leader charismatique du PDS, G. Gysi, au Bundestag), W. Friedersdorff (maire de Lichtenberg

Page 293: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

279

pouvoir du PDS dans l’arrondissement, la fusion des arrondissements engendre des conflits

d’intérêts894 entre les tenants des deux appareils de parti voisins.

Afin de faire des économies dans un budget amputé par le coût de la reconstruction et

de l’aménagement qu’exige son nouveau statut de capitale, le Sénat de Berlin décide début

1998 la fusion des arrondissements. Leur réduction de 23 à 12 doit permettre d’économiser

annuellement plus de 85 millions d’euros, dont les trois quarts du seul fait de la suppression

de personnels. La révision du découpage administratif de Berlin se fait en fonction de critères

démographiques, les arrondissements sont restructurés par tranche de 300 000 habitants. Ce

procédé ne tient que peu compte de l’histoire des arrondissements. Au sein des

administrations, la fusion est ainsi perçue comme un défi né d’une exigence de rationalisation.

A Lichtenberg et Hohenschönhausen, c’est un mariage de raison, en dépit de points communs

historiques et politiques précédemment évoqués895.

Cette fusion met en concurrence les deux sections et représentants locaux des PDS

voisins. Ce qui se joue au moment de la fusion, c’est autant l’affrontement de deux sections

pour la prise de pouvoir, qu’une affirmation des objectifs et de la nature même du parti. Les

contraintes liées à la mise en commun des ressources éclatent en août 2001, alors que la

fédération régionale prépare les élections législatives régionales.

Lors de la réunion d’investiture des candidats à la Chambre des Députés de Berlin, les hostilités

s’ouvrent lorsqu’une candidate de Lichtenberg se rétracte, parce qu’elle se sent trahie. Notre voisin

grommelle, se demande ce que cette femme veut dire « concrètement ». « Nous ne sommes plus le parti

du Socialisme Démocratique, la démocratie est une partie de notre culture politique». Alors qu’elle

s’apprête à présenter sa remplaçante, la commissaire de la réunion lui annonce que le temps qui lui était

imparti touche à sa fin. D’une voix émue, l’ex-candidate fait part de son intention de demander un

rallongement de son temps de parole. D’un cinglant « Fais-le », la responsable lui assigne son

bannissement d’un air exaspéré. Mon voisin demande encore : « Tu sais pourquoi elle arrête ? », alors

que le public hésite un instant à applaudir, avant de n’en rien faire.

L’orateur suivant est de Hohenschönhausen et a décidé de ne pas se porter candidat non plus, parce

qu’il est insatisfait de son propre travail. Il est temps, estime-t-il, de laisser la place aux jeunes. Deux

pressenti sénateur berlinois à l’économie, devient secrétaire d’Etat à la santé pour le Land de Mecklembourg-Poméranie antérieure), H. Wolf (élu direct à la CDB, tête de liste des élections régionales de 2001, remplace G. Gysi au poste de Sénateur berlinois à l’économie), G. Lötzsch (chef de la section locale du PDS à Lichtenberg, devient l’une des deux seules élues du PDS au Bundestag en 2002). 894 Pour les conflits entre chefs liés au fonctionnement oligarchique des partis, voir R. Michels : Les partis politiques. 895 Tous deux datent du Moyen-Âge (XIIIème siècle), ont prospéré dans les décennies 1970 et 1980 avec la construction de Plattenbauten, sont fortement marqués par l’héritage de la RDA (ils ont respectivement sur leur territoire le Ministère de la police politique de la RDA et sa prison) et se rejoignent sur la préférence politique, puisque le PDS y jouit d’une majorité absolue.

Page 294: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

280

retraits en cinq minutes, les militants commencent à s’agiter, on entend des murmures inquiets: « Ils

arrêtent tous ou quoi ? » tandis que dans la salle, G. Lötzsch, chef de section, s’assoit discrètement en

signe de solidarité à côté de l’oratrice rabrouée. Toutes deux sont de Lichtenberg et font bloc contre

Hohenschönhausen. Vient le moment des questions libres. Daniel prend la parole pour fustiger les choix

stratégiques du parti : « La politique du PDS me déprime totalement », elle « passe à côté de la réalité ».

Il se dit non surpris des intérêts payés tous les jours par la capitale aux grandes banques pour ses dettes.

« Ca tient au système ». Agitation dans la salle. « Ce surendettement a de graves conséquences : 30 000

jeunes personnes qui auraient pu trouver un emploi n’en auront pas. » Forte approbation de mon voisin.

Il termine en déclarant : « on ne gagne pas avec une campagne électorale mais en gagnant les masses,

en les motivant politiquement ». Aucun applaudissement. C’est le moment choisi par Lötzsch pour

prendre la parole. Se voulant « ouverte », elle reconnaît l’existence de difficultés. Elle propose que la

pause déjeuner soit consacrée à une discussion avec chaque candidat, afin de débattre des problèmes

existants. Réaction de notre voisin : « Il était grand temps ! Ils auraient dû le faire depuis longtemps ! »

La faillite de Berlin a ici des effets désagrégeants sur la section locale896. La désaffection

liée à la nécessité de partager les postes est l’occasion de mettre en doute le cours suivi par le

parti. Ces difficultés locales interviennent dans un contexte de mécontentement d’une partie

des militants. La reconnaissance officielle par le PDS du caractère forcé de la fusion donnant

naissance au SED et la condamnation de la construction du mur de Berlin intervenues peu

auparavant sont en effet désapprouvées par les militants les plus âgés897. Si les divergences

partisanes sont en général vécues par les adhérents sur le mode de la voice (prise de parole) ou

de la loyalty (loyauté), cette fois pourtant 80 personnes pour la seule section de Lichtenberg

après la fusion (soit 2% des adhérents) choisissent la défection et rendent leur carte, en

argumentant que le PDS « leur a volé leur biographie » en révisant la manière dont l’histoire

était interprétée en RDA. Les sections locales réagissent en négociant individuellement le

retour des démissionnaires, par un courrier leur proposant une discussion individuelle. Dans le

modèle d’A. Hirschmann, la « défection » est la conséquence d’un sentiment de trahison, de

défaite idéologique898. Il est donc logique qu’une telle révision de l’histoire officielle par le

896 Un désengagement interne peut s’expliquer par l’intervention de phénomènes sociaux et politiques généraux. B. Pudal : « La beauté de la mort communiste ». RFSP, 52, 2002, pp. 545-559. 897 La commission d’historiens du PDS a rendu son rapport sur la naissance du SED en mai 2001, celui sur la construction du mur de Berlin en juin 2001. 898 A. Hirschmann : Défection et prise de parole. Théorie et applications (Exit, voice and loyalty). Fayard, 1995. Si le fait de quitter le parti est un mode radical de règlement du conflit, d’autres existent et les chuchotements agacés de notre voisin au cours de cette réunion d’intronisation en sont un.

Page 295: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

281

PDS, parce qu’elle concerne les croyances et d’identité de la communauté, conduise à la

défection899.

Les militants sont les garants de l’identité et des valeurs du parti, que les élus et

permanents sont susceptibles de trahir. Cette ressource est ainsi, par nature, génératrice de

conflits. A chacun d’y voir une « une identification à la „vraie nature“ du parti, telle que les

militants la conçoivent » ou « un attachement crispé aux règles, aux croyances et aux

pratiques que les élus, pour leur part, sont constamment portés à transgresser ou à

dissimuler. »900

Les nombreuses critiques faites par la base aux dirigeants renforcent le parti et

conditionnent l’adhésion des militants. Sur les stands d’informations régulièrement tenus par

le PDS, les militants critiquent ouvertement certaines décisions prises par les dirigeants du

parti, surtout lorsqu’ils sont au pouvoir. Cet exutoire renforce la crédibilité du PDS auprès

d’éventuels électeurs autant qu’elle offre au militant de rester dans le parti901. Cette liberté de

ton plaide en faveur d’un fonctionnement démocratique interne.

Ainsi à Lichtenberg, la fusion ravive les conflits entre les militants et les dirigeants,

autant qu’elle oppose deux communautés. Dans une logique communautariste, chaque

arrondissement valorise son identité au détriment de l’autre et trouve des explications

899 Bien que la composante émotionnelle structure et conditionne l’appartenance partisane, la confiance n’est pas aveugle, puisque 30% des militants à l’Est et 50% à l’Ouest se déclarent prêts à rompre avec le parti dans certaines circonstances. L’adhésion est vécue sur un mode probatoire, surtout chez le troisième âge. 900 J. Lagroye fait ici allusion à A. Kriegel (Les communistes français. Le Seuil, 1968) est explicite. Sociologie politique, p. 229. 901 Dans la section locale de Charlottenburg-Wilmersdorf, à Berlin-Ouest, en septembre 2002, la prise de parole est critique à l’égard des dirigeants du parti, des organisateurs fédéraux de la campagne et du gouvernement rouge-rouge de Berlin. Ils sont nombreux en réunion de section à évoquer leur propre déception ou à relayer celle dont on leur a fait part. L’un se plaint des difficultés rencontrées actuellement pour percevoir les aides sociales allouées par la ville ; l’autre critique une députée de CDB qui a déclaré, alors que 10000 personnes, éducateurs et parents, sont en grève contre la privatisation des crèches, qu’une crèche privatisée fonctionne mieux. « Dans notre parti ! » Les responsables de section eux-mêmes se plaignent de ce que la fédération berlinoise ne remplit pas son rôle d’accompagnement critique du gouvernement. Emerge un consensus militant sur la nécessité d’un retour aux valeurs du PDS. A force de se conformer au système, le PDS est en train de suivre la même évolution que les Verts et ce n’est pas bon. Les militants qualifient les personnalités dirigeantes du PDS de vedettes (Prominente), déplorent la starification dans laquelle certaines se complaisent. Les instances supérieures du PDS ne sont pas assez offensives dans la campagne électorale, on ne parle pas assez du PDS dans les médias. A Rostock par exemple, les critiques adressées par la base aux dirigeants portent pour l’essentiel sur les conflits de personnel à la direction du parti. Montrer à l’opinion publique un profil uni est un critère de crédibilité important aux yeux de nombreux adhérents. Les militants se plaignent de ce que l’information descend difficilement jusqu’à eux, de dirigeants dont les disputes relayées par les médias nuissent parfois au travail local et de médias qui ignorent le PDS. L. Probst : « Wer ist die PDS- zum Beispiel in Rostock ? ». Zeitschrift für Parlamentsfragen, 2, 1997, pp. 216-229.

Page 296: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

282

culturelles aux problèmes politiques générés par la fusion902. La réunion d’investiture inaugure

un processus clos avec la victoire du PDS de Lichtenberg sur celui de Hohenschönhausen. Le

fait que G. Lötsch, chef de la section de Lichtenberg, prenne la direction des événements

augure de l’élection du maire de Lichtenberg W. Friedersdorff à la tête de l’arrondissement

fusionné, qui porte le nom de Lichtenberg.

Le fait que dans l’arrondissement occidental de Charlottenbourg-Wilmersdorf à

l’inverse la fusion ait été perçue comme une occasion de gagner en pouvoir (dans un premier

temps un moyen de remplir la liste électorale), confirme l’hypothèse des effets négatifs du

statut d’appareil du PDS à Lichtenberg.

De l’appareil de Lichtenberg au bricolage du PDS en territoire ennemi : Charlottenbourg-Wilmersdorf

A Berlin-Ouest, dans l’arrondissement Charlottenbourg-Wilmersdorf, la vie locale du

PDS est régie par l’économie du bricolage, un procédé qui vise à « ajuster ses différentes

ressources, horizons, règles et pratiques » afin d’optimiser les ressources disponibles et

permettre au parti d’en tirer le meilleur profit possible903. Le portrait du parti dans un contexte

occidental où il tente de sortir de la marginalité illustre le statut d’appareil du PDS à

Lichtenberg, tout autant que ses retombées positives sur l’ensemble du parti.

Le bricolage des listes électorales

Le PDS est représenté au conseil d’arrondissement de Charlottenbourg-Wilmersdorf,

comme dans certains autres arrondissements de Berlin-Ouest, depuis 1999. La CDU et le

SPD, même s’ils se partagent près de deux tiers des suffrages, ne parviennent pas à une

hégémonie similaire à celle du PDS à Lichtenberg. Le conseil de Charlottenbourg-

Wilmersdorf offre ainsi un profil plus composite904.

902 Les habitants de Hohenschönhausen ont une bien piètre opinion des Lichtenbergeois, qui ignorent à leur tour que Hohenschönhausen a une identité et une histoire propres. « Lichtenberg en soi est déjà un peu moins esthétique, les gens se comportent plus grossièrement les uns envers les autres » (T. Kay, Hohenschönhausen). O. (Hohenschönhausen) évoque quant à elle une volonté plus marquée à Hohenschönhausen « de s’entendre », une manière plus consensuelle de procéder en politique comme dans les relations personnelles. Utilisant le même argument pour caractériser son arrondissement (les hommes politiques de Lichtenberg ont une culture du compromis alors que ceux de Hohenschönhausen privilégient la confrontation politique), le maire de Lichtenberg achève d’ôter toute crédibilité à un raisonnement basé sur une différence de mentalités. Interview de Friedersdorff dans le Berliner Kurier du 11.12.2001 903 F. Sawicki: Les réseaux du Parti Socialiste. Sociologie d’un milieu partisan. Belin, 1997, p. 37. 904 Voir également Annexes 3, Charlottenbourg-Wilmersdorf, tableau 10.

Page 297: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

283

Graphique 21- Composition du conseil d’arrondissement de Charlottenbourg-Wilmersdorf en 2001

2

18

20

7

8

PDS CDU SPD FDP B90/G

L’absence de différenciation interne révèle la faible implantation du PDS à

Charlottenbourg-Wilmersdorf905. L’élu au conseil d’arrondissement, Jürgen Hornig, assume

dans les faits les fonctions de chef de section. Il éclaire les mécanismes internes de

fonctionnement du conseil de Charlottenbourg-Wilmersdorf, en évoquant dans un premier

temps les difficultés rencontrées pour trouver des candidats aux élections locales de 1999.

L’ampleur de la tâche dévolue à un conseiller d’arrondissement fait peur à un personnel

novice qui manque d’expérience.

« Dans l’arrondissement, personne n’avait d’expérience et pour le profane, une situation se profilait où

on pouvait dire : il y a une chance que nous y entrions. Mais pour les quelques adhérents que comptait

l’arrondissement, cela se présentait différemment. Ils disaient : le danger existe que nous soyons

représentés. Et celui qui est sur la liste sera alors obligé d’y aller, il sera redevable de tout le travail,

devra, combattant isolé, faire bonne figure au sein d’un conseil dominé par la CDU et doit donc avoir de

l’expérience. C’était une situation dont personne ne voulait. »

Devant la nécessité de remplir la liste et en raison des difficultés liées à un recrutement

local, J. Hornig émigre de Lichtenberg et se retrouve propulsé tête de liste dans

l’arrondissement occidental.

« Et comme je travaillais ici… A Lichtenberg, nous avions bien sûr des gens prêts à sauter sur le poste,

il y a en avait naturellement bien assez, qui avaient de l’expérience et souhaitaient se porter candidats,

que je me suis dit : que j’accepte ou non un poste à Lichtenberg, cela ne représente aucun danger pour

Lichtenberg. Alors j’ai téléphoné aux camarades ici [Charlottenbourg-Wilmersdorf] et leur ai dit que je

réfléchissais à leur apporter mon soutien en me présentant. Et je me suis trouvé piégé. »

Dans ce contexte de pénurie, la perspective de la fusion des arrondissements de

Charlottenbourg et de Wilmersdorf apparaît comme une opportunité de présenter une liste

électorale complète. Elle s’intègre dans une réflexion stratégique primordiale pour

l’élaboration des candidatures.

905 Voir M. Offerlé : Les partis politiques. PUF, 1987.

Page 298: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

284

« Dans les arrondissements qui allaient fusionner, il était possible de présenter le même candidat dans

chaque arrondissement. Il y avait une règle particulière en ce sens. Mais on ne l’avait pas suffisamment

étudiée. Si le candidat est élu, son mandat devient effectif dans l’arrondissement où il a remporté le plus

de voix. Charlottenbourg est un peu plus grand que Wilmersdorf et le potentiel de gauche y est aussi

plus important. Il était évident que nous aurions plus de voix à Charlottenbourg qu’à Wilmersdorf. C’est

pourquoi, alors que je figurais sur les deux listes, je n’ai pas pu choisir l’arrondissement dans lequel

j’allais exercer mon mandat. »

Consécutivement à l’élection de J. Hornig à Charlottenbourg, par une suite de

retournements de situation emblématiques du bricolage, c’est suite au désistement des

deuxième et troisième candidats qu’il revient par accident au numéro 4 de la liste d’assumer le

mandat.

« A Wilmersdorf, la camarade numéro deux sur la liste ne pouvait pas accepter le mandat parce qu’elle

avait travaillé pour la Stasi906. C’est toujours comme cela au PDS : lorsque l’on veut diffamer

quelqu’un, on demande : qu’as-tu fait dans le passé ? Et ces personnes n’ont plus d’avenir politique à

cause de leur passé. Pour cette raison, [C. Hildebrandt] avait dit : vous pouvez inscrire mon nom sur la

liste, pour la remplir, en numéro 2, aucun problème, mais je ne peux pas exercer le mandat. La troisième

sur la liste avait été convaincue d’urgence, car il nous fallait un candidat en plus. Elle n’était même pas

adhérente à l’époque, c’était une simple sympathisante et elle a accepté uniquement pour que la liste

soit complète. On était persuadé qu’en tant que troisième sur la liste, elle n’entrerait pas au conseil. Elle

ne risquait rien. Mais lorsque j’ai été élu à Wilmersdorf et donc rayé des listes de Charlottenbourg,

comme Connie [C. Hildebrandt] ne pouvait pas, la troisième s’est retrouvée en tête et elle a dit : non, ce

n’est pas possible. Alors on a organisé une séance de crise pour convaincre le numéro quatre sur la liste,

un vieux camarade, un vieux de la vieille ici, d’accepter le mandat. Il a sauvé le PDS à Charlottenbourg

qui se serait dissout si les derniers ne s’étaient pas montrés solidaires. »

Le souci de normalité qui émerge des propos de J. Hornig témoigne en outre d’une

conception du rôle qui incombe au PDS, propre au rapport de forces lichtenbergeois.

« Il a été très difficile de remplir la liste, pour qu’au moins trois noms apparaissent sur le bulletin de

vote, de sorte que l’électeur voit que nous avons une liste comme toutes les autres907. Parce que si il y a

seulement un nom, l’électeur sait : il n’y en a qu’un, je ne peux pas voter pour lui, il n’aura aucun poids.

Mais si on voit une liste complète, alors on sait qu’il s’agit d’un parti comme les autres, on peut voter

pour lui. »

906 Il s’agit de Cornelia Hildebrandt, salariée de la Fondation Rosa Luxembourg, qui co-dirige officieusement du moins la fédération locale. Ancienne membre de la direction de la fédération berlinoise, elle a démissionné de ces fonctions, après que la fédération s’est vue accusée d’avoir tardé à rendre publique l’activité de Hildebrandt pour la Stasi. 907 Seuls les noms des trois premiers candidats figurent sur le bulletin de vote.

Page 299: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

285

L’exercice du mandat de conseiller d’arrondissement

Au sein du conseil d’arrondissement, J. Hornig se plaint d’être mis à l’écart, en raison

du profil de la CDU à Charlottenbourg. Il envie la situation de son collègue élu PDS dans

l’arrondissement voisin de Wilmersdorf. J. Hornig dit s’être battu pour obtenir un bureau et a

vu son droit de participer à des commissions limité à une seule, alors que la loi prévoit que les

élus « sans fraction » (fraktionslos)908, c’est-à-dire qui sont les seuls représentants de leur parti

au sein d’une assemblée, ont le droit de siéger au moins à une commission. Il évoque

néanmoins comme une ressource une solidarité de gauche avec le SPD et les Verts.

Le fort sentiment d’allégeance au parti ressenti par J. Hornig échappe aux contraintes

territoriales. Envoyé à l’Ouest pour construire à long terme, il ressent les manques de moyens

comme un obstacle à la pleine réalisation de sa tâche. Son statut de pionner accroît ses

capacités de négociations et de marchandage. Cette liberté des alliances et décisions, qui

constitue une ressource, est pourtant perçue par lui, à la lumière de son expérience à

Lichtenberg, comme une contrainte.

J. Hornig est persuadé de jouer un rôle de pionnier, certes ingrat mais indispensable à

l’expansion de son parti. Il souhaite créer à l’Ouest les conditions de l’implantation de son

parti. Il a le sentiment d’accomplir une mission avant tout car, dit-il, il ne fait pas partie de

ceux qui considèrent que le PDS, n’étant « jamais que le médecin au chevet du

capitalisme mourant », est inutile.

« Bien sûr lorsque l’on pense à long terme, certains problèmes structurels dont souffre cette société

doivent être résolus. Il le faut, car le capital seul ne garantit aucune évolution de la société en soi. C’est

contradictoire. Il faut créer des changements. Mais nous ne pouvons pas les accomplir individuellement

dans chaque commune, la révolution mondiale ne peut être proclamée dans une seule commune.

Deuxièmement, nous ne pourrons pas faire patienter les gens en leur disant : attendez un peu que nous

fassions la révolution dans cent ans ; d’ici là il faut que vous alliez aussi mal que possible pour

engendrer la révolution à l’échelle de la planète. Ce n’est ni ma position ni celle du PDS. Nous devons

travailler avec les gens, nous devons essayer de leur procurer le meilleur, y compris contre la résistance

des autres et nous devons faire en sorte d’acquérir de la compétence pour créer une société meilleure. Et

cela ne peut pas venir de l’extérieur, sans participer aux problèmes de la société, seulement en avançant

des propos intelligents. C’est pour ces raisons qu’il faut aller à l’intérieur, qu’il faut construire le parti à

partir de sa base, dans les communes, gagner la confiance des gens. On y arrive à l’Est. »

908 Dans le contexte communal, nous conservons l’usage germanisant du terme de fraction pour le distinguer du contexte des assemblées législatives régionales et fédérale, au sujet desquelles nous employons le terme de groupe parlementaire.

Page 300: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

286

Au-delà de la rhétorique révolutionnaire, cet exemple illustre l’influence de la tradition

politique de l’arrondissement et du rapport de force politique local sur la gestion d’une

présence hérétique au sein du conseil d’arrondissement. Ainsi, les quelques données socio-

économiques compilées ci-dessous indiquent que les arrondissements centraux sont plus

densément peuplés que leurs pendants en périphérie et sont davantage tributaires des aides

sociales versées par l’Etat.

Portrait d’une section locale et occidentale

Le PDS de Charlottenbourg-Wilmersdorf, c’est Lichtenberg sans les moyens en matière

de personnel et de structure, comme le montre le fonctionnement de sa section locale, qui

compte 40 adhérents909. Ses militants et dirigeants répondent à cette confidentialité par une

plus grande transparence de leurs actions comme de la présentation du projet néo-socialiste

ainsi que par une grande disponibilité.

L’observation de deux réunions de la section du PDS à Charlottenbourg-Wilmersdorf en

pleine campagne des élections législatives de septembre 2002 esquisse certaines

caractéristiques du parti à cet endroit910.

L’ambiance est à la mobilisation car les promesses de vote pour G. Schröder, le candidat social-

démocrate, sont en hausse, surtout dans les nouveaux Länder. La situation risque de coûter cher à un

PDS qui passe sous la barre des 5% dans les sondages.

Entre 14 et 17 personnes sont présentes aux deux réunions. Quelques sympathisants participent en tant

qu’invités. Quatre personnes sont âgées d’une petite vingtaine d’années, la moitié est au moins

cinquantenaire. La minorité restante, parmi lesquels les dirigeants, se situe entre les deux. Il y a autant

de femmes que d’hommes, une parité que l’on retrouve d’ailleurs chez les dirigeants et élus911.

Sont présents : un avocat en costume-cravate originaire de l’Ouest, deux hommes âgés qui parlent fort

dans un coin (l’un d’entre eux, se plaignant de ne pas tout entendre à cause de son appareil auditif,

intervient pour demander aux participants de parler plus fort), un artiste écologiste portant un tee-shirt

909 Les adhésions au PDS à Charlottennbourg-Wilmersdorf chutent en 1993, remontent avec les succès de 1994, reprennent en 1997-1998. La coalition berlinoise déçoit et, elles baissent à nouveau à partir de 2000. Voir Annexes 3, Charlottenbourg-Wilmersdorf, graphique 12. Une comparaison de l’évolution du nombre de militants du PDS à Berlin, à Lichtenberg et à Charlottenbourg met en avant, outre l’évidente minorité des adhérents occidentaux et la baisse continue du nombre d’adhérents berlinois et ses répercussions diluées sur Lichtenberg, la relative stabilité de la section occidentale. Voir Annexes 3, Charlottenbourg-Wilmersdorf, graphique 13. 910 Pour J. Hornig, les séances « sont publiques pour que les gens viennent ». Nous avons assisté à deux réunions à quinze jours d’intervalle les jeudi 22.08 et 5.09 2002 de 19h30 à 22h00-22h30. Les séances se finissent souvent au café devant une bière. Au cours de la première, nous avons distribué un questionnaire aux militants. Seuls quatre ont été retournés lors de la seconde séance. 911 Au 21.12.2002, 45,7% des adhérents du PDS sont des femmes (contre 36,2 pour les écologistes, près de 30 pour le SPD et 25 pour la CDU). 3/6 des sièges européens, 2/2 au Bundestag, environ 50% pour le reste des mandats de députés régionaux sont détenus par des femmes. (http://sozialisten.de/partei/daten/frauenanteil/index.htm, 10.06.2005).

Page 301: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

287

anti-nucléaire, un jeune homme avec une coiffure bigarrée, un quarantenaire originaire de l’ouest

habillé en treillis de chasse avec sa trousse, son classeur, ses lunettes bariolées et sa barbe de trois jours.

La réunion frappe par la qualité du débat ainsi que le degré d’instruction générale des participants. Alors

qu’un militant s’interroge sur la tranche d’âge concernée par la fête organisée par le parti (il se demande

s’il peut y convier sa fille), la réponse fuse de la candidate à la députation : « primo-votants »

(Jungwähler)912 alors que son organisateur répond dans le même temps : les 15-25 ans. Le déroulement

est discipliné (hiérarchisation des thèmes évoqués, ton mesuré), les participants respectueux du temps

de parole, même leur chef lève la main lorsqu’il souhaite s’exprimer. La hiérarchie est peu marquée et

la tête de liste, présente, contredite sans vergogne.

La section se distingue néanmoins par son caractère d’outsider, au sens de non favori. Les élections

s’annoncent mal pour le PDS et les militants investissent dès le vendredi, les places publiques et autres

lieux de rassemblement de leur arrondissement pour le week-end. Ils se répartissent le collage des

affiches, se succédant par tranche de deux heures sur les lieux de permanences, chacun acceptant de

remplir au moins l’une de ces tâches. Une bonne heure de réunion est ainsi consacrée à cette

organisation (distribution des permanences sur les stands de campagne tenus dans la rue). Les militants

présents se sentent oubliés par les matadors et chefs de campagne du parti et se font leur propre place

dans la campagne, décidant de la dépersonnaliser après la démission de G. Gysi. Ils relaient néanmoins

la campagne décidée par les dirigeants, s’accordant à la quasi-unanimité pour distribuer les invitations à

la grande soirée de lancement de la campagne à des gens de leur connaissance, afin de promouvoir leur

organisation, une « initiation qui permet de créer un lien non engageant avec le parti » explique la chef

(C. Hildebrandt). L’argument convainc et les militants acceptent de céder leur invitation.

L’économie du bricolage gère les aspects organisationnels en tout genre. La personne ayant hébergé

dans son salon la centrale de la campagne l’année précédente souhaite passer la main, le QG se tiendra

donc cette année dans la salle à manger de la famille X. La section locale doit également pallier les

défaillances ou négligences infrastructurelles des instances fédérales du parti. Par exemple, les tracts de

campagne ne sont arrivés à la permanence qu’un mois avant le jour du vote. B., le cadet élu au conseil

d’arrondissement, part coller des affiches en début de réunion pour une fête que le parti organise le

lendemain pour les jeunes, « parce que demain, il sera trop tard ».

A l’exception de la présence marquée de Neues Deutschland, ancien organe du SED et quotidien

officieux du PDS (une militante note les dates de réunion et de permanence sur un calendrier estampillé

ND), aucune trace du SED ou de la RDA n’est visible. Les seules initiales ND désignent le quotidien ;

l’emploi des termes « socialisme » et « justice sociale » remplacent le terme de communisme. La

distance à l’Est est perceptible à travers une seule exclamation : « Pankow, trou du cul du monde !»

L’arrondissement de Pankow, situé au nord-est de Berlin, dans la petite couronne, semble ici bien

lointain.

912 Le terme désigne un citoyen qui, accédant à la majorité, est invité à voter pour la première fois.

Page 302: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

288

Autant d’éléments qui distinguent la section locale du PDS à Charlottenbourg-

Wilmersdorf de la machine réactionnaire de Lichtenberg913. Les incidences de la position de

force du PDS sur les interactions du conseil d’arrondissement de Lichtenberg ne sont de ce

fait pas à sous-estimer, y compris lorsqu’elles sont tributaires de la présence d’un élu

d’extrême droite, T. Kay de REP.

913 Une impression relayée par les dires des militants des deux arrondissements. Interrogés d’ailleurs sur ce qui leur déplait le plus au PDS, les militants de Charlottenbourg-Wilmersdorf répondent un manque de discipline qui met en danger les objectifs du parti. A Lichtenberg, on désapprouve par contre le manque d’ouverture de certains et un mode de pensée dogmatique (ce qui renforce le caractère d’appareil du parti en ce lieu) ainsi que la mauvaise image que les médias donnent du parti.

Interrogés par nos soins par l’intermédiaire d’un questionnaire écrit, sur ce qui leur manque au PDS, les militants de Charlottenbourg-Wilmersdorf regrettent l’absence de vision théorique de la société qui serve de modèle à la mise en place d’un modèle de société réalisable, l’absence de confrontation critique et d’un positionnement clair et appréhensible par les citoyens au sujet de l’unification. Ce qui leur tient le plus à cœur au PDS ? Un mélange de respect des valeurs de la démocratie et de démagogie à l’Ouest (proximité avec les citoyens, justice sociale, combat commun, possibilité de vivre pleinement ses objectifs sociaux), des relents anti-passéistes et anticapitalistes à Lichtenberg (parti orienté vers l’avenir, qui « n’abandonne pas contrairement à certains autres ses principes et privilégie l’approche humaine aux prétendues lois naturelles de l’économie de marché »).

Page 303: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

289

Section 2 L’affrontement entre le PDS et un élu Republikaner au sein du conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen

1679. C’est le nombre de voix qui permet à Thomas Kay des Republikaner d’obtenir un

siège au sein du conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen en 1999914. Il reste conseiller

d’arrondissement jusqu’aux élections anticipées d’octobre 2001, même après avoir

démissionné de son parti. L’analyse porte majoritairement sur l’arrondissement de

Hohenschönhausen et la période précédant la fusion des arrondissements ; pour l’année 2001,

elle concerne néanmoins le grand arrondissement Lichtenberg.

Employé d’une grande banque, T. Kay, alors âgé de 30 ans, est l’ancien président de

l’organisation de jeunesse des Republikaner, la « Jeunesse Républicaine » (Republikanische

Jugend) et membre du comité directeur de la fédération berlinoise. En 1998, il est numéro 4

de la liste régionale des REP pour les élections fédérales. En 2001, il prend la direction de la

section locale de Hohenschönhausen.

Le poids du PDS à Hohenschönhausen est pourtant une nouveauté. L’évolution de la

composition des conseils depuis l’unification est marquée par la montée du PDS,

parallèlement à la quasi-disparition d’une représentation écologiste. Tout au long du XXème

siècle, Lichtenberg connaît une tradition sociale-démocrate, exception faite de la période de la

RDA qui installe un maire SED dans l’arrondissement. Le maire du SED/PDS élu avant

l’unification est remplacé par le SPD en 1990 (C. Kind jusqu’en 1992). La mairie connaît

ensuite un intermède écologiste de 1992 à 1995 avec G. Mucha à sa tête, alors même que le

PDS est en tête à l’issue des premières élections communales pan-berlinoises.

Dans le conseil précédent (1995-1999), les sièges cumulés de la CDU (11), du SPD (9)

et des Verts (4) dépassaient le nombre de ceux (21) qui revenaient au PDS915. Elu avec 3,5%

des voix en 1999, T. Kay prend ses fonctions au sein du conseil d’arrondissement dominé par

914 Voir l’introduction générale pour une présentation des REP. L’analyse développée dans cette section recoupe les rares informations glanées dans la presse écrite avec de nombreuses sources primaires écrites (archives administratives du conseil d’arrondissement) et surtout orales (interview de T. Kay, du fonctionnaire des REP qui lui a succédé à la tête de l’organisation de jeunesse des REP, T. Weisbrich, de membres du conseil toutes fractions confondues Geisel (SPD), Hoffmann (CDU), les maires Grygier et Friedersdorff (PDS), d’acteurs politiques et administratifs locaux comme Gabelin, O., Petermann ainsi que de députés régionaux élus dans la circonscription tels que Flemming (SPD) et Hopfmann). 915 Voir Annexes 3, graphiques 9 à 11 pour la composition du conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen de 1990 à 1999.

Page 304: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

290

le PDS. Avec 15 sièges sur 28, les néo-socialistes y bénéficient de la majorité absolue. La

fraction chrétienne-démocrate constitue un pendant bien faible avec 8 mandats, même en y

ajoutant les 4 sièges du SPD.

Tableau 19- Résultats des élections berlinoises de 1999 et nombre de mandats équivalent

en % des suffrages exprimés

Nombre de mandats de conseiller

PDS 46.9 15 CDU 26.0 8 SPD 15.3 4 REP 3.5 1 B90/G. 2.4 - NPD 2.0 - Total 28

PDSCDU

SPD REP

PDS CDU SPD REP

Graphique 22- Répartition des sièges au conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen en 1999

Page 305: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

L’importance du PDS dans l’arrondissement laisse imaginer qu’un représentant de

l’extrême droite ne saurait s’y sentir autrement que comme le « jobard » du conseil

d’arrondissement, c’est-à-dire « la victime, actuelle ou virtuelle, de formes concertées

d’exploitation illégale »916. Incapable, face à T. Kay, d’appliquer la ligne prônée par son parti,

l’agent du PDS devient lui-même jobard, en cela qu’il se compromet « sinon aux yeux

d’autrui, du moins à ses propres yeux » 917.

La présence de Kay n’est pas le problème majeur d’une législature marquée par la

préparation de la fusion et les restrictions budgétaires consécutives de la mise en faillite de

Berlin. Elle constitue tout au plus un obstacle au bon fonctionnement des séances de travail.

Aux yeux des agents du PDS, l’extrême droite remporterait une victoire si T. Kay réussissait à

troubler l’ordre du déroulement des séances. Dès lors, l’objectif du parti local est d’user de

son pouvoir structurant pour maintenir l’ordre. Sa stratégie visant à accomplir son devoir

malgré les ingérences de l’élu d’extrême droite, le conseil d’arrondissement cherche

davantage à ignorer l’élu qu’à l’affronter.

916 E. Goffman : « Calmer le jobard: Quelques aspects de l’adaptation à l’échec» in E. Goffmann : Le parler frais d’E. Goffman. Les Editions de Minuit, 1969, pp. 277-300, p. 277. 917 E. Goffman, op. cit., respectivement p. 295 et p. 280.

Page 306: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

292

A) Les effets rayonnants du port du stigmate. Les enjeux de la présence d’un « Républicain » au royaume du PDS

Au royaume du PDS, un élu d’extrême droite, seul, est d’emblée stigmatisé. Parce qu’il

appartient à l’extrême droite, les effets stigmatisants de son élection rayonnent sur l’ensemble

du conseil d’arrondissement. Les interactions qui ont lieu au sein du conseil d’arrondissement

montrent que le port du stigmate a des effets contraignants sur l’ensemble du conseil. A titre

individuel, T. Kay n’est pas à proprement parler stigmatisé par les conseillers

d’arrondissement. Les tentatives du PDS pour étouffer sa présence ont par contre un effet

structurant sur son action, car elles l’aident à se positionner sur l’échiquier politique en lui

offrant de s’attacher le soutien de ceux qui souffrent de la suprématie du PDS dans le jeu

politique local.

Si la seule présence de T. Kay suffit à désorganiser le déroulement des séances du conseil, la

capacité de brouillage des frontières partisanes du personnage politique qu’il incarne insuffle

du désordre à une mise en scène routinisée. Faut-il interpréter l’entrain de T. Kay à troubler

l’ordre politique seulement comme une tentative visant à inverser le processus de

stigmatisation en sa faveur?

La solitude d’un élu d’extrême droite …

L’élu des Republikaner T. Kay est isolé au sein du conseil d’arrondissement d’abord en

raison de son appartenance à l’extrême droite, ensuite car c’est le seul représentant de son

parti parmi des conseillers à majorité néo-socialiste.

… « sans fraction »…

La stigmatisation de T. Kay est accentuée par les contraintes que le jeu politique fait

peser sur l’ensemble des acteurs. Ces contraintes sont plus intensément ressenties lorsque

l’élu est « sans fraction », c’est-à-dire qu’il est le seul représentant de son parti au sein d’une

assemblée. Parmi les éléments restreignant l’activité politique de T. Kay au sein du conseil

d’arrondissement, il s’agit ici de déterminer ce qui relève de l’extrême droite et ce qui tient au

caractère solitaire des élus « sans fraction ». Une distinction que le détour par

l’arrondissement de Charlottenbourg-Wilmersdorf effectué plus haut ne nous a pas permis

d’opérer. Nous y avons en effet vu que J. Hornig, seul élu PDS dans un arrondissement

conservateur, se sent lui aussi stigmatisé.

Page 307: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

293

En tant que seul élu de son parti, la capacité d’action de T. Kay est, certes modérément,

restreinte. Seul, il ne bénéficie en effet pas du statut de fraction, qui accorde le droit de vote

au sein des commissions. Face à des fractions constituées, il ne peut s’allier, même

artificiellement, à d’autres députés pour former une fraction. Sa participation est limitée

uniquement en ce qui concerne les commissions. Il a le droit de siéger au moins à une

commission, mais n’y dispose pas du droit de vote. Comme tout député, il peut par contre

voter en séance plénière (Plenum), déposer des motions et des questions au conseil. Un temps

de parole lui est également imparti.

L’étude des initiatives déposées par Kay pour l’année 2001 atteste du fait que

l’amélioration de son statut constitue l’une de ses préoccupations principales. Sur 30

propositions, 13 touchent à un changement du règlement intérieur du conseil. Soit elles

concernent le fonctionnement des fractions et les conditions d’accès à ce statut, soit elles

demandent confirmation des droits des « sans fraction ». Si cette remise en question du

caractère effectivement démocratique du fonctionnement de l’arène politique est courant à

l’extrême droite, ce procédé atteste également de l’intériorisation du port du stigmate et de sa

gestion à titre individuel. Ce dont attestent les initiatives politiques de Kay, qui oscillent entre

volonté de se conformer et de se distinguer.

L’activité de Kay correspond en bien des points à la double stratégie des députés

frontistes français analysée par G. Birenbaum918. Les initiatives parlementaires des députés du

Front National français visent non seulement à faciliter l’intégration de leur parti dans le jeu

institutionnel, mais également à l’en démarquer, en le mettant en scène comme le parti tribun

de l’Assemblée. Dans ce but, les députés « durs » et « modérés » se répartissent les tâches919.

Les députés les moins marqués du Front National « flirtent avec la légitimité » avec un

« souci pointilleux de faire appliquer le règlement. ». T. Kay, lui, doit répondre seul à ces

exigences, ce qui explique qu’il défende tour à tour des positions tranchées et convenues.

Au-delà de son appartenance à l’extrême droite, T. Kay justifie le manque de visibilité

de son action par la marge de manœuvre limitée de l’action communale. Le conseil a peu

918 G. Birenbaum : Le Front National en politique. Ed. Balland 1992. L’analyse porte sur l’entrée du FN à l’Assemblée Nationale en 1986. 919 Les « durs » « seraient tous virulents, extrémistes et partisans d’un FN arc-bouté sur ses positions originelles. De l’autre côté, voilà les modernes, parachutés au premier plan, offrant au FN, en échange d’un mandat, leur passé ou leur virginité politique, leurs compétences et leur légitimité : ces modérés, possédant seuls la maîtrise d’un discours politique plus neutre, voudraient transformer le FN en un parti de rassemblement, ouvert vers la droite classique, dégagé de ses options extrémistes. » G. Birenbaum : op. cit., pp. 96-97.

Page 308: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

294

d’influence, c’est l’action de l’administration qui est déterminante. Le travail du conseil

consisterait donc selon lui à stimuler et à contrôler l'action de l'administration.

Le statut des arrondissements berlinois diffère de celui des communes en cela que,

échappant au statut de « communes indépendantes » (selbstständige Gemeinde), ils ne sont

pas souverains, y compris en ce qui concerne leurs finances. Ils appliquent localement les lois

et décrets du Sénat920. La gestion de l’arrondissement est prise en charge par l’administration

de l’arrondissement (Bezirksamt) dirigée par le maire (pouvoir exécutif) et le conseil

d’arrondissement (BVV-Bezirksverordnetenversammlung, pouvoir législatif). Les

administrations d’arrondissements sont soumises au contrôle du Sénat. Le conseil

d’arrondissement pour sa part demeure libre de prendre des décisions. Il est néanmoins

restreint dans cette démarche par le budget qui lui est alloué921.

En utilisant l’argument de la marge de manœuvre limitée du conseil d’arrondissement,

l’élu des REP se défausse de son manque de visibilité publique. Il estime également que les

médias boycottent son action922. La dénonciation du boycott médiatique est un classique de la

propagande des REP923, comme en témoigne son collègue T. Weisbrich :

« En tant que REP, vous n’avez aucune possibilité de vous présenter dans les médias, quelle qu’en soit

la forme. Lorsqu’il arrive qu’ils parlent de nous, c’est forcément de manière négative. J’ai appris par

une étudiante en journalisme qu’il existe au sein de chaque journal un organe qui veille à ce que les

publications traitant des partis d’extrême droite soient perçues de manière négative, que ce qui se passe

au cours d’une quelconque manifestation soit commenté péjorativement. Et si l’on ne peut pas en

témoigner négativement, alors on n’en parle pas. Par exemple, nous avons manifesté avec la Jeunesse

[Républicaine] contre l’intolérance et la violence. Personne n’en a parlé, alors que ce serait bien que le

citoyen puisse penser : eux aussi sont contre l’intolérance ou la haine et la violence, eux aussi ne

920 Précisons que la politique communale est l’affaire des Länder (article 28 de la Loi fondamentale). Chaque Land adopte des dispositions qui précisent le rôle des communes. Dans le cas de Berlin, à la fois ville et Land, la répartition des attributions entre le pouvoir régional (composé du Parlement, c’est-à-dire de la Chambre des Députés et du gouvernement, c’est-à-dire du Sénat) et le pouvoir local (des BVV ou conseils communaux) est plus complexe. Sur ces questions, voir H.-G. Wehling, A. Kost : Komunalpolitik in den deutschen Ländern. Eine Einführung. Wiesbaden : Westdeutscher Verlag, 2003. 921 Ajoutons que le maire d’arrondissement est élu par l’assemblée locale, ses adjoints à la proportionnelle et les deux bénéficient du statut de fonctionnaires. Se référer à P. Massing : « Land Berlin » in U. Andersen, W. Woyke (dir) : Handwörterbuch des politischen Systems der Bundesrepublik Deutschland. Bonn : Bundeszentrale für politische Bildung. 1997, pp. 263- 271. 922 Il rapporte qu’un élu du SPD lui aurait dit un jour, que Kay recueillerait autour de 20% des suffrages s’il bénéficiait d’une couverture médiatique importante. 923 Voir par exemple sur les relations entre le FN et les médias, J. Le Bohec : Les interactions entre les journalistes et J.-M. Le Pen. Vol. 2, L’Harmattan, 2004.

Page 309: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

295

désirent rien d’autre que la paix. Mais si cela arrivait, cela pourrait ouvrir une brèche dans les structures

dominantes du pouvoir. »924

L’insistance de Kay à vouloir faire évoluer son statut de « sans fraction » s’explique par

le fait qu’il est le seul conseiller à avoir ce statut et que les autres fractions n’hésitent pas à

utiliser cet argument contre lui. Il suffit au conseil de modifier le changement du statut des

« sans fraction » pour restreindre la marge de manœuvre de Kay. Ainsi, le 3 mars 2000, les

Verts se plaignent de la tribune offerte à l’élu des REP par le conseil d’arrondissement dans sa

gazette (Hohenschönhausener Lokalblatt). Ils reprochent son inconséquence à un PDS qui

proteste contre les défilés du NPD mais laisse T. Kay publier dans la gazette, sous prétexte

que chaque représentant élu en a le droit. Kay s’était en effet amusé qu’une école ait été

baptisée du nom d’Oskar Schindler925. L’école, soutenue par l’administration locale dans le

choix du nom, finit par porter plainte contre Kay pour propos injurieux. Pourtant, l’écologiste

M. Gartner estime que Kay ne disposerait d’aucun recours juridique dans le cas où on lui

refuserait l’usage de ce droit de publication. Il n’y aurait donc selon lui aucune raison valable

de lui interdire de publier des propos antisémites. Le SPD essaie en réponse de faire adopter

une motion accordant aux seules fractions un droit de publication dans la gazette locale. La

motion n’est pas soutenue par le PDS et la CDU, qui sont contre une interdiction de ce type et

annoncent leur intention d’utiliser leur droit de réponse dans le prochain numéro du journal.

… et en territoire ennemi

L’isolement de Kay est également géographique, en dépit des liens forts avec le

territoire de Hohenschönhausen qui sont prétextes à sa candidature. Comme motif à sa

candidature dans cet arrondissement, il évoque des origines familiales, avant de convenir d’un

intérêt stratégique. En réalité, c’est parce qu’un gros potentiel, surtout auprès des jeunes, est

estimé à Hohenschönhausen (Kay l’estime à 10%) qu’il y a précisément brigué un mandat,

alors qu’il est né et habite à Berlin-Ouest926.

924 La présomption, toutefois non vérifiée, que la manifestation évoquée ici ait eu lieu un 9 novembre, jour de commémoration de la Nuit de cristal, se doit d’être évoquée. Ceci expliquerait le fait que l’événement évoqué ci-dessus, devenu alors synonyme de provocation, ne soit pas couvert par les médias. 925 La trajectoire de ce « juste », qui a évité à des juifs le camp de concentration en leur offrant de travailler dans ses usines, a été rendue célèbre par le film La liste de Schindler de Steven Spielberg. 926 Né à Berlin-Ouest (Steglitz), il y a grandi (Tempelhof et Wilmersdorf) et y habite.

Page 310: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

296

« TK : J’ai été élu là [à Hohenschönhausen] et très moqué par le PDS parce que je ne suis pas originaire

de Hohenschönhausen, mais de Steglitz.[....]

Question : Comment s’est passé le contact avec les habitants de Hohenschönhausen?

TK : Que voulez-vous dire [méfiant]?

Question : je veux dire que vous n’avez pas connu la RDA. Vous étiez citoyen de République fédérale.

TK: J’étais berlinois au SPD. J’ai une histoire avec cet arrondissement. Deux raisons m’ont poussé à

m’y porter candidat. Premièrement, ma famille est de Hohenschönhausen. Vous devez savoir que

Hohenschönhausen appartenait autrefois à Weißensee et ma famille est originaire de Wartenberg-

Weißensee. […] Il se trouve que les structures y étaient inexistantes. Alors, en tant que responsable de

la jeunesse j’ai dit : on met en place un partenariat pour l’arrondissement. Ca a fonctionné. Avec les

Jeunesses Républicaines, on en a fait un centre de gravité pour la campagne électorale.

Question : Pourquoi à Hohenschönhausen?

TK: On a pensé à mettre en place un partenariat parce qu’il n’y avait pas de structures, mais un gros

potentiel. »

L’intégration au tissu local constitue, pour un élu local, une condition essentielle

d’accès à la crédibilité. Ceci est d’autant plus nécessaire lorsque certains facteurs jouent en

faveur de sa mise à l’écart, notamment une assimilation à la catégorie « extrémisme », un

statut de « sans fraction » et un clivage Est/ Ouest défavorable à l’élu local. C’est le cas de T.

Kay à Hohenschönhausen et de l’élu J. Hornig (PDS). Parachuté dans un arrondissement

occidental (à Charlottenbourg), ce dernier s’efforce de s’approprier son nouveau territoire,

afin de se faire accepter par ses habitants.

« A l’Est, le PDS est pris au sérieux dans de nombreuses administrations et mairies. On vote pour lui.

Cette construction par le bas, en commençant par les communes pour arriver dans les parlements

régionaux, en attendant que l’acceptation se fasse également au Bundestag, il faut s’y atteler de manière

systématique, rassembler de l’expérience, se faire connaître des citoyens ; parce qu’un parti ne se fait

accepter que grâce aux personnes qui agissent. … Pour moi ça a été très difficile, je ne m’y retrouvais

absolument pas dans l’arrondissement. Si je ne peux pas mettre en branle de grands projets pour le

monde (ils n’intéressent pas le citoyen), il faut toujours que j’essaie de connaître l’arrondissement. C’est

pourquoi j’utilise tout simplement la possibilité d’assister à des commissions, qui siègent dans des lieux

divers, pour aller voir des projets en construction. Je vais regarder et j’ouvre le dialogue avec les gens.

C’est comme cela que l’on peut commencer à se faire accepter par les gens. »

Derrière cette appropriation géographique de l’arrondissement, on retrouve la

motivation de J. Hornig de faire accepter son parti en territoire étranger. La section locale de

Page 311: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

297

Berlin-Ouest doit selon lui servir de vitrine et encourager les militants des anciens Länder927.

Parce qu’une grande partie des luttes politiques a pour objet l’occupation légitime des postes,

cette volonté de T. Kay et de J. Hornig de se faire accepter en territoire ennemi se traduit par

une action politique qui œuvre en faveur du bien-être de la population locale.

Les tentatives d’accès à la représentation légitime par une action sociale

Le second domaine d’activité de T. Kay, après le fonctionnement du conseil, est la

politique familiale. Ses propositions dans ce domaine visent à améliorer l’image de

l’arrondissement en encourageant l’accueil de jeunes familles avec enfants. T. Kay essaie par

exemple d’attirer l’attention du conseil sur les inégalités existant dans l’arrondissement en

matière de santé. Sous prétexte de recréer un tissu social et associatif, il envisage la création

d’une association (Alliance pour la famille) pour organiser des tables rondes réunissant des

familles et les Eglises. Il suggère également une campagne de rajeunissement de

l’arrondissement, notamment une campagne de publicité pour les grands ensembles

(Plattenbauten), qui pourrait être sponsorisée par Coca-Cola928.

Le sort des propositions de T. Kay conditionné par la stigmatisation

Toute étude ou motion est susceptible d’être récupérée par T. Kay aussi sûrement que

ses motions par les autres fractions. Kay déplore que tout ce qui venait de lui ait été

« bloqué » alors qu’il « se donnait du mal pour ne pas traiter des thèmes de droite ». Dans la

majorité des cas, ses propositions sont effectivement bloquées. Deux logiques semblent guider

les décisions des élus du conseil face aux propositions de T. Kay: l’utilisation que ce dernier

pourrait en faire et l’image que leur adoption donnerait de l’arrondissement. Lorsque Kay

propose que l’arrondissement finance une étude portant sur les aspirations des adolescents et

jeunes adultes, sous prétexte d’estimer leurs besoins en termes d’infrastructures, le conseil

refuse. Il craint sans doute que les REP ne l’utilise pour recenser les points de rencontre des

adeptes de l’extrême droite, donc les zones où militer929. Kay sait en effet tirer profit des

927 La refonte et l’actualisation du site Internet où sont consultables les propositions et autres actions des élus, réalisés par l’élu lui-même (sur l’ordinateur prêté par son entreprise) en attestent. 928 Les cotes indiquées ici correspondent au classement officiel de l’administration de l’arrondissement de Lichtenberg. Le premier chiffre correspond à la période législative. Drs Nr IV/ 93. 929 Proposition Drs Nr IV/ 92. Tels se sont par ailleurs avérés être les effets pervers (au sens de non prévus) de l’étude pilote. Voir le chapitre 5, section 2. De même, il semble que le conseil craigne les retombées d’un rapport demandé par T. Kay (Drs Nr IV/ 301) sur l’ampleur de l’action Noteingang, « Entrée de secours» à Lichtenberg. Cette action, soutenue par les pouvoirs publics, propose que les lieux publics soient marqués d’un autocollant indiquant que le bâtiment offre « information et protection contre les attaques racistes et fascistes ». En février

Page 312: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

298

séances (publiques) du conseil d’arrondissement d’une part pour soumettre au débat des

problématiques chères à son parti, d’autre part pour endosser le costume du défenseur de

l’image de l’arrondissement et de sa population930. Il sait tourner à son avantage des situations

a priori peu valorisantes pour lui. Il aurait ainsi proposé à B. Wagner, responsable de l’étude

sur l’extrême droite dans l’arrondissement en qualité de directeur du Centre pour la culture

démocratique (ZdK), de l’aider à libérer son parti, les REP, de ses composantes extrémistes931.

Une réaction à ces propositions solutionnée par la déstigmatisation

Certaines initiatives de T. Kay passent par un processus de déstigmatisation, pour

pouvoir être votées par le conseil. Leur vote est conditionné par une retraduction dont le but

est de gommer toute trace de la paternité de T. Kay. Il arrive alors, à titre exceptionnel, qu’au

terme d’un long parcours procédural et de nombreuses modifications, parfois avec l’appui de

la CDU, une proposition émanant de Kay soit adoptée.

C’est le cas d’une proposition visant à récompenser d’une prime les parents donnant

naissance à un enfant dans l’arrondissement. S’appuyant sur une note de l’administration

déplorant le faible taux de naissance de l’arrondissement, Kay propose le 21 février 2001 que

le conseil adopte des mesures (touchant aux politiques du logement et de la famille)

susceptibles d’attirer à Hohenschönhausen de jeunes familles avec enfants. Celles-ci doivent,

précise-t-il, respecter « une évolution socio-culturelle diversifiée ». La motion est renvoyée en

commission de la jeunesse deux mois plus tard. En juin, elle reste en attente ; Kay la relance

en évoquant une diversification « sociale ». Soumise au vote, c’est finalement la version de la

commission de la jeunesse, qui conserve l’idée de « diversification socio-culturelle » mais

retire toute idée de prime, qui est votée à la majorité à l’issue de six séances consultatives.

Face à une mesure favorable à l’image de l’arrondissement, dès lors que l’idée connotée de

prime à la naissance est abandonnée, le conseil cède. Le PDS et T. Kay pour les REP ont en

commun de lutter contre la mauvaise réputation de l’arrondissement. Un accord entre les deux

ne peut se concevoir qu’au sujet d’initiatives qui valorisent l’arrondissement.

2001, la porte parole de la fraction PDS pour les questions relatives à l’égalité (Gleichstellung) prend position en faveur de l’action Noteingang (Entrée de secours). 246 bâtiments de l’administration de l’arrondissement, la mairie en premier lieu, apposent à leur porte d’entrée cet autocollant signalant aux personnes poursuivies par des agresseurs qu’elles peuvent venir s’y réfugier. Cette initiative vise à protéger les victimes potentielles. Elle fait suite au décès d’un immigré africain, mort devant la porte restée fermée d’un immeuble où il essayait d’entrer pour trouver refuge suite aux blessures que lui avaient infligées des agresseurs se revendiquant de l’extrême droite. 930 Selon une députée, il aurait par exemple invité un sympathisant à demander en séance de conseil quelle est la proportion d’étrangers à Hohenschönhausen. 931 Selon les propos de la même députée.

Page 313: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

299

Si l’appartenance partisane de l’initiateur peut être dommageable en regard du rapport

de forces politiques local, elle l’est a priori dans le cas d’un élu d’extrême droite. Ainsi,

lorsque T. Kay s’interroge sur la manière dont les arrondissements berlinois traitent le

problème du vandalisme et de la dégradation des infrastructures publiques932, la retraduction

du projet par la CDU est là aussi une étape préalable à son adoption. Modifiée par la CDU, la

proposition demande à ce que soit étudiée l’efficacité d’un système de primes à la délation933

et insiste sur le coût des graffitis et autres actes de vandalisme porté par les pouvoirs publics.

L’intervention de la CDU, loin de modérer l’initiative de T. Kay et de la rendre ainsi

acceptable pour les conseillers d’une autre couleur politique, ne fait qu’effacer toute trace de

T. Kay à une proposition acceptée par le conseil.

L’analyse de l’activité politique de T. Kay au sein du conseil est indissociable de son

traitement par le conseil. Ce dernier, en établissant les limites du politiquement concevable,

fixe dans le même mouvement les règles du comportement à adopter face à l’extrême droite.

B) Une confrontation rationalisée

Troublé par la présence d’un élu d’extrême droite, le conseil d’arrondissement mené par

le PDS tente de rationaliser la confrontation. Le REP de son côté tente de fédérer l’opposition.

Tentatives de rationalisation d’une présence stigmatisée et stigmatisante

La stratégie adoptée par le conseil face à Kay est le fruit d’une décision rationnelle,

présentée comme consensuelle. Elle est le signe que l’élu des REP est pris au sérieux. Selon

les conseillers d’arrondissement, le cas de Kay n’aurait pas été discuté avant son entrée en

fonction. Ceci s’explique sans doute par l’insignifiance des conseillers d’arrondissement REP,

élus à Hohenschönhausen entre 1992 et 1995. « Faibles » et « bêtes » 934, ces derniers ne

représentaient aucun danger.

932 Drs Nr IV/ 255. 933 Le mot est naturellement réfuté par les autorités, mais le système existe. Le service (privé) de transports publics de Berlin promet ainsi, sous forme d’affiches dans les trains, une prime à toute personne fournissant des informations susceptibles de trouver les responsables des dégradations volontaires du matériel. La mesure votée ici après modification adopte le principe d’une prime fixée à 50 euros. 934 Selon une députée du PDS.

Page 314: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

300

Une initiative collective

Avec T. Kay pourtant, à deux ou trois reprises, le conseil fait l’expérience inédite pour

lui d’un élu d’extrême droite qui s’empare de l’ordre du jour pour faire un brillant monologue.

Les conseillers se concertent alors et se demandent comment faire en sorte que l’élu des REP

puisse exercer ses fonctions sans pour autant que les séances de conseil ne lui servent de

tribune. De l’avis général, les propositions faites par Kay ne sont pas mauvaises et ne sont pas

toutes marquées du sceau de l’extrême droite. Or, l’ensemble des partis trouve problématique

d’approuver une proposition émanant d’un élu « républicain ». Après concertation, les élus

décident donc de renvoyer systématiquement ses propositions en commissions. Ce procédé

présente l’avantage de débattre de l'idée en son absence et si elle est jugée bonne, de la

conserver en lui en substituant la paternité935. La concertation des fractions sur cette question

et la décision consécutive de ne pas laisser à T. Kay d’espace d’expression parait légitime à la

plupart des conseillers d’arrondissement. En témoigne A. Geisel (SPD), qui confère en outre

la paternité de cette décision au PDS :

« Le conseil s’est longuement demandé comment il devait faire avec lui. Il était arrivé que Monsieur

Kay parle et le PDS, pas les autres partis représentés comme la CDU ou les Verts, non, le PDS l’a à

plusieurs reprises contredit méchamment, ce qui a offert à Monsieur Kay la possibilité d’ouvrir,

détendu, une discussion qui a duré une heure et demie. Ce n’était pas bien, parce que ça a permis que sa

position soit prise en compte de manière excessive. C’est pour cela qu’il y a eu un consensus au sein du

conseil, pour éviter de débattre à son sujet durant deux heures. Et le PDS a dit : on lui offre un podium,

donc il faut être ferme et faire en sorte qu’il parle aussi longtemps qu’il a le droit de parler. Quand il

arrête, nous ne réagissons pas, puis l’un de nous prend la parole et dit ‘pour le protocole : lire s’il vous

plaît : renvoyer en commission, voté’. C’est réglé en cinq minutes et pas de problèmes. Et si il y a

quelque chose dans ce qu’il a dit, on peut l’utiliser, même si c’est difficile. Le conseil a très bien appris

à ne pas lui offrir de tribune ».

Face au caractère contre-productif d’une attitude motivée par les émotions, le PDS aussi

se ravise et fait le choix du pragmatisme et de la rationalisation.

935 T. Kay lui-même dit considérer comme un succès leur renvoi en commissions, même si elles sont modifiées, parce que là au moins, elles sont discutées. C’est dit-il ce qui lui importe, « de porter certaines choses à la discussion ».

Page 315: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

301

Diversité des conceptions partisanes et singularité du PDS

La présence de T. Kay soulève une question inhérente à la gestion de la stigmatisation :

faut-il traiter l’élu d’extrême droite différemment des autres conseillers d’arrondissement? A

cette question, la réponse des conseillers d’arrondissement confrontés à T. Kay reflète tant

leur identité partisane que le rapport de force existant à Hohenschönhausen.

Devant ses difficultés à s’imposer face à un géant qui défend des positions très

similaires aux siennes, le SPD, minoritaire, s’abstient, ne sachant comment s’imposer. La

CDU est le parti le plus favorable à T. Kay, mais elle se tient à la ligne officielle du parti, qui

bannit toute alliance avec l’extrême droite. J. Hoffmann (CDU) prend la défense de T. Kay,

dont les propositions ont systématiquement été rejetées par le PDS. Il en a par contre repris

certaines à son compte. Cette conception est proche de celle des REP. Le collègue de Kay,

Weisbrich (REP) souligne le « travail fantastique accompli en tant que combattant isolé ». Pas

une seule de ses actions n’a échappé à la censure idéologique du PDS. Relayant la thèse d’un

duel entre le PDS et Kay, défendue par de nombreux interlocuteurs, il fait part de propos

qu’auraient tenus la maire de l’arrondissement, dont il qualifie la relation avec Kay de « sorte

d’amour vache » :

« Au sujet de Monsieur Kay, quelqu’un a rapporté que la maire, Madame Grygier, a dit un soir où elle

était un peu éméchée, que les propositions qu’il a faites dans sa commission étaient très controversées.

Ceux qui les trouvaient bonnes étaient très nombreux, mais ils se trouvaient confrontés au dilemme de

voter pour, car la proposition venait d’un REP et ‘ce qui ne peut pas être ne doit pas être’. Un tel vote

ferait totalement voler en éclat toute la stratégie du PDS, qui en principe se définit par l’antifascisme,

voire uniquement à travers lui. »

La présence d’un élu des REP à forte personnalité fait effectivement voler en éclats les

préceptes normatifs du PDS sur le comportement à adopter face à un représentant d’extrême

droite. Les avis recueillis sur ce sujet convergent vers un point : ce sont les agents du PDS qui

ont été les plus hostiles à T. Kay, y compris au plan des relations humaines. T. Weisbrich se

vante ainsi par exemple d’être allé boire une bière après une séance du conseil en présence de

Kay et d’élus de la CDU et T. Kay lui-même se plait à raconter que la première personne à

s’être adressée à lui humainement est la présidente de la fraction locale du SPD.

Si l’établissement d’une stratégie collective visant à museler la prise de parole de Kay

n’empêche pas la diversité des attitudes adoptées à son encontre, T. Kay essaie d’utiliser ces

divergences pour isoler le PDS au sein du conseil.

Page 316: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

302

Les efforts de T. Kay pour transférer le stigmate sur le PDS

La figure de l’ennemi se construit dans la réciprocité. En tant que double inversé de soi-

même, l’ennemi fait exister, autant qu’il est le signe de la cohésion d’une organisation

politique. En atteste l’attitude de T. Kay à l’égard du PDS. Les efforts qu’il déploie pour

transformer le stigmatiseur en stigmatisé soulignent le caractère salvateur du retournement des

stigmates au plan identitaire. La construction du PDS en « figure repoussoir » s’inscrit dans

une stratégie de légitimation d’un élu disqualifié du fait de son affiliation partisane936. La

réciprocité de l’inimitié entre le PDS et le REP constitue un point de départ favorable à ce

processus.

La stigmatisation du PDS par les Republikaner repose sur la traditionnelle figure du

complot communiste. T. Kay estime que le PDS est fascisant dans l’atteinte faite aux libertés

individuelles. Le NPD et le PDS lui inspirent la même suspicion car ils sont « étroits

d’esprit » et « n’aiment pas la confrontation idéologique » 937. Ce mépris de l’individu, qui

« s'est manifesté par le passé » (allusion au SED), se retrouve dans les idées du parti,

notamment au sujet de la propriété. Il cite l’exemple de déclarations de membres du Comité

directeur (Bundesvorstand) qui veulent nationaliser les banques allemandes : « C’est absurde.

Ca a toujours été comme ça avec les communistes ». Le PDS est un parti extrémiste donc

« criminel », assurément du fait de son passé. Comme le SED, le PDS est « un groupuscule

extrêmement douteux », il n’est pas « crédible », « ne s'intéresse pas à la démocratie », il est

simplement « plus raffiné » que le SED. Preuve de sa propension à la violence : il a « pactisé

avec les Antifas »938. C’est la raison pour laquelle T. Kay ne croit pas en sa capacité à défendre

la nation.

Pour son collègue T. Weisbrich, qui lui succède à la direction de l’organisation de

jeunesse des Republikaner, le PDS « a des cadavres dans le placard » et incarne les défauts du

système. On retrouve dans ses propos la rhétorique du complot :

« Au début des années 1990, je trouvais le PDS très bien en tant que parti. Il montrait encore du doigt

les partis établis et jouait ce rôle avec délectation. Mais il faut voir la réalité. Toute l’administration des

NBL, aux échelons locaux ou intermédiaires est entre les mains des mêmes gens, ceux qui avant la

936 Sur le retournement du stigmate comme procédé légitimateur d’une identité, voir M. Boumaza : « Le Front National et les jeunes de 1972 à nos jours. Hétérodoxie d’un engagement partisan juvénile : Pratiques, socialisations, carrières militantes et politiques à partir d’observations directes et d’entretiens semi-directifs », Thèse de doctorat en science politique, IEP de Strasbourg, dir. : R. Dorandeu, 2002. 937 « Je rejette l’idéologie fasciste et le national-socialisme parce qu’ils ne respectent pas le liberté de l’individu. C’est également pour cette raison, par principe, que je rejette le PDS. [..] C’est son point commun avec le NPD.» 938 Cette question est traitée dans le chapitre 2, section 2, A.

Page 317: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

303

Wende étaient membres du SED. Ils sont peut-être membres du SPD, de la CDU ou du PDS maintenant,

mais absolument rien n’a changé au plan idéologique. Et le PDS est bien sûr aussi le parti qui fait

obstacle à la reconstruction des nouveaux Länder de manière déterminante. Regardez en ce moment

dans le Mecklembourg-Poméranie antérieure où le PDS est au pouvoir, ça ne va pas plus vite, au

contraire, le PDS passe d’un scandale à l’autre. Ce n’est pas seulement que l’administration n’arrive pas

à surmonter son passé d’informateur de la Stasi, en plus elle continue à couvrir les anciens espions et

leur confie des tâches. Elle infiltre l’administration publique, le paysage partisan, tous les médias, tous

les gens. Vous comprenez comment on fait l’opinion ? Au MDR939 par exemple il y a un ancien espion

de la Stasi, à l’ORB aussi, et c’est la radio publique ! Vous comprenez quelle impression ça donne à

l’extérieur…

Question : Existe-t-il encore une tradition anticommuniste chez les REP ? Est-ce que cette vision

critique du PDS, le fait qu’elle repose sur le SED, a quelque chose à voir avec la tradition

anticommuniste ?

T. Weisbrich : Non. Le PDS est bien entendu pour nous un parti comme les autres. Il y a certes une

tendance chez les adhérents à insister sur le fait que le PDS est par principe et idéologiquement le

successeur du SED. Ils n’ont pas changé du tout et essaient, après avoir réussi à démolir la RDA, de

démolir l’Allemagne toute entière. Et ils y arrivent depuis vingt ans et depuis la Wende. »

T. Kay rend sa carte des REP en septembre 2001 en signe de refus de la tolérance dont

son parti fait preuve à l’égard du PDS. Avant même la signature de la coalition rouge-rouge à

Berlin, il déclare par exemple : « Le pêché originel du SPD, son pacte avec le PDS, n’a

provoqué aucune réaction indignée au sein des Republikaner. Une interrogation conséquente

sur le parti des assassins du mur [le PDS] y fait cruellement défaut »940. La rupture semble

consommée lorsque la direction de son parti lui interdit de mener une action de protestation

contre le PDS. Déplorant que la dissolution de la coalition SPD-CDU ait lieu la veille du jour

anniversaire du 17 juin 1953941, T. Kay souhaitait célébrer la mémoire des personnes tuées par

le SED. Il interprète le refus de son parti comme un soutien au PDS et démissionne. Il semble

que sa rupture avec son parti ait commencé avec le changement de présidence en 1994. Il dit

s’être senti plus proche de F. Schönhuber, « très sympathique », « intelligent » et de son

orientation « gauche nationale », que du cours « conservateur national » de R. Schlierer.

939 Radios des NBL. La MDR, littéralement Radio d’Allemagne centrale (Mitteldeutscher Rundfunk) est la radio publique des Länder de Saxe, Saxe-Anhalt et Thuringe. La ORB, Radio est-allemande du Brandebourg (Ostdeutsche Rundfunk Brandenburg), radio publique, fusionne en 2003 avec la radio berlinoise (SFB- Sender Freies Berlin) pour devenir la Radio de Berlin et du Brandebourg (RBB-Rundfunk Berlin-Brandenburg). 940 Interview accordée à la revue des milieux de la Nouvelle Droite Junge Freiheit du 6 juillet 2001. 941 Le 17 juin 1953 marque la fin du mythe de l’union des dirigeants et de la classe ouvrière lorsque, sur le chantier de l’allée Karl Marx de Berlin-Est les chars soviétiques interviennent violemment pour endiguer une révolte ouvrière. T. Kay annonce avec fierté que son père a participé à cette insurrection ouvrière.

Page 318: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

304

Son dégoût pour le PDS, auquel il impute les crimes commis par le SED, est renforcé

par le pouvoir des néo-socialistes dans l’arrondissement. Pour les observateurs locaux, la

démission de Kay est liée, certes à la position trop « molle » des REP face au PDS, mais aussi

à l’acceptation dont jouit ce dernier au sein du conseil. T. Kay, ambitieux, a sans doute eu du

mal à supporter de n’avoir aucun pouvoir de décision face au PDS942.

Allier ses forces contre le plus fort

La relation de Kay au PDS au sein du conseil est un mélange de rapport de force, de

séduction et de provocation. La majorité absolue du PDS (15 sièges contre 13 pour

l’opposition à Hohenschönhausen, 37 contre 33 dans l’arrondissement unifié) pousse les

autres partis à s’allier contre lui. L’opposition se cristallise dès lors entre le PDS et Kay.

Le PDS incarne l’ennemi également aux yeux de certains élus de la CDU ou du SPD.

Leur positionnement au côté de T. Kay contre le PDS n’est pas le signe d’une connivence

idéologique ; il permet individuellement de régler ses comptes avec le PDS en renversant le

procédé de stigmatisation, d’autant que son pouvoir au sein de l’arrondissement apparaît à

l’extérieur comme le fruit d’un lien identitaire aussi difficile à appréhender qu’à subir. En

janvier 2001 par exemple, la CDU et le SPD soutiennent une motion déposée par Kay pour

examiner une éventuelle coopération de tous les conseillers avec la police politique de RDA

(Stasi). La tentative fait pat : avec 30 voix pour, 30 voix contre et 7 abstentions, la proposition

est rejetée. L’argumentation de Kay reposait sur le lourd héritage historique de

l’arrondissement, en raison de la présence du siège de la Stasi à Lichtenberg et de sa prison à

Hohenschönhausen943.

Kay reproche au PDS de Hohenschönhausen son clientélisme et sa façon de se

positionner dans les débats en tant que détenteur du pouvoir. Il dit avoir fortement ressenti la

majorité absolue d’un parti qui détient le pouvoir et l’utilise, en précisant que ce n’est pas

spécifique au PDS ; les partis «utilisent les possibilités dont ils disposent au profit de leur

clientèle ». L’usage que fait le PDS de sa majorité ne fait pas l’unanimité. Un élu social-

démocrate explique ainsi qu’en politique communale 90% des décisions, ne concernant pas

l'appartenance partisane, sont prises de manière consensuelle. Les 10% restants sont

controversés et dans le cas de Hohenschönhausen, la majorité absolue du PDS s'est imposée.

942 Respectivement selon A. Gabelin, chef de la section locale du PDS à Hohenschönhausen et O. de l’administration de Hohenschönhausen. 943 Drs. Nr. IV/36 du 17.01.2001.

Page 319: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

305

Ceci agace d’autant plus Kay qu’il perçoit un décalage entre les élus du PDS et les

habitants de l’arrondissement. Sur les stands d'information, le PDS se présente comme

l’homme fort, autoritaire et nostalgique de la RDA qu’attendent les habitants d’un

arrondissement où l’héritage de la RDA est très fortement perceptible.

Rejeter le stigmate de l’extrémisme

Pour avoir le bon rôle face au PDS, Kay doit se présenter comme respectueux des

principes démocratiques et montrer qu’il respecte, comme son parti, le fonctionnement de la

démocratie. Cette mise en scène passe par le refus de la violence944. La confrontation liée au

soutien apporté par le conseil à l’appel à la grande manifestation du 09.11.2000 est à cet égard

symptomatique des tensions suscitées par l’attitude de Kay. Son insistance à prouver ses

convictions démocrates et pacifistes passe pour de la provocation.

« Il a y eu cet appel pour la grande manifestation du 9 novembre. […] Il était initié par toutes les

fractions du conseil d’arrondissement, pas seulement par les Verts. Ils avaient rédigé un appel à tous les

citoyens pour qu’ils manifestent en faveur de l’humanité et la tolérance. J’étais le seul à ne pas être

dessus. Personne ne m’avait demandé. C’est alors que j’ai dit : je trouve dommage que vous ne m’ayez

pas demandé mon avis, car je n’ai pas de préjugés. Et le président, qui était du PDS, m’a dit : si vous

voulez faire le gentil, alors dîtes simplement que vous voulez être dessus aussi. J’ai répondu : s’il s’agit

d’humanité et de tolérance, j’ai le droit d’y être ! Cet appel du conseil est soutenu aussi par les REP.

Enfin, le PDS s’est énervé et a dit que j’étais un traître. En fait je pense qu’ils me croient aussi peu que

je ne les crois. [silence]

Question : Mais vous comprenez qu’ils puissent prendre cela pour de la provocation ?

Kay : Oui. Mais je n’ai aucun problème avec cet appel en faveur de l’humanité et de la tolérance. Après

ils ont dit que c’était contre l’extrême droite, c’est autre chose, c’est leur interprétation. Je comprends

naturellement qu’ils puissent prendre mon attitude pour une provocation. Mais je ne pensais pas à

provoquer, j’ai toujours défendu cette position. Quand quelqu’un agresse des étrangers, je ne suis pas un

REP, je suis un représentant de l’Etat de droit qui souhaite que l’agresseur soit durement puni, pour que

ces choses s’arrêtent. Je ne suis absolument pas pour la violence.

Question : Et si l’appel avait été formulé différemment, vous auriez participé ?

Kay : Non. Ce n’était pas un appel contre l’extrême droite [rechts], alors… […] sinon, j’aurais été bête

d’y aller. »

Cette dernière phrase ne saurait constituer un aveu d’appartenance à la scène d’extrême

droite. Le terme employé (rechts, « de droite ») est communément usité en Allemagne pour

944 Le fonctionnaire des REP T. Weisbrich souligne ainsi qu’il lui arrive de refuser, parmi les candidats au militantisme qui se présentent à lui, les adolescents qui font ou ont fait preuve de violence.

Page 320: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

306

désigner l’extrême droite. Son caractère imprécis encourage d’ailleurs la banalisation des

phénomènes d’extrême droite autant qu’elle rend difficiles les attaques pour diffamation.

T. Kay, en refusant d’être considéré comme d’extrême droite, relaie la ligne fixée par

son parti. Un rendu du tribunal de Berlin, qui interdit d’user de l’appellation d’extrême droite

pour qualifier les REP, leur donne raison. Néanmoins les REP sont un parti d’extrême droite

en regard de leurs desseins et de leurs réseaux. D’une part, le tribunal fédéral constitutionnel

(Bundesverfassungsgericht) soupçonne lui-même les REP de « vouloir remplacer la

démocratie parlementaire par une forme de pouvoir qui tend vers un Etat dictatorial

d’inspiration nationale-socialiste. »945 Si le refus systématique des dirigeants des REP d’une

quelconque association avec le NPD relève de cette même logique de refus de porter le

stigmate de l’extrémisme, les propos de Kay au sujet du NPD dévoilent en substance la nature

et le dessein des REP:

« Les positions qu’ils défendent sont chaotiques et contraires à la constitution.[…] Ils disent vouloir en

finir avec ce système, moi je ne veux pas en finir avec ce système, je veux y remettre de l’ordre. [..] Je

pense que le Loi Fondamentale est une bonne base sur laquelle bâtir un Etat national moderne. Nous

n’avons pas besoin de flatulences de cerveau nationales-révolutionnaires. Ce n’est pas non plus ce que

veulent les gens dans leur majorité. »946

D’autre part, la proximité des REP avec des organisations relevant de l’extrême droite,

le Front National français en particulier, est tangible947. T. Kay, au cours de notre entretien,

n’a rien caché de son admiration pour le leader du Front National Jean-Marie Le Pen,

l’appelant par son prénom avant de se reprendre. En mai 2000, soit quelques mois après la

conclusion d’un accord de coalition portant le FPÖ, parti libéral d’Autriche (Freiheitliche

Partei Österreichs), à la tête de l’Etat autrichien, Kay propose que Hohenschönhausen soit

jumelé avec Klagenfurt. Il s’agit de la capitale de l’Etat fédéré autrichien de Kärnten, dont le

ministre-président s’appelle Jörg Haider948.

945 Rapport de l’Office berlinois de Protection de la Constitution, 1999, p. 110. 946 Etude pilote de Hohenschönhausen, p. 73 947 Les REP sont proches de la DVU au plan idéologique, mais le modèle de F. Schönhuber est le Front National de J-M. Le Pen dont il admire le caractère moderne et populiste. Concrètement, au siège des REP à Berlin s’affiche sur une publicité un portrait de Jörg Haider, leader du FPÖ autrichien avec pour légende : « Mon ami est un étranger ». 948 A l’époque, Hohenschönhausen est le seul arrondissement berlinois à ne pas avoir conclu de jumelage. Les réactions sont vives du côté du PDS : « Provocation ! » déclare son maire B. Grygier, le SPD ne prend pas position, la CDU ne soutient pas ce choix et estime qu’il n’est pas judicieux de prendre une telle décision à la veille de la fusion. Lichtenberg pour sa part est jumelé avec 4 villes : Kaliningrad, le 5ème arrondissement de Maputo (Afrique du Sud), le quartier Bialoleka de Varsovie et depuis fin 2001 Alexandrie en Egypte. Soutenu par l’Eglise copte, minorité chrétienne, ce parrainage devrait redynamiser l’Eglise copte de la Rodeliusplatz à

Page 321: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

307

L’anecdote suivante met en lumière l’ambiguïté de la relation entre les REP et le NPD.

Durant la campagne des élections berlinoises de 1999, la « Jeunesse Républicaine » (Kay en

est alors le chef) prévoit d’organiser un concert du chanteur néonazi Frank Rennicke.

Certaines de ses chansons sont considérées comme nuisibles pour la jeunesse par l’office de

vérification fédéral pour la jeunesse (Bundesprüfstelle für Jugend). Lui-même a déclaré qu’il

est important de se reproduire pour contrer « l’invasion » de l’Allemagne « par des

étrangers ». A 34 ans, il est père de cinq enfants. Depuis l’interdiction de la Wiking-Jugend,

organisation de jeunesse néo-nazie dont il était membre, il a adhéré au NPD. L’organisation

d’un tel concert va à l’encontre de la stratégie officielle des REP. Kay ne s’en cache pas qui

qualifie ce concert de « coup de couteau dans la chair du NPD»949 et déclare bien aimer ce que

fait Rennicke, « pas tout, mais certaines chansons »950, suffisamment en tout cas pour qu’au

cours de leur première rencontre, il achète quelques-uns de ses disques. Il dit pourtant

comprendre « que ce soit controversé. Il faut dire qu’il chante beaucoup ; pour moi il en est

resté au début des années cinquante. » Kay précise qu’il ne va selon toute vraisemblance pas

chanter de chansons de soldats lors de ce concert, « pas de chanson qui parle de conquérir la

Prusse orientale. »951 La semaine suivante, Kay annonce que le concert est annulé. Trop de

militants du NPD manifestaient leur intérêt, ce qui lui déplait. A la place, les REP organisent

une manifestation contre la construction d’un monument commémorant les victimes de

l’Holocauste. Les REP dont la stratégie consiste à se présenter comme ultraconservateurs, ne

peuvent avouer une proximité idéologique avec le NPD. Cette ambiguïté transparaît dans le

domaine de prédilection de l’extrême droite qu’est la politique d’immigration.

Investir le domaine idéologiquement stigmatisant de la politique d’immigration

Au sein du conseil d’arrondissement, l’opposition entre les conservateurs et les

socialistes transparaît essentiellement en matière d’immigration. T. Kay, à l’instar de son

parti, se défend d’être xénophobe et prétend vouloir simplement rationaliser l’immigration.

Dans de domaine, son argument principal repose sur la conformité de ses exigences en

matière d’immigration avec le code de la nationalité entré en vigueur au 01.01.2000. Le

Lichtenberg. Friedersdorff espère en faire le centre de la religion copte en Allemagne, qui compte 8000 adeptes. Berliner Kurier du 11.12.2001. 949 Déclarations rapportés par Der Tagesspiegel, 18.09.1999. 950 Kay cite à cet endroit « Sonntag Abend in Berlin » (Dimanche soir à Berlin). Cette chanson évoque la décadence d’un pays gouverné par des anarchistes, une décadence imputée à la présence d’étrangers. « Le dimanche soir à Berlin/ Quand les Turcs traînent à Kreuzberg/ Une colère froide me prend/ Peur dans la nuit/ Mon peuple, qu’a-t-on fait de toi ? » 951 Extraits de l’entretien accordé par Kay aux collaborateurs du ZdK au cours de la préparation de l’étude pilote portant sur les tendances d’extrême droite à Hohenschönhausen. Au sujet de Kay, étude pilote, pp. 69-76, p. 72.

Page 322: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

308

candidat à la naturalisation doit « maîtriser suffisamment la langue allemande » et déclarer

« se conformer au principe démocratico-libéral de la Loi fondamentale » de la RFA952.

« Les étrangers qui immigrent ici ne sont pas forcément les personnes avec lesquelles on peut mettre en

place quelque chose, qui peuvent construire, dont on pourrait avoir besoin. On ne peut rien entreprendre

avec eux, ils apportent le désordre dans le pays. Je suis très attaché à l’idée de justice. Cela joue un

grand rôle. Mais ce que j’exige par exemple c’est […] qu’ils reconnaissent l’Etat allemand, qu’ils se

convertissent à l’Etat de droit allemand et à la démocratie. C’est un point essentiel, qu’il faut vérifier,

avant de naturaliser une personne. J’exige que cette personne parle notre langue. Cela me semble aller

de soi. [..] Si ce n’est pas le cas, si la naturalisation est seulement un acte formel, si elle n’a aucune

valeur particulière, les valeurs fondamentales ne suivent pas.» T. Kay

Sa position est très proche de celle de la CDU, « en principe un concurrent dans le

contenu » selon son collègue T. Weisbrich953. Ces propos font par ailleurs écho à un épisode

opposant T. Kay à la fraction du PDS de Hohenschönhausen. En mars 2000, le PDS fait

adopter une motion d’après laquelle l’identité d’un candidat à la naturalisation ne doit plus

systématiquement être vérifiée, en préalable à celle-ci, auprès de l’Office de protection de la

constitution. Kay s’oppose à la proposition du PDS, exige même un rapport trimestriel sur le

résultat de ces vérifications. En appelant à « l’identité nationale », il dénonce une

« communauté multiraciale » et lance, vainqueur : « Vous faites là une passe décisive à

l’implantation de mon parti dans cet arrondissement ! »954 Sa proposition est rejetée, le SPD et

la CDU s’abstiennent, bien que cette dernière propose le maintien de la vérification.

T. Kay se prétend modéré en matière d’immigration, qu’il estime devoir être régulée en

fonction des besoins économiques du pays d’accueil955. Le discours de son remplaçant à la tête

des Jeunesses Républicaines de Berlin, T. Weisbrich, donne un ton plus fidèle des idées de

son parti en matière d’immigration956 :

952http://www.handbuch-deutschland.de/book/fr/003_003_001.html et http://www.einbuergerung.de/index2.htm. 953 On retrouve l’argument de T. Kay, selon lequel le candidat à l’immigration doit faire preuve de sa bonne volonté, de sa propension à l’intégration en suivant des cours de langue et d’éducation civique, à la CDU : « Pour nous à l’Union, et pour moi personnellement, la pierre angulaire d’une bonne intégration est la langue.» (Hoffmann, CDU, ancien conseiller à Hohenschönhausen et député à la Chambre des Députés de Berlin). 954 Berliner Morgenpost du 10.03.2000. 955 Kay utilise le même type d’arguments au sujet du foyer d’immigrés de Hohenschönhausen. Il compare les immigrés à un ami que l’on accueille volontiers chez soi parce que sa maison a brûlé, mais personne n’irait ouvrir un crédit pour pouvoir continuer à l’héberger. Etude pilote de Hohenschönhausen, ZdK, p. 74. 956 Illustration : en novembre 1999, les huit élus des REP à Berlin s’élèvent contre l’adoption de mesures anti-discriminatoires en cours. Dans un courrier, ils demandent aux sociétés d’habitations et aux administrations chargées de l’immigration de refuser ces mesures.

Page 323: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

309

« Si on dit : [..] Je ne pense pas que ce soit une bonne idée pour l’économie du pays de laisser entrer ici

300 000 étrangers par an, que nous devons ensuite entretenir, ou si nous émettons des critiques, nous

sommes immédiatement considérés comme des fascistes, des extrémistes de droite, des radicaux, nous

sommes mis dans le même panier que je ne sais quels imbéciles ou bagarreurs à crâne rasé. Certains

exemples comme Rostock-Lichtenhagen ont été pris comme prétexte pour mener un combat antifasciste

comme on dit. [..] Les images en soi sont vraiment honteuses et effrayantes, mais personne n’a jamais

publié les vraies causes de cela, à savoir que ces demandeurs d’asile vendaient de la drogue, que des

femmes et des filles ont été importunées, que des vols ont eu lieu en masse, etc. Que des gens qui

subissent cette misère tous les jours finissent par riposter, c’est tout à fait [hésitation] logique. »

La maladresse de l’allusion à Rostock, qui traduit une synonymie défendue par les REP

entre immigration et criminalité, est précisément ce qui distingue T. Kay de l’ensemble des

permanents REP.957.

L’image laissée par Kay au sein du conseil n’est pas celle d'un xénophobe. L’élu des

REP a certes à de rares reprises suscité l'indignation en raison de propos ouvertement racistes,

mais en général, ses propos de cet ordre étaient formulés de manière suffisamment fine pour

qu’il soit difficile de les relever. Bien qu’il s’avoue lui-même très restrictif en la matière, Kay

déclare avoir été choqué par l’attitude « très critique » (lire xénophobe) des habitants de

Hohenschönhausen à l’égard des étrangers. Cette attitude est synonyme de rejet chez une

partie de la population et va jusqu'à la violence chez les plus jeunes. « J’ai trouvé ça méchant,

je n’étais pas habitué à cela » dit Kay. Il met cela en partie sur le compte de la RDA, évoquant

des schémas de pensée dominateurs. C’est à cause de cet héritage selon lui que l’intérêt porté

à la question de la xénophobie dans l’arrondissement est moindre. « Le PDS l’a dit lui-même

pendant la campagne électorale: ça ne rapporte pas d’électeurs. » Une autre tentative de report

du stigmate.

L’espace dans lequel l’activité de Kay est tolérée par le PDS est ainsi délimité par

l’affront fait à ses propres valeurs. La défense des droits des immigrés et des réfugiés en fait

partie. Par exemple, une proposition de T. Kay portant sur l’adoption par l’arrondissement de

la loi relative aux prestations accordées aux demandeurs d’asile, qui permet la mise en place

d’un système de Chip cartes ou de bons est rejetée958. Ces mesures, qui ouvrent aux réfugiés le

droit (restrictif) d’acheter dans certains magasins et avec un mode de paiement propre, sont

957 Le député régional et ancien conseiller d’arrondissement de Lichtenberg J. Hoffmann (CDU) évoque lui aussi des problèmes d’intégration qui reposent sur des questions de langue, de culture et de criminalité. En substance, il estime que l’intégration ne fonctionne pas bien, car les étrangers font en Allemagne comme dans leur pays et tentent d'imposer leur culture. « Pour nous, l’intégration est une chose très importante. Nous n’avons rien contre le fait que quelqu’un qui veut vivre chez nous, vive chez nous. Le problème c’est quand la criminalité apparaît. » 958 Drs Nr IV/ 254.

Page 324: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

310

considérées comme discriminantes par l’ensemble des associations antiracistes et par les

spécialistes du PDS de la condition des migrants et des réfugiés.

Particularités de la situation de Hohenschönhausen : puissance du PDS et crédibilité du

REP

Une comparaison avec le parlement régional de Saxe-Anhalt atteste des effets du

rapport de force politique sur l’attitude adoptée par les députés face à des élus d’extrême

droite. En outre, il met en évidence la singularité de la personnalité de T. Kay.

Dans les nouveaux Länder, la confrontation au sein d’institutions politiques avec des

élus d’extrême droite apparaît d’abord au sein des conseils communaux, puis à la fin des

années 1990 à l’échelle régionale. C’est la DVU, l’Union allemande pour le peuple, qui

inaugure celle-ci dans un parlement d’Allemagne de l’Est en 1998959. 16 députés de la DVU

siègent alors au parlement régional face aux groupes parlementaires de la CDU (également

dans l’opposition), du SPD et du PDS. Le PDS est d’autant plus concerné qu’il y est associé

au gouvernement social-démocrate par le principe de tolérance depuis l’été 1994960.

Les initiatives parlementaires des députés de la DVU se caractérisent par un amalgame

entre politiques de sécurité et d’immigration961 et un intérêt particulier porté aux questions

liées au passé et au devoir de mémoire, marqué par la volonté de relativiser les crimes du

Troisième Reich en regard de ceux commis en RDA. Une bonne part d’entre elles dénonce

des pratiques abusives et corrompues de la classe politique. Les propos xénophobes et

homophobes sont ouverts, la provocation apparente, tout comme les attaques contre l’extrême

gauche via le PDS. Tout ceci conduit à des discussions et altercations orales musclées

ponctuées par les rappels à l’ordre du Président à destination de la DVU.

Comme dans le cas de Lichtenberg, le SPD préfère se tenir à l’écart de ces

démonstrations d’hostilité, d’où qu’elles viennent. Les exclamations de ses députés au cours

des séances montrent pourtant qu’ils comprennent et soutiennent l’attitude du PDS face à la

DVU. La CDU reste proche de la DVU sur le fond de certains débats (telle la question des

959 Cette élection est analysée au chapitre 1, section 2, B. La DVU est présentée dans l’introduction générale. 960 Cette analyse s’appuie sur un document du groupe parlementaire PDS au Landtag de Saxe-Anhalt. « Die DVU im Landtag von Sachsen-Anhalt 1998-1999. Beiträge zu einer Bilanz », décembre 1999, 3ème édition. S’il convient d’adopter une distance critique à l’égard de l’analyse des auteurs, la fiabilité des documents cités (protocoles de séances et initiatives parlementaires du groupe DVU) n’est pas à remettre en cause. 961 Les initiatives portent entre autres sur les coûts liés à l’accueil des demandeurs d’asile, à la lutte contre la drogue, à la criminalité des étrangers et au relais de la violence dans les médias.

Page 325: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

311

demandeurs d’asile), mais tente de se démarquer du soutien que lui témoignent ouvertement

ses députés. Le PDS se veut offensif et tente d’ouvrir un débat d’idéologie. Aucune stratégie

adoptée par les forces démocratiques ne définit, comme c’est le cas à Hohenschönhausen, le

cadre de la confrontation. Ceci tient sans doute aux faibles ressources dont disposent les

députés de la DVU à titre collectif comme individuel.

Le groupe parlementaire de la DVU est composé de personnalités inexpérimentées au

parcours hétérogène. Quatre députés ont auparavant été condamnés pour des chefs

d’accusation divers (acte de cruauté envers les animaux, coups et blessures dans une affaire

domestique, délit de fuite et de propagande suite à la peinture de croix gammées sur un mur).

Un élu est un ancien espion des services secrets de la RDA, un autre entretenait des contacts

avec le NPD, trois étaient au SED et un vient du FDP. Le groupe se caractérise par son

manque d’esprit d’équipe, son absence de cohésion et de pouvoir collectif de décision. Les

élus, dont certains déclaraient ignorer figurer sur la liste électorale, ne se connaissaient pas

avant leur élection. Ces incohérences fonctionnelles résultent du patronage du chef de la

DVU, G. Frey, qui dirige de son bureau le travail du groupe et entend empêcher toute

constitution d’un contre-pouvoir au centralisme de son parti. Les députés, qui ne bénéficient

sur le terrain d’aucun ancrage social fort, sont ainsi dirigés à distance de Munich par G. Frey.

La législature de la DVU en Saxe-Anhalt est ainsi marquée par l’absence de légitimité de ses

députés, qui est une conséquence du fonctionnement interne du parti.

Les conflits deviennent publics quelques mois seulement après l’élection. Le groupe

parlementaire, démission après démission, se délite962. En dépit des interventions de G. Frey,

qui s’efforce d’empêcher que les échecs précédents ne se renouvellent pas963, le groupe

parlementaire s’émiette jusqu’à ce que le parti ne soit plus en mesure d’en constituer un.

L’argent est au cœur du conflit qui oppose les députés au dirigeant de la DVU. A Brême

comme à Kiel, la justice dénonce le détournement d’une partie des fonds publics destinés à

financer le travail du groupe parlementaire au profit du parti964.

962 En février 1999, quatre députés DVU démissionnent. En octobre de la même année, après la démission de deux élus supplémentaires, le fils de G. Frey intervient et démet le chef du groupe parlementaire. Il semble être parvenu à régler un conflit latent depuis l’élection. Deux députés démissionnent pourtant deux mois après cet épisode. En moins d’un an, la moitié des élus a démissionné. 963 Comme dans le Schleswig-Holstein en 1993 où, agacés de recevoir par fax de Munich les motions à défendre devant le Parlement, cinq députés avaient démissionné et tenté de fonder un groupe parlementaire indépendant. Au sujet d’un échec similaire à Brême en 1987, voir à ce sujet l’analyse réalisée par Jochen Grabler à la demande de la fraction citoyenne (Bürgerschaftsfraktion) des Verts : Ein Jahr DVU-Fraktion in der Bremischen Bürgerschaft : Missbrauch des Parlaments. Octobre 1992. 964 P. Höver : « Schleswig-Holstein : Rechnungshof prüfte DVU-Finanzen ». Das Parlament 22/ 29 juillet 1994.

Page 326: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

312

Le manque de crédibilité et de cohésion des députés de la DVU conditionne l’attitude

du parlement à leur égard. Leur autodissolution de facto au bout de quelques mois rend leur

action politique inexistante et une confrontation conséquente superflue.

En regard de la situation de Hohenschönhausen, l’expérience de la DVU, entre autres en

Saxe-Anhalt, montre que l’activité politique d’un seul élu peut être plus efficace pour son

parti, en termes de résonance et de crédibilité, qu’un groupe parlementaire. Sa portée dépend

de la capacité de l’élu à troubler l’ordre du conseil en y atténuant l’image négative de

l’extrême droite. La puissance965 du PDS détermine en partie les rapports de force au sein du

conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen. Les provocations de Kay et la fierté qu’il

éprouve à faire réagir un parti qui tente de l’ignorer sont au cœur des interactions. Il annonce

ainsi avec fierté, bravant les règles comportementales routinisées, avoir à l’occasion félicité le

PDS pour la qualité de son travail. Dès lors, le jeu qui se joue n’est pas uniquement régulé par

le politique. La manière dont les sentiments nés du rapport de force s’incarnent dans des

personnalités politiques est un facteur non négligeable dans ces interactions.

C) Les limites des considérations partisanes dans les interactions

politiques

Parce que les rôles perpétuent l’institution966, les professionnels sont parfois à l’étroit

dans leur costume institutionnel. Ils s’en sortent dans certains cas en développant une attitude

propre au combat politique. Nous qualifions ici de personnalité politique le produit de

l’arrangement dont convient un individu pour que coexistent sans contradiction le rôle que le

jeu politique lui désigne et son appartenance à un parti (qui implique l’adhésion à une

idéologie autant que l’acceptation des règles codifiant la concurrence à l’intérieur du parti,

régie par la discipline, et la concurrence externe, qui concerne l’accès aux postes politiques).

La personnalité politique est le résultat de la construction de personnages voués à l’interaction

politique. L’objet de ce paragraphe est de montrer comment le fait de se cacher derrière son

personnage politique permet à T. Kay, à défaut d’y échapper, de déjouer certains des pièges

que lui tend le rôle d’ennemi.

965 Entendue comme « toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance » (Macht). M. Weber : Economie et société. Plon, coll. Pocket, 1995, p. 95. 966 « Les rôles permettent à l’institution d’exister, à tout jamais, comme une présence réelle dans l’expérience des individus vivants. » P. Berger, T. Luckmann: La construction sociale de la réalité. Méridiens Klincksieck, 1986, p. 84.

Page 327: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

313

Le jeu des reclassements qui rend la filiation à l’extrême droite équivoque

La personnalité politique de T. Kay brouille les cartes de l’appartenance partisane. Son

ambiguïté repose sur sa capacité à faire douter de son appartenance à l’extrême droite. Pour ce

faire, il adopte une identité procédurale qui prétend œuvrer en politique au sens noble du

terme. Aussi s’investit-il dans les activités du conseil en prétendant ne pas tenir compte des

couleurs politiques. Il joue par conséquent sur le fait que les individus ont du mal à se

positionner à son encontre, d’autant que prendre parti contre lui équivaut à cautionner un PDS

déjà puissant.

Les multiples reclassements politiques de T. Kay sont au cœur de cette stratégie. Son

attachement au SPD et sa volonté de rapprochement avec la CDU jouent un rôle central dans

la gestion rationalisée de la présence de T. Kay. Ce dernier entretient en effet des relations

ambiguës avec ces deux partis, au sein desquels sa présence a dès lors un effet paralysant967.

Néanmoins, le parti le plus déstabilisé par la situation née de l’élection de Kay est sans

doute le SPD. L’intérêt qu’il porte à la question de l’unification allemande au début des

années 1980 le mène d’abord au SPD, pour lequel il ressent une fascination romantique.

L’une des premières personnalités qu’il évoque à cette occasion est sa grand-tante, Ella Kay,

également citée par un conseiller communal social-démocrate. C’est en s’intéressant au passé

de sa grand-tante que Kay découvre le SPD de l’après-guerre. Il y voit des individus engagés

dans un combat nationaliste pour la liberté et l'unité de son pays et s’identifie en particulier à

Kurt Schumacher, grande figure du parti d’après-guerre, résistant et fervent défenseur de

l’anticommunisme968. La fascination qu’il éprouve pour K. Schumacher, « foncièrement

antifasciste mais également contre les communistes » fait obstacle à un engagement au NPD,

« trop centré sur le Troisième Reich ». En 1982, T. Kay adhère au SPD pour militer en faveur

de l’unification de sa patrie. Lorsqu’il se rend compte que le SPD ne correspond pas à l’image

qu’il en avait et que l’unification n’y est plus une question décisive, il quitte le SPD avec la

majorité des membres du cercle K. Schumacher auquel il appartient. Une partie d’entre eux

crée ensuite la fédération berlinoise des REP, à laquelle Kay adhère en 1992. A cette époque,

les REP sont selon lui le seul parti à inscrire l’unification à leur programme. Cette

967 Similaire à celui d’O. Schily à la tête du ministère de l’intérieur pour les groupes parlementaires du SPD et des Verts au Bundestag. La question est traitée dans le chapitre 3, section 1, A). 968 Dirigeant occidental du SPD rescapé des camps de concentration nazis et réputé pour sa ligne strictement anticommuniste, (il traite les communistes de « fascistes peints en rouge », expression encore usitée à l’encontre du PDS par ses adversaires) il refuse strictement la proposition d’unification des deux grands partis ouvriers allemands en juin 1945.

Page 328: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

314

revendication s’ajoute à la défense de préoccupations sociales et patriotiques, qui

correspondent à l’imaginaire politique de Kay.

Cette admiration de Kay pour la sociale-démocratie met le SPD de Lichtenberg en

difficulté. Ce dernier doit refuser une coopération recherchée par T. Kay, tout en

reconnaissant à ce dernier des origines sociales-démocrates. L’élu A. Geisel (SPD) admet

ainsi la possibilité que, sur un certain nombre de sujets, l’élu des REP soit du côté de la

social-démocratie. Il en exclut cependant la politique d’immigration, déjà selon lui à l’origine

de son départ du SPD969. Kay estime que le parti qu’il a le plus attaqué est le PDS, suivi de la

CDU, puis du SPD. Il se dit « impressionné » par la qualité de la politique communale des

sociaux-démocrates, qu’il juge bien meilleure que celle de la CDU. Pour Kay, à

Hohenschönhausen le SPD est « plutôt bourgeois [...] très select en fait. Très concret, très à

gauche, très éclairé. Enfin, comme je souhaiterais que soit la social-démocratie en somme ».

Le passé social-démocrate de T. Kay lui permet de jouer sur l’ambiguïté de l’intérêt qu’il

porte à la question sociale, qui arrive au second rang de ses préoccupations derrière la

question nationale. Il se targue ainsi de ne pas avoir facilité la tâche au PDS « en n’étant pas

uniquement de droite mais également de gauche »970. La pluri-affiliation de Kay, qui plus est

sur un double registre politique et émotionnel, complexifie sa stigmatisation à l’extrême

droite971. L’élu des REP se targue d’avoir été applaudi par la CDU et le SPD lorsqu’il a

officiellement fait part de sa démission des REP. Il raconte avoir été invité à diverses réunions

officielles du SPD et de la CDU et s’amuse, au printemps 2002, d’être convoité par la CDU et

le SPD. S’il est impensable pour lui d’entrer au SPD « après ce qu’il a fait », la « politique

bourgeoise établie [de la CDU] n’est pas son genre ». Au début de l’été 2002, il cède pourtant

aux avances de la CDU dont il soutient la campagne en vue des élections au Bundestag, avant

de devenir le chef de son association locale des employés à Lichtenberg (Christlich-

Demokratische Arbeitnehmer in Lichtenberg).

Ainsi, une figure repoussoir n’est pas automatiquement repoussante, c’est ce qui rend

parfois sa construction nécessaire. L’image de l’ennemi est ici transcendée par le personnage

politique construit par T. Kay. 969 A. Geisel, qui laisse entendre que c’est le SPD qui l’a exclu, estime que déjà à l’époque le respect de la démocratie et la tolérance envers les hommes faisaient défaut à T. Kay. 970 Cet intérêt proclamé pour la question sociale est classique à l’extrême droite (voir le chapitre 1). Sans revenir sur le terme même de national-socialisme, citons Jean-Marie Le Pen au soir du 21 avril 2002 : « Je suis socialement à gauche, économiquement à droite et plus que jamais nationalement de France ». (http://www.rtl.fr, dossier Elections présidentielles 2002, 19.10.2004) 971 Le sentiment dominant après près de deux heures d’entretien avec T. Kay est l’idée suivante : Il ira loin, mais pour quel parti ?

Page 329: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

315

Les effets (dé)structurant des personnalités politiques

Que faire lorsque l’image que transmet l’ennemi est celle d’une personnalité politique

sympathique, intelligente et favorable à un règlement démocratique des conflits ? La

personnalité de Kay met les conseillers d’arrondissement dans l’embarras, car elle remet en

question le rejet inconditionnel du bord qu’il représente. En outre, son talent politique enjoint

les élus locaux à adopter une conduite collective.

De son côté, T. Kay insiste sur l’importance des relations interpersonnelles. Il qualifie

de « froide, coincée » l’ambiance au conseil au début, « on ne se connaissait pas ». Pour lui,

sa relation au PDS est marquée par les lettres de menace qu’il a reçues et les tracts appelant à

utiliser la violence contre lui, qu’ont distribué selon lui les milieux antiracistes proches du

PDS. Le conseil d’arrondissement, sollicité par Kay pour condamner cette action, a refusé,

argumentant que la scène avait eu lieu en dehors du lieu d’exercice de son mandat. Kay

déclare s’être retrouvé sous protection policière après avoir porté plainte suite à des menaces

téléphoniques. Il finit par avouer que ce type de mésaventure est également arrivé aux autres

représentants d’arrondissements des REP et que la réaction du conseil a été identique972.

Son mandat s’est selon ses déclarations bien déroulé par la suite. T. Kay a choisi trois

commissions : le budget, l’économie et l’éducation, la culture et le sport. Il dit s’être bien

entendu avec les autres membres, qui l’ont aidé ; certains l’auraient même « soutenu de

manière collégiale ». Il opère pourtant une distinction entre ses bonnes relations personnelles

et l’âpreté des débats.

« Dans l’arrondissement, j’ai rapidement eu de bons contacts avec les gens. Je ne saurais pas dire si

c’est grâce à ma personnalité. Dans les autres conseils où on [les REP] était, ça ne se passait absolument

pas comme ça. On ne parlait pas. Avec moi, on a quand même cherché le dialogue, et on l’a trouvé. Ils

étaient assez ouverts [silence]. Au sein même du conseil par contre, au cours des débats, c’était dur.

J’étais le point polarisant face au PDS, ce qui m’a valu un certain respect de la part des autres partis. [...]

Le PDS dominait l’arrondissement et moi, j’étais indépendant. »

972 Un communiqué de presse de la fédération berlinoise des REP du 09.12.1999 attire l’attention sur les menaces et violences dont les adeptes et élus des REP font l’objet de la part de milieux proches de l’extrême gauche. Certains ont protesté à Hohenschönhausen avec une banderole énonçant : « Pas de place pour les nazis- Kay doit quitter le conseil ». L’élu de Wedding T. Haraszti, agressé par une bande de jeunes, a eu le bras cassé. Les REP se plaignent de ce que les partis « établis » ne prennent pas ouvertement position contre ces faits. Communiqué de presse du 09.12.1999 « Innensenator Werthebach auf dem linken Auge blind ? » (Le sénateur de l’Intérieur Werthebach aveugle de l’œil gauche ?) signé par G. Reich, vice-président de la fédération régionale.

Page 330: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

316

Il estime même être apprécié par les membres du PDS qui, certes se démarquent

ouvertement de son action politique, mais, dit-il, bavardent gentiment avec lui lorsqu’ils le

croisent dans les rues de Hohenschönhausen. Bien que ce dernier point soit à minorer en

raison du caractère mélioratif du discours produit par T. Kay, il ne fait pas de doute que sa

personnalité a contribué à son intégration dans l’arrondissement.

L’ensemble des protagonistes de cette expérience trace une frontière nette entre la

personnalité de Kay et ses idées politiques. Parce qu’il est intelligent et doté d’indéniables

qualités rhétoriques, T. Kay sait créer une relation de confiance. Il a de plus « tout fait pour

rechercher le dialogue » (A. Gabelin). Ses capacités intellectuelles rendent difficile la joute

argumentative, ce qui offre l’occasion d’une vive et claire confrontation politique.

« Le conseiller était très calé, il avait aussi un certain niveau […]. On a remarqué qu’il était difficile de

contre argumenter et que, du moins au sein du conseil, il n’y avait pas suffisamment de personnes

capables de le faire. [Les élus] n’étaient pas à la hauteur, ils n’étaient pas assez bons pour le contrer. »

O., administration de Hohenschönhausen.

T. Kay estime que le PDS trouvait distrayantes ces discussions exigeantes au plan

intellectuel. Ce que confirme B. Grygier, maire de Hohenschönhausen, qui déclare qu’elle

était la seule à lui faire face au sein du conseil, de sorte que les débats se transformaient

souvent en duel, de type western, entre eux deux. A son tour, elle précise que ces

confrontations faisaient du bien à un individu qu’elle dépeint comme ayant soif d’admiration,

qui entraîne ses parents aux réunions publiques du conseil « pour qu’ils l’admirent » 973.

Le ressentiment de l’élu des REP à l’égard du PDS, la complexité de leurs relations

hantées par la figure de l’ennemi, tout comme la malice et la sympathie du personnage

politique de T. Kay transparaissent à travers cet épisode qu’il raconte :

« Il y a eu une situation où une personne a proposé, afin de comprendre pourquoi l’extrême droite était

si présente dans les écoles, de chercher le dialogue avec les jeunes habillés d’une certaine manière, ce

qui est à mon avis inconciliable avec notre ordre démocratique libéral établi. On ne peut pas juger que

quelqu’un est d’extrême droite à son apparence physique. Moi-même, je n’aime pas les cheveux

colorés, je préfère les cheveux courts. Je l’ai dit et cela a conduit une conseillère PDS à dire : ‘L’école

est un instrument de pouvoir de la classe dirigeante’. Je l’ai répété pour être sûr que ça figure dans le

protocole. La femme était de Saxe. Je l’ai redit avec un léger accent saxon. Pendant la pause, je suis allé

voir cette dame et me suis excusé de l’avoir imitée. Je me suis excusé immédiatement ; elle a dit ne pas

973 Elle ajoute que les activités politiques de Kay seraient financées par son père et évoque également le « nationalisme romantique » de T. Kay, qui a enregistré pour elle une cassette de ses chansons nationalistes préférées.

Page 331: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

317

avoir ressenti les choses comme ça. Mais je me suis tout de suite excusé et j’ai essayé de faire en sorte

que ça rentre dans l’ordre.»

Cette anecdote met en lumière l’attention particulière que l’élu REP porte à ne pas sortir

du cadre de la légalité, autant que la manière dont il surestime son poids sur les interactions

du conseil.

Mise en scène de l’opposition par le désordre émotionnel

En offrant la possibilité d’une mise en forme émotionnelle des échanges, la présence de

Kay délite l’ordre du débat. L’émotion, qui retranscrit la perception instantanée d’un message,

court-circuite en cela les règles du débat politique, plaçant les interactions sur un registre

différent, « magique »974. Elle permet d’échapper aux logiques de rationalisation collective,

qui pour Kay sont synonymes de censure.

L’émotion est par ailleurs nécessaire à la compréhension du malheur, elle permet de

comprendre la souffrance d’autrui. C’est ainsi que la mise en forme par l’émotion peut servir

des desseins antagoniques. Kay use de ce registre tour à tour pour se poser en victime des

discriminations du conseil ou en tribun du peuple. Un projet déposé par Kay, qui vise à

équiper l’entrée d’un service administratif d’une porte automatique dans le but d’en faciliter

l’accès aux personnes handicapées, est mis en avant par son collègue des REP T. Weisbrich et

par lui-même pour illustrer la qualité de son travail.

« Imaginez-vous, lorsqu’ils [« les concitoyens handicapés »] veulent pénétrer à l’intérieur du bâtiment,

ils doivent d’abord sonner à la porte, attendre dix minutes que le concierge ou quelqu’un d’autre daigne

leur ouvrir. Il y a beaucoup de bâtiments comme ça. Durant les périodes de froid, lorsqu’il pleut ou

quand il neige, c’est particulièrement désagréable. » T. Weisbrich

Kay fait ainsi preuve de compassion en s’offrant la paternité d’une initiative qui défend

les exclus. En réalité, il a emprunté cette idée à un élu handicapé de la législature précédente.

La proposition est refusée de justesse975, mais une motion du PDS apparue quelques mois plus

tard et qui propose des modifications similaires est votée, contre l’avis de la CDU976.

974 « Il y a émotion quand le monde des ustensiles s’évanouit brusquement et que le monde magique apparaît à sa place. […] L’émotion n’est pas un accident, c’est un mode d’existence de la conscience, une des façons dont elle comprend son ‘être-dans-le-monde’. » J.-P. Sartre : Esquisse d’une théorie des émotions. Hermann, 1965, pp. 61-62. 975 Certains élus du PDS et du SPD trouvent la proposition raisonnable, la CDU est contre. 976 Ce qui fait dire à T. Weisbrich que le but, qui est d’agir pour le bien des citoyens, est finalement atteint dans cet épisode. C’est bien là le principal argumente-t-il avant de conclure : « La présence de notre parti au sein des

Page 332: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

318

Le recours à l’émotion peut également à l’inverse servir une activité antiraciste. La

députée K. Hopfmann dit avoir compris le potentiel que peut représenter l’émotion pour

convaincre. En mobilisant ce registre, elle s’inscrit en porte-à-faux par rapport au caractère

abstrait et anonyme de la politique et de l’administration. K. Hopfmann décrit ici un procédé

visant à « nourrir l’imagination »977 de l’auditeur de manière à lui rendre compréhensible une

situation donnée.

« Je veux faire du travail concret. Cela me semble plus efficace. C’est aussi une part de mon travail

contre l’idéologie d’extrême droite. Se permettre de raconter des histoires, raconter tout ce qui se passe.

J’ai déjà vu des camarades souffrir des histoires que je leur racontais. Ils sont parfois très touchés, parce

qu’ils ignorent ce que la politique peut avoir comme conséquences pour un simple être humain. Ils ont

parfois des préjugés aussi. Il faut simplement leur raconter ces histoires. C’est très efficace. Tout

comme confronter des adolescents proches de l’extrême droite avec le destin concret de personnes. Ils

parlent de manière abstraite, ils n’ont que des slogans quelconques en tête. Mais si on arrive à les

confronter avec les vies d’autres personnes, ils peuvent aussi se montrer très touchés. Ce ne sont que des

êtres humains. »

Dans les deux cas, le traitement par l’émotion, parce qu’il confine au moralisme

dénonciateur, est susceptible de se transformer en culpabilisation et de s’avérer contre-

productif978.

****

La personnalité de T. Kay plus que sa seule présence d’une part, le poids respectif des

forces en présence d’autre part, conduisent le conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen

à rationaliser son attitude face à l’élu d’extrême droite. Ce processus transforme le rejet

émotionnel en une gestion des interactions axée sur un calcul en termes de coût et de bénéfice.

T. Kay se comporte en « outsider » (ou «entrant »979) et fonctionne essentiellement sur le

registre de la dénonciation des activités, des ambitions et des faux-pas des « tenants » néo-

socialistes. La délibération ou lutte orale pour le pouvoir qui se déroule entre ces deux parties

a pour enjeu la distribution des rôles. Une fois les rôles distribués, le déroulement du conseil

vise, en règle générale, essentiellement à les conforter. Or, la présence de Kay intervient de

organes (Gremien) d’arrondissement ou de la ville est très importante, parce que c’est quasiment nous qui donnons les idées. Qui sait, sans cela, certaines propositions ne seraient jamais nées ». 977 L. Boltanski : La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique. Métaillié, 1993, p. 80-87. 978 Le spécialiste Lynen von Berg met en garde contre cet effet pervers. Les hommes politiques ont recours au traitement « émotionnel, culpabilisant, moralisateur » de la question de l’extrême droite, sans penser qu’il peut s'avérer contre-productif s’il est « trop agressif dans le reproche ». 979 D. Gaxie : La démocratie représentative. Op. cit. p. 20

Page 333: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

319

manière troublante car elle contraint les forces en présence à redéfinir ces rôles.

L’ambivalence du personnage de Kay, notamment ses efforts pour camoufler son

appartenance à l’extrême droite, contribue à redistribuer les rôles. Cette renégociation

participe à son tour de la révision des pratiques d’alliances et oblige les élus à réviser la

position pré-établie de leur parti à l’extrême droite.

G. Sainteny a mis en évidence, au sujet de l’écologisme, quatre types d’action possibles

face à l’arrivée d’un intrus politique, qui vont de l’exclusion à la récupération du thème ou de

l’acteur980. Face à l’extrême droite, les partis politiques ont recours successivement, parfois

simultanément, à ces catégories d’actions981. Les confrontations entre T. Kay et le PDS au sein

du conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen font émerger l’idée que la présence de

l’extrême droite en politique ne crée pas seulement l’isolement pour celui qui l’incarne, mais

aussi pour ceux qui s’y opposent. Cette analyse se poursuit à travers l’action du maire de

Hohenschönhausen, en tentant de répondre à la question suivante, restée en suspens : Qui, du

stigmatisé ou du stigmatiseur, est l’intrus?

980 Une tentative d’éviction du parti écologiste par la récupération succède à une première phase d’exclusion des écologistes. Voir notamment G. Sainteny : « Le parti socialiste face à l’écologisme. De l’exclusion d’un enjeu aux tentatives de subordination d’un intrus ». RFSP, 44 (3), 1994, pp. 424-461. 981 B. Villalba : « L’esquive» in P. Delwit, J.-M. De Waele, A. Rea (dir.) : op.cit., pp. 203- 225.

Page 334: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 4- La désorganisation du jeu politique local par l’ennemi incarné

320

Page 335: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

321

CHAPITRE 5

LA FIGURE DU GUIDE.

LE MAIRE PDS CONFRONTE A LA PRESENCE DE L’ENNEMI DANS SA COMMUNE

Plus sans doute qu’à d’autres postes, c’est à une forme propre de compétence que l’élu doit

son maintien dans les fonctions de maire. Entendue comme un ensemble d’attributs, de savoir-

faire et de qualités, la compétence inclut les traits de caractère qui font la psychologie d’un

individu982. Il est en effet, comme l’illustre le cas précédemment analysé de T. Kay, un capital

politique propre à chaque individu, c’est sa capacité à susciter confiance et sympathie.

Le cas étudié ici poursuit la réflexion amorcée précédemment sur la personnalisation du

pouvoir, entendue à la fois comme « un phénomène de concentration du pouvoir, et tout

particulièrement du pouvoir municipal, dans les mains d’un homme » et comme « le processus

d’identification collective entre une fonction politique et élective et un homme, au détriment de

son orientation politique »983. L’expérience relatée dans ce cadre renvoie à l’appropriation des

mandats et montre que la personnalité politique est au cœur de la manière dont un individu

investit un rôle politique.

Dans ce chapitre pourtant, c’est celui qui a le pouvoir et non celui qui en est dessaisi par le

port du stigmate, qui se met en marge du collectif. Les logiques de domination et de mobilisation

liées au pouvoir entrent en conflit avec les doubles exigences de la représentation. Le maire

982 Voir notamment P. Braud : Le suffrage universel contre la démocratie. PUF, 1980, pp. 201-218. 983 P. Garraud : Profession : homme politique. La carrière politique des maires urbains. L’Harmattan, 1989, pp. 173-174.

Page 336: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

322

représente en effet désormais à la fois une population et un parti. Aussi, les zones potentielles de

frottement sont-elles multiples, les opportunités d’exclusion nombreuses.

C’est ce qu’illustre l’activité du maire du même arrondissement Hohenschönhausen de

Berlin-Est. Deux maires d’arrondissement (W. Friedersdorff à Lichtenberg, avant et après la

fusion et B. Grygier à Hohenschönhausen) jouent le rôle de guide. La notion de guide qualifie ici

la capacité d’un maire à montrer la voie à la population. Il s’agit d’une figure morale, dont

l’action lui permet soit de renforcer ses liens avec la population, comme c’est le cas de W.

Friedersdorff, soit au contraire de se l’aliéner, comme le fait Bärbel Grygier984. Lorsque cette

dernière, apparentée PDS, accède à cette responsabilité, elle lance une action contre l’extrême

droite dans sa circonscription. Cette initiative, qui se distingue des registres traditionnels

d’action de son parti, inspire la méfiance tant à son parti qu’à ses ouailles, qui se voient

suspectés d’être sensibles aux idées d’extrême droite. La faible insertion de B. Grygier au sein

des pouvoirs publics locaux et des organes de son parti est à la fois ce qui rend possible cette

action et ce qui marginalise son acteur. B. Grygier s’exclut de la classe politique985 non

uniquement en dénonçant la présence de l’ennemi, mais encore en considérant que l’extrême

droite est un phénomène qui relève des politiques publiques.

A travers la figure du maire, le présent chapitre entend montrer à quel point l’attitude

adoptée face à la problématique de l’extrême droite est liée à la manière dont un acteur politique

investit son rôle, en fonction des ressources à sa disposition, qu’elles soient individuelles

(notamment la personnalité) ou collectives (dont les réseaux d’insertion) et des contraintes

(essentiellement partisanes) qui pèsent sur lui. Dans ce but, la première section pose le décor en

démontrant que l’échelle communale est au centre, certes de la relation du PDS au pouvoir, mais

aussi des espérances qu’une partie des Allemands de l’Est placent dans le PDS. Elle présente les

deux maires des arrondissements de Lichtenberg et de Hohenschönhausen avant 2001. L’action

de ces élus est au cœur des deux sections suivantes. La deuxième section présente l’action initiée

par B. Grygier, maire de Hohenschönhausen, contre l’extrême droite et la manière, profane, dont

elle inscrit la lutte contre l’extrême droite sur l’agenda local. Enfin, la dernière section

s’intéresse au pouvoir mobilisateur de la dénonciation de l’extrême droite et se penche plus

particulièrement sur la figure morale de W. Friedersdorff.

984 Néanmoins, la notion ne qualifie ici en rien le leader qui manipule les foules. Il ne s’agit pas de la traduction de Führer. 985 Entendue comme « un processus dynamique de production d’un groupe social défini par des contraintes et des représentations spécifiques auxquelles les élus ne peuvent se soustraire qu’au risque et le plus souvent au prix de l’exclusion. » P. Garraud : op. cit., p. 216.

Page 337: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

323

Section 1 La contribution du PDS et de ses maires dans

l’encadrement démocratique de la population est-allemande

En 2001, le PDS dispose de 6500 mandats communaux à l’échelle fédérale, ce qui

représente un élu par commune de plus de 500 habitants à l’Est986. La plupart d’entre eux sont

des élus municipaux, 185 sont maires (de petites et moyennes communes). A Berlin, il

compte 3 maires (dont un dans un arrondissement mixte987), 14 adjoints (3 dans des

arrondissements mixtes) et 175 conseillers d’arrondissements988.

Depuis l’unification, le PDS fait de la commune son terrain d’action privilégié, comme

le montre le témoignage de W. Friedersdorff, maire de l’arrondissement de Berlin-Est

Lichtenberg en 2001.

W. Friedersdorff, maire de Lichtenberg, reconnaît le rôle joué par la commune dans l’insertion d’une

partie des laissés pour compte de l’unification dans la nouvelle société. Le PDS y a contribué en créant

des structures d'accompagnement pour faire connaître aux citoyens est-allemands les possibilités

qu’offre le nouveau régime. Cette tâche perdure, mais elle est désormais subalterne. Cet

accompagnement des citoyens, qui vise à les faire participer au processus de démocratisation et à les

intéresser aux tâches administratives, reste pour W. Friedersdorff le principal devoir d'un élu communal

du PDS. « Cette transparence, cette possibilité de prendre part aux décisions » est selon lui la « marque

de fabrique » de la politique communale du PDS. Cette proximité passe également par la valorisation

des acquis professionnels des anciens citoyens de RDA. La transparence dans la gestion, l’un des

desseins politiques du parti, revêt un aspect stratégique important dans un contexte de scandale financier

de Berlin et dans une stratégie moins ponctuelle d’opposition aux déboires du capitalisme.

En marge de la valorisation excessive du rôle intégrateur du PDS décrit ci-dessus, la

fonction d’accompagnement des anciens citoyens de RDA dans le nouveau système de la

République fédérale qu’a remplit le PDS est indéniable. Si l’espace local est pour les citoyens

986 Les NBL comptent contre 6293 communes (Gemeinde) de plus de 500 habitants fin 1996 contre 8500 de plus de 5000 habitants dans la partie occidentale de la fédération. Dans les anciens Länder, le PDS dispose de 104 mandats. 987 Nous appelons mixte un arrondissement né de la fusion entre un arrondissement de Berlin-Est et un arrondissement de Berlin-Ouest. 988 Mise à jour au 29 juin 2001. Pour la liste complète des mandats, voir « Kommunale Mandate und Ämter der PDS ». Pressedienst 35/2001 ou http://sozialisten.de/sozialisten/nachrichten/view_html?zid=15504, 14.10.2005.

Page 338: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

324

celui de la formation à la démocratie, il est également pour les élus celui d’une propension

accrue au consensus et au pragmatisme989.

A) La commune, école de la démocratie

L’idée que la commune est une « école de la démocratie »990 est communément admise

en Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale parle de « cellule germinale de la

démocratie »991. En particulier dans les NBL, la commune est le « lieu d’apprentissage de la

(force de la) démocratie avec une fonction d’intégration »992. Elle devient dès lors un domaine

privilégié d’étude de la transition. Pour les anciens citoyens de RDA, l’espace local joue alors

un rôle intégrateur dans le nouveau système. C’est à cette échelle qu’ils se familiarisent avec

le mode de fonctionnement du nouveau système autant qu’avec la place qu’ils ont à y

occuper. Ce processus est fortement encadré par le PDS qui trouve là un moyen de légitimer

son existence après l’effondrement de la RDA.

L’importance de l’échelon local pour le PDS

Pour le PDS, le pouvoir se gagne et le parti se bâtit dans les communes. Le retour dans

les communes apparaît comme le moment fondateur de la rupture avec le SED. Dans l’Etat

unitaire centralisé de RDA, l’échelon local était réduit à une fonction d’administration locale

sous contrôle du SED. Après l’unification, l’espace public local est redécouvert par les

anciennes élites d’un pouvoir communiste centralisé. Ce retour au local s’est avéré décisif

dans la survie du PDS et dans la reconversion de l’appareil du SED en structure de proximité

locale mise au service de la transition démocratique. La réappropriation de cet espace offre au

PDS l’opportunité d’un renouveau interne, à ses agents un espace individuel de mutation. La

commune devient pour le PDS l’espace de repli nécessaire à la préparation de son renouveau

et à la recherche d’un nouveau profil. Dans le même temps, c’est à cette échelle que les élites

989 « La commune met en présence des acteurs dont les intérêts et les appartenances diffèrent. Elle est un lieu d’échanges, de négociations et de compromis, même si le but à atteindre fait l’objet d’un réel consensus idéologique ». M. de Certaines : « L’élu local face à l’exclusion sociale. Mandat municipal, crise de l’emploi et logiques institutionnelles » in C. Le Bart, J. Fontaine : Le métier d’élu local. L’Harmattan, 1994, pp. 267-305, p. 270. 990 W. Gessenharter: « Warum neue Beteiligungsformen auf kommunaler Ebene? Kommunalpolitik zwischen Globalisierung und Demokratisierung ». APUZ, 50, 1996, pp. 3-13. 991 A. Thumfart : Die politische Integration Ostdeutschlands. Francfort sur le Main : Suhrkamp, 2002, p. 607. 992 A. Thumfart, op. cit., p. 639.

Page 339: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

325

politiques locales du PDS prennent conscience du rôle qu’elles ont à jouer dans la vie

politique du pays et de leur capacité à influencer le changement.

En palliant le manque de représentativité d’un système dominé par les élites

occidentales, le PDS constitue un point de repère pour la population est-allemande. Son

succès local repose sur sa capacité à transcender la défense d’une couche particulière de la

population pour représenter les intérêts est-allemands en général. Le PDS est de ce fait

l’unique détenteur d’une compétence locale et régionale (Ostkompetenz)993. La classe politique

locale est d’autant plus disposée à accepter la confrontation idéologique et programmatique

avec les représentants du PDS, que la solidité du régime en place en RFA définit le cadre des

actions possibles des néo-socialistes994.

La (re)découverte des communes s’inscrit également dans une volonté plus générale de

renouveler la politique par le bas. Si la marque de fabrique locale du PDS, à savoir la

proximité avec les citoyens, est la preuve du bon usage fait des réseaux d’implantation hérités

de la domination communiste, elle rejoint une pratique caractéristique des partis non établis

en République fédérale. Face au conservatisme du système des partis, l’émergence de

nouveaux acteurs politiques dans les années 1980, celle des écologistes en tête, pousse les

grands partis politiques à accentuer les échanges d’idées avec les citoyens, à s’intéresser plus

intensément à eux et aux problèmes qu’ils rencontrent au sein de la commune. La poursuite

sur cette voie renforce le système des valeurs prévalant chez les néo-socialistes. En dépit de

son intégration au sein du système institutionnel, le PDS entretient ainsi le mythe du parti non

établi.

Pourtant objet de controverse pour ses dirigeants

Depuis l’arrivée des réformateurs à la tête du parti suite à la « super année électorale »

de 1994, le cours partisan est à la conquête du pouvoir à tous les niveaux. Dans ce processus,

la commune est considérée comme la plus petite unité d’exercice du pouvoir parlementaire.

Le PDS milite en faveur du renforcement des pouvoirs des communes dans le système fédéral

et d’un accroissement de leur marge de décision propre, notamment en matière économique.

C’est également à la commune d’initier, par le bas, les tentatives de réformes de l’ordre

993 P-Y. Boissy : op. cit., p. 327. 994 C. Perron : La transformation des élites politiques locales tchèques et est-allemandes, 1989-1998. Une comparaison de la construction démocratique dans deux sociétés post-communistes. Thèse de science politique, dir. : J. Rupnik, FNSP, IEP Paris, 2002, p. 600.

Page 340: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

326

fédéral. Les directives du PDS en matière de politique communale995 comprennent ainsi deux

principes. Le premier objectif est d’accentuer l’émancipation de la société en élargissant le

socle de la démocratie locale. L’accroissement des dispositifs de démocratie directe,

notamment à travers la mise en place de budgets participatifs et la modernisation des appareils

administratifs, constitue les principaux outils de cette politique. Dans l’esprit de l’agenda

21996, le deuxième axe à privilégier est social : La prévoyance communale, qui assure la

qualité de vie des citoyens, doit être orientée vers les besoins des plus démunis. Ceci passe

entre autres pour le PDS par la nécessité de créer de bonnes conditions d’accueil des

entreprises.

Parce que la question de l’exercice exclusif d’un pouvoir communal est intimement liée

à celle, controversée, de l’expansion à l’ouest, elle demeure controversée chez les néo-

socialistes. La principale contribution programmatique et stratégique favorable à l’exercice du

pouvoir local est la publication de la Lettre de Saxe, au sous-titre évocateur : « Pour une voie

propre - et non uniquement ‘à gauche du SPD’, pour un PDS-Volkspartei est-allemand, pour

un abandon de l’expansion à l’Ouest, pour une offensive en matière de politique communale » 997. Co-écrite par C. Ostrowski et R. Weckesser, fonctionnaires locaux de Dresde (Saxe), elle

est rendue publique le 5 mai 1996. Ce document s’engage en faveur d’une limitation de

l’action du PDS aux nouveaux Bundesländer. L’objet en est de redonner leur place, au sein

d’un appareil jugé arrogant, aux « vrais » acteurs et héros du parti : les élus et gestionnaires

locaux qui, dans l’ombre et depuis des années, oeuvrent à construire (ou reconstruire) le parti.

Le PDS, estiment ses auteurs, doit sortir de sa forteresse idéologique pour se rapprocher « des

gens » et de leurs problèmes. Si cet acte militant contre la centralisation du pouvoir a

engendré de nombreux débats au sein du parti, il n’a pas trouvé d’écho favorable en son sein.

En dépit de leur nombre et de la liberté que leur laissent les dirigeants dans leur

commune, les élus locaux pèsent peu sur les décisions des instances fédérales de direction.

C’est pourtant en raison de son assise locale que le PDS revendique le droit de participer à la

995 « Eine starke Bürgergesellschaft in starken Kommunen. Kommunalpolitische Leitlinien der PDS ». Projet du 31 mars 2005. http://sozialisten.de/politik/kommunal/entwurf_leitlinien/pdf/kommunalpolitischeleitlinien_endfassung01.pdf; 30.05.2005. Le projet émane du groupe fédéral de coordination de la politique communale, qui émane du groupe de travail Politique communale (AG KOmmunalpolitik). 996 Lors du sommet de Rio en 1992, pour valoriser le développement durable à l’échelle mondiale, de nombreux pays adoptent l’Agenda 21 qui fixe un programme d'actions dans des domaines très diversifiés. 997 « Für einen eigenen Weg statt „links von der SPD“. Brief aus Sachsen : Für eine ostdeutsche Volkspartei PDS, für den Abschied von der ‘Westausdehnung’, für eine kommunalpolitische Offensive ». Neues Deutschland du 8.05.1996.

Page 341: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

327

vie politique pan-allemande. Cette incohérence entre la forte représentation du PDS dans les

communes et le poids de ses élus locaux dans la politique du parti n’échappe pourtant pas aux

observateurs extérieurs au parti998.

La commune au cœur du pouvoir du PDS

La commune reste le terrain privilégié du PDS, également car elle est plébiscitée par ses

militants. Les organisations de base jouent un rôle essentiel et continu dans la relation

qu’entretiennent les militants avec le parti. En tant qu’unités principales d’organisation, elles

permettent aux adhérents d’entretenir un lien direct avec le parti. Ce dernier est alors une

communauté vécue concrètement sur le terrain999. C’est là que se perpétue la puissance

significative du PDS, une partie importante du travail de l’organisation y est accomplie. En

l’an 2000, 96% des militants sont organisés localement, un taux stable depuis 19901000. Le

mode de paiement des cotisations atteste du fait que la section locale contribue fortement à

renforcer le lien des militants au PDS. Près de deux tiers des adhérents orientaux paient leur

cotisation au cours de l’encaissement mensuel, c’est à dire lors d’un contact direct.

Le travail des conseillers communaux est en outre davantage estimé par l’ensemble des

adhérents que celui des permanents des sections locales (Vorstände). Y sont particulièrement

appréciées leur compétence politique généraliste et technique, c’est-à-dire leur spécialisation,

mais également les « qualités humaines ». Par contre, la qualité des échanges hiérarchiques

verticaux (relatifs aux catégories « transparence des décisions », « rétroaction» et « transfert

des informations vers le bas ») au sein du parti est jugée négativement1001.

998 R. Schröder estime que ce dernier a fait de l’engagement politique communal son programme. Sa représentation à cette échelle et sa forte présence également sur le plan culturel sont « admirables ». Il s’amuse par contre des « absurdes » prétentions fédérales du PDS, qui témoignent de l’absence de lucidité de ses dirigeants. Il ironise sur un article où T. Falkner entre autres pose au chancelier G. Schröder les conditions d’une coopération. Exigeant que « l’Est passe de la responsabilité du chef à celle du PDS », les dirigeants du PDS mésestiment totalement le rapport de force entre le SPD et leur parti. « La méconnaissance totale des proportions ! » conclut Schröder dans un rire franc. 999 « Le travail accompli dans les organisations de base peut sans exagération être considéré comme l’une des artères du parti » selon une étude commandée par le Comité Directeur du PDS à l’automne 2000 aux sociologues M. Chrapa et D. Wittich, proches du parti. Cette enquête exploite 2381 questionnaires, dont 225 de l’Ouest et 225 de fonctionnaires. M. Chrapa, D. Wittich: Die Mitgliedschaft, der große Lümmel… Studie zur Mitgliederbefragung 2000 der PDS. Mai 2001, http://www.linxxnet.de/linxxikon/04_07_01_mitgliederbefragung.pdf., 26.11.2005. 1000 Ils étaient 97% en 1991. A l’Ouest, ce taux s’élève à 71% en 2000. Les adhérents sont très actifs et engagés dans les activités, surtout locales du parti; ils participent aux séances du conseil d’arrondissement, ainsi qu’aux discussions et réunions de leur section. Entre 15 et 20% des adhérents prennent part relativement souvent aux réunions organisées dans les cellules locales, selon Chrapa, Wittich : op. cit. 1001 Ibidem.

Page 342: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

328

L’opinion des militants sur le profil et les qualités du PDS est en partie partagée par la

population est-allemande. Cette dernière apprécie le PDS d’abord pour sa présence sur le

terrain et sa proximité avec les citoyens. Viennent ensuite les qualités humaines et politiques

de son personnel. C’est ce que montre le diagramme ci-dessous qui représente l’opinion des

Allemands de l’Est sur le PDS1002.

Graphique 23- Les qualités du PDS à l’Est

4678

1112

1516

1820

222728

0 5 10 15 20 25 30

S'occupe des problèmes des citoyensEst ancré dans le paysprésent sur le terrain

sympathiquebon personnel politique

ouvert à de nouvelles idéespossède une ligne politique claire

crédibleun bon programme

perspicacité politiquecompétent

tient ses promessescapable de régler les problèmes de l'avenir

ne pense qu'au pouvoirdivisé

La cohérence du profil est étonnante en regard du pessimisme des opinions recueillies,

qui brossent le portrait d’un parti conservateur et passéiste. Les citoyens est-allemands se

montrent effectivement très critiques à l’égard du PDS, comme l’établit le graphique ci-

dessous1003.

Graphique 24- Opinions relatives au PDS

25

42

48

51

55

63

66

68

20 70

parti normal, démocratiquereprésente les intérêts de l'Est

au fond, communistene tient pas ses promesses

capable d'avenirles cadres du SED décident de tout

embellit la RDAutilise les soucis et la détresse des

obstacle à la reconstruction de l'Esten tant qu'organisation d'extrême

La majorité des Allemands de l’Est considère néanmoins que l’utilité sociale du PDS est

indéniable. Ce résultat fait écho aux efforts déployés par les organisations locales du PDS

1002 Etabli d’après un sondage réalisé en juillet 1999 auprès de la population est-allemande, cité par V. Neu : « Die PDS zehn Jahre nach dem Fall der Mauer ». Fondation Konrad Adenauer, Saint-Augustin. Octobre 1999, p. 6. 1003 Sondage réalisé en juillet 1999, cité par V. Neu : op. cit., p. 5.

Page 343: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

329

pour donner de leur parti une image constructive, non celle d’une organisation qui s’oppose

systématiquement.

Les compétences locales du PDS à la base de son acceptation par la population

Les élus locaux du PDS donnent de leur parti une image de gestionnaire, renforcée par

les contraintes propres à l’espace considéré. Ils font preuve d’un fort pragmatisme, qui

implique une moindre prise en compte des considérations idéologiques et une propension

accrue au compromis.

Un usage pragmatique du pouvoir

Le caractère de Volkspartei1004 du PDS dans les NBL se reflète à travers son travail

communal. La réponse pragmatique de ses agents aux exigences de la commune lui permet

effectivement de représenter les intérêts du microcosme est-allemand dans sa diversité.

Comme l’a montré L. Probst au sujet de Rostock, au sein du conseil communal du PDS,

le pragmatisme prime sur l’idéologie. « Trop de lest idéologique ne peut constituer qu’un

obstacle dans ce processus et est –dès que cela paraît nécessaire- rapidement lâché » 1005. Le

PDS local essaie de faire preuve de compétence et de modernité pour contrer une image de

parti réactionnaire et nostalgique. La peur du PDS joue comme un frein à l’investissement ?

Le parti répond par la création d’un cercle de discussion pour les professions libérales et les

petites et moyennes entreprises. Au sein de l’organisation locale du parti, ce groupe rejoint

alors de manière éclectique les cercles de travail des homosexuels, des Autonomes de

l’extrême gauche et des squatters par exemple.

Cette flexibilité face à l’idéologie repose sur deux facteurs. D’une part, les faibles

exigences disciplinaires du parti jouent un rôle important. La voie hiérarchique suppose

obéissance aux fédérations régionales et aux instances fédérales du parti. Celles-ci

n’interviennent néanmoins pas pour homogénéiser les initiatives locales des élus. De même,

le chef de fraction ne fait que rarement pression sur les conseillers communaux pour

homogénéiser les votes. D’autre part, les débats idéologiques qui ont lieu au sein du conseil

d’arrondissement n’influent pas directement sur les décisions à prendre, qui sont souvent peu

marquées idéologiquement. Dans le cas de Berlin, c’est le Sénat qui fixe les grandes lignes de

1004 Parti de masse (Duverger) ou interclassiste (Perrineau). 1005 L. Probst : « Wer ist die PDS- zum Beispiel in Rostock ? ». Zeitschrift für Parlamentsfragen, 2, 1997, pp. 216-229.

Page 344: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

330

l’action publique. La liberté d’entreprise des arrondissements est ainsi fortement encadrée.

Cette prétendue désidéologisation de l’action politique dans les communes doit pourtant être

relativisée en regard des effets de la situation financière des arrondissements sur la politique

communale. Dans un contexte de pénurie, une grande partie du processus décisionnel des

arrondissements se limite à opérer des choix quant aux domaines où il faut économiser1006.

Devant ces choix, l’idéologie reste le dernier registre mobilisable. En dernier lieu, c’est elle

qui permet de trancher entre les différentes possibilités pragmatiques qui s’offrent aux

responsables locaux.

Par leur action locale « dont la nécessaire flexibilité supporte difficilement les

considérations idéologiques liées à la stratégie d’élargissement à l’ouest adoptée par les

instances fédérales du parti »1007, les élus du PDS se mettent souvent en marge des prétentions

fédérales de leur parti. On retrouve ce pragmatisme dans l’action locale chez les maires du

PDS, au sein duquel la figure du maire non membre du parti mais à forte assise locale est

courante1008.

Un personnel local qualifié

La solidité de l’ancrage du PDS au sein de la société est-allemande est un atout

indéniable. Elle lui alloue non seulement une forte influence politique, mais également une

proximité privilégiée avec la population. L’héritage direct de la dictature du SED représente

en termes de réseaux un atout considérable dont se sentent injustement délestés les partis

concurrents1009.

Espace de réconciliation du PDS avec le système politique ouest-allemand, la commune

joue un rôle essentiel pour les nouvelles élites politiques locales en tant qu’espace de

professionnalisation. Autant que le lieu privilégié d’exercice du pouvoir, la commune est

l’« espace de formation d'une nouvelle élite plus réaliste, pragmatique, au profil idéologique

1006 B. Grygier l’exprime ainsi : la formation des enseignants contre l’extrême droite devenant prioritaire sur les cours de dessin, il faut pouvoir se résoudre à supprimer certaines activités. 1007 P-Y. Boissy : Aspects politiques de l’héritage de la nation socialiste …, p. 328. 1008 Voir O. Theel : « Ich bin Parteimitglied aber kein PDS-Bürgermeister » (Je suis membre du parti mais pas maire du PDS). Disput, 11/96, 1996, pp. 16-17. Le chapitre suivant s’atèle à le montrer. 1009 A. Geisel, élu du SPD à L. rappelle ainsi la forte influence qu’exerce le PDS dans les associations de Lichtenberg. Du fait de ses adhérents, rares sont les associations (de citoyens, culturelle ou autre) qui ne comptent pas au moins un membre du PDS. Mais cela reste une part restreinte de la population. Il prend l'exemple des « centres de voisinage » (Nachbarschaftszentren) hérités de la RDA et réactivés dans l’arrondissement. Si l’influence et l’action du PDS sur l'opinion publique ne doit pas être surestimée, ces centres sont le signe de l’existence et de l’entretien de liens privilégiés du PDS avec la population locale.

Page 345: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

331

moins marqué, à même d’incarner le renouveau »1010. Au sein des élites politiques issues du

post-communisme, le personnel local du PDS se caractérise par son efficacité politique et

l’absence de diabolisation dont il fait l’objet. Tant au niveau quantitatif (supériorité

numérique) que qualitatif (efficacité), le PDS est un « adversaire digne de ce nom » pourvu

d’un appareil efficient. L’hétérogénéité alliée à l’« efficacité politique, sa capacité

mobilisatrice et les qualités de certains de ses représentants au niveau local » fournit au PDS

un personnel local compétent, éduqué, formé et souvent intelligent.

Le pragmatisme du parti en regard des exigences locales vaut également pour le

reclassement des élites de la RDA et le recrutement du personnel politique. L’action

communale souffre des déficits fonctionnels et programmatiques généraux que connaissent

les partis à l’échelle locale, tels un réservoir de cadres limité, une capacité restreinte à

endosser des responsabilités et la faiblesse de l’organisation partisane face aux pouvoirs

exécutif et législatif1011. Ces handicaps pèsent également sur le PDS, qui dispose pourtant d’un

appareil local performant.

L’une des spécificités de la politique locale réside dans l’apparente relégation de

l’appartenance partisane. Les critères de jugement et de sélection prévalant dans une

commune donnée priment sur les propriétés propres aux partis1012. L’organisation locale doit

donc se conformer aux comportements répandus en ce lieu. C’est dans sa capacité à s’adapter

à ces contraintes spécifiques de la configuration locale que résident le pouvoir et la marge de

manœuvre du représentant de la commune, le maire. Ceci pousse à s’interroger sur les

ressources en jeu dans l’appropriation du mandat de maire. L’incarnation du rôle de maire

résulte-t-elle essentiellement du capital politique individuel, qui inclut la personnalité des

mandatés, ou de la capacité des élus à mobiliser un capital collectif ?

1010 Les développements de ce paragraphe reprennent les conclusions de C. Perron : op. cit., pp. 605-612. 1011 H. Nassmacher : « Parteien und Wählergruppen in der Kommunalpolitik » In O. W. Gabriel, O. Niedermayer, R. Stöss (dir.) : Parteiendemokratie in Deutschland. Bonn : Bundeszentrale für politische Bildung, 1997, pp. 427-442. 1012 K-H. Naßmacher: « Partei I » in R. Voigt: Handwörterbuch der Kommunalpolitik. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1984, p. 323.

Page 346: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

332

B) L’appropriation du mandat de maire face à l’attente populaire d’une figure paternaliste

Dans le contexte est-allemand de conversion à la démocratie, les caractéristiques de la

vie politique locale se traduisent par la prédominance du maire, favorisée par ailleurs par le

fonctionnement des arrondissements berlinois. En tant qu’elle reflète la nature des rapports

sociaux au sein d’un parti et sur un territoire et pour répondre aux attentes de la société est-

allemande, la figure du maire dans les arrondissements de Lichtenberg et de

Hohenschönhausen doit être paternaliste.

Le paternalisme comme compétence

Le maire doit « incarner et représenter les aspirations et les attentes de la majorité de la

population»1013. Dans les NBL, le paternalisme fait partie des compétences escomptées1014. Le

modèle de gestion communale qui s’est imposé suite à l’unification n’est pas celui de la

discussion, mais de la figure paternelle, voire paternaliste, « d’un vif désir d’un [..] bon roi qui

porte tout, qui résout tout »1015. A l’échelle communale, les citoyens rejettent les

confrontations entre les partis politiques. « Une politique pragmatique, voire élaborée de

manière technocratique au-delà des liens partisans devrait remplacer le conflit et les

divergences d’opinion. Le modèle conflictuel de la démocratie selon lequel l’intégration passe

par la dispute devrait être remplacé par une décision consensuelle et une pratique libérée de la

politique. »1016

A Berlin, cette conception rencontre un système qui attribue au maire une fonction de

type présidentiel. L’unification offre l’occasion de redéfinir les fonctions des assemblées

locales sur l’ensemble du territoire. La réintégration de Berlin-Est à Berlin se traduit par

l’adoption de la constitution du Land de Berlin par tous ses nouveaux arrondissements. Dans

les faits, le système berlinois tend à allier les caractéristiques d’un processus décisionnel de

type parlementaire à celles d’un régime présidentiel. Nombreux sont ceux qui estiment qu’il

n’y a pas, dans les communes, de partis gouvernants et de partis d’opposition au sens

1013 P. Garraud : op.cit., p. 198. 1014 Selon la thèse d’A. Thumfart : op.cit., pp. 642-648. 1015 M. Birthler, députée du Bundestag pour les Verts, élue de Berlin-Mitte. Süddeutsche Zeitung, 27.07.1998, p. 3. 1016Ibidem.

Page 347: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

333

classique1017. Les décisions votées le sont ainsi souvent avec une majorité changeante. H.

Wollmann considère les parlements de communes (Stadtparlamente) dans leur « constitution

interne comme des variantes locales d’un système parlementaire, plus précisément

présidentiel »1018.

Les compétences des conseils d’arrondissements berlinois sont réduites. Les conseillers

sont élus au suffrage universel direct, y compris par les citoyens de l’Union européenne

domiciliés dans l’arrondissement. Le conseil d’arrondissement élit en son sein un maire

d’arrondissement et un système proportionnel désigne les adjoints (Stadträte) en fonction des

scores obtenus par chaque parti aux élections locales. Les attributions du conseil

d’arrondissement sont réduites par rapport à celles traditionnellement dévolues aux

communes1019, ce qui favorise la personnalisation du pouvoir. Le système local est ainsi

caractérisé par la prédominance du maire, qui est le chef d’une administration locale certes

quantitativement sur occupée à Berlin (au regard du nombre de fonctionnaires par habitant),

mais sous-équipée en personnel qualifié. Manque ainsi un personnel spécialisé pour

d’importants nouveaux champs d’activité communale, techniques avant tout1020. Le maire

d’arrondissement exerce un pouvoir de contrôle sur l’administration et peut s’opposer aux

décisions du conseil d’arrondissement1021.

La réunion de ces deux éléments (de culture politique et systémique) tend à expliquer la

victoire du maire de Lichtenberg au moment de la fusion des arrondissements1022. W.

Friedersdorff, père de 5 enfants, est surnommé « le petit roi de Lichtenberg ». Un calembour

circulait d’ailleurs à Lichtenberg à l’époque où la question du nom du nouvel arrondissement

était débattue1023. Un Lichtenbergeois en interroge un autre : « Tu sais comment va s’appeler

notre arrondissement après la fusion? » « Friedersdorff, mais avec un seul 'f' », ce qui signifie

1017 P. Giese : Kommunale Selbstverwaltung und Wirtschatsförderung. Eine qualitative Studie in Brandenburg. Opladen : Leske und Budrich, p. 207. 1018 H. Wollmann : « Transformation der ostdeutschen Kommunalstrukturen: Rezeption, Eigenentwicklung, Innovation » in H. Wollmann, H-U. Derlien [et al.]: Transformation der politisch-administrativen Strukturen in Ostdeutschland. Opladen : Leske und Budrich, 1997, pp. 259-327, p. 317. 1019 Voir le chapitre 4, section 2, A. 1020 U. Andersen : « Gemeinden/ kommunale Selbstverwaltung » in U. Andersen, W. Woyke (dir) : Handwörterbuch des politischen Systems der Bundesrepublik Deutschland. Bonn : Bundeszentrale für politische Bildung, 1997, pp. 172-180. 1021 H. Hoffmann : « Kommunalpolitik in Berlin » in A. Kost, H.-G. Wehling (dir.): Kommunalpolitik in den deutschen Ländern. Eine Einführung. Wiesbaden : Westdeutscher Verlag, pp. 64-77. 1022 Voir le chapitre 4, section 1, B. 1023 Le choix du nom des nouveaux arrondissements fusionnés a été laissé aux arrondissements eux-mêmes.

Page 348: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

334

littéralement le village de Frieder. La réponse associe le nom du maire de Lichtenberg à

l’image d’un village paisible.

L’appropriation du mandat : portraits croisés

En juin 2001, Berlin compte trois maires d’arrondissement PDS: Dr. B. Grygier (à

Friedrichshain- Kreuzberg), Dr. W. Friedersdorff (à Lichtenberg) et Dr. U. Klett (à Marzahn-

Hellersdorf). Friedersdorff et Klett sont économistes de formation. Tous trois fortement

prompts à la coopération interpartisane, Grygier avec les Verts, Friedersdorff et Klett avec la

CDU, ce qui va dans le sens d’une gestion pragmatique du pouvoir. Avant la fusion, B.

Grygier est maire de Hohenschönhausen et W. Friedersdorff maire de Lichtenberg. Le style

de ces deux maires diffère fortement. « Friedersdorff, posé et pragmatique, ne livre à

l’adversaire politique quasiment aucune surface d’attaque. La vive bouillonnante Madame

Grygier est par contre, y compris dans ses propres rangs, controversée. Sa déjà légendaire

confession télévisée, d’aimer toucher ‘des derrières féminins et masculins’ a excédé de

nombreuses personnes»1024. L’atypisme de l’un souligne le parcours conventionnel de

l’autre1025.

Bärbel Grygier

Née en 1955 à Berlin-Friedrichshain (RDA), Bärbel Grygier est employée au ministère de la santé de

RDA entre 1986 et 1988, une activité qu’elle cumule avec celle de conseillère conjugale entre 1981 et

1990. Animatrice radio d’une émission d’éducation sexuelle (Sex nach sieben), elle est exclue du SED

en 1988, avant de devenir conseillère en politique de santé du PDS/LL au Bundestag entre 1990 et

1992. Elue au conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen, adjointe à la santé (1992-1995), elle

endosse les responsabilités de maire de Hohenschönhausen (1996-2000) et devient ensuite maire de

Friedrichshain-Kreuzberg (2001-2002).

En 1996, elle est difficilement élue (au quatrième tour) à la mairie de Hohenschönhausen (elle avait

parlé beaucoup trop librement de sexe et de morale à la télévision). Lorsqu’en janvier 2000 une alliance

de gauche (SPD, verts et PDS) la porte au pouvoir dans l’arrondissement fusionné de Kreuzberg-

Friedrichshain, elle devient le premier maire PDS d’une commune ouest-allemande. En janvier 2002,

elle est appelée à remplacer G. Gysi au Bundestag, devenu sénateur à l’économie de Berlin et

démissionne de son mandat de maire. Sa distance avec le SED la rend très précieuse au PDS,

puisqu’elle lui octroie le profil parfait pour gagner un mandat direct au Bundestag et établir le PDS à

l’ouest lors des élections fédérales de 2002. C’est en effet au prix de son élection directe que se joue le

1024 « Zwei sich ähnelnde Partner schließen eine Vernunftehe ». Berliner Morgenpost du 23.06.2000. 1025 La quantité d’informations biographiques disponibles est d’ailleurs proportionnelle à l’intérêt médiatique que suscite chacune de ces deux personnalités.

Page 349: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

335

maintien de la fraction PDS au Bundestag1026. Non élue en 2002, elle retourne à ses activités de

psychothérapeute et continue à conseiller le PDS sur les questions de santé1027. Elle habite toujours à

Kreuzberg, en union libre avec un élu écologiste de Berlin-Ouest.

Wolfram Friedersdorff

Né en 1950 (RDA), Wolfram Friedersdorff, docteur en économie, entre au PDS par l’intermédiaire du

SED. Entre 1990 et 1992, il collabore avec le Comité directeur fédéral du PDS, puis de 1992 à 1995 est

employé de l’administration de Lichtenberg aux services de l’économie, des finances et de l’écologie en

sus à partir de 1995. Membre de la fédération régionale de Berlin, il est maire de Lichtenberg depuis

décembre 1995. Le 10 octobre 2000, il est élu maire du grand Lichtenberg à 83 % (57 voix contre 69),

dont de nombreuses provenant du camp du SPD et de la CDU. Il y cumule les charges du personnel, des

finances, de la culture, auxquelles s’ajoute plus tard l’éducation. Il démissionne de ces fonctions pour

devenir le 15.11.2002 secrétaire d’Etat aux affaires sociales du Land de Mecklembourg-Poméranie

antérieure. Marié, père de 5 enfants, il a pour loisirs le marathon.

Les différences de parcours, de personnalité et de modalités d’insertion dans l’appareil

partisan sont évidentes. Si B. Grygier et W. Friedersdorff ont occupé la même fonction, ce

dernier a gagné la mairie du grand arrondissement de Lichtenberg, ce qui conduit à se

demander quelles en sont les raisons.

A L et Hohenschönhausen, l’appartenance partisane, en tant que garante d’une identité,

est un repère important pour l’électorat. D’une manière générale, les candidats sont en effet

choisis en fonction de l’implantation locale du parti. Dans les fiefs, le PDS choisit des

hommes de l’appareil (occupant des responsabilités au sein des instances fédérales, mais peu

connus en dehors des cercles du parti). Dans les zones d’implantation récente ou fragile, des

militants reconnus, de notoriété locale1028. B. Grygier, W. Friedersdorff sont des personnalités

issues du tissu administratif local1029. Seul Friedersdorff devient ensuite un acteur politique

important pour le parti. Tous deux constituent cependant une ressource importante pour le

parti, mais dans des rôles différents. B. Grygier constitue un recours de par sa capacité à

déroger aux travers de l’institution1030, tandis que W. Friedersdorff est un fidèle gestionnaire.

1026 Avec la fusion, les frontières des circonscriptions ont changé. Ceci désavantage le PDS qui ne jouit plus dès lors que de deux fiefs à l’Est, contre les trois auparavant nécessaires à l’accès au Bundestag, pour le cas où il ne dépasserait pas la barre des 5%. 1027 Selon des informations datant d’août 2004. 1028 P. Garraud : « La sélection du personnel politique local ». RFSP, 38 (3), 1988, pp. 402-432, p. 411. 1029 De même que le successeur de Friedersdorff à la mairie de L. 1030 Le fait que B. Grygier soit appelée à remplacer G. Gysi au Bundestag prouve que ses compétences sont reconnues à l’échelon le plus élevé de la représentation politique. La majorité des dirigeants du PDS sont d’anciens fonctionnaires du SED, enseignants ou collaborateurs employés des ministères et des institutions de la RDA. Ils appartiennent aux forces pragmatiques- réformatrices de la fin des années 1980. Les difficultés à

Page 350: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

336

Dans les deux cas, le parcours politique débute avec l’accès à la fonction de maire. Ils

incarnent les deux visages de la domination. L’un, séculier, donne une image prosaïque de son

rôle ; l’autre, sacré, tend à la légitimité charismatique1031 et fait figure d’élu idéal. La

différence dans la manière dont ils entendent tenir leur rôle transparaît de manière claire à

travers leur action contre l’extrême droite.

trouver des candidats non entachés par leur passé constituent un critère supplémentaire (biographique) de recrutement du personnel politique. C’est ce qui explique que des biographies comme celles de B. Grygier soient mises en avant par le parti, selon un procédé guidé par une volonté d’optimisation de ses ressources, qui répond autant à un instinct de survie qu’il sert sa stratégie d’expansion. 1031 La légitimité revêt un caractère charismatique lorsqu’elle repose « sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d’une personne… ». On obéit « au chef en tant que tel, chef qualifié charismatiquement en vertu de la confiance personnelle en sa révélation, son héroïsme ou sa valeur exemplaire, et dans l’étendue de la validité de la croyance en son charisme. » M. Weber : Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriss der verstehenden Soziologie. Tubingen : J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1980, 5ème édition (Studienausgabe de J. Winckelmann), p. 124. Pour la traduction, M. Weber : Economie et société. Plon, coll. Pocket, 1995, tome 1, p. 289.

Page 351: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

337

Section 2 Faire un usage profane du mandat de maire en imposant

une cause. L’étude pilote sur l’extrême droite à Hohenschönhausen

Une motion votée en 1998 par le conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen sur

proposition de son maire, Dr. B. Grygier, charge le Centre pour la culture démocratique

(ZdK) 1032 de réaliser une étude portant sur les tendances d’extrême droite. Le terme d’étude

pilote fait essentiellement allusion à une volonté de généraliser l’initiative1033. L’étude vise

non seulement à mesurer l’ancrage de l’idéologie d’extrême droite au sein de la jeunesse de

l’arrondissement, dans sa vie quotidienne, mais surtout à faire des propositions d’action

communale pour renforcer la pratique de la démocratie dans l’arrondissement1034. Le

processus d’adoption et la réalisation de l’enquête méritent d’être esquissés avant qu’une

analyse des conséquences politiques de ses conclusions n’éclaire ses effets sur la relation du

PDS à l’extrême droite.

A) La médiation de la cause comme facteur d’inclusion et

d’exclusion à la fois

Tout a commencé lorsqu’en 1998, les services de police décident du jour au lendemain

de déplacer une manifestation du NPD qui devait défiler dans le centre-ville à

l’arrondissement périphérique de Hohenschönhausen. Se constitue alors un groupe d’habitants

désireux de s’engager contre l’extrême droite (l’Alliance contre l’extrême droite), qui se rend

1032 Le Zentrum für demokratische Kultur est créé fin 1997 par A. Kahane et B. Wagner en tant que pendant berlinois des RAA, antennes régionales pour les questions liées aux étrangers, à la jeunesse et à l’école, dans ce but actives contre l’extrême droite. Le but du ZdK, axé en priorité sur l’extrême droite, est d’apporter des connaissances scientifiques aux acteurs de terrain. Il développe et soutient de nombreux projets, notamment Exit, qui aide les adeptes de la scène à décrocher et Communauty Coaching qui aide les communes à mettre en place des contre-stratégies à long terme. D. Borstel, L. Korgel, K. Sischka, B. Wagner : Rechtsextreme Tendenzen und Erfordernisse demokratischen Handelns in Berlin-Hohenschönhausen. Etude pilote commandée par l’arrondissement de Berlin- Hohenschönhausen, ZdK 2000. Citée ensuite sous le terme d’étude pilote. 1033 Ce n’est en effet pas la première commande passée en ce sens par les services administratifs d’une commune. Dans le Brandebourg à Fürstenwalde (étude commanditée par l’administration de la ville) et à Königs Wusterhausen et Mahlow (le SPD en est à l’origine) ainsi qu’en Saxe, dans un quartier de Leipzig (Grünau), sur demande de la fraction des Verts et de la commission d’aide à la jeunesse (Jugendhildeausschuss) de la ville de Leipzig. 1034 Le déroulement des discussions autour de l’étude est reconstitué, faute de coupures de presse ou de documents officiels, sur la base des propos tenus au cours d’entretiens. Se sont exprimés sur la question des membres du conseil d’arrondissement PDS (dont la maire B. Grygier), CDU (J. Hoffmann), SPD (A. Geisel), REP (T. Kay) ainsi que le personnel administratif en charge de la question des étrangers (O.), une députée PDS de la CDB élue directe à Hohenschönhausen, K. Hopfmann et la chef de la section du PDS de Lichtenberg (A. Gabelin).

Page 352: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

338

compte qu’il ne peut pas travailler sans disposer de données fiables sur la question. Il se met

alors d’accord avec les futurs membres du ZdK, qui n’existe pas encore, pour qu’une enquête

soit réalisée à ce sujet. Sollicitée, le maire B. Grygier, pour le PDS, assure que

l’arrondissement prendra en charge son financement1035.

La désignation de l’ennemi et l’acceptation de la médiation

B. Grygier déclare avoir commencé à s’intéresser à l’extrême droite lorsqu’elle est

devenue maire de Hohenschönhausen. Elle relate comme expérience fondatrice la réaction de

la population locale confrontée, en 1996, à une troupe de théâtre itinérante à laquelle elle avait

offert d’occuper un terrain sur sa commune. Elle souhaitait pallier une injustice, le centre-ville

berlinois leur ayant été refusé, dans le souci de « préserver l’image de la capitale ». Les

nomades en roulotte n’étaient, précise-t-elle, pas des « asociaux », mais des artistes et elle a

pensé qu’un peu de vie alternative ne ferait pas de mal à l’arrondissement. Lorsque leur

arrivée est annoncée, une vague d’indignation gronde dans l’arrondissement. Une poupée

Barbie « assassinée » figurant la maire est déposée sur le parvis de la mairie en signe de

protestation. Les interrogations suscitées par l’agressivité des habitants à l’égard des étrangers

(« Pour eux, ces gens n’étaient plus des gens » déclare Grygier) constitue le point de départ de

l’étude : Qu’en est-il du racisme au quotidien, en particulier chez les jeunes ? Le but en est,

non de mieux connaître les idées d’extrême droite, mais de trouver des moyens d’action sur le

terrain. Deux interrogations soulevées conjointement par B. Grygier et O. sont à l’origine de

l’enquête : les raisons de l’attitude de la population locale (qui refuse de voir en face le

problème que constituent l’extrême droite et la xénophobie) et son lien avec le passé de la

RDA.

« Il s’agissait également pour nous d’identifier le lien existant entre ces structures organisées et

l’histoire. Quelles spécificités existent dans ces cités-dortoirs et avec l’histoire de la RDA ? Comment la

RDA s’est-elle comportée face à l’antifascisme ? Quelles prolongations ceci trouve-t-il aujourd’hui ? Et

quelle est aujourd’hui l’attitude officielle et non officielle des institutions publiques à cet égard ? » O.

1035 Selon la personne en charge à l’époque de la situation des étrangers dans l’arrondissement, Madame O., explicitement remerciée par les auteurs de l’étude pilote. Elle a coordonné les relations, parfois tendues, entre l’arrondissement et le ZdK.

Page 353: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

339

Le fait d’interroger le lien avec la RDA constitue déjà une transgression de l’approche

du PDS1036. L’initiation d’une telle étude est une affaire de profane en cela qu’elle déroge aux

pratiques usuelles des élus du PDS. Sa prise en charge par l’arrondissement et les suites qui

lui sont données, c’est-à-dire la tentative d’inscrire la lutte contre l’extrême droite dans les

politiques publiques, nécessitent qu’un agent endosse le rôle de médiateur. Le maire, B.

Grygier, accepte de s’en charger.

Le vote du conseil et la redéfinition des alliances

Une motion, qui prévoit le financement de l’étude par l’arrondissement, est donc

élaborée et soumise au vote du conseil. B. Grygier se souvient que la première réaction de

tous les partis (y compris du PDS) est le déni: le problème n’existe pas, l’arrondissement n’a

pas besoin d’une étude qui ne ferait que lui nuire. En atteste le rejet que connaît l’étude auprès

des représentants de l’économie1037. « C’est mauvais pour l’économie. En somme, la politique

fait en sorte que l’arrondissement soit stigmatisé » est alors l’argument qui prime selon B.

Grygier. La CDU et le REP affirment qu’il n’y a pas de problème justifiant une enquête. La

CDU pose sa restriction traditionnelle en exigeant qu’étude sur l’extrême gauche soit

également commandée1038. Le SPD se montre hésitant, ne prend pas position de manière

claire, « hésite même encore aujourd’hui » estime Grygier avec ironie. L’ensemble des

fractions est donc plutôt défavorable au projet.

Le PDS, lui, est méfiant à l’égard de Grygier, car elle n’est pas membre du parti,

seulement apparentée. Les élus néo-socialistes s’interrogent donc sur le bien-fondé de la

motion.

1036 En l’an 2000, B. Grygier est l’une des deux seules personnes au PDS (avec Marion Seelig de la KPF) à avoir officiellement reconnu la part de responsabilité de la RDA dans la forte présence de l’extrême droite dans les NBL. 1037 La présence de l’extrême droite nuit aux investissements. Cette argumentation a pour une grande part motivé l’élan de mobilisation de l’été 2000 en Allemagne, ainsi que de rares initiatives locales. A Hohenschönhausen par exemple, l’entreprise qui gère le centre commercial Linden-center de la Prerower Platz (le groupe ECE de Hambourg), y a organisé en 1999 la signature d’une pétition « Tous ensemble contre l’intolérance ». Le Linden-center est le principal point de rencontre de l’extrême droite dans l’arrondissement. La campagne est directement motivée par le manque à gagner que constitue l’agitation d’extrême droite, notamment du NPD. Entre août et octobre 1999, pas moins de trois actes de propagande sont dénombrés autour du Linden-center, soit un par mois. Des tracts et des autocollants y sont distribués, qui accusent par exemple les services secrets britanniques de l’assassinat de Rudolf Hess et font de lui un modèle pour la jeunesse ; un commerce de tatouages et d’objets de catégorie C (Hooligans) est inauguré dans le voisinage. Y sont proposés entre autres des drapeaux ornés d’un poing blanc et portant la mention « White power » (pouvoir de la race blanche) et des tee-shirts « Consdaple ». Portés sous un bomber à demi-ouvert, ils laissent entrevoir sur le torse les seules lettres : nsdap et échappent à l’interdiction, alors qu’ils militent pour le parti d’A. Hitler. Berliner Zeitung 15.09.2000 (rubrique Hohenschönhausen). 1038 Selon le témoignage de J. Hoffmann, chef local de la CDU, conseiller communal de 1995 à 1999.

Page 354: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

340

« Lorsque l’on n’appartient à aucun parti, même dans le cas où le principe s’y prête, il y plus de

méfiance. C’est un peu plus difficile à cette étape, parce que même les camarades du parti sont contre et

se demandent : est-ce que c’est de la politique du PDS qu’elle fait ? ou une politique de droite ? Comme

en plus, il s’agit de quelque chose de nouveau et qu’on ne sait pas comment procéder, cette méfiance

ajoute à l’impuissance de l’élu. » B. Grygier

« Madame Grygier a rencontré à l’époque des difficultés dans les rangs de son propre parti. Elle faisait

partie de ceux qui étaient très critiques à l’égard du parti et on lui a opposé résistance. Elle a eu en plus

à vaincre ces oppositions. » O.

Les réticences des conseillers d’arrondissement du PDS à l’égard de l’initiative de B.

Grygier traduit leur forte intériorisation des valeurs du parti. La volonté de résoudre ce

problème social est secondaire par rapport à la conformité de la solution proposée aux

pratiques habituelles du parti. L’aspect créateur du local, qui fait émerger de nouvelles

pratiques, est ici évident. Il est en partie lié à la perception amplifiée et immédiate de

problèmes de société nouveaux ou accrus, comme pèle mêle le chômage, la protection de

l’environnement, la pénurie de logements et les drogues. L’échelon local fonctionne ainsi de

plus en plus comme un « champ d’expérimentation pour l’ébauche de solutions »1039.

L’exclusion sociale et la problématique de l’extrême droite ont en commun de relativiser le

pouvoir de l’Etat en le confrontant à un phénomène exogène1040. Pour les élus du PDS,

enclencher une action contre l’extrême droite, c’est admettre leur propre responsabilité dans

son existence. Il faut donc que quelqu’un accepte d’endosser seul cet échec, ce que fait B.

Grygier. Il n’est dès lors pas surprenant que seul B. Wagner souligne l’exemplarité de

l’initiative de B. Grygier tandis que la majorité de nos interlocuteurs fait l’éloge de

l’engagement de W. Friedersdorff.

Bien que l’identité partisane limite la marge de manœuvre d’un élu, ses ressources

propres, acquises grâce ou antérieurement au mandat, contrecarrent les effets des contraintes

collectives. Le degré de dépendance imposé par le parti et intégré par l’élu varie ainsi

également en fonction de l’équilibre maintenu entre ces types de ressources et les milieux

dans lesquels l’élu s’insère. Ainsi, l’ancrage de W. Friedersdorff dans un fief qu’il maintient

sous contrôle du PDS lui permet d’échapper au contrôle du parti. Ses bonnes relations avec le

monde de l’entreprise et les chrétiens-démocrates constituent autant de ressources qui

diffèrent, par nature, de celles de B. Grygier. L’indépendance de Friedersdorff relève alors des

1039 U. Andersen : op.cit., p. 179. 1040 M. de Certaines : op. cit., p. 270.

Page 355: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

341

mêmes mécanismes que ceux du maire de Marzahn, Uwe Klett. Pour ces deux personnalités,

et contrairement à ce que vit Grygier, l’adhésion au parti constitue une ressource

supplémentaire sur la voie de l’autonomie. Elle protège le maire des suspicions et accroît sa

marge de manœuvre.

« J’ai vécu pendant des années à Hohenschönhausen avec la méfiance des vieux camarades. J’agissais

vraiment à l’intérieur d’une alliance. Ce n’était pas facile, ça rendait les choses plus difficiles. C’est

vraiment comme cela : si tu es membre du parti, il n’y a aucun problème. Tu peux même vraiment faire

une politique de droite. Mon collègue de Marzahn a toujours fait une politique économique de droite,

qu’on ne pouvait pas distinguer d’une politique de la CDU. La chose est légitime, il était membre du

PDS et l’est toujours. Là aussi nous avons des clichés simplistes : si tu es dedans, tout est légitime. Et si

tu n’y es pas, il y a toujours un point d’interrogation : Elle a vraiment fait cela ? [rires] Est-ce qu’on a

déjà fait ça au sujet de l’extrême droite ? Non. C’était difficile, y compris dans la discussion. » B.

Grygier

La fraction PDS au sein du conseil d’arrondissement fonctionne comme une instance de

contrôle de Grygier par le parti. Elle permet au maire de faire accepter une mesure qui

outrepasse les pratiques traditionnelles du parti.

Activation du clivage progressistes/ conservateurs1041 au moment de l’adoption du projet de

l’étude

Si, dans la phase postérieure à l’étude, la majorité absolue du PDS aide à débloquer

rapidement les fonds nécessaires à la mise en place de certains programmes de lutte contre

l’extrême droite, notamment la formation du personnel éducatif, c’est cependant l’activation

du clivage gauche/ droite qui fait voter la motion.

La maire sait pouvoir compter sur les activistes des Verts. « Ils seront toujours d’accord.

Parce qu’ils voient aussi plus rapidement ce qui se passe devant chez eux » déclare-t-elle. La

première personne à s’associer au projet est en effet l'initiateur écologiste d’un service de

consultation voué à accueillir les parents confrontés à des problèmes familiaux liés à

l’extrême droite. Cette alliance des Verts est décisive, elle permet de montrer aux conseillers

d’arrondissement du PDS que l’étude va dans le sens de leur parti, puisqu’elle est

1041 Le clivage gauche/droite nous semble inopérant en Allemagne pour expliquer le positionnement politique des partis, élus et électeurs. La distinction entre ceux qui sont favorables au progrès (les progressistes) et ceux qui sont pour un maintien des rapports sociaux existants en RFA depuis sa création (les conservateurs) nous semble plus pertinente dans ce cas précis. Elle présente l’avantage en outre de poser la position du SPD comme médiane.

Page 356: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

342

progressiste. D’une part, la polarisation des progressistes (B90, SPD, PDS) face aux

conservateurs (CDU, REP) convainc la fraction du PDS qu’il s’agit là d’une mesure en accord

avec l’esprit de son parti. D’autre part, l’autorité morale dont bénéficie la maire en tant

qu’arbitre extra-partisan vient à bout des doutes du SPD et des écologistes. Sa non adhésion

au PDS et son caractère atypique constituent ainsi un atout pour l’adoption d’une mesure

innovante. Les effets potentiellement contre-productifs de la majorité absolue du PDS, qui, en

déséquilibrant le jeu politique, engendre une polarisation des forces en présence, sont

compensés par le statut marginal de B. Grygier au sein du PDS1042.

Votée davantage grâce au soutien des fractions de gauche que de la majorité absolue du

PDS, l’enquête est réalisée sous le signe d’une étroite collaboration entre la société civile

locale (représentée par l’Alliance contre l’extrême droite) et le ZdK. Le choix des

interlocuteurs et des lieux d’enquête1043 se fait après concertation impliquant citoyens et

chercheurs du ZdK. Le choix même du ZdK est politique et déroge aux habitudes du PDS.

Une séance du conseil, consacrée aux conclusions préalables de l’enquête, rend compte

des appréhensions liées à la publication des résultats. La discussion porte en particulier sur le

choix de la méthode qualitative, à laquelle certains reprochent de ne donner aucune indication

sur les proportions. Certains représentants du conseil exigent que la première version de

l’enquête respecte l’anonymat des personnes consultées, ce qui est concédé1044. A l’extrême

droite, on reproche également à l’étude d’être tendancieuse1045. T. Kay estime d’ailleurs qu’il

ne peut en être autrement, les collaborateurs du ZdK étant « de gauche ».

Cette critique rejoint le souhait initial des commanditaires de l’étude. Les employés du

ZdK sont certes majoritairement « à la gauche du SPD »1046, mais le choix de cette institution

réside précisément dans le fait que son directeur, B. Wagner, éminent spécialiste de l’extrême

droite dans les NBL, fait partie des personnalités publiques respectées les plus critiques à 1042 Sur l’ambiguïté de la majorité absolue du PDS à Hohenschönhausen, voir le chapitre 4. 1043 80 lieux d’enquête sont sélectionnés parmi lesquels les fractions des partis représentés au conseil d’arrondissement, les chefs de services administratifs, les écoles, les structures d’accueil et de loisir des jeunes, les Eglises, etc. 1044 En ce qui concerne les cas particuliers, seuls les supporters du club de football Dynamo de Berlin se sont plaints, se sentant agressés car un chapitre de l’enquête est consacré aux hooligans de leur club. 1045 C’est de l’élu des REP que viennent les critiques les plus vives. T. Kay profite de l’occasion pour plaider sa cause. Il déplore le caractère « peu scientifique » de l’étude. La définition « primitive » des notions principales n’autorise pas selon Kay l’existence d’une « pensée nationale démocratique ». Il aurait fallu opérer une distinction entre extrême droite et démocrate-national, de même qu’entre les adjectifs « radical » (à ne pas condamner par principe puisqu’il désigne une personne qui défend ses idées avec « véhémence et justice ») et « extrême », ce dernier équivalant selon lui à de la criminalité politique. A titre d’exemple de parti extrême, il cite le PDS. 1046 Selon les dires de l’un d’entre eux, ancien stagiaire du groupe parlementaire PDS au Bundestag.

Page 357: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

343

l’égard du PDS. A ce sujet, O. concède que le PDS aurait préféré que l’enquête soit confiée à

une institution plus proche du PDS1047. « Nous voulions également faire un peu mal ; c’était

aussi notre intention » ajoute-t-elle. Cette préférence s’explique également par le fort intérêt

porté par B. Wagner aux responsabilités originelles de la RDA dans l’extrême droite actuelle.

Il s’intéressait déjà à ce phénomène et à son traitement par les autorités à l’époque de la RDA.

La faiblesse des soutiens dont bénéficie B. Grygier au sein de son parti encourage

l’implication d’organisations extérieures au PDS dans l’initiative (administration locale et

structures d’encadrement spécialisées). Le choix des alliances est ainsi le fruit d’une exclusion

initiale, il se fait par défaut.

B) Les conclusions de l’étude : l’ennemi est à l’intérieur.

Au début de l’année 2000, les conclusions de l’enquête sont officiellement rendues

publiques au cours d’une conférence de presse. Le résultat confirme les craintes

majoritairement exprimées au sein du conseil d’arrondissement. Loin de valoriser

l’arrondissement, elles apportent en effet du crédit à son image négative.

L’étude est perçue selon l’appartenance partisane comme une expérience nuisible à

l’arrondissement (CDU), un succès (partagé entre le PDS et les Verts) ou du gaspillage

d’argent public (REP)1048. Elle connaît une conséquence inattendue et contre-productive : elle

permet au REP T. Kay de trouver sa clientèle, les données de l’enquête constituant un

inventaire des endroits où militer et des moyens de communication à utiliser pour atteindre

son électorat. « Pour lui, c’était une passe décisive, car pour un homme politique intelligent

d’extrême droite, c’est formidable : c’est sa clientèle ! » conclut B. Grygier. Cette exploitation

perverse de l’étude renforce la suspicion des conseillers d’arrondissement quant à l’usage que

Kay peut faire de certaines actions1049.

1047 L’entourage du PDS ne manque pas de chercheurs (historiens et sociologues) qui réalisent à sa demande des études portant sur le PDS (Chrapa, Wittich) ou la société est-allemande. La Fondation Rosa Luxemburg contribue fortement à développer et à faire connaître certains travaux relatifs aux NBL, en organisant par exemple des conférences de presse. 1048 L’interprétation des résultats de l’étude est polymorphe. J. Hoffmann (CDU) estime que le produit fini n’a pas fait grand bruit car le résultat escompté par le PDS (tout est de la faute de l’extrême droite) n’a pas été prouvé. A. Geisel (SPD) interprète l’étude comme un reproche fait à l’arrondissement de faire du « travail social acceptant » (akzeptierende Jugendarbeit) à destination de la jeunesse. Il s’agit d’une théorie de travail éducatif qui vise à intégrer les jeunes d’extrême droite dans des loisirs encadrés, principe que l’élu refuse expressément. L’étude constitue selon lui une pure erreur en matière de stratégie de communication car elle nuit à l’image de l’arrondissement. 1049 Voir le chapitre 4, section 2.

Page 358: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

344

Les conclusions, ci-dessous résumées en trois points, scandalisent la population locale.

• Hohenschönhausen ne constitue pas un centre de gravité politique des activités d’extrême

droite, ce qui pourrait changer avec la fusion. En tant que phénomène politique, elle joue

un rôle mineur, mais l’ensemble des formes actuelles de l’extrémisme de droite (y

compris les Hooligans) est présent dans l’arrondissement. La scène d’extrême droite se

consolide en développant les commerces destinés aux adeptes.

• La terminologie couramment utilisée dans l’arrondissement pour désigner l’extrême droite

contribue à banaliser le phénomène. Peu à peu, la société s’approprie les idées auparavant

considérées comme d’extrême droite1050. Ceci passe par le développement et l’ancrage des

idées d’extrême droite dans des structures publiques telles celles vouées aux loisirs des

jeunes1051, le refus de reconnaître aux immigrés le droit d’habiter en Allemagne ainsi que

le développement de zones de non droit (no-go-areas). La xénophobie considérée comme

« normalité et comportement socialement accepté», sans spécificité liée à l’âge ou au

milieu est une caractéristique forte de l’arrondissement1052.

• Enfin, l’extrême droite n’est pas prise en compte comme un problème global relevant de

différents domaines de la vie locale, sociale et politique1053. Aucune action n’est engagée

tant qu’aucune violence d’extrême droite n’a eu lieu. Les difficultés pour mettre en place

une action de fond contre l’extrême droite sont réelles.

1050 Les membres de l’administration de l’arrondissement interviewés refusent certes clairement et sans réserve les tendances d’extrême droite, mais leur définition de celle-ci est très vague, la connaissance des modèles théoriques et terminologiques fait souvent défaut. De même, dans le milieu scolaire, la connaissance de l’existence d’idées d’extrême droite au sein des élèves est liée à la position hiérarchique occupée. Plus on monte dans la hiérarchie, moins le personnel éducatif est conscient de l’impact de l’extrême droite. Etude pilote, p. 197 1051 L’extrême droite est particulièrement présente dans les structures de loisirs de la jeunesse. L’enquête met en lumière l’existence d’un potentiel de sympathisants de l’extrême droite parmi les jeunes participant aux loisirs encadrés. Ceux-ci évoquent pourtant bien moins facilement et directement leur proximité avec l’extrême droite dès lors qu’ils sont confrontés à des oppositions, des critiques et des positions démocratiques. Elle démontre en outre que les idées d’extrême droite sont davantage acceptées au sein de ces structures que les opinions « démocratiques, antiracistes, non violentes et antifascistes ». Etude pilote, p. 9. Ces activités culturelles et de loisirs s’insèrent en effet dans la stratégie de recrutement de l’extrême droite. Ceci est rendu possible par l’incompétence des animateurs à encadrer ces loisirs. A ce titre, l’organisation d’une sortie au cinéma par un club de jeunesse est emblématique des défauts d’encadrement de ces structures. Les éducateurs confient aux adolescents le choix du film. Ils optent pour un documentaire sur Mengele, médecin expérimentaliste des camps d’extermination nazis. Aucune explication du contexte n’est livrée avant la projection, aucune discussion n’est organisée après et les deux responsables de l’encadrement du club ne se rendent pas à la projection. Etude pilote, pp. 167-168. 1052 « Le racisme apparaît comme une composante ‘normale’ d’une société ‘démocratique’ -tant qu’il ne s’agit pas d’un acte direct de violence motivé par le racisme- et qu’il n’est pas contredit par la société.». Etude pilote, p. 125. 1053 Très souvent, l’extrême droite en tant que phénomène politique n’est pas prise au sérieux par les adultes. D’une part, pensent-ils la DVU, le NPD, les REP sont des partis démocratiques puisqu’ils ne sont pas interdits. Ces jeunes ne sont pas des nazis, donc ils ne sont pas d’extrême droite, pas même de droite. Les jeunes témoignent d’un intérêt modéré pour la politique en général, y compris pour l’extrême droite.

Page 359: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

345

En somme, les idées d’extrême droite se généralisent, gagnent peu à peu les esprits sans

que la population n’en ait conscience et ne se mobilise contre ce phénomène. Les seules

conclusions de l’étude transfèrent le stigmate de l’extrême droite sur les habitants de

l’arrondissement. Les pouvoirs publics locaux sont complices de cette évolution.

Un arrondissement stigmatisé par la banalisation de l’extrême droite par les pouvoirs

publics locaux

Style de vie, l’extrême droite relève au quotidien de la normalité. Elle exerce son

influence sur l’ensemble des structures socialisantes de Hohenschönhausen La forte présence

du PDS dans l’arrondissement encourage l’incrédulité face à ces phénomènes. L’idée que

l’extrême droite et le racisme ne peuvent être puissants dans un arrondissement dominé par le

PDS est particulièrement citée dans le cadre de l’étude :

« Dans un arrondissement de gauche, le racisme n’a aucune chance d’exister »

« Je me dis toujours que les citoyens votent et ont quand même voté PDS à 40% dans cet

arrondissement et seulement tel petit pourcentage pour les partis d’extrême droite. Ce qui donne une

idée de la situation réelle »1054

Le phénomène d’un racisme latent à Lichtenberg et Hohenschönhausen qui, s’il ne

prend pas de forme spectaculaire, rend la vie difficile à une partie de la population stigmatisée

par l’extrême droite, est en effet connu par bon nombre de nos interlocuteurs.

« Mais j’ai un ami d’Afrique noire qui a vécu ici à Hohenschönhausen et qui a également été agressé à

plusieurs reprises dans la rue. Il a déménagé à cause de cela, il a emmené sa famille à Wedding1055. Il

est bien plus détendu maintenant. J’en conclus donc, bien que l’on n’en arrive pas toujours à des délits,

qu’il existe bien manifestement un climat qui fait qu’il est difficile pour les gens différents des citoyens

normaux, peu importe pour quelle raison, couleur de peau, religion –et tout ce que l’on peut s’imaginer

d’autre- de vivre ici décontracté. » A. Geisel, SPD, élu local à Lichtenberg.

« La xénophobie est très répandue, non seulement contre tout ce qui appartient à l’univers des étrangers,

mais elle s’oriente aussi contre tout ce qui n’est pas socialisé dans ce milieu conformiste, également au

plan architectural dans les cités typiques [de l’ex-RDA], ceux qui ne ressemblent pas aux autres, les

punks par exemple, ceux qui s’habillent autrement, ceux-là se perçoivent eux-mêmes comme des

étrangers et sont considérés comme tels par les autres. Il y a aussi eu des antécédents à

1054 Certains témoignages confirment pourtant, comme l’a montré le chapitre premier, que rien n’empêche un extrémiste de droite de voter PDS. L’étude évoque le cas d’un adolescent scolarisé qui vend des cassettes audio de groupes d’extrême droite en se déclarant politiquement à gauche, proche du PDS. Un autre adolescent évoque le comportement électoral de jeunes adultes de sa connaissance : « Je sais des plus vieux qu’ils votent pour la DVU, les Republikaner ou le PDS ». Etude pilote, p. 209. 1055 Arrondissement occidental à forte proportion de personnes d’origine étrangère, de Turquie en particulier.

Page 360: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

346

Hohenschönhausen, des tentatives de leur chercher querelle. Il n’y a pas eu d’agressions sur des

étrangers ou ce genre de choses. Ce n’était qu’une manifestation marginale, rien d’accablant, mais en

théorie, cela s’inscrit dans ce phénomène plus large. » O., administration de Hohenschönhausen en

charge de la condition des étrangers

« Il y avait un foyer, il y est toujours à Hohenschönhausen, où il n’y avait pas de problèmes. C’est à

dire que tant qu’ils sont dans le foyer et n’ont pas affaire à nous, alors tout est en ordre. Mais nous n’en

voulons pas ici, parce que le Vietnamien pue… et ainsi, depuis de nombreuses années, on remarquait

une part de racisme considérée comme normale » B. Grygier, ancienne maire de Hohenschönhausen.

Ces témoignages confirment également l’absence de violence physique, un argument

souvent utilisé pour montrer que Lichtenberg et Hohenschönhausen ne sont pas des

arrondissements où l’extrême droite est forte.

Les conclusions de l’enquête sont sévères quant à la présence d’idées d’extrême droite

au sein de la population de l’arrondissement et de ses représentants politiques et

administrateurs. L’absence de reconnaissance officielle de phénomènes liés à l’extrême droite

engendre leur reproduction au sein des institutions. En outre, ceux qui ont vécu le contexte

anomique du début des années 1990 relativisent fortement le poids de l’extrême droite à la fin

de cette décennie. Les personnes interrogées ne mesurent pas à quel point l’apparition de

l’extrême droite s’est normalisée jusqu’à devenir « acceptable » pour l’image de

l’arrondissement. Il apparaît en conclusion que les animateurs sociaux et les acteurs de la

politique culturelle et de loisirs ne reconnaissent pas l’extrême droite lorsqu’elle apparaît.

Ceci les conduit à banaliser le phénomène1056 et à ignorer la diversité et la nature des

stratégies, souvent sociales et culturelles plus que politiques, des partis et organisations

d’extrême droite1057.

S’il est fort probable que ses rédacteurs aient volontairement renoncé à user

d’euphémismes1058 pour créer un choc, le contenu même de l’étude est stigmatisant et

culpabilisant pour l’arrondissement.

1056 L’extrême droite n’est pas un problème de jeunes, les idées nationalistes et racistes nombreuses chez les parents exercent une très forte influence sur les enfants. La musique fait partie intégrante du rite initiatique et contribue à banaliser et à répandre les idées nationalistes et racistes défendues par l’extrême droite. Les interlocuteurs reconnaissent le rôle prépondérant joué par celle-ci et par divers symboles dans l’identification au groupe d’extrême droite, mais pas leur dominance et influence sur l’espace public. Etude pilote, p. 121. 1057 La stratégie du NPD par exemple se résume en trois colonnes : « combat pour les esprits, combat pour la rue, combat pour les parlements». Voir l’introduction et le chapitre premier. 1058 Le sérieux de l’étude n’est pas à remettre en cause D’autres études relatives au caractère extrémiste de la jeunesse de Hohenschönhausen ou Lichtenberg confirment les conclusions du ZdK. Handeln gegen

Page 361: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

347

Propositions d’action communale

Face à ces constats, l’étude prône dans une seconde partie une coopération

institutionnelle accrue au sein de l’arrondissement, dont elle livre les lignes directrices.

Possibilités d’action de l’administration locale

Les recommandations à l’intention de la politique communale comportent trois volets

d’action immédiate. Il s’agit premièrement de développer un concept de travail de terrain en

coopération avec le club de football du Berliner Fussballclub Dynamo (BFC), ancien club de

la police de la RDA (Volkspolizei), installé à Hohenschönhausen en 1992 et durement touché

par le hooliganisme d’extrême droite; deuxièmement de créer une permanence indépendante

exclusivement consacrée à la question de l’extrême droite et de lui apporter le soutien des

services communaux, et troisièmement de former le personnel éducatif1059. Un programme de

formation continue assuré par le ZdK (« Stratégies contre l’extrême droite » - Strategien

gegen Rechts) à destination du personnel éducatif est mis en place1060. La plupart des

enseignants en exercice dans les NBL a été formée en RDA, à une période où l’existence de

l’extrême droite était officiellement niée par les autorités. Le projet, dont le coût est évalué à

75000 euros, est co-financé par l’arrondissement et l’administration du Sénat (ou ministère)

pour la jeunesse, la famille et le sport. Des pourparlers ont commencé en vue de

l’élargissement de cette offensive éducative à l’ensemble de la capitale1061.

Il revient à l’administration d’établir un catalogue des exigences minimales en matière

de travail social à destination de la jeunesse afin de généraliser la prise de conscience du

danger que représente l’extrême droite pour l’arrondissement. Son rôle n’est pas seulement de

nature logistique et infrastructurelle (coordonner, fournir des salles de réunion aux

Fremdenhaß. Jugendliche aus Lichtenberg und Neukölln im Gespräch. Ost-West-Schülerbegegnungen. 1999. LAG- Kinder- und Jugendschutz Berlin e.V. Janvier 2000. 1059 La formation continue des travailleurs sociaux et des enseignants apparaît nécessaire. Au sein des établissements scolaires, la diffusion des idées d’extrême droite est moins uniforme que dans les clubs de jeunesse. Il continue à exister des écoles de gauche et d’extrême droite. 1060 Au cours d’une journée de formation, les formateurs apprennent aux enseignants à reconnaître les jeunes d’extrême droite à leur aspect extérieur (habits, musique et symboles portés). L’expérience de B. Wagner lui a montré que les enseignants prennent souvent les bottes d’assaut ou les bombers pour une mode et sous-estiment donc cet aspect vestimentaire caractéristique de l’appartenance à la scène. Il s’agit par conséquent de sensibiliser le corps enseignant et de le pousser à chercher le dialogue avec ces jeunes en s’exerçant grâce à des jeux de rôles qui offrent de premiers résultats encourageants. 1061 C’est en tout cas ce que souhaite B. Grygier qui a trouvé un allié en l’adjoint à l’éducation de Berlin M. Szulczewski (CDU). Une partie de la CDU a semble-t-il fini par se rallier à cette initiative. « Rollenspiele gegen Rechts- Hohenschönhausen ». Berliner Zeitung, 16.11.2000.

Page 362: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

348

associations et des locaux aux clubs de jeunes), elle doit également encadrer davantage le

passage de l’école au marché du travail (augmenter le nombre de places en apprentissage,

informer les jeunes sur l’ensemble des carrières envisageables)1062. Dans ce contexte, une

réflexion sur la socialisation en RDA et sur le passé nazi est également nécessaire1063.

Enfin, la conscience démocratique des citoyens doit être développée. Les auteurs de

l’étude militent pour un développement des outils de démocratie directe. L’administration

communale est trop peu acceptée et ancrée dans le quotidien des citoyens est-allemands1064.

Or, une participation accrue des citoyens à la vie de la commune augmente d’autant

l’acceptation de l’administration locale. De nouvelles voies d’exercice d’une démocratie

vivante sont à développer qui offrent au citoyen la possibilité de prendre la parole et de se

sentir écouté. Dans les cités-dortoirs de Hohenschönhausen, d’autres formes de démocratie

participative peuvent être mises en oeuvre, telles la « cellule de planification »

(Planungszelle) ou le « certificat de citoyenneté » théorisés par C. Dienel1065. L’intégration des

citoyens à la vie politique de la commune peut passer par l’organisation de forums de

discussion basés sur l’ordre du jour du conseil d’arrondissement.

L’arrondissement doit en outre arrêter de perpétuer la ghettoïsation des immigrés dans

le foyer de la Gehrennseestrasse protégé (ou coupé du monde extérieur) par des grilles et des

gardes. Il est ainsi nécessaire de décentraliser les lieux d’habitation des immigrés et de lancer

un projet pilote en coopération avec le PDS, les assemblées de copropriétaires, les Eglises et

acteurs de la société civile et en accord avec les immigrés eux-mêmes. La population doit

apprendre à côtoyer au quotidien la population immigrée.

1062 Un programme « Vivre la démocratie » doit par exemple être mis en oeuvre dans les écoles et les crèches afin d’établir, dès le plus jeune âge, des structures socialisantes visant à prévenir le développement de modes de pensée autoritaires et d’extrême droite. 1063 Les auteurs prônent la mise en place d’ateliers d’histoire, encadrant la confrontation émotionnelle au passé nazi (un lycée de Hohenschönhausen a par exemple reconstitué la biographie d’un médecin juif de Hohenschönhausen victime de l’Holocauste) et à la RDA (à travers l’élaboration de portraits de prisonniers et de victimes de la prison politique de la Stasi à Hohenschönhausen ou encore la reconstitution de la vie quotidienne). 1064 Voir M. Osterland : « Kommunale Demokratie in den neuen Bundesländern ». APUZ, n°50/1996, pp. 41-46. 1065 cf. P. C. Dienel: Die Planungszelle. Eine Alternative zur Establishment-Demokratie. Opladen: 3ème édition 1992 et P. C. Dienel: « Das ‚Bürgergutachten’ und seine Nebenwirkungen » in W. Gessenharter (dir.) : Konfliktregelung in der offenen Bürgergesellschaft. Dettelbach, 1996, pp. 113-135.

Page 363: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

349

Renforcement de la société civile1066

Bien que tout renforcement local des liens, de la démocratie et de la société civile

contribue à endiguer l’apparition de l’extrême droite, la lutte contre ce phénomène doit être

constituée comme un domaine particulier et exclusif d’action. La société civile peut et doit

jouer un rôle primordial dans ce domaine. Le parti pris du ZdK est qu’il est tout autant

nécessaire – et les deux doivent être fait simultanément- d’éduquer à la démocratie que contre

l’extrême droite. Le salut doit venir d’un renforcement, d’abord local, de la société civile. Il

doit offrir un espace de prise de parole publique aux groupes minoritaires. La société civile

stabilisant la démocratie, il faut donc commencer par soutenir les volontés déjà existantes.

Pour ce faire, il est nécessaire de créer un acteur se consacrant exclusivement à la lutte contre

l’extrême droite et à la démocratisation1067.

Le ZdK prône alors la création d’une initiative citoyenne locale pour la démocratie sur

la base de l’Alliance contre l’extrême droite déjà existante1068. Il est important que cette

Alliance reçoive une aide régulière de l’arrondissement, dont les services administratifs

doivent coordonner les activités des différentes composantes politiques et sociales de

l’arrondissement (partis politiques, police, économie, syndicats,…).

Ainsi, il est prévu que ces recommandations initient la mise en place d’un programme

anti-extrême droite pour l’arrondissement. L’administration locale jouant un rôle central dans

chacune des recommandations, y compris relatives à l’encouragement de la société civile,

c’est à elle et à son chef, le maire, qu’il revient d’encadrer le programme d’action.

C) Une lutte nécessairement incarnée

A la phase d’officialisation de l’ennemi succède la mise en place d’un protocole de lutte

qui n’échappe pas aux logiques de personnalisation du pouvoir. Les suites données à l’étude

ou plus exactement l’absence de suites consécutives au départ de B. Grygier confirment qu’il

1066 La section 3 revient plus longuement sur la notion. 1067 A l’époque où l’étude est réalisée, il n’existe aucune structure associative spécifiquement consacrée à endiguer la présence de l’extrême droite dans l’arrondissement. Divers projets ayant trait à l’amélioration de la situation des immigrés sont en cours ; il existe des associations qui apportent une aide sectorielle à la population contre le chômage ou en faveur de la parité. Les Eglises, qui proposent également une alternative idéologique à l’extrême droite, ressemblent davantage à des niches sans contact les unes avec les autres où les fidèles s’isolent. Le thème de l’extrême droite n’y est pas toujours traité de front. 1068 Celle-ci doit avoir pour triple objectif l’analyse de la situation et l’adoption de définition commune des notions utilisées, la définition d’objectifs et un travail important en direction de l’opinion publique pour trouver des partenaires.

Page 364: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

350

est nécessaire qu’une personne investie prenne en charge le problème. Les tentatives de

poursuite de la lutte dans d’autres espaces montrent que l’initiative doit être prise en charge

par un médiateur, identifiable et capable de l’incarner durablement. L’échec résulte souvent

du passage de relais ou du transfert de territoire. Sans doute faut-il mettre l’absence de suites

données à l’étude dans l’arrondissement sur le compte du changement de personnel consécutif

à la fusion. Le refus de poursuivre l’action tient en partie à ce que l’action de Grygier est

synonyme de marginalisation de l’arrondissement. La fusion offre alors la possibilité de

rejeter la présence de l’extrême droite sur le territoire voisin, ce qui ouvre la voie au déni.

Déni dans le grand arrondissement fusionné de Lichtenberg

L’absorption de Hohenschönhausen par Lichtenberg se traduit par l’absence de

concernement du grand arrondissement pour la problématique de l’extrême droite. Fin 2001 à

Lichtenberg, dans les locaux de sa mairie ou du PDS, l’étude n’est pas évoquée au présent,

comme un processus en cours. Dans les faits, les quatre cent pages que constitue l’étude

semblent être un bien rare à la mairie de L et circulent peu1069. « Le sujet a totalement disparu

du domaine institutionnel, sans doute jusqu’à la prochaine manifestation du NPD à L-

Hohenschönhausen» prophétise O. B. Grygier estime que le nouveau maire refuse de

poursuivre le chantier mis en place, W.Friedersdorff n’a pas lu l’étude pilote et nie l’existence

d’un phénomène d’extrême droite à Lichtenberg. L’arrondissement s’en défend, arguant que

le nouveau conseil d’arrondissement a adopté, sous forme de motion, un concept de lutte

contre l’extrême droite à l’échelle de l’arrondissement. En réalité, la proposition se borne à

résumer l’action des différents services dans ce domaine.1070. Il s’agit d’un inventaire de

coquilles vides ou d’actions accomplies ou lancées par le conseil d’arrondissement de

Hohenschönhausen avant la fusion et non poursuivies par le grand-arrondissement, un alibi

censé témoigner d’une action effective.

1069 Christian, responsable de Soli’d, organisation de jeunesse proche du PDS –il a lui même été candidat PDS au conseil de Hohenschönhausen en 1999 et à la CDB et était, à 19 ans, numéro deux du PDS de Hohenschönhausen - s’est montré très surpris de nous savoir en sa possession. Lui-même, malgré plusieurs demandes, n’a pas réussi à en obtenir un exemplaire. 1070 Elle résulte d’avril 2001 et de la mobilisation contre la manifestation du NPD le 1er mai à Lichtenberg. Toutes les fractions du conseil d’arrondissement ainsi que l’élue des Verts rappellent alors dans un communiqué, qui reprend la motion votée, les résultats du travail des précédents conseils. Y sont énumérés l’étude pilote de Hohenschönhausen, une proposition spécialisée « Stratégie contre l’intolérance et la xénophobie dans l’arrondissement », produit de la coopération entre le PDS et le SPD de Hohenschönhausen qui encourage des projets pour la formation à la tolérance dans les écoles, les initiatives « Initiative de Lichtenberg contre l’extrême droite » et « l’Alliance de Hohenschönhausen contre l’extrême droite ».

Page 365: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

351

L’étude pilote réalisée à Hohenschönhausen semble engendrer davantage de

changements au sein d’autres institutions. Au sein du ZdK, elle aboutit à la création d’une

nouvelle section, le Community coaching, dont le but est de livrer les outils nécessaires au

combat engagé sur le terrain par les communes. Les villes de Spreewald et Rostock

(tristement célèbre pour ses agressions xénophobes) ont repris l’idée de l’étude1071. Dans

l’arrondissement occidental de Charlottenbourg-Wilmersdorf, J. Hornig, élu PDS, dépose en

l’an 2000 une proposition initiant la réalisation d’une étude mesurant l’impact de l’idéologie

d’extrême droite dans les écoles et chez les jeunes1072.

A Kreuzberg-Friedrichshain: Difficile succession et appropriation du combat

Le transfert du procédé rencontre pourtant un certain nombre d’obstacles, il arrive

notamment que les enjeux de la lutte diffèrent. Lorsque B. Grygier devient maire du grand-

arrondissement de Kreuzberg-Friedrichshain en 2001, elle y apporte son plan d’action contre

l’extrême droite. Une dépêche de début 2001 annonce l’intention du conseil d’arrondissement

d’élaborer une étude sur les convictions racistes et d’extrême droite1073. L’appréhension que

suscite chez les acteurs politiques et sociaux locaux l’évocation d’une étude de ce type à

Kreuzberg-Friedrichshain est spécifique à la thématique de l’extrême droite, non au site de

Hohenschönhausen. Les réactions sont les mêmes qu’à Hohenschönhausen : le phénomène est

ignoré, le consensus encore plus difficile à trouver. D’une part car le rapport de force est

moins clair et moins favorable au PDS, en dépit d’une forte fraction écologiste sur laquelle

Grygier peut s’appuyer1074. D’autre part, la fusion a réuni dans une même unité administrative

deux arrondissements (un oriental, un occidental) au profil distinct. Kreuzberg a une très forte

identité alternative, voire libertaire, mais c’est aussi un arrondissement fortement familial et

élu par la population turque, tandis que Friedrichshain reste marqué par la RDA, bien qu’il

attire une population jeune et estudiantine.

1071 Selon les propos tenus par le vice-président du ZdK lors de la réunion du 12.06.2002 à Kreuzberg. 1072 Le projet, soumis au vote du conseil d’arrondissement, est rejeté par la CDU qui argumente sur l’aspect fictif de l’extrême droite dans l’arrondissement et sur le peu de pertinence en conséquence d’une telle dépense. L’extrême droite est loin d’y être inexistante, mais l’image de l’arrondissement n’en souffre pas. 1073 Le soutien de l’action Entrée de secours et l’organisation d’une table ronde sur la démocratie et la tolérance, contre l’extrême droite et le racisme en sont les prémisses. Tagespiegel du 26.01.2001 1074 Le paysage politique de Kreuzberg est moins monolithique qu’à Hohenschönhausen. Il est nettement favorable à la gauche dans sa pluralité. Sur les 36 sièges que compte le conseil à partir de 1999, 10 sont occupés par la CDU, 9 par le SPD, 3 par le PDS, 13 par les Verts et 1 par une version berlinoise du parti communiste allemand, KPD/RZ. A l’issue des élections suivantes (21.10.2001), le conseil de Kreuzberg-Friedrichshain, se compose de 17 élus PDS, 15 SPD, 13 des Verts, 8 de la CDU et 2 du FDP, ce qui confère une large majorité à une gauche capable d’alliances ponctuelles.

Page 366: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

352

Persuadée que tout cesserait dès qu’elle quitterait l’arrondissement, B. Grygier constate

pourtant en 2002 que le sujet reste d’actualité. Elle dit surveiller que son successeur1075

poursuive l’étude et continue à suivre de près cet arrondissement où elle habite et où elle

brigue en vain un mandat de députée au Bundestag en 2002. L’étude, menée à son terme, est

rendue publique l’année suivante.

A Kreuzberg-Friedrichshain, l’élaboration de l’étude est ponctuée de réunions publiques

rendant compte de l’état des recherches. Le 12 juin 2002, Cornelia Reinauer, maire PDS de

Kreuzberg-Friedrichshain, invite certaines associations et personnalités locales à la

présentation des premiers résultats de l’enquête1076. Ceux-ci mettent clairement en évidence

une dichotomie Kreuzberg-Friedrichshain inexistante à Lichtenberg. Bien que Friedrichshain,

considéré comme un arrondissement touché par l’extrême droite, rajeunisse et se diversifie

dans sa composition sociale, les personnes immigrées continuent à en avoir peur et hésitent à

s’y rendre. La tradition d’une gauche populaire et antifasciste dans l’arrondissement empêche

que l’espace public n’y soit occupé par l’extrême droite1077. Un racisme au quotidien n’est pas

décelable. Il existe certes des préjugés racistes mais une confrontation a lieu sur ce sujet et la

coopération entre les autorités publiques (administrations, police et associations) fonctionne

bien.

Sur l’autre versant de la Spree, à Kreuzberg, on constate un fort sentiment identitaire

turc. Parce qu’ils sont majoritaires dans certains établissements scolaires, une xénophobie

interethnique naît entre Allemands et Turcs, ainsi qu’entre personnes originaires d’Afrique

noire et jeunes Arabes. Le ZdK souligne la nécessité, dans ce contexte, de surveiller les

« communautés fermées », notamment les écoles coraniques. Ces tendances sont confirmées

1075 C. Reinauer succède à B. Grygier à la mairie de Kreuzberg-Friedrichshain lorsqu’en janvier 2002, cette dernière est appelée à remplacer G. Gysi, devenu sénateur à l’économie de Berlin, au Bundestag. Née en RFA, C. Reinauer quitte le Bade Württemberg pour Berlin (Ouest) en 1975. Elle est d’abord employée de bibliothèque puis, de 1989 à 1994, travaille au sein de l’administration de Kreuzberg. Entre 1995 et 2000, elle est conseillère communale en charge de la santé, du social et de l’habitat à Marzahn avant de devenir adjointe du maire de Marzahn. Elle adhère au PDS en 1997 et rejoint Kreuzberg suite à la fusion. 1076 Une trentaine de personnes donne suite à l’invitation, ce qui parait répondre aux attentes des organisateurs. Les gens semblent se connaître. Une dizaine de collaborateurs du ZdK en charge de l’étude est présente. Sont majoritairement présents des habitants de Kreuzberg. La qualité des questions posées à la fin de la présentation, notamment celles touchant à la méthode, fait naître la conviction qu’il s’agit de personnes sensibilisées à la question et à ce type de recherche. La méthode employée est la même que pour Hohenschönhausen Il s’agit d’une étude descriptive basée sur l’observation participative et la réalisation d’entretiens et qui respecte l’anonymat. 1077 L’extrême droite organisée apparaît essentiellement sous la forme de la « Kameradschaft » Frankfurter Tor. A Kreuzberg, l’extrême droite « allemande » se concentre localement autour de Hallesches Tor.

Page 367: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

353

par la version définitive de l’étude1078, ou plus exactement des deux études. Les deux

arrondissements sont traités séparément, en fonction de problématiques spécifiques aux

arrondissements orientaux en ce qui concerne Friedrichshain, et aux arrondissements

occidentaux à forte population turque pour Kreuzberg. Si l’étude de Kreuzberg consacre une

partie importante aux dérives intégristes de l’Islam et au nationalisme arabe, aucune des deux

études ne traite de l’extrême gauche. Cette scène, en particulier les Autonomen, a pourtant élu

domicile dans cette zone, avant même l’unification1079.

L’étude de K-F multiplie les entrées de la catégorie de l’ennemi, ce qui a pour effet de

déculpabiliser Hohenschönhausen. Les deux initiatives ont en commun de détabouiser

l’existence d’un phénomène dangereux et stigmatisant pour l’arrondissement. Toutefois,

aucune volonté politique n’agit dans le sens des recommandations délivrées par le ZdK.

Rendue publique en août 2003 à Friedrichshain-Kreuzberg, aucune conséquence n’est connue

en 2005.

Il semble donc que la défense d’une cause est vouée à l’échec tant qu’elle ne rencontre

pas son médiateur. L’idée de guide renvoie à cette médiation personnelle et isolée qui traduit

une cause oecuménique en une politique publique. Le tabou brisé concerne ainsi autant le

parti de Grygier que les pouvoirs publics ou la gestion de la commune. Sa distance au PDS et

le soutien des Verts lui donnent la marge de manœuvre nécessaire pour briser le tabou, et non

plus uniquement discourir.

Pour que l’action du maire puisse légitimement se limiter à un encodage local des

pratiques partisanes, les agents du PDS défendent l’idée que la lutte contre l’extrême droite

n’est que le produit de politiques généralistes qui dépassent le cadre, donc les compétences de

la commune.

« Question : Si je vous ai bien compris, la lutte contre l’extrême droite n’est pas un sujet si important.

MS : En tant que tel, non. En tant que champ politique indépendant, non, mais […] Je pense que le

meilleur moyen d’action contre l’extrême droite est une bonne politique en général. […] Il s’agit de

politique éducative, de la manière dont on procède en matière d’intégration, dont on loge les étrangers

qu’ils soient de passage ou voués à rester.[..] Voilà les points dont il retourne au quotidien. Il s’agit de

dire : l’extrême droite part toujours de l’insécurité, de la peur de l’avenir, de l’incertitude, c’est une

1078 ZdK: Demokratiegefährdende Phänomene in Friedrichshain-Kreuzberg und Möglichkeiten der Intervention. Eine Kommunalanalyse im Berliner Bezirk Friedrichshain-Kreuzberg (Phénomènes qui mettent en danger la démocratie à Friedrichshain-Kreuzberg et les possibilités d’intervention) est téléchargeable sur le site officiel de l’arrondissement (http://www.friedrichshain-kreuzberg.de/index_525_de.html, 02.06.2005). 1079 Les objecteurs de conscience étaient particulièrement nombreux à Berlin, les habitants de Berlin-Ouest n’étant pas soumis aux mêmes obligations en regard du service militaire. Ils étaient nombreux à habiter le quartier des hippies, puis des artistes, Kreuzberg.

Page 368: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

354

idéologie qui offre de la sécurité. […] Je pense qu’il est absolument nécessaire de s’attacher à ce point

là, sans pour autant forcément appeler cela ‘lutte contre l’extrême droite’. Finalement, c’est aussi de la

politique des retraites. Si je sais que lorsque j’irai à la retraite dans 40 ans, je serai menacé par la pire

des pauvretés, je ne peux pas gérer correctement les conflits sociaux. » M. Schrader, président de la

section du PDS de Dresde

L’idée est récurrente au PDS : Une « bonne politique sociale » (c’est-à-dire « combattre

la pauvreté et le chômage et garantir l’égalité des chances ») permet de diminuer l’extrême

droite ou l’augmente au contraire1080. Le recours à l’extrême droite est une réaction à une

situation perçue comme injuste. La solution à apporter ne constitue pas un champ d’action

politique à part. Elle est partie prenante du projet de société du PDS. La lutte contre l'extrême

droite n’est pas une « politique isolée » (Einzelpolitik), elle est intimement liée au combat

pour la justice sociale, la démocratisation, les acquis culturels, etc1081. Certains assimilent

même la lutte contre l’extrême droite à la prévention de la criminalité1082.

La marge de manœuvre des collectivités locales est pourtant réelle en termes de

politiques publiques, comme le montre le combat initié par B. Grygier. Ses propos à ce sujet

sont d’ailleurs univoques: « Les possibilités d’action [contre le racisme au quotidien]

n’existent qu’au niveau de la politique locale. [..] Là où des possibilités existent, il faut agir.

Et c’est au niveau communal ».

B. Grygier fait partie d’une catégorie de personnel politique à laquelle le parti

n’envisage pas de confier une responsabilité sans chaperon. Cette catégorie regroupe des

personnalités qui bénéficient d’une forte assise populaire mais que le parti sait imprévisibles.

Elles ne se voient confier de hautes responsabilités qu’à condition d’être canalisées par une

personne ou un groupe capable de faire régner la discipline de parti1083. Sa relation au parti la

rend inclassable aux yeux de ce dernier. C’est finalement parce qu’elle est incontrôlable en

raison de sa personnalité et de son style politique que B. Grygier peut agir avec une certaine

impunité.

1080 S. Wagenknecht, leader de la KPF du PDS, plate-forme communiste orthodoxe. 1081 T. Falkner, stratège du parti. 1082 B. Hoff, PDS, député à la CDB. 1083 Suivant cette logique, lorsqu’une autre marginale, C. Ostrowski, devient présidente du parti, c’est au sein d’une direction bicéphale. Le chapitre 6 lui est consacré.

Page 369: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

355

Par son action contre l’extrême droite, B. Grygier contrevient à un principe essentiel. Ce

qui est primordial dans la gestion d’un problème social est moins de produire des résultats que

de générer la satisfaction des électeurs. Or, en dévoilant les ressorts de l’extrême droite dans

son arrondissement, Grygier ne donne non seulement pas une image positive de la fonction de

maire, mais en outre elle remet en cause le lien communautaire issu de l’unification, qui unit

le maire PDS à la population est-allemande dans une certaine bienveillance.

Une part de provocation à l’égard de l’appareil réactionnaire que constitue localement

son propre parti transparaît de l’attitude et du discours de B. Grygier. Son action vise

également à ouvrir les yeux dans ses propres rangs. En cela, c’est un guide. L’occasion

qu’elle crée d’ouvrir le débat au sein du PDS est pourtant ignorée. En janvier 2002, dans le

cadre d’une conférence sur les moyens qu’ont les communes de faire de la politique

antifasciste, elle est pour la première (et l’unique à notre connaissance) fois invitée à faire part

publiquement de son expérience, au sein d’une conférence consacrée à cette thématique et

marginale1084. A la différence des experts parlementaires1085, Grygier n’est pas érigée au rang

de spécialiste de la question.

La figure de guide renvoie à la double capacité de désignation de la voie et de

mobilisation. Grygier montre certes la voie, mais ne parvient ni à engendrer ni à encadrer une

mobilisation. Le maire de Lichtenberg W. Friedersdorff incarne, lui, un pouvoir personnifié

soutenu par la population locale et l’organisation partisane. Sa gestion de la problématique de

l’extrême droite est tout à fait différente de celle de Grygier. Pour Grygier, l’échelle locale est

le « lieu de la lutte », pour Friedersdorff celui de la représentation.

1084 Dans le cadre d’une conférence organisée à Berlin le 8 décembre 2001 par l’un des forums du PDS (2000plus!) avec le soutien logistique de son groupe parlementaire au Bundestag. Intitulée « Consolider les initiatives locales de jeunesse ! Conférence pour une politique antifasciste sur le terrain », elle vise surtout à consacrer la relation que le PDS entretiens avec les groupes antifascistes. Voir chapitre 2, section 2, A. 1085 Voir le chapitre 3.

Page 370: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

356

Section 3 Le maire comme figure morale qui soutient la mobilisation

populaire contre l’extrême droite

Le simple fait que Grygier ait dépassé le rôle moralisateur pour inscrire l’action à son

programme constitue déjà une forme d’hérésie contre laquelle W. Friedersdorff s’inscrit en

faux. Ce dernier se contente d’encadrer, dans son arrondissement, l’action initiée par la

société civile contre l’extrême droite, par l’intermédiaire de l’autorité charismatique et morale

que lui confère son statut de maire ou plus indirectement à travers l’action des militants de

son parti. Sortie du cadre de la décision politique, l’action locale contre l’extrême droite est le

produit de l’interpénétration des logiques de domination et de mobilisation. Il convient donc

dans ce contexte d’éclairer la manière dont s’emboîtent les structures partisanes, politiques,

sociétales et morales à Lichtenberg.

Comparée à la Pologne, la Hongrie ou la République tchèque, l’Allemagne de l’Est est

un désert en matière de société civile1086. A Lichtenberg, le degré d’organisation de la société

indépendamment des pouvoirs publics est faible. Les liens entre le PDS et la société civile y

sont ténus1087. Il est difficile de dissocier la société du milieu PDS, entendu comme « ensemble

des relations consolidées entre des groupes dont les membres n’ont pas forcément pour

finalité principale de participer à la construction du parti politique, quoi qu’ils y contribuent

en fait par leurs activités. »1088 Le degré de clôture du champ politique de Lichtenberg est

faible par rapport aux mouvements et préoccupations sociales. Pour cette raison, une

attention particulière est accordée à la manière dont le maire Friedersdorff joue le rôle

d’intermédiaire du parti dans l’espace social1089.

1086 R. Dahrendorf traduit civil society par Bürgergesellschaft. « Die Bürgergesellschaft » in A. Pongs (dir.) : In welcher Gesellschaft leben wir eigentlich? Munich : Dilemma Verlag, 1999, pp. 87-104, p. 99. Sur la société civile, voir le chapitre 2, section 1, B. 1087 En ce qui concerne les institutions fédérales du PDS, ce lien a été évoqué dans le chapitre 2, section 1, B, tableau 20. 1088 F. Sawicki : op. cit., p. 23. 1089 F. G. Bailey : op. cit., pp. 186-197.

Page 371: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

357

A) L’encadrement plus moral que politique d’une mobilisation de la société par le maire

La figure du guide revêt une dimension symbolique particulièrement perceptible dans la

manière dont W. Friedersdorff investit son rôle de maire. La primauté de la portée symbolique

des actions et de l’image du maire atteste de l’importance de la croyance dans la domination.

Une grande partie de la légitimité de la figure morale du guide provient de sa capacité (avérée

ou fantasmée) à oeuvrer a priori à l’encontre de ses intérêts propres et immédiats.

Contrairement à Grygier, Friedersdorff met en scène cet aspect nécessaire de la

représentation. Il relaie au niveau local la manière dont la croyance antifasciste est

traditionnellement scénarisée par le parti. En découle une acceptation accrue de son

personnage tant par la population que par son parti, qui conduit à un renforcement de son

pouvoir.

Le maire comme porte-parole du soutien des pouvoirs publics à une mobilisation populaire contre l’extrême droite

Le maire est non seulement le chef de l’exécutif et de l’administration, mais également

une figure morale. Il joue par conséquent un rôle figuratif important dans l’encadrement de la

mobilisation civile contre l’extrême droite, rôle qui s’intègre à sa fonction de représentation.

Le maire W. Friedersdorff contribue essentiellement à la lutte contre l’extrême droite en

s’en faisant le défenseur moral. Il s’associe aux initiatives de l’arrondissement, les honore de

sa présence ou les parraine1090. Il est ainsi présent le 1er mai 2001 devant la mairie de

Lichtenberg, pour protester contre la décision policière de déplacer, entre Ostbahnhof et la

gare de Lichtenberg, une manifestation du NPD annoncée dans le centre de Berlin. La

traditionnelle fête d’Obersee à Hohenschönhausen prévue est alors, du jour au lendemain,

transformée en une grande fête familiale et interculturelle1091. Le maire de Lichtenberg et son

1090 Les concerts constituent pour l’extrême droite l’occasion de recruter auprès de la jeunesse. Aussi l’organisation de concerts de musique alternative et de musique du monde constitue un contre-pouvoir. Fin 2000, W. Friedersdorff parraine une initiative proposée par des lycées de Lichtenberg « Nous sommes contre l’extrême droite et l’intolérance » („Wir gegen Rechts und Intoleranz“) qui organise d’un concert de rock à destination de la jeunesse locale. Son succès est mitigé (300 élèves y participent alors que les organisateurs en attendaient le double). En marge du concert, une table ronde est organisée. Le maire y participe et note l’apparition d’une nouvelle culture d’extrême droite qui fait entrer le racisme et la xénophobie dans les lycées. 1091 Danse, musique rock et jazz, démonstration de gymnastique, djumbe africain, danse folklorique entre autres vietnamienne sont au programme. Le même jour, les habitants de Marzahn-Hellersdorf fêtent le printemps sous le signe de l’opposition à l’extrémisme de droite, au racisme et à la violence. Cette manifestation est organisée par un comité auquel appartiennent les partis représentés au conseil d’arrondissement ainsi que les Verts et le

Page 372: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

358

collègue du PDS de l’arrondissement voisin de Marzahn sont au cœur de cette occupation de

l’espace public par une mobilisation populaire et festive1092.

Le PDS partage en effet avec l’extrême droite cette stratégie de la politisation par

l'intermédiaire d'un encadrement social. Il appuie localement sa domination sur une mise en

scène populaire de soi, dans laquelle s’inscrit la lutte contre l’extrême droite. Le maire est une

pièce centrale de cette mise en scène. L’idée d’encadrement moral est en outre au centre de

l’auto perception de son rôle par le maire de Lichtenberg. En entretien, W. Friedersdorff

considère que son mandat lui offre la possibilité de lancer des idées et de prendre des

initiatives. Le fait qu'elles fonctionnent ou non n’est pas de son ressort. Lui a le pouvoir de

« mettre beaucoup de choses sur les rails ». Selon lui, la priorité en matière de lutte contre

l’extrême droite est de créer une alliance, au-delà des seuls activistes du PDS, des groupes

antifascistes et d’un nombre restreint de militants de mouvements pacifistes, mus par une foi

chrétienne. Il souhaite en finir avec le monopole de l’extrême gauche et de l’activisme moral

et l’ouvrir aux représentants d'autres partis ou du milieu associatif, et agit dans ce sens. Il

évoque ainsi diverses initiatives dont une réunion conjointement organisée avec le directeur

de l'hôpital de Lichtenberg, très engagé au sein du SPD. Sous le mot d'ordre « aucune

tolérance face à l'extrême droite », tous deux ont invité les chefs d’entreprise de

l'arrondissement à discuter du comportement des entreprises face à ce phénomène et des

possibilités dont ils disposent pour lutter contre, qui peuvent aller jusqu’au licenciement. Ce

type d’initiatives est rendu possible par la proximité de W. Friedersdorff d’une part avec le

monde de l’entreprise, d’autre part avec l’ensemble des forces politiques locales1093. Ses deux

adjoints sont membres de la CDU1094. Le maire supplante ainsi la CDU dans ses contacts

FDP, des représentants du milieu économique, des syndicats, des Eglises, des associations et de simples citoyens. 1092 Sur l’usage politique de fêtes apolitiques, notamment en termes d’identification, voir A. Collovald, F. Sawicki : « Le populaire et le politique- Quelques pistes de recherche en guise d’introduction ». Politix, 13, 1991, pp. 7-19, p. 15. Les auteurs rappellent que le fascisme a réactivé des pratiques populaires quotidiennes pour asseoir sa domination, comme l’a démontré A. Lüdtke : Des ouvriers dans l'Allemagne du XXème siècle : le quotidien des dictatures. L’Harmattan, 2000. 1093 La création d’une association visant à promouvoir une analyse critique de l’histoire de la RDA (Förderverein um kritische Aufarbeitung von DDR-Geschichte) par des représentants fédéraux du SPD et le maire de Lichtenberg témoigne d’une ouverture au débat sur le poids du passé. La coopération de ces deux partis à une échelle supra locale, qui plus est en ce qui concerne la gestion du passé de la RDA, est en effet chose rare. Si elle témoigne des bonnes relations de W. Friedersdorff avec le SPD, la réunion avec les chefs d’entreprises évoquée ci-dessus met en évidence la qualité des liens que le maire de Lichtenberg entretient avec la CDU. 1094 R. Polle et W. Nünthel sont anciens citoyens de la RDA entrés tardivement en politique par la voie administrative à des postes relevant du logement ou de l’économie et des finances. R. Polle, né en 1959, est ingénieur thermique et hydraulique. Il entre en politique en 1997 après avoir travaillé pour une société de construction d’habitations de Hohenschönhausen. En 2001, il est adjoint du maire responsable de l’économie et des finances. W. Nünthel a un parcours plus mouvementé : né en 1955 en Thuringe, il travaille dans le bâtiment,

Page 373: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

359

traditionnellement privilégiés avec les Eglises et les entreprises, tandis que le PDS entretient

usuellement des contacts avec des associations à vocation sociale1095.

La solution apportée à l’extrême droite au niveau local consiste souvent seulement à

réagir ponctuellement à ses apparitions, en essayant dans le meilleur des cas, de les déplacer

au-delà des frontières de l’arrondissement. Contrairement à ce que pouvait laisser présager le

discours des agents du PDS, le conseil d’arrondissement de Lichtenberg, en dehors de

l’expérience de Grygier, a eu tendance à ne pas traiter l’extrême droite comme un phénomène

de société. Les actions du conseil unifié de Lichtenberg pour l’année 2001 consistent souvent

soit à faire des déclarations de principes dénonçant l’extrême droite, soit à appliquer dans

l’arrondissement de mesures prises à niveau supérieur. Il fait peu usage de sa fonction de

contrôle sur l’administration locale, qui fait parfois preuve de discriminations1096. « Tant qu’ils

restent tranquilles et qu’aucune histoire ne se passe, comme pour le Café Germania, on ne

réagit pas » (O.)1097. L’épisode du Café Germania relaté ci-dessous met en évidence la

manière dont les pouvoirs publics, le maire en tête, tentent de reprendre à leur compte une

mobilisation populaire.

En décembre 1997, A. Voigt, Skinhead connu des services de police, ouvre un café dans

la Normannenstrasse à Lichtenberg. Très rapidement, le Café Germania1098 sert d’unique point

de rencontre aux Skinheads de toute l’Allemagne, ainsi qu’à certains fonctionnaires du NPD

et figures dirigeantes de la scène1099. En outre, ce local exerce un fort pouvoir d’attraction sur

est collaborateur du parti des paysans en RDA, le DBD (Demokratische Bauernpartei Deutschlands) entre 1977 et 1990. Sans emploi suite à l’unification, il suit une formation, obtient un diplôme de philosophie, devient responsable du logement social à Marzahn, occupe à partir de 1993 ensuite différents postes dans l’administration de cet arrondissement (logement, écologie, urbanisme, économie et finances). Parallèlement à ses responsabilités d’adjoint au maire de Lichtenberg, il est le responsable local de la CDU dans l’arrondissement voisin de Marzahn. 1095 Le PDS entretient des contacts réguliers, par ordre décroissant, avec les initiatives citoyennes et associations ou centres de jeunesse, les associations d’assistance sociale, les associations de locataires, les associations et centres réservés aux femmes et féministes, les associations de défense de l’environnement et de la nature, enfin les associations et initiatives de chômeurs. D’après G. Pollach: « Die PDS im kommunalen Parteiensystem » in M. Brie, R. Woderich (dir): Die PDS im Parteiensystem. Berlin : Karl Dietz Verlag, 2000, pp. 194-207, p. 199. 1096 En mars 2001 a toutefois lieu une « ouverture interculturelle de l’administration » dans le cadre de la réforme administrative de Lichtenberg qui prévoit la rédaction d’un rapport annuel sur la question. 1097 Hohenschönhausen a connu un épisode semblable. Un magasin d’articles de sport proche du club de football du BFC s’avère vendre également des articles d’extrême droite. Certains supporters du BFC arborent ainsi, sur leur tee-shirts, l’inscription : « Grand-père était nazi, moi je suis au BFC » Lorsque les résidents ont pris peur et ont souhaité la fermeture du commerce, la police – et une unité spécialisée dans l’extrême droite- a commencé à s’y intéresser, l’inspection du travail également. Là encore, le commerce a fermé, mais pour mauvaise gestion. Etude pilote, p. 183. 1098 Nom donné par Hitler à un Berlin restructuré selon les canons de l’architecture nationale socialiste. 1099 Des personnalités d’extrême droite comme F. Schwerdt, membre du comité directeur du NPD et incarcéré pour incitation à la haine raciale et glorification de la violence, utilisent ce lieu comme point de rencontre.

Page 374: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

360

la jeunesse, pour laquelle il constitue un véritable tremplin vers la scène. Des incidents

éclatent avec des militants de gauche et des immigrés. Près d’une douzaine d’informations

préliminaires pour atteinte à l’intégrité corporelle, violation de l’ordre public et utilisation de

symboles d’organisations inconstitutionnelles sont lancés à l’encontre de visiteurs de ce lieu.

Ses adversaires s’organisent, en particulier l’AgR (Aktion gegen Rechts), un groupe

antifasciste. Le maire de Lichtenberg (Friedersdorff) met des salles de réunion à leur

disposition. Les deux niveaux, la politique1100 et la société se rejoignent dans l’envoi d’une

lettre ouverte à la société qui gère le bail; elle est signée de Friedersdorff, C. Luft, élue directe

de Lichtenberg au Bundestag, du membre de la CDB berlinoise F. Over (PDS) ainsi que des

représentants des principales associations antifascistes1101. Cette missive, déplorant

« l’atmosphère d’intimidation et de menace » créée dans le quartier par les clients du Café

Germania, appelle tous les citoyens, et en particulier la société d’immobilier sus-citée, à se

mobiliser afin de faire fermer le café. Le responsable de la société d’immobilier répond

positivement à la lettre, déclarant soutenir son contenu, précisant toutefois qu’il n’est plus en

charge de cette location. Lorsque cette réponse parvient, en septembre 1998, et que les

opposants s’organisent (l’AgR et le VVN organisant notamment une réunion d’information

dans les locaux mêmes de la mairie de Lichtenberg), les locataires du café ont déjà trouvé une

solution de repli, l’ouverture d’un espace visant à développer le patrimoine gastronomique

ainsi que les loisirs « nationaux »1102. Tout juste un an après son ouverture, le café ferme. Les

antifascistes (et certains élus du PDS tels G. Sayan) se flattent d’en être à l’origine, les

journaux parlent de pressions de l’opinion publique, de surveillance policière et de loyers en

retard. En réalité, c’est l’incompétence du propriétaire à gérer un commerce qui est à l’origine

de la fermeture1103.

1100 Ce sujet fait même l’objet d’une question au gouvernement (Sénat) déposée à la CDB par G. Lötzsch, députée et leader locale du PDS. 1101 La VVN (Vereinigung Verfolgter des Naziregimes), Association des Persécutés du Régime Nazi, l’influente association défendant les droits des personnes persécutées par le Troisième Reich et le BdA, Alliance des Antifascistes, la Ligue des Antifascistes (Bund der Antifaschisten). 1102 Selon le TAZ du 14.08.1998 et le Frankfurter Rundschau du 02.12.1998. 1103 Selon le directeur du ZdK, B. Wagner. Germania fait des adeptes : un ancien néonazi, organisateur de manifestations du NPD ouvre dans le Schleswig-Holstein un « Club 88 ». Le 8 renvoie à la huitième lettre de l’alphabet, le H ; 88 symbolise le salut hitlérien (Heil Hitler). Le club devient le point de rencontre de la scène néonazie du nord. Comme dans le cas du Café Germania, le bail est dressé au nom d’une jeune femme. Ces nouvelles stratégies de repli sur des lieux de rencontre privés et d’ouverture de cafés-restaurants, qui sous couvert de développer la culture gastronomique allemande, tiennent lieu d’espaces de réunions aux sympathisants de l’extrême droite, posent un réel problème juridique aux municipalités concernées, notamment en Saxe. Cet aspect jour un rôle important dans les « petites questions au gouvernement » étudiées dans le chapitre 3.

Page 375: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

361

Le maire est tenu de faire respecter l’ordre dans sa commune et d’assurer la sécurité de

ses administrés. Cette préoccupation prime souvent sur des considérations plus morales,

comme ce peut être le cas du Café Germania. Il arrive que dans la même situation, cette tâche

de maintien de l’ordre fasse à l’inverse obstacle à un engagement contre l’extrême droite1104,

c’est ce qui fait de Friedersdorff malgré la nature de son action un maire engagé contre

l’extrême droite.

Le soutien des pouvoirs locaux à une initiative se traduit souvent par le prêt de locaux

de réunion. L’absence de soutien est en mesure de vouer une initiative à l’échec. A

Lichtenberg, l’association Iskra créée en 1992, engagée dans des projets antiracistes,

notamment dans le cadre de séminaires de formation, développe en l’an 2000 un projet de

centre d’accueil de la jeunesse. Son but est de créer une structure permettant de développer les

liens entre de jeunes Allemands et de jeunes immigrés. La stratégie d’hégémonie de la scène

d’extrême droite exclut une partie de la jeunesse des infrastructures traditionnelles d’accueil

vouées aux loisirs adolescents. Le projet d’Iskra a pour vocation d’accueillir cette jeunesse

exclue des structures d’accueil dominées par les jeunes d’extrême droite1105. Il s’agit de jeunes

« de gauche », alternatifs ou d’origine étrangère. Le centre doit porter le nom de Silvio Meier,

poignardé en novembre 1992 par des Néonazis dans l’arrondissement à la station de métro

Samariterstrasse. Il s’agit d’offrir un contre-pouvoir à la conception controversée du travail

1104A Gränitz en Saxe, par exemple un bail locatif établi au nom d’une personne inconnue des services de police permet à Günter Deckert, notable du NPD, proche de la scène néo-nazie, condamné à plusieurs reprises, de devenir gérant d’un restaurant. G. Deckert souhaite en faire une centrale de communication pour les Néonazis. Une initiative citoyenne se constitue pour l’en empêcher. Elle annonce pour le mois d’avril 2002 une réunion dans son local pour informer la population. Une semaine avant, le maire de Gränitz annule le contrat de location qu’il a signé avec les opposants de Deckert, sous prétexte que le local ne peut contenir autant de personnes. L’organisation mobilisée contre Deckert, qui cherche alors un autre local, s’entend répondre qu’il n’en existe pas. Elle ignore que G. Deckert en personne a adressé un courrier aux autorités policières en menaçant d’assister à la réunion et de créer ainsi une confrontation directe. Le maire, craignant une altercation, a préféré empêcher la réunion. Les services administratifs de la commune résistent avec leurs moyens en refusant à Deckert le renouvellement de sa licence de débit de boisson. Sächsische Zeitung, 11.04.02 ; « Gränitz : Initiative kämpft gegen Treff der rechten Szene». Freie Presse, 03.04.2002. 1105 De nombreux projets entendent agir dans ce sens. En août 1999 s’ouvre un point de rencontre voué à permettre aux jeunes Allemands et aux jeunes d’un foyer de réfugiés de guerre à proximité de faire connaissance. La majorité des réfugiés l’ont quitté pour s’installer à Berlin (Marzahn en majorité), se sont donc intégrés et sont devenus indépendants, ce qui a pour conséquence que ne restent dans le foyer que des représentants de la minorité Roms. Ceci créé des difficultés avec l’environnement du foyer en raison du « caractère mono ethnique de la structure » (W. Friedersdorff). Pour favoriser leur intégration, l’arrondissement fait intervenir diverses instances éducatives (enseignants et éducateurs, clubs de jeunesse, ateliers, psychologues, suivi personnalisé dans le cas de délinquants). Soutenue par W. Friedersdorff et cofinancée par l’Office pour l’emploi et un donateur privé, cette structure est initiée par un particulier. Parmi les mesures favorables à l’intégration, un centre culturel vietnamien est par exemple inauguré à la fin de l’année 2000 à Lichtenberg. Il est voué à favoriser l’échange culturel des citoyens avec cette minorité stigmatisée comme des trafiquants de cigarettes. Les Vietnamiens présents sont restés à Berlin après la chute du mur ; il s’agit d’intellectuels qui ont fait leurs études en RDA et sont devenus hommes d’affaires, interprètes ou conseillers dans le domaine social.

Page 376: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

362

social (akzeptierende Jugendarbeit), qui intègre les adolescents proches de la scène d’extrême

droite aux activités proposées par l’arrondissement. Le club proposerait non seulement des

cours de musique et des fêtes, mais également des soirées éducatives, portant sur l’histoire, le

National-socialisme en particulier. En 2000, le conseil d’arrondissement de Lichtenberg

décide de soutenir ce projet de centre de jeunesse autogéré en mettant gracieusement des

locaux à disposition de l’association (Iskra) qui le gère. A l’été 2005, soit cinq années plus

tard, les négociations sont toujours en cours. Si le bâtiment qui accueillera le centre est trouvé,

il reste à déterminer qui financera les travaux de rénovation1106.

Ces exemples montrent que l’engagement des pouvoirs publics de l’arrondissement se

fait souvent à travers le maire, qui se charge de déclarer publiquement que telle ou telle

initiative est soutenue par l’arrondissement. La capacité d’action du maire réside dans cette

force morale et son pouvoir de coordination, bref dans sa capacité à activer des réseaux.

Ceux-ci peuvent s’appuyer sur des ressources propres (sa notoriété lorsqu’il s’agit de

convoquer les médias ou de libérer un local) ou collectives (pour faire signer une pétition à

des députés du PDS ou faire en sorte que la question soit débattue en plus haut lieu, au

parlement par exemple).

L’intérêt du maire à soutenir l’institutionnalisation de la mobilisation

Comme au sein des instances partisanes ou des arènes parlementaires1107, la lutte contre

l’extrême droite est institutionnalisée, par l’intermédiaire d’une structure à laquelle le maire

apporte ouvertement son soutien.

Des Initiatives contre l’extrême droite sclérosées et sclérosantes dans l’arrondissement

Depuis 1999, Lichtenberg et Hohenschönhausen ont chacun une structure

exclusivement destinée à lutter contre l’extrême droite. Il s’agit à Lichtenberg de l’Initiative

1106 Entre autres: taz du 7.7.2003 (Berlin lokal), p. 28 ; http://www.jungewelt.ipn.de/2003/07-08/021.php et http://www.mut-gegen-rechte-gewalt.de/artikel.php?id=75&kat=75&artikelid=480, 08.06.2005. 1107 Voir respectivement les chapitres 2 et 3.

Page 377: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

363

contre l’extrême droite et à Hohenschönhausen de l’Alliance contre l’extrême droite1108. Il est

très difficile de connaître les actions de ces initiatives et d’en estimer la portée1109.

La permanence indépendante de Hohenschönhausen s’est constituée dans le cadre de la

réalisation par le ZdK de l’étude pilote. Les citoyens intéressés par le déroulement de l’étude

constituent le noyau de la permanence1110. Suite aux recommandations du ZdK, la permanence

devient indépendante. Cette dernière constitue selon O. les « derniers restes de l’histoire à

Hohenschönhausen ». Cinq citoyens de 30 à 50 ans qui n’appartiennent à aucune association

ou parti y accueillent des personnes qui viennent chercher conseil pour des problèmes

(familiaux, de voisinage, etc.) liés à l’extrême droite. Les activistes principaux sont en réalité

une quarantaine d’adolescents entre 13 et 16 ans. Ils participent aux activités contre le racisme

et l’extrême droite, « au grand dam de l’arrondissement »1111, qui souhaite donner de la

permanence une image populaire. Si la présence de personnes âgées est à noter, la Jeunesse

Antifa (Antifajugend) en est partie prenante.

En dehors des activités Antifas des plus jeunes, la permanence se consacre fin 2001 à

l’organisation d’une chaîne de téléphone vouée à prévenir le genre de situations survenue le

premier mai 1999, lorsque la police a déplacé du jour au lendemain la manifestation du NPD à

Hohenschönhausen, « pour que l’on ne soit pas totalement surpris par une telle histoire » (O.).

A Lichtenberg, l’initiative est composée de 70 représentants d’associations,

d’administrations, des Eglises, de partis politiques et de conseillers communaux1112. Son

action consiste principalement à analyser la situation de l’extrême droite dans

l’arrondissement (analyse géographique de la présence de l'extrême droite par quartier), à en

informer la population et à aider les victimes (mise en place d’une ligne de téléphone

d'urgence). Le but recherché est de renforcer les structures démocratiques existantes, afin

1108 Respectivement Initiative gegen Rechtsextremismus et Bündnis gegen Rechts. 1109 En dépit des promesses faites par ses responsables et d’autres contacts, notamment le maire de Lichtenberg, il nous a été strictement impossible d’assister ne serait-ce qu’à une réunion, ce qui n’est pas sans semer des doutes sur la viabilité de ces entreprises. 1110 Voir la section suivante. 1111 Selon les propos du vice-président du ZdK au cours de la réunion du 12.06.2002 à Kreuzberg. K. Hopfmann, députée à la CDB élue directe dans cet arrondissement, dénonce le manque de conviction des militants PDS âgés engagés dans l’Alliance. Ils ressentent cet engagement comme un devoir, comme le prolongement des manifestations antifascistes obligatoires en RDA. Cette action est une preuve de leur engagement partisan. 1112 Selon le député PDS à la CDB G. Sayan. La manière dont cet interlocuteur perçoit l’épisode du Café Germania, mettant entièrement le succès de la fermeture sur le compte de la mobilisation de la population, pousse à douter de l’action véritable de son initiative. La fermeture du café aurait selon lui été obtenue grâce à une forte mobilisation de la population qui est intervenue auprès du propriétaire du local et a manifesté (2000-3000 personnes étaient présentes). Il avance également l’action à destination de l'opinion publique, notamment le débat à ce sujet à la CDB.

Page 378: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

364

d’éradiquer les quartiers dominés par l'extrême droite où les gens n'osent plus se rendre. Les

initiatives proposées dans ce but englobent des activités culturelles1113 et des discussions avec

les adeptes de la scène auxquels on propose de « décrocher ». Exception faite du PDS, les

partis politiques restent en retrait1114.

L’experte antiraciste du PDS au Parlement de Berlin originaire de Hohenschönhausen,

K. Hopfmann, évoque ces deux initiatives en des termes très critiques, qui confortent

l’impression dégagée de structures qui servent d’alibi à une action de l’arrondissement. Les

deux initiatives apparaissent comme des vitrines de l’engagement d’un arrondissement contre

l’extrême droite1115. L’exemple de Dresde développé ci-dessous montre que cette

caractéristique n’est pas le sort du PDS, mais la conséquence de l’usage qu’il fait de sa

position dominante à Lichtenberg et de son leadership local.

L’exemple des réseaux d’alliance locale engagés contre l’extrême droite à Dresde

Capitale de la Saxe, Dresde est une ville où le principe d’une alliance fait partie de

l’histoire politique. Le PDS doit sa forte implantation dans la région1116 à cette tradition. A la

fin des années 1980 à Dresde, un fort mouvement rénovateur procède de la base du PDS1117.

Le « modèle de Dresde » (Dresdner Modell), synonyme d’institutionnalisation précoce du

dialogue entre les citoyens et la direction du SED, incarne cette tradition. Le premier

secrétaire du SED à Dresde, H. Modrow, n’est-il pas appelé au pouvoir suite au rôle de

conciliateur joué localement ? Ceci explique les bons résultats du PDS à Dresde dès les

premières élections libres de la RDA. Cette logique de la recherche d’un consensus se

poursuit en 2001 avec l’alliance de l’ensemble des partis politiques autour d’un candidat

1113 Expositions, lectures dans les écoles, par exemple d’une pièce de théâtre intitulée « Mon papa était étranger ». 1114 Les Verts s’investissent, mais le SPD et la CDU refusent la coopération à cause de la proximité de l’Alliance avec la scène Antifa d’une part, d’autre part de conceptions différentes de la politique. Le SPD limiterait d’une manière générale son activité au travail parlementaire. 1115 Les élus et administrateurs locaux expliquent cet échec par le manque de moyens mis à leur disposition par l’administration de l’arrondissement fusionné. Les initiatives contre l’extrême droite rencontrent des difficultés du même ordre que celles liées à la fusion. C’est là encore par la défense d’une identité et d’intérêts propres que s’explique cet échec. La tentative d’intégration des activistes de Hohenschönhausen à L. a échoué. Ceci conduit à un statu quo de la situation, chaque arrondissement accomplissant ses propres petites actions dans sa structure (O.). 1116 Dresde est un bastion du PDS ; les électeurs y votent régulièrement autour de 6-7% de plus que la moyenne régionale en sa faveur, dès 1990. 1117 Sur les mouvements des citoyens à Dresde durant la Wende, voir K. Ulrich : Die Bürgerbewegung in Dresden, 1989/1990. Cologne : Böhlau Verlag (Schriften des Hannah-Arendt-Instituts für Totalitarismusforschung), 2001.

Page 379: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

365

indépendant à la mairie de Dresde, dans le but de bloquer la voie au maire conservateur

sortant1118.

Le rôle du PDS dans l’alliance locale contre l’extrême droite est mis en lumière à

travers le déroulement d’une réunion, qui prépare une contre-offensive à une manifestation du

NPD.

Dresde, 16.04.2002, 18h30, dans une salle appartenant à l’Eglise protestante en plein cœur de la vieille

ville se tient une réunion en vue d’organiser une contre-mobilisation à la manifestation annoncée par le

NPD le 1er mai. Les organisateurs sont des militants de l’association culturelle Kulturbüro. La salle,

prévue pour une cinquantaine de personnes, est à moitié vide mais compte beaucoup de jeunes. La CDU

est représentée par 2-3 personnes, soit autant que le PDS (représenté par deux dirigeants de la section

dresdoise, dont M. Schrader) au côté de son « petit frère », l’association de jeunesse dresdoise Roter

Baum1119, le SPD est seulement représenté à travers son organisation de jeunesse les Jusos. Le candidat

écologiste à la mairie en 2001, la première adjointe du maire, les représentants locaux des puissants

syndicats fédéraux DGB et IG Metall1120, les associations AMRIL (soutien aux victimes d’agressions

d’extrême droite) et l’association Zivilcourage (Courage civil qui milite pour une mobilisation

citoyenne contre l’extrême droite) sont également présents.

L’hôte des lieux, le pasteur, accueille les participants et passe la parole au chef du DGB de Dresde, une

figure locale, responsable de l’organisation des célébrations du 1er mai. Il annonce le programme des

festivités : musique avec un groupe et un chanteur « offerts » par le SPD, le PDS et le DGB. Le pasteur

annonce sa volonté d’organiser une messe ouverte et accessible à toutes les confessions, enfin la police

veut éviter à tout prix que ne se croisent le cortège des manifestants et celui des contre-manifestants.

C’est sur ce dernier point, à savoir la forme que doit prendre la manifestation en elle-même que porte

l’essentiel de la discussion: Faut-il défiler ? Si oui, faut-il éviter ou provoquer une confrontation avec

les manifestants d’extrême droite? Ceux qui sont pour que la contre-manifestation reste éloignée des

manifestants du NPD estiment que cela devrait permettre la participation du Dresdois moyen, une

opinion que partagent la représentante du maire, les Verts, le PDS, le DGB et le pasteur. L’autre

position, défendue par les associations un peu plus « dures », qui trouvent cela lâche, est marginale et

rapidement écartée des considérations. Un militant du mouvement de jeunesse régional du PDS (PDS-

Jugend Sachsen) propose la conciliation en suggérant que soient organisées, en marge d’une grande

1118 Dresde qui compte 460 000 habitants au 01.01.1998 est gouvernée depuis 1990 par H. Wagner (CDU). En 2001, c’est I. Rossberg (FDP), candidat indépendant, soutenu par le SPD, le PDS, les Verts, le FDP et des initiatives citoyennes, qui est élu pour la liste de l’initiative citoyenne « Un maire pour Dresde-OB für Dresden » avec 47%. H. Wagner recueille toutefois 40% des suffrages exprimés. 1119 Selon le terme employé par M. Schrader, chef de section du PDS, qui en est un ancien membre. La forte connivence entre M. Schrader et les jeunes de l’association Roter Baum est par ailleurs visible lors de la réunion. Le siège de Roter Baum se situe dans un immeuble appartenant au PDS et hébergeant sa section locale et sa fédération régionale. 1120 La DGB (Deutscher Gerwerkschaftsbund) est la Confédération allemande des syndicats. Elle regroupe seize organisations salariales de branche, dont IG Metall, syndicat métallurgique. A Dresde, la DGB est fortement impliquée dans la lutte contre l’extrême droite. Elle finance notamment des programmes dans les écoles.

Page 380: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

366

manifestation pacifique, de « petites actions créatives ». Le pasteur y souscrit en défendant l’idée,

aussitôt adoptée, d’une grande manifestation, plus tôt dans la journée, de manière à ce qu’il reste du

temps ensuite pour de petites actions.

Le deuxième point du débat porte sur les moyens à mettre en œuvre pour élargir la mobilisation. Le

représentant des Verts demande par exemple qu’une photo du maire apparaisse sur les affiches appelant

à manifester. L’idée d’appeler les personnalités locales à participer au défilé est retenue. Rendez-vous

est pris pour faire un point la semaine suivante, tandis que les Verts en profitent pour annoncer qu’ils

organisent une conférence sur le thème « Peut-on interdire les manifestations d’extrême droite ? »

Tous évoquent les extrémistes de droite en employant les termes de NPD ou de « Nazis ».

M. Schrader, pour le PDS, intervient à trois reprises. D’abord pour exiger que chaque organisation fasse

une réelle publicité pour la manifestation afin de mobiliser au mieux « sa clientèle ». Il soulève le

problème du coût financier de cette publicité, sans (ou peu de) réactions. Plus tard il estime nécessaire

d’éviter tout risque de confrontation ou de rapprochement physique entre les manifestants et les contre-

manifestants, pour attirer la population à la manifestation. Enfin, il mise sur le long terme et propose

une réunion après le 1er mai pour trouver, dès ce moment là, un accord sur la manière de procéder

l’année suivante. Son but est que la place publique soit, un an à l’avance, réservée pour des

manifestations démocratiques diverses de manière à ce que les « Nazis » n’aient pas la possibilité

d’organiser quoi que ce soit. Il demande de la coordination et de la prévision à long terme. Là aussi, les

réactions se font rares. Il n’est pas question de marginalité du PDS dans cette enceinte.

Le chef local du PDS, M. Schrader, est favorable à cette politique d'alliance avec le

syndicat DGB, le SPD et le maire de Dresde1121. L’alliance se fait également avec la société,

surtout avec les Eglises. Au moment de la Wende, les tables rondes confrontant la société aux

autorités politiques étaient souvent animées par les Eglises. La réunion du 16 avril reflète

ainsi non seulement les pratiques d’alliance d’usage à Dresde, mais également la place qu’y

occupe le PDS à travers son chef local1122.

L’encadrement de la société civile se fait en fonction des ressources liées au pouvoir

que mobilisent le maire, le conseil d’arrondissement et l’administration. Le maire dispose en

1121 M. Schrader se dit content d’avoir enfin quelqu’un à la tête de la ville qui « prend la question au sérieux ». Dans le même temps, chacune des organisations doit selon lui marquer sa singularité dans un souci de stratégie politique ; elle doit être clairement identifiable pour ses sympathisants. C’est paradoxalement ce qui le fait douter de l’efficacité de l’alliance. Il reproche aux autres organisations d’utiliser la problématique pour se profiler. 1122 Le peu de résonance que suscitent les propositions de M. Schrader est dû autant à sa personnalité qu’à ses (maigres) qualités oratoires qu’aux attentes des participants qui réagissent, n’agissent pas et veulent une solution concrète. La proposition de M. Schrader de planifier l’occupation de l’espace public se contente de faire en sorte que les apparitions de l’extrême droite soient masquées. En entretien, M. Schrader se dit favorable à une politique non diabolisante contre l’extrême droite. Il ne faut pas lui accorder plus d’importance qu’elle n’en mérite car cette attention la sert. « C’est ce qu’ils veulent : l’attention qui fait d’eux des martyrs ». Dans les manifestations, il est ainsi davantage pour ignorer les extrémistes de droite que pour les combattre ouvertement, y compris en organisant des contre-manifestations.

Page 381: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

367

outre de ressources propres. Il se caractérise par une domination par la puissance (Macht)1123,

tandis que les militants sont soumis à la discipline. Le maire pèse individuellement, tandis que

les seconds n’existent selon M. Weber que numériquement; ils ne pèsent qu’au pluriel. Ils

peuvent dans certains cas jouer le rôle d’« instances de contrôle, de discussion, de

remontrance, de résolution... ». Telles sont les limites du pouvoir du maire : il ne doit

finalement pas sortir de cette fonction de guide, qui impulse et encadre la mobilisation.

Friedersdorff l’a compris ; contrairement à Grygier, il bénéficie d’un large appui des militants.

B) Les militants ou le bras actif du parti dans la société (civile)

Nous avons vu précédemment1124 que les militants échappent aux contraintes de l’usage

que leur parti fait du pouvoir, leur engagement est dissociable de ce dernier. Cette

permanence de l’engagement en fait la noblesse et fait des militants les garants de l’identité

du parti1125. L’hypothèse développée ici est par conséquent que le poids de la croyance

antifasciste se reflète essentiellement dans l’action de militants dégagés, dans l’action, des

incidences pragmatiques liées à la gestion du pouvoir. Ce qui nous intéresse ici n’est pas de

comprendre ce « choix personnel dont les déterminants complexes font la part belle à

l’idéologie »1126, mais la manière dont la ressource collective que représente le militantisme est

mobilisée à l’extérieur pour répondre aux exigences partisanes de lutte contre l’extrême

droite. Cet engagement militant peut être appréhendé tout autant comme une réponse

disciplinée aux exigences partisanes, qu’en tant qu’exutoire à l’incapacité à peser sur les

choix opérés par les dirigeants. A. Hirschman ne suggère-t-il pas de concevoir le militantisme

comme le « produit d’une tension entre les passions et les intérêts »1127 ?

La ressource militante : la principale ressource du PDS ?

Par leur fidélité et leur disponibilité, l’activisme des militants du PDS paraît vouloir

contredire la conception passive du militantisme. 1123 Soit « toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance » selon M. Weber: Economie et société, tome 1, p. 95. 1124 Voir le chapitre 4, section 1, B. Le militant « est une garantie visible de conformité du parti à un idéal politique » J. Lagroye : Sociologie politique, p. 227. 1125 H. Rey, F. Subileau: Les militants socialistes à l'épreuve du pouvoir. Presses de la FNSP, 1991, p. 181. 1126 D. Seiler : De la comparaison des partis politiques. Economica, 1986, p. 197. 1127 A. Hirschman : Bonheur privé, action publique. Fayard, 1983.

Page 382: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

368

Idéologie et défense de valeurs communes

Ce qui définit le mieux les militants du PDS en termes d’idéologie est la défense de

l’idée du socialisme. 89% des sympathisants du PDS défendent l’idée du socialisme, estimant

« que le socialisme est une bonne idée qui a été mal exploitée ». C’est le pourcentage le plus

élevé de tous les sympathisants de partis1128. La défense d’intérêts sociaux constitue le socle de

valeurs communes1129. « Le PDS se présente purement et simplement comme le parti de la

justice sociale et représente ainsi de manière quasi-monopolistique une valeur fondamentale

délaissée par les autres partis dans le cadre des transformations sociales et du changement de

la structure des conflits du système allemand des partis. »1130 confirme G. Neugebauer.

En dehors de l’attachement au socialisme, le profil idéologique des militants est plus

complexe1131. A l’Est, certains revendiquent l’étiquette libérale (dans 2 cas sur 4) et

conservatrice (1 cas). Le chef de l’organisation de jeunesse de Lichtenberg, par ailleurs élu

communal, se dit par exemple à la fois socialiste, conservateur et libéral1132! Les adhérents

berlinois interrogés sur ce qui fonde leur attachement au PDS répondent de manière

homogène par une communauté d’idées défendant la justice sociale, laquelle fonde un combat

et un idéalisme communs. Le parti est « en somme une communauté d’idéalistes

sympathisants », l’idée de justice y est déclinée en « sociale » et « illimitée ». En outre, la

majorité des adhérents du PDS défend les mécanismes de régulation sociale de la RDA, en

particulier ses aspects de prévoyance et d’assurance sociale. Les militants interrogés,

1128 Ils sont en effet 50% à la CDU, 70% au SPD et 67% chez les Verts à partager cette opinion. G. Neugebauer : « Berlin : Zwei Parteiensysteme in einem ? ». Blätter für deutsche und internationale Politik, 12/1995, pp. 1421- 1426. Cet attachement au socialisme est confirmé par l’étude de L. Probst à Rostock. 95% des militants du PDS s’y déclarent attachés à l’idée du socialisme. L. Probst : op.cit. 1129 Les jeunes militants de Lichtenberg expliquent leur attachement au PDS au travers son programme et la défense de valeurs telles que le pacifisme, ainsi qu’une critique constructive du capitalisme et le féminisme. Ce qu’ils apprécient le plus au PDS à C-W.: la liberté d’expression et de décision « en conscience », la solidarité, la défense d’intérêts communs, la volonté de « faire une politique différente et plus juste ». Questionnaires. 1130 G. Neugebauer : « Berlin : Zwei Parteiensysteme in einem ? ». Blätter für deutsche und internationale Politik, 12, 1995, pp. 1421- 1426, p. 1423. L’ouvrage de référence de O. Neugebauer et R. Stöss : Die PDS, op. cit. parvient à la même conclusion. 1131 Le principal point commun des quelques militants est- et ouest berlinois interrogés est sans aucun doute leur attachement à l’idée du socialisme. Définissant leur orientation politique, les personnes interrogées se déclarent socialistes. 7 sur 8 sont entrées au PDS pour défendre l’idée du socialisme. Ce portrait s’appuie sur 8 témoignages écrits recueillis sous forme de questionnaire (à questions ouvertes et fermées), complétés par une discussion en groupe et/ ou un entretien individuel, à L. auprès de militants de l’organisation de jeunesse, membres ou non du PDS, à C-W auprès de militants de la section locale, plus âgés. Ceci ne permet pas de généraliser, bien que les données recueillies soient corroborés par diverses études, notamment celle de L. Probst : op. cit. 1132 3 militants se disent en sus écologistes ou simplement de gauche. Leur comportement électoral s’avère homogène et stable. Tous (8/8) déclarent voter à chaque occasion pour le PDS. Seul un ancien du SPD déçu par l’ « opportunisme » du chancelier Schröder, vote soit pour le PDS soit pour le SPD.

Page 383: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

369

définissant le PDS comme un « parti socialiste d’opposition », placent en tête de leurs

préoccupations la défense de la justice sociale suivie d’une critique du capitalisme et de la

défense d’intérêts particuliers1133. Rarement citées a contrario sont la lutte contre l’extrême

droite et la défense du pacifisme, cette dernière constituant pourtant la clé du succès du PDS

auprès des jeunes électeurs et des déçus des autres partis de gauche.

Les effets du troisième âge militant sur l’évolution du parti

La fidélité de la base militante repose sur la force du lien identitaire qui lie les militants

à la patrie politique que représente le PDS depuis le changement de régime. Les sections

locales comptent ainsi un certain nombre d’« indécrottables » peu politisés selon B. Grygier.

« Je connais différents groupes. Il y a un noyau de vieux, issus de la RDA, qui ne rentreraient peut-être

pas tout à fait dans la catégorie des démocrates. Ils ont et auront toujours leur patrie dans ce parti,

indépendamment de l’évolution programmatique qu’il suivra. Ils étaient là, ils y restent. C’est tout. […]

Il y a parfois des groupes composés exclusivement de seniors, des 60 ans et plus. Ils peuvent organiser

des réunions dès 15h30. Il faut pourtant les différencier. Il y en a de très intéressés et de très engagés,

c’est la composante intellectuelle. Il y a ceux qui disent : c’est à nous, nous n’y renoncerons pas, nous

restons. Ils ont besoin de cette communication au sein du groupe auquel ils ont toujours appartenu. Ce

n’est absolument pas négociable. C’est notre base, c’est vraiment la base. » B. Grygier

A travers la tendresse pour ce club du troisième âge transparaît le handicap majeur du

PDS. La composition vieillissante du PDS, si elle constitue indéniablement une ressource

immédiate pour l’appareil en termes de temps, d’investissement et de docilité, représente un

lourd handicap à long terme.

En 2001, 80% des adhérents du PDS ont plus de soixante ans. Si on ajoute qu’ils étaient

43% en 1991, 60% en 1993, soit une proportion trois fois supérieure à l’ensemble de la

population allemande1134 et que parallèlement, la proportion des tranches d’âge les plus jeunes

diminue de manière drastique, on prend conscience du réel vieillissement de la base1135. Il

s’explique par la date d’entrée au PDS. 87% des militants orientaux sont entrés au parti

jusqu’en 1990, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas déchiré leur carte du SED, 6% entre 1991 et 1995,

1133 Chrapa, Wittich : op. cit. Dans la conscience des militants de Rostock, la problématique numéro 1 est celle des thèmes sociaux, suivie du pacifisme, de la culture et de l’écologie. Voir L. Probst : op. cit. 1134 R. Stöss, G. Neugebauer : Die PDS, op. cit., p. 149. 1135 La perte d’adhérents et leur vieillissement est (à 80%) le premier des facteurs dangereux cités par les adhérents. Voir l’étude de Wittich, Chrapa.

Page 384: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

370

autant qu’entre 1995 et 1998 et 1,6% seulement depuis 1999. A Rostock par exemple, 96%

des adhérents du PDS en 1997 sont d’anciens membres du SED. A l’ouest par contre, les

adhérents sont à 40% âgés de moins de 40 ans, à 60% de moins de 50 ans et 45% d’entre eux

ont adhéré entre 1995 et 1998.

Les militants du PDS représentent donc une population structurellement vieillie,

politiquement homogène et très sensibilisée aux problèmes sociaux. La prépondérance de

personnes âgées chez les adhérents constitue une réserve d’activistes pour le parti ; ils se

distinguent en outre par la force émotionnelle de leur identification au parti. S’ils sont

numériquement importants, ces anciens adhérents n’exercent pourtant aucune influence sur

l’évolution programmatique et le positionnement théorique du parti.

Les adhérents âgés, en tant qu’obstacle au renouveau du parti, sont perçus comme

entachant son image1136. L’accès à la mixité générationnelle est un problème récurrent au PDS.

Interrogé sur le type de personnes qui cherchent la discussion avec les militants du PDS sur

les stands d'information dans la partie occidentale de Berlin, J. Hornig déplore qu’il s’agisse

majoritairement de personnes âgées liées au SED :

« C’est dans la tranche d’âge moyenne que nous rencontrons le moins de succès et nous n’en sommes

pas précisément heureux. Chez les plus âgés, c’est plus difficile. On remarque, lorsque l’on entame une

discussion avec une personne âgée qui approuve notre action, qu’il s’agit d’un vieux gauchiste du temps

du SED, qui s’en est longtemps caché et qui peut lentement commencer à s’en ouvrir. Pour ces

personnes là aussi ça a représenté un bouleversement extrême. Ce qu’ils avaient longtemps défendu

s’est effondré. … Ou alors il s’agit de gens qui viennent de l’Est et ont emménagé à l’Ouest, ils ont plus

de 50 ans. Mais il y en a beaucoup âgés de 30 à 45 ans qui passent devant le stand sans s’arrêter. Je le

regrette. »

Des militants engagés socialement

Le fait que la majorité des militants orientaux du PDS soit retraitée se traduit par un

engagement social accru dont les bénéfices pour le PDS sont à nuancer. Ses

« nouveaux membres », c’est-à-dire ceux qui sont entrés au parti à partir de 1992, font preuve

à l’Est d’un fort activisme, tout comme les adhérents occidentaux âgés de 50-65 ans. Cette

activité sociale est ciblée ; elle se fait avant tout à destination des seniors, d’associations de

1136 Sollicité pour nous mettre en contact avec des militants locaux, c’est avec de jeunes militants que le maire de L. organise une rencontre. Il tente ainsi de redimensionner l’image du parti. Surtout lorsque l’interaction parait chaperonnée par un élu. A plusieurs reprises, les interventions du jeune élu pour changer de sujet, ajouter un point important non évoqué ou encore interrompre ou reformuler certains propos laissent à penser que l’interaction se déroule, par son intermédiaire, sous contrôle de l’organisation partisane locale, telle que souhaitée par son maire. Le but est de transmettre une image modérée du parti.

Page 385: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

371

loisirs (défense des propriétaires de jardins et de maisonnettes ouvrières) et sportives.

L’engagement au sein de groupes politiques ou de pression jugés importants par le parti

(pacifiques, pour la jeunesse ou l’international, en faveur des migrants) se réduit à une frange

très limitée de militants, exception faite d’un militantisme syndical très important à l’ouest.

Ces différences dans l’engagement social des militants du PDS sont davantage

générationnelles que géographiques ; elles sont imputables tant à l’âge qu’au stade de

développement de la société civile à l’est et à l’ouest du pays1137.

Ceci confirme le rôle d’ « organisation mère »1138 joué par le PDS: si les militants

participent à de nombreuses initiatives, ils le font à l’intérieur du parti, ce qui marque la limite

de leur « parole libre »1139. La tâche dévolue à ces militants âgés est claire : « Le management

partisan et la ligne politique concrète sont indéniablement entre les mains d’un milieu

intellectuel dominé par les 40-50 ans, tandis que les activistes les plus âgés s’occupent de son

ancrage au sein de la société. »1140 Les camarades de longue date constituent ainsi le capital

social, la colonne vertébrale sociale du PDS ; ils agissent comme une courroie de transmission

des idées du parti dans leur propre environnement social. En tant que majorité muette, ils

jouent un rôle essentiel de relais au sein de la société.

La force principale du PDS réside dans le nombre de ses militants et leur insertion dans

le tissu social. Le PDS est un parti qui rend des services aux gens1141. Par l’intermédiaire de

ses adhérents, le parti est en mesure d’établir localement une communication directe avec de

potentiels électeurs. L’expression de « campagne électorale de rue » utilisée par A. Brie,

ancien dirigeant et député européen, témoigne de la conscience qu’a le parti de cet atout.

1137 C’est ce que montre l’analyse des huit militants interrogés par questionnaire. Sur les quatre jeunes militants de L-H interrogés sur l’engagement politique et social de leur environnement proche (familial et amical), deux évoquent leur mère (une membre du PDS, l’autre élue locale du PDS au début des années 1990), un des amis engagés au PDS, au parti communiste (DKP) et aux Jeunesses Ouvrières Socialistes (SDAJ), précisant un attachement particulier des grands-parents, membres du PDS, à la tradition antifasciste du SED. Le manque de distance critique des jeunes adhérents de l’Est est imputable à leur âge et à leur socialisation initiale dans un milieu proche du PDS. Sur le phénomène de reproduction des préférences qui détermine la politisation initiale, voir les travaux d’A. Percheron. Les militants occidentaux sont en outre davantage insérés dans le tissu social. Interrogés sur leurs autres formes d’engagement, ils parlent de jardins ouvriers, de démocratie directe, de combat pour la transparence du travail des parlementaires, d’association de locataires; à l’Est, un seul militant reflète une multiappartenance ciblée (Cuba Si !, le comité de soutien du PDS à Cuba depuis 1994, aide à l’agriculture cubaine, moniteur de colonies de vacances, association de participation des enfants à la vie politique). 1138 L. Probst : op.cit.. 1139 H. Rey, F. Subileau : op.cit., p. 198. 1140 Selon L. Probst : op. cit. Le chef de district de Rostock, Leuchter, déclare ainsi que dans les organisations de base, les militants seniors « s’intéressent moins aux questions théoriques, quelles qu’elles soient, ils veulent seulement savoir : vous avez décidé cela, mais comment allons-nous le transposer de manière ferme ?». Ibidem. 1141 Une pétition défend les locataires contre la hausse des loyers initiée par C. Ostrowski, élue locale du PDS à Dresde, a par exemple récolté 60 000 signatures.

Page 386: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

372

Certains jugent parfois préférable, pour des raisons stratégiques, de ne pas se revendiquer de

leur appartenance au PDS lors d’interactions sociales et politiques à l’extérieur du parti, ce

que L. Probst dénonce comme le maintien de l’idée d’une conspiration dans l’esprit des

militants.

La portée de l’action des militants dans la société est primordiale pour le PDS. Elle lui

permet de participer par procuration à certaines œuvres sociales, grâce à l’action de ses

militants. C’est le cas des équipes mobiles d’intervention du Brandebourg.

Une ressource participante : l’exemple des équipes mobiles d’intervention du Brandebourg

Les RAA (Regionale Arbeitsstellen für Ausländerfragen, Jugendarbeit und Schule) sont

des permanences régionales de travail social. Elles concernent en premier lieu la jeunesse et

ont pour partenaires privilégiés les écoles et les communes. Ces « alliances d’initiatives et de

permanences locales de conseil, actives de multiples manières en faveur de l’ouverture au

monde, de la tolérance et d’un mode de fonctionnement démocratique» ont le statut

d’associations (e.V. qui correspond à la loi 1901)1142. Les RAA sont co-financées par des

fonds gouvernementaux et des fondations publiques ou privées1143. Dans le Brandebourg, la

RAA dispose d’unités mobiles d’intervention (MBT, Mobile Beratungsteams) vouées à agir

sur le terrain1144. On les trouve essentiellement dans les NBL où elles ont été créées au début

des années 1990 en réaction aux terribles agressions contre des réfugiés, demandeurs d’asile

ou immigrés1145. Les MBT interviennent de manière ponctuelle, dans la majorité des cas à

1142 Selon W. Meyer zu Uptrup : « Das Aktionsbündnis gegen Gewalt, Rechtsextremismus und Fremdenfeindlichkeit im Land Brandenburg ». Bibliothèque digitale de la Friedrich-Ebert-Stiftung, 2000. (http://www.fes.de/fulltext/asfo/00659005.htm#LOCE9E6 , 10.06.2005), p. 52. 1143 Elles sont en contact avec le ministère régional (Land) de l’éducation, de la jeunesse et du sport et le ministère régional du travail, des affaires sociales, de la santé et des femmes. Ministerium für Bildung, Jugend und Sport et Ministerium für Arbeit, Soziales, Gesundheit und Frauen. 1144 Particulièrement concerné par les violences d’extrême droite, le Land du Brandebourg joue un rôle pionnier dans l’organisation des moyens répressifs et préventifs d’endiguement de l’extrême droite. C’est ainsi le premier à mettre en place, en 1997, une « alliance pour l’action » contre la violence, l’extrême droite et la xénophobie (Aktionsbündnis gegen Gewalt, Rechtsextremismus und Fremdenfeindlichkeit im Land Brandenburg). Elle allie pouvoirs publics et monde associatif sous le programme « Brandebourg tolérant» (Tolerantes Brandenburg). Sur les moyens mis en place dans les NBL pour lutter contre l’extrême droite, voir le bilan de B. Wagner : « Zur Auseinandersetzung mit Rechtsextremismus und Rassismus in den neuen Bundesländern ». APUZ, 39/ 2000, pp. 30- 39. 1145 Leur développement doit beaucoup à Hilde Schramm, fille d’Albert Speer, l’architecte et ministre de l’armement d’A. Hitler, condamné à Nuremberg. Elle s’engage dans les mouvements pacifistes et à la fin des années 1980, elle est élue députée écologiste à la CDB Héritant à la mort de sa mère de peintures dont elle soupçonne qu’elles ont été volées à des juifs durant le Troisième Reich, elle a utilisé l’argent de leur vente pour

Page 387: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

373

l’appel des communes, pour assurer des formations ou organiser des actions de manière

ponctuelle. Elles font du « community coaching », revendiquent leur indépendance politique

et entretiennent de très nombreux contacts avec diverses composantes de la société (Eglises

évangélique et catholique, syndicats, initiatives citoyennes, travailleurs sociaux). L’action des

MBT se concentre sur trois points : l’information sur les activités de l’extrême droite dans la

région, un travail préventif contre celle-ci en direction des adultes et adolescents, enfin, l’aide

aux victimes par la création d’un réseau de permanences et de conseils. La plupart des projets

se déroule dans les écoles, collèges et lycées.

Les MBT sont un acteur essentiel et qualifié de la lutte anti-extrême droite au sein de la

société. Leur coopération avec le PDS semble limitée à des contacts avec certains membres du

parti, plus qu’avec des structures de l’institution1146. Aucun contact n’est déclaré avec le

Comité directeur ou avec l’AG A/E (« ou alors dans le savoir ») ; ils sont néanmoins

nombreux avec de jeunes sympathisants, avec l’AG Junge GenossInnen et la KPF. Les

contacts avec le PDS se déroulent à différents niveaux, de la commune au Land. Le cadre

dans lequel se déroulent ces contacts avec le PDS varie. En tant que « représentants de la

démocratie », les députés régionaux du PDS sont souvent conviés à des manifestations

publiques. Ils interviennent par exemple lorsque des sections locales du parti prennent contact

avec les RAA pour organiser des réunions. L’un des intervenants a par exemple assuré une

formation interne au parti.

Ces rencontres avec le PDS sont ponctuelles et se font par hasard, certains citoyens

engagés dans le domaine de compétences des MBT s’avérant être adhérents du PDS. Du fait

de leur nombre et de l’activisme de ses adhérents, le PDS fournit indirectement une grande

partie des personnes engagées contre l’extrême droite au niveau régional, « non uniquement

de manière empathique, mais aussi concrètement ».

Les collaborateurs du MBT interrogés insistent sur l’ambiguïté de l’attitude du PDS en

général et de ses militants en particulier face à l’extrême droite. L’intensité et la qualité de la

coopération du PDS avec les équipes mobiles diffèrent, notamment dans leur fréquence, en

fonction du territoire et surtout du niveau hiérarchique concerné. L’un des collaborateurs des

MBT, Dirk, remarque étonné que la coopération avec le PDS est soit très bonne soit très

mauvaise, rarement entre les deux. Les relations avec les simples membres sont « agréables créer une fondation en 1995. Celle-ci, qui porte le nom de « Rendre » (Zurückgeben), soutient des concitoyens juifs dans leurs projets artistiques ou scientifiques. 1146 Ces paragraphes reposent sur le témoignage, recueilli par écrit, de deux collaborateurs de ces unités mobiles dans le Brandebourg, Dirk et Gerd.

Page 388: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

374

voire amicales » pour Dirk, « de bonnes à très bonnes » pour Gerd. Les difficultés naissent en

réalité avec les instances ou personnalités officielles du parti. Les sections locales, note Dirk,

comptent « beaucoup de Staliniens » incapables de produire un discours constructif, qui ont

tendance « à régler les problèmes par la forme (interdiction) et non par le contenu».

Tous deux s’accordent à reconnaître que les militants du PDS contribuent fortement aux

succès sur le terrain, au point que ceux-ci dépassent les attentes de Gerd. Dirk souligne le

décalage entre les sympathisants et les élites. D’un côté, les députés du PDS ont « souvent

freiné les bonnes actions, ils sont incapables d’argumenter contre l’extrême droite sans

insinuer que la RDA avait trouvé la solution.» De l’autre, il s’émerveille de la

capacité d’adhérents « très engagés à faire en sorte qu’une région entière se mobilise et reste

fidèle à un engagement ». La pratique de la démocratie semble s’y accorder avec la

reconnaissance du poids du passé1147. Une certaine nostalgie du mode de règlement des

conflits de la RDA est dénoncée. Il arrive qu’elle prenne la forme d’une valorisation des

instruments de la dictature. Elle est problématique, dès lors qu’elle sert de référent à la

conduite à adopter face à l’extrême droite.

« Le parti se réclame d’un antifascisme génétiquement fondé et délaisse souvent la confrontation

concrète. Les fonctionnaires reconnaissent en partie les déficits des vieux cadres et cherchent pour cette

raison un soutien à l’extérieur.» Dirk

« Les personnalités dirigeantes plaident de manière plutôt ouverte en faveur d’une confrontation avec

l’extrême droite, tandis que les sections locales sont en partie enclines à un autoritarisme étatique

corrélé à l’idée du socialisme. ‘Tout était mieux avant – Cela n’aurait pas existé – Ils auraient été

envoyés dans les camps en Sibérie’ sont autant de propos authentiques entendus à la base. » Gerd

Les deux collaborateurs des MBT enquêtés, qui n’ont aucun lien avec le PDS,

reconnaissent l’importante capacité de mobilisation du PDS. Si leur avis diverge quant à la

qualité de l’action et à la capacité d’analyse du parti, en raison de la diversité des sections

locales concernées, l’efficacité de l’activisme des adhérents est établie. Les limites de cette

approche résident cependant dans la docilité passive des militants qui ne font qu’appliquer la

doctrine antifasciste mise en avant par les dirigeants.

**** 1147 « La pratique a montré qu’au PDS il y a des personnes qui sont nos partenaires et avec lesquelles nous partageons les mêmes requêtes, et non comme à la CDU ou au SPD des personnes qui sont la cible des démocrates et auxquels la démocratie doit être expliquée. Pour le dire crûment. » (Gerd)

Page 389: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 5- La figure du guide ou le maire PDS confronté à la présence de l’extrême droite dans sa commune

375

La logique de mobilisation est indissociable de celle de domination. Les militants

appliquent les décisions prises par les instances supérieures de leur parti. Dans cette relation,

le parti apparaît comme un guide indispensable, qui exerce une autorité reconnue comme

légitime. La relation de domination qui fonde le pouvoir du PDS à Lichtenberg (et à

Hohenschönhausen) s’appuie sur la figure paternaliste du maire. Celui qui concède à

l’incarner fait carrière.

Une interrogation sur la qualité des interactions existant entre le pouvoir local et les

instances partisanes semble dès lors inévitable, d’autant que la forte autonomie des élites

dirigeant le PDS à l’échelle fédérale exclut du processus décisionnel tout autant les militants

qu’une majorité des élus locaux. Il convient donc de s’intéresser à la manière dont sont

gérées les relations entre les élus et leur parti (tentatives d’homogénéisation et de

nationalisation), ainsi qu’à la violence symbolique exercée par l’institution partisane sur ses

représentants locaux. Le cas de C. Ostrowski se prête à analyser le rôle que joue la

personnalité d’un élu local dans le respect de cette règle normative que constitue

l’antifascisme.

Page 390: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

376

Page 391: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

377

CHAPITRE 6

LA FIGURE DU DEVIANT OU LA QUESTION DE L’HOMOGENEISATION DES PRATIQUES LOCALES PAR LE

RESPECT DE L’ANTIFASCISME

Pour avoir eu des contacts avec des responsables d’extrême droite, Christine Ostroswki

démissionne le 15 mars 1993 de son poste de vice-présidente fédérale du PDS. Certains

expliquent cette disgrâce par le fait que C.Ostrowski appartient à un courant « nouvelle

droite » au sein du PDS1148.

L’affaire Ostrowski affirme le refus de tout rapprochement avec l’extrême droite

comme le « seuil infranchissable »1149 du parti. En identifiant le facteur de cohésion interne du

PDS, cette affaire met la cohérence du parti à l’épreuve. Son étude revient à intégrer le facteur

militant et local à l’ensemble des ressources et des contraintes du parti ; elle en illustre ainsi,

au-delà des tentatives d’homogénéisation1150, le caractère polymorphe, hétéroclite, bref vivant

du PDS. Comment expliquer en effet qu’après un tel scandale, C.Ostrowski ait, de 1998 à

2002, porté les couleurs du PDS au Bundestag, ce qui tendrait à prouver que ni son parti ni ses

électeurs ne lui ont retiré leur confiance ?

1148 Comme le prétendent certains, tel cet ancien assistant de U. Jelpke, porte-parole du groupe parlementaire PDS au Bundestag pour les questions intérieures. 1149 J. et M. Charlot le définissent, à l’instar des valeurs fondamentales, comme la limite non négociable que ne doivent dépasser ni les membres d’un parti, sous peine d’exclusion, ni l’organisation elle-même. « Les groupes politiques dans leur environnement » in M. Grawitz, J. Leca : Traité de science politique. PUF, 1985, tome 3, pp. 429-496, p. 473. 1150 Le terme d’homogénéisation est utilisé ici au double sens de producteur et d’arbitre de l’identité collective. F. Sawicki : « Questions de recherche : pour une analyse locale des partis politiques ». Politix, 2, 1988, pp. 13-28.

Page 392: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

378

A Hohenschönhausen, l’élu des REP, T. Kay n’est pas parvenu à troubler l’ordre que

fait régner le PDS, il n’a pas réussi à ébranler la conviction que l’idéologie d’extrême droite

est contraire aux principes du PDS. La figure analysée dans ce chapitre, elle, fait apparaître

une transgression de la croyance qui fait régner l’ordre au sein de l’organisation partisane.

C. Ostrowski est déviante, parce qu’elle parait mettre en cause la croyance même en la norme.

Tandis qu’elle cherche en réalité à adapter la norme à la réalité pour la faire vivre, elle brise le

tabou qui garantit le système éthique1151.

Le cas développé ici est celui d’une initiative individuelle dénoncée par le parti comme

une dérive fascisante. Les deux facteurs au centre de l’analyse (le parcours et la personnalité

de C. Ostrowski d’une part et la manière dont le parti gère la déviance d’autre part) se

rejoignent sur l’interrogation suivante : C. Ostrowski fait-elle carrière grâce à la déviance ?

L’analyse comporte trois temps. Succédant à une présentation du cas considéré comme

déviant, la deuxième section s’attache à mettre en évidence la manière dont le contenu

idéologique du tabou s’insère dans des logiques électoralistes, éventuellement clientélistes.

Elle rejoint le chapitre premier sur les questions de la concurrence électorale et du PDS

comme victime de manœuvres d’entrisme de la part de l’extrême droite. La gestion de la

déviance par le parti traitée dans la seconde section permet de tirer des conclusions sur

l’articulation de l’idéologie et des pratiques autour des relations entre les instances fédérales

et la diversité des contextes locaux. Si la cohésion du parti repose finalement sur une base

commune de pratiques autant que de croyances, ce dernier se réinvente autour de la diversité

des pratiques de ses agents. L’ennemi reste pour sa part garant de l’ordre du parti et de

l’homogénéité de ses institutions et incarnations. A cet égard, la troisième section s’attache à

expliciter les conditions et le mécanisme des rares interventions des instances fédérales du

PDS dans des affaires locales.

1151 Le tabou fonctionne ici comme au sein des communalisations religieuses analysées par M. Weber : Economie et société, op. cit., tome 2, p. 182.

Page 393: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

379

Section 1 L’affaire Ostrowski ou la non gestion partisane de la

déviance

En premier lieu, il parait nécessaire de s’intéresser tant aux événements à l’origine de la

démission de C. Ostrowski qu’à ses conséquences, c’est-à-dire à la manière dont cette affaire

s’est transformée en cas. Les réactions qui s’ensuivent, loin d’engager un débat de fond au

sein du parti sur l’attitude à adopter face à l’extrême droite, se limitent à une prise de position

dogmatique pour ou contre la responsable. Un évident clivage apparaît ce faisant entre la

majorité des élus et responsables néo-socialistes, qui s’est prononcée contre C. Ostrowski et la

base militante locale (de Dresde) et régionale (de Saxe) qui s’est, elle, manifestée en sa faveur

davantage d’ailleurs qu’en faveur de cet acte. La démarche de C. Ostrowski met ainsi en

lumière la confrontation des micro- et macrocosmes du PDS, à travers la confrontation entre

ses militants de base et ses instances fédérales. En marge d’un mythe (le phantasme d’une

alliance secrète rouge-brune) et d’une réalité (le sentiment xénophobe en ex-RDA), le

décalage révélé par cette affaire entre les différents niveaux d’exercice de l’autorité partisane

(local, régional et fédéral) est au centre de la gestion de la déviance par l’organisation

partisane, de l’absence de traduction du concept antifasciste en une action politique, enfin du

rapport du parti avec ses sympathisants1152.

A) De l’affaire au cas : une rencontre inédite et non cautionnée par le parti

Le cadre : La rencontre

En janvier 1993, Constantin Mayer, ancien vice-président saxon de l’organisation

néonazie interdite depuis peu Offensive Nationale (NO, Nationale Offensive) 1153 contacte

1152 Les principales sources directes utilisées sont une brochure explicative récapitulant les événements rédigée par C.Ostrowski elle-même et l’entretien accordé à l’auteur le 9 juillet 2001 à Berlin, une source riche pour comprendre la démarche de C. Ostrowski. S’y ajoute un entretien réalisé par C. Perron en 1996. Ces données ont été complétées par la consultation des archives de la Fédération saxonne du PDS, de la direction locale du parti, ainsi que de quelques entretiens réalisés, notamment avec le successeur de C. Ostrowski au poste de dirigeant local du parti et une partie de son groupe parlementaire au Landtag de Saxe. Les informations fournies à ces différentes occasions ont été recoupées avec des coupures de presse, des documents internes du parti tels les comptes-rendus de réunion et diverses déclarations publiques de dirigeants du PDS. 1153 Nationale Offensive est interdite par les autorités fédérales en décembre 1992, alors qu’elle compte 50 membres à Dresde, 140 à l’échelle fédérale.

Page 394: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

380

Christine Ostrowski par téléphone et lui demande de lui accorder une entrevue, sans en

préciser le motif.

La cible idéale

C. Ostrowski est à cette époque conseillère municipale de Dresde et présidente de la

fédération PDS de Saxe. Après avoir accepté de rencontrer C. Mayer sans délibération

collective préalable avec ses collègues du conseil communal de Dresde, sans en faire non plus

un secret, C. Ostrowski déjeune le 14 janvier 1993 en sa compagnie dans un café de Dresde.

Elle décrit ainsi, à la troisième personne dans une tentative d’auto-défense et de distanciation,

son état d’esprit avant la rencontre1154:

« Elle est intéressée par la manière dont il parle, dont il s’habille, dont il argumente. Elle a

souvent rencontré des jeunes de la scène d’extrême droite, elle a souvent discuté avec eux, elle s’est fait

une certaine idée d’eux. Un dirigeant [Führer] des Nazis, ça par contre, elle n’a jamais eu l’occasion

d’en voir un en chair et en os […]. Elle ne serait pas allée jusqu’à provoquer l’occasion, mais est

contente qu’elle se présente. Car en elle grandit depuis longtemps un sentiment d’anxiété, d’agitation

interne qui la laisse insatisfaite face à cette image abstraite de l’opposant, du dirigeant de droite que des

gens du PDS présentent dans leurs écrits, sans pour autant que cela l’aide dans sa démarche concrète.

En outre, cela fait longtemps maintenant qu’elle s’est décidée à ne plus ni penser ni agir en catégories

d’ennemis ou d’amis.» 1155

C. Ostrowski a l’intention de saisir l’occasion pour aborder avec C. Mayer le sujet des

rixes quasi-quotidiennes qui ont lieu dans une maison de jeunesse de Dresde, car il faut selon

elle « toujours préférer la parole à la violence »1156. Elle souhaite en outre évoquer la

discussion publique prévue pour le 14 mars dans un cabaret dresdois (Herkuleskeule) entre

C. Mayer d’un côté et des membres de l’association de jeunesse Roter Baum e.V et quelques

Autonomes de l’autre côté, des jeunes avec lesquels C. Ostrowski est en contact.

1154 C. Ostrowski rédige une brochure dans une évidente tentative d’auto-réhabilitation. L’utilisation de la narration à la troisième personne traduit sa volonté de donner aux faits rapportés un cachet objectif. C. Ostrowski : Der « Fall Ostrowski ». Dresde : Projekt Piccolo, 1993, p. 2. 1155 C.Ostrowski fait ici allusion à un mode de pensée dichotomique hérité du SED. Dans les « démocraties populaires », le monde se divisait de manière manichéenne entre les amis et les ennemis de l’Union Soviétique. Ce clivage trouvait un écho, qui s’avéra d’ailleurs fatal aux régimes, au sein d’une société divisée entre « Eux » et « nous », entre dirigeants et peuple. 1156 Ainsi qu’elle le déclare à cette époque au journal Junge Welt, 12.03.1993. Elle se justifie également dans ND, 17.3 et 20/21.03.1993

Page 395: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

381

Le rendez-vous

Pour C. Ostrowski, la discussion programmatique est l’occasion d’une véritable prise de

conscience des similitudes existant entre l’ancienne organisation de C. Mayer, Nationale

Offensive et son propre parti, comme en témoigne l’extrait suivant:

« Au fur et à mesure que Mayer décrit les solutions sociales envisagées par son parti, elle commence à

percevoir, bien plus clairement qu’à travers de grands discours théoriques, comment et avec quelle

facilité beaucoup de citoyens pourraient tomber dans le panneau de ce discours simpliste. Et elle

s’imagine un moment quelle serait la situation si elle laissait Mayer prendre la parole lors d’une réunion

locale du PDS ; son esprit perçoit clairement les hochements de tête approbateurs des camarades, elle

entend les applaudissements et se représente ensuite leur effroi quand elle leur annonce après-coup qui

est Mayer. » 1157

Lorsqu’au cours de la conversation, Mayer annonce que son organisation va concentrer

sa campagne électorale sur la Saxe, C.Ostrowski se demande comment faire prendre

conscience à une partie de la population des différences existant entre son parti et

l’organisation de Mayer. Ce dernier évoque ensuite le cas d’une maison de jeunesse de

Gorbitz qui souhaite apporter de l’aide aux jeunes en difficulté sociale. C.Ostrowski accepte

immédiatement de suggérer à l’association de jeunesse Roter Baum de participer à ce projet.

Elle espère par ce biais retisser un lien avec une jeunesse acquise à l’extrême droite,

persuadée qu’il ne faut pas laisser à cette dernière le monopole de telles initiatives.

C.Ostrowski demande en outre à Mayer de faire jouer son influence pour que cessent les rixes

et l’usage de la violence entre adeptes de scènes différentes. A l’aune de la discussion, elle

estime par ailleurs que Mayer n’a lui non plus aucun intérêt à une escalade de la violence.

Après cette rencontre, C.Ostrowski dit ne pas avoir le sentiment d’avoir accompli un

acte de diplomatie secrète. Cette entrevue n’est pour elle que l’une des nombreuses rencontres

auxquelles elle participe avec toutes sortes de gens (elle énumère des personnalités politiques

de la CDU, du SPD, des catholiques, des syndicats, …). Elle ne lui a accordé, selon ses

propres déclarations, aucune signification ou attente particulière.

Les conséquences de la rencontre sur la carrière de C.Ostrowski

Quelques jours plus tard, C. Ostrowski apprend par un journaliste de l’hebdomadaire

d’actualité Der Spiegel que C. Mayer a l’intention d’utiliser cette rencontre comme argument

1157 Brochure, p. 3.

Page 396: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

382

contre le PDS et contre C. Ostrowski personnellement dans la campagne électorale pour les

municipales à Dresde. Alors qu’elle vient en effet d’être désignée candidate à la mairie de

Dresde par le PDS, cette information la convainc de la nécessité de rendre publique

l’entrevue.

Réactions du PDS : désaveu d’en haut

Avant que ne paraisse l’article du Spiegel qui rend la rencontre publique, C. Ostrowski

est élue vice-présidente fédérale du PDS1158 les 30 et 31 janvier 1993. L’article paraît

finalement le 8 mars 1993. Arrivée au siège du parti le lundi matin sans avoir lu

l’hebdomadaire en question, C. Ostrowski dit avoir senti que « quelque chose avait changé ».

Le Comité directeur est immédiatement convoqué en réunion extraordinaire. Les plus

éminents membres du parti y participent, parmi lesquelles Hans Modrow, président d’honneur

et Lothar Bisky, président du PDS. C. Ostrowski raconte cette séance, censée lui donner

l’occasion de justifier sa démarche, comme un traumatisme. Elle dit être condamnée avant

même d’avoir eu droit à la parole. Sa réponse à la question : « Ils n’ont pas essayé de

comprendre avant d’accuser ? » est éloquente : « Au parti ? Tu peux oublier. » Chaque

participant donne son avis et la réunion se termine sans qu’aucune décision n’ait été prise.

Contactée dans l’après-midi du 8 mars par un journal local de Dresde (DNN/Union)

pour s’expliquer sur la rencontre avec C. Mayer, C. Ostrowski déclare entre autres que de

nombreuses revendications sociales du PDS et de NO peuvent paraître similaires aux yeux des

citoyens, bien qu’elles ne le soient pas dans le fond. Le lendemain paraît son interview. Il est

question de « similitudes dans les exigences sociales jusque dans la formule employée ».

C’est ainsi que, à partir du 10 mars, l’histoire fait la une des médias proches du parti, locaux

et régionaux. C. Ostrowski demande un droit de réponse à DNN/Union, mais entre-temps les

échelons régionaux et fédéraux du PDS condamnent unanimement et vigoureusement

l’attitude de C. Ostrowski, sa rencontre avec Mayer et ses propos.

Les déclarations officielles nient fermement le droit aux membres du PDS de parler

avec des responsables néo-nazis, l’existence de points communs entre le PDS et des

organisations « qui représentent de manière démagogique des positions racistes, antisociales

et antisémites »1159, présentent la rencontre comme une « grave erreur politique »1160,

1158 Il est difficile, dans le cas du PDS, de parler de fédéral, d’autant que la perspective adoptée ici est de considérer le PDS comme un parti de l’Est. Le terme fédéral nous semble néanmoins être le seul à même de refléter le caractère supra-partisan, quasi-transcendant des instances supérieures du parti. 1159 Selon le président du parti, Lothar Bisky.

Page 397: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

383

promettent que le PDS va continuer à dialoguer avec les adolescents qui appartiennent à cette

scène1161 et refusent en bloc toute discussion susceptible « de rendre respectables des fascistes,

néonazis, nationalistes ou racistes »1162. Seul le chef charismatique du PDS, Gregor Gysi, livre

ce qui s’apparente à un début d'argumentation. Il admet qu’il n’y a pas de ligne de conduite

unique. Il reproche néanmoins à C. Ostrowski de ne pas avoir informé les responsables du

parti de la tenue de cette discussion et surtout de ne pas être capable de mener une telle

confrontation1163. A maintes reprises, C. Ostrowski se plaint que le fond du sujet ne soit pas

discuté lors des réunions internes. Les débats se limitent selon elle à une utilisation

hypertrophiée de grandes idées. On l’accuse de « rupture du consensus antifasciste, crime

contre le peuple allemand et l’opinion publique internationale, tort énorme fait au parti »1164,

etc. Après avoir fermement refusé de reconnaître qu’elle a commis, sur le plan des principes,

une erreur politique, C. Ostrowski finit par céder et démissionne de son poste de co-vice-

présidente fédérale du PDS le 15 mars 1993.

Soutien de la base

Sans doute pour exercer des pressions sur le pouvoir central, C.Ostrowski insiste pour

affronter la base et laisser cette dernière juger de son éventuel désaveu1165. Par un vote, la

présidence de la section locale du PDS à Dresde (Stadtvorstand) lui expriment leur confiance

par 12 voix contre 2. Suite à cette victoire, une conférence est organisée le 17 mars afin de

connaître l’avis des militants de Dresde. La discussion est vive, les avis partagés, allant d’un

accord de principe à un refus total de l’initiative de C. Ostrowski. Les avis concordent

pourtant sur le fait que C. Ostrowski ne doit pas démissionner des fonctions qu’elle occupe à

Dresde ; le comité directeur fédéral lui-même continue d’ailleurs de soutenir sa candidature à

la mairie de Dresde. A 85% des voix (108 contre 15), le vote de confiance s’avère favorable à

C.Ostrowski.

1160 Déclaration du Directoire fédéral rapportée par Die Welt, 19.3.1993, p. 2. 1161 FAZ, 16.3.1993, p. 4. 1162 Andre Harnack, remplaçant de C.Ostrowski à la tête du parti. Ibidem. 1163 G. Gysi : « C. Ostrowski. Was geht und was nicht geht », ND 20/21.3.1993, p. 2. 1164 Propos tenus par C. Ostrowski en entretien avec l’auteur. 1165 Sur la pression qu’exerce celui qui pose la question de confiance, se reporter à R. Michels : Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties. Flammarion, 1971, p. 46.

Page 398: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

384

Indécision de la fédération régionale

Réunie le 19 mars en Congrès exceptionnel, la direction de la fédération régionale du

PDS (Landesverband Sachsens) propose l’adoption d’un code de conduite interdisant aux

cadres du PDS tout contact personnel avec des dirigeants d’extrême droite. L’adoption de ce

réglement à une grande majorité, sans qu’elle ne donne toutefois lieu à un débat de fond,

témoigne d’une volonté de compromis visant à empêcher que la situation n’escalade. Il en va

de même pour l’autre décision prise à cette occasion, l’organisation d’une conférence sur

l’antifascisme, ce qui correspond au mode de traitement traditionnel de la question par le

parti1166.

A cette occasion, C. Ostrowski se sent exclue, mise au ban de la fédération. Elle

reproche à de nombreux responsables régionaux du parti, Peter Porsch en tête, de ne pas avoir

agi par conscience politique mais par opportunisme et carriérisme1167. La dénonciation exige

que quelqu’un trouve un intérêt à « crier au voleur », « c’est l’intérêt personnel qui pousse à

prendre cette initiative »1168. Dans le cas présent, l’interview publiée dans DNN/Union a été

faxée au président d’honneur du PDS H. Modrow. Il y a fort à parier qu’elle l’ait été de

Dresde, selon toute vraisemblance du groupe parlementaire Linke Liste/ PDS au Landtag de

Saxe selon C. Ostrowski1169.

Au moment du Congrès exceptionnel, les principaux détenteurs du pouvoir régional

Peter Porsch1170 et Klaus Bartl menacent de rendre leur carte du parti et de démissionner de

leurs fonctions si un nouveau vote de confiance, secret, cette fois, n’est pas organisé. Ils

dénoncent au passage le vote local de confiance comme une manœuvre opportuniste dans la

plus pure tradition stalinienne. Cet aspect du conflit touche à l’identité procédurale du PDS.

Le vote à main levée s’est en effet imposé au PDS. Le fait qu’un vote secret ait été choisi ici

montre que la réunion est un passage obligé.

1166 Sur le rituel antifasciste exclusivement décliné en déclarations et conférences, voir le chapitre 2, section 1. 1167 Le choix a été fait de ne pas détailler les rivalités individuelles, dans la mesure où elles n’interviennent qu’en marge des décisions officielles du parti et n’en changent pas le cours. C. Ostrowski accuse i également A. Hahn, député et H.-J. Burkhardt, cadre du PDS à Dresde. 1168 H.S. Becker : op. cit., p. 145. 1169 Brochure, p. 6. 1170 Né à Vienne en 1944, Peter Porsch est la figure centrale, longtemps incontestée, du PDS en Saxe. Après avoir étudié la littérature allemande, il immigre en RDA en 1973 et renonce à sa nationalité autrichienne. En 1982, il entre au SED, en 1990 il devient membre du PDS. Elu député au Landtag de Saxe depuis 1990, il est également le président de la fédération de Saxe du PDS. Accusé d’être un ancien informateur de la Stasi, il est exclu de son poste de professeur de linguistique à l’université de Leipzig en 2004.

Page 399: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

385

Après l’adoption du code de conduite, C. Ostrowski est envoyée, selon ses propres

termes, en tant que « cadre errant » à travers le pays pour participer à des manifestations

traitant de l’extrême droite1171. Deux événements en sa faveur closent le débat. D’une part, une

demande d’exclusion de C. Ostrowski déposée auprès de la Commission d’arbitrage régionale

du PDS est rejetée. D’autre part, au cours du troisième congrès régional du PDS, 81% des

délégués choisissent en la personne de C. Ostrowski leur candidate à la mairie de Dresde.

Dernier acte : lors du congrès national du parti, une proposition de la plate-forme communiste

(KPF) pour interdire au personnel du PDS tout contact avec la droite et l’extrême droite est

refusée à une très large majorité. Ces deux événements confirment à la fois la solidité de

l’ancrage politique de C. Ostrowski à Dresde et la spécificité du contexte saxon. La déviance

est ici gérée par un double phénomène d’inclusion et d’exclusion : contrainte à la démission,

C. Ostrowski conserve son pouvoir local et régional. L’année suivante, elle obtient 28,8% des

suffrages au second tour de l’élection à la mairie de Dresde1172.

L’affaire est classée, enterrée si l’on en croit le silence et la gêne qui dominent

lorsqu’on évoque cet événement devant des élus ou responsables du PDS, bien plus encore

lorsque l’on souhaite en parler avec des protagonistes de l’affaire1173. Interrogé sur cette

question, le spécialiste B. Wagner (ZdK), elliptique, met en avant la discrétion de

C. Ostrowski depuis ces événements, en particulier sur les problématiques susceptibles de

révéler un ethnocentrisme. « Elle se fait très discrète ces derniers temps. A l’époque, elle avait

interrogé l’option ethnique (völkisch). Mes critiques lui sont parvenues, je suggérais que l’on

organise un débat sur cette question. Elle a répondu qu’elle allait y réfléchir. Et moi, je

pensais qu’elle devait parler !» Le débat n’a pas eu lieu. Le silence de C. Ostrowski traduit

son acceptation de la censure exercée à son encontre en signe de sanction.

1171 Aucune donnée ne permet de corroborer cette information. Sans vouloir exagérer l’importance entre autres de ces lectures publiques dans des librairies, une telle décision n’est pourtant pas étonnante. Elle reconnaît tacitement à C. Ostrowski la volonté, si ce n’est la capacité de traiter le sujet, tout en lui permettant de se refaire une réputation, en la tenant éloignée des affaires partisanes le temps que le scandale en s’apaise. 1172 C. Ostrowski recueille 19,2% des suffrages à l’issue du premier tour (elle arrive deuxième). Au second tour le 26 juin 1994, avec un taux de participation de 51,8%, elle devance le SPD (14,7%). Wagner (CDU) est élu maire avec 54,8%. 1173 Après près de deux heures d’entretien, C. Ostrowski nous confie: « Ca m’a fait du bien de parler de cette histoire. Je n’avais encore jamais eu l’occasion de m’expliquer ». Au cours de la trentaine d’entretiens réalisés avec des élus et cadres du PDS à divers échelons, cette affaire a déclenché bien plus de mutisme que de confidences, surtout à Dresde.

Page 400: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

386

Il est difficile de connaître les motivations de C. Mayer1174. Par son caractère et sa forte

implantation locale, C. Ostrowski est sans doute la personnalité la plus accessible pour un

concurrent électoral. Elle est en outre, de toutes les personnalités vouées à un destin national

au sein du PDS, la seule susceptible d’accepter ce genre d’entretien. Il est possible que

C. Mayer ait cherché à « casser » la candidature de C.Ostrowski à la mairie de Dresde. Le

numéro de Der Spiegel à l’origine du scandale postule que la démarche de Mayer vise avant

tout à créer un lien susceptible de servir de porte de sortie (ou d’entrée ?) à son organisation,

qui vient juste d’être interdite. Pour détourner la vague d’interdiction d’organisations

d’extrême droite, des Néonazis auraient reçu l’ordre d’infiltrer des partis politiques autorisés,

parmi lesquels le NPD et en Saxe et à Berlin le PDS ! La proposition de coopération faite par

Mayer s’inscrit-elle dans la démarche de reconversion et de développement des collaborations

entrepris par d’anciens membres de groupes néonazis interdits (DA et NF) avec des

organisations politiques légales ? Dans un contexte où le chef de Nationale Offensive,

Swierczek, prône une politique de détente à l’égard des héritiers du communisme, Mayer est-

il en quête d’une possibilité de faire de l’entrisme au PDS ?

Tableau 29- Chronologie récapitulative de l’« affaire Ostrowski »

Décembre 1992 L’organisation néonazie Nationale Offensive (NO) est interdite Janvier 1993 Constantin Mayer, chef saxon de NO, contacte la conseillère communale de Dresde et

présidente de la fédération régionale du PDS, Christine Ostrowski. 14 janvier 1993 C. Mayer et C. Ostrowski se rencontrent 30-31 janvier 1993 C. Ostrowski est élue co-vice-présidente du PDS 8 mars 1993 L’hebdomadaire Der Spiegel rend publique la rencontre.

Une assemblée extraordinaire du Comité directeur du PDS est improvisée 9 mars L’interview accordée par C. Ostrowski à DNN/Union parait. Il y est question d’objectifs

sociaux identiques, jusque dans la formulation. 10 mars L’affaire devient médiatique. 15 mars C. Ostrowski est poussée à la démission de la vice-présidence du PDS.

Le comité directeur de la section locale du PDS à Dresde (Stadtvorstand) vote la confiance à C. Ostrowski.

17 mars Les militants de la section locale du PDS à Dresde (Stadtverband) votent la confiance à C. Ostrowski.

19 mars Congrès exceptionnel de la fédération régionale (Landesverband) qui adopte un code de conduite et prévoit l’organisation d’une conférence antifasciste

1174 Les différents moyens utilisés (jusqu’à l’envoi d’un courrier à lui transmettre au NPD dont nous savons qu’il s’est trouvé en contact avec lui) afin de retrouver C. Mayer pour l’interroger sur cet événement se sont révélés infructueux.

Page 401: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

387

B) Un conflit révélateur de conceptions divergentes de la politique

Cette section tente d’éclairer ce qui fait de C. Ostrowski une déviante. Parmi les

éléments qui ont rendu l’affaire possible, sa personnalité et l’importance de son leadership

dans sa ville (Dresde) sont des éléments centraux. Alliés aux effets du territoire, à savoir une

forte identité régionale saxonne, ces données alimentent des rapports de force partisans entre

le centre et la périphérie. Ces relations conflictuelles reposent sur une conception différente

des questions aussi fondamentales que le rôle du politique, la stratégie partisane ou encore

l’exercice de la profession politique.

La popularité, une ressource individuelle source de conflits avec le parti

C. Ostrowski est une figure populaire de Dresde et parait consciente des contraintes

liées à ce statut.

« Je suis dans la commune, je suis le numéro un, après le maire la deuxième personne la plus connue à

Dresde. […] Je ne peux pas faire un pas à Dresde sans que l’opinion publique ne m’observe. Il faut

quand même que je fasse de la politique concrète, car quel que soit le domaine, c’est toujours du PDS

de Dresde et de notre fraction au conseil communal que dépend l’adoption d’une mesure […]. Alors

c’est comme ça : chaque pas que nous faisons doit être sensé et réfléchi jusqu’au bout, parce qu’il a

toujours des conséquences. » C. Ostrowski

Si le parcours de ce leader local populaire est classique au PDS1175, il est marqué par son

ancrage profond à l’Est plus qu’au PDS ; l’attachement provincial prime sur l’engagement

partisan. La carrière politique de C. Ostrowski commence au moment de l’effondrement de la

RDA. Formée à l’école du parti et entrée au SED en 1968 à l’âge de 23 ans, c’est la

Wende venant qu’elle se distingue au sein du SED, par son caractère résolument réformateur.

Elle fait alors partie de ce groupe désireux de « faire de ce SED stalinien un parti de gauche

moderne », ce à quoi elle doit sa popularité à Dresde. Elle dénonce l’érosion du « contrat

social » du SED/RDA, et prétend s’être rendue compte, en revenant en bas de l’appareil du

SED, que « la politique du SED n’attirait aucunement la confiance, ce qu’elle prétendait

pourtant. Le parti avait un slogan: "le rapport de confiance entre le peuple et le parti est de

plus en plus étroit". Bien sûr il n’était pas devenu plus étroit, au contraire, c’était de pire en

1175 Les formes d’entrée en politique au PDS ne semblent se distinguer que sur un point, le rôle formateur joué par le SED. Les deux plus courantes voie d’accès au PDS sont l’exercice de mandats locaux et un accès direct à travers l’appartenance au SED qui, de fait, a formé à la fois des cadres et dirigeants et les opposants internes au SED, que l’on retrouve pour une grande part au PDS.

Page 402: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

388

pire parce que rien ne marchait, les journaux étaient ennuyeux, etc. » Ce qui lui pèse au SED

en 1988, c’est « une étroitesse d’esprit, tu ne pouvais pas briser vraiment les normes »1176.

En mars 1990, elle est élue députée de la Volkskammer, le parlement de la RDA. Elle le

restera jusqu’à sa dissolution, avant d’être élue au Bundestag d’octobre à décembre de la

même année. Entre 1991 et 1994, elle exerce diverses fonctions au sein des institutions

régionales du PDS de Saxe et dans la ville de Dresde où, en 1994, elle est désignée candidate

à la mairie.

Lorsque C.Ostrowski est élue vice-présidente fédérale du PDS en 1993, c’est « une

feuille blanche »1177 au sein de l’appareil du PDS. Peu après les événements dont il est ici

question, elle est élue vice-présidente de l’organe fédéral (Bundesverband) des Comités pour

la justice (Komitee für Gerechtigkeit) créé le 24 avril 1993 à Berlin. Nouvellement apparus

sur une initiative soutenue par le PDS, ces comités visant à représenter les intérêts de la

population est-allemande à titre individuel n’ont eu que peu d’effets sur la politique

fédérale1178.

A partir de 1994, elle est conseillère communale de la ville de Dresde et exerce un

mandat de député du parlement régional de Saxe entre 1994 et 1998. Après les élections

législatives en 1998, élue sur la liste de Saxe, elle est députée du Bundestag, en charge de la

politique du bâtiment, du logement et des transports. Elle reconnaît dès lors la politique du

logement comme sa spécialité. A nouveau candidate à un mandat fédéral en 2002, elle paie de

son poste, comme 34 autres, l’échec du PDS aux élections législatives. De retour dans son

fief, elle devient en 2002 attachée de presse de la fraction du PDS au conseil communal de

Dresde, avant d’être à nouveau élue conseillère communale en 2004.

1176 Extraits de l’entretien réalisé le 14.06.1996 et traduit par C. Perron, cité dans La transformation des élites politiques locales tchèques et est-allemandes, 1989-1998. Une comparaison de la construction démocratique dans deux sociétés post-communistes. Thèse de science politique, dir. J. Rupnik, IEP Paris, 2002, p. 413. 1177 Comme la qualifient alors U. Backes et E. Jesse: Politischer Extremismus in der Bundesrepublik Deutschland. Bonn : Bundeszentrale für politische Bildung, 1996, p. 199. 1178 En juillet 1992, sur une initiative de personnalités est- et ouest-allemandes, parmi lesquelles G. Gysi et L. Bisky, chefs du PDS, et P. M. Diestel (CDU) sont créés des « Comités pour la justice ». Considérant que les NBL ne sont pas un « territoire annexé » de la RFA, ces instances sont chargées de veiller à la défense des intérêts est-allemands et de dénoncer les excès de l’unification. Son président H. Fink est un ancien informateur de la Stasi et ancien président de la Conférence chrétienne pour la paix (CFK-Christliche Friedenskonferenz) prosoviétique. La déclaration de principes rendue publique à cette occasion annonce que le Comité soutient une politique contre la xénophobie, la haine raciale et l’idéologie fasciste, qui doit servir de base à une société multiculturelle, en encourageant l’intégration des citoyens étrangers vivant en Allemagne. Le Comité s’engage aussi en faveur du principe de la double nationalité et de l'octroi du droit de vote aux étrangers lors d’élections communales. Voir le FAZ du 7.6.1993, Deutschland-Archiv, 25, 1992, pp. 890-895 et E. Jesse : « Mehr Beständigkeit als Bruch. Das Parteiensystem vor und nach der Wiedervereinigung » in E. Jesse, R. Altenhof (dir.): Das wiedervereinigte Deutschland. Düsseldorf : Droste, 1995, pp. 45-68.

Page 403: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

389

Au moment des événements relatés ici, P. Porsch, chef du groupe parlementaire PDS au

Landtag de Saxe, va jusqu’à se plaindre d’un culte de la personnalité (de C. Ostrowski) qui

rend impossible tout débat politique de fond. Le cas C. Ostrowski est avant tout une affaire

locale. Ce leadership local se transforme en enjeu fédéral presque par hasard, car au moment

où la rencontre avec C. Mayer est rendue publique, C. Ostrowski se trouve être la vice-

présidente du PDS. Leader fort à Dresde, son influence dans les hautes sphères du parti est

néanmoins faible. Si ses ressources individuelles locales légitiment sa rencontre avec C.

Mayer, l’action n’en est pas moins considérée par les instances fédérales comme contraire à

l’intérêt du parti. La notoriété de C. Ostrowski entre en conflit avec la raison de parti

(Parteiräson) et conduit à une crise interne.

L’un des facteurs décisifs qui ont transformé la rencontre en affaire est le caractère de

C. Ostrowski. C’est une « personnalité volubile et extravertie », admirée pour « son franc

parler, sa nature ouverte et sympathique, son absence de langue de bois, sa gouaille et sa

façon décontractée d’envisager son passé »1179. Le leader de Dresde a conscience que cette

image constitue un atout et l’entretient.

« J’ai toujours été comme ça : je polarise. Je ne suis pas de ceux qui tournent autour du pot. Je dis tout

haut ce que je pense. Finalement, je trouve cela plus sincère que de parler à demi-mot. Au PDS, j’ai

entre 15 à 20% d’adhérents de mon côté et à peu près la même proportion de fervents opposants. Ceux

qui se situent entre les deux, j’arrive ou non à les rallier à mon camp en fonction de l’atmosphère, de

l’humeur ou de la nature de l’engagement. A part à Dresde où je suis incontestée parce que c’est ma

patrie, dans le reste du parti, il faut savoir utiliser cela lorsque l’occasion se présente bien sûr, contre

d’autres hommes politiques qui ont les mêmes ambitions. »

Cette personnalité, si elle sert localement sa notoriété, va de pair avec un discours

démagogique et populiste sur les élites, qui complexifie les relations de C.Ostrowski avec ses

collègues du PDS. On y retrouve la revendication localiste de la Lettre de Saxe1180.

« Je souhaiterais pourtant que ces hommes politiques, qui se retrouvent propulsés en haut de l’affiche

par une circonstance heureuse, soient capables d’accomplir un réel effort. Ne serait-ce qu’une fois,

lorsqu’ils occupent des postes à responsabilité, ils devraient pouvoir penser une loi, du début à la fin,

une loi réalisable. Ce que j’entends la plupart du temps chez Petra [Pau], c’est du vent et ce n’est pas

1179 C. Perron : op. cit., p. 387. Notons que ces traits de caractère conviennent également à B. Grygier, autre contrevenante à la discipline antifasciste fixée par le parti, qui se qualifie elle-même d’« agent provocateur » (en français dans le texte) du PDS Le chapitre 5 lui est en partie consacré. Il est intéressant de noter à quel point le REP T. Kay s’efforce à l’inverse de donner une image lisse, polie, sympathique et conciliante de lui-même. Voir le chapitre 4, section 2, C. 1180 Ce point est traité dans le chapitre 5, section 1, A.

Page 404: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

390

mon univers. Lorsque j’ai commencé la politique, je faisais ça aussi. Je m’en suis distanciée depuis,

parce que j’estime que sur la durée on ne gagne pas une réputation de cette manière dans le monde réel.

Il faut être sérieux, maîtriser son sujet. Ok, je fais de la politique du logement, je pense être estimée

dans le monde de l’économie fédérale. Ils me le disent, ils m’estiment parce qu’ils savent que je ne dis

pas de sottises. Je fais des propositions alternatives, qui fonctionnent, parce que je me donne beaucoup

de mal. Je fais des recherches, la sueur me perle du front. Mais ça vaut le coup, sur la durée. C’est ce

qui me manque chez beaucoup de ces hommes politiques qui émergent très rapidement et sont aussi

portés par les médias. C’est même notre canot de sauvetage. La politique locale, ça ne permet pas de se

faire connaître, ce que je comprends parce que ça n’intéresse pas les journaux, pas plus que les lecteurs.

Je comprends aussi, c’est trop compliqué à faire passer. Alors, l’homme politique, s’il n’est pas très

discipliné, est facilement conduit à ces paroles dans le vent. »

Cette conception de la profession politique est fortement influencée par des

caractéristiques du territoire sur lequel C. Ostrowski exerce son activité. En effet, le méfait de

C. Ostrowski ne repose pas tant sur le fait de briser un tabou que sur celui d’accepter la

primauté d’autres règles du jeu que celles fixées par le parti. Le sentiment de confiance en soi

né de la popularité et de la personnalité restreint les inhibitions et conduit le leader local à ne

pas consulter les instances de son parti (ni régionales ni fédérales) avant d’accepter la

rencontre avec C. Mayer1181.

Certaines caractéristiques de la ville de Dresde ou du Land de Saxe marquent en effet

les relations qui existent entre ces espaces et les instances fédérales du parti. C. Ostrowski

parait voir en Dresde, où règne la culture du consensus1182, un terrain idéal d’exercice du

pouvoir. Elle évoque ainsi la collaboration entre les partis politiques au sein du conseil

communal en des termes élogieux.

:« Nous avons pour ainsi dire une alliance à la gauche de la CDU. Il existe bien entendu des différences

fondamentales entre le SPD et le PDS, mais lorsqu’il s’agit de décisions de principe, comme un concept

en matière de transports pour Dresde (pour ou contre une autoroute qui traverserait la ville), c’est nous

en règle générale qui prenons la décision de principe et le SPD, la Bürgerfraktion et les Verts ‘se

1181 Pourrait-on en conclure qu’à l’inverse la marginalité d’une section locale augmente la fréquence des consultations au sein de la section et par la voie hiérarchique? L’existence de mécanismes internes de consultation transparaît par exemple au sein de la section locale de l’arrondissement Charlottenbourg-Wilmersdorf de Berlin-Ouest. Nathalie, candidate locale à un mandat au Bundestag, invitée par une association à participer à une action appelée « scandale banquier » sur sa circonscription, demande leur opinion aux militants sur sa participation. La promenade a pour objectif de dénoncer, en pleine crise financière berlinoise, les élites politiques et économiques propriétaires de fastueuses villas à Grünewald. Les militants estiment qu’elle doit participer. Les responsables de sections ajoutent qu’il ne faut pas que la promenade tourne à la violence. Les pressions exercées sur le PDS depuis son entrée au Sénat rendent nécessaires la participation à ce type d’initiatives, mais le parti ne doit pas se laisser aller à rendre justice lui-même. 1182 Voir le chapitre 5, section 3, fin du A.

Page 405: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

391

joignent’ toujours à nous. Les fractions de gauche ont la majorité au conseil communal1183. Et nous nous

en servons. Mais il y a également de nombreux cas où la CDU et le PDS votent de la même manière. Il

s’agit de majorités changeantes, au cas par cas, et cela me plait bien. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a

pas de différences. Mais on s’estime mutuellement et c’est comme cela que je conçois le

parlementarisme. [...] Au conseil communal, chaque parti doit constamment chercher le consensus,

trouver des compromis. Parce qu’il doit rallier les autres à sa cause s’il veut faire passer quelque

chose. » 1184

La propension locale au consensus renforce le pouvoir du PDS à Dresde. Ce faisant, elle

accentue les risques de conflit entre les différents pôles du pouvoir partisan. La section locale

de Dresde, proche de la fédération saxonne s’oppose au groupe parlementaire du PDS au

Landtag de Saxe. Tous trois se démarquent en outre de la ligne fixée par le parti à l’échelle

fédérale.

Les effets d’un particularisme régional

La Saxe est non seulement l’un des trois Etats libres (Freistaat) de la fédération1185 , il

est également le plus peuplé et le plus densément peuplé des cinq nouveaux Länder1186.

Dresde, sa capitale, ville universitaire et de commerce compte près de 500 000 habitants en

2005. C’est l’un des principaux et des plus anciens centres culturels européens. Cette ville

artistique et touristique devient en 1806 la capitale du nouveau royaume de Saxe. Son

architecture flamboyante lui vaut le surnom de « Florence du Nord ». Grâce à une

industrialisation accélérée, elle connaît un essor rapide.

Très tôt, la social-démocratie y déploie son influence1187. Le ras de marée nazi épargne

quelque peu cet Etat dans lequel les résultats du parti national-socialiste (NSDAP) restent bien

en dessous de la moyenne nationale. Ainsi, même à l’issue des élections de 1932 qui ouvrent

à Hitler les portes de la chancellerie, les partis social-démocrate et communiste (SPD et KPD)

1183 En 1996, la CDU a une majorité de 25 sièges, le PDS dispose de 16 mandats, le SPD de 11 et les Verts de 6. Il faut y ajouter les quelques sièges de formations politiques plus petites pour établir les majorités gauche/ droite. Voir Annexes 4, tableaux 11 et 12. 1184 Entretien réalisé par C. Perron le 14.06.1996, traduit par nos soins. 1185 La République fédérale allemande accorde à la Saxe, la Thuringe et la Bavière (seul Etat-libre avant l’unification) un statut privilégié en raison d’une longue tradition d’autonomie. 1186 Il s’étend sur 18400 km, couvrant 5% environ de la superficie totale de la République fédérale et compte 4,6 millions d’habitants, soit 5,7% de la population allemande. 1187 A la suite des élections au Reichstag de 1903, seul un arrondissement électoral de ce « royaume rouge » n’est pas sous majorité sociale-démocrate. Comme dans le reste du pays, la République est proclamée en Saxe à la fin de la Première Guerre mondiale, le 10 novembre 1918. Deux ans plus tard, l’Etat-libre se dote d’une première constitution républicaine. E. Zeigner, à la tête d’un gouvernement socialo-communiste, est poussé à la démission par l’armée impériale à la suite du putsch de Kapp et d’émeutes à Leipzig.

Page 406: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

392

restent nettement devant le NSDAP. La Saxe subit pourtant le sort de la République et est

« mise au pas » suite à la nomination de Hitler. Durant la Seconde Guerre mondiale, peu de

temps avant la Libération, les bombardements aériens anglo-américains rasent littéralement la

ville de Dresde. Selon les dernières estimations, la nuit du 13 au 14 février 1945 fait 25 000

victimes1188.

Lors de la phase de reconstruction (ou occupation soviétique), les frontières de la Saxe

sont élargies. Puis, avec la disparition du découpage en Länder imposé par le SED en 1952,

elle est divisée en trois districts administratifs autour des villes de Leipzig, Dresde et Karl-

Marx-Stadt (rebaptisée Chemnitz depuis l’unification). La Saxe devient alors le plus

important centre de production de la RDA. A elle seule, elle représente un tiers du produit

intérieur brut de la RDA, dont une grande partie est due au secteur agricole.

Après l’unification, la Saxe procède à une profonde restructuration, en développant

notamment fortement l’industrie automobile. Elle bénéficie ainsi d’une relative bonne santé

économique, avec le plus fort potentiel de croissance des NBL1189. Après avoir eu le taux de

chômage le plus bas des nouveaux Länder (16%), la Saxe s’inscrit dans les années 2000 dans

la moyenne des NBL1190. En mai 2005, le taux de chômage en Saxe s’élève à 18,4% de

l’ensemble de la population active1191. La Saxe ajoute aux critères de son succès

économique1192 la conscience de son exception. Cette confiance et cette assurance valent aux

Saxons le surnom de Wessis de l’Est1193.

D’un point de vue politique, la Saxe est un fief des conservateurs depuis l’unification.

Le ministre-président chrétien-démocrate, ancien secrétaire général de la CDU occidentale,

Kurt Biedenkopf, est resté douze ans durant son ministre-président. Propulsé à la tête de

l’exécutif saxon le 14 octobre 1990 grâce à un rapport de forces digne de la CSU en

1188 Selon les estimations de la Commission d’historiens chargés par la ville de Dresde de déterminer le nombre de morts lors des bombardements. Les historiens parlaient jusque là de 35 000 morts, l’extrême droite allait jusqu’à 250 000-400 000. La commission doit rendre son rapport définitif fin 2005. Der Spiegel online, 24.03.2005. 1189 Mission économique de l’Ambassade de France en Allemagne, http://www.missioneco.org/allemagne/documents_new.asp?V=1_PDF_96273; 24.06.2005. 1190 Si le taux de chômage moyen en RFA est de 11,6%, il se répartit très inégalement entre l’Est (18,9%) et l’Ouest (11,6%). 1191 Sächsisches Staatsministerium für Wirtschaft und Arbeit (http://www.smwa.sachsen.de ; 23.06.2005). 1192 En raison notamment d’efforts accomplis en direction des moyennes entreprises au fort potentiel d’innovation. 1193 D’après le magazine Focus cité par A. Waschkuhn : « Politik in Ostdeutschland- Politische Konfliktlinien, institutionelle Fragen und demokratisches Profil » in A. Waschkuhn, A. Thumfart (dir.) : Politik in Ostdeutschland. Lehrbuch zur Transformation und Innovation. Munich/Vienne : Oldenbourg, 1999, pp. 43-183, p. 117

Page 407: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

393

Bavière1194, le « roi de Saxe » est désavoué en 20021195. La CDU n’y perd sa majorité absolue

qu’en septembre 20041196.

Les bons scores électoraux de la CDU reposent sur la capacité du gouvernement saxon,

en particulier de son ministre-président, « à créer une identification de la CDU avec la Saxe et

à devenir, ou plus précisément à rester, une figure d’intégration (en apparence au-delà des

partis). »1197 Cette identification est due en partie à la bonne santé économique de la Saxe qui

permet un Etat fort et stable. K. Biedenkopf a longtemps été ainsi le meilleur argument

électoral de la CDU saxonne. Au cours de l’été 1998, K. Biedenkopf jouit d’une côte de

popularité impressionnante au-delà des seuls rangs de son parti. Ainsi, il fait une impression

favorable à 78% des partisans du SPD, 77% des Verts et à 48% des sympathisants PDS1198.

Cet engouement va croissant, puisque selon un sondage réalisé en 1999, 89% des Saxons se

disent satisfaits du travail du gouvernement, une opinion que partagent 88% des

sympathisants du SPD et 82 de ceux du PDS1199.

Aussi, lorsque le successeur de K. Biedenkopf échoue à incarner cette communion de la

CDU avec la Saxe, les conservateurs perdent leur majorité absolue. A l’issue des élections

régionales du 19 septembre 2004, cet effondrement de la personnalisation du pouvoir (la CDU

perd 15,8 points par rapport à 1999) se traduit par un renforcement de la droite, avec une

victoire pour le NPD, parti national-démocrate (+7,8 points soit 9,2% des suffrages exprimés)

qui n’occasionne pourtant pas de pertes importantes pour le PDS. Sans doute faut-il y voir la

trace d’un conservatisme saxon qui imprègne également le PDS régional.

Une politique d’immigration opposée à l’esprit des instances fédérales du parti

Le mot d’ordre du PDS fédéral en matière d’immigration est : « Des frontières ouvertes

pour tous ceux qui sont dans la misère »1200. Dans son nouveau programme, adopté en 2003, le

PDS exprime clairement que ses objectifs et valeurs sont « la liberté, l’égalité et la

1194 La Saxe est à cet égard et dans une moindre mesure la Bavière orientale. La CSU a la majorité absolue dans l’Etat libre de Bavière depuis 1962. Aux dernières élections, en septembre 2004, elle obtient 60,7% des suffrages. Elle dispose de 124 des 180 sièges du Landtag, tandis que le SPD en a 41 et les Verts 15. E. Stoiber en est ministre-président depuis 1993. Source : Landesamt für Statistik und Datenverarbeitung. 1195 A la suite de scandales de peu d’envergure. Il a par exemple accepté qu’une réduction lui soit faite à la caisse d’un magazin Ikea. 1196 Voir le chapitre 3, section 2, A, pour une présentation de la composition du Landtag de Saxe. 1197 A. Thumfart: Die politische Integration Ostdeutschlands. Francfort sur le Main: Suhrkamp, 2002, p.532. 1198 Selon un sondage réalisé par l’institut Emnid publié par le FAZ, 31.7.1998. 1199 A. Thumfart : Ibidem. 1200 Ce principe est maintenu dans le nouveau programme adopté par le 8ème Congrès du PDS le 26 octobre 2003.

Page 408: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

394

solidarité ». Pour ce faire, la voie adoptée est celle d’une « démocratisation de la société ».

Ces éléments figurent en évidence dans le nouveau programme. La question de l’immigration

pour sa part n’y figure pas en titre, ce qui peut paraître étrange en regard de l’engagement de

certains de ses députés, également en Saxe, sur le thème d’une politique tolérante à l’égard

des minorités et des réfugiés1201. Ceci montre l’importance du public concerné : l’identité du

parti doit être affirmée dans le contexte parlementaire. Par contre, la question de

l’immigration faisant débat à la base, elle n’apparaît pas de manière évidente dans le

programme du PDS. Ceci pourrait confirmer qu’une partie des électeurs votent pour le PDS

en dépit de sa politique d’immigration. S’il est d’usage d’adapter les lignes directives fixées

par les instances centrales d’une organisation partisane, la fédération saxonne s’y emploie

particulièrement.

En Saxe, le PDS reflète d’abord une forte identité régionale ; il se caractérise par un

certain conservatisme voué à séduire une couche élargie de l’électorat, ce qui le marginalise

en regard des autorités fédérales du PDS, comme nous le verrons au sujet de C. Ostrowski. Sa

forte progression jusqu’en 2002 se fait essentiellement au détriment des sociaux-démocrates,

qu’il supplante dans le rôle d’opposition.

La majorité du Comité directeur de la fédération de Saxe (Landesvorstand) se range à

l’opinion développée par C.Ostrowski et R.Weckesser dans la Lettre de Saxe, dans laquelle ils

prennent position contre la politique d’immigration du PDS en ces termes : « Aucun pays du

monde ne peut se permettre d’avoir des frontières totalement ouvertes, pas même la

République fédérale. L’immigration dans ce pays doit bien entendu être soumise à certaines

règles ; elle ne peut pas être entièrement épargnée par toute mesure limitative »1202. La

fédération régionale de Saxe considère que « la barque est désormais vraiment pleine », mais

refuse de s’attaquer au sujet du racisme, « trop inconfortable »1203.

La politique de tolérance à l’égard des immigrés prônée par les instances fédérales du

PDS ne fait pas l’unanimité et les cas déviants sur ce point se multiplient en Saxe. Les villes

de Hoyerswerda, Sebnitz, Solingen, Wurzen, tristement célèbres pour la violence de leurs

exactions racistes, se situent d’ailleurs dans ce Land. Pas plus que dans le cas de C.Ostrowski

elles ne donnent lieu à un débat de fond au sein du parti.

1201 Ce point est traité dans le chapitre 3, section 2. 1202 Brief aus Sachsen. Voir le chapitre 5, section 1, A. 1203 Selon les propos de L. Mahnke, membre du Comité directeur. T. Kucharzt: « Antifaschismus als Landplage. Eiertanz der sächsischen PDS ». Philtrat, n°27, avril-mai 1999.

Page 409: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

395

L’attitude de Wolfgang Bludau, maire PDS de la petite localité de Grimma (qui se situe

près de Leipzig dans le Muldentalkreis, réputé pour l’influence culturelle qu’y exerce

l’extrême droite) illustre le fait que l’intolérance en matière d’immigration n’épargne pas le

PDS saxon. Le maire de Grimma, qui est aussi le directeur d’un foyer de demandeurs d’asile

témoigne en ces termes de son inquiétude.

« Je me demande ce que veulent ces gens dans notre culture. Je pense à ces demandeurs d’asile, nourris

et habillés grâce à mes impôts ; je pense à la vie lucrative et insouciante qu’ils mènent aux frais des

gens qui vivent en Allemagne. Je pense aux nombreuses femmes de mon ancienne entreprise qui se

retrouvent au chômage et doivent se battre jour après jour, simplement pour survivre. Je compare leur

vie à celle des demandeurs d’asile qui ne manquent de rien et en échange appâtent nos enfants

allemands avec des drogues et autres poisons. Je pense aux nombreuses discussions avec des étrangers

auxquels la notion de socialisme ne dit rien et dont les propos trahissent le fait qu’ils ne restent en

Allemagne que pour des raisons économiques. » 1204

En 2002, Bludau n’est plus maire de la ville mais fait toujours partie de son conseil

communal. Si cet exemple n’a de valeur ni analytique ni représentative, il est loin d’être un

cas unique, particulièrement en Saxe. C’est dans ce climat régional qu’il faut resituer les

propos de C. Ostrowski.

1204 Seul le magazine de la scène d’extrême gauche à Leipzig Klarofix publie des extraits de cette lettre adressée le 15 septembre 1997 par W. Bludau à K. Bartl, chef du groupe parlementaire du PDS au Landtag. Voir aussi T. Kucharzt : op.cit.

Autre exemple non médiatisé à Bernsdorf où en décembre 2000, un Vietnamien poignarde un skinhead et le tue. Ce dernier avait peu de temps auparavant participé au saccage du stand de vin chaud que tenait la famille vietnamienne. Le meurtre par vengeance est alors révélateur des tensions interethniques et des humiliations et agressions subies par ces immigrés. Le maire PDS, Eberhard Menzel refuse de reconnaître les véritables causes de l’événement. Il déclare faire ce qu’il peut étant donnée la situation financière drastique de la ville, mais « il y a des fous partout ». Totalement décontenancé et impuissant, il gère la crise par l’ordre (en en appelant à la police) et le silence (en s’abstenant de tout commentaire auprès de la presse). « Au fond, un habitant de Bernsdorf en a poignardé un autre, c’est tout. C’est regrettable, mais ça a été signalé, on en parlera dans la presse et ensuite, à l’occasion du procès. John Lennon aussi a été assassiné, vous savez! », conclut-il. Taz, 14.12.2000.

Ces propos ne sont pas sans rappeler les amalgames anti-immigration faits en France par certains maires du parti communiste au début des années 1980. A Montigny-les-Cormeilles, Robert Hue (PCF) organise en février 1981 une manifestation devant le domicile d’une famille marocaine soupçonnée de se livrer à un trafic de stupéfiants. La municipalité d’Ivry annonce que les familles immigrées ne seront plus relogées en HLM et décide d’appliquer un quota de 15% d’enfants étrangers dans ses colonies de vacance pour « permettre à un plus grand nombre de familles françaises de bénéficier de l’aide sociale ». Soutenu par Georges Marchais, premier secrétaire du PCF, puis par une résolution du Comité Central, Paul Mercieca, maire de Vitry-sur-Seine, engage le 24 décembre 1980 la destruction au bulldozer d’un foyer qui abritait 300 Maliens. L’Humanité justifie cet acte en retournant le stigmate : « Les racistes sont ceux qui considèrent les immigrés comme du bétail que l’on parque et non ceux qui refusent que les villes ouvrières soient transformées en ghetto. » Le Monde du 03.05.2001 ; « Bulldozer (Noël au) », http://www.sosracismereims.org/txt/lexac.htm, 10.02.2002.

Page 410: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

396

Amalgames et mimétisme chez C. Ostrowski

Interrogée sur la possible présence, au sein de la base, de personnes susceptibles de

succomber à la propagande d’extrême droite, elle évoque d’elle même (et de manière

exclusive) la question du racisme.

« C’est des bêtises tout ça. La base est une partie de la population de la République fédérale allemande.

Et elle n’agit ou ne parle pas différemment des gens normaux. Tu as le camarade Müller, un militant

PDS tout ce qu’il y a de plus normal, c’est un type tout à fait à gauche mais à côté de chez lui, il y a un

foyer de demandeurs d’asile où sont parqués des groupes de populations diverses et ils font du bruit, il

en a marre. Voilà. Je sais qu’Angela Merkel1205 aime à le répéter : il existe une étude qui dit qu’une

personne sur trois au PDS a quelque chose contre les étrangers. Je considère que c’est n’importe quoi, je

ne l’ai jamais observé, mais j’ai remarqué qu’ils se comportaient tout à fait normalement, comme se

comporte la majorité des gens en République fédérale. La majorité des gens n’est pas raciste. Dans les

groupes du PDS, il y a de tout. [..] Enfin, je veux dire, ce sont des gens tout ce qu’il y a de plus normal.»

Il se dégage de ses propos la conviction que l’Allemand de l’Est moyen, qu’elle

assimile au militant de base, est xénophobe. La manière dont elle associe immédiatement la

question du racisme à celle de l’extrême droite parait révéler un habitus, celui de se justifier

sur la question1206. On retrouve cette ambiguïté chez d’autres agents, notamment chez son

collègue de la section dresdoise du PDS, M. Schrader.

« J’ai déjà assisté à des réunions de locataires où le ressentiment d’une partie de la population [à l’égard

des réfugiés] était extrêmement alarmant. C’est comme ça. Ce sont les mêmes personnes, je les connais,

qui se réunissent pour dire : nous n’en voulons pas ici, ils nous font peur, nos enfants ou autre, mais il

ne leur viendrait jamais à l’idée de voter pour le NPD par exemple. Ce sont des électeurs de la CDU, du

SPD ou du PDS.

Question : vous voulez dire qu’ils sont plutôt conservateurs, ou nationaux-conservateurs ?

Schrader : non, simplement : c’est un fardeau de la RDA, la peur de l’étranger, la peur de tout ce qui est

étranger. [..] Certaines personnes réagissent pour cette raison comme un petit enfant face à un homme

noir, pas sûr de lui et incapable de communiquer avec un inconnu.

Question : mais cela peut avoir quelque chose à voir avec l’extrême droite dans le sens où..

Schrader [interrompt] : je crois que cela n’a rien à voir avec l’extrême droite. C’est certes un point

d’achoppement pour l’extrémisme de droite, mais.. je refuse de considérer ces gens comme des fascistes

ou des nazis. C’est autre chose.

Question : mais c’est parfois difficile !

1205 Présidente de la CDU et ancienne citoyenne de RDA devenue chancelière fédérale en 2005. 1206 La notion d’habitus inclut ici, en plus d’un ensemble de pratiques et de contraintes professionnelles, la fonction de matrice de perceptions et d’appréciation jouée par l’intégration des expériences du passé.

Page 411: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

397

Schrader : c’est sûr. Je ne voudrais pas être méchant avec eux. Nous devons en débattre, être très

critiques à cet égard, mais, je le répète, ils repousseraient jusqu’au bout l’idée de voter NPD. Ils

diraient : comment peux-tu penser une chose pareille ? Mon Dieu ! Jamais !». M. Schrader, entretien.

L’argumentation développée ici est courante au PDS : le fait de ne pas vouloir de

réfugiés à proximité de chez soi ne relève pas de la xénophobie. Certes, il serait faux

d’assimiler la xénophobie à l’extrémisme de droite. Bon nombre d’interlocuteurs du PDS

défendent néanmoins en substance l’idée que ce sentiment est bien trop répandu pour être de

la xénophobie. Transparaît ainsi de l’interview de certains responsables politiques une relation

ambiguë aux immigrés et aux étrangers, qui s’exprime surtout à travers des silences et des

non-dits. La présence du conservatisme et de la xénophobie, certes au sein de l’électorat et des

sympathisants du PDS, mais également chez ses élus et cadres, est dénoncée par un seul de

nos interlocuteurs, un ancien stagiaire au Bundestag qui travaille depuis au ZdK. Il affirme en

outre que le PDS refuse de reconnaître ce fait1207.

Vice-présidente du Bundestag, P. Bläss (PDS) raconte en ces termes sa rencontre avec

de jeunes électeurs de la DVU en Saxe-Anhalt en avril 1998:

« C’étaient des jeunes en quête. Ce n’étaient pas des Nazis purs et durs, ils ne se définissaient pas

comme d’extrême droite. […] Le plus productif était lorsque je parlais sincèrement, lorsque nous

parlions simplement de phénomènes quotidiens. […] Là, des jeunes de 16 ans environ m’ont dit :

lorsqu’un étranger entre et dit : ‘Vous êtes tous des Nazis’, alors bien sûr, ça nous rend agressifs. Je n’ai

pas réagi en prenant la défense du garçon, j’ai essayé d’expliquer ce qui s’était passé. Il est possible que

ce garçon ait eu tellement peur de vous qu’il ait pensé que le pire qu’il pouvait faire était de vous

diffamer en vous traitant de nazis, parce que vous êtes Allemands. N’était-ce pas simplement un acte

d’impuissance ? [...] Ca commence comme ça, parce qu’on est étranger l’un à l’autre. Et alors j’ai

expliqué comment cela se passe : tu habites dans un immeuble, qui est un peu bruyant, et tu entends tes

voisins du dessus -je l’ai moi même vécu- sans les connaître. Tu commences à les haïr, à titre privé,

personnellement. C’est seulement un être humain que tu connais, que tu aimes bien ou pas. Si tu les

connais, c’est très différent. Et je trouve bien de pouvoir dire sincèrement : cela n’a rien à voir avec de

la haute politique. […] Je sais ce que c’est, cela n’a rien à voir avec les immigrés ou autres,

simplement : est-ce que la personne t’est ou non étrangère ? Et bien sûr, leur ai-je dit, c’est pareil pour

moi : si à proximité de chez moi il y a un foyer de jeunes Turcs, etc. Une amie m’a raconté qu’ils lui ont

touché la poitrine. Elle est tout à fait de gauche et tolérante, mais elle l’a vécu aussi. Et lorsqu’un

groupe arrive sur moi, je n’ai pas peur, mais je ne suis pas rassurée non plus, encore moins quand je les

entends parler leur langue que je ne comprends pas. Les dirigeants politiques doivent aussi dire

1207 Ancien stagiaire du groupe parlementaire du PDS au Bundestag en 2000, Sven évoque sa discussion avec le gérant de la brasserie attenante au siège du PDS, qui sert de cantine à ses cadres. Ce dernier, originaire de Grèce, a entendu beaucoup de propos racistes de la part de responsables du PDS et a depuis fermé boutique.

Page 412: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

398

ouvertement et sincèrement ce qu’ils ressentent, parce que ce sont des atmosphères à partir desquelles

grandissent certains sentiments. »

Par contre, et c’est rare, il n’y pas chez C. Ostrowski de discours déculpabilisant

reconnaissant le lourd héritage du passé communiste. Elle ignore cet aspect et n’évoque pas,

comme le fait par exemple P. Bläss, la nécessité d’éduquer les citoyens est-allemands à la vie

en collectivité multiculturelle. A aucun moment au cours d’un entretien de quatre-vingt-dix

minutes, Ostrowski n’a prononcé le mot « démocratie » ou l’adjectif « démocratique »1208. Elle

représente en cela une exception au sein de nos interlocuteurs, qui dans l’ensemble mettent en

relation la lutte contre l’extrême droite et le racisme, avec un apprentissage et un

accroissement des pratiques démocratiques. Cet aspect est non seulement révélateur des

paramètres qui ont rendu le cas possible, mais encore d’une conception de la politique

déconnectée de toute volonté d’éduquer les esprits.

Des conceptions différentes de la politique au cœur de l’absence de traduction de la doctrine antifasciste en action politique

« On avait organisé une manifestation à Dresde, […] le PDS. On avait fait une annonce, ensuite il y

avait un rassemblement, il y avait des musiciens et tout. C’était en 1992 ou 1993, je ne sais plus bien et

dans cette manif, un groupe est arrivé, ils étaient 60 ou 70, des gars d’extrême droite, […] vraiment

comme ça, avec le crâne rasé, des bottes d’assaut et tout. Ils […] arrivaient tous ensemble en formant un

rang, c’était comme dans un film, ils arrivaient vraiment menaçants, ils marchaient clairement dans

notre direction. On voyait bien qu’ils voulaient nous faire peur, ils voulaient nous provoquer et nous, on

était là, complètement inoffensifs, on venait juste de finir notre manif. Gysi venait de faire un discours

et était une fois de plus déjà reparti. Je me suis demandée : ‘Qu’est-ce que tu fais maintenant ?’ et ils

descendaient en nous provoquant. Ils arrivèrent à notre stand, commencèrent par arracher le drapeau

PDS. Je me suis dit : ‘Mon Dieu !’, et je me suis rendue compte que le public qui était avec nous, il y

avait environ 200 personnes, étaient en train de se disperser ou mangeaient une saucisse, comme

d’habitude, quoi, tous avaient peur. Ils commençaient à s’enfuir. Et ils se sont dirigés vers moi. Et là, il

y a eu des gens courageux de chez nous qui ont dit : ‘Dégagez !’ (crie) et je me demandais : ‘Qu’est-ce

que tu vas faire ?’ Et là, un groupe de 3 ou 4 arrive vers moi et mes gars cherchent à me protéger et je

leur dis : ‘Laissez moi tranquille, ne faîtes pas ça’, je ne savais pas quoi faire. Et l’un d’entre eux

commence à me chahuter. Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai rassemblé mon courage et dit : ‘Eh, t’aurais pas

une cigarette ?’ [rires francs]. Il n’en revenait pas, il s’était pas du tout attendu à ça, et je lui ai dit :

‘Viens, on va s’en fumer une’. Il s’attendait soit à ce que je lui fasse la morale, soit à ce que les hommes

autour de moi me protègent. Ils voulaient me protéger, protéger leur vice-présidente, comme il se doit.

Enfin. Alors j’ai fumé une cigarette avec lui et je lui ai dit : ‘Allez les gars, arrêtez avec cette merde,

1208 A l’exception de l’emploi unique de l’expression « social-démocratie ».

Page 413: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

399

vous allez vous attirer des ennuis, c’est tout ce que vous allez gagner, tirez-vous, allez’. Ca aurait pu

très mal finir. Mais on s’est allumé une cigarette et il est parti. J’ai réagi instinctivement. Je ne sais pas

comment j’aurai réagi s’ils m’avaient agressée. J’aurais eu peur aussi, je reconnais, ils arrivent, comme

ça, à 20 ! Bien sûr que j’aurais eu peur, c’est logique. J’aurais peur aussi si 20 Turcs étaient arrivés, je

vous le dis franchement, j’aurais eu peur, oui. Je ne saurais pas dire desquels j’aurais le plus peur. Je

pense quand même de ceux d’extrême droite. Oui. Si. »

Cette anecdote est emblématique de l’attitude de C.Ostrowski face aux adeptes de

l’extrême droite et par extension au PDS. Le réflexe de survie est aussi frappant que le fait

qu’il soit relayé par une association d’idées stigmatisant la minorité turque en l’associant

exclusivement à un danger. L’extrême droite apparaît comme un danger physique et

immédiat, non comme un problème social.

De la nécessité de se confronter à l’extrême droite selon C. Ostrowski

D’une part, C. Ostrowski banalise l’extrême droite. Elle accepte les extrémistes de

droite comme des adversaires politiques comme les autres. D’autre part, elle considère la lutte

contre l’extrême droite comme un processus à long terme, et reproche à son parti (et aux

autres) de se contenter de chercher à créer une prise de conscience citoyenne au dernier

moment en organisant une manifestation1209. Les mobilisations organisées en réaction à une

menace directe sont selon elle contre-productives. Ceci est lié en partie à son mépris pour le

« tourisme manifestant »1210. De plus, la présence d’Antifas d’extrême gauche1211 dans ces

manifestations fait peur à une partie de la population.

La réponse de C. Ostrowski n’est pourtant pas uniquement politique et gestionnaire.

Chercher le contact avec ces jeunes, dont le problème est selon elle de « manquer d’amour »,

1209 Sur la forte valeur symbolique de la manifestation au PDS, voir le chapitre 2, section 3. 1210 Elle s’amuse de ses collègues et des militants qui manifestent contre l’extrême droite et parle de « fumer une cigarette contre l’extrême droite » ou de « dormir contre l’extrême droite ». Il s’agit ici d’ironiser sur l’insistance que les pouvoirs publics et la société civile déploient pour mobiliser la population contre l’extrême droite. 1211 Rappelons que le terme d’Antifas désigne une subculture d’inspiration gauchiste. Il s’agit souvent de jeunes adultes activistes des milieux antifascistes prêts à user de violence pour lutter contre l’extrême droite. On leur doit des slogans du type de « Frappez les Nazis où vous les trouvez ». C’est cette violence qui rend difficile une coopération avec les partis politiques (le PDS est leur seul allié institutionnel) et les simples citoyens. Voir le chapitre 2, section 2.

Page 414: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

400

correspond parfaitement au style politique de C. Ostrowski, qui nie à l’aspect argumentatif

tout effet thérapeutique1212.

Le fait que C. Ostrowski contourne la ligne de conduite prônée par l’organisation de son

parti en traitant directement avec les extrémistes de droite masque sa différence en matière de

conception de l’action politique. En effet, tandis que son parti adopte une stratégie

symbolique, qui vise à proposer des satisfactions en oeuvrant essentiellement au niveau des

représentations du réel et des croyances qui les fondent, C.Ostrowski opte pour une action

gestionnaire. Elle ne se contente pas de resserrer symboliquement l’écart entre ce qui est et ce

qui devrait être, mais agit directement sur la situation elle-même1213. En dépassant le cadre

symbolique de l’action antifasciste, elle se marginalise. En enfreignant ouvertement les règles

comportementales fixées par le parti, C. Ostrowski porte préjudice à l’identité partisane. C’est

sur ce dernier point qu’elle se distingue de B. Grygier, dont l’action concrète contre l’extrême

droite a été précédemment évoquée1214. La seule dénonciation de « l’antifascisme

bureaucratique»1215 suffit à transformer le leader dresdois en déviante. Tout comme

B. Grygier, C. Ostrowski souhaite néanmoins avant tout mettre en pratique cette valeur

antifasciste consensuelle alors que celle-ci, en tant que norme, ne saurait être applicable à la

politique ou à la gestion d’une commune.

Les rares interlocuteurs du PDS à accepter de s’exprimer sur l’affaire sont ceux qui ont

cherché à comprendre la démarche de C. Ostrowski, sans pour autant la justifier. Peu

perçoivent la volonté sous-jacente chez C. Ostrowski de donner un visage concret à la lutte,

de transposer le « système symbolique » antifasciste en action politique gestionnaire. Seul

T. Falkner accorde à C. Ostrowski le mérite d'avoir voulu se frotter au problème et concède

qu'on ne peut pas prétendre le faire « en collant des affiches, de loin ».

« Nombreux sont ceux qui ne veulent même plus se souvenir [de l’affaire Ostrowski]. Politiquement,

elle est finie. Christine ne souhaite pas se le rappeler. [hésitant] Je l’exprimerai comme ça : le PDS est

autant un parti de gauche qu’un parti de masse (Volkspartei). En tant que parti de gauche, il va de soi

qu’il soutient l’antifascisme sous toutes ses formes ; mais en tant que parti de masse, la lutte contre

l’extrême droite [hésitant], dans ses transactions concrètes, n’occupe aucune place centrale dans son

travail. C’est pour cela qu’il y a toujours des arrangements avec l’extrême droite. Mais je ne le jugerais

1212 C. Ostrowski évoque ainsi au cours de l’entretien le cas de deux ou trois personnes anciennement adeptes de la scène d’extrême droite, qu’elle a contribué, par cette méthode, à sortir de l’extrême droite. Elles appartiennent désormais à la section dresdoise du PDS et seraient, selon ses dires, « bien plus à gauche » qu’elle même. 1213 La distinction entre action politique symbolique et gestionnaire est empruntée à M. Edelman : Political Language. Words that succeed and Policies that fail. New York : Academic Press, 1977, p. 9 et s. 1214 Voir le chapitre 5. 1215 « Antifaschismus vom Schreibtisch aus ». Entretien du 09.07.2001.

Page 415: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

401

pas négativement, étant donné que la lutte contre l’extrême droite n’est pas un domaine de travail

important. [...] Le PDS ne doit pas toujours instruire un grand débat antifasciste. Il serait suffisant à mes

yeux que toutes les personnalités locales du PDS choisissent de faire preuve de courage et

d’engagement contre l’extrême droite. » B. Hoff, député PDS à la CDB

Ces propos soulignent la contradiction inhérente à l’attention portée à l’antifascisme au

PDS : valeur fondamentale, sa traduction en politique est marginale.

Une vision déviante du rôle du politique ?

« Plus que tout autre type d’interaction sociale normale, la politique encourage la

déviance par rapport aux règles normatives du comportement ordinaire.»1216 Il arrive ainsi que

les règles comportementales propres à la profession politique court-circuitent celles

conditionnant habituellement les relations sociales entre individus. Les deux faces de la

politique, à la fois visage public (règles normatives) et sagesse privée (règles pragmatiques)

entrent ainsi parfois en conflit. Tel est le cas des figures déviantes.

Dans la théorie de E. Goffman, le déviant l’est par rapport à un double référent, la

norme et le groupe1217. Déviante par rapport à un groupe concret et non pas simplement par

rapport à des normes, C. Ostrowski n’en est pas moins intégrée, son inclusion dans le groupe

étant « totale, quoique ambiguë »1218. Dans la transgression relatée ici, la question du référent

qui fixe la norme est essentielle1219. Parmi la diversité des relations sociales dans lesquelles

C. Ostrowski est insérée, quel groupe d’appartenance fixe les règles suprêmes auxquelles elle

se conforme au détriment d’autres ? Cette question mérite une attention particulière dans le

cas de C. Ostrowski en premier lieu en tant que leader local. Ensuite parce qu’il convient de

1216 F.G Bailey : op. cit., p. 102. 1217 Des membres d’un groupe, le déviant est celui « qui dévie, par ses actes ou par ses attributs ou par les deux en même temps, et qui, en conséquence, en vient à jouer un rôle particulier, à la fois symbole du groupe et tenant de certaines fonctions bouffonnes, alors même qu’on lui dénie le respect dû aux membres à part entière. De façon caractéristique, un tel individu cesse de jouer le jeu des distances sociales : il aborde et se laisse aborder à volonté…. » E. Goffman : Stigmate. Les usages sociaux des handicaps (Stigma), Les Editions de Minuit, 1975, pp. 164-165. 1218 En cela, elle se distingue du « rejeté, constamment en situation sociale avec le groupe, mais étranger à lui. (S’il arrive que le déviant intégré soit attaqué par des gens du dehors, le groupe peut fort bien voler à son secours ; dans le même cas, le rejeté doit le plus souvent se battre seul). ». E. Goffman : Ibidem. 1219 Sur l’importance du groupe de référence pour le déviant, voir H. S. Becker : Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Métailié, 1985.

Page 416: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

402

mesurer si elle a respecté la métanorme politique, qui est de ne pas causer de tort à ce groupe

de référence1220.

Dans la démarche de C. Ostrowski, une forme de banalisation de l’extrême droite

courante en Saxe prévaut aux impératifs comportementaux fixés par le parti. Son initiative ne

révèle que partiellement une volonté délibérée de créer un électrochoc pour faire prendre

conscience à son parti de la nécessité d’élaborer une stratégie d’action pour contrer l’extrême

droite. Si le principal atout de C. Ostrowski est sa proximité avec les citoyens, c’est pourtant

lorsque cette proximité, sans doute par dessein électoraliste, devient mimétique, que les

ennuis surviennent. Prise en étau entre sa clientèle et les contraintes partisanes, elle privilégie

les effets locaux de cette attitude sur son crédit politique, davantage d’ailleurs parce que ce

choix s’impose à elle que parce qu’il résulte d’une tactique. C’est d’ailleurs ce qui fait d’elle

un leader local fort, tout en fragilisant sa position au sein des instances supérieures. Le fait

que C. Ostrowski semble avoir choisi son camp accentue les difficultés qu’elle rencontre déjà

dans ses relations avec son parti en raison de son style politique. La forte personnalisation de

l’activité politique locale, qui joue fortement en sa faveur à domicile, est un obstacle dès

qu’elle quitte son champ d’influence. En s’interrogeant sur la primauté que semble accorder

C. Ostrowski au rôle de leader populaire locale, on touche au fondement même de ce qui rend

la déviance possible. La domination de C. Ostrowki repose sur les ressorts du mimétisme ;

c’est précisément parce qu’elle est à l’image de ses sympathisants qu’elle bénéficie d’une

forte légitimité locale1221.

Faut-il voir dans la transgression de la norme antifasciste un désaveu de la légitimité de

l’antifascisme ? Le cas analysé ici traduit la mise en cause de la légitimité du pouvoir central

par la base. Il fragilise la conception du parti comme communauté en mettant en évidence le

poids du territoire et de l’espace d’exercice du pouvoir, qui conditionnent fortement non

seulement les pratiques, mais aussi les croyances. S’ensuit une crise de la croyance qui

dépasse la remise en cause de la foi en un exercice centralisé du pouvoir d’un parti.

L’impression qu’il existe une connivence xénophobe entre C.Ostrowski et la population est-

allemande soulève la question de la nature de la représentation politique. Dans quelle mesure

un parti politique forme-t-il les masses ou aspire-t-il, jouant un rôle d’éponge, un potentiel

1220 M. Schwarzmeier: « ‚Nur’ Stilfragen? Informale Verhaltensregeln und Handlungsnormen im Deutschen Bundestag » in H. Oberreuter, U. Kranenpohl, M. Sebaldt: Der deutsche Bundestag im Wandel. Ergebnisse neuer Parlamentarismusforschung. Wiesbaden : Westdeutscher Verlag, 2001, pp. 27-45. 1221 Son assise locale renforce d’ailleurs l’analogie avec le prophète d’une communauté religieuse analysé par M. Weber : Economie et société, tome 2, chapitre 5.

Page 417: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

403

pré-existant ?1222 Sur ce point, C. Ostrowski diverge de l’ensemble des dirigeants du PDS, qui

imposent la tolérance en matière d’immigration contre des sympathisants en partie réfractaires

à cette conception.

L’enjeu relève ici plus largement de la perception de l’action politique. L’affaire

Ostrowski met en scène un cas déviant, non seulement parce qu’il redimensionne le seuil

d’intransigeance du parti à l’égard de l’extrême droite, mais également car il dévoile au grand

jour les tenants d’une logique électoraliste dont se défend le parti. Mises face à cette

incohérence, les instances fédérales du PDS se transforment en « entrepreneur de morale »1223

et s’attachent à faire respecter les impératifs garants de la cohésion du parti, en condamnant

tout usage électoraliste de l’opposition à l’extrême droite.

1222 B. Pudal évoque cette question au sujet du Parti Communiste Français de la grande époque. B. Pudal : Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF. Presses de la FNSP, 1989, op.cit. 1223 Voir H. S. Becker : op .cit., chapitre 8.

Page 418: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

404

Section 2 Articulation des contraintes électoralistes

autour de la règle normative

« J’ai dit cela au cours d’une interview, que pour ainsi dire les objectifs sociaux [du PDS et de

l’organisation néo-nazie Nationale Offensive] étaient quasi-identiques jusque dans la formulation [..] et

ils l’ont mis sous presse1224. Ah, que n’avais-je pas dit là ! C’est pourtant un fait ! Et, enfin, je n’efface

pas ce fait juste en le taisant, c’est comme ça. J’étais bien obligée de dire : Mes chers, c’est précisément

cela qui est dangereux.

C’est difficile à admettre parce qu’ils arrivent à de toutes autres conclusions, ceux d’extrême droite. Ils

disent : alors, si ce sont nos objectifs, nous devons par exemple renvoyer tous les étrangers, combattre

l’impérialisme américain, ce genre de choses. Et nous, nous arrivons à d’autres conclusions. C’est

prévu, mais cela ne figure pas dans le programme électoral. Alors, le citoyen lambda reçoit un tract de

NO et y trouve deux objectifs : nos ouvriers du bâtiment doivent avoir du travail à nouveau et nous

souhaitons que les salaires soient indexés sur ceux de l’Ouest. Le lendemain, il reçoit un tract du PDS et

trouve la même chose dedans. Il s’en rend compte. Bien entendu, je sais que le point de départ et les

conclusions sont différentes mais je dois penser à la manière dont cela est intégré par les gens qui se

disent seulement : ok, je suis dans le bâtiment et je suis au chômage depuis un moment. Pourquoi ?

Parce qu’ils embauchent tous des étrangers illégaux à un salaire de chien. Les étrangers sont exploités

pour 5 DM [2,7 euros] de l’heure : Polonais, Tchèques, etc. L’Allemand est au chômage. Je ne peux pas

en vouloir à l’ouvrier qui exprime d’abord sa colère à l’égard de ce - disons - travailleur polonais qui lui

a selon lui volé son emploi. Bien sûr qu’il est innocent, le travailleur polonais, il est même très exploité,

on le sait tout ça. Mais l’Allemand non plus n’est pas coupable, parce que lui aussi a une famille à

nourrir. Alors, qui est coupable ? Bien sûr, finalement ce sont les grands entrepreneurs, mais aussi la

politique, qui, jusqu’à aujourd’hui, même avec le gouvernement rouge-vert, n’ont pas résolu ce

problème par des lois. On n’a pas de salaire minimum à l’échelle européenne, ça résoudrait

immédiatement le problème. Mais on ne l’a pas. »

La problématique que soulève ici C. Ostrowski à travers une rhétorique aux relents

protectionnistes est finalement celle du maintien d’une idéologie face aux contraintes

électoralistes1225. Le parti n’a porté que peu d’attention au strict refus de C. Ostrowski

d’adapter la programmatique du PDS à la demande d’extrême droite. Il s’est contenté de

diaboliser la reconnaissance officielle de la concurrence que se livrent le PDS et l’extrême

droite sur des problématiques sociales porteuses en ex-RDA en termes électoraux. L’attitude

de C.Ostrowski révèle que l’absence de distanciation avec l’extrême droite constitue un

1224 L’interview est publiée dans un journal de Dresde, DNN/Union, 09.03.1993. 1225 L’adjectif électoraliste se distingue du vocable électoral (qui a trait aux élections) en ce qu’il fait référence à ce qui est accompli dans le but de remporter les élections ou de maximiser ses gains à cette occasion.

Page 419: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

405

important critère de déviance au PDS. Face aux aspirations d’une partie du corps électoral

allemand qui partage avec les partis d’extrême droite certaines idées, notamment la

xénophobie1226, la manière dont les dirigeants du PDS prennent en compte ce potentiel

électoral d’extrême droite reste une question en suspens. Dans ce contexte, C.Ostrowski

serait-elle déviante, précisément parce qu’elle a intégré ce facteur plus sûrement que ne le

souhaiterait le parti et qu’elle adapte son offre électorale en conséquence ?

A) Le brouillage de la frontière avec l’extrême droite comme critère

de la déviance

C’est bien en menaçant de faire éclater l’image réifiée d’une extrême droite totalement

extérieure et étrangère au PDS que C.Ostrowski se heurte à sa hiérarchie. Le tabou qu’elle

brise concerne en réalité autant l’antifascisme et la manière dont il est mis en pratique que le

fait d’accorder à l’ennemi le statut d’adversaire. Nous avons vu que le PDS gère la présence

d’un potentiel d’extrême droite au sein de son propre électorat en refusant à l’extrême droite

le statut de concurrent. C’est à cette rhétorique de la négation que s’attachent ces

développements. Ils s’appuient essentiellement sur le discours des élus et dirigeants, pour

montrer que le refus de toute compromission avec l’extrême droite pousse le PDS à

restreindre la problématique générale soulevée par C.Ostrowski à la question du bien-fondé

des discussions publiques avec l’extrême droite.

La distinction entre ennemi et adversaire face aux enjeux électoraux

C. Ostrowski confie que s’il est interdit au PDS de prendre part à un débat public en

présence d’un responsable d’extrême droite, ce n’est pas exclusivement parce que ce dernier

pourrait faire meilleure figure que son concurrent néo-socialiste, mais aussi parce que les

électeurs pourraient prendre conscience des similitudes existant entre les deux et entrevoir

ainsi la possibilité de lui préférer l’extrême droite.

Le refus de toute compromission

La démarche de C. Ostrowski face au phénomène de l’extrême droite est

essentiellement électoraliste. Elle se justifie en ces termes:

« Le programme du PDS n’a rien de commun, mais alors rien du tout, avec l’organisation interdite NO

ou toute autre organisation de ce type. Le PDS est un parti antiraciste et antifasciste de manière

1226 Voir le chapitre 1.

Page 420: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

406

conséquente. Toute coopération personnelle, politique et programmatique est pour cette raison bien

entendu impossible. Les expériences historiques sont une bien amère leçon, et je m’inscris bien entendu

sans restriction dans cette tradition.

Il faut néanmoins compter sur les partis de droite et d’extrême droite pour s’attaquer aux exigences

sociales et écologiques pour en faire mauvais usage, un usage démagogique. Ce n’est pas nouveau,

c’était déjà la tactique des SA et du NSDAP. Et il faut s’attendre à ce que les Nazis agissent également

de la sorte au cours de la campagne électorale à venir. C’est pour cela que, pour le PDS, il ne suffit pas

de se déclarer contre par principe, même fermement. Il a le devoir, un devoir politique, de démasquer la

démagogie sociale des néo-nazis et de contribuer à ce que les gens ne se laissent pas prendre au piège,

tout comme il doit empêcher que l’[l’extrême] droite ne recueille lors d’élections de nombreuses voix

protestataires.1227 »

Si Ostrowski se distingue dans son approche de l’ensemble des dirigeants qui

considèrent le PDS comme un Volkspartei de l’Est, sa conception fait écho à la réalité du parti

dans le champ politique et social qu’elle a choisi, la Saxe. Elle avoue publiquement ce que

son parti ne souhaite pas offrir en pâture au débat public : le PDS est le premier parti

protestataire dans les nouveaux Länder, voire en République fédérale, les partis populistes

d’extrême droite sont les premiers concurrents du PDS dans les nouveaux Länder, une partie

de l’électorat du PDS vote occasionnellement pour l’extrême droite. Ceci explique que

C.Ostrowski ne s’émeut ni du fait que ses propos relatifs à d’identiques « objectifs sociaux »

soient récupérés par le NPD, ni que l’organisation néo-nazie de jeunesse Jeunesse Wiking

(Wiking-Jugend) appelle à voter pour elle. Au cours du congrès fédéral du NPD suivant qui se

tient à Mulda (Saxe), U. Voigt, président fédéral, cite par exemple C. Ostrowski pour

constater « de plus en plus de points communs dans les exigences sociopolitiques de la

gauche extrême et de la droite extrême. » 1228. C .Ostrowski déclare par ailleurs avec une

indifférence désarçonnante : « Et j’ai appris que je devais une partie de mes voix à la Wiking-

Jugend. Je le savais car la Wiking-Jugend de Dresde avait collé des affiches : ‘Donne ta voix à

Ostrowski’. Et on m’en a fait le reproche. »1229

1227 Interview accordée à ND, 17.3.1993, p. 8 sous le titre : « ‘Nazis raus’ ! Aber wohin ? » (‘Les nazis ‘raus’ !’- mais pour aller où ?). 1228 Une telle ligne de rapprochement avec le PDS est très contestée à l’intérieur du NPD. La récupération de propos d’opposants est une stratégie classique à l’extrême droite. Voir par exemple le témoignage de G. Birenbaum qui évoque « le stade ultime de l’instrumentalisation. Le cauchemar -ou le fantasme- de tout chercheur. Etre reconnu et ‘récupéré’ par son objet ». G. Birenbaum : « Elites ‘illégitimes’, élites illégitimées : les responsables des FN » in S. Cohen (dir.) : L’art d’interviewer les dirigeants. PUF, 1999, pp. 133-161, p. 160. 1229 Nos recherches ne nous permettent pas d’attester la véracité des propos tenus par C.Ostrowski elle même au sujet des élections municipales de 1994. Il serait toutefois étonnant qu’elle exagère sur ce que l’on soupçonne déjà comme étant un rapport ambiguë à l’extrême droite. L’organisation de jeunesse Wiking-Jugend, née en 1952 d’un rassemblement de différents groupes de jeunesse d’extrême droite, largement inspirée des Jeunesses

Page 421: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

407

Le menaçant fantasme d’un pacte rouge-brun

L’affaire C. Ostrowski met à jour un autre élément que le parti s’efforce de garder

secret, à savoir les tentatives de rapprochement opérées par l’extrême droite en direction du

PDS. L’existence d’une concurrence électorale entre le PDS et l’extrême droite se traduit dans

la pratique par les avances du NPD, tenues secrètes et systématiquement rejetées par le PDS.

L’existence de facto d’un lien entre les deux reste taboue au sein du PDS. Ainsi, seuls deux

interlocuteurs (les permanents K. Böttcher et T. Falkner) rendent compte de tentatives de

séduction opérées par le NPD en direction du PDS. S’ils le font, c’est pour mieux marquer le

refus systématique du PDS de toute compromission avec l’extrême droite.

La prise de contact de C. Mayer avec le leader local, pragmatique, du PDS est sans

doute à comprendre comme l’expression d’une volonté de rapprochement. Son caractère

unilatéral rend néanmoins tout fantasme rouge-brun inopérant. Le refus du PDS de coopérer

avec tout ce qui ressemble à l’extrême droite repose, en dehors de tout consensus antifasciste,

sur le refus de se reconnaître dans l’image que l’extrême droite se fait du PDS. Le dessein

qu’a ce dernier de s’implanter durablement en République fédérale nécessite qu’il s’impose

comme un parti résolument respectueux des règles du jeu démocratique et qu’il contrecarre

les effets négatifs de sa réputation de parti issu d’un pouvoir dictatorial. Des facteurs à la fois

stratégiques et éthiques rendent ainsi impossible, dans l’esprit de la direction du parti, toute

collaboration avec l’extrême droite.

Cette philanthropie procommuniste de l’extrême droite pousse à s’interroger sur les

similitudes programmatiques existant ou fantasmées entre l’extrême droite et le PDS. Celles-

ci s’expliquent notamment par l’intérêt porté par les deux parties à un électorat est-allemand

que les partis traditionnels ne parviennent pas à fidéliser. Dans les nouveaux Länder, le

nationalisme, qui en France constitue le principal point de conversion électorale du socialisme

à l’extrême droite1230, prend la forme d’une défense des intérêts est-allemands. Il est lié à une

Hitlériennes (Hitler-Jugend), a des activités essentiellement politiques. Elle est interdite le 10.11.1994 par le ministère fédéral de l’Intérieur, alors qu’elle est, avec ses 400 membres, l’organisation de jeunesse néo-nazie la plus importante d’Allemagne. 1230 Le patriotisme justifie souvent le passage à l’extrême droite d’anciens communistes. L’étude de parcours militants d’anciens communistes convertis au FN met en évidence le rôle joué par le patriotisme et l’importance du sentiment d’appartenance aux classes populaires dans la conversion. Cette « conscience de classe » soutient de fait des prises de position traditionnellement associées à des positions situées à gauche de l’échiquier politique. « Faudrait qu’il y ait un parti communiste raciste, un parti communiste nationaliste » résume un militant frontiste communistophile. I. Bruneau : « Un mode d’engagement singulier au Front National. La trajectoire scolaire effective d’un fils de mineur. » Politix, 57, 2002, pp. 183-211, p. 192. La nature de l’engagement « plus ‘social’ que ‘politique’ » de Simone, anciennement au Parti Communiste, est éclairante sur

Page 422: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

408

conscience de classe ouvrière qui fonde l’aspiration à un Etat fort, remplissant des fonctions

de protection sociale essentielles1231.

Cette menace d’assimilation des revendications du PDS à des exigences d’extrême

droite conditionne le caractère inacceptable de la démarche de C. Ostrowski pour le parti.

M. Chrapa, sociologue proche du PDS, co-auteur d’une grande enquête sur ses militants, est

le seul de nos interlocuteurs à expliquer la réception de l’attitude de C. Ostrowski par le parti

par cette peur. Il estime d’une part que le combat politique nécessite que celui qui commet un

tel acte soit en mesure de s’en justifier, d’autre part que l’on ne peut briser un tabou sans

l’annoncer avant, au risque d’être incompris. Les fonctions de « représentant de l’organe

fédéral » qu’occupait C. Ostrowski à l’époque imposent des précautions supplémentaires. Une

stratégie d’autoprotection commande en effet de ne pas offrir à l’adversaire d’armes

susceptibles de discréditer le PDS.

« Il faut se protéger de la supposition malveillante : la gauche et la droite pactisent en secret. C’est

pourquoi tu ne dois pas, quelles que soient les circonstances, rencontrer un de leurs chefs de parti.

Même si la question n’est pas grave, tout le monde affirmerait le contraire. […] Bien sûr, on peut briser

des tabous, mais on sait exactement comment ça fonctionne, tout finit par se savoir et alors on dira : les

rouges et les nazis bruns concluent des pactes ensemble. Le problème c’est que, comme il s’agit

d’hommes politiques, certains procédés acquièrent bien sûr un pouvoir symbolique. Il faut inclure ce

facteur dans ses calculs. C’est apparemment ce qu’elle n’a pas fait. Il devient difficile de faire affaire en

politique, lorsque je peux dire à mon adversaire : tu négocies avec des nazis. » M. Chrapa, sociologue.

Le risque d’amalgame né de la théorie des extrémismes et le danger que représente pour

le PDS le fantasme d’une alliance rouge-brune est officieusement au centre des

préoccupations du parti, comme l’illustre l’argumentation du sociologue M. Chrapa. Pour lui,

l’absence de discussion sur les causes de l’affaire Ostrowski au sein du PDS s’explique certes

par le fait que le thème de l'extrême droite « couvre de honte » mais il s’agit en outre d’un

« énorme chantier ». Face à la complexité du débat, le « confort et la simplicité » privilégient

le statu quo. Un traitement médiatique de la question serait en outre défavorable à un petit

parti comme le PDS, pas assez fort pour se risquer à ouvrir un débat public sur ce thème.

« C’est aux grands de s'en charger » poursuit M. Chrapa en s’appuyant sur l’affaire

ce point. V. Lafont : « Militante en banlieue : histoire d’une femme FN » in F. Haegel, H. Rey, Y. Sintomer : La xénophobie en banlieue. L’Harmattan, 2000, pp. 133-158, p. 157. 1231 Cette relation patriotique définit le rôle social que l’on estime dévolu à l’Etat. « L’idéologie raciste a des racines diversifiées : elle s’appuie dans une certaine mesure sur les ambiguïtés d’un Etat ‘national-social’ ayant toujours déjà pratiqué certaines formes de ‘préférence nationale’, et sur le passé nationaliste d’un PCF […] ». Y. Sintomer : « Désaffiliation politique et vote frontiste dans l’ancienne banlieue rouge» in F. Haegel, H. Rey, Y. Sintomer : op.cit., pp. 91-115, p. 112.

Page 423: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

409

Möllemann au FDP. Selon lui, la tentative de Möllemann d’amorcer un débat portant sur la

relation entre le judaïsme et Israël n’est certes « pas illogique », mais n’a pas été comprise.

Ancien ministre, vice-président du parti libéral et président de l’association germano-

arabe Jürgen Möllemann1232 s’en prend verbalement en mai 2002 au Premier ministre israélien

Ariel Sharon et au vice-président du conseil juif allemand, Michel Friedman. Ses propos, qui

contiennent l’idée que l’antisémitisme doit beaucoup à l'attitude même des Juifs, rappellent la

propagande nazie et sont immédiatement dénoncés comme antisémites. Les médias

condamnent le virage populiste d’un parti libéral qui, en mal de voix à l’approche des

élections, chercherait à flatter l’électorat d’extrême droite. La direction du FDP demande à

J. Möllemann de renoncer à ses fonctions de vice-président fédéral du parti. Tenu en échec

par le chef de son parti, il est rendu responsable de l’échec des élections fédérales du 22

septembre 2002 à l’issue desquelles le FDP recueille 7,4% des suffrages1233. Le député (SPD)

B. Flemming croit voir dans la déclaration de Möllemann une démarche électoraliste : c’est la

première fois qu'un dirigeant d'un grand parti allemand tente de mobiliser des préjugés

antisémites datant du Troisième Reich1234. Or, un parti démocratique instrumentalisant des

sentiments d'extrême droite présents au sein de la population se place automatiquement en

dehors des règles démocratiques. B. Flemming en conclut que le PDS n’utilise pas

d’arguments xénophobes ou intolérants d’une manière générale, précisément car il souhaite se

présenter comme un parti démocratique.

Pour que l’image de l’ennemi suscite l’adhésion, celui-ci doit devenir ennemi du

peuple1235. Ce statut permet non seulement d’exclure l’adversaire de la communauté, donc de

poser son inutilité, mais encore de ne pas lui reconnaître d’assise sociale réelle1236. Cette même

logique conduit les néo-socialistes à dénoncer un concurrent en l’accusant d’appartenir à

l’extrême droite1237. En l’habillant de la notion de « lutte idéologique », le PDS ancre son refus

1232 Ministre de l’économie du chancelier Helmut Kohl, il approuve en février 1991 la livraison de matériel militaire (blindés) à l’Arabie Saoudite. J. Möllemann décède en 2003 d’un accident de saut en parachute. 1233 Un score qui n’a rien de déshonorant au regard de ceux que recueille traditionnellement le FDP. Voir l’introduction. 1234 Cette affaire est analysée comme une tentative populiste de briser le tabou de l’antisémitisme en RFA, dans le but de séduire le réservoir croissant des abstentionnistes résignés, qui se détournent de la politique. Pour une analyse en ces termes, voir A. von Lucke : « Der hilfose Antipopulismus ». Blätter für deutsche und internationale Politik, 7, 2002, pp. 775-779. 1235 Selon un processus décrit par P. Birnbaum : Le Peuple et le Gros. Grasset, 1979. 1236 A. Bergougnou, B. Manin : « L’exclu de la nation. La gauche française et son mythe de l’adversaire ». Le Débat, 5, 1980, pp. 45-53. 1237 Ainsi, le mot d’ordre choisi pour la campagne des élections fédérales de septembre 2002 est : « Eviter Stoiber ! » Le candidat de la CDU, E. Stoiber (CSU), ministre-président de la Bavière depuis 1993, est considéré par certains milieux du PDS comme proche de l’extrême droite, incarnant en tout cas une droite ultra-

Page 424: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

410

catégorique de l’extrême droite au cœur des représentations collectives, sans avoir à rompre

avec une part importante de son électorat potentiel. Ceci nécessite que toute tentative de

discussion relative à l’extrême droite soit appréhendée comme de la déviance. Or, Ostrowski

contrevient à ce principe en dévoilant qu’il existe bien un lien entre le PDS et l’extrême

droite. Devant la nécessité de ne pas initier un débat confortant et exposant cette idée, la

réception du comportement de C. Ostrowski se focalise sur la question, en réalité déjà

tranchée, de l’attitude qu’il convient d’adopter face aux extrémistes de droite.

Faut-il débattre publiquement avec l’extrême droite ?

Le débat suscité par l’initiative de C.Ostrowski se réduit ainsi au bien-fondé d’une

discussion, privée ou publique, avec des dirigeants d’extrême droite. Dans ce domaine, le

PDS opère une distinction nette entre les professionnels et les adeptes. Il faut chercher le

dialogue avec les jeunes séduits par l’extrême droite, les interroger sur leurs motifs et leur

proposer une alternative par une conversation personnelle (T. Falkner). La conversion par la

discussion fait office de remède. Nombreux sont finalement ceux qui partagent la conviction

de C. Ostrowski au sujet du moyen de ramener les adeptes à la démocratie1238. Pour elle, il faut

débattre publiquement du problème, un argument qu’elle justifie par le culte du chef

(Führerprinzip) qui régit la scène d’extrême droite. Pour être dignes d’être écoutés par les

partisans de l’extrême droite, il faut parvenir à ébranler la confiance que ces derniers ont en

leur chef. « Celui qui possède les meilleurs arguments n’a aucune crainte à avoir d’une

confrontation » (C .Ostrowski). Elle justifie ainsi le fait que G. Gysi soit le seul au PDS à

s’être opposé à un dirigeant d’extrême droite au cours d’un débat télévisé.

Aucun consensus n’émerge au sujet du bien-fondé d’une discussion avec les dirigeants

et élus de l’extrême droite. Les avis sont partagés sur l’attitude à adopter face à eux, en raison

des effets escomptés. Le principal élément qui entre en considération est le risque de

conservatrice. Mettre en avant le danger que représente Stoiber permet aux néo-socialistes d’éviter la question du bilan d’un chancelier social-démocrate qu’il convient d’épargner dans l’espoir d’une coalition. 1238 Pour certains, la solution est d’argumenter. Il est amusant de retrouver chez le député à la CDB F. Felgentreu (SPD) l’argument de C. Ostrowski: « Il faut procéder humainement ». Discuter simplement est utile, surtout avec l’autorité que confère la fonction de maire (W. Friedersdorff, maire de Lichtenberg). Pour les professionnels sur le terrain, le contact est inévitable. Il est de toute façon impossible de faire autrement quand on se rend par exemple dans les écoles. Refuser le dialogue, c’est abandonner le seul moyen d’entrer en contact avec des gens qui ne sont pas tous des nazis convaincus (S. Wagenknecht, KPF). Tous ne croient pas pour autant à la potentialité d’une reconversion démocratique des adeptes.

Page 425: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

411

banalisation né d’un débat public avec des dirigeants d’extrême droite1239. Pour certains à

l’inverse1240, le fait d’avoir une discussion pragmatique en usant d’arguments politiques et

programmatiques décrédibilise les chefs pour toucher les militants1241.

Les retombées de la médiatisation sont au cœur de la discussion. Le risque est de

banaliser l’extrême droite en la rendant présentable ou fréquentable1242. La plupart des

dirigeants du PDS refusent pour cette raison de débattre avec des dirigeants d’extrême droite.

Le positionnement sur l’axe « un débat public risque de crédibiliser/ décrédibiliser l’extrême

droite » détermine le choix des agents du PDS interrogés1243.

La difficulté essentielle qui se pose aux partis démocratiques est d’éviter de donner

l’impression aux extrémistes de droite qu'ils sont tolérés ou acceptés. Pour certains1244, la

solution à ce dilemme passe par un accord-cadre entre les partis démocratiques qui, en posant

les limites, rendrait le problème caduc. A défaut, non seulement il revient à chacun de décider

librement, mais encore une discussion avec des extrémistes de droite s’apparente à une

performance sportive et nécessite un savoir-faire spécifique.

« Si les gens pensent qu’ils en sont capables, alors ils n’ont qu’à le faire. Certains sont pour, d’autres

contre. Je pense qu’il faut laisser chacun décider […] La question est bien sûr aussi de savoir si la

personne est suffisamment qualifiée pour conduire la discussion ou si cela dépasse ses compétences.

1239 Leader de la plate-forme communiste (KPF) du PDS, S. Wagenknecht a toujours refusé de débattre avec un cadre de l’extrême droite. Elle a bien à son actif un débat avec R. Schill (du Schill-Partei) « mais c'est un autre niveau », ainsi qu’avec Horst Mahler, mais en 1996 avant qu'il ne se fixe à l’extrême droite. Parce qu’elle représente l’extrême gauche au PDS, elle reçoit souvent des propositions dans ce sens. Le problème que ces demandes constituent pour elle réside dans le fait que selon elle ces cadres sont soutenus par des gens qui ont « déjà frappé quelqu’un ». Son refus inclut tout rapprochement, y compris médiatique. Donner des interviews ou écrire des articles dans Junge Freiheit est par exemple selon elle à proscrire, car cela banalise la question de l’extrême droite. 1240 Tel K. Böttcher, alors porte-parole du groupe de travail Antifascisme/Extrême droite du PDS, comme évoqué dans le chapitre 2. 1241 Autant de raisons, dans les milieux du PDS, de refuser de s’entretenir avec un élu d’extrême droite. Ce dont témoigne T. Kay (REP) qui rapporte qu’une proposition faite par lui de discuter avec le(s) jeune(s) qui avai(en)t écrit un article diffamant à son sujet est restée sans suite, pas même refusée, ignorée tout simplement. 1242 Les termes allemands respectifs sont hoffähig, littéralement « susceptible d’être courtisé » et salonfähig, « admis au salon ». 1243 Si cette idée est également citée par des interlocuteurs d’autres partis, elle ne détermine pas exclusivement l’attitude à adopter, comme c’est le cas au PDS. Pour le député social-démocrate B. Flemming par exemple, une discussion publique avec des cadres d’extrême droite peut contribuer à les désenchanter. Si la valeur pédagogique d’une telle discussion est très faible, il précise qu’il faut faire attention à ce que le public ne soit pas gagné à la cause adverse, comme cela lui est arrivé. « J’ai même une fois discuté avec des gens [d’extrême droite], dans une salle. Ca allait jusqu’à ce que le nombre de radicaux de droite qui ne souhaitaient plus parler soit si grand que l’on m’a menacé en pleine rue, physiquement aussi. ». Son collègue A. Geisel, élu SPD à Lichtenberg estime qu’en période électorale, une discussion publique servirait surtout à faire de la publicité à un parti qui recueille seulement 5% des suffrages. Difficile de ne pas inclure le PDS dans ces propos sur les petits partis. 1244 Comme l’assistante parlementaire Nicole par exemple.

Page 426: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

412

Elle doit être bien préparée et bien structurée. Sinon, cela n’apporte rien.» O., responsable

administrative de Hohenschönhausen, en charge de la situation des étrangers.

Faire bonne figure dans un débat avec l’extrême droite nécessite un certain

professionnalisme, voire que soit fait appel à des spécialistes1245.

Parmi les réactions de nos interlocuteurs du PDS, rares sont les réponses tranchées telle

l’exclamation spontanée de W. Friedersdorff : « une idiotie absolue !». Bien plus nombreuses

sont les mises en garde et précautions préalables. Les principaux doutes exprimés portent sur

la capacité de C.Ostrowski à mener une telle confrontation, ainsi que sur la médiatisation de la

rencontre1246. Pour le stratège du PDS T. Falkner par exemple, l’opinion publique tend vers

une interprétation symbolique de ce genre d'événements. Leur traitement émotionnel et

caricatural, en allant à l’encontre d’une vertu éducatrice, nuit à leur compréhension par la

société. Il dénonce ainsi l’usage politique fait de l’affaire, « politiquement montée en

épingle ». La démarche en soi, la recherche du dialogue ne doit pas être condamnée, mais la

naïveté de C.Ostrowski l’a conduite à aller trop loin en pensant pouvoir convaincre les chefs.

Le PDS est plus menacé par l’extrême droite qu’il ne la menace. La présence d’un

potentiel d’extrême droite au sein du PDS n’est que rarement interprétée comme une marque

de la normalisation du parti, mais bien plus comme une offense faite à une institution

antifasciste. Reste à interroger la manière dont le parti gère ce potentiel en termes d’enjeu

électoral.

B) L’ennemi aux prises avec les considérations électoralistes

La question de l’adaptation des revendications aux souhaits de l’électorat dans un but de

maximisation des gains électoraux mérite d’être évoquée en examinant l’hypothèse selon

laquelle l’ennemi n’échappe pas aux logiques électoralistes notamment de type clientéliste.

1245 L’argument pragmatique du cas par cas est essentiellement soulevé au-delà des rangs du PDS. Une discussion privée avec des chefs vaut mieux qu'un débat dans une salle pleine, mais il faut être connu de l’opinion publique pour se le permettre selon C. Luft, députée du Bundestag. Avant d’accepter une discussion proposée entre quatre yeux par un cadre d’extrême droite, il faut bien se préparer, s’informer sur l’interlocuteur potentiel et son objectif (A.Geisel, élu SPD à Lichtenberg). Le député du SPD à Berlin, F. Felgentreu estime que l’opportunité d’une discussion avec des dirigeants est à appréhender en regard de ses conséquences potentielles. Si le dirigeant d’extrême droite est doué, elle peut n’avoir aucun sens. 1246 T. Falkner déclare évoquer la question en tant que citoyen, qui connaît un peu C. Ostrowski et en a parlé avec elle. G. Sayan dit ignorer cette affaire, effet de la discrétion de la mémoire du parti, mais approuve la démarche si elle a pour but d’éviter la violence. Il est lui même intervenu avec succès entre des Kurdes et des Juifs à Berlin. Dans ces cas particuliers, il faut « tout calculer » et rester prudent. Le fait d’échanger avec des cadres lui semble problématique, tout comme dans l’ensemble, les thèses défendues par C. Ostrowski.

Page 427: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

413

Ces développements tentent de montrer que le PDS ne procède pas à l’intégration d’un

potentiel d’extrême droite en adaptant son offre électorale.

Discours de la contrainte : la gestion électoraliste d’un potentiel d’extrême droite entre intégration et exclusion

La valeur identitaire de l’opposition à l’extrême droite explique en grande partie que la

rencontre ait fait scandale. La théâtralisation du rejet de l’extrême droite est indissociable du

déni, par les élites du PDS, de l’existence d’un important potentiel susceptible de succomber à

l’extrême droite à la base du parti1247.

La contrainte d’un système symbolique axé sur l’héritage antifasciste

La concurrence électorale entre le PDS et l’extrême droite est souvent ramenée, par les

interlocuteurs du PDS, à la seule question de l’électorat protestataire et à la fonction

tribunitienne du PDS. L’argument prévalant alors est celui du service que le PDS rend à la

République en intégrant ce potentiel1248. La thèse d’un électorat contestataire et xénophobe est

relayée. « On peut détester les Polonais et les considérer comme des voleurs de voitures et

voter pour le PDS, voire en être adhérent » ; une partie de l'électorat est simplement « contre

quelque chose, également contre l'establishment » (B. Grygier).

Moins nombreux sont ceux de nos interlocuteurs qui défendent l’idée que le PDS, en

tant que Volkspartei est touché par l’extrême droite au même titre que l’ensemble des forces

politiques. Parce qu’il recrute au sein de toutes les couches de la population, il compte

logiquement aussi des personnes sensibles au discours de l’extrême droite. L’électorat captif

vote parfois pour le PDS malgré son programme. Le PDS doit par conséquent faire face à la

nécessité d’« éclairer » son propre électorat (B. Hoff, député PDS à la CDB). 1247 Ce que s’efforce de démontrer, chiffres à l’appui, le chapitre premier. 1248 Tel est l’argument de T. Falkner, stratège membre du Comité directeur du parti. S’il admet qu’un segment de l’électorat du PDS est protestataire, il n’en estime pas moins que son parti remplit un devoir important en intégrant ce potentiel selon lui. Une partie de l’électorat du PDS dénonce l’extrême droite, tandis que l’autre a une vision très « conventionnelle » de la sécurité intérieure. Or le PDS a une politique très moderne, libérale et « libertaire » de ce domaine, surtout en matière d’immigration. Ce décalage est bien le fondement même de la concurrence que se livrent les deux parties. Une partie de l’électorat du PDS est difficile à gérer : les électeurs nationalistes qui refusent l’unification, plus encore ceux pour lesquels le problème nationaliste tourne à la xénophobie.

Le rôle de rempart joué par le PDS est également évoqué par le maire de l’arrondissement de Lichtenberg W. Friedersdorff. Le PDS a joué un rôle important en intégrant dans la nouvelle société une partie des déçus de l’unification, faisant ainsi en sorte que ceux-ci ne se retournent pas contre la société et contre l’Etat. Il refuse cependant absolument l’idée de concurrence au sujet de la nostalgie de la RDA, les nostalgiques ne sont qu’exceptions.

Page 428: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

414

C’est à n’en pas douter C. Ostrowski qui s’exprime le plus clairement sur ce point à

l’issue du score historique de la DVU en Saxe-Anhalt en avril 19981249. Elle pose la question :

pourquoi le PDS ne parvient-il pas à arracher à la DVU les voix d’électeurs contestataires?

L’affaire Ostrowski est précisément née de l’interprétation possible de ce type de propos,

sources de malentendus. A. Marquardt, jeune députée au Bundestag, se dit choquée par les

propos d’Ostrowski. Elle considère que déclarer que le PDS doit rester ouvert aux

« préoccupations et à la détresse » des personnes qui ont voté DVU revient à « manger dans la

main » des extrémistes de droite1250. Pourtant, C. Ostrowski ne veut pas que son parti reprenne

à son compte les solutions proposées par l’extrême droite ; elle souhaite là encore seulement

qu’il se pose les vraies questions.

Durant la campagne précédant les élections de Saxe-Anhalt en 1998, C.Ostrowski met

en cause la réaction du PDS et du représentant de son groupe parlementaire (M. Gärtner) qui a

répondu à la menace d’une forte mobilisation électorale en faveur de la DVU par des contre-

actions symboliques, comme des manifestations contre l’extrême droite. Cette mobilisation a

selon elle joué en faveur de la DVU. Peu avant les élections, M. Gärtner évoque lui-même la

responsabilité partagée du PDS dans la xénophobie de la population et le probable succès de

la DVU. Député au Landtag de Saxe-Anhalt depuis 1994 (il n’a alors que 22 ans), M. Gärtner

déclare que les activités antifascistes du PDS sont une « faible consolation » en regard de son

attitude anti-occidentale et de son incitation à une forme communautariste de nostalgie1251.

Le tabou d’une base réceptive à l’idéologie d’extrême droite

A l’été 2000, un sondage établit que 59% des sympathisants du PDS sont d’avis qu’il y

a trop d’étrangers en Allemagne. 94% d’entre eux souhaitent une loi sur l’immigration avec

une régulation sous forme de quotas1252, ce qui va à l’encontre de la programmatique de leur

parti dans ce domaine. De tels sondages mettent le parti devant la contradiction au cœur de sa

politique officielle, qui allie la mobilisation d’un sentiment identitaire est-allemand1253 à un

1249 Pour une analyse de cette élection, voir le chapitre 1. 1250 Der Spiegel, 15, 1999, 10.04.1999. 1251 « Matthias Gärtner- Ein Erfolg der DVU wäre ein verheerendes Signal ». Jungle World, 22.04.1998. 1252 Sondage Forsa cité dans « Die Furcht der PDS vor dem eigenen rechten Rand ». Berliner Zeitung, 22.11.2000. 1253 « Le PDS a stimulé [ces sentiments nationaux] pour rallier le jeune électorat (Jungwähler) à sa cause » déclare T. Kay, ex-cadre des Republikaner et élu local à Hohenschönhausen (Berlin-Est). Le PDS utilise un sentiment nationaliste présent dans les NBL sans s'intéresser réellement à la question nationale. T. Kay appuie ses dires sur un CD de campagne distribué par le PDS lors d’une campagne électorale pour les élections fédérales (il ignore l’année) qui contenait la chanson « C’est encore mon pays ». Kay prétend que tous les jeunes

Page 429: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

415

principe de tolérance en matière d’immigration. Les personnalités du PDS qui admettent

officiellement l’existence d’un problème de ce type sont non seulement rares, mais également

atypiques. Concéder publiquement qu’une partie de ses électeurs est xénophobe et vote

également pour l’extrême droite revient à trahir la base de ses fidèles. Rares sont ceux qui

reconnaissent qu’une partie de l’électorat est-allemand donne sa première voix au PDS et la

seconde à l’extrême droite. Ceux qui le concèdent précisent qu’il s’agit de l’extrême droite

non néonazie (DVU ou REP). Le secrétaire fédéral D. Bartsch, la députée au Bundestag

A. Marquardt ainsi que le numéro un de la fédération de Saxe et vice-président du PDS de

2000 à 2003, P. Porsch, en font partie et s’avouent inquiets à ce sujet. Ce dernier estime que

cette situation concerne une « proportion effroyablement élevée » d’électeurs1254. Le secrétaire

fédéral du PDS (Bundesgeschäftsführer) D. Bartsch dit par exemple connaître des gens au

PDS qui pensent qu’il y a trop d’étrangers et que le droit d’asile est superficiel. Selon lui,

« personne au PDS n’ose le dire ouvertement », ce qui fait porter au parti une « responsabilité

particulière ». Il réfute catégoriquement l’idée que le PDS en fasse un quelconque usage :

« C’est l’un des rares points au sujet duquel, même en tant que secrétaire fédéral du PDS, je

ne pense pas le moins du monde en termes de stratégie électorale. »1255

Le motif du conservatisme est évoqué de manière consensuelle par nos interlocuteurs,

proches ou non du PDS, pour expliquer le fait que l’électorat captif du PDS soit

particulièrement susceptible de voter pour l’extrême droite1256. Leurs points communs se

résument au goût pour « l’ordre et la loi » (Law and order), perceptible chez les adhérents de

l'Est à travers une xénophobie latente (« l'étranger dérange ») selon l’intellectuel R. Schröder.

« Il existe des affinités qui n’ont rien à voir avec une parenté idéologique complexe qui mérite que l’on

fasse des recherches ; c’est du ressentiment petit-bourgeois, rien de plus. Les militants du PDS sont

extrêmement petits-bourgeois. A l’Est. » précise R. Schröder.

d’extrême droite qu'il connaît le possèdent. Il faut croire que le PDS et T. Kay ont une vision différente du sens de la chanson, anti-immigration selon ce dernier, elle fait certainement référence à l’identité est-allemande dans le cas du PDS. 1254Berliner Zeitung du 22.11.2000. A. Marquardt reconnait l’existence d’une « peur paranoïaque de l’étranger » non seulement au sein de la société est-allemande, mais également au PDS. A. Marquardt : Was ich bin, was mir stinkt, was ich will. Cologne : Verlag Kiepenheuer & Witsch, 1999. 1255 « Die Furcht der PDS vor dem eigenen rechten Rand ». Berliner Zeitung, 22.11.2000. 1256 R. Schröder et Dietmar Bartsch, secrétaire fédéral du PDS, usent d’un même argument : lors des élections fédérales de 1998, la circonscription dans laquelle le leader du PDS G. Gysi a obtenu le plus de voix est également celle où les partis d'extrême droite ont obtenu, à l'échelle fédérale, leur meilleur score. Une partie importante de l’électorat a ainsi offert sa première voix au PDS, sa seconde à l’extrême droite. Berliner Zeitung du 22.11.2000 et entretien réalisé avec R. Schröder.

Page 430: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

416

Ironique, R. Schröder précise en effet que les militants orientaux du PDS mettent

volontiers des nains de jardin sur leur parterre de fleurs, tandis que les adhérents occidentaux

les détruisent aussi volontiers. Cette caractéristique est confirmée par les cadres des REP,

conscients du potentiel électoral que représente la base du PDS pour leur parti.

« En principe, nos électeurs sont très conservateurs, le centre bourgeois, quoi. Au PDS, c’est

exactement la même chose. Ce sont des personnes d’âge intermédiaire ou âgées, des retraités,

socialement bien insérés. [..] Mais les nôtres sont moins riches et moins engagés, parce que bien sûr,

nous ne sommes pas représentés au sein des organes économiques. […] Si vous regardez les opinions

des électeurs potentiels du PDS, ils veulent juste être tranquilles. Ils veulent un travail, ils ne veulent pas

qu’on vende de la drogue à leurs enfants quand ils vont à l’école, ils ne veulent pas non plus de

clochards quelconques qui leur demandent sans arrêt : ‘t’as pas un mark ?’ ou maintenant ‘t’as pas un

euro ?’ En principe, ils veulent juste ce que veulent nos électeurs.» T. Weisbrich.

Interrogé alors sur ce qui fait que cet électorat vote pour le PDS et non pour son parti, T.

Weisbrich exprime sa frustration au sujet des moyens dont dispose le PDS. Les infrastructures

du PDS constituent d’autant plus un obstacle à une implantation des REP dans les NBL, qu’il

les utilise pour diffamer l’extrême droite. La propagande antifasciste du PDS coupe ainsi,

selon ce permanent des REP, son organisation d’une partie de son électorat potentiel, à savoir

la base conservatrice du PDS.

« C’est le combat de David contre Goliath, c’est comme se lancer dans la course contre une Porsche

avec une Trabant, on n’a aucune chance. C’est bien entendu très difficile de faire accepter une

idéologie, une idée politique aux gens quand on leur serine qu’en principe à droite de la CDU il n’y a

que des Nazis.» T. Weisbrich.

A titre de comparaison, il peut être intéressant de mesurer la manière dont les élus ou

dirigeants d’autres partis estiment l’impact de l’extrême droite sur leur propre électorat. Nos

rares interlocuteurs du SPD se partagent entre le refus catégorique de reconnaître l’existence

d’une sensibilité d’extrême droite dans les rangs de leur parti et, comme au PDS, la

reconnaissance du rôle majeur joué par la tradition antifasciste dans le refus de voter pour

l’extrême droite1257.

« Le refus de l’extrême droite au SPD est général, tout comme la tolérance zéro. » A. Geisel, conseiller

d’arrondissement SPD à Lichtenberg.

1257 De même, B. Wagner, assistant parlementaire d’une députée de B90/G au Bundestag, conçoit l’extrémisme de droite comme un problème venant du milieu de la société. Il est donc également présent chez les sociaux-démocrates et les écologistes. Il illustre son propos en dénonçant la tradition du SPD en matière de politique d’immigration ainsi que certains propos d’un ministre écologiste relatifs à la question de « l’assimilation ».

Page 431: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

417

« Il y a des gens, précisément ces personnes qui pensent en termes autoritaires, ça peut aller jusqu’à

20%, qui ont des idées d’extrême droite, mais ils sont en même temps très fortement attachés à leurs

liens traditionnels. Lorsqu’il existe une tradition familiale de vote social-démocrate, ce n’est pas facile

de s’en libérer. [...] Ces gens-là sont intégrés dans un parti, ils ne sont pas unipolaires. Le fait qu’ils ne

supportent pas les étrangers n’est pas décisif pour eux, ce n’est qu’un des nombreux aspects

susceptibles de les motiver politiquement. Tant que les autres paradigmes sont respectés, leur

comportement électoral ne change pas. Ils n’iront en aucun cas à la CDU. Mais s’ils ont l’impression

d’être trahis et vendus en étant au SPD, alors ils vont à droite. C’est trop simple de penser qu’une bonne

politique sociale peut empêcher cela. Il y a des gens qui n’ont jamais été liés au SPD, qui ont toujours

pensé comme des extrémistes de droite, ceux-là ne peuvent pas être conquis, même par une bonne

politique sociale. » F. Felgentreu, député SPD à la CDB.

« D’un point de vue programmatique, le PDS c’est le SPD d’il y a une quinzaine d’années, la

xénophobie existe donc vraisemblablement aussi au PDS. Ceci ne signifie pas qu’il soit impossible de

trouver au SPD un militant qui a des idées radicales de droite. Mais il ne les exprimera jamais en

réunion. Jamais. On le voit bien. Ce n’est pas l’idée du parti qui est derrière. » B. Flemming, député

SPD à la CDB.

En tant qu’elle parvient à contenir une défection électorale au profit de l’extrême droite,

la norme antifasciste représente malgré tout une ressource pour le PDS en termes électoraux.

La relation au politique de l’électorat captif du PDS est conditionnée par le sentiment

d’identification au parti. L’exclusivité de cette relation repose sur le fait que le PDS a

indirectement (car à travers le SED) constitué le vecteur de la socialisation politique de la

majorité de son électorat captif. Celui-ci est en partie composé de « xénophobes de

gauche »1258. Le risque de déviance qui menace tout électeur PDS enclin à voter pour

l’extrême droite a été fortement intériorisé. Si le PDS semble accepter, comme signe de sa

normalisation, l’idée d’une base qui partage certaines des idées de l’extrême droite, il rejette

les accusations d’un vote partagé susceptible de symboliser une connivence avec l’extrême

droite.

Clientélisme et opposition à l’extrême droite

« Question : L’engagement du PDS contre l’extrême droite pourrait-il avoir quelque chose à voir avec

les notions de respectabilité et d’expansion à l’Ouest ?

1258 En analogie avec la situation française, ils sont dans une « situation latente dans laquelle des électeurs inscrits dans une culture de gauche expriment leur sentiment xénophobe mais ne franchissent pas le pas d’un vote frontiste ». F. Haegel, H. Rey : « Autour du vote à la cité des ‘4000’ » in N. Mayer (dir.) : Les modèles explicatifs du vote. L’Harmattan, 1997, pp. 201- 221.

Page 432: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

418

Thomas Falkner : J’espère bien que telle en sera la conséquence, mais nous ne le faisons pas pour des

raisons tactiques d’instrumentalisation. Ce n’est pas partie prenante d’une stratégie raffinée pour chasser

je-ne-sais quelles méchantes impulsions communistes [rires]. Non, cet engagement repose sur la

conviction qu’il est nécessaire de prendre cette requête au sérieux. Et si l’impression s’en trouve

renforcée d’un parti qui n’a aucune prétention totalitaire, qui s’inscrit rigoureusement dans les principes

démocratiques, qui souhaite l’intégration et le règlement des conflits pour rassembler et non pour

instrumentaliser ou détruire la société, alors cela rendra visible une partie de nos convictions, ce qui

peut certainement faire de la publicité au PDS, mais nous ne combattons pas l’extrême droite pour

produire cet effet. » T. Falkner, responsable des questions stratégiques pour le Comité directeur du PDS.

Puisque, comme l’admet T. Falkner, l’opposition démonstrative et systématique à

l’extrême droite prônée par le PDS peut constituer un atout électoral pour le parti, la question

se pose de savoir si elle répond à une logique clientéliste.

Les retombées électorales de l’opposition à l’extrême droite

Les campagnes anti-extrême droite ont un effet positif pour le PDS en termes d’image.

Elles lui offrent d’être visible sur un sujet valorisant, qui se répercute sans doute sur ses

résultats électoraux1259. A partir de la fin des années 1990, le succès électoral de l’extrême

droite est brandi comme une menace et sert d’argument à un vote pour le PDS1260.

La politique d’immigration est au centre de cette interrogation, car elle confronte la

programmatique du parti à une xénophobie importante au sein de son électorat. Les experts

parlementaires du PDS1261 usent de l’argument électoraliste pour augmenter le soutien du parti

aux causes antifasciste et antiraciste. La députée K. Hopfmann l’a par exemple fait valoir pour

convaincre son parti de financer une pièce de théâtre, qui appelle à la tolérance en mettant en

scène la situation de réfugiés. Elle dit avoir « vendu » cela au PDS en argumentant qu'il s'agit

d'un « bon investissement », pour elle peut-être à long terme pour endiguer l’extrême droite,

pour le PDS certainement à plus court terme au niveau électoral, les jeunes gens

« enthousiasmés par la pièce » selon K. Hopfmann étant voués à devenir électeurs.

Néanmoins, l’affirmation d’un engagement qui rapporte des suffrages reste fragile. Une

partie du discours des élites pousse à interroger cet argument. Pour le leader de la branche

communiste orthodoxe (KPF) S. Wagenknecht, mettre en scène son engagement contre

1259 L’élu au conseil d’arrondissement de Charlottenbourg-Wilmersdorf, J. Hornig, estime pour sa part que le fait de couvrir les Champs-Elysées de Berlin-Ouest, le Ku-Damm (pour Kurfürstendamm) d’affiches du PDS dénonçant l’extrême droite a influencé les électeurs en faveur du PDS. 1260 Voir l’annexe 5. 1261 Voir le chapitre 3.

Page 433: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

419

l’extrême droite ne fait pas gagner des voix, pas plus d’ailleurs qu'il n’en coûte « parce que

ceux qui ont une certaine attitude sont également ceux qui voteraient pour nous. Il est

invraisemblable que nous gagnions ainsi la voix de gens qui ne voteraient pas pour nous.

Simplement, le sujet est bien trop important pour être soumis à l’agitation des

campagnes électorales et à ses questions du type : ça rapporte des voix ou pas ? » A l’inverse,

parce que le soutien du PDS à l’immigration et à la situation des immigrés n’est que peu

connu, il ne constitue pas un obstacle au vote PDS1262. A l’instar de la peine de mort et de la

guerre, « si ces idées rebutent une partie de l'électorat, alors tant pis… Le PDS devrait quoi

qu’il en soit maintenir ses positions. C’est une question fondamentale. Et l’attitude contre le

néofascisme en fait partie.»

Touche-t-on là au caractère inébranlable de l’identité même du PDS ou ce dernier

gagnerait-il davantage de sympathisants « s’il luttait plus directement contre ‘l’invasion des

étrangers’ », comme l’affirme K. Böttcher, porte-parole du groupe de travail du PDS

spécialisé dans les questions théoriques de l’antifascisme et de l’extrême droite ?

L’opposition à l’extrême droite, une revendication clientéliste ?

Le clientélisme apparaît comme une forme délégitimée du rôle dévolu aux partis

politiques en démocratie, c’est un effet pervers du fonctionnement de la démocratie.

Entendues comme « pratiques déviantes par rapport aux normes dominantes de la légitimité

politique »1263, les relations clientélistes ont pour finalité la « production d’une fidélité

personnelle »1264. Parce qu’il renouvelle la dépendance, l’échange clientéliste est plus proche

du don1265 que du rapport politique marchand (de type corruption). Son but est autant de

fidéliser l’électorat que de l’étendre. En ce sens, le clientélisme est autant une forme de

pratique politique, que la condition de toute activité politique. Peut donc en ce sens également

être considérée comme clientéliste toute tentative d’activation d’un lien social et identitaire

1262 Les députés K. Hopfmann et B. Hoff défendent également cette idée. 1263 J.-L. Briquet : « La politique clientélaire. Clientélisme et processus politiques » in J.-L. Briquet, F. Sawicki (dir.) : Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines. PUF, 1998, pp. 7-37, p. 22. 1264 F. Sawicki : « La faiblesse du clientélisme partisan en France » in J.-L. Briquet, F. Sawicki (dir.) : op .cit., pp. 215-249, p. 225. 1265 « Dans le don, on ne rend pas, on re-donne. » M. Godelier : L’énigme du don. Fayard, 1996, p. 63. Egalement A. Caillé: Don, intérêt et désintéressement. La Découverte, 1994. « En quoi consiste donc une stratégie clientéliste ? C’est essentiellement une stratégie de l’échange dans laquelle le don, l’aide, la faveur, le service rendu, deviennent un moyen de se faire des obligés, des créanciers. » J.-F. Médard : « Le rapport de la clientèle. Du phénomène social à l’analyse politique ». RFSP, 26 (1), 1976, p. 122.

Page 434: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

420

propre à un groupe social entreprise par un membre du parti dans le but non d’affilier une

clientèle nouvelle, mais de renforcer le sentiment d’identification de la base aux dirigeants1266.

La mise en avant de la lutte contre l’extrême droite dans la rhétorique du PDS est

clientéliste dans le sens où il s’agit d’un discours « d’exposition », c’est-à-dire éthique et

idéologique avant tout1267. Il ne s’agit pas de clientélisme dans le sens où le discours sur

l’extrême droite ne traduit pas les attentes de ses clients. Cependant, la rhétorique anti-

extrême droite est utilisée par le PDS d’une part pour resserrer les liens identitaires existant

avec la base, d’autre part pour se présenter de manière favorable à l’opinion publique. La

campagne anti-extrême droite active le lien antifasciste essentiel tant au partage d’une identité

collective qu’à l’implantation au sein de nouveaux milieux, anciennement proches des Verts

et du SPD par exemple. Les implications concrètes de la propagande vont à l’encontre des

attentes réelles de la clientèle, notamment dans le domaine de la politique d’immigration. Si

clientélisme il y a, il est aussi conquérant que fidélisant. C’est la raison pour laquelle

l’étendard de l’antifascisme est brandi tandis que ses applications politiques, notamment des

revendications tolérantes en matière d’immigration, se font discrètes.

Les instances locales acceptent de prendre en charge les frais relatifs à la lutte contre

l’exclusion sociale lorsqu’il s’agit d’un électorat potentiel1268. « Seules demeurent les actions

fortement marquées par le clientélisme et l’efficacité électorale »1269. Il faudrait pouvoir

mesurer les retombées électorales de l’engagement du PDS contre l’extrême droite pour parler

d’utilitarisme électoral. Toutefois, même en écartant les considérations internes relatives à la

fonction remplie par l’extrême droite comme « figure de l’extrême »1270, l’action anti-extrême

droite du PDS est rentable puisqu’elle légitime son existence politique à plusieurs niveaux.

1266 Notons que l’ère du « clientélisme paternaliste » (A. Spreafico) décrit par W. Foote Whyte (Street corner society. La structure sociale d’un quartier italo-américain. La Découverte, 2002) est révolue, ce sont désormais les groupes sociaux qui sont touchés. A. Spreafico : « Structures sociales et comportements politiques dans le Mezzogiorno » in Y. Mény (dir.) : Idéologies, partis politiques et groupes sociaux. Presses de la FNSP, 1989, pp. 289-313. 1267 En cela, elle est assimilable, en France, au discours des partis « marginaux » (le PCF et le FN) sur le « social », tel qu’analysé par A. Collovald, B. Gaïti : « Discours sous surveillances : le social à l’Assemblée » in D. Gaxie (dir.), CURAPP : Le « social » transfiguré. Sur la représentation politique des préoccupations « sociales ». PUF, 1990, pp. 9- 53, pp. 19-25. 1268 Ainsi que l’a démontré M. de Certaines : op. cit, in C. Le Bart, J. Fontaine : Le métier d’élu local. L’Harmattan, 1994, pp. 267-305. 1269 Si la commune dépense beaucoup à l’attention des personnes âgées valides, elle souhaite faire prendre en charge par l’Etat les frais et responsabilités causés par les SDF, les RMI-istes, les toxicomanes ou la vieillisse médicalisée. C. Grémion : « Région, département, commune : le faux débat ». Pouvoirs, 60, 1992, p. 64. 1270 J.-M. Donégani, M. Sadoun : « Les droites au miroir des gauches » in J.-F.Sirinelli (dir.) : Histoire des droites en France. Gallimard, 1993, pp. 759-785.

Page 435: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

421

C’est à la fois un engagement éthique lié à son passé et une caution identitaire conditionnant

sa survivance électorale. L’extrême droite échappant ainsi à un usage exclusivement

clientéliste, son statut d’ennemi n’est pas révisé. L’affaire Ostrowski nous enseigne en outre

que c’est précisément parce que ces contraintes électorales sont garantes de la survie du parti

qu’elles rendent nécessaire l’uniformisation des pratiques par le pouvoir central. C’est en

outre à l’échelle des communes que l’on rencontre les pratiques les plus déviantes.

Page 436: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

422

Section 3 L’harmonisation de l’exercice du pouvoir.

Le parti face à la diversité des pratiques locales

« Un parti n’étant ni simplement une organisation standardisée et hiérarchisée ni la

somme de ses manifestations en différents sites »1271, l’attention mérite également d’être

portée sur l’articulation des dimensions locales et fédérales (dans le cas allemand) du pouvoir.

La gestion locale du problème de l’extrême droite met la cohésion du parti à l’épreuve et

conduit les instances fédérales à encadrer ce qu’elles considèrent comme de la déviance ; tel

est l’enjeu de l’affaire Ostrowski. L’aspect novateur ainsi que la forte personnalisation du

pouvoir qui prévalent dans l’espace local engendrent des pratiques déviantes que « le centre »

tente parfois d’uniformiser. L’étude de ces procédés d’harmonisation, en analysant la

production d’une identité collective confirme la place de référent qu’occupe l’antifascisme au

PDS.

Au-delà de la transgression de la norme antifasciste, l’affaire Ostrowski analysée ici

illustre les conflits d’intérêts qu’engendre l’exercice local d’une activité politique. Ceux-ci

naissent fréquemment des ressources spécifiques dont disposent les leaders locaux.

L’organisation partisane apparaît ici clairement comme une « association complexe de

groupements partiels en interaction »1272. Qu’ils se constituent autour d’un courant en se

distinguant par des pratiques particulières, ou en tant que localités revendiquant une identité

propre, ces groupements doivent répondre aux velléités fédérales d’homogénéisation. Ce

qu’illustre en somme l’affaire C. Ostrowski, c’est que ce sont les individus, producteurs

d’interactions spécifiques, qui font (et défont) l’entité partisane.

La puissance du PDS en RFA repose autant sur les décisions que ses élus prennent dans

les communes que sur la manière dont l’entité partisane se met en scène à destination de

l’opinion publique. Pour autant, le local n’échappe pas à la tendance à l’uniformisation des

champs politiques, souvent (et improprement dans le cas allemand étudié ici) qualifiée de

nationalisation. La compétition pour l’hégémonie partisane, les conflits et la relation entre

gouvernement et opposition s’y perpétuent dans une configuration idéalisée par le parti, celle

1271 F. Sawicki: Les réseaux du Parti Socialiste. Sociologie d’un milieu partisan. Belin, 1997, p. 17. 1272 J. Lagroye . Sociologie politique. Presses de la FNSP, 1993, p. 279.

Page 437: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

423

du PDS au pouvoir à l’échelle fédérale1273. Ce qui pourrait dès lors se jouer dans l’immixtion

des instances fédérales dans la vie politique locale, c’est l’affrontement de la réalité du parti

(avec son pragmatisme désidéologisé jusque dans ses cas déviants) et du parti réifié et idéalisé

par ses dirigeants fédéraux.

L’encadrement du PDS à travers les procédés d’harmonisation vise l’intégration des

leaders locaux, rarement l’effacement des particularités locales. L’importante marge de

manœuvre dont bénéficient les figures locales, y compris avec l’idéologie du PDS, est en effet

au cœur du pouvoir du parti.

A) Une rationalisation des pratiques locales au service du parti

L’affaire Ostrowski interroge la mainmise des instances fédérales sur la gestion locale

du phénomène d’extrême droite. Confronté aux particularismes locaux, le siège du PDS

adopte une stratégie de valorisation de la diversité des territoires locaux. Il est d’autant moins

conduit à intervenir dans les affaires locales qu’un organe intermédiaire du pouvoir, la

fédération régionale, s’en charge.

Valoriser les particularités locales

Les échanges entre l’échelon local et fédéral étant fortement codifiés, l’initiative

individuelle d’un leader local risque non seulement de ne pas être approuvée par les instances

fédérales du parti, mais également de faire l’objet d’une marginalisation. Ceci d’autant plus

que les réseaux d’influence et d’obligations locales qui conditionnent l’exercice du pouvoir

dans la commune restent souvent opaques à l’institution fédérale, voire régionale. Ceci

conduit à envisager la complémentarité des échanges entre ces trois composantes du pouvoir

du PDS.

1273 Dans les arrondissements orientaux, la coopération entre le PDS d’un côté et la CDU, le SPD et les Verts de l’autre fait par exemple partie du quotidien de la vie politique communale, alors qu’elle reste officiellement encore majoritairement rejetée à l’échelle de la fédération, comme le montre en partie le choix d’une grande coalition pour gouverner le pays à l’issue des élections législatives du 18 septembre 2005. En partie seulement car la question des rancoeurs liant le chancelier sortant G. Schröder à son ancien ministre O. Lafontaine, allié au PDS, joue également dans ce contexte un rôle important.

Page 438: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

424

Le « local » entre innovation et pragmatisme, contre l’immobilisme du « centre »

L’après-1989 s’est caractérisé par un retour salutaire à une action pragmatique de

proximité1274. Les premiers pas en démocratie d’une part et la nécessité pour le PDS de trouver

un nouveau champ d’action d’autre part rendaient nécessaire le retour à la base, par

l’inversion d’un processus centraliste excessif qui avait coûté cher au SED. Le style de

C. Ostrowski correspond bien à une réalité partisane, celle du parti dans les communes. Si ce

scandale sonne le glas des prétentions de C. Ostrowski à faire une carrière fédérale au sein

des organes du PDS, elle n’en représente pas moins une forte publicité pour une personnalité

locale.

L’affaire Ostrowski incarne ainsi l’incapacité du PDS à développer un concept viable de

lutte contre l’extrême droite, à transformer le bouclier antifasciste en action politique. Elle

offre une illustration de l’intelligence de la direction du parti qui, en dépit des contradictions

qui tiraillent l’organisation, assure la survie d’un parti dont la disparition est régulièrement

pronostiquée. Dès lors, on peut se demander non seulement si le PDS ne doit pas sa survie

précisément à un certain immobilisme, mais encore si la démission de C. Ostrowski de ses

responsabilités dirigeantes n’est pas la preuve du caractère réactionnaire de son appareil1275.

Est-on en présence d’un conflit de fond qui s’est transformé en une lutte de pouvoir

mettant en prise des personnalités locales ou l’inverse ? « Le pouvoir local, presque

domestique de Ostrowski a été visiblement sous-estimé par ses supérieurs»1276. Les instances

supérieures ont finalement fait fi de l’organisation de base, sans envisager que celle-ci remette

leur autorité en question. Il s’agit bien ici d’une réponse locale à une situation locale, que le

pouvoir central tente de rationaliser.

Les effets à la fois régulateurs et contraignants de la multiplication des territoires

Comprendre la relation entre les instances centrales et locales du parti implique de

prendre en compte l’influence du territoire sur les logiques de recrutement, de re- et

déclassement ainsi que sur le mode de gestion des conflits. La multiplication des niveaux

1274 Voir C. Perron : op. cit., p. 609, ainsi que infra le chapitre 5, section 1. 1275 Comme pour montrer que l’affaire C.Ostrowski est symptomatique d’un conflit mettant en scène des pratiques, le président de la fédération saxonne du PDS, P. Porsch défend au contraire l’idée qu’il est nécessaire d’expérimenter d’abord à l’échelle communale de nouveaux modèles politiques ou de nouveaux modes de gestion, avant de les élargir aux échelons régionaux et fédéraux. Junge Welt, 19.03.1993. 1276 Lutz Bittner, SZV, 19.3.93.

Page 439: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

425

d’imbrication augmente en effet les risques de conflits et d’ingérence entre ces différents

niveaux.

L’influence des instances supérieures du parti sur les collectivités locales ne peut

s’analyser sans tenir compte de la division du pouvoir dans les communes. Au sein de celles-

ci, l’activité de la fraction du conseil communal prime sur celle de la section locale du parti,

qui donne peu d’impulsion politique à la vie des collectivités locales1277. Les fractions du

conseil communal sont ainsi, plus que les sections locales, les vitrines du parti dans la

commune. Elles oeuvrent pour le développement local tout en mettant en avant les objectifs

partisans1278. A cette bipolarisation locale du pouvoir partisan s’ajoute le fait que la pénurie de

personnel politique dans les NBL favorisant la formation d’oligarchies locales1279, les risques

d’intervention des instances fédérales augmentent. Si l’affaire Ostrowski était intervenue alors

que celle-ci n’était qu’une figure locale, il est fort probable que les instances fédérales du parti

ne seraient pas intervenues. La fédération saxonne s’en serait chargée.

Le système fédéral allemand implique en effet la prise en compte d’un espace

intermédiaire d’exercice du pouvoir, celui du Land. Parce qu’il constitue un sous-espace de

recrutement pour les hautes fonctions électives ou gouvernementales, il représente une source

supplémentaire d’opposition entre les différents échelons (local, régional, fédéral). Si le

leadership de C. Ostrowski à Dresde autorise son ascension aux plus hautes instances du parti,

il place sa section locale en concurrence avec la fédération saxonne pour l’obtention du

pouvoir régional. En termes de contrôle de la concurrence interne, la popularité locale de

C. Ostrowski l’empêche de bénéficier de l’effet protecteur de l’appartenance simultanée aux

catégories d’élus et de permanents de l’appareil du parti1280.

Si les risques de conflits augmentent avec la multiplication des échelons, il en va de

même pour l’hétérogénéité de la traduction des normes édictées par la fédération, qui conduit

souvent à la production de normes propres à une commune ou une région. Le principe

d’homogénéisation s’impose dès lors à une organisation politique pour faire tenir dans un

ensemble cohérent la diversité des pratiques et des idées de son personnel. Au PDS, il prend 1277 H. Nassmacher : « Parteien und Wählergruppen in der Kommunalpolitik » in O. W. Gabriel, O. Niedermayer, R. Stöss (dir.) : Parteiendemokratie in Deutschland. Bonn : Bundeszentrale für politische Bildung, 1997, pp. 427-442, p. 428. 1278 H. Naßmacher : « Die Aufgaben, die Organisation und die Arbeitsweise der kommunalen Vertretungskörperschaft » in O. W. Gabriel (dir.) : Kommunale Demokratie zwischen Politik und Verwaltung. Munich, 1989, p. 439. 1279 Sur cette notion, voir H. Kaack : « Die Basis der Parteien. Struktur und Funktionen der Ortsvereine». Zeitschrift für Parlamentsfragen, 1, 1971, p. 38. 1280 P. Garraud : « Les contraintes partisanes de l’élu local. …». Politix, 28, 1994, pp. 116-117.

Page 440: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

426

la forme à la fois d’une « normativation » (intégration aux normes nationales) et d’un

« renforcement symbolique et concret de la singularité »1281. La nature de l’homogénéisation

varie ainsi en fonction de l’espace, du poids de l’agent dans chacune des structures

considérées, tout autant que de l’intérêt porté à la norme considérée. L’objectif de

l’homogénéisation des pratiques locales est de faire converger les intérêts des différents

échelons.

Rationaliser la concurrence

Dans un contexte de concurrence pour la détention du pouvoir régional,

l’homogénéisation par les dirigeants fédéraux vise essentiellement à désigner au personnel des

échelons inférieurs l’espace dans lequel celui-ci doit limiter son activité professionnelle :

C. Ostrowski doit rester à Dresde et s’en contenter, ses détracteurs conservent le pouvoir au

niveau du Land, d’où l’inaptitude de C. Ostrowski à exercer au sein de la fédération.

Les réseaux comme source d’affrontement du leader local aux instances fédérales

A travers deux conceptions de l’action politique, ce sont les échelons locaux et fédéraux

du PDS, les élus et les cadres, « eux » et « nous » qui s’affrontent ici. La classe berlinoise du

PDS a selon C. Ostrowski le tort de s’être éloignée de ce qu’elle appelle « la vie réelle ».

« Question : Est-ce que [les remous consécutifs à la rencontre] n’ont pas également beaucoup à voir

avec le fait que vous mettiez l’accent sur l’échelle locale ?

C.Ostrowski : Oui, bien sûr. Ca a beaucoup à voir avec cela parce que la vie, c’est bien dans les

communes qu’elle se joue et non dans la rue Karl-Liebknecht1282 ici, à Berlin. […] Les hommes

politiques qui siègent tout en haut du PDS et qui sont, disons, seulement au Bundestag ou seulement

dans la Karl-Liebknecht-Haus, qui […] n’ont plus aucune responsabilité réelle, qui le font depuis des

années [...] n’ont pas le rapport que j’ai à la vie réelle. »

Au-delà de l’incompatibilité présumée des habitus locaux et fédéraux, le cas ne met-il

pas en lumière l’échec d’un parachutage inversé d’une personnalité locale à une fonction

nationale ? C. Ostrowski s’avère incapable d’incarner le rôle dû à sa nouvelle position dans

l’institution, faute d’avoir fait l’objet du formatage que nécessite une telle promotion, d’abord

1281 F. Sawicki : « Questions de recherche : pour une analyse locale des partis politiques ». Politix, 2, 1988, pp. 13-28, p. 25. 1282 Il est ici fait allusion au siège fédéral et régional (Berlin) du PDS qui se situe dans le bâtiment abritant, jusqu’à son interdiction par les autorités nationales-socialistes en 1933, le siège du Parti Communiste allemand (KPD), dans la rue Karl-Liebknecht.

Page 441: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

427

pour sortir le transplanté de son cercle habituel d’influence et l’introduire à de nouvelles

pratiques.

Le parcours et la place de C.Ostrowski au sein de sa ville illustre la thèse selon

laquelle « l’attraction qu’exerce un parti ou un leader auprès de certains groupes est

déterminée par l’existence de réseaux historiquement consolidés »1283. Il faut comprendre

l’influence de C.Ostrowski sur le milieu partisan de Dresde en termes de réseau et admettre

qu’elle ne repose pas uniquement sur l’action d’Ostrowski, mais également sur le rôle qu’elle

a joué dans la ville de Dresde au moment de la Wende. L’existence d’un réseau local

favorable à C.Ostrowski, qu’illustre le soutien dont elle bénéficie auprès de la presse locale,

alors que les médias fédéraux partisans s’expriment majoritairement contre elle, contribue à

justifier le fait que ses adversaires politiques n’aient pas utilisé cette faille pour la fustiger,

alors même que l’opportunité se présente en pleine campagne électorale. Ceci est à interpréter

comme l’expression de l’insertion de C.Ostrowski dans des faisceaux d’obligations

réciproques de longue durée qui renvoient « au passé des relations familiales et au souvenir

des combats politiques passés et des services rendus »1284. Rappelons que C. Ostrowski,

ancienne cadre du SED, est nommée secrétaire du parti au Théâtre de Dresde

(Staatsschauspiel) en 1988. La Wende venue, elle soutient l’appel des comédiens et devient

l’une des initiatrices du mouvement de rénovation du SED dans cette ville.

Le réseau de C.Ostrowski couvrant essentiellement la capitale saxonne, on comprend

qu’elle ne trouve pas de soutien auprès de la fédération régionale de Saxe. Il est nécessaire

d’ajouter la dimension sociale à l’approche politique pour comprendre sa démarche. Le réseau

local de C.Ostrowski lui permet de dépasser les clivages partisans et de résister à

l’homogénéisation du centre. La diversité des soutiens, si elle constitue ainsi localement une

ressource, peut fonctionner comme un obstacle à la compétition partisane pour l’occupation

de postes. La marginalité de C.Ostrowski au sein de son parti en dehors de Dresde est une

conséquence du soin apporté à l’entretien de réseaux locaux, peu compatible avec le

développement de ses soutiens internes au parti.

1283 F. Sawicki : Les réseaux du Parti Socialiste, p. 23. 1284 Comme l’a montré M. Abélès au sujet de l’Yonne : Jours tranquilles en 89. Ethnologie politique d’un département français. Odile Jacob, 1989, p. 223.

Page 442: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

428

La relation entre les leaders locaux et fédéraux sur la question de l’extrême droite

correspond-elle à un partage des tâches ?

La dualité du lien entre les espaces local et fédéral, à la fois ressource et contrainte, peut

inverser le rapport de forces entre ces échelons. Leur pouvoir permet ainsi parfois aux élus

locaux d’exercer des pressions pour peser sur les décisions prises à l’échelon supérieur1285. Les

effets qu’a la nature des liens unissant les différentes instances du parti sur la traduction

politique de la cause antifasciste méritent dès lors d’être examinés. La prise en charge locale

du problème renvoie-t-elle à la logique de délégation à l’échelon local déjà pratiquée dans

l’arène parlementaire?1286

En ce qui concerne la relation des échelons régional et fédéral, le partage des tâches

renvoie autant à la double articulation prévalant au parti autour de préoccupations thématiques

et d’un découpage géographique qu’à un fonctionnement en réseau. Il arrive en effet qu’une

thématique soulevée par le PDS, qui essuie un échec au Bundestag, soit soumise à discussion

au sein des Landtage orientaux1287.

La thèse du partage des tâches entre le « cerveau » en haut, qui décide et les « petites

mains » en bas qui s’exécutent, imprègne fortement l’auto-justification du PDS sur cette

question. L’experte antiraciste pour le PDS K. Hopfmann évoque ainsi la complémentarité

des échanges d’expériences. Selon elle, le Comité directeur agit avant tout en direction de

l'opinion publique ; il élabore des directives prônant un changement des mentalités et c'est aux

communes ou personnalités locales qu'est reléguée leur exécution. Celles-ci expérimentent et

apportent leurs conclusions à l’échelon fédéral qui généralise et produit des conseils et

recommandations. Elle évoque un schéma cyclique basé sur des allers-retours entre le sommet

et la base, que contredisent les figures du réel analysées dans cette seconde partie.

1285 C’est la majorité absolue de leur parti dans leur arrondissement qui permet aux maires W. Friedersdorff (Lichtenberg) et U. Klett (Marzahn) d’exercer des pressions auprès du PDS en faveur de l’amélioration de la situation financière et de l’indépendance des arrondissements au moment des négociations concernant la formation d’une coalition SPD-PDS à Berlin. « PDS-Bezirke setzen Gysi unter Druck ». Berliner Zeitung, 18.12.2001. 1286 La délégation de l’opposition à l’extrême droite dans l’arène parlementaire est traitée dans le chapitre 3, section 3. 1287 Tel semble être le cas du projet de clause antifasciste du groupe PDS au sein du Landtag de Saxe, analysé dans le chapitre 2, section 2, B. Le projet relaie en fait une proposition de loi du groupe PDS au Bundestag. J. P. Lang : Das Prinzip Gegenmacht. PDS und Parlamentarismus. Saint-Augustin: Fondation Konrad-Adenauer (CDU) Etude interne, n° 166, 1998, p. 43.

Page 443: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

429

Si rationalisation des tâches il y a en matière de gestion partisane de l’extrême droite,

elle tend davantage à masquer des hétérogénéités localement perceptibles, révélatrices des

tensions qu’affronte le parti au quotidien.

B) Un laxisme à l’égard des acteurs politiques locaux conditionné par

l’origine du PDS

La capacité à entreprendre en marge du comportement normatif semble être autant à

l’origine de la stigmatisation de C. Ostrowski en cas déviant, que sa personnalité et sa

popularité locale. Ces dernières la soustraient en effet à la discipline dévolue aux instances

supérieures du parti. Le cas de C. Ostrowski (ainsi que plus discrètement celui de

B. Grygier1288) soulève la question de la manière dont une personnalité locale fait usage de son

pouvoir. Il renvoie également le parti d’une part devant la légitimité et l’intérêt

d’homogénéiser les pratiques, d’autre part au musellement des figures locales et des

personnalités atypiques.

L’intégration des personnalités locales qui représentent le PDS relève des pratiques

d’harmonisation qui incombent aux instances dirigeantes du parti. La manière dont les leaders

locaux résistent aux pratiques d’homogénéisation réside en partie dans leur assise locale.

Puisque le pouvoir du maire découle de logiques partisanes et locales, puisque les rapports

politiques qui prévalent dans cet espace sont fortement personnalisés et territorialisés et

puisque « les comportements requis résultent de l’état des rapports sociaux, et pas seulement

des logiques propres de la compétition politique »1289, on peut se demander si le territoire

(notamment sa tradition et son rapport de forces politique) sur lequel le leader exerce son

activité politique ne l’influence pas de manière plus décisive que son appartenance partisane.

La manière dont les problématiques attenantes à l’extrême droite s’inscrivent ou non

localement dans les politiques publiques est révélatrice de la manière dont le leadership local

accorde les contraintes partisanes aux exigences de son territoire.

En ajoutant à l’étude du cas de C.Ostrowski l’exemple de Hoyerswerda, il est aisé de

conclure que l’absence de tentatives d’homogénéisation du « centre » est inhérente aux

origines mêmes du PDS et à la volonté de ses dirigeants. L’importance du local et le respect

1288 Analysé dans le chapitre 5. 1289 J. Lagroye : « Etre du métier ». Politix, 28, 1994, pp. 5-15, p. 7.

Page 444: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

430

des particularismes font que les déviances locales ne peuvent pas exister au PDS. C’est bien

en raison de ses fonctions fédérales que C.Ostrowski a été sanctionnée.

Un comportement caractéristique dans une ville marquée par la honte :

Hoyerswerda, une ville « sans étrangers » 1290

Dès 1990-1991, la présence d’une extrême droite, muselée en RDA, se pose aux

autorités des NBL1291. En 1991 essentiellement à Rostock et Hoyerswerda, de violentes

attaques contre des foyers de demandeurs d’asile éclatent1292. De graves dysfonctionnements

des mécanismes sociaux et étatiques de contrôle couvrant l’ensemble des responsables

politiques, policiers, judiciaires sont mis en évidence à cette occasion. Les défoulements de

Hoyerswerda ont lieu alors que le Bundestag débat d’une restriction du droit d’asile, ce qui est

susceptible de conforter les agresseurs d’extrême droite dans leur mode de pensée. Ce passage

à l’acte dans l’agression est rendu possible par un sentiment de reconnaissance sociale. A

l’Ouest, des attaques criminelles du même ordre ont lieu plus tard et de manière plus

dispersée1293, qui font même davantage de victimes. La rapidité d’intervention des autorités

policières et politiques ne laisse cependant planer aucun doute sur la condamnation

catégorique de ces actes meurtriers par les pouvoirs publics.

Tandis que ces crises défraient la chronique, de nombreuses communes des NBL ont à

réagir à des initiatives racistes et violentes encouragées par ces pogroms. Alors que la

confrontation avec l’extrême droite se concrétise au sein des communes, la révision

consécutive des pratiques politiques qu’accomplissent les agents du PDS loin du pouvoir

central se double d’une désidéologisation, qui confine parfois à une banalisation du

phénomène d’extrême droite. L’attitude des maires du PDS face à l’extrême droite traduit

l’absence de concept partisan contre l’extrême droite. La manière dont le maire PDS de

1290 Traduction de « ausländerfrei ». Quelques recherches françaises portent sur l’évolution de cette ville emblématique et la transformation de ses élites politiques depuis l’unification, voir C. Perron : op. cit., ou de son administration : V. Lozac’h : Le transfert du modèle de gouvernement local ouest-allemand dans les nouveaux Länder : une comparaison entre Eisenhüttenstadt et Hoyerswerda. Thèse de doctorat en sociologie, dir. E. Friedberg, IEP Paris, 1999. 1291 Voir l’évocation de l’extrême droite en RDA dans l’introduction générale. 1292 Les 22 et 23 août 1991 à Rostock-Lichtenhagen (Mecklembourg-Poméranie antérieure), une centaine de travailleurs vietnamiens échappe à la mort en se réfugiant sur le toit de leur foyer incendié. Le même type d’exaction, également contre des demandeurs d’asile, a lieu en septembre 1991 à Hoyerswerda (Saxe). Les violences entre militants skinheads et néonazis d’un côté et forces de police de l’autre y durent plusieurs jours. Les Allemands utilisent le terme de pogrom pour désigner ces violences, parce qu’elles sont populaires, racistes, dirigées contre une catégorie définie de la population, considérée comme marginale et qu’elles semblent tolérées par les pouvoirs publics. 1293 Mölln (octobre 1992), Solingen (le 9 mai 1993 un incendie criminel tue 5 personnes d’origine turque) et Lübeck (janvier 1996).

Page 445: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

431

Hoyerswerda conçoit son rôle et exerce le pouvoir en témoigne. B. Wagner, assistant

parlementaire écologiste, qui dénonce une politique xénophobe mise en place dans certaines

communes gérées par le PDS, cite d’ailleurs Hoyerswerda comme emblème d’un

dysfonctionnement néo-socialiste en matière de politique d’immigration.

Hoyerswerda en Saxe, ville socialiste modèle de la RDA, subit durement son

changement de statut suite à la Wende. Plus de 10 000 habitants l’ont quittée depuis

l’unification après le démantèlement du combinat de charbon Schwarze Pumpe. Elle compte

53 000 habitants à la fin des années 1990 et 3 500 habitations vides. C’est une ville « sans

étrangers » (ausländerfrei), depuis que ses habitants immigrés, qui représentent désormais

moins de 1% de la population, ont été exclus de la ville en 1991. En septembre 1991 éclate un

pogrom contre les travailleurs originaires du Mozambique et du Vietnam. Deux jours plus

tard, ce sont les 200 habitants d’un foyer d’immigrés de Hoyerswerda-Neustadt qui sont la

cible d’agressions racistes. Le 21 septembre, des bus conduisent les réfugiés hors de la

commune et les dispersent de force dans diverses petites villes saxonnes1294. Depuis, la ville

n’a plus ni immigrés ni infrastructures pour les accueillir. Aux dires de la presse, la seule

réaction officielle a été la signature, par tous les partis représentés au sein du conseil

communal, d’une résolution déplorant l’« incommensurable préjudice fait à la réputation de

Hoyerswerda ». Cette résolution n’exprime aucune solidarité avec les victimes chassées de la

ville1295.

Peu après son élection en 1994, Horst-Dieter Brähmig, maire PDS de la ville, se

prononce contre le retour des réfugiés, argumentant que les habitants de Hoyerswerda « ne

sont pas encore suffisamment mûrs pour intégrer des étrangers ». La priorité est au

développement économique de la ville qui, avec 23,5% connaît l’un des taux de chômage les

plus élevés de la région. « Les gens à Hoyerswerda ont d’autres problèmes » estime Brähmig,

dont le principal est un exode massif touchant surtout la jeunesse. « Il ne faut certes pas

oublier, mais on ne peut pas réduire Hoyerswerda à cela »1296. Brähmig est fier d’être un

descendant de Charles Martel « qui a chassé les Arabes d’Europe. C’est une histoire de

famille » ajoute-t-il. De même, parmi les qualités les plus importantes pour un homme

1294 Des militants antiracistes finissent par obtenir une autorisation pour que 50 d’entre eux s’installent à Berlin. 1295 « Was aufs Maul ? », Jungle Welt, 08.07.1998. 1296 « Horst-Dieter Brähmig- Der Pragmatiker ». Stern, 16.09.1999.

Page 446: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

432

politique, il cite la tolérance et la flexibilité. Pourtant, au cours de l’entretien accordé en 1996

à C. Perron, la question du pogrom n’est pas évoquée1297.

L’attitude du maire face aux étrangers est même pour certains un motif de vote en

faveur du PDS. « Ce sont les seuls qui défendent nos intérêts. Ils n’ont plus ramené

d’étrangers par ici. » explique un ancien ouvrier de Schwarze Pumpe au chômage en parlant

du PDS. F. Vogel, superintendant protestant résume : « Brähmig est un homme intelligent,

conservateur et chrétien, qui fait énormément pour la situation économique de

Hoyerswerda. »1298 La logique clientéliste s’inverse ici, dès lors que l’intolérance face aux

immigrés constitue un motif potentiel de vote en faveur du PDS. Comment expliquer que H.-

D. Brähmig n’appartienne pourtant pas, contrairement à C. Ostrowski, à la catégorie des

déviants, sinon son absence de prétention à élargir sa sphère d’influence au-delà de sa

commune ?1299

Attachement au PDS, déviance et localisme

H.-D. Brähmig a en commun avec C.Ostrowski de relayer la volonté populaire,

indépendamment de la programmatique du parti. Il se dérobe à la discipline du parti en faisant

passer la « raison de parti » derrière la « raison d’Etat » appliquée à son territoire. Dans la

relation décomplexée de Brähmig à son parti, on retrouve certains des traits dissidents de

B. Grygier et C. Ostrowski.

L’évidence, plus identitaire qu’idéologique, du ralliement au PDS

La logique de personnalisation du pouvoir encourage l’identification d’un leader à sa

commune. Ce processus est accru par des critères de recrutement du personnel politique

propres au contexte post-communiste. Le comportement en RDA est un critère primordial de

crédibilité du personnel politique des NBL1300. Le profil des maires PDS est le signe du

renouvellement des élites locales, estime B. Wagner, directeur du ZdK. Il s’agit de 1297 Entretien du 12.12. 1996 réalisé et retranscrit par C. Perron. 1298 « Die Leute haben andere Probleme » (www.nadir.org/nadir/periodika/jungle_world/40/29a.htm, 13.08.2004). 1299 La fédération du PDS en Saxe met par exemple en avant le personnage de H.D.Brähmig. Le portrait réalisé par le magazine Stern (« Horst-Dieter Brähmig- Der Pragmatiker ») est en ligne sur le site de la fédération saxonne du PDS, http://portal.pds-sachsen.de/wahlen.asp?iid=235, 26.10.2005. 1300 La désidéologisation de la politique communale conduit en outre les partis à compter davantage sur leur personnel que sur un programme. H. Nassmacher : « Parteien und Wählergruppen in der Kommunalpolitik » in O. W. Gabriel, O. Niedermayer, R. Stöss (dir.) : Parteiendemokratie in Deutschland. Bonn : Bundeszentrale für politische Bildung, 1997, pp. 427-442.

Page 447: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

433

personnalités qui n’appartenaient pas au SED, qui ne sont pas forcément membres du parti,

pas plus qu’elles ne jouent de rôle fédéral. Au niveau professionnel, ce sont souvent de

simples employés. B. Wagner les qualifie de « bourgeois », en raison de leur caractère à la

fois conservateur et idéaliste. Il explique :

« En réalité, lorsque des hommes politiques du PDS sont au pouvoir, ils sont tout à fait bourgeois, en

admettant que l’on puisse employer un tel terme dans ce contexte. Ils souhaitent se mouvoir au milieu

du peuple et ne veulent plus entendre parler d’extrémisme, de révolution mondiale ou de toutes ces

bêtises ! Non, ils veulent seulement se consacrer au développement économique, à la création

d’emplois, à la sécurité, à l’éducation [...]. En fait, l’harmonie est leur but, ils ne veulent pas voir ce qui

se passe réellement. Ils ne se distinguent pas des autres, la situation financière de leur commune est

mauvaise et ils ont peu de jeu. Ils font de la politique communale, quoi. »

H.-D. Brähmig, semble faire partie de ces maires. Un journaliste le présente en ces

termes : « Il a l’apparence d’un intellectuel des classes moyennes ; il peste comme un libéral

contre la bureaucratie, et comme un homme politique de la CDU contre la saleté et la

criminalité dans les rues »1301.

Né en 1938 d’une famille résidant de longue date à Hoyerswerda, H.-D. Brähmig est

assistant médico-technique à l’hôpital de cette ville. Il entre au SED en 1971, deux ans après

que ce dernier lui a proposé d’exercer des responsabilités liées au domaine médical au sein du

conseil du district. Il participe aux manifestations de la Wende, mais reste membre du SED

puis du PDS. En 1990, il devient chef de la fraction municipale du PDS. Elu (de justesse)

maire de Hoyerswerda en 1994, il l’est toujours en 20051302. Premier élu PDS au poste de

maire d’une grande ville, il incarne la résurrection du parti par la gestion locale.

Sa relation au parti est marquée par le faible degré de discipline ressenti ; il la considére

comme incompatible avec l’exercice local du pouvoir. « Les partis sont faits pour les

élections. Dès lors que j’exerce une responsabilité, je ne dois plus respecter la ligne du parti »

estime H.-D. Brähmig. Il fait état de difficultés « lorsque le parti pense devoir imposer sa

politique de parti. Dans la plupart des cas, il s’agit simplement d’une politique d’opposition,

et il ne tient pas compte du fait que certains d’entre eux ont déjà des responsabilités

gouvernementales. »1303 Pour ce réformiste convaincu, la ligne politique fixée par le PDS vaut

pour l’opposition, mais les attentes des instances supérieures en matière de responsabilité

gouvernementale sont extrêmement élevées. « Cela a toujours été un parti très discipliné, je 1301 « Der Pragmatiker », op. cit. 1302 Biographie inspirée de celle de C. Perron : op.cit., p. 743. 1303 « Der Pragmatiker », op.cit.

Page 448: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

434

dois dire que cela continue à avoir des effets aujourd’hui ! »1304 Brähmig se plaint ainsi d’être

traité avec méfiance, comme quelqu’un de « profondément bourgeois ». Il estime faire figure

d’« enfant terrible » au sein de son parti. C. Ostrowski déclare pour sa part rencontrer les

mêmes difficultés que Brähmig avec le parti.

Quels facteurs expliquent que des personnalités comme H.-D. Brähmig et C.Ostrowski

soient au PDS et non à la CDU ? La réponse réside dans le regret qu’éprouve C.Ostrowski à

s’être ralliée aux anciens du SED, au lieu de fonder un nouveau parti au moment de la Wende.

Evoquant ses collègues du PDS, elle s’indigne :

« S’ils ne peuvent plus me supporter, ils n’ont qu’à me mettre dehors. Soit ils ne m’élisent pas, soit ils

m’excluent. Mais c’est très difficile d’après le statut du parti, qui est très démocratique. Tu ne peux être

exclu du PDS que si tu ne respectes pas, et de manière flagrante, les dispositions fixées par le statut.

J’attends que l’on me prouve que je l’ai fait ! C’est impossible. C’est pour cette raison que personne ne

s’en va. Au cours d’une interview (on m’avait demandé pourquoi j’étais encore avec ces gens-là au

parti) j’ai répondu : parce qu’ils ne s’en vont pas ! J’avais déchaîné les foudres ! Qu’est-ce qui me lie à

eux ? Seulement la carte du même parti. Ils le savent bien. Si c’était à refaire, je n’irai plus jamais

volontairement dans un parti avec de telles personnes. »1305

Cette rancœur à l’égard du SED perce également des propos de B. Grygier. Elle

explique ne pas être adhérente du PDS pour deux raisons. Le premier argument (« le débat y

est impossible ») cache du ressentiment. Après avoir été membre du SED durant dix ans, elle

a été rayée de la liste des adhérents, sans qu’aucun responsable du SED ne lui explique

pourquoi. « La raison pour laquelle j’ai du partir était tout simplement : ‘tu ne mérites pas de

rester dans les rangs du parti’». Or, elle rencontre souvent au PDS la personne qui lui a dit

cela. Parce qu’elle continue à poser régulièrement des questions sur son exclusion, elle est

considérée comme un « agent provocateur »1306.

Mise à l’épreuve de l’affiliation partisane par le localisme

Dans les cas analysés ici, l’attachement au parti est à l’origine de la déviance. Entendu

comme le degré d’obligeance ressenti par l’élu à l’égard de son parti, l’attachement au parti

comprend l’intensité de la filiation subjective, le degré d’intimité et de fidélité ressentis par

l’élu à titre individuel. L’exemple du maire de Hoyerswerda met en évidence la primauté du

1304 Extrait de l’entretien réalisé par C. Perron avec H.-D. Brähmig le 12.12.1994. 1305 Entretien de C. Ostrowski réalisé par C. Perron le 14.06.1996. 1306 En français dans le texte. Le second motif est politique. Grâce au principe des listes ouvertes, adopté par le premier congrès du PDS en 1990, l’adhésion n’est pas nécessaire pour s’engager, le plus important est de vouloir défendre au moins une partie du programme. Cette idée, ainsi que les contraintes de cette non adhésion sont évoqués dans le chapitre 5, section 2, A.

Page 449: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

435

localisme, en ce qui concerne la carrière, sur la filiation partisane. Il confirme la situation

observée avec C.Ostrowski à Dresde, selon laquelle l’adhésion à la programmatique du parti

et l’automatisme de sa mise en place localement n’est pas une condition à une carrière

politique pour le PDS, tant que cette dernière n’a qu’une prétention locale. La déviance

dépend donc autant du territoire de référence de l’élu que de ses prétentions en termes de

carrière politiques. Si elles se limitent à l’espace local, la déviance a peu de chances d’être

diagnostiquée et passe pour normale.

Le pouvoir de Brähmig est tout entier dans son assise locale (« J’ai grandi avec cette

ville »), une situation que le parti n’entend pas contrarier, pas plus d’ailleurs que ne souhaitait

le faire le SED.

« On m’a toujours plus ou moins laissé tranquille ! De toutes façons, je ne cadre pas très bien avec le

parti. Je suis profondément enraciné ici. Mon père était un médecin très connu. [Les dirigeants du SED]

devaient plutôt se dire (vous savez, on se posait beaucoup de questions) ‘mieux vaut qu’il soit là et qu’il

agisse pour nous ! Le principal est qu’il soit là !’ » H.-D. Brähmig.

Cette distance avec le parti est précisément selon Brähmig ce qui lui permet d’exercer

son mandat de manière « constructive » comme il dit, c’est-à-dire davantage dans une

dynamique d’alliance avec d’autres forces politiques que de défiance, qui fait primer le

contenu des propositions sur la couleur politique.

« J’ai laissé ma carte du parti dans le tiroir. Je ne peux pas faire autrement. Un maire doit être là pour

tous, comme un médecin, il ne peut pas demander : de quelle religion êtes-vous ? C’est un patient, peu

importe de quelle nationalité ou religion il est. Un appendice est un appendice. Le patient atteint reçoit

la même dévotion que les autres. On ne peut pas faire autrement ! » H.-D. Brähmig.

Brähmig remplit sa mission de maire comme un gestionnaire dont les préoccupations

sont exclusivement locales. Cette stratégie est tolérée par le parti, qui ne range pas le maire de

Hoyerswerda parmi les déviants. La déviance est ainsi conditionnée par la donne électorale et

restreinte localement, ce qui affaiblit le statut normatif de l’opposition à l’extrême droite.

Ce qui pourrait créer la déviance dans les exemples étudiés ici, c’est l’adaptation

pragmatique de consignes partisanes perçues comme inapplicables. Cette adaptation conduit

souvent les acteurs locaux à contourner des consignes qui, indépendamment du domaine traité

en particulier (ici l’opposition à l’extrême droite ), renvoient une image dogmatique des

instances fédérales. Ceci est particulièrement perceptible au travers de la politique

économique mise en place localement. L’attitude face à l’extrême droite n’est ainsi que

Page 450: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Chapitre 6- La figure du déviant ou la question de l’homogénéisation des pratiques locales par le respect de l’antifascisme

436

l’indicateur d’autres questions qui font débat au sein du parti. En témoigne l’élément

déclencheur de la Lettre de Saxe co-écrite par C.Ostrowski1307 en réaction à la manière dont le

parti a traité Harald Buttler. Le maire de Marzahn a été publiquement décrié pour avoir

cherché une solution pacifiste à un rassemblement de jeunes gens d’extrême droite, au lieu,

comme le dit C.Ostrowski, d’appeler à une « action Antifa » comme il est d’usage au PDS1308.

Le même H. Buttler avait déjà fait l’objet de vives critiques après avoir fait financer certains

travaux de son arrondissement par des investisseurs privés, faute de bénéficier des crédits

publics nécessaires. Il fait une politique économique « de droite » assène B. Grygier1309.

Pragmatique, Buttler a rompu avec le passé et considère que le PDS doit cesser de remettre en

question l’ordre garanti par la Loi fondamentale.

****

L’analyse de la gestion de la déviance par les instances fédérales du PDS, à travers le

choix d’appliquer ou non des mesures d’homogénéisation, confirme le rôle de bouclier joué

par l’antifascisme dans le milieu du PDS. En tant que refus strict et systématique de s’exposer

à l’extrémisme de droite, c’est le système immunitaire du parti qu’il défend contre les attaques

extérieures. L’antifascisme est au cœur des stratégies de gestion des crises éventuellement

mises en place par le PDS. Son statut de norme est ici vérifié.

Un isolement préalable au sein des instances partisanes (supérieures ou intermédiaires)

est la condition de l’accès d’un élu local au statut de déviant. Ne peut être déviant que celui

qui est déjà à l’écart du groupe. La déviance doit être proclamée pour exister ; masquée et

discrète comme c’est le cas de H.-D. Brähmig, voire de B. Grygier, elle est considérée comme

une marque de localisme ou d’une personnalité atypique. Dévoilée, elle est condamnée.

Finalement, la déviance est produite par la rencontre d’un style politique marqué par le

pragmatisme et des intérêts d’un territoire local qui priment sur les exigences partisanes.

Dénoncer le déviant est plus confortable pour le parti que d’avoir à interroger la normalité de

cette déviance.

1307 Voir chapitre 5, section 1, A. 1308 « Die PDS schielt nach der Macht ». Die Zeit, 04, 1997. 1309 Voir les propos de B. Grygier concernant U. Klett, successeur de H. Buttler dans le chapitre 5, section 2, A.

Page 451: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

437

CONCLUSION GENERALE

« Dans le nazisme, l’ennemi de l’intérieur est l’ennemi de la race. Dans le

communisme, l’ennemi de l’intérieur est l’ennemi du peuple. »1310 Quel rôle l’ennemi peut-il

jouer dans l’Allemagne unifiée? La République fédérale est non seulement née de l’après-

nazisme, mais depuis l’unification, elle a également dû intégrer ses anciens ennemis, les

héritiers du communisme en RDA, dans un système démocratique au sein duquel les partis

politiques jouent un rôle essentiel. Dans ce contexte, l’attitude des néo-socialistes est-

allemands face à l’extrême droite méritait d’être analysée.

Ce travail prétendait confronter la figure de l’ennemi d’extrême droite, telle que

construite, élaborée et mise en scène par l’ensemble du Parti du Socialisme Démocratique

(PDS), avec la manière dont ses agents et élus se comportent lorsqu’ils se trouvent

concrètement confrontés à l’extrême droite, sous forme d’actions ou de personnes. La clé de

cette confrontation est la confusion qui règne au sein du parti entre l’antifascisme et la lutte

contre l’extrême droite. La rhétorique officielle du PDS utilise exclusivement le premier

terme, qui permet de masquer l’absence de conceptualisation d’une action contre l’extrême

droite par le parti.

L’hypothèse avancée était que l’ennemi, pris en charge par les règles normatives,

échappe aux règles pragmatiques. Autrement dit, l’antifascisme ne peut être sacrifié, même

pour gagner une élection. L’antifascisme est règle normative en tant qu’il justifie

publiquement la ligne d’action fixée par le parti ; il est règle pragmatique parce qu’il offre

également à lui seul la tactique de jeu ou l’ensemble « des instructions pratiques quant à la

manière de gagner » 1311. La défense de l’antifascisme constitue donc à la fois le visage public

et la sagesse privée du PDS. Cette hypothèse impliquait que l’unicité de la figure de l’ennemi

1310 H. Asséo : « La construction de l’ennemi de l’intérieur en Europe aux XIXème et XXème siècles » in F. Julien-Laferrière, L. Missaoui, H. Asséo : L’Etranger. IRMC, 2002, pp. 87-102. Actes des Journées d’Etudes Identités et territoires : les catégorisations du social organisées dans le cadre du séminaire annuel de l’IRMC (Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain), à Tunis les 16-17 février 2001. 1311 F.G. Bailey : Les règles du jeu politique. Etude anthropologique. PUF, 1971.

Page 452: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

438

soit postulée comme le critère de l’inimitié. Pluriel, l’ennemi se transforme en adversaire ou

concurrent. A la question du statut normatif de l’antifascisme se joint en effet celle de la

manière dont le PDS transforme la cause antifasciste en lutte contre l’extrême droite. Le PDS

présente son opposition à l’extrême droite comme une « sélection » (Auslese) au sens que lui

confère M. Weber, c’est-à-dire comme un combat dont dépend sa propre survie. En réalité, il

s’agit d’un affrontement conditionné par les logiques électorales, d’une « concurrence »

(Konkurrenz) dans la terminologie wébérienne1312.

L’analyse effectuée nuance ce propos. Elle insiste néanmoins sur la contribution de

l’ennemi au maintien d’une identité collective propre au parti. Parce qu’il s’agit d’une

construction collective, la figure de l’ennemi se désagrège dans le jeu politique concurrentiel

pour être incarnée par d’autres réalités, lorsque les différents acteurs politiques s’y trouvent

localement et directement confrontés. La manière dont chaque agent s’approprie cette figure

met en évidence les mécanismes qui permettent à l’antifascisme de conserver son statut de

norme en dépit de la diversité des pratiques politiques.

Le respect des règles fixées par le jeu politique est directement lié au statut de l’ennemi.

L’inimitié met en jeu la destruction de l’ennemi, tandis que dans le cas d’un adversaire, il

s’agit de le vaincre. Chez M. Edelman, les ennemis sont des opposants inacceptables, non

« respectés et tenus pour légitimes ». La différence entre l’adversaire et l’ennemi réside d’une

part dans la légitimité qu’on lui accorde, d’autre part le facteur de la tradition et des rôles

investis à long terme joue un rôle décisif. Dans le cas d’un ennemi, la conviction qu’il est

nécessaire de l’éradiquer prime sur toute autre considération. L’ennemi l’est par nature,

l’adversaire par stratégie1313. L’ennemi est donc celui face auquel on peut adapter les règles du

jeu, car il convient avant tout de l’éliminer (du jeu). Les règles du jeu changent autant en

fonction de l’ennemi, de la confrontation ou non à l’extrême droite, que de l’individu qui s’y

1312 La « sélection » est une « lutte (latente) pour l’existence qui oppose les uns aux autres, sans intention significative de lutte, les individus ou les types humains en vue de leurs chances de vie ou de survie », la lutte (Kampf) une « relation sociale pour autant que l’activité est orientée d’après l’intention de faire triompher sa propre volonté contre la résistance du ou des partenaires » et la lutte pacifique s’appelle concurrence (Konkurrenz) « quand on la mène au sens d’une recherche (Bewerbung) formellement pacifique d’un pouvoir propre de disposer de chances que d’autres sollicitent également. » M. Weber : Wirtschaft und Gesellschaft Grundriss der verstehenden Soziologie. Tubingen : J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1980, 5ème édition (Studienausgabe de J. Winckelmann), p. 20. Pour la traduction: M. Weber : Economie et société. Plon, coll. Pocket, 1995. Tome 1, pp. 74-75. 1313 Dans le cas d’un ennemi, « la victoire compte moins que la destruction de l’opposant. » Par contre, « tant que les compétiteurs ne se préoccupent que de découvrir des tactiques victorieuses et de les appliquer, l’opposant reste un adversaire, que les enjeux soient minimes ou considérables. » M. Edelman : Pièces et règles du jeu politique. Le Seuil, 1991, pp. 131-132.

Page 453: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

439

trouve confronté. En cela, le critère de la personne confrontée à l’extrême droite est aussi

décisif que la forme sous laquelle l’extrême droite lui apparaît.

L’analyse effectuée permet de tirer un certain nombre d’enseignements sur l’attitude du

PDS face à l’extrême droite, mais également sur le statut et la finalité de l’ennemi en

démocratie représentative. Nous verrons dans un second temps, à l’aune de l’évolution

récente du PDS qui prend la forme d’une alliance électorale avec des dissidents et

syndicalistes déçus du SPD, que le schéma d’appréhension de l’extrême droite reste le même

chez les néo-socialistes, face à certaines dérives internes dénoncées comme racistes ainsi que

face aux tentatives d’entrisme de la scène néo-nazie. Seul le renouvellement des élites, et

l’avènement d’individus moins marqués par le dogme antifasciste de la RDA aux plus hautes

fonctions dirigeantes, est susceptible d’ouvrir la voie à un traitement décomplexé de la

pénétration de l’extrême droite dans les nouveaux Länder.

****

En ce qui concerne le premier point, la relation du PDS à l’extrême droite, quatre

éléments méritent d’être soulignés. D’une part, le décalage essentiel entre les instances

fédérales du PDS et ses acteurs locaux dans l’appréhension d’un antifascisme qui s’avère

incapable de fonder une action politique concrète contre l’extrême droite. D’autre part,

l’importance de l’arène au sein de laquelle se déroule le jeu politique. Les personnalités des

joueurs sont ensuite essentielles pour l’issue du combat. Enfin, le caractère fratricide, interne

de la guerre opposant le PDS à l’extrême droite mérite d’être souligné.

* L’étude commençait par développer les enjeux particuliers de la concurrence opposant

les néo-socialistes du PDS aux partis d’extrême droite. Ces derniers, dans leur tentative de

conversion au territoire des nouveaux Länder, insistent sur certains aspects de la culture

politique est-allemande. Ce faisant, ils renforcent le PDS, seul représentant jusqu’alors d’une

identité et d’exigences spécifiques aux nouveaux Bundesländer issus de la RDA (NBL), dans

son rôle de rempart à l’extrême droite. Les stratégies de conversion adoptées par chacun des

partis d’extrême droite diffèrent en fonction des organisations et évoluent dans le temps. La

nostalgie de la RDA privilégiée dans un premier temps s’est avérée moins en phase avec les

attentes de la population que ne semblaient l’avoir espéré les partis d’extrême droite ouest-

allemands. Au fur et à mesure que s’accroissent les ressources dont disposent les partis

d’extrême droite dans les NBL, notamment en termes de personnel, leurs revendications

Page 454: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

440

portent de plus en plus sur la défense de valeurs chères aux Allemands de l’Est, en particulier

la justice sociale.

De ce fait, la concurrence avec le PDS se fait plus ardue et conduit ce dernier à réactiver

la menace de l’extrême droite. Pour éviter d’avoir à reconnaître que son territoire naturel (les

NBL) est favorable à l’extrême droite, le PDS brandit l’antifascisme comme un bouclier.

Dans les premières années qui suivent l’unification, sa filiation au parti communiste de RDA,

le SED, notamment son héritage en matière de propagande antifasciste, constitue une

ressource primordiale pour le PDS. D’une part, ce dernier conserve les infrastructures et

ressources financières du SED. D’autre part, il utilise l’antifascisme pour conserver un lien

avec le peuple. L’antifascisme constitue en effet, avec l’idée de justice sociale, le seul héritage

positif de la RDA. Il est en outre susceptible d’être valorisé pour infléchir la tradition

anticommuniste de la RFA. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’antifascisme légitime

l’existence même de la RDA face à une RFA qui assume l’héritage du national-socialisme. De

la même manière que dès sa création en 1949, ses dirigeants présentent la RDA comme la

« bonne Allemagne » antifasciste, cet argument sert de béquille au SED dans sa mue en PDS

entre 1989 et 1991.

Pour toutes ces raisons, les instances supérieures du PDS maintiennent la rhétorique

antifasciste de la RDA et ritualisent la profession de foi antifasciste en l’élevant au rang de

norme. Néanmoins, son statut de norme et le fait qu’elle ne soit pas actualisée en regard de la

nouvelle donne issue de l’unification rend la valeur antifasciste inopérante pour l’action

politique. Ainsi, contrairement aux hypothèses formulées en préalable, la figure de l’ennemi

ne change pas dans le contexte local. C’est précisément parce qu’elle est incapable

d’adaptation qu’elle se désagrège.

Les enjeux liés à l’actualisation de l’image de l’ennemi à travers la revendication

antifasciste sont perceptibles dès 1993 à travers l’affaire Christine Ostrowski1314. Ce qui fait

1314 Cette affaire est traitée dans le chapitre 6. Pour mémoire, rappelons les événements : Leader locale du PDS à Dresde (Saxe), Christine Ostrowski vient d’être élue co-vice-présidente du PDS lorsqu’en mars 1993, l’hebdomadaire Der Spiegel rend publique sa rencontre survenue deux mois auparavant avec le chef régional d’une organisation néo-nazie interdite (Nationale Offensive). Les autorités de son parti ne pardonnent pas à C.Ostrowski de s’être laissée piéger par un dirigeant néo-nazi et la soupçonnent d’être sensible aux arguments de la Nouvelle droite. Lorsque C.Ostrowski, interrogée par la presse locale, tente de se justifier, elle commet un impair bien plus grave en déclarant qu’il existe de fortes similitudes dans les exigences sociales du PDS et de Nationale Offensive. La direction fédérale du PDS, fortement appuyée par la fédération saxonne du PDS, qui supporte mal tant la popularité d’Ostrowski à Dresde que sa personnalité, exige sa démission. En dépit du soutien que lui apporte la section locale de Dresde, Ostrowski démissionne. Sur ordre du parti, elle se fait oublier un moment, avant d’être la candidate officielle du PDS à la mairie de Dresde l’année suivante (en 1994) et d’être élue la même année députée au parlement régional (Landtag) de Saxe. Aucun débat de fond n’est engagé sur la démarche d’Ostrowski. Le parti règle la question en réaffirmant son attachement à l’antifascisme.

Page 455: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

441

scandale dans le cas de ce leader du PDS à Dresde, contraint à démissionner de son poste de

vice-présidente du PDS, n’est pas tant le fait qu’elle ait accepté de rencontrer en catimini le

dirigeant d’une organisation néo-nazie, que ses déclarations lorsque l’affaire est devenue

publique. En rendant compte publiquement de « similitudes dans les exigences sociales

jusque dans leur formulation » entre son parti et une organisation néo-nazie, elle ouvre la voie

à la reconnaissance de la proximité existant entre le PDS et l’extrême droite.

Or depuis sa création, le parti s’évertue (c’est toujours, voire davantage encore le cas en

2005) à masquer le fait qu’une communauté de convictions existe entre ses sympathisants

(catégorie qui regroupe son électorat captif et ses adhérents) et l’extrême droite. Le potentiel

de l’extrême droite dans la société est-allemande est important, bien que la propagande

antifasciste héritée de la RDA semble immuniser contre l’acte de vote en faveur de l’extrême

droite. La xénophobie notamment est un sentiment répandu en Allemagne de l’Est, en raison

notamment de la politique d’immigration du SED, qui offrait aux étrangers un statut

particulier, privilégié sur certains points. Le communautarisme imposé par le régime

empêchait tout contact entre les Allemands de l’Est et les travailleurs et étudiants invités des

pays amis. L’internationalisme prôné par les autorités de la RDA conduit en réalité à une

société ethniquement homogène. Ceci constitue un obstacle important à l’acceptation de la

population étrangère par la société est-allemande, surtout dans le contexte de crise

démographique, de crise de l’emploi et de restructuration sociale, économique et politique qui

caractérise les nouveaux Länder après l’unification.

Le scandale Ostrowski fonctionne ainsi comme un révélateur de toutes ces

contradictions qui existent au sein du PDS. En cela, c’est un « moment de transformation

sociale »1315 qui met le PDS à l’épreuve.

* L’arène dans laquelle se déroule le jeu politique est d’une importance primordiale.

Dans les milieux où la manière dont le parti se met en scène est primordiale, telles les arènes

parlementaires, l’opposition à l’extrême droite occupe une place centrale dans le discours du

PDS. Dans ces enceintes, la problématique est déléguée à des experts souvent apparentés et

issus du milieu associatifs. Leur but est de donner du PDS l’image d’une force politique

résolument engagée contre l’extrême droite. Ces experts sont les vitrines du PDS en

1315 D. De Blic, C. Lemieux : « Le scandale comme épreuve. Eléments de sociologie pragmatique ». Politix, 71, 2005, pp. 9-38.

Page 456: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

442

République fédérale ; ils relaient auprès de l’opinion publique fédérale l’image que le PDS

souhaite donner de lui.

A l’inverse dans les communes, la confrontation de personnalités joue un rôle

primordial dans la gestion des affaires courantes. Ces interactions donnent son sens plein à la

notion de configuration définie par N. Elias. En tant que « figure globale toujours

changeante » que forment plusieurs hommes entre eux dans une interdépendance, une

configuration étudie les interdépendances humaines. Elle inclut « non seulement leur intellect,

mais toute leur personne, les actions et les relations réciproques »1316. L’intérêt porté à

l’individu et aux interactions entre les individus d’une part, l’idée que les règles du jeu

préexistent aux interactions et ne sont pas élaborées au cours du jeu d’autre part méritent

d’être empruntés à N. Elias. La confrontation avec l’extrême droite est une épreuve, dont

l’issue dépend du déroulement du jeu. L’analyse de différentes chaînes d’interdépendance à

laquelle se livre la seconde partie de la thèse nécessite de tenir compte de la totalité des

rapports sociaux qui structurent l’interaction politique, y compris de l’histoire du parti et des

dépendances produites par les configurations. Les configurations observées illustrent l’idée

développée par B. Pudal selon lequel un parti n’est ni un chose ni des choses successives,

mais le « produit objectivé d’une pratique ». En cela, il n’est que « l’ensemble des opérations

par lesquelles des agents sociaux communient en son nom »1317 .

Le fonctionnement même du jeu politique altère la figure de l’ennemi. La multiplicité

d’individus qui combattent ou incarnent l’extrême droite ainsi que la multitude même des

intérêts et des ressources qui sous-tendent ces engagements annihilent l’existence d’un

ennemi, qui ne peut exister que par son unicité. Ainsi faut-il en déduire que si l’existence de

l’ennemi prouve que l’interaction est de type politique, cela ne signifie en rien que sa

présence est forcément conciliable avec les règles du jeu politique. Ne serait-ce que parce que

le jeu auquel se prêtent les extrémistes de droite ne respecte pas les mêmes règles.

* Les trois cas étudiés localement révèlent en outre l’importance du rôle que jouent les

personnalités des acteurs politiques. Plongé dans le conseil d’arrondissement de

Hohenschönhausen (Berlin-Est), au sein duquel le PDS a la majorité absolue, l’élu du parti

Republikaner d’extrême droite Thomas Kay force certains de ses traits de caractère pour

modérer un rapport de force qui lui est défavorable. Enjôleur, conciliant, sympathique, il tire

1316 N. Elias : Qu’est-ce que la sociologie ? (Was ist Soziologie ?). Edition de l’Aube, 1991, pp. 154-161. 1317 B. Pudal : Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF. FNSP, 1989, respectivement p. 29 et p. 13.

Page 457: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

443

un profit personnel de la supériorité numérique du PDS en ralliant les autres forces politiques

à son opposition au PDS.

Bärbel Grygier, maire de cet arrondissement, incarne le guide investi d’une mission de

lutte contre l’extrême droite. Ses traits de caractère, notamment la propension à la

provocation, alliés à une certaine distance avec l’arrondissement et à une proximité avec le

milieu écologiste, créent les conditions favorables à la mise en place d’un programme

d’action contre l’extrême droite. Ce programme tire les conclusions d’une analyse scientifique

de la situation de l’extrême droite dans l’arrondissement. Pour ces mêmes raisons, les autres

élus du PDS témoignent par contre une certaine méfiance au maire d’arrondissement,

accentuée par le fait que B. Grygier n’est pas membre du PDS. Ce statut d’apparenté au parti

est courant parmi les experts de la question de l’extrême droite au PDS ou les engagés dans ce

domaine. Nombreux sont également ceux qui ont adhéré tardivement au PDS. B. Grygier est

de ceux qui se démarquent en agissant, sans qu’il puisse être question de briser le tabou. Elle

prend seulement des mesures contre l’extrême droite qui dépassent les exigences de son parti.

Le fait qu’elle s’engage autrement qu’en renouvelant publiquement ses voeux antifascistes a

des effets négatifs sur sa carrière politique au sein du PDS. Considérée comme difficilement

contrôlable par son parti, elle perd l’affrontement antifasciste, parce qu’elle refuse de jouer

selon les règles du PDS. B. Grygier ne fait cependant pas partie des déviants, parce que

contrairement à C.Ostrowski, elle ne remet pas en cause le consensus antifasciste du PDS.

La réflexion initiée ici met en évidence les effets des particularismes locaux. L’exemple

de la Saxe et de sa capitale, Dresde, dévoile l’immixtion des micro-régionalismes dans les

affaires fédérales du parti. Ce que cache l’affaire Ostrowski, ce sont également les conflits

engendrés par la superposition des identités et des niveaux d’organisation du PDS. Les

mécanismes de gestion des crises propres à la culture du consensus et à l’identité dresdoise ne

sont pas solubles dans les règles édictées par la fédération régionale, dont le centre du pouvoir

se situe au Parlement régional (Landtag) de Saxe. Ceci explique qu’en dépit de la

marginalisation relative de C.Ostrowski au sein des instances fédérales et régionales du PDS,

celles-ci la maintiennent dans son fief.

Le pouvoir d’un leader local se mesure souvent au fait qu’il bénéficie ou non de la

protection de la section locale du parti. B. Grygier et C.Ostrowski se distinguent sur ce point.

C.Ostrowski bénéficie d’une forte implantation dans la capitale de la Saxe. Cette implantation

la protège en partie des mesures disciplinaires prises à son encontre par son parti, qui n’a pas

avalisé sa rencontre avec un cadre néo-nazi.

Page 458: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

444

L’analyse de l’action locale d’agents du PDS (des maires comme B. Grygier et

W. Friedersdorff ou des leaders comme C.Ostrowski) face à l’extrême droite renvoie en effet

directement à la nature des réseaux de ces agents et des milieux qui les soutiennent. De

bonnes relations avec les instances centrales du parti sont une condition nécessaire à la

promotion d’un agent, d’une fonction locale à l’exercice de responsabilités à un niveau

supérieur, voire de fonctions ministérielles. W. Friedersdorff qui, en tant que maire, se plie

strictement au rituel antifasciste, est appelé à assumer des responsabilités au sein d’un

ministère régional (Land).

Le respect des consignes édictées par le parti en termes d’attitude face à l’extrême droite

n’est cependant vérifiable qu’auprès des agents exerçant leur activité politique au sein des

communes. Seuls ceux qui exercent des responsabilités locales sont contraints de transformer

l’antifascisme en action contre l’extrême droite. Les autres élus et dirigeants néo-socialistes

peuvent (et doivent) se contenter de se prêter au rituel fixé par le PDS en clamant leur

attachement à l’antifascisme dès que l’occasion se présente, sans spécifier surtout le contenu

de cette valeur.

En raison de la fonction de ciment identitaire que remplit l’antifascisme au sein du PDS

et du label démocratique qu’il confère, aucun doute ne doit planer sur l’adhésion de ses agents

à la croyance antifasciste. Indépendamment des convictions partagées par la base,

indépendamment des choix politiques faits localement lorsque le PDS est au pouvoir, ses

agents doivent se plier à la norme antifasciste, là où le PDS est visible pour l’opinion

publique. A titre individuel comme collectif, cette mise en scène est en outre une profession

de foi autorisée à la RDA. Par son biais, les sympathisants et les dirigeants du PDS peuvent

reconnaître positivement l’existence d’un lien biographique et identitaire avec la RDA, sans

que leur conversion au nouveau régime ne soit remise en question.

En dehors de l’obligatoire profession de foi, qui contraint chaque militant du PDS à se

déclarer antifasciste, l’investissement de la cause anti-extrême droite est le fait d’individus qui

agissent, ou plutôt réagissent, en fonction de propensions et de ressources propres. Les

figures développées dans ce travail comme autant d’idéaux types incitent à concevoir

l’attitude face à l’extrême droite plus comme une affaire de pratiques politiques que

d’idéologie. Face à un consensus humaniste dont la validité est exclusivement performative,

la traduction par le PDS de l’idéologie antifasciste en pratique politique contre l’extrême

droite est moins une affaire collective que le fruit d’une identité individuelle, entendue au

double sens de trajectoire sociale et de personnalité.

Page 459: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

445

L’approche choisie dans le cadre de ce travail souhaite replacer l’individu au centre de

l’activité politique ; elle accorde autant d’intérêt à son savoir-être, qu’à ses savoir-faire et

savoir-dire. Le traitement de la problématique de l’extrême droite, y compris son

instrumentalisation, est ainsi fonction de la manière dont des personnalités dénoncent ou

acceptent la présence de l’ennemi à l’intérieur, aussi variées soient les réalités que recouvre ce

terme. Le maire de Hohenschönhausen B. Grygier, en acceptant de jouer le rôle du médiateur

pour permettre la réalisation d’une étude relative au poids de l’extrême droite dans

l’arrondissement, s’attache à débusquer l’ennemi. Non seulement elle accepte ainsi que soit

mise en évidence la forte présence de l’ennemi à l’intérieur même de son arrondissement,

mais en plus elle la dénonce publiquement, en exigeant que l’étude propose également des

mesures pour endiguer ce phénomène1318. C. Ostrowski au contraire ne se révolte pas contre la

concurrence de l’extrême droite ni dans les esprits ni dans les urnes. Elle accepte ce fait

comme une condition de son activité politique et s’y plie en considérant que la xénophobie

relève de la normalité.

Les études de cas réalisées dans le cadre de cette recherche mettent à jour des éléments

représentatifs du milieu PDS. L’arrondissement de Lichtenberg est en quelque sorte notre

Middletown1319. En tant que « communauté des évidences », l’antifascisme remplit au PDS

une fonction homogénéisante assimilable à celle de la norme culturelle dans l’approche

culturaliste. Il permet à chaque agent de s’adapter au parti, appréhendé en tant qu’organisation

sociale, car il gomme la pluralité des personnalités1320.

* L’étude réalisée ici confirme le caractère fratricide de la guerre, en raison de la

présence de l’ennemi jusque à l’intérieur même du parti. Si l’ennemi est nécessaire au

politique, ce n’est pas tant pour jouer le jeu du politique (l’adversaire et le concurrent

suffisent), mais parce qu’en tant que référent, il remplit des fonctions partisanes essentielles,

qu’elles soient identitaires en interne ou de mise en scène de soi en externe. Tel est l’apport de

l’analyse d’un parti à travers le prisme de sa relation à l’ennemi : l’attitude du PDS face à

1318 Voir le chapitre 5. 1319 Nom donné à Muncie, petite ville de l’Indiana, choisie pour sa représentativité et devenue idéal-type d’une Amérique urbaine, industrielle et blanche. H. et R. Lynd : Middletown. A Study of American Culture, 1929 pour la première étude. 1320 Sur cette question, voir M. Grawitz : Méthodes des sciences sociales. Dalloz, 2001 (11ème éd.), p. 118 et 770.

Page 460: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

446

l’extrême droite reflète la vraie nature du parti et la volonté de ses dirigeants1321. Son principal

apport est la mise en évidence d’une contradiction essentielle : les dirigeants sont contraints

d’ignorer (au sens volontariste du terme) la présence de l’ennemi à l’intérieur même de leur

parti. Notons que C. Schmitt lui-même reconnaissait l’existence d’un ennemi public « du

dedans », en évoquant entre autres les ennemis du peuple durant la Révolution française.

C’est d’ailleurs ce concept qui offrit aux nationaux-socialistes la base conceptuelle justifiant

leur politique antisémite1322.

En tant que l’une des variations possibles sur le thème de la relation entre ami et

ennemi, le rapport que le PDS entretient avec l’extrême droite se caractérise par la qualité non

seulement pérenne, mais également fratricide de la guerre. Elle est guerre civile, intestine au

sens allemand de Bürgerkrieg (littéralement entre frères)1323. En réalité, l’ennemi, intime et

infiltré, est à l’intérieur. Peut-être faut-il concevoir sous cet angle les principales critiques

faites à la théorie de l’ennemi de C. Schmitt. Il lui a été reproché d’une part de n’accorder

qu’une attention secondaire à l’ami, d’autre part de traiter essentiellement de politique

étrangère, ce qui le conduit à ne pas préciser la notion d’ennemi d’Etat. Les deux questions

sont liées, elles sont les deux faces du même problème : l’ennemi n’est pas extérieur mais

profondément intérieur. « L’ennemi est notre propre remise en question personnifiée…

L’ennemi se tient sur le même plan que moi. C’est pour cette raison que j’ai à m’expliquer

avec lui dans le combat, pour conquérir ma propre mesure, ma propre limite, ma forme à

moi. » écrit C. Schmitt1324. Cette thèse s’efforçait de transposer l’analyse schmittienne de

l’usage politique qu’un Etat fait de l’ennemi, selon laquelle l’Etat a intérêt à se désigner un

ennemi à l’intérieur d’un parti politique.

L’attitude du PDS face à l’extrême droite dépasse la seule mise en scène émotionnelle et

performative au quotidien pour devenir guerre1325, c’est-à-dire organisation de l’exercice

réciproque de la violence physique. Dès sa création, une guerre oppose le PDS,

essentiellement à travers ses milieux antifascistes, à l’extrême droite. Les néo-socialistes, en

1321 J. Derrida insiste d’ailleurs sur la composante « téléologiquement politique » de la conception schmittienne de l’ennemi, qui souligne la finalité politique de l’ennemi. Politiques de l’amitié. Galilée, 1994. 1322 C. Colliot-Thélène : « Carl Schmitt à l’index ? ». Le Débat, 9-10, 2004, pp. 128-137. Egalement R. Gross : Carl Schmitt und die Juden. Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp, 2000. 1323 J. Derrida : op. cit., p. 171. 1324 C. Schmitt : Théorie du partisan in La notion de politique. Flammarion, 1992, p. 294. 1325 « Les concepts d’ami, d’ennemi, de combat tirent leur signification objective de leur relation permanente à ce fait réel, la possibilité de provoquer la mort physique d’un homme. » écrit C. Schmitt : La notion de politique, p. 71. Il définit en outre la guerre comme « ce moyen extrême de la politique » (das extremste politische Mittel), ce qui n’est pas sans rappeler la thèse politique développée plus tôt par Karl von Clausewitz dans De la guerre.

Page 461: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

447

tant qu’uniques porteurs de l’identité communiste dans l’Allemagne unifiée, deviennent eux-

mêmes la cible d’agressions commises par des extrémistes de droite. Le néonazi K. Diesner

est emprisonné, après avoir en 1992, mutilé Klaus Baltruschat, le responsable de la librairie se

trouvant dans les locaux du PDS à Berlin, d’un coup de revolver. « Diesner pensait : peu

importe qui je touche dans cette maison, il a quelque chose à voir avec le PDS, tous sont des

adversaires potentiels. »1326. Le PDS saisit l’occasion qui lui est offerte de se poser en martyr

de la violence d’extrême droite. Cet argument facilite le passage du relais de l’antifascisme

d’une RDA idéocratique à une opposition démocratique à l’extrême droite, qui trouve sa place

en RFA.

L’inadéquation de l’image de l’ennemi avec la réalité de l’extrême droite place les néo-

socialistes du PDS en situation de perdre la guerre1327. Dès lors que l’extrême droite ne se

borne plus au rôle de faire-valoir du PDS, dès lors que son comportement ne correspond pas à

l’image qu’en a le PDS, l’extrême droite réussit à faire exploser les repères constitutifs du

clivage ami / ennemi. Au sein du conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen, le

représentant des Republikaner T. Kay parvient ainsi à transférer l’animosité sur le PDS1328.

Si l’incarnation de l’extrême droite n’altère pas la figure de l’ennemi, c’est précisément

parce que le PDS refuse d’opérer les reclassements qu’exige la présence de l’extrême droite à

l’intérieur même de son organisation. Face à la défiguration de l’ennemi qui en découle, le

PDS se retrouve dans la situation analysée par E. Goffmann du « jobard » mis devant la

réalité de la supercherie. C’est sa stratégie d’adaptation à l’échec qu’a esquissé ce travail, en

tentant de distinguer ceux qui s’opposent à l’extrême droite « à la suite d’un échec » de ceux

qui le font « en vertu d’un succès »1329. Dès lors, la fonction d’épouvantail et la bonne

conscience morale que procure la seule défense de l’antifascisme suffisent pour assurer la

cohésion du parti.

1326 L’ancien néonazi Hasselbach consacre un chapitre de son témoignage à Diesner, il y exprime son sentiment de culpabilité pour l’avoir formé et converti à la scène. I. Hasselbach, W. Bonengel : Die Abrechnung. Ein Neonazi steigt aus. Berlin: Aufbau Taschenbuch Verlag, 2001, p. 140. 1327 Le fait de jouer au « concours de réminiscences » en ne réactualisant pas cette image induit une discordance entre « la représentation dont s’inspire leur stratégie et la réalité qui lui fait face ». Il faut « un minimum de correspondance entre le portrait-robot et la réalité » pour ne pas perdre la guerre. R. Rémond : « La droite ressemble-t-elle à l’idée que s’en fait la gauche ? » Projet, 175, 1983, pp. 454-463. Les difficultés rencontrées par le PDS pour faire tenir à ses élus la ligne de conduite face à l’ennemi sont proches des erreurs commises par la gauche française selon R. Rémond, qui traite la droite comme une « nature immuable ». L’amalgame que fait le PDS entre la droite et l’extrême droite, qui pousse à sous-estimer cette dernière, résulte de cette stratégie qui consiste à n’accepter l’ennemi qu’au singulier. 1328 Voir le chapitre 4. 1329 E. Goffman : « Calmer le jobard: Quelques aspects de l’adaptation à l’échec » in E. Goffmann : Le parler frais d’E. Goffman. Les Editions de Minuit, 1969, pp. 277-300.

Page 462: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

448

L’opposition systématique et de principe à l’extrême droite fonctionne au PDS comme

une croyance soumise aux contraintes de l’action politique. L’ennemi soumis aux règles du

jeu politique, son statut d’hostis doit être révisé, au profit dans certains cas de celui

d’inimicus1330. L’idéal-type de la militarisation, c’est-à-dire la guerre déclarée et l’artillerie

déployée, ne constitue qu’une simple représentation de l’extrême droite au PDS1331. Elle

correspond à l’ennemi réifié et non réel.

Toute action initiée par un agent du PDS est doublement contrainte par le rite

antifasciste. D’une part, elle subit le poids d’un précepte égalitariste qui, à l’instar de

l’antifascisme, ne se traduit pas en pratique, bien qu’il ait été fortement intériorisé par la

population est-allemande1332. Les NBL et le PDS occupent d’autre part une place singulière

dans l’espace postcommuniste en raison d’un « mimétisme culturel » qui, accompagnant le

transfert institutionnel, a favorisé l’assimilation (au moins en théorie) des exigences

démocratiques. Le refus tacite de l’expression publique de penchants xénophobes et

discriminantes a été particulièrement intériorisé par les élites est-allemandes, du fait même de

l’unification1333. La procédure par transfert de système choisie exigeait en effet des élites est-

allemandes une intériorisation rapide des valeurs de la RFA. Si ce décalage né de la double

intériorisation de l’antifascisme et du conformisme explique l’attitude ambiguë des

sympathisants du PDS à l’égard de l’extrême droite, il crée également un espace au sein

duquel la croyance antifasciste et les sentiments xénophobes sont conciliables. Parce qu’il

définit les critères de l’entre-soi, l’ennemi n’est plus uniquement le critère du politique, il est

la garantie du bon déroulement de sa compétition. Pour le PDS tout du moins, c’est la raison

pour laquelle ses adversaires s’évertuent à essayer d’ébranler cette image de parti antifasciste.

Ceci est particulièrement perceptible dans l’épisode pré-électoral de l’alliance avec la WASG,

évoqué plus loin, ou encore dans l’attitude qu’adopte l’élu d’extrême droite T. Kay, désireux

d’ébranler l’ordre régnant à Hohenschönhausen.

****

1330 Selon la distinction opérée par C. Schmitt pour distinguer l’ennemi public (hostis) de l’ennemi privé, rival, concurrent (inimicus). C. Schmitt : La notion de politique, p. 67. 1331 M. Edelman : op.cit. 1332 « A l’Est, le postulat de l’égalité a été intériorisé infiniment plus souvent qu’à l’Ouest, qu’un écartement de la norme est même perçu comme un déficit moral ». B. Faulenbach : « Extrémisme de droite et culture politique en Allemagne ». Allemagne d’aujourd’hui, 156, 2001, p. 98. 1333 C. Perron : La transformation des élites politiques locales… Thèse de doctorat, pp. 651-652.

Page 463: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

449

Cette étude permet en outre de tirer des enseignements sur l’ennemi en démocratie, en

montrant d’abord que l’opposition à l’extrême droite témoigne de la conversion du PDS à la

démocratie, ensuite que le principe même de l’exclusion conditionne le fonctionnement du

politique sur un mode démocratique.

* La figure de l’ennemi participe du spectacle politique en démocratie tout autant qu’en

dictature. Structurée par le discours antifasciste, la réalité de la lutte contre l’extrême droite

échappe aux logiques de démarcation et de déviance. Ainsi, même les agents du PDS dont le

comportement face à l’extrême droite n’est pas calqué sur la ligne de conduite fixée par le

parti, telles C.Ostrowski et B.Grygier, usent également du référentiel antifasciste et du

vocable « fasciste » pour désigner les dirigeants d’extrême droite. Cette injure remet en cause

le droit du camp adverse à la représentation.

La force du discours anti-extrême droite du PDS est d’être à la fois un discours

foncièrement politique et « sans opposants », c’est-à-dire qui concerne « des systèmes

d’énoncés qui ne se heurtent pas à l’opposition concertée d’acteurs organisés »1334. C’est ce

qui vaut à ce discours son statut de référent identitaire. En revendiquant de manière exclusive

les discours antifascistes et antiracistes, le PDS se fait pourtant plus d’ennemis que d’amis,

comme nous l’avons vu au sujet de l’extrême gauche1335. Chez les écologistes et les sociaux-

démocrates également, l’instrumentalisation de l’antifascisme fonctionne comme un obstacle

à une alliance avec le PDS. Celui-ci a pour point commun avec l’extrême droite de ne pas

avoir d’ami officiel dans la période étudiée ici. Ces deux acteurs de la vie politique allemande

sont d’ailleurs souvent analysés sous l’angle de leurs alliés potentiels. On va souvent chercher

du côté des sociaux-démocrates ou de l’extrême gauche pour trouver des amis au PDS, tandis

qu’on tente d’expliquer le phénomène actuel de l’extrême droite à travers l’histoire de ses

prédécesseurs. Un parti politique qui n’a pas de partenaire établi déclaré attire en effet la

suspicion.

En tant qu’il traduit une logique politique et qu’il renvoie à une tradition historique,

l’ennemi d’extrême droite joue au PDS un rôle similaire à l’antisémitisme dans certains pays

post-communistes d’Europe centrale. Le mot « juif » y constitue une métaphore dans la

1334 Pour une analyse en ces termes des discours humanitaire et antiraciste, voir P. Juhem : « La logique du succès des énoncés humanitaires : un discours sans adversaires ». Mots, 65, 2001, pp. 9-26. 1335 A l’instar de la critique formulée par P-A. Taguieff au sujet de l’instrumentalisation de l’antiracisme par les antiracistes dans le combat politique. « Réflexions sur la question antiraciste ». Mots/ Les langages du politique, n°18, 1989, pp. 75-93.

Page 464: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

450

rhétorique nationaliste qui englobe tout ce qui est anti-national1336. Ce qui se joue pour le PDS

dans la conversion de préceptes idéologiques antifascistes en action démocratique, c’est la

recherche d’une identité nationale pan-allemande qui soit en harmonie avec sa « vision du

monde » (Weltanschauung).

L’opposition à l’extrême droite accompagne en effet la mutation démocratique du PDS.

Le principe de l’exclusion, inhérent au fonctionnement démocratique, trouve en l’extrême

droite un objet qui permet au PDS d’adopter une position moralisatrice susceptible de trouver

un écho favorable en RFA. Cette stratégie du PDS s’avère pourtant contre-productive.

L’usage publicitaire qu’il fait de l’antifascisme est proche de celui des groupes de l’extrême

gauche se revendiquant exclusivement de l’antifascisme, les Antifas. L’adoption d’une

stratégie similaire stigmatise le PDS et constitue dès lors un obstacle à sa politique

d’alliance1337.

* Le principe de l’exclusion est inhérent au fonctionnement démocratique du politique.

La spécificité des démocraties représentatives dans la gestion du conflit entre amis et ennemis

renvoie au scepticisme de C. Schmitt sur la démocratie. Selon lui, la démocratie pluraliste

articule deux principes qui se contredisent de manière insurmontable. L’un, représentatif,

désigne la délégation de la volonté populaire à des représentants, l’autre, libéral, fonde la libre

compétition des candidats à la représentation1338. La conjugaison de ces principes place les

meilleurs orateurs en position de pouvoir. Socrate et Platon reprochaient déjà aux Sophistes

de considérer la politique comme un jeu. La démocratie pluraliste prolonge en outre la

restriction de l’iségoria, le droit pour chacun de parler à l’Assemblée dans l’antique

démocratie athénienne. Elle exclut de fait du processus discursif et décisionnel une partie de

la population1339. « Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de démocratie qui ait ignoré le concept

d’étranger et qui aurait réalisé l’égalité de tous les hommes » soutient C. Schmitt1340. Ainsi,

1336 M. Wieviorka : La démocratie à l’épreuve. Nationalisme, populisme, ethnicité. La Découverte, 1993, p. 54. Dans la relation ambiguë de certains peuples centre-européens à l’antisémitisme, on retrouve les deux logiques de racisation « X est Arabe, donc délinquant » et « X est délinquant, donc Arabe » dénoncées par P.-A. Taguieff : « Du racisme au mot “race”: comment les éliminer? ». Mots, 33, 1992, p. 235. 1337 La relation du PDS avec cette partie de l’extrême gauche est analysée dans le chapitre 2, section 2. 1338 C. Schmitt : Parlementarisme et démocratie. (Die geistlichgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus) Seuil, 1988. 1339 La démocratie directe y était possible au prix de l’exclusion des femmes, des esclaves et des « métèques » (Grecs étrangers à la Cité). 1340 Pas même « l’Etat le plus démocratique » que sont selon lui les Etats-Unis. C. Schmitt : Parlementarisme et démocratie, pp. 108-109.

Page 465: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

451

l’importance du discours, comme composante du spectacle politique d’une part et le principe

de l’exclusion d’autre part sont inhérents au mode de fonctionnement démocratique du

politique et ne sont pas spécifiques à la forme de démocratie dominante en Europe1341. Il

convient d’en déduire que l’exclusion est inhérente au processus d’adaptation du PDS à la

démocratie représentative de la République fédérale d’Allemagne. La cible de l’exclusion,

parce qu’elle est visible, doit pouvoir être assumée. Parmi les ennemis traditionnels ou

potentiels de la gauche et de l’héritage communiste, l’anticapitalisme ne peut plus remplir ce

rôle, ne serait-ce que pour des raisons de cohérence eu égard à la composition

socioprofessionnelle du parti et à celle de l’électorat qu’il convoite. Le fait de transformer

l’extrême droite en cible du principe d’exclusion du PDS présente également l’avantage de

limiter les penchants de la base du PDS à lui succomber, en les condamnant par un discours

moralisateur.

La prise en compte du facteur électoraliste jusque dans l’état de guerre conduit à

s’interroger sur l’existence même de l’ennemi politique. S’il souffre la gradation, l’ennemi

pourrait ne pas être absolu. Or, la volonté d’élimination de l’extrême droite par le PDS étant

systématique, nous avons considéré qu’elle répondait aux critères de l’ennemi absolu. Si l’on

suit J. Derrida, qui considère l’ennemi absolu chez Schmitt comme « l’ennemi de classe, le

bourgeois et le capitaliste occidental, partout où il impose son ordre social »1342, l’inimitié

renvoie à un modèle de société. Sa prétention sociétale est par ailleurs contenue dans la

définition juridique de l’extrémisme prévalant en République fédérale, selon laquelle la

finalité de l’extrémisme est le renversement du système en place. Se pose dès lors la question

de la portée des tentatives de (re)socialisation par le bas mises en place par l’extrême droite

dans les NBL. Quinze ans après l’unification, ces stratégies ont évolué vers l’encadrement

d’un mécontentement populaire qui permet un recrutement intergénérationnel. Cette évolution

va de pair avec une normalisation du PDS qui l’entraîne sur la voie de la neutralisation des

problématiques alternatives, marginales ou simplement non susceptibles de susciter une

adhésion populaire1343.

1341 « La plupart des groupes sociaux doivent l’essentiel de leur cohésion à leur pouvoir d’exclusion, c’est-à-dire au sentiment de différence attaché à ceux qui ne sont pas ‘nous’ » rappelle R. Hoggart : La culture du pauvre. Essai sur le style de vie des classes populaires en Angleterre. Editions de Minuit, 1970, p. 117. 1342 J. Derrida : op.cit., p. 170. 1343 Le terme de normalisation insiste autant sur la capacité du PDS à se conformer aux règles de la démocratie représentative, que sur sa volonté d’être considéré comme un parti comme les autres. Il comprend le souhait des dirigeants à faire en sorte que l’action du PDS ne soit plus considérée uniquement en regard de l’héritage du SED.

Page 466: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

452

L’élévation de l’antifascisme au rang de norme est la réponse du PDS aux exigences de

la démocratie pluraliste1344. Les difficultés liées à l’acceptation du pluralisme au sein du parti

travaillent celui-ci en continu. L’unicité d’opinions, parce qu’elle est plus confortable, se

retrouve dans la stratégie d’homogénéisation développée par le parti, pour tout ce qui

concerne l’extrême droite. Le parti accepte le débat interne sur des questions aussi révélatrices

d’un conflit idéologique interne que la reconnaissance du profit en économie. Les débats

précédant l’adoption du nouveau programme du PDS lors du Congrès de Chemnitz le 26

octobre 2003 en témoignent. La nécessité de réaffirmer l’adhésion au socialisme est

rapidement adoptée, parce que c’est un élément fondateur du parti, revendiqué par la

multitude des courants le composant. Il en constitue le socle idéologique, le degré zéro de

l’adhésion au PDS. Pour sa part, la formulation de l’acceptation du profit ne relève pas de

l’immuable, du non négociable au PDS. Là, le parti se déchire. La diversité des

positionnements sur cette question n’est que le reflet de la pluralité des opinions tolérées par

le PDS, du folklore marxiste aux réformes sociales-démocrates.

La question de l’antifascisme dépasse l’opposition, certes fondamentale, entre

socialisme et libéralisme ; elle va au-delà de la seule définition de la catégorie de groupes

sociaux dont le parti représente les intérêts. K. von Beyme actualise l’analyse de S. Rokkan en

ajoutant deux clivages contemporains1345. Le premier est consumériste et distingue les

individus et groupes qui privilégient une croissance reposant sur la société de consommation,

et ceux qui choisissent un mode de développement plus qualitatif. Le second est central pour

ce qui nous intéresse. Il repose sur la protection de l’Etat-providence et distingue ceux qui en

bénéficient de ceux qui en sont exclus. Transposée à l’analyse des partis, cette distinction met

en évidence les courants politiques existants en leur sein. Ce clivage a une importance

croissante certes sur l’évolution de l’offre idéologique du PDS, mais également sur sa relation

à l’extrême droite. Les deux clivages contemporains identifiés par K. Von Beyme pourraient

en effet être au cœur de la deuxième tentative de conquête des NBL par les partis d’extrême

droite.

1344 M. Lazar fait une analyse proche au sujet du PCF lorsqu’il estime que le communisme français « fait de l’antifascisme et de sa propre action durant le Front populaire une lettre d’accréditation dans l’arène démocratique. » M. Lazar : Le communisme, une passion française. Perrin, 2002, p. 105. 1345 K. Von Beyme : « Rechtsextremismus in Osteuropa » in J.W. Falter, H-G. Jaschke, J. Winkler : Rechtsextremismus. Ergebnisse und Perspektive der Forschung. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1996, pp. 423-442. S. Rokkan identifie deux types principaux de conflits à l’origine des partis politiques européens. Il distingue les clivages résultant de la construction nationale (opposant Eglise/Etat et centre/périphérie) de ceux résultant de la révolution industrielle (urbain/rural et travailleurs/possédants). S. Rokkan : Citizens, Elections, Parties. Oslo : Oslo University Press, 1970.

Page 467: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

453

****

Lors de la campagne des élections les plus récentes, législatives régionales en septembre

2004 et fédérales un an plus tard, la défense de la justice sociale a joué un rôle primordial

pour l’ensemble des forces en compétition. Elle a cependant pris une place très importante

dans la compétition que se sont livrés le PDS et l’extrême droite.

* Le résultat des élections régionales du 19 septembre 2004 en Saxe et dans le

Brandebourg illustre la capacité des partis d’extrême droite et du PDS à transformer un

encadrement social en une mobilisation électorale. En revendiquant davantage de justice

sociale, ils résistent au désaveu qui frappe les grands partis (Volksparteien). Le PDS et le

NPD sortent en effet vainqueurs des élections de septembre 2004. Le premier confirme sa

place de second dans les NBL derrière les chrétiens-démocrates de la CDU en Saxe et derrière

les sociaux-démocrates (SPD) dans le Brandebourg. En Saxe, le NPD crée la surprise en

entrant pour la première fois depuis 1968 dans un Parlement régional, avec un siège

seulement de moins que le SPD. Ce dernier, à l’origine de réformes fédérales contestées,

minimise ses pertes tant en Saxe (moins 0,9%) que dans le Brandebourg où il se maintient au

pouvoir avec 31,9 % des suffrages exprimés malgré une baisse de 7,4 points. Autre parti

d’extrême droite, la DVU conserve (avec 6,1% contre 5,3% en 1999) ses représentants au

Parlement brandebourgeois. La CDU est la grande perdante : elle perd 15,8 points en Saxe et

7,1 dans le Brandebourg.

Tableau 30- Elections législatives régionales (Landtagswahlen) du Brandebourg (1990-2004, en pourcentage des suffrages exprimés)

BRANDEBOURG Taux de

participation CDU SPD FDP B90/G PDS REP DVU Autres

1990 67,4 29,4 38,2 6,6 9,4 13,4 1,1 1,9

1994 56,3 18,7 54,1 2,2 2,9 18,7 1,1 2,2

1999 54,4 26,6 39,3 1,9 1,9 23,3 5,3 1,7

2004 56,4 19,4 31,9 3,3 3,6 28 6,1 7,7

Source : Landeswahlleiter du Brandebourg

Tableau 31- Elections législatives régionales (Landtagswahlen) en Saxe (1990-2004, en pourcentage des suffrages exprimés)

SAXE Taux de

participation CDU SPD FDP B90/G PDS NPD DVU Autres

1990 73,5 53,8 19,1 5,3 10,2 0,7 11

1994 59,4 58,1 16,6 1,7 4,1 16,5 3

1999 61,1 56,9 10,7 1,1 2,6 22,2 6,5

2004 59,6 41,1 9,8 5,9 5,1 23,6 9,2 5,3

Source : Landeswahlleiter de Saxe

Page 468: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

454

Le désaveu des grands partis dans le Brandebourg en 2004 est là aussi corrélé à la forte

capacité de la DVU et surtout du PDS à mobiliser les abstentionnistes et ceux qui sont ou se

considèrent comme des exclus, des perdants de la modernisation1346.

Le maintien, renforcé, des députés de la DVU au Landtag du Brandebourg en 2004 est

une surprise. Or, ceux-ci se distinguent par leur soumission au centralisme partisan. Le groupe

parlementaire est qualifié de « fraction téléguidée », ce qu’illustre une plaisanterie selon

laquelle le pire accident pour le groupe parlementaire serait que quelqu’un débranche le fax,

qui permet la transmission des consignes du siège munichois1347.

A l’instar des autres partis politiques dans les NBL (et contrairement au PDS),

l’extrême droite ne dispose pas encore des infrastructures et des ressources, notamment en

termes de personnel politique, lui permettant d’occuper légitimement des fonctions

politiques1348. Ce parti, qui n’a pas d’histoire à l’Est du pays, n’est de ce fait pas en mesure

d’accumuler « un capital symbolique de reconnaissance et de fidélités »1349 à travers l’action

de ses cadres et de ses militants.

L’extrême droite semble gagner où le PDS, affaibli, ne mobilise que partiellement son

électorat et n’est plus en mesure de faire rempart. Associé au pouvoir en Saxe-Anhalt en

1998, à Berlin en 2004, suspecté de trahir ses priorités s’il accède au pouvoir dans le

Brandebourg, il perd en crédibilité. En Saxe, les soupçons de collaboration avec la Stasi qui

planent sur Peter Porsch, figure régionale et tête de liste du PDS, libèrent un espace dans la

défense de la justice sociale que le NPD se déploie à occuper. Le PDS n’est pourtant que

partiellement handicapé par ces incertitudes, puisqu’il gagne 1,4 % et atteint 23,6% des

suffrages exprimés (contre 41,1% pour la CDU et 9,8% seulement pour le SPD).

1346 Dans le Brandebourg entre 1999 et 2004, la DVU cède une part certes minime de son électorat aux

autres partis (5000 électeurs), mais dans une proportion égale aux différents partis. Dans le même temps, le PDS en gagne 14000. Si la DVU gagne des voix, c’est là encore grâce aux suffrages des abstentionnistes (+5000 électeurs, + 54 000 en ce qui concerne le PDS) et des jeunes électeurs qui votent pour la première fois (+ 11000). 4000 électeurs quittent la DVU pour rejoindre le PDS, seuls 2000 font l’inverse. Par ailleurs, Le PDS et la DVU supplantent le SPD et la CDU dans la représentation des chômeurs. Le PDS gagne 11 points dans cette catégorie. 36% des chômeurs ont voté pour lui, 15% pour la DVU. Le SPD perd 20 points chez les chômeurs, la CDU 10 points. 19% des chômeurs ont néanmoins voté pour le SPD, 11% pour la CDU. « Wählerwanderungsbilanz Landtagswahl Brandenburg ». Source: Infratest dimap Wahlberichterstattung, commande de l’ARD. 1347 Centre d’informations sur l’extrême droite, http://lexikon.idgr.de/d/d_e/deutsche-volksunion/dvu.php, 10.05.2005. 1348 En atteste la (dé)composition de son groupe parlementaire (députés au passé de délinquant, sans aucune formation politique, diligentés par G. Frey, dénonciation de scandales financiers liés au versement de leurs indemnités à leur parti, députés démissionnaires non remplacés… ). 1349 P. Bourdieu: « La représentation politique». ARSS, 36-37, 1981, pp. 3-24. p. 19

Page 469: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

455

Ces échéances électorales sont marquées par l’émergence d’un mouvement social aux

deux extrémités de l’échiquier politique. Il n’exprime ni nostalgie ni penchants extrémistes,

mais un combat en faveur de la justice sociale. La gémellité des slogans adoptés en Saxe à

cette occasion en témoigne. « Cette fois, ça suffit ! » (Jetzt reicht’s!) du NPD répond au « Ca

suffit! » (Es reicht!) du PDS. Même contestataires, les initiatives de ce type ont un poids

indéniable. Les partis d’opposition sont susceptibles de peser véritablement sur la vie

politique. B. Neubacher a par exemple montré comment les REP ont réussi à s’établir au sein

du Landtag du Bade Württemberg en monopolisant l’espace voué à l’opposition1350. Les partis

gouvernementaux se voient contraints de traiter les thèmes choisis par les REP, qui

gouvernent alors indirectement « de l’opposition »1351.

Les « manifestations du lundi » de l’été 2004, qui contestent le projet gouvernemental

Hartz IV de réforme de l’assurance chômage, ont ainsi des retombées électorales positives

tant pour le PDS, co-organisateur des mobilisations (avec les forces syndicales), que pour le

NPD qui y participe. Les élections prennent dès lors la dimension d’une poursuite de la

contestation de rue par les urnes. Le contexte de bilan de l’unification, quinze ans après, est

favorable à cette interprétation. Le président Horst Köhler (CDU), ancien directeur général du

Fond monétaire international, n’a-t-il pas officialisé le caractère inéluctable des inégalités

économiques et sociales, sonnant ainsi, dans la bouche de la principale figure morale de la

République, leur pérennisation ? En septembre 2004, H. Köhler déclare que l’Allemagne doit

renoncer à atteindre l’égalité des niveaux de vie ; de grosses différences existent « du Nord au

Sud comme de l’Est à l’Ouest ». De peur d’endetter la jeune génération de manière

insurmontable, « il faut en finir avec les subventions étatiques »1352.

Une alliance des partis d’extrême droite initiée à cette occasion mérite d’être soulignée.

La propension à l’alliance dont font preuve les extrémistes de droite, seule nouveauté des

élections de septembre, semble faire de la capacité à se faire des amis la clé du succès1353.

L’accord de raison entre la DVU et le NPD est pensé à long terme, puisque des listes

communes sont prévues jusqu’en 2009. Les deux organisations se répartissent les

1350 B. Neubacher : Die Republikaner im baden-württembergischen Landtag – von einer rechtsextremen zu einer rechtsradikalen, etablierten Partei? Thèse de science politique, Université de Stuttgart, 2001. La période traitée couvre 1992-1997. 1351 K. v. Dohnanyi : « Regieren aus der Opposition ». Die Neue Gesellschaft, VIII, 1961, pp. 449-454. 1352 Focus Magazin, 38, 13.09. 2004. 1353 Cette alliance n’est pas inédite. Dès sa création en 1987, la DVU développe un concept de coopération avec le NPD. Les deux partis se partagent les candidatures aux élections. Le NPD fournit les activistes, la DVU finance les activités. En raison du succès mitigé de l’initiative, le président de la DVU G. Frey y met un terme à la fin de l’année 1990.

Page 470: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

456

candidatures sur le territoire national. Elles espèrent en outre convaincre les Republikaner, qui

ne s’associent pour l’heure qu’en retirant leur liste déjà déposée en Saxe, de rallier ce Front

populaire d’extrême droite. En termes électoraux, l’alliance des trois partis d’extrême droite

pèse moins que la symbolique de l’entente. Puisqu’elle signe la fin d’un combat de chefs

perçu comme une tare occidentale, l’alliance est extrêmement lisible pour les citoyens

orientaux. Outre cette dimension allégorique, l’un des principaux atouts de cette entente est de

pallier certaines lacunes logistiques propres aux petits partis. Le recrutement au sein d’une

scène activiste et politisée pourrait en effet solutionner un écueil structurel du NPD et de la

DVU. L’habileté de l’alliance réside également dans l’agitation de la carte xénophobe pour

appuyer notamment une politique économique et sociale micro-régionaliste. La démarche

permet également de tirer profit du décalage existant au PDS entre la propension d’une base

âgée et conservatrice à la xénophobie et à l’autoritarisme d’un côté, et l’investissement de ses

élites dans la défense des minorités de l’autre.

Si le PDS bénéficie encore de l’incapacité d’autres forces politiques à incarner une

partie des revendications à la fois sociales et identitaires des habitants des NBL, sa

participation accrue à l’exercice du pouvoir à l’échelle des Länder pourrait, à moyen terme, le

menacer dans cette fonction. En regard de son intégration au système, de l’évolution

stratégique du NPD et dans l’espoir d’une normalisation de l’unification, la question se pose

du déclin de la capacité du PDS à canaliser les attentes de la population est-allemande. Le

dégagement des tensions intrinsèques (entre la participation gouvernementale et l’opposition

systématique plébiscitée par ses composantes réactionnaires), en plus d’avoir des incidences

sur la survie du PDS, conditionne l’occupation du créneau de la contestation certes politique

mais également sociale.

Les bons scores de l’extrême droite aux élections législatives fédérales de septembre

2005 méritent ici d’être évoqués. Le NPD, avec 1,6% des secondes voix, obtient son meilleur

résultat depuis 1969. En 2002, il avait recueilli quatre fois moins de suffrages (0,4%). Il faut y

ajouter les 0,6% des REP. En Saxe, le NPD frôle les 5% des voix (4,9% contre 1,4 en 2002),

soit plus que les écologistes. Il obtient même 5,1% des voix directes (premières voix), contre

1% lors des élections précédentes. Dans les autres Länder orientaux (en Thuringe, dans le

Brandebourg et en Mecklembourg-Poméranie antérieure), le NPD augmente son score de trois

Page 471: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

457

pourcents. Dans les arrondissements de Berlin-Est de Marzahn-Hellersdorf et de Lichtenberg,

le NPD passe la barre des 3% qui suffisent à entrer dans les conseils d’arrondissement1354.

En dépit de la capacité d’adaptation de l’extrême droite, la nature de la relation du PDS

à l’extrême droite varie peu, comme d’ailleurs l’attitude, moins homogène, des partis

d’extrême droite envers le PDS. Les cas étudiés localement ne modifient ni l’image qu’élus,

dirigeants ou simples militants du parti ont de l’extrême droite, ni leur type d’action à son

égard. Du côté du PDS, les perspectives d’évolution méritent d’être analysées. D’une part,

comme évoqué précédemment, la progression des partis d’extrême droite à l’issue des

élections régionales de septembre 2004 et fédérales de septembre 2005 marque

l’intensification de la concurrence électorale entre le NPD, la DVU d’un côté et le PDS de

l’autre. D’autre part, les événements qui précèdent les élections législatives fédérales

(Bundestagswahl) anticipées du 18 septembre 2005 reproduisent les mécanismes constitutifs

de la relation ambiguë existant entre le PDS et l’extrême droite. La réaction du PDS face aux

nouvelles tentatives d’entrisme de l’extrême droite est moins radicale et homogène

néanmoins. Le PDS, fortement exposé en cette période, use en partie, nous le verrons, de

registres de défense différents. Il prend notamment ses distances avec la doctrine antifasciste.

Cette mutation témoigne davantage de la pression médiatique et de l’opinion publique que

subit le PDS, que d’un véritable renouveau du PDS.

* L’importance de l’antifascisme tel que propagé en RDA dans l’attitude du PDS face à

l’extrême droite demeure. L’alliance électorale avec O. Lafontaine ne renouvelle pas

foncièrement cet archaïsme.

Le projet d'un nouveau parti de gauche émerge au moment où la réforme du marché du

travail (dite Hartz IV) cristallise les critiques adressées à la politique du gouvernement

Schröder. L’association « Alternative électorale du travail et de la justice sociale » (WASG,

Wahlalternative Arbeit und Soziale Gerechtigkeit e. V.) naît le 3 juillet 2004 de la réunion

d’un groupement de syndicalistes bavarois et d’anciens du SPD opposés aux réformes

gouvernementales1355. La création de ce groupe est alors sévèrement critiquée par le président

du SPD, Franz Müntefering. La transformation de l'association en parti est formellement

décidée les 20 et 21 novembre 2004 à Nuremberg et la WASG (Wählerinitiative Arbeit und

1354 Source : Statistisches Bundesamt Deutschland, Bundeswahlleiter. 1355 Initiative Arbeit und soziale Gerechtigkeit (qui regroupe des syndicalistes bavarois) et Wahlalternative (existant dans le Nord et l’Ouest de l’Allemagne).

Page 472: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

458

Soziale Gerechtigkeit) finalement créé le 22 janvier 2005 à Göttingen. La WASG entend être

une vaste plate-forme politique regroupant des sympathisants de gauche (du SPD, des Verts,

du PDS et du parti communiste DKP), des intellectuels, syndicalistes et membres de

nouveaux mouvements sociaux (tels Attac). Au premier trimestre 2005, l’initiative d’électeurs

réunit environ 5600 membres. Lors des élections régionales en Rhénanie-du-Nord-

Westphalie, la WASG recueille 2,2 % des voix, alors que ses dirigeants espéraient dépasser

les 5 %.

Peu après l’annonce d’élections anticipées suite à la défaite subie par le SPD en

Rhénanie-du-Nord-Westphalie1356, Oskar Lafontaine, démissionnaire du SPD, lance l’idée

d'une alliance avec le PDS. « Cela n'a pas de sens que deux petits partis soient candidats à la

gauche des sociaux-démocrates » déclare-t-il le 24 mai. Ancien ministre-président de la Sarre

(1985-1998), ministre des finances du premier gouvernement Schröder (1998-1999) et

président du SPD (1995-1999), O. Lafontaine est favorable depuis 2003 à une fusion du SPD

oriental avec le PDS1357. Le 30 mai 2005, il rend sa carte du SPD. Le 18 juin 2005, il adhère à

la WASG, qui en fait le jour même son candidat à la chancellerie.

La WASG et le PDS capitalisent tous deux sur les frustrations engendrées par les

réformes de l’Etat-providence de G. Schröder. Dans les nouveaux Länder, leurs militants ont

défilé ensemble par milliers contre le chômage lors des « manifestations du lundi » de l’été

2004. Lors du « petit congrès » du 28 mai 2005, le PDS accepte d’entamer des négociations

avec le WASG. Il est décidé à cette occasion d’initier un processus d’union au cours des deux

années suivantes pour lancer un projet de gauche en Allemagne ; les partis ne se feront pas

concurrence aux élections anticipées de 2005, puisque le PDS ouvre ses listes aux membres

du WASG. Le PDS va jusqu’à accepter le sacrifice d’un changement de nom, une décision

votée le 17 juillet lors d’un congrès extraordinaire. Il adopte alors le nom de Die Linkspartei

1356 Le rapport de forces s’inverse entre la CDU et le SPD dans ce fief de la sociale-démocratie. Voir les résultats en annexe liminaire. 1357 Il commence sa carrière en tant que maire de Sarrebruck, dans son fief de la Sarre. En 1990, il échappe à une tentative d’assassinat perpétrée par un déséquilibré. La même année, candidat à la succession de H. Kohl à la Chancellerie, il fait obtenir au SPD son plus mauvais score à une élection fédérale depuis 1957. Sa vision réaliste, perçue comme pessimiste des difficultés liées à l’unification est pour beaucoup dans les 33,5% seulement des suffrages recueillis par le SPD à l’occasion des élections au Bundestag. En 1999, un désaccord de principe avec le chancelier Schröder sur la politique économique à mener le pousse à démissionner soudainement de toutes ses fonctions.

Page 473: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

459

(Le parti de gauche). A l’Est, cette appellation sera complétée par le terme PDS1358. L’union

du PDS et de la WASG est depuis communément appelée Die Linke. PDS (La gauche. PDS).

Avant que l’alliance ne soit votée, le président du PDS Lothar Bisky s’en fait l’avocat

auprès des militants du PDS. Il considère un tel accord comme une chance historique, voire

inespérée pour son parti. D’une part, une coopération avec la WASG montrerait la capacité

d’unité de la gauche allemande. D’autre part, elle prouverait qu’une alliance entre l’Est et

l’Ouest est possible dans le respect égalitaire des deux parties, en dépit d’origines différentes

et bien que les milieux représentés et convoités diffèrent. Enfin, l’occasion de constituer, à la

gauche du SPD, une force capable de s’établir durablement comme troisième force politique

doit être saisie. C’est en ces termes que le président du parti défend le principe d’un accord,

en dépit du coût d’un changement de nom. « Des émotions sont liées à tout cela, des traditions

bousculées. Ce qui est en jeu, c’est la conservation d’identités, leur évolution, et bien plus

encore» déclare Bisky non sans empathie1359.

L’extrême droite intervient dans ce processus dès le 23 juin 2005 avec la publication,

par une organisation proche du NPD de Saxe et qui sert de pivot au réseau des

Kameradschaften néo-nazies dans les NBL, d’une lettre intitulée : « Socialistes nationaux,

adhérez à la WASG ! »1360. L’auteur de la missive, Thomas Wulff est le leader de la scène

d’extrême droite pour le Nord de l’Allemagne et l’ancien chef de l’organisation néonazie

interdite Nationale Liste1361. C’est un proche de Christian Worch, le fils spirituel de M.

Kühnen, figure de proue du néonazisme en RFA. Comme Kühnen, Wulff appartient à la

1358 A ce sujet, le président du PDS L. Bisky fait valoir l’argument selon lequel dans la pratique les fédérations orientales conserveront le nom de PDS, tandis que les fédérations occidentales (au sein desquelles la WASG devrait jouer un rôle majeur) s’appelleront Die Linkspartei. 1359 « Je vous demande de soutenir activement le projet d’une nouvelle gauche en Allemagne » (Ich bitte euch, das Vorhaben einer neuen Linke in Deutschland engagiert zu unterstützen), lettre de L. Bisky aux adhérents et sympathisants du PDS, http://sozialisten.de/sozialisten/nachrichten/view_html?zid=28042&bs=1&n=0; 24.06.2005. 1360 Thomas « Steiner » Wulff : « Nationale Sozialisten hinein die WASG ! », document édité sur le site internet du SNBP, Soziales und Nationales Bündnis Pommern (http://www.snbp.info/include.php?path= content/news.php&contentid=267&PHPKITSID=ff9c8e181677de990b22287096daad4a; 24.06.2005). L’Union sociale et nationale de la Poméranie (SNBP pour Soziales und Nationales Bündnis Pommern) est la version est-allemande d’un groupe formé dans le Nord de l’Allemagne par des représentants de Kameradschaften néo-nazies et d’extrémistes de droite de Berlin et des NBL. Le SNBP succède à Pommerschen Aktions-front (PAF), auto dissoute en janvier 2005. 1361 Il s’est choisi le surnom de Steiner en hommage au Général des Waffen-SS et SS-Obergruppenführer Felix Steiner, chef de la division SS Wiking. Après avoir été condamné pour incitation à la haine raciale, Wulff est parvenu à infiltrer la section du NPD dans le Schleswig-Holstein. Peu avant les élections régionales en Saxe en septembre 2004, Wulff rend publique son adhésion au NPD, déclarant souhaiter ce faisant contribuer à créer un « Front populaire de droite » (Volksfront von Rechts). Fin octobre 2004, il fait partie des néonazis candidats à une entrée au comité directeur du NPD, qui souhaitent s’y faire « les porte-parole et interlocuteurs » de tous les néonazis « indépendants », c’est-à-dire de ceux qui n’appartiennent à aucun parti.

Page 474: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

460

branche « socialiste » des néonazis, qui se reconnaît davantage dans le courant social-

révolutionnaire du chef des SA (Ernst Röhm) que dans celui d’A. Hitler1362.

Le message de Wulff appelle les « socialistes nationaux » à entrer dans le nouveau parti

d’O. Lafontaine, « tellement soucieux de se donner une image sociale qu’il n’exclut pas

même une entente avec les anciens et néo-communistes du SED/PDS tachés de sang »1363.

Avec de forts relents anticapitalistes, Wulff affirme que les adhérents des WASG « ne sont

pas suffisamment anti-nationaux pour ne pas avoir conscience des corrections nécessaires à

apporter à la politique de la RFA (notamment dans les questions relatives aux étrangers et

travailleurs étrangers) et les exprimer clairement ».

Il fait ici allusion aux propos tenus quelques jours auparavant par O. Lafontaine à

Chemnitz : « L’Etat doit protéger ses citoyens et citoyennes; il doit empêcher que des pères de

famille et des femmes ne se retrouvent au chômage, parce que des travailleurs étrangers à bas

salaires occupent leurs emplois »1364. Cette déclaration fait scandale à gauche et recueille les

louanges du NPD. Le scandale est moins lié au fond du propos qu’à l’emploi par O.

Lafontaine du mot Fremdarbeiter pour désigner les travailleurs immigrés. Le terme a été

perverti par les dirigeants du Troisième Reich, qui l’utilisaient à propos des travailleurs

forcés. A partir des années 1960, il est d’usage de parler de travailleur immigré ou invité

(Gastarbeiter). O. Lafontaine se voit donc reprocher d’user d’une rhétorique nationale-

socialiste1365.

1362 Michael Kühnen est la légende du néonazisme en RFA. Né en 1955, il commence son activité au NPD à la fin des années 1960. Son renvoi de l’armée allemande en 1977 (il était lieutenant de la Bundeswehr) en raison de ses activités liées à l’extrême droite lui permet de son consacrer à plein temps à l’activisme néo-nazi. Grâce à la création d’organisations néonazies et à l’animation de manifestations, notamment révisionnistes, il parvient à attirer l’attention des médias et de l’opinion publique. Dans les années 1980, il est l’idéologue, l’organisateur et le stratège de la scène néo-nazie. A partir de 1979, il est à de nombreuses reprises condamné pour incitation à la haine raciale, glorification de la violence et propagande nazie. Idéologiquement, il est proche du chef des SA Ernst Röhm, c’est-à-dire favorable au courant social-révolutionnaire. Il a d’ailleurs un temps milité au KPD maoïste, avant de s’engager chez les néonazis. Après l’interdiction du groupe néonazi et du camp d’entraînement militaire des socialistes nationaux ANS/NA (Aktionsfront Nationaler Sozialisten/ Nationale Aktivisten) en 1983, ses partisans infiltrent le parti des travailleurs allemands libéraux (FAP pour Freiheitliche Deutsche Arbeiterpartei). La scène néonazie se divise sur la question de l’acceptation de l’homosexualité de Kühnen. Après la chute du mur de Berlin, celui-ci concentre ses activités sur les NBL, où il crée dès 1989 l’Alternative allemande, DA (Deutsche Alternative). En 1991, il meurt du sida. Il incarne la période féconde du néonazisme de la RFA, qui prend fin avec sa mort et la vague d’interdictions officielles d’organisations d’extrême droite qui lui succède. 1363 Les propos de Wulff sont tirés de la lettre mentionnée plus haut « Nationale Sozialisten hinein die WASG ! », op. cit. 1364 « Der Staat ist verpflichtet, seine Bürger und Bürgerinnen zu schützen, er ist verpflichtet, zu verhindern, dass Familienväter und Frauen arbeitslos werden, weil Fremdarbeiter zu niedrigen Löhnen ihnen die Arbeitsplätze wegnehmen. » 1365 Sur cette distinction, voir U. Herbert : Geschichte der Ausländerpolitik in Deutschland. Saisonarbeiter, Zwangsarbeiter, Gastarbeiter, Flüchtlinge. Munich: C.H. Beck, 2001, ainsi que son interview accordée à Spiegel

Page 475: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

461

T. Wulff estime que ces propos donnent une idée plus exacte de l’état d’esprit des

sympathisants de la WASG, mais également en partie de ceux du PDS, surtout dans les

« fédérations d’Allemagne centrale », c’est-à-dire à l’Est dans le jargon d’extrême droite. Ces

populations seraient adeptes d’un « socialisme national », ce que confirmeraient des

comparses de Wulff qui participent déjà aux discussions et au travail de sections locales des

WASG. Wulff encourage l’ensemble des adeptes d’extrême droite à faire de même, l’entrisme

devant permettre de rallier les « socialistes nationaux » à l’ « opposition nationale », c’est-à-

dire au NPD.

« C’est à vous désormais d’être actifs sur le terrain, vous qui participez aux activités de nombreux

groupes et Kameradschaften : infiltrez encore davantage les groupes des WASG. Parlez avec les gens,

faites en sorte que les principes politiques d’une action nationale y soient abordés. Rédigez des tracts et

d’autres documents et soumettez les à la discussion. Vous verrez, beaucoup d’entre eux pensent comme

nous. Il suffit d’aller chercher ces gens là-bas et de leur montrer lentement le chemin vers l’opposition

nationale. La WASG ouvre de nouvelles voies à un travail d’opposition nationale. Même si ce projet

fonce à nouveau dans le mur et capote à cause du paternalisme et de l’antifascisme guerrier qu’il faut

attendre des cadres rouges du SED/PDS, de nombreux activistes allemands susceptibles de soutenir un

vrai mouvement populaire allemand en sortiront.

Allez camarades des deux sexes, infiltrez la base du WASG ! Pour un mouvement du peuple

allemand! »1366

Cette annonce intervient dans le but de discréditer l’alliance de la WASG et du PDS,

que le NPD perçoit comme son principal rival lors des élections à venir.

Lors du congrès de la fédération saxonne du NPD les 25 et 26 juin, le président du

NPD, U. Voigt, se vante à son tour de l’infiltration de la WASG par ses troupes1367. L’alliance

de la nouvelle gauche est créée selon lui dans le but d’empêcher l’entrée du NPD au

Bundestag malgré son entente électorale avec la DVU. De son côté, la WASG confirme avoir

été la cible de tentatives d’entrisme de la part d’extrémistes de droite. Gysi et

Lafontaine admettent vouloir délibérément récupérer une partie de l’électorat du NPD1368. Tant

de chemin semble avoir été parcouru depuis C.Ostrowski que l’explication la plus logique

online (« Lafontaine sollte sich historisch weiterbilden », Lafontaine devrait réviser son histoire) le 05. 07.2005; http://www.spiegel.de/politik/deutschland/0,1518,363781,00.html; 05.07.2005. 1366 « Nationale Sozialisten hinein die WASG ! ». 1367 E. Finger: « Ordentlich, rechtstreu, nationalsozialistisch ». Die Zeit, 27/2005, 30.06.2005. 1368 « Bien sûr, tous les partis doivent se demander comment regagner les électeurs induits en erreur par le NPD. Je me bats pour les récupérer » déclare le candidat du PDS à la chancellerie Gysi au Taz du 30.06.2005. « Nous ne devons pas laisser au NPD le thème de la concurrence pour les bas salaires. Le NPD a un problème, si un parti de gauche représente de manière conséquente les droits des salariés. C’est le but recherché » dit pour sa part Lafontaine au Handelsblatt du 29. 06. 2005.

Page 476: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

462

semble tenir à une question de personne : l’aveu est autorisé venant du charismatique Gysi,

co-fondateur du parti, dont la fidélité au PDS n’est plus à démontrer, puisqu’il revient sur le

devant de la scène dès que le PDS est en danger. Ce sont néanmoins les mêmes logiques

d’ambition et de carrière qui poussent certains à exprimer publiquement leur

désapprobation1369. Face au poids de G. Gysi et dans un contexte volontariste où tous font des

efforts pour que rien ne fasse obstacle au renouveau du PDS, cette tentative échoue

logiquement. Au PDS, c’est P. Pau, vice-présidente du parti et l’une des deux députées au

Bundestag, qui monte au créneau pour défendre les positions du PDS face à l’écart de langage

de Lafontaine. Ses critiques ne recourent néanmoins pas au dogme antifasciste et à sa

rhétorique défensive. Cette nuance est sans doute à mettre sur le compte d’un changement de

personnel, autant que de la menace que constitue pour elle la concurrence de Lafontaine.

L’argumentation de P. Pau repose sur l’ambiguïté de la terminologie utilisée par

Lafontaine pour les sympathisants du PDS. « Je vois bien que cette déclaration reçoit

beaucoup d’approbation au PDS ». Il ne suffit pas, pour le parti, de se dire « de gauche », il

doit être de gauche, ce qui « implique aussi de ne pas aller à la pêche aux électeurs grâce à cet

argument. »1370 Les propos de Lafontaine sont contraires à la ligne du parti et incompatibles

avec son programme. « Peu importe l’époque à laquelle le terme de Fremdarbeiter est apparu,

il suggère toujours l’étranger, les hiérarchies, le danger. […] Le terme est inhumain, il attise

les peurs et sert les clichés de l’extrême droite » selon P. Pau. Les retombées électorales de la

réaction non catégorique du PDS aux propos de Lafontaine desservent plutôt le PDS. Dans le

courrier reçu par Pau, elle recense une première tendance qui voit dans la mollesse avec

laquelle les autorités du PDS dénoncent les propos de Lafontaine une raison de ne pas voter

en sa faveur. « Du point de vue d’une association de demandeurs d’asile, la WASG ou le PDS

sont-ils encore éligibles ? ». L’autre tendance a les mêmes effets, mais en attaquant la critique

de P. Pau : « Nous ne voterons pas comme prévu pour l’alliance des partis [PDS et WASG],

mais désormais, parce que nous voulons protester, plutôt pour un parti qui pense ‘national’ et

respecte les Allemands. » 1371

La concurrence électorale que l’extrême droite livre au PDS de manière accrue est de

plus en plus assumée par les dirigeants du PDS. Le débat autour des déclarations

d’O. Lafontaine ainsi que la rareté des réactions aux appels de l’extrême droite à l’entrisme

confirment toutefois que l’attitude que le PDS doit adopter face à l’extrême droite est une

1369 Elle tente de transformer le scandale en affaire selon D. De Blic, C. Lemieux : op.cit. 1370 Interview de P.Pau, vice-présidente du PDS : ARD-Morgenmagazin, 30.06.05. 1371 P. Pau : « Aktuelle Notiz: Mein Konflikt mit Oskar Lafontaine », http://www.petrapau.de/; 05. 07. 2005.

Page 477: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

463

question taboue en dehors du registre de la profession de foi antifasciste. La preuve en est que

les attaques de P. Pau à l’encontre de Lafontaine se font sur la question connexe de la

politique d’immigration, et non directement sur celle de l’extrême droite. La mue du PDS ne

fait pas disparaître les attaques dont il fait l’objet. Le fait que la cible visée par l’extrême

droite soit alors Lafontaine montre à quel point les dirigeants du PDS s’efforcent de n’offrir à

l’opinion publique aucune possibilité d’accusation.

* La mue du PDS en Linkspartei pourrait modifier le fait que l’attitude du PDS face à

l’extrême droite est réglée sur un antifascisme en partie anachronique, en ce sens que le

Linkspartei est susceptible de renouveler en partie les élites du PDS.

L’opposition à l’extrême droite joue un rôle de référent identitaire essentiel, ne serait-il

que parce qu’il maintient au PDS une part de l’électorat potentiel de l’extrême droite. La

manière dont les agents agissent contre l’extrême droite pourrait par compte évoluer en

fonction du poids de l’extrême droite dans les NBL, plus largement en RFA, et du terrain de

revendications qu’elle occupe. L’implantation et la stratégie de l’extrême droite nous

paraissent davantage en mesure d’influencer l’attitude des néo-socialistes face à elle, que les

effets et enjeux de la confrontation locale. Le renouvellement du personnel du PDS pourrait

accentuer le rejet de l’extrême droite, en accentuant la voie du pragmatisme et de la

transparence ouverte par C. Ostrowski. En ce qui concerne les élites, la génération de Bärbel

Grygier et Petra Pau est en passe de remplacer celle des maires Wolfram Friedersdorff

(Lichtenberg, Berlin-Est) et Horst-Dieter Brähmig (Hoyerserda, Saxe), issus de l’appareil du

SED et à l’identité conservatrice. Cette deuxième mutation du PDS, corrélée à la

reconnaissance de la menace de l’ennemi à l’intérieur même du parti, pourrait rendre le

réflexe antifasciste opérant.

L’entente du PDS avec la WASG soulève à nouveau la question de l’amitié en

politique. Si elle montre que la question de l’alliance de gauche est essentielle, elle pousse à

s’interroger sur le type de personnalités promptes à la réaliser. Le rôle de l’antifascisme dans

la stratégie d’alliance du PDS avec la gauche reste ouvert. Il renvoie en effet à une identité

passée voire passéiste et à un mode de règlement du conflit susceptible de paraître archaïque

aux écologistes et sociaux-démocrates, tant il est lié à un mode autoritaire de domination. Les

opportunités de rapprochement avec des personnalités controversées, conservatrices et

provinciales comme Lafontaine s’en trouvent cependant renforcées. S’il faut compter sur un

Page 478: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Conclusion

464

changement dans la mise en scène de l’antifascisme par les jeunes élites du parti, le rôle de la

valeur, notamment en termes de ressource identitaire, ainsi que les mécanismes de sa

valorisation, tels la délégation, semblent devoir perdurer. Il risque d’en être ainsi aussi

longtemps que l’entrée de députés du PDS au Bundestag, même alliés à la WASG, ne ravivera

la réminiscence d’une autre figure de l’ennemi intérieur, celui du communisme qui menace

les institutions de la RFA. Cinq jours après leur élection, avant même que le choix du nouvel

occupant de la chancellerie ne soit arrêté, sept députés du Linkspartei étaient accusés de

collaboration avec la police politique de la RDA. Le 25 septembre, Marianne Birthler, la

présidente de l’institution en charge de la gestion des archives de la Stasi (la Gauck Behörde),

retirait ses accusations.

Il semble essentiel d’insister, avec L. Jaume, sur l’ « arbitraire subjectif » de Schmitt.

En tant que « politique de l’inimitié », sa pensée est « plus obsessionnelle que conceptuelle,

plus irrationnelle que théoricienne »1372. Cette caractéristique vaut certes pour l’attitude du

PDS face à l’extrême droite, mais également pour la réception de celui-ci en République

fédérale. L’obsession affective et subjective de l’ennemi est facilement utilisable à des fins

politiques. Le fait de privilégier l’approche affective à des fins stratégiques permet également

éventuellement à l’ennemi de changer de visage, pas de nature1373. Dans les sociétés

anciennes, l’ennemi était le bouc-émissaire1374. Sa conversion lui permettait de quitter le statut

d’ennemi. Il semble que ce ne soit plus le cas dans les Etats-nations. Parmi les

transformations politiques et sociales que connaît la République fédérale unifiée, celle que le

PDS semble espérer avec le plus d’enthousiasme est sans doute le remplacement du

communiste par l’extrémiste de droite dans l’incarnation de l’ennemi de la République. Ce

processus qui semblait avoir été amorcé avec la demande d’interdiction officielle du NPD en

l’an 2000, ne s’est pas concrétisé depuis. Néanmoins, la République fédérale semble plus

proche de changer l’identité de son ennemi que ne l’est le PDS.

1372 L. Jaume : « Carl Schmitt, la politique de l’inimitié ». Historia Constitucional, (revue électronique) 5, 2004, pp. 536-550. 1373 « A partir de ce moment, la guerre, pour ainsi dire, n’avait jamais cessé, mais, à proprement parler, ce n’était pas toujours la même guerre. » écrivait G. Orwell dans 1984, Gallimard (Collection Folio), 1995, p. 53. 1374 Cf. C. Grinzburg : Sabbat des sorcières. Gallimard, 1992, dans lequel l’auteur reconstitue la chaîne historique qui fait successivement de trois communautés (les lépreux, les juifs et les sorciers) les boucs émissaires de l’Europe du XIVème siècle.

Page 479: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

465

ANNEXES Annexes cartographiques ..............................................................................................466 Annexe liminaire- Vie politique de la République fédérale d’Allemagne unifiée.....466

Tableau 1- Résultats des principales formations politiques aux élections législatives régionales (Landtagswahlen) dans les anciens Länder (1990-2005) ................................................................. 468 Tableau 2- Composition de la scène d’extrême droite en RFA et évolution 1987-2004 .................. 470 Tableau 3- Evolution du nombre d’adhérents du NPD (1965-2004)................................................ 471 Tableau 4- Part des nouveaux Länder dans les adhérents des partis d’extrême droite, tous partis confondus et évolution (1991-1998)................................................................................................. 471 Tableau 5- Détail par parti................................................................................................................ 472

Annexe 1- Liste des entretiens réalisés .........................................................................473 Annexe 2- Vie politique à Berlin ...................................................................................477

Elections municipales et régionales.................................................................................................... 477 Tableau 1- Elections à la CDB (Chambre des Députés berlinoise Est-Ouest 1999-2001 en pourcentage du total des premières voix exprimées)........................................................................ 477 Tableau 2- Evolution de la composition de la CDB (en nombre de mandats).................................. 477 Tableau 3- Résultats de Lichtenberg aux élections à la CDB 1999 et 2001 en pourcentage des suffrages exprimés............................................................................................................................ 477 Graphique 1- Evolution de la répartition des sièges au sein de la CDB depuis 1990....................... 478

Militantisme......................................................................................................................................... 478 Tableau 4- Adhérents des six partis les plus importants par arrondissement en valeur brute et pourmille de l’ensemble de la population de l’arrondissement (fin 1999) ....................................... 478 Tableau 5- Adhérents des six partis les plus importants par arrondissement en valeur brute et pour mille de l’ensemble de la population de l’arrondissement (fin 1999)............................................... 479 Tableau 6- Adhérents des six partis les plus importants par arrondissement en valeur brute et pourcentage de l’ensemble des adhérents par arrondissement (fin 1999) ........................................ 479 Tableau 7- Rapporté à une moyenne Est-Ouest ............................................................................... 480 Graphiques 2 et 3- Répartition géographique des adhérents du PDS ............................................... 481

Extrême droite : élections et adhérents ............................................................................................. 482 Tableau 8- Résultats électoraux des partis d’extrême droite aux élections aux conseils d’arrondissement de Berlin par arrondissement 1999 et progression par rapport à 1995................ 482 Tableau 9- Evolution du nombre d’adhérents des trois principaux partis d’extrême droite à Berlin482 Graphique 4- Evolution du nombre d’adhérents berlinois aux REP à Berlin, Lichtenberg et Charlottenbourg 1992-2001 (en nombre brut d’adhérents) .............................................................. 482 Graphique 5 : Répartition des différentes composantes de l’extrême droite à Berlin en 2001......... 483 Graphique 6- Arrondissement de domiciliation des Skinheads violents et des auteurs de délits connus par les services de police pour l’année 1996 .................................................................................... 483

Annexe 3- Vie politique dans les arrondissements de Lichtenberg- Hohenschönhausen et Charlottenbourg-Wilmersdorf (Berlin) .................................484

Les conseils d’arrondissements respectifs de Lichtenberg et de Hohenschönhausen avant la fusion............................................................................................................................................................... 484

Graphique 7 et 8- Evolution de la composition du conseil d’arrondissement de Lichtenberg ......... 484 Graphiques 9, 10 et 11- Evolution de la composition du conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen........................................................................................................................... 484

Charlottenbourg-Wilmersdorf........................................................................................................... 485 Tableau 10- Mandats de conseillers d’arrondissement de C. et de W. (valeur brute) ...................... 485 Graphique 12- Evolution des adhésions au PDS à C-W.................................................................. 485 Graphique 13 : Approche comparative de l’évolution du nombre d’adhérents du PDS à Berlin, Lichtenberg et Charlottenbourg 1992-2001 (en nombre brut d’adhérents) ...................................... 485

Annexe 4- Vie politique de Dresde (Saxe) ....................................................................486 Tableau 11- Elections des conseillers municipaux (Stadtratswahl) de la ville de Dresde................ 486 Tableau 12- Evolution de la composition du conseil communal de la ville de Dresde .................... 486

Annexes 5- Affiches de campagne du PDS ...................................................................487

Page 480: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

466

ANNEXES CARTOGRAPHIQUES

Les Länder de la République fédérale d’Allemagne unifiée

Source : Auswärtiges Amt

Page 481: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

467

Les 11 arrondissements de Berlin après la fusion des arrondissements en 2001

Source : Statistisches Landesamt Berlin

Page 482: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

468

Annexe liminaire- Vie politique de la République fédérale d’Allemagne unifiée1375

Tableau 1- Résultats des principales formations politiques aux élections législatives régionales (Landtagswahlen)

1376 dans les anciens Länder (1990-2005)

Taux de participation CDU

1377 SPD FDP B90/G1378 PDS1379 REP NPD DVU Autres

ANCIENS LÄNDER : BADE-WURTEMBERG

1992 70,1 39,6 29,4 5,9 9,5 10,9 4,8

1996 67,5 41,3 25,1 9,6 12,1 9,1 2,8

2001 62,6 44,8 33,3 8,1 7,7 4,4 0,2 1,5

BAVIERE

1990 66 54,9 26 5,2 6,4 4,9 2,6

1994 67,8 52,8 30 2,8 6,1 3,9 4,7

1998 69,8 54,1 28,1 1,6 5,9 NC NC NC NC 10,4

2003 57,1 60,7 19,6 7,7 2,2 9,8

BREME

1991 72,2 30,7 38,8 9,4 11,3 6,1 3,7

1995 68,6 32,6 33,4 3,4 13 2,4 2,5 12,7

1999 60,1 37,1 42,6 2,5 8,9 2,9 3 3

2003 61,3 29,8 42,3 4,2 12,8 1,7 2,3 14,6

HAMBOURG

1991 66,1 35,1 48 5,4 7,2 0,5 4,3

1993 69,6 25,1 40,4 4,2 13,5 4,8 12

1997 NC 30,7 36,2 3,5 13,9 0,7 1,8 5 8,5

2004 68,7 47,2 30,5 2,8 12,3 0,3 6,9

HESSE

1991 70,8 42,1 43,6 6,3 7,2 0,8

1995 66,3 39,2 38 7,4 11,2 4,2

1999 66,4 43,4 39,4 5,1 7,2 NC 2,7 2,2

2003 64,6 48,8 29,1 7,9 10,1 NC 1,3 2,8

BASSE-SAXE

1990 74,6 42 44,2 6 5,5 0,2 2,1

1994 73,8 36,4 44,3 4,4 7,4 3,7 3,8

1998 73,8 35,9 47,9 4,9 7 2,8 1,5

2003 67 48,3 33,4 8,1 7,6 0,5 0,4 1,6

1375 Rapellons qu’en l’absence de précision, les tableaux et les graphiques ont été réalisés par nos soins, sur la base des données tirées des sources indiquées. 1376 Elections à la CDB (Abgeordnetenhaus) pour Berlin, Bürgerschaftswahlen pour Brême et Hambourg. 1377 CSU pour la Bavière. 1378 Grüne/ Alternative Liste pour Berlin, Brandebourg 1990 et Hambourg 1991-2004. 1379 PDS/ Linke Liste en 1990 ainsi que pour Hambourg.

Page 483: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

469

RHENANIE DU NORD-WESTPHALIE

1990 71,8 36,7 50 5,8 5 2,6

1995 64,1 37,7 46 4 10 0,5 1,5

2000 56,7 37 42,8 9,8 7,1 1,1 1,1 1,1

2005 63,0 44,8 37,1 6,2 6,2 0,9 0,8 0,9

3,2 Dont WASG

2,2

Taux de

participation CDU1380

SPD FDP B90/G1381 PDS1382 REP NPD DVU Autres

RHENANIE-PALATINAT

1991 73,9 38,7 44,8 6,9 6,5 3,1

1996 72 38,7 39,8 8,9 6,9 5,7

2001 62,1 35,3 44,7 7,8 5,2 2,4 0,5 4

SARRE

1990 83,2 33,4 54,4 5,6 2,6 0,2 3,8

1995 83,5 38,6 49,4 2,1 5,5 1,4 3,1

1999 68,7 45,5 44,4 2,6 3,2 0,8 1,3 2,2

2004 55,5 47,5 30,8 5,2 5,6 2,3 4 4,6

SCHLESWIG-HOLSTEIN

1992 71,8 33,8 46,2 5,6 4,9 6,3 3,2

1996 71,8 37,2 39,8 5,7 8,1 4,3 4,9

2000 69,5 35,2 43,1 7,6 6,2 1,4 1 5,4

2005 66,6 40,2 38,7 6,6 6,2 1,9 6,4 Source : Statistisches Bundesamt Deutschland (Office fédéral des statistiques), Stastistisches Amt de chaque

Land et Bundeswahlleiter (service fédéral des élections).

1380 CSU pour la Bavière. 1381 Grüne/ Alternative Liste pour Berlin, Brandebourg 1990 et Hambourg 1991-2004. 1382 PDS/ Linke Liste en 1990 ainsi que pour Hambourg.

Page 484: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

470

Tableau 2- Composition de la scène d’extrême droite en RFA et évolution 1987-2004 1987

1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004

Total adhérents des principaux partis politiques

25700 32900 57000 48600 46900 50900 55130 45400 35900 33500 34800 39000 37000 36500 33000 28100 24500 23800

Dont REP

5000 8000 25000 20100 16800 19900 23000 20000 16000 15000 15500 15000 14000 13000 11500 9000 8000 7500

Dont DVU

14500 18500 25000 22000 24000 26000 26000 20000 15000 15000 15000 18000 17000 13000 15000 13000 11500 11000

Dont NPD

6200 6400 7000 6500 6100 5000 5000 4500 4000 3500 4300 6000 6000 6500 6500 6100 5000 5300

Adhérents d’autres organisations d’extrême droite (et leur nombre)

1520 (33)

2670 (36)

2380 (37)

3700 (52)

4300 (63)

4500 (65)

4200 (77)

4200 (78)

4300 (72)

4400 (70)

4600 (69)

4300 (76)

Adeptes de Subcultures et autres groupes violents, dont les Skinheads

6400

5600

5400

6200

6400

7600

8200

9000

9700

10400

10700

10000 10000

Néonazis (et nombre de groupes)

2100 1900 1500 1400

2100

2200

2450 (27)

3740 (33)

2480 (43)

2420 (48)

2400 (40)

2400 (41)

2200 (49)

2200 (60)

2800 (65)

2600 (72)

3000 (95)

3800 (87)

Total de membres de la scène d’extrême droite1383

64500

56600

46100

45300

48400

53600

51400

50900

49500

45000

41500

40700

Crimes et délits imputés à l’extrême droite

1853

1848

3884

7684

10561

7952

7896

10929

10341

10037

15951

10054

10902

10792

12051

Dont les actes de violence

255 309 1492 2639 2232 1489 837 781 1091 1124 1119 998 709 772 759 776

Source : Bundesverfassungschutzberichte

1383Estimation après déduction des appartenances multiples.

Page 485: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

471

Tableau 3- Evolution du nombre d’adhérents du NPD (1965-2004)

1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 13700 25000 28000 27000 28000 21000 18300 14500 12000 11500 10800 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 9700 9000 8500 8000 7200 6500 6000 6000 6000 61000 61000 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 6200 6400 7000 6500 6100 5000 5000 4500 4000 3500 4300 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 6000 6000 6500 6500 6100 5000 5300 Source : Gress F., Jaschke H-G: Rechtsextremismus in der Bundesrepublik nach 1960. Dokumentation und Analyse von Verfassungsschutzberichten (PDI-Sonderheft 18), Munich, 1982, p. 20 (jusqu’en 1980) et Bundesverfassungsschutzbericht pour le reste.

0

5000

10000

15000

20000

25000

30000

nombre d'adhérents en

valeur brute

196

7

196

9

197

0

197

2197

4

197

6

197

9

198

1198

3

198

5

198

7

198

9199

1

199

3

199

5

199

7

199

9200

1

200

3Année

Evolution du nombre d'adhérents du NPD (valeur brute, 1967-2004)

Source : Ibidem

Tableau 4- Part des nouveaux Länder dans les adhérents des partis d’extrême droite, tous partis

confondus et évolution (1991-1998)1384

Total RFA

Dont NBL (valeur brute)

Dont NBL (%)

1991 53212 4880 9,2 1992 52034 5099 9,8 1993 51910 5530 10,5 1994 45550 4260 9,3 1995 36050 3500 9,7 1996 34500 3020 8 ,7 1997 35850 3100 8,6 1998 39900 6080 15,2

Source : Statistisches Bundesamt Deutschland et R. Stöss : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland. Bonn : Friedrich-Ebert-Stiftung, 1999, pp. 103-105.

1384 Total des adhérents des REP, DVU, NPD et DLVH (Deutsche Liga für Volk und Heimat), ce dernier compte entre 100 et 900 adhérents selon les années.

Page 486: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

472

Tableau 5- Détail par parti

REP RFA Dont NBL (valeur brute)

Dont NBL (%)

DVU RFA Dont NBL (valeur brute)

Dont NBL (%)

1991 22000 2500 11,4 1991 24000 1600 6,7 1992 20000 2899 14,5 1992 26734 1500 5,6 1993 19820 3000 15,1 1993 26000 1900 7,3 1994 20000 3500 17,5 1994 20000 1200 6 1995 16000 2000 12,5 1995 15000 900 6 1996 15000 1600 10,7 1996 15000 850 5,7 1997 15500 1400 9,0 1997 15000 500 3,3 1998 15000 1900 12,7 1998 18000 1900 10,5

NPD RFA Dont NBL

(valeur brute)

Dont NBL (%)

1991 6412 700 10,9 1992 5200 600 11,5 1993 5190 500 9,6 1994 4650 500 10,7 1995 4150 450 10,8 1996 3700 450 12,2 1997 4650 1100 23,6 1998 6400 2200 34,4 Source : Statistisches Bundesamt Deutschland et R. Stöss : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland. Bonn :

Friedrich-Ebert-Stiftung, 1999, pp. 103-105.

Page 487: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

473

Annexe 1- Liste des entretiens réalisés

Nom Fonction au moment de l'interview

Fonctions antérieures, éventuellement postérieures1385

Date, lieu et durée de l’entretien

BLÄSS, Petra

MdB depuis 1990 (questions sociales), Vice-présidente du Bundestag de 1998 à 2002 et PP de la condition des femmes du GP du PDS au BT. Adhère au PDS en 1997.

Née en 1964 (RDA). 1986 : Entrée au SED. Cofondatrice du groupement des femmes indépendantes (Unabhängigen Frauenverbands- UFV) à l’automne 1989. En 1990 (25 ans), présidente du comité de surveillance (Wahlkommission) de la RDA pour les premières élections libres (fév.1990-août 1990) Depuis 2003, conseillère politique. Rend sa carte du PDS en 2005 pour des raisons professionnelles. Actuellement conseillère politique pour le pacte de stabilité dans les Balkans.

10.01.2002 à son bureau du BT, 45mn (30 annoncées )

LUFT, Christa

MdB depuis 1994, élue directe dans la C berlinoise Licht.-Kreuzberg. Vice-présidente du GP et PP des questions budgétaires. Ne se représente pas en 2002 et prépare sa succession.

Née en 1938 (RDA) Membre du SED depuis 1958. Dernière ministre de l'économie de RDA (nov 1989-mars 1990) puis députée du Parlement de la RDA, la Volkskammer (18.03-02.10.1990).

19.11.2001, en cours de "tour" à la mairie de Lichtenberg entre deux RDV, 30 mn

JELPKE, Ursula dite Ulla

MdB (élue sur la liste Rhénanie du Nord- Westphalie) et PP de la politique intérieure du GP du PDS depuis 1990. Sans étiquette.

Née en 1951 (RDA). Engagée en 1968 dans des mouvements féministes et écologistes d’extrême gauche. Entre 1981 et 1989, élue deux fois députée pour la liste écologiste alternative (Grün-Alternative Liste, GAL) dans la ville-région d’Hambourg (politique sociale). Réélue députée au Bundestag en 2005, après une interruption entre 2002 et 2005.

11.2000 à son bureau du BT, 1h

BÖTTCHER, Klaus

PP de l’AG Antifaschismus/ Rechtsextremismus du PDS

1941 (RDA) Directeur d’un établissement supérieur de la FDJ (Direktor der FDJ-Jugendhochschule) à Bernau. Retraité. Continue à participer aux activités du PDS et de la Fondation Rosa Luxemburg contre l’extrême droite.

01.02.2001, bureau au siège du PDS, 2h

CHRAPA, Michael

Sociologue, directeur du centre de recherches sociales FOKUS (Halle) proche du PDS

1950 (RDA)-2003. Sociologue à l’Institut Central d’Etudes de la Jeunesse de Leipzig (Zentralinstitut für Jugendforschung) de la RDA. Décédé en 2003.

19.09.2002, Fondation Rosa-Luxembourg, bureau de C. Hildebrandt, 1h

FALKNER, Thomas

Préside le service „stratégie et questions fondamentales“ auprès du Comité directeur du PDS

(RDA) 2005 : Même poste

26.10.01, bureau au siège du PDS, 1h45, après l’annulation du RDV prévu le 12.09.2001

FELGEN-TREU, Fritz

Député SPD à la CDB. Membre du SPD depuis 1992

Né en 1968 (RFA). Universitaire (lettres anciennes). Jeunesses sociales-démocrates (Neukölln), président de l’AK

09.07.2002 son bureau à l'institut de Philologie,

1385 Cette annexe a pour unique prétention de permettre d’identifier rapidement un interlocuteur évoqué dans le texte.

Page 488: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

474

politique d’immigration 2005 : Toujours député du SPD à la CDB.

45mn

FLEMMING, Bert

1991-1999 et depuis 2001 Député SPD à la CDB. Sa femme est élue (SPD) au CA de Licht. depuis 1992

Né en 1944 (RFA). 1988 : s’engage chez chez les Bürgerrechtler. 1990 : Bündnis 90 puis SPD (membre du Conseil du parti, Parteirat). 1990: membre du conseil communal de Berlin (Stadtverordneten-versammlung). 2005 : Toujours député du SPD à la CDB.

22.07.2002, lieu de travail (salle vide de l'institut de physiologie de l'hôpital universitaire de la Charité de Berlin), 1h10

FRIEDERS-DORFF, Wolfram

Depuis décembre 1995 maire de Licht., devenu Lich-Hoh. le 10.10.2000 (en charge du personnel, des finances, de la culture + ensuite de l’éducation). Entré au PDS par le SED. Membre de la fédération régionale de Berlin.

né en 1950 (RDA). 1990-92: collaborateur au Comité directeur fédéral du PDS, 1992-1995 Employé de l’administration de Licht. (économie et finances + écologie à partir de 1995). Depuis le 15.11.2002 : secrétaire d’Etat aux affaires sociales du Land de Mecklembourg-Poméranie antérieure.

17.08.2001, bureau à la mairie de Licht. 1h45 (RDV pris dès le 04.07)

GABELIN, Annegret

Juillet 2000 : élue à la direction bicéphale de la section Licht-Hoh. 2001 : responsable de l'expansion du PDS dans les arrondissements occidentaux pour la fédération régionale de Berlin

Née en 1958 (RDA). Formatrice à l’école des cadres du SED. 1990-2000 présidente de la section du PDS à Hoh. et membre de son CA (personnel et administration). Depuis novembre 2001 : Vice-présidente de la fédération régionale de Berlin

16.11.2001 bureau au siège du PDS, 1h05 + 25 mn offband

GEISEL, Andreas

Depuis 2000 : Elu SPD au CA de Licht. adjoint à l’immobilier, à l’habitat et à l’environnement

Né en 1966 (RDA). Economiste. Décembre 1995-2000 : Elu au CA de Licht. adjoint à l’immobilier et à l’habitat 2005 : Réelu, même poste.

26.09.2002 à son bureau (Stadtrat), 1h

GRYGIER, Bärbel

MdB en remplacement de Gregor Gysi, devenu sénateur de Berlin à l'économie. Sans étiquette.

Née en 1955 à Berlin-Friedrichshain (RDA). 1986-1988 : Travail au ministère de la santé de RDA et conseillère conjugale (1981-1990). Animatrice radio d’une émission d’éducation sexuelle (Sex nach sieben). 1988 : exclue du SED, 1990-1992: conseillère en politique de santé du PDS/LL au BT, 1992-95: élue au CA de Hoh., adointe à la santé, 1996-2000 maire de Hoh. 2001-2002 maire de Friedrichshain-Kreuzberg. 2004 : Psychologue, conseille le PDS dans les questions de santé.

09.04.2002, café Lebensart de Kreuzberg, 1h15 + 45 mn offband

HOFF, Benjamin

Depuis 1995 député PDS à la CDB. PP économie, recherche et technologie. Depuis 1993 membre du PDS. Prépare un doctorat en sciences sociales

Né en 1976 à Berlin-Est. 1989: FDJ; 1990-1991 organisations de jeunesse de gauche, depuis 1992 Jungdemokraten/ Junge Linke. 1995 puis 1999: député à la CDB élu direct à Licht. ; 2002 : à Mitte. 2005 : Même situation.

05.07.2002, bureau de la CDB, 1h

HOFFMANN, Gregor

Député CDU à la CDB depuis 1999 Membre de la CDU depuis 1994

Né en 1970 (RDA) Employé administratif. 1995-1999: élu au CA de Hoh. Depuis 1997 chef de la section locale de la CDU (Licht.) 2005 : Député à la CDB

10.07.2002, son bureau de Ch. Dép. 1h25

Page 489: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

475

HOPFMANN, Karin

Députée à la CDB depuis 1995, experte (Fachpolitikerin) des questions de migration et de politique d'asile, PP de la politique à l’égard des réfugiés. Sans étiquette. Démarchée par le PDS.

(RDA). Hoh. 1989-1990 cofondatrice de l’ARIC, association antiraciste. 2005 : adhérente au PDS.

22.11.01cantine de la CDB, 1h

HORNIG, Jürgen

Membre du conseil municipal de Ch-W. depuis 1999. Entré au PDS par le SED (adhésion en 1973)

Né en 1955 (RDA). Adhérent de la section de Licht. Travaille à Ch-W. depuis 1996. 2005 : élu au conseil d’arrondissement de Charlottenbourg-Wilmersdorff

17.07.2002, bureau à la mairie de Ch-W. , 1h25

KAY, Thomas

Employé de banque, proche de la CDU. Aucune activité politique officielle depuis qu’il a démissionné des REP en 2001.

Né à Berlin (Ouest) en 1969. 1982 adhésion au SPD. 1992 adhésion aux REP. 1999: membre du comité régional des REP et président de la fédération régionale de Berlin de l’organisation de jeunesse des Republikaner (Republikanische Jugend). 1999-2001 : élu (REP) au CA de Hoh. 2002 : participe à la campagne électorale de la CDU. Depuis 2002 : Président de l’association de la CDU des employés chrétiens-démocrates de Lichtenberg (Christlich-Demokratische Arbeitnehmer in Lichtenberg )

22.03.2002, club Castro de Ch. 1h45

KÖDITZ, Kerstin

Depuis septembre 2001 députée du Landtag de Saxe. Co-fondatrice de l’AG Extrême droite de Saxe, Entrée au PDS par le SED (adhésion en 1989)

Née en 1967 (RDA) associations féministes, membre du directoire de la fédération régionale du PDS de Saxe depuis 1991, depuis 1997, présidente du PDS du Mülldentalkreis. Réélue députée en 2004

18.04.2002, son bureau au Landtag de Saxe (+ discussion de groupe), 1h45

LYNEN VON BERG, Heinz

Depuis le 15.09.2002, collaborateur scientifique à l’Institut für interdisziplinäre Konflikt- und Gewaltforschun) de l’Université de Bielefeld, Evaluation du programme CIVITAS

Né en 1962 (?) 2000: Publication de sa thèse de doctorat, 1999 – 2002: président de l’association Miteinander - Netzwerk für Demokratie und Weltoffenheit in Sachsen-Anhalt e.V., Magdeburg

19.09.2002, café Oren en terrasse, 1h30

NICOLE

Assistante de Ulla Jelpke, MdB. Sans étiquette. Prépare un doctorat en histoire

25-30 ans. Braunschweig (RFA). Active dans un groupe antifasciste autonome d’extrême gauche à l’adolescence.

18.01.2002, dans un café, Oren, 2h. Rejointe par un ami député PDS au BT

O.

Chargée de la condition des étrangers (Ausländerbeauftragte) à la mairie de H. depuis le milieu des années 1990. Sans étiquette.

Depuis le 1.12.2001: manager de quartier à L.. (Stadtteilmanagerin)

27.11.2001, bureau, mairie de Licht., 45mn

OSTROWSKI, Christine

1998- 2002 : MdB en charge des questions de logement et transports. Entrée au PDS par le SED (adhésion en 1968)

Née en 1945 (RDA). Depuis 1990 : Présidente de section du PDS pour Dresde. Mars-décembre 1990 : Députée à la Chambre du peuple (Volkskammer). 1993 : bref passage à la vice-présidence du PDS. 1994-1998 : députée au Landtag de Saxe.

09.07.2001, à son bureau du Bundestag, 1h45

Page 490: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

476

Depuis 2002, attachée de presse de la fraction du PDS au conseil communal de Dresde. Depuis 2004, conseillère communale PDS de la ville de Dresde.

SAYAN, Giyasettin

Député de la CDB, élu direct dans la C de Lichtenberg depuis 1995 (3ème mandat). Démarché par le PDS. Membre du PDS depuis 1999

Kurde de Turquie, immigré en RFA en 1973 (23 ans). 1982-1995 membre de la Liste Alternative (AL) puis de B90/G. 1994-1995 : Elu au CA de Wilmersdorf (Ouest). 2005 : député à la CDB de Berlin

14.11.2001, bureau de la CDB, 1h

SCHRADER, Michael

Depuis 1994 conseiller municipal (PDS) de la ville de Dresde (finances)

Né en 1970 (RDA). Membre de s’association de jeunesse Roter Baum

16.04.2002 bureau, siège de la fédération locale du PDS à Dresde, 1h10

SCHRÖDER, Helmut

Assistant de Petra Pau, MdB (PDS), présidente de la fédération régionale de Berlin

03.05.2001, bureau du BT, 1h45

SCHRÖDER, Richard

Depuis 2001 : membre du Comité national d’éthique. Intellectuel estimé, proche du SPD

Né en 1943 (RDA). Théologien, enseignant à l’université. Depuis 1993 : juge constitutionnel dans le Brandeboug. 1998-2000 : premier vice-président de la Humboldt-Universität de Berlin.

03.09.2002, à son domicile (Brandebourg), 1h30

SVEN

Collaborateur scientifique du Centre pour la Culture démocratique (ZdK, Zentrum demokratische Kultur) depuis décembre 2000.

Mars-août 2000 : Stagiaire au bureau d’Ulla Jelpke au BT

09.05.2001, dans son bureau au ZdK, 1h30

WAGEN-KNECHT, Sahra

Membre de la direction et figure charismatique de la Plate-forme Communiste du PDS (KPF, Kommunistische Plattform) depuis 1991. 2000-2003 : Membre du Comité directeur du PDS. Prépare un doctorat de philosophie.

Née en 1969 (RDA) Entre au SED en 1989. 1991-1995: membre du comité directeur du PDS. 1998: candidate au BT dans la C de Dortmund (3,25% des ères, 2,12% des 2èmes voix) 2004 : réélue au Comité directeur du PDS (jusqu’en 2006)

03.06.2002 dans un café en terrasse à côté du siège du PDS, 1h

WAGNER, Bernd

Directeur du ZdK (Zentrum für demokratische Kultur)

(RDA). Services de police criminelle de RDA (domaine : extrême droite). 1990-1991 (démission) directeur de la protection de l’Etat pour les NBL (Leiter der Abteilung Staatsschutz im damaligen Gemeinsamen Landeskriminalamt)

04.06.2002 bureau du ZdK 1h

WAGNER, Bernhard

Collaborateur scientifique (assistant pour les questions liées à l'extrême droite) d’ Annelie Buntenbach, MdB B90/Grünen. Sans étiquette

RFA (Bielefeld). Milieu associatif (lutte contre l’extrême droite)

11.07.2002, bureau du Bundestag, 1h

WEISBRICH, Thomas

Préside la fédération régionale de Berlin de l’organisation de jeunesse des Republikaner (Republikanische Jugend)

Succède à Thomas Kay à la présidence de la fédération locale des REP à Lichtenberg

31.01.2002, bureau au siège de la fédération berlinoise des REP, 1h45

Page 491: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

477

Annexe 2- Vie politique à Berlin Elections municipales et régionales Tableau 1- Elections à la CDB (Chambre des Députés berlinoise Est-Ouest 1999-2001 en pourcentage du

total des premières voix exprimées)

OUEST 1999 2001

EST 1999 2001

CDU 51,4 34,6 28,4 14,9

SPD 28,3 38,2 19,3 27,2 PDS 4,0 5,1 42,0 44,7 B90/GRÜNEN 11,0 10,0 5,9 6,1 FDP 2,3 11,1 1,2 5,3 REP 0,2 0,1 - - NPD - - 0,9 0,1

Source : Statististisches Landesamt Berlin (Office régional des statistiques de Berlin)

Tableau 2- Evolution de la composition de la CDB (en nombre de mandats) 1990 1995 1999 2001

Nombre de sièges 241 206 169 141 CDU 101 87 76 35 SPD 76 55 42 44 PDS 23 34 33 33 B90/GRÜNEN 11 30 18 14 Gr/AL 12 - - - FDP 18 - - 15

Source : Statististisches Landesamt Berlin

Tableau 3- Résultats de Lichtenberg aux élections à la CDB 1999 et 2001 en pourcentage des suffrages exprimés

2001 1999 1ères voix 2èmes voix 1ères voix 2èmes voix PARTICIPATION 62,2 62,6 61,7 61,7 CDU 14,7 12,3 27,9 26,1 SPD 25,5 21,8 17,0 16,1 PDS 51,4 53,2 47,3 44,8 GRÜNE 3,2 2,8 3,0 3,3 FDP 5,2 4,4 1,1 0,9 REP - 1,3 - 2,9 NPD - 2,1 - 2,0

Source : Statististisches Landesamt Berlin

Page 492: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

478

Graphique 1- Evolution de la répartition des sièges au sein de la CDB depuis 1990

0

20

40

60

80

100

120

1990 1995 1999 2001

CDU

SPD

PDS

B90/GRÜNEN

Gr/AL

FDP

Source : Statististisches Landesamt Berlin

Militantisme Tableau 4- Adhérents des six partis les plus importants par arrondissement en valeur brute et pourmille

de l’ensemble de la population de l’arrondissement (fin 1999) Arrondissement Population

totale CDU SPD PDS GRÜNE FDP REP T Total

1- Mitte, Tiergarten, Wedding 321 000 1588 4.9

2172 6.8

2007 6.2

412 1.3

291 0.9

123 0.4

6593 (20.5)

2-Friedrichshain, Kreuzberg 249 000 781 3.1

1305 5.2

1554 6.2

560 2.2

132 0.5

26 0.1

4358 (17.5)

3- Prenzlauer Berg, Weißensee, Pankow

332 000 557 1.7

918 2.8

3303 9.5

369 1.1

148 0.4

68 0.2

5363 (16.1)

4-Charlottenbourg-Wilmersdorf

318 000 2586 8.1

3165 9.9

40 0.1

538 1.7

494 1.5

42 0.1

6865 (21.6)

5- Spandau 223 000 1208 5.4

1505 6.7

68 0.3

74 0.3

221 1.0

43 0.2

3119 (14)

6-Zehlendorf, Steglitz 288 000 3021 10.5

2890 10.0

52 0.2

394 1.4

454 1.6

46 0.2

6857 (23.8)

7-Schöneberg, Tempelhof 338 000 1564 4.6

2651 7.8

87 0.3

503 1.5

465 1.4

45 0.1

5315 (15.7)

8- Neukölln 307 000 960 3.1

2068 6.7

36 0.1

236 0.8

117 0.4

46 0.2

3463 (11.3)

9-Treptow-Köpenick 229 000 500 2.2

672 2.9

3330 14.5

85 0.4

105 0.5

24 0.1

4716 (20.6)

10-Marzahn, Hellersdorf 268 000 378 1.4

346 1.3

1914 7.1

53 0.2

47 0.2

38 0.1

2776 10.3

11-Lichtenberg- Hohenschönhausen

267 000 374 1.4

407 1.5

3718 13.9

64 0.2

79 0.3

38 0.1

4680 (17.5)

12- Reinickendorf 247 000 1385 5.6

2325 9.4

55 0.2

126 0.5

305 1.2

66 0.3

4262 (17.2)

Total 14902

20424

16164

3414

2858

605

58357

Source : Statististisches Landesamt Berlin

Page 493: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

479

Tableau 5- Adhérents des six partis les plus importants par arrondissement en valeur brute et pour mille de l’ensemble de la population de l’arrondissement (fin 1999)

CDU SPD PDS GRÜNE FDP REP Total Arrondissements orientaux1386

1809 1.6

2343 2.1

12265 11.2

571 0.5

379 0.3

168 0.1

1 096 000 1,6 %

Arrondissements occidentaux1387

10724 6.2

14604 8.5

338

0.2

1871 1.1

2056 1.2

288 0.2

1 721 000 1,7 %

Arrondissements mixtes1388

2369 4.2

3477 6.1

3561

6.5

972 1.7

423 0.7

149 0.3

570 000 1,9 %

Total Pour Berlin

14902 4.4

20424 6.0

16164 4.8

3414 1.0

2858 0.8

605 0.2

3 387 000 1,7%

Source : Statististisches Landesamt Berlin

Tableau 6- Adhérents des six partis les plus importants par arrondissement en valeur brute et pourcentage de l’ensemble des adhérents par arrondissement (fin 1999)

Arrondissement CDU SPD PDS GRÜNE FDP REP Total 1- Mitte, Tiergarten, Wedding

1588 (24)

2172 (33)

2007 (30.4)

412 (6.3)

291 (4.4)

123 (1.9)

6593

2-Friedrichshain, Kreuzberg

781 (17.9)

1305 (30)

1554 (35.6)

560 (12.9)

132 (3)

26 (0.6)

4358

3- Prenzlauer Berg, Weißensee, Pankow

557 (10.4)

918 (17.2)

3303 (61.6)

369 (6.8)

148 (2.8)

68 (1.2)

5363

4-Charlottenbourg-Wilmersdorf

2586 (37.7)

3165 (46.1)

40 (0.6)

538 (7.8)

494 (7.2)

42 (0.6)

6865

5- Spandau 1208 (38.7)

1505 (48.2)

68 (2.2)

74 (2.4)

221 (7.1)

43 (1.4)

3119

6-Zehlendorf, Steglitz

3021 (44)

2890 (42.1)

52 (0.8)

394 (5.7)

454 (6.6)

46 (0.8)

6857

7-Schöneberg, Tempelhof

1564 (29.4)

2651 (49.9)

87 (1.6)

503 (9.5)

465 (8.7)

45 (0.9)

5315

8- Neukölln 960 (27.7)

2068 (59.7)

36 (1)

236 (6.8)

117 (3.4)

46 (1.4)

3463

9-Treptow-Köpenick 500 (10.6)

672 (14.2)

3330 (70.6)

85 (1.8)

105 (2.2)

24 (0.6)

4716

10-Marzahn, Hellersdorf

378 (13.6)

346 (12.4)

1914 (68.9)

53 (1.9)

47 (1.7)

38 (1.5)

2776

11-Lichtenberg- Hohenschönhausen

374 (8)

407 (8.7)

3718 (79.4)

64 (1.4)

79 (1.7)

38 (0.8)

4680

12- Reinickendorf 1385 (32.5)

2325 (54.5)

55 (1.3)

126 (2.9)

305 (7.1)

66 (1.7)

4262

Total 14902 (25.5)

20424 (35)

16164 (27.7)

3414 (5.8)

2858 (4.9)

605 (1.1)

58357

Source : Statististisches Landesamt Berlin

1386 3, 9, 10, 11. 1387 4, 5, 6, 7, 8. 1388 1, 2. 1388 Fin 1999 pour un total de 16 164 adhérents.

Page 494: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

480

Tableau 7- Rapporté à une moyenne Est-Ouest

CDU SPD PDS GRÜNE FDP REP Total Arrondissements orientaux1389

1809 (10.3)

2343 (13.4)

12265 (69.9)

571 (3.2)

379 (2.1)

168 (1.1)

17535

Arrondissements occidentaux1390

10724 (35.9)

14604 (48.9)

338

(1.1)

1871 (6.2)

2056 (6.9)

288 (0.7)

29881

Arrondissements mixtes1391

2369 (21.6)

3477 (31.7)

3561

(32.5)

972 (8.9)

423 (3.9)

149 (1.4)

10951

Total Pour Berlin

14902 (25.5)

20424 (35)

16164 (27.7)

3414 (5.8)

2858 (4.9)

605 (1.1)

58357

Source : Statististisches Landesamt Berlin

1389 3- Prenzlauer Berg, Weißensee, Pankow; 9-Treptow-Köpenick ; 10-Marzahn, Hellersdorf ; 11-Lichtenberg- Hohenschönhausen 1390 4-Charlottenbourg-Wilmersdorf ; 5- Spandau; 6-Zehlendorf, Steglitz; 7-Schöneberg, Tempelhof; 8- Neukölln 1391 1- Mitte, Tiergarten, Wedding; 2-Friedrichshain, Kreuzberg

Page 495: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

481

Graphiques 2 et 3- Répartition géographique des adhérents du PDS1392

20071554

3302

40 68 52 87 36

3330

1914

3718

550

1000

2000

3000

4000

Nombre d'adhérents

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

Arrondissement

Répartition des adhérents berlinois du PDS par arrondissement

12,49,6

20,4

0,3 0,4 0,3 0,5 0,2

20,6

11,9

23

0,50

5

10

15

20

25

Nombre d'adhérents

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

Arrondissement

Répartition des militants du PDS en pourcentage de l'ensemble des militants PDS berlinois

Source : Statististisches Landesamt Berlin et PDS-Landesverband Berlin

1- Mitte, Tiergarten, Wedding LEGENDE 2- Friedrichshain, Kreuzberg 3- Prenzlauer Berg, Weißensee, Pankow 4- Charlottenbourg-Wilmersdorf 5- Spandau 6- Zehlendorf, Steglitz 7- Schöneberg, Tempelhof 8 - Neukölln 9- Treptow-Köpenick 10- Marzahn, Hellersdorf 11- Lichtenberg- Hohenschönhausen 12- Reinickendorf

Page 496: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

482

Extrême droite : élections et adhérents Tableau 8- Résultats électoraux des partis d’extrême droite aux élections aux conseils d’arrondissement de

Berlin par arrondissement 1999 et progression par rapport à 1995

REP NPD Hellersdorf 1999

Marzahn-Hellersdorf 2001 3.0

1.6 (-1.4) 2.4

2.6 (+0.2) Hohenschönhausen 1999 3.5 1.8

Marzahn 1999 3.0 2.6 Wedding 1999 5.0 0.7

Lichtenberg 1999 Lichtenberg- Hohenschönhausen 2001

2.6 (+0.2) 1.4 (-1.2)

2.0 2.3 (+0.3)

Neukölln 1999 2001

3.6 (+0.4) 2.9 (-0.7)

1.1 -

Pankow 1999 2001

3.5 (+1.1) 1.5 (-2.0)

1.1 1.4 (+0.3)

Reinickendorf 1999 3.2 (+0.3) 0.5 Treptow-Köpenick 2001 - 2.3

Charlottenbourg-Wilmersdorf 2001 1.2 - Source : Statististisches Landesamt Berlin

Tableau 9- Evolution du nombre d’adhérents des trois principaux partis d’extrême droite à Berlin

1999 2000 REP 750 600 DVU 630 630 NPD 220 240 JN1393 30 30

Source : Landesamt für Verfassungschutz Berlin (Office régional de protection de la constitution)

Graphique 4- Evolution du nombre d’adhérents berlinois aux REP à Berlin, Lichtenberg et Charlottenbourg 1992-2001 (en nombre brut d’adhérents)

1174

50132

1016

42 98

997

44 84

833

36 72

783

35 71

868

43 69

782

43 59

605

38 42

583

39 37

541

3431

0

200

400

600

800

1000

1200

1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Berlin Lichtenberg Charlottenbourg

Source : Statististisches Landesamt Berlin

1393 Junge Nationaldemokraten, organisation de jeunesse officieuse du NPD.

Page 497: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

483

Graphique 5 : Répartition des différentes composantes de l’extrême droite à Berlin en 2001

1500

550

280

440145 partis d'extrême droite

Skinheads

autres extrémistes violents

néonazis

autres organisations

Source : Landesamt für Verfassungschutz Berlin

Graphique 6- Arrondissement de domiciliation des Skinheads violents et des auteurs de délits connus par

les services de police pour l’année 1996

421 2

8 185 8

413 92 5

445 36

0 544

0 120

335 18

4 135 19

1 256 45

7 2411 22

4 10

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45

CharlottenbourgKreuzberg

NeuköllnReinickendorf

SchönebergSpandau

SteglitzTempelhof

TreptowTiergarten

WeissenseeWilmersdorf

ZehlendorfWedding

Prenzlauer BergMitte

FriedrichshainKöpenickMarzahn

HellersdorfLichtenberg

Hohenschönha

Arrondissement

Skinheads violents domiciliés (valeur brute) domicile des auteurs de délits enregistrés en 2000

Source : Landesamt für Verfassungschutz Berlin

Page 498: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

484

Annexe 3- Vie politique dans les arrondissements de Lichtenberg- Hohenschönhausen et Charlottenbourg-Wilmersdorf (Berlin)

Les conseils d’arrondissements respectifs de Lichtenberg et de Hohenschönhausen avant la fusion

Graphique 7 et 8- Evolution de la composition du conseil d’arrondissement de Lichtenberg

Lichtenberg 1990

7

36

23

PDS CDU SPD B90/G. Autres

Source : Statististisches Landesamt Berlin Graphiques 9, 10 et 11- Evolution de la composition du conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen

Composition du conseil d'arrondissement de H. 1990-1992

48

20

34

10

PDS CDU SPD B90/G.

Composition du conseil d'arrondissement de H. 1992-1995

18

6

13

2

PDS CDU SPD REP

Source : Statististisches Landesamt Berlin

Composition du conseil de H. 1995-1999

21

11

9

4

PDS CDU SPD GRÜNE

Lichtenberg 1992

17

7

15

6 0

PDS CDU SPD B90/G. Autres

Page 499: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

485

Charlottenbourg-Wilmersdorf

Tableau 10- Mandats de conseillers d’arrondissement de C. et de W. (valeur brute)

C. 1989

W. 1989

C-W. 1999

C-W. 2001

PDS - - 2 2 CDU 17 20 33 18 SPD 17 15 20 20 B90/G AL/ 8 AL: 8 11 8 FDP - - 1 7 REP 3 2 - -

Autres partis ou sans étiquette

- - 2 -

Source : Statististisches Landesamt Berlin

Graphique 12- Evolution des adhésions au PDS à C-W

01020304050

1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Charlottenbourg

Source : Statististisches Landesamt Berlin

Graphique 13 : Approche comparative de l’évolution du nombre d’adhérents du PDS à Berlin, Lichtenberg et Charlottenbourg 1992-2001 (en nombre brut d’adhérents)

0

5000

10000

15000

20000

25000

1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

Berlin Lichtenberg Charlottenbourg

Source : Statististisches Landesamt Berlin

Page 500: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

486

Annexe 4- Vie politique de Dresde (Saxe)

Tableau 11- Elections des conseillers municipaux (Stadtratswahl) de la ville de Dresde

1990 1994 1999 2004 Taux de participation 71,26 66,96 CDU 39,3 34,2 42,8 28,2 PDS 15,3 22,2 24,2 23,8 SPD 9,6 14,7 13,2 11,5 GRÜNE 11,9 1394 8,3 5,8 12,1 FDP 0,8 4,8 4 7,3 DSU 8,4 3,3 2,9 2,2 WÄHLERVEREINIGUNGEN 6,2 BÜRGERFRAKTION 9,2 VOLKSSOLIDARITÄT 1,3 2,5 3,1 FREIE BÜRGER 2,3 2,7 BÜRGERLISTE 3,9 NATIONALES BÜNDNIS DRESDEN

4

AUTRES 12,5 1395 Source : Statistisches Landesamt des Freistaates Sachsen, Amt für Informationsverarbeitung, Statistik und

Wahlen1396

Tableau 12- Evolution de la composition du conseil communal de la ville de Dresde

1990 1994 1999 2004 CDU 51 25 32 21 PDS 20 16 18 17 SPD 13 11 9 8 GRÜNE 16 1397 6 4 9 FDP 1 3 2 5 DSU 11 2 2 1 WÄHLERVEREINIGUNGEN - 3 - BÜRGERFRAKTION 7 - - VOLKSSOLIDARITÄT 2 - - 2 FREIE BÜRGER - - 2 BÜRGERLISTE - - 2 NATIONALES BÜNDNIS DRESDEN

- - 3

AUTRES 16 1398 TOTAL 130 70 70 70

Source: Statistisches Landesamt des Freistaates Sachsen, Amt für Informationsverarbeitung, Statistik und Wahlen 1399

1394 Bündnis 90 et Grünen. 1395 Gruppe der 20 (5,7%), Bund Freier Demokraten (4,7%), Demokratischer Frauenbund BFB (0,8%), Unabhängiger Frauenverband UFV (0,7%) et Bürgerkomitee Hellerau (0,6%). 1396 http://www.dresden-online.de/index.php3?g=3&id=2003, 22.06.2005. 1397 Bündnis 90 et Grünen. 1398 Gruppe der 20 (7), Bund Freier Demokraten (6), Demokratischer Frauenbund BFB (1), Unabhängiger Frauenverband UFV (1) et Bürgerkomitee Hellerau (1). 1399 http://www.dresden-online.de/index.php3?g=3&id=2003, 22.06.2005.

Page 501: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Annexes

487

Annexes 5- Affiches de campagne du PDS

Les nazis, dehors ! Disparaissez de nos esprits

Pas de place pour les nazis !

Ne leur laissez aucune chance ! Le 27 septembre, votez à gauche

Source : PDS, http://sozialisten.de/service/download/plakate/gegen_nazis/index.htm, 25.11. 2005.

Page 502: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

488

Page 503: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

489

BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE INDICATIVE

SOURCES PRIMAIRES.................................................................491 Documentation institutionnelle .....................................................................................491

Documentation parlementaire.....................................................................................491 Rapports de commissions ou de ministères................................................................491 Autres supports ...........................................................................................................491

Documentation du PDS..................................................................................................492 Déclarations relatives à l’antifascisme et à l’extrême droite ......................................492 Presse proche du PDS.................................................................................................492 Autres supports : CD-Rom et sites internet ................................................................493

SOURCES SECONDAIRES ..........................................................494

Généralités : dictionnaires et manuels ......................................................................................... 494

I- CADRE THEORIQUE : UNE APPROCHE SOCIOLOGIQUE DE L’ACTION POLITIQUE .........................................................494 1. LES PARTIS POLITIQUES ...........................................494 Ouvrages classiques et généralités .............................................................................................. 494 Approche comparative des systèmes politiques et électoraux..................................................... 495 Quelques études classiques.......................................................................................................... 495

PCF ....................................................................................................................................................... 495 Front national ........................................................................................................................................ 495

2. APPROCHE LOCALE DE L’ACTIVITE POLITIQUE.........495 Le personnel politique local ........................................................................................................ 496 Le maire, ses fonctions et ses relations à l’organisation partisane .............................................. 496

3. LA DEMOCRATIE REPRESENTATIVE ENTRE EXIGENCES ET DYSFONCTIONNEMENT ...........................................497 Les fondements de la démocratie représentative : Idéologie et pratiques ................................... 497

Règles et fonctionnement du jeu politique ............................................................................................ 497 Ennemi, inimitié et adversité................................................................................................................. 497 Idéologies, identités et cultures politiques ............................................................................................ 497

Logiques de représentation.......................................................................................................... 498 Rôles et fonctions.................................................................................................................................. 498 Savants, politiques et expertise ............................................................................................................. 498 Déviance, crise et scandale.................................................................................................................... 498 Populisme.............................................................................................................................................. 498 Clientélisme .......................................................................................................................................... 499

Activités parlementaires .............................................................................................................. 499 Approche juridique................................................................................................................................ 499 Approche sociologique.......................................................................................................................... 499 Activités parlementaires du PDS........................................................................................................... 500

4. MOBILISATIONS POLITIQUE ET SOCIALE...................500 Formes traditionnelles de participation politique ........................................................................ 500 Mobilisation collective et contestataire ....................................................................................... 500

Manifestations ....................................................................................................................................... 501 Mobilisations antiraciste et contre l’extrême droite .................................................................... 501

5. METHODOLOGIE : APPROCHE QUALITATIVE ET TRAVAIL DE TERRAIN ..................................................................501

Page 504: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

490

II- CADRE ANALYTIQUE : L’ANALYSE DU PDS ET DE

L’EXTREME DROITE DANS LES NOUVEAUX LÄNDER ...502 1. LES EFFETS DE L’UNIFICATION.................................502 Ouvrages généraux et de référence sur le processus d’unification et ses conséquences politiques..................................................................................................................................................... 502

2. LE SYSTEME POLITIQUE ALLEMAND .........................503 Généralités en langue française ................................................................................................... 503 Partis politiques et comportement électoral en RFA................................................................... 503 Et à Berlin.................................................................................................................................... 504 Analyse d’élections particulières................................................................................................. 505

3. LE PDS DANS LES NOUVEAUX LÄNDER......................505 PDS.............................................................................................................................................. 505 Du SED au PDS .......................................................................................................................... 506 Fonction du PDS au sein de l’échiquier politique allemand........................................................ 507 Littérature grise (publications proches du PDS).......................................................................... 507 Le PDS, l’antifascisme et l’extrême droite.................................................................................. 507

Débats internes ...................................................................................................................................... 507 Analyses ................................................................................................................................................ 508

4. LE POIDS DU PASSE : L’HERITAGE DE LA RDA ET DU TROISIEME REICH.........................................................508 Généralités................................................................................................................................... 508

Ouvrages de référence en RDA............................................................................................................. 508 Ouvrages de référence sur la RDA........................................................................................................ 508

Historiographie de l’antifascisme de la RDA et sa réception en RFA ........................................ 508 Nationalisme et situation des étrangers en RDA......................................................................... 510 Héritage de la RDA et xénophobie dans les NBL....................................................................... 510 Racisme et xénophobie- Généralités ........................................................................................... 510 L’extrême droite en RDA............................................................................................................ 511

Publications datant de la période de la RDA......................................................................................... 511 Le NDPD .............................................................................................................................................. 511

Les anciens membres du NSDAP en RDA : entre dénazification et coopération ....................... 511

5. L'EXTREMISME POLITIQUE DANS LES NOUVEAUX LÄNDER.........................................................................512 Ouvrages généraux et approches européennes de l’extrémisme de droite .................................. 512 L’extrémisme politique face aux institutions démocratiques de l’Allemagne unifiée ................ 512 Analyse des partis communistes comme relevant de l’extrême gauche...................................... 513 L'extrême droite dans l’Allemagne unifiée ................................................................................. 513

Généralités ............................................................................................................................................ 513 Phénomène politique............................................................................................................................. 514 Comportement électoral ........................................................................................................................ 514 Nouvelle droite...................................................................................................................................... 515 L’extrême droite comme phénomène culturel et violent....................................................................... 515

Comparaison ou relation (extrême)-gauche et extrême droite .................................................... 515

6. POSTCOMMUNISME, EXTREME DROITE ET COMMUNISME ..........................................................516 Systèmes et partis politiques dans l’Europe centrale post-communiste ...................................... 516 Les anciens partis communistes au pouvoir ................................................................................ 517 Extrémismes et nationalismes en transition................................................................................. 517

Page 505: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

491

Cette bibliographie est conçue comme un outil et n’a aucune prétention à l’exhaustivité, surtout en ce qui concerne les domaines bien couverts par la recherche française, notamment l’extrême droite. Ont essentiellement été consultés les fonds des bibliothèques de l’IEP de Paris, de la Humboldt-Universität de Berlin, de la Staatsbibliothek de Berlin, du Centre Marc Bloch (Berlin) ainsi que les archives du PDS à son siège berlinois et à la Fondation Rosa-Luxembourg (Berlin). Le lieu de publication des ouvrages français, lorsqu’il s’agit de Paris, n’est pas précisé. Abréviations utilisées : FNSP : Fondation Nationale des Sciences Politiques PUF : Presses Universitaires de France RFSP : Revue Française de Science Politique

SOURCES PRIMAIRES

Documentation institutionnelle Documentation parlementaire Documentation parlementaire des différents groupes au Bundestag, à la Chambre des députés de Berlin (Berliner

Abgeordnetenhaus) et au Landtag de Saxe (initiatives législatives, questions au gouvernement..). Deutscher Bundestag : Chronik Source. Gesetze. Statistik. Dokumentation. (12ème et 13ème législatures). Referat

Öffentlichkeitsarbeit. Sur internet, ces sites institutionnels disposent d’un service de documentation (Infothek) qui met en ligne ces

divers documents. Voir par exemple : http://www.sachsen.landtag.de (Landtag de Saxe) Rapports de commissions ou de ministères Rapports de la commission d’enquête du Bundestag “Etude de l’histoire et des conséquences de la dictature du

SED”. Deutscher Bundestag (dir.): Materialien der Enquete-Kommission „Aufarbeitung von Geschichte und Folgen der SED-Diktatur in Deutschland“. Baden-Baden/Francfort sur le Main : Nomos/Suhrkamp, 1995, 9 volumes.

Publications de l'Office fédéral pour la protection de la constitution

(Bundesverfassungschutz) et de ses branches régionales Rapports officiels annuels de l’Instance fédérale de protection de la constitution pour les années 1989-2000 Rapport annuel des instances régionales de protection de la constitution des cinq nouveaux Länder Pour Berlin: rapport du ministère de l'intérieur sur la sécurité intérieure. Autres supports Sites internet institutionnels

http://www.europarl.eu. (site du Parlement européen) http://www.bundesregierung.de/ (site du gouvernement fédéral. on y trouve notamment le site du Ministère de

l’Intérieur et les rapports du “Verfassungsschutz”, office pour la protection de la constitution) http://www.bundestag.de Vie politique et administrative régionale et locale

http://www.berlin.de http://www.berlin.de/ba-lichtenberg/index.html (Site officiel de l’arrondissement de Berlin-Lichtenberg) http://www.sachsen.de (Saxe) http://www.dresden.de

Page 506: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

492

Documentation du PDS Largement diffusée (Programmes, matériel de campagne et discours, décisions des Congrès) ou à usage

interne (notes et prises de position, travail préparatif des différents groupes de travail). Voir le Presse- und Informationsdienst (PID) et le portail du PDS sur internet http://www.sozialisten.de.

Déclarations relatives à l’antifascisme et à l’extrême droite1400 BÖTTCHER Klaus, MADLOCH Norbert, PFAFF Werner, RICHTER Wolf: Nachdenken über Antifaschismus

(Réflexions sur l’antifascisme). Fünf Jahre PDS in der Bundesrepublik Deutschland- die historisch-politische Debatte der PDS. Conférence des 25 et 26 novembre 1995, manuscript, Berlin, 1995. (Document élaboré par l’AG Extrémisme de droite/ Antifascisme)

PDS : « Antifaschistische Politik heute, Positionen der PDS- Beschluss der 2. Tagung des 3. Parteitages der PDS“ (Une position antifasciste aujourd’hui. Positions du PDS – Résolution de la seconde session du troisième Congrès du PDS). Presse- und Informationsdienst (PID), 13/14, 1993, pp. 35-38. (Exemple de déclaration antifasciste du parti)

Ouvrages collectifs édités par ou pour le PDS Collectif : Kein Sommerloch. Diskussionen-Strategien- Differenzen. Berlin : PDS-Landesverband Berlin, 2000.

(recueil de prises de position de personnalités du ou proches du PDS en réaction au débat de l’été 2000). PAU Petra, HEILIG Dominic (dir.) : Internationale Berliner Konferenz. Für eine tolerante Gesellschaft- gegen

Rechtsextremismus und Rassismus. (Conférence internationale. Pour une société tolérante- contre l’extrême droite et le racisme). Berlin : Karl Dietz Verlag, 2001. (Conférence organisée les 12 et 13 mai 2001 à Berlin)

Etudes non publiées WAGNER Bernd, BORSTEL Dierk, KORGEL Lorenz, SISCHKA Kerstin: Rechtsextreme Tendenzen und

Erfordernisse demokratischen Handelns in Berlin-Hohenschönhausen. Eine Pilotuntersuchung 1999/2000 im Auftrag des Bezirksamtes Berlin-Hohenschönhausen. (Tendances d’extrême droite et fondements d’une action démocratique à Berlin-H) Etude pilote commandée par l’arrondissement de Berlin-H. Editée par le Zentrum für demokratische Kultur, 2000.

CHRAPA Michael, WITTICH Dietmar: Die Mitgliedschaft, der große Lümmel… Studie zur Mitgliederbefragung 2000 der PDS. Mai 2001. Etude commandée par le PDS.

Autres OSTROWSKI Christine : Der « Fall Ostrowski ». Dresde : Projekt Piccolo, 1993.

Presse proche du PDS Junge Welt PDS-Pressedienst Disput Neues Deutschland Intern Sozialismus

1400 Les prises de position du PDS sur l’extrême droite et l’antifascisme sont développées dans le chapitre 2 section 1, notamment à l’aide d’une chronologie.

Page 507: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

493

Autres supports : CD-Rom et sites internet CD-Rom: PDS Handeln gegen Rechts. Dokumente, Aktionen, Plakate, Flugblätter der PDS zum Kampf gegen

den Rechtsextremismus 1990-2000. CD-Rom, 2001. Sites Internet du PDS1401 Site officiel généraliste http://www.sozialisten.de Sites officiels sectoriels http://www.linksfraktion.de/politik/aktuell/index.htm (au Bundestag) http://www.pds-europa.de/ (au Parlement européen) Sites régionaux et locaux du PDS http://www.pds-berlin.de/ (fédération de Berlin) http://www.linkspartei-sachsen.de/ (fédération de Saxe) http://www.pds-lichtenberg.de/ (section locale de Lichtenberg) Site du groupe de travail « Extrême droite/ Antifascisme » http://sozialisten.de/partei/strukturen/agigs/ag_rechtsextremismus/index.htm Fondation Rosa Luxembourg http://www.rosalux.de/cms/index.php?aktuell Pages ou sites personnels des personnes et responsables interrogés http://www.baerbel-grygier.de http://www.christine.ostrowski.de http://www.petra-pau.de http://www.gesine-loetzsch.de

1401 Mis à jour le 23 novembre 2005.

Page 508: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

494

SOURCES SECONDAIRES

Généralités : dictionnaires et manuels

En langue française BOUDON Raymond, BOURRICAUD François : Dictionnaire critique de la sociologie. PUF, 1990. COLAS Dominique : Dictionnaire de la pensée politique : auteurs, œuvres, notions. Larousse, 1997. COLAS Dominique : Sociologie politique. PUF, collection Quadrige, 2002. HASTINGS Michel : Aborder la science politique. Seuil, 1996. LAGROYE Jacques, FRANCOIS Bastien, SAWICKI Frédéric : Sociologie politique. Dalloz/ Presses de la

FNSP, 2002 (4ème édition de l’ouvrage classique de J. Lagroye). GRAWITZ Madeleine, LECA Jean : Traité de science politique. Tome 3 (L’action politique). PUF, 1985.

En langue allemande EPPELMAN Rainer, MÖLLER Horst, NOOKE Günter, WILMS Dorothee (dir.): Lexikon des DDR-Sozialismus.

Das Staats- und Gesellschaftssystem der DDR. (Dictionnaire du socialisme de la RDA. Le système étatique et social de la RDA). Paderborn: Verlag Ferdinand Schöningh, 1997 (2ème édition), 2 volumes.

FETSCHER Iring: Pipers Handbuch der politischen Ideen. (Encyclopédie des idées politiques) Vol 5., Munich : Piper, 1987. (Notamment l’article de Klascheuer sur Gramsci pp. 588-601).

GREIFFENHAGEN Martin, GREIFFENHAGEN Sylvia, PRÄTORIUS Rainer: Handwörterbuch zur politischen Kultur der Bundesrepublik Deutschland. Ein Lehr- und Nachschlagewerk (Dictionnaire de la culture politique de la RFA) Opladen: Westdeutscher Verlag GmbH (Reihe Studienbücher zur Sozialwissenschaft), 1981.

KERBER Harold, SCHMIEDER Arnold (dir.): Handbuch Soziologie: Zur Theorie und Praxis sozialer Beziehungen. (Manuel de sociologie) Hambourg: Rowohlt Taschenbuch Verlag, 1991.

LANGENBUCHER Wolfgang R., RYTLEWSKI Ralf, WEYERGRAF Bernd (dir.): Kulturpolitisches Wörterbuch Bundesrepublik Deutschland/ DDR im Vergleich (Dictionnaire comparé de la culture politique de la RFA et de la RDA). Stuttgart: J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, 1983.

NOHLEN Dieter, SCHULTZE Rainer-Olaf (dir.): Lexikon der Politikwissenschaft. Theorien, Methoden, Begriffe. Nördlingen: C.H. Beck, 2004 (2ème édition), 2 volumes.

WEBER Max : Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriss der verstehenden Soziologie. Tubingen : J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1980, 5ème édition (Studienausgabe de J. Winckelmann). Pour la traduction: M. Weber : Economie et société. Plon, coll. Pocket, 1995, 2 tomes.

I- CADRE THEORIQUE : UNE APPROCHE SOCIOLOGIQUE DE L’ACTION POLITIQUE

1. LES PARTIS POLITIQUES

Ouvrages classiques et généralités « Un Que sais-je ? en questions. Débat autour des Partis politiques de Michel Offerlé ». Politix, 2, 1988, pp. 46-

59. Discussion autour de Jean Leca et Michel Offerlé. DUVERGER Maurice: Les partis politiques. Points-politique, 1981 (10ème éd.) KIRCHHEIMER Otto : « Der Wandel des europäischen Parteisystems ». Politische Vierteljahresschrift, 1, 1965,

pp. 20-41. LAURENT Annie, VILLALBA Bruno (dir.) : Les Petits Partis. De la petitesse en politique. L’Harmattan, 1998. LAVAU Georges: Partis politiques et réalités sociales. Armand Colin, 1953.

Page 509: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

495

MICHELS Robert: Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties. (Zur Soziologie des Parteiwesens in der modernen Demokratie. Untersuchungen über die oligarchischen Tendenzen des Gruppenlebens. Traduit de l’allemand par Dr. S. Jankelevitch) Flammarion, 1971.

OFFERLE Michel : Les partis politiques. PUF (Coll. Que sais-je ?), 1987. OSTROGORSKI Moisei : La démocratie et les partis politiques. Fayard, 1993 (1ère éd. 1903). REY Henri, SUBILEAU Françoise: Les militants socialistes à l'épreuve du pouvoir. Presses de la FNSP, 1991.

Approche comparative des systèmes politiques et électoraux CADART Jacques (dir) : Les Modes de scrutin des 18 pays libres de l'Europe occidentale. PUF, 1983. MENY Yves, SUREL Yves : Politique comparée. Les démocraties. Allemagne, Etats-Unis, France, Grande-

Bretagne, Italie. Editions Montchrestien EJA, 2001 (6ème édition). QUERMONNE Jean-Louis : Les régimes politiques occidentaux. Edition du Seuil, 1986. SEILER Daniel- Louis : De la comparaison des partis politiques. Economica, 1986.

En langue allemande GABRIEL W. Oskar, NIEDERMAYER Oskar, STÖSS Richard (dir.): Parteiendemokratie in Deutschland. (La

démocratie des partis en Allemagne). Wiesbaden: Westdeutscher Verlag, 2002 (2ème édition). STÖSS Richard, NIEDERMAYER Oskar: Stand und Perspektiven der Parteienforschung in Deutschland.

Opladen : Westdeutscher Verlag, 1993.

Quelques études classiques PCF LAVAU Georges : A quoi sert le parti communiste français ? Fayard, 1981. LAZAR Marc : Le communisme. Une passion française. Perrin, 2002. PUDAL Bernard : Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF. Presses de la FNSP, 1989. VERDES-LEROUX Jeannine : « Une institution totale auto-perpétuée: le PCF » Actes de la Recherche en

Sciences Sociales, 36-37, 1981, pp. 33-63. Front national BIRENBAUM Guy : Le Front national en politique. Ed. Balland, 1992. BIRENBAUM Guy : « Le Front national à l'assemblée (1986-1988) Respect et subversion de la règle du jeu

parlementaire ». Politix, 20, 1992, pp. 99-118. MATONTI Frédérique : « Le Front national forme ses cadres ». Genèses, 10, 1993, pp. 136-145. MAYER Nonna, PERRINEAU Pascal (dir.) : Le Front National à découvert. Presses de la FNSP, 1989. MAYER Nonna : Ces Français qui votent Front National. Flammarion, 1999.

2. APPROCHE LOCALE DE L’ACTIVITE POLITIQUE BRIQUET Jean-Louis, SAWICKI Frédéric: « L’analyse localisée du politique. Lieux de recherche ou recherche

de lieux ? » Politix, 7/8,1989, pp. 6-16. GAXIE Daniel, LEHINGUE Patrick : Enjeux municipaux- la constitution des enjeux politiques dans une élection

municipale. Paris, Centre Universitaire de Recherches Administratives et Politiques de Picardie (CURAPP), PUF, 1984.

GAXIE Daniel : « Enjeux électoraux, enjeux municipaux » Politix, 5, 1989, pp. 17-23. LEVY Jean (dir.): Géographies du politique. Presses de la FNSP, 1991 (En particulier l’article de J. Agnew :

« Les lieux contre la sociologie politique » pp. 145-160) LAGROYE Jacques : Société et politique. Chaban-Delmas à Bordeaux. Pedone, 1973. LEFEBVRE Rémi : « Le socialisme français soluble dans l’institution municipale ? Forme partisane et emprise

institutionnelle : Roubaix (1892-1983) ». RFSP, 54 (2), 2004, pp. 237-260 MABILEAU Albert: A la recherche du local. L'Harmattan, 1993 (notamment J. Lagroye : « De l'objet local à

l’horizon local des pratiques »)

Page 510: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

496

MAYER Nonna, MERCIER Arnaud, PECHU Cécile, REY Henri [et al.] : Changement social, changement politique à Aulnay-sous-Bois. Les cahiers du Cevipof. Cevipof/ FNSP/CNRS, décembre 1992.

SAWICKI Frédéric : Les réseaux du Parti Socialiste. Sociologie d’un milieu partisan. Belin, 1997. SAWICKI Frédéric: « Questions de recherche. Pour une analyse locale des partis politiques » Politix 2, 1988, pp.

13-28. SAWICKI Frédéric : « La science politique et l’étude des partis politiques » Découverte de la science politique,

Les Cahiers français, la Documentation Française, 1996.

Le personnel politique local CRIQUI Etienne: Le personnel politique local. Presses universitaires de Nancy, 1986. GARRAUD Philippe: « La sélection du personnel politique local » RFSP, 38 (3), 1989, pp. 402-432. GEMEP (Groupe d’Etude du métier politique)- Centre de Recherches politiques de la Sorbonne Université Paris

1 : Métier politique et communication. Rapport de recherche, 1990. (Auteurs : G. Birenbaum, Briquet, B. François, P. Garraud, J. Lagroye, J-B Legavre, F. Sawicki)

PERRON Catherine: La transformation des élites politiques locales tchèques et est-allemandes, 1989-1998. Une comparaison de la construction démocratique dans deux sociétés post-communistes. Thèse de science politique, dir. : J. Rupnik, FNSP, IEP Paris, janvier 2002.

PERRON Catherine: Les pionniers de la démocratie. Elites politiques locales tchèques et est-allemandes 1989-1998. PUF (Partage du savoir/ Le Monde), 2004.

Le maire, ses fonctions et ses relations à l’organisation partisane GARRAUD Philippe: « Les contraintes partisanes de l’élu local. Sur quelques interactions observées dans

l’agglomération bordelaise autour des élections municipales de 1989 » Politix, 28, 1994 (Le métier d’élu- Jeux de rôles), pp. 113-126.

GARRAUD Philippe: « Savoir-faire et mobilisation des croyances dans le métier de maire » Politix,5, 1989, pp.11-16.

GARRAUD Philippe : Profession : homme politique- la carrière politique des maires urbains. L’Harmattan (coll. Logiques sociales), 1989.

GAXIE Daniel : « Le maire entre disciplines et libertés. Remarques sur les limites du travail politique » Politix, 28, 1994 (Le métier d’élu- Jeux de rôles), pp. 140-148.

LE BART Christian, FONTAINE Joseph (dir): Le métier d'élu local. L'Harmattan, 1994. (en particulier J. Le Bohec : « Le travail de mobilisation électorale et de dénégation de leur intérêt effectué par les maires » pp. 187-246)

SAWICKI Frédéric : « La marge de manœuvre des candidats par rapport aux partis dans les campagnes électorales » Pouvoirs, (63), 1992, pp. 5-16.

En langue allemande

BENZLER Susanne, BULLMANN Udo, EISSEL Dieter : Deutschland- Ost vor Ort. Anfänge der lokalen Politik in den NBL (Allemagne- L’Est par le terrain. Les débuts de la politique locale dans les NBL) Opladen: Leske und Budrich, 1995.

KAACK Heino: « Die Basis der Parteien. Struktur und Funktionen der Ortsvereine » (La base des partis. Structure et fonctions des organisations locales) Zeitschrift für Parlamentsfragen, 1, 1971.

KOST Andreas, WEHLING Hans-Georg (dir.) : Komunalpolitik in den deutschen Ländern. Eine Einführung (La politique communale dans les Länder). Wiesbaden : Westdeutscher Verlag, 2003.

RAUSCH Heinz, STAMMEN Theo : Aspekte und Probleme der Kommunalpolitik. (Aspects et problème de la politique communale) Munich: Vögel, 1977.

ROTH Roland, WOLLMANN Helmut (dir) : Kommunalpolitik. Politisches Handeln in den Gemeinden. (La politique communale) Opladen, 1994. (En particulier l’article de E. Holtmann: „Parteien in der lokalen Politik“ pp. 256-270)

SCHEUCH Erwin K. : Cliquen, Klüngel und Karrieren. Über den Verfall der politischen Parteien. Eine Studie (Cliques et carrières. Du déclin des partis politiques). Reinbek : Rowohlt, 1992.

SUCKOW Achim: Lokale Parteiorganisationen - angesiedelt zwischen Bundespartei und lokaler Gesellschaft. Oldenburg: BIS, 1989.

Page 511: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

497

WAGNER Peter M. : Die NPD in der Kommunalpolitik: Ursachen der Erfolge einer rechtsextremistischen Partei in Villingen-Schwenningen. (Le NPD dans la politique communale). Freiburg in Breisgau: Arnold-Bergstraesser-Institut, 1992.

WOLLMANN Hellmut, DERLIEN Hans-Ulrich, KÖNIG Klaus [et al.] : Transformation der politisch-administrativen Strukturen Ostdeutschland. Opladen : Leske und Budrich, 1997.

3. LA DEMOCRATIE REPRESENTATIVE ENTRE EXIGENCES ET DYSFONCTIONNEMENT

Les fondements de la démocratie représentative : Idéologie et pratiques

Règles et fonctionnement du jeu politique BAILEY Frederik George : Les règles du jeu politique. Etude anthropologique. (Stratagems and Spoils. A Social

Anthropology of Politics) Traduit par J. Copans. PUF, 1971. EDELMAN Murray : Pièces et règles du jeu politique. (Constructing the Political Spectacle) Traduit de

l’anglais par Christian Cler. Le Seuil, 1991.

THUILLIER Guy : Le jeu politique. Editions Economica, 1992. Ennemi, inimitié et adversité BEAUD Olivier : Les derniers jours de Weimar. Carl Schmitt face à l’avénement du nazisme. Descartes & Cie,

1997. BERGOUGNOU Alain, MANIN Bernard : « L’exclu de la nation. La gauche française et son mythe de

l’adversaire » Le Débat, 5, 1980, pp. 45-53. BIRNBAUM Pierre : Le Peuple et le Gros. Grasset, 1979. BUIS Claire-Lise : L’extrême droite en Allemagne, figure de l’ennemi intérieur ? L’interdiction du NPD et la

question du pluralisme dans un cadre démocratique. Mémoire de DEA de Pensée politique, IEP Paris, dir. : M. Sadoun, 2001.

CAMPAGNA Norbert : Le droit, le politique et la guerre. Deux chapitres sur la doctrine de Carl Schmitt. Sainte-Foy (Québec) : Les Presses de l’Université de Laval, 2004.

COLLECTIF : Cultures et conflits, 43, 2001 (Construire l’ennemi intérieur). COLLECTIF : Le Débat, n°131, 9-10, 2004 (Y-a-t-il un bon usage de Carl Schmitt ? pp. 127-167). COLLECTIF : « Les figures de l’ennemi intérieur ». Table ronde n°6, Congrès de l’AFSP, Rennes, 28.09.-

01.10.1999. COLLECTIF : Raisons politiques, 5, 2002. DERRIDA Jacques : Politiques de l’amitié. Galilée, 1994. (en particulier les chapitres 5 et 6) JAUME Lucien : « Carl Schmitt, la politique de l’inimitié ». Historia Constitucional, (revue électronique) 5,

2004, pp. 536-550. GRUNBERG Gérard : « Le parti socialiste et la représentation de l’adversaire » Intervention, 4, 1983. LINDENBERG David : « Les droites vues de gauche » Les Temps modernes, 465, 1985, pp. 1893-1902. REMOND René : « La droite ressemble-t-elle à l’idée que s’en fait la gauche ? » Projet 175, 1983, pp. 454-463. SCHMITT Carl : La notion de politique (Der Begriff des Politischen) Traduit de l’allemand par M-L.

Steinhauser. Flammarion, 1992. SIRINELLI Jean-François (dir.) : Histoire des droites en France. Gallimard, 1993 (Article de Jean-Marc

Donégani, Marc Sadoun : « Les droites au miroir des gauches », p. 759- 785). Idéologies, identités et cultures politiques ARON Raymond : « L’idéologie, support nécessaire de l’action » Res Publica, II (3), 1960 ARON Raymond : « Du bon usage des idéologies » Commentaires, 48, 1989-1990 (rééd. d’un texte de 1977) BADIE Bertrand : Culture et politique. Economica, 1993. (Sociologie de la construction identitaire pp 151-157) BRECHON Pierre, LAURENT Anne, PERRINEAU Pascal (dir.) : Les cultures politiques des Français. Presses

de la FNSP, 2000. COLLOVALD Annie, GAÏTI Brigitte : « Des causes qui parlent… » Politix, 16, 1991 (Causes entendues. Les

constructions du mécontentement, 1), pp. 7-22.

Page 512: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

498

CRISPA/ CURAPP : L’identité politique. PUF, 1994. MENY Yves (dir.) : Idéologies, partis politiques et groupes sociaux. Presses de la FNSP, 1989.

Logiques de représentation BOURDIEU Pierre : « La représentation politique. Eléments pour une théorie du champ politique. » Actes de la

Recherche en Sciences Sociales, 36-37, 1981 (La représentation politique), pp. 3-24. BOURDIEU Pierre : « La délégation ou le fétichisme politique » Actes de la Recherche en Sciences Sociales,

52-53,1984, pp. 49-55 GAXIE Daniel : La démocratie représentative. Montchrestien, EJA (coll. Clefs), 2003 (4ème édition). GRUNBERG Gérard : « Les cadres des partis et crise de représentation » Etat de l'opinion, 1992, pp. 199-220. Rôles et fonctions LACROIX Bernard, LAGROYE Jacques (dir.) : Le président de la République. Usages et genèses d’une

institution. Presses de la FNSP, 1992. LAGROYE Jacques : « Etre du métier » Politix, 28, 1994, pp. 5-15. LAGROYE Jacques : « On ne subit pas son rôle » Politix, 38, 1997, pp. 7-17. Savants, politiques et expertise DAMAMME Dominique, RIBEMONT Thomas (dir.) : Expertise et engagement politique. L’Harmattan, 2001. HAMMAN Philippe, MEON Jean-Matthieu, VERRIER Benoît (dir.) : Discours savants, discours militants.

L’Harmattan, 2002. LOCHARD Yves, SIMONET-CUSSET Maud (coord.) : L’expert associatif, le savant et le politique. Editions

Syllepse, 2003. WEBER Max : Le savant et le politique : une nouvelle traduction : la profession et la vocation de savant, la

profession et la vocation de politique. Préface, traduction et notes de Catherine Colliot-Thélène. La Découverte, 2003.

WEBER Max : Le savant et le politique. (Traduction de « Wissenschaft als Beruf » et « Politik als Beruf »). Union Générale d’Editions, 1963.

Déviance, crise et scandale BECKER Howard : Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Métailié, 1985 (1963 pour la 1ère éd.).

Traduit de l’américain par J-P. Briand et J-M. Chapoulie. BESNARD Philippe : L’anomie, ses usages et ses fonctions dans la discipline sociologique depuis Durkheim.

PUF, 1987. DE BLIC Damien, LEMIEUX Cyril : « Le scandale comme épreuve. Eléments de sociologie pragmatique ».

Politix, 71, 2005, pp. 9-38. DOBRY Michel : Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles. Presses de

la FNSP, 1992. DURKHEIM Emile : Le suicide. Etude de sociologie. PUF, 1960. GLUCKMAN Max : « Gossip and Scandal ». Current Anthropology, IV (3), pp. 307-316. GOFFMANN Erwing : Le parler frais d’E. Goffman. Les Editions de Minuit, 1969. (En particulier E. Goffman :

« Calmer le jobard : Quelques aspects de l’adaptation à l’échec», pp. 277-300) GOFFMANN Erwing : Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. (Stigma) Traduit de l’anglais par A. Kihm.

Les Editions de Minuit, 1975. HOGGART Richard : La culture du pauvre. Essai sur le style de vie des classes populaires en Angleterre. (The

Uses of Literacy). Minuit, 1975 (Chapitre 3 « Eux » et « Nous », pp. 117-146). MARKOVITS Andrei, SILVERSTEIN Mark : The Politics of Scandal. Power and Process in Liberal

Democracies. New York : Holmes and Meier, 1988. OGIEN Albert : Sociologie de la déviance. Armand Colin, 1999. XIBERRAS Martine: Les théories de l’exclusion sociale : pour une construction de l’imaginaire de la déviance.

Méridiens-Klincksieck, 1993. Populisme MENY Yves, SUREL Yves : Par le peuple, pour le peuple. Le populisme et les démocraties. Fayard, 2000.

Page 513: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

499

TAGUIEFF Pierre-André: « Le populisme et la science politique: du mirage conceptuel au vrai problème ». Vingtième siècle, (10/12) 56, 1997, pp. 105-114.

TAGUIEFF Pierre-André (dir.) : Le retour du populisme. Un défi pour les démocraties européennes. Encyclopedia Universalis France S.A., collection Le tour du sujet UNIVERSALIS, 2004.

Clientélisme BRIQUET Jean-Louis : « Les pratiques politiques ‘officieuses ‘. Clientélisme et dualisme politique en Corse et

en Italie du Sud ». Genèses, 20, 1995, pp. 73-94. BRIQUET Jean-Louis, SAWICKI Frédéric (dir.) : Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines.

PUF, 1998. BRIQUET Jean-Louis : La tradition en en mouvement. Clientélisme et politique en Corse. Belin, 1997. MENY Yves (dir.) : Idéologies, partis politiques et groupes sociaux. Presses de la FNSP, 1989 (Article de A.

Spreafico : « Structures sociales et comportements politiques dans le Mezzogiorno », pp. 289-313). PADIOLEAU Jean G. : L’Etat au concret. PUF, 1982 (Chap. 7 : « Le clientélisme locale dans la société post-

industrielle : l’exemple du Parti communiste français, pp. 205-222).

Activités parlementaires

Approche juridique DEBBASCH Charles, PONTIER Jean-Marie, BOURDON Jacques, RICCI Jean-Claude : Droit constitutionnel

et institutions politiques. Economica, 2001 (4ème édition). GREWE Constance, RUIZ FABRI, Hélène : Droits constitutionnels européens. PUF, 1995. GUCHET Yves : Droit parlementaire. Economica, 1996. LAUNOY Philippe : Les Parlements dans le monde contemporain. Payot, 1989. LE DIVELLEC Armel : Le gouvernement parlementaire en Allemagne. Contribution à une théorie générale.

LGDJ, 2004. UNION INTERPARLEMENTAIRE : Les Parlements dans le monde. Bruylant, 1986, 2 vol. GOGUEL François (dir.): Le travail parlementaire en France et à l’étranger. PUF, 1955. CAMBY Jean-Pierre : Le travail parlementaire sous la cinquième République. Montchrestien, 1997. Approche sociologique COURTY Guillaume (dir.) : Le travail de collaboration avec les élus. Michel Houdiard éditeur, 2005. GAXIE Daniel (dir.) : Le « social » transfiguré. Sur la représentation politique des préoccupations ‘ sociales’.

PUF, CURAPP, 1990. HEURTIN Jean-Philippe : L’espace public parlementaire. Essai sur les raisons du législateur. PUF, 1999. ELSTER Jon : « Argumenter et négocier dans deux Assemblées constituantes » RFSP, 44 (2), 1994, pp. 187-

256.

En langue allemande DOHNANYI Klaus Von : « Regieren aus der Opposition ». Die Neue Gesellschaft, VIII, 1961, pp. 449-454. KIRCHHEIMER Otto : Politische Herrschaft. Beiträge zur Lehre vom Staat. Francfort : Suhrkamp, 1967. (en

particulier « Deutschland oder der Verfall der politischen Opposition » pp. 58-86.) KRANENPOHL Uwe : Zur parlamentarischen Strategue der PDS im Bundestag. Manuscript, 1995. KRANENPOHL Uwe : « Zwischen politischer Nische und programmatischer Öffnung : kleine Parteien und ihre

Bundestagsfraktionen 1949 bis 1994 » (Entre niche politique et ouverture programmatique: les petits partis et leur groupe parlementaire au Bundestag). Zeitschrift für Parlamentsfragen, 2, 1998, pp. 244-261.

ISMAYR Wolfgang : Der Deutsche Bundestag. Funktionen, Willensbildung, Reformansätze. (Le Bundestag. Fonctions, volonté d’éduquer les esprits, propositions de réforme). Opladen : Leske und Budrich, 1992.

LYNEN VON BERG Heinz : Politische Mitte und Rechtsextremismus. Diskurse zu fremdenfeindlicher Gewalt im 12. Deutschen Bundestag (1990-1994) (Centre politique et extrême droite. Discours sur la violence xénophobe dans le 12ème Bundestag). Opladen : Leske und Budrich, 2000.

NEUBACHER Bernd : Die Republikaner im baden-württembergischen Landtag – von einer rechtsextremen zu einer rechtsradikalen, etablierten Partei? (Les Republikaner au Parlement régional du Bade-Wurttemberg- d’un parti d’extrême droite à un parti établi de la droite radicale). Thèse de science politique, Université de Stuttgart, 2001. (La période traitée couvre 1992-1997).

Page 514: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

500

OBERREUTER Heinrich, KRANENPOHL Uwe, SEBALDT Martin (dir.) : Der deutsche Bundestag im Wandel. Ergebnisse neuer Parlamantarismusforschung. (Le Bundestag allemand change. Résultats de nouvelles recherches sur le parlementarisme) Wiesbaden : Westdeutscher Verlag, 2001.

VEEN Hans-Joachim : Opposition im Bundestag. Ihre Funktionen, institutionellen Handlungsbedingungen und das Verhalten der CDU/CSU in der 6. Wahlperiode 1969-1972. (L’opposition au Bundestag. Ses fonctions, ses conditions institutionnelles d’action et le comportement de la CDU/CSU dans la 6ème législature.) Bonn, 1976.

Activités parlementaires du PDS KRANENPOHL Uwe : « Im Schatten der Macht « ? Kleinfraktionen im Deutschen Bundestag 1949 bis 1994. A

l’ombre du pouvoir? Les petits groupes parlementaires au Bundestag) Thèse de doctorat, Passau 1996 (Sur les stratégies parlementaires fédérales d’opposition et du PDS)

KRANENPOHL Uwe : Zur parlamentarischen Strategie der PDS im Bundestag (La stratégie parlementaire du PDS au Bundestag). Manuscript, 1995.

LANG Jürgen P. : Das Prinzip Gegenmacht. PDS und Parlamentarismus. (Le principe de contre-pouvoir. PDS et parlementarisme) Saint-Augustin: Konrad-Adenauer-Stiftung (CDU) Etude interne n° 166, juillet 1998.

4. MOBILISATIONS POLITIQUE ET SOCIALE

Formes traditionnelles de participation politique

BOY Daniel, MAYER Nonna (dir.) : L’Electeur français en questions. Presses de la FNSP, 1990. BRUNEAU, Ivan : « Un mode d’engagement singulier au Front National. La trajectoire scolaire effective d’un

fils de mineur. » Politix, 57, 2002, pp. 183-211. EVANS Jocelyn : « Le vote gaucho-lepéniste. Le masque extrême d’une dynamique normale ». RFSP, 50, 2000,

pp. 21-51. GARRIGOU Alain : Le vote et la vertu. Comment les Français sont devenus électeurs. Presses de la FNSP,

1992. GAXIE Daniel (dir.) : Explication du vote. Un bilan des études électorales en France. Presses de la FNSP, 1985. GAXIE Daniel : Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique. Le Seuil, 1978. HIRSCHMANN Albert Otto : Un certain penchant à l’autosubversion. (A propensity to self-subversion. Traduit

de l’anglais par P-E. Dauzat). Fayard, 1995. HIRSCHMANN, Albert Otto : Défection et prise de parole. Théorie et applications (Exit, voice and loyalty).

Fayard, 1995. Edition originale: 1970, Harvard University Press (Cambridge Mass.) Titre de la première édition française : Face au déclin des entreprises et des institutions. (1972, Editions ouvrières. Traduction inchangée).

MAYER Nonna (dir.) : Les modèles explicatifs du vote. L’Harmattan (coll. Logiques politiques), 1997. PERRINEAU Pascal (dir.) : L’engagement politique. Déclin ou mutation ? Presses de la FNSP, 1994. PLATONE François, SUBILEAU Françoise : « Les militants communistes à Paris » RFSP, 26-2/1975. REY Henri, SUBILEAU Françoise : Les militants socialistes à l'épreuve du pouvoir. Presses de la FNSP, 1991.

Mobilisation collective et contestataire FILLIEULE Olivier (dir.) : Sociologie de la protestation. Les formes de l’action collective en France.

L’Harmattan, 1993. FILLIEULE Olivier, PECHU Cécile : Lutter ensemble. Les théories de l’action collective. L’Harmattan, 1993. OFFE Claus : « New social Movements : Challenging the Boundaries of Institutional Politics » in Social

Research, 52, 4, 1985, pp. 817-868. SIMEANT Johanna : La cause des sans-papiers. Presses de la FNSP, 1998.

Page 515: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

501

Manifestations BARNES, Samuel Henry, KAASE Max : Political Action : Mass Participation in Five Democracies. Beverly

Hills: Sage, 1979. FAVRE Pierre, FILLIEULE Olivier : Manifestations pacifiques et manifestations violentes dans la France

contemporaine (1982-1990). Rapport, Paris, Institut des hautes études de la sécurité intérieure. 1992. (Egalement dans P. Perrineau (dir.) : L’engagement politique. Déclin ou mutation ? Presses de la FNSP, 1994, pp. 115-140.)

FAVRE Pierre, FILLIEULE Olivier, MAYER Nonna : « La fin d’une étrange lacune de la sociologie des mobilisations : L’étude par sondage des manifestants. Fondements théoriques et solutions techniques » RFSP, (47),1, 1997, pp. 3-28.

FAVRE Pierre : La manifestation. Presses de Sciences Po, 1990. FILLIEULE Olivier : Stratégies de la rue. Les manifestations en France. Presses de la FNSP, 1997. KLANDERMANS Bert : « Mobilization and Participation : Social Psychological Expansions of Ressource

Mobilization Theory ». American Sociologial Review, 49, 1984, pp. 583-600. ROCHE Sébastien : La manifestation et son public. Document de la BDSP, « Analyses et commentaires 5 ».

Grenoble : Editions du CIDSP, 1989.

Mobilisations antiraciste et contre l’extrême droite COLAS Dominique : Le glaive et le fléau. Généalogie du fanatisme et de la société civile. Grasset, 1992. COLLECTIF : « Contre le FN : le local fait front » Territoires, 03, 1997. JUHEM Philippe : SOS-Racisme, histoire d'une mobilisation "apolitique". Contribution à une analyse des

transformations des représentations politiques après 1981. Thèse de science politique, Université Paris X-Nanterre, dir. : B. Lacroix, 2000.

LEROY M.-F.: « La droite face au Front national », Articles 31, 14-16, 1985. PERRINEAU Pascal (dir.) : L’engagement politique. Déclin ou mutation ? Presses de la FNSP, 1994 (Article de

N. Mayer : « La mobilisation anti-Front National » pp. 335-358). OFFERLE Michel (dir.): « La société civile en question » Problèmes politiques et sociaux (La Documentation

française), 888, 2003-05. TAGUIEFF Pierre-André : Les fins de l’antiracisme. Essai. Editions Michalon, 1995. TAGUIEFF Pierre-André : « Réflexions sur la question antiraciste » Mots/ Les langages du politique, 18,

1989 (Racisme et antiracisme. Frontières et recouvrements), pp. 75-93. YSMAL Colette : « Le RPR et l’UDF face au FN : concurrence et connivence » Revue politique et

parlementaire, 913, 1984, pp. 6-20.

En langue allemande HOLTHUSEN Bernd, JÄNECKE Michael : Rechtsextremismus in Berlin. Aktuelle Erscheinungsformen.

Ursachen. Gegenmaßnahmen. (L’extrême droite à Berlin. Formes actuelles, causes, contre-mesures) Marburg : Schüren, 1994.

MEYER ZU UPTRUP Wolfram : « Das Aktionsbündnis gegen Gewalt, Rechtsextremismus und Fremdenfeindlichkeit im Land Brandeburg » (L’alliance contre la violence, l’extrémisme de droite et la xénophobie dans le Land de Brandebourg). Friedrich-Ebert-Stiftung (Témoignage d’un acteur).

ROTH Roland : « Besonderheiten des bürgerschaftlichen Engagements in den neuen Bundesländern » (Particularités de l’engagement civique dans les NBL) APUZ, 39-40, 2001, pp. 15-22.

WIDMANN Peter (dir.) : Gewalt ohne Ausweg? Strategien gegen Rechtsextremismus in Berlin und Brandenburg. (Une violence sans issue? Stratégies contre l’extrême droite à Berlin et dans le Brandebourg) Berlin : Metropol-Verlag, 1999.

5. METHODOLOGIE : APPROCHE QUALITATIVE ET TRAVAIL DE TERRAIN

ALBARELLO Luc (dir.) : Pratiques et méthodes de recherche en sciences sociales. Armand Colin, 1995. (En

particulier D. Ruquoy : « Situation d'entretien et stratégie de l'interviewer »).

Page 516: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

502

BEAUD Stéphane, WEBER Florence : Guide de l'enquête de terrain. Produire et analyser des données ethnographiques. La Découverte, 2003.

BEAUD Stéphane : « L'usage de l'entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l'’entretien ethnographique’ ». Politix, 35, 1996, pp. 226-257.

BOURDIEU Pierre (dir.) : La misère du monde. Seuil, 1993 (Introduction pp. 9-12). COHEN Samy (dir.) : L’art d’interviewer les dirigeants. PUF, 1999 (en particulier G. Birenbaum : « Elites

‘illégitimes’, élites illégitimées : les responsables des FN » pp. 133- 161). CHAMBOREDON Hélène, PAVIS Fabienne, SURDEZ Muriel, WILLEMEZ Laurent : « S’imposer aux

imposants. A propos de quelques obstacles rencontrés par des sociologues débutants dans la pratique et l’usage de l’entretien». Genèses, 16, 1994, pp. 114-132.

DUCHESNE Sophie : « Entretien non-préstructuré, stratégie de recherche et étude des représentations. Peut-on faire l'économie de l'entretien "non-directif" en sociologie? » Politix, 35, 1996, pp. 189-206.

GRAWITZ Madeleine : Méthodes des sciences sociales. Dalloz, 2001 (11ème éd.). LEGAVRE Jean-Baptiste : « La ‘neutralité’ dans l'entretien de recherche. Retour personnel sur une évidence. »

Politix, 35, 1996, pp. 207-225 (Confrontation de la théorie à la pratique) LEGAVRE Jean-Baptiste : « Off the record. Mode d’emploi d’un instrument de coordination » Politix, 19, 1992,

pp. 135-157. MAYER Nonna : « L'entretien selon Pierre Bourdieu. Analyse critique de ‘La misère du monde’ » Revue

française de sociologie, 2, 1995.

II- CADRE ANALYTIQUE : L’ANALYSE DU PDS ET DE L’EXTREME DROITE DANS LES NOUVEAUX LÄNDER

1. LES EFFETS DE L’UNIFICATION

Ouvrages généraux et de référence sur le processus d’unification et ses conséquences politiques

BECK Ulrich : Risikogesellschaft. Auf dem Weg in eine andere Moderne. Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp,

1986 (La société du risque : sur la voie d'une autre modernité, trad. de l'allemand par L. Bernardi, Flammarion, 2003).

DÜMCKE W., VILMAR, F. (dir.) : Kolonalisierung der DDR. Kritische Analysen und Alternativen des Forschungsprozesses. (Colonisation de la RDA. Analyses critiques et alternatives du processus de recherche) Münster, 1996.

GIORDANO Ralf: Die zweite Schuld oder von der Last, ein Deutscher zu sein (La seconde faute ou du fardeau d’être allemand). Munich : Rasch und Röhring, 1987 (1ère éd.).

GLAESSNER Gert-Joachim : Der schwierige Weg zur Demokratie. Vom Ende der DDR zur deutschen Einheit. (La difficile voie vers la démocratie. De la fin de la RDA à l’unité allemande) Opladen: Westdeutscher Verlag, 1991.

GREIFFENHAGEN Martin et Sylvia : Ein schwieriges Vaterland. Zur politischen Kultur im vereinigten Deutschland. (Difficile patrie. La culture politique de l’Allemagne réunifiée) Munich/Leipzig : List, 1993. (Les concepteurs du « mur dans les têtes »)

GUITTARD Gislaine, VILMAR Fritz : La face cachée de l'unification allemande. Editions de l’Atelier : Editions ouvrières, 1999.

HEITMEYER Wilhelm (dir.) : Was treibt die Gesellschaft auseinander? Francfort : Suhrkamp, 1997. LEHMBRUCH Gerhard (dir.): Einigung und Zerfall. Deutschland und Europa nach dem Ende des Ost-West-

Konflikts (Union et décomposition. L’Allemagne et l’Europe à la fin du conflit entre l’Est et l’Ouest). Opladen, 1995.

MAIER Charles S : Dissolution: The Crisis of Communism and the End of East Germany. Princeton : University Press, 1997.

NIEDERMAYER Oskar, von KEYME Klaus (dir.) : Politische Kultur in Ost- und Westdeutschland. (Culture politique en Allemagne de l’Est et de l’Ouest). Berlin: Akademischer Verlag. 1994.

Page 517: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

503

OFFE Claus : « Demokratie und Vertrauen ». Transit, 18, 1999/2000 (Numéro spécial : 1989 und die Folgen) OFFE Claus : « Une “voie allemande” de la transition ? L’ex-RDA au regard de ses voisins d’Europe de l’Est ».

Politix, 33, 1996, pp. 5-28. OFFE Claus : Der Tunnel am Ende des Lichts. Erkundungen der politischen Transformation im Neuen Osten.

(Le tunnel au bout de la lumière. La transformation politique du nouvel Est). Francfort-sur-le-Main/ New York: Campus, 1994.

OFFE Claus : Herausforderungen der Demokratie : zur Integrations- und Leistungsfähigkeit politischer Institutionen. Francfort sur le Main: Campus, 2003.

OFFE Claus : Les démocraties modernes à l’épreuve. Textes réunis et présentés par Y. Sintomer et D. Le Saour. L’Harmattan, 1997

SONTHEIMER Kurt : Deutschlands politische Kultur. Munich/ Zurich: Piper, 1990. THUMFART Alexander : Die politische Integration Ostdeutschlands. (L’intégration politique de l’Allemagne

de l’Est) Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp, 2002. (Ouvrage extrêmement complet et synthétique, notamment pour sa bibliographie)

WEIDENFELD Werner, KORTE Karl-Rudolf (dir.) : Handbuch zur deutschen Einheit. 1949-1989-1999 (Dictionnaire de l’unification allemande). Bonn : Bundeszentrale für politische Bildung, 1999.

Sources complémentaires

Débats autour de la nation allemande et de l’identité nationale dans l’Allemagne unifiée (1989-1995) : la conscience nationale introuvable? Revue d’Allemagne, 4, 1996.

AHBE T., GIBAS M. : « Der Osten in der Berliner Republik » APUZ,1-2, 2001. BOURDIEU Pierre : Propos sur le champ politique. Lyon : Presses Universitaires de Lyon, 2000

(« Monopolisation politique et révolutions symboliques », pp. 99-108). HOGWOOD Patricia : « After the GDR : Reconstructing Identity in Post-communist Germany ». Journal of

Communist Studies and Transition Politics, (16) 4, 2000, pp. 45-67. KIRMIS Joachim : « Eine einheitliche Ost-Identität gibt es nicht ». Das Parlament, 23, 31.5.1996, p. 12. MELZER Wolfgang : Jugend und Politik in Deutschland : gesellschaftliche Einstellungen,

Zukunftsorientierungen und Rechtsextremismus-Potential Jugendlicher in Ost- und Westdeutschland (Jeunesse et politique en Allemagne). Opladen : Leske und Budrich, 1992.

2. LE SYSTEME POLITIQUE ALLEMAND

Généralités en langue française FROMONT Michel : Les institutions de la République fédérale d'Allemagne. La Documentation française

(Collection Documents d’études), 1999. GREWE Constance : Le système politique ouest-allemand. PUF (Collection Que sais-je ?), 1986. GROSSER Alfred, MENUDIER Henri : La vie politique en Allemagne fédérale. Colin, 1981, 4ème édition. LABORIER Pascal, TROM Danny : « La science politique dans tous ses états. Controverse autour de la

naissance d’une discipline entre enjeux théoriques, luttes de savoirs et transferts culturels ». Politix, 59, 2002, pp. 33-66.

LE GLOANNEC Anne-Marie : La République fédérale d’Allemagne. Fallois, 1994.

Partis politiques et comportement électoral en RFA ALTENHOF Ralf, JESSE Eckhard (dir.) : Das wiedervereinigte Deutschland. Zwischenbilanz und Perspektiven.

(L’Allemagne réunifiée. Bilan intermédiaire et perspectives) Düsseldorf : Droste, 1995. ARZHEIMER Kai, FALTER Jürgen W. : « Ist der Osten wirklich rot? Das Wahlverhalten bei der

Bundestagswahl 2002 in Ost-West-Perspektive » (L’Est est-il vraiment rouge ? Une comparaison Est-Ouest du comportement électoral aux élections au Bundestag en 2002). APuZ, 49-50/2002, pp. 27-35.

BARING Arnulf : Deustchland, was nun? Ein Gespräch mit Dirk Rumberg und Wolf Jobst Siedler. (Et maintenant, l’Allemagne? Entretiens) Berlin, 1994.

Page 518: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

504

EITH Ulrich : « New Patterns in the East? Differences in voting Behavior and Consequences for Party politics in Germany ». German Politics and Society, (18) 3, 2000.

FALTER Jürgen W., GABRIEL Oscar W., RATTINGER Hans (dir.) : Wirklich ein Volk? Die politischen Orientierungen von Ost- und Westdeutschen im Vergleich. (Un peuple? Les orientations politiques comparées des Allemands de l’Est et de l’Ouest). Opladen: Leske und Budrich, 2000.

FEIST Ursula : Die Macht der Nichtwähler. Wie die Wähler den Volksparteien davonlaufen. (Le pouvoir des abstentionnistes. Comment les électeurs fuient les Volksparteien) Munich 1994

FLECHTHEIM Ossip K. (dir.) : Dokumente zur parteipolitischen Entwicklung in Deutschland seit 1945. (Documents sur l’évolution des partis politiques depuis 1945) Berlin, 1965.

GABRIEL Oscar W. (dir.) : Politische Einstellungen und politisches Verhalten im Transformationsprozeß. (Convictions politiques et comportement électoral dans le processus de transformation). Opladen : Leske und Budrich, 1997.

JESSE Eckhard, MITTER Armin (dir.) : Die Gestaltung der deutschen Einheit. Geschichte, Politik, Gesellschaft. (La réalisation de l’unité allemande. Histoire, politique, société) Bonn/Berlin : Bouvier, 1992.

KEIL Silke I. : Wahlkampfkommunikation in Wahlanzeigen und Wahlprogrammen. Eine vergleichende inhaltsanalytische Untersuchung der von den Bundestagsparteien CDU, CSU, SPD, FDP, Bündnis 90/ Die Grünen und PDS vorgelegten Wahlanzeigen und –Wahlprogrammen in den Bundestagswahlkämpfen 1957-1998. (Communication électorale à travers les affiches et les programmes) Francfort sur le Main : Peter Lang, 2003.

LEMKE Christiane : « Protestverhalten in Transformationsgesellschaften ». Politische Vierteljahresschrift, 1, 1997, pp. 50-78.

MINTZEL Alf, OBERREUTER Heinrich (dir.) : Parteien in der BRD. (Partis en RFA) Opladen, 1992 (2°édition).

NIEDERMAYER Gero, STÖSS Richard (dir.) : Stand und Perspektiven der Parteienforschung in Deutschland. (Etat et perspectives de l’étude des partis en Allemagne) Opladen, 1993.

ROHRSCHNEIDER Robert : Learning democracy - Democratic and economic values in unified Germany. Comparative European Politics. Oxford University Press, 1999.

S. ALLEN Christopher (dir.) : Transformation of the German political party system: institutional crisis or democratic renewal? New York : Berghahn Books, 1999.

SCHULTZE Rainer-Olaf : « Weder Protest noch Parteienverdrossenheit. Der Strukturwandel im deutschen Parteiensystem ». Die neue Gesellschaft/ Frankfurter Hefte, 39 (92) pp. 886-892.

SONTHEIMER Kurt : Deutschlands politische Kultur. (La culture politique allemande). Munich : Piper, 1990. STARZACHER Karl (dir.) : Protestwähler und Wahlverweigerer : Krise der Demokratie ? Cologne : Bund-

Verlag, 1992 STÖSS Richard (dir.) : Parteien-Handbuch. Die Parteien der Bundesrepublik Deutschland 1945-1980. (Manuel

des partis en RFA) Opladen, 1984, 2 vol. WIESENDAHL Elmar : Parteien in Perspektive : theoretische Ansichten der Organisationswirklichkeit

politischer Parteien (Perspectives théoriques de la réalité de l’organisation des partis politiques). Opladen : Westdeutscher Verlag, 1998.

WIESENDAHL Elmar : Parteien und Demokratie : eine soziologische Analyse paradigmatischer Ansätze der Parteienforschung (Partis et démocratie: analyse sociologique d’une ébauche paradigmatique de l’étude des partis). Opladen : Leske und Budrich, 1980.

Et à Berlin

KLINGEMANN Hans-Dieter, ERBRING Lutz, DIEDERICH Nils (dir.) : Zwischen Wende und

Wiedervereinigung. Analysen zur politischen Kultur in West- und Ost-Berlin 1990 (Entre Wende et réunification. Analyses de la culture politique à Berlin (Est et Ouest) en 1990). Opladen : Westdeutscher Verlag, 1995.

NEUGEBAUER Gero : « Berlin: Zwei Parteiensysteme in einem? » Blätter für deutsche und internationale Politik, 12, 1995, pp. 1421-1426.

SCHLEGELMILCH Arthur : Hauptstadt im Zonen-Deutschland. Die Enstehung der Berliner Nachkriegsdemokratie. 1945-1949. Berlin : Haude und Spener (Collection Schriften der Historischen Kommission zu Berlin), 1993. (Ouvrage détaillé sur les débuts, l'installation de la démocratie berlinoise. informations chiffrées sur les Bezirke et leur situation politique dont certaines intéressantes remettant en cause le mythe de la "fusion forcée" du SED.)

Page 519: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

505

Analyse d’élections particulières HOLTMANN Everhard : « Die sachsen-anhaltische Landtagswahl vom 21. April 2002: Bürgervotum gegen das

Tolerierungsbündnis von SPD und PDS ». Zeitschrift für Parlamentsfragen, 1, 2003, pp. 41-60. SCHIEREN Stefan : « Die Landtagswahlen in Sachsen-Anhalt vom 26. April 1998 : ‚Magdeburger Modell’ mit

Mängeln ». Zeitschrift für Parlamentsfragen, I, 1999, pp. 56-78. WERZ Nikolaus, SCHMIDT Jochen : « Die mecklemburg-vorpommersche Landtagswahl vom 22. September

2002: Bestätigung der rot-roten Koalition mit Gewinnern und Verlierern ». Zeitschrift für Parlamentsfragen,1, 2003, pp. 60-79.

3. LE PDS DANS LES NOUVEAUX LÄNDER1402

PDS BOISSY Pierre-Yves : Aspects politiques de l'héritage de la nation socialiste au sein de la République fédérale

d'Allemagne. Rôle et place du PDS dans le système politique allemand. Thèse de doctorat préparée sous la direction de D. Colas à l'Université Paris IX-Dauphine, UFR Sciences des Organisations, soutenue en janvier 2000.

CARE Philippe : « Ressuscités, mais pour combien de temps? ». Documents, (41), 3/1994, pp. 15-19. HOUGH Daniel : The fall and rise of the PDS in Eastern Germany. Birmingham: University of Birmingham

Press, 2001 MOREAU Patrick : « Le PDS n’est pas une idéologie mais une identité-Réflexions sur la montée en puissance

électorale du PDS ». Revue d’Allemagne, (27), 1/1995, pp. 67-83. (Le spécialiste français du PDS et de l’extrême droite en Allemagne)

OSWALD F. : « The PDS: ex-communists entrenched as East German regional protest party ». Journal of Communist Studies and transition Politics. (12), 2, 1996, pp. 173-195.

OSWALD Franz : The party that came out of the Cold War : the Party of Democratic Socialism in United Germany. Westport : Praeger, 2002.

PAGES Laurence : Le PDS, ses partisans et le sentiment identitaire allemand: vers un parti ethnique? Mémoire pour le DEA d’Etudes politiques sous la direction de Guy Hermet, 1997.

PHILIPPS Ann. L. : « Socialism with a new face? The PDS in search of reform ». East European Politics and societies, 8 (3) 1994, pp. 495-530.

WIELGOSS Tanja : « Le PDS-un loup extrémiste habillé en berger démocratique? » Documents, 3/1998, pp. 22-33.

En langue allemande

BERG Frank, KIRSCHNER Lutz (dir.) : PDS am Scheideweg. (Le PDS à la croisée des chemins) Berlin : Fondation Rosa-Luxembourg, juin 2001.

BERGNER Christoph : « Das Magdburger Experiment » (L’experimentation de Magdeburg). Die politische Meinung, 2, 1996.

BORTFELDT Heinrich : « Von Karl-Marx-Stadt nach Chemnitz. Programmparteitag der PDS in Chemnitz am 25/26. Oktober 2003“ (Le Congrès programmatique de Chemnitz) Deutschland-Archiv 6/ 2003, pp. 936-944.

BRÜCKOM Axel : “Jenseits des ‘Magdeburger Modells’” (Au-delà du ‘modèle de Magdebourg’). Extremismus und Demokratie, 1997, pp . 174-187.

DETJEN Claus : « Die PDS als Problem des Westens ». Die politische Meinung, n° 388, mars 2002, pp. 59-65. DITFURTH, Christian von : Ostalgie oder linke Alternative. Meine Reise durch die PDS. (Ostalgie ou

alternative de gauche) Cologne : Kiepenheuer und Witsch, 1998. (Intéressant récit d’un « voyage au PDS ». Ouvrage entièrement téléchargeable sur http://www.cditfurth.de/pds.htm, 26.11.2005).

ECKERT Rainer, FAULENBACH Bernd (dir.) : Halbherziger Revisionismus - zum postkommunistischen Geschichtsbild. (Révisionnisme – Historiographie post-communiste). Munich et Landsberg am Lech : Günter Olzog Verlag, 1996.

1402 Pour une bibliographie complète sur le PDS, voir P-Y. Boissy: Aspects politiques de l’héritage de la nation socialiste au sein de la RFA, pp. 591-680.

Page 520: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

506

HASKO Hüning : « PDS-Systemopposition oder Reformpolitik ? Eine Zwischenbilanz » (Le PDS : opposition au système ou politique réformatrice ?) Deutschland-Archiv, 22 (11), 1990, pp. 1670-1677.

HEINRICH Gudrun : « Die PDS als Regierungspartei in Mecklenburg-Vorpommern. Im Spagat zwischen Oppositionsspielweise und Regierungsalltag ». Vorgänge, 4, 2004, pp. 92-100.

HIRSCHER Gerhard, SEGALL Peter Christian (dir.) : Die PDS. Bestand und Entwicklungsperspektiven. Munich : Hans Seidel Stiftung (Serie Argumente und Materialen zum Zeitgeschehen) 20, 2000.

JACOBS Jörg : « Gegen die bestehende Ordnung ? Die Wähler der PDS in vergelichender Perspective ». Zeitschrift für Parlamentsfragen, 2, 2004, pp. 229-241.

LANG Jürgen P., MOREAU Patrick, NEU Viola (dir.) : Auferstanden aus Ruinen...? Die PDS nach dem Superwahljahr 1994. (Né de ses cendres? le PDS après la super année électorale de 1994) Saint Augustin : Konrad-Adenauer-Stiftung, 1995 (Etude interne n°111).

MOREAU Patrick, LANG Jürgen P. (dir.) : « PDS -Das Erbe der Diktatur » (L’héritage de la dictature). Politische Studien, 45, 1994 (numéro spécial);

MOREAU Patrick : « Die PDS zwischen Linksextremismus und Linkspopulismus » (le PDS entre extrémisme de gauche et populisme de gauche). Saint Augustin : Konrad-Adenauer-Stiftung, 1994 (Etude interne n°76).

MOREAU Patrick : « Mit Lenin im Bauch...? Die PDS auf der Suche nach einer Berliner Republik von Links » (Lénine au ventre? Le PDS à la recherche d’une République berlinoise de gauche). Politische Studien, 349 (09/10), 1996 , pp. 27-41.

MOREAU Patrick : Die PDS : Profil einer antidemokratischen Partei. (Le PDS : profil d’un parti antidémocratique). Munich: Hans-Seidel-Stiftung, 1998.

MOREAU Patrick : PDS-Anatomie einer postkommunistischen Partei. (anatomie d’un parti postcommuniste). Bonn: Bouvier (Schriftenreihe Extremismus und Demokratie) 3, 1992.

MOREAU, Patrick, SCHORPP-GRALIAK, Rita: « Man muß so radikal sein wie die Wirklichkeit »- Die PDS. Eine Bilanz. Baden-Baden : Nomos Verlagsgesellschaft, 2002.

NEU Viola : « Das neue PDS-Programm aus dem Jahr 2003 ». Extremismus und Demokratie, 16, 2004, pp. 155-168.

NEUGEBAUER Gero : « Die PDS zwischen Kontinuität und Aufbruch ». APUZ, 5, 2000, pp. 39- 46. NEUGEBAUER Gero, STÖSS Richard: Die PDS. Geschichte, Organisation, Wähler, Konkurrenten. (Le PDS.

Historique, organisation, électeurs, concurrents.) Opladen : Leske und Budrich, 1996. PROBST Lothar : Die PDS – von der Staats- zur Regierungspartei. Eine Studie aus Mecklemburg-Vorpommern.

Hambourg : Verlag Dr. Kovac, 2000. SCHULZ Wilfried : « ‚Für Gabi tun wir alles’- Vom Cottbuser Bundesparteitag und dem Doppelcharakter der

PDS » Deutschland-Archiv, 6,2000, pp. 882-886. SCHUMANN Frank (dir.) : Ankunft in Deutschland. Zehn Jahre PDS: Briefe und Meinungsäusserungen von

1989 bis 1999. (10 années de courrier et d’opinions) Berlin (Est) : Ed. Ost, 2000. SEGALL Peter Christian, SCHORPP-GRABIAK Rita, HIRSCHER Gerhard : Die PDS im Wahljahr 1999:

"Politik von links, von unten und von Osten". Munich : Hans Seidel Stiftung (Serie Aktuelle Analysen), 15, 1999.

THIERSE Wolfgang : « Die Farbe des Chamäleons. Es ist Zeit für die harte inhaltliche Auseinandersetzung mit der PDS » (La couleur du caméléon. Il est temps de se préoccuper du PDS et de son contenu). Berliner Zeitung, 30.12.1994.

WAGNER Ingo : Eine Partei gibt sich auf. Theoretisch-politische Glossen zum Niedergang der Partei des Demokratischen Sozialismus. Berlin: Edition Ost, 2004.

Du SED au PDS BOUILLOT Corinne : « Un héritage controversé : aspects et limites de la confrontation au passé au sein du

PDS » Allemagne d’aujourd’hui, 153, 2000, pp. 72-91. (Pour une introduction à la question de l’héritage du SED au PDS)

En langue allemande

« SED und PDS : Beiträge zu Geschichte und Gegenwart einer sozialistischen Partei ». Politische Studien,360, 1998.

GERNER Manfred : Partei ohne Zukunft? Von der SED zur PDS. (Un parti sans avenir?) Munich: Tilsner Verlag, 1994.

Page 521: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

507

GYSI Gregor, FALKNER Thomas : Sturm aufs grosse Haus. Berlin : Edition Fischerinsel, 1990 (Pour un témoignage d’un des principaux acteurs politiques de la transformation du SED en PDS).

WELZEL Christian : Von der SED zur PDS: eine doktringebundene Staatspartei auf dem Weg zu einer politischen Partei im Konkurrenzsystem? Mai 1989 bis April 1990. (Du SED au PDS: d’un parti d’Etat doctrinaire à un parti politique dans un système concurrentiel?) Francfort sur le Main, Lang Verlag, 1992.

Fonction du PDS au sein de l’échiquier politique allemand ABROMEIT Heidrun : « Zum Für und Wider einer Ost-Partei » (Du pour et du contre un parti est-allemand).

Gegenwartskunde, 4, 1992, pp. 439-441. BETZ Hans-Georg, WELSH Helga. A : « The PDS in the new German party sustem ». German Politics 4 (3),

1995, pp. 92-111. HIRSCHER Gerhard : « SPD, PDS und Bündnis 90/Die Grünen : die Konstellation nach den Landtagswahlen »

(SPD, PDS et Bündnis 90/Die Grünen : la constellation au lendemain des élections régionales). Politische Studien, (347) 05/06-1996, pp. 14-30.

JESSE Eckhard : « SPD und PDS relationship ». German Politics, 3 (12), 1997, pp. 89-102. KOCH-BAUMGARTEN Sabine : Postkommunismus im Spagat: zur Funktion der PDS im Parteiensystem.

(Postcommunisme en équilibre: fonctions du PDS au sein du système pluraliste) Deutschland-Archiv, (11/12), 6, 1997, pp. 864 - 878.

LANG Jürgen P. : « Die PDS und die deutsche Linke- ein ambivalentes Verhältnis » (Le PDS et la gauche allemande-une relation ambivalente). Extremismus und Demokratie, 6, 1994, pp.180-193.

PERRON Catherine : La recomposition de l’échiquier politique est-allemand après 1989. Mémoire de DEA, IEP de Paris, cycle supérieur d’Etudes Soviétiques et Est-Européennes, sous la direction de G. Mink et J. Rupnik, 1994.

Littérature grise (publications proches du PDS)

BISKY Lothar, CZERNY Jochen, MAYER Herbert, SCHUMANN Michael : Die PDS-Herkunft und

Selbstverständnis. Eine politisch-historische Debatte. (Le PDS- Origine et appréhension. un débat politico-historique) Berlin : Dietz, 1996.

BRIE Michael, HERZIG Martin, KOCH Thomas (dir.) : Die PDS-Postkommunistische Kaderorganisation, ostdeutscher Traditionsverein oder linke Volkspartei? Empirische Befunde und kontroverse Analyse. (Le PDS- Organisation postcommuniste de cadres, regroupement traditionnel de l’Allemagne de l’est ou parti populiste de gauche? Constatations empiriques et analyse controversée). Cologne : Payrossa Verlag, 1995.

BRIE Michael, WODERICH (dir.): Die PDS im Parteiensystem. Berlin : Dietz, 2000. FALKNER Thomas, HUBER Dietmar : Aufschwung PDS : Rote Socken, zurück zur Macht? (La montée du

PDS : les chaussettes routes de retour au pouvoir ?) Munich : Knaur, 1994. GYSI Gregor : « Document and discussion on East Germany’s Party of democratic socialism ». Socialism and

Democraty, (11) 1990, pp. 31-44. GYSI Gregor : « La longue marche des néo-communistes allemands ». Interview, Politique internationale, 71,

1996, pp. 119-130. GYSI G., MODROW H. : Wir brauchen einen dritten Weg: Selbstverständnis und Programm der PDS. (Il nous

faut une troisième voie. Volonté et programme du PDS). Hambourg : Konkret Literatur Verlag, 1990.

Le PDS, l’antifascisme et l’extrême droite Débats internes BUTTLER Harald : « Wieso konnten am 1. Mai Nazis in Marzahn marschieren? » Interview du maire de

l’arrondissement berlinois de Marzahn Harald Buttler (PDS), Junge Welt, 4/5.05.1996. ELSÄSSER Jürgen : « PDS-Rechts nichts ganz dicht ? » (Le PDS – pas entièrement imperméable à la droite?)

Blätter für deutsche und internationale Politik, 9, 1998. GEHRCKE Wolfgang : « Nochmal: PDS und Rechte ». Blätter für deutsche und internationale Politik, 1, 1999

(Réponse à Elsässer)

Page 522: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

508

FISCHER David, TAHERI Rouzbeh : « Für einen praktischen Antifaschismus ». Disput, 6, 1996. HOLTER Helmut: « Kritik des Inhalts erwünscht » (Critique du contenu souhaitée) Neues Deutschland,

17.09.1993. Analyses EDELBLOUDE Johanna : « L’affaire Ostrowski : le parti néo-socialiste est-allemand face à l’extrême droite ».

RFSP, 3, 2003, pp. 409-433. PETERS Tim : « Der Antifaschismus der PDS » in Backes, E. Jesse (dir.) : Extremismus und Demokratie.

Baden-Baden : Nomos Verlagsgesellschaft, 2003, pp. 177-193. PETERS Tim : Der Antifaschismus der PDS aus antiextremistischer Sicht (L’antifascisme du PDS dans une

perspective anti-extrémiste). Berlin: VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2006 (ouvrage à paraitre, titre provisoire. L’ouvrage répond exclusivement à la question suivante : l’antifascisme du PDS est-il bénéfique ou non à la démocratie allemande ?)

WILKE Manfred : « Die antifaschistische Republik ». Politische Meinung, 377, 2001, pp. 65-68.

4. LE POIDS DU PASSE : L’HERITAGE DE LA RDA ET DU TROISIEME REICH

Généralités Ouvrages de référence en RDA KLAUS Georg, BUHR Manfred (dir.) : Philosophisches Wörterbuch, Leipzig, 1964, 2 vol. (Dictionnaire

philosophique marxiste de référence en RDA, réédité dix fois) KÖNIG Gerhard [et al.] : Kleines politisches Wörterbuch. Berlin : Dietz Verlag, 1988, (7ème édition. 1ère

édition: 1967) Ouvrages de référence sur la RDA EPPELMANN Rainer [et al.] (dir.) : Lexikon des DDR-Sozialismus. Das Staats- und Gesellschaftssystem der

Deutschen Demokratischen Republik (Dictionnaire du socialisme de la RDA). Paderborn : Schöningh, 1996. HANKE Irma : Alltag und Politik. (Quotidien et politique) Opladen : Westdeutscher Verlag, 1987. SCHROEDER Klaus (en collaboration avec ALISCH Steffen) : Der SED-Staat. Partei, Staat und Gesellschaft

1949-1990 (L’Etat du SED). Munich/ Vienne : Carl Hanser Verlag, 1998. WEBER Hermann : Geschichte der DDR. Erftstadt : AREA-Verlag, 2004.

Historiographie de l’antifascisme de la RDA et sa réception en RFA BARTHELEMY Victor : Du communisme au fascisme. L’histoire d’un engagement politique. Albin Michel,

1978. BROSSAT Alain (dir.) : A l’Est, la mémoire retrouvée. La Découverte, 1990 (en particulier COMBE Sonia :

« RDA: des commémorations pour surmonter le passé nazi ») COMBE Sonia : « Mémoire collective et histoire officielle: le passé nazi en RDA ». Esprit, 1987. COMBE Sonia : « Passé nazi-Passé stasi ». Les Temps modernes, 49, 1993, pp. 1-12. DREYFUS Michel, GROPPO Bruno, PENNETIER Claude, PUDAL Bernard [et al.] : Le siècle des

communismes. Seuil, 2004 (en particulier GROPPO Bruno : « Fascismes, antifascismes et communismes », pp. 739-758).

DROZ Jacques : Histoire de l’antifascisme en Europe 1923-1939. La Découverte, 1985. EVANS Richard J. : « Zwei deutsche Diktaturen im 20. Jahrhundert ? ». APUZ, 1-2, 2005, pp. 3-9. GROPPO Bruno : « Le débat autour du concept d’antifascisme dans l’Allemagne unifiée ». Matériaux pour

l’histoire de notre temps, 37/38, 1995, pp. 8-12. GROSSER Alfred : Le crime et la mémoire. Flammarion, 1991.

Page 523: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

509

OHSE Marc-Dietrich : « L’antifascisme de commande. Réception et refoulement du passé national-socialiste en RDA » Matériaux pour l’histoire de notre temps, 55/56, 1999, pp. 88- 90.

ROWELL Jay : « L'étonnant retour du "totalitarisme"- Réflexions sur le "tournant" de 1989 et l'historiographie de la RDA ». Politix, 47, 1999 (Changer de régime).

ZEEV Sternhell : Etranger: fascisme, antisémitisme, racisme. Montpellier : IRSA, 1998.

En langue allemande Actes de la conférence de la Commission d’enquête du Bundestag « Dépasser les conséquences de la dicature du

SED dans le processus de l’unité allemande » (Tagung der Enquete-Kommission des Deutschen Bundestages “Überwindung der Folgen der SED-Diktatur im Prozess der deutschen Einheit”) des 13-14.5.1996 à Magdebourg.

AGETHEN Manfred, JESSE Eckhard, NEUBERT Ehrhart (dir.) : Der mißbrauchte Antifaschismus. DDR-Staatsdoktrin und Lebenslüge der deutschen Linken. (L’antifascisme abusé. Doctrine d’Etat de la RDA et mensonges vitaux de la gauche allemande) Freibourg/ Basel/ Vienne : Herder, 2002.

BENDER Peter : Unsere Erbschaft. Was war die DDR- was bleibt von ihr? (Notre héritage. Qu’était la RDA et qu’en reste-t-il ?) Hambourg : Luchterhand Literaturverlag, 1992.

BUNDESLINISTERIUM DES INNEREN (dir.) : Bedeutung und Funktion des Antifaschismus (Signification et fonction de l’antifascisme). Bonn, 1990. (M. Wilke : « Antifaschismus als Legitimation staatlicher Herrschaft in der DDR » (L’antifascisme comme légitimation de la domination étatique de la RDA), pp. 52-64).

DEUTSCHLAND/ BUNDESTAG : Antifaschismus und Rechtsradikalismus in der SBZ/DDR. Bonn : Deutscher Bundestag, Referat Öffentlichkeitsarbeit, 1993.

Collectif : « Brauchen wir einen neuen Antifaschismus ? » (Avons-nous besoin d’un nouvel antifascisme ?) Das Argument (Berlin), (4) 1993, pp. 499-680.

Collectif : « Legacies of antifascism ». New German Critique, 67, 1996 (numéro spécial). DOERRY Thomas : Antifaschismus in der Bundesrepublik Deutschlands. Vom antifaschistischen Konsens 1945

bis zur Gegenwart (L’antifascisme en République fédérale. Du consensus antifasciste de 1945 au présent) Francfort sur le Main : Röderberg-Verlag, 1980.

DRESCHLER Ingrun [et al.] (dir.) : Getrennte Vergangenheit, gemeinsame Zukunft. Ausgewählte Dokumente, Zeitzeugenberichte und Diskussionen der Enquete-Kommission “Aufarbeitung von Geschichte und Folgen der SED-Diktatur in Deutschland” des Deutschen Bundestages 1992-1994. (Sélection de documents de la commission d’enquête « Histoire et conséquences de la dictature du SED » du Bundestag Munich, 1997, 4 vol.

ERLINGHAGEN Robert : Die Diskussion um den Begriff des Antifaschismus seit 1989/1990. (Discussions autour de la notion d’antifascisme depuis 1989/1990) Berlin/ Hambourg : Argument, 1997.

GRUNENBERG Antonia : Antifaschismus- ein deutscher Mythos (Antifascisme- un mythe allemand). Hambourg : Reinbeck, 1993.

HAMM- BRÜCHER Hildegard, SCHREIBER Norbert (dir.) : Die aufgeklärte Republik. Eine kritische Bilanz. (La République éclairée. Bilan critique) Munich : Bertelsmann, 1989.

JESSE Eckhard : Vergangenheitsbewältigung. (Surmonter le passé) Berlin : Duncker und Humblot, 1997. KNÜTTER Hans-Helmut : « Antifaschismus und politische Kultur in Deutschland nach der

Wiedervereinigung » (Antifascisme et culture politique dans l’Allemagne réunifiée). APUZ, 9, 1991. KNÜTTER Hans-Helmut : « Antifaschismus und Intellektuelle » (L’antifascisme et les intellectuels).

Extremismus und Demokratie 4, 1992, pp. 53-66. KÜHNHARDT Kudger : Die doppelte deutsche Diktaturerfahrung. Drittes Reich und DDR- Ein historisch-

politischer Vergleich (La double expérience allemande de la dictature. Comparaison politico-historique entre le Troisième Reich et la RDA). Francfort sur le Main : Lang Verlag, 1996.

KÜHNRICH Heinz : « Verordnet und nichts weiter ? » (Sur commande et rien d’autre?). Zeitschrift für Geschichtswissenschaft, 40(9), 1992, pp.819-833.

LÖW Konrad : Warum fasziniert der Kommunismus ? (Pourquoi le communisme fascine-t-il ?) Cologne : Deutscher InstitutsVerlag, 1981.

MEUSCHEL Sigrid : Legitimation und Parteiherrschaft. Zum Paradox von Stabilität und Revolution in der DDR 1945-1989. Francfort sur le Main : Suhrkamp, 1992.

MITTER Armin, WOLLE Stefan : Untergang auf Raten. Unbekannte Kapitel der DDR-Geschichte. (Un naufrage avec acomptes. Chapitres inconnus de l’histoire de la RDA) Munich : Bertelsmann, 1993.

MÜLLER Werner : « Die DDR in der deutschen Geschichte » (La RDA dans l’histoire allemande). APUZ, 28, 2001.

OPPENHEIMER Max (dir.) : Antifaschismus: Tradition, Politik, Perspektive. Geschichte und Ziele der VVN, Bund der Antifaschisten. Francfort sur le Main : Rödeberg-Verlag, 1978.

Page 524: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

510

RAUSCHENBACH Brigitte (dir.) : Erinnern, Wiederholen, Durcharbeiten. Zur Psychoanalyse deutscher Wenden. Berlin : Aufbau-Taschenbuch-Verlag, 1992. (S. Meuschel : « Antifaschistischer Stalinismus », pp. 163-171)

SÜHL Klaus (dir.) : Vergangenheitsbewältigung 1945 und 1989. Ein unmöglicher Vergleich? Eine Diskussion. (Surmonter le passé 1945 et 1989. Une comparaison impossible ?) Berlin : Verlag Volk und Welt, 1994.

VIETZE Siegfried : « Antifaschismus prägt unseren Weg, unsere Macht » (L’antifascisme empreint notre chemin, notre pouvoir) Einheit, 9-10, 1989.

VORSTEHER Dieter (dir.) : Parteiauftrag: Ein neues Deutschland. Rituale und Symbole der früheren DDR (Commande de parti: Une nouvelle Allemagne. Rituels et symboles de la jeune RDA). Berlin: DHM, 1996.

WENTKER Hermann : « Deutsch-deutsche Geschichte nach 1945 ». APUZ, 1-2, 2005, pp. 10-17.

Nationalisme et situation des étrangers en RDA ELSNER Eva-Maria et Lothar : Zwischen Nationalismus und Internationalismus. Über Ausländer und

Ausländerpolitik in der DDR 1949-1990. Darstellung und Dokumente (Entre nationalisme et internationalisme. Les étrangers en RDA) Rostock : Norddeutscher Hochschulschriften Verlag, 1994.

KRÜGER-POTRATZ Marianne : Anderssein gab es nicht. Ausländer und Minderheiten in der DDR (Pas le droit à la différence. Etrangers et minorités en RDA) Münster/ New-York : Waxmann, 1991.

LEMKE Michael : « Nationalismus und Patriotismus in der frühen Jahren der DDR » (Nationalisme et patriotisme dans les premières années de la RDA). APUZ, 50, 2000.

NIRUMAND Bahman (dir.) : Angst vor den Deutschen. (Peur des Allemands) Reinbeck : Rowohlt, 1992. RUNGE Irene : Ausland DDR. Fremdenhaß. Berlin : Dietz Verlag, 1990. STACH Andrzej Waldemar, HUSSAIN Saleh : Ausländer in der DDR. Terror gegen Ausländer und der Zerfall

des Rechtsstaates. (Les étrangers en RDA. Terreur contre les étrangers et déclin de l’Etat de droit). Berlin : Die Ausländerbeauftragte des Senats, 1991.

Héritage de la RDA et xénophobie dans les NBL FRIEDRICH W. : « Ist der Rechtsextremismus im Osten ein Produkt der autoritären DDR? » (L’extrême droite à

l’Est est-elle le produit de l’autoritarisme de la RDA?). APUZ, 46, 2001. POUTRUS Patrice G., BEHRENDS Jan . C., LINDENBERGER Thomas : Fremde und Fremd-Sein in der

DDR: Zu historischen Ursachen der Fremdenfeindlichkeit in Ostdeutschland (Causes historiques de la xénophobie en Allemagne de l’Est). Berlin : Metropol Verlag, 2003.

Racisme et xénophobie- Généralités BALIBAR Etienne : Race, nation, classe. Les identités ambiguës. La Découverte, 1997. CHEBEL D’APPOLLONIA Ariane : Les racismes ordinaires. Presses de Sciences Po, 1998. SIBONY Daniel : Le racisme ou la haine identitaire. Christian Bourgois Editeur, 1996. HAEGEL Florence, REY Henry, SINTOMER Yves : La xénophobie en banlieue. Effets et expressions.

L’Harmattan, 2000. HARGREAVES Alec G., LEAMAN Jeremy (dir.) : Racism, Ethnicity and Politics in Contemporary Europe.

Hants : Edward Elgar Publishing Ltd, 1995. JUHEM Philippe : SOS-Racisme, histoire d’une mobilisation « apolitique ». Contribution à une analyse des

transformations des représentations politiques après 1981. Thèse de science politique, dir. Bernard Lacroix, Université Paris-X-Nanterre. (Consultation en ligne : http://juhem.club.fr/index.html)

MEMMI Albert : Le racisme. Description, définitions, traitement. Gallimard, 1994. REA Andrea (dir.) : Immigration et racisme en Europe. Bruxelles : Complexe, 1998. WIEVIORKA Michel (dir.) : Racisme et xénophobie en Europe. Une comparaison internationale. La

Découverte (coll. Textes à l’appui : série sociologie), 1994. WIEVIORKA Michel : La France raciste. Seuil, 1992.

Page 525: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

511

L’extrême droite en RDA BORCHERS Andreas : Neue Nazis im Osten. Hintergründe und Fakten (Nouveaux nazis à l’Est). Weinheim :

Beltz Quadriga, 1992. FARIN Klaus, SEIDEL-PEILEN Eberhard : Rechtsruck (Sursaut de droite). Berlin : Rotbuch Verlag, 1992. HEINEMANN Karl-Heinz, SCHUBARTH Wilfried (dir.) : Der antifaschistische Staat entläßt seine Kinder.

Jugend und Rechtsextremismus in Ostdeutschland (L’Etat antifasciste relâche ses enfants. Jeunesse et extrême droite en Allemagne de l’Est). Cologne : PapyRossa Verlag, 1992.

KÖDERRITZSCH Peter, MÜLLER Leo A. : Rechtsextremismus in der DDR. (L’extrême droite en RDA). Göttingen : Lamuv Verlag, 1990.

NEUBACHER Frank : Jugend und Rechtsextremismus in Ostdeutschland. Vor und nach der Wende (Jeunesse et extrémisme de droite en Allemagne de l’Est. Avant et après la Wende). Bonn : Forum Verlag Godesberg, 1994.

SIPPEL Heinrich., SÜSS Walter: Staatssicherheit und Rechtsextremismus (Stasi et extrême droite) Bochum : Brockmeyer, 1994.

SÜß Walter : « Was wußte die Stasi über die Neonazis in der DDR? ». Die Zeit, 30.4.1993. SÜß Walter : Zur Wahrnehmung und Interpretation des Rechtsextremismus in der DDR durch das MfS. Analyse

und Berichte (Appréhension et interprétation de l’extrême droite par la Stasi en RDA). Bundesauftragten für die Unterlagen des Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen DDR, 1/1993.

Publications datant de la période de la RDA AMMER Thomas : « Prozesse gegen Skinheads in der DDR » (Procès contre les Skinheads en RDA).

Deutschland-Archiv, 8, 1988. BRÜCK W. : Skinheads im Meinungbild Jugendlicher. ZIJ Leipzig, 1988. MADLOCH Norbert : Jugend und Rechtsextremismus in Ostdeutschland, Fakten und Gegenstrategien. Berlin:

Magistratsverwaltung für Jugend, Familie und Sport, 1990. NIEDERLÄNDER Loni : « Zu den Ursachen rechtsradikaler Tendenzen in der DDR » (Causes des tendances

radicales de droite en RDA). Neue Justiz, (44) 1, 1990, pp. 16-18. Le NDPD HOMANN Heinrich, HARTMANN Günter (dir.) : Die NDPD. Mitgestalter der entwickelten sozialistischen

Gesellschaft in der DDR. Aus Reden und Beiträgen von Professor Heinrich Homann 1971-1985. Berlin (Est) : Verlag der Nation, 1986.

FRÖLICH Jürgen (dir.) : Bürgerliche Parteien in der SBZ/DDR. Zur Geschichte von CDU, LDP(D), DBD und NDPD 1945 bis 1953. (Partis bourgeois dans la zone d’occupation soviétique/ RDA 1945-1953). Cologne : Verlag Wissenschaft und Politik, 1994.

HENKEL Rüdiger : Im Dienste der Staatspartei. Über Parteien und Organisationen der DDR. (Au service du parti d’Etat. Partis et organisations en RDA) Edité par la Unabhängige Kommission zur Überprüfung des Vermögens der Parteien und Massenorganisationen der DDR (Commission indépendante chargée de la vérification des finances des partis et organisations de masse de la RDA). Baden-Baden : Nomos Verlagsgesellschaft, 1994.

Les anciens membres du NSDAP en RDA : entre dénazification et coopération

BROSZAT Martin, WEBER Hermann (dir.) : SBZ-Handbuch. Staatliche Verwaltungen, Parteien,

gesellschaftliche Organisationen und ihre Führungskräfte in der SBZ Deutschlands. 1945-1949. (Manuel de la zone d’occupation soviétique. Administrations d’Etat, partis, organisations sociales et leurs dirigeants. 1945-1949) Munich : R. Oldenburg Verlag, 1990.

HANTKE Manfred : Zur Bewältigung der NS-Zeit in der DDR. Defizite und Neubewertung. (De la gestion de l'époque national-socialiste en RDA. Déficits et réévaluation). Bonn : Friedrich-Ebert-Stiftung, 1989.

KAPPELT Olaf : Die Entnazifizierung in der SBZ sowie die Rolle und der Einfluß ehemaliger Nationalsozialisten in der DDR als ein soziologisches Phänomen. (Dénazification dans la zone d’occupation

Page 526: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

512

soviétique et le rôle et l’influence d’anciens nationaux-socialistes en RDA. Analyse sociologique) Hambourg : Kappelt, 1997. (Thèse de doctorat)

KAPPELT Olaf : Braunbuch DDR-Nationalsozialisten in der DDR. (Le livre brun de la RDA- Nationaux-Socialistes en RDA). Berlin (Ouest) : Reichmann, 1981.

KNÜTTER Hans-Helmut : Die Faschismus-Keule. Das letzte Angebot der deutschen Linken. (La massue fasciste. Dernière proposition des gauches allemandes). Francfort sur le Main : Ullstein, 1993.

MOHLER Armin : Der Nasenring. Die Vergangenheitsbewältigung vor und nach dem Fall der Mauer (Surmonter le passé). Munich : Langen-Müller, 1991.

NIETHAMMER Lutz (dir.) : Der "gesäuberte" Antifaschismus. Die SED und die roten Kapos von Buchenwald. Dokumente. (L’antifascisme épuré. Le SED et les Kapo de Buchenwald). Berlin : Akademie Verlag, 1994.

RÖSSLER Ruth-Kristin : Die Entnazifizierungspolitik der KPD-SED (La politique de dénazification du KPD-SED). Goldbach : Keip Verlag, 1994.

5. L'EXTREMISME POLITIQUE DANS LES NOUVEAUX LÄNDER

Ouvrages généraux et approches européennes de l’extrémisme de droite

BETZ Hans-Georg : La droite populiste en Europe : extrême et démocrate ? (Traduit de l’anglais par Geneviève

Brzustowski, préface de Pascal Perrineau). Editions Autrement, collection CEVIPOF/ Autrement), 2004. CAMUS Jean-Yves (dir.) : Les extrémismes en Europe. Etat des lieux 1998. Editions de l’Aube/ Editions Luc

Pire. Publication du CERA (Centre Européen de Recherche et d’Action sur le racisme et l’antisémitisme), 1998.

CLAVREUL Gilles : L’extrémisme politique contre la norme ? Etude comparée des extrémismes de gauche et de droite dans la France contemporaine. IEP Paris, mémoire de DEA (Etudes politiques), dir. : N. Mayer, 1995.

DELWIT Pascal, DE WAELE Jean-Michel, REA Andrea (dir.) : L’extrême droite en France et en Belgique. Bruxelles : Editions Complexe, 1998.

IGNAZI Piero : L’estrema dresta in Europea, Bologne, Il Mulino, 2000. MINKENBERG Michael : «Die Neue radikale Rechte im Vergleich : Frankreich und Deutschland ». Zeitschrift

für Parlamentsfragen, n°1, 1997-02, pp.140-159. PERRINEAU Pascal (dir.) : Les croisés de la société fermée. L’Europe des extrêmes droites. La Tour d’Aigues :

Edition de l’Aube, 2001 (les contributions de M. Minkenberg, U. Backes et D. Loch portent sur l’extrême droite en Allemagne).

SCHEUCH Erwin K. : Perspectives des sciences sociales en Allemagne aujourd’hui. Recueil de textes traduits de l’allemand. Editions de la Maison des sciences de l’homme, 1991.

SCHEUCH Erwin K., SCHERHORN Gerhard : Freizeit Konsum. Stuttgart : Enke, 1977 (2ème édition).

L’extrémisme politique face aux institutions démocratiques de l’Allemagne unifiée

BACKES Uwe, JESSE Eckhard : Politischer Extremismus in der Bundesrepublik (L’extrémisme politique en

République fédérale). Bonn : Bundeszentrale für politische Bildung, 1993 (Ouvrage de référence et objet de controverse quant au traitement similaire de l’extrême droite et de l’extrême gauche).

BUTTERWEGE Christoph, ISOLA Horst (dir.) : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland. Randerscheinung oder Gefahr für die Demokratie? (L’extrême droite dans l’Allemagne réunifiée. Apparition marginale ou danger pour la démocratie ?) Berlin : Ch. Links, 1991.

CANU Isabelle : Schutz der Demokratie in Deutschland und Frankreich. Ein Vergleich des Umgang mit politischem Extremismus vor dem Hintergrung der europäischen Integration. (Défendre la démocratie en

Page 527: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

513

France et en Allemagne. Une comparaison de le gestion de l’extrémisme politique). Opladen : Leske und Budrich, 1997.

JASCHKE Hans-Gerd : « Sehnsucht nach dem starken Staat- Was bewirkt Repression gegen rechts ? » (La nostalgie de l’Etat fort. Les effets de la répression contre l’extrême droite) APUZ, 39,2000, pp. 22-29.

JASCHKE Hans-Gerd : Streitbare Demokratie und innere Sicherheit. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1991. KUNZE Klaus : « Die Verfassungsschutzprozesse und ihre politische Funktion für den Parteienstaat » (Les

procès de protection de la constitution et leurs fonctions politiques pour l’Etat des partis). Deutsche Annalen, 1997, pp. 77-111.

LEGGEWIE Claus, MEIER Horst : Republikschutz. Maßstäbe für die Verteidigung der Demokratie. (Protection de la République. Echelle de protection de la démocratie) Hamburg : Reinbeck, 1995.

LEGGEWIE Claude : Druck von Rechts. Wohin treibt die Bundesrepublik Deutschland? (Poussée de droite. Où va la République fédérale ?) Munich : Beck, 1993.

LÖW Konrad (dir.) : Terror und Extremismus in Deutschland. Ursachen, Erscheinungsformen, Wege zur Überwindung. (Terreur et extrémisme en Allemagne). Berlin : Duncker & Humblot, 1994.

PFAHL-TRAUGHBER Armin : « Der Extremismusbegriff in der politikwissenschaftlichen Diskussion- Definitionen, Kritik, Alternativen » (La notion d’extrémisme dans le débat de science poltiique- Définitions, critique, alternatives) in U. Backes, E. Jesse (dir.) : Extremismus und Demokratie 4. Bonn, 1992, pp. 67-86.

Analyse des partis communistes comme relevant de l’extrême gauche

BILSTEIN Helmut : Organisierter Kommunismus in der Bundesrepublik Deutschlands. (Le communisme

organisé en République fédérale). Opladen : Leske und Budrich, 1977. FLECHTHEIM Ossip K. : Der Marsch der DKP durch die Institutionen. (La marche du DKP à travers les

institutions). Francfort sur le Main : Fischer-Taschenbuch-Verlag, 1981. JESSE, Eckhard : « Linksextremismus in der Bundesrepublik Deutschlands » (L’extrême gauche en République

fédérale). APUZ 3/4, 1992, pp. 31-39. KLUTH Hans : Die KPD in der Bundesrepublik. Ihre Tätigkeit und Organisation 1945-1956. (Le KPD en RFA.

Activités et organisation 1945-1956). Cologne/ Opladen : Westdeutscher Verlag, 1959. LANG Jürgen P., MOREAU Patrick : Linksextremismus. Eine unterschätzte Gefahr (L’extrémisme de gauche.

Un danger sous-estimé). Bonn : Bouvier, 1996. MÜHLBERG Philipp, STOCK Manfred : Die Szene von innen. Skinheads, Grufties, Heavy Metals, Punks. (La

scène vue de l’intérieur). Berlin : Links-Druck Verlag, 1990. PROBST Ulrich : Die Kommunistischen Parteien in der Bundesrepublik Deutschland (Les partis communistes

en RFA). Munich : Vögel, 1980. RUDZIO Wolfgang: Die Erosion der Abgrenzung. Zum Verhältnis zwischen den demokratischen Linken und

Kommunisten in der Bundesrepublik Deutschlands. (L’érosion de la démarcation. De la relation des gauches démocratiques et communistes en RFA). Opladen : Westdeutscher Verlag, 1988.

L'extrême droite dans l’Allemagne unifiée

Généralités AYCOBERRY Pierre : « Populismus, populistisch: la version allemande ». Vingtième siècle, (10/12) 56, 1997,

pp. 105-114. MOREAU Patrick : Les héritiers du Troisième Reich. L’extrême droite allemande de 1945 à nos jours. Le Seuil,

1994. SUR Etienne : « A propos de l’extrême-droite en Allemagne: de la conception ethnique de la nation allemande ».

Herodote, 68, 1993. WROBLEWSKI Vincent von : « La résurgence de l’extrémisme dans l’Allemagne contemporaine ». Réseaux-

Ciéphum, 70-71-72, 1994, pp. 93-98.

En langue allemande ASSHEUER Thomas, SARKOWICZ Hans : Rechtsradikale in Deutschland. Die alte und die neue rechte.

Munich : Beck, 1990.

Page 528: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

514

BACKES Uwe, MOREAU Patrick : Die extreme Rechte in Deutschland. Geschichte- Gegenwärtige Gefahren- Ursachen- Gegenmaßnahmen. Munich : Akademischer Verlag, 1994 (2ème édition).

FALTER Jürgen, WINKLER Jürgen R., JASCHKE Hans-Gerd (dir.) : Rechtsextremismus. Ergebnisse und Perspektiven der Forschung. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1996.

FUNKE Hajo : “Jetzt sind wir dran“. Nationalismus im geeinten Deutschland. Aspekte der Einigungspolitik und nationalistische Potentiale in Deutschland. Berlin : Aktion Sühnezeichen, Friedensdienste, 1991.

LANGANKE Heiko : Die extreme Rechte in der Bundesrepublik. Ideen, Ideologien, Interpretationen. (idées, idéologies, interpétations) Hambourg : Argument-Verlag, 1996.

MORSHÄUSER Bodo : Le réflexe allemand (Hauptsache Deutsch). Arles : Actes Sud, 1993. NEUREITER Marcus : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland. Eine Untersuchung

sozialwissenschaftlicher Deutungsmuster und Erklärungsansätze. Marburg : Tectum Verlag, 1996. PEUKERT Detlev Julio K, BAJOHR Frank : Rechtsradikalismus in Deutschland. Zwei historische Beiträge.

Hambourg : Ergebnisse Verlag, 1990. PFAHL-TRAUGHBER Armin : Rechtsextremismus in der Bundesrepublik. Munich : C.H. Beck, 1999.

(Ouvrage synthétique de référence) STÖSS Richard : Die extreme Rechte in der Bundesrepublik Deutschland. Entwicklung - Ursachen -

Gegenmaßnahmen . Opladen : Westdeutscher Verlag, 1989. STÖSS Richard : Rechtsextremismus im vereinten Deutschland. Bonn : Friedrich-Ebert-Stiftung, 1999. STÖSS, Richard : Rechtsextremismus in West- und Ostdeutschland. Bonn : Friedrich-Ebert-Stiftung, 2000. WAGNER Bernd (dir.) : Handbuch Rechtsextremismus. Netzwerke, Parteien, Organisationen, Ideologiezentren,

Medien. Reinbek : Rowohlt, 1994. Phénomène politique KOKOSCHKO Ray : « La montée de l’extrémisme de droite en Allemagne de l’Est : le cas du Land de

Brandebourg ». Politique étrangère, 4, 1998-1999, pp. 733-746. (Etude empirique)

En langue allemande BÜSCH Otto, FURTH Peter : Rechtsradikalismus im Nachkriegdeutschland. Studien über die “Soziale

Reichspartei” (SRP). (Radicalisme de droite dans l’Allemagne d’après-guerre. Etudes sur le SRP). Berlin/ Francfort sur le Main : Vahlen, 1957.

ERB Rainer : « DVU und NPD im brandenburgischen Wahlkampf ». Deutschland-Archiv, 6, 1999, pp. 947-952. FLEMMING Lars : « Die NPD nach dem Verbotsverfahren – Der Weg aus der Bedeutungslosigkeit in die

Bedeutungslosigkeit? » (Le NPD après la tentative d’interdiction. De l’insignifiance à l’insignifiance?). Extremismus und Demokratie, 16, 2004, pp. 145-154.

HASSELBACH Ingo, BONENGEL Winfried : Die Abrechnung. Ein Neonazi steigt aus. Berlin : Aufbau Taschenbuch Verlag, 2001. (Intéressant témoignage d’un ancien néo-nazi sur la responsabilité de la RDA dans la formation d’une identité d’extrême droite ainsi que sur la scène dans l’arrondissement Lichtenberg de Berlin-Est)

JASCHKE Hans-Gerd : Die Republikaner. Bonn : Dietz Nachfolger, 1994. MENTZEL Thomas : Rechtsextreme Gewalttaten von Jugendlichen und Heranwachsen in den NBL. Eine

empirische Untersuchung von Erscheinungsformen du Ursachen am Beispiel des Landes Sachsen-Anhalt. (Actes de violence de jeunes d’extrême droite. Une étude empirique) Munich : Fink, 1998.

OBSZERNINKS Britta, SCHMIDT Matthias : DVU im Aufwärtstrend. Gefahr für die Demokratie? Fakten, Analysen, Gegenstrategien. Münster : Agenda Verlag, 1998.

STÖSS Richard : « Die Republikaner im Parteiensystem der Bundesrepublik Deustchland ». Tel-Aviver Jahrbuch für deutsche Geschichte, 19, 1990, pp.429-448.

Comportement électoral DEINERT Rudolf Günter : Institutionenvertrauen, Demokratiezufriedenheit und Extremwahl. Ein Vergleich

zwischen westdeutscher Rechts- und ostdeutscher PDS-Wahl. (Confiance dans les institutions, satisfaction démocratique et vote extrême. Une comparaison entre le vote d’extrême droite à l’Ouest et pour le PDS à l’Est). Saint-Augustin : Gardez! Verlag, 1997.

FALTER Jürgen, KLEIN Markus : Wer wählt rechts ? : die Wähler und Anhänger rechtsextremistischer Parteien im vereinigten Deutschland. Munich : Beck, 1994.

FALTER Jürgen : « Die Massenbasis des Rechtsextremismus in Europa ». Extremismus und Demokratie, 6, 1994, pp. 35-54.

Page 529: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

515

FALTER Jürgen : « Le vote des partis d’extrême droite ». Matériaux pour l’histoire de notre temps. 55-56, 1999, pp. 33-39.

FOKUS (Forschungsgemeinschaft für Konflikt- und Sozialstudien e.V.) : Protestpotentiale und Rechtsextremismus im Meinungsbild der Bevölkerung von Sachsen-Anhalt. Halle, septembre 1998.

FOKUS : « Junge Rechte »- Werte und Einstellungen rechtsextrem orientierter Schülerinnen und Schüler im Bundesland Sachsen-Anhalt. Halle, avril-mai 1999.

NIEDERMAYER Oskar, STÖSS Richard : Berlin-Brandenburg-Bus 2002. Politische Einstellungen in der Region Berlin-Brandenburg. Dossier de presse, collaboration du Deutsche Paul Lazarsfeld-Gesellschaft, du Otto-Stammer-Zentrum de la FU de Berlin et de l’institut de sondages Forsa, 10 juillet 2002

NIEDERMAYER Oskar, STÖSS Richard : Rechtsextremismus, politische Unzufriedenheit und das Wählerpotential rechtsextremer Parteien in der Bundesrepublik im Frühsommer 1998. (Extrême droite, insatisfaction politique et potentiel électoral des partis d’extrême droite) Berlin : Freie Universität Berlin (Arbeitspapier des Otto-Stammer-Zentrums), 1998.

NIEDERMAYER Oskar, STÖSS Richard : Rechtsextreme Einstellungen in der Region Berlin-Brandenburg. collaboration du Deutsche Paul Lazarsfeld-Gesellschaft, du Otto-Stammer-Zentrum de la FU de Berlin et de l’institut de sondages Forsa, 2000.

STÖSS Richard : Parteien und Wähler im Umbruch. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1994. Nouvelle droite GESSENHARTER Wolfgang : « Die intellektuelle Neue Rechte und die neue radikale Rechte in Deutschland »

(La Nouvelle droite intellectuelle et la nouvelle droite radicale en Allemagne). APUZ 48, 1998, pp. 20-26. VENNER Michael : Nationale Identität: die neue Rechte und die Grauzone zwischen Konservatismus und

Rechtsextremismus (Identité nationale : Nouvelle droite et zone grise entre conservatisme et extrémisme de droite). Cologne : Papyrossa-verlag, 1994.

L’extrême droite comme phénomène culturel et violent ASCHWANDEN Dirk : Jugendlicher Rechtsextremismus als gesamtdeutsches Problem. Baden-Baden : Nomos

Verlagsgesellschaft, 1995. BERGMANN Werner, ERB Rainer (dir.) : Neonazismus und rechte Subkultur. (Néonazisme et subculture de

droite). Berlin : Metropol, 1994. DUDEK Peter, JASCHKE Hans-Gerd : Entstehung und Entwicklung des Rechtsextremismus in der

Bundesrepublik. Zur Tradition einer besonderen politischen Kultur. (Naissance et évolution de l’extrême droite en RFA. De la tradition d’une culture politique particulière). Opladen : Westdeutscher Verlag, 1984 , 2 vol.

HEITMEYER Wilhelm (dir.) : Das Gewalt-Dilemma. Gesellschaftliche Reaktionen auf fremdenfeindliche Gewalt und Rechtsextremismus (Le dilemme de la violence. Réactions de la société aux violences xénophobes et à l’extrême droite). Francfort sur le Main : Suhrkamp, 1994.

HEITMEYER Wilhelm : Die Bielefelder Rechtsextremismus-Studie. Erste Langzeituntersuchung zur politischen Sozialisation von männlichen Jugendlichen. Weinheim/Munich : Juventa-Verlag, 1993 (2ème édition).

JASCHKE Hans-Gerd : Rechtsextremismus und Fremdfeindlichkeit. Opladen : Westdeustcher Verlag, 1994. MELZER Wolfgang (dir.) : Osteuropäische Jugend im Wandel. Ergebnisse vergleichender Jugendforschung in

der Sowjetunion, Polen, Ungarn und der ehemaligen DDR. Weinheim/Munich : Juventa Verlag, 1991 WAGNER Bernd : Rechtsextremismus und kulturelle Subversion in den neuen Bundesländern. Berlin : Zentrum

für demokratische Kultur, 1998. WILLEMS Helmut, ECKERT Roland, WÜRTZ, Stefanie, STEINMETZ Linda : Fremdenfeindliche Gewalt,

Einstellungen - Täter- Konfliktseskalation (Violence xénophobe. Opinion, auteurs, escalade). Opladen : Leske und Budrich, 1993.

Comparaison ou relation (extrême)-gauche et extrême droite BACKES Uwe, JESSE Eckhard: « Neue Linke und Neue Rechte ». Jahrbuch für Extremismus und Demokratie,

5, 1993. BACKES Uwe: « Radikales Denken -rechts und links ». Die politische Meinung , 39, 1994.

Page 530: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

516

BERGSDORF Harald: « Extremismusbegriff im Praxistest: PDS und REP im Vergleich » (La notion d’extrémisme à l’épreuve de la pratique: Approche comparative du PDS et des REP) in U. Backes, E. Jesse (dir.): Extremismus und Demokratie. Baden-Baden : Nomos Verlag, 2002, pp. 61-80.

EDELBLOUDE Johanna : « Les enjeux de l’adaptation de l’extrême droite aux revendications sociales de l’Allemagne de l’Est : le face à face protestaatire de la DVU et du PDS ». Revue Internationale de Politique comparée, 4, 2005 (à paraître).

EVERTS Carmen : Politischer Extremismus. Theorie und Analyse am Beispiel der Parteien REP und PDS. (L’extrémisme politique. Théorie et analyse. L’exemple des REP et du PDS). Berlin : Weissensee Verlag, 2000.

JESSE Eckhard, BACKES Uwe : « Autonome und Skinheads - Ein Vergleich ». Extremismus und Demokratie, 6, 1994, pp. 7-34.

KOWALSKY Wolfgang : Rechtsaussen und die verfehlten Strategien der deutschen Linken (Droite extrême et stratégies manquées des gauches allemandes). Berlin : Ullstein, 1992.

6. POSTCOMMUNISME, EXTREME DROITE ET COMMUNISME

Systèmes et partis politiques dans l’Europe centrale post-communiste

COLAS Dominique (dir.) : L’Europe post-communiste. PUF, 2002 (en particulier COLAS Dominique :

« Société civile, Etat, nation », pp. 13-110). DELWIT Pascal, DE WAELE, Jean-Michel (dir.) : La transition démocratique en Europe Centrale et orientale.

La coopération pan-européenne des partis politiques. L’Harmattan, 1998. DE WAELE Jean-Michel : L’émergence des partis politiques en Europe Centrale. Bruxelles : Editions de

l’Université de Bruxelles, 1999. HERMET Guy : Les désenchantements de la liberté. La sortie des dictatures dans les années 1990. Fayard,

1993. HERMET Guy : Le passage à la démocratie. Presses de la FNSP, 1996. HERMET Guy, MARCOU Lily : Des partis comme les autres?Les anciens communistes en Europe de l’Est.

Bruxelles : Complexe, 1998. HOLMES Leslie : Politics in the communist world. Oxford : Clarenton, 1986. HAARSCHER Guy, TELO Mario (dir.) : Après le communisme : les bouleversements de la théorie politique.

Bruxelles : Editions de l’Université de Bruxelles, 1993. KITSCHELT Herbert : Patterns of competition in East Central European party systems. Chicago : Paper

prepared for the annual meeting of the American political science association, 31.08-3.09 1995. MAIR Peter : What is different about post-communist party systems ? Centre for the study of public policy.

University of Strathclyde, Glasgow, 1996. MASLOWSKI Michel (dir.) : L’Europe du milieu. Actes du colloque de septembre 1989. Nancy : Presses

Universitaires de Nancy, 1991. McHALE Vincent, SKOWRONSKI Sharon (dir.) : Political parties of Europe. Westport : Greenwood Press,

1983. MINK Georges, SZUREK Jean-Charles : Cet étrange post-communisme. Ruptures et transitions en Europe

centrale et orientale. Presses du CNRS-La Découverte, 1992. RUPNIK Jacques : L’autre Europe. crise et fin du communisme. Odile Jacob, 1990. SEILER Daniel-Louis : Le cas des partis politiques dans les nouvelles démocraties de l’Est européen.

Lausanne : Université de Lausanne, Institut de sciences politiques, travaux de sciences politiques, nouvelle série n°4, 1991.

WIGHTMAN, G (dir.) : Party formation in East-Central Europe: post-communist politics in Czechoslovakia, Hungary, Poland and Bulgaria. Aldershot : Edward Elgar, 1994.

WIEVIORKA Michel : La démocratie à l’épreuve. La Découverte, 1993.

Page 531: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

517

Les anciens partis communistes au pouvoir ADLER Alexandre : « Est : Le vrai-faux retour des communistes ». Politique internationale, 62, 1993-1994, pp.

285-294. BARTOSEK Karel (dir.) : « L’état du mouvement communiste dans les pays ex-communistes ». Nouvelle

alternative, 38, 1995, pp. 2-17. COLLECTIF : « Le retour des anciens communistes ? ». Revue internationale de politique comparée 1, (2),

1994, pp. 291-301. LHOMEL Edith, MINK Georges : « Conversion et adaptation des partis communistes ». Notes et études

documentaires, 42-43, 1991. MINK Georges, SZUREK Jean-Charles : « Europe centrale: la revanche des néo-communistes ». Politique

internationale, 67, 1995, pp. 157-168. MINK Georges : « Les partis politiques en Europe centrale post-communiste ». Notes et études documentaires,

84-85, 1993, pp. 13-23. SZUREK Jean-Charles : « Les communistes de l’après-communisme ». Temps modernes, 48, 1993, pp. 89-107.

En langue allemande GLAESSNER Gert-Joachim : Demokratie nach dem Ende des Kommunismus. Regimewechsel, Transition und

Demokratisieerung im Postkommunismus. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1994. JUCHLER Jakob : « Kontinuität oder Wende ? Polen seit dem Wahlsieg der Postkommunisten » (Continuité en

Pologne ? La Pologne depuis la victoire électorale des post-communistes). Osteuropa (Stuttgart) 45 (1), 1995, pp. 65-76.

SEGERT Dieter, MACHOS Csilla : Parteien in Osteuropa : Kontexte und Akteure. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1995.

SEGERT Dieter, STÖSS Richard, NIEDERMAYER Oskar (dir.) : Parteiensysteme in post-kommunistischen Gesellschaften Osteuropas. Opladen : Westdeutscher Verlag, 1997.

Extrémismes et nationalismes en transition AUER Stefan : « Nationalism in Central Europe- A Chance or a Threat for the Emerging Liberal Democratic

Order ? ». East European Politics and Societies, (14) 2, 2000, pp. 213-245. BUTOROVA Z., ROSOVA T. : The Slowak national party: myths, rituals, devotees. Bratislava : Institute for

social analysis papers, 1991. FREYER Danuta, VANLAER Jean : « Les clivages politiques en Pologne : une enquête menée auprès des

responsables des partis politiques ». Autre Europe (28-29), 1994, pp.171-196. FUNKE Hajo : « L’extrême-droite: un bilan intermédiaire ». Revue des deux mondes, (10) 1994, pp. 75-88. FUNKE Hajo : « Face à l’extrême-droite ». Documents, (4-5) 1992, pp. 43-69. HERMET Guy : « Populisme et nationalisme ». Vingtième siècle, (10/12) 56, 1997, pp. 105-114. ISHIYAMA John T. : « Strange Bedfellows : explaining political cooperation between communist successor

parties and nationalists in Eastern Europe ». Nations and Nationalism 4 (1), 1998, pp. 61-85. KRULIC Joseph : « Les populismes d’Europe de l’Est ». Débat (Paris), (67), 1991, pp. 83-91. MICHEL Bernard : Nations et nationalismes en Europe centrale, XIX° et XX° siècle. Aubier, 1995. MINKENBERG Michael : « The radical right in postsocialist Central and Eastern Europe : comparative

observations and interpretations ». East European Politics and Societies, vol.16, n°2, 2002, pp.335-362. SZABO Mate : « Nation-State, Nationalism and the Prospects for Democratization in East Central Europe ».

Communist and Post-Communist Studies, 27 (2), 1994, pp. 377-399. SZAYNA, Thomas S. : « Ultra-nationalism in Central Europe ». Orbis (37) 4, 1993, pp. 527-550.

En langue allemande BEICHELT Timm, MINKENBERG Michael : « Rechtsradikalismus in Transformationsgesellschaften.

Entstehungsbedingungen und Erklärungsmodell » (Le radicalisme de droite dans les sociétés en transition). Osteuropa, 3, 2002, pp. 247-262.

BUTTERWEGGE Christoph, JÄGER Siegfried (dir.) : Rassismus in Europa. Düsseldorf : Bund-Verlag, 1992 (Article de KLÖNNE Arno : « Völkische Wiedergeburt ? - Die Neue Rechte in den früher ‚realsozialistischen’ Ländern Osteuropas », pp. 46- 57.)

Page 532: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Bibliographie

518

FALTER Jürgen W., JASCHKE Hans-Gerd, WINKLER Jürgen R. : Rechtsextremismus. Ergebnisse und Perspektive der Forschung (L’extrême droite. Résultats et perspectives de la recherche). Opladen : Westdeutscher Verlag, 1996 (Article de VON BEYME Klaus : « Rechtsextremismus in Osteuropa » pp. 423-442).

HOLZER Jerzy : « Neuer Wind in Polen? ». Politische Meinung, 39 (291), 1994, pp.44-53. STROBEL Georg W. : « Das andere Polen. Struktur und Selbstverständnis der rechten und rechtsextremen

Kräfte in der polnischen Politik » (L’autre Pologne. La structure et l’image de soi des forces de droite et d’extrême droite dans la politique polonaise). Osteuropa, 3, 2001, pp. 259-280.

Page 533: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Liste des tableaux et graphiques

519

Liste des tableaux et graphiques

Liste des tableaux

Tableau 1- Résultats des principales formations politiques et d’extrême droite (REP, NPD et DVU) aux élections législatives fédérales (Bundestagswahlen) 1990-2005 ______________________ 12

Tableau 2- Résultats des principales formations politiques aux élections législatives régionales (Landtagswahlen) dans les nouveaux Länder et à Berlin (1990-2004, en % des secondes voix exprimées) ___________________________________________________________________ 13

Tableau 3- Résultats des trois grands partis d’extrême droite aux élections législatives régionales (Landtagswahlen), dans les nouveaux et anciens Länder et à Berlin (1990-2005) ___________ 40

Tableau 4- Le potentiel d’adhésion à l’idéologie d’extrême droite en Allemagne de l’Est et de l’Ouest (%)_________________________________________________________________________ 99

Tableau 5- Intention de vote du potentiel d’extrême droite en prévision des élections législatives de 1998 (et en comparaison des intentions de vote de l’ensemble du corps électoral) __________ 111

Tableau 6- Affinités partisanes de l’électorat des différents partis en fonction des convictions xénophobes, ethnocentristes et discriminatoires (valeurs moyennes selon l’échelle –5/+5) ___ 111

Tableau 7- Potentiel idéologique d’extrême droite en pourcentage de l’ensemble de la tranche d’âge___________________________________________________________________________ 114

Tableau 8- Propension au vote en faveur de l’un des trois partis d’extrême droite en fonction du sexe et de l’âge dans une approche comparative Est/ Ouest _______________________________ 114

Tableau 9- Propension à voter pour l’un des trois partis d’extrême droite en fonction de la situation professionnelle et des revenus (nets) du ménage ____________________________________ 115

Tableau 10- Satisfaits, déçus de la politique et du système en pourcentage du corps électoral ____ 116 Tableau 11- Degré de satisfaction du corps électoral de Berlin et du Brandebourg en regard du

système démocratique (2002) ___________________________________________________ 117 Tableau 12- Appréhension de l’ordre social des électeurs des différents partis, des abstentionnistes et

des indécis de Berlin et du Brandebourg (en pourcentage de l’électorat de chacun des partis et groupes) ___________________________________________________________________ 117

Tableau 13- Résultats des élections régionales de Saxe-Anhalt (1994-2002) en pourcentage des suffrages exprimés____________________________________________________________ 119

Tableau 14- Origine des électeurs de la DVU lors des élections régionales de Saxe-Anhalt en 1998 (% de son électorat total) _________________________________________________________ 121

Tableau 15- Origine des électeurs de la DVU aux élections régionales de S-A d’avril 1998 en fonction de leur comportement électoral lors des précédentes élections régionales et le report de leurs voix en 2002 ____________________________________________________________ 121

Tableau 16- Part du vote « donneur de leçon » dans l’électorat de chacun des partis __________ 123 Tableau 17- Le potentiel d’extrême droite et socialiste traditionnel chez certains groupes sociaux dans

la région Berlin-Brandebourg en 2002 (en % de l’ensemble de la population concernée) ____ 125 Tableau 18- Intention de vote du potentiel « socialiste traditionnel » à Berlin et dans le Brandebourg

en 2002 (%)_________________________________________________________________ 126 Tableau 19- Part du potentiel idéologiquement d’extrême droite (ED) ou socialiste traditionnel (ST)

au sein de l’électorat de chacun des partis, des abstentionnistes et des indécis 2002 (%)_____ 126 Tableau 20- Communautés d’idées et d’intérêt du PDS __________________________________ 158 Tableau 21- Initiatives parlementaires du PDS au Bundestag classées par thème, outil parlementaire

et ordre décroissant de leur importance (1994-1998) ________________________________ 197 Tableau 22- Initiatives des groupes parlementaires du PDS dans les Landtage est-allemands et la

CDB à Berlin________________________________________________________________ 208 Tableau 23- Détail thématique et évolution des « petites questions » par année _______________ 210 Tableau 24- Principaux députés à l’origine des petites questions __________________________ 213 Tableau 25- « Petites questions » du groupe CDU sur l’extrémisme et la politique d’immigration 222 Tableau 26- Quelques données relatives à la situation socio-économique des arrondissements

berlinois ___________________________________________________________________ 265

Page 534: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Liste des tableaux et graphiques

520

Tableau 27- Résultats comparatifs des élections à la CDB Est-Ouest 1990-2001 en pourcentage du total des suffrages exprimés (deuxièmes voix) ______________________________________ 271

Tableau 28- Résultats des élections aux conseils d’arrondissements de Lichtenberg et Hohenschönhausen depuis 1990 (principales formations, en pourcentage des deuxièmes voix exprimées) __________________________________________________________________ 276

Tableau 29- Chronologie récapitulative de l’« affaire Ostrowski » _________________________ 386 Tableau 30- Elections législatives régionales (Landtagswahlen) du Brandebourg (1990-2004, en

pourcentage des suffrages exprimés) _____________________________________________ 453 Tableau 31- Elections législatives régionales (Landtagswahlen) en Saxe (1990-2004, en pourcentage

des suffrages exprimés)________________________________________________________ 453

Liste des graphiques

Graphique 1- Composition de la scène d’extrême droite et évolution (en valeur brute, 1987-3004)_ 41 Graphique 2- Evolution des adhésions des partis d'extrême droite (1987-2004) ________________ 50 Graphique 3- Evolution de la part d’Allemands de l’Est parmi les adhérents des partis d’extrême

droite _______________________________________________________________________ 51 Graphique 4- Intentions de vote du potentiel de l’extrême droite___________________________ 112 Graphique 5- Part du potentiel d’extrême droite au sein de l’électorat de chacun des partis _____ 113 Graphique 6- Répartition des sièges au Landtag de Saxe (1999-2004) ______________________ 207 Graphique 7- Répartition des « petites questions» entre le premier_________________________ 211 et le deuxième degré de l’extrême droite______________________________________________ 211 Graphique 8- Evolution de l’extrême droite, premier degré par thème ______________________ 211 Graphique 9- Répartition entre premier, deuxième et troisième degrés ______________________ 211 Graphique 10- Répartition moyenne entre les différents degrés (en pourcentage du total des « petites

questions ») _________________________________________________________________ 212 Graphique 11- Evolution thématique des deuxième et troisièmes degrés _____________________ 212 Graphique 12- Evolution thématique de la politique d’immigration ________________________ 212 Graphique 13- Auteurs des « petites questions » _______________________________________ 213 Graphique 14- Evolution de la répartition par thème et par auteur (en pourcentage de l’ensemble des

« petites questions »)__________________________________________________________ 214 Graphique 15- Comparaison CDU-PDS en pourcentage du total des questions par parti _______ 222 Graphique 16- Part totale de l’extrême gauche dans le total des « petites questions » (%)_______ 223 Graphique 17- Evolution de la population étrangère à Berlin, Lichtenberg et Charlottenbourg, 1992-

2001 (en pourcentage de la population totale) ______________________________________ 269 Graphiques 18 et 19- Composition du conseil d’arrondissement de Lichtenberg ______________ 277 Graphique 20- Appartenance politique des adhérents de partis politiques à Lichtenberg________ 278 Graphique 21- Composition du conseil d’arrondissement de Charlottenbourg-Wilmersdorf en 2001

___________________________________________________________________________ 283 Graphique 22- Répartition des sièges au conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen en 1999 290 Graphique 23- Les qualités du PDS à l’Est____________________________________________ 328 Graphique 24- Opinions relatives au PDS ____________________________________________ 328

Page 535: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Table des matières

521

Table des matières

Sommaire ........................................................................................... IX

Abréviations, sigles et germanismes utilisés................................... XI

INTRODUCTION GENERALE........................................................1 Présentation du cadre général ...........................................................................................4

Le PDS, héritier de la RDA et acteur politique central dans l’est de l’Allemagne unifiée .............................................................................................................................4 L’extrémisme, ennemi de la République fédérale ........................................................14

Des institutions qui permettent l’interdiction de partis politiques anticonstitutionnels...............................................................................................15 Le clivage extrémiste/ démocratique au cœur du système de défense de la RFA16

Retombées sur l’acceptation du PDS au sein du nouveau paysage politique...............20 Présentation des enjeux : Pourquoi l’extrême droite incarne-t-elle l’ennemi pour le PDS ?..................................................................................................................................22

L’héritage antifasciste du PDS ou les usages politiques de la doctrine antifasciste en RDA..............................................................................................................................22

Le mythe fondateur légitimant l’exercice du pouvoir par le SED........................23 Dans la phase de construction : L’antifascisme pour dépasser le sentiment de culpabilité lié au nazisme .....................................................................................25 Le NDPD : un « anachronisme politique » ou l’intégration d’anciens nationaux-socialistes au système du SED..............................................................................28 L’antifascisme dans l’Etat socialiste pour légitimer et asseoir le pouvoir des dirigeants ..............................................................................................................31

Conséquences de la propagande antifasciste du SED sur la présence de l’extrême droite dans les NBL, le territoire naturel du PDS.........................................................35

Généalogie de l’extrême droite en RDA ..............................................................35 La forte présence de l’extrême droite dans les nouveaux Länder ........................39

L’extrême droite comme phénomène politique et électoral .............................39 L’extrême droite comme phénomène violent ...................................................43 L’extrême droite comme phénomène partisan .................................................45 L’implantation des partis d’extrême droite dans les nouveaux Länder............49

Objet de la recherche et hypothèses de travail ..............................................................52

L’ennemi d’extrême droite, une réponse du PDS aux exigences démocratiques qui tente de masquer la présence de l’ennemi à l’intérieur ................................................52 La filiation théorique ....................................................................................................55

Une approche sociale et individualisante d’un parti politique .............................55 Etat de la recherche...............................................................................................56

Page 536: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Table des matières

522

Présentation de la méthode..............................................................................................58

Le cadre temporel .................................................................................................58 Le cadre géographique : Berlin (-Est) et l’arrondissement de Lichtenberg .........59 Un outil : l’enquête de terrain...............................................................................61 Questions de neutralité et de connivence .............................................................63 Limites de l’entretien pré-structuré ......................................................................64 Le choix des interlocuteurs...................................................................................67 Retour sur le déroulement de l’enquête................................................................68

Plan de la thèse..................................................................................................................71

PREMIERE PARTIE - LA CONSTRUCTION D’UNE FIGURE NORMATIVE DE L’ENNEMI........................................................75 CHAPITRE 1 - LE POIDS DES LOGIQUES ELECTORALES SUR LE STATUT DE L’ENNEMI .........................................77 Section 1 - Une relation concurrentielle liée à la situation des nouveaux Länder......78

A) Une concurrence par mimétisme.............................................................................78 La conversion de l’extrême droite au marché électoral des NBL ........................78 L’offre idéologique du NPD stratégiquement inspirée du marxisme...................82

B) Deux acteurs issus d’un même processus................................................................85 Une unification par transfert de système ..............................................................85 Conséquences de l’unification pour la démocratie...............................................88 Rejet de la promiscuité idéologique .....................................................................93

Section 2 - Une communauté de convictions au cœur de l’élévation de l’extrême droite au rang d’ennemi du PDS.....................................................................................97

A) Des idées d’extrême droite répandues dans le corps électoral est-allemand...........98 Une xénophobie répandue dans les NBL : la voie ouverte vers l’extrême droite 99 Une mise en forme discursive du débat qui stigmatise le PDS ..........................104

La dénonciation d’une République raciste .....................................................104 Une reconnaissance de la xénophobie dans les NBL révélatrice d’un positionnement à l’égard de la RDA ..............................................................106 La déculpabilisation par l’argument antifasciste ............................................108

B) Retombées électorales de cette communauté d’opinions ......................................110 La répartition électorale du potentiel d’extrême droite ......................................110 L’analyse déterministe de la propension est-allemande au vote d’extrême droite............................................................................................................................114 L’analyse par les motivations .............................................................................115

C) L’exemple du succès de la DVU en Saxe-Anhalt, avril 1998 ...............................118 Un contexte prompt à la contestation .................................................................118 Un report des voix au détriment du PDS ? .........................................................120 La corrélation entre l’héritage du socialisme et le potentiel d’extrême droite ...124

Page 537: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Table des matières

523

CHAPITRE 2 - LES USAGES PARTISANS DE LA VALEUR ANTIFASCISTE...............................................................131 Section 1 - La réactualisation de l’héritage antifasciste par la valorisation..............133

A) La valorisation de la ressource antifasciste ...........................................................133 La genèse de l’antifascisme du PDS...................................................................133

Un héritage pesant ..........................................................................................134 L’ennemi comme source de jouvence dans la transition du SED au PDS .....136

L’antifascisme, principale ressource collective du PDS ....................................138 La figure imposée de l’antifascisme : un rite contraignant ............................140 Une ressource en termes d’intégration ...........................................................143

B) Institutionnalisation de la valeur antifasciste par le PDS ......................................144 La production de consignes: l’institutionnalisation par le discours ...................145

Les déclarations et décisions officielles des instances fédérales ....................145 Les consignes d’engagement dans « la société civile » données à la base .....149 Un discours antifasciste qui exclut une action concrète contre l’extrême droite........................................................................................................................154

La tentative de conversion en un savoir-faire spécifique : l’institutionnalisation de l’antifascisme par le savoir .................................................................................156

Les deux principes (géographique et thématique) d’organisation du PDS au niveau fédéral .................................................................................................156 La relégation de la question de l’extrême droite à un organe savant : le groupe de travail Extrême droite/ Antifascisme .........................................................159

Activités et fonction de l’AG à l’intérieur du parti.....................................160 Portée et prétentions de l’AG .....................................................................162

Section 2 - La croyance antifasciste au service de la mobilisation .............................164

A) Le grand écart pacifiste du PDS face aux Antifas d’extrême gauche....................165 Les Antifas, cette extrême gauche qui se définit par l’antifascisme ......................165

Antifas et Autonomes .........................................................................................165 Le combat contre l’extrême droite : l’élément fédérateur de l’extrême gauche depuis l’unification ? ......................................................................................167

Des divergences dans le choix des armes...........................................................168 au cœur de la relation du PDS avec les Antifas..................................................168

Une coopération ambiguë...............................................................................169 Une ambiguïté qui pèse davantage sur les individus que sur les institutions .170

B) Les vertus de la manifestation comme facteur de mobilisation.............................173 Le choix du non conventionnel fait par défaut ? ................................................174

Les limites de l’action conventionnelle. Leçons de la « clause antifasciste »174 Une pratique contestataire ou normalisatrice ?...............................................177

Récits manifestants .............................................................................................179 Pousser la logique de l’ennemi au bout en privilégiant la (contre-)manifestation........................................................................................................................180 Les deux visages de la manifestation, entre routine et fait d’armes ...............183

Page 538: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Table des matières

524

CHAPITRE 3 - FIGURER L’INIMITIE DANS LE JEU PARLEMENTAIRE ..........................................................189 Section 1 - Les contraintes politiques qui pèsent sur la représentation parlementaire de la cause anti-extrême droite......................................................................................191

A) Le poids des cycles politiques ...............................................................................192 Les conséquences de l’alternance gouvernementale ..........................................192 La fenêtre de l’été 2000 ......................................................................................194

B) La représentation de la cause soumise aux règles du parlement ...........................195 Un objet parlementaire au service de l’opposition .............................................197 Traitement parlementaire d’une proposition a priori consensuelle. La proposition de loi antiraciste du PDS ....................................................................................199 Le PDS instrumentalise-t-il la question de l’extrême droite au Bundestag ?.....203

Section 2 - La problématique de l’extrême droite comme objet d’activité parlementaire. Le cas du Landtag de Saxe...................................................................206

A) Présentation générale des initiatives parlementaires du PDS contre l’extrême droite au sein du parlement saxon.........................................................................................206

Le cadre du Landtag de Saxe .............................................................................206 Remarques préalables sur le corpus et l’exploitation des données.....................208 Analyse quantitative : croisement des variables thématiques et chronologiques............................................................................................................................209

B) Les usages politiques de la problématique de l’extrême droite.............................214 Remise en cause de la légitimité de l’Etat et victimisation du PDS...................215 La question de l’ennemi au service de la concurrence partisane........................219

C) Comparaison avec les initiatives parlementaires de la CDU.................................221 La problématisation de l’extrême gauche ou le transfert de l’inimitié...............222

Traitement de la problématique de l’extrême gauche : Relativisation au PDS …........................................................................................................................223 ... et dénonciation de la proximité des nouveaux partis de gauche avec l’extrême gauche à la CDU ............................................................................224

Des divergences idéologiques évidentes en matière d’immigration ..................226 La défense des droits de la population immigrée au PDS ..............................227 Les priorités de la CDU en matière d’immigration ........................................229

Section 3 - La délégation de la cause antifasciste à l’expertise...................................232

A) La délégation, un principe en harmonie avec la stratégie parlementaire du PDS .232 Un moyen de concilier travail parlementaire et lutte extra-parlementaire .........232

Un groupe parlementaire-type, rationalisé dans sa composition....................233 Les contraintes de la diversité ........................................................................235

La délégation comme étape vers la normalisation du PDS ................................236 B) Les experts, entre politiques et savants : imbrication des registres d’action.........238

Quand l’activité politique se limite à la lutte contre l’extrême droite ................240 Portraits d’antifascistes professionnels (U. Jelpke, U. Adamczyk)....................241 Un engagement éthique (K. Hopfmann).............................................................243

C) L’engagement moral pour la cause antifasciste.....................................................244 Une contrainte en termes de carrière politique et partisane ?.............................245 L’intrusion de ressources associatives dans l’arène parlementaire ou mise à la disposition des outils parlementaires au service d’associations ? ......................247 Entre expertise et croisade..................................................................................249

Page 539: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Table des matières

525

DEUXIEME PARTIE - LES FIGURES DU REEL OU LA MISE A L’EPREUVE DE L’ENNEMI PAR LA POLITIQUE LOCALE............................................................................................................253 CHAPITRE 4 - LA DESORGANISATION DU JEU POLITIQUE LOCAL PAR L’ENNEMI INCARNE.....................................257 Section 1 - L’appareil du PDS comme facteur d’ordre à Lichtenberg......................258

A) Lichtenberg : arrondissement de Berlin-Est, fief du PDS et repaire mythifié des extrémistes de droite...................................................................................................259

Présentation historique de l’arrondissement.......................................................259 Situation démographique et socio-économique..................................................263

Berlin ..............................................................................................................263 Lichtenberg.....................................................................................................265

Une société ethno-homogène..............................................................................267 Une ville, deux systèmes de partis......................................................................269 Lichtenberg : un repaire d’extrémistes de droite ? .............................................271

Faible présence de l’extrême droite politique à l’exception des REP ............272 Une extrême droite très présente, mais peu de violences commises dans l’arrondissement .............................................................................................274

B) Les ressources de l’appareil du PDS dans son fief de Lichtenberg.......................275 Le PDS, première force politique de Lichtenberg..............................................276

Une représentation accrue au sein du conseil d’arrondissement ....................276 D’importantes ressources militantes...............................................................277

Un statut d’appareil créateur de conflits.............................................................278 De l’appareil de Lichtenberg au bricolage du PDS en territoire ennemi : Charlottenbourg-Wilmersdorf ............................................................................282

Le bricolage des listes électorales ..................................................................282 L’exercice du mandat de conseiller d’arrondissement ...................................285 Portrait d’une section locale et occidentale ....................................................286

Section 2 - L’affrontement entre le PDS et un élu Republikaner au sein du conseil d’arrondissement de Hohenschönhausen.....................................................................289

A) Les effets rayonnants du port du stigmate. Les enjeux de la présence d’un « Républicain » au royaume du PDS..........................................................................292

La solitude d’un élu d’extrême droite …...........................................................292 … « sans fraction »….....................................................................................292 … et en territoire ennemi................................................................................295

Les tentatives d’accès à la représentation légitime par une action sociale .........297 Le sort des propositions de T. Kay conditionné par la stigmatisation............297 Une réaction à ces propositions solutionnée par la déstigmatisation .............298

B) Une confrontation rationalisée...............................................................................299 Tentatives de rationalisation d’une présence stigmatisée et stigmatisante.........299

Une initiative collective..................................................................................300 Diversité des conceptions partisanes et singularité du PDS...........................301

Les efforts de T. Kay pour transférer le stigmate sur le PDS.............................302 Allier ses forces contre le plus fort ................................................................304 Rejeter le stigmate de l’extrémisme ...............................................................305

Page 540: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Table des matières

526

Investir le domaine idéologiquement stigmatisant de la politique d’immigration........................................................................................................................307 Particularités de la situation de Hohenschönhausen : puissance du PDS et crédibilité du REP...........................................................................................310

C) Les limites des considérations partisanes dans les interactions politiques............312 Le jeu des reclassements qui rend la filiation à l’extrême droite équivoque......313 Les effets (dé)structurant des personnalités politiques.......................................315 Mise en scène de l’opposition par le désordre émotionnel.................................317

CHAPITRE 5 - LA FIGURE DU GUIDE. LE MAIRE PDS CONFRONTE A LA PRESENCE DE L’ENNEMI DANS SA COMMUNE .....................................................................321 Section 1 - La contribution du PDS et de ses maires dans l’encadrement démocratique de la population est-allemande..............................................................323

A) La commune, école de la démocratie ....................................................................324 L’importance de l’échelon local pour le PDS ....................................................324

Pourtant objet de controverse pour ses dirigeants ..........................................325 La commune au cœur du pouvoir du PDS......................................................327

Les compétences locales du PDS à la base de son acceptation par la population............................................................................................................................329 Un usage pragmatique du pouvoir..................................................................329 Un personnel local qualifié.............................................................................330

B) L’appropriation du mandat de maire face à l’attente populaire d’une figure paternaliste..................................................................................................................332

Le paternalisme comme compétence..................................................................332 L’appropriation du mandat : portraits croisés.....................................................334

Section 2 - Faire un usage profane du mandat de maire en imposant une cause. L’étude pilote sur l’extrême droite à Hohenschönhausen ..........................................337

A) La médiation de la cause comme facteur d’inclusion et d’exclusion à la fois ......337 La désignation de l’ennemi et l’acceptation de la médiation .............................338 Le vote du conseil et la redéfinition des alliances ..............................................339

Activation du clivage progressistes/ conservateurs au moment de l’adoption du projet de l’étude ..............................................................................................341

B) Les conclusions de l’étude : l’ennemi est à l’intérieur. .........................................343 Un arrondissement stigmatisé par la banalisation de l’extrême droite par les pouvoirs publics locaux ......................................................................................345 Propositions d’action communale ......................................................................347

Possibilités d’action de l’administration locale ..............................................347 Renforcement de la société civile...................................................................349

C) Une lutte nécessairement incarnée ........................................................................349 Déni dans le grand arrondissement fusionné de Lichtenberg.........................350 A Kreuzberg-Friedrichshain: Difficile succession et appropriation du combat........................................................................................................................351

Page 541: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Table des matières

527

Section 3 - Le maire comme figure morale qui soutient la mobilisation populaire contre l’extrême droite...................................................................................................356

A) L’encadrement plus moral que politique d’une mobilisation de la société par le maire... ........................................................................................................................357

Le maire comme porte-parole du soutien des pouvoirs publics à une mobilisation populaire contre l’extrême droite .......................................................................357 L’intérêt du maire à soutenir l’institutionnalisation de la mobilisation..............362

Des Initiatives contre l’extrême droite sclérosées et sclérosantes dans l’arrondissement .............................................................................................362 L’exemple des réseaux d’alliance locale engagés contre l’extrême droite à Dresde.............................................................................................................364

B) Les militants ou le bras actif du parti dans la société (civile)................................367 La ressource militante : la principale ressource du PDS ? .................................367

Idéologie et défense de valeurs communes ....................................................368 Les effets du troisième âge militant sur l’évolution du parti ..........................369 Des militants engagés socialement .................................................................370

Une ressource participante : l’exemple des équipes mobiles d’intervention du Brandebourg .......................................................................................................372

CHAPITRE 6 - LA FIGURE DU DEVIANT OU LA QUESTION DE L’HOMOGENEISATION DES PRATIQUES LOCALES PAR LE RESPECT DE L’ANTIFASCISME .................................377 Section 1 - L’affaire Ostrowski ou la non gestion partisane de la déviance..............379

A) De l’affaire au cas : une rencontre inédite et non cautionnée par le parti .............379 Le cadre : La rencontre.......................................................................................379

La cible idéale.................................................................................................380 Le rendez-vous ...............................................................................................381

Les conséquences de la rencontre sur la carrière de C.Ostrowski......................381 Réactions du PDS : désaveu d’en haut ...........................................................382 Soutien de la base ...........................................................................................383 Indécision de la fédération régionale..............................................................384

B) Un conflit révélateur de conceptions divergentes de la politique..........................387 La popularité, une ressource individuelle source de conflits avec le parti .........387

Les effets d’un particularisme régional ..........................................................391 Une politique d’immigration opposée à l’esprit des instances fédérales du parti........................................................................................................................393 Amalgames et mimétisme chez C. Ostrowski ................................................396

Des conceptions différentes de la politique au cœur de l’absence de traduction de la doctrine antifasciste en action politique .........................................................398

De la nécessité de se confronter à l’extrême droite selon C. Ostrowski ........399 Une vision déviante du rôle du politique ? .....................................................401

Section 2 - Articulation des contraintes électoralistes autour de la règle normative404

A) Le brouillage de la frontière avec l’extrême droite comme critère de la déviance405 La distinction entre ennemi et adversaire face aux enjeux électoraux ...............405

Le refus de toute compromission...................................................................405 Le menaçant fantasme d’un pacte rouge-brun................................................407

Faut-il débattre publiquement avec l’extrême droite ? .......................................410

Page 542: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

Table des matières

528

B) L’ennemi aux prises avec les considérations électoralistes...................................412 Discours de la contrainte : la gestion électoraliste d’un potentiel d’extrême droite entre intégration et exclusion..............................................................................413

La contrainte d’un système symbolique axé sur l’héritage antifasciste .........413 Le tabou d’une base réceptive à l’idéologie d’extrême droite........................414

Clientélisme et opposition à l’extrême droite.....................................................417 Les retombées électorales de l’opposition à l’extrême droite ........................418 L’opposition à l’extrême droite, une revendication clientéliste ? ..................419

Section 3 - L’harmonisation de l’exercice du pouvoir. Le parti face à la diversité des pratiques locales..............................................................................................................422

A) Une rationalisation des pratiques locales au service du parti ................................423 Valoriser les particularités locales ......................................................................423

Le « local » entre innovation et pragmatisme, contre l’immobilisme du « centre » ........................................................................................................424 Les effets à la fois régulateurs et contraignants de la multiplication des territoires.........................................................................................................424

Rationaliser la concurrence ................................................................................426 Les réseaux comme source d’affrontement du leader local aux instances fédérales..........................................................................................................426 La relation entre les leaders locaux et fédéraux sur la question de l’extrême droite correspond-elle à un partage des tâches ? ............................................428

B) Un laxisme à l’égard des acteurs politiques locaux conditionné par l’origine du PDS….........................................................................................................................429

Un comportement caractéristique dans une ville marquée par la honte : ...........430 Hoyerswerda, une ville « sans étrangers » ........................................................430 Attachement au PDS, déviance et localisme ......................................................432

L’évidence, plus identitaire qu’idéologique, du ralliement au PDS...............432 Mise à l’épreuve de l’affiliation partisane par le localisme............................434

CONCLUSION GENERALE.........................................................437

ANNEXES ........................................................................................465

BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE INDICATIVE....................489

Liste des tableaux et graphiques ....................................................519

Page 543: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

529

Page 544: Les néo-socialistes est-allemands du Parti du Socialisme

530