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ECOLE DES DIRIGEANT S DE LA PROTECTION SOCIAL E 233 Les Observatoires des situations de fragilité Par Michel NOGUES, Antonin BLANCKAERT, Delphine PACCARD, Olivier SUZANNE L’allongement de la durée de vie et la transition démographique que connaît la France ont conduit l’Assurance Retraite et l’Assurance Maladie à mettre en œuvre une politique de prévention de la perte d’autonomie en direction des retraités. Le phénomène de dépendance concerne environ 10 % d’une classe d’âge, l’enjeu est bien de faire en sorte que cette proportion n’augmente pas, voire qu’elle diminue. Cette politique de prévention repose sur une approche globale du vieillissement et s’appuie sur des stratégies d’action qui mettent en avant les facteurs protecteurs de la santé et développent l’interaction entre les déterminants individuels, sociaux et environnementaux. Plusieurs champs sont couverts par ces actions : accès aux droits, comportements et modes de vie, lutte contre l’iso- lement, solitude et précarité, environnement de la personne âgée et en particulier son logement. La prévention de la perte d’autonomie passe par le repérage précoce de la fragilité. Il s’agit d’identifier les déterminants de la fragilité et d’agir sur ces déterminants. L’évolution progressive de la fragilité vers la perte d’autonomie, quand elle est prise en compte suffisamment en amont, est en effet réversible. Michel NOGUES Directeur Délégué CARSAT Languedoc-Roussillon Mission Nationale Coordination CNAMTS/CNAV Antonin BLANCKAERT Directeur National de l’Action Sociale - CNAV Delphine PACCARD Responsable du Service Santé Prévention Prospective CARSAT Languedoc-Roussillon Olivier SUZANNE Directeur de la Santé au Travail, des Risques Professionnels et de l’Accompagnement Social CARSAT Nord-Picardie

Les Observatoires des situations de fragilité

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ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

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Les Observatoires des situations de fragilitéPar Michel NOGUES, Antonin BLANCKAERT, Delphine PACCARD, Olivier SUZANNE

L’allongement de la durée de vie et la transition démographique que connaît la France ont conduit l’Assurance Retraite et l’Assurance Maladie à mettre en œuvre une politique de prévention de la perte d’autonomie en direction des retraités. Le phénomène de dépendance concerne environ 10 % d’une classe d’âge, l’enjeu est bien de faire en sorte que cette proportion n’augmente pas, voire qu’elle diminue.

Cette politique de prévention repose sur une approche globale du vieillissement et s’appuie sur des stratégies d’action qui mettent en avant les facteurs protecteurs de la santé et développent l’interaction entre les déterminants individuels, sociaux et environnementaux. Plusieurs champs sont couverts par ces actions : accès aux droits, comportements et modes de vie, lutte contre l’iso-lement, solitude et précarité, environnement de la personne âgée et en particulier son logement.

La prévention de la perte d’autonomie passe par le repérage précoce de la fragilité. Il s’agit d’identifier les déterminants de la fragilité et d’agir sur ces déterminants. L’évolution progressive de la fragilité vers la perte d’autonomie, quand elle est prise en compte suffisamment en amont, est en effet réversible.

Michel NOGUES Directeur DéléguéCARSAT Languedoc-RoussillonMission Nationale Coordination CNAMTS/CNAV

Antonin BLANCKAERT Directeur National de l’Action Sociale - CNAV

Delphine PACCARD Responsable du Service Santé Prévention ProspectiveCARSAT Languedoc-Roussillon

Olivier SUZANNE Directeur de la Santé au Travail, des Risques Professionnels et de l’Accompagnement SocialCARSAT Nord-Picardie

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N°48 • octobre 2015

De façon conjointe et coordonnée la CNAMTS et la CNAV ont suscité la mise en place au niveau régional d’Observatoires des situations de fragilité ; ceux-ci sont chargés de repérer les risques de fragilité des retraités sur le plan de la santé et/ou de l’environ-nement social pour mieux adapter les offres de services aux besoins de ces personnes.

Les Observatoires, présents dans chaque région au sein des Caisses d’Assurance Retraite et de Santé au Travail (CARSAT), ciblent et analysent à partir des données « retraite » et « maladie » les facteurs de fragilité pour anticiper le risque potentiel de rupture et/ou de dégradation de l’état de santé et d’autonomie des seniors.

Dans le cadre d’un plan national dit « Proximité Autonomie », l’Assurance Maladie et l’Assurance Retraite suscitent la mise en œuvre d’étroites collaborations entre les différents organismes de leur réseau (Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, Caisses primaires, Service médical, Centres d’examens de santé, ...) afin de proposer des logiques de parcours attentionnés en faveur des populations à risque de fragilité.

Les Caisses « Maladie » et « Retraite » repèrent ainsi les pré-retraités et retraités à risque de fragilité au vu de leur situation économique (minimum vieillesse, exonération de la contribution sociale généralisée, personnes antérieurement au chômage, bénéficiaires du revenu de solidarité active, de l’allocation adulte handicapé ou inaptes), sociale (veuvage), professionnelle (salariés d’entreprises à forte sinistralité) et/ou liée au parcours de soins (absence de médecin traitant, de complémentaire santé, non recours aux soins). Des offres de service sont proposées aux seniors concernés. Celles-ci sont bien évidemment de nature différente selon les critères de fragilité retenus et sont centrés principalement, soit sur l’accès aux droits, soit sur la prévention en santé sociale.

Sont également établis des diagnostics territoriaux régionaux et infrarégionaux. Ceux-ci visent à orienter les politiques publiques de préservation de l’autonomie des personnes âgées. Ils permettent d’identifier des zones géographiques prioritaires et ainsi de cibler territorialement les offres de services proposées. La nature de ces offres et les modalités de mise en œuvre peuvent privilégier l’approche individuelle ou collective selon le contexte observé.

Les données territorialisées sont issues de requêtes nationales labellisées, élaborées par la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie et la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse. Elles sont en accès libre et consultables à partir des sites internet des CARSAT1. Sont également intégrées des données sur les offres de service conduites ou financées par les CARSAT et les CPAM.

Sont élaborés à partir des facteurs de risque, à l’instar de l’exonération de la CSG ou de la situation de veuvage, des indicateurs composites mettant en exergue au niveau de chaque région un diagnostic territorial de la fragilité sociale des retraités.

1 www.observatoiredesfragilites.fr et www.observatoires-fragilites-grand-sud.fr

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Sur les territoires identifiés comme prioritaires par les Observatoires, les CARSAT mènent des actions partenariales de lutte contre l’isolement et d’incitation à la participation sociale des retraités. Dans ce contexte est promu l’émergence de programmes locaux de prévention, d’ateliers collectifs ou d’appels à projets pour le « bien-vieillir » portant sur une grande variété de thématiques (activité physique adaptée, prévention des chutes, nutrition, stimulation cognitive…).

Parmi les 390 384 personnes à risque de fragilité repérées au niveau national en 2014 via les Observatoires régionaux des situations de fragilité, 119 100 ont été invitées par les CARSAT à bénéficier d’une offre de service ou d’une action collective de prévention, adaptée à leurs besoins.

En 2014, 1 281 cantons ont été identifiés à risque de fragilité, dont plus de 40 % ont été couverts par au moins une action. Ainsi, plus de 1 660 actions collectives de prévention ont été organisées avec un ciblage territorial.

Les CARSAT mènent en région, en inter-régime et en lien avec de nombreux partenaires implantés sur les territoires (centres sociaux notamment…) des actions diverses en direction des publics fragilisés qui peuvent être synthétisées ainsi : actions collectives de prévention, avec la mise en place de conférences et d’ateliers

(mémoire, équilibre, nutrition, habitat et précarité énergétique...) qui ont pour objectif d’informer et de faire prendre conscience des comportements à adopter pour le bien vieillir ; celles-ci permettent aux organismes de sécurité sociale de faire connaître leur offre de service et d’orienter les personnes retraitées en fonction de leurs besoins ;

Carte nationale des risques de fragilité selon un indicateur composite national fondé essentiellement sur la précarité et l’isolement.

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actions collectives pour maintenir le lien social et éviter l’isolement des personnes repérées à risque de fragilité ;

actions ciblées et offres de service dédiées, dans une logique de parcours attentionné, pour accompagner ponctuellement les assurés lors de la survenance d’une difficulté de nature à affecter leur autonomie : perte d’un proche, retraités immigrés vivant en foyer, passage à la retraite pour les personnes en situation de fragilité économique et sociale…

La CARSAT Normandie a élaboré un indicateur composite constitué d’une pondé-ration des indicateurs suivants afin de définir un territoire fragile financièrement : proportion de retraités bénéficiaires de l’ASPA, proportion de retraités bénéficiaires d’une pension de réversion, proportion de retraités exonérés de la CSG, montant moyen des retraites et pensions. Cet indicateur a permis de repérer 66 cantons fra-giles ou très fragiles financièrement (Haute et Basse Normandie). Le service social et les services retraite de la CARSAT se sont appuyés sur ces données pour l’organisa-tion des seize actions d’information sur le thème du passage à la retraite (figure 2). Lors de ces rencontres des publics bénéficiaires de minima sociaux (revenu de so-lidarité active, allocation de solidarité spécifique, allocation adulte handicapé, fonds spécial invalidité, âgés de 58 à 60 ans) sont abordés l’accès aux droits retraite et l’accès aux soins. À l’issue de ces réunions sont proposés : un rendez-vous avec un conseiller retraite, un rendez-vous avec une assistante sociale, un examen de santé.

Figure 2 – Carte de la région Normandie identifiant les cantons à risque de fragilité et les actions d’accès aux droits et aux soins conduites

En Languedoc-

Roussillon, au travers de l’indicateur composite de la fragilité sociale des territoires une typologie a été établie à partir des données « retraite » de l’inter-régime (MSA-RSI-CARSAT) pour les seniors de 55 à 79 ans. 62 cantons-ville ont été identifiés comme étant à risque de fragilité « élevé » ou « très élevé » (figure 3).

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Source : Carsat Normandie

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Situés dans les zones rurales du piémont languedocien et les grandes villes, ils forment une dorsale regroupant plus d’un tiers des territoires et 44,8 % des retraités fragilisés de la région. Un appel à projets est lancé annuellement en région pour mettre en place des actions de prévention des risques liés au vieillissement, destinées aux publics les plus fragiles. Il est lancé par les caisses de retraite des principaux régimes (général, agricole, indépendants, agents des collectivités locales), les caisses de retraite complémentaire (AGIRC-ARRCO) et, à partir de 2014, l’Agence régionale de santé. Au total, ce sont 28 238 retraités repérés à risque de fragilité qui ont été invités par la CARSAT-Languedoc-Roussillon à participer à une action de prévention.

Figure 3 – Carte de la région Languedoc-Roussillon identifiant les cantons à risque de fragilité et les actions de prévention des risques du vieillissement, conduites ou financées par l’Inter-régime

La préoccupation partagée de prévenir les difficultés des assurés le plus en amont possible en facilitant notamment l’accès aux droits et aux soins conduit logiquement à l’élargissement des Observatoires des situations de fragilité aux autres régimes de retraite et d’assurance maladie. Ainsi progressivement dès 2015 les données nationales MSA et RSI seront intégrées. En outre et d’ores et déjà est étudiée la possibilité de rapprochement avec les données traitées au sein du système d’information de la Caisse Nationale d’Allocations Familiales (CNAF) afin d’avoir une cartographie la plus complète possible de la situation des seniors au regard des risques de fragilité.

En conclusion, il doit être souligné que dans la mesure où la fragilité des individus est rarement fondée sur une caractéristique unique mais dé-pend de critères multiples, l’idée de procéder à des croisements de données individuelles est po-tentiellement féconde. Ainsi elle permet de mieux

mobiliser les moyens des organismes de sécurité sociale en faveur des seniors potentiellement en rupture de résilience, c’est à dire à faible capacité de rebondir pour faire face à des difficultés de santé et/ou d’environnement social. À titre d’exemple, on peut citer le croisement entre un critère de faible ressource et l’absence de recours aux soins sur une certaine durée qui permet d’identifier des assurés auxquels est proposée une offre d’accompagnement et d’orientation vers un bilan de santé.

Depuis de nombreuses années les politiques publiques sont territorialisées dans de nombreux domaines et ce, dans un souci d’efficacité. Les observatoires des situations de fragilité pour leur part, en apportant des données sur les facteurs de risque des effets du vieillissement permettent de conduire des actions de prévention adaptées, nettement en amont de la perte d’autonomie en privilégiant le « bien vieillir » et en proposant des accompagnements personnalisés en fonction du ou des besoins repérés.

Source : Inter-régime (MSA, RSI, CNAV).Bases de données des retraités de 55 à 79 ans