les origines des preuves de dieu chez le stoiciens

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    LES ORIGINES DES PREUVES STOCIENNES DE L'EXISTENCE DEDIEU David Sedley

    P.U.F. | Revue de mtaphysique et de morale

    2005/4 - n48pages 461 487

    ISSN 0035-1571

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2005-4-page-461.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Sedley David , Les origines des preuves stociennes de l'existence de dieu ,

    Revue de mtaphysique et de morale , 2005/4 n48, p. 461-487. DOI : 10.3917/rmm.054.0461--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour P.U.F..

    P.U.F.. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire quece soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

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    Les origines des preuves stociennesde lexistence de dieu

    RSUM. Le chapitre 4 du premier livre des Mmorablesde Xnophon tait qua-siment un texte canonique pour la thologie des premiers stociens : il contient la pre-mire version de la preuve par la providence (the Argument from Design)et constitueun tmoignage capital et nglig concernant la thologie de Socrate. Les ides qui ysont exposes ne drivent en effet pas de Diogne dApollonie, dont le rle dans lhistoirede la pense tlologique a t largement surestim. Je dfends la thse que le texte du

    Contre les savantsIX, 88-110 de Sextus Empiricus constitue un tmoignage unique qui permet de comprendre comment les premiers stociens se sont efforcs dextraire une preuve rigoureuse de lexistence de dieu du chapitre de Xnophon ainsi que du Timede Platon (29b-30b), et comment ils ont ensuite corrig leurs syllogismes pour lessoustraire aux rfutations parodiques (parabolai)dAlexinus. On peut ainsi observer lamanire dont les stociens ont forg leurs armes thologiques partir de la traditiondont ils prtendaient tre les hritiers.

    ABSTRACT. A virtually scriptural text for early Stoic theology was Xenophon,Memorabilia1.4. It contains the earliest known specimen of the Argument from Designand is an invaluable and under-appreciated source on Socrates theology, and its ideasshould not, as they often have been, be assumed to be derived from anyone else, least of all from Diogenes of Apollonia, whose contribution to the history of teleologicalthought has been greatly exaggerated. In Sextus Empiricus, Adversus Mathematicos9.88-110 we have, I argue, a uniquely revealing source : it shows the first generation of Stoics vying to extract the best formal theological argument from that Xenophon chapter ;similarly extracting a formal theological argument from Plato, Timaeus29b-30b ; and adjusting the resultant syllogisms so as to minimize their vulnerability to the parodicattacks (parabolai)of their contemporary critic Alexinus. The upshot is a unique oppor-tunity to watch the early Stoics at work, forging their own arsenal from the classical

    tradition whose heirs they considered themselves to be.

    Il savre souvent difficile dtudier une doctrine ou un argument stocienssans sinterroger sur les influences prstociennes quils ont subies, au sujetdesquelles nous devons gnralement nous contenter dhypothses plus oumoins judicieuses. Dans le cas des preuves stociennes de lexistence de dieu1,

    1. Note de la direction : la minuscule au mot Dieu est la demande de lauteur.

    Revue de Mtaphysique et de Morale, N o 4/2005

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    on dispose cependant dune source qui nous fournit des informations uniquesconcernant leurs origines et le cadre dans lequel elles ont t labores. Telleest du moins la thse de cet article. Plutt que de prsenter lensemble des

    preuves stociennes, auxquelles il faudrait consacrer et a dj t consacr2

    un livre entier, je vais me concentrer sur ce tmoignage particulier.Lentreprise thologique stocienne est largement consacre la dfense de

    lexistence dune divinit providentielle, ce qui revient toutefois souvent mon-trer que le monde est lui-mme un tre rationnel et donc soucieux du bien-trede ses propres parties. De quels antcdents pr-hellnistiques les stocienspouvaient-ils sinspirer ? Je vais soutenir, en mappuyant sur mon tmoignagede rfrence, que ces antcdents taient avant tout le Socrate de Xnophon etle Time de Platon. En guise de prliminaire, il me faut donc expliquer brive-

    ment pourquoi je ne pense pas que Diogne dApollonie, ce contemporain deSocrate, a eu une influence significative dans cette histoire, comme cela a tparfois soutenu. Diogne est en effet souvent considr comme le philosophequi a labor la premire version de la preuve par la providence ( Argument from Design ), cest--dire de ce type dargument qui dduit lexistence dundieu providentiel partir de faits censs montrer que le monde a t conu demanire intelligente.

    Bien quil ne figure pas parmi les prsocratiques les plus clbres, DiognedApollonie a acquis la rputation dtre le premier penseur finaliste et peut-tremme la source originelle de la tlologie stocienne3. Dans lunique ouvrage jamais consacr lhistoire de la pense tlologique dans lAntiquit, publien 19244, Willy Theiler accorde plus de place Diogne qu Platon et Aristoterunis. Cette interprtation me semble fonde sur une erreur.

    La rputation de Diogne comme pionnier de la tlologie ne repose que surun seul fragment (B 3), que lon peut traduire ainsi :

    Il ne serait en effet pas possible, sans intelligence, quil soit ainsi divis, de tellemanire quil possde la mesure de toutes choses de lhiver et de lt, et de la nuit

    et du jour, et des pluies et des vents et du beau temps. Les autres choses aussi, si onveut bien les examiner, on les trouvera organises de cette manire, la plus bellepossible5.

    2. M. DRAGONA-MONACHOU, The Stoic Arguments for the Existence and Providence of the Gods ,Athnes, 1976.

    3. Pour ces deux thses, voir en particulier W. JAEGER, The Theology of the Early Greek Philo-sophers , Oxford, Clarendon Press, 1947, chapitre 9 et P. A. VANDERWAERDT, Socrates in theClouds , dans P. A. VANDER WAERDT (d.), The Socratic Movement , Ithaca-Londres, CornellUniversity Press, 1994, qui montre linfluence persistante de linterprtation de Jaeger.

    4. W. THEILER, Zur Geschichte der teleologischen Naturbetrachtung bis auf Aristoteles , Zurich,

    1925.5. ouj ga;r a[n, fhsivn, oi|ovn te h\n ou{tw dedavsqai a[neu nohvsio", w{ste pavntwn mevtra e[cein,

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    Cette proclamation du fait que tout est organis de la plus belle manire possibleressemble une anticipation de la tlologie qui sera dveloppe par les stocienspuis Leibniz, et ridiculise par Voltaire au travers du meilleur des mondes

    possibles du Docteur Pangloss. Je pense toutefois que Simplicius, qui nous atransmis cette citation, nous en dit assez sur son contexte pour exclure une telleinterprtation.

    Diogne est un adepte du monisme physique, qui attribue lair le statut dematriau universel sous-jacent. Pour tablir la primaut de lair, il dbutait sonouvrage en montrant (B 2) quil faut postuler lexistence dun unique substratmatriel plutt que dune pluralit dlments coordonns, cause du pouvoirexplicatif suprieur du premier. Il en venait alors naturellement identifier cetteunique matire sous-jacente, en montrant quil sagit en fait de lair. Par exemple

    (B 4), respirer lair est le fondement mme de la vie et de lintelligence. Cestseulement ensuite (B 5) quil entreprenait dtablir plus solidement sa conclu-sion selon laquelle lair est bien le principe universel divin de toutes choses.

    Le fragment B 3, dapparence tlologique, apparaissait juste avant largu-ment de Diogne selon lequel lair respir est au fondement de lintelligenceindividuelle. Que veut-il alors montrer en affirmant, en B 3, qu il ne serait eneffet pas possible, sans intelligence, quil [ savoir lair] soit ainsi divis, detelle manire quil possde la mesure de toutes choses de lhiver et de lt,et de la nuit et du jour, et des pluies et des vents et du beau temps ? Il veutmontrer la mme chose que dans le cas de la respiration : le fonctionnement delair dans le monde le dsigne comme la source mme de lintelligence, ettablit ainsi sa primaut causale. Le fait invoqu comme preuve, dans le casprsent, nest pas la respiration mais la manire manifestement intelligente dontlair atmosphrique agit. Les phnomnes quil cite, lhiver et lt, la nuit etle jour et le temps quil fait, sont en effet des tats de latmosphre6. Si ondemande donc lequel des quatre lments reconnus la terre, leau, lair et lefeu fait le plus manifestement preuve dintelligence, la rponse est lair,comme en tmoigne son rle non seulement dans lentretien de la vie intelli-gente, mais aussi dans le cycle bnfique des saisons, le temps quil fait et le jour et la nuit. Quand Diogne ajoute la fin de B 3, les autres choses aussi,

    ceimw'nov" te kai; qevrou" kai; nukto;" kai; hJmevra" kai; uJetw'n kai; ajnevmwn kai; eujdiw'n: kai; ta; a[lla,ei[ ti" bouvletai ej nnoei'sqai, euJrivskoi a]n ou{tw diakeivmena, wJ" ajnusto;n kavllista . En ponctuantet en traduisant ainsi les cinq derniers mots, je suis Andr LAKS, La Dernire Cosmologie pr-socratique : Diogne dApollonie , Villeneuve-dAscq, Presses universitaires de Lille, 1983,ad loc. ,qui souligne que la traduction communment adopte, dispos de la meilleure manire possible ,doit traiterwJ" la fois comme li ou{tw" et comme unwJ" qui, li un superlatif, signifie leplus X possible .

    6. Cf. HIPPOCRATE, Vents 3, avec les commentaires de S. Menn,Plato on God as Nous , Carbondaleand Edwardsville, 1995, p. 31.

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    constitue selon lui une forme de prsomption humaine ( Mm. I, 1, 11-15). Lavritable pit, pense-t-il, ne cherche pas imiter les ralisations de dieu mais tre reconnaissant pour les dons que dieu nous a faits et comprendre ainsi

    le lien particulier qui unit lhomme et dieu. Cest uniquement avec cet objectif quil dfend sa doctrine crationniste.Lun des arguments quil prsente que jappellerai preuve par lintelli-

    gence cosmique est devenu classique, et nous allons le retrouver dici peuen considrant comment les stociens se sont appropri et ont dvelopp leurhritage socratique. Pour linstant, je vais me contenter dune prsentation gn-rale de largument de Socrate.

    Dans chacun des deux chapitres, Socrate est prsent en train de recommander son interlocuteur de respecter la divinit comme il convient, en louant les dons

    que dieu nous a faits. Et, dans chacun des deux chapitres, largument tel que je le comprends procde de la mme manire. Dans un premier temps, linter-locuteur est impressionn par les dons divins numrs par Socrate, mais sou-ligne que les hommes ne semblent pas favoriss par rapport aux autres animauxde ce point de vue9. Socrate en vient alors dans un second temps dmontrerdans quelle mesure nous avons bien t particulirement favoriss par dieu.

    Le chapitre I, 4 se concentre sur les avantages naturels. Les organes sensoriels,les dents, les instincts inns, etc. sont sans doute des dons que nous partageonsavec les espces infrieures, mais nous jouissons aussi de tout un ensemble deprivilges particuliers comme lesprit, les mains, la position debout et le senti-ment religieux. Le chapitre IV, 3 se concentre quant lui sur lenvironnement.L encore, il est sans doute vrai que la succession du jour et de la nuit, le cycledes saisons et labondance de leau sont des dons que nous partageons aveclensemble du rgne animal. Mais, argumente cette fois Socrate, cest dans notrerelation au rgne animal que notre privilge particulier rside. Une grandevarit danimaux infrieurs existe en effet spcifiquement pour lusage delhomme, alors quaucune autre espce na t honore de cette manire. Grce cette stratgie, dont la motivation est fondamentalement religieuse, Socratedveloppe une tlologie qui est bien plus ouvertement et explicitement anthro-pocentriste que tout ce que lon peut trouver chez ses prdcesseurs.

    Encore plus frappante est labsence presque totale dexplication scientifique.

    de A. A. LONG, Socrates in Hellenistic Philosophy ,Classical Quarterly , 38, 1988, p. 150-171,repris dansStoic Studies , Cambridge University Press, 1996.

    9. La traduction dcevante de E. C. Marchant (Londres et Cambridge (Mass.), Loeb ClassicalLibrary, 1923) masque systmatiquement cet aspect de largument (et bien dautres), en sous-traduisant par exemplefilozw/ vou ( Mm. I, 4, 7) par loving au lieu de qui aime les animaux .La traduction la plus fiable que jai consulte est celle de Louis-Andr Dorion dans XNOPHON, Mmorables , texte dit par M. Bandini et traduit par L.-A. Dorion, Paris, Les Belles Lettres, 2000,t. I, dont la note 251, p. 143 sur cette question mrite dtre consulte.

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    Empdocle (B 84) avait attir lattention sur la perfection de lart divin endtaillant lanatomie de lil. Le Socrate de Xnophon est aussi loquent dansson loge de lil, mais il se contente dvoquer ses avantages externes et

    vidents :Outre cela, nes-tu pas davis que les dispositions suivantes ressemblent elles aussiaux uvres de la providence ? Par exemple, comme la vue est fragile, on la muniede paupires qui, comme des portes, souvrent toutes grandes lorsquon a besoindutiliser la vue, mais qui se ferment pendant le sommeil ; et pour que mme les ventsne puissent nuire la vue, on a greff sur les paupires des cils qui tiennent lieu decrible ; pour que la sueur qui dcoule de la tte ne gne pas non plus la vue, on agarni ce qui est au-dessus des yeux de sourcils qui font office de corniche10.

    Cest la bienfaisance du dieu, plutt que son intelligence et son ingniosit, quiest ici clbre. Bien plus, dans ces pages sur la bienfaisance, nous ne trouvonspas une conception aussi austre des avantages naturels que celle laquelle nousnous serions attendus si le Socrate de Platon avait ici la parole. Le Socrate deXnophon, qui a t correctement dcrit comme un hdoniste modr11 , nevoit pas dinconvnient inclure le plaisir dans la liste des bienfaits divins. Selonlui, cest donc par souci de notre confort, plutt que par intrt pratique, que leconduit qui vacue nos excrments est situ aussi loin que possible de notre nezet de nos yeux ( Mm. I, 4, 6). De plus, en favorisant les hommes par rapport auxanimaux, dieu ne leur a pas seulement accord lintelligence, mais aussi un autreprivilge particulier, une sexualit non saisonnire (I, 4, 12)12. La rserve deplaisir, ainsi que dutilit, prsente dans la Nature est galement mentionneailleurs ( Mm. I, 4, 5 & IV, 3, 5-6), et le plaisir propre dieu est mme invoqucomme le principe qui la guid dans lorganisation du monde (I, 4, 17).

    On reconnat bien l le Socrate de Xnophon13 ; les ides qui lui sont attri-bues constituent pourtant une innovation radicale, qui ne doit rien ou presque

    10.Mm. I, 4, 6 (traduction de L.-A. Dorion peine modifie).11. J. GOSLINGet C. TAYLOR, The Greeks on Pleasure , Oxford University Press, 1982, 2.2.12. O. GIGON, Kommentar zum ersten Buch von Xenophons Memorabilien , Ble, 1953, p. 137

    et L.-A. DORION, op. cit. , note 255, p. 144-145 discutent une contradiction apparente entre cetteaffirmation et lasctisme sexuel recommand par Socrate enMm. I, 3, 14-15. Contre lide quele chapitre I, 4 ne serait pas pour cette raison dorigine socratique, on notera que dans le passagecit, Socrate recommande de sadonner le moins possible la nourriture, la boisson et au sexeen arguant du fait quun plaisir aussi grand peut tre obtenu de manire plus sre grce cetterestriction. Ceci est en accord avec son hdonisme modr, et il pourrait bien considrer la sexualitnon saisonnire comme rendant lhomme plus libre de reporter son activit sexuelle que si elledevait tre concentre dans des courtes priodes incluses dans un cycle biologique.

    13. Les tendances hdonistes du passage suggrent quAntisthne ny est pas la source deXnophon, contrairement ce que suggre F. DECLEVACAIZZIsur la base darguments thologiques

    certes sduisants ( Antisthenis Fragmenta , Milan, Istituto Editoriale Cisalpino, 1966, p. 100-101).Sur lopposition dAntisthne lhdonisme, voiribid. , fragments 108-113 avec les notes.

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    la cosmologie prsocratique. Linfluence du portrait de Socrate propos parPlaton napparat pas non plus. La seule similarit avec Platon se trouve en faitdans la preuve par lintelligence cosmique sur laquelle je vais revenir ,

    qui est prsente ici (I, 4, 8) et qui rapparat dans la bouche de Socrate chezPlaton, dans lePhilbe (29a-30e), un dialogue trs tardif qui pourrait mmetre postrieur la mort de Xnophon, si bien quil est plus probable, si empruntil y a, que Platon ait emprunt Xnophon plutt que linverse14. Il me sembleque Xnophon nous propose une description des ides de Socrate sur la crationdivine qui est non seulement intrinsquement crdible mais qui, en outre, cor-respond exactement ce que nous pouvons nous attendre trouver chez lui, savoir une rorientation de la science de la cration15 vers la pit lgard dela cration. Quelle que soit ladaptation ou la transformation que Xnophon

    peut avoir fait subir cette doctrine, son originalit et son importance rendentnaturelle lhypothse selon laquelle Socrate en est bien fondamentalementlauteur16. Il contient en outre je vais y revenir le premier anctre conservde la preuve par la providence.

    Si on le tient pour historiquement authentique, ce Socrate reprsente vrai-semblablement un nouveau commencement, et ce de deux points de vue, et ilannonce ainsi, symboliquement et intellectuellement, la fin de lre prsocra-tique. Socrate innove dabord en ceci qu son poque le pouvoir crateur delaccident tait devenu, grce aux atomistes17, un modle explicatif prtendantconcurrencer la causalit intelligente. Il est peu prs certain que telle est laraison pour laquelle Socrate fut le premier dfendre la solution crationnistecontre lhypothse matrialiste rivale. Cest ainsi que la preuve par la providencefit son entre sur la scne philosophique.

    14. La prsence de la preuve chez ARISTOTE, Parties des animaux I, 1, 641b 13-15, pourraittmoigner du fait quAristote fut lui-mme profondment influenc parMm. I, 4. On comparerapar exempleMm. I, 4, 6 sur la disposition des dents avecPhys. 198b 24-26,Parties des animaux 661b 6-9 et, sur les sourcils et les cils, avecParties des animaux 658b 14-26.

    15. Dans un ouvrage paratre,Creationism and its Critics in Antiquity , je dfends la thseselon laquelle Anaxagore et Empdocle dveloppaient une science de la cration.16. Pour des conclusions allant dans le mme sens, voir M. MCPHERRAN, loc. cit. et plusparticulirement C. VIANO, art. cit. Le fait que, dans les deux chapitres, Xnophon affirme expli-citement avoir assist la discussion ( Mm. I, 4, 2 et IV, 3, 2), ce quil ne fait que dans cinq autreschapitres de louvrage, ne constitue pas en lui-mme un argument trs fort en faveur de lhypothsede lauthenticit (voir C. KAHN, Plato and the Socratic Dialogue , Cambridge University Press,1996, p. 33 et L.-A. DORION, op. cit. , Introduction, p.XXXIX-LIII) mais il saccorde en tout castotalement avec celle-ci.

    17. Je doute quil y ait eu dautres matrialistes radicaux lpoque de Socrate. Ceux-ci appa-raissent chez Platon surtout dans ses dernires uvres (par exemple dans leSophiste 265c et lelivre X desLois ), alors que dans lePhdon , 96-98, qui est antrieur, lexplication matrialiste avaitpour reprsentant Anaxagore, dont Platon dit quil avait essay bien quil ait en fin de compte

    chou daccorder un rle lintellect (nou'"). Aucun physicien avant les atomistes na positive-ment exclu que la matire sous-jacente dispose de capacits intelligentes.

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    La seconde innovation socratique rside dans la sparation de la religion etde la physique, qui finiront pas devenir deux domaines de pense mais quitaient demeures unies en un tout indissociable jusqu la fin de lre pr-

    socratique. Lexemple le plus loquent de cette fusion apparat dans luvredEmpdocle, mais on pourrait en dire autant dHraclite, de Diogne dApol-lonie ou de presque toutes les autres figures de cette priode, sauf peut-treAnaxagore. Chez Socrate, les deux modes de pense le religieux et le scien-tifique sloignent lun de lautre : ils ne deviennent en aucun cas incompa-tibles, mais le Socrate de Xnophon dfend, dune part, ladoption dune attitudereligieuse correcte comme moralement indispensable, et dconseille vivement,dautre part, ltude thorique de la physique. La reconnaissance du souci par-ticulier de dieu lgard de lhumanit ne suppose pas du tout de se demander

    comment les dons de dieu ont t labors.Si le Socrate que nous rencontrons chez Xnophon se permet des rflexionsthoriques ce sujet, cest du point de vue de la thologie. Une fois libre dela physique, la thologie thorique est un sujet dtude lgitime. Socrate peutainsi avancer un argument pour montrer spcifiquement que le monde possdelintelligence (la preuve par lintelligence cosmique ). Il attribue en outre la divinit suprme non seulement la bienfaisance, mais aussi des pouvoirs quila rendent la fois omnisciente et omniprsente ( Mm. I, 4, 17-18), quand ildcrit dieu comme dune puissance et dune nature telles quil peut en mmetemps tout voir, tout entendre, tre prsent partout et se soucier de tout . Cettethologie a une histoire prsocratique, qui ne relve toutefois pas de la traditionphysique. On y reconnat immanquablement un cho et un dveloppement dela thologie radicale de Xnophane, qui avait propos, vers 500 avant Jsus-Christ, une dnonciation satirique des dieux anthropomorphes (B 11-16), pr-sentant la divinit suprme comme un tre immobile capable de tout mouvoirpar le seul pouvoir de la pense (B 23-26). La description de dieu par Socratea visiblement pour origine celle de Xnophane et elle fournira son tour labase de celle de Platon. Cette chane de transmission est probablement duneimportance sans gale dans lhistoire de la thologie grecque.

    Aprs le passage isol desMmorables I, 4, la preuve par la providence nefait plus aucune apparition lpoque domine par Platon et Aristote18. Il fautattendre la naissance du stocisme, au dbut duIIIe sicle avant Jsus-Christ,pour la voir merger nouveau. Il en va plus gnralement de mme pour lesarguments en faveur de la cration et du gouvernement intelligents du monde.

    18. Une possible exception est le fragment dAristote paraphras par Cicron,ND II, 95-96 ethabituellement attribu auDe philosophia . Il est toutefois loin dtre clair quil sagit dune preuve

    de lexistence de dieux providentiels plutt que dune explication de lorigine des croyances reli-gieuses (cf.AM IX, 20-23).

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    part les preuves de Socrate chez Xnophon, les seuls arguments formels ouquasi formels en faveur de cette position auVe et auIVe sicles se trouvent dansle livre X desLois , o lathisme est combattu au moyen dune dmonstration

    selon laquelle lme, aux niveaux aussi bien cosmique que local, est premirepar rapport au corps dun point de vue causal. Je nai pas lintention de mini-miser limportance de ce texte classique, mais il ne me semble jouer aucun rlemajeur ou vident dans le stocisme, sans aucun doute parce que rien chezPlaton ne lassocie Socrate19. Je laisse donc ce texte de ct et jen viens austocisme lui-mme.

    Le stocisme est, de bien des points de vue, une version actualise de laphilosophie socratique, et les premiers stociens acceptaient mme dtre appels socratiques20 . Si le stocisme a aussi subi linfluence de Platon, cest sans

    aucun doute parce que les stociens considraient que Platon avait tir de cer-taines des ides de Socrate des consquences conformes aux intentions deSocrate lui-mme ou approuves par lui. La fondation dune physique tlolo-gique tait prsente par Platon, dans lePhdon et le Time , non comme unetrahison de son matre (contrairement ce que le portrait de Socrate par Xno-phon aurait pu sembler suggrer), mais au contraire comme un programmefondamentalement socratique, que Socrate avait lui-mme appel de ses vux.En Phdon 99c, Socrate fait part de son dsir dapprendre comment faire de laphysique de manire tlologique et se demande sil pourrait trouver quelquunpour le lui enseigner. Il se trouve que ce passage prfigure prophtiquement ledialogue postrieur quest leTime , dans lequel Socrate se met effectivement lcole de Time pour apprendre prcisment une physique de ce type.

    Le fondateur du stocisme, Znon, admettait probablement ce signe delapprobation de Socrate et considrait leTime comme socratique, au moinsdans son esprit, si bien que lui et ses successeurs stociens se sont appropri ungrand nombre dides duTime dans leur physique. Znon avait en fait tudide nombreuses annes lAcadmie, lcole fonde par Platon, et il y a debonnes raisons de penser que leTime et son interprtation taient une proc-cupation majeure de lcole cette poque21. Pour des raisons de ce genre, le

    19. Cest sans doute pour la mme raison que le texte de Platon qui semble avoir eu le plusdinfluence sur les stociens ce sujet est lePhdre 245c-e, si nous considronsAM IX, 76 commetant dorigine stocienne.

    20. Philodme,De stoicis XIII, 3.21. Dans The origins of Stoic god (dans D. FREDEet A. LAKS (d.),Traditions of Theology ,

    Leyde, Brill, p. 41-83), je soutiens que la physique de Znon est en grande partie issue de laphysique de lAcadmie de Polmon, o il tudia, et que cette dernire tait essentiellement uneversion actualise de la physique duTime . Cette thse assurment discutable est dsormais adoptepar John DILLON, The Heirs of Plato , Oxford University Press, 2003, mais a t critique par

    Keimpe ALGRAdansPhronesis , 48, 2003, Booknotes , p. 77-78. Mme en laissant ceci de ct,ce que nous savons de Xnocrate et Crantor suffit amplement tablir que linterprtation duTime

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    stocisme est une philosophie fondamentalement socratique : bien quil ne sesente pas tenu daccepter le platonisme comme tel, il sapproprie certaines idesplatoniciennes conues comme des dveloppements lgitimes de la philosophie

    socratique. Le fait quil incorpore des pans entiers duTime en est un excellentexemple.La doctrine znonienne des causes est reprsentative de ce platonisme. Le

    Time , bien quil constitue le grand manifeste du finalisme, ne prfigure pas ladfinition aristotlicienne des fins ou des buts comme une catgorie isolable decauses22, les causes dites finales . LeTime accorde bien plutt la primautcausale un sous-ensemble particulier de ces causes quAristote nommera motri-ces ou efficientes, savoir celles qui sont orientes par une fin et intelligentes.Elles comprennent non seulement le Dmiurge lui-mme mais aussi ses agents

    infrieurs, en particulier lme du monde. ct de ces causes, Time nen admetquune autre sorte, les causes auxiliaires (sunaivtia , 46c-e, 68e), quil identi-fie en fait avec la matire implique dans chaque processus causal (cf. 46d6-7).La plupart voire la totalit des changements dans lecosmos sont constitus decauses intelligentes travaillant une matire, qui est pour sa part simplement persuade par elles de leur obir. Le stocisme fait aussi usage de ce schmacausal dualiste, avec deux modifications. En premier lieu, comme de nombreuxinterprtes duTime , les stociens traitent le dmiurge comme rductible, endernire analyse, lme du monde, si bien que la cause intelligente nest de leurpoint de vue rien dautre que la divinit immanente au monde. En second lieu,concernant les causes auxiliaires de Time, savoir la matire implique dansles processus causaux, ils adoptent la position de Socrate, nettement formuledans lePhdon (99b), selon laquelle la matire nest en fait pas du tout une causemais simplement une condition ncessaire laction de lintelligence. De ce fait,la structure causale sous-jacente au monde stocien rside dans un matriauentirement passif et inerte dun point de vue causal, appel matire , pntrpar une unique cause intelligente, active et immanente, appele dieu . Cematriau et cette cause intelligente correspondent respectivement au substratmatriel et lme du monde dcrits dans leTime. La tlologie causale dePlaton est rduite par les stociens laction de dieu sur la matire.

    Outre la sparation du dmiurge, plusieurs autres aspects non socratiques dela cosmologie platonicienne sont abandonns. La dimension la plus pythagori-

    figurait parmi les proccupations philosophiques importantes de lAcadmie la fin duIVe sicle.Mme en labsence de tmoignage direct, il serait naturel de supposer que Znon a t influencpar ces discussions.

    22. Il sagit de lun des rares points sur lesquels je mloigne de lexcellent ouvrage de ThomasJOHANSEN, Platos Natural Philosophy , Cambridge University Press, 2004. Selon moi, la formulation

    prcise duTime 47b 5-e 2 (cf. 76d 6-8) montre clairement que les causes intelligentes de Timesont, pour le dire en termes aristotliciens, un type particulier de causesefficientes .

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    cienne duTime , lutilisation des structures mathmatiques comme principesde llaboration rationnelle du monde, depuis les intervalles harmoniques delme du monde jusquaux solides gomtriques servant structurer les quatre

    corps lmentaires, est laisse de ct par les premiers stociens. Il en va demme pour les Formes platoniciennes transcendantes, mentionnes par Timecomme les modles sur lesquels le Dmiurge fonde son activit cratrice, etpour la division de lme en deux parties, lune rationnelle et lautre irration-nelle, la premire tant immortelle et destine survivre son incarnationprsente et se rincarner dans dautres corps, humains et animaux. La concep-tion du monde de Time est ainsi rduite une doctrine plus simple et dappa-rence plus socratique23. La tlologie radicale labore par Platon dans leTimedemeure nanmoins intacte.

    Le processus travers lequel la cosmologie stocienne est en partie ne dunerflexion sur cette combinaison dinfluences socratiques et platoniciennes appa-rat de manire loquente dans un passage de Sextus Empiricus ( AM IX, 88-110),qui va dornavant constituer mon texte de rfrence. Comme on va le voir,Sextus, ou plus vraisemblablement sa source, dforme parfois quelque peu lesmatriaux quil expose, mais ce sont eux qui, en fin de compte, sont intressants.Le passage nous transmet un ensemble cohrent darguments en faveur de laprovidence divine remontant aux premiers stociens et apparemment en grandepartie intacts. Il accorde en outre une place centrale la rflexion stociennesur leTime et sur le premier des deux chapitres desMmorables de Xnophon,dont jai dit prcdemment quils contenaient la seule version de la preuve parla providence antrieure au stocisme. Si lon ne peut dmontrer que la sourcedu passage de Sextus est stocienne, cela semble tout fait plausible, en parti-culier si lon considre le paragraphe 102, o lexplication dun argument avancpar Znon commence ainsi : Et le caractre persuasif de cet argument estvident, puisque... Ce discours doit assurment tre attribu, non Sextus,mais sa source, et lexplication qui suit recourt plusieurs concepts spcifi-quement stociens24.

    Notre passage fait partie dun expos doxographique beaucoup plus longconcernant des doctrines et des arguments thistes principalement stociens , partir desquels Sextus engage sa critique de la thologie enAM IX, 60-137.Dans cet expos, notre passage nest lui-mme quune sous-partie dune longuesection ( 75-122) numrant des preuves de lexistence de dieu fondes sur

    23. Voir SNQUE, Ep. 65, 2 pour ce schma causal de base. La multiplication chrysippennedes types de causes, qui devint une doctrine fameuse des stociens (voir en particulier S. BOBZIEN, Chrysippus theory of causes , dans K. IERODIAKONOU(d.),Topics in Stoic Philosophy , Oxford

    University Press, 1999, p. 196-232), nest pas aussi fondamentale dun point de vue physique.24. Voir note 34 ci-dessous.

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    lorganisation du monde. Il se distingue de son contexte en ceci quil possdetous les signes distinctifs du premier stocisme, dans la mesure o il ne nommeque Znon, Clanthe et leur contemporain et adversaire Alexinus, auxquels

    sajoutent Xnophon et Platon comme prcurseurs pr-hellnistiques de la tho-logie stocienne. Le passage qui prcde ( 75-87) rsume en revanche uneargumentation stocienne qui nest rattache aucun nom prcis, et le passagequi suit ( 111-118) est aussi un rsum, attribu cette fois aux stociens et leurs partisans , qui sintresse aux origines du mouvement dune manire quivise, me semble-t-il, englober la fois les doctrines stocienne et pripatti-cienne. Encadr par ces deux sections trs diffrentes, notre passage se distinguecomme ayant une origine distincte et une cohrence interne qui lui sont propres.

    La structure gnrale du passage est la suivante :

    A. Clanthe88-91. La preuve de Clanthe, fonde sur le concept de meilleure nature .B. Xnophon, Mm. I, 4 et ses rlaborations stociennes92-94. Largument de Socrate dans Xnophon,Mmorables I, 4, o figure sa preuvepar lintelligence cosmique.95. Paraphrase de la preuve par lintelligence cosmique.96. Parodie ( parabol ) anonyme de la preuve par lintelligence cosmique.97. Dfense anonyme vraisemblablement stocienne de la preuve par lintelligencecosmique contre laparabol.98. Nouvelle formulation de la preuve par lintelligence cosmique.99-100. Un argument prsent comme quivalent la preuve par lintelligence cos-mique, bien quelle fasse usage dautres lments tirs de largument originel deXnophon.101. La version ou la rlaboration znonienne de la preuve par lintelligence cos-mique.102-103. Explication et dfense de la version de Znon par la source.C. Platon, Time 30b et ses rlaborations stociennes104. La preuve par Znon de la rationalit du monde.

    105-107. Largument de Platon,Time 29d 7-30c 1, prsent comme quivalent lapreuve par Znon de la rationalit du monde.108. La parodie ( parabol ) dAlexinus de la preuve par Znon de la rationalit dumonde.109-110. Une dfense stocienne contre Alexinus de la preuve par Znon de la ratio-nalit du monde.

    Je vais me concentrer sur les parties B et C, qui montrent mon avis la foiscomment les stociens se sont appropri les textes de Xnophon et de Platon,et les objections dialectiques quils rencontrrent au cours de ce processusdassimilation et de transformation.

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    Commenons par le chapitre de Xnophon. La source de Sextus, que je tiensdsormais pour stocienne ou favorable au stocisme, cite le passage non commeun argument de Socrate, mais comme un argument mis dans la bouche de

    Socrate par Xnophon le socratique . Cette expression indique vraisembla-blement la manire dont les stociens eux-mmes se rfraient largument.Sil en va bien ainsi, il savre quils vitent lerreur historique consistant supposer que Xnophon avait transcrit sans mdiation les discours de sonmatre25. En soulignant que Xnophon est un auteur socratique , ils reven-diquent nanmoins clairement cet hritage de Socrate, en tant quils se veulenteux-mmes socratiques . Lintention de la source est tout fait similaire celle du porte-parole stocien de Cicron dans leDe natura deorum (II, 18)lorsquil cite le mme passage : il lattribue en effet Socrate chez Xnophon

    (apud Xenophontem Socrates ).La source ouvre la section B par une citation, qui se veut exacte, de largumentde Socrate chez Xnophon. Il sagit en ralit dune citation de mmoire et nondune retranscription partir dune copie du texte de Xnophon. Lauteurconnat lvidence assez bien ce passage pour pouvoir reproduire plusieursreprises ses formules quelques dtails prs. Toutefois, contrairement ce queces troites similarits stylistiques pourraient suggrer, largument contenu dansle passage a t radicalement modifi. Cette transformation prsente tous lessignes distinctifs de linvocation dun texte faisant autorit. Nous allons certesvoir les stociens tenter avec beaucoup de difficults dextraire un argumentcohrent de ce passage. Pour autant, ce dernier est lvidence considr pareux comme suffisamment canonique pour exiger dtre rinterprt dunemanire qui, dune part, respecte et conserve ses expressions les plus impor-tantes, mais fournisse dautre part un argument utilisable dans une dfense fiablede la thologie stocienne. Le statut canonique propre ce texte est par ailleursconfirm par le passage de Cicron dj mentionn, dans lequel il reoit aussiun traitement spcial, puisquune citation exacte (dans une traduction latine) enest donne.

    Jai dj brivement paraphras largument de Socrate. Dans un premiertemps ( Mmorables I, 4, 2-6), Aristodme reconnat quil admire par-dessustout les grands artistes capables dimiter la Nature, les potes, les peintres etles sculpteurs. Socrate lui fait alors admettre que quiconque est capable deproduire de vritables tres vivants est de loin suprieur ces artistes, si dumoins comme le souligne Aristodme lui-mme il les produit intentionnel-lement et intelligemment (by design ) et non simplement par hasard. Socrate

    25. Cette position se distingue de la tradition, transmise par Diogne Larce (II, 48), selonlaquelle lesMmorables de Xnophon sont, de fait, une transcription des conversations de Socrate.

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    chante alors les louanges de la structure gniale et bienfaisante du corps humain,afin de persuader Aristodme que lhomme est, de tous les tres, le moinssusceptible davoir t produit par le hasard, tant il runit en lui toutes les

    caractristiques signalant quil a t intentionnellement conu par une intelli-gence. Socrate et Aristodme saccordent alors pour dire que lanatomiehumaine est le signe de lexistence dun crateur bienveillant. Cest ce premiermoment qui constitue ce que jai appel le plus ancienspecimen , ou en tout casle premier anctre, de la preuve par la providence ( Argument from Design ).Mais il y a plus.

    La transition avec le second moment se fait enMm. I, 4, 7sq. Aristodme,tout en tant en partie daccord, insiste sur le fait que nous partageons avec tousles animaux chacun des dons divins dont Socrate a fait lloge : par consquent,

    ceux-ci ne sont finalement pas des signes de la relation particulire que dieuaurait avec lhomme et lui seul. Ceci conduit Socrate au second moment de sonargumentation ( Mm. I, 4, 8-14), dont la structure est malheureusement trsobscure. Socrate rpond en indiquant de quelles manires lhomme est effecti-vement particulirement favoris. Il le fait toutefois dabord indirectement, aumoyen de largumentation suivante : la terre, leau, etc. qui composent notrecorps sont prleves sur limmense quantit de ces matriaux qui est disponibledans le monde, et il doit certainement en aller de mme pour notre intelligence,qui doit aussi venir de lintelligence cosmique, dont il faut de toute faonsupposer quelle existe en tant quinstance ordonnatrice gouvernant la terre, lamer et les autres parties du monde. Bien que cet argument conduise incidemment montrer que le monde lui-mme est un tre intelligent, lobjectif principal deSocrate dans ce passage semble tre mme si cela est loin dtre clair quelintelligence est un autre don qui nous vient pour ainsi dire de l-haut, maisque seul lhomme bnficie cette fois de ce don, et non tout le rgne animal.En tout cas, aprs quelques rpliques, cest le thme que Socrate dveloppe,toujours pour rpondre Aristodme qui a implicitement ni que lhomme aitt favoris. Au contraire, poursuit Socrate, lhomme a t particulirementfavoris du fait quil se tient debout et quil a des mains, la parole, une sexualitnon saisonnire, le sentiment religieux et des capacits techniques. Selon touteprobabilit, toute cette tape de largumentation est conue pour justifier latlologie anthropocentriste quAristodme a refuse. Mais il faut admettre quela place de la preuve par lintelligence cosmique dans cet ensemble est toutsauf vidente, ce qui autorise diverses interprtations.

    Que devient lensemble de cette argumentation complexe dans la sourcestocienne reproduite par Sextus ? La premire tape est courte, comme lemontre la lecture parallle des deux passages :

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    Xnophon, Mm. I, 4, 2-7 (traduction de L.-A. Dorion lgrement modifie). Dis-moi, Aristodme, y a-t-il des hommes que tu admires pour leur comptence ? Bien sr, rpondit-il. Et Socrate de reprendre : Donne-nous leurs noms. Pource qui est de la posie pique, cest sans conteste Homre que jadmire le plus ; pourle dithyrambe Mlanippids ; pour la tragdie, Sophocle ; pour la statuaire, Polyclte ;pour la peinture, Zeuxis. ton avis, lesquels mritent le plus notre admiration :ceux qui faonnent des images prives de sentiment et de mouvement, ou bien ceuxqui donnent vie des tres dous de sentiments et actifs ? Ceux qui crent les tresvivants, par Zeus, et de beaucoup, sil est vrai que ces tres vivants ne sont pas luvredu hasard, mais dune intelligence. Mais parmi les choses dont rien nindique lafinalit et celles qui ont manifestement une utilit, lesquelles regardes-tu comme leseffets du hasard et lesquelles comme les produits dune intelligence ? Il convientde regarder les choses dont la venue ltre est utile comme luvre dune intelligence. Nes-tu donc pas davis que celui qui a fait les hommes les a pourvus ds lorigine,pour leur utilit, des moyens de percevoir chaque chose : les yeux pour quils voientce qui est visible, les oreilles pour quils entendent les sons ? De quelle utilit seraientpour nous les odeurs, si nous navions pas t pourvus de narines ? Quen serait-il dela perception du doux, de lamer et de tout ce qui est agrable au got, si une languepropre les discerner navait pas t place dans la bouche ? Outre cela, nes-tu pasdavis que les dispositions suivantes ressemblent elles aussi aux uvres dune intel-ligence prvoyante ? Par exemple, comme la vue est fragile, on la munie de paupiresqui, comme des portes, souvrent toutes grandes lorsquon a besoin dutiliser la vue,mais qui se ferment pendant le sommeil ; et pour que mme les vents ne puissentnuire la vue, on a greff sur les paupires des cils qui tiennent lieu de crible ; pourque la sueur qui dcoule de la tte ne gne pas non plus la vue, on a garni ce qui estau-dessus des yeux de sourcils qui font office de corniche. Et le fait que loreilleperoive tous les sons, sans jamais sobstruer ; et que, chez tous les animaux, les dentsde lavant soient propres couper et les molaires broyer ce quelles reoivent despremires ; et que lon ait plac la bouche, par laquelle les animaux absorbent cequils dsirent, en bas prs des yeux et du nez, alors que comme les excrments sontdsagrables, on en a dtourn et cart les canaux dvacuation aussi loin que possibledes organes sensoriels. Devant ces ralisations qui tmoignent de tant de prvoyance,es-tu encore dans lembarras pour dterminer si elles sont luvre du hasard ou duneintelligence ? Non, par Zeus, rpondit-il ; mais pour qui les considre comme onvient de le faire, ces choses ont tout lair dtre les ralisations de quelque fabricantcomptent et qui aime les tres vivants. Et quen est-il du fait de leur avoir inspirle dsir de se reproduire, aux femelles qui engendrent le dsir dassurer la subsistancede leurs nourrissons, et ceux-ci un apptit dbordant pour la vie et une peur bleuede la mort ? Il ny a pas de doute possible : cela aussi ressemble des stratagmesimagins par quelquun qui a dcid lexistence des tres vivants.

    Sextus, AM IX, 92-94. Dis moi, Aristodme, y a-t-il des gens que tu admires pour leur comptence ? Oui,dit-il. Qui sont-ils donc ? Pour ce qui est de la posie pique, jadmire Homre,pour la statuaire, Polyclte, et en peinture, Zeuxis. Et nest-ce pas cause de lart

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    exceptionnel avec lequel ils produisent leurs uvres, que tu les approuves ? Oui,dit-il. Donc, si une statue de Polyclte devenait en outre anime, napprouverais-tupas beaucoup plus la technique de celui qui la fabrique ? Tout fait. Nas-tupas remarqu, en voyant une statue, quelle est le produit de lart dun fabricanttechniquement dou ? Et, quand tu vois un homme, lexcellente manire dont son mele meut, dont son corps est organis, nestimes-tu pas quil est le produit de lart duneintelligence suprieure ? Et quand tu vois la disposition et lutilit des parties du corpshumain, qua t donne lhomme la posture debout, des yeux pour quil voie cequi est visible, des oreilles pour quil entende ce qui est audible ? Et de quelle utilitserait lodeur, sil ne nous avait pas quip de nez, et pareillement pour les saveurs,si une langue propre les discerner navait pas t place dans la bouche ?

    Abstraction faite de la part importante de rsum, le passage de Sextus diffre

    de largumentation originale de deux points de vue. Le premier est caractris-tique de ladaptation stocienne. Chez Xnophon, Socrate fait moins lloge delutilit pratique du got que de sa valeur comme source de plaisir. Dans ladap-tation, cette attribution apparente dune valeur positive au plaisir a t corrige,et toutes les autres rfrences au plaisir prsentes chez Xnophon ont disparu.Ces omissions refltent sans aucun doute une version fortement anti-hdonistede la morale stocienne. Sur ce point au moins, il semble que la source stociennede Sextus ait privilgi la reprsentation platonicienne de Socrate commeanti-hdoniste, dans leGorgias et le Phdon , par rapport ce quelle trouvaitchez Xnophon. Mais, sil en va bien ainsi, cette lecture du texte de Xnophontait discute au sein du Portique, puisque Diogne Larce rapporte commestocienne la thse que la nature vise la fois lutilit et le plaisir, comme lemontre clairement la fabrication (dhmiourgiva) de lhomme ( DL VII, 149).Cette thse est remarquablement plus fidle lanalyse de Xnophon. Il esttentant de supposer que la source plus slective de Sextus est Clanthe, dans lamesure o il est le plus anti-hdoniste des stociens (cf.Fin. II, 69) et lauteurdu premier argument stocien cit dans notre passage ( AM IX, 88-91).

    La seconde diffrence entre largument de Xnophon et la version de Sextusest que lanalogie entre les arts dimitation et la technique divine a t rduiteau cas de la sculpture : les hommes sont en effet des statues dotes dmes, quirclament une technique bien plus sophistique que toutes celles que lon trou-vera dans la sculpture de la pierre ou du bronze. Pour maintenir cette analogieavec la sculpture, la source a omis les lments de largumentation socratiquequi ne lui conviennent pas, tels que linvocation des instincts inns commepreuve de la bienveillance divine : il ny a videmment rien qui leur correspondedans une statue, alors que les yeux, les oreilles et les autres attributs mis enexergue peuvent tous tre reprsents dune manire ou dune autre par unsculpteur. En fait, notre source tient tellement lanalogie avec la sculpture

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    quelle a inclus la posture debout de lhomme parmi ces attributs, malgr le faitque Socrate garde celle-ci pour la seconde tape de son argumentation, qui seconcentre sur la supriorit de lhomme lgard des animaux.

    Une diffrence supplmentaire apparat avec la seconde tape de largumen-tation. La source stocienne, ou stocisante, de Sextus a manifestement desdifficults bien comprhensibles pour dterminer le lien exact entre la secondeet la premire tape. Elle suit de prs le texte de Xnophon, mais se trouve dece fait dans lincapacit dtablir une vritable continuit entre les tapes delargumentation. La preuve par lintelligence cosmique, qui appartient laseconde tape chez Socrate, apparat comme un argument de fait autonome, quidmontre que le monde est un tre intelligent. La voici cte cte avec laversion de Xnophon :

    Xnophon, Mm.I, 4, 8. Mais as-tu toi-mme limpressiondavoir quelque chose dintelligent, maisquil ny a rien dintelligent nulle part ail-leurs ? et cela, quand tu sais que tu nasdans ton corps quune infime partie de lagrande quantit de terre, quune infimepartie de la grande quantit dhumide, etque la composition de ton corps nademand quune parcelle de chacun desautres lments dont labondance nelaisse aucun doute ? Quant lintelli-gence, crois-tu quelle est donc seule nese trouver nulle part ailleurs et que tu lasconfisque par quelque heureux hasard, etque ces lments incommensurables etinfinis en nombre, ont pu tre disposs enun si bel ordre cause dune non-intelli-gence ?

    Sextus Empiricus, AM IX, 94.

    Et cela, dit-il, quand tu sais que tu nasdans ton corps quune infime partie de lagrande quantit de terre, quune infimepartie de la grande quantit dhumide, etde mme pour le feu et lair. Quant lintelligence, crois-tu quelle est doncseule ne se trouver nulle part ailleurs etque tu las confisque par quelque heu-reux hasard ?

    Ayant ainsi rapport le texte de Xnophon, notre auteur poursuit immdiatement( 95) en notant quil sagit dun argument montrant que, de mme que lesportions de chacun des quatre lments en nous sont des fragments minusculesde la grande quantit de ces lments prsente dans le monde, de mme tonintelligence peut tre tenue pour un fragment minuscule de la grande quantitdintelligence prsente dans le monde. Il en dcoule que le monde lui-mmeest intelligent et quil est lui-mme dieu.

    Bien quelle ne soit pas absolument exacte et quelle omette la premire etla dernire phrase ainsi que certaines formulations, la citation prtendument

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    directe de la source stocisante est fonde sur une connaissance prcise du textede Xnophon, et nous pouvons considrer cela comme un nouveau signe du faitque celui-ci avait un statut canonique dans lcole stocienne. En ce qui concerne

    son contenu, la version de la source ne diffre significativement de lorignalque dun seul point de vue. Chez Xnophon, Socrate commence par les exemplesde la terre et de lhumidit, deux composants vidents du corps humain, qui,tout aussi videmment, ne sont que de minuscules fragments de la quantit deces mmes matriaux disponibles dans le monde. Il gnralise ensuite aux autres choses aussi , sans prciser quelles sont ces choses. En rutilisantlargument, Platon et les stociens les ont naturellement identifies comme lesdeux derniers des quatre lments, lair et le feu. Que Xnophon ait eu ou nonen tte cette systmatisation, le fait quil nait pas achev la liste tmoigne de

    son souci de tenir Socrate aussi loign que possible des spculations physiques,en le dispensant par exemple de toute adhsion la doctrine rpandue maisconteste des quatre lments. Mme son choix du terme humidit (uJgrovn)au lieu du terme eau pourrait sexpliquer par ce mme souci. chaque foisque les hritiers philosophiques de Socrate compltent la liste pour obtenir lesquatre lments, ils signalent quant eux leur adhsion cette doctrine.

    La suite de notre tmoignage fait clairement apparatre que les stociens sesont cette fois entirement appropri largument et lont utilis comme lune deleurs armes. Notre texte rapporte en effet un dbat qui possde tous les signesdistinctifs des polmiques dans lesquelles nous savons que les stociens ont tengags avec leurs adversaires de lpoque26. Dans ces dbats, intervenait par-fois un critique particulirement pugnace des premiers stociens, nomm Alexi-nus et membre de lcole mgarique ou de lune de ses hritires. Bien que sonnom napparaisse pas dans cette partie du tmoignage (il apparatra au 108-110), il est trs probablement dj en cause ici. Selon un schma typique, unepreuve stocienne de lexistence de dieu tait parodie par ladversaire, quisoutenait que, si la preuve dmontrait quelque chose, elle en dmontrait trop.Cette forme de critique tait connue sous le nom deparabol , et le dfi quellereprsentait a manifestement jou un rle clef dans llaboration et le perfec-tionnement des preuves stociennes de lexistence de dieu. En gnral, la suitede la parabol , les stociens reformulaient leur argument pour limmunisercontre sa parodie, ou soutenaient que le parallle entre celle-ci et leur argumentntait pas significatif.

    26. Voir ltude pionnire de ces arguments par M. SCHOFIELD, The syllogisms of Zeno of Citium ,Phronesis , 28, 1983, p. 31-58. Pour une mise en lumire de leur contexte, voir par exemple

    K. ALGRA, Stoic theology , dans B. INWOOD(d.), The Cambridge Companion to the Stoics ,Cambridge, 2003, p. 153-178.

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    Voici comment Sextus, ou sa source, prsente largument stocien et sapara-bol :

    Paraphrase de largument socratique( 95).De la grande quantit de terre prsentedans le monde, tu nas quune infime par-tie.Et de la grande quantit dhumide pr-sente dans le monde, tu nas quuneinfime partie.[De mme pour lair et le feu.]27De la grande quantit dintelligence qui

    est donc aussi prsente dans le monde, tunas quune infime partie.Le monde est donc intelligent et, de cefait, est dieu.

    Parabol( 96).De la grande quantit de terre prsentedans le monde, tu nas quune infime par-tie.Et de la grande quantit dhumide pr-sente dans le monde, tu nas quuneinfime partie.Et de mme pour lair et le feu.De la grande quantit de bile qui est donc

    aussi prsente dans le monde, tu nasquune infime partie.Et de mme pour le phlegme et le sang.Il sensuit que le monde est producteur debile et de sang, ce qui est ridicule.

    Si largument socratique prouve que le monde est intelligent, il est tout aussiefficace pour prouver que le monde est bilieux.

    Notre source cite ensuite ( 97) une rponse qui, bien quelle ne soit attri-bue personne, est sans aucun doute stocienne : la terre, leau, lair et le feusont des corps simples, alors que la bile et les autres humeurs corporelles sontdes composs ; or, bien que largument fonctionne avec des corps simples, ilest incorrect en ce qui concerne les composs. La critique du parallle ne vapas plus loin dans le texte, mais la rponse stocienne semble tout faitpertinente. Si vous mavez donn un gteau et que je veux montrer que lavanille que vous avez utilise vient dun magasin prcis, jadopterais unemthode raisonnable en constatant que ce magasin est le seul fournisseur localdes autres ingrdients de base que vous avez utiliss et en concluant ensuitepar induction que la vanille, dont je nai pas tabli la provenance en tant quetelle, vient du mme magasin. Je naurais en revanche pas le droit de conclurepar induction que la crme la framboise que vous avez mise dans votre gteauvient du mme magasin ; et, si jallais dans ce magasin pour en acheter, jeserais du, parce que vous lavez en ralit prpare vous-mme partir desingrdients de base que vous avez achets dans le magasin. De mme, la bile

    27. La parabol suppose que cette tape apparaissait dans la paraphrase, de mme quelleapparaissait dans la prtendue citation de Xnophon du 94. En lajoutant, je ne prtends pas

    ncessairement suggrer quelle figurait chez Sextus et quelle a t oublie par un copiste. Sextusou sa source peuvent lavoir omise par ngligence.

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    et les autres humeurs du corps humain peuvent tre faites partir de la terre,de leau et des autres lments contenus en lui, sans quil soit ncessaire deposer lexistence dune source extrieure pour ces humeurs en tant que telles.

    Pourvu que lon accorde que lintelligence est une entit simple et non com-pose, on peut en conclure quelle est une qualit propre au monde, contraire-ment la bile et au phlegme.

    Un peu plus loin, dans ce qui ressemble un passage qui nest pas sa place( 99-100), la source cite une formulation alternative de largument. Il estvraisemblable28 quelle provient dune lecture diffrente de largument de Xno-phon, lecture qui insistait moins sur lintelligence cosmique et offrait ainsi uneautre rponse laparabol . La seconde tape fait ainsi lobjet de deux para-phrases, la premire ( 95) suivant de prs le texte de Xnophon sans claircir

    larticulation entre les deux tapes, la seconde ( 99-100) sloignant librementdu texte de Xnophon et obtenant ainsi une argumentation la continuit bienplus prcise29. La seconde paraphrase mrite un examen spcifique, parcequelle montre au moins pourquoi la premire tape a t rduite une analogiedirecte entre le corps humain et une statue ( 99) :

    Si tu voyais une statue fabrique avec art, douterais-tu quune intelligence technique-ment doue lait produite ? Ne serais-tu pas plutt si loin de penser cela que tuadmirerais en ralit la supriorit de la technique et de lart ?

    Pour linstant, il ne sagit que dune brve paraphrase de la premire tape delargument, mais elle se poursuit cette fois par la seconde tape ( 100) :

    Est-il possible que, alors que dans ce cas, voir une forme externe te conduit tmoigneren faveur de celui qui la conue et dire quelle a t fabrique par un artisan, quandtu regardes lintelligence en toi, qui est bien plus complexe que nimporte quellestatue ou tableau, tu supposes que sa naissance est le fruit du hasard et non dunartisan possdant un pouvoir et une connaissance exceptionnels.

    28. Je dois cette ide Jason Rheins.29. La source nindique pas explicitement que cette seconde version ( 99-100) porte son

    terme la preuve par la providence du dbut. Ayant prsent dabord la preuve par lintelligencecosmique comme lachvement de la preuve par la providence, elle ajoute ensuite le nouvel argumentde lanalogie avec la sculpture, prsent comme aussi puissant que la preuve par lintelligencecosmique. Ce collage est confirm par la remarque ajoute la fin du nouvel argument (fin du 100, juste aprs le passage traduit ci-dessous) : Il [lartisan de lintelligence humaine] ne vivraitnulle part ailleurs que dans le monde, ladministrant et faisant natre et crotre ce qui est en lui. Orcest l un dieu. Donc il y a des dieux. Bien que les deux preuves soient loin dtre quivalentes,ajpo; tuvch" dans le 100 renvoie nettement eujtucw'" dans lesMmorables I, 4, 8, qui tait repris

    par notre auteur dans sa paraphrase la fin du 94. Ceci montre nouveau quil fait tout pourprsenter les deux preuves comme fonctionnellement quivalentes.

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    Ainsi entendue, la premire tape de largument socratique de la providence sefocalisait sur le corps humain, conu comme une uvre dart infiniment sup-rieure une simple statue dhomme, et la seconde tape avance maintenant une

    analogie moins directe et de ce fait plus exigeante, celle entre une statue etlintelligence humaine. Lintelligence est une cration encore plus complexeque le corps humain et donc une preuve encore plus clatante de lart divin. Lasource stocienne a su prserver lun des aspects de largument de Socrate, savoir le passage du corps humain la rationalit humaine comme meilleur donde dieu, mais elle y est parvenue en ngligeant de fait la lettre du texte deXnophon.

    Il faut noter que, dans cette version de largument, lintelligence est reconnuecomme une ralit complexe, position qui nest pas surprenante chez des phi-

    losophes qui ont rflchi sur leTime de Platon (voir en particulier 35a-37c,41d, 43c-44b), ce qui tait le cas des premiers stociens. Il semble donc que cesstociens anonymes taient en dsaccord avec ceux qui avaient rpondu la parabol en insistant sur la simplicit lmentaire de lintelligence. Au lieudadopter cette position, les premiers revinrent largument de Xnophon dansson ensemble et le relirent de telle sorte que la complexit de lintelligencedevenait une qualit positive. Cest prcisment son extrme complexit, selonleur interprtation de largument de Socrate, qui fait de lintelligence une cra-tion plus admirable que nimporte quelle statue.

    Pour linstant, la preuve stocienne par lintelligence cosmique na pas abordla question de savoir comment les ressources cosmiques en terre, eau, air, feuet intelligence sont censes expliquer la prsence de ces lments chez vous etmoi. Mais la source stocisante fournit deux rponses diffrentes cette ques-tion30. La premire, qui nouveau nest attribue personne, se contente dedire que les ressources cosmiques en X sont unecondition ncessaire auxressources en X localement disponibles : sil ny avait rien de terreux dans lemonde, il ny aurait rien de terreux en toi non plus... ( 98). Bien comprise31,cette thse rpond la question avec le minimum de prsupposs possibles ou, moins charitablement, avec le maximum dimprcision possible quant la manire dont les ressources cosmiques garantissent les ressources personnel-les. Cest, de ce point de vue, linterprtation la plus forte et la moins vulnrable

    30. La premire se trouve au 98, la seconde au 101. Le fait que la variante introduite aux 99-100 (voir ci-dessus) interrompe la continuit originelle entre ces deux arguments est, mesemble-t-il, attest par le pronomtouvtou de la fin du 101, qui semble renvoyer qeov" la findu 98.

    31. Comme le montre la conclusion (fin du 98), la preuve ne doit pas tre lue comme impliquant

    que la prsence ncessaire dintelligence dans le monde peut se rduire sa prsence chez les treshumains.

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    de largument socratique, mais aussi la moins clairante concernant la relationde lhomme au monde.

    Cest sans doute pour cette raison que cette version peu vulnrable mais

    imprcise de largument ne sduisit pas ce penseur si audacieux qutait lefondateur du Portique32. La version znonienne de largument, consigne parla mme source, admettait une relation causale trs particulire et explicitementbiologique entre le macrocosme et le microcosme. Nous pouvons conjecturerque Znon ntait pas satisfait lide de suggrer que lintelligence cosmiquentait, comme lair ou leau cosmiques, quun rservoir de certains composantsde ltre humain. Dans la tradition duTime laquelle le stocisme est affili,lintelligence diffre en effet des quatre lments prcisment en ceci quelleest la cause active et motrice du monde, et quelle est donc de ce point de vue

    irrductible un simple composant passif du corps humain. Nous aboutissonsalors la rcriture suivante de la preuve par lintelligence cosmique ( 101) :

    Znon de Citium, trouvant son point de dpart chez Xnophon, propose cet argument : Ce qui met la semence dun tre rationnel est lui-mme rationnel. Or le mondemet la semence dun tre rationnel. Donc le monde est rationnel. Ceci permet ausside conclure que Dieu33 existe.

    Znon a donc opt pour une interprtation trs particulire de la manire dont

    lintelligence cosmique constitue la source de lintelligence humaine. Il a li-min lanalogie entre lintelligence cosmique et les ressources cosmiques enlments pour accorder lintelligence cosmique une relationcausale singulireavec les intelligences des tres humains. Elle nest plus le rservoir o lesmatriaux de nos intelligences ont t prlevs, mais leur parent ou gniteurquasi biologique. La manire dont lintelligence du monde se manifeste aussien nous est assimile une transmission gntique au moyen dune semence.Lide est, me semble-t-il, peu prs la suivante. Dans notre exprience, aucuntre rationnel nest ou ne pourrait tre engendr par des parents non rationnels ;

    les tres rationnels ont ncessairement des parents rationnels. Mais, sil est vraique nos parents nous engendrent, le monde nous engendre aussi en un sensbeaucoup plus fort ou, sil sagit plutt de lorigine de lhumanit tout entire,le monde nous a engendrs34. Il doit donc tre aussia fortiori rationnel. Tel estbien peu prs le contenu prcis de largument de Znon rapport par Cicron( ND II, 22). Mais, dans la version examine ici, Znon rend lanalogie parentale

    32. Laudace de Znon en matire dargumentation est un thme important dans ltude deM. SCHOFIELD, art. cit.

    33. Voir note 29 pour cette rfrence detouvtou .34. Je dois cette interprtation alternative Stephen Menn.

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    plus explicite et ose : le monde ne se contente pas de nous engendrer, il le faiten mettant unesemence . Comment comprendre cela ?

    Lasourceajouteuncommentaire35quisefforcederendrecomptedecettethse

    trange ( 102-103). Selon celui-ci, le monde met bien les semences dont nousnaissons. Toutefois, (a) il ne les met pas par jaculation, comme dans lesprocessusbiologiquesquinoussontfamiliers,maisenlescontenant dunemanireapproprie, et (b) les semences quil contient en ce sens ne sont pas dessemences biologiques mais ce que les stociens en vinrent nommer les raisonssminales (spermatikoi; lovgoi), ou, comme on le dirait aujourdhui, les codesbiologiques de la forme de vie qui en est issue. Nous ne devons pas exclure quece soit le besoin de rendre compte le mieux possible de cet argument prcis deZnon qui ait donn naissance au concept stocien de raisons sminales .

    Quoi quil en soit, un schma exgtique familier apparat maintenant. Znon,pre fondateur du stocisme, a formul un argument dune audace incroyable,plus intuitif que rigoureux. Les stociens qui le suivent ont cherch clairciret justifier cet argument par une analyse formelle, qui lui fait perdre, du moinsdans le cas qui nous occupe, son caractre sduisant et sa force, sans vraimentlui confrer une clart ou une cohrence suprieures. Pour les stociens, proposerune analyse formelle prcise et une dfense des arguments de Znon sest parfoisavr une tche ardue, de la mme manire quils ont eu des difficults, quenous avons examines, laborer une analyse formelle de largument socratiquede la providence.

    Poursuivons lanalyse des arguments de Znon, en passant de linfluence deXnophon celle de Platon. La source que jai dj abondamment exploiterapporte un argument de Znon (connu aussi par Cicron,ND II, 20) et lecompare explicitement un passage duTime de Platon (29b-30b), qui est luiaussi cit, cette fois sans autre modification quune omission annonce et desvariations mineures dans la formulation. Toutefois, comme nous allons le voir,lomission au milieu du passage est en ralit une erreur, puisque, sans que lasource sen rende compte36, les lignes omises sont les plus importantes, dunpoint de vue historique, pour lanalyse de largument de Platon.

    35. Bien que ce commentaire puisse en principe constituer la suite de largument de Znon,lexplication quil propose despevrmata comme quivalant en fait spermatikoi; lovgoi et lareformulation qui en dcoule de la mineure et de la conclusion de largument ressemblent beaucoupplus au travail dun exgte ou dun dfenseur.

    36. Ceci apparat dans les passages que la source extrait du texte platonicien et dans son com-mentaire au 107, passages qui constituent une tentative maladroite pour montrer exactement ceque les arguments platoniciens et znoniens ont en commun. Le commentaire se concentre exclu-sivement sur la conclusion, que partagent Platon et Znon, et non sur largument en tant que tel,

    ce qui contribue lattribution absurde Znon dune expression aussi caractristique duTimeque kata; to;n eijkovta lovgon.

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    Voici largument de Znon ( 104) :

    Le rationnel est suprieur au non-rationnel ; or rien nest suprieur au monde ; doncle monde est rationnel. Et il en va de mme pour intelligent et anim : lintel-ligent est suprieur au non-intelligent, et lanim au non-anim ; or rien nest suprieurau monde : donc le monde est intelligent et anim.

    Znon donne la priorit lattribut rationnel (logikov"), parce que le gou-vernement du monde par la raison providentielle figure parmi ses thses lesplus fondamentales, et trouve son origine premire chez un autre auteur antiquedot dune grande autorit auprs des stociens, Hraclite37. En reconnaissanttoutefois que largument fonctionne aussi avec les attributs intelligent et anim , il fait directement rfrence lorigine de largument, savoir lepassage duTime cit en parallle par la source stocisante, o ce sont prci-sment les attributs intelligent et anim 38 qui interviennent. Tout se passedonc comme si Znon justifiait lhritage hracliten du stocisme en dmontrantladhsion implicite duTime cet hritage39. De mme, dans la preuve pr-cdente par lintelligence cosmique, la version de Znon remplaait le conceptsocratique dintelligence cosmique par celui de rationalit.

    En ralit, dans le passage cit, Time ne donne pas sa propre argumentationen faveur de lintelligence et de lme du monde, mais reconstitue largumen-

    tation du dmiurge en faveur de la fabrication dun tel monde. On peut supposer,dit-il, que le dmiurge a fait le raisonnement suivant : le monde doit tre lemeilleur possible, lintelligent est meilleur que le non-intelligent, lintelligencene peut exister que dans une me, donc il faut faire un monde intelligent etanim. Et cest bien ainsi quil la fait, savoir dou dune me et dintelligence.Il est clair que Znon sest habilement appropri le raisonnement du dmiurge,tirant ainsi de Platon un argument en faveur de la providence divine qui nefigure pas formellement dans leTime 40.

    37. Avec les stociens nat en effet la lecture courante dHraclite comme dfenseur dunedoctrine dulogos cosmique. Cette lecture est-elle juste ? Il sagit l dune autre question, qui peutsusciter bien des doutes.

    38. Avec cette diffrence triviale qu intelligent correspond ejnnou'" chez Platon et noerov"chez Znon. Il ne sagit que dune modernisation linguistique.

    39. Sur lhraclitisme de Platon propos du monde physique, voir ARISTOTE, Mtaphysique A,6, 987a32-b1 et T. IRWIN, Platos Heracliteanism ,Philosophical Quarterly , 27, 1977, p. 1-13.

    40. On peut soulever deux objections formelles : (a) En appliquant le mme argument lattribut anim , Znon sloigne du texte de Platon. Le monde a reu une me, selon Time, non pasparce que tout ce qui est anim est meilleur que ce qui est inanim, mais parce quil ne pouvaitpas tre dou dintelligence sans possder une me. Du fait que, chez Platon comme chez lesstociens, lintelligence est naturellement oriente vers le bien, alors que lme en tant que telle ne

    lest pas ( linstar de lme des animaux infrieurs), le parallle znonien aurait pu tre tenu pourillgitime. Cependant, le principe selon lequel tout ce qui est anim est suprieur tout ce qui est

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    Le cur de largument de Platon, omis par notre source, mrite un examenplus dtaill. Le dmiurge, apprenons-nous, na pas simplement pens quelintelligent est meilleur que le non-intelligent mais, plus prcisment, que

    parmi les choses naturellement visibles (30b 1 :ejk tw'n kata; uvsin oJratw'n),ne peut tre produit aucun tre non intelligent qui serait meilleur que ce quipossde lintelligence, en considrant ces deux catgories dans leur ensemble .En ajoutant la prcision parmi les choses naturellement visibles , Platon faitrfrence sa doctrine des deux mondes, qui tablit une sparation radicaleentre le domaine sensible ou visible dune part et le domaine intelligible dautrepart, celui des Formes. Cest seulement lintrieur de lun de ces domaines,semble vouloir dire Platon, que lon peut sans erreur dire que quoi que ce soitdintelligent est meilleur que tout ce qui est non intelligent. Ceci doit valoir tout

    autant lintrieur du domaine intelligible : le dmiurge lui-mme, qui estintelligent, est en effet le meilleur des intelligibles (37a 1) ; il est doncmeilleur que chacune des Formes41, dont nous devons supposer quelles ne sontpas intelligentes. Mais si lon faisait une comparaisonentre les deux domaines,il serait difficile de nier que quelque chose de non intelligent appartenant audomaine suprieur, savoir une Forme, est meilleur que quelque chose dintel-ligent appartenant au domaine infrieur, par exemple un tre humain ou mmeun monde, chacun de ces tres ntant que des copies de Formes,ipso factoinfrieures leurs originaux daprs les principes de la mtaphysique platoni-cienne. Dans sa version, Znon a entirement laiss de ct cet aspect delargument de Platon42, ce qui est tout fait logique puisquil estime que ceque Platon a nomm les Formes, ce ne sont pas des entits relles mais desconstructions de nos esprits43. Nous avons donc ici un nouvel exemple du travail

    inanim a t adopt par les stociens, comme en tmoigne MARC AURLE, Penses V, 16. Il estdifficile de dterminer si cette thse tait stocienne ds lorigine, ou si elle lest devenue causedu syllogisme de Znon. (b) Largumentation de Platon et de Znon nest pas entirement rigoureusedun point de vue logique. La prmisse platonicienne selon laquelle rien de non intelligent nestmeilleur que quoi que ce soit dintelligent nexclut pas la possibilit que quelque chose de nonintelligent soitaussi bon (mais non meilleur) que quelque chose dintelligent. Largument fonctionnetout de mme si nous lui ajoutons le prsuppos que certaines choses intelligentes sont meilleuresque dautres : il en dcoulerait que le monde ne peut tre la meilleure des choses que sil est meilleurque (au moins) certaines choses intelligentes, ce quil ne peut pas tre sil nest pas lui-mmeintelligent, daprs les prmisses de Platon. Quant largument de Znon, il nexclut pas que rienne soit rationnel : dans ce cas, le fait que rien nest suprieur au monde nimpliquerait pas que lemonde soit rationnel. Ce problme est bien sr facilement rsolu en invoquant lexistence des tresrationnels que nous sommes.

    41. Ou meilleur que chacune desautres Formes, si lon tient le dmiurge pour une Forme,comme S. MENN, op. cit.

    42. Par souci dquit, je dois ajouter que cet aspect de largument de Platon est ignor par tousles commentaires duTime , anciens et modernes, que jai consults.

    43. Voir les tmoignages cits dans A. A. LONGet D. N. SEDLEY, Les Philosophes hellnistiques ,traduit par J. Brunschwig et P. Pellegrin, Paris, Flammarion, 2001 (1987), vol. II, chapitre 30.

    485 Les origines des preuves stociennes de lexistence de dieu

    D o c u m e n

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    . 8 4

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    - 3 1 / 0 1 / 2 0 1 2 1 2 h 3 9

    . P

    . U . F .

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    de rcriture et de coupe effectu par les stociens sur leTime . Pour Znon, ilny a quun seul domaine ontologique, le spatio-temporel, et largument peuttre, de ce point de vue, avantageusement, et considrablement, simplifi.

    Malgr sa sduisante simplicit, largument de Znon fut toutefois critiqu.Alexinus il est cette fois cit par la source le parodia de la manire suivante( 108) :

    Le potique est suprieur au non-potique et le grammatical est suprieur au non-grammatical (et les objets tudis dans les autres arts sont suprieurs ce qui nestpas tel) ; or rien nest suprieur au monde ; donc le monde est potique et grammatical.

    La source rapporte nouveau ensuite ( 109-110) les rponses stociennes

    cette parodie. Elles sont fondes sur lide suivante : la prmisse de Znon estque les attributs rationnel , intelligent et anim ont une valeur telle-ment positive que toute chose qui possde lun de ces attributs, quels que soientses dfauts, est suprieure nimporte quelle chose qui ne les possderait pas.

    Platon avait en fait dj eu cette ide, mais il la formule de manire obscureen disant que le non-intelligent dans son ensemble ne peut tre meilleur quelintelligent dans son ensemble (30b 1-3 :oujde;n ajnovhton tou' nou'n e[conto"o{lon o{lou kavllion e[sesqaiv pote e[rgon ) ou, comme jai traduit ci-dessus, en considrant ces deux catgories dans leur ensemble (31b 2). En grec, le

    texte peut signifier soit que, dans lensemble , rien de non intelligent nestsusceptible dtre meilleur que ce qui est intelligent, mme sil pourrait y avoirdes exceptions44, soit que les deux ensembles sont tels quil nexiste aucunlment X du premier et aucun lment Y du second, tels que X soit suprieur Y. Les stociens ont bien compris que largument de Platon requiert la secondeinterprtation, et ils ont trouv une manire non quivoque de la formuler : lerationnel est absolument (kaqavpax) meilleur que le non-rationnel ( 109).Il ny a heureusement, comme ils lexpliquent, aucune prmisse parallle pourles attributs potique et grammatical . Quelque chose de non potique

    peut en effet trs bien tre meilleur que quelque chose de potique ( 110) :Socrate, qui nest pas potique, est par exemple meilleur que le potique Archi-loque45. Cest pourquoi laparabol dAlexinus choue.

    44. Cf.Rpublique 455d (traduction de P. Pachet, Gallimard, 1993) : en tout, pour ainsi dire,lun des sexes lemporte de beaucoup sur lautre (polu; kratei' tai ... to; gevno" tou' gevnou"). Il estvrai que de nombreuses femmes, dans de nombreux domaines, sont meilleures que beaucoupdhommes. Mais, dans lensemble, il en va comme toi tu le dis .

    45. Lexemple parallle rapport par la source au 110 concernant grammatical est que le grammatical Archiloque nest pas meilleur que Platon, qui nest pas grammatical . Ceci

    implique quegrammatikov" signifie ici grammairien . On peut toutefois douter quAlexinus laitemploy en ce sens. Mais la rponse stocienne aurait pu facilement tre reformule de manire

    486 David Sedley

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    Ainsi, nous nous sommes faits, cette fois, les tmoins dune rflexion sto-cienne minutieuse sur un texte platonicien classique, duquel ils furent dabordconduits extraire un argument en faveur du gouvernement divin du monde, et

    o ils trouvrent ensuite de quoi dfendre leur argument contre ses adversaires.Il y a assurment dautres preuves stociennes de lexistence de dieu qui ontune origine similaire. Pour ne signaler quun exemple, les arguments stociensdduisant que le monde est parfaitement bon du fait quil forme un tout complet(voir en particulier Cicron,ND II, 37-39) ont sans aucun doute pour origineune rflexion sur leTime . Mais cet article navait pas pour but de passer enrevue tou