Upload
timothee-meuret
View
43
Download
2
Embed Size (px)
Citation preview
LES POLEMIQUES MEDIATIQUES EN FRANCE EN 2015
DEFINITIONS, EVOLUTIONS, SIGNIFICATIONS
Meuret Timothée Sous la direction de Bertrand Simon Master 2, Communication politique et sociale, 2014/2015
2
REMERCIEMENTS Ce mémoire a été réalisé grâce au concours de plusieurs personnes. Je voudrais
tout d’abord remercier Bertrand Simon, qui a canalisé ma recherche au mois de
septembre et m’a permis de terminer ce travail à temps.
Je voudrais également remercier Laurence Rossignol, Secrétaire d’Etat chargée de la
Famille, de l’Enfance, des Personnes âgées et de l’Autonomie, et Dominique Bouissou, sa
conseillère spéciale, ainsi que toute l’équipe du Cabinet de Mme Rossignol. C’est en
travaillant au sein de cette équipe que m’est venue l’idée du sujet d’étude auquel j’ai
consacré ce travail. Mes six mois de stage dans cette équipe m’ont énormément apporté,
tant sur le plan professionnel que personnel.
Je souhaite adresser un remerciement cordial à Eric Brunet, Anthony Arridon et Paul
Laroque, qui ont bien voulu répondre à mes questions, si polémiques soient-elles. Je me
suis dirigé vers ce sujet avec quelques préjugés que mes conversations avec eux ont
permis de nuancer.
Je suis également reconnaissant à Aline Koch, qui a du supporter mes réflexions pendant
des mois, mon obsession pour les sujets polémiques, et mes critiques incessantes de ce
débat public qui m’échappait.
Enfin, pour la deuxième année consécutive, j’adresse un remerciement toujours
chaleureux à Romain Segond qui a suivi mes réflexions, m’a éclairé de ses avis, et a
également accepté de répondre à mes questions, malgré leur caractère insidieux. Il a
aussi rendu possible mes conversations avec ses trois collègues de RMC cités plus haut,
qui donnent un peu de substance à ce travail.
3
RESUME DU MEMOIRE
Ce mémoire tente d’analyser le concept de « polémique » dans la société
médiatique française actuelle. Les multiples définitions du terme rendent essentielle une
réflexion préliminaire sur les différentes acceptions du terme. L’analyse de l’évolution
de la définition permet de nourrir la réflexion qui suit et d’inscrire ce mémoire dans un
corpus déjà existant et fourni.
La définition du concept permet d’étudier le pourquoi et le comment du processus
d’évolution d’une polémique dans la société médiatique instantanée dans laquelle nous
vivons. La multiplicité des réseaux, des plateformes d’informations, a fait croitre de
façon exponentielle le potentiel d’évolution des objets de polémiques et rendu plus
difficile leur interprétation superficielle.
C’est pourquoi l’étude approfondie des quelques polémiques ciblées permet de mettre
en évidence des sujets sensibles dans la société française, dont le débat public apparaît
aujourd’hui si troublé.
Mots clés :
Polémique
Politique
Internet
Réseaux sociaux
Médias
Sensibilité
Société
4
SOMMAIRE
Remerciements 2
Résumé et mots clés 3
Sommaire 4
Introduction 7
1. Les polémiques : définitions et évolutions 9
1.1. La définition classique de la polémique
1.1.1. Origine du terme
1.1.2. Sens premier : la controverse religieuse
1.1.3. Débats littéraires
1.2. L’évolution du discours polémique
1.2.1. L’utilisation du terme en France à la fin du XXe siècle
1.2.2. Disqualifier l’adversaire
1.3. La polémique au XXIe siècle
1.3.1. La passion au cœur du débat
1.3.2. L’espace d’expression de la polémique
1.3.3. La polémique contemporaine
2. Le circuit d’une polémique médiatique 24
2.1. L’événement et la naissance de la polémique
2.1.1. Naissance d’une polémique : l’affaire de la « petite pipe » (mai
2015)
2.1.2. Le problème Twitter
2.2. La reprise médiatique
2.2.1. Le rôle de la polémique pour une entreprise médiatique
2.2.2. Le traitement de la polémique
2.3. Apogée et chute d’une polémique
2.3.1. Reprise politique
2.3.2. La fin d’une polémique
3. Trois polémiques à la loupe 37
3.1. Le voyage de Manuel Valls à Berlin (juin 2015)
3.1.1. Les raisons de la polémique
5
3.1.2. Réactions médiatiques
3.1.3. Réactions politiques
3.2. L’affaire de la jupe (mai 2015)
3.2.1. La première interprétation : un combat mêlant laïcité et
féminisme
3.2.2. Un peu de nuance
3.2.3. La laïcité, sujet polémique en France
3.3. Nadine Morano et la « race blanche » (septembre-octobre 2015)
3.3.1. Les raisons de la polémique
3.3.2. Réactions médiatiques
3.3.3. Réactions politiques
Conclusion 53 Glossaire 55 Bibliographie 56 Liste des annexes 58 Table des matières 76
6
LES POLEMIQUES MEDIATIQUES
EN FRANCE EN 2015
DEFINITIONS, EVOLUTIONS, SIGNIFICATIONS
INTRODUCTION
« La polémique est une scène ; une scène où, à travers l’histoire, se joue le drame
de la liberté – et du refoulement – de la Différence. »1 C’est par cette analyse que
Shoshana Felman conclut son article « Le discours polémique » paru en 1979 dans les
Cahiers de l’Association internationale des études françaises.
C’est l’une des multiples définitions que l’on peut voir apparaître concernant cet
intriguant concept de « polémique » dans les différents travaux qui lui ont été consacrés.
L’intérêt de cette définition est qu’elle traite non pas de la polémique en elle-même, mais
de l’espace dans lequel elle se joue et ce qu’elle représente. Une définition péremptoire
du concept est désormais impossible tant l’interprétation du terme est multiple. En
affirmant que la polémique est une « scène », Felman nous laisse entrevoir ce qui
apparaît comme un des principaux enjeux d’une polémique : le public.
En 2015, le public français a été sollicité à de nombreuses reprises autour de
sujets dits « polémiques », d’évènements « polémiques », de propos « polémiques ». Tout
est matière à polémique et l’utilisation du mot est devenue si fréquente que l’on entend
parfois parler de « la polémique du jour ». Dans le système médiatique qui est le nôtre, le
nombre de polémiques a augmenté de façon exponentielle. Cela est dû au fait que le
public sait désormais tout, tout le temps, sur tout le monde. Les hommes et femmes
politiques sont scrutés à la loupe, chaque interview est décortiquée, chaque parole est
enregistrée et chaque acte est commenté.
Tout se sait, donc tout se critique. Le rôle d’Internet est bien sûr primordial dans le
développement de ces « polémiques ». Les réseaux sociaux, principalement Twitter et
Facebook, sont devenus le centre de l’attention de par l’impression qu’ils donnent de
représenter la voix du peuple. Le modèle participatif d’Internet, où chacun peut donner
son avis, marche à plein lorsqu’il s’agit de commenter l’action de qui que ce soit,
personnage public ou non.
En écoutant les matinales des radios françaises ou en regardant les chaines
d’information en continu (BFM TV et I-Télé), il est facile de développer une aversion
1 FELMAN Shoshana. Le discours polémique. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1979, N°31. p.192.
7
pour la polémique. Voir ces sujets de controverses traités de façon superficielle, voir les
paroles de chacun rapportées sans analyse donne une mauvaise image de la polémique.
C’est en étudiant sa signification première que l’on peut revenir vers un sens « noble »
du terme, lorsqu’il signifiait débat, guerre de plume, et controverse intellectuelle
passionnée.
Dans le même article, Shoshana Felman, pose la question : « Est-il possible de
contourner le dérisoire de la polémique pour en penser le sens ? »2
A partir de là, on peut appliquer cette question aux polémiques qui traversent la France
en 2015. Penser le sens de ces polémiques, c’est se demander ce qu’elles nous révèlent.
Dans l’article, le « dérisoire » de la polémique fait référence à la définition propre au
XIXe siècle, lorsque la polémique était considérée comme un sous-genre de la littérature,
des « bagatelles littéraires » comme l’écrivait Stendhal3. De nos jours, la polémique est
vue différemment. C’est avant tout un objet médiatique, puisque c’est dans les médias
qu’elle apparaît, qu’elle prend forme, qu’elle vit et meurt. Mais ces médias sont-ils le
miroir des débats qui traversent la France ? Ou sont-ils les instigateurs de ces débats ?
Dans tous les cas, les sujets qui font polémiques révèlent un indéniable intérêt du public,
si ce n’est, pour certains, un intérêt public.
La définition de la polémique prend ses racines dans des conflits théologiques
passionnés, et la passion reste au cœur de la définition. Un sujet fait polémique lorsque
les gens réagissent. On peut imaginer la société française comme un instrument à corde,
dont certaines cordes seraient plus sensibles que les autres. Ces cordes feront écho, ces
cordes produiront un son qui se répercutera dans les médias, mais également dans les
discussions que peuvent avoir entre eux les citoyens, ces débats qu’Eric Brunet4, qui se
définit lui-même comme « polémiste », défend fièrement : « J’aime cette polémique à la
française. » m’a-t-il soutenu.
Etudier les sujets qui font polémique, c’est étudier les sujets qui passionnent,
c’est découvrir les sensibilités de la société française. En paraphrasant la question posée
par Shoshana Felman, est-il possible de penser le sens des polémiques qui ont traversé
la France en 2015 ?
Pour penser ce sens, il est nécessaire de poser la définition contemporaine de la
polémique (I). Comme exprimé précédemment, chaque auteur a une vision différente, et
les écrits les plus approfondis sur le sujet sont loin d’être récents. Il s’agira de montrer la
2 FELMAN Shoshana, ibid., p.181 3 STENDHAL, Racine et Shakespeare, Etudes sur le romantisme (1823), Paris, Garnier-Flammarion, 1970, p.52 4 Eric Brunet est chroniqueur sur la radio RMC, hôte de l’émission de débat « Carrément Brunet »
8
façon dont le terme « polémique » a évolué et d’expliquer le sens qu’il prend lorsqu’il est
prononcé aujourd’hui.
Il conviendra ensuite d’étudier le processus polémique (II) : leur naissance, leur
traitement dans les médias, le rôle d’Internet dans leur conception ou leur
développement.
Enfin, nous étudierons précisément trois polémiques qui ont fait réagir au cours de
l’année (III) : le débat autour du voyage de Manuel Valls à Berlin en juin ; l’affaire dite de
la « jupe » ; et les propos de Nadine Morano concernant la France, « pays de race
blanche ».
9
PARTIE I : LES POLEMIQUES : DEFINITIONS ET EVOLUTIONS
3.4. La définition classique de la polémique
1.1.1. Origines du terme
Dans son article sur le discours polémique paru en 1980,
Catherine Kerbrat-Orecchioni fait remonter l’apparition du terme
« polémique » au XVIe siècle. Sa première attestation se retrouve en
1578 avec le terme « chanson polémique ». En 1584, Théodore
Agrippa d’Aubigné, soldat et poète français, utilise le terme dans la
préface de son ouvrage Les Tragiques : « … deux livres
d’épigrammes, puis de polémiques ». Mais son entrée dans le
Dictionnaire de l’Académie française date de 1718.5
L’adjectif est alors une formation artificielle et savante à partir du
grec polemikos, « relatif à la guerre ». Catherine Kerbrat-Orrechioni
explique que « ce mot fonctionne comme une métaphore lexicalisée :
une polémique, c’est une guerre métaphorique, une ‘‘guerre de plume’’ ». Le Dictionnaire
universel François et latin, aussi appelé Dictionnaire de Trévoux, en 1771, souligne : « Ce
mot vient du grec polemos, guerre. Les disputes entre les Auteurs ne ressemblent que
trop à une vraie guerre. » Le mot sous-entend alors un affrontement intellectuel. Vient à
l’esprit pour illustrer cet affrontement la dispute entre John Locke et Gottfried Leibniz.
En 1689, John Locke avait publié ses Essais sur l’entendement humain. Gottfried Leibniz
avait répondu en 1704 par les Nouveaux essais sur l’entendement humain, se présentant
sous la forme d’un dialogue entre deux personnages : Philatète et Théophile. Ce dialogue
représente un débat qui n’a jamais eu lieu entre les deux philosophes, Philatète
défendant l’empirisme de Locke, Théophile le rationalisme de Leibniz.
Dans leur étude Polémique et rhétorique, De l’Antiquité à nos jours, Luce Albert et
Loïc Nicolas précisent : « Le mot « polémique » est apparu au XVIe siècle lors des
Guerres de religion pour manifester la modernité de cette « stratégie du soupçons (qui)
s’en prend (…) à des groupes ou à des individus » pour spécifier ses implications propres
par rapport au terme « controverse » disponible jusqu’alors. »6 Dans son acception
première, le terme « polémique » définit ce que l’on appellerait aujourd’hui une
controverse religieuse, un débat concernant un sujet de fond. Mais ces « implications
5 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, « Le Discours polémique » Lyon : Presses Universitaires de Lyon, 1980, p.1 6 ALBERT, Luce, NICOLAS, Loic (dir.), Polémique et rhétorique de l’Antiquité à nos jours, De Boeck Supérieur, 2010, p.17
10
propres » correspondent à l’étymologie du mot. Dans le contexte des guerres de religion,
la polémique apparaît comme une nouvelle forme de dispute, une querelle empreinte de
violence, de soupçon, de fougue, de passion.
Avec ces polémiques, alors religieuses, on voit apparaître « des généalogies entières de
figures mémorielles »7 qui permettent aux auteurs de s’inscrire dans des écoles de
pensées. Ils reprennent les arguments des discours ancestraux. Ce phénomène apparaît
également dans les controverses philosophiques ou politiques : « les écoles
philosophiques tirent leur légitimité du fait qu’elles descendent de tel ou tel disciple du
maître, les leaders politiques en appellent à tel ou tel dirigeant connu. »8
Le sens premier de « polémique » promet donc un débat de fond. L’origine du
terme se confond avec les disputes intellectuelles. Il est important de distinguer, déjà à
l’époque, la différence avec le terme « controverse ». L’adjectif « polémique » étant
formé sur une métaphore guerrière, il implique une notion de violence.
Alors que la controverse laisse entendre un débat calme et réfléchi, la polémique assure
un engagement presque physique de la part des protagonistes. La notion de « guerre de
plume » fait toujours référence à la chose martiale. En plus de la controverse
intellectuelle, on attend un conflit personnel, passionné, qui laisse une place importante
à l’émotion.
Mais la définition classique de la polémique désigne un type de ‘’disputes’’ que l ’on
qualifierait aujourd’hui de controverses. Les sujets abordés (philosophie, religion) font
désormais moins l’objet de passion en tant qu’objet de discussions fondamentales. Nous
reviendrons bien sûr sur la religion qui est source permanente de polémique dans la
France contemporaine.
Néanmoins, à ces origines, c’est bien la religion elle-même qui était source de polémique
puisque les polémiques religieuses apparaissent comme des débats passionnés.
1.1.2. Sens premier : la controverse religieuse
« Le terme est à la base utilisé pour parler de controverses théologiques. Cette
association est tellement ancrée que le Dictionnaire de l’Académie française déclarait
encore, dans son édition de 1935, et sans doute par inertie, que « polémique » se dit des
querelles, des disputes par écrit, sur les questions se rapportant à la théologie, à la
politique, à la littérature, etc… » Mais dans presque tous les dictionnaires postérieurs à
cette date, la référence théologique s’efface. »9
7 ALBERT, Luce, NICOLAS, Loic (dir.), Ibid., p.26 8 ALBERT, Luce, NICOLAS, Loic (dir.), Ibid., p.27 9 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, Ibid., p.18
11
En termes de polémiques religieuses, le meilleur exemple est sans doute à trouver de la
littérature du XXe siècle. Umberto Eco, dans Le Nom de la Rose, pose comme trame de
fond de son roman une controverse religieuse qu’il qualifie de « polémique » : « Le Christ
possédait-il ses vêtements ? » Cette polémique voit s’affronter les différents ordres
monastiques et notamment les Franciscains, qui s’opposent alors aux représentants de
la papauté. La polémique sert également de façade au conflit entre le pape Jean XXII et
l’empereur Louis VI du Saint-Empire.
Le conflit est historique et la polémique qui l’accompagne a effectivement eu lieu. Le fait
de savoir si le Christ possédait ses vêtements permet en effet à l’époque de déterminer si
l’Eglise est en droit de posséder des biens. Le pape s’oppose alors aux ordres
monastiques ayant fait vœu de pauvreté et condamnant le luxe et le faste de la papauté,
installée en Avignon. En 1323, Jean XXII relativise la portée du vœu de pauvreté avec la
bulle Cum inter nonnullos qui déclare que la pauvreté de Jésus et des apôtres n’a pas été
absolue.
Le roman Le Nom de la Rose d’Umberto Eco, paru en 1980, est un roman presque
entièrement dédié aux polémiques. La trame de fond est bien évidemment une
polémique au sens propre, et désignée comme telle : « La péninsule, où la puissance du
clergé étalait puissance et richesse plus que dans tout autre pays, avait donné naissance
depuis deux siècles au moins à des mouvements d’hommes tendant à une vie plus
pauvre, en polémique avec les prêtres corrompus, dont ils refusaient jusqu’aux
sacrements (…) »10. Mais l’ouvrage entier est conçu autour de la polémique religieuse, du
débat entre autorités savantes. Chaque dialogue est une polémique. Chaque mouvement
de l’intrigue tourne autour d’une conversation passionnée concernant la religion et son
rôle.
Guillaume de Baskerville, le moine franciscain à qui échoit le rôle de détective au sein de
l’abbaye, représente le camp de la raison, face à Malachie de Hildesheim, le moine qui
détient les secrets de la bibliothèque ou Jorge de Burgos, le doyen des lieux. Ses deux
adversaires principaux opposent à Guillaume une vision sectaire de la religion, une
interprétation stricte de la parole divine et une terreur de l’ouverture d’esprit et
principalement du rire.
Le rire est le thème principal de l’ouvrage puisque, si la polémique entre les franciscains
et les envoyés du pape sert de trame de fond, la polémique sur l’origine du rire est au
centre du roman. C’est autour du deuxième tome de La Poétique d’Aristote, soi-disant
consacré à la comédie, que se joue le mystère de l’abbaye. La controverse autour du rire
est abordée d’un point de vue extrêmement religieux et conflictuel, ce qui en fait une
polémique.
10 ECO, Umberto, Le Nom de la Rose, 1980, p.82
12
Jorge de Burgos : « Mais vous, vous venez d’un autre ordre, où, me dit-on, on voit tout avec
indulgence, fût-ce la gaieté la plus inopportune. »
(…)
Guillaume de Baskerville : « Les images marginales prêtent souvent à sourire, mais à des
fins d’édification. (…)
- Oh certes, plaisanta le vieil homme sans sourire, toute image est bonne pour susciter le
désir de la vertu, pour que le chef-d’œuvre de la création, mis tête en bas et pieds en l’air,
devienne matière à rire. »11
Le livre sur la comédie est alors l’objet du roman puisqu’il est au cœur du mystère
meurtrier de l’abbaye, et c’est justement la polémique entre la vision de Jorge et celle de
Guillaume qui va dénouer l’intrigue.
Jorge : « Chaque mot du Philosophe [Aristote], sur qui désormais jurent même les saints et
les souverains pontifes, a renversé l’image du monde. Mais il n’est pas allé jusqu’à renverser
l’image de Dieu. Si ce livre était devenu matière de libre interprétation, nous aurions
franchi la dernière limite.
- Mais qu’est-ce qui t’a fait peur dans ce discours sur le rire ? Tu n’élimines pas le rire
en éliminant ce livre.
- Non, certes. Le rire est la faiblesse, la corruption, la fadeur de notre chair. C’est
l’amusette pour le paysan, la licence pour l’ivrogne, même l’Eglise dans sa sagesse a
accordé le moment de la fête (…). Mais ainsi le rire reste vile chose, défense pour les
simples, mystère déconsacré pour la plèbe. »12
A travers cette polémique sur le rire, c’est la raison d’être de la Religion que l’on
aperçoit. Si l’on peut rire de tout, alors on peut rire de Dieu. La vision que défend Jorge
n’autorise pas une désacralisation aussi triviale.
Responsable des meurtres, c’est donc bien la polémique religieuse qui est traitée dans ce
roman. A la fois trame de fond et intrigue principale, le concept se glisse à tous les
niveaux du roman, qui donne un exemple parfait de la première acception de
« polémique ».
Néanmoins, il est nécessaire de noter qu’Umberto Eco commet un léger anachronisme
en utilisant le terme de « polémique ». Adso de Melk, le moine du point de vue duquel
l’histoire est racontée, écrirait ces lignes à la fin de sa vie, au XIVe siècle. Or, nous l’avons
vu, le mot « polémique » est forgé au XVIe siècle. S’il ne fait aucun doute que les débats
religieux sont effectivement des polémiques au sens originel du terme, le moine écrivant
ces lignes ne l’aurait probablement pas employé.
11 ECO, Umberto, Ibid., p.124 12 Eco, Umberto, Ibid., p.672
13
Mais la polémique religieuse laisse progressivement place à la polémique
littéraire, et ce n’est surement que « par inertie », comme le dit Catherine Kerbrat-
Orrechioni, que la polémique est associée à des querelles théologiques dans le
Dictionnaire de l’Académie française en 1935.
1.1.3. Débats littéraires
Dans les polémiques littéraires, on voit apparaître de vraies spécificités au
discours dit « polémique ». Tout d’abord, on attaque un adversaire.
Au XVIe siècle, Ronsard, dans sa polémique avec les protestants, s’emploie à rendre
légitime l’usage de l’injure. A l’époque déjà, « le dénigrement de la doctrine est
intimement associé à celui de la personne même de l’adversaire qui devient, en réalité,
la cible privilégié du discours polémique. »13
« Suppliant de rechef celuy qui se sentira si gaillard que d’entrer en la barrière contre moy,
ne vouloir trouver estrange si tout ainsi qu’en pleins liberté il tonne des mots injurieux
contre le Pape, les Prelats & toute l’ancienne constitution de l’Eglise, je puisse aussi de mon
costé parler librement contre sa doctrine. »14
Mais au XIXe siècle, la polémique devient également un moyen de construction
d’un genre littéraire. C’est à force de polémiques que les Classiques se séparent des
Modernes, que les Romantiques se constituent en mouvement. Le débat littéraire, sur les
enjeux d’une époque, sur les mouvements, les tendances et les styles, définit des camps,
et par ces camps des catégories que nous utilisons encore aujourd’hui. Comme évoqué
précédemment, les polémiques permettent d’établir des généalogies, des origines, des
maîtres penseurs.
Ces querelles littéraires méritent l’appellation de « polémique » en raison de la violence
des propos. La façon dont Stendhal nous rapporte le discours d’Auger, directeur de
l’Académie française, contre le romantisme en 1824 nous le rappelle :
« Un jour (…) l’Académie française continuait la marche lente (…) qui la mène (…) vers la
fin du travail monotone de la continuation de son dictionnaire ; tout dormait (…) lorsqu’un
hasard heureux fit appeler le mot « romantique ».
A ce nom fatal d’un parti désorganisateur et insolent, la langueur générale fit face à un
sentiment beaucoup plus vif. (…) A l’instant on aurait vu la même pensée sur tant de
13 ALBERT, Luce, NICOLAS, Loic (dir.), Ibid., p.28 14 Pierre de Ronsard, Responce de Pierre de Ronsard Gentilhomme Vandomois aux injures et calomnies de je ne sçay quels Predicans & ministres de Geneve (1563), dans Discours des Misères de ce Temps, éd. De P. Laumonier, Œuvres complètes, volume XI, Paris, Société des textes de Français Moderne, 1990, p.114
14
visages d’ailleurs si différents ; tous auraient dit : « De quel supplice assez cruel pourrons-
nous le faire mourir ? »15
« Bien loin de tuer les autres, l’Académie aura assez à faire de ne pas mourir. »16
La polémique est considérée au XIXe siècle comme un sous genre de la littérature. Elle
s’est déjà divisée entre les écrivains qui s’en revendiquent, que l’on nomme à l’époque
« pamphlétaires », et les écrivains qui la pratiquent sans la nommer à un niveau qu’ils
considéreraient comme supérieur. Ces écrivains sont ceux qui s’écharpent à l’Académie
française, et dont Stendhal fait partie, dénigrant ces « bagatelles littéraires » que nous
avons déjà mentionnées.
Le plus célèbre des pamphlétaires est sans doute Paul-Louis Courier. Il rédige en 1824 le
Pamphlet des pamphlets, afin de défendre son genre. Il se voit héritier de Voltaire qu’il
considère comme un fondateur du genre. Gustave Lanson, en 1906, lui donne raison :
« Où l’influence de Voltaire a été immense, évidente et continue, c’est sur le pamphlet et
le journalisme, sur toutes les formes de la polémique. »17
Le journalisme apparaît au XIXe siècle comme un métier constitutif de la polémique. Eric
Brunet affirme que polémiste « est un terme qui qualifie une famille de journalistes
depuis très longtemps déjà. Depuis la Révolution française, il y a des polémistes. » Paul-
Louis Courrier cherche en 1824 à défendre son métier, à la fois condamné par les
autorités, persécuté par la police et méprisé par une certaine partie de l’opinion. Devant
la cour d’assises, Courier s’entend nommer de « vil pamphlétaire » par le procureur
général. Il défend dans son Pamphlet des pamphlets une nécessité du retour sur soi du
genre polémique. Au XIXe siècle, la polémique émerge donc en tant que genre, en
réaction au dénigrement du public et de la communauté littéraire. Ce genre bâtard de la
littérature continue à attirer la méprise, mais rend fier ses défenseurs. Le moyen de
construction des genres littéraires devient un genre à part entière.
C’est en 1890, dans le Meyers Konversationslexikon, un ouvrage encyclopédique en
langue allemande, que le terme « Polemik » est défini, pour la première fois, non pas
comme la dispute en soi, mais comme « l’art de mener la dispute » (« Streitkunst »).18
Par ailleurs, Catherine Kerbrat-Orecchioni, continuant son excellente étude sur la
polémique et ses définitions, compare les articles de dictionnaires classiques et
15 STENDHAL, Racine et Shakespeare, Etudes sur le romantisme (1823), Paris, Garnier-Flammarion, 1970, p.83 16 STENDHAL, ibid., p.127 17 LANSON, Gustave, Voltaire, Hachette, Paris, 1906 (cité dans l’article de Catherine Kerbrat-Orecchioni) 18 Cité dans DECLERCQ, Gilles, Michel MURAT & Jacqueline DANGEL (éds). La parole polémique, Paris, Champion, 2004
15
modernes et fait apparaître l’importance croissante du discours journalistique comme
support de la polémique. Les pamphlétaires du XIXe siècle étaient effectivement souvent
des journalistes spécialisés dans « l’art de la dispute ». C’est par les journalistes que les
polémiques sont désormais relayées et c’est dans les médias que l’on retrouve
aujourd’hui les polémiques, même littéraires.
1.2. L’évolution du discours polémique
1.2.1. L’utilisation du terme en France à la fin XXe siècle
Dans les années 1980, la définition est encore proche de la définition originelle.
Dans Le Nouvel Observateur du 30 décembre 1978, Franz-Olivier Gisbert écrit : « A
quelques semaines du congrès de Metz, en tout cas, la fièvre monte. C’est le temps des
manifestes et des polémiques. Les dirigeants socialistes sont tendus comme on l’est lors
d’une veillée d’armées. Mais sortiront-ils les dagues de leurs fourreaux ? Tous y sont
prêts. »19
On retrouve dans tout ce passage un vocabulaire guerrier et violent qui correspond à
l’étymologie du mot que Gisbert emploie pour décrire les écrits précédents le congrès :
« manifestes et polémiques ». Les socialistes sont alors divisés entre François Mitterrand
qui désire conserver la ligne du congrès d’Epinay malgré la récente rupture du
programme commun et Michel Rocard qui prône pour une gauche réformiste ou
« social-démocrate ». Comme souvent dans les mois qui précèdent les grands congrès
des partis politiques français, la tension est élevée. Le terme de « polémique » désigne
alors une « guerre de plume », guerre métaphorique. Il est donc utilisé dans son
acception première.
Le fait d’utiliser des termes qui se rapportent au combat pour désigner des débats
politiques est très fréquent. Le lexique en témoigne : joute oratoire, batterie
d’arguments, stratégie discursive, tirer à boulets rouges… Toutes ces métaphores
exploitent le même champ sémantique de la lutte armée. Cette habitude n’a évidemment
pas disparu puisque Jean-Marie Le Pen déclarait, après son expulsion du Front national,
en août 2015 que les « sbires » de sa fille faisaient un nettoyage.
Les polémiques sont encore vues à la fin du XXe siècle comme des situations de
confrontation directe. Le discours polémique est alors identifié comme un affrontement.
En 1980, Catherine Kerbrat-Orecchioni expose la thèse suivante :
« Pour que l’on puisse user adjectivement du terme « polémique », il faut que l’on ait affaire
19 GISBERT, Franz-Olivier, « La guerre des trois aura-t-elle lieu ? », Le Nouvel Observateur, n°738, 30 décembre 1978, p.25
16
(1) à un discours
(2) qui attaque une cible
(3) laquelle est censée tenir ou avoir tenu un discours adverse
(4) que l’énoncé polémique intègre, et rejette « agressivement », c’est à dire en termes
plus ou moins véhéments, voire insultants. »20
Le discours polémique est donc considéré comme dirigé à l’encontre d’un adversaire.
Que ce soit par écrit avant le congrès du Parti socialiste, ou par oral avec l’apparition des
débats télévisés, le discours polémique est une attaque.
« La polémique est une scène, avec les masques et l’hypocrisie toute théâtrale que
ça implique, une scène où s’affrontent, entre l’ouverture à l’autre et retour sur soi, des
qualifications concurrentes d’un monde social partagé par les antagonistes, mais investi
comme si ce monde n’appartenait fictivement qu’à l’un d’eux. »21 Cette définition
proposée par Luce Albert et Loïc Nicolas est comparable à l’approche de Shoshana
Felman citée en introduction. Sur scène, les acteurs de la polémique que sont alors les
hommes et femmes politiques, jouent un rôle d’affrontement pour gagner l’approbation
du public. La polémique n’est plus un débat entre deux personnes tentant de se
convaincre, elle devient un champ de bataille dédié à discréditer l’adversaire.
Le public retrouve la place centrale que nous évoquions en introduction. A la
différence d’une situation de discours classique, d’un orateur seul, la polémique s’appuie
sur des joutes oratoires violentes, rappelant ainsi la définition première et la notion de
conflit. « L’une des règles du discours polémique est qu’on y dit ce que sont ou ne sont
pas les autres, et non ce qu’on est soi-même »22 précise le linguiste Jean-Baptiste
Marcellesi en 1971. Cela fait sens lorsqu’il s’agit de dévaloriser le discours de l’autre aux
yeux du public qui est démultiplié grâce à la télévision et la radio.
1.2.2. Disqualifier l’adversaire
Ce discours polémique a été très étudié par les linguistes dans les années 1980. Si
on définit le discours argumentatif comme une tentative d’amener l’autre, sinon à une
vérité commune, du moins à une position considérée comme raisonnable, la polémique
n’entre plus dans cette définition. En effet, de nos jours, la polémique sert à critiquer son
adversaire, ce n’est pas un débat. Comme dit Kerbrat-Orecchioni, « le discours
polémique est un discours disqualifiant, c’est à dire qu’il attaque une cible ».23
20 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, Ibid., p.24 21 ALBERT, Luce, NICOLAS, Loic (dir.), Ibid., p.23 22 MARCELLESI Jean-Baptiste, « Eléments pour une analyse contrastive du discours politique », Languages n°23, sept. 1971, pp.46-7 23 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, Ibid., p.7
17
Il n’y a pas de contacts entre les interlocuteurs. Sur un plateau de télévision, le but du
débat n’est pas de se convaincre réciproquement. Chacun des débatteurs ne parle pas
réellement à son adversaire du jour mais plutôt au public. Il peut également y avoir une
interincompréhension entre les participants. Chaque participant parle alors à son public,
à ceux qui sont sensibles aux cadres de pensées qu’il mobilise. La notion de cadres de
pensées a été décrite par Georges Lakoff dans son ouvrage Don’t think of an elephant. Ce
professeur de linguistique cognitive à l’université de Berkeley a rédigé cette étude en
2004. Il y explique qu’en choisissant les termes du débat public, on mobilise certains
cadres idéologiques chez les électeurs. En analysant le débat public américain, il
explique que les discours des Républicains conservateurs ont été travaillés au cours des
années 1980 et 1990 pour correspondre aux cadres de pensées classiques des
Américains.24
Face à face, les locuteurs peuvent s’échanger symétriquement les mêmes injures
éthiques (menteur, hypocrite, populiste…), le but étant de parvenir à convaincre le
public. La charge polémique vise avant tout un èthos : une mauvaise manière d’adhérer,
un attitude morale condamnable, un non respect de la déontologie.
« Parole furieuse, forcenée, débordante, la polémique refuserait ce sublime sens de la
mesure sur lequel repose la « bienséance » du verbe éloquent. »25 affirment Luce Albert
et Loïc Nicolas. Au XIXe siècle, la polémique en tant que pamphlet, débat assumé,
devenait un sous-genre de la littérature. Au XXe siècle, elle devient un sous-genre du
débat. Le terme se dégrade puisqu’il accompagne ce que beaucoup considèrent comme
un affaiblissement du débat politique. Le public, face au discours polémique, ne se
verrait plus choisir entre deux argumentations rationnelles, mais entre deux locuteurs
qui se disqualifient mutuellement, utilisant le même vocabulaire.
« Il n’est pas rare, en effet, que les polémiqueurs qualifient leur adversaire d’irrationnel
alors même que celui-ci a dûment justifié ses prises de position et veillé à la cohérence
et à l’intelligibilité de ses propos. » explique la linguiste Roselyne Koren26. La polémique
définit toujours un genre argumentatif, mais s’est appauvrie.
La violence symbolique qu’impliquait la « polémique » depuis l’apparition du
terme est néanmoins toujours présente. Shoshana Felman ajoute : « L’enjeu de la
polémique, si symbolique soit-il, est le meurtre de l’adversaire. »27
24 LAKOFF, Georges, Don’t think of an elephant, Chelsea Green Publishing, White River Junction, Vermont, 2005 25 ALBERT, Luce, NICOLAS, Loïc (dir.), Ibid., p.20 26 KOREN, Roselyne, « De la rationalité et/ou de l’irrationalité des polémiqueurs : Certitudes et incertitudes », Semen [En ligne], 31 | 2011 27 FELMAN, Shoshana. Ibid., p. 187
18
1.3. La polémique au XXIe siècle
1.3.1. La passion au cœur du débat
Malgré la connotation négative appliquée au « discours polémique », « la
polémique est, en tant que telle, l’invention de la démocratie »28 argue Felman. Elle
entend par cette expression que la polémique s’exprime pleinement précisément
lorsque le meurtre se doit d’être symbolique puisqu’il est proscrit par la loi. La
polémique ne peut s’exprimer que dans un régime où existe la liberté de parole, ou
l’opposition discursive est permise. Les passions retransmises dans un débat polémique
sont le fruit de combats refoulés par le contrat social qui permet aux hommes de vivre
en paix. C’est donc à travers la polémique que peuvent s’exprimer les passions vives de
la société.
Christian Plantin, dans son article « Des polémistes aux polémiqueurs » établit que
« Pour le journaliste, un débat peut être légitimement considéré comme une polémique
et explicitement désigné comme tel, dès qu’il y perçoit des émotions violentes de l’ordre
de la colère et de l’indignation. Le thème s’impose alors, quels que soient le thème du
débat, sa portée politique ou même le nombre de participants. »29 Si chaque chercheur
qui a étudié la polémique, ou la parole polémique, ou le discours polémique, peut offrir
une définition différente, tous se rejoignent sur le rôle de la passion. Catherine Kerbrat-
Orechionni affirme que la « polémique s’inscrit dans un contexte de violence et de
passion »30 et qu’il s’agit d’un discours dicté par les affects et les pulsions émotionnelles.
Elle cite d’ailleurs Chateaubriand pour ancrer son analyse dans la définition première du
terme : « Mes yeux se sont remplis de larmes en copiant cette page de ma polémique et
je n’ai plus le courage d’en continuer les extraits. »31
Il est donc indéniable que la dénomination d’un débat comme « polémique »
implique la présence d’émotions, de violence, de passion. C’est sans doute là l’élément
essentiel pour analyser les polémiques qui ont traversé la France en 2015. Un sujet fait
réagir lorsqu’il provoque une réaction immédiate. Le débat s’enclenche facilement si
chacun a pu se faire une opinion basée sur une émotion, une sensibilité. L’étude
raisonnée du sujet ne vient qu’ultérieurement. L’émotion est la condition sine qua non
pour qu’une polémique « prenne », pour qu’elle intéresse les gens et même qu’elle les
attire vers tels ou tels médias, tel ou tel article, telle ou telle vidéo.
28 FELMAN Shoshana. Ibid. p.188 29 PLANTIN, Christian, « Des polémistes aux polémiqueurs », in DECLERCQ, Gilles, MURAT, Michel & DANGEL, Jacqueline (éds). La parole polémique, Paris, Champion, 2004, p.406 30 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, Ibid., p.7 31 CHATEAUBRIAND, François-René de, Mémoires d’outre-tombe, Paris, 1849
19
Raphaël Micheli étudie même ce qu’il nomme la « polémique affective »32. Il s’agit
de polémiques dont l’émotion n’est pas le modus operandi, mais l’objet même. Il utilise
comme exemple principal les débats sur l’abolition de la peine de mort en 1981. Il étudie
alors la polémique en tant que « discours à propos d’autres discours »33. La stratégie
anti-abolitionniste est la suivante : les orateurs attribuent à leurs adversaires
abolitionnistes une version de la « sensibilité » jugée illégitime et, dans le même temps,
s’octroient le monopole d’une autre version présentée comme seule légitime. Ils
accusent leurs adversaires d’exprimer une sensibilité pour les criminels, mais pas pour
les victimes.
En 2015, la sensibilité a été essentielle lors du débat sur la crise migratoire. Face à
l’émotion suscitée par la photo d’Aylan Kurdi, enfant de trois ans mort sur une plage
turque, les « anti-migrants » ont attaqué les « pro-migrants » exactement de la même
façon que les « anti-abolitionnistes » en 1981. En opposant la misère des migrants à la
misère des SDF en France, ils ont tenté de déplacer le curseur de l’émotion et de le
retourner à leur avantage. Le concept de polémique affective correspond parfaitement
au débat difficile qui oppose les partisans de l’accueil des migrants à leurs adversaires.
Au centre de ce débat, de cette polémique, se trouve une vive émotion qui prend le pas
sur bon nombre d’arguments raisonnables.
En 2003, Gilles Declercq affirmait dans l’introduction de son ouvrage sur La
Parole polémique que ce qu’il dénomme le « refoulement du polémique » procède de « la
répugnance, somme toute légitime, de l’homme de raison et de négociation à traiter avec
le tumulte des passions. »34 Cet optimisme est loin d’être réalisé aujourd’hui. Les
journalistes et les politiques n’hésitent pas le moins du monde à traiter avec le tumulte
des passions. Il est par ailleurs difficile de refouler les passions dans certains cas, comme
celui cité ci-dessus.
Les polémiques sont mises en avant par les médias de par leur pouvoir d’attraction. Mais
ils ne sont plus le seul espace d’expression de la polémique.
1.3.2. L’espace d’expression de la polémique
« La polémique se réfère à un ensemble de discours qui circulent dans un espace social
donné sur une question controversée, à laquelle sont données des réponses divergentes et
32 MICHELI, Raphaël, « Qu’est-ce qu’une polémique affective ? Réflexion sur les liens entre la polémique et la construction discursive de l’émotion », in Polémique et rhétorique, de l’Antiquité à nos jours, p.351-362 33 MICHELI, Raphaël, Ibid. 34 DECLERCQ, Gilles, MURAT, Michel & DANGEL, Jacqueline (éds). La parole polémique, Paris, Champion, 2004, p.19
20
mutuellement exclusives par des locuteurs qui tentent de disqualifier la thèse adverse ou
l’adversaire qui la soutient. »35
Il convient donc d’analyser le discours lui-même, mais également cet espace
social dans lequel la polémique se développe. Pour ma part, je pense que l’on pourrait
également qualifier de polémique la circulation en elle-même du discours. En effet,
lorsque les médias parlent de « polémique », tous les jours, ils parlent de l’émulation, ils
parlent de la propagation de la parole, de la suite de reprises. Une polémique apparaît
ainsi comme un animal mouvant, qui se développe, croît et décroît, saute de sphères en
sphères, de journaux en sites internet, de tweets en déclarations, de commentaires en
analyses. Le processus lui-même façonne la polémique.
« On peut supposer que l’Internet – en tant que mode de communication – crée les
conditions d’une circulation des discours qui possède en soi un très fort potentiel
polémique : une fois suscitée sur l’Internet, le déploiement et l’extension de la polémique
sont en effet immédiat et a priori illimités. Autrement dit, l’ancrage dans le cyberspace
semble conditionner la possibilité d’une hyper-polémique. »36
Le potentiel exponentiel d’Internet vis à vis d’une polémique tient à la multiplicité des
acteurs. Lorsqu’une polémique restait contenue aux simples médias traditionnels, alors
qu’elle était « en train de se faire », elle pouvait être contrôlée, canalisée… Aujourd’hui,
elle devient bien vite hors de contrôle lorsqu’Internet s’en empare. C’est d’ailleurs par
Internet qu’elle démarre bien souvent. Les médias peuvent s’en emparer lorsqu’en
suffisamment de gens ont commenté le sujet sur les réseaux sociaux.
Se pose alors les question suivantes : Qui crée la polémique ? Est-ce Internet qui
s’empare d’un sujet polémique et qui le propage ? Une polémique peut-elle être
considérée comme telle tant qu’elle n’a pas été qualifiée ainsi ?
Ce sont les médias qui qualifient un sujet de « polémique ». Mais le sujet ayant fait débat
auparavant sur internet, il peut être considéré comme une polémique au sens premier
du terme, opposant alors des locuteurs défendant leur propre position, réagissant selon
leurs émotions et parfois leur raison. Une fois qu’un média est entré en jeu et a
estampillé le débat comme « polémique », ses concurrents se doivent de suivre. La
polémique étant, nous l’avons vu, un sujet qui attire l’attention et présente donc un
intérêt particulier par les médias.
Internet est un facteur d’expansion exponentielle pour une polémique, mais ce sont les
médias qui relaient la polémique, même sur Internet. Le rôle des réseaux sociaux
devient minime une fois que les journalistes se sont emparés du sujet. L’espace social
35AMOSSY, Ruth et BURGER, Marcel, « La polémique médiatisée », Semen, n°31, 2011, p.11 36 AMOSSY, Ruth et BURGER, Marcel, Ibid., p.13
21
dans lequel se développe la polémique est ensuite étendu aux journaux, aux radios, aux
chaines de télévision. La polémique se présente alors comme un dialogue direct ou un
échange indirect dans les médias entre les protagonistes. « La polémique permet aux
polémiqueurs de continuer à partager un même espace, nourri de questions
communes. »37
Ces questions communes font le débat public. Mais il existe un autre niveau de l’espace
social qui reste difficile à percevoir, qui ne se situe ni sur Internet, ni dans les médias. La
polémique a-t-elle atteint les conversations de tous les jours des Français ? L’émission
« Les Grandes Gueules » de RMC essaye de reproduire ses conversations. « C’est un peu
un diner de famille où se rencontre la population française » explique Anthony Arridon,
producteur de l’émission.
Rencontrés le 09 septembre, Anthony Arridon et Paul Laroque, les deux producteurs de
l’émission m’ont fait part de leur analyse sur la polémique. Les bonnes audiences de
l’émission sont révélatrices de l’efficacité de leur formule. Contrairement à ce que l’on
pourrait penser, « la grosse polémique [Ex : l’affaire Bygmalion], les gens se détournent
un peu » explique Paul Laroque. Leur fond de commerce sont essentiellement des sujets
plus terre à terre : « Tout ce qui touche une masse de population très importante au
quotidien, là (…) on sait que le sujet va bien fonctionner. » (Anthony Arridon) Ils
assument néanmoins utiliser la polémique, au sens propre du terme, qu’ils associent à
« controverse » : « On surfe sur des questions qui amènent controverses, qui amènent
polémique. » (Paul Laroque).
Il est donc difficile d’évaluer les répercussions des polémiques médiatiques dans
les conversations de tous les jours en France. Pourtant, les polémiques s’enchainent
dans les médias et sur internet.
1.3.3. La polémique contemporaine
Concernant la polémique contemporaine, l’étude de la définition fait apparaître
deux sens principaux à ce que l’on dénomme « polémique » aujourd’hui. Le sens premier
descend directement du sens originel puisqu’il désigne un conflit idéologique, en accord
avec la définition classique du terme. On parle ici de « guerre de plume » ou désormais
de clavier. La polémique est dans ce sens un débat intellectuel, une controverse, qui
soulève les passions.
Notre époque médiatique utilise également le terme « polémique » dans un sens dérivé
puisqu’il désigne une succession de réaction. Un sujet « fait polémique » s’il déclenche
une spirale de commentaires. Plus la polémique a « pris », plus les commentaires sont
nombreux, plus ils sont passionnés. Mais également, on peut juger de l’importance (en
37 AMOSSY, Ruth et BURGER, Marcel, Ibid., p.11
22
terme de quantité) d’une polémique selon les acteurs, selon les personnalités qui vont
réagir. Le dernier échelon, en France, étant généralement le Président de la République.
Rares sont les polémiques qui ont forcé François Hollande à s’exprimer sur le sujet. Mais
elles sont souvent en rapport avec l’action de son gouvernement. Par exemple, la
polémique qui touchait directement Manuel Valls, sur son voyage à Berlin, a forcé le
Président à s’exprimer pour défendre son Premier Ministre.
Lors de ces polémiques, que l’on pourrait également qualifier de buzz puisqu’elles
prennent généralement leur source sur internet, des camps se forment. Un premier
événement provoque une réaction, cette réaction provoque un engouement. C’est à
partir de cet engouement que la machine médiatique se met en route, puis force les
acteurs du débat publique à réagir à la réaction initiale de cet acteur premier du débat
public : Twitter.
Ce type de polémique fait vivre les chaines d’information en continu puisqu’elles se font
le relais de chaque réplique, avides d’informations faciles à rapporter et à répéter tout
au long de la journée.
C’est ainsi que l’on peut utiliser la différence établie par Christian Plantin entre
« polémiste » et « polémiqueur » : « Le polémiste jouissant sans doute de son verbe
agressif ; le polémiqueur est seulement affecté d’émotions forte négatives. Quant à
l’amateur de polémiques, il continue à assister à un spectacle qui a changé de nature. »38
Le changement de nature dont parle Plantin tient à cette évolution de la définition en
deux acceptions proches mais dont il était nécessaire de souligner l’existence, la
différence entre le débat d’idée et le commentaire permanent.
Il note également la banalisation contemporaine de la polémique : « ce que l’observateur
journaliste désigne de ce nom, ce n’est plus la parole d’un expert qui pratique et aime la
polémique (le « polémiste »), mais celle des locuteurs ordinaires mis en cause par une
question pour eux vitale, qui les dépasse, et pris, bon gré mal gré, dans un rapport
langagier pétri de violence et d’émotion (les « polémiqueurs ») »39.
Eric Brunet se revendique du titre de « polémiste » au sens défendu par Plantin : « Le
mot « polémique » est souvent dévalorisé, explique-t-il. Le polémiste suscite une
polémique sociétale utile. (…) Le polémiste est un lanceur d’alerte. (…) C’est lui qui
appuie, c’est lui qui fait mal. (…) C’est celui qui génère et qui suscite la polémique, celui
qui dit « Mr le Président, le Président Finlandais a prêté sa maison à des migrants, est-ce
que vous allez prêter un de vos appartements de Cannes, votre maison de Mougin, ou
bien la résidence de Brégançon ? »
38 PLANTIN Christian, « Des polémistes aux polémiqueurs », La Parole polémique, p.406 39 PLANTIN Christian, Ibid., p.390
23
Il apparaît donc clair que la définition du terme « polémique » a largement évolué
depuis sa création, ce qui n’est pas étonnant, tant l’espace de développement des
polémiques a lui-même évolué, ainsi que leur rôle et leur accessibilité. De la polémique
religieuse, le débat de fond sur des questions complexes, il reste des traces dans la
définition ‘‘noble’’ de la polémique, qui s’oppose aujourd’hui au buzz médiatique et
numérique.
Il est intéressant de voir l’inversion des rôles entre le XIXe et le XXIe siècle. Au XIXe
siècle, ceux qui revendiquaient le titre de « polémistes » étaient méprisés. Ce titre de
« polémiste » est devenu aujourd’hui, lorsqu’il est assumé, la tentative de réhabilitation
d’un genre pollué.
Le point commun restant à toutes les définitions reste l’émotion, la virulence des propos
et la passion que soulèvent les sujets dits « polémiques ». Les sujets ne sont pas traités
de la même façon par les « polémistes » et les « polémiqueurs », les uns étant acteurs, les
autres rapporteurs de la polémique. Mais ces sujets restent communs. Les polémiques
omniprésentes dans les médias sont mises en avant pour leur sensibilité et leur
propension à susciter de la réaction.
24
PARTIE II : LE CIRCUIT D’UNE POLEMIQUE MEDIATIQUE
2.1. L’événement et la naissance de la polémique
2.1.1. Naissance d’une polémique : l’affaire de la « petite pipe » (mai
2015)
Comme nous l’avons vu, il existe plusieurs sens au terme « polémique » dans la
société médiatique contemporaine. Que l’on désigne le débat lui-même ou
l’enchainement de réactions qu’il suscite, il est nécessaire de s’intéresser de près au
processus qui donne naissance à ces polémiques. Ce processus résulte aujourd’hui d’une
émulation entre les médias et les réseaux sociaux.
Un excellent exemple pour étudier cette émulation entre les différents médias et le rôle
d’Internet est la polémique éphémère du 4 mai 2015 concernant la « petite pipe » de
Patrick Sébastien et la Secrétaire d’Etat à la Famille Laurence Rossignol. Travaillant dans
son service de presse, j’ai assisté à la naissance et à la mort de cette polémique, en une
journée.
C’est sur internet que la polémique avait démarré, puisque les premières réactions ont
eu lieu sur Twitter. Certains parents critiquaient le refrain de la nouvelle chanson de
Patrick Sébastien, chantée en direct le samedi soir dans son émission « Les années
bonheur »40. « De nombreux téléspectateurs se sont dit choqués par ces paroles,
dérangés par les questions que leurs enfants leur ont posées ensuite. » affirme Jean-
Michel Aphatie face à Laurence Rossignol, sur RTL, le lundi suivant.
La Secrétaire d’Etat a critiqué vivement
l’attitude du chanteur : « Je trouve ça
extrêmement choquant, je pense que
ceux qui ont la responsabilité et la
chance d’animer une émission de
télévision doivent aussi se comporter dans le respect des familles. (…) Je trouve ça limite
incestueux de faire chanter ça dans une famille à 20h50. » 41
40 Le refrain de la chanson était : « Une petite pipe avant d’aller se coucher, une petite pipe avant d’aller dormir. » 41 La vidéo de l’interview est disponible sur le site internet de RTL : http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/laurence-rossignol-choquee-par-la-chanson-une-petite-pipe-de-patrick-sebastien-7777553565
25
A 8h30, l’article résumant l’interview est publié sur le site de
RTL. L’interview est disponible intégralement en vidéo, mais le
titre et le texte ne mentionnent que la « petite pipe ». C’est le
début de l’engrenage médiatique.
Le titre est aguicheur et beaucoup de médias le reprennent.
Metro, Le Parisien, 20 Minutes, Europe 1 et d’autres appellent le
service de presse pour demander des précisions, un
commentaire supplémentaire. Deux heures après, de nombreux
médias ont repris l’information et nomment désormais l’affaire
« polémique ». Les articles sont en page d’accueil, mais aucun n’apporte plus
d’information que l’article original de RTL.
La réponse de Patrick Sébastien ne se fait
pas attendre, il annonce vers midi qu’il
répondra à la Secrétaire d’Etat sur le
plateau de Cyril Hanouna, ce qu’il fait le
soir-même. En attendant, chaque site
d’info a modifié son article pour intégrer
le tweet de Patrick Sébastien.
Le lendemain, les articles ont été
modifiés, mais ont disparu de la page
d’accueil du site. Mentionnée une dernière fois dans la chronique humoristique de
Nicolas Canteloup sur Europe 1, la polémique s’éteint le lendemain matin.
A travers cet exemple, on voit que la simple émulation a créé une « polémique ».
Les titres aguicheurs ont suffi à provoquer une agitation médiatique. L’immédiateté de
l’information force les sites d’info à réagir sans attendre à toute information qui pourrait
augmenter le nombre de clics sur leurs sites internet.
Romain Segond, social media manager chez RMC, explique : « Ma mission, c’est de
déployer la marque sur tous les supports possibles. (…) On cherche aussi à parler à
notre communauté en lui donnant ce qu’elle veut, forcément en étant un peu racoleurs,
mais je pense que c’est le propre de tous les médias. » Mais il nuance : « On ne cherche
pas à faire le buzz. C’est pour moi le meilleur moyen de faire un bad buzz. Ça peut être
très destructeur pour une marque. »
Néanmoins, il est indéniable qu’un média se doit de coller à un buzz en cours,
principalement sur internet. Les internautes qui visitent les sites d’informations ont
souvent l’œil attiré par les titres « racoleurs ». Et l’agitation médiatique sur internet se
répercute immédiatement sur les réseaux sociaux. L’émission de Cyril Hanouna, passé
26
expert dans la maitrise du lien entre l’antenne et les réseaux sociaux, a provoqué une
réaction remarquable sur Twitter.
Le pic de réactions visible sur ce graphique qui recense le nombre de mentions de
Laurence Rossignol sur Twitter correspond sans surprise à la journée de la polémique
de la « petite pipe ».
2.1.2. Le problème Twitter
Le réseau social Twitter, créé en 2006, représente aujourd’hui la quintessence de
l’instantanéité de l’information. Avec ses messages limités à 140 caractères, il apparaît
comme le média direct par excellence, présentant l’information brute. Avec la possib ilité
de poster des photos, de partager des liens URL, et de petites vidéos Vine (courtes
séquences de 9 secondes), Twitter se retrouve comme le point central de l’internet
médiatique. A la différence de Facebook, il est immédiat et permet la couverture
d’évènements en direct.
Romain Segond affirme qu’ « il faut voir Facebook comme (un outil) de publications plus
qualitatives, déconnectées du direct. » Twitter, pour une radio comme RMC, doit essayer
de « coller au direct ». Pour un internaute, c’est donc un réceptacle sans fin
d’informations et d’opinions.
Le réseau social suscite la réaction, facilite le soutien à travers les retweets, encourage la
confrontation, mais limite toujours la longueur à 140 caractères, permettant une lecture
toujours rapide et claire. Pour les médias, c’est donc une source infinie, souvent
considérée comme la « voix du peuple », qui représente enfin une photographie de
l’opinion publique, n’en déplaise à Pierre Bourdieu. Malgré les nombreuses études qui
démontrent que Twitter est loin d’être représentatif de l’opinion publique42, il est
tentant de considérer ce réseau comme tel.
42 Une étude réalisée en 2015 a montré que les utilisateurs de Twitter étaient plus jeunes et plus diplômés que sur les autres réseaux sociaux. 57% des utilisateurs sont ainsi au moins titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 40% des personnes présentes sur les réseaux sociaux en général :
27
Pourtant, il est dangereux pour un journaliste de faire confiance à Twitter.
Nicolas Vanderbiest, de l’Université Catholique de Louvain, a présenté une analyse
détaillée d’un phénomène récurrent sur Twitter qu’il associe à de l’astroturfing. Ce
terme désigne aux Etats-Unis une technique de propagande utilisée à des fins
publicitaires, ou politiques, ayant pour but de donner l’impression d’un comportement
spontané ou d’une opinion populaire, alors qu’il n’en est rien.
Vanderbiest a notamment livré une explication détaillée du phénomène autour de
l’engouement du réseau pour la polémique de Tel-Aviv Sur Seine43 en aout 2015 et du
hashtag qui y correspond (#telavivsurseine). Il affirme que l’emballement du réseau a
été créé de toute pièce par des militants pro-palestiniens sur Twitter.
Il recense le premier tweet, qui reprend un message du directeur de la communication
de l’ambassade d’Israël le 3 août. Ce premier tweet est positif, mais le hashtag est repris
deux jours après par un compte pro-palestinien. Le réseau s’emballe.
Le graphique ci-dessus, réalisé avec l’outil d’analyse Topsy, montre le nombre de tweets
contenant le hashtag #telavivsurseine. La limite de cet outil, nous explique Nicolas
Vanderbiest, est qu’il « ne fait que compter. Il ne catégorise pas, et il n’approfondit
pas. »44 Or, les militants savent que les journalistes sont très limités dans la détection
d’astroturfing.
Pour détecter ce phénomène, le chercheur utilise un autre outil, « Visibrain
Focus », qui permet de cartographier les réseaux sociaux. Il date le début de la
« polémique » au 8 août. Il dénombre 39 306 tweets postés jusqu’au 10 août, par 10 428
http://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/les-utilisateurs-de-twitter-plus-jeunes-et-diplomes-que-les-autres-16581/ 43 La Mairie de Paris avait décidé d’organiser, en accord avec la ville israélienne de Tel Aviv, une journée de coopération entre les deux villes autour de Paris Plage le 13 août 2015. 44 Voir l’analyse de Nicolas Vanderbiest pour le site Rue89 : http://rue89.nouvelobs.com/2015/08/11/telavivsurseine-dun-tweet-a-bfmtv-lastroturfing-mode-demploi-260700
28
comptes différents, soit environ quatre tweets par personnes. Néanmoins, il note la
présence de nombreux comptes « robots » qui reprennent les hashtags les plus
populaires pour mettre en avant des messages publicitaires sans aucun rapport.
Par ailleurs, sur le graphique ci-contre, il note
la présence importante de trois comptes pro-
palestiniens : Oxymorus, KarimaB_ et
PaulDrasden, qui totalisent près de 2 000
tweets (en additionnant leurs propres tweets
et retweets).
Le graphique se lit de la façon suivante : une
couleur désigne une communauté, tissée par
des discussions communes ; les points
matérialisent les comptes Twitter ; leur taille est proportionnelle à leur importance dans
la discussion.
En multipliant les réactions au sein de leur propre groupe, les militants pro-palestiniens
donnent l’impression d’un mouvement large, qui dépasse leur communauté, forçant
ainsi les politiques à réagir. La conseillère de Paris Danielle Simonnet, du Parti de
Gauche, rédige un communiqué. Bruno Julliard, premier adjoint de la mairie de Paris, est
envoyé devant la presse pour défendre l’initiative. « Les milieux pro-palestiniens ont
donc habilement joué leur coup. L’affaire est portée sur le devant de la scène » explique
Nicolas Vanderbiest. Il ajoute : « sans surprise, le profil des intervenants est très
international avec une très forte présence d’Israël, du Maroc, de l’Algérie et de la
Palestine. Dans un débat qui ne concerne au départ que la ville de Paris ». Lorsqu’il
compte les comptes français, Vanderbiest montre que le nombre de tweets passe de
40000 à 10 291. Finalement, il enlève les retweets effectués par les comptes à faible
nombre de followers, qui sont souvent de faux comptes créés pour donner une
impression de masse, nous obtenons 9 253 tweets par 2 904 utilisateurs.
En conclusion, le chercheur explique que « les médias répercutent une affaire qui
n’existe que par les gesticulations verbales de certains militants, entraînant toute une
série de récupérations et réactions politiques qui seront également relayées par la
presse, et ainsi de suite. » Twitter joue donc un rôle essentiel dans la « polémisation » de
certains sujets. La reprise médiatique instantanée de ce genre d’agitation devient
problématique puisque les médias n’ont pas encore les moyens, ou la volonté, de vérifier
l’authenticité de ces mouvements d’opinions apparents sur le réseau.
Cartographie de la "polémique" sur Twitter le 8 août
29
2.2. La reprise médiatique
2.2.1. Le rôle de la polémique pour une entreprise médiatique
Dans son Dictionnaire du journalisme et des médias, en 2010, Jacques Le Bohec
qualifie ainsi la polémique : « dispute publique que nombre de journalistes adorent
relayer et attiser. Voire créer, parce que c’est spectaculaire et que cela « fait vendre », au
risque de simplifier outrageusement les enjeux et les problèmes »45. Il accuse les médias
de favoriser les polémiques pour des raisons commerciales.
Le Bohec touche ici un des grands paradoxes de la culture médiatique
contemporaine : rendre compte selon une logique citoyenne des informations d’intérêt
public en les rapportant, vérifiant et expliquant ; et dans le même temps, faire
fonctionner ce qui n’est autre qu’une entreprise commerciale. Ainsi, « la polémique –
parce qu’elle est spectaculaire (…) semble (…) particulièrement prisée des médias. D’une
part, elle permet aux médias de jouer un rôle démocratique et de mener à bien une
mission citoyenne par laquelle ils légitiment leur pratique quotidienne. (…) Cela dit, le
caractère spectaculaire des discours polémiques permet aussi d’embrayer de manière
optimale la logique commerciale à l’œuvre dans les médias. » expliquent Ruth Amossy et
Marcel Burger.46
La polémique semble dotée d’un attrait commercial que les cultures médiatiques
favorisent. Engagés dans un monde concurrentiel, les entreprises médiatiques luttent
incessamment pour attendre un seuil de rentabilité. Par conséquent, la polémique, en
tant qu’elle mobilise les émotions du public, qu’elle provoque de la réaction, est très
profitable aux médias.
« Plus l’opinion est tranchée, plus elle amène de la réaction » explique Romain Segond.
Ainsi, en favorisant les propos polémiques, les médias s’assurent une audience plus
large ou un taux de réaction plus élevé.
C’est ici qu’intervient la distinction essentielle entre « Intérêt public » et « intérêt
du public ». Acteur majeur de la polémique, le public choisit le type de sujets qui vont
être publiés. Dans cet âge d’information permanente, de l’hyperchoix, concept à la mode
depuis quelques années, il est difficile pour un média de se démarquer. Le concept
devient un mythe dans la mesure où les médias de masse se reproduisent mutuellement,
se surveillent les uns les autres dans ce que Bourdieu appelle la « circulation circulaire
de l’information »47.
45 LE BOHEC, Jacques, Dictionnaire du journalisme et des médias, Presses universitaires de Rennes, coll. « Didact Communication », 2010, p.462 46 AMOSSY, Ruth et BURGER, Marcel, Ibid., p.12 47 BOURDIEU, Pierre, Sur la télévision, Liber-Raisons d’agir, Paris 1996
30
L’intérêt du public prime souvent sur l’intérêt public car les médias sont des entreprises
comme les autres. Sans audience, ils ne peuvent survivre. La polémique de la « petite
pipe » est un exemple frappant de cette « circulation circulaire de l’information ».
Chacun reprend les informations des autres afin d’attirer le public vers son propre site.
Internet est au centre de ce processus puisqu’il est le lieu où l’hyperchoix est
démultiplié.
Interrogé par la journaliste Léa Salamé sur le silence de son parti concernant la
crise des migrants, Jean-Christophe Cambadélis avait retourné le reproche : « A La
Rochelle, qu’est-ce qu’il y avait de plus important ? C’était la polémique entre les
socialistes et Macron, pas ce que j’ai dit sur la question des migrants. »48
Le Premier secrétaire du Parti socialiste traite dans ce reproche le paradoxe évoqué ci-
dessus. Les médias préfèrent relever les sujets polémiques car ils perçoivent de la
tension, de l’affrontement, de la passion.
« Mais tout désaccord qui surgit sur la place publique mérite-t-il cette
appellation ? » se demandent Ruth Amossy et Marcel Burger. 49 L’appellation
« polémique » permet de catégoriser un débat comme un conflit. En nommant une
information « polémique », les médias favorisent sa reprise par d’autres. En jouant sur la
connotation du mot « polémique », ils indiquent implicitement au public que cette
information est chargée en émotion. Déjà en 1980, Nicole Gelas constatait un emploi
« quasi délirant » du mot « polémique », sous forme de nom, d’adjectif ou de verbe.50
L’emploi répété de ce terme montre la nécessité d’inscrire certaines informations dans
un cadre de pensée conflictuelle. Le terme « controverse » apparaît alors mieux adapté
pour certaines situations, mais la « polémique » est plus attractive.
En octobre 1995, Serge Halimi dénonçait dans Le Monde diplomatique ce qu’il
appelait le « journalisme de marché ». Il reprenait l’expression dans l’ouvrage Les
nouveaux chiens de garde paru en 1999, réactualisé en 2005. Il y explique que « les
médias matraquent un sujet sans autre conséquence qu’une augmentation escomptée de
leur diffusion, ils se prévalent de la demande du public, de l’intérêt du consommateur.
C’est d’abord oublier que la mission du journaliste consiste à rendre intéressant ce qui
est important, pas important ce qui est intéressant. »51
48 On n’est pas couché, 05/09/2015 49 AMOSSY, Ruth et BURGER, Marcel, Ibid., p.8 50 GELAS, Nicole, « Etude de quelques emplois du mot « polémique », in Le discours polémique, pp.41-50 51 HALIMI, Serge, « Chapitre 3 – Journalisme de marché », Les nouveaux chiens de garde, Liber-Raisons d’agir, Paris, 2005
31
Il n’en va pas de même pour toutes les polémiques bien sûr, mais certaines sont
sûrement favorisées pour leur intérêt commercial.
2.2.2. Le traitement de la polémique
Après avoir étudié « pourquoi », il devient nécessaire d’étudier « comment » la
polémique est relayée dans les médias. Elle se diffuse à une vitesse inimaginable car les
médias se surveillent entre eux. Et, nous l’avons vu, les sujets polémiques font de
l’audience. Un média ne peut donc se permettre de laisser son concurrent garder le
monopole sur une information « polémique ».
« Nous utilisons un outil qui s’appelle Trendsboard, explique Romain Segond, il permet
en temps réel, en fonction de thématiques, actu, politique, sport… de faire remonter les
contenus qui sont les plus partagés en ce moment, les plus tweetés, les plus likés sur
Facebook, les mieux notés sur Google. (…) On voit tout de suite ce qui marche le mieux
sur toutes les thématiques. Forcément, les rédacteurs Web utilisent ça pour leurs choix
éditoriaux. »
Benoît Raphaël, créateur du logiciel, le définit comme un outil permettant « d’analyser et
prédire les conversations des internautes. »52 Interrogé par le journaliste de Libération
Jean-Christophe Féraud en 2013, il expliquait : « Nous voulions comprendre comment
les signaux faibles lancés sur Internet font aujourd’hui l’information en quelques
heures. »
Trendsboard est donc un outil de veille éditoriale « pour les rédactions qui veulent
savoir ce qui est en train de faire l’info sur le Web. » Ainsi, chaque rédaction se surveille
mutuellement et les polémiques se diffusent de façon exponentielle. Son fondateur
tempère : « Trendsboard est un outil de pilotage, pas de suivisme. Pour un journaliste, il
est devenu capital de savoir ce qui fait l’info sur le Web. Mais la différence se fera
toujours sur l’originalité et la valeur ajoutée. » Malheureusement, l’outil a largement
contribué à une uniformisation de l’information sur internet. Les journalistes Web « ne
vont plus faire de l’investigation, aller chercher l’info. Ils voient que cette info marche, ils
la publient. » admet Romain Segond.
52 FERAUD, Jean-Christophe, « Trendsboard : les médias shootés au buzz », Libération, 24 février 2013
32
« Grâce à Trendsboard, les rédacteurs en chef web pouvaient par exemple savoir, le 13
février, qu’Internet se passionnait pour une vidéo d’Audrey Pulvar se déhanchant en
robe moulante sur D8, pour une grenouille découverte dans la salade d’un Buffalo Grill,
ou encore le TGV low-cost de la SNCF. » concluait Jean-Christophe Féraud dans
Libération en 2013.
Le mardi 20 octobre 2015, les rédactions pouvaient savoir notamment que la bande-
annonce du nouveau Star Wars était sortie et que la liste des nominés au ballon d’or
était publiée.
La polémique se diffuse entre les médias grâce à des outils de surveillance
mutuelle et d’analyse du Web. Mais il apparaît que la polémique reçoit un traitement
particulier dans les médias que l’on pourrait nommer « polémiqueurs ».
Il est encore nécessaire de faire la différence entre le polémiste et le polémiqueur. Pour
le polémiste, « La polémique ce n’est pas quelqu’un qui dit : « Tiens, Marine Le Pen a dit
ça et Mélenchon a répondu ça, mais alors… » et qui les renvoie dos à dos. » explique Eric
Brunet. Pourtant, le rôle du polémiqueur, selon la distinction faite par Christian Plantin,
est justement celui-là. Il se fait le relai de la polémique. C’est le rôle des chaines
d’informations. « On a aujourd’hui des journalistes qui sont salariés dans des entreprises
de presse dont l’économie est fragile, qui sont panurgiques, moutonniers » critique
Brunet.
Enfin, il arrive que la polémique soit traitée de « vaine », de « stérile ». « Il
apparaît (…) que les médias dénoncent les polémiques mêmes qu’ils montent en épingle,
en les présentant comme excessives, passionnelles et violentes. » expliquent Ruth
33
Amossy et Marcel Burger53. Cette dénonciation est souvent commune au personnel
politique, auprès duquel la polémique prend un sens toujours négatif.
2.3. Apogée et chute d’une polémique
2.3.1. Reprise politique
« Le sujet est trop grave pour polémiquer » déclarait Rachida Dati le 17 juillet sur
BFM TV/RMC face à Apolline de Malherbe. Elle parlait de la polémique concernant la
communication faite par le gouvernement autour des attentats déjoués, prenant le
contrepied de certains membres de son parti. Frédéric Péchenard, directeur général des
Républicains, avait reproché à l’exécutif « une appropriation politique » de la question
antiterroriste. « Sans d’ailleurs se rendre compte qu’en alimentant cette vaine
polémique, il se rendait lui-même coupable d’une tentative de récupération. » critique
Laurent Neumann dans Le Point.54
La meilleure preuve que le terme « polémique » possède une connotation négative de
nos jours est probablement le refus permanent, et hypocrite, de la classe politique dans
son ensemble, à participer aux polémiques. Personne ne souhaite polémiquer. Chacun
garde ses distances avec ces ‘‘polémiques stériles’’. « Polémiquer » est devenu un verbe
néfaste dans le paysage politique français.
Comme nous l’avons vu sur la polémique concernant Tel Aviv Sur Seine, l’apogée
de la polémique, la clé de la réussite du phénomène d’astroturfing créé par les militants
pro-palestiniens, fut la reprise politique. C’est lorsque le débat se déplace sur le terrain
politique que la polémique prend une allure de débat substantiel.
Malgré leur (apparente) réticence à « polémiquer », les hommes et les femmes politiques
sont bien obligés de participer au jeu médiatique de la polémique. De nouveau, il faut
préciser que ce qui prend les allures d’un débat ne rentre pas dans la catégorie du
langage argumentatif. Par médias interposés, les politiques ne cherchent pas à se
convaincre les uns les autres, mais bien à convaincre le public. En cela, la polémique est
constitutive du débat politique.
En tant qu’elle représente une scène et s’exprime dans un espace social commun où les
locuteurs s’affrontent face à un public, la polémique apparaît comme une caractéristique
intrinsèque du jeu politique. Par exemple, l’accusation classique de « tentative de
53 AMOSSY, Ruth et BURGER, Marcel, Ibid., p.10 54 NEUMANN, Laurent, « Attentat déjoué : la polémique stérile », Le Point, 18/07/2015 http://www.lepoint.fr/invites-du-point/laurent-neumann/neumann-attentat-dejoue-la-polemique-sterile-18-07-2015-1949702_2449.php
34
récupération », que l’on voit apparaître régulièrement, correspond à l’échange
symétrique d’injures éthiques explicité plus haut.55
Pour illustrer ce type d’échanges, il est utile de sortir du cadre français pour un instant.
Aux Etats-Unis, le débat public se recentre régulièrement sur la question des armes à feu
et du contrôle de leur vente, question polémique s’il en est. Après les fusillades de ces
dernières années, Barack Obama fut accusé de « récupération » par les partisans des
armes à feu, une position qu’il assume sans hésitation. Tremblant de colère et d’émotion
à chaque conférence de presse sur le sujet, le président américain ne cache plus son
dépit face à ces évènements. Le débat traite une question fondamentale,
constitutionnelle aux Etats Unis, qui divise le pays. Ce sujet est chargé d’émotion
puisqu’il est remis sur la table à chaque drame impliquant des armes à feu. C’est l’un des
rares cas où un Président a réellement assumé la « récupération politique » d’une
émotion collective, acceptant ainsi de « polémiquer » au sens propre du terme.
Mais ces sujets graves, comme les attentats de janvier en France, sont censés être
« trop grave pour polémiquer ». L’unité nationale qui a traversé la France début janvier
était, soi-disant, au-dessus des polémiques. C’est ainsi que l’on voit que pour les
politiques, le terme polémique représente un débat futile. Pourtant, l’émotion est
constitutive de la définition originelle de la polémique et ne s’apparentait pas alors à des
choses futiles (philosophie, théologie, littérature). Les cordes sensibles de la société
française sont ainsi catégorisées par ordre d’importance. Il y a les graves et, par
opposition, les aigues, considérées comme futiles.
Une chose est certaine, quelle que soit la tonalité de la corde, le son finit par se dissiper.
2.3.2. La fin d’une polémique
Il est généralement difficile de définir un moment exact d’extinction d’une
polémique. La principale question est de savoir ce qui constitue la fin d’une polémique.
Est-ce au moment où les médias arrêtent d’en parler ? Lorsque Twitter abandonne le
sujet ? Lorsque les gens se désintéressent du débat ?
Paul Laroque, producteur des Grandes Gueules sur RMC, explique que le temps
médiatique raccourci fait qu’ « on a tendance à passer très vite à autre chose ». Son
collègue, Anthony Arridon, ajoute : « Il y a une masse d’info qui n’est pas digérée. (…)
Une énorme actualité va faire la Une pendant une journée, et va être complètement
oubliée le lendemain parce qu’une autre a pris sa place. (…) C’est des feuilletons. On a eu
Charlie Hebdo, puis Bygmalion, puis les migrants. Aujourd’hui, Charlie Hebdo est tombé
un peu dans l’anonymat. Les ventes sont carrément retombées. »
55 Cf 1.2.2. Disqualifier l’adversaire
35
Puisqu’il est impossible de déterminer si l’intérêt pour un sujet se prolonge dans les
discussions entre les Français, il est nécessaire de se tourner vers les polémiques dans
les médias. Anthony Arridon évoque un point intéressant lorsqu’il dit qu’une info en
remplace une autre. Le renouvellement continu des informations implique une durée de
vie de plus en plus courte pour chaque info.
Les informations qui durent sont celles qui se régénèrent régulièrement. Les
polémiques en font partie. Chaque réaction sur le sujet va relancer le débat, permettre
aux éditeurs Web d’actualiser leurs articles. L’exemple de la « petite pipe » est
caractéristique. Cyril Hanouna faisait tout pour que Laurence Rossignol réponde à
Patrick Sébastien suite à son émission Touche pas à mon poste. Face à l’absence de
réaction de la Secrétaire d’Etat, la polémique s’est éteinte.
En conclusion de son analyse sur la polémique de Tel Aviv sur Seine, Nicolas
Vanderbiest affirme : « Nous n’en avons pas fini avec ce genre de cas, puisqu’il n’y a
aucune faille dans ce système qui crée une « loop médiatique » dont on ne sort jamais,
jusqu’à ce que cela lasse et que les médias passent au futur événement qui a « buzzé »
sur les réseaux sociaux. »
Le manque de réponse marque souvent la fin d’une polémique, mais ce n’est pas
le seul facteur. Il est également intéressant d’évoquer la durée de l’émotion. La crise des
migrants, dont tout le monde parlait en septembre 2015 après la publication de la photo
d’Aylan Kurdi, a fait l’objet d’un débat national, même continental puisqu’il était
nécessaire d’en parler au niveau européen. Les premiers journaux britanniques à
publier la photo subirent une salve de critique. Mais l’émotion provoquée par cette
photo fut telle que l’attention accordée au problème des réfugiés augmenta de façon
exponentielle. Le sujet était débattu dans tous les médias. C’est à ce moment que Léa
Salamé invectivait Jean-Christophe Cambadélis dans l’échange cité précédemment56.
Mais le sujet, si sensible soit-il, a perdu l’intérêt du public après que l’émotion a été
digérée. Les nouvelles des noyades en Méditerranée se font plus rares, le problème est
donc oublié ou disparaît de la Une.
Le problème de la volatilité de l’attention du public est directement lié à l’hyperchoix. S’il
ne met pas en concurrence les médias les uns avec les autres, il met en concurrence les
56 Cf 2.1.1 Le rôle de la polémique pour une entreprise médiatique
36
informations les unes avec les autres. La fin du mois de septembre 2015 fut marquée par
l’énorme polémique autour des propos de Nadine Morano sur la France, « pays de race
blanche », sur laquelle nous reviendrons.
L’arrivée de cette nouvelle polémique éclipsa de façon spectaculaire énormément
d’informations de l’agenda médiatique.
Les polémiques sont des objets mouvants, sensibles aux émotions du public, parfois
façonnées par les médias. Quand on observe le pourquoi et le comment du traitement
médiatique des polémiques, on comprend qu’elles varient un peu, mais gardent des
caractéristiques spécifiques.
Afin de compléter l’étude des polémiques en France en 2015, il m’a semblé nécessaire
d’étudier en profondeur quelques exemples marquants. Chacun de ses exemples
représente un sujet sensible puisqu’il a provoqué une polémique plus ou moins durable.
37
PARTIE III : TROIS POLEMIQUES A LA LOUPE
3.1. Le voyage de Manuel Valls à Berlin
3.1.1. Les raisons de la polémique
Le samedi 6 juin 2015, alors qu’il était à Poitiers pour le Congrès du Parti
socialiste, le Premier ministre Manuel Valls s’est rendu à Berlin pour la finale de la Ligue
des Champions entre le FC Barcelone et la Juventus de Turin. Pour ce vol, il a voyagé
dans l’un des appareils de l’escadron de transports, d’entraînement et de calibration
(Etec). Cette unité de l’armée de l’air basée à Villacoublay a pour mission d’assurer le
transport des autorités du gouvernement. La flotte comprend notamment l’A330
présidentiel et six jets Falcon. C’est l’un de ces jets que Manuel Valls a utilisé. Ces trajets
doivent en temps normal être validés auprès du cabinet du Premier ministre. L’armée de
l’air facture ensuite le montant de la prestation aux différents utilisateurs. Le Premier
ministre a décollé vers 16h de Poitiers. A l’issue du match, Manuel Valls est retourné,
avec le même appareil, dans la ville où se déroulait le congrès socialiste. Quelques jours
après, le public français apprendra que ses enfants étaient avec lui dans l’avion.
Interrogé avant son départ, à la question de savoir comment
était financé cet aller-retour, Manuel Valls avait répondu :
« Je suis Premier ministre. Je me déplace avec les moyens que
vous connaissez. N’essayez pas de créer de faux débats. » Le
lendemain, hasard du calendrier, il est interrogé alors qu’il
s’apprête à assister à la finale du tournoi de tennis de Roland
Garros : « Il y a toujours des grincheux, il y a toujours ceux
qui cherchent des débats ».
Il n’a pas fallu longtemps pour que le débat soit lancé, car le sujet était extrêmement
sensible. La polémique est rapidement surnommée le « Valls-gate ». La référence
constante à l’affaire du Watergate permet toujours d’inscrire une polémique dans une
lignée de scandales politiques.
Le sujet sensible, c’est l’utilisation des moyens de l’Etat, financé par le contribuable.
Depuis quelques années, ces sujets font régulièrement la Une. Ces débats furent
largement encouragés par l’attitude « bling-bling » de Nicolas Sarkozy durant son
mandat, symbolisée par le diner au restaurant Le Fouquet’s le soir de sa victoire à
l’élection présidentielle en 2007.
Manuel Valls finit par reconnaître le jeudi 11 juin, en marge d’un déplacement à la
Réunion : « une erreur de communication » mais surtout, « de sensibilité ». Baptiste
38
Pace, journaliste à l’AFP analyse alors que « Valls trébuche, à son tour rattrapé par
l’intransigeance croissante de l’opinion »57. Il ajoute « Manuel Valls, réputé orfèvre en
communication, a vécu une de ses semaines les plus difficiles depuis son arrivée à
Matignon avec la polémique sur son aller-retour à Berlin, une affaire qui révèle
également l’ultra-sensibilité de l’opinion quant au train de vie et aux moyens alloués aux
dirigeants. »
Cette sensibilité des Français est exacerbée depuis la crise économique de 2008. La
victoire de François Hollande en tant que « Président normal », en opposition avec le
style de Nicolas Sarkozy, est une preuve de cette volonté du public français de voir ses
dirigeants se conduire avec modestie. « Loin, très loin de l'époque où Georges Pompidou
circulait en Porsche, ou quand le Premier ministre Michel Rocard faisait construire une
piscine et un tennis à la Lanterne, résidence des Premiers ministres en lisière du château
de Versailles. » explique Baptiste Pace.
La stratégie de François Hollande durant la campagne de 2012 était basée sur cette
sensibilité. Le slogan « Président normal » avait fait mouche auprès d’une large partie de
l’électorat car le candidat promettait un comportement exemplaire.
La polémique concernant le voyage de Manuel Valls présente une particularité
intéressante dans les polémiques médiatiques françaises de 2015 puisqu’elle est une des
seules qui a amené le Président de la république à s’exprimer sur la polémique. Il a
d’abord dû défendre son Premier ministre en utilisant les mêmes arguments que lui.
Dans un premier temps, Manuel Valls tentait de justifier son voyage par une rencontre
avec Michel Platini, Président de l’UEFA, pour parler des modalités d’organisation de
l’Euro 2016. Cette faible défense ne tint pas longtemps.
Face à la montée de la polémique, Manuel Valls avait finalement accepté de rembourser
personnellement la prise en charge du voyage pour ses deux enfants, soit 2500€. Après
les excuses de son Premier ministre, François Hollande s’était exprimé pour apporter un
point qu’il voulait final à la polémique : « Cette polémique est désormais close. Il a lui-
même dit ce qu’il fallait. Il n’y a rien à ajouter. » a-t-il déclaré lors d’une interview au
journal Sud-Ouest.
La durée de cette polémique n’a rien de remarquable. Le bruit médiatique fut
assourdissant, mais de courte durée. Coupable d’abord d’une erreur de communication,
les excuses de Manuel Valls et sa décision de payer la prise en charge de ses enfants ont
presque mis fin à la polémique.
57 Pace, Baptiste, « Moyens de l’Etat : Valls trébuche, à son tour rattrapé par l’intransigeance croissante de l’opinion », Dépêche AFP, 12/06/15
39
Néanmoins, il fut critiqué avoir attendu cinq jours pour présenter ses excuses. La
publication d’un sondage Odoxa à la fin de la semaine de polémique montrait que 68% 58
des Français estimaient que l’image du Premier ministre s’était détériorée. Par ailleurs,
58% considéraient que les excuses du Premier ministre n’avait pas clôt la polémique
comme le souhaitait François Hollande.
Avec cette polémique, François Hollande voyait son image de « Président
normal » et de gouvernement exemplaire un peu plus écornée. Elle l’avait déjà été
considérablement par l’affaire dite « Cahuzac »59, le renvoi de son conseiller en
communication Aquilino Morel60 et le passage éphémère de Thomas Thévenoud comme
Secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur61.
Si impressionnante qu’elle fut, comme toutes les polémiques, l’affaire du voyage de
Manuel Valls à Berlin a fini par s’estomper.
3.1.2. Réactions médiatiques
Face à cette erreur monumentale de sensibilité, Manuel Valls fut vivement
critiqué dans les médias. Après avoir cultivé depuis son arrivée à Matignon une image
stricte et sévère, il était ramené au rang des profiteurs par de nombreux articles.
Le Monde lui rappelle ses propos de juillet 2014 : « Quand
on gouverne, on doit être exemplaire. C’est l’exemplarité
qui crée la confiance entre les citoyens et celles et ceux qui
ont la charge de la représenter. »62 L’éditorial du 10 juin
ajoute : « Lui, si soucieux de son image, si professionnel
dans sa politique de communication, si prompt à faire aux
autres la leçon en matière d’éthique et de responsabilité,
s’est pris les pieds dans cette affaire comme un amateur. »
Avec cette polémique, Manuel Valls tombe de son piédestal
de sévérité. Pour beaucoup de médias, c’est faire tomber
Robespierre l’incorruptible. Libération parle d’une « faute
58 Sondage Odoxa pour « CQFD » sur I-télé et « Le Parisien » - « Aujourd’hui en France » 59 Jérôme Cahuzac, ministre délégué en charge du Budget, avait reconnu avoir détenu un compte bancaire en Suisse après des mois de dénégation. 60 Il avait été accusé de conflit d’intérêts entre ses activités à l’Inspection générale des affaires sociales et une mission auprès d’un laboratoire pharmaceutique. S’ajoutait à cela un goût du luxe qui l’avait amené à se faire cirer ses chaussures à l’Hôtel Marigny. 61 Neuf jours après avoir été nommé au gouvernement, il avait démissionné à la suite d’un contrôle fiscal. Plaidant la « phobie administrative », il n’avait pas déclaré, ni réglé ses impôts depuis plusieurs années. 62 Editorial, « Poitiers-Berlin, la faute du premier ministre », Le Monde, 10/06/2015
40
de carre »63 et titre en Une « Valls marque contre son camp », Le Canard enchainé révèle
que plusieurs conseillers et ministres ont tenté de dissuader Valls d’aller voir ce match.
Le Parisien titre « La grosse gaffe ».
Certains titres locaux se montrent également virulents. Jean Levallois dans La presse de
la Manche sermonne : « Pour le prix de son voyage à Berlin, Manuel Valls s’est
finalement offert une leçon qui devrait le rendre plus modeste pour traiter de la vertu
des autres. »
Thomas Legrand, chef du service politique de France Inter, analyse la polémique
elle-même. « S’agissant de l’ampleur d’une polémique sur la gouvernance ou
l’exemplarité, il est aussi absurde de se demander si elle est disproportionnée que de
chercher à savoir si la force du vent lors d’une tempête est juste ou injuste. Elle est là. »
« Si elle prend ce n’est pas parce qu’elle est matraquée par les chaines d’infos mais bien
parce qu’il y a un malaise plus général s’agissant de la façon dont le pays est gouverné.
(…) Il y a en économie, sur les réformes, sur la réalité des efforts à consentir, une forme
de déni et d’insincérité de la part de ceux qui nous gouvernent. » Il lie la force de cette
polémique au décalage entre le discours et les actes du gouvernement. Il ajoute
finalement : « Aucune com’ ne peut rien contre un sentiment d’injustice et de
tromperie. »64
3.1.3. Réactions politiques
La polémique n’est bien évidemment pas uniquement le fait des médias. Cette
« faute » du Premier ministre est immédiatement critiquée par l’opposition qui dénonce
« un détournement des moyens de l’Etat ». Thierry Solère, député Les Républicains des
Hauts-de-Seine, rappelle que « l’argent public est très précieux », et Claude Goasguen,
député LR de Paris affirme que « C’est assez dérisoire quand on pense à tout ce qui a été
dit sur le bling-bling. »
Dans son propre camp, Manuel Valls subit des critiques. Christian Paul, député de la
Nièvre et chef de file de l’opposition socialiste à Manuel Valls durant les débats sur la
« loi Macron », dénonce « une forme de désinvolture à l’égard du reste du monde. Vu le
déficit de dialogue entre lui et les socialistes, il aurait dû rester à Poitiers. »
C’est également du Congrès que parle Brice Hortefeux, dans un sens différent, après les
excuses du Premier ministre. « Dans cette période, ce qui m’a choqué d’abord c’est le fait
que le Premier ministre en exercice se rende à trois reprises au congrès du Parti
socialiste. »
63 LAÏRECHE, Rachid et BRETTON, Laure, « Manuel Valls, mauvaise passe », Libération, 09/06/2015 64 Edito politique de Thomas Legrand, « Manuel Valls à Berlin », France Inter, 11/06/2015
41
Florian Philippot, député européen et Vice-président du Front national, qualifie sur
Twitter le déplacement de « petit caprice footballistique de Valls pour deux équipes
étrangères. » Il tente ainsi de déplacer la polémique sur le terrain identitaire.
Toutes ces réactions mettent en évidence la polémique comme constitutive du jeu
politique. Avec chaque réaction, chacun tente de faire passer son propre message au
public. Christian Paul rappelle son opposition au Premier ministre. Florian Philippot
détourne habilement la conversation en insinuant que Manuel Valls ne s’occupe pas
assez des Français. Thierry Solère veut montrer que les Socialistes sont dépensiers et
mènent l’Etat à la ruine. Claude Goasguen prend sa revanche après des années de
critiques socialistes contre Nicolas Sarkozy.
Le jeu politique tourne à plein régime avec cette polémique, qui permet à chacun de
proposer une interprétation qui convient à ce que ses électeurs veulent entendre ou au
message qu’il souhaite leur faire passer. Encore une fois, c’est bien l’adhésion du public
qui est en jeu dans cette polémique. Les réactions politiques le prouvent. Le sujet se
prête parfaitement à la polémique, selon la définition que le personnel politique lui
prête, puisqu’il met en jeu une sensibilité établie du public français, et qu’il ne touche
pas un sujet trop grave, ce qui leur permet de s’étendre sans mauvaise conscience.
Quelques socialistes viennent à la défense du Premier ministre. Après l’annonce
de la décision de Manuel Valls de payer le coût de la prise en charge de ses enfants,
Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, explique que le
Premier ministre « veut clore une polémique qui n’a aucune raison d’être (…), il faut
faire un geste. Un geste qui n’était pas obligatoire, mais qui est symboliquement fort. »
Pourtant, la polémique avait parfaitement lieu d’être. Elle correspond parfaitement à
toutes les définitions modernes d’une polémique médiatique. Elle représente par
ailleurs un débat de fond qui touche une sensibilité particulière chez le public français.
Xavier Bertrand joue sur cette corde sensible lorsqu’il déclare sur Europe 1 le 11 juin :
« Ce qui me gêne le plus c'est qu'il a mis cinq jours et qu'il a fallu un sondage accablant,
qui montrait la façon dont les Français critiquaient ce déplacement, cinq jours pour
avoir un mot, pour comprendre l'émotion des Français. (...) C'est un Premier ministre
qui gouverne en fonction des sondages. Il ne sent plus le peuple ».
L’accusation d’être déconnecté de la réalité est récurrente. Chacun son tour, les hommes
et les femmes politiques peuvent s’accuser de ne pas comprendre ce que vivent les
Français. Ce genre d’accusation éthique est, nous l’avons vu, constitutifs du discours
polémique. Comme le demande Catherine Kerbrat-Orecchioni, les propos de Xavier
Bertrand sont « disqualifiants », ils « attaquent une cible » et rejettent « agressivement »
l’attitude du Premier ministre.
42
Parmi toutes ces réactions critiques de l’opposition, il est intéressant de relever
un son de cloche différent. Le député de l’opposition Henri Guaino prend la défense de
Manuel Valls sur I-télé, le 12 juin : « Je trouve ça plutôt sain, plutôt rassurant qu'un
Premier ministre ait encore assez d'humanité pour, de temps en temps, essayer de voir
ses enfants. Ca ne coûte rien au contribuable. (...) Le fait qu'il amène ses enfants, si ça
c'est un scandale, on est chez les fous ».
La polémique du voyage de Manuel Valls à Berlin s’est éteinte en une semaine.
Mais elle représente un pic d’attention médiatique considérable. Elle montre aussi
l’obsolescence d’une définition péremptoire de la polémique encore affirmée dans les
années 1980 comme relatif à un discours. Ici, l’enjeu de la polémique n’est pas un
discours, mais un acte.
Cela ne signifie pas que les polémiques mettant en jeu des discours soit pour autant
terminée. La polémique concernant les propos de Nadine Morano l’a prouvé. Nous y
reviendrons.
3.2. L’affaire de la jupe
3.2.1. La première interprétation : un combat mêlant laïcité et
féminisme
Le 28 avril 2015, l’Académie de Reims indique qu’une jeune fille a été
interdite de cours à deux reprises à cause d’une longue jupe noire, jugée
comme un signe religieux ostentatoire adopté lors d’une action
« revendicatrice » et « concertée » avec d’autres élèves. Patrice Dutot,
l’inspecteur académique des Ardennes explique à l’AFP : « La jeune fille n’a pas
été exclue, on lui a demandé de se représenter avec une tenue neutre et son
père semble-t-il n’a pas souhaité que l’élève revienne au collège. » Très vite,
une photo est postée de Sarah K.
Le même jour, Twitter s’emballe. En 24h, 25 000 tweets sont postés comportant le
hashtag #jeportemajupecommejeveux.
43
Une courbe pareille montre un emballement, non plus des médias, mais du réseau social.
L’émotion est constitutive de cette polémique puisque le réseau réagit à chaud, en une
journée. Les tweets postés portent la polémique sur le terrain du combat féministe. Sur
Facebook, est organisée la « Journée de la jupe longue » où on appelle les femmes, et les
hommes, à porter leur jupe « comme ils le veulent », une jupe
analogue à celle de la collégienne.
Par ailleurs, sur Twitter, les messages utilisent de nombreux
visuels. On compare la longueur de la jupe de la collégienne
avec celle de femmes politiques, ou de la compagne de
François Hollande Julie Gayet.
L’absurdité de l’exclusion scandalise le réseau social, qui
s’empare de l’affaire et la porte sur le devant de la scène. La
polémique est telle que de nombreux journaux étrangers
traitent le sujet. Le New York Times publie un article sur l’affaire dès le 29 avril65. La
laïcité à la française surprend le monde entier : « Ce cas illustre le fossé entre la manière
dont les autorités françaises et les musulmans ont compris les règles de la laïcité » écrit
Alissa Rubin.
Jean Bauberot, sur le site Médiapart, écrit : « en l’an 2015, on en est à se poser des
questions essentielles pour la survie de la république, de la démocratie et de la laïcité
réunies : Quelle est la longueur de la jupe des élèves ? Si elle est longue : est-elle
uniformément noire ou comporte-t-elle des motifs ? Où cette jupe a-t-elle été achetée ?
(…) à ce rythme là, où en sera-t-on dans dix ans. Peut-être à déshabiller les jeunes filles à
l’entrée de l’école pour vérifier si rien ne pourrait pas être considéré comme
« islamique » en dessous ».66
Ce discours polémique prend pour cible une vision de la laïcité qui apparait
invraisemblable. Durant deux jours, la laïcité est tournée en ridicule car les motifs de
l’exclusion semblent absurdes. On accuse le collège d’islamophobie. Pour de nombreux
internautes, cette exclusion masque un racisme à peine voilé. Elsa Ray, porte-parole du
Collectif contre l’islamophobie en France dénonce : « C’est un des effets pervers de la loi
2004. Celle-ci prohibe le port à l’école de signes religieux, mais en aucun cas les jupes
longues ou quelque autre habillement que ce soit ! »
65 RUBIN, Alissa, « French school deems teenager’s sirt an illegal display of religion », The New York Times, 29/04/15 66 BAUBEROT, Jean, « Laïcité de la jupe : louange à toi Dame bêtise », Médiapart, 29/04/15
44
La polémique est virulente, l’émotion est forte, et l’indignation se
propage comme une trainée de poudre. A en croire les tweets
que l’on voit passer comportant le hashtag
#Jeportemajupecommejeveux, de la statue de la Liberté à
Nathalie Kosciusko-Morizet en passant par les princesses Disney
ou Marine Le Pen en robe bleue lors du gala annuel du TIME,
toutes pourraient fouler le tapis rouge, mais se verraient refuser
l’autorisation de franchir le portail du collège. Dès le 28 avril au
soir, la polémique a atteint les milieux politiques puisque
Corinne Narassiguin, porte-parole du Parti socialiste, invitée sur
I-télé, dénonce « une perversion des principes de la laïcité. »
L’incompréhension est totale.
3.2.2. Un peu de nuance
Oui, l’indignation serait justifiée si la longueur de la jupe était effectivement en
cause. Mais cette polémique démontre un autre effet pervers du réseau social Twitter :
l’indignation en 140 caractères ne supporte pas la nuance.
Le 30 avril, après deux jours de polémique intensive, c’est au tour de Najat Vallaud-
Belkacem, Ministre de l’Education nationale, de réagir. Ses propos sont d’un tout autre
ton : « L’équipe pédagogique a fait preuve du discernement qu’on attend d’elle pour
juger du caractère prosélyte ou pas, non pas de la tenue, mais de l’attitude de l’élève. »
L’affaire prend alors un autre sens. Non, cette jeune fille n’a pas été privée de cours
parce que sa jupe était trop longue. Elle se serait concertée avec d’autres élèves pour
porter cette tenue pour remplacer le voile qu’elles portent en dehors de l’école, mais
enlèvent à l’entrée de l’établissement. Cette concertation s’était faite en réaction à un
incident lié au port du voile à Strasbourg : deux jeunes femmes de 21 et 22 ans avaient
été exclues de leur établissement au motif qu’elles avaient refusé de retirer leur foulard
pendant un cours de sport. L’affaire datait de 1999, mais la Cour européenne des droits
de l’homme (CEDH) venait de rendre son verdict, déboutant la contestation de
l’exclusion par les deux jeunes femmes.
Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité replace l’affaire sur le terrain
de la laïcité dans une interview à L’Express le 30 avril67 : « Il faut faire preuve de
discernement et surtout ne pas se focaliser sur la tenue mais principalement sur le
comportement. »
67 POLITI, Caroline, « Laïcité : ’’Cette jupe longue est-elle un signe de coquetterie ou de révolte ?’’ », L’Express, 30/04/15
45
Cette polémique montre un type particulier d’engouement. Les médias se sont
fait ici le relai d’une indignation extrêmement forte exprimée sur les réseaux sociaux.
Mais le traitement médiatique portait principalement sur l’indignation elle-même plus
que sur les faits initiaux.
La mobilisation considérable derrière le cri de ralliement « Je porte ma jupe comme je
veux » est symptomatique du potentiel de viralité des émotions sur Twitter. Le réseau
encourage la réaction immédiate et l’affirmation sans nuance. Comme une trainée de
poudre, l’affect se propage sur Twitter avant que l’intellect n’entre en jeu.
Il n’est pas question ici de faire une étude psychanalytique approfondie du réseau, mais
de comprendre les mécanismes qui favorisent le développement d’une polémique et sa
circulation. Les réseaux sociaux offrent de nouveaux médias, au sens d’intermédiaires,
de nouveaux moyens de communication entre les acteurs du débat public, mais
également entre ses spectateurs. Par ailleurs, il transforme ces spectateurs en acteurs.
L’intérêt de Twitter est qu’il donne à chacun la possibilité de s’exprimer.
Marc Abélès affirme que « le sentiment qu’il est possible de se faire entendre d’un grand
nombre lorsqu’on délivre son message sur le réseau crée une véritable ivresse. »68
Lorsqu’on partage un lien, lorsqu’on commente un débat ou un fait d’actualité, on a
l’impression que cette participation peut être vue et reprise. L’émotion que provoquent
les sujets polémiques encourage les twittos à se joindre au mouvement, pour faire partie
d’un soulèvement collectif. Cela explique peut être en partie la rapidité de propagation
de la polémique de la jupe et de l’indignation qu’elle a provoquée.
Par ailleurs, les sujets en jeu dans cette polémique, la laïcité et son corollaire
religieux, sont parmi les sujets les plus sensibles dans la France de 2015.
3.2.3. La laïcité, sujet polémique en France
Cette polémique, si absurde soit-elle, est basée sur un sujet de société très
présent dans la France de 2015 : la laïcité. Ce terme si simple à définir auparavant, basé
sur une loi très claire de 1905, est devenue un sujet de discorde profond depuis la loi de
2004, qui interdit les signes religieux ostentatoire à l’école. Cette loi a amené une vision
agressive de la laïcité, revendicatrice.
Jean-Louis Bianco explique : « Depuis quelques années, l’islam est plus visible dans
l’espace public et médiatique. (…) Ce qui peut provoquer des crispations dans un
contexte de méfiance généralisée. Au-delà des amalgames entre terrorisme et religion
68 GREFFET, Françoise, Continuerlalutte.com, Les partis politiques sur le Web, Les presses de Science po, Paris, 2011, p.67
46
musulmane, les rapports sont plus tendus, notamment à cause de la situation
économique. Parallèlement, les défenseurs de la laïcité sont beaucoup plus virulents. (…)
La laïcité ne doit surtout pas devenir une série d’interdits. Ce qui est à craindre, c’est
qu’en réaction à ce climat, les provocations augmentent. »
Le concept de laïcité, dont la France est si fière, qui laisse les anglo-saxons si
perplexes, perd de son évidence aux yeux des Français. La nouvelle définition induite
par la loi de 2004 apparaît plus restrictive. Le concept est désormais devenu un sujet de
discorde entre communautés. Asif Arif, Directeur de la Collection « Religion & Laïcités »
chez L’Harmattan, se pose la question : « Est-on en pleine validation d’une acceptation
de la laïcité qui semble moins relever d’un « vivre ensemble » que d’un « vivre à la
française » ? »69
L’utilisation du principe de laïcité par le Front national, ou la création en 2007 d’un
groupe islamophobe nommé Riposte laïque, sont des indicateurs d’une tentative par une
certaine frange de la classe politique d’une récupération du terme. « Ce n’est pas un
hasard si ces derniers temps, celle qui parle le plus de laïcité est Marine Le Pen : il ne
s’agit pas de défendre la liberté mais un discours contre l’immigration. » défend Jean-
Louis Bianco.
Les polémiques furent nombreuses en 2015 sur le sujet de la laïcité : l’affaire de
la jupe, le débat sur les menus sans porc dans les cantines scolaires, l’agitation autour
des églises prétendument transformées en mosquées, les crèches de la Mairie de
Béziers, la question du port du voile à l’université, le refus de la RTP d’afficher un
concert de soutien aux chrétiens d’Orient… La liste est sans fin.
Retrouvant l’une des thématiques originelles de la polémique, la religion, il est
important d’établir une distinction. Les polémiques théologiques portaient sur les écrits
religieux. Les polémiques sur la laïcité portent fondamentalement sur les lois de la
République et la façon dont elles encadrent ce principe que le maire de Chilly-Mazarin
nommait « sacro-saint ». Le paradoxe de l’expression semblait lui avoir échappé.
3.3. Nadine Morano et la « race blanche »
3.3.1. Les raisons de la polémique
Le 26 septembre 2015, invitée sur le plateau de l’émission de Laurent Ruquier On
n’est pas couché, Nadine Morano, alors candidate aux élections régionales en Meurthe-et-
Moselle, exprime des propos polémiques :
69 ARIF, Asif, « Un principe ayant le don d’affoler l’opinion publique : la laïcité », Les Echos, 04/09/15
47
« Nous sommes un pays judéo-chrétien, le général de Gaulle le disait, de race blanche, qui
accueille des personnes étrangères. »
Elle ajoute :
« J’ai envie que la France reste la France et je n’ai pas envie que la France devienne
musulmane. »
Devant l’embarras suscité sur le plateau par l’emploi du mot « race », elle justifie ses
propos :
« C’est un mot qui est dans le dictionnaire, je ne vois pas en quoi il est choquant. »
Très vite, son parti, Les Républicains, se désolidarise de ces propos par la voix de son
porte-parole, Sébastien Huyghe qui estime qu’il s’agit d’une expression malheureuse. »
Devant la montée de la polémique, Nadine Morano maintient ses propos et dénonce le
mercredi suivant sur Europe 1 une « instrumentalisation, » notamment de la part d’Alain
Juppé qui avait déclaré que ces propos n’étaient « pas acceptables. » Elle annonce avoir
reçu « des milliers de mails » de soutien, y compris de « gens de couleur. » Le même jour,
Nicolas Sarkozy annonce avoir saisi la Commission nationale d’investiture pour, selon
un communiqué du parti Les Républicains, « retirer l’investiture en Meurthe-et-Moselle
à Nadine Morano. »
Le lendemain matin, 1er octobre, Nadine Morano maintient toujours ses propos et pose
la question : « Est-ce qu’une phrase, un mot, mérite une telle vindicte médiatique de sa
propre famille ? »
Denis Tillinac, dans Valeurs Actuelles, le 8 octobre, écrit : « On peut épiloguer sur
le mot « race » (…). Mais trêve de pinaillerie sémantique. »70 Mais c’est précisément la
sémantique qui est en jeu dans cette polémique. En invoquant le fait que le mot race
« est dans le dictionnaire », Nadine Morano déplace le débat sur la validité du concept de
race. Or, la définition du dictionnaire donne une précision de taille : « Catégorie de
classement de l’espèce humaine selon des critères morphologiques ou culturels, sans
aucune base scientifique et dont l’emploi est au fondement des divers racismes et de
leurs pratiques » (Larousse, 2015). L’emploi du terme par Mme Morano devient donc
immédiatement associé aux « divers racismes et leurs pratiques ». C’est donc bien le
vocabulaire et la « pinaillerie sémantique » qui provoque la polémique.
Cette polémique présente un intérêt particulier puisqu’elle met en jeu en débat
sémantique, doublé d’une controverse idéologique. Avec ce débat sémantique, on
70 TILLINAC, Denis, « Morano, le bouc émissaire », Valeurs Actuelles, 08/10/2015
48
redécouvre la définition donnée par Rafael Micheli : « des discours à propos d’autres
discours »71.
La réaction aux propos de Nadine Morano est immédiate. Outre les politiques et
les médias, les réseaux sociaux s’en emparent.
Confirmant ce que Romain Segond nous disait sur les opinions tranchées,on constate
que l’émission On n’est pas couché du 26 septembre enregistre un taux de réaction
extrêmement fort après les propos de Nadine Morano. On dénombre par ailleurs près de
30 000 tweets en additionnant les mentions du compte de Nadine Morano et le hashtag
#morano le 30 septembre, jour de l’annonce de la saisie par Nicolas Sarkozy de la
Commission nationale d’investiture.
Mais si son parti abandonne Nadine Morano, ce n’est pas le cas d’une partie de
l’opinion publique. Si l’on en croit l’enquête Ifop-Fiducial pour Paris Match et Sud Radio
d’octobre 2015, Nadine Morano grimpe à 32% d’opinions favorables, progressant de
cinq points par rapport au moins de septembre. Nicolas Sarkozy, lui, perd deux points 72.
Par ailleurs, Nadine Morano progresse également de huit points parmi les
sympathisants de droite.
Par ailleurs, la polémique a fait changer Nadine Morano de stature à Droite. Sa
candidature pour les primaires de son parti à l’élection présidentielle était vue comme
un moyen de pression, une manière d’exister dans un parti qui la marginalisait peu à peu
depuis le retour de Nicolas Sarkozy. Depuis la polémique sur la « race blanche », elle
représente une certaine idée de la droite. Elle affirme haut et fort son opposition à
Nicolas Sarkozy et profite du temps médiatique que cette polémique lui offre pour
façonner son image. Invitée sur le plateau du journal télévisé du 20 heures de TF1, le
71 Cf 1.3.1. La passion au cœur du débat 72 http://www.parismatch.com/Actu/Politique/Sondage-Ifop-Nadine-Morano-fait-baisser-Nicolas-Sarkozy-845311 Cf, le tableau complet du sondage en annexe 1
49
plus regardé d’Europe, le 8 octobre, elle a rassemblé plus de 6 millions de
téléspectateurs. Tristan Quinault Maupoil, dans Le Figaro du 9 octobre73, affirme que « le
Graal médiatique est maintenant à la portée de tous pourvu que le propos scandalise
suffisamment au point d’occuper la scène médiatique pendant plus de deux semaines. »
La polémique au centre de laquelle navigue Morano montre la puissance des
propos chocs et l’écho du thème de l’identité. Romain Segond constate que « les opinions
extrêmes, et souvent extrême-droite, tout ce qui va toucher des sujets liés à
l’immigration, à la religion, vont tout de suite amener beaucoup plus de réactions. C’est
assez impressionnant à voir. »
La sensibilité du public se montre toujours un facteur décisif dans l’impact d’une
polémique. Le thème de l’identité française est une des sources les plus abondantes de
polémiques depuis quelques années en France. Depuis la création du Ministère de
l’Immigration, de l’Intégration, et de l’Identité nationale en mai 2007 jusqu’aux réactions
aux drapeaux algériens vus dans les rues après des matchs de football, le sujet est un
puits sans fond pour les polémistes et les polémiqueurs.
Les propos de Nadine Morano ont touché juste, une corde très sensible et très grave. Le
débat autour du terme « race » est plus qu’une querelle sémantique en France.
3.3.2. Réactions médiatiques
Les propos de Nadine Morano ont évidemment été repris immédiatement par
tous les médias. Au sein des rédactions, plusieurs questions se sont posées. Les propos
de Nadine Morano ont été décortiqués, au point d’en arriver à faire un sujet : « Le
général de Gaulle a-t-il en effet prononcé ces propos ? »
Un sujet publié sur BFM TV est allé chercher la citation, tirée d’un ouvrage d’Alain
Peyrefitte : « Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche,
de culture grecque et latine et de religion chrétienne. »74 On découvre que le propos
avait servi de slogan à une campagne d’affichage des jeunes du FN en 2009. Sa véracité
serait alors remise en cause. Alain Peyrefitte avait publié cette phrase à partir de notes
personnelles plus de 30 ans après la mort de de Gaulle. Alain Duhamel, sur RTL le 30
septembre, explique : « ça représente une culture qui était celle de la France à la fin de la
Seconde guerre mondiale. C’est vrai qu’on parlait comme ça. Aujourd’hui, on est dans
une autre culture, dans une autre époque. » Le 8 octobre, c’est Eric Brunet qui parle d’un
« anachronisme historique inacceptable. »
73 QUINAULT MAUPOIL, Tristan, « Polémique : après la jurisprudence Valls, la technique Morano », Le Figaro, 09/10/15 74 PEYREFITTE, Alain, C’était de Gaulle, Fayard, Paris, 1994
50
Concernant les propos polémiques en eux-mêmes, la « pinaillerie sémantique » que
critiquait Denis Tillinac dans Valeurs Actuelles ne dure finalement pas longtemps. La
définition du mot « race » dans le dictionnaire est claire, et seule Nadine Morano
continue à affirmer qu’elle refuse de retirer ses propos. Néanmoins, sur le plateau de
TF1, elle affirme : « si des Français ont été blessés, je m’en excuse auprès d’eux. »
Une autre question se pose rapidement : Nicolas Sarkozy a-t-il bien réagi ?
Laurent Neumann affirme sur RMC le 8 octobre que oui, sans aucune doute, et ajoute : «
Pour Nicolas Sarkozy, Nadine Morano est une grenade dégoupillée. » En effet, sa
candidature aux primaires prend une autre dimension avec cette rupture. Le 30
septembre, le même Laurent Neumann avait affirmé : « Etant candidate à la primaire,
elle est en train de se préparer un champ d’intervention, une droite très droitisée, très
proche de ce que dit Marine Le Pen ».
Encore une fois, Thomas Legrand offre une analyse tranchée : « En excluant Nadine
Morano de sa tête de liste du Grand Est, Nicolas Sarkozy vire sa propre caricature. »
explique-t-il sur France Inter le 1er octobre. Il accuse également Nadine Morano de
répondre aux attentes des médias et de se complaire dans cette polémique et le rôle
qu’elle joue dans le paysage médiatique français : « Nadine Morano est invitée partout
pour être bête à l’antenne et faire du buzz. Ceux qui lui donnent la parole espèrent
qu’elle ressemblera à sa marionnette des Guignols. Elle le sait et répond à cette attente.
C’est le prix de son existence médiatique et politique. » Il approfondit son analyse et
dépasse la simple polémique : « La complexité disparaît du débat public et la majorité,
ou du moins la partie qui est silencieuse aujourd’hui, est celle qui ne réagit pas à brule-
pourpoint sur les questions identitaires par exemple. »75
Cette polémique, malgré le fait qu’elle appelle des questions profondes, n’est pas,
en elle-même, plus compliquée qu’elle n’en a l’air. Si les polémiques sont parfois causées
par une mauvaise interprétation, un emballement trop rapide des médias ou des
réseaux sociaux, celle-là apparaît simple. C’est parce qu’elle est simple qu’elle fonctionne
si bien. Elle joue sur des questions sensibles et propose deux positionnements
antagonistes immédiats.
3.3.3. Les réactions politiques
Mais les deux camps antagonistes, sur le plan politique, sont simples : Nadine Morano
apparaît seule face à tout son parti. La Gauche s’est peu exprimée sur cette polémique,
ainsi que le Front national, qui a préféré rester à l’écart de ce sujet sur lequel sa position
est sans ambiguïté.
75 LEGRAND, Thomas, « Edito politique », France inter, 01/10/15
51
Néanmoins, Nadine Morano a reçu un soutien dont elle se serait sans doute passée
puisque Jean-Marie Le Pen a affirmé dans un communiqué que « pour avoir dénoncé une
évidence historique multiséculaire, Madame Nadine Morano subit un feu nourri de
critiques (…). Elle peut ainsi mesurer à ses dépens ce que pèse la gauchisation des
esprits dans les rangs de l’ex-UMP. » Marine Le Pen, interrogée sur Europe 1 le 1er
octobre, s’est contenté de dire que « Nadine Morano s’est pris les pieds dans le buzz, en
quelque sorte. »
Pour ce qui est de la Gauche, c’est Ericka Bareigts, député socialiste de la Réunion, qui
fait une intervention remarquée à l’Assemblée nationale la semaine suivante. Elle
attaque Nadine Morano, « du parti prétendument républicain » : « Pour moi, député
noire de la république, cette France décrite par Mme Morano n’est pas la mienne. (…)
Cette expression de Nadine Morano ne relève pas de l’erreur ne relève pas de l’erreur
malencontreuse. Elle a été préparée, répétée et confirmée. (…) Une torpeur
(…à)paralyse la France face à la montée de la haine de l’autre sous toutes ses formes. »
Elle est ovationnée par la Gauche de l’Assemblée. Manuel Valls lui répond : « il ne faut
plus accepter les dérapages que nous connaissons dans le débat public. » Le ton est
donné à gauche, la ligne est fixée, les propos de Nadine Morano se passent désormais de
commentaires.
C’est donc au sein de son propre camp que Nadine Morano a vu venir les critiques
les plus virulentes : « propos inacceptables » selon Alain Juppé, une « déclaration à la
tonalité exécrable » selon Nathalie Kosciusko-Morizet, chacun se démarque de l’électron
libre qu’est devenu Nadine Morano.
Mais c’est bien sûr la réaction de Nicolas Sarkozy qui a le plus d’impact : « Je n’accepterai
jamais que les républicains que nous sommes tombions dans la caricature, parce que la
caricature rend service à M. Hollande et à Mme Le Pen. (…) Vous êtes les bienvenus chez
les Républicains, vous êtes les bienvenus quelle que soit votre couleur de peau. »
déclare-t-il le 10 octobre lors d’un discours à l’occasion des Etats généraux de la
fédération Les Républicains de Paris. Il avait par ailleurs affirmé qu’il ne tolérerait
« aucun dérapage » après sa décision de saisir la Commission national d’investiture.
Même si Nadine Morano n’est pas explicitement citée, les phrases de Nicolas Sarkozy
laisse peu de place à l’ambiguïté. On retrouve dans ces propos l’idée de disqualification
de l’ ‘’adversaire’’ avec l’utilisation du mot « caricature ». Nicolas Sarkozy attaque Nadine
Morano en discréditant ses propos.
La réaction de Nicolas Sarkozy entre tout à fait dans la définition que Raphaël Micheli
donne du « discours polémique » : « Le discours polémique prend toujours pour objet un
discours autre et porte des jugements de valeur sur celui-ci (il peut, par exemple,
dénoncer les manquements de ce discours aux règles de la logique – discours
« irrationnel », « absurde » – et/ou à celles de la morale – discours « scandaleux »,
52
« odieux »…). En cela, on peut dire que les locuteurs engagés dans une polémique font
usage du pouvoir de réflexivité des langues naturelles : ils tiennent des discours à propos
d’autres discours. »76
Jean Rottner, délégué national en charge des élus locaux, avait qualifié les propos de
Nadine Morano de « faute politique » sur RMC le 1er octobre. Il ajoute : « Les questions
raciales ne peuvent pas être un principe identitaire pour la nation française. Je crois que
c’est inacceptable. … Ce n’est pas une république d’exclusion, voilà les valeurs de notre
mouvement. (ces déclarations) sont contraires à ce que nous défendons dans notre
mouvement. Nous lui avons donné l’opportunité de revenir sur ses propos. (…) Hier, elle
a encore enfoncé le clou. »
Le terme de « faute politique » est très employé dans ce genre de cas. Le terme désigne
une erreur s’inscrivant dans le cadre politique. On ne condamne pas vraiment les
propos, mais leur décalage par rapport au discours politique que la personne est censée
tenir. Nadine Morano retourne d’ailleurs la critique vers Nicolas Sarkozy durant son
passage au 20h de TF1. On retrouve l’hypothèse d’une polémique où chaque locuteur
peut se critiquer de la même façon, chacun prétendant occuper la position d’autorité
morale. Nadine Morano prétend défendre la liberté d’expression au sein de son parti.
Nicolas Sarkozy défend les valeurs fondamentales de sa famille politique.
Cette dernière polémique montre que la « polémique » au sens propre n’est pas
morte. En effet, on parle bien d’un processus médiatique, mais ce processus médiatique
se fait l’écho d’un débat de fond, un « discours à propos de discours ». Il y a donc une
querelle sémantique, des discours disqualifiants, et une émotion indéniable face à un
sujet difficile.
Les trois polémiques traitées mettent en évidence trois sensibilités bien particulières de
la société française : le jugement envers le train de vie des dirigeants, la laïcité, et
l’identité française.
76 Micheli, Raphaël, Ibid., p.31
53
CONCLUSION
L’année 2015 en France a été parsemée de polémiques diverses et variées.
Néanmoins, cette analyse permet de faire émerger des points communs. Ces points
communs tiennent là la définition contemporaine de la polémique, mais également à une
caractéristique qui n’a pas évolué : l’émotion. L’étymologie du mot reste encore fidèle
puisque la polémique implique de la violence, même si elle demeure souvent
symbolique.
Ce travail a été initié par une frustration. Certains sujets futiles développés encore et
toujours sur les chaines d’infos, répétés à longueur de journée, m’irritaient. Et la façon
dont ils traitaient l’information, relevant chaque commentaire, répétant encore et
toujours les mêmes réactions jusqu’à ce qu’une nouvelle apparaisse et relance la
polémique, me semblait stérile. Plus j’entendais le terme « polémique », moins je
respectais le concept.
Mais cette étude m’a permis d’en découvrir un sens plus profond, le sens originel, grâce
à l’étude de la définition, grâce à des conversations sans fins sur le sujet. Le terme
« polémique » est lui-même particulièrement sujet à polémique. La définition en est
complexe.
L’étude des polémiques m’a montré que ces cordes sensibles, graves ou aigues,
pouvaient avoir un sens et mettre en évidence les passions de la société française.
L’affaire de la « petite pipe », propagée grâce à ses titres racoleurs, montre la présence
d’un tabou sur le sexe, peu traité dans les médias, qui interpelle l’œil de l’internaute. La
polémique sur le voyage de Manuel Valls à Berlin montre l’intransigeance du public face
à l’utilisation de l’argent public. Celle de la jupe fait apparaître un sujet extrêmement
sensible : la laïcité. Enfin, les propos de Nadine Morano montrent qu’il existe encore des
polémiques au sens originel, des discours à propos de discours.
Malgré le ton critique envers les médias que cette étude aborde, il faut
reconnaître que ces polémiques sont souvent étudiées en profondeur par ces mêmes
médias, en témoignent les nombreux articles présents dans la bibliographie analysant
chaque phénomène de viralité.
Le paradoxe médiatique du choix entre l’intérêt du public et l’intérêt public est
effectivement un dilemme difficile. Ce dilemme est traité dans la série The Newsroom de
l’excellent Aaron Sorkin. Son fantasme d’une chaine de télévision intègre, dont le seul
but est le traitement objectif et profond d’une information d’intérêt public se heurte
logiquement à la difficulté du marché.
Mais la principale leçon à tirer de cette étude est probablement la connotation
devenue négative du terme « polémique ». Ce terme qui qualifiait tant de nobles débats
54
d’idées est aujourd’hui sali par son utilisation banale. Lors de notre rencontre, Eric
Brunet concluait : « Vous avez raison, il y a polémique et polémique. Mais je trouve que
cet art français de se constituer dans cette théâtralité, avec le rationnel et l’irrationnel,
c’est simplement beau. »
55
GLOSSAIRE
Buzz/Bad Buzz : Un buzz est un emballement médiatique sur la toile. Quand un contenu
est partagé par un très grand nombre de personnes en très peu de temps, il devient
viral. Et se répand sur le réseau à une vitesse très élevée. Un Bad Buzz est un
phénomène de cet ordre là, mais négatif. Souvent, le réseau se moque de quelque chose,
une vidéo, une photo ou un message. Souvent, l’objet de la moquerie est détourné de
façon ironique.
Follower : Sur Twitter, le follower suit le fil d’une personne. On parle aussi d’abonné. Si
je suis abonné au compte Twitter de Martin Schulz, dans mon fil d’actualité apparaitront
tous les tweets de Martin Schulz, ou ceux qu’il a retweeté.
Tweeter et retweeter : Si je tweete, j’envoi un message que j’ai rédigé via le réseau
Twitter. En retweetant le tweet de quelqu’un, je le partage avec mes propres followers.
Un Twittos est un utilisateur de Twitter.
56
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
ANGENOT, Marc, La Parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes
modernes, Paris, Payot, 1982
ALBERT, Luce, NICOLAS, Loic, Polémique et rhétorique de l’Antiquité à nos
jours. Préface de Delphine Denis, Bruxelles, de Boeck-Duculot, 2010 BOURDIEU, Pierre, Sur la télévision, Liber-Raisons d’agir, Paris, 1996 DECLERCQ, Gilles, MURAT, Michel & DANGEL, Jacqueline (éds). La parole polémique,
Paris, Champion, 2004 ECO, Umberto, Le Nom de la Rose, Editions Fabbri-Bompiani, 1980. (La pagination
indicative utilisée dans ce travail est issue de l’édition de poche Grasset et
Fasquelle, 2012)
GREFFET, Françoise, Continuerlalutte.com, Les partis politiques sur le Web, Les
presses de Science po, Paris, 2011
HALIMI, Serge, Les nouveaux chiens de garde, Liber-Raisons d’agir, Paris, 2005
LAKOFF, Georges, Don’t think of an elephant, Chelsea Green Publishing, White River Junction, Vermont, 2005
LANSON, Gustave, Voltaire, Hachette, Paris, 1906
LE BOHEC, Jacques, Dictionnaire du journalisme et des médias, Presses
universitaires de Rennes, coll. « Didact Communication », 2010
Articles
AMOSSY, Ruth et BURGER, Marcel, « La polémique médiatisée », Semen, N°31, 2011, pp.7-24
FELMAN, Shoshana. « Le discours polémique ». In Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 1979, N°31. pp. 179-192.
FOUCAULT, Michel, « Polémique, politique et problématisation », Dits et Ecrits 4, Paris, Gallimard, 1994, pp.591-598
Gelas, Nicole, « Etude de quelques emplois du mot ‘’polémique’’ », in Le Discours
polémique, pp.41-50
KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, 1980, « La polémique et ses définitions », in La
parole polémique, Presses Universitaires de Lyon, pp.3-40.
KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, « Le Discours polémique » Lyon : Presses
Universitaires de Lyon, 1980 Koren, Roselyne, « « De la rationalité et/ou de l’irrationalité des polémiqueurs :
Certitudes et incertitudes », Semen, N°31, 2011 MARCELLESI, J-B. (1971), « Eléments pour une analyse contrastive du discours
politique », Langages N°23, pp.25-26.
57
MICHELI, Raphaël, « Quand l’affrontement porte sur les mots en tant que mots : polémique et réflexivité langagière », Semen, N°31, 2011
PEYREFITTE, Alain, C’était de Gaulle, Fayard, Paris, 1994 PLANTIN, Christian (2003), « Des polémistes aux polémiqueurs », in DECLERCQ,
Gilles, Michel MURAT & Jacqueline DANGEL (éds). La parole polémique, Paris, Champion, 2004, 377-408.
Presse/Internet/Radio
ARIF, Asif, « Un principe ayant le don d’affoler l’opinion publique : la laïcité », Les
Echos, 04/09/15 BAUBEROT, Jean, « Laïcité de la jupe : louange à toi Dame bêtise », Médiapart,
29/04/15 Editorial, « Poitiers-Berlin, la faute du premier ministre », Le Monde, 10/06/2015 FERAUD, Jean-Christophe, « Trendsboard : les médias shootés au buzz »,
Libération, 24/02/13 LEGRAND, Thomas, « Edito politique : Manuel Valls à Berlin », France Inter,
11/06/15 LEGRAND, Thomas, « Edito politique : La majorité silencieuse a changé de camp »,
France Inter, 01/10/15 NEUMANN, Laurent, « Attentat déjoué : la polémique stérile », Le Point, 18/07/15 PACE, Baptiste, « Moyens de l’Etat : Valls trébuche, à son tour rattrapé par
l’intransigeance croissante de l’opinion », Dépêche AFP, 12/06/15 POLITI, Caroline, « Laïcité : ’’Cette jupe longue est-elle un signe de coquetterie ou
de révolte ?’’ », L’Express, 30/04/15 QUINAULT MAUPOIL, Tristan, « Polémique : après la jurisprudence Valls, la
technique Morano », Le Figaro, 09/10/15 RUBIN, Alissa, « French school deems teenager’s skirt an illegal display of
religion », The New York Times, 29/04/2015BRETTON, Laure et LAÏRECHE, Rachid,
« Manuel Valls, mauvaise passe », Libération, 09/06/15 TILLINAC, Denis, « Morano, le bouc émissaire », Valeurs Actuelles, 08/10/15 VANDERBIEST, Nicolas, « #TelAvivSurSeine : d’un tweet à BFMTV, mode d’emploi »,
Rue 89, 11/08/15
58
LISTE DES ANNEXES
Annexe 1 : Sondage Ifop-Fiducial pour Paris Match et Sud Radio d’octobre 2015
Annexe 2 : Interview complète d’Eric Brunet, chroniqueur sur RMC, présentateur de
l’émission quotidienne « Carrément Brunet »
Annexe 3 : Interview complète d’Anthony Arridon et Paul Laroque, producteurs de
l’émission « Les Grandes Gueules » sur RMC
Annexe 4 : Interview complète de Romain Segond, Social media manager chez RMC
59
Sondage Ifop-Fiducial pour Paris Match et Sud Radio
d’octobre 2015
Nadine Morano
60
Interview complète d’Eric Brunet,
chroniqueur sur RMC, présentateur de l’émission
quotidienne « Carrément Brunet »
Est-ce que vous vous définiriez comme un polémiste ?
Oui. C’est un terme qui qualifie une famille de journalistes depuis très longtemps déjà.
Depuis la Révolution française il y a des polémistes. C’est compliqué les différents statuts de
journalistes. Il y a les polémistes, les billetistes, les éditorialistes, les faits-diversiers etc… et
c’est une catégorie de journalistes qui s’appuie sur les sujets qui sont polémiques ou, je
dirais plutôt, des journalistes poil à gratter, qui suscitent eux-mêmes la polémique. La
polémique, ce n’est pas quelqu’un qui dit « Tiens, Marine Le Pen a dit ça et Mélenchon a
répondu ça, mais alors… » et qui les renvoie dos à dos. Non. Moi je pense qu’un polémiste,
c’est un observateur de la chose politique et de la société qui appuie là où ça fait mal. Moi
je préfère cette définition là, d’être celui qui suscite la polémique.
Par exemple, aujourd’hui, il y a un sondage qui est sorti dans Le Parisien, une étude qui dit
que 60% des enfants de 8 à 14 ans ont peut de devenir pauvres. Moi aujourd’hui, je fais une
émission sur le thème « Je prépare mes enfants à la perspective d’aller chercher du travail à
l’étranger. » Et je dis, « Vous qui m’écoutez, faites la même chose, préparez vos enfants à
aller chercher du travail à l’étranger. »
Vous lancez vous-même une polémique.
Voilà, c’est ça.
Donc vous pensez qu’on peut être à la fois journaliste et polémiste ?
Oui. Historiquement, les polémistes sont des journalistes. En tout cas, c’est une des familles
des journalistes. Il y a avait, dans les grands journaux nationaux, avant la guerre de 40 ou
de 14, des polémistes. Après, ça s’est étendu et le terme s’est vulgarisé. Un polémiste, c’est
devenu une personne qui n’avait pas forcément une carte de presse. Mais tout ça est assez
flou.
Moi j’ai une histoire particulière, j’ai rendu ma carte de presse. Je ne voulais plus qu’on
m’appelle journaliste. Polémiste, ça me va, mais certains disent ici que je suis essayiste.
Donc votre rôle n’est pas tant de rapporter la polémique que de l’alimenter ou de
la susciter ?
Oui, de la susciter. Le mot « polémique » est souvent dévalorisé. Le polémiste suscite une
polémique sociétale utile. Il dit « Attention, il se passe ça aujourd’hui en France, ça n’est pas
61
un phénomène souhaitable car à terme nous allons être dans une situation inextricable. »
Le polémiste est un lanceur d’alerte.
On est dans un monde où les journalistes sont de moins en moins formés. Je regardais Claire
Chazal hier, elle a fait HEC, Science po, elle est bardée de diplômes. Je ne croise plus du tout
de journalistes comme ça, avec ce niveau d’expertise et de connaissance. On a aujourd’hui
des journalistes qui sont salariés dans des entreprises de presse dont l’économie est fragile,
qui sont panurgiques, moutonniers, qui écrivent pour faire plaisir au rédacteur en chef,
pour être bien notés etc… donc en réalité, le polémiste est un des rares qui sort du troupeau
et qui peut jouer ce rôle de lanceur d’alerte.
Donc vous vous considérez comme un polémiste au sens noble ? Certains
journalistes vont se contenter de rapporter la polémique.
Eux, ce ne sont pas des polémistes. Le polémiste, c’est lui qui appuie, c’est lui qui fait mal.
Autrement, si c’est pour rapporter une polémique et éventuellement mettre un peu d’huile
sur le feu, ça s’appelle du journalisme. Le polémiste n’est pas là-dedans, c’est celui qui
génère et qui suscite de la polémique, celui qui dit « Mr le Président, le Président Finlandais
a prêté sa maison à des migrants, est-ce que vous allez prêter un de vos appartements de
Cannes, votre maison de Mougin, ou bien la résidence de Brégançon ? »
Comment choisissez-vous vos sujets ? Est-ce que c’est par rapport à ce que vous
pouvez entendre qui buzz sur les réseaux sociaux, ce que vous trouvez dans les
journaux, ou plutôt votre intérêt personnel ?
RMC a une approche très particulière qui est qu’ils ont fondé l’antenne sur des
personnalités qu’ils ont jugé être emblématiques. J’en fais partie. Je n’ai pas eu le choix. On
m’a dit « Arrête d’écrire tes papiers, sois toi-même. » C’est assez difficile parce que j’ai suivi
tous les cursus de l’école de journalisme. Je suis un pur journaliste. Un renégat, certes, mais
j’ai été à l’école de journaliste, j’ai fait un mémoire sur les conflits au sein des rédactions de
France 3, j’ai travaillé sur cette notion de conflit. Je suis un vrai journaliste, j’ai eu ma carte
de presse à 23 ans, j’étais présentateur des journaux de France 3. Ça été très dur d’accepter
l’idée qu’il fallait que je sorte de mon corps et que je devienne la personnalité centrale de
mon show. Mais maintenant j’ai compris, et pour répondre à votre question, je ne cherche
pas les sujets qui font le buzz, je fais ce que je pense moi. J’ai découvert qu’en faisant ça, ça
fonctionnait. Désormais, je ne me force jamais, ou alors c’est rarissime et je le vis très mal.
La polémique ce n’est pas un tweet que je vois à droite à gauche pour le fun, c’est des
choses que je vis moi-même. On n’est plus vraiment dans du journalisme, on est dans de
l’humeur.
62
Quel est votre rôle au sein du flux d’information que les gens reçoivent chaque
jour ? Appuyer sur certains boutons ? Prendre les sujets que vous considérez
importants ?
Oui. Toute cette actualité qui tourbillonne autour de nous, elle a parfois des sujets qui sont
interpelant sur le plan personnel. Pas tous, moi je n’ai pas des avis sur tout. Mais parfois il y
a un télescopage intéressant entre ma perception des choses et l’environnement. Alors, bien
évidemment, j’ai le sens de l’audience. Je ne me raconte pas gratuitement. J’ai besoin de
sentir qu’il y a un sujet. J’ai besoin de sentir que quand on lance un truc le matin, untel
rebondit, un autre dit « Mais non », quelqu’un dit « Attends ça gêne personne que Zlatan
Ibrahimovic gagne tant, en revanche quand un chef d’entreprise a un bonus de 14 millions ,
tout le monde trouve ça scandaleux… » J’ai besoin de sentir ça. Quand je vois qu’autour
d’une opinion que j’exprime, ça clive un peu, là je suis heureux. Mais je me refuse à faire de
la polémique gratuite. Je le vivrais très mal.
La question suivante concerne votre positionnement sur Internet. Pourquoi est-ce
que vous avez choisi (ou accepté) le sondage « Carrément oui » ou « Carrément
non » ? Il semble qu’il serait possible d’apporter un peu de nuance ? Vous ne
pensez pas qu’en réduisant comme ça à deux possibilités antagonistes vous
trivialisez un peu certains sujets qui sont beaucoup plus compliqués qu’ils n’y
paraissent ? Où est la nuance lorsqu’on dit « Carrément d’accord » ou « Carrément
pas d’accord » sur des sujets comme : « La Grèce doit sortir de la zone euro » ou
« La loi sur les mineurs de Christiane Taubira ne doit pas passer ». Est-ce que ça ne
va pas à l’inverse du principe de l’émission ? L’émission explore un sujet, et vous
la réduisez à une phrase personnelle, une opinion simplificatrice.
Cette consultation est une photographie de l’opinion de ceux qui écoutent mon émission à
un moment donné. C’est vrai, par définition ce n’est pas complet. Mais un vote à l’élection
présidentielle c’est Oui ou Non, c’est Sarkozy ou Hollande. La vie est souvent duale. Je pense
que la nuance s’exprime ailleurs, elle s’exprime dans l’émission. La chose la plus importante
pour moi c’est l’émission. Ce vote donne une réalité tendancielle. Ce n’est pas un vote, ce
n’est pas une consultation nationale, ce n’est même pas un sondage puisqu’il faudrait des
critères d’âge, de sociologie etc… Donc moi j’appelle ça une consultation. Elle donne des
indications. Quand 80% des gens disent « la Grèce doit sortir de l’Europe », c’est une
indication. Vous avez raison, c’est une indication grossière, mais c’est le principe du vote.
En revanche, les gens qui m’appellent me disent « Je suis un peu gêné par la façon dont
vous présentez les choses, je pense qu’il y aurait une troisième voix… » La discussion, la
nuance, le discernement, je garde tout ça pour le show, les gens qui m’appellent. Et cette
consultation, je tiens à ce qu’elle demeure assez simple, assez basique parce que ça devient
compliqué de faire rentrer de la nuance là dedans.
63
Mais il y a aussi la formulation « Carrément d’accord » ou « Carrément pas
d’accord »…
Oui, l’émission s’appelle Carrément Brunet. Mais les gens ont une opinion tranchée. Quand
les gens n’ont pas d’opinion tranchée, soit ils ne votent pas, ou alors ils appellent pour
donner leur avis.
Combien d’appels recevez-vous par émission ?
Hypothèse basse 200, hypothèse haute 400. Ce qui est plus que la plupart des émissions de
RMC.
Vous avez fait une émission « Les électeurs français sont les premiers
responsables de la médiocrité de nos partis politiques ». Est-ce que ce n’est pas la
même chose avec les médias ? Votre positionnement de simplification vient-il du
fait que les auditeurs demandent cela ? Ou plutôt les internautes ?
Donc le cercle vicieux que vous dénoncez en politique, il existe aussi dans le
monde médiatique ?
Je n’accepte pas cette observation parce que mon émission n’est pas vécue comme une
émission simplificatrice. Moi j’adore le discernement et je sais très bien que la vie est
toujours plus compliquée que ce qu’elle en a l’air. Je ne suis pas du tout un simplificateur. Je
vomis la simplification. On est dans un monde de complexité. Ce qui fait le charme et la
difficulté du monde actuel c’est la complexité. Je fais toujours l’éloge de la complexité. La
façon dont les problèmes sont posés par les journalistes que je combats ne me va pas du
tout. J’essaie tous les jours d’expliquer que c’est plus compliqué que ça. Je ne trouve pas que
mon heure à moi soit une heure de simplification.
Par ailleurs, le Brunet-métrie, c’est autre chose. Quand je trouve une bonne question, j’ai la
faiblesse de croire qu’elle est pertinente parce qu’elle ne reprend pas les éternelles
questions telles qu’elles sont posées par les journalistes qui font du manichéisme de bazar.
Vous voyez très bien comment la bien-pensance pose les problèmes, où elle met la limite, où
sont les gentils où sont les mauvais. C’est comme ça depuis des décennies. J’essaie justement
de casser cet espèce de manichéisme de western avec les méchants indiens et les gentils
cow-boys en posant des questions qui n’épousent pas la géographie du terrain habituel.
Mais vous avez raison, la simplification est le fait des médias. On a des médias qui sont
globalement abêtissants. C’est toujours le même son de cloche, c’est toujours la même
pensée unique. Je ne dis pas qu’il y a quelqu’un derrière pour dire « On va leur mettre ça
dans la tête », ce n’est pas vrai. Mais grosso modo la médiocrisation des journalistes génère
une médiocrisation des journaux, radio, télé, papiers, surtout radio/télé, et qui fait que,
chez des populations qui lisent de moins en moins de livres etc… ça devient parole
d’évangile et pour moi ça pose un problème.
64
Mon approche est très critique sur la polémique lorsque le buzz démarre alors
que personne n’a perçu le fond du problème. Par exemple, lors de la polémique
sur la jupe d’une lycéenne qui avait été exclue de son lycée. On a crié tout de suite
à l’atteinte à la laïcité, sauf que ce qui était critiqué par le proviseur n’était pas la
longueur de la jupe mais le comportement prosélyte…
Mais vous ne pouvez pas faire le procès des polémistes et des lanceurs d’alerte parce qu’il y
a des cons qui s’amusent à buzzer sur Twitter et des abrutis qui prennent des positions
absurdes. Vous ne pouvez pas dire « la polémique c’est dégueulasse » parce qu’il se passe
ça.
Il y a des polémiques utiles, des polémiques inutiles. Il y a des polémistes cons, des
polémistes moins cons. Chacun a son opinion sur les choses. Mais la polémique échappe aux
polémistes aujourd’hui. C’est un espèce de sujet sociétal qui est suscité, généré, par les
politiques, un chanteur, BFM TV, Itélé, un passant, des gens qui sont là, un type qui tweete.
Donc moi je ne suis pas vendeur de polémique. Je trouve que ce matériau de la
confrontation d’opinion est très noble. J’en ai marre du positionnement du journaliste qui
joue la neutralité absolue et qui ne l’est pas. La première de mes souffrances, c’est ça.
La polémique est un moment saillant de la vie sociale autour duquel les gens émettent des
opinions. Ces opinions, si on les laisse aller comme ça, elles vont suivre le lit qui est tout fait,
tout prêt, de ce qu’on pourrait appeler la « bien-pensance », qui est un terme un peu
galvaudé. Mais si on laisse faire les choses, finalement, on nous a déjà balisé le chemin. Moi
ce que j’aime c’est trouver une route latérale et dire « Attention, ce n’est pas tout à fait
vrai. »
Mais le polémiste doit aussi accepter d’avoir tord. Il m’arrive aussi dans mes émissions de
dire « Ah tiens je ne savais pas ça. » C’est le principe de mon émission. J’émets des opinions,
on s’engueule fraternellement. C’est aussi dire « Je me suis gouré ». C’est un truc très
français, on ne dit jamais « je me suis gouré ».
Dernière chose : ma problématique s’articule sur comment les sujets qui font
polémiques peuvent permettre de déterminer quelles sont les sensibilités d’une
société. Ce type de discours est basé sur la violence des mots, sur une linguistique
particulière qui recherche le conflit, qui prend moins en compte la raison que
l’émotion. Est-ce que vous vous inscrivez dans cette logique de conflit ou vous
cherchez à dénicher la raison au milieu de l’émotion ?
Vous avez raison sur l’émotion et la passion. Le rationnel et l’irrationnel sont constitutifs
de la polémique. Moi je ne fais pas ce calcul. Je dis que la France a inventé la Droite et la
Gauche. Ce n’est pas rien. En 1790, nous avons inventé la Droite et la Gauche. Tout au long
du XVIIIe, tout au long du XIXe, le débat français a produit des échanges d’une qualité
65
inouïe. Vous regardez les débats parlementaires, les bagarres dans les années 1910 entre
les débutés Barrès et Jaurès. C’était d’une violence brutale, abrupte. Mais c’était d’un
lyrisme éblouissant. Je suis accro à ce décorum républicain et à ce lyrisme là.
Donc je trouve ça beau. Et de façon presque chauvine, je trouve que c’est notre signature.
Quand on voyage un peu, on prend la mesure du fait qu’on est perçu comme les gens qui
ont inventé ce débat. Vous appelez ça polémique et vous semblez trouver que ce n’est pas
bien. Moi je pense que c’est notre signature nationale et que ça produit aussi des choses
éblouissantes. Je vous assure que dans le monde anglo-saxon, on ne polémique pas. Cet art
rhétorique, dialectique, fondé sur la confrontation des opinions, y compris dans la violence,
parce qu’il faut regarder les nom d’oiseaux qui sont échangés par nos parlementaires, il n’y
a pratiquement pas d’équivalent à l’époque dans le monde, c’est parfois violent. Mais ça
procède de la magie française.
Cette confrontation dans laquelle il y a du rationnel, et c’est vrai de l’émotionnel, je trouve
que c’est quelque chose qu’il ne faut pas qu’on perde. Le monde anglo-saxon est polissé. Oui,
moi j’aime cette polémique à la française.
Alors, vous avez raison, il y a polémique et polémique. Mais je trouve que cet art français de
se constituer dans cette théâtralité, avec le rationnel et l’irrationnel, c’est simplement beau.
66
Interview complète d’Anthony Arridon et Paul Laroque,
producteurs de l’émission « Les Grandes Gueules » sur RMC
Est-ce que vous pouvez expliquer rapidement le concept de l’émission ?
PL : C’est l’inverse d’une émission de débat actuelle parisienne. La société civile qui vient
tous les jours s’exprimer sur l’actualité, avec un panel le plus représentatif possible de
Français. En tout cas, c’est ce vers quoi on tend. Nous n’avons pas la prétention de dire
qu’on y arrive.
AA : C’est un peu un diner de famille où se rencontre la population française…
PL : … Active. Nos critères, c’est un peu être le choc des mondes. Foutre un prêtre
totalement gauchiste en face d’un avocat de droite. Il n’y a que dans les GG qu’on doit
pouvoir venir chercher ce mélange un peu incongru. On met des gens qui n’ont pas grand
chose en commun entre eux, qui débattent des mêmes sujets, qui on forcément un point de
vue différent et qui s’affronte. C’est un débat d’idée différent.
AA : C’est à l’image des émissions de bandes. On a une bande de chroniqueurs, une petite
vingtaine, on touille et on en choisit trois par jour.
Au hasard ?
PL : Non, déjà par couleur politique en soi. C’est un des premiers critères.
AA : On essaye de plus en plus que la féminité soit représentée.
PL : Quand on prévoit les « tablées », qui va être dans l’émission, on se dit « ces deux là
s’entendent bien ». Certains ne s’entendent pas et ça rend le débat contre-productif. Ils ne
débattent même plus sur l’idée, ils s’envoient des pics, on sort du débat. Mais parfois, tout
peut les opposer, mais ils peuvent s’apprécier.
AA : Mais si on ne met que des gens de gauche autour de la table, le débat est moins
intéressant. On n’oublie pas non plus les auditeurs qui nous écoutent qui doivent se sentir
représentés. Tu te branches, tu dois pouvoir te reconnaître dans un des trois qui est autour
de la table.
PL : C’est aussi un modèle à l’américaine : avec une personnalité, tu construis un show. Là,
Alain (Marshall) et Olivier (Truchot) pilotent l’émission, autour d’eux tu construis quelque
chose. Mais l’émission est axée autour de la bande des GG.
67
Comment recrutez-vous les GG ?
AA : C’est le fruit de rencontres improbables. Ça peut être des pistons. Une GG qui nous dit
« J’ai rencontré un gars, il est génial, c’est une vraie GG, on devrait le tester. »
Ça peut être un livre, un pamphlet. On peut faire venir l’auteur, on le trouve super bon, on
peut le tester en tant que GG.
PL : Ou quelqu’un qui se signale dans l’actualité par un cri d’alarme, une marche, un
lanceur d’alerte, quelqu’un qui pousse un coup de gueule qui est un peu médiatisé. On va
l’inviter à ce moment parce qu’il fait tous els plateaux, parfois on le garde.
Ça peut être aussi un auditeur. Il y a plusieurs auditeurs qui sont devenus GG par leurs
interventions au 3216. On les a repérés, on leur a dit de venir, on les a testés en direct à
l’antenne. Ce sont des gens qui ont un avis sur tout, tout le temps. Ça ne peut pas être des
gens trop conventionnels, ils sont tous un peu fous à leur manière. Une folie positive.
AA : On lance aussi des opérations de recrutement.
Comment choisissez-vous vos sujets ? Ils calent à l’actualité toujours ? En fonction
de ce qui fait parler en ce moment ? A partir de quel degré de reprise médiatique
décidez-vous qu’un sujet doit être abordé dans les GG ?
AA : Un peu tout à la fois.
Notre feeling est par rapport à la population qui nous écoute. On sait ce qui marche avec
nos auditeurs.
Qui sont ?
PL : Le cœur de cible, ça reste du 35-40 ans, majoritairement masculin, profession libéral,
artisan ou indépendant. On est beaucoup écouté par les gens qui sont en bagnole.
L’infirmière libérale qui fait de l’assistance à domicile, le taxi, le boulanger, le buraliste, le
restaurateur.
AA : C’est assez rural. Mais on est aussi devant Europe 1 sur les CSP supérieures et en Ile de
France.
PL : Mais on peut se faire la réflexion sur un sujet : « Non, c’est trop parisien. » Il faut
qu’une majorité d’auditeurs se sentent concernés.
Ensuite, il faut qu’il y ait un sujet à débat. On revient vers la polémique, mais ce n’est pas
forcément que sur du buzz médiatique. On fait pas mal de petits sujets de vie quotidienne.
68
Par exemple, il y a eu un sondage sur « Combien vous manque-t-il pour vivre
confortablement par mois ? ».
AA : Mais on a aussi nos marronniers : la clope, les radars, les péages. Tout ce qui touche
une masse de population très importante au quotidien, là pour nous c’est jackpot. On sait
que le sujet va bien fonctionner. Quand on fait des sujets trop techniques, ça ne marche pas
toujours. Quand on fait des sujets trop politiques, pareil.
PL : Oui, la politique ça gave les gens, surtout depuis un an et demi. Même la grosse
polémique, les gens se détournent un peu. Après, les gens écoutent mais n’appellent pas
forcément.
Qu’est-ce que vous appelez « la grosse polémique » ?
AA : L’affaire Bygmalion, le voyage de Valls en avion.
PL : La grosse polémique ça peut être une petite polémique d’une journée.
Comme la polémique sur la « petite pipe » de Patrick Sébastien ?
PL : Ça, c’était un excellent sujet.
Votre émission se nourrit de ce genre de polémique ?
PL : Oui, mais je ne supporte plus ce reproche de « c’est du populisme ». Très rapidement,
quand on traite ce genre d’infos, on mêle de gros sujets avec des sujets plus détendus. C’est
pour ça que la pipe de Patrick Sébastien, après un sujet économique, oui c’est parfait. On
n’en fait pas non plus une heure, on va faire 20 min, on va déconner avec.
Est-ce qu’il y a des sujets ou des grands thèmes que vous voyez revenir plus
régulièrement que d’autres ?
AA : L’emploi.
PL : La difficulté, c’est que nos sujets ne sont pas toujours collés à l’actualité nationale.
Parfois, on aime prendre de tout petits sujets trouvés dans de la presse régionale. Donc
c’est très varié.
Est-ce que vous diriez que l’émission à pour objectif de susciter des polémiques ou
plutôt de parler de polémiques déjà existantes ?
AA : On en crée.
69
PL : Mais on fait du débat, on crée notre actu Grande Gueules.
Mais on surfe sur des questions qui amènent controverses, qui amènent polémique.
C’est surtout pour le débat GG qu’on met en ligne, la grosse question, sur laquelle on
appelle les internautes à réagir. Quand on lance une question, on sait que les gens seront
forcément pour ou contre.
AA : On connaît aussi nos auditeurs, on sait quels sont ceux qui se mobilisent sur internet.
C’est comme un Trip advisor de l’information, les gens commentent plus facilement un
restaurant s’ils l’ont trouvé dégueulasse. L’actualité c’est pareil. Si tu n’es pas content, là tu
appelles.
PL : Pour la question on prend souvent la comparaison : c’est la question qui fait parler à la
machine à café. Quel est le sujet qui fait réagir les gens ? Quelle est la question qui va
amener controverse, donc polémique ?
Donc vous prenez des sujets polémiques et vous en débattez dans votre émission.
Qu’est-ce que vous pensez du reste du traitement médiatique des grandes
polémiques, par les chaines d’info ou les sites internet ?
PL : Alors, c’est très subjectif, et je nous inclus dedans, mais je trouve que c’est trop rapide.
On s’emballe très vite sur beaucoup de chose.
AA : C’est l’effet « chaines d’infos » aussi.
PL : Oui, et on va beaucoup plus vers une « BFMisation », comme ils disent, de l’info. Mais
peut être qu’avant on prenait plus le temps d’aller au fond des choses avant de balancer
des cailloux dans l’eau. Je ne dis pas « c’était mieux avant », mais je trouve qu’effectivement
ça va un peu trop vite.
AA : Puis il y a des polémiques qui paraissent tellement futiles sur lesquelles on revient.
PL : D’un autre côté, je vais me faire l’avocat du diable : tout le monde tombe à bras
raccourcis sur BFM TV, mais ce que j’adore c’est qu’aujourd’hui c’est la première chaine
d’info de France. Tu vas dans n’importe quel bistro, ils mettent BFM. Tout le monde déteste,
mais en même temps tout le monde les regarde.
Et c’est une fatalité ?
AA : Je ne sais pas, mais il y a une énorme masse d’info qui n’est pas digérée.
PL : Et on a tendance à passer très vite à autre chose.
70
AA : Une énorme actualité qui va faire la Une pendant une journée, et va être
complètement oubliée le lendemain parce qu’une autre a pris sa place.
PL : Oui mais ça c’est le temps médiatique.
AA : C’est des feuilletons. On a eu Charlie Hebdo, puis Bygmalion, puis les migrants.
Aujourd’hui CH est tombé un peu dans l’anonymat. Les ventes sont carrément retombées.
PL : Mais en France, on a encore des limites par rapport au modèle d’info américain. On est
encore loin de la Trash society façon CNN et consorts.
Quel est le rôle de votre émission dans le flux d’information que reçoivent les gens
chaque jour ?
AA : C’est un condensé d’opinions sur plusieurs actualités du moment. On suscite la
réflexion, on amène l’auditeur à trancher. L’auditeur écoute, sur un sujet donné, des avis de
gens complètement différents. On lui apporte une masse d’arguments et après il fait son
choix.
PL : Susciter la réflexion puis la réaction.
71
Interview complète de Romain Segond,
Social media manager chez RMC
Vous êtes donc Community manager ?
C’est mon titre, mais si on veut être plus rigoureux, il faudrait dire « Social media
manager ». Un CM gère un compte. Moi je manage tous les comptes RMC, Bourdin, Grandes
Gueules, Brunet… Un CM, c’est celui qui s’occupe opérationnellement d’un compte.
Quel est votre rôle, en tant que chargé de communication numérique ?
Assurer la présence de RMC sur les réseaux sociaux.
Est-ce que faire ce travail chez RMC présente une particularité ? Est-ce que ce
serait la même chose dans d’autres radios ?
D’autres radios ce serait essentiellement pareil, à la différence près que RMC a une
stratégie basée sur des personnalités fortes, des émissions incarnées, ce qui se voit peu
ailleurs. Ça impact directement le Social media. On a des marques émissions très fortes et
des comptes émissions très forts, du type de celui d’Eric Brunet, de Jean -Jacques Bourdin,
des Grandes Gueules, de Vincent Moscato, de Brigitte Lahaie… On le retrouve très peu chez
d’autres radios. C’est aussi dû au fait que chez RMC la grille n’a pas bougé depuis 10 ans.
Dans les autres radios, c’est la valse tous les ans, c’est dur de construire des communautés
sur la longueur.
La différence est que nous avons un écosystème plus large à gérer parce que chaque
émission est une marque. Ça demande un peu plus de moyens pour le faire vivre.
Est-ce que vous gérez différemment chaque compte ?
Oui. Lahaie est un ton différent de Bourdin, on ne va pas prendre la parole de la même
façon. Même si, sur Twitter, c’est tellement court que c’est compliqué de nuancer. Il y a une
différence dans la nature des contenus et dans la façon de les pousser. Certes, il y a les
comptes émissions, mais il y a aussi les comptes « marque » : RMC info, RMC sports, il y a
des temporalités différentes. Le compte émission va vivre surtout pendant le live, alors que
le compte RMC va être diffus tout au long de la journée.
Sur le compte RMC, on va partager aussi des contenus qui vont être complètement
déconnectés de la radio elle-même, des actualités, des choses comme ça. Avec un compte
émission on est obligé de se rattacher purement à l’émission. Celui qui suit les GG, il ne veut
72
pas l’actu différente des GG. Il vaut juste suivre sa marque. Alors que RMC a une vocation à
traiter l’actu plus largement que ce qu’il se passe sur l’antenne.
Est-ce qu’il y a un vrai lien en direct entre les comptes Twitter des émissions et
l’émission elle-même ? Est-ce qu’il y a beaucoup d’activité sur Twitter sur le
compte de l’émission pendant l’émission ?
Absolument. Après il faut savoir que chez RMC, le sport est externalisée à une agence
intégrée au groupe, donc spatialement et stratégiquement on ne fait pas les choses
ensembles. Moi je suis surtout en charge de l’info.
Sur l’info, j’ai mis en place un live-tweet quasi-systématique pour chaque émission. Ce
n’était pas du tout le cas avant. C’est fait avec le compte émission, sauf la matinale de JJ
Bourdin qui est aussi live-tweetée avec le compte RMC parce que c’est ce qu’il y a de plus
important pour une radio. Il faut mettre le paquet.
Comment tu choisis les sujets qui méritent une publication Facebook, les phrases
qui méritent d’être tweetées ?
Ça m’appartient complètement, ou c’est le CM qui en prend la responsabilité. C’est lui qui
va choisir de relayer telle ou telle parole. Mais toute l’équipe de l’émission s’y met aussi. Si
tel invité dit quelque chose, il peut soit y avoir un producteur qui dit « ça, il faut le
tweeter », soit un animateur en studio qui le signale, tout le monde écoute l’antenne et tout
le monde a son propre jugement sur ce qui est important de mettre en avant ou pas. Au
final, le CM va le faire. 80% des tweets émanent directement de la volonté du CM et 20%
seraient demandés par l’équipe environnante.
Facebook, c’est très différent. On publie beaucoup moins sur Facebook que sur Twitter. Il
faut partir du principe qu’un tweet, ça dure 5 minutes, un post Facebook, ça dure une
heure. Facebook est plus déconnecté de l’antenne, on va annoncer le programme avant, on
va sortir un moment fort en vidéo, des choses plus déconnectées.
Twitter, on essaye de coller au direct. L’outil est différent. Les tweets se classent de façon
temporelle, ce qui n’est pas le cas sur Facebook ou l’algorithme peut remettre un post deux
heures plus tard. Ça n’a aucun sens de partager un truc qui vient d’être dit ou de dire
« Réagissez maintenant » ou « Ecoutez ça maintenant ». Il faut voir Facebook comme des
publications plus qualitatives, déconnectées du direct.
Comment on choisit le titre d’une publication Facebook ?
Ça dépend du type de contenu. Si c’est une opinion, c’est à dire une vidéo de quelqu’un qui a
dit quelque chose de choc, le titre va être la citation, souvent contextualisée, par
exemple « Air France : « citation » ». La photo est censée incarner donc forcément c’est la
73
tête de l’invité. On se sert de l’espace sur Facebook soit pour apporter un élément de
contexte supplémentaire, soit pour donner sa propre opinion dessus, soit pour le tourner en
dérision, faire une blague. Il faut se dire que le titre de l’article, c’est ce qui va être
accrocheur et descriptif, et le commentaire Facebook, c’est là que nous allons prendre la
parole. On doit parler directement à celui qui va nous lire. Avec ce commentaire, il faut
avoir une plus-value. La personne qui nous lit doit se dire « Là il me parle, il est complice
avec moi », il faut qu’il y ait de la proximité et de l’humain alors que le titre est beaucoup
plus froid.
Ça c’est pour une opinion. Si c’est une information, forcément c’est l’information qui va
primer. L’accroche du dessus est très subjective. Je me bats un peu là-dessus en ce moment.
Les Web-rédacteurs ne sont pas très au fait des bonnes pratiques là-dessus et ont tendance
à remettre des citations, c’est souvent froid, ça ne touche pas beaucoup les gens. On a fait
des tests ces derniers temps en mettant des accroches plus personnelles, plus cools.
Forcément, ça accroche beaucoup plus et ça peut être de l’ordre du double ou triple en
termes de visibilité et d’engagement sur la publication.
Sur Twitter ?
C’est plus court donc c’est toujours la même mécanique. C’est « Contextualisation : citation
forte/info forte, le lien, un visuel qui l’incarne bien, et souvent un hashtag qui permet de le
référencer. »
Et niveau utilisateurs ? Quel genre de réponse tu as sur les différents RS ?
Alors le public sur Twitter est plus diplômé, plus urbain que celui sur Facebook. Mais de là
à dire que ça impacte directement la nature des commentaires, ce serait un peu
présomptueux.
Sur Facebook, les gens profitent évidemment d’avoir de la place pour parfois s’étaler
pendant des lignes. Mais très franchement, ce ne serait pas très sérieux de dire que l’un est
plus pertinent que l’autre. Il y a du génie et de la connerie dans les deux.
Est-ce que vous observez certains sujets qui fonctionnent mieux que d’autres, en
terme de reprises/partage/commentaires ? Quels sont les types de sujets qui vont
faire réagir ?
Alors il faut dissocier l’information de l’opinion. C’est difficile de dire qu’une information
marche mieux qu’une autre. C’est plus un degré d’intensité.
En revanche, tout ce qui a attrait à l’opinion, on se rend compte que plus l’opinion est
tranchée, plus elle amène de la réaction. Au delà du fait qu’elle soit tranchée ou lisse, il y
aurait un autre curseur : l’appartenance politique à laquelle elle se réfère. On se rend
74
compte que les opinions extrêmes, et souvent extrême-droite, tout ce qui va toucher des
sujets liés à l’immigration, à la religion, vont tout de suite amener beaucoup plus de
réactions. C’est assez impressionnant à voir.
En purs termes quantitatifs, nous avons reçu Philippe de Villiers la semaine dernière qui a
été assez brutal sur la religion, sur la crise des réfugiés… On a fait notre record absolu de
réactions sur Twitter ce matin là avec 4500 tweets environ. On tourne en moyenne à
1500/2000 tous les matins. Ça alliait à la fois le côté très tranché de l’opinion assumée et
un curseur politique très à droite auquel réagissent bien nos communautés.
Les retweets ont été trois à quatre fois plus importants que d’habitude. Et le RT marque
une adhésion. On peut dire qu’il y avait plus d’adhésion que de rejet.
Comment est-ce que vous définiriez un sujet polémique ?
C’est un sujet sur lequel on se positionne d’une manière ou d’une autre. C’est un sujet qui
amène un pour/contre et une prise de position intuitive d’un côté ou de l’autre par rapport
à ce sujet.
Est-ce que vous voyez, dans votre position, des sujets que l’on nomme
« polémique », qui montent et retombent dans la journée ?
Entre nous, on ne parle pas de polémiques. On ne se dit pas « on va en faire une
polémique ». On se dit que des choses vont mieux marcher que d’autres. Ce qui est
intéressant pour nous c’est « Qu’est-ce qui va marcher ? ». On ne peut pas savoir sur le
moment. Quand on a reçu Jean-Marie Le Pen, on ne pensait pas que ça allait être l’affaire
du siècle et que ça allait faire exploser le FN. On s’est dit « Ces propos, ce n’est pas rien, ça
mérite d’être mis en avant et poussé. » On pousse des contenus, c’est très compliqué
d’anticiper vraiment l’appropriation que les gens vont s’en faire derrière et les
répercussions médiatiques. On ne peut pas anticiper ça.
Parfois, on pense que des propos sont importants et on s’aperçoit en les poussant que même
l’AFP ne l’a pas repris. Sur l’affaire Morano, on a reçu Jean Rottner, maire LR de Mulhouse.
Il a offert une porte de sortie à Morano en lui proposant de présenter des excuses écrites.
On savait que Morano était en Russie, on l’appelle. Nos journalistes l’appellent hors
antenne. Ils lui disent que Rottner lui propose ça, et elle dit qu’il en est hors de question. On
avait déjà sorti l’info qu’une porte de sortie s’ouvrait à elle. On sort immédiatement l’info
qu’elle refuse de faire des excuses et qu’elle est prête à passer devant cette commission.
Là, on pousse l’info, on la met en avant sur les bandeaux à la télé, on le tweete etc… Et on se
dit que l’AFP va au moins le reprendre, mais je ne crois pas qu’ils l’aient fait.
75
Du coup, comment savoir ce qui va marcher ? C’est quoi la stratégie pour que les
gens cliquent sur le lien ? Quels sujets mettre en avant ? Des sujets sensibles ? Des
sujets racoleurs ? Faire des titres « aguicheurs » ?
Ça, oui, forcément. Après, mon objectif n’est pas que les gens aillent sur le site. Mon objectif
est que la marque RMC s’imprime dans l’esprit des gens, d’une manière ou d’une autre. Le
but est que les gens retiennent le nom « RMC ». Le modèle économique d’une radio est basé
sur la publicité et les tarifs de cette publicité sont indexés sur l’étude médiamétrie qui sort
tous les trois mois. C’est tout le marché de la pub qui se base là dessus. Cette étude est faite
en appelant des gens et en leur demandent ce qu’ils ont écouté hier. C’est ça le nerf de la
guerre pour les radios. Une radio n’a qu’un but, c’est que si on appelle quelqu’un, qu’on lui
demande ce qu’il a écouté hier à telle heure, il dise « Ma radio et telle émission ». D’une
manière ou d‘une autre il faut que les gens sachent que RMC existe, qu’il y a Bourdin le
matin, les GG à telle heure… C’est ça qu’on essaye d’imprimer au maximum.
Ma mission c’est de déployer la marque sur tous les supports possibles.
On se passe un peu de la morale. On ne veut pas vraiment élever les consciences, on veut
que les choses soient vues, que ça marche.
Vous voulez faire le buzz ?
En un sens oui, mais ce n’est pas un objectif premier. Vouloir faire le buzz c’est pour moi le
meilleur moyen de faire un bad buzz. Ça peut être très destructeur pour une marque.
On ne cherche pas à faire le buzz, on cherche à être visible en essayant d’allier le
quantitatif et le qualitatif. On cherche aussi à parler à notre communauté en lui donnant ce
qu’elle veut, forcément en étant un peu racoleurs, mais je pense que c’est un peu le propre
de tous les médias.
Est-ce que vous faites de la veille sur les autres sites d’info pour savoir si un sujet
va être repris par beaucoup de monde ?
Oui, bien sûr. On utilise un outil qui s’appelle Trendsboard. Il permet en temps réel, en
fonction de thématiques, actu, politique sport… de faire remonter les contenus qui sont les
plus partagés en ce moment, les plus tweetés, les plus likés sur Facebook, les mieux notés
sur Google. Il y a tous les indicateurs possibles. En temps réel, on voit les sujets qui
remontent, on peut créer des veilles par occurrence de termes. On peut jouer avec tous les
curseurs. On voit tout de suite ce qui marche le mieux sur toutes les thématiques.
Forcément, les rédacteurs Web utilisent ça pour leurs choix éditoriaux.
Ils ne vont plus faire de l’investigation, aller chercher l’info. Ils voient que cette info
marche, ils la publient.
76
TABLE DES MATIERES
1. LES POLEMIQUES : DEFINITIONS ET EVOLUTIONS
1.1. LA DEFINITION CLASSIQUE DE LA POLEMIQUE ……… 9
1.1.1. ORIGINE DU TERME
1.1.2. SENS PREMIER : LA CONTROVERSE RELIGIEUSE
1.1.3. DEBATS LITTERAIRES
1.2. L’EVOLUTION DU DISCOURS POLEMIQUE ……… 15
1.2.1. L’UTILISATION DU TERME EN FRANCE A LA FIN DU XXE SIECLE
1.2.2. DISQUALIFIER L’ADVERSAIRE
1.3. LA POLEMIQUE AU XXIE SIECLE ……… 18
1.3.1. LA PASSION AU CŒUR DU DEBAT
1.3.2. L’ESPACE D’EXPRESSION DE LA POLEMIQUE
1.3.3. LA POLEMIQUE CONTEMPORAINE
2. LE CIRCUIT D’UNE POLEMIQUE MEDIATIQUE 2.1. L’EVENEMENT ET LA NAISSANCE DE LA POLEMIQUE ……… 24
2.1.1. NAISSANCE D’UNE POLEMIQUE : L’AFFAIRE DE LA « PETITE PIPE » (MAI
2015)
2.1.2. LE PROBLEME TWITTER
2.2. LA REPRISE MEDIATIQUE ……… 29
2.2.1. LE ROLE DE LA POLEMIQUE POUR UNE ENTREPRISE MEDIATIQUE
2.2.2. LE TRAITEMENT DE LA POLEMIQUE
2.3. APOGEE ET CHUTE D’UNE POLEMIQUE ……… 33
2.3.1. REPRISE POLITIQUE
2.3.2. LA FIN D’UNE POLEMIQUE
3. TROIS POLEMIQUES A LA LOUPE 3.1. LE VOYAGE DE MANUEL VALLS A BERLIN (JUIN 2015) ……… 37
3.1.1. LES RAISONS DE LA POLEMIQUE
3.1.2. REACTIONS MEDIATIQUES
3.1.3. REACTIONS POLITIQUES
3.2. L’AFFAIRE DE LA JUPE (MAI 2015) ……… 42
3.2.1. LA PREMIERE INTERPRETATION : UN COMBAT MELANT LAÏCITE ET FEMINISME
3.2.2. UN PEU DE NUANCE
3.2.3. LA LAÏCITE, SUJET POLEMIQUE EN FRANCE
3.3. NADINE MORANO ET LA « RACE BLANCHE » (SEPTEMBRE-OCTOBRE
2015)………46
3.3.1. LES RAISONS DE LA POLEMIQUE
3.3.2. REACTIONS MEDIATIQUES
3.3.3. REACTIONS POLITIQUES
77
LES POLEMIQUES MEDIATIQUES
EN FRANCE EN 2015
DEFINITIONS, EVOLUTIONS, SIGNIFICATIONS
Ce mémoire tente d’analyser le concept de « polémique » dans la société
médiatique française actuelle. Les multiples définitions du terme rendent essentielle une
réflexion préliminaire sur les différentes acceptions du terme. L’analyse de l’évolution
de la définition permet de nourrir la réflexion qui suit et d’inscrire ce mémoire dans un
corpus déjà existant et varié.
La définition du concept permet d’étudier le pourquoi et le comment du processus
d’évolution d’une polémique dans la société médiatique instantanée dans laquelle nous
visons. La multiplicité des réseaux, des plateformes d’informations, a fait croitre de
façon exponentielle le potentiel d’évolution des objets de polémiques et rendu plus
difficile leur interprétation superficielle.
C’est pourquoi l’étude approfondie des quelques polémiques ciblées permet mettre en
évidence des sujets sensibles dans la société française, dont le débat public apparaît
aujourd’hui si troublé.
Mots clés :
Polémique
Politique
Internet
Réseaux sociaux
Médias
Sensibilité
Société