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APRÈS AVOIR AUSCULTÉ LES DÉTRITUS DE STARS, PASCAL ROSTAIN ET BRUNO MOURON ONT PHOTOGRAPHIÉ LES DÉCHETS DE FAMILLES SUR TOUS LES CONTINENTS LES POUBELLES RAC L’étude anthropologique a com- mencé il y a vingt-cinq ans, sur le trottoir de Serge Gainsbourg dont nos chercheurs venaient de faire le portrait. Une découverte de hasard devenue un geste rituel. Et le plus étonnant est qu’ils ont persévéré. Leur rigueur est toute scientifique. Ils s’assurent que le contenu du trésor appartient bien au proprié- taire qui les intéresse et non à un de ses amis ou employés. La pou- belle est certifiée, millésimée et mise en forme pour devenir une véritable nature morte. Homo détritus, descendant trop gour- mand d’homo erectus et d’Homo sapiens, fait désormais l’objet d’ex- positions dans les galeries d’art. CHEZ KATE MOSS Coca, chips, bonbons, saint-émilion... avec la « brindille », rien n’est light. PHOTOS BRUNO MOURON ET PASCAL ROSTAIN PARIS MATCH - 17/10/2013 - N° 3361

LES POUBELLES RAC - Veolia · 2018. 12. 7. · avec la «brindille», rien n est light. PHOTOS BRUNO MOURON ET PASCAL ROSTAIN PARIS MATCH - 17/10/2013 - N° 3361. ONTENT LE MONDE

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APRÈS AVOIR AUSCULTÉ LES DÉTRITUS DE STARS, PASCAL ROSTAIN ET BRUNO MOURON ONT PHOTOGRAPHIÉ LES DÉCHETS DE FAMILLES SUR TOUS LES CONTINENTS

LES POUBELLES RAC

L’étude anthropologique a com-mencé il y a vingt-cinq ans, sur le trottoir de Serge Gainsbourg dont nos chercheurs venaient de faire le portrait. Une découverte de hasard devenue un geste rituel. Et le plus étonnant est qu’ils ont persévéré. Leur rigueur est toute scientifi que. Ils s’assurent que le contenu du trésor appartient bien au proprié-taire qui les intéresse et non à un de ses amis ou employés. La pou-belle est certifi ée, millésimée et mise en forme pour devenir une véritable nature morte. Homo détritus, descendant trop gour-mand d’homo erectus et d’Homo sapiens, fait désormais l’objet d’ex-positions dans les galeries d’art.

CHEZ KATE MOSS Coca, chips, bonbons, saint-émilion...avec la « brindille », rien n’est light.

P H O T O S B R U N O M O U R O N

E T P A S C A L R O S T A I N

PARIS MATCH - 17/10/2013 - N° 3361

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ONTENT LE MONDE

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EN FRANCE, LA LUTTE DES

CLASSES SE POURSUIT JUSQUE

DANS LES MIETTES

La quête s’étend sur les cinq continents, des bords de la Seine au Pacifi que. L’art de vivre est ausculté avec le même sérieux. Aux Tuamotu, le poisson est roi et fi nement disséqué. A Marie-Galante, on remplace les brosses à dents par batterie. A Ivry, le journal quotidien est un gratuit complété par un numéro spécial « Dépenser moins », mais la bière coule à fl ots. A Neuilly, on préfère « Le Monde », « Le Figaro » et le « Daily Mail » et on consomme avec circonspection. Le butin sera rapporté à Paris, tel quel, avant d’être mis en beauté, ce qui provoque parfois des malentendus avec la douane et la police.

« Village de l’Espoir », Ivry-sur-Seine.

« Tuamotu », Polynésie française.

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« Hôtel particulier », Neuilly-sur-Seine.

« Marie-Galante », Antilles.

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DU MALAWI AU QATAR,

DU DÉPOUILLEMENT À L’OPULENCE

La fracture mondiale en un document. Revenu par tête au Malawi : 596 dollars par an. Sur les rives du lac Nyassa, l’épi de maïs est donc rongé jusqu’au trognon. Au Qatar, 145 000 dollars et un taux de croissance de 19,4 % par an qui augure bien de l’avenir. Mais le menu qatari paraît sobre, à la limite de l’ascétisme : la poubelle n’est pas l’annexe du cof re-fort. Au pays des derricks, nos reporters notent une présence réconfortante, Carrefour comme Danone sont appréciés. La balance commerciale entre les deux pays n’est donc pas totalement défi citaire pour la France. D’une manière constante, les articles français parviennent d’ailleurs dans le monde entier.

A g. : maïs au Malawi, chips aromatisées au Qatar.A dr. : « Malawi », tout pour le végétal, « Qatar » : Activia et Coca.

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96 PARIS MATCH DU 17 AU 23 OCTOBRE 2013

VEUVE CLICQUOT CHEZ LES UNS, SACS CARREFOUR CHEZ D’AUTRES, ON TROUVE DES PRODUITS FRANÇAIS DANS LE MONDE ENTIER

Grâce à eux, les chercheurs qui étudieront notre société de consomma-tion n’auront pas besoin de déchiffrer 500 000 tablettes, comme des

dizaines de savants l’ont fait pendant cinquante ans pour savoir quelles sortes de bière buvaient les Sumériens. Il leur suff ra de se pencher, parfois avec une loupe binoculaire, sur les photos de nos reporters-rudologues qui ont transformé les réceptacles à déchets en coffres-forts du savoir. Toute notre société est là. Leurs archives sont classées comme les herbiers de Linné ; et si l’art de la présentation – à la manière des nouveaux réalistes

– ajoute à l’intérêt, il ne transforme pas une réalité triviale, il la rend lisible. Tous ceux qui voient leurs photos ont à leur tour le même réf exe d’entomologistes. Ils se penchent pour scruter, s’étonnent, s’interpellent, commentent. Que ce soit le legs (involontaire) d’un Marlon Brando, d’un pasteur du Malawi ou d’un inconnu, au Japon ou à Paris, l’intérêt est dopé. Je rejette, donc je suis. Mais je suis qui ? Ils apportent des éléments de ré-ponse à cette question existentielle. L’étude a commencé il y a vingt-cinq ans, ce n’est donc pas un caprice de photo-graphes habitués à traquer l’événement, une semaine chassant l’autre, mais une ténacité d’ethnologues. Il y a cent vingt-huit ans qu’Eugène Poubelle a imposé aux Parisiens d’utiliser un réceptacle clos pour mettre sur le trottoir ce dont ils ne voulaient plus. Hors de ma vue. Loin de mon nez. L’objet trivial est devenu rituel, mais nul n’avait songé à en faire un sujet d’études. L’erreur est réparée. L’inven-tion du préfet parisien se révèle un trésor pour les chercheurs, qui est d’ailleurs pré-senté avec le même soin que mettent les meilleures maisons de la place Vendôme à proposer leurs joyaux. Un écrin pour attirer le regard et stimuler les analyses. La rudologie a désormais ses lettres de noblesse. Le mot est récent, né du latin « rudus », qui signif e déchet, ce qui est jugé tel : rejeté. Mais, désormais, archivé ! Et enseigné à l’université du Mans.

Leur longue quête leur a fait décou-vrir un phénomène essentiel : après la dif-fusion du modèle d’origine (1886) qui stocke et préserve, c’est le packaging qui change tout. Aujourd’hui, les volumes décuplent et les rebuts sont identif ables. Ce n’est plus la bouillie des gadoues, mais l’annexe ultime du frigo et des placards, les graffs de notre temps : un récit en vrac mais cohérent, lisible. Dis-moi ce que tu rejettes, je te dirai ce que tu es.

Depuis vingt-cinq ans, sans le pré-voir au début, ils sont les nouveaux mineurs de fond de notre bien-être caché. Ce n’est pas un projet obsessionnel mais le fruit d’une rencontre, celle de Serge

Gainsbourg , dont ils faisaient le portrait pour Match. Activité classique. Ce qui l’est moins, c’est la vision de la poubelle de la star que Fulbert, le maître d’hôtel, venait de conf er au trottoir de la rue de Verneuil. C’est l’œuf de Colomb, la pomme de Newton, le couvercle (eh oui !) de Denis Papin. Eux aussi ont crié eurêka. L’autre idée était de présenter leurs trou-vailles pour donner un contenant chic, ga-leriste, à leur pêche. Ils viennent de loin, de Spoerri, d’Arman, grands noms et grandes recettes à partir des restes. Mou-ron et Rostain, généreux, ne cachent rien. Au contraire, ils exhument. S’ils ont beau-coup travaillé chez les grands de ce monde – c’est leur dur métier –, ils ont étendu leur champ d’investigation à des ano-nymes, des gens normaux. La seule condi-tion était de s’assurer que la poubelle soit bien celle du propriétaire visé et non celle des domestiques ou amis. Il fallait donc attendre parfois des mois pour être sûr que la pâtée pour chat était bien pour celui de Mick Jagger. Louable exigence qui a les côtés épuisants et rebutants d’une longue traque. C’est leur travail en binôme qui leur a permis de résister à l’usure du temps depuis un quart de siècle. La clé de leur victoire sur la durée, c’est cette symbiose, ils ne font qu’un. Il y en a toujours un pour soutenir l’autre quand l’assaillent le doute et la fatigue.

Comme tous les grands artistes, ils ont connu des « périodes ». Elles étaient bleue ou rose chez Picasso, elles sont géo-graphique ou sociologique chez eux. Pen-dant deux décennies, ils ont travaillé à leur compte, en parallèle avec leur métier de photoreporters. Quand ils partaient à Los Angeles pour couvrir les Oscars, ils avaient plus de chances de trouver des stars à leurs postes ; garantie d’exhumer le « rudus » aussi authentique que les traces de leurs mains devant le fameux théâtre chinois. Prieuré-Lichine et Veuve Clicquot millésimés, c’était bien à Jack Nicholson et non à son chauffeur. C’est donc un autoportrait. Et s’il y avait des sacs Chopard chez Charlize Theron, c’est elle qui avait fait les courses, pas sa femme

CHEZ JEFF KOONS Collection de palettes sur papier format A4, masques...

PA R F R A N Ç O I S P É D R O N

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par i smatch .com97

de chambre. Les milliardaires ne sont pas soumis à la même enseigne (œnologique). Bernard Arnault se contente d’un Roche Mazet à 7,98 euros alors que François Pinault est plus sensible au Mouton Rothschild. Andy Garcia préfère un Château Mille secousses, marque fran-çaise très en vogue sur la côte est. On trouve des produits français dans le monde entier, c’est réconfortant pour notre balance commerciale extérieure.

Puis, les années passant et le succès aidant – même s’ils refusaient les cimaises et les musées, tentatives de récupération pour ces purs du rebut –, leur « herbier de la planète » a séduit Veolia qui, comme d’autres f rmes qui traitent la f n de vie des déchets, est concernée par les 4 000 milliards de tonnes de rejets annuels d’Homo détritus. Plus d’une demi-tonne par Français et par an. Le tandem a donc parcouru le monde à fonds propres et sponsorisés, car ce n’est pas une mince affaire d’aller au Malawi puis chez les

Aborigènes, à 10 000 kilomètres. Et c’est une contrainte de rapporter ses décou-vertes, ce que ne comprennent pas tou-jours les douaniers. Ceux de l’aéroport de Sapporo avaient été effarés, c’était lors du G8, en 2008, quand Pascal avait glissé son « herbier » fraîchement récolté dans les soutes de l’avion présidentiel. En chemi-nant de par le monde, ils ont enf n ren-contré le monde de l’art. Buren, Koons et son équipe, Christo qui empaquette – très soigneusement –, même ce qu’il rejette. Il peut aussi bien tailler un costume au pont Neuf qu’emballer quelques bouts de carton périmés. On se demande même s’il n’a pas commencé comme ça…

Après 87 portraits intimes, ils refusent toujours de se prendre pour des artistes, même s’ils ont inventé un nouveau « nou-veau réalisme ». « Ce sont de véritables psychologues de l’art de vivre », dit Gilles Dyan, leur galeriste. Mais le réalisme est toujours nouveau puisqu’il s’agit d’une vision du monde personnelle : c’est

l’artiste qui crée (invente) le réel. Duchamp, le grand pionnier qui avait transformé en 1917 un urinoir en trésor de l’art, serait enchanté de leur travail. C’est une satisfaction supplémentaire pour nos deux artistes chercheurs, leur démarche a de très beaux parrains. Et un avenir radieux. S’ils ont raté Julien Gracq – leur idole – et Soljenitsyne, ils ont encore beaucoup de couvercles à escamoter. A la manière d’Asmodée, le diable boiteux, qui soulevait le toit des maisons pour découvrir les secrets des contemporains de Louis XV. ■Les expositions : Opera Gallery, 356, rue Saint-Honoré, Paris Ier, jusqu’au 5 novembre. Centre Pompidou-Metz, du 26 février au 9 juin 2014. Maison européenne de la photographie, du 26 mars au 26 juin 2014, Paris IVe. Le livre : « Autopsie », éd. de La Martinière.

CHEZ MICK JAGGER. A Londres, une bouteille de rouge face à une montagne d’Evian.

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Zahra.GIACOMINI
Texte surligné