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Les provinces chinoises

China's Provinces

PROVINCE

VARIATION CAPITAL VARIATIO

N PINYIN CHARACTER

NICKNAME

Anhui Anhwei Hefei Hofei An1hui1, He2fei2

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Fujian Fukien Fujian Foochow, Foochou

Fu2jian4, Fu2zhou1

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Guangdong

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Guizhou Kweichow Guiyang Kweiyang, Kueiyang

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Hainan   Haikou   Hai3nan2, Hai3kou3

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Shaanxi Shensi Xian Sian, Hsian Shan3xi1, Xi1'an1

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Kun1ming2 À¥ Ã÷ Yun2 , ÔÆ

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China's Autonomous Regions and Special Zones

OTHER REGIONS

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Chongqing

Chungking, Chungching

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SPECIAL ZONES

Hong Kong       Xiang1gang3 Ïã ¸Û Gang

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TaiwanRepublic of China, Formosa

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Notes: There are many variations in the English spelling of Chinese place names found in

atlases, history books, and other reference books. The most common spellings are listed.

In English, the city or town precedes the state or territory. In Chinese, the province or region precedes the city or town. This applies to normal usage and to the method for addressing envelopes.

Beijing is the capital of China. Beijing, Tianjin, Chongqing, and Shanghai, like Washington, D.C., report directly to

the central government rather than to a provincial government. The land areas of each include not only the city itself, but several rural and suburban counties.

Hong Kong and Macao have special forms of government to suit their historical development.

The nicknames or abbreviations are used on license plates to indicate the province or region or may be used in adjectives to talk about the style of food or culture, but are not normally used in conversation. Names are shortened when the reference is clearly understood. Xinjiang Weiwu'erzu Zizhiqu, Wulumuqi would normally be said as Xinjiang, Wulumuqi, or just Wulumuqi since everyone (in China) would know where it is.

DZOUNGARIE Nom que les Européens ont donné au second khanat fondé au XVIIe siècle en Asie centrale par les Mongols occidentaux ou Oirat, dénommés à cette époque les Jüngar (ou, en transcription vulgaire, Djoungar, ou encore Dzoungar) . La Dzoungarie (ou Jüngarie) est située dans la région du Tarbagatai et de l'Ili (à l'est du lac Balkhach). Après s'être étendu de la région occidentale du bassin de Tarim jusqu'aux monts Tianshan, et de l'Altaï jusqu'aux cours supérieurs de l'Ob et de l'Irtych, l'Empire jüngar a été totalement anéanti en 1755-1759 par l'empereur Qianlong. Le nom de Dzoungarie a alors perdu toute réalité politique, mais il est resté comme terme géographique pour désigner la dépression de quelque 700 kilomètres

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carrés, qui s'étend, sur le territoire de la république populaire de Chine, entre l'Altai mongol au nord, la chaîne orientale des Tianshan au sud et celle du Tarbagataï à l'ouest.

On dénomme aussi « Alataou de Dzoungarie » le système montagneux qui se développe à la frontière du Kazakhstan soviétique et du Turkestan chinois, entre le lac Alakol et l'Ili ; on appelle aussi « portes de Dzoungarie » une passe, de 10 kilomètres de large environ à son point le plus resserré, qui traverse la muraille formée par les chaînes de l'Alataou au sud et de Barlyk et de Maili au nord pour joindre la dépression du lac Ebi-nur (au sud-est, en république populaire de Chine) à celle du lac Alakol (au nord-ouest, en U.R.S.S.). Depuis les temps les plus anciens, c'est par cette passe que les hordes nomades d'Asie centrale se sont déversées dans les steppes de l'actuel Kazakhstan, et, de là, dans la Sibérie occidentale et la Russie méridionale.

Françoise AUBIN

FUJIAN [FOU-KIEN]

Province littorale du sud-est de la Chine, située en face de Taiwan, le Fujian couvre 123 000 kilomètres carrés et comptait 30 790 000 habitants selon les estimations de 1992. Des massifs granitiques inférieurs à 2 000 mètres mais extrêmement abrupts occupent la quasi-totalité de la province, en deux alignements principaux, parallèles à la côte, correspondant à deux grandes lignes de failles : les Wuyishan à l'ouest, qui sont les plus importants, et les Daiyunshan à l'est. Les plaines n'occupent que 10 % de la superficie de la province : ce sont soit les vallées étroites des rivières principales, perpendiculaires aux reliefs comme celle du Minjiang, soit des vallées affluentes parallèles aux lignes de relief, comme les petits deltas de Fuzhou, de Quanzhou, de Zhangzhou et d'Amoy (Xiamen). Le littoral est extrêmement découpé et frangé de plus de six cents îles, dont les principales forment les archipels de Dongshan, de Matsu et de Quemoy.

Un climat presque tropical y fait régner des hivers doux : la moyenne de janvier est supérieure à 10 0C, et le régime pluviométrique est abondant (plus de 1 500 mm). Ce climat est toutefois caractérisé par les fréquences des typhons (4 ou 5 par an) qui sévissent ici avec la plus grande violence en automne. Fait remarquable en Chine orientale, le Fujian a conservé une importante couverture forestière, très riche, où se mêlent les espèces tropicales sempervirentes (camphriers) et caducifoliées (laquiers, bambous) et les espèces tempérées (conifères, lianes diverses). Ce climat permet aussi une agriculture extrêmement intensive dans les plaines côtières et les fonds de vallées ; bien des terroirs donnent trois récoltes annuelles : riz en été, choux en automne, blé et soja en hiver. Les pentes sont mises en valeur par des cultures sèches, maïs, millets et patates douces, dont la production a été considérablement développée depuis 1950. Mais ce sont surtout les plantations qui occupent les massifs du Fujian avec des vergers d'orangers, de longaniers, de bananiers. Les plantations de thé (le cru le plus célèbre est celui des Wuyishan) ont fait la célébrité et la prospérité du Fujian et de ses ports. La canne à sucre

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est la grande production des régions méridionales. L'exploitation des forêts et la pêche sont d'autres ressources notables. Par contre, la province est pauvre en ressources minérales : un peu de charbon et de minerai de fer sont extraits à Zhangping et à Hua'an dans l'arrière-pays d'Amoy. À l'exception de Sanming et de Nanping, centres d'exploitation du bois, situés entre les Wuyishan et les Daiyunshan dans les vallées affluentes du Minjiang, les villes du Fujian sont implantées sur le littoral ; elles se sont développées en tant que ports d'exportation du thé et centres d'émigration d'une partie des Chinois installés aujourd'hui en Asie du Sud-Est. La perte de toutes ces activités avec la révolution fut en partie compensée par la construction des voies ferrées reliant Amoy et Fuzhou au réseau de la Chine orientale et permettant une certaine industrialisation de ces villes, tandis que les autres, comme Quanzhou (185 100 hab., estimations de 1990) et Zhangzhou (181 400 hab., estimations de 1990), sont restées essentiellement des marchés et des centres de traitement des produits agricoles de leur arrière-pays, tels que le sucre et les fruits. Par la suite, le développement du Fujian a d'abord été lié au statut accordé par le pouvoir central aux villes de Xiamen et de Fuzhou. Bénéficiant d'un excellent site portuaire à l'embouchure du Jiulongjiang, Xiamen (Amoy), « port ouvert » en 1842 et grand port d'émigration, a été l'une des quatre zones économiques spéciales mises en place en 1979 ; selon les estimations de 1990, sa population atteignait 368 700 habitants. De même, la capitale provinciale Fuzhou a bénéficié, depuis le milieu des années 1980, d'un statut de port ouvert. Située à l'embouchure du Minjiang, cette base navale comptait 874 800 habitants (estimations de 1990). Mais surtout, la province bénéficie, depuis la fin des années 1980, de l'afflux massif de capitaux taiwanais qui font du Fujian l'un des pôles de développement de la Chine populaire.

Pierre TROLLIET

GANSU [KAN-SOU] Province de Chine s'étendant sur 366 500 kilomètres carrés et peuplée de 22 850 000 habitants (selon les estimations de 1992). Les minorités nationales les plus importantes sont représentées par les Tibétains, les Mongols, les Hui, les Kazakhs, les Yugu. S'étirant sur plus de 1 500 kilomètres d'est en ouest, au contact de domaines géologiques fort différents, le Gansu se caractérise par un relief extrêmement contrasté où l'on peut distinguer cinq grands ensembles.

À l'est du Huanghe s'étend l'extrémité sud-ouest des plateaux de lœss, qui sont ici les plus élevés et les plus accidentés avec une altitude moyenne de 1 500 mètres. Ces plateaux sont coupés de profondes vallées, d'une multitude de ravines, et dominés par un ensemble de massifs montagneux dont le plus important est le massif des Liupanshan. À l'ouest du Huanghe s'allonge, sur un millier de kilomètres et sur une largeur de 50 à 70 kilomètres, le corridor du Hexi, couloir désertique constitué d'une succession de dépressions et de plateaux à une altitude moyenne de 1 000 mètres encombrés au sud de cônes de déjection qui s'alignent

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au pied de l'énorme masse des Qilianshan, série de chaînes parallèles alignées à la limite des plateaux du Qinghai, à des altitudes supérieures à 3 000 mètres, et qui culminent au mont Qilian à 5 664 mètres. Au nord s'étend l'extrémité occidentale du plateau mongol occupé essentiellement par le désert d'Alashan. S'étendant du domaine de la Chine du Nord jusqu'aux portes de l'Asie centrale, le Gansu connaît une dégradation progressive de ses conditions climatiques : à l'est du Huanghe, il tombe annuellement 400 à 500 millimètres de précipitations, qui diminuent très rapidement vers l'ouest où elles sont inférieures à 100 millimètres ; ce sont partout des pluies d'été. De même, les contrastes thermiques s'accusent d'est en ouest : - 4 0C en janvier et + 22 0C en juillet à l'est, - 10 0C et + 26 0C dans le corridor du Hexi. Mais, contrastant avec les solitudes désertiques du plateau mongol qui le borde au nord, le corridor du Hexi est jalonné d'oasis alimentées par les eaux descendues des Qilianshan, lui valant ainsi d'être la seule voie de liaison praticable entre la Chine du Nord et l'Asie centrale. C'est à la faveur d'une telle situation géographique que s'est réalisée au Gansu la pénétration la plus occidentale de la colonisation agricole traditionnelle chinoise, où le blé occupe une grande partie des terres cultivées. Selon les diverses conditions topographiques et climatiques, le Gansu se divise en trois grands domaines agricoles. À l'est du Huanghe, les cultures en terrasses des plateaux de lœss, avec le blé d'hiver et les millets (culture d'été), sont les cultures essentielles. À l'ouest du Huanghe, le blé de printemps et le riz sont les principales cultures céréalières, et le coton une importante culture industrielle, particulièrement développée sur les rives de la Sulei et du Tanhe : c'est une agriculture d'oasis. Au cœur de la province, le bassin de Lanzhou, drainé par le Huanghe, est remarquable par la richesse et la variété de ses cultures : céréales (blé, riz), coton, tabac, fruits et cucurbitacées. Toute cette agriculture repose sur l'irrigation, qui a été considérablement développée depuis 1949. Les principaux périmètres d'irrigation sont ceux de Zhangye et de Wuwei, alimentés par les eaux des Qilianshan (Essin-gol et Xihe). Par ailleurs, les prairies d'altitude représentent environ le quart de la superficie totale de la province où les minorités nationales du Gansu pratiquent l'élevage du mouton, qui constitue une des grandes ressources de la province. Le Gansu est historiquement la première province pétrolière de la Chine : le bassin de Yumen produisait, en 1946, 97% du pétrole chinois. Cette province disposerait également d'importantes réserves de charbon, qui est essentiellement exploité dans les bassins d'Aganzhen près de Lanzhou et de Shandan dans le corridor du Hexi. Par la suite, des gisements de minerai de fer ont été découverts à l'ouest, près de Jiuquan, où l'on projetait l'implantation de la base sidérurgique de l'Ouest chinois. Le développement ferroviaire qui y a été entrepris depuis 1950 a fait du Gansu la plaque tournante de l'Ouest chinois. En 1952, la ligne du Longhai atteignait Lanzhou, pour gagner Ouroumtsi en 1961 ; et, à partir du Gansu, cette ligne est reliée d'une part à Pékin via Baotou (1958) et d'autre part à la province du Qinghai. Les villes du Gansu ont de ce fait connu un essor rapide et important. Lanzhou est à la fois la capitale de la province et la métropole de l'Ouest chinois ; son développement a été considérable : 200 000 habitants en 1949, 700 000 en 1957, 1 195 000 selon les estimations de 1990. Elle a été dotée de très importantes unités industrielles et notamment d'une des plus grandes raffineries chinoises, alimentée par pipe-line depuis Yumen, d'un réacteur atomique, d'industries chimiques, mécaniques et textiles. Le développement industriel de la ville a été

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tout particulièrement favorisé par l'édification sur le Huanghe, à 100 kilomètres en amont de la ville, d'un des trois grands barrages de Chine, le barrage de Liujia. Avec 245 000 habitants selon les estimations de 1990, Tianshui est la métropole du Gansu oriental ; c'est la grande place d'échanges avec le Shanxi voisin et un centre industriel actif (métallurgie, chimie, industries de la laine). Longtemps isolée, Baiyin est devenue une ville industrielle moderne, spécialisée dans le traitement des laines et des peaux. Dans le corridor du Hexi, Wuwei et Dunhuang ont vu se développer considérablement leurs fonctions traditionnelles de marchés d'échanges, tandis que Yumen et Jiuquan sont de grandes bases industrielles.

Pierre TROLLIET

GUANGDONG [KOUANG-TONG] Province de la Chine méridionale, le Guangdong couvre 231 000 kilomètres carrés et comptait 64 390 000 habitants selon les estimations de 1992.

Cette province, qui comprenait l'île de Hainan jusqu'en 1988, est un vaste ensemble de collines, limité au nord par la chaîne des Nanling ; les plaines n'occupent que 30% de sa superficie, la principale étant celle du delta de la rivière des Perles (Zhujiang), où confluent le Xijiang, le Beijiang et le Dongjiang. Ce delta de 10 000 kilomètres carrés est l'une des régions les plus densément peuplées du monde. Le Guangdong jouit d'un climat tropical de mousson (juillet 28 0C, janvier 10 0C, précipitations supérieures à 1 500 mm) et le riz, qui est la grande culture, donne deux récoltes annuelles. Le delta est un des plus grands centres producteurs de soie de la Chine et la pêche y est extrêmement active sur les côtes (le quart des prises chinoises). Outre le thé et le tabac, la province cultive les fruits tropicaux et la canne à sucre. Les richesses minérales sont, par contre, assez limitées ; il s'agit essentiellement de charbon à Shaoguan (dans le nord de la province) et surtout de schistes bitumineux raffinés à Mouming sur le littoral occidental ; du tungstène et du molybdène sont également exploités à Shixing dans le prolongement des gisements du Hunan. Depuis les réformes économiques mises en place au début des années 1980, le Guangdong a connu une croissance économique exceptionnelle qui en a fait le pôle économique de la Chine populaire, voire un nouveau petit dragon asiatique. Outre les zones économiques spéciales de Shenzen, de Zhuhai et de Shantou (Swatow), la province a bénéficié de la proximité de Hong Kong et de Macao, comme des investissements taiwanais et de ceux des Chinois d'outre-mer. Une des régions les plus dynamiques du monde au milieu des années 1990, le delta de la rivière des Perles représente un vaste chantier où l'activité est quasi ininterrompue entre les trois pointes du triangle : Canton, ou Guangzhou (vaste métropole de 2,9 millions d'habitants selon les estimations de 1990 et une des villes les plus occidentalisées de la Chine populaire), la zone économique spéciale de Shenzen (350f700 hab.) qui jouxte Hong Kong et celle de Zhulai (164 700 hab.) située face à Macao.

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Avec le retour à la Chine, donc au Guangdong, des colonies britannique et portugaise, respectivement en 1997 et en 1999, la prospérité de cette province devrait être encore accrue. Dès lors, étant donné son potentiel économique exceptionnel, les tendances centrifuges qui se manifestent périodiquement dans le Guangdong sont d'autant plus dangereuses pour le pouvoir central chinois.

Pierre TROLLIET

GUANGXI [KOUANG-SI] RÉGION AUTONOME DU La région autonome du Guangxi, créée en 1958, est une des cinq régions autonomes de la république populaire de Chine. Elle couvre 230 000 km2 et comptait, selon les estimations de 1992, 43 240 000 habitants. Le Guangxi correspond au bassin supérieur du Xijiang qui reçoit là quatre grands affluents : le Hongshui, le Liujiang, le Yujiang et le Guijiang. Il est limité au nord-ouest par le rebord des plateaux du Yunnan-Guizhou, au nord-est par l'extrémité de la chaîne des Nanling et au sud-est par la chaîne des Gouloushan. Une grande partie du territoire constitue la plus vaste région karstique tropicale du monde.

Le riz est la grande culture alimentaire du Guangxi, qui donne deux récoltes annuelles dans le Sud-Est ; dans le Nord, la culture du maïs et des millets est relativement importante. Les fruits tropicaux, le thé, la canne à sucre et l'exploitation des forêts sont les autres ressources notables de la région. Le Guangxi dispose de deux importantes ressources minérales : le manganèse, exploité dans la vallée supérieure du Xijiang, et l'étain, dans la région de Hexian à l'est. Les principales villes du Guangxi sont : Wuzhou, peuplée de plus de 210 000 habitants selon les estimations de 1990, située au confluent du Xijiang et du Guijiang, et port d'exportation de la région ; Guilin, peuplée de 364 000 habitants, célèbre par son cadre naturel dû à une dépression karstique dominée par d'impressionnants pitons calcaires ; Liuzhou, peuplée de plus de 600 000 habitants, carrefour ferroviaire et centre industriel (sidérurgie, constructions mécaniques) ; et enfin Nanning, peuplée de 722 000 habitants, capitale du Guangxi et relais sur la voie sino-vietnamienne, qui dispose d'usines mécaniques et chimiques.

Pierre TROLLIET

GUIZHOU [KOUEI-TCHEOU] Province de la Chine du Sud-Ouest, le Guizhou couvre 174 000 kilomètres carrés ; la province comptait, selon les estimations de 1992, 33 150 000 habitants, dont de nombreuses « minorités nationales », les principales étant les Miao, les Puyi, les Tong, les Yi et les Shui.

Le Guizhou est constitué d'un ensemble de plateaux essentiellement calcaires, qui forment un gradin (à 1 000 m) inférieur aux plateaux du Yunnan voisin. Les monts Miaoling occupent le centre de la province, où ils constituent la ligne de partage des eaux entre le bassin du

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Yangzijiang et le bassin du Xijiang. Au sud s'étend un karst tropical qui se prolonge au Guangxi. Le Guizhou bénéficie d'un climat tropical d'altitude, aux températures douces avec une forte pluviosité (1 500 mm). Toutefois, 12 % seulement des terres sont cultivées, du fait de la topographie, mais aussi parce que cette province a été colonisée à une époque récente (XVIIe siècle) par les Chinois. Riz , blé et maïs sont les principales cultures, tandis que les forêts sont activement exploitées (pour l'huile de tong notamment).

Le Guizhou dispose de réserves considérables de charbon à coke, à Langdai et à Anshun au centre, à Shuicheng à l'ouest. Ces ressources ont été mises en valeur grâce à la réalisation, en 1960, d'une liaison ferroviaire avec le Yunnan. On exploite du mercure à Wanshan, du manganèse à Zunyi et surtout de la bauxite au nord de Guiyang. Le Guizhou ne dispose pas d'un important réseau urbain, et les deux villes principales sont : Guiyang (plus de 1 million d'habitants en 1990), capitale de la province devenue un important centre industriel (aciérie, machines-outils, moteurs diesel, pneumatiques, usine d'aluminium) et Zunyi (262 000 hab.), devenue célèbre en 1935 quand Mao Zedong y prit la direction du Parti communiste ; des industries mécaniques et une usine de superphosphates y ont été implantées.

Pierre TROLLIET

HAINAN ÎLE DE L'île de Hainan est située entre le golfe du Tonkin, à l'ouest, et la mer de Chine méridionale, à une vingtaine de kilomètres du continent chinois. Autrefois rattachée administrativement à la province du Guangdong, Hainan est devenue en 1983 la plus grande zone économique spéciale et, en avril 1988, la plus petite province chinoise (34 300 km2). Hainan propose des traitements préférentiels et des baux de soixante-dix ans sur les terrains pour faciliter le transfert de technologies et de capitaux étrangers dans l'industrie lourde et l'électronique, dans le but de concurrencer Taiwan. La capitale provinciale est Haikou, au nord (200 000 hab. en 1990). Un quart de cette île, essentiellement formée de massifs granitiques bordés de coulées basaltiques, est situé au-dessus de 500 mètres d'altitude et culmine au Wuzhishan (1 879 m). Le climat est quasi tropical au nord et tropical au sud, avec de grandes salines au sud-ouest, à Yinggehai. L'orientation nord-est - sud-est de la chaîne des Limuling détermine l'inégale répartition des précipitations : le centre de la côte est, qui est soumis aux pluies de l'alizé du nord-est, en hiver, ainsi qu'à la mousson et aux pluies de typhons, en été, reçoit en moyenne deux fois plus de précipitations (2 000 mm) que l'extrémité de la côte ouest ; d'où la construction de réservoirs dans les montagnes. S'ils compensent parfois la sécheresse, les typhons peuvent aussi être très destructeurs. Le 14 septembre 1973, le typhon Marge fit plus de 900 morts et détruisit plus de 150 000 maisons sur la côte est. Les températures moyennes varient de 18 0C, en janvier, à 30 0C, en juillet. La population, 6,5 millions d'habitants en 1990, est inégalement répartie : constituée surtout de Fujianais, qui vivent sur les côtes nord et nord-est (de 300 à 400 hab./km2), elle compte des minorités ethniques qui vivent dans les montagnes et sur les côtes méridionales (moins de 100

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hab./km2). Outre les Li, les plus nombreux, et les Miao, on rencontre des Hui (musulmans) et des Zhuang. Zone stratégique, l'île abrite des bases militaires.

Les cultures tropicales de plaines furent développées par les Japonais, puis, à partir de 1960, par des colons chinois venus d'Asie du Sud-Est. À la fin des années 1980, l'agriculture était surtout pratiquée sur les plateaux, les terrasses du Nord et sur les collines du Sud, grâce à l'importance de la période végétative et de la surface cultivable. Le paddy (deux, voire trois récoltes annuelles) est la première culture vivrière. Les Li et les Miao pratiquent encore des cultures itinérantes sur brûlis. Les plantations les plus importantes sont les hévéas, les cocotiers, les poivriers et les anacardiers. On a aussi développé les plantations de canne à sucre, de sisal, de café, de cacao, de thé, d'arbres fruitiers tropicaux (généreux jaquiers, bananiers, manguiers, ananas), dont les fruits sont exportés et d'autres palmiers (à huile, aréquiers). On cultive du colza et des légumes en hiver. La pêche et la culture des perles sont également des ressources appréciables.

Hainan dispose d'abondantes réserves minérales. Le gisement de fer de Shiliu, relié au port de Basuo (Dongfang), sur la côte ouest, par la ligne de chemin de fer qui rejoint Sanya, fut mis en valeur par les Japonais au cours de la Seconde Guerre mondiale. C'est une des plus grandes mines de fer à ciel ouvert de Chine, avec les réserves les plus importantes d'Asie, grâce à des conditions géologiques exceptionnelles (hématite à 63 % de teneur). Shiliu produit également du cobalt, de l'uranium et du cuivre. D'autres réserves existent : schistes bitumineux, calcaire, lignite, quartz, bauxite, titane à l'est (plus de 70% des réserves chinoises), aluminium, chrome, cuivre, or et terres rares, gisements de pétrole offshore. La production industrielle a augmenté, en moyenne, de 20% par an, de 1983 à 1987, partant, il est vrai, d'un niveau assez bas. Près de 70% de cette production sont réalisés par des industries légères de Haikou. Imitant Taiwan, Hainan a aménagé des zones de transformation pour l'exportation à Haikou, Sanya et Yangpu, port franc en eau profonde, qui accueille des bateaux de 10 000 tonnes. Le développement de l'île est cependant gêné par l'indigence de ses infrastructures et la généralisation de la corruption. Les efforts portent sur l'amélioration des routes, du chemin de fer, l'agrandissement des ports, l'amélioration des télécommunications et la multiplication des vols reliant Haikou et l'aéroport international Fenghuang de Sanya à Hong Kong, à Singapour et au continent. Le tourisme, prioritaire, a pris son essor grâce aux plages coralliennes de Sanya, dans le Sud, et aux aménagements réalisés par des sociétés de Hong Kong, d'où viennent la majorité des touristes. Plus que la déforestation due aux brûlis, l'exploitation des hydrocarbures risque de compromettre la beauté des sites touristiques. La prospérité de l'île dépendra en grande partie de la qualité de la gestion de ses ressources naturelles.

Pierre SIGWALT

HEBEI [HO-PEI] Le Hebei est la plus septentrionale des provinces de la Chine du Nord ; elle couvre 211 800 kilomètres carrés et comptait 62 200 000 habitants, selon les estimations de 1992. La moitié orientale de la province est constituée par l'extension, à une altitude moyenne de 50

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mètres, de la Grande Plaine de Chine du Nord, qui s'ouvre ici sur le golfe de Bohai et qui est drainée par le réseau du Haihe. Un encadrement montagneux continu, du sud-ouest au nord-est, occupe l'autre moitié de la province, où l'on peut distinguer trois ensembles principaux : au nord-est, le massif de Jibei, ensemble de collines et de moyennes montagnes cristallines (1 000 à 1 500 m d'altitude) qui marquent une nette limite entre la Chine du Nord et la Chine du Nord-Est et dont les crêtes portent le tronçon oriental de la Grande Muraille ; au nord-ouest, les massifs de Changbei (1 200 à 1 500 m d'altitude moyenne) constituent le rebord du plateau mongol, ensemble très complexe et très accidenté de blocs cristallins dénivelés par le jeu de toute une série de failles d'orientation « sinienne » (nord-est - sud-ouest) ; à l'ouest se dresse, à une altitude moyenne de 1 000 mètres (culminant à 2 000 m), la chaîne des Taihangshan, qui s'allonge sur plus de 500 kilomètres du nord au sud et constitue le rebord des plateaux du Shanxi, immense escarpement calcaire dominant la plaine du Hebei, mais dont le franchissement est facilité par l'existence d'une série de vallées transversales.

Les conditions climatiques du Hebei sont celles qui caractérisent la Chine du Nord dans son ensemble : à des hivers encore rigoureux (moyennes de janvier : - 4 0C au sud et - 10 0C au nord) succèdent des étés très chauds (moyenne de juillet : 25 0C) dans l'ensemble de la province, au cours desquels tombent sous la forme d'averses violentes de 70 à 75% du total annuel des précipitations (500 à 600 mm), tandis que l'hiver et le printemps connaissent une sécheresse accusée. Cette concentration considérable des précipitations, la destruction millénaire de la couverture forestière des massifs montagneux du pourtour s'y traduisent par une érosion intense qui apporte en été une charge énorme au réseau du Haihe, dont les crues brutales provoquaient périodiquement de graves inondations dans les plaines orientales, tandis qu'à l'inverse les sécheresses du printemps rendaient très aléatoire la culture, notamment celle du blé. Ainsi de gigantesques travaux ont-ils été entrepris depuis 1949 pour la maîtrise des eaux dans cette province : de 1951 à 1960, sept grands barrages-réservoirs étaient réalisés pour contrôler les affluents du Haihe et permettre le développement des surfaces irriguées ; de 1963 à 1970, une gigantesque campagne d'aménagement suscitée par le président Mao et mobilisant plusieurs dizaines de millions d'habitants du Hebei aboutissait à la création de mille quatre cents réservoirs de toutes tailles sur le cours supérieur des rivières, à l'établissement de quatorze grandes digues et au creusement ou à l'élargissement de 1 600 kilomètres de canaux et rivières dans les plaines orientales et méridionales ; à partir de 1970, des travaux sont engagés sur les cours moyen et supérieur des quatre affluents septentrionaux du Haihe afin d'aboutir à la maîtrise totale du réseau hydrographique de cette région. Ces travaux ont permis de récupérer et de mettre en culture la majorité des terres salines et alcalines du littoral. Aussi l'économie agricole du Hebei a-t-elle connu une évolution remarquable : la riziculture, qui ne franchissait guère jusque-là la vallée de la Huai, conquiert les nouvelles terres littorales, où le coton est également une culture pionnière, mais dont les grandes régions sont surtout les vallées du Daqinghe, du Ziyahe et du Weihe, qui font du Hebei le producteur de plus du quart du coton chinois. L'agriculture céréalière traditionnelle ne permettait guère de réaliser que trois récoltes tous les deux ans (blé, maïs, kaoliang). Le développement de l'irrigation rend désormais possible l'extension de la double récolte annuelle (blé d'hiver, maïs en été). Arachides et patates douces au sud et soja plus au nord sont les autres grandes cultures alimentaires des plaines du Hebei. Les cultures arbustives constituent l'activité agricole la plus remarquable des districts montagneux : noix, châtaignes, abricots, kakis, jujubes, poires, essentiellement sur les basses pentes des Taihangshan et des Yanshan.

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Toutefois, ce sont les ressources industrielles qui font la grande richesse du cadre montagneux du Hebei, en particulier les ressources houillères réparties en deux grands bassins principaux : le bassin de Kailuan sur le piémont des Yanshan, exploité dès la fin du XIXe siècle et qui reste un des premiers producteurs de charbon en Chine ; le bassin de Fengfeng sur le piémont des Taihangshan, activement mis en valeur depuis 1950 et qui alimente les aciéries du Hebei et du Liaoning. Du minerai de fer est également exploité sur le pourtour montagneux de la province, et principalement dans le bassin de Longyan, près de Xuanhua, qui dispose d'environ 100 millions de tonnes de réserves à 50% de teneur en métal. Le sel est une autre grande ressource industrielle du Hebei : les marais salants de la côte du golfe de Bohai fournissent le quart de la production chinoise de sel. Les grandes villes sont essentiellement liées à l'industrialisation moderne et se situent à la périphérie, tout comme les ressources industrielles ainsi que les moyens de transport. Kalgan (Zhangjiakou, 529 136 hab., selon les estimations de 1990) et Chengde (246 799 hab.) sont les principaux centres urbains du Nord-Ouest. Le premier, tout en conservant et développant ses traditionnelles fonctions d'échanges avec la Mongolie-Intérieure, est devenu également un centre industriel moderne : industries alimentaires, industries du cuir, constructions de machines ; Chengde est resté le grand centre de transformation et de distribution de la production agricole du nord de la province. Les trois grandes villes de la bordure orientale de la province sont des créations urbaines contemporaines : Qinhuangdao (364 972 hab.), « port ouvert » en 1898, est devenu un grand port minéralier et un centre métallurgique ; Tangshan, avec 1 044 194 habitants, est la métropole du bassin de Kailuan et une des grandes villes industrielles de la Chine (sidérurgie, métallurgie, centrales thermiques, cimenteries, coton) ; Shijiazhuang, la capitale provinciale depuis 1967, est une ville-champignon, qui, de modeste bourgade au début du siècle, atteignait 1 068 439 habitants, selon les estimations de 1990. Important carrefour ferroviaire, elle a été dotée d'un ensemble d'industries modernes qui en font un des grands centres textiles de la Chine et une importante base métallurgique.

Pierre TROLLIET

HEILONGJIANG [HEI-LONG-KIANG]

Peuplée de 35 750 000 habitants, selon les estimations de 1992 et couvrant 710 000 kilomètres carrés, la province du Heilongjiang occupe près de 60% du territoire de la Chine du Nord-Est (ex-Mandchourie) et constitue le domaine le plus septentrional de l'espace chinois.

Cet immense territoire est constitué de moyennes montagnes et de vastes plaines se répartissant en quatre ensembles principaux. Au nord-ouest, le Petit Khingan, massif de roches cristallines d'une altitude moyenne de 600 à 800 mètres, s'étire sur plus de 500 kilomètres, prolongé à l'extrémité nord-ouest de la province par l'Ilkhouri-Alin, qui est un ensemble de collines et de plateaux basaltiques surmontés de nombreux petits cônes volcaniques. Les massifs de Mandchourie orientale se prolongent au sud-est de la province par deux ensembles principaux dont les altitudes s'abaissent de 1 200 à 600 mètres du sud vers le nord : Zhangguangcai au sud, Wandashan au nord-est. Les plaines de Song-Nun (Soungari-Nonni), le plus vaste ensemble de plaines de la Chine du Nord-Est, occupent le centre de la

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province à une altitude moyenne de 100-150 mètres. La plaine de Sanjiang enfin, où confluent trois cours d'eau (Heilongjiang, Soungari et Oussouri), forme une vaste dépression mal drainée, à moins de 50 mètres d'altitude, qui s'ouvre à l'extrémité nord-est de la province, entre la retombée du Petit Khingan et les Wandashan. Province limitrophe de la Sibérie, soumise directement à l'influence de l'anticyclone sibérien en hiver, le Heilongjiang connaît un climat extrêmement contrasté. Les hivers durent de six à huit mois et sont particulièrement rigoureux : la moyenne de janvier est de - 20 0C dans les plaines et de - 30 0C dans le massif du Khingan, le minimum absolu étant de - 52 0C. L'été est toutefois très chaud (moyenne de juillet : 20 0C à 24 0C) et pluvieux puisqu'il accumule 60 à 70% des précipitations annuelles (600 mm à l'est, 400 mm à l'ouest) entre juillet et septembre et assure ainsi une période végétative intense, très favorable à l'agriculture, mais aussi très courte. L'exploitation des forêts des Wandashan et, surtout, du Petit Khingan ainsi que la mise en culture des terres vierges des plaines, activement développée depuis 1949, font de la province du Heilongjiang un immense front pionnier. Toute une série de villes nouvelles, dont la principale est Yichun (795 789 hab.), sont nées au cœur des massifs forestiers : en 1957, la province produisait près de 30% du bois d'œuvre (mélèzes, sapins, bouleaux) fourni par l'ensemble de la Chine. Toute cette mise en valeur s'est effectuée grâce à d'importants mouvements d'immigration en provenance de diverses régions de la Chine et en particulier de la Chine du Nord (600 000 immigrés du Shandong, du Hebei et du Henan pour la seule période 1950-1959). Aussi le Heilongjiang a-t-il connu un taux d'accroissement démographique très élevé : 11 897 000 habitants en 1953, 35 750 000 selon les estimations de 1992. Le soja et le maïs sont les principales cultures traditionnelles de la province, tandis que le blé de printemps et la betterave à sucre sont les deux grandes cultures pratiquées sur les terres nouvelles. La province du Heilongjiang disposerait des plus importantes réserves de charbon à coke de l'ensemble de la Chine du Nord-Est, réparties dans vingt-sept districts. Trois bassins principaux ont été ouverts par les Japonais, et activement exploités après 1950. L'or, qui existe en placers dans les alluvions des vallées affluentes du fleuve Amour, est une ressource célèbre et la plus anciennement exploitée de la province. Aigoun en est le principal centre de production. En 1958, du pétrole a été découvert dans la région qui s'étend au sud de Qiqihar, et, en 1967, un millier de puits étaient en production, faisant de Daqing un des premiers bassins producteurs de pétrole de la Chine. L'urbanisation est un phénomène récent au Heilongjiang, née de la mise en place du réseau ferré par les Russes au début du XXe siècle, et considérablement développée depuis 1949 : la population urbaine, qui a doublé entre 1949 et 1957 par suite de l'industrialisation de la province menée parallèlement à la mise en valeur agricole, atteignait 47 % de la population totale en 1990. Ha'erbin (Kharbin, 2 443 398 hab.), capitale de la province au cœur des plaines du Soungari, est une création russe du début du siècle. Elle est devenue une des grandes villes industrielles de la Chine par le développement d'un vaste complexe d'industries alimentaires (minoteries, huileries, sucreries, etc.) et la création d'importantes industries mécaniques

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(turbines, équipement électrique, instruments de mesures, matériel agricole), dont l'ensemble se répartit entre Ha'erbin même (fabrications de haute technicité : générateurs électriques, compteurs électriques, roulements à billes) et quatre villes satellites situées dans un rayon d'une cinquantaine de kilomètres. Qiqihar (Tsitsihar), métropole des plaines occidentales, a connu une évolution très remarquable : place forte au contact de la Mongolie créée en 1961, elle devient un actif centre de transport et de commercialisation des produits agricoles avec la construction du chemin de fer au début du XXe siècle et constitue avec ses satellites une vaste municipalité urbaine d'un million d'habitants où un nombre important d'usines nouvelles a été implanté. Mudanjiang, qui était une simple bourgade au début du siècle et dont la population était estimée à 571 705 habitants en 1990, est le centre urbain des hautes terres orientales. La proximité de la centrale hydroélectrique du Jingpohu a facilité un remarquable développement industriel : à l'importante industrie du bois se sont ajoutés la carbochimie (charbon de Jixi), une usine de pneumatiques (fournissant l'usine automobile de Changchun) et tout un ensemble d'industries métallurgiques (matériel agricole notamment). À l'est, Jiamusi (110 000 hab. en 1941, 493 409 selon les estimations de 1990) est devenue la métropole des plaines de Sanjiang dont elle traite la production agricole. Reliée par voie ferrée aux bassins houillers de Hegang et Shuangyashan, elle est le centre d'approvisionnement en produits alimentaires et en matériel mécanique. Depuis la fin des années 1980, l'économie du Heilongjiang est largement orientée vers la Russie, dont la Chine est le deuxième partenaire commercial ; or le commerce frontalier représente 80 % de ces échanges.

Pierre TROLLIET

HENAN [HO-NAN]

La province du Henan est située au cœur de la Chine du Nord, où elle s'étend sur 167 000 kilomètres carrés. Avec 87 630 000 habitants selon les estimations de 1992, c'est la deuxième province la plus peuplée de Chine. La configuration de la province du Henan est très remarquable, on y retrouve les éléments des différents grands ensembles de relief qui constituent la Chine du Nord : un ensemble de collines de 300 à 400 mètres d'altitude, tapissées de lœss, occupe la partie occidentale de la province, que domine le massif cristallin des Funiushan dont le point culminant est à 2 400 mètres ; toute la partie orientale appartient à la grande plaine de la Chine du Nord, qui s'abaisse progressivement de 100 mètres à 50 mètres d'ouest en est et qui est constituée de deux ensembles, la plaine du fleuve Jaune au nord et la plaine de la Huai supérieure au sud (ou plaine de Huang-Huai) ; au sud-ouest s'individualise le bassin de Nanyang (de 50 à 150 m d'altitude) qui couvre 26 000 kilomètres carrés entre les Funiushan et les Dabieshan.

Grâce à l'abri que constituent ces reliefs occidentaux, le Henan connaît des hivers plus doux que l'ensemble de la Chine du Nord (moyenne de janvier : 1 0C) et des étés très chauds (moyenne de juillet : 27 0C), mais le régime des précipitations n'y est pas différent : de 600 à 700 millimètres en moyenne, avec des variations annuelles de l'ordre de 30% et une

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répartition très inégale au cours de l'année. Plus de 50% du total tombe en averses violentes au cours des deux seuls mois de juillet et d'août, tandis qu'une longue saison sèche règne en hiver et surtout au printemps, période au cours de laquelle un apport d'eau est souvent nécessaire pour la céréaliculture. Ainsi la maîtrise des eaux est-elle une condition essentielle de la vie agricole du Henan, non pas seulement pour l'irrigation mais aussi et d'abord pour mettre ses plaines densément peuplées à l'abri des gigantesques défluviations du fleuve Jaune qui rompt périodiquement ses digues entre Zhengzhou et Kaifeng. La grande défluviation de 1938 avait fait douze millions de sinistrés. Mais, pour conjurer de telles catastrophes, les digues du fleuve étaient reconstruites ou consolidées dès 1949 sur plus de 700 kilomètres ; puis, en 1953, le canal de la Victoire du Peuple fut ouvert entre Zhengzhou et Xinxiang et dérivait une partie des eaux de crue du fleuve Jaune vers le Weihe au nord ; enfin, la construction du barrage de Sanmen, à l'entrée du fleuve dans la province, devait permettre la maîtrise des plus grandes crues. Si les plaines du Henan sont les traditionnelles terres à blé de la Chine, cette céréale laisse la place en été au kaoliang et surtout au soja sur les terroirs inondables et les terres sablonneuses du Nord-Est, tandis que le coton est la culture d'été des meilleures terres irriguées : régions de Xinxiang, de Luoyang et de Nanyang notamment. Un des traits les plus remarquables de l'évolution agricole des plaines du Henan est le développement de la riziculture, grâce à l'extension des périmètres irrigués : vallées de la Huai et du Huanghe, bassin de Nanyang. Les terroirs des collines de l'Ouest sont voués essentiellement aux céréales secondaires (kaoliang, millet et surtout maïs) et aux cultures arbustives (pommiers, poiriers, jujubiers, plaqueminiers, noyers, chênes pour l'élevage du ver à soie), tandis que les régions de Xuchang et de Nanyang font du Henan le premier producteur de tabac de la Chine. Riche province agricole, le Henan est, semble-t-il, de toutes les provinces de la Chine du Nord, la moins pourvue en ressources industrielles : seul le charbon y prend quelque importance, avec des gisements qui constituent l'extrémité méridionale du riche bassin houiller du piémont des Taihangshan, et dont l'essentiel est localisé sur le territoire de la province du Hebei. Les deux principaux centres d'extraction situés au Henan sont Hebi près d'Anyang (charbon à coke) et Jiaozuo plus au sud (anthracite). Du minerai de fer est également extrait près d'Anyang et de Jiaozuo, il alimente la première unité sidérurgique de la province, implantée en 1960 à Anyang. Berceau de la nation chinoise, le Henan vit naître les premières capitales royales (la dynastie Shang au ~ XIIIe siècle dans la région d'Anyang) puis devint province impériale, cœur de la Chine classique, avec Luoyang, la brillante capitale des Han, et Kaifeng, capitale des Cinq Dynasties et des Song du Nord. Cet antique foyer de la vie urbaine de la Chine, après une très longue éclipse provoquée par l'invasion mongole au XIIIe siècle, se voit à nouveau valorisé par le développement du réseau ferroviaire qui fait du Henan le carrefour des deux grands axes transchinois : la voie nord-sud Pékin-Canton et la voie est-ouest du littoral au Xinjiang, qui se croisent à Zhengzhou. De ce fait, les principales villes de la province ont connu depuis 1949 un renouveau remarquable avec la création de nouvelles activités industrielles et le développement des activités traditionnelles reposant sur le traitement des produits agricoles (industries alimentaires et textiles) : Anyang, avec 420 000 habitants selon les estimations de 1990, est devenu la base sidérurgique de la province ; Xinxiang (474 000 hab.), relié par voie ferrée au bassin houiller de Jiaozuo à l'ouest, est la tête de navigation sur le Weihe vers Tianjin ; c'est un centre actif de transports qui est, en outre,

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situé au cœur d'une des grandes régions du coton de la province et qui est devenu une ville textile. L'implantation d'industries textiles et mécaniques est venue renforcer et diversifier les fonctions traditionnelles de Xuchang, grand marché du tabac, et de Xinyang, métropole du sud de la province. Sur l'axe est-ouest (ligne de Longhai), Kaifeng (508 000 hab.) est resté essentiellement un grand centre commercial et artisanal, doté de nouvelles activités industrielles : matériel agricole, usine d'engrais notamment. Luoyang, par contre, est devenu une grande ville industrielle (760 000 hab.) par l'implantation en 1955 de la première usine chinoise de fabrication de tracteurs. Diverses branches d'activités y sont également représentées et notamment la verrerie, l'industrie textile, la fabrication de matériel minier. Zhengzhou (100 000 hab. en 1949, 1 160 000 en 1990), qui a remplacé Kaifeng en 1954 comme capitale de la province, doit sa fortune à sa position au croisement des deux grands axes ferroviaires. Un puissant complexe industriel a été édifié dans sa banlieue occidentale où dominent les industries textiles (filatures de coton) et les industries métallurgiques : fabrication de métiers à tisser (la plus grande usine chinoise après celle de Shanghai), de turbines, de câbles électriques, de machines-outils, de matériel agricole.

Pierre TROLLIET

HONG KONG

Située à l'embouchure de la rivière des Perles, au sud-est de la Chine, le « port des parfums » (Heung Kong en cantonais, Xianggang en mandarin), colonie britannique de 1842 à 1997, est, depuis le 1er juillet 1997 une Région administrative spéciale (R.A.S.) de la République populaire de Chine. Avec 6,6 millions d'habitants pour 1 096 km2, elle compte l'une des densités les plus élevées du monde. Son revenu par habitant de 16 455 dollars la met au deuxième rang en Asie, et en fait le territoire peuplé de Chinois le plus prospère du monde.

Le « rocher stérile » où débarquèrent les marchands britanniques en 1841 ne semblait nullement promis à un brillant avenir. Refuge des trafiquants d'opium après avoir abrité des pirates, il a été l'un des principaux points de rencontre entre l'Occident triomphant et le vieil Empire du Milieu. Tête de pont commerciale de l'Empire britannique sur le continent chinois, Hong Kong a servi d'école de modernité à la Chine : une bourgeoisie commerçante y est apparue très tôt, et la liberté d'expression garantie par le gouvernement colonial en a fait un refuge pour tous les dissidents, de Sun Yat-sen aux démocrates d'aujourd'hui en passant par les communistes avant 1949. Hong Kong a fait fonction de base de débat politique offshore. Devenu une puissance industrielle au cours des années 1960, Hong Kong a délocalisé la plus grande partie de son secteur manufacturier à partir de 1985 et, depuis l'ouverture de la Chine en 1979, ses entreprises sont devenues les premiers investisseurs étrangers sur le continent (65% du total) tandis que la République populaire était le premier investisseur à Hong Kong même. Après un timide processus de démocratisation au début des années 1980, Hong Kong est aujourd'hui la seule région de la République populaire connaissant des élections relativement libres et le multipartisme. Films et chansons de la R.A.S. ont conquis la Chine, et nombre de ses cadres financiers et économiques viennent s'y initier aux finances modernes. La Bourse de Hong Kong permet aux entreprises chinoises de recueillir les capitaux dont elles ont besoin, et de privatiser certaines firmes d'État au profit de leurs dirigeants.

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Depuis 1997, Pékin s'est gardé d'intervenir directement dans les affaires de Hong Kong, qui a conservé en grande partie son pluralisme politique, son système économique et juridique. Cependant, nul ne saurait prédire les conséquences d'un durcissement politique à Pékin sur l'autonomie de la R.A.S.

Jean-Philippe BÉJA

1. L'espace et les hommes

Des contraintes et des espaces naturels étendus

La Région administrative spéciale de Hong Kong (1 096 km2) est constituée par l'île de Hong Kong (80 km2) et la péninsule de Kowloon (47 km2), d'une part, et par les Nouveaux Territoires (969 km2), d'autre part, qui comprennent une grande région péninsulaire située au nord de Kowloon, et plus de deux cent trente îles baignées par la mer de Chine méridionale. La sensation du manque d'espace est un paradoxe qui s'explique par d'importantes contraintes naturelles. Le territoire de Hong Kong, très montagneux, mais de faible altitude - culminant au Taimo Shan (958 m), dans les Nouveaux Territoires -, est principalement constitué de collines herbeuses (520 km2) ou forestières (220 km2) à pente forte, protégées et reboisées, en tant que réserves et parcs naturels et, par conséquent, très peu densément peuplées. Le quart seulement de sa surface est occupé par des vallées facilement utilisables. La nature essentiellement granitique et volcanique des roches et l'érosion due aux pluies tropicales intenses le privent de plaines littorales. Sa superficie augmente donc nécessairement au rythme des grands travaux de remaniement des dépôts quaternaires littoraux et de poldérisation du front de mer entrepris pour assurer son urbanisation et son industrialisation. Ainsi, les trois quarts du nouvel aéroport de Chep Lap Kok ont été gagnés sur la mer. Comme en témoignent les réseaux de failles et les abris anticycloniques, les risques majeurs (séismes, typhons...) y sont récurrents. Son climat est chaud et humide, avec des températures moyennes de 16 0C en janvier et de 29 0C en juillet. Les résidents les plus fortunés habitent dans les montagnes au climat plus tempéré. Les précipitations sont, en moyenne, de 2 214 millimètres par an, dont plus de 90% tombent d'avril à octobre, en période de mousson, de « pluies des prunes » (meiyu) et de typhons. La vue sur la baie, depuis le pic Victoria (554 m), sur l'île de Hong Kong, n'est guère dégagée et ensoleillée qu'à l'automne. Hong Kong dépend en grande partie de la province du Guangdong pour son approvisionnement en eau, par aqueducs, ainsi qu'en produits alimentaires frais. Des lacs-réservoirs (26 km2) ont été judicieusement construits dans des vallées intra-montagneuses (comme à High Island ou Shek Pik), et même dans la baie du port de Tolo (réservoir de Plover Cove), afin de récupérer les précipitations. La centrale nucléaire de la baie de Dapeng, au Guangdong, (Daya Bay) est destinée à éviter une pénurie d'électricité, dont la consommation a doublé en moins de dix ans. L'extension des villes satellites des Nouveaux Territoires empiète de plus en plus sur les dernières terres arables (62 km2), dédiées au maraîchage, à l'horticulture, qui ne sont pourtant cultivées qu'à moitié. La majeure partie des marécages de la rive gauche du delta de la rivière Shenzen, au nord-ouest, a été transformée en parcs aquacoles (15 km2), alors que les mangroves (protégées), les marécages et autres

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terres incultes occupent encore 44 km2. L'essentiel de la population se concentre en zone urbaine.

Une forte densité de population urbaine

Hong Kong constitue l'une des plus fortes concentrations humaines de la planète (près de 6 200 hab/km2 en 1998). D'apparence cosmopolite, sa population (plus de 6,6 millions d'habitants en 1998) est pourtant à 98% d'origine chinoise. L'émigration (20 000 départs, en moyenne par an, au début des années 1980), a été accélérée par la fuite de cadres (30 000 départs au milieu des années 1980, contre 40 000 à la fin de la décennie). Elle a connu un pic en 1992 (66 200 départs), mais décroît depuis 1994 (30 900 départs en 1997). Le solde migratoire est positif. Les migrations internationales, qui ont privilégié à 90% le Canada, les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande en 1997, se sont inversées. Les émigrants hongkongais devenus citoyens de ces pays reviennent travailler à Hong Kong. Cependant, les étrangers les plus nombreux sont les Philippins (150 000 personnes), suivis des Américains (41 000), des Indonésiens (35 000) et des Canadiens (34 000). Les Britanniques n'étaient que 30 000 en 1998, suivis des Japonais - économiquement très présents - et des Indiens (25 000), des Australiens (23 000) et des Malais (15 000). Avec un taux de natalité de 9,1‰ et de mortalité de 4,8‰, et une espérance de vie parmi les plus élevées du monde, Hong Kong se trouve dans la seconde phase de sa transition démographique. Plus de 18% de la population a moins de quinze ans, et 10%, plus de soixante-quatre ans. L'âge médian est de trente-cinq ans. Les vagues d'immigration successives, depuis la mort de Mao Zedong, en 1976, la « politique d'ouverture » et le conflit sino-vietnamien, en 1978, ont fini par « équilibrer » la répartition par sexe. Toutefois, la population active (3,2 millions de personnes) compte presque deux fois plus d'hommes que de femmes, avec une pénurie de main-d'œuvre très qualifiée, qui explique la hausse des salaires des cadres et du chômage des non-qualifiés, et la baisse de compétitivité des prix des produits. Hong Kong a donc délocalisé la majeure partie de sa production dans la province voisine du Guangdong, où la main-d'œuvre, abondante, est moins coûteuse, et développé son secteur tertiaire, qui représente l'essentiel de son activité. Depuis juin 1988, Hong Kong n'accorde plus automatiquement le statut de réfugiés politiques aux boat people. Leur afflux s'est ralenti depuis les accords signés avec le Vietnam en octobre 1991 et mai 1992, sur le rapatriement obligatoire des réfugiés économiques. La répartition de la population est très inégale. Les Nouveaux Territoires sont les plus peuplés, suivis de Kowloon et de l'île de Hong Kong. La densité moyenne de la population totale atteignait 6 200 habitants au kilomètre carré en 1998, Victoria, Kowloon et New Kowloon ayant une densité vingt fois supérieure à celle des Nouveaux Territoires. Ces derniers servent à redistribuer la croissance urbaine dans des villes nouvelles, depuis les années 1960. Depuis le début des années 1980, Kowloon et New Kowloon se dépeuplent au profit de celles-ci, dont les plus importantes sont Sha Tin, Kwai Tsing, Tuen Mun, Tsuen Wan, alors que la population de l'île de Hong Kong reste à peu près stable. Les habitants de Hong Kong, qui se disent hongkongais avant d'être chinois, sont fiers de leurs gratte-ciel qui avancent sur la mer en défiant les typhons. Ces derniers ont ravagé les villages flottants d'Aberdeen, dont une partie des occupants se sont réfugiés dans les collines.

Pierre SIGWALT

2. Histoire

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La formation du territoire

Lorsque le capitaine Elliott débarqua le 21 janvier 1841 sur ce que le secrétaire au Foreign Office lord Palmerston qualifiait de « Rocher stérile », nul ne pensait que le « port des parfums » (Heung Kong en cantonais) deviendrait un laboratoire pour la modernisation de la Chine ; ni les marchands libre-échangistes un peu flibustiers, qui cherchaient un havre pour développer leur trafic d'opium, ni l'aristocrate mandchou qui céda le territoire à Sa Gracieuse Majesté. Du reste, sur le moment, tant Elliott que Qi Shan furent désavoués par leur gouvernement. Tout avait mal commencé pour cette colonie : les trois dates qui marquent sa naissance et son extension scandent le déroulement de l'une des plus graves humiliations subies par la Chine au cours de sa longue histoire. En effet, c'est à l'issue de la première guerre de l'opium (1839-1842), livrée à l'empire mandchou décadent par une Grande-Bretagne pionnière de la révolution industrielle et maîtresse des mers, que le traité de Nankin a reconnu la cession à perpétuité de l'île de Hong Kong à la Couronne britannique. En 1860, la convention de Pékin, qui mettait un terme à la deuxième guerre de l'opium aboutit à l'abandon de la péninsule de Kowloon (« les neuf dragons » en cantonais). Enfin, la Grande-Bretagne obtint, en 1898, un bail sur les Nouveaux Territoires en profitant de la grave défaite qu'infligea à la Chine, en 1895, un Japon méprisé mais qui avait su se moderniser. Incapable de résister aux pressions militaires étrangères, ne parvenant pas à relever le défi de la modernité, occupé à réprimer les nombreuses insurrections qui l'agitaient, sortant à peine d'une période de réforme avortée, l'empire des Qing accorda à la Grande-Bretagne, un bail de 99 ans sur les trois quarts du district de Xin'an, peuplés de 100 000 habitants, bail qui a expiré le 30 juin 1997. Hong Kong a été sans aucun doute l'un des lieux privilégiés de la rencontre explosive entre un Occident industriel moderne et le plus antique empire continental de la planète qui se considérait comme le centre de la civilisation. Les étapes de la création de la colonie montrent que la Chine a eu beaucoup de mal, contrairement au Japon, à prendre la mesure du défi représenté par la puissance britannique. Les « barbares d'au-delà des mers », contrairement à leurs prédécesseurs d'Asie centrale, n'avaient pas pour intention première de conquérir et d'administrer l'empire. Ils voulaient lui imposer l'ouverture commerciale et exploiter ses richesses.

Un centre de commerce international

Les marchands réunis derrière la firme Jardine et Matheson, les principaux vendeurs d'opium, qui allaient devenir la plus grande compagnie de Hong Kong (encore très puissante à ce jour) voulaient avant tout s'enrichir par le commerce. Ardents défenseurs d'un libre-échange n'hésitant pas à recourir aux canonnières pour s'imposer, ils étaient convaincus qu'un territoire gouverné par la Couronne britannique leur permettrait de forcer les Mandchous à ouvrir leurs portes. Jusqu'en 1857, le gouverneur de Hong Kong fut aussi surintendant du commerce en Chine, et la colonie joua un rôle essentiel dans la diplomatie et le commerce britanniques avec l'Empire du Milieu. Ce rôle diplomatique diminua sérieusement lorsque la Chine accepta d'ouvrir des ambassades à Pékin à la suite de la deuxième guerre de l'opium. Port franc dès l'origine, Hong Kong se consacra exclusivement au commerce pendant un siècle, ce qui en fait une colonie très particulière : en cent quarante cinq ans d'existence, elle ne comptera jamais plus de 4% de Britanniques. Toutefois, elle attira toujours un grand nombre d'immigrants de la province voisine du Guangdong. Dix ans après l'arrivée des

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Britanniques, la population était passée de 7 500 à 32 983 habitants. Créée à l'initiative des marchands et maintenue pour leur bénéfice, elle ne devait rien coûter à la Couronne. Dès 1855, le Colonial Office cessa complètement de subventionner le gouvernement de l'île. Celui-ci se contentait de maintenir l'ordre pour que le négoce, qui constituait sa vocation, pût se dérouler correctement. Ce n'était pas une mince affaire car, pendant les premières années de son existence, la colonie n'attira que des Chinois « de sac et de corde », des aventuriers ne craignant pas de risquer leur vie pour trafiquer avec les Occidentaux, en somme, des personnes très comparables à leurs homologues britanniques. Les choses changèrent avec la révolte des Taiping qui embrasa la Chine du Sud au cours des années 1850. Nombre de marchands aisés se réfugièrent alors dans l'île avec leur famille, apportant avec eux leurs compétences et leurs relations. Grâce à leurs réseaux qui s'étendaient jusqu'en Chine du Nord et dans toute l'Asie du Sud-Est, ils contribuèrent largement à faire de Hong Kong un centre commercial important. En 1861, la population de la colonie (qui venait d'acquérir Kowloon) atteignait déjà 119 320 habitants. Ce port idéal, le seul en eau profonde de toute la région, devint aussi une plaque tournante du commerce occidental avec le sud de l'Empire du Milieu . Plus de la moitié des exportations britanniques destinées à la Chine passaient par la colonie. Pendant la plus grande partie du XIXe siècle et jusqu'à son interdiction en 1909, 45% du commerce de l'opium destiné à la Chine transitèrent par Hong Kong. Dès 1875, près de 60% des exportations siamoises de riz étaient destinés à la Chine et passaient par la colonie. En outre, de nombreux titulaires de fermes (monopole de collecte des impôts) qui, dans les colonies occidentales d'Asie étaient souvent des Chinois, y créèrent des entreprises.

Le transport des émigrants (coolie trade) représente une autre source de richesse. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, près de deux millions de Chinois quittèrent la Chine par Hong Kong pour aller travailler en Asie du Sud-Est ou aux États-Unis ou pour s'engager comme coolies, notamment au Pérou et à Cuba, faisant vivre un commerce fort lucratif dont les profits pouvaient atteindre 1 000%. La plupart des compagnies assurant le transport étaient occidentales tandis que les sociétés secrètes se chargeaient du recrutement. Cette activité douteuse favorisa toutefois le développement des chantiers navals et des ateliers de réparation de bateaux. Ainsi, trafic d'opium et transport de coolies se trouvent à l'origine de bien des fortunes de la colonie. Hong Kong assurait cependant des activités commerciales plus respectables, servant aussi d'entrepôt pour les porcelaines et le thé chinois destinés à l'Occident ainsi que pour les produits manufacturés britanniques vendus en Chine. Enfin, dès les origines, la spéculation immobilière, renforcée par l'exiguïté du territoire, se révéla une activité très lucrative. Ainsi, lorsque le gouverneur Davis prit ses fonctions en 1844, il tenta de lutter contre ce phénomène qui avait atteint des sommets, mais sans succès puisque les plus grandes fortunes de la colonie eurent dès le début une importante composante immobilière.

Une école d'enrichissement pour de nouvelles élites

Dès la naissance de la colonie, l'argent constitua le principal critère de succès. Gage de modernité ? Peuplé de 7 500 habitants seulement lorsque Elliot y débarqua, ce territoire éloigné de Pékin n'avait jamais eu d'élites constituées. Quant aux élites britanniques, elles étaient formées d'aventuriers roturiers (souvent écossais) guère regardants sur les moyens de s'enrichir. Les Chinois qui y réussirent étaient issus de familles pauvres et n'avaient jamais

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passé les examens qui constituaient au XIXe siècle le mode de recrutement exclusif des élites de l'empire. Tant les Européens que les Chinois étaient donc atypiques, et considéraient que la réussite se mesurait à la richesse. Ce qui n'empêchait pas les préjugés raciaux : ce n'est qu'au début du XXe siècle que les Chinois furent autorisés à habiter sur le Peak, le quartier huppé de la colonie. Les premiers Chinois qui s'enrichirent furent les compradores, qui servaient d'intermédiaires aux compagnies occidentales, les aidant à pénétrer le marché chinois. Leur fonction dans les grandes compagnies (hong) occidentales leur permirent de s'initier aux secrets du commerce moderne. Souvent éduqués dans les écoles missionnaires, parfois eurasiens, à l'instar de l'un des plus fameux d'entre eux, Robert Hotung, leur connaissance de l'anglais les rendait indispensables à des négociants britanniques qui ne faisaient pas souche et ne prenaient pas la peine d'apprendre le chinois. Grâce à leurs banques, à leurs compagnies d'assurance, ils devinrent, au cours du XIXe siècle, des acteurs importants du développement de la Chine, même s'ils jouèrent un rôle moins déterminant que la bourgeoisie shanghaïenne. En moins d'un demi-siècle, certains de ces compradores allaient devenir plus riches que leurs patrons britanniques et jouer un rôle essentiel dans une société où le statut social était déterminé par l'épaisseur de la bourse. Par la création d'institutions charitables comme le temple Man Mo (établi en 1847 par un ancien batelier et un ancien contremaître enrichis), et surtout l'hôpital Tung Wah fondé en 1872, ces bourgeois cherchèrent à gagner le respect des résidents chinois, allant jusqu'à acheter des titres de mandarins en Chine. Ils se posèrent également en interlocuteurs exclusifs du gouvernement colonial. Celui-ci adoptait une attitude ambiguë à l'égard de ces élites en quête de respectabilité, craignant qu'elles ne contribuent à l'apparition d'un mouvement anticolonialiste, tout en comprenant qu'elles pourraient l'aider à gouverner une importante population chinoise qu'il était incapable de contrôler. Il opta donc pour une politique de cooptation, choisissant les représentants de la communauté parmi les administrateurs de l'hôpital Tung Wah, anoblissant et faisant entrer au conseil législatif (LegCo), composé de membres nommés, ceux qu'il considérait comme les plus dignes de confiance, à l'image de Wei Yuk, le premier représentant chinois au conseil, en 1880. Tout au long du siècle, cette bourgeoisie chinoise se structura, multipliant les écoles. De 1872 à 1876, le nombre d'écoles publiques passa de 1 480 à 2 922, et la création d'institutions d'enseignement atteignit son apogée avec la fondation en 1911 de l'université de Hong Kong, qui bénéficia du soutien financier du gouvernement. L'essor de la bourgeoisie chinoise fut donc rapide ; en 1881, sur les dix-huit principaux propriétaires immobiliers, un seul était anglais (Jardine). Malgré cela, le statut social des marchands anglais était de loin supérieur à celui des Chinois, et jusqu'au milieu du XXe siècle, on assista à une coalition entre le gouvernement et les grandes hong britanniques, les banquiers (la Hong Kong and Shanghai Bank, l'une des plus grandes d'Asie, fut fondée en 1864 par Dent, les rivaux de Jardine, mais fut remplacée par cette firme après la faillite de Dent) et les promoteurs immobiliers. Cette coalition était facilitée par le fait que, au début de l'histoire de Hong Kong, les membres de l'administration étaient autorisés à faire des affaires et étaient très liés aux grandes entreprises ; de hauts fonctionnaires étant souvent proches de Jardine - par exemple, le fils du gouverneur Bowring (1857-1859) était lui-même employé de cette firme. Des deux premiers membres non fonctionnaires nommés au LegCo en 1850, l'un était David Jardine, et pendant la plus grande partie de son histoire, le conseil compta un taipan (dirigeant) de la compagnie en son sein. Cette puissance a donné naissance à l'adage qui avait encore cours avant l'arrivée du dernier gouverneur : « Hong Kong est gouverné par le Jockey-Club [créé en 1884], Jardine and Matheson, la Hong Kong Bank et le gouverneur... dans l'ordre. »

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Une école de modernité politique

Bien qu'elle fût essentiellement vouée au commerce, la colonie, grâce à son système juridique protégeant la propriété et les droits des individus, fut aussi un lieu de liberté d'expression dont le cœur battait au même rythme que celui du peuple chinois. C'est à partir de l'île où il avait fait ses études de médecine que Sun Yat-sen dirigea nombre de soulèvements contre les Mandchous au tournant du XXe siècle. C'est à Hong Kong que Kang Youwei vint trouver refuge avant de gagner le Japon lorsqu'il fut contraint de quitter la Chine après l'échec de la réforme des Cent Jours, en septembre 1898. Tous deux reçurent un soutien actif des élites chinoises de la colonie souvent hostiles aux Mandchous et favorables à l'établissement d'une monarchie parlementaire ou d'une république. La presse en chinois était active et Sun Yat-sen y fonda en 1900 son Zhongguo Ribao, qui devint en 1905 l'organe de la tongmeng hui (Ligue jurée). Ce journal était diffusé clandestinement en Chine du Sud. Le gouvernement colonial s'inquiétait des tensions que les activités des révolutionnaires pouvaient faire naître avec la Chine et n'hésita pas à expulser les indésirables. Toutefois, la colonie demeura un havre de liberté aux portes d'une Chine fort agitée. En 1925, les marins de Hong Kong se joignirent à leurs frères de Canton dans une grève-boycottage organisée contre les Britanniques, qui dura seize mois et qui était destinée à appuyer le gouvernement révolutionnaire dirigé par le Kuomintang (K.M.T.) et les communistes. Après le coup d'État d'avril 1927 au cours duquel le K.M.T. déclara le Parti communiste chinois illégal et massacra les communistes, nombre de ces derniers se réfugièrent à Hong Kong où ils publièrent leurs journaux. Après le déclenchement de la guerre sino-japonaise en 1937, de nombreux intellectuels de Shanghai s'installèrent dans la colonie et la population dépassait alors le million d'habitants. Elle ne cessa de croître, pour atteindre 1 639 000 habitants en décembre 1941, à la veille de la conquête japonaise, qui provoqua un exode dans l'autre sens. Tout comme les simples citoyens, militants et intellectuels repartirent pour la Chine et, en 1945, Hong Kong ne comptait plus que 500 000 habitants. Mais la colonie resta un refuge pour tous les opposants au régime dominant la Chine après 1945 ; les intellectuels communistes lors de la guerre civile de 1946-1949, puis les partisans du K.M.T. ou les militants d'autres partis politiques après 1949 se précipitèrent sur Hong Kong où ils fondèrent des journaux et enseignèrent dans les écoles. Depuis la naissance de la République populaire, des victimes des diverses campagnes déclenchées par le Parti communiste ont pu gagner clandestinement la colonie, les derniers en date étant les animateurs du mouvement pour la démocratie qui secoua la Chine en 1989. Aujourd'hui, malgré le retour du territoire dans le giron de la mère patrie, le fondateur du syndicat ouvrier autonome de Pékin en 1989, Han Dongfang, diffuse depuis Hong Kong des informations sur les luttes des travailleurs en Chine, tandis que nombre de revues dénoncent le régime de Pékin. Cinquante quotidiens aux positions les plus diverses se disputent la fidélité des lecteurs dans l'un des lieux les plus libres du monde chinois.

Naissance et maturation d'un tigre (1949-1999)

Port spécialisé dans le commerce d'entrepôt pendant son premier siècle d'existence, Hong Kong se transforma au lendemain de la victoire communiste. Les Britanniques furent fort étonnés lorsque, en octobre 1949, les communistes, qui s'étaient distingués par leur dénonciation du colonialisme, arrêtèrent leurs troupes sur les bords de la rivière Shenzhen. Malgré l'afflux de réfugiés fuyant leur avance, ils n'attaquèrent pas la colonie. La survie de

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celle-ci était cependant menacée dans la mesure où elle était fort isolée face à un continent hostile. Rappelons que l'eau potable, la plupart des légumes et de la viande consommés dans le territoire viennent du Guangdong. L'embargo contre la République populaire de Chine décrété par l'O.N.U. en 1950 mit un terme à sa fonction de centre du commerce chinois avec l'étranger. L'afflux de réfugiés (la population passa de 500 000 en 1945 à 2 000 000 en 1951) avait rendu les conditions de vie très précaires. C'est alors que les industriels shanghaïens, qui avaient fui les communistes, profitèrent de la situation : ils disposaient du savoir-faire, de capitaux, et de machines qu'ils avaient fait venir d'Occident à la fin des années 1940. La voie du commerce avec la Chine étant bouchée, ils se lancèrent dans l'industrie. Les grandes familles shanghaïennes du textile, les Tang, les Lee, les armateurs comme Pao Yue Kang, ou le père du premier chef de l'exécutif de la région administrative spéciale après 1997, C. Y. Tung, les frères Shaw, qui créèrent un cinéma prospère, réussirent à faire de la colonie un important centre industriel. Le statut de port franc de Hong Kong permettait encore d'attirer les acheteurs de produits japonais à bon marché, mais c'est l'industrie textile qui permit à la colonie de fournir des emplois aux centaines de milliers de réfugiés. L'absence de syndicats et des salaires fort bas permirent aux vêtements « made in Hong Kong » de conquérir une place importante sur les marchés du monde développé. En 1962, le textile représentait 52% des exportations. Dans les années 1960, les entrepreneurs hongkongais surent anticiper les évolutions et se lancèrent dans l'industrie du jouet, conquérant rapidement le marché mondial. Les grands industriels shanghaïens avaient montré la voie, dans laquelle s'engouffra une multitude de petits entrepreneurs cantonais qui, aujourd'hui encore, font la prospérité de Hong Kong. Puis, avec l'ouverture de la Chine en 1978-1979, Hong Kong a repris son rôle de plaque tournante du commerce chinois. La valeur des réexportations de produits étrangers vers la Chine ou de produits chinois vers l'étranger est supérieure à celle des exportations « nationales » et la part du secteur manufacturier n'a cessé de baisser, le premier secteur d'emploi étant les finances, les assurances et les activités liées au commerce international. De centre industriel, Hong Kong s'est transformé en centre de services. À partir du milieu des années 1980, les entrepreneurs du territoire sont allés investir en Chine, où ils représentent 65% des investissements étrangers. En outre, le coût de la main-d'œuvre et du terrain augmentant sans cesse à Hong Kong, ils ont délocalisé leurs centres de production, et on estime qu'aujourd'hui, plus de trois millions d'ouvriers travaillent dans 20 000 entreprises hongkongaises en République populaire, tandis que le nombre d'employés du secteur manufacturier dans le territoire est passé de 856 137 en 1982, soit 35,6% de la population active, à 309 000 en 1997, soit 9,7%. Dans le même temps, les entreprises de Chine populaire investissaient massivement à Hong Kong.

Laissez-faire, laissez passer

Tout au long de son histoire, le gouvernement colonial a adopté une politique libérale, qualifiée de « non-intervention positive », dans laquelle il se contentait de fournir un cadre juridique assurant un minimum de concurrence tandis que les partenaires sociaux devaient contracter librement. Les salariés étaient cependant beaucoup plus faibles que les patrons, en raison notamment de l'abondance de la main-d'œuvre dont le renouvellement était assuré par les clandestins venus de Chine, (environ 20 000 par an pendant les années 1960, à peu près autant pendant les années 1970). Quittant une Chine où la situation était dramatique, les réfugiés étaient prêts à accepter des conditions de rémunération et de logement très rudimentaires, faisant le bonheur des entrepreneurs locaux. Il faudra attendre les années 1970 pour que les enfants de ces réfugiés, nés à Hong Kong, atteignent l'âge adulte et, considérant

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le territoire comme leur patrie, se mettent à exprimer des revendications de participation politique et d'amélioration des conditions de vie. Le gouverneur Murray McLehose, qui prit son poste au lendemain des graves émeutes qui, dans le sillage de la révolution culturelle chinoise, avaient profondément ébranlé la stabilité de la colonie en 1967, décida de répondre favorablement à ces revendications. Certes, il n'était pas question de démocratisation, mais les autorités mirent sur pied des organismes consultatifs pour tenter de rétablir la communication avec la société, et lancèrent un vaste programme de construction de logements sociaux pour améliorer les conditions de vie des travailleurs et leur permettre d'éprouver un sentiment d'appartenance au territoire. En 1974, à la suite des manifestations étudiantes récurrentes depuis 1970, le chinois (cantonais) devint la seconde langue officielle. Toutefois, malgré ces initiatives, les autorités coloniales se sont bien gardées de développer à Hong Kong la démocratie ou un système de protection sociale comparable à celui de la métropole, en raison tant de leurs convictions que de l'hostilité affirmée des milieux d'affaires chinois et britanniques. Il faudra attendre les années 1990 pour que des garanties rudimentaires soient accordées aux travailleurs.

Un modèle de développement pour la République populaire ?

Tout au long du règne de Mao (à l'exception de quelques mois pendant la révolution culturelle), la République populaire s'est bien gardée d'intervenir dans la gestion de la colonie, la considérant surtout comme une fenêtre sur le monde facilitant ses échanges avec l'étranger. Pour le plus grand étonnement des Britanniques eux-mêmes, la Chine révolutionnaire, celle qui se posait en modèle pour le Tiers Monde, a toléré sans mot dire une « verrue » coloniale sur son flanc. C'est paradoxalement avec le retour de Deng Xiaoping au pouvoir caractérisé par l'adoption d'une politique économique pragmatique et l'appel aux capitaux étrangers, notamment à ceux des Chinois d'outre-mer et de Hong Kong, que la question du statut du territoire va être posée. Alors qu'il invitait les tycoons (millionnaires) de Hong Kong à investir dans les Zones économiques spéciales créées en 1979 à Shenzhen, Zhuhai (face à Macao), Xiamen (face à Taiwan) et Shantou, Deng se préparait à récupérer la colonie à l'échéance du bail sur les Nouveaux Territoires en juillet 1997. Désireux cependant de ne pas remettre en cause la prospérité d'un territoire dont le revenu par habitant dépassait celui de la métropole, il proposait d'appliquer à Hong Kong la formule « un pays, deux systèmes » créée pour récupérer Taiwan, et qui devait permettre à la future région administrative spéciale (R.A.S.) de conserver son système capitaliste pendant cinquante ans après 1997. Cette solution allait être imposée aux Britanniques qui, le 19 décembre 1984, signaient la Déclaration conjointe, texte déposé aux Nations unies, qui devait garantir que Hong Kong ne subirait pas le sort de Shanghai en 1949. L'intention des communistes chinois était de remplacer les Britanniques et ils se lancèrent, avec un grand succès, dans une politique de cooptation des élites très comparable à celle que le pouvoir colonial avait mise en œuvre. Désireux de pratiquer jusqu'au bout la politique du Front uni consistant à s'allier avec la bourgeoisie, ils nommèrent des représentants de la population dans les commissions créées pour mettre au point les institutions de la future R.A.S. Toutefois, les habitants de Hong Kong n'avaient pas leur mot à dire dans les négociations sino-britanniques qui devaient décider de leur avenir, ce qui provoqua une grande frustration parmi des citoyens dont le niveau d'éducation ne cessait de s'élever. Paradoxalement, c'est l'imminence du retour dans le giron de la mère patrie qui a renforcé, chez les Hongkongais, le sentiment de leur spécificité, tant culturelle (les chansons et les films hongkongais qui avaient conquis l'Asie du Sud-est dans les années 1970 s'imposèrent en République populaire dès les années 1980) qu'économique - puisque l'efficacité du territoire

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était universellement reconnue, même par les dirigeants communistes - et aussi politique puisque la liberté d'expression et la multiplicité des associations font partie de l'identité de Hong Kong. Le gouvernement colonial, forcé de reconnaître cette évolution des mentalités, proposa de timides réformes du système politique, instaurant en 1984 des élections indirectes de type corporatiste au LegCo. Jusqu'en 1989, les négociations sino-britanniques connurent des hauts et des bas, suscitant un grand intérêt dans une population qui se passionnait de plus en plus pour la politique. Le mouvement des étudiants de Pékin du printemps de 1989 fit naître l'espoir d'une démocratisation de la Chine qui aurait permis une transition en douceur du pouvoir politique. La proclamation de la loi martiale et le massacre du 4 juin constituèrent un choc à la mesure de l'espoir que le mouvement avait fait naître. En deux semaines, deux manifestations réunirent chacune un million de personnes (soit près de la moitié de la population) et constituent en quelque sorte l'acte de naissance de la communauté politique hongkongaise. Le Parti démocrate, aujourd'hui encore le principal parti de la R.A.S., fut fondé par les organisateurs du mouvement de solidarité avec les étudiants de Pékin. Sur les 18 sièges (sur un total de 60) soumis pour la première fois, dans l'histoire du territoire, au suffrage universel direct en 1991, il en remporta onze tandis que tous les alliés de Pékin étaient battus. Cette popularité montrait que les Hongkongais étaient convaincus que pour pouvoir résister aux pressions du Parti communiste chinois, Hong Kong devait se démocratiser. Cette prise de conscience a beaucoup inquiété Pékin qui, dès avril 1990, a fait adopter une mini-Constitution ne prévoyant pas l'élection au suffrage universel direct de la totalité des députés au LegCo. En même temps, le P.C.C. dénonçait pêle-mêle les démocrates et la Grande-Bretagne, accusés de vouloir transformer Hong Kong en base de subversion. Londres tenta d'apaiser son partenaire, mais finit par prendre acte de la volonté de démocratisation de la population. Le dernier gouverneur, Chris Patten, arrivé en juillet 1992 dans le territoire, a proposé un plan de démocratisation modérée des institutions et, en septembre 1995, eurent lieu les premières élections entièrement au suffrage universel (même si deux tiers des députés étaient élus selon un système très complexe). La réforme Patten conduisit à un durcissement des relations entre Londres et Pékin et, le 1er juillet 1997, le LegCo élu en septembre 1995 fut dissous et remplacé par le LegCo provisoire constitué en décembre 1996 de personnalités nommées par des partisans de Pékin. Toutefois, les hauts fonctionnaires nommés par le dernier gouverneur colonial conservèrent leur poste, et la rétrocession, le 1er juillet 1997, n'a pas donné lieu à une « chasse aux sorcières ». La presse conserve tout son mordant et les élections directes de mai 1998 au premier LegCo de la R.A.S. ont donné une majorité des voix aux démocrates avec une participation électorale record. Les manifestations antigouvernementales sont toujours aussi nombreuses et la veillée commémorative du 4 juin, devenue un élément déterminant de la culture politique hongkongaise a rassemblé quarante mille personnes en 1998. Pourtant, tout n'est pas gagné. Certaines affaires de droit commun ont conduit les observateurs à s'interroger sur l'autonomie réelle des tribunaux de Hong Kong, et nul ne peut prédire quelles conséquences aura sur la vie politique de la R.A.S. le durcissement politique qui se fait jour à Pékin depuis la fin de 1998. Enfin, la crise asiatique de 1997 a durement touché Hong Kong dont la marge de manœuvre est limitée par la nécessité de maintenir une parité fixe entre sa monnaie et le dollar américain. Au cours de l'histoire, le territoire a toujours surmonté les crises graves qui l'ont affecté. Reste à savoir si la nouvelle région administrative spéciale aura hérité des capacités légués par la colonie.

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Jean-Philippe BÉJA

3. L'essor économique

Hong Kong est avant tout une ville nouvelle (créée ex nihilo), un grand port franc, en eau profonde, un haut lieu des affaires et de la finance, ainsi qu'une des principales plaques tournantes du tourisme international. Après être devenu un important centre manufacturier orienté vers l'exportation, Hong Kong a délocalisé la majeure partie de sa production (jouets, électronique) au Guangdong et abrite surtout des sièges sociaux, ce qui accélère le développement du Guangdong, mais freine l'innovation et diminue la valeur ajoutée des entreprises industrielles de Hong Kong. Le développement économique de Hong Kong dépend en grande partie de la nécessaire modernisation de l'infrastructure des transports de la province du Guangdong, qui constitue son hinterland.

Un pôle important du monde des affaires

À la fin des années 1970, grâce aux investissements et aux transferts de technologie, notamment en provenance des États-Unis (plus de 50%), du Japon et du Royaume-Uni, l'électronique est devenue la deuxième industrie manufacturière, derrière l'industrie du textile et de la confection. Les autres activités industrielles sont l'horlogerie, les matières plastiques, l'industrie électrique, la métallurgie, les machines-outils, la construction navale et la maintenance aéronautique. Hong Kong diversifie ses activités dans les domaines de la haute technologie à forte valeur ajoutée (électronique, informatique) et des services (banques, assurances, tourisme), qui représentent actuellement plus de 65% du P.I.B. Le gouvernement ne souhaite toujours pas changer la parité fixe (peg) du dollar de Hong Kong, qui s'échange au taux de 7,8 dollars de Hong Kong pour un dollar américain depuis le 17 octobre 1983 et stabilise l'économie, tout en la protégeant des spéculateurs étrangers. Pourtant, la dévaluation du dollar de Hong Kong - qui est convertible -, et la privatisation des chemins de fer seraient, selon certains observateurs, des solutions pour sortir de la crise. Mais la Chine préfère intervenir en Bourse, en utilisant une partie de ses réserves de change estimées à 96 milliards de dollars, pour contrer les attaques des spéculateurs, surtout américains, et maintenir la confiance des Hongkongais dans leur monnaie, malgré la crise de l'immobilier et la baisse de la Bourse. Sinon, la Chine devrait dévaluer le yuan, ce qu'elle ne souhaite pas. Depuis 1978, Hong Kong, au premier rang des investisseurs, joue un rôle essentiel dans la modernisation de la Chine, et inversement, la Chine est l'un des principaux investisseurs à Hong Kong (par l'intermédiaire du Groupe de la banque de Chine, seconde banque du territoire après la Hongkong Bank). L'interdépendance et la complémentarité des deux économies s'accroissent conformément à la logique de la réunification nationale. L'accord sino-britannique signé à Pékin le 19 décembre 1984, qui garantit à Hong Kong un statut de région administrative spéciale sous souveraineté chinoise après 1997 et lui permet de conserver pendant cinquante ans son système capitaliste, son régime juridique, son autonomie économique et son statut de port franc, a rétabli un climat de relative confiance dans les milieux d'affaires. La Chine profite de la fantastique réussite économique de Hong Kong. Les mesures incitatives prises dans les domaines financier, commercial et fiscal ont permis d'attirer les investisseurs étrangers. Cela a accéléré l'implantation de sociétés d'investissements, de bureaux de représentation du continent, ainsi que la constitution de coentreprises. Le crédit bancaire finance la croissance, tandis que la hausse des salaires

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diminue la compétitivité de Hong Kong, dont les résultats globaux sont remarquables, malgré la crise économique qui l'affecte.

Une croissance ralentie par la crise

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'économie de Hong Kong a connu l'un des taux de croissance les plus forts du monde (environ 10% par an, en moyenne, de 1955 à 1988), ce qui en a fait un nouveau pays industriel réactif. Cependant, la croissance s'est ralentie par la suite (environ 5%, en moyenne, de 1989 à 1997, avec un net effondrement du P.N.B. par habitant de 5,4% en 1992 à 1,9% en 1995, puis 2,4% en 1996 et 2,1% en 1997), jusqu'à la crise financière de 1998-1999. Hong Kong a alors été touchée par sa plus sévère récession économique depuis 1945. Les commandes aux industriels ont chuté de 13% en 1998, et les deux secteurs phares, l'électronique et l'industrie électrique se sont respectivement tassés de 24% et de 34%. L'ensemble de la production a baissé. Les salaires ont été gelés et les ventes au détail ont chuté. Le phénomène social le plus inquiétant est le chômage - des employés, principalement - qui n'avait jamais été aussi élevé depuis quinze ans (6% de la population active au début de 1999, contre 2% avant). À Hong Kong, les sociétés écrans, chargées par les groupes publics chinois d'emprunter de l'argent sur le territoire, ont l'avantage de ne pas être soumises à l'agrément de l'administration centrale des changes de la R.P.C. ; cela explique que leur prolifération et leurs spéculations immobilières et boursières aient causé une crise de liquidités et des cessations de paiement, entraînant des faillites retentissantes (comme celle de la Gitic, Guangdong International Trust and Investment Company, en novembre 1998). Les milliardaires hongkongais, qui ont fondé leur fortune sur l'immobilier, ont exigé, en 1998, du gouvernement des mesures de protection de la Bourse et du taux de change. Le gouvernement de Hong Kong, devenu le premier actionnaire des principaux groupes de la Bourse - ce qui rend encore plus sensible la collusion entre les quelques grandes fortunes et le gouvernement - encadre plus fermement la spéculation depuis août 1998, afin de défendre sa monnaie et les fortunes des grands promoteurs immobiliers. Les ventes des terrains ont été gelées par le gouvernement en juillet 1998, jusqu'en avril 1999, et les opérations boursières à découvert ont été interdites en septembre 1998. Mais cette monnaie trop forte renchérit les exportations, ralentit le trafic portuaire et freine le tourisme. Les prix de l'immobilier, malgré leur chute de 50% en 1998, dissuadent toujours les petits entrepreneurs étrangers, alors qu'ils étaient autrefois un facteur d'investissement. Hong Kong, qui était déjà l'une des villes les plus chères du monde pour l'immobilier, l'est également devenue pour le prix des services - qui constituent la base de son économie -, jugés exorbitants en temps de crise.

Des moyens de communications efficaces

Héritage de l'administration britannique, on roule à gauche, et l'on croise des bus à impériale , en plus des autobus, minibus, taxis et voitures particulières. Le réseau routier est l'un des plus denses du monde (270 véhicules au kilomètre) ; il est assez fluide malgré les encombrements dus aux véhicules de livraison. Avec plus de 10 millions de voyageurs par jour, le système de transport multimodal se doit d'être très performant. Le métro (Mass Transit Railway) relie la côte nord de l'île de Hong Kong aux Nouveaux Territoires en traversant la baie et Kowloon. Une ligne de chemin de fer relie Kowloon à Guangzhou (Canton), et deux autres desservent les villes nouvelles situées à l'ouest et à l'est des Nouveaux Territoires. Une voie ferrée, un tunnel sous la baie, des ponts suspendus et une autoroute à six voies relient le nouvel aéroport, Chek Lap Kok, situé sur l'île de Lantau, à Central, sur l'île de Hong Kong. Le tramway ne fonctionne que sur l'île de Hong Kong. Un funiculaire relie Central au pic

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Victoria. Le port qui s'étend sur le littoral nord de l'île de Hong Kong et sur la rive méridionale de la presqu'île de Kowloon (trafic de 170 millions de tonnes de fret et de 18 millions de passagers en 1998 - cinquième rang mondial) est le premier au monde pour le transport de conteneurs (14,5 millions de conteneurs E.V.P. - équivalent vingt pieds, soit 6 mètres environ - en 1997). De nouvelles aires de stockage pour conteneurs sont prévues à Kwai Chung, New Lantau et Tuen Mun River. Des ferries traversent la baie, rejoignent les îles, et relient le nouvel aéroport à Tuen Mun, sur les Nouveaux Territoires.

Le nouvel aéroport international de Hong Kong (H.K.I.A.), construit essentiellement sur des polders, à Chek Lap Kok, dans le nord de l'île de Lantau, est entré en service prématurément en juillet 1998 (ce qui a occasionné des désordres importants). L'ancien aéroport de Kai Tak, saturé et trop dangereux en approche au-dessus du relief et de la ville, a été officiellement fermé au même moment Le gouvernement a décidé la création d'une ville sur les 579 hectares ainsi libérés. Ce projet, qui s'étalera sur dix-huit ans, prévoit la construction d'écoles, d'un hôpital, d'un stade international, ainsi que 100 000 appartements. Les premiers habitants de cette ville devraient emménager en 2003. À cause de la récession économique, les promoteurs ne se bousculent pas pour profiter de l'espace libéré par Kai Tak. Et Chep Lap Kok, qui a coûté près de 21 milliards de dollars (avec ses voies d'accès), est devenu, en pleine crise, l'aéroport le plus cher du monde ; il est pourtant promis à un bel avenir, avec sa capacité de 87 millions de passagers et de 9 millions de tonnes de fret par an. Hong Kong est une des principales portes d'entrée commerciale et touristique de la Chine. En 1997, les touristes ont été moins nombreux (- 11% par rapport à 1996) et les ressources dégagées en 1998, encore moindres (- 30%) qu'au cours des cinq années précédentes, qui avaient enregistré une hausse de près de 3 millions de visiteurs (entre 1992 et 1996). Les Hongkongais constituent le gros du contingent des touristes à Macao et en Chine continentale. Les touristes de Chine continentale sont les plus nombreux à Hong Kong, devant les Chinois de Taiwan, les Japonais et les voyageurs d'Asie du Sud et du Sud-Est. Le nombre des touristes de Taiwan est en forte progression depuis qu'ils sont autorisés (fin des années 1980) à aller rendre visite à leur famille sur le continent et à commercer par l'intermédiaire de Hong Kong.

Le commerce extérieur s'ouvre à l'Europe

Conformément à la Déclaration commune sino-britannique de décembre 1984, Hong Kong devrait conserver les mêmes systèmes économique et social pendant cinquante ans, à partir de sa rétrocession à la Chine le 1er juillet 1997. La transition économique s'est effectuée en douceur grâce à la création, en 1985, d'un Groupe commun de liaison sino-britannique (qui fonctionnera jusqu'au 1er janvier 2000) et d'une Commission territoriale sino-britannique (dissoute le 30 juin 1997, qui était chargée des concessions et baux), qui ont œuvré dans tous les domaines et, en particulier, dans celui des relations (survols aériens, accords internationaux) et des investissements à long terme (aéroport, voies de communications, contrats, licences, gestion des déchets). Ce Groupe de liaison a, par exemple, autorisé l'appartenance séparée de Hong Kong aux actuelles Organisation mondiale du commerce (O.M.C.) et Organisation mondiale des douanes (O.M.D.) et garanti la continuité du système judiciaire. Pour maintenir sa stabilité sociale, sa prospérité économique et son autonomie en matières de finances, le statut de port franc et de territoire douanier autonome de Hong Kong devrait ainsi se perpétuer jusqu'en 2047. La Région administrative spéciale continue de tenir ses propres statistiques (maintenant publiées par la république populaire de Chine), et

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d'enregistrer ses fameuses « réexportations » vers la Chine (à laquelle elle appartient pourtant). Du fait de sa situation géographique privilégiée, Hong Kong demeure, en effet, le premier partenaire commercial de la Chine continentale. Ses principaux clients à l'exportation sont la Chine (35% de la valeur des exportations en 1998), les États-Unis (22%), le Japon, l'Allemagne et la Grande-Bretagne (environ 6% chacun), Singapour (3%), Taiwan (2,5%), et la Corée du Sud (1,5%). Les deux tiers de ses exportations étaient toujours constitués en 1998 de réexportations, principalement à destination (36%) ou en provenance (58%) de Chine, des États-Unis (21%), du Japon et de l'Allemagne (environ 4% chacun), et de Grande-Bretagne (3%). Hong Kong, qui a signé l'Accord sur les textiles et l'habillement de l'O.M.C. (remplaçant l'Accord multifibres depuis janvier 1995), est le premier exportateur mondial de vêtements, d'articles de voyages, de bijoux fantaisie, de parapluies, jouets, montres et fleurs artificielles. Le territoire est également membre de l'A.P.E.C. (Asian Pacific Economic Cooperation Forum). Le développement industriel de la Thaïlande et la légalisation des échanges indirects entre Taiwan et le continent, qui transitent en moyenne à 70% par le territoire, contribuent à diversifier ses échanges.

Vers la réunification de quelle Chine ?

L'avenir de Hong Kong dépendra en grande partie de l'attitude plus ou moins protectionniste de ses principaux partenaires commerciaux, ainsi que de l'évolution politique en Chine populaire. En effet, la compétitivité de Hong Kong dépend de plus en plus de sa complémentarité avec l'économie de la province du Guangdong, dont 80% des projets sont financés par des Hongkongais. Son taux élevé d'inflation est compensé par les contrats de sous-traitance qu'elle conclut avec les provinces chinoises. Un nouveau couloir de haute technologie est en projet le long de la voie de chemin de fer Guangzhou-Kowloon et les perspectives industrielles et commerciales de développement en relation avec la Chine sont gigantesques. Le principal risque de dégradation du dynamisme économique de Hong Kong est le développement du clientélisme et de la corruption. La mise en application à Hong Kong de la politique ambiguë de Pékin, « un pays, deux systèmes », et le retour de Macao à la Chine populaire en 1999, posent avec encore plus d'acuité la question de l'avenir de Taiwan.

Pierre SIGWALT

Bibliographie   :

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HUBEI [HOU-PEI]

S'étendant au centre de la Chine orientale, la province du Hubei couvre 187 500 kilomètres carrés peuplés de 55 120 000 habitants selon les estimations de 1992.

Le Hubei est constitué de deux ensembles très différents : le tiers occidental de la province est très accidenté et formé d'un ensemble de massifs de plus de 1 000 mètres d'altitude, les plus importants étant les Wushan et les Wudangshan qui constituent la partie orientale de l'encadrement montagneux du bassin du Sichuan ; les parties centrale et orientale correspondent à la vallée du Yangzijiang, qui s'épanouit ici en plaine, et à la vallée du Hanshui, le plus grand affluent du Yangzi ; cet ensemble est limité, au nord, par les modestes massifs de Huaiyang, ligne de partage des eaux entre le Huaihe au nord et le Yangzi. Pour modestes que soient ces massifs, ils n'en constituent pas moins un écran climatique si important qu'il protège le Hubei en hiver contre l'invasion de l'air polaire du nord. Aussi la province connaît-elle des hivers tempérés (moyenne de janvier, + 5 0C) tandis que les étés y sont torrides (moyenne de juillet, 29 0C) ; les conditions pluviométriques sont excellentes : de 1 000 à 1 300 millimètres du nord au sud, beaucoup mieux répartis selon les saisons qu'en Chine du Nord, grâce à l'activité de dépressions cycloniques qui circulent au-dessus de la vallée du Yangzijiang. Toutes ces conditions permettent une agriculture intensive caractérisée par une double récolte annuelle : riz en été, blé en hiver. Dans les plaines centrales, on a même développé la double récolte de riz grâce à l'introduction d'une variété hâtive. Ces plaines, et notamment la plaine de Jianghan (entre Yangzi et Hanshui), sont également une des grandes régions cotonnières de la Chine : le coton occupe en été les terres sablonneuses, et le blé lui succède fréquemment en hiver. Les terroirs accidentés, souvent aménagés en terrasses, portent des

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cultures sèches : blé, colza, légumineuses en hiver, soja, maïs en été, tandis que le thé, l'abrasin oléagineux et l'arbre à laque sont les spécialités des massifs occidentaux. Les reliefs (Mufushan) qui ferment au sud la plaine de Wuhan recèlent diverses ressources minérales qui ont fait du Hubei un des plus anciens foyers industriels de la Chine. Près de Daye, dans le district de Huangshi, est exploité depuis 1890 le principal gisement de minerai de fer de la Chine méridionale ; on y exploite aussi du charbon (anthracite) et du cuivre (au sud de Daye). De grandes carrières à Huangshi alimentent une importante industrie du ciment. Au nord-ouest de Wuhan, les carrières de Yingcheng produisent la plus grande partie du gypse chinois, et du phosphate est exploité à Zhongxiang. À l'exception de Xiangfan (410 000 hab. selon les estimations de 1990), qui est un grand marché de la vallée du Hanshui et la tête de navigation pour les vapeurs, les grandes villes du Hubei s'ordonnent le long de la vallée du Yangzijiang. Wuhan, avec 3 284 000 habitants (estimation de 1990), est la capitale provinciale. C'est une conurbation constituée de trois villes situées à la confluence du Hanshui et du Yangzi : Hankou, la plus peuplée, située sur la rive gauche du Hanshui, en est le grand port qu'atteignent les navires de mer ; Hanyang, sur la rive droite du Hanshui, en fut le premier foyer industriel sidérurgique, et Wuchang, sur la rive droite du Yangzi, le centre administratif et culturel. En aval de Wuhan, Huangshi (458 000 hab. en 1990) est un grand centre industriel dont les ressources exploitées dans le périmètre du district urbain alimentent une aciérie, une raffinerie de cuivre et d'importantes cimenteries. En amont de Wuhan, Yichang et Shashi sont deux grands centres de batellerie. Yichang est au point de rupture de charge, à l'entrée des gorges du Sichuan, entre les navires de 3 000 tonnes de l'aval et les bateaux de 500 tonnes qui franchissent les gorges ; Shashi (281 000 hab. en 1990) est à la fois un port sur le Yangzijiang et une tête de navigation sur un réseau de canaux le reliant à Wuhan et au lac Dongting au sud (au Hunan) ; c'est de ce fait un grand marché du riz et du coton. Depuis les années 1950, la conurbation de Wuhan est devenue un des grands foyers industriels de la Chine : industries mécanique, chimique et textile à Hankou ; métallurgie, textiles et papeteries à Hanyang ; textiles, constructions navales à Wuchang, qui est devenu surtout le siège d'un des principaux combinats sidérurgiques de la Chine, créé à partir de 1956.

Pierre TROLLIET

HUNAN [HOU-NAN]

S'étendant au cœur de la Chine orientale, sur la rive droite du Yangzijiang, au sud du grand lac Dongting, d'où son nom (hu, lac ; nan, sud), la province du Hunan couvre 210 500 kilomètres carrés et comptait 62 090 000 habitants selon les estimations de 1992.

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Cette province correspond essentiellement au bassin du lac Dongting et à ses vallées affluentes : Lishui, Yuanjiang, Zishui et Xiangjiang, la grande artère sud-nord de la province. Cet ensemble est cerné de massifs qui s'élèvent de 600 à 1 500 mètres et dont l'orientation est nord-est - sud-ouest. On trouve, à l'ouest, l'ensemble le plus élevé avec les Wulingshan et les Xuefengshan ; à l'est, les Lianyunshan, les Wugongshan et les Wanyangshan constituent la limite avec la province du Jiangxi ; au sud, enfin, s'étend un ensemble complexe de collines qui est une vaste zone de relief appalachien. Le climat du Hunan est chaud (janvier + 5 0C ; juillet + 30 0C) et humide (de 1 500 à 2 000 mm), permettant une riche agriculture où le riz tient la place essentielle, tout particulièrement dans la vallée du Xiangjiang et dans les plaines du lac Dongting, considérées comme le « bol de riz de la Chine ». Les systèmes de culture y sont extrêmement variés et très intensifs : au riz hâtif succède souvent du maïs ou du soja en été, puis du blé en hiver ; la double récolte de riz est aussi largement pratiquée grâce à la technique du « riz intercalaire » (riz d'été repiqué en juin dans les interlignes du riz précoce). Très remarquables également sont les productions des terroirs des collines et des versants : maïs, soja et surtout patates douces dont la culture a été développée depuis 1950 (du fait de ses hauts rendements) ; c'est également le thé, dont le Hunan est le second producteur chinois (le cru le plus réputé est celui d'Anhua dans la vallée du Yuanjiang). Les massifs occidentaux et méridionaux sont peuplés de « minorités nationales » (Tujia, Miao, Yao, Tong). Cette région est réputée pour ses productions d'huile d'abrasin et de ramie. Le Hunan se distingue plus encore par sa grande richesse minérale : le mercure à Houziping, dans les massifs occidentaux ; manganèse, près de Xiangtan ; plomb et zinc à Shuikoushan au sud ; tungstène, étain et molybdène à l'est et au sud ; antimoine à Shikuangshan, à l'ouest du Xiangtan ; or dans les massifs occidentaux et orientaux ; phosphates à Yonghe, à la frontière du Jiangxi. Outre ces différents centres urbains nés de l'exploitation des ressources minérales, mais qui ne connaissent d'autres activités que l'extraction des minerais, les villes du Hunan se sont fixées dans les principales vallées affluentes du lac Dongting, les plus importantes étant celles de la vallée du Xiangjiang : au débouché de la vallée, dans la plaine du grand lac, Changsha, la capitale provinciale avec 1 113 000 habitants selon les estimations de 1990, est un grand port fluvial et un des principaux marchés du riz de la Chine ; célèbre centre culturel et artisanal, Changsha traite également le plomb et le zinc de Shuikoushan, industrie à laquelle se sont ajoutées par la suite diverses fabrications mécaniques (machines-outils, instruments de précision). Plus au sud, Zhuzhou (410 000 hab. en 1990) doit son développement à sa fonction de plaque tournante ferroviaire sur la ligne Pékin-Canton, reliée ici, à l'ouest, aux mines de Shikuangshan et, à l'est, à Shanghai et à Fuzhou et Amoy ; la ville s'est considérablement industrialisée au cours des années 1950 à 1960 : usine de matériel ferroviaire, traitement du charbon, fonderie de plomb et de zinc, usines de superphosphates et d'engrais azotés. À l'ouest de Zhuzhou, Xiangtan (442 000 hab. en 1990) est spécialisée dans les constructions électriques et la fabrication de ferromanganèse. Hengyang (487 000 hab. en 1990) est un grand centre de transport : tête de navigation sur le Xiangjiang et nœud ferroviaire à la jonction des lignes en direction de Canton et du Vietnam via le Guangxi. Diverses fabrications mécaniques (machines, moteurs) y ont été implantées depuis les années 1950. Pierre TROLLIET

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JIANGSU [KIANG-SOU]

Province de la Chine orientale, le Jiangsu couvre 100 000 kilomètres carrés et compte 68 440 000 habitants, selon les estimations de 1992 : c'est une des régions les plus peuplées de la terre. Le Jiangsu (« pays de l'eau », « confluence des fleuves ») est une vaste région amphibie constituée au nord par les plaines du Huaihe et au sud par le delta du Yangzijiang. Outre un réseau d'innombrables rivières, le Jiangsu compte deux des plus grands lacs chinois : le lac Hongze au nord (2 700 km2) et le lac Tai au sud (2 200 km2). Cette province bénéficie d'un climat extrêmement favorable, avec 600 à 1 200 millimètres de précipitations du nord au sud, assez bien réparties tout au long de l'année, contrairement à la plupart des autres régions de la Chine. Au nord du Huaihe, on cultive le blé d'hiver, le kaoliang et les millets en été, accessoirement le soja et la patate douce. Au sud alternent, sur les mêmes terres, le blé en hiver et le riz en été. Le littoral de la province a été en grande partie aménagé pour la culture du coton, tandis que le delta du Yangzijiang produit une part notable de la soie chinoise grâce à la culture du mûrier. Les terres alluviales du Jiangsu sont évidemment dépourvues de ressources minérales ; seule exception, on trouve des salines dans la région de Lianyungang et, dans les collines avoisinant la ville, les gisements de phosphates les plus importants de Chine.

Le Jiangsu est l'une des provinces les plus urbanisées de la Chine. Nankin (2 090 200 hab., selon les estimations de 1990), chef-lieu de la province, fut la capitale de la Chine de 1928 à 1949. Centre d'un artisanat traditionnel de porcelaines et de textiles, elle est devenue une importante ville industrielle par l'implantation d'usines métallurgiques et chimiques, et surtout d'une grande raffinerie de pétrole. Wuxi (plus de 826 000 hab.) est le centre économique du bassin du lac Tai, doté depuis 1950 d'industries textiles et mécaniques. Suzhou (plus de 706 000 hab.), la « Venise chinoise » célèbre par ses canaux, est restée un centre d'artisanat d'art et produit des soieries de qualité. Lianyungang (plus de 354 000 hab.), terminus de la voie ferrée transchinoise est-ouest, est le seul port entre Tianjin et Shanghai. Nantong enfin (plus de 343 000 hab.) est le centre économique de l'Est, doté de filatures de coton et d'une usine de superphosphates.

Pierre TROLLIET

JIANGXI [KIANG-SI]

Province de la Chine orientale, appartenant au bassin du moyen Yangzijiang, le Jiangxi couvre 164 800 kilomètres carrés et compte 38 650 000 habitants, selon les estimations de 1992.

Il est constitué d'une vaste plaine qui s'étale autour du lac Poyang ; celui-ci, relié au Yangzijiang, peut atteindre 5 000 kilomètres carrés en hautes eaux. La plaine se prolonge par la vallée du Ganjiang, axe sud-nord de la province. Tout cet ensemble est limité à l'est par la chaîne granitique des Wuyishan et à l'ouest par les massifs cristallins des Wanyangshan et des Jiulingshan.

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Le riz est la principale culture du Jiangxi, pratiquée essentiellement dans la plaine du lac Poyang, et donne deux récoltes annuelles au sud de la province. Le coton prédomine sur les rives nord-est du lac, tandis que la ramie, célèbre plante textile du sud du Jiangxi, est cultivée dans la région de Wanzai. Dans cette partie méridionale apparaissent aussi diverses cultures tropicales, canne à sucre notamment, tandis qu'une variété réputée de thé est cultivée dans le bassin de la Xiushui. Le charbon et le tungstène sont les deux grandes ressources industrielles du Jiangxi. À Pingxiang, à la limite de la province du Hunan, se situe le principal bassin houiller chinois au sud du Yangzijiang. Au sud, à Xihuashan, le tungstène est exploité dans l'un des gisements les plus riches du monde. Les principaux centres urbains de la province sont Nanchang (plus de 1 086 000 hab.), capitale provinciale, grand marché du riz et du coton (filatures), dotée d'une usine de moteurs Diesel et d'une usine de tracteurs ; Jingdezhen (281 000 hab., selon les estimations de 1990), célèbre depuis des siècles pour ses fabrications de porcelaines qui utilisent le kaolin local ; Ganzhou (plus de 220 000 hab.), centre économique du sud du Jiangxi, la ville du tungstène ; Jiujiang (plus de 290 000 hab.), débouché portuaire de la province sur le Yangzijiang.

Pierre TROLLIET

JILIN [KI-LIN] ou KIRIN, province

Province située dans la partie centrale de la Mandchourie et qui s'étend sur 290 000 kilomètres carrés, Jilin (Kirin) est la moins peuplée des trois provinces de Mandchourie. Elle comptait 25 090 000 habitants, selon les estimations de 1992, dont 12% étaient des minorités nationales réparties en quatre familles. Les Coréens sont localisés, pour la très grande majorité d'entre eux, dans le département autonome de Yanbian. Les Mandchous habitent dans les plaines centrales. Les Mongols se situent, pour la plupart, dans la région de Baicheng au nord-ouest. Les Hui sont les moins nombreux et regroupés pour la majorité d'entre eux dans les villes de Jilin et de Changchun.

Le territoire de cette province se partage à peu près également entre trois grands ensembles de relief très contrasté. À l'ouest, une partie du plateau Mongol est bordée par le massif du Grand Khingan. La partie centrale correspond au seuil (200 à 300 m) qui sépare les bassins du Liaohe et du Soungari ; c'est un ensemble de basses collines qui cèdent la place, au nord, aux plaines du Soungari, dont le Jilin ne possède qu'une étroite frange. À l'est se dressent de puissants alignements montagneux (1 000 à 2 000 m d'altitude) d'orientation nord-est - sud-ouest : les Zhangguangcai, le Wandashan, le Changbaishan, où s'élève le cône volcanique du Baitoushan qui constitue le point culminant, à 2 750 mètres, de la Chine du Nord-Est. Toutes ces montagnes sont couvertes d'une magnifique végétation forestière : chênes et trembles sur les pentes inférieures ; de 500 à 1 000 mètres, cèdres coréens, chênes mongols, frênes, mélèzes dahouriens, sapins argentés, épicéas de l'Amour à l'étage supérieur. Les conditions climatiques du Jilin marquent une transition entre les rigueurs du Heilongjiang et les caractères tempérés du Liaoning : l'été y est très chaud (moyenne de juillet : + 23 0C), les hivers déjà rigoureux (moyenne de janvier : - 17 0C), mais moins prolongés qu'au Heilongjiang, et l'agriculture y bénéficie encore de 120 à 145 jours sans gel au cours de

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l'année. Les massifs orientaux sont la région la plus arrosée de la Chine du Nord-Est (800 à 1 000 mm) tandis que les précipitations diminuent rapidement vers l'ouest : les plaines du Soungari ne reçoivent plus que 600 millimètres et les franges occidentales 400 millimètres. Le soja, le maïs, le millet et le kaoliang constituent les cultures traditionnelles du Jilin : le soja occupe près de 30% des terres cultivées, et c'est la grande culture des plaines au nord de Changchun, tandis que le maïs (environ 20% des terres cultivées) est très largement répandu dans toute la partie méridionale de la province, où il prend peu à peu la place du kaoliang qui se concentre sur les collines orientales. Les marges occidentales, moins arrosées, sont le domaine du millet, mais surtout de l'élevage pratiqué par les Mongols (chevaux, bovins, ovins). L'extension de la riziculture et celle de la betterave à sucre sont les deux traits remarquables de l'évolution agricole du Jilin. Introduite en 1845 à Tonghua par les Coréens (dans les vallées des massifs orientaux, elle constitue la base de leur économie agricole), la riziculture a gagné les plaines autour de la ville de Jilin et les régions de Tongfen et de Songliao. De même, la betterave à sucre s'est largement développée dans la région qui s'étend de Changchun à Jilin ainsi qu'à Baicheng sur les confins occidentaux. L'exploitation des forêts de l'Est constitue peut-être l'activité la plus remarquable du Jilin : la région de Yanbian, qui s'étend sur 3 500 000 hectares, produit du bois d'œuvre, et surtout du bois de pulpe ; celle de Tonghua produit du bois d'œuvre. Ce sont les deux grandes régions d'exploitation ; la production est en grande partie évacuée en été par flottage sur le Tumen et le Soungari. Les racines de ginseng (la quasi-totalité de la production chinoise), l'élevage du cerf et les fourrures de zibeline sont trois productions célèbres des montagnes de la province désignées en Chine par l'expression « les trois trésors du Jilin ». Le Jilin est, par contre, très moyennement pourvu en ressources minérales : charbon du bassin de Liaoyuan et des houillères de Tonghua, minerai de fer de Tonghua. L'exploitation du charbon et la carbochimie animent la ville de Liaoyuan, dénommée « la ville du charbon » et qui compte 354 100 habitants, selon les estimations de 1990. Jilin, qui fut la capitale de la province jusqu'en 1954, a vu sa population plus que tripler depuis 1949 (1 036 000 hab., selon les estimations de 1990). Ancienne capitale politique du Manzhouguo, Changchun est devenue la capitale du Jilin en 1954 ; la ville est passée de 1 000 000 d'habitants en 1957 à 1 679 200 (estimation de 1990) et est, avec Jilin, le principal centre industriel de la province.

Pierre TROLLIET

LIAONING [LEAO-NING]

Avec 151 000 kilomètres carrés et 39,9 millions d'habitants selon les estimations de 1992, le Liaoning est la moins étendue mais la plus peuplée des trois provinces qui constituent la Chine du Nord-Est. Elle se présente, au sud de la Mandchourie, comme un fer à cheval s'ouvrant sur le golfe de Bohai. On peut y distinguer cinq grands ensembles : au cœur de la province s'étend la plaine du Liaohe, s'élevant progressivement de 50 mètres au sud à 200 mètres au nord ; à l'ouest, une partie du plateau mongol, drainé par le Shara-Muren, forme un ensemble qui a été rattaché au Liaoning en 1969 ; les collines du Liaoxi sont des massifs disloqués s'élevant de 300 à 1 000 mètres entre le plateau mongol et la plaine ; au nord-est, les

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massifs de Longgang, culminant à 1 350 mètres, sont le prolongement méridional des montagnes de Mandchourie orientale ; au sud-est, enfin, s'allongent les collines et la péninsule du Liaodong.

Sa situation méridionale et son ouverture sur la mer confèrent au Liaoning les meilleures conditions climatiques du Nord-Est chinois : la moyenne des températures de janvier n'y est pas inférieure à - 10 0C, tandis que l'été est très chaud et très arrosé (de 500 à 700 mm annuels dont 65% en été). Les différents ensembles régionaux ont des vocations agricoles également différentes : le soja et le kaoliang sont les deux grandes cultures de la plaine, tandis que le riz et le coton se développent dans la basse vallée du Liaohe ; les collines et la péninsule du Liaodong sont réputées pour la variété de leurs productions : maïs, arachides, patates douces, pommes qui donnent ici à la Chine les trois quarts de sa production totale et, enfin, soie sauvage (tussah) ; l'Ouest, plus aride, est surtout le domaine du millet et de l'élevage, pratiqué par des Mongols. Le Liaoning est surtout une grande province industrielle grâce à des ressources naturelles abondantes et variées. Le charbon est exploité de part et d'autre de la plaine centrale à partir de quatre bassins principaux (Fushun, Benxi, Fuxin et Beipiao). Le fer est exploité dans la région d'Anshan (le minerai contient de 35 à 40% de métal). D'énormes réserves de schistes bitumeux dans les régions de Fushun et de Jinzhou, la magnésite (Haicheng), l'alunite (Fushun et Benxi), le plomb, le zinc et le molybdène (région de Fengcheng) s'ajoutent aux ressources naturelles de la province. Sur ces bases s'est constitué, dans un rayon d'une centaine de kilomètres autour de la capitale provinciale Shenyang (3 604 000 hab. selon les estimations de 1990), un très grand centre industriel Anshan (1 204 000 hab.) avec Benxi (plus de 750 000 hab.). Fushun (1 200 000 hab.) est un grand centre charbonnier et un producteur d'huiles et de fuel synthétiques ; usines d'aluminium et de roulements à billes, fabrications d'équipements miniers complètent cet ensemble industriel. Trois autres grandes villes sont localisées sur la longue façade maritime de la province : à l'ouest Jinzhou (plus de 550 000 hab.) est une base énergétique et textile ; à l'est, Dandong (Andong) (520 000 hab.) est un grand centre de transformation des produits du Liaoning : soie, papeteries, fibres synthétiques, acier. À la pointe de la péninsule, Dalian, avec 1,7 million d'habitants, est un des plus grands ports chinois et une importante agglomération industrielle : pétrochimie, constructions navales, industries métallurgiques.

Pierre TROLLIET

NINGXIA [NING-HIA] RÉGION AUTONOME DU

La région autonome Hui du Ningxia, créée en 1958, est une des cinq régions autonomes de la république populaire de Chine. Elle couvre 66 400 kilomètres carrés et compte 4 800 000 habitants selon les estimations de 1992, dont une importante minorité de Hui (Chinois musulmans). Le cœur du pays est constitué par la plaine alluviale de Ningxia drainée par le fleuve Jaune (Huanghe) et qui s'étend sur 250 kilomètres du nord au sud et sur 50 kilomètres de l'ouest à l'est. Le désert d'Alashan forme la partie septentrionale de la région, qui est limitée au sud par la chaîne des Liupanshan.

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Le Ningxia connaît un climat continental aride : en janvier 8 0C, en juillet de 20 à 24 0C, de 100 à 250 mm de précipitations d'est en ouest. Mais la plaine de Ningxia est une riche région agricole grâce à un réseau d'irrigation qui existe depuis le ~ IIe siècle. Le riz, le blé de printemps et les millets sont les principales céréales ; coton, betterave à sucre, melon, abricot sont les autres cultures importantes de la région. Le charbon constitue la seule ressource minérale du Ningxia ; il est exploité à Shizuishan, ville située à la limite septentrionale de la plaine. Outre Shizuishan (257 800 hab. selon les estimations de 1990), Yinchuan, capitale (356 600 hab. selon les estimations de 1990) et seule ville importante de la région, est un centre de traitement de la laine et des peaux.

Pierre TROLLIET

QINGHAI [TS'ING-HAI]

La province chinoise du Qinghai s'étend au nord du Tibet où elle couvre 721 000 kilomètres carrés ; avec seulement 4 540 000 habitants (estimations de 1992), c'est de très loin la moins densément peuplée des provinces chinoises. La chaîne des Nanshan (ou Qilianshan) au nord et celle des Bayan Kara (branche des Kunlun) au sud, qui culminent respectivement à 6 000 et 7 000 mètres d'altitude, constituent les limites du Qinghai, encadrant un immense plateau à 4 000 mètres d'altitude où s'ouvrent, au nord-ouest, à 3 000 mètres, le bassin de Tsaïdam, vaste dépression fermée de 200 000 kilomètres carrés et, à l'est, le bassin alluvial du lac Qinghai (4 450 km2). Les deux plus grands fleuves chinois, le Huang He et le Yangzijiang, prennent leur source dans le Qinghai.

Cette province, par ses altitudes et par sa position continentale, connaît de sévères conditions climatiques, marquées par le froid et la sécheresse ; le bassin du lac Qinghai, région la plus favorisée, reçoit moins de 400 millimètres de pluie (moins de 100 ailleurs), l'hiver y est froid (moyenne de janvier : - 7 0C) et l'été frais (moyenne de juillet : 18 0C). Là se concentre le peuplement chinois qui pratique l'agriculture (orge, blé de printemps, pomme de terre, fruits), tandis que le plateau et les massifs sont occupés par des Tibétains au sud, des Mongols et des Kazakhs au nord, qui pratiquent un élevage transhumant. Des prospections entreprises à partir de 1955 ont permis la découverte de gisements pétroliers dans le bassin de Tsaïdam et, à partir de 1958, plusieurs centaines de puits ont été mis en production à Lenghu, à la frontière du Xinjiang, à Mangyai et à Youquanzi, au sud-ouest de Lenghu ; deux petites raffineries ont été édifiées à Lenghu et à Youquanzi, tandis que l'essentiel de la production de brut est acheminé par camions à Lanzhou, capitale de la province voisine du Gansu ; le développement de la production pétrolière du Tsaïdam semble être interrompu par les difficultés de transport, faute de liaison ferroviaire. Le chemin de fer ne va pas au-delà de la capitale Xining, reliée à Lanzhou en 1959. Xining (551 700 hab. selon les estimations de 1990), centre administratif et d'approvisionnement du Qinghai, a été doté, à partir de 1959, de diverses activités industrielles, grâce à l'influence exercée par Lanzhou : industries mécaniques et électriques, complexe chimique alimenté par le sel exploité dans le bassin de Tsaïdam.

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SHAANXI [CHEN-SI]

La province du Shaanxi s'étend au cœur des « pays du lœss » en Chine du Nord, où elle couvre 195 800 km2 ; elle était peuplée de 33 630 000 habitants selon les estimations de 1992.

Du désert de l'Ordos, au nord, à la limite du Sichuan au sud, le Shaanxi s'allonge sur plus de 1 000 km, où se succèdent quatre grands ensembles très contrastés. Au nord, dans la boucle du fleuve Jaune, s'étend, à 1 000-1 500 m d'altitude, un ensemble de plateaux calcaires et de grès recouverts d'une couche de lœss qui peut atteindre 100 m d'épaisseur. Un bassin d'effondrement ouest-est s'ouvre au cœur de la province (300 km de long), emprunté par la rivière Wei qui est l'artère vitale du Shaanxi. Le Shaanxi méridional correspond à la vallée supérieure de la Han dont l'élément essentiel est le bassin de Hanzhong. Entre Wei et Han se dresse la chaîne des Qinling qui culmine au Taibaishan à 4 113 m, point le plus élevé de toute la Chine orientale. Les Qinling sont un élément géographique essentiel : par leur masse et leur orientation, elles constituent une limite climatique décisive. Au sud, la vallée de la Han annonce le Sichuan, au climat doux et humide, permettant une riche agriculture (riz, thé, mûriers). Au contraire, le climat mongol pénètre sans obstacle au nord ; les hivers sont rigoureux et les précipitations peu abondantes et aléatoires : le millet, plante peu exigeante y constitue la ressource essentielle. Les plateaux septentrionaux sont particulièrement déshérités, d'autant plus que le lœss y est la proie d'une érosion impitoyable : plusieurs milliers de tonnes par kilomètre carré sont arrachées chaque année, tandis que les vents violents y font progresser les sables de l'Ordos ; aussi de 1950 à 1954 a-t-on planté 350 km d'écrans forestiers constituant, à la limite nord du Shaanxi, « la grande muraille verte ». La vallée de la Wei, bien abritée, reste le grand foyer agricole de la province. C'est là qu'est concentrée une grande partie de la population. Grâce à l'irrigation, elle produit deux récoltes annuelles : blé et maïs, tandis que le coton occupe une place de plus en plus importante. Comme sa voisine orientale, la province du Shaanxi dispose d'abondantes ressources minérales de charbon : c'est « la ceinture noire » houillère du sud des plateaux ; le charbon est exploité essentiellement à Tongchuan et le pétrole à Yanchang, au cœur des plateaux. La liaison ferroviaire avec le Sichuan, réalisée en 1958, et la prolongation du transchinois vers le Xinjiang en 1963 ont fait renaître la vocation historique de la vallée de la Wei dans les relations entre la Chine orientale et l'Asie centrale. Le Shaanxi joue un rôle essentiel dans le développement économique de l'Ouest chinois. Baoji (338 000 hab. selon les estimations de 1990), à la jonction des deux lignes ferroviaires, en est devenue la plaque tournante, et sa situation a permis l'installation d'importantes activités industrielles, surtout ferroviaires. Xianyang (352 100 hab.), plus en aval, est un grand centre textile et Xi'an, la capitale provinciale (1 959 000 hab.), est l'un des principaux foyers industriels de la Chine : industries textiles, constructions mécaniques et électriques, industries nucléaires. Hors de la vallée de la Wei, le développement urbain est moindre : au sud, Hanzhong (169 900 hab.) demeure un centre de transformation et de commercialisation des produits agricoles de la vallée de la Han.

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Au nord, Yulin (144 500 hab.) reste un marché d'échanges entre pasteurs mongols et cultivateurs chinois, et Yan'an, au cœur des plateaux, doit son relatif développement à son prestige historique, depuis qu'en 1935 Mao Zedong y installa la direction du parti et des troupes communistes, après la Longue Marche.

Pierre TROLLIET

SHANDONG [CHAN-TONG]

Une des provinces qui constituent la Chine du Nord, le Shandong couvre 153 300 kilomètres carrés et comptait, selon les estimations de 1992, 85 700 000 habitants.

La province est constituée d'une partie péninsulaire, ensemble de collines et de massifs cristallins, rattachée au continent par la basse plaine du fleuve Jaune qui s'y prolonge par le corridor de Jiaolai. À l'ouest de ce corridor se dresse le Taishan, massif cristallin culminant à 1 532 mètres, la plus célèbre des cinq montagnes sacrées de Chine. Par sa position, le Shandong bénéficie des meilleures conditions climatiques de la Chine du Nord : la moyenne de juillet est de 25 0C, la moyenne de janvier n'est guère inférieure à 0 0C dans la péninsule, avec des précipitations relativement abondantes (de 550 à 750 mm du nord au sud) mais essentiellement concentrées en été. Aussi le Shandong est-il un des plus anciens foyers de peuplement de la Chine, comme l'atteste la culture néolithique de Longshan, et la province la plus densément peuplée avec près de six cents habitants par kilomètre carré dans les plaines. Il tient une place éminente dans la production agricole chinoise : le tiers de la production nationale d'arachide vient des sols sableux de la péninsule, et la patate douce, qui pousse dans les champs en terrasses des collines, fait de la région le premier producteur de la Chine. Le blé et le soja occupent les deux tiers des terres cultivées des plaines occidentales. Le ver à soie « sauvage », une riche production fruitière (pommes, poires, cerises, pêches) font la réputation traditionnelle des collines de la péninsule. Les massifs du Shandong recèlent une grande variété de ressources minérales : gîtes d'or dans les basses terres de l'Est (Zhaoyuan notamment), plomb et zinc dans les collines de la péninsule, minerai de fer de Jinlingzhen à proximité du Taishan, pétrole, et surtout charbon dont les principaux sièges d'exploitation se situent au nord et au sud du Taishan : district de Zibo, au nord, bassin houiller de Zaozhuang, au sud. Avec 1 200 kilomètres de côtes offrant d'excellents abris et près de cent ports de pêche, le Shandong est au deuxième rang de la Chine, après le Guangdong, par le tonnage de ses prises (crevettes, crabes, soles, maquereaux), et la pêche constitue l'activité essentielle de Weihaiwei, ancienne base navale britannique. C'est aussi l'activité principale de la ville de Yantai (452 000 hab. en 1990), dotée d'un notable complexe d'industries alimentaires. La superbe baie de Jiaozhou, cédée à l'Allemagne en 1898, puis au Japon en 1914 et enfin à la Chine en 1924, a fait de Qingdao l'un des plus importants ports de la Chine du Nord et la plus grande ville du Shandong (1 459 100 hab. en 1990). C'est également une ville industrielle active : industries alimentaires (brasseries notamment), textiles, métallurgiques et mécaniques

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(locomotives). Jinan, la capitale provinciale (1 480 900 hab. en 1990), a été longtemps éclipsée économiquement par Qingdao ; depuis la fin des années 1950, toutefois, elle est devenue une des grandes villes industrielles de la Chine du Nord, avec l'implantation d'importantes industries mécaniques.

Pierre TROLLIET

SHANXI [CHAN-SI]

La province du Shanxi constitue la partie orientale des plateaux de lœss de la Chine du Nord et couvre 157 200 kilomètres qui étaient peuplés de 29 420 000 habitants, selon les estimations de 1992. Elle se présente comme un gradin, contourné par le fleuve Jaune, entre le plateau mongol et la plaine de Chine du Nord. Son relief est assez simple : de longs alignements montagneux (Lüliangshan, Zhongtiaoshan, Taihangshan), de direction nord-ouest, dominent un ensemble de plateaux de 1 000 à 1 200 mètres d'altitude, dans lesquels s'ouvre toute une série de bassins d'effondrement (bassin de Datong au nord, de Changzhi au sud-est, bassins de la vallée de la Fen au centre). Les versants et les plateaux, entre 500 et 1 200 mètres, sont tapissés d'une épaisse couche de lœss qui va jusqu'à 30 mètres d'épaisseur. Ce lœss, matériel non cohérent, est soumis à une extraordinaire érosion qui se traduit par une succession étonnante de profonds ravins, de pinacles, de ponts naturels, éléments essentiels des paysages du Shanxi.

Cette province subit les influences climatiques de la Mongolie ; les hivers y sont rigoureux (moyenne de janvier : - 10 0C), les étés torrides, et une longue saison sèche y règne en hiver et au printemps. Le millet et le kaoliang (cultures d'été), avec le blé (culture d'hiver), sont les bases de l'économie agricole ; mais, au nord, le climat étant très rigoureux, blé de printemps et pommes de terre tiennent davantage de place ; tandis qu'au sud-est, plus chaud et mieux arrosé, le maïs devient la culture essentielle. Les bassins, abrités, aux riches sols alluviaux, bien pourvus en eau, sont les grands foyers agricoles de la province ; ceux de la vallée de la Fen surtout disposent des deux tiers des surfaces en blé d'hiver, et la partie méridionale de la vallée est une des principales régions productrices de coton de la Chine. Le Shanxi est surtout particulièrement riche en ressources minérales : il dispose d'environ un tiers des réserves chinoises de charbon, qui sont activement exploitées à Datong, au nord, à Pingding et à Yangquan à l'est, ainsi que dans les bassins de Taiyuan et de Changzhi. Le minerai de fer est également largement répandu au Shanxi, qui est la plus ancienne province métallurgique de la Chine ; les points d'extraction les plus importants sont ceux de Yangquan et de Yuncheng. On y trouve aussi du zinc, du cuivre et de l'argent. Les gisements de titanium et de vanadium sont les plus importants de Chine. Le développement urbain du Shanxi est lié à la mise en valeur des ressources industrielles. Au nord, Datong (798 300 hab. d'après les estimations de 1990), la ville du charbon, est aussi un carrefour ferroviaire et une base d'équipement (cimenteries, machines, matériel minier) ; Yangquan (362 200 hab.) est un centre sidérurgique ; Changzhi, au sud, est un centre de traitement de la production agricole du Shanxi méridional, doté d'industries chimiques ; Yuci, au sud-est de Taiyuan, a bénéficié de la décentralisation à partir de Shanghai d'une grande unité de fabrication de machines textiles. Taiyuan, la capitale provinciale (1 533 800 hab.), est

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une des grandes bases industrielles de la Chine : industries alimentaires, industries électriques, métallurgie lourde, sidérurgie.

Pierre TROLLIET

SICHUAN [SSEU-TCH'OUAN]

La province du Sichuan s'étend au cœur de l'espace chinois et couvre 569 000 kilomètres carrés ; elle se situe au premier rang en Chine par sa population, qui atteignait 107 218 200 habitants lors du recensement de 1990. Elle rassemble deux domaines bien différents : le tiers occidental est constitué, comme le sud-est du Tibet et l'ouest du Yunnan, d'une succession de hautes chaînes (plus de 3 000 m) parallèles, de direction nord-sud, et de profondes vallées : ainsi, d'ouest en est, on trouve la vallée du Jinshajiang ou Yangzijiang supérieur , la chaîne des Shalulishan, la vallée du Dadujiang (ou Daduhe), la chaîne des Qionglaishan. Tout cet ensemble constituait la province du Xikang, qui fut supprimée en 1955. Sa population est constituée de diverses minorités nationales dont les plus importantes sont les Yi (ou Lolo) et les Tibétains, qui pratiquent une agriculture de montagne (orge, sarrasin, maïs) et surtout l'élevage des moutons ; cette région est le siège d'implantations stratégiques (base de lancements de fusée de Xichang, complexe sidérurgique de Panzhihua). À l'ouest s'étend le Bassin rouge du Sichuan, qui est en réalité un ensemble complexe de collines (de 500 à 700 m) façonnées dans des grès rouges, ceinturé de hauts reliefs (de 2 000 à 3 000 m d'altitude moyenne) : Minshan à la frontière du Gansu, Dabashan au nord-est, Qionglaishan à l'ouest, plateaux du Yungui au sud, massif appalachien des Wushan à l'est, franchi par les célèbres gorges du Yangzijiang. Cet ensemble de collines est découpé par tout un réseau nord-sud de grandes vallées drainées par les affluents du Yangzijiang : Minjiang, Tuojiang, Fujiang, Jialingjiang, d'où le nom de la province, qui signifie « les quatre cours d'eau ». Au cœur du Bassin rouge s'ouvre une vaste plaine de plus de 6 000 kilomètres carrés, véritable delta intérieur remblayé par le Minjiang, qui forme la plaine de Chengdu. Abrité de toutes parts, le Sichuan jouit d'un climat exceptionnel : l'hiver y est plus doux que dans les plaines orientales du Yangzijiang (moyenne de janvier supérieure à 8 0C) et l'été y est chaud (24 0C en juillet) ; ainsi la période végétative dure plus de dix mois, bénéficiant par ailleurs d'une humidité permanente. L'agriculture y trouve ainsi des conditions exceptionnelles, et un dicton assure que « tout ce qui pousse en Chine pousse au Sichuan ». Outre la riche plaine de Chengdu et son extraordinaire réseau d'irrigation, les vallées et les basses pentes sont remarquablement mises en valeur : les terroirs irrigués portent du riz en été, auquel succède le blé en hiver ; les terrasses des basses pentes sont plantées de kaoliang, de maïs, de millet, de patates douces. Il y a aussi de nombreuses spécialisations régionales : colza dans la vallée du Yangzi, soja et arachides dans la vallée du Jialingjiang, coton dans les vallées du Fujiang et du Tuojiang, soie (dont le Sichuan est un des principaux producteurs de Chine) dans les régions de Nanchong (vallée du Jialingjiang), de Chongqing et de Chengdu, canne à sucre dans la vallée du Tuojiang, agrumes dans les collines de l'est, thé dans la région de Ya'an au contact du Bassin rouge et des massifs de l'Ouest.

Les ressources industrielles sont fort variées, mais pour la plupart récemment mises en valeur, le Sichuan n'ayant été relié au réseau ferré de la Chine qu'à partir de 1955. La ressource la plus anciennement exploitée est le sel gemme, obtenu par pompage de poches

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d'eau salée dans la région de Zigong, à l'ouest de la vallée du Tuojiang, le combustible étant le gaz naturel qui y est associé. D'autres gisements de gaz naturel ont été mis en exploitation au sud de Chongqing en 1960, faisant de cette province le premier producteur chinois. En 1958, les ressources pétrolières de la vallée du Jialingjiang étaient également mises en exploitation. Le Sichuan dispose des plus importantes réserves chinoises de charbon après celles des plateaux de lœss ; l'exploitation en a été entreprise à partir des années 1950 et les principaux gisements se situent dans la région de Chongqing, à Taifu ; au sud de celle-ci, à Qijiang, à la frontière du Guizhou, est également exploité du minerai de fer ; d'importantes réserves de cuivre existent au sud-ouest, dans le prolongement des gisements du Yunnan, et l'on extrait de l'or dans les hautes vallées des affluents du Yangzijiang. Le Yangzi et ses affluents ont fixé les principales villes de la province. Chengdu (1 713 000 hab. en 1990), dans la riche plaine du Minjiang, est la capitale du Sichuan ; centre historique et culturel, la ville a été dotée à partir des années 1950 de toute une série d'industries, électriques, mécaniques, textiles, agroalimentaires. Chongqing (2 267 000 hab. en 1990), au confluent du Jialingjiang et du Yangzi, est la ville la plus peuplée de la province et un des principaux centres industriels de la Chine ; un des grands combinats sidérurgiques du pays y a été édifié en 1960 ; des industries alimentaires, textiles, métallurgiques, chimiques s'y sont considérablement développées. Neijiang (256 000 hab. en 1990) est la ville la plus importante de la vallée du Tuojiang, au cœur d'une grande région productrice de canne à sucre, matière première qui alimente le principal secteur industriel de la ville ; elle est reliée par voie ferrée à Zigong (393 000 hab. en 1990), centre d'un grand complexe chimique fonctionnant à partir du sel et du gaz naturel extraits dans son voisinage. Nanchong (180 000 hab. en 1990), principale ville de la vallée du Jialingjiang, est un foyer traditionnel de l'industrie de la soie et, depuis 1958, le centre du principal bassin pétrolier de la province.

Pierre TROLLIET

TIBET

La civilisation tibétaine traditionnelle continue à exister comme un phénomène unique dans le monde moderne. Jusqu'à l'occupation du Tibet par la Chine communiste en 1959, elle était non seulement unique, mais également florissante, à en juger par ses réalisations dans les domaines religieux, littéraire et artistique. Depuis 1959, lorsque le quatorzième dalai-lama, Tenzin Gyatso, quitta son pays pour établir en Inde un gouvernement en exil, une minorité déshéritée de Tibétains s'attacha tout particulièrement à préserver cette extraordinaire civilisation, et ils durent trouver de nouveaux moyens de subsistance dans les pays voisins, principalement en Inde, au Népal, au Sikkim et au Bhoutan . Ces pays comprenaient déjà tous dans leurs régions frontalières un nombre considérable de Tibétains qui demeuraient fidèles à la culture tibétaine, de même que le Tessin en Suisse a une population à prédominance italienne. La culture du Sikkim et du Bhoutan reste essentiellement tibétaine, bien que les formes de bouddhisme tibétain qui y sont pratiquées soient d'un ordre religieux différent de celles de l'« Église d'État » officielle des dalai-lamas du Tibet. Ces nuances, qui résultent de luttes doctrinales et politiques anciennes, rendent encore la coopération difficile sur le plan religieux et culturel, comme cela a été le cas jusque très récemment entre les diverses catégories de communautés chrétiennes en Europe. Si la civilisation tibétaine a été durement

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éprouvée en 1959, elle n'a sûrement pas péri et ne mourra pas tant que certains de ses représentants auront une activité créatrice.

Le caractère original de cette civilisation est le résultat d'un processus continu de régression dans toute l'Asie du type de bouddhisme qui présida à l'évolution particulière du Tibet. Jusqu'au XIIe siècle de notre ère, le même genre de bouddhisme prévalait en Inde d'où il fut importé par les Tibétains. Depuis le Xe siècle il était pratiqué en Asie centrale (le Turkestan chinois actuel), et les Tibétains entretenaient d'étroits contacts culturels avec les villes-États bouddhiques de cette région. Jusqu'à la conquête du Népal en 1768-1769 par les Gorkha, les Tibétains avaient aussi des relations culturelles et politiques avec les royaumes Newar, du Népal central, liens encore vivaces au XIXe siècle et au début du XXe siècle en dépit de l'hostilité du régime gorkha. La Mongolie avait noué avec le Tibet au XIIIe siècle les liens culturels et religieux les plus étroits, qui durèrent jusqu'à ce qu'elle devienne un État communiste en 1924, et, depuis le XVIIe siècle, elle s'était rangée fermement dans le camp de l'État ecclésiastique bouddhique des dalai-lamas, qui devaient leur suprématie politique sur le Tibet lui-même en grande partie au soutien vigoureux de leurs alliés mongols. Il est donc important de souligner que, si aux temps modernes le Tibet a revêtu généralement pour les Occidentaux la physionomie d'un pays fermé doté d'une culture et d'une religion sui generis, cela n'a sûrement pas été le cas aux siècles précédents. Le Tibet était alors ouvert aux influences de tous les pays voisins : l'Inde, le Népal, la Chine, l'Asie centrale, peut-être même la lointaine Perse. Il élabora une forme distincte de civilisation bouddhique, intégrant maints éléments indigènes mais conservant beaucoup de traits communs avec les pratiques bouddhiques des pays environnants. La civilisation tibétaine n'apparut isolée et originale que lorsque l'importance du bouddhisme déclina ou disparut même complètement dans les pays qui l'entouraient. On oublie aussi que le bouddhisme tibétain, en particulier celui de la variété « Église d'État », resta la religion officielle des empereurs mandchous en Chine jusqu'à la chute de leur dynastie en 1911 et à la fondation de la République chinoise. Les relations du Tibet avec la Chine qui se développèrent à partir du milieu du XVIIe siècle furent toujours considérées par les Tibétains comme ayant un caractère religieux et non politique. Dans tous les pays d'Asie où se propagea le bouddhisme, celui-ci s'amalgama aux croyances religieuses et aux idées philosophiques antérieures. De ce fait, au niveau le plus populaire, le bouddhisme se présente sous des formes passablement différentes selon les pays. De plus, dans les pays - notamment en Chine et au Tibet - où dès la période la plus reculée la littérature bouddhique fut adoptée dans une version traduite localement, la tradition littéraire tout entière a tendance à se séparer des formes voisines du bouddhisme. Jusqu'au XIIe siècle, certains lettrés tibétains étaient versés en sanskrit, mais, dès que les traductions furent achevées, la connaissance du sanskrit se révéla inutile et la civilisation bouddhique du Tibet fut exclusivement tibétaine. De la même manière en Chine, l'usage du chinois littéraire fit que le bouddhisme devint partie intégrante de la civilisation chinoise, et, si elle fut importée en Corée et au Japon, et ultérieurement dans certaines parties de l'Indochine, cette tradition chinoise n'eut pratiquement aucune influence sur la civilisation tibétaine, qui était essentiellement l'apanage des personnes parlant le tibétain et des missions tibétaines en Mongolie. Donc, au Tibet, langue et littérature sont étroitement associées à la religion. Il ne semble pas que le tibétain ait été utilisé comme langue littéraire avant la pénétration du bouddhisme, qui commence au VIIe siècle. Toutefois, la nouvelle langue écrite, issue d'une forme d'alphabet indien, avait servi très tôt à des fins non religieuses : annales et généalogies royales, factures, comptes et commandes militaires, inscriptions en pierre dans

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l'enceinte de Lhasa, la capitale, et aux alentours pour commémorer les victoires, titres personnels, droits de lever des impôts locaux ; datant du VIIIe siècle, ce sont les formes les plus anciennes de tibétain littéraire qui aient subsisté. Bien que la langue littéraire ait continué à être utilisée pour les affaires publiques et les questions administratives, elle était surtout employée dans le domaine religieux.

David SNELLGROVE

1. L'espace géographique tibétain

L'espace géographique tibétain s'étend sur quelque 3 500 000 km2, à une altitude moyenne de 4 000 m. Il est partagé entre le Cachemire, à l'ouest, les provinces chinoises du Sichuan à l'est (à qui a été rattachée la moitié orientale de la province du Xikang, supprimée en 1956) et du Qinghai au nord-est, et le Tibet proprement dit (agrandi depuis 1956 de la moitié occidentale de l'ex-province du Xikang), couvrant 1 221 000 km2 et qui constitue depuis 1965 l'une des cinq régions autonomes de la république populaire de Chine ; il compte, en 1992, 2 260 010 habitants, dont 2 140 000 Tibétains.

Les grandes régions naturelles

Tout un ensemble de systèmes montagneux, qui comptent parmi les plus puissants du globe - « nœud » du Pamir et Karakoram à l'ouest, monts Tanglha et chaînes méridiennes du sud-est, système des Kunlun au nord et arc himalayen au sud -, marquent les limites de la Région autonome du Tibet, où l'on peut distinguer trois grands domaines : le haut Tibet, le Tibet oriental et le Tibet méridional. Le haut Tibet ou Changthang (« plaine du Nord ») s'étend sur quelque 800 000 km2, des Kunlun au Transhimalaya (que les Chinois appellent chaîne des Gangdisi), où les altitudes ne sont jamais inférieures à 4 000 m. Ce « haut plateau tibétain » se compose en fait d'une succession d'une trentaine de chaînes sédimentaires plissées (calcaires du Trias au Crétacé, notamment) s'élevant jusqu'à 6 000 m, aux formes lourdes, aux pentes empâtées de débris et de coulées de solifluxion. Entre ces chaînes, alignées grossièrement d'ouest en est, s'ouvrent de larges vallées à 4 500-4 800 m d'altitude, qui aboutissent à des lacs salés, sans écoulement exoréique ; le plus vaste d'entre eux est le Nam Tso, ou Tengri Nor (« lac Céleste »), dont la surface est de 2 000 km2. Les caractères bioclimatiques du Changthang en font sans doute « le désert le plus effroyable de la planète » (P. Birot) : le total annuel des précipitations n'y dépasse guère 100 mm et la température moyenne annuelle est de l'ordre de - 5 0C. Une intense radiation solaire pendant le bref été (trois mois au maximum) se traduit par des contrastes thermiques considérables (plus de 20 0C le jour et jusqu'à - 10 0C la nuit), tandis que pendant l'hiver, qui dure plus de six mois, la rigueur des températures est encore aggravée par la violence des vents d'ouest qui sévissent sans relâche. Aussi la végétation se réduit-elle à une couverture extrêmement discontinue de mousses et de lichens, remplacés par les armoises et le carex dans les dépressions méridionales. Le Tibet oriental (région de Tchamdo) est constitué d'un faisceau de vallées d'orientation méridienne empruntées par quelques-uns des grands fleuves asiatiques ; ceux-ci s'enfoncent jusqu'à 1 000 m entre des lanières de hauts plateaux qui ont de 3 500 à 5 000 m d'altitude et qui sont dominés par des chaînes cristallines parallèles dépassant 6 000 m. Ainsi se succèdent, d'ouest en est, les vallées de la Salouen, du Mékong et du Yangzijiang que séparent les alignements des Nushan et des Ningqingshan. Si dans les fonds de vallées, abrités et plus

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arides, ne poussent guère que des savanes buissonneuses, les versants et massifs qui reçoivent les éclaboussures de la mousson d'été chinoise portent une riche végétation forestière où dominent chênes, cèdres et pins. Le Tibet méridional correspond à la vallée du Yarlungzangbo ou Brahmapoutre supérieur, sillon tectonique qui s'ouvre à 3 500-4 000 m d'altitude entre les prodigieux reliefs des Gangdisi et de l'arc himalayen. Par sa position protégée et sa situation méridionale, la vallée du Yarlungzangbo jouit de conditions climatiques exceptionnelles compte tenu de l'altitude : Lhasa, la capitale, à 3 630 m d'altitude, est moins froid que Pékin en hiver (moyenne de janvier : - 1 0C) et la température moyenne de juillet atteint 15 0C ; la mousson indienne y apporte des pluies d'été, extrêmement variables d'une année à l'autre, mais dont le total n'est jamais inférieur à 500 millimètres.

Les hommes et le milieu

Le « Tibet utile » se limite traditionnellement à trois types de terroirs de valeur très inégale : - les pâturages clairsemés (thang) de la partie méridionale et orientale du haut Tibet, que parcourent les éleveurs nomades qui font paître yacks et moutons et qui constituent moins de 20% de la population du Tibet ; - les pâturages de montagne ('brog) du nord de Lhasa et des monts Gangdisi, utilisés par un élevage transhumant en été à partir des vallées ; - les vallées et dépressions (sgang), où sont établis les agriculteurs sédentaires, en particulier la vallée du Yarlungzangbo qui concentre près des trois quarts de la population sédentaire du Tibet. La sévérité des conditions bioclimatiques limite étroitement les possibilités agricoles, et une variété d'orge qui résiste au froid (tsingko), semée en avril-mai et récoltée en septembre, constitue la culture essentielle (consommée sous forme de farine grillée, le tsamba), complétée par quelques variétés de légumes : oignons, pois, yuanken (sorte de navet). Dans les vallées du Tibet oriental, plus chaudes, apparaissent toutefois le maïs, les millets, les cultures fruitières (noix, pêches, abricots) et le riz, dont la culture s'est développée grâce aux colons chinois venus du Sichuan voisin. Ce sont au total de bien maigres ressources, si bien que l'élevage prend une importance toute particulière. Activité exclusive des nomades des thang ou activité complémentaire (élevage transhumant) des agriculteurs des vallées, cet élevage porte essentiellement sur deux espèces remarquablement adaptées au milieu tibétain : le mouton et surtout le yack ; le yack, précieux animal de bât, fournit aussi du lait qui, transformé en beurre et consommé avec le thé (importé en « briques » du Sichuan et dont la culture se développe au Tibet oriental), est avec le tsamba la base de l'alimentation des Tibétains. La chasse, pratiquée principalement par les pasteurs nomades (yack sauvage ou brong, mulet sauvage ou kiang, antilopes), et quelques activités artisanales qui sont le fait des sédentaires (tissage de la laine notamment) complètent ces ressources traditionnelles.

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Les pâturages comme les terres cultivées étaient la propriété du dalai-lama, de la noblesse ecclésiastique et laïque, et des monastères. L'unité de base était constituée par le domaine seigneurial ou par celui d'un monastère, dont dépendaient plusieurs centaines de familles paysannes réparties en trois catégories : les tsaipa, travaillant sur les terres seigneuriales, pouvaient se voir concéder des parcelles pour leur propre compte et utilisaient éventuellement des paysans des catégories inférieures, les duitchung cultivaient des champs loués au seigneur et les langsun étaient dans la dépendance totale de leur maître. Cette structure de type féodal, caractérisée par la toute-puissance du clergé lamaïque, s'est perpétuée jusqu'à l'intervention de la République populaire de Chine.

Pierre TROLLIET

2. Histoire

Peu de pays ont une histoire aussi profondément conditionnée par la géographie que le Tibet. Cet énorme plateau, qui occupe le centre de l'Asie, offre des conditions de vie pénibles. L'agriculture est limitée aux vallées (rong) des grands fleuves, tandis que les parties plus hautes ('brog) ne permettent que l'élevage. La population, faible en termes absolus, se concentre dans les rong ; elle est peu nombreuse et totalement ou partiellement nomade dans les 'brog. Ces conditions comportent des conséquences de plusieurs ordres. Avant tout, l'émiettement du pays, où chaque rong tend à former une unité territoriale. Cela est la règle presque absolue au Tibet oriental ; seule dans le Tibet central l'existence de la grande vallée du gTsang-po (Brahmapoutre) a permis de temps en temps la formation d'un pouvoir central. Dès les origines, la structure sociale a été féodale ; par la suite, une aristocratie monastique s'est ajoutée à la noblesse laïque, sans que soient profondément modifiées les conditions de vie du peuple. Cette aristocratie se recrutait presque exclusivement chez les cultivateurs des vallées ; la société des pasteurs ne comprenait pas de nobles et n'était pas dirigée par une aristocratie. La prédominance économique et sociale des sédentaires est absolue ; l'histoire du Tibet a été faite par les agriculteurs et non par les éleveurs. L'altitude du pays, la rareté et la difficulté des voies d'accès ont contribué à préserver le Tibet de maintes invasions. D'un autre côté, le faible potentiel démographique n'a pas permis au pays de se livrer à l'expansion militaire ; la seule mais très importante exception est la période monarchique (VIIe-IXe s.), où l'impérialisme d'une envergure panasiatique a bénéficié d'un moment historique et de conditions internes exceptionnelles. Depuis la pénétration définitive du bouddhisme au XIe siècle, le Tibet est devenu objet, et non sujet, d'histoire. Il peut paraître singulier qu'un pays aussi pauvre ait fait l'objet d'invasions. Le motif en était qu'il servait de refuge à une religion, le bouddhisme, qui à diverses époques déploya une intense activité missionnaire au-dehors ; plus tard, la position stratégique du Tibet au centre du continent y contribua aussi. La Chine au XVIIIe siècle établit son contrôle sur le Tibet pour empêcher que le dalai-lama, qui était aussi le chef spirituel des Mongols, ne tombât sous des influences hostiles. De même, aux environs de 1900, l'Angleterre intervint militairement pour éviter que l'influence russe ne s'y établît. Quand le Tibet se trouvait enserré entre des voisins en phase d'expansion, le but de ceux-ci n'était pas de le soumettre, mais d'empêcher les autres de le faire. Cette limitation d'intérêt sauvait l'autonomie interne du pays, mais pas son indépendance.

La monarchie

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On ne connaît presque rien de la préhistoire du Tibet ; l'archéologie en est encore à ses débuts, et les quelques trouvailles de l'Amdo et de Nyalam aux confins népalais sont trop minces pour qu'on puisse en tirer des conclusions. En ce qui concerne les légendes tibétaines des origines, les études critiques de ces dernières années permettent de tracer un tableau assez précis. Selon les anciens mythes, les habitants primitifs, issus de l'union d'un singe avec une ogresse des rochers, auraient reçu une organisation sociale et politique d'un être semi-divin, gNya'-khri-btsan-po, descendu du ciel au moyen d'une corde céleste. À ce fondateur mythique de la nation et de l'État vingt-sept rois auraient succédé jusqu'au commencement du VIIe siècle. En réalité, la légende concerne une petite principauté située dans la vallée de Yar-lung, dans le Tibet méridional. À la fin du Ve siècle, sa dynastie aurait été remplacée par une autre, originaire du Kong-po, ce qui amena la formation d'une confédération féodale comprenant la partie centrale du pays et gouvernée quatre générations plus tard par le roi gNam-ri-slon-btsan (fin du VIe s.). Vainqueur d'une alliance des princes restés indépendants, il acheva l'unification du pays, qui avec lui entre dans la pleine lumière de l'histoire. La monarchie tibétaine avait à ses débuts une structure nettement féodale qu'elle conserva jusqu'à la fin, caractérisée par la prééminence du Grand Ministre, qui très souvent était le chef de la famille à laquelle appartenait la reine. Srong-btsan-sgam-po (env. 610-649), fils de gNam-ri-slon-btsan, fit entrer le Tibet dans le jeu des puissances de l'Asie centrale et en 634 noua pour la première fois des relations, d'abord amicales, avec la Chine. En partie sous l'influence chinoise, il donna à l'État tibétain une ébauche d'organisation centrale. Il bâtit une capitale, Lhasa, d'abord simple centre administratif, tandis que le roi continuait à se déplacer entre résidences d'été et d'hiver, dans une transhumance à caractère désormais sacral. On lui doit aussi l'élaboration d'une écriture, adaptée d'un alphabet indien ; il y eut peut-être même quelques premiers contacts avec le bouddhisme indien et chinois. À sa mort, son œuvre fut continuée par son ministre mGar, qui en 654 procéda à un premier recensement (mkhos) de la population ; après la conquête du royaume des Tuyuhun dans le Kukunor (663), il entama une politique d'expansion en Asie centrale. Ses fils continuèrent cette politique avec beaucoup de succès ; en 670, les Tibétains achevaient la conquête du bassin du Tarim en remportant la grande victoire de Dafeichuan sur une armée chinoise. Toutefois, les mGar, qui jouaient le même rôle que les maires du palais sous les rois fainéants en France, ne purent maintenir leur position après la conquête chinoise de l'Asie centrale (692-694) et furent renversés par la noblesse, qui en 698 rétablit le pouvoir royal. L'expansion se poursuivit au siècle suivant, à l'aide d'une adroite diplomatie, qui parvint à conclure des alliances avec les Arabes du Turkestan et le royaume de Nan Zhao dans la Chine du Sud-Ouest. L'apogée de la monarchie se situe sous le règne de Khri-srong-Ide-brtsan (755-797), qui profita de l'écrasement des Chinois par les Arabes à la bataille de la rivière Talas en 751 et de la grande révolte de An Lushan pour arracher aux Chinois, en vingt-cinq ans de guerre, la plus grande partie du bassin du Tarim. De considérables portions de la Chine occidentale passèrent aussi sous la domination des Tibétains, qui en 763 s'emparèrent même pour un moment de la capitale chinoise Chang'an. Mais cette expansion finit par éveiller l'envie de ses voisins et amena la rupture avec le Nan Zhao (788) et les Arabes (789) ; l'essor de la puissance tibétaine était brisé et une sorte d'équilibre s'établit. À Khri-srong-Ide-brtsan sont dues deux mesures d'une importance capitale pour le développement de la civilisation tibétaine : la proclamation officielle du bouddhisme comme religion d'État (779) et l'adoption du bouddhisme indien après une discussion publique entre maîtres chinois et indiens (794 ?). En même temps fut mise en œuvre la traduction du canon bouddhique indien. Comme conséquence, le Tibet gravita pendant des siècles dans l'orbite culturelle (mais non politique) de l'Inde.

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Cependant, le développement de l'organisation politique n'allait pas de pair avec le progrès culturel ; malgré le caractère sacré du roi, le pouvoir effectif était aux mains des ministres et de l'aristocratie, réunis deux fois par an dans des assises générales ('dun-ma). Pour trouver un appui en dehors de la noblesse et contre elle, les successeurs de Khri-srong-Ide-brtsan favorisèrent les missionnaires indiens du bouddhisme et les moines tibétains ordonnés par eux. Il s'ensuivit une tension croissante à l'intérieur, qui paralysa l'action militaire au-dehors ; en 822, le Tibet dut signer un traité de paix définitif avec la Chine, dont le texte bilingue existe toujours, gravé sur une stèle à Lhasa. La sourde lutte entre le parti bouddhiste et la plupart des nobles, partisans de la vieille religion nationale, aboutit à l'assassinat du roi bouddhiste Ral-pa-can (815-838). Son frère Glang-dar-ma (838-842) entreprit une véritable persécution de la religion indienne, mais il périt assassiné par un moine. La monarchie ne put résister à ces secousses, une guerre de succession éclata et l'institution monarchique finit par s'écrouler. Les provinces d'Asie centrale et de Chine furent perdues. Le Tibet même fut divisé entre un grand nombre de principautés rivales et l'aristocratie triompha. Les descendants de l'ancienne dynastie ne purent se maintenir que dans les royaumes occidentaux de Gu-ge (jusqu'en 1630) et du Ladakh (jusqu'en 1841), ainsi que dans le domaine semi-autonome des chefs de Lha-rgya-ri (jusqu'en 1959).

L'émiettement médiéval

La période qui s'étend de 850 à 1050 est fort obscure. On a peu de renseignements sur l'histoire politique. On est mieux informé sur les événements religieux. Le bouddhisme, persécuté et presque annihilé, reprit lentement pied dans le Tibet central, grâce à l'activité de Bla-chen-po (892-975) et de Klu-mes (env. 950-1025) ; c'était toujours l'école bouddhiste du temps de Khri-srong-Ide-brtsan, celle dont les adeptes furent appelés plus tard les Anciens (rNying-mapa). Une deuxième vague de pénétration se produisit au XIe siècle, puissamment soutenue par les rois de Gu-ge, qui espéraient peut-être étendre ainsi leur influence politique. Cet espoir fut déçu, mais la « deuxième diffusion de la Loi » eut une influence capitale sur les fondements mêmes de la vie politique du pays ; dès lors, l'histoire du Tibet fut surtout l'histoire de l'église bouddhiste au Tibet. La plupart de ses écoles apparurent aux XIe et XIIe siècles, chacune d'elles étant organisée par de grands monastères, enrichis par de considérables donations de terre. Comme de droit, cette importance religieuse et économique croissante impliquait une influence politique. À côté de la noblesse, qui possédait de grands domaines, les monastères devinrent des centres de pouvoir, dont les nobles recherchaient l'alliance au cours de leurs querelles incessantes. Jusqu'en 1950, les deux pôles de l'histoire tibétaine furent l'aristocratie et les couvents. Dans cette société complexe et dans un pays où le pouvoir politique était pulvérisé, aucun centre de rassemblement ne pouvait se former spontanément. Si une ébauche d'unification se dessina, ce fut seulement sous la pression de l'étranger. Dans la première moitié du XIIIe siècle, les Mongols de Gengis khan et de ses successeurs, devenus maîtres de toute l'Asie centrale, s'intéressèrent au Tibet. Pour prévenir une invasion qui s'annonçait désastreuse, les nobles et les abbés des grands monastères chargèrent le Sa-skya Pandita (1182-1251), chef d'une des sectes les plus influentes, de traiter avec les Mongols. Sa-skya Pandita conclut en effet un accord par lequel le Tibet reconnaissait la suzeraineté mongole ; en même temps, il en profita adroitement pour se faire nommer représentant du Grand Khan au Tibet. En pratique, les abbés de Sa-skya, dont la dignité était héréditaire dans la famille 'Khon, devinrent les chefs reconnus du pays, au moins dans le Tibet central. La suzeraineté des Mongols de Chine (dynastie Yuan) fut d'abord effective, mais ne pesa pas lourdement. Le neveu de Sa-skya Pandita, 'Phags-pa (1235-1280), était un favori de Qubilai khan, pour lequel il créa un alphabet mongol dérivé de l'écriture tibétaine. L'empereur lui octroya formellement le pouvoir

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temporel sur les treize districts du Tibet central (1275), créant ainsi le premier gouvernement théocratique du pays. Le contrôle impérial resta d'abord assez étroit, et les recensements de 1268 et de 1287 en donnèrent la mesure. Mais, après la mort de Qubilai, l'emprise mongole se relâcha lentement. Au milieu du XIVe siècle, quand il fut désormais clair que les Yuan étaient ébranlés par l'opposition nationale chinoise, l'aristocratie tibétaine se dressa contre la domination des Sa-skya ; à la tête du mouvement était la famille rLangs du couvent de Phag-mo-gru. En peu de temps, rLangs Byang-chub rGyal-mtshan (1302-1373) étendit son pouvoir sur tout le Tibet central. Il se réclamait des traditions de l'ancienne monarchie et il donna au pays une organisation nouvelle en le divisant en districts administratifs (rdzong) qui ne tenaient guère compte des domaines de l'aristocratie. Mais l'hérédité de leur fonction, accordée peu après aux gouverneurs (rdzong-dpon), rendit vaine cette ébauche de centralisation et aboutit simplement à la création d'une nouvelle aristocratie à la place de l'ancienne. Les Phag-mo-gru-pa cherchèrent un appui auprès de la nouvelle dynastie chinoise des Ming. Cependant, quoique affectant de maintenir les droits de suzeraineté jadis détenus par les Mongols et en octroyant des titres sonores à huit chefs de secte ou de sous-secte, les Ming n'intervinrent jamais directement au Tibet. Le pouvoir des Phag-mo-gru ne survécut pas longtemps à Byang-chub rGyal-mtshan ; après une courte renaissance des Sa-skya-pa, il passa aux mains des princes de Rin-spungs (env. 1435), dont l'autorité ne s'exerça jamais au-delà des limites de la province du gTsang. Entre-temps, la réforme de Tsong-kha-pa avait abouti à la formation de la secte des dGe-lugs-pa. Dotés d'une organisation solide et d'une discipline rigoureuse, dirigés par des chefs non pas héréditaires mais qui se succédaient par incarnation, les Bonnets jaunes (comme les appellent les Chinois et les Européens) se tinrent longtemps à l'écart des compétitions politiques. Ce n'est qu'après la fin du XVe siècle qu'ils entrèrent dans l'arène, et bientôt la lutte resta limitée aux dGe-lugs-pa et à la secte rouge des Karma-pa ; cette dernière était soutenue par les princes de gZhis-ka-rtse (Shigatse), qui en 1565 avaient remplacé les princes de Rin-spungs dans le gTsang. Le troisième rGyal-ba Rin-po-che, chef suprême des Jaunes, ne put surmonter cette opposition et finit par chercher un appui en dehors du Tibet. Il le trouva chez le prince mongol Altan-khan, qui, en 1578, lui décerna le titre mongol de dalai-lama, titre sous lequel lui et ses successeurs furent désormais connus, surtout à l'étranger. Toutefois, les interventions mongoles ne firent d'abord qu'accroître la confusion, et les dGe-lugs-pa connurent des situations très difficiles. Les choses ne changèrent qu'avec le cinquième dalai-lama, Ngag-dbang-blobzang-rgya-mtsho (1617-1682), que les Tibétains appellent à juste titre le Grand Cinquième. Après quelques expéditions sans effet des Khalkha, il trouva un protecteur efficace en Gushri khan, le chef des Mongols Qoshot (Khosut) qui venaient d'immigrer dans le Kukunor. En 1640-1641, Gushri khan détruisit la puissance du prince de Be-ri au Tibet oriental, dernier défenseur de la religion Bon-po. L'année suivante, il entra dans le Tibet central, défit le prince de gTsang et conquit toute la région, dont il fit donation au dalai-lama en se réservant la souveraineté militaire. Ainsi naquit en 1642 le pouvoir temporel des dalai-lamas.

Dalai-lamas, Qoshot et aristocratie

À cette époque, on ne concevait pas encore que le dalai-lama pût s'occuper de questions administratives ; en conséquence, il délégua ses pouvoirs à un régent (sde-srid), nommé d'abord par le khan Qoshot, mais bientôt par le dalai-lama lui-même. Comme les Qoshot, nomades, vivaient sous la tente au nord de Lhasa qu'ils visitaient rarement, le pouvoir effectif du dalai-lama ne fit que croître. Les sectes rouges, qui ne subirent pourtant pas de persécutions (à l'exception des Jo-nang-pa), furent rigoureusement exclues de la vie politique,

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qui était entièrement aux mains des Jaunes. Le dalai-lama accorda à son vieux maître, l'abbé de Tashilhunpo, le titre de Pan-chen Rin-po-che, en faisant de lui son pair dans le domaine spirituel ; mais il était considéré comme étant trop au-dessus des questions mondaines pour s'en occuper. Les Pan-chen, s'ils essayèrent de temps en temps de jouer un rôle politique, restèrent en définitive toujours confinés au domaine religieux. Les relations avec l'étranger devinrent plus fréquentes ; en 1651-1653, le dalai-lama se rendit en Chine, accueilli par l'empereur avec beaucoup de déférence. En 1679, le Grand Cinquième, fatigué et vieilli, céda tous ses pouvoirs au régent Sangs-rgyas-rgya-mtsho et se retira pour s'adonner à la contemplation mystique jusqu'à sa mort. Le régent était une figure marquante, écrivain de talent et homme d'État rusé et énergique. Il sut maintenir une neutralité difficile entre les Dzungar (qu'il favorisait au fond) et l'empereur mandchou Kangxi. Avec la guerre de 1681-1684, il enleva le Tibet occidental au Ladakh. En même temps, il découvrait et éduquait en secret le sixième dalai-lama, tout en prétendant que le cinquième dalai-lama vivait encore dans sa retraite ; en 1697 seulement, il dut renoncer à cette fiction et proclamer le nouveau pontife. La situation changea quand, en 1702, un nouveau chef Qoshot, Lajang khan, entreprit de relever son autorité, qui était devenue presque nominale. Sangs-rgyas-rgya-mtsho fut mis à mort, le dalai-lama déclaré illégitime et envoyé en Chine ; il mourut en route (1706). Un dalai-lama fantoche installé par Lajang khan eut peu de partisans, et un prétendant fut reconnu et protégé par les Mongols du Kukunor. Les Dzungar profitèrent de la querelle pour envoyer un petit corps d'armée qui en 1717 tua Lajang khan et s'empara de Lhasa. La réponse de l'empereur Kangxi fut immédiate : en 1720, les forces impériales entraient à Lhasa en amenant le jeune prétendant du Kukunor. Le septième dalai-lama ne fut pas rétabli dans le pouvoir temporel et le gouvernement fut confié d'abord à un Conseil d'État composé des chefs de la haute aristocratie. Paralysé par ses discordes internes, ce régime s'écroula en 1727 quand son président fut assassiné par les membres du Conseil. De la guerre civile acharnée qui s'ensuivit sortit victorieux un noble du gTsang, Pho-lha-nas bSod-nams-stobs-rgyas (1689-1747), qui châtia les meurtriers et devint souverain du Tibet avec le titre chinois de wang (prince ou roi) et l'appui de l'empereur ; le dalai-lama fut exilé pendant cinq ans au Tibet oriental. Pho-lha-nas donna au Tibet presque vingt ans de paix et de bien-être. Cependant, cette résurrection de la monarchie laïque n'avait pas de racine dans le pays et ne put se consolider ; en 1750, le successeur de Pho-lha-nas, qui intriguait contre la Chine, fut tué par les résidents impériaux (ambans), qui tombèrent à leur tour massacrés par la foule ameutée. Le dalai-lama rétablit l'ordre, et une commission impériale, qui arriva à Lhasa peu après, réorganisa le gouvernement en lui donnant la forme qu'il garda jusqu'à 1912. Les dalai-lamas redevinrent les chefs de l'État ; un régent, choisi parmi un nombre très restreint d'abbés de grands monastères, gouvernait pendant la minorité du dalai-lama. Un conseil de quatre ministres (bka'blon), trois séculiers et un moine, représentant les intérêts de l'aristocratie, aidaient le dalai-lama ou le régent. Le gouvernement tibétain jouissait d'une large autonomie, les ambans se limitant à le surveiller et à informer l'empereur. Cet équilibre, assez bien conçu entre les facteurs principaux de la vie locale, se maintint pendant quelque quarante ans, mais ne résista pas à la crise sérieuse qui éclata en 1788. Les Gorkha, maîtres du Népal depuis 1768-1769, entrèrent en conflit avec Lhasa pour des raisons surtout économiques et financières. Un commissaire impérial corrompu, d'accord avec les bka'blon, acheta la retraite des forces gorkha en promettant un tribut, dont la première annuité seule fut payée. En 1791, nouvelle invasion gorkha et sac du couvent de Tashilhunpo. Alors l'empereur Qianlong intervint ; une armée impériale, commandée par le général Fukang'an, refoula les Népalais jusqu'aux portes de Kathmandu et les obligea à signer la paix. En cette

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occasion, le contrôle chinois sur le gouvernement tibétain fut resserré et les ambans reçurent le droit d'intervenir dans les détails de l'administration. Les réincarnations des dalai-lamas et d'autres grands lamas devaient être choisies en tirant au sort le nom d'un candidat sur trois, en présence des ambans. La réservation d'un siège de bka'blon pour les lamas fut abolie, tandis que le cercle des grandes familles, parmi lesquelles les ministres étaient choisis, fut considérablement élargi. Ces réformes avaient pour but de diminuer le pouvoir du clergé en faveur de l'aristocratie et des représentants impériaux.

Dalai-lamas enfants et suzeraineté chinoise

Somme toute, le XIXe siècle fut une période de calme et de stagnation. Les dalai-lamas devaient recevoir les pleins pouvoirs à l'âge de dix-huit ans ; mais ils n'atteignaient pas cet âge, ou bien mouraient après quelques mois d'un règne nominal. Ainsi le Tibet était gouverné en permanence par les régents. La figure la plus marquante parmi ces princes de l'Église est peut-être celle de Samati Pakshi (1792-1854), qui gouverna le pays de 1819 à 1844. Il déjoua la tentative que fit Gulab Singh, raja de Jammu et maître depuis peu du Ladakh, de conquérir le Tibet occidental (1841) ; une contre-invasion tibétaine au Ladakh échoua misérablement, après quoi le statu quo fut rétabli. Ce mince succès de Samati Pakshi et la longue durée de son gouvernement réveillèrent les jalousies des nobles, qui se plaignirent à Pékin ; le régent fut déposé et exilé par le commissaire impérial Qishan. Un autre événement marquant fut la deuxième guerre népalaise (1854-1856) ; la paix imposait au Tibet un tribut annuel et accordait des privilèges d'exterritorialité aux sujets népalais résidant à Lhasa. À cette époque, le personnage principal était le bka'-blon bShad-sgra dBang-phyug-rgyal-po. En 1858, le régent le destitua et l'exila ; mais il fut vengé en 1862 quand le régent, incompétent et corrompu, fut renversé par une émeute des moines de Se-ra. bShad-sgra prit sa place et fut le seul régent séculier de la période qui s'étend de 1750 à 1950. Assez énergique, il organisa une petite armée qui mata la révolte antichinoise du Nyag-rong au Tibet oriental ; l'empereur en confia l'administration au gouvernement de Lhasa. Mais bShad-sgra, déjà vieux au temps de sa prise de pouvoir, mourut en 1864, avant la conclusion de la campagne. Après lui, on revint aux régences ecclésiastiques. En 1871, un moine ambitieux, dPal-Idan-don-grub, essaya de s'emparer du pouvoir, mais fut écrasé par les ambans, qui retrouvèrent un sursaut d'énergie. Cependant, leur influence déclinait lentement depuis que les guerres contre les Anglais et les Français ainsi que la révolte des Taiping avaient sapé la force de l'Empire. Après 1871, les signes de faiblesse se multiplièrent. Le treizième dalai-lama , Thub-bstan-rgya-mtsho (1876-1933), fut choisi sans tirage au sort. En 1877, le poste de bka'blon lama fut rétabli. En même temps se formait une sorte d'Assemblée nationale (tshogs-'dus), non officielle et non permanente, composée surtout de membres du haut clergé ; elle était influente dans les moments de crise. Le treizième dalai-lama prit le pouvoir en 1895, et une tentative de l'ex-régent de le remettre sous tutelle se solda par la mort de celui-ci en prison (1899). Le clergé devenait à nouveau le vrai maître du Tibet, tout en ménageant la position de l'aristocratie.

Le Tibet entre l'Angleterre et la Chine

Depuis 1792, le Tibet s'était hermétiquement fermé aux étrangers, le clergé et le gouvernement impérial étant d'accord pour mener cette politique. Mais elle se heurtait de plus en plus à l'expansion anglaise ; pour les vice-rois de l'Inde britannique, qui se méfiaient des intrigues russes en Asie centrale, le Tibet était le glacis de la forteresse indienne et ils

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croyaient ne pouvoir s'en désintéresser. En 1861, ils imposèrent au Sikkim leur protectorat, que la Chine reconnut en 1890 après quelques escarmouches de frontière. Un accord commercial conclu en 1893 resta lettre morte, parce que le gouvernement tibétain ignora simplement son existence. Les ambans avaient perdu presque toute leur autorité. Plusieurs avances anglaises pour nouer des relations au moins commerciales restèrent sans réponse. En 1903, le vice-roi lord Curzon, le dernier des grands proconsuls anglais aux Indes, envoya à la frontière une mission dirigée par le colonel Younghusband, qui eut raison par la force de l'opposition tibétaine. Le 3 août 1904, les troupes anglaises entraient à Lhasa, que le dalai-lama avait quitté pour se réfugier en Mongolie. Les autorités tibétaines durent signer un traité qui ouvrait certains points de la frontière au commerce indien ; des agents de commerce anglais étaient placés à Gyantse et à Gartok, et le Tibet payait une indemnité. C'était la défaite, mais en même temps la reconnaissance d'un gouvernement tibétain sujet de droit international. Cette tendance à l'élimination de la suzeraineté chinoise subit un brusque coup d'arrêt. La Chine, que Curzon et les Tibétains avaient affecté d'ignorer, sut s'insérer dans la question en traitant directement avec Londres, qui du reste avait subi plus qu'approuvé l'action agressive de Curzon. La convention de Pékin de 1906 confirmait l'accord anglo-tibétain, mais reconnaissait la suzeraineté chinoise et la fermeture du Tibet, tandis que l'accord russo-anglais de 1907 éliminait tout souci relatif à la sécurité de la frontière himalayenne. Ce fut la Chine qui récolta les fruits de la mission Younghusband. Entre-temps, le dalai-lama était resté en Mongolie ; en 1908, il se rendit à Pékin, où il fut reçu par l'empereur et l'impératrice mère ; à la fin de 1909, il rentrait à Lhasa. C'est alors que la dynastie mandchoue, déjà chancelante, tenta d'obtenir un succès éclatant à bon marché en établissant son contrôle sur le Tibet. La majeure partie du Tibet oriental fut placée sous l'administration chinoise directe. Un corps expéditionnaire marcha sur Lhasa, qu'il occupa en février 1910 ; le dalai-lama s'était enfui en Inde, où il resta comme hôte du gouvernement britannique. La situation changea soudainement avec la révolution chinoise et la chute de l'Empire. La garnison chinoise de Lhasa se révolta, fut battue par les Tibétains, capitula et fut rapatriée par la voie de l'Inde (1912). Le dalai-lama rentra dans sa capitale, où les partisans de la Chine furent durement châtiés. Le Tibet avait gagné une indépendance de facto complète, bien que la fiction de la suzeraineté chinoise subsistât toujours en droit international. L'Angleterre essaya de régulariser la situation à la conférence tripartite de Simla ; mais l'accord de 1914, qui reconnaissait l'autonomie presque totale du Tibet central, ne fut jamais ratifié par la Chine. Il constitua cependant le fondement des relations anglo-tibétaines jusqu'en 1947. Les rapports avec la Chine restèrent longtemps hostiles ; l'autorité du dalai-lama était reconnue dans des zones de plus en plus étendues du Tibet oriental, à la faveur de l'anarchie qui sévissait en Chine. Quand le gouverneur de la province du Sichuan essaya de contenir l'expansion tibétaine, il fut battu et refoulé jusqu'à ses bases de départ (1917-1919). Le besoin en armes et en munitions qu'entraîna cette guerre incita le dalai-lama à se tourner encore davantage vers la Grande-Bretagne ; en 1920-1921, il reçut avec éclat la mission de sir Charles Bell ; mais l'aide promise se réduisit à peu de chose, la Grande-Bretagne ne voulant pas prendre d'engagements sérieux. Quant au dalai-lama, il ne désirait que les moyens nécessaires à l'entretien d'une petite armée semi-moderne destinée à tenir les Chinois en échec. Mais la collecte des fonds rencontra une sourde opposition ; le pan-chen lama refusa toute contribution et s'enfuit en Chine (1923), où il mourut quatorze ans plus tard. Quand en 1925 les officiers de l'armée essayèrent timidement de se soustraire au contrôle du clergé, ils se heurtèrent à une fin de non-recevoir et plusieurs unités furent dissoutes ; dès lors, le dalai-lama cessa de s'intéresser aux questions militaires. Dans ses dernières années, il devint plus conservateur et s'opposa à

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toute réforme ; il prit ses distances à l'égard de la Grande-Bretagne et essaya de pratiquer une politique d'équilibre malgré le conflit de 1932-1933 sur la frontière chinoise. Homme de bon sens sinon de talent, le treizième dalai-lama donna ses dernières années de paix au vieux Tibet ; il semblait être un vestige du Moyen Âge resté vivant comme par miracle, en dehors du temps et de l'espace. Mais sa mort, en décembre 1933, marqua le déclin de cette période.

La fin du vieux Tibet

L'Assemblée nationale, selon l'indication du pontife mort, nomma comme régent le jeune incarné de Rva-sgreng. Sa tâche principale était la recherche de la nouvelle incarnation ; recherche qui fut laborieuse et marquée par les pressions opposées de la Chine et de l'Angleterre (missions du général Huang Musong et de sir Basil Gould) ; ce n'est qu'en février 1940 qu'il fut possible de proclamer formellement le quatorzième dalai-lama , bsTan-'dzin-rgya-mtsho (Tenzin Gyatso), né en 1935. Mais peu après, le régent, que les vieux moines soupçonnaient d'être payé par la Chine et de songer à des réformes, fut déposé et remplacé par l'incarné de sTag-brag (févr. 1941). Le nouveau régent maintint la neutralité du pays durant la Seconde Guerre mondiale, tandis que le commerce tibétain (exportation de laine, de soude, de borax, etc.) connaissait un essor extraordinaire.

Mais, après 1945, l'équilibre délicat sur lequel reposait l'indépendance tibétaine s'effondra complètement. En 1947, les Anglais quittaient l'Inde et, en 1949 naquit la république populaire de Chine ; or, depuis longtemps, les communistes chinois avaient déclaré qu'ils considéraient le Tibet comme partie intégrante de la Chine et les Tibétains comme l'une des cinq nationalités de la république. L'action diplomatique de l'inexpérimenté gouvernement tibétain fut faible et ne remporta pas le moindre succès, malgré les missions envoyées à la dernière heure aux États-Unis et en Inde. En 1950, l'armée chinoise attaquait Chab-mdo , où les troupes tibétaines se débandèrent presque sans combattre. Ne pouvant attendre ni secours ni appui diplomatique de l'Occident ou de l'Inde, le dalai-lama, déclaré majeur au moment de la crise, dut traiter avec la Chine, tout en se réfugiant à Yatung, sur la frontière indienne. Une mission tibétaine arriva à Pékin et y conclut l'accord du 23 mai 1951 : le Tibet était intégré dans la république populaire de Chine, qui assumait le contrôle de l'armée, des finances, de l'éducation et du développement économique et industriel, et garantissait le maintien des droits et de la dignité du dalai-lama, ainsi que le respect de la religion et des monastères. L'armée chinoise entra à Lhasa ; le dalai-lama et le pan-chen lama, dont l'incarnation avait été retrouvée en Chine occidentale, y retournèrent.

Dans un premier temps, le compromis, que les deux parties s'efforçaient d'observer loyalement, fonctionna assez bien. Des réformes étaient inévitables, et les premières propositions furent même faites par le dalai-lama, qui abolit la corvée ('u-lag) et les dettes agraires et présenta un projet de redistribution graduelle des terres ; les Chinois, quant à eux, prônaient surtout les avantages de la science, de la technique et de l'éducation modernes. Ils lancèrent tout de suite un grand programme de construction routière, et dès 1954 le Tibet était relié à la Chine par les grandes routes du Sichuan à Lhasa et de Xining à Lhasa. Cette période de collaboration fut à son apogée lors de la longue visite que firent le dalai-lama et le pan-chen lama à Pékin en 1954-1955.

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Toutes ces nouveautés, et en particulier l'idéologie marxiste, heurtaient la mentalité des paysans et surtout les moines, à qui la nouvelle éducation ôtait le contrôle de la jeunesse ; une résistance passive se dessina, puis, en 1956, les premières actions de guérilla eurent lieu au Tibet oriental. Le gouvernement de Pékin réagit, d'une part en appliquant des mesures de répression, d'autre part en déclarant que les réformes étaient suspendues. Mais la situation devenait de plus en plus troublée, une psychose de crainte se répandait, des bandes partisanes anticommunistes firent leur apparition même dans le Tibet central. La tension aboutit à une catastrophe. En mars 1959, une invitation du commandant de la garnison au dalai-lama à se rendre à une représentation théâtrale dans les casernes chinoises fut interprétée comme une tentative de se saisir de sa personne. Une grande foule entoura le palais du dalai-lama (le Nor-bu-gling-kha), tandis que les bataillons tibétains de l'armée chinoise faisaient défection. Sur l'avis des bka'blon et des chefs du clergé, le dalai-lama quitta le palais en cachette (17 mars) et s'enfuit en Inde, accueilli avec honneur par le gouvernement indien, qui lui assigna une résidence à Dharamsala. Après son départ, le conflit éclata ouvertement à Lhasa, mais l'artillerie chinoise maîtrisa bientôt la résistance tibétaine. La guérilla dans le Sud ne put se maintenir et fut réprimée par des troupes fraîches arrivées de Chine. La plupart des membres de la noblesse et du haut clergé, ainsi qu'un bon nombre de marchands et de paysans, s'enfuirent en Inde. L'émigration de presque toute l'ancienne classe dirigeante facilita la tâche aux Chinois. Le gouvernement tibétain traditionnel fut aboli. Un programme radical de réformes agraires confisqua la terre de la noblesse et des monastères. De nombreux immigrants chinois s'établirent au Tibet. Les vieilles positions commerciales gagnées en 1904 par les Anglais et dont l'Inde avait hérité disparurent quand le dernier accord commercial expira en 1962. La question des frontières, la ligne Mac-Mahon de 1914 n'étant pas reconnue par la Chine, n'avait fait que s'envenimer ; en automne 1962, les forces chinoises déclenchèrent une campagne foudroyante qui les conduisit presque à la plaine du Brahmapoutre, mais, peu après, elles se retirèrent spontanément. Depuis lors, la question est restée ouverte, mais aucun engagement sérieux ne s'est produit. La Région autonome du Tibet, dans le cadre de la république populaire de Chine, fut inaugurée officiellement le 9 septembre 1965, sous la présidence du pan-chen lama ; elle ne comprend que le Tibet central et occidental, le Tibet oriental et nord-oriental faisant partie des provinces chinoises du Xikang et du Qinghai. La révolution culturelle, déclenchée en Chine à la fin de 1966, s'est traduite à Lhasa par une violente action anticléricale des gardes rouges ; les monastères ont été envahis, beaucoup d'images et de textes sacrés détruits, les moines employés à des activités productives. En février 1967, le pan-chen lama, qui s'opposait à ce que les moines abandonnent l'état religieux, fut déposé et placé dans un camp de travail. Depuis lors, la situation a perdu son caractère aigu ; mais il est incontestable qu'on est en train d'assister au Tibet à la disparition rapide de la civilisation traditionnelle.

L'emprise chinoise et les transformations économiques

Les réformes socialistes qui furent entreprises au Tibet dès 1952 se heurtèrent rapidement à l'opposition du clergé tout-puissant, puis d'une partie de la population, et aboutirent à la rébellion armée de 1956-1959. Les Chinois ayant repris la situation en main, c'est alors, en un premier temps, l'abolition du servage et la réduction du loyer des terres, tandis que les biens des propriétaires et des monastères qui ont participé au soulèvement sont confisqués et confiés aux pasteurs et aux agriculteurs organisés en associations. On procède, en une deuxième

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étape, à une redistribution générale des terres, qui touche, en avril 1961, la quasi-totalité de la paysannerie. Celle-ci est ensuite organisée, de même qu'en Chine en 1952-1954, en équipes d'entraide, qui seront 22 000 en 1964 (dont 20% d'équipes permanentes) regroupant 160 000 familles (sur 180 000 familles paysannes). Parallèlement, les autorités chinoises s'efforcent de développer et de moderniser l'économie agricole du pays : implantations de fermes expérimentales qui introduisent des cultures nouvelles (blé, maïs, lin, tabac), défrichements.Les surfaces cultivées, essentiellement dans la vallée du Yarlungzangbo, sont passées de 160 000 hectares dans les années 1950 à plus de 220 000 hectares à la fin des années 1980, dont un peu plus de la moitié seraient irrigués ; on y cultive essentiellement de l'orge, du blé et du colza. Les pâturages occupent près de 20% de la superficie de la région, où l'on élève quelque 5 000 000 de yacks, 5 800 000 caprins et près de 12 000 000 de moutons (et aussi des chevaux et des ânes). C'est aussi la naissance de l'industrie au Tibet : un gisement de charbon (près d'un million de tonnes de réserves) est mis en exploitation, trente stations hydro-électriques sont édifiées, dont la plus importante, située en amont de Lhasa, a permis l'électrification de la capitale et de sa région. Les principales entreprises étaient implantées à Lhasa (cimenteries, verreries, ateliers mécaniques, lait en poudre, etc.), dont la population atteint 150 000 habitants en 1995. Mais il s'est agi d'abord, et surtout, de désenclaver le Tibet, impératif d'ordre stratégique autant qu'économique, par l'édification de grands axes routiers dont les principaux sont la voie reliant le Sichuan à Lhasa (2 413 km), celle qui va du Qinghai à Shigatse (2 200 km) et celle qui du Xinjiang rejoint la vallée du Yarlungzanbo. En 1994, le réseau de voies carrossables du Tibet mesurait plus de 20 000 km et comportait cinq axes principaux : Sichuan-Tibet, Qinghai-Tibet, Xinjiang-Tibet, Yunnan-Tibet, Tibet-Népal ; en outre Lhasa a été dotée d'un aéroport civil assurant les liaisons avec Pékin, Chengdu (Sichuan), Xi'an (Shaanxi) et Katmandu (Népal).

L'ouverture de la Chine et la question du Tibet

L'ouverture de la Chine, à la fin des années 1970, et sa nouvelle orientation politique et économique conduisent les « nouvelles » autorités de ce pays à reconsidérer l'état du Tibet, où les effets de la révolution culturelle ont été particulièrement désastreux. Ainsi, au printemps de 1980, le Comité central du Parti communiste chinois publie-t-il un ensemble de directives pour la mise en œuvre d'une nouvelle politique au Tibet et, peu après, le secrétaire général du P.C.C., Hu Yaobang, et le vice-Premier ministre, Wan Li, vont s'y rendre en personne pour prendre la mesure des problèmes, fait sans précédent. Il en est résulté, notamment, la promulgation de « six mesures importantes » destinées à donner quelque contenu réel au statut d'« autonomie régionale » et à remédier quelque peu à la grande misère du Tibet ; il s'agit, en particulier, de constituer une Assemblée populaire régionale à majorité tibétaine, de « rétablir et développer vigoureusement la culture, l'éducation et la science du Tibet » et d'apporter une aide économique substantielle : - exemption d'impôts sur quatre ans ; - crédit de 3 millions de yuan pour le remboursement des propriétaires de domaines et de troupeaux confisqués au cours des décennies passées ;

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- versement, par l'État, d'un crédit de plus de 1 milliard de yuan pour 1980 et 1981, en augmentation de 10% au cours des années suivantes, qui représente plus de 90% du budget de la région autonome du Tibet, cas exceptionnel dans l'organisation régionale de la Chine. Mais le fait le plus marquant du début des années 1980 est l'ouverture du Tibet, en 1984, au tourisme international, Lhasa étant promue au rang de « nouvelle frontière » ; une telle ouverture n'allait pas sans risques, compte tenu du contexte, et effectivement la situation va rapidement évoluer à la faveur des contacts divers intervenant, pour la première fois depuis plus de trente-cinq ans, entre la population tibétaine et des visiteurs occidentaux, en particulier américains. Ainsi, en juin 1987, le Congrès américain adopte un texte sur « les violations des droits de l'homme au Tibet par la république populaire de Chine », texte qui réclame notamment l'ouverture d'une enquête, qui invite Pékin à entamer le dialogue avec le dalai-lama et qui envisage des mesures d'aide aux réfugiés tibétains. Le 24 septembre suivant, Radio-Lhasa annonce l'exécution de deux Tibétains accusés de meurtre, mais considérés par leurs compatriotes comme des martyrs ayant milité pour l'indépendance du Tibet ; dès lors les événements vont se précipiter : le 27 septembre, des moines du célèbre monastère Jokhang défilent dans les rues de Lhasa pour protester contre ces exécutions, et deux douzaines d'entre eux sont arrêtés ; le 1er octobre (jour anniversaire de la fondation de la République populaire), plusieurs milliers de Tibétains manifestent dans les rues de Lhasa en brandissant une bannière qui revendique l'indépendance du Tibet, attaquant un commissariat et incendiant des bâtiments officiels ; six manifestants auraient été tués par les forces armées chinoises. Le Tibet est fermé au tourisme le 2 octobre et, le 5, des renforts de police chinois cernent les principaux monastères et procèdent à de nouvelles arrestations de moines ; le lendemain, une grande manifestation demande leur libération et soixante moines sont encore arrêtés. Après l'expulsion des journalistes étrangers le 11 octobre, l'ordre règne à Lhasa à partir du 15 octobre, mais le climat y reste excessivement tendu. Cependant le problème tibétain demeure ; la communauté internationale n'y est pas insensible, comme en témoigne la remise du prix Nobel de la paix au dalai-lama le 5 octobre 1989. Ce dernier préconise, en février 1994, une fédération entre la Chine et un Tibet doté d'une réelle autonomie, proposition vigoureusement rejetée par Pékin, qui doit faire face, peu après (déc. 1994-mars 1995), à une série de manifestations indépendantistes à Lhasa. Les rapports vont s'envenimer quand, en mai 1995, le dalai-lama annonce avoir identifié la réincarnation du dixième panchen-lama, un garçon de six ans, qui sera aussitôt placé avec sa famille en résidence surveillée à Pékin ; le 29 novembre 1995, les autorités chinoises en font reconnaître un autre... Le 25 décembre 1996, une bombe de forte puissance explose près du siège du gouvernement régional à Lhasa... Dans le même temps, l'emprise économique chinoise au Tibet se développe : par des implantations industrielles qui totalisent quelque trois cents entreprises en 1993 (notamment tanneries, usines de lait en poudre, filatures et tissages de laine, fabriques de matériaux de construction) et une trentaine d'entreprises à capitaux mixtes, dont les premières sont une fabrique de tapis, à capitaux népalais, et une brasserie allemande ; par l'exploitation minière, surtout depuis 1995, année de l'ouverture de la plus grande mine de chrome de Chine dans la préfecture de Shannan et du plus riche filon d'or, à l'est de Lhasa ; des prospections pétrolières seraient même en cours sur le piedmont himalayen ; par des flux migratoires attirés par le mirage de l'or et de l'aventure, et venus surtout du Sichuan voisin, mais aussi déplacés de Chine orientale pour affectation administrative ou autre (les militaires seraient au nombre de 50 000) ; ainsi Lhasa compterait déjà quelque 100 000 Chinois han pour 140 000 Tibétains.

Luciano PETECHPierre TROLLIET

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3. Religion et littérature

Croyances religieuses prébouddhiques

Signification du Bon

Ce que l'on sait des croyances religieuses prébouddhiques au Tibet se limite aux références contenues dans la littérature postérieure et à l'existence de croyances et de pratiques antérieures au bouddhisme, qui, au cours des siècles, n'ont cessé de faire partie de la religion tibétaine générale. La tradition bouddhique postérieure désigne toute croyance, toute pratique religieuse non bouddhique au Tibet sous le nom de Bon, terme probablement apparenté au nom tibétain du Tibet, Bod, et qui pourrait signifier « indigène ». Des érudits modernes ont généralement admis sans critique que Bon désignait la religion prébouddhique, mais en fait le terme de Bon est employé à la période la plus ancienne, dans l'acception exclusive de « prêtre », sans doute spécifiquement un prêtre qui invoque (du verbe 'bod-pa : appeler). Il a donc pu y avoir confusion entre deux termes d'origines différentes. Le terme authentique pour désigner la religion prébouddhique au Tibet est lha-chos, qui signifie « choses sacrées », et il semble avoir englobé tout un éventail de croyances. Comme les plus anciens documents écrits étaient établis sous les auspices de la cour royale, on a l'impression que les croyances les plus importantes étaient organisées autour du roi lui-même, être divin. Celui-ci porte le titre de Fils divin (Lha-sras), et l'on croyait qu'à une époque mythique antérieure le roi était véritablement descendu des cieux par une corde sacrée et y retournait une fois révolu le temps de son existence. Une chronique royale primitive relate que, pour un certain roi, la corde sacrée fut coupée et que depuis lors les rois ont leur sépulture sur la terre.

Les tombes royales

Dans la vallée du Yar-lung proche de Lhasa, résidence traditionnelle de la dynastie royale qui régna dans cette ville à partir du VIIe siècle, se dresse un groupe de dix tumulus qui sont en fait les tombes de huit rois et de deux princes. Elles ont été pillées il y a longtemps et, jusqu'à présent, n'ont pas fait l'objet de fouilles, mais des inscriptions en pierre ont permis des identifications. Il est vraisemblable qu'autrefois les compagnons du roi ont été mis à mort et ensevelis avec lui dans sa tombe avec certains de ses biens de prédilection. À une période plus tardive, ils ne furent plus tués, mais demeuraient attachés à la tombe dont ils étaient les gardiens, rituellement coupés de la vie quotidienne et vivant des offrandes substantielles apportées à la tombe lors des fêtes régulières, pendant lesquelles les pseudo-morts se dissimulaient. Si des hommes ou des animaux approchaient de la tombe à d'autres moments, les gardiens pouvaient s'en emparer et en faire leurs serfs et leur propriété. On célébrait des rites compliqués dont des prêtres appelés Bon (invocateurs) et gShen (sacrificateurs) étaient les protagonistes. Une description ancienne d'une cérémonie funéraire royale au cours de laquelle on sacrifiait sûrement des animaux a été conservée.

Les dieux locaux

La religion primitive concernait également les relations avec les dieux et démons locaux, qui intervenaient continuellement dans les affaires des hommes. Les prêtres assumaient aussi

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la responsabilité de découvrir par des sortilèges ou des calculs astronomiques les causes des malheurs et des pertes, puis d'accomplir la cérémonie nécessaire en vue d'y remédier. Lorsque le dieu ou le démon cause du mal avait été identifié, on pouvait procéder de deux façons : soit l'amadouer par une offrande pour qu'il parte comblé, soit l'effrayer en appelant à l'aide des dieux plus puissants. Ceux-ci étaient invoqués par les liturgies traditionnelles qui rappelaient leurs origines et décrivaient leurs pouvoirs spéciaux, et il est possible que le prêtre lui-même ait personnifié le dieu particulier avec lequel il avait des liens spéciaux. Certaines montagnes étaient considérées comme sacrées, et chaque tribu pouvait avoir sa propre montagne sacrée. La montagne de la famille Yar-lung, qui devint à partir du VIe siècle la famille royale suprême du Tibet, est encore connue comme étant la montagne Yar-lha-sham-po. Des légendes plus tardives racontent comment les premiers rois du Tibet étaient descendus sur terre, précisément sur le sommet de cette montagne. En tibétain, le même mot sert à désigner la catégorie spéciale de dieux de la montagne, à savoir btsan (puissant), et le titre royal bTsan-po (le Puissant). À l'exception des théories particulières relatives à la royauté et au culte des tombes royales, tout ce que l'on connaît des croyances et des pratiques religieuses prébouddhiques a progressivement été absorbé par le bouddhisme tibétain et constitue une partie essentielle de la religion nationale. Les yogin bouddhiques et même certains moines sont considérés comme habilités à traiter avec les dieux et les démons locaux. Le culte des dieux des montagnes et d'autres dieux amicaux censés s'être convertis à la nouvelle religion est célébré dans les temples et les monastères bouddhiques comme faisant partie des liturgies régulières. Il est important de souligner que ceux qui se nomment Bon-po ne sont pas les représentants particuliers de la religion prébouddhique, comme la plupart des autres Tibétains s'obstinent à le croire. Il s'agit d'une spécialisation tout à fait différente qui sera décrite plus loin.

Pénétration du bouddhisme

Le premier grand roi

L'introduction du bouddhisme au Tibet est attribuée au roi Srong-btsan-sgam-po, le plus illustre de la lignée royale de Yarlung ; ce souverain fit de Lhasa la capitale d'un pays puissant et unifié comprenant la majeure partie de l'Asie centrale et empiétant sur le territoire chinois. Il comptait au nombre de ses épouses une princesse népalaise et une chinoise qui sont réputées avoir apporté des images de Buddha à Lhasa, où des temples furent édifiés pour les abriter. L'un d'entre eux existe encore ; c'est le temple principal de Lhasa, le Jo-khang ; il a été reconstruit au cours des siècles, mais ses fondations remontent à la première partie du VIIe siècle. Srong-btsan-sgam-po fut reconnu par la suite dans la tradition bouddhique comme une manifestation du Grand Bodhisattva Avalokitesvara, le divin sauveur qui est un reflet du Grand Buddha de l'Ouest, Amitabha (Lumière sans borne). Les épouses chinoise et népalaise furent identifiées comme des manifestations de la Grande Déesse Tara, la « Salvatrice », dans ses émanations Verte et Blanche. Toutefois, il semble historiquement établi qu'en dépit d'un intérêt bienveillant pour la nouvelle religion Srong-btsan-sgam-po demeura attaché aux traditions de ses ancêtres et fut certainement inhumé conformément aux rites non bouddhiques. La conversion du Tibet au bouddhisme fut un processus lent et graduel, peut-être encore inachevé, qui rappelle à bien des égards la conversion de la Gaule et des îles Britanniques au christianisme. L'initiative capitale prise par Srong-btsan-sgam-po dans l'histoire de la civilisation tibétaine consista à fixer définitivement un alphabet de trente lettres et à encourager le développement du tibétain comme langue littéraire. Le mérite principal semble en revenir à un ministre du roi du nom de Thon-mi Sambhota, qui, selon certains

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récits, se rendit au Cachemire pour étudier les écritures indiennes disponibles et en faire une adaptation tibétaine. Désormais, il était évident que le Tibet graviterait beaucoup plus dans l'orbite culturelle de l'Inde que dans celle de la Chine ; à la fin de la dynastie Yar-lung (842), l'influence chinoise avait été en grande partie éliminée et, par la suite, aucun Tibétain ne semble s'être adonné ni à la langue ni à la littérature chinoises.

Le choix de la tradition bouddhique indienne

Il faut pourtant attendre le règne du roi Khri-srong-lde-brtsan (755-797) pour constater des progrès sensibles dans la pénétration de la nouvelle religion. Ils n'eurent certainement pas l'ampleur que la tradition bouddhique ultérieure revendique faussement. Les Annales des rois Yar-lung, qui relatent les événements royaux à partir du VIIe siècle et furent enregistrées dans leur forme actuelle au IXe siècle comme l'un des morceaux les plus anciens qui aient subsisté de la littérature tibétaine, ne font nulle allusion au bouddhisme. Dans le dernier quart du VIIIe siècle, deux célèbres maîtres indiens, Santaraksita et Kamalasila, vinrent au Tibet, le premier monastère tibétain fut fondé à bSam-yas près de Lhasa, sept Tibétains furent pour la première fois ordonnés moines bouddhiques, et une grande controverse fut finalement organisée à bSam-yas où Santaraksita débattit publiquement avec le principal champion chinois des mérites respectifs des formes indienne et chinoise du bouddhisme. Le parti indien triompha. La tradition bouddhique ultérieure, telle qu'elle fut recueillie au XIVe siècle, parle abondamment des hauts faits d'un thaumaturge bouddhique indien du nom de Padmasambhava (Né d'une fleur de lotus), qui est censé avoir établi le bouddhisme au Tibet après avoir préalablement dompté les démons locaux hostiles à la nouvelle religion. Il n'est pas fait mention de lui dans les récits antérieurs à cette tradition, qui sont fondés principalement sur des documents de la cour royale. Il est probable cependant que le bouddhisme fut propagé non seulement en vertu de quelque consécration officielle, mais aussi spontanément et à un niveau non officiel, plus populaire, par des yogin bouddhiques indiens qui pénétraient librement dans le pays. Après l'effondrement du royaume tibétain en 842 et l'oubli où sombra le bouddhisme officiel, les formes plus populaires restèrent vivantes et constituèrent un ensemble de traditions rattachées à la personne de Padmasambhava ; celui-ci fut proclamé plus tard une manière de second Buddha.

Le Bon, forme spéciale du bouddhisme

La religion connue sous le nom de Bon par ses adeptes tibétains actuels semble avoir été, à l'origine, un courant parallèle reposant sur la propagation des enseignements bouddhiques indiens populaires semblables à ceux qui sont axés sur Padmasambhava.

Dans toutes ses doctrines essentielles, le Bon est manifestement une forme de bouddhisme et ses prédicateurs les plus anciens que l'on connaisse depuis le VIIe siècle vivaient et enseignaient selon des règles analogues à celles des yogin bouddhiques. Ils se livraient sûrement à des rites magiques comme le faisaient Padmasambhava et ses adeptes. Lorsque les Bon-po du Tibet parlent du Bon, ils ne visent pas seulement les croyances religieuses prébouddhiques décrites plus haut, mais un système cohérent d'enseignements qu'ils attribuent à leur fondateur, gShen-rabs, qui vécut dans le pays de sTaggzigs, identifié vaguement comme la Perse, dans un passé lointain indéterminé. À l'examen, ces enseignements, en tout cas ceux qui sont relatifs à des pratiques religieuses supérieures, semblent être originaires du bouddhisme indien, mais, au lieu de les attribuer au Buddha indien Sakyamuni, ils les imputent à leur propre Buddha, gShen-rabs. Donc, le Bon s'avéra être une tentative intéressante et délibérée d'absorber les enseignements religieux indiens et de les combiner

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avec les traditions religieuses préexistantes au Tibet. En dépit d'une méprise courante de la part de ceux qui ne sont pas Bon-po le Bon est une sorte de forme nationalisée de bouddhisme tibétain, qui continua à se développer au cours des siècles en plagiant directement la littérature bouddhique et en imitant tous les aspects de la culture bouddhique. Les bouddhistes fondèrent des temples et plus tard des monastères, créèrent des ordres de moines célibataires au Tibet, développèrent leur art et leur architecture sacrés sur les modèles indiens ; les Bon-po firent de même. Il en résulte que toute étude générale de la religion du Tibet se doit d'englober les Bon-po comme une catégorie particulière de secte bouddhique. L'origine de l'attribution de toutes ces traditions à un Buddha quasi historique distinct de Sakyamuni demande encore à être élucidée. Il est même possible qu'il y ait un vague rapport avec Mani, prophète et « Buddha de Lumière », qui fonda sa religion syncrétique en Perse au IIIe siècle. À partir du VIIe siècle, alors que les Tibétains avaient la mainmise sur les villes-États du Takla-Makan, marquant les étapes de la fameuse route de la soie qui reliait la Méditerranée à la Chine, ils furent en contact non seulement avec les bouddhistes de cette région, mais aussi avec les chrétiens nestoriens et les disciples de Mani. Il est également établi qu'ils avaient entendu parler du grand César de Rome, car, avec leur absence typique de précision géographique, ils accolaient ce titre étrange au héros de leur épopée nationale le roi de Ling, connu aussi sous le nom de Ge-sar (César) de Khrom (translittération perse de Rome). Le royaume tibétain finit par s'écrouler en 842, principalement en raison des querelles entre les grandes familles aristocratiques dans lesquelles la religion intervenait, un parti représentant parfois les intérêts de la nouvelle foi bouddhique, l'autre défendant ceux des traditions tibétaines autochtones. Dans des récits bouddhiques plus tardifs, toutes ces discordes sont résolument présentées comme la lutte des adeptes du Bon contre les bouddhistes, mais cette interprétation des événements est trop simpliste. Comme on l'a noté ci-dessus, le Bon lui-même fut l'aboutissement d'un amalgame de croyances bouddhiques et tibétaines locales, tandis que de la même façon le bouddhisme tibétain naissait d'une synthèse complexe.

La conversion bouddhique

Le bouddhisme savant

Les zélateurs du bouddhisme indien inaltéré au Tibet furent les lettrés, tant indiens que tibétains, qui, à partir du VIIIe siècle, s'attelèrent à la tâche écrasante de traduire dans une forme de tibétain approprié les volumineuses quantités de littérature sanskrite bouddhique auxquelles ils avaient accès en Inde et au Népal. Le seul fait culturel comparable dans le monde occidental a été la traduction du grec en latin de toute la littérature chrétienne primitive et de tous les écrits des premiers Pères de l'Église, de sorte qu'il existe deux versions parallèles de ces œuvres, grecque et latine. Au départ, la tâche qui attendait les Tibétains était beaucoup plus compliquée, car le vocabulaire philosophique et bouddhologique indispensable à la traduction des nombreux termes techniques sanskrits faisait défaut dans la langue tibétaine. Ils inventèrent méthodiquement toute une terminologie inédite, créant des mots bien composés à partir de leur propre vocabulaire. Rarement, ils se contentèrent d'emprunter le mot directement au sanskrit. Ainsi, pour le mot Buddha, ils inventèrent le terme de Sangs-rgyas, composé de deux mots tibétains originaux qui signifient « pur » et « global ». Depuis lors, ce nouveau composé en est venu à signifier Buddha et rien d'autre. Pour le terme sanskrit asamskrta signifiant « non composé », définition philosophique de l'état transcendant de bouddhéité, les Tibétains forgèrent le terme ma-'dus-pa, qui dans le langage ordinaire pourrait

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simplement vouloir dire « ne pas venir ensemble », mais qui dorénavant sera fixé dans l'acception précise et avec toutes les connotations du terme sanskrit auquel il est substitué. Sous le règne du roi Ral-pa-can (815-838), le grand travail qui consistait à inventer et à cataloguer tout ce nouveau vocabulaire fut mené à bien et, par la suite, ce dictionnaire spécial sanskrit-tibétain qui comportait plusieurs milliers de rubriques fournit la base de toutes les traductions ultérieures. Cet ouvrage est si précis et si exhaustif qu'il est possible de reconstituer presque mot pour mot un original sanskrit à partir de sa traduction tibétaine. En fait, lorsque le bouddhisme disparut de l'Inde à la suite de la conquête musulmane, sa littérature sanskrite fut presque entièrement détruite à l'exception de quelques collections de manuscrits conservées au Népal. La connaissance que l'on a actuellement d'une grande partie du bouddhisme indien plus tardif repose essentiellement sur des traductions tibétaines, qui sont beaucoup plus exactes que les traductions correspondantes du sanskrit en chinois. L'effondrement du royaume tibétain en 842 interrompit cette œuvre d'érudition, bien que le bouddhisme ait certainement survécu sous la forme d'un mouvement religieux populaire axé sur la personne de Padmasambhava. Lors du renouveau du bouddhisme savant qui suivit, les disciples de Padmasambhava réunirent tous leurs enseignements, traditions et légendes sous une forme littéraire et on les désigna sous le nom de rNying-ma-pa ou « Ordre religieux ancien », pour les distinguer des zélateurs qui provoquèrent une deuxième vague de pénétration du bouddhisme au Tibet en remontant encore une fois directement aux sources indiennes.

Deuxième tentative de propagation du bouddhisme

L'initiative la plus importante pour relancer la pénétration du bouddhisme fut prise dans la partie extrême-occidentale du Tibet, où les descendants de la lignée royale de Lhasa fondèrent trois royaumes associés qui étaient en contact étroit avec l'Inde du Nord-Ouest et le Cachemire, foyers florissants du bouddhisme à cette époque. Le plus célèbre des traducteurs tibétains d'alors est Rin-chen bZang-po (958-1055) ; sous son égide, une multitude de textes canoniques accompagnés de leurs volumineux commentaires furent traduits du sanskrit. Il se rendit lui-même à trois reprises en Inde où il séjourna en tout dix-sept ans. Il fonda à son retour un grand nombre de temples et de monastères dont les peintures et décorations illustraient de manière précise les textes liturgiques qui furent également introduits à cette époque. Il est d'emblée évident que la pénétration du bouddhisme impliquait non seulement la traduction de textes, mais aussi l'assimilation de toute une culture qui jusqu'alors était restée étrangère aux Tibétains. Ils continuèrent certes à construire selon la tradition tibétaine, utilisant les pierres, de grandes briques séchées au soleil, des toits de boue plats entretoisés et soutenus par des piliers de bois, mais la décoration et les ornements tant à l'intérieur qu'à l'extérieur révèlent déjà l'influence indienne. C'est ainsi que le toit plat pouvait être surmonté d'un toit décoratif de style pagode ; les piliers et traverses en bois étaient sculptés de motifs ornementaux indiens. À l'intérieur, les plafonds recevaient un décor de nuages, de déesses parées de guirlandes et d'oiseaux mythiques. Les murs étaient peints pour illustrer des divinités principales dont le culte était le sujet des textes traduits au même moment. Des images en stuc étaient placées au-dessus des autels et, dans certains cas, disposées en un cercle conventionnel (mandala : cf. infra) le long des murs. Des lettrés et artisans indiens furent invités au Tibet et, à leur école, les Tibétains apprirent rapidement à reproduire aussi exactement que possible toute la tradition du bouddhisme indien dans une adaptation tibétaine.

Les origines de différents ordres religieux

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L'un des lettrés indiens les plus célèbres qui vint au Tibet fut Atisa, qui avait étudié et enseigné dans les grandes universités bouddhiques de l'Inde septentrionale et qui s'était déjà rendu à Sumatra comme missionnaire. Il arriva au Tibet en 1042 et y demeura jusqu'à sa mort en 1054. Avec l'aide de son disciple tibétain favori 'Brom-ston, qui fonda en 1056 le monastère de Re-ting (Rvasgreng), il réorganisa la vie religieuse sur une base plus rigoureuse et fonda l'ordre connu sous le nom de bKa'-gdams-pa (« liés par le commandement »). Cette discipline monacale s'avéra toutefois trop sévère pour la plupart des Tibétains qui, dans leur ferveur pour la vérité sacrée, étaient disposés à subir de grandes privations pendant des durées limitées, mais qui souhaitaient une plus grande liberté personnelle dans la vie monastique régulière. Les vœux d'obéissance perpétuelle sont inconnus, et cela transforme leur vie monastique en une sorte d'association volontaire de ceux qui se plaisent à vivre en communauté, dépourvue par conséquent de la sévérité et de la rigidité du monachisme occidental. D'autres illustres voyageurs lettrés furent 'Brog-mi (992-1072) et Marpa (1012-1096), qui devinrent respectivement les sources spirituelles des ordres religieux des Sa-skya et des bKa'-rgyud. Le couvent de Sa-skya, dont la renommée est parvenue jusqu'à l'époque actuelle, fut fondé en 1073 par un disciple de 'Brog-mi. Grâce à la protection de la famille aristocratique locale et à la proximité d'une importante route commerciale reliant la province de gTsang et sa capitale Shigatse au Népal, Sa-skya acquit rapidement richesse et puissance. Au XIIIe siècle, son abbé devint le vice-régent de l'ensemble du Tibet sous la suzeraineté des successeurs de Gengis-khan ; les hordes mongoles firent preuve d'un respect surprenant pour les Tibétains et leurs autorités religieuses. Marpa se situait dans la succession d'une lignée de maîtres religieux et de yogin indiens de qui il reçut textes et doctrines durant les séjours qu'il fit en Inde. Son disciple principal fut Mi-la Ras-pa, célèbre par sa vie d'ermite d'un rigoureux ascétisme, ses pouvoirs miraculeux et sa poésie religieuse. Il n'eut qu'un disciple dévoué, sGam-po-pa (1079-1153), qui était de famille noble, grand érudit et qui, par sa descendance spirituelle, fut à l'origine de six ordres religieux distincts, tous dans la lignée générale du bKa'-rgyud (« Parole transmise ») dérivant de la succession indienne de Marpa. Ces six ordres, dont quatre subsistent encore actuellement, comptaient un grand nombre de couvents fondés principalement au XIIe siècle. Les plus connus sont le Karma-pa, dont le grand lama vit maintenant en exil au Sikkim, et le 'Brug-pa, qui représente l'« Église nationale » du Bhoutan ('Brug-yul).

La réincarnation de certains lamas

Dans certains ordres religieux du bKa'-rgyud apparut pour la première fois au Tibet le système qui consistait à nommer le chef lama en identifiant l'incarnation dans un enfant de l'ancien chef lama. Le système fut probablement repris des successions religieuses de certains des grands yogin et maîtres bouddhiques indiens, célèbres du VIIIe et au XIIe siècle, qui passaient souvent pour des réincarnations de leurs prédécesseurs. La croyance en la réincarnation est un trait fondamental du bouddhisme sous toutes ses formes, et, de là, il n'y eut qu'un pas pour revendiquer la faculté de déceler en certains enfants doués la réincarnation d'un maître défunt qui, durant sa vie, avait fait vœu de bodhisattva (futur Buddha) de re-naître au monde à maintes et maintes reprises pour le bien des créatures vivantes, en particulier celui de son ordre religieux. Ce mode de désignation devait connaître une grande popularité au Tibet, bien que certains couvents aient continué à nommer les abbés en fonction de leur savoir, de leur spiritualité et de leurs capacités administratives, et que d'autres aient adopté un système de succession familiale d'oncle paternel à neveu. Ce système existe surtout dans les grands établissements religieux tels que les Sa-skya, où la succession des abbés est la prérogative d'une famille aristocratique déterminée qui assure la transmission des biens

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familiaux de père en fils pour en garantir la continuité, et simultanément la succession d'oncle paternel à neveu pour maintenir la lignée familiale des lamas célibataires. Le terme de lama signifie seulement « supérieur religieux » et, employé seul, peut n'être rien de plus qu'une expression de respect pour un moine plus âgé. Mais, lorsqu'il est clairement défini par l'adjonction d'un nom ou d'un titre spécial, il peut désigner l'un des plus hauts dignitaires ecclésiastiques du pays, c'est-à-dire le Sa-skya-pa Lama ou le Karma-pa Lama.

Le contenu de la religion tibétaine reçue de l'Inde

Les relations étroites entre religion et politique

Grâce à cet intense esprit d'énergie et d'initiative, la conversion du Tibet au bouddhisme fut plus ou moins achevée au XIIIe siècle. Ce processus long et continu fut le fait d'un grand nombre de lettrés fervents et de religieux dévoués qui avaient peu à peu importé de l'Inde l'ensemble de la tradition bouddhique indienne survivante, elle-même le fruit de dix-sept siècles d'épanouissement sur le sol indien. Depuis le milieu du IXe siècle, il n'y avait pas d'autorité impériale centrale au Tibet ; l'initiative de la propagation du bouddhisme fut donc prise par des familles aristocratiques locales dont la fortune était souvent étroitement associée à celles des grands couvents qu'elles avaient aidé à fonder. Il est important de souligner qu'en dépit de la présence permanente de lettrés et de saints hommes la religion au Tibet était mêlée aux affaires politiques et économiques, de sorte que les différents ordres religieux, et très fréquemment les monastères individuels, trouvaient aisément des causes de discordes, voire de guerres locales, sans rapport avec les intérêts religieux qui étaient à l'origine de leur fondation. La religion tibétaine est un phénomène coloré et diversifié, et les moines sont aussi souvent de valeureux combattants et d'habiles négociants que de pieux religieux.

Le canon bouddhique tibétain

Il ne faut pourtant pas oublier qu'un des traits fondamentaux de la religion tibétaine a été d'avoir en sa possession le vaste patrimoine littéraire, artistique et religieux dont elle hérita de l'Inde in extremis. Le bouddhisme disparut de l'Inde après 1200, et ce qui en subsiste actuellement a survécu sous sa forme tibétaine habilement adaptée. En 1200, le travail de traduction qui s'était poursuivi pendant des siècles était arrivé à son terme, et les Tibétains s'employèrent à ordonner, en un canon spécial qui leur fût propre, les grandes collections d'ouvrages littéraires désormais disponibles en traduction tibétaine. Le travail de collationnement fut mené à bien par un grand lettré et encyclopédiste, Bu-ston (1290-1364), avec maints concours financiers et académiques. Lorsqu'il fut terminé, les lamas de Rin-spungs et de Karma-pa en firent confectionner de belles copies manuscrites. Les originaux étaient conservés au monastère de sNarthang où une édition imprimée fut exécutée au XVIIIe siècle sur des planches de bois gravées (xylographies). Ce grand ouvrage est la « Bible » (biblos) du bouddhisme tibétain. L'édition imprimée de sNar-thang comprend cent volumes d'enseignements faisant autorité, attribués aux Buddhas et connus sous le nom de Kanjur (bKa'-'gyur : « Parole de Buddha en traduction »), et deux cent vingt-cinq volumes de traités, commentaires, enseignements traditionnels, hymnes et poèmes sacrés par des lettrés et religieux indiens ; cette deuxième partie est intitulée Tanjur (bsTan-'gyur : « Traités en traduction »).

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La vinaya

Le Kanjur contient en général trois types d'ouvrages canoniques. En premier lieu existent les livres relatifs à la discipline religieuse, y compris les récits traditionnels et souvent légendaires sur la manière dont le Buddha Sakyamuni transmit ces enseignements à ses premiers disciples. Ces livres sont en concordance avec la règle monastique (vinaya) conservée également dans le canon bouddhique pali de Ceylan, quoique les Tibétains aient reçu le leur d'un ordre religieux bouddhique indien différent, le Mulasarvastivadin, florissant dans l'Inde du Nord-Ouest. Il est important de noter que la vie monastique tibétaine repose exactement sur les mêmes traditions bouddhiques anciennes que celles qui prévalent dans les régions Theravadin de l'Asie du Sud-Est (Petit Véhicule).

Les sutra

Il y a en second lieu un très grand nombre d'ouvrages canoniques connus sous le nom de sutra (discours), qui sont tout à fait différents de ceux que l'on trouve dans le canon pali. Bien que presque entièrement perdus maintenant, les équivalents sanskrits des sutra conservés en pali ont sûrement existé en Inde à une époque donnée. Cependant, lorsque les Tibétains commencèrent à manifester un vif intérêt pour le bouddhisme indien, les anciens sutra avaient été remplacés par de plus récents, adaptés aux idées et aux enseignements de la tradition Mahayana (Grand Véhicule). Ces Mahayana-sutra sont des révélations, souvent faites dans des régions célestes par les Buddhas dans leur forme supraterrestre glorieuse. Ces Buddhas sont tous essentiellement des hypostases du suprême « Corps du Buddha » (dharmakaya) qui s'est manifesté une fois dans le Buddha Sakyamuni. Les plus populaires de ces Buddhas célestes sont Vairocana (l'Illuminateur), Amitabha (Lumière sans borne) et Aksobhya (l'Imperturbable). Ces « discours » exaltent les vertus et pouvoirs des Buddhas et préconisent comme seule voie menant à la bouddhéité le long chemin de formation du bodhisattva (futur Bouddha). Les bodhisattvas qui ont beaucoup progressé sur le chemin de la bouddhéité sont traités comme les équivalents des grands dieux de la dévotion populaire hindoue. Un bodhisattva a fait vœu de sauver toutes les créatures vivantes et de les conduire à l'illumination finale (bodhi), et si, dans le cours de sa longue carrière de multiples réincarnations différentes, il naît comme dieu dans les régions célestes, il est inévitable que les prières qui lui sont adressées avec une dévotion absolue reçoivent une réponse bienveillante. Dans la tradition tibétaine, celui qui est de loin le plus populaire de ces bodhisattvas célestes est Avalokitesvara, le Seigneur qui abaisse sur le monde un regard compatissant. On croyait qu'il pouvait lui aussi s'incarner volontairement dans une forme humaine pour le bien du Tibet. D'autres bodhisattvas favoris sont Manjusri, le Seigneur de sagesse, et Vajrapani, le Seigneur du pouvoir spirituel. Certains sutra traitent de la Grande Déesse-Mère Tara, littéralement la « Salvatrice », qui se manifeste comme la mère humaine de tout Buddha né dans ce monde ou dans un autre et qui se manifesta spécialement pour le bénéfice des Tibétains dans les deux reines chinoise et népalaise qui contribuèrent à introduire le bouddhisme au Tibet au cours du VIIe siècle. Les Prajñaparamita-sutra, ou « Perfection de la sagesse », constituent une section spéciale des Mahayana-sutra. Ils sont parmi les plus anciens, leur création se situant probablement au Ier siècle de notre ère, et ils sont placés dans un cadre pseudo-historique : Sakyamuni discourt avec des disciples choisis, spécialement Ananda et Subhuti, particulièrement révérés dans la tradition Mahayana. Le thème principal de cette section est la doctrine de la vacuité de tous les phénomènes et noumènes, et par conséquent l'identification absolue, du point de vue de la sagesse suprême, des mondes matériels (samsara) et de l'objectif final de leur extinction

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(nirvana). Ces sutra réitérèrent inlassablement sous forme dogmatique, à titre de « Parole de Buddha » révélée, la vacuité de tous les concepts quels qu'ils soient et la nécessité pour le bodhisattva dans son aspiration altruiste de ne se reposer sur aucune base supposée. Il doit donc s'offrir en don pour les autres, mais sans qu'existe la notion d'un sujet qui donne, qui reçoit, ou de don, et sans aucun désir d'acquérir un mérite personnel. Ce n'est qu'alors, par une sorte de contradiction philosophique fondamentale, que son mérite aura des conséquences infinies. Il doit tendre à sauver toutes les créatures vivantes en pleine connaissance de cause quant à leur irréalité sur le plan de la sagesse suprême. Cependant, sans ses efforts, elles ne pourraient jamais être amenées à une prise de conscience de leur propre vacuité essentielle, qui conditionne leur ultime salut et le sien. La philosophie de la négation absolue a pour pendant les enseignements religieux positifs. Par conséquent, sa portée est entièrement différente de celle des théories nihilistes de certains philosophes occidentaux. Cet enseignement de la « Perfection de la sagesse » est sous-jacent à toute la religion tibétaine, à la pratique de la méditation comme aux liturgies récitées en honneur des Buddhas, bodhisattvas et divinités de moindre importance.

Les tantra

En troisième lieu, il existe une grande section d'ouvrages canoniques connus sous le nom de tantra, mot qui signifie littéralement « fils », une fois encore dans l'acception de « fil du discours ». Ces textes étranges, qui représentent la dernière phase du bouddhisme indien, se constituèrent à partir des enseignements oraux de yogin bouddhiques supposés inspirés, que l'on désigne du nom général des « 84 Siddha ». Il n'y a pas d'équivalent européen à siddha, qui signifie « arrivé à la perfection », c'est-à-dire qui s'est parfait dans les catégories de la connaissance et dans les pouvoirs miraculeux acquis par qui accède à la bouddhéité grâce à des méthodes « raccourcies » particulières. Les textes décrivent les différentes divinités, pour la plupart des adjonctions tardives au panthéon bouddhique indien, mais considérées comme hypostases de la nature suprême du Buddha et qui apparaissent dans ces tantra comme les maîtres faisant autorité. Ils décrivent par le menu, mais en général sans ordre cohérent, les sortes de pratiques et de rituels religieux nécessaires pour parvenir à la bouddhéité pendant la durée d'une seule existence. La base philosophique demeure généralement celle des préceptes de la « Perfection de la sagesse », mais ils réintroduisent aussi l'ancienne idée indienne d'un couple divin, masculin et féminin, comme manifestation première de l'existence émergente. La bouddhéité elle-même en tant qu'absolu ultime est conçue comme procédant de l'union de deux éléments primaires, masculin et féminin, définis par la compassion, élément actif, et la sagesse, élément passif. Cette fondamentale « dualité dans l'unité » imprègne toutes les formes d'existence, supérieures et inférieures, et les Buddhas qui sont maintenant représentés symboliquement comme des dieux et des déesses dans une étreinte sexuelle ont comme corollaires sur terre le plaisir sexuel des hommes et des femmes ordinaires. L'une des méthodes utilisées par les yogin tantriques dans leurs aspirations supérieures était un accomplissement sous forme ritualisée, maîtrisée, de l'acte sexuel lui-même. Le rituel exigeait la représentation symbolique des composantes principales de l'existence phénoménale, conçue comme une émanation des éléments premiers, la terre, l'eau, le feu et l'air, issus de l'élément absolu, l'espace, identifié à la vacuité des enseignements de la « Perfection de la sagesse ». Ainsi un cercle d'éléments rituels appelé mandala était tracé pour représenter l'aire divinisée sacrée dans l'enceinte de laquelle le rite devait être accompli. D'autres pratiques furent introduites, comme l'absorption symbolique de certaines catégories de chair, normalement interdites, en vue de mettre en évidence le renversement total des lois normales de l'existence.

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Lorsque les Tibétains importèrent ces enseignements, ils avaient déjà été adoptés en Inde par des moines célibataires à titre de pratiques méditatives puissantes. Certains maîtres en religion, tel Marpa déjà mentionné, étaient des hommes mariés qui avaient le droit d'accomplir légitimement les vrais rites sexuels. D'autres demeurèrent des yogin indépendants et étaient également libres de les pratiquer avec une partenaire spécialement choisie et formée à cet effet. D'autres, comme le célèbre Mi-la Ras-pa, furent fidèles au célibat leur vie durant, bien que leur pratique méditative ait pu être imprégnée de symbolisme sexuel. Ces tantra fournissent aussi les éléments de base de la plupart des liturgies monastiques, et tous les moines et laïcs tibétains sont familiarisés avec les couples divins représentés de manière très vivante sur les fresques décorant les murs des temples.

Une tradition tibétaine indigène

Les pouvoirs miraculeux

Le bouddhisme importé de l'Inde présente une si extraordinaire diversité que les Tibétains n'éprouvèrent aucune difficulté à y incorporer les éléments populaires de leur religion prébouddhique. Leurs prêtres indigènes, les Bon et les gShen, célébraient des rites sacrificiels à des intentions d'ici-bas, pour la prospérité de leurs clients, pour conjurer les esprits malins et anéantir les ennemis. Mais les yogin bouddhiques indiens possédaient tout un répertoire de rites semblables, que beaucoup pratiquaient comme l'aspect matériel de leurs pouvoirs religieux supérieurs. Il convient de rappeler aussi que, dans la plus ancienne tradition bouddhique, Sakyamuni lui-même est souvent représenté en train d'accomplir des miracles, par exemple domptant un éléphant furieux, volant par-dessus les fleuves et organisant des fêtes magiques populaires. Il triomphait souvent de ses adversaires religieux grâce à ses pouvoirs miraculeux supérieurs. De telles croyances ont toujours été une partie essentielle du bouddhisme, et les Tibétains ne corrompaient sûrement pas cette religion en y greffant leurs formes de magie. En même temps, on relève que les maîtres religieux sérieux de toutes les époques et de toutes les traditions ont persisté à enseigner que les pouvoirs miraculeux ne devaient jamais être recherchés comme fin en soi, mais sont légitimes puisque accompagnant normalement une connaissance religieuse supérieure.

Les divinités tibétaines locales

Les Tibétains firent entrer progressivement dans le panthéon bouddhique indien, déjà fort peuplé, leurs dieux locaux favoris, qui furent opportunément réputés convertis à la nouvelle foi. Derechef, ce processus s'opéra constamment tout au long de l'histoire du bouddhisme, depuis les temps les plus reculés où les principaux dieux indiens, Indra et Brahma, y furent introduits comme acolytes de Sakyamuni et où les yaksa ou divinités locales indiennes, probablement les esprits des arbres, furent représentés iconographiquement comme gardiens de ses sanctuaires commémoratifs (stupa). Les Tibétains ne virent donc à juste titre aucune contradiction à admettre leurs dieux des montagnes dans le sein du bouddhisme et à faire de leur culte une partie secondaire des liturgies bouddhiques régulières.

La littérature tibétaine indigène

Plus digne d'attention est la production graduelle d'une vaste littérature bouddhique tibétaine indigène reposant sur les écrits canoniques brièvement décrits plus haut. Cette

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littérature s'exprima sur le double plan savant et populaire. À partir du XIIe siècle, on passe de l'ère des grands traducteurs, qui avaient habituellement œuvré aux côtés des maîtres indiens, à celle des lettrés tibétains. Comme le canon du bouddhisme indien et tous les ouvrages connus d'érudits bouddhiques indiens existaient désormais en tibétain, les Tibétains avaient toute latitude de composer leurs propres commentaires et résumés. Les lettrés de l'ordre religieux Sa-skya furent spécialement actifs pendant les XIIe et XIIIe siècles, et l'un d'entre eux écrivit la plus ancienne histoire qui subsiste du bouddhisme au Tibet. D'autres traitèrent de philosophie, de logique, de grammaire et de poésie, reprenant dans leur propre langue classique les traditions et les méthodes de leurs précurseurs indiens. Un célèbre lama Sa-skya du nom de ‘Phags-pa inventa une écriture pour le mongol, qui a reçu son nom, et rédigea des explications des tantra pour les Mongols que lui et ses confrères étaient en train de convertir. Les lamas bKa'-rgyud-pa se montrèrent tout aussi lettrés, mais produisirent simultanément des genres de littérature plus populaires, reposant sur les traditions que leur avaient transmises les grands yogin indiens qui avaient été des maîtres de Marpa. Des biographies et des collections d'enseignement religieux en vers populaires parurent bientôt sous la signature des principaux lamas bKa'-rgyud. Les biographies de Marpa et de Mi-la Ras-pa existent toutes deux en traduction française. La tradition consistant à dispenser un enseignement religieux sérieux en vers populaires s'est perpétuée comme une préoccupation spécifique des bKa'-rgyud.

La consolidation des traditions des rNying-ma-pa ou « Ordre ancien »

Au cours du XIVe siècle, les rNying-ma-pa ou adeptes de l'« Ordre religieux ancien » rassemblèrent leurs enseignements sous forme littéraire. Au milieu du siècle, le Tibet était redevenu indépendant en fait de la tutelle politique des empereurs mongols de Chine et unifié sous l'autorité d'un noble héroïque lié aux bKa'-rgyud-pa, du nom de Byang-chub rGyal-mtshan. Ce dernier restaura les titres et le costume tibétains à la cour et institua des festivités civiles et religieuses pour le Nouvel An, conformément à des traditions anciennes, qui demeurèrent jusqu'en 1959 les plus importantes fêtes tibétaines annuelles. Dans le cadre de cet effort général de résurrection des gloires du passé apparut au XIVe siècle un ensemble d'ouvrages littéraires célèbres intitulés les bKa'-thang sdelnga (Quintuple Jeu de rouleaux), qui étaient censés avoir été composés à l'ancienne époque royale, cachés pendant la période consécutive de troubles politiques et exhumés récemment. Ces livres, incontestablement écrits en langue archaïque, reposent probablement sur des traditions orales authentiquement anciennes, qui sont cependant en grande partie légendaires. Les thèmes principaux en sont les exploits des anciens rois et des histoires concernant Padmasambhaya, notamment sa lutte victorieuse contre les démons du Tibet et ses amours avec l'une des reines de Khri-srong-lde-brtsan. D'autres renseignements intéressants y sont contenus, tels que des descriptions du culte pratiqué sur les tombes royales, de la construction du monastère de bSam-yas, et même de l'organisation administrative et militaire du Tibet. Il s'ensuivit rapidement une grande avalanche de « textes redécouverts » (appelés gter-ma, « trésors cachés ») du passé. Une autre œuvre importante relevant du même genre est la biographie légendaire de Padmasambhava, le Padma Thangyig, qui existe en traduction française. Pendant cette période, les rNying-ma-pa se constituèrent en ordre religieux séparé, dont toutes les traditions sont centrées sur la personne de Padmasambhava. Ce personnage est unique dans la tradition bouddhique tibétaine. Aux yeux de ses adeptes, il est un grand dieu tantrique plutôt qu'une figure historique ; il se trouve au cœur d'un grand nombre de rituels et de liturgies où il apparaît dans diverses manifestations traduisant différents aspects de sa nature de Buddha. Dans une manifestation quasi-historique, il est connu comme le « Gentil Maître » (Gu-ru zhi-ba), mais il a aussi une forme farouche correspondante : le « Dieu-Tigre ,

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(sTag-lha), divinité tibétaine indigène acceptée par les bouddhistes et les Bon-po. Il apparaît aussi comme le Corps suprême de Buddha dans un cercle complexe (mandala) de divinités appelé l'« Union des précieux » (dKon-mchog spyi-'dus) qui comprend tous les grands Buddhas cosmologiques du centre de l'univers et des quatre points cardinaux, conçus dans des manifestations paisibles et dans des manifestations violentes, avec leurs compagnes, comme l'exigeaient les théories tantriques, et un vaste entourage de bodhisattvas et de déesses gardiennes. Cette liturgie particulière est très souvent célébrée au Tibet au cours des cérémonies funèbres, car l'ensemble de ces divinités représente tous les êtres divins qu'un défunt risque de rencontrer entre sa mort et sa réincarnation suivante. Non seulement les moines officiants ont un pouvoir propitiatoire, mais ils se proposent de guider le trépassé dans sa migration : cernant de plus près la vraie nature des formes divines qui s'offrent à sa vue, celui-ci améliore ses perspectives d'une re-naissance agréable. De même un religieux pleinement exercé, grâce à son intelligence totale des formes divines, peut à sa mort être délivré de la transmigration, donc échapper définitivement au processus d'apparences illusoires qui constituent notre monde.

Les compilations des Bon-po et la grande épopée tibétaine

Tandis que les rNying-ma-pa, comme d'autres bouddhistes tibétains, admettaient volontiers le Kanjur et le Tanjur comme base de leur religion, ils continuèrent à se réclamer de leurs propres traditions. Ils compilèrent donc un Recueil des anciens tantra (rNying-ma'i rGyud-'bum), qui ne figurent pas dans le Kanjur et représentent probablement les premières tentatives non officielles d'introduire le bouddhisme au Tibet à partir du VIIIe siècle. Les Bon-po eux aussi se mirent à « redécouvrir » des textes, prétendument cachés pendant les premiers triomphes du bouddhisme sous le règne du roi Khrisrong-lde-brtsan (seconde moitié du VIIIe s.). Tout comme les rNying-ma-pa, ils compilèrent donc plusieurs éditions d'œuvres qui relatent les activités de leur fondateur gShen-rabs et les doctrines proclamées en son nom. Toutefois, à l'examen, ces doctrines s'avèrent plus bouddhiques que prébouddhiques, et, bien qu'elles comprennent maintes traditions prébouddhiques, les compilateurs du XIVe siècle semblent déjà incertains quant à la signification d'une grande partie des traditions orales qu'ils consignent. Les Bon-po compilèrent aussi des collections de leurs propres tantra, des généalogies de leurs grands sages, et produisirent quelques documents quasi historiques relatifs au Tibet du VIIIe siècle. L'épopée tibétaine de Ge-sar de Ling est une autre grande œuvre littéraire qui prit forme graduellement en assimilant différentes traditions orales locales et en s'imprégnant progressivement d'idées bouddhiques. En dépit de l'existence d'éditions manuscrites et même imprimées par la suite, elle est demeurée au cours des siècles une œuvre essentiellement orale. Sa récitation et son exécution partielle sont confiées à une catégorie spéciale de bardes nomades ; de ce fait, elle se prête à une infinité de variantes et d'inflexions.

Les Bonnets jaunes

Les origines

Au sein de ce monde culturel et religieux de monastères et de sectes qui s'entredéchirent surgit soudain le grand maître Tsong-kha-pa (1357-1419). Il vint au Tibet central du Kukunor en Extrême-Orient et commença par étudier sous les maîtres les plus illustres du temps, appartenant à toutes les variétés d'ordres religieux. Il fut impressionné surtout par le couvent bKa-'gdams-pa de Re-ting, où il eut une vision d'Atisa. Puis, en 1409, il fonda près de Lhasa

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le monastère de Ganden (dGa'-ldan) et veilla à ce qu'y soient observées les règles strictes de discipline monacale. La vie religieuse réformée de ses moines, qui se tenaient à l'écart des intrigues politiques, semble avoir fait impression sur la population de Lhasa, et cette initiative novatrice reçut un appui si ample qu'elle provoqua bientôt la constitution d'un autre ordre religieux. Ses disciples fondèrent deux autres couvents près de Lhasa, Drepung ('Bras-spungs) en 1416 et Se-ra en 1419. Au fur et à mesure qu'ils prirent de l'assurance, ils fondèrent en 1445 un autre couvent, Tashilhunpo (bKra-shis-lhun-po) près de Shigatse, capitale de la province de gTsang, donc en territoire dominé par d'autres ordres religieux. Un lama énergique, dGe-'dun-grub (1391-1475), fut le bâtisseur de la fortune des dGe-lugs-pa (« Conduite vertueuse »). Ceux-ci adoptèrent à des fins cérémonielles le port d'un bonnet pointu jaune, d'où le surnom de « Bonnets jaunes » qui leur fut donné par les Chinois et qui est passé dans l'usage courant en Occident.

À la mort de dGe-'dun-grub fut introduit le système de nomination du hiérarque par réincarnation en un enfant, de sorte qu'il devint rétrospectivement le premier Dalai-Lama. Ce titre particulier, communément employé par les Chinois et les Occidentaux, fut décerné au troisième dalai-lama en 1578 par Altan-khan, le plus puissant chef mongol dans les pays frontaliers situés entre le Tibet et la Chine. Ta-le, écrit dalai par les Occidentaux, signifie simplement « Océan », avec l'implication d'« Océan de sagesse ». Après cette rencontre, les dGe-lugs-pa furent assurés de l'appui mongol, qui fut politiquement très utile lorsque le quatrième dalai-lama fut identifié en un arrière-petit-fils d'Altan-khan. Il était évident que dorénavant les dGe-lugs-pa seraient mêlés comme les autres ordres religieux tibétains à la lutte pour la suprématie politique sur l'ensemble du pays, dont le cinquième dalai-lama s'empara finalement en 1642 avec l'aide militaire des Mongols ; depuis lors, les dalai-lamas ont été les dirigeants en titre du Tibet. Les monastères et les ordres religieux qui résistèrent aux dGe-lugs-pa furent occupés de force et transformés en établissements dGe-lugs-pa. Dans le cadre de ce processus, le Bhoutan, qui faisait jusque-là partie intégrante du Tibet, devint un État séparé, où les sectateurs de l'ordre de 'Brug-pa bKa'-rgyud réussirent à tenir en échec les revendications des dGe-lugs-pa. Au Tibet central, la prépondérance dGe-lugs-pa fut finalement garantie par les empereurs mandchous, qui étendirent leur véritable suzeraineté sur le Tibet à partir de 1721, le dalai-lama étant à la fois leur prêtre personnel et leur représentant politique.

Les changements culturels au Tibet

Pour la première fois depuis le règne des anciens rois de Yar-lung, le Tibet avait renoué des contacts culturels étroits avec la Chine. Sans aucun doute, la différence de langue constituait toujours une barrière importante, mais l'art, l'architecture et spécialement la vie d'intérieur se ressentirent rapidement de la nouvelle influence. Les pièces d'habitation des grands lamas et de l'aristocratie commencèrent à être décorées dans le style chinois, avec des laques et des porcelaines de Chine. Les styles plus libres de la peinture chinoise tendirent à modifier le genre stylisé de la peinture religieuse, que les Tibétains avaient repris précédemment de modèles indiens et népalais. Dès 1411, le canon tibétain fut imprimé à Pékin pour la première fois au moyen de planches de bois gravées. Les Chinois enseignèrent cette méthode d'imprimerie aux Tibétains, qui refusèrent jusqu'au XXe siècle de l'abandonner au profit de procédés plus modernes. Tous les ordres religieux se mirent alors à imprimer les ouvrages écrits de leurs lettrés et lamas par cette méthode. Les dGe-lugs-pa, non contents d'être d'habiles politiciens, possédaient aussi une grande érudition. Le cinquième dalai-lama fut un

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historien et un prodigieux écrivain religieux. Les grands lamas de Tashilhunpo, qui adoptèrent à partir du XVIIe siècle le système de nomination par réincarnation en un enfant, étaient fréquemment de très grands lettrés, et leurs œuvres complètes imprimées selon la méthode tibétaine traditionnelle sont maintenant conservées dans les bibliothèques de Paris, de Londres et d'ailleurs.

Unité essentielle de la tradition religieuse

Bonnets jaunes et Bonnets rouges

Par opposition aux Bonnets jaunes, tous les ordres religieux précédents sont désignés par les Occidentaux sous le nom de « Bonnets rouges », mais ce terme prête à confusion, car il masque grand nombre de différences historiques et religieuses, et, dans l'acception tibétaine authentique, le terme de « Bonnet rouge » se réfère à une secte particulière unique de l'ordre Karma-pa. Il est indubitable que la vie monacale plus austère de l'ordre des Bonnets jaunes, spécialement aux deux premiers siècles durant lesquels son importance ne cessa de croître, eut un effet bénéfique sur les ordres religieux tibétains plus anciens qui, comme les ordres monastiques du Moyen Âge occidental tardif, étaient corrompus par des intérêts politiques et séculiers. Cependant, à partir du XVIIe siècle, lorsque les dGe-lugs-pa commencèrent à partager avec l'aristocratie l'administration générale de la plus grande partie du Tibet, ils furent également contaminés par des questions temporelles. En revanche, les ordres antérieurs, exclus, sauf quelques exceptions, des hautes fonctions administratives, gardèrent un esprit religieux authentique, voué à la prière et à la méditation profonde. Alors que les dGe-lugs-pa se sont acquis une grande renommée en raison de leurs hautes réalisations en philosophie et en logique, disciplines pratiquées dans leurs trois grandes universités monastiques, Ganden, Drepung et Se-ra, près de Lhasa, les ordres plus anciens étaient plus respectés pour leur spiritualité et leurs pouvoirs magiques. Ils avaient également conservé une bien plus grande liberté dans la pratique de la vie monacale, conformément aux traditions qu'ils avaient reçues de l'Inde du Xe au XIIe siècle. Tout en observant les traditions monastiques dans leurs institutions réformées, ils reconnaissaient une égale valeur à la vie religieuse des yogin errants et des pratiquants religieux mariés. Dans bien des villages tibétains et dans les campements nomades, le religieux local peut être un lama marié, versé dans toutes les cérémonies nécessaires que ses clients pourraient requérir de lui. Il faut se rendre compte que la religion tibétaine est plus protéiforme encore que la chrétienté en Europe.

Religion et société

Le bouddhisme tibétain se confondit à un point tel avec la culture tibétaine que le fait d'être tibétain impliquait aussi celui d'être bouddhiste tibétain, et en l'occurrence ce concept englobe nettement les Bon-po. En tibétain, il n'y a pas de terme pour dire bouddhiste proprement dit. Une personne est soit un nang-ba, « homme de l'intérieur », soit un phyi-ba « homme de l'extérieur » ou étranger. Ce dernier terme recouvre aussi bien les musulmans tibétains, qui formaient une communauté à Lhasa, que des étrangers ressortissants d'autres pays. Comme les rares missionnaires chrétiens qui visitèrent le Tibet au début du XVIIIe siècle le remarquèrent rapidement, un Tibétain converti au christianisme était effectivement rejeté en dehors de toute son ancienne société. Il lui fallait nier, par exemple, la nature divine du dalai-lama qui, à partir du Grand Cinquième, fut considéré comme une incarnation humaine spéciale du bodhisattva

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céleste Avalokitesvara. De même, le grand lama de Tashilhunpo était tenu pour une manifestation du Buddha Amitabha, et bien d'autres lamas étaient identifiés à des êtres divins. De ce fait, les Tibétains tendirent à se considérer comme une sorte de « peuple élu », auquel Buddhas et bodhisattvas firent des révélations particulières tout au long de son histoire. Ils faisaient peu de cas des autres pays et des autres peuples, et, tout en étant disposés occasionnellement à reconnaître des incarnations spéciales en des étrangers éminents qui leur avaient apporté de l'aide (c'est ainsi que la reine Victoria d'Angleterre était réputée être une incarnation de Tara la Grande Déesse-Mère), ils supposaient généralement que leur réincarnation individuelle continuerait à se faire au Tibet. Ainsi que dans d'autres pays bouddhiques, la majorité de la population n'aspire pas à une connaissance religieuse supérieure et espère qu'en maintenant un équilibre suffisant de paroles pies elle s'assurera une re-naissance améliorée. Cependant, il a toujours existé une minorité de fervents, qui ont cherché et trouvé un maître religieux valable et qui, sous sa direction, ont fait l'expérience des vérités religieuses bouddhiques les plus hautes : détachement complet des préoccupations mondaines, équanimité absolue et paix intérieure résultant de la connaissance salvatrice. Ils ont assumé la transmission et la perpétuation des traditions anciennes d'une génération à l'autre, et, tant que durera cette succession religieuse, la religion tibétaine ne sera pas confinée aux vastes recueils d'écrits religieux, de peintures et d'objets d'art sacrés qui reposent dans les bibliothèques et les musées européens et américains.

David SNELLGROVE

4. Archéologie et art

Archéologie

La crainte de provoquer le courroux des divinités telluriques dissuada les Tibétains d'entreprendre les fouilles systématiques qui leur auraient permis de connaître leur passé lointain. Seuls les hasards des travaux des champs avaient mis au jour quelques vestiges : premiers jalons publiés par G. Tucci. Depuis les années 1950, des découvertes fortuites, des campagnes de repérage et plusieurs fouilles importantes ont cependant révélé l'existence au Tibet d'un patrimoine archéologique considérable. En de nombreux points du Tibet du Nord, à une altitude moyenne de 4 000 mètres, et dans un site de la région de Ding-ri, à la frontière du Népal, ont été découverts des outils de pierre taillée, qui ont été datés du Paléolithique supérieur et placent le Tibet dans le groupe des cultures « à choppers », celui de l'Asie centrale et orientale. Dans le nord du pays et dans l'actuelle province du Qinghai, de nombreux sites à microlithes témoignent de techniques plus avancées. Des sites néolithiques ont également été découverts, en général sur des terrasses fluviales : à Qugong, près de Lhasa, et dans les vallées du gTsang-po (sites de sNying-khri) et de ses affluents (Yarlung). Le plus important est le site de Karuo, près de Chab-mdo (Tibet oriental) sur le haut cours du Mékong. Maisons semi-enterrées en torchis ou construites en pierre, matériel lithique comportant, outre des outils en pierre polie, des outils en pierre taillée et des microlithes, objets en os, poterie au décor incisé ou imprimé, parfois peint, très différente des

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pièces chinoises contemporaines y témoignent d'un millénaire d'occupation, entre 3000 et 2000 avant notre ère. Les monuments mégalithiques sont nombreux sur l'ensemble du territoire tibétain, sans que les dates puissent en être fixées avec précision, du IIe millénaire avant notre ère aux premiers siècles de celle-ci : tombes marquées par un cercle de pierres, monolithes isolés, alignements, comme l'impressionnant ensemble du lac sPang-gong (Tibet occidental) composé de dix rangs de pierres levées, bornés à l'ouest par deux demi-cercles et trois grands monolithes. De nombreux objets d'art animalier ont été trouvés, dans des circonstances mal connues, sur le plateau tibétain ; ils témoignent des contacts que le Tibet eut de longue date avec des régions parfois très lointaines d'Asie. L'état des recherches ne permet pas encore de dater avec précision l'apparition de la métallurgie au Tibet central. On a cependant trouvé dans le Qinghai, région qui fut au contact des cultures du cuivre et du bronze du nord-ouest de la Chine, des objets en métal dont les dates s'échelonnent entre le IIe millénaire et le Ve siècle avant notre ère. Du Qinghai au Ladakh, des pétroglyphes ont été relevés en grand nombre ; certains paraissent très marqués par l'influence Saka. Les datations, à partir du VIe siècle avant notre ère, restent très imprécises. Si l'histoire officielle du Tibet « monarchique » commence au VIIe siècle pour s'achever au IXe, les vestiges de cette époque couvrent une période encore mal définie, mais vraisemblablement plus étendue. En dehors du site des tombes royales de ‘Phyong-rgyas, décrit par G. Tucci notamment, on a découvert depuis les années 1960 de très nombreuses nécropoles, regroupant parfois plusieurs centaines de tombes, en général couvertes d'un tumulus, le plus souvent trapézoïdal. Au Tibet central, où les pillages ont été nombreux au cours de l'histoire, les fouilles n'ont jusqu'à présent mis au jour que des poteries rouges assez rustiques, quelques objets en métal (laiton et fer), quelques outils et pièces d'ornementation. Le site de ‘Phyong-rgyas dans la vallée de Yar-klungs comporte dix tumuli, tombes de huit rois et de deux princes qui moururent entre 650 et 815, que H. Richardson a examinées. Les motifs décoratifs se limitent à un lion de pierre placé sur le tumulus du roi Ral-pa-can ; de style persan, il illustre probablement la sculpture du début de la période bouddhique. Quelques piliers de pierre ornés de soleils, de lunes, de lotus démontrent une influence indienne. Un lion et un dragon rappellent le style chinois, tandis qu'un dessin de feuillage se rapproche de l'Asie centrale. Les textes trouvés à Tun-Huang disent que les dépouilles du roi Srong-btsan-sGam-po et de ses deux épouses, recouvertes d'une feuille d'or, furent placées dans la première tombe de ces tumuli. Ce site fut probablement pillé au IXe siècle. Le règne de Srong-btsan sGam-po (mort en 649) marque la date charnière qui relie le Tibet encore inconnu au Tibet attesté par les textes chinois et tibétains ; il constitue le début de la période historique du pays. À partir du VIIe siècle, l'art tibétain sera caractérisé par une tradition exclusivement bouddhiste, animée par les contacts religieux et politiques avec les pays voisins qui engendreront différentes influences stylistiques. Né autour de Yar-klungs avec la dynastie des rois du Tibet, l'art s'est développé dans les régions du gTsang au sud du pays et du dBus au centre, entre 627 et 837 sous l'influence d'artistes venus de Chine, d'Inde et d'Asie centrale.

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Le meurtre du roi Khri-gtsug-lde-btsan en 836, le refus du bouddhisme proclamé par son successeur Glang-dar-ma, puis des persécutions entraînent l'un des descendants du roi assassiné, sKyis-lde-nyi-ma-mgon, à émigrer au Tibet occidental en 929, créant un royaume indépendant qui sera à son tour subdivisé. Un nouveau style naîtra alors. Ye-she-od, le roi-prêtre qui règne sur Gu-ge, envoie en 970 vingt et un Tibétains au Cachemire. Ils ont pour mission de perfectionner leur connaissance du bouddhisme et de ramener des savants. Seuls deux survivants reviendront sept ans plus tard ; l'un d'eux, Rin-chen-bZang-po, demeurera illustre. Ces hommes sont accompagnés d'artistes qui construiront des monastères. L'art du Tibet occidental sera ainsi marqué par les influences du Cachemire, de l'Himachal Pradesh et du Népal occidental, et prendra le nom de style de Gu-ge. Le nord-est de l'Inde lui apportera une forte tradition Pala. Isolé du reste du Tibet, un art indigène évoluera dans les régions occidentales jusqu'en 1687, date du rattachement du Gu-ge au reste du Tibet. Dans leur recherche du bouddhisme, les Tibétains invitèrent des savants attachés aux grands centres mystiques de Vikramasila et d'Odantapuri (Bihar et Bengale). Atisha, qui réformera le bouddhisme tibétain, arrive au Tibet en 1042. À la fin du XIIe siècle, l'invasion musulmane en Inde entraîne l'extermination du bouddhisme dans toute la région du Nord-Est. Les religieux se réfugièrent alors au Tibet, propageant les doctrines du vajrayana et du Tantrayana, qui inspireront toutes les réalisations artistiques à l'exception des œuvres Bon. Cette seconde diffusion du bouddhisme suscitera la formation d'écoles qui construiront des monastères et les décoreront selon leurs propres traditions religieuses. Les XIe et XIIe siècles représentent la période de formation de l'art tibétain. Les XIIIe et XIVe siècles voient des modifications stylistiques qui déboucheront sur la période classique des XVe, XVIe, XVIIe siècles. Les XVIIIe, XIXe, XXe siècles peuvent être considérés comme une période postclassique dérivant vers une stagnation puis un déclin général de la création artistique. On distingue cinq régions qui ont subi des influences différentes : l'ouest déjà évoqué, particulièrement marqué par le Cachemire ; le gTsang au sud, qui aura des contacts privilégiés avec la vallée de Katmandou au Népal ; le dBus au centre, en relation avec le nord-est de l'Inde ; le Khams à l'est tourné vers la province chinoise du Sseu chouan et l'Amdo au nord-est vers la province chinoise du Gansu.

L'architecture

Architecture civile et militaire

Les sources chinoises mentionnent les importants châteaux que les rois et l'élite de l'aristocratie possédaient au Tibet avant l'arrivée du bouddhisme. Chaque roi construisait son palais que ses descendants abandonnaient à sa mort pour en élever un à leur tour. Les vestiges les plus importants se trouvent dans la région de Yar-klungs, siège de la dynastie. Le donjon de Yum-bu lha-mkar domine un ensemble de ruines sur l'éperon d'une colline rocheuse. De hautes tours destinées à la défense du site étaient construites en blocs de pierre à peine équarris et en briques crues séchées au soleil.

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Le règne de Srong-btsan sGam-po vit l'essor manifeste de l'architecture. Il n'en demeure que des ruines. Le roi fit construire un palais de neuf étages à Pha-bong-kha ainsi que de nombreuses résidences. Ses descendants suivirent son exemple. Les points stratégiques des vallées sont dominés par les vestiges des châteaux-forteresses protégés par des tours de guet rondes ou carrées ; ces défenses furent élevées jusqu'aux XIe et XIIe siècles, période au cours de laquelle s'affirme la suprématie des grands monastères. Ces édifices étaient construits en pierres de taille, jointoyées avec un mortier de terre ou des éclats de pierres. L'épaisseur des murailles garantissait la solidité du bâtiment. Il arrivait que la construction soit faite de gros blocs de terre mêlée de paille, durcis au soleil.

Les édifices religieux

Monastères, temples et mchod-rten représentent l'essentiel de l'architecture tibétaine. Les temples les plus anciens furent construits sous le règne de Srong-btsan sGam-po. Le ‘Phrul-snang, ou Jokhang, parfois appelé la « cathédrale de Lhasa » fut élevé par l'épouse népalaise du roi ; son épouse chinoise construisit le Ramoche. Ces deux temples furent remaniés au cours des siècles. Le Kra ‘brug dans la vallée de Yar-klungs constitue la plus grande fondation de ce monarque. Une floraison de monastères apparaît sous le règne de Khri-srong lde-btsan. Le premier d'entre eux, bSam-yas, fut consacré en 775. Les trois étages de son sanctuaire principal, inspiré, selon la tradition, par celui d'Odantapuri au Bihar, furent réalisés respectivement selon les styles tibétain, chinois et indien. Autour du sanctuaire principal se dressent de nombreux bâtiments annexes suivant un plan qui représente un mandala. La chronique de dPa‘-bo gTsug-lag ‘Phreng-ba (1504-1566) nous apprend que Khri-lde-srong-btsan construisit, vers 776, un temple de neuf étages à sKar-chung, dans les styles tibétain, khotanais, chinois et indien, avec la collaboration d'artistes venus de ces pays. Son fils, Ral-pa-cen, suivit cette tradition. Lorsque, persécutés par Langdarma, les bouddhistes se réfugièrent au Tibet occidental, Rin-chen-bzang-po et ses successeurs construisirent les chapelles de Mang-nang, sTod-gling en 996, Tsaparang, Kojarnath qui inspireront dans le gTsang les constructions de Iwang, Samada, gNas-gsar. Ces temples, ou lha-khang, sont généralement de petits édifices de plan rectangulaire, comportant parfois en façade un atrium soutenu par des piliers de bois. L'autel et l'image consacrée se trouvent à l'intérieur et au fond de la pièce, décalés du mur afin que le visiteur puisse tourner autour de la statue, selon le rite. Les ensembles monastiques renferment plusieurs lha-khang. Mang-nang, par exemple, en compte quatorze. Le développement des écoles bouddhiques à partir du XIIe siècle et la prééminence successive de certaines d'entre elles entraîneront la construction de monastères qui deviendront de véritables cités édifiées autour du sanctuaire le plus important. Là se réunit l'assemblée des moines pour les prières quotidiennes et pour les grandes fêtes religieuses. Séminaires, collèges, demeures d'abbés se trouvent groupés en un gigantesque ensemble. C'est le cas de Rva-Grengs construit pour les bKa‘Gdamspa en 1056, de gDan-sa-mthil pour les bKa‘-rgyud-pa, de ‘Bri-gung (1179) pour les ‘Bri-gung-pa où vivaient huit cents moines, de sTag-lung pour les sTag-lung-pa (1185), de Rva-lung pour les ‘Brug-pa (1180). Un exemple

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frappant est celui de Sa-skya, fondé en 1073 ; il donnera son nom aux Sa-skya-pa, qui dirigeront le pays de 1260 à 1354. Ceux-ci subiront l'influence du Népal et de la Chine, ce qui explique l'introduction de toits superposés de type chinois ; le temple de Zha-lu dans le gTsang en est l'exemple le plus caractéristique. L'avènement des Dge-lugs-pa entraîne la fondation entre 1409 et 1447 des monastères de Dga-lden (1409) de ‘Bras-spungs (1416), de Se-ra (1419) et de Bra-shis-lhun-po (1471) dans les provinces du dBus et du gTsang Chab-mdo, ainsi que de celui de Li-Thang dans le mDo-Khams. Le cinquième dalaï-lama, en réalisant l'unité du Tibet, conduisit l'architecture à son apogée avec la réalisation du Potala en 1653. Construit sur une colline dominant Lhasa, cet édifice monumental est en harmonie avec l'ampleur du paysage. Le Potala est une création unique, qui donne une impression de grandeur et de puissance. À l'image des hommes qui conçurent l'accès aux temples grecs, l'architecte a le sens du cheminement et de la découverte successive de points de vue. Ce principe se retrouve en particulier dans la montée progressive des plans jusqu'au toit. Les terrasses qui couvrent les bâtiments sont ornées avec richesse d'objets rituels dorés, qui constituent d'admirables premiers plans. Au Tibet, l'ancrage des constructions sur un terrain escarpé conduit souvent à des compositions articulées. Le Potala en est un excellent exemple. Les bâtiments sont implantés de telle manière que les façades s'inscrivent dans une courbe. Le jeu des horizontales et des obliques, provenant du fruit des différentes constructions, est magistralement traité. Les façades successives se déploient en légers décalages et changements d'orientation les unes par rapport aux autres, les ombres s'associent ainsi aux grandes lignes directrices du bâtiment et créent un effet saisissant de tracés obliques. Le traitement très libre de la composition a permis d'aménager de remarquables accès, en particulier le grand escalier. Le décor est en parfaite harmonie avec l'architecture. Sur les façades, le jeu des couleurs qui résulte de l'association de la pierre et de la brique, du bois et d'ornements dorés est d'une grande beauté. Les installations intérieures sont de la même qualité, en particulier les admirables cours qui, selon des conceptions très hardies, peuvent être abritées l'hiver par une toiture de feutre amovible. Les encadrements de fenêtres donnent à ces bâtiments d'une austère simplicité un rythme remarquable. L'usage abondant du bois dans un pays si pauvre en arbres est saisissant. La parenté entre les monastères tibétains et ceux du mont Athos est frappante. Cet usage du bois est très ancien comme en témoigne le porche du temple de Samada dans le gTsang - avec ses étages de chapiteaux, de linteaux, de corbeaux, d'architraves et de larmiers -, bon exemple de l'architecture en bois des XIe et XIIe siècles. À l'intérieur de toute construction, les étages supérieurs et les toits sont soutenus par des piliers et des colonnes de bois. Les plafonds, généralement constitués de planches entrecroisées recouvertes de plusieurs couches de pierres alluviales et de terre, sont souvent plaqués de caissons peints ou sculptés, embellis de figures animales ou humaines. Le hall principal du Jo-Khang illustre cette technique. À Tsaparang, le plafond du temple blanc est formé de bandes décoratives qui sont les plus raffinées de tout le Tibet occidental. Elles renferment des figures de divinités ainsi que des motifs floraux et géométriques. Au temple rose, les pilastres sculptés témoignent du rattachement de l'art de Tsaparang à l'école du Cachemire.

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Tous ces motifs sont peints, parfois ornés des thèmes symboliques du bouddhisme. Les mchod-rten correspondent aux stupa de l'Inde. Ces édifices, conçus pour contenir les cendres du Buddha, ont conservé leur caractère de reliquaire et leur signification symbolique de mandala. Des huit formes de stupa venues de l'Inde, les plus communes au Tibet sont : le byang-chub mchod-rten, ou mchod-rten de l'illumination, comportant une base carrée reposant sur un ou plusieurs gradins, un bum-pa, ou marmite de forme arrondie surmontée de sept ou de treize parasols réunis par un pivot et surmontés des symboles du soleil et de la lune ; le mchod-rten de la descente du ciel caractérisé par ses escaliers construits sur une ou sur quatre faces ; enfin le mchod-rten aux multiples portes qui renferme des chapelles communicantes disposées sur plusieurs niveaux et conduisant à la cella, consacrée, au sommet, aux divinités ésotériques. Les murs des chapelles sont couverts de peintures religieuses. Il faut citer, parmi les principaux mchod-rten, ceux qui furent construits au XIIIe siècle dans un défilé entre Jonang et gZhi-ka-rtse, le mchod-rten de rGyang, près de Lha-rtse, celui de Jonang construit au XIVe siècle, sans oublier celui de sNar-thang, celui de rGyal-rtse, le plus important du Tibet (1427). On trouve souvent des rangées de ces édifices, de petite taille, au voisinage des lieux sacrés ; d'autres, ouverts à la base, tiennent lieu de porte. La coutume de construire cent huit mchod-rten se rencontre principalement au Tibet occidental. Dans cette région, aux environs de mTho-gling, on retrouve une technique proche de celle du Gandhara : des blocs irréguliers, lisses à l'extérieur, sont disposés en assises rectilignes en alternance avec des pierres rectangulaires, les vides étant comblés au moyen de pierres plates.

Les bronzes

Les Tibétains sont passés maîtres dans le travail du bronze. Ce métal, li pour les Tibétains, est formé d'alliages divers dans lesquels prédomine toujours le cuivre. D'autres éléments peuvent lui être adjoints : plomb, fer, argent, zinc, antimoine, arsenic et, parfois, or. Des analyses systématiques par absorption spectrométrique ont été réalisées dans les années 1970 sur des prélèvements de 0,01 gramme provenant d'un échantillonnage de statues. Ce travail, joint à une étude approfondie des traités publiés au cours des siècles, ainsi qu'aux travaux de P. T. Craddock, de E. Lo Blue, de W. A. Oddy, de M. Bimson et de S. La Niece, publiés par le British Museum, et à l'ouvrage important de U. van Schroeder, a fait faire des progrès considérables à notre connaissance des bronzes tibétains. La distinction entre bronze rouge, bronze jaune et bronze blanc est aujourd'hui étayée par des analyses précises. Le Tibet est riche en minerais, le cuivre domine dans toutes les régions ; l'argent, le fer et le plomb sont extraits des provinces du Khams et de l'Amdo dont les rivières contiennent de l'or ; l'étain est importé de Chine, de Birmanie et de l'Asie du Sud-Est ; le Bhoutan, l'Inde et le Népal fournissent le zinc et le plomb. L'analyse d'une pièce permet de désigner les mines qui ont fourni ses composantes. Le travail du métal était déjà connu au début de la période historique, un texte des annales Tang donne la nomenclature des présents offerts par les Tibétains aux Chinois : une armure d'or, une oie d'or, une ville miniature, une coupe d'or, etc. Il semble que le Tibet ait acquis dès le IXe siècle la connaissance des techniques utilisées jusqu'à nos jours : celle du moule de terre cuite, de la cire perdue, du repoussé qui exige des métaux malléables (or, argent, cuivre). Cette dernière est utilisée pour les statues de grande taille et pour les décorations architecturales introduites par les artisans newar. Ces objets, de forme compliquée, exigent parfois l'emploi de plusieurs feuilles de cuivre travaillées au

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repoussé puis assemblées par des rivets avant d'être soudées. Certaines parties, tels les pieds, les bras ou différents attributs, sont ajoutées après avoir été sculptées dans le bois et plaquées de métal ou bien fondues selon le procédé de la cire perdue. La statuaire fut introduite au Tibet en même temps que le bouddhisme. La dynastie de Yar-klungs était en contact avec l'Inde et le Népal, et des sculpteurs newar et indiens vinrent travailler au Tibet dès cette période. Rin-chen bzang-po amena du Cachemire vingt-deux artistes. Leur style est illustré par le Buddha de Cleveland (68,3% de cuivre, 20,2% de zinc et 11,5% de plomb). Le canon de cette statue reste proche de celui des Buddha indiens de l'époque Gupta. Le traitement des pectoraux et des abdominaux, très développés, est caractéristique de la statuaire du Cachemire. Le sculpteur népalais Aniko est appelé au Tibet en 1260 en compagnie de quatre-vingts artistes ; il sera plus tard invité à la cour mongole où il travaillera jusqu'à sa mort. Des communautés de Newar sont installées à Lhasa, gZhi-ka-rtse, rGyal-rtse, Sa-skya, Tsetang ; ils fabriquent des sculptures de styles népalais et tibétain. Les Népalais ont une prédilection pour les bronzes dorés au mercure ou à l'or froid. Les bronzes non dorés ont des sources plus diverses, généralement indiennes d'origine Pala ; ils sont quelquefois sertis d'alliages divers. Dorés ou non, les bronzes sont parfois incrustés de pierres précieuses ou semi-précieuses. À l'époque de la dynastie Ming (1368-1435), certaines œuvres montrent une affinité avec les images lamaïstes chinoises, en particulier durant les règnes de Yongle et de Xuande. Les Tibétains sont d'ailleurs responsables de l'introduction du bouddhisme en Chine, et au cours des missions entre le Tibet et la Chine des cadeaux comportant des statues de métal étaient échangés. À partir du XVe siècle, les artistes tibétains ont assimilé les influences étrangères et trouvé leur style propre. Au XVIIe siècle, le cinquième dalaï-lama réunit les bronziers, artisans de père en fils, en guilde, et les installe au pied du Potala. Les statues de taille gigantesque représentent une tradition introduite au Tibet par les épouses chinoises et népalaises de Srong-btsen sGam-po. Parmi les exemples les plus fameux, on peut citer le Buddha du Tokhang et celui de Bkra-shis-lhun-po exécuté en 1914. Les détails des auréoles présentent un grand intérêt aussi bien à sNar-Thang qu'à Sa-skya ou au Jo-Khang. L'art du bronze se révèle aussi sur les toits des temples et des monastères, traditionnellement couverts de cuivre doré, ornés de dragons, de garuda, de makara, de roues de la loi ainsi que de parasols, d'antéfixes et d'épis de faîtage. Enfin, il faut mentionner les stupa de métal, les reliquaires ou dga‘u, les conques richement ciselées, les couvertures de livres, les bijoux qui constituent autant d'exemples de la virtuosité des orfèvres tibétains. Le moindre objet usuel, ceinture, couteau, blague à tabac, bol à thé, est de forme harmonieuse. On trouve également une statuaire en bois, comme au Tibet occidental, à Luk, Tsaparang et mTho-gling ; ces statues sont de style Kaçmiri. À rGyal-rce, dans la salle des arhat, on a un exemple saisissant de sculpture en bois. Les personnages sont représentés en prière, l'expression de leur visage est d'un réalisme frappant. Au Klu-sbug (la grotte des naga) à Lhasa, Buddha et saints personnages sont réalisés en bas-reliefs colorés. Les rondes-bosses en pierre sont rares. En revanche, les créations en terre crue séchée au soleil sont fréquentes, elles sont parfois traitées en miniatures. Les plus intéressantes sont les

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tsha-tsha : objets sacrés porteurs de formules pieuses ou façonnés en forme de mchod-rten ; la terre dont ils sont fabriqués était parfois mélangée aux cendres des défunts ; ce sont en général des objets votifs. Les rondes-bosses de terre sont fréquentes, nous en avons pour exemple le Buddha de terre recouvert de stuc de Mang-nang (XIIe-XIIIe s.), et celui de Zha-lu (XIIIe-XIVe s.). Ce dernier temple présente une particularité intéressante : il a été construit dans le style chinois de l'époque Yuan avec la contribution d'artistes mongols. On peut y rencontrer des bas-reliefs et des ornements de terre vernissée uniques au Tibet.

La peinture

Le panthéon innombrable de la religion bouddhique - Buddha, bodhisattva, divinités paisibles et terribles, dieux gardiens, arhat et saints personnages - est illustré par les peintures murales, les thangka et les manuscrits illuminés. Les plus anciennes peintures tibétaines connues sont les « bannières » de Dunhuang conservées au musée Guimet, au British Museum et au musée de New Delhi. Certaines portent des inscriptions qui les situent entre 781 et 848, période qui correspond à l'occupation de Dunhuang par les Tibétains. Deux styles dominent, l'un d'influence chinoise, l'autre plus nettement népalo-tibétain.

Les peintures murales

La destruction des temples et la remise à neuf périodique de nombreuses peintures pariétales diminuent le nombre des jalons permettant de tracer une évolution artistique. G. Tucci a magistralement traité ce problème. Les peintures les plus anciennes datent du XIe siècle. Elles se trouvent à Man-nang au Tibet occidental, fortement marqué à cette époque par ses contacts avec le Cachemire sous l'impulsion de Rin-chen-bZang-po, ainsi qu'à mTho-gling et Tsaparang. Le style de ces peintures les rapproche de celles du monastère d'Alchi au Ladakh . Tsaparang revêt une grande importance du point de vue artistique, iconographique et historique, particulièrement le temple blanc où le cycle de Vairocana est traité selon un dessin d'une exécution minutieuse. C'est ici qu'apparaissent les germes de l'art tibétain.

Au Spiti, lTa-bo semble un écho à l'art de Qyzyl par les silhouettes aux formes généreuses, les vêtements sassanides que portent les donateurs et par l'utilisation de couleurs lumineuses. Trois périodes se détachent. Après le style cachemire apparaît au XIVe siècle une influence iranienne à laquelle succède un style inspiré par les enluminures des manuscrits moghols. L'influence de l'Asie centrale se fait sentir au mchod-rten de rGyang dans le gTsang construit par un abbé Sa-skya-pa. Le gSer-khang de Zha-lu, jalon important de l'art tibétain, est construit sur deux étages entourés de corridors de circumbulation ; ceux-ci sont ornés des cent moments de la vie du Buddha. Deux courants sont décelables : le style indien se traduit par la division en carrés, les postures ascétiques, les motifs rajput, les vêtements, la composition. De Chine viennent les cavalcades, le traitement des chevaux ; quant aux tuniques, elles sont inspirées de celles d'Asie centrale. De grandes images signées de mChims-pa-bsod-nams-‘bum offrent un avant-goût du style qui trouvera sa maturité à rGyal-rtse dans le sKu-‘bum, édifice dédié à Maitreya et dont les peintures se rapprochent de celles du sKu-‘bum de sNar-Thang. Les silhouettes minces et légères sont enveloppées de draperies richement dorées. L'artiste a assimilé le traitement des paysages tibétains. Deux artistes de

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rGyal-rtse ont signé leurs œuvres à sNar-Thang. La construction des deux sKu-‘bum, contemporaine, est datée de la seconde moitié du XIVe siècle. L'influence népalaise ne se dément pas. Le monastère Sa-skya-pa de Ngor, construit en 1429, fut décoré par des artistes de ce pays ; de nombreux manuscrits enluminés de même origine y ont été retrouvés. Leur pouvoir d'inspiration fut certainement décisif. Les Sa-skya-pa exerceront une grande influence sur la représentation figurée en traduisant par des symboles figurés l'ésotérisme de leur doctrine. Les dGe-lugs-pa feront de même. Les monastères de bSam-yas (très remanié au XVIe s.), de bKra-shis-lhun-po, le Potala, Se-ra, ‘Bras-spungs et ‘dGal‘-dan sont les témoins de la continuité de la tradition artistique jusqu'à la période moderne. Fidèles aux règles iconographiques et iconométriques, les artistes n'en déploient pas moins un talent narratif certain dont témoignent, au Potala, les représentations de danses rituelles, de festivals et de discussions animées entre les moines. Les thangka (littéralement : « objet que l'on déroule ») constituent un élément important de l'art tibétain. Nous ignorons l'organisation des ateliers qui les fabriquaient ; un grand nombre de peintres étaient moines. Les thangka anciens suivent les normes des peintures indiennes. Avec le temps, leur format varie. La partie centrale, rectangulaire, est entourée de bandes de soie orangée ou rouge symbolisant le halo qui émane de la divinité représentée . L'ensemble est encadré de tissus qui sont parfois des soies chinoises. Une pièce d'étoffe incrustée dans la partie inférieure représente la « porte ».

Les thangka peints sont les plus nombreux ; ils sont traités le plus souvent sur toile, parfois sur soie. Les artistes s'aident fréquemment de poncifs. Les couleurs, essentiellement minérales et végétales à l'époque ancienne, sont remplacées à partir du XIXe siècle par des couleurs chimiques importées. Les pigments utilisés sont le jaune d'arsenic, le vert de vitriol, le bleu de lapis-lazuli et des terres d'une grande variété. Le procédé pictural utilisé s'apparente à celui des gouaches occidentales. Il n'est pas rare que plusieurs artistes travaillent à la même œuvre. Les thangka représentent des sujets rituels immuables. Certains composent des cycles iconographiques, tels que la vie du Buddha ou les représentations d'arhat. Ces peintures servent lors des séances de méditation ou de fêtes spécifiques. Mais certaines sont utilisées comme éléments purement décoratifs. Quelques thangka sur soie sont brodés, d'autres reçoivent des applications de petites pièces de soie de couleur découpées puis réunies par un point de broderie ou bien collées sur le fond. Les thangka sont parfois constitués d'une seule pièce de soie tissée à la main. Les œuvres de très grande taille portent le nom de gos-sku. L'une des plus importantes, conservée au Potala, mesure 55,80 m sur 46,81 m. Exécutée à la fin du XVIIe siècle, elle représente le buddha Amitabha. Les thangka peints se distinguent par la couleur de leurs fonds. Certains sont formés de plusieurs tons juxtaposés, d'autres sont unis, rouges, noirs ou or. Les Tibétains distinguent plusieurs écoles, décrites par Kong-sprul Blo-gro-mtha-yas (1813-1899) et reprises par Gene Smith en 1970. Sman-bla Don-grub fonda au Lhobrag l'école Sman-ris au début du XVe siècle. Cette création coïncida avec l'introduction de la poudre de cinabre qui donna le vermillon. L'artiste

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devint éminent dans le gTsang et à Sa-skya. Son style est fortement influencé par la Chine des Yuan. Padma-dKarpo (1527-1592) fut un adepte de cette école. Le XVe siècle vit la naissance du style mKhyen-ris qui recèle une influence chinoise mais diffère du Sman-ris par ses représentations en plans successifs, son goût du détail et son traitement des fonds. Cette école est représentée à la fin du XVIe siècle par les peintres de Ngor. Le mKhyen-ris et le néo-Sman-ris inspireront l'école de Lhasa au XIXe siècle. Le style sGa-bris, influencé essentiellement par la Chine, représente une approche complète de l'art religieux. Cette école est une émanation du Sman-ris classique datant de la seconde moitié du XVIe siècle. Le Byi'u-ris date du XVIe siècle, il est caractérisé par un emploi excessif des couleurs brillantes. La création du néo-Sman-bris est attribuée à un artiste du XVIIe siècle : Chos-dbyings rdo-rje du gTsang. Son style proliféra, mêlé au mKhyen-ris et au sGar-bris. Il est actuellement représenté par les œuvres que des peintres vivant à Lhasa exécutèrent au XXe siècle. Les thangka ne sont jamais signés, ils sont rarement datés. Le plus ancien, selon P. Pal, est daté de 1479 ; exécuté au Tibet central, il représente Vajranairatma et est conservé au musée de Boston. Le British Museum possède une représentation des Pañcaraksa peinte en 1662. Antérieur mais non daté, le grand thangka d'Amitayus du musée de Los Angeles, probablement peint au XIIIe siècle dans le monastère de Iwang au Tibet méridional, est caractérisé par ses silhouettes souples et allongées, sa richesse de nuances. Il évoque par son style des peintures retrouvées au début du siècle à Kara-Khoto, ville de la Mongolie-Intérieure détruite en 1227 par Gengis khan. Le traitement en cercles concentriques se rapproche du canon indien Pala, mais les influences khotanaises sont évidentes dans les détails des coiffures et des ornements. Du point de vue stylistique, l'évolution des thangka suit celle des peintures murales. Les expositions organisées à New York (Asia House, 1969), à Paris, « Dieux et démons de l'Himalaya », au Grand Palais en 1977, ont permis de réunir un grand nombre d'œuvres et de les comparer. Dès le XIVe siècle, les artistes tibétains ont trouvé un style personnel. Ils font preuve d'un sens parfait de la composition, et groupent avec harmonie les personnages, les paysages et l'architecture. Leur rigueur se traduit dans la composition des mandala, leur verve dans les peintures de sacrifices qui représentent des offrandes symboliques aux divinités protectrices - telle cette œuvre du Rijksmuseum voor volkenkunde de Leyde dédiée à dPal-ldan lha-mo que l'on voit recevant des peaux humaines et animales fraîchement dépecées -, leur poésie dans le portrait de Mi-la-res-pa conservé au musée Guimet. À l'immense complexité de la philosophie tibétaine correspond l'immense variété des expressions artistiques qui en sont le support.

Chantal MASSONAUD

Bibliographie   :

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XINJIANG

Le pays que les Occidentaux appelaient le « Turkestan chinois » est devenu en 1884 la province chinoise du Xinjiang et constitue, depuis 1955, l'une des cinq « régions autonomes » de la république populaire de Chine : la région autonome ouïgoure du Xinjiang. Les oasis et les déserts de cette vaste région de Chine occidentale ne sont donc intégrés de façon permanente à l'État chinois que depuis le XIXe siècle. Mais la pénétration militaire et commerciale chinoise, bien qu'intermittente, y est beaucoup plus ancienne. Le Xinjiang occupe une place à part dans le monde chinois. Peuplé principalement de minorités ethniques (Turcs Ouïgours, Kazakhs), il a été le siège jusqu'en 1949 de conflits entre ces minorités et la

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politique centraliste du gouvernement (impérial ou républicain). Le régime populaire instauré en 1949 a tenté de mettre fin à ces conflits en pratiquant une politique d'autonomie régionale. Toutefois, le Xinjiang était en même temps, depuis le XIXe siècle, l'objet des convoitises russes, auxquelles Staline n'avait pas renoncé et que le conflit sino-soviétique avait ravivées depuis 1960.

Mais la normalisation des relations sino-soviétiques entreprise au cours des années 1980 a mis un terme à cette tension ; par contre, les problèmes intérieurs demeurent : « nationalismes » ouïgour et kazakh, état de sous-développement d'autant plus mal ressenti que les provinces orientales de la Chine sont en plein essor.

Pierre TROLLIETÉvelyne COHEN

Le milieu naturel

La plus occidentale des régions de la Chine, le Xinjiang, en est aussi la plus vaste unité administrative (1 646 900 km2) et, avec 15 155 778 habitants au recensement de 1990, la moins densément peuplée (9,2 hab./km2), après le Tibet (1,8 hab./km2) et le Qinghai (6,2 hab./km2). Le Xinjiang est constitué de deux immenses bassins (ou hautes plaines) séparés par la partie orientale d'un des systèmes montagneux les plus vastes du monde, la chaîne des Tianshan, qui s'allonge sur quelque 1 500 km d'ouest en est, sur une largeur de 200 à 300 km. Les Tianshan sont formées de horsts gigantesques (de 4 000 à 5 000 m d'altitude ; matériel cristallin et métamorphique calédonien et hercynien) constituant quatre lignes de faîte qui se succèdent du nord au sud, séparées par de profondes vallées longitudinales, fossés tectoniques, dont les deux plus remarquables sont la vallée de l'Ili (Yili) à l'ouest, qui occupe environ 9 000 km2 à 700 m d'altitude moyenne, et la fosse de Tourfan à l'est, qui se creuse à plus de 150 m au-dessous du niveau de la mer et qui s'étend sur 4 000 km2. Par leur altitude et leur orientation, les Tianshan sont la région la mieux arrosée du Xinjiang, avec 400 à 700 mm annuels apportés par les vents d'ouest en été ; mais c'est là un total encore bien médiocre, aussi la forêt n'y occupe-t-elle qu'une place limitée : forêt de mélèzes sibériens, puis de sapins, entre 1 800 et 2 500 m, à laquelle succède la prairie alpine, tandis que tout l'étage inférieur est occupé par une steppe buissonnante à genévriers. Les deux immenses bassins qui s'étendent au nord et au sud des Tianshan sont des dépressions tectoniques de l'ère primaire dont la subsidence est allée en s'accélérant à partir du Tertiaire : le socle est enfoui à 8 et même à 12 km de profondeur sous le matériel secondaire et tertiaire recouvert de dépôts quaternaires, puis de sables et de cailloutis plus récents. Au nord, le bassin de Dzoungarie couvre 380 000 km2 et s'abaisse d'est en ouest, de 750 m à 190 m au lac Ebi Nor ; au centre du bassin s'étend un désert de sable bordé de cônes de déjection où apparaît une formation végétale discontinue avec prédominance d'armoise, à laquelle succède plus haut une végétation steppique. Les deux brèches ouvertes à l'ouest dans le puissant encadrement montagneux de la Dzoungarie, la vallée de l'Irtych et surtout le défilé des portes de Dzoungarie, permettent le passage de courants d'ouest qui apportent quelques pluies d'été (total annuel : de 250 à 300 mm) ; mais le climat y est rude : les hivers sont longs

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et rigoureux (moyenne de janvier : - 15 0C) et les étés courts, la moyenne de juillet ne dépassant pas 20 0C. Au sud, le bassin du Tarim est plus vaste et plus élevé (près de 500 000 km2 à 1 000 m d'altitude moyenne), et les massifs des Tianshan au nord, du Pamir (7 000 m) à l'ouest et des Kunlun au sud lui font un écran climatique, si bien que le total annuel des précipitations y est inférieur à 100 mm, pour se réduire pratiquement à néant au cœur du bassin, tandis que le régime thermique en traduit l'extrême continentalité (moyenne de janvier : de - 8 à - 10 0C ; moyenne de juillet : 26 0C). La majeure partie de ce bassin est occupée par le désert de Takla Makan, qui s'étend sur 370 000 km2 et constitue le plus grand désert de sables mouvants du monde ; à l'est s'ouvre la dépression du Lob Nor, lagune mouvante qui couvre 3 000 km2 et où vient se perdre le Tarim, rivière endoréique de plus de 2 000 km alimentée par les eaux des Tianshan ; ce réseau hydrographique s'accompagne des seules formations végétales du bassin : rubans de taillis de 5 à 50 km de largeur constitués de tamaris et de peupliers résineux. Le contact entre le bassin et les chaînes bordières se fait par un talus de piémont édifié par les éboulis des massifs, où s'infiltrent les eaux, et qui surplombe des cônes de déjection recouverts de loess. C'est là que s'est fixé l'essentiel du peuplement.

Pierre TROLLIET

Histoire

Sous le contrôle de l'Empire chinois

La dynastie Han, qui envoya dans cette région les armées du général Pan Chao, y établit en 91 après J.-C. le contrôle chinois sur le bassin du Tarim (Kachgar, Kotan...). Ces postes furent évacués par la suite, devant les offensives des Huns. La dynastie Tang effectua au VIIe siècle la reconquête de cette région, où s'était installé un peuple turc, les Ouïgours (Uigur). Les Chinois y établirent les « quatre garnisons » ; l'Empire chinois s'étendait jusqu'au lac Balkach et jusqu'à Samarkand. Cependant, les conquérants arabes, au siècle suivant, battirent les Chinois à Talas (751), ouvrant la voie à l'islamisation des Ouïgours, jusque-là nestoriens. Pour longtemps, le pouvoir chinois était rejeté à l'est, au profit de principautés turques autonomes. Les relations du Xinjiang avec la Chine se bornaient désormais au commerce, au passage des caravanes de la « route de la soie », aux contacts religieux aussi ; l'islam, depuis les oasis du Tarim, pénétra peu à peu dans tout le nord-ouest de la Chine, jusqu'au Gansu et au Shanxi. Au XVIIe siècle, cette région passa sous l'autorité de tribus mongoles, les Eleuthes, les Dzoungares, contre lesquelles l'empereur Qianlong prit l'offensive. Les Dzoungares furent exterminés après plusieurs campagnes sévères (1755-1757). La région, désormais nommée « nouveaux territoires » (xin jiang), passait définitivement sous le contrôle de l'Empire chinois, qui s'étendait alors jusqu'aux districts de l'Ili, loin à l'ouest de l'Altaï. Les peuples autochtones islamisés (Ouïgours, Kazakhs, Kirghiz, Tadjiks - dont beaucoup appartenaient à des groupes ethniques présents aussi de l'autre côté de la frontière, dans la région qui allait devenir au XIXe siècle le Turkestan russe) devaient cohabiter désormais avec des émigrants chinois, temporaires ou définitifs : des officiers et sous-officiers en garnison ; des marchands venus échanger le thé, les cotonnades, les soieries contre les chevaux des steppes (ils étaient également usuriers) ; des bannis (pour crime de droit commun, et aussi pour dissidence politique ou idéologique) ; des paysans enfin, qui progressent constamment à partir du « corridor du Gansu ». Mais cette implantation chinoise resta longtemps très

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minoritaire. L'autorité chinoise se bornait à la présence militaire et à la suzeraineté sur des chefs féodaux locaux, les beg, investis par Pékin. De la capitale à Kachgar, les courriers de la poste impériale mettaient six semaines par les relais de chevaux les plus rapides.

La révolte de Yakub-beg

L'autorité de la dynastie mandchoue était mal supportée par les Ouïgours. Les révoltes sont fréquentes dès le lendemain de la conquête (1758-1759, 1765). En 1825, un prince ouïgour, membre d'un clan réputé descendant de Mahomet, Jehangir, dirige un mouvement de sécession qui dure trois ans et entraîne les oasis de Kachgar et de Yarkand. En 1865, Yakub-beg, membre du même clan, prend la tête d'un soulèvement beaucoup plus important par sa durée, son ampleur, ses implications internationales. Yakub-beg était soutenu non seulement par l'aristocratie féodale locale, mais par tout le mouvement populaire ouïgour, dressé contre l'autorité impériale et ses pratiques répressives ; il bénéficiait aussi de l'appui d'une secte musulmane, la « Montagne blanche ». Vers 1873, il était maître des oasis au sud des monts Tianshan et de tout le bassin du Tarim. Il avait envoyé une mission auprès du sultan de Constantinople, qui lui avait conféré une sorte d'investiture en tant que « prince de Kachgarie ». Il était également en relation avec les autorités britanniques de l'Inde, qui lui avaient envoyé une mission quasi officielle en 1870 (Forsyth) et avaient signé avec lui un traité commercial en 1874. Mais l'insurrection ne résista pas à la contre-offensive des armées chinoises. Zuo Zongtang, un haut fonctionnaire qui avait dirigé la répression du mouvement des Taiping et qui venait de reconquérir la Chine du Nord-Ouest (Shanxi-Gansu) soulevée par une autre insurrection musulmane, réoccupe en 1877-1878 tous les territoires insurgés du Xinjiang. Yakub-beg et ses partisans sont éliminés. La répression fait des centaines de milliers de victimes. Yakub avait aussi obtenu des appuis du côté de la Russie et signé avec elle un traité en 1872. Avec la poussée des impérialismes européens en Asie centrale (les Russes à partir de Khiva et de Bokhara, les Anglais depuis le Cachemire), le Xinjiang excitait en effet les convoitises des uns et des autres. La Russie, mieux placée, avait profité de l'insurrection de Yakub-beg pour occuper en 1871 les territoires chinois de la vallée de l'Ili, en direction du lac Balkach. La Chine, d'abord contrainte de signer en 1879 le traité de Livadia et de reconnaître purement et simplement le fait accompli, signa en 1881 à Saint-Pétersbourg un second traité encore bien « inégal » : la Russie la contraignait à payer une lourde indemnité, bien que victime de l'agression, et elle n'obtenait la rétrocession que d'une partie du territoire de l'Ili. Pendant toute la fin de la période impériale, jusqu'en 1911, la pression tsariste se maintint. La Russie imposa l'« ouverture » à son profit des principaux centres commerciaux du Xinjiang - Hami, Ouroumtsi, capitale de la province, Kachgar - et y installa des « consulats » dotés de gros moyens politiques, militaires et financiers.

Un « quasi-protectorat » soviétique

Avec la révolution républicaine chinoise de 1911 et la révolution soviétique de 1917, le régime intérieur fut bouleversé profondément des deux côtés de la frontière, mais sans que cela mette fin au mouvement de pénétration russe au Xinjiang. La Chine, depuis la chute de Yuan Shikai, était soumise au despotisme provincial des « seigneurs de la guerre », et le Xinjiang ne faisait pas exception. Yang Zengxin, qui avait remplacé en 1912 le dernier gouverneur mandchou, signa en 1924 des accords commerciaux particuliers avec la Russie, prévoyant la création de nouveaux consulats. En 1931, son successeur Jin Shuren accepta à son tour l'arrivée de missions commerciales russes dans les huit principales villes du Xinjiang.

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Il était également prévu que le télégraphe et la radio seraient placés sous le contrôle conjoint des autorités soviétiques et des autorités chinoises provinciales. Le pouvoir du gouverneur Jin était toutefois aussi fragile que celui des autres seigneurs de la guerre chinois de l'époque. Il s'était rendu très impopulaire auprès des Ouïgours par ses impôts, ses monopoles commerciaux, les exactions de sa soldatesque. Il encourageait les paysans de son Gansu natal, victimes de la famine, à occuper les meilleures terres des Turcs ; en 1930, il supprima l'autonomie de la dernière principauté turque de la région, celle de Hami. La révolte éclata en 1931, ouvrant une période de luttes politico-militaires confuses au cours de laquelle s'affrontent maints adversaires : l'armée de Ma Zhongying, Chinois « doungane » (musulman), du Gansu, qui, rêvant d'un nouvel empire de Tamerlan et assisté de conseillers turcs et japonais, envahit deux fois le Xinjiang en 1931 et 1933 ; les forces du général russe blanc Antonov, repliées en Chine depuis la fin de la guerre civile en U.R.S.S. ; les autonomistes ouïgours, dirigés par le chef tribal Khoja Niaz, qui tentent en 1933 de proclamer une « république du Turkestan oriental » dans le Tarim ; le gouvernement de Nankin, qui envoie à deux reprises de hauts fonctionnaires du Guomindang, sans réussir à réaffirmer sa suzeraineté ; les troupes de Sheng Shicai, ancien officier des armées nationalistes de Canton en 1926, qui joue son propre jeu et finira par l'emporter ; l'Union soviétique enfin, qui soutient Sheng à la fin de 1933, bien qu'il se soit initialement appuyé sur les Russes blancs. En effet, Staline redoute qu'un succès de Ma Zhongying n'aboutisse à la formation d'un État musulman d'Asie centrale lié aux gouvernements anticommunistes de Tokyo et d'Ankara. Sheng Shicai gouverne pendant dix ans un Xinjiang ayant rompu pratiquement tout lien avec Nankin et devenu un quasi-protectorat soviétique. Un accord de coopération économique comportant un prêt de 5 millions de roubles-or est conclu entre Ouroumtsi et Moscou en 1935 ; en 1940, Sheng signe un accord minier qui concède aux Soviétiques pour cinquante ans l'exploitation du sous-sol du Xinjiang. Dès la guerre avec le Japon (1937), le 8e régiment soviétique était stationné en permanence à Hami sous uniforme chinois. Sheng, qui avait adhéré en 1938 au Parti communiste soviétique, se réclamait des « six grandes politiques » (anti-impérialisme, amitié avec l'U.R.S.S., égalité entre les nationalités, gouvernement propre, paix, reconstruction). Au début de la guerre, il entre également en relation avec Yan'an et accepte des conseillers politiques communistes de haut rang : l'économiste Mao Zemin, jeune frère de Mao Zedong, et le vétéran Chen Tanqiu, un des fondateurs du Parti communiste chinois en 1921. Mais, en 1942, estimant le communisme à la veille de la défaite, Sheng se rallie au Guomindang et fait assassiner Mao, Chen et leurs collaborateurs. En 1944, il tente in extremis un dernier revirement en direction de Staline, auquel il offre l'annexion du Xinjiang ; mais il doit s'effacer. Le Guomindang reprend le contrôle du Xinjiang. Le gouvernement autoritaire de Sheng Shicai avait lourdement pesé sur les populations autochtones. Dès le lendemain de la chute de Sheng, une rébellion des Ouïgours et des Kazakhs aboutit à la proclamation de la « république du Turkestan oriental », soutenue discrètement par l'U.R.S.S., protectrice de Sheng jusqu'en 1944 et qui fait ainsi une complète volte-face. Un Ouïgour qui avait étudié en U.R.S.S., à Tachkent, et était sans doute déjà communiste, Saifudin, dirige les « Jeunesses de l'Ili ». Nankin, dont le pouvoir en Chine propre est chancelant, essaye d'abord de louvoyer. Un haut dignitaire du Guomindang, Zhang Zhizhong, installe à Ouroumtsi en 1946 un gouvernement de coalition où entrent Saifudin et d'autres autonomistes ; l'U.R.S.S. a discrètement accordé sa médiation. Mais les rebelles rompent à nouveau avec le Guomindang en 1947, alors que la guerre civile a repris dans toute la Chine. Acculé, Nankin nomme gouverneur en 1948 un des chefs autonomistes, Burhan, ancien commerçant qui avait aussi étudié à Kazan et à Berlin. Cependant, cette concession

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tardive est inutile. En 1949, tout le mouvement de l'Ili se rallie à la coalition de « nouvelle démocratie » dirigée par les communistes et se solidarise avec l'armée populaire de libération. Quand celle-ci entre au Xinjiang en octobre 1949, les principaux leaders politiques de la province se rallient à elle : d'une part Burhan, Saifudin et les autonomistes ouïgours, d'autre part Zhang Zhizhong, commandant en chef des troupes du Guomindang sur place.

Le Xinjiang, « région autonome »

Le Xinjiang, intégré complètement dans la république populaire de Chine depuis 1949, est passé depuis lors par les mêmes étapes que les autres régions du pays : « reconstruction », premier quinquennat sur le modèle soviétique, secousses des Cent Fleurs et du Grand Bond en avant, lutte « entre les deux lignes » de 1961 à 1966, révolution culturelle. Pourtant, son évolution présente un certain nombre de caractères originaux qui ne sont pas seulement dus à son éloignement, à son immensité, à son climat quasi désertique. Trois particularités se dégagent : la coexistence de minorités nationales à la personnalité très accusée (Ouïgours, Kazakhs...) et d'émigrés chinois de plus en plus nombreux a créé des contradictions réelles ; les problèmes économiques, d'autre part, se sont posés au Xinjiang avec acuité du fait qu'en 1949 le pays était à peine touché par l'industrie moderne ; enfin, la proximité de la frontière soviétique a fait du Xinjiang un foyer privilégié des rapports sino-soviétiques, qu'il s'agisse de collaboration ou de conflit. Ces trois caractères fondamentaux du Xinjiang communiste - multinationalité, construction économique et voisinage soviétique - ne sont d'ailleurs pas indépendants les uns des autres. La construction économique, entraînant la formation d'une assez nombreuse classe ouvrière, a accentué le décalage entre les émigrés Han et les populations autochtones ; les exigences de la production industrielle étaient souvent incompatibles avec des coutumes héritées du Moyen Âge musulman : réclusion des femmes, long repos du Ramadan, etc. Par ailleurs, la construction économique, selon qu'elle s'orientait ou non sur le modèle industriel stalinien (priorité à l'industrie lourde, par exemple), impliquait des rapports économiques très variables avec l'Union soviétique, tantôt très étroits, tantôt très lâches. La question des nationalités n'était pas non plus séparable des rapports avec l'U.R.S.S., dans la mesure où les mêmes peuples, le plus souvent, habitent des deux côtés de la frontière, usant des mêmes langues et des mêmes écritures, se référant aux mêmes traditions culturelles ; ce qui était initialement un lien supplémentaire très vivant devenait, en période de crise, la source de sévères frictions. Sur les huit millions d'habitants que comptait le Xinjiang en 1970 (cinq millions en 1953), les Han ne représentaient qu'une petite minorité, même en y ajoutant les quelque 100 000 émigrés arrivés de Chine centrale depuis la Libération : jeunes pionniers, anciens soldats, intellectuels et cadres venus soit volontairement, soit sous le coup d'une sanction. Mais, en 1959, plus de la moitié des 130 000 membres du Parti communiste de la province étaient des Han. En 1955, le Xinjiang cessa d'être une simple province, pour devenir une « région autonome » aux pouvoirs beaucoup plus larges. La campagne de « rectification » de 1957 (appel à de larges critiques) ouvrit la voie à de nouvelles revendications des milieux nationalistes locaux (création d'un « Uighurstan »), que Pékin dut bloquer brusquement en dégradant des milliers de cadres et plusieurs hauts dirigeants ouïgours (dont le maire d'Ouroumtsi). Avec la rupture sino-soviétique, l'application de la politique d'autonomie des minorités devint plus délicate encore. L'alphabet cyrillique, introduit en 1956 à la place de l'alphabet

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coranique désuet, fut remplacé dès 1959 par l'alphabet latin. Les dénonciations des tendances nationalistes et séparatistes qui subsistaient se firent plus sévères à partir de 1959. En 1964, Saifudin accusa l'U.R.S.S. d'organiser le départ de dizaines de milliers de nomades (surtout kazakhs) de l'autre côté de la frontière ; cela soulignait la précarité des rapports entre le pouvoir central de Pékin et certaines minorités. Sur le plan économique, le bilan du nouveau régime est considérable. De 1949 à 1969, les terres irriguées ont doublé, ainsi que la production de céréales par tête. Les progrès de l'industrie sont encore plus nets, notamment pour le pétrole et le charbon. En 1957, l'industrie représentait 27% de la production du Xinjiang contre 5% en 1949. La croissance économique, à l'époque du premier quinquennat, se confondait avec le resserrement des liens économiques avec l'U.R.S.S. Entre 1950 et 1960, celle-ci avait fourni mille tracteurs, du matériel pétrolier et industriel, et elle avait collaboré à la construction d'une voie ferrée transcontinentale, de Lanzhou à la frontière de l'Ili. Mais Staline avait en même temps imposé à Mao Zedong en 1950 la création de compagnies « mixtes » (pétrole, minerais non ferreux) ; il continuait ainsi la politique de pénétration économique au Xinjiang, qu'il avait déjà pratiquée vers 1930 et 1940 par ses accords avec les « seigneurs de la guerre ». Khrouchtchev, en 1954, renonça sans compensations à ce contrôle soviétique sur le sous-sol du Xinjiang. Depuis 1960, la tension sino-soviétique a été vive au Xinjiang. D'autant plus vive que cette région, pour des raisons physiques, est le siège de l'industrie nucléaire et spatiale (base de Lob Nor, où explosa en 1968 la première bombe H chinoise). Les Chinois, à plusieurs reprises, ont accusé l'U.R.S.S. de subversion et de sabotage en liaison avec les nationalistes locaux (notamment kazakhs). De graves incidents de frontières ont éclaté en mai, juin et août 1969 dans le district de l'Ili .

La révolution culturelle au Xinjiang s'est traduite par de violentes attaques des gardes rouges contre l'appareil du parti - notamment contre Wang Enmao, le principal dirigeant politique de la « Région autonome » - et, plus spécifiquement, contre la pratique de l'Islam ; les mosquées ont été profanées et fermées de 1966 à 1976. À partir de 1980, les autorités chinoises reconsidèrent la « politique des nationalités » et reconnaissent la liberté - surveillée - des cultes ; au Xinjiang, l'ouverture permet, en particulier, une multiplication des mosquées. Il s'agit toutefois d'un Islam « légal », chapeauté par la Ligue officielle des musulmans de Chine, tandis que les « activités religieuses illégales » sont activement réprimées comme le montre, par exemple, la vaste opération conduite en août 1997 aboutissant à la fermeture de quelque trois cents écoles coraniques « illégales ». Depuis le début des années 1990, l'ouverture économique de la Chine ainsi que la création et le développement des nouvelles républiques d'Asie centrale après la disparition de l'U.R.S.S. ont donné lieu à de nouveaux courants d'échanges et, du même coup, à de nouvelles perspectives pour les mouvements séparatistes ouïgours, qu'ils soient de nature politique, revendiquant l'indépendance d'une république ouïgoure du Turkestan oriental, ou d'essence religieuse d'inspiration islamiste. Ces mouvements se rejoignent dans le rejet de la « colonisation » mais se manifestent différemment. Les incidents, voire les troubles récurrents, qui éclatent chaque printemps et chaque été au Xinjiang méridional depuis des années sont nettement à dominante islamiste. Les troubles d'Ouroumtsi (ou Urumqi) de décembre 1996 et les émeutes d'Yining les 5 et 6 février 1997, dont la répression a fait plusieurs centaines de victimes, suivies de violences à Ouroumtsi et de plusieurs attentats à Yili le 25 février, sont, eux, à dominante nationaliste ouïgoure ; le 7 mars suivant, une bombe explose dans un bus à Pékin et, le 9, une organisation

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séparatiste ouïgoure de Turquie annonce que l'attentat a été commis par une « organisation de libération du Turkestan oriental » en exil au Kazakhstan ; le 11 mai, le président du gouvernement de la région autonome, Ablait Abdureschit, admet pour la première fois l'existence au Xinjiang d'un « Parti d'Allah » militant pour l'indépendance. Les responsables de la sécurité et du parti au Xinjiang ont répliqué, en 1997, par le lancement d'une campagne « Frapper fort » (Yanda) mobilisant les militaires, la Sécurité publique, des corps paramilitaires et une milice de citoyens forte de quelque cent mille personnes. On assiste dans le même temps à une accélération de l'immigration han dans le Xinjiang méridional et dans la vallée du Yili. Le développement économique présenté ci-dessous est à considérer dans un tel contexte.

Évelyne COHEN

Le développement économique

Le peuplement

Le Xinjiang comptait au recensement de 1990 quelque 15 millions d'habitants, dont plus de 5 millions de Chinois han et plus d'une dizaine de « nationalités », dont la grande majorité appartient à la famille turque : - les Ouïgours (7 200 000) , qui sont les cultivateurs des oasis qu'ils ont occupées à partir du IXe siècle, assimilant les premiers occupants d'origine indo-européenne ; - les Ouzbeks (14 500), mêlés au peuplement ouïgour ; - les Kazakhs (1 107 000), organisés en un « département autonome » d'Ili, qui sont au contraire un peuple de pasteurs transhumants, entre les steppes et les prairies alpines ; - les Kirghiz (140 000) et les Tatares (4 800) sont aussi des pasteurs, mais cantonnés aux vallées occidentales.

Tous ces peuples sont musulmans (sunnites) comme le sont également les Hui (682 000), descendants des colonies envoyées par les Mandchous et qui constituent le « département autonome » de Changji et le « district autonome » de Yanqi, et aussi les Tadjiks (33 500), mais qui sont de souche indo-européenne, implantés sur le flanc du Pamir. Plus de 130 000 pasteurs mongols sont organisés en deux « départements autonomes » - Bayingolin et Bortola - et un « district autonome » - Hoboksar. Ce sont encore quelque 33 000 Xibe (Sibo) et 56 000 Dongxiang, descendants de guerriers mandchous et qui sont éleveurs dans la vallée de l'Ili ; il y reste même des Russes, dont la pénétration date d'avant et d'après la révolution d'Octobre et qui constituent une « minorité nationale » chiffrée officiellement à plus de 8 000 !

Les activités traditionnelles

On peut distinguer trois types d'implantations liés à trois formes d'activités traditionnelles.

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Les Han, les Hui et les Russes constituent un peuplement urbain et sont essentiellement engagés dans des activités du secteur tertiaire : administration, commerce. Les Ouïgours, agriculteurs des oasis, cultivent au total près de 2 000 000 d'hectares de terres ; 96% de celles-ci sont irriguées à partir des rivières descendues des Tianshan et des Kunlun et dont les eaux, grossies au début de l'été par la fonte des neiges, sont conduites dans les champs par des canaux de dérivation ou aryk. Les céréales occupent 80% des terres cultivées, dont près de la moitié est consacrée au blé (blé d'hiver dans le bassin du Tarim ; blé de printemps au nord des Tianshan et dans la vallée de l'Ili, plus froids). Le maïs vient au deuxième rang, occupant 25% des terres cultivées, dont les quatre cinquièmes sur le cours supérieur du Tarim, où il est semé après la récolte du blé (fin juin). Le riz, d'une excellente qualité, occupe 5% des terres arables, surfaces qui se sont accrues de 25% entre 1949 et 1955. Le coton est la grande culture industrielle du Xinjiang ; il a connu un développement considérable : moins de 3% des surfaces cultivées en 1949, 28% en 1996, œuvre essentielle des fermes d'État du Nord-Xinjiang. Le bassin de Tourfan et la vallée de l'Ili constituent deux régions agricoles particulièrement remarquables : l'irrigation est assurée dans le bassin de Tourfan par la technique iranienne des kariz, canaux souterrains de plusieurs kilomètres qui recueillent les eaux infiltrées dans les talus de piémont ; un millier de kariz irriguent ainsi plus de 11 000 ha, dont la moitié au moins est consacrée au blé et au coton, mais c'est surtout la production fruitière qui fait la richesse de la région : prunes, pêches, abricots, melons et surtout raisins sans pépins, exportés, séchés, dans toute la Chine. La rivière d'Ili offre de grandes facilités d'irrigation ; sa vallée fournit le tiers du blé de printemps et une part importante du riz du Xinjiang ; maïs, soja, tabac, coton, soie, pommes (10 000 ha) sont les autres productions de cette région. L'élevage est l'activité essentielle ou exclusive de toutes les autres « nationalités » du Xinjiang. Il s'agit en général d'un élevage transhumant, pratiqué surtout par les Kazakhs et qui utilise les steppes de Dzoungarie pendant la saison froide et les prairies alpines des Tianshan en été. Le troupeau du Xinjiang se composait en 1990 de 30 millions d'ovins (60% de la production chinoise de laine), de plus de 3 000 000 de bovins, d'un million de chevaux (dont la race de la vallée de l'Ili, la plus réputée de la Chine) et de quelque 100 000 chameaux (élevage mongol).

L'agriculture pionnière

La conquête agricole des terres arides du Xinjiang amorcée dès les débuts de l'Empire s'est développée à grande échelle à partir des années 1950, en particulier avec la constitution des Corps de production et de construction de l'Armée populaire de libération : outre de très nombreuses unités industrielles et de transport, ces nouveaux soldats-laboureurs ont établi 170 bases agropastorales cultivant plus de 900 000 ha de labours irrigués (coton et céréales) et exploitant quelque 3 millions d'hectares de ranches d'élevage, et de vergers ; ce front pionnier, qui progresse, est ouvert sur les piémonts méridional et septentrional des Tianshan, ce dernier restant essentiel avec douze grands périmètres commandés chacun par une ville nouvelle, dont la plus importante est à ce jour Shihezi, dans le bassin de la Manas (200 000 habitants environ). Ces activités emploient au total 2 200 000 pionniers militaires, effectifs auxquels s'ajoutent les effectifs (inconnus) de plus de 200 fermes d'État de l'administration civile et de l'administration pénitentiaire.

Ressources et développement industriels

Longtemps ignorées ou négligées, les ressources industrielles sont activement explorées et exploitées depuis 1950 au Xinjiang, qui se révèle particulièrement riche dans différents

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domaines, notamment en ce qui concerne le pétrole. Découvert à Wusu en 1938 par les Russes, qui l'exploitèrent et étendirent leurs prospections en Dzoungarie, celui-ci est devenu la principale ressource du Xinjiang, après la découverte en 1958 du bassin de Karamai, qui dispose de près de 300 millions de tonnes de réserves et fournit annuellement 4 millions de tonnes de brut, dont une grande partie est acheminée par pipe-line à la raffinerie de Tushanzi, à 200 kilomètres à l'ouest d'Ouroumtsi. Mais la grande affaire depuis le début des années 1990 est la prospection dans le bassin du Tarim afin de trouver du pétrole et du gaz naturel et leur exploitation. Ce furent d'abord les bassins de Luntai, près de Korla, et de Yiqikelike plus à l'ouest ; à partir de 1988, on a identifié de nombreuses structures pétrolières et gazières au cœur du désert : deux grands bassins, pour l'essentiel, sont en exploitation : Lunnan, au nord-ouest, qui livre annuellement un million de tonnes, et Tazhong, dont les réserves seraient de 100 millions de tonnes et où opèrent quelques-unes des grandes compagnies occidentales et japonaises. Les autorités chinoises voulaient voir dans le bassin du Tarim « une nouvelle Arabie Saoudite », avec des réserves pétrolières comprises entre 13 et 29 milliards de tonnes... mais les plus récentes estimations américaines les situent pour l'heure à un volume vingt à quarante fois moindre ; en 1995, la production pétrolière de l'ensemble des gisements exploités du Tarim était d'environ 5 millions de tonnes. L'enclavement extrême conduit à envisager la construction d'un oléoduc de 3 000 kilomètres en direction de la façade orientale urbaine et portuaire. Mais déjà, trois nouvelles bases pétrochimiques ont été édifiées à Ouroumtsi, Kuytun et Korla d'où une route, achevée en 1995, relie sur 522 kilomètres (dont 446 km de désert total) les gisements du nord et du sud du bassin du Tarim. Les ressources métalliques sont extrêmement variées : cuivre de Baicheng et de Koutcha, plomb, zinc et argent d'Ouloungtchak et de Jinghe, or de l'Altaï, de Tchertchen et de Keriya, et surtout uranium dans les Tianshan. La mise en valeur industrielle du Xinjiang a pu être accélérée grâce à la liaison ferroviaire avec le réseau de la Chine orientale, réalisée à partir de Lanzhou par une voie de plus de 1 100 kilomètres, qui a atteint Ouroumtsi en 1959. La rupture sino-soviétique intervenue à partir de 1960 en interrompt la poursuite vers le Kazahkstan soviétique et il faudra attendre 1992 pour que soit réalisée la liaison avec Alma Ata (aujourd'hui Almaty) ; cette ligne est reliée à Korla en 1986, non seulement en fonction de l'exploitation pétrolière, mais aussi comme point de départ de l'axe du Tarim qui est prévu pour atteindre Kachgar (Kashi). Quelques-unes des antiques cités des oasis sont devenues des centres industriels plus ou moins actifs : Hami, à l'est de Tourfan (200 000 hab.), centre traditionnel d'échanges avec la Chine orientale, est l'une des deux premières bases sidérurgiques du Xinjiang (plus de 100 000 hab. dans les années 1980). Kachgar, plaque tournante des relations entre la Chine et l'Asie centrale, est la plus grande ville du Xinjiang méridional (174 570 hab. en 1990) et un centre textile actif (coton, soie), ainsi qu'un centre de transformation des produits de l'élevage. Yining, au cœur de la riche vallée de l'Ili, est la deuxième ville du Xinjiang (400 000 hab.), où les industries métallurgiques et textiles s'ajoutent maintenant aux activités traditionnelles (cuir, tabac). Ouroumtsi (ou Urumchi, en chinois Wulumuqi) est la capitale du Xinjiang. Son essor (87 000 hab. en 1948, 320 000 en 1958, plus de 800 000 en 1981 et plus d'un million en 1990) traduit celui du Xinjiang dans son ensemble. Ouroumtsi bénéficie d'une position tout à fait remarquable, sur la voie de liaison est-ouest, branche septentrionale de la célèbre Route de la soie, et au débouché de la seule grande passe transversale qui assure des relations aisées entre

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le nord et le sud du Xinjiang, à travers les Tianshan. Ouroumtsi a été dotée de toute une variété d'unités industrielles, dont les plus importantes sont la première aciérie du Xinjiang, des filatures de coton, des usines de matériel minier et d'instruments agricoles. La population du Xinjiang a doublé entre 1975 et 1990 et c'est un des taux d'accroissement les plus élevés de l'espace chinois ; c'est que les taux de croissance naturelle des ethnies minoritaires restent nettement plus élevés que ceux de la population chinoise Han ; de plus, on constate une importante immigration Han : 10% de la population de la région en 1957 et plus de 40% en 1990 ; ainsi se poursuit une « sinisation » active de ce domaine auquel ses ressources, ses installations nucléaires (les expériences atomiques chinoises se déroulent dans la région du Lob Nor) et ses 5 400 kilomètres de frontières avec huit États où une dizaine de postes-frontière ont été récemment ouverts à un commerce de plus en plus florissant.

Pierre TROLLIET

Bibliographie   :

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géographie, no 567, sept.-oct. 1992 A. D. BARNETT, China's Far West, Westview Press, Boulder, 1993 R. CAGNAT & M. JAN, Le Milieu des empires, Laffont, Paris, nouv. éd. 1990 G. B. CRESSEY, Land of the Five Hundred Millions. A Geography of China, New York, 1955 J. GOLFIN, La Chine et ses populations, éd. Complexe, Bruxelles, 1982 T. SHABAD, China's Changing Map, New York, 1956, rééd. 1972 Histoire N. BECQUELIN, « Pékin et l'Asie centrale après la fin de l'U.R.S.S. », in Perspectives chinoises, no 44, pp. 10-21, nov.-déc. 1997 H. L. BOORMAN dir., Biographical Dictionary of Republican China (notamment les articles sur Chin Shu-jen, Ma Zhong-ying, Mao Tse-min, Masud Sabri, Yang Tseng-hsin, Yolbar), 5 vol., Columbia Univ. Press, New York, 1967-1979 CHEN TSUYUEN, Histoire du défrichement de la province de Sinkiang sous la dynastie Tsing, Paris, 1932 D. HELLY, « Le Parti communiste chinois et la question ethnique : le cas des Uygurs du Xinjiang. 1949-1960 », in Études chinoises, no 2, 1983 T. HOPPE, Xinjiang Provisional Bibliography, Wiesbaden, 1987 D. KLEIN & A. B. CLARK, Biographical Dictionary of Chinese Communism (notamment les articles sur Burhan, Saifudin, Wang En-mao), Harvard Univ. Press, Cambridge (Mass.), 1971 O. LATTIMORE, Pivot of Asia : Sinkiang and the Inner Asian Frontiers of China and Russia, Boston, 1950 J. P. LO, « Five Years of the Sinkiang-Uighur Autonomous Region », in The China Quarterly, oct. 1961 « Sinkiang and Sino-Soviet Relations », in The China Quarterly, juillet 1960 D. H. MCMILLEN, Chinese Communist Power & Policy in Xinjiang, Westview Press, Boulder, 1979 M. ROSSABI, China and Inner Asia, from 1368 to the Present Day, Thames and Hudson, Londres, 1975.

YUNNAN

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Province du sud-ouest de la Chine, limitrophe du Vietnam, du Laos et de la Birmanie, le Yunnan couvre 436 200 kilomètres carrés et comptait 37 820 000 habitants, selon les estimation de 1992.

Cette province forme un ensemble massif qui domine de plus de 1 000 mètres les régions voisines de l'est. Il est constitué de deux parties : d'une part, un plateau oriental, à environ 2 000 mètres d'altitude, dont la masse calcaire donne lieu à un relief karstique de causses, et qui est fréquemment coupé de bassins d'effondrement occupés par des lacs dont le plus important est le bassin du lac Dianchi ; d'autre part, à l'ouest, de hauts massifs (de 2 000 à 4 000 m), de direction nord-sud, issus des violents plissements de l'orogenèse himalayenne, entre lesquels s'enfoncent de quelque 2 000 mètres les grandes vallées de la Salouen, du Mékong et du fleuve Rouge. Le Yunnan bénéficie d'un climat tropical tempéré par l'altitude (moyenne de températures : janvier, 9,5 0C ; juillet, 26 0C) et d'une pluviométrie moyenne de 1 200 mm, plus abondante toutefois dans la partie occidentale atteinte par la mousson indienne. Cette province, tardivement conquise par la colonisation chinoise, est une extraordinaire mosaïque ethnique, les minorités nationales y représentant plus du quart de la population totale. Elles se répartissent en trois familles ethno-linguistiques principales : la famille tibéto-birmane, avec les Yi dans le Nord-Ouest, les Hani à l'ouest du fleuve Rouge, les Pai sur le haut Mékong, les Lisu, les Lasu, les Nasi... ; la famille Thai, (Chan à la frontière laotienne) ; la famille Môn-Khmer (Wa et Palaung) à la frontière de la Birmanie. Le peuplement chinois est, lui, essentiellement concentré dans les bassins d'effondrement et les vallées qui sont les terroirs agricoles essentiels, portant, en été, du riz , du maïs, du coton, de la canne à sucre au sud, et, en hiver, du blé, des fèves et du tabac.

Les minerais non ferreux constituent la grande richesse de cette province, notamment l'étain, exploité à Gejiu, et le cuivre à Dongchuan dans le Nord-Est. L'exploitation du charbon et du minerai de fer, à 80 kilomètres de Kunming, a permis l'édification, dans la capitale du Yunnan, d'une usine sidérurgique. Kunming, qui comptait 1 127 400 habitants selon les estimations de 1990, est un grand centre de communications avec la route de Birmanie. C'est une escale aérienne vers l'Asie du Sud-Est et une tête de ligne ferroviaire vers le Vietnam ; la ville est dotée d'importantes unités industrielles : fonderie de cuivre, machines-outils, camions, ainsi que matériel électrique.

Pierre TROLLIET

ZHEJIANG [TCHÖ-KIANG]

Province du littoral de la Chine orientale, au sud du delta du Yangzijiang, le Zhejiang couvre 101 800 km2 et comptait, selon les estimations de 1992, 42 millions d'habitants.

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Cette province rassemble des éléments des deux grands domaines voisins : sa partie septentrionale est constituée par l'extrémité méridionale de la plaine du lac Taihu, prolongée, au sud de la baie de Hangzhou, par la plaine de Ningshao. Cet ensemble conserve les caractères du delta du Yangzijiang qui s'étend au nord, dans la province voisine du Jiangsu. La partie méridionale du Zhejiang appartient au domaine montagneux de la Chine sud-orientale, avec les prolongements des massifs granitiques du Fujian couverts de belles forêts où se mêlent espèces tropicales et espèces tempérées. Le littoral de cette province est remarquable par ses nombreuses baies, offrant d'excellents sites portuaires, et par les quelque 1 800 îles qui le frangent, dont 400 forment le plus grand archipel chinois : l'archipel des Zhongshan face à l'embouchure du Qiantangjiang qui forme un vaste estuaire, célèbre par son mascaret (jusqu'à 9 m d'amplitude). Le climat du Zhejiang est subtropical, avec des hivers tempérés (moyenne de janvier + 8 0C) et des étés chauds (juillet 28 0C) et pluvieux (1 200 mm annuellement), donnant lieu à une agriculture intensive aux productions très variées : le riz, alternant souvent avec le blé en hiver, le mûrier et le coton sont les grandes cultures des plaines du Nord, tandis que les vallées du Qiantangjiang, du Lingjiang et de l'Oujiang font de cette province le premier producteur chinois de jute ; les basses pentes des collines et des massifs montagneux, souvent aménagées en terrasses, portent des plantations de thé et d'arbres fruitiers (le Zhejiang est un des grands producteurs de thé vert de la Chine : thé de Wenzhou, de Pingshui et surtout de Longqing, au sud-ouest de Hangzhou, l'une des variétés les plus célèbres du pays) ; pêches, prunes et loquats du Japon sont produits au nord, tandis que le sud de la province est réputé pour ses mandarines et ses oranges. La pêche est une autre grande ressource de la province ; les trois centres principaux en sont l'archipel des Zhongshan, la baie de Sanmen et Ningbo. Pauvre en charbon, le Zhejiang dispose, par contre, d'un très important potentiel hydroélectrique, dont la mise en valeur a été entreprise à partir de 1956, notamment avec l'une des plus grandes centrales chinoises, édifiée sur le Xin'anjiang. Le Zhejiang est, par ailleurs, le premier producteur chinois de spathfluor (exploité à Wuyi, au sud-est de Jinhua) et d'alun (exploité dans le massif de Fanshan, au sud-est, à la frontière du Fujian). Le sel est l'autre grande ressource industrielle de la province ; il est exploité au sud de la baie de Hangzhou, essentiellement autour de Andong. Hangzhou (1 099 600 hab. selon les estimations de 1990), la capitale provinciale, située à l'embouchure du Qiantangjiang, fut le brillant domaine de la dynastie des Song du Sud (1127-1279) ; magnifique cité-jardin, c'est une des plus célèbres villes touristiques de la Chine et un centre de villégiature ; à ses activités traditionnelles (industries alimentaires, et surtout soieries, parmi les plus réputées de Chine) se sont ajoutées diverses industries mécaniques et chimiques. Ningbo (552 500 hab., selon les estimations de 1990) est la deuxième ville de la province et le grand port du Nord ; ce fut un des premiers ports chinois en relation avec l'étranger (dès le VIIe s.) et un « port ouvert » en 1842 ; c'est aujourd'hui essentiellement un grand port de pêche, dont le secteur industriel traditionnel (industries textiles et alimentaires) a été enrichi, à partir de 1955 (liaison ferroviaire avec Hangzhou), d'un ensemble d'industries mécaniques (constructions navales, moteurs Diesel). Wenzhou (401 800 hab. selon les estimations de 1990), à l'embouchure de l'Oujiang, est le port du sud de la province ; son trafic est alimenté par la production de l'arrière-pays : bois, thé, fruits. Shaoxing (179 800 hab. selon les estimations de 1990), au sud de la baie de Hangzhou, est le centre de la riche plaine

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de Ningshao, célèbre par ses industries alimentaires et notamment par une variété réputée de « vin » de riz. Jiaxing (211 500 hab. selon les estimations de 1990) au nord de la baie a les mêmes fonctions ; mais, desservie à la fois par le Grand-Canal et par la voie ferrée Shanghai-Hangzhou, elle a bénéficié de l'implantation de diverses industries (métallurgie, chimie). Jinhua, au cœur de la province, est le centre de la vallée du Qiantangjiang ; la proximité de la centrale du Xin'anjiang lui a valu l'implantation d'une petite usine d'aluminium.

Pierre TROLLIET

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