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Les recompositions territoriales dans le Maroc du Nord. Dynamiques urbaines dans la p´ eninsule tingitane et gouvernance des services de base ` a Tanger et ` a T´ etouan (Maroc). L’inclusion des quartiers pauvres ` a travers l’acc` es aux transports et ` a l’eau potable. Julien Le Tellier To cite this version: Julien Le Tellier. Les recompositions territoriales dans le Maroc du Nord. Dynamiques ur- baines dans la p´ eninsule tingitane et gouvernance des services de base `a Tanger et ` a T´ etouan (Maroc). L’inclusion des quartiers pauvres `a travers l’acc` es aux transports et ` a l’eau potable.. eographie. Universit´ e de Provence - Aix-Marseille I, 2006. Fran¸cais. <tel-00947479> HAL Id: tel-00947479 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00947479 Submitted on 19 Feb 2014

Les recompositions territoriales dans le Maroc du Nord

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  • Les recompositions territoriales dans le Maroc du Nord.

    Dynamiques urbaines dans la peninsule tingitane et

    gouvernance des services de base a Tanger et a Tetouan

    (Maroc). Linclusion des quartiers pauvres a travers

    lacces aux transports et a leau potable.

    Julien Le Tellier

    To cite this version:

    Julien Le Tellier. Les recompositions territoriales dans le Maroc du Nord. Dynamiques ur-baines dans la peninsule tingitane et gouvernance des services de base a Tanger et a Tetouan(Maroc). Linclusion des quartiers pauvres a travers lacces aux transports et a leau potable..Geographie. Universite de Provence - Aix-Marseille I, 2006. Francais.

    HAL Id: tel-00947479

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00947479

    Submitted on 19 Feb 2014

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  • UNIVERSIT AIX-MARSEILLE I - Universit de Provence U.F.R des Sciences gographiques et de lamnagement

    N attribu par la bibliothque |__|__|__|__|__|__|__|__|__|__|

    THSE

    pour obtenir le grade de

    DOCTEUR DE LUNIVERSIT AIX-MARSEILLE I

    Discipline : Gographie

    Formation doctorale : Espaces, Cultures, Socits (Ecole doctorale n 355)

    prsente et soutenue publiquement par

    Julien LE TELLIER

    le septembre 2006

    LES RECOMPOSITIONS TERRITORIALES DANS LE MAROC DU NORD.

    DYNAMIQUES URBAINES DANS LA PENINSULE TINGITANE ET GOUVERNANCE DES SERVICES DE BASE A TANGER ET A TETOUAN

    (MAROC)

    LINCLUSION DES QUARTIERS PAUVRES A TRAVERS LACCES AUX TRANSPORTS ET A LEAU POTABLE

    Directeur de thse :

    Jean-Claude GIACOTTINO

    JURY

    M. Marc COTE, Professeur mrite de lUniversit de Provence, Aix-Marseille I Mme Elisabeth DORIER-APPRILL, Professeure de lUniversit de Provence, Aix-Marseille I Mme Anne-Marie FREROT, Professeure de lUniversit de Tours, Rapporteur M. Jean-Claude GIACOTTINO, Professeur mrite de lUniversit de Provence, Aix-Marseille I M. Aziz IRAKI, Professeur de lInstitut National dAmnagement et dUrbanisme, INAU (Rabat, Maroc), Rapporteur

    M. Claude de MIRAS, Directeur de recherche de lInstitut de Recherche pour le Dveloppement (IRD), UMR 151 - LPED Marseille

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    UNIVERSIT AIX-MARSEILLE I - Universit de Provence U.F.R des Sciences gographiques et de lamnagement

    N attribu par la bibliothque

    |__|__|__|__|__|__|__|__|__|__|

    THSE

    pour obtenir le grade de

    DOCTEUR DE LUNIVERSIT AIX-MARSEILLE I

    Discipline : Gographie

    Formation doctorale : Espaces, Cultures, Socits (Ecole doctorale n 355)

    prsente et soutenue publiquement par

    Julien LE TELLIER

    le septembre 2006

    LES RECOMPOSITIONS TERRITORIALES DANS LE MAROC DU NORD.

    DYNAMIQUES URBAINES DANS LA PENINSULE TINGITANE ET GOUVERNANCE DES SERVICES DE BASE A TANGER ET A TETOUAN

    (MAROC)

    LINCLUSION DES QUARTIERS PAUVRES A TRAVERS LACCES AUX TRANSPORTS ET A LEAU POTABLE

    Directeur de thse :

    Jean-Claude GIACOTTINO

    JURY

    M. Marc COTE, Professeur mrite de lUniversit de Provence, Aix-Marseille I Mme Elisabeth DORIER-APPRILL, Professeure de lUniversit de Provence, Aix-Marseille I Mme Anne-Marie FREROT, Professeure de lUniversit de Tours, Rapporteur M. Jean-Claude GIACOTTINO, Professeur mrite de lUniversit de Provence, Aix-Marseille I M. Aziz IRAKI, Professeur de lInstitut National dAmnagement et dUrbanisme, INAU (Rabat, Maroc), Rapporteur

    M. Claude de MIRAS, Directeur de recherche de lInstitut de Recherche pour le Dveloppement (IRD), UMR 151 - LPED Marseille

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    En voyage, on accepte tout, lindignation reste la maison. On regarde, on coute, on senthousiasme pour les choses les plus effrayantes parce quelles sont nouvelles. Les bons voyageurs nont pas de cur.

    Elias Canetti, 1967, Les Voix de Marrakech. Journal dun voyage, Londres. 1980, d. Albin Michel pour la

    traduction franaise, Le livre de poche,

    Biblio, p. 28.

    Louise et Martial, mes enfants,

    Catherine, ma compagne,

    pour Mohcine, pour les enfants

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    REMERCIEMENTS

    Je remercie Monsieur Jean-Claude Giacottino, professeur mrite de luniversit de

    Provence, qui a dirig cette thse. Nous nous sommes rencontrs frquemment au cours de ces cinq annes. Sa vaste culture gnrale, son exprience et les rcits gographiques de son vcu ont largi le cadre de ma pense. Ses remarques constructives ont pu me dstabiliser au premier abord ; elles taient des orientations qui ont finalement permis de recadrer mon sujet et de suivre un cheminement logique qui guide les tapes de mon tude. Que lui soit exprim ici mon profond respect et ma reconnaissance quant lattention et au suivi quil ma eu lgard de mon travail.

    Mes remerciements vont ensuite Madame Anne-Marie Frrot, professeur luniversit Franois Rabelais (Tours), et Monsieur Aziz Iraki, professeur lInstitut national damnagement et durbanisme (INAU, Rabat). Merci daccepter dtre rapporteurs de cette thse. Lhommage que je leur rends est aussi symbolique. Madame Frrot ma reu Tours ds les premiers mois de mon doctorat, loccasion dune mission bibliographie au centre de documentation URBAMA. Elle mavait alors interrog sur la spcialit laquelle se rattache ma thse : gographie urbaine ou rgionale ? Au final, je crois que mon doctorat sinscrit dans une approche de gographie humaine ( lchelle urbaine) sans ngliger une dimension rgionale. Les premires publications de Monsieur Iraki avaient retenu mon attention par leur originalit. Ne remettaient-elles pas en cause le principe de macrocphalie urbaine au Maroc en expliquant de manire innovante le report de la croissance urbaine des grandes villes sur celles de rang infrieur ? De la place des villes intermdiaires dans larmature et les rseaux urbains marocains celle des notables et des lites de proximit dans lintermdiation et la restructuration urbaines, ses articles et ouvrage sappuient toujours sur une fine connaissance du terrain et propose un dcalage avec les modles classiques de pense en gographie.

    Je remercie Madame Elisabeth Dorier-Apprill et Monsieur Marc Cote, professeure et professeur mrite de luniversit de Provence. Le savoir et la pdagogie de Monsieur Cote sont des piliers de lInstitut de gographie dAix-en-Provence ; si sa personne sest efface des couloirs de lUFR, son apport sur lAlgrie et le Maghreb constitue une grande richesse qui anime encore les salles de classe o il a donn des leons. Madame Dorier-Apprill ma orient vers les mthodes qualitatives dinvestigation en milieu urbain. Son dynamisme scientifique et ducatif ma entran dans un processus dinclusion au sein dun laboratoire de recherche o jai trouv une place pour travailler dans les meilleures conditions. Je la remercie infiniment des attentions dont elle a tmoign mon gard.

    Je tiens trs particulirement remercier Monsieur Claude de Miras, directeur de recherche de lInstitut de recherche pour le dveloppement (IRD). Il ma insr dans lquipe de recherche Dveloppement local et ville durable quil coordonne et anime, dabord dans le cadre du Programme de recherche urbaine pour le dveloppement du ministre franais des Affaires trangres (dont les oprateurs taient lISTED et le GEMDEV), puis dans une dynamique de publication et de valorisation de rsultats dinvestigations. Nos changes dides lors damicales mais nanmoins studieuses discussions mont donn la chance de partager ses dernires expriences professionnelles et dcouter le rcit des prcdentes. La franche camaraderie a dbouch sur une saine et laborieuse mulation, la critique labore et au srieux dans le travail. La rigueur pistmologique et thique de Monsieur de Miras ainsi que ses prcieux conseils et son esprit formateur ont clair la voie sur laquelle je suis engag.

    Jexprime toute ma gratitude lquipe pdagogique et au personnel administratif de lUFR de gographie de luniversit de Provence, particulirement son directeure, Madame Sylvie Daviet. Les fonctions de moniteur et dattach temporaire enseignement et recherche qui mont t confies lInstitut reprsentent une riche exprience qui ma permis de lier enseignement et recherche. Je suis content davoir particip la dynamique impulse par mes ans et jai essay dassumer ma mission avec srieux et dtermination.

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    Au Laboratoire population environnement dveloppement (UMR 151, IRD / universit de Provence), jai trouv une quipe daccueil ainsi quune logistique et de bonnes conditions de travail. Les changes avec les chercheurs de plusieurs disciplines ont t stimulants et ont ouvert des regards croiss sur des thmatiques connexes celles dans lesquelles ma thse sinscrit.

    Sur la rive sud de la Mditerrane, au Maroc, mes remerciements vont dabord Monsieur Abdelmalik Saloui, professeur luniversit Hassan II - Mohammdia, ainsi qu Monsieur Abdellah Lehzam, directeur de lInstitut national damnagement et durbanisme (INAU, Rabat). Les journes dtudes auxquelles jai assist et particip au Centre Jacques Berque (CNRS - ambassade de France Rabat) ont dbouch sur des rencontres constructives. Jespre pouvoir tre associ des perspectives de collaboration avec les universits et centres de recherche marocains pour participer la consolidation de partenariats troits et varis.

    Je remercie les fonctionnaires, institutions et administrations qui ont facilit mes recherches Tanger et Ttouan en me consacrant une partie de leur disponibilit. Il serait vain de vouloir nommer toutes les personnes qui mont aid. Lintrt que je porte la pninsule tingitane a t peru par des interlocuteurs qui mont entrouvert la possibilit de collecter des donnes et de mener des investigations dans des conditions particulires et sur un sujet sensible.

    Ce nest pas sans motion que je madresse aux amis de Tanger, Sidi Mohamed Triback pour avoir partag sa mmoire et sa connaissance, Haj Noureddyne pour sa droiture, sa franchise et son affection, Haj Ahmed pour sa confiance et son accueil, et surtout Hassan qui ma accompagn et protg. Les moments que nous avons partags sont pour moi inoubliables parce que ces rencontres ont chang ma vision du monde et du Maroc et, je lespre, mont permis de sortir de mon go-ethnocentrisme.

    Chantal Chanson-Jabeur, historienne du Laboratoire SEDET (Paris VII), et Xavier Godard, conomiste de lINRETS, ont fait part mon gard dcoute et de sympathie. Leurs travaux sur les transports collectifs restent la base de la rflexion que jai dveloppe dans ce domaine.

    Un clin dil galement aux copains, Ccilia, Romain et Frdric. Bonne chance tous.

    Cest aux tres qui me sont les plus chers quiront ces dernires lignes.

    Classiquement, mais non sans toute mon affection, jai une pense pour mes parents qui ont guid mes pas vers des valeurs saines et humanistes. Ce sont sans doute mes origines plurielles, et restes sous trop de silence, qui mont conduit en terres nord-africaines. Et jai aussi appris mieux me connatre chaque fois que je perfectionnais mon savoir sur le Maroc. Mes recherches sont finalement aussi une qute didentit personnelle. Jen profite pour faire chaleureusement rfrence aux liens fraternels qui munissent Virginie et Aurlien, ainsi quaux enfants de mon pre. Que Dieu vous garde et en bonne sant.

    Je remercie trs sincrement, avec aussi beaucoup daffection Andr Mattei, le pre de ma compagne, pour son honntet intellectuelle et sa timide modestie. Il ma soutenu dans les derniers mois de cette entreprise doctorale par une lecture attentive de mon texte. Le regard avis de ce vtrinaire curieux mont permis dliminer bon nombre de scories qui polluaient ma rdaction. Affectueuses penses son pouse.

    Merci enfin Catherine de moffrir son cur et sa patience, davoir contribu mon travail, physiquement, en maccompagnant sur le terrain et pour les enqutes, et mentalement, par sa perspicacit veille et sa dtermination progresser. Enfin, le fruit de mon travail va celui de mes entrailles, mes deux enfants, Louise et Martial, qui se plaisent au Maroc et dont le regard me donne la rage daller au bout de mes projets Soyez heureux !

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    Figures 1. Situation stratgique de Tanger et de Ttouan, capitales de la pninsule tingitane

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    SOMMAIRE Liste des sigles et des abrviations, lexique Introduction

    Premire partie :

    Approche conceptuelle, problmatique et mthodologie. Prsentation de la rgion dtude. Les recompositions territoriales et urbaines dans la pninsule tingitane Chapitre 1 : Approche conceptuelle, problmatique et mthodologie Chapitre 2 : Les recompositions territoriales et urbaines dans la pninsule tingitane Chapitre 3 : Lintgration du Maroc du Nord et de la pninsule tingitane aux chelles internationale et nationale (bassin mditerranen et royaume du Maroc)

    Deuxime partie :

    Urbanisation, amnagement du territoire et gouvernance des services de base. Les quartiers sous-quips : accs leau potable et aux transports au Maroc et Tanger-Ttouan Chapitre 4 : Les quartiers sous-quips, une forme durbanisation dominante et un moteur de la croissance urbaine, au Maroc et Tanger-Ttouan Chapitre 5 : Gouvernance et organisation des transports collectifs au Maroc et Tanger-Ttouan Chapitre 6 : Gouvernance urbaine de leau au Maroc. Dlgation du service public de distribution deau potable Tanger et Ttouan

    Troisime partie :

    Modes et processus dinclusion urbaine et dexclusion des quartiers sous-quips Tanger et Ttouan Chapitre 7 : Les processus et les logiques dinclusion urbaine des quartiers sous-quips Tanger et Ttouan Chapitre 8 : Les situations intermdiaires entre inclusion urbaine et exclusion. Dualit inter- et intra- quartiers dans le secteur Est de Tanger Chapitre 9 : Situation, modes et processus dexclusion des quartiers sous-quips Tanger et Ttouan

    Conclusion gnrale Bibliographie Annexes Table des matires

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    LISTE DES SIGLES ET DES ABREVIATIONS ADPN : Agence pour la promotion et le dveloppement conomique et social des provinces et prfectures du Nord du royaume

    AEP : alimentation/approvisionnement en eau potable

    AEPI : alimentation/approvisionnement en eau potable et industrielle

    AFD : Agence franaise de dveloppement (du ministre franais des Affaires trangres)

    AFVP : Association franaise des volontaires du progrs

    AMI : appel manifestation dintrt

    ANHI : Agence nationale de (lutte contre) lhabitat insalubre (tablissement public du ministre de lHabitat)

    AUC : Agence urbaine de Casablanca

    Autasa : Autobus de Tanger socit anonyme

    BAD : Banque africaine de dveloppement

    BEI : Banque europenne dinvestissement

    BGE : budget gnral de lEtat

    BMCE : Banque marocaine du commerce extrieur

    BNDE : Banque nationale de dveloppement conomique

    BOT : build operate transfer

    CDG : Caisse de dpt et de gestion

    CDS : contribution de solidarit nationale

    CED : Compagnie olienne du dtroit

    CEE : Communaut conomique europenne

    CGE : Compagnie gnrale des eaux (groupe Volia Water)

    CIH : Crdit immobilier et htelier (banque)

    CMDD : Commission mditerranenne du dveloppement durable

    CNUEH : Centre des Nations Unies pour les tablissements humains

    CNSS : Caisse nationale de scurit sociale

    Comanav : Compagnie marocaine de navigation

    CRI : Centre rgional dinvestissements

    CSEC : Conseil suprieur de leau et du climat

    CTM-LN : Compagnie de transports marocains - lignes nationales (compagnie dautocars privatise en 1993)

    CUC : Communaut urbaine de Casablanca

    DAH : direction des amnagements hydrauliques (ministre de lEquipement)

    DERRO : Programme de dveloppement conomique et rural du Rif occidental

    DGH : direction gnrale de lHydraulique (ministre de lEquipement)

    Dh : dirham (monnaie marocaine, 1 euro = 11,068 dirhams au 1er mai 2006)

    DPA : direction provinciale de lAgriculture (ministre de lAgriculture)

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    DPAH : direction provisoire des amnagements hydrauliques (ministre de lEquipement)

    DPE : direction provinciale de lEquipement (ministre de lEquipement)

    DRH : direction rgionale de lHydraulique (ministre de lEquipement)

    DRPE : direction de la recherche et de la planification conomique (ministre de lEquipement)

    DSP : dlgation de service public

    ERAC : Etablissement rgional damnagement et de construction

    FEC : Fonds dquipement communal

    FSH : Fonds de solidarit de lhabitat

    IDE : investissements directs trangers

    INDH : Initiative nationale pour le dveloppement humain lance en 2005 par le roi

    ISIT : Institut suprieur de tourisme international de Tanger

    Lydec : Lyonnaise des eaux de Casablanca

    Mm3 : million de mtres cubes

    MRE : Marocain(s) rsidant ltranger, appellation qui succde RME (rsidents marocains ltranger) et TRE (travailleurs ltranger)

    OBS : opration(s) de branchements sociaux

    OCDE : Organisation de coopration et de dveloppement conomiques

    OCP : Office chrifien des phosphates

    OMS : Organisation mondiale de la sant

    ONA : Omnium nord-africain (groupe marocain qui gre les fortunes du Palais)

    ONCF : Office national des chemins de fer (ministre de lEquipement)

    ONDA : Office national des aroports du Maroc

    ONE : Office national de llectricit (ministre de lEquipement)

    ONEP : Office national de leau potable (ministre de lEquipement)

    ONMT : Office national marocain de tourisme (ministre du Tourisme)

    ONUDC : Office des Nations Unies contre la drogue et le crime

    OPH : Organisme(s) public(s) de lhabitat (ministre de lHabitat)

    ORMVA(L) : Office rgional de mise en valeur agricole (du Loukkos)

    OST : Organisme(s) sous tutelle (ministre de lHabitat)

    PAGER : Programme dalimentation gnrale en eau potable rurale (ONEP)

    PARHI : Programme national daction pour la rsorption de lhabitat insalubre

    PDU : Plan de dveloppement urbain

    PERG : Programme dlectrification rurale globale (ONE)

    PEP : Projet eau potable

    PGI : participation aux grandes infrastructures

    PNRR : Programme national des routes rurales (ministre de lEquipement)

    PPE : participation aux premiers tablissements

    PPP : partenariat public priv

    R+X signifie rez-de-chausse + X tage(s)

    RAD : Rgie autonome de distribution (deau potable et dlectricit de Casablanca) ; concession Lydec depuis 1997

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    RADEEL : Rgie autonome deau potable et dlectricit de Larache

    RAID : Rgie autonome intercommunale de distribution (deau et dlectricit de Tanger) ; gestion dlgue SEEN/Amendis depuis 2002

    RATC : Rgie autonome des transports de Casablanca ; concde MDina Bus en 2004

    RATP : Rgie autonome des transports parisiens

    RATUF : Rgie autonome des transports urbains de Fs

    RDE : Rgie de distribution des exploitations (deau potable et dlectricit de Ttouan) ; gestion dlgue SEEN/Amendis depuis 2002

    RED : Rgie deau et dlectricit de Rabat (concde en 1999) ; Redal reprise par Vivendi / Volia en 2002

    REIP : Rgie dexploitation industrielle du Protectorat (franais)

    RENO : Rgion conomique du Nord-Ouest

    RGPH : recensement gnral de la population et de lhabitat (1960, 1971, 1982, 1994, 2004) ; Haut commissariat au Plan et direction de la Statistique

    SAT : Socit africaine de tourisme

    SCP : Socit chrifienne des ptroles

    SDAL : schma directeur dassainissement liquide

    SDAR : schma directeur damnagement rgional

    SDAU : schma directeur damnagement (du territoire) et durbanisme

    SDAULTT : Schma directeur damnagement et durbanisme du littoral touristique ttouannais

    SEEN : Socit des eaux et dlectricit du Nord (maison mre dAmendis Tanger et dAmendis Ttouan, filiale de Volia Water)

    SEH : secrtariat dEtat lHabitat

    SMD : Socit marocaine de distribution

    SNEC : Socit nationale dquipement et de construction

    SNABT : Socit nationale damnagement de la baie de Tanger

    SOGATOUR : Socit gnrale damnagement touristique

    SOMACA : Socit marocaine de construction automobile

    SOMADET : Socit marocaine du dveloppement touristique

    SOMED : Socit Maroc Emirats Arabes Unis de dveloppement

    TEP : tonnes quivalent ptrole

    TFZ : Tanger free zone (zone franche aroportuaire de Tanger, voir annexes)

    TGR : taxi(s) de grande remise

    TIR : transport international routier

    TMSA : Tanger-Mditerrane socit anonyme

    TPE : trs petite(s) entreprise(s)

    UE : Union europenne

    USAID : Agence des Etats-Unis pour le dveloppement international (United States agency for international development)

    VIT : valeur immobilire totale

    ZAC : zone damnagement concert

    ZAP : zone damnagement prioritaire

    ZUN : zone durbanisation prioritaire

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    LEXIQUE

    Acte adoulaire : dsigne un document rdig par des adoules. Deux notaires traditionnels (adoules), en prsence de douze tmoins adultes de sexe masculin, rdigent des actes de vente dun terrain selon le droit coutumier. Il faut ensuite faire lgaliser la signature de lacte auprs de la Commune avant dentamer des dmarches pour obtenir un titre foncier (titre de proprit prive, moulkia) et pour le faire enregistrer auprs des services du cadastre et de la conservation foncire.

    Adoule : notaire traditionnel qui rdige des actes selon le droit coutumier

    Ad : fte religieuse (Islam) qui dsigne le rituel annuel du sacrifice du mouton

    An : source

    Amalat : (sige de la) Province (voir annexes)

    Amile : gouverneur de Province (voir annexes)

    Amin : sage, chef dune corporation

    Ard : terrain

    Ard Daola : terrain dEtat

    Ard jama : terrain collectif, de la communaut. Biens collectifs inalinables appartenant des communauts ethniques. Par extension : terrain communal. Ard Jama : terrain de la Commune (collectivit locale)

    Aroubia, roubia : terme argotique, de lespagnol rubio (blond). Les Tangrois et les Ttouannais appellent Aroubia les Marocains qui ne sont pas ns Tanger ou Ttouan. Ce terme dsigne les campagnards, les gens des campagnes. Cest aussi une expression pjorative qui pourrait tre traduite par plouc ou pquenot. Les Tanjaoui et les Ttouani considrent cependant que les Chamali (Nordistes, habitants du Nord hors Fassi et Oujdi), les Rouafa ou Riffi (Rifains) et les Jbala ou Jbali (montagnards du pays Jbala) ne sont pas des Aroubia. Les trangers sont aussi nomms en fonction des villes dont ils sont originaires : les Chaouni viennent de la rgion de Chefchaouen, les Zalachi dAsilah, les Larachi de Larache, les Fassi de Fs, les Rbati de Rabat, etc.

    Bab : porte (des remparts de la mdina)

    Bab Sebta : poste frontire entre le territoire marocain et Ceuta (prside espagnol, Sebta en marocain)

    Baladia : (sige de la) Commune (collectivit locale)

    Bir : puits

    Bled : pays, rgion (dorigine)

    Boughaz : dtroit

    Bour : se dit dune culture pratique sans irrigation, culture pluviale, en sec (par opposition lirrigu)

    Cad : agent dautorit locale plac sous la responsabilit des sous-prfets (pachas) et des prfets (gouverneurs dune prfecture et amiles dune province amalat ou/et walis de rgion, le wali de rgion tant le gouverneur de la province/prfecture chef-lieu de rgion) du ministre de lIntrieur (voir annexes).

    Cadat : sige du cad

    Chamali : personne ne ou/et habitant dans le Maroc du Nord (chamal : nord), Nordiste

    Chaouni : personne ne ou/et habitant Chefchaouen (ou dans le pays Chaouni)

    (famille) Chorfa : (famille) descendant(e) du Prophte Mahomet

    Coades ou cadouss, quadiss : conduite, canalisation deau (ou deaux uses)

    Dahir : dcret

    ] Dao [ : lectricit

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    Daola : Etat

    Dar : maison

    Derb : le derb signifie au sens stricte une impasse ; cest une rue ferme regroupant des familles qui entretiennent des relations sociales de voisinage et de proximit. Par extension le derb est aussi le quartier (houmat, hay) ; Robert Escallier (1983) parle despace de contrle et dautorit familiale.

    Djebel (Jebel) : montagne, mont, colline

    Dib : loup

    Douar (les Marocains du Nord disent dchour) : Selon le dictionnaire atlif (trsor de la langue franaise informatis, < http://atilf.atilf.fr/tlf.htm) >), [En pays arabe, au Maghreb] Groupement dhabitations, fixe ou mobile, temporaire ou permanent, runissant des individus lis par une parent fonde sur une ascendance commune en ligne paternelle. Au Maroc, le douar signifie la ferme (ou plusieurs fermes pas forcment regroupes en hameau). Le douar renvoie aussi au hameau rural (fermes regroupes), voire au village. Lexpression douar rural apparat comme un plonasme, mais avec ltalement des villes, il y a des douars densifis et urbaniss (ou en cours de densification et durbanisation).

    Faran : four collectif priv

    Fassi : personne ne ou/et habitant Fs

    Feddan : champ. A Ttouan, ce terme dsigne lancienne place du souk qui stendait devant la mdina et qui a t rhabilit en esplanade du palais royal (Place Hassan II).

    Fellah : paysan

    Fokanya : terme argotique qui dsigne le haut, le point le plus haut.

    Fquih : le fquih connat le Coran et le transmet ; il est souvent charg par la communaut de lentretien quotidien de la mosque et dapprendre le Coran aux enfants du mcid (cole coranique).

    Habous : Habous privs : () biens de main-morte : en droit musulman un bien foncier ou immobilier couvert par le habous est inalinable, il ne peut tre ni vendu, ni chang. Le fondateur bnficie de lusufruit du bien-fonds sa vie durant : son pouvoir conomique est conserv intact au sein du groupe familial auquel il appartient. Lorsque la ligne des bnficiaires vient steindre, le bien est affect des uvres charitables ou pieux que le fondateur a toujours eu soin de dsigner dans lacte constitutif. Le bien rentre ainsi dans la catgorie des habous publics. Le but dimmobiliser le statut juridique dun bien est de prenniser le capital au sein du groupe familial, et donc la hirarchie sociale de la famille.

    Habous publics : tablissements publics et uvres dintrt gnral dots de revenus importants. Ce sont souvent des tablissements de sant ou dducation caractre religieux. (). Ils sont grs par lAdministration des Habous.

    Habous mixtes : cest un intermdiaire entre les habous publics et les habous privs. Lors de la constitution en habous, les descendants sont chargs de la gestion du bien dintrt gnral (encyclopdie Wikipdia, < http://fr.wikipedia.org/wiki/Habous >).

    Hafa : falaise

    Haj : Le Haj dsigne le plerinage qui doit tre accompli par les Musulmans aux lieux saints dArabie Saoudite. La personne qui a fait le plerinage La Mecque est considre comme un dignitaire ; on lappelle Haj.

    Hammam : bain maure

    Hay : quartier

    Houmat (ou haouma) : quartier. Cest un terme spcifique aux villes du Maroc du Nord. Dans le reste du pays, on dit hay.

    Imam : guide, personne qui dirige la prire collective des Musulmans dans une mosque.

    Jama : signifie communaut, qui relve du collectif ; elle dsigne par extension la Commune (collectivit locale). Nous avons utilis le mme terme pour dsigner la mosque.

    Jbala, Jbali : montagnards, groupe ethnique de la pninsule tingitane

    Jihad, Djihad : guerre sainte

    Jnane, jenan, jnanat : jardin, verger

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    Kbir : grand

    Kif : cannabis

    Ksar : chteau, agglomration fortifie

    Larachi : personne ne ou/et habitant Larache

    Lihoud : Juif(s)

    ] Ma [ : eau

    Malem : artisan

    Makhzen ou Maghzen : autorit, appareil dEtat, relais locaux du Palais. Cest avec le dveloppement de ladministration partir du XVII sicle () que le Makhzen en est peu peu venu dsigner lensemble de lappareil dEtat marocain. () Depuis lindpendance, le terme dsigne le systme de gouvernement, mais aussi, pour la population, lensemble de lappareil tatique et des services et revenus quil dispense. Le Makhzen est aujourdhui un vritable principe dautorit, reposant sur le systme de lallgeance () (Vermeren, 2002, p. 18). Voir chapitre 1

    Mankoubin : malheureux, misreux, dmuni

    Marabouts, mausoles : tombeaux ou btiment abritant des reliques de personnalits religieuses, de sages sanctifis (Sidi). Les marabouts sont des biens qui relvent du domaine habous. Voir zaouia

    Marsa : port

    Matfaya : citerne de rcupration deau de pluie, rservoir deau souterrain

    Mcid : cole coranique. Lcole primaire est appele mdersa.

    Mdersa : cole

    Mdina : ville. Par extension la mdina dsigne la ville ancienne, la ville fortifie lintrieur des remparts.

    Mendoub : Procureur du roi

    Mendoubia : Tribunal o sige le mendoub (procureur du roi)

    Melk : dsigne le statut foncier de proprit prive

    Merja : marre deau temporaire

    Mohadafin : fonctionnaire

    Moqqadem : Agent dautorit locale, de proximit, plac sous la responsabilit dun cad (ministre de lIntrieur). En milieu urbain, il est fonctionnaire et ses responsabilits couvrent un quartier. Son rle est de surveiller, de contrler et de rapporter au cad (voir annexes).

    Moualim : instituteur

    al-Mouhit : locan

    Moulkia : titre de proprit (statut melk du domaine foncier priv)

    Nara : Chrtien(s)

    Oued : cours deau, de lcoulement superficiel le plus lmentaire au fleuve

    Oujdi : personne ne ou/et habitant Oujda

    Oulma : savant, thologien de lIslam, garant de la tradition islamique

    Rass : chef, prsident. Rass de la baladia : prsident de la Commune (collectivit locale)

    Ras, raz : tte

    Rbati : personne ne ou/et habitant Rabat

    Riffi : Rifain

    Rmel : sable

    Rouafa : Rifain en argot

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    Sabila : A Tanger, le terme argotique utilis pour dsigner la fontaine est sabila qui renvoie sans doute au don de leau par Dieu dans la mesure o des mendiants font la charit en prononant et rptant sabila .

    Sakaya, seqqaia : fontaine

    Sania, sanyat : source, point deau, arrive deau, filet deau, leau qui coule

    Sba : lion

    Sebta : Ceuta

    Seghir : petit

    Sguia : canal ou rigole dirrigation

    Sflia : rez-de-chausse

    ] Shrika del ma o dao [ : compagnie des eaux et de llectricit

    Sidi : sage, saint

    Souani : jardin

    Souk : march, quartier commerant

    Sta : terrasse

    Tahtanya : terme argotique qui dsigne le bas, le point le plus bas

    Talweg : ligne de collecte des eaux, ligne de plus grande pente qui, par la gravit, rassemble les eaux de ruissellement.

    Tanjaoui(a), Tanjaoua : personne ne ou/et habitant Tanger

    Taxiat : taxi

    Ttouani(a) : personne ne ou/et habitant Ttouan

    Torreta : A Ttouan, la fontaine est appele torreta, expression consonance ibrique qui renvoie la tourette que prsente physiquement une borne-fontaine. A Ttouan, Torreta est aussi le nom dune source rpute qui a donn le nom du quartier dans lequel elle se situe.

    Toub : brique faite dun mlange dargile et de paille

    Wali : gouverneur de province/prfecture chef-lieu de rgion (ministre de lIntrieur), voir annexes.

    Wilaya : rgion (ministre de lintrieur), voir annexes.

    Zalachi : personne ne ou/et habitant Asilah

    Zaouia : monastre, tombeau dun saint homme (Sidi) devenu sige dune confrrie

    Zellige : mosaque

    NOTA BENE : Les figures numrotes par des chiffres romains (fig. I VI) renvoient aux cartes de Tanger et de Ttouan en format A3. Elles sont reportes hors pagination (morphologie urbaine et transports).

    ERRATUM : Lorthographe correct des quartiers signals Casabaratta sur les cartes et figures est Casabarata . Ce nom vient de lespagnol casa barata (maison bon march).

  • 17

    INTRODUCTION

    1. Prsentation du sujet

    Dans le contexte durbanisation et douverture sur lconomie globalise au Maroc, la pninsule tingitane bnficie dune situation particulire pour au moins trois raisons :

    1) sa position stratgique face au dtroit de Gibraltar et lEurope lui confre un rle gopolitique dans les relations entre les rives sud et nord de la Mditerrane. Laccord de libre change conclu entre le Maroc et lUnion europenne montre une ouverture conomique du royaume. A lchelle internationale, sobservent des perspectives dintgration du Nord marocain la zone de partenariat euro-mditerranen ;

    2) depuis le dbut du rgne de Mohammed VI, la Tingitane profite dun regain dattention de la part du pouvoir central. LEtat marocain lance de grands projets de dveloppement dans une rgion historiquement rtive1 un pouvoir central et royal qui lavait abandonne dans les dcennies passes. Le Nord et ses capitales rsistant lallgeance au Palais taient considrs, sous Hassan II, comme ce quil restait du Bled el-Siba2. A lchelle du royaume, les politiques de dveloppement du Rif symbolisent une forme dintgrit3 territoriale de la nation et la runion entre cette rgion historiquement marginalise et dissidente et le Maroc utile4. Les grands chantiers dinfrastructure illustrent des processus dintgration des provinces septentrionales du pays, montagneuses et loignes de laxe urbain atlantique ;

    3) situes lextrmit nord-ouest du continent africain, Tanger et Ttouan se distinguent des autres villes du Maroc par leurs caractristiques historiques et conomiques. Ce doublet urbain devient une locomotive pour le dveloppement du pays et pour son insertion dans la mondialisation des changes. Les capitales du Nord-Ouest tiennent une place importante dans larmature urbaine nationale, derrire la conurbation littorale qui stend de Casablanca Knitra. La population du binme Tanger-Ttouan dpasse le million dhabitants. Les concentrations urbaines autour des bassins demplois de ces grandes villes continuent dattirer la fois des capitaux nationaux et trangers mais aussi des migrants dorigine rurale. A lchelle locale, face une urbanisation rapide et en raison de la lutte contre la pauvret, les recommandations internationales reprises par le pouvoir central incitent des modes de gouvernance favorisant linclusion des couches urbaines pauvres de Tanger et de Ttouan. 1 Le Rif est qualifi de partie du royaume traditionnellement frondeuse par Ignace Dalle (2004, p. 37). 2 Siba signifie dissidence. Lexpression Bled el-Siba renvoie au pays insoumis : insoumis aux prlvements des impts pour le Trsor chrifien et au recrutement des hommes pour larme. Nanmoins, les rgions dissidentes reconnaissent au souverain le titre de Commandeur des croyants. Bled el-Siba soppose au Bled el-Makhzen ayant fait allgeance au roi et au Makhzen (appareil dEtat, voir lexique). Situ en plaine, Bled el-Makhzen obit au Palais et lautorit de lEtat : il reprsente le Maroc utile pendant la priode coloniale. Pays de montagnes et priphries berbres insoumises, Bled el-Siba correspond au dsordre et la dissidence, aux rgions ni contrles ni intgres : cest le Maroc rput inutile. 3 Intgrit : tat dune chose, dun tout, qui est entier, qui a toutes ses parties. 4 Le protectorat avait oppos le Maroc utile , le grand plateau central et les basses plaines atlantiques, celui des priphries montagneuses et sahariennes, rput inutile (Vermeren, 2001, p. 171).

  • 18

    Bien que les recompositions actuelles posent la question de lintgration diffrents niveaux, les logiques inclusives ne studient pas de la mme manire aux trois chelles considres : internationale, nationale et locale. Les effets des accords de libre change5 et linclusion des marges la ville svaluent diffremment.

    Lintgration de la pninsule tingitane au niveau international (bassin mditerranen), ainsi que les interactions entre le Nord marocain et le reste du pays, thmes qui guideront la premire partie de la thse, conduisent poser la question de linclusion urbaine des quartiers sous-quips en services essentiels dans les villes de Tanger et de Ttouan ; les deux dernires parties, et particulirement la troisime, proposeront une rflexion aux plans local et urbain.

    1.1. La question de linclusion dans un contexte de recompositions

    En 1956, alors que le Maroc retrouve pleinement sa souverainet, Ttouan est dpossde de ses fonctions de commandement sur la zone du Protectorat espagnol et Tanger perd son statut international. Mise lcart aprs lindpendance, la pninsule tingitane fait lobjet dun renouveau rcent. Depuis laccession au trne de Mohammed VI, une re nouvelle est amorce dans les capitales du Nord-Ouest marocain Le roi renoue des liens souverains avec une rgion dlaisse sous le rgne de Hassan II. La rgion Tanger-Ttouan porte les marques dune attention soutenue de la part des pouvoirs publics et des acteurs conomiques. Illustre par les sjours successifs du jeune monarque, expression de ses desseins politiques6, la volont de rhabilitation des provinces septentrionales du royaume se traduit par le lancement de grands projets (infrastructures routires, autoroutires, portuaires, ferroviaires, hydrauliques, touristiques). La dynamique de modernisation du tissu conomique et lintgration lconomie mondiale se manifeste travers des investissements directs trangers (IDE), des crations de zones franches industrielles et commerciales, la construction du port Tanger-Mditerrane, des dlgations de services publics des oprateurs internationaux, la promotion du tourisme, etc. Nous chercherons donc identifier les modes dintgration du Maroc du Nord7 et de la Tingitane lchelle nationale.

    Le rle de tte de pont de Tanger renforce les relations entre le Maroc et les pays situs sur la rive nord de la Mare Nostrum. En raison de la situation stratgique de la Tingitane, les recompositions actuelles, symboles de lunit nationale, peuvent sinterroger sous un angle gopolitique. A travers plusieurs thmes8, il sagira de considrer les activits qui caractrisent le Maroc du Nord, et la pninsule tingitane en particulier, comme des moteurs dans le processus dintgration de cette rgion lchelle internationale.

    5 Maroc - Union europenne et Maroc - Etats-Unis 6 En 1983, Mohammed VI, encore Prince hritier, a t diplm en droit luniversit Mohammed V de Rabat. Son tude portait sur LUnion Arabo-Africaine et la stratgie du Royaume du Maroc en terme de relations internationales . Aprs lobtention dun diplme de sciences politiques, il a effectu en 1988 un stage dans le cabinet de Jacques Delors alors Prsident de la Commission europenne. En 1993, il a soutenu une thse de droit sur Les relations entre la CEE et le Maghreb luniversit de Nice-Sophia Antipolis. Nous voudrions tre lEurope ce que le Mexique est lAmrique , dclare le Roi Hassan II. () Et puisque le Mexique a longtemps t la Nouvelle Espagne , Tanger o jadis les bazars sappelaient Le Petit Paris ou Barbara Hutton , Tanger, avec son pass, ses traditions, avec les joint ventures daujourdhui et lpargne des travailleurs migrs (nen appelle-t-on pas certains les Belgicains ?), Tanger est l, la porte de deux mondes, passage oblig () (Mige, 1992, p. 276). 7 Lexpression Maroc du Nord fait rfrence au dcoupage gographique de Grard Maurer (1999). Ce dcoupage est prsent dans le chapitre 2. 8 Le Rif, grenier kif (cannabis) de lEurope ; La contrebande partir de lenclave espagnole de Ceuta ; Les dynamiques industrielle et touristique dans la pninsule tingitane.

  • 19

    1.2. Linclusion urbaine travers laccs aux services essentiels

    Le contexte marocain de renouveau nordiste sinscrit, aux chelles locale et urbaine, dans la dynamique dtalement urbain que connaissent Tanger et Ttouan depuis plusieurs dcennies, notamment sous forme dhabitat non rglementaire (aux plans foncier et urbanistique). La multiplication des quartiers sous-quips9 la priphrie des deux villes est une consquence de la migration des ruraux vers les agglomrations du Nord-Ouest (exode rural). Les extensions urbaines rsultent dune part, de la saturation des tissus urbains anciens dgrads (mdinas10 caractrises par la location et la sous-location de logements insalubres) et dautre part, de linsuffisance de loffre lgale de logements bon march.

    A Tanger et Ttouan, le rythme soutenu des constructions sans autorisation est plus rapide que celui de lquipement en infrastructures et services en rseaux. Dans les quartiers priphriques populaires, le sous-quipement en services essentiels sexplique par le manque de moyens techniques et financiers de lEtat, des collectivits territoriales, des habitants et des oprateurs ayant la charge de ces services.

    Les services de base et les quipements collectifs sont dficients de manire endmique dans les quartiers pauvres, or ces carences sont lorigine de situations socio-conomiques et environnementales difficiles. Reprsentent-elles des circonstances qui oblitrent linclusion urbaine des poches de pauvret en remettant en cause leur dveloppement conomique et social ? Dans quelle mesure comportent-elles des germes dinstabilit ? Puisque la rfrence lexclusion comme menace pour la collectivit est dsormais plus ou moins accepte par tout le monde (Paugam, 1998, p. 139), la pauvret et lexclusion augurent-elles de risques sociaux11 Tanger et Ttouan ?

    Linclusion urbaine des quartiers sous-quips et de leurs habitants est problmatique. Les ingalits sont prennes, mais nanmoins dynamiques. Alors que des quartiers pauvres connaissent des modes dinclusion, identifiables partir de laccs aux services urbains, dautres secteurs urbains restent dans la marginalit. De quelle nature sont les interrelations entre la ville lgale et la ville hors-normes12 ? Comment les recompositions actuelles en Tingitane saccompagnent-elles de processus dinclusion/exclusion des marges la ville ? Quels lments dterminants et logiques animent dune part, le mouvement dinclusion des quartiers non-rglementaires et dautre part, le renouvellement des marges urbaines ?

    9 La terminologie de lhabitat sous-quip et la diversit des termes utiliss pour qualifier les quartiers pauvres et non-rglementaires sont traites dans la deuxime partie de la thse. 10 Mdina : ville. Par extension la mdina dsigne la ville ancienne, la vieille ville fortifie. 11 Risque social : Facteur de risque prsent dans la structure sociale qui peut causer une maladie ou un traumatisme (Maurice Blouin et Caroline Bergeron, 1997). Il existe () deux grands types de risques lexclusion () : un risque social pour chaque individu lexclusion, et un risque socital pour toute socit qui peut elle-mme faillir de ce dchirement du tissu social et de la perte des valeurs collectives (Xiberras, 1996, p. 22). Le durcissement des mcanismes de marginalisation sociale et lchec rcurrent des politiques peuvent dboucher sur des risques imprvisibles, mais assurment menaants pour la cohsion sociale (Demazire, in Paugam, 1996, p. 342). Le terme de risque social a une double acception. Dun point de vue sociologique, il dsigne le risque pour lindividu dtre exclu de la socit, de ne pas y trouver de place, de rle ni dutilit. Dans le dbat public et politique, voire mdiatique, le risque social sentend comme la menace dinscurit en raison de fortes ingalits et de pratiques dviantes, voire violentes, des exclus. Des prcisions sont apportes en annexe sur la notion de risque social. 12 Le thme de la ville duale renvoie aux travaux de Milton Santos. Plus particulirement dans le champ de la recherche urbaine au Maghreb, sur la thmatique de la ville lgale versus illgale, les travaux de Franoise Navez-Bouchanine et de Pierre Signoles font rfrence.

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    Nous tenterons de dresser une cartographie de la pauvret13 Tanger et Ttouan partir de laccs aux services de base. Cet accs aux services urbains pris comme indicateur dun niveau de bien-tre satisfaisant, de conditions de vie minimales et de droits lmentaires est loutil retenu pour identifier les modes dinclusion/exclusion des quartiers sous-quips. Les logiques inclusives et les processus dexclusion de ces socio-espaces sont lobjet dtude.

    Lurbanisation rapide et non-matrise se traduit par la densification et lextension de zones priphriques dhabitat sous-quip. Face un important retard en matire dinfrastructures et de services essentiels, les autorits nationales et locales doivent amliorer lamnagement du territoire et rompre avec une gestion attentiste des affaires urbaines et publiques. En vertu de la lutte contre la pauvret, les recommandations internationales (diffuses par les think tanks de la Banque mondiale, le FMI, et le PNUD) incitent les PED des modes de gouvernance visant favoriser linclusion des couches urbaines dfavorises.

    Les services de base constituent des enjeux importants pour le fonctionnement et le dveloppement de Tanger et de Ttouan parce quils sont dcisifs pour la cohsion sociale14 et lefficacit conomique dans des grandes agglomrations. Dans les quartiers non-rglementaires, lquipement est pour les habitants un moyen daccder la sant et la dignit, et de devenir citadin part entire. Les services essentiels, et plus encore laccs ces services15, reprsentent-ils un moteur de linclusion urbaine ? En quoi laccs aux services en rseaux est-il dterminant pour linclusion des quartiers pauvres des ensembles urbains structurs ? Comment cet accs permet-il de sortir de la marginalit et dtre inclus, dans la ville et dans la socit, lintrieur des tissus urbains quips (et intgrs au sens o ils constituent un tout avec le reste) de la ville ?

    Les services de transports collectifs urbains et de distribution deau potable, et plus particulirement laccs ces services, seront les indicateurs des processus dinclusion/exclusion tudis Tanger et Ttouan. Les usages des transports informels et des bornes-fontaines sont rvlateurs dun accs ingal aux services essentiels et ils montrent une ville duale qui se rfre une opposition entre conomie de la favela et conomie du centre (Santos, 1975, p. 48).

    Cette situation que tant dauteurs continuent dappeler dualisme ne serait pas autre chose que le rsultat, sur la socit, de la position hgmonique du circuit suprieur (). Le sous-emploi et les formes dactivits qui sy rattachent en sont une consquence directe (Santos, 1975, p. 51-52). Le circuit infrieur ou traditionnel de Milton Santos, auquel peut renvoyer la borne-fontaine et les transports informels pour notre sujet, reprsentent-ils des situations intermdiaires, donc une dynamique, ou au contraire un tat statique et une situation fige ? Si lopposition, voire lantagonisme des situations de dveloppement sont le fruit dun mme enchanement de causes, lexistence de deux circuits dans lconomie des villes et le rsultat dun mme groupe de facteurs (Santos, 1975, p. 51). Malgr la permanence des phnomnes dexclusion, nassiste-t-on pas des processus dinclusion des quartiers sous-quips via un accs progressif aux services urbains ?

    13 Conu par la Banque mondiale, loutil statistique et cartographique The poverty maping est repris par lEtat marocain. La carte de la pauvret communale a t labore, paralllement au RGPH de 2004, par le Haut commissariat au plan (Royaume du Maroc, 2004, 32 pages hors annexes). 14 La cohsion sociale correspond la solidarit dun groupe fortement intgr et transcend par des buts communs. Elle traduit aussi lattraction des individus les uns par rapport aux autres et lattachement des individus au groupe. Elle signifie un respect des valeurs et normes communes (monarchiques, rpublicaines, religieuses, etc.). 15 eau et assainissement liquide, lectricit, transports, sant, ducation

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    En dpit de lexclusion des plus vulnrables et de la prennit de la pauvret, quels sont les facteurs significatifs des processus dinclusion urbaine pouvant tre mis au jour travers lanalyse de laccs volutif aux services de base dans les quartiers dfavoriss ?

    Dans les grandes agglomrations des PED, les services urbains restent dcisifs pour le dveloppement social et lefficacit conomique : cest un postulat pralable notre tude. Les services en rseaux sont dterminants pour le fonctionnement des villes. Ils reprsentent aussi les enjeux dune bonne gouvernance urbaine. Les services de base contribuent dune part, lefficacit sociale urbaine cohsion sociale et stabilit politique et dautre part, lefficience conomique des villes dans la mesure o ils sont ncessaires bien que sans doute pas suffisants pour attirer les investisseurs et les activits productives.

    Sous linfluence des recommandations internationales, les modes de gestion urbaine volue vers des modles inspirs de lextrieur (par exemple, la gestion de leau potable en dlgation de service public Tanger et Ttouan depuis le 1er janvier 2002, ainsi que les concessions des services de transport urbain par autobus et de ramassage des ordures mnagres Tanger).

    Les concessions des services publics des oprateurs privs ne tmoignent-elles pas des recompositions qui interviennent actuellement dans le champ de la gouvernance urbaine ? En confiant des secteurs cls de la gestion urbaine au priv, les pouvoirs publics montrent leur volont de (et leur difficult ) garantir la fourniture en services essentiels dans des villes en croissance rapide. Il sagit la fois de rattraper le retard technique et financier des dispositifs prcdents, mais aussi de faire face des besoins croissants, en tenant compte des problmes environnementaux. En vertu des injonctions internationales, et devant lampleur des investissements raliser, les autorits marocaines (r)adoptent16 des modles de gestion, de type concessionnaire, des services urbains Tanger et Ttouan.

    2. Annonce du plan de thse

    Cette thse est structure en trois parties qui sarticulent autour dun double fil directeur :

    - dune part, celui de lintgration dune rgion et de ses capitales lensemble national et lchelle du bassin mditerranen ;

    - et dautre part, celui de linclusion urbaine des quartiers sous-quips et de leurs habitants travers laccs aux services essentiels.

    Les notions dintgration sociale et gographique et dinclusion urbaine sont la base de la problmatique17. Elles reprsentent la focale et laxe central qui guide notre rflexion. En suivant un cheminement progressif du global au local, notre dmarche gographique respectera lembotement des chelles supranationale, nationale, rgionale et urbaine. Cet entonnoir conduit tudier, dans la dernire partie, les modes et processus dinclusion urbaine et dexclusion des quartiers sous-quips Tanger et Ttouan. En amont, aura t aborde la question de lamnagement du territoire et des services urbains.

    16 r-adopter parce que le modle de concession tait en vigueur pendant la priode coloniale. 17 Lapproche conceptuelle (chapitre 1) permet de justifier pourquoi le terme dintgration est prfr pour lanalyse aux chelles internationale et nationale, et celui dinclusion aux niveaux local et urbain

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    La premire partie comporte trois chapitres :

    - lapproche conceptuelle ainsi que la problmatique et la mthodologie de notre travail sont exposes dans le premier chapitre ;

    - ensuite, les recompositions territoriales et urbaines de la pninsule tingitane sont replaces dans lhistoire de cette rgion et de ses ples urbains. Puisque les recompositions correspondent des volutions et des transformations par rapport au pass et aux situations antrieures, il apparat ncessaire de les replacer dans la longue dure. Le second chapitre permettra aussi de prsenter la rgion tudie travers une analyse des principaux indicateurs dmographiques, conomiques et sociaux. Cette exposition apporte une rflexion sur les rseaux urbains en Tingitane et les dcoupages administratifs successifs de la rgion et des villes de Tanger-Ttouan ;

    - le troisime chapitre traite de lintgration du Maroc du Nord et de la pninsule tingitane en particulier aux niveaux international et national. La rflexion porte sur la place du Rif et de ses bordures dans la mondialisation et sur les interactions entre les provinces septentrionales du pays et lUnion europenne. Cette approche lchelle du bassin mditerranen, travers les activits et les fonctions du Nord marocain est complte par la question de lintgration de cette rgion lchelle nationale. Sera aussi aborde la question des interrelations entre le Rif et la Tingitane : comment sarticulent-ils ? Comment la pninsule tingitane influence-t-elle la rgion montagnarde et rciproquement ? Quelle est la place de Tanger et de Ttouan dans larmature urbaine du royaume ?

    Influences par les mthodes de la gographie rgionale, la premire partie vient en amont dune approche au niveau urbain. Ensuite, lchelle locale, sont poses les questions de linclusion urbaine des quartiers sous-quips dans les villes de Tanger et de Ttouan.

    La deuxime partie intresse lamnagement du territoire et lurbanisme, ainsi que la thmatique des services de base et de leurs modes de gestion. Trois grands domaines de la recherche urbaine (habitat, eau et transports) sont abords dans trois chapitres successifs qui apportent dabord des prcisions et des lments de contexte pour les villes marocaines, avant dtudier plus particulirement les cas tangrois et ttouannais. La deuxime partie porte donc sur lhabitat sous-quip et insalubre, les transports collectifs et enfin laccs leau potable au Maroc et plus particulirement Tanger et Ttouan.

    La troisime partie correspond aux tudes de cas des quartiers sous-quips o des enqutes de terrain ont t effectues. Ces quartiers sont classs en trois grands types, selon un continuum de linclusion urbaine lexclusion sociale et spatiale, qui correspondent aux trois derniers chapitres de la thse. Dans un premier temps sont tudis les quartiers qui connaissent des processus dinclusion et qui prsentent les conditions les plus favorables. Ensuite, travers lexemple du secteur nord-est de lagglomration tangroise, sont apprhendes des situations intermdiaires entre linclusion urbaine et lexclusion. Enfin, le dernier chapitre est consacr aux quartiers exclus qui montrent eux-mmes trois types de situations : une exclusion prenne (pour ne pas dire durable parce quelle peut difficilement tre considre comme soutenable), des perspectives dinclusion court et moyen termes, et des nouveaux exclus avec en filigrane les ides de la permanence et du renouvellement des marges urbaines.

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    PREMIERE PARTIE :

    APPROCHE CONCEPTUELLE, PROBLEMATIQUE ET METHODOLOGIE

    PRESENTATION DE LA REGION DETUDE

    LES RECOMPOSITIONS TERRITORIALES ET

    URBAINES DANS LA PENINSULE TINGITANE

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    CHAPITRE 1 : APPROCHE CONCEPTUELLE, PROBLEMATIQUE ET METHODOLOGIE

    1. Approche conceptuelle et thorique Pauvret et exclusion1 correspondent des notions multidimensionnelles qui ne sont pas synonymes. La pauvret traduit la privation de biens et de revenus, ainsi que linsatisfaction de besoins lmentaires2, tandis que lexclusion correspond un processus de rejet dun individu ou dun groupe par le systme social3. Lexclusion correspond la non-participation une identit collective, limpossibilit davoir une place au sein du groupe, dans la socit. 1.1. La pauvret, lexclusion et la marginalit : des constructions sociales Larticulation entre les deux notions de pauvret et dexclusion, cest--dire le passage de la pauvret lexclusion, nest pas mcanique. La pauvret nentrane pas forcment lexclusion. Alors que la pauvret peut signifier une place voire une classe sociale, lexclusion correspond la perte de ce rle dans la socit. Le concept dexclusion, concept-horizon et matire rflexion4, remonte au dbut des annes 90 : Il sagissait non plus dtudier ce phnomne (la pauvret) de faon statique partir dun seuil de revenus mais de lanalyser comme un processus multidimensionnel de cumul de handicaps pouvant conduire en particulier la rupture des liens sociaux (Paugam, 1998, p. 138).

    Pour les sociologues, lexclusion est le rsultat de trajectoires individuelles et collectives traduisant des difficults daccs au march de lemploi. Par extension, dans les pays du Sud et au Maroc en particulier, les difficults daccs au march de lemploi 5 peuvent tre remplaces par les difficults davoir et de conserver un rle dans la socit .

    Alain Touraine (1991) donne une dfinition basique de lexclusion sociale partir du principe in/out : lexclusion nat de la transition dune opposition verticale de la socit (ceux den haut contre ceux den bas6) une coupure horizontale (ceux du dedans face ceux du dehors). Lexclusion rsulte de lvolution dune socit hirarchise, dans laquelle chacun a une place, une socit qui exclut. Economiquement et socialement dfavoriss, laisss pour compte, les exclus ne participent pas au systme social, ils nont pas de place dans la socit. Cependant, la socit doit-elle tre observe de manire statique, avec des individus soit dedans soit en dehors du systme, alors que lexclusion traduit le processus du passage dune situation dinclus une situation dexclus ?

    1 Les tudes sur lexclusion ont fait natre plusieurs concepts sociologiques (disqualification, dsaffiliation) et des notions assez proches : sgrgation, marginalisation, viction, relgation, cartement. 2 Pauvret : tat, condition dune personne qui manque de ressources, de moyens matriels pour mener une vie dcente (dictionnaire Trsor de la langue franaises < http://atilf.atilf.fr >). Les pauvres apparaissent comme une masse indiffrencie dindividus dont les ressources montaires individuelles sont nulles ou infimes et laccs aux biens publics trs limit (Fayman et Santana, 2001). 3 Exclusion : viction de quelquun dun lieu o il avait accs, dun groupe ou dun ensemble auquel il appartenait (dictionnaire Trsor de la langue franaises < http://atilf.atilf.fr >). 4 Pour Serge Paugam, lexclusion est un concept-horizon qui doit tre dconstruit pour devenir objet dtude. Ce sont les processus dexclusion, plus que les situations, qui doivent tre questionns. Lexclusion est une prnotion. Les sciences sociales cherchent lui donner un contenu scientifique, thorique et conceptuel. 5 Cest dailleurs pour rpondre ces difficults que vont se concevoir, en France notamment, les politiques publiques dinsertion et de lutte contre lexclusion (qui nont pas leur quivalent au Maroc). 6 Cette approche peut opposer les riches et les pauvres, les dominants et les domins, ou selon les thories structuralistes, les oppresseurs et les opprims.

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    Les sociologues expliquent lexclusion par une prcarit des individus, par des dficits de capital humain, avec des liens sociaux fragiles. Lexclusion, cest labsence de protection :

    Il y a risque de dsaffiliation lorsque lensemble des relations de proximit quentretient un individu sur la base de son inscription territoriale, qui est aussi son inscription familiale et sociale, se trouve en dfaut pour reproduire son existence et pour assurer sa protection (Castel, 1995).

    Labsence de protection dsigne ici rsulte de la fragilit des liens sociaux et familiaux double dchecs scolaires et de vie en socit. Pour Robert Castel, il y a dsaffiliation quand les deux types de sociabilit7, nomms liens primaires et liens secondaires par Emile Durkheim, ne fonctionnent pas ou plus.

    Cette approche par leffacement des deux principaux modes de sociabilit, lun traditionnel et lautre institutionnel8, peut permettre dapprhender lexclusion au Maroc. Pour Claude de Miras, la ville marocaine a fonctionn sur les rsidus dune inclusion traditionnelle, faite de solidarit familiale et dicte par les prceptes musulmans, fonde sur la charit et la protection des plus pauvres, selon un rgime de faveurs octroyes par la minorit fortune.

    A cela, se sont ajoutes les largesses de lEtat-providence, prolonges par des pratiques de patrimonialisation (). La socit marocaine tait ainsi dote dune puissante capacit, sociale et culturelle, rincorporer les (populations pauvres) dans un corps social, certes hirarchis et ingalitaire, mais apte maintenir du lien et de la cohsion. Si les conditions historiques dvolution de lconomie et de la socit marocaines ont gnr structurellement de la pauvret, il existait en contre point des mcanismes de rgulation et dinclusion. Il en a rsult un quilibre social qui nexcluait pas ponctuellement des phases autoritaristes dures. Au tournant des annes 80, lquilibre du systme socio-conomique du Maroc a t questionn et sa capacit historique dinclusion sest trouve altre. Les dispositifs formels ou informels, institutionnels ou culturels, publics ou privs, leur tour, ont t dpasss et, au tournant de cette dcennie, ces mcanismes dinclusion sociale ont t enrays par leffet des PAS, mais aussi par la monte de lindividualisme, par les difficults des classes moyennes et probablement par les propres contradictions internes de ce systme 9

    Le Maroc est un pays musulman et un Etat monarchique. Les logiques inclusives ne sont pas identiques au Maghreb et en Europe, mais les concepts et modles explicatifs de la sociologie occidentale peuvent tre largis la situation marocaine moyennant la prise en compte de ses spcificits (et des faits observs sur le terrain).

    La stabilit et lquilibre du systme social marocain reposent dune part, sur un mode de fidlits et de faveurs qui assure la protection des pauvres en contrepartie dune allgeance reconnue au souverain et dautre part, sur les solidarits familiales et traditionnelles influences par les principes de lIslam (par exemple, lobligation de charit). Ces deux caractristiques sont dailleurs lies dans la mesure o le souverain est aussi le Commandeur des croyants. Dautres logiques inclusives ont pris le relais de ce modle, notamment travers les politiques publiques de lEtat-providence.

    7 Deux types de sociabilit : dune part, les relations sociales familiales et traditionnelles et dautre part, les modes de protection institutionnaliss par lEtat-providence. Robert Castel (1995) explique que lespace social combine deux dimensions : celle de la participation aux rseaux de sociabilit et celle de la place dans la division du travail. 8 Mme sils ne sont pas ncessairement indpendants lun de lautre. Le Maroc a institutionnalis des traditions fondatrices de son modle social particulier, en les faisant entrer sans le champ politique ; le modle social nest pas fig mais en mutation. 9 de Miras C. et Le Tellier J., Le Maroc et inclusions sociales urbaines : lEtat providentiel monarchique face au march , Dipartimento di Pianificazione, Universit Iuav di Venezia, actes du colloque N-AERUS Inclusion urbaine : politiques publiques et pratiques sociales, Lund, Sude, 16 et 17 septembre 2005, 11 pages. A paratre en 2006. http://www.naerus.net/sat/workshops/2005/papers/15.pdf.

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    Mais la capacit historique dinclusion urbaine du modle monarchique et celle plus rcente de lEtat-providence ne sessoufflent-t-elles pas face aux logiques marchandes et la pression dmographique, en particulier en milieu urbain ? Lurbanisation ne tend-t-elle pas effacer les solidarits familiales enracines dans le milieu rural10 ?

    Au Maroc, le Haut commissariat au plan (2005, Ibid.) liste les facteurs de risques sociaux11 en quatre types de dficits : dficits au plan de lenseignement et de la sant (dveloppement humain), dficits dans le domaine de lemploi et sa scurit (dveloppement conomique), dficits concernant les conditions de vie (habitat et services de base : dveloppement social et environnemental), dficits de liens sociaux et familiaux. Ce dernier point fait rfrence aux ruptures de liens sociaux comme consquence de leffacement des solidarits traditionnelles qui est lui-mme le rsultat de lurbanisation, de la modernisation et de la mondialisation.

    En ralit, ce que lon appelait encore il y a trois dcennies le traditionnel a cess de ltre ds le moment o toute la vie de la socit a t boulevers par des lments rvolutionnaires commands de lextrieur (Santos, 1975, p. 49).

    La notion dexclusion

    La notion dexclusion est dsormais familire, presque banale, tant il en est question dans les commentaires de lactualit, dans les programmes politiques et dans les actions menes sur le terrain. Elle reste cependant relativement floue. () Le succs de cette notion est en grande partie li la prise de conscience collective dune menace qui pse sur des franges de plus en plus nombreuses et mal protges de la population (Paugam, 1998, p. 139).

    Lexclusion est un processus, et non un tat, qui correspond au parcours de dclassement social des individus (concept de disqualification sociale de Serge Paugam). La sociologie souligne lhtrognit des situations dexclusion, leurs caractres instables et volutifs. Le point commun des exclus, ce qui permet de les regrouper, est un dficit de participation la collectivit, cest--dire un phnomne de dsocialisation. La dsocialisation correspond la rarfaction des rseaux de sociabilit et des phnomnes de sgrgation sociale et spatiale.

    Si les pauvres ont un statut social dvaloris qui les disqualifie, ils restent membres de la socit dont ils constituent la dernire strate. Mais la disqualification sociale ou la dsaffiliation peuvent conduire les pauvres la dsocialisation et une situation dexclus. La disqualification sociale permet danalyser la marge et le processus qui y conduit, et dans le mme temps ce qui la rattache au centre. La difficult consiste alors analyser les ingalits, non plus de faon statique, cest--dire en identifiant les groupes dfavoriss et en recherchant les causes de leur condition sociale, mais de manire dynamique en reprant, dans les parcours de vies, les processus qui apportent certains individus un cumul de handicaps.

    Ce qui importe in fine ce nest pas la pauvret ou lexclusion en tant que telle, mais les processus qui y conduisent dans une socit un moment de son histoire. Lexclusion est un processus qui signifie le rejet dune partie de la population et qui traduit la rupture des liens sociaux (dsaffiliation).

    10 Au Maroc, lexclusion sociale est un phnomne plus urbain que rural (car) la pauvret rurale ne saccompagne pas ncessairement dexclusion en raison dune plus grande intgration familiale (Royaume du Maroc, Haut commissariat au plan, Objectifs du Millnaire pour le dveloppement. Rapport National 2005. Septembre 2005 , projet PNUD / UNIFEM Genre et ODM , 55 pages, p. 15). 11 Accs limit lenseignement, abandon scolaire, accs limit la formation professionnelle, accs limit lemploi, incertitude de revenus, logement insalubre, mauvaise qualit des services publics, mauvaises conditions de sant, faible protection sociale, rupture du lien social, absence de valorisation de la femme . Initiative Nationale pour le Dveloppement Humain. Thrapie de choc contre la pauvret ? . Confrence Maroc Entrepreneurs et Essec Maroc. Paris. 10 novembre 2005. 40 diapositives. http://www.cgem.ma/IMG/ppt/INDH.CGEM_16.09.05.ppt

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    Lexclusion se construit par des ruptures successives (ide de cumul de handicaps) et elle est rarement totale (Paugam, 1996). Les formes de lexclusion sont le produit dune construction sociale. Les exclus font partie de la population dun territoire, mais la faiblesse de leurs liens sociaux ne leur permet pas dappartenir au collectif et de participer une identit collective ; ils sont en dehors de la socit pense comme un tout cohrent.

    La marginalit et les marges urbaines

    Nous ne ferons pas rfrence lapproche sociologique sud-amricaine de la marginalidad (Nun, 1969, Quijano, 1968) ni son extension dans le champ politique travers le ple marginal (Quijano, 1971).

    Le terme de marge peut tre entendu travers une triple acception gographique, sociale et urbanistique. Proche de la notion de priphrie12 et de banlieue, la marge correspond une situation gographique : elle est loigne du centre(-ville) et proche des bordures de lagglomration13. La marginalisation est une mise en marge, autant dire lcart (Brunet, 1992, p. 320). Au plan sociologique, la marginalisation se rapproche du processus dexclusion. Dun point de vue urbanistique, la marge fait rfrence un modle de construction non conforme aux normes en vigueur. Ces dfinitions peuvent se recouper, notamment dans les mtropoles des pays du Sud o les populations exclues vivent dans les quartiers priphriques dhabitat non rglementaire.

    Linterprtation de la marge comme minorit fait dbat dans la mesure o, dans des grandes villes du Sud, les marges urbaines socialement exclues, priphriques dun point de vue gographique et irrgulires au plan urbanistique tendent devenir numriquement majoritaires. La dfinition de la marge comme lment qui se situe en dehors des normes sociales et urbanistiques et lcart du centre reste plus recevable que celle tablie en fonction du poids relatif des marges dans un ensemble.

    Lexclu et le marginal peuvent-ils tre confondus ? La socit, comme la ville, est un corps, avec une division des fonctions et une rpartition des rles. Celui (groupe ou individu) qui ne participe pas, parce quil ne le souhaite pas ou parce quil est rejet, est qualifi de marginal. Le marginal est dans une situation, contradictoire avec la norme et le droit, souvent assimile une pathologie ou une dviance14 (par exemple, les toxicomanes sont considrs soit comme des malades soit comme des dlinquants). Le marginal est hors la norme, la norme dsignant les situations et les comportements attendus par un groupe social15. Les dviants et les marginaux nentrent pas dans les normes sociales ou ne les respectent pas, tandis que lexclu est celui qui est priv de liens sociaux. Les marginaux sont dsigns comme des cas sociaux pour qui les solidarits et formes de sociabilit seffacent. La pauvret marginale (Paugam, 1996) est celle dun groupe social fortement stigmatis (le quart-monde). Les sociologues de lcole de Chicago tablissent une relation entre exclusion et dviance. Les marginaux sont des exclus qui, travers leurs comportements dviants, recomposent pour eux-mmes un nouvel ordre social, alternatif et invisible de lextrieur (Xiberras, 1996) ;

    12 Priphrie : Partie externe dun espace, ou partie considre comme tant sous la domination du centre. () On doit prendre garde la distinction entre le sens non spatial et le sens spatial du mot. Dans le premier, employ en conomie et de plus en plus en gographie, nest pris en compte que le rapport dominant-domin. Dans le second nest retenue que la relation dans ltendue. Les deux peuvent concider (Brunet, 1992, p. 278) 13 Roget Brunet et al. (1992, p. 320) donne la dfinition suivante de marge : Bordure, limite dote de quelque paisseur et considre comme en position de subordination . 14 Les sociologues appellent dviance toute forme de comportement qui transgresse les normes acceptes et dfinies par un groupe ou une institution dans une socit donne (Xiberras, 1996, p. 95). 15 Certaines actions sont donc prescrites (ce qui est bien ), tandis que dautres sont interdites (ce qui est mal ), dans chaque groupe social (Xiberras, 1996, p. 96)

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    ils revendiquent alors leur droit la diffrence. La problmatique de la marginalit dsigne spcifiquement cette attitude qui revendique son exclusion (Xiberras, 1996, p. 119). 1.1.1. Diffrents modes dvaluation de la pauvret au Maroc Il ny a de pauvres que sil y a des riches et des classes moyennes, que sil existe une diffrenciation sociale de laccs aux moyens de production (Simeu Kamdem, 2001). Le statut des pauvres et des exclus dpend de critres tablis pour chaque socit et de normes (le niveau de revenus16), ainsi que du rapport que les populations dsignes comme pauvres ou exclues entretiennent avec ceux qui les dsignent ainsi (Paugam, 1996).

    Il ne peut exister de dfinitions absolues. (Pauvret et exclusion) sont des notions relatives, variables selon les poques et les lieux. Il est draisonnable de prtendre trouver une dfinition scientifique juste, objective et distincte du dbat social sans tomber dans le pige de la catgorisation de populations spcifiques dont on sait pertinemment par ailleurs que les frontires qui les distinguent des autres groupes sociaux ne sont jamais claires et valables une fois pour toutes. Vouloir dfinir le pauvre ou lexclu en fonction de critres prcis, jugs scientifiques, conduit, en ralit, rifier des catgories sociales nouvelles ou similaires celles qui ont t construites socialement et laisser entendre quil peut exister une science de la pauvret ou de lexclusion indpendante du contexte culturel spcifique de chaque socit (Paugam, 1998, p. 141).

    Au Maroc, plusieurs administrations et institutions valuent la pauvret17 et de nombreuses plusieurs tudes ont t ralises depuis les annes 80. A partir des mthodologies labores par la Banque mondiale, les premires valuations de la pauvret taient bases sur le seuil de pauvret, indicateur le plus lmentaire. A partir des enqutes sur les dpenses de consommation et sur les niveaux de vie des mnages18, la population vivant en dessous du seuil de pauvret est ainsi quantifie.

    Tableau 1. Evolution de la pauvret au Maroc. 1984-1999

    1984-1985 1990-1991 1998-1999

    Nombre de pauvres urbains 1 289 000 912 000 1 814 000

    Nombre de pauvres ruraux 3 275 000 2 448 000 3 496 000

    Nombre de pauvres au Maroc 4 654 000 3 360 000 5 310 000

    Taux durbains par rapport la population pauvre totale 27,7 % 27,1 % 34,2 %

    Taux de ruraux par rapport la population pauvre totale 70,3 % 72,9 % 65,8 %

    Sources : direction de la Statistique, enqute nationale sur la consommation et les dpenses des mnages 1984-1985 et enqutes nationales sur les niveaux de vie des mnages 1990-1991 et 1998-1999

    La pauvret marocaine est en majorit rurale : en 1999, deux-tiers des pauvres vivent dans les campagnes (tab. 1). Le manque dinfrastructures de base influence ngativement les conditions de vie de la population rurale.

    Prs du tiers des ruraux consacrent les deux tiers de leur revenu lalimentation ; et les trois quarts dentre eux vivent plus dune heure dun centre public de sant, du fait de lenclavement de la majorit des douars et des villages. () Et la faible densit des coles rurales a trs longtemps t la cause de la faible scolarisation, en particulier des filles, dj astreintes parcourir quotidiennement des kilomtres pour aller chercher de leau et du bois, qui ne pouvaient effectuer de surcrot cinq dix kilomtres chaque jour pour se rendre lcole (Vermeren, 2001, p. 89).

    16 La pauvret absolue est mesure partir dun seuil fix en fonction dun panier de biens alimentaires et non alimentaires ncessaires la survie quotidienne (2 400 calories par jour pour la pauvret et 1 800 pour lextrme pauvret). Les biens non alimentaires comprennent lhabillement, le transport, lhygine, leau et lnergie. La pauvret absolue est dtermine partir dun seuil fix par rapport la distribution des niveaux de vie de lensemble de la population, avec comme rfrence le revenu mdian. 17 notamment la direction de la Statistique, le centre dtudes et de recherches dmographiques (CERED) et la division de la Population du ministre de la Sant. 18 Hormis le RGPH de 2004, les sries statistiques les plus rcentes figurent dans lenqute nationale sur la consommation et les dpenses des mnages 2000-2001.

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    (La mthode dvaluation de la pauvret partir des enqutes sur les niveaux de vie des mnages) ne renseigne pas de faon prcise sur le degr daccessibilit aux diffrents aspects du bien tre et choue quand il sagit de rendre compte de laccs plusieurs services publics ou encore de la consommation de biens distribus par lEtat et qui ne demande pas de paiements directs mais qui amliore le niveau de vie des mnages. () A partir de ces critiques, deux autres approches ont t dveloppes. La premire est celle dite "Lapproche socio-conomique de la vulnrabilit et de la marginalisation sociale". Cette approche a permis didentifier sur la base des donnes de lEnqute Nationale sur la Famille ralise en 1995 quatre catgories des mnages : les mnages socialement marginaliss ; les mnages vulnrables ; les mnages moyens et les mnages aiss. La deuxime approche est celle fonde sur la satisfaction des besoins essentiels dveloppe lInstitut National de Statistique et dconomie Applique (INSEA) en 1999 sur la base des donnes de lEnqute de Panel sur la Population et la Sant (EPPS, 1995) 19.

    Les nouvelles mthodes dvaluation de la pauvret au Maroc considrent la fois la pauvret absolue, dfinie partir dun seuil de revenu, mais aussi en fonction de critres qualitatifs20.

    Tableau 2. Seuils de pauvret relative selon lanne et le milieu de rsidence. Maroc. 1984-1995 (en dirhams courants par tte et par an)

    Milieu de rsidence 1984-1985 1990-1991 1998-1999

    Urbain Rural

    1 966 1 760

    2 725 2 439

    3 922 3 037

    Sources : direction de la Statistique, enqute nationale sur les niveaux de vie des mnages, 1998-1999

    La frontire entre la probabilit dtre sous lemprise de la pauvret et dchapper durablement cette situation est plutt fragile en raison de la fluctuation des revenus. Lessentiel serait de dfinir un seuil de vulnrabilit conomique au-dessous duquel lindividu court un grand risque de tomber dans la pauvret. () Les mnages dont le niveau de dpense par habitant est situ entre le seuil de pauvret et 1,5 fois le seuil de pauvret sont les plus vulnrables la pauvret 21.

    Les institutions marocaines distinguent 1) les mnages socialement marginaliss , cest--dire les mnages qui ne disposent pas de revenus dits formels et ayant des habitudes de consommation relativement basses, 2) les mnages vulnrables sont ceux dont le niveau de vie avoisine le seuil de pauvret sans dpasser en moyenne les deux-tiers de ce seuil, 3) les mnages moyens dpassent le seuil de pauvret jusqu trois fois ce seuil, 4) les mnages aiss ont un niveau de vie au moins trois fois plus lev que le seuil de pauvret.

    Tableau 3. Distribution des mnages et de la population selon la position dans lchelle sociale

    Mnages dfavoriss

    Marginaux Vulnrables Ensemble

    Mnages moyens

    Mnages aiss

    Total

    Distribution des mnages

    Urbain 9,9 36,8 46,7 40,0 13,3 100,0

    Rural 6,5 51,9 58,4 37,5 4,1 100,0

    Ensemble 8,4 43,4 51,8 38,9 9,3 100,0

    Distribution de la population

    Urbain 7,2 36,5 43,7 43,8 12,5 100,0

    Rural 3,5 47,8 51,3 44,6 4,2 100,0

    Ensemble 5,4 41,9 47,3 44,2 8,5 100,0

    Sources : Centre dtudes et de recherches conomiques et dmographiques, CERED, Rabat, 1997

    Lappareil statistique marocain passe donc dune valuation strictement conomique de la pauvret, en fonction des revenus des personnes, une approche base sur la satisfaction des besoins essentiels. 19 Ajbilou A., Suivi de la pauvret au Maroc : Organismes et indicateurs, Equipe MIMAP-Maroc, INSEA, Rabat. (texte non dat, < http://web.idrc.ca/uploads/user-S/10282112080mimap50.doc >). 20 1) mnage : taille du mnage, lien de parent avec le chef du mnage, sexe, ge, tat matrimonial, 2) fcondit : nombre denfants ns vivants, nombre denfants en vie, nombre denfants dcds, 3) migration : lieu de naissance, dure de rsidence, lieu de dernire rsidence, 4) ducation : alphabtisme, diplme, dernire classe frquente, 5) emploi : type dactivit, profession principale, activit conomique principale, situation dans la profession, 6) habitat : type de logement, biens durables, statut doccupation, nombre de pices. 21 Royaume du Maroc, Haut commissariat au plan, juin 2004, Carte communale de la pauvret , Rabat, 40 pages hors cartographie annexe.

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    Plusieurs variables considres comme des exigences minimales dexistence sont retenues22 et permettent de dgager les rsultats suivants pour lanne 1999 :

    75,5 % de la population rurale passe plus dune heure pour se rendre dans un centre de sant alors quen milieu urbain 15,5 % des mnages auraient passer plus de 30 minutes pour se rendre dans un centre similaire. En milieu rural, 67,1 % des mnages vit dans des logements dont le toit nest pas une dalle, cest--dire quil est fait de matriaux prcaires. En milieu urbain les conditions dhabitat des mnages pauvres ne sont gure meilleures. En effet, 20,9 % des mnages urbains vivent dans des logements une seule pice. Malgr la quasi-gnralisation de certains services dans ce milieu 3,2 % de mnages ne disposent pas deau potable et 9,4 % nont pas dlectricit (Ajbilou, op. cit.).

    Tableau 4. Seuils de pauvret relative et de vulnrabilit en 1998-99. Maroc. (en dirhams courants)

    Seuil de vulnrabilit par Seuil de pauvret relative par Milieu de rsidence

    personne / an mnage / mois personne / an mnage / mois

    Urbain 5 883 2 742 3 922 1 828

    Rural 4 555 2 404 3 037 1 603

    Sources : Haut commissariat au plan, juin 2004, Carte communale de la pauvret, Rabat, p. 20

    Tableau 5. Evolution du taux de pauvret relative selon le milieu de rsidence au Maroc. 1984-1999

    Milieu de rsidence 1984-1985 1990-1991 1994 1998-1999

    Urbain 13,8 % 7,6 % 10,4 % 12,0 %

    Rural 26,7 % 18,0 % 23,0 % 27,2 %

    Ensemble du Maroc 21,1 % 13,1 % 16,5 % 19,0 %

    Sources : Haut commissariat au plan, juin 2004, Carte communale de la pauvret, Rabat, p. 23

    Ce tableau met en vidence un recul de la pauvret dans les annes 80, sans doute grce aux politiques de lutte contre la pauvret de lEtat-providence, puis une augmentation au cours de la dcennie suivante qui peut sexpliquer par les effets ngatifs des PAS. En 1999, le taux de pauvret atteint presque le niveau du dbut des annes 80. Compte-tenu de la croissance dmographique, le nombre de pauvres continue daugmenter.

    A la campagne, plus dun habitant sur quatre est pauvre, pour moins dun sur huit en ville. Lurbain doit pourtant rester une proccupation majeure dans les politiques de dveloppement car plus dun Marocain sur deux habite en ville et lurbanisation, alimente par lexode rural23, va se poursuivre. Au plan des infrastructures, le monde rural marocain reste sous-quip par rapport la ville. Cest pourquoi de grands programmes dinfrastructure y sont maintenus24. Lobjectif est de rduire lcart quipementier entre la ville et la campagne.

    Doit-on penser quen milieu urbain loptimum est atteint et que si lon peut faire face de nouvelles demandes en services essentiels, des besoins ne peuvent pas encore devenir des demandes solvables ? Ce mur de linsolvabilit, qui empche le raccordement gnralis de la population urbaine aux services de base (eau, assainissement, lectricit), nest-il pas implicitement reconnu comme infranchissable pour linstant ? Peut-tre, mais la part relative des mnages nayant pas accs aux rseaux reprsente une ligne de flottaison en dessous de laquelle il ne faut pas descendre. 22 La disponibilit dune alimentation saine et suffisante, laccs des soins de sant, un logement dcent, une ducation et certains biens. Avec pour indicateurs : un coefficient budgtaire alimentaire pour la variable alimentation, le temps pour se rendre dans un centre public de sant pour la variable sant, le nombre de pices habites et la nature du toit du logement habit par le mnage pour la variable habitat, laccs leau potable et llectricit pour les conditions de vie, les dpenses en matire dducation pour la variable scolarit-ducation, le fait de disposer dun tlviseur pour le niveau de confort. 23 Lappareil statistique marocain estime que le nombre des migrants des campagnes vers les villes est pass dune moyenne annuelle de 67 000 entre 1960 et 1971 113 000 entre 1971 et 1982, puis 167 000 entre 1982 et 1994 (Zouiten, Lahlou, 2001, p. 128). 24 le PAGER pour leau potable (programme dalimentation gnrale en eau potable en milieu rural), le PERG pour llectricit (programme dlectrification rurale gnrale) et le PNRR pour les infrastructures routires (programme national des routes rurales).

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    Des mesures seront donc prises pour maintenir un niveau socialement, politiquement et conomiquement acceptable la population qui na pas accs aux services urbains. Laisser lcart se creuser entre les avec accs et les hors accs reprsenterait un risque social majeur pour la stabilit du tout que constitue la Nation.

    Dune manire gnrale, la faible croissance conomique, paralllement un accroissement naturel encore fort en raison dune transition dmographique inacheve, conduit une augmentation de la pauvret. La part de la population vivant en dessous du seuil de pauvret est estime environ six millions de Marocains (un sur cinq). La socit marocaine est foncirement ingalitaire : en 2004 et selon la direction de la Statistique, les 10 % les plus riches de la population dpensent douze fois plus que les 10 % les plus pauvres, soit environ 30 % des dpenses de lensemble national. Les disparits se creusent entre les milieux rural et urbain : le taux de pauvret la campagne, 23 % daprs le recensement gnral de la population et de lhabitat (RGPH) de 2004, est presque trois fois plus lev quen ville (7,9 %). Selon les statistiques du Haut commissariat au plan, la moiti la plus pauvre des mnages ralise seulement 24 % de la masse globale des dpenses. 10 % des mnages, les moins aiss, reprsentent 2,53 % de la masse totale des dpenses. 1.1.2. De la pauvret la prcarit et lexclusion Traditionnellement, au sens historique du terme, les socits pauvres, celles des pays en dveloppement et des pays les moins avancs, ne sont pas des socits qui excluent car elles maintiennent des liens sociaux forts. Le modle social marocain nest-t-il pas comparable la socit salariale en ce sens quil gnre de la pauvret intgre25 ?

    La fin du modle salarial en France

    En France, avec le dclin de la socit salariale hrite du modle fordiste26, la pauvret se traduit par de la prcarit27 qui conduit lexclusion. La prcarit traduit des formes dinstabilit, avec ces lendemains incertains qui sopposent pour le moins lidale habitation durable des territoires (Ferrier, 1998).

    Les transformations induites par le passage un modle post-fordiste de production vont trs largement dstructurer le monde ouvrier traditionnel. Le chmage de masse et la prcarisation de lemploi non qualifi vont en effet y rintroduire une inscurit et une imprvisibilit que lavnement dune socit salariale (base sur la croissance conomique et un Etat social fort) avait largement rduites. Cette dsobjectivation du salariat va simultanment dstabiliser les stables et crer de la dsaffiliation (Bonelli, 2003). Ceux que Robert Castel nomme les dsaffilis sont ces inutiles au monde, qui y sjournent sans vraiment y appartenir. Ils occupent une position de surnumraires, en situation de flottaison dans une sorte de no mans land social, non intgrs et sans doute in-intgrables

    25 La pauvret intgre telle que dfinie par les sociologues, notamment Serge Paugam et Robert Castel, dsigne la condition sociale dune grande partie de la socit. Les pauvres ne forment pas une underclass, mais un groupe social. Ils sont alors faiblement stigmatiss dans la mesure o ils sont intgrs dans des rseaux de solidarits (familiales). Ils sont protgs par des formes de protection dites traditionnelles. En Europe, la pauvret intgre est celle des campagnes ou des corons miniers des annes 1920-1940. La faiblesse des moyens conomiques saccompagne dune forte intgration sociale et dun rapport spcifique aux moyens de production. Les syndicats, les communauts locales, le voisinage sont les lieux de socialisation de ces populations qui ne souffrent pas dun manque relationnel ni dun dficit de lie