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Madame Sylvie Le Bohec Les reines de Macédoine de la mort d'Alexandre à celle de Persée In: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 4, 1993. pp. 229-245. Citer ce document / Cite this document : Le Bohec Sylvie. Les reines de Macédoine de la mort d'Alexandre à celle de Persée. In: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 4, 1993. pp. 229-245. doi : 10.3406/ccgg.1993.1380 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccgg_1016-9008_1993_num_4_1_1380

Les reines de Macédoine de la mort d'Alexandre à celle de Persée

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Page 1: Les reines de Macédoine de la mort d'Alexandre à celle de Persée

Madame Sylvie Le Bohec

Les reines de Macédoine de la mort d'Alexandre à celle dePerséeIn: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 4, 1993. pp. 229-245.

Citer ce document / Cite this document :

Le Bohec Sylvie. Les reines de Macédoine de la mort d'Alexandre à celle de Persée. In: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 4,1993. pp. 229-245.

doi : 10.3406/ccgg.1993.1380

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccgg_1016-9008_1993_num_4_1_1380

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Les reines de Macédoine

de la mort d'Alexandre à celle de

Persée

Sylvie Le Bohec Université de Rouen

A la différence des autres monarchies de l'époque hellénistique qui nous ont laissé le souvenir de grandes reines comme par exemple Arsinoé II chez les Lagides, Apollonis chez les Attalides ou Laodice chez les Séleucides1, la monarchie antigonide ne semblait pas avoir comporté de figures féminines remarquables. Il fallait quelque peu remonter dans le temps pour trouver la célèbre Olympias, mère d'Alexandre le Grand. Comme le dit M. B. Hatzopoulos, "nous étions habitués à la présence dynamique des reines des nouveaux royaumes hellénistiques sur la scène de l'histoire, mais nous pensions qu'en métropole, les moeurs n'avaient pas subi la même évolution"2. Peu de faits étaient connus sur la vie de ces reines et elles ne semblaient pas avoir joué un rôle important dans la vie politique comme le notait G. H. Macurdy3. Or des découvertes épigraphiques faites récemment en Macédoine paraissent suggérer que ces reines n'ont pas eu uniquement un rôle passif. Citons encore M. B. Hatzopoulos qui écrit: "il se peut... qu'il faille réviser l'opinion commune sur la place des reines dans la cour antigonide"4. Beaucoup d'aspects nous échappent encore et d'autres découvertes viendront sans doute bientôt enrichir nos connaissances ; mais il vaut la peine, dès à présent, de rassembler tous les éléments connus, anciens et nouveaux, concernant les reines de Macédoine à l'époque hellénistique afin de mieux comprendre leur place et leur rôle au sein du royaume.

Dans un premier temps, il convient de dresser la liste des épouses des rois connues en Macédoine pour la période hellénistique.

1. Rhoxane5, épouse d'Alexandre le Grand de 327 à 322, puis veuve6. Princesse de Sogdiane, fille d'Oxyartès, née vers 342/1 av. J.-C, elle

devient l'épouse du conquérant en 327. A la mort d'Alexandre, elle est

1 Sur les reines de l'époque hellénistique, G. H. Macurdy, Hellenistic Queens. A study of woman power in Macedonia, Seleucid Syria and Ptolemaic Egypt, Baltimore, 1932. Cl. Vatin, Recherches sur le manage et la condition de la femme mariée à l'époque hellénistique, Paris, 1970, p. 57-114. 2 M. B. Hatzopoulos, "Un nouveau document du règne d'Antigone Gonatas", Poikilia, Mélétèmata 10, Athènes,1990, p. 147. 3 G. H. Macurdy, loc. cit., p. 169 et 229. 4 M. B. Hatzopoulos, loc. cit., p. 147. 5 H. Berve, Das Alexanderreich auf posopographischer Grundlage I-II, Munich 1926, II 688. 6 Les deux autres épouses d'Alexandre ne peuvent être prises en considération : en effet, peu de temps après la mort du conquérant, Stateira fut tuée par Rhoxane avec l'aide de Perdiccas (Plut., Alex., 77, 6) et la seconde Parysatis disparaît des sources.

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enceinte et, en Octobre 327, donne naissance à un fils, Alexandre IV. En 317, elle est séquestrée avec son fils par Cassandre à Amphipolis, puis assassinée par ce dernier en 310.

2. Eurydice7, épouse de Philippe ΠΙ Arrhidée de 322 à 317 av. J.-C. Née entre 337 et 336/5, elle est la fille d'Amyntas IV et de Kynanè

elle-même fille de Philippe IL Elle s'appelait Adéa et sa mère l'avait élevée dans les choses de la guerre8. En 322, cette dernière n'hésite pas à lever une troupe et à passer en Asie pour la marier à Philippe III Arrhidée, demi-frère d'Alexandre. Kynanè est tuée, mais Adéa qui prend alors le nom d'Eurydice — nom de la mère de Philippe II — épouse Philippe ΠΙ9 qui était épileptique et simple d'esprit10. Ambitieuse, Eurydice fait proclamer Cassandre régent au printemps 317 avec la ferme intention de récupérer pour elle-même le pouvoir royal. Elle lève une armée et s'oppose à celle conduite par Olympias et Polyperchon, mais est faite prisonnière. Après quelques jours de détention, Olympias lui ordonne de se suicider; Eurydice se pend avec sa ceinture11. Cassandre prend soin de la faire enterrer dans la nécropole d'Aigai avec Philippe ΙΠ et sa mère Kynanè12. Le couple royal n'eut pas de descendants.

3. Thessalonikè13, épouse de Cassandre de 316 à 297 av. J.-C, puis veuve ; reine de Macédoine à partir de 305.

Née en 351, elle est la fille de Philippe II et de la Thessalienne Nikésipolis qui était la nièce de Jason. Cette demi-sœur d'Alexandre le Grand devient l'épouse de Cassandre eh 316 alors qu'il commence à s'imposer en Macédoine. En 305 Cassandre prend le titre de roi et Thessalonikè devient reine. Le couple eut trois fils, Philippe qui survit à peine à son père mort en 297, Antipater et Alexandre. A la mort de l'aîné, Thessalonikè veille au partage de la royauté entre les deux cadets, mais en 295, Antipater la fait mettre à mort.14

4. Phila I15, épouse de Démétrios Poliorcète de c. 321 à 288 av. J.-C, reine à partir de 306, reine de Macédoine à partir de 294.

Née vers 350, elle est la fille d'Antipater, donc la sœur de Cassandre. En premières noces, elle épouse Cratère qui meurt en 322. Vers 321, malgré la différence d'âge, elle devient la femme du Poliorcète, alors âgé de 17 ans, lequel prend le titre de roi en 306. Peu après son mariage, elle semble avoir gagné l'Asie où elle réside jusqu'à l'avènement de Démétrios en Macédoine en 294. Jusqu'en 307, Phila est la seule épouse de Démétrios ; ensuite Le

7 G. H. Macurdy, loc. cit., p. 48-52. 8 Polyen, VIII, 60. 9 Arrien, Suce, 22-23. 10 Plut, Alex,. 77, 7. nDiod., XIX, 11. 12 Diod., XIX, 52, 5. 13 G. H. Macurdy, loc. cit., p. 52-55. 14 Sur les épouses d'Antipater et d'Alexandre (Lysandra) qui n'eurent pas de rôle en Macédoine, voir G. H. Macurdy, loc. cit., p. 55-58. 15 C. Wehrli, "Phila, fille d'Antipater et épouse de Démétrius, roi des Macédoniens", Historia XIII, 1964, p. 140-146.

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Poliorcète prend d'autres femmes16 ainsi que des maîtresses, mais Phila lui reste fidèle jusqu'au bout. En 288, ne voulant pas survivre à la chute de son mari, elle s'empoisonne. Elle lui donna deux enfants, Antigone né en 320/ 19 et Stratonice17.

5. Lanassa18, épouse de Démétrios Poliorcète à partir de 291 ou 290 av. J.-C.

Fille d'Agathocle, tyran de Syracuse, elle avait d'abord épousé Pyrrhos. Furieuse de voir ce dernier lui préférer des femmes barbares, elle propose à Démétrios de l'épouser et lui fait don de Corcyre. Leur arrivée à Athènes est fêtée par la population19. Lanassa n'apparaît plus ensuite dans les sources.

6. Phila II20, épouse d' Antigone Gonatas de 276-272 (?) à 239 (?) av. J.-C.

Née entre 300 et 294/3, elle est la fille de Séleucos 1er Nikator et de Stratonice. Elle devient l'épouse d'Antigone Gonatas entre 276 et 272 et lui donne rapidement un fils, le futur Démétrios II.

7. Stratonice21, épouse de Démétrios II de 253 (?) à 239 (?) av. J.-C. Née vers 276, elle est la fille d'Antiochos 1er et de Stratonice et la sœur

d'Antiochos Π. Elle épouse Démétrios, peut-être en 253 et lui donne une fille Apamè qui se marie ensuite avec Prusias 1er de Bithynie. Probablement répudiée au début du règne personnel de Démétrios II22, vers 239, Stratonice regagne l'Asie : on la retrouve à Antioche au moment où son neveu Antiochos Hiérax est chassé d'Asie Mineure par Attale23.

8. Phthia, épouse de Démétrios II de c. 239 à 229, puis d'Antigone Dôsôn de 229 à une date indéterminée24. Princesse épirote, Phthia est la fille

16 Nous mentionnons ici en note les femmes épousées par Démétrios alors qu'il n'était pas encore roi de Macédoine. En 307, il prend pour femme une Athénienne Eurydice, veuve d'Ophellas, qui lui donne un fils Corragos (Plut., DémAA, 1, 53, 9). En 303, aux Héraia d'Argos, il épouse Deidamie, soeur aînée de Pyrrhos, fille d'Eacide, roi des Molosses. Elle lui donne un fils, Alexandre. Elle meurt en Cilicie en 299/8 (Plut., Dém., 25, 2, 53, 8 ; Pyrrh., 4, 3). Après la mort de Deidamie, il se fiance par l'intermédiaire de Séleucos avec Ptolémaïs, fille de Ptolémée et d'Eurydice, soeur de Phila (Plut., Dém., 32, 6) ; le mariage n'est célébré que 12 ou 13 ans plus tard (en 286?) après la mort de Phila (Plut., Dém., 46, 5). Sur ces trois épouses, voir J. Seibert, Historische Beitrâge zu den dynastischen Verbindungen in hellenistischer Zeit, Wiesbaden, 1967, p. 27-32. 17 Plut., Dém., 53, 8. 18 C. Wehrli, Antigone et Démétrios, Genève,1969, p.177-178. 19 Plut., Pyrrh., 10,7. 20 J. Seibert, loc. cit., p. 33-34. 21 J. Seibert, loc. cit., p. 34-36. 22 II paraît vraisemblable d'admettre une corégence de Démétrios II avec son père Antigone Gonatas ; sur ce difficile problème, en dernier lieu, Hatzopoulos, Mêlé ternata 10, p. 144-147. Certains historiens pensent que Démétrios répudia Stratonice pour épouser Nikaia, la veuve d'Alexandre de Corinthe vers 244/3 ; mais il n'est pas sûr que Démétrios l'ait prise pour femme, c'est pourquoi nous ne la mentionnons pas dans notre liste. Nikaia n'apparaît plus ensuite dans les sources (voir réf. dans Ed. Will, Histoire politique du monde hellénistique I, Nancy, 2e éd., 1979, p. 324-325). » Ed. Will, loc. cit., p. 299. 24 Sur cette interprétation, voir S. Le Bohec, "Phthia, mère de Philippe V : examen critique des sources" REG, XCIV, 1981, p. 34-46 (avec réf. pour les points de vue différents).

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d'Alexandre d'Epire et d'Olympias, donc la petite -fille de Pyrrhos25. Elle épouse Démétrios II vers 239 et lui donne le futur Philippe V vers 238 /7, ainsi que d'autres enfants aux noms inconnus. A la mort de Démétrios II, elle devient l'épouse du tuteur de Philippe, Antigone Dôsôn qui prend le titre royal peu de temps après. Phthia n'est plus mentionnée ensuite dans les sources. Estelle morte ou a-t-elle été répudiée ? Nous l'ignorons.

9. Chryséis,vraisemblablement la deuxième épouse d1 Antigone Dôsôn26. Elle n'est mentionnée qu'une seule fois par Polybe27 ; ses dates et son origine demeurent inconnues. Antigone se serait engagé auprès des Premiers des Macédoniens à ne pas élever les enfants qui seraient issus de ce mariage afin de préserver la royauté pour son pupille Philippe28.

10. Polycrateia29, première épouse de Philippe V de c. 213 à une date indéterminée.

Épouse d'Aratos le Jeune, fils du grand Aratos de Sicyone, elle est séduite par le roi Philippe V qui séjourne dans le Péloponnèse. Elle devient sa femme vers 213 et lui donne un fils, Persée.

1 1 . Anonyme, deuxième épouse de Philippe V30. On sait seulement qu'elle lui donne un fils Démétrios et deux filles. 12. Princesse bastarne anonyme, première épouse de Persée. Elle est donnée en mariage en 182 par Philippe V à son fils qui est

vraisemblablement Persée31. Lors du deuxième mariage de Persée, elle était soit répudiée, soit morte ; peut-être était-elle la femme que, selon la rumeur, le roi aurait tuée de sa main32.

13. Laodice33, deuxième épouse de Persée de c. 178/7 à 168. Elle est la fille du roi Séleucos IV Philopator et de Laodice. Elle épouse Persée vers 178/7. Prisonnière des Romains en 168 après Pydna, elle devient ensuite la femme d'Ariarathe V, roi de Cappadoce.

Cette brève présentation des épouses de souverains qui ont régné sur la Macédoine à l'époque hellénistique nous amène à formuler plusieurs types de remarques.

Les premières concernent la polygamie. Démétrios Poliorcète paraît être le seul souverain qui ait continué la tradition de la polygamie bien illustrée par Philippe II et par Alexandre le Grand34. N. G. L. Hammond35 et P. Green36

25 Justin, XXVIII, 1, 1-2. 26 Voir l'article de S. Le Bohec cité ci-dessus. 27 Polybe, V, 89, 7. 28 Eusèbe, Chroniques, (éd. Schoene) 1 237-238. 29 J. Seibert, Historische Beitrâge zu den dynastischen Verbindungen in hellenistischer Zeit, Wiesbaden, 1967, p.39 ; dans la note 49, on ajoutera : Plut., Arat., 49, 2. 30 G. H. Macurdy, Hellenistic Queens. A study of woman power in Macedonia, Seleucid Syria and Ptolemaic Egypt, Baltimore, 1932. p. 72-73. 31 Tite-Live, XL, 50, 10 ; J. Seibert, he. cit., p. 42. 32 Tite-Live, XLII, 5, 4 ; F. W. Walbank, A historical Commentary on Polybius, III, Oxford, 1979, p. 280. 33 G. H. Macurdy, loc. cit., p. 73-76. 34 Plut., Ληί.. 91, 1.

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ont fait d'intéressants commentaires sur les mariages de Philippe IL Ces deux historiens considèrent qu'il faut faire une distinction entre les mariages avec des femmes étrangères, mariages en général de courte durée contractés pour des raisons diplomatiques la plupart du temps au cours d'une guerre37 — et les mariages macédoniens et épirotes. Ces derniers sont relativement peu nombreux et ont avant tout pour but , semble-t-il, de fournir au roi un choix suffisant d'enfants mâles pour lui succéder. Le cas de Démétrios Poliorcète paraît assez semblable. Il avait, dit Plutarque, la réputation d'avoir le mariage facile38 ; mais beaucoup de ses unions, comme nous allons le voir, manifestent avant tout les fluctuations de ses orientations politiques. Phila, sa première épouse macédonienne qui lui a très tôt donné un fils — Antigone est né vers 320/19 — a toujours conservé une place importante. Plutarque écrit qu'elle était "la première de toutes en considération et en dignité" du fait de ses origines (fille d'Antipater) et de son premier mariage (épouse de Cratère)39. Les autres souverains macédoniens de l'époque hellénistique semblent avoir été monogames et leurs épouses respectives leur ont donné rapidement un héritier. Si certains ont eu deux femmes, ce fut successivement, la première étant morte ou ayant été répudiée. Malheureusement les raisons de ces séparations ne sont jamais formulées. Dans le cas de Stratonice peu-être renvoyée par Démétrios II, on constate que cette dernière ne lui a pas donné d'héritier mâle. Par conséquent, on peut considérer qu'il n'existait dans le royaume qu'une seule épouse en titre.

Lors de cette première série de remarques, nous avons fait allusion à l'aspect politique de ces unions et c'est ce point que nous voudrions aborder maintenant. Comme on le sait, même si les sentiments interviennent parfois, ces mariages sont, la plupart du temps, contractés avant tout pour des raisons politiques. Pour le moins, ils confirment de bonnes relations avec la famille de l'épouse et, si cette dernière est puissante, ils entraînent un surcroît de prestige pour le roi ; souvent, ils servent à renforcer un traité ou une alliance. Il est possible de distinguer dans ces différentes unions plusieurs orientations politiques. Le cas d'Alexandre revêt un caractère particulier. En effet, le conquérant s'est uni à Rhoxane ainsi qu'à deux autres princesses iraniennes afin de manifester que les relations entre les deux peuples se feraient désormais sur un pied d'égalité et ne seraient plus celles de vainqueur à vaincu. Dans les premières années de l'époque hellénistique apparaît chez certains Diadoques ou chez certains grands personnages le souci de se rattacher à la prestigieuse famille de Philippe et d'Alexandre. Ainsi l'ambitieuse Kynanè paie de sa .vie sa volonté de marier sa fille Eurydice à l'héritier d'Alexandre, son

35 N. G. L. Hammond et G. T. Griffith, A history of Macedonia, II, Oxford, 1979, p. 99, 676-677. 36 Green, "The royal Tombs of Vergina : A Historical Analysis", Philip II, Alexander the Great and the Macedonian Heritage, Washington, 1982, p. 138-139. 37 Satyros, op. Athénée, ΧΙΠ, 557b. 3* Plut., Dém., 14, 2. 39 Plut., Dém., 14,2

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demi-frère Philippe III Arrhidée. Quelques années plus tard, Cassandre "qui souhaitait apparaître comme un membre de la famille royale"40 épouse Thessalonikè, fille de Philippe II et demi-sœur d'Alexandre. Dans ce début de l'âge hellénistique, il existe aussi des unions matrimoniales qui viennent renforcer une bonne entente entre les Diadoques. Ainsi Antigone le Borgne qui souhaite se rapprocher encore plus d'Antipater impose à son fils Démétrios Poliorcète d'épouser Phila, la fille d'Antipater alors veuve du très populaire Cratère, malgré la différence d'âge41. Plusieurs dizaines d'années après, les origines de Phila contribuent au bon accueil réservé par les Macédoniens à Démétrios Poliorcète qui vient d'être proclamé roi42. Certaines de ces unions révèlent aussi une autre orientation politique. Pendant toute la période, les Antigonides ont entretenu de bons rapports avec les Séleucides et à trois reprises cette bonne entente s'est renforcée par un mariage : entre 276 et 272, Antigone Gonatas épouse Phila II, la fille de Séleucos 1er, scellant ainsi un traité avec Antiochos 1er ; peut-être en 253, le même Antigone s'entend-il avec Antiochos II pour que son fils Démétrios prenne pour femme la sœur de son interlocuteur ; en 178/7, Séleucos IV qui souhaitait un rapprochement avec la Macédoine, offre la main de sa fille Laodice à Persée. Une autre orientation politique qui se rencontre à plusieurs reprises au cours de la période, mais qui n'est pas constante, c'est l'entente avec l'Epire. Démétrios Poliorcète épouse Deidamie, la sœur aînée de Pyrrhos, mais quelque temps plus tard, on verra le même Poliorcète accepter la main de Lanassa qui vient de quitter Pyrrhos. Plus tard, une alliance entre les deux royaumes est consolidée par le mariage arrangé par Olympias, veuve d'Alexandre II, entre Démétrios II et la princesse Phthia. Enfin, on peut distinguer une dernière catégorie de mariages qui correspond à une orientation politique temporaire. Ainsi Démétrios Poliorcète a pris pour épouse l'Athénienne Eurydice, veuve d'Ophellas, pour plaire aux Athéniens ; plus tard, il a accepté de se fiancer avec Ptolémaïs, fille de Ptolémée, par l'intermédiaire de Séleucos ; quelques années après, souhaitant se tourner vers l'Ouest, il a accepté la main de Lanassa, fille d'Agathocle, se brouillant alors avec l'Epire puisque Lanassa venait de quitter Pyrrhos. Enfin le roi Philippe V arrange l'union de son fils Persée avec une princesse bastarne. Pour terminer ces réflexions, il faut rappeler le cas particulier du mariage de Philippe V avec Polycrateia qui lui est un mariage d'amour puisque Philippe V prend le risque de se brouiller avec Aratos et les Achaiens en séduisant la femme d'Aratos le Jeune, puis en l'épousant.

Un dernier type de constatations portera sur la toute puissance du roi vis-à-vis de son épouse, ce qui paraît normal si l'on songe aux droits du mari sur sa femme dans la civilisation grecque. Comme tout citoyen, un roi a le droit de répudier son épouse et c'est apparemment ce que fait Démétrios II à l'égard de Stratonice qui ne lui a pas donné d'héritier. Il y eut peut-être d'autres cas car, comme on l'a vu, certaines reines n'apparaissent plus dans les

40 Diod., XIX, 52, 1. 41 Plut., Dém., 14, 3 ; voir aussi 27, 8. 42 Plut., Dém., 37, 4.

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sources à partir d'un certain moment sans qu'on puisse dire si elles sont mortes ou si elles ont été répudiées. Ce droit du monarque sur sa femme peut peut-être aller jusqu'à la mise à mort si les rumeurs concernant une épouse de Persée sont dignes de foi.

Toutes ces remarques permettent de constater ce qu'est la toute puissance du roi par rapport à son épouse : polygamie éventuelle, choix de sa femme pour des raisons politiques, droit de répudiation. Il est temps maintenant de revenir à l'étude des reines proprement dites.

Si la personnalité de la plupart des épouses nous échappe totalement, il en est cependant deux pour lesquelles les sources fournissent quelques indications : Eurydice et Phila I . Les quelques entreprises connues menées à bien par Eurydice, l'épouse de Philippe III Arrhidée révèlent une maîtresse femme ambitieuse, sûre d'elle-même et prête à tout pour arriver à ses fins. Bien que prisonnière d'Olympias, elle n'hésite pas à proclamer son droit à la royauté aux dépens de cette dernière. Diodore écrit : "Quant à Eurydice, qui parlait avec la plus extrême liberté et proclamait qu'à elle, bien plutôt qu'à Olympias, revenait la royauté, Olympias la jugea digne d'un plus grand châtiment"43. Son attitude devant la mort fut admirable. Méprisant Olympias et les instruments que cette dernière avait fait apporter pour son suicide (épée, lacet et bol de ciguë) faisant des voeux pour que la mère d'Alexandre connaisse le même sort, Eurydice reste jusqu'au bout d'un très grand calme et manifeste une grande noblesse ; elle accomplit avec soin la toilette funèbre de son époux qui vient d'être tué, puis elle se pend avec sa ceinture. Diodore nous dit : "elle quitta la vie sans une larme sur son sort et nullement abattue par l'étendue de ses malheurs"44. Il faut rappeler que la jeune femme n'avait pas 20 ans.

Très différente est la personnalité de Phila, fille d'Antipater et épouse de Démétrios Poliorcète. Diodore en fait un portrait tout à fait élogieux. Déjà avant son mariage, son père lui demandait conseil : "on dit aussi que son père Antipater, qui passe pour avoir été le plus sage des hommes au pouvoir à cette époque, la consultait avant son mariage sur les questions les plus importantes"45. Ensuite elle ne cesse de se faire remarquer pour ses nombreuses qualités : "cette femme, passe pour avoir été d'une intelligence exceptionnelle, elle calmait tous les mécontents dans l'armée en se comportant avec chacun comme il le fallait, mariait à ses frais les sœurs et les filles des pauvres et tirait d'affaire bien des hommes accusés à tort"46. Fidèle à son époux jusqu'au bout malgré son inconstance, elle ne peut supporter sa déchéance et s'empoisonne. "Ainsi déchu, Démétrios se réfugia à Cassandreia. Sa femme Phila, vivement affligée, ne put supporter de le voir redevenir simple particulier, fugitif et le plus malheureux des rois ; perdant toute espérance et maudissant la Fortune de son mari, plus constante dans le malheur

43 Diod., XIX, 11,5 ; trad. F. Bizière, Belles Lettres, Paris, 1975. 44 Diod., XIX, 11, 7 ; trad. F. Bizière. 45 Diod., XIX, 59, 5 ; trad. F. Bizière. 46 Diod., XIX, 59, 4 ; trad. F. Bizière.

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que dans la prospérité, elle absorba du poison et mourut"47. Comme l'écrit C. Wehrli, "par son intelligence, la pureté de ses moeurs et la fierté de son caractère, Phila se montra une grande reine"48.

Il va se soi que certaines reines, du fait de leur forte personnalité, ont pu jouer un rôle plus important. Ce qu'il convient maintenant d'étudier, c'est la véritable place occupée par la reine en Macédoine aux côtés de son époux et au sein de la cour.

L'étude de la célébration du mariage peut peut-être fournir quelques indications intéressantes. Certes la cérémonie en elle-même est mal connue, mais nous pouvons néanmoins en saisir quelques éléments. Si la fiancée arrive de loin, elle est accompagnée par une escorte solennelle. On sait que, dans le cas de Laodice, fiancée de Persée, ce sont les Rhodiens qui l'ont amenée "en grand cortège" depuis l'Asie jusqu'à la Macédoine49. Cette escorte était composée de plusieurs navires dont les marins avaient reçu de Persée en remerciement des bandeaux en or50. Le mariage du roi donne lieu à de nombreuses invitations. On peut rappeler que Philippe II lors des noces de sa fille Cléopâtre avec Alexandre, roi des Epirotes souhaitait"attirer le plus grand

nombre de Grecs possible"51. Pour le mariage de Laodice, Tite-Live rappelle qu' "avaient afflué les félicitations et les dons d'innombrables ambassades et

que le cortège s'était déroulé sous les auspices, pour ainsi dire, des peuples les plus illustres"52. Tous les invités sont réunis dans un banquet53 : il est indiqué par Diodore pour les noces de Cléopâtre54. Lors du mariage d'Alexandre et de Rhoxane, un banquet est aussi mentionné, mais, à l'origine, il n'a pas un caractère nuptial puisqu'il est organisé par Oxyartès en l'honneur du conquérant. C'est seulement au cours du repas qu'Alexandre découvre Rhoxane et qu'il décide de l'épouser sur le champ. A cette occasion, il accomplit un vieux rite macédonien que nous rapporte Quinte-Curce : et rex ... iussit adferri patrio more panem — hoc erat apud Macedonas sanctissimum coeuntium pignus — - quem diuisum gladio uterque libabat. ". Le roi fît apporter le pain, selon la coutume de chez lui ; c'était là chez les Macédoniens le symbole le plus sacré de l'union charnelle ; on le partageait avec une épée, et chaque époux y goûtait"55. Le caractère macédonien de ce rituel a été mis en cause par plusieurs historiens qui le considèrent comme iranien. M. Renard et

47 Plut., Dém., 45, 1 ; trad. R. Flacelière et E. Chambry, Belles Lettres, Paris, 1977 48 C. Wehrli, Antigone et Démétrios, Genève, 1969, p. 1 84. 49 Pol., XXV, 4, 8. 50 Pol., XXV, 4, 10. 51 Diod., XVI, 91, 6. Bien que n'étant pas un mariage de reine de Macédoine et bien qu'antérieur à la période qui nous intéresse, ce mariage de la fille de Philippe II et d'Olympias sera invoqué à plusieurs reprises dans ce paragraphe car les indications de Diodore sont intéressantes. 52 Tite-Live, XLII, 12, 3 ; Trad. P. Jal, Belles Lettres, Paris, 1971. 53 Sur le banquet nuptial chez les Lagides, Cl. Vatin, Recherches sur le mariage et la condition de la femme mariée à l'époque hellénistique, Paris, 1970, p. 80. 54 Diod., XVI, 92, 3-5 . 55 QC.t Vin, 4,27 ; trad. H. Bardon, Belles Lettres, Paris, 1965.

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J. Servais ont bien montré qu'il s'agissait d'une pratique macédonienne56. Ils expliquent aussi le rôle de la lame de fer : "outre qu'elle divise le pain en moitiés nettes, elle intervient avec une fonction apotropaïque au moment capital de la cérémonie ; elle écarte du pain, à l'instant solennel, tous les démons malveillants, particulièrement redoutables en l'occurrence et d'autant plus attendus que la présence du pain et des miettes que provoque nécessairement son partage les attire spécialement et les incite à vouloir leur part d'un repas rituel, dont il importe précisément, et à tout prix, de les exclure"57. À propos des noces de Cléopâtre, Diodore rapporte aussi que le banquet était suivi de concours qui avaient lieu au théâtre d'Aigai. Philippe II décide de les remettre au lendemain, ce qui indique que la fête durait au moins deux jours. Dans ce cas particulier, le roi fit transporter sa statue à la suite de celles des douze dieux58. A propos de Laodice, dans le passage cité plus haut, Tite-Live parle d'un cortège59. Des chants sont composés spécialement pour la cérémonie et peut-être étaient-ils entonnés précisément lors du cortège. Douris a conservé le fameux chant de l'Ithyphallos écrit en l'honneur de Démétrios Poliorcète assimilé à Dionysos et peut-être de Lanassa assimilée à Déméter lors du retour des nouveaux époux à Athènes60. Ce chant de bienvenue et de louange donne sans doute une idée de ce que pouvait être un chant nuptial. On sait que le poète Aratos de Soloi avait composé un hymne à Pan pour le mariage de Phila II et d'Antigone Gonatas61, mais il ne nous est pas parvenu.

Toutes ces manifestations sont autant de marques d'honneur vis-à-vis de la nouvelle souveraine qui est accueillie ainsi officiellement et solennellement pour accéder à sa nouvelle situation.

Comme l'attestent plusieurs textes épigraphiques, l'épouse du roi porte le titre de reine, en grec basilissa. Un décret d'Ephèse l'indique pour Phila I alors que Démétrios ne règne pas encore sur la Macédoine62 ; une dédicace de Délos émanant d'un particulier63, une inscription de Samos64, un décret athénien 65 et un autre de Cassandreia66 le mentionnent pour Phila II. Enfin

56 M. Renard et J. Servais, "A propos du mariage d'Alexandre et de Roxane", AC, 24, 1955, p. 29-50. 57 Art. cité, p. 44. 58 Diod., XVI, 92,5 59 Tite-Live, XLVn, 12, 3. 60 Ap. Athénée, VI, 253 sq. ; voir aussi L. Cerfaux et J. Tondriau, Un concurrent du christianisme : le culte des souverains dans la civilisation gréco-romaine, Paris-Tournai, 1957, p. 182-187 (texte, trad, et commentaire) ; C. Wehrli, Antigone et Démétrios, Genève, 1969, p. 177-178. 61 Souda, s.u. Aratos. 62Inschr. v. Ephesos, VI, 2003, 1. 3. 63 Durrbach, Choix, 37. 64 L'éditeur L. Laurenzi, Clara Rhodos, 1941,p. 27, 1. 22-24, pensait qu'il s'agissait de Phila I. L. Robert a montré que, selon toute vraisemblance,la reine était Phila II ; il a été suivi notamment par Ch. Habicht, Gottmenschentum und griechische Stàdie, Munich, 1970, 2e éd., p. 62-63, C. Wehrli, Historia ΧΙΠ, 1964, p. 140 n. 5, Hatzopoulos, Mélétèmata 10, p. 144. 65 G. Dontas, "The true Aglaurion", Hesperia 52, 1983, p.52, 1.24-25 ; le titre figurait aussi très vraisemblablement dans la rasura d'un autre décret athénien de 246/5 (IG II2 780, 1. 1 1- 12).

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une phiale, offrande de la reine à Délos67 et un décret athénien68 le révèlent pour Phthia. Ajoutons que Diodore de Sicile parlant d'Eurydice et de Philippe III Arrhidée écrit "les rois'Xrows basileis)69. Les auteurs anciens utilisent aussi le terme de gynè, femme; on le rencontre pour Phila I70, pour Chryséis71 et pour Laodice72. Dans deux textes épigraphiques de Délos, les deux termes de basilissa et de gynè apparaissent l'un après l'autre. Le premier est une dédicace déjà citée pour la reine Phila II ; on lit : Βασίλισσαν Φίλαν βασιλέως Σέλευκου βασιλέως δέ 'Αντιγόνου γυναίκα, "La reine Phila, fille du roi Séleucos, femme du roi Antigone..."73. Le second est un décret en l'honneur de Laodice qui est ainsi désignée : βασίλισσαν Λαοδίκην βασιλέως Σέλευκου γυναίκα δέ βασιλέως Περσέως, "La reine Laodice, fille du roi Séleucos, femme du roi Persée..."74. H est à noter que l'on trouve l'emploi de ces deux termes dans un décret des Milésiens en l'honneur de la reine séleucide Apamè75.

Les vêtements portés par les reines ne sont pas connus. Toutefois, il est vraisemblable de penser qu'ils étaient teints en pourpre comme ceux du roi et des membres de son entourage76. Ce qui le laisse supposer, c'est la découverte d'un tissu or et pourpre qui enveloppait les os de la jeune femme placés dans un larnax en or de l'antichambre de la Grande Tombe de Vergina77. La richesse et la beauté des parures d'apparat ont été révélées par certaines des trouvailles faites dans l'antichambre de la Grande Tombe : ainsi la couronne de myrte et le diadème féminin à motifs de fleurs et de feuilles, tous deux en or, manifestent un très habile travail d'orfèvre78.

Si le portrait de la reine n'apparaît pas sur les monnaies des Antigonides, à la différence de ce qui se passe pour certaines émissions monétaires des Lagides et des Séleucides79, des statues et des peintures officielles représentaient certainement la reine80. Cette tradition existait chez les Macédoniens comme nous l'apprennent le Philippeion d'Olympie construit par

66 M. B. Hatzopoulos, "Un nouveau document du règne d'Antigone Gonatas", Poikilia, Mêlé ternata 10, Athènes,1990, p. 137, 1. 15. 67 ID 407, 20, 443 Bb 137, 444 Β 57, 461 Bb 46. 68 IG II2 1299 (Syll 3 485), 1.11. 69 Diod., XIX, 5?,, 5. 70 Plut, Dém., 45,1 ; Diod., XX, 93, 4. 7* Pol., V, 89, 7. 72 Plut., Paul-Em., 26, 4 et 5. 73 Durrbach, Choix , 37, 1. 1-4. 74 Syll 3 639 (Choix , 70), 1. 1-3. 75 M. Holleaux, REG, 1923, p. 2, 1. 3 et 4-5 (= Études d'épigraphie et d'histoire, III, p. 100). 76 M. Reinhold, History of purple as a status symbol in Antiquity, Bruxelles, 1970, p. 29-36. 77 M. Andronicos, Vergimi. The royal Tombs and the ancient city, Athènes,1984, p. 191-192 et pi. 156-157. 78 M. Andronicos, loc. cit., p. 190 et 197, pi. 154 et 158-159. 79 U. Kahrstedt , "Frauen auf antiken Munzen" Klio, 1910, p. 261-314. 80 Nous laissons volontairement de côté pour l'instant les statues élevées par des particuliers ou par des cités.

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Philippe Π pour abriter les statues de ses ancêtres81 et les figurines d'ivoire ornant un lit retrouvées dans la Grande Tombe d'Aigai dont certaines sont féminines82. Le monument dit des Progonoi élevé dans le sanctuaire d'Apollon à Délos par Antigone Gonatas continue cette tradition ; il abritait en effet une vingtaine de statues en bronze des ancêtres du roi83. Il est regrettable qu'aucune d'entre elles ne nous soit parvenue, mais il est vraisemblable de penser que des reines y étaient représentées. D'autres statues officielles existaient certainement en Macédoine. Quant à la peinture officielle, on en a peut-être un exemple dans les fresques de la villa de Boscoreale. En effet, si l'on suit l'interprétation de F. Studniczka, qui est aussi celle de K. Schef old et de Ch. Picard84, la reine Phila II serait peinte aux côtés de son fils Antigone Gonatas. Toutefois cette identification est sujette à caution85 et il est difficile de l'utiliser ici.

L'impression d'estime particulière dans laquelle semble être tenue la reine est encore confirmée par des fondations de villes. En effet, deux villes nouvelles créées à l'époque hellénistique portent le nom de souveraines. La première chronologiquement est Thessalonique, sur le golfe Thermaïque, construite par Cassandre en 316 en l'honneur de son épouse Thessalonikè86. La seconde est Phila, ville bâtie sur le Pénée par Démétrios II en l'honneur de sa mère, Phila II87. Comme l'a justement fait remarquer E. Carney, on ne possède pour l'instant aucune indication de culte pour une reine en rapport avec son éponymie, alors que, pour les rois, on connaît plusieurs exemples, ainsi Cassandre à Cassandreia88.

Pour le moment non plus, aucun texte n'atteste l'existence d'un culte"panmacédonien"célébré pour une reine alors que les témoignages épigraphiques se multiplient pour les rois89. Il est clair toutefois que les souveraines recevaient des honneurs funèbres. Elles sont normalement enterrées comme leurs époux dans la nécropole d'Aigai. Diodore rapporte que Cassandre a fait ensevelir à Aigai le couple royal, Eurydice et Philippe III Arrhidée, "selon la coutume royale" : £θαψεν έν Αίγαιαϊς, καθάπερ £θος fjv τοις βασιλεϋσι, II les a honorés par des jeux funèbres : Τιμήσας δε τους

81 A. Mallwitz, Olympia und seine Bauten, Munich, 1972, p. 128-133. 82 M. Andronicos, loc. cit., p. 124-130 et p. 82 et 84 83 F. Courby, Le portique d'Antigone ou du Nord-Est et les constructions voisines , EAD, V, 1912, p. 74-83. 84 Ch. Picard, "Au "triclinium d'été" de la villa de P. Fannius Synistor près de Boscoreale. La décoration pariétale : religion ou histoire ?, "JS, 1957 p. 49-68 et 102-119 où on trouvera les références antérieures. 85 Voir par ex. Ph. W. Lehmann, Roman Wall Paintings front Boscoreale in the Metropolitan Museum of Art, Cambridge (Mass. ) 1953 et R. V. Schoeder, "Alexander Son and Roxane in the Boscoreale Murals", Ancient World V, 1982, p. 27-52. 86 Strabon, VII, fr. 21 et 24 ; Denys d'Haï. Ant. Rom. I 49 ; voir sur le synoecisme, F. Papazoglou, Les villes de Macédoine à l'époque romaine, BCH Suppl. 16, 1988, p. 189-205 (p. 189, il faut corriger "soeur" en "femme"). 87 St. Byz. s.u. Phila ; F. Papazoglou, ouvr. cité, p. 115-116. 88 E. Carney, "Eponymous Women : Royal Women and City Names", AHB II, 1988, p. 141. 89 Μ. Β. Hatzopoulos et L. D. Loukopoulou, Morrylos, cité de la Crestonie, Mélétèmata 7, Athènes, 1989, p. 46-48.

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τετελευτηκότας έπιταφίοις άγώσι90. Les découvertes faites par M. Andronicos dans la nécropole royale d'Aigai ont confirmé ces rites. En effet, comme on l'a rappelé plus haut, des os de femme calcinés, entourés d'un tissu d'or et de pourpre étaient déposés dans le très beau larnax en or trouvé dans le sarcophage de l'antichambre de la Grande Tombe91. Si l'identification de la défunte fait l'objet de discussions92, le fait qu'il s'agisse d'une reine est accepté par tous.

Tels sont les signes extérieurs connus qui rappelaient la position particulière de la reine parmi les membres de l'entourage royal : titre, vêtements, bijoux, statues officielles, honneurs funèbres, parfois ville portant son nom. Il en existait certainement d'autres qui, pour l'instant, nous échappent.

La reine se distingue aussi par d'autres prérogatives. Elle a ses propres courtisans comme l'attestent trois décrets honorant trois d'entre eux.. Le premier émane des Ephésiens et concerne Mélésippos, fils de Bacchion, Béotien de Platées qui est présenté comme "vivant auprès de la reine Ρ1ιίΐ3"(διατρίβωμ παρά τήι βασιλίσσηι Φίλαι)93. fl s'agit de la reine Phila I qui, avant de gagner la Macédoine lorsque son époux Démétrios Poliorcète en devient roi en 294, séjournait en Asie. Depuis 306, comme Démétrios avait pris le titre de basileus, elle devait avoir celui de basilissa. Le deuxième cas est encore plus probant puisqu'il concerne un membre de l'entourage de Phila II alors qu'elle était reine de Macédoine. Ce décret récemment publié est l'oeuvre des Cassandréens qui honorent Dorothéos, fils de Doros, citoyen de Séleucie pour ses bienfaits à leur égard. Cet homme est dit "attaché au service de la reine Phila" (τεταγμένος παρά τήι βασιλίσσηι Φίλαι)94. Comme le pense M. Β. Hatzopoulos, il doit s'agir d'un citoyen de Séleucie en Piérie plutôt que de Séleucie sur le Tigre, qui avait suivi ou rejoint la reine Phila II dans sa nouvelle patrie95. Enfin un décret de Samos honore Démarchos, fils de Tarôn, Lycien qui "vit auprès de la reine Phila" (διατριβών παρά τήι βασιλίσσηι Φίλαι) et en plus "est préposé à sa garde "(τεταγμένος επί της φυλακής)96. Ce Démarchos était un membre de l'entourage de la reine Phila I qui, là encore, n'était pas reine de Macédoine, mais séjournait quelque part en Asie, et il a peut-être côtoyé Mélésippos, le courtisan précédemment mentionné. Toutefois Démarchos se distinguait des autres membres par ses responsabilités importantes : il était préposé au commandement de sa garde97. Enfin Diodore

9° Diod., XIX, 52, 5. 91 M. Andronicos, Vergina. The royal Tombs and the ancient city, Athènes,1984, p. 78, 191. 92 Voir P. Green, "The royal Tombs of Vergina : A Historical Analysis", Philip II, Alexander the Great and the Macedonian Heritage, Washington, 1982, p. 139-146 ; N. G. L. Hammond, The Macedonian State, Oxford, 1989, p. 36. 93 Inschr. v. Ephesos, VI, 2003. 94 M. B. Hatzopoulos, "Un nouveau document du règne d'Antigone Gonatas", Poikilia, Mélétèmata 10, Athènes, 1990, p. 137 , 1. 13-15 ; la restitution Φίλαι est la plus vraisemblable. 95 M. B. Hatzopoulos, loc. cit., p. 143-144. 965j//3, 3331. 9-11 97 L. Robert, Hellenica, ΧΙ-ΧΠ, Paris 1960, p. 107.

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parle des conseillers (σύμβουλοι) de la reine Eurydice ; l'un d'entre eux, Polyclès, est fait prisonnier avec elle en 317 av. J.-C.98.

Il semble que, comme le roi, la reine se doive de manifester un certain nombre de qualités". Elle doit faire preuve de piété (eusébeia) envers les dieux. Le peuple de Délos loue la reine Laodice pour sa piété envers le sanctuaire : ένεκεν καΐ ευσέβειας της περί το ίερον100. Cette piété peut se manifester par des offrandes : ainsi on a conservé le souvenir d'une phiale offerte par la reine Phthia au sanctuaire d'Apollon à Délos : άλλη (φίαλη) βασιλίσσης Φθίας της 'Αλεξάνδρου101. Cette tradition de vénération des dieux n'est pas propre aux reines de l'époque hellénistique ; on a retrouvé récemment une dédicace faite par la mère de Philippe II, Eurydice, à la déesse Eukleia102. La souveraine doit aussi manifester sa bienveillance ou eunoia. Le peuple de Délos loue la même Laodice pour cette qualité dont elle a fait preuve à son égard : ένεκεν... καί εύνοιας της είς τον δήμον τον Δηλίων103. Nous ignorons la nature des bienfaits accordés par la reine. W. Dittenberger supposait que c'était à l'occasion de sa venue en Macédoine pour son mariage avec Persée que Laodice avait fait escale à Délos ; F. Durrbach considère le fait comme possible, mais constate que les inventaires déliens n'en ont pas conservé le souvenir104. Par l'envoi de blé et de plomb, Chryséis, l'épouse d'Antigone Dôsôn, a manifesté sa bienveillance envers les Rhodiens éprouvés105. Quant à la reine Phila II, ses qualités étaient sans doute louées par le poète Aratos de Soloi déjà mentionné qui composa en son honneur plusieurs épigrammes106, lesquelles , malheureusement, ne sont pas parvenues jusqu'à nous.

Ces qualités manifestées par les reines entraînent des remerciements dont deux textes épigraphiques ont conservé le souvenir.Un particulier dont le nom est très mutilé, originaire sans doute de Ténédos, a consacré, peut-être, dans l'Artémision de Délos, une statue, malheureusement perdue, de la reine Phila IL L'inscription de la base nous rapporte les faits ainsi que le nom du sculpteur qui l'a effectuée : Parthénoclès d'Athènes107. Pour l'attitude pieuse de la reine Laodice envers le sanctuaire et sa bienveillance envers le peuple de Délos, ce dernier lui a consacré une statue, là encore perdue. Seule sa base inscrite dont le texte a été mentionné plus haut a été conservée108.

98 Diod., XIX, 11,3. 99 Sur les vertus des rois de Macédoine, voir le résumé de S. Le Bohec dans Miroirs du politique. Les vertus du magistrat, École normale supérieure, Paris 1990-1991, p. 29. 100 Syll 3 639 (Durrbach, Choix, 70), 1. 4. 101 ID., 407, 20, 443 Bb 137, 444 Β 57, 461Bb 46. 102 M. Andronicos, loc. cit., p. 50-51 et pi. 26 ; Plutarque (Mor. 14 Β C) mentionne, de sa part aussi, une dédicace aux Muses. 103 Syll 3 639 {Choix, 70), 1. 5-6. 104 Durrbach, Choix, p. 93. 105 Pol., V, 89, 7. 106 Souda s.u. Aratos. 107 Durrbach, Choix, 37. m Syll3 639 (Choix, 70).

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Les remerciements des cités grecques à l'égard des reines peuvent aller jusqu'au décernement d'honneurs divins. En effet, on constate que, comme les rois, les reines de Macédoine ont reçu ce type d'honneurs. Certains textes suggèrent même un véritable culte, ainsi en Attique pour Phila I et à Samos pour Phila IL En Attique, Adeimantos de Lampsaque avait consacré un téménos (ou enclos sacré) dans le dème de Thria à la reine Phila I. Il contenait un temple et des statues (agalmata) et Phila y était assimilée à Aphrodite109. Un autre téménos consacré à une reine Phila se trouvait à Samos, mais, comme l'a suggéré L.Robert, la souveraine concernée doit être Phila II110. Un autre aspect se rencontre dans plusieurs décrets athéniens : on y mentionne des sacrifices accomplis pour le roi et la reine. Tous ces documents datent bien sûr d'une époque où le roi de Macédoine dominait l'Attique grâce à la présence de garnisons111. Ainsi, dans un décret en l'honneur d'une prêtresse d'Aglauros (246/5 av. J.-C. ), on rappelle des sacrifices faits "pour la santé et le salut du Conseil, du peuple des Athéniens, des enfants, des femmes et au nom du roi Antigone et de la reine Phila et de leurs descendants" (υπέρ του βασιλέως 'Αντιγόνου και Φίλας της βασιλίσσης καί των έκγόνων αυτών)112. Dans un autre décret daté de la même année, W. W. Tarn a proposé de restituer le nom de la reine Phila dans la rasura, juste après celui du roi Antigone113. Un autre décret daté de 236/5 honore le stratège Aristophanes de Leukonoé, notamment pour son zèle lors de la fête des Haloa, au cours de laquelle ont été célébrés des sacrifices "pour le salut du peuple athénien, du roi Démétrios, de la reine Phthia et de leurs enfants"114. Le nom de la reine de Macédoine est donc proclamé à Athènes avec celui de son époux lors de sacrifices officiels.

Il est clair qu'en Macédoine la reine n'a pas un rôle effacé. Elle tient aux côtés du roi une place importante comme le montrent tous les égards dont elle est l'objet. Il convient maintenant d'examiner si la souveraine est vraiment puissante, c'est-à-dire si elle joue un rôle dans la vie politique du royaume.

Il faut d'abord rappeler plusieurs épisodes qui montrent que, dans certaines circonstances, les épouses de rois ou de membres de la famille royale ont effectivement joué un rôle politique, militaire ou diplomatique. Les premiers événements se situent après la mort d'Alexandre le Grand et on constate que trois femmes ont levé une troupe dont elles ont pris le commandement. Le premier exemple connu est celui de Kynanè, l'épouse d'Amyntas IV. En 322, résolue à marier sa fille Adéa avec Philippe III

109 Athénée, VI, 255 c, voir aussi 254a ; L. Robert, Hellenica II, Paris, 1946, p. 17-18 et 31. 110 Voir ci-dessus note 64. 111 Sur l'histoire d'Athènes à l'époque hellénistique, Ch. Habicht, Studien zur Geschichte Athens in hellenistischer zeit, Gôttingen, 1982. 112 G. Dontas, Hesperia 52, 1983, p. 52, 1. 23-25. 113 IG II2 780, 1. 1 1-12 ; W. W. Tarn, Antigonos Gonatas, Oxford, 1913, p. 389 n. 60. 114 IG II2 1299 (Sy//.3 485 ), 1. 11-12 ; le nom du roi et celui de la reine ont été martelés lors de la damnatio memoriae des Antigonides en 201/0 av. J.-C, mais la restitution est certaine car le texte est gravé stoïchedon. En outre,à la ligne 36, on a oublié de marteler le nom du roi qui est Démétrios. Il est aussi possible de restituer le nom du roi Démétrios dans IG II2 790, 1. 16- 17.

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Arrhidée, elle n'hésite pas à rassembler des soldats et à affronter d'abord Antipater sur le Strymon, puis Perdiccas et son frère Alkétas en Asie ; ce dernier la tue115. Le deuxième cas concerne la fille de Kynanè, Adéa- Eurydice, qui a fait proclamer Cassandre régent au printemps 317, mais qui souhaite récupérer pour elle-même le pouvoir royal. Craignant le retour d'Olympias, elle lève une armée qui s'oppose à celle conduite par Polyperchon et Olympias116. Cette dernière, mère d'Alexandre le Grand, qui s'est déjà manifestée sur la scène politique à plusieurs reprises du vivant de son fils, est la troisième femme que l'on rencontre à la tête d'une armée. Son prestige est tel que les Macédoniens d'Eurydice passent dans son camp117. Forte de sa victoire, Olympias fait mettre à mort tous les opposants éventuels. Les Macédoniens stupéfaits se rappellent alors les paroles d1 Antipater qui "à la façon d'un oracle, les avait engagés en mourant à ne jamais laisser une femme à la tête du royaume"118. Il était intéressant de mentionner ces faits qui toutefois ne s'expliquent que par des circonstances exceptionnelles. Ces femmes énergiques ont profité des années troubles qui ont suivi la mort d'Alexandre le Grand et il n'est pas possible de considérer leurs réalisations comme faisant partie des attributions normales des reines. La mise en garde d'Antipater le montre bien.

Deux faits encore de nature particulière retiendront l'attention ; ils concernent Phila II avant qu'elle ne devienne reine de Macédoine. En 305/4 alors que Démétrios Poliorcète, qui vient de prendre le titre de roi, mais qui n'est pas encore roi de Macédoine, fait le siège de Rhodes, son épouse Phila, alors en Cilicie, se manifeste en lui envoyant "des lettres, des couvertures et des vêtements"119. On constate donc que les femmes peuvent intervenir indirectement dans un conflit. Le deuxième épisode concernant Phila I est d'ordre diplomatique. En 299, elle est envoyée en mission auprès de Cassandre, son frère, par Démétrios Poliorcète qui venait de s'emparer de la Cilicie détenue jusque là par le frère de Cassandre, Pleistarchos120. Phila semble avoir été à la hauteur de la situation et avoir mené à bien les négociations puisque Démétrios conserve la Cilicie et que Cassandre ne juge pas opportun d'intervenir en faveur de son frère121. Cette action de Phila mérite l'attention parce qu'elle atteste qu'une femme peut, pour le compte de son mari, jouer un rôle diplomatique. Toutefois on ne peut considérer qu'une reine puisse normalement se voir attribuer de telles missions. En effet, à cette époque, Démétrios n'est pas encore roi de Macédoine et Phila s'est vue confier cette tâche en tant que sœur de Cassandre. Les sources n'ont pas conservé le souvenir d'autres interventions de ce genre.

115 Amen, Suce. 23 ; P. Briant, Antigone le Borgne, Paris, 1973, p. 260-263. 116 Diod., XIX, 11. 117 Diod., XIX, 11,2. 118 Diod., XIX, 11,8-9. 119 Plut., Dém., 22, 1 ; voir aussi Diod., XX, 93, 4. 12° Plut., Dém., 32,4. 121 C. Wehrli, Historia ΧΙΠ, 1964, p. 143-144 ; Antigone et Dém., Genève,1969, p. 159.

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Après ces rappels de rôles un peu exceptionnels tenus par des épouses de souverains, voyons maintenant ce que les sources nous apportent, d'une façon générale, sur leur puissance et leur pouvoir au sein du royaume. Examinons d'abord le problème de la régence. Cette tâche entre-t-elle dans les attributions d'une souveraine lors du décès de son mari si l'héritier est mineur ? La plupart des historiens écrivent que la reine Thessalonikè, veuve de Cassandre a exercé les fonctions de régente pour ses deux fils Alexandre et Antipater de 297 à 295. Or, comme l'a bien fait remarquer F. W. Walbank, aucune source ne le dit122. Thessalonikè a certainement eu alors une grande influence : c'est elle qui aurait insisté pour un partage du pouvoir royal entre ses deux fils, mais elle n'a pas excercé de fonction précise. Si l'on considère les autres cas de la période dans lesquels le roi meurt en laissant un fils mineur, Alexandre le Grand et le petit Alexandre IV, Démétrios II et le jeune Philippe, on constate que leurs épouses respectives, Rhoxane et Phthia n'ont pas assumé la tutelle. Par conséquent, en Macédoine, aucune veuve de souverain ne s'est vue confier Yépitropeia d'un fils mineur ; c'est au plus proche parent mâle qu'incombe cette tâche : ainsi Antigone Dôsôn l'a exercé pour le jeune Philippe V123. Cette constatation négative ne doit pas nous empêcher de poursuivre notre enquête.

On sait depuis longtemps que la reine possède des terres et des mines en Macédoine. Ce fait est bien attesté pour Chryséis, l'épouse d1 Antigone Dôsôn. Polybe rapporte qu'à la suite du tremblement de terre qui a secoué Rhodes, la reine envoie du plomb et du blé, indépendamment de son mari qui, de son côté, a fait parvenir des dons : Χρυσηίς δ' ή γυνή δέκα μέν σίτου μυριάδας, τοισγφια δέ μολίβδου τάλαντα, "Et sa femme Chryséis cent mille médimnes de

i (trois mille talents de plomb"124. Il est à noter que, dans rénumération de tous les rois et dynastes de l'époque qui ont rivalisé de générosité, c'est la seule épouse de souverain que Polybe mentionne. Antigone Dôsôn avait probablement fait don de ces domaines et de ces mines à sa femme. Cette dernière peut ensuite en disposer comme elle le désire. Une telle, pratique est aussi attestée chez les Séleucides125.

Deux autres responsabilités jusque là inconnues pour une reine viennent d'être révélées par des inscriptions : d'une part la reine joue un rôle dans les affranchissements, d'autre part elle intervient dans les affaires que les habitants viennent lui soumettre. D'après une nouvelle lecture des sept dernières lignes d'un acte d'affranchissement de Béroia qui sera publié par L. Gounaropoulou

122 F. W. Walbank, dans N. G. L. Hammond et F. W. Walbank, A History of Macedonia, III, Oxford, 1988, p. 210. 123 Réf. dans Ed. Will, Histoire politique du monde hellénistique, I, Nancy, 2e éd., 1979, p. 360. Pour Alexandre IV, fils d'Alexandre le Grand, le cas paraît plus complexe. Toutefois N. G. L. Hammond, "Some Macedonian Offices e. 336-309 BC", JHS, 105 ,1985, p. 157 considère que Philippe III Arrhidée était le tuteur d'Alexandre IV. On peut noter qu'à l'époque classique aussi, aucune reine ne paraît avoir excercé de régence : voir M. B. Hatzopoulos,"Succession and regency in classical Macedonia", Ancient Macedonia, IV, Thessalonique, 1986, p. 279-292. 124 Pol., V, 89, 7. 125 E. Bikerman, Institutions des Séleucides, Paris, 1938, p. 26.

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et M. B. Hatzopoulos, la reine Phila II, épouse d1 Antigone Gonatas "apparaît conjointement au roi et à d'autres personnages comme la garante (προστατας) des affranchis"126. Cette nouvelle attribution est d'autant plus intéressante que, dans ce cas, la reine intervient aux côtés du roi. D'autre part, la reine écoute les requêtes concernant des affaires aussi bien privées que publiques. C'est le décret de Cassandreia récemment publié par M. B. Hatzopoulos qui nous apporte ce renseignement à propos de la reine Phila II127. La cité de Cassandreia honore Dorothéos, fils de Doros, citoyen de Séleucie ; en effet ce dernier "étant au service de la reine Phila se met volontiers à la disposition des Cassandréens qui se rendent auprès d'elle pour des affaires tant privées que publique s... "(τεταγμένος παρά τήι βασιλίσσηι Φίλαι τοις άφικνουμένοις Κασσανδρέων προς αυτήν καί ίδίαι και κοινήι προθύμως εαυτόν παρέχεται)128. On aimerait davantage de précisions sur ce rôle de la reine et sur le genre d'affaires qui lui sont confiées. En tout cas, ce fait montre que les reines avaient un certain pouvoir et qu'elles intervenaient dans la gestion du royaume, du moins pour quelques aspects.

Par conséquent, il n'est plus possible de considérer les épouses des rois de Macédoine de l'époque hellénistique comme de simples figurantes. En effet, toute une série de faits montre qu'elle ont eu de l'importance et qu'elles tenaient une place particulière à la cour et dans le royaume. Elles sont reçues solennellement lors de leur mariage, portent le titre de reine, possèdent des vêtements et des bijoux luxueux, ont une garde, des courtisans et sont l'objet de nombreux honneurs : statues, nouvelles villes portant leur nom, honneurs funèbres. Elles sont louées pour des qualités qui sont des qualités royales (eusébeia, eunoia) et certaines cités grecques leur ont rendu des honneurs divins, voire un véritable culte. D'autre part, les reines possèdent en propre des terres et des mines et elles jouissent librement de leurs revenus. Elles jouent un rôle aux côtés du roi dans les affranchissements. Elles écoutent les requêtes faites par les Macédoniens, que celles-ci soient d'ordre public ou d'ordre privé. Par conséquent, et bien que cet aspect soit très important, l'épouse du souverain n'est pas seulement chargé de lui donner un héritier mâle afin de continuer la dynastie.

126 L. Moretti, Iscrizioni storiche ellenistiche, II, Florence, 1976, n° 109 ; Hatzopoulos, Mélétèmata 10, p. 144 et n. 37. 127 M. B. Hatzopoulos, loc. cit. 128 M. B. Hatzopoulos, loc. cit., p. 137, 1. 13 à 20.