Les subordonnées dites interrogatives

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Benoit de Cornulier Les subordonnees dites interrogativesfrench

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    Benot de Cornulier1

    Les subordonnes dites interrogatives comme complments de dpendance2

    Version lgrement rvise dcembre 2014.

    ABSTRACT So-called embedded interrogatives are dependentials

    As if fairly well-known, so-called embedded interrogatives may have nothing to

    do with interrogation or even question. A simple instance is Whether the water flows depends on whether it is frozen where no knowledge is involved in the dependence relation. I suggest that, while the predicate depends whether is fairly often neglected in the study of embedded interrogatives , something very much like the very notion of dependence (a distributive or differential condition) reflects precisely the core of the meaning of these items in general. This is obvious in Whether Y or Z depends on whether A or B , which states a relation of dependence between two dependential poles, a condionning pole (A or B) and a conditionned pole (Y or Z). In Bill knows whether A or B , a dependence relation is implied between a condionning pole of facts A or B and a conditionned pole of knowledges Bill knows that A or Bill knows that B , standing for Y or Z), in accordance with Hintikkas notion of knowing whether. And so on, in more or less obvious cases, it seems

    On considre gnralement comme des propositions subordonnes

    interrogatives embedded ou subordinate interrogatives les syntagmes du type si P dans savoir si P ( knowing whether P) il sagit alors dinterrogatives totales (yes-or-no questions) ou du type qui V ( who Vs ) dans savoir qui V ( knowing who Vs ) il sagit alors dinterrogatives partielles (wh-questions). On sait pourtant que la notion de question, et a fortiori celle dialogale dinterrogation, est ici trop gnrale puisque, dans Qui survivra dpend de qui aura bu du Coca-cola ( Who will survive depends on who will have drunk cola ), il ny a pas de question. Sans doute est-il tentant de liquider ce contre-exemple en feignant

    1 Laboratoire de Linguistique de Nantes. 2 Travail en cours (a doit se voir), remarques et objections bienvenues. Cest suite

    une discussion avec Matthieu Segui (tudiant lUniversit de Paris-4, en 2012) sur la distinction des si-P circonstanciels conditionnels et des si-P dits interrogatifs que jai t amen rflchir sur ces derniers. Merci Yves-Charles Morin, Matthieu Segui, Marcel Vuillaume pour leurs remarques.

    Une version initiale de ce travail a paru dans Philologia (Studia Universitatis Babes-Bolyai, Cluj, Roumanie), 4/2013, n spcial Linguistique compare des langues romanes (LiCoLaR), La subordination travers les langues romanes, Hommage au Prof. H.-J. Deulofeu, dit par Sophie Saffi, Sandrine Caddo, Stefan Gencarau et Romana Timoc-Bardy &, Presa Universitara Clujeana ; en ligne http://www.studia.ubbcluj.ro/download/pdf/819.pdf, p. 131-143.

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    quune notion du genre savoir ou question se cache ellipse derrire le verbe dpend , et que cet nonc signifie en ralit : La question de savoir qui survivra dpend de la question de savoir qui aura bu du cocal-cola . Je me propose plutt ici, en sens inverse de cette suppose explication par circonlocution, desquisser une vue suivant laquelle, plutt que les compltives sujet ou complment de dpendre de ne sont des subordonnes interrogatives , cest lensemble des prtendues interrogatives qui sont des espces de complments de dpendance.

    1. Selon et la relation conditionnelle simple ou distributive Au cur de la notion de dpendance est celle de condition ; or on sait que

    les subordonnes interrogatives totales sont morphologiquement apparentes aux conditionnelles dans des langues diverses, comme avec la conjonction compltive si en franais ou parfois if en anglais. On peut appeler nonc de relation conditionnelle simple (simple conditional) un nonc de forme Si P, Q et dire quun conditionnant P et un conditionn Q y sont lis par la relation de condition3.

    Pour signifier que sil pleut, on est mouill, et que sil neige, on est blanchi, on pourrait peut-tre dire :

    1) Sil pleut, ou sil neige, (respectivement,) on sera mouill, ou on sera blanchi.

    Soit un nonc du genre suivant.

    2) Si P1, P2, (respectivement) Q1, Q2

    Dans un tel nonc (en le supposant assez naturel), il y aurait un ensemble de conditionnants P1, P2, disons les Pi , et un ensemble de conditionns Q1, Q2, disons les Qi ; et, comme le suggre dans (1) le mot respectivement , la relation conditionnelle se distribuerait en un faisceau de relations simples parallles Si P1, Q1 , Si P2, Q2 , etc. quon conviendra ici dabrger au besoin en :

    3) Abrviation de (2) : Si Pi, (respectivement) Qi

    (o Pi reprsente la srie des P1, P2, etc, et Qi la srie des Q1, Q2, etc.). Disons quil sagit alors dune relation conditionnelle distributive, o le mot si tablit une relation terme terme entre les deux ensembles Pi et Qi de conditionnants et de conditionns, comme suggr par la figure suivante o => note la relation de condition :

    3 Je prends ici nonc en un sens large, sagissant dune expression cohrente

    quelconque, qui ne concide pas forcment avec la forme totale dune nonciation. Je me permettrai parfois dappeler librement conditionnant ou conditionn aussi bien la proposition que ce quelle exprime, et de ne pas employer systmatiquement les guillemets autour des lettres P et Q .

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    Relation conditionnelle distributive

    Ple de conditionnants Pi : Ple de conditionns Qi : P1 Q1 P2 => Q2 &c &c

    Des noncs de la forme (1) risqueraient fort de prter malentendu,

    surtout si la correspondance distributive ny tait pas explicite par un mot tel que respectivement 4. Mais il existe des noncs plus clairs, notamment avec selon que ( according to whether et depending on whether en anglais) :

    4) Selon quil pleuvra ou quil neigera, vous serez mouill ou vous serez blanchi.

    5) Europes competitiveness stands or falls according to whether or not it has a secure energy supply [exemple observ sur Internet]

    1.2.2 Relation conditionnelle distributive et dpendance Dans ces derniers exemples, deux choses valent dtre signales. Dabord, dans lexpression incluant le ple conditionnant, According to

    whether Pi ou Depending on whether Pi , les Pi sont rassembles sous lintroducteur whether qui se trouve tre un introducteur typique des subordonnes dites interrogative (comme dans knowing whether .

    De plus, dans depending on whether Pi , la relation conditionnelle distributive est indique par le verbe depend on . Il ne semble pas sagir dune simple concidence lexicale, car Qi, depending on whether Pi se paraphrase assez bien par : Whether Qi depends on whether Pi .

    Dune manire comparable, les exemples franais en Selon que Pi se prtent souvent des paraphrases en termes de dpendance ; ainsi Selon quil pleuvra, ou quil neigera, vous serez mouill, ou vous serez blanchi se prte aux paraphrases Serez-vous mouill ou blanchi ? a dpend de si il pleuvra ou sil neigera ( Que vous soyez mouill ou blanchi dpend de si il pleuvra ou si il neigera ).

    La relation conditionnelle distributive ressemble ici une relation de dpendance. Signalons tout de mme que la notion exacte de dpendance est peut-tre un peu trop forte pour des cas o la relation conditionnelle distributive correspond une simple correspondance sans implication de causalit ; ainsi on peut sans doute dire, propos dun petit groupe denfants :

    4 Le vieux proverbe Oignez vilain, il vous poindra ; poignez vilain vilain, il vous

    oindra dcompose clairement une relation conditionnelle distributive en ses deux composants successifs ; comme a on risque pas de se tromper ( Selon que vous oignez ou poignez un vilain, il vous poindra ou vous oindra contraindrait moins linterprtation).

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    6) Je constate, mais cest sans doute une simple concidence sur ce petit groupe, que selon que cest un garon ou une fille, chaque enfant porte des baskets ou des tennis

    Je continuerai par commodit utiliser ici le terme de dpendance, mais sans prsupposer que la correspondance note implique toujours une causalit.

    1.2.2 Dpendances plus ou moins vagues La relation de dpendance nest pas toujours aussi prcisment dtaille

    que dans les exemples prcdents, quon pourrait dire de dpendance bijective, dans lesquels chaque Pi semble correspondre un Qi (dtermin), et un seul.

    On peut affirmer : Selon que vous tes carpe ou lapin, vous serez mang en terrine ou en sauce , puis, si un lapin ou une carpe demande Lequel des deux se mange en sauce ? , ajouter : a, vous le saurez au dernier moment . En ce cas, la relation parat bijective, mais sans que les paires dlments correspondants soient identifies. Cette possibilit stend la notion de dpendance en franais, car si une carpe demande Serait-je consomme en terrine ou en sauce , on peut rpondre sans paratre se contredire : Je sais que a dpend de si on est carpe ou lapin, mais je ne sais pas lequel des deux se mange en terrine et lequel en sauce .

    Les noncs suivants me paraissent pour le moins envisageables, quoiquils prsentent deux lments dans un ple et trois dans lautre :

    7) Selon que vous tes poulet, carpe ou lapin, vous serez mang en terrine ou en sauce [3 conditionnants, 2 conditionns]

    8) Selon que vous tes carpe ou lapin, vous serez mang en sauce, en terrine ou la mode tartare [2 conditionnants, 3 conditionns]

    Lexemple suivant me parat plausible, et ainsi confirmer que non seulement la dpendance nest pas forcment terme terme (bijective), mais que le principe de distribution peut tre simplement affirm sans que la distribution soit aucunement spcifie :

    9) Selon que vous tes de telle ou telle race, vous serez cuisin de faons diffrentes [conditionnants et conditionns non spcifis]

    ce dernier nonc affirme une dpendance entre une diversit de recettes et une diversit de races sans les dnombrer, ni mme impliquer quils soient en nombre gal.

    Par contre lnonc suivant parat bizarre :

    10) ?? Selon que vous tes carpe ou lapin, vous serez mang en sauce

    En effet, aprs selon que et ses deux conditionnants, on attend une distribution, donc plusieurs conditionns, et il ny en a quun (distribution impossible). De mme me parat bizarre lnonc suivant, au vu duquel on pourrait se demander de quoi donc dpend la recette :

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    11) ?? Selon que vous tes lapin, vous serez mang en terrine ou en sauce

    Remarquons que la relation distributive aurait t satisfaite si on avait dit Selon que vous tes lapin ou non (lalternative ngative ne peut pas tre ellipse).

    la limite, pour quon puisse dire Y dpend de X , il me semble quil suffit quil existe au moins une variation possible dans X qui entrane une variation dans Y. Convenons de dire qualors X discrimine ou diffrencie si peu que ce soit Y, et quil sagit dune relation de condition diffrentielle (de quelque manire que ce soit et si peu que ce soit), par forcment dtaillable exhaustivement comme une condition distributive bijective.

    1.2.3 Prix selon grosseur et propositions rfrentielles Un menu de restaurant peut indiquer que le prix dun poisson dpend de

    son poids par la simple formule Prix selon grosseur : les deux ples de selon sont alors des substantifs. Autres exemples de ple substantif :

    12) Selon son ge, on peut sinscrire ou non

    13) Selon lheure (ou : selon lheure quil est), vous pouvez ou non entrer

    Pourtant son ge , lheure , nominaux dfinis, voquent un rfrent unique. Comme le suggre la paraphrase de lheure par lheure quil est (impliquant lventualit dautres heures que lheure nest pas, elle nest pas nimporte quelle heure ), le concept singulier d heure voque ici une diversit d heures envisageables, correspondant un ensemble de propositions du type lheure est h1, lheure est h2, etc. (comparer en dialogue : Quelle est lheure ? Midi juste ). Dans selon lheure , cest un tel ensemble de propositions rfrentielles virtuelles qui, sans apparatre syntaxiquement, fournit les conditionnants Pi grce auxquels le simple nominal dfini lheure peut fonctionner comme ple de dpendance : pour quil y ait effectivement distribution, il faut quil existe au moins une certaine heure telle que vous pouvez entrer, et au moins une certaine autre heure telle que vous ne pouvez pas entrer. Mme chose pour lge ou (la) grosseur , grandeurs variables voquant une diversit virtuelle dges ou de grosseurs.

    2. Anti-distribution ou indpendance Parfois peut-tre, au lieu deffectuer la distribution du courrier, un facteur

    trop press pourrait mettre tous les lots de lettres dans la mme bote aux lettres, disons celle de Tartempion, sans tenir compte de la diversit des adresses indiques sur les enveloppes : on pourrait alors parler danti-distribution. Comme un facteur, le mot selon fait prvoir une distribution, et il serait bizarre de dire :

    14) ? *Selon que le courrier est adress Tartempion ou Grossette, ce facteur trop press le met dans la bote de Tartempion

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    Pourtant la langue franaise permet dexprimer correctement cette anti-distribution ; par exemple :

    15) Que le courrier soit adress Tartempion ou Grossette, il atterrit dans la bote de Tartempion

    16) Quil fasse beau, (ou) quil fasse laid, cest mon habitude daller me promener le soir [daprs Diderot]

    On peut commenter ces noncs conditionnels anti-distributifs en disant que la bote o atterrit le courrier ne dpend pas de ladresse indique ou que loccupation du promeneur ne dpend pas du temps quil fait. Il sagit donc ici dune relation dindpendance, exprime par un tour ddi cette relation5. Le schma qui suit peut figurer cette indpendance : Relation conditionnelle anti-distributive

    conditionnants Pi : conditionn Q : P1 P2 => Q &c

    En anglais, deux locutions parallles, according to (ou depending

    on) et regardless of , peuvent opposer la relation distributive (dpendance) et la relation anti-distributive (indpendance), according et regardless signifiant quasi-explicitement laccord ou labsence daccord du ple conditionn avec celui des conditionnants :

    17) According to whether P1 or P2, Q1 or Q2

    18) Regardless of whether P1 or P2, Q

    Il est intressant que whether apparaisse aussi bien dans le second cas o la distribution choue, comme soulign ngativement par regardless , que dans le premier o elle a lieu ; ainsi whether est bien un distributeur mme dans le cas o il ny a pas de distribution : anti-distribution, et non simple absence de distribution.

    Aux exemples du type ci-dessus Whether Pi, Q , o paraissent des espces de subordonnes quon peut dire totales par analogie avec la notion de question totale , sapparentent ceux du type suivant :

    5 Ce tour est sans doute nonciativement complexe (les propositions en Que +

    subjonctif semblent avoir une modalit nonciative propre sapparentant celle dune nonciation directive ; elles permettent dimaginer que cela soit ; puis de poser une affirmation dans cette hypothse). Le proverbe Oignez vilain cit plus haut en note est ainsi construit.

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    19) Quelque temps quil fasse, cest mon habitude daller me promener

    20) Quoi quon lui propose, il nest pas content

    On pourrait qualifier ces propositions de partielles pour marquer lanalogie respective des deux types Que Pi-Subjonctif, Q et Quoi Pi-Subjonctif, Q , avec les subordonnes interrogatives dites partielles ou totales. Leur caractre particulier, souvent qualifi de concessif , rside plutt, dabord, dans la relation conditionnelle tablie (syntaxiquement ou discursivement) avec la proposition qui suit (consquent), complt par le fait que, alors que ces espces de conditionnelles pluralistes font attendre une diversit de consquents correspondants, il ny en a quun seul : il sagit donc de cas de relation conditionnelle anti-diffrentielle (chec de condition diffrentielle)6.

    3. Forme des deux ples autour de dpendre

    3.1 Types de ple conditionnant Si la relation conditionnelle distributive est une relation de dpendance,

    il vaut la peine dexaminer les deux arguments du verbe dpendre : le sujet (ple Qi des conditionns) et lobjet ou complment proprement dit (ple Pi des conditionnants). Lexemple imagin ci-dessous donne une ide de leur varit :

    21) Nous rejoindras-tu ce soir ? a dpend dun tas de choses : de si jai fini ce dossier, et mme de lheure o je finis, de qui tinvites, de Jean-Paul mon chef de bureau, de sil fait beau ou sil pleut, de ma forme en fin de journe de travail, et de laccord de Francine Bref, rserve-moi une place, mais je te rpondrai plus tard !

    Les complments de dpendre de (ple Pi) runis dans cet exemple sont :

    A) une alternative d interrogatives totales ( sil fait beau ou sil pleut ) ;

    B) une interrogative totale simple ( si jai fini ) ; C) une interrogative partielle ( qui tinvites ) ; D) des groupes nominaux noyau substantif ( lheure , ma

    forme , un tas de choses , laccord de ) ; E) en particulier, un nom propre ( Jean-Paul ).

    6 La notion de concessive nest pas trs exacte : celui qui dit Quil fasse beau,

    quil fasse laid, je vais toujours ne promener peut faire des hypothses de mto sans concder quoi que ce soit. Il signifie simplement que cette diversit de cas hypothtiques est sans consquence diversifiante sur son activit.

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    Dans dpend de sil fait beau ou sil pleut (type A), les deux propositions il fait beau et il pleut reprsentent distinctement les Pi de la relation distributive.

    Dans a dpend de si jai fini (type B), les Pi sont rduits au seul lment jai fini . Contentons-nous ici dune explication approximative en remarquant que dans ce contexte si jai fini peut pratiquement revenir peu prs au mme que si jai fini ou non 7.

    Passons directement au type D : a dpend de lheure, de ma forme . On a vu ( 1.2.3) que certains nominaux dfinis comme lheure pouvaient voquer sous selon une diversit virtuelle de propositions rfrentielles ; il en va donc de mme autour de dpendre (de) . Mme chose pour la forme , qui peut tre telle ou telle (quil sagisse de la qualifier ou de lidentifier). Il sagit donc bien ici dun ple de dpendance, pluraliste comme il se doit.

    Cependant cette analyse ne vaut pas pour la dpendance lgard de laccord de Francine si le locuteur laisse entendre par exemple quil nous rejoindra ce soir seulement sil obtient laccord de Francine8 ; il aurait pu dvelopper en a dpend de laccord ou non de Francine , plus explicite sinon plus lgant. On pourrait paraphraser en disant que a dpend de lexistence de laccord de Francine , mais sans illusion rductrice, car dans cette paraphrase lexistence est encore un dpendanciel, tel que a dpend encore de lexistence ou non ! de laccord de Francine9.

    7 Mais on a remarqu plus haut que ou non ntait pas effaable dans Selon que P

    ou non . 8 On pourrait aussi comprendre (mais cette interprtation ne me parat pas la plus

    vidente) que Francine peut donner plusieurs sortes daccord, dont certaines, et non dautres, sont des conditions ncessaires pour que le locuteur nous rejoigne ce soir (cette interprtation serait du mme type que pour les exemples prcdents).

    9 Le type D2 de dpendanciel nominal existentiel est bien attest sur Internet. Par exemple, en cherchant seulement dpend de la russite ou non (Googe Livres, dc. 2014) : Lquilibre final dpend de la russite ou non des oprations militaires, et cet quilibre peut ventuellement ne pas dpendre des adversaires (o le dpendanciel sujet lquilibre me parat probablement employ en variable spcifique) (exemple tir de Vittorio Cotesta, 2006, Images du monde et socit globale, Presses de lU Laval, p. 128) ; le bonheur dun couple dpend de la russite (ou non) du passage de ltat damants celui dpoux (Arlette Michel, 1976, dans Le mariage et lamour dans luvre romanesque dHonor de Balzac, Atelier de reproduction des thses, U de Lille-3, p. 246) (noter les parenthses autour de ou non , comme si lauteur voulait forcer linterprtation existentielle, et cependant peut-tre hsitait crire brutalement la russite ou non ). Voici un exemple ancien apparent sans ou non en style pistolaire : Le succs de cette campagne dpend de la russite de ce convoi , suivi dun dveloppement des deux hypothses : sil est battu, et sil arrive, confirmant linterprtation existentielle (dans une lettre du 22 juillet 1708 du Marchal de Berwick au duc de Vendme, dans les Mmoires du Marchal de Berwick, t. 2 :419, Paris, 1778). Voici un exemple de dpendanciel existentiel alternatif : Sa vie dpend de la russite ou de lchec dun objectif (je souligne) (Philippe Cruellas, 1999, Le Temps autrement, ESF diteur, Paris) ; il est analogue un alternative de questions totales comme dans dpend de sil russit ou sil choue ; la construction alternative rend inutile une dsambigusation en ou non ( la russite ou non ), et mme lexclut car la quadruple

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    On peut donc distinguer deux types de nominaux dpendanciels dans le type D : un groupe D1 demplois nominaux, plus communs, pour lesquels je parlerai ici de variation spcifique, comme la forme voquant plusieurs espces de formes, et un groupe D2 demplois nominaux moins communs (voire rares en langage lgant), comme laccord [ou non] pour lesquels je parlerai de variation existentielle (terminologie peut-tre maladroite).

    Dans a dpend de qui tinvites (type C), le conditionnant qui tinvites , souvent considr comme une proposition (subordonne interrogative), est tout de mme un groupe relatif sans antcdent (RSA) et ressemble fort au groupe RSA de Jinvite qui jaime o les grammairiens reconnaissent volontiers un groupe nominal complment dobjet10. Dans ce dernier, en labsence dantcdent, le morphme i inclus dans qu(e)-i indique que les rfrents ventuels sont des personnes, et linterprtation rfrentielle du pronom est du type gnral ( toute personne que jaime ). Dans a dpend de qui tinvites , le verbe recteur du RSA favorise linterprtation suivant laquelle ce RSA renvoie un ensemble de propositions rfrentielles du genre Tinvites Untel, tinvites Untel ou tinvites Untel , ce qui procure la diversit des conditionnants11. Il est strictement inutile de supposer l-dessous quoi que ce soit d interrogatif ; on observe simplement que, rgi par dpend de , le RSA qui tinvites se comporte comme le nominal lheure dans a dpend de lheure . Rappelons, propos des prtendues wh-questions , que certaines possdent un antcdent qui leur donne une bonne tte de groupe nominal ; ainsi en franais, pour viter de dire a dpend de quoi se mijote , on dit plutt : a dpend de ce qui se mijote , en introduisant un antcdent pronom, ce , noyau du groupe nominal, et a nempche pas ce groupe nominal vident de pouvoir sinterprter comme un RSA dit interrogatif .

    Il est oiseux de supposer, dans a dpend de lheure, de qui tinvites et de ce qui reste manger , aussi bien pour un complment que pour lautre, une notion cache de question, ou, comme on dit parfois en linguistique anglophone propos de nominaux vidents du type lheure , une question cache ( concealed question ).

    Dans a dpend de Jean-Paul (type E), il paratrait tir par les cheveux de supposer une diversit rfrentielle du nom propre Jean-Paul . On imagine aisment plutt des claircissements du genre suivant : Jean-Paul est mon chef, jai besoin de son autorisation pour sortir ; ainsi des ventualits du genre JP permettra de sortir et JP ne permettra pas de sortir fournissent un plausible ple pluraliste de dpendance ; il nest pas

    alternative dpend de la russite ou non ou de lchec ou non serait pour le moins problmatique.

    10 Jemploie RSA au masculin pour viter de prsupposer quil sagisse dune proposition.

    11 Il est peut-tre tentant, dans le style de certaines tudes actuelles, de gloser qui tinvites par quelque chose du genre : lextension de lensemble des rfrents de qui tinvites ; mais cette notion, lextension , devrait son tour tre interprte comme un dpendanciel, encore glosable par quelle est lextension .

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    ncessaire de faire allusion des ventualits si prcises, tant suffisant de savoir quune personne peut conditionner de diverses manires laction dune autre. Contentons-nous ici de dire que lexistence dun ple dpendanciel indtermin est alors simplement voque par une instance.

    3.2 Types de ple conditionn Les types possibles de ple conditionn semblent tre peu prs les

    mmes que ceux de ple conditionnant, mme sils sont moins bien reprsents ou parfois moins naturels en franais en position sujet ; par exemple, paralllement aux suites discursives du genre Viendras-tu (ou non) ? a dpend de sil fera beau (ou non) ou Si je viendrai (ou non), a dpend de sil fera beau (ou non) , les noncs du genre Si je viendrai dpend de sil fera beau paraissent rares (surtout en style familier) et parfois peu naturels. Ces exemples d interrogative totale simple ou alternative correspondent aux types A et B ci-dessus.

    Exemple de type C en position sujet. En discours : Qui tinviteras ? a dpend de qui jaime ! ; en une seule nonciation, on pourrait dire : Qui tu inviteras dpend sans doute de qui tu aimes .

    Exemples de type D sujet : Lheure ( laquelle je terminerai mon dossier) dpendra de lardeur que jy mettrai , La chaleur dpend de la pression , etc.

    Exemple de type E. Si ma possibilit de sortie anticipe dpend de Jean-Paul , et que ce chef de bureau sen rfre systmatiquement son suprieur hirarchique immdiat Jean-Pierre , on peut dire que ma sortie anticipe dpend de Jean-Paul et travers lui de Jean-Pierre, et que Je dpends de Jean-Paul et Jean-Paul lui-mme dpend de Jean-Pierre (sujets instances de Qi).

    4. Les subordonnes interrogatives comme ples de dpendance

    Le propos essentiel du prsent article tient dans la thse suivante : Non seulement dans les cas limpides du type Whether Q depends on

    whether P ou Si Q dpend de si P , mais dune manire gnrale, les prtendues subordonnes interrogatives sont une des formes possibles des ples de conditionnants ou de conditionns dans lexpression dune relation de polaire de dpendance (ples dpendanciels), mme si, souvent, le ple complmentaire du ple aperu sous forme interrogative napparat pas grammaticalement.

    Suivant cette conjecture car je ne prtends pas ltablir ici sur une liste

    exhaustive des contextes de question ni dune manire mthodique et argumente , une subordonne interrogative , ple vident, est toujours couple un autre ple pas forcment vident et mme pas forcment dtermin, sans relation auquel elle ne fait pas sens. Je me contenterai pour

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    cela de considrer la liste ci-dessous des verbes recteurs de subordonnes interrogatives ( question embedding verbs ) fournie, sans prtention dexhaustivit, dans ltude souvent cite de Lauri Karttunen (1977) sur la smantique des questions 12 :

    (a) verbs of retaining knowledge : know, be aware, recall, remember,

    forget (b) verbs of acquiring knowledge : learn, notice, find out, discover (c) verbs of communication : tell, show, indicate, inform, disclose (d) decision verbs : decide, determine, specify, agree, control (e) verbs of conjecture : guess, predict, bet on, estimate (f) opinion verbs : be certain about, have an idea about, be convinced

    about (g) inquisitive verbs : ask, wonder, investigate, be interested in (h) verbs of relevance : matter, be relevant, be important, care, be

    significant (i) verbs of dependancy : depend on, be related to, have an influence on,

    be a function of, make a difference to

    4.1 Dpendance et inversement dtermination Commenons par les verbes de dpendance que, symptomatiquement,

    Karttunen relgue en queue de liste (i)13. Disons quun verbe ou une locution verbale V est du type Qi V Pi (avec ou sans prposition devant le complment) si le sujet exprime un ple conditionn et le complment un ple conditionnant. Cest le cas pour Qi depends on Pi (voir exemples en 3 ?) et Qi is a function of Pi .

    On peut parler plus prcisment de dtermination quand une dpendance apparat en sens inverse, comme dans Pi makes a difference to Qi 14, Pi has an influence on Qi . On pourrait notamment ajouter Pi determines Qi (que Karttunen mentionne seulement en groupe (d)), comme dans The psychological quality of work determines whether employment has benefits for mental health (nonc vu sur Internet, 2013), et matters (to) que Karttunen range seulement en (h), exemple : how a compound is metabolized often matters to whether it is carcinogenic or not 15. La notion

    12 Par exemple cest encore de cette liste que, quitte sen dmarquer comme je ferai

    ici, part Bart Defranck (2005). 13 Quand on noublie pas la notion de dpendance dans une analyse des

    subordonnes interrogatives , on peut tre tent de la ramener une dpendance informative coup de boursouflures priphrastiques du genre : De savoir si Q dpend de savoir si P . Les pages o Bart Defrancq (2005 : 168sv) tente de montrer, sans grande conviction, que la notion de dpendance a un rapport (mme indirect) avec la notion dinformation me paraissent particulirement peu probantes.

    14 Example : The place you reside in also makes a difference to whether you can receive SSI or not (in an Arizona document about eligibility criteria for receiving the Supplemental Security Income , on Internet 12-2014).

    15 P. 89 de Across the Boundaties : Extrapolation in Biology and Social Science, Daniel Steel & al., Oxford U Press, 2008.

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    de relevance chez Karttunen recoupe en effet celle de dpendance inverse ou de dtermination. Une diffrence entre ces notions me semble tre que dans Pi dtermine Qi , on comprend volontiers (sauf indication contraire) que la diversit envisage dans Qi est totalement dtermine par la diversit envisage dans Pi, alors quavec make a difference to et have an influence on , on suggre plus nettement que Pi peut ntre quun parmi plusieurs conditionnants de Qi ( sous-dterminer est parfois employ en ce sens, plutt mme en imposant lide que la dtermination est partielle).

    Xi is related to Yi , souvent employ en rapport scientifique dexprimentation ou observation, peut exprimer une corrlation non ncessairement oriente comme dans : She examines a database, testing whether the cholesterol level is related to whether a person has a heart disease or not (vu sur Internet, 2013, italiques miennes). La notion naturelle de dpendance (mme suppose rciproque) peut sembler trop forte au vu de certains exemples o le rdacteur ne veut pas prsupposer une causalit oriente ; ce qui est pertinent peut se rduire au conditionnement distributif (ventuellement rciproque) voqu en 1, en remarquant quun nonc du type Si P, Q peut rapporter une relation observe sans y imposer ncessairement une ide de causalit (v. plus haut 1.2.2).

    4.2 Importance et in-importance Il peut me paratre sans consquence autre que ngligeable pour moi quil

    me reste exactement 1 ou 2 cheveux, mais non quil me reste 1 ou 2 bras. Une grande partie des jugements formuls dans la vie quotidienne est de cet ordre, et une notion commune cet effet est celle dimportance. Limportance sapparente clairement la (sous-)dtermination ou dpendance inverse ; mais une caractristique utilitaire de cette notion est quelle sert souvent valuer plutt sous forme globale (bilan) les consquences pertinentes de quelque chose, qu les spcifier.

    La fable du Loup et du Chien (La Fontaine 1:5) en donne un bel exemple, sagissant de ce qui dans la vie, pour les uns ou les autres, est rien , ou non, et n importe pas, ou si ; le Loup (maigre mais libre) remarque que le Chien (gras mais domestique) a le cou pel (italiques miennes) :

    Quest-ce l ? lui dit-il. Rien. Quoi ? rien ? Peu de chose. Mais encor ? Le collier dont je suis attach De ce que vous voyez est peut-tre la cause. Attach ? dit le Loup : vous ne courez donc pas O vous voulez ? Pas toujours, mais quimporte ? Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte []

    Dans le langage du Chien, le quantificateur Rien , qualifiant le fait que le cou est pel, donc quelque chose, est donc clairement valuatif ; il est nuanc par Peu de chose ; puis enfin corrig par laveu du collier entrave la libert ; la rponse du chien quimporte ? , par spcialisation pragmatique de cette formule, slectionne davance la ngative (cela

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    nimporte pas : importance nulle ou ngligeable) ; elle nappelle donc pas de rponse, mais le Loup y rpond contradictoirement ( il importe ), sans prciser quoi a importe, et en tire immdiatement la consquence. En conversation familire, la notion d importance , ou dautres quivalentes, certaines images ou argotiques, sans aucune spcification de quoi ce dont on parle importe ou pas, est banale, et le plus souvent en effet aucune spcification nest ncessaire quand elle est radicalement, voire brutalement ngative (inutile de faire le dtail). La ngation dimportance ( Nimporte , Aucune importance , It doesnt matter ) est souvent radicalement subjective ( Je men fous , I dont mind , et radicalement ngative, ce qui en effet dispense de faire le dtail en spcifiant quelque ventuelle consquence que ce soit puisque de toute faon a mest gal 16.

    Le groupe (h) de relevance (pertinence) de Karttunen concerne largement cette notion dimportance ou din-importance. Ainsi quelque chose qui nest pas relevant (pertinent) est quelque chose sans consquence (pertinente, non-ngligeable).

    Les ngations de limportance sapparentent donc aux constructions anti-distributives remarques plus haut ( Quil fasse beau ou quil fasse laid, je vais me promener , etc.). Dans Peu mimporte si on sort ce soir , avec qui on sort ce soir , lheure , etc., le syntagme sujet postpos importe correspond un ple conditionnant Pi, la construction en compltive dpendancielle ( interrogative ), comme la spcialisation pragmatique (au moins tendancielle) du verbe importer , annonce une distribution (au moins une diffrenciation), mais la ngation ou minimisation de limportance tend minimiser ou nier lexistence dun ple pluriel Qi dans une relation de condition diffrentielle o Qi dpendrait de Pi.

    Dans Avec qui on sort ce soir ? Nimporte (dialogal) ou Avec qui on sort ce soir, je men fiche, a mest gal (simple nonc avec dpendanciel dtach en tte) , la question antrieur ou le dpendanciel correspondant laissent attendre une rponse ou un lment complmentaire diffrenci (comme On sort avec telles personnes ), et la dclaration din-diffrence contredit la diffrenciation invite.

    Il sagit donc bien, dans ces expressions, de lchec dune relation de condition diffrentielle ; on pourrait parler condition anti-diffrentielle.

    Dans ce cas comme dans plusieurs autres, la pertinence de lappellation traditionnelle de compltive interrogative ( interrogative subordinate ) est nulle17.

    16 Comparer en anglais mind whether Pi , Never mind ! , It doesnt matter

    whether Pi , I dont give a damn ; en franais, Quon dne ici ou ailleurs, quest-ce que a peut foutre / jen ai strictement rien foutre / je men fiche/fous/brosse/branle/tape/bats lil (du moment quon dne), etc.

    17 des noncs virtuels du type RSA nimporte pas ou Il nimporte (pas) RSA semblent sapparenter les RSA rduites au relatif du type Nimporte qui fournissant des expressions de libre choix (free choice items) comme dans Nimporte qui peut entrer , Ne dis pas nimporte quoi (cf. Qui peut entrer nimporte pas , (Ce) que tu

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    4.3 Dtermination mentale et infinitives Karttunen range en groupe (d) de dcision , des verbes qui peuvent

    exprimer une dtermination Pi V Qi impliquant une opration mentale. Dans Cest Julie qui dcide si on sort , Julie apparat comme une

    instance dont peut dpendre, selon quelle dcide quon sort ou quelle dcide quon ne sort pas , le fait quon sort ou quon ne sort pas (ou du moins que cela est projet ou non) : la diversit des dcisions correspond celle des actions projetes. Avec des nuances diverses, dautres verbes du mme groupe (d) peuvent se comprendre dans des sens voisins. Il sagit donc de recteurs de subordonnes interrogatives qui se prtent une paraphrase dpendancielle.

    Peut-tre peut-on joindre ce domaine celui de subordonnes infinitives comme dans :

    22) Je me demande [ou : Je sais] que faire, comment faire

    23) Explique-moi comment faire

    Contentons-nous dune paraphrase fort approximative (et ne valant pas de toutes ces interrogatives infinitives), suivant laquelle savoir comment faire , cest savoir comment il faut faire , et se demander comment faire implique quon cherche savoir comment il faut faire . Ceci nous ramne au cas de savoir si et savoir qui quon abordera plus bas.

    4.4 Linformation comme espce de dpendance Les recteurs verbaux mentionns par Karttunen appartenant aux quatre

    sous-groupes suivants (sur neuf), retaining knowledge (a), acquiring knowledge (b), communication (c) et inquisitive verbs (g), concernent linformation (savoir) quon peut chercher ou laquelle on peut tre intress ( ask, wonder, investigate be interested on ), acqurir ( learn , notice , find out , discover ), avoir ( know, be aware, remember ), perdre ( forget ), ou communiquer ( tell , show , indicate , inform , disclose ).

    Quoi que ce soit moins vident, mme la notion de conjecture (e) pour guess, predict, bet on, estimate18 peut sembler sapparenter linformation que, dune manire plus ou moins fonde, on cherche suppler, et en quelque sorte simuler, en devinant , pariant , etc.

    Le moment est venu pour moi davouer que, faute de comptence en logique, je comprends, selon les cas, rien peu de chose aux travaux de linguistique moderne qui dcrivent le sens laide de formules logiques telles que le lambda-calcul ; aveu ncessaire pour relativiser ce qui suit. Un grand nombre des dfinitions de savoir si et savoir qui que jai lues et comprises sont, soit grossirement, soit plus rarement subtilement, fais/feras nimporte pas ) ; la valeur spciale de ces items de libre choix peut tenir en partie leur parent avec ces noncs anti-distributifs.

    18 Comme dans the court must estimate whether the circumstances should remain secret (daprs un exemple lu sur Internet, 2013).

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    circulaires ou creuses19. Mais il existe un type de dfinition de savoir si bien connu au moins depuis la thse dHintikka (1962) qui nest pas critiquable cet gard : Quelquun sait si P si et seulement si il sait que P est vrai ou il sait que P est faux . En tenant compte de la nature causale du savoir (Hintikka oppose justement le knowledge au belief), on peut ici envisager cette reformulation de Karttunen (1977 : 168) :

    24) Par dfinition, Luc knows that P / sait si P si et seulement si : 1) si P, il sait que P (if P, he knows that P) 2) si non-P, il sait que non-P

    Malgr ou plutt cause de son caractre rustique, cette espce de dfinition est particulirement intressante parce que : 1) Elle nimplique pas un lourd formalisme logique ; 2) Elle limine rellement la fonction (know) whether par rduction au plus simple (know) that (moyennant seulement usage de la ngation et de ou ), et ainsi elle nest pas circulaire comme tant de dfinitions, beaucoup plus savantes, quon a proposes de la notion de savoir si. Notamment, elle ne dfinit pas un lment dpendanciel au moyen dun autre dpendanciel dapparence diffrente.

    Cette caractrisation de savoir si peut tre dite symtrique lgard de la ngation en ce sens quelle donne pratiquement la mme dfinition de savoir si P et de savoir si non-P . Il en va de mme dune dfinition apparente de savoir qui (pour les wh-questions ou interrogatives partielles) selon laquelle :

    25) Luc knows who Vs / sait qui V si et seulement si, 1) si quelquun V, Luc le sait, 2) si quelquun non-V, Luc le sait

    Ces dfinitions symtriques de savoir si, et surtout de savoir qui, ont des dfauts connus20. Malgr ces inadaquations, et compte tenu de la valeur approximative de ces dfinitions21, il me parat rvlateur quelles soient

    19 Exemples triviaux de dfinitions circulaires : Savoir si P = savoir la valeur de vrit de P (cette dfinition substitue simplement

    un GN rfrence variable, la valeur si P , donc un dpendanciel un dpendanciel).

    Savoir si P, cest connatre la rponse la question P ? : mme tour de passe-passe substituant un dpendanciel nominal, la rponse , au dpendanciel dfinir ( si P ) ; et, pour comble, ce genre de dfinissant contient, en toutes lettres, les notions de question et de rponse !

    A sait si P si et seulement si existe une proposition P telle que : A sait que P, et A sait que P est la (bonne) rponse la question P ? . Ici le dfinissant, quon ma oralement propos, de la suppose interrogative si P (ou whether P ) contient le concept de rponse, le concept de question, et le concept de (bonne) rponse une question. Il ne risque donc pas dlucider la notion de question.

    Je pourrais donner des noms ! 20 V. par exemple Cornulier (1982). 21 Et malgr le fait quelles ne paraissent pas directement transposables un verbe

    comme dpendre (de). Linterprtation non-symtrique que jai propose dans Cornulier

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    typiquement, et ltat pur, du type dpendanciel : un ple conditionnant constitu des propositions ou faits P et non-P , elles font correspondre un ple conditionn (Qi) constitu de Jean sait que P et Jean sait que non-P (ou de leurs ramifications rfrentielles pour savoir qui). Le savoir tant produit par une information de quelque type quelle soit, il apparat ainsi que la notion dinformation, qui est majoritairement concerne dans les verbes recteurs de subordonnes interrogatives de Karttunen, semble avoir, comme celle de dpendance, une structure conditionnelle distributive.

    4.5 Information et opinion, savoir si et * croire si On peut remarquer que, malgr le type trompeur22 de la classe (f) de

    Karttunen dite des opinion verbs , dans aucun des trois exemples cits, lexpression verbale dopinion be certain , have an idea ou be convinced ne rgit directement le ple dpendanciel ; ainsi I am not certain about whether its raining ne dit pas que je suis * certain sil pleut (ou non) , mais que, sur ce sujet ( about it ), je nai pas de certitude. Ces subordonnes interrogatives pourraient paratre plutt spares par about du prtendu verbe dopinion de la classe (f) ou lies lchement ce verbe que vraiment rgies par lui ; du reste, les suites du type about whether X ou about who Vs peuvent complter des prdicats varis sans aucun rapport avec lopinion comme dans avoir toutes les informations sur (about) ce qui sest pass , ou dans bigwigs squabbling about who knew what ( des gros bonnets se chamaillant au sujet de qui savait quoi , lu dans The Times, 10-9-2013 p. 9) ; voir plus bas sur ces syntagmes about + Dpendanciel .

    Ajoutons que les verbes les plus typiques exprimant la croyance ( la diffrence du savoir) nintroduisent pas de subordonne interrogative ou plus gnralement de complment dpendanciel : * croire/penser sil pleuvra (ou non) , * croire/penser qui gagnera , croire/penser lheure , * believe whether P ; mme chose pour esprer qui inclut une dose de croyance sans laquelle justement on dsesprerait : * esprer sil fera beau , * esprer qui entrera , et pour le souhait : * souhaiter qui entrera .

    On peut donc souponner que, malgr Karttunen, les prdicats dopinion ne rgissent ordinairement pas un complment interrogatif . Cette diffrence entre les prdicats dinformation, qui peuvent banalement rgir une compltive dpendancielle, et les prdicats dopinion, qui ne le peuvent pas banalement, dcoule de la notion mme de dpendance. Entre un fait P et une information que P, il existe une chane causale telle que, plus ou moins directement, le fait P est une source de linformation que P, do le fait quon ne peut pas savoir que P sans que ce soit le cas que P (do la structure dpendancielle de la dfinition 20 de savoir si P) ; alors que la

    (1982) pour la notion de savoir si ou savoir qui me parat difficile ou impossible gnraliser lensemble des dpendanciels.

    22 Dment signal par Bart Defranck (2005 : 168).

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    simple ide que quelquun croit que P ne prsuppose pas que P, la croyance que P pouvant aussi bien driver du dsir (cf. la notion esprer ) ou dune illusion que du fait mme que P. Cest donc la relation mme de dpendance qui manque pour fonder une notion comme * croire si P : la notion de croyance na pas, comme celle de savoir, une structure dpendancielle.

    4.6 Dpendanciel total ou partiel , existentiel ou spcifique

    (On a aperu au cours de cet article des lments danalogie entre : la division des questions subordonnes du type (savoir) sil pleut dites

    totales (yes-no questions) et celles du type (savoir) qui pleure dites partielles (wh-questions),

    et la distinction, parmi les dpendanciels, des nominaux ici dits existentiels (comme dans a dpend de ta russite ou non ) et des nominaux ici dits spcifiques (comme dans a dpend de la date retenue ),

    voire, la distinction de certaines conditions non-diffrentielles totales (?) du type Quil pleuve ou quil neige, a ira et de conditions non-diffrentielles partielles (?) du type Quoi quil dise, on rigole .

    Je nai pas examin ces apparentes analogies, ni consult dventuels mais probables tudes les concernant Parmi les questions quon peut se poser leur sujet, et en rapport avec la symtrie ou dissymtrie des questions totales et des dpendanciels : Pourquoi peut-on dire savoir sil pleut [et : Est-ce quil pleut ? ] et a dpend de ta russite au bac sans ajouter ou non , mais ne peut-on pas se dispenser de ou non dans Selon sa russite *[ou non], il aura une rcompense ou rien du tout ?).

    4.7 About whether Restent seulement, parmi les lments de la liste de Karttunen, les

    expressions du type :

    26) I have an idea about whether they can do it

    La possibilit de gloser cet exemple par

    27) I have an idea about the question whether they can do it

    28) Jai une ide sur cette question (ou : ce problme)

    suggre que la subordonne interrogative , lie lchement par about ce qui prcde, reprsente en elle-mme une question ou un problme, comme si elle navait pas tout fait besoin du contexte ( an idea about ) pour avoir, toute seule, cette valeur dpendancielle, quon peut aussi trouver dans Jai ma petite ide sur la date (= sur quelle est la date ) ; on peut dtacher encore plus nettement le dpendanciel dans un tour du genre :

    29) Quant la date exacte des lections, il est prmatur de parler ou de mars ou de juin, car aucune date nest arrte, dit-on Matignon. [] Selon une autre source proche de Manuel Valls, la

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    date de juin est la plus srieusement envisage [Nouvel Obs, 29-08-2014]

    o Quant la date signifie peu prs, en paraphrase indigeste : Quant quelle sera [ou quelle doit tre] la date ; si on glosait Quant la date exacte par Quant au choix de la date exacte , le choix serait son tour dpendanciel ( quel choix )23.

    Voici un autre exemple, littraire, dans le champ des questions dlibratives (effleur plutt allusivement ci-dessus en 4.3 propos dinfinitives). Au dbut de son fameux monologue (acte 3, sc. 1), Hamlet seul dit :

    30) To be, or not to be, that is the question ; Whether tis nobler in the mind to suffer The slings and arrows of outrageous fortune, Or to take arms against a sea of troubles, And by opposing end them ? []

    Que To be, or not to be peut dj se comprendre en soi comme une question totale dlibrative, avant mme lauto-commentaire that is the question 24, cest ce que reflte Furness25 en glosant ainsi dans son dition (1877 : 205, n. 56) le propos de Hamlet : it is necessary to decide [] whether we are to be, or not to be ; du reste la question reparat, transpose en question dvaluation, dans la phrase suivante : Whether tis nobler in the mind to suffer [], Or to take arms [] . Dans ce texte, la question , dlibrative puis valuative, cest To be, or not to be , puis : Whether or .

    Cest directement en prdicat de La question est que whether P apparat dans les noncs du type The question is whether or not the government has the right to interfere (exemple de dictionnaire, Internet), o le contexte reconnat whether P comme question plutt quil nest ncessaire pour en faire une question.

    Ces exemples seraient donc contraires lide que toute subordonne interrogative est un des deux ples dune relation de dpendance, si lautre ple devait tre localis dans lnonc ; car dans The question is whether P , le contexte The question (is) ne fournit pas cet autre ple de la question whether P , puisquil nomme cette question mme.

    23 Dans cet nonc (et non exemple) dUtpal Lahiri (2002 :36), One finds some

    argument in the literature concerning whether they take embedded interrogatives , on peut gloser : some argument concerning that question ; concerning y est comparable about dans les exemples ci-dessus. Voici un exemple diffrent de subordonne interrogative distance : Quite apart from whether P or not, it seems that Q (nonc dans Lahiri (2002 : 40) o je remplace des propositions par des lettres).

    24 Contrairement une traduction franaise du type tre ou ne pas tre, cest la question , o linterprtation autonome dlibrative du groupe infinitif est moins plausible.

    25 A New Variorum Edition of Shakespeare, ed. par Horace Howard Furness, vol. 3, Part I, Hamlet, 6e dition, Lippincot Company, Philadelphia, 1877.

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    Comment, sur de tels exemples, formuler une interprtation dpendancielle ? L je cale ! Faute de savoir le faire dune manire justifie, je me contenterai ici de supposer quil ny a de question (ou de problme ) que pour unee instance, par exemple un esprit, mme purement ventuelle, qui puisse se la poser ; moyennant lhypothse dune telle instance, ces exemples peuvent se rattacher au domaine de la connaissance (knowledge) ou de la dcision, mme si ce ple conditionn ny est pas voqu mme allusivement par un terme quelconque dans lnonc. Je ne sais pas comment justifier ce genre dhypothse ; du moins la simple possibilit den imaginer me semble montrer que, jusqu plus ample inform, ces exemples ne sont pas positivement des contre-exemples lanalyse dpendancielle des subordonnes interrogatives .

    Au terme de cette revue trop rapide, je conclurai seulement que lide suivant laquelle toute subordonne interrogative est un ple conditionnant ou conditionn dans une relation de type dpendanciel me parat probable dans un grand nombre de cas et du moins plausible dans quelques autres.

    Quelque rfrences26 Cornulier (de), B. : 1982, Sur le sens des questions totales et

    alternatives dans Langages 67, 55-109, septembre 1982. En ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-

    726x_1982_num_16_67_1971. 2010, Analyse nonciative dune question partielle rhtorique, Qui

    sait ? . En ligne sur http://www.normalesup.org/~bdecornulier/. Defranck, Bart, 2005, LInterrogative enchsse, Structure et

    interprtation, De Bck et Larcier, Duculot, Bruxelles. Hintikka, J. : 1962, Knowledge and Belief. Cornell University Press,

    Ithaca, New York. Karttunen, L. : 1977, Syntax and Semantics of Questions . Linguistics

    and Philosophy 1, 3-44. Lahiri, U. : 2002, Questions and Answers in Embedded Contexts. Oxford

    University Press.

    26 rfrences parmi lesquelles je ne prtends pas avoir tout lu et compris.