3
Les tests sur l’homme en cosmétique : les enjeux éthiques Stephane Pirnay 1 , Sarah Nahum 1 , Philippe Pirnay 2,3 1. EXPERTOX, cabinet et laboratoire d’expertises toxicologiques, 14, rue Godefroy- Cavaignac, 75011 Paris, France 2. APHP, hôpital Bretonneau, service d’odontologie, 75018 Paris, France 3. Université Paris Descartes, faculté de médecine, laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, EA4569, 75006 Paris, France Correspondance : Stephane Pirnay, EXPERTOX, 14, rue Godefroy-Cavaignac, 75011 Paris, France. [email protected] Disponible sur internet le : 22 mai 2013 Human tests in cosmetics: Ethic challenges L’usage des cosmétiques est universel et remonte certainement à des temps très anciens. À l’époque contemporaine, l’emploi des cosmétiques prend un essor considérable avec l’étude scientifique de leur composition. Les premières recherches sont effectuées en France au XIX e siècle et conduisent à l’élaboration de produits performants, d’un coût moins élevé et offrant aux consommateurs un choix supérieur. L’article L.5131-4 énonce que « Les produits cosmétiques mis sur le marché ne doivent pas nuire à la santé humaine. . . ». Or, la mise sur le marché d’un produit cosmétique ne nécessite ni autorisation préalable, ni marquage CE mais il doit satisfaire à certaines exigences réglementaires et notamment celle d’absence de nocivité pour la santé du consommateur [1]. Les fabricants sont donc tenus d’effectuer des tests de tolérance car l’application d’un cosmétique peut engendrer des effets secondaires tels des irritations ou allergies du fait du contact du produit avec la peau. Depuis 2004, l’Afssaps a mis en place un système de surveillance et d’enregistrement des effets indésirables dus à l’utilisation des cosmétiques, permettant de les répertorier et de centraliser les informations les concernant dans le but de mieux les prévenir. Deux cent dix-neuf effets indésirables ont été déclarés en 2010. Cinquante-sept pour cent d’entre eux ont consistés en des réactions allergiques retardées, et 13 % d’entre eux ont été considérés comme graves, parmi lesquels 16 ont entraîné une hospitalisation dont un avec une mise en jeu du pronostic vital, six un arrêt de travail et quatre une inaptitude professionnelle. De ce fait, les expérimentations in vitro et in vivo sont indispensables pour apprécier leur tolérance. Presse Med. 2013; 42: 919921 ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com 919 Éditorial tome 42 > n86 > juin 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.04.006

Les tests sur l’homme en cosmétique : les enjeux éthiques

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les tests sur l’homme en cosmétique : les enjeux éthiques

Presse Med. 2013; 42: 919–921� 2013 Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

ial

Disponible sur internet le :22 mai 2013

Édit

or

tome 42 > n86 > juin 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.04.006

Les tests sur l’homme en cosmétique :les enjeux éthiques

Stephane Pirnay1, Sarah Nahum1, Philippe Pirnay2,3

1. EXPERTOX, cabinet et laboratoire d’expertises toxicologiques, 14, rue Godefroy-Cavaignac, 75011 Paris, France

2. AP–HP, hôpital Bretonneau, service d’odontologie, 75018 Paris, France3. Université Paris Descartes, faculté de médecine, laboratoire d’éthique médicale et

de médecine légale, EA4569, 75006 Paris, France

Correspondance :Stephane Pirnay, EXPERTOX, 14, rue Godefroy-Cavaignac, 75011 Paris, [email protected]

Human tests in cosmetics: Ethic challenges

L’usage des cosmétiques est universel et remonte certainement à des temps très anciens. Àl’époque contemporaine, l’emploi des cosmétiques prend un essor considérable avec l’étudescientifique de leur composition. Les premières recherches sont effectuées en France au XIX

e siècleet conduisent à l’élaboration de produits performants, d’un coût moins élevé et offrant auxconsommateurs un choix supérieur.L’article L.5131-4 énonce que « Les produits cosmétiques mis sur le marché ne doivent pas nuire àla santé humaine. . . ». Or, la mise sur le marché d’un produit cosmétique ne nécessite niautorisation préalable, ni marquage CE mais il doit satisfaire à certaines exigences réglementaireset notamment celle d’absence de nocivité pour la santé du consommateur [1].Les fabricants sont donc tenus d’effectuer des tests de tolérance car l’application d’un cosmétiquepeut engendrer des effets secondaires tels des irritations ou allergies du fait du contact du produitavec la peau.Depuis 2004, l’Afssaps a mis en place un système de surveillance et d’enregistrement des effetsindésirables dus à l’utilisation des cosmétiques, permettant de les répertorier et de centraliser lesinformations les concernant dans le but de mieux les prévenir. Deux cent dix-neuf effetsindésirables ont été déclarés en 2010. Cinquante-sept pour cent d’entre eux ont consistés endes réactions allergiques retardées, et 13 % d’entre eux ont été considérés comme graves, parmilesquels 16 ont entraîné une hospitalisation dont un avec une mise en jeu du pronostic vital, six unarrêt de travail et quatre une inaptitude professionnelle.De ce fait, les expérimentations in vitro et in vivo sont indispensables pour apprécier leurtolérance.

919

Page 2: Les tests sur l’homme en cosmétique : les enjeux éthiques

920

S Pirnay, S Nahum, P Pirnay

Sur le plan réglementaire, le domaine des produits cosmétiquesrelève depuis 1976 de la première Directive européenne rela-tive aux produits cosmétiques concernant le rapprochementdes législations des États membres [2]. Les questions éthiquesprenant une dimension plus importante qu’auparavant enmatière d’expérimentation animale, un nouvel amendementen 2003, visait à renforcer la Directive et à interdire, cette foisplus strictement, l’utilisation de l’animal pour les produits finis.Cette version 2003 imposait également une date limite àlaquelle aucun des ingrédients contenus dans les produits debeauté ne pourrait plus être testé sur des êtres vivants, que desalternatives aient été développées ou non [3].Cette interdiction fût entérinée le 11 mars 2009 : les tests suranimaux effectués pour évaluer l’innocuité des ingrédients sontinterdits, qu’une méthode alternative soit disponible ou non.Les tests mesurant les effets de la toxicité à long terme, parexemple les expositions à doses répétées afin d’évaluer lesrisques de cancer ou sur la reproduction humaine, sont tem-porairement dispensés mais ne seront totalement supprimésqu’au 11 mars 2013.Le remplacement des tests sur les animaux qui est entré dans ledroit positif marque cette volonté de développer des procédésalternatifs presque exclusivement constitués par les méthodesin vitro bien que les modèles mathématiques puissent êtreconsidérés dans certains cas, également comme des méthodescomplémentaires [4].Mais, certains tests fondamentaux ne font pas encore l’objetde méthode de substitution complète ou satisfaisantes àsavoir principalement des tests de toxicité aiguë (typeDL50) ou chronique, de détermination de valeurs deNOAEL ou encore certains tests de reprotoxicité ou de carci-nogénicité.Est-il alors scientifiquement, et plus encore éthiquementpossible de tester les produits cosmétiques sur l’hommealors que ceux-ci n’apportent aucun bienfait thérapeutiqueet peuvent faire prendre des risques accrus pour la santé del’homme ?La probabilité de survenue d’effets secondaires est à considéreret le risque éthique s’accroît lorsque ces tests sont pratiquésparfois par facilité, dans des pays dont la législation estdéfaillante et où la personne est peu protégée.Cette problématique reste donc béante face à l’obligationlégale pour un fabricant de cosmétiques de ne pas nuire à lasanté du consommateur.L’interdiction de l’expérimentation animale emporte uneconséquence inéluctable consistant en l’augmentation destests sur l’homme. Or, ceux-ci soulèvent des questionne-ments éthiques en raison, d’une part, de leur contradictionavec les principes fondamentaux garantissant la dignité de lapersonne humaine et les risques qu’ils peuvent comporterd’autre part.

En 1994, le législateur a organisé un statut du corps humaindont la protection s’étend également aux éléments et produitsdu corps humain. Ce statut est posé par trois grands principesinscrits à l’article 16-1 du Code civil : « Chacun a droit au respectde son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain,ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droitpatrimonial » [5].Les tests effectués sur l’homme soulèvent une problématiquede premier ordre. En effet, la pratique de ceux-ci sous-entendune mise à disposition de la part du volontaire sain, de sonpropre corps devenant objet de l’étude scientifique. Or, enmatière de cosmétiques, la nécessité médicale ou l’intérêtthérapeutique font défaut de même que le « bénéfice indivi-duel direct » [6].Le fait de porter atteinte au corps d’autrui sans finalité théra-peutique est sanctionnable en droit. Mais le concept même derecherche médicale sur tout patient, en particulier sur desvolontaires sains, ne permet pas toujours d’assurer qu’il yaura un ‘‘intérêt thérapeutique d’autrui’’.Les règles de l’éthique médicale imposent de ne faire cesessais que dans des conditions strictement définies : lesrisques doivent être largement compensés par les bénéficesescomptés. Les essais doivent être parfaitement codifiés afinque les résultats obtenus puissent être interprétés sanséquivoque. Toutes les garanties de surveillance par deséquipes de recherches, compétentes et entraînées, doiventêtre données aux sujets.La balance bénéfice–risque doit aussi être évaluée et jugéeacceptable par le comité ; la recherche sur volontaire sain quipeut impliquer une prise de risque reste possible, à conditionque l’importance de l’objectif recherché soit médicalement ethumainement supérieure aux contraintes et aux risques encou-rus par le sujet. Ainsi, bien que tout test de produit cosmétiqueprésente un risque (estimé, acceptable) pour le volontaire sainse soumettant à une étude, les tests de toxicité sont néanmoinsnécessaires pour évaluer le risque afin d’assurer la sécurité duconsommateur de produit cosmétique.En conclusion, si l’arrêt des expérimentations sur l’animal enmatière de cosmétologie a permis de mettre fin à dessituations où l’homme pratiquait des actes contraires aurespect du vivant, il a induit une situation éthique et juri-dique complexe le laissant seul face au progrès scientifiqueet technique.La protection de l’animal ne doit pas entraîner une prise derisque accrue pour l’homme. Elle doit conduire à se tourner versde nouveaux modèles alternatifs tels que les modèles in vitro,et permettre de garantir une prise de conscience morale de laprotection de l’homme au cours de toute recherche, en parti-culier en cosmétologie.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.

tome 42 > n86 > juin 2013

Page 3: Les tests sur l’homme en cosmétique : les enjeux éthiques

921

Édit

ori

al

Références[1] Article L. 5131-4 du code de la santé

publique.[2] Directive européenne 76/768/CEE du 27 juil-

let 1976 relative aux produits cosmétiques.[3] Directive 2003/15/CE 7e amendement à la

directive 76/768/CEE (JO du 11 mars 2003).

[4] Michaud J. La Convention européenne sur labiomédecine et les droits de l’homme. J IntBioethique 2001;12:11-23.

[5] Art. 16-1 c.civ. Loi n8 94-653 du 29 juillet1994 art. 1 I, II, art. 3 Journal Officiel du30 juillet 1994.

[6] Art.L.209-1 Loi Huriet et Serusclat no 88-1138 du 20 décembre 1988 relative àla protection des personnes se prêtant àla recherche biomédicale. Adaptée en2004 à la directive européenne no 2001/20/CE.

Les tests sur l’homme en cosmétique : les enjeux éthiques

tome 42 > n86 > juin 2013