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Les transformations des structures sociales Contents 1 Éléments de définitions et principaux concepts 3 1.1 Théories des classes sociales ..................................... 3 1.1.1 Karl Marx : classe en soi et classe pour soi ........................ 3 1.1.2 L’approche nominaliste de Max Weber ........................... 3 1.1.3 L’espace sociale, ou l’approche constructiviste de Pierre Bourdieu ............ 3 1.2 Les catégories sociales ........................................ 4 1.2.1 Les PCS ............................................ 4 1.2.1.1 Une approche descriptive de la société ...................... 4 1.2.1.2 La nomenclature française ............................ 4 1.2.1.3 Classement et lutte pour les classements ..................... 5 1.2.1.4 Les principales catégories socioprofessionnelles ................. 5 1.2.1.5 Une trop forte hétérogénéité des PCS ? ..................... 6 1.2.1.6 La réforme de 2020 ................................ 6 1.2.2 L’évolution de classification ................................. 7 1.2.2.1 Une classification sur la profession qui ne se confond pas avec les classes sociales 7 1.2.2.2 L’échec d’une classification européenne ..................... 7 1.2.2.3 Utiliser des variables quantitatives plutôt que qualitatives ........... 7 1.2.2.4 Le style de vie ................................... 8 1.2.2.5 La perception des catégorie sociales par les agents ............... 8 1.3 Le concept de classe sociale aujourd’hui .............................. 8 1.3.1 Une disparation des classes sociale ? ............................ 8 1.3.2 Le maintien des conditions de classe ............................ 8 1.4 Les évolutions des grandes strates .................................. 9 1.4.1 Les classes populaires : la fin du monde ouvrier ? ..................... 9 1.4.1.1 Une classe ouvrière difficilement identifiable pendant les trois quarts du XIXe siècle ........................................ 9 1.4.1.2 L’émergence de la classe ouvrière : 1880-1930 .................. 9 1.4.1.3 L’apogée de la classe ouvrière : 1930-1974 .................... 10 1.4.1.4 L’effacement progressif de la classe ouvrière ................... 10 1

Les transformations des structures sociales

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Page 1: Les transformations des structures sociales

Les transformations des structures sociales

Contents

1 Éléments de définitions et principaux concepts 3

1.1 Théories des classes sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

1.1.1 Karl Marx : classe en soi et classe pour soi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

1.1.2 L’approche nominaliste de Max Weber . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

1.1.3 L’espace sociale, ou l’approche constructiviste de Pierre Bourdieu . . . . . . . . . . . . 3

1.2 Les catégories sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

1.2.1 Les PCS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

1.2.1.1 Une approche descriptive de la société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

1.2.1.2 La nomenclature française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

1.2.1.3 Classement et lutte pour les classements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

1.2.1.4 Les principales catégories socioprofessionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

1.2.1.5 Une trop forte hétérogénéité des PCS ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

1.2.1.6 La réforme de 2020 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

1.2.2 L’évolution de classification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

1.2.2.1 Une classification sur la profession qui ne se confond pas avec les classes sociales 7

1.2.2.2 L’échec d’une classification européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

1.2.2.3 Utiliser des variables quantitatives plutôt que qualitatives . . . . . . . . . . . 7

1.2.2.4 Le style de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

1.2.2.5 La perception des catégorie sociales par les agents . . . . . . . . . . . . . . . 8

1.3 Le concept de classe sociale aujourd’hui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

1.3.1 Une disparation des classes sociale ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

1.3.2 Le maintien des conditions de classe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

1.4 Les évolutions des grandes strates . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

1.4.1 Les classes populaires : la fin du monde ouvrier ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

1.4.1.1 Une classe ouvrière difficilement identifiable pendant les trois quarts du XIXesiècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

1.4.1.2 L’émergence de la classe ouvrière : 1880-1930 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

1.4.1.3 L’apogée de la classe ouvrière : 1930-1974 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

1.4.1.4 L’effacement progressif de la classe ouvrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

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Page 2: Les transformations des structures sociales

1.4.1.5 Une recomposition des classes populaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

1.4.1.6 Des classes populaires toujours touchées par les inégalités . . . . . . . . . . . 11

1.4.2 Les classes moyennes : le mythe de la moyennisation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

1.4.2.1 L’émergence de la classe moyenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

1.4.2.2 Qui sont les classes moyennes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

1.4.2.3 L’apogée des classes moyennes dans les années 1980 . . . . . . . . . . . . . . 14

1.4.2.4 Les classes moyennes, une espèce menacée dans les pays développés ? . . . . 14

1.4.2.5 Une dérive contestée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

1.4.2.6 Une remise en cause du déclassement (intergénérationnel, professionnel, etscolaire) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

1.4.3 Les couches supérieures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

1.4.3.1 Une définition plurielle qui a évoluée au cours du temps . . . . . . . . . . . . 16

1.4.3.2 Le passage d’une société de rentiers à une société de cadres . . . . . . . . . . 17

1.4.3.3 L’enrichissement des plus riches depuis les années 1980 . . . . . . . . . . . . 17

1.4.3.4 Le retour des rentiers est-il possible ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

1.4.3.5 La sociologie de la bourgeoisie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

1.5 Des évolutions de catégories plus spécifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

1.5.1 La fin des paysans ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

1.5.1.1 Un monde paysan jusqu’en 1945 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

1.5.1.2 De la fin des paysans à la naissance des agriculteurs depuis 1945 . . . . . . . 19

1.5.1.3 Les trois phases de l’exode rural en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

1.5.1.4 Les tendances récentes du monde agricole français . . . . . . . . . . . . . . . 20

1.5.1.5 La PAC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

1.5.2 La fin du salariat ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

1.5.2.1 Le salariat a longtemps été critiqué . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

1.5.2.2 La société salariale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

1.5.2.3 Le contrat de travail s’adapte à un nouveau contexte économique . . . . . . 23

1.5.2.4 Le regain de l’activité non salariée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

1.5.3 Le patronat, un groupe social influent ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

1.5.3.1 Le patronat est-il un groupe social ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

1.5.3.2 Le patronat est-il réellement influent ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

1.5.3.3 Un capitalisme d’héritiers ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

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Page 3: Les transformations des structures sociales

1 Éléments de définitions et principaux concepts

1.1 Théories des classes sociales

Catégorie : ensemble d’éléments présentant des caractéristiques communiqués, réunis par l’observateurdans un but de classification.

Groupe social : un ensemble de personnes liées par une communauté de destin, des intérêts ou des senti-ments.

Groupe d’appartenance : groupe dont l’individu est membre

Groupe de référence : groupe dont l’individu n’est pas membre mais auquel il emprunte ses normes etses valeurs.

Castes : C. Bouglé (Essai sur le régime des castes, 1935) retient trois critères principaux pour définir unecaste : spécialisation héréditaire (profession dépend étroitement de l’origine sociale de l’individu), hiérarchie(appartenance à un statut conditionné à la naissance, hiérarchie), et répulsion (les membres des castesn’entretiennent que des relations avec leurs membres).

1.1.1 Karl Marx : classe en soi et classe pour soi

K. Marx : « L’histoire de toute société passée est l’histoire de la lutte des classes ».

Pour K. Marx (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852), les classes sociales sont des groupes réels enconflits. Dans une société capitaliste, les propriétaires des moyens de production et les prolétaires détenteursseulement de leur force de travail ont des intérêts antagonistes.

Les classes se définissent par une place commune dans le processus de production, et par la consciencequ’elles prennent d’elles mêmes au travers des conflits avec les autres classes. Il distingue la classe en soi(des caractéristiques communes d’individus que l’on peut rassembler dans un groupe), et une classe pour soi(sentiment d’appartenance des individus à un groupe). K. Marx donne l’exemple des paysans parcellairesen France dans les années 1830 qui, en dépit d’intérêts communs, ne constituent pas une classe sociale car iln’existe pas entre eux de communauté ou d’organisation politique permettant un sentiment d’appartenance.

Pour Marx, l’appartenance à un groupe social dépend de la position dans le système de production, ce quiconduirait à classer les cadres parmi les « dominés » (ils ne possèdent pas les moyens de production). Or, lathéorie sur l’entreprise a mis en évidence le pouvoir des cadres/managers dans l’entreprise, ce qui contreditpratiquement la définition d’une classe sur la base de la position dans le système de production.

1.1.2 L’approche nominaliste de Max Weber

Pour M. Weber (Économie et société, 1921), les classes sociales sont des constructions du sociologue, quirassemblent des individus dans groupes en fonction de critères logiques. Pour lui, la classe correspond aurassemblement d’individus ayant des conditions économiques similaires. Il distingue la situation de classe(détention ou non des moyens de production), de la position de classe (rapport de la classe aux autres classes,avantages associés à la position), et la condition de classe (la probabilité des individus de manifester desintérêts communs dans une classe donnée). Il distingue également le statut social (le prestige social associéà une profession, qui peut être indépendant du revenu comme pour les professeurs), et le parti (l’adhésionpour les membres d’une classe à un parti pour défendre leurs intérêts).

1.1.3 L’espace sociale, ou l’approche constructiviste de Pierre Bourdieu

Pour P. Bourdieu (Conditions sociales et positions de classes, 1966), la définition d’une classe sociale n’estpas une opération de classement neutre. Par exemple, représenter la société comme polarisée en deux points

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(dominants, dominés) suggère un affrontement possible, alors qu’une représentation de la société comme unemultiplicité de strates souligne une possible mobilité sociale.

E. P. Thompson (La formation de classe ouvrière anglaise, 1963) considère que l’usine ne suffit pas à produirela classe ouvrière : c’est par les organisations politiques, sociales et culturelles que des individus très différents(ouvriers qualifiés/non-qualifiés, ruraux ou urbain, femme ou homme) ont été unifié sous une même bannière.

P. Bourdieu considère que le sociologue peut confondre un groupe construit sur le papier avec un grouperéel, en essayant d’unifier de manière excessive un groupe.

Pour P. Bourdieu, il faut représenter la société sous la forme d’un espace social. L’espace social est structurépar un ensemble de positions sociales qui sont proches ou au contraire éloignées les unes des autres. Ladistance entre les positions sociales est fonction du volume et de la structure des capitaux possédés par unagent. P. Bourdieu distingue trois types de capitaux :

• le capital économique : il réunit l’ensemble des revenus et du patrimoine mais se différencie selon saforme (liquide comme un compte en banque, ou une exploitation agricole qui l’est moins).

• le capital culturel : il existe sous trois formes : institutionnalisé (diplôme), objectivé (collection depeintures, de statue. . . ), intériorisé (l’intérêt que l’on manifeste pour l’art ou la culture)

• le capital social comprend l’étendue de la surface sociale (réseaux, relations). Il permet d’accroître lerendement des deux autres capitaux. Par exemple, deux diplômés d’une grande école peuvent avoirdes carrière différentes selon leur capacité à mobiliser des relations sociales.

Pour P. Bourdieu, la structure des capitaux possédés par un individu les rapprochent (homologie structurale),même s’il n’en ont pas le même volume. Il ne faut pas seulement découper la société en groupes hiérarchisés,mais intégrer la dimension relationnelle.

1.2 Les catégories sociales

1.2.1 Les PCS

1.2.1.1 Une approche descriptive de la sociétéL’analyse en termes de strates renvoie à une démarche empirique et descriptive dans la perspective anglo-saxonne des échelles de prestige. La stratification sociale est décrite à partir du classement des individusselon un critère prédéterminé (revenu, relations sociales, profession. . . ). Il n’agit pas de mettre en évidenceles rapports sociaux.

L. Warner (Yankee City Series, 1949), sur la base d’enquêtes de population des grandes villes américaines,conclut à l’existence de six strates rassemblés en trois niveaux : upper/middle/lower.

L. Warner crée un index statutaire à partir de quatre critères : la profession, la source de revenus, le typed’habitation, et le quartier. A partir de cet index, cet auteur découpe la société en six strates rassemblés entrois niveaux : upper/middle/lower. Par exemple, la Upper-lower class réunit des ouvriers qualifiés, et desemployés alors que la Lower-lower class agrège des travailleurs saisonniers souvent frappés par le chômageet les membres de minorités ethniques.

Le problème de cette façon de stratifier repose sur la représentativité des échantillons étudiés, et la faiblereprésentativité des strates construites.

1.2.1.2 La nomenclature française

Pourquoi une nomenclature des catégories sociales ?

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Page 5: Les transformations des structures sociales

La création d’une nomenclature a été une réponse aux besoins de disposer de catégories de la populationprécise pour pour signer des conventions collectives dans le cadre de la négociation salariale.

Les catégories socioprofessionnelles permettent de dénombrer des populations et de fournir un cadre communde référence pour les enquêtes sociologiques ou les études de marché. L’objectif est de fournir un cadredescriptif permettant de saisir la place de chaque individu.

Les catégories socioprofessionnelles (CSP) ont été crées en 1954, puis réformés en 1982 pour devenir lesprofessions et catégories socioprofessionnelles (PCS).

Les critères utilisés pour constituer cette nomenclature sont : - le métier ou le type d’activité professionnelle- le statut (indépendant, salarié, apprenti sous contrat, aide familiale) - la hiérarchie (taille des entreprises,qualifications, management) - le secteur d’activité (agricole ou non, public ou privé)

Les catégories statistiques relatives au comportement de consommation et à l’emploi ne recouvrent pasles classes sociales. Elles présentent les groupes sociaux dans un ordre non hiérarchique (ou partiellementhiérarchisé).

1.2.1.3 Classement et lutte pour les classements

Toute mise en forme d’un phénomène social dans un ensemble de conventions, procédures ou institutionsva agir en retour sur la réalité en ayant des effets durables. L’action des individus ou des groupes, relativeau phénomène considéré, tend ainsi à s’organiser autour de la représentation retenue. Lors du changementde nomenclature en 1982, un certain nombre de groupes sociaux ont été consultés et sont mobilisés pourasseoir ou améliorer leur position dans la nomenclature. Par exemple, des professions ont refusé l’appellation« mécanicien orthopédiste » pour « podologue ». Pour P. Bourdieu (Choses dites, 1987), le langage a unpouvoir symbolique, et la certification, l’homologation, l’institutionnalisation fondent une reconnaissancejuridique et sociale qui donne vie àd es groupes. Comme le dit Bourdieu : « le pouvoir ’imposer une visiondes divisions, c’est-à-dire rendre visible, explicite des divisions sociales implicites, est le pouvoir politiquepar excellence, c’est le pouvoir de faire des groupes, de manipuler la structure objective de la réalité ».

1.2.1.4 Les principales catégories socioprofessionnelles

Les agriculteurs exploitants

Cette catégorie ne comprend que des indépendants : chefs d’exploitation (propriétaires exploitants, fermiers,métayers) éventuellement associés au sein de Groupements agricoles d’exploitation en commun. Les aidesfamiliaux non salariés sont rangés dans la même catégorie que la personne qu’ils aident. La nomenclature desCSP propose un découpage en trois catégories pour les agriculteurs : petite, moyenne, ou grande exploitation.

Les artisans, commerçant et chefs d’entreprise

Ce groupe réunit des personnes qualifiées d’« indépendants », c’est-à-dire à leur compte (non salariés). Lesartisans travaillent dans l’industrie et ils ont moins de dix salariés. A partir de dix salariés et plus, onconsidère qu’ils sont chefs d’entreprise. La grande majorité des indépendants sont des petits patrons, le plussouvent sans salarié.

Les cadres et professions intellectuelle supérieures

Les cadres et professions intellectuelles supérieures rassemblenet les cadres des secteurs privés et public, lesingénieurs, les professiosn libérales, les professeurs de l’enseignement secondaire et supérieur, les directeursd’établissements secondaires et les inspecteurs, les officiers, les professions de l’information, de l’art et desspectacles.

Le terme « cadres » vient du mot utilisé pendant la Révolution française pour désigner l’ensemble des sous-officiers et officiers d’un corps de troupe. Les ingénieurs et les cadre sont d’abord définis par référence àdes diplômes d’écoles d’ingénieurs ou de grandes écoles. Ensuite seulement est précisé qu’une expérience

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Page 6: Les transformations des structures sociales

professionnelle peut en tenir lieu et que la fonction de cadre se caractérise par l’initiative, la créativité, laresponsabilité générale ou déléguée de l’employeur. Les membres des professions libérales sont des indépen-dants dont l’exercice exige une instruction supérieure (médecins, avocats).

Les professions intermédiaires

Un certain nombre de professions sont intermédiaires au sens où il s’agit d’assumer des responsabilitésd’encadrement dans les limites d’une délégation reçue de la part des cadres. Elles peuvent être intermédiaires,au sens où les personnes disposent d’une certaine marge d’initiative ou encore parce que les membres de cesprofessions sont chargés de surveiller et de coordonner le travail d’un ensemble d’ouvriers ou d’employés.C’est par exemple les catégories intermédiaires de la Fonction publique, les représentants de commerce, lesinspecteurs de police, les infirmières, etc.

Les employés

Le groupe des employés rassemble les secrétaires, les employés de bureau, etc. La frontière du groupe estrelativement floue (comment classer les cuisiniers, les boulangers, etc.) La frontière entre les employé set lesprofessions d’un niveau de qualification supérieure est tout aussi délicate à établir. La distinction dans lesentreprises entre secrétaire et secrétaire de direction est difficile à établir.

Les ouvriers

Les ouvriers sont des salariés qui ont des métiers manuels et qui effectuent des tâches d’exécution. Lanomenclature des CSP distingue deux clivages : ouvriers qualifiés et non qualifiés, ouvriers de type industrielet de type artisanal.

1.2.1.5 Une trop forte hétérogénéité des PCS ?

A. Desrosières et L. Thévenot (Les catégories socioprofessionnelles, 1988) ont défendu l’hétérogénéité dela grille des PCS car elle reflète les différentes dimensions de l’appartenance sociale. Cependant, le degréd’hétérogénéité est souvent considéré comme trop fort au sein de certaines catégories, notamment les em-ployés. L. Chauvel (Répartition des revenus, catégories socioprofessionnelles et stratification sociale, 1994)remarque que si la moyenne des salaires du groupe Ouvrier est inférieure aux CPIS, certains ouvriers gagnentplus que certains cadres. Pour E. Maurin et D. Goux (La persistance du lien entre pauvreté et échec scolaire,2001), les PCS restent des boites noires dont on ne sait pas ce qu’elles mesurent réellement.

Pour autant, les PCS sont avant tout un outil pratique pour prendre des décisions, représenter la structuresociale et fonder empiriquement un certain nombre d’études sur la société française.

1.2.1.6 La réforme de 2020

La réforme de 2020 des PCS a introduit deux modifications principales :

• la prise en compte de clivages liés à la nature de l’employeur et du type de contrat de travail (CDI,CDD, . . . ).

• La création d’une catégorie socio-professionnelle au niveau du ménage pour prendre en compte lesgroupes socioprofessionnels des adultes qui le constituent. Cette catégorisation d’affiner la mesure de lastructure sociale en prenant en compte les différentes situations familiales (familles monoparentales, unseul actif dans le ménage, ménage composé d’indépendants situés entre la classe moyenne et supérieure,. . . ).

La PCS ménage permet de mettre en évidence la forte précarité des familles monoparentales, où le parentest une femme dans 90 % des cas.

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Page 7: Les transformations des structures sociales

1.2.2 L’évolution de classification

1.2.2.1 Une classification sur la profession qui ne se confond pas avec les classes sociales

• La profession n’épuise pas le statut social d’un individu. Le milieu social d’origine, la position duconjoint, la possession éventuelle d’un patrimoine peuvent différencier deux individus exerçant a priorila même profession. De plus, lorsque les femmes n’étaient que très faiblement intégrée à la vie profes-sionnelle (et le reste moins que les homme encore aujourd’hui), la profession du mari ou du père étaitun indicateur plus significatif de la position sociale.

Certaines classes sociales comme la bourgeoisie ne se réduisent pas à la catégorie des cadres et professionsintellectuelles supérieures. De même, la définition de la classe moyenne à partir des PCS varie selon lesauteurs.

1.2.2.2 L’échec d’une classification européenne

Dans les années 1990, le projet de EseC (European Socio-economic Classification) cherche à construire unenomenclature des catégories socio-professionnelles à l’échelle européenne. Ce projet puise sa source dans lecadre théorique de J. Goldthorpe en distinguant les actifs selon le type de relation à l’employeur (du contratde travail à la direction d’entreprise). Cependant, ce projet pose problème à plusieurs niveaux.

Toutefois, ce projet est critiqué à plus d’un titre :

• il ne tient pas en compte des situations particulières des pays où le secteur public est important,• il ne permet pas de rendre compte des spécificités des structures sociales des pays• les transformations du marché du travail ont conduit les cadres à effectuer moins fréquemment des

métiers d’encadrement, et inversement pour les salariés moins qualifiés.

Au total, l’ESeC ne permet pas d’identifier des milieux sociaux suffisamment homogènes du point de vue deleurs pratiques culturelles.

1.2.2.3 Utiliser des variables quantitatives plutôt que qualitatives

Si la profession est un indicateur imparfait de la position sociale, elle parvient tout de même à réunir desindividus aux conditions de vies, aux origines sociales, et aux styles de vie relativement proches.

Pour autant, pour E. Pierru et A. Spire (Le crépuscule des catégories socioprofessionnelles, 2008), la nouvellegénération statisticiens de l’INSEE préfèrent l’utilisation de variables continues comme le revenu ou le diplômepour distinguer les individus. Ces variables sont utilisées dans les analyses d’autres pays, notamment lesÉtats-Unis. L’impossibilité d’établir des PCS à une échelle européenne (C. Brousse, 2007) a conforté le choixde ces variables pour les comparaisons internationales. De plus, la DARES (service statistique du ministèredu Travail) utilise dorénavant sa propre nomenclature (Familles professionnelles), qui permet de détailleravec plus de précision les différents métiers.

Pour E. Maurin (L’égalité des possibles, 2002), le risque de perte d’emploi et l’individualisation du travail aaffaibli en profondeur la relation à une identité sociale stable : il en déduit que les inégalités ne se déclineraientplus collectivement. Ainsi, en 1988, 60 % des ouvriers et 53 % des employés déclaraient avoir le sentimentd’appartenir à une classe sociale, ils sont respectivement 47 % et 44 % en 2008. Ces transformations reflètentune représentation de la société caractérisée par une moindre importance conférée aux identités sociales, etune appréhension plus individuelle des enjeux collectifs comme les inégalités économiques.

Au total, l’utilisation des catégories socio-professionnelles est donc amené à diminuer au fil des années.

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Page 8: Les transformations des structures sociales

Les revenus et le diplôme ne sont pas nécessairement de bons indicateurs de la position sociale. Il est difficilede rapprocher dans le style de vie des footballers millionnaires et des grands dirigeants d’entreprises. Deplus, la classification des diplômes cache de grande disparité en interne (les bac+5 ne valent pas tous lamême chose sur le marché du travail, le choix des études est conditionné par le milieu social, etc.)

1.2.2.4 Le style de vie

L’analyse en termes de « styles de vie » fait référence aux valeurs et aux façons de vivre des individus. PourMaurice Halbwachs le milieu social peut se définir par le mode de vie, en particulier la consommation.

M. Halbwachs (La classe ouvrière et les niveaux de vie, 1912) montre, qu’à revenu égal, un ménage ouvrierutilise différemment ses ressources qu’un ménage employé. En effet, la hiérarchie des besoins varie sensible-ment d’un milieu social à un autre. Pour cet auteur, la profession n’est que le reflet d’une position transitoiredans la société.

Sa théorie du feu de camp stipule que plus on est dans un milieu favorisé, plus la vie sociale est intense(les ouvriers bénéficiant d’une vie sociale restreinte). Pour C. Grignon et J-C. Passeron (Le savant et lepopulaire, 1989), cette vision porte un jugement de valeur faux sur la classe ouvrière (ignore les lieux desociabilité populaires, etc), et définit la classe ouvrière par ses manques.

1.2.2.5 La perception des catégorie sociales par les agents

L. Boltanski et L. Thévenot (1983) ont demandé à un ensemble d’enquêtés de reconstituer la stratificationsociale à partir d’un jeu de carte. Ils constatent que plus le capital culturel d’un enquêté est élevé, plus il atendance à faire référence aux catégories officielles.

E. Penissat et al. (2015) montrent à partir d’une expérience similaire dans plusieurs pays européens queles enquêtés ont tendance à créer un groupe homogène pour les classes populaires (professions de niveauinférieur dans le domaine technique, professions routinières). Cependant, le critère d’encadrement (retenupar l’ESeC) n’est que rarement retenu. A l’inverse, la qualification et le statut social fait ressortir la dimensionhiérarchique dans la perception des agents en France.

W. Lignier et J. Pagis (2012) montrent que les perceptions des métiers et de la structure sociale par desenfants de CE2 et CM1 sont déjà imprégnés par les rapports sociaux qui traversent le monde social.

1.3 Le concept de classe sociale aujourd’hui

1.3.1 Une disparation des classes sociale ?

• La moyennisation de la société tend à faire disparaître l’idée de classe sociale (détaillé dans la partiesur les classes moyennes).

• Pour L. Boltanski et E. Chiapello (Le nouvel esprit du capitalisme, 1999) ont montré comment lecapitalisme a répondu aux dénonciations d’aliénation dont il faisait l’objet. La réponse du capitalismepour internaliser sa propre critique a été l’individualisation des rapports de travail et l’organisationdes activités en termes de projet. Dès lors, même si les rapports de classes persistent dans le mondedu travail, ils sont invisibilisés par la nouvelle organisation du travail.

1.3.2 Le maintien des conditions de classe

Pour S. Beaud et M. Pialoux (Retour sur la condition ouvrière, 2004), si la classe ouvrière a disparu dufait de la désindustrialisation, la condition ouvrière reste une réalité sociale, et présente dans les rapportssociaux.

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P. Bourdieu (La distinction, 1970) montre une correspondance forte en positions sociales et styles/modes devies (pratiques culturelles spécifiques). Chaque groupe social a un habitus qui lui est propre, c’est-à-dire unemanière d’être, construite socialement. Il considère également, dans un article de 1984 qu’une classe sur lepapier ne peut devenir une classe réelle à condition d’un travail politique de mobilisation. A cet égard, lemouvement des gilets jaunes en 2018, qui forme un groupe social objectif, en termes de niveau de vie et delieu d’habitation, peut être considéré comme le passage d’une classe de papier à une classe réelle.

• La bourgeoisie reste en réalité la seule vraie classe sociale aujourd’hui pour M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot (détaillé dans la partie sur la bourgeoisie)

II. Les transformations des structures sociales

1.4 Les évolutions des grandes strates

1.4.1 Les classes populaires : la fin du monde ouvrier ?

La classe populaire peut-elle juste être assimilée à la classe ouvrière ? Pour O. Scwhartz (Peut-on parlerdes classes populaires ?, 2011), les classes populaires regroupent l’ensemble des groupes sociaux occupantune position dominée dans les rapports économiques et sociaux, qui les exposent à une certain vulnérabilitééconomique et sociale, à l’assignation de statuts inférieurs et une fermeture des possibles. D’autre part, lesclasses populaires se caractérisent par des pratiques et des comportements culturels spécifiques qui tendentà le séparer de la classe dominante et de ses normes. Ce faisant, l’unité de la classe ouvrière en fait unecomposante de la classe populaire, mais cette dernière ne saurait s’y réduire.

1.4.1.1 Une classe ouvrière difficilement identifiable pendant les trois quarts du XIXe siècle

G. Noirel (Les ouvriers dans la société française, 1986) distingue trois types d’ouvriers jusqu’aux années 1870: les ouvriers agricoles (putting out system), les ouvriers de l’industrie urbaine artisanale (ouvriers qualifiés,qui détiennent pour une partie d’entre eux les moyens de production), et les ouvriers des grandes usines.

L. R. Villermé (Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton,de laine et de soie, 1840) décrit la misère social des ces derniers travailleurs (conditions de travail pénibles,faiblesse de la rémunération, sous-alimentation, pas de repos dominical avant 1906, 12h de travail par jour).La sous alimentation conduit au recul de l’espérance de vie, et le chômage parfois à la délinquance. Ce faisant,les ouvriers des usines ont pu être assimilé à une classe dangereuse par la reste de la société (L. Chevalier,Classes laborieuses et classes dangereuses pendant la première moitié du XIXe siècle, 1958). Pour la France,J. Michelet (Le peuple, 1826) estime à 1/15 des effectifs d’ouvriers ce type d’ouvriers. En effet, l’agricultureest le secteur dominant en France jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et donc l’industrie estprincipalement composé d’ouvriers agricoles.

K. Polanyi (La Grande transformation, 1944) parle du désencastrement de la sphère économique de la sphèresociale : le marché est créé comme une institution à part entière, et finit par ré-encastrer les relations sociales,qui deviennent fondées sur l’échange marchand.

1.4.1.2 L’émergence de la classe ouvrière : 1880-1930

On assiste dans le dernier quart du XIXe siècle à la multiplication des établissements industriels, en particulieren Angleterre où l’exode rural a conduit la multiplication des ouvriers d’usines. L’organisation du travailtayloro-fordiste devient la norme dans les usines (F. W. Taylor, The Principles of Scientific Management,1911). F. Le Play (La Réforme sociale en France, 1864) considère que le patron procure à ses ouvriers unensemble d’avantages (écoles, hôpitaux, secours pour les risques de vie) pour stabiliser la main d’œuvre.

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Ainsi, le doublement du salaire par Ford en 1913 était avant tout une façon de faire accepter le travail à lachaîne.

Pour E. P. Thompson (La formation de la classe ouvrière anglaise, 1963), le rassemblement à l’usine n’estpas suffisant pour construire une classe ouvrière, mais la mise en place d’organisations sociales, politiqueset culturelles est décision pour faire éclore la conscience de classe, et unifier un monde ouvrier relativementhétérogène (ouvriers qualifiés/non qualifiés, types de travaux manuels différents).

Dans le cas de la France, la législation de la grève en 1864, la reconnaissance des syndicats en 1884, la créationde la CGT (principal syndicat) en 1895, et la création de journaux comme L’Humanité par J. Jaurès en 1904ont eu un rôle décisif dans la conscience de classe ouvrière. En 1931, les ouvriers non agricoles représentent30 % de la population active en 1931 contre moins de 20 % en 1881.

1.4.1.3 L’apogée de la classe ouvrière : 1930-1974

Entre 1930 et 1975, la classe ouvrière se caractérise par son poids numérique dans la population active, etsa mobilisation politique. En France, en 1975, les ouvriers représentent 38 % de la population active. Cettefort poids numérique est accompagné d’un mouvement politique relativement large sur cette période. Lesaccords de Matignon en 1936 (suite à la grève généralisée de la même année) permettent l’existence du droitsyndical au sein de l’entreprise, l’établissement d’un cadre pour les conventions collectives, le passage à lasemaine des 40h, octroi de 15 jours de congés payés. La sécurité sociale est instauré en 1945, la loi cadresur les conventions collectives en 1950, revalorisation de 35 % du SMIG et de 10 % en moyenne des salairesréels à la suite des accordes de Grenelle de 1968. La lutte pour des intérêts communs entre ouvriers conduità renforcer la cohésion du groupe ouvrier. Créé en 1895, la CGT a 500 00 adhérents en 1910, puis 4 millionsen 1936.

Les organisations politiques et syndicales jouent un rôle important dans la représentation des ouvriers. Lascission de la SFIO en 1921 ocnduit à la création du Parti Communiste Français (PCF). En 1937, 50 % desmembres du comité central sont ouvriers, et seulement 10 % sont des cadres. Le PC connaît un âge d’orpendant les Trente Glorieuses : près de la moitié des ouvriers accordent leur suffrages au PCF.. Le PCFrécolte près de 25 % des voix aux suffrages présidentiels sur cette période. Le vote ouvrier est un vote àgauche relativement uniforme. G. Michelat et M. Simon (Les ouvriers et la politique. Permanence, ruptures,réalignements, 2004) montrent que le vote à gauche chez les ouvriers est le produit d’une socialisation ausein de la famille, qui s’enracine dans l’enfance.

Le progrès social a bénéficié aux ouvriers sur cette période. La croissance des revenus a permis aux ouvriersd’accéder aux biens durables (automobile, électroménager,. . . ) Pour S. Mallet (La nouvelle classe ouvrière,1963), les ouvriers ne contestent plus société de consommation en elle-même, mais cherche à améliorer leurplace dans le système pour pouvoir consommer plus.. Le syndicalisme devient de revendication sociale plusque pour la lutte des classes. On parle d’un « ouvrier d’abondance » pour Goldthrope (The Affluent Workers,1958).

1.4.1.4 L’effacement progressif de la classe ouvrière

Les faits

A partir de 1975, la classe ouvrière s’efface progressivement dans la société. JL Levet (Une France sansusines ?, 1988) constate une évolution vers une société post industrielle où le nombre d’ouvriers ne cessede diminuer. Depuis 1975, on passe de près de 38 % d’ouvriers dan sla population active à un peu plus de20 % en 2020. En 1963, le nombre de journées de grèves était de 6 millions, en 1968 plus de 150 millions.Ce nombre s’est stabilisé entre 250 000 et 300 000 depuis les années 1990. De même, on passe de 30 % desyndiqués dans les années 1970 à 8 % depuis le début des années 1990. Ce taux cache des disparités : 15 %de syndiqués dans le public contre 5 % dans le privé, et 9,4 % des CDI sont syndiqués, contre 2,4 % parmiles CDD.

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La représentation politique du monde ouvrier s’est effondré depuis les années 1980. Le vote de classe aprogressivement disparu au profit de l’abstention et de l’extrême-droite. En effet, parmi les ouvriers, en2007, 44 % votent à gauche, 24 % s’abstiennent, 16 % votent à droite et 13 % à l’extrême droite. 45% desouvriers déclarent vouloir voter pour le Rassemblement National en 2022.

Les causes

Les ouvriers ont perdu leur poids dans la population, et le monde ouvrier s’est recomposé. La désindustrial-isation est principalement causé par l’augmentation des gains de productivité, la concurrence internationalede la main d’œuvre peu qualifié, et le processus d’externalisation des entreprises. En dehors du phénomènede désindustrialisation, E. Maurin (L’égalité des possibles, 2002) montre que les ouvriers non industriels(transport, logistique, artisanat) sont en plein essor alors que les métiers ouvriers industriels déclinent. Cesnouveaux métiers sont concentrés dans les petites et moyennes entreprises, ou les grandes start-up (chauffeursUber par exemple).

Les conflits sociaux se sont transformés tout comme l’appréhension des inégalités. Pour F. Dubet (LesPlaces et les Chances, 2010), les politiques d’égalités des chances se substituent dans les années 1980 auxpolitiques d’égalité des places. Ainsi, l’égale probabilité d’accès à une position sociale valorisée et avantageusedevient plus importante que l’amélioration de la situation de l’ensemble des individus. La lutte contre lesdiscriminations (minorités, genre, etc) deviennent alors une priorité (à l’embauche par exemple) au lieu decelle contre les inégalités sociales, sur un fond de remise en cause de l’État-providence. S. Beaud et M.Pialoux (Retour sur la condition ouvrière, 1999) considèrent que la cohésion du monde ouvrier s’est effritée,avec une tension entre les ouvriers qualifiés et non-qualifiés, ainsi que les intérimaires et les détenteurs d’unemploi stable.

• Être ouvrier n’est plus associé à la pauvreté. S. Bosc (Stratification et classes sociales, 2008) constatequ’à la suite des Trente Glorieuses, les ouvriers ont connu une augmentation sans précédent du pouvoird’achat et un accès à l’école secondaire pour leurs enfants. Ce faisant, les revendications associés à laprécarité ouvrière ont laissé place à d’autres revendications davantage identitaire au sein des classespopulaires. Alors que 39 % des français déclaraient appartenir à la classe ouvrière en 1966, ils ne sontplus que 24 % à le déclarer en 2002. Cette baisse du sentiment d’appartenance à la classe ouvrières’accompagne d’une forte baisse du taux de syndicalisation qui passe de près de 25 % dans les années1960-1970 à 11 % en 2016. Les conflits sociaux sont plus défensifs que revendicatifs (protection contrela délocalisation des usines que des améliorations de salaires).

1.4.1.5 Une recomposition des classes populaires

En 2010, 15 sur 28 millions de personnes appartiennent aux employés et aux ouvriers. 60 % des inactifs sontd’anciens ouvriers ou employés. En 2006, un salarié sur cinq est ouvrier ou employé non qualifié, soit 5,5millions de personnes.

Le groupe ouvrier est devenu relativement hétérogène. Il y a une différence nette de chômage entre lesouvriers qualifiés (titulaires d’un bac pro) contre les non-qualifiés (CAP, BEP, sans diplôme). En 2010, letaux de chômage des ouvriers non qualifiés atteignait jusqu’à 19,5% contre 9,9% pour les ouvriers qualifiés.

La désindustrialisation a conduit à la tertiarisation et la féminisation de l’activité économique. Or, laprolétarisation d’une partie des employés (personnels de service, caissiers) ont des conditions de travail etd’existence très voisines de celle des ouvriers, voire inférieures à celle des ouvriers qualifiés, ce qui renforcele poids des catégories populaires dans la société française. C. Peugny (Le destin au berceau. Inégalités etreproduction sociale, 2013), le clivage entre qualifiés et non qualifiés a progressivement supplanté celui desemployés des ouvriers, réunissant les ouvriers et les employés non qualifiés dans une catégorie sociale trèsproche ;

1.4.1.6 Des classes populaires toujours touchées par les inégalités

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Les classes populaires sont touchées par des inégalités économiques. Les classes populaires subissent de fortesinégalités économiques et sociales. En 2010, le niveau de vie moyen des ouvriers et des employés est deuxfois plus faible que celui des cadres. Ainsi, les ouvriers et les employés connaissent des écarts de salaireshoraires qui vont de 15 à 20 euros. T. Piketty (Le capital au XXIe siècle, 2013) montre que les ouvriers et lesemployés ont accumulé très peu de patrimoine. Enfin, le chômage touche surtout les ouvriers non qualifiéset les employés.

Les classes populaires sont touchées par des inégalités sociales. En 2008, 65 % des ouvriers et 50 % desemployés déclarent ne jamais fréquenter les musées, les monuments historiques, contre 14 % des cadressupérieurs (Enquête du ministère de la Culture, 2011). En 2000, les fumeurs quotidiens représentent enmoyenne 33% des homme sde plus de 15 ans. 45% des ouvriers sont fumeurs, 37% des employés, mais 31%des cadres. Ces différences de consommation s’accompagnent d’inégalités d’espérance de vie. De plus, ontrouve 6 % d’obèses parmi les cadres contre 13 % pour les ouvriers en 2003.

Les inégalités sont cumulatives. P. Bourdieu (Les héritiers, 1973) montre que la compétition scolaire produitdes inégalités dans l’accès au diplôme, et donc l’accès à une position sociale valorisée. Or, les chancesde remporter la compétition scolaire sont très dépendantes de l’origine sociale. E. Maurin (L’égalité despossibles, 2002) montre que les différences de revenus engendrent des différences d’accès à un logement dequalité qui se répercute sur les conditions de travail et la réussite scolaire des enfants.

Pour L. Chauvel (Les classes sociales sont-elles de retour ?, 2003), la classe ouvrière s’est structurée enclasse pour soi dans les années 1950, mais la réduction de la pauvreté, la désindustrialisation ont conduit audéclin du sentiment d’appartenance. Or, les inégalités restent toujours présentes et croissante. Le recul dela conflictualité au travail a accru les inégalités, et ce recul est en parti du au déclin du monde ouvrier entant que classe.

1.4.2 Les classes moyennes : le mythe de la moyennisation ?

1.4.2.1 L’émergence de la classe moyenne

Les classes moyennes apparaissent au XIXe siècle dans les pays développés. L’expression est synonymede petite bourgeoisie au XIXe siècle. Pour C. Carle (Histoire sociale de la France au XIXe siècle, 1991),l’expression prend un autre sens : elle sert à englober tous les individus qui ne s’apparentent ni à la bour-geoisie, ni au peuple. Pendant la première partie du XIXe siècle, il y a trois groupes sociaux majeurs : lapaysannerie, la classe ouvrière et la bourgeoisie. Initialement, K. Marx (Le Capital, 1867) pense que lescouches intermédiaires de la société seront absorbées par le prolétariat.

Or, la fonctionnarisation de l’économie, la bureaucratisation des entreprises, et le déclin des indépendantsentraînent un recrutement massif d’employés administratifs qui vont composer la classe moyenne. Le nombrede fonctionnaires double entre 1858 et 1896 : de 217 00 à 416 000, militaires exclus. Par ailleurs, la criseéconomique de 1929, et les conflits mondiaux conduisent à faire disparaître la classe de rentiers au momentde l’après Seconde Guerre Mondiale. Dans le discours de Grenoble de 1872, L. Gambetta exhorte ces «couches nouvelles » à s’affirmer dans la nouvelle société, et fonder l’assise politique de la IIIe république.

Pour H. Mendras (La Seconde Révolution française (1964-1985), 1988), la moyennisation de la société aboutità un effacement des frontières de classes. La société ne doit plus être représentée de façon pyramidale, maiscosmographique sous forme de toupie. La constellation populaire forme la base de la toupie et représente30 % de la population, la constellation centrale (c’est-à-dire les classes moyennes) près de 25 %, et lesindépendants traditionnels 15 %. Les deux pointes de la toupie sont formées par les pauvres pour le bas (7%), et par l’élite pour le haut (3 %).

Les nouvelles classes moyennes salariées (cadres liés aux chefs d’entreprises, enseignants, professions inter-médiaires) jouent un rôle majeur dans la société en diffusant leurs normes et leurs valeurs. La constellationcentrale permet d’infuser la foi dans le progrès, le libéralisme culturel (droit des femmes et lutte contreles discriminations), la science et la modernisation, l’individualisme sans négliger une forme de solidaritésociale. C. Bidou (Les Aventuriers du quotidien. Essai sur les nouvelles classes moyennes, 1984) a mis en

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évidence le rôle joué par les nouvelles classes moyennes dans le changement social : tissu associatif, prisede responsabilité dans la société civile, dans l’éducation, et dans la vie politique. Ils se situent dans uneposition intermédiaire dans l’échelle des revenus.

1.4.2.2 Qui sont les classes moyennes ?

Le sentiment d’appartenance à la classe moyenne est largement partagé par la population jusqu’aux années2000, sans correspondre pour autant à la réalité statistique. Entre 40 et 66% des français estiment dans laclasse moyenne au début des années 2000. Pour S. Bernstein (Les classes moyennes devant l’histoire, 1993),les classes moyennes se définissent davantage par un sentiment commun que par des critères objectifs. Eneffet, l’identité de la classe moyenne repose sur la possibilité, et la volonté, de s’élever socialement.

Pour autant, sur quels critères objectifs fonder l’existence des classes moyennes ?

Pour le Crédoc, les classes moyennes correspondent à l’ensemble des individus dont le revenu est comprisentre 75 % et 150 % du revenu médian. Le problème de la seule utilisation d’un critère économique estqu’elle conduit à exclure des professions moins valorisées économiquement mais qui font parti des classesmoyennes, et inversement.

Les références actuelles sur le sujet en sociologie (E. Maurin, L. Chauvel entre autres) préfèrent s’appuyersur les catégories socio-professionnelles, qui permet de donner plus de cohérence à la constitution des classesmoyennes comme groupe. Cependant, là encor, la profession est un outil approximatif de classification. Parexemple, si certains chefs d’entreprises (de moins de 10 salariés) appartiennent aux classes moyennes, ce n’estpas le cas de l’ensemble des chefs d’entreprises qui appartiennent aux classes supérieures. On a tendance àconsidérer les professions intermédiaires comme le noyau des nouvelles classes moyennes, avec les employésqualifiés et les cadres dont le revenu est proche du salariat intermédiaire.

Les cadres font-ils partis de la classe moyenne ?

L. Boltanski (Les Cadres, la formation d’un groupe social, 1982) constate l’émergence des cadres commegroupes social. L’identité sociale de ce groupe s’est appuyée sur un ensemble méditations politiques (créationde la Conférence Générale des Cadres en 1944), culturelles (journaux dédiés aux cadres et au mode de viedu cadre américain moyen comme L’Express), et institutionnelles (multiplication des écoles de commerceet d’ingénieurs, classification professionnelle par l’INSEE à partir de 1954). Les cadres cherchent a sedifférencier de la classe ouvrière mais également de la bourgeoisie possédante (ils ne restent que salariés).La complexité organisationnelle des entreprises depuis les Trente Glorieuses a conduit au développement desemplois administratifs et des cadres intermédiaires. Dans les entreprises ou les administrations, les cadresoccupent par définition des postes de responsabilité ou de commandement, sans pour autant donner d’ordresou avoir un poste de direction. Leur position est donc relativement complexe socialement : sans être rentiers,ils ont des conditions de vies relativement éloignée des autres membres de la classe moyenne.

Pour P. Bouffartigue (Les Cadres. Fin d’une figure sociale, 2001), la banalisation du statut de cadre depuisles années 1980 peut justifier de les intégrer aux classes moyennes lorsqu’ils exercent des fonctions d’étudesou de gestion, et non d’encadrement, soumis à un fort contrôle hiérarchique.

Nouvelles et anciennes classes moyennes

L. Chauvel (Les classes moyennes à la dérive, 2006) donne une définition extensive des classes moyenne,où il intègre pêle-mêle les hauts fonctionnaires, les employés ou ouvriers qualifiés, les chefs d’entreprises, lesartisans modestes, etc.

Il distingue les anciennes des nouvelles classes moyennes, avec à chaque fois le niveau supérieur et intermé-diaire. Les classes moyennes étaient anciennement définies par les professions libérales et les indépendants,et dorénavant par les salariés.

Les nouvelles classes moyennes supérieures correspondent aux hauts fonctionnaires, enseignants dusupérieurs, ingénieurs, et les classes moyennes intermédiaires aux employés, bureaucrates, techniciens dis-posant d’une autonomie. Les anciennes classes moyennes supérieures correspondaient aux chefs d’entreprises

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et à la bourgeoisie possédante, et les anciennes classes moyennes intermédiaires aux artisans et commerçantdont le revenu est avant tout fondé sur le revenu du travail.Les classes moyennes forment un ensemble social relativement hétérogène. Si les individus des classesmoyennes partagent quelques traits communs, en particulier la détention d’un diplôme et donc d’un em-ploi qualifié, il y a des différences de structure de capital dans le sens bourdieusien. Les indépendants ontdavantage un capital économique que culturel, et inversement pour les salariés, un mode de vie ascétiquepour les premiers et hédoniste pour les seconds. Les indépendants ont plus tendance à voter à droite, commeles salariés du privé, tandis que les fonctionnaires à gauche. Ces différences se retrouvent dans les taux desyndicalisation (plus fort dans le public que dans le privé).

1.4.2.3 L’apogée des classes moyennes dans les années 1980

Pour L. Chauvel (La spirale du déclassement, 2016), une société de classes moyennes se fonde sur sept piliers: une société salariale qui garantit statut et protection aux travailleurs, où le salaire moyen est suffisant pourvivre confortablement, une protection sociale généralisée ouverte par le salaire, expansion scolaire permettantdes courants de mobilité sociale ascendante, une croyance fondée empiriquement dans le pogrès scientifique,social et humain, une prise de contrôle de la sphère politique par les catégories intermédiaires de la sociétéaux travers de syndicats, d’association set mouvements sociaux, et enfin la promotion d’objectifs mesurés auregard des contraintes réelles. Cela a pu correspondre à la situation des Trente Glorieuses en France.J. Fourastié (Le grand espoir du XXe siècle, 1949) : le changement social se fonde sur l’expansion salariale,la hausse du nombre de diplômés sans inflation des titres, la mobilité structurelle ascendante, la hausse duniveau de consommation, une meilleure capacité à épargner, et la certitude d’offrir des études et un emploimeilleur aux générations suivantes.

1.4.2.4 Les classes moyennes, une espèce menacée dans les pays développés ?

Pour L. Chauvel (Les classes moyennes à la dérive, 2006), les générations entrées sur le marché du travaildans les années 1980 ne bénéficient pas des mêmes perspectives, ni même des conditions socio-économiquesdes années précédentes. Par exemple, concernant le pouvoir d’achat, en 1975,le rythme de progression dupouvoir d’achat du salaire ouvrier permettait un rattrapage du pouvoir d’achat des cadres en 35 ans, contre135 ans en 2013. De même, l’évolution du prix de l’immobilier, en particulier dans les centre-villes a accrules valeurs des patrimoines détenus par les baby-boomers mais a rendu difficile l’accès à l’immobilier pourles générations suivantes. Enfin, le système de redistribution profite aux plus pauvres tout en épargnantfiscalement les plus riches d’où une forme de précarisation de la classe moyenne.Les professions associées aux classes moyennes disparaissent de plus en plus, ou se précarisent. D’une part,pour A. Reshef et F. Toubal (La polarisation de l’emploi en France, 2019),les emplois se sont fortementpolarisés sur la période 1994-2014 : les emplois à salaire intermédiaire ont reculé au profit des emplois àbas salaire et à haute rémunération. Les emplois de classe moyenne se sont raréfiés ou ont même, pourcertains, disparu contribuant fortement au sentiment d’un déclassement irréversible. Cette polarisation estprincipalement due aux effets de la concurrence internationale et de l’automatisation, où les tâches routinièrestraditionnellement occupés par les catégories intermédiaires ont pu être supprimées.D’autre part, les professions associées aux classes moyennes ont connu une dévalorisation tant économiqueque sociale. Le chômage touche également les cadres dans une proportion relativement significative. S.Bosc (Sociologie des classes moyennes, 2008) constate que la massification scolaire a rendu les conditionsd’exercice des professeurs plus difficiles tout en diminuant leur prestige social dans la société. On basculedans une société de post-abondance, où il y a peu de croissance de revenus pour ceux qui ne disposentuniquement de leur activité professionnel. Depuis 1984, par exemple, les jeunes doivent travailler deux outrois fois plus longtemps pour acheter la même surface dans le même quartier.Pour certains auteurs, le diplôme n’a plus le même rendement qu’auparavant. Le paradoxe d’Anderson(1961) met en évidence, aux États-Unis, que les générations plus diplômés que leurs parents occupent une

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position sociale qui leur est inférieure ou égale. Pour S. Bosc (2008), le paradoxe d’Anderson s’explique parun déséquilibre entre l’offre de places dans la classe moyenne et la demande : ce qui conduit à une inflationdes titres (déclassement scolaire). Certaines positions sociales ont également été dévaluées au cours du temps(professeurs, infirmières). Enfin, L. Chauvel (2006) considère que la valeur du baccalauréat sur le marchédu travail a chuté entre 1968 et 1998.

1.4.2.5 Une dérive contestée

Pour E. Maurin et D. Goux (Les nouvelles classes moyennes, 2012), il existe actuellement trois classesen France : la classe supérieure (les CPIS et les chefs d’entreprises, 20 % de la population active), laclasse moyenne (le petit patronat traditionnel, soit les artisans et commerçants ainsi que les professionsintermédiaires, comme les cadres B de la fonction publique ou les professeurs des école,s qui forment 30 %de la population active) et enfin les classes populaires (les ouvriers et les employés, 50 % de la populationactive). Pour ces auteurs, la classe moyenne bénéficie d’une forte stabilité professionnelle (favorisée par descompétences tacites au sein des entreprises, et des promotions internes).

Les classes moyennes n’ont jamais été aussi importantes historiquement. : 30 % des actifs en 2009 contre 20% en 1960.

Pour C. Peugny (Le déclassement, 2009), la proportion de cadres supérieurs et de professions intermédiairesparmi les enfants d’employés et ouvriers qualifiés (hommes, à l’âge de 40 ans) est passée de 32 % pour lescohortes nées entre 1944 et 1948 à 24 % pour celles nées entre 1964 et 1968. En revanche, elle est maintenuestable pour les classes moyennes, où la reproduction et l’ascension sociale prime.

1.4.2.6 Une remise en cause du déclassement (intergénérationnel, professionnel, et scolaire)

Déclassement intergénérationnel : pour un individu, il s’agit d’occuper une position sociale supérieure à cellede ses parents.

Déclassement professionnel (ou intra-générationnel) : pour un individu, il s’agit de perdre son statut social(licenciement par exemple, accompagné d’un chômage de longue durée).

Déclassement scolaire : pour un individu, il s’agit d’exercer un emploi dont les compétences sont inférieuresà celles qualifications, certifiées par son diplôme.

Plus d’ascension que de descension sociale

E. Maurin (La peur du déclassement, 2009) constate une augmentation de la part des cadres parmi lesenfants d’ouvriers ou de professions intermédiaires. En 2009, parmi les 30-39 ans, on compte à peine 13,5% de déclassés au sein du salariat intermédiaire contre 46 % de personnes en ascension sociale par rapportà leurs parents. Parmi les personnes issues des classes moyennes, la proportion s’élevant au-dessus de leurmilieu d’origine est de 15% au sein de la cohorte née en 1952 et de 21% née en 1970.

La peur du déclassement professionnel

En 2007, l’Insee recense 14 800 sans abris, 100 000 d’après les associations, soit 0,16 % de la population aumaximum. Or, d’après un sondage, 48 % des français pensent qu’ils pourraient devenir SDF un jour, en2006, et ce taux augmente à 60 % juste après la crise de 2008.

Pour E. Maurin (2009), la peur de licenciement est fondée : elle s’accompagne en général d’une longue périodede chômage, la probabilité élevé de retrouver un emploi faiblement valorisé socialement, etc. Le déclassementprofessionnel touche néanmoins principalement les ouvriers et les employés de PME. La plupart des françaisrestent à l’abri du déclassement professionnel, en particulier

Une démocratisation scolaire anxiogène

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Il y a eu une forte massification scolaire au sien de la société. En 1975, parmi les personnes sorties del’école depuis mon de 5 ans, on compte près de 4,4 fois plus de personnes non diplômées que de diplômés dusupérieur. En 2008, il y a près de trois fois plus de diplômés que de non-diplômés.

Pour E. Maurin (2009), la valeur privée du diplôme a augmenté : les avantages statutaires auquel un diplômedonne accès se sont renforcés. Donc, l’importance de la réussite scolaire pour les classes moyennes estd’autant plus important (différence très importante de chômage entre diplômés et non-diplômés). Comme lecoût de l’échec scolaire est très élevé, les familles mettent en place des stratégies pour maintenir leur position(contournement de la carte scolaire, choix de résidence dans quartiers favorisés, écoles privées, . . . ). Lesclasses moyennes ont donc largement profité de la massification de l’enseignement secondaire puis supérieur,mais la compétition scolaire a eu un effet anxiogène sur ces familles.

Pour autant, E. Maurin (2020) revient en partie sur cette position : il constate que la massification scolairea effectivement conduit à une augmentation importante de la part de diplômés à exercer des emplois non-qualifiés entre 1980 et 2020, conduisant à une éviction des travailleurs non-qualifiés du marché du travailleur.Pour lui, une des causes principales est l’automatisation des tâches.

L. Chauvel (La spirale du déclassement, 2016) réitère néanmoins le constat d’un déclassement professionnel:les professions intermédiaires, noyau dur des classes moyennes, ont été vulnérabilisées par les évolutionséconomiques récentes (crise, progrès technique, mondialisation) : en 2010, leur niveau de vie ne dépassaitplus que de 17 % celui de la moyenne des ménages contre près de 40 % à la fin des années 1970.

1.4.3 Les couches supérieures

1.4.3.1 Une définition plurielle qui a évoluée au cours du temps

La notion de classe supérieure est plurielle, elle ne se retreint pas à l’élite politique. S. Bosc (Stratifica-tion sociale et société, 2003) considère qu’il faut distinguer les classes supérieures des catégories dirigeantes(responsables politiques au pouvoir, les hauts fonctionnaires, les dirigeants économiques, ou encore les intel-lectuels). Jusqu’au début du XXe siècle, l’élite était définie par la bourgeoisie et l’aristocratie, monde socialnon assujetti au travail, bien pourvu en patrimoine, jouissant d’un train de vie confortable, ayant accès auxbiens et services les plus valorisés et disposant de relations sociales étendues.

Il y a trois pôles qui permettent de situer les classes supérieures :

• le pôle de la fortune (le capital économique, possession d’un patrimoine, renvoie à la bourgeoisiepossédante). Pour la bourgeoisie possédante, l’activité professionnelle est secondaire par rapport à lagestion et à la transmission du patrimoine.

• le pôle du pouvoir. Les dirigeants peuvent venir de grandes familles, mais également dans d’autresmilieux (en excluant la question de la reproduction sociale). Au sein de ce pôle, il faut différencier lepouvoir économique (qui se distingue du pôle de la fortune, et est incarné par les chefs d’entreprises etles managers), le pouvoir politique (la haute fonction publique), et le pouvoir culturel partagé par lesmédias et les intellectuels.

• un pôle de l’entre-deux caractérisé par les interférences réciproques du patrimoine et du statut profes-sionnel. Des positions salariales solides permettent l’accès au patrimoine (cadres qui obtiennent desstock-options).

Aujourd’hui, on ne peut pas ranger l’intégralité d’un groupe professionnel dans l’ensemble des classessupérieures. On range dans cette catégorie principalement les cadres supérieurs, les chefs d’entreprisesimportants, le personnel dirigeant, les professeurs détenteurs d’un pouvoir académique, certaines professionslibérales (médecins, avocats, etc.)

On peut définir l’élite comme les riches et des puissants d’un pays, avec différentes fractions en fonction desdifférents pôles. Pour autant, plusieurs éléments rassemblent ces différents fractions des élites. Premièrement,

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les hauts fonctionnaires ont la même origine sociale, majoritairement bourgeoise. Ils sont recrutés selonune logique de sursélection scolaire et sont socialisés dans les mêmes écoles que les managers du privés.Deuxièmement, les hauts fonctionnaires pantouflent (abandonnent la fonction publique pour le public),existence de clubs de discussions où les élites se rencontrent (Le Siècle).

W. Rostow (Les étapes de la croissance économique, 1960) considère que la formation d’une élite éclairée,dont le mode de vie est en avance sur le temps, est favorable au développement économique.

Pour M. Crozier (La crise de l’intelligence : essai sur l’impuissance des élites à se réformer, 1995), les élitessont conformistes en raison de leur formation (ENA, HEC). Les élites ne remplissent pas leur rôle de guiderla société vers le progrès ; bien au contraire, elles sont contre-productives. Beaucoup de dirigeants n’arriventpas à appréhender la complexité des systèmes humains. D’où une multiplication de rapports inutiles quirépondent davantage à la logique bureaucratique des administrations qu’à un réel besoin, ou une véritablevolonté de s’informer. La déconnexion des élites avec les catégories populaires a été un des principauxleitmotiv des gilets jaunes en 2019.

1.4.3.2 Le passage d’une société de rentiers à une société de cadres

T. Piketty (2011)

Les inégalités de revenus et de patrimoine sur l’ensemble du XXe siècle montrent la fin des rentiers. A laveille de la Première Guerre Mondiale, en France, la part des 1 % des revenus les plus élevés (le « centilesupérieur » de la distribution) est ainsi passée de plus de 20 % du revenu total des ménages en 1900-1910 àenviron 8-9 % en 2010. Les très riches vivaient davantage de rentes et de divendes qu’un salaire confortablede cadre.

Les patrimoines sont devenus moins concentrés que par le passé. Le 1 % des successions les plus importantesreprésentaient au début du XXe siècle plus de 50 % du patrimoine total, contre moins de 20 % aujourd’hui.Les inégalités économiques passent aujourd’hui principalement à l’intérieur du travail et peuvent être plusaisément justifiées par des considérations méritocratiques que par le passé.

Comment expliquer la fin des rentiers ?

La fin des rentiers s’explique par les destructions de patrimoine sur la période 1914-1970 : destruction dephysique de capital pendant les guerres, faillites d’entreprises à la suite de la crise de 1929, et élagage despatrimoines par l’inflation. La mise en place de la fiscalité progressive, à partir de 1914, en France, empêchede reconstituer des patrimoines aussi importants que par le passé.

La révolution managériale

J. Burnham (The Managerial Revolution, 1941) : les grandes entreprises ne sont plus dirigées par leurs pro-priétaires, mais par des managers. Ces managers sont formés dans le grandes écoles de commerce, d’ingénieursou encore d’administration (HEC, Polytechnique, ENA, . . . ). Or, P. Bourdieu et M. De Saint-Martin (Lepatronat, 1978) montrent que les managers sont issus eux-mêmes de classe supérieure, la transmission parla famille de capitaux culturel élevés sont un atout essentiel pour passer le cap de la sur-sélection scolaire etprofessionnelle.

1.4.3.3 L’enrichissement des plus riches depuis les années 1980

T. Piketty (Le Capital au XXIe siècle, 2013) constate une augmentation des inégalités de revenus à partirde 1980. Le décile supérieur américain percevait 35 % du revenu national en 1980 contre 48 % en 2010.Cette hausse est principalement dû au top « 1 % » des revenus, qui captent 20 % des revenus. Deux tiersde ces inégalités salariales s’expliquent par la hausse des salaires des « super cadres » et un tiers pourl’accroissement des revenus du capital.

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A. Atkinson, T. Piketty et E. Saez (2011) montrent que le poids de la rémunération des 1 % les mieux payésest passé de 5,1 % de la masse salariale en 1970, à 9,3 % en 1995 pour stabiliser aux alentours de 11-12 %depuis la crise de 2008.

C. Landais (2008) : De 1998 à 2006, alors que le salaire réel moyen des 90% les moins biens payés n’aprogressé que de 0,9% la rémunération moyenne des 10% des plus hauts revenus salariés a gagné 8,2% et enleur sein les 1% les plus élevés, 18,3% et même 68,9% pour les 0,01% des plus hauts revenus salariés.

Comment expliquer la très forte hausse des revenus salariaux de la partie supérieure de la distribution ?

• Une augmentation de la rémunération des dirigeants d’entreprises. Par exemple, les cent PDG les mieuxrémunérés, aux États-Unis, ont bénéficié d’une multiplication par plus de 30 de leur rémunération réelleentre 1970 et 2006. Ces augmentations ont été justifiées par la théorie de l’agence, afin d’inciter lesdirigeants à avoir à cœur les intérêts de l’entreprise. BJ. Hall et K. Murphy (2002) montre l’absenced’impact de ces augmentations sur les performances économiques de l’entreprise. Une autre justificationa pu être que de petites différences de productivité entre managers peuvent avoir un impact trèsimportant sur la valorisation boursière de l’entreprise, et donc on cherche, dans une économie desuperstar à attirer les meilleurs managers par des salaires très attractifs. Ce faisant, ces hausses derémunérations ont principalement lieu dans les grandes entreprises cotées (X. Gabaix, A. Landier,2007). Pour autant, F. Kramarz et D. Thesmar (2007) montrent que la participation réciproque d’unPDG au CA d’une entreprise réduit leur probabilité de perdre leur poste et augmente leur rémunération.Il y a un effet de pair : le CA augmente la rémunération du dirigeant pour en retour qu’il augmente larémunération du CA. Ce serait davantage ce mécanisme qui serait à l’œuvre dans les augmentationsde salaire de la période 1980-2005.

• Un poids plus important du secteur financier dans l’ensemble des salaires. Le phénomène est trèsmarqué dans les pays anglo-saxons singulièrement et aux US où le poids des rémunérations de la financeest passé de 6% à plus de 11% de la masse salariale, alors que leur poids dans les heures travaillées n’aque faiblement progressé. Pour C. Célérier (2010), les ingénieurs dans le secteur financier bénéficientd’une sur-rémunération par rapport aux ingénieurs d’autres activités, à compétence égale. De moinsde 10 % durant la décennie 1980, cette sur-rémunération moyenne aurait dépassé 15 % dans la décennie1990 pour atteindre 25 % au milieu des années 2000. Elle aurait reflué à environ 20 % en 2008, cequi demeure très au-delà du niveau des années 1980. La rente dans la finance est davantage liée àla dérégulation financière qu’aux qualifications et à la technologie (T. Phillippon, A. Reshef, 2009).Enfin, O. Godechot (Hold-up en finance, 2006) a mis en évidence le risque de hold-up (au sens deO. Williamson) en finance : certains salariés des entreprises financières disposent d’un contrôle et deconnaissances sur des actifs spécifiques, ce qui peut exposer une firme à des pertes considérables en casde départs de ces salariés. Ce faisant, ces derniers ont un pouvoir de négociation important avec leursdirigeants, et parviennent à obtenir des augmentations salariales considérables.

1.4.3.4 Le retour des rentiers est-il possible ? Pour T. Piketty (2015), la fiscalité forge la sociétéd’un point de vue économique. Or, les pays, en particulier la France, se livrent à une concurrence fiscale im-portante, ce qui conduit à baisser les taux d’impositions sur le revenu. De plus, les privatisations d’entreprisespubliques ont conduit à des gains importants en termes de dividendes et les bénéficies réels des entreprisesont souvent captés intégralement par les actionnaires, en l’absence d’une véritable fiscalité sur le capital.

1.4.3.5 La sociologie de la bourgeoisie

M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot (La sociologie de la bourgeoisie, 2007) analysent en détail bourgeoisiesocialement. Pour eux, la bourgeoisie actuelle constitue à la fois une classe en soi et également une classepour soi. C’est une classe en soi car les individus appartenant à la bourgeoisie sont très similaires (détentiond’un volume et d’une structure de capitaux – économiques, sociaux, culturels, et symboliques). Le faitsurprenant, c’est que si la conscience de classe ouvrière a disparu, la bourgeoisie est caractérisée par une

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forte conscience de classe. Cette conscience passe par une culture commune (normes, valeurs, opinions,représentations). Les classes bourgeoises mettent en place des stratégies résidentielles (entre-soi résidentielcomme la Villa Montmorency dans le XVIe) ou de socialisation (contrôle des relations sociales avec lesenfants, rallyes pour orienter le futur matrimonial, dîners et réceptions pour augmenter le capital social). Lareproduction sociale est quasi-assurée dans ces milieux.

Comme l’a dit W. Buffet en 2006 : « Il y a une lutte des classes, bien sûr, mais c’est ma classe, celle desriches qui fait la guerre. Et nous gagnons ».

1.5 Des évolutions de catégories plus spécifiques

1.5.1 La fin des paysans ?

1.5.1.1 Un monde paysan jusqu’en 1945

G. Duby (1962) considère que le monde entier est rural jusqu’au IXe siècle. Ce n’est qu’avec l’urbanisationque se développe un monde paysan spécifique subordonné, en partie au moins, aux villes (développement duféodalisme au Moyen-Âge par exemple). Le monde paysan est caractérisé par une solidarité mécanique (E.Durkheim, 1901)

Pour M. Bloch (Les caractères originaux de l’histoire rurale française, 1931), le monde paysan est passé d’unesolidarité mécanique à un « individualisme agraire ». En effet, au XIXe siècle, l’abolition des servitudescollectives (droit de vaine pâture) et l’établissement de clôtures (à l’image du mouvement des enclosures enGrande-Bretagne) par les parlements provinciaux français ont favorisé le développement agricole sans pourautant suivre le même rythme qu’au Royaume-Uni.

Pendant le Second Empire (1852-1870), on constate un enrichissement relatif du monde paysan grâce àl’augmentation conjointe de la demande et des prix des produits agricoles. La crise de 1882 réduit la partd’ouvriers agricoles proto-industriels (baisse de la demande) et de grands propriétaires (baisse de la rentefoncière, qui conduit à la cession de terrain). Ce faisant, le monde rural français se structure autour despropriétaires exploitants, qui représentent 52 % de la population rurale en 1882.

La France est caractérisée par l’importance de sa population rurale jusqu’en 1945. En 1911, le secteur pri-maire représente 42 % des emplois contre 7 % au Royaume-Uni. Ces différences s’expliquent par l’importancede la révolution technique britannique qui a conduit à un exode rural massif et une industrialisation rapideau XIXe siècle. A l’inverse, en France, les changements techniques ont été très lents à se mettre en place.

La paysannerie représente une force politique importante jusqu’aux années 1940. La création d’un ministèreindépendant de l’Agriculture en 1881, l’instauration d’un protectionnisme modéré sur les produits agricolespar J. Méline en 1892, ou encore la création du Crédit Agricole en 1898 sont autant d’exemple du poids de lapaysannerie sur le monde politique. En 1912, l’Union centrale des syndicats agricoles revendique près d’unmillion de membres..

1.5.1.2 De la fin des paysans à la naissance des agriculteurs depuis 1945

H. Mendras (Les paysans et la modernisation, 1958) montre que l’adoption d’une innovation dans une villagepaysan ne peut passer que par une adhésion collective au changement, faute de quoi les individus l’adoptantseront perçus comme déviants et sanctionnés.

H. Mendras (La fin des paysans, 1967) distingue trois catégories au sein du monde rural.

• Le sauvage : individu appartenant à une communauté autarcique, (auto-suffisante, coupé du mondeextérieure)

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• le paysan : individu appartenant à une communauté rurale dépendante de la ville pour pouvoir subsister(vendre les produits sur les marchés, consommer, etc.)

• l’agriculteur : individu vivant dans une macro-société industrielle dans laquelle il se différencie desautres catégories sociales, et en même temps à laquelle il est intégré par la production de biens agricolesservant à la production nationale (industrielle, tertiaire), voire internationale.

Pour H. Mendras, la modernisation de l’agriculture, sur le plan technique, a fait disparaître les paysansau profit des agriculteurs. La commercialisation de la production s’est fortement accrue et des investisse-ments importants, financés par endettement ont permis une mécanisation massive (tracteur, moissonneuse-batteuse), entraînant une chute des effectifs. Parallèlement, sous l’effet du développement des communi-cations et des loisirs de masse (radio et télévision), l’intégration des paysans à la culture nationale s’estpoursuivie, leurs pratiques sociales perdant en spécificité.

Pour M. Debatisse (La révolution silencieuse, 1964), les jeunes agriculteurs, dans les années 1950, notammentformés dans les écoles des Jeunes Agriculteurs Catholiques (JAC) ont permis le passage de l’exploitationfamiliale aux entreprises agricoles. Cette modernisation conduisant également in fine

1.5.1.3 Les trois phases de l’exode rural en France

On peut découper en trois phases l’exode rural en France.

La première phase consiste en la fin de la proto-industrie au XIXe siècle, avec la migration des ouvriersagricoles vers l’usine.

La seconde phase correspond à la diminution progressive et importante de la part du secteur primaire dansl’emploi, sous le coup de la modernisation.

La troisième phase correspond enfin au vieillissement et au non-renouvellement de la population agricolecontemporaine.

1.5.1.4 Les tendances récentes du monde agricole français

Le monde agricole est en voie de disparition dans les pays développés. En 2021, les agriculteurs représententen 2021 environ 2,7 % de la population active. Cet effacement de la société a longtemps suscité des craintesd’une disparition économique totale (M. Debatisse, Le projet paysan, 1983). D’après l’INSEE (2003), lacatégorie des agriculteurs est dans une position paradoxale : c’est le groupe avec le plus fort autorecrutement(9 agriculteurs sur 10 occupent la même position sociale que leur père), et en même temps c’est le groupe avecla plus forte mobilité sociale, traduisant les départs toujours croissants du monde agricole. La question dela reproduction de l’identité et son impossible transmission aux générations suivantes constituent des enjeuxprimordiaux depuis plusieurs décennies (C. Bessière, 2010). La mondialisation a mené à une tripartitiondu monde paysan (agriculture familial, de subsistance et de firme). La domination de l’agriculture de firmerenforce encore plus la disparition des agriculteurs.

Il existe aujourd’hui un malaise paysan. Les agriculteurs sont la catégorie la plus touchée par le suicide.Cela s’explique par des difficultés économiques, l’isolement, des conditions de travail difficile, une défiancedes consommateurs, et un harcèlement particulièrement important sur le lieu de travail. En particulier, lecélibat est plus fréquent chez les agriculteurs. Si le célibat pouvait traduire une stratégie de conservation dupatrimoine jusqu’aux années 1945 (P. Bourdieu, 1962), il est aujourd’hui le fruit d’un enclavement du monderural, et une émission de télé comme « l’Amour est dans le pré » est très évocatrice de cette situation.

Créé en 1946, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) est le syndicat ma-joritaire du monde rural, et permet de créer un intérêt communs entre des professions agricoles parfois enopposition. A. Sheingate (2011) montre comment la FNSEA a joué un rôle dans les différents « rounds »du GATT en défendant les intérêts des agriculteurs français. Pour C. Roderer-Ryunning (2005), le principal

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défi pour la FNSEA est de s’adapter à un contexte rendu plus difficile par quatre facteurs d’évolutions, àsavoir : l’affaiblissement des revendications nationales, la conditionnalité des soutiens publics européens, laglobalisation des marchés agro-alimentaires, et la résurgence d’un débat public sur la place de l’agriculturedans la société.

1.5.1.5 La PAC

L’intégration dans l’Union Européenne a conduit à la mise en place de la Politique Agricole Commune (PAC)en 1962. L’objectif est de garantir des revenus satisfaisants aux agriculteurs ainsi que des prix convenables auxconsommateurs. D’une part, tous les ans, la Commune européenne fixe pour chaque secteur de productiondes prix garantis supérieurs à la moyenne mondiale. La quantité que le producteur ne parvient pas à vendreest rachetée par la Communauté à ce prix pour être ensuite stockée puis revendue plus tard sur le marchéintérieur, exportée vers les marchés tiers ou bien encore détruite. Parallèlement, les produits importés sonttaxés de manière à ne pas concurrencer les produits européens. D’autre part, les exportations font l’objetd’un soutien (restitution) : le producteur perçoit un complément lorsqu’il vent hors de la Communauté (ladifférence entre le prix mondial et le prix européen plus élevé).A la fin des années 1970, la production dépasse rapidement la consommation et la gestion des excédentscoûte cher. De plus, les pays non-européens critiquent le protectionnisme européen, et le productivisme ades effets écologiques néfastes à cause d’utilisation d’engrais.En 1992, la réforme MacSharry compense la baisse des prix garantis sous forme d’aides directes en fonctionde la taille des exploitations. Cette mesure permet de limiter la production et d’assurer la compétitivitéde l’agriculture européenne au niveau international. L’Agenda 2000 ne compense plus que partiellementla baisse des prix garantis sous forme d’aide directe. En 2013, la réforme de la PAC vise à favoriser lespratiques agricoles respectueuses de l’environnement, même si le renouvellement du glyphosate (herbicidecancérigène) à l’échelle européenne remet en cause la démarche. La réforme cherche également à réduireles écarts importants des bénéficiaires des aides de la PAC (pour les petits agriculteurs en particulier). Laquestion de la captation des aides par les petits agriculteurs français suscite encore un vif débat, et est unesource de manifestation, en particulier en vue de la réforme de 2023.

1.5.2 La fin du salariat ?

1.5.2.1 Le salariat a longtemps été critiqué

Salariat (1) : mode de rémunération du travail par le salaire Salariat (2) : ensemble des salariésLe salariat peut se définir comme le mode de rémunération du travail par le salaire, ou bien l’ensemble dessalariés. L’antonyme de salariat est patronat.La marchandisation du travail a conduit à l’apparition du contrat de travail, qui n’est qu’un contrat commer-cial au XIXe siècle. Le travail, dans l’économie politique classique, est considéré comme une marchandise.Selon K. Marx (Le capital, 1867), le travail a été converti en marchandise par le système capitaliste. Un modede production se définit par des forces productives (facteurs et techniques de production) et des rapportssociaux de production (droits de propriété sur la richesse produite). Dans le mode de production capitaliste,le prolétaire (qui ne possède que sa force de travail) est lié par un contrat au propriétaire des moyens deproduction – i.e. le capitaliste. Ce dernier bénéficie de la plus-value sur le travail du prolétaire, qui devientune marchandise, c’est-à-dire la différence entre la valeur d’échange le salaire de subsistance du prolétaire) etla valeur d’usage (la valeur de la production). K. Marx considère donc que le salariat est une forme atténuéed’esclavage puisqu’en vendant sa force de travail, le salarié perd tout droit sur le produit de son travail ainsique la maîtrise. Le contrat de travail n’est qu’un contrat commercial au XIXe siècle, qui prend la forme du« louage d’ouvrage » en France (salaire à la tâche, comme dans le putting-out system).La salariat est fortement critiqué par les penseurs de l’économie et de la sociologie au XIXe siècle, au momentde la Révolution Industrielle. J. Sismondi (Nouveaux principes d’économie politique, 1819) montre que le

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salariat soumet la société au principe de rentabilisation du capital. Le salariat est associé à la conditionouvrière, sans protection sociale, avec des salaires proches du minimum de subsistance. R. Castel parle d’«indigne salariat » sur cette période. Pour E. Durkheim (1893), « tout n’est pas contractuel dans le contrat» car c’est par l’ensemble des règles de la société (lois, respect de la liberté individuelle, mœurs) qui rend lecontrat exécutoire et non pas des intérêts convergents de deux agents rationnels. Pour E. Durkheim (1901),le développement d’un droit restitutif (rétablissement de la situation telle qu’elle aurait du être), par rapportau droit répressif (écart à la norme) est le signe de l’individualisation croissante au sein de la société. Or,lorsque les normes sociales ne permettent plus à l’individu de se régler sur le groupe, les individus peuventsouffrir d’anomie, et en particulier d’anomie professionnelle, avec des excès de conflits entre employeurs etsalariés.

1.5.2.2 La société salariale

Le salariat change d’image et de signification avec l’apparition du contrat de travail, et le développementdes droits sociaux. Le 8 avril 1898, le risque professionnel est intégré au contrat de travail : l’employeurdoit verser une indemnité de compensation en cas d’une perte de capacité de travaille suite à un accident,mais qui suppose donc le principe de subordination de l’employé à l’employeur. Ainsi, on passe d’un contratde marchandise à un contrat de subordination. La reconnaissance de la responsabilité des employeurs ouvrela porte à un ensemble de droits sociaux accordés par le contrat de travail. Le statut de chômeur apparaîtcomme une rupture avec le contrat de travail.

Le XXe siècle est celui de l’apparition de la société salariale. Le salariat se généralise à l’ensemble de lasociété. Le taux de salariat passe de moins de 50 % en 1830 à 62 % en 1936. En 1975, les salariés représententdéjà 82 % de la population active, et atteint 89 % en 2006. En 2015, on compte 24 millions de salariés contre2,6 millions de non-salariés.

Trois éléments ont permis de consolider le statut de salarié :

• La création du SMIC en 1970, qui selon R. Castel donne »un statut légal aux conditions minimalesd’accès à la condition salariale », et donc assure le salarié de percevoir une partie des fruits du développe-ment économique.

• La mensualisation des salaires entre 1969 et 1978.

• La classification des PCS rompt avec l’ancienne logique des métiers.

Le salariat est une protection face à un avenir incertain, accorde des droits à la protection sociales grâce auxcotisations (chômage, retraite). On peut citer : le régime d’indemnisation des accidents du travail (1898),analysé plus haut, les maladies professionnelles (1919), la création d’un régime général de retraites (1910),les assurances sociales (1928-1930), et la sécurité sociale en 1945 dont le but est d’assurer contre les quatregrands risques sociaux: maladie, vieillesse, famille et accidents du travail. Par ailleurs, face à l’anomie, E.Durkheim (1901) préconise l’organisation au sein de groupes professionnels pour gérer la conflictualité autravail. En France, la négociation collective au XXe siècle a été un mode de gestion de la conflictualitéau travail, avec à la fois la négociations de conventions collectives (règles négociées entre les représentantspatronaux et les syndicats représentatifs concernant les rémunérations et les conditions de travail) au niveaudes branches.

Le salariat est porté par le privé comme le public. Le nombre de fonctionnaires est passé de près de 500 000en 1900 à plus de 5 millions aujourd’hui.

Le travail salarié devient une dimension constitutive de l’identité au XXe siècle, et le reste au XXIe. PourH. Garner,D. Méda et C. Senik (La place du travail dans les identités, 2006), plus un salarié est satisfaitau travail, et plus l’emploi prendra une part importante dans son identité personnelle. Or, la satisfactionau travail dépend du revenu, de la position hiérarchique, des qualifications. Ainsi, un ouvrier non qualifiéa deux fois moins de chance de se déclarer satisfait au travail qu’un membre des professions intermédiaires,

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alors qu’un cadre a 1,4 fois plus de chance de se déclarer satisfait au travail qu’un membre des professionsintermédiaires. Dans une étude plus récente, C. Senik (Le bien-être au travail, ce qui compte, 2020) montreque la satisfaction des salariés est conditionnée à l’absence de risques psychosociaux (pénibilité psychologique,injonctions contradictoires, insécurité) dans l’entreprise. De plus, un bon climat social (inclusion des salariésdans les décisions, bonnes relations avec les collègues et confiance) participe à la satisfaction des salariés, alorsqu’une spécialisation à outrance dans des tâches ou des objectifs chiffrés incessants réduisent la satisfaction.Enfin, l’individualisation des salaires accentuent les jalousies entre travailleurs au sein de l’entreprise, et estsource de tensions.

1.5.2.3 Le contrat de travail s’adapte à un nouveau contexte économique

Le cadre protecteur du salariat n’est plus adaptée à une économie post-industrielle, sortie du modèle fordistedes Trente Glorieuses. En effet, une relation durable entre un salarié et une entreprise ne correspond plusau fonctionnement de marchés caractérisés par une concurrence internationale intense et des technologiesporteuses, pouvant conduire à la suppression d’emplois. R. Castel parle d’« effritement de la condition salar-iale ». L’ouverture à la concurrence mondiale (GATT, OMC, Marché commun en Europe), la généralisationde la sous-traitance ont entraîné d’un côté des mesures destinées à l’indemnisation du chômage (créationde l’UNEDIC en 1958-1959, ANPE (futur Pôle Emploi) pour le placement des chômeurs), mais égalementdes formes de flexibilisation (loi sur les licenciements en 1973, encadrement de l’intérim en 1972, apparitionsdes contrats à durée déterminée en 1978, élargissement des possibilités de recours au CDD en 1985). Lagénéralisation des emplois quali

Si l’ordonnance de 1982 dispose que le contrat à durée indéterminée (CDI) est la norme, depuis les années1980, les formes particulières d’emploi (contrats à durée déterminée, travail intérimaire, à temps partiel,emplois aidés) se sont développées. Alors que ces formes d’emplois ne représentaient en 1983 que 2,6%dessalariés, ce chiffre est passé à 12 % en 2015. Sur cette dernière année, le contrat à durée indéterminée (CDI)ne représente plus que 70 % du salariat, soit 16,8 millions de personnes.

Le contrat à durée indéterminée n’a plus la même force qu’auparavant. Le CDI a par ailleurs perdu sesavantages : hausse des cotisations et diminution des prestations sociales, les carrières ne fonctionnent plusà l’ancienneté (en dehors de la fonction publique), l’emploi salarié est associé à une certaine souffrance autravail avec des burn-out, des cadences élevés et un management inadéquat (C. Senik, Le bien-être au travail:ce qui compte, 2020). La généralisation des emplois qualifiés au détriment des emplois d’exécution a conduità rémunérer davantage les cadres par mission qu’à l’heure.

Sous l’effet de la mondialisation, la négociation collective s’est transformée. Depuis les années 1980, lesnégociations salariales sont passés de négociation par branche, voire au niveau de la nation dans le cas del’Allemagne, à des négociations par entreprises pour parvenir à mieux s’adapter aux contraintes spécifiquesde chacune d’entre elles. La loi El Khomri (2016) permet aux accords d’entreprise de déroger aux accords debranche (mais pas au Code du travail) pour la durée du travail, et la rémunération des heure supplémentaires,ainsi que valider un accord d’entreprise par référendum. Ces derniers référendum posent néanmoins leproblème de la représentativité des intérêts des plus dominés au sein de l’entreprise (les ouvriers face auxcadres dans les usines par exemple), dans un contexte d’affaiblissement des syndicats.

1.5.2.4 Le regain de l’activité non salariée

L’activité non salariée progresse depuis le milieu des années 2000. En 1970, on compte 4,3 millions denon salariés contre 2,2 millions en 2006. Cette diminution est liée à la fin des paysans (exode rurale) et despetits commerçants (concurrence des grandes surfaces). Le nombre de non-salariés connaît une augmentationdepuis, avec 2,6 millions de travailleurs indépendants en 2015, et 2,7 millions en 2021, soit environ 10 % dela population active. Une partie de cette augmentation est due à la création du statut d’auto-entrepreneuren 2009.

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Les salariés sont remplacés par des autoentrepreneurs intermédiés par des plateformes avec leurs clients,comme pour Uber avec les VTC (Véhicules touristiques avec chauffeurs, c’est-à-dire les taxis) La relationde travail est remise en cause, et on revient à l’idée d’un contrat commercial de louage de service. Pour J.Tirole (2016), il faut parvenir à adapter le droit du travail à ces nouvelles situations plutôt que d’appliquer uncadre législatif pensé initialement pour des ouvriers d’usine de la fin du XIXe siècle. Pour l’heure, l’activitéindépendante de ces plateformes réunit à la fois désavantages du salariat (forte subordination) et d’êtreindépendant (moindre protection).

L’activité non salariée gagne en attractivité en raison d’attentes différentes des nouvelles générations à l’égarddu monde du travail. La relation contractuelle entre un travailleur et un employeur devient plus complexeen raison de la multi-activité, la dé-spatialisation du travail (télé-travail par exemple). D’après un rapportdu Ministère du Travail (Le travail à temps partiel en 2011, 2013), 52 % des Français voudraient pouvoirtélé-travailler, et 68 % des salariés à temps partiels déclarent choisir avoir choisi de ce mode de travail pourconcilier vie professionnelle et vie familiale. Le succès du livre Bullshit jobs (D. Grueber, 2018) fait écho àune recherche plus importante de sens dans la vie professionnelle. Ce faisant, 43 % des 16 à 19 ans souhaitentêtre indépendants.

Pour D. Pennel (Vers la fin du salariat, 2015), la généralisation du salariat au XXe siècle a constituél’anomalie dans l’histoire économique et sociale. La remise en cause du salariat est donc normale, il nedisparaîtra pas, mais les relations salariales vont être amenées à se modifier. J. Boissonnat (Le travail dans20 ans, 1995) considérait que les contrats ne devront pas seulement sécuriser l’emploi, dans l’esprit de la loidu risque professionnel de 1898, mais avant tout les individus.

Comme le dit D. Pennel, « face à la fin de l’unité de temps, de lieu et d’action du travail, il est urgent deconstruire un nouveau contrat social qui ne repose plus sur le salariat mais sur la citoyenneté ».

1.5.3 Le patronat, un groupe social influent ?

1.5.3.1 Le patronat est-il un groupe social ?

Définition

Étymologiquement, un patron est un protecteur attitré. En pratique, le mot « patron » renvoie à un chefd’entreprise. Par extension, le patronat correspond à l’ensemble des chefs d’entreprises (par opposition ausalariat). On parle également de « patronat » pour désigner l’ensemble des mouvements sociaux qui ontvocation à représenter les chefs d’entreprises. Or, certains « patrons » sont des salariés de l’entreprise (lesgrands P-DG), donc la notion pose problème, et force à établir des distinctions. De plus, les mouvementssyndicaux au cours du XIXe et XXe siècle se sont organisés en opposition au patronat (la charte d’Amiens dela CGT en 1906 appelle à « l’abolition du patronat et du salariat »). Pourtant, peut-on réellement assimilerle vendeur de kebab du coin (qui est un chef d’entreprise) à Carlos Gohn ?

Catégoriser le patronat

L’entreprise a longtemps fonctionné comme « un cercle familial élargi » (Bunel et Saglio, 1979). En 1896,les entreprises employant de une à cinq personnes représentent 93,2 % des établissements. Pour F. Le Play(La réforme sociale, 1864) considère que l’entreprise doit fonctionner comme une « grande famille ». Enpratique, le patron procure une série d’avantages à ses ouvriers/employés (écoles, hôpitaux, secours pour lesrisques de la vie) pour stabiliser la main d’œuvre et acheter la paix en quelque sorte la paix sociale. En 1913,lorsque H. Ford double les salaires de ses ouvriers, c’est avant tout pour faire accepter le travail à la chaîne.

On peut utiliser deux critères de distinction : la propriété des capitaux et la taille de l’entreprise. Il existealors le patronat de gestion pour les managers et les patrons patrimoniaux. Cette distinction renvoie à lanotion de révolution managériale de A. Berle et G. Means (1936). Le propriétaire ne peut plus être confonduavec le patron de l’entreprise, dans la mesure où les managers au cours du XXe siècle sont devenus lesvéritables décisionnaires. De plus, la taille de l’entreprise force à distinguer les dirigeants de grands groupesdes patrons de PME.

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H. Weber (Cultures patronales et types d’entreprise : esquisse d’une typologie du patronat, 1988) distinguedeux catégories de patrons : le grand patronat et le patronat de PME.

Au sein du grand patronat, défini par l’auteur comme la « technocratie managériale des grands groupes indus-triels et financiers, publics ou privés », il faut différencier les chefs d’entreprises saint-simoniens (managers àl’américaine, héritiers de grandes dynasties bourgeoises) de l’establishment patronal (les hauts fonctionnairesparachutés à la tête de grandes entreprises, les héritiers de grandes dynasties industrielles).

M. Bauer et B. Bertin-Mourot (1997) stylisent trois ressources principales d’accès aux fonctions de direction: capital économique (créé, développé, ou hérité), le capital étatique (passage par le service de l’État, dans lahaute fonction publique notamment), et le capital carrière (progression dans la même entreprise, ou mobilitédans une autre, sur la base des diplômes)

Pourquoi les patrons ont-ils intérêt à se regrouper entre eux ?

Le passage des patrons au patronat, i.e. au groupe mobilisé et institutionnalisé, suppose une action collectivequi interviennent pour homogénéiser et promouvoir les intérêts patronaux. Or, les chefs d’entreprises n’ontpas forcément, à première vue, d’intérêt économique à agir collectivement. En concurrence sur le marchééconomiques, les intérêts des entreprises et de leur chefs sont hétérogènes et potentiellement divergents(taille de l’entreprise, type de produits ou de service, firmes exportatrices, etc), et les gouvernants sontcensés prendre naturellement en compte leurs intérêts pour assurer la croissance (C. Offe et H. Wiesenthal,1980).

L. Say, J. Chailly dans leur Nouveau Dictionnaire d’économie politique, en 1900, les syndicats patronaux ontdiverses missions : réclamer contre un projet à l’étude, demander le changement de la législation existante,agir en justice, connaître les goûts et les besoins des étrangers, organiser l’apprentissage, établir des caissesde secours mutuels, apprendre aux uns et aux autres à se connaître.

Pour Adam Smith (1776) : « Toutes les fois que des marchands de même métier se réunissent, on peut êtresûr qu’il se trame quelque chose contre les poches du public ».

Historiquement, sur la période 1824-1884, le patronat s’est rassemblé pour lutter contre l’ouverture françaiseau libre-échange. Plusieurs organisations patronales voient le jour en ce sens sur cette période, commele Comité des intérêts métallurgiques en 1840 qui défend le protectionnisme sur le tissu et le coton, oul’Association pour la Défense du travail national en 1846. A l’inverse, certains organisations patronalesprônent l’ouverture commerciale comme l’Association pour la liberté des échanges, construite sur le modèlede l’« Anti Corn Laws League » de R. Cobden.

La loi Waldeck-Rousseau en 1884 autorise la constitution de syndicats. C’est en partie en réaction aumouvement ouvrier que vont se constituer les grandes organisations patronales, notamment l’Union desindustries et des métiers de la métallurgie (UIMM) en 1901.

Actuellement, l’unification du patronat repose avant tout sur une idéologie commune: liberté d’entreprendreet fonctionnement concurrentiel du marché.

Quelles sont les grandes organisations patronales ?

En France, les organisations patronales sont des syndicats d’employeurs qui défendent les intérêts de leursmembres au sein de la société française. On distingue quatre grands syndicats : le Conseil national despatrons français (le CNPF est créé en 1946, et renommé Mouvement des entreprises en France – MEDEF en1998), la Confédérations des petites et moyennes entreprises (CPME), Union professionnelle artisanale (UPA)et l’Union nationale des professions libérales (UNAPL). Ces quatre organisations sont des confédérations (uneassociation d’associations patronales).

Au moment de sa création, le CNPF (futur MEDEF) est considéré comme l’association patronale par excel-lence. Le patron du CNPF/MEDEF est généralement qualifié de « patron des patrons ». Cette image estune vision détournée de la réalité. Pour M. Offerlé (2013), le MEDEF n’est pas représentatif de l’ensembledes entreprises françaises, et ne fait pas l’unanimité auprès des patrons. Le MEDEF revendique entre 300000 et 500 000 adhérents, même si ce chiffre est sujet à controverse. Il n’y a que 2 500 entreprises de plus de500 salariés en France, donc le MEDEF est forcé de prendre en compte les intérêts des PME.

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En 2011, 44 % des établissements de 11 salariés ou plus du secteur marchand non agricole, employant 56 %des salariés, signalent l’affiliation de leur entreprise à une organisation d’employeurs. 34 % des établissementsadhérent de manière indirecte, via d’autres organisations ou regroupements, à une des quatre principalesconfédérations patronales nationales que sont le Medef, la CGPME, l’UPA et l’UNAPL.

L’adhésion à une organisation d’employeurs va de pair avec l’exercice d’un mandat patronal à l’extérieurde l’entreprise. Qu’ils soient ou non affiliés à des organisations d’employeurs, ou qu’ils soient investis dansdes mandats ou des responsabilités au sein de ces mêmes organisations, dans près des trois quarts desétablissements, les représentants des directions interrogés considèrent qu’elles sont peu représentatives.

Il existe également des chambres de commerce (CC), de commerce et de l’industrie (CCI) qui sont desorganismes chargés de représenter les intérêts des entreprises commerciales, industrielles et de service. LesCCI supervisent notamment les écoles de commerce, comme HEC. En France, ces organismes sont publicset sont financés par la taxe professionnelle.

Par rapport aux syndicats ouvriers, les syndicats patronaux ont un périmètre d’action plus large, offre deservices individuels à leurs membres (conseil notamment), ne sont pas représentatifs du tissu économique dupays, et sont dirigés par des permaments qui ne sont pas issu du militantisme.

Les différents présidents du MEDEF ces dernières années ont été : Laurence Parisot (héritière du groupeParisot, 2010-2013), Pierre Gattaz (fils d’Yvon Gattaz, chef d’entreprise, 2013-2018) et depuis 2018, GeoffreyRoux de Bézieux (fils de PDG).

Quel est le répertoire d’action collective du patronat ?

On définit le répertoire d’action collective comme l’ensemble des instruments dont peuvent se servir collec-tivement les détenteurs des moyens de production et de direction économique pour faire valoir et défendreleurs intérêts.

Le patronat n’a eu que très peu recours aux manifestations collectives, traditionnellement associées auxmouvements ouvriers. En dehors de la discrimination syndicale, D. Fraboulet (2007) constate qu’entre 1920et 1922, grâce à ses caisses de grèves, l’UIMM a pris en charge plus de huit cents grèves et a versé 5,5 millionsde francs d’indemnités. De plus, le patronat a pu utiliser sa part de capital dans les médias afin d’orienterl’opinion publique en sa faveur.

1.5.3.2 Le patronat est-il réellement influent ?

On définit sociologiquement l’influence comme la capacité d’un agent A à influencer la décision d’un agentB.

L’influence du patronat sur la politique a nourri de nombreux mythes (« les deux cents familles » quisiégeaient au Conseil d’Administration de la Banque de France, dénoncé par E. Herriot en 1924). J. Estèbe(1982) constate que 1/3 des ministres sont liés au monde des affaires pendant la IIIe république, même s’ilssont progressivement remplacés par des professionnels de la politique. Par ailleurs, ils ont davantage « subis» les Accords de Matignon en 1936 qu’. Pour autant, depuis 1945, l’« affairisme » n’est pas réellement sousle signe de la Ve république. Le patronat est généralement associé à la droite libérale , pour des raisonsidéologiques.

M. Offerlé (Les patrons des patrons. Histoire du Medef, 2013) considère que le passage du CNPF au MEDEFcorrespond à un changement de communication de l’organisation, voulant axer davantage sur les entrepriseset l’esprit entrepreneuriale que les patrons à proprement parler. Est-ce que le MEDEF est réellement influentdans les politiques publiques françaises ?

Pour cet auteur, son influence « idéologique » est concurrencée ou complétée par des institutions commel’Afep, l’Institut de l’entreprise ou encore l’Institut Montaigne. Pour ce qui est de son influence réelle, M.Offerlé remarque que les représentants patronaux sont les seuls à intervenir sur des sujets de niches, enmatière de fiscalité notamment. Par exemple, la mise en place du « carry back » (report de l’impôt sur lessociétés pour les entreprises, ce qui revient à faire un cadeau fiscal au moins temporaire) a bénéficié d’un

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fort lobbying du patronat dans les années 1980 en France. Or, faute d’experts du côté de syndicats salariésou des autres partenaires sociaux, personne ne s’est opposé à la mesure. De plus, l’instauration de la loi surles 35h a été symbolique de l’échec d’influence du CNPF et accéléré le changement de nom pour le MEDEF.

Le patronat n’a pas forcément d’unité (multitudes de syndicats patronaux aux intérêts divergents). De plus,le lobbying est commun à tous les groupes de pression, syndicats ouvriers compris.

Les études aux États-Unis ont montré que les groupes relevant de firmes sont les plus présents autour duparlement (Baumgartner, Leecher, 2001). Pour autant, selon les enjeux l’espace parlementaire est saturéd’acteurs, et d’autres de niches. M. Smith (2001) montre, de façon contre-intuitive, à partir de décisions dela Chambre de commerce américaine, que les groupes d’intérêts ne sont efficaces uniquement si la décisionest en accord avec les positions de l’opinion publique.

1.5.3.3 Un capitalisme d’héritiers ?

Le recrutement des patrons

Il faut distinguer un héritier de capital (filiation, ou stratégie matrimoniale) et un héritier sociologique(individu ayant passé le processus de sursélection scolaire). Pour P. Bourdieu et M. De Saint-Martin (Lepatronat, 1976), il faut confondre manager et propriétaire de l’entreprise lorsqu’on fait référence à un «patron », dans la mesure où il ne faut pas réduire le processus de reproduction à de l’économique mais aussiégalement du scolaire. La réduction des écarts de fortune entre managers et héritiers (avec l’apparition destock-options) facilite cette confusion, même si les écarts demeurent.

Pour P. Bourdieu et M. De Saint-Martin (1976), la reproduction capitaliste traditionnelle (on donnel’entreprise au fils) bénéficie à des personnes biens identifiés, tandis que la reproduction scolaire bénéficieseulement à certains représentants sélectionnés des classes dominantes.

M. Levy-Leboyer (1976) montre que parmi les patrons propriétaires, la transmission d’une entreprise familialene représente qu’une faible part (14 %), même si ce chiffre est peut-être sous-estimé en raison des changementsde noms en lignées féminines. Il montre également que 82,3 % des dirigeants d’entreprises sont issus de milieuxfavorisés en 1973. Il constate enfin entre 1959 et 1973 une baisse du nombre d’enfants de dirigeants parmiles P-DG des grandes entreprises françaises.

H. Joly (Les études sur le recrutement du patronat : une tentative de bilan critique, 2007) constate laprofessionnalisation des dirigeants de grandes entreprises entre 1914 et 1966 : on passe de notables polyvalentsà des dirigeants spécialisés. Les grandes écoles françaises jouent un rôle décisif dans les carrières patronales,et en particulier le passage par les grands corps (dont l’accès est réservé à ceux qui se classent premiers dansdes écoles comme Polytechnique ou l’ENA).En 2007, les dirigeants des quarante premières capitalisationsboursières étaient issus à 41 % des grands corps.. En 1993, 17 % des très grands chefs d’entreprise françaisétaient autodidactes, 27 % venaient de l’X et 23 % de l’ENA (M. Villette, C. Vuillermot, 2005). Si lareproduction économique a pu diminué, c’est parce que le recrutement des patrons se fonde davantage surle scolaire.

La véritable influence des patrons

Pour M. Offerlé (2009), il faut sortir de la logique d’« influence » du grand patronat. Il faut davantage parlerde capital social internalisé. En effet, les « grands » patrons sont pour la plupart passé par des grandesécoles, où ils ont côtoyés de futur hauts fonctionnaires. Ce faisant, l’accès immédiat pour le patronat à uncertain nombre d’acteurs publics importants ne paraît pas anormal. L’analyse du grand patronat renvoiepour beaucoup à l’analyse des classes supérieures (réseaux, rallyes, stratégies matrimoniales, cercles fermés,pratique de sports comme le Jockey, le Polo ou le golf.)

Les dynasties patronales

Le capitalisme familial est très présent au XIXe siècle, ce qui limite la taille des entreprises. En effet, P.Verley (La révolution industrielle, 1997) constate que les PME étaient préférées aux sociétés de personnesafin de parvenir à conserver le contrôle de l’entreprise. Pour P-Y Gomez et H. Korine ( L’entreprise dans

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la démocratie, 2009), les entrepreneurs font des stratégies matrimoniales pour limiter le nombre d’actionsdiffusées et donc la dilution de la propriété. Si la révolution managériale, et l’élitisme méritocratique (oufaussement méritocratique) a conduit a effacé la contrôle des entreprises par leurs propriétaires, le capitalismefamilial reste toujours présent dans l’économie moderne. IL y a toujours des castes de patrons et des dynastieshéréditaires (Dassault, Bouygues, Gallimard, Michelin). Le mariage de X. Niel (PDG d’Illiad) avec DelphineArnault (fille du PDG de LVMH) en 2010 est une émanation des restes du capitalisme familial.

.M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot (1996) : .Ce n’est pas la présence d’enfants qui motive la transmissionmais plutôt l’inverse la fortune motive la production d’héritiers. On cherche à préserver le patrimoine aucours du temps, et le capital symbolique (un nom comme Lagardère ou Bouygues)

M. Pinçon, M. Pinçon-Charlot (Nouveaux patrons, nouvelles dynasties ?, 1999) montrent que pour les en-trepreneurs « de première génération », l’entreprenariat est avant tout un défi personnel, et la transmissionà leurs descendants d’une richesse et d’un pouvoir acquis par le travail ne va pas de soi. La reproductionbiologique n’est donc pas complémentent associée à la reproduction sociale. Les entrepreneurs sont, celaétant, polarisés entre l’esprit dynastique et l’esprit méritocratique.

Exemples de dynasties patronales : Lagardère, Parisot, Bouygues, Bolloré, Michelin.

Statistiquement, la qualité des relations sociales dans l’entreprise explique 70 % des variations des tauxd’emploi entre les pays. C. Crouch et al. (Les capitalismes en Europe, 1996) montre une corrélation entre laprécocité d’apparition des syndicats et la qualité des relations sociales au travail. La France se caractérisepar un manque profond de confiance dans les relations.

Pour T. Philippon (Le capitalisme d’héritiers, 2007), l’hostilité originelle envers les syndicats en Franceprovient du fonctionnement familial de l’entreprise au XIXe siècle. En France, les entreprises à contrôle fa-milial direct ou indirect (Peugeot, L’Oréal), où le pouvoir appartient au fondateur ou à ses descendants (Das-sault, Bouygues, Lagardère) sont significativement plus nombreuses que dans d’autres pays. Ce phénomènen’est donc pas restreint aux PME (un agriculteur qui reprend l’exploitation de son père), mais aussi auxgrandes entreprises. Dans ces firmes, il y a un management paternaliste, à la Le Play, pour limiter lesconflits. Elles entretiennent un cercle vicieux : les entreprises à contrôle familial ont un management plustraditionnel et autoritaire, avec moins de délégation aux salariés, ce qui limite la prise de risque, l’innovationet la croissance. Les dirigeants sont sélectionnés sur la base de l’héritage (familial) ou les parachutages(anciens hauts fonctionnaires publics). T. Philippon appelle à privilégier les fils spirituels aux fils naturelscomme en Allemagne.

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