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Bull. Acad. Vét. de France, 1990, 63 (suppl. au n° 3), 57-70 Les viandes et les produits camés : leur rôle dans les toxi-infections alimentaires par René Lmm* et Jean-Yves KERVELLA ** RÉSUMÉ but de ce travail est d'évaluer la part prise par oies viandes et les produits camés dans l'étiologie bactérienne des accidents toxi-infectieux d'origine alimentaire. Quelques études d'origines diverses permettent de ceer les aspects actuels, quantitatifs et qualitatifs de la question. Les problèmes techniques et bactériologiques de .}�avenir sont envisagés ainsi que la ssibilité de maîtrise du risque. Mots clés : Produits carnés - Toxi-infections alimentaires - Viandes. SUMMARY MEAT AND MEAT PRODUCT : THEIR IMPORTANCE IN BACTERIAL FOODBORNE DISEASES The purpose of this work is to estimate the par. t of meat and meat- products in the bacterial etiology of foodborne diseases : some various studies are permitting to define current quantitative and qualitative aspects about this question. Technical and bacteriological problems for the future are considered with, also, hazard control means. Key words : Foodrne diseases - Meat - Meat-products. INTRODUCTION La présence des microrganismes potentiellement pathogènes dans l'environnement, leur aptitude à résister et à proliférer après contamina- tion des aliments, malgré les procédés de stabilisation mis en œuvre, leur pouvoir infectieux souvent exalté, constituent les fondements du * Vétérinaire-biologiste en chef. ** Vétérinaire-biologiste principal. Laboratoire de Microbiologie SCERCAT, 1, bd Louis-Loucheur - 92211 Saint- Cloud cedex.

Les viandes et les produits camés : leur rôle dans les

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Bull. Acad. Vét. de France, 1990, 63 (suppl. au n° 3), 57-70

Les viandes et les produits camés :

leur rôle dans les toxi-inf ections alimentaires

par René Lmm* et Jean-Yves KERVELLA**

RÉSUMÉ

Le but de ce travail est d'évaluer la part prise par oies viandes et les produits camés dans l'étiologie bactérienne des accidents toxi-infectieux d'origine alimentaire.

Quelques études d'origines diverses permettent de cerner les aspects actuels, quantitatifs et qualitatifs de la question.

Les problèmes techniques et bactériologiques de .}�avenir sont envisagés ainsi que la possibilité de maîtrise du risque.

Mots clés : Produits carnés - Toxi-infections alimentaires - Viandes.

SUMMARY

MEAT AND MEAT PRODUCT :

THEIR IMPORTANCE IN BACTERIAL FOODBORNE DISEASES

The purpose of this work is to estimate the par.t of meat and meat­products in the bacterial etiology of foodborne diseases : some various studies are permitting to define current quantitative and qualitative aspects about this question. Technical and bacteriological problems for the future are considered with, also, hazard control means.

Key words : Foodborne diseases - Meat - Meat-products.

INTRODUCTION

La présence des micro-organismes potentiellement pathogènes dans l'environnement, leur aptitude à résister et à proliférer après contamina­tion des aliments, malgré les procédés de stabilisation mis en œuvre, leur pouvoir infectieux souvent exalté, constituent les fondements du

* Vétérinaire-biologiste en chef.

** Vétérinaire-biologiste principal. Laboratoire de Microbiologie SCERCAT, 1, bd Louis-Loucheur - 92211 Saint­Cloud cedex.

58 BULLETIN DE L'ACADBUE V�T�RINAIRE DE FRANCE

risque permanent auquel les hygiénistes, soucieux d'assurer la qualité sanitaire des denrées alimentaires doivent faire face.

L'industrie agro-alimentaire utilise une grande variété de méthodes pour maîtriser ce risque. Les micro-organismes redoutés sont détruits ou inhibés par les traitements thermiques (appertisation, pasteurisation), la déshydratation, la congélation, la réfrigération, .les conditionnements sous atmosphère modifiée, les conservateurs antimicrobiens. Mais, inversement, l'évolution des goûts des consommateurs conduit à l'élaboration de produits « moins salés », « moins sucrés », « moins cuits », sans additifs, prêts à consommer, aux durées de vie prolongées. Les nécessités du marché conduisent en outre à l'emploi de matières premières dont les origines se diversifient en fonction d'impératifs économiques parfois prépondérants.

Au regard de la santé publique, les agents infectieux qui peuvent être à l'origine « d'empoisonnements » et de gastro-entérites lorsque les aliments sont consommés retiennent en priorité l'attention des hygié­nistes. Or, les viandes et les produits carnés, éléments essentiels de l'apport nutritionnel dans les pays développés, constituent, de par leur composition, un excellent support biologique pour la croissance, la multiplication et l'expression métabolique des micro-organismes conta­minants.

L'actualité épidémiologique illustre la réalité du problème sous ses aspects quantitatifs et qualitatifs. Si le relais médiatique amplifie ou focalise, pour le consommateur, la notion de risque alimentaire, les nouvelles interrogations posées en la matière sont autant d"axes de recherche dans le domaine fondamental ou appliqué.

1. LA REALITE DU PROBLEME

APPROCHE QUANTITATIVE

La principale difficulté rencontrée lors d'une étude synthétique sur les toxi-infections alimentaires (TIA) réside dans la relative rareté des données publiées et la diversité des présentations retenues. La rareté s'explique par le caractère souvent bénin de ces affections et par Ja manière empirique avec laquelle elles sont appréciées et traitées. La diversité trouve ses fondements dans le développement historique de l'organisation des services responsables : les cas et les critères retenus sont variables et, dans un même pays, plusieurs ministères peuvent être concernés. Seul un grand effort de coordination peut permettre la pro­duction de statistiques exploitables. Le problème de l'incidence réelle de ces affections étant développé par ailleurs, retenons néanmoins que ces dernières années, sans doute induits par l'intérêt que le grand public et les médias attachent à cette question, des rapports détaillés paraissent dans certaines revues scientifiques. Les instances internationales s'atta-

COMMUNICATIONS 59

chent par ailleurs à « normaliser » les principes applicables lors des enquêtes épidémiologiques.

1.1. CAS DES ETATS-UNIS (E-U) D'AMÉRIQUE

1.1.1. BRYAN [4] étudie 1 586 foyers de TIA survenus aux E-U de 1977 à 1984, pour lesquels des aliments vecteurs sont identifiés : 567 foyers (36 % ) sont dus à des produits carnés, 402 (25 % ) à des produits de la mer.

1.1.2. BEAN et coll. [2] analysent les résultats des enquêtes recueil­lies par le « Center for Disease Control » d'Atlanta de 1983 à 1987.

En 5 années, 2 997 foyers (91 678 malades) sont recensés. Les produits carnés et les produits de la mer sont impliqués, suivant les années, dans 10 à 20 % des foyers pour lesquels l'étiologie est connue (tab. 1).

AJaŒE

( .. lades)

1983 505

(14898)

1984

(16420)

1985 495

(3107'9o)

1986 467

(12781)

1987 387

(16500)

387 t--t 543

1 ( 12781)et(31079) 1 1

ETIOLOGIK COltMJE

(S)

187

(34 S)

185

(34 S)

220

(44 S)

181

(39 S)

136

(35 S)

34Stt44S

ETIOLOGIE 1 ALDŒllT BACTERIDIŒ OONllJ

(S) (S)

127 235

(25 S) (46 S)

128 234

(23 S) (43 S)

143 221

(29 S) (45 S)

119 201

(25 S). (43 S)

83 151

(21 S) (39 S)

21s-29l' 39S�48S

Tableau 1

ALDŒllT PRODUITS CAl9S OOlftJ ASSOCUS A

+

BACTERIK ETIOl'lGU BACDRD (S) COllMJE

88 51 20

(17 S) (lo S) (4 S)

77 70 29

(14 S) (13 S) (5 S)

98 101 36

(20 S) (20 S) (7 S)

15 73 27

(16 S) (16 S) (6 S)

33 51 13

(9 S) (13 S) (3 S)

9"H20I 1os.,.2a1 3IS'"41S

Produits camés et taxi-infections alimentaires aux E-U ( 1983-1987)

60 BULLETIN DE L' ACADmtIE VÉŒRINAIRE DE FRANCE

1.2. CANADA [16]

En 2 ans (1982-1983), 1 951 foyers sont étudiés (13 339 malades). Les produits carnés : 598 foyers (31 % ) et les produits de la mer : 148 foyers (7 %) interviennent dans 746 épisodes (38 %). L'étiologie bactérienne est confirmée dans 325 cas O 7 % ) sans que le type d'ali­ment support ne soit cité.

1.3. CAS DE L'EUROPE

Le rapport du « Centre for research and training in food hygiene and zoonoses :» de Berlin [10], permet d'apprécier, dans une certaine mesure, la situation en Europe puisque au moins sept pays de la CEE ont fourni des éléments d'information dans le cadre de l'enquête. Pour l'année 1982, 1 970 foyers sont signalés. Dans 932 foyers un aliment vecteur est identifié : il s'agit d'un produit carné ou de la mer dans 494 cas (25 % ). L'étiologie est connue pour 1 564 foyers (79 % ), les bactéries interviennent dans 1 486 foyers (75 % ).

1.4. CAS DE LA FRANCE

Les synthèses publiées en 1988 [6] et 1989 [7] font état de 920 foyers (17 477 malades). Seuls les foyers déclarés aux services vétéri­naires et aux services sanitaires font l'objet d'informations détaillées. Les produits carnés et de la mer sont mis en cause 103 fois (21 % ) sur 494. Ces produits sont Je support de bactéries pathogènes 90 fois (18 %).

Par comparaison, rappelons le travail de PouMEYROL et RossET [ 14] pour la période 1970-1978. Les produits carnés (viandes, charcuteries, plats cuisinés) sont impliqués dans 126 foyers (43 %), avec une étiologie bactérienne dans 123 cas (42 % ) , sur un total de 291 foyers.

1 .5. ESSAI DE SYNTHÈSE

Les données concernant l'étiologie des TIA et le rôle relatif des produits camés dans cette étiologie, relevés dans les enquêtes déjà citées, sont regroupées dans le tableau 2. Outre le fait que certains éléments ne peuvent être appréciés, il apparaît une grande disparité entre les chiffres retenus. Les différences dans les modes d'alimentation ne peuvent à eHes seules expliquer les écarts notés qui font ressortir toute .la difficulté de la recherche épidémiologique dans ce domaine. La standardisation à l'échelon international des procédures d'enquête, d'exploitation des résultats, des méthodes d'analyse devrait permettre de limiter ces difficultés d'interprétation et par là-même d'assurer une meilleure ·connaissance de ce type de pathologie. Dans ce contexte, le rôle des produits carnés et des produits de la pêche comme aliments vecteurs de micro-organismes pathogènes demeure important, mais les

COMMUNICATIONS 61

1 ETIOLOGIE ETIOLOGIE 1 ALIIŒJft' ALDŒJft PRODUll'S CARDS 1

CONNUE BAC'l'ERllNNE COlfNU COIGIJ ASSOCIIS A 1 ANNEES 1

+

BACDRD 1 BAcrull ETIOLOGIS

� (") (") (") (") COJU«JS

BRYAR

1977 à 1984

? � 1586 670 ? � ?/1586 ëiOiit

�P.C

1 BEAl't 1

1983 à 1987 1 1

2397 34"� 44" 1 2l"H291 39% ...... , �2°" lœ..-2°" �""

TODD

1982 à 1983

� 23" 17" 81" ? ? ?

GERIGK-JOUVE

1982

� 79" 75" 47" 2A" 25" 13"

POœ!YROL

ROSSET 1970 à 1978

m. 64" 63" 77" 57" 43" 42"

D.G.S/S.V.H.A

1988 à 1989

494 75" 70." 72" 58" 20" 18"

Tableau 2

Comparaison des résultats présentés dans différentes synthèses relatives à l'étiologie des TIA

produits laitiers, les denrées à base d'œufs, les mélanges divers à base de légumes doivent de plus en plus être considérés comme étant suscep­tibles de présenter les mêmes risques pour le consommateur.

Il. LA REALITE DU PROBLEME

APPROCHE QUALITATIVE

Les études déjà citées permettent dans certains cas d'apprécier le nombre de victimes des accidents taxi-infectieux, de connaître les ali­ments en cause, l'étiologie précise et les types de restauration impliqués.

62 BULLETIN DE L'ACADÉMIE VÉTÉRINAIRE DE FRANCE

11.1. MORBIDITÉ ET MORTALITÉ

Le recueil des données est un problème [9] et la classification des étiologies bactériennes fait partie de ce problème : il est souvent difficile de séparer les conséquences des maladies d'origine alimentaire (Bru­cellose), des intoxications (Botulisme) et des toxi-infections vraies (Salmonellose).

Malgré ces réserves, deux exemples illustrent l'impact des TIA :

11.1.1. L'étude de BEAN et coll. fait état de 91 678 malades en 5 ans aux E-U. Une étiologie est confirmée pour 54 540 cas. Cette étio­logie est bactérienne pour 50 304 cas (55 % ). Sur un total de 137 décès, 132 sont dus aux bactéries.

11.1.2. En France, en 1989, 11 146 malades sont comptabilisés. Une étiologie bactérienne est confirmée pour 8 612 cas (77 % ) et pour les 23 décès constatés.

11.1.3. La relation « hôte-bactérie » doit ici être évoquée. Les signes les plus connus, associés aux TIA sont la diarrhée et les vomissements, mais symptômes et pronostics dépendent de la virulence de la bactérie et de l'état sanitaire de l'hôte. La maladie sera mortelle, aiguë, ou bénigne en fonction de cet état. Les sujets âgés atteints d'affections cardiaques ou hépatiques, ou immuno-déprimés sont des victimes préférentielles. Enfin, de plus en plus souvent, des séquelles graves et des affections chroniques sont signalées à la suite de TIA.

11 .2. LES PRODUITS CARNÉS EN CAUSE

Le rôle estimé de l'association « produit carné / bactérie », indiqué dans les tableaux 1 et 2 est variable. Il paraît dans l'ensemble modeste quant au nombre certain des foyers connus ; cette estimation doit tenir compte du nombre important de rapports d'enquêtes pour lesquels aucune étiologie et/ ou aucun aliment ne sont identifiés.

Les animaux sont souvent infectés par des bactéries pathogènes (Salmonella, Campylobacter, Clostridium perfringens ... ). De ce fait les viandes sont contaminées pendant les opérations d'abattage, de transfor­mation, de préparation. Aux contaminations intrinsèques s'ajoutent les contaminations par .Je matériel, les manipulateurs, les facteurs de l'envi­ronnement. Le tissu musculaire contenant tous les éléments nutritifs nécessaires, une croissance rapide des bactéries pathogènes est possible. Aussi de nombreuses variétés de produits carnés sont impliquées dans les TIA. Pour BRYAN, 969 foyers sur 1 586 ayant un aliment connu comme origine, sont dus à des produits camés. Sans pouvoir établir une liste exhaustive, citons : -les viandes de bœuf sous forme de rôtis, des viandes hachées; Ja viande de porc sous forme de jambons, crus ou

COMMUNICATIONS 63

cuits, de farces ; les viandes de volailles (poulet, dinde) ; les plats cui­sinés à base de viandes diverses, de poissons ; les abats, les farces, les sauces, les coquillages ...

Il .3. LES BACTÉRIES EN CAUSE

L'impact des bactéries associées aux produits carnés et majoritaî­rement impliquées dans les accidents toxi-infectieux est présenté dans le tableau 3. Le nombre de foyers dus à Salmonella est certes le plus important, mais la dissémination des différents pathovars n'est plus l'exclusivité des produits carnés. Clostridium perfringens manifeste sa spécificité « produits carnés » de manière nette quel que soit le pays. Au-delà des bactéries classiquement décrites, d'autres germes sont de plus en plus souvent cités : Campylobacter jejuni, E. coli, Y ersinia enterocolitica.

PAYS A.as

-.. foyers

s.u. T7 - 84

1586

s.u. 83 - 87

2937

C.E.E. 1982

1970 ..

FIWICE 1970 - 1978

291

1988

164

1989

330

SAUl>IŒLLA

137/

/220

60/

/342

228/

/1205

13/

/28

16/

/74

22/

/181

CLOSTRIDIUll STAPHYLO<X>CCUS 1 CLOSTRIDIUll BACILWS

1 per:fringena aureus 1 botulinua cereus

1 1 1

109/ 132/ 1 11/ 7/

/115 /175 1 /98 /35

1

11/ 20/ 22/ 2/

/24 /47 /74 /16

72/ 25/ 4/ 8/

/103 /75 /9 /36

68/ 21/ 21/

/72 /54 /29

2o1 8/ 15

/22 /17 ?

20/ 4/ 18 (1 ?)

/26 /28 ?

Tableau 3

Bactéries qui, associées aux produits camés, sont les principales causes d'accidents taxi-infectieux / nombre total de foyers dus à la même bactérie

64 BULLETIN DE L'ACADatIE VlITÉRINAIRE DE FRANCE

Il.4. 1LES TYPES DE RESTAURATION EN CAUSE

La relation tripartite « type de restauration - produit carné - TIA » est difficile à quantifier en raison de la diversité des modèles d'enquêtes. Globalement les résultats essentiels sont les suivants :

- au Canada, sur une période de 2 ans, 76 % des foyers de TIA sont imputables à la restauration collective (RC) et 19 % à la restaura­tion familiale (RF) ;

- aux EU, sur une période de 5 ans, 74 % des foyers sont impu­tables à la RC et 23 % à la RF. L'étiologie bactérienne intervient dans 24 % des foyers « RC » et dans 27 % des foyers « RF » ;

- en France, sur une période de 2 ans, 70 % des foyers sont imputables à la RC et 30 % , à la RF.

L'étiologie bactérienne intervient dans 65,5 % des foyers « RC »

et dans 87,6 % des foyers « RF ». L'association « produits carnés / Cl. perjringens » est signalée lors des TIA en R.C. mais jamais en RF.

Si les accidents sont dénombrés principalement en RC c'est parce qu'ils sont mieux perçus dans les structures collectives. Mais la propor­tion des accidents familiaux déclarés est en progression nette puisque entre 1970 et 1978, on notait 85 % des foyers en RC et 14 % des foyers en RF. La qualité des enquêtes semble, à ce titre, en amélioration.

11.5. LES PRATIQUES EN CAUSE

La condition suffisante pour qu'une TIA apparaisse n'est pas tou­jours la contamination des matières premières, viandes et produits carnés entre autres. Différents facteurs peuvent être recensés qui contribuent très largement à la multiplication des foyers. Le classement de ces « mauvaises pratiques » varie peu d'un pays et d'un type de restauration à l'autre.

On peut retenir pour les facteurs essentiels ,les résultats de l'étude de BRYAN effectuée sur une période de 22 ans (1961-1983) et 1 918 foyers de TIA [5]. Le cumul des différents facteurs est fréquent :

1. Réfrigération inadaptée (43,7 % de foyers).

2. Délai> à 12 h entre la préparation et la consommation (22,6 %).

3. Contamination par des porteurs manipulant les denrées suspectes (18,1 %).

4. Incorporation des produits crus contaminés à des aliments, sans cuisson complémentaire (15,8 %).

5. Cuisson inadaptée en cours de préparation ( 15 ,5 % ) .

6. Conservation à la chaleur inadaptée (13,3 % ).

7. Réchauffage insuffisant (10,6 %).

8. Origine douteuse des aliments (10 % ).

COMMUNICATIONS 65

De part leur nature, les produits camés, dès lors qu'ils sont conta­minés et soumis à un de ces traitements inadaptés, peuvent être à l'ori­gine d'accidents.

Un tel inventaire peut paraître surprenant pour des pays qui dis­posent de services sanitaires organisés. Il démontre que formation, information, analyse et maîtrise des risques conditionnent l'avenir des actions des vétérinaires hygiénistes.

III. L'AVENIR DES PROBLEMES

OU LES PROBLEMES UE L'AVENIR

La qualité des investigations épidémiologiques menées en cas de TIA demeure un objectif permanent. De son amélioration, déjà per­ceptible, dépend la meilleure connaissance théorique de ce problème majeur en hygiène des denrées alimentaires et dont l'avenir peut être envisagé du point de vue bactériologique et technologique, en soulignant le rôle que doivent jouer les vétérinaires dans l'évolution des procédures de contrôle et de maîtrise du risque.

111.1. L'AVENIR BACTÉRIOLOGIQUE

Aucune des bactéries habituellement mises en cause dans les TIA ne peut faire l'objet d'un quelconque désintéressement. Le cas de Salmonella enteritidis, typique du problème des Salmonelloses et décrit dans cette même revue, en est l'illustration. Toutefois ce sont quelques bactéries « nouvelles » parmi les bactéries qui sont de plus en plus fréquemment citées qui retiendront notre attention, dans la mesure où les animaux et iles produits camés peuvent être associés à leur dissémina­tion [15].

IIl.1.1. Campylobacter jejuni

Cette bactérie (Gram négatif, mobile, micro-aérophile) est une des causes essentielJes des gastro-entérites aux E-U, au même titre que Salmo­nella et Shigella. Elle est l'hôte du tube digestif d'une grande variété d'animaux sauvages ou domestiques, en particulier des volailles (poules, dindes, canards, pigeons, faisans ... ). Les contaminations des viandes se font à l'abattoir et il y a des reports de contaminations avec les mani­pulateurs et les matériels.

Cette bactérie est détruite par les traitements thermiques du type cuisson, mais elle se conserve très bien aux températures de réfrigération.

Le lait cru reste le vecteur de contamination le plus souvent incri­miné dans les cas de gastro-entérites à Campylobacter jejuni.

66 BULLETIN DE L'ACADÉMIE VÉTÉRINAIRE DE FRANCE

IIl.1.2. Escherichia coli

Le groupe des E. coli entéropathogènes est actuellement divisé en sous-groupes : E. coli entérotoxinogènes, entéroinvasifs, entéropathogènes et de connaissance plus récente, le sous-groupe des E. coli entéro­hémorragiques (en fait essentiellement le sérotype 0157 : H7). Ce séro­type provoque des entérites hémorragiques, compliquées ou non par un syndrome hémolytique et urémique. Possédant des caractères biochimi­ques particuliers, il sécrète une cytotoxine (ou vérotoxine) qui permet son identification.

Connue d'abord au Canada au travers de quelques foyers toxi­infectieux, cette bactérie à l'origine d'une nouvelle zoonose (?) [ 18] est associée à la consommation des viandes hachées de bœuf mal cuites. Le portage par les bovins et les volailles a été démontré, de même que les contaminations des viandes de bœuf, de porc, de mouton et de volaille. Les reports de contaminations à partir de produits crus sont à craindre, de même que la résistance de la bactérie aux températures de réfrigération.

111 .1.3. Listeria monocytogenes

Essentiellement souci des vétérinaires jusqu'aux années 1980, la large dispersion de cette bactérie pathogène dans l'environnement, le portage par de nombreuses espèces animales, sa résistance dans le milieu extérieur et face à divers traitements de stabilisation des aliments (pasteurisation, réfrigération ... ) en font un problème microf>iologique international et médiatique. Les viandes de bovin, de cheval, Jes produits de charcuterie crus ou cuits sont contaminés dans des proportions varia­bles.

Si divers produits laitiers et des préparations à base de légumes contaminés ont été à l'origine d'épidémies célèbres (EU, Suisse ... ) le même phénomène n'a pas encore été signalé à partir de produits carnés.

II 1 .1.4. Y ersinia enterocolitica

Certains sérotypes de cette entérobactérie manifestent un pouvoir pathogène pour l'homme (entérites et pseudo-appendicites). Présent dans l'environnement, avec d'autres bactéries du même genre, Y ersinia enterocolitica est retrouvée dans les selles des animaux domestiques et de l'homme. Sa caractéristique est de cultiver aux températures de réfrigération ce qui constitue un facteur d'enrichissement pour les séro­types éventuellement pathogènes pour l'homme {0: 3, 0 : 8, 0 : 9 . .. ). La contamination des viandes et langues de porcs est la mieux établie. Les déchets de porcherie sont aussi une source de dissémination. La descrip­tion de TIA associées à des produits carnés est rare.

COMMUNICATIONS 61

111 .1.5. Autres problèmes

• Borre lia burgdorf eri. Cette bactérie responsable de la maladie de Lyme peut être transmise aux ruminants par les tiques. Le réservoir naturel est varié : oiseaux, rongeurs, écureuils, cervidés, renards, ours ... ) [ 17] . La transmission par voie orale et la persistance de l'agent patho­gène dans divers tissus ont été démontrées. Si la présence, supposée, de la bactérie dans le tissu musculaire est vérifiée, sa résistance aux trai­tements thermiques pourrait être à l'origine des problèmes sanitaires à

découvrir [12].

• Encéphalite spongiforme bovine. Cette maladie dégénérative du système nerveux central est depuis .le 12 juin 1990 une maladie réputée contagieuse pour l'espèce bovine en France. Son étiologie précise est encore inconnue [3]. La transmission expérimentale aux porcins, ovins, caprins a été réalisée. Elan, antilope et chat sont des espèces reconnues infectées.

La résistance aux traitements thermiques de l' « agent infectieux »

semble être la cause de sa dissémination par l'intermédiaire des farines de viande. Pour les experts de la CEE : « un risque potentiel pour la santé humaine doit être pris en considération aussi minime que puisse être ce risque » [8] .

111 .2. L 'AVENIR TECHNOLOGIQUE

Certaines modalités techniques liées à l'utilisation des produits carnés sont un souci actuel et futur pour les hygiénistes.

III2.1. La réfrigération

La réfrigération des denrées périssables, notamment des denrées animalçs ou d'origine animale, est souvent présentée comme un moyen suffisant pour inhiber la croissance des bactéries pathogènes. Ce dogme a été discuté au cours de la dernière décennie [13]. De nombreuses bactéries pathogènes associées aux produits camés (Clostridium botu­linum E, Yersinia enterocolitica, E. coli, Listeria monocytogenes ... ) sont capables de croître à 5° C. Le mécanisme de cette adaptation n'est pas connu.

D'autres bactéries sur"Vivent longtemps à cette même température (Campylobacter jejuni, Brucella). Enfin certaines se . multiplient à des températures comprises entre 5° C et 12° C (Bacillus cereus, Staphylo­coccus aureus, Salmonella, Vibrio parahaemolyticus). De ce fait, la réfrigération ne peut être considérée comme un moyen fiable pour assurer la sécurité des produits camés périssables que si la chaîne du froid est réellement continue et si les températures imposées, réglemen­taires et efficaces sont respectées.

68 BULLETIN DE L' ACADOOE VÉT�RINAIRE DE FRANCE

111.2.2. Les techniques de conditionnement

Une nouvelle génération de produits réfrigérés, à base de denrées animales, conditionnées avant ou après cuisson en emballages herméti­ques, sous vide ou sous atmosphère modifiée est maintenant distribuée en RC et en RF. Quelle que soit la combinaison des techniques utilisées, un environnement favorable à la survie et la croissance des bactéries pathogènes pendant l'entreposage est créé.

L'inhibition et la destruction des flores de compétition peuvent favoriser l'émergence des bactéries résistantes, sporulées, anaérobies, en l'absence des habituels signes d'altération. Clostridium botulinum non protolytique peut, dans ces conditions, produire des taux importants de toxine [1].

L'innocuité de ce vaste ensemble de produits réfrigérés repose donc sur la destruction des bactéries pathogènes non sporulées grâce à des traitements thermiques adaptés et sur la conservation au froid à des températures inférieures à +4° C. La qualité et l'intégrité des pellicules de conditionnement sont des facteurs essentiels du maintien de la qualité sanitaire jusqu'à la date limite de consommation.

Les règlements et les codes définissant les bonnes pratiques de fabri­cation, applicables à ces produits afin que soit assurée la sécurité alimen­taire ont été élaborés, ou sont en cours d'élaboration, tant au niveau national qu'international.

II 1.3. LA MAÎTRISE DU RISQUE

En matière de conception du contrôle sanitaire des produits camés et donc de prévention des TIA, l'évolution de la terminologie conduit inexorablement à l'emploi des sigles venus d'ailleurs, difficilement tra­duisibles de manière littérale. Citons :

- « OSA concept » pour « qualité, sécurité, acceptabilité » ;

- «LISA» pour« assurance sécurité longitudinalement intégrée» ;

- « GMP » pour « bonnes pratiques de fabrication » ;

- « HACCP » pour « analyse des risques - maîtrise des points critiques ».

Sur le fond, les notions de sécurité et de maîtrise du risque, au niveau de chaque maillon de la chaîne alimentaire, s'imposent. Pour les viandes et les produits camés les points sensibles de la chaîne sont la ferme, !,abattoir, les ateliers de transformation, la logistique « trans­port - distribution ... ».

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CONCLUSION

• Les enquêtes statistiques relatives aux TIA sont encore publiées en nombre relativement restreint. Bien que perfectibles dans leur contex­ture, elles permettent d'évaluer certaines composantes du risque lié à la consommation des denrées alimentaires contaminées par des micro­organismes pathogènes. Les produits carnés associés à certaines bactéries conservent un rôle prééminent dans l'étiologie connue de ces accidents parfois mortels.

• Les évolutions constatées au niveau des habitudes alimentaires, des sources de matières premières, des techniques de préparation et de stabilisation des denrées périssables, des échanges internationaux font craindre un accroissement du nombre de ces phénomènes pathologiques corrélatif d'une exposition plus généralisée des populations.

Les « nouveaux produits » et les « nouvelles bactéries » ne seront pas absents de ce constat. L'actualité montre que, dans les deux cas, les viandes et les produits camés sont déjà en « position d'attente »

très favorable.

• La nécessité pour les vétérinaires d'assurer la salubrité, donc laqualité microbiologique des denrées animales ou d'origine animale malgré l'expansion du marché, la diversification des structures, des produits et des règlements, constitue le « challenge » des années à venir.

Une nouvelle stratégie s'impose, en complément des programmes d'inspection actuels, basée sur la maîtrise sanitaire au niveau des points critiques de l'ensemble « production - transformation - distribution » ... « Par leur formation et leur vocation les vétérinaires ont la capacité de prendre en charge tous les aspects de l'hygiène alimentaire et de concou­rir ainsi de façon prépondérante à la maîtrise de la qualité totale dans les industries agro-alimentaires » [ 11] .

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70 BULLETIN DE L'ACADÉMIE VÉTÉRINAIRE DE FRANCE

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