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Les vrais responsales Quand j’ai décidé de m’orienter vers la FMT, je n’avais pas , contrairement à beaucoup d’ex-bacheliers , d’idée préétablie sur ce que serait la vie estudiantine au sein de la faculté . De plus, je n’étais jamais entrée dans un hôpital . A vrai dire je n’avais même pas cherché à savoir tellement j’étais convaincue de ce que je voulais faire. Je savais très bien que même si on m’avait dit que c’était la pire erreur que je puisse faire dans ma vie, je n’aurais écouté personne. Déjà, je ne rêvais même pas de pouvoir accéder aux études médicales ! Avant même d'entrer à la faculté , les gens autour de nous , notre entourage spécialement, n’arrête pas de nous prévenir : les études sont longues surtout pour une fille (la phrase stupide qu’on arrête pas de répéter même au 21ème siècle ), il faut avoir du souffle ( comme s’il ne fallait pas en avoir pour mener une vie facile , sans difficultés d’une platitude et d’un ennui mortels ), il faudra faire beaucoup de sacrifices ( qu’a-t-on à sacrifier dans un pays qui n’offre pas beaucoup d’alternatives ni de divertissements à proprement dit à part les salons de thé et les discothèques ? )et surtout en ce qui concerne les hôpitaux : les amateurs de films d’horreur en tout genre seront servis ! ( Ceci est malheureusement plus que vrai ). Je ne crois pas que n’importe qui d’entre nous ait été découragé par ces propos , tout le monde quelque soit ses vrais motivations et ambitions (matérielles , idéologiques ou sociales ) était plus que fier de pouvoir entrer à la fameuse FMT. Cependant , la désillusion nous accueille à bras ouverts , à croire qu’on s’acharne dans ce pays à nous enlever toute possibilité de rêver .Le premier cycle, pour beaucoup , est infernal . On nous enseigne la médecine comme on engraisse les oies pour produire du foie gras. Pour ma part , je ne pouvais trouver meilleur métaphore.

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Les vrais responsales Quand j’ai décidé de m’orienter vers la FMT, je n’avais pas , contrairement à beaucoup d’ex-bacheliers , d’idée préétablie sur ce que serait la vie estudiantine au sein de la faculté . De plus, je n’étais jamais entrée dans un hôpital . A vrai dire je n’avais même pas cherché à savoir tellement j’étais convaincue de ce que je voulais faire. Je savais très bien que même si on m’avait dit que c’était la pire erreur que je puisse faire dans ma vie, je n’aurais écouté personne. Déjà, je ne rêvais même pas de pouvoir accéder aux études médicales ! Avant même d'entrer à la faculté , les gens autour de nous , notre entourage spécialement, n’arrête pas de nous prévenir : les études sont longues surtout pour une fille (la phrase stupide qu’on arrête pas de répéter même au 21ème siècle ), il faut avoir du souffle ( comme s’il ne fallait pas en avoir pour mener une vie facile , sans difficultés d’une platitude et d’un ennui mortels ), il faudra faire beaucoup de sacrifices ( qu’a-t-on à sacrifier dans un pays qui n’offre pas beaucoup d’alternatives ni de divertissements à proprement dit à part les salons de thé et les discothèques ? )et surtout en ce qui concerne les hôpitaux : les amateurs de films d’horreur en tout genre seront servis ! ( Ceci est malheureusement plus que vrai ). Je ne crois pas que n’importe qui d’entre nous ait été découragé par ces propos , tout le monde quelque soit ses vrais motivations et ambitions (matérielles , idéologiques ou sociales ) était plus que fier de pouvoir entrer à la fameuse FMT. Cependant , la désillusion nous accueille à bras ouverts , à croire qu’on s’acharne dans ce pays à nous enlever toute possibilité de rêver .Le premier cycle, pour beaucoup , est infernal . On nous enseigne la médecine comme on engraisse les oies pour produire du foie gras. Pour ma part , je ne pouvais trouver meilleur métaphore.

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La passion ! l’enthousiasme ! la curiosité ! Autant de termes étrangers à certains (sinon beaucoup ) de nos professeurs . Les étudiants doivent lire sans comprendre, connaître sans savoir, apprendre sans questionner, apprendre pour débiter et finir par tout oublier. Quand enfin, on entre dans un hôpital, c’est encore pire . Mais paradoxalement et en ce qui me concerne, autant j’ai été déçue, presque blessée dans mon amour propre de voir nos hôpitaux aussi mal entretenus et par conséquent notre médecine dénigrée et sur le plan théorique et sur le plan pratique, autant j’ai été réconfortée dans l’idée que finalement je ne m’étais pas trompée de chemin et ceci je le dois en grande partie aux malades dont j’ai fait la connaissance. Il est vrai que ne me suis pas vite adaptée à la vie dans la faculté de médecine, j’ai été très vite déçue, j’ai aussi redoublé et connu les échecs, des échecs dont j’assume l’entière responsabilité. En effet je n’en veux ni au système défectueux, ni à l’ambiance de la faculté ,ni à l’encadrement qui laisse à désirer ni à quoique ce soit d’autre. Parce que je suis intimement convaincue que nous sommes les seuls garants de notre réussite. A un moment donné on doit mûrir et comprendre que quelque soit le pays dans lequel on étudie que ce soit en France , en Somalie ou au zimbabwe , quelques soient les conditions ,il y aura toujours des difficultés à surmonter et des opportunités à ne pas laisser échapper. Chacun a une flamme intérieure qu’il doit jalousement préserver quoi que peuvent en dire les envieux et les médiocres qui sont nombreux. Il faut apprécier les difficultés d’autant plus qu’une vie facile et banale ne vaut absolument pas la peine d’être vécue. Comme l’avait si bien dit Woody Allen «La seule façon d’être heureux , c’est d’aimer souffrir »

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les vrais responsables 2 Je n’ai pu réussir à aimer la médecine , à comprendre ce qui m’y a instinctivement guidée qu’au contact des malades. Au malade, je dois beaucoup pour ne pas dire TOUT. Oui le Malade qui crie, qui hurle des injures, qui violente des médecins, qui dénigre le médecin et son ‘noble travail’. Le malade est un fantôme dans notre faculté. On ne parle pas de lui. On parle d’un cœur malade, d’un système immunitaire défectueux, d’un cerveau métastasé mais on ne parle pas de l’être humain. De même dans nos hôpitaux, on ne traite pas des malades mais des cas . C’est après ce genre de réflexions que j’ai compris pourquoi je voyais dans nos hôpitaux la même lenteur et la même flemme qu’on voit dans les administrations tunisiennes. Si je dis qu’on ne traite pas toujours les malades comme des êtres humains, je ne relate qu’un fait observé. Certains pourront dire, et d’ailleurs c’est ce que beaucoup d’étudiants me répondent, que je suis trop inexpérimentée, que je n’ai jamais été à la place d’un médecin submergé par le travail et stressé , enfin que je suis trop romantique et idéaliste. D’après la logique de mes amis, l’accumulation des tâches, les conditions de travail pénibles et le stress continu que le médecin doit gérer sont des excuses valables pour justifier qu’il crie sur le malade qu’il le renvoie, qu’il le ‘remette à sa place ‘ . Bref , le pauvre médecin a droit lui ,contrairement aux patients, a beaucoup d’indulgence .On peut avoir une idée précise sur ce que seront nos futurs praticiens. D’abord, je crois qu’aucun interne ou résident n’oserait jamais lever la voix sur un patient si on était dans un pays des droits de l’Homme. Ensuite, je ne comprends pas pourquoi les médecins cherchent la gratitude des patients, veulent que ces derniers reconnaissent les

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sacrifices qu’ils font. A ceux-là je voudrais poser une question : vous a-t-on mis la corde au cou lorsque vous aviez choisi de vous orienter vers la médecine ? Ne saviez-vous pas auparavant que c’est un métier qui demandait patience et rigueur ? la satisfaction personnelle d’œuvrer dans le but de changer sinon d’améliorer la vie des gens est la meilleure récompense et la vrai rémunération de notre travail . Nous n’avons que faire des louanges et des prestiges… Le courage et la foi que j’ai vu chez certains malades, les plus démunis d’entre eux, m’a fait comprendre à quel point j’étais petite à quel point mes problèmes personnels étaient stupides et vains. L’année dernière ,j’ai accompli un stage aux urgences de la Rabta, j’ai été indignée par la manière avec laquelle on traitait les patients. Je ne comprenais pas, je n’arrive toujours pas à comprendre .Un médecin sur cent traitait les malades comme il se devait et répondait convenablement à leurs questions, je ne parle même pas des infirmiers. J’ai vu des résidents crier sur les proches de leur patients sans aucune raison apparente alors que ces derniers étaient perdus ou voulait avoir un renseignement. J’ai vu des résidents quitter leur poste de garde, des internes mettre des heures à papoter et boire leur café alors que certains agonisaient. Mon stage aux urgence de la Rabta a été un vrai cauchemar. Mais le pire dans tout ceci, c’est que j’ai vu certains externes traiter les malades exactement de la même manière que les infirmiers et adopter la même attitude de mépris et de dédain. C’est alors que j’ai compris que ce n’était qu’une question de mentalité. Quand on voit la nonchalance de certains médecins, leur négligence, les mauvaises manières, ajoutez à ceci les conditions déplorables et l’attente interminable ,comment voulez-vous que

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les blessés ,les traumatisés et leur famille ne perdent pas patience ? La plupart d’entre nous n’ont jamais été dans ces situations ou nous serions vulnérables plus qu’autre chose. Nous n’essayons jamais de nous mettre à la place des victimes qui deviennent au contraire des bourreaux. Ce que j’ai compris durant mon stage c’est que certaines personnes défavorisées , humiliées déjà par les conditions sociales dans lesquelles elles vivent, n’ont d’autre moyen de défense et d’expression que la violence, quoi que je n’excuse pas ce comportement. Des fois il suffisait juste de baisser la voix, de montrer qu’on était désolé, de parler, d’expliquer ,de réconforter ces gens pour les calmer et voir à quel point ils étaient désespérés et désemparés, à quel point ils auraient fait n’importe quoi pour offrir de meilleurs conditions de soin à leur proches malades et souffrants. Ce qui me surprend toujours c’est qu’on se plaigne de la violence faite aux médecins mais qu’on ne critique pas le comportement de ces derniers qui sont irréprochables et toujours victimes d’un mauvais système ,d’un manque apparent de moyens et de sécurité, ce qui n’est pas faux. Avons-nous essayé de nous auto-critiquer, jugeant de notre piédestal les malades qui sont pauvres, ignorants, non civilisés, etc … ? Avant même de demander qu’il y ait plus de sécurité dans nos hôpitaux, nous devrions d’abord corriger notre comportement et surtout notre mentalité car enfin nous ne rendons pas un service aux malades mais nous faisons notre devoir et nous ne devons rien attendre en retour.