40
LETTRE DE PENTHES Bulletin de la Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde Responsable : Anselm Zurfluh, directeur N° 013 – PRINTEMPS 2009 Institut des Suisses dans le Monde 18, chemin de l’Impératrice 1292 Pregny-Genève Suisse téléphone : 022 734 90 21 télécopie : 022 734 47 40 courriel : [email protected] www.penthes.ch Musée des Suisses dans le Monde mardi à dimanche de 10h à 12h et de 13h à 17h fermé le lundi Restaurant Le Cent-Suisses ouvert tous les jours entre 10h30 et 17h fermé le soir sauf sur réservation de 15 personnes minimum 022 734 48 65 – [email protected] Conscients des problèmes d’environnement et de la préservation de la nature, les éditeurs ont décidé d’utiliser du papier bio blanchi 100% sans chlore. 3

LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

LETTRE DE PENTHES

Bulletin de la Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde Responsable : Anselm Zurfluh, directeur

N° 013 – PRINTEMPS 2009

Institut des Suisses dans le Monde 18, chemin de l’Impératrice 1292 Pregny-Genève Suisse téléphone : 022 734 90 21 télécopie : 022 734 47 40 courriel : [email protected] www.penthes.ch

Musée des Suisses dans le Monde mardi à dimanche de 10h à 12h et de 13h à 17h fermé le lundi

Restaurant Le Cent-Suisses ouvert tous les jours entre 10h30 et 17h fermé le soir sauf sur réservation de 15 personnes minimum 022 734 48 65 – [email protected] Conscients des problèmes d’environnement et de la préservation de la nature, les éditeurs ont décidé d’utiliser du papier bio blanchi 100% sans chlore.

3

Page 2: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

ÉDITORIAL Chère lectrices, chers lecteurs,

Notre monde – les médias ne cessent de nous le rappeler – traverse une crise, plus grave que celles du passé, une crise affectant cruellement un grand nombre de personnes, y compris dans notre entourage le plus proche, une crise aussi dont on n’a pas encore mesuré toutes les répercussions économiques, sociales et politiques – et sans doute aussi culturelles dans un sens très large. Et pourtant, la vie continue ; les mécanismes d’ajustement, y compris dans les mentalités et dans les comportements, sont à l’œuvre avant même que l’issue de toutes les turbulences ne soit perceptible. Il faut envisager l’avenir, même si ce n’est pas exactement celui que, dans notre paresse, nous avions anticipé. Dans le domaine culturel, il sera plus particulièrement intéressant d’observer l’impact de ces mutations sur les thèmes, les modes d’expression, les conditions de la création, sur l’accueil des œuvres et sur notre vision du monde.

Celui qui s’intéresse aux « Suisses dans le monde » est toujours impressionné par l’importance que prend Paris dans cette envie des Suisses d’être « dans le monde », d’en faire partie. Dans ses « Chroniques », Fernand Auberjonois écrit : « Ce jour-là, Paris nous a tutoyés et nous avons tutoyé Paris ». En reprenant le titre d’un magnifique livre préparé par Daniel Jeannet pour le Centre Culturel Suisse de Paris en 1995 (ELA La Différence), le « Paris des Suisses » a été et reste un pari pour nous tous, mais surtout pour les meilleurs de nos artistes et écrivains. Dans ce numéro de la Lettre de Penthes, nous avons réuni quelques articles qui ont un lien avec Paris, sans, bien évidemment, en couvrir tous les aspects.

Le 12 mars dernier, le Conseil des Etats a approuvé, quasiment à l’unanimité, la réhabilitation des quelque 800 Suisses qui, dès 1936, ont participé comme volontaires à la Guerre civile en Espagne, dont la très grande majorité aux côtés des forces gouvernementales républicaines. Ceux qui sont rentrés ont été condamnés par les tribunaux militaires suisses à des peines de prison pour service étranger illicite. Il aura donc fallu plus de septante ans pour reconnaître que la plupart de ces jeunes Suisses ont été motivés par la volonté de se battre contre le fascisme et pour la liberté et la démocratie, même si leurs convictions, com-munistes pour la majorité d’entre eux, pouvaient, à l’époque des crimes staliniens, laisser apparaître une part de naïveté. On a donc, pour ces Suisses dans le monde, voulu « corriger l’Histoire ». C’est intéressant, émouvant même ; mais la méthode ne nous fournit pas nécessairement une réponse à toutes les ambiguïtés que le passé nous a léguées.

4

Page 3: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

Quand, un soir de la fin janvier, Paul-André Ramseyer présidait pour la der-nière fois une soirée des Amis de Penthes – il s’agissait d’une causerie de l’historien fribourgeois Georges Andrey sur son livre/bestseller « L’Histoire de la Suisse pour les Nuls » –, nous avons tous ressenti un petit pincement au cœur : il nous avait tant apporté depuis le moment où, en 2002, l’idée de la création d’une seconde association auxiliaire a été évoquée pour la première fois dans une conversation entre Jean-René Bory et le soussigné – c’était à Paris ! Le mérite du premier prési-dent a surtout été d’offrir un style nouveau et original aux activités qui entourent notre Fondation à Penthes, mais aussi de nouveaux thèmes, de nouveaux amis, de nouveaux moyens (ne nous gênons pas de le dire, car les associations auxiliaires, c’est aussi fait pour cela !). Un grand merci donc à Paul-André Ramseyer et un franc souhait de bienvenue à Daniel Bernard, son successeur, qui se présente lui-même dans ce numéro. Bénédict de Tscharner Président de la Fondation

Péniches sur la Seine

5

Page 4: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

Andres Lutz & Anders Guggisberg, « Il était une fois sur la terre », 2009

(photo Marc Domage)

6

Page 5: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE AU CŒUR DU MARAIS Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser Codirecteurs du Centre culturel suisse de Paris Le Centre culturel Suisse (CCS) de Paris a été créé en 1985. Il est situé à la rue des Francs-Bourgeois, au cœur du quartier du Marais où il occupe un ancien garage réhabilité et une partie d’un hôtel particulier, l’hôtel Poussepin. Il se compose de salles d’expositions, d’une salle de spectacle polyvalente, de bureaux et d’une bibliothèque. Le Centre culturel suisse fait partie de Pro Helvetia, la Fondation suisse pour la culture, qui a pour but de promouvoir la culture suisse à l’intérieur du pays et à l’étranger. Pro Helvetia est impliquée dans le fonctionnement d’instituts culturels à Rome et à New York et dispose d’offices de liaison à Varsovie, au Caire, au Cap et à New Dehli ; le CCS est le plus important centre culturel suisse à l’étranger. Nous avons été nommés par Pro Helvetia à la direction du Centre culturel suisse de Paris au printemps 2008 et avons pris nos fonctions le 1er octobre dernier. Nous envisageons le CCS comme un centre des arts contemporains ; nous voulons développer sa vocation pluridisciplinaire, en proposant une programmation dans les domaines des arts visuels, de la musique, du cinéma, du théâtre, de la danse, de la littérature ou encore de l’architecture. Comme ces champs d’investigation sont très vastes, nous tenons à nous concentrer sur la période contemporaine. Pour le CCS, nous développons une double mission. D’une part, nous observons attentivement la production artistique en Suisse, qui est extrêmement riche et diversifiée, et nous sélectionnons des artistes et des projets que nous considérons pertinents pour une présentation à Paris. D’autre part, nous inscrivons et renforçons la position du CCS dans les différents réseaux culturels de Paris, ce qui représente un beau défi dans une ville dont l’offre culturelle est l’une des plus riches au monde. Nous considérons le CCS comme une ruche artistique, c’est-à-dire non seulement comme un lieu de présentation d’œuvres existantes, mais également comme un lieu de création de nouvelles œuvres, un catalyseur de rencontres et de collaborations artistiques, une plateforme qui propose des projets inédits. Pour promouvoir et diffuser ces projets, nous mettons en place une nouvelle communication : un programme imprimé sous forme d’ensemble de cartes postales, une newsletter mensuelle, un nouveau site internet très documenté et enrichi de contributions sonores, écrites ou filmées de partenaires média tels que la Radio suisse romande/Espace 2, l’Hebdo ou la revue française Mouvement. Nous créons aussi Le Phare, un journal en couleur qui, grâce aux contributions de plusieurs collaborateurs externes, apportent des éclairages et des analyses sur les projets présentés au CCS ; il offre aussi une passerelle culturelle entre la Suisse et

7

Page 6: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

la France en commentant des projets d’artistes suisses en France et en proposant une sélection de livres, CD et DVD édités en Suisse. Ces outils de communication sont diffusés vers plus de 10'000 adresses postales et 10'000 adresses électroniques. Le CCS est visité chaque année par environ 35'000 personnes, provenant en majorité de Paris et du reste de la France, mais aussi de Suisse, bien sûr, et d’autres pays. Nous cherchons à proposer une image la plus ouverte possible de la culture en Suisse. Pour les expositions personnelles par exemple, nous présenterons des artistes suisses ou actifs en Suisse. Les expositions collectives et thématiques mêleront, quant à elles, des artistes de différents pays. Et nous travaillerons aussi avec d’autres interlocuteurs, comme par exemple Visions du Réel, le Festival international de cinéma de Nyon, que nous invitons pour deux périodes de quatre jours en mai et en juin 2009, et qui proposera un programme international. Nous aimons aussi rendre possibles des rencontres et des collaborations entre des artistes de plusieurs provenances, comme ce fut le cas en février entre les danseurs franco-suisses de la Compagnie 7273 et le guitariste californien Sir Richard Bishop, ou en mars entre le compositeur irlando-suisse Polar et des musiciens de la scène française invités à ses concerts, ou encore, comme c’est prévu pour septembre, entre la chorégraphe suisse Cindy Van Acker et le musicien finlandais Mika Vainio. Pour le moment, le CCS est entièrement financé par Pro Helvetia, à hauteur de deux millions de francs suisses. Nous souhaitons augmenter ce budget par des apports extérieurs, provenant d’entreprise privées. A cause de la crise économique, ces soutiens sont différés dans le temps. A nos yeux, il est sain de travailler à une diversification des sources financières complémentaires au budget alloué par Pro Helvetia. C’est aussi dans ce but que, sous l’impulsion de quelques personnes qui nous sont proches, nous avons créé une Association des amis du Centre culturel suisse. Dans notre nouveau rôle, nous cherchons à rencontrer de très nombreuses per-sonnalités : des professionnels de la culture, bien sûr, des journalistes, des par-tenaires potentiels, des hommes politiques et les représentants officiels de la Suisse en France. Nous planifions des rendez-vous avec les consuls généraux basés à Strasbourg, à Lyon et à Marseille, et nous sommes, bien sûr, en contact avec l’ambassadeur et son équipe à Paris. Nous travaillons d’ailleurs ensemble à l’organisation du dîner du prochain vernissage du CCS, qui aura lieu à l’ambassade, rue de Grenelle, et dans ses magnifiques jardins. www.ccsparis.com

8

Page 7: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

LES SUISSES ET LA FRANCOPHONIE Jean-Pierre Vettovaglia* Imaginez: d'un côté, une Suisse multilingue avec une minorité de francophones et une majorité de germanophones et de l'autre, une organisation internationale fondée sur la conscience « des liens que crée entre ses membres le partage de la langue française ». Un mariage allait-il pouvoir être organisé ? Combien de temps allait-il durer ? La méfiance a longtemps prévalu, très longtemps : il a fallu à la Suisse vingt-six ans pour prendre acte de la création de la Francophonie en 1970, assister frileusement à ses sommets en tant qu'observatrice depuis 1989, et adhérer enfin à l'organisation en tant que membre de plein droit en 1996. Mariage de raison alors? Dans son message aux Chambres de 1995, le Conseil fédéral a estimé que cette adhésion pouvait être considérée comme un « instrument efficace du rayonnement extérieur de la Suisse, notamment de Genève, seul siège francophone de l'ONU, ainsi qu'un véhicule de solidarité entre le Nord et le Sud ». Le fait est que, douze ans plus tard, cette organisation – nom complet : Organisation internationale de la Francophonie, OIF – reste toujours passablement méconnue, assez mésestimée et parfois vilipendée. Elle peine à asseoir sa réputation en Suisse où les a priori ont la vie dure. Elle est pour beaucoup, y compris au sein de l'administration fédérale, une concession à l'une de nos minorités ou une vaniteuse ambition française de plus. Est-ce surprenant ? Le Conseil fédéral avait certes vu juste en 1995 ; mais certains n’en pensaient pas moins que cet engagement plus poussé ne se justifiait guère dans une analyse froide des priorités de politique étrangère et que cela allait « obliger » la Suisse à jouer un rôle plus actif au sein de la Francophonie. Avec un tel choix de vocabulaire, le mariage n'allait manifestement pas connaître de passion véritable ! ---------------- * ancien ambassadeur de Suisse et ancien représentant personnel du Président de la Confédération pour la Francophonie, Paris

9

Page 8: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

Tordons vite le cou à quatre idées fausses :

• La Francophonie n'est pas un avatar du colonialisme. Elle est née hors de France sur des fonts baptismaux tenus par trois grands Africains : Léopold Sédar Senghor, Hamani Diori et Habib Bourguiba, plus celui que l'on oublie souvent de citer : Norodom Sihanouk. • Elle n'est pas le bras armé de la politique étrangère française qui, de fait, ne lui accorde qu'un intérêt somme toute relatif. La France finance l'essentiel du mouvement, mais n'y joue qu'un rôle assez distant. • Elle n'est pas un cénacle de linguistes et de grammairiens veillant à la pureté de la langue de Voltaire. Parmi ses missions, il y a certes la promotion de la langue française (sa raison d'être), mais couplée à la défense de la diversité culturelle et linguistique. • Enfin, elle n'est pas un combat contre l'anglais, outil de travail indispen-sable aujourd'hui. Elle est un combat contre la marchandisation de la culture et l'uniformisation sous la poussée d'une mondialisation « tout Coca Cola ».

De quelle dot la mariée disposait-elle ?

• La défense de l'altérité. Trouve-t-on d'autres organisations internationales dont l'épine dorsale est la diversité culturelle et linguistique, qui se battent pour la préservation des identités et des valeurs de chacun, sans hiérarchie, en cherchant à promouvoir la connaissance de l'autre, puis le respect de l'autre ? N'est-ce pas là un combat d'avenir ? • La démocratisation des relations internationales. Au sein de la communauté internationale, le clivage est évident entre ceux qui se sont arrogé le droit de décider et ceux qui sont destinés à écouter et à suivre. La Francophonie ne propose pas de modèle et ne donne aucune leçon. Un peu tiers-mondialiste, il n'y a chez elle ni suffisance, ni intolérance, ni manichéisme. La France, le Canada et la Suisse se sont retrouvés parfois minoritaires face aux pays du Maghreb, de l'ancienne Indochine et de quelques micro-Etats. A l'image des efforts de toujours de son premier Secrétaire général, Boutros Boutros-Ghali, la Francophonie s'essaie à la démocratie à l'échelle des relations internationales où prédomine habituellement la loi du plus fort. • La promotion de la démocratie, de l'Etat de droit et des droits de l'homme. Depuis la fin des années 90, la Francophonie politique a pris son essor. Elle s'est fortement engagée en faveur de la paix et de la démocratie dans son espace. Elle considère que l'Etat de droit, les droits de l'homme, les libertés fondamentales, la primauté du droit et la bonne gouvernance sont essentiels à l'instauration d'une vie politique démocratique, à la consolidation de la paix et au développement durable. Elle a adopté des textes normatifs à cet égard et a accumulé une forte expérience en matière d'assistance électorale et de facilitation dans le règlement des conflits ou leur prévention.

De quelles bonnes raisons la Suisse dispose-t-elle pour renforcer son action ?

Après deux membres du G8, la France et le Canada, la Suisse est le troisième Etat contributeur de l'OIF. La valeur d'exemple de notre pays dans le domaine de la coexistence de divers groupes humains, de plusieurs langues et même de plusieurs

10

Page 9: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

religions est incontestable. La Suisse a donc une image positive à gérer et dispose ainsi d'une excellente tribune pour ce faire. Cela crée des attentes et on espère d’elle en conséquence un esprit d'initiative et une force de proposition dans ses domaines de prédilection, surtout en Afrique.

D'autre part, l'OIF se fait le chantre des mérites de la Genève internationale. Elle est un microcosme qui regroupe un tiers de l'Assemblée générale des Nations Unies. C'est un laboratoire d’idées, une plate-forme pour nos délégués et, pour nos conseillers fédéraux, l'occasion de rencontrer des chefs d'Etat et des ministres qui ne se trouvent pas forcément sur le parcours des responsables occidentaux tous les jours. C'est, enfin, un réservoir de votes de soutien lors d'importantes candidatures suisses à des postes ou des responsabilités onusiennes. Il y a là bien des défis à relever, des joies et des peines dans un couple vieux de treize ans en 2009.

Mais disons encore un mot de l’action des Suisses sur le terrain, au sein de l’organisation et de ses programmes – en laissant de côté les magistrats, les diplomates et les hauts fonctionnaires ayant porté haut le drapeau suisse ; leur travail a, certes, été souvent remarquable et parfois remarqué ; mais cela faisait partie de leur cahier des charges …

Mentionnons donc, à titre d’exemples, ces quelques personnalités : • l'actuel président du Conseil des Etats, Alain Berset, pour être venu à la Francophonie par le sport, à savoir comme athlète dans l'équipe représentant la Suisse aux Jeux de la Francophonie, • les Suisses membres de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, dont Bernard Comby, resté dans toutes les mémoires, mais aussi Simon Epinay, qui a vaillamment défendu la candidature du Valais aux Jeux de la Francophonie, • de nombreux professeurs parmi lesquels Andreas Auer (démocratie et élections), Etienne Grisel (droit constitutionnel) et Patrice Meyer-Bisch (droits culturels), sans oublier le très regretté Victor-Yves Ghebali, enlevé trop tôt à notre estime et affection (observation internationale des élections), • un homme de presse, fidèle parmi les fidèles, Jean-Marie Vodoz, pilier de l'Union de la presse francophone, seul Suisse avec Guy-Olivier Segond à avoir fait partie du Haut Conseil de la Francophonie créé par François Mitterrand, • les représentants des universités suisses au sein des instances de l'Agence uni-versitaire de la Francophonie, à savoir les recteurs André Hurst (GE) et Denis Miéville (NE), • enfin, le directeur de la TSR, Gilles Marchand, qui défend les intérêts de la Suisse auprès des instances de TV5, et Jean-Marie Etter de la Fondation Hirondelle avec ses radios locales dont l'importance ne saurait être sous-estimée. En évoquant ces quelques grands noms, il y a lieu de souligner également la valeur de la contribution des nombreux experts, enseignants, conseillers suisses, anonymes en quelque sorte, qui ont été ou sont toujours engagés dans une multitude de programmes et de projets et qui font, eux aussi et surtout, exister la Suisse dans la Francophonie.

11

Page 10: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

AU MUSÉE DE L’IMMIGRATION DE LA PORTE DORÉE A PARIS Anselm Zurfluh Les migrations sont une réalité qui accompagne l’humanité depuis toujours ; les thématiser, voire les problématiser, comme si ce phénomène était nouveau n’a donc pas de sens. Certaines institutions et musées se focalisent sur l’émigration ; c’est le cas, par exemple, de notre Musée des Suisses dans le Monde au Château de Penthes. D’autres se concentrent sur l’accueil d’immigrants à l’instar du Musée américain de l’immigration d’Ellis Island à New York ou, justement, la toute nouvelle Cité nationale de l’histoire de l’immigration de la Porte Dorée au XIIe rrondissement de Paris, à l’orée – d’où le nom ! – du Bois de Vincennes. a

Souvenir de l’Exposition coloniale de 1931, le palais art-déco de l’ancien Musée des arts africains et océaniens, dont les pièces les plus significatives figurent aujourd’hui au Musée du Quai Branly, accueille, depuis octobre 2007, ce tout nouveau musée de l’immigration en France depuis le XIXe siècle. Au printemps 2008, la maison a convié des représentants d’institutions « sœurs » à une visite de écouverte. d

Dès mon arrivée sur les lieux, j’ai été frappé par les similitudes entre les deux projets scientifiques et culturels que sont la Porte Dorée et Penthes, si l’on fait abstraction des différences de taille et – surtout – de moyens, bien évidemment. En effet, les deux musées reposent sur un parti pris : à Penthes, la collection est construite autour de l’idée selon laquelle l’émigration suisse ainsi que les réseaux qui en résultent font partie intégrante de notre histoire nationale au même titre que notre démocratie ou notre neutralité. Le musée de la Porte Dorée part du postulat ue « l’immigration est une chance pour la France ». q

Sur le plan des symboles, il s’agissait donc, pour les scénographes parisiens, de renverser la signification de ces lieux : tandis que l’ancien Musée des colonies se voulait un lieu de mémoire et de glorification de la mission civilisatrice de la France dans les pays d’outre-mer, la maison qui lui a succédé se présente comme « une institution culturelle qui illustre l’apport décisif des immigrés dans la construction et l’identité de la France », comme l’a dit Jacques Toubon, ancien ministre français de la culture. A une époque où la présence de nombreux hommes et femmes d’origine étrangère en France – on pense tout naturellement aux immigrés d’origine maghré-bine ou africaine – est parfois considéré comme un facteur de division, une charge, voire un danger, le gouvernement a tenu à souligner le rôle de cette présence hu-maine comme un facteur de « cohésion sociale et républicaine ». Cette démonstra-tion exige évidemment un certain recul historique : il faut parler des immigrés qui sont arrivés depuis deux siècles au moins et de toute provenance : mineurs polonais, ouvriers italiens ou espagnols, réfugiés arméniens, exilés russes, intellectuels du monde entier, etc. ; de Suisses, soit dit en passant, pas de traces,

12

Page 11: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

sauf dans les statistiques … Au Musée de Penthes, nous avons redéfini le parcours explicatif dans un esprit similaire, mais dans le sens inverse, en rééquilibrant le dis-cours plutôt helvéto-centrique par l’évocation d’un réseau de relations et de signifi-cations qui dépassent la Suisse, d’une rencontre avec le monde qui stimule et qui nrichit le pays. e

Il est également intéressant de noter que tout comme le Château de Penthes, la Porte Dorée s’appuie sur des destins individuels. Ces personnages emblématiques sont présentés dans une scénographie et un discours pédagogiques ; autrement dit, il s’agit de l’« explication significative » d’un tout. Les d’objets à exposer – indispensables –, le Musée de l’immigration les a récoltés auprès d’immigrés ou de descendants d’immigrés d’extraction essentiellement populaire, tandis que le Musée des Suisses dans le Monde, notamment à ses débuts, a été enrichi par des objets conservés par des familles patriciennes en Suisse et à l’étranger. Bien évidemment, le résultat de ces deux quêtes ne saurait être de la même nature. A Paris, nous nous trouvons face à des objets, souvent fort simples, de la vie quotidienne, d’outils de travail, de souvenirs du pays d’origine ; à Penthes, le style est plutôt celui des élites, notamment militaires. Mais malgré cette différence, la similitude de

démarche frappe. la Ce qui est à proprement parler incomparable, nous l’avons déjà évoqué, ce sont les moyens qui ont été mis à la disposition de cette nouvelle institution par les autorités publiques. Aussi, à Paris, les techniques multimédias sont omniprésentes et illustrent un discours pédagogique très structuré. Les objets sont présentés dans des endroits spécialement, parfois luxueusement, aménagés. Si Penthes pouvait disposer ne serait-ce que de quelques pourcents de cette manne ! Mais ne rêvons pas et acceptons humblement que la différence de taille entre ce qui se fait en France – qui reste déterminée à soigner sa vocation universaliste – et ce qui est possible en Suisse – pays de la mesure et de la proximité – a toujours été, disons, significative !

Le Musée de l’Immigration, Porte Dorée, Paris – www.histoire-immigration.fr

13

Page 12: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

SUISSE MAGAZINE

Entretien avec Phillipe Alliaume Lettre de Penthes : Pourquoi Suisse Magazine ? Phillipe Alliaume : Le citoyen suisse lit plus la presse que l’Occidental moyen. Lorsqu’il est à l’étranger, il lui est difficile de recevoir un quotidien ou un magazine par la poste. Internet ne lui apporte pas toujours le recul souhaitable. Depuis 55 ans, il existe un magazine francophone pour les Suisses de l’étranger, qui essaie de les informer avec un peu de recul et sans prendre parti. Suisse Magazine essaie aussi de les divertir et de les rapprocher de leurs racines culturelles. C’est à la fois un traitement curatif contre le « Heimweh » et un traitement préventif contre les fausses images de la Suisse. LdP : Comment vit Suisse Magazine ? Ph.A. : En 55 ans, Suisse Magazine a changé 5 ou 6 fois de titre, de formule, d’équipe, d’adresse, de structure, sans jamais baisser les bras. Suisse Magazine vit grâce à un réseau de bénévoles qui ne comptent ni leur énergie ni leur bonne humeur. Il est entièrement financé par des fonds privés, avec très peu de publicité et aucun soutien financier de la Confédération. Ses seules ressources sont les abonnements et les dons. Il bénéficie souvent d’un soutien moral et amical de l’Ambassade de Suisse à Paris. Son principal souhait : faire librement savoir à tous les Suisses et amis de la Suisse qu’il existe toujours, qu’ils peuvent le lire et s’y abonner. LdP : Quel est le message de Suisse Magazine ? Ph.A. : Nous souhaitons que les expatriés et binationaux de toutes générations puissent garder et cultiver leurs racines suisses et de les transmettre à leurs enfants. Tout ce qui concerne la Suisse a sa place dans Suisse Magazine : actualités, nouvelles des cantons, tourisme, histoire, traditions, livres, droit franco-suisse, économie, gastronomie, généalogie … Toute notre culture avec une touche suisse humoristique. « Y’en a point comme nous », dit-on sur les bords du Léman ; et nous pouvons être fiers de notre patrie, de son passé, de son présent, de ses réussites et de ses particularités. Qu’on se le dise. LdP : Philippe Alliaume, qui êtes-vous ? Ph.A. : Un passionné de la Suisse d’autant plus attaché à mon passeport à croix blanche que je l’ai reçu à ma naissance à Paris, perdu, puis retrouvé grâce à la loi de 1984. Ingénieur de formation, directeur informatique, banquier, consultant et animateur d’associations, je dirige Suisse Magazine bénévolement depuis une douzaine d’années, après en avoir organisé le sauvetage sous l’impulsion de Bénédict de Tscharner, alors ambassadeur de Suisse en France

14

Page 13: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

Pour vous abonner :

Suisse Magazine, 9, rue Sadi-Carnot, F - 92170 Vanves , Abonnement hors de France un an : 51 euros.

Renseignements sur www.suissemagazine.com ou au +33 1 41 08 13 92.

15

Page 14: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

UN JUBILÉ : HERBERT LÜTHY ET LA « BANQUE PROTESTANTE » Jean-François Bergier Il y a tout juste cinquante ans, en 1959, paraissait à Paris le premier volume d’un ouvrage monumental : « La Banque protestante en France, de la révocation de l’Edit de Nantes à la Révolution ». Le second volume allait suivre deux ans plus tard. Avec une érudition vertigineuse, il nous propose l’observation d’un réseau de relations financières et commerciales qui se construit à partir de la Révocation en 1685 et va animer tout le XVIIIe siècle entre des hommes d’affaires restés en France et ceux qui ont choisi l’exil à Genève, Londres ou Amsterdam. Ces banquiers dits « privés », puisqu’ils opèrent sous leur propre responsabilité, ont monté des opérations financières d’une complexité et d’une adresse inouïes, des spéculations raffinées sur les rentes dans le long terme que l’auteur qualifie avec humour de « finance rococo » et qui n’ont rien à envier aux acrobaties des banquiers d’aujourd’hui – à ceci près qu’elles ne conduisaient pas au désastre auquel nous assistons, mais servaient tout le monde. Du moins jusqu’à la Révolution ; car la seule chose que ces habiles spéculateurs n’ont pas escomptée, c’est la fin de l’Ancien Régime, la fin de la société dans laquelle et pour laquelle ils travaillaient, des banquiers protestants, imprégnés de foi calviniste. Pourtant, l’auteur réfute l’idée de Max Weber qui faisait du réformateur genevois l’inspirateur d’un esprit du capitalisme. L’auteur de cette œuvre ? l’historien suisse Herbet Lüthy (1918-2002). Ce Saint-Gallois cosmopolite, formé à Zurich (Hans Nabholz) et à Genève (Antony Babel), grand voyageur, capable d’écrire avec la même élégance stylistique en allemand, en français (la « Banque ») ou en anglais, aura été l’un des esprits les plus subtils et les plus brillants de notre pays, aussi à l’aise dans l’analyse du passé que dans l’observation de son temps. A Paris, où il séjourna de 1946 à 1958, il mena une double vie : aux archives le jour, tandis qu’il occupait ses nuits à rédiger des articles de presse et ses autres ouvrages, dont « La France à l’heure de son clocher » / « Frankreichs Uhren gehen anders », le plus connu et le plus controversé de tous. En 1958, Lüthy fut appelé pour enseigner l’histoire à l’Ecole polytechnique de Zurich, et plus tard à l’Université de Bâle. La « Banque protestante » parut dans une collection dirigée par le grand historien Fernand Braudel, le rénovateur de notre discipline. L’ouvrage suscita d’emblée le respect pour sa richesse d’information et de perspectives ; mais la nouveauté de ses approches mêlant histoire économique, politique, sociale ou généalogique déconcerta quelque peu la corporation. C’est avec le temps qu’il s’est imposé

16

Page 15: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

comme référence incontournable à qui travaille sur l’histoire bancaire ou sur l’Ancien Régime. Il vient d’être réédité dans sa version originale française, avec les tomes VI et VII des « Œuvres complètes » d’Herbert Lüthy (Verlag Neue Zürcher Zeitung, Zurich, 2005)*. Tracer ces quelques lignes est pour moi l’occasion de rendre hommage à ce livre qui m’a inspiré, et à son auteur, qui fut un ami proche. Nous nous étions souvent croisés dans les archives. Ma propre thèse sur « Genève et l’économie de la Renaissance « (1963), dirigée par Braudel, parut peu après la « Banque », sous la même couverture jaune de la même collection ; cela crée des liens. Et c’est Lüthy qui me convainquit, en 1969, de le rejoindre au Poly pour succéder à Jean-Rodolphe de Salis. Son savoir, son intelligence, sa générosité et son humour m’ont marqué, moi et toute une génération. * Il est possible de consulter ces deux volumes à la bibliothèque de l’Institut des Suisses dans le Monde au Château de Penthes.

17

Page 16: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

CARLÈGLE – CHARLES ÉMILE EGLI Bénédict de Tscharner Avant que la photographie n’en soit venue à complètement dominer les imprimés, Paris et la vie parisienne étaient pour beaucoup incarnés par la griffe d’illustrateurs ou de graphistes de grand talent, que l’on retrouvait partout, sur les affiches, dans les revues illustrées et autres journaux satiriques : Félix Vallotton, Théophile Alexandre Steinlen, Eugène Grasset, plus tard Eric de Coulon – tous d’origine suisse ! – ou encore Caran d’Ache (Eugène Poiré, né à Moscou, d’où son pseudo-nyme qui signifie crayon en russe, mais de nationalité française, malgré le fait qu’une entreprise de crayons genevoise ait adopté cette marque). Il faut y ajouter le nom de Carlègle, de son vrai nom Charles Émile Egli, ce qui indique bien que, lui aussi, est d’origine suisse ; il est, en effet, né à Aigle en 1877 et mort à Paris en 1937. Comme le montre l’exemple de Vallotton, être illustrateur aux grands tirages n’empêchait nullement une belle carrière de peintre. Je ne connaissais pas le nom de Carlègle quand j’ai vu, en automne dernier, une publicité de la Librairie « L’Exemplaire » au 12, rue du Perron à Genève, où Mme Catherine Tabatabay-Schmitt exposait une très belle collection de livres illustrés et de dessins et croquis de cet artiste.

Elève d’Alfred Martin à l’Ecole des arts industriels de Genève, Carlègle réside à Paris dès 1913. C’est un dessinateur aux multiples talents. On lui doit des lettres typo-graphiques, le « Dorique », des vignettes et ornements pour la fonderie Peignot, des ex-libris, des cartes postales, des publicités, des livres d’enfants, des

18

Page 17: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

caricatures et, surtout, des illustrations en très grand nombre, souvent élégamment érotiques. C’est l’époque où l’édition soigneusement imprimée et illustrée d’œuvres littéraires, des contes et légendes, de la poésie aussi, est un « must » dans les bibliothèques ou sur les tables de salon de la bonne société bourgeoise. Et Carlègle a ce coup de griffe rapide, fait d’élégance et un peu aussi d’impertinence que les Parisiens adorent tant.

19

Page 18: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

Leela Manjunath, commissioner, coupant le ruban ; derrière, de gauche à droite : Ravindra Gundu Rao, architecte ; Jean-Léonard de Meuron ; Dr. Nagaraja Rao, ancien directeur général de l’Archaelogical Survey of India; Arthur Mattli, ministre (Ambassade de Suisse) ; Nagaraj, gardien du cimetière. Crédit photo : Sridhar V.G.

20

Page 19: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

VOYAGES À SERINGAPATAM

Jean-Léonard de Meuron Agé de treize ans, mon père, Louis Dominique de Meuron (1936-2007), peignit sur une assiette de terre cuite sa devise « Qui ne risque rien n’a rien » et un voilier s’élançant sur les flots. S’ensuivirent à travers le monde, avec ma mère Monique (1939-2007), les étapes professionnelles que Bénédict de Tscharner a décrites dans la Lettre de Penthes de l’automne 2008 (no 12) et une suite de projets qui ermirent à mes parents de s’immerger dans la vie quotidienne de plusieurs pays. p

Leur dernier défi fut en Inde : restaurer le cimetière de la Garnison à Seringapatam, près de Mysore, dans l’Etat du Karnataka. Cette aventure naquit de leur intérêt pour deux fortes personnalités : le général comte Charles-Daniel de Meuron (1738-1806) et Tipu Sultan, dit « le tigre du Mysore » (1750-1799). Ils s’attachèrent tant à cette région qu’ils envisageaient d’y séjourner plusieurs mois ar an. p

Charles-Daniel de Meuron, fils d’un tanneur du village de Saint-Sulpice dans le Val-de-Travers, d’abord officier aux Gardes Suisses, leva un régiment composé de plus de mille hommes (Suisses, Allemands, Hollandais, Français, Britanniques, puis Por-tugais, Russes, Polonais) qui, entre 1781 et 1816, servit la Compagnie hollandaise des Indes orientales au Cap de Bonne-Espérance et à Ceylan, puis la Couronne britannique en Inde, en Méditerranée et au Canada. Les collections scientifiques que de Meuron rapporta sont à l’origine des musées d’ethnographie et d’histoire naturelle de la ville de Neuchâtel. Il marqua tant l’imaginaire qu’à son enterrement, a-t-on raconté, « les troupes exécutèrent en son honneur des salves en si grande quantité que le cercueil s’ouvrit et que le général apparut aux yeux des spectateurs tonnés, quand la fumée se fut dissipée… »1. é

Tipu Sultan, le maître musulman du royaume du Mysore, alimenta lui aussi les imaginations. Il est le redoutable adversaire du Baron de Münchausen inventé par Rudolf Erich Raspe et l’oncle du Capitaine Nemo dans « L’île mystérieuse » de Jules Verne. Artilleur à la pointe de la technique grâce à ses alliés français, connu pour les tortures qu’il infligeait à ses prisonniers, il était poète, botaniste, inventeur d’un calendrier, d’un système bancaire et monétaire. Il prit le contrôle de tout le sud-ouest de l’Inde. Héros de l’indépendance nationale deux fois victorieux contre les Britanniques, il mourut le sabre au poing en défendant la forteresse de sa capitale Seringapatam contre l’armée de Sa Majesté, au sein de laquelle le régiment Meuron combattait en première ligne. Sa chute assura la mainmise sur l’Inde des Britanniques, qui rendirent le trône de Mysore aux maharadjahs de la dynastie des Wodeyar, écartés par le père de Tipu. Soixante-huit officiers et soldats du régiment périrent pendant la campagne du Mysore et la fameuse bataille du 4 mai 1799. Certains furent enterrés sur la brèche. Une dizaine, ainsi que certains membres de

1 cité in Guy de Meuron, Le Régiment Meuron 1781-1816, 1982, Le Forum historique/Editions d’En Bas, p. 246.

21

Page 20: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

leurs familles, moururent au cours des années suivantes, avant le retour du régiment en Europe en 1806, et furent enterrés dans le cimetière de la Garnison avec leurs camarades britanniques. Guy de Meuron a décrit cette page de l’Histoire dans son ouvrage illustré par son fils l’architecte Pierre de Meuron, « Le régiment

euron 1781-1816 ». M Captivé par ce récit, en 1997, mon père emmena ma mère et mes sœurs Héloïse et Sophie sur les traces du régiment, à Madras, où ils n’en trouvèrent pas, puis à My-ore et à Seringapatam. s

Dans le hall de leur hôtel à Mysore, le Lalitha Mahal, construit par le maharadjah en 1921 pour ses invités de marque étrangers selon les plans de la cathédrale St.Paul de Londres, ils furent accueillis par un tigre naturalisé et trois gravures reproduisant le tableau de Robert Ker Porter, « L’assaut de Seringapatam », montrant la colonne d’assaut avec, en tête, deux compagnies du régiment Meuron et, à gauche, le capitaine Pierre Lardy se faisant panser un bras blessé. A côté, se trouvaient quatre gravures d’après W.-S. Singleton : « L’assaut et la prise de Seringapatam », « Les derniers combats et la mort de Tipu », « Le Corps de Tipu reconnu par sa famille », « La reddition des deux fils de Tipu au général David aird ». B

Mes parents et mes soeurs se rendirent à Seringapatam, gravirent l’impression-nante forteresse aux doubles remparts construite à la Vauban et, sur l’obélisque surplombant la rivière Cauvery, lurent parmi la liste des troupes « H. Ms REGIM. DE MEURON 16 killed 60 wounded ». Ils visitèrent, dans le jardin de Lal Bagh, le Gum-baz, mausolée royal de Tipu Sultan et défilèrent devant sa tombe recouverte d’une peau de tigre. Ils admirèrent son palais d’été (dans lequel, après leur victoire, les Britanniques et le régiment Meuron établirent leur quartier général), y retrouvèrent, reproduit à l’huile en grand, « L’assaut de Seringapatam ». Et, quittant les sentiers attus, ils partirent à la recherche du Cimetière de la Garnison… b

Au bord de la route entre Mysore et Bangalore, ils s’arrêtèrent et descendirent à pied, à travers une forêt de palmiers, jusqu’à la rivière Cauvery. Ils découvrirent un mur d’enceinte délabré, rongé par un ruisseau, un portail en bois en décomposition portant l’inscription « Garrison Cemetery, maintained by St Bartholomew’s Church » et, à l’intérieur, une multitude de tombeaux aux formes les plus diverses (certaines même d’inspiration hindoue) tombant en morceaux, envahis par une végétation dense, des manguiers, papayers, goyaviers et banyans, des enfants perchés dessus pour atteindre les fruits, des vaches broutant. Parmi les tombes britanniques, ils virent celle de Henri-David de Meuron, qui commanda le régiment, celles de plusieurs soldats et officiers du régiment, de Dorothea de Meuron, décédée à l’âge de deux ans et huit mois, et une tombe évocatrice d’un amour portant l’inscription « Erected to the Memory of Naizer Rattan girl native of Tallenga deceased 1st December 1803 aged twenty two. By her good friend A. Mieville Qr.

r. Sergeant of H.Ms. Regiment de Meuron ». M

22

Page 21: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

Charles-Daniel de Meuron (1738-1806)

Cimetière de la Garnison à Seringapatam après sa restauration Crédit photo : Sandra Nicolier

23

Page 22: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

Attristés devant ces émouvants témoignages en péril de disparition, mes parents décidèrent de faire restaurer le cimetière. Jusqu’à la fin de la restauration et l’inau-guration du 28 septembre 2008, mon père se rendit cinq fois à Mysore, ma mère quatre, ma sœur Sophie et moi, qui avons continué la supervision du projet après

ur décès, trois. le La première rencontre fut le maire de Mysore, à qui mes parents offrirent un plat gravé évoquant le régiment. Intéressé par leur projet, le maire les mit en rapport avec le vénérable Dr. Nagaraja Rao, ancien directeur général de l’Archaeological Survey of India, hôte de Guy de Meuron vingt ans plus tôt, qui accepta de parrainer

démarche. la Vinrent ensuite les autorités de la St. Bartholomew’s Church, protectrice du cime-tière selon un ancien acte épiscopal, qui tenaient à être consultées mais, à l’issue de longs palabres, démontrèrent leur désintérêt. Un membre dissident de ce comité prit l’initiative de marquer les tombes de croix rouges et proposa une restauration au mortier au ciment. Mon père s’opposa à cette technique car il était partisan du mortier à la chaux, utilisé à l’origine, ce qui lui valut la confiance de ses inter-

cuteurs par la suite. lo Puis vint un membre de la BACSA (British Association for the Preservation of Ceme-teries in South Asia), Mr. Michael van Ingen, descendant des taxidermistes des maharadjahs dont plusieurs reposent dans le cimetière, enchanté par le projet mais convaincu qu’il serait impossible à réaliser dans l’Inde d’aujourd’hui. A Londres, mes parents rencontrèrent le comité de la BACSA qui manifesta son soutien et ournit des informations historiques. f Suivit la rencontre, à son bureau de la capitale Bangalore, avec le dynamique commissioner du Département d’archéologie, des musées et du patrimoine de l’Etat du Karnataka, K.R. Ramakrishna, qui présenta à mon père l’excellent architecte et restaurateur qu’il décida de mandater, Ravindra Gundu Rao. Mutés au gré des changements de gouvernements, trois commissioners se succédèrent pendant le projet. Le second, Venkatesh Machakanur, contresigna le contrat rédigé par mon père, qui plaçait les travaux sous l’autorité de son département, les supervisa, délivra l’autorisation officielle et fit ériger à l’entrée du cimetière le panneau indi-quant la protection de l’Etat. Touché par l’intérêt, étranger à la mentalité indienne, de mon père pour les vies de ses ancêtres et par son souhait de partager ces dé-couvertes avec les Indiens d’aujourd’hui sans volonté de juger le passé, il écrivit sur lui une nouvelle intitulée « Racines ». La troisième commissioner, Leela Man-junath, représenta le département à la cérémonie qui marqua la fin des travaux de restauration. Du début à la fin, J.V. Gayathri, directrice adjointe basée dans le alais du maharadjah de Mysore, soutint la démarche. p

Notre mère mourut le 11 janvier 2007, puis notre père le 16 octobre, alors que trente ouvriers du Nord de l’Inde, ayant attendu la fin de la mousson, étaient en pleine activité. Ils avaient refusé de dormir à proximité du cimetière, par peur des fantômes, avaient découvert, dans les broussailles, un serpent à deux têtes, mais le chantier avançait vite et, une à une, les 307 tombes retrouvaient leur jeunesse. Début janvier 2008, ma sœur Sophie et moi avons effectué une visite de chantier et

24

Page 23: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

assisté, sous un manguier, à une émouvante cérémonie en souvenir de nos parents. Dans un collège de Seringapatam, à l’invitation du commissioner, nous vons vécu la naissance du Heritage Club local. a

Le 28 septembre dernier eut lieu la célébration de la fin des travaux, en présence de tous les précités et de nombreux autres encore, ainsi que du ministre Arthur Mattli, venu au nom de l’ambassadeur de Suisse. M. Dominique Dreyer, rendre hommage aux disparus et à l’amitié indo-suisse, en ce soixantième anniversaire du Traité d’Amitié signé par Pandit Nehru. Le Dr. Nagaraja Rao nous dit : « Your pa-rents’ dream has come true ». Scellée dans le mur, une plaque rappelle leur ouvenir. s

Lorsque vous visiterez le sud de l’Inde, rendez-vous, au bord de la rivière Cauvery, au Cimetière de la Garnison à Seringapatam. Le gardien Nagaraj, qui en est amou-reux, vous y attend avec son mouton Shruti.

Louis Dominique de Meuron avec de jeunes Indiens devant la tombe de Henry-David de Meuron, qui commanda le régiment. Crédit photo : Héloïse Spadone-de Meuron

25

Page 24: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

IL Y A 300 ANS : NEW BERN, HEURS ET MALHEURS D’UNE COLONIE SUISSE sur la base d’une documentation fournie par Madame Christine de Graffenried, présidente de l’Association pour les 300 ans de New Bern

Ce magnifique portrait de style baroque est censé représenter Christophe de Graffenried (1661-1743). On y remarquera la carte de New Bern en arrière-fond. Il ressemble forte-ment à un autre portrait, peint par Jean-Rodolphe Huber en 1710, qui est celui d’un homo-nyme, seigneur de Worb. Cet autre Christophe, né en 1663, était un cousin du fondateur de New Bern. Mais il paraît que les deux cousins se ressemblaient beaucoup, ce qui a dû donner des idées à celui qui a commandé le portrait reproduit ici ...

26

Page 25: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

Berne – grâce à une initiative privée – va donc pouvoir célébrer les 300 ans de sa «fille» américaine. Elle le fera par une exposition au Musée Historique qui ouvrira ses portes le 3 décembre 2009 et qui durera jusqu’au 16 mai 2010. En effet, c’est le 13 mai 1709 que Christophe de Graffenried, 47 ans, membre du Grand Conseil de Berne, ancien bailli d’Yverdon, quitta clandestinement sa famille – son épouse Régine, née Tscharner, lui avait donné onze enfants –, ses amis et, surtout, ses créanciers pour se rendre à Londres, ville qu’il connaissait déjà d’un premier séjour comme étudiant. Les protestants pouvaient alors espérer une naturalisation accélérée, car la reine Anne avait hâte de recruter de nouveaux colons pour peupler les jeunes colonies britanniques sur la côte est de l’Amérique. Il s’agissait de ne pas laisser les Français y occuper trop de terrain. L’homme clé de l’entreprise de colonisation, que Graffenried se mit à préparer, s’appelait John Lawson ; il était arpenteur général de la Caroline du Nord et se trouvait à Londres en ce moment précis pour s’occuper de la publication de son ouvrage «A New Voyage to Carolina». C’est en juillet 1710 que quelque 80 Bernois, amenés en Angleterre par le fils de Graffenried, dénommé lui aussi Christophe, quittèrent Londres et arrivèrent en Caroline après un voyage de huit semaines. Le site qui était attribué aux nouveaux colons se trouvait dans la plaine côtière, passablement marécageuse, sur les bords de la rivière Neuse. Celle-ci se déverse, non loin de là, dans la grande lagune de Pamlico. D’autres pionniers, essentiellement des Allemands du Palatinat, y étaient arrivés sous la direction de Lawson quelques mois auparavant ; les Bernois les trouvèrent dans un bien piètre état, en partie affamés. Car toutes les promesses faites aux migrants par les Anglais, promesses de terres, d’outils, de bétail et de nourriture, n’avaient pas été tenues, ce qui n’empêchera pas le nouveau maître des lieux, le baron de Graffenried – car la reine lui avait conféré des titres de noblesse – de se mettre au travail avec une énergie toute bernoise. Ç’aurait pu être le début d’une belle «success story» classique, comme l’Amérique du Nord en a connu de si nombreuses. Mais voilà : les anciens maîtres des lieux, les Indiens Tuscarora, ne l’entendaient pas de cette oreille ; en 1711, alors que Lawson et Graffenried remontaient la rivière avec leur valet noir, dans leur canoë, pour explorer l’arrière-pays, ils furent faits prisonniers par les Indiens. Six semaines plus tard, un tribunal acquitta Graffenried qui put prouver qu’il n’avait jamais trompé les autochtones ; Lawson, en revanche, fut torturé et finalement brûlé vif. Pendant ce temps, la colonie était largement détruite et de nombreux colons tués ou chassés. Par la suite, les troupes britanniques, dans une guerre qui fit couler beaucoup de sang, réussirent à battre les Tuscarora, tribu que l’on retrouvera ultérieurement dans l’arrière-pays de New York, avec la nation iroquoise des Oneida. De retour à New Bern, de Graffenried essaya de reconstruire sa colonie. Il tenta surtout d’obtenir de l’aide de la Suisse. Mais ses efforts s’avérèrent vains. Laissant une poignée de colons sur place, dont son fils, qui aura un grand nombre de descendants américains, Christophe de Graffenried rentra à Berne en 1713. Il avait

27

Page 26: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

52 ans. Ses créanciers étaient toujours là, plus nombreux encore qu’avant son départ. Triste fin. New Bern, pourtant, a survécu. Aujourd’hui, la ville compte près de 28'000 habi-tants. Au centre-ville, le touriste trouvera une vieille pharmacie. C’est là qu’un jeune pharmacien du nom de Caleb Bradham mit au point, en 1893, son «Brad’s Drink», inégalé pour combattre la « dyspepsie » et d’autres troubles de digestion. Quelques années plus tard, l’inventeur donnera un nouveau nom à son produit : ce sera «Pepsi Cola».

Christophe de Graffenried, prisonnier des Indiens Tuscarora

28

Page 27: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

HISTORICAL DICTIONARY OF SWITZERLAND Dans la série des dictionnaires historiques d’Europe publiés par la Scarecrow Press, dont les premiers volumes datent de 1993, la Suisse arrive en 53e position ; c’est dire qu’il était temps que quelqu’un se souvienne de ce petit pays au cœur du continent et prenne la peine d’en dresser un portrait axé sur l’histoire. Ce quelqu’un n’est nul autre que Leo Schelbert, professeur émérite à l’Université d’Illinois, grand spécialiste des Suisses émigrés aux Etats-Unis et conseiller associé de notre Fondation. Voici ce que dit John Woronoff, éditeur de cette série, dans sa préface : « Switzerland is a small country, both in geography and population size, and might almost be marginal if not for its amazing trajectory and continuing political and economic vitality, for it has brought together peoples of different races, religions, languages, and political persuasions in a voluntary union that has withstood the tests of time relatively well. …This does not necessarily make Switzerland an ideal model – there are less admirable aspects as well – but it is definitely a place one should know more about. Alas, its considerable diversity and complexity make it harder to fathom than most other places… » La partie centrale, lexicologique, allant d’« Aarau » à « Zwingli » en passant par des termes tels qu’« anthroposophy », « Fasnacht » et « World Economic Forum », n’est qu’un des atouts de ce volume ; l’introduction d’une trentaine de pages que le professeur Schelbert fournit au lecteur est remarquable. A ces deux éléments de substance s’ajoutent des cartes, une chronologie, des tableaux statistiques et, sur-tout, une bibliographie très soignée de quelque 80 pages dont une quinzaine consa-crées à des publications ayant pour thème les Suisses dans le monde, sujet que l’auteur – nous l’avons dit – connaît particulièrement bien. Voici donc une publi-cation que nous ne manquerons pas de recommander – ou d’offrir – à ceux parmi nos amis anglophones dont nous estimons les connaissances de la Suisse trop maigres... > Leo SCHELBERT, Historical Dictionary of Switzerland, The Scarecrow

Press Ltd., Lanham Maryland (USA), Toronto (Can), Plymouth (UK), 2007 Et encore ce P.S. Nous avons eu l’occasion d’évoquer la personnalité et l’œuvre du professeur Schelbert dans de précédents numéros de la Lettre de Penthes, notam-ment aussi à l’occasion de sa conférence à la Journée de Penthes 2008. Mais puis-que sa date de naissance est le 16 mars 1929, nous n’aimerions pas manquer l’oc-casion de lui présenter nos vœux les meilleurs à l’occasion de ses 80 ans !

29

Page 28: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

ÉDITIONS DE PENTHES : LE NOUVEAU LIVRE… Jacques-Alexis Lambert (1863-1942) fut le professeur de français de Lénine au lycée de Simbirsk en 1889 (ville natale de Lénine au bord de la Volga). Ce Neuchâtelois d’origine de Gorgier/St-Aubin émigra en Russie tsariste à la fin du XIXe siècle afin d’y poursuivre une carrière d’enseignant de français et de musique aux lycées de Simbirsk, Samara, et Tsaritsine, où il accéda au rang d’un conseiller d’état en 1909. Il finit par retourner en Suisse en 1919 fuyant les troubles de la révolution et de la guerre civile russe. Ainsi, alors que les rapports diplomatiques entre les deux pays étaient interrompues, il s’adressa directement à son ancien élève de lycée, afin d’obtenir une autorisation extraordinaire de quitter la Russie en pleine guerre civile. En 1920, il rédigea ses mémoires à La Chaux-de-Fonds et nous offre un témoignage inédit sur la révolution russe. Préfacés par Alexandre Lambert, son arrière-petit-fils, ces mémoires sont publiées pour la première fois. Elles témoignent que la Russie pré-communiste fut une terre d’accueil pour de nombreux Suisse et Européens.

30

Page 29: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

LA PLUME DES DIPLOMATES

Carl J. Burckardt Les diplomates écrivent beaucoup ; c’est dans la nature de leur métier. Mais pu-blient-ils également ? En Suisse, comme dans la plupart des pays, le devoir de ré-serve, complété de règles administratives plus ou moins strictes ou claires, limite cette activité. Et pourtant, en fouillant les catalogues des bibliothèques, on découvre de très nombreux titres signés par des diplomates, parfois des trésors : œuvres autobiographiques, récits de voyage, analyses politiques, études historiques, réflexions philosophiques, pamphlets, mais aussi œuvres littéraires … Des recueils en ont été établis dans certains pays, en Italie par exemple ; mais une telle bibliographie manquait en Suisse. Aujourd’hui, elle existe, englobant les écrits e pas moins de 233 auteurs : d

> Jacques RIAL, Le Bicorne et la Plume. Les publications de diplomates suisses de 1848 à nos jours. Un essai de bibliographie, préface de Bénédict de TSCHARNER, Institut de hautes études internationales et du déve-loppement (IHEID), Genève / DiploFoundation, Malte et Genève, 2008.

La plume des diplomates rapproche les Suisses au monde et, en même temps, elle forme un élément du rayonnement de la Suisse dans le monde. Pour juger de l’en-vergure d’un diplomate, ses écrits ne constituent sans doute pas le seul critère, cela d’autant moins que certains textes peuvent dater d’avant ou d’après les années que auteur a passées au service de la Confédération. Mais citons l’auteur Jacques Rial : l’

31

Page 30: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

« Aux temps héroïques où nos ambassadeurs étaient des politiciens, des savants ou de distingués amateurs, on écrivait et on aimait à s’exprimer. Arthur de Claparède publia des livres sur chacun de ses voyages et devint un des pères de la géographie moderne à l’Université de Genève. Quant à (Johann Jakob von) Tschudi, il a sans doute été plus un géographe devenu diplomate par accident, qu’un diplomate de-venu écrivain : on le considère aujourd’hui comme l’un des grands américanistes du XIXe siècle. Puis vinrent les premiers témoignages : celui de (Georges) Wagnère sur la Rome de Mussolini, de (Carl J.) Burckhardt sur sa mission à Danzig, de (Walter) Stucki sur Vichy, d’Olivier Long qui a rendu publique sa version du rôle de la Suisse lors de la Conférence d’Evian sur l’indépendance de l’Algérie. Et il y eut les passion-nés : Georges Bonnant, par exemple, qui s’est intéressé toute sa vie aux activités des imprimeurs et libraires genevois au XVIIe et XVIIIe siècles. Un petit texte d’Alfred de Claparède est devenu un classique de la littérature échiquéenne. Jacques-Albert Cuttat, qui a passé quelques années en Inde, est devenu un connaisseur de l’ésotérisme et des religions orientales. Werner Fuchss a voulu rendre hommage à des musiciens qui ont tissé des liens entre la Suisse et deux des pays dans lesquels il a servi : Paderewski et Bartók. Camille Gorgé a fait de la littérature, de la poésie, en particulier. René Naville était un amoureux de l’histoire : il s’intéressa aux activités secrètes d’un agent de Metternich à Berne, ux inscriptions et aux cultures pré-incas et publia aussi des poèmes. » a

Il aurait été possible de citer bien d’autres noms encore, celui de Henri-Béat de Fischer, par exemple, en son temps président de notre Fondation, et de ses œuvres, son « Dialogue luso-suisse » ou ses « 2000 ans de présence suisse en An-gleterre » notamment.

Beat de Fischer

32

Page 31: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

LE COUP DE CŒUR DE LA BOUTIQUE … Jean-Marie Gerber Notre boutique est très riche en livres d’histoire, tout le monde le sait ; mais pas exclusivement : qui cherche bien, y trouvera aussi quelques spécimens de littérature – ou d’histoire-fiction. C’est justement là que se situe notre dernier coup de cœur et, puisque ce numéro de la Lettre de Penthes comporte un accent parisien, nous nous permettons de recommander aux clients de la boutique un petit livre décapant d’un auteur qui est né en Valais en 1941, qui a passé sa jeunesse à Lausanne et qui vit à Paris depuis quarante ans. En 1980, le Prix Medicis lui fut décerné pour son roman « Cabinet portrait ». > Jean-Marc BENOZIGLIO, Louis Capet, suite et fin, Seuil, Paris, 2005 Cette histoire – fictive, bien évidemment – décrit l’exil de Louis Capet, ex-Louis XVI, sur les bords du Léman, à « Saint-Saphorien » (sic !), aux prises avec les petits gens d’un village de vignerons et de pêcheurs vaudois, mais aussi avec Leurs Excellences de Berne, sans parler des visiteurs aux noms familiers. Ce récit vous amusera, nous en sommes sûrs – et nous n’en disons pas plus !

Louis XVI

33

Page 32: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

DESTINS DE SUISSES DANS LE MONDE

Commandez vos livres sur les Suisses dans le monde auprès de notre boutique à l’adresse suivante :

[email protected] tél. 022 734 90 21 (M. Jean-Marie Gerber) ;

rendez-nous attentifs à de nouvelles parutions ! Merci.

Les lecteurs de la Lettre de Penthes l’auront remarqué : chaque numéro apporte son lot d’articles ou d’avis sur de récentes publications – nous n’allons pas jusqu’à la critique au sens propre et vous épargnons les titres qui nous paraissent manquer d’intérêt ... C’est aussi dire, et nous nous en félicitons, que le sujet des Suisses dans le monde continue à stimuler la recherche et l’écriture ; à voir le lot de nouveaux titres, il faudrait même dire : stimule de plus en plus. Mais il faut aussi relever que la majorité de ces livres sont écrits en langue allemande. Visiblement, c’est outre-Sarine que la formule rencontre le plus d’écho : combiner, dans un récit personnalisé, le familier et l’exotique, l’attachement à notre propre pays et l’intérêt pour des contrées lointaines. Une fois de plus et de façon quasi routinière, nous avons préparé de brèves présen-tations de chaque titre qui a retenu notre intérêt ; mais, au fil des mois, ces notes ont commencé à s’accumuler et la place est venue à manquer. Nous nous contentons donc de vous en donner les références, dans l’espoir que le prochain numéro de la Lettre nous permettra d’inclure l’un ou l’autre de ces textes. En voici la liste : > Alex CAPUS, Himmelsstürmer. Zwölf Portraits, Albrecht Knaus Verlag,

München, 2008 > Peter MICHAEL-CAFLISCH, Hier hört man keine Glocken. Geschichte

der Schamser Auswanderung nach Amerika und Australien, hier + jetzt Verlag, Baden, 2008

> Bernard R. BACHMANN (éditeur, traducteur, commentateur), Abenteuer

Goldrausch. Erinnerungen von Théophile de Rutté (1826-1885). Kauf-mann und erster Konsul der Schweiz in Kalifornien, Verlag Neue Zürcher Zeitung, Zürich, 2008

> Konrad STAMM, Marokko-Müller. Ein Schweizer Oberst im Reich des

Sultans. 1907-1911. Eine Tatsachenerzählung, Verlag Neue Zürcher Zeitung, Zürich, 2008

34

Page 33: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

> Jeroen DEWULF, Brasilien mit Brüchen. Schweizer unter dem Kreuz des Südens, Verlag Neue Zürcher Zeitung, Zürich, 2007

> Urs Alfred MÜLLER-LHOTSKA, Jakob Laurenz Gsell 1815-1896. Vom Unternehmer in Rio de Janeiro zum Bankier in St.Gallen. Globalisierung im 19. Jahrhundert, Verlag Neue Zürcher Zeitung, Zürich, 2008

> Hans Herrmann FRUTIGER, Jakob EISLER, Johannes Frutiger (1836-1899). Ein Schweizer Bankier in Jerusalem, Böhlau Verlag, Köln, 2008

> Marc WARNERY, Seul au milieu de 128 nègres. Un planteur vaudois en Guyane hollandaise au temps de l’esclavage. Lettres à ses parents, 1823-1835, Editions d’en bas, Lausanne, 2008

> Roger PASQUIER, Marie Pittet, l’émigrée. Des Fribourgeois en

Patagonie chilienne, Editions La Sarine, Fribourg, 2008 > Gunna WENDT, Monika FALTERMEIER-PRESTL, Lisa Della Casa. Von der

Arabella zur Arabellissima, Verlag Huber, Frauenfeld, 2008 > Carla DEL PONTE, Chuck SUDETIC, Im Namen der Anklage. Meine Jagd auf

Kriegsverbrecher und die Suche nach Gerechtigkeit, S.Fischer Verlag, Frankfurt a.M., 2009 (traduction de l’italien, La Caccia. Io e i Criminali di Guerra, Feltrinelli, Milano, 2008 ; édition anglaise : Madame Prosecutor: Confrontations with Humanity’s Worst Criminals and the Culture of Impunity, Other Press, New York, 2009)

> Peter HUBER, Ralph HUG, Die Schweizer Spanienfreiwilligen. Biogra-

phisches Handbuch, préface de Jakob TANNER, Rotpunktverlag, Zurich, 2009

P.S. Nous vous remercions de tout don de livres,

anciens ou récents, destinés à notre bibliothèque !

35

Page 34: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

LE MONDE A LA PORT(É)E DES GENEVOIS : LE SALÈVE Pour les Genevois, le monde commence au Salève ; c’est bien plus qu’une consta-tation géographique. En effet, de tout temps, ce furent essentiellement les Genevois qui ont fait de cette montagne un lieu de promenade, de découverte, de recherche botanique ou géologique, voire d’entraînement à la haute montagne. Or depuis le mois de septembre 2007, cette montagne haute de précisément 1379 mètres, à 5 km de Genève, ses habitants, son histoire, sa topographie, sa flore et sa faune font l’objet d’un musée, ou disons plus modestement d’une maison. C’est dans la vieille ferme de Mikerne (XVIIIe siècle), à deux pas de la Chartreuse de Pomier, qu’une présentation très didactique et très riche a été installée. Pour y arriver, prendre la D 1201 / N 201, autrement dit, la vieille route du Mont Sion entre Saint-Julien-en-Genevois et Cruseilles en direction d’Annecy. Nous devons cette heureuse initiative au Syndicat mixte du Salève qui regroupe les vingt communes voisines de notre montagne. Lieu charmant et intéressant, accueil chaleureux, à visiter avant ou après une belle promenade dominicale.

Adresse : La Maison du Salève, route de Mikerne, F-74160 Présilly (Haute Savoie) www.maisondusaleve.com, tél. 133 (0)4 50 95 92 16, [email protected]

36

Page 35: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

AUTOPORTRAIT DU NOUVEAU PRÉSIDENT DES AMIS DE PENTHES Daniel Bernard Tout commence par un colis postal qui m’est adressé, lorsque je dirige depuis quel-ques mois la télévision locale genevoise Léman Bleu Télévision : il s’agit de l’ou-vrage d’un certain Bénédict de Tscharner, « Profession ambassadeur » (Cabédita, 2002). Journaliste littéraire, je me rue sur mon téléphone, car je suis tenté de filmer un portrait de l’auteur. On me convie alors à déjeuner au Cent-Suisses pour parler du livre ; et ce sera au Musée, devant la vitrine abritant le plateau en argent où figurent Louis XIV et les délégués suisses, que débute l’interview du président de la Fondation et que, sans que je le sache, je débute mon trajet jusqu’à ces lignes. Ce sera aussi l'interview d'Anselm Zurfluh portant sur une exposition temporaire, puis le Jubilé de la Garde suisse pontificale, puis la publication, en 2006, aux Editions de Penthes, de la pièce de théâtre « Oui, tout ce bruit » que j’ai consacrée à Isabelle Eberhardt. Mais l’histoire d’amour avec le Musée des Suisses dans le Monde, comme je l’ai dit lors du départ de mon prédécesseur, Paul-André Ramseyer, remonte sans doute à plus loin, bien avant que ce dernier me convie à l'une de ces soirées des Amis de Penthes, pour la lecture, avec une comédienne, de la scène où Albert Camus rencontre l'écrivaine russe devenue Genevoise.

Si je suis sensible à la problématique du musée, c’est que je suis issu, par moitié, de Suisses émigrés à Paris au XIXème siècle. Mon bisaïeul maternel, Angelo Ber-nasconi, avait quitté son Tessin natal pour rejoindre l’atelier parisien de Carpeaux. Il avait épousé une Vaudoise, Jenny Auberson, et de leur union naquit Marthe, en 1886. Si je n’ai pas connu cette grand-mère née suisse, mais devenue française par mariage avec mon grand-père Hamelin, une certaine culture m’a été transmise par leur fille unique Marguerite, ma mère, influencée par l’éducation stricte de sa grand-mère suisse qui la conduisait régulièrement au temple de Pantemon dès les années trente, pour le culte ou pour les activités caritatives. Cela, c’est une des clés invisibles de l’attachement que je peux vouer à notre Fondation qui salue et perpétue l’œuvre des enfants du pays, vivant à travers le monde. Dans ce cas, mes ancêtres protestants Auberson, venus de France lors de la révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV et établis à Essertines-sur-Yverdon, ont retraversé la frontière pour aller à Paris, avec mes arrière-grands-parents Bernasconi, puis, deux générations plus tard, la famille est revenue, avec mes parents et mes sœurs. Aujourd’hui, mes deux fils nés à Genève y vivent.

L’autre dimension familiale de l'expatriation, paternelle cette fois-ci, c’est le gène persistant chez les Bernard, nous poussant à vivre hors des frontières de France une grande partie de notre vie. Mon grand père Noël, dès le tournant du XXème siècle, rédigea sa thèse en Indochine, sur les peuples Khâs, et devint médecin militaire à l’Ecole de Bordeaux en 1904. Puis il choisit de s’expatrier comme

37

Page 36: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

médecin des colonies, à la Compagnie des chemins de fer du Haut-Tonkin. C’est là qu’il rencontra le Suisse Alexandre Yersin, en 1916, puis Albert Calmette, fondateur et directeur de l'Institut Pasteur de Saïgon. Noël Bernard accepta de succéder, en 1922, au docteur Yersin au poste de directeur de l’Institut. Ils vivaient ainsi, sa femme Paulette (mon autre grand-mère) et ses enfants, à Saïgon de 1922 à 1937. Mon père Lucien grandit à Saïgon, aux côtés de sa sœur aînée et d’un frère qui y naît ; la première aurait atteint l'âge de cent ans cette année ! Devenu médecin à Paris en 1939, ce n’est qu’en 1958, et en intégrant l’Organisation mondiale de la santé, que mon père renouera avec l’Orient, nous emmenant, ma mère et mes deux sœurs, à New-Delhi, jusqu’en 1963, date de sa mutation à Genève.

Genève ? Il connaissait l’endroit, puisque c’est en 1946 qu’il avait participé comme membre de la Délégation française, à la création, au Palais des Nations, de l’OMS, organisation dont il devait devenir l’un des six sous-directeurs, jusqu’en 1977. Mon enfance est bercée par une vie tournée vers la philanthropie, l'aide au tiers-monde, les histoires héroïques de mon grand-père, les actions au plan mondial de mon père, telle l'éradication de la variole ou la lutte contre la cécité, le glaucome, la cécité des rivières, etc. Si cela a une influence sur mon appartenance actuelle au Lions Clubs International, sans doute, cela n'explique pas mon goût précoce pour le cinéma et l'écriture. Mais c'est une autre histoire que celle-là.

C’est surtout cette composante familiale que j’ai souhaité révéler, puisqu’elle rend hommage, à l’instar d’une salle d’exposition du Musée des Suisses dans le Monde, à celles et ceux qui m’ont transmis leur sang, leur savoir, leur visage et leur allure peut-être. Ces ancêtres étaient médecins, sculpteurs, musiciens, imprimeurs, institutrices, photographes ou commerçants.

Le nouveau président des Amis de Penthes Daniel Bernard

38

Page 37: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

Lorsque j’explore le passé, je remarque en plus que notre grand oncle Francis Ber-nard, ami de la famille Piccard, fit une partie de sa carrière d’entomologiste en Afri-que, qu’un autre oncle, expatrié au Chili à l’âge de dix-sept ans, couronna sa carrière en devenant maire de son village, avec au bras son épouse, au Trinidad, avant de revenir en France juste avant la Deuxième Guerre mondiale. Un autre cousin est devenu un spécialiste de la Constitution américaine, vivant outre-Atlantique la plupart du temps, et s’est largement exprimé sur les ondes durant l’élection présidentielle de 2008, qu'un autre encore a passé sa carrière en Afrique, comme consultant auprès de la FAO, enfin que mon fils cadet Benjamin vit au Japon, pays de sa passion précoce pour les mangas, la littérature d’Extrême-Orient, les gadgets électroniques de tous genres...

Où que je regarde, nous sommes tous des Français ou Suisses de l’étranger, comme si vivre au pays ne nous convenait pas totalement. Est-ce pour cela que je me suis senti attiré par les activités de notre Fondation ? Parce que j’en comprenais le sens ? Ce sont certainement une perpétuelle curiosité qui a dessiné mon parcours professionnel, fait d’images et de mots, à part égale, et une volonté de restituer des émotions pour les partager, qui m’ont conduit à accepter la mission de président de la Société des Amis de Penthes, alors que je ne suis ni ambassadeur, ni citoyen suisse, et que je n’ai pas de passé glorieux, sinon celui de mes ancêtres, à l’image des familles dont les portraits et biographies ornent murs et rayonnages à Penthes.

« LE CENT-SUISSES » FAIT PEAU NEUVE Rencontre avec Sandro Haroutunian Pour tout usager du Restaurant « Le Cent-Suisses » à Penthes, bon nombre de signes extérieurs ont changé : couleur des nappes, tenue du personnel, agence-ment de l’Espace Piccard, carte, plat du jour, goût et saveurs des mets. Pour en savoir plus, nous avons rencontré Sandro Haroutunian, le nouveau directeur de l’établissement depuis quelques semaines. Lettre de Penthes : Quel est votre parcours, M. Haroutunian ? Qu’est-ce qui vous à incité à postuler au poste de directeur du « Cent-Suisses » ? Sandro Haroutunian : J’ai commencé par un apprentissage de cuisinier à Genève. En 1977, j’ai décidé de faire l’école hôtelière puis pratiqué le service, ce qui m’a permis, en 1980, de reprendre l’Auberge du Cerf à Crans/Céligny. J’y suis resté pendant dix-sept ans et y ai pratiqué ma cuisine. L’aventure professionnelle a continué à l’Aéroport de Genève pendant plus de quatre ans pour enfin m’établir comme chef à domicile et traiteur indépendant.

39

Page 38: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

Ce qui m’a incité ... dans le désordre, car aucun ne prévaut sur l’autre : - l’endroit, un cadeau du ciel : travailler dans un endroit enchanteur, - les hommes, prêts à s’investir pour changer, pour dynamiser, ouverts à de nou-velles opportunités et déterminés à mettre encore plus en valeur leur engagement déjà expérimenté, - la particularité d’une maison à deux entités, un musée et un restaurant, par-tageant le même objectif, mais différents par leurs rythmes et par l’offre de chacun, - enfin, le défi, voire la responsabilité – c’est peut-être un peu orgueilleux – d’oser de nouveaux savoir-faire et savoir-être pour honorer ceux qui ont amené ce patrimoine jusque-là ! LdP : De toute évidence, le Domaine de Penthes est un lieu très spécial ; quels sont ses atouts ? S.H. : D’abord, l’emplacement : une magnifique propriété de neuf hectares avec des arbres séculaires, au-dessus du lac et face au Mont-Blanc ! C’est unique à Genève ! que demander de plus ? un vrai bonheur ! Une manifestation dans notre pavillon Gallatin ou dans l’Espace Piccard devient magique par évidence ! Célébrer un évènement ici, c’est déjà mettre toutes les chances de réussite de son côté ! De plus, Penthes est un havre de paix, presque au milieu de Genève ! Franchissez le portail, installez-vous dans la cour et … écoutez ! Sur la place des Waldstätten, il y a les oiseaux qui chantent, à cinq minutes de l’aéroport, « au cœur de toutes les Nations ! » Et puis, il y a le parc, quelques pas entre le château et la verdure, et vous êtes partis dans un monde de ressourcement ! Le calme dans la ville … on ne pouvait penser mieux pour planter là le Musée des Suisses dans le Monde, les racines et la diversité de la Suisse ! LdP : Au cœur d’un restaurant, on trouve les mets ; quelle est votre philo-sophie de restaurateur ? S.H. : Le premier besoin et le premier plaisir d’un être humain après avoir pris sa première bouffée d’air, c’est de manger ! Pour moi, tout part de là ! Quand on se met à table, on est automatiquement plongé dans ses souvenirs, ses références, donc ses émotions, en tant que restaurateurs nous touchons dès lors le cœur de l’homme. La cuisine est un art, et la restauration l’art de la partager pour le plaisir de faire plaisir ! Se mettre à disposition de celui ou celle qui nous fait l’honneur de venir. Accueillir un client, c’est l’attendre, comme à la maison, c’est mettre tout en œuvre pour chercher à le satisfaire, puis recommencer, encore et encore, sachant qu’à chaque fois c’est un nouveau moment de bonheur qui commence, le bonheur du partage de qui nous sommes… c’est l’exercice perpétuel de la rencontre ! et tout cela provient du plaisir que l’on a à « faire », à préparer la table, les mets et tous les détails qui composent cette profession où deux métiers s’associent pour réussir ce pari si difficile par son exigence de rigueur et de régularité. LdP : Le « Cent-Suisses » est aussi un centre de conférences, très prisé par la Genève internationale ; avez-vous des plans à cet égard ? S.H. : Oui, le « Cent-Suisses » est bien connu de la Genève internationale, mais pas assez des Genevois. Beaucoup d’entre eux, malheureusement, ne savent pas

40

Page 39: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

qu’à deux pas de chez eux se trouve un des plus beaux domaines abritant salles de banquets, de séminaires et de conférences pouvant accueillir jusqu’à 400 per-sonnes. Un environnement ouvert, dans un cadre naturel permettant à autant d’occasions professionnelles d’optimiser le succès d’une journée de travail. C’est donc à cette tâche que je m’attelle avec enthousiasme. LdP : Enfin, le « Cent-Suisses » s’intègre dans les activités de la Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde et son Musée ; que signifie, pour vous, cette coexistence avec une institution culturelle ? S.H. : Trois choses : la première est que la culture et la table partagent la passion de mettre ses propres découvertes ou mises en valeur de « produits » à disposition des autres, de les exposer, chacun selon sa propre sensibilité. La seconde est que l’enrichissement et l’ouverture proviennent de différentes façons de vivre et d’observer le monde, la vie, et de communiquer ; et c’est par un tel échange vivant que chacun peut apprendre. La troisième est que la co-existence permet aussi la collaboration d’hommes et de femmes à une réussite commune, ce que l’on appelle d’un anglicisme une « win-win situation » – qui fonctionne à merveille à Penthes.

Le nouveau directeur du Cent-Suisses Sandro Haroutunian

IL SE PASSE TOUJOURS QUELQUE CHOSE AU CENT-SUISSES !

Pour toute information

par téléphone 022 734 48 65 par courriel : [email protected] - www.penthes.ch/restaurant

Un parking gratuit est à votre disposition

41

Page 40: LETTRE DE PENTHES - Le Musée des Suisses dans le Monde ... · LA CULTURE SUISSE S’AFFICHE . AU CŒUR DU MARAIS . Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser . Codirecteurs du Centre culturel

42

LES RENDEZ-VOUS DE LA BOUTIQUE

Festival du dévéloppement durable du mercredi 3 au dimanche 7 juin 2009 – Présentation / Exposition de la Green Map du quartier des Nations Unies à Genève

Samedi 7 juin de 07h00 à 17h00 Marché des Fruits et Légumes « au fils du Rhône »

dans la cour du Château