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L’événement indésirable associé aux soins : la relation soignant–soigné mise à mal

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Page 1: L’événement indésirable associé aux soins : la relation soignant–soigné mise à mal

ARTICLE IN PRESSModele +ETIQE-267; No. of Pages 7

Éthique et santé (2014) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

ARTICLE ORIGINAL

L’événement indésirable associé aux soins :la relation soignant—soigné mise à mal�

The unwanted event associated to the care: Caring relationin difficulty

A. Polomeni ∗, A.-S. Le Bihan

Département d’hématologie clinique et thérapie cellulaire, hôpital Saint-Antoine, Assistancepublique—Hôpitaux de Paris, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75571 Paris cedex 12,France

MOTS CLÉSÉvénementindésirable associéaux soins ;Alliancethérapeutique ;Organisation dessoins

Résumé Entraînant des conséquences plus ou moins graves sur les plans physique et psychiquepour le patient et ses proches, l’événement indésirable associé aux soins ébranle égalementles soignants et peut mettre à mal l’alliance thérapeutique — socle de toute relation de soins.Une réflexion éthique au sein des institutions de soins s’impose sur ce sujet, afin de dépasserune « culture du blâme » nuisible à tous.© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary The repercussions of unwanted events associated with care (medical errors) exceed

Medical errors;Therapeutic alliance;Care organization

the only directly involved actors: they can extend in the social representations of the medicine— seen then as harmful, soil the confidence of the public in the care institutions — dreadedthen as dangerous, shake the conception of the care — perceived then as risky, and damage

Pour citer cet article : Polomeni A, Le Bihan A-S. L’événement indésirable associé aux soins : la relation soignant—soignémise à mal. Éthique et santé (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2014.05.003

the caring relationship. Despites its importance, this subject remains ‘‘taboo’’: mass-mediacommunication about medical errors carries even more silent of health care workers aboutthem. Indeed, entailing more or less harmful consequences on the physical and psychic plans

� Le présent article donne suite à notre intervention au débat « Comment informer un patient en cas de dommage lié aux soins » [Paris,12/2/2014] organisé par le Dr A.G. Andrieu au nom de la Commission d’éthique de groupe hospitalier universitaire Paris-Est, Assistancepublique—Hôpitaux de Paris.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A. Polomeni).

http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2014.05.0031765-4629/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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2 A. Polomeni, A.-S. Le Bihan

for the patient and his close relations, medical errors also destabilise care teams and candamage the therapeutic alliance — base of the care relationship. Care relationships depends onthe way in which health care can respond to patients and close relatives’ demands, even if theirexpectations can seem ‘‘unreasonable’’ from the medical point of view. These expectations arecomposed by the willing of cure, the conviction of doing the best for getting recovered and bythe confidence in the competence of health care teams. The quality of the interactions bet-ween patients, their close relatives with health care teams will influence their experience ofthe disease and can help the construction of a cooperative relationship. The information aboutthe disease and its treatment, including risks and uncertainties concerning recovery, is a crucialissue for the quality of patients’ care. Sharing with patients’ medical uncertainties can allowthem to better understand problems that may occur during their care pathway and may be help-ful in the cases of medical errors. Even if this information process is well conduct, to patients,their siblings and also to health teams, medical errors are experienced as ‘‘unconceivable’’.Actually, they point out individual and collective failures: their causes are always ‘‘systemic’’and linked to workload, insufficient. It is important to underline that besides workload, anotherfactors impact on health care’s security and quality — notably management modalities that dis-courage personal involvement and participation in work organisation. Protocols and proceduresare not sufficient means to assure the quality of care: the commitment of each health carework is essential in preventing unwanted events associated to care. When medical errors occur,health care workers tend to feel guilty and their suffering is to be taken into account. It isnecessary to analyse the chain of problems that lead to medical error and to understand its ins-titutional and collective dimensions in order to avoid this felling of ‘‘fault’’ and the tendencyof eluding the unwanted event associated with care. Yet, in these situations, to take care isfirstly to announce the damage: clarify what passed, the causes of the event, its consequencesfor the patient and the acts undertaken to check them, decrease them, and repair them. Infact, to inform the patient about a medical error is at the same time a legal obligation and anethical commitment. But it is mainly a caring act that has a therapeutic effect: by recognizingthe damage, this disclosure recognizes the subject, which underwent the medical error. Dis-closing a medical error is a challenge for health care workers. An ethical reflection within theinstitutions of care is imperative on this subject, to overtake a ‘‘culture of the disapproval’’harmful to all.© 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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éfini comme « événement défavorable pour le patientonsécutif aux stratégies et actes de prévention, de diag-ostic et/ou de traitement et qui ne relève pas d’unevolution naturelle de la maladie » [1], l’événement indé-irable associé aux soins (EIAS) a des conséquences — plusu moins graves1 — d’ordre physique, psychique, organisa-ionnelle et socio-économique qui concernent le patient,on entourage, les soignants, les institutions de soins et laociété.

Malgré son importance, ce sujet semble rester tabou :

Pour citer cet article : Polomeni A, Le Bihan A-S. L’événement

mise à mal. Éthique et santé (2014), http://dx.doi.org/10.101

e tapage médiatique autour de certaines « erreurs médi-ales » accentuant le silence des soignants, pourtant trèsoncernés par la sécurité des soins et par les risques

1 La gravité est évaluée en fonction des conséquences et de leuraractère de réversibilité — ou d’irréversibilité. Ainsi, un événe-ent indésirable est considéré comme grave lorsqu’il entraîne un

andicap ou une incapacité à la fin de l’hospitalisation, lorsqu’ilet en jeu le pronostic vital, quelle qu’en soit l’issue, ou lorsqu’il

ntraîne une hospitalisation ou une prolongation de l’hospitalisation1].

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nhérents à leurs actes professionnels. Une réflexionngageant les différents acteurs concernés — personnel hos-italier et patients — semble indispensable afin de dépasserne « culture du blâme » nuisible à tous2.

En effet, les répercussions des EIAS dépassent les seulscteurs directement impliqués : elles peuvent s’étendre auxeprésentations sociales de la médecine — vue alors commeuisible, entacher la confiance du public dans les institutionse soins — appréhendées comme dangereuses, ébranler laonception même du soin — percu alors comme hasardeux,ettre à mal la relation soignant—soigné.

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a relation soignant—soigné s’établit sur un mode asymé-

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rique : elle naît de la demande d’un être souffrant (et dees proches) et s’adresse à la compétence des professionnelse la santé.

2 Un groupe de travail, réunissant professionnels et parents’enfants ayant vécu un EIAS, a mené au sein de l’espace éthique de’AP—HP une riche réflexion sur ce thème. Le film « Que reste-t-ile nos erreurs ? », de Nils Tavernier, en témoigne.

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(EIAS) intervient dans ce contexte et apparaîtra

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L’événement indésirable associé aux soins : la relation soign

Cet être se sent alors vulnérable et subit souvent avecinquiétude les défaillances de son corps — qu’elles aient uncaractère de gravité ou non. Ces inquiétudes sont parta-gées par un entourage qui vit au quotidien des répercussionsde la maladie. Toute cette souffrance se condense dans lademande adressée aux soignants.

La relation de soins va se construire sur la facon dontcette demande sera accueillie par les professionnels, de quila personne malade attend écoute, soulagement mais sur-tout le déploiement d’une stratégie thérapeutique efficaceaboutissant in fine à la « guérison ».

Ces attentes — légitimes, puisque issues d’une souffrancehumaine —, sont parfois « démesurées », en ce qu’ellespeuvent supposer que la médecine technoscientifique puisseétablir rapidement un diagnostic précis, soulager immédia-tement toute souffrance, fixer des pronostics valables pourl’évolution de la pathologie et surtout disposer de thérapeu-tiques efficaces pour toute personne malade.

La conception même de la « guérison » illustre bienl’écart potentiel entre le point de vue du patient et celuidu soignant quant aux possibilités et aux limites des moyensthérapeutiques existants et leur efficacité. L’utilisation dumot « rémission », avec ce qu’il signifie de prudence, pourles soignants, et d’expectative, pour le patient, nous sembleun exemple pertinent3.

Ce sont les modalités d’accueil des attentes et desdemandes du patient et de ses proches par les soignantsqui fondent l’alliance thérapeutique, « qui peut se défi-nir comme la collaboration mutuelle, le partenariat, entrele patient et le thérapeute » [3], se bâtit sur « l’attentecroyante » du patient [4]. Opposée à l’attente anxieuse,inhérente à la situation de vulnérabilité suscitée par lamaladie, « l’attente croyante est composée à la fois parl’aspiration à guérir, par la conviction d’effectuer pour celala bonne démarche et par le pouvoir ou la compétence quele malade attribue au thérapeute » [5].

Attribuant au soignant et à son savoir un pouvoir dont ilne dispose pas toujours, l’attente croyante peut tendre àeffacer la part d’incertitude inhérente à tout acte médicalet les aléas du parcours thérapeutique de chaque patient.

Liée, d’une part, aux limites mêmes de l’étatdes connaissances médicales et, d’autre part, à

la maîtrise imparfaite et incomplète, par unprofessionnel donné, de l’ensemble des

connaissances disponibles, l’incertitude est « uneépreuve épistémologique et pratique récurrente

de la pratique médicale » [6].

Il convient de signaler que les incertitudes médicales sontparfois « minimisées » par les soignants dans leur désir derépondre aux attentes qui leur sont adressées, dans leursouhait de rassurer le patient fragilisé par la maladie et

Pour citer cet article : Polomeni A, Le Bihan A-S. L’événement

mise à mal. Éthique et santé (2014), http://dx.doi.org/10.101

ses conséquences physiques, psychiques, familiales, socio-économiques.

Notons que la médiatisation des avancées technoscien-tifiques dans le domaine médical vient nourrir chez le

3 Voir, à ce propos, l’article de M. Menoret [2]. d

PRESSsoigné mise à mal 3

ublic — et plus encore chez les personnes malades — leseprésentations sociales d’une médecine toute-puissante,usceptible de contrer toute pathologie, de « vaincre »ême les maladies potentiellement mortelles.Le recours aux moyens informatiques pour accéder à

es informations médicales peut alimenter ces représenta-ions et, paradoxalement, instaurer un rapport de méfianceorsque le soignant tente de relativiser certaines attentesu croyances, en adaptant l’information à la situation spé-ifique de ce patient.

Nous reconnaîtrons là l’importance du travail’information préalable à tout soin, indispensable enant que base des interactions entre patient, entouraget soignants. Ce travail est à envisager comme une tâcheollective, à être réalisée par toute l’équipe soignante.n effet, si l’annonce d’un diagnostic, la présentationu projet thérapeutique, l’explicitation de l’évolutione la maladie (et des effets positifs et/ou des échecsu traitement) reviennent en premier lieu au médecin,’information du patient au fil de son parcours de soin neeut être que du seul ressort de l’équipe médicale. Lesifférents soignants participent de fait à ce travail, enelayant l’information, en transmettant les interrogationsu patient, en répondant — dans la limite de leurs connais-ances — à ses inquiétudes. La qualité de ces interactionsst structurante de l’expérience du malade et détermineran grande partie le vécu des aléas pouvant intervenir toutu long du parcours thérapeutique.

Soulignons que les informations données ne sup-riment pas toujours les attentes (qui parfois restent

déraisonnables ») de ceux qui sont en situation de vul-érabilité, et que — même si elles tendraient à faciliter le

partenariat » dans la relation de soins —, elles n’abolissentas l’asymétrie constitutive de cette relation.

Nous nous permettons d’insister sur ce point pour nuan-er des propos qui, mettant l’accent sur l’autonomie duatient, viendraient assimiler la relation soignant—soigné àne relation contractuelle amputée de ce qui la constitue :a demande d’aide et l’inégalité qu’elle induit. En ce sens,’alliance thérapeutique, tout en sous-entendant la notione partenariat, se bâtit sur la confiance dont le soignant estnvesti et de la responsabilité qu’elle appelle.

Cette responsabilité est intimement liée à la notion deromesse4 sous-jacente à l’alliance thérapeutique — uneromesse qui ne porte pas sur la « guérison » —, mais sur’engagement du soignant à déployer les moyens adé-uats pour répondre à la situation médico-psycho-sociale duatient.

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— pour le patient et son entourage, ainsi quepour les soignants, quelle que soit sa cause —

comme « inconcevable ».

4 Nous nous référons à P. Ricoeur [7], qui désigne les dimensions’engagement, de fiabilité comme intrinsèques à la relation de soin.

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Inconcevable pour le soignant, investi dans ses fonc-ions, guidé dans ses actions par le désir de soigner, pares principes éthiques dont le premier est celui de laon-malfaisance, par le sentiment de responsabilité indis-ociable de la perception de la vulnérabilité de l’autre,alade, qui se remet entre ses mains.Le facteur humain est en effet déterminant dans la sur-

enue d’un EIAS : les études sur le sujet relèvent un nombremportant de « défaillances humaines des professionnels, deupervision insuffisante des collaborateurs, une mauvaiserganisation ou encore de déficit de communication entrerofessionnels » [8].

Ainsi, l’EIAS vient révéler aux soignants leurs propresailles, à titre individuel et collectif, les délogeant d’unentiment de toute-puissance dont ils sont, certes, investis,ais dont ils risquent de s’en approprier pour faire face auxifficultés inhérentes à leur métier. Confrontés à la mala-ie, au handicap et à la mort, certains soignants peuventévelopper une « identification héroïque phallique » [9] quist alors ébranlée par l’EIAS, occasionnant une perte deonfiance en leurs capacités, voire une mise en cause deeur choix professionnel.

Il est essentiel de prendre en compte la souffrance duoignant — qui n’est pas opposée ou opposable à celle duatient et de son entourage. L’événement indésirable, laomplication liée à la pathologie ou aux soins, ou encorelus, l’erreur sont vécus comme « faute ».

Introduisons à ce propos la différence — subtile, maisondamentale — entre erreur et faute5. Alors qu’une fautealtération du latin falsus, faux), est un manquement à uneègle (morale, scientifique), à une norme, une erreur (nommprunté du latin error, errer d’où incertitude, ignorance)’est rien d’autre qu’une méprise, une action inconsidérée,oire regrettable, un défaut de jugement ou d’appréciation,ommis de facon involontaire, par inattention, par mal-dresse, par oubli, par ignorance. . .

Souvent connotée moralement comme« faute », l’erreur suscitera chez le soignant

d’intenses sentiments de honte et deculpabilité.

C’est cette souffrance morale, les craintes de se dévoi-er comme « faillible » face à l’autre — le patient, mais aussies pairs, les autres professionnels, les supérieurs hiérar-hiques, l’institution — qui peuvent amener le professionnel

dissimuler l’événement indésirable, à minimiser le dom-age, à cacher ou nier l’erreur. Or, c’est le silence autour

Pour citer cet article : Polomeni A, Le Bihan A-S. L’événement

mise à mal. Éthique et santé (2014), http://dx.doi.org/10.101

e l’événement indésirable — parfois plus que l’erreur enlle-même — qui viendra accentuer, pour le patient et sonntourage, le caractère « inconcevable » du dommage. . .6

5 Soulignons qu’il ne s’agit pas là du point de vue juridique, qui dis-ingue « l’erreur non fautive » de « l’erreur fautive » afin d’établires sanctions ad hoc [10].6 D’après l’HAS, le dommage lié aux soins est un préjudice subiar un usager lors de soins médicaux, qui est à l’origine : d’un han-icap ou d’une incapacité à la fin de l’hospitalisation, ou d’uneenace vitale, ou d’un décès. Ce dommage peut également avoir

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PRESSA. Polomeni, A.-S. Le Bihan

Le silence dit ainsi la souffrance du soignant, qui n’étantas en mesure d’évaluer la véritable origine de l’événementndésirable, tendra à en porter seul la culpabilité. Unenquête menée au sein de l’AP—HP montre que « le per-onnel a l’impression que ses erreurs lui sont reprochées etue c’est la personne — et non le problème — qui est pointéeu doigt » lors de la survenue d’un EIAS [11].

Et pourtant, l’impossibilité de dissocier l’EIASdu contexte organisationnel dans lequel il est

survenu a été largement démontrée.

Les travaux de J. Reason [12] attirent l’attention sur lesauses appelées systémiques ou latentes des accidents, àavoir des moyens insuffisants, une coordination inadaptéees tâches ou une mauvaise organisation du travail, plutôtu’un manque de compétence des professionnels.

Il nous paraît légitime, à ce propos, d’interroger l’impacte certains choix managériaux — guidés par « une rationa-ité formelle-pratique étrangère au monde de l’éthique »7,mposant aux soignants des conditions de travail détério-ées (en termes de charge et d’organisation du travail, deelations hiérarchiques, de modalités d’encadrement), sura prise en charge des patients.

En ce qui concerne la sécurité des soins, une étudeécente [14], conduite dans neuf pays européens, montre’impact négatif de la charge de travail et du niveau de for-ation des infirmières sur les taux de survie de patients âgése 50 ans ou plus ayant subi des interventions chirurgicalesourantes.

Les choix économiques déterminant, entre autres, leatio nombre de patients par infirmier ont des conséquen-es connues sur les conditions de travail des soignants. Desnquêtes menées sur les personnels soignants démontrentne demande quantitative élevée, une forte pression tem-orelle, une crainte de commettre des erreurs et unerande insatisfaction quant aux soins qu’ils procurent à leursalades [15—17].Notons qu’au-delà de la charge de travail, d’autres

ontraintes institutionnelles peuvent impacter sur la qua-ité des soins octroyés aux patients, notamment certainesodalités d’encadrement qui, se situant aux antipodes de

a démarche participative, influent de facon négative sur laualité du travail et, par conséquent, sur la sécurité et laualité des soins.

Rappelons, avec le Pr Degos [18], les limites d’une visionurement managénariale de cette problématique et laécessité de dépasser la seule application de protocoles etrocédures pour revaloriser l’expérience et l’autonomie desoignants.

Nous ne pouvons pas taire notre étonnement devant

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e paradoxe où, en temps de « démocratie sanitaire », deéfense des droits élémentaires des patients, les soignantsuissent se trouver, eux, limités dans leurs possibilités

our l’usager des répercussions psychologiques, voire sociales etatérielles.7 Sur ce sujet, l’article de R. Gori, « L’hôpital entreprise » [13],ous semble édifiant.

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qpsouffrance engendrées par l’EIAS, la qualité du lien établitauparavant, l’attitude du soignant, la clarté des informa-tions données et la sincérité des échanges autour de l’EIAS

8 La Haute Autorité de santé a élaboré un guide sur l’annonced’un dommage associé aux soins destiné aux professionnelsde santé exercant en établissement de santé ou en ville(www.has-sante.fr). Un autre document est proposé par l’Assistancepublique—Hôpitaux de Paris à l’attention des équipes hospitalières

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L’événement indésirable associé aux soins : la relation soign

d’exprimer leurs points de vue, leurs suggestions, leurcontribution à l’organisation de leur propre travail.

Le Pr Masquelet [19] nomme d’autres « injonctions para-doxales » auxquelles sont soumises les équipes soignantesà l’hôpital public, pris entre « l’exhortation à la producti-vité et la diminution des effectifs, des moyens financiers »,entre « la surabondance des procédures et la réductionde l’espace-temps dédié au soin » — contraintes auxquelless’ajouterait une troisième, à savoir « le malade qui vientdemander aide et assistance ».

La mission de toute institution de soin est justement derépondre à cette demande d’aide et d’assistance à ceuxqui, se trouvant dans une situation de vulnérabilité liée à lamaladie, déposent chez les soignants toute leur confiance.

Et c’est justement cette confiance qu’il s’agit de ten-ter de préserver, de restaurer lorsque l’« inconcevable »de l’EIAS a eu lieu. Il s’agit, pour l’institution, del’analyser, comprendre et intervenir sur ses causes, entre-prendre les changements adaptés pour éviter qu’il sereproduise.

Il s’agit, pour les soignants, de continuer àprendre soin — du patient et de son entourage.

Mais à quelle condition cela peut seconcevoir ?

Continuer à prendre soin du patient et de ses prochesimplique, tout d’abord, que l’équipe concernée par un EIASpuisse être rassurée dans sa fonction soignante.

Ceci suppose un travail préalable de formation au coursduquel les notions de risque et d’incertitude inhérents à toutacte soignant, ainsi que les dimensions causales systémiquesde tout événement indésirable, puissent être intégrées— afin que les consignes de gestion de sécurité, de qualitéet d’évaluation des pratiques prennent sens.

L’analyse des causes des EIAS, dans une démarche parti-cipative, peut inciter au signalement de ces événements età une réflexion collective sur les changements organisation-nels susceptibles de réduire leur incidence.

Il nous semble que les conditions sine qua non pourque ces changements se profilent sont énoncées dansl’engagement de l’Assistance publique—Hôpitaux de Paris àpropos du signalement des événements indésirables associésaux soins [20], à savoir :• l’absence de sanction des professionnels qui signalent un

EIAS dans lequel ils sont impliqués ou qu’ils ont constaté ;• la promotion d’une attitude éthique et respectueuse

à l’égard : des patients et de leurs proches (. . .) ; desprofessionnels et des équipes concernées, par un accom-pagnement professionnel non culpabilisant et si besoin,un accompagnement psychologique et juridique.

Ce n’est, en effet, qu’à condition de se sentir épau-lés par l’institution, que les soignants peuvent adhérer aux

Pour citer cet article : Polomeni A, Le Bihan A-S. L’événement

mise à mal. Éthique et santé (2014), http://dx.doi.org/10.101

démarches permettant de faire de l’EIAS « un moteur dechangement et d’amélioration des pratiques médicales etsoignantes » [21]. Pour mieux prendre soin du patient et deses proches.

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PRESSsoigné mise à mal 5

rendre soin lors d’un EIAS

t là, prendre soin, c’est tout d’abord pouvoir annoncere dommage : expliciter ce qui s’est passé, les causes de’événement, les conséquences (à court, moyen et longermes) pour le patient et les actes entrepris pour les contrô-er, les amoindrir, les réparer.

L’importance de cette annonce est reconnue institution-ellement et des principes ont été énoncés pour orienteres professionnels de santé dans ces circonstances8. Bienvidemment, ces orientations ne peuvent répondre à laomplexité des situations et les décisions concernant cesnnonces (quoi, quand, à qui, comment informer sur un EIAS)estent extrêmement difficiles pour les équipes concernées.

Comme le montrent Gallagher et al. [22], ces difficultése traduisent par un écart entre les principes établis et laéalité des pratiques soignantes concernant l’annonce d’unIAS.

L’enchevêtrement de différents facteurs, le conflit’intérêts vécu par les soignants, le degré d’incertituderésent dans certains cas sont parmi les raisons du silenceutour de ces événements indésirables, qui a pour consé-uence un mépris des besoins des patients et un non-respectes obligations professionnelles.

En effet, informer le patient sur un EIAS est à la foisne obligation légale et une obligation déontologique9.ais permettons-nous d’insister sur l’aspect éthique et

thérapeutique » de cet acte : cette annonce est là une parole qui soigne » [23] : en reconnaissant le dommage,lle reconnaît le sujet qui l’a subi.

L’impact de l’EIAS sur ce sujet sera fonction de son his-oire personnelle et familiale, au fil de laquelle le rapportvec les institutions de soin a pu être vécu comme plus ouoins rassurant. L’événement indésirable viendra s’inscrireans cette histoire, et ses répercussions se moduleront aussians le temps, les réactions immédiates du patient et de sonntourage pouvant changer dans les jours, semaines ou moisui suivront l’EIAS.

Prendre soin c’est rester disponible pour accueillir ceséactions — colère, tristesse, détresse —, en acceptant laerception qu’a le patient de l’événement et de sa gravité.ette perception peut ne pas correspondre à la réalité de

’EIAS ou à la perception du dommage par le soignant : ce quieut paraître « anodin » aux yeux des professionnels, peut neas l’être aux yeux du patient et de son entourage.

Et inversement, les professionnels peuvent considérerue l’EIAS viendra forcément entamer la confiance duatient et de ses proches. Or, malgré la déception et la

indésirable associé aux soins : la relation soignant—soigné6/j.etiqe.2014.05.003

http://portail-cms.aphp.fr/gestion-risques).9 L’obligation légale est inscrite à l’article 1142-4 du Code de

a santé publique, où l’obligation déontologique est référée sous’article R. 4127-35.

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euvent le rendre « acceptable » aux yeux du patient et venirtayer sa décision de poursuivre la prise en charge10.

L’étude de Michel et al. [24] portant sur l’acceptabilitéociale des principaux risques associés aux soins en popu-ation générale, chez les médecins hospitaliers et lesédecins libéraux fait état d’une forte coïncidence des

ugements — même si on constate chez les médecins univeau d’acceptabilité plus élevé de la survenue des évé-ements indésirables graves (moins de 50 % des médecinsnterrogés). Notons que, contrairement à ce qu’on pourraitroire, le niveau d’acceptabilité n’est pas associé à la gra-ité de l’EIAS et de ses conséquences, mais est notammentorrélé au caractère évitable de l’événement11.

Ainsi, soulignons que c’est la perception du patient quioit primer dans ces situations — c’est son vécu, sa parole àropos de cet événement qui est à entendre.

Prendre soin, c’est justement reconnaîtrel’EIAS et son impact sur le patient ; c’est enassumer sa part de responsabilité — au sens

éthique de « répondre de. . . »12.

C’est en répondant de cet événement indésirable que leoignant peut exprimer ses regrets et ses excuses — en sonom propre, au nom de l’équipe et de l’institution. À ceropos, Mazor et al. [27] confirment l’importance, pour leatient ayant subi un EIAS, de la reconnaissance des faits ete la demande d’excuses de la part des soignants.

Il nous semble fondamental d’insister sur la dimensionnstitutionnelle de ces regrets — en ce que le dommage liéux soins appelle à une réparation collective — puisque au-elà de la situation précise vécue par ce patient (et sesroches) et ce soignant (et cette équipe), c’est la représen-ation du soin, de la médecine, des institutions hospitalièresui est en jeu.

C’est la reconnaissance de l’EIAS qui permet au soignante reprendre la place dans la relation de soin : en tantue professionnel — certes pas infaillible, mais fiable. C’estette reconnaissance qui, apaisant la souffrance du patientt de son entourage, leur permet d’envisager une suite auxoins — avec ces professionnels, dans cette institution, ouvec d’autres professionnels, au sein d’un autre établisse-

Pour citer cet article : Polomeni A, Le Bihan A-S. L’événement

mise à mal. Éthique et santé (2014), http://dx.doi.org/10.101

ent de santé.En ce sens, la reconnaissance du dommage a un effet pas

eulement « thérapeutique » (apaisant, réparateur) vis-à-visu patient. Elle a également une portée « prophylactique » :

10 Par ailleurs, il semblerait que les demandes d’indemnités et/oues démarches judiciaires suite à un EIAS sont inversement corrélées

la qualité du processus d’information du patient [10].11 Le caractère évitable est apprécié selon les critères suivants : laonformité des soins par rapport à la pratique définie dans la stra-égie de soins individuelle, dans les protocoles de soins de l’unitét dans les recommandations professionnelles ; l’appréciation duegré de similitude de prise en charge par la plupart des médecinsu professionnels de santé dans un contexte identique ; et surtout,’adéquation du rapport bénéfice/risque des soins à l’origine de’événement [25].12 Rappelons, avec E. Levinas, que « le lien avec autrui ne se noueue comme responsabilité » [26], entendu par le philosophe dans saouble acception de répondre à et de répondre de.

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PRESSA. Polomeni, A.-S. Le Bihan

ue la confiance dans les institutions soignantes puisse êtreaintenue ou restaurée, afin que les personnes concernées

e se trouvent pas dans l’évitement de soins qui leur serontécessaires au fil de leur vie.

Ainsi, si l’événement indésirable lié aux soins peut mettre mal la relation de soin, il peut aussi être l’occasion dea « consolider » — en ce qu’en exigeant du soignant, maisussi du patient et de son entourage, la reconnaissancees limites inhérents aux soins, il viendrait re-humaniser laelation soignant—soigné. En rappelant que l’erreur est leait de l’homme, l’EIAS réintroduit au sein de la relationoignant—soigné les limites de l’humain sur lequel reposeout acte soignant — en ses dimensions techniques et rela-ionnelles. Et de souligner que cette humanité — source deailles et d’erreurs — est l’origine, l’essence même de toutoin : présence à l’autre.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

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ARTICLEETIQE-267; No. of Pages 7

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Pour citer cet article : Polomeni A, Le Bihan A-S. L’événement

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