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L’expression de la sous-détermination dans les procédés de référence en français contemporain Thèse présentée à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines Institut des Sciences du langage et de la communication Linguistique française Université de Neuchâtel Pour l’obtention du grade de docteur ès Lettres Par Laure Anne JOHNSEN Sous la direction de Prof. Marie-José BEGUELIN (Université de Neuchâtel) Prof. Alain BERRENDONNER (Université de Fribourg) Membres du jury : Patricia CABREDO HOFHERR, chargée de recherche, CNRS, Université Paris 8 Francis CORNISH, professeur émérite, Université Toulouse Jean Jaurès Catherine SCHNEDECKER, professeure, Université de Strasbourg SOUTENUE LE 19 MAI 2017

L’expression de la sous-détermination dans les procédés de

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Page 1: L’expression de la sous-détermination dans les procédés de

Lrsquoexpression de la sous-deacutetermination

dans les proceacutedeacutes de reacutefeacuterence en franccedilais contemporain

Thegravese preacutesenteacutee agrave la Faculteacute des Lettres et Sciences Humaines

Institut des Sciences du langage et de la communication

Linguistique franccedilaise

Universiteacute de Neuchacirctel

Pour lrsquoobtention du grade de docteur egraves Lettres

Par

Laure Anne JOHNSEN

Sous la direction de

Prof Marie-Joseacute BEGUELIN (Universiteacute de Neuchacirctel)

Prof Alain BERRENDONNER (Universiteacute de Fribourg)

Membres du jury

Patricia CABREDO HOFHERR chargeacutee de recherche CNRS Universiteacute Paris 8

Francis CORNISH professeur eacutemeacuterite Universiteacute Toulouse Jean Jauregraves

Catherine SCHNEDECKER professeure Universiteacute de Strasbourg

SOUTENUE LE 19 MAI 2017

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Reacutesumeacute

Le propos de cette thegravese est de confronter des faits de sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle en

franccedilais aux theacuteories existantes dans le domaine de la reacutefeacuterence en linguistique Notre viseacutee

est de proposer une modeacutelisation suffisamment geacuteneacuterale pour le traitement des expressions

reacutefeacuterentielles en discours Les faits de sous-deacutetermination (via par exemple les marqueurs

vagues comme (tout) ccedila ils non introduit lrsquoadverbe lagrave les deacutenominations postiches comme le

truc le machin etc) remettent en effet en question certains postulats bien implanteacutes dans la

tradition seacutemantique tels que la vocation identificatoire des deacutesignateurs ou encore la notion

drsquoanaphore conccedilue dans une optique aussi bien textuelle que cognitive Lrsquoaccegraves aux bases de

donneacutees fournit de nos jours une ressource opportune pour renouveler la reacuteflexion dans le

domaine ndash en particulier les faits drsquooral ndash lagrave ougrave la recherche en franccedilais se fonde tregraves

majoritairement sur des critegraveres drsquoacceptabiliteacute agrave lrsquoeacutegard drsquoexemples fabriqueacutes ou sur

lrsquoexamen de donneacutees consensuelles provenant de lrsquoeacutecrit travailleacute Apregraves un bilan critique des

theacuteories de la reacutefeacuterence en vigueur nous proposons une typologie et un inventaire des faits de

sous-deacutetermination Puis nous preacutesentons deux eacutetudes empiriques portant sur des

pheacutenomegravenes productifs dans les genres laquo improviseacutes raquo de lrsquooral le cas de tout ccedila dans les

eacutenumeacuterations comme la France est un pays qui adore le progregraves la technique les avions tout

ccedila ainsi que le cas de ils agrave reacutefeacuterence sous-deacutetermineacutee comme dans ils ont annonceacute du mauvais

temps Nous montrons que les situations de sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle peuvent non

seulement ecirctre le fait drsquoune ignorance du locuteur mais eacutegalement reacutesulter drsquoune optimisation

de la pertinence laquelle se traduit par des strateacutegies reacutefeacuterentielles aux rendements discursifs

varieacutes Le choix drsquoune expression reacutefeacuterentielle loin drsquoecirctre deacutetermineacute univoquement par un

segment anteacuteceacutedent ou un statut cognitif du reacutefeacuterent repose ainsi crucialement sur les besoins

communicationnels des participants de lrsquointeraction en cours

Mots cleacutes

Reacutefeacuterence sous-deacutetermination anaphore deacutesignateur meacutemoire discursive objet-de-discours

pronom

6

Abstract

The purpose of this doctoral thesis is to confront referential underdetermination facts in

French to existing theories in the field of linguistic reference in order to put forward a

modelling approach to generalize the treatment of referential expressions in discourse Indeed

underdetermination facts (eg by means of vague markers like (tout) ccedila non-introduced ils

the adverb lagrave placeholder items like le truc le machin etc) challenge certain assumptions

deeply anchored in the semantic tradition such as the identification mission of designators or

the notion of anaphora in a textual as well as in a cognitive approach Access to databases in

particular to spoken facts provides nowadays opportune resources to renew the thought in the

field where research in French is mainly based on acceptability judgments regarding

constructed examples or on the observation of consensual data from formal written discourse

After a critical overview of the current reference theories we offer a typology and an

inventory of underdetermination facts Then we present two empirical studies on productive

phenomenon in improvised spoken genres the case of tout ccedila ending enumerations like in la

France est un pays qui adore le progregraves la technique les avions tout ccedila and the case of the

underdeterminate value of ils like in ils ont annonceacute du mauvais temps We show that

referential underdetermination situations result not only from the speakerrsquos ignorance but

also by optimizing relevance which is achieved through diverse referential strategies and

discourse outputs The choice for a referential expression then far from being exclusively

determined by a textual antecedent or a cognitive referential status crucially rests upon the

communication needs of the participants in the ongoing interaction

Keywords

Reference underdetermination anaphora designator discourse memory discourse object

pronoun

7

Remerciements

Je tiens agrave exprimer ma profonde reconnaissance envers Marie-Joseacute Beacuteguelin et Alain

Berrendonner mes co-directeurs de thegravese pour leur soutien constant leur disponibiliteacute et

leurs remarques constructives Leurs travaux preacutecurseurs et leurs enseignements dans le

domaine de la reacutefeacuterence ont eacuteteacute une source drsquoinspiration deacuteterminante pour cette

recherche Je les remercie de la confiance qursquoils mrsquoont teacutemoigneacutee et qui mrsquoa permis de

mener agrave bien ce travail

Je remercie eacutegalement Patricia Cabredo Hofherr Catherine Schnedecker et Francis

Cornish drsquoavoir accepteacute de faire partie du jury de thegravese Leur lecture attentive et leurs

suggestions lors du colloque preacuteliminaire mrsquoont aideacutee agrave ameacuteliorer sensiblement la qualiteacute

scientifique du manuscrit final

Gracircce au soutien du Fonds National Suisse de la recherche scientifique jrsquoai eu

lrsquooccasion de passer un seacutejour de recherche enrichissant agrave lrsquoUniversiteacute Toulouse Jean

Jauregraves au sein de lrsquoeacutequipe ERSS que je remercie pour son accueil chaleureux Un grand

merci agrave Francis Cornish qui a rendu possible ce seacutejour dans les meilleures conditions et

qui a toujours eacuteteacute disponible

Je suis eacutegalement reconnaissante envers mes collegravegues linguistes des Universiteacutes de

Neuchacirctel et de Fribourg pour leur soutien et les eacutechanges stimulants partageacutes au bureau

ou lors de nos expeacuteditions scientifiques Merci en particulier agrave Mathieu Avanzi Marine

Borel Virginie Conti Gilles Corminboeuf Franccedilois Delafontaine Freacutedeacuteric Gachet

Alexander Guryev Pascal Montchaud et Geacuteraldine Zumwald Kuumlster Je souhaite

eacutegalement remercier mes collegravegues actuels de lrsquoInstitut de langue et civilisation

franccedilaises pour leur encouragement et leur compreacutehension durant les derniegraveres eacutetapes de

ma thegravese

Je tiens pour finir agrave exprimer ma gratitude envers ma famille et mes amis pour leur

soutien sans faille tout au long de ces anneacutees Un merci tout speacutecial agrave ma megravere et agrave

Florent pour leur contribution technique Enfin jrsquoaimerais remercier Adegravele et Olivier qui

ont partageacute cette aventure malgreacute eux avec une compreacutehension et un enthousiasme

admirables

8

9

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE 15

1 Objet drsquoeacutetude 15 2 Meacutethodologie et donneacutees 17 3 Organisation du contenu 19

Premiegravere Partie Reacutefeacuterence anaphore pronominale et sous-deacutetermination eacutetat des lieux 21

CHAPITRE I GENERALITES SUR LA REFERENCE ET LES EXPRESSIONS REFERENTIELLES 23

1 Introduction 25 2 Notions fondamentales 27

21 Reacutefeacuterence existence et monde reacuteel 27 22 Sens et reacutefeacuterence 29 23 Reacutefeacuterence et preacutedication 35 24 Bilan 37

3 Typologie des reacutefeacuterents 41 31 Les ordres de Lyons (1977) 41 32 Deuxiegraveme et troisiegraveme ordres tentative de classement 43 33 Objets laquo indiscrets raquo 48 34 Bilan 50

4 Les expressions reacutefeacuterentielles cateacutegories majeures 55 41 Les noms propres 55 42 Les SN deacutefinis 60 43 Les SN deacutemonstratifs 63 44 Les pronoms personnels 66 45 Les SN indeacutefinis 71 46 Approche cognitive des expressions reacutefeacuterentielles 73

461 La theacuteorie de lrsquoAccessibiliteacute 74 462 La Hieacuterarchie du Donneacute 75 463 Bilan 77

5 Modes de deacutesignation reacutefeacuterentielle anaphore et deixis 79 51 Origine des notions drsquoanaphore et de deixis 79 52 Conception traditionnelle de lrsquoopposition anaphore vs deixis 80 53 Lrsquoanaphore sous lrsquoangle textualiste 81 54 Limites drsquoune approche textualiste de lrsquoanaphore 83 55 Conception cognitive de lrsquoopposition anaphore vs deixis 85 56 Bilan 88

6 Vers un modegravele constructiviste du discours 91 61 Les reacutefeacuterents discursifs 91 62 Une repreacutesentation du discours 92 63 Le modegravele du discours fribourgeois 94

631 Principes meacutethodologiques 94 6311 Le rapport oral-eacutecrit 94 6312 Le statut des donneacutees 95 6313 Une vision non deacuteterministe du rapport monde-langue 97

10

632 Discours et texte 100 633 Les articulations du discours 100 634 Meacutemoire discursive et nature des objets-de-discours 102 635 Opeacuterations de pointage 104 636 Strateacutegies reacutefeacuterentielles 106

7 Conclusion 109

CHAPITRE II FONCTIONNEMENT DE LrsquoANAPHORE PRONOMINALE 111

1 Introduction 113 2 Proprieacuteteacutes morphologiques et seacutemantiques du pronom clitique de 3e personne 115

21 La personne 117 22 Le cas 118 23 Le nombre 119 24 Le genre 125 25 Bilan 131

3 Approches de lrsquoanaphore pronominale 133 31 Conception substitutive 133 32 Conception textualiste 136 33 Conception cognitive 137 34 Bilan 139

4 Lrsquoanaphore pronominale indirecte ou associative 143 41 Lrsquoanaphore associative 143

411 Conception eacutetroite 144 412 Conception large 146 413 Bilan 150

42 Contextes drsquoapparitions des pronoms indirects 151 421 Restrictions drsquoemploi 151 422 Reacutegulariteacutes drsquoemploi 156

5 Conclusion 161

CHAPITRE III LA SOUS-DETERMINATION REFERENTIELLE 163

1 Introduction 165 2 Caracteacuteristiques de la sous-deacutetermination 167

21 Sous-deacutetermination et pertinence 167 22 Une notion scalaire 167 23 Types de sous-deacutetermination 168

3 Notions voisines 173 31 Reacutefeacuterence indeacutefinie 173 32 Approximation 173 33 Ambiguiumlteacute 175 34 Ambivalence 177 35 Interpreacutetation transparente vs opaque 178

4 Emergence et traitement de la sous-deacutetermination 179 41 Motivations de la sous-deacutetermination 179 42 Sous-speacutecification seacutemantique 182 43 Traitement cognitif de la sous-speacutecification 183

5 Inventaire des moyens drsquoexpression de la sous-deacutetermination 185 51 Ressources lexicales 185

511 Hyperonymes 185 512 N sous-speacutecifieacutes laquo capsules raquo 186

11

513 Termes postiches 188 52 Ressources non lexicales 189

521 Anaphores zeacutero 189 522 Pronoms conjoints 190

5221 Pronoms sujets ccedila ils 190 5222 Pronoms reacutegimes le y en 191 5223 Pronoms reacutegimes dans les laquo aphorismes lexicaliseacutes raquo 192

523 Pronoms disjoints 193 5231 Les deacutemonstratifs ccedila ceci cela 193 5232 Les pronoms lrsquounhellip (lrsquoautre) les unshellip les autres 196

524 Lrsquoadverbe lagrave 197 6 Conclusion 199

Deuxiegraveme Partie Manifestations de la sous-deacutetermination deux eacutetudes empiriques 201

AVANT-PROPOS LA CONSTITUTION DES DONNEacuteES 203

CHAPITRE IV FONCTIONNEMENT REFERENTIEL ET PRAGMATIQUE DE TOUT CcedilA 205

1 Introduction 207 2 Les emplois de ccedila 209

21 ccedila conjoint 210 211 ccedila pointe sur un objet cateacutegoriseacute 210

2111 ccedila redouble un sujet 210 2112 ccedila et la reacutefeacuterence humaine 211

212 ccedila pointe sur un objet non cateacutegoriseacute 213 2121 ccedila se rapporte agrave lrsquoexpeacuterience du locuteur 213 2122 ccedila laquo impersonnel raquo 213 2123 ccedila renvoie agrave un procegraves ou agrave un objet laquo indiscret raquo 214 2124 ccedila renvoie agrave une quantiteacute 216

22 ccedila disjoint 216 221 ccedila compleacutement 216 222 ccedila deacutetacheacute 218

23 Bilan sur les emplois de ccedila 220 3 Les emplois de tout ccedila 221

31 Le quantificateur tout 221 32 tout ccedila reacutegi 223 33 tout ccedila deacutetacheacute 223 34 tout ccedila appositif reacutegissant un circonstant 224 35 tout ccedila dans les listes 225 36 Bilan sur les emplois de tout ccedila 225

4 Etude de tout ccedila dans les listes agrave lrsquooral 227 41 Travaux anteacuterieurs 228

411 Les particules drsquoextension 228 412 tout ccedila particule drsquoextension 229 413 Bilan 229

42 Remarques sur les donneacutees 230 43 Proprieacuteteacutes des listes 231

431 Aspects lexico-syntaxiques 231 432 Aspects seacutemantico-pragmatiques 233 433 Aspects prosodiques 235

12

44 Fonctionnement reacutefeacuterentiel 239 441 Un pointage reacutesomptif 240 442 Lrsquoinfeacuterence drsquoun ensemble 241

45 Fonctionnement pragmatique 242 451 Marquage de lrsquointersubjectiviteacute 243 452 Rocircle de ponctuant 244 453 Approximation de paroles rapporteacutees 246 454 Eupheacutemisme 247 455 Emphase 248 456 Association agrave drsquoautres eacuteleacutements 249

4561 machin tout ccedila 249 4562 tout ccedila mais 249

5 Conclusion 251

CHAPITRE V FONCTIONNEMENT REFERENTIEL ET PRAGMATIQUE DE ILS A VALEUR SOUS-

DETERMINEE 253

1 Introduction 255 2 Travaux anteacuterieurs 257

21 Le traitement de ils dans les grammaires 257 22 Le traitement de ils en linguistique franccedilaise 261

221 Un reacutefeacuterent sous-deacutetermineacute 261 222 Indices morpho-seacutemantiques 264

2221 Le nombre pluriel 264 2222 Le genre masculin 265 2223 Le trait [+humain] 266

223 Bilan 266 23 Traitement de they en psycholinguistique 267 24 Traitement de la 6e personne en grammaire geacuteneacuterative et en typologie des langues 269

241 Interpreacutetation arbitraire 269 242 Typologie des pronoms R-impersonnels 271 243 Lrsquohypothegravese de la grammaticalisation 274 244 Bilan 276

25 Synthegravese geacuteneacuterale sur les travaux anteacuterieurs 277 3 Etude de ILS dans une collection de donneacutees en franccedilais 279

31 Remarques sur les donneacutees 280 32 Classement des donneacutees 281

321 Anaphore indirecte 281 3211 Infeacuterence collectif-classe 281 3212 Infeacuterence lieu-classe 283 3213 Infeacuterence sceacutenario-actant 288 3214 Bilan 291

322 Anaphore indirecte ou variable non instancieacutee 292 3221 Ambiguiumlteacute drsquoanalyse 292 3222 Quiproquos interpreacutetatifs 294

323 Variable non instancieacutee 297 3231 Promotion du procegraves 297 3232 Verba dicendi 300 3233 Incrimination feinte 302 3234 Preacutedicat non typant 303 3235 Bilan 304

13

33 Discussion 304 34 ILS dans le paradigme des constructions agrave agent sous-deacutetermineacute 307

341 ILS vs le passif 307 342 ILS vs ON 314 343 Bilan 319

4 Conclusion 321

CONCLUSION GEacuteNEacuteRALE 323

1 Synthegravese des principaux reacutesultats 323 2 Pistes de recherche 326

BIBLIOGRAPHIE 329

14

LISTE DES FIGURES

Figure 1 Triangle seacutemiotique drsquoapregraves Ogden amp Richards (1923) 33

Figure 2 Eacutechelle drsquoAccessibiliteacute drsquoapregraves Ariel (1990) 75

Figure 3 La Hieacuterarchie du Donneacute drsquoapres Gundel et al (1993) 76

Figure 4 Scheacutema des modaliteacutes reacutefeacuterentielles drsquoapregraves Halliday amp Hasan (1976) 81

Figure 5 Echelle de phoriciteacute drsquoapregraves Cornish (2010a) 86

Figure 6 Pluraliteacute interne drsquoapregraves Curat (1988) 120

Figure 7 Pluraliteacute externe drsquoapregraves Curat (1988) 120

Figure 8 Prosogramme 1 238

Figure 9 Prosogramme 2 239

Figure 10 Lectures des 3pl sans anteacuteceacutedent drsquoapregraves Cabredo Hofherr (2014) 271

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 Flexion des pronoms personnels conjoints en franccedilais 116

Tableau 2 Tableau syntheacutetique des traits oppositifs de ils on et Oslash 320

15

Introduction geacuteneacuterale

Ja kann man ein unscharfes Bild immer mit Vorteil durch ein scharfes ersetzen Ist das unscharfe nicht oft gerade das was wir brauchen (Wittgenstein 1953 = 2011 sect71)

1 Objet drsquoeacutetude

La preacutesente eacutetude srsquoinscrit dans le domaine linguistique de la reacutefeacuterence et des expressions

reacutefeacuterentielles Ce domaine srsquointeacuteresse traditionnellement agrave la maniegravere dont laquo le langage entre

en relation avec le reacuteel raquo (Searle 1985 236) Les expressions reacutefeacuterentielles y apparaissent

ainsi comme les moyens drsquoeacutetablir cette relation avec les objets ou reacutefeacuterents du monde Dans

les eacutetudes sur la reacutefeacuterence la plupart largement inspireacutees des travaux en philosophie leur

fonction est deacutecrite dans une viseacutee essentiellement identificatoire laquo [il srsquoagit] de chercher agrave

comprendre comment dans un eacutenonceacute du type de jrsquoai perdu unlemon chat les diffeacuterents

groupes ou syntagmes nominaux dans lesquels apparaicirct le nom chat peuvent ou non conduire

agrave lrsquoidentification drsquoun exemplaire particulier de chat raquo (Charolles 2002 9) Les expressions y

sont appreacutehendeacutees selon des critegraveres drsquoadeacutequation et de conformiteacute au reacuteel pour accomplir

cette tacircche agrave laquelle elles sont voueacutees

Or ces principes rencontrent des limites face agrave des actes reacutefeacuterentiels courants comme des

faits de sous-deacutetermination (eg les deacutesignateurs vagues comme (tout) ccedila ils non introduit

lrsquoadverbe lagrave les deacutenominations postiches comme le truc le machin etc) Notre objectif est

de confronter ces faits aux theacuteories et postulats existants afin de proposer un modegravele plus

geacuteneacuteral pour le traitement des expressions reacutefeacuterentielles qui deacutepasse les situations

laquo consensuelles raquo par la prise en compte des productions reacuteelles des usagers La sous-

deacutetermination qui se manifeste en discours critiqueacutee depuis toujours par les philosophes et

grammairiens soulegraveve en effet drsquointeacuteressantes questions agrave lrsquoeacutegard du traitement de la

reacutefeacuterence

Par sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle nous entendons la situation ougrave un reacutefeacuterent eacutevoqueacute nrsquoest

pas clairement identifieacute (indistinction de ses attributs de ses contours absence de

deacutenomination de proprieacuteteacute cateacutegorisante etc) En examinant ce genre de cas nous visons

ainsi agrave remettre en question lrsquoideacutee que les objets que manipulent les locuteurs dans leurs

eacutechanges sont ceux de la reacutealiteacute et proposons qursquoil srsquoagit drsquoentiteacutes construites dans et par le

discours Dans cette perspective nous montrons que ces laquo objets-de-discours raquo ne sont pas

toujours bien deacutelimiteacutes ni deacutetermineacutes et que les expressions reacutefeacuterentielles ne reflegravetent pas une

adeacutequation au reacuteel ou aux seuls inteacuterecircts de lrsquointerpregravete agrave des fins identificatoires mais plutocirct

une adeacutequation agrave des objectifs communicationnels varieacutes que nous tacirccherons de deacutecrire Les

exemples suivants tireacutes respectivement de lrsquooral non planifieacute et de lrsquoeacutecrit scientifique

donnent un aperccedilu du genre de faits qui nous inteacuteressent

16

(1) et ce qui me frappe beaucoup crsquoest que -1 elles arrivent pas agrave deacutecoller de l- - de de la

mecircme ideacuteologie - crsquoest-agrave-dire que elles ont lrsquoimpression drsquoavoir gagneacute une certaine

liberteacute mais - crsquoest une liberteacute qui encore fonctionne dans le quotidien - et je pense que

m- - malheureusement je pense ccedila - mais je suis peut-ecirctre pessimiste - je pense que le

quotidien actuellement ici - maintenant - crsquoest un truc si frustrant si alieacutenant - que

personne peut eacutepanouir sa personnaliteacute - donc bon crsquoest crsquo crsquoest vrai que crsquoest

pessimiste (oral ctfp)

(2) Le rapport laquo individu-socieacuteteacute raquo est tel que leur dissociation ne peut se concevoir

Cependant ce rapport a fait problegraveme et fait encore problegraveme pour beaucoup

Comment est-ce possible On peut reacutepondre ndash et cette reacuteponse paraicirct coheacuterente ndash que

ce problegraveme est un fait sociologique (Gurvitch G Traiteacute de sociologie t 2 1968

ltFrantext)

Ces exemples illustrent lrsquousage drsquoexpressions qui renvoient agrave des entiteacutes sous-deacutetermineacutees au

moment du pointage reacutefeacuterentiel ndash on sait qursquoil srsquoagit respectivement drsquoun objet de penseacutee (je

pense ccedila) et drsquoun acte illocutoire (cette reacuteponse) ndash dont la caracteacuterisation est fournie par le

discours dans une eacutetape communicative ulteacuterieure Par ailleurs cette caracteacuterisation est creacuteeacutee

par le discours et en cela les objets ne preacuteexistent pas agrave lrsquoeacutenonciation mais en sont au

contraire fondamentalement deacutependants

Les expressions sous-speacutecifieacutees par leur pauvreteacute seacutemantique repreacutesentent agrave cet eacutegard de

bons candidats agrave la diffusion de la sous-deacutetermination elles sont susceptibles de renvoyer agrave

des reacutefeacuterents non cateacutegoriseacutes et laquo instables raquo Leurs traits peu discriminants (et ici leur nature

deacutemonstrative) obligent lrsquointerpregravete agrave srsquoappuyer sur des indices de nature contextuelle plutocirct

que sur leur conformiteacute agrave des objets de la reacutealiteacute tangible Nous avons pour intention

drsquoinventorier les ressources linguistiques lexicales ou pronominales speacutecialiseacutees dans la

sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle et drsquoen observer les circonstances drsquoemploi ainsi que les

rendements discursifs Parmi lrsquoensemble de ces formes nous avons choisi drsquoexaminer plus en

deacutetail deux types de faits repreacutesentatifs de cette situation particuliegraverement productifs dans les

productions spontaneacutees agrave savoir lrsquoemploi de tout ccedila notamment dans les configurations

drsquoeacutenumeacuteration et lrsquoemploi de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee souvent rapprocheacute dans la

litteacuterature de lrsquoemploi de on dit indeacutefini En voici deux exemples repreacutesentatifs

(3) daccord ces jeunes | _ |2jouent le jeu ils sont | _ | ils sont enthousiastes ils ils ont de

leacutenergie ils ont des ideacutees tout ccedila (oral ofrom)

(4) ouais ceacutetait vraiment reacuteputeacute pour ecirctre des pistes difficiles | _ | je sais pas si toi tu as eu

mais peut-ecirctre plus jeune quand mecircme hein | _ | ils ils travaillaient pas les pistes

encore euh ceacutetait vraiment des des champs de bosses tu vois (oral ofrom)

1 Selon les conventions de transcription de Blanche-Benveniste et al (2002) ce signe indique une pause bregraveve et

lorsqursquoil est redoubleacute une pause plus longue 2 Indication drsquoune pause dans la base OFROM (Avanzi Beacuteguelin amp Dieacutemoz 2012-2015)

17

Lrsquoemploi de tout ccedila permet au locuteur de rester eacutevasif sur le reacutefeacuterent eacutebaucheacute par

lrsquoeacutenumeacuteration des qualiteacutes Quant agrave lrsquoemploi de ils il met en jeu un agent dont lrsquoidentiteacute nrsquoest

pas pertinente pour lrsquoenjeu de la communication Les deux expressions ont susciteacute quelque

attention de la part des chercheurs3 sans toutefois que la question de la reacutefeacuterence soit au cœur

des preacuteoccupations ou que des conseacutequences en soient tireacutees sur la description des proceacutedeacutes

reacutefeacuterentiels en geacuteneacuteral Notre intention agrave lrsquoinverse consiste preacuteciseacutement agrave en eacutevaluer les

reacutepercussions pour une theacuteorie de la reacutefeacuterence On voit agrave cet eacutegard drsquoembleacutee que lrsquoemploi de

ils ci-dessus se reacutevegravele difficilement conciliable avec la notion drsquoanaphore telle qursquoelle est

traditionnellement conccedilue

Ce travail offre ainsi lrsquooccasion de revenir sur les notions drsquoanaphore et de deixis

systeacutematiquement exploiteacutees dans lrsquoeacutetude des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels malgreacute les deacutefauts de

geacuteneacuteraliteacute de leur deacutefinition Nos donneacutees interrogent aussi bien la conception textuelle de

lrsquoanaphore fondeacutee sur la preacutesence drsquoun anteacuteceacutedent dans le contexte verbal encore fortement

ancreacutee dans les grammaires et la litteacuterature en linguistique tous domaines confondus

(seacutemantique TAL psycholinguistique typologie grammaire geacuteneacuterative etc) qursquoune

conception cognitive de lrsquoopposition deixisanaphore (nouveauteacute vs continuiteacute reacutefeacuterentielle)

Malgreacute un vif deacutebat sur lrsquoanaphore au cours des derniegraveres deacutecennies du XXe siegravecle en

linguistique franccedilaise refleacutetant des tentatives de renouvellement de la reacuteflexion sur le sujet

les modegraveles dominants actuels semblent peu enclins agrave eacutelargir le champ drsquoobservation aux

donneacutees deacutesormais agrave disposition En effet lrsquoeacutetude des expressions reacutefeacuterentielles en franccedilais

nrsquoa semble-t-il pas profiteacute de lrsquoaccegraves de nos jours faciliteacute aux bases de donneacutees orales et

eacutecrites pour remettre en question ses propres fondements contrairement agrave des domaines

comme la syntaxe la lexicographie la prosodie etc qui ont su en tirer parti pour ajuster leurs

modegraveles ou meacutethodologies respectives A lrsquoegravere des corpus numeacuteriseacutes il nous paraicirct donc

opportun de faire le point sur lrsquoeacutetat des theacuteories en matiegravere de reacutefeacuterence

2 Meacutethodologie et donneacutees

La deacutemarche adopteacutee dans ce travail est empirique consistant agrave recueillir des faits de langue

exclusivement attesteacutes en vue drsquoune analyse minutieuse tenant compte de leur contexte

drsquooccurrence (agrave lrsquoexception drsquoexemples emprunteacutes agrave des auteurs que nous discutons) La

meacutethode se veut qualitative pour le choix des exemples retenus ceux-ci ont eacuteteacute reacutecolteacutes au

cours de notre recherche pour leur valeur heuristique crsquoest-agrave-dire pour leur capaciteacute agrave reacuteveacuteler

des aspects pertinents sur le fonctionnement de la reacutefeacuterence en franccedilais Nos donneacutees ne

repreacutesentent donc pas agrave proprement parler un corpus au sens strict du terme mais une

collection drsquoexemples soigneusement rassembleacutes sur des critegraveres qualitatifs En cela notre

travail nrsquoappartient pas agrave la linguistique de corpus mais constitue une eacutetude linguistique sur

une seacutelection de donneacutees attesteacutees Nous faisons en outre le choix de recourir agrave un ensemble

3 Bilger (1989) Ferreacute (2011) Secova (2014) pout tout ccedila Kleiber (1992b) Cabredo Hofherr (2003 2014)

Siewierska (2010 2011) Siewierska amp Papasthati (2011) sur ils ou les indices de 3e personne du pluriel agrave travers

les langues

18

diversifieacute et ouvert de donneacutees En effet lrsquoexamen des expressions reacutefeacuterentielles degraves lors que

lrsquoon tient compte des expressions nominales ne permet tout simplement pas drsquoexploiter

lrsquoextraction automatique de donneacutees Drsquoailleurs en se concentrant uniquement sur des faits

extractibles on court le risque de se priver de tout un ensemble de pheacutenomegravenes qui

manifestent des reacutegulariteacutes de comportements irreacuteductibles agrave un repeacuterage automatique

(Corminboeuf 2014 2378) Nous partons donc dans un premier temps drsquoune vaste

observation agrave partir de sources diversifieacutees

Pour les parties plus empiriques de cette thegravese nous faisons cependant le choix de recourir en

prioriteacute agrave des donneacutees drsquooral spontaneacute car ce type de contexte de production reste un champ

tregraves peu exploreacute dans le domaine des expressions reacutefeacuterentielles en franccedilais Cela srsquoexplique

peut-ecirctre par la laquo grande pauvreteacute des chaicircnes conversationnelles qui sont reacuteduites agrave

lrsquoalternance drsquoun deacutesignateur et de pronoms raquo comme le relegraveve Corblin (2005 253) Mais

cette laquo pauvreteacute raquo lexicale des deacutesignateurs en conversation nous paraicirct au contraire

susceptible drsquoen dire long sur les pratiques reacutefeacuterentielles des locuteurshellip Pour lrsquooral nous

recourons aux bases suivantes4

- OFROM (Avanzi Beacuteguelin amp Dieacutemoz 2012-2015) httpwwwuninechofrom)

- PFC (Durand et al 2002 2009) httpwwwprojet-pfcnet

- CFPP (Branca-Rosoff Fleury Lefeuvre Pires 2012) httpcfpp2000univ-paris3fr

- CTFP (Blanche-Benveniste et al 2002)

- CRFP (Delic 2004)

Les extraits retenus sont reproduits avec leurs conventions drsquoorigine une tacircche

drsquouniformisation se reacuteveacutelant trop fastidieuse Consciente que les exemples seacutelectionneacutes

puissent parfois paraicirctre artificiellement coupeacutes de leur contexte nous indiquons cependant

toujours la source agrave partir de laquelle est ndash en principe5 ndash accessible le contexte eacutelargi (texte et

audio) Nous reproduisons eacutegalement ponctuellement pour leur pertinence des extraits de

conversation recueillis laquo au vol raquo

Concernant lrsquoeacutecrit ce sont nos lectures quotidiennes en tous genres qui constituent drsquoabord

notre source drsquoobservation agrave savoir textes de presse (papier ou web) litteacuteraires pratiques

administratifs publicitaires etc mais eacutegalement des extraits provenant de genres plus proches

de laquo lrsquoimmeacutediat raquo (Koch amp Oesterreicher 1985) comme les reacuteseaux sociaux forums blogs

4 Le projet ORFEO (httpwwwprojet-orfeofr) encore non accessible va rassembler et mettre agrave la disposition

du public courant 2017 une masse de donneacutees eacutechantillonneacutees sans preacuteceacutedent en franccedilais parleacute et eacutecrit 5 Agrave lrsquoexception de CRFP qui nrsquoest pas en accegraves libre mais dont nous nrsquoavons reproduit que trois exemples et

dont nous pouvons fournir un contexte eacutelargi sur demande

19

courriels SMS6 Nous avons eacutegalement recours agrave la base Frantext (wwwfrantextfr) pour des

recherches de formes particuliegraveres

Dans un second temps une fois cibleacutes les objets drsquoeacutetude speacutecifiques la reacutecolte des donneacutees

peut eacutevidemment beacuteneacuteficier de lrsquoextraction automatique dans les bases respectives (eg

recherches de (tout) ccedila ils on etc) Mais les requecirctes aboutissant agrave un nombre trop eacuteleveacute de

reacutesultats pour une analyse contextuelle exhaustive de chaque occurrence ce sont des critegraveres

qualitatifs qui orientent notre tri En effet selon nos principes descriptifs chaque reacutesultat

requiert pour son observation la prise en compte drsquoun contexte large qui peut eacutequivaloir dans

certains cas agrave lrsquoenregistrement entier (ou agrave des recalibrages de contexte fastidieux dans

Frantext) Les donneacutees seacutelectionneacutees ne peuvent donc preacutetendre agrave un reflet repreacutesentatif de la

distribution des occurrences eacutetudieacutees quoique nous fournissions ponctuellement quelques

comptages effectueacutes sur des sous-corpus restreints Mais de maniegravere geacuteneacuterale nous ne nous

attardons pas sur des faits jugeacutes consensuels ou typiques et favorisons la prise en compte et

lrsquoexamen de donneacutees laisseacutees en marge des descriptions par les chercheurs sous preacutetexte de

rareteacute de manque de pertinence voire de deacuteviance Si certains types de sources paraissent

plus creacutedibles agrave eacutetudier que drsquoautres selon des preacutejugeacutes ambiants nous accordons agrave lrsquoinverse agrave

tous les faits la mecircme valeur scientifique Drsquoailleurs malgreacute lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute des sources les

donneacutees reacutevegravelent des reacutegulariteacutes eacutevidentes sur le fonctionnement de la langue qursquoune

eacutepuration pourrait conduire agrave occulter

3 Organisation du contenu

Cet ouvrage est organiseacute en deux parties la premiegravere constitueacutee de trois chapitres consiste

en un eacutetat des lieux des notions cleacutes de reacutefeacuterence drsquoanaphore et de sous-deacutetermination la

seconde composeacutee de deux chapitres preacutesente deux eacutetudes de cas

Les trois chapitres de la premiegravere partie repreacutesentent des bilans critiques i) sur le traitement

veacuterifonctionnel de la reacutefeacuterence et des expressions reacutefeacuterentielles par les modegraveles existants agrave la

suite de quoi est exposeacute le cadre theacuteorique dans lequel se situe notre approche ii) sur le

pronom de 3e personne et son rocircle unanimement reconnu drsquoanaphorique iii) sur la

probleacutematique de la sous-deacutetermination et les ressources agrave la disposition des locuteurs pour

lrsquoexprimer Dans chacun de ces chapitres nous confrontons lrsquoeacutetat de la recherche agrave des

donneacutees authentiques et gecircnantes pour les theacuteories existantes afin de mettre en eacutevidence les

aspects qui neacutecessitent agrave nos yeux plus ample reacuteflexion dans la perspective drsquoun modegravele

geacuteneacuteral de la reacutefeacuterence

Les deux chapitres de la partie empirique portent respectivement sur lrsquousage de tout ccedila en

particulier dans les structures drsquoeacutenumeacuteration (Chapitre IV) et sur lrsquoemploi de ils dont la valeur

demeure sous-deacutetermineacutee (Chapitre V) Ces deux chapitres ont pour enjeu de deacutegager les

6 Swiss SMS corpus httpssmslinguistikuzhch (Stark et al 2009-2014) 88milSMS http88milsmshuma-

numfrindexhtml (Panckhurst R Deacutetrie C Lopez C Moiumlse C Roche M Verine B 2014)

20

facteurs contextuels accidentels ou strateacutegiques qui favorisent la mise en œuvre des proceacutedeacutes

de sous-deacutetermination

Cette eacutetude sur la sous-deacutetermination qui vise agrave une meilleure compreacutehension des

meacutecanismes reacutefeacuterentiels en contexte inteacuteressera les linguistes travaillant dans le domaine de

la reacutefeacuterence de la coheacuterence de la structure informationnelle et du franccedilais parleacute Plus

geacuteneacuteralement le sujet se situe aux croisements de plusieurs disciplines comme la seacutemantique

la pragmatique lrsquoanalyse du discours et la linguistique interactionnelle Cette thegravese trouvera

eacutegalement des eacutechos parmi les didacticiens de la langue En effet on constate dans les

manuels ou usuels de grammaire lrsquoinsuffisance des ressources disponibles pour

lrsquoenseignement des proceacutedeacutes de coheacuterence en particulier des expressions anaphoriques

invariablement abordeacutees en termes de deacutependance agrave une seacutequence textuelle Lrsquoouvrage pourra

encore inteacuteresser les chercheurs en TAL qui travaillent sur la reacutesolution automatique

drsquoanaphores et drsquoexpressions coreacutefeacuterentielles par ordinateur En effet la plupart des faits que

nous eacutetudions eacutechappent aux algorithmes deacuteveloppeacutes par les ingeacutenieurs en vue de la

reconnaissance des expressions et constituent donc une difficulteacute majeure dans leur travail

Une analyse fouilleacutee du pheacutenomegravene de la sous-deacutetermination permettra nous lrsquoespeacuterons

drsquoapporter de lrsquoeau au moulin des recherches sur la reacutefeacuterence

21

Premiegravere Partie

Reacutefeacuterence anaphore pronominale et sous-

deacutetermination eacutetat des lieux

22

23

Chapitre I

Geacuteneacuteraliteacutes sur la reacutefeacuterence

et les expressions reacutefeacuterentielles

24

25

1 Introduction

Lorsqursquoun usager de la langue participe agrave une interaction verbale il entraicircne geacuteneacuteralement

dans son discours des objets auxquels il attribue des proprieacuteteacutes (on dit qursquoil preacutedique sur eux)

et les met en relation les uns avec les autres Dans le cadre de cette activiteacute locutoire lrsquoacte de

reacutefeacuterence consiste preacuteciseacutement agrave eacutevoquer dans le discours par des moyens verbaux les entiteacutes

souhaiteacutees Le choix pour un type drsquoexpression varie selon diffeacuterents paramegravetres (lrsquoopeacuteration

accomplie la prise en compte du savoir partageacute etc)

(5) jrsquoai perdu unlemon chat (Charolles 2002 9)

Lrsquoenjeu des travaux en seacutemantique reacutefeacuterentielle consiste principalement agrave eacutetudier les

modaliteacutes de reacutefeacuterence agrave un objet selon lrsquoexpression seacutelectionneacutee Ressortissant au domaine de

la parole la probleacutematique de la reacutefeacuterence a drsquoabord eacuteteacute eacutecarteacutee de lrsquoanalyse linguistique

laquo immanentiste raquo dont lrsquoobjet essentiel eacutetait la langue en tant que systegraveme de signes fermeacute

Crsquoest cependant depuis des siegravecles un thegraveme incontournable pour les philosophes qui

cherchent agrave laquo comprendre comment le langage entre en relation avec le reacuteel raquo (Searle 1985

236) Lrsquointeacuterecirct pour la notion de reacutefeacuterence est toutefois apparu dans le champ de la

linguistique avec le deacuteveloppement des eacutetudes sur lrsquoeacutenonciation autrement dit sur

lrsquoactualisation de la langue en contexte par les usagers et avec lrsquoessor de la pragmatique et de

la seacutemantique comme disciplines degraves lors non plus restreintes au domaine de la philosophie

Ce chapitre vise agrave examiner la notion de reacutefeacuterence et ses notions voisines (sect2) tout en

montrant qursquoelles restent largement tributaires des conceptions philosophiques fondeacutees

notamment sur lrsquoideacutee drsquoune conformiteacute des signifieacutes linguistiques aux objets de la reacutealiteacute

tangible Nous preacutesentons les tentatives deacuteployeacutees en seacutemantique pour classer ces reacutefeacuterents

(sect3) et nous dressons une synthegravese critique sur la maniegravere dont les principales expressions

reacutefeacuterentielles sont traiteacutees en linguistique (sect4) Puis nous abordons toujours drsquoun œil critique

les diffeacuterentes modaliteacutes de deacutesignation reacuteguliegraverement invoqueacutees dans lrsquoacte de reacutefeacuterence agrave

savoir lrsquoanaphore et la deixis (sect5) Face aux approches dominantes en matiegravere de reacutefeacuterence

nous preacutesentons pour finir une approche alternative et constructiviste de la question incarneacutee

par le modegravele que nous prenons pour cadre drsquoanalyse (sect6)

26

27

2 Notions fondamentales

21 Reacutefeacuterence existence et monde reacuteel

Drsquoapregraves Frege (1892=1971) et ses continuateurs un nom propre nrsquoa de reacutefeacuterence (ou

deacutenotation dans sa terminologie) que srsquoil deacutesigne un objet pour lequel on suppose une

existence aveacutereacutee dans le monde (cf infra sect22) Autrement dit les reacutefeacuterents constituent les

objets existants du monde qursquoil est possible de prendre comme objets du discours en y

reacutefeacuterant par des moyens linguistiques De la sorte le nom Veacutenus renvoie bien agrave un objet

extralinguistique la planegravete ainsi nommeacutee et observable mais il nrsquoen va pas de mecircme pour le

nom Ulysse qui nrsquoa pas de reacutefeacuterence eacutetablie dans le monde qui nous entoure donc pas de

reacutefeacuterence du tout selon la conception freacutegeacuteenne

Dans une optique reacutesolument inverse certains considegraverent que tout objet que lrsquoon eacutevoque

dans le discours implique son existence laquo whatever is referred to must exist raquo (Searle 1969

77) Crsquoest ici lrsquoacte de reacutefeacuterence linguistique mecircme qui confegravere une existence degraves lors

indeacuteniable agrave lrsquoobjet viseacute

Le compromis geacuteneacuteralement adopteacute face agrave ces positions antagonistes consiste agrave consideacuterer

que des noms tels qursquoUlysse licorne ou autres Tarzan renvoient bien agrave des reacutefeacuterents mais agrave

des reacutefeacuterents existant dans un monde imaginaire (Kleiber 1997a 11) La notion drsquoexistence

doit alors ecirctre adapteacutee agrave cet effet

Existence is a tricky concept in any case and we must allow for various kinds of existence pertaining to fictional and abstract referents (or alternatively show how these apparently diverse kinds of existence relate to the physical existence of spatiotemporally continuous and discrete objects) (Lyons 1977 183)

Le discours aurait donc le pouvoir de ce point de vue de construire des mondes alternatifs agrave

celui dans lequel nous vivons de reacutefeacuterer agrave des mondes possibles ougrave se rencontrent non

seulement des reacutefeacuterents fictifs mais aussi des situations qui pourraient paraicirctre insenseacutees dans

le monde reacuteel et tangible

[hellip] there is no single metaphysical or conceptual framework which underlies every kind of human discourse Statements or propositions which might be held to be contradictory or absurd in a more or less scientific discussion of the physical world may be regarded as perfectly acceptable in a mythological or religious context in poetry in the narration of a dream or in science fiction (Lyons 1977 167)

Lrsquoaxiome drsquoexistence des reacutefeacuterents dont on parle de mecircme que la conformiteacute de la langue au

monde se voient donc preacuteserveacutes moyennant la reconnaissance de capaciteacutes cognitives ad hoc

de la part des usagers de la langue (Kleiber 1997a 11) Dans cette perspective le monde reacuteel

que les usagers perccediloivent reste cependant le monde privileacutegieacute qui sert de point de reacutefeacuterence

28

pour la conception de leurs repreacutesentations7 Ce nrsquoest selon Kleiber qursquoagrave travers sa

reconnaissance qursquoil leur est possible drsquoenvisager drsquoautres mondes possibles et de reacutefeacuterer agrave

des eacuteleacutements fictifs qui apregraves tout sont constitueacutes de laquo morceaux reacuteels animal cheval

corne etc raquo (ibid 15 cf aussi Lyons 1977 211) La solution de nos jours largement

admise est ainsi que les reacutefeacuterents dont on parle ont bien une existence soit dans le monde qui

nous entoure (situation habituelle) soit dans un autre monde possible Cette conception des

mondes possibles multiplie des versions de la reacutealiteacute afin de preacuteserver un principe de veacuteriteacute

(cf infra sect22) consistant agrave garantir lrsquoexistence des reacutefeacuterents dans notre monde reacuteel ou agrave

deacutefaut dans un monde possible Elle suppose que chaque reacutefeacuterent a son correacutelat linguistique

preacuteexistant au-dehors agrave travers une sorte de bi-univociteacute entre reacutealiteacute tangible (ou virtuelle) et

langue

Neacuteanmoins on peut objecter contre cette vision des choses que la notion de mondes possibles

a eacuteteacute conccedilue pour les besoins de lrsquoanalyse logique et qursquoelle laquo nrsquoappartient pas au

meacutetalangage de la linguistique raquo (Gary-Prieur 1994 21) Si lrsquoon se donne pour objectif la

description scientifique des usages effectifs des locuteurs il nrsquoy a pas lieu de juger de

lrsquoadeacutequation drsquoun reacutefeacuterent agrave un univers ad hoc Il suffit de constater que le discours construit

lui-mecircme ses reacutefeacuterents aussi fictifs ou fantaisistes soient-ils dans son univers propre comme

crsquoest le cas du fameux Schmilblick de Pierre Dac dans lrsquoextrait ci-dessous

(6) Crsquoest dans la nuit du 21 novembre au 18 juillet de la mecircme anneacutee que les fregraveres

Fauderche ont jeteacute les bases de cet extraordinaire appareil dont la conception

reacutevolutionnaire risque de bouleverser toutes les lois communeacutement admises tant dans

le domaine de la physique nucleacuteaire que dans celui de la gyneacutecologie dans lrsquoespace

[hellip] Le Schmilblick des fregraveres Fauderche est il convient de le souligner

rigoureusement inteacutegral crsquoest-agrave-dire quil peut agrave la fois servir de Schmilblick

drsquointeacuterieur gracircce agrave la taille reacuteduite de ses gorgomoches et de Schmilblick de

campagne [hellip] (extrait du sketch de Pierre Dac 1950)

A notre sens il nrsquoest pas neacutecessaire de postuler lrsquoexistence drsquoun monde imaginaire car il nrsquoy a

pas de veacuteraciteacute des propos agrave veacuterifier lrsquoobjet degraves lors qursquoon en parle existe tout simplement

dans lrsquounivers construit par le discours agrave lrsquoœuvre (cf Searle ci-dessus) comme nrsquoimporte quel

objet auquel il est fait reacutefeacuterence dans cette mecircme situation de parole (eg les fregraveres

Fauderuche les gorgomoches) On peut ainsi en parler comme nrsquoimporte quel autre objet du

discours et preacutediquer des proprieacuteteacutes aussi loufoques soient-elles agrave son eacutegard Lrsquoexistence des

objets dont on parle est donc une existence poseacutee dans le discours et celle-ci rend caduque la

question de la conformiteacute avec le reacuteel ou lrsquoimaginaire

7 Cf Fauconnier (1984) pour qui laquo lrsquoespace reacuteel raquo E0 est celui par rapport auquel se situent tous les autres

espaces mentaux

29

22 Sens et reacutefeacuterence

La probleacutematique du rapport entre lrsquoemploi drsquoune expression linguistique et sa reacutefeacuterence

soulegraveve ineacutevitablement la question du sens de ce signe Depuis des siegravecles les philosophes

srsquointerrogent sur la maniegravere dont la langue permet de deacutesigner un laquo morceau raquo de la reacutealiteacute

Crsquoest geacuteneacuteralement le sens qui est invoqueacute comme responsable de la bonne deacutetermination

reacutefeacuterentielle Le sens est donc eacutetroitement lieacute agrave la notion de reacutefeacuterence Nous retraccedilons ici dans

les grandes lignes sur la base de travaux de speacutecialistes les conceptions principales de cette

relation au cours des siegravecles

On considegravere souvent ce passage du Peri Hermeneias drsquoAristote comme fondateur de la

theacuteorie du signe de la linguistique moderne (Panaccio 1996 6-7)

Les sons eacutemis par la voix sont les symboles des eacutetats de lrsquoacircme et les mots eacutecrits des symboles des mots eacutemis par la voix Et de mecircme que lrsquoeacutecriture nrsquoest pas la mecircme chez tous les hommes les mots parleacutes ne sont pas non plus les mecircmes bien que les eacutetats de lrsquoacircme dont ces expressions sont les signes immeacutediats soient identiques chez tous comme sont identiques aussi les choses dont ces eacutetats sont les images (Aristote De lrsquointerpreacutetation 16a2-8 trad Tricot)

Aristote conccediloit les laquo eacutetats de lrsquoacircme raquo (παθήματα τῆς ψυχῆς8) ou pourrait-on dire les

impressions ressenties par les sujets comme des images ressemblant (ὁμοιώματα9) aux choses

du monde Ils constituent en quelque sorte leur contrepartie cognitive et comme elles se

distinguent par leur stabiliteacute et leur universaliteacute lagrave ougrave leurs symboles acoustiques ou

graphiques (le code eacutecrit eacutetant voueacute agrave signifier lrsquooral) sont sujets agrave la variation

interlinguistique et agrave lrsquoarbitraire Quoi qursquoil en soit on perccediloit bien lrsquoideacutee drsquoune meacutediation

conceptuelle10

cognitive entre le signe et les objets du monde

Parmi les travaux de lrsquoAntiquiteacute greacuteco-latine touchant au processus de signification Rey

(1973) note la conception particuliegraverement deacuteveloppeacutee des Stoiumlciens agrave lrsquoorigine de

lrsquoeacutelaboration drsquoun veacuteritable laquo appareil conceptuel raquo (p 29) Il cite agrave cet eacutegard le teacutemoignage

de Sextus Empiricus

Les Stoiumlciens disent que trois choses sont lieacutees ce qui est signifieacute ce qui signifie et lrsquoobjet De ces choses celle qui signifie crsquoest la parole par exemple laquo Dion raquo ce qui est signifieacute crsquoest la chose mecircme qui est reacuteveacuteleacutee par elle et que nous saisissons comme durable par notre penseacutee mais que les Barbares ne comprennent pas bien qursquoils soient capables drsquoentendre le mot prononceacute alors que lrsquoobjet est ce qui existe agrave lrsquoexteacuterieur par exemple Dion en personne (Adversus Mathematicos VIII 11-12)

Autrement dit la parole signifie et reacutevegravele quelque chose de conventionnel dans la penseacutee

cette fois propre agrave la langue en question qui srsquooppose agrave lrsquoobjet mecircme existant en dehors de la

8 patheacutemata tecircs psuchecircs

9 homoioacutemata

10 Selon Panaccio (1996 7) les laquo eacutetats de lrsquoacircme raquo comprennent vraisemblablement les concepts (νοήματα)

30

langue On peut donc entrevoir agrave travers ces propos les preacutemisses drsquoune theacuteorie du signe qui

sera remise au goucirct du jour des siegravecles plus tard (cf ci-apregraves le triangle seacutemiotique)

A partir des questions seacutemantiques souleveacutees notamment par les philosophes de lrsquoAntiquiteacute

les scolastiques du Moyen Age continuent de srsquointerroger sur le processus de signification

Une question est notamment de savoir si les mots signifient des concepts ou des choses

Fondeacutee sur la conception transitive drsquoAristote la position courante au Moyen Age est de

consideacuterer que les termes signifient directement des concepts et indirectement des choses Le

premier processus est appeleacute significatio tandis que le second relegraveve de la suppositio si

chaque occurrence drsquoun mot signifie le mecircme concept elle suppose un individu diffeacuterent agrave

chaque fois (Read 2011) Les termes reccediloivent toutefois des conceptions diverses selon les

auteurs meacutedieacutevaux11

Ce qui semble neacuteanmoins faire consensus est la primauteacute de la

significatio sur la suppositio on nrsquoaccegravede agrave la suppositio qursquoen vertu de sa significatio qui

deacutetermine les objets auxquels il est fait (ou possible de faire) reacutefeacuterence

Cette distinction seacutemantique perdure et se voit systeacutematiseacutee dans la Logique de Port-Royal

drsquoArnauld amp Nicole (1662=1874 54 sqq) ouvrage qui a exerceacute une influence consideacuterable

sur les travaux en logique jusqursquoagrave la fin du XIXe siegravecle Lrsquouniteacute seacutemantique de base de la

theacuteorie drsquoArnauld amp Nicole est lrsquoideacutee par laquelle est signifieacute le contenu objectif de la penseacutee

(Buroker 1993 457) La seacutemantique de Port-Royal eacutetablit des relations entre les mots les

ideacutees et les choses de maniegravere transitive agrave lrsquoinstar de la laquo seacutemiotique raquo aristoteacutelicienne les

mots employeacutes pour exprimer des ideacutees signifient eacutegalement les choses signifieacutees par les ideacutees

(ibid 464) Cela dit les auteurs de la Logique ne manquent pas de relever que la

correspondance entre les mots et les ideacutees est imparfaite il nrsquoy a pas de garantie que la

structure de la langue parleacutee reflegravete adeacutequatement la structure logique des ideacutees (Arnauld amp

Nicole 1662=1874 68-87) Dans leur classification des ideacutees Arnauld amp Nicole opposent les

ideacutees singuliegraveres aux ideacutees geacuteneacuterales Les premiegraveres servent agrave repreacutesenter un seul individu

(via un laquo nom propre raquo eg Socrate soleil) alors que les secondes se montrent capables de

repreacutesenter plusieurs choses (via un nom commun ou un adjectif eg homme humain

humaniteacute) Les ideacutees geacuteneacuterales peuvent ainsi repreacutesenter une classe drsquoindividus posseacutedant

lrsquoattribut exprimeacute autrement dit son eacutetendue Crsquoest au cœur de cette probleacutematique que les

auteurs eacutetablissent la distinction entre compreacutehension et eacutetendue (ou intension et extension12

)

preacutefigureacutee agrave travers les concepts meacutedieacutevaux de significatio et suppositio La compreacutehension

drsquoune ideacutee se deacutefinit comme laquo les attributs qursquoelle enferme en soi et qursquoon ne peut lui ocircter

sans la deacutetruire raquo son eacutetendue comme laquo les sujets agrave qui cette ideacutee convient ce qursquoon appelle

aussi les infeacuterieurs drsquoun terme geacuteneacuteral qui agrave leur eacutegard est appeleacute supeacuterieur comme lrsquoideacutee

11

Pierre drsquoEspagne distingue par exemple la suppositio naturelle de la suppositio accidentelle la premiegravere

correspondant agrave lrsquoensemble drsquoobjets auxquels srsquoapplique potentiellement le mot la seconde eacutequivalant agrave la

reacutefeacuterence effective drsquoun terme dans une proposition particuliegravere Chez Guillaume drsquoOckham crsquoest la significatio

qui recouvre lrsquoensemble des choses pouvant ecirctre caracteacuteriseacutees par le mot (Read 2011) 12

Les appellations intension et extension (eg Carnap 1947) lrsquoemportent aujourdrsquohui en seacutemantique sur celles de

compreacutehension et eacutetendue Par ailleurs les concepts recouvrent grosso modo ceux que Mill (1843=1988) nomme

connotation (agrave ne pas confondre avec sa signification usuelle de description subjective) et deacutenotation

31

du triangle en geacuteneacuteral srsquoeacutetend agrave toutes les espegraveces diverses de triangle raquo (ibid 54) Il deacutecoule

de cette theacuteorie seacutemantique la fameuse laquo loi de Port-Royal raquo (Auroux 1992) selon laquelle

compreacutehension et eacutetendue varient en proportion inverse lrsquoajout drsquoattributs entraicircne la

restriction de lrsquoeacutetendue de lrsquoideacutee de mecircme que la reacuteduction drsquoattributs en augmente lrsquoeacutetendue

Ainsi crsquoest la compreacutehension qui deacutetermine lrsquoeacutetendue drsquoune ideacutee

Pegravere de la logique moderne avec sa conception du calcul des preacutedicats Gottlob Frege

contribue eacutegalement agrave la philosophie du langage et agrave la seacutemantique par la deacutefinition de notions

dont on se sert amplement dans les theacuteories actuelles du sens ainsi que par leur inscription

dans une seacutemantique veacutericonditionnelle Crsquoest dans une tentative de reacutesolution du problegraveme

des eacutenonceacutes drsquoidentiteacute non tautologiques qursquoil fait intervenir la notion de sens (Sinn) par

opposition agrave celle de deacutenotation (Bedeutung) (1892=1971)

Sa contribution srsquoinscrit dans un projet scientifique dont lrsquoobjectif est avant tout lrsquoeacutelaboration

drsquoune notation formelle des eacutenonceacutes matheacutematiques dont on rendait compte jusqursquoalors par le

recours agrave la langue naturelle Frege srsquoefforce ainsi de symboliser au moyen drsquoun systegraveme

logique formel appeleacute Begriffsschrift les tournures linguistiques usuelles des matheacutematiques

jugeacutees impreacutecises13

Le logicien distingue trois niveaux de la structure seacutemantique agrave savoir

les signes leur deacutenotation et leur sens

[hellip] il est naturel drsquoassocier agrave un signe (nom groupe de mots caractegraveres) outre ce qursquoil deacutesigne et qursquoon pourrait appeler sa deacutenotation ce que je voudrais appeler le sens du signe ougrave est contenu le mode de donation de lrsquoobjet (1892=1971 103)

Frege assimile lrsquoobjet deacutesigneacute par un signe agrave sa deacutenotation et considegravere le mode de donation

comme une composante du sens Il illustre ces distinctions par le ceacutelegravebre exemple des noms

propres eacutetoile du matin et eacutetoile du soir qui possegravedent la mecircme deacutenotation en lrsquooccurrence la

planegravete Veacutenus en tant qursquoobjet deacutesigneacute mais dont le sens diffegravere par le mode de donation

autrement dit le mecircme objet nrsquoest pas preacutesenteacute de la mecircme maniegravere selon lrsquoexpression

utiliseacutee chacune implique des conditions drsquoemploi diffeacuterentes14

Contrairement au sens drsquoun

signe une deacutenotation nrsquoest selon Frege pas toujours associeacutee agrave ce dernier Il prend agrave cet effet

lrsquoexemple de lrsquoexpression le corps ceacuteleste le plus eacuteloigneacute de la terre qui malgreacute lrsquoexpression

drsquoun sens ne possegravede pas de deacutenotation (p 104) La deacutenotation au sens de Frege est donc un

concept fondeacute sur lrsquoexistence aveacutereacutee des objets du monde qui nous entoure (cf supra sect21)

laquo [l]a deacutenotation drsquoun nom propre est lrsquoobjet mecircme que nous deacutesignons par ce nom raquo (p 106)

Cette quecircte de lrsquoauthenticiteacute se voit exprimeacutee agrave travers la question de la deacutenotation des

propositions laquo crsquoest donc la recherche et le deacutesir de la veacuteriteacute qui nous poussent agrave passer du

sens agrave la deacutenotation raquo (p 109) Pour Frege la deacutenotation drsquoune proposition consiste en sa

valeur de veacuteriteacute crsquoest-agrave-dire le fait qursquoelle soit vraie ou fausse (p 110) Cette conception

13

laquo Presque toujours le langage ne donne pas sinon allusivement les rapports logiques il les laisse deviner sans

les exprimer proprement raquo (Frege 1892=1971 65) 14

Il en va de mecircme pour les notations algeacutebriques laquo 24 raquo et 4x4 raquo qui laquo sont des noms propres du mecircme nombre

mais nrsquoont pas le mecircme sens raquo (ibid 89)

32

faisant de la veacuteriteacute un enjeu de la theacuteorie de la signification va servir de point de deacutepart au

deacuteveloppement drsquoune seacutemantique dite veacutericonditionnelle initieacutee par Tarski (1935) dans un

effort de preacutecision de la notion de veacuteriteacute Crsquoest dans cette perspective que vont srsquointerpreacuteter

les laquo conditions de satisfaction raquo auxquelles doit reacutepondre le reacutefeacuterent laquo The condition that

the referent must satisfy the description has commonly been interpreted by philosophers to

imply that the description must be true of the referent raquo (Lyons 1977 181) Comme nous

lrsquoavons deacutejagrave eacutevoqueacute (supra sect21 cf aussi infra sect631) nous prenons nos distances avec une

approche eacutevaluant le degreacute de conformiteacute drsquoun contenu au monde

Parallegravelement une perspective oppositive et laquo neacutegative raquo de la signification apparaicirct avec la

theacuteorie du signe linguistique deacuteveloppeacutee par Ferdinand de Saussure au deacutebut du XXe siegravecle

Selon le linguiste genevois un signe se deacutefinit par lrsquoassociation drsquoune image acoustique

(signifiant) et drsquoun concept (signifieacute) solidaires comme le recto et le verso drsquoune feuille

(1916=2008) Le contenu invoqueacute est appreacutehendeacute en termes de laquo valeur raquo qui ne se conccediloit

que par opposition agrave drsquoautres valeurs crsquoest uniquement la nature diffeacuterentielle des signes qui

procure agrave chacun une existence au sein drsquoun tel systegraveme (2002 28) Quant au reacutefeacuterent qui

relegraveve de lrsquoactiviteacute de parole et de lrsquoextralinguistique il nrsquoest pas fondamentalement apparieacute

au signe laquo le signe linguistique unit non une chose et un nom mais un concept et une image

acoustique raquo (1916=2008 98) Les heacuteritiers de la seacutemantique structurale srsquoefforcent en

theacuteorie de maintenir cette limite

Les mots de la langue ne sont pas en relation immeacutediate avec les choses Ils ont un signifieacute mais nont pas de reacutefeacuterence Le mot maison en tant que mot de la langue ne dit pas une maison Le mot cheval ne dit pas un cheval il nrsquoest en relation immeacutediate avec aucun ecirctre concret il exprime seulement un ensemble de proprieacuteteacutes et la question de savoir srsquoil existe dans lrsquounivers des ecirctres auxquels appartiennent ces proprieacuteteacutes nrsquoa aucune pertinence pour le lexique (Le Guern 2003 32)

Neacuteanmoins dans les faits deacutecrire le signifieacute en faisant abstraction du reacutefeacuterent nrsquoest pas une

mince affaire Il srsquoagit de mettre au jour les traits distinctifs (ou segravemes cf Greimas 1966 22)

drsquoun signe relativement agrave un ensemble de signes autrement dit drsquoidentifier des eacuteleacutements

abstraits du signifieacute dont la composition (le seacutemegraveme) srsquoopposerait agrave celle drsquoautres signes

voisins Cependant lrsquoimmixtion du reacutefeacuterent est difficile agrave eacuteviter et il nrsquoest pas rare que

lrsquoanalyse componentielle (ou seacutemique) se confonde paradoxalement avec lrsquoobservation des

reacutefeacuterents des lexegravemes crsquoest-agrave-dire avec lrsquoeacutenumeacuteration des proprieacuteteacutes agrave partir de la reacutealiteacute

extralinguistique Ainsi en va-t-il de la fameuse analyse de Pottier (1963) du champ

seacutemantique des noms de siegraveges (chaise fauteuil tabouret canapeacute pouf) qui aboutit agrave

lrsquoeacutemergence de traits tels que avec dossier avec bras sur pied etc dont la pertinence ne

relegraveve vraisemblablement pas de la langue mais comme le relegraveve Moussy (1991 65) de

critegraveres perceptibles en situation

Il est clair que lrsquoexistence aveacutereacutee et tangible drsquoobjets laquo correspondant raquo aux lexegravemes choisis

(ici des types de siegraveges) pour lrsquoanalyse tend agrave court-circuiter lrsquoanalyse oppositive des signifieacutes

33

eux-mecircmes Afin drsquoeacuteviter ce genre de transposition reacutefeacuterentielle Le Guern (2003 37)

suggegravere carreacutement de travailler sur le sens figureacute des mots15

Saussure lui-mecircme (1916=2008

160) proposait drsquoeacutetudier lrsquoopposition entre des laquo synonymes raquo ndash du genre redouter craindre

avoir peur ndash agrave partir desquels il est plus ardu drsquoidentifier des correacutelats tangibles

Mais de maniegravere geacuteneacuterale lrsquointervention du reacutefeacuterent dans le processus de signification figure

deacutesormais en bonne place dans les scheacutematisations traditionnelles du signe linguistique

posteacuterieures agrave Saussure Celles-ci prennent reacuteguliegraverement la forme drsquoun triangle (dit

seacutemiotique) leurs sommets incarnent geacuteneacuteralement A) le signe du point de vue de sa forme

B) sa composante conceptuelle et C) lrsquoobjet extra-linguistique ainsi qursquoillustreacute ci-dessous par

la figure adapteacutee drsquoOgden amp Richards (1923 11)

Figure 1 Triangle seacutemiotique drsquoapregraves Ogden amp Richards (1923)

La relation entre A et C autrement dit la relation de reacutefeacuterence entre une expression

linguistique et lrsquoobjet deacutesigneacute est geacuteneacuteralement consideacutereacutee comme indirecte (rendue par les

pointilleacutes) tandis que les relations AB et BC sont preacutesenteacutees comme plus fondamentales du

processus de signification (cf conception transitive supra) Drsquoun auteur agrave lrsquoautre les

conceptions extensions du pheacutenomegravene et terminologies peuvent sensiblement varier Ces

variations importent cependant peu pour notre propos16

Ce scheacutema que lrsquoon pourrait tenir

pour traditionnel du processus de signification repreacutesente bien la relation triadique deacutejagrave

examineacutee par les philosophes au cours de lrsquohistoire et que reacutesume de maniegravere concise la

maxime scolastique vox significat [rem] mediantibus conceptibus (Lyons 1977 96)

15

laquo Dans lrsquoemploi drsquoun mot au sens propre il nrsquoest guegravere possible de distinguer les eacuteleacutements de signification qui

relegravevent strictement de la linguistique ndash les composantes du signifieacute lexical ndash et ceux qui sont lieacutes agrave la

connaissance de lrsquoobjet extralinguistique Deacuteterminer le signifieacute du mot chat en faisant abstraction de lrsquoanimal

concret nrsquoest pas possible agrave partir des emplois ougrave le mot chat deacutesigne un chat Lrsquoautonomie du signifieacute par

rapport agrave la reacutefeacuterence nrsquoest perceptible que dans les emplois ougrave chat sert agrave deacutesigner autre chose qursquoun chat raquo (Le

Guern 2003 37) 16

Pour une synthegravese voir Lyons (1977 95-99)

A

B

C

34

La question du sens et de la reacutefeacuterence ainsi que de leurs notions voisines est aujourdrsquohui tregraves

marqueacutee par ces influences anteacuterieures agrave fondement logico-philosophique Afin de mettre un

peu drsquoordre parmi ces termes diversement employeacutes par les philosophes (Lyons 1977 174)

nous proposons ci-dessous un reacutecapitulatif des notions les plus reacutepandues de nos jours et de

leur(s) acception(s) en seacutemantique reacutefeacuterentielle agrave lrsquoeacutegard desquelles pour certaines nous

avons deacutejagrave pris quelque distance meacutethodologique que nous expliciterons de maniegravere deacutetailleacutee

dans le bilan qui clocirct cette section (sect24)

Le sens drsquoun signe est consideacutereacute comme un contenu mental qui est diversement appreacutehendeacute

en termes de concept signifieacute intension compreacutehension ou encore reacutefeacuterence (sic) virtuelle

(cf Milner 1982 10) Dans la plupart de ses acceptions il sert agrave deacuteterminer lrsquoobjet qui

laquo tombe raquo sous lui il indique son laquo mode de donation raquo (Frege 1892=1971) Ce contenu est

souvent envisageacute en termes de conditions par exemple chez Milner (ibid) qui le deacutefinit

comme laquo un ensemble de conditions que doit satisfaire un segment de reacutealiteacute pour pouvoir

ecirctre la reacutefeacuterence drsquoune seacutequence ougrave interviendrait crucialement lrsquouniteacute lexicale en cause raquo

La deacutenotation est la capaciteacute pour un lexegraveme de deacutelimiter un certain nombre drsquoobjets qui

satisfont agrave son sens Elle deacutetermine lrsquoextension lrsquoeacutetendue ou encore le denotatum du lexegraveme

(Lyons 1977 207) crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble des objets auxquels le lexegraveme peut srsquoappliquer

correctement17

Chez Frege la notion de deacutenotation (traduction de Bedeutung) srsquoapplique non

pas aux uniteacutes lexicales mais aux noms propres autrement dit aux deacutesignateurs et consiste en

lrsquoobjet ainsi deacutesigneacute

La reacutefeacuterence drsquoun signe consiste en la relation de deacutesignation effective entre un signe

linguistique et un objet extra-linguistique Crsquoest une notion deacutependante de lrsquoacte

drsquoeacutenonciation contrairement agrave celles de sens ou de deacutenotation (du point de vue lexical)

(Lyons 1977 176) Degraves lors la reacutefeacuterence nrsquoest pertinente que dans des contextes

drsquoactualisation de la parole crsquoest-agrave-dire qursquoelle ne srsquoapplique qursquoagrave des occurrences

drsquoexpressions utiliseacutees en contexte Par opposition agrave la reacutefeacuterence virtuelle Milner (1982 10)

nomme reacutefeacuterence actuelle ce laquo segment de reacutealiteacute associeacute agrave une seacutequence raquo On dote

geacuteneacuteralement lrsquoacte de reacutefeacuterence drsquoune viseacutee identificatoire drsquoun objet de la reacutealiteacute (eg Lyons

1977 177 Charolles 2002 9)

Le reacutefeacuterent est donc lrsquoobjet extralinguistique qui correspond ndash selon les eacutecoles

potentiellement ou effectivement ndash agrave une expression reacutefeacuterentielle Pour certains (entre autres

Frege cf supra et Russel (1919 chap XVI)) seuls peuvent ecirctre appeleacutes reacutefeacuterents les objets

appartenant au monde environnant A lrsquoinverse certains considegraverent que lrsquoacte de reacutefeacuterence

preacutesuppose lrsquoexistence du reacutefeacuterent (cf Searle supra) laquo [d]egraves lors que quelqursquoun parle de

quelque chose cela suffit pour que celles et ceux agrave qui il srsquoadresse soient mis en demeure de

supposer que cette chose existe [hellip] raquo (Charolles 2002 32) Pour contourner la difficulteacute

17

laquo We will use the term denotatum for the class of objects properties etc to which the expression correctly

applies raquo (Lyons 1977 207 nous soulignons)

35

poseacutee par les expressions sans correacutelats extra-linguistiques lrsquoalternative adopteacutee est la notion

de possible (ecirctres univers ou mondes) rendant compte de lrsquoexistence du reacutefeacuterent dans laquo au

moins une version du monde raquo (ibid 36)

23 Reacutefeacuterence et preacutedication

Depuis les apports de la logique freacutegeacuteenne on oppose geacuteneacuteralement les expressions

reacutefeacuterentielles destineacutees agrave reacutefeacuterer agrave (ou identifier) ce dont on parle aux expressions

preacutedicatives qui servent agrave assigner des proprieacuteteacutes particuliegraveres agrave cet objet identifieacute (Lyons

1977 23) On dit des secondes qursquoelles preacutediquent sur un reacutefeacuterent ou que par leur biais des

proprieacuteteacutes sont preacutediqueacutees agrave propos drsquoun reacutefeacuterent

(7) Chopin eacutetait polonais (Charolles 2002 23)

Dans lrsquoexemple (7) le locuteur reacutefegravere agrave un individu particulier au moyen du nom propre

Chopin auquel il attribue la proprieacuteteacute drsquoecirctre polonais On dit du SN Chopin qursquoil sert de

support agrave la preacutedication (ou de thegraveme au propos) (ibid)

Bien que Frege ait formaliseacute cette bipartition crsquoest en fait agrave Aristote (Organon) qursquoon doit la

distinction entre sujet et preacutedicat le sujet et le preacutedicat sont les deux termes (lt du latin

terminus ie les eacuteleacutements terminaux de lrsquoanalyse logique par opposition agrave lrsquoacception

linguistique) qui entrent en relation pour former une proposition A travers la notion de

preacutedicat Aristote vise agrave eacutetablir une relation par rapport agrave laquelle se situe le sujet Une

proposition est envisageacutee dans cette perspective de maniegravere essentiellement binaire les

termes y repreacutesentent respectivement lsquole sujetrsquo et lsquoce qursquoon dit du sujetrsquo

Dans la logique classique neacuteanmoins les expressions se reacutepartissent plutocirct selon leur

individualiteacute ou leur geacuteneacuteraliteacute (eg Arnauld amp Nicole 1662=1874 ch VI voir supra sect22)

ie les noms propres exprimant une ideacutee singuliegravere vs les termes communs marquant une ideacutee

geacuteneacuterale agrave laquelle correspond un ensemble drsquoindividus La nouveauteacute de Frege est de

formaliser le preacutedicat comme un eacuteleacutement non satureacute neacutecessitant un objet qui laquo tombe sous le

concept raquo

La distinction entre sujet et preacutedicat est reacuteguliegraverement transposeacutee au plan syntaxique sur celle

entre SN sujet et SV dont lrsquoassociation constitue une proposition simple (Lyons 1977 430)

Cette analyse bi-partite de la phrase est profondeacutement ancreacutee dans la grammaire traditionnelle

et elle est mecircme consideacutereacutee comme un pheacutenomegravene universel

There must be something to talk about and something must be said about this subject of discourse once it is selected [hellip] The subject of discourse is a noun As the most common subject of discourse is either a person or a thing the noun clusters about concrete concepts of that order As the thing predicated of a subject is generally an activity in the widest sense of the word [hellip] the verb clusters about concepts of activity No language wholly fails to distinguish

36

noun and verb though in particular cases the nature of the distinction may be an elusive one (Sapir 1921 117)

18

Il nrsquoest cependant pas rare de rencontrer des faits eacutechappant agrave cette distinction On peut

prendre agrave teacutemoin les eacutenonceacutes dits laquo impersonnels raquo

(8) jaimerais bien aller en Ecosse mais bon il pleut toujours (oral ofrom)

Il est inconcevable de seacutelectionner un objet auquel appliquer le preacutedicat lsquopleuvoirrsquo un tel

eacutenonceacute exprime tout simplement un procegraves sans agent A lrsquoinverse un SN peut constituer agrave lui

seul une eacutenonciation19

sans faire lrsquoobjet drsquoune quelconque preacutedication

(9) - Attention Vos gants seacutecriait Mme Tison Trop tard Le rouge agrave legravevres avait laisseacute

sa vilaine traicircneacutee (Garat A-M Pense agrave demain 2010 lt Frantext)

Dans lrsquoexemple ci-dessus une locutrice dirige lrsquoattention de son allocutaire et la met en garde

contre une situation implicite dans laquelle est impliqueacute le reacutefeacuterent (ses gants) elle invite agrave

adopter une attitude particuliegravere agrave lrsquoeacutegard de ce dernier ndash expliciteacutee via lrsquointerjection

Attention ndash sans pour autant lui octroyer une proprieacuteteacute particuliegravere Nous aurons lrsquooccasion

de revenir infra (sect31) sur drsquoautres problegravemes que soulegraveve cette approche binaire

Lagrave ougrave Aristote se concentre sur ce qui est preacutediqueacute du sujet peu importe le nombre drsquoobjets

impliqueacutes la logique moderne conccediloit les preacutedicats comme mettant en relation un certain

nombre drsquoindividus

(10) Chopin a composeacute des valses (Charolles 2002 24)

Dans cet eacutenonceacute on peut consideacuterer outre lrsquoattribution agrave lsquoChopinrsquo de la proprieacuteteacute de

lsquocomposer des valsesrsquo que lrsquoexpression preacutedicative a composeacute met en relation un individu

(lsquoChopinrsquo) avec lsquoun ensemble de valsesrsquo Le calcul logique des preacutedicats eacutelaboreacute par Frege

vise agrave formaliser en ces termes la structure interne des propositions simples Dans la tradition

logique atomiste et empiriste le calcul des preacutedicats est consideacutereacute comme repreacutesentant

correctement la forme logique sous-jacente des eacutenonceacutes linguistiques par la mise en

correspondance de celle-ci avec la structure des eacutetats-de-choses dans le monde reacuteel (Lyons

1977 147-148) Depuis la naissance du calcul des preacutedicats on distingue ndash quantifieurs mis agrave

part ndash les noms des preacutedicats les premiers reacutefeacuterant agrave des individus les seconds se preacutesentant

comme des opeacuterateurs au moyen desquels on peut construire une proposition agrave partir des

noms Une proposition simple se traduit par une fonction appliqueacutee agrave son ou ses argument(s)

les noms servant drsquoarguments et le preacutedicat de foncteur Par exemple on peut rendre par la

notation G(j) lrsquoeacutenonceacute John est grand ougrave j repreacutesente lrsquoindividu lsquoJohnrsquo et G le preacutedicat

lsquograndrsquo Selon le nombre drsquoarguments que requiert un preacutedicat celui-ci est qualifieacute drsquounaire

18

Lyons critique lrsquoimpreacutecision terminologique de cet extrait ougrave sujet est utiliseacute aussi bien pour deacutesigner le

reacutefeacuterent que lrsquoexpression reacutefeacuterentielle et ougrave fait deacutefaut une distinction entre les notions de nom et drsquoexpression

nominale de mecircme qursquoentre celles de verbe et drsquoexpression verbale (Lyons 1977 429) 19

On parle dans ce cas de nominativus pendens ou de hanging topic (Groupe de Fribourg 2012 173)

37

(ou monadique) de binaire (ou dyadique) de ternaire (triadique) etc Ainsi la proposition lsquox

aime yrsquo se notera A(x y) (ibid 149) Au plan syntaxique cette vision qui considegravere le verbe

comme le noyau autour duquel gravitent les autres constituants se retrouve par exemple dans

la theacuteorie de la valence de Tesniegravere (1959)

Quelle que soit lrsquoapproche choisie il nrsquoen demeure pas moins que la cateacutegorie nominale est

clairement associeacutee agrave la fonction reacutefeacuterentielle tandis que la cateacutegorie verbale est lieacutee agrave la

fonction preacutedicative Il a neacuteanmoins eacuteteacute remarqueacute que certains SN ne manifestaient pas dans

tous les contextes une fonction reacutefeacuterentielle Lyons (1977) illustre cela agrave partir de lrsquoeacutenonceacute

suivant qui peut srsquoanalyser de la mecircme maniegravere dans sa version franccedilaise

(11) Giscard drsquoEstaing is the President of France (p 185)

Dans une premiegravere interpreacutetation de lrsquoeacutenonceacute on peut attribuer agrave lrsquoindividu lsquoGiscard

drsquoEstaingrsquo la proprieacuteteacute lsquopreacutesident de la Francersquo20

Le SN the President of France nrsquoa pas pour

vocation de reacutefeacuterer agrave un individu mais bien de preacutediquer quelque chose de lrsquoindividu nommeacute

Giscard drsquoEstaing drsquoougrave une interpreacutetation preacutedicative pour ce SN A ce titre ce preacutedicat peut

ecirctre remplaceacute par un autre de mecircme sens par exemple le SV gouverne la France (Apotheacuteloz

1995a 26) Mais lrsquoeacutenonceacute (11) peut ecirctre interpreacuteteacute diffeacuteremment la copule be permet une

lecture eacutequative eacutetablissant une relation drsquoidentiteacute entre deux individus le SN the President

of France induisant degraves lors une interpreacutetation dite reacutefeacuterentielle21

Dans ce cas les SN de

lrsquoeacutenonceacute sont interchangeables et le deacuteterminant deacutefini est obligatoire en franccedilais tandis que

ce nrsquoest pas le cas dans la lecture preacutedicative (ibid) La distinction entre emplois laquo attributif raquo

et laquo reacutefeacuterentiel raquo a fait lrsquoobjet de nombreuses discussions et critiques (entre autres Kleiber

1981 Reacutecanati 1983 Galmiche 1983) qui nrsquoaboutissent pas agrave un consensus mais qui ont le

meacuterite de montrer que les SN sont susceptibles de questionner la relation entre rocircles

reacutefeacuterentiel et preacutedicatif En tous les cas il en reacutesulte que la frontiegravere nrsquoest pas directement

transposable agrave partir de la syntaxe chaque occurrence en contexte requeacuterant un traitement

particulier

24 Bilan

Il ressort de cet exposeacute des notions fondamentales en matiegravere de reacutefeacuterence un certain nombre

de postulats sous-jacents qui restent solidement ancreacutes dans la tradition seacutemantico-

reacutefeacuterentielle telle qursquoelle est pratiqueacutee de nos jours

a) Les expressions reacutefeacuterentielles ont des correacutelats extralinguistiques reacuteels (ou

virtuels) preacuteexistant dans le monde ou dans lrsquoune de ses versions possibles

20

Donnellan (1966) appelle ces emplois laquo attributifs raquo 21

La premiegravere interpreacutetation pourrait se deacutegager par exemple de la reacuteponse agrave la question Quelle fonction

assume Giscard drsquoEstaing la seconde agrave celle-ci Qui est le preacutesident de la France

38

b) Pour qursquoun acte de reacutefeacuterence soit reacuteussi les reacutefeacuterents doivent veacuterifier le sens de

lrsquoexpression (le sens eacutetant appreacutehendeacute en termes de conditions de satisfaction)

autrement dit les attributs exprimeacutes doivent ecirctre jugeacutes vrais du reacutefeacuterent

c) Les expressions reacutefeacuterentielles sont voueacutees agrave identifier un reacutefeacuterent bien deacutetermineacute

Neacuteanmoins un certain nombre de faits linguistiques posent des difficulteacutes agrave lrsquoeacutegard de ces

postulats parmi lesquels ces deux exemples attesteacutes tireacutes de lrsquoeacutecrit

(12) En revanche ce que vous pouvez faire pour limiter la consommation journaliegravere (et

cette recommandation concerne lrsquoensemble de la famille) crsquoest preacuteparer les desserts

avec des eacutedulcorants (M Montignac Je mange donc je maigris p 186)

(13) Constantinople 1919 Cris vocifeacuterations Effluves de tabac turc vapeurs drsquoalcool

Castagne Un bar un peu glauque des marins franccedilais drsquoun cocircteacute des Anglais de

lrsquoautre De temps en temps ccedila explose Bagarre geacuteneacuterale (Verlant Gainsbourg p 11

(incipit))

Lrsquoexemple (12) illustre un proceacutedeacute de reacutefeacuterence agrave lrsquoacte drsquoeacutenonciation lui-mecircme (lrsquoacte de

lsquorecommanderrsquo) en cours de reacutealisation en mecircme temps qursquoau contenu de cet acte (ce qui est

recommandeacute) dont la caracteacuterisation est en suspens au moment de la deacutesignation En effet

lrsquoinformation pertinente de lrsquoobjet viseacute nrsquoest deacutelivreacutee que via le second mouvement de la

construction pseudo-cliveacutee agrave savoir lsquopreacuteparer les desserts avec des eacutedulcorantsrsquo22

Cet

exemple deacutemontre bien la nature construite de lrsquoobjet consideacutereacute qui est le fruit du discours en

cours produit par le locuteur dans un contexte particulier (conseil dieacuteteacutetique) Il paraicirct degraves lors

peu vraisemblable de consideacuterer ce reacutefeacuterent comme preacuteexistant au discours dans un monde

reacuteel ou alternatif

Lrsquoexemple (13) contient pour sa part un deacutesignateur vague le pronom deacutemonstratif ccedila Le

reacutefeacuterent en question eacutemane du contexte agrave savoir une scegravene drsquoambiance agrave construire au moyen

drsquoune eacutenumeacuteration de SN Ce laquo quelque chose raquo qui explose agrave interpreacuteter agrave partir de

lrsquoatmosphegravere deacutecrite par lrsquoauteur est volontairement laisseacute dans le flou sous-deacutetermineacute (cf

Corblin 1991)23

Ces deux exemples mettent ainsi en eacutevidence lrsquousage de deacutesignateurs en lrsquooccurrence des

deacutemonstratifs deacutedieacutes agrave la reacutefeacuterence indexicale qui srsquoaccommodent mal aux principes deacutegageacutes

supra drsquoabord les objets auxquels il est fait reacutefeacuterence au moyen des expressions ne

preacuteexistent pas dans un quelconque monde au discours puisque crsquoest celui-ci mecircme qui les

creacutee (contra a) Degraves lors lrsquoeacutevaluation de la conformiteacute de la description employeacutee par rapport

22

On peut analyser ce proceacutedeacute reacutefeacuterentiel comme une ana-cataphore Pour lrsquoexamen drsquoana-cataphores de ce type

dans les parenthegraveses voir Johnsen (2008) et (2014) 23

On pourrait arguer que lrsquoemploi se rapproche drsquoune forme impersonnelle et qursquoil est voueacute agrave exprimer

lrsquoeacutemergence drsquoune explosion agrave la maniegravere drsquoun preacutesentatif comme il y a une explosion Pour un

approfondissement des emplois laquo impersonnels raquo de ccedila voir infra (ChIV sect212)

39

agrave un objet du monde devient caduque (contra b)24

Ensuite il faut admettre lrsquoexistence de

reacutefeacuterences agrave caractegravere sous-deacutetermineacute comme lrsquoillustre (13) auxquelles il est difficile

drsquoassigner une identiteacute des attributs distinctifs ou des contours bien dessineacutes (contra c)

Ces deux exemples ne sont cependant pas singuliers Au contraire les discours attestent

reacuteguliegraverement des occurrences de ce type si bien que lrsquoon gagnerait en geacuteneacuteraliteacute agrave traiter tous

les reacutefeacuterents comme des objets de nature cognitive construits par le discours (plutocirct qursquoagrave

multiplier les univers potentiels pour chaque nouvelle occurrence) Crsquoest dans ce sens qursquoun

certain nombre de chercheurs ont reacuteorienteacute la probleacutematique de la reacutefeacuterence vers la fin du XXe

siegravecle La fin de ce chapitre (sect6) sera consacreacutee agrave ces questions Avant cela nous nous

proposons drsquoexaminer diverses tentatives de classement seacutemantique des reacutefeacuterents

24

Par rapport agrave la notion de veacuteriteacute on peut ajouter agrave ces exemples drsquoautres proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels qui nrsquoy satisfont

pas sans pour autant que soit mise en eacutechec lrsquoidentification reacutefeacuterentielle Lyons (1977 182) donne lrsquoexemple

drsquoun locuteur qui prend par erreur le professeur de linguistique pour le facteur et qui y reacutefegravere par une expression

correspondante du type laquo le facteur raquo La reacutefeacuterence peut tout agrave fait aboutir que lrsquoallocutaire partage cette

meacuteprise ou qursquoil soit conscient de lrsquoinadvertance de son interlocuteur De mecircme lrsquoemploi de descriptions

ironiques dont le locuteur connaicirct la laquo fausseteacute raquo ne posent geacuteneacuteralement pas drsquoobstacle agrave la reacutefeacuterence (ibid)

40

41

3 Typologie des reacutefeacuterents

Dans la description seacutemantique traditionnelle les reacutefeacuterents en tant qursquoobjets appartenant au

monde environnant ou agrave lrsquoune de ses versions relegravevent de divers types que certains auteurs

ont tenteacute de mettre en eacutevidence agrave partir de critegraveres srsquoappliquant essentiellement agrave la reacutealiteacute

tangible Par ailleurs une ideacutee communeacutement partageacutee25

que lrsquoon trouve par exemple dans

les ouvrages grand public26

est qursquoaux parties du discours correspondent des types drsquoobjets

caracteacuteristiques par exemple la deacutesignation drsquoecirctres drsquoindividus ou de choses pour les noms

lrsquoexpression drsquoactions drsquoeacutetats de maniegraveres drsquoecirctre ou de devenirs pour les verbes Si ces

projections ont eacuteteacute reacuteviseacutees aussi bien au vu de faits typologiques (eg Croft 199127

) que pour

une langue particuliegravere (eg Flaux amp Van de Velde 2000) (eg lrsquoexistence de nombreux noms

exprimant des quantiteacutes des qualiteacutes des procegraves etc) il nrsquoen reste pas moins qursquoelles sont

souvent implicitement ou explicitement admises en grammaire ou en seacutemantique Lrsquoune des

typologies de reacutefeacuterence en la matiegravere est celle de Lyons (1977 438-452) ce dernier preacutecisant

toutefois qursquoelles ne valent que pour une sous-classe de chaque cateacutegorie syntaxique

autrement dit pour les repreacutesentants consideacutereacutes comme typiques de la cateacutegorie

31 Les ordres de Lyons (1977)

Afin de deacutecrire la structure de la langue et les relations qursquoentretiennent syntaxe seacutemantique

et reacutefeacuterence Lyons eacutetablit une typologie reacutefeacuterentielle preacutesenteacutee comme intuitive (fondeacutee sur

un laquo naive realism raquo p 442) agrave partir de ce que lrsquoon peut observer dans le monde il distingue

agrave cet effet les entiteacutes de premier ordre agrave savoir les objets physiques discrets tels que les

personnes les animaux et autres objets discrets inanimeacutes Au sein de ce premier ordre il

rappelle la diffeacuterence entre les personnes qui occupent une place privileacutegieacutee et les autres

types drsquoobjets diffeacuterence qui se voit lexicaliseacutee ou grammaticaliseacutee dans la grande majoriteacute

des langues (ibid) Neacuteanmoins les proprieacuteteacutes communes des objets du premier ordre sont

jugeacutees constantes du point de vue perceptif ceux-ci srsquoinscrivent en effet dans un cadre

spatio-temporel donneacute et sont publiquement observables (cf les basic particulars de Strawson

1959) Dans le cadre drsquoun discours on peut y reacutefeacuterer et leur attribuer des proprieacuteteacutes actions

qursquoil est possible de repreacutesenter formellement en termes de calcul des preacutedicats du premier

ordre (Lyons 1977 443) Lyons oppose agrave cette cateacutegorie supposeacutee consensuelle celles plus

complexes des entiteacutes de deuxiegraveme et troisiegraveme ordres Parmi les entiteacutes de deuxiegraveme ordre

il fait figurer les eacuteveacutenements processus eacutetats-de-choses etc eux aussi situeacutes dans lrsquoespace-

temps en ce qursquoils sont dits pouvoir se produire (par opposition agrave la capaciteacute drsquoexister des

eacuteleacutements du 1er

ordre) Bien qursquoon puisse y reacutefeacuterer dans certaines langues agrave la maniegravere des

25

Cf la citation de Sapir (1921) supra sect23 26

Voir le Petit Robert le Dictionnaire de lrsquoAcadeacutemie ou encore le Larousse sous les entreacutees respectives de nom

ou verbe 27

Croft (1991) nuance ces correspondances traditionnelles et propose de les envisager comme des laquo correacutelations

non marqueacutees raquo (ou laquo prototypes raquo) Pour lui les fonctions syntaxiques repreacutesentent des maniegraveres de

laquo conceptualiser raquo lrsquoinformation communiqueacutee Ainsi face aux limites des rocircles seacutemantiques usuels (agent

instrument etc) il envisage le scheacutema actantiel drsquoun verbe comme un reacuteseau de relations causales deacuteterminant

le choix des types drsquoarguments du verbe

42

individus (par exemple au moyen de nominalisations telle qursquoune explosion une reacuteunion

etc) elles repreacutesentent plutocirct des constructions perceptibles et conceptuelles tandis qursquoun

mecircme objet physique discret ne peut se trouver en plusieurs endroits au mecircme moment ndash ce

qui suppose pour celui-ci un principe de continuiteacute spatio-temporelle ndash une entiteacute de deuxiegraveme

ordre telle qursquoun eacuteveacutenement peut se produire au mecircme moment dans plusieurs endroits

diffeacuterents La distinction entre une mecircme situation et le mecircme type de situation sa

contrepartie geacuteneacuterique est donc moins claire que pour un objet physique Ces critegraveres

semblent faire consensus selon Lyons laquo within the metaphysical framework of naive

realism raquo (p 444) Enfin le troisiegraveme ordre comprend les entiteacutes abstraites repreacutesenteacutees entre

autres par les propositions situeacutees hors de lrsquoespace-temps (ibid) Celles-ci se distinguent agrave

leur tour des entiteacutes de deuxiegraveme ordre par leur caractegravere non observable et par le fait qursquoon

ne peut pas dire drsquoelles qursquoelles se produisent ou se passent ni dans lrsquoespace ni dans le temps

Lyons les caracteacuterise ainsi

Third-order entities are such that lsquotruersquo rather than lsquorealrsquo is more naturally predicated of them they can be asserted or denied remembered or forgotten they can be reasons but not causes and so on In short they are entities of the kind that may function as the objects of such so-called propositional attitudes as belief expectation and judgement (p 445)

Selon les propos de Lyons on peut reacutefeacuterer aux entiteacutes de troisiegraveme ordre notamment par le

biais de nominalisations lexicales (par exemple en franccedilais un jugement un raisonnement

etc) cependant distinctes de celles utiliseacutees pour le deuxiegraveme ordre Au sein de cette

typologie Lyons propose de consideacuterer les entiteacutes du premier ordre comme entiteacutes par

excellence par opposition agrave celles des deuxiegraveme et troisiegraveme ordres dont la conception se fait

agrave partir des premiegraveres et dont les possibiliteacutes de reacutefeacuterence deacutependent de la structure de chaque

langue (ibid) Pour en revenir aux relations entretenues entre syntaxe et seacutemantique Lyons

renomme ce qursquoon appelle geacuteneacuteralement noms concrets par noms de premier ordre qursquoil

considegravere ecirctre les noms les plus typiques (eg garccedilon chat table etc) Les noms de

deuxiegraveme et troisiegraveme ordres sont souvent reconnaissables par leur caractegravere deacuteriveacute (arriveacutee

eacutetonnement etc) bien que certains lexegravemes simples puissent eacutegalement ecirctre typiques de ces

ordres comme respectivement eacutetat raison ou ideacutee (p 446)

Lyons (1977) se dit conscient de la nature naiumlve de sa typologie voueacutee agrave une premiegravere

approximation Celle-ci nrsquoa drsquoailleurs eacutechappeacute aux critiques (Apotheacuteloz 1995b Rastier

200428

) Depuis de nombreux chercheurs se sont efforceacutes drsquoexaminer plus en deacutetail la

probleacutematique par exemple en reacutevisant la typologie des rocircles seacutemantiques traditionnels (Croft

1991) la cateacutegorie nominale (eg Flaux et al 1996 Flaux amp Van de Velde 2002 Huyghe

201529

) les reacutefeacuterents de type eacuteveacutenementiel (Van de Velde 2006) ou autres objets laquo abstraits raquo

(Asher 1993 voir infra sect32) Il nrsquoen demeure pas moins que la typologie intuitive de Lyons

28

laquo Fait drsquoaffirmations non argumenteacutees lrsquoexposeacute en reste au bon sens crsquoest-agrave-dire au preacutejugeacute heacutelas commun

que toutes les langues repreacutesentent les mecircmes entiteacutes Pour deacutecrire leur sens il faut donc deacutecrire ces entiteacutes que

lrsquoon discrimine en fonction de proprieacuteteacutes spatio-temporelles raquo (p 20) 29

Preacutesentation drsquoun numeacutero consacreacute entiegraverement aux types nominaux

43

sert de fondement agrave de nombreux ouvrages en linguistique30

ou agrave des projets drsquoenvergure

comme WordNet31

et EuroWordNet32

bases de donneacutees lexicales respectivement pour

lrsquoanglais et multilingue (une dizaine de langues europeacuteennes) utilisant des ontologies qui

projettent sur les parties du discours des types univoques selon les ordres ci-dessus dans le

but de laquo construire une repreacutesentation conceptuelle des reacutefeacuterents raquo (Rastier 2004 11)

Mais le problegraveme que pose ce genre drsquoontologie est que tout un ensemble de faits

linguistiques reacutesiste agrave ces cateacutegorisations

(14) Lrsquointoleacuterance des toleacuterants existe de mecircme que la rage des modeacutereacutes (Hugo Les

Travailleurs de la mer 1866 p 118 lt TLFi33

)

(15) Et rappelle-toi que nous sommes ta famille agrave preacutesent ta vraie famille (Queffeacutelec Les

Noces barbares 1988 [1985] p 201 ltTLFi)

Lrsquoexemple (14) montre que la proprieacuteteacute drsquoexister peut ecirctre octroyeacutee agrave des objets autres que

des individus discrets et perceptivement stabiliseacutes (1er

ordre) De la mecircme maniegravere difficile

de consideacuterer que la famille eacutevoqueacutee en (15) constitue un objet abstrait indeacutependant de

lrsquoespace-temps comme lrsquoinduirait lrsquoadjectif vraie On voit par ailleurs que la notion de

vraifaux en langue ne srsquoapplique pas exclusivement agrave des propositions au sens philosophique

du terme en drsquoautres mots elle ne situe pas le contenu drsquoun eacutenonceacute par rapport agrave son

adeacutequation au monde mais elle preacutedique un degreacute de conformiteacute par rapport agrave une norme

preacuteconccedilue (Berrendonner 1985) en lrsquooccurrence le concept de famille tel qursquoil devrait ecirctre

pour le locuteur La prise en compte de tels eacutenonceacutes nous pousse agrave examiner davantage les

indices linguistiques refleacutetant la maniegravere dont les objets-de-discours sont cateacutegoriseacutes par les

locuteurs plutocirct que de tenir pour acquis certaines cateacutegories eacutetablies sur la base de

lrsquoobservation du monde environnant

32 Deuxiegraveme et troisiegraveme ordres tentative de classement

Selon Lyons les entiteacutes des deuxiegraveme et troisiegraveme ordres posent davantage de problegravemes de

traitement que celles du premier ordre En effet toute une litteacuterature srsquoest interrogeacutee sur la

question du statut des objets de ce type Vendler (1967 1970) distinguait deacutejagrave notamment agrave

partir de la manipulation de preacutedicats seacutelectionnels (containers) sur des sentential nominals34

les eacuteveacutenements des faits et des propositions les tight containers (eg to occur to take place

to begin to last etc) se combinent avec des arguments de type eacuteveacutenement les loose

containers (to be unlikelycertain to surprise to cause etc) avec des faits (Vendler 1967)

enfin certains containers (to believe to deny etc) sont speacutecifiques aux propositions (Vendler

30

Voir par exemple Moeschler amp Reboul (1994 36) ou encore Dik (1997) qui ajoute un ordre zeacutero pour les

preacutedicats et un quatriegraveme ordre pour les actes de langage 31

httpswordnetprincetonedu 32

httpswwwillcuvanlEuroWordNet 33

Treacutesor de la langue franccedilaise informatiseacute httpatilfatilffr 34

Crsquoest-agrave-dire des expressions laquo phrastiques raquo pouvant fonctionner comme arguments de verbes Ainsi en va-t-il

de that John died John dying ou Johnrsquos death

44

1970) Lrsquoideacutee est que si deux types de nominals manifestent une distribution diffeacuterente agrave

lrsquoeacutegard des containers ils reacutefegraverent agrave des types seacutemantiques distincts

Asher (1993) se propose drsquoaffiner la typologie de Vendler en la situant notamment sur une

eacutechelle drsquoimmanence mondaine (world immanence spectrum) fondeacutee sur des critegraveres

meacutetaphysiques les entiteacutes nommeacutees eventualities (eacuteveacutenements eacutetats activiteacutes accomplis-

sements achegravevements) se preacutesentent agrave lrsquoextreacutemiteacute du pocircle laquo concret raquo en vertu de leurs

proprieacuteteacutes spatio-temporelles de leurs effets causaux et de leur contingence (ie le fait drsquoecirctre

susceptible de se produire) A lrsquoopposeacute les entiteacutes abstraites de type propositions ne

manifestent pas ces caracteacuteristiques elles existent indeacutependamment de lrsquoespace-temps dans

tous les mondes possibles et ne sont pas doteacutees drsquoun potentiel causal Les entiteacutes laquo factuelles raquo

(faits possibiliteacutes situations eacutetats de choses) se situent pour leur part entre les deux pocircles

drsquoimmanence manifestant des proprieacuteteacutes tantocirct propres aux eacuteveacutenements tantocirct propres aux

propositions (Asher 1993 32) Asher se fonde eacutegalement sur des critegraveres linguistiques pour

lrsquoanglais tels que lrsquoaspect (perfect vs imperfect) et la formes des expressions (constructions en

thathellip en ndashing nominalisations etc) mais surtout agrave la maniegravere de Vendler (cf supra) sur

les contextes compatibles avec les objets abstraits (p 16-22) Ci-dessous la distribution du

container believe qui seacutelectionne a priori un objet de type propositionnel illustre une

distinction seacutemantique entre les arguments du verbe dans chacun des exemples

(16) Sam believed that Fred hit Mary (p 22)

(17) Sam believed Fredrsquos hitting Mary (ibid)

Selon Asher la construction verbale en that est compatible avec un verbe drsquoattitude

laquo propositionnelle raquo contrairement aux laquo derived nominals raquo en ndashing laquo that intuitively denote

events raquo (ibid) Lrsquoauteur observe notamment lrsquousage des anaphores agrave ses yeux

particuliegraverement aptes agrave refleacuteter de telles distinctions seacutemantiques

(18) [The destruction of the city]i took several hours Fred hadnrsquot believed iti when he had

first heard about iti (p 36)

(19) [The destruction of the city]i took several hours Fred hadnrsquot believed that iti could

happen (ibid)

Lrsquoanomalie ressentie en (18) reacutesulte aux yeux drsquoAsher drsquoun laquo clash raquo de contraintes le verbe

believe requeacuterant un objet propositionnel tandis que la nominalisation en ndashing renvoie

forceacutement agrave un eacuteveacutenement Si lrsquoon reacutetablit un container compatible avec un eacuteveacutenement

comme en (19) lrsquoanomalie disparaicirct Neacuteanmoins lrsquoauteur nrsquoenvisage pas des alternatives

drsquointerpreacutetation pourtant ici possibles comme par exemple lrsquoeacuteventualiteacute drsquoune reacutefeacuterence au

contenu global de lrsquoeacutenonceacute preacuteceacutedent Toute une seacuterie de travaux recourt agrave la typologie

drsquoAsher et lrsquoapplique agrave des donneacutees de langues diverses entre autres Gundel et al (2003)

45

pour lrsquoanglais35

Consten et al (2007 93) pour lrsquoallemand36

et Amsili et al (2005) pour le

franccedilais37

Amsili et al (2005) mentionnent parmi les containers (ou conteneurs) drsquoeacuteveacutenements en

franccedilais des verbes comme arriver se produire avoir lieu se passer assister agrave ecirctre teacutemoin

de manquer rater ougrave lrsquoeacuteveacutenement srsquoexprime au moyen drsquoun argument (pro)nominal sujet ou

objet38

(20) La chute de Marie ccedila srsquoest produit(e) alors que le directeur arrivait (Amsili et al

2005 18)

(21) Tout le labo a assisteacute agrave la chute de Marie agrave ccedila (ibid)

Les propositions quant agrave elles se manifestent essentiellement sous la forme drsquoune

subordonneacutee compleacutetive drsquoun verbe drsquoattitude laquo propositionnelle raquo du type croire penser

preacutetendre etc

(22) Jean croit que Marie est tombeacutee (ibid 20)

Quant aux faits39

ils se distinguent notamment des propositions par la reconnaissance de leur

authenticiteacute Degraves lors ils sont souvent exprimeacutes via des compleacutements de verbes comme savoir

que regretter que se souvenir que prouver que il est vrai que etc ou sujets de verbes du

type surprendre eacutenerver deacutecevoir etc40

(23) Leacutea sait que Marie est tombeacutee (ibid 22)

(24) Que Marie soit tombeacutee a surpris tout le monde (ibid)

Dans certaines situations les auteurs remarquent qursquoun type drsquoobjet donneacute peut se voir

laquo coerceacute raquo (Pustejovsky 1995 Lauwers amp Willems 2011) Le pheacutenomegravene de coercition se

35

Gundel et al (2003) soutiennent sur la base de donneacutees attesteacutees et de jugements drsquoacceptabiliteacute que les

propositions sont des types drsquoentiteacutes cognitivement moins accessibles que les eacuteveacutenements et que cette situation

se voit dans la distribution des pronoms non accentueacutes (it) vs accentueacutes (this) les premiers se montrant moins

susceptibles de reacutefeacuterer agrave une proposition que les seconds Cela preacutesuppose on le voit que les objets introduits

soient clairement preacutecateacutegoriseacutes 36

Les auteurs relegravevent des recateacutegorisations anaphoriques drsquoun type agrave un autre neacuteanmoins uniquement possibles

dans une direction de lrsquoeacutechelle drsquoimmanence drsquoAsher agrave savoir du concret vers lrsquoabstrait ce dont les auteurs

rendent compte par le concept drsquoontology changing complexation The Americans tried to invade the building

but were forced back by shots from the top floor (=eacuteveacutenements) This proves (=fait) that the situation in Bagdad

isnrsquot under control yet (lt ibid p 88) 37

Il srsquoagit drsquoune tentative de repreacutesentation formelle du processus anaphorique impliquant les objets abstraits

dans le cadre de la DRT (Kamp amp Reyle 1993) 38

Les auteurs notent en outre agrave la suite de Davidson (1967) que les eacutenonceacutes entiers laquo drsquoaction raquo expriment des

eacuteveacutenements laquo il faut admettre que toute phrase (drsquoaction tout du moins) fait intervenir un eacuteveacutenement

existentiellement quantifieacute raquo Lrsquoexemple donneacute est Marie est tombeacutee hier en sortant du labo (p 17-18) 39

Les auteurs ajoutent la cateacutegorie des situations qui sont en fait des eacuteveacutenements perccedilus (p 18-19) 40

Selon les auteurs les assertions isoleacutees expriment des faits laquo Toute phrase assertive isoleacutee est

pragmatiquement preacutesenteacutee comme vraie raquo (p 22) Ils donnent comme exemple Marie est tombeacutee Il est

eacutetonnant de constater que cet eacutenonceacute exprime pour eux un fait alors que lrsquoexemple citeacute dans la note 38 exprime agrave

leurs yeux un eacuteveacutenement

46

manifeste lorsque les proprieacuteteacutes seacutemantiques (lexicales aspectuelles etc) drsquoune uniteacute entrent

en contradiction avec les traits inheacuterents de lrsquoeacuteleacutement effectivement seacutelectionneacute Il en reacutesulte

une modification (par accommodation ou encore forccedilage) de la nature seacutemantique sur ce

dernier Dans lrsquoapproche en question crsquoest le container qui impose un changement de type

conforme pour lrsquointerpreacutetation de son argument

(25) Pierre a eacuteteacute surpris par lrsquoarriveacutee de Jean (Amsili et al 2005 26)

Dans cet exemple le conteneur surprendre est supposeacute contraindre lrsquoexpression de lrsquoagent

(lrsquoarriveacutee de Jean) agrave ecirctre interpreacuteteacutee comme un fait laquo le fait que Jean soit arriveacute raquo (ibid)

plutocirct que ce qursquoil devrait theacuteoriquement repreacutesenter agrave lrsquoorigine agrave savoir un eacuteveacutenement

A nos yeux les traits seacutelectionnels imputeacutes aux containers en question semblent trop rigides

pour deacutecrire les faits reacuteellement mis en œuvre par les usagers en contexte En effet la

manipulation des containers retenus se montre peu compatible avec lrsquoideacutee de diversiteacute des

emplois mais aussi avec la polyseacutemie inheacuterente des uniteacutes lexicales la plupart possegravedent

diffeacuterentes acceptions et constructions conventionnelles drsquoailleurs reacutepertorieacutees dans les usuels

lexicographiques laquo grand public raquo Certaines significations sont ainsi tout agrave fait compatibles

avec des expressions reacutefeacuterant agrave des entiteacutes reacuteputeacutees de laquo 1er

ordre raquo comme en teacutemoignent ces

exemples donneacutes dans les dictionnaires41

(26) Le lendemain de son mariage il dut descendre dans le salon agrave lrsquoheure du deacutejeuner et se

produire devant une douzaine de personnes (Feuillet Mariage monde 1875 p91

lt TLFi)

(27) [hellip] il est prudent comme un gendarme qui veut surprendre un braconnier (Murger

Nuits hiver 1861 p 77 lt TLFi)

Ces acceptions eacutetant visiblement usuelles pour les usagers de la langue il nrsquoy a pas de raison

de postuler un pheacutenomegravene de laquo coercition raquo agrave partir drsquoune signification laquo premiegravere raquo pour

expliquer la polyseacutemie agrave lrsquoœuvre le reacutefeacuterent de il nrsquoest pas reformateacute comme un eacuteveacutenement

ni celui du SN un gendarme comme un fait Aussi sommes-nous drsquoavis que les significations

attribueacutees aux containers concerneacutes sont moins speacutecifieacutees que le revendiquent les adeptes de

la meacutethode

Par conseacutequent la capaciteacute de ces derniers agrave discriminer des sous-types de reacutefeacuterents

laquo abstraits raquo (des ordres laquo supeacuterieurs raquo) nous paraicirct discutable Ici eacutegalement les containers

ne nous semblent pas agrave mecircme de reacuteveacuteler des types univoques

(28) Notre megravere qui avait rateacute sa vocation de surveillante pour centrale de femmes se

chargea de veiller agrave sa plus stricte application (Bazin H Vipegravere 1948)

41

Ces emplois ne sont pas propres au style litteacuteraire Les artistes qui se produisent dans la rue devant une foule

ne cesseront jamais de mrsquoeacutetonner (blog httpbloguartcom) Il y a sucircrement drsquoautres moyens et surtout plus

leacutegaux pour se deacutetendre au volant Ce samedi matin la police a surpris un automobiliste une main sur le volant

et lrsquoautre tenant un joint (Tribune de Genegraveve 20072004)

47

Il ne nous paraicirct pas tregraves intuitif de cateacutegoriser la laquo vocation raquo drsquoune personne comme un

laquo eacuteveacutenement raquo Mecircme genre de reacuteaction ci-apregraves ougrave le type laquo factuel raquo imposeacute par le

container agrave lrsquoobjet du SN le sommeil nrsquoest pas tregraves convaincant42

(29) Je fis en me couchant dautres reacuteflexions qui me parurent conduire agrave pouvoir expliquer

tout ce qui meacutetait arriveacute par des moyens naturels Le sommeil me surprit au milieu de

ces raisonnements (Potocki Manuscrit trouveacute agrave Saragosse 1815 lt TLFi)

En fait nous avons montreacute dans un travail anteacuterieur agrave partir de donneacutees en franccedilais parleacute

spontaneacute (Johnsen 2010) que les locuteurs dans leurs actes de reacutefeacuterence ne semblent pas

eacutetablir de telles distinctions entre les objets En franccedilais parleacute ce sont surtout les pronoms

sous-speacutecifieacutes et non-cateacutegorisants ceccedila qui renvoient aux objets qui ne possegravedent pas

drsquoattribut de deacutenomination propre

(30) agrave cinq heures de lrsquoapregraves-midi faut te mettre dans la tente parce que lagrave tu as les

moustiques qui viennent partout Donc ccedila crsquoest lrsquohorreur (oral pfc lt Johnsen 2010

153)

Au vu de (30) on constate tout drsquoabord que la meacutethode des containers a ses limites car le

preacutedicat effectivement utiliseacute (ecirctre lrsquohorreur) ne srsquoapparente pas agrave lrsquoun des verbes proposeacutes

par ses promoteurs En effet comment deacuteterminer le type drsquoobjet auquel est appliqueacute un

preacutedicat laquo ordinaire raquo On peut tenter de se reporter agrave lrsquoexpression qui a permis drsquointroduire

lrsquoobjet agrave savoir la CV tu as les moustiques qui viennent de partout mais comment juger si

lrsquoinvasion de moustiques invoqueacutee est perccedilue comme un eacuteveacutenement un fait ou une

proposition Quant au preacutedicat est lrsquohorreur il nrsquoapparaicirct pas non plus vraiment

deacuteterminanthellip Tout bien consideacutereacute il apparaicirct superflu de proceacuteder agrave une telle interpreacutetation

analytique A nos yeux la productiviteacute des formes sous-speacutecifieacutees ceccedila vient en partie du

non-marquage du trait drsquoindividuation qui suggegravere au contraire une certaine indeacutetermination

cateacutegorielle (ibid) Par ailleurs drsquoapregraves les donneacutees typologiques de Corbett (1991) aucune

langue ne coderait des oppositions seacutemantiques de ce genre au moyen de pronoms (Fraurud

1992 31 Cornish 1999 82)

Il faut donc reconnaicirctre que lrsquoobjectif des typologies proposeacutees supra est de deacutegager des

critegraveres propres au domaine de la meacutetaphysique mais que ceux-ci au-delagrave des emplois

consideacutereacutes comme laquo typiques raquo sont difficilement applicables aux pheacutenomegravenes reacutefeacuterentiels agrave

lrsquoœuvre dans les usages veacuteritables des locuteurs Du reste on peut relever le paradoxe de la

42

Amsili et al (2005 26) relegravevent eux-mecircmes un cas eacutequivoque sans toutefois se risquer agrave se positionner agrave son

eacutegard Vous croyez donc agrave laccident (Simenon TLFi) Le container croire fait du SN lrsquoaccident en principe

eacuteveacutenementiel un compleacutement laquo apparemment propositionnel raquo laquo Il reste que la question de savoir srsquoil srsquoagit

drsquoun argument propositionnel reste ouverte raquo (ibid)

48

deacutemarche qui consiste agrave poser des contraintes et eacutetablir des cateacutegories pour en avouer apregraves

coup les deacutefauts de preacutedictibiliteacute43

It [the anaphora test] shows that there is an unexpected fluidity to the typing in the typology of abstract objects and suggests that at a more fundamental level many distinct types of natural language metaphysics may be very similar if not identical (Asher 1993 40)

33 Objets laquo indiscrets raquo

A lrsquoopposeacute de ces modegraveles logico-seacutemantiques un certain nombre de travaux (Berrendonner

1990a 1994 Apotheacuteloz 1995b Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995 Corminboeuf 2011 Johnsen

2013 et Berrendonner 2014) mettent en eacutevidence la nature malleacuteable et hybride des reacutefeacuterents

du discours agrave travers lrsquousage des expressions reacutefeacuterentielles Berrendonner (1994) appelle

narquoisement objet indiscret par opposition agrave une vision discregravete et rigide du monde le

reacutesultat drsquoune laquo indiffeacuterenciation raquo reacutefeacuterentielle autrement dit la reacutefeacuterence agrave laquo un tout

hybride polymorphe et logiquement sous-speacutecifieacute raquo (p 217) On peut relever diffeacuterentes

situations impliquant ce type drsquoobjets Lrsquoexemple ci-dessous illustre le cas drsquoune expression

activant un objet laquo attracteur raquo (Berrendonner 1990a) crsquoest-agrave-dire susceptible drsquoeacutevoquer toute

une constellation drsquoobjets qui lui sont associeacutes

(31) Manifestation agrave Bourg le lynx descend dans la rue (presse Le Progregraves lt ibid 154)

Le SN le lynx deacutesigne dans cet exemple non pas lrsquoanimal mais par meacutetonymie les eacuteleveurs

furieux des ravages causeacutes par le lynx Ce dernier repreacutesente la cause de la protestation par les

manifestants Mais on aurait tort de reacuteduire la meacutetonymie agrave un simple deacuteplacement reacutefeacuterentiel

Lrsquoemploi du SN le lynx permet au contraire de condenser et drsquoeacutevoquer tout un laquo feuilleton raquo

dont lrsquoanimal est le sujet des discours anteacuterieurs agrave caractegravere axiologique un ensemble

drsquoeacuteveacutenements ou de positions le concernant (par ex sa protection sa reacuteintroduction la chasse

etc) et bien entendu ses opposants En tant qursquoattracteur il fonctionne comme laquo repreacutesentant

pour tout un micro-secteur de connaissances raquo (ibid 155)

Apotheacuteloz (1995b) se penche sur le cas de nominalisations lexicales reacuteputeacutees pour leur

polyseacutemie susceptibles drsquoeacutevoquer soit un objet de type procegraves soit lrsquoun de ses ingreacutedients

(32) Il leur fallait manger maintenant dans des gargotes pour quelques sous parmi la

crasse et la vulgariteacute une nourriture qursquoil ne supportait pas Pour ces repas il allait

chercher Tonka ponctuellement comme srsquoil srsquoagissait drsquoun devoir (R Musil Trois

femmes lt ibid 151)

Dans ce cas le SN ces repas peut deacutesigner aussi bien lrsquoaction de se nourrir que les mets

eacutevoqueacutes Mais la polyseacutemie du nom ne donne pas forceacutement lieu agrave une reacuteelle ambiguiumlteacute

drsquointerpreacutetation Lorsque le contexte nrsquoest pas discriminant Apotheacuteloz invoque la possibiliteacute

43

Cf aussi laquo Notons que ceux-ci [les noms drsquoentiteacutes abstraites] sont drsquoailleurs rarement utiliseacutes avec un sens

conforme agrave leur type ontologique si ce nrsquoest dans le discours philosophique ou (meacuteta-)linguistique raquo (Amsili et

al 2005 26)

49

de laquo discerner soit un procegraves soit lrsquoun de ces ingreacutedients soit encore une indiffeacuterenciation des

deux raquo (p 169) Cette laquo sous-speacutecification raquo met ainsi agrave mal la rigiditeacute des eacutechelles logico-

seacutemantiques traditionnelles Lrsquoexistence de ce genre drsquoamalgames cognitifs reflegravete laquo une

certaine latitude drsquoapproximation dans la deacutesignation raquo (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995 258)

Les reacutefeacuterents eacutevoqueacutes dans les discours ressemblent de la sorte agrave des laquo agreacutegats polymorphes

et traitables par les usagers comme de veacuteritables objets gigognes raquo (ibid)

Parmi la diversiteacute des objets indiscrets on peut encore relever lrsquoexistence de dualiteacutes

examineacutees par Berrendonner (1994) et (2014) ainsi que par Corminboeuf (2011) Il srsquoagit

drsquoobjets indiscrets qui se preacutesentent comme laquo agrave la fois un et deux raquo (Berrendonner 2014

179)

(33) La famille royale passa un merveilleux eacuteteacute dans leur chacircteau persuadeacute(es) que rien

ne pourrait leur arriver (oral radio lt ibid)

Dans lrsquoexemple ci-dessus on identifie un individu collectif (lsquola famille royale) agrave la classe de

ses membres Le caractegravere syntaxiquement lieacute du deacuteterminant possessif dans leur chacircteau

malgreacute la marque de 6e personne conduit agrave une interpreacutetation coreacutefeacuterentielle plutocirct

qursquoassociative Certains types de dualiteacutes semblent privileacutegieacutes dans ce genre

drsquoindiffeacuterenciation outre la relation collectif-classe on peut mentionner les relations lieu-

occupants (34) objet-deacutenomination (35) classe-type44

(36) particuliegraverement visibles agrave travers

lrsquoemploi de pronoms clitiques relatifs ou de deacuteterminants possessifs (Berrendonner 201445

)

(34) Il nrsquoy a que Zuumlrich agrave accuser un fort retard reacutesultat de leur manie de se cramponner

deacutesespeacutereacutement agrave un reacuteseau de tramways drsquoune lenteur deacutesespeacuterante (presse lt ibid

172)

(35) Le prototype de lrsquoanaphorique crsquoest le pronom le pronom qui eacutetymologiquement

signifie mis agrave la place du nom (oral confeacuterencier lt ibid 174)

(36) Le programme des maicirctres devra ecirctre eacutequilibreacute dans la semaine ceci pour lui

permettre des moments de preacuteparation de ses cours (circulaire lt ibid 175)

Les indices en preacutesence suggegraverent de confondre les objets plutocirct que de les envisager de

maniegravere distincte Enfin en regard de ces situations drsquoamalgame relevons encore la situation

inverse sans doute moins routiniseacutee de fractionnement drsquoun mecircme objet (Corminboeuf

2011)

(37) Degraves qursquoon essaie de me ranger dans des cases je suis trop nombreuses on fait des

crises de claustrophobiehellip (Motin BD lt ibid 476)

44

Sur la notion de type voir infra sect42 45

Lrsquoopeacuteration de dualiteacute via des pronoms sera plus amplement eacutetudieacutee infra (Ch II sect422)

50

Le preacutedicat collectif nombreux ici appliqueacute agrave la locutrice autrement dit un individu amegravene agrave

concevoir celle-ci de maniegravere fragmenteacutee crsquoest-agrave-dire comme deacutecomposeacutee en de multiples

facettes

Les faits drsquolaquo indiscreacutetion raquo preacutesenteacutes ici remettent clairement en question les typologies

logiques existantes de mecircme que la conception leibnizienne de lrsquoidentiteacute qursquoelles adoptent

pour le traitement des reacutefeacuterents du discours (Berrendonner 2014 169) agrave savoir que laquo deux

objets sont identiques (= le mecircme) srsquoils possegravedent exactement les mecircmes proprieacuteteacutes et sont

neacutecessairement distincts srsquoils diffegraverent par au moins une proprieacuteteacute raquo Les donneacutees observeacutees

montrent que les locuteurs disposent drsquoune marge de manœuvre qui leur permet de construire

en discours des entiteacutes hybrides fictives sous-deacutetermineacutees etc que les modegraveles

reacutefeacuterentialistes ne permettent pas de preacutevoir

34 Bilan

Dans les tentatives de classification logique proposeacutees on constate que les distinctions

eacutetablies se fondent sur des critegraveres propres agrave la reacutealiteacute environnante ou agrave une forme de

meacutetaphysique proprieacuteteacutes perceptuelles ancrage spatio-temporel (stabiliteacute contingence)

relation de causaliteacute etc Ces deacutemarches semblent reposer sur un principe qui vient srsquoajouter

aux trois postulats de la doxa seacutemantique citeacutes supra au sect24 a)-b)-c)

d) La structure du monde preacutedeacutetermine la structure de la langue

Lrsquoapproche en question srsquoefforce de transposer les proprieacuteteacutes et le fonctionnement de notre

univers sur la langue et agrave en mesurer la conformiteacute La deacutemarche que nous proposons dans ce

travail est reacutesolument inverse elle consiste agrave observer ce que les usages linguistiques nous

reacutevegravelent sur la maniegravere dont les locuteurs se repreacutesentent le monde (cf infra sect631) Ainsi

certaines distinctions seacutemantiques se reflegravetent agrave travers les faits attesteacutes en discours on

remarque en effet que certains objets sont deacutesigneacutes en contexte au moyen drsquoun pronom

personnel de 3e personne de type ilelle alors que drsquoautres appellent de preacutefeacuterence un rappel

au moyen de ceccedila

(38) en Suisse si on croise euh le regard dun homme euh qui par hasard euh | nous sourit

parce que voilagrave il est sympathique puis qursquoon sourit | _ | euh cest tout | _ | on ccedila ccedila

peut se tregraves bien srsquoarrecircter lagrave euh | _ | on traverse le passage pieacuteton et puis cest bon

(ofrom)

Cette opposition montre que les reacutefeacuterents respectifs sont envisageacutes par les locuteurs sous des

formats diffeacuterents Dans (38) lrsquoemploi du clitique il indique que le locuteur reacutefegravere agrave un

individu preacutesenteacute comme porteur drsquoun nom qui le cateacutegorise en lrsquooccurrence celui drsquolsquohommersquo

anteacuterieurement mentionneacute dont le clitique adopte par deacutefaut le genre46

En revanche les

deacutemonstratifs ccedila puis crsquo ne preacutesupposent pas la reacutefeacuterence agrave des objets de type individueacute doteacutes

46

Lrsquoeacutetiquette lexicale supposeacutee par le genre du clitique nrsquoest pas toujours mentionneacutee dans le discours comme

on le verra agrave maintes reprises dans la suite de ce travail

51

drsquoune eacutetiquette nominale usuelle (Corblin 1991 Kleiber 1994a Carlier 1996 Johnsen 2010)

En effet le contexte conduit agrave concevoir lrsquoexistence de reacutefeacuterents aux contours vagues

lrsquointerlocuteur va interpreacuteter la reacutefeacuterence du pronom ccedila comme la situation type deacutecrite agrave

savoir le contact eacutetabli entre deux personnes agrave travers leur sourire Quant au crsquo de la seacutequence

crsquoest bon qursquoon peut paraphraser par crsquoest tout ou ccedila va il eacutevoque lrsquoeacutepisode contextuel deacutecrit

auquel le locuteur nie toute suite eacuteventuelle au moyen du preacutedicat

Cet exemple attesteacute illustre ainsi la distinction entre individus nommables et objets non

nommables (grosso modo la diffeacuterence entre le 1er

ordre et les ordres supeacuterieurs de Lyons

1977) ndash laquo nommable raquo au sens ougrave le locuteur choisit de preacutesenter le reacutefeacuterent comme porteur

ou non drsquoune deacutenomination Certains auteurs relegravevent en effet lrsquoabsence drsquoune deacutenomination

courante pour certains objets

Les actions eacuteveacutenements etc ne disposent pas de noms en propre Ils nrsquoappartiennent pas agrave une classe reacutefeacuterentielle dont les individus portent le mecircme nom Opposeacutes aux entiteacutes classifieacutees qui sont en quelque sorte des laquo choses nommeacutees raquo ils ne sont que des choses (Kleiber 1994a 24)

Ainsi les pronoms ce ou ccedila (cf infra 2e partie sect212) seraient particuliegraverement idoines pour

ce genre de reacutefeacuterence A travers lrsquoexemple (38) nous soutenons lrsquoideacutee que les faits

linguistiques permettent de mettre en eacutevidence la maniegravere dont les locuteurs cateacutegorisent et

conccediloivent les objets auxquels ils font reacutefeacuterence (cf infra sect63 lrsquoapproche laquo fribourgeoise raquo)

Par conseacutequent en lieu et place des distinctions laquo meacutetaphysiques raquo comme les laquo ordres raquo de

Lyons agrave fondement logico-philosophique et conccedilues sur la base drsquoune observation laquo naiumlve raquo

de la reacutealiteacute nous privileacutegions une approche partant des usages Apotheacuteloz (1995b 160)

critique agrave cet eacutegard la rigiditeacute de ces modegraveles a priori qui ramegravenent les cateacutegories

reacutefeacuterentielles agrave celles de la tradition logique et philosophique dont lrsquoobjectif scientifique est

distinct et qui montrent leurs limites face agrave des faits empiriques mettant en jeu des

pheacutenomegravenes reacutefeacuterentiels inclassables en ces termes Dans le cadre des opeacuterations de reacutefeacuterence

en discours la langue est agrave remettre au centre de lrsquoattention en vue drsquoeacutetudier le laquo filtrage

cognitif raquo qursquoopegraverent ses usagers pour parler du monde (Rousseau 1996) Ainsi malgreacute les

limites drsquoune conception linguistique de lrsquoopposition concret-abstrait (eg Flaux et al 1996

Wilmet 199647

) celle-ci sert de fondement agrave la plupart des typologies seacutemantiques (entre

autres Lyons 1977 Asher 1993 Flaux amp Van de Velde 2002 Amsili et al 2005 Consten et

al 2007) Or elle est depuis longtemps remise en cause en linguistique

Un des critegraveres les plus usuels est le caractegravere laquo concret raquo ou laquo abstrait raquo du sens lrsquoeacutevolution eacutetant supposeacutee se faire du laquo concret raquo agrave lrsquolaquo abstrait raquo Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoambiguiumlteacute de ces termes heacuteriteacutes drsquoune philosophie deacutesuegravete

48 (Benveniste 1966 298)

47

Wilmet relegraveve pas moins de sept acceptions diffeacuterentes agrave orientations psychologique (=extrait) ontologique

(= immateacuteriel) discursive (=geacuteneacuterique) mentaliste (= conceptuel) seacutemantique (= reacuteduit) morphologique (=

deacuteriveacute) qui ne vont pas sans poser de problegravemes au sein de chaque approche 48

A propos du deacuteveloppement de valeurs seacutemantiques pour un mot

52

A nos yeux les critegraveres retenus agrave partir de lrsquoobservation du monde sont peu approprieacutes agrave la

description des pheacutenomegravenes de reacutefeacuterence En effet on en revient au vieux et vaste deacutebat sur

lrsquoarbitraire du signe qui remet en cause la conception de la langue comme simple

nomenclature de la reacutealiteacute calquant ses oppositions sur celle-ci chaque langue possegravede son

propre systegraveme de signifieacutes Le fait que les langues ne laquo deacutecoupent raquo pas le monde chacune de

la mecircme maniegravere montre ainsi une certaine autonomie de leur part par rapport agrave celui-ci

(cf les diffeacuterences bien connues dans la deacutesignation des diverses nuances du spectre des

couleurs dans des langues distinctes ou le systegraveme des noms de parenteacute dans diffeacuterentes

langues) En teacutemoigne lrsquoimpression freacutequente que telle notion dans sa langue maternelle ne se

traduit pas aiseacutement dans une autre langue parce qursquoelle contient des traits dont lrsquoautre langue

ne rend pas compte49

ces contrastes reposant notamment sur des repreacutesentations socio-

culturelles distinctes

Or en eacutetablissant une laquo grammaire du reacuteel raquo (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995) crsquoest-agrave-dire en

cherchant dans le monde les proprieacuteteacutes que doit satisfaire un reacutefeacuterent pour porter tel nom la

seacutemantique admet le principe de nomenclature du reacuteel pourtant depuis longtemps remis en

cause Plutocirct que de rechercher les distinctions seacutemantiques dans le fonctionnement du

monde il nous paraicirct plus pertinent de deacutegager celles-ci agrave partir des manifestations drsquoune

langue Souvent cantonneacutee agrave lrsquoeacutetude du laquo systegraveme raquo la seacutemantique a fortiori la seacutemantique

reacutefeacuterentielle aurait agrave notre sens beaucoup agrave gagner de lrsquoobservation des faits en contexte pour

cerner lrsquoinvariant des expressions effectivement utiliseacutees dans une viseacutee de geacuteneacuteralisation

Par deacutefinition lrsquoexamen des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels deacutepasse forceacutement le domaine du

laquo systegraveme raquo pour gagner celui de laquo lrsquousage du systegraveme raquo En effet degraves lors que lrsquoon

srsquointeacuteresse agrave lrsquoacte de reacutefeacuterence il srsquoavegravere essentiel de tenir compte de la laquo varieacuteteacute des

conditions raquo (ibid) dans lesquelles les sujets parlants agissent domaine traditionnellement

releacutegueacute agrave lrsquoanalyse pragmatique De ce point de vue les interlocuteurs ne sont pas reacuteductibles

agrave de laquo simples instances drsquoenregistrement et de reproduction raquo de la relation mot-chose ils

poursuivent des objectifs communicationnels varieacutes qui interviennent dans leur maniegravere de

deacutesigner les reacutefeacuterents comme on le verra infra (sect636)

Un dernier aspect de ces typologies precircte encore agrave discussion agrave savoir la notion polyseacutemique

de proposition Nous avons deacutejagrave attireacute lrsquoattention ailleurs (Johnsen 2010) sur les meacuteprises qui

reacutesultent de cette polyseacutemie En effet la notion est utiliseacutee aussi bien en logique qursquoen

linguistique Et en linguistique elle srsquoemploie en syntaxe comme en seacutemantique avec des

sens diffeacuterents respectivement lrsquoassociation drsquoun sujet et drsquoun syntagme verbal et le contenu

de cette mecircme forme syntaxique A lrsquoorigine la notion est issue de la tradition logique avant

de se reacutepandre dans le domaine de la langue

49

On pense par exemple au nom tartine en franccedilais dont lrsquoanglais ne rend compte du concept qursquoagrave travers des

peacuteriphrases (bread with jambutter etc) et lrsquoallemand que par composition (Butterbrot Marmeladenbrot etc)

Le Guern (2003 28-29) donne de nombreux exemples dont celui de libellule traduit en anglais par dragonfly

qui contient un segraveme fantastique qursquoon ne retrouve pas en franccedilais ou ceux des eacutequivalents de gazelle et antilope

en punu une langue du Gabon comprenant respectivement dans cette langue les segravemes [intelligent] ou [stupide]

53

Le terme de proposition remonte aux grammaires logiques ougrave il deacutesignait toute construction minimale porteuse drsquoun jugement lrsquoassociation drsquoun sujet (ce dont on dit quelque chose) et drsquoun preacutedicat (ce que lrsquoon dit du sujet) [hellip] Progressivement la notion de proposition srsquoest confondue avec celle de phrase pour deacutesigner lrsquouniteacute syntaxique et preacutedicative combinant un sujet grammatical et un groupe verbal (Riegel et al 2009 784-785)

Dans son sens logique la proposition intervient agrave des niveaux drsquoanalyse diffeacuterents Pour le

logicien la proposition son objet drsquoanalyse est ce qui est exprimeacute par un eacutenonceacute deacuteclaratif en

vue drsquoun commentaire sur le monde et qursquoon peut juger en termes de valeur de veacuteriteacute On peut

dire dans ce cas drsquoune proposition qursquoelle est vraie ou fausse conformeacutement au modegravele du

monde dans lequel elle srsquointerpregravete Le concept de proposition est donc dans ce sens un outil

meacutetalinguistique Ainsi au niveau de sa deacutenotation une proposition logique peut renvoyer

selon les typologies supra (sect32) tantocirct agrave un laquo eacuteveacutenement raquo tantocirct agrave un laquo fait raquo tantocirct agrave une

laquo situation raquo ou tantocircthellip agrave une laquo proposition raquo () lorsqursquoelle complegravete un verbe drsquoattitude par

exemple Dans cette derniegravere acception restreinte une proposition deacutesigne donc un sous-type

drsquoobjet dit laquo abstrait raquo (au sens drsquoAsher 1993) que deacutenote le plus souvent une Que-P qui

complegravete un verbe drsquoattitude laquo propositionnelle raquo (verbes de croyance de jugement etc)50

comme dans lrsquoexemple deacutejagrave citeacute

(39) Jean croit que Marie est tombeacutee = (22)

Selon les typologies supra on devrait consideacuterer que lrsquoeacutenonceacute complet ci-dessus consiste en

une laquo proposition raquo au sens meacutetalinguistique (car susceptible de supporter une valeur de

veacuteriteacute) deacutenotant un laquo fait raquo (comme tout eacutenonceacute isoleacute cf Amsili et al 2005 22) agrave savoir le

fait que Jean croit en une certainehellip laquo proposition raquo (exprimeacutee par que Marie est tombeacutee) On

ne saurait deacutenier ici la confusion engendreacutee

Par ailleurs il nous paraicirct peu vraisemblable et contre-intuitif de consideacuterer que la seacutequence

Marie est tombeacutee puisse repreacutesenter toujours drsquoapregraves les typologies supra trois types drsquoobjets

distincts dans les exemples (39) (en lrsquooccurrence une laquo proposition raquo) (40) (un laquo fait raquo) ou

(41) (un laquo eacuteveacutenement raquo)

(40) Leacutea sait que Marie est tombeacutee = (23) (Amsili et al 2005 22)

(41) Marie est tombeacutee hier en sortant du labo (ibid 18)

On ne voit pas en quoi un procegraves ici deacutenoteacute par Marie est tombeacutee relegraveve drsquoune nature

diffeacuterente selon qursquoil est lrsquoobjet drsquoune croyance (proposition) selon qursquoil est explicitement

lrsquoobjet drsquoun savoir (fait) ou indeacutependamment drsquoune quelconque modaliteacute (eacuteveacutenement51

) A

50

Cf la critique de Lyons (1977 146) laquo [hellip] it cannot simply be assumed that because a sentence that

operates as a clause within another more complex sentence sometimes expresses a proposition (and moreover the

same proposition as it would express as an independent sentence) it always expresses a proposition when it

operates as a clause in a more complex sentence raquo 51

Ou un fait Cf la contradiction drsquoAmsili et al (2005) agrave ce sujet que nous avons releveacutee dans la note 40 supra

54

nos yeux il eacutevoque le mecircme objet lequel peut agrave son tour entrer dans la construction drsquoobjets

plus complexes (la croyanceconnaissance du procegraves en question par quelqursquoun etc)

En fait la notion de proposition suscite une grande controverse au sein mecircme de la tradition

logico-philosophique (Lyons 1977 141)52

Etant donneacute sa circulariteacute ainsi que lrsquoembarras

auquel elle donne lieu nous preacutefeacuterons nous en passer autant que faire se peut dans le cadre

de la preacutesente eacutetude

52

laquo The term lsquopropositionrsquo is very troublesome raquo (ibid 142)

55

4 Les expressions reacutefeacuterentielles cateacutegories majeures

Lrsquoacte de reacutefeacuterence consistant agrave convoquer un reacutefeacuterent dans le discours est rendu possible par

lrsquousage drsquoexpressions reacutefeacuterentielles (supra sect1) Afin drsquoavoir une vision drsquoensemble des

ressources linguistiques agrave la disposition des locuteurs nous preacutesentons ci-dessous une

synthegravese des deacutebats en vigueur sur les cateacutegories principalement concerneacutees par les opeacuterations

de reacutefeacuterence parmi lesquelles les syntagmes nominaux (SN) et les pronoms personnels sont

tenus pour repreacutesentatifs Nous traitons des diffeacuterentes cateacutegories dans lrsquoordre suivant

drsquoabord les noms propres (Npr) qui deacutepourvus de descripteur lexical preacutesentent un

fonctionnement reacutefeacuterentiel bien distinct des SN descriptifs avec lesquels ils partagent

toutefois la possibiliteacute de se combiner avec toutes sortes de deacuteterminants (sect41) Nous

distinguons ensuite les diffeacuterentes sous-cateacutegories de SN lexicaux en fonction du deacuteterminant

impliqueacute car celui-ci renseigne en tant qursquoactualisateur (Bally 1932) ou mot reacuteveacutelateur du

nom (Blanche-Benveniste amp Chervel 1966 11) sur la maniegravere dont est saisi un objet (son

extensiteacute cf ibid 12) et sur le type drsquoopeacuteration cognitive qursquoil permet drsquoaccomplir Nous

traitons ainsi drsquoabord du SN deacutefini (sect42) puis du SN deacutemonstratif (sect43) Nous faisons

ensuite un deacutetour par les pronoms personnels conjoints et disjoints (sect44) qui contiennent

lrsquoinstruction comme les SN deacutefini et deacutemonstratif de recruter un reacutefeacuterent supposeacute accessible

dans lrsquoespace discursif commun Ceci nrsquoest pas le cas du SN indeacutefini (sect45) que nous

consideacuterons en dernier car il contribue agrave introduire un objet ineacutedit dans cet espace A ce titre

il se voit souvent exclu des expressions reacutefeacuterentielles conformeacutement agrave lrsquoapproche

philosophique voulant que reacutefeacuterence implique identification (Gary-Prieur 2011 28) ou alors

parce que du point de vue seacutemantique il nrsquoest pas consideacutereacute comme deacutependant drsquoun contexte

quelconque (eg Corblin 1987a 14 Riegel et al 2009 293) Nous partons au contraire du

principe que degraves lors qursquoon envisage une opeacuteration de reacutefeacuterence toute expression

reacutefeacuterentielle qursquoelle reacuteactive ou introduise un objet neacutecessite la prise en compte drsquoun cadre

de reacutefeacuterence53

Preacutecisons encore que nous laissons de cocircteacute un certain nombre drsquoexpressions

(les SN possessifs les pronoms deacutemonstratifs et indeacutefinis etc) car notre objectif est de

fournir un bilan critique sur les expressions qui ont fait couler le plus drsquoencre dans les theacuteories

sur la reacutefeacuterence plutocirct qursquoun inventaire exhaustif des expressions reacutefeacuterentielles Pour

terminer nous discutons la pertinence de modegraveles agrave orientation cognitive (sect46) qui classent

les expressions reacutefeacuterentielles sur des eacutechelles eacutetablies sur les modaliteacutes de reacutecupeacuteration du

reacutefeacuterent

41 Les noms propres

Comme la probleacutematique de la reacutefeacuterence le nom propre (deacutesormais Npr) nrsquoa pas fait lrsquoobjet

drsquoun inteacuterecirct marqueacute de la part des linguistes avant la deuxiegraveme moitieacute du XXe siegravecle du fait

53

Mecircme si les modaliteacutes de recours au contexte diffegraverent selon le type drsquoexpression la distinction commune

(Milner 1982 Moeschler amp Zufferey 2010 125) entre expressions reacutefeacuterentielles autonomes (le chien du

voisinUn chienCharlie est dans la cuisine lt ibid 125) vs priveacutees drsquoautonomie reacutefeacuterentielle (jeil est linguiste)

nous semble ainsi devoir ecirctre reconsideacutereacutee

56

de sa marginaliteacute par rapport agrave la conception du signe en vigueur celle qui requiert la

conception du signifieacute agrave travers une approche systeacutematique et oppositive de la langue (Gary-

Prieur 1994 3) Par contre le Npr repreacutesente une notion fondamentale dans la tradition

logique parce que crsquoest agrave travers lui que srsquoopegravere lrsquoaccegraves agrave lrsquoindividu singulier (cf la notion

drsquoideacutee singuliegravere cf Port-Royal supra sect22) Dans ce sens logique le Npr ndash parfois appeleacute

nom singulier ou individuel (cf Mill 1843=1988) ndash repreacutesente toute expression reacutefeacuterentielle

qui renvoie agrave un objet singulier (eg Frege 1892=1971) cf pour rappel les exemples Socrate

soleil par opposition au N homme qui peut convenir quant agrave lui agrave un nombre indeacutefini de

personnes Dans cette perspective ce nrsquoest pas tant agrave lrsquoemploi du Npr qursquoon srsquointeacuteresse mais

plutocirct au rapport du deacutesignateur agrave lrsquoindividu en tant qursquolaquo opeacuterateur drsquoindividualisation raquo

(Pariente 1973 citeacute par Gary-Prieur 1994 16) On comprend degraves lors pourquoi les Npr

laquo veacuteritables raquo (Frege 1892=1971 103) tels que Socrate Aristote etc ont servi de

deacutesignateurs typiques drsquoindividus singuliers Crsquoest donc tout naturellement que lrsquoanalyse des

logiciens repose sur lrsquoobservation de laquo propositions raquo composeacutees drsquoun Npr de ce type

eacutevidemment sans deacuteterminant et en position reacutefeacuterentielle (Gary-Prieur 1994 16)

Malgreacute les contributions en linguistique ces derniegraveres deacutecennies (eg Le Bihan 1974 Kleiber

1981 Gary-Prieur 1994 Jonasson 1994 Laurent 201654

) la tradition grammaticale srsquoinspire

essentiellement de lrsquoapproche logico-philosophique55

Deux philosophes en particulier ont

influenceacute la conception du Npr en linguistique agrave savoir Mill (1843=1988) et Kripke (1972)56

Mill distingue parmi les noms singuliers les noms connotatifs (le premier empereur de

Rome) des noms non connotatifs (Jean Londres lrsquoAngleterre) Du point de vue grammatical

ces derniers coiumlncident avec ce que la tradition entend par nom propre Chez Mill la

connotation repreacutesente lrsquoensemble des attributs impliqueacutes par une expression et est assimileacutee agrave

celle de signification

[hellip] lorsque les noms fournissent quelque information sur les objets crsquoest-agrave-dire lorsqursquoils ont proprement une signification cette signification nrsquoest pas dans ce qursquoils deacutenotent mais dans ce qursquoils connotent Les seuls noms qui ne connotent rien sont les noms propres et ceux-ci nrsquoont agrave strictement parler aucune signification (1843=1988 35)

La conclusion qursquoon en tire agrave propos des Npr crsquoest lrsquoabsence de signification qui les

caracteacuteriserait et crsquoest geacuteneacuteralement le seul aspect qursquoon retient de la thegravese de Mill comme le

deacuteplore Gary-Prieur (1994 18-19)

De la mecircme maniegravere Gary-Prieur regrette lrsquoimage simplificatrice qursquoon deacutegage de la thegravese de

Kripke agrave propos des Npr et de leur rocircle de deacutesignateur rigide Elle souligne que Kripke ne

srsquointeacuteresse pas au Npr en soi mais agrave la relation que celui-ci entretient avec un individu ainsi

nommeacute comme lrsquoindique la notion de naming dans le titre de son ouvrage Drsquoapregraves Kripke il

54

Il srsquoagit de la preacutesentation drsquoun numeacutero entiegraverement deacutedieacute aux noms propres 55

Gary-Prieur (1994 14) remarque que les deacutefinitions de dictionnaire proposent une deacutefinition logiciste plutocirct

que linguistique 56

Pour cette synthegravese des travaux en logique nous nous fondons sur lrsquoouvrage de Gary-Prieur (1994)

57

existe une relation de causaliteacute entre lrsquoemploi drsquoun Npr et un acte anteacuterieur le laquo baptecircme

initial raquo (= naming) preacutesupposeacute dans tout emploi ulteacuterieur du Npr (Gary-Prieur 1994 19)

Outre cette theacuteorie causale on retient geacuteneacuteralement de Kripke la notion de deacutesignateur rigide

qursquoil attribue aux Npr dont la proprieacuteteacute serait de laquo deacutesigner le mecircme objet dans tous les

mondes possibles raquo (ibid 20) par opposition aux deacutesignateurs accidentels agrave savoir les

expressions descriptives (eg le preacutesident de la Reacutepublique) dont la reacutefeacuterence est susceptible

de changer selon le monde consideacutereacute Cette deacutefinition du fait de la confusion autour de la

notion de mondes possibles propre au domaine de la logique a parfois eacuteteacute reacuteinterpreacuteteacutee agrave tort

comme signifiant qursquoun Npr renvoie toujours au mecircme reacutefeacuterent (ibid 22) Or lrsquoinvariance

de la reacutefeacuterence aux mondes stipuleacutes nrsquoest valable selon Kripke que pour un mecircme eacutenonceacute

susceptible drsquoecirctre interpreacuteteacute dans un monde hypotheacutetique57

Cette ideacutee entraicircne parfois un

autre malentendu lieacute preacuteciseacutement au contexte drsquoeacutenonciation En effet cette indiffeacuterence aux

mondes possibles est parfois traiteacutee comme une indeacutependance au contexte drsquoeacutenonciation58

A

lrsquoinverse Gary-Prieur (1994 25) montre bien que la notion de naming (baptecircme) chez

Kripke est eacutetroitement lieacutee agrave lrsquoeacutenonciation un Npr nrsquoest pas rigidement lieacute agrave un reacutefeacuterent

deacutetermineacute crsquoest chaque occurrence de Npr qui est rigidement lieacutee agrave son porteur en vertu drsquoun

acte initial

En somme les theacuteories de Mill et Kripke mettent le doigt sur des aspects pertinents du Npr

qui sont toutefois agrave reacuteeacutevaluer dans une approche linguistique Gary-Prieur (1994) propose agrave ce

titre un examen particuliegraverement minutieux dont pourraient srsquoinspirer les grammaires qui

reacutecupegraverent les aspects simplifieacutes de la logique et dans lesquelles le Npr est preacutesenteacute sur le

plan formel comme geacuteneacuteralement deacutepourvu de deacuteterminant mais pourvu agrave lrsquoeacutecrit drsquoune

majuscule initiale59

sur le plan seacutemantique il y est deacutecrit comme priveacute de signification et

servant agrave identifier un individu particulier

Le nom propre nrsquoa pas de signification veacuteritable de deacutefinition il se rattache agrave ce qursquoil deacutesigne par un lien qui nrsquoest pas seacutemantique mais par une convention qui lui est particuliegravere [hellip] Les noms propres srsquoeacutecrivent par une majuscule (sect99 a) sont geacuteneacuteralement invariables en nombre (sectsect523-524) se passent souvent de deacuteterminants (sect588) (Grevisse amp Goosse 2011 sect461)

57

Les deux exemples suivants montrent ainsi qursquoun mecircme Npr peut renvoyer agrave des individus diffeacuterents Si

Aristote nrsquoavait pas eacuteteacute grec la penseacutee occidentale aurait eacuteteacute diffeacuterente Si Aristote continue agrave poursuivre le

chat je lrsquoenferme dans sa niche (Gary-Prieur 1994 22) Mais Kripke entend par deacutesignateur rigide qursquoau sein

de chacun de ces eacutenonceacutes le Npr renvoie agrave un seul reacutefeacuterent qursquoil srsquoagisse du monde reacuteel ou drsquoun monde

contrefactuel Dans chacun de ces exemples le Npr renvoie ainsi au mecircme porteur de ce Npr quel que soit le

monde envisageacute 58

Cf lrsquoambiguiumlteacute des propos de Riegel et al (2009 337) laquo Les noms propres sont cognitivement stables

puisqursquoils deacutesignent leur porteur indeacutependamment des variations qursquoil peut subir et des situations ougrave il se trouve

engageacute raquo 59

Cette caracteacuteristique nrsquoest pas propre au Npr la majuscule possegravede une valeur tregraves polyseacutemique servant agrave la

fois de marque segmentale drsquoindicateur honorifique drsquoindice drsquointerpreacutetation figureacutee de marque iconique drsquoun

pheacutenomegravene prosodique etc En outre son emploi est tregraves variable drsquoun locuteur agrave lrsquoautre et selon les genres

comme on le voit agrave travers les liberteacutes graphiques dans certains eacutecrits laquo spontaneacutes raquo (chat SMS courriels etc)

y compris dans les occurrences de Npr (preacutenoms noms de famille lieux etc)

58

Du point de vue distributionnel srsquoil est vrai que les Npr ont la capaciteacute drsquoapparaicirctre en

position de sujet sans deacuteterminant60

cela ne repreacutesente nullement une contrainte certains Npr

sont systeacutematiquement preacuteceacutedeacutes de deacuteterminants deacutefinis comme les noms de pays reacutegions ou

de cours drsquoeau (la Suisse le Rhocircne)61

(Blanche-Benveniste amp Chervel 1966) alors que

drsquoautres srsquoemploient tantocirct avec tantocirct sans deacuteterminant62

En fait agrave la suite de Kleiber

(1981) Gary-Prieur souligne que la distribution des Npr ne se distingue pas de celle des N

communs en geacuteneacuteral car ceux-lagrave admettent le mecircme eacuteventail de deacuteterminants ou

drsquoexpansions du nom63

dont voici quelques illustrations

(42) Qursquoun Cercaire se tue face agrave la deacutefaite crsquoest compreacutehensible (La feacutee Carabine

Pennac lt Gary-Prieur 1994 30)

(43) Il ne reconnaissait plus son Bernard (Les Faux-Monnayeurs Gide lt ibid 33)

(44) Marc disait vrai elle en eacutetait persuadeacutee Crsquoeacutetait bien le Garrett Jones qursquoelle

connaissait vu agrave travers des lunettes tregraves noires (La veacuteriteacute sur Lorin Jones Lurie

lt ibid 32)

Si les Npr ne reposent sur aucun signifieacute lexical inscrit en langue pour orienter leur

interpreacutetation crsquoest que celle-ci est essentiellement une affaire de contexte En effet lrsquoemploi

drsquoun Npr est fortement lieacute agrave des situations drsquoeacutenonciation particuliegraveres il implique un acte de

baptecircme anteacuterieur64

ainsi que la reconnaissance tacite de cette convention deacutenominative par

les interlocuteurs (Gary-Prieur 1994 28) A cette deacutependance contextuelle srsquoajoute

lrsquoarbitraire de lrsquoacte de baptecircme (ibid 27) nrsquoimporte quelle entiteacute eacutetant susceptible de se

voir attribuer nrsquoimporte quel Npr65

et la deacutenomination pouvant ecirctre remise en cause agrave loisir de

la part des membres de la communauteacute en question composeacutee drsquoau moins deux individus

dont le locuteur Blanche-Benveniste amp Chervel (1966 27) invoquent drsquoailleurs pour

marquer le caractegravere ancreacute dans la situation de parole un laquo segraveme raquo [+locuteur] dans la

signification drsquoun Npr

60

Lrsquoabsence de deacuteterminant devant les noms caracteacuterise eacutegalement drsquoautres contextes comme des locutions

verbales du type avoir honteinteacuterecirctpeur des titres drsquoouvrages de presse etc ou encore des tournures

syntaxiquement contraintes (Rendez-vous fut pris) ou propres agrave des styles litteacuteraires (proverbes eacutenumeacuterations)

teacuteleacutegraphiques etc (cf Blanche-Benveniste amp Chervel 1966) 61

Blanche-Benveniste amp Chervel (1966 8) attribuent la preacutesence du deacuteterminant dans ce cas au trait

[+limitrophe] propre agrave lrsquoarticle deacutefini Les pays cours drsquoeau et certaines reacutegions seraient conccedilus comme des

entiteacutes finies par opposition aux villes icircles personnes etc qui seraient appreacutehendeacutees comme des eacutetendues non

deacutelimitables et saisies de maniegravere ponctuelle (cf lrsquousage de agrave pour les lieux) 62

Par exemple Quelle classe ce Jeremy Irons (Gary-Prieur 1994) vs Jeremy Irons confirme ainsi un retour au

premier plan pour 2017 (presse httpswwwcineseriecomnews) 63

Pour un inventaire des contextes distributionnels et une analyse seacutemantique de leurs valeurs voir Gary-Prieur

(1994) 64

Excepteacute pour les contextes strictement laquo deacutenominatifs raquo ougrave lrsquoacte de baptecircme est simultaneacute agrave lrsquoeacutenonciation

associant tel Npr agrave tel individu du type Qui sait en France que le plus grand deacutetective australien srsquoappelle

Napoleacuteon Bonaparte (ibid 28) 65

La preacutedilection laquo baptismale raquo envers certains types drsquoobjets est de nature socio-culturelle les usagers de la

langue tendant agrave baptiser des objets avec lesquels ils entretiennent des relations privileacutegieacutees (humains

institutions monuments animaux domestiques lieux eacuteveacutenements marquants ou autres objets familiers etc)

Voir Charolles (2002 60)

59

Outre cet aspect par deacutefinition variable une caracteacuteristique proprement seacutemantique qursquoon

peut deacutegager des Npr consiste en ce que Kleiber (1981 342) appelle le preacutedicat de

deacutenomination qursquoil veacutehicule lrsquoemploi drsquoun Npr signifie que le reacutefeacuterent deacutesigneacute srsquoappelle

Npr Cette thegravese du preacutedicat de deacutenomination est assez convaincante dans les cas ougrave le

reacutefeacuterent est bien porteur du Npr mais elle fonctionne cependant moins bien pour les emplois

figureacutes du genre

(45) Georges Sand est sur lrsquoeacutetagegravere de gauche (Fauconnier repris par Gary-Prieur

1994 35)

Dans ce cas il faut distinguer le reacutefeacuterent effectivement viseacute pour lrsquoeacutenonciation en cours (le

livre) du reacutefeacuterent initialement baptiseacute de la sorte (lrsquoauteur nommeacutee Georges Sand) qui

intervient dans lrsquointerpreacutetation meacutetonymique en question (ibid 35) La prise en compte du

reacutefeacuterent initial (ibid 29) est donc neacutecessaire agrave lrsquointerpreacutetation du Npr qui se fonde sur la

connaissance de celui-ci Le reacutefeacuterent initial repreacutesente ainsi lrsquoindividu auquel a eacuteteacute octroyeacute le

Npr lors du baptecircme initial identification qui intervient agrave titre de preacutesupposeacute du Npr (ibid

28) Cet ameacutenagement permet agrave Gary-Prieur drsquoexpliquer aussi bien les cas ougrave le reacutefeacuterent

deacutesigneacute est le reacutefeacuterent initial les cas ougrave le reacutefeacuterent effectif est une construction discursive

fondeacutee sur une relation meacutetaphorique meacutetonymique ou encore une simple laquo image raquo (ibid

37) et les cas ougrave le Npr fonctionne de maniegravere preacutedicative Dans ces cas lrsquointerpreacutetation passe

par la prise en compte de certaines proprieacuteteacutes du reacutefeacuterent initial seacutelectionneacutees sur la base du

savoir partageacute (comme pour les Npr laquo lexicaliseacutes raquo eg Don Juan Hercule etc) (Jonasson

1991 7) ou drsquoun simple univers de croyance (Gary-Prieur 1994 51)

(46) Tout se passe comme si Saddam Hussein ce Faust moderne avait choisi la

transgression comme mode de comportement (Journal de Genegraveve lt ibid 47)

Dans cet exemple il nrsquoest mecircme pas neacutecessaire de recourir aux connaissances

encyclopeacutediques sur le reacutefeacuterent initial (le personnage litteacuteraire) pour interpreacuteter le Npr crsquoest

le contexte lui-mecircme qui fournit les proprieacuteteacutes preacutesenteacutees comme pertinentes par le locuteur

en lrsquooccurrence le comportement transgressif implicitement attribueacute au reacutefeacuterent initial (Faust)

et explicitement reporteacute sur lrsquoindividu nommeacute Saddam Hussein (ibid 48)

En deacutefinitive la thegravese du reacutefeacuterent initial de Gary-Prieur se reacutevegravele efficace pour expliquer les

trois fonctionnements principaux du Npr (ibid 58-60) agrave savoir le fonctionnement

deacutenominatif ougrave srsquoopegravere veacuteritablement le baptecircme du reacutefeacuterent initial (Ils ont eu une Ceacutecile) et

dont lrsquointerpreacutetation ne repose que sur le preacutedicat de deacutenomination le fonctionnement

identifiant (emploi typique du Npr) ougrave lrsquoacte de deacutenomination est preacutesupposeacute et ougrave le Npr

deacutesigne le reacutefeacuterent initial (Ceacutecile dort) agrave propos duquel on preacutedique quelque chose enfin

lrsquointerpreacutetation preacutedicative qui neacutecessite la prise en compte de certains attributs pertinents du

reacutefeacuterent initial pour les projeter sur le reacutefeacuterent effectif (cf ex (46)) Cette analyse qui tient

compte dans le sens du Npr de sa relation avec un reacutefeacuterent initial contrairement agrave celui du N

commun qui mobilise des compeacutetences lexicales repreacutesente agrave nos yeux une remise en cause

60

particuliegraverement judicieuse drsquoune approche reacuteduisant le Npr agrave un deacutesignateur rigide et sans

signification

42 Les SN deacutefinis

Par SN deacutefinis nous retenons ici les expressions qui appartiennent au paradigme

morphologique le N Bien que les SN deacutemonstratifs soient parfois rangeacutes parmi les

expressions deacutefinies (eg Riegel et al 2009 285) en vertu du caractegravere identifiable de leur

reacutefeacuterent nous les traiterons dans une section agrave part pour faire ressortir les diffeacuterences de saisie

reacutefeacuterentielle lieacutees agrave lrsquoemploi des deacuteterminants

On reconnaicirct geacuteneacuteralement que le N veacutehicule un preacutesupposeacute drsquoexistence et drsquouniciteacute (Ducrot

1972 Corblin 1987 Riegel et al 2009 283) agrave lrsquoeacutegard de son reacutefeacuterent qursquoon peut paraphraser

par laquo il existe un et un seul x qui possegravede la proprieacuteteacute deacutenoteacutee par N raquo66

La fonction

reacutefeacuterentielle du SN consiste agrave identifier un individu unique correspondant agrave la description de

N

(47) Jrsquoai mangeacute la pomme (Gary-Prieur 2011 29)

En (47) le SN preacutesuppose qursquoil y a un et un seul individu correspondant agrave la proprieacuteteacute

lsquopommersquo agrave identifier au sein drsquoun cadre de reacutefeacuterence agrave preacutesumer aussi envisageacute ailleurs en

termes de domaine drsquointerpreacutetation restreint (Corblin 1987) drsquoensemble partageacute (Hawkins

1978) ou de circonstances drsquoeacutevaluation (Kleiber 1990c 257)67

Il est eacutevident que le cadre

reacutefeacuterentiel pour lequel vaut lrsquouniciteacute est agrave reacuteeacutevaluer pour chaque occurrence de SN deacutefini

Nous consideacuterons donc ce domaine drsquointerpreacutetation comme une notion flexible car il peut se

reacuteduire agrave un contexte restreint comme agrave lrsquounivers de discours (cf les types et les reacutefeacuterents

quelconques ci-dessous) selon lrsquoeacutenonciation consideacutereacutee

Il arrive assez reacuteguliegraverement que le preacutesupposeacute drsquoexistence ne soit pas satisfait du point de

vue de lrsquointerlocuteur on peut dans ce cas invoquer la notion de coup de force

preacutesuppositionnel (Ducrot 1972 51) de la part du locuteur qui consiste agrave preacutesupposer

lrsquoexistence effective drsquoeacuteleacutements qui ne figurent en fait pas encore dans le savoir partageacute

(48) La marquise sortit agrave cinq heures (Titre et incipit drsquoun roman de C Mauriac68

)

Sur la base drsquoun consensus feint le coup de force oblige lrsquointerpregravete agrave remeacutedier

immeacutediatement au deacuteficit informationnel par lrsquoimportation apregraves coup des eacuteleacutements

66

Cette condition drsquouniciteacute est parfois envisageacutee en termes de totaliteacute (Kleiber 1981 Gary-Prieur 2011 28) ou

comme la capaciteacute agrave isoler un et un seul reacutefeacuterent des autres par lrsquointermeacutediaire de N (Corblin 1987a 104) afin

drsquoeacutetendre la description au pluriel aux SN agrave N [+massif] ou aux emplois geacuteneacuteriques 67

Kleiber adopte une perspective veacutericonditionnelle puisqursquoil srsquoagit des laquo circonstances dans lesquelles une

description trouve sa veacuteriteacute raquo (ibid) Pour notre part notre objectif nrsquoeacutetant pas de veacuterifier agrave quelles conditions

une proposition est vraie (cf une approche philosophique) mais de deacuteterminer quel est lrsquoancrage contextuel drsquoun

eacutenonceacute les notions de domaine drsquointerpreacutetation ou de cadre reacutefeacuterentiel nous paraissent plus judicieuses 68

Mauriac fait reacutefeacuterence ici agrave un exemple drsquoincipit imagineacute et condamneacute par Paul Valeacutery aux dires drsquoAndreacute

Breton dans son Manifeste du surreacutealisme

61

manquants impliqueacutes dans les repreacutesentations partageacutees Ce proceacutedeacute nrsquoest pas rare en discours

et peut intervenir avec drsquoautres types drsquoexpressions preacutesupposantes agrave des fins varieacutees comme

les pronoms de 3e personne (cf infra sect42) les adjectifs agrave valeur anaphorique agrave lrsquoinstar de

autre premier etc (Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1996) On comprend degraves lors les

rendements des SN deacutefinis dans les deacutebuts de roman comme ci-dessus placcedilant le lecteur in

medias res crsquoest-agrave-dire au milieu drsquoune scegravene en cours69

(Gary-Prieur 2011 25)

Le contenu du N se reacutevegravele deacuteterminant pour lrsquoidentification du reacutefeacuterent viseacute lrsquoopposant ainsi agrave

drsquoautres reacutefeacuterents distincts par leur signalement Blanche-Benveniste amp Chervel (1966 9)

invoquent agrave cet eacutegard la notion de saisie externe qursquoopegraverent les SN deacutefinis par opposition agrave la

saisie interne propre aux indeacutefinis (cf infra sect45)

(49) Jrsquoai vu un camion et une voiture La voiture roulait vite (ibid)

Lrsquoemploi du deacuteterminant deacutefini marque le contraste entre deux signifieacutes (ici le signifieacute de

camion en opposition avec celui de voiture) laquo le dit les limites externes de la notion raquo (ibid

9) A lrsquoinverse le deacutefini est non marqueacute quant agrave lrsquoaspect continu ou discontinu (ibid) comme

le montre sa compatibiliteacute en anaphore aussi bien avec un reacutefeacuterent preacutealablement introduit

comme comptable (cf (49) ci-dessus) qursquoavec un massif

(50) Jrsquoai acheteacute du vin et de la biegravere Le vin eacutetait cher

La notion de contraste notionnel de Blanche-Benveniste amp Chervel est agrave consideacuterer au niveau

seacutemantique crsquoest agrave travers la nature oppositive du signifieacute envisageacute par rapport aux autres

signifieacutes du systegraveme que le reacutefeacuterent manifeste son uniciteacute Cette saisie externe nrsquoimplique pas

forceacutement la preacutesence effective ou explicite de reacutefeacuterents entrant en contraste avec celui viseacute

On voit bien en (47) et (48) que les SN renvoient respectivement agrave lrsquounique objet

correspondant agrave la description du signifieacute (par opposition agrave drsquoautres) dans le cadre reacutefeacuterentiel

consideacutereacute sans lrsquointervention drsquoobjets drsquoune autre sorte

On sait que les SN deacutefinis sont susceptibles drsquoecirctre interpreacuteteacutes de maniegravere laquo geacuteneacuterique raquo drsquoune

autre faccedilon toutefois que les indeacutefinis (cf supra sect45)

(51) Lrsquohomme a transformeacute le monde (lt Corblin 1987a 103)

Dans les grammaires on assimile souvent cet emploi agrave celui au pluriel deacutesignant la classe

extensionnelle des individus correspondant agrave N (asymp les hommes ont transformeacute le monde)

Berrendonner (2002a 41) montre cependant que les deux types de SN ne supportent pas les

mecircmes preacutedicats notamment les preacutedicats de deacutenombrement

(52) Les pandas sont nombreux (lt ibid)

(53) Le panda est nombreux (lt ibid)

69

Voir agrave cet eacutegard lrsquoouvrage de Gollut amp Zufferey (2000) sur les modaliteacutes de construction de lrsquounivers discursif

dans les incipits de la Comeacutedie humaine

62

Corblin (1987a 95) propose drsquoy voir une diffeacuterence entre la classe (52) (laquo collection

drsquoanalogues discernables raquo) et lrsquoespegravece (53) sans toutefois fournir une deacutefinition preacutecise de

cette derniegravere supposeacutee ecirctre suffisamment intuitive et preacutesenteacutee comme proche de la notion

philosophique de kind de Kripke (1972) En outre pour justifier la condition drsquouniciteacute dans

ces cas Corblin (1987a 104) attribue agrave le N la capaciteacute drsquoisoler lrsquoespegravece N des autres espegraveces

laquo indeacutependamment de tout contexte immeacutediat drsquousage raquo Cette formulation nous paraicirct

discutable et mecircme entrer en contradiction avec des exemples fournis par lrsquoauteur lui-mecircme

(54) Au moyen acircge il y avait bien sucircr des enfants mais lrsquoenfant nrsquoexistait pas (p 96)

Il y a bel et bien ici un cadre de reacutefeacuterence restreint par le locuteur explicitement deacutelivreacute par le

compleacutement circonstanciel au moyen acircge au sein duquel srsquointerpregravete la preacutedication lsquolrsquoenfant

nrsquoexistait pasrsquo Nous consideacutererons donc que les SN deacutefinis neacutecessitent pour leur

interpreacutetation comme toute expression reacutefeacuterentielle un cadre de reacutefeacuterence (explicite ou

implicite) pouvant dans certains cas srsquoeacutetendre agrave lrsquounivers en geacuteneacuteral Mais cela ne reacutesout pas

la question de la nature seacutemantique des SN deacutefinis laquo geacuteneacuteriques raquo singuliers Drsquoautres

hypothegraveses ont eacuteteacute avanceacutees comme celle de Martin (1986) qui ramegravene leur contenu agrave une

intension

Le est intensionnel crsquoest-agrave-dire que dans le chat il renvoie agrave lrsquointension de chat crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoensemble des proprieacuteteacutes qui font qursquoun chat est un chat Le chat reacutefegravere geacuteneacuteriquement agrave la laquo chatitude raquo agrave ce que le locuteur considegravere comme caracteacuteristique du chat (p 190)

Lrsquoune des limites de cette approche inteacutegrant des eacuteleacutements abstraits dans le processus

interpreacutetatif est qursquoelle srsquoadapte mal aux eacutenonceacutes impliquant des preacutedicats eacuteveacutenementiels ou

drsquoespegravece comme le signale Kleiber (1990e)

(55) Le castor a eacuteteacute introduit en Alsace par les autonomistes en 1936 (ibid 47)

(56) Le lynx est en voie de disparition (ibid)

Dans les exemples ci-dessus ce nrsquoest eacutevidemment pas le concept de castor qui a eacuteteacute introduit

ni celui de lynx qui disparaicircthellip Lrsquohypothegravese est donc agrave abandonner Kleiber propose pour sa

part drsquoapparenter les SN deacutefinis geacuteneacuteriques singuliers agrave des SN massifs mecircme lorsque le N

est seacutemantiquement comptable le deacuteterminant le entraicircnant un proceacutedeacute de massification

laquo La massification opeacutereacutee consiste en une preacutesentation homogegravene des occurrences

rassembleacutees par le substantif comptable raquo (1990e 158) Pour Berrendonner (2002)

neacuteanmoins cette conception pose elle aussi des difficulteacutes illustreacutees par lrsquoeacutechec drsquoopeacuterations

de partition ou de totalisation en principe applicables aux continuums

(57) Les zoos deacutetiennent plus de la moitieacute du panda (vs La valleacutee de la Jogne produit plus

de la moitieacute du gruyegravere) (lt ibid 42)

(58) Tout le panda vit en Chine (vs La grande distribution rafle tout le gruyegravere) (ibid)

63

Selon Berrendonner les SN deacutefinis singuliers agrave valeur dite geacuteneacuterique renvoient agrave ce qursquoil

appelle des types Les types repreacutesentent agrave ses yeux des objets situeacutes dans le versant

laquo intensionnel raquo de lrsquounivers de discours contrairement aux objets speacutecifiques srsquoinscrivant

dans le versant laquo extensionnel raquo de nos repreacutesentations et en relation eacutetroite avec lrsquoeacutenonciation

en cours Les types ne sont pas des ensembles de proprieacuteteacutes ou concepts (cf Martin 1986)

mais bien des objets comptables ainsi que lrsquoillustre cette eacutenumeacuteration de types rassembleacutes

sous un SN introducteur de classe

(59) Les mots dont on se sert pour exprimer les penseacutees sont le Substantif lrsquoAdjectif

lrsquoArticle le Pronom le Verbe la Preacuteposition lrsquoAdverbe la Conjonction la Particule

ou lrsquoInterjection (Wailly lt Berrendonner 2002 47)

Les types servent ainsi drsquoinstruments de cateacutegorisation pour les objets particuliers de

lrsquounivers extensionnel de normes ideacuteales proches des ideacutees platoniciennes comme

lrsquoincarnent les expressions du genre Le N par excellence le parfait N (ibid 49) ou ci-

dessous

(60) [agrave propos de sondages dont la diffusion publique est interdite] LrsquoElyseacutee les aura les

partis politiques les auront les journalistes les auront mais lrsquoeacutelecteur lui lrsquoeacutelecteur

majuscule lrsquoeacutelecteur en soi ne les aura pas (radio lt ibid)

En somme la notion de type srsquointegravegre totalement agrave la description geacuteneacuterale du SN deacutefini

srsquoadaptant aux notions de preacutesupposeacute drsquoexistence et drsquouniciteacute de mecircme qursquoagrave celle de cadre de

reacutefeacuterence (ie le versant laquo intensionnel raquo de lrsquounivers du discours) et de saisie externe (son

signifieacute lrsquooppose aux signifieacutes drsquoautres types)

Il est agrave noter pour finir que les SN deacutefinis nrsquoont pas lrsquoexclusiviteacute de la reacutefeacuterence aux types

comme en teacutemoigne cet emploi

(61) Les vrais pandas sont en voie de disparition Les paysans grignotent les terres sur

lesquelles cet animal timide trouve sa nourriture (lt ibid 46)

Le reacutefeacuterent est drsquoabord envisageacute via le SN deacutefini pluriel comme la classe extensionnelle des

individus pandas puis reconfigureacute en tant que type au moyen drsquoun SN deacutemonstratif et drsquoun

deacuteterminant possessif Cet exemple nous offre lrsquooccasion de nous tourner agrave preacutesent vers le cas

des SN deacutemonstratifs

43 Les SN deacutemonstratifs

Le SN ce N identifie et inscrit laquo un eacuteleacutement privileacutegieacute raquo dans laquo la sphegravere du locuteur raquo

(Blanche-Benveniste amp Chervel 1966 10) Cette localisation au cœur de lrsquoeacutenonciation

rattache le SN deacutemonstratif aux marqueurs dits token-reacuteflexifs crsquoest-agrave-dire qui laquo renvoient

effectivement agrave un objet dont lrsquoidentification est lieacutee aux circonstances drsquoeacutenonciation de leur

occurrence raquo (Kleiber 1984 66) ou plus geacuteneacuteralement aux marqueurs deacuteictiques (De Mulder

2000 Charolles 2002 [Reichler-]Beacuteguelin 1995a Gary-Prieur 2011) (parfois aussi appeleacutes

64

indexicaux en particulier en philosophie du langage cf Levinson 2004 97) Ainsi

lrsquointerpreacutetation des SN deacutemonstratifs repose essentiellement sur le laquo contexte drsquoeacutenonciation

immeacutediat raquo (Beacuteguelin 1998 96) sans toutefois reacuteveacuteler ipso facto la localisation du reacutefeacuterent

Ce sont des signaux qui attirent lrsquoattention de lrsquointerlocuteur sur lrsquoexistence drsquoun reacutefeacuterent agrave identifier dans la situation drsquoeacutenonciation de lrsquooccurrence sans indiquer par eux-mecircmes quel est pour la situation donneacutee ce reacutefeacuterent (Kleiber 1984 68)

En effet le renvoi aux circonstances drsquoeacutenonciation peut impliquer des sources drsquointerpreacutetation

de diverses natures Un SN deacutemonstratif permet par exemple au locuteur de diriger lrsquoattention

de lrsquoallocutaire sur un objet rendu perceptivement saillant par lrsquooccurrence du deacutemonstratif

eacuteventuellement accompagneacute drsquoun geste (ou autre indice paraverbal)

(62) Passe-moi ce livre srsquoil-te-plaicirct (Gary-Prieur 2011 71)

Il peut eacutegalement servir agrave deacutesigner un objet tout reacutecemment introduit via le contexte

linguistique

(63) Steacutephane Mallarmeacute a renouveleacute la poeacutesie du XIXe siegravecle ce poegravete a eu de nombreux

disciples dont Paul Valeacutery (Riegel et al 2009 1038)

(64) Il y a de temps en temps un œuf nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

On tire cet œuf drsquoun sac comme un numeacutero de loterie et on le met agrave la coque le

malheureux Crsquoest un veacuteritable crime un coquicide car il y a toujours un petit poulet

dedans (Vallegraves Lrsquoenfant lt [Reichler-]Beacuteguelin 1995a 66)

La deacutesignation peut en outre opeacuterer sur un signe en tant que tel plutocirct que sur lrsquoobjet qursquoil

deacutesigne (proceacutedeacute nommeacute deixis textuelle lt Lyons 1977)

(65) Laboratoire laquo Ce terme insinue que nous testons un produit sur un cobaye raquo reacutetorque

Emilie Vincent (presse La Liberteacute 081105)

Parfois le SN deacutemonstratif renvoie agrave un objet temporairement sous-deacutetermineacute dont la

caracteacuterisation est imminente (cf la notion de cataphore infra sect52)

(66) Suis bien ce conseil ne bois que de lrsquoeau (Riegel et al 2009 1030)

Bref le deacutemonstratif est particuliegraverement adapteacute aux situations reacutefeacuterentielles impliquant une

forme de proximiteacute avec lrsquoeacutenonciation Un tel processus identificatoire distingue le SN

deacutemonstratif du SN deacutefini dont le N intervient de maniegravere deacutecisive pour le repeacuterage

reacutefeacuterentiel eacutetabli sur la base drsquoun contraste notionnel (cf saisie externe) Par opposition on

attribue souvent une valeur partitive ou un contraste interne au SN deacutemonstratif (Blanche-

Benveniste amp Chervel 1966 Kleiber 1984 Corblin 1987 Charolles 2002 Gary-Prieur 2011)

(67) Tu as oublieacute ce carreau (agrave une personne qui vient de laver les vitres) (lt Charolles

2002 111)

65

Le SN ce carreau met en eacutevidence un carreau par opposition agrave drsquoautres carreaux Selon

Kleiber (1984 76) le SN deacutemonstratif repreacutesente lrsquoabreacuteviation drsquoune structure classificatoire

sous-jacente du reacutefeacuterent gloseacutee crsquoest un Ndu N autrement dit il relegraveve drsquoune quantification

partitive Si lrsquointerpreacutetation contrastive ou partitive est freacutequente on ne peut cependant la

ramener agrave une proprieacuteteacute du deacuteterminant deacutemonstratif (Hawkins 1978 Beacuteguelin 1998)

Lrsquoexemple ci-dessous reacutesiste en effet agrave cette analyse

(68) Gutenberg inventa lrsquoimprimerie et cette imprimerie allait bouleverser la culture

(Corblin 1987 204)

La technique de lrsquoimprimerie ne peut ecirctre envisageacutee comme appartenant agrave une classe

drsquolsquoimprimeriesrsquo Le deacutemonstratif consiste ici agrave attirer lrsquoattention sur lrsquoeacuteleacutement tout juste

eacutevoqueacute ndash sur le mode du connu (lrsquoart en question eacutetant supposeacute appartenir agrave notre savoir

encyclopeacutedique) ndash en le theacutematisant par progression lineacuteaire type de progression dont les

rendements argumentatifs ont eacuteteacute mis en eacutevidence par Combettes (1983) On doit donc

admettre agrave travers ce genre drsquoexemples que le contraste interne ne repreacutesente pas une

condition drsquoemploi du SN deacutemonstratif qui peut servir agrave deacutesigner un objet conccedilu comme

unique dans le domaine consideacutereacute

Quoi qursquoil en soit le fait que le N choisi par le locuteur ne constitue pas le point de deacutepart de

lrsquoidentification reacutefeacuterentielle comme dans le cas du SN deacutefini offre davantage de liberteacute au

locuteur pour proceacuteder agrave des (re)cateacutegorisations lexicales (Kleiber 1984 Corblin 1987a

[Reichler-]Beacuteguelin 1995a 1998 Charolles 2002 Gary-Prieur 2011) qui reacutepondent agrave des

strateacutegies discursives varieacutees (Apotheacuteloz 1995a [Reichler-]Beacuteguelin 1995a 199870

Cornish agrave

par)

(69) Lrsquoaffiche de Benetton exhibant un nouveau-neacute sanguinolent interdite dans plusieurs

pays europeacuteens ne sera placardeacutee ni en ville de Fribourg ni vraisemblablement dans

le district de la Gruyegravere En Suisse le combat contre cette laquo utilisation abusive du

corps humain agrave des fin commerciales raquo avait eacuteteacute engageacute la semaine derniegravere par le

Vaudois Feacutelix Gluz [hellip] (LrsquoExpress lt Apotheacuteloz 1995a 73)

Le proceacutedeacute de cateacutegorisation est par exemple lrsquooccasion de condenser par nominalisation (ici

sur une base implicite) des eacuteleacutements (objets et relations entre eux) introduits via le contenu

drsquoune (ou plusieurs) constructions verbales anteacuterieures en mecircme temps que de fournir une

perspective subjective sur la base de contenus implicites (ibid 37) Outre lrsquoacte de reacutefeacuterence

reacutesomptive proprement dit et la preacutedication subjective opeacutereacutee par la recateacutegorisation lexicale

Apotheacuteloz souligne dans lrsquoexemple ci-dessus le caractegravere eacuteminemment polyphonique du

deacutemonstratif marqueacute par lrsquousage des guillemets signalant agrave la fois une laquo deacutenomination

emprunteacutee raquo et une distanciation du journaliste vis-agrave-vis du jugement de valeur manifesteacute agrave

travers ces propos rapporteacutes

70

Ces deux articles dressent un inventaire des rendements discursifs des SN deacutemonstratifs le premier agrave partir de

sources diverses le second dans les Fables de La Fontaine

66

Plus geacuteneacuteralement on reconnaicirct la capaciteacute des deacutemonstratifs agrave relayer des changements de

point de vue et agrave promouvoir ainsi une orientation ineacutedite du reacutefeacuterent (Marandin 1986

Corblin 1987a Apotheacuteloz 1995a Reichler-]Beacuteguelin 1995a 1998 Cornish agrave par)

(70) [il est question de grossesses qui se passent mal] La femme se trouve soudain

laquo videacutee raquo face agrave quelqursquoun de tregraves exigeant totalement eacutegoiumlste parfois pas tregraves joli et

elle ne se sent pas precircte agrave affronter cet eacutetranger (Optima 1989 lt [Reichler-]Beacuteguelin

1995a 75)

Avec drsquoautres indices (guillemets adverbes drsquointensiteacute etc) le SN deacutemonstratif livre le point

de vue drsquoune megravere deacuteconcerteacutee vis-agrave-vis de son nourrisson lrsquoeffet de proximiteacute se traduit par

une laquo preacutegnance cognitive raquo (Beacuteguelin 1998) donnant accegraves aux repreacutesentations de la femme

en question et susceptible drsquoexercer une reacuteaction drsquoempathie sur le lecteur Ce proceacutedeacute71

a eacuteteacute

appeleacute deixis am Phantasma (Buumlhler 1934=2009) deixis empathique (Lyons 1977) deixis

meacutemorielle (Fraser amp Joly 1980) ou encore penseacutee indexicale (Kleiber 1990d) Le choix du N

agrave travers des recateacutegorisations implicites permet donc de manier des effets de discours

subtils Certains associent agrave lrsquousage du deacutemonstratif lrsquoexpression drsquoune rupture avec les

circonstances drsquoeacutenonciation anteacuterieures (De Mulder 1998 Cornish 1999 54 Charolles 2002

119-121) Au vu drsquoexemples comme (63) (64) ou (68) qui agrave notre sens marquent plutocirct la

continuiteacute agrave travers diffeacuterents types de progression theacutematique nous sommes plus nuanceacutee sur

ce point et consideacuterons les potentiels effets de rupture comme le reacutesultat en discours des

pheacutenomegravenes de recateacutegorisation Ci-dessous le scripteur joue ainsi sur la rupture drsquoisotopie

propre agrave la meacutetaphore en jeu

(71) Les larges fenecirctres drsquoune clinique californienne offrent aux malades depuis leurs

chambres une vue champecirctre sur un magnifique preacute planteacute de splendides arbres Ce

tapis vert accueille de gracieux flamants (Optima 1991 lt [Reichler-]Beacuteguelin 1995

76)

La meacutetaphore se dote ici drsquoun rendement argumentatif visant agrave connoter positivement la

clinique en question (ibid) On peut ainsi rattacher ces nombreuses exploitations discursives agrave

lrsquoancrage eacutenonciatif du deacutemonstratif

44 Les pronoms personnels

Nous nous limitons ici au cas des pronoms personnels les autres types de pronoms (indeacutefinis

deacutemonstratifs relatifs possessifs interrogatifs) ayant chacun des speacutecificiteacutes qui deacutepassent le

propos de cette synthegravese critique Par ailleurs certains pronoms feront lrsquoobjet drsquoun examen

approfondi dans les chapitres suivants (en particulier il(s) ccedila on) raison pour laquelle nous

nrsquoentrons pas dans tous les deacutetails ici Lrsquoenjeu de cette section est simplement de situer le

fonctionnement des pronoms personnels par rapport aux autres cateacutegories reacutefeacuterentielles

majeures

71

Pour une discussion sur la relation entre deacutemonstratifs et point de vue voir Kleiber (2003) et Cornish (agrave par)

67

Parmi les pronoms personnels on distingue les pronoms conjoints (ou clitiques) (je tu

ilelleon nous vous ilselles) et disjoints (ou toniquesaccentueacutes cf la seacuterie Moi72

Toi

LuiElle Nous Vous EuxElles) Cette distinction sera plus amplement discuteacutee infra (ChII

sect1) mais il nous paraicirct neacutecessaire de lrsquoeacutevoquer briegravevement car elle induit certaines

diffeacuterences interpreacutetatives Les pronoms disjoints partagent la distribution des SN tandis que

les pronoms conjoints sont contraints drsquoapparaicirctre toujours dans lrsquoenvironnement immeacutediat

drsquoun verbe Les deux cateacutegories se deacuteclinent en personne (1egravere

2e 3

e 4

e etc) en genre

(masc feacutem ou non-marqueacute) et en nombre (sg pl) mais contrairement agrave celle des pronoms

disjoints la forme des pronoms conjoints a la particulariteacute de varier selon la fonction

grammaticale (jeme tute illelui etc) refleacutetant un marquage casuel

Comme les Npr les pronoms ndash conjoints et disjoints ndash se distinguent par leur deacutefaut de

contenu lexical Leur interpreacutetation est donc sensible au contexte drsquoune maniegravere diffeacuterente En

outre la deacutependance au contexte se distingue neacuteanmoins selon le trait de personne En effet

les 1egravere

et 2e personnes renvoient agrave proprement parler aux laquo personnes raquo de lrsquoeacutenonciation

(Benveniste 1966) tandis que la 3e personne renvoie agrave un reacutefeacuterent tiers exclu de

lrsquointerlocution laquo je signifie la personne qui eacutenonce la preacutesente instance de discours

contenant je raquo (ibid 252) et tu repreacutesente laquo lrsquoindividu allocuteacute dans la preacutesente instance de

discours contenant linstance linguistique tu raquo (ibid 253) On peut assimiler les 1egravere

et 2e

personnes agrave des formes token-reacuteflexives mais agrave la diffeacuterence des deacutemonstratifs qui ne livrent

pas par eux-mecircmes les laquo coordonneacutees raquo de leur reacutefeacuterent (cf supra sect43) elles sont supposeacutees

indiquer reacuteflexivement lrsquoidentiteacute du reacutefeacuterent agrave trouver A ce titre on parle de symboles

indexicaux transparents ou complets (Kleiber 1984 67) de deacuteictiques purs (Kerbrat-

Orecchioni 1980) directs (Vuillaume 1993) ou encore primaires (Cornish 1999) laquo parce que

leur sens est tel qursquoil deacutetermine a priori le type de reacutefeacuterent deacutenoteacute raquo (Kleiber 1984 67)

Beacuteguelin (2002) relativise neacuteanmoins la preacutetendue transparence des pronoms au regard de

pheacutenomegravenes drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute eacutenonciative subtils sollicitant des compeacutetences infeacuterentielles de

la part de lrsquointerpregravete

(72) -Vous dites que contrairement aux ideacutees reccedilues lindividualisme le repli sur soi ne

sont pas une tendance de fondnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Je pense agrave une dame qursquoon a intervieweacutee elle avait donneacute son numeacutero agrave SOS amitieacute

et puis avait mis son teacuteleacutephone sur liste rouge Cest tregraves significatif Il y a le besoin de

rester chez moi dans ma bulle et celui de partager avec les autres (presse lt Beacuteguelin

2002 )

Dans cet exemple le pronom moi ne renvoie eacutevidemment pas au locuteur de lrsquoeacutenonciation

courante deacutesigneacute par le je introductif mais il srsquoinscrit dans une laquo eacutenonciation joueacutee fictive

peut-ecirctre cursive raquo (ibid) Des discours directs peuvent ainsi tout agrave fait surgir dans une

eacutenonciation hocircte sans deacutemarcation typographique

72

Nous marquons leur nature disjointe par la majuscule afin de distinguer certaines formes conjointes

homonymes

68

(73) Paris 1960 Tandis qursquoIsraeumll se preacutepare au procegraves Eichmann un jeune eacutetudiant en

droit rencontre sur lrsquoimpeacuteriale drsquoun bus une jeune eacutetudiante allemande Coup de

foudre reacuteciproque mais il faut que je te dise tu es une enfant de lrsquoAllemagne

amneacutesique et moi je suis juif et mon pegravere a eacuteteacute deacuteporteacute Regarde ces photos de morts-

vivants eacutecoute les reacutecits des camps Voilagrave maintenant tu es une Allemande qui sait Agrave

toi de choisir Crsquoest ainsi ou agrave peu pregraves qursquoinspireacutee et soutenue par Serge Klarsfeld

qui lrsquoeacutepousera dans six mois Beate se lance dans la longue traque que lrsquoon sait

(presse lt Beacuteguelin 2002 )

Les indices de 1egravere

et 2e personne ne deacutesignent ici ni directement ni simplement le narrateur ou

le lecteur mais invitent agrave envisager une eacutenonciation fictive et parallegravele agrave celle en cours et agrave en

conjecturer lrsquoidentiteacute des participants (ibid) Il srsquoagit donc pour lrsquointerpregravete de prendre en

consideacuteration cette dimension parfois implicitement heacuteteacuterogegravene de lrsquoeacutenonciation dans les

discours afin de mener agrave bien lrsquoidentification pas si transparente des reacutefeacuterents viseacutes

A propos des formes dites laquo plurielles raquo nous et vous on peut invoquer la notion laquo personne

amplifieacutee raquo de Benveniste (1966) nous ne repreacutesentant pas veacuteritablement une multiplication

de je mais plutocirct une amplification pouvant demeurer diffuse permettant une geacuteneacuteralisation

de la description des emplois varieacutes de nous (modestie majesteacute je+x etc) Il en va de mecircme

pour vous deacutesignant un tu laquo eacutelargi raquo dont les emplois discursifs peuvent ecirctre divers (politesse

tu+x etc) (cf infra sect 21)

Comme nous lrsquoavons dit plus haut les pronoms de 3egraveme

personne ne servent pas agrave reacutefeacuterer aux

participants de lrsquoeacutenonciation mais agrave des individus externes En ce sens Benveniste (1966) les

appelle non-personnes Les objets auxquels ils font reacutefeacuterence sont preacutesenteacutes comme

individueacutes et appartenant agrave une cateacutegorie73

ce dont la marque de genre est lrsquoindice (cf infra

ChII sect24) Le genre peut ecirctre interpreacuteteacute comme la trace drsquoune deacutenomination implicite du

reacutefeacuterent

(74) On a adopteacute un beacutebeacute Elle sappelle Lily (tv seacuterie Modern family saison 1)

Dans lrsquoexemple ci-dessus le trait de genre (feacutem) indique un changement drsquoattribut de

deacutenomination de lrsquoindividu introduit au deacutetriment drsquoun maintien de lrsquoeacutetiquette preacutealablement

utiliseacutee (beacutebeacute n m) (Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995) Au vu de leur eacuteconomie

lexicale les grammaires preacutesentent les pronoms de 3e personne comme un moyen drsquoeacuteviter la

verbalisation drsquoune information eacutevidente dont la reacutecupeacuteration se base sur le contexte Par

contexte on peut entendre le contexte linguistique preacuteceacutedent qui introduit verbalement le

reacutefeacuterent viseacute dans le discours mais aussi toute forme drsquoinput au discours (percepts

situationnels infeacuterences etc)

73

Cette cateacutegorisation nrsquoeacutetant pas obligatoirement explicitement introduite Lrsquoattribut de deacutenomination peut

demeurer implicite (voir infra ChII sect24)

69

(75) Il va venir tout de suite [un censeur drsquoune eacutecole srsquoadressant agrave la megravere drsquoun eacutelegraveve qui

attend devant le bureau du proviseur] (Kleiber 1990a 33)

La condition geacuteneacuteralement invoqueacutee pour un rappel via un pronom de 3e personne est la

saillance preacutealable du reacutefeacuterent le pronom doit assurer la continuiteacute reacutefeacuterentielle drsquoun objet

deacutejagrave placeacute au centre de lrsquoattention (cf infra ChII sect33) drsquoougrave des sanctions normatives en

contexte scolaire par exemple agrave lrsquoeacutegard drsquoenchaicircnements de ce type

(76) Je traversai le mur et me retrouvai agrave lrsquointeacuterieur Elle eacutetait simple (Elle = [la piegravece la

chambre] copie drsquoeacutelegraveve [Reichler-]Beacuteguelin 1993a 328)

On retrouve neacuteanmoins des proceacutedeacutes comparables chez des eacutecrivains notoires remettant du

coup en question ces contraintes drsquoemploi (voir aussi infra ChII sect422) comme ci-dessous

dans la ceacutelegravebre scegravene de LrsquoEacuteducation sentimentale eacutevoquant la premiegravere rencontre entre

Freacutedeacuteric et Mme Arnoux (personnage encore non introduit)

(77) Freacutedeacuteric pour rejoindre sa place poussa la grille des Premiegraveres deacuterangea deux

chasseurs avec leurs chiens nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Ce fut comme une apparition nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Elle eacutetait assise au milieu du banc toute seule ou du moins il ne distingua personne

dans lrsquoeacuteblouissement que lui envoyegraverent ses yeux (LrsquoEacuteducation sentimentale Flaubert)

On reacutetorquera peut-ecirctre qursquoune apparition implique seacutemantiquement un actant et que celui-ci

figure degraves lors deacutejagrave dans les repreacutesentations des interlocuteurs Cela dit ce nrsquoest agrave notre sens

pas (seulement) le critegravere de saillance cognitive qui motive le choix du pronom (noter

eacutegalement lrsquoemploi de la majuscule74

) derriegravere le choix de taire le nom ou drsquoeacuteviter un

descripteur lexical on peut observer la volonteacute de creacuteer de veacuteritables effets de points de vue

le lecteur capte et adopte ainsi le regard subjugueacute de Freacutedeacuteric pour cette femme dont il ignore

lrsquoidentiteacute et dont il est deacutejagrave en train de tomber amoureux On remarquera le va-et-vient entre

les focalisations zeacutero et interne de ce passage ougrave le point de vue du narrateur reacuteapparaicirct pour

rectifier peut-ecirctre avec ironie la perception de Freacutedeacuteric (laquo toute seule ou du moins il ne

distingua personne raquo)75

Une conseacutequence de la contrainte de continuiteacute reacutefeacuterentielle si lrsquoon y adhegravere est que laquo [l]e

pronom [hellip] nrsquoa pas le pouvoir drsquoexprimer un changement de cateacutegorie il maintient le

reacutefeacuterent tel qursquoil eacutetait dans la situation saillante de deacutepart raquo (Charolles 2002 223) Lagrave aussi

on trouve des contre-exemples qui illustrent des pheacutenomegravenes de recateacutegorisation reacutefeacuterentielle

implicite agrave travers lrsquousage des pronoms

(78) [agrave propos drsquoune roulotte laquo take-away raquo] En ce jeudi de juillet la clientegravele deacutefile ndash ils

sont parfois une douzaine agrave faire la queue ndash et les mets proposeacutes jouent lrsquoeacuteclectisme

entre lrsquoEurope et lrsquoAsie (presse La Liberteacute 240712)

74

Cf lrsquoeacutedition lrsquoeacutedition Charpentier de 1891 75

Voir Beacuteguelin (2013) pour une analyse de lrsquoemploi des pronoms de 3e personne chez Flaubert

70

Cet exemple illustre le recalibrage via le clitique ils drsquoun individu collectif (lsquola clientegravelersquo) en

la classe de ses membres Lrsquoexemple (74) supra montre eacutegalement que lrsquoon peut modifier la

cateacutegorisation lexicale sous-jacente drsquoun reacutefeacuterent (lsquoun beacutebeacutersquo) pour induire une interpreacutetation

diffeacuterente du reacutefeacuterent (eg son sexe) via lrsquousage drsquoun pronom Ces questions seront

longuement discuteacutees infra (ChII sect42)

Concernant les pronoms disjoints de 3e personne on trouve des formulations restrictives agrave

lrsquoeacutegard de certaines caracteacuteristiques

Ces formes se diffeacuterencient des clitiques ou laquo vrais pronoms raquo ellesilslelales en ceci qursquoelles sont reacuteserveacutees aux animeacutes (Lui il ne vaut pas cher ne peut se dire que drsquoune personne ou drsquoun animal) qursquoelles alternent pour les inanimeacutes avec celui-cilagrave et qursquoelles exigent un signe drsquoostension (dans les emplois en situation immeacutediate) (Charolles 2002 227)

Les deux extraits suivants mettant en jeu des renvois agrave des inanimeacutes puiseacutes dans des genres

drsquoeacutecrit consideacutereacutes comme laquo soigneacutes raquo suffiront agrave reacutecuser ces propos

(79) Sans filtre les meacutegots de Gitanes seacutetaient quant agrave eux depuis longtemps deacutejagrave

volatiliseacutes dans cette ultime mince colonne de fumeacutee quils exhalent en se tortillant

lorsquils achegravevent de se consumer (Benoziglio J-L La voix des mauvais jours et

des chagrins rentreacutes 2004 lt Frantext)

(80) Donc ne regrettez pas mon fils drsquoecirctre semblable au vulgaire Cela que vous

deacutedaignez en vous megravenera peut-ecirctre vos recircveries agrave la reacutealisation et voici votre

goucirct mecircme pour lrsquohistoire ce goucirct qui vous donne la premiegravere place entre vos

condisciples en cette matiegravere du moins crsquoest lui qui vous reacutevegravele votre force veacuteritable

(Adam P LEnfant dAusterlitz 1902 lt Frantext)

Il faut cependant reconnaicirctre avec Charolles (ibid) que la forme accentueacutee des pronoms leur

permet drsquoaccomplir un veacuteritable geste drsquoostension consistant agrave confirmer lrsquoidentiteacute drsquoun

reacutefeacuterent comme ci-dessus En cela les pronoms disjoints se rapprochent des expressions

token-reacuteflexives par le fait que leur occurrence deacuteclenche un recours immeacutediat aux

circonstances drsquoeacutenonciation pour lrsquoidentification du reacutefeacuterent que celui provienne du contexte

linguistique (ci-dessus) ou de lrsquoenvironnement perceptif (ci-dessous)

(81) Qui va-t-on deacutesigner Moi Lui Nous (Riegel et al 2009 371)

La confirmation drsquoidentiteacute associeacutee agrave leur emploi peut ecirctre exploiteacutee agrave des fins de contraste

En effet lrsquoemploi du pronom lui en (80) permet drsquoopposer lsquole goucirct pour lrsquohistoirersquo agrave tous les

autres reacutefeacuterents potentiels (lsquoet rien drsquoautrersquo) Ci-dessous le contraste est encore plus

explicite

(82) Nos penseacutees disait-il sont de petits couteaux que nous tacircchons drsquoinseacuterer entre les

blocs informes des choses Nous les savons eux si fragiles et elles si pesantes

(Delattre L Carnets dun meacutedecin de village lt Frantext)

71

Cependant tous les emplois des pronoms disjoints ne mettent pas en jeu un accent

drsquoinsistance ou une valeur de confirmation de contraste Dans certains contextes les pronoms

disjoints se preacutesentent comme suppleacuteants des pronoms conjoints lagrave ougrave ceux-ci ne peuvent

apparaicirctre en raison de leur statut syntaxique (Noslashlke 1997 60) Crsquoest par exemple le cas dans

des positions circonstancielles apregraves une preacuteposition (contrairement aux positions

argumentales ougrave le pronom conjoint est tout deacutesigneacute)

(83) - Paula est obligeacutee de tapiner pour vivre Jrsquoai peur pour elle de ce quon pourrait lui

faire vous comprenez ou vous aussi vous ecirctes en pierre (Feacuterey C Mapuche

2012 lt Frantext)

Dans lrsquoexemple ci-dessus le pronom disjoints elle nrsquoest apparemment pas voueacute agrave insister

drsquoune maniegravere particuliegravere sur lrsquoidentiteacute du reacutefeacuterent en question ni agrave marquer un contraste

speacutecifique mais sert simplement agrave identifier la beacuteneacuteficiaire du sentiment de peur Drsquoailleurs

la construction qui suit rappelle cette beacuteneacuteficiaire sous une forme conjointe (lui) dont la

forme dative est disponible pour le verbe en question On peut relever drsquoautres constructions

syntaxiques favorables aux pronoms disjoints parce que peu accessibles aux pronoms

conjoints76

(84) Le moment venu je regarderai comme un devoir de ne rien vous cacher Mais

attendons Harrendt crsquoest un homme fort savant et lui et moi serons probablement du

mecircme avis (Dumas A En Russie 1859 lt Frantext)

Dans cet exemple il nrsquoy a pas de raison drsquoinvoquer un surmarquage de lrsquoidentiteacute reacutefeacuterentielle

ou un effet de contraste77

45 Les SN indeacutefinis

Nous traitons le cas des SN indeacutefinis en dernier car il se distingue des autres expressions par

lrsquoopeacuteration radicalement diffeacuterente en jeu agrave savoir lrsquointroduction drsquoun objet ineacutedit dans le

domaine drsquointerpreacutetation consideacutereacute Cette habileteacute agrave introduire des objets nouveaux explique

selon Charolles (2002 153) la disposition des SN indeacutefinis agrave occuper des positions

rheacutematiques par exemple dans des constructions existentielles comme ci-dessous

(85) Il y a un alligator sous mon lit (titre drsquoun livre pour enfants)

Lrsquointerpreacutetation des SN indeacutefinis nrsquoest pas pour autant affranchie drsquoun cadre de reacutefeacuterence

Dans lrsquoexemple ci-dessus lrsquoeacutenonceacute srsquointerpregravete dans un cadre explicitement introduit par le

circonstant sous mon lit agrave situer lui-mecircme agrave partir drsquoun contexte drsquoeacutenonciation plus geacuteneacuteral

impliquant un locuteur fictif infeacutereacute agrave partir du genre textuel et drsquoeacuteventuels autres indices agrave

disposition Charolles (ibid 154) observe que dans les incipits de romans les SN indeacutefinis

76

Voir cependant des cas de coordination de pronoms conjoints releveacutes par Zumwald Kuumlster (2014) 77

Ou alors si surmarquage il y a il reacutesulte plutocirct du deacutetail des individus composant lrsquoensemble au deacutetriment de

lrsquoemploi drsquoun nous

72

sont souvent preacuteceacutedeacutes de compleacutements circonstanciels servant drsquoancrage au reacutecit et agrave ses

personnages

(86) En 1800 vers la fin du mois drsquooctobre un eacutetranger accompagneacute drsquoune femme et

drsquoune petite fille arriva devant les Tuileries agrave Paris [hellip] (La Vendetta Balzac lt ibid)

Parfois lrsquointerpreacutetation drsquoun SN indeacutefini deacutepend mecircme drsquoun contexte tregraves restreint et peut se

rapprocher drsquoun fonctionnement en anaphore associative (cf infra ChII sect41) ougrave le reacutefeacuterent

deacutesigneacute par le SN indeacutefini est agrave interpreacuteter comme une partie drsquoun tout preacutealablement

introduit (Charolles amp Choi-Jonin 1995)

(87) Les policiers inspectegraverent la voiture Une roue eacutetait pleine de boue (Kleiber 2001a)

Il srsquoagit en effet drsquointerpreacuteter la roue en question comme une roue de la voiture ou une des

roues de la voiture

Du point de vue seacutemantique les linguistes srsquoaccordent pour attribuer au deacuteterminant un le trait

[+deacutenombrable] (aussi appeleacute ailleurs discret discontinu ou comptable) (eg Blanche-

Benveniste amp Chervel 1966 Gary-Prieur 2011 Riegel et al 2009) par opposition au partitif

du qui preacutesente le reacutefeacuterent de N comme [+continu] (ou [+massif])

(88) Nous avons mangeacute un poisson (Gary-Prieur 2011 21)

(89) Nous avons mangeacute du poisson (ibid)

Certains N comme poisson ci-dessus sont non-marqueacutes quant au trait de continuiteacute et ouverts

aux deux emplois selon lrsquointerpreacutetation deacutesireacutee par le locuteur tandis que drsquoautres N

privileacutegient un certain type de deacuteterminant en fonction de leur sens lexical Crsquoest le cas par

exemple du N lyceacuteen qui doteacute drsquoun segraveme comptable est geacuteneacuteralement voueacute agrave deacutesigner un

individu humain srsquoassociant de la sorte agrave un deacuteterminant indeacutefini Neacuteanmoins il nrsquoest pas

rare en discours de laquo contrevenir raquo au trait de discontinuiteacute du N pour creacuteer un effet de

massification

(90) Lrsquoautobus de section en section deacutegorgeant du lyceacuteen et de la dactylo atteignant les

confins de Neuilly-Plaisance (Bazin H Madame Ex)

A lrsquoinverse il est possible de construire des subdivisions reacutefeacuterentielles au sein drsquoun concept N

geacuteneacuteralement perccedilu sans deacutelimitation

(91) Je me suis cacheacute dans un angle de porte LAnglais eacutetait coucheacute sur le ventre Un sang

eacutepais coulait sur le sol (Chalandon S Mon traicirctre 2007 lt Frantext)

Le SN un sang eacutepais renvoie agrave un sous-type de sang ici explicitement caracteacuteriseacute par

lrsquoeacutepithegravete eacutepais

73

Une autre caracteacuteristique du SN indeacutefini consiste dans le fait qursquoil preacutesuppose lrsquoexistence

drsquoune classe de N laquo derriegravere chacun des eacuteleacutements de la seacuterie crsquoest la seacuterie des occurrences

qui se profile Un chat srsquooppose agrave tous les autres chats en disant le premier de la seacuterie

orienteacutee arbitrairement par le discours agrave partir de lui raquo (Blanche-Benveniste amp Chervel 1966

9-10) Autrement dit un N opegravere une saisie interne au sein de la classe extensionnelle de N

(ibid) que Corblin (1987) reformule comme un proceacutedeacute drsquoextraction drsquoun individu agrave partir de

la classe Cette opeacuteration drsquoextraction est parfois interpreacuteteacutee agrave tort comme impliquant la

preacutesence effective dans la situation drsquoeacutenonciation de plusieurs objets de la mecircme cateacutegorie

(eg Gary-Prieur 2011 29) Mais lrsquoappartenance de lrsquoexemplaire agrave une classe nrsquoest qursquoune

information preacutesupposeacutee

(92) Jrsquoai mangeacute une pomme (ibid)

Pour interpreacuteter cet eacutenonceacute il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoenvisager les autres reacutefeacuterents du mecircme

type dans la situation deacutecrite lrsquousage de lrsquoindeacutefini conduit simplement agrave assumer lrsquoexistence

drsquoune classe notionnelle correspondante dont le locuteur introduit un speacutecimen dans le

discours

Notons encore que le SN indeacutefini srsquoillustre dans des interpreacutetations laquo geacuteneacuteriques raquo Dans ce

cas le cadre de reacutefeacuterence srsquoeacutetend agrave lrsquoensemble de lrsquounivers discursif

(93) Un chien reconnaicirct toujours son maicirctre (Blanche-Benveniste amp Chervel 1966)

(94) Une socieacuteteacute repose sur des valeurs (Corblin 1987 50)

(95) Un roman policier ccedila se lit en trois heures (Gary-Prieur 2001 36)

Cette valeur geacuteneacuterique se distingue par son interpreacutetation de celle de lrsquoemploi deacutefini

renvoyant agrave un type (cf supra sect42) Ici lrsquoindeacutefini met en jeu un eacuteleacutement perccedilu comme

quelconque (Gary-Prieur 2011 35) Les caracteacuteristiques du deacuteterminant agrave savoir ses traits

[+comptable] [+nouveau] et son preacutesupposeacute drsquoappartenance agrave une classe restent valables en

somme dans ce type drsquoeacutenonceacute le SN signale que le preacutedicat vaut pour nrsquoimporte quel reacutefeacuterent

preacuteleveacute de la classe preacutesupposeacutee78

46 Approche cognitive des expressions reacutefeacuterentielles

Dans une approche cognitive des chercheurs ont proposeacute des modegraveles du fonctionnement des

expressions reacutefeacuterentielles fondeacutes sur lrsquoideacutee que celles-ci encodent dans leur signifieacute des

78

Corblin (1987 50) deacutecrit cet emploi en recourant agrave un proceacutedeacute de multiplication du contexte propositionnel

Autrement dit lrsquointerpreacutetation implique un preacutelegravevement illimiteacute drsquoun eacuteleacutement sur la classe qui aboutit au

parcours entier de celle-ci Lrsquoauteur commente ainsi lrsquoexemple (94) laquo lrsquoeacutenonceacute est veacuterifieacute pour un nombre non

limiteacute drsquoextractions drsquoun individu ʺsocieacuteteacuteʺ Grossiegraverement ʺprenez une socieacuteteacute elle repose sur des valeurs

prenez-en une autre (et autant de fois que vous voudrez) elle repose sur des valeursʺ raquo (ibid 51) Mecircme si crsquoest

agrave lrsquoideacutee de reacutefeacuterent quelconque qursquoaboutit lrsquointerpreacutetation ce processus multiplicateur ne nous paraicirct pas

indispensable pour la description

74

instructions agrave lrsquointention de lrsquointerpregravete en vue de la reacutecupeacuteration du reacutefeacuterent viseacute79

Crsquoest agrave la

suite de travaux invoquant un degreacute de givenness (litteacuteralement lsquocaractegravere donneacutersquo) ou de

familiariteacute des entiteacutes discursives (eg Chafe 1976 Clark amp Haviland 1977 Prince 1981) que

les efforts ont porteacute sur les rapports entre diffeacuterents types drsquoexpressions reacutefeacuterentielles et le

statut cognitif des reacutefeacuterents dans les repreacutesentations mentales des interlocuteurs A cet eacutegard

deux modegraveles sont amplement exploiteacutes dans les travaux en linguistique agrave savoir celui

drsquoAriel (1988 1990 2001) et celui de Gundel et al (1993) Aux yeux drsquoAriel certaines

expressions reacutefeacuterentielles signalent un degreacute drsquoaccessibiliteacute reacutefeacuterentielle relatif alors que pour

Gundel et al les formes utiliseacutees manifestent un statut cognitif particulier deacutefini de maniegravere

qualitative

461 La theacuteorie de lrsquoAccessibiliteacute

Selon Ariel certaines expressions reacutefeacuterentielles encodent un degreacute drsquoaccessibiliteacute autrement

dit le fait qursquoon a plus ou moins facilement accegraves agrave une repreacutesentation mentale du reacutefeacuterent

Crsquoest donc en fonction de lrsquoaccessibiliteacute qursquoun reacutefeacuterent est supposeacute avoir pour lrsquointerlocuteur

qursquoun locuteur seacutelectionne un type drsquoexpression ad hoc Ariel relegraveve quatre critegraveres

susceptibles drsquoaffecter lrsquoaccessibiliteacute drsquoun reacutefeacuterent

- la distance entre un anteacuteceacutedent et un anaphorique

- le nombre de concurrents pour le statut drsquoanteacuteceacutedent

- le degreacute de topicaliteacute du reacutefeacuterent

- le rocircle de lrsquouniteacute consideacutereacutee (inteacutegration de lrsquoanteacuteceacutedent dans le mecircme cadre point

de vue segment paragraphe etc que lrsquoanaphorique)

Demol (2010 130) relegraveve la subtiliteacute de lrsquointeraction de ces facteurs qui nrsquoont pas

lrsquoobligation drsquoecirctre activeacutes simultaneacutement laquo le concept drsquoaccessibiliteacute se preacutesente par

conseacutequent comme un concept fort complexe de sorte qursquoil ne suffit pas drsquoeacutetudier un seul

facteur pour en savoir plus sur le fonctionnement de telle ou telle expression reacutefeacuterentielle raquo

Neacuteanmoins au vu de la difficulteacute de mesurer ces diffeacuterents facteurs et leur interaction Ariel

(1988 70 1990 31) retient essentiellement le critegravere de la distance pour ses releveacutes chiffreacutes

ndash soutenant que les autres se reacutevegravelent geacuteneacuteralement convergents ndash en y ajoutant lrsquoun ou lrsquoautre

paramegravetre selon la pertinence du pheacutenomegravene examineacute (la saillance pour les marqueurs de

haute accessibiliteacute lrsquouniteacute pour les marqueurs drsquoaccessibiliteacute faible) Ses observations se

fondent en grande partie sur des donneacutees attesteacutees en anglais et en heacutebreu (1988 1990) issues

de sources diverses (romans presse textes scientifiques interviews conversation familiegravere)

Sur la base de ses reacutesultats Ariel (1990 73) propose une Eacutechelle drsquoAccessibiliteacute situant agrave

79

laquo [R]efering expressions are no more than guidelines for retrievals raquo (Ariel 1988 68) laquo different determiners

and pronominal forms conventionally signal different cognitive statuses (information about location in memory

and attention state) thereby enabling the addressee to restrict the set of possible referents raquo (Gundel et al 1993

274-275)

75

lrsquoune des extreacutemiteacutes les noms propres modifieacutes (eg Joan Smith the president) comme les

marqueurs drsquoaccessibiliteacute la plus faible agrave lrsquoopposeacute des ellipses sujets nuls formes wh- ou

marques drsquoaccord qui indiquent lrsquoaccessibiliteacute la plus eacuteleveacutee

Figure 2 Eacutechelle drsquoAccessibiliteacute drsquoapregraves Ariel (1990)

Low Accessibility

Full name + modifier

Full (lsquonamyrsquo) name

Long definite description

Short definite description

Last name

First name

Distal demonstrative + modifier

Proximal demonstrative + modifier

Distal demonstrative (+NP)

Proximal demonstrative (+NP)

Stressed pronoun + gesture

Stressed pronoun

Unstressed pronoun

Cliticized pronoun

Extremely High Accessibility Markers

(gaps including pro PRO and wh- traces

reflexives and Agreement [hellip]

High Acessibility

Ariel considegravere cette eacutechelle comme universelle bien que chaque langue ne dispose pas de

toutes les ressources linguistiques mentionneacutees lrsquoordre de lrsquoeacutechelle resterait un critegravere

constant agrave travers les langues On y retrouve les expressions discuteacutees dans lrsquoinventaire supra

agrave lrsquoexception des SN indeacutefinis du fait qursquoils ne renvoient pas agrave un reacutefeacuterent deacutejagrave accessible

dans la meacutemoire de lrsquointerlocuteur Les pronoms personnels se voient ainsi affecteacutes drsquoune

accessibiliteacute eacuteleveacutee autrement dit ils sont consideacutereacutes comme speacutecialiseacutes dans la reacutefeacuterence aux

entiteacutes bien accessibles en meacutemoire les expressions deacutemonstratives de leur cocircteacute sont doteacutees

drsquoune accessibiliteacute intermeacutediaire quant aux descriptions deacutefinies et aux noms propres ils

sont voueacutes agrave reacutecupeacuterer des reacutefeacuterents consideacutereacutes comme moins accessibles Ariel (1988 82) se

reacutefegravere agrave la theacuteorie de la Pertinence (Sperber amp Wilson 1986) pour invoquer le fait qursquoun

marqueur drsquoaccessibiliteacute faible devra comporter de maniegravere compensatoire plus

drsquoinformations lexicales que les formes situeacutees sur le pocircle inverse marquant une haute

accessibiliteacute son coucirct de traitement eacuteleveacute se verra donc compenseacute par des rendements

proportionnellement pertinents

462 La Hieacuterarchie du Donneacute

Le modegravele de Gundel et al (1993) (Givenness Hierarchy) se distingue de celui drsquoAriel par le

fait que les diffeacuterents statuts cognitifs sont deacutefinis qualitativement et sont envisageacutes dans une

relation drsquoimplication les uns par rapport aux autres laquo each status entails (and is therefore

included by) all lower statuses but not vice versa raquo (p 76) Ainsi le statut in focus pour un

76

reacutefeacuterent implique que celui-ci satisfait eacutegalement les autres Ces statuts sont preacutesenteacutes du plus

restrictif (laquo en focus raquo) au moins restrictif (laquo identifiable quant au type drsquoentiteacute raquo)

Figure 3 La Hieacuterarchie du Donneacute drsquoapres Gundel et al (1993)80

in focus gt activated gt familiar gt uniquely

indentifiable gt referential gt type identifiable

it

this

that

this N

that N the N indefinite this N a N

il ccedila

cela ceci ce N-ci

celui-lagrave celui-ci

ce N-lagrave lela N ce N(-ci) indeacutefini unune N

A noter que contrairement agrave lrsquoeacutechelle drsquoAriel celle-ci nrsquointegravegre pas les Npr Par contre elle

tient compte des SN indeacutefinis Selon les auteurs un reacutefeacuterent en focus est situeacute dans le centre

drsquoattention des interlocuteurs (current center of attention p 279) au sein de la meacutemoire agrave

court terme Crsquoest le statut requis pour lrsquoemploi des pronoms non accentueacutes (laquo unstressed

pronominals raquo) ou des anaphores zeacutero en anglais Le statut activeacute indique que le reacutefeacuterent agrave

rechercher se situe dans la meacutemoire agrave court terme mais pas forceacutement dans le centre

drsquoattention des interlocuteurs (I couldnrsquot sleep last night That kept me awake81

) Un reacutefeacuterent

familier signifie que lrsquoallocutaire possegravede une repreacutesentation particuliegravere du reacutefeacuterent au moins

dans la meacutemoire agrave long terme (I couldnrsquot sleep last night That dog (next door) kept me

awake) Dans le cas du statut uniquement identifiable lrsquoallocutaire doit pouvoir acceacuteder agrave une

repreacutesentation unique du reacutefeacuterent par le biais du N lexical que celle-ci existe preacutealablement

en meacutemoire ou non (I couldnrsquot sleep last night The dog (next door) kept me awake) Le statut

reacutefeacuterentiel implique pour lrsquoallocutaire lrsquoidentification drsquoun reacutefeacuterent correspondant agrave N et

signale que le locuteur srsquoattend agrave ce que lrsquoallocutaire construise une repreacutesentation particuliegravere

du reacutefeacuterent viseacute (I couldnrsquot sleep last night This dog (next door) kept me awake) Enfin

lrsquoallocutaire accegravede agrave la repreacutesentation drsquoun reacutefeacuterent identifiable quant au type drsquoentiteacute par le

biais de sa connaissance des eacuteleacutements lexicaux sans qursquoune repreacutesentation particuliegravere soit

preacutealablement connue (I couldnrsquot sleep last night A dog (next door) kept me awake) La

relation drsquoimplication unidirectionnelle signifie qursquoune entiteacute en focus est eacutegalement activeacutee

familiegravere uniquement identifiable reacutefeacuterentielle de mecircme qursquoidentifiable quant au type Degraves

lors une expression associeacutee agrave lrsquoun de ces statuts impliqueacutes peut en theacuteorie ecirctre utiliseacutee pour

reacutefeacuterer agrave un objet en focus par exemple un SN deacutefini pourrait ecirctre employeacute dans cette

situation Drsquoapregraves les auteurs les diverses possibiliteacutes se voient neacuteanmoins pragmatiquement

80

Cette figure est adapteacutee en franccedilais dans Gundel et al (2000) 81

Les exemples voueacutes agrave illustrer la distribution des formes en fonction des diffeacuterents statuts sont pour la plupart

forgeacutes Neacuteanmoins aux dires des auteurs la hieacuterarchie a eacuteteacute testeacutee et compareacutee entre plusieurs langues

(lrsquoanglais le mandarin le chinois le japonais lrsquoespagnol et le russe) sur un corpus diversifieacute (romans nouvelles

presse eacutecrite et orale conversations) avec des similitudes mais aussi certaines divergences par exemple dans

lrsquoemploi respectif des SN deacutemonstratifs ou indeacutefinis Il faut cependant reconnaicirctre avec Demol (2010 136-137)

que la meacutethodologie suivie nrsquoest pas rigoureusement deacutecrite les critegraveres releveacutes de maniegravere non systeacutematique

reposent sur la syntaxe la distance entre les mentions des jugements de pertinence ou la prise en compte du

savoir partageacute (Gundel et al 1993 291)

77

restreintes par la maxime de quantiteacute de Grice (1975) requeacuterant drsquoune part drsquoecirctre aussi

informatif que neacutecessaire drsquoautre part drsquoeacuteviter de donner plus drsquoinformations qursquoil ne faut

463 Bilan

Au-delagrave des divergences terminologiques meacutethodologiques ou theacuteoriques de ces modegraveles on

peut neacuteanmoins relever leur vocation unanime agrave doter les expressions reacutefeacuterentielles

drsquoinstructions univoques pour la reacutecupeacuteration reacutefeacuterentielle En cela ces approches se fondent

essentiellement sur lrsquoideacutee drsquoune adeacutequation des formes aux inteacuterecircts de lrsquoallocutaire en

releacuteguant au second plan drsquoautres aspects qui pourraient guider le choix du locuteur dans la

deacutesignation opeacutereacutee Par exemple au vu de donneacutees comme (63) (64) (68) (69) (70) (71)

ougrave le reacutefeacuterent rappeleacute a eacuteteacute reacutecemment introduit il nous semble contre-intuitif de justifier

lrsquoemploi du deacutemonstratif par le caractegravere moyennement accessible ou preacutealablement en retrait

du reacutefeacuterent De la mecircme maniegravere ni lrsquoaccessibiliteacute ni le statut cognitif ne parviennent agrave

expliquer lrsquoemploi drsquoun pronom personnel comme (77) mecircme en faisant intervenir des lois

pragmatiques (eg maxime de quantiteacute) Les usages qui srsquoen eacutecartent ne sont pas totalement

neacutegligeacutes82

par les auteurs mais ils sont traiteacutes comme des exceptions ndash ou laquo violations raquo

selon les termes des auteurs (Ariel 1990 200 Gundel et al 2000) ndash faisant intervenir des

pheacutenomegravenes drsquoimplications contextuelles ou drsquoaccommodation (cf infra ChII sect421)

Drsquoapregraves Apotheacuteloz (1995a 73-74) lrsquoemploi drsquoune expression reacutefeacuterentielle implique deux

processus lrsquoacte de reacutefeacuterence proprement dit et lrsquoacte de deacutenomination Dans les theacuteories

dominantes on part du principe que le dernier opegravere au service du premier autrement dit

qursquoon deacutenomme pour identifier Mais crsquoest oublier que la deacutenomination peut opeacuterer en vue

drsquoautres objectifs (par exemple un apport significatif drsquoinformation via un SN lexical agrave des

fins argumentatives ou agrave lrsquoinverse une sous-speacutecification agrave des fins de cryptage de

polyphonie etc) Or lrsquoappariement drsquoune forme linguistique agrave une modaliteacute cognitive

comme le postulent les eacutechelles contribue agrave notre sens agrave banaliser le proceacutedeacute reacutefeacuterentiel en

marginalisant les facteurs contextuels en jeu (rapport des interlocuteurs inteacuterecircts respectifs

genre de discours etc) Aussi sans nier totalement la pertinence de ces eacutechelles nous

preacutefeacuterons consideacuterer que les critegraveres cognitifs invoqueacutes constituent un paramegravetre au mecircme

titre que drsquoautres dans le recrutement drsquoune expression reacutefeacuterentielle

Pour deacutecrire plus scrupuleusement ces opeacuterations il est neacutecessaire de faire agrave preacutesent le point

sur les notions largement exploiteacutees drsquoanaphore et de deixis qui concernent la maniegravere dont

le reacutefeacuterent viseacute est porteacute agrave la connaissance des participants de lrsquointeraction mais qui

comportent selon les conceptions un certain nombre drsquoinconveacutenients theacuteoriques

82

Voir par exemple le chapitre 8 drsquoAriel (1990 198 sqq) intituleacute Special uses of accessibility markers ou

Gundel et al (2000 92-94)

78

79

5 Modes de deacutesignation reacutefeacuterentielle anaphore et deixis

Parmi les opeacuterations qui servent agrave reacutecupeacuterer un objet agrave partir de lrsquoespace commun aux

interlocteurs il est drsquousage en linguistique textuelle drsquoopposer deux modes de reacutefeacuterence selon

la maniegravere dont on accegravede au reacutefeacuterent La conception traditionnelle peut ecirctre qualifieacutee de

textualiste eacutetant donneacute qursquoelle fonde la distinction sur lrsquoaccegraves au reacutefeacuterent via le texte vs la

situation extralinguistique Une conception concurrente qursquoon peut appeler cognitive

invoque de son cocircteacute un critegravere de nouveauteacute ou de maintien du reacutefeacuterent dans le savoir partageacute

en lieu et place du critegravere textuelsituationnel On peut illustrer ces deux conceptions agrave travers

les exemples suivants repris de Kleiber (1992 614)

(96) Paul a enleveacute son chapeau Il avait trop chaud (p 614)

(97) Ce chien cherche son maicirctre (avec geste drsquoostension) (ibid)

Selon la conception textualiste on explique geacuteneacuteralement lrsquointerpreacutetation du pronom de 3e

personne en (96) par le renvoi agrave un anteacuteceacutedent dans lrsquoespace textuel en amont en lrsquooccurrence

le nom propre Paul en (97) au contraire le SN deacutemonstratif srsquointerpregravete agrave partir de

lrsquoenvironnement extralinguistique concomitant agrave lrsquoeacutenonciation Drsquoapregraves lrsquoapproche dite

cognitive au contraire lrsquoemploi de il en (96) se justifie par le maintien du reacutefeacuterent deacutejagrave eacutetabli

dans le savoir partageacute tandis qursquoen (97) lrsquoemploi du deacutemonstratif est favoriseacute par la volonteacute

drsquoinstaller un reacutefeacuterent au sein de lrsquoattention des interlocuteurs

Avant de preacutesenter plus en deacutetail ces deux approches ainsi que les problegravemes qursquoelles

soulegravevent nous nous proposons de remonter briegravevement aux sources des notions drsquoanaphore

et de deixis

51 Origine des notions drsquoanaphore et de deixis

Drsquoapregraves Bosch (1983) les premiers deacuteveloppements que lrsquoon trouve sur la notion drsquoanaphore

proviennent drsquoApollonius Dyscole grammairien grec drsquoAlexandrie du 2e siegravecle apregraves J-C

Dans son traiteacute sur les pronoms (Peri Antonymias) il mentionne le fonctionnement soit

deacuteictique soit anaphorique des pronoms (personnels et possessifs) et rattache la deixis agrave la

procircteacute gnocircsis (connaissance premiegravere) et lrsquoanaphore agrave la deuteacutera gnocircsis (connaissance

seconde) la deixis constituant la reacutefeacuterence agrave des objets nouveaux dans le discours lrsquoanaphore

celle agrave des objets deacutejagrave preacutesents dans le discours (Bosch 1983 5-6) Cette distinction

drsquoApollonius aurait eacuteteacute redeacutecouverte apregraves des siegravecles par Windisch (1869) dans le cadre

drsquoune eacutetude sur les pronoms relatifs et crsquoest cette conception devenue courante parmi les

speacutecialistes des langues indo-europeacuteennes contemporains qui preacutedominait encore au deacutebut du

20e siegravecle

83 (ibid 8) Selon Bosch (ibid 5-6) crsquoest une formulation laquo malheureuse raquo de

Windisch qui est responsable de lrsquointerpreacutetation actuelle assimilant la deixis agrave la reacutefeacuterence

situationnelle et lrsquoanaphore agrave la reacutefeacuterence intra-textuelle Lrsquoapproche drsquoApollonius et de

83

Voir par exemple Brugmann (1904) sur les pronoms deacutemonstratifs

80

Windisch serait en fait proche de celle en termes de donneacute et nouveau dans les theacuteories

cognitives plus reacutecentes (eg Chafe 1976 Clark amp Haviland 1977 Prince 1981 cf supra

sect46) Cela dit les notions drsquoanaphore et de deixis nrsquoeacutetaient pas particuliegraverement centrales ni

chez les grammairiens de lrsquoAntiquiteacute ni chez les indo-europeacuteanistes et leur servaient plutocirct

drsquoinstruments auxiliaires de description voueacutes agrave des objectifs de recherche particuliers (Bosch

1983 9)

52 Conception traditionnelle de lrsquoopposition anaphore vs deixis

Buumlhler (1934=2009) se profile comme un acteur important de la conception theacuteorique du

couple deixis-anaphore Parmi les proceacutedeacutes de pointage (Zeigen) il distingue le pointage

drsquoobjets (sachliches Zeigen) ou deixis (du grec lsquomontrerrsquo) du pointage syntaxique

(syntaktisches Zeigen) ou anaphore Le premier proceacutedeacute sert agrave reacutefeacuterer directement aux objets

du monde reacuteel (ou imaginaire = deixis am Phantasma) le second est utiliseacute pour pointer sur

des eacuteleacutements du contexte linguistique crsquoest-agrave-dire les expressions mecircmes du discours ou les

choses telles qursquoelles ont eacuteteacute caracteacuteriseacutees par les interlocuteurs dans le discours (p 563) Il

est agrave noter que pour Buumlhler lrsquoanaphore est une laquo deixis reacuteflexive raquo (p 561) ougrave le contexte

linguistique devient le champ deacuteictique (Zeigfeld) et ougrave les pointeurs laquo prennent en charge une

fonction deacuteictique qui assure un service interne raquo (p 563 nous soulignons) en pointant en

avant ou en arriegravere sur la chaicircne du discours Il y a lagrave une distinction nette de traitement entre

le processus de renvoi agrave un objet exteacuterieur au discours ou agrave un objet mentionneacute Lrsquoopposition

entre reacutefeacuterence extra-linguistique et intra-linguistique est ainsi bien eacutetablie on fait deacutesormais

comme si la deacutesignation drsquoun objet de lrsquoenvironnement exteacuterieur eacutetait drsquoun autre ordre que la

deacutesignation drsquoun objet du discours

Cependant la relation inclusive proposeacutee par Buumlhler faisant de lrsquoanaphore un sous-type de

deixis est rarement mise au premier plan et les scheacutemas classiques tendent agrave induire une

interpreacutetation eacutequipollente des concepts Le lien de parenteacute est surtout mis en eacutevidence dans le

processus drsquoeacutemergence de lrsquoanaphore Lyons (1977 667-671) montre que les emplois

anaphoriques des deacutemonstratifs proximaux et distaux deacutependent de leur composante

premiegraverement deacuteictique De mecircme Halliday amp Hasan (1976 32) et Fraser amp Joly (1980 25)

reconnaissent la primauteacute de la reacutefeacuterence extra-textuelle (appeleacutee exophore) sur la reacutefeacuterence

intra-textuelle (appeleacutee endophore) laquo exophore et endophore sont organiquement lieacutees celle-

ci eacutetant issue de celle-lagrave raquo (ibid 25) Drsquoailleurs pour ces derniers le pheacutenomegravene de deixis

constitue un systegraveme de repeacuterage spatio-temporel qui recouvre aussi bien lrsquoexophore que

lrsquoendophore

Il nrsquoen reste pas moins que drsquoapregraves leurs scheacutemas comme drsquoapregraves certains de leurs propos les

deux modes de reacutefeacuterence (selon la localisation du reacutefeacuterent) sont constamment mis dos agrave dos

plutocirct que preacutesenteacutes dans une relation inclusive

[l]inguistiquement un objet peut avoir deux lieux drsquoexistence hors du discours ou en discours On est du mecircme coup ameneacute agrave distinguer deux types

81

de reacutefeacuterence celle qui renvoie agrave un objet dont le lieu drsquoexistence est extra-discursif et que nous nommons exophore et celle qui renvoie agrave un objet dont le lieu drsquoexistence est intra-discursif et agrave laquelle nous donnons le nom drsquoendophore (ibid 24)

Lrsquoun des scheacutemas repreacutesentatifs agrave cet eacutegard est celui drsquoHalliday amp Hasan (1976 33) issu de

leur ouvrage consacreacute agrave la probleacutematique de la coheacutesion textuelle

Figure 4 Scheacutema des modaliteacutes reacutefeacuterentielles drsquoapregraves Halliday amp Hasan (1976)

A noter que les auteurs emploient ici le nom drsquoanaphore au sens strict pour deacutesigner un sous-

type drsquoendophore celui ougrave laquo lrsquoanteacuteceacutedent raquo autrement dit lrsquoexpression agrave laquelle il convient

de se reporter pour lrsquointerpreacutetation est situeacute en amont dans le texte Le terme drsquoanaphore

srsquooppose agrave celui de cataphore ougrave lrsquoexpression reacutefeacuterentielle deacutepend drsquoun segment situeacute en aval

conformeacutement agrave lrsquoeacutetymologie du mot84

53 Lrsquoanaphore sous lrsquoangle textualiste

Cette conception de lrsquoanaphore perccedilue comme un pheacutenomegravene de deacutependance interpreacutetative

asymeacutetrique entre deux expressions linguistiques a eacuteteacute largement diffuseacutee en linguistique et en

didactique des langues en particulier agrave la suite de lrsquoouvrage drsquoHalliday amp Hasan Aux yeux

de ces derniers (ibid 31) le proceacutedeacute coheacutesif par excellence est laquo lrsquoendophore raquo marquant la

continuiteacute reacutefeacuterentielle au fil du texte construit Cette approche reposant crucialement sur une

opeacuteration de repeacuterage segmental dans la chaicircne textuelle ne va pas sans soulever bon nombre

drsquoobjections comme on le verra infra (sect54) Avant de les formuler il est cependant

neacutecessaire drsquoexaminer les tenants et aboutissants de lrsquoobjet en question

Pour deacutecrire le lien qui unit un eacuteleacutement anaphorique agrave une expression agrave reacutecupeacuterer en amont

dans lrsquoenvironnement textuel il est drsquousage de dire qursquoil reacutefegravere agrave son anteacuteceacutedent (Lyons

1977 660) Maillard (1974) recourt drsquoailleurs au terme de laquo reacutefeacutereacute raquo pour deacutesigner

lrsquoanteacuteceacutedent85

Cet emploi du verbe reacutefeacuterer correspond en fait agrave celui du verbe latin lsquoreferrersquo

dont il provient lui-mecircme traduit du grec lsquoanaphereinrsquo composeacute de lsquoana-rsquo (en haut en

84

Voir aussi chez Maillard ougrave la notion de diaphore ndash la reacutefeacuterence au contexte linguistique ndash recouvre les cas de

lrsquoanaphore et de la cataphore selon la localisation respective de ce qursquoil appelle le laquo reacutefeacutereacute raquo (Maillard 1974) 85

Appeleacute ailleurs source seacutemantique (Tesniegravere 1959 85-87) Apotheacuteloz (1995a 310) relegraveve eacutegalement les noms

drsquointerpreacutetant et de controcircleur

Reference

[situational]

exophora [textual]

endophora

[to preceding text]

anaphora

[to following text]

cataphora

82

arriegravere ou de nouveau) et lsquophereinrsquo (porter) litteacuteralement lsquoreporter plus hautrsquo ou lsquoreacutepeacuteterrsquo86

Dans la perspective adopteacutee lrsquoanaphorique renvoie donc agrave un anteacuteceacutedent preacutesent dans le

contexte linguistique en amont (ou en aval pour son fonctionnement cataphorique) Ce sens

du verbe reacutefeacuterer est agrave distinguer de lrsquoacception laquo philosophique raquo du verbe renvoyant agrave lrsquoacte

de deacutesignation drsquoun objet du monde (Lyons 1977 660) Drsquoapregraves cette seconde acception le

pronom ne reacutefegravere pas agrave son anteacuteceacutedent mais au reacutefeacuterent de cet anteacuteceacutedent Cornish (2010

212-213) critique agrave cet eacutegard lrsquoemploi du verbe reacutefeacuterer pour deacutesigner la relation qui lie

directement un anaphorique agrave son anteacuteceacutedent Une variante du verbe reacutefeacuterer au sens

eacutetymologique est le verbe reprendre ou sa nominalisation On recourt ainsi couramment aux

termes reprise anaphorique dans les eacutetudes linguistiques comme dans les grammaires (voire

de substitution ou suppleacuteance dans le cas du pronom cf infra sect31) etc En tout cas cette

terminologie reflegravete bien le processus de repeacuterage textuel invoqueacute

un segment de discours est anaphorique lorsqursquoil est neacutecessaire pour lui donner une interpreacutetation (mecircme simplement litteacuterale) de se reporter agrave un autre segment du mecircme discours (Ducrot amp Todorov 1979 358)

Les expressions anaphoriques se reacutevegravelent de la sorte seacutemantiquement deacutependantes87

autrement dit elles se preacutesentent comme reacutefeacuterentiellement incomplegravetes

Les expressions anaphoriques se reconnaicirctraient donc au fait qursquoelles sont non satureacutees reacutefeacuterentiellement isoleacutees de lrsquoenvironnement ougrave elles recrutent une expression permettant de fixer leur reacutefeacuterence elles seraient ressenties comme incomplegravetes car impropres agrave constituer agrave elles seules un objet de discours autonome (Charolles 1991 209)

De mecircme pour Tesniegravere (1959 86) un anaphorique est un mot preacutealablement vide qui

devient seacutemantiquement plein degraves qursquoil entre en connexion anaphorique avec un autre mot Il

use agrave cet eacutegard drsquoune image eacuteclairante

on peut comparer avantageusement les anaphoriques agrave des ampoules eacutelectriques qui ne srsquoallument que lorsque le fil qui les alimente est mis en contact avec la source drsquoeacutelectriciteacute Il y a lagrave en quelque sorte une prise de courant seacutemantique (ibid 90)

On peut rapprocher de cette comparaison la notion de laquo chaicircnes de reacutefeacuterence raquo (Chastain

1975) Corblin (1987c 7) exploite cette notion pour laquo deacutepasser les contextes de simple

succession de deux termes auxquels se limite le plus souvent le linguiste qui sort du domaine

phrastique raquo De mecircme Schnedecker (1997 8) recourt agrave la notion pour deacutesigner une

succession drsquoexpressions coreacutefeacuterentielles initieacutees par une forme lexicale afin drsquoeacutetudier

comment les diffeacuterents maillons drsquoune chaicircne contribuent au laquo continuum textuel raquo Lrsquoobjectif

est drsquoexaminer les diffeacuterents types de chaicircnes et leurs composantes lexicales leur rocircle dans

lrsquoorganisation textuelle leur imbrication leur sensibiliteacute au genre discursif ou encore agrave

lrsquoeacutepoque (Schnedecker amp Landragin 2014)

86

Drsquoougrave le deacuteveloppement en rheacutetorique de son sens de reacutepeacutetition stylistique en deacutebut drsquoeacutenonceacute 87

Dans le mecircme esprit Kleiber (1994b 47) eacutevoque dans ce sens la notion de laquo deacutesignateurs seconds raquo pour les

pronoms anaphoriques

83

En somme la conception de lrsquoanaphore comme la manifestation drsquoune deacutependance

interpreacutetative entre un eacuteleacutement incomplet (lrsquoanaphorique) envers une expression laquo donatrice raquo

(lrsquoanteacuteceacutedent) est celle en vigueur dans les usuels de grammaire ou de linguistique mais aussi

dans la plupart des modegraveles formels computationnels et psycholinguistiques ougrave le repeacuterage

segmental constitue un enjeu primordial88

54 Limites drsquoune approche textualiste de lrsquoanaphore

Si lrsquoapproche de lrsquoanaphore dans une perspective textuelle a lrsquoavantage de consideacuterer les

rapports reacutefeacuterentiels au-delagrave de lrsquoenchaicircnement de deux eacutenonceacutes concomitants ouvrant ainsi

lrsquoanalyse agrave lrsquoempan drsquoun texte authentique et agrave sa coheacutesion le processus interpreacutetatif sous-

jacent reste critiquable89

En effet il implique une remonteacutee pour le destinataire de la

laquo chaicircne de reacutefeacuterence raquo jusqursquoagrave la deacutecouverte de lrsquooccurrence initiale (eg Brown amp Yule

1983 chap 6) Drsquoailleurs dans le cadre de lrsquooral la trace auditive et sa disparition sont

instantaneacutees (Cornish 2010b) il paraicirct degraves lors invraisemblable drsquoinvoquer une meacutemorisation

des eacutenonceacutes ou une identification des segments en cause (Valentin 1985) Lrsquoexemple suivant

illustre la difficulteacute de remonter mecircme agrave lrsquoeacutecrit agrave une expression initiale bien deacutefinie

(98) On lui avait offert un harmonica et il a commenceacute agrave jouer et agrave retranscrire tous les

thegravemes qursquoil entendait agrave la radio Il est sorti de lrsquohocircpital passionneacute de jazz Deux ou

trois copains lui ont expliqueacute ce qursquoeacutetaient les grilles drsquoharmonie et il a appris le

solfegravege comme ccedila Alors il a eu une ideacutee faire un grand orchestre en France comme

Woody Herman Ce qui est extraordinaire crsquoest qursquoil a presque reacuteussi Il a embaucheacute

au theacuteacirctre Mouffetard vingt-cinq musiciens tous excellents et il a commenceacute agrave les

faire reacutepeacuteter pour enregistrer un disque Les reacutepeacutetitions eacutetaient publiques et nous y

sommes alleacutes Il y avait des musiciens qui sonnaient fantastiquement Il y avait un

arrangement qui srsquoappelait Pithecanthropus Erectus mais je me trompe peut-ecirctre

parce que je crois que Mingus a fait la mecircme chose Plus ccedila continuait moins de

musiciens venaient En effet crsquoeacutetaient tous des premiers prix de conservatoire qui

avaient eacuteteacute engageacutes pour reacutepeacuteter pour un disque qursquoils ne voyaient pas venir Et je ne

sais pas ce que crsquoest devenu ce truc mais en tout cas cela sonnait merveilleusement

(Perec G Entretiens et confeacuterences II [1979-1981] 2003 lt Frantext)

Le reacutefeacuterent viseacute successivement par ce truc et cela se construit agrave partir drsquoun nombre important

drsquoobjets et de relations entre eux Il srsquoavegravere ainsi vain de cibler dans ce cas un eacuteleacutement

initiateur

88

Ce repeacuterage de lrsquoanteacuteceacutedent srsquoexplique par des objectifs speacutecifiques aux domaines dont voici deux

illustrations (respectivement en TAL et en psycholinguistique) laquo Lrsquoanaphore est une relation linguistique entre

deux entiteacutes textuelles deacutefinie lorsqursquoune entiteacute textuelle (lrsquoanaphore) renvoie agrave une autre entiteacute du texte

(lrsquoanteacuteceacutedent) Comme la preacutesence drsquoanaphores deacutegrade consideacuterablement les performances des systegravemes de

TAL la question de leur reacutesolution est eacutetudieacutee depuis longtemps raquo (Weissenbach amp Nazarenko 2007 146)

laquo [hellip] third-person pronouns typically have explicit antecedents in the preceding text [hellip] Our question is does

an Institutional They cause a processing problem It has been demonstrated that there are costs for missing

antecedents [hellip] raquo (Sanford et al 2008 372-373) 89

Voir agrave cet eacutegard les critiques de Valentin (1985) ou par exemple de Cornish (2010a 2017)

84

On peut eacutegalement mettre en cause la meacutetaphore de la laquo chaicircne raquo dans le sens ougrave elle appuie

lrsquoideacutee drsquoimmuabiliteacute et drsquohomogeacuteneacuteiteacute drsquoune seacutequence de laquo chaicircnons raquo ou laquo maillons raquo

interdeacutependants et bien identifieacutes Elle donne lrsquoimpression que les relations de coreacutefeacuterence

sont controcircleacutees et deacutetermineacutees agrave la base Bien que cette notion puisse sembler fonctionnelle

pour lrsquoanalyse de types de textes particuliers (Schnedecker 2014) elle nous paraicirct mal refleacuteter

les usages reacuteels des locuteurs a fortiori si lrsquoon tient compte de lrsquooral spontaneacute ougrave la gestion

de la reacutefeacuterence srsquoeffectue sur le vif avec toutes les approximations que cela peut comporter

Lrsquoavegravenement des bases de donneacutees et lrsquointeacuterecirct pour les descriptions linguistiques en contexte

inteacutegrant des aspects pragmatiques communicatifs et interactionnels du discours a contribueacute

agrave remettre en cause cette approche essentiellement segmentale de lrsquoanaphore (nominale ou

pronominale) La notion drsquoanteacuteceacutedent et surtout le rocircle qursquoon lui attribue en prennent

seacuterieusement pour leur grade au vu des situations suivantes

i) les cas de laquo discordances morpho-syntaxiques seacutemantiques etou

reacutefeacuterentielles raquo ([Reichler-]Beacuteguelin 1988 18)

(99) La couleur crsquoest la liberteacute Elles se meacutelangent se superposent srsquoopposent et se

reacutepondent (Marie Claire avril 1993 deacutebut de texte lt Beacuteguelin 1997a 34)

Dans un exemple de ce type en effet le pronom affiche non seulement un laquo deacutesaccord raquo

morphologique avec laquo lrsquoanteacuteceacutedent raquo mais teacutemoigne eacutegalement drsquoune modification implicite

de perception du reacutefeacuterent (drsquoabord appreacutehendeacute comme un type puis comme la classe de ses

occurrences) Le processus interpreacutetatif ne peut donc se limiter agrave un simple pheacutenomegravene de

reprise

ii) Les cas ougrave tout comme en (98) supra un anteacuteceacutedent est difficilement

deacutelimitable

(100) Quelques camions faisaient des aller et retour entre la montagne et la ville Mais ces

navettes demeuraient eacutevidemment deacuterisoires (Le Monde 9 4 1991 lt [Reichler]-

Beacuteguelin 1995a)

Le choix lexical de lrsquoanaphorique ces navettes repose non seulement sur le SN quelques

camions mais aussi crucialement sur la preacutedication lsquofaire des aller et retourrsquo Considegravere-t-on

le SN le preacutedicat ou alors lrsquoeacutenonceacute entier comme laquo lrsquoanteacuteceacutedent raquo La deacutelimitation drsquoun

segment responsable de lrsquointerpreacutetation demeure ainsi incertaine

iii) Les cas ougrave un anteacuteceacutedent est absent

(101) on a fait aussi un saut en parachute agrave San Diego | _ | ceacutetait assez euh | _ |assez

incroyable surtout que | _ | ouais deacutejagrave on arrive lagrave-bas euh | _ | ils nous ont presque pas

donneacute dexplications | _ | et puis euh tout dun coup ils nous mettent un | _ | un espegravece

de gros euh | _ | un espegravece de gros baudrier avec deux grosses sangles qui passent sur

les eacutepaules (oral ofrom)

85

Dans lrsquoexemple (101) il nrsquoy a tout bonnement aucun anteacuteceacutedent agrave rattacher agrave lrsquoeacuteleacutement dit

anaphorique Face agrave ce genre de situations la notion drsquoanteacuteceacutedent se montre inopeacuterante ou

neacutecessite des ajustements fondamentaux90

Cornish (1999 41 sqq) recourt pour sa part agrave la notion de deacuteclencheur drsquoanteacuteceacutedent

(antecedent trigger) qui deacutesigne le support segmental pour autant qursquoil existe qui a rendu

disponible agrave un moment donneacute le reacutefeacuterent viseacute par lrsquoanaphorique91

Mais il montre au-delagrave du

rocircle du deacuteclencheur que ce sont avant tout les proprieacuteteacutes seacutemantico-reacutefeacuterentielles intrinsegraveques

de lrsquoexpression anaphorique et son contexte preacutedicatif qui orientent au deacutepart lrsquointerpreacutetation

reacutefeacuterentielle La notion drsquoanteacuteceacutedent au sens traditionnel ne tient ainsi pas compte de lrsquoaspect

eacutevolutif de lrsquoobjet-de-discours entre le moment de son introduction et son rappel lrsquoeacutevolution

dynamique eacutetant une caracteacuteristique fondamentale des approches constructivistes de la

reacutefeacuterence et permettant drsquoexpliquer les nombreux changements observeacutes (entre autres Cornish

ibid Apotheacuteloz 1995b Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995 Beacuteguelin 1997a 1997b Berrendonner

1983 Berrendonner 1990a Corminboeuf 2011 Groupe de Fribourg 2012 etc) Les quelques

exemples ci-dessus reflegravetent ainsi pleinement ce point de vue ougrave lrsquoeacuteleacutement anaphorique nrsquoa

pas agrave ecirctre consideacutereacute comme un eacuteleacutement simplement subordonneacute agrave un autre segment Au

contraire il est doteacute de caracteacuteristiques seacutemantico-reacutefeacuterentielles propres et susceptible de

(re)configurer lrsquoobjet en contexte

55 Conception cognitive de lrsquoopposition anaphore vs deixis

Un autre problegraveme souleveacute agrave lrsquoeacutegard de la conception textualiste de lrsquoanaphore et partant de

son opposition agrave la deixis comme reacutefeacuterence extra-textuelle est que la distinction ne se veacuterifie

pas au niveau de la distribution des expressions reacutefeacuterentielles un grand nombre de formes

(SN deacutefinis deacutemonstratifs pronoms personnels et possessifs de 3e personne etc) endossent

en discours les deux rocircles autrement dit fonctionnent aussi bien laquo deacuteictiquement raquo

qursquolaquo anaphoriquement raquo

Non seulement les expressions recruteacutees comme anaphoriques ou deacuteictiques par le critegravere de localisation ne sont pas homogegravenes mais encore elles ne sont pas speacutecialiseacutees pour lrsquoune ou lrsquoautre tacircche Crsquoest dire que si lrsquoon srsquoen tient au seul critegravere du lieu de reacutesidence il nrsquoy a aucune expression qui ne soit uniquement anaphorique et aucune expression qui ne soit uniquement deacuteictique

92 Article deacutefini adjectif et pronom deacutemonstratif adjectif possessif

pronom personnel de la troisiegraveme personne connaissent en effet les deux types drsquoemplois [hellip] (Kleiber 1992 616)

90

Voir notamment [Reichler-]Beacuteguelin (1995a) et Cornish (2010b) pour une critique des approches segmentales

de lrsquoanaphore 91

Quant agrave la notion drsquoanteacuteceacutedent Cornish (1999 44 sqq) la redeacutefinit au niveau du contenu (laquo discourse model

description raquo) Il deacutecrit sa fonction de la maniegravere suivante laquo providing a full interpetation for the semantically

non-autonomous anaphor raquo 92

Il faut cependant reconnaicirctre que les indices personnels de 1egravere

et 2e personnes font exception agrave ce double

fonctionnement renvoyant aux participants de lrsquoeacutenonciation bien que lrsquoidentiteacute de lrsquoeacutenonciateur doive parfois

ecirctre infeacutereacutee (cf supra sect44)

86

Un traitement eacuteclateacute des formes reacutefeacuterentielles apparaicirct ainsi comme une analyse trop coucircteuse

agrave laquelle drsquoaucuns preacutefegraverent renoncer Le nœud du problegraveme se situe dans le critegravere de

localisation du reacutefeacuterent (extra- ou intra-linguistique) manifestement non opeacuteratoire pour

lrsquoanalyse A celui-ci certains chercheurs preacutefegraverent un critegravere drsquoordre cognitif un retour aux

sources selon Bosch (1983) vers la conception drsquoApollonius Dyscole drsquoapregraves laquelle (cf

supra 51) la deixis est le mode drsquoaccegraves agrave une connaissance nouvelle tandis que lrsquoanaphore est

le mode de maintien drsquoun reacutefeacuterent deacutejagrave connu Lyons (1977 673) srsquoinscrit dans cette

approche

[a]naphora presupposes that the referent should already have its place in the universe-of-discourse Deixis does not indeed deixis is one of the principal means open to us of putting entities into the universe-of-discourse so that we can refer to them subsequently

De mecircme Ehlich (1982) deacutefinit de la sorte les deux opeacuterations reacutefeacuterentielles

The anaphoric procedure is a linguistic instrument for having the hearer continue (sustain) a previously established focus towards a specific item on which he had oriented his attention earlier (p 330)

The deictic procedure is a linguistic instrument for achieving focusing of the hearerrsquos attention towards a specific item which is part of the respective deictic space (deiktischer Raum) (p 325)

Dans la fouleacutee de ces travaux Cornish (2010a) propose une eacutechelle de phoriciteacute ou

drsquoindexicaliteacute sur laquelle il place les diffeacuterentes formes linguistiques selon leur degreacute

drsquoanaphoriciteacute ou de deacuteicticiteacute certaines expressions sont voueacutees respectivement au

maintien de lrsquoattention sur un objet drsquoautres au revirement de lrsquoattention sur un eacuteleacutement

reacutefeacuterentiel nouveau

Figure 5 Echelle de phoriciteacute drsquoapregraves Cornish (2010a)

Deixis Anaphore

jeme tute icimaintnt lagravealors ce N-ci ce N-lagrave celui-ci celui-lagrave le N illehellip se

p1egravere2egravemep gt AdvdmP gt [AdvdmD gt SNdmP gt SNdmD gt pdmP gt pdmD gt SNdf] gt p3egravemep gt pR3egraveme lt-------------------------------anadeixis----------------------------gt

Entre les deux pocircles certaines formes manifestent les deux proprieacuteteacutes (situation appeleacutee

anadeixis) dont lrsquoeffet est de placer au centre de lrsquoattention un reacutefeacuterent jusque-lagrave en retrait

Cornish commente lrsquoexemple suivant

(102) Acircgeacute de 19 ans Adrien (Thomas Langmann) mecircleacute agrave un vol drsquoargent srsquoenfuit de

Bordeaux ougrave il vit avec sa megravere et arrive agrave Paris chez son pegravere Cleacutement (Jean-Pierre

Leacuteaud) qursquoil nrsquoa pas vu depuis quatre ans Ce pegravere est un ecirctre immature qui se

raccroche agrave sa jeunesse perdue en ayant une maicirctresse de 19 ans Louise (Judith

Godregraveche) Elle recircve de devenir comeacutedienne ou tout au moins speakerine agrave la

teacuteleacutevision Cleacutement ne perd pas une occasion de la rabaisser Pour tenir elle se drogue

(hellip) (Le Monde Suppleacutement Radio ndashTeacuteleacute 29-30 avril 2007 lt ibid 123)

87

Dans cet exemple lrsquousage de il est deacutecrit comme typiquement anaphorique car maintenant au

centre de lrsquoattention un reacutefeacuterent bien eacutetabli agrave savoir lrsquoindividu nommeacute Adrien Le SN

deacutemonstratif ce pegravere drsquoapregraves Cornish est anadeacuteictique en ce qursquoil reacutefegravere agrave un individu moins

imposant dans lrsquoattention des interlocuteurs bien que reacutecemment introduit le SN a ainsi pour

fonction de reacutecupeacuterer ce reacutefeacuterent en retrait pour le placer au centre de lrsquoattention de mecircme

qursquoil a une fonction deacutesambiguiumlsatrice (deux reacutefeacuterents eacutetant en concurrence) A cet eacutegard

lrsquoauteur juge maladroit lrsquoemploi du pronom elle plus bas pour deacutesigner un reacutefeacuterent au statut

semblable crsquoest-agrave-dire qui vient drsquoecirctre introduit mais encore non central dans lrsquoattention des

lecteurs A ses yeux une expression anadeacuteictique telle que celle-ci ou cette derniegravere

semblerait laquo plus naturel[le] raquo

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave releveacute supra (sect463) agrave lrsquoeacutegard drsquoautres modegraveles fondeacutes sur un

critegravere cognitif93

il nous paraicirct cependant regrettable de traiter lrsquoemploi drsquoune expression sur

cette seule dimension en lrsquooccurrence les critegraveres de continuiteacute de lrsquoattention ou de

nouveauteacute pour relever apregraves coup lrsquoinadeacutequation de donneacutees qui srsquoen eacutecartent A nos yeux

lrsquoexemple (102) illustre davantage la diversiteacute des paramegravetres qui peuvent favoriser lrsquoemploi

de telle ou telle expression Ainsi sans preacutejuger drsquoune quelconque adeacutequation il nous paraicirct

tout agrave fait inteacuteressant de constater que deux reacutefeacuterents peuvent preacuteciseacutement induire des moyens

de reacutecupeacuteration diffeacuterents (ce pegravere vs elle) alors qursquoils ont eacuteteacute introduits dans des conditions

tregraves semblables en (102) agrave savoir une activation reacutecente parmi drsquoautres reacutefeacuterents deacutejagrave eacutetablis

dans un type de progression lineacuteaire (Combettes 1983) ougrave le laquo rhegraveme raquo drsquoun eacutenonceacute devient

laquo thegraveme raquo de lrsquoeacutenonceacute successif selon la terminologie de lrsquoeacutecole de Prague Il conviendrait en

outre de voir si dans le genre discursif en question (synopsis de film) ce type de progression

peut ecirctre mis au service drsquoeffets de point de vue dans la preacutesentation des personnages94

Pour en revenir agrave lrsquoextrait tandis que lors du premier pointage (ce pegravere) la concurrence des

reacutefeacuterents potentiels favorise sans doute lrsquoemploi drsquoune forme lexicalement deacutesambiguiumlsatrice

la forme Elle est jugeacutee quant agrave elle suffisamment univoque pour atteindre la cible et mecircme

reacutealiser la laquo rupture de thegraveme raquo A noter par ailleurs qursquoil nrsquoest ici pas exclu que le pronom

soit de type disjoint95

Quoi qursquoil en soit en mettant en jeu des reacutefeacuterents au statut drsquoactivation

analogue mais rappeleacutes par des moyens diffeacuterents cet extrait montre justement que les

facteurs qui pegravesent sur le choix de la forme ne peuvent ecirctre rameneacutes au seul critegravere cognitif

Drsquoapregraves lrsquoeacutechelle proposeacutee en outre on ne voit pas tregraves bien en quoi les pronoms je ou tu

introduisent des reacutefeacuterents nouveaux dans le discours eacutetant donneacute qursquoen geacuteneacuteral ils renvoient

au locuteur et agrave lrsquointerlocuteur de lrsquoeacutenonciation en cours donc agrave des reacutefeacuterents ou rocircles eacutetablis

93

Entre autres speacutecificiteacutes theacuteoriques et meacutethodologiques les modegraveles drsquoAriel (1988) et de Gundel et al (1993)

nrsquoexploitent pas directement les notions drsquoanaphoredeixis 94

Beacuteguelin (2013) montre dans une eacutetude sur lrsquoemploi des pronoms de 3e personne chez Flaubert que ce genre

de rupture du thegraveme par progression lineacuteaire cher agrave lrsquoauteur par ailleurs critiqueacute par Proust contribue agrave la

creacuteation de divers effets discursifs (point de vue maintien drsquoune eacutequivoque etc) 95

Comme dans cet exemple Lui recircve de liberteacute et de grands espaceshellip (preacutesentation drsquoune piegravece de theacuteacirctre

httpwwwtheatre-poudrierechles-accueilssaison-2016-2017a-venir)

88

dans le savoir partageacute par le fait de lrsquoeacutenonciation mecircme En cela ils sont certes token-

reacuteflexifs mais lrsquoaspect laquo nouveau raquo nous paraicirct loin drsquoecirctre eacutevident dans le processus

56 Bilan

Lrsquoopposition anaphore-deixis on le voit soulegraveve de seacuterieux problegravemes et est souvent source

de confusion Ni la conception traditionnelle se fondant sur lrsquoopposition textesituation ni

lrsquoapproche cognitive deacuteplaccedilant lrsquoaxe sur le critegravere nouveauteacutemaintien du reacutefeacuterent ne

parviennent agrave expliquer la distribution des expressions reacutefeacuterentielles A notre avis la raison en

est la prise en compte drsquoune seule dimension lagrave ougrave de nombreux paramegravetres contextuels

entrent en jeu En somme nous ne nions pas lrsquointervention de paramegravetres cognitifs mais il

nous semble que leur rocircle doit ecirctre relativiseacute afin drsquooffrir une place plus importante agrave des

facteurs plus conjoncturels de lrsquoeacutenonciation en cours En appariant une proceacutedure agrave une forme

particuliegravere on donne agrave croire que crsquoest lrsquoexpression elle-mecircme qui confegravere une certaine

nature au reacutefeacuterent96

(ineacutedit donneacute etc) alors que crsquoest eacutevidemment le contexte (cf infra

sect633) dans son ensemble qui deacutetermine la place de celui-ci dans le discours et son rapport

aux autres objets En accordant trop drsquoimportance agrave un seul type de critegravere on court ainsi le

risque drsquoeacutetablir une norme agrave partir de laquelle on eacutevalue les usages et celui de marginaliser

ceux qui srsquoen eacutecartent Malgreacute nos reacuteserves agrave lrsquoeacutegard de lrsquoeacutechelle proposeacutee nous nous sentons

davantage en accord avec les observations de Cornish (agrave par) sur lrsquointervention cruciale de

paramegravetres lieacutes agrave la subjectiviteacute lrsquointersubjectiviteacute et la polyphonie dans le choix des

expressions

Par ailleurs il nous semble que les proprieacuteteacutes communes agrave la deixis et agrave lrsquoanaphore

meacuteriteraient une plus grande attention plutocirct qursquoun traitement systeacutematiquement oppositif

Dans tous les cas on observe en effet un proceacutedeacute de pointage vers un reacutefeacuterent (cf

lrsquoeacutetymologie du terme deixis) dont certes le mode drsquoaccegraves (situation immeacutediate infeacuterence

texte etc) peut varier Mais si les mecircmes expressions permettent lrsquoaccegraves agrave des reacutefeacuterents issus

de diverses sources ne devrait-on pas conclure drsquoabord au-delagrave des speacutecificiteacutes seacutemantiques

illustreacutees supra (sect4) agrave un processus fondamentalement commun

Srsquoil fallait retenir un aspect de lrsquoopposition anaphore-deixis nous invoquerions la piste de la

token-reacuteflexiviteacute proposeacutee par Kleiber (1992 623) En effet parmi les expressions donnant

lrsquoinstruction de renvoyer agrave un objet appartenant au savoir partageacute nous avons releveacute supra

(sect4) la nature token-reacuteflexive qui caracteacuterise certaines drsquoentre elles Par exemple un pronom

comme je agrave lrsquoinverse de il implique neacutecessairement la prise en compte de sa propre

occurrence pour son interpreacutetation (sans qursquoil y ait pour autant de nouveauteacute agrave cet eacutegard cf

Cornish ci-dessus) le locuteur reacuteflexivement deacutesigneacute eacutetant partie prenante de lrsquoeacutenonciation en

cours Pour le reste nous prenons nos distances aussi bien vis-agrave-vis de lrsquoapproche selon la

localisation du reacutefeacuterent que de lrsquoapproche en termes de nouveauteacutecontinuiteacute car nous

96

Voir Kibrik (2011 389) pour une critique similaire de la circulariteacute des certaines approches cognitives

laquo [hellip] they infer referent activation from the form of reference raquo

89

consideacuterons que chaque emploi est le reacutesultat drsquoun calcul plurifactoriel tenant compte des

strateacutegies et besoins des locuteurs selon divers objectifs communicationnels

90

91

6 Vers un modegravele constructiviste du discours

Dans les sections preacuteceacutedentes nous avons preacutesenteacute un certain nombre de fondements et

drsquooutils ancreacutes dans la tradition seacutemantique qui traite des expressions reacutefeacuterentielles Il nrsquoest

peut-ecirctre pas inutile agrave ce stade de clarifier les preacuteoccupations respectives des divers acteurs

qui srsquoillustrent dans le domaine de la reacutefeacuterence Ce sont les philosophes les premiers qui se

sont inteacuteresseacutes au lien entre langage et monde exteacuterieur et agrave la capaciteacute pour celui-lagrave de

repreacutesenter celui-ci (cf supra sect2) Dans leur perspective une attention toute particuliegravere est

consacreacutee aux notions fondamentales de veacuteriteacute et de validiteacute des eacutenonceacutes de mecircme qursquoaux

questions drsquoidentiteacute ou encore de croyance Dans la mesure ougrave le langage est voueacute agrave refleacuteter le

monde il va de soi que la mesure de sa conformiteacute et la quecircte de la veacuteriteacute en deacutebusquant les

obstacles restent au cœur des preacuteoccupations philosophiques

En linguistique la seacutemantique est fortement tributaire de ces ideacutees mais lrsquointeacuterecirct porte

davantage sur les conditions drsquoemploi des expressions reacutefeacuterentielles On se demande par

exemple quel est le sens veacutehiculeacute par telle ou telle expression par opposition agrave telle autre dans

un mecircme eacutenonceacute ou entre deux eacutenonceacutes On juge eacutegalement la plausibiliteacute de tel ou tel emploi

dans un univers drsquointerpreacutetation en fonction de lrsquoeacutetat du monde Diverses manipulations

drsquoeacutenonceacutes sont soumises agrave lrsquointuition du linguiste afin de mettre au jour les diverses

contraintes inscrites dans le signifieacute des formes eacutetudieacutees

Si lrsquoon se donne pour objectif comme dans ce travail de deacutecrire les opeacuterations de reacutefeacuterence

en discours il est neacutecessaire de se doter drsquooutils adeacutequats pour rendre compte au-delagrave des

contenus laquo litteacuteraux raquo et de la fonction significative des expressions des facteurs contextuels

qui deacuteterminent leur emploi dans une interaction Nous partons ainsi de lrsquoideacutee eacuteleacutementaire que

les participants drsquoune interaction verbale mettent en œuvre un discours dont la fonction est de

creacuteer un ensemble de repreacutesentations partageacutees (Groupe de Fribourg 2012 22-23) Dans le

dernier quart du XXe siegravecle se sont deacuteveloppeacutees sur la reacutefeacuterence et sur la nature du discours

des reacuteflexions qui se deacutemarquent des cadres de repreacutesentation logique du contenu des

eacutenonceacutes Avant de preacutesenter en deacutetail le cadre drsquoanalyse dans lequel nous nous situons (sect63)

revenons sur les origines de quelques notions fondamentales qui mettent en eacutevidence la nature

discursive des reacutefeacuterents (sect61) et plus geacuteneacuteralement lrsquoincidence cognitive de lrsquoactiviteacute

discursive (sect62)

61 Les reacutefeacuterents discursifs

On doit agrave Karttunnen (1976) la notion de discourse referent Par cette deacutenomination lrsquoauteur

tient agrave se deacutemarquer explicitement des approches philosophiques de la reacutefeacuterence laquo [w]e

maintain that the problem of coreference within a discourse is a linguistic problem and can be

studied independently of any general theory of extralinguistic reference raquo (1976 366) Ce

travail srsquoinscrit dans les travaux geacuteneacuterativistes sur les indices reacutefeacuterentiels en grammaire

transformationnelle et a pour ambition de contribuer agrave deacutegager les contraintes formelles de

coreacutefeacuterence au-delagrave de la phrase Plus preacuteciseacutement Karttunnen met au jour les conditions

92

dans lesquelles un SN indeacutefini est capable drsquoeacutetablir un reacutefeacuterent de discours qui puisse faire

lrsquoobjet de reacutefeacuterences ulteacuterieures dans le texte La notion de discourse referent permet agrave

Karttunen drsquoeacuteviter les consideacuterations ontologiques des philosophes agrave propos des reacutefeacuterents

extra-linguistiques et de demeurer dans un cadre strictement linguistique deacuteterminant les

potentialiteacutes de coreacutefeacuterence dans la suite du texte Sans reacuteel eacutecho en grammaire

transformationnelle cette notion qui nrsquoeacutemane toutefois pas drsquoune reacuteflexion sur la nature

mecircme des reacutefeacuterents sera exploiteacutee dans des theacuteories drsquohorizons divers par exemple en

seacutemantique formelle ou en linguistique computationnelle Dans le cadre de la DRT Kamp

(1981) tente de modeacuteliser la maniegravere dont les interlocuteurs mettent agrave jour de maniegravere

dynamique leur interpreacutetation du discours Heim (1983) utilise quant agrave elle la meacutetaphore des

file cards (qursquoon pourrait traduire par laquo fiches signaleacutetiques raquo) pour repreacutesenter les reacutefeacuterents

de discours sur lesquelles toutes les preacutedications opeacutereacutees sont inscrites au fil des eacutenonceacutes

Dans ces cadres drsquoanalyse on peut constater que la progression du discours demeure au

niveau seacutemantique lrsquoeacutevolution dynamique des reacutefeacuterents se fait au greacute des preacutedications et se

conccediloit comme une sorte de compilation de signifieacutes Il en va de mecircme dans la viseacutee

computationnelle de Sidner (1983) qui tire parti de la notion de discourse entities afin

drsquoeacutelaborer des algorithmes de reacutesolution automatique qui soient informatiquement viables En

termes informatiques une entiteacute discursive repreacutesente une variable qui permet drsquoindexer

lrsquoinformation extraite des eacutenonceacutes agrave la repreacutesentation mentale correspondante (Wolters 2001

11) Dans ces approches formelles la notion de reacutefeacuterent discursif se voit exploiteacutee pour

cataloguer les diverses informations accumuleacutees dans le flux verbal agrave des fins de

repreacutesentation logique ou de traitement automatique des eacutenonceacutes

62 Une repreacutesentation du discours

Une reacuteflexion ineacutedite se deacuteveloppe parallegravelement autour de la nature mecircme des processus

mentaux agrave lrsquoœuvre dans les opeacuterations de raisonnement naturel Dans cette perspective

Johnson-Laird eacutelabore la notion de modegravele mental (1983 1996 2010) Les modegraveles mentaux

sont la repreacutesentation cognitive iconique ndash ce qui veut dire que la structure de la

repreacutesentation mentale est du mecircme type que celle de la situation qursquoon se repreacutesente ndash de

situations reacuteelles ou hypotheacutetiques que construisent les ecirctres humains en vue de raisonner

Cette repreacutesentation est eacutelaboreacutee sur la base de leur perception de leur imagination de leurs

connaissances du monde ou encore du discours La nature des repreacutesentations ainsi produites

est donc bien distincte drsquoune repreacutesentation laquo propositionnelle raquo logique des modegraveles formels

Lrsquoinput discursif notamment donne lieu agrave un modegravele du discours

A discourse model is a mental object that constitutes an individualrsquos knowledge of a discourse It is constructed on the basis of what has occurred in the discourse supplemented by general and specific knowledge Questions may be answered by recourse to the information that it contains assertions may be evaluated by reference to it utterances and actions may be based upon it We do not suppose that mental models are constructed only from discourse they are also created from memory perception imagination and the operation of other mental processes (Johnson-Laird amp Garnham 1980 371)

93

Lrsquooriginaliteacute de cette approche est drsquointeacutegrer des inputs de diverses natures agrave la construction

des repreacutesentations La prise en compte de lrsquoincidence mentale du discours srsquoobserve

eacutegalement dans toute une seacuterie de travaux sur la maniegravere dont les eacuteleacutements du texte servent

drsquoinstructions pour la construction du modegravele

(hellip) let us say that a TEXT is a set of instructions from a speaker to a hearer on how to construct a particular DISCOURSE-MODEL The model will contain DISCOURSE ENTITIES ATTRIBUTES and LINKS between entities A discourse entity is a discourse-model object [hellip] (Prince 1981 235)

Il en ressort notamment que les reacutefeacuterents du discours y figurent avec des statuts cognitifs

distincts comme donneacute nouveau (Chafe 1976 Clark amp Haviland 1977) ou encore infeacuterable

Prince (ibid) Crsquoest sous cette impulsion que voient le jour les eacutechelles cognitives preacutesenteacutees

supra (Ariel 1988 1990 2001 Gundel et al1993) agrave propos desquelles nous avons deacutejagrave

souleveacute lrsquoinconveacutenient drsquoassortir les diffeacuterentes expressions reacutefeacuterentielles drsquoun statut

deacutetermineacute Lrsquoun des aspects lieacute agrave la reacutealiteacute psychologique que recouvre la notion de modegravele

discursif est que chaque interlocuteur construit son propre modegravele sur la base des indices agrave

disposition Nous reviendrons infra (sect634) sur la question du caractegravere individuel ou

commun des repreacutesentations des interlocuteurs

Dans une optique distincte de lrsquoapproche laquo psychologique raquo Grize (1974 1982 1993 1996)

eacutelabore agrave la mecircme peacuteriode la notion de scheacutematisation qui vise pour sa part la modeacutelisation

drsquoopeacuterations logico-discursives

Si dans une situation donneacutee un interlocuteur A adresse un discours agrave un interlocuteur virtuel B (dans une langue naturelle) je dirai que A propose une scheacutematisation agrave B qursquoil construit un micro-univers devant B univers qui se veut vraisemblable pour B (1982 172)

La notion de scheacutematisation recouvre agrave la fois lrsquoaction de scheacutematiser et son reacutesultat (Grize

1996 69) un locuteur construit une repreacutesentation du discours pour son allocutaire et celui-

ci srsquoattache agrave la reconstruire Grize (1993) se deacutemarque par lagrave explicitement de la logique

formelle voueacutee agrave repreacutesenter la penseacutee matheacutematique en proposant des instruments pour

analyser la laquo penseacutee commune raquo un discours en langue naturelle est le fait de sujets

interagissant dans un cadre spatio-temporel guideacutes par une viseacutee argumentative srsquoinscrivant

dans un contexte social En inteacutegrant ces aspects eacutenonciatifs le contenu drsquoune scheacutematisation

se reacutevegravele ainsi complegravetement reacutefractaire agrave une formalisation en termes de valeurs de veacuteriteacute

Le modegravele auquel nous adheacuterons preacutesenteacute ci-dessous srsquoinspire de cette conception de la

scheacutematisation en conservant sa dimension creacuteative et repreacutesentationnelle ainsi que la

complexiteacute de la structuration discursive irreacuteductible agrave un fonctionnement veacuterifonctionnel

(supra sect634) Berrendonner (1997 219-220) formule les avantages suivants du modegravele

laquo ineacutedit raquo de Grize

Derriegravere le terme scheacutematisation il y a lrsquoideacutee que le discours nrsquoa pas pour fonction de restituer un tableau veacuterifonctionnel de quelque reacutealiteacute preacuteexistante absolue et indeacutependante de lui mais plutocirct drsquoimposer ses propres objets en

94

construisant une fiction conceptuelle originale provisoire et eacutevolutive [hellip] La notion porte donc en elle une theacuteorie de la reacutefeacuterence et du contexte qui tranche de faccedilon radicale avec un certain chosisme ambiant Elle suppose en effet qursquoau lieu drsquoassimiler les reacutefeacuterents du discours aux realia en se recommandant du bon sens ou de Frege on leur reconnaisse le statut de repreacutesentations cognitives de scheacutemas mentaux doteacutes drsquoune structure formelle dont la description est affaire de logique et de seacutemiologie Quant au contexte elle conduit agrave y voir non pas un cadre informationnel ou situationnel fixeacute agrave titre de preacutealable mais le produit dynamique de lrsquoactiviteacute de communication un capital eacutevolutif de connaissances drsquohypothegraveses et drsquoassomptions partageacutees assimilable agrave une sorte de meacutemoire collective des interlocuteurs

63 Le modegravele du discours fribourgeois

Nous prenons pour cadre drsquoanalyse le modegravele du discours fribourgeois (Groupe de Fribourg

2012) dont certains aspects ont fait lrsquoobjet drsquoeacutetudes particuliegraveres (Berrendonner 1983 1990a

1990b 1994 1995 1997 2002b 2005 2014 agrave par [Reichler-]Beacuteguelin 1988 1989 1993a

1995 1997a 1997b Apotheacuteloz 1995a et b Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995 1999

Corminboeuf 2011) notamment en ce qui concerne la description des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels

Lrsquoobjectif des chercheurs fribourgeois est de proposer un modegravele geacuteneacuteral du discours pour

lrsquoeacutetude des faits linguistiques Ils proposent drsquoune part face agrave lrsquoinconsistance des notions

usuelles et graphocentriques (mot phrase etc) pour la segmentation des uniteacutes linguistiques

une refonte complegravete de la theacuteorie des articulations du discours et de ses constituants97

(cf

infra sect633) drsquoautre part une description des opeacuterations qui sont exeacutecuteacutees dans le modegravele

Nous nous inteacuteresserons avant tout dans ce travail aux opeacuterations de pointage au moyen de

deacutesignateurs (sect635) et agrave leurs motivations (sect636) Avant de preacutesenter les composantes

speacutecifiques du modegravele il est neacutecessaire de comprendre quelques hypothegraveses fondamentales du

programme de modeacutelisation fribourgeoise (sect631)

631 Principes meacutethodologiques

6311 Le rapport oral-eacutecrit

Pour preacutetendre agrave la geacuteneacuteraliteacute scientifique lrsquoun des choix est tout drsquoabord de renoncer agrave

dissocier laquo langue orale raquo et laquo langue eacutecrite raquo ou agrave une approche en termes de laquo diglossie raquo98

Les speacutecificiteacutes observeacutees au niveau des structures produites via lrsquoun ou lrsquoautre meacutedium

tiennent avant tout aux conditions de production respectives en particulier lieacutees agrave lrsquoopposition

entre laquo produit fugitif raquo vs laquo produit permanent raquo (Beacuteguelin 2012 47) dans le premier se

manifestent les traces drsquoeacutelaboration et de planification en cours qui se traduisent notamment

par la preacutesence de bribes heacutesitations abandons ou autres pheacutenomegravenes de laquo disfluence raquo Ces

caracteacuteristiques du discours improviseacute sont reacuteguliegraverement perccedilues comme des laquo accidents de

performance raquo alimentant le preacutejugeacute selon lequel la langue orale serait par nature fautive (cf

97

Lrsquoune des conseacutequences en est lrsquoabandon de la notion de phrase (Groupe de Fribourg 2012 ch 1) au profit de

la notion de clause uniteacute micro-syntaxiquement autonome Cf aussi Blanche-Benveniste et al (1984 24-25) et

leur notion drsquouniteacute de construction 98

Cf aussi Blanche-Benveniste (1997 65)

95

Blanche-Benveniste 1997 11) le second type de production se voit quant agrave lui geacuteneacuteralement

deacutebarrasseacute de ces laquo scories raquo (possibiliteacute de preacuteparer retoucher effacer etc) guideacute par des

normes reacutedactionnelles et stylistiques sous-jacentes agrave des genres centreacutes sur les inteacuterecircts de

lrsquointerpreacutetation (Beacuteguelin 2012) Les diffeacuterences releveacutees sont ainsi davantage agrave mettre au

compte des conditions propres agrave la varieacuteteacute des genres discursifs ougrave le degreacute drsquoimprovisation

de preacuteparation ou de compeacutetence le laquo niveau de langue raquo etc sont loin drsquoecirctre deacutedieacutes agrave lrsquoun

des deux meacutedia99

(Koch amp Oesterreicher 1985) Sans pour autant neacutegliger lrsquoexistence et la

prise en compte dans un second temps de ces paramegravetres contextuels le modegravele part ainsi de

lrsquohypothegravese fondamentale drsquoune grammaire unifieacutee100

en accordant une eacutegaliteacute de traitement

aux donneacutees issues de lrsquooral longtemps laisseacutees pour compte en linguistique (agrave lrsquoexception de

lrsquoattention particuliegravere qursquoy a porteacute le GARS101

)

6312 Le statut des donneacutees

Une autre conseacutequence de la vocation geacuteneacuteralisante du modegravele reacuteside dans le choix de

consideacuterer des donneacutees effectivement produites par les usagers il srsquoagit laquo drsquoen prendre acte

et de rechercher une explication au fait qursquoon les utilise pour communiquer raquo (Berrendonner

1990a 151) De la sorte les chercheurs reconnaissent lrsquoeacutegaliteacute de laquo lrsquoexistence linguistique raquo

([Reichler-Beacuteguelin 1993a 328) de toutes les occurrences langagiegraveres y compris celles qui

peuvent ecirctre consideacutereacutees comme atypiques voire deacuteviantes par rapport agrave une norme ambiante

Plutocirct que de les mettre agrave lrsquoeacutecart ils cherchent agrave mettre au jour leur raison drsquoecirctre susceptible

de reacuteveacuteler des reacutegulariteacutes sur les comportements des usagers voire aussi lrsquoexplication des

reacuteactions de censure dans des genres normeacutes comme agrave lrsquoeacutegard de lrsquoexemple ci-dessous

produit dans un cadre scolaire

(103) Il est vrai que lorsque nous lisons nous ne pensons pas que cette histoire est en train

de vivre de prendre forme gracircce agrave nous (copie de bac lt ([Reichler-]Beacuteguelin 1988

27)

Dans cette copie drsquoeacutelegraveve on peut visiblement imputer lrsquoappreacuteciation de lrsquoeacutevaluateur au coucirct

de traitement requis au deacutecodage eacutetant donneacute qursquoen deacutebut de texte lrsquohistoire en question nrsquoa

pas eacuteteacute introduite de maniegravere explicite Il nrsquoen reste pas moins que le choix drsquoune expression

deacutemonstrative creacutee ici des effets discursifs drsquointersubjectiviteacute qursquoil est pertinent de mettre en

regard par exemple avec drsquoautres extraits drsquoincipit ougrave le deacutemonstratif ne precircte sans doute pas

agrave discussion notamment du fait de la reconnaissance litteacuteraire dont jouit lrsquoauteur

99

On peut penser agrave la parole publique au dialogue theacuteacirctral aux interventions sur les forums ou blogs au chat

aux SMS etc 100

Les speacutecifiteacutes de chaque meacutedium sont toutefois bien connues agrave drsquoautres niveaux au niveau des deacutemarcations

respectives ponctuation et prosodie ne se recouvrent pas srsquoagissant de la morphologie les marques de personne

(flexion verbale) ou de genre et de nombre (eg flexion adjectivale) pour ne prendre que ces exemples se

manifestent diffeacuteremment agrave lrsquooral qursquoagrave lrsquoeacutecrit Voir agrave cet eacutegard Beacuteguelin (2012 46) qui syntheacutetise les positions

de Claire Blanche-Benveniste sur le rapport oral-eacutecrit 101

Groupe aixois de Recherche en Syntaxe dont faisait partie Claire Blanche-Benveniste qui a publieacute la revue

Recherches sur le franccedilais parleacute de 1974 agrave 2004

96

(104) Cette histoire ne mrsquoappartient pas elle raconte la vie drsquoun autre (Amin Maalouf Les

eacutechelles du Levant)

Degraves lors les partisans du modegravele frigourgeois sont extrecircmement reacuteserveacutes agrave lrsquoeacutegard des

meacutethodes laquo de fauteuil raquo et de leur recours aux donneacutees deacutecontextualiseacutees et fabriqueacutees

une donneacutee linguistique in vitro est une donneacutee incomplegravete sur laquelle il est extrecircmement deacutelicat de porter un jugement drsquoacceptabiliteacute [hellip] la seule voie scientifiquement valide et eacutepisteacutemologiquement acceptable est lrsquoobservation des comportements linguistiques effectifs (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 234)

Le critegravere du jugement drsquoacceptabiliteacute en particulier est mis en cause

[il] autorise agrave trier entre donneacutees laquo pertinentes raquo et donneacutees laquo non pertinentes raquo sur une base qui bien souvent reste purement intuitive Le problegraveme insidieux naicirct chaque fois qursquoest deacuteclareacutee mal formeacutee et donc indigne drsquoecirctre prise en compte dans la description telle ou telle structure pourtant utiliseacutee parfois couramment par les sujets parlants Le proceacutedeacute a ceci de dangereux qursquoil aboutit agrave confondre sous le mecircme asteacuterisque disqualificateur certains artefacts proprement irreacutealistes nrsquoayant aucune chance drsquoecirctre un jour performeacutes avec des eacutenonceacutes qui sont au contraire accessibles agrave lrsquoobservation empirique mecircme si leur forme ne correspond pas en tout point agrave la norme dominante [Reichler-]Beacuteguelin (1993b)

Les chercheurs fribourgeois critiquent non seulement le privilegravege octroyeacute aux donneacutees

forgeacutees mais aussi lrsquointeacuterecirct porteacute presque exclusivement agrave des genres de discours consensuels

(en particulier lrsquoeacutecrit standardiseacute) peu repreacutesentatifs de la reacutealiteacute des discours Cette

laquo repreacutesentation deacuteformeacutee raquo des faits de langue comporte ainsi un risque de laquo circulariteacute du

rapport entre les modegraveles et les donneacutees les premiers leacutegitimant les secondes et celles-ci

nrsquoeacutetant reconnues comme valides et donc comme acceptables que dans la mesure ougrave elles

sont conformes agrave ce que preacutevoient les premiers raquo (Apotheacuteloz amp Pekarek Doehler 2003 112)

Dans le domaine de la seacutemantique reacutefeacuterentielle une pratique commune est la deacutelimitation du

champ drsquoobservation agrave deux phrases ougrave laquo lrsquointroducteur raquo et laquo le pointeur raquo interviennent

dans des positions typiques

Agrave force de neutraliser les paramegravetres eacutenonciatifs et contextuels lrsquoapproche classique accreacutedite aussi une conception eacutetroitement textualiste et segmentaliste des pheacutenomegravenes anaphoriques (ibid)

Il est important de preacuteciser que lrsquoapproche fribourgeoise bien qursquoempirique car se fondant sur

lrsquoobservation de faits attesteacutes ne srsquoinscrit pas dans la tradition de la linguistique de corpus

lrsquoensemble des donneacutees examineacutees ne reacutepondent pas pour lrsquoinstant du moins agrave la deacutefinition

stricte de corpus telle que lrsquoentend par exemple Sinclair (1996) laquo [a] corpus is a collection of

pieces of language that are selected and ordered according to explicit linguistic criteria in

order to be used as a sample of the language raquo Drsquoabord les donneacutees retenues comme on lrsquoa

vu ne sont pas systeacutematiquement homogegravenes (en termes de genre discursif de type de

locuteurs etc) et ne preacutetendent pas agrave la repreacutesentativiteacute drsquoun type de population La meacutethode

de reacutecolte des exemples repose chez les Fribourgeois sur des critegraveres qualitatifs de pertinence

agrave savoir leur capaciteacute agrave reacuteveacuteler des aspects sur le fonctionnement geacuteneacuteral du discours Bien

97

que lrsquoextraction de donneacutees soit parfois utiliseacutee pour lrsquoeacutetude de telle ou telle structure cibleacutee

elle nrsquoen repreacutesente pas pour autant une exigence fondamentale En effet le risque drsquoune

recherche exclusivement automatiseacutee est de neacutegliger tous les pheacutenomegravenes qui ne sont pas

deacutetectables par une machine et qui pourtant reacutevegravelent des reacutegulariteacutes sur le fonctionnement de

la langue

Si la recherche en linguistique ne porte que sur des faits langagiers extractibles de maniegravere automatique (en particulier les laquo marqueurs de discours raquo) on se prive du fonctionnement drsquoune bonne partie du systegraveme (Corminboeuf 2014 2378)

En somme la valeur heuristique accordeacutee aux donneacutees attesteacutees seacutelectionneacutees sur une base

qualitative distingue lrsquoapproche fribourgeoise de nombreux modegraveles En particulier celle-ci

se deacutemarque nettement de deacutemarches consistant agrave mettre au jour les contraintes qui pegravesent sur

lrsquoemploi de marqueurs constructions enchaicircnements etc via des manipulations drsquoeacutenonceacutes

dans le but de reacuteduire les laquo possibiliteacutes raquo theacuteoriques Les Fribourgeois renversent la meacutethode

en se fondant sans a priori sur les observables agrave disposition pour y deacuteceler les reacutegulariteacutes de

fonctionnement En drsquoautres termes ils partent du principe que les comportements locutoires

rares ou freacutequents sont susceptibles de reacuteveacuteler les meacutecanismes sous-jacents de lrsquoactiviteacute

discursive et notamment sur la faccedilon dont on cateacutegorise les objets dont on parle

6313 Une vision non deacuteterministe du rapport monde-langue

Dans le domaine des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels un exemple de la deacutemarche esquisseacutee ci-dessus est

la maniegravere dont sont traiteacutes les faits drsquolaquo indiscreacutetion raquo (cf supra sect33) La conseacutequence qui en

est tireacutee est une conception non logiciste de lrsquoidentiteacute et une certaine malleacuteabiliteacute dans la

faccedilon dont les usagers repreacutesentent les reacutefeacuterents du discours dont certains formats preacutesentent

une disposition agrave la confusion reacutefeacuterentielle Cette approche se deacutemarque de nombreux travaux

traitant de la probleacutematique des reacutefeacuterents dits eacutevolutifs

Pour reacutesumer la question des reacutefeacuterents eacutevolutifs concerne des processus de transformation

encourus par des reacutefeacuterents par voie de preacutedication au fil drsquoun discours et la maniegravere dont se

comportent en particulier les marqueurs anaphoriques agrave cet eacutegard Lrsquoenjeu est laquo de mesurer

jusqursquoagrave quel point certaines formes de reprise sont sensibles au changement raquo (Charolles

1997 71) Si dans le contexte des laquo meacutetamorphoses fictionnelles (du genre Dr JekillMr

Hyde) raquo lrsquoemploi des expressions reacutefeacuterentielles a eacuteteacute agrave juste titre expliqueacute en partie par des

effets de point de vue ou de changement drsquounivers de croyance (Schnedecker amp Charolles

1993 Achard-Bayle 2001) le cas des modifications affectant une entiteacute dans les textes de

type injonctif (recettes de cuisine notice de fabrication etc) est geacuteneacuteralement abordeacute comme

impliquant des transformations de type laquo ontologique raquo (Charolles 1997)

Lrsquoun des points de deacutepart de la reacuteflexion est la critique de Brown amp Yule (1983) agrave lrsquoencontre

du traitement du pronom par Halliday amp Hasan (1976) dans lrsquoeacutenonceacute

98

(105) Lavez et eacutevidez six pommes agrave cuire Mettez-les dans un plat passant au four (trad par

Charolles amp Schnedecker 1993 108)

Brown amp Yule (1983) reprochent agrave la conception laquo segmentale raquo drsquoHalliday amp Hasan le fait

de ne pas tenir compte de lrsquoeacutevolution des reacutefeacuterents entre les deux eacutetapes deacutecrites Il en va de

mecircme dans le fameux exemple du poulet

(106) Tuez un poulet actif et bien gras Preacuteparez-le pour le four Coupez-le en quatre

morceaux et faites-le rocirctir avec du thym pendant une heure (ibid)

Brown amp Yule plaident pour une approche interpreacutetative laquo cumulative raquo crsquoest-agrave-dire qui

tienne compte des changements apporteacutes au reacutefeacuterent dans la progression du texte Charolles amp

Schnedecker (1993) nuancent cependant ce point en avanccedilant que contrairement agrave un SN

deacutefini agrave mecircme de rendre compte du reacutesultat des transformations en vertu de son contenu

lexical le pronom se distingue preacuteciseacutement parce qursquoil permet de laquo faire abstraction raquo de ces

changements et de maintenir la coreacutefeacuterence malgreacute le contexte eacutevolutif Pour reacutesoudre le

paradoxe poseacute par le cas des pronoms les auteurs formulent une contrainte de maintien de

lrsquoidentiteacute sortale du reacutefeacuterent On doit donc conclure de lrsquoemploi des pronoms ci-dessus laquo qursquoil

existe au moins un trait sortal sous lequel ils reacutesistent aux mauvais traitements qursquoon leur

inflige raquo (p 123) en lrsquooccurrence la contrepartie massive saillante qui en subsiste Ceci

expliquerait pourquoi lrsquoexemple ci-dessous est jugeacute impossible

(107) Prenez quatre morceaux de sucre Faites-les fondre dans de lrsquoeau et portez-les agrave

eacutebullition (Charolles amp Schnedecker 1993 123)

Les auteurs invoquent dans ce cas la diffeacuterence suivante laquo la contrepartie massive des

morceaux de sucre dissous (agrave savoir laquo du sucre raquo) nrsquoest pas saillante alors que la laquo chair raquo des

pommes lrsquoest encore dans la compote raquo Charolles (1997) assouplit neacuteanmoins la contrainte

laquo ontologique raquo du trait sortal en accordant un rocircle plus preacutepondeacuterant agrave lrsquoemploi mecircme du

pronom capable de laquo forcer raquo la coreacutefeacuterence au-delagrave des transformations Mais lrsquoenjeu

demeure dans cette optique de deacuteterminer laquo jusqursquoagrave quel point et agrave lrsquoaide de quels moyens

linguistiques on peut encore preacutetendre parler de la mecircme chose alors que lrsquoon expose les

changements dont elle fait lrsquoobjet raquo (ibid 91)

Les Fribourgeois prennent clairement leurs distances agrave lrsquoeacutegard de cette approche des

laquo transformations ontologiques raquo Crsquoest non seulement le critegravere subjectif drsquoacceptabiliteacute qui

est mis en cause mais aussi et surtout la recherche de contraintes ontologiques ndash au deacutetriment

de facteurs linguistiques ndash qui consiste agrave

chercher dans le reacuteel extralangagier les principes censeacutes reacutegler les usages linguistiques (ceux-lagrave mecircmes dont on cherche agrave mettre au jour le fonctionnement) Or sans vouloir refaire la querelle des universaux il nous paraicirct que la deacutemarche qui vient drsquoecirctre deacutecrite si elle nrsquoest pas scrupuleusement pondeacutereacutee aboutit agrave faire du langage un deacutecalque de la reacutealiteacute Et conseacutequence plus grave encore elle conduit presque ineacutevitablement agrave

99

substituer agrave lrsquoinvestigation linguistique une analyse ontologique ou une physique naiumlves (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995 235)

Sans nier lrsquoinfluence de facteurs laquo mondains raquo ndash autrement dit nos connaissances notre

expeacuterience et notre repreacutesentation du monde et ses objets ndash dans la maniegravere dont les locuteurs

cateacutegorisent les reacutefeacuterents en discours les auteurs regrettent toutefois la tendance agrave simplifier

la relation mot-chose et partant agrave neacutegliger la prise en compte drsquoautres facteurs dans le choix

des expressions reacutefeacuterentielles A lrsquoappui drsquoexemples diversifieacutes ils montrent notamment que

les proceacutedeacutes anaphoriques lexicaux comme pronominaux sont susceptibles de tenir compte

ou non des modifications subies anteacuterieurement par voie de preacutedication selon les objectifs du

locuteur102

Parmi ces strateacutegies largement deacutependantes des conditions de production les

auteurs signalent des enjeux argumentatifs sociaux (respect des faces) des effets connotatifs

polyphoniques la gestion drsquoambiguiumlteacutes potentielles etc sur lesquels nous reviendrons infra

(sect636)

La prise en compte des changements de point de vue deacutejagrave invoqueacutee pour lrsquoanalyse drsquoautres

types de meacutetamorphoses discursives (Schnedecker amp Charolles 1993 Achard-Bayle 2001)

meacuteriterait par ailleurs drsquoecirctre exploiteacutee plus geacuteneacuteralement car tout proceacutedeacute de deacutesignation

implique par deacutefinition un point de vue particulier Beacuteguelin (1997b) se penche agrave cet eacutegard sur

lrsquoemploi de marqueurs reacutefeacuterentiels dans des contextes drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute eacutenonciative et montre

que des pheacutenomegravenes de non-congruence entre deux cateacutegorisations drsquoun mecircme reacutefeacuterent

peuvent parfois ecirctre mis au compte drsquoun surmarquage de la polyphonie

(108) Mira elle ne croit plus en personne ni agrave rien Lrsquoopposition laquo Ils ne sont pas assez

forts raquo (Nouveau Quotidien 091194 lt ibid)

Outre la recateacutegorisation implicite opeacutereacutee (individu collectif ndash classe) le pointeur pronominal

accentue le contraste entre les deux univers de croyance en jeu (il va de soi que deux locuteurs

ne recourent pas forceacutement aux mecircmes deacutenominations)

Bref la question des reacutefeacuterents eacutevolutifs a tout lrsquoair dans cette optique drsquoun faux problegraveme

Du moins elle nrsquoest pas un cas particulier mais concerne tous les reacutefeacuterents qui par deacutefinition

sont ameneacutes agrave eacutevoluer par les connaissances qursquoon en a au fil de la construction du discours

(cf infra sect634) Pour les chercheurs fribourgeois le problegraveme agrave creuser nrsquoest ainsi pas celui

des transformations subies par les objets reacuteels mais laquo celles qui affectent le bagage de

connaissances dont disposent agrave chaque moment du discours les interlocuteurs agrave propos drsquoun

reacutefeacuterent donneacute raquo (Apotheacuteloz amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995 239-240) Il convient donc

drsquoexaminer les moyens mis en œuvre par les usagers pour faire eacutevoluer un objet dans le

discours Dans cette perspective lrsquoacte reacutefeacuterentiel proprement dit srsquoaccompagne de viseacutees

strateacutegiques qursquoil convient de mettre au jour (cf infra sect636)

102

Ils eacutevoquent agrave cet eacutegard les strateacutegies opposeacutees de deacutesignation des personnages chez Zola vs chez Flaubert

releveacutees par Corblin (1983) Zola exploite freacutequemment des deacutesignateurs contingents (le peintre le commis)

eacutevoquant parfois lrsquoacte eacutepheacutemegravere drsquoune seule preacutedication (eg le dormeur) tandis que Flaubert ne tient

geacuteneacuteralement pas compte des proprieacuteteacutes attribueacutees aux personnages dans sa faccedilon de les deacutesigner

100

632 Discours et texte

Le modegravele fribourgeois se voulant une theacuteorie de la combinatoire discursive il srsquoagit de

comprendre ce que recouvre la notion fondamentale de discours Dans ce cadre le discours

est conccedilu comme laquo lrsquoensemble des mateacuteriaux seacutemiotiques mis en œuvre par les partenaires

drsquoune [hellip] interaction raquo (Groupe de Fribourg 2012 21)

Un discours est donc un complexe pluri-codique qui comprend non seulement des eacutenonciations en langue naturelle mais aussi des gestes des actions des images des perceptions communes des savoirs partageacutes tacites mutuellement manifestes etc combineacutes selon des modes de planification speacutecifiques

Quant au texte il constitue la trace des donneacutees graphiques et acoustiques drsquoune seacutequence

verbale dont doit bien souvent se contenter le linguiste pour tenter drsquoeacutetudier laquo le discours

appreacutehendeacute agrave travers les textes raquo (p 22) Le texte ne constitue ainsi pas une notion

fonctionnelle dans le modegravele fribourgeois mais seulement lrsquoinstrument fragmentaire agrave partir

duquel le chercheur tacircche de faire des hypothegraveses sur le fonctionnement du discours qui

laquo supporte[nt] autant que possible sans catastrophe la prise en compte ulteacuterieure ou eacutepisodique

des composantes non verbales et environnementales raquo

Cette conception se distingue de celles qui assimilent texte et discours103

ou qui assimilent ce

dernier agrave la laquo chaicircne parleacutee raquo De plus en consideacuterant le texte comme un simple teacutemoignage

de lrsquoeacuteveacutenement discursif elle se distingue aussi drsquoapproches qui le considegraverent comme une

uniteacute seacutemantique (eg Halliday amp Hasan 1976) ou comme un eacuteleacutement constitutif de lrsquoactiviteacute

discursive104

633 Les articulations du discours

Le modegravele fribourgeois srsquoinspire de la notion drsquoarticulation du langage de Martinet (1967)105

pour eacutelaborer sa theacuteorie des uniteacutes constitutives du discours Il distingue ainsi difffeacuterents

ordres de combinatoire se caracteacuterisant par des fonctions des uniteacutes et des regravegles

drsquoassemblage propres La premiegravere articulation (F1) 106

correspond aux uniteacutes dont la fonction

est distinctive agrave savoir les phonegravemes et les syllabes La seconde articulation (F2) est celle qui

concerne les uniteacutes agrave fonction significative crsquoest-agrave-dire morphegravemes syntagmes et clauses107

(laquo icirclotsde deacutependances morpho-syntaxiques raquo Groupe de Fribourg 2012 47)

103

Voir aussi Cornish (2009) sur les risques de cette confusion 104

Crsquoest par exemple le cas de Cornish (2009) qui appelle texte lrsquoensemble des traces seacutemiotiques (verbales et

non verbales) qui mises en œuvre dans un certain contexte contribuent agrave creacuteer le discours La conception

fribourgeoise ne srsquoeacuteloigne pas sur le fond de cette approche de lrsquoactiviteacute discursive Mais la notion de texte nrsquoy

recouvre pas la mecircme reacutealiteacute 105

Qui ne va toutefois pas au-delagrave de la laquo proposition raquo 106

Chez Martinet la premiegravere articulation correspond aux uniteacutes significatives et la seconde aux uniteacutes

distinctives Le Groupe de Fribourg inverse cet ordre pour ajouter des articulations de rang supeacuterieur dont les

uniteacutes laquo incorporent raquo celles des uniteacutes infeacuterieures (p 27 sqq) 107

Lrsquointroduction de ce terme srsquoexplique par la volonteacute de se distinguer de la notion scientifiquement

probleacutematique de phrase

101

Lrsquoune des originaliteacutes du modegravele est de postuler une troisiegraveme articulation (F3) dont les

uniteacutes constitutives sont des actions agrave fonction communicative exeacutecuteacutees sur le mode

laquo ostensif-infeacuterentiel raquo (Sperber amp Wilson 1986) On quitte agrave partir de ce niveau les aspects

traditionnellement deacutevolus agrave la morpho-syntaxe Tout comme les uniteacutes significatives

laquo incorporent raquo des uniteacutes distinctives les uniteacutes communicatives peuvent laquo incorporer raquo des

uniteacutes significatives lrsquoactualisation drsquoune clause megravene agrave son eacutenonciation action qui

comprend drsquoautres composantes comme des caracteacuteristiques prosodiques et de potentiels

gestes ou signes concomitants relevant drsquoun autre code (laquo images iconogrammes vecirctements

odeurshellip raquo ibid 29) Les eacutenonciations sont ainsi des manifestations mimo-gestuelles

seacutemiotiquement heacuteteacuterogegravenes exeacutecuteacutees selon les intentions communicatives des participants

de lrsquointeraction Elles se regroupent en programmes discursifs selon une combinatoire propre

ndash la pragma-syntaxe ndash pour composer des peacuteriodes qui se terminent par un mouvement

meacutelodique conclusif Ce type de contour indique ainsi la fin du programme et partant une

place transitionnelle pour lrsquointerlocuteur

Il reste agrave savoir si la peacuteriode constitue lrsquouniteacute deacutemarcative drsquoune quatriegraveme articulation (F4) agrave

fonction interactive (en tant que composante drsquoun tour de parole Groupe de Fribourg 2012)

ou si elle permet de composer des programmes praxeacuteologiques du niveau de la pragma-

syntaxe (F3) mais de plus grande ampleur crsquoest-agrave-dire des laquo macro-structures narratives

argumentatives cognitives-pratiques etc raquo (Berrendonner 2016) La question nrsquoest pas

trancheacutee Quoi qursquoil en soit le fait qursquoon puisse consideacuterer soit la composition interne des

peacuteriodes soit leur participation agrave une intervention au niveau interactionnel ou alors agrave une

macro-structure drsquoun autre type permet deacutejagrave drsquoeacuteclairer les diffeacuterences drsquoenjeux viseacutees et

objet des domaines de laquo la pragma-syntaxe raquo vs de laquo lrsquoanalyse conversationnelle raquo ou de

laquo lrsquoanalyse du discours raquo

Lrsquoorganisation complexe en niveaux drsquoanalyse distincts108

explique pourquoi le discours ne

peut se concevoir dans cette approche comme la simple concateacutenation de segments verbaux

ou son reacutesultat compositionnel Chaque niveau drsquoanalyse preacutesente une logique de

structuration propre En passant de lrsquoun agrave lrsquoautre

on change en fait drsquoarticulation crsquoest-agrave-dire drsquounivers combinatoire On rencontre drsquoautres types drsquoobjets seacutemiotiques investis drsquoautres fonctions reacutepondant agrave drsquoautres modes drsquoassemblage et dont on a toutes les chances de

108

Cette hypothegravese de stratification nette distingue le modegravele fribourgeois drsquoautres modegraveles theacuteoriques de type

laquo modulaire raquo comme lrsquoapproche du GARS (Blanche-Benveniste et al 1984) ougrave les articulations micro- et

macro-sytaxiques se superposent et srsquoassocient dans la construction des eacutenonceacutes ou encore comme celui de

Roulet (1999 sqq) ougrave les diffeacuterents modules (lexical syntaxique hieacuterarchique reacutefeacuterentiel et interactionnel) se

combinent de maniegravere compleacutementaire pour constituer le discours Par ailleurs lrsquoapproche aixoise fournit des

outils pour lrsquoeacutetude de la syntaxe uniquement et non pour lrsquoanalyse des constituants du discours Quant au

modegravele de Roulet il porte essentiellement sur lrsquointeraction (tregraves peu sur la syntaxe ou les proceacutedeacutes de reacutefeacuterence)

dont les uniteacutes peuvent ecirctre aussi bien monologales que dialogales alors que le modegravele fribourgeois distingue

radicalement les deux ordres Bien que reprenant la notion de meacutemoire discursive Roulet ne preacutecise pas son rocircle

dans les relations interactionnelles tandis que lrsquoapproche fribourgeoise lrsquoexploite agrave des fins de modeacutelisation des

opeacuterations drsquoinfeacuterence

102

meacuteconnaicirctre les speacutecificiteacutes si lrsquoon se contente de les envisager trivialement comme des laquo segments raquo mis bout agrave bout (Groupe de Fribourg 2012 37)

Quand on eacutevoque la question du contexte pour un item eacutetudieacute autrement dit lrsquoenvironnement

dans lequel celui-ci apparaicirct il srsquoagit de tenir compte du niveau auquel on le considegravere pour

deacuteterminer la nature des facteurs environnants Si lrsquoon considegravere uniquement un eacuteleacutement dans

sa dimension phono-syntaxique ou morpho-syntaxique le contexte consideacutereacute sera uniquement

le mateacuteriau linguistique environnant de la combinatoire respective Par contre lorsque lrsquoon

srsquointeacuteresse agrave la production drsquoune occurrence qursquoil srsquoagisse drsquoune uniteacute distinctive

significative communicative ou interactionnelle des facteurs contextuels heacuteteacuterogegravenes influent

sur sa reacutealisation Du reste ces paramegravetres contextuels ne sont pas forceacutement agrave la disposition

du linguiste qui doit srsquoen tenir agrave des hypothegraveses sur la base des indices agrave sa disposition Outre

lrsquoenvironnement linguistique (souvent appeleacute co-texte) et le discours produit en amont le

contexte lieacute agrave la reacutealisation drsquoun eacuteleacutement discursif comprend ainsi les dimensions suivantes

(Auer 2009 Cornish 2009) la situation physique agrave la porteacutee des interlocuteurs la dimension

sociale de lrsquointeraction (rocircles sociaux et interactionnels des participants type drsquoactiviteacute

engageacutee etc) le savoir partageacute ou encore le genre auquel appartient le discours etc

Les chercheurs fribourgeois se penchent principalement sur lrsquoanalyse des faits situeacutes agrave la

frontiegravere entre la morpho-syntaxe (ou micro-syntaxe) (F2) et la pragma-syntaxe (ou macro-

syntaxe) (F3) Agrave ce dernier niveau ils srsquointeacuteressent en particulier agrave la description des routines

praxeacuteologiques (ie des scheacutemas drsquoaction) qui composent les peacuteriodes mais laissent (pour le

moment cf Berrendonner 2016) agrave lrsquoanalyse conversationnelle le soin drsquoeacutetudier la gestion des

tours de parole au sein drsquoun eacutechange et agrave lrsquoanalyse du discours la faccedilon dont se composent les

macro-structures de peacuteriodes

634 Meacutemoire discursive et nature des objets-de-discours

Partant du point de vue de Grize (1974 1982 1993) sur la viseacutee repreacutesentationnelle de

lrsquoactiviteacute discursive Berrendonner (1983 230-231) nomme meacutemoire discursive (deacutesormais

M) lrsquoensemble des repreacutesentations partageacutees par les participants que ceux-ci se donnent pour

but de faire eacutevoluer dans un eacutechange Chaque action communicative en particulier chaque

eacutenonciation permet ainsi de passer drsquoun eacutetat agrave un autre Ces transformations ne sont pas

exeacutecuteacutees par lrsquoincreacutementation de laquo contenus propositionnels raquo mais par des opeacuterations

drsquoinfeacuterences jugeacutees pertinentes agrave partir de chaque acte

La meacutemoire discursive srsquooppose en cela agrave une conception laquo seacutemantique raquo drsquoun univers

drsquointerpreacutetation Elle se situe en effet au niveau du laquo cognitif-extralinguistique raquo (Groupe de

Fribourg 2012 24) sans pour autant srsquoapparenter agrave une proprieacuteteacute pschyologique de chacun

des interlocuteurs se distinguant par lagrave du concept de modegravele discursif (cf supra sect62) M

repreacutesente laquo la modeacutelisation drsquoune reacutealiteacute interlocutivement neutre lrsquoensemble de reacutefeacuterents

construits dans et par le discours raquo (Berrendonner 2016) Le fait que les connaissances en M

soient communes ne signifie pas qursquoelles soient partageacutees agrave lrsquoidentique chez les interlocuteurs

103

M constitue en effet un ensemble laquo flou raquo au sens matheacutematique crsquoest-agrave-dire que la validiteacute

des objets qui y figurent se montre graduable Autrement dit la validiteacute des objets en M peut

se montrer fiable agrave divers degreacutes selon le type drsquoinfeacuterences dont ceux-ci sont le reacutesultat (cf

infra Ch2 sect412 les raisonnements abductifs) Il existe donc une zone de flou permanente en

M dont srsquoaccommodent les interlocuteurs Mais cela explique eacutegalement que des divergences

puissent surgir sur la teneur preacutecise de M comme on le verra agrave maintes reprises

Les eacuteleacutements de M srsquoappellent les objets-de-discours et ils ont donc la proprieacuteteacute drsquoecirctre

manifestes et publiquement partageacutes par les interlocuteurs En outre leur nature est insensible

au code qui a conduit agrave leur introduction (code linguistique iconographique gestuel

infeacuterentiel etc) (ibid 23) ils relegravevent tous laquo drsquoun seul et mecircme type logique naturel raquo (p

123) bien que pouvant se preacutesenter sous des formats et modaliteacutes varieacutes109

La fonction

communicative de chaque eacutenonciation consiste agrave effectuer des opeacuterations sur les objets-de-

discours notamment en attribuant agrave ceux-ci des proprieacuteteacutes par le biais de preacutedications ou

drsquoinfeacuterences Ces attributs constituent lrsquointension drsquoun objet agrave un eacutetat donneacute de M

Il convient cependant de ne pas neacutegliger la dimension socio-culturelle qursquoun objet-de-discours

acquiert au cours de son eacutevolution en M (cf Grize 1993)

[Lrsquoidentiteacute des objets] devient le produit drsquoune interaction entre le sujet humain et son environnement [hellip] dans la mesure ougrave ces objets ont acquis le statut de construits culturels et ougrave par conseacutequent leur laquo essence raquo comporte forceacutement un paramegravetre anthropologique (Apotheacuteloz amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995 239)

Crsquoest donc lrsquoensemble de ces aspects qui contribue agrave faire lrsquoidentiteacute drsquoun objet-de-discours

donneacute en M On est ainsi loin de la conception laquo mondaine raquo traditionnelle des reacutefeacuterents Par

ailleurs la meacutemoire discursive ne renferme pas seulement la repreacutesentation des objets

laquo ordinaires raquo (qursquoils soient discrets ou non fictifs ou non etc) elle enregistre eacutegalement

toutes les donneacutees lieacutees au deacuteroulement de lrsquoeacutechange en cours autrement dit des informations

de nature meacuteta-communicative sur lrsquoeacutenonciation mecircme (Groupe de Fribourg 2012 131 sqq)

Par exemple chaque acte drsquoeacutenonciation opeacutereacute en discours a pour corollaire son inscription

automatique en meacutemoire discursive En teacutemoigne le fait qursquoon puisse y reacutefeacuterer de la mecircme

faccedilon qursquoaux objets du monde

(109) Oser tuer la formule magique La question nrsquoa plus rien de rheacutetorique sous la

coupole feacutedeacuterale en eacutebullition (presse)

De fait on peut subdiviser la meacutemoire discursive en modegravele du monde (MM) vs modegravele des

actions communicatives (MAC) la premiegravere se distinguant par la nature extra-linguistique des

objets lrsquoautre par la nature meacuteta-eacutenoncative des informations livreacutees par le discours mecircme

Cela dit lrsquoexemple montre que lrsquoopeacuteration fondamentale de reacutefeacuterence peut se deacutecrire de la

109

Tel que le montrent notamment lrsquousage de deacuteterminants (eg un vs du) de pronoms (il vs ccedila) de preacutedicats

(ecirctre nombreux srsquoadditionner etc) Par exemple individu vs classe vs continuum individu speacutecifique vs type

classe vs collection etc (Berrendonner 2002 2005)

104

mecircme maniegravere dans les deux sous-ensembles Mais un examen attentif des speacutecificiteacutes

linguistiques respectives meacuteriterait drsquoecirctre meneacute agrave bien

Une autre caracteacuteristique de la meacutemoire discursive est que lrsquoattention accordeacutee agrave certains

objets autrement dit leur importance cognitive ou saillance varie au fil du discours On peut

par exemple imaginer que pour deux interlocuteurs qui sortent drsquoune seacuteance de cineacutema le

film visionneacute (de mecircme que les divers personnages et eacutetapes cleacutes de lrsquointrigue) sera

particuliegraverement saillant agrave ce moment-lagrave dans M En outre la multiplication de relations

eacutetablies en discours entre un reacutefeacuterent (via les images le sceacutenario les pointages reacutefeacuterentiels les

preacutedications les infeacuterences qursquoon peut en tirer etc) (par exemple le personnage principal du

film) et drsquoautres reacutefeacuterents dans un discours contribuera agrave en faire un objet central dans lrsquoeacutetat

courant de M et agrave ce titre le promouvra centre organisateur drsquoun sous-graphe ou reacuteseau

reacutefeacuterentiel complexe De ce point de vue laquo les repreacutesentations que nous nous formons des

objets srsquoorganisent selon un principe plutocirct gravitationnel que taxinomique raquo (Berrendonner

1990a 155 Apotheacuteloz 1995a 169-170)

635 Opeacuterations de pointage

Dans lrsquoapproche fribourgeoise il est ainsi eacutevident qursquoune expression reacutefeacuterentielle ne renvoie

pas agrave un objet de la reacutealiteacute tangible mais bien agrave un objet de la meacutemoire discursive Parmi les

opeacuterations reacutefeacuterentielles il est utile de distinguer entre une opeacuteration drsquointroduction et une

opeacuteration de pointage La premiegravere sert agrave installer un objet-de-discours ineacutedit dans la meacutemoire

discursive via une expression reacutefeacuterentielle (typiquement un SN indeacutefini cf supra sect45) tandis

que la seconde consiste agrave deacutesigner un reacutefeacuterent supposeacute y ecirctre mutuellement manifeste pour les

interlocuteurs Lorsqursquoon parle communeacutement drsquolaquo anaphore raquo ou de laquo deixis raquo crsquoest donc au

second type drsquoopeacuteration qursquoon fait reacutefeacuterence

Plus preacuteciseacutement un pointeur reacutefeacuterentiel comporte outre son aspect descriptif laquo lrsquoinstruction

drsquounifier sa variable anonyme X avec un objet Oi valide110

preacutesent dans M raquo (Berrendonner

1995 242) en srsquoappuyant sur des indices de diverses natures (lexicale morphologique

contextuelle infeacuterentielle etc)

(110) Et lagrave que vois-je Un tregraves tregraves petit chaton tout mignon Il est noir et blanc et un petit

peu touffu (roman-feuilleton en ligne httpswwwwattpadcom91089475-wonderful-

holidays-chap-8-romC3A9o-et-juliette)

(111) Bonjour je voudrais savoir ougrave je pourrais trouver un veacuteteacuterinaire pour cette petite

boule de poils lsquodemandais-je en deacutesignant Apoplexie du doigtrsquo (ibid quelques

paragraphes plus loin)

Dans lrsquoexemple (110) le pronom conjoint il accompagneacute de son preacutedicat preacutesuppose

lrsquoexistence drsquoun objet correspondant en M auquel le rattacher Il se trouve qursquoun objet

110

La notion de validiteacute ne reposant pas sur un principe de veacuteriteacute mais sur la reconnaissance mutuelle de

lrsquoexistence drsquoun objet en M

105

particuliegraverement congruent vient drsquoecirctre introduit en M agrave travers les propos qui preacutecegravedent (un

tregraves tregraves petit chaton tout mignon) Quant au SN deacutemonstratif de lrsquoexemple (111) il implique

via lrsquoacte de monstration qursquoil opegravere lrsquoappartenance agrave M de lrsquoobjet ainsi deacutesigneacute Pour rappel

(cf supra) la maniegravere dont est alimenteacutee M ne deacutetermine pas la nature de ses objets ceux-ci

relevant tous du mecircme type M a la proprieacuteteacute de laquo neutraliser les diffeacuterences de nature entre

ses multiples sources raquo (Berrendonner 1983 231) En drsquoautres termes les deux reacutefeacuterences

exeacutecuteacutees ci-dessus procegravedent fondamentalement de la mecircme faccedilon il srsquoagit drsquoinstancier la

variable introduite par lrsquoexpression en lrsquounifiant avec un objet preacutesenteacute comme valide dans M

Certes chaque expression implique une proceacutedure interpreacutetative speacutecifique dans le premier

cas via le preacutesupposeacute drsquoexistence drsquoun objet porteur drsquoun nom masculin dans le second cas

via la nature token-reacuteflexive du SN deacutemonstratif sans neacutegliger la prise en compte de sa

signification lexicale de son interpreacutetation meacutetonymique etc Neacuteanmoins le fait que tous les

objets-de-discours se situent au mecircme titre dans M ie lrsquoensemble eacutevolutif des connaissances

partageacutees rend caducs les critegraveres traditionnels reposant sur la localisation du reacutefeacuterent (cf

supra sect52) Aux yeux des chercheurs fribourgeois un seul meacutecanisme permet ainsi de

recouvrir le fonctionnement geacuteneacuteral des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels habituellement distingueacutes avec

zegravele les uns des autres

Il est fondamental de reconnaicirctre la nature infeacuterentielle des proceacutedeacutes de pointage agrave lrsquoinstar

drsquoailleurs de tout pheacutenomegravene interpreacutetatif (Sperber amp Wilson 1986) Dans lrsquoopeacuteration en

question cela concerne en particulier le processus de repeacuterage de lrsquoobjet pour lrsquoinstanciation

de la variable introduite par le pointeur et cela agrave partir des divers indices heacuteteacuterogegravenes en

preacutesence

Il nrsquoest agrave cet eacutegard pas rare que lrsquoobjet supposeacute manifeste soit en fait absent de M au moment

du pointage et que le recours aux calculs infeacuterentiels soit particuliegraverement solliciteacute Crsquoest par

exemple le cas lorsqursquoun pointeur renvoie agrave un reacutefeacuterent implicite dont lrsquoexistence mecircme est agrave

infeacuterer agrave partir drsquoindices concomitants (cf le cas de lrsquoanaphore associative preacutesenteacute infra

ChII sect41)

(112) BL Ah non et plutocirct que la agrave la Maison des saveurs comme tu dis jrsquoaime mieux

drsquoaller au Basilic ici agrave Chiegravevremont nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

E Ah ouinnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

BL Moi nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

E Nous on est alleacutes mais crsquoeacutetait une communion et crsquoeacutetait pas terrible mais (tu sais)

crsquoest pas la mecircme chose quand crsquoest un un repas pour beaucoup et ltBL Oui et

maintenantgt

BL crsquoest de nouveau plus la mecircme chose non plus parce que la femme sa femme

est partie elle la quitteacute (X) crsquoeacutetait un il paraicirct que crsquoeacutetait un coureur de jupon je nrsquoen

sais rien crsquoest leur problegraveme Mais elle manque au bazar elle nrsquoest plus lagrave (oral lt

pfc)

106

Il faut drsquoabord remarquer que cet extrait provient drsquoune conversation spontaneacutee entre proches

et comme crsquoest souvent le cas nous nrsquoavons accegraves qursquoagrave une quantiteacute minime de leur savoir

partageacute (leurs expeacuteriences et connaissances communes) de la situation drsquoeacutenonciation courante

et son environnement physique des relations que les participants entretiennent etc

On peut toutefois remarquer que reacutefeacuterence est ici faite agrave des objets qui vraisemblablement ne

figurent pas au preacutealable dans lrsquoeacutetat courant de la meacutemoire discursive Un lieu en

lrsquooccurrence un restaurant est reacutecupeacutereacute apparemment de la meacutemoire agrave long terme par le

locuteur BL au moyen drsquoun nom propre accompagneacute de coordonneacutees spatiales preacutecises (le

Basilic ici agrave Chiegravevremont) BL eacutevoque plus loin le deacutepart drsquoun individu deacutesigneacute via le SN la

femme reformuleacute sa femme le deacuteterminant possessif sa impliquant lrsquoexistence drsquoun tiers agrave

interpreacuteter en relation avec le premier et surtout agrave partir des sceacutenarios eacutevoqueacutes (Sanford amp

Garrod 1981) par exemple le fait que les restaurants se gegraverent par des tenanciers le fait que

les couples peuvent passer par des crises etc Diverses opeacuterations infeacuterentielles agrave partir de ces

eacuteleacutements devraient permettre agrave lrsquointerlocuteur de conclure que les individus deacutesigneacutes sont

quelque chose comme un ex-couple de patrons du restaurant On voit agrave travers cet exemple

que les opeacuterations de pointage induisent des tacircches de reconstitution ou catalyse111

pour les

destinataires et qursquoelles font intervenir des processus infeacuterentiels dont la fiabiliteacute par ailleurs

nrsquoest pas toujours garantie112

636 Strateacutegies reacutefeacuterentielles

On a deacutejagrave vu supra (sect463) que les opeacuterations reacutefeacuterentielles eacutetaient en fait des poly-

opeacuterations en ce sens que la proceacutedure de repeacuterage drsquoun objet srsquoaccompagne drsquoun acte de

deacutenomination qui est fonction de strateacutegies reacutefeacuterentielles particuliegraveres Le choix pour une

expression reacutefeacuterentielle repose ainsi sur la conjonction opportune de divers objectifs

communicationnels Le modegravele se distingue en cela drsquoapproches qui composent avec des

critegraveres drsquoadeacutequation au monde de deacutependance au texte ou encore drsquoordre essentiellement

cognitif Les chercheurs fribourgeois se sont pencheacutes sur le fonctionnement de ces strateacutegies

reacutefeacuterentielles agrave lrsquoœuvre au long drsquoun discours Sans toutefois en exposer un inventaire

exhaustif ils proposent ainsi certains principes geacuteneacuteraux sur les comportements des locuteurs

en matiegravere de reacutefeacuterence

En srsquoinspirant de la notion de pertinence de Sperber amp Wilson (1986) Berrendonner (1990a)

dissocie deux principes reacutegissant les activiteacutes locutoires Le premier correspond agrave une norme

sociale de coopeacuteration particuliegraverement visible dans les meacutetadiscours aussi bien

institutionnels que particuliers autrement dit il incombe au locuteur de preacutevenir toute

difficulteacute susceptible drsquoengendrer des coucircts interpreacutetatifs importants pour le destinataire Ce

111

[Reichler-]Beacuteguelin (1995a) et Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin (1996) empruntent en lrsquoadaptant la

notion de catalyse agrave Hjelmslev (1968) Elle leur sert agrave deacutecrire les tacircches interpreacutetatives de reconstitution

drsquoeacuteleacutements manquants dans M qui ont eacuteteacute laquo inducircment raquo preacutesupposeacutes par le locuteur via des coups de force

preacutesuppositionnels (Ducrot 1972 51) 112

Cf infra (ChII sect41) pour les parcours infeacuterentiels possibles

107

principe de coopeacuteration (appelons-le O1 conformeacutement aux abreacuteviations de Beacuteguelin 1997a

infra) privileacutegiant les inteacuterecircts de lrsquointerpregravete est geacuteneacuteralement invoqueacute comme celui qui reacutegit

les comportements des interlocuteurs en conversation (Grice 1975) si bien qursquoon a vite fait si

on lrsquoassimile aux regravegles mecircmes du langage de consideacuterer comme deacuteviant tout comportement

qui srsquoen eacutecarte (Berrendonner 1990a 151) Neacuteanmoins la communication ne vise pas la

quantiteacute ou lrsquoexactitude reacutefeacuterentielle mais bien comme le suggegraverent Sperber amp Wilson

(1986) la pertinence informationnelle Il srsquoagit degraves lors drsquoadapter la transmission

drsquoinformation aux objectifs communicationnels agrave atteindre Il arrive constamment que les

locuteurs produisent des eacutenonceacutes approximatifs (looseness) Sperber amp Wilson (1990)

donnent agrave cet eacutegard lrsquoexemple drsquoune rencontre entre deux individus nommeacutes Peter et Marie agrave

San Francisco Lrsquohomme demande agrave son interlocutrice ougrave elle habite agrave quoi celle-ci reacutepond

(113) I live in Paris (ibid)

Or il se trouve que la locutrice habite agrave Issy-les-Moulineaux juste en dehors des limites de

Paris Son but nrsquoest manifestement pas de tromper son interlocuteur mais plutocirct de lui fournir

une reacuteponse pertinente pour les infeacuterences qursquoil pourra en tirer Sa reacuteponse ne vise pas ainsi

un objectif de litteacuteraliteacute (literalness) ou de veacuteriteacute mais de preacutesomption de pertinence

Lrsquoapproximation peut ainsi refleacuteter un ajustement agrave ce principe comme dans lrsquoexemple ci-

dessous

(114) cest vrai que + agrave Paris cest cher quand mecircme tous les cafeacutes tout ccedila ccedila revient cher on

a pas trop les moyens (oral cfpp)

Lrsquoemploi du syntagme tout ccedila speacutecialiseacute dans la condensation et lrsquoindistinction reacutefeacuterentielles

(cf infra ch IV) est ainsi jugeacute suffisamment pertinent par le locuteur pour atteindre son but

On doit probablement consideacuterer eacutegalement la mise en œuvre drsquoune loi du laquo moindre effort raquo

incitant le locuteur agrave deacutepenser le moins drsquoeacutenergie possible en vue de la reacutealisation de ses

objectifs On peut donc deacutegager un second principe contrebalanccedilant le premier consistant agrave

meacutenager ses efforts en reacuteduisant ses coucircts de production (O2) que Berrendonner (1990a

150) appelle malicieusement laquo principe de nonchalance raquo Lrsquoactiviteacute interactionnelle se voit

donc guideacutee par un calcul constant de la pertinence informationnelle reacutesultant drsquoun

compromis effectueacute entre deux laquo principes raquo antagonistes agrave savoir drsquoune part lrsquooptimisation

de lrsquointerpreacutetation drsquoautre part lrsquoeacuteconomie des moyens mis en œuvre113

Beacuteguelin (1997a) se propose de compleacuteter les principes deacutegageacutes par Berrendonner (1990a) en

examinant le choix de certaines expressions reacutefeacuterentielles au deacutetriment drsquoautres marqueurs

possibles Elle relegraveve drsquoabord une strateacutegie consistant agrave proscrire les reacutepeacutetitions lexicales (O3)

pour eacuteviter certains effets de monotonie ou de saturation perceptive Une autre conduite

113

Le second principe est drsquoailleurs souvent neacutegligeacute par les chercheurs qui srsquoefforcent de deacuteterminer

exclusivement les conditions drsquointerpreacutetation des expressions reacutefeacuterentielles dans la seule perspective de

lrsquoallocutaire Nous nous efforccedilons drsquoaccorder une place tout aussi importante dans ce travail aux circonstances

de production des pointeurs

108

locutoire est celle qui vise agrave optimiser la mise agrave jour de M en surdeacuteterminant une expression

reacutefeacuterentielle par des informations encore ineacutedites (O4) Ainsi lrsquoexemple ci-dessous manifeste

ces deux objectifs au deacutetriment du principe de coopeacuteration (O2) qui reacuteclamerait lrsquousage de

pointeurs morphologiquement congruents

(115) On y trouve [ie dans mon sac] aussi bien des oursons broche ou barrette un requin ndash

mon mari qui est pourtant lrsquohomme le plus doux de la terre en raffole et les

collectionne ndash que des yeux de lion ou de chat en verre que jrsquoachegravete chez Deyrolle le

ceacutelegravebre empailleur de la rue du Bac (presselt Beacuteguelin 1997a 107)

Dans cet exemple lrsquoemploi pronominal laquo discordant raquo au pluriel les permet agrave la fois drsquoeacuteviter

une reacutepeacutetition lexicale (requin) susceptible drsquoecirctre stylistiquement sanctionneacutee et

drsquoimpleacutementer implicitement dans M la classe en tant qursquoobjet ineacutedit agrave laquelle lrsquoindividu

reacutecemment activeacute (lsquoun requinrsquo) appartient

Enfin Beacuteguelin repegravere la manifestation drsquoun comportement locutoire (O5) tendant au

laquo respect des regravegles de bienseacuteance et de sauvegarde de la face raquo (p 104) qursquoelle illustre par

lrsquoexemple suivant

(116) En reacuteponse laquo lui raquo et surtout laquo elle raquo (comme on dit en Roumanie pour eacuteviter de

prononcer les noms du dictateur et de sa femme)hellip (presse lt ibid108)

Lrsquousage des pronoms minimalement informatifs (donc contra O2) est explicitement justifieacute

par la parenthegravese comme strateacutegie de cryptage et drsquoeacutevitement par peur honte souvenir

deacutesagreacuteable ou encore pudeur associeacutes agrave lrsquoeacutevocation des individus dont il convient degraves lors

drsquoinfeacuterer lrsquoidentiteacute

Lrsquoobservation de donneacutees authentiques met ainsi en lumiegravere une gamme drsquoobjectifs

communicationnels avec lesquels jonglent les locuteurs en fonction de leurs besoins dans une

interaction donneacutee Les emplois reacutepondent donc agrave des strateacutegies plus diversifieacutees que

lrsquooptimisation du deacutecodage ou le maintien de la veacuteriteacute Le reacutesultat est clairement lrsquoœuvre drsquoun

compromis de la part du locuteur certains objectifs prenant momentaneacutement le dessus sur

drsquoautres Bien des cas reacuteputeacutes non standard (car enfreignant O1) srsquoexpliquent par cette gestion

des strateacutegies mises en place par les locuteurs

109

7 Conclusion

Lrsquoobjectif de ce chapitre eacutetait drsquoexposer la maniegravere dont sont traiteacutees quelques questions

centrales en matiegravere de reacutefeacuterence en linguistique afin drsquoen dresser un bilan critique Nous

avons ainsi mis en eacutevidence lrsquoheacuteritage logico-philosophique de la seacutemantique telle qursquoelle est

aujourdrsquohui largement pratiqueacutee mais aussi la preacutegnance drsquoautres modegraveles dans le vaste

domaine drsquoeacutetude des expressions reacutefeacuterentielles En les mettant agrave lrsquoeacutepreuve des faits

linguistiques que lrsquoon rencontre au quotidien nous avons degraves lors pu constater leurs limites agrave

plusieurs eacutegards

A lrsquoheure ougrave lrsquoaccegraves aux bases de donneacutees attesteacutees orales ou eacutecrites est consideacuterablement

faciliteacute ces modegraveles pourraient tirer profit de la multitude drsquoobservables deacutesormais agrave

disposition Ils pourraient beacuteneacuteficier drsquoajustements fondamentaux un peu agrave la maniegravere dont la

syntaxe du franccedilais a eacuteteacute renouveleacutee agrave lrsquoappui des ressources disponibles ndash notamment les

donneacutees orales ndash depuis plusieurs deacutecennies (cf les modegraveles du GARS et du Groupe de

Fribourg)

Partageant les hypothegraveses fondamentales du modegravele du discours fribourgeois nous proposons

ainsi drsquoexaminer ce que les faits sans preacutejuger de leur conformiteacute agrave une norme preacuteeacutetablie

reacutevegravelent sur le fonctionnement geacuteneacuteral de la reacutefeacuterence Nous nous deacutemarquons ainsi

drsquoapproches qui tendent agrave promouvoir ce qui devrait ecirctre en favorisant ce qui est

effectivement attesteacute Par lagrave nous entendons les faits dans leur diversiteacute qursquoils soient

freacutequents ou plus laquo insolites raquo

En inscrivant notre eacutetude dans le cadre fribourgeois nous pouvons en outre avantageusement

rendre compte du fait que les objets dont parlent les locuteurs ne sont pas des realia mais des

constructions discursives doteacutees drsquoune certaine malleacuteabiliteacute A travers les notions drsquoobjets-de-

discours et de meacutemoire discursive le modegravele met en avant la nature fondamentalement

cognitive eacutevolutive et construite des repreacutesentations communes des interlocuteurs Dans ce

cadre les opeacuterations reacutefeacuterentielles que ces derniers exeacutecutent permettent de tenir compte de

facteurs praxeacuteologiques aussi bien que de paramegravetres lieacutes aux aleacuteas de lrsquointeraction

110

111

Chapitre II

Fonctionnement de lrsquoanaphore pronominale

112

113

1 Introduction

Dans le premier chapitre nous avons dresseacute une synthegravese critique des notions en vigueur dans

les theacuteories de la reacutefeacuterence et des expressions reacutefeacuterentielles et en avons souleveacute quelques

inconveacutenients Ensuite nous avons formuleacute les avantages drsquoune approche constructiviste du

discours et avons preacutesenteacute dans le deacutetail le modegravele qui sert de cadre agrave la preacutesente eacutetude Nous

passons agrave preacutesent agrave un point consideacutereacute comme central dans lrsquoeacutetude des proceacutedeacutes de reacutefeacuterence

agrave savoir le fonctionnement du pronom de 3e personne largement preacutesenteacute comme un

prototype en matiegravere de maintien de la reacutefeacuterence Cela nous permettra drsquoexaminer de plus pregraves

la notion drsquoanaphore deacutejagrave esquisseacutee supra (sect51) et de poser les bases de la reacuteflexion sur le

pronom de 3e personne en vue de lrsquoeacutetude empirique meneacutee au chapitre V sur lrsquoemploi de la

forme pluriel ils agrave valeur reacutefeacuterentielle sous-deacutetermineacutee

En effet le pronom personnel clitique (ou conjoint) de 3e personne il est consideacutereacute partout

comme le modegravele de lrsquoanaphore dont la reacutesolution reacutefeacuterentielle opegravere de maniegravere quasi-

automatique Crsquoest laquo lrsquoexpression anaphorique par excellence raquo (Kleiber 1990a 26)

deacutepourvu de tecircte lexicale il indiquerait la continuiteacute par deacutefaut Avant drsquoeacutevaluer ce point de

vue nous proposons de commencer par un rappel des proprieacuteteacutes morpho-syntaxiques du

pronom clitique de 3e personne (sect2) Seront ensuite preacutesenteacutees les principales conceptions de

lrsquoanaphore pronominale de ces derniegraveres deacutecennies drsquoabord les approches laquo anteacuteceacutedentistes raquo

(sect31 sect32) puis lrsquoapproche cognitive (sect33) agrave propos desquelles nous soulegraveverons les

problegravemes en suspens (sect34) Enfin nous aborderons le cas de lrsquoanaphore pronominale

indirecte (ou associative) (sect0) qui se montre reacutefractaire aux modegraveles dominants et qui ouvre

des pistes inteacuteressantes pour lrsquoanalyse des expressions reacutefeacuterentielles en geacuteneacuteral

114

115

2 Proprieacuteteacutes morphologiques et seacutemantiques du pronom clitique de 3e personne

Le pronom il et ses variantes allomorphiques appartiennent agrave la cateacutegorie des pronoms

conjoints (ou clitiques) du franccedilais ainsi appeleacutes parce qursquoils figurent toujours dans

lrsquoenvironnement immeacutediat drsquoun verbe (seule la neacutegation ne ou un autre pronom clitique

peuvent les en seacuteparer) et forment avec lui une mecircme uniteacute prosodique Ils diffegraverent en cela

des pronoms disjoints (cf supra sect 44) qui par leur caractegravere phonologique accentueacute (on les

appelle aussi toniques) peuvent constituer une eacutenonciation agrave eux seuls par exemple en

reacuteponse agrave une question (117) figurer en tant que sujet drsquoune cliveacutee ou encore ecirctre

disloqueacutes (118)

(117) La grandre precirctresse Qui va mrsquoescalader cette colline nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Les Amazones Moi moi (Gracq J Pentheacutesileacutee 1954 lt Frantext)

(118) Crsquoest vraiment lui qui mrsquoa initieacute agrave la musique jrsquoai envie de dire parce que crsquoest crsquoest

lui qui a commenceacute euh | _ | agrave faire du tambour deacutejagrave lui agrave la il avait il avait dix ans je

crois | quand il a commenceacute le tambour la percussion (ofrom)

Si les deux types de pronoms repreacutesentent des arguments du verbe seuls les pronoms disjoints

sont admis dans des positions typiques de SN Comme ils partagent la distribution des SN et

qursquoils commutent avec ceux-ci les pronoms personnels disjoints de la seacuterie Moi Toi Lui

Elle Nous Vous Elles Eux114

on peut les consideacuterer comme des Pro-SN115

(plutocirct que

comme des pronoms) au cocircteacute notamment des pronoms possessifs le mien le tien etc ou des

deacutemonstratifs celui-ci-lagrave cela De leur cocircteacute les clitiques personnels je tu il elle on nous

vous ils elles en deacutepit de lrsquoeacutetymologie du terme pronom ne constituent pas des substituts

syntaxiques (ni drsquoailleurs seacutemantiques voir infra sect3) de N ou de SN malgreacute lrsquoeacutetiquette qursquoon

leur attribue reacuteguliegraverement dans les grammaires scolaires ou dans certains courants

geacuteneacuterativistes (entre autres De Cat 2007 Laezlinger 2003 Rizzi 1986a)116

Du point de vue morphologique certaines formes se deacuteclinent selon leur fonction syntaxique

les clitiques ilelleilselles en position de sujet deviennent lelales en position drsquoobjet direct

luiluileur en position drsquoobjet indirect et en ou y aux reacutegimes obliques Outre leur capaciteacute agrave

marquer la personne verbale (1e 2

e 3

e 4

ehellip) le genre et le nombre les clitiques manifestent

ainsi une deacuteclinaison casuelle ainsi que le montre le tableau ci-dessous

114

La majuscule indique ici le caractegravere accentueacute des Pro-SN permettant le cas eacutecheacuteant de les diffeacuterencier des

clitiques 115

La notion de pro-forme sous-jacente est ici emprunteacutee agrave lrsquoApproche pronominale (Blanche-Benveniste et al

1984 1990) ougrave elle recouvre le concept de proportionnaliteacute syntaxique faisant ressortir un paradigme de formes

et partant un ensemble de contraintes de rection Le terme recouvre donc exclusivement une classe

distributionnelle et non un proceacutedeacute de deacutependance agrave une forme dans le contexte linguistique Pour une critique

de la notion de pro-forme comme substitut drsquoun segment mentionneacute voir Cornish amp Salazar Orvig (2016) Voir

infra (sect31) pour une mise au point agrave ce sujet 116

Pour un bilan de la controverse sur le statut des pronoms sujets voir Zumwald Kuumlster (2014)

116

Tableau 1 Flexion des pronoms personnels conjoints en franccedilais

Rang Nombre Sujet Reacutegime

accusatif

Reacutegime

datif

Reacutegime

locatif

Reacutegime

ablatif

1

Singulier

je me

2 tu te

3 il elle ce ccedila le la lui y en

Non marqueacute

on

4 nous

5 vous

6 Pluriel ils elles les leur

On voit que la plupart des personnes ont des deacuteclinaisons deacutefectives ou neutralisent tantocirct le

paramegravetre du genre (eg lui leur) tantocirct celui du nombre (on nous vous) Il est agrave noter que

ccedila clitique est agrave distinguer drsquoun Ccedila tonique (Creissels 1995 30) Le premier ne fonctionne

qursquoen position sujet et commute avec ce devant le verbe ecirctre tandis que le second commute

avec cela notamment en position de compleacutement (manger ccedila avec ccedila pour ccedila etc) ou en

position deacutetacheacutee (Ccedila crsquoest pas juste) Les clitiques ce et ccedila partagent avec on une deacuteclinaison

largement deacutefective

Le comportement morphologique et syntaxique des clitiques a depuis plusieurs deacutecennies

conduit certains chercheurs agrave les traiter comme des affixes verbaux (eg Strozer 1976 Rivas

1977 Jaeggli 1982 Miller 1992 Auger 1995 Roberge 1995 Miller amp Monachesi 2003

Culbertson 2010 Berrendonner 1993 2008 Zumwald Kuumlster 2014) servant agrave marquer les

diffeacuterents arguments syntaxiques du verbe En outre parmi les clitiques le fonctionnement

des laquo sujets raquo se distingue de celui des reacutegimes comme les suffixes verbaux des langues agrave

laquo sujet nul raquo les clitiques sujets du franccedilais ont pour caracteacuteristique de marquer lrsquoaccord du

verbe avec le sujet (Darmesteter 1877) Degraves lors de nombreux linguistes ont suggeacutereacute qursquoils

eacutetaient en fait (ou en passe de devenir) des preacutefixes verbaux marqueurs drsquoaccord (Auger 1995

Berrendonner 2008) Par ailleurs certains eacutetendent ce traitement aux clitiques objets (eg

Berrendonner 2008) tandis que drsquoautres mettent en eacutevidence les diffeacuterences de statuts entre

clitiques sujets et clitiques objets (eg Auger 1995) En tout cas lrsquohypothegravese du statut affixal

des clitiques laquo sujets raquo repreacutesente un parti-pris audacieux au vu des theacuteories dominantes car

elle remet en cause la pertinence du ceacutelegravebre pro-drop parameter117

obligeant agrave laquo recateacutegoriser

le franccedilais comme langue agrave sujet nul raquo (Berrendonner 2000 30)

Quoi qursquoil en soit nous laissons aux syntacticiens la tacircche de tirer les conseacutequences

theacuteoriques du comportement et de la distribution des clitiques du franccedilais et nous nous

concentrons agrave preacutesent sur chacun des traits morphologiques veacutehiculeacutes par les clitiques de 3e

personne

117

Crsquoest-agrave-dire le critegravere qui caracteacuterise les langues pouvant se passer drsquoun pronom sujet reacutealiseacute (Chomsky

1981)

117

21 La personne

Les pronoms se deacuteclinent en personne afin de marquer les rapports entre les actants impliqueacutes

dans le procegraves exprimeacute par le verbe Dans un eacutetat de langue ancien les personnes eacutetaient

marqueacutees par les deacutesinences verbales et le verbe repreacutesentait un laquo preacutedicat-sujet raquo (Moignet

1981 91) En franccedilais contemporain au contraire la personne srsquoexprime en grande partie

laquo en dehors raquo du verbe au moyen du pronom sujet conjoint sauf pour quelques verbes

freacutequents ougrave la morphologie est particuliegraverement discriminante quant agrave la personne (avoir

ecirctre aller etc) la deacutesinence verbale se montre de nos jours peu discriminante en particulier

agrave lrsquooral pour les trois premiegraveres personnes118

Crsquoest agrave ce titre que les pronoms conjoints

peuvent ecirctre perccedilus comme une forme drsquoaccord avec le verbe marquant avec la deacutesinence

verbale une concordance quant agrave la personne (cf ci-dessus)

Drsquoapregraves une conception heacuteriteacutee de la grammaire grecque on reconnaicirct geacuteneacuteralement trois

personnes une seacuterie au singulier et une au pluriel Parmi celles-ci Benveniste (1966 228-

230) traite je (celui qui parle) et tu (celui agrave qui je srsquoadresse) ensemble fonctionnant de

maniegravere reacuteflexive par rapport agrave lrsquoeacutenonciation ie renvoyant toujours aux mecircmes instances

eacutenonciatives (crsquoest leur laquo uniciteacute speacutecifique raquo p 230) respectivement au locuteur et agrave

lrsquointerlocuteur119

(cf supra ChI sect44) Il oppose agrave ces deux premiegraveres la laquo 3e personne raquo il

totalement exteacuterieure agrave la relation instaureacutee entre je et tu Moignet (1981 92) parle agrave cet

eacutegard du laquo deacutelocuteacute raquo personne laquo absente du systegraveme de lrsquointerlocution raquo Sa reacutefeacuterence se

montre pour sa part variable et deacutepourvue drsquoun trait drsquoanimation Crsquoest pour cette raison que

Benveniste remet en question son statut de personne laquo la 3e personne nrsquoest pas une

personne crsquoest mecircme la forme verbale qui a pour fonction drsquoexprimer la non-personne raquo

(1966 228) Crsquoest drsquoailleurs rappelle-t-il agrave celle-ci que lrsquoon recourt dans les tournures dites

impersonnelles

On deacutejagrave a vu supra aussi (ChI sect44) que Benveniste ne considegravere pas la seacuterie des personnes

dites laquo plurielles raquo comme une simple pluralisation des personnes du singulier En effet nous

ne consiste pas en une multiplication de je mais en laquo une jonction entre je et le non-je

quel que soit le contenu de ce non-je raquo (1966 233) La personne nous repreacutesente en

quelque sorte un laquo je dilateacute au-delagrave de la personne stricte agrave la fois accru et de contours

vagues raquo (p 235) Cela explique les emplois de nous de majesteacute ougrave je est amplifieacute rendu plus

solennel ou les emplois de modestie ougrave je srsquoestompe dans une expression plus laquo diffuse raquo De

mecircme vous exprime un tu amplifieacute par un ensemble indistinct de personnes ou par

meacutetaphore utiliseacute comme une forme de politesse En ce qui concerne le pluriel de la non-

personne ils Benveniste lui reconnaicirct deux interpreacutetations un pluriel laquo reacutegulier raquo donc

multiplicateur mais eacutegalement un fonctionnement diffus ougrave il laquo exprime la geacuteneacuteraliteacute

118

Par exemple les verbes du 1er

groupe (infinitif ndasher sauf aller) preacutesentent la mecircme forme acoustique pour 4

personnes sur 6 au preacutesent de lrsquoindicatif 119

Benveniste (1966) nuance toutefois cette conception qui correspond agrave lrsquoemploi ordinaire La 2e personne tu

(notamment dans ses emplois geacuteneacuteriques) se deacutefinit plutocirct comme laquo la personne non-je raquo ou laquo la personne non-

subjective raquo (p 232)

118

indeacutecise du on (type dicunt they say) raquo laquo Crsquoest la non-personne mecircme qui eacutetendue et

illimiteacutee par son expression exprime lrsquoensemble indeacutefini des ecirctres non-personnels raquo (ibid

235) Pour toutes ces raisons on se gardera de consideacuterer vous nous et ils comme de simples

correspondants pluriels des trois premiegraveres personnes il paraicirct degraves lors plus sage de leur

reacuteserver une position ordinale particuliegravere sous le nom de 4e 5

e et 6

e personnes

22 Le cas

Le marquage casuel des pronoms conjoints reflegravete la structure argumentale du verbe chaque

verbe impose agrave son environnement des configurations syntaxiques particuliegraveres Tesniegravere

(1959) parle de valence drsquoun verbe pour deacutesigner les diffeacuterents arguments qursquoil admet On

postule geacuteneacuteralement une correacutelation entre fonctions syntaxiques et rocircles seacutemantiques

(Tesniegravere 1959 Fillmore 1968 Jackendoff 1990) Ainsi agrave chaque argument syntaxique

correspondraient certains rocircles seacutemantiques lrsquoensemble de la structure argumentale refleacutetant

un scheacutema actanciel ou laquo petit drame raquo (Tesniegravere 1959)

(119) Il la lui a precircteacutee (Charolles 2002 190)

Les diffeacuterents arguments en (119) agrave savoir les clitiques sujet objet direct et objet indirect

expriment les rocircles respectifs drsquoagent (celui qui fait lrsquoaction agrave savoir le prime actant dans la

terminologie de Tesniegravere) de patient ou objet (actant qui supporte le procegraves ou second

actant) et de beacuteneacuteficiaire (celui au beacuteneacuteficedeacutetriment duquel se fait lrsquoaction ou tiers actant)

La liste des rocircles seacutemantiques varie drsquoune langue agrave lrsquoautre mais eacutegalement au sein drsquoune

mecircme langue et en fonction des cadres drsquoanalyse On peut par exemple eacutetablir un inventaire

tregraves deacutetailleacute des rocircles actantiels en affinant le plus possible les cateacutegories ou agrave lrsquoinverse

preacutetendre agrave un grand degreacute de geacuteneacuteraliteacute en ne notant que des oppositions minimales Du fait

qursquoelles reposent sur des critegraveres intuitifs de telles typologies ne peuvent donc pas eacutechapper agrave

une part drsquoarbitraire comme le relegravevent Riegel et al (2009 237)

A un mecircme argument syntaxique peuvent correspondre plusieurs rocircles seacutemantiques ce qui se

voit en franccedilais notamment agrave travers le cas des diathegraveses dans les constructions passives par

deacutefinition lrsquoargument sujet se voit doteacute drsquoun rocircle de patient par opposition agrave sa version active

ougrave le sujet repreacutesente un agent (eg le gacircteausujpatient a eacuteteacute mangeacute par les enfantscomplagent)

Quant aux constructions avec il dit impersonnel elles expriment des verbes sans agent (il

pleut) Sans mecircme envisager les diathegraveses la structure actantielle est lieacutee aux constructions

potentielles drsquoun lexegraveme verbal donneacute

(120) le jardinier a reccedilu un coup dans la figure (Lazard 1995 153)

Le SN le jardinier en position sujet deacutenote ici conformeacutement aux traits de seacutelection

manifesteacutes par le verbe recevoir un beacuteneacuteficiaire Lrsquointerpreacutetation de la structure actantielle

drsquoun eacutenonceacute est donc drsquoabord eacutetroitement lieacutee au sens lexical drsquoun verbe donneacute Cette

conception est sous-jacente agrave la notion de coercition (cf supra ChI sect32) pour rappel une

119

situation drsquoaccommodation ou de forccedilage de nature seacutemantique sur un eacuteleacutement dont les

proprieacuteteacutes sont en contradiction avec les traits seacutelectionnels drsquoun autre terme (voir par ex

Lauwers amp Willems 2011) Soit lrsquoexemple suivant (ou sa traduction en franccedilais)

(121) I began a book (ibid 1219) = Jrsquoai commenceacute un livre

Le verbe commencer seacutelectionne pour son reacutegime un objet de type lsquoprocegravesrsquo alors que le SN

lexical un livre deacutenote en principe un simple ouvrage eacutecrit La contradiction seacutemantique se

reacutesout ainsi par la reacuteinterpreacutetation du SN un livre comme un procegraves en lrsquooccurrence lrsquoactiviteacute

de lecture ou de reacutedaction drsquoun livre (ibid) Ce sont les traits seacutelectionnels du verbe

commencer qui imposent une telle interpreacutetation sur lrsquoargument objet On voit donc qursquoun

scheacutema actantiel deacutepend clairement drsquoun lexegraveme verbal donneacute

Degraves lors il vaut mieux eacuteviter de geacuteneacuteraliser une forme de correspondance entre arguments

syntaxiques et actants seacutemantiques indeacutependamment de la prise en compte drsquoun lexegraveme verbal

particulier On ne dira donc pas que la deacuteclinaison casuelle des pronoms code des rocircles

seacutemantiques mais plutocirct qursquoelle reflegravete la structure argumentale propre agrave un verbe donneacute ndash ou

mieux agrave lrsquoun de ses usages conventionnels La structure actantielle pour sa part reste lieacutee au

sens lexical du verbe en question (notamment agrave ses traits seacutelectionnels)

23 Le nombre

La plupart des clitiques du franccedilais sont en outre variables en genre et en nombre La variation

en nombre se manifeste en franccedilais agrave travers lrsquoopposition morphologique singulierpluriel

Selon la conception courante cette variabiliteacute reflegravete un trait de comptabiliteacute (Lauwers 2014

117) on associe agrave la marque du lsquosingulierrsquo un trait drsquouniciteacute tandis qursquoon dote le lsquoplurielrsquo

drsquoun trait de multipliciteacute (Corbett 2000 4) Dans le cas des noms Guillet (1978 2) rapporte

ainsi que laquo tout substantif N est donc a priori susceptible drsquoecirctre employeacute au singulier et au

pluriel avec les interpreacutetations respectives un seul N et plusieurs N raquo Le nombre serait

seacutelectionneacute selon que le locuteur projette de reacutefeacuterer agrave un ou une somme drsquoindividus dans son

discours Crsquoest ce qui fait dire agrave Cornish (1999 131) qursquoil est agrave interpreacuteter comme un indice

extensionnel par opposition au genre (voir infra sect24)

Or la question du nombre et de ses implications seacutemantico-reacutefeacuterentielles srsquoavegravere bien plus

complexe On a vu ci-dessus (sect21) avec Benveniste (1966) que pour les pronoms de 1egravere

et de

2e personnes les formes dites du laquo pluriel raquo srsquoexpliquent mal en termes de multipliciteacute au vu

des emplois de modestie de majesteacute ou de politesse Le pluriel est agrave envisager dans ce cas

comme laquo une personne amplifieacutee et diffuse raquo et comme un laquo facteur drsquoillimitation non de

multiplication raquo (ibid 235) Benveniste reconnaicirct eacutegalement la possibiliteacute drsquoune lecture

laquo amplifieacutee raquo du pluriel de la laquo non-personne raquo agrave savoir ils dont il rapproche lrsquointerpreacutetation

de celui du on Celui-ci se reacutevegravele drsquoailleurs particuliegraverement polyseacutemique apte agrave repreacutesenter

aussi bien un individu indeacutetermineacute qursquoun ensemble de personnes incluant ou non le locuteur

(cf infra ChV sect342)

120

Drsquoautre part on peut relever que certaines langues ne se limitent pas agrave un systegraveme du nombre

binaire mais integravegrent davantage de membres de lrsquoopposition agrave travers les nombres duel triel

quatriel (voire encore paucal pour certaines langues exotiques cf Corbett 2000) Ces

cateacutegories manifesteraient selon Guillaume (1964 1985) une forme de pluraliteacute interne

La pluraliteacute interne est celle qui sous une uniteacute enveloppante saisit un pluriel contenu plus ou moins apparent Le duel des langues anciennes est un vestige de la pluraliteacute interne Il consiste agrave saisir laquo deux raquo sous un seul regard unique De lagrave sa convenance avec les choses formant naturellement paire (Guillaume 1985 103)

Le pluriel interne srsquooppose ainsi au pluriel externe le seul dont on rend geacuteneacuteralement compte

qui pluralise par addition ou multiplication drsquouniteacutes Guillaume scheacutematise les concepts de

pluraliteacute interne vs pluraliteacute externe de la maniegravere suivante

Figure 6 Pluraliteacute interne drsquoapregraves Curat (1988)

Figure 7 Pluraliteacute externe drsquoapregraves Curat (1988)

La figure 7 illustre donc le mouvement de la laquo pluraliteacute arithmeacutetique raquo tandis que la figure 6

montre un mouvement de regroupement solidaire laquo qui aboutit agrave lrsquouniteacute raquo (ibid)

On peut eacutegalement voir la trace drsquoune pluraliteacute interne dans le cas de formations de collectifs

au neutre pluriel du grec ancien ou du latin par exemple agrave travers la fameuse laquo regravegle raquo Τὰ ζῷα

τρέχει120

selon laquelle de surcroicirct le verbe srsquoaccorde au singulier (Colombat 1993 30) Ce

type drsquoemploi ne serait pas voueacute agrave livrer laquo lrsquoimage drsquoune seacuterie additive mais plutocirct celle

drsquoune collection drsquoougrave le verbe au singulier lorsque le sujet de celui-ci apparaicirct srsquoidentifier agrave

120

Tagrave zỗia treacutekhei = les animaux courent Le verbe τρέχει est conjugueacute agrave la 3e personne du singulier et le sujet

Τὰ ζῷα est au neutre pluriel

121

une telle collection raquo (De Carvalho 1993 99) On associe ainsi geacuteneacuteralement la pluraliteacute

interne agrave une interpreacutetation dite collective et la pluraliteacute externe agrave une interpreacutetation appeleacutee

distributive Une interpreacutetation se reacutevegravele collective si un preacutedicat srsquoapplique agrave un ensemble

plutocirct qursquoagrave ses membres pris seacutepareacutement Elle apparaicirct au contraire distributive si une

proprieacuteteacute est attribueacutee agrave chacun des individus (Mari 2006)

(122) Les Suisses qui ont marqueacute lrsquoanneacutee 2014 sont nombreux (titre drsquoun article de presse

httpwwwillustrechpeopleNationalfil-de-linfo 24122014)

(123) Beaucoup de volontaires sont jeunes autour des 18thinspans (httpwwwlematinch

19092014)

Dans (122) le preacutedicat lsquoecirctre nombreuxrsquo ne peut srsquoappliquer qursquoagrave lrsquoensemble et non agrave chacun

des individus tandis qursquoen (123) le preacutedicat lsquojeunersquo par ailleurs speacutecifieacute apregraves coup (lsquoavoir

environ 18 ansrsquo) srsquoapplique agrave chaque individu et non au groupe lui-mecircme Neacuteanmoins les

contextes sont loin drsquoecirctre tous deacutesambiguiumlsants

(124) Suisse les politiciens chantent pour Noeumll (httpwwwrtschplaytv19h30video

25122014)

Dans ce cas-lagrave rien dans le titre ne permet de trancher entre une interpreacutetation collective (le

chœur ainsi constitueacute) ou une interpreacutetation distributive (chacun des politiciens a chanteacute lrsquoun

apregraves lrsquoautre) mecircme si veacuterification audio-visuelle faite crsquoest la seconde lecture que le

journaliste avait manifestement agrave lrsquoesprit

Le trait collectif ou de pluraliteacute interne peut aussi se manifester lexicalement En franccedilais

comme dans drsquoautres langues certains noms ont la particulariteacute de srsquoemployer presque

exclusivement au pluriel121

Pour cette raison on les appelle pluralia tantum ou pluriels

lexicaux (Lauwers 2014 Lammert 2015 Wierzbicka 1988 Wisniewski 2009) Selon certains

auteurs (Jespersen 1924 Furukawa 1977 citeacutes par Lauwers 2014) le pluriel repreacutesente dans

ces cas-lagrave paradoxalement la marque du non-nombre ce qui se traduit par la non-

deacutenombrabiliteacute des noms en question

En fait Lauwers (2014) remarque que les pluriels lexicaux ne manifestent pas tous le mecircme

degreacute de non-deacutenombrabiliteacute Il propose ainsi une typologie de ces N122

sur la base de leur

apparition respective dans un corpus drsquoeacutecrits du web avec des deacuteterminants de quantification

(les numeacuteraux cardinaux plusieurs divers diffeacuterents) et de jugements drsquoacceptabiliteacute avec

des expressions de reacuteciprociteacute (lrsquoun apregraves lrsquoautre les uns apregraves les autres) et des adjectifs

laquo deacutelimitatifs raquo ou laquo stubbornly distributive raquo (Schwarzschild 2011 citeacute par Lauwers 2014)

comme grand petit long Lauwers relegraveve ainsi du cocircteacute du minimalement deacutenombrable les N

121

Ou alors la variation en nombre ne correspond pas agrave lrsquoopposition entre uniteacute et somme drsquouniteacutes cf lunette vs

lunettes ciseau vs ciseaux etc 122

La seacutelection des N est baseacutee sur les N reacuteguliegraverement eacutevoqueacutes dans les eacutetudes anteacuterieures et sur les indices de

freacutequence opposant la forme au sing et au pl de la base Lexique de B New

(httpwwwlexiqueorgdocLexiquephp) (ibid 120)

122

lexicaux appeleacutes laquo compacts raquo (p 121) qui se montrent les plus reacutefractaires agrave la

deacutenombrabiliteacute Il srsquoagit de noms tels que oreillons alentours qui apparaissent

systeacutematiquement avec des deacuteterminants deacutefinis et dont le contenu seacutemantique se preacutesente

comme opaque ou compact Ensuite lrsquoauteur distingue les pluriels laquo denses raquo (p 122) comme

arrhes eacutepinards loisirs mœurs etc qui admettent la laquo quantification impreacutecise raquo avec des ou

quelques mais pas la quantification discregravete avec plusieurs diffeacuterents ou des numeacuteraux Ces N

repreacutesentent des entiteacutes seacutemantiquement homogegravenes Ils se deacutemarquent en cela de la cateacutegorie

des pluriels laquo agreacutegatifs raquo (p 123) tels que vivres viscegraveres frais donneacutees excreacutements

deacutechets etc qui apparaissent plus reacuteguliegraverement avec des deacuteterminants individuants

(plusieurs divers diffeacuterents et les numeacuteraux) et qui manifestent un plus grand degreacute

drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute seacutemantique entre les individus123

bien que conservant un trait [+collectif]

Lauwers mentionne pour finir une cateacutegorie agrave part celle des laquo pluriels internes transposeacutes raquo

(p 127) qui se laissent volontiers deacutenombrer par les marqueurs ci-dessus Crsquoest le cas de

toilettes archives pourparlers repreacutesailles etc Cependant le deacutenombrement opegravere au

niveau externe il intervient donc exclusivement au niveau du tout et non de ses membres

(laquo deux toilettes raquo laquo trois archives raquo laquo plusieurs pourparlers raquo p 127-128) Les eacuteleacutements qui

composent le tout demeurent ainsi inaccessibles agrave toute saisie quantifieacutee

On peut mettre les pluralia tantum en perspective avec les noms dits collectifs124

qui tout en

eacutetant au singulier deacutesignent un ensemble drsquoindividus dont les proprieacuteteacutes communes peuvent

ecirctre plus ou moins lacircches (Lecolle 2013) Ainsi en va-t-il des noms comme foule

constellation public bouquet peuple etc La laquo pluraliteacute interne raquo de ces N est

particuliegraverement visible agrave travers lrsquoapparition drsquoaccords dits laquo ad sensum raquo eacutetudieacutes par

Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin (1995)

(125) Le jeune couple tregraves eacutetonneacute remercia Mathias et lui dirent au revoir (copie drsquoeacutelegraveve

lt ibid 37)

Selon Lammert (2010 91) ce genre drsquoaccord entre un sujet collectif singulier et un verbe au

pluriel est freacutequent en ancien franccedilais mais disparaicirct peu agrave peu par la suite Elle rapporte un

exemple de Pascal en franccedilais classique

(126) Et ainsi ce peuple deacuteccedilu par lrsquoavegravenement ignominieux et pauvre du Messie ont eacuteteacute ses

plus cruels ennemis (Pascal Les Penseacutees lt Lammert 2010 91)

Neacuteanmoins Lammert juge cet accord impossible en franccedilais moderne Lrsquoattestation

drsquoexemples comme (125) de Berrendonner amp Beacuteguelin (1995) met donc agrave mal cette

preacutediction Drsquoun point de vue normatif drsquoaucuns soutiendront que ces donneacutees proviennent

de scripteurs malhabiles Cependant des donneacutees drsquoautres genres attestent la persistance de ce

type drsquoaccord au pluriel en franccedilais contemporain

123

Lauwers (2014) distingue en fait trois sous-classes manifestant des degreacutes drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute reacutefeacuterentielle

variables 124

Voir Lammert (2015) pour un examen de leurs diffeacuterences seacutemantiques

123

(127) bon apregraves y a des y a des affiniteacutes qui se font machin | _ | mais apregraves crsquoest crsquoest crsquoest

un groupe qui sont tout le temps tout le temps tout le temps tout le temps ensemble y a

pas des deacutechappatoire (ofrom)

(128) Jean Dujardin et Alexandra Lamy forment le couple qui font le plus recircver les Franccedilais

(web leacutegende drsquoune photo du couple httpwwwohmymagcom)

Lorsqursquoun tel pheacutenomegravene apparaicirct chez un eacutecrivain il reccediloit le statut de figure de style en

lrsquooccurrence de syllepse du nombre Ainsi en va-t-il de lrsquoexemple suivant drsquoAragon citeacute dans

le Bon usage

(129) Ce couple tenait peu de place dans leur coin (Aragon citeacute par Grevisse amp Goosse lt

Berrendonner amp Beacuteguelin 1995 24)

A noter qursquoavec le deacuteterminant possessif lrsquoaccord au pluriel dans des eacutecrits laquo surveilleacutes raquo

semble mieux toleacutereacute par la norme

(130) Le groupe Cartier espegravere donc que leurs collegravegues et concurrents reviendront sur leur

deacutecision lrsquoan prochain (presse [Reichler-]Beacuteguelin 1993a)

(131) Il va sans dire que la controverse a fait rage au sein dune bonne partie de la population

norveacutegienne lorsque le couple princier annonccedila en deacutecembre dernier leur intention de

se marier (presse Belga 23082001)

Berrendonner amp Beacuteguelin deacutecrivent le proceacutedeacute agrave lrsquoœuvre comme lrsquoassimilation drsquoun tout agrave la

classe de ses membres (ibid 39) qui repreacutesente une dualiteacute (cf supra ChI sect33) pour

rappel un type drsquoobjet agrave geacuteomeacutetrie variable appreacutehendable de deux points de vue diffeacuterents

ici au format drsquoindividu collectif et de classe

Quant agrave lrsquoanaphore collectif-classe via lrsquoindice de 6e personne elle est en geacuteneacuteral reacutepertorieacutee

par les linguistes pour certains selon des conditions strictes (cf infra sect411)

(132) y avait une soir un soir euh | _ | jeu de nuit donc cest un groupe qui a ducirc organiser des

un jeu de nuit dans la forecirct | _ | qui faisait assez peur dailleurs mais conduit | _ | hein |

_ | ben conduit organiseacute alors ils ont ducirc | _ | organiser donc des jeux de nuit (ofrom)

En somme au vu des diffeacuterentes situations preacutesenteacutees dans cette section (indices personnels

pluriels lexicaux N collectifs) la question du nombre en franccedilais ne peut se reacutesumer agrave une

simple opposition entre uniteacute et somme drsquouniteacutes La deacutefinition traditionnelle de lrsquoopposition

en nombre neacutecessite une reacuteelle remise en question Parmi les pistes inteacuteressantes qursquoon peut

eacutevoquer Lauwers (2014) attribue au pluriel de par lrsquoanalogie entre les pluriels lexicaux et les

N massifs un laquo effet massifiant raquo Drsquoautre part les notions drsquolaquo amplification raquo ou

drsquolaquo illimitation raquo de Benveniste (1966) concernant les indices personnels au pluriel

meacuteriteraient davantage drsquoattention pour drsquoeacuteventuelles geacuteneacuteralisations sur lrsquointerpreacutetation du

pluriel des N Enfin il nrsquoest peut-ecirctre pas inutile de faire un petit deacutetour par les fondements

matheacutematiques de la notion de pluriel inspireacutee de la notion drsquoensemble Un ensemble au sens

124

matheacutematique repreacutesente une collection drsquoeacuteleacutements qursquoon peut par exemple repreacutesenter par

les diagrammes de Venn Les eacuteleacutements sont lieacutes agrave lrsquoensemble par un rapport drsquoappartenance

On considegravere geacuteneacuteralement que le pluriel recouvre lrsquoensemble ou les eacuteleacutements qui le

composent Comme le cas le plus typique consiste en un ensemble contenant plusieurs

eacuteleacutements autrement dit dont le cardinal est supeacuterieur agrave 1 crsquoest la somme des eacuteleacutements qursquoon

retient geacuteneacuteralement pour lrsquointerpreacutetation du pluriel On laisse de cocircteacute le fait qursquoen

matheacutematique un ensemble peut contenir un seul eacuteleacutement (un singleton) voire aucun eacuteleacutement

(ensemble vide) On pourrait se demander si la langue permet de rendre compte drsquoun

ensemble agrave un ou zeacutero eacuteleacutement en langue par exemple au vu de faits comme celui-ci

(133) - Les planegravetes carreacutees ccedila nrsquoexiste pas (Brisson D Gros sur la tomate p 12)

Cet eacutenonceacute ne reflegravete-t-il pas la reacutefeacuterence agrave un ensemble (lsquoles planegravetes carreacuteesrsquo) agrave propos

duquel on nie lrsquoexistence des membres qui le composent

Un autre pheacutenomegravene inteacuteressant agrave envisager de ce point de vue est la notion de personne

amplifieacutee (Benveniste 1966) qui pourrait ecirctre regardeacutee comme un ensemble dont le cardinal

est eacutegal ou supeacuterieur agrave 1 (cf supra sect21 nous et vous de modestie de majesteacute etc) Dans tous

les cas une eacutetude empirique sur les marques du nombre en franccedilais meacuteriterait de voir le jour

pour remettre en cause lrsquoideacutee reacutepandue que le pluriel correspond agrave une simple addition

drsquoeacuteleacutements

Nous terminons par une bregraveve remarque sur le pluriel agrave lrsquooral Le trait du pluriel peut

demeurer non speacutecifieacute125

si les deacuteterminants les suffixes les preacutedicats ou encore le contexte

ne sont pas discriminants En teacutemoigne cet exemple ougrave Charles de Gaulle lors drsquoun discours

public opegravere une reformulation meacutetalinguistique pour deacutesambiguiumlser son propos

(134) laquo Je mrsquoadresse au(x) peuple(s)hellip aux peuples au pluriel raquo (de Gaulle lt Blanche-

Benveniste (2000 15)

Aucun indice ne permet en effet dans ce cas drsquoopter pour une interpreacutetation au pluriel

Blanche-Benveniste (ibid) note toutefois que si le discours nrsquoavait pas eacuteteacute preacutealablement

reacutedigeacute les propos auraient probablement eacuteteacute formuleacutes autrement pour garantir une

interpreacutetation au pluriel Quant agrave la marque du pluriel de lrsquoindice de 6e personne elle nrsquoest

audible que par le biais de la liaison stricte [iz] devant un eacuteleacutement vocalique (eg [iz ])126

Sans cela drsquoautres eacuteleacutements morphologiques (deacutesinence verbale suffixes adjectivaux etc)

125

Une bonne partie des substantifs et adjectifs sont homophones au singulier et au pluriel maison(s)

cheveu(x) bateau(x) grand(s) beau(x) bleu(s) etc 126

A noter que cette liaison nrsquoest pas stricte en franccedilais queacutebeacutecois ougrave la 6e personne peut ecirctre prononceacutee sans

liaison devant voyelle eg [j ]

125

pour autant qursquoils soient distinctifs127

lexicaux (preacutedicats collectifs reacuteciproques etc) ou

contextuels peuvent concourir agrave lrsquointerpreacutetation du nombre

24 Le genre

Contrairement au trait du nombre celui du genre grammatical est en principe inheacuterent agrave un

nom commun Le genre des noms est arbitraire souvent heacuteriteacute de lrsquoeacutetymon de ceux-ci (Riegel

et al 2009 329) Ainsi rien ne motive lrsquoopposition de genre entre veacutelobicyclette

fleuveriviegravere etc Neacuteanmoins pour ce qui concerne les noms drsquoanimeacutes en particulier

drsquohumains la question est plus deacutelicate comme en teacutemoigne le deacutebat toujours actuel autour

de la feacuteminisation du lexique qui a eacutemergeacute dans les anneacutees 1970 (Elmiger 2008 29 sqq) En

scheacutematisant un peu la probleacutematique nous constatons que le genre grammatical ne reflegravete

pas univoquement un trait biologique au vu des exceptions bien connues comme les noms

feacuteminins recrue estafette ou sentinelle qui repreacutesentent des rocircles geacuteneacuteralement deacutevolus au

sexe masculin De mecircme les noms masculins mannequin tendron laideron128

srsquoappliquent

typiquement agrave des femmes A cet eacutegard il faut distinguer entre le sexe biologique et le genre

social ou socioculturel (gender en anglais) Ce dernier tire ses fondements des rocircles activiteacutes

comportements expeacuteriences bref des traits typiquement associeacutes agrave un sexe donneacute (Elmiger

2008 47) On peut encore relever les noms feacuteminins du type personne vedette

connaissance etc qui ne se restreignent pas agrave la deacutesignation de lrsquoun des deux sexes ou genres

socioculturels

Drsquoun autre cocircteacute sexe naturel ou gender ne sont pas totalement sans rapport aussi indirect

soit-il avec les pheacutenomegravenes drsquoaccords grammaticaux dans le cas des noms eacutepicegravenes (ie des

noms qui nrsquoont pas de genre speacutecifieacute au niveau lexical mais qui en discours srsquoadaptent agrave des

accords aussi bien masculins que feacuteminins) tels que pianiste eacutelegraveve concierge En outre

certains suffixes sont speacutecifiquement deacutedieacutes agrave lrsquoopeacuteration drsquoune telle distinction (vendeuse

inspectrice etc) Nous verrons plus bas comment reacutesoudre cet apparent paradoxe

Il faut encore eacutevoquer le pheacutenomegravene du masculin non marqueacute qui concerne aussi bien la

reacutefeacuterence aux animeacutes qursquoaux inanimeacutes la coordination de deux SN dont les noms sont de

genres diffeacuterents entraicircne en principe un accord au masculin pluriel (le garccedilon et la fille sont

grands le verre et la tasse sont grands) Michard (1996) conclut des travaux de Jakobson

(1971) sur les correacutelations entre genres marqueacute et non marqueacute129

que laquo la signification

geacuteneacuterale du masculin est donc poseacutee comme premiegravere crsquoest celle qui srsquooppose au feacuteminin

127

Au preacutesent et agrave lrsquoimparfait la morphologie verbale des 3e et 6

e personnes sont freacutequemment homophones

pour les verbes en ndasher (il mange vs ils mangent il mangeait vs ils mangeaient) par opposition au passeacute composeacute

ou au futur (il a mangeacute vs ils ont mangeacute il mangera vs ils mangeront) Quant au pluriel des adjectifs attributs il

est souvent inaudible (ils semblent contents) 128

Mais laideronne est eacutegalement attesteacute 129

laquo La correacutelation est lrsquoopposition drsquoune cateacutegorie marqueacutee caracteacuteriseacutee par la preacutesence de A et dune cateacutegorie

non-marqueacutee caracteacuteriseacutee par le manque de signalisation de A raquo (Jakobson 1971 citeacute par Michard 1996 30)

126

comme genre non-marqueacute par rapport au genre marqueacute et crsquoest de cette signification geacuteneacuterale

que deacuterivent les significations speacutecifiques raquo (p 31)130

A propos des marques du genre dans le cas des pronoms conjoints on peut admettre que les 1e

et 2e personnes fonctionnent agrave la maniegravere des noms eacutepicegravenes animeacutes dans le sens ougrave ils sont

compatibles avec des accords au masculin et au feacuteminin visibles ailleurs dans le contexte

linguistique

(135) Comme tu es grande ma petite Louise (titre drsquoun livre pour enfant)

En (135) on observe une redondance des marques feacuteminines au sein de lrsquoeacutenonceacute via les

diffeacuterents suffixes et la forme du possessif elles srsquointerpregravetent ici manifestement comme le

reflet drsquoun genre biologique

Ci-dessous le pronom clitique pluriel nous apparaicirct de mecircme non speacutecifieacute en genre Seul le

suffixe de lrsquoadjectif attribut comporte une marque en lrsquooccurrence formellement le masculin

dans un usage qursquoon peut infeacuterer non-marqueacute

(136) Nous sommes loyaux envers nos clients dont les inteacuterecircts sont notre prioriteacute (slogan

drsquoune entreprise)

En effet il deacutesigne ici un reacutefeacuterent indiffeacuteremment homme ou femme Il en va drsquoailleurs de

mecircme pour le SN nos clients

Le cas des indices de 3e

(il elle) et 6e personne (ils elles) est diffeacuterent car ceux-ci sont

intrinsegravequement marqueacutes en genre En outre en tant que laquo non-personnes raquo ils srsquoattachent agrave

deacutesigner aussi bien des animeacutes que des inanimeacutes De nombreux auteurs se sont efforceacutes

drsquoidentifier le critegravere qui deacutetermine la marque de genre du pronom de 3e personne Nous

expliquerons ci-apregraves en quoi nous consideacuterons en reacutealiteacute cette question comme un faux

problegraveme Mais il est neacutecessaire pour cela de comprendre le fondement des hypothegraveses

avanceacutees afin de pouvoir ensuite nous en distancier

130

Dans le cas de la reacutefeacuterence aux animeacutes ce laquo masculin agrave valeur geacuteneacuterique raquo repreacutesente lrsquoune des cibles de la

critique feacuteministe du fait que son interpreacutetation neacutecessite des efforts cognitifs de deacutesambiguiumlsation pour savoir

srsquoil inclut ou non la reacutefeacuterence agrave des femmes en particulier dans lrsquoemploi des N lexicaux animeacutes Srsquoajoute

eacutegalement au deacutebat une dimension symbolique selon laquelle la langue est susceptible de refleacuteter les ineacutegaliteacutes

sociales entre hommes et femmes (Elmiger 2008 111-112) Diverses alternatives sont proposeacutees pour eacuteviter

lrsquoambiguiumlteacute du masculin geacuteneacuterique parmi lesquelles on peut mentionner les deacutefinitions leacutegales dans les textes agrave

caractegravere juridique du type laquo le masculin geacuteneacuterique est utiliseacute pour deacutesigner les deux sexes raquo Chancellerie

feacutedeacuterale 2000 (Elmiger 2008 123) lrsquoemploi des doublets inteacutegraux (laquo les eacutetudiants et eacutetudiantes raquo ibid 127)

ou abreacutegeacutes (laquo les traducteurs-trices raquo ibid 121) (jugeacutes fastidieux et peu lisibles par leurs deacutetracteurs) ou les

innovations graphiques (laquo les eacutetudiantEs raquo laquo illes raquo ibid 121) Neacuteanmoins ces aspects sortent du domaine

linguistique et concernent essentiellement les repreacutesentations sociales On peut agrave cet eacutegard relever la polyseacutemie

de la notion de laquo genre raquo (grammatical biologique sociologique sans oublier son acception en analyse du

discours) et le nombre de disciplines ainsi toucheacutees (linguistique sociologie anatomie psychologie sciences de

la communication peacutedagogie sciences politiques etc) conduisant ineacutevitablement agrave des traitements tregraves divers

de la question pouvant donner lrsquoimpression drsquoune confusion notionnelle

127

Certains invoquent la preacutesence drsquoun controcircleur linguistique autrement dit drsquoun anteacuteceacutedent

responsable de lrsquoaccord du clitique Lorsque le controcircleur explicite fait deacutefaut on invoque le

controcircle par un N absentee agrave reacutecupeacuterer de maniegravere implicite (Tasmowski-De Ryck amp

Verluyten 1982 1985)

(137) (John essaie de mettre une table dans le coffre de sa voiture Mary dit ) Tu

nrsquoarriveras jamais agrave la le faire entrer dans la voiture (Kleiber 1990a 36)

(138) (Mecircme situation mais avec un bureau ) Tu nrsquoarriveras jamais agrave le la faire entrer

dans la voiture (ibid)

Selon les partisans du controcircle linguistique ces exemples montrent que lrsquoadeacutequation du genre

deacutepend drsquoun nom mecircme si celui-ci nrsquoest pas introduit verbalement Cette thegravese srsquoavegravere

cependant moins convaincante dans le cas ougrave le clitique renvoie agrave un ecirctre humain

(139) Mon docteur vient drsquoagrandir son cabinet de reacuteception Elle avait trop de clients (lt

ibid 37)

(140) (un automobiliste fonce sur vous ) Mais il est fou (ibid 29)

Lrsquohypothegravese drsquoune reacutecupeacuteration nominale (femme pour (139) homme ou automobiliste )

pour (140) montre ici ses limites Degraves lors drsquoautres chercheurs proposent drsquoy voir agrave lrsquoinverse

un controcircle pragmatique se passant drsquoun intermeacutediaire linguistique (Lasnik 1976 Wiese

1983 Bosch 1986) le pronom en lrsquoabsence drsquoun anteacuteceacutedent explicite tirerait ses marques

directement des proprieacuteteacutes reacutefeacuterentielles en vertu drsquoun accord dit conceptuel ad sensum (ou

encore par syllepse) respectivement au sexe du reacutefeacuterent (cf aussi supra ChI sect44 et ci-dessus

sect23) Mentionnons drsquoembleacutee que cette notion seacutemantique de lrsquoaccord nous paraicirct tout agrave fait

inapproprieacutee le pheacutenomegravene de lrsquoaccord eacutetant confineacute au domaine des contraintes purement

formelles de cooccurrences

Mais plus geacuteneacuteralement le deacutebat autour de la question du controcircle que ce dernier soit

linguistique ou pragmatique est la conseacutequence drsquoune vision ougrave la langue est subordonneacutee agrave

des influences exteacuterieures en lrsquooccurrence le reacuteel dans cette perspective la langue est voueacutee

agrave reproduire la reacutealiteacute elle est deacutetermineacutee par celle-ci Ainsi les partisans de lrsquoun ou lrsquoautre

camp cherchent agrave prouver ce qui du sexe ou du N du reacutefeacuterent reacutegit lrsquoaccord grammatical

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave exposeacute (supra ChI sect631) notre vision des choses prend le

contrepied de cette approche agrave nos yeux il srsquoagit de partir des usages de la langue et de les

deacutecrire pour observer la maniegravere dont les locuteurs configurent leur repreacutesentation du monde

qui nrsquoen est pas une simple reproduction fidegravele Nous ne nions pas toute influence du monde

reacuteel sur la maniegravere dont les locuteurs se le repreacutesentent il va de soi que notre perception du

monde reacuteel a un rocircle preacutepondeacuterant sur nos repreacutesentations en geacuteneacuteral Mais il faut prendre en

consideacuteration le fait que les usagers disposent drsquoune liberteacute de configuration des reacutefeacuterents

discursifs affranchie des seules contraintes de la reacutealiteacute Dans le domaine en question celui

128

des marques de genre nous partirons donc du principe que crsquoest le locuteur via les marques

morphologiques ad hoc qui attribue des traits en fonction de lrsquointerpreacutetation qursquoil souhaite

veacutehiculer Ainsi ce nrsquoest pas le reacutefeacuterent du monde qui deacutetermine univoquement lrsquoemploi du

genre mais crsquoest lrsquousager qui indique agrave travers la convocation drsquoun genre lrsquoappartenance de

lrsquoobjet agrave une cateacutegorisation nominale masculine ou feacuteminine

En outre une partie des problegravemes poseacutes par ces theacuteories pourrait ecirctre reacutesolue par une

conception alternative du pheacutenomegravene de lrsquoaccord (cf la notion supra de controcircle)

geacuteneacuteralement abordeacute comme une relation orienteacutee ougrave un terme (source) impose ses marques agrave

lrsquoautre (receveur) Ainsi dans une approche geacuteneacuterativiste-transformationnelle lrsquoaccord

observeacute en surface reacutesulte de lrsquoapplication en structure profonde drsquoune regravegle de copie des

traits du premier sur le second (Creissels 2006 24 sqq) Crsquoest ainsi que la theacuteorie du controcircle

linguistique postule que le pronom tire sa marque de genre drsquoun nom donneacute Or dans une

approche strictement descriptive on pourrait se contenter de constater que certaines

informations agrave propos drsquoun reacutefeacuterent se voient reacutepeacuteteacutees ou reacuteparties sur plusieurs formes sans

preacutejuger drsquoune quelconque deacutependance (ibid) a fortiori dans le cas des pronoms non reacutegis

comme (137) (138) (139) et (140) nullement soumis agrave des contraintes formelles

Blinkenberg (1950) soulignait deacutejagrave lrsquoincongruiteacute de la notion drsquoaccord pour lrsquousage des

pronoms conjoints

Un pronom personnel peut toujours se rapporter directement au sens qursquoil repreacutesente sans lrsquointervention preacutealable dans la chaicircne parleacutee drsquoun substantif Il ne srsquoagit plus drsquoun groupement syntactique constitueacute par des termes reacuteciproquement deacutependants au contraire le pronom personnel est un terme syntactiquement indeacutependant (p 17)

A deacutefaut drsquoun pheacutenomegravene drsquoaccord on peut observer dans lrsquousage des pronoms celui de

redondance des marques morphologiques Ainsi dans les cas de reacutefeacuterence pronominale on

observe souvent une congruence des marques de genre agrave travers le ou les pronom(s)

(successifs) sans que la preacutesence drsquoun SN lexical soit obligatoire comme le montrent (137)

(138) (140) De la sorte le locuteur reacuteitegravere le genre de lrsquoattribut de deacutenomination

(Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995) du reacutefeacuterent sur ces divers eacuteleacutements linguistiques

(les pronoms et le cas eacutecheacuteant la reacutealisation effective de la deacutenomination) La congruence en

genre au fil drsquoun discours entre les pronoms successifs et eacuteventuellement un SN

coreacutefeacuterentiel131

srsquoexplique ainsi non pas en termes drsquoaccord mais par un principe

pragmatique drsquoisonymie les sujets parlants laquo conservent par deacutefaut la mecircme deacutenomination

courante et donc la mecircme cateacutegorisation aussi longtemps du moins que ces attributs

demeurent distinctifs et qursquoil nrsquoy a pas un inteacuterecirct strateacutegique particulier agrave proceacuteder

autrement raquo (Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995 34) On peut illustrer ce principe par

cet exemple

131

Congruence traiteacutee ailleurs en termes de laquo chaicircne anaphorique raquo (Chastain 1975 Corblin 1995 cf supra

sect53) Nous renonccedilons agrave lrsquoemploi de cette notion du fait de la vision de deacutependance qursquoelle suppose

129

(141) sur les rochers en fait y a des des vers | _ | qui se sappellent des vers sapins de Noeumll | _

| ils ils sont vraiment en forme de sapin de Noeumll enfin cest drocircle | _ | un peu en spirale

comme ccedila | _ | et euh ils vivent ils vivent sur les cailloux | _ | et quand tu passes agrave cocircteacute

deux ou quand tu claques des doigts agrave cocircteacute deux | _ | euh ils rentrent hyper vite dans

leur trou | _ | cest trop drocircle quoi euh tu claques des mains pis bloup | ils sont ils sont agrave

linteacuterieur tu les vois plus ils disparaissent | _ | pis de pis si tattends un moment | _ | ils

remontent tout doucement (ofrom)

La laquo suite raquo pronominale coreacutefeacuterentielle au masculin pluriel nrsquoest pas grammaticalement reacutegie

par lrsquoanteacuteceacutedent en amont (des vers qui srsquoappellent des vers sapins de Noeumll) mais reacutepegravete

simplement le genre de lrsquoeacutetiquette lexicale (ver) associeacutee au reacutefeacuterent eacutevoqueacute Ce principe

pragmatique drsquoisonymie refleacutetant une strateacutegie drsquoeacuteconomie meacutemorielle permet drsquoexpliquer

avantageusement pourquoi les emplois coreacutefeacuterentiels des pronoms sont prototypiques

La situation complexe de la reacutefeacuterence aux animeacutes meacuterite qursquoon srsquoy attarde On reconnaicirct en

geacuteneacuteral que la cateacutegorisation biologique ou socio-culturelle communeacutement partageacutee est

particuliegraverement preacutegnante laquo crsquoest un fait bien connu appuyeacute par de nombreuses donneacutees

linguistiques qursquoune des cateacutegorisations premiegraveres opeacutereacutees par lrsquohomme est celle qui

discrimine parmi toutes les entiteacutes les ecirctres humains avec une subdivision perceptive directe

en hommes et femmes raquo (Kleiber 1990a 39) Sans entrer dans des consideacuterations

ontologiques [Reichler-]Beacuteguelin (1993a 345) remarque une forme de lexicalisation des

pronoms (conjoint ou disjoint) de 3e personne masculin et feacuteminin susceptibles de veacutehiculer

laquo le contenu descriptif de ecirctre humain du sexe masculin (il) ou ecirctre humain du sexe

feacuteminin (elle) raquo agrave lrsquoappui drsquoexemples de ce genre

(142) Si vous optez pour le rasoir eacutelectrique il vaut mieux en acheter un qui sera reacuteserveacute agrave

votre usage personnel laquo ils raquo ont horreur qursquoon leur emprunte leur rasoir (Bien-Etre-

Santeacute 070890 lt [Reichler-]Beacuteguelin 1993a 345)

Ici la marque de genre contribue agrave construire un reacutefeacuterent porteur drsquoune deacutenomination

masculine dont on peut infeacuterer au vu des preacutedications lsquoavoir horreurrsquo et lsquoavoir un rasoirrsquo une

identiteacute biologique132

Neacuteanmoins il arrive qursquoune situation de conflit survienne entre les

diffeacuterentes interpreacutetations possibles du genre (cf aussi supra (139) On peut invoquer la

volonteacute du locuteur de privileacutegier tantocirct lrsquoinfeacuterence drsquoun genre biologique ou social tantocirct le

marquage drsquoune deacutenomination speacutecifique Ci-dessous les deux exemples montrent des

strateacutegies inverses isonymie (143) vs changement drsquoappellation sous-jacente favorisant une

interpreacutetation biologique (144)

(143) Vendredi de la semaine passeacutee une recrue de lrsquoER inf 2-12 a soudain eacuteteacute victime drsquoun

arrecirct cardiaque agrave Biegravere Malgreacute les mesures de reacuteanimation qui avaient eacuteteacute prises sur-

le-champ la recrue est deacuteceacutedeacutee aujourdrsquohui au CHUV agrave Lausanne ougrave elle avait eacuteteacute

132

Mais rien nrsquoempecircche qursquoon en infegravere selon le contexte une classe de lsquobarbiersrsquo lsquomarchands de rasoirsrsquo etc

130

hospitaliseacutee (wwwnewsadminch 130712 drsquoautres meacutedias preacutecisent qursquoil srsquoagit

dans les faits drsquoun jeune homme)

(144) Le mannequin [Naomi Campbell] est ceacutelegravebre pour son comportement coleacuterique et

parfois violent En 2007 elle avait mecircme ducirc effectuer des travaux drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

apregraves avoir agresseacute une femme de chambre (httpwwwclosermagfr 040214)

Lrsquoattribut de deacutenomination dont le pronom reflegravete le genre preacutesente de facto les reacutefeacuterents

correspondants comme des reacutefeacuterents classifieacutes nommeacutes ou encore cateacutegoriseacutes (Kleiber

1990a 39) Lorsque la cateacutegorisation demeure implicite on suppose geacuteneacuteralement qursquoelle

correspond agrave un nom de niveau de base de la seacutemantique du prototype (Rosch et al 1976) qui

constitue le niveau utiliseacute par deacutefaut et preacutesentant une saillance reacutefeacuterentielle importante du

point de vue perceptif et fonctionnel comme le montrent de nombreux travaux sur les tacircches

de deacutenomination drsquoobjet (Cornish 1999 132) Au niveau seacutemantique il repreacutesente un

compromis entre la sous-speacutecification et la surcharge informationnelle (cf infra 42)

Lrsquoexemple de Cornish (ibid adapteacute en franccedilais) illustre cette question en voyant un chien

peacuteneacutetrer dans une maison par la porte drsquoentreacutee laisseacutee ouverte un locuteur sera susceptible de

srsquoeacutecrier Qursquoest-ce que ce chien fiche lagrave plutocirct que Qursquoest-ce que cet animal fiche lagrave

(niveau superordonneacute) ou Qursquoest-ce que ce golden retriever fiche lagrave (niveau subordonneacute)

(ibid) Neacuteanmoins avant de juger un emploi comme laquo marqueacute raquo sur la base de lrsquoeacutechelle de

Rosch et al (ibid) il convient de toujours tenir compte de chaque contexte drsquoeacutenonciation

crsquoest avant toutes choses lrsquoeacutetat de M agrave un moment donneacute du discours qui rend pertinent tel ou

tel emploi lexical plus ou moins speacutecifieacute en fonction des coucircts cognitifs et des effets

rechercheacutes par le locuteur

Nous terminons cette section sur le genre en eacutevoquant le cas des pronoms conjoints de 3e

personne ce ccedila (parfois aussi il laquo impersonnel raquo) et les pronoms compleacutements le (reacutefeacuterant agrave

des procegraves) en et y souvent qualifieacutes de neutres dans la mesure ougrave ils neutralisent

lrsquoopposition de genre (entre autres Brunot 1922 91 Grevisse 2011 sect461 sect240 Riegel et al

2009 377 Cornish 1991 Carlier 1996 Bartning 2006) A notre avis cette caracteacuterisation

precircte agrave confusion dans le sens ougrave le terme laquo neutre raquo fait croire agrave un fonctionnement drsquoun

systegraveme agrave trois genres masculin feacuteminin neutre Or le franccedilais ne connaicirct pas un tel

systegraveme133

les pronoms en question srsquoaccordent le cas eacutecheacuteant exclusivement au

masculin134

(145) La mer crsquoest beau (Titre de lrsquoarticle de Willems 1998)

(146) Jrsquoai toujours penseacute que cela finirait ainsi Et je lrsquoai espeacutereacute (Dumas Cl LrsquoHerbe

chaude)

133

Par ailleurs le seul cas ougrave il serait leacutegitime drsquoinvoquer une forme de laquo neutralisation raquo du genre serait celui

des noms eacutepicegravenes ougrave le trait demeure indeacutetermineacute au niveau lexical 134

Sur lrsquoexistence drsquoun genre neutre en ancien franccedilais voir Marchello-Nizia (1989)

131

(147) Il est certain que Constantin aimait le faste Il deacuteveloppa encore les comptes de la

Cour et il entendait que les hauts fonctionnaires lrsquoimitassent (Lot F La fin du monde

antique et le deacutebut du Moyen Acircge)

Quoique dans un emploi seacutemantiquement non marqueacute on a donc bien affaire agrave un accord au

masculin comme en teacutemoignent les eacuteleacutements avec lesquels les pronoms sont en relation

drsquoimplication drsquooccurrence Ce qui est plus inteacuteressant crsquoest le fait que contrairement aux

pronoms ilelle ceux-lagrave sont non-marqueacutes quant au trait drsquoindividuation ils nrsquoindiquent pas

comme il et elle lrsquoappartenance du reacutefeacuterent agrave une cateacutegorie nominale conventionnelle

individualisable De ce point de vue-lagrave ils demeurent donc non speacutecifieacutes ce qui les rend

productifs dans la reacutefeacuterence agrave toutes sortes drsquoobjets aux contours flous et sans deacutenomination

propre (cf infra ChIII sect522)

Signalons pour finir que certaines varieacuteteacutes connaissent des emplois de la 6e personne non-

marqueacutes en genre comme en franccedilais queacutebeacutecois ougrave la prononciation en usage ne distingue pas

entre ils et elles (les deux pouvant ecirctre prononceacutes [i] (ou [j] devant voyelle comme dans

ilselles ont prononceacutes sans liaison [j ]) De son cocircteacute Bauche (1920 111) mentionne les

prononciations dites laquo populaires raquo ma femme il est venu ou les vieilles femmes ils sont

toujours agrave causer La question drsquoune neutralisation peut eacutegalement se poser pour lrsquoexemple

SMS suivant135

(148) Non ici ils mettent tous des jupes et les mecs ils mettent des pantalons de survetment

(88milSMS136

)

On peut enfin remarquer que de maniegravere geacuteneacuterale agrave lrsquooral la distinction entre les clitiques [i]

et [ɛ] (reacuteguliegraverement prononceacutes sans [l] final) sans autres indices drsquoaccord nrsquoest pas toujours

eacutevidente agrave opeacuterer

25 Bilan

A travers cet exposeacute relatif aux marques morphologiques des pronoms conjoints notre

objectif eacutetait de mettre en eacutevidence la complexiteacute et la subtiliteacute de leur interpreacutetation en deacutepit

de lrsquoapparente simpliciteacute avec laquelle ils sont geacuteneacuteralement traiteacutes En ce qui concerne le

pronom reacutefeacuterentiel137

il (et dans une certaine mesure de sa laquo variante raquo au pluriel la 6e

personne) on peut retenir les points suivants

135

En lrsquoabsence de contexte suppleacutementaire (eg le message auquel celui-ci reacuteagit) on ne peut toutefois prouver

que ils renvoient ici agrave des individus de genre biologiquesocial feacuteminin 136

Panckhurst R Deacutetrie C Lopez C Moiumlse C Roche M Verine B (2014) http88milsmshuma-

numfrindexhtml 137

Nous excluons par lagrave eacutevidemment le il laquo impersonnel raquo qui ne commute avec rien Dans les constructions

dites laquo impersonnelles raquo laquo la position drsquoargument sujet nrsquoexiste pas Elle nrsquoest pas simplement vacante mais

impossible agrave instancier raquo (Berrendonner 2000 50) drsquoougrave lrsquoexplication de la vacuiteacute reacutefeacuterentielle du il Ce dernier

a tout lrsquoair drsquoy fonctionner comme un marqueur de diathegravese asubjectale On ne peut degraves lors lrsquointeacutegrer agrave la classe

des pronoms conjoints

132

i) Le clitique il signale une non-personne (au sens de Benveniste) un

laquo deacutelocuteacute raquo il repreacutesente un actant individueacute (par opposition agrave drsquoautres

indices de 3e personne) distinct des personnes du discours (je tu nous

vous)

ii) Son cas (ou reacutegime) reflegravete la structure argumentale drsquoun verbe donneacute agrave

mettre prudemment en rapport avec la structure actantielle du lexegraveme verbal

au niveau seacutemantique

iii) La variation en nombre ne signale pas tant une opposition purement

quantitative qursquoune diffeacuterence entre uniteacute et ensemble lrsquoensemble pouvant

ecirctre appreacutehendeacute de diffeacuterentes maniegraveres

iv) La marque de genre reflegravete le genre de lrsquoattribut nominal du reacutefeacuterent Le

masculin sert de genre non-marqueacute

Une caracteacuteristique eacutevidente et deacutefinitoire des indices personnels est leur nature non lexicale

A ce titre outre les caracteacuteristiques mentionneacutees les indices personnels sont pauvres en

indications laquo descriptives raquo Crsquoest la raison pour laquelle on les traite geacuteneacuteralement comme

des formes sous-speacutecifieacutees par rapport aux expressions lexicales Nous proposons agrave preacutesent

drsquoobserver le fonctionnement du pronom conjoint de 3e personne au-delagrave des marques

morphologiques autrement dit dans sa dimension anaphorique unanimement mise en avant

dans la litteacuterature sur la question

133

3 Approches de lrsquoanaphore pronominale

Etant donneacute la preacutegnance de lrsquoapproche laquo anteacuteceacutedentiste raquo de lrsquoanaphore (cf supra sect53) le

pronom de 3e personne nrsquoeacutechappe pas agrave une telle conception appreacutehendeacutee dans sa version

forte en termes de substitution comme en teacutemoigne lrsquoextrait du Bon usage ci-dessous

Les pronoms sont des repreacutesentants (ou des substituts) quand ils reprennent un terme se trouvant dans le contexte ordinairement avant parfois apregraves Ce terme est appeleacute anteacuteceacutedent [hellip] Vous demandiez les journaux drsquoaujourdrsquohui je vous les apporte (Grevisse amp Goosse 2011 sect650)

La conception substitutive reflegravete fidegravelement lrsquoeacutetymologie du mot (pronomen en latin

traduction du grec antonumia) et apparaicirct dans les traiteacutes de grammaire les plus anciens

(Denys le Thrace IIe s avant J-C Apollionius Dyscole IIe s apregraves J-C) en passant par la

Logique de Port-Royal laquo Lrsquousage des pronoms est de tenir la place des noms et de donner

moyen drsquoen eacuteviter la reacutepeacutetition qui est ennuyeuse raquo (Arnauld amp Nicole 1662=1874 109)

Nous allons voir agrave preacutesent quelles sont les theacuteories linguistiques sous-jacentes agrave la notion de

substitution (sect31) Cette conception sera toutefois abandonneacutee en linguistique (alors qursquoelle

perdure en grammaire scolaire) au profit drsquoune approche plus fonctionnelle drsquoabord

cantonneacutee agrave une perspective textuelle (sect32) puis reacuteameacutenageacutee agrave des fins de geacuteneacuteraliteacute dans

une optique cognitive (sect33) Enfin nous tirons un bilan de la conception en vigueur du

fonctionnement du pronom

31 Conception substitutive

Crsquoest lrsquoapproche en vigueur dans les grammaires classiques ou contemporaines ougrave la

vocation substitutive est eacutegalement appeleacutee suppleacuteance remplacement ou encore

repreacutesentation (eg Arriveacute et al 1986 63 Gardes-Tamine 1998 147 Grevisse 2011 sect220

amp sect650) Si lrsquoon peut admettre qursquoen ancien franccedilais les pronoms personnels sujets

fonctionnaient agrave la maniegravere de SN on ne peut pas en dire autant aujourdrsquohui au vu de leur

distribution distincte les apparentant comme on lrsquoa vu supra (sect1) agrave des affixes de la flexion

verbale lagrave ougrave une seule seacuterie de pronoms eacutetait en usage autrefois on observe de nos jours

deux classes distinctes de pronoms (Zumwald Kuumlster 2014) la classe atone des pronoms

clitiques (ou conjoints) 138

et la classe tonique des pronoms disjoints cette derniegravere seulement

occupant les positions de SN

La conception suppleacutetive des pronoms est eacutetayeacutee par les travaux des plus grands theacuteoriciens

de la linguistique qui font de la substitution un concept cleacute de leur modegravele quoique

138

Pour certains auteurs cette eacutevolution est le reacutesultat drsquoun processus de grammaticalisation (notamment Givoacuten

1976 Lambrecht 1981 Miller et Monachesi 2003 Culberston 2010) La notion de grammaticalisation est

toutefois agrave manipuler avec preacutecaution comme le souligne Zumwald Kuumlster (2014) du fait qursquoelle met en jeu

dans certaines conceptions des sceacutenarios diachroniques rigides impliquant un certain nombre drsquoeacutetapes et une

eacutevolution agrave sens unique Pour une remise en question de la notion voir Beacuteguelin Corminboeuf amp Johnsen

(2014)

134

diversement reacutecupeacutereacute par les grammaires139

Ainsi Bloomfield (1933) part de la deacutefinition

suivante

A substitute is a linguistic form or grammatical feature which under certain conventional circumstances replaces any one of a class of linguistic forms (Bloomfield 1933 247)

Parmi les diffeacuterents substituts140

Bloomfield appelle anaphoriques ceux qui remplacent une

expression deacutejagrave mentionneacutee (lrsquoanteacuteceacutedent) comme ci-dessous

Thus when we say Ask that policeman and he will tell you the substitute he means among other things that the singular male substantive expression which is replaced by he has been recently uttered (ibid 249)

Lrsquoauteur prend soin de preacuteciser qursquoun substitut ne deacutesigne pas directement un reacutefeacuterent du

monde tel que les expressions reacuteguliegraveres mais qursquoil eacutevoque une classe de formes

linguistiques

[hellip] substitutes are one step farther removed than ordinary forms from practical reality since they designate not real objects but grammatical form classes substitutes are so to speak linguistic forms of the second degree (1933 250)

Lyons (1977 659) et Bosch (1983 15-16) voient dans cette approche lrsquoorigine du traitement

initial des pronoms en grammaire transformationnelle lrsquoexistence implicitement admise par

Bloomfield de deux degreacutes de la langue se voit alors reacutecupeacutereacutee en termes de structures

superficielles vs profondes dans le modegravele transformationnel de Chomsky (1965) A partir de

ce modegravele Langacker (1969) eacutelabore la regravegle de pronominalisation qui permet de remplacer

un SN en structure profonde par un pronom en surface si elle maintient une identiteacute

reacutefeacuterentielle (coreacutefeacuterence) ou lexicale entre les deux (noteacutee agrave travers des indices reacutefeacuterentiels

identiques) Ainsi la phrase Pierre pense qursquoil est immortel (Zribi-Hertz 1996 37) ougrave le sujet

de la subordonneacutee repreacutesenterait Pierre est dite deacuteriveacutee drsquoune structure profonde de ce type

(149) Pierrei pense que Pierrei est immortel (ibid)

Neacuteanmoins des difficulteacutes de marquage de la coreacutefeacuterence des termes en structure profonde

conduisent rapidement les geacuteneacuterativistes agrave abandonner cette premiegravere analyse et agrave consideacuterer

que les pronoms sont geacuteneacutereacutes de maniegravere directe (Lyons 1977 663) Lrsquointeacuterecirct se porte alors

sur lrsquoidentification des contraintes syntaxiques et seacutemantiques de coreacutefeacuterence entre anteacuteceacutedent

et pronom agrave travers lrsquoeacutelaboration des concepts de c-commande de liage et gouvernement

139

Cf aussi Buumlhler (1934=2009 563) agrave propos de lrsquoanaphore laquo Si elles pouvaient parler toutes les flegraveches

anaphoriques srsquoexprimeraient agrave peu pregraves ainsi regarde devant ou derriegravere toi le long de la chaicircne du discours

actuel Il y a lagrave quelque chose qui a en fait sa place par ici agrave lrsquoendroit ougrave je me trouve de faccedilon agrave pouvoir ecirctre

relieacute avec ce qui suit raquo (nous soulignons) 140

A titre drsquoexemples Bloomfield integravegre dans cette classe les pronoms personnels anglais les adverbes spatio-

temporels (here there now etc) des quantifieurs tels que all some les pronoms deacutemonstratifs this that les

nombres cardinaux one two three des pro-verbes (do be have will musthellip) les anaphoriques zeacuteros etc

135

(Reinhart 1976 Chomsky 1981) Nous nrsquoentrerons pas dans les deacutetails de ces notions141

eacutetant

donneacute que la grammaire geacuteneacuterative dont le champ drsquoobservation est la phrase isoleacutee ne capte

qursquoune infime partie des emplois des pronoms ceux syntaxiquement contraints qui

possegravedent un anteacuteceacutedent dans le mecircme eacutenonceacute En effet seuls les cas drsquoanaphore dite lieacutee

crsquoest-agrave-dire soumis agrave la contrainte syntaxique de c-commande142

concernent le domaine en

question

En distinguant lrsquoanaphore libre de lrsquoanaphore lieacutee Reinhart fait de la c-commande la ligne de deacutemarcation entre lrsquoanaphore discursive et lrsquoanaphore syntaxique qui seule concerne la theacuteorie grammaticale Parce qursquoelle ignore la c-commande lrsquoanaphore libre peut unir un anaphorique agrave un anteacuteceacutedent situeacute dans une autre phrase Limiteacutee par la c-commande lrsquoanaphore lieacutee nrsquoest par contre a fortiori possible que dans les limites drsquoune phrase (Zribi-Hertz 1996 92)

En bref les limites drsquoune conception substitutive du fonctionnement pronominal se situent agrave

notre avis agrave deux niveaux i) drsquoune part dans lrsquohypothegravese critiqueacutee supra (ChI sect54) selon

laquelle le pronom remplace une expression preacutealablement mentionneacutee la relation entre un

laquo anteacuteceacutedent raquo (srsquoil en y a un) et un anaphorique nrsquoeacutetant pas comme deacutejagrave vu une meacutecanique

reacutegleacutee ii) drsquoautre part ndash et ce problegraveme concerne speacutecifiquement le franccedilais ndash dans lrsquoideacutee

erroneacutee que les pronoms conjoints partagent la distribution des SN (cf supra sect1) Pour

deacutesigner un ensemble de formes grammaticales (eg les pronoms disjoints) syntaxiquement

laquo proportionnel raquo agrave un autre crsquoest-agrave-dire qui partage la mecircme distribution (eg les SN) nous

eacuteviterons ainsi de parler de laquo substitution raquo pour la premiegravere raison invoqueacutee mais nous

emprunterons la notion de pro-forme agrave lrsquoapproche pronominale du GARS (Blanche-

Benveniste et al 1984 1990) qui permet de reacuteveacuteler en micro-syntaxe lrsquoexistence de

paradigmes drsquoeacuteleacutements eacutequivalents et de relations de rection

Au demeurant si les pronoms conjoints ont le statut drsquoaffixes on peut se demander srsquoils sont

capables drsquoassumer un proceacutedeacute reacutefeacuterentiel qursquoon associe typiquement aux expressions

nominales Autrement dit peut-on admettre qursquoun simple affixe supporte un proceacutedeacute

anaphorique En fait selon nombre de linguistes (entre autres Barlow 1988 Corbett 2006

Croft 2013 Siewierska 2004) il nrsquoy pas lieu de faire une distinction entre marques de

personne et expressions anaphoriques

Most scholars working on agreement acknowledge that there is no good basis for differentiating between person agreement markers and anaphoric pronouns (Siewierska 2004 121)

Siewierska montre que dans certaines langues le mecircme affixe (ici le preacutefixe -i) est utliseacute

tantocirct comme marque drsquoaccord du verbe tantocirct comme seul vecteur de valeur reacutefeacuterentielle

141

Par la suite certains repreacutesentants de la grammaire geacuteneacuterative ont avanceacute que les pronoms srsquoassimilaient non

pas agrave des SN mais agrave des deacuteterminants (pour un aperccedilu de la question voir Corblin 1995 27) 142

Deacutefinition de base selon Reinhart (1976) laquo Un nœud A est dit c-commander un nœud B si (1) A ne domine

pas B et inversement (2) le premier nœud agrave ramifications qui domine A domine eacutegalement B (Zribi-Hertz

1996 56)

136

(150) Gumawana143

Kalitoni i-paisewa nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Kalitoni 3SG-work nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

lsquoKalitoni workedrsquo

I-situ vada sinae-na

3 SG -enter house inside-3 SG (INAL)

lsquoHe entered the inside of the housersquo (ibid 122)

En fait on pourrait faire la mecircme analyse en franccedilais

(151) Kalitoni il a travailleacute nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Il est entreacute agrave lrsquointeacuterieur de la maison

Cet exemple montre que le franccedilais connaicirct le mecircme pheacutenomegravene lrsquoindice personnel pouvant

tantocirct ecirctre redondant sur le sujet et surmarquer la 3e personne tantocirct endosser seul le rocircle

reacutefeacuterentiel

Cette mise au point nous permet au final de rejeter la conception substitutive de lrsquoindice de

3e personne en franccedilais ndash agrave consideacuterer syntaxiquement comme un affixe verbal ndash sans que cela

remette en cause sa capaciteacute agrave assumer un fonctionnement reacutefeacuterentiel

32 Conception textualiste

On a vu supra (ChI sect53) le rocircle qursquoa joueacute lrsquoouvrage drsquoHalliday amp Hasan (1976) dans la

conception textualiste de lrsquoanaphore Les auteurs distinguent explicitement le processus de

substitution de la reacutefeacuterence

Substitution is a relation between linguistic items such as words or phrases whereas reference is a relation between meanings In terms of the linguistic system reference is a relation on the semantic level whereas substitution is a relation on the lexicogrammatical level the level of grammar and vocabulary or linguistic lsquoformrsquo

144 (p 89)

Situant le pronom de 3e personne parmi les proceacutedeacutes de reacutefeacuterence ils considegraverent son

fonctionnement comme anaphorique (au sens textuel) par deacutefaut et soulignent sa fonction

particuliegraverement coheacutesive dans les textes145

ougrave les occurrences pronominales sont

susceptibles de srsquoaccumuler pour renvoyer agrave un mecircme reacutefeacuterent

143

Langue austroneacutesienne parleacutee en Papouasie-Nouvelle-Guineacutee 144

Mecircme si certaines occurrences peuvent srsquointerpreacuteter des deux maniegraveres relevant drsquoun pheacutenomegravene agrave la fois

grammatical et seacutemantique (ibid 88) les auteurs situent par exemple lrsquoemploi de one do et so du cocircteacute de la

substitution (respectivement nominale verbale et clausale) et le cas des pronoms personnels deacutemonstratifs et

formes de comparaison du cocircteacute de la reacutefeacuterence Pour ce qursquoils appellent substitution on peut penser en franccedilais agrave

certains emplois de en celuicelle laquo mentionnels raquo ou faire parfois traiteacutes en termes drsquoanaphore laquo lexicale raquo

crsquoest-agrave-dire qursquoils nrsquointerviendraient qursquoau niveau de la deacutenomination (eg Riegel et al 2009 1031) (et non de

la reacutefeacuterence) Ce genre de pheacutenomegravene neacutecessiterait toutefois un examen plus approfondi 145

Pour le franccedilais Corblin (1995 194) note eacutegalement la fonction laquo maximalement coheacutesive raquo du pronom de

3e personne et sa capaciteacute agrave laquo monopoliser les chaicircnes de reacutefeacuterence raquo

137

One occurrence of John at the beginning of a text may be followed by an indefinitely large number of occurrences of he him or his all to be interpreted by reference to the original John This phenomenon contributes very markedly to the internal cohesion of a text since it creates a kind of network of lines of reference each occurrence being linked to all its predecessors up to and including the initial reference (p 52)

Or crsquoest preacuteciseacutement cette vision de connexiteacute segmentale opeacuterant agrave reculons qui a eacuteteacute

critiqueacutee supra (ChI sect54) Les objections on srsquoen souvient sont lrsquoinvraisemblance drsquoun

processus aussi reacutegleacute et analytique dans des genres de parole moins planifieacutes la difficulteacute

dans bien des cas de cerner un segment deacutelimitable ou encore le traitement agrave part du

fonctionnement laquo exophorique raquo des formes concerneacutees Malgreacute les limites et le deacutefaut de

geacuteneacuteraliteacute de la conception textualiste celle-ci reste sous-jacente aux recherches appliqueacutees

par exemple en TAL ou en psycholinguistique focaliseacutees sur le processus de reacutesolution

reacutefeacuterentielle reposant sur lrsquoidentification drsquoun anteacuteceacutedent susceptible de causer des

laquo deacutegradations de performance du systegraveme raquo ou des laquo coucircts de traitement raquo

33 Conception cognitive

Dans la fouleacutee des travaux cognitivistes sur lrsquoanaphore et les expressions reacutefeacuterentielles (supra

sect46 sect33) des hypothegraveses censeacutees parer aux inconveacutenients souligneacutes ont eacuteteacute formuleacutees agrave

propos du pronom de 3e personne

Ainsi pour eacuteviter un laquo traitement eacuteclateacute raquo lieacutee agrave lrsquoopposition traditionnelle anaphore-deixis

(cf supra sect52) Kleiber (1994b) propose de voir dans lrsquooccurrence pronominale ci-dessous la

manifestation drsquoune forme de continuiteacute theacutematique

(152) (en voyant une connaissance passer ) Je ne lrsquoai pas vu depuis des mois (p 103 traduit

de Bosch 1983)

A ses yeux il srsquoagit drsquoun prolongement non seulement de la reacutefeacuterence mais aussi de la

situation laquo manifeste ou saillante raquo (ibid 82) ougrave le reacutefeacuterent doit jouer laquo le rocircle drsquoun

argument raquo (ibid) Kleiber propose la glose suivante de la situation qui fait lrsquoobjet du

prolongement (en italiques)

(153) Crsquoest Paul qui passe Voici Paul Je ne lrsquoai pas vu depuis des mois (ibid 84)

Il ajoute que ce nrsquoest pas seulement la perception de lrsquoindividu en question qui rend celui-ci

ou la situation manifestes mais surtout le fait que les interlocuteurs connaissent preacutealablement

lrsquoindividu et il reacutesume son explication de la sorte

laquo [l]e pronom il dans cette nouvelle optique reste en somme un marqueur de continuiteacute theacutematique mais non pas drsquoune continuiteacute theacutematique simplement nominale il indique que le reacutefeacuterent est saisi en continuiteacute avec la situation manifeste raquo (p 123)

Nous avouons comme Demol (2010 51-52) une certaine gecircne agrave lrsquoeacutegard des notions

employeacutees en particulier agrave lrsquoeacutegard des notions intuitives de situation manifeste ou saillante

138

de continuiteacute theacutematique ou de de rocircle drsquoargument La premiegravere est expliqueacutee comme

renvoyant agrave une situation laquo disponible ou preacutesente dans le focus drsquoattention de

lrsquointerlocuteur raquo Cependant la notion reste vague et fait de surcroicirct appel agrave une autre notion

probleacutematique celle de focus Il en va de mecircme pour lrsquoexpression continuiteacute theacutematique

renvoyant agrave la notion de thegraveme habituellement opposeacutee agrave celle de focus (cf discussion infra

sect34) Quant agrave la notion drsquoargument issue de la tradition logique elle nrsquoest pas non plus

expliciteacutee On ne sait pas si elle est ici agrave fondement syntaxique (cf la valence verbale) si elle

repose seulement sur une seacutemantique intuitive ou si elle meacutelange les deux niveaux avec tous

les problegravemes que cela suppose Drsquoailleurs Kleiber (1994b) admet le caractegravere laquo provisoire raquo

de sa description et les questions ouvertes qursquoelle laisse laquo la question quand est-ce qursquoun

locuteur peut preacutesumer qursquoun reacutefeacuterent est manifeste pour son interlocuteur reste ouverte raquo

(p 130)

Lrsquoauteur souligne eacutegalement le rocircle joueacute par la phrase-hocircte dans la deacutetermination du laquo bon raquo

reacutefeacuterent

(154) Fred enleva son manteau Il eacutetait fatigueacute (p 87)

(155) Fred enleva son manteau Il eacutetait sale (ibid)

La preacutedication opeacutereacutee par la phrase-hocircte ou segment indexical (Cornish 1999 70) se reacutevegravele

donc cruciale pour lrsquointerpreacutetation du pronom (Gundel et al 2000 Yule 1982) a fortiori en

cas drsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent

(156) Attention Tu vas le casser (Cornish 1999 77)

Le preacutedicat lsquocasserrsquo ne seacutelectionne pas nrsquoimporte quel type drsquoobjet mais un actant qui a

preacuteciseacutement la proprieacuteteacute de se casser et doteacute drsquoune classification usuelle au masculin

Cornish propose une vision similaire du fonctionnement du pronom de 3e personne se

traduisant par le maintien de lrsquoattention porteacutee sur le reacutefeacuterent en question

As far as ordinary third-person pronouns are concerned their chief discourse function is to signal referential and attentional continuity thereby marking the stability of a given referentrsquos existence within a given discourse model This is the case where they are unaccented in English and clitic in French raquo (ibid 63)

On se souvient eacutegalement (cf supra ChI sect461) que pour Ariel (1988 1990) les pronoms

marquent une haute accessibiliteacute autrement dit ils sont consideacutereacutes comme speacutecialiseacutes dans la

reacutefeacuterence agrave des entiteacutes tregraves accessibles en meacutemoire cette accessibiliteacute ne reposant pas

seulement sur des critegraveres textuels mais aussi sur le nombre de candidats potentiels et sur la

laquo topicaliteacute raquo (ou laquo saillance raquo) du reacutefeacuterent

Quant au modegravele de Gundel et al (1993 279) (cf supra ChI sect462) il requiert un statut en

focus pour lrsquoemploi des pronoms non accentueacutes crsquoest-agrave-dire que le reacutefeacuterent viseacute doit ecirctre situeacute

139

dans le centre drsquoattention des interlocuteurs (issu de la meacutemoire agrave court terme) Les objets en

laquo focus raquo sont agrave leurs yeux les plus susceptibles de constituer le laquo topique raquo des eacutenonceacutes

subseacutequents146

On pourrait multiplier les teacutemoignages en ce sens agrave lrsquoeacutegard du fonctionnement du pronom de

3e personne

147 reconnu de la sorte comme le marqueur typique de la continuiteacute qualifieacutee

tantocirct de theacutematique tantocirct de topicale ou encore drsquoattentionnelle etc Avant de mettre en

eacutevidence des faits qui srsquoy montrent reacutefractaires (sect42) nous preacutesentons ci-dessous quelques

reacuteserves agrave lrsquoeacutegard des notions invoqueacutees pour justifier celles que nous retenons pour la suite

de ce travail

34 Bilan

Il nous paraicirct agrave ce stade utile de formuler quelques remarques et mises au point sur des

problegravemes drsquoordre notionnel En effet la plupart des theacuteories invoquent des termes dont

lrsquoextension demeure passablement floue Crsquoest notamment le cas des notions de focustopique

(et leurs deacuteriveacutes)

On peut drsquoabord constater que la notion de focus est exploiteacutee dans plusieurs domaines dans

un sens psychologique le focus constitue le centre ou foyer drsquoattention des interlocuteurs

(Sanford amp Garrod 1981 Gundel et al 1993 Cornish 1999) Il repreacutesente le point de repegravere

en fonction duquel les participants gegraverent le flux drsquoinformations eacutechangeacutees au cours du

discours afin de srsquoassurer drsquoecirctre laquo sur la mecircme longueur drsquoondes raquo Dans une perspective

cognitive lrsquoanaphore et la deixis constituent preacuteciseacutement des moyens de geacuterer le focus en y

placcedilant ou en y maintenant des reacutefeacuterents Selon Cornish (1999 25) le focus drsquoattention est

reacuteactualiseacute agrave chaque nouvelle preacutedication par les interlocuteurs ceux-ci eacutetant ameneacutes agrave

deacuteterminer ce qui fait lrsquoobjet de chacune drsquoentre elles ndash et partant ce qui y figure Sidner

(1981 220) adopte une vision similaire agrave lrsquoeacutegard de la notion de focus laquo [t]he items in focus

are those that are talked about for a part of the discourse raquo On ne peut srsquoempecirccher de

remarquer ici des chevauchements avec la notion de topique ou de thegraveme envisageacutee par

Lambrecht (1994) en termes drsquoaboutness ou drsquoagrave-propos concept inspireacute par Strawson (1964

97) laquo we intend in general to give or add information about what is a matter of standing

current interest or concern raquo (nous soulignons) Le topique est en ce sens laquo the matter of

current interest which a statement is about raquo (Lambrecht 1994 119) Les notions de focus et

de topique se recouvrent donc chez certains auteurs laquo topics are referentially given in the

146

La notion de focus est visiblement utiliseacutee dans un sens psychologique et non en termes de structure

informationnelle ougrave topique et focus en principe srsquoopposent En fait les deux notions de focus ne seraient

apparemment pas sans rapport laquo elements tend to be linguistically focussed because the speaker wants to bring

them into the focus of attention raquo (Gundel et al 1993 279) Le terme topique semble quant agrave lui envisageacute ici en

terme drsquoaboutness au rang de la phrase laquo what the speaker intends a sentence to be primarily about raquo (ibid) 147

Cf Lambrecht (1994 132) laquo in coherent discourse the overwhelming majority of subjects are unaccented

pronouns ie expressions which indicate topic continuity across sentences raquo Voir aussi lrsquoeacutetat de la question de

Demol (2010 48-60) sur le marquage de la continuiteacute propre au pronom il Drsquoautres travaux vont dans le mecircme

sens entre autres Apotheacuteloz (1995a 280) Charolles (1997) Givoacuten (1983) Schnedecker (1997)

140

sense of being in the current focus of attention raquo (Gundel amp Fretheim 2004 180) Or dans le

domaine de la structure informationnelle les notions de topiquefocus sont supposeacutees

srsquoopposer du moins se montrer distinctes laquo Topic is what the sentence is about focus is

what is predicated about the topic raquo (Gundel amp Fretheim 2004 176) Du point de vue

psychologique la notion de focus recouvre celle de topique mais dans son acception

informationnelle elle srsquoy oppose

La notion de topique148

agrave son tour ne va pas sans poser problegraveme elle peut ecirctre appreacutehendeacutee

au niveau de lrsquoeacutenonceacute selon les modaliteacutes de livraison de lrsquoinformation laquo topic is given in

relation to focus and focus represents the new information predicated about the topic raquo

(Gundel amp Fretheim 2004 4 nous soulignons) En cela lrsquoopposition se superpose agrave celle de

thegraveme vs rhegraveme lieacutees agrave la structure informationnelle Le topique peut en outre ecirctre envisageacute

drsquoun point de vue positionnel comme le laquo point de deacutepart raquo de lrsquoeacutenonceacute (Demol 2010 172)

Au niveau syntaxique certains assimilent le topique au sujet de la phrase (Givoacuten 1984)

Drsquoautre part le topique peut ecirctre interpreacuteteacute au niveau discursif en tant que participant le plus

central du discours (Givoacuten 1983 1992) Kleiber (1994b) parle eacutegalement de topique discursif

en ne recourant paradoxalement qursquoagrave des exemples de deux phrases comme le relegraveve Demol

(2010 173) En deacutefinitive on constate que les deacutefinitions se montrent souvent intuitives et agrave

lrsquoorigine de problegravemes drsquoidentification (Grobet 2002 27-29) Par ailleurs les niveaux

drsquoanalyse du topique ndash syntaxique cognitif seacutemantique ndash sont freacutequemment confondus

(Demol 2010 173) Cette impreacutecision se reporte sans surprise sur le deacuteriveacute topicaliteacute Demol

(2010 141) calcule le degreacute de topicaliteacute par le nombre de renvois opeacutereacutes sur un mecircme

reacutefeacuterent Drsquoailleurs elle remplace indiffeacuteremment lrsquoexpression par celle de degreacute de saillance

agrave lrsquoimage drsquoAriel (1988 1990) qui recourt agrave tantocirct agrave la notion de topicaliteacute tantocirct agrave celle de

saillance comme fondement de lrsquoun des critegraveres drsquoaccessibiliteacute

Tout compte fait les conceptions concurrentes de focus et topique et leurs deacutelimitations tantocirct

superposeacutees tantocirct croiseacutees tantocirct distinctes contribuent agrave entretenir le flou scientifique

Pour cette raison nous preacutefeacuterons nous passer de ces notions dans nos analyses Lorsque nous

eacutevoquerons des questions strictement lieacutees agrave la structure informationnelle nous conserverons

lrsquoopposition thegraveme-rhegraveme ougrave le thegraveme est envisageacute exclusivement en termes drsquoaboutness (ce

dont on parle) et le rhegraveme deacutesigne lrsquoinformation nouvelle pertinente sur laquelle portent

notamment les modaliteacutes drsquoeacutenonceacute (neacutegation interrogation etc) ou dont la reacutealisation est

susceptible drsquoentrer dans un dispositif de clivage Pour ce qui concerne lrsquoimportance cognitive

accordeacutee agrave un objet-de-discours nous parlerons de son degreacute de saillance ou drsquoactivation

pour un eacutetat donneacute de M (Groupe de Fribourg 2012 126-127) La notion de saillance a le

meacuterite de jouer sur un seul tableau le niveau cognitif149

lagrave ougrave celles de topique et de focus se

rencontrent sur de nombreux terrains de maniegravere parfois indiffeacuterencieacutee et precirctant de la sorte agrave

confusion

148

Voir Demol (2010) pour un exposeacute reacutecent des diverses deacutefinitions proposeacutees 149

Selon Landragin (2004) la notion eacutemane drsquoune analogie avec le domaine de la perception visuelle

141

Landragin (2004) deacutefinit la saillance comme le caractegravere preacutepondeacuterant preacutegnant de certains

eacuteleacutements un eacuteleacutement saillant ressort en premier dans les repreacutesentations cognitives du sujet

parlant Il est vrai que la notion met en jeu une multipliciteacute de facteurs de niveaux drsquoanalyse

diffeacuterents (Kibrik 2011 390 sqq150

) dont certains se montrent difficilement mesurables et

impliquent forceacutement une part drsquointuition facteurs seacutemantiques prosodiques syntaxiques

infeacuterentiels perceptifs reacutecence drsquointroduction drsquoun reacutefeacuterent intentions et attention des

interactants scheacutemas culturels etc (Landragin 2004) Au vu de notre conception du discours

(cf supra ChI sect632) on doit supposer que toutes sortes de paramegravetres contextuels mecircme si

le linguiste nrsquoy a pas accegraves influent sur lrsquoattention porteacutee agrave un reacutefeacuterent en M Et parmi les

objets agrave la porteacutee des interlocuteurs dans un eacutetat donneacute de M il va de soi que certains

apparaissent relativement saillants alors que drsquoautres demeurent plus en retrait

On peut tenter de clarifier cette faccedilon intuitive de voir les choses en distinguant avec

Apotheacuteloz (1995a 169-170) deux sortes de saillance une saillance locale qui deacutepend de

facteurs laquo accidentels raquo de la situation immeacutediate tels que la reacutecence drsquoactivation (par des

moyens verbaux ou non) ou les proprieacuteteacutes perceptives particuliegraveres de lrsquoobjet etc La

saillance cognitive quant agrave elle recouvre la centraliteacute drsquoun objet sur le plan de lrsquoorganisation

des repreacutesentations cognitives en meacutemoire discursive et a trait agrave la notion de pertinence

lrsquoobjet le plus saillant cognitivement est alors celui qui occupe la position la plus centrale dans lrsquounivers drsquoobjets consideacutereacute crsquoest aussi vraisemblablement celui dont lrsquoeffet organisateur est le plus fort dans cet univers (ibid 170)

La saillance locale peut ecirctre repreacutesenteacutee comme une pile drsquoobjets au sommet de laquelle se

tient momentaneacutement le plus saillant drsquoentre eux tandis que la saillance cognitive srsquoapparente

davantage agrave une structure en graphe ou treillis au centre de laquelle se trouve lrsquoobjet le plus

saillant au niveau de lrsquoorganisation de M qui constitue le nœud vers lequel converge le plus

grand nombre de liens (Apotheacuteloz 1995a ibid) il devient ainsi le centre organisateur (cf

supra ChI sect634) La maniegravere dont ces deux types de saillance interagissent reste neacuteanmoins

assez floue et theacuteorique mais leur distinction peut deacutejagrave permettre drsquoaffiner et de nuancer

certaines situations

Nous proposons un exemple pour illustrer la maniegravere dont peut se manifester la saillance drsquoun

objet en M La devinette ci-dessous preacutesente la particulariteacute de jouer sur le caractegravere implicite

drsquoun reacutefeacuterent pourtant bien activeacute en M

(157) Qursquoest-ce que crsquoest nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Lorsque je marche je mets parfois ma main dans la poche de mon pantalon pour le

tripoter - Il nrsquoest pas rare qursquoen mrsquoendormant je le touche nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Il mrsquoarrive aussi de le soupeser involontairement quand je lis mon journal comme

150

Kibrik (2011) adopte une approche pluri-factorielle du degreacute drsquoactivation reacutefeacuterentielle Il deacutegage des facteurs

lieacutes agrave la preacutesence drsquoun anteacuteceacutedent (en termes de distance de syntaxe et de seacutemantique) et drsquoautres lieacutes aux

proprieacuteteacutes mecircmes du reacutefeacuterent (animation protagoniste etc) Nous nous distinguons toutefois de cette approche

qui se fonde essentiellement sur des paramegravetres propres agrave lrsquoeacutecrit et qui considegravere uniquement le degreacute

drsquoactivation pour le choix de lrsquoexpression reacutefeacuterentielle

142

pour mrsquoassurer qursquoil est toujours agrave sa place nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Ben mon teacuteleacutephone portable quoi A quoi ton esprit tordu trsquoa meneacute nnnnnnnnnnnn

(httpsfranswersyahoocomquestionindexqid=20111115232751AAKrGwU)

Dans cet exemple la question initiale introduit un objet momentaneacutement indeacutetermineacute le

placcedilant agrave ce moment-lagrave non seulement au laquo sommet de la pile raquo mais eacutegalement au vu du

genre de discours agrave lrsquoœuvre (une devinette) et des attentes agrave cet eacutegard directement au centre

drsquoun reacuteseau reacutefeacuterentiel agrave eacutelaborer Malgreacute la justification finale du locuteur se

deacuteresponsabilisant de lrsquointerpreacutetation laquo commise raquo par le destinataire de nombreux

paramegravetres contribuent agrave maintenir au plus haut lrsquoactivation de lrsquoobjet incrimineacute tout au long

du discours au genre de la devinette (dont lrsquoenjeu est la deacutecouverte drsquoun reacutefeacuterent) on peut

ajouter des facteurs culturels (le caractegravere tabou du reacutefeacuterent insinueacute dont lrsquoinfeacuterence est

appuyeacutee par les verbes tripoter x toucher x soupeser x etc induisant des scheacutemas drsquoactions

typiques) et surtout le nombre de renvois opeacutereacutes sur lui (ce le sa il) Ces eacuteleacutements

concourent agrave rendre le reacutefeacuterent implicite plus important que drsquoautres objets introduits dans cet

extrait comme la lsquomainrsquo le lsquopantalonrsquo ou le lsquojournalrsquo qui tout en modifiant tour agrave tour le

sommet de la pile au niveau local se greffent et gravitent ainsi autour de lui au niveau

cognitif faisant de lui le centre organisateur du reacuteseau reacutefeacuterentiel construit Cet extrait illustre

en outre une situation de deacutesaccord entre les interlocuteurs sur le contenu exact de M (cf

supra Ch sect634) lrsquoauteur de la devinette pousse deacutelibeacutereacutement son destinataire agrave infeacuterer un

type drsquoobjet en fonction des indices agrave disposition pour finalement mettre en cause

lrsquointerpreacutetation produite et fournir une solution alternative et insoupccedilonneacutee

Dans la section suivante nous allons voir que lrsquohypothegravese laquo cognitive raquo agrave savoir le maintien

de la reacutefeacuterence agrave un objet deacutejagrave saillant au-delagrave des problegravemes terminologiques pointeacutes

rencontre aussi des obstacles au niveau theacuteorique En effet certains faits srsquoy montrent

reacutefractaires en particulier les emplois laquo indirects raquo du pronom de 3e personne que nous allons

aborder ci-apregraves ainsi que lrsquoemploi laquo sous-deacutetermineacute raquo de la 6e personne (ils) eacutetudieacute au

chapitre V Certes il ne srsquoagit pas de remettre en cause lrsquoaptitude du pronom agrave fonctionner

dans des circonstances de continuiteacute appuyeacutee par nombre de donneacutees et drsquoeacutetudes151

Mais le

maintien de la saillance est une motivation ndash fucirct-elle la plus freacutequente ndash parmi drsquoautres

possibles au recours agrave la forme en question Notre ambition dans la section suivante est ainsi

de mettre en lumiegravere drsquoautres facteurs potentiels favorisant le choix du pronom

151

Voir Demol (2010) pour un eacutetat de la question et une eacutetude empirique de ilcelui-ci sur un corpus

journalistique

143

4 Lrsquoanaphore pronominale indirecte ou associative

Dans le cas ougrave aucun objet en meacutemoire ne correspond au pointeur linguistique

lrsquointerpreacutetation peut passer par lrsquoinfeacuterence drsquoun nouvel objet cible agrave partir drsquoun objet-support

deacutejagrave valide en M Pour deacutecrire cette proceacutedure on peut faire appel agrave la notion drsquoanaphore

associative parfois aussi appeleacutee indirecte Cornish (2001) en fournit la deacutefinition suivante

Ce terme [anaphore indirecte] deacutenote des configurations ougrave un anaphorique ne reprend pas le reacutefeacuterent eacutevoqueacute par son anteacuteceacutedent textuel mais pointe vers un autre qui pourra lui ecirctre associeacute drsquoune faccedilon ou drsquoune autre (relation laquo partie-tout raquo de meacutetonymie de laquo classe-ensemble raquo ou plus geacuteneacuteralement laquo associative raquo) (p 1)

Lrsquoorigine du concept drsquoassociation utiliseacute pour caracteacuteriser la relation reacutefeacuterentielle remonte agrave

Guillaume (1919) qui qualifie drsquoassociatives les expressions en italiques ci-dessous (Kleiber

et al 1994)

(158) Et comme le voyageur passait alors devant lrsquoeacuteglise les saints personnages qui eacutetaient

peints sur les vitraux parurent avoir de lrsquoeffroi Le precirctre agenouilleacute devant lrsquoautel

oublia sa priegravere (p 163)

Le caractegravere deacutefini de ces SN deacutecoule ainsi de leur association avec un reacutefeacuterent mentionneacute en

amont via le SN lrsquoeacuteglise Pour certains auteurs le terme drsquoanaphore associative est reacuteserveacute agrave

lrsquoemploi des SN deacutefinis lexicaux de ce type (cf infra Corblin 1987 Kleiber 1990a Kleiber et

al 1994) En ce qui concerne les pronoms leur aptitude agrave fonctionner de la sorte est tantocirct

contesteacutee (Erkuuml amp Gundel 1987 Sanford amp Garrod 1981 Ariel 1990) tantocirct reconnue

comme on le verra sous reacuteserve de conditions drsquoemploi strictes (Kleiber 1990a Cornish

2001 Cornish et al 2005) ou comme des laquo rateacutes de lrsquoeacutemission raquo (Charolles 1990 Gundel et

al 2000) Neacuteanmoins quelques auteurs srsquoefforcent de deacutegager les reacutegulariteacutes drsquoemploi des

pronoms associatifs (Beacuteguelin 1993a Johnsen 2013 Berrendonner 2014) Avant drsquoaborder la

question des pronoms de ce type (sect42) il est toutefois neacutecessaire drsquoexaminer de plus pregraves la

notion geacuteneacuterale drsquoanaphore associative (sect41) qui a en effet susciteacute une vive poleacutemique en

linguistique franccedilaise agrave la fin du XXe siegravecle qursquoil srsquoagisse de sa deacutelimitation ou du meacutecanisme

infeacuterentiel qursquoelle met en jeu

41 Lrsquoanaphore associative

Le proceacutedeacute reacutefeacuterentiel de lrsquoanaphore associative comprend des facteurs de diffeacuterents ordres agrave

savoir seacutemantiques formels cognitifs et pragmatiques Prenons des exemples canoniques tels

que

(159) Jrsquoai acheteacute un stylo hier mais la plume est casseacutee (Azoulay 1978)

(160) Il srsquoabrita sous un vieux tilleul Le tronc eacutetait tout craqueleacute (Fradin 1984)

(161) Nous arrivacircmes dans un village Lrsquoeacuteglise eacutetait situeacutee sur une hauteur (Kleiber 1992c)

144

Par sa nature laquo deacutefinie raquo le SN anaphorique introduit un reacutefeacuterent nouveau laquo sur le mode du

connu raquo Crsquoest en vertu drsquoune relation associative existant entre le reacutefeacuterent disponible et celui

agrave infeacuterer (ici la plume du stylo le tronc du vieux tilleul lrsquoeacuteglise du village dont on vient de

parler) que lrsquoon peut conclure agrave lrsquoexistence de ce dernier On reconnaicirct geacuteneacuteralement deux

eacuteleacutements en jeu dans le processus reacutefeacuterentiel une deacutependance interpreacutetative entre

lrsquoexpression reacutefeacuterentielle et le contexte preacutealable et une disjonction entre le reacutefeacuterent

implicitement introduit et celui qui a servi de point de deacutepart agrave lrsquoinfeacuterence (Charolles 1990)

Bien que mis au jour par Guillaume (1919) le pheacutenomegravene de lrsquoanaphore associative alimente

surtout au deacutebut les recherches sur lrsquoarticle deacutefini et nrsquoest pas eacutetudieacute pour lui-mecircme consideacutereacute

comme nrsquoayant laquo au fond rien de bien mysteacuterieux raquo (Kleiber et al 1994) Ce nrsquoest que vers la

fin du XXe siegravecle que lrsquoanaphore associative fait lrsquoobjet drsquoune attention particuliegravere (entre

autres Hawkins 1978 Azoulay 1978 Fradin 1984 Erkuuml amp Gundel 1987 [Reichler-]Beacuteguelin

1989 Charolles 1990 1994 1999 Kleiber 1990b 1992b 1999 2001a 2001b 2004

Berrendonner 1995 Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1999 Cornish 2001) et que se manifestent des

tentatives de deacutelimitation et de restriction en mecircme temps que des tentatives de geacuteneacuteralisation

du pheacutenomegravene deacutemarches aboutissant agrave des conceptions divergentes agrave lrsquoorigine drsquoun large

deacutebat

411 Conception eacutetroite

La conception qualifieacutee drsquoeacutetroite ou de standard par Kleiber et al (1994) dissocie les notions

drsquoanaphore associative et drsquoanaphore indirecte Ses tenants considegraverent que lrsquoanaphore

associative repreacutesente un cas particulier de lrsquoanaphore indirecte Ils font intervenir dans la

deacutefinition de lrsquoanaphore associative des critegraveres formels et seacutemantiques restrictifs (entre autres

Corblin 1987 Kleiber et al 1994) A noter qursquoau sein de cette approche les contraintes

peuvent varier drsquoun auteur agrave lrsquoautre Un aspect important se situe dans la diffeacuterence de

comportement des diverses expressions reacutefeacuterentielles lrsquohypothegravese eacutetant qursquoun changement de

cateacutegorie linguistique entraicircne un changement de configuration discursive (ibid) Aussi sur la

base de jugements drsquoacceptabiliteacute les auteurs soutiennent que toutes les formes ne sont pas

pareillement aptes agrave supporter une anaphore associative

(162) Nous arrivacircmes dans un village Cette eacuteglise eacutetait situeacutee sur une butte (ibid 48)

(163) Harry roulait vers Londres Elle tomba en panne agrave mi-chemin (ibid trad de Sanford

et al 1983)

Ces exemples sont supposeacutes reacuteveacuteler des restrictions drsquoemploi deacutefinitoires de lrsquoanaphore

associative reacuteserveacutee agrave lrsquoemploi des SN deacutefinis De ce point de vue il ne suffit pas que lrsquoon

comprenne de quel reacutefeacuterent il srsquoagit pour que lrsquoon puisse approuver de tels enchaicircnements Au

contraire leur malformation prouve aux yeux des auteurs lrsquoexclusion des SN deacutemonstratifs

et des pronoms en site associatif A leurs opposants qui exhibent des donneacutees authentiques

infirmant cette position (eg Il neige et elle tient lt [Reichler-]Beacuteguelin 1988 cf infra (185)

145

ils mettent en cause le caractegravere discutable des eacutenonceacutes reacutepliquant que laquo lrsquoauthenticiteacute nrsquoest

pas un gage de bonne formation sinon il nrsquoy aurait plus drsquoerreurs raquo Ils leur reprochent la

surpuissance de leur modegravele qui preacutedit laquo plus drsquoenchaicircnements mal formeacutes que

drsquoenchaicircnements bien formeacutes raquo (Kleiber et al 1994 50) On peut neacuteanmoins rappeler les

risques de circulariteacute drsquoun tel modegravele (cf supra ChI sect631) les auteurs jugeant eux-mecircmes

de lrsquoacceptabiliteacute des donneacutees inventeacutees par leurs soins srsquoimposant de la sorte comme les

garants du bon usage Lrsquoopeacuterationnaliteacute du modegravele en question srsquoexplique au fond par des

jugements de valeur et la mise agrave lrsquoeacutecart des donneacutees reacutecalcitranteshellip

Dans lrsquoapproche eacutetroite seules les opeacuterations infeacuterentielles de deacuteduction sont toleacutereacutees en

particulier celles qui vont laquo du tout vers la partie raquo car laquo une entiteacute se deacutefinit geacuteneacuteralement

par les ingreacutedients qui la constituent raquo (Kleiber et al 1994 42) Cela explique le monopole

du SN deacutefini impliquant selon les theacuteories dominantes au vu du preacutesupposeacute drsquoexistence et

drsquouniciteacute qursquoil veacutehicule que lrsquoon dispose des informations neacutecessaires agrave la saturation

reacutefeacuterentielle (Milner 1982 Corblin 1987 Kleiber et al 1994) Outre le caractegravere orienteacute de la

relation meacutereacuteonymique invoqueacutee celle-ci doit selon Kleiber et al (1994) ecirctre inscrite au

niveau lexical il peut srsquoagir drsquoun savoir conventionnel neacutecessaire (eg le lien entre une

lsquolamersquo et un lsquocouteaursquo) ou agrave caractegravere steacutereacuteotypique (eg le lien entre une lsquoeacuteglisersquo et un

lsquovillagersquo)

Ajoutons pour terminer152

un critegravere textuel agrave la deacutefinition eacutetroite de lrsquoanaphore associative

le caractegravere deacutelimitable de lrsquoanteacuteceacutedent ideacutealement repreacutesenteacute par un SN ou alors un

laquo preacutedicat raquo mais avec des conditions strictes153

(Kleiber et al 1994 Kleiber 1997b)

(164) Pierre se coupa du pain puis rangea le couteau (Corblin 1987)

Dans ce cas la relation exprimeacutee via lrsquoanteacuteceacutedent et lrsquoexpression anaphorique est de type

actantiel ougrave le reacutefeacuterent du SN le couteau repreacutesente un actant (lrsquoinstrument) du preacutedicat de

couper cette relation devant ecirctre preacuteconstruite au niveau lexico-steacutereacuteotypique laquo il suffit de la

mention du preacutedicat pour que ses arguments soient eacutegalement disponibles raquo (Kleiber 1997b

95)

En somme toutes les donneacutees qui srsquoeacutecartent des critegraveres invoqueacutes sont exclues du domaine de

lrsquoanaphore associative Parmi les faits refouleacutes on peut noter

- Les SN deacutefinis sous la porteacutee drsquoun restricteur de domaine

152

Deux contraintes seacutemantiques suppleacutementaires sont ajouteacutees par Kleiber et al (1994) et Kleiber (1999) agrave

savoir la condition drsquoalieacutenation du reacutefeacuterent agrave infeacuterer et le principe de congruence ontologique entre les reacutefeacuterents

mis en relation La premiegravere contrainte indique que le reacutefeacuterent agrave infeacuterer doit ecirctre envisageable comme laquo un

individu autonome raquo (Kleiber 1999 85) La seconde qui explique la difficulteacute drsquoinfeacuterer des entiteacutes

syncateacutegoreacutematiques comme les proprieacuteteacutes ou les eacuteveacutenements exige que les deux reacutefeacuterents impliqueacutes dans le

processus drsquoinfeacuterence soient du mecircme type ontologique selon lrsquoauteur il est ardu drsquoopeacuterer lrsquoalieacutenation agrave partir

de lrsquoexistence drsquoune voiture de sa couleur ou de sa course contrairement agrave son volant (ibid 89) 153

Eg le nom de lrsquoexpression anaphorique doit ecirctre de niveau basique comme couteau dans lrsquoexemple

subseacutequent par opposition agrave canif (hyponyme) ou instrument (hyperonyme)

146

(165) En France le preacutesident voyage beaucoup (Kleiber et al 1994)

- les emplois infeacuterables laquo situationnels raquo

(166) Ce trainil a toujours du retard (A agrave B qui attend comme lui le Vintimille sur le quai de

la gare Kleiber 2004 290)

- les SN deacutemonstratifs laquo textuellement raquo infeacuterables

(167) Jrsquoai planteacute un acacia parce que ces arbres ne craignent pas le froid (ibid)

- les SN deacutemonstratifs meacutemoriels

(168) Souviens-toi de nos vacances cette mer ce sable ce ciel (Wilmet 1986)

- les ils laquo geacuteneacuteriques textuels indirects raquo

(169) Paul a acheteacute une Toyota parce qursquoelles sont robustes (Kleiber 2004 290)

- les ils dits collectifs

(170) Paul a eacuteteacute agrave lrsquohocircpital Ils lrsquoont soigneacute eacutenergiquement (ibid)

Parmi ces proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels certains (les quatre derniers) sont consideacutereacutes comme des

anaphores indirectes agrave deacutefaut drsquoecirctre des anaphores associatives (lrsquoanaphore associative se

reacuteveacutelant comme un sous-type de lrsquoanaphore indirecte) Sans entrer dans le deacutetail de chacune

de ces exclusions on peut percevoir dans lrsquoapproche eacutetroite la volonteacute de traiter seacutepareacutement

des faits en preacutesence sur la base de critegraveres seacutemantico-formels stricts que reacutevegravelent entre

autres les jugements drsquoacceptabiliteacute

412 Conception large

Dans une conception dite large (Kleiber et al 1994) au contraire les chercheurs observent

une varieacuteteacute de relations associatives154

mises en œuvre au moyen de diverses expressions

reacutefeacuterentielles (entre autres [Reichler-]Beacuteguelin 1989 1993a Berrendonner 1994 1995

Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995 Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1999 Charolles 1990

Charolles amp Choi-Jonin 1995) Lrsquoun des points de deacutepart est le fait qursquoon nrsquoobserve pas de

diffeacuterence de nature dans lrsquointerpreacutetation drsquoune anaphore coreacutefeacuterentielle et celle drsquoune

anaphore associative si bien que si lrsquoon en venait agrave consideacuterer la freacutequence des donneacutees on

pourrait ecirctre ameneacute agrave laquo inverser lrsquoordre des preacuteseacuteances raquo (Charolles 1990 3)

Crsquoest drsquoailleurs le parti-pris risqueacute qursquoillustre le modegravele fribourgeois en mettant lrsquoanaphore

associative au premier plan et en ramenant la variante coreacutefeacuterentielle agrave un cas particulier

Berrendonner (1995) srsquoinspire de la notion abstraite drsquoingreacutedience de la meacutereacuteologie

lesniewskienne (1989) qursquoil adapte pour appreacutehender la relation associative de maniegravere

154

Voir aussi Erkuuml amp Gundel (1987) ainsi que Clark (1977) qui reacutepertorie de nombreux types de pontage

infeacuterentiel (inferential bridging)

147

flexible et non limiteacutee agrave un strict rapport partie-tout tel que le procircne la conception eacutetroite

ainsi le foncteur que Berrendonner (1995) nomme laquo ingreacutedient raquo caracteacuterise aussi bien des

liens entre actants et procegraves155

(171) des rapports de simple contiguiumlteacute (localisation matiegravere

etc) (172)156

et mecircme des relations drsquoidentiteacute (173) comme crsquoest le cas pour lrsquoanaphore

coreacutefeacuterentielle

(171) Une supposition que tu attrapes le diamant qursquoest-ce que tu ferais de tout cet argent

(M Aymeacute lt Berrendonner 1995 251)

(172) Il y avait une valise sur le lit Le cuir les vecirctements eacutetai(en)t tout tacheacute(s) (Charolles

1990)

(173) Marc baissa la tecircte croisa les bras brusquement calmeacute Il jeta un rapide regard vers la

cantatrice du front Ouest (F Vargas Debout les morts p 45)

Cette derniegravere situation illustre une conception large et reacuteflexive de la relation drsquoinclusion

dans une theacuteorie ensembliste en logique naturelle drsquoapregraves laquelle on peut consideacuterer que

laquo tout objet est ingreacutedient de lui-mecircme raquo (Berrendonner 1995 253) En bref les situations

drsquoidentiteacute autrement dit de coreacutefeacuterence ne repreacutesentent qursquoun cas particulier de la relation

drsquoingreacutedience ainsi conccedilue Charolles (1990) note eacutegalement de son cocircteacute la diversiteacute des

relations associatives parmi lesquelles laquo toute forme de contiguiumlteacute reacutefeacuterentielle raquo y compris

les rapports les plus vagues comme ci-dessous

(174) Sophie dormait lrsquoavion survolait lrsquoOceacutean indien (ibid 13)

Dans ce cas crsquoest le discours qui impose la relation drsquoassociation poussant lrsquointerpregravete agrave

infeacuterer que laquo lrsquoavion a agrave voir avec le sommeil de Sophie raquo157

Cette approche geacuteneacuteralisante de lrsquoanaphore srsquooppose agrave la deacutefinition laquo eacutetroite raquo par le fait

qursquoelle admet de nombreux parcours infeacuterentiels pour lrsquointerpreacutetation des anaphores

associatives On peut deacutejagrave remarquer que les opeacuterations cognitives agrave lrsquoœuvre preacutesenteacutees

exclusivement comme des deacuteductions dans la conception eacutetroite (eg (159) (160) et (161))

conformeacutement agrave une laquo regravegle raquo du genre lsquosi on a le tout on a la partiersquo sont sans doute

beaucoup plus complexes que cela impliquant plusieurs eacutetapes de diffeacuterentes natures dans le

raisonnement Or lrsquointeraction des divers facteurs cognitifs en jeu ne sont jamais

veacuteritablement deacutecrits dans les travaux Sans pouvoir combler entiegraverement ce manque nous

pouvons neacuteanmoins revenir sur le cas de (161) en signalant la neacutecessiteacute drsquoopeacuterer avant toute

deacuteduction une induction du type lsquoles villages de cette reacutegion comportent une eacuteglisersquo qui ne

155

Le processus interpreacutetatif se fonderait notamment sur lrsquoexistence de structures cognitives telles que les

sceacutenarios (Sanford amp Garrod 1981) cadres (frames lt Minsky 1975) ou encore scripts (Schank amp Abelson

1977) 156

Cf les pontages infeacuterentiels varieacutes chez Clark (1977) 157

Il reste toutefois difficile agrave notre avis drsquointerpreacuteter cet eacutenonceacute indeacutependamment de tout contexte Crsquoest

drsquoailleurs sur les questions qui touchent agrave la nature et au tri des donneacutees que se distinguent principalement

Charolles et le Groupe de Fribourg

148

repreacutesente pas forceacutement un steacutereacuteotype pour tout interpregravete si lrsquoon tient compte de facteurs

culturels Dans le mecircme ordre drsquoideacutees Berrendonner (1995) fournit cet exemple authentique

impliquant manifestement entre autres une opeacuteration drsquoinduction crsquoest-agrave-dire ougrave lrsquointerpregravete

est ameneacute agrave construire un steacutereacuteotype agrave partir du discours mecircme (p 246)

(175) Hier soir vers 19h15 un incendie srsquoest deacuteclareacute dans la chemineacutee drsquoune ancienne ferme

agrave Neyruz158

[hellip] Le feu a pris au sommet de la borne dans la partie non tubeacutee (presse

lt ibid 238)

Crsquoest ici le discours qui permet agrave lrsquoallocutaire drsquoinfeacuterer une relation laquo agrave parfum geacuteneacuterique raquo

(Charolles 1990) en lrsquooccurrence que la borne (en tant que type) est une partie de la chemineacutee

dans les fermes fribourgeoises159

qui constitue ainsi la laquo preacutemisse nomologique raquo de

lrsquointerpreacutetation associative (Berrendonner 1995 246) Par ailleurs on peut noter par ce

raisonnement lrsquoenrichissement potentiel des connaissances de type geacuteneacuterique pour

lrsquointerlocuteur (ibid 247 Charolles 1990 1999)

Berrendonner (1995) relegraveve en outre agrave la suite de Charolles (1990) des parcours infeacuterentiels

de type abductif contesteacutes par drsquoautres (eg Kleiber 1992c)

(176) Le cheval drsquoYvain deacuteclencha un meacutecanisme qui fit tomber sur eux une porte de fer

Enfermeacute dans cette salle Yvain eacutetait complegravetement deacutesorienteacute (copie drsquoeacutelegraveve lt ibid

246)

Dans un exemple de ce type le parcours preacutesente une orientation inverse agrave celle de la

deacuteduction il obeacuteit agrave un calcul probabiliste du genre laquo si on a la partie on a le tout raquo dont la

validiteacute nrsquoest pas garantie En lrsquooccurrence on conclut agrave lrsquoexistence drsquoune salle agrave partir de

celle drsquoune porte de fer au deacutetriment drsquoautres hypothegraveses envisageables (eg lrsquoexistence drsquoun

jardin drsquoune cave etc) Ces deux derniers exemples montrent eacutegalement que le discours lui-

mecircme plutocirct qursquoun savoir lexico-steacutereacuteotypique peut ecirctre agrave lrsquoorigine de la construction de la

relation associative (Erkuuml amp Gundel 1987 Charolles 1990 1994 1999 Berrendonner 1995)

Crsquoest aussi le cas de lrsquoexemple suivant proposeacute par Charolles (1990) tireacute drsquoune fable de La

Fontaine

(177) Un pacirctre agrave ses brebis trouvant quelque meacutecompte nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Voulut agrave toute force attraper le larron (La Fontaine VI I lt ibid)

Selon Charolles un lsquomeacutecomptersquo nrsquoimplique pas lexicalement lrsquoexistence drsquoun larron Crsquoest

bien le contexte discursif par laquo preacutesomption de coheacuterence raquo qui permet de cautionner

lrsquoinfeacuterence et de promouvoir laquo des relations ineacutedites conjoncturelles qui peuvent nrsquoavoir

qursquoune validiteacute occasionnelle raquo (ibid 14) Cela montre non seulement que les relations

158

Neyruz est le nom drsquoun village du canton de Fribourg en Suisse 159

On pourrait toutefois objecter que pour le lecteur fribourgeois de la presse locale le steacutereacuteotype nrsquoa pas agrave ecirctre

construit car il fait deacutejagrave partie de ses connaissances culturelles Si le lectorat est en revanche plus vaste il y a en

effet des chances qursquoil ne soit pas au fait du steacutereacuteotype

149

drsquoassociation deacutepassent largement le savoir laquo a priori raquo (lexical steacutereacuteotypique) mais aussi que

laquo lrsquoinfeacuterence fonctionne agrave reculons pour eacutetablir un lien (un pont) qui ne peut pas ne pas ecirctre

puisqursquoil est manifeste raquo (ibid 4)

Comme en teacutemoignent (171) et (176) la conception large admet une diversiteacute de formes

supportant lrsquoanaphore associative A ce titre les chercheurs fribourgeois qualifient sans

scrupule drsquoassociatifs des indices de 3e personne ou des SN deacutemonstratifs fonctionnant de la

sorte160

(178) Le danger drsquoecirctre piqueacute par une abeille est le plus grand entre mai et juillet Pendant

cette peacuteriode elles essaiment le plus freacutequemment (circulaire meacutedicale [Reichler-

]Beacuteguelin 1993a 337)

(179) Il est vrai que lorsque nous lisons nous ne pensons pas que cette histoire est en train

de vivre de prendre forme gracircce agrave nous (copie de bac lt [Reichler-]Beacuteguelin 1989

312)

Lrsquoexemple (178) preacutesente lrsquointroduction drsquoun individu quelconque de type N (une abeille)

suivie du rappel de la classe extensionnelle correspondante via le pronom clitiques elles

Rappelons que Kleiber (2004 290) les traite comme des anaphores indirectes de type

geacuteneacuterique mais non associatives (cf ex (169) En (179) lrsquoexpression deacutemonstrative renvoie agrave

un reacutefeacuterent implicite repreacutesentant lrsquoobjet effectueacute du processus de lecture qui vient drsquoecirctre

eacutevoqueacute Aux yeux des Fribourgeois les deux exemples srsquoappliquent parfaitement agrave la

description du meacutecanisme de lrsquoanaphore associative Srsquoils reconnaissent des valeurs propres

aux diffeacuterentes formes drsquoexpression reacutefeacuterentielle ils en jugent lrsquoemploi relativement flexible

et en concluent laquo it would be vain to establish a strict correlation between types of

expressions and types of uses raquo (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1999 369) Le choix des formes

drsquoexpressions reacutefeacuterentielles reacutepond davantage agrave la mise en œuvre de strateacutegies guideacutees par les

objectifs et besoins en cours des locuteurs et interlocuteurs (Beacuteguelin 1997a) Ainsi au

reproche de largesse du modegravele accuseacute de geacuteneacuterer des eacutenonceacutes deacuteviants les auteurs reacutepliquent

que la prise en compte des facteurs contextuels permet justement de fournir une explication

aux sentiments de laquo deacuteviance raquo des usagers Lrsquoapproche srsquoefforce ainsi de laquo favoriser

lrsquoeacutemergence de geacuteneacuteralisations en rapprochant sous le terme drsquolaquo associatives raquo toutes les

expressions reacutefeacuterentielles dont lrsquointerpreacutetation met en jeu des opeacuterations de raisonnement raquo

(Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995 26)

Pour finir la contrainte drsquoun anteacuteceacutedent nominal est elle aussi battue en bregraveche Hawkins

(1977) Erkuuml amp Gundel (1987) Beacuteguelin (1997b) et Apotheacuteloz amp Beacuteguelin (1999) remarquent

que les sources solliciteacutees dans le processus infeacuterentiel ne sont pas exclusivement de nature

160

Charolles (1990) exploitant le critegravere drsquoacceptabiliteacute est plus nuanceacute sur ce point jugeant les exemples de

Beacuteguelin laquo agrave la limite de lrsquoacceptabiliteacute raquo ou alors concernant les pronoms comme laquo des rateacutes de lrsquoeacutemission raquo

Cependant il reconnaicirct que les pronoms laquo en syllepse [hellip] manifestent la quintessence du processus en œuvre

dans lrsquoanaphore associative puisque la force du rapport associatif qursquoexploite lrsquoanaphore pronominale est telle

que le support du nom (N2) devient implicitable raquo (p 10)

150

linguistique des indices de la situation environnante des comportements mimo-gestuels ou

des savoirs drsquoarriegravere-plan sont susceptibles de se combiner indistinctement comme ci-

dessous

(180) [L2 a le nez rouge et souffle dans un gros mouchoir] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- L1 vous ecirctes grippeacute nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- L2 Oui jrsquoessaie de la garder pour moi (oral lt Beacuteguelin 1997b)

Cet exemple montre bien qursquooutre lrsquooccurrence de lrsquoadjectif grippeacute (duquel on peut infeacuterer

par principe drsquoisonymie la deacutenomination implicite du reacutefeacuterent impliqueacute) les percepts

situationnels (les indices mimo-gestuels exhibeacutes) et lrsquoexpeacuterience du monde (les effets de la

grippe) contribuent ensemble au processus drsquointerpreacutetation de maniegravere non discrimineacutee

413 Bilan

A lrsquoissue de cette preacutesentation des conceptions concurrentes de lrsquoanaphore associative on

peut constater une divergence manifeste des objectifs respectifs des deux approches

lrsquoapproche dite eacutetroite ou standard vise agrave inventorier et isoler des sous-types et ne retient

comme associatives que les cas jugeacutes consensuels avec souvent lrsquointuition du linguiste

comme garant du respect de la norme Lrsquoapproche large dans laquelle nous nous inscrivons

tend agrave promouvoir un modegravele geacuteneacuteral sur la base des usages observeacutes en faisant primer un

meacutecanisme unique qui englobe une diversiteacute de manifestations

Certes nous convenons que tous les types drsquoexpressions reacutefeacuterentielles ne srsquoutilisent pas

indiffeacuteremment dans les mecircmes contextes et que les composantes seacutemantiques jouent un rocircle

certain dans le choix de la forme Neacuteanmoins la prise en compte des paramegravetres discursifs et

contextuels dans le processus reacutefeacuterentiel nous paraicirct tout aussi deacutecisive dans lrsquoexplication du

choix des marqueurs (cf supra ChI sect636) En outre avec le deacuteveloppement exponentiel des

ressources pour la collecte de donneacutees il nous paraicirct indispensable de deacutepasser lrsquointuition

comme critegravere scientifique et drsquoaller agrave la rencontre des faits reacuteels deacutesormais disponibles

notamment oraux consideacuterablement marginaliseacutes dans les travaux sur lrsquoanaphore Dans le

domaine des expressions reacutefeacuterentielles en linguistique franccedilaise outre les travaux preacutecurseurs

fribourgeois peu de chercheurs srsquoy sont engageacutes161

et le preacutesent travail a pour ambition de

contribuer agrave combler ce manque en portant une attention particuliegravere aux emplois en contexte

drsquooral spontaneacute

Reste un point drsquoordre terminologique agrave clarifier Lrsquoapproche (laquo large raquo) que nous adoptons

ne fait pas de diffeacuterence entre les notions drsquoanaphore associative et anaphore indirecte

Neacuteanmoins afin drsquoeacuteviter toute sorte de confusion notamment celle qui associerait notre

position agrave la conception laquo standard raquo nous emploierons deacutesormais la notion drsquoanaphore

indirecte

161

On peut relever lrsquointeacuterecirct pour lrsquooral de quelques travaux sur la reacutesolution automatique des anaphores en TAL

comme Antoine (2004) et Muzerelle et al (2012)

151

42 Contextes drsquoapparitions des pronoms indirects

Dans leur eacutetude pragmatique sur lrsquoanaphore indirecte Erkuuml amp Gundel (1987) soutiennent que

celle-ci ne peut ecirctre reacutealiseacutee par des pronoms laquo the one formal property which appears to

distinguish all indirect anaphors from direct ones is the fact that they cannot be pronominal raquo

(p 541) Sanford amp Garrod (1981 154) puis Ariel (1990) partagent cette ideacutee laquo I suggest

that the reason why pronouns [hellip] cannot retrieve implied entites is that they mark too high

and automatic a retrieval raquo (p 185) Cependant lorsqursquoon se penche de plus pregraves sur les faits

cette position se voit deacutementie Dans cette section nous preacutesentons les travaux qui remettent

en question ces conclusions et qui cherchent agrave eacuteclairer les contextes drsquoapparition des pronoms

indirects Nous avons distingueacute les eacutetudes selon le type drsquoapproche agrave savoir celles qui

manifestent une optique laquo restrictive raquo et qui srsquoefforcent de deacuteterminer les contraintes

seacutemantiques ou cognitives pesant sur leur emploi (sect421) puis celles qui srsquoinscrivent dans

une perspective laquo descriptive raquo (sect422) en tentant de deacutegager les circonstances reacutecurrentes

favorables agrave leur occurrence

421 Restrictions drsquoemploi

Dans cette partie nous preacutesentons les deacutemarches et hypothegraveses drsquoauteurs qui reconnaissent

lrsquousage des pronoms indirects en eacutetablissant toutefois des conditions strictes drsquoemploi qui

font intervenir les notions de saillance de focus ou encore de centraliteacute

Dans son article de 1990a Kleiber admet lrsquoexistence de pronoms indirects qursquoil propose

drsquoenvisager selon un critegravere non pas textuel (avec ou sans anteacuteceacutedent) mais de preacutesence ou

drsquoabsence preacutealable (linguistique ou situationnelle) du reacutefeacuterent

a) Emplois in praesentia crsquoest-agrave-dire ougrave le reacutefeacuterent est laquo donneacute raquo par le contexte

(181) Fred enleva son chapeau Il avait trop chaud (ici une anaphore coreacutefeacuterentielle typique)

(182) Mais il est fou (face agrave un automobiliste qui fonce sur vous) = (140)

b) Emplois in absentia (ilils dits laquo infeacuterables raquo162

) (p 27)

(183) A Boston ils roulent comme des fous (ibid)

(184) Il va venir tout de suite [un censeur drsquoune eacutecole srsquoadressant agrave la megravere drsquoun eacutelegraveve qui

attend devant le bureau du proviseur] (p 33) = (75)

laquo Lrsquoacceptabiliteacute raquo drsquoexemples comme (183)-(184) srsquoexplique selon lrsquoauteur par le respect des

conditions seacutemantico-cognitives propres agrave lrsquoemploi de il pour rappel (cf supra sect33)

la neacutecessiteacute de renvoyer agrave un reacutefeacuterent conccedilu comme classifieacute et lrsquoindication de rechercher le reacutefeacuterent dans une situation qui est manifeste (ou saillante) et dans laquelle le reacutefeacuterent occupe une place drsquoargument (p 46)

162

Cf Prince (1981)

152

Il y oppose la malformation de (185) exemple reacutedigeacute par un eacutelegraveve

(185) Il neige et elle tient ([Reichler-]Beacuteguelin 1988)

Selon Kleiber il manque une eacutetape infeacuterentielle deacuteterminante agrave savoir le constat de la

preacutesence de la neige pour pouvoir appreacutehender un renvoi par le clitique elle conformeacutement agrave

la thegravese de la continuiteacute Il soutient qursquoen lrsquoeacutetat on nrsquoa pas affaire agrave une situation manifeste et

justifie sa deacutemarche par la volonteacute de

brider les possibiliteacutes de reacutecupeacuteration infeacuterentielle qursquoentraicircne un tel assouplissement pour ne pas donner lieu agrave lrsquoexcegraves contraire agrave savoir une prolifeacuteration incontrocircleacutee drsquoemplois infeacuterables de il (p 43)

Hormis la deacutemarche que nous avons deacutejagrave critiqueacutee sur le tri des donneacutees (cf supra sect631) un

aspect de lrsquoanalyse meacuterite une mise au point agrave savoir lrsquoimportance accordeacutee au critegravere de la

preacutesence vs lrsquoabsence du reacutefeacuterent agrave lrsquoorigine drsquoun traitement infeacuterentiel ou non du pronom (cf

lrsquoappellation il laquo infeacuterable raquo) Dans leur theacuteorie de la pertinence Sperber amp Wilson (1986)

montrent bien que la communication humaine fonctionne sur le mode infeacuterentiel et que tout

processus interpreacutetatif consiste pour le destinataire agrave infeacuterer un sens viseacute par le locuteur agrave

partir des indices agrave disposition dans le contexte La pertinence de ces inputs ne varie pas en

fonction de la nature (stimuli ostensifs tels qursquoeacutenonceacutes gestes ou inputs ordinaires tels que

percepts penseacutees buts souvenirs etc) mais en fonction des coucircts et effets produits par leur

traitement cognitif

On a deacutejagrave soutenu supra (ChI sect635) que tout pointage reacutefeacuterentiel y compris coreacutefeacuterentiel

implique une opeacuteration drsquoinfeacuterence qui megravene agrave lrsquounification du pointeur avec un objet en M

(que le reacutefeacuterent soit deacutejagrave valide ou non en M) Cela peut ecirctre illustreacute simplement en modifiant

lrsquoexemple (181)

(186) Fred enleva son chapeau Il eacutetait mouilleacute

Lrsquoambiguiumlteacute se reacutesout forceacutement agrave travers un pari probabiliste de type infeacuterentiel en fonction

des informations contextuelles agrave disposition En fait dans tous les cas le pointeur reacutefeacuterentiel

donne lrsquoinstruction drsquounifier son contenu avec un objet manifeste Si celui-ci est effectivement

valide dans M lrsquoinfeacuterence consiste agrave seacutelectionner le reacutefeacuterent viseacute tandis que srsquoil fait deacutefaut

lrsquoinfeacuterence consiste agrave lrsquointroduire sur le champ par coup de force pour parer agrave ce manque On

objectera ainsi agrave lrsquoanalyse de Kleiber (mais aussi agrave drsquoautres analyses eg Ariel 1990

invoquant une reacutecupeacuteration laquo automatique raquo par les pronoms en geacuteneacuteral) que les types releveacutes

qursquoils soient laquo in praesentia raquo ou laquo in absentia raquo impliquent de toute faccedilon un processus

infeacuterentiel interpreacutetatif

Gundel et al (2000) srsquointeacuteressent quant agrave eux au fonctionnement des pronoms indirects en

anglais relativement agrave la Hieacuterarchie du Donneacute (voir supra ChI sect462) Pour rappel un

pronom inaccentueacute requiert selon leur theacuteorie un statut en focus du reacutefeacuterent autrement dit il

signale que le reacutefeacuterent est deacutejagrave dans le centre drsquoattention de lrsquoallocutaire au moment ougrave il

153

apparaicirct Un tel pronom se reacutevegravele donc a priori ecirctre un mauvais candidat pour lrsquoanaphore

indirecte dans les cas ougrave lrsquoexistence mecircme du reacutefeacuterent est agrave infeacuterer Cependant les auteurs

constatent que leurs donneacutees reacutecolteacutees agrave partir drsquoun corpus drsquoanglais oral et eacutecrit ne satisfont

pas systeacutematiquement aux preacutedictions de la Hieacuterarchie eacutetant donneacute lrsquoattestation de pronoms

indirects qui ne reacutefegraverent pas agrave des objets laquo en focus raquo

(187) My mum bought an exercise tape and so Irsquoll go nuts and plays it in the morn and in the

afternoon and do the added things she says for those that want a more intense workout

(she = la femme sur la cassette de gym) [soutien alt deacutesordres drsquoalimentation p 96]

En effet Gundel et al reconnaissent que le reacutefeacuterent viseacute en (187) par she agrave savoir lsquola prof de

gymrsquo nrsquoest pas laquo en focus raquo pour lrsquoallocutaire au moment de lrsquooccurrence du pronom agrave

lrsquoinverse de lsquola megravere du locuteurrsquo agrave ce moment-lagrave bien meilleure candidate agrave une reacutefeacuterence

subseacutequente Ici crsquoest aussi bien la preacutedication lsquothe added things she says for those that want

a more intense workoutrsquo que le script (Schank amp Abelson 1977) eacutevoqueacute par la cassette de

gymnastique qui megravenent agrave lrsquointerpreacutetation du reacutefeacuterent adeacutequat

Gundel et al remarquent que dans leur corpus la plupart des exemples concerneacutes par

lrsquoanaphore pronominale indirecte sont des cas de reacutefeacuterence vague dont lrsquoidentification

reacutefeacuterentielle nrsquoapparaicirct pas pertinente

(188) The other therapy I had to say good-bye to was day treatment (where Irsquod been going

off and on since January) - - but it wasnrsquot my own decision They kicked me out

Why For being TOO SICK ([soutien alt deacutesordres drsquoalimentation] p 95)

Les auteurs notent agrave lrsquoeacutegard de cet exemple une quasi-eacutequivalence seacutemantique de lrsquoeacutenonceacute en

they avec une tournure au passif sans agent exprimeacute (I got kicked out)163

Afin drsquoexpliquer ces

exemples ils ont recours agrave la notion drsquoaccommodation (Lewis 1979) qui consiste en une

reacuteparation de ces laquo violations mineures raquo commises envers la Hieacuterarchie se traduisant par un

assouplissement des conditions drsquoemploi de la forme utiliseacutee La motivation de telles

laquo infractions raquo reacutesiderait soit dans lrsquoinsouciance du locuteur agrave lrsquoeacutegard des repreacutesentations

effectives de lrsquointerlocuteur (cf la maxime de nonchalance supra sect636) soit agrave lrsquoinverse

dans sa confiance envers les capaciteacutes infeacuterentielles de celui-ci Dans ce second cas le plus

freacutequent aux dires des auteurs le locuteur mise sur une laquo accommodation raquo de la part de

lrsquointerpregravete srsquoappuyant sur des facteurs tels que la reconnaissance de scripts (Schank amp

Abelson 1977) les connaissances drsquoarriegravere-plan leur connivence et surtout la preacutedication

hocircte du pronom On peut rapprocher la notion drsquoaccommodation de celle de catalyse que

[Reichler-]Beacuteguelin (1995a) et Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin (1996) empruntent agrave

Hjelmslev (1968) pour deacutecrire la tacircche interpreacutetative de reconstitution drsquoeacuteleacutements manquants

en M Ces traitements cognitifs peuvent ecirctre envisageacutes comme la conseacutequence drsquoun coup de

force preacutesuppositionnel (Ducrot 1972 51) qui deacutesigne lrsquoopeacuteration laquo illeacutegitime raquo de

163

Nous aurons lrsquooccasion de nuancer cette laquo eacutequivalence raquo infra (ChV sect341341)

154

preacutesuppostion de la part drsquoun locuteur crsquoest-agrave-dire la preacutesupposition drsquoeacuteleacutements

preacutealablement inexistants en M

Si le processus drsquointerpreacutetation deacutecrit par Gundel et al nous paraicirct pertinent agrave certains eacutegards

nous tenons agrave relever le caractegravere passablement contradictoire de lrsquoargumentation proposeacutee

reacutesidant dans le fait que les emplois vagues (selon eux la majoriteacute des exemples) sont

supposeacutes ne pas neacutecessiter de reacutesolution alors que le processus invoqueacute drsquoaccommodation

implique preacuteciseacutement lrsquoinfeacuterence drsquoun reacutefeacuterent adeacutequat

Enfin malgreacute lrsquointeacuterecirct des donneacutees reacutecolteacutees nous pouvons regretter que les auteurs ne

profitent pas de lrsquoattestation de ces faits pour reacuteviser les fondements de la Hieacuterarchie Cette

solution quoiqursquoesquisseacutee est finalement abandonneacutee au profit du maintien de laquo lrsquointeacutegriteacute raquo

de la theacuteorie Degraves lors les faits releveacutes sont releacutegueacutes au rang drsquoexceptions (laquo violations

mineures raquo) ndash aussi bien au niveau quantitatif (laquo relativement peu freacutequents raquo) qursquoau niveau

diaphasique (laquo registre relacirccheacute raquo)

Cornish (2001) revient justement sur le statut requis par les pronoms selon la Hieacuterarchie de

Gundel et al (1993) et propose drsquoenvisager la question en termes de centraliteacute des reacutefeacuterents agrave

lrsquoappui de donneacutees comme celle-ci

(189) Femme Why didnrsquot you write to me nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Homme I did Oslashhellip started to Oslash but I always tore lsquoem up ([dialogue du film Summer

Holiday] p 7)

Lrsquointerpreacutetation du pronom passe par la reacutecupeacuteration drsquoune information preacutealablement

disponible bien qursquoimplicite en meacutemoire En effet le lexegraveme verbal lsquowritersquo du premier

eacutenonceacute comprend seacutemantiquement dans sa structure actantielle lrsquoobjet effectueacute du procegraves agrave

savoir lrsquoobjet de lrsquoacte drsquoeacutecriture qursquoon peut infeacuterer drsquoapregraves le pointage pronominal et le

contexte comme repreacutesentant une classe de lsquolettresrsquo lsquomessagesrsquo ou autres lsquomots douxrsquo

Cornish juge lrsquoextension du statut en focus impreacutecise telle qursquoexigeacutee par lrsquousage des pronoms

inaccentueacutes drsquoapregraves la Hieacuterarchie du Donneacute Il introduit agrave cet effet le concept de centraliteacute

qui distingue entre entiteacute implicite nucleacuteaire et peacuteripheacuterique jugeant qursquoun pronom

inaccentueacute peut renvoyer agrave un reacutefeacuterent implicite nucleacuteaire comme les lsquolettresrsquo du preacutedicat

lsquoeacutecrirersquo en (189) mais non agrave un objet peacuteripheacuterique comme dans

(190) Mary dressed the baby They were made of pink wool (Sanford amp Garrod 1981

154)

En (190) Cornish explique lrsquoincongruiteacute de lrsquoenchaicircnement par le fait que lrsquoobjet viseacute ne

constitue qursquoun instrument du preacutedicat lsquodressrsquo Lrsquohypothegravese de Cornish (2001 2005) se voit

par la suite testeacutee expeacuterimentalement en franccedilais et en anglais dans Cornish et al (2005) au

moyen de mesures de temps de lecture de dialogues de ce genre

155

(191) L1 Cet artiste a peint toute la journeacutee hier nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Oui et il les a vendu agrave bon prix aussi (implicite nucleacuteaire)

(192) L1 Cet artiste a peint toute la journeacutee hier Ses tableaux ont vivement inteacuteresseacute une

passante tregraves riche nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Oui et il les a vendu agrave bon prix aussi (explicite nucleacuteaire)

(193) L1 Cet artiste a peint toute la journeacutee hier nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Oui et il les a tous utiliseacutes du plus fin au plus eacutepais (implicite peacuteripheacuterique)

(194) L1 Cet artiste a peint toute la journeacutee hier Ses pinceaux eacutetaient nombreux et de

tailles diffeacuterentes nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Oui et il les a tous utiliseacutes du plus fin au plus eacutepais (explicite peacuteripheacuterique)

Le design expeacuterimental permet aux auteurs de croiser deux facteurs celui de la centraliteacute et

celui du caractegravere explicite ou non du reacutefeacuterent les preacutedictions eacutetant que la reacutefeacuterence

anaphorique aux objets explicites et nucleacuteaires faciliterait la lecture des eacutenonceacutes En effet les

reacutesultats montrent que les eacutenonceacutes preacutesentant un pronom indirect sont lus plus lentement que

ceux contenant un pronom direct et que les eacutenonceacutes reacutefeacuterant agrave des objets dits peacuteripheacuteriques

sont lus plus lentement que ceux reacutefeacuterant agrave des objets dits nucleacuteaires En situation implicite la

reacutefeacuterence aux objets peacuteripheacuteriques provoque un temps de lecture plus long que la reacutefeacuterence

aux objets nucleacuteaires tandis qursquoil nrsquoy a pas de diffeacuterence significative agrave cet eacutegard en condition

explicite Il faut ajouter que les dialogues eacutetaient suivis drsquoune assertion dont les sujets

devaient juger la veacuteriteacutefausseteacute du genre agrave la suite de (191) Lrsquoartiste a pu vendre ses

tableaux (vrai) Ceci pour veacuterifier que la cible du pronom avait eacuteteacute bien interpreacuteteacutee en

particulier dans les conditions implicites A cet eacutegard les auteurs relegravevent un taux de bonnes

reacuteponses eacuteleveacute (93) et surtout aucune diffeacuterence significative entre les conditions implicites

nucleacuteaire vs peacuteripheacuterique sur ce taux Lrsquoexpeacuterience est reacutepeacuteteacutee pour lrsquoanglais et fournit des

reacutesultats similaires Les auteurs en concluent164

que ce nrsquoest pas tant le caractegravere explicite ou

implicite de lrsquointroduction du reacutefeacuterent en meacutemoire qui autorise ou non la reprise par un

pronom non accentueacute ainsi que le suggegraverent de nombreux travaux anteacuterieurs mais plutocirct la

centraliteacute relative du reacutefeacuterent Ils proposent une mise en perspective du concept scalaire de

centraliteacute avec la Hieacuterarchie du Donneacute et font figurer les reacutefeacuterents nucleacuteaires sur un intervalle

comprenant les statuts en focus et activeacute toleacuterant agrave leurs yeux une reacutecupeacuteration via un pronom

non accentueacute Les reacutefeacuterents peacuteripheacuteriques pour leur part se voient plutocirct attribuer le statut

familier stade jugeacute plus critique quant aux possibiliteacutes de rappels pronominaux

Les reacutesultats esquisseacutes montrent qursquooutre lrsquointroduction explicite drsquoun reacutefeacuterent le scheacutema

actantiel du verbe concerneacute ou le savoir conventionnel influent sur les capaciteacutes de rappel

pronominal Il est indeacuteniable en effet qursquoun objet neacutecessairement impliqueacute par un procegraves se

montre plus laquo accessible raquo qursquoun objet facultatif dont il faut potentiellement infeacuterer

164

A lrsquoeacutegard des travaux expeacuterimentaux en psycholinguistique en geacuteneacuteral il nous semble qursquoune reacuteflexion

pourrait ecirctre meneacutee sur lrsquointerpreacutetation qursquoon tire unanimement des mesures de temps de lecture

156

lrsquoexistence Il demeure agrave nos yeux cependant une certaine eacutequivoque autour de la notion de

centraliteacute conceptuelle du fait que les auteurs rattachent celle-ci aussi bien agrave la structure

lexico-seacutemantique du verbe qursquoagrave une dimension cognitive (cf le parallegravele fait avec les statuts

de Gundel et al 1993) Or il nous paraicirct difficile de preacutejuger de la centraliteacute cognitive des

reacutefeacuterents agrave partir de la seule structure actantielle drsquoun preacutedicat (ou eacuteventuellement drsquoun savoir

steacutereacuteotypique) lrsquoactivation cognitive drsquoun reacutefeacuterent eacutetant fonction comme nous lrsquoavons

eacutevoqueacute supra (sect34) drsquoune pluraliteacute de paramegravetres

Si les eacutetudes preacutesenteacutees ci-avant adoptent des meacutethodologies (intuitive empirique

expeacuterimentale) et des donneacutees (construites ou attesteacutees) diverses elles srsquoefforcent toutes de

tracer une limite entre emplois possibles ou non des pronoms indirects en fonction de la

preacutegnance du reacutefeacuterent dans la perspective du deacutecodage essentiellement Nous nous tournons agrave

preacutesent vers une maniegravere alternative drsquoenvisager la question qui met en eacutevidence les

strateacutegies mises en œuvre par le locuteur

422 Reacutegulariteacutes drsquoemploi

Lrsquooptique consiste agrave prendre acte des emplois reacuteels et agrave deacuteceler les reacutegulariteacutes de

fonctionnement observeacutees en contexte Beacuteguelin (1993a 1997a) inventorie pour sa part les

conditions pragmatiques qui favorisent lrsquoemploi des pronoms indirects en relevant les

routines infeacuterentielles reacutecurrentes Elle preacutecise drsquoabord la nature de la relation indirecte laquo le

pronom ne rappelle pas une information qui serait fournie explicitement dans le contexte

linguistique Son interpreacutetation reacutefeacuterentielle autant que morphosyntaxique neacutecessite le

recours agrave une information non dite agrave une forme lexicale infeacutereacutee raquo (1993a 327)

Lrsquointerpreacutetation se fait ainsi par le biais drsquoun calcul implicite qui permet la construction drsquoune

infeacuterence non stricte du genre laquo srsquoil y a x il y a aussi y raquo (p 335-336) Pour exposer les

rendements de lrsquoemploi des pronoms indirects nous pouvons invoquer les objectifs

communicationnels preacutesenteacutes supra (ChI sect636)

Beacuteguelin mentionne des strateacutegies drsquooptimisation de lrsquoencodage (cf O2) illustreacute ci-dessous agrave

travers un principe laquo nonchalant raquo drsquoeacuteconomie lexicale au deacutetriment drsquoO1 (pour rappel

lrsquooptimisation du deacutecodage)

(195) L1 Jrsquoai tout preacutepareacute pour la fondue nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Tu as rempli le reacutechaud nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 Non pas ccedila mais par contre il y en a dans le tiroir (oral lt ibid 371)

La reconstitution du laquo coup de force raquo par catalyse (ou accommodation) du reacutefeacuterent de en

passe par la prise en compte drsquoun sceacutenario conventionnel (la preacuteparation drsquoun repas de fondue

et des ustensiles) visiblement bien connu des interlocuteurs Lrsquoinfeacuterence de la forme lexicale

sous-jacente peut neacuteanmoins demeurer incertaine comme dans ces exemples drsquooral que nous

avons releveacutes ci-dessous

157

(196) BM Il y a quand mecircme plus quun eacutepicier hein il faut pas quil lui arrive un coup dur

etun boulan il y a deux boulangers mais autrement ben il y a plus rien hein Avant il

y avait pff des eacutepiciers il y en avait quatre ou cinq euh euh la confection il y en avait

deux ou trois euh maintenant il y en a plus qursquoun pff un petit qui qui vivote hein

Cest vrai que ccedila ccedila fait mal quand mecircme (pfc)

(197) L1 ouais enfin ceci dit si on a ouvert le magasin agrave C- un magasin de jonglage agrave Caen

cest pas innocent hein cest quil y en a pas mal hein nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 ah + et q- s- et comment ccedila se fait euh comment tu peux expliquer lt ccedila nnnnnnnn

L1 alors gt lagrave rire lt ccedila je ne nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 cest inteacuteressant gt ccedila nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 ouais ccedila cest + je pense cest je pense que cest parce que depuis pas mal de temps

il y a un magasin qui en vendait + nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 daccord nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 donc forceacutement les gens euh se rassemblent autour dun endroit ougrave ils peuvent

avoir le mateacuteriel facilement quoi + puis nous on a plus ou moins pris la relegraveve quoi

ben cest du cest de lendroit dougrave je viens quoi (crfp)

Dans lrsquoexemple (196) on ne sait pas si le locuteur privileacutegie lrsquoindice morphologique pour la

cateacutegorisation implicite de son reacutefeacuterent (des confectionneurs lexegraveme toutefois peu courant)

ou srsquoil a agrave lrsquoesprit une classe de deacutenommeacutes artisans fabricants vendeurs etc Drsquoailleurs

lrsquoallocutaire nrsquoest pas obligeacute drsquoen infeacuterer une deacutenomination congruente il tacircchera drsquoinfeacuterer

un type de reacutefeacuterent qui soit le plus compatible avec les indices agrave disposition Il en va de mecircme

en (197) ougrave la deacutenomination sous-jacente du reacutefeacuterent de en tel que le conccediloit lrsquoencodeur

pourrait aussi bien ecirctre mateacuteriel eacutequipement articles instruments (de jonglage) etc mais ougrave

les indices contextuels ne permettent pas de trancher A noter que dans tous ces cas ougrave le

pointeur pronominal introduit implicitement un reacutefeacuterent nouveau on peut invoquer lrsquoobjectif

O4 pour rappel lrsquoapport drsquoinformations ineacutedites qui se greffe sur lrsquoacte reacutefeacuterentiel

proprement dit

Un parcours infeacuterentiel freacutequemment mis en œuvre via les pronoms indirects est celui qui

assimile un individu collectif agrave la classe de ses membres Ce proceacutedeacute permet lui aussi au

locuteur de srsquoeacutepargner via O2 une tacircche de recateacutegorisation lexicale du reacutefeacuterent

(198) JO1 Et euh bon ben javais pas de logement ni rien agrave Madrid ltE Tu es parti comme

ccedilagt Quest-ce que jai fait En fait oui Jai teacuteleacutephoneacute avant agrave agrave lAmbassade de

France agrave Madrid pour savoir si jamais bon ben ils pouvaient trouver quelque chose

sait-on jamais (pfc)

Dans ce cas-lagrave on peut invoquer la notion de dualiteacute (cf supra ChI sect33) car les indices

contradictoires de formatage de lrsquoobjet interviennent au sein drsquoune mecircme clause (cf supra

ChI sect633 pour rappel un icirclot de deacutependances morpho-syntaxiques) Outre lrsquoeacuteconomie agrave

lrsquoencodage on pourrait aussi se demander si le laquo deacutesaccord raquo morphosyntaxique ne

158

correspond pas agrave une strateacutegie de deacutesambiguiumlsation (O1) permettant de preacutevenir lrsquoinfeacuterence

drsquoune interpreacutetation biologique que pourrait induire la marque de genre drsquoun elle

Drsquoautres cas drsquolaquo eacuteconomie lexicale raquo srsquoexpliquent plutocirct par la volonteacute drsquoeacuteviter des reacutepeacutetitions

lexicales (O3) en privileacutegiant visiblement le maintien par isonymie de lrsquoattribut de

deacutenomination drsquoun reacutefeacuterent deacutejagrave introduit sans qursquoil y ait toutefois coreacutefeacuterence

(199) Il paraicirct peu probable qursquoune Suissesse srsquoimposera cette fois-ci Crsquoest regrettable

puisqursquoelles sont majoritaires (La Suisse courrier 290189 [Reichler-]Beacuteguelin

1993a 337)

En effet une redondance lexicale pourrait provoquer un effet de saturation perceptive Lagrave

eacutegalement en induisant subrepticement lrsquoinfeacuterence drsquoun nouvel objet en lrsquooccurrence la

classe (elles) agrave laquelle appartient lrsquoindividu membre (une Suissesse) le locuteur met en

œuvre le principe drsquoapport informationnel (O4)

Un peu dans le mecircme genre nous proposons lrsquoexemple suivant qui met en jeu plusieurs

occurrences de pronoms conduisant agrave consideacuterer lrsquoindividu type de la classe extensionnelle

preacutealablement introduite

(200) elle [la confreacuterie] venait surtout en aide agrave agrave lrsquoeacutepoque il y avait beaucoup de

malheureux + mais elle venait surtout en aide mecircme + aux eacutetrangers + qui pouvaient

mourir + euh dans notre village + et lesprit philanthropique de la confreacuterie + crsquoest que

il fallait le prendre en charge et lrsquoenterrer surtout srsquoil nrsquoavait personne (crfp)

Toujours dans une perspective de reacutegulation des reacutecurrences de signal (O3) on peut signaler

les rappels drsquoun actant morpho-seacutemantiquement impliqueacute par un preacutedicat-source

(201) Jrsquoai eacuteteacute tregraves toucheacute drsquoapprendre que jrsquoai une abonneacutee agrave mon journal qui dessine mais

jrsquoaimerais bien en recevoir (Journal de Johnny le Deacutesosseacute Genegraveve en = (des dessins)

[Reichler-]Beacuteguelin 1993a 359)

Lrsquoemploi du pronom permet ici au scripteur de se passer de lrsquointroduction explicite drsquoun

reacutefeacuterent en vue drsquoO4 tout en eacutevitant lrsquoeffet de saturation lexicale que cela pourrait engendrer

Beacuteguelin invoque eacutegalement des rendements eupheacutemiques au profit drsquoO5 lieacutes agrave lrsquousage de

pronoms indirects

(202) Ma megravere me dit qursquoil ne faut pas gacircter les enfants et elle me fouette tous les matins

quand elle nrsquoa pas le temps le matin crsquoest pour midi rarement plus tard que quatre

heures Mlle Balandreau mrsquoy met du suif (J Vallegraves Lrsquoenfant lt Beacuteguelin 1997a 109)

Le locuteur doit ici conjecturer quelle partie du corps manifestement a souffert des coups de

fouets La nature implicite du proceacutedeacute agrave lrsquoœuvre autorise drsquoailleurs le locuteur agrave deacutementir

159

lrsquointerpreacutetation agrave caractegravere tabou induite par le sceacutenario eacutevoqueacute comme ci-dessous par

lrsquointermeacutediaire drsquoune parenthegravese165

(203) En gros ndash je vous la fais courte ndash lrsquohomme marieacute avait un petit creacuteneau juste lagrave enfin

deux heures agrave tirer quoihellip et il se demandait si par tous les hasards du monde ce trou

dans son emploi du temps ne serait pas compatible avec les siens agrave elle Bon le hic ce

nrsquoeacutetait pas tant une question de morale Garance en avait tellement avaleacute (de

couleuvres) avec lui qursquoelle nrsquoen eacutetait plus agrave une humiliation pregraves le hic enfin les

deux hics crsquoest que lagrave maintenant elle avait plutocirct envie de discuter de ses doutes

existentiels que de baiser [hellip] (Gavalda Lrsquoeacutechappeacutee belle p 113)

Dans lrsquoexemple suivant on relegraveve eacutegalement la preacutesence drsquoune parenthegravese apregraves lrsquooccurrence

du pronom agrave fonction eupheacutemique cette fois pour faciliter la tacircche interpreacutetative du lecteur

(204) laquo [hellip] Il preacutevoyait ce qui allait se passer Crsquoest une affaire qui vient de Naples Ils (la

mafia) lrsquoont descendu parce qursquoil savait quelque chose [hellip] raquo (sic La Suisse

18011990 Beacuteguelin 1997a 108)

Lrsquoemploi drsquoun pointeur pronominal reacutevegravele une strateacutegie de sauvegarde de la face par

opposition aux risques encourus par une deacutesignation plus explicite A noter que la parenthegravese

(la mafia) a eacutegalement pour rocircle de distinguer deux situations drsquoeacutenonciation (Beacuteguelin

1997b) Les pheacutenomegravenes drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute sont justement un lieu propice agrave lrsquooccurrence de

pronoms indirects

(205) Et puis ce soir-lagrave vers 21h sortant du cineacutema du Grutli elle cheminait le long de

lrsquoavenue du Mail songeant au voyage qursquoelle projetait de soffrir en Egypte Elle avait

mis son sac en bandouliegravere bien serreacute sous son manteau Elle tenait fermement son

parapluie plieacute sous son bras nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Soudain elle se sentit pousseacutee agrave terre nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Je suis tombeacutee sur le coude Jai vu les eacutetoiles Il mrsquoa pris mon sac Il a ducirc larracher

parce que je le tenais bien (Tribune de Genegraveve 23190 [Reichler-]Beacuteguelin 1993a

373)

Face agrave des faits de discours rapporteacute lrsquointerpregravete est naturellement ameneacute agrave faire des

conjectures sur le deacuteroulement de lrsquointeraction premiegravere et agrave distinguer de la sorte deux

univers de croyance Lrsquoemploi du pronom indirect en (205) dans le discours citeacute contribue

ainsi agrave marquer la discontinuiteacute entre les deux situations drsquoeacutenonciation imbriqueacutees et partant

agrave signaler le changement de point de vue adopteacute par la locutrice citeacutee Cette strateacutegie srsquooppose

agrave une strateacutegie de type laquo inteacutegrative raquo favorisant la continuiteacute des eacutenonciations en preacutesence

(ibid)

165

Noter eacutegalement ici le clitique objet la dans laquo lrsquoaphorisme lexicaliseacute raquo la faire courte Voir agrave cet eacutegard ChIII

sect5223

160

Un effet de point de vue est eacutegalement en jeu ci-dessous auquel il faut ajouter lrsquointervention

drsquoO4 surdeacuteterminant lrsquoopeacuteration reacutefeacuterentielle par lrsquoimplicitation drsquoune nouvelle eacutetiquette

lexicale traduisant ici la rectification implicite drsquoune appellation jugeacutee inadeacutequate

(206) [le gardien de prison arrive avec le repas] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Premier prisonnier - Qursquoest-ce que crsquoest nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Gardien - Le potage du chef aux vermicelles nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

[les hommes commencent agrave manger] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Second prisonnier - Elle nrsquoest pas mangeable (elle = la soupe) (script du film Le trou

lt Rosenberg 1970 citeacute par Cornish agrave par)

Dans ce dialogue le second prisonnier manifeste une rupture de point de vue sur le reacutefeacuterent

concerneacute il considegravere en effet la deacutenomination potage trop valorisante pour deacutesigner le

reacutefeacuterent en question Celui-ci se voit ainsi implicitement laquo reacutetrogradeacute raquo par une eacutetiquette de

registre plus commun voire peacutejorative (Cornish agrave par)

Mentionnons une derniegravere strateacutegie impliquant eacutegalement un changement de deacutenomination

sous-jacente qui consiste cette fois agrave preacutevenir des ambiguiumlteacutes au beacuteneacutefice de O1 (pour rappel

lrsquooptimisation du deacutecodage) et de O4

(207) Jrsquoorchestre mes deacutefileacutes moi-mecircme pour ecirctre sucircr drsquoecirctre bien compris Cette relation

avec les mannequins est tregraves importante Tout agrave coup elles deviennent mes interpregravetes

elles deviennent Montana elles sont extraordinaires (presse lt Beacuteguelin 1997a 107)

Dans (207) le sceacutenario eacutevoqueacute contient des actants humains deacutesigneacutes via une deacutenomination

masculine seacutemantiquement non marqueacutee Lrsquooccurrence du pronom indirect au feacuteminin

suppose un changement drsquoappellation agrave propos duquel on peut infeacuterer lrsquoallusion au sexe des

modegraveles Outre cet apport informationnel le changement de genre permet ainsi de preacutevenir

lrsquohypothegravese que le couturier produirait eacutegalement des vecirctements pour hommes

161

5 Conclusion

Contrairement aux ideacutees reccedilues deacutejagrave eacutevoqueacutees supra on peut donc bien relever

lrsquoopeacuterationnaliteacute des pronoms en site drsquoanaphore indirecte Cet aperccedilu des rendements

discursifs montre que le pheacutenomegravene deacutepasse largement le pur respect des contraintes

seacutemantiques ou cognitives supposeacutees encodeacutees dans le signifieacute des pronoms conjoints de 3e

personne Il montre aussi une part de la varieacuteteacute des routines infeacuterentielles agrave lrsquoœuvre souvent

restreintes en matiegravere drsquoanaphore associative agrave une opeacuteration de deacuteduction fondeacutee sur un

savoir a priori (lexical ou steacutereacuteotypique)

Parmi les opeacuterations infeacuterentielles mises en œuvre par les pronoms indirects il nous paraicirct

utile de distinguer quatre cas de figure distincts

- Les infeacuterences drsquoobjet ordinaires avec laquo disjonction reacutefeacuterentielle raquo (Charolles

1990) proprement dite ougrave le pronom indirect invite agrave infeacuterer lrsquoexistence drsquoun objet

agrave partir drsquoun autre objet comme en (195) en (204) ou en (199)

- Les cas ougrave le pronom est unifiable avec une laquo variable raquo deacutejagrave seacutemantiquement

impliqueacutee (quoiqursquoagrave ce moment-lagrave sous-deacutetermineacutee) comme en (201)

- Les cas ougrave le pronom signale un changement drsquoattribut de deacutenomination sans

disjonction reacutefeacuterentielle (ie il maintient la coreacutefeacuterence) comme en (206) (207)

- Les cas de dualiteacute (cf supra ChI sect33) ougrave lrsquoon peut envisager un mecircme objet sous

deux formats diffeacuterents (198)

Le cas des pronoms laquo indirects raquo produits dans des circonstances reacuteelles nous est apparu

comme un champ drsquoinvestigation pertinent car il reacutevegravele lrsquoexistence de facteurs et strateacutegies

reacutecurrents motivant le choix du marqueur qui passent souvent inaperccedilus dans les approches

seacutemantiques ou cognitives qui se concentrent sur la mise au jour de contraintes drsquoemploi

162

163

Chapitre III

La sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle

164

165

1 Introduction

Une ideacutee communeacutement partageacutee par les sujets parlants est que la langue sert agrave exprimer la

penseacutee de maniegravere claire et univoque Tout flou seacutemantique ou toute interpreacutetation ambigueuml se

voient degraves lors jugeacutes inopportuns et agrave eacuteviter autant que possible Drsquoailleurs cette recherche

drsquounivociteacute du sens semble relever drsquoune sorte de reacuteflexe aussi bien chez les usagers que chez

les linguistes

Lrsquounivociteacute est trop profondeacutement et trop implicitement postuleacutee veacutecue comme une eacutevidence pour qursquoil soit senti neacutecessaire de lrsquoeacutenoncer pour que la foi qursquoon a en elle soit pleinement consciente A cet eacutegard la linguistique (crsquoest-agrave-dire ici la quasi-totaliteacute des linguistiques toutes eacutecoles confondues) participe de cette conviction des sujets parlants (Le Goffic 1982 84)

Preacutemisse inconsciente chez certains le postulat de clarteacute nrsquoest toutefois pas qursquoimplicite il

est reacuteguliegraverement revendiqueacute par les philosophes agrave lrsquoinstar de Descartes ou de Leibniz qui

recircvent drsquoune langue universelle ideacutealement univoque (Le Goffic 1981) Il srsquoensuit que lrsquoon

voit reacuteguliegraverement eacutemerger diverses tentatives de remeacutediation au flou ou agrave lrsquoambiguiumlteacute telles

que les propositions de deacutefinitions de noms (lat definitio nominis) drsquoArnauld amp Nicole

(1662=1874 87 sqq) le systegraveme de notation symbolique (Begriffschrift) instaureacute par Frege

(1971) ou encore le deacuteveloppement de structures sous-jacentes en grammaire geacuteneacuterative ougrave

les transformations sont responsables drsquolaquo effets de deacutegeacuteneacuterescence raquo par disparition

drsquoinformations en surface (Harris 1976 57 citeacute par Fuchs amp Le Goffic 1983)

Cette vision de la langue comme voueacutee agrave lrsquoexpression drsquoideacutees claires et univoques est pour le

moins simpliste ainsi que le regrette Lyons (1981 203)

Not only is it frequently and erroneously associated with the view that all sentences have precise and determinate meanings it is based on the equally erroneous assumption that clarity and the avoidance of vagueness and equivocation are always desirable regardless of what language game we are playing

En effet lrsquoobservation des faits langagiers montre que les pheacutenomegravenes drsquoambiguiumlteacute et de

sous-deacutetermination sont parties inteacutegrantes de la langue et du discours comme en teacutemoignent

les travaux de bon nombre de chercheurs (entre autres Crystal amp Davy 1975 Le Goffic 1981

1982 Fuchs amp Le Goffic 1983 Fuchs 1996 Channell 1994 Jucker et al 2003 Kaltenboumlck et

al 2010 Bat-Zeev Shyldkrot et al 2010 2014 2016)

Nous proposons donc drsquoapprofondir la question du laquo flou raquo qui peut concerner la reacutefeacuterence

aux objets-de-discours susceptible de poser problegraveme aux theacuteories de la reacutefeacuterence existantes

Apregraves une caracteacuterisation de la notion de sous-deacutetermination et une deacutelimitation de lrsquoeacutetendue

des faits qui nous inteacuteressent (sect2) nous prenons soin de la distinguer de pheacutenomegravenes

apparenteacutes (sect3) puis nous en deacutegageons les circonstances et modaliteacutes drsquoapparition et

eacutevoquons quelques hypothegraveses sur son traitement cognitif (sect4) Enfin nous preacutesentons un

inventaire des principales ressources linguistiques agrave la disposition des locuteurs pour exprimer

la sous-deacutetermination en franccedilais (sect5)

166

167

2 Caracteacuteristiques de la sous-deacutetermination

En matiegravere de reacutefeacuterence les approches traditionnelles supposent que lrsquoidentification des

reacutefeacuterents est lrsquoun des critegraveres drsquoune communication reacuteussie Neacuteanmoins les eacutechanges

conversationnels ordinaires montrent plutocirct que les locuteurs manient le degreacute de

deacutetermination reacutefeacuterentielle en fonction de leurs objectifs discursifs Ainsi la manipulation de

la granulariteacute reacutefeacuterentielle permet notamment de geacuterer le degreacute de saillance des objets

contribuant agrave la dynamique des repreacutesentations en M laissant certains objets en retrait et en

placcedilant drsquoautres au centre de lrsquoattention (Jucker et al 2003) Elle permet en outre comme on

le verra de creacuteer des effets discursifs particuliers

21 Sous-deacutetermination et pertinence

Si dans certaines situations de sous-deacutetermination le locuteur ne dispose tout simplement pas

drsquoinformations preacutecises agrave propos drsquoun reacutefeacuterent eacutevoqueacute (par simple ignorance oubli etc) on

peut supposer que dans drsquoautres situations il dispose de connaissances plus preacutecises mais

qursquoil renonce deacutelibeacutereacutement agrave les exploiter pour des raisons de pertinence (Sperber amp Wilson

1986) en effet il peut estimer les coucircts drsquoune telle deacutetermination trop eacuteleveacutes que ce soit agrave

lrsquoencodage ou au deacutecodage preacutesumeacute par rapport aux effets communicatifs escompteacutes

Inversement lrsquointerpregravete calcule de son cocircteacute sur le mecircme principe uniquement un ensemble

drsquoinfeacuterences rentables renonccedilant agrave drsquoautres qui seraient pourtant possibles Crsquoest donc surtout

sur un objectif de pertinence plutocirct que de veacuteriteacute que repose la variation du degreacute de

deacutetermination reacutefeacuterentielle

22 Une notion scalaire

La sous-deacutetermination srsquooppose agrave une situation de deacutetermination reacutefeacuterentielle crsquoest-agrave-dire

dans laquelle les objets eacutevoqueacutes sont identifieacutes et clairement opposables les uns par rapport

aux autres On parlera de sous-deacutetermination lorsque surgissent des difficulteacutes drsquoattribuer une

valeur agrave une variable Cela peut srsquoexpliquer au niveau des reacutefeacuterents par le manque drsquoattributs

distinctifs (en particulier une deacutenomination des proprieacuteteacutes typantes et discregravetes) En parlant

de sous-deacutetermination nous mettons en avant le caractegravere scalaire de la notion Srsquoil nous

semble intuitif drsquoenvisager une situation de deacutetermination laquo complegravete raquo ie lorsqursquoil est

possible drsquoattribuer une valeur agrave un objet il nous semble agrave lrsquoinverse plus probleacutematique de

concevoir un objet totalement indeacutetermineacute En effet tout acte seacutemiotique apportant au moins

une information minimale sur lrsquoobjet auquel il renvoie dans M nous jugeons plus adeacutequat de

recourir agrave une notion en adeacutequation avec ce point dans le cas drsquoun acte eacutenonciatif

lrsquoexpression au moyen de laquelle le reacutefeacuterent est introduit de mecircme que la preacutedication dont il

fait lrsquoobjet fournissent de fait des indications agrave son propos elles le deacuteterminent forceacutement

drsquoune certaine maniegravere aussi minimale soit-elle Crsquoest pourquoi nous recourons agrave la notion de

sous-deacutetermination plutocirct qursquoagrave celle drsquoindeacutetermination

168

Il faut rappeler qursquoen tant qursquoanalyste nous nrsquoavons accegraves qursquoagrave des traces du discours

effectivement produit par des interactants il nous est donc impossible de mesurer fiablement

le degreacute de sous-deacutetermination des objets en M Nous ne pouvons de ce fait que nous appuyer

sur les indications partielles agrave disposition comme les indices verbaux les infeacuterences qursquoon

peut en tirer et parfois les meacutetadonneacutees disponibles

23 Types de sous-deacutetermination

Dans cette eacutetude nous nous inteacuteressons exclusivement agrave la sous-deacutetermination susceptible

drsquointervenir dans le processus drsquounification drsquoune variable avec un objet-de-discours De fait

nous laissons de cocircteacute les proceacutedeacutes de sous-deacutetermination se situant agrave drsquoautres niveaux comme

ceux se rapportant agrave des quantiteacutes comme illustreacutes ci-dessous

(208) voilagrave alors jaimerais te poser quelques questions sur ton | _ | meacutetier denseignant

(ofrom)

(209) et moi jai travailleacute dans le deuxiegraveme eacutetage | _ | qui dans lequel y avait euh trente-trois

reacutesidents | _ | et puis on eacutetait environ huit aides-soignantes en temps normal (ofrom)

Dans lrsquoexemple (208) le quantificateur quelques exprime la sous-deacutetermination du nombre de

questions agrave poser (on sait qursquoil y en a plus qursquoune mais qursquoelles sont jugeacutees peu nombreuses)

Le marqueur environ en (209) fonctionne quant agrave lui comme un approximateur (cf infra sect32)

agrave lrsquoeacutegard du nombre drsquoaides-soignantes exprimeacutee conduisant drsquoembleacutee agrave en relativiser la

preacutecision

De mecircme nous ne nous inteacuteressons pas agrave la sous-deacutetermination affectant les proprieacuteteacutes

comme ci-dessous

(210) ouais pis crsquoest pas que je preacutefegravere lire que | _ | regarder un film mais pour les films qui

sont assez compliqueacutes et pis euh | _ | assez durs comme ccedila je trouve que crsquoest mieux

un livre parce que sinon apregraves crsquoest un peu | _ | ccedila crsquoest des fois un peu violent ou

comme ccedila (ofrom)

Les expressions assez et un peu indiquent ici aussi la neacutecessiteacute de relativiser les qualiteacutes

respectives eacutevoqueacutees Quant aux occurrences de (ou) comme ccedila crsquoest plutocirct sur leur

adeacutequation lexicale que semble porter la fonction mitigatrice (Beacuteguelin amp Corminboeuf agrave

par)

Drsquoautre part certaines expressions sont speacutecifiquement deacutedieacutees agrave lrsquointroduction drsquoune

variable sous-deacutetermineacutee ou quelconque Crsquoest le cas drsquoun certain nombre de pronoms dits

laquo indeacutefinis raquo (cf infra sect31)

(211) y a aussi lhabitude parce que quelquun qui travaille dune semaine agrave lautre | _ | de

temps en temps chez lui | _ | ou bien quelquun qui en fiche pas une et pis qui qui fait |

_ | que son travail agrave agrave la leccedilon ccedila sentend parce quen geacuteneacuteral on retrouve un petit peu

linstrument | aux mecircmes endroits quougrave on la laisseacute avant (ofrom)

169

Le pronom quelqursquoun (mais aussi quiconque quelque chose nrsquoimporte quiquoi quoi que ce

soit je ne sais quiquoi certains drsquoaucuns etc) manifeste agrave travers son signifieacute mecircme la

nature sous-deacutetermineacutee de la variable introduite et lrsquoinutiliteacute de saturer celle-ci

Bien que ces expressions soient au cœur du domaine de la sous-deacutetermination nous avons

choisi de nous pencher uniquement dans la preacutesente eacutetude sur le cas des pointeurs reacutefeacuterentiels

(ou deacutesignateurs) car ils ont ceci drsquointeacuteressant qursquoils donnent lieu agrave une forme de conflit entre

lrsquoinstruction drsquounification veacutehiculeacutee et lrsquoopeacuteration mecircme drsquounification

Avant de distinguer les diffeacuterents cas de figure de sous-deacutetermination preacutecisons ce que nous

entendons par laquo anaphore raquo Lrsquoopeacuteration anaphorique canonique correspond agrave un type

drsquounification non probleacutematique un objet deacutetermineacute est introduit agrave un moment donneacute en M

puis une eacutenonciation ulteacuterieure instancie une variable agrave unifier avec celui-ci (ce processus

reposant comme on lrsquoa vu sur un calcul infeacuterentiel agrave partir drsquoindices de divers ordres) En

dehors de cette situation on peut distinguer plusieurs types de dissension entre lrsquoinstruction

drsquounification de la variable et sa saturation

Berrendonner (2016) recourt agrave la notion de variables provisoires pour deacutesigner laquo une classe

particuliegravere de reacutefeacuterents sous-speacutecifieacutes qui ne satisfont pas agrave lrsquoexigence conventionnelle de

pertinence optimale et dont lrsquointroduction dans M creacutee par conseacutequent un eacutetat non stable du

savoir partageacute raquo Pour le cas des pointeurs reacutefeacuterentiels on peut en relever un premier type

traditionnellement appeleacute laquo cataphore raquo

(i) Lrsquounification de la variable sous-speacutecifieacutee est diffeacutereacutee

(212) Vous lrsquoavez tous remarqueacutehellip Comment drsquoailleurs ne pas le remarquer Dans

certaines zones drsquoEacutepinay-sur-Seine nos rues nos trottoirs et nos espaces publics sont

occupeacutes par drsquoimportants chantiers (ciculaire communale Eacutepinay-sur-Seine mai

2011)

Dans cet exemple la variable sous-deacutetermineacutee est introduite agrave travers deux occurrences

pronominales avant qursquoune eacutenonciation ulteacuterieure vienne lrsquoinstancier Le proceacutedeacute de

cataphore creacutee ainsi un eacutetat instable de M perccedilu comme un effet stylistique drsquoattente (ibid)

Dans ce cas lrsquoinstanciation de la variable provisoire est simplement diffeacutereacutee

Il existe un autre type de variable provisoire

ii) Lrsquoobjet faisant deacutefaut pour lrsquoidentification demande agrave ecirctre infeacutereacute mais le calcul agrave

partir des indices contextuels laquo nrsquoaboutit geacuteneacuteralement qursquoagrave cerner une classe floue

de valeurs possibles plus ou moins vraisemblables raquo (ibid)

(213) apregraves on deacutebarrasse apregraves nous on a une pause de vingt minutes on fait la | pause cafeacute

tout ccedila | _ | apregraves on se deacuteba on arrive on deacutebarrasse d les deacutejeuners (ofrom)

170

Dans ce cas il est possible drsquoinfeacuterer drsquoautres objets en relation avec lsquofaire la pause cafeacutersquo par

exemple hellip discuter fumer une cigarette aller aux wc faire des sudokus etc Cependant

dans le proceacutedeacute de reacutefeacuterence agrave lrsquoœuvre ci-dessus (qui fera lrsquoobjet du chapitre IV infra) il y a

de bonnes raisons de penser que lrsquoinfeacuterence des valeurs potentielles par lrsquointerpregravete soit court-

circuiteacutee par lrsquoapplication du principe de pertinence autant le locuteur en utilisant un tout ccedila

sur le mode allusif juge trop coucircteux de deacutetailler davantage le reacutefeacuterent en vue de ses objectifs

autant lrsquointerlocuteur estime le traitement infeacuterentiel cognitivement peu rentable En fait tout

ccedila eacutevoque ici un laquo faisceau drsquoobjet raquo au sens de Grize (1990 78) crsquoest-agrave-dire un ensemble

drsquoeacuteleacutements heacuteteacuterogegravenes (proprieacuteteacutes relations et schegravemes drsquoaction) attacheacutes agrave un objet donneacute

(ici le reacutefeacuterent lsquopause cafeacutersquo) Grize considegravere que toute introduction drsquoobjet ouvre

simultaneacutement une classe-objet autrement dit les eacuteleacutements heacuteteacuterogegravenes qui lui sont attacheacutes

et qui ont laquo affaire raquo les uns avec les autres A cet eacutegard il faut noter que cette notion de

classe-objet se distingue radicalement de la conception matheacutematique de laquo classe raquo

impliquant des membres homogegravenes Quoi qursquoil en soit la reacutefeacuterence de tout ccedila tout en

srsquoapparentant allusivement agrave une classe-objet demeure ici relativement sous-deacutetermineacutee

On peut enfin relever un dernier type de difficulteacute surgissant dans le processus drsquounification

drsquoune variable qui se distingue des deux cas preacuteceacutedents par le fait qursquoil nrsquoimplique pas de

variable provisoire du moins dans le mecircme sens que preacuteceacutedemment

iii) Lrsquoobjet supposeacute manifeste se montre en fait preacutesent dans M au moment du pointage

mais lrsquoexpression reacutefeacuterentielle typiquement une expression dite laquo reacutesomptive raquo

renvoie agrave une partie mal deacutelimiteacutee du reacuteseau reacutefeacuterentiel en construction

(214) Bon moi jrsquoai travailleacute mais vous me direz euh Dans des conditions euh agreacuteables euh

jrsquoavais mes horaires je me rapportais du travail agrave la maison Tout ccedila eacutetait tellement

souple que jrsquoeacutetais quand mecircme beaucoup avec les enfants Mais euh je sais pas si ils

srsquoen sont tellement aperccedilus hein (pfc)

Le clitique oblique en166

renvoie bien agrave un objet preacutealablement introduit dans M mais cet

objet se montre composite lui-mecircme constitueacute drsquoindividus heacuteteacuterogegravenes et de relations entre

eux dont certain(e)s sont agrave infeacuterer (cf ici aussi la notion de classe-objet) il renvoie ainsi agrave un

sous-graphe de M dont pour rappel lrsquoarchitecture peut ecirctre repreacutesenteacutee sur le mode

laquo gravitationnel raquo (cf supra ChI sect463 et sect634) En tenant compte des indications

seacutemantiques veacutehiculeacutees par le verbe recteur (srsquoapercevoir de qqc) on peut interpreacuteter en non

seulement comme le temps passeacute par la locutrice avec ses enfants mais peut-ecirctre aussi

comme la flexibiliteacute de travail dont elle beacuteneacuteficiait le privilegravege de sa situation etc Dans ce

cas aussi une part drsquoincertitude demeure en particulier au niveau de la composition et des

limites du sous-graphe concerneacute Comme dans le cas preacuteceacutedent tout porte agrave croire que le

reacutefeacuterent est traiteacute en gros et que le calcul de la teneur deacutetailleacutee ou des frontiegraveres de lrsquoobjet

nrsquoest pas jugeacute pertinent

166

On pourrait faire une analyse similaire pour le tout ccedila aussi preacutesent

171

Dans la suite de ce travail nous nous concentrerons sur ces trois types de sous-deacutetermination

pour rappel i) le cas de mise en suspens de lrsquoinstanciation drsquoune variable (ii) le cas ougrave

lrsquoobjet avec lequel unifier la variable nrsquoest pas preacutesent et dont lrsquoinfeacuterence du fait de son

incertitude laisse lrsquoobjet sous-deacutetermineacute (iii) le cas ougrave lrsquoobjet est manifestement preacutesent

mais ougrave la sous-deacutetermination porte davantage sur sa composition et sa deacutelimitation

172

173

3 Notions voisines

Comme on a pu srsquoen apercevoir en restreignant le domaine drsquoobservation certaines notions se

rapprochent de celle de sous-deacutetermination sans toutefois que leurs extensions respectives se

recouvrent Crsquoest notamment le cas des notions de reacutefeacuterence indeacutefinie (sect31)

drsquoapproximation167

(sect32) drsquoambiguiumlteacute (sect33) et autres pheacutenomegravenes apparenteacutes agrave celle-ci

comme lrsquoambivalence (sect34) ou encore lrsquoopposition transparence vs opaciteacute (sect35) Dans un

sens courant toutes eacutevoquent en effet quelque chose de flou ou drsquoimpreacutecis et srsquoopposent

ensemble agrave lrsquoideacutee drsquounivociteacute du langage Il nous paraicirct degraves lors important de nous situer plus

preacuteciseacutement par rapport agrave ces notions

31 Reacutefeacuterence indeacutefinie

La notion de reacutefeacuterence indeacutefinie se rapproche de celle drsquoindeacutetermination reacutefeacuterentielle en ce

qursquoelles renferment toutes deux lrsquoideacutee qursquoon ne peut associer une valeur stable agrave une variable

Sur ce point les notions se recouvrent Mais la notion drsquoindeacutefini est en outre exploiteacutee pour

cerner des cateacutegories grammaticales traditionnelles agrave savoir des laquo articles raquo (une des) et

autres deacuteterminants (quelques plusieurs aucun chaque nul etc) ainsi que des pronoms du

type quelqursquoun quelque chose chacun personne rien on etc A ces derniers on peut encore

ajouter drsquoautres classes dites indeacutefinies comme les adverbes quelque part nulle part jamais

etc (Haspelmath 1997) Du fait de cette heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute la classe des indeacutefinis a souvent eacuteteacute

catalogueacutee de laquo fourre-tout raquo (entre autres Arriveacute Gadet amp Galmiche 1984 Flaux amp De

Mulder 1997 Schnedecker agrave par)

Notre enjeu eacutetant drsquoeacutetudier les pointeurs dont on ne parvient agrave unifier la variable malgreacute

lrsquoinstruction qursquoils comportent (cf supra sect23) la notion drsquoindeacutefini est agrave diffeacuterencier de notre

objet drsquoeacutetude En effet la plupart des formes dites indeacutefinies introduisent au contraire

explicitement une variable sous-deacutetermineacutee sans instruction de saturation Neacuteanmoins on

verra que lrsquousage de certaines expressions eacutetudieacutees dans les parties empiriques de ce travail168

se rapproche agrave certains eacutegards de lrsquoemploi de lrsquoune ou lrsquoautre forme dite indeacutefinie Dans ce

cas nous nrsquoheacutesiterons eacutevidemment pas agrave examiner de plus pregraves leurs rapports (cf infra ChV

sect342)

32 Approximation

Drsquoapregraves le TLFi une approximation est au sens matheacutematique une laquo opeacuteration par laquelle

on tend agrave se rapprocher de plus en plus de la valeur reacuteelle drsquoune quantiteacute ou drsquoune grandeur

sans y parvenir rigoureusement raquo Dans la langue courante elle repreacutesente une laquo eacutevaluation

approximative169

drsquoun nombre drsquoun chiffre drsquoune distance drsquoune date etc raquo et par extension

de sens simplement le laquo caractegravere drsquoune chose lorsqursquoelle nrsquooffre qursquoune exactitude

relative raquo

167

Cf infra (sect453) lrsquoutilisation drsquoet tout et tout ccedila comme marqueurs drsquoapproximation de paroles rapporteacutees 168

En particulier lrsquoemploi de tout ccedila ou du clitique sujet ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee 169

Noter la circulariteacute de la deacutefinition

174

Selon Bat-Zeev Shyldkrot et al (2010 3) le point commun de ces significations est

laquo lrsquoapproche eacutevaluative ou impreacutecise et lrsquoeacutecart par rapport agrave une exactitude rigoureuse raquo

comme lrsquoillustrent les propos de Valeacutery ci-dessous

(215) Crsquoest faute de le savoir [le langage des dieux] que lrsquohomme ou que lrsquoecirctre de lrsquohomme

a creacuteeacute ces approximations les larmes le sourire le soupir lrsquoexpression du regard le

baiser lrsquoembrassement lrsquoillumination du visage le chant spontaneacute la danse (Valeacutery

Mauvaises penseacutees et autres 1942 lt TLFi)

Les eacutenonceacutes contenant des marqueurs drsquoapproximation posent des problegravemes aux logiciens

qui ne parviennent pas agrave leur attribuer une valeur de veacuteriteacute dans le systegraveme binaire vrai-faux

(216) Sam is approximately six feet tall (Sadock 1977 434)

Sadock (1977) eacutevoque la solution consistant agrave recourir agrave la theacuteorie des ensembles flous170

ougrave

la notion de veacuteriteacute est appreacutehendeacutee en termes scalaires le but eacutetant de deacuteterminer par des

algorithmes jusqursquoagrave quelle distance lrsquoestimation garantit la veacuteriteacute de lrsquoeacutenonceacute Lrsquoauteur reste

neacuteanmoins sceptique envers cette approche veacutericonditionnelle171

et privileacutegie une analyse

pragmatique selon laquelle le rocircle drsquoun marqueur drsquoapproximation est simplement de

relativiser le sens drsquoun eacutenonceacute

the role of an approximator in the pragmatic theory is to trivialize the semantics of a sentence to make it almost unfalsifiable to hedge in a genuine sense (ibid 437)

Autrement dit il attribue une fonction mitigatrice agrave ce type de marqueur une approximation

ne srsquoeacutevalue pas en termes de valeur de veacuteriteacute car elle est drsquoembleacutee preacutesenteacutee comme laquo a

purposely and unabashedly inaccurate statement raquo (ibid 434) Il traite lrsquoemploi

drsquoapproximateurs via la maxime conversationnelle de quantiteacute (Grice 1975) enjoignant de

nrsquoen dire ni plus ni moins que requis

Dans une approche pragmatico-interactionnelle les marqueurs drsquoapproximation ont ainsi eacuteteacute

consideacutereacutes comme reacuteduisant lrsquoengagement du locuteur agrave lrsquoeacutegard de son propos lui permettant

par la mecircme occasion de meacutenager sa face dans lrsquoeacutechange Les marqueurs drsquoapproximation

peuvent se reacutepartir en deux classes (Vaguer 2010) ceux qui srsquoappliquent agrave une quantiteacute la

preacutesentant comme non extensive (environ agrave peu pregraves presque etc) (cf supra lrsquoexemple

(209)) et ceux qui portent sur une deacutenomination (plutocirct sorte de genre de espegravece de plus

170

Cf Zadeh (1975 ix) laquo We have been slow in coming to the realisation that much perhaps most of human

cognition and interaction with the outside world involves constructs which are not sets in the classical sense but

rather lsquofuzzy setsrsquo (or subsets) that is classes with unsharp boundaries in which the transition from membership

to non-membership is gradual rather than abrupt Indeed it may be argued that the logic of human reasoning is

not the classical two-valued or even multivalued logic but a logic with fuzzy truths fuzzy connectives and fuzzy

rules of inference raquo (citeacute par Channell 1994 200) 171

Le traitement de lrsquoapproximation en termes de veacuteriteacutefausseteacute apparaicirct comme un reacuteflexe comme en teacutemoigne

ce commentaire de Guilbaud (1977 126) eacutevaluant lrsquoapproximation sous lrsquoangle du mensonge laquo [hellip] An

approximate value as common sense says is that which is not exact Is it a lie then I would not deny that

newspapers sometimes contain lies But there is not always so much malice No Talking and thinking by means

of lsquoaboutrsquo lsquonearlyrsquo is a necessity raquo

175

exactement etc) relativisant son adeacutequation Au vu de (210) nous ajouterions une troisiegraveme

classe de marqueurs qui porte sur les proprieacuteteacutes

Les marqueurs drsquoapproximation ont eacuteteacute rapprocheacutes des marqueurs de modaliteacute eacutepisteacutemique

(Le Querler 1996 74 sqq) tels que peut-ecirctre paraicirct-il je pense etc qui reacuteduisent le degreacute de

certitude agrave lrsquoeacutegard drsquoun contenu asserteacute

(217) ben voilagrave ben avec lui ben jai jai ducirc partir vraiment agrave zeacutero il savait pas tenir ses

baguettes il avait pas de batterie je crois mecircme | _ | agrave la maison (ofrom)

En modalisant son eacutenonceacute par lrsquousage drsquoun verbe parentheacutetique le locuteur en reacuteduit la force

illocutoire et par la mecircme occasion les risques drsquoobjection(s) qursquoil encourt contre son propos

Les deux types drsquoexpression (marqueurs modaux et marqueurs drsquoapproximation) relegravevent

ainsi drsquoune strateacutegie de mitigation ou drsquoatteacutenuation (Caffi 2007) au niveau du contenu drsquoun

eacutenonceacute au niveau de la relation entre un locuteur et son eacutenonciation et au niveau

interpersonnel On voit par lagrave que les faits qui relegravevent de lrsquoapproximation (ou la modaliteacute

eacutepisteacutemique) ne recouvrent pas a priori172

ceux que nous avons deacutelimiteacutes pour notre eacutetude de

la sous-deacutetermination qui concernent les objets-de-discours (et non leur quantiteacute ou leur

attribut de deacutenomination) Cela se traduit notamment par lrsquoexamen de classes de marqueurs

diffeacuterentes tandis que lrsquoapproximation est essentiellement appreacutehendeacutee agrave travers le cas de

modifieurs ou de quantificateurs nous nous inteacuteressons principalement agrave des marqueurs

nominaux ou pronominaux

33 Ambiguiumlteacute

Dans lrsquousage courant on recourt freacutequemment agrave la notion drsquoambiguiumlteacute pour deacutecrire une

situation discursive confuse vague dont lrsquointerpreacutetation est incertaine (Fuchs 1996 13) Or

en linguistique on srsquoefforce de mettre sous cette notion un contenu plus fonctionnel

Lrsquoambiguiumlteacute linguistique se caracteacuterise comme une alternative entre plusieurs significations mutuellement exclusives associeacutees agrave une mecircme forme au sein du systegraveme de la langue (ibid)

A partir de cette deacutefinition Fuchs distingue lrsquoambiguiumlteacute virtuelle ougrave le contexte linguistique

seacutelectionne lrsquointerpreacutetation adeacutequate parmi les significations potentielles concurrentes de

lrsquoambiguiumlteacute effective ougrave le destinataire est veacuteritablement confronteacute agrave un choix insoluble

Ainsi dans les eacutenonceacutes suivants le premier sera consideacutereacute comme un cas drsquoambiguiumlteacute

virtuelle reacutesolu par le contexte linguistique tandis que dans le second lrsquointerpreacutetation

demeure bloqueacutee jusqursquoagrave la fin de la phrase

(218) Les croque-morts deacuteposegraverent la biegravere dans le corbillard (ibid 12)

172

Neacuteanmoins les deux pheacutenomegravenes peuvent ecirctre agrave lrsquoœuvre en mecircme temps cf lrsquoemploi infra (ChIV sect453) de

tout ccedila fonctionnant comme marqueur drsquoapproximation de paroles rapporteacutees tout en introduisant une

repreacutesentation sous-deacutetermineacutee des propos implicites

176

(219) Comme il faisait tregraves chaud le jour de lrsquoenterrement on sortit la biegravere (ibid)

Selon Fuchs le nom biegravere dans lrsquoexemple (218) srsquointerpregravete hors contexte avec la

signification de lsquocercueilrsquo tandis que dans (219) il nrsquoest pas possible de trancher entre ce

mecircme usage ou celui du substantif homonyme signifiant un type de boisson alcooliseacutee Cette

distinction est toutefois discutable au vu de ces exemples la lecture proposeacutee pour (218)

nrsquoexcluant pas la possibiliteacute de lrsquoautre interpreacutetation A lrsquoinverse en (219) on peut reacutetorquer

que la structure argumentative oriente vers une lecture preacutefeacuterentielle (la relation de cause agrave

effet qursquoon peut deacutegager entre la chaleur et le fait de boire de la biegravere) En fait Channell

(1994) relegraveve agrave juste titre qursquoen discours les situations drsquoambiguiumlteacute effective ne sont pas

courantes les participants drsquoune conversation se rendent rarement compte que plusieurs

interpreacutetations sont possibles En effet le contexte au sens large ie linguistique ndash y compris

la prosodie ndash situationnel le savoir encyclopeacutedique ou les infeacuterences qursquoil est possible de

tirer oriente geacuteneacuteralement vers lrsquoune des interpreacutetations Drsquoailleurs Fuchs ramegravene

lrsquoambiguiumlteacute agrave un pheacutenomegravene propre au systegraveme de la langue tandis qursquoelle place la sous-

deacutetermination au niveau du discours (ibid 23)

Dans les deux cas neacuteanmoins on rencontre une situation drsquolaquo indeacutetermination raquo agrave un moment

donneacute dans le cas de lrsquoambiguiumlteacute effective en discours lrsquoindeacutetermination vient de

lrsquoimpossibiliteacute de choisir entre plusieurs significations elles-mecircmes deacutetermineacutees Dans les cas

que nous eacutetudions lrsquoindeacutetermination se situe dans la difficulteacute drsquoattribuer une valeur

reacutefeacuterentielle agrave la variable introduite Fuchs (1996 24) recourt agrave une comparaison parlante

pour distinguer les deux cas de figure elle rapproche lrsquoambiguiumlteacute drsquoimages susceptibles

drsquoecirctre perccedilues de plusieurs maniegraveres mutuellement exclusives telle la fameuse illusion

drsquooptique amenant agrave reconnaicirctre tantocirct le portrait drsquoune vieille femme tantocirct celui drsquoune

jeune fille Quant agrave la sous-deacutetermination elle est illustreacutee par le cas drsquoimages floues

repreacutesentant une seule situation mais aux contours indistincts On pourrait ecirctre tenteacute de

prolonger lrsquoanalogie de Fuchs en remarquant que lrsquoimage est geacuteneacuteralement reacutealiseacutee agrave dessein

dans le premier cas mais involontairement dans le second cas Cependant Fuchs relegraveve

nombre drsquoambiguiumlteacutes laquo non controcircleacutees raquo173

agrave lrsquoinverse la reacutefeacuterence agrave une situation floue peut

ecirctre deacutelibeacutereacutee et reacutepondre agrave certains besoins comme le remarque Wittgenstein (et comme on

le verra drsquoailleurs dans la suite de ce travail)

Ja kann man ein unscharfes Bild immer mit Vorteil durch ein scharfes ersetzen Ist das unscharfe nicht oft gerade das was wir brauchen (Wittgenstein 1953 = 2011 sect71)

173

Fuchs illustre cela par le titre laquo Marche silencieuse contre la violence agrave Bastia raquo (Le Monde lt Fuchs 1996

75) ougrave le journaliste nrsquoest probablement pas conscient de lrsquoambiguiumlteacute virtuelle creacuteeacutee (qursquoest-ce qui de la marche

ou de la violence a eu lieu agrave Bastia ) Neacuteanmoins en contexte cet eacutenonceacute nrsquoest sans doute pas ambigu pour

lrsquoauteur (ni drsquoailleurs pour le reacutecepteur) On peut donc se demander si cela fait sens de parler drsquoambiguiumlteacute non

controcircleacutee en discours

177

Nous nous relativiserons cependant dans la suite de ce travail lrsquoideacutee de laquo substitution raquo sous-

jacente eacutevoqueacutee par Wittgenstein une repreacutesentation sous-deacutetermineacutee nrsquoeacutetant pas (toujours) agrave

consideacuterer comme un substitut drsquoune repreacutesentation deacutetermineacutee

Mentionnons pour finir encore deux acceptions du terme laquo ambiguiumlteacute raquo releveacutees par Le Goffic

(1983 77) celle drsquolaquo incompleacutetude de la signification raquo notamment adopteacutee en analyse

litteacuteraire en psychanalyse ou en seacutemiotique ougrave laquo le potentiel de signification drsquoun eacutenonceacute ou

drsquoun texte nrsquoest jamais eacutepuiseacute raquo Ainsi une seacutequence donneacutee renfermerait un nombre

drsquointerpreacutetations infini Lrsquoauteur eacutevoque enfin une acception de lrsquoambiguiumlteacute situeacutee au niveau

de lrsquoeacutechange discursif appreacutehendeacutee comme le deacutecalage drsquoencodage et de deacutecodage entre le

locuteur et lrsquointerlocuteur on ne peut jamais ecirctre sucircr qursquoil y ait coiumlncidence entre le sens viseacute

par lrsquoun et celui interpreacuteteacute par lrsquoautre Dans ce cas nous ne parlerons pas drsquoambiguiumlteacute mais de

meacuteprise ou de dissension sur le contenu de M

En somme nous pouvons retenir de cette mise au point que lrsquoambiguiumlteacute en linguistique se

distingue de la sous-deacutetermination telle que nous lrsquoentendons par le fait qursquoelle se situe au

niveau seacutemantique et non au niveau reacutefeacuterentiel

34 Ambivalence

Le Goffic (1982) distingue lrsquoambivalence de lrsquoambiguiumlteacute pour les cas qui tout en preacutesentant

une pluraliteacute de significations se precirctent mal agrave lrsquoexclusiviteacute stricte drsquoune interpreacutetation au

deacutetriment de lrsquoautre Dans le cas de lrsquoambiguiumlteacute lrsquoactivation drsquoune signification annule la

possibiliteacute drsquoactiver lrsquoautre (les autres) signification(s) Selon Le Goffic dans certaines

situations il est pourtant difficile de distinguer entre deux interpreacutetations exclusives Il recourt

alors agrave la notion drsquoambivalence pour deacutecrire des cas ougrave des significations a priori distinctes

sont simultaneacutement en vigueur Issu de la psychanalyse le concept deacutesigne laquo la preacutesence

simultaneacutee de deux composantes de sens contraires raquo (p 86) dont le domaine de preacutedilection

est celui des sentiments

Exploiteacutee au niveau seacutemantique la notion permet de faire coexister plusieurs sens en principe

contradictoires soit en les activant chacun dans leur totaliteacute soit en en faisant un produit

mixte ou intermeacutediaire Lrsquoexemple des syllepses peut servir agrave illustrer cela comme dans Il nrsquoy

a pas de diffeacuterence entre un coiffeur et un peintre ils peignent tous les deux (p 93)

lrsquooccurrence peignent du fait de lrsquohomonymie qursquoelle manifeste est susceptible drsquoactiver

simultaneacutement le sens des verbes peindre et peigner Le Goffic eacutevoque encore lrsquoexemple

drsquouniteacutes lexicales agrave lrsquoorigine homonymes dont les sens ont fusionneacute (le verbe errer lt lat

errare et lt lat iterare (p 94) ou enfin le cas de lrsquoadverbe encore dont les valeurs durative et

reacutepeacutetitive peuvent se cumuler (jrsquoeacutecris encore deux pages et je te rejoins) (p 97) Autrement

dit le terme drsquoambivalence est employeacute dans des situations de plurivociteacute ougrave le principe

drsquoalternative ne srsquoavegravere pas adeacutequat Fuchs (1996) parle drsquoailleurs dans ces cas

laquo drsquoindeacutetermination raquo ou de laquo plurivociteacute sans ambiguiumlteacute raquo (p 31) pheacutenomegravene qursquoelle deacutecrit

ainsi

178

Plusieurs significations sont donneacutees agrave comprendre comme co-possibles [hellip] le contexte conduit agrave arrecircter lrsquointerpreacutetation en-deccedilagrave drsquoune distinction trancheacutee entre plusieurs significations de mecircme niveau ce qui est donneacute agrave comprendre se situe agrave mi-chemin entre plusieurs significations participe un peu de toutes neutralise leurs diffeacuterences (p 30)

On peut rapprocher ici la conseacutequence reacutefeacuterentielle des indices seacutemantiques contradictoires de

lrsquoambivalence qui peuvent contribuer agrave eacutevoquer des objets indiscrets (ChI sect33) Neacuteanmoins

la difficulteacute agrave attribuer une valeur reacutefeacuterentielle ne reacutesulte pas du deacutefaut drsquoattributs distinctifs

comme dans les cas de la sous-deacutetermination mais plutocirct drsquoun amalgame de proprieacuteteacutes

contradictoires

35 Interpreacutetation transparente vs opaque

On peut encore relever un cas particulier drsquoambiguiumlteacute dite parfois logique distinguant une

interpreacutetation transparente drsquoune interpreacutetation opaque (Quine 1960)

(220) Nancy veut eacutepouser un Norveacutegien (Fuchs amp Le Goffic 1983 112)

Dans son interpreacutetation transparente lrsquoeacutenonceacute dit de Nancy qursquoelle veut eacutepouser un individu

qui se trouve ecirctre norveacutegien dans une lecture opaque on comprend que Nancy veut devenir

femme-de-Norveacutegien Ces deux significations donnent lieu selon les cadres theacuteoriques

respectifs agrave des formes logiques distinctes de mecircme qursquoagrave des structures profondes

diffeacuterentes On explique geacuteneacuteralement la diffeacuterence drsquointerpreacutetation par le fait que le SN un

Norveacutegien peut ecirctre attribueacute agrave des eacutenonciateurs distincts agrave savoir le locuteur mecircme de

lrsquoeacutenonceacute (1egravere

interpreacutetation) ou le personnage de Nancy lui-mecircme (2e interpreacutetation) Dans le

premier cas on dit que lrsquoexpression est transparente puisqursquoelle laisse transparaicirctre le point

de vue du locuteur (comme dans le ceacutelegravebre Œdipe veut eacutepouser sa megravere) on dit qursquoelle est

opaque lorsque crsquoest lrsquoindividu concerneacute (ici Nancy) qui est responsable de lrsquoemploi du SN

(Charolles 2002 99)

Neacuteanmoins cette explication nrsquoest pas totalement convaincante eacutetant donneacute que lrsquoambiguiumlteacute

du SN un Norveacutegien demeure lorsqursquoil nrsquoy a qursquoun eacutenonciateur comme dans lrsquoeacutenonceacute je veux

eacutepouser un Norveacutegien Il faudrait plutocirct rechercher la source du problegraveme au niveau des types

de verbes concerneacutes et de leur capaciteacute agrave ouvrir des champs drsquointerpreacutetations varieacutes pour les

SN indeacutefinis du type un N En effet si lrsquoon fait par exemple commuter le verbe vouloir+inf

avec le verbe savoir+que P (Nancy sait qursquoelle eacutepouse un Norveacutegien) lrsquoambiguiumlteacute disparaicirct

Malgreacute lrsquointeacuterecirct de la probleacutematique nous laissons aux seacutemanticiens le soin drsquoapprofondir ce

champ drsquoeacutetude tregraves speacutecifique

179

4 Emergence et traitement de la sous-deacutetermination

Dans cette section nous tentons de cerner un certain nombre de facteurs deacuteterminants dans

lrsquoeacutemergence de la sous-deacutetermination (sect41) puis nous examinons le type de ressource

linguistique principale dans lrsquoexpression de la sous-deacutetermination agrave savoir la sous-

speacutecification seacutemantique (sect42) Pour finir nous preacutesentons quelques pistes sur le traitement

cognitif de ce type drsquoinformation (sect43)

41 Motivations de la sous-deacutetermination

On peut srsquointerroger sur les causes de lrsquointroduction en M drsquoune repreacutesentation sous-

deacutetermineacutee Crystal amp Davy (1975 111-112) mettent au jour un certain nombre de facteurs

pour expliquer le laquo vague lexical raquo dont ils constatent la freacutequence dans les conversations

familiegraveres et qursquoils jugent partie inteacutegrante du genre discursif Ils distinguent ainsi

a) La perte de meacutemoire

b) Lrsquoabsence de deacutenomination adeacutequate ou ignorance de la deacutenomination

c) Lrsquoabsence de pertinence de la preacutecision eacutetant donneacute le sujet de conversation

d) Le choix deacutelibeacutereacute drsquoun terme impreacutecis pour maintenir lrsquoatmosphegravere deacutecontracteacutee

Il nous semble que ces paramegravetres intuitifs peuvent ecirctre reacutepartis selon leur caractegravere accidentel

(en gros lrsquoignorance a b) ou strateacutegique (en lien avec la pertinence c d) Les facteurs

proposeacutes par les auteurs relegravevent simplement drsquoun constat geacuteneacuteral sur lrsquoeacutemergence du vague

lexical mais ne sont ni preacutesenteacutes comme le fondement drsquoune typologie eacutelaboreacutee ni

veacuteritablement argumenteacutes ni systeacutematiquement illustreacutes Il nous semble ainsi que cette liste

pourrait servir de base agrave une typologie plus rigoureuse coupleacutees agrave quelques-uns des

rendements mis au jour par Beacuteguelin (1997a et b) Nous proposons donc drsquoexaminer quelques

exemples reacuteveacutelateurs drsquoautres aspects deacuteterminants

(221) - Sous preacutetexte que jrsquoavais laisseacute entrer quelqursquoun qui ne faisait pas partie du

personnel votre ami Walter en lrsquooccurrence ils mrsquoont menaceacute de me licencier en

invoquant une faute professionnelle grave nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Mais qui ccedila laquo ils raquo nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Ceux qui financent lrsquoobservatoire notre gouvernement nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Enfin Martyn cette visite eacutetait parfaitement anodine et puis Walter et moi sommes

tous deux membres de lrsquoAcadeacutemie cela nrsquoa aucun sens (M Levy La premiegravere nuit

p 239-240)

Le locuteur de la premiegravere reacuteplique recourt au pronom sous-speacutecifieacute ils pour eacutevoquer lrsquoagent

impliqueacute dans un procegraves soit qursquoil juge agrave tort en lrsquooccurrence son identiteacute eacutevidente laissant

le soin agrave son interlocuteur de lrsquoinfeacuterer (O2 cf supra ChI sect636) soit qursquoil la juge non

pertinente preacutevenant drsquoeacuteventuels coucircts de deacutecodage (O1) Dans tous les cas il y a divergence

entre les interlocuteurs sur le contenu courant de M eacutetant donneacute la demande drsquoidentification

180

conseacutecutive agrave laquelle le locuteur satisfait mettant un terme agrave lrsquoeacutetat instable ainsi creacuteeacute Au vu

du climat de crainte deacutecrit (le rocircle menaccedilant du reacutefeacuterent) des infeacuterences qursquoon peut tirer agrave

partir de lrsquoidentiteacute reacuteveacuteleacutee apregraves coup du reacutefeacuterent ainsi que du genre discursif il y a de bonnes

raisons de consideacuterer que lrsquoemploi de ils procegravede drsquoune strateacutegie drsquoeacutevitement visant agrave taire le

nom drsquoun reacutefeacuterent jugeacute neacutefaste (conformeacutement agrave O5 pour rappel la sauvegarde des faces)

Dans le mecircme genre lrsquoexemple ci-dessous met en jeu la deacutesignation drsquoun reacutefeacuterent

momentaneacutement sous-deacutetermineacute manifestement eacutegalement au profit de O5

(222) [Quelques jours apregraves lrsquoannonce de la disparition imminente drsquoun hebdomadaire

romand] Depuis quelques jours tout le monde ne parle que de ccedila autour de moi De la

liste La nocirctre Nous sommes comme les autres et jrsquoimagine que ce serait la mecircme

chose dans un autre boulot [hellip] Mais piocher 37 noms crsquoest tellement laid ccedila doit

ecirctre un pari que lrsquoon a perdu sans mecircme savoir de quoi il srsquoagissait (Le Temps 08

feacutevrier 2017 Chronique Ma premiegravere fois)

Ce qui motive le caractegravere drsquoabord sous-deacutetermineacute du reacutefeacuterent deacutesigneacute par ccedila crsquoest son

caractegravere tabou qui srsquoexplique en aval par la reacuteveacutelation de son identiteacute agrave savoir une liste de

noms de personnes agrave licencier Le pronom est visiblement employeacute en laquo deixis

meacutemorielle174

raquo (Fraser amp Joly 1980) crsquoest-agrave-dire qursquoil renvoie agrave un reacutefeacuterent eacutevident dans

lrsquoesprit du locuteur ndash drsquoougrave un effet potentiel drsquoempathie ndash mais non disponible en M au

moment du pointage

Dans lrsquoexemple ci-dessous la locutrice justifie son inteacuterecirct pour les journaux degraves son plus

jeune acircge et deacutesigne dans un discours direct un objet dont elle nrsquoa au moment de

lrsquoeacutenonciation rapporteacutee pas connaisssance

(223) depuis toute petite tu sais il me semble que jai voulu minteacuteresser euh | _ | tout ce quy

avait dans les journaux enfin je prenais le journal je le lisais | | cest quoi ccedila enfin

(ofrom)

Ici lrsquoignorance responsable de la sous-deacutetermination ne se situe pas forceacutement au niveau

lexical seul niveau eacutevoqueacute par Crystal amp Davy (1975) mais probablement au niveau

encyclopeacutedique crsquoest parce que la locutrice ne connaicirct pas au moment du discours mimeacute tel

ou tel sujet concept fait etc eacutevoqueacute dans les journaux qursquoelle utilise les pointeurs crsquo et ccedila

pour le deacutesigner Drsquoailleurs lrsquoemploi de ces deacutesignateurs token-reacuteflexifs surmarquent ici la

discontinuiteacute entre le discours citant et citeacute (Beacuteguelin 1997b) permettant au destinataire

drsquoadopter le point de vue de lrsquoenfant qursquoeacutetait la locutrice au moment des faits rapporteacutes

La sous-deacutetermination en jeu dans lrsquoexemple suivant peut srsquoexpliquer par lrsquoabsence drsquoune

cateacutegorisation adeacutequate existante pour le reacutefeacuterent mais aussi par nonchalance (O2) ou non

pertinence drsquoune eacutetiquette plus speacutecifieacutee (O1)

174

Cf aussi la notion de recognitional deixis de Himmelmann (1996) ou celle drsquoanadeixis de reconnaissance de

Cornish (2010a)

181

(224) donc on a donc on sest deacuteplaceacutes avec nos valises pour trouver notre euh notre hocirctel | _

| et pis euh sinon | _ | apregraves avoir deacuteposeacute les trucs on a petit-deacutejeuneacute (ofrom)

Il est difficile de savoir si lrsquoemploi du SN les trucs ne fait que rappeler lrsquoobjet lsquoles valisesrsquo

anteacuterieurement activeacute ou srsquoil englobe plus de types drsquoobjets (toutes sortes drsquoaffaires

heacuteteacuteroclites par exemple) En tous les cas le N laquo postiche raquo175

a lrsquoavantage de recouvrir

potentiellement un ensemble non speacutecifieacute drsquoobjets contrairement agrave une autre forme lexicale

plus speacutecifieacutee (cf infra sect513) De plus son caractegravere passe-partout est particuliegraverement

avantageux en termes de coucircts drsquoencodage (O2) mais il signale eacutegalement au destinataire

lrsquoinutiliteacute drsquoen infeacuterer davantage (O1)

On remarque ainsi que la sous-deacutetermination peut ecirctre motiveacutee par de nombreux facteurs

susceptibles de se combiner entre eux certains accidentels (meacuteconnaissance du reacutefeacuterent

drsquoune deacutenomination) drsquoautres strateacutegiques (eacuteconomie sauvegarde de la face marquage drsquoune

heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute eacutenonciative ou autres effets de point de vue) Il va de soi que les conditions de

production propres aux diffeacuterents genres discursifs ont un impact sur la preacutesence des

marqueurs de sous-deacutetermination en particulier sur la gestion des causes accidentelles On

sait en geacuteneacuteral que les genres beacuteneacuteficiant de conditions de preacuteparation et supposant des

normes visant agrave preacutevenir des coucircts eacuteleveacutes de deacutecodage eacutevitent autant que possible ce que

drsquoaucuns perccediloivent comme des laquo accidents de performance raquo (cf supra ChI sect631) A

lrsquoinverse les discours produits sur le vif reflegravetent lrsquoeacutetat cognitif courant du locuteur y compris

toutes les laquo instabiliteacutes raquo qursquoil suppose

Ci-dessous lrsquoextrait drsquooral spontaneacute cumule les traces de sous-deacutetermination reacutesultant aussi

bien de causes accidentelles que strateacutegiques qursquoil est par ailleurs parfois difficiles de

distinguer

(225) le domaine lagrave | eacutelectronique lagrave ceacutetait agrave la | _ | 176

| _ | ougrave y a le maintenant le | _ |

comment ccedila sappelle | _ | le centre euh | _ | de recherche et tout ccedila | _ | euh | _ | ils ont

deacutemoli lusine pour construire un autre bacirctiment agrave la place | _ | jai assisteacute agrave

linauguration | de cette fabrique en quarante-sept (ofrom)

Le marqueur laquo spatial raquo lagrave vise manifestement agrave situer dans un espace supposeacute connu un

reacutefeacuterent (lsquole domaine eacutelectroniquersquo) dont la deacutenomination exacte fait deacutefaut (comment ccedila

srsquoappelle) Mais le marqueur convoque plutocirct qursquoune situation geacuteographique lrsquoespace

intersubjectif des interlocuteurs ainsi solliciteacute (cf infra sect524) La lacune lexicale est

visiblement aussi agrave lrsquoorigine de lrsquoemploi drsquoet tout ccedila conseacutecutif agrave la tentative de formulation

du locuteur (le centre de recherche) Outre lrsquoincompleacutetude ou lrsquoapproximation lexicale

lrsquoexpression et tout ccedila contribue agrave eacutevoquer grossiegraverement une classe-objet ie un ensemble

drsquoeacuteleacutements heacuteteacuteroclites rattacheacutes au reacutefeacuterent (eg son nom sa localisation sa fonction etc)

mais dont le contenu deacutetailleacute est jugeacute non pertinent A cela srsquoajoute au niveau interactionnel

175

Cf Kleiber (1987) et Halmoslashy (2006) sur le mot chose 176

Le signe repreacutesente une seacutequence anonymiseacutee remplaccedilant la plupart du temps un nom propre

182

un effet de connivence et tout ccedila servant drsquoappel agrave une repreacutesentation commune (qursquoon

pourrait gloser par tu vois ce que je veux dire je te passe les deacutetails) Pour finir on observe

lrsquousage drsquoun ils renvoyant agrave un agent sous-deacutetermineacute dont lrsquoidentiteacute nrsquoest pas fournie par le

contexte Outre lrsquoignorance potentielle du locuteur agrave cet eacutegard on peut lrsquoexpliquer agrave nouveau

par lrsquoabsence de pertinence de lrsquoidentification En effet agrave la faveur de cette sous-

deacutetermination crsquoest le procegraves deacutecrit agrave savoir la deacutemolition du bacirctiment qui est preacutesenteacute

comme lrsquoinformation pertinente On voit donc que les causes de lrsquoeacutemergence de la sous-

deacutetermination relegravevent de strateacutegies discursives varieacutees et cumulables faisant agrave ce titre de

celle-ci une veacuteritable ressource communicationnelle

Au vu de ces observations nous proposons de classer les motivations de la sous-

deacutetermination de la maniegravere suivante

a) facteurs accidentels lacune lexicale inexistence drsquoune cateacutegorisation lexicale

idoine meacuteconnaissance encyclopeacutedique culturelle ou perceptive du reacutefeacuterent

b) facteurs strateacutegiques i) en lien avec la pertinence reacuteduction des coucircts de

deacutecodage (O1) ou drsquoencodage (O2) gestion de la structure informationnelle ii) en

lien avec lrsquointeraction gestion des faces (O5) intersubjectiviteacute heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

eacutenonciative et effets de point de vue

Preacutecisons que lrsquoopposition entre a) et b) nrsquoest que theacuteorique les marqueurs pouvant relever

des deux types En effet on a vu ci-avant qursquoun marqueur apparaissant en raison drsquoune

instabiliteacute cognitive accidentelle peut par la mecircme occasion ecirctre doteacute de rendements

pragmatiques et interactionnels

42 Sous-speacutecification seacutemantique

Comme on lrsquoa vu agrave travers les exemples preacuteceacutedents les ressources linguistiques couramment

exploiteacutees dans lrsquoeacutemergence de la sous-deacutetermination sont les expressions linguistiques sous-

speacutecifieacutees Preacutecisons agrave cet eacutegard que nous reacuteservons la notion de sous-speacutecification agrave la

description seacutemantique des expressions linguistiques et celle de sous-deacutetermination agrave celle des

objets-de-discours

Rappelons qursquoil est drsquousage en seacutemantique de situer les uniteacutes sur des eacutechelles de

geacuteneacuteraliteacutespeacutecificiteacute et drsquoy reconnaicirctre un degreacute intermeacutediaire dit de base (ou basique) qui

repreacutesente le niveau par deacutefaut et intuitif pour les sujets parlants (Rosch et al 1976) situeacute

entre les niveaux subordonneacute (ou speacutecifique) et superordonneacute (geacuteneacuteral) (cf supra ChII sect24)

Ainsi en va-t-il pour la seacuterie de noms chien (niveau de base) teckel (niveau subordonneacute

terme dit hyponyme) et animal (niveau superordonneacute terme dit hyperonyme) qui manifestent

entre eux des rapports drsquoinclusion seacutemantique le signifieacute du lexegraveme animal est inclus dans

celui du lexegraveme chien lui-mecircme inclus dans celui du lexegraveme teckel (signifieacute le plus speacutecifieacute)

183

La preacutedisposition pour le niveau de base srsquoaccorde bien au niveau pragmatique avec la

maxime de quantiteacute (Grice 1975) qui garantit un eacutequilibre communicationnel issu drsquoun

compromis entre le surplus drsquoinformations drsquoune part et le deacuteficit informationnel drsquoautre part

Il va de soi que tout recours au niveau superordonneacute nrsquoa pas pour effet de produire une

repreacutesentation sous-deacutetermineacutee en M En effet il arrive freacutequemment qursquoun hyperonyme

rappelle un objet deacutejagrave deacutetermineacute sans que celui-ci en perde pour autant ses proprieacuteteacutes

distinctives

(226) A cette eacutepoque Amazone nrsquoeacutetait qursquoun enfant et il habitait pregraves du port de Beacutelem lagrave

ougrave la neige la plus familiegravere eacutetait le coton dont les navires eacutetait chargeacutes Il nrsquoallait pas

encore agrave lrsquoeacutecole il restait agrave la maison avec sa megravere et commenccedilait deacutejagrave agrave jouer sur un

vieux piano qui traicircnait dans la cour et que son pegravere avait reacutecupeacutereacute Dieu sait ougrave

Lrsquoinstrument sonnait faux mais crsquoeacutetait deacutejagrave quelque chose de magique un piano qui

sonnait faux (M Fermine Amazone)

Il en va de mecircme pour les pronoms que contient lrsquoextrait qui sont pour leur part deacutepourvus de

tecircte lexicale (et donc de traits lexicaux inheacuterents) par conseacutequent moins speacutecifieacutes que les SN

lexicaux du point de vue seacutemantique177

leur emploi dans des situations de rappel drsquoobjets

deacutejagrave deacutetermineacutes nrsquoinduit en soi aucune sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle comme on le voit ici

Les expressions sous-speacutecifieacutees qui nous inteacuteressent sont celles qui interviennent dans les cas

de sous-deacutetermination reacutepertorieacutes supra (sect23) ie les cas ougrave la variable qursquoelles introduisent

nrsquoest pas aiseacutement unifiable avec un objet en M celui-ci nrsquoeacutetant pas preacutesent ni facilement

infeacuterable ou alors sa deacutelimitation demeurant indistincte

43 Traitement cognitif de la sous-speacutecification

Au niveau cognitif on peut se demander comment le cerveau humain traite la sous-

speacutecification seacutemantique A lrsquoinstar de la linguistique la psycholinguistique se fonde en

geacuteneacuteral sur un postulat de traitement analytique et rigoureux du langage Cependant un

certain nombre de chercheurs penchent pour une approche plus reacutealiste et pragmatique de

lrsquointerpreacutetation du langage On admet de plus en plus lrsquoideacutee drsquoun traitement superficiel

(shallow processing) dans certaines circonstances pouvant se satisfaire drsquointerpreacutetations sous-

speacutecifieacutees (Sanford amp Sturt 2002) En effet un interpregravete peut se contenter drsquoun traitement

superficiel si lrsquoinformation explicitement communiqueacutee demeure lacunaire ou si une

interpreacutetation complegravete ne vaut pas la peine drsquoecirctre mise en œuvre Il peut manipuler des

repreacutesentations sous-deacutetermineacutees en srsquoabstenant de srsquoengager sur certains aspects du sens On

parle alors de minimal semantic commitment (Frazier amp Rayner 1990) Lrsquoideacutee est qursquoun

allocutaire adaptera son traitement interpreacutetatif en produisant des repreacutesentations

laquo suffisamment bonnes raquo (good enough representations) pour lrsquoobjectif de la communication

177

Rappelons que les pronoms ne sont pas totalement deacutepourvus de sens Leurs traits morphologiques (genre

nombre personne cas etc) notamment comportent des indications seacutemantiques Voir supra ChII sect2

184

en cours autrement dit pour geacuteneacuterer une reacuteaction approprieacutee au stimulus (Ferreira et al

2005) Le but nrsquoest pas de nier lrsquoexistence de traitements analytiques approfondis mais de

doter le processus de compreacutehension drsquoune dimension plus heuristique lui permettant drsquoopeacuterer

plus rapidement (Towsend amp Bever 2001) On reconnaicirct deacutesormais en psycholinguistique que

le systegraveme interpreacutetatif calcule une signification plausible avant mecircme que celle-ci soit

confirmeacutee par les informations explicites Les concepts drsquointerpreacutetation laquo suffisamment

bonne raquo (Ferreira et al 2005) ou de laquo traitement superficiel raquo (Sanford amp Sturt 2002)

illustrent le recours agrave un type drsquoheuristique visant agrave acceacuteder agrave une signification en faisant le

moins drsquoefforts possibles178

Diverses expeacuteriences psycholinguistiques mettant en scegravene des

inconsistances seacutemantiques ou logiques connues sous les noms de Moses illusion (Erickson

amp Mattson 1981) lsquosurvivorsrsquo anomaly (Barton amp Sanford 1993) corroborent lrsquoideacutee drsquoun

traitement rapide et superficiel dans certaines conditions

Il faut preacuteciser que ces reacutesultats portent sur des donneacutees de laboratoire souvent obtenues agrave

partir de stimuli visuels produits dans des conditions rigoureusement controcircleacutees et deacutepouilleacutees

de tout ancrage contextuel Certes crsquoest lagrave une condition neacutecessaire agrave la conduite de toute

eacutetude expeacuterimentale visant agrave veacuterifier telle ou telle hypothegravese au moyen de tests statistiques

appliqueacutes aux donneacutees reacutecolteacutees Mais malgreacute une volonteacute louable de deacutecrire de maniegravere plus

reacutealiste le traitement du sens par les interpregravetes lrsquoapproche demeure paradoxalement eacuteloigneacutee

des usages reacuteels et des conditions accidentelles et strateacutegiques (cf supra sect41) qui favorisent

la sous-deacutetermination

Drsquoautre part la perspective se concentre uniquement sur la tacircche drsquointerpreacutetation et ne

considegravere pas le processus de production ougrave des strateacutegies de simplification sont

manifestement aussi agrave lrsquoœuvre Enfin lrsquoapproche part implicitement du principe que le

traitement superficiel deacutepend du seul niveau seacutemantique (cf les inconsistances seacutemantiques

proposeacutees dans les stimuli respectifs179

) elle nrsquoenvisage pas le fait qursquoune telle interpreacutetation

puisse reacutesulter de la nature mecircme des reacutefeacuterents en tant que constructions cognitives

potentiellement floues et indistinctes (Berrendonner 2014) Comme toujours agrave deacutefaut de

pouvoir acceacuteder directement aux repreacutesentations discursives des interlocuteurs drsquoune

interaction (Grize 1993) nous sommes sur ce point reacuteduits en tant que linguistes agrave faire des

hypothegraveses agrave partir des indices lacunaires dont nous disposons Crsquoest neacuteanmoins la tacircche que

nous nous efforccedilons de poursuivre dans ce travail

178

Ces concepts gagneraient agrave ecirctre rapprocheacutes de la notion de pertinence de Sperber amp Wilson (1986) 179

Cf laquo How many animals of each sort did Moses put on the ark raquo (Erickson amp Mattson 1981)

laquo After an aircrash where should the survivors be buried raquo (Barton amp Sanford 1993) laquo If you donrsquot break the

rules then Irsquoll tell the authorities raquo (Fillenbaum 1974) laquo The dog was bitten by the man raquo (Ferreira et al 2005)

185

5 Inventaire des moyens drsquoexpression de la sous-deacutetermination

Apregraves avoir deacutefini ce que nous entendions par sous-deacutetermination deacutelimiteacute lrsquoobjet drsquoeacutetude et

deacutegageacute les conditions favorables et les meacutecanismes agrave lrsquoœuvre dans son eacutemergence nous nous

proposons drsquoexaminer les ressources linguistiques agrave travers lesquelles elle se manifeste dans

des genres varieacutes Cette section contient donc un inventaire des moyens drsquoexpression agrave la

disposition des usagers Rappelons que nous nous inteacuteressons exclusivement aux opeacuterations

de pointage reacutefeacuterentiel (et non drsquointroduction) (cf supra ChI sect635) dans le cadre desquelles

surgit un obstacle agrave lrsquounification de la variable introduite avec un objet valide en M drsquoune

part lrsquoobjet viseacute peut ecirctre absent soit momentaneacutement (verseacute en M lors drsquoune eacutetape

ulteacuterieure) (i) soit il doit ecirctre infeacutereacute de maniegravere non fiable eacutetant de ce fait susceptible drsquoecirctre

incarneacute par toute une gamme de reacutefeacuterents potentiels (ii) drsquoautre part lrsquoobjet peut ecirctre valide

mais ses frontiegraveres et sa composition exhaustive demeurent incertaines (iii)

Notre inventaire est organiseacute selon un critegravere lexical distinguant drsquoune part les ressources

lexicales (bien que sous-speacutecifieacutees) dont la signification se compose de traits conceptuels

inheacuterents (sect51) drsquoautre part les ressources non lexicales (sect52) deacutepourvues de ce type de

traits et dont la signification peut ecirctre deacutecrite comme fonctionnelle Il faut noter que la

distinction entre lexegravemes et morphegravemes (entendu grammaticaux) nrsquoest de loin pas toujours

claire comme le souligne Martinet (1967) certains eacuteleacutements relevant agrave la fois du lexique et de

la grammaire (il donne lrsquoexemple des preacutepositions pour ou avec) Crsquoest selon le linguiste

lrsquoaspect fonctionnel qui fait basculer un eacuteleacutement du cocircteacute des morphegravemes (grammaticaux)

(ibid 112)180

Nous verrons que cette distinction a ses limites notamment dans le cas des

termes postiches (sect513) Neacuteanmoins elle se montre suffisamment pertinente pour notre

propos qui est de fournir une vue drsquoensemble sur les ressources disponibles

51 Ressources lexicales

511 Hyperonymes

Nous avons deacutejagrave eacutevoqueacute supra (sect42) la possibiliteacute de classer hieacuterarchiquement les uniteacutes

lexicales en termes drsquoinclusion seacutemantique et en distinguant diffeacuterents degreacutes de speacutecification

entre celles-ci Ainsi les hyperonymes ou termes superordonneacutes se caracteacuterisent par une sous-

speacutecification lexicale par rapport agrave leurs subordonneacutes ou hyponymes Leur sens est inclus

dans celui de ces derniers qui se montrent seacutemantiquement plus eacutetoffeacutes A lrsquoinverse

lrsquoextension des hyperonymes est plus large que celle de leurs hyponymes elle recouvre des

entiteacutes moins homogegravenes que celle des hyponymes (cf la diffeacuterence supra entre instrument vs

piano) Lrsquoexemple suivant met en jeu lrsquohyperonyme acte dans lrsquoexpression passer agrave lrsquoacte

180

Neacuteanmoins il existerait selon Martinet un critegravere distributionnel les lexegravemes apparaicirctraient agrave des places

susceptibles drsquoecirctre remplies par des classes ouvertes drsquoitems tandis que les morphegravemes grammaticaux

appartiendraient agrave des classes limiteacutees (ibid 119)

186

(227) laquo Mathieu est passeacute agrave lrsquoacte le pire moment de ma vie raquo (titre drsquoun article

httpwwwlapressecala-tribune 15112016)

La ritualisation du rendement eupheacutemique de lrsquoexpression passer agrave lrsquoacte fournit quelques

pistes drsquointerpreacutetation (eg la preacutedilection pour les domaines de la violence ou de la

sexualiteacute) mais il demeure agrave partir du titre impossible drsquoattribuer une valeur stable au

reacutefeacuterent eacutetant donneacute la diversiteacute des candidats potentiels (agression meurtre suicide acte

sexuel radicalisation etc) Outre son rendement eupheacutemique lrsquoexpression par ailleurs

imputeacutee agrave une instance eacutenonciative distincte de celle du journaliste vise agrave creacuteer un effet

drsquoattente auquel le contenu de lrsquoarticle met fin en reacuteveacutelant le type drsquoacte en question agrave savoir

le suicide drsquoun adolescent

Dans la reacutefeacuterence aux humains on peut mentionner lrsquoemploi du SN les gens le N gens

englobant dans son extension toutes sortes de sous-cateacutegories potentielles Cappeau amp

Schnedecker (2014) font lrsquohypothegravese drsquoune eacutevolution des SN les gens des gens vers un statut

pronominal au vu des reacuteanalyses auxquelles ils donnent lieu les inteacutegrant au paradigme des

pronoms indeacutefinis du franccedilais Dans lrsquoexemple ci-dessous il nrsquoest pas eacutevident de deacutecider si le

SN renvoie agrave un ensemble heacuteteacuterogegravene (les gens qursquoils croisaient quels qursquoils soient) ou agrave

lrsquoinverse srsquoil convient drsquoinfeacuterer une communauteacute particuliegravere agrave partir du contexte (les

eacutelegraveves les instituteurs)

(228) tandis que mon mari | _ | qui avait neuf ans de plus que moi | _ | entre eux et les

parents ils parlaient le patois depuis tout petits | _ | et quand ils ont eacuteteacute agrave leacutecole ils ont

eu beaucoup de peine | _ | et les gens ils se moquaient deux des fois | _ | parce que ils

avaient peine agrave parler franccedilais (ofrom)

Le SN ne semble toutefois pas requeacuterir un traitement plus approfondi laissant par lagrave mecircme le

reacutefeacuterent sous-deacutetermineacute

512 N sous-speacutecifieacutes laquo capsules raquo

On peut distinguer des hyperonymes les laquo noms sous-speacutecifieacutes raquo (Legallois 2006 2008) drsquoun

autre type appeleacutes aussi noms laquo capsules raquo (shell nouns lt Schmid 1997 2000) ou encore

laquo labels raquo (Francis 1994) parmi lesquels181

on trouve pour le franccedilais des noms comme ideacutee

objectif conseil aspect reacutesultat souhait fait chose problegraveme raison conseacutequence182

etc

Contrairement aux hyperonymes ces noms ne srsquoinscrivent pas au sein drsquoune hieacuterarchie

lexicale telle que les degreacutes de Rosch et al (1976) reposant sur des rapports drsquoinclusion

seacutemantique et leur interpreacutetation ne passe pas par la reconnaissance de traits prototypiques

assurant agrave ceux-ci une certaine stabiliteacute conceptuelle (Legallois 2008)

181

Pour un recensement sur un corpus journalistique voir Legallois (2008) 182

A noter que la plupart de ces termes sont polyseacutemiques et qursquoils nrsquoentrent pas dans cette cateacutegorie dans tous

leurs emplois (cf le mot chose qui peut fonctionner comme N postiche cf infra)

187

Pour deacutelimiter la cateacutegorie des noms sous-speacutecifieacutes Legallois (2006 2008) exploite le critegravere

drsquooccurrence dans des structures laquo speacutecificationnelles raquo ie des constructions du type N

(crsquo)ecirctre de infque P comme dans lrsquoobjectif est dequehellip 183

(229) Leur ideacutee a eacuteteacute de dresser le laquo portrait-robot raquo du patron performant (Libeacuteration lt

Legallois 2008)

Ce type de constructions vise agrave speacutecifier le N en question agrave travers la P qursquoil introduit

constituant agrave cet eacutegard sa laquo reacutealisation lexicale raquo (Winter 1992) Ces constructions ne sont

cependant pas celles qui nous inteacuteressent eacutetant donneacute que la P infinitive fournit justement

lrsquoidentiteacute reacutefeacuterentielle au SN leur ideacutee au sein drsquoune mecircme clause Mais une part de sous-

deacutetermination peut surgir dans le cas ougrave le SN renvoie par exemple selon le type (iii) agrave un

sous-graphe deacutejagrave preacutesent en M (sect634) comme ci-dessous

(230) Nous avons encore tous et toutes en meacutemoire les images graves du tremblement de

terre catastrophique de janvier en Haiumlti et nous savons que les habitants de ce pays

auront besoin drsquoaide encore tregraves longtemps Dans cet esprit le Deacutepartement de

Chimie de notre Universiteacute a pris linitiative dorganiser deux eacuteditions speacuteciales de son

spectaculaire cours expeacuterimental Harry Potter et le tournoi magique en faveur des

victimes du tremblement de terre (courrier eacutelectronique adresseacute agrave la communauteacute

universitaire 05022010)

Le SN cet esprit renvoie agrave lrsquoeacutetat mental ndash via sa composante lexicale ndash reacutesultant des

informations eacutevoqueacutees par le contexte preacutealable agrave savoir le souvenir des eacuteveacutenements en

question et la conscience du besoin drsquoaide qui en deacutecoule Il embrasse et construit par

anaphore reacutesomptive sous cette laquo eacutetiquette raquo (cf le terme laquo label raquo de Francis 1994) un

ensemble drsquoobjets heacuteteacuterogegravenes et de relations entre eux dont les limites ne sont pas poseacutees a

priori En outre il engage un positionnement meacutetadiscursif et argumentatif du locuteur

visible notamment dans son rocircle de connecteur conseacutecutif (dans cet esprit)

La capaciteacute drsquolaquo encapsulation raquo (Conte 1996) drsquolaquo empaquetage raquo ou drsquolaquo emballage raquo

(Legallois 2008) reacutesomptif susceptible de veacutehiculer un point de vue (Schmid 2001) ou un

aspect eacutevaluatif (Legallois 2008) a eacuteteacute maintes fois releveacutee dans la litteacuterature (Francis 1994

Conte 1996 Flowerdew 2003 Flowerdew amp Forest 2015) Lrsquoune des speacutecificiteacutes du proceacutedeacute

reacutefeacuterentiel releveacutee par Schmid (1997) est le caractegravere temporaire de la laquo reacuteification raquo opeacutereacutee

presque exclusivement deacutependante du contexte eacutetant donneacute que lrsquoidentification srsquoaffranchit

dans ce cas du recours agrave des traits stables du signifieacute Crsquoest ce qui fait dire agrave Legallois (2008)

que le locuteur libeacutereacute des contraintes seacutemantiques agit avec les N sous-speacutecifieacutes en

laquo deacutemiurge raquo opeacuterant agrave sa guise des cateacutegorisations drsquoobjets des laquo fictions raquo creacuteeacutees en

discours laquo libre de cateacutegoriser ce qursquoil veut comme il veut raquo

183

Cf aussi les contextes drsquoapparition de Schmid (2000 22) pour les shell nouns en anglais N-that N-to N-

wh th-N th-be-N (nous reprenons sa notation)

188

A notre avis cette vision des objets construits par le discours et cateacutegoriseacutes agrave leur guise par

les sujets parlants vaut au-delagrave des emplois de noms sous-speacutecifieacutes ou autres meacutetaphores elle

caracteacuterise le fonctionnement de tous les proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels Ainsi lrsquoemploi de tout SN

reacutefeacuterentiel eacutevoque au moyen de ses traits seacutemantiques inheacuterents (certes en partie influenceacutes

par le monde exteacuterieur) une repreacutesentation discursive faccedilonneacutee par le locuteur laquo deacutemiurge raquo

Autrement dit lrsquousage des N sous-speacutecifieacutes ne doit pas ecirctre vu comme un cas particulier de la

creacuteativiteacute discursive du locuteur comme le suggegravere Legallois (2008) mais il confirme au

contraire le veacuteritable rocircle joueacute par le locuteur dans les opeacuterations de reacutefeacuterence en geacuteneacuteral

La caracteacuteristique des noms laquo capsules raquo reacuteside agrave nos yeux dans la preacutesence drsquoune

cateacutegorisation lexicale un peu particuliegravere conformeacutement aux vertus laquo reacuteifiantes raquo des N en

geacuteneacuteral (Schmid 1997) elle confegravere agrave lrsquoobjet une certaine coheacutesion sous couvert drsquoun point de

vue mais en eacutetant sous-speacutecifieacutee elle est par deacutefinition dans lrsquoincapaciteacute de deacutelimiter

clairement celui-ci Il sera inteacuteressant de mettre cette situation en perspective avec lrsquousage de

ressources non lexicales ayant un fonctionnement semblablement reacutesomptif (les pronoms ccedila

le en y (sect522)) ie capables de syntheacutetiser un mecircme sous-graphe de M sans pour autant

cateacutegoriser celui-ci

513 Termes postiches

Une cateacutegorie de termes sous-speacutecifieacutes se distingue enfin des preacuteceacutedentes par le fait que ses

membres ne srsquoinscrivent ni dans une hieacuterarchie lexicale ni dans un fonctionnement

drsquolaquo encapsulation raquo Bien que drsquoapparence laquo lexicale raquo (ou laquo semi-lexicale raquo Mihatsch 2006)

leur caracteacuteristique reacuteside dans leur emploi passe-partout en lieu et place de lexegravemes plus

speacutecifieacutes184

drsquoougrave la qualification de termes laquo postiches raquo ou laquo vicaires raquo Parmi ceux-ci on

relegraveve par exemple les N chose machin truc bidule zinzin schmilblick185

etc

Les

motivations principales de leur emploi semblent ecirctre la volonteacute de cryptage (par eupheacutemisme

par exemple) lrsquoindiffeacuterence drsquoune speacutecification (le N fonctionnant comme free choice item)

un deacuteficit lexical la complexiteacute du concept qursquoil laquo remplace raquo ou lrsquoinsignifiance du reacutefeacuterent

Les paroles drsquoune chanson drsquoHenri Degraves ci-dessous combinent ces diverses finaliteacutes ougrave un

papa-expert est mis en scegravene dans les reacuteponses qursquoil donne invariablement agrave son enfant sur

des questions drsquoordre technique (eg comment crsquoest fait dans un piano dans une fuseacutee

etc )

(231) Crsquoest le prsquotit zinzin qui passe par ici et qui va toucher le prsquotit machin et le prsquotit

machin qui repasse par lagrave et qui fait marcher le prsquotit zinzin (refrain de la chanson Dis

papa Henri Degraves)

184

Pour une description de ces noms postiches en lieu et place de noms propres voir Kerbrat-Orecchioni (2010)

et Schnedecker (2011) 185

La liste est vraisemblablement restreinte mais nous nrsquoexcluons pas des variantes de type reacutegional voire

drsquoautres types de variantes (idiosyncrasiques par exemple) A noter eacutegalement que certains items peuvent se

combiner (dans divers ordres) truc-machin-chose truc-bidule-chouette etc Il faut encore ajouter qursquoils ne

commutent pas aleacuteatoirement et possegravedent donc des conditions drsquoemploi variables A cet eacutegard voir les analyses

de Kleiber (1987) Halmoslashy (2006) Mihatsch (2006) Bidaud (2015)

189

Lrsquoeffet humoristique de la chanson repose notamment sur le proceacutedeacute parodique auquel

participent les termes postiches visant agrave ridiculiser le discours pseudo-savant du pegravere Il

repose surtout agrave la fin sur le caractegravere tabou de la derniegravere question du fils qui interroge son

pegravere sur la maniegravere de faire les beacutebeacutes La reacuteponse reste toujours la mecircme mais lrsquoembarras est

alors bien perceptible agrave lrsquooreille (raclement de gorge timbre et intensiteacute de la voix etc) On

peut consideacuterer que les deacutenominations postiches sont employeacutees en lieu et place dans un

premier temps de termes techniques compliqueacutes dont le pegravere ignore peut-ecirctre le nom ou dont

ils soulignent la futiliteacute dans un second temps en lieu et place de termes tabous autour du

mystegravere de la sexualiteacute Dans tous les cas il reste difficile drsquoen infeacuterer une identiteacute ou une

deacutenomination univoques en raison de leur occultation deacutelibeacutereacutee

52 Ressources non lexicales

521 Anaphores zeacutero

Il arrive que lrsquoinstruction reacutefeacuterentielle soit exprimeacutee au travers drsquoun laquo deacutesignateur raquo zeacutero

Crsquoest le cas par exemple avec des verbes transitifs dont le compleacutement nrsquoest pas reacutealiseacute laquo en

surface raquo

(232) [la locutrice 82 ans raconte agrave sa petite-fille ses souvenirs de famille] je faisais des

tartines pour euh | _ | enfin pour toute leacutequipe quoi | _ | et pis agrave la reacutecreacute ben ils

venaient au | | _ | pis une fois que quand ceacutetait passeacute que ceacutetait le | _ | quand | 186

|

allait arriver alors lagrave | _ | alors lagrave | _ | tout le monde fi filait parce quentre deux ils

avaient fait des crasses | _ | ils avaient casseacute des fenecirctres tu vois enfin | _ | je trsquoexplique

Oslash un peu en gros | _ | tes pas obligeacute de tout dire hein | _ | enfin voilagrave quoi (ofrom)

Le reacutegime direct du verbe expliquer nrsquoa pas ici de reacutealisation lexicale Outre lrsquoimplication

seacutemantique drsquoun actant187

lrsquoeacuteleacutement zeacutero donne lrsquoinstruction drsquounifier sa variable avec un

objet valide en M ici un sous-graphe de M deacutejagrave introduit ou en cours drsquointroduction dont la

nature aussi bien que les limites demeurent largement sous-deacutetermineacutees

Schnedecker (2014) relegraveve la disposition des anaphores zeacutero agrave apparaicirctre dans les recettes de

cuisine aptes agrave renvoyer agrave des reacutefeacuterents peu identifiables

(233) Mettre les leacutegumes (peleacutes et en cubes) le whisky et le bouillon dans une casserole

Couvrir Oslash drsquoeau et porter Oslash agrave eacutebullition Laisser cuire Oslash agrave feu moyen pendant 30

minutes

Retirer les clous de girofle et les graines de cardamome verte nnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Passer la preacuteparation au mixer hors du feu nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Une fois mixeacutee mettre la preacuteparation sur feu doux ajouter les eacutepices et le beurre nnnn

Laisser cuire Oslash au minimum 15 min (Plus ccedila mijote meilleur crsquoest ) nnnnnnnnnnnnn

Saler Oslash et poivrer Oslash agrave votre goucirct nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

186

Pour rappel signe drsquoanonymisation 187

Cf les emplois absolus du type Il y a toute une population qui casse pour casser (Noailly 1997)

190

Vous pouvez servir Oslash avec des croucirctons au beurre et des copeaux de parmesan

(texte 3 lt ibid 31)

Les formes zeacutero reacutefegraverent reacuteguliegraverement au reacutesultat de meacutelanges ou autre processus propres au

domaine en question (ibid) Le fait que les anaphores zeacutero puissent renvoyer agrave des objets mal

deacutelimiteacutes remet notamment en cause ndash ou du moins nuance ndash lrsquoideacutee qursquoelles encodent une

accessibiliteacute eacuteleveacutee ou autre faciliteacute de traitement (Ariel 1988 1990)

522 Pronoms conjoints

5221 Pronoms sujets ccedila ils

Le pronom clitique sujet ccedila (ou la forme ce devant le verbe ecirctre) possegravede une flexibiliteacute

reacutefeacuterentielle remarquable lui permettant de renvoyer agrave toutes sortes drsquoobjets (cateacutegoriseacutes ou

non animeacutes ou non etc) dans des circonstances tregraves diverses Nous nous limitons ici agrave un

aperccedilu de ces possibiliteacutes et renvoyons pour le reste infra (ChIV sect2) et aux nombreux travaux

consacreacutes agrave la question (Porquier 1972 Maillard 1989 1994 Cadiot 1988 Corblin 1991

Carlier 1996 etc) Le clitique ccedila srsquoutilise reacuteguliegraverement avec des preacutedicats agrave agent animeacute

pour mettre en eacutevidence un procegraves laquo deacutepourvu drsquoagent assignable raquo (Maillard 1985) Il se

rapproche en cela drsquoun emploi impersonnel (Maillard 1985 1989 1994)

(234) Ici crsquoest Fribourg Ccedila jase au bord de la Geacuterine Et ces remous ont pour effet de

pimenter la campagne eacutelectorale agrave Marly Leur cause le refus de la coopeacuterative locale

CRIC-Print drsquoimprimer 6000 tracts de lrsquoUDC marlinoise en vue des eacutelections

communales du 28 feacutevrier (La Liberteacute 040216 chapeau drsquoun article intituleacute Une

entreprise refuse de travailler pour lrsquoUDC)

Maillard (1991) explique que lrsquoemploi de ccedila au deacutetriment drsquoun on indeacutefini est favoriseacute par la

concurrence de lrsquoemploi personnel de ce dernier (asymp nous) Plus que on ccedila permet drsquoocculter

lrsquoagentiviteacute du verbe en placcedilant le procegraves au centre de lrsquoattention Selon Maillard (1985) on

peut consideacuterer ce genre de construction comme un eacutenonceacute theacutetique dans le sens ougrave il pose

lrsquoexistence drsquoun objet qui devient degraves lors disponible comme thegraveme pour une preacutedication

successive188

Crsquoest drsquoailleurs ce qursquoil se passe par la suite les lsquojaseriesrsquo se voyant rappeleacutees

meacutetaphoriquement via ces remous comme thegraveme du propos qui suit Selon cette analyse la

variable introduite par ccedila demeure une variable sous-deacutetermineacutee ie dont lrsquoinstanciation nrsquoest

pas reacutealiseacutee On peut donc se demander dans ce cas si cela fait encore sens de parler de

deacutesignateur (cf le cas du il dit impersonnel)

Outre sa productiviteacute dans laquo lrsquoimpersonnalisation raquo de verbes agrave agent animeacute (Maillard 1994)

lrsquoemploi de ccedila est un bon moyen de rendre compte drsquoune reacutefeacuterence indistincte lieacutee agrave un

contexte eacutenonciatif speacutecifique

188

Une construction theacutetique srsquooppose agrave une construction dite cateacutegorique dont la composition est binaire

constitueacutee drsquoun sujet et drsquoun preacutedicat ou en des termes informationnels drsquoun thegraveme et drsquoun rhegraveme

191

(235) [agrave propos drsquoun funiculaire muni de contrepoids agrave eaux useacutees] une fois jai | _ | je lai

pris pis y avait des Genevois qui eacutetaient en | _ | je sais pas genre en deacutecouverte ici pis

ils font | _ | mais | _ | ccedila pue | _ | quest-ce que cette odeur | _ | cest les eacutegouts | _ | cest

la merde | merde | pis apregraves jai | _ | jai dit ouais ben | _ | ccedila marche aux eacutegouts (ofrom)

Il faut tout drsquoabord noter que les deux occurrences de ccedila interviennent dans un discours direct

et qursquoelles donnent lieu agrave la faveur de leur token-reflexiviteacute agrave une reacutefeacuterence agrave interpreacuteter en

lien eacutetroit avec la situation drsquoeacutenonciation celle rapporteacutee par lrsquoeacutenonciateur citant Elles

srsquoinscrivent ainsi dans le jeu de mime du discours reproduit (Beacuteguelin 1997b) La premiegravere

occurrence de ccedila renvoie agrave lrsquoeacutemanation de la situation rapporteacutee dont lrsquoorigine est inconnue

et difficilement descriptible pour les eacutenonciateurs Srsquoensuivent quelques hypothegraveses des

eacutenonciateurs citeacutes visant agrave cateacutegoriser lrsquoodeur perccedilue au moment en question (crsquoest les eacutegouts

crsquoest la merde)

La seconde occurrence de ccedila sujet du verbe marcher reacutefegravere agrave un objet manifestement eacutetabli

en M dans le deacuteroulement de lrsquoeacutenonciation reproduite agrave savoir le funiculaire On peut degraves

lors se demander pourquoi la locutrice privileacutegie lrsquoemploi de ccedila au deacutetriment drsquoun il

supposant une classification deacutejagrave attribueacutee On peut faire lrsquohypothegravese que le preacutedicat

srsquoapplique au type dont on a eacutevoqueacute un ressortissant perceptible voire agrave sa classe

extensionnelle Ou alors le pronom ccedila vise agrave englober plus que le veacutehicule via sa capaciteacute

meacutetonymique (Corblin 1987b) par exemple lrsquoensemble complexe de son meacutecanisme plus

que le veacutehicule crsquoest le dispositif en place dont on deacutecrit le fonctionnement (aux eacutegouts)

qursquoil est difficile drsquoenvisager de maniegravere deacutelimiteacutee

Aux cocircteacutes de ccedila on peut ajouter le clitique ils reacuteguliegraverement employeacute dans des constructions

voueacutees agrave preacutesenter un procegraves dont lrsquoagent reste sous-deacutetermineacute

(236) Le dernier plaisir de ce fossile vivant consistait agrave deacutecortiquer une ou deux gambas Il

en mangeait dailleurs de moins en moins car la cuisine agrave lhuile ne lui reacuteussissait

pas Pauvre Tanabe Bientocirct tu seras accueilli au nirvana ils ont installeacute agrave lentreacutee

un stand de gambas frites ougrave tu te goinfreras agrave lœil et lagrave pas trop dhuile (Eric Faye

Nagasaki p17)

Contrairement agrave lrsquoemploi traditionnellement deacutecrit du clitique de 3e personne lrsquousage de la 6

e

personne apparaicirct ici ex nihilo sans reacuteel signe preacutecurseur de lrsquoexistence drsquoun reacutefeacuterent

preacutealable Tout au plus peut-on infeacuterer qursquoil srsquoagit drsquooccupants dudit lieu (le nirvana) mais

leur identiteacute nrsquoen est pas davantage infeacuterable Nous reviendrons largement sur le cas de ces

expressions deacutedieacutees agrave la reacutefeacuterence des agents sous-deacutetermineacutes dans les deux derniers chapitres

de ce travail

5222 Pronoms reacutegimes le y en

Un peu agrave la maniegravere de ccedila les clitiques reacutegimes le y et en sont susceptibles de renvoyer agrave des

entiteacutes non classifieacutees ie qui ne possegravedent pas de deacutenomination conventionnelle en

192

particulier des objets de type lsquoprocegravesrsquo eacutevoqueacutes par les constructions verbales Les diffeacuterentes

formes correspondent agrave leur flexion en cas respectivement agrave lrsquoaccusatif pour le au locatif

pour y189

et agrave lrsquoablatif pour en190

Le pointage peut opeacuterer sur des objets plus complexes comme on lrsquoa deacutejagrave vu supra (sect23 ex

(214)) reacutefeacuterant sur le mode reacutesomptif agrave un sous-graphe de M deacutejagrave valide en M mais dont la

deacutelimitation reste indistincte Cela nuance la caracteacuterisation souvent suppleacutetive qui est faite de

ce type de pronom191

Ainsi en va-t-il eacutegalement de lrsquoexemple suivant

(237) je vais vous raconter ce qui mest arriveacute le le quatre en- avril quatre-vingt-huit + ceacutetait

pas sympa + jarrivais de vacances ceacutetait sympa pour moi mais pas pour + pas pour

elle + jeacutetais parti seul + je sais pas comment je je v- + vais faire pour vous le raconter

mais + mais je vais essayer quand mecircme (crfp)

Cet exemple consiste en lrsquoouverture drsquoun eacutepisode narratif explicitement preacutesenteacute comme tel

par le locuteur (je vais vous raconterhellip) A la fin de lrsquoextrait le locuteur interrompt le deacutebut

de son histoire par un commentaire agrave fonction meacutetadiscursive consistant agrave eacutemettre des doutes

sur ses compeacutetences narratives Crsquoest agrave ce moment qursquoapparaicirct le clitique le objet du verbe

raconter Dans une vision substitutive le pronom le serait vraisemblablement consideacutereacute

comme un repreacutesentant du compleacutement ce qui mrsquoest arriveacute le quatre avril quatre-vingt-huit

Or dans une approche constructiviste du discours on interpreacutetera de preacutefeacuterence le pronom le

comme renvoyant agrave lrsquoeacuteveacutenement en cours de narration Certes il srsquoagit bien de lrsquoobjet

annonceacute via ledit compleacutement mais le pronom tient eacutegalement compte de son eacutevolution au fil

du discours en lrsquooccurrence des eacutevaluations eacutemises agrave son propos (sympa pour moi pas pour

elle) ainsi que de lrsquoeacutelaboration de la premiegravere eacutetape narrative (jrsquoeacutetais parti seul) Lrsquoobjet en

question est donc en cours drsquoeacutelaboration au moment ougrave le locuteur y fait reacutefeacuterence par

anticipation A cet eacutegard on peut consideacuterer le fonctionnement du pronom comme ana-

cataphorique (Kęsik 1989 79) non pas dans un sens textualiste mais dans un sens cognitif

il donne lrsquoinstruction drsquoidentifier sa variable avec un objet encore partiellement introduit en M

partant en attente de deacuteterminations ulteacuterieures (Johnsen 2008 2014a)

5223 Pronoms reacutegimes dans les laquo aphorismes lexicaliseacutes raquo

Certains pronoms clitiques reacutegimes ont la particulariteacute drsquoapparaicirctre dans des locutions

verbales du genre srsquoy mettre (asymp commencer) srsquoen sortir (asymp reacuteussir) la fermer (asymp se taire) se

les cailler (asymp avoir froid) etc (Beacuteguelin 2014a) Lrsquoanalyse accordeacutee agrave ces lexies ne recourt

pratiquement jamais agrave la notion de reacutefeacuterence probablement parce qursquoon les considegravere comme

des laquo idiomatismes raquo lexicaliseacutes dont le sens serait compositionnellement inanalysable (ibid

189

Le clitique y fonctionne eacutegalement au datif je lui ressemble vs jrsquoy ressemble Drsquoautre part le terme locatif

nrsquoa pas drsquoimplication seacutemantique y pouvant renvoyer agrave autre chose qursquoun lieu Crsquoest une simple eacutetiquette

casuelle 190

Le clitique en fonctionne eacutegalement agrave lrsquoaccusatif avec un sens partitif (eg jrsquoen ai bu) 191

Voir par ex Riegel et al (2009 369) laquo La forme invariable le repreacutesente un groupe verbal (compleacutement du

verbe faire) une proposition ou un attribut [hellip] raquo

193

156) Beacuteguelin examine neacuteanmoins les circonstances favorisant lrsquoeacutemergence de ce genre

drsquolaquo aphorismes192

lexicaliseacutes raquo qui proviennent agrave lrsquoorigine de situations reacutefeacuterentielles Elle

relegraveve agrave cet eacutegard des cas inteacuteressants de double analyse ougrave le clitique peut srsquointerpreacuteter

tantocirct de maniegravere reacutefeacuterentielle tantocirct de maniegravere laquo autarcique raquo (ibid 139 terme emprunteacute agrave

Damourette amp Pichon 1911-1946 VI) Nous avons eacutegalement rencontreacute ce type de situation

(238) il a mis tout de mecircme une bonne cinquantaine drsquoanneacutees agrave se ruiner dans lrsquoeacutedition et

encore il est pas ruineacute il srsquoen est tireacute assez bien (ctfp)

Dans cet exemple le clitique locatif en peut renvoyer agrave la situation deacutesastreuse eacutevoqueacutee (la

ruine dans le milieu de lrsquoeacutedition) dont lrsquoindividu srsquoest tireacute sans toutefois que le reacutefeacuterent soit

bien circonscrit Mais on peut aussi consideacuterer qursquoil srsquointegravegre pleinement agrave la locution

verbale celle-ci signifiant drsquoun bloc lrsquoaboutissement au succegraves de lrsquoindividu On conviendra

cependant que dans cette derniegravere interpreacutetation il est difficile drsquoomettre complegravetement lrsquoeacutetat

anteacuterieur de la reacuteussite

Beacuteguelin (2014a) propose eacutegalement une double analyse du reacutegime accusatif en ci-dessous

(239) Dites bien comme moi surtout et nrsquoen rajoutez pas nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Moins vous en direz mieux cela vaudra (Frantext Desnos 1943 lt Beacuteguelin 2014a

140)

Dans une interpreacutetation reacutefeacuterentielle en peut eacutevoquer en anaphore indirecte un reacutefeacuterent

comme des lsquoparolesrsquo des lsquoproposrsquo etc qursquoon peut infeacuterer en prenant appui sur la premiegravere

occurrence du verbe dire comportant dans son signifieacute un objet du dire Mais la locution en

rajouter dans son ensemble peut approximativement eacutequivaloir au sens drsquoexageacuterer Il en va

de mecircme pour en dire qui peut signifier simplement parler ou srsquoexprimer

Ces situations sont inteacuteressantes par le fait que le choix entre interpreacutetations reacutefeacuterentielle ou

laquo autarcique raquo nrsquoest au final pas trancheacute et qursquoil est agrave ce titre difficile de parler de reacuteelle

ambiguiumlteacute interpreacutetative On a plutocirct lrsquoimpression drsquoavoir affaire agrave une reacutefeacuterence

laquo eacutevanescente raquo (drsquoapregraves le terme de Beacuteguelin ibid 152)

523 Pronoms disjoints

5231 Les deacutemonstratifs ccedila ceci cela

Cette cateacutegorie se distingue de la preacuteceacutedente par sa distribution syntaxique On constate que

ccedila y figure agrave nouveau cette fois dans des positions non exclusivement sujet contrairement agrave

son emploi clitique On a depuis longtemps releveacute lrsquoaffiniteacute de la seacuterie des deacutemonstratifs ccedila

ceci cela avec les entiteacutes non classifieacutees (Kleiber 1984 Maillard 1989 Corblin 1987)

192

Beacuteguelin (2014a) emprunte le terme agrave Maillard (1974 56) lrsquoadjectif aphorique srsquoopposant agrave

anaphoriquecataphorique lorsque lrsquoeacuteleacutement laquo est parfaitement clos sur lui-mecircme et nrsquoimplique pas le texte raquo

194

Les formes neutres ce ceci cela srsquoemploient quand on nrsquoa aucun nom dans lrsquoesprit (Bonnard 1950 77 citeacute par Corblin 1987b)

Degraves lors ils sont reacuteguliegraverement exploiteacutes comme les pronoms reacutegimes le y en sur le mode

reacutesomptif renvoyant agrave des sous-graphes comportant nombre drsquoobjets et de relations certains

implicites A la diffeacuterence de ceux-ci ils preacutesentent en outre un fonctionnement token-

reacuteflexif

(240) oui alors | | euh il pratique la natation | donc il est il est meacutedaille dor je dirais que il

est tregraves doueacute | _ | agrave la natation | _ | et tout cela ben ccedila demande aussi de lentraicircnement

ccedila demande de la preacutesence | _ | ccedila demande euh beaucoup de | _ | de de motivation de

la part euh des parents et | de la maman puisque cest moi qui fais quand mecircme tout ccedila

(ofrom)

La locutrice reacutepond agrave une question concernant le sport que pratique son fils (dont le nom est

anonymiseacute via le signe ) Dans une position disloqueacutee tout cela dont sont preacutediqueacutees les

exigences (ccedila demandehellip) permet drsquoenglober lrsquoactiviteacute de son enfant (lsquola natationrsquo) de mecircme

que sa classe-objet par exemple son talent son niveau etc qursquoon peut infeacuterer de la seacutequence

argumentative Plus loin dans le discours on relegraveve aussi lrsquoemploi drsquoun tout ccedila compleacutement

du verbe faire Ici eacutegalement le SN renvoie globalement agrave lrsquoensemble des conditions et autres

ingreacutedients concomitants implicites mis en œuvre par la megravere pour la reacuteussite de son fils On

peut envisager lrsquointerpreacutetation comme impliquant une laquo expansion meacutetonymique raquo

accompagnant le laquo deacuteclassement raquo opeacutereacute par ccedila et cela (Corblin 1987b)

Un autre exemple ci-dessous montre que cela se dote drsquoune capaciteacute de synthegravese

remarquable les circonstances qursquoil reacutesume font lrsquoobjet drsquoun vaste deacuteveloppement dans le

discours preacutealable

(241) [hellip] le Mouvement de libeacuteration nationale (MLN) ma proposeacute de partir pour Paris

comme responsable reacutegionale des Jeunes du MLN Jeacutetais logeacutee avec cinq garccedilons

dans lappartement de leacutecrivain Robert Brasillach alors en prison pour Collaboration

Jamais je navais vu une telle bibliothegraveque moi qui adorais lire et qui avais toujours

eu peur de manquer de lectures jeacutetais eacuteblouie par tous ces livres que je pouvais

feuilleter sans contrainte Puis avec Riviegravere et un autre camarade nous avons

deacutemeacutenageacute pour nous installer agrave Montmartre dans lappartement de Le Vigan acteur

ceacutelegravebre agrave cette eacutepoque emprisonneacute lui aussi pour collaboration Nous avions de

lamour plein le coeur et plein les yeux nous parlions dans les congregraves nous eacutecrivions

dans les journaux Nous avions limpression decirctre investis de grands pouvoirs et

javais avec mes camarades lespoir fou de transformer la vie Nous allions changer le

monde Mais cela na pas dureacute tregraves longtemps non plus fin deacutecembre 44 le MLN

navait plus dargent pour nous payer et mes parents sonnaient le tocsin pour que je

revienne agrave Lyon reprendre mes eacutetudes et ma vie de jeune fille convenable

(Domenach-Lallich D Demain il fera beau journal drsquoune adolescente (novembre

1939-1944) 2001lt Frantext)

195

Le pointage via cela permet ici de saisir grossiegraverement tout un sous-graphe deacutejagrave eacutetabli M en

tant qursquoexpeacuterience ou eacutepisode de la vie de la locutrice

Signalons que les pronoms deacutemonstratifs de ce type fonctionnent eacutegalement volontiers de

maniegravere cataphorique crsquoest-agrave-dire en pointant sur un reacutefeacuterent encore non disponible en M

Crsquoest lrsquoun des emplois privileacutegieacutes de ceci laquo reacutesomptif raquo (Kęsik 1989 Theissen 2008)

(242) Donc davarice pas trace Ah si peut-ecirctre une petite chose leacutelectriciteacute [hellip] Et pour

en finir sur ce point ceci Lorsque Jean Rouaud reccediloit le prix Goncourt en 1990 nous

sommes un certain nombre dauteurs de la maison agrave recevoir une lettre de Jeacuterocircme

Lindon nous informant que ce succegraves agrave ses yeux ne serait pas complet si nous ny

participions pas Cette lettre est accompagneacutee dun chegraveque dont je ne me rappelle plus

le montant mais dont je me souviens quil est tout agrave fait substantiel (Echenoz J

Jeacuterocircme Lindon 2001lt Frantext)

Lrsquoauteur de ce texte eacutevoque lrsquoabsence drsquoavarice chez J Lindon Apregraves avoir reconnu une

exception qursquoil deacuteveloppe (pour des raisons de place nous avons eacutelimineacute ce passage) il

propose une illustration de son appreacuteciation via le pronom ceci Crsquoest alors toute une anecdote

qui est relateacutee pour soutenir le propos initial Au vu de lrsquoorientation argumentative du texte

ceci est capable agrave lui seul ndash sans mecircme faire lrsquoobjet drsquoune preacutedication (il fonctionne de

maniegravere syntaxiquement autonome) ndash de confeacuterer au reacutefeacuterent agrave venir via sa token-reacuteflexiviteacute

le statut drsquoeacutevidence de preuve

Ces pronoms apparaissent ainsi comme des moyens commodes de saisir laquo en gros raquo des sous-

graphes soit eacutetablis en M soit agrave venir agrave savoir un type drsquoobjets qui ne possegravede pas de

deacutenomination conventionnelle Comme ils partagent la distribution des SN on peut les mettre

en regard des noms sous-speacutecifieacutes (supra sect512) qui permettent pour leur part au locuteur de

cateacutegoriser subjectivement le mecircme genre drsquoentiteacutes Alors que les vertus reacuteifiantes (Schmid

1997) de la deacutenomination via un nom laquo coquille raquo srsquoaccompagnent de lrsquoattribution explicite

drsquoun point de vue sur lrsquoobjet lrsquoopeacuteration reacutefeacuterentielle via un pronom deacutemonstratif se borne agrave

reacuteunir momentaneacutement sans le nommer un sous-graphe concomitant agrave lrsquoeacutenonciation

Il va de soi que les trois deacutemonstratifs ne sont pas interchangeables en toutes circonstances

Notons drsquoabord que ceci et cela entrent reacuteguliegraverement dans des locutions comme cecicela dit

cela eacutetant fonctionnant comme connecteurs ou alors en correacutelation dans des expressions du

genre pour critiquer ceci cela (cfpp) ougrave ils se dotent drsquoune valeur postiche (cf supra sect513)

Drsquoautre part les emplois semblent diverger en termes de registre et de freacutequence Selon

Maillard (1989 34) cela est beaucoup plus rare que ccedila en franccedilais aussi bien agrave lrsquooral (il

relegraveve dans son corpus oral un 1 cela pour 100 ccedila) qursquoagrave lrsquoeacutecrit (il fait allusion aux statistiques

du TLF) Degraves lors plutocirct que de consideacuterer comme les grammaires que ccedila est une variante

familiegravere de cela Maillard juge plus adeacutequat drsquoinverser la perspective en regardant cela

comme une variante laquo guindeacutee raquo de ccedila lagrave ougrave ils commutent autrement dit comme le reacutesultat

196

drsquoune hypercorrection donnant laquo lrsquoimpression drsquoecirctre agrave cocircteacute de la langue raquo faisant laquo figure

de traduction maladroite ou de reacutecupeacuteration petite-bourgeoise du parler commun raquo (ibid)

Il convient neacuteanmoins de relativiser les chiffres donneacutes par Maillard qui comprennent les

emplois agrave la fois conjoints et disjoints de ccedila alors que cela est exclusivement disjoint

(lrsquoauteur signale drsquoailleurs que cela ne fonctionne jamais avec une valeur impersonnelle

comme ccedila dans ccedila bruine ce matin) Concernant ceci et cela Maillard (ibid 35) invoque agrave

nouveau une diffeacuterence sensible de freacutequence agrave lrsquooral (1 ceci pour 10 cela) Comme pour cela

il situe lrsquoemploi de ceci dans des contextes de franccedilais surveilleacute (ibid 35) Pour Corblin

(1987b) ceci preacutesente des contraintes drsquoemploi plus grandes que ccedila et cela bien que

partageant avec ces derniers lrsquoabsence drsquoun trait de classification il srsquoen distinguerait par la

neacutecessiteacute de reacutefeacuterer agrave un objet deacutelimiteacute Dans OFROM une requecircte rapide193

fournit 24 cela

(2 en locutions) pour 10 ceci (8 en locutions) La mecircme requecircte dans CFPP livre 33 cela (9 en

locutions) pour 32 ceci (31 en locutions principalement dans ceci dit) Pour lrsquoeacutecrit une

recherche sur Frantext de tous les textes posteacuterieurs agrave 1990 donne 20000 cela (19143 en

excluant cela dit et cela eacutetant) pour 1544 ceci (1470 sans ceci dit et ceci eacutetant) Une eacutetude

plus approfondie de la distribution de ces pronoms tenant compte des speacutecificiteacutes syntaxiques

(conjointes ou disjointes) et diaphasiques des expressions meacuteriterait drsquoecirctre meneacutee sur un

corpus agrave plus grande eacutechelle pour compleacuteter les reacutesultats de Maillard

5232 Les pronoms lrsquounhellip (lrsquoautre) les unshellip les autres

Lrsquoidentiteacute des reacutefeacuterents respectivement deacutesigneacutes par les formes lrsquounhellip (lrsquoautre) et les unshellip

les autres nrsquoest pas toujours aiseacutement infeacuterable Crsquoest le cas ci-dessous avec lrsquoemploi de lrsquoun

utiliseacute seul194

(243) Dans la cuisine il trouva trois de ses compagnons de beuverie preacuteparant du cafeacute et

des toasts et lrsquoun mecircme plus intreacutepide un petit deacutejeuner complet tous arborant des

traits deacutecomposeacutes et des yeux anormalement brillants (J Coe La maison du sommeil

lt Schnedecker 2003 99)

La forme pronominale lrsquoun comporte des instructions en apparence contradictoires dans sa

constitution morphologique qui combine laquo une forme associeacutee habituellement agrave

lrsquoindeacutefinitude un raquo et un deacuteterminant deacutefini (Schnedecker 2000) Elle requiert drsquoinstancier sa

variable avec un objet ici preacutesenteacute comme quelconque extrait de la classe preacutealablement

activeacutee (trois de ses compagnons de beuverie)

Dans lrsquoexemple suivant lrsquoemploi des correacutelats les unshellip les autres relegraveve manifestement

drsquoune strateacutegie de cryptage et de respect du politiquement correct

193

Au 15022016 194

Cela semble beaucoup moins freacutequent avec les uns (Schnedecker 2003 99) presque toujours suivi drsquoun

correacutelat en geacuteneacuteral les autres

197

(244) [le ministre belge Didier Gossuin srsquoexprime sur un congregraves organiseacute par son parti sur

le thegraveme de lrsquoeacutethique en politique suite agrave une affaire de conflits drsquointeacuterecircts] Je nirai pas

agrave ce congregraves car jaurais le sentiment de devoir sauver la face et crier en chœur laquo nous

ne sommes pas tous des pourris raquo nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Quelques crapules issues du seacuterail nous ont deacuteshonoreacutes et ont contribueacute agrave miner notre

deacutemocratie Les uns avec leurs titres et fonctions ont frayeacute sans vergogne avec les

pires mafieux corrupteurs et corrompus de notre socieacuteteacute Les autres ont useacute de leurs

mandats pour extorquer agrave leur seul profit la collectiviteacute et le citoyen Pour les uns

comme les autres la seule motivation fut lenrichissement sans cause (12022017

httpwwwlesoirbe)

Le locuteur dans un laquo coup de gueule raquo introduit un ensemble explicitement sous-deacutetermineacute

(quelques crapules) qursquoil partitionne en deux sous-groupes via les uns et les autres dont sont

preacutediqueacutees certaines proprieacuteteacutes mais dont lrsquoidentiteacute reste deacutelibeacutereacutement implicite

524 Lrsquoadverbe lagrave

Nous terminons lrsquoinventaire par lrsquoemploi drsquoune forme sous-speacutecifieacutee agrave lrsquoorigine deacutedieacutee agrave

lrsquoexpression de lrsquoespace agrave savoir lrsquoadverbe lagrave (cf supra (225)) Lrsquoadverbe lagrave constitue en

quelque sorte le pendant tonique des pronoms reacutegimes locatif y et ablatif en Dans les

grammaires on oppose lagrave agrave ici relation tantocirct envisageacutee comme eacutequipollente (eacuteloignement vs

proximiteacute) privative (en faveur du trait de proximiteacute pour ici) ou encore synonymique (Smith

1995) Les linguistes admettent geacuteneacuteralement la seconde hypothegravese agrave savoir celle qui

considegravere lagrave comme le terme non marqueacute de lrsquoopposition (Barbeacuteris 1987 36)195

On sait

qursquoici et lagrave peuvent srsquoaffranchir drsquoun sens purement spatial196

pour se doter drsquoun trait en lien

avec lrsquoeacutenonciation ou la subjectiviteacute ougrave ici marque lrsquoengagement locuteur (Smith 1995) agrave

lrsquoinverse lagrave est au laquo chocircmage deacuteictique raquo laquo sa reacutefeacuterence spatiale est floue voire inexistante

et il ne sert plus qursquoagrave indiquer une absence drsquoengagement (ou le peu drsquoengagement) de la part

du locuteur raquo (ibid 52) Dans le mecircme ordre drsquoideacutee Barbeacuteris (1998 30) attribue agrave ici un

mouvement laquo centripegravete raquo laquo drsquoappropriation purement individuelle de lrsquoespace raquo saisi par le

locuteur sur le vif tandis qursquoelle associe agrave lagrave un mouvement drsquoexpansion laquo centrifuge raquo

engageant une laquo relation interpersonnelle raquo eacutevoquant un espace plus vague et deacutejagrave partageacute A

ses yeux ces caracteacuteristiques respectives mettent en lumiegravere une diffeacuterence drsquointerpreacutetation

entre les eacutenonceacutes suivants malgreacute leur ressemblance

(245) pasque depuis le temps que chuis lagrave (dans le quartier) euh sans les connaicirctre (les

habitants) je les connais d vue (Boulanger lt Barbeacuteris 1998 31 les contenus entre

parenthegraveses sont des explicitations de lrsquoauteur)

195

Smith (1995) montre qursquoaucune hypothegravese nrsquoest complegravetement satisfaisante les donneacutees reacuteveacutelant des

contextes respectivement communs aux deux adverbes des contextes ougrave ici ne se laisse pas substituer par lagrave et

des contextes incompatibles 196

A cet eacutegard Smith (1995 52) explique lrsquoeacutemergence de lagrave-bas dans le systegraveme pour reacutecupeacuterer la composante

spatiale drsquoeacuteloignement deacutesormais absente pour lagrave Sur le sens uniquement spatial de lagrave-bas voir Brault (2001)

198

(246) comme y a vingt ans que j suis ici (dans le quartier) jai du mal agrave faire du changement

hein (rire) (Boulanger lt ibid)

Dans le premier eacutenonceacute la locutrice envisage son lieu de reacutesidence dans sa relation aux

autres agrave lrsquoenvironnement ambiant alors que dans le second eacutenonceacute elle le preacutesente comme

priveacute comme laquo son espace eacutegotique raquo (ibid)

Drsquoapregraves nos observations lagrave manifeste davantage de possibiliteacutes reacutefeacuterentielles qursquoici Ainsi il

est capable de fonctionner de maniegravere reacutesomptive

(247) Mais aussi par la gestion intelligente drsquoun personnage nouveau le chœur repreacutesentant

le peuple de Marseille qui fait plus que commenter lrsquoaction qui y participe Gracircce

aussi aux magnifiques deacutecors de Dominique Pichou et aux costumes de Christian

Gasc lrsquoeacutepoque est eacutevoqueacutee sans ecirctre reconstitueacutee agrave lrsquoidentique Ce sont sans doute lagrave

les cleacutes de cette reacuteussite visuelle (httpwwwconcertonetcom 09042007 lt Corpus

franccedilais Universiteacute de Leipzig)

Cet extrait provient drsquoune critique drsquoun opeacutera-comique dans laquelle la journaliste eacutenumegravere

les qualiteacutes de la piegravece agrave divers niveaux (structure musique sceacutenario personnages deacutecors

etc) Difficile degraves lors de cerner clairement lrsquoeacutetendue de lrsquoadverbe lagrave Situe-t-il la reacuteussite

uniquement dans le rocircle des deacutecors tout juste mentionneacutes Comprend-il la fonction originale

du chœur Recouvre-t-il lrsquoensemble des aspects abordeacutes jusqursquoagrave ce point (ou davantage )

Il semble vain de srsquoorienter exclusivement vers lrsquoune de ces solutions Lrsquointerpregravete se

contentera vraisemblablement drsquoune repreacutesentation globale et positive des divers facteurs de

reacuteussite eacutevoqueacutes

Dans les genres improviseacutes il arrive freacutequemment que lagrave ne fonctionne plus comme

circonstant mais comme simple particule agrave fonction phatique (Barbeacuteris 1987 Smith 1995) en

particulier lorsqursquoil intervient en fin de syntagme Barbeacuteris (1987) appelle cet emploi laquo lagrave de

clocircture raquo

(248) non jai jai des nouvelles de temps en temps pis | _ | ah oui pis tu sais ccedila sest reacutegleacute

lhistoire lagrave tu sais que | _ | tu sais comme quoi javais pas reacutepondu au message |

message tu sais | ah cest vrai | ouais on a parleacute euh ben ceacutetait euh | _ | _ | ben quand

tavais pas pu venir agrave cause du souper justement (ofrom)

Dans cet exemple lagrave ne redonde pas par simple coreacutefeacuterence sur le reacutefeacuterent auparavant activeacute

en lrsquooccurrence lrsquolsquohistoirersquo Son emploi srsquointerpregravete de maniegravere eacuteminemment intersubjective

il convoque un espace commun agrave lrsquoexpeacuterience des interlocuteurs A cette fin la locutrice

laquo mime raquo (ibid 37) lrsquoexistence drsquoun univers partageacute agrave reconstituer elle fait appel agrave la

meacutemoire de son interlocutrice et recherche de sa part un signe drsquoapprobation (cf aussi le tu

sais) qui finit drsquoailleurs par arriver agrave travers ah crsquoest vrai de lrsquointerlocutrice Drsquoapregraves Smith

(1995) crsquoest la sous-speacutecification de lagrave qui lui permet drsquoacqueacuterir un tel fonctionnement

discursif

199

6 Conclusion

Lrsquoobjectif de ce chapitre eacutetait de montrer que la sous-deacutetermination est tout agrave fait courante

dans les eacutechanges mecircme lorsqursquoelle nrsquoest pas annonceacutee comme telle (par opposition aux

expressions dites laquo indeacutefinies raquo) lrsquoemploi de certains deacutesignateurs reacutevegravele qursquoil est

parfaitement possible de reacutefeacuterer agrave un objet qui nrsquoa pas de proprieacuteteacutes distinctives et que cette

situation reacutepond agrave des motivations discursives diverses accidentelles ou strateacutegiques qui se

laissent en tout cas difficilement expliquer par une quecircte de veacuteriteacute

A travers lrsquoinventaire des moyens linguistiques entrepris nous avons distingueacute les ressources

lexicales des ressources non lexicales Ces derniegraveres nrsquoimpliquant pas contrairement aux

premiegraveres un acte de deacutenomination explicite elles nous semblent susceptibles drsquoaller plus

loin dans le pheacutenomegravene de sous-deacutetermination Pour cette raison notamment elles se

montrent particuliegraverement freacutequentes dans les contextes de production spontaneacutee Nous

souhaitons par la suite porter une attention particuliegravere agrave ces contextes dans lesquels les

locuteurs produisent leur discours sur le vif et sans possibiliteacute de le modifier avec tous les

pheacutenomegravenes drsquoinstabiliteacute en M que cela suppose Ces conditions nous apparaissent en effet les

mieux agrave mecircme de refleacuteter les comportements effectifs des usagers affranchis de certaines

contraintes propres agrave des genres dominants plus laquo consensuels raquo ougrave le critegravere du coucirct de

deacutecodage est beaucoup plus important

Dans les limites de ce travail il nous est impossible drsquoexaminer dans le deacutetail le

fonctionnement de lrsquoensemble des formes non lexicales abordeacutees ci-dessus Nous avons

deacutecideacute de consacrer une premiegravere eacutetude de cas au fonctionnement du syntagme tout ccedila

particuliegraverement prolifique dans les contextes drsquooral en configuration drsquoeacutenumeacuteration ougrave il

reflegravete une gamme remarquable de strateacutegies discursives La seconde eacutetude porte sur lrsquoemploi

du pronom clitique de 6e personne ils exprimant un actant sous-deacutetermineacute qui se reacutevegravele

difficilement conciliable avec les descriptions en vigueur de la 3e personne en termes

drsquoanaphore et de continuiteacute reacutefeacuterentielle En seacutelectionnant ces champs drsquoeacutetude particuliers

nous sommes consciente de laisser de cocircteacute un certain nombre de chantiers ouverts qui

meacuteriteraient une attention semblable et une exploration drsquoenvergure sur la base de donneacutees

authentiques Crsquoest notamment le cas de la reacutefeacuterence des clitiques reacutegimes le en y ougrave de

lrsquoadverbe lagrave Nous avons neacuteanmoins lrsquointention de remettre ces questions agrave lrsquoordre du jour

dans le cadre de projets ulteacuterieurs

200

201

Deuxiegraveme Partie

Manifestations de la sous-deacutetermination deux

eacutetudes empiriques

202

203

Avant-propos la constitution des donneacutees

Le choix des deux objets drsquoeacutetude (tout ccedila et ils) de cette seconde partie tient avant tout agrave

lrsquointeacuterecirct qursquoils ont susciteacute chez nous en tant qursquousagegravere du franccedilais en immersion dans les

eacutechanges ordinaires En effet nous avons eacuteteacute frappeacutee au quotidien par la productiviteacute de ces

deux proceacutedeacutes de sous-deacutetermination productiviteacute confirmeacutee par les donneacutees examineacutees par

la suite Il nous a degraves lors paru pertinent drsquoexplorer plus avant ces ressources pour corroborer

lrsquoimpression que celles-ci nrsquoeacutetaient pas seulement le fait drsquoune ignorance du locuteur mais

qursquoelles participaient pleinement agrave lrsquoorganisation du discours

La premiegravere eacutetude sur tout ccedila (Ch IV) complegravete les travaux deacutejagrave abondants sur le pronom ccedila

(eg Porquier 1972 Maillard 1985 1989 1994 Cadiot 1988 Corblin 1991 Boivin 1992

Carlier 1996 Guerin 2006 Sales 2008 etc) et peut ecirctre mise en perspective avec les travaux

sur les particules drsquoextension de liste (eg Ward amp Birner 1993 Overstreet 1999 Ferreacute 2011

Secova 2014) Quant agrave la seconde eacutetude sur ils (Ch V) elle interroge la fonction anaphorique

que lrsquoon associe invariablement au pronom de 3e personne et suggegravere de rapprocher certaines

constructions avec ils drsquoautres proceacutedeacutes de sous-deacutetermination de lrsquoagent tels que lrsquousage du

on dit indeacutefini (eg Muller 1970 Franccedilois 1984 Viollet 1988 Leeman 1991 Rabatel 2001

Blanche-Benveniste 2003 Guerin 2006 Floslashttum et al 2007 Beacuteguelin 2014c etc) ou encore

la diathegravese passive (eg Berrendonner 2000 Muller 2000 Blevins 2003 Creissels 2006 etc)

Concernant les donneacutees analyseacutees hormis celles issues de travaux anteacuterieurs que nous

discutons dans les parties preacuteliminaires nous nous sommes principalement tourneacutee vers des

corpus de franccedilais parleacute en accegraves libre (cf supra Introduction geacuteneacuterale) agrave savoir la base de

donneacutees OFROM197

(env 69h de franccedilais parleacute en Suisse romande voir Avanzi Beacuteguelin amp

Dieacutemoz 2012-2015) la base PFC198

(une trentaine de points drsquoenquecircte dans toute la

francophonie voir Durand et al 2002 2009) ainsi que le corpus CFPP2000199

(environ 48h

de franccedilais parleacute agrave Paris voir Branca-Rosoff Fleury Lefeuvre Pires 2012) Nous avons

conserveacute pour les exemples retenus les conventions de transcription propres agrave chaque

corpus une tacircche drsquouniformisation srsquoaveacuterant trop laborieuse Si les moteurs de chaque base de

donneacutees ont permis drsquoextraire aiseacutement les seacutequences concerneacutees un traitement manuel srsquoest

neacuteanmoins reacuteveacuteleacute indispensable par la suite conformeacutement agrave nos principes drsquoanalyse En

effet en plus des critegraveres purement segmentaux nous accordons une large place aux facteurs

contextuels Pour ce faire nous avons reacuteguliegraverement eu recours agrave la lecture simultaneacutee

197

httpwwwuninechofrom 198

httpwwwprojet-pfcnet 199

httpcfpp2000univ-paris3fr

204

texteson drsquoenregistrements inteacutegraux200

agrave disposition dans les bases afin de tirer parti drsquoun

empan textuel maximal pour chaque occurrence examineacutee

Dans lrsquoimpossibiliteacute de traiter de la sorte les dizaines de milliers de reacutesultats nous avons

orienteacute notre recherche sur des critegraveres qualitatifs en privileacutegiant les exemples qui preacutesentaient

une reacuteelle valeur heuristique Bien que nous fournissions ponctuellement quelques indications

chiffreacutees nous ne preacutetendons donc pas agrave un panorama exhaustif des items eacutetudieacutes

Drsquoautres raisons nous poussent agrave renoncer agrave la deacutelimitation drsquoun sous-corpus drsquoune part les

trois bases de donneacutees exploiteacutees sont des corpus ouverts crsquoest-agrave-dire qursquoelles sont

reacuteguliegraverement alimenteacutees de nouvelles donneacutees dont nous nrsquoavons pas voulu nous priver

Drsquoautre part agrave lrsquoheure actuelle malgreacute des projets de grande envergure en cours dans ce

sens201

il nrsquoexiste pas encore de vaste corpus de franccedilais eacutechantillonneacute et eacutequilibreacute disponible

qui permette de mener agrave bien des analyses quantitatives exhaustives202

(Benzitoun amp Cappeau

2010)

Signalons pour terminer que nous avons releveacute ponctuellement des occurrences dignes

drsquointeacuterecirct au greacute de nos conversations ou lectures ou puiseacutees dans drsquoautres genres discursifs

(SMS Frantext etc) que nous avons jugeacute bon drsquointeacutegrer aux analyses pour eacutetablir le cas

eacutecheacuteant des parallegraveles reacuteveacutelateurs Cela nous donnera lrsquooccasion de deacutegager quelques

diffeacuterences de conditions de production entre les genres de lrsquolaquo immeacutediat raquo et ceux de la

laquo distance raquo communicative (Koch amp Oesterreicher 1985)

200

Par laquo inteacutegraliteacute raquo nous entendons la totaliteacute de lrsquoextrait mis agrave disposition en ligne et non lrsquointeacutegraliteacute de

lrsquoenregistrement drsquoorigine dont souvent seule une partie est audible et a eacuteteacute transcrite 201

Par exemple le projet CRFC (Siepmann Buumlrgel amp Diwersy 2016) pour le franccedilais en geacuteneacuteral consultable agrave

partir de fin 2018 et le projet ORFEO pour le franccedilais parleacute (httpwwwprojet-orfeofr) disponible en principe

courant 2017 202

A noter que la base PFC comporte reacuteguliegraverement des problegravemes de doublons dans les reacutesultats

205

Chapitre IV

Fonctionnement reacutefeacuterentiel

et pragmatique de tout ccedila

- Sacreacute Valentin Alors raconte-moi Le mariage Le commerce Tout

ccedila Ccedila gaze Ccedila boume

- Ccedila va ccedila va

- Cest vague ccedila va (Queneau R Le dimanche de la vie 1951)

206

207

1 Introduction

Outre le caractegravere reacutefeacuterentiellement eacutevasif du syntagme tout ccedila celui-ci agrave la particulariteacute de

manifester des proprieacuteteacutes seacutemantiques en apparence contradictoires tout marquant une

forme drsquoexhaustiviteacute associeacute agrave ccedila pronom largement sous-speacutecifieacute Ce paradoxe que nous

tenterons de reacutesoudre soulegraveve la question de la possibiliteacute drsquoenvisager le parcours exhaustif

drsquoun ensemble sous-deacutetermineacute Cette probleacutematique sera en particulier eacutetudieacutee agrave travers la

disposition du marqueur agrave apparaicirctre dans les contextes eacutenumeacuteratifs

Nous deacutebutons par une synthegravese des emplois du pronom ccedila sur la base des nombreux travaux

anteacuterieurs sur le sujet et de nos propres observations nous illustrons ainsi sa maniabiliteacute qui

se reflegravete agrave travers la gamme de reacutefeacuterents auxquels il est susceptible de srsquoappliquer (sect2) Nous

eacutetendons le champ drsquoeacutetude agrave tout ccedila dont lrsquoinconsistance seacutemantique eacutevoqueacutee ne se reacutevegravele

qursquoapparente en reacutepertoriant ses diffeacuterents contextes drsquoemploi (sect3) En clocircture de liste tout

ccedila se distingue des autres emplois par son affiniteacute avec les contextes drsquooral spontaneacute nous

nous penchons donc pour finir sur son fonctionnement reacutefeacuterentiel dans ce genre tregraves

laquo immeacutediat raquo et sur son aptitude agrave ecirctre au service drsquoun eacuteventail de rendements pragmatiques

(sect4)

208

209

2 Les emplois de ccedila

Le pronom ccedila appartient morphologiquement agrave la cateacutegorie des deacutemonstratifs par deacutefinition

token-reacuteflexifs et posseacutedant aux cocircteacute de ceci cela celui-ci celui-lagrave une distribution de

pronom disjoint (tonique) En mecircme temps il fonctionne aussi comme un pronom clitique

sujet et entre agrave ce titre dans le paradigme des pronoms conjoints de 3e personne aux cocircteacutes de

ilelleon Il importe donc de distinguer deux formes homonymes du pronom ccedila (Creissels

1995 Sales 2008) lrsquoune conjointe ougrave ccedila fonctionne exclusivement comme sujet lrsquoautre

disjointe ougrave ccedila peut occuper toutes les positions deacutevolues aux SN (cf supra ChII sect2)

Comme tout pronom ccedila se caracteacuterise par lrsquoabsence de contenu lexical et donc par un sens

particuliegraverement sous-speacutecifieacute davantage encore que le pronom conjoint ilelle car il srsquoen

distingue par lrsquoabsence de tout trait de cateacutegorisation (Corblin 1991 Kleiber 1994b Carlier

1996 Guillot 2006) Au niveau seacutemantico-reacutefeacuterentiel ces caracteacuteristiques rendent son emploi

tregraves peu contraint et lui permettent de se comporter de maniegravere particuliegraverement polyvalente

on lui impute la capaciteacute de reacutefeacuterer agrave laquo nrsquoimporte quel type de segment de reacutealiteacute raquo (Carlier

1996) que les objets deacutesigneacutes prennent leur source dans la situation immeacutediate ou dans le

contexte verbal

Mais son fonctionnement va au-delagrave certains attribuent eacutegalement agrave ccedila clitique un emploi

impersonnel (Maillard 1989 Guillot 2006) comme dans ccedila craint dans ce quartier Dans les

eacutetudes qui lrsquoenvisagent selon nous agrave tort203

comme un laquo substitut raquo (Porquier 1972 Dubois

1965 Maillard 1989) il pose ineacutevitablement des difficulteacutes de deacutelimitation et de restitution

reacutefeacuterentielle En effet on relegraveve sa capaciteacute agrave mettre en œuvre des reacutefeacuterences diversement

caracteacuteriseacutees comme indistinctes (Corblin 1991) vagues (Bartning 2006) propositionnelles

(Cadiot 1988) ou indeacutefinissables (Carlier 1996) parfois accompagneacutees drsquoun effet

meacutetonymique (Corblin 1991 Willems 1998) Sa souplesse reacutefeacuterentielle lui vaut en particulier

une grande productiviteacute dans les deacutesignations qui posent en geacuteneacuteral des difficulteacutes de

description la reacutefeacuterence agrave des objets de type procegraves (que la tradition seacutemantique sous-

cateacutegorise en eacuteveacutenements faits propositions situations etc cf supra ChI sect32) la reacutefeacuterence

geacuteneacuterique la deixis textuelle (cf supra ChI sect43) etc dont nous fournirons des illustrations

De nombreux travaux sont consacreacutes agrave la description de ccedila qursquoil srsquoagisse de monographies

(Maillard 1989 Boivin 1992 Guerin 2006 Sales 2008) ou drsquoarticles scientifiques (Porquier

1972 Cadiot 1988 Corblin 1991 Maillard 1994 Carlier 1996 Guerin 2007 etc) A partir

des reacutesultats de ces nombreuses recherches nous proposons une vue drsquoensemble des

principaux emplois de ccedila (y compris la variantendash combinatoire ou stylistique ndash ce de la forme

clitique Maillard 1989 32) pour illustrer sa flexibiliteacute reacutefeacuterentielle agrave la faveur de sa sous-

speacutecification Cet inventaire ne se veut pas exhaustif204

aussi laissons-nous de cocircteacute un certain

nombre drsquoemplois dans des contextes speacutecifiques ougrave le pronom est (quasiment)

reacutefeacuterentiellement deacutemotiveacute et qui neacutecessiteraient chacun un examen particulier les cliveacutees

203

Cf la critique de la conception substitutive supra ChII sect31 204

Pour un inventaire de tous les emplois attesteacutes nous renvoyons aux monographies indiqueacutees ci-dessus

210

(crsquoest hellip quique) le dispositif temporel ccedila fait hellip que les pseudo-cliveacutees ce quiquehellip crsquoest

les redoublements de CV (ccedilahellip de Vinfquesi CV eg laquo ccedila fait du bien de parler raquo) Nous

eacutecartons eacutegalement les cas ougrave ccedila ne fonctionne pas comme un pronom mais se rapproche

drsquoune particule ou drsquoun adverbe drsquoeacutenonciation (Sales 2008)205

et peut se combiner agrave des

eacuteleacutements exclamatifs comme dans ccedila alors ccedila par exemple ah ccedila etc En effet la prise en

compte de tous ces eacuteleacutements deacutepasserait lrsquoenjeu de ce chapitre

21 ccedila conjoint

211 ccedila pointe sur un objet cateacutegoriseacute

Malgreacute son deacutefaut de trait de cateacutegorisation ccedila peut servir agrave reacutefeacuterer agrave un objet qui a deacutejagrave eacuteteacute

cateacutegoriseacute par ailleurs dans le discours Nous nous inteacuteressons ici agrave deux situations (qui ne

srsquoexcluent pas mutuellement) drsquoabord le cas ougrave lrsquoobjet a eacuteteacute preacutealablement cateacutegoriseacute via un

SN deacutetacheacute que vient laquo redoubler raquo le clitique ccedila ensuite le cas ougrave ccedila est impliqueacute dans la

reacutefeacuterence humaine

2111 ccedila redouble un sujet

La situation de redoublement est illustreacutee par les exemples suivants

(249) [agrave propos du besoin en eau des fleurs] ce brouillard ccedila mouille pas mal et pis | ouais |

pis | pis maintenant ben | _ | _ | la terre eacutetait aussi pas assez segraveche (ofrom)

(250) [le locuteur raconte les difficulteacutes rencontreacutees en tant que pilote drsquoavion] agrave Londres y

avait vraiment un vent tregraves tregraves fort tempeacutetueux en | plus de de travers qui eacutetait pas

dans dans laxe de la piste | donc ceacutetait tregraves difficile datterrir des des choses comme ccedila

la neige ccedila peut ecirctre difficile mais surtout les orages et le vent je dirais (ofrom)

A la diffeacuterence drsquoun pronom personnel ilelle qui preacutesente lrsquoobjet de maniegravere

individueacutee on remarque avec ccedila une deacutesignation plus floue du reacutefeacuterent donneacute agrave voir plutocirct

comme un pheacutenomegravene (ici meacuteteacuteorologique) diffus non comptable que comme un individu

bien deacutelimiteacute Dans lrsquoexemple (250) ccedila peut renvoyer de maniegravere plus geacuteneacuterale agrave lrsquoexpeacuterience

du locuteur dans laquelle lrsquoobjet mentionneacute entre agrave titre drsquoingreacutedient glosable (non

exhaustivement) par lsquopiloter par temps de neigersquo lsquoatterrir par temps de neigesur la neigersquo

etc (Cadiot 1991) Outre le SN deacutetacheacute crsquoest surtout la preacutedication attribueacutee agrave ccedila qui joue un

rocircle consideacuterable dans la maniegravere drsquoenvisager le reacutefeacuterent Il est agrave remarquer que le sujet

lexical peut ecirctre instancieacute agrave droite du verbe autrement dit que la deacutenomination peut ecirctre

ulteacuterieure agrave la deacutesignation pronominale par ccedila

(251) si si ils annoncent encore un petit peu beau | _ | _ | ccedila doit commencer la foire euh la

foire drsquoautomne agrave Bacircle (ofrom)

205

Sales relegraveve des zones de recouvrement entre ccedila pronominal et ccedila adverbial ougrave lrsquoon peut heacutesiter entre les

deux analyses Qui ccedila laquo lui raquo (ibid 229)

211

Dans ce cas aussi ccedila permet au contraire du pronom elle de preacutesenter lrsquoobjet sous une forme

plutocirct globale (Cadiot 1991) qursquoindividueacutee malgreacute lrsquoexistence drsquoun nom tout deacutesigneacute

identifiant lrsquoeacuteveacutenement en question (la foire drsquoautomne agrave Bacircle) Une autre interpreacutetation

possible est que lrsquoeacutetiquette lexicale nrsquoest pas encore disponible (lacune lexicale) pour le

locuteur au moment de la deacutesignation par ccedila (cf le euh drsquoheacutesitation) En effet on a deacutejagrave vu

supra (ChIII sect41) que ccedila est particuliegraverement propice en situation de recherche lexicale

Le pronom conjoint ceccedila peut proceacuteder agrave des reacutefeacuterences drsquoordre meacutetalinguistique comme ci-

dessous ougrave crsquo renvoie dans un premier temps au signe typewriter

(252) premiegraverement jrsquoai conccedilu un site internet en fait qui srsquoappelle typewriters of art [hellip]

typewriter cest non cest pas un choix qui est anodin | _ | le typewriter cest une figure

du street workout vous verrez tout agrave lheure | _ | et en mecircme ccedila fait reacutefeacuterence euh au

processus ethnographique et agrave lactiviteacute deacutecriture (ofrom)

En effet le choix en question concerne lrsquooccurrence autonymique typewriter (Authier-Revuz

2003) Mais la deuxiegraveme occurrence du pronom (crsquoest une figurehellip) pointe quant agrave elle sur le

type (Berrendonner 2002) introduit par le SN deacutefini le typewriter Le preacutedicat attribueacute agrave crsquo

consiste agrave fournir une caracteacuterisation (est une figure du street workout) au type en question Il

sert ainsi de relais entre lrsquoobjet et une laquo deacutefinition raquo agrave caractegravere identificatoire (Burston amp

Monville-Burston 1981) On peut enfin remarquer que le ccedila qui prolonge ulteacuterieurement la

reacutefeacuterence (ccedila fait reacutefeacuterence) ramegravene la reacutefeacuterence au signe au vu de la preacutedication qui lui est

assigneacutee crsquoest bien au nom typewriter qursquoon attribue la proprieacuteteacute de faire reacutefeacuterence agrave tel et tel

aspect Cet exemple illustre la flexibiliteacute du pronom ccedila qui se reacutevegravele totalement adapteacute aux

situations de reformatage drsquoobjet (ici entre le type et le signe)

2112 ccedila et la reacutefeacuterence humaine

Contrairement agrave certaines ideacutees reccedilues ccedila nrsquoest pas reacuteserveacute agrave la reacutefeacuterence [- animeacute]

(253) si je regarde avec mon fregravere | _ | lui il avait une phase | _ | ougrave il parlait seulement

franccedilais | _ | pis les Suisses allemands ccedila ccedila existait pas pour lui | et maintenant il a la

phase seulement suisse allemand (ofrom)

Dans cet exemple ccedila206

ne renvoie pas aux usagers suisses-allemands pris dans leur

individualiteacute comme pourrait lrsquoinduire un ils distributif mais il engage plutocirct une

interpreacutetation collective de lrsquoensemble eacutevoqueacute (les Suisses allemands) (Carlier 1996) voire

une reacutefeacuterence au type auquel cette classe ressortit Cette affiniteacute avec la geacuteneacutericiteacute est souvent

observeacutee dans les eacutetudes sur ccedila ougrave le SN deacutetacheacute peut prendre diverses formes (un zizi ccedila

sert agrave faire pipi debout la pieles pies ccedila jacasse lt Maillard 1989 Carlier 1996)

206

Lrsquoeacutecoute de lrsquoenregistrement confirme que le redoublement est ducirc agrave un pheacutenomegravene de bribe involontaire

plutocirct qursquoagrave une veacuteritable structure de deacutetachement agrave gauche drsquoun premier ccedila tonique redoubleacute drsquoun ccedila clitique

Crsquoest pourquoi nous consideacuterons qursquoil y a simple pieacutetinement drsquoun ccedila conjoint sur la position sujet

212

Mais ccedila impliqueacute dans la reacutefeacuterence humaine nrsquoapparaicirct pas exclusivement dans les contextes

geacuteneacuteriques Ci-dessous crsquoest est utiliseacute pour pourvoir un individu humain speacutecifiquement

nommeacute (cf le ) drsquoun attribut typant laquo en le rangeant dans la classe des objets ou des ecirctres qui

partagent ce type raquo (Boone 1987 96)207

(254) | jrsquoai connu | | _ | qui eacutetait euh qui donnait des des cours de batterie cest un batteur

donc (ofrom)

Pourquoi recourir agrave ce lorsque lrsquoindividu en question est deacutejagrave par ailleurs identifieacute (via le nom

propre masqueacute) Une alternative serait lrsquoemploi drsquoune structure il est N (il est batteur)

neacuteanmoins celle-ci nrsquoexprimerait plus un processus de classification mais laquo lrsquoattribution au

sujet des proprieacuteteacutes deacutefinitoires du type N1 raquo (Riegel 1985 198) Pour Cadiot (1988 177) la

structure en crsquoest un N invoque laquo la mise en œuvre drsquoun deacutecrochement entre une reacutefeacuterence

assureacutee et une reacutefeacuterence agrave effectuer raquo Le pronom conjoint ce apparaicirct comme lrsquoinstrument de

relais ideacuteal pour faire entrer lrsquoindividu dans une cateacutegorie donneacutee (un batteur) (cf aussi supra

(252))

Lrsquoexemple suivant illustre un cas de reacutefeacuterence humaine ougrave lrsquoon peut heacutesiter entre deux

interpreacutetations

(255) [le locuteur reacutepond agrave une question sur la taille de son neveu de 2 mois] il est il est il

non non donc pour son acircge il est assez grand justement | _ | bon il est neacute agrave cinquante

centimegravetres ce qui est pas mal | _ | pis lagrave je sais pas combien il fait mais euh ccedila grandit

agrave vue drsquoœil lagrave on a fait le weekend de Pacircques en Provence | _ | ouais | _ | et je lai pas

revu depuis toute la semaine jai vu il a changeacute quoi en une semaine (ofrom)

On peut drsquoune part consideacuterer que la preacutedication ccedila grandit concerne une classe prise dans

son ensemble celle des nourrissons exprimant ainsi un commentaire agrave caractegravere geacuteneacuterique

Drsquoautre part on peut interpreacuteter le pronom comme renvoyant speacutecifiquement agrave lrsquoenfant en

question208

mais avec une appreacutehension particuliegravere lrsquoaspect token-reacuteflexif simulant la

preacutesence effective du reacutefeacuterent combineacute au trait non individueacute de ccedila (mise en avant du

processus plutocirct que de lrsquoindividu marquage du caractegravere laquo inacheveacute raquo du beacutebeacute etc)

contribuent agrave produire un discours empreint de subjectiviteacute (attendrissement)

On peut noter agrave cet eacutegard que les grammaires ne relegravevent souvent que lrsquoeffet peacutejoratif de ccedila

pour la reacutefeacuterence humaine (Riegel et al 2009 377) comme dans

(256) ccedila court partout ccedila cavale avec tous les gars du coin ccedila srsquofait engrosser agrave tour de

bras (Maillard 1989 60)

Mais les divers exemples de cette section montrent bien que ce nrsquoest qursquoun effet possible

207

La diffeacuterence avec il est batteur semble ecirctre qursquoavec ce dernier on attribue simplement une proprieacuteteacute au

reacutefeacuterent en question mais non une cateacutegorisation agrave viseacutee identificatoire (cf Burston amp Monville-Burston 1981) 208

Cf lrsquoemploi de it en anglais ou es en allemand pour deacutesigner un beacutebeacute dans des contextes speacutecifiques

213

212 ccedila pointe sur un objet non cateacutegoriseacute

Le pronom ccedila par deacutefinition est particuliegraverement adapteacute agrave la reacutefeacuterence aux objets auxquels

on nrsquoa pas explicitement octroyeacute de classification nominale Nous en preacutesentons ci-dessous

les types de reacutefeacuterence majeurs

2121 ccedila se rapporte agrave lrsquoexpeacuterience du locuteur

Ces objets peuvent avoir pour origine la situation environnante comme lrsquoincident rapporteacute ci-

dessous par le locuteur

(257) [un plat vient de glisser des mains drsquoun essuyeur de vaisselle] ccedila a glisseacute (Maillard

1989 68)

Le clitique ccedila se reacutevegravele dans cette situation particuliegraverement eacuteconomique il est utiliseacute par

deacutefaut et nrsquoimplique pas contrairement agrave il drsquoeacutetiquette lexicale sous-jacente Il reacutevegravele agrave ce

titre que le locuteur nrsquoa pas assigneacute agrave lrsquoobjet un attribut de deacutenomination particulier

Dans le domaine des sens ccedilace peut renvoyer agrave une cible diffuse se mecirclant agrave lrsquoexpeacuterience

sensorielle proprement dite

(258) Mmh crsquoest bon (sur un bavoir pour beacutebeacute)

Pour reacutefeacuterer indistinctement agrave (un aspect de) la situation courante crsquoest agrave ccedila qursquoon recourt

(259) Ccedila suffit ccedila commence agrave bien faire (ibid 71)

A cet eacutegard il devient difficile de distinguer le reacutefeacuterent sur lequel opegravere la preacutedication

lrsquoeacutenonceacute dans son ensemble exprime globalement lrsquoexaspeacuteration du locuteur vis-agrave-vis drsquoune

situation

2122 ccedila laquo impersonnel raquo

De la mecircme maniegravere il apparaicirct impossible de restituer lrsquoagent du procegraves invoqueacute dans les

contextes ci-apregraves ie impliquant les domaines respectivement physiologique climatique ou

interactionnel

(260) [agrave propos de processus abdominaux involontaires] Ccedila gargouille (ibid )

(261) Ccedila caille ce matin ccedila pleut (ibid)

(262) Ccedila boumeccedila baigne ccedila gaze (ibid)

Maillard (1985 1989 1994a) propose de traiter ces cas comme des impersonnels ou plutocirct

comme des SV laquo asubjectaux raquo au vu de lrsquoimpossibiliteacute drsquoy cliver le pronom ccedila (crsquoest ccedila qui

boume) ou drsquoinstancier la place drsquoargument sujet (par exemple par le pronom tonique cela cf

Sales 2008 115) A ce titre ils contribuent seacutemantiquement agrave une laquo baisse drsquoagentiviteacute et agrave

une deacutetheacutematisation de lrsquoagent raquo le procegraves se voit degraves lors laquo mis en vedette au deacutetriment de

214

ses participants raquo (Maillard 1994a 5) Corblin (1991) leur refuse neacuteanmoins le statut

drsquoimpersonnel consideacuterant que ccedila nrsquoy est pas complegravetement expleacutetif mais qursquoil possegravede tout

de mecircme un contenu reacutefeacuterentiel aussi indistinct soit-il Il note agrave cet eacutegard la capaciteacute

drsquolaquo expansion meacutetonymique raquo des constructions en ccedila+V

(263) Ccedila dort lagrave-dedans (ibid 46)

Dans cet eacutenonceacute le verbe seacutelectionne un trait humain imputeacute de ce fait agrave un reacutefeacuterent

indistinct laquo le sommeil semble diffuseacute dans la situation et nrsquoecirctre plus une proprieacuteteacute

drsquoeacuteleacutements discrets et classifieacutes raquo (ibid) Selon Maillard crsquoest au final chaque emploi verbal

qui est responsable drsquoune lecture reacutefeacuterentielle ou non du pronom

Crsquoest le sens du verbe en contexte qui vide ou non de sa capaciteacute reacutefeacuterentielle le morphegraveme preacuteverbal qursquoil srsquoagisse du es allemand du it anglais du il ou ccedila franccedilais A priori tous ces morphegravemes sont preacutesumeacutes reacutefeacuterentiels ndash exophoriques ou endophoriques ndash et seul tel preacutedicat particulier a le pouvoir de les reacuteduire agrave lrsquoeacutetat de formes postiches (Maillard 1994a 4)

Il faut reconnaicirctre que la limite est teacutenue entre ccedila agrave reacutefeacuterence indistincte et ccedila areacutefeacuterentiel Srsquoil

est clair que pour (261) ccedila ne recouvre aucun agent on peut agrave lrsquoinverse admettre qursquoil

renvoie agrave lrsquoorigine (impreacutecise) des gargouillements en (260) Ou plutocirct on pourrait consideacuterer

dans ce dernier cas que lrsquoexemple fait lrsquoobjet de deux analyses concurrentes agrave savoir une

interpreacutetation reacutefeacuterentielle indistincte et une interpreacutetation areacutefeacuterentielle ougrave ccedila est employeacute

comme forme postiche pour mettre en avant un procegraves sans agent Maillard remarque

drsquoailleurs que ccedila contrairement agrave il impersonnel permet de creacuteer de nouveaux preacutedicats

asubjectaux

[hellip] ccedila ne cesse de srsquoaccoupler avec des formes verbales nouvelles (ccedila boume ccedila cartonne ccedila bouchonnehellip) tandis que il est aujourdrsquohui frappeacute de steacuteriliteacute (1989 37)

2123 ccedila renvoie agrave un procegraves ou agrave un objet laquo indiscret raquo

Parmi les reacutefeacuterences agrave des objets non cateacutegoriseacutes figure eacutevidemment en bonne place le renvoi

aux procegraves que la langue peut exprimer au moyen de constructions verbales En effet on a

deacutejagrave vu (supra ChI sect34) que ce type drsquoobjets avait en commun la caracteacuteristique de ne pas

posseacuteder de deacutenomination usuelle Le clitique ccedila repreacutesente un bon moyen de reacutefeacuterer agrave des

objets de ce genre et drsquoailleurs le seul moyen de laquo redoubler raquo en position sujet209

une

construction infinitive deacutetacheacutee210

(Cadiot 1988)

(264) ah ouais parce quagrave | qursquoagrave leacutepoque euh | _ | marier211

un eacutetudiant ben ccedila se faisait pas

hein enfin | _ | agrave part justement si on eacutetait obligeacutes (ofrom)

209

En fait peut-ecirctre pas tout agrave fait cf la structure inverseacutee en -il avec infinitif du type marier un eacutetudiant se

faisait-il agrave lrsquoeacutepoque 210

En position drsquoobjet on trouve eacutegalement le en y cf supra Ch III sect522 211

Ici drsquoapregraves le contexte au sens drsquoeacutepouser et non au sens de donner un eacutepoux (agrave qqn) ou de consacrer une

union

215

Lrsquoobjet viseacute par ccedila nrsquoest cependant pas toujours aussi clairement identifiable agrave travers le

contexte linguistique Ci-dessous ccedila renvoie vraisemblablement agrave la tacircche de reacutepondre au

teacuteleacutephone solliciteacutee par le locuteur ou eacuteventuellement agrave sa demande de faire autrement dit agrave

lrsquoacte de langage rapporteacute (cf la notion de deixis textuelle supra ChIII sect43)

(265) ouais il serait capable de tout faire si il sinvestissait un peu plus | _ | non cest juste que

| _ | genre euh y a le teacuteleacutephone qui sonne je lui dis ben prends | _ | pis euh | _ | ccedila lui

fait chier ou bien euh | _ | genre on doit aller faire un deacutepannage | _ | il me dit ouais

mais je sais pas comment faire (ofrom)

Le pronom ccedila peut eacutegalement se rapporter agrave un sous-graphe de plus grande laquo envergure raquo en

M comme une seacuterie de peacuteripeacuteties

(266) ben moi jeacutetais au stade jai vu jeacutetais juste derriegravere celui qui a jeteacute la torche | _ | alors tu

te dis super tu sais le gars super intelligent qui a tout compris | et allez tiens si on jetait

une torse une torche sur le gardien adverse hein | _ | et pis donc il balance sa torche

apregraves | _ | comme cest un grand courageux il va se planquer dans les gradins pis ccedila a

provoqueacute une bagarre | entre les groupes et les ex les ex groupe (ofrom)

Le pronom fonctionne ici de maniegravere reacutesomptive212

(Maillard 1989 61) reacutesumant toute une

seacutequence narrative agrave propos de laquelle la locutrice preacutedique la conseacutequence (ccedila a provoqueacute

une bagarre) La succession des eacutenonceacutes peut donner lrsquoimpression que leurs contenus sont

mis bout agrave bout dans M ainsi engrangeacutes au fil du discours et potentiellement disponibles pour

les opeacuterations de pointage Mais il ne faut pas oublier que les procegraves ne font pas que

srsquoaccumuler ils se combinent par diverses relations (temporelles causales oppositives etc)

et peuvent aboutir agrave des sous-graphes inanalysables des repreacutesentations au contenu

partiellement implicite et aux contours vagues eacutemergeant de multiples inputs

Ci-dessous un locuteur raconte son seacutejour aux Eacutetats-Unis et son inteacutegration difficile faute de

moyens linguistiques suffisants

(267) cest vrai que pendant | _ | 213

| _ | un bon mois | _ | jai pas vraiment compris ce quon

me racontait | _ | alors cest ccedila peut paraicirctre long | surtout que jeacutetais pas en cours en

mecircme temps que les gens | _ | et jeacutetais lagrave pour faire mon travail de diplocircme donc euh |

du coup euh javais deacutejagrave je voyais deacutejagrave peu de monde | _ | euh la personne que je

voyais le plus ceacutetait le concierge | de linstitut | _ | qui navait quune dent | _ | et qui

parlait euh | _ | ceacutetait un peu particulier ouais | _ | alors je lai pas compris lui

pendant | pendant un an et demi au moins il me parlait tous les jours euh | il venait

fumer sa clope avec moi et pendant ouais | pendant un an et demi jai pas compris ce

quil ma raconteacute | _ | ceacutetait sympa (ofrom)

212

Neacuteanmoins nous nous distancions de lrsquoapproche segmentale de Maillard pour lequel ce sont des laquo fragments

discursifs raquo qui sont laquo repris par ccedila raquo (ibid 61) 213

Le signe signale dans ofrom un eacuteleacutement inaudible

216

Dans les deux preacutedications en crsquoeacutetait le pronom ce renvoie vraisemblablement au reacutesultat

global des eacuteleacutements rapporteacutes par le locuteur214

dont on peut infeacuterer lrsquoincongruiteacute en

mobilisant des compeacutetences drsquointerpreacutetation adeacutequates il capte la conjonction de divers

eacuteleacutements agrave savoir le deacutefaut de ressources linguistiques du locuteur sa solitude sa rencontre

avec un personnage atypique qui deviendra son compagnon malgreacute la barriegravere de la langue

etc Le pronom ce permet ainsi drsquoeacutevoquer grossiegraverement le bilan de ces ingreacutedients divers

qursquoon ne peut ramener agrave une simple addition drsquoeacuteleacutements

2124 ccedila renvoie agrave une quantiteacute

Le pronom conjoint ccedila se montre encore productif en contexte drsquolaquo estimation quantitative raquo

(Maillard 1989 70) agrave travers des formules comme ccedila faithellip ccedila donnehellip crsquoesthellip

(268) les gens qui sont vraiment ce quon appelle des | _ | pratiquants cest dix-huit pour cent

| _ | et puis y a ce quon appelle les laiumlcs ccedila fait environ | treize quatorze pour cent

(ofrom)

En (268) ce et ccedila srsquointerpregravetent comme le reacutesultat drsquoun calcul en lrsquooccurrence des

proportions

22 ccedila disjoint

Nous nous penchons dans cette section sur deux situations la reacutefeacuterence du pronom ccedila en

position de compleacutement dont le fonctionnement reacutefeacuterentiel est en partie semblable aux

emplois reacutefeacuterentiels de ccedila conjoint Et nous envisageons ensuite le fonctionnement reacutefeacuterentiel

de ccedila en position deacutetacheacutee ougrave il apparaicirct tirer totalement parti de sa valeur token-reacuteflexive

mise au service drsquoeffets drsquointensiteacute ou de contraste

221 ccedila compleacutement

Dans la mesure ougrave le fonctionnement reacutefeacuterentiel de ccedila compleacutement nrsquoest pas si diffeacuterent du ccedila

clitique reacutefeacuterentiel nous nous limitons agrave illustrer quelques situations caracteacuteristiques

Outre son affiniteacute avec les objets de type procegraves ccedila compleacutement peut eacutegalement reacutefeacuterer

reacutesomptivement agrave un objet indiscret constitueacute de nombreux ingreacutedients heacuteteacuterogegravenes

(269) [agrave propos de la conduite automobile en Australie] donc euh la voiture cest cest

quelque chose dassez indispensable | _ | dailleurs euh ils peuvent | _ | avoir leur

permis | _ | agrave seize ans | _ | mais ccedila pose deacutenormes problegravemes [hellip] ils ont ils avaient

tendance agrave tous avoir des voitures de sport | _ | et y avait enfin | _ | un taux de mortaliteacute

dingue [hellip]avec les kangourous qui traversent la route rien agrave voir euh ccedila aide pas non

plus | _ | tas meilleur temps215

de pas aller trop vite | _ | mais alors maintenant ils ont

instaureacute des nouvelles lois | genre euh ils ont pas le droit davoir de trop grosses

214

A noter une autre interpreacutetation possible pour le premier ce ougrave celui-ci peut renvoyer agrave la maniegravere de parler

du concierge (a fortiori du fait qursquoil nrsquoavait qursquoune dent) 215

Locution utiliseacutee en Suisse romande signifiant laquo avoir inteacuterecirct agrave raquo

217

cylindreacutees | _ | heureusement | _ | euh | _ | ils ont pas le droit decirctre plus que deux dans

une voiture apregraves neuf heures le soir | _ | pour pas quils euh | _ | enfin pas quils aillent

faire la foire euh | _ | agrave plusieurs remplir une voiture y en a un qui | _ | conduit quil

boive ou quil boive pas euh | _ | agrave seize ans tu rentres agrave une heure du matin tes fatigueacute

euh | tas les copains qui te poussent agrave aller vite enfin cest aussi le truc agrave faire des

conneries | _ | mais euh | _ | bon voilagrave ils ont mis des restrictions par rapport agrave ccedila

(ofrom)

On interpregravete ccedila dans ce contexte reacutecapitulatif (noter le bon voilagrave) comme renvoyant

globalement agrave la situation probleacutematique des jeunes conducteurs en Australie dont le deacutetail a

eacuteteacute preacutealablement rapporteacute

Le pronom compleacutement peut reacutefeacuterer agrave un objet dont la deacutenomination lexicale fait

momentaneacutement deacutefaut (cf aussi (225))

(270) quand on va dans un museacutee | y a beaucoup de choses tandis que lagrave | ouais | lagrave | _ |

quand je vais voir justement ces | _ | euh comment on appelle ccedila l les vernissages | oui

| comme ccedila | _ | mais | oui | bon ils sont | _ | souvent plusieurs | _ | ouais | y a | _ | tregraves

tregraves peu de choses (ofrom)

On rencontre eacutegalement des ccedila compleacutements portant reacuteflexivement sur lrsquoeacutenonciation en cours

comme dans lrsquoexemple suivant ougrave il reacutefegravere agrave lrsquoun de ses aspects para-verbaux agrave savoir la

hauteur de la voix de la locutrice

(271) le petit garccedilon qui chantait en soprano il est reparti de chez moi euh | _ | avec une voix

comme ccedila | _ | et pis vraiment euh et il eacutetait tregraves content (ofrom)

Le pronom ccedila apparaicirct dans une structure comparative ougrave la locutrice enseignante de chant

contrefait sa voix en en reacuteduisant sensiblement la freacutequence sur le segment avec une voix

comme ccedila pour imiter celle de lrsquoeacutelegraveve devenu grand A noter la productiviteacute de la seacutequence

comme ccedila agrave lrsquooral spontaneacute qui peut fonctionner comme lrsquoexpression de la simple

approximation (quantitative comme ci-dessous ou lexicale) (Beacuteguelin 2016 Corminboeuf

2016)

(272) et puis ben voilagrave ccedila fait quoi une dizaine danneacutees douze ans comme ccedila ben | _ | je suis

partie lagrave-dedans (ofrom lt ibid)

Dans cet exemple il nrsquoy a pas lieu de restituer analytiquement les eacuteleacutements de la

comparaison216

le syntagme comme ccedila sert simplement agrave mitiger la dureacutee indiqueacutee agrave la

maniegravere drsquoun adverbe drsquoapproximation (eg environ agrave peu pregraves etc)

Dans le domaine de lrsquoestimation quantitative Maillard (1989 70) rapporte dans des

contextes commerciaux lrsquousage drsquoexpressions confirmatives comme crsquoest (bien) ccedila ougrave ccedila

216

Sur lrsquoemploi reacutefeacuterentiellement laquo deacutemotiveacute raquo de ccedila dans les expressions gros comme ccedila haut comme ccedila etc

voir Beacuteguelin (2016)

218

disjoint renvoie au montant demandeacute Lrsquoexpression peut eacutegalement servir agrave laquo lrsquoappreacuteciation

qualitative raquo par exemple drsquoune expeacuterience perceptive

(273) [un chef de chœur agrave ses choristes] crsquoest pas encore tout agrave fait ccedila (ibid)

Le pronom clitique crsquo renvoie au reacutesultat effectif de lrsquointerpreacutetation tandis que le pronom

attribut deacutesigne le reacutesultat souhaiteacute entre lesquels le locuteur signale lrsquoeacutecart qualitatif

222 ccedila deacutetacheacute

Le pronom ccedila disjoint intervient reacuteguliegraverement en position deacutetacheacutee ougrave il se voit redoubleacute par

un ccedila clitique en position sujet ou un autre pronom en position objet217

(274) il faut euh il faut pas regarder les hommes | _ | ou alors si on les regarde il faut pas les

voir il faut avoir le regard qui passe agrave travers | _ | ccedila ccedila marche assez bien mais | _ | on

nrsquoa pas forceacutement lrsquohabitude en Suisse (ofrom)

(275) peut-ecirctre que je faisais pas bien la vaisselle cest un truc que je deacutetestais faire | _ | mais

euh | _ | mais agrave la base jeacutetais pas lagrave pour ccedila jeacutetais lagrave pour moccuper de sa fille pis ccedila

je le faisais tregraves bien (ofrom)

Dans ces exemples ccedila renvoie respectivement agrave un comportement (274) et agrave une activiteacute

(275) En tant que pronom accentueacute il exploite ici pleinement sa valeur token-reacuteflexive

responsable drsquoun veacuteritable geste ostensif eacuteventuellement accompagneacute drsquoun effet contrastif

(277) (cf supra sur les pronoms disjoints ChI sect44) qui apparaicirct moins manifeste si le

clitique est employeacute seul

(276) ou alors si on les regarde il faut pas les voir il faut avoir le regard qui passe agrave travers |

_ | ccedila marche assez bien (exemple modifieacute agrave partir de (274))

(277) jeacutetais pas lagrave pour ccedila jeacutetais lagrave pour moccuper de sa fille pis je le faisais tregraves bien

(exemple modifieacute agrave partir de (275))

Cet acte drsquoostension marqueacute ne preacutesente pas de contraintes reacutefeacuterentielles particuliegraveres Outre

la reacutefeacuterence aux procegraves illustreacutee ci-dessus ccedila deacutetacheacute renvoie volontiers aussi agrave un objet

indiscret ci-dessous une eacutetape drsquoun exposeacute scientifique comme lrsquoillustre cet exemple de

Maillard (1989)

(278) [hellip] alors ccedila crsquoeacutetaient nos constatations sur le terrain socio-linguistique (ibid 61)

Il est eacutegalement compatible dans cette position avec la reacutefeacuterence humaine

(279) Yves Montand ccedila crsquoeacutetait un chanteur (Leeman 1994 146)

217

Nous nrsquoabordons pas la question du statut syntaxique de ces structures deacutetacheacutees ou disloqueacutees qui selon

lrsquohypothegravese de Berrendonner (2008) ne relegravevent pas toutes du mecircme type Il nous suffit pour notre propos de

comparer la preacutesence agrave lrsquoabsence drsquoun redoublement pour mettre en eacutevidence les diffeacuterences reacutefeacuterentielles

219

(280) et pis y avait donc euh les enfants y avait | 218

| _ | la fille | _ | et pis | | _ | pis ccedila

ceacutetait des enfants que monsieur | | avait adopteacutes qui eacutetaient agrave son fregravere

On voit agrave nouveau que lorsqursquoon veut ranger un reacutefeacuterent dans une cateacutegorie ad hoc crsquoest agrave ccedila

qursquoon recourt (cf supra sect211)

A la faveur de sa nature fonciegraverement ostensive ccedila deacutetacheacute est productif dans la deacutesignation

drsquoeacuteleacutements de la situation ambiante (cf avec les emplois clitiques supra (235) (258)) comme

ci-dessous ougrave la locutrice est en train de montrer les photographies drsquoun mariage agrave son

allocutaire

(281) ccedila crsquoest dans lrsquoeacuteglise des Invalides ccedila crsquoest la agrave la maison ici (pfc)

La deacutesignation peut concerner un aspect de lrsquoeacutenonciation elle-mecircme

(282) L1 je me suis souvent poseacute la question | est-ce quy a ce est-ce quon rencontre ce

pheacutenomegravene est-ce que par exemple tu lui montres un exercice | _ | lui il aura tendance

agrave il va peut-ecirctre ne pas comprendre ce quil doit faire corporellement mais il va essayer

de | copier un petit peu euh le son quil a entendu | _ | euh est-ce que |

L2 alors ccedila cest cest un cest une question absolument pertinente (ofrom)

La cible de ccedila au vu de sa preacutedication constitue autant lrsquoobjet du dire que lrsquoacte locutoire lui-

mecircme

Lrsquoextrait suivant qui implique un discours rapporteacute direct montre que la limite traditionnelle

traceacutee entre sources verbale et situationnelle est probleacutematique (cf supra lrsquoexemple (180))

(283) [la locutrice raconte la faccedilon dont elle a illustreacute sous forme de scheacutema les problegravemes

que se creacuteait une amie] jai dit parce que tu tes mis des bacirctons dans les roues toute

seule | _ | oui |tu tes fait une montagne pour rien | _ | et pis lagrave elle me regarde elle me

dit oui | _ | et jai dit mais ccedila | _ | ccedila lagrave cette montagne ce mur fais | _ | une croix dessus

(ofrom)

La reacutepeacutetition disjointe de ccedila deacutesigne un objet deacutejagrave preacutealablement introduit par des moyens

verbaux (des bacirctons dans les roues une montagne) Mais dans le discours direct reproduit

lrsquoobjet incrimineacute est convoqueacute gestuellement il fait lrsquoobjet de six pointages successifs (ccedila ccedila

lagrave cette montagne ce mur dessus) chacun accompagneacute de proeacuteminences prosodiques

produites avec une scansion rythmique remarquable Lrsquoacte drsquoostension est plus qursquoinsistant

se manifestant agrave plusieurs niveaux (parole gestes dessins) Drsquoailleurs lrsquoenregistrement capte

le bruit reacutepeacuteteacute (sur croix et dessus) de ce qui pourrait ecirctre le choc drsquoun doigt ou autre objet sur

une surface La locutrice est veacuteritablement en train de mimer cette eacutenonciation anteacuterieure (cf

aussi (235) supra) Lrsquointeraction de ces divers paramegravetres contextuels (verbaux gestuels

iconographiques) ainsi que lrsquoimbrication des eacutenonciations hocircte et rapporteacutee illustrent ainsi

bien les difficulteacutes qursquoil y a agrave vouloir distinguer leur nature agrave tout prix

218

Pour rappel signe drsquoanonymisation dans OFROM

220

En somme ce qui nous paraicirct significativement diffeacuterent entre les structures agrave redoublement

avec ccedila deacutetacheacute et les structures sans redoublement219

crsquoest lrsquoacte de confirmation

reacutefeacuterentielle qursquoopegravere le geste ostensif avec ccedila deacutetacheacute sur la validiteacute du reacutefeacuterent en M lagrave ougrave

la preacutesence du seul clitique peut consister en une reacutefeacuterence par deacutefaut ccedila deacutetacheacute contribue

ainsi agrave augmenter la saillance cognitive de lrsquoobjet deacutesigneacute

23 Bilan sur les emplois de ccedila

Pour la majoriteacute des emplois de ccedila la nature conjointe ou disjointe du pronom nrsquoa pas de

conseacutequence sur le fonctionnement reacutefeacuterentiel au vu de sa sous-speacutecification et du deacutefaut de

trait de cateacutegorisation reacutefeacuterentielle ccedila srsquoillustre dans un eacuteventail de reacutefeacuterences que les objets

soient deacutepourvus de deacutenomination ad hoc appreacutehendeacutes de maniegravere non strictement individueacutee

ou qursquoils se montrent ouverts agrave de nouvelles cateacutegorisations On peut neacuteanmoins relever deux

aspects sur lesquels pronom disjoint et pronom conjoint divergent sauf dans des lexies

particuliegraveres agrave pointeur deacutemotiveacute le pronom disjoint exploite toute sa potentialiteacute

reacutefeacuterentielle agrave cet eacutegard en particulier en position deacutetacheacutee il met en œuvre un veacuteritable

geste ostensif qui contribue agrave consolider la place cognitive du reacutefeacuterent dans la meacutemoire

discursive (supra sect222) Drsquoautre part lrsquooccurrence de ccedila dans les structures dites

laquo impersonnelles raquo concerne exclusivement ccedila conjoint (supra sect212) Dans ces emplois la

valeur reacutefeacuterentielle de ccedila srsquoestompe agrave la faveur drsquoune mise en avant du procegraves exprimeacute par le

verbe

219

A noter qursquoil ne fonctionne pas par deacutefinition comme sujet deacutetacheacute drsquoune construction impersonnelle ou

laquo asubjectale raquo

221

3 Les emplois de tout ccedila

31 Le quantificateur tout

Dans le syntagme tout ccedila tout fonctionne comme preacutedeacuteterminant (Grevisse amp Goosse 2011

sect638) devant ccedila disjoint celui-ci occupant une position de SN

toute la compagnie

tout le reste

toutes les choses

tout ccedila

Le quantificateur tout exprime la totaliteacute ou lrsquoexhaustiviteacute qursquoil srsquoagisse drsquoune laquo absence

drsquoexception raquo (= lat omnis) lorsque tout srsquoapplique agrave une classe ou du caractegravere laquo entier raquo (=

lat totus) quand il concerne un individu (Grevisse amp Goosse 2011 sect638) Pour rendre

compte de la premiegravere conception (omnis) on parle geacuteneacuteralement de quantification

universelle Kleiber (1998) formule deux conditions agrave lrsquoeacutegard de lrsquoappreacutehension de la totaliteacute

par tout

[hellip] tout parce qursquoil indique la totaliteacute neacutecessite drsquoune part un domaine de quantification borneacute et drsquoautre part une structuration interne partitive de ce domaine (ibid 90)

Aux yeux de Kleiber envisager soit une entiteacute dans sa totaliteacute soit des entiteacutes dans leur

totaliteacute implique la deacutelimitation de lrsquoensemble envisageacute

(284) Jrsquoai mangeacute toute la saucisse (Kleiber 2011 143)

(285) Jrsquoai mangeacute toutes les saucisses (ibid)

(286) Jrsquoai mangeacute toute une saucisse (ibid)

(287) Jrsquoai mangeacute toute de la saucisse (ibid)

Le dernier exemple montre que le quantificateur est incompatible avec le deacuteterminant partitif

exprimant le caractegravere non deacutelimiteacute du reacutefeacuterent Drsquoautre part la totaliteacute implique que

lrsquoensemble se compose de parties agrave savoir les occurrences de N pour une classe220

(285) ou

des subdivisions internes pour un individu singulier (284) (286) Enfin Kleiber ajoute que

contrairement agrave tout N distributif (eg dans tout homme est mortel) tout SN donne lieu agrave une

saisie externe de la totaliteacute drsquoougrave une exhaustiviteacute perccedilue de maniegravere collective et non

distributive221

Il nous semble que quelques aspects de cette conception meacuteritent drsquoecirctre nuanceacutes La plupart

des eacutetudes sur tout SN se concentrent essentiellement sur son occurrence avec des SN deacutefinis

220

Encore que lrsquoon puisse se demander si les eacuteleacutements drsquoun ensemble en constituent les laquo parties raquo 221

Une lecture distributive nrsquoest pas exclue pour autant (eg tous les enfants ont une voiture) mais elle serait

alors due agrave lrsquoattribution drsquoun preacutedicat individuel (Kleiber 2011 150)

222

et donnent agrave penser que lrsquoensemble exhaustivement perccedilu comporte des eacuteleacutements homogegravenes

et deacutenombrables par analogie agrave la notion matheacutematique drsquoensemble Le cas de tout ccedila

soulegraveve agrave cet eacutegard un laquo paradoxe raquo inteacuteressant car le marqueur se montre susceptible de

renvoyer agrave des sous-graphes (ou reacuteseaux reacutefeacuterentiels) mal deacutelimiteacutes en M Drsquoautres

expressions avec tout posent eacutegalement problegraveme agrave cette approche

(288) laquo Elle raquo avait aussitocirct abordeacute lIndienne qui rasait les murs et apregraves une bregraveve lecture

de son regard noir en amande lrsquoavait embrasseacutee chaleureusement en guise de

bienvenue laquo Tu peux me demander tout ce que tu veux raquo avait-elle souri sous les

spots comme si le monde eacutetait aussi grand (Feacuterey C Mapuche 2012 lt Frantext)

Cet exemple montre eacutegalement la difficulteacute de deacutenombrer les eacuteleacutements de maniegravere exhaustive

comme ceux-ci sont en quantiteacute manifestement indeacutefinie Il en va encore de mecircme ci-dessous

au vu de lrsquoapplication de lrsquoopeacuterateur tout agrave une notion reacuteputeacutee infinie

(289) Tous les nombres premiers sont impairs agrave lexception de 2 (web

httpeducationtoutcommentcom consulteacute le 16092016)

Schnedecker (2008) signale un autre contexte ougrave tout met agrave mal la deacutenombrabiliteacute et

lrsquoexhaustiviteacute du domaine Il srsquoagit de son emploi pronominal qui se rapproche selon lrsquoauteur

drsquoun terme massif du fait qursquoil se combine avec les marqueurs ad hoc le partitif de

lrsquoanaphore par en le quantifieur un peu de dont nous fournissons une illustration ci-dessous

(290) Que nous conseillez-vous Un menu pour les bons clients Ah Preacuteparez-nous

lrsquoassiette du chef ce que vous voulez je vous fais confiance Avec un peu de tout

tregraves bien (Mreacutejen Eau sauvage 2004 lt ibid 2165)

Selon Schnedecker lrsquoabsence de N restreignant son domaine rend celui-ci laquo ouvert

heacuteteacuterogegravene et massif raquo (ibid 2169) Elle relegraveve eacutegalement sa disposition agrave la reacutecapitulation

(291) Agrave cause de haut-parleurs crsquoest la musique qui vous attire et puis plus pregraves voilagrave les

paroles dialogues et bruitages lrsquohistoire On entend tout (Bon Meacutecanique 2001 lt

ibid 2162)

Dans ce cas il va de soi que la reacutefeacuterence de tout englobe les eacuteleacutements eacutenumeacutereacutes Mais elle

srsquoouvre agrave drsquoautres possibiliteacutes reacutefeacuterentielles Selon Schnedecker le fait que tout pronominal

puisse reacutefeacuterer agrave des entiteacutes factuelles contrefactuelles ou potentielles empecircche la reacutealisation

effective du parcours du domaine de quantification La solution choisie est de consideacuterer le

parcours en question non pas comme exhaustivement reacutealiseacute mais comme seulement

virtuellement eacutebaucheacute ou simuleacute

Nous preacutefeacuterons consideacuterer pour notre part que lrsquoensemble eacutevoqueacute par tout SN est agrave interpreacuteter

non pas au sens matheacutematique mais qursquoil recouvre plus geacuteneacuteralement une classe-objet (Grize

1990 cf supra ChIII sect23) dont les eacuteleacutements ne sont pas obligatoirement homogegravenes

223

discrets ou deacutenombrables Crsquoest en tout cas ce que suggegravere lrsquoemploi de tout ccedila comme on va

le voir

Venons-en aux diffeacuterents contextes drsquoapparition de la seacutequence tout ccedila celui-ci peut se

retrouver en relation de deacutependance grammaticale avec son entourage on le trouve aussi en

position deacutetacheacutee redoubleacute par un pronom clitique il peut encore fonctionner comme

apposition et pour finir il apparaicirct en clocircture drsquoeacutenumeacuteration

32 tout ccedila reacutegi

Au niveau micro-syntaxique il peut occuper toutes les places reacutegies deacutevolues aux SN comme

ci-dessous en position de reacutegime direct drsquoun verbe

(292) Aussi on lrsquoaimait et les jours de reacutejouissance nombreux eacutetaient les compegraveres qui se

pressaient autour de lui heureux drsquoentendre ses calembredaines ses histoires ses

drocircleries les provoquant au besoin et le ramenant sans en avoir lrsquoair aux sujets de

conversations qursquoil preacutefeacuterait Ou bien ils commentaient ses reacutecits drsquoun petit clignement

drsquoyeux agrave lrsquoadresse de la socieacuteteacute comme pour en faire valoir la saveur toute la verve

rare et puissante Sacreacute Poloche on ne savait pas ougrave il allait chercher tout ccedila

(Moselly E Terres lorraines 1907 lt Frantext)

Dans cet exemple tout ccedila fonctionne non seulement de maniegravere reacutesomptive mais suggegravere

mecircme plus que les reacutefeacuterents preacutealablement introduits En outre il participe agrave la faveur de son

caractegravere token-reacuteflexif agrave lrsquoexpression drsquoun discours indirect libre rendant compte de

lrsquoexpeacuterience drsquoauditeur du narrateur

33 tout ccedila deacutetacheacute

Le segment tout ccedila peut apparaicirctre comme eacuteleacutement deacutetacheacute redoubleacute par un pronom ici le

clitique ccedila en position sujet

(293) parce quon avait en geacuteneacuteral huit vaches | _ | le mulet | _ | deux deux chegravevres | _ | et

souvent | | un ou deux moutons | _ | et tout ccedila ccedila mange | _ | il faut emmagasiner du

foin pour tout lrsquohiver

Dans ce cas tout ccedila englobe notamment les objets preacutealablement introduits mais envisage

ouvertement le deacutetail de cet ensemble avec une certaine latitude (en geacuteneacuteral souvent un ou

deux)

A noter qursquoon trouve sans problegraveme des deacutetachements dans lrsquoeacutecrit litteacuteraire

(294) [Yersin un meacutedecin suisse est en fonction en Indochine] Yersin heacutesite parce qursquoil

craint de devoir se mettre en regravegle un de ces jours avec les autoriteacutes franccedilaises Il a

solliciteacute sa naturalisation et depuis nrsquoa jamais effectueacute son temps sous les drapeaux

Mais tout ccedila pour lui crsquoest fini Crsquoest son ancienne vie (Deville P Peste et Choleacutera

2012)

224

Le syntagme tout ccedila reacutecapitule les preacuteoccupations du personnage agrave lrsquoeacutegard de sa situation

irreacuteguliegravere mais semble suggeacuterer en mecircme temps lrsquoexistence drsquoautres tracas implicites tout

en participant lagrave aussi agrave lrsquoexpression drsquoun discours indirect libre

34 tout ccedila appositif reacutegissant un circonstant

Le syntagme tout ccedila se retrouve eacutegalement dans une position qursquoon pourrait analyser comme

appositive y reacutegissant un compleacutement subseacutequent

(295) ben euh ben mecircme si tes juste financiegraverement tu peux tinscrire et pis on tenvoie | et

pis sinon tas la possibiliteacute dimprimer chez toi les documents et puis euh | _ | et pis au

moins la secreacutetaire elle est pas obligeacutee de passer deux semaines avant euh | _ | plein

dheures agrave la photocopieuse euh | _ | enfin voilagrave | _ | tout ccedila pour dire | _ | que euh je

suis tregraves contente de cette commission parce que on parle vraiment de | _ | moi jaime

bien tout ce qui est euh | _ | systegravemes eacutelectoraux (ofrom)

Dans lrsquoexemple ci-dessus tout ccedila fonctionne en apposition drsquoune succession drsquoeacutenonceacutes dont

la deacutelimitation syntaxique se montre par ailleurs indeacutecise La seacutequence tout ccedila pour dire

illustre bien lrsquoexploitation argumentative de tout ccedila en contexte reacutecapitulatif (cf enfin voilagrave)

qui consiste agrave mettre fin au deacuteveloppement preacuteceacutedent dans le but drsquointroduire la conclusion

jugeacutee pertinente On retrouve le mecircme scheacutema ci-dessous produisant des rendements

discursifs analogues

(296) donc on travaille beaucoup en interdisciplinariteacute | avec des ergotheacuterapeutes des

physiotheacuterapeutes des assistantes sociales | _ | des dieacuteteacuteticiennes | _ | donc on a

plusieurs corps de meacutetiers | _ | il faut deacutejagrave quon trouve une harmonie entre nous entre

des cultures bien diffeacuterentes | _ | et tout ccedila pour converger vers un vers une personne

dans le but de la maintenir agrave domicile (ofrom)

Dans lrsquoexemple preacuteceacutedent tout ccedila permet de reacutecapituler le deacuteveloppement pour introduire la

finaliteacute du propos Le compleacutement introduit par le biais de tout ccedila nrsquoexprime cependant pas

toujours la finaliteacute Il illustre toutes sortes de fonctions circonstancielles par exemple ci-

dessous la caracteacuterisation drsquoune maniegravere de parler

(297) Alors ma megravere se levait sapprochait du fauteuil deacutesignait les arriveacutees de gaz de

chaque cocircteacute de la glace et entamait un petit cours dhygiegravene dougrave il ressortait que

jeacutetais une enfant que bien souvent la clientegravele adulte est porteuse de germes et que de

toute faccedilon les becs de gaz nrsquoeacutetaient pas lagrave pour les chiens Tout ccedila avec une politesse

exquise Puis elle allait se rasseoir (Signoret S La nostalgie nest plus ce quelle

eacutetait 1976lt Frantext)

Dans cet exemple tireacute de lrsquoeacutecrit litteacuteraire tout ccedila enchaicircne comme auparavant sur un

deacuteveloppement ici agrave la suite drsquoun discours narrativiseacute

225

Enfin lrsquoexemple suivant nous permet de faire la transition avec la derniegravere partie de la

section car il illustre un cas de tout ccedila enchaicircnant sur une liste tout en servant de relais agrave

lrsquoexpression drsquoune cause

(298) alors tu aurais eacutetudieacute six ans tu aurais eacuteteacute au collegravege tu aurais eacuteteacute au gymnase tu

mrsquoaurais coucircteacute tant drsquoargent tout ccedila (il reacutepeacuteta le mot) tout ccedila pour des

enfantillages (Ramuz F Aimeacute Pache peintre vaudois 1911 lt Frantext)

La premiegravere occurrence de tout ccedila peut dans un premier temps ecirctre interpreacuteteacutee comme une

particule drsquoextension de la liste (cf ci-apregraves) Mais le prolongement de la structure deacutement

cette analyse et en fait un eacuteleacutement recteur agrave lrsquoinstar des exemples preacuteceacutedents servant agrave

introduire une cause ici sur le ton du reproche

35 tout ccedila dans les listes

On relegraveve enfin un dernier contexte drsquooccurrence pour tout ccedila la configuration de liste

principalement en derniegravere position de lrsquoeacutenumeacuteration222

(299) Et ccedila se fait comment que lrsquointernet est arriveacute si tard en France Parce que en geacuteneacuteral

la France est un pays qui adore le progregraves la technique les avions tout ccedila Alors euh

pourquoi crsquoeacutetait pas comme ccedila pour lrsquointernet (pfc)

Dans cet extrait tout ccedila intervient agrave la suite drsquoeacuteleacutements lexicaux occupant la position de

compleacutement drsquoobjet direct du verbe adore On est en droit drsquoinvoquer comme dans ses autres

emplois un fonctionnement reacutesomptif il comprend dans sa reacutefeacuterence les objets mentionneacutes

dans le cadre de lrsquoeacutenumeacuteration qursquoil clocirct Mais comme dans les cas preacuteceacutedents il fait bien

plus que ccedila tout en se preacutesentant comme constituant postiche de la liste (cf supra sect513) il

signale justement qursquoil y a davantage agrave consideacuterer que les ingreacutedients explicitement listeacutes il

pousse lrsquointerlocuteur en simulant une certaine connivence agrave envisager une classe-objet

heacuteteacuteroclite dont il reacutevegravele lrsquoampleur

36 Bilan sur les emplois de tout ccedila

Dans tous ses emplois le syntagme tout ccedila a pour vocation de renvoyer agrave une classe-objet

floue ie dont les membres heacuteteacuterogegravenes sont infeacuterables agrave des degreacutes de certitude divers agrave

laquelle appartiennent pour sucircr certains membres explicitement introduits en amont Il semble

donc cumuler une fonction reacutesomptive et laquo extensible raquo

Neacuteanmoins nous avons deacutecideacute de restreindre la suite de notre investigation au dernier

contexte drsquooccurrence de tout ccedila ndash la configuration de liste ndash pour plusieurs raisons

contrairement aux premiers contextes de tout ccedila que nous nrsquoavons pas eu de peine agrave

rencontrer agrave lrsquoeacutecrit laquo travailleacute raquo la position de fin de liste y figure plus rarement Nous lrsquoy

222

Cette position semble privileacutegieacutee mais non exclusive En effet tout ccedila est eacutegalement attesteacute en tecircte de liste (il

est dans ce cas clairement reacutegi) ou alors dans une position intermeacutediaire (voir aussi Bilger 1989 100)

jrsquocommenccedilais agrave en avoir marre de faire le feu de de bois tout ccedila charbon les cendres et tout (cfpp)

226

avons releveacute ponctuellement mais presque exclusivement dans des discours directs ou des

eacutecrits agrave la premiegravere personne

(300) Je dis lagrave des choses tregraves neacutegatives sur moi mais je nai pas du tout lesprit Mai 68 Je

ne partage pas du tout cette utopie reacutevolutionnaire la poeacutesie dans la rue tout ccedila Jai

horreur de la laquo fecircte raquo ccedila ne mrsquointeacuteresse pas Je suis un homme drsquoordre (Grenier C

La vie possible de Christian Boltanski 2007 lt Frantext)

Si nous nous tournons vers sa variante laquo prestigieuse raquo tout cela (cf supra sect523) on constate

une semblable retenue en position de liste agrave lrsquoeacutecrit223

alors que les trois autres contextes y

sont bien repreacutesenteacutes224

Tout porte ainsi agrave croire que lrsquooccurrence de tout ccedila dans les listes est assez speacutecifique de

lrsquooral spontaneacute (Bilger 1989 Ferreacute 2011 Secova 2014) ou du moins des genres de

lrsquoimmeacutediat ougrave il commute non pas tant avec des SN comme dans les autres environnements

syntaxiques mais plutocirct avec des particules drsquoextension de liste comme et cetera Cette

diffeacuterence de paradigme nous pousse degraves lors agrave explorer en deacutetail son fonctionnement

reacutefeacuterentiel dans cette configuration et le deacuteveloppement des rendements pragmatiques et

interactionnels qui lrsquoaccompagne

223

Quant agrave tout cela agrave lrsquooral il est sans surprise plutocirct rare dans la base OFROM il apparaicirct quatre fois

(contre 282 tout ccedila) jamais dans CFPP (contre 333 tout ccedila) et six fois dans PFC (contre 1381 tout ccedila) (en date

du 19072016) Parmi ces six occurrences quatre proviennent drsquoune mecircme locutrice belge et les deux autres de

deux locuteurs drsquoAfrique (Algeacuterie et Reacutepublique centrafricaine) Et dans les trois corpus oraux confondus seul

un tout cela pourrait faire lrsquoobjet drsquoune analyse en contexte de liste encore que son statut syntaxique demeure

ambigu Les Pygmeacutees ils mangent seulement ce quils quils trouvent dans la forecirct les gibiers et puis mecircme les

inyams tout cela ce que nous mangeons eux aussi ils mangent aussi (pfc RCA Bangui) On peut y voir le

dernier constituant drsquoune liste ou alors un compleacutement drsquoobjet deacutetacheacute 224

En voici trois exemples 1) La salle eacutetait sombre et parcourue en tous sens par des gens se deacutepecircchant

malfaiteurs policiers hommes de loi precirctres et journalistes je suppose Tout cela faisait sombre de sombres

formes se pressant dans un espace sombre (Beckett S Molloy 1951 lt Frantext) 2) Cest Mme Badiou qui ma

fait aimer Montaigne Mes copines trouvaient cela austegravere Montaigne cest la toleacuterance louverture aux autres

le goucirct des autres cest la raison Il essaie de se mettre agrave la place des autres pour penser pour voir comment ils

pensent Tout cela cest Montaigne (Dupuy A Journal [hellip] 2013 lt Frantext) 3) Jrsquoeus aussi le peacutenible devoir

de remettre au Geacuteneacuteral deux photographies de sa megravere sur son lit de mort (Il neut pas le bonheur de la

retrouver vivante agrave son retour en France) Il les prit avec une sorte de brutaliteacute ougrave je vis de la pudeur et les mit

de cocircteacute Tout cela sans inteacuterecirct et sans que jy precircte une grande attention (Mauriac C Aimer de Gaulle 1978 lt

Frantext)

227

4 Etude de tout ccedila dans les listes agrave lrsquooral

Comme on vient de lrsquoeacutevoquer le marqueur tout ccedila integravegre un paradigme de marqueurs

drsquoextension de liste parmi lesquels on peut mentionner et cetera et ainsi de suite et autres N

et compagnie et consorts et tout (et tout) et tout le toutim le tremblement le reste le

tralala le bastringue etc) (et) patati et patata (et) machin ou comme ccedila SN comme ccedila ou

nrsquoimporte quoi etc Des eacutetudes sur drsquoautres langues attestent lrsquoexistence drsquoune cateacutegorie

similaire225

qui a reccedilu plusieurs deacutenominations generalized list completers (Jefferson 1990

Selting 2007) set-marking tags (Ward amp Birner 1993) general extenders (Overstreet 1999

Secova 2014) En franccedilais elle reccediloit les noms de particules drsquoextension (Dubois 1993 Ferreacute

2011) ou encore de clocirctureurs (Kahane amp Pietrandrea 2012)

Malgreacute la diversiteacute des formes possibles ce sont les marqueurs et tout tout ccedila et et cetera226

qui dans lrsquoensemble sont les mieux attesteacutes agrave lrsquooral dans les releveacutes des travaux anteacuterieurs227

(Ferreacute 2011 Secova 2014) et dans les bases que nous avons examineacutees Figurent eacutegalement

en bonne place quoique dans des proportions plus faibles les variantes en comme ccedila du type

(ou) truc(s)chose(s) comme ccedila et le cas de (etou) machin228

(Secova 2014) Quant aux autres

marqueurs ils semblent intervenir de maniegravere beaucoup plus ponctuelle voire pas du tout

pour certains dans les bases de donneacutees examineacutees229

Si notre objet drsquoeacutetude principal est tout

ccedila il nous arrivera de le mettre en perspective avec et tout au vu de leur parenteacute

morphologique (quantificateur de totaliteacute) et drsquoun fonctionnement pragmatique tregraves proche

(301) alors on sarrecirctait quand on voulait euh | _ | quand ccedila nous plaisait et tout (ofrom)

La seacutequence tout ccedila est elle aussi reacuteguliegraverement mais non systeacutematiquement preacuteceacutedeacutee du

coordonnant et

(302) bon ben ccedila pose des problegravemes de mainten- enfin de maintenance euh de de mise agrave

jour et tout ccedila euh voilagrave (pfc)

On peut signaler que lrsquoon trouve de faccedilon eacuteparse drsquoautres coordonnants devant tout ccedila

(303) Non mecircme au Canada on peut aller si on va agrave Vancouver ou en Californie ou tout

ccedila230

ouais (pfc)

225

Pour lrsquoanglais and all (that stuff) and stuff or something and everything or whatever etc pour

lrsquoallemand und so (weiter) oder so (was) etc (Overstreet 2005) 226

La particule connaicirct de nombreuses variantes graphiques et cetera etcetera et caetera et caeligtera et ceacuteteacutera

etceacuteteacutera etc 227

Voir Dubois (1992) et Secova (2014) pour une analyse distributionnelle la premiegravere agrave partir de deux corpus

de franccedilais queacutebeacutecois la seconde agrave partir de trois corpus de franccedilais de lrsquoHexagone 228

Sur machin et ou comme ccedila voir Beacuteguelin amp Corminboeuf (agrave par) 229

A noter qursquoil ne faut pas neacutegliger les facteurs diatopiques A partir drsquoun corpus de franccedilais queacutebeacutecois Dubois

(1992) relegraveve des particules semblant speacutecifiques agrave cette aire geacuteographique du genre les variantes en affaire (des

affaires de mecircme toutes ces affaires-lagrave une affaire comme ccedila etc) ou en patente (toutes ces patentes-lagrave des

patentes comme ccedila des patentes de mecircme etc) 230

Rare devant tout ccedila (cf aucune attestation dans OFROM) au contraire de la preacutesence freacutequente de ou devant

comme ccedila (Corminboeuf 2016 Beacuteguelin amp Corminboeuf agrave par)

228

(304) Moi ccedila serait plutocirct le tricot la couture la broderie tout ce qui est feacuteminin dans le

fond hein Mais pas tellement des loisirs autrement de ni dans le sport ni tout ccedila

(pfc)

Enfin mentionnons la possibiliteacute drsquooccurrence drsquoun tout laquo pronominal raquo non preacuteceacutedeacute drsquoun

coordonnant

(305) cest cest cest par rapport agrave la mutuelle euh bon tout et comme ici en plus il a il a

changeacute de de domicile (pfc)

Lrsquoanalyse comme marqueur drsquoextension du morphegraveme tout isoleacute reste neacuteanmoins beaucoup

plus difficile agrave identifier que les autres

Cette section est envisageacutee de la maniegravere suivante nous proposons un aperccedilu des travaux

existants sur les marqueurs drsquoextension et en particulier sur tout ccedila (sect41) Apregraves quelques

preacutecisions sur les donneacutees (sect42) nous nous penchons sur la configuration de liste ndash eacutetudieacutee

sous les angles syntaxique prosodique seacutemantico-pragmatique et interactionnel ndash

configuration qui offre un moule particuliegraverement propice agrave lrsquoeacutemergence des marqueurs

drsquoextension (sect43) Nous nous inteacuteressons ensuite en deacutetail au fonctionnement respectivement

reacutefeacuterentiel (sect44) puis pragmatique de tout ccedila (sect45)

41 Travaux anteacuterieurs

411 Les particules drsquoextension

Les particules ndash ou marqueurs ndash drsquoextension ont pour caracteacuteristique de figurer en clocircture de

syntagme ou de clause marquant agrave cet eacutegard la reacutefeacuterence agrave lrsquoensemble auquel appartien(nen)t

entre autres le ou les membre(s) ainsi introduit(s) en amont (Dubois 1992 Overstreet 2005)

Ils sont souvent composeacutes drsquoun coordonnant (facultatif) drsquoun quantifieur ou drsquoune marque de

comparaison (facultatifs) et drsquoun N geacuteneacuteral Leur usage est en outre reconnu comme un

proceacutedeacute fondamentalement interactionnel veacutehiculant une fonction interpersonnelle creacuteatrice

drsquoeffets drsquointersubjectiviteacute et mettant en œuvre des strateacutegies de politesse ou drsquoatteacutenuation

(Overstreet 1999) Les particules drsquoextension sont vues comme des manifestations typiques de

la langue parleacutee spontaneacutee bien qursquoelles soient eacutegalement attesteacutees dans des proportions bien

plus faibles agrave lrsquoeacutecrit formel (Secova 2014) A cet eacutegard elles sont perccedilues sans surprise

comme des deacutefauts de langage dans lrsquoopinion collective jugeacutees impreacutecises et deacutepourvues de

sens (Dines 1980)

Etant donneacute les fonctions typiquement pragmatiques qursquoelles sont susceptibles de deacutevelopper

et leur sens plus proceacutedural que reacutefeacuterentiel on les ramegravene geacuteneacuteralement agrave la cateacutegorie des

laquo marqueurs discursifs raquo (Dubois 1993 Overstreet 1999 Secova 2014) le seul critegravere qui les

en distingue eacutetant leur position contrainte (position terminale drsquoun syntagme)

229

412 tout ccedila particule drsquoextension

En ce qui concerne plus particuliegraverement le marqueur (et) tout ccedila en franccedilais Bilger (1989)

srsquoy inteacuteresse dans le cadre de lrsquoapproche pronominale du GARS Remarquant qursquoil est

susceptible de clore un paradigme de reacuteiteacuterations lexicales elle souligne toutefois le caractegravere

implicite de la liste entameacutee dont la (ou les) reacutealisation(s) lexicale(s) donne(nt) un indice sur

le champ seacutemantique agrave infeacuterer En comparant la preacutesence avec lrsquoabsence du coordonnant et

elle distingue un effet de sens respectivement additif vs appositif et englobant pour le second

(ibid 100-101)

Secova (2014) compare les types de marqueurs drsquoextension en franccedilais dans trois corpus

distincts afin drsquoy eacutetudier les facteurs diachronique et geacuteneacuterationnel sur la distribution des

marqueurs Dans son propre corpus de jeunes adultes parisiens enregistreacutes dans les anneacutees

2007-2009 crsquoest clairement la variante et tout qui est la plus freacutequente (76) suivie agrave eacutegaliteacute

de tout ccedila (4) machin (4) et truc(s) comme ccedila (4) le reste des occurrences se

reacutepartissant entre huit autres formes Dans le corpus CFPP des anneacutees 2000 dont les locuteurs

sont issus de toutes les cateacutegories drsquoacircge et cetera est le mieux repreacutesenteacute (28) suivi de et

tout (22) tout ccedila (16) et et tout ccedila (9) parmi 28 formes attesteacutees Enfin le dernier

corpus composeacute drsquoenregistrements des anneacutees 1980 de locuteurs franccedilais drsquoacircge variable

indique tout ccedila comme la variante preacutefeacutereacutee (33) suivie drsquoet cetera (18) drsquoet tout (10) et

choses comme ccedila (10) parmi 16 formes utiliseacutees

Lrsquoanalyse met ainsi en lumiegravere une preacutefeacuterence indeacuteniable drsquoet tout dans le corpus le plus

reacutecent et parmi les jeunes adultes (confirmeacutee eacutegalement par le sous-groupe de jeunes dans

CFPP) au deacutetriment de la forme tout ccedila qui eacutetait preacutedominante dans le corpus le plus ancien

Secova srsquointeacuteresse donc de plus pregraves agrave et tout et deacutegage les diverses fonctions pragmatiques

qursquoil assume (rocircle de ponctuant drsquointensificateur ou agrave lrsquoinverse de mitigateur mise en œuvre

de strateacutegies argumentatives etc) Au vu de ces indices lrsquoauteur soutient lrsquohypothegravese drsquoun

processus de grammaticalisation le concernant se traduisant par un blanchiment seacutemantique

et la diminution de sa valeur reacutefeacuterentielle au profit drsquoun fonctionnement pragmatique dont le

stade le plus abouti est celui de ponctuant du discours Au contraire elle considegravere la variante

tout ccedila comme conservant un fonctionnement davantage reacutefeacuterentiel qui maintient lrsquoindication

de lrsquoextension drsquoun ensemble

413 Bilan

Ce bref exposeacute des travaux anteacuterieurs appelle plusieurs commentaires et nous conduit agrave

preacuteciser nos positions

Drsquoune part des reacuteserves peuvent ecirctre eacutemises agrave lrsquoeacutegard de la notion de marqueur discursif

(aussi appeleacute marqueur pragmatique) dont voici une deacutefinition couramment citeacutee

A pragmatic marker is defined as a phonologically short item that is not syntactically connected to the rest of the clause (ie is parenthetical) and has

230

little or no referential meaning but serves pragmatic or procedural purposes (Brinton 2008 1)

Pour le franccedilais on retient dans cette cateacutegorie selon leur contexte drsquooccurrence des items

aussi varieacutes que ben enfin donc quoi tu vois tu sais voilagrave en fait etc

Le problegraveme que pose ce genre de deacutefinition est que les caracteacuteristiques qui sont attribueacutees

aux marqueurs231

ne sont pas speacutecifiques aux eacuteleacutements invoqueacutes elles srsquoappliquent en effet agrave

toutes sortes drsquoautres items de la langue Par exemple le critegravere de reacuteduction phoneacutetique se

retrouve dans je sais gt jrsquosais gt chsais gt chais sans pour autant qursquoon traite celui-ci comme

un marqueur discursif contrairement agrave certains emplois de tu sais gt trsquosais Il en va de mecircme

concernant le critegravere de mobiliteacute syntaxique qui caracteacuterise toutes sortes de constituants

divers (circonstants adverbes drsquoeacutenonciation appositions verbes recteurs faibles etc) Ainsi

malgreacute un vague faisceau de proprieacuteteacutes communes celles-ci ne peuvent ecirctre rigoureusement

tenues pour deacutefinitoires On a par ailleurs souvent reprocheacute le caractegravere laquo fourre-tout raquo de la

cateacutegorie (Kerbrat-Orecchioni 2005 49) mettant degraves lors seacuterieusement en cause sa

pertinence Aussi preacutefeacuterons-nous nous passer de la notion sans toutefois nier le

fonctionnement pragmatique des items qui nous inteacuteressent Preacutecisons que nous approuvons agrave

lrsquoinverse la reconnaissance drsquoune classe de marqueurs drsquoextension pour autant qursquoon y fasse

entrer des eacuteleacutements partageant la mecircme distribution

Drsquoautre part des reacuteserves peuvent ecirctre formuleacutees agrave propos du cadre theacuteorique de la

grammaticalisation adopteacute par Secova (2014) qui comporte en effet plusieurs postulats

discutables parfois contradictoires (Beacuteguelin Corminboeuf amp Johnsen 2014) Parmi ceux-ci

citons par exemple les principes de gradualiteacute et drsquounidirectionnaliteacute qui situent les formes

concerneacutees sur des parcours eacutevolutifs graduels agrave sens unique Bien que ces theacuteories admettent

la possibiliteacute de coexistence simultaneacutee de deux usages drsquoune mecircme forme qui repreacutesenterait

un indice de changement en cours il nous paraicirct plus prudent drsquoexaminer les facteurs

contextuels motivant les emplois respectifs plutocirct que de mettre cela au compte drsquoune

hypothegravese deacuteterministe Par ailleurs ce point de vue sur le changement linguistique occulte

complegravetement la dimension idiosyncratique des emplois alors qursquoil va de soi que le recours agrave

certaines expressions peut ecirctre reacutecurrent chez certains locuteurs comme on va le voir mais

totalement inexistant chez drsquoautres Bien que nous soyons geacuteneacuteralement en accord avec

lrsquoidentification des fonctions pragmatiques et les analyses interpreacutetatives de Secova nous

tenons donc agrave prendre nos distances avec lrsquohypothegravese sous-jacente de grammaticalisation drsquoet

tout Nous allons drsquoailleurs voir que les diffeacuterents rendements observeacutes sont eacutegalement

imputables agrave tout ccedila

42 Remarques sur les donneacutees

La meacutethodologie de reacutecolte des donneacutees ayant deacutejagrave eacuteteacute preacutesenteacutee dans lrsquoavant-propos de cette

partie nous nous limitons agrave quelques preacutecisions speacutecifiques au marqueur eacutetudieacute Nous avons

231

Voir agrave cet eacutegard Fernandez (1994) Brinton (1994) Dostie (2004) Dostie amp Push (2007) Denturck (2008)

231

donc rechercheacute dans les bases indiqueacutees les suites tout ccedila (ainsi que les suites et tout) parmi

lesquelles nous retenons apregraves veacuterification manuelle celles qui srsquoinscrivent dans la

configuration souhaiteacutee de liste Avec toute la prudence que ce genre de releveacute suppose

signalons agrave titre indicatif que nous avons recueilli sur des versions anteacuterieures et plus

restreintes des bases de donneacutees232

35 tout ccedila en configuration de liste sur les 67 reacutesultats233

de la requecircte de la seacutequence sur OFROM (52) 166 sur 297 dans CFPP (56)234

43 Proprieacuteteacutes des listes

Nous envisageons dans ce travail les listes ou eacutenumeacuterations ndash notions que nous consideacuterons

synonymes ndash comme des structures visant agrave lrsquoeacutelaboration reacutefeacuterentielle drsquoune classe-objet et

qui se caracteacuterisent par des paralleacutelismes agrave diffeacuterents niveaux agrave savoir les niveaux lexico-

syntaxique seacutemantico-pragmatique et prosodique Toutefois lrsquoactivation de tous ces

paralleacutelismes nrsquoest pas systeacutematiquement requise pour qursquoon interpregravete une liste de la sorte

mais il semble que plus nombreux et visibles sont les paralleacutelismes mieux reconnue en tant

que telle est la liste (Johnsen amp Avanzi agrave par) On verra drsquoailleurs qursquoune liste si tant est

qursquoon puisse la consideacuterer comme telle peut nrsquoecirctre eacutebaucheacutee que par un seul item suivi drsquoune

particule drsquoextension Avant drsquoobserver le fonctionnement de tout ccedila dans ces configurations

il nous paraicirct important de caracteacuteriser plus preacuteciseacutement ces structures aux diffeacuterents niveaux

signaleacutes pour comprendre pourquoi elles sont favorables agrave lrsquoaccueil du marqueur

431 Aspects lexico-syntaxiques

Au niveau micro-syntaxique on peut consideacuterer la liste comme une seacuterie additive drsquoitems

lexicaux occupant une mecircme position syntaxique sur un axe paradigmatique

(306) Et ccedila se fait comment que lrsquointernet est arriveacute si tard en France Parce que en geacuteneacuteral

la France est un pays qui adore le progregraves la technique les avions tout ccedila Alors euh

pourquoi crsquoeacutetait pas comme ccedila pour lrsquointernet (pfc)

La liste comprend ainsi plusieurs eacuteleacutements instanciant la place drsquoargument objet du verbe

adore Lrsquoapproche du GARS repreacutesente ce genre de pheacutenomegravene sous la forme de laquo grilles raquo

disposeacutees sur lrsquoaxe paradigmatique vertical (Blanche-Benveniste 1990a Blanche-Benveniste

et al 1990) que nous illustrons avec lrsquoexemple preacuteceacutedent

232

En octobre 2012 env 15h drsquoenregistrement sur OFROM et 39h sur CFPP Pour rappel nous avons renonceacute agrave

des comptages sur PFC en raison de problegravemes de doublons dans les reacutesultats Mais nous ne nous privons pas

pour autant du recours aux donneacutees de la base en question 233

Les suites non Pro-SN incluses comme pas du tout ccedila 234

Quant agrave et tout nous en avons releveacute 71 occurrences clocircturant une liste sur 88 dans OFROM (80) et 154 sur

182 occurrences dans CFPP (85) A titre indicatif et tous emplois confondus on relegraveve au 16022017 307

(et) tout ccedila 392 et tout (sans et tout ccedila) dans OFROM 333 (et) tout ccedila et 194 et tout dans CFPP On constate

que le corpus OFROM le plus reacutecent (enregistrements agrave partir de 2008) ne confirme pas le deacuteseacutequilibre releveacute

entre et tout et tout ccedila dans le corpus personnel de Secova (2014) Il est vrai cependant que lrsquoacircge des locuteurs

drsquoOFROM est beaucoup moins homogegravene

232

(307) la France crsquoest un pays qui adore le progregraves nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

la technique nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

les avions nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

tout ccedila (pfc)

Nous prenons cependant nos distances avec la conception aixoise de la liste qui integravegre les

pheacutenomegravenes de laquo bribes du discours raquo (Blanche-Benveniste 1990a 14) comme les

laquo bredouillages heacutesitations maladresses reprises raquo (Blanche-Benveniste et al 1990 20)

(308) on mettait oh mecircme pas la moitieacute drsquoune cuillegravere agrave soupe nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

drsquoune cuillegravere agrave cafeacute (ibid 21)

Srsquoil est vrai qursquoil nrsquoest pas toujours eacutevident de distinguer entre seacuterie additive et

laquo disfluences raquo drsquoougrave lrsquoeacutemergence drsquoambiguiumlteacutes drsquoanalyse (Blanche-Benveniste 2011 Kahane

amp Piertrandrea 2012) nous consideacuterons que les secondes ne relegravevent pas du mecircme

pheacutenomegravene car elles ne sont pas voueacutees au niveau reacutefeacuterentiel agrave la creacuteation deacutelibeacutereacutee drsquoune

classe-objet et elles ne se distinguent pas par des paralleacutelismes reacutecurrents aux autres niveaux

(seacutemantico-pragmatiques prosodiques) Drsquoailleurs sur le plan syntaxique un eacuteleacutement

distinctif semble neacutegligeacute dans lrsquoapproche aixoise lrsquoapparition reacuteguliegravere de coordonnants dans

les seacuteries additives (en ce qui nous concerne la preacutesence possible de et devant tout ccedila) vs leur

absence notoire dans le cas des disfluences Preacutecisons que nous admettons toutefois dans la

cateacutegorie des listes le cas de formulations multiples (Blanche-Benveniste 2011) visant par

exemple agrave lrsquoadeacutequation de la deacutenomination ou agrave la recherche de nuances parce qursquoelles

contribuent contrairement aux disfluences agrave proprement parler235

agrave creacuteer une classe (de

deacutenominations de proprieacuteteacutes etc) En teacutemoigne ci-dessous la caracteacuterisation nuanceacutee drsquoun

mecircme objectif

(309) par exemple jai pas tout agrave fait fini ce que je dois faire ben voilagrave | _ | jarrecircte pour euh |

_ | pour ecirctre en forme le lendemain pour pouvoir euh bien suivre les cours bien

eacutecouter tout ccedila236

(ofrom)

Les eacutenumeacuterations se rencontrent eacutegalement au niveau macro-syntaxique ougrave les items mis en

parallegravele repreacutesentent cette fois des laquo eacutenonciations raquo

(310) daccord ces jeunes | _ | jouent le jeu ils sont | _ | ils sont enthousiastes ils ils ont de

leacutenergie ils ont des ideacutees tout ccedila ce qui est bien | _ | mais franchement pas agrave pas agrave

Berne | _ | pas agrave cet acircge-lagrave et pas agrave Berne (ofrom) = (3)

Il nous semble leacutegitime drsquointeacutegrer ces successions drsquoeacutenonciations drsquoordre macro-syntaxique

aux pheacutenomegravenes de liste drsquoune part au vu de la reacutepeacutetition des patrons lexico-syntaxiques et

235

Kahane amp Piertrandrea (2012) les traitent tous deux dans la mecircme cateacutegorie celle des entassements qursquoils

appellent de dicto 236

Une eacutecoute de lrsquoextrait sonore met en eacutevidence une proeacuteminence prosodique sur la syllabe [te] de eacutecouter qui

oriente vers une interpreacutetation de tout ccedila comme particule plutocirct que comme reacutegime direct du verbe cf infra

sect433

233

prosodiques drsquoautre part du fait preacuteciseacutement qursquoon y trouve les mecircmes particules drsquoextension

qursquoau niveau micro-syntaxique (aussi bien tout ccedila et tout qursquoet cetera) leur fonctionnement

ne semblant ainsi pas diverger selon le niveau syntaxique (cf aussi Bilger 1989)

Un fait remarquable et reacutegulier dans nos donneacutees est que la liste est susceptible de ne contenir

qursquoun eacuteleacutement lexical preacuteceacutedant tout ccedila (ou et tout) (Bilger 1989 Johnsen 2011) Un

comptage anteacuterieur sur OFROM237

bien que statistiquement non significatif car portant sur

un nombre restreint de donneacutees reacutevegravele les proportions suivantes tout ccedila est preacuteceacutedeacute drsquoun

seul item dans 13 listes sur 35 (37) et et tout drsquoun seul item dans 48 cas sur 71 (68)

Dans ces cas-lagrave crsquoest la seule preacutesence du marqueur qui constitue lrsquoindice drsquoune liste

eacutebaucheacutee En outre il nrsquoest pas toujours eacutevident de deacuteterminer sur quel constituant ou

operand (Dubois 1992 181) envisager le paradigme suggeacutereacute Dans lrsquoexemple ci-dessous on

peut ainsi se demander si la liste srsquoinscrit sur la place de la subordonneacutee causale ou sur celle

de lrsquoadjectif attribut comme lrsquoillustrent les extensions potentielles de liste entre parenthegraveses

(311) mais je pense aussi que jrsquoai un tempeacuterament agrave me disperser quand je parle parce que

comme je suis assez euh enthousiaste tout ccedila degraves que jrsquoai jrsquoai une ideacutee qui me passe

par la tecircte jrsquoai envie de le dire tu vois (pfc)

(312) parce que comme je suis assez euh enthousiaste nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

(comme jrsquoaime parler) nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

tout ccedila

(313) parce que comme je suis assez euh enthousiaste nnnnnnnnnnnnnnnnnnn

(spontaneacutee)

tout ccedila

Lrsquoanalyse syntaxique demeure ambigueuml Cela dit on peut noter qursquoune analyse syntaxique

univoque nrsquoest pas deacuteterminante du point de vue de la pertinence communicative agrave lrsquoœuvre

432 Aspects seacutemantico-pragmatiques

On note reacuteguliegraverement une isotopie seacutemantique entre les eacuteleacutements de la liste (Schiffrin 1994

Bilger 2003 Selting 2007 Paveau amp Rosier 2009 Groupe de Fribourg 2012) illustreacutee ci-

dessous par la reacutecurrence du segraveme [+marin]

(314) Jrsquoai toujours et deacuteploreacute que personne de mes aicircneacutes de ma famille tout au moins

nrsquoeacutetait pas eacuteteacute capable de mapprendre la mer la pecircche les poissons les bateaux et

tout ccedila (pfc)

Dans lrsquoexemple suivant la coheacutesion seacutemantique se manifeste au niveau du script (Schank amp

Abelson 1977) ou du sceacutenario (Sanford amp Garrod 1981) crsquoest-agrave-dire drsquoune seacuterie drsquoactions

steacutereacuteotypiques ici les activiteacutes musicales drsquoun groupe

237

Mai 2013 (sur env 15h drsquoenregistrement)

234

(315) on se retrouve comme ccedila des week-ends pour faire un peu de la musique on compose

on joue on a des concerts en Valais tout ccedila (ofrom)

La notion drsquoisotopie demande neacuteanmoins agrave ecirctre assouplie la laquo cateacutegorie creacuteeacutee raquo (Schiffrin

1994) par la liste ne manifestant pas toujours un segraveme geacuteneacuterique preacuteinscrit dans le contenu

lexical ou dans des scheacutemas drsquoactions types mais eacutetant susceptible drsquoeacutemerger drsquoun point de

vue laquo subjectif raquo sur le monde (Schiffrin 1994) ou de facteurs contextuels (Dubois 1992

Johnsen 2011) Lrsquoexemple suivant illustre ainsi une seacutequence drsquoarguments eacutemanant drsquoune

instance tierce et subjective

(316) puis lui cest lagrave quil sest lanceacute en disant que ceacutetait terrible euh au Pakistan parce que

le | _ | le gouvernement laiumlc agrave leacutepoque euh | _ | ceacutetait inacceptable que ceacutetait

beaucoup mieux en Iran tout ccedila tout ccedila | _ | donc un type euh un fanatique de

lrsquoislam (ofrom)

La liste intervient dans le cadre drsquoun discours rapporteacute et entame une seacuterie de critiques agrave

lrsquoeacutegard du gouvernement laiumlc au Pakistan autrement dit elle reflegravete le point de vue subjectif

de lrsquoeacutenonciateur citeacute Il est par conseacutequent difficile de reconnaicirctre un scheacutema drsquoactions

preacutedeacutefini qui engloberait typiquement les items formuleacutes eacutetant donneacute qursquoils eacutevoquent ici des

jugements de valeur (lsquolrsquoaberration drsquoun gouvernement laiumlc au Pakistanrsquo lsquoles conditions plus

favorables de lrsquoIranrsquo)

Au niveau pragmatique on peut srsquointerroger sur la relation que le locuteur eacutetablit entre les

diffeacuterents items eacutenumegravere-t-il des reacutefeacuterents distincts ou procegravede-t-il agrave des deacutesignations

multiples drsquoun mecircme reacutefeacuterent (Blanche-Benveniste 2011) Dans la liste suivante il est

eacutevident que chaque membre de la liste renvoie agrave un individu distinct

(317) teacutetais dans lcouloir en train dparler avec Madame Chauvel Madame Beaumont

Madame Cardeacutemont tout ccedila (cfpp)

Dans drsquoautres cas le locuteur semble plutocirct viser un mecircme reacutefeacuterent pour lequel il cherche la

formulation approprieacutee

(318) par exemple jai pas tout agrave fait fini ce que je dois faire ben voilagrave | _ | jarrecircte pour euh |

_ | pour ecirctre en forme le lendemain pour pouvoir euh bien suivre les cours bien

eacutecouter tout ccedila (ofrom) = (309)

Comme le souligne Blanche-Benveniste (2011) on ne peut pas toujours savoir si le locuteur

tente de reformuler un mecircme concept ou srsquoil cherche plutocirct agrave dissocier diffeacuterents objets par

des nuances fines

Certains auteurs distinguent le caractegravere fermeacute ou ouvert drsquoune liste (Paveau amp Rosier 2009

Selting 2007) En effet une liste peut se preacutesenter comme fermeacutee lorsque des eacuteleacutements du

contexte linguistique (annonce reacutecapitulation) indiquent le nombre drsquoitems concerneacutes ou

lorsque les items sont eux-mecircmes deacutenombreacutes dans la proceacutedure de liste Un coordonnant

235

preacuteceacutedant directement le dernier eacuteleacutement peut eacutegalement constituer lrsquoindice que lrsquoauteur

preacutesente sa liste comme exhaustive

(319) on eacutetait nomades | _ | on avait | _ | une maison agrave | | _ | une maison agrave | | _ | et une

maison agrave | | _ | et partout on avait | _ | des champs (ofrom)

On ne peut neacuteanmoins tirer la mecircme conclusion de la preacutesence du coordonnant dans et tout

(ccedila) Si celui-ci peut servir agrave indiquer au niveau segmental la fin de la structure de la liste le

syntagme dans son ensemble indique au niveau reacutefeacuterentiel la non-exhaustiviteacute des ingreacutedients

de lrsquoensemble eacutevoqueacute (Bilger 1988 Overstreet 1999 Ferreacute 2011 Johnsen 2011)

Enfin au niveau interactionnel la construction de listes a eacuteteacute consideacutereacutee comme une activiteacute

volontiers collaborative (Jefferson 1990 Erickson 1992 Selting 2007) un interlocuteur peut

facilement prendre part agrave lrsquoactiviteacute en ajoutant un ou des membres agrave la liste deacutemarche

aboutissant agrave une laquo co-production of a list in progress raquo (Jefferson 1990 89) Nos donneacutees

attestent ce genre de collaboration

(320) L1 dtfaccedilon cest toujours pareil dans une eacutecole hein va y avoir un peu euh les

racailles

L2 ltouais nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 lesgt gothiques euh nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 les les nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 les shals nnnnnn nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 voilagrave [rires] + les bourges voilagrave lttout ccedila ouais nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 voilagrave gt (cfpp)

Nous aurons lrsquooccasion de revenir sur cet exemple infra (sect451) car le marqueur tout ccedila

permet ici des manœuvres intersubjectives particuliegraverement inteacuteressantes

433 Aspects prosodiques

La prosodie des listes agrave lrsquooral spontaneacute nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoeacutetudes systeacutematiques Le travail

le plus approfondi agrave notre connaissance est celui de Selting (2007) A partir de lrsquoobservation

drsquoun corpus de conversations en allemand lrsquoauteur met en eacutevidence les contours intonatifs

des syllabes accentueacutees des membres de listes Elle distingue plusieurs patrons prosodiques

selon que la liste est fermeacutee ou ouverte Dans le cas des listes fermeacutees elle note que les

eacuteleacutements composent geacuteneacuteralement une seule uniteacute prosodique doteacutee drsquoun contour descendant

se terminant dans le grave sur un scheacutema de downstep238

crsquoest-agrave-dire un abaissement tonal

progressif sur chaque item A lrsquoinverse dans le cas des listes ouvertes les membres sont

prononceacutes dans des uniteacutes prosodiques distinctes avec un paralleacutelisme remarquable entre les

deux premiers membres de la liste reacutepeacutetition des contours intonatifs intensiteacute et dureacutee

238

Selting (2007) donne la deacutefinition suivante laquo lsquoDownsteprsquo here as in most of recent intonology denotes that

successive pitch peaks in an intonation unit are produced on successively lower pitch height ie on a descending

line raquo

236

comparable ceci sans downstep Selting relegraveve sept types de contours pour les syllabes

accentueacutees finales des listes ouvertes La plupart se terminent par une freacutequence haute ou

moyenne souvent atteinte apregraves un palier montant (upward staircase) se terminant par un

plateau haut (ou leacutegegraverement descendant) (ibid 506-507)

welcher BAND welches SCHEInungsjahr und so weiter (p 509)

ou alors via un contour montant continu

fuumlr die rEIfen und so wEIter einige reparaTURN (p 517)

Malgreacute la diversiteacute des types reacutepertorieacutes crsquoest surtout la reacutepeacutetition du contour qui rend la liste

remarquable En ce qui concerne le dernier membre drsquoune liste ouverte Selting remarque

qursquoil peut ecirctre prononceacute soit sur le mecircme scheacutema que les membres preacuteceacutedents srsquoauto-

deacutesignant preacuteciseacutement comme eacuteleacutement non final soit avec une prosodie distincte souvent un

contour descendant signalant la compleacutetude non pas du contenu de la liste mais de lrsquoactiviteacute

mecircme de liste

Pour le franccedilais parleacute une eacutetude drsquoAuchlin amp Simon (2004) est consacreacutee agrave quelques extraits

de listes Lrsquohypothegravese des auteurs est que la reconnaissance drsquoun scheacutema de liste se fonde

essentiellement sur deux composantes le rythme caracteacuteriseacute ainsi laquo reacutegulariteacute du retour des

temps accentueacutes espacement reacutegulier des attaques accents initiaux par eacuteleacutement mis en

liste raquo et la modulation laquo dynamisme accru dans la reacutealisation des tons eacutelargissement du

registre tonal allongement (ou reacuteduction) de la dureacutee des syllabes accentueacutees etc raquo (ibid

188) Les auteurs remarquent agrave juste titre que les listes sont tregraves perceptibles pour un

participant drsquoune interaction mais paradoxalement beaucoup moins lorsqursquoon ne se fie qursquoagrave

sa transcription prosodique Les auteurs accordent une attention particuliegravere agrave la prosodie du

premier eacuteleacutement drsquoune liste Celui-ci peut ecirctre prosodiquement marqueacute comme tel doteacute ainsi

drsquoune valeur de projection (annonccedilant lrsquoinitiation drsquoune eacutenumeacuteration) ou alors nrsquoacqueacuterir le

237

statut de premier eacuteleacutement drsquoune liste qursquoa posteriori de par la similitude syntaxique

prosodique etou seacutemantique qursquoil entretient avec les items ulteacuterieurs Lorsqursquoil se deacutemarque

il peut le faire sur son attaque (pause prise de souffle) ou sur sa syllabe finale (proeacuteminence

exageacuteration du contour) (ibid 190) En principe la syntaxe et la prosodie fonctionnent de

maniegravere compleacutementaire ou redondante Auchlin amp Simon (2004) relegravevent cependant des cas

de laquo conflit entre les instructions donneacutees par la syntaxe et lrsquoempaquetage prosodique raquo

(ibid 190) et illustrent des cas ougrave la prosodie prend le dessus sur la syntaxe pour imposer un

scheacutema de liste sur des structures qui sur le plan strictement syntaxique nrsquoen auraient pas le

statut (voir aussi Selting 2007 519) Ils relegravevent toutefois que toutes les listes ne sont pas

marqueacutees sur le plan intonatif certaines preacutesentent simplement des groupes intonatifs

juxtaposeacutes (contour continuatif bas rehausseacute ou haut en position drsquoaccent final) domineacutes par

le dernier drsquoentre eux (ton plus haut ou alors infra-bas) marquant la clocircture Cela nrsquoempecircche

pas le respect de contraintes drsquoeurythmie alignement des attaques ajustement syllabique ou

de tempo visant agrave la reacutegulariteacute rythmique scansion par des prises de souffles etc Les auteurs

mettent en relation la prosodie plus ou moins marqueacutee des listes avec lrsquoengagement de ceux

qui les produisent lrsquoeacutenergie manifesteacutee tout comme les efforts de reproduction du pattern

sont interpreacuteteacutes comme des signes iconiques de lrsquoinvestissement des locuteurs dans leur

discours

Une eacutetude que nous avons meneacutee (Johnsen amp Avanzi agrave par) sur un corpus de franccedilais parleacute

de Suisse romande montre que les contours des syllabes terminales des eacuteleacutements initiaux ou

internes drsquoune liste manifestent un contour de type continuatif HH239

avec trois variantes

possibles un contour plat et haut (HH) un contour haut montant (LHH) et un contour

plat et haut avec monteacutee effectueacutee sur la syllabe peacutenultiegraveme du membre de lrsquoeacutenumeacuteration

(H+HH) On en conclut donc comme Selting (2007) qursquoon a bien une reacutepeacutetition du type

de contour sur les eacuteleacutements de la liste mais pas systeacutematiquement de la mecircme variante bien

qursquoon observe une reacutealisation dans 61 des cas de la combinaison HH + HH Un

aspect plus caracteacuteristique de la liste se situe au niveau temporel des syllabes terminales des

items de la liste Sans surprise les dureacutees des syllabes finales des eacuteleacutements de la liste sont

comme toute syllabe accentueacutee plus longues que la dureacutee syllabique moyenne de la liste

Mais chose plus inteacuteressante la syllabe du premier membre de la liste est pregraves de deux fois

plus longue que la dureacutee syllabique moyenne sachant qursquoune syllabe accentueacutee laquo ordinaire raquo

est en principe une fois et demie plus longue que les autres (Delattre 1965) Nous avons

montreacute que cette longueur spectaculaire pouvait ecirctre due soit au sur-marquage de lrsquoactiviteacute de

liste par projection agrave partir du premier membre de la liste agrave venir soit agrave lrsquoinverse agrave

lrsquoheacutesitation du locuteur du fait de la recherche lexicale en cours des eacuteleacutements agrave suivre

Quant agrave la prosodie de lrsquoitem tout ccedila ou et tout elle est diversement reacutealiseacutee selon qursquoelle

mime le contour des eacuteleacutements qui preacutecegravedent qursquoelle se fonde de maniegravere atteacutenueacutee dans une

239

Conventions de transcription selon le modegravele F-ToBI (Delais-Roussarie et al 2015) L = ton bas H

= ton haut = accent lexical = frontiegravere prosodique majeure

238

peacuteriode tout en signalant la continuation ou agrave lrsquoinverse qursquoelle corresponde agrave une fin de

peacuteriode Quoiqursquoavec des interpreacutetations diffeacuterentes des nocirctres Ferreacute (2011) observe une

mecircme diversiteacute de reacutealisations des contours prosodiques pour les laquo particules drsquoextension raquo et

cetera (et) tout ccedila et et tout

Signalons pour finir que la prosodie peut parfois deacutesambiguiumlser une analyse syntaxique Ainsi

en va-t-il de lrsquoexemple suivant accompagneacute de son prosogramme240

(321) y a des trucs qui reviennent tout ccedila je me suis remis sur une lettre jrsquoai fait la lettre jrsquoai

corrigeacute tout ccedila et je suis parti agrave six heures six heures et quart peut-ecirctre (pfc)

Figure 8 Prosogramme 1

Dans cet exemple la scansion rythmique par le retour de syllabes exageacutereacutement accentueacutees

(dont les contours sont entoureacutes) est tregraves manifeste La syllabe finale de tout ccedila reproduit le

contour intonatif des proeacuteminences des items preacuteceacutedents de la liste (cf la freacutequence

fondamentale en trait fin agrave laquelle se superpose une version styliseacutee en trait eacutepais) Le

syntagme constitue agrave cet eacutegard un groupe intonatif agrave lui seul de la mecircme faccedilon que les

membres preacuteceacutedents Si lrsquoon ne se fiait qursquoagrave la transcription orthographique on pourrait

interpreacuteter tout ccedila comme le compleacutement du verbe jrsquoai corrigeacute Si tel avait eacuteteacute le cas on

aurait vraisemblablement noteacute une absence de proeacuteminence sur la derniegravere syllabe de jrsquoai

corrigeacute permettant ainsi de regrouper le syntagme tout ccedila avec ce qui preacutecegravede le tout formant

ensemble un groupe intonatif Or la seacuteparation entre les deux groupes est au contraire bien

nette agrave lrsquoeacutecoute (avec des proeacuteminences sur [Ze] de corrigeacute et sur [sa] de tout ccedila) tout ccedila est

de ce fait clairement exhibeacute comme le dernier constituant drsquoune liste ici composeacutee drsquoune

succession drsquoeacutenonciations qursquoon pourrait scheacutematiser ainsi ( indiquant une relation de

continuation entre les eacutenonciations)

240

Outil deacuteveloppeacute par Mertens (2004)

_ja de tRyk ki R vjE n tu sa ZmsHiRmi sy Ryn lE tRZe fE la lE tRZe kO Ri

_yadestrucsqui reviennent tout ccedila je mesuis remissur une lettre jrsquoai fait la lettre jrsquoai corrigeacute

0 1 2 3

70

80

90

100 vow-nucl G=032T2 DG=20 dmin=0035

Prosogram v27g13apd1lg_356692

150 Hz

Ri Ze tu saeZSHi paR ti a si z9 R2 si z9 Re kaR p2 tE tR _

corrigeacute toutccedilaetje suis parti agrave six heures euh six heures et quart peut-ecirctre _

4 5 6 7

70

80

90

100 vow-nucl G=032T2 DG=20 dmin=0035

Prosogram v27g13apd1lg_356692

150 Hz

239

(322) y a des trucs qui reviennent tout ccedila je me suis remis sur une lettre jrsquoai fait la

lettre jrsquoai corrigeacute tout ccedila et je suis parti agrave six heures six heures et quart peut-

ecirctre

Il nrsquoen va pas de mecircme pour lrsquoexemple suivant ougrave la reacutealisation de tout ccedila nrsquoest pas

accompagneacutee des traits caracteacuteristiques drsquoune liste comme en teacutemoigne la figure

correspondante

(323) comme ici en plus il a il a changeacute de de domicile bon savoir srsquoil allait malgreacute tout

rester domicilieacute agrave la maison enfin tout ccedila crsquoest vrai que c crsquoest beaucoup de choses agrave

penser (pfc)

Figure 9 Prosogramme 2

En lrsquooccurrence tout ccedila ne paraicirct pas entrer dans un scheacutema rythmique particuliegraverement

reacutegulier ni preacutesenter les caracteacuteristiques accentuelles drsquoune liste En effet le syntagme crsquoest

vrai qui le suit prolonge naturellement le groupe intonatif auquel il appartient (pas de pause

pas de marque particuliegravere drsquoinitiation drsquoun nouveau groupe la freacutequence fondamentale agrave

lrsquoinitiale de la syllabe [sE] se situe au mecircme niveau que la freacutequence de la syllabe [sa] qui

preacutecegravede) Par conseacutequent tout ccedila est inteacutegreacute dans un groupe intonatif de plus grande

envergure dont le signal de regroupement est une syllabe accentueacutee subseacutequente ([se] de

penser en trait fin) qui domine les syllabes preacuteceacutedentes depuis [fε~] On en conclut que tout

ccedila nrsquoest pas aligneacute sur le paradigme du SV savoir srsquoil allait malgreacute tout rester domicilieacute agrave la

maison mais constitue tregraves vraisemblablement le sujet redoubleacute de crsquoest beaucoup de choses

agrave penser

44 Fonctionnement reacutefeacuterentiel

Nous pouvons agrave preacutesent nous concentrer sur le fonctionnement de tout ccedila dans ces contextes

eacutenumeacuteratifs en nous interrogeant en particulier sur deux proprieacuteteacutes apparemment

contradictoires agrave savoir son fonctionnement reacutesomptif et sa capaciteacute agrave eacutevoquer une classe-

objet de plus grande envergure

bo~ sa vwaR si la lE mal gRe tu REs te dO mi si lje a lamE zo~ fe~ tu sa sEvre

bon savoir srsquoil allait malgreacute tout rester domicilieacute agrave la maison -fin tout ccedila crsquoestvrai

0 1 2 3

70

80

90

100 asyll G=032T2 DG=20 dmin=0035

Prosogram v27gmutuelle

150 Hz

vre ksE sE bo ku tSo z a pa~ se

vraiqu-crsquoestcrsquoestbeaucoupd- choses agrave penser

4 5 6

70

80

90

100 asyll G=032T2 DG=20 dmin=0035

Prosogram v27gmutuelle

150 Hz

240

441 Un pointage reacutesomptif

Au vu de la position terminale de tout ccedila dans les listes et du fonctionnement volontiers

reacutesomptif de ses emplois en geacuteneacuteral (cf supra sect3) il y a de bonnes raisons de consideacuterer qursquoil

englobe dans sa reacutefeacuterence les divers objets preacutealablement introduits Drsquoailleurs drsquoautres

indices de reacutecapitulation se combinent reacuteguliegraverement agrave tout ccedila ainsi que lrsquoillustrent les

exemples ci-dessous via les particules bon voilagrave quoi et enfin

(324) L1 ouais + et les filles cest le le sac aussi cest important nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Vanessa Bruno nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 Vanessa Bruno euh Geacuterard Darel euh tout ccedila bon voilagrave quoi (cfpp)

(325) on soccupait au deacutebut de tout c qui eacutetait lmateacuteriel donc extrecircmement multiple puisque

y avait aussi bien des des couleurs des pastels des clous des enfin tout ccedila (cfpp)

Dans lrsquoexemple (324) la locutrice L1 entreprend lrsquoeacutenumeacuteration de marques de sacs agrave main agrave

savoir Vanessa Bruno puis Geacuterard Darel et clocirct sa liste via le syntagme tout ccedila accompagneacute

des ponctuants bon voilagrave quoi qui permettent de reacutecapituler et de finaliser le propos

Lrsquoexemple (325) illustre lrsquoeacutelaboration drsquoune liste de mateacuteriel (des couleurs des pastels des

clous) termineacutee par tout ccedila lui-mecircme preacuteceacutedeacute de la particule enfin jouant eacutegalement un rocircle

de synthegravese (Bertrand amp Chanet 2005)

Mais on voit bien que lrsquoanalyse uniquement reacutesomptive du marqueur est insuffisante Trois

arguments viennent appuyer ce point de vue Il y a drsquoabord le fait que la liste se voie parfois

prolongeacutee agrave la suite du marqueur tout ccedila Crsquoest le cas de lrsquoexemple (324) ci-dessus que nous

avions deacutelibeacutereacutement abreacutegeacute et dont voici le contexte posteacuterieur

(324rsquo) L1 Vanessa Bruno euh Geacuterard Darel euh tout ccedila bon voilagrave quoi

L2 que dla marque quon paye cher

L3 Longchamp Seacutequoia et compagnie quoi

L1 ouais voilagrave quoi + (cfpp)

Ce prolongement par ailleurs effectueacute par une autre locutrice et approuveacute (ouais voilagrave quoi)

par la premiegravere inclut explicitement drsquoautres membres agrave lrsquoensemble deacutesigneacute par tout ccedila

Drsquoailleurs le syntagme et compagnie rencheacuterit sur cette extension Cet extrait illustre bien le

fait que le reacuteseau eacutevoqueacute ne se limite pas aux membres citeacutes en amont

Drsquoautre part certains exemples contiennent une reformulation lexicale agrave la suite de tout ccedila

indiquant explicitement un ensemble plus vaste que celui constitueacute des seuls items

preacutealablement introduits

(326) donc jrsquoai eu la chance lagrave de euh de voir ccedila sinon bon apregraves crsquoest les petites

vacances qursquoon passe quand on eacutetait jeunes avec les parents en eacuteteacute bon ben en

lrsquooccurrence crsquoeacutetait Nice Cannes enfin tout ccedila toute la Cocircte dAzur (pfc)

241

Ainsi tout ccedila deacutesigne allusivement un ensemble sous-deacutetermineacute comprenant Nice et Cannes

que le locuteur juge bon de speacutecifier via la reformulation toute la Cocircte dAzur On remarque

qursquoenfin nrsquoest ici pas agrave interpreacuteter comme une marque de synthegravese finale mais plutocirct comme

un indice de changement au niveau de la planification discursive qursquoon pourrait gloser par

laquo jrsquointerromps le deacutetail de ma liste pour aller droit au but raquo

Par ailleurs on a deacutejagrave signaleacute supra (ex (311)) que les listes pouvaient ecirctre structurellement

constitueacutees drsquoun seul eacuteleacutement lexical preacuteceacutedant tout ccedila Il paraicirct degraves lors peu vraisemblable

qursquoils soient voueacutes agrave reacutecapituler via un marqueur de totaliteacute un ensemble composeacute en tout et

pour tout drsquoun seul objet-de-discours

Au final il nous semble qursquoon peut admettre une analyse reacutesomptive de tout ccedila dans la

mesure ougrave il comprend dans sa reacutefeacuterence celle des items (de lrsquoitem) preacutealablement

mentionneacute(s) Mais il indique en mecircme temps que la liste entreprise ne reflegravete pas

exhaustivement sa reacutefeacuterence qui va bien au-delagrave Crsquoest drsquoailleurs cet aspect que mettent en

eacutevidence les appellations general extenders (Overstreet 1999 Secova 2014) ou particules

drsquoextension (Dubois 1993 Ferreacute 2011)

442 Lrsquoinfeacuterence drsquoun ensemble

Dans le cadre de la theacuteorie de la pertinence (Sperber amp Wilson 1986) on pourrait consideacuterer

que tout ccedila convie le destinataire agrave enrichir par infeacuterence le contenu drsquoun message agrave partir des

informations explicites et contextuelles agrave disposition dans le but drsquoatteindre le sens que le

locuteur cherche agrave communiquer Drsquoune part le syntagme tout ccedila clocirct une liste au niveau

structurel drsquoautre part il deacutesigne un ensemble dont la teneur est partiellement implicite au

niveau reacutefeacuterentiel Ce faisant il incite agrave en infeacuterer drsquoautres membres potentiels

(327) cest vrai que + agrave Paris cest cher quand mecircme tous les cafeacutes tout ccedila ccedila revient cher on

a pas trop les moyens (cfpp)

(328) cest vrai que + agrave Paris cest cher quand mecircme tous les cafeacutes les boutiques les

restaurants ccedila revient cher on a pas trop les moyens (exemple modifieacute)

En effet en fonction du contexte et de lrsquoorientation argumentative du discours on peut

reacutecupeacuterer lrsquoisotopie de deacutepart et en infeacuterer drsquoautres eacuteleacutements congruents (Bilger 1989 Ward

amp Birner 1993) Ainsi en ne nommant qursquoun eacuteleacutement de la liste le locuteur reacutealise une

eacuteconomie de moyens au regard des effets escompteacutes241

Mais agrave lrsquoinverse la theacuteorie de la pertinence permet eacutegalement de rendre compte du fait qursquoun

traitement infeacuterentiel peut srsquoaveacuterer trop coucircteux conduisant lrsquointerpregravete agrave se contenter drsquoun

reacutefeacuterent sous-deacutetermineacute pour les besoins de lrsquoeacutechange (Berrendonner 1990a Overstreet 2005

Jucker et al 2007) Lrsquoexemple suivant teacutemoigne de cette situation

241

On peut aussi invoquer la maxime de quantiteacute de Grice (1975) qui enjoint de ne pas fournir plus

drsquoinformation que neacutecessaire

242

(329) SC Et puis autrement euh bon bah je sais pas il ma demandeacute un truc sur le euh Il il

redemande le euh le cholesteacuterol et puis alors les euhEt puis un ionogramme

E Un quoi

SC Ionogramme cest les ltE Cest quoi gt Bah lrsquoionogramme cest les euh Euh

cest les chlorures les euh Les chlorures euh tout ccedila oui les euh

E Et ccedila se(X) je connais pas Je sais pas agrave quoi ccedila sert (pfc)

Lrsquointerlocutrice SC eacutevoque ici visiblement une classe-objet du reacutefeacuterent lsquoionogrammersquo dont

elle est capable de mentionner lrsquoun des ingreacutedients agrave savoir lsquoles chloruresrsquo Etant donneacute la

complexiteacute de ce que la notion de ionogramme recouvre (elle deacutesigne un examen meacutedical

analysant la teneur drsquoun liquide organique en eacutelectrolytes) la locutrice utilise tout ccedila de

maniegravere allusive pour srsquoeacuteviter drsquoen formuler le deacutetail (visiblement inconnu) tout ccedila deacutesigne

ainsi lrsquoobjet laquo indiscret raquo dont lsquoles chloruresrsquo repreacutesente lrsquoun des composants heacuteteacuteroclites au

demeurant indeacutenombrables On peut remarquer agrave cet eacutegard que lrsquointerlocutrice E ne se

satisfait pas de cette allusion srsquoattendant agrave une explication plus preacutecise sa reacuteaction nuance

lrsquoobservation de Dines (1980) selon laquelle lrsquoemploi des general extenders geacutenegravere

drsquohabitude des marques drsquoapprobation de la part de lrsquointerlocuteur Lrsquointerlocutrice E en

lrsquooccurrence ne laquo joue pas le jeu raquo Cette situation illustre un cas de dissension sur lrsquoeacutetat de

M en traccedilant minimalement un reacutefeacuterent un locuteur nrsquoest pas agrave lrsquoabri drsquoeacuteventuelles

demandes de clarification

On reconnaicirct ici le comportement nonchalant de la locutrice (Berrendonner 1990a) qui pour

des raisons drsquoeacuteconomie mais eacutegalement pour eacutepargner agrave son interlocutrice des deacutetails jugeacutes

non pertinents se contente drsquoune eacutevocation vague

une repreacutesentation apparaicirct drsquoautant plus eacuteconomique agrave manipuler qursquoelle est moins complexe et moins analytique Crsquoest pourquoi il peut ecirctre avantageux de ne laquo tracer raquo discursivement la penseacutee que par un minimum de repegraveres cognitifs vagues [hellip] (ibid 150)

Par conseacutequent le destinataire a tout avantage agrave se contenter de lrsquoindication minimale drsquoune

classe drsquoobjets entretenant des rapports entre eux sans chercher agrave la compleacuteter (voir aussi

Jucker et al (2003)

En somme on constate que selon les circonstances et le calcul de la pertinence tout ccedila invite

ou non lrsquointerpregravete agrave infeacuterer drsquoautres objets laquo de la mecircme sorte raquo que celui ou ceux

introduit(s) En tout cas il nrsquooblige pas systeacutematiquement agrave une restitution a fortiori dans les

cas ougrave le reacutefeacuterent deacutesigneacute srsquoapparente agrave une classe-objet au contenu inanalysable

45 Fonctionnement pragmatique

Dans cette section nous observons quelles sont plus preacuteciseacutement les fonctions assumeacutees par

tout ccedila quelles strateacutegies du locuteur son emploi reflegravete et agrave quels effets discursifs il donne

lieu

243

451 Marquage de lrsquointersubjectiviteacute

Le marquage de lrsquointersubjectiviteacute est reacuteguliegraverement invoqueacute pour lrsquousage des particules

drsquoextension (Dubois 1992 Overstreet 1999 2005 Secova 2014) en ce qursquoelles sollicitent de

lrsquointerlocuteur une participation active agrave la construction de repreacutesentations communes

Overstreet (2005 1851) deacutefinit lrsquointersubjectiviteacute comme laquo the process by which individuals

manage to achieve interpersonal understanding despite subjective differences raquo Lrsquoauteur

insiste sur la preacutesomption de cette communauteacute de savoir et drsquoexpeacuterience plutocirct que sur sa

reacutealiteacute On constate freacutequemment un effet drsquoempathie voire de connivence qursquoon pourrait

gloser par laquo tu vois ce que je veux dire raquo Ci-dessous lrsquoexemple (330) illustre lrsquoeacutebauche drsquoune

liste de lieux interrompue par lrsquoeacutevocation de repreacutesentations via tout ccedila accompagneacute de

lrsquoadverbe lagrave ce dernier fonctionnant non seulement comme un marqueur proprement spatial

mais aussi comme un deacutesignateur de lrsquoespace mental partageacute (cf supra ChIII sect524)

(330) ils ont fait des dans j sais plus quelle anneacutee mais dans quelles anneacutees ceacutetait + tout

plein de plein de HLM en bas du cimetiegravere + dans la rue Gaston Leriaux tout ccedila lagrave

(cfpp)

La combinaison tout ccedila lagrave de par sa nature token-reacuteflexive srsquoappuyant sur la situation

drsquoeacutenonciation invite les interlocuteurs agrave partager leurs repreacutesentations cognitives leurs

espaces mentaux Il en va de mecircme ci-dessous

(331) ceacutetait un un ensemble dusines + et dateliers + qui eacutetait tregraves freacutequentes agrave Montreuil +

dans les anneacutees cinquante + mecircme + derriegravere lagrave242

ougrave ils ont construit ougrave y a une partie

de de de de de ladministration qui sest installeacutee lagrave au truc des immigreacutes lagrave tout ccedila

(cfpp)

De nouveau lrsquoadverbe lagrave est utiliseacute agrave plusieurs reprises pour mobiliser les repreacutesentations

communes et se figurer mentalement la scegravene et fonctionne agrave ce titre comme particule de

clocircture ou ponctuant (cf supra ChIII sect524 et infra sect452) Avec tout ccedila ils contribuent

ensemble agrave solliciter lrsquoactiviteacute de co-construction discursive

Comme on lrsquoa deacutejagrave mentionneacute supra (sect432) tout ccedila est susceptible drsquointeacutegrer des listes co-

construites par plusieurs locuteurs Pour meacutemoire

242

Contrairement aux suivantes cette occurrence est principalement spatiale et accompagne drsquoautres expressions

contribuant agrave situer un lieu particulier (derriegravere lagrave ougravehellip)

244

(332) L1dtfaccedilon cest toujours pareil dans une eacutecole hein va y avoir un peu euh les

racailles

L2 ltouais

L1 lesgt gothiques euh

L2 les les

L1 les shals

L2 voilagrave [rires] + les bourges voilagrave lttout ccedila ouais

L1 voilagrave gt (cfpp) = (320)

Le syntagme tout ccedila eacutevoque ainsi lrsquoensemble amorceacute collaborativement par les participants et

continuant dans un espace commun implicite A noter qursquoon rencontre des co-eacutenonciations de

listes termineacutees par et tout eacutegalement

(333) L1 moi jhabite dans des banlieues jai toujours habiteacute dans des banlieues ougrave y a

dplus en plus de de Noirs de gens meacutetisseacutes

L2 ltmmh mmh de meacutelange ouigt

L1 et tout + et moi au contraire ccedila mplaicirct hein (cfpp)

Tous ces exemples illustrent avantageusement lrsquoinvitation ou la participation des

interlocuteurs agrave la construction de repreacutesentations communes

452 Rocircle de ponctuant

A sa fonction drsquoextension implicite on peut ajouter le rocircle de ponctuant qursquoest susceptible

drsquoendosser tout ccedila Vincent amp Demers (1994) deacutefinissent un ponctuant comme un eacuteleacutement

prosodiquement et pragmatiquement rattacheacute agrave ce qui preacutecegravede243

qui se dote drsquoune fonction de

structuration du discours il agit en cela au niveau de la segmentation des uniteacutes syntaxiques

et prosodiques mais aussi aux niveaux interactionnels et argumentatifs (Vincent 1993)

Secova (2014) insiste sur la vocation de ponctuant du marqueur et tout contrairement agrave tout

ccedila Ce rocircle de ponctuant est bien illustreacute ci-dessous

(334) et pis y a une euh donc y a tout le monde qui part dans | _ | tout le FBI et la CIA qui

partent dans tout dans toutes les hy les hypothegraveses possibles et tout [hellip] ils sont de de

sortie dans un restaurant et tout et pis euh | elle monte dans sa voiture et tout | _ | pis

elle se prend un petit peu la tecircte avec son son amant (ofrom)

Tout en signalant qursquoelle passe sous silence une partie des deacutetails du sceacutenario policier en

question la locutrice emploie de maniegravere reacutecurrente le marqueur et tout agrave la fin de clauses

syntaxiquement complegravetes En tant que ponctuant le syntagme et tout sert non seulement de

signe de deacutemarcation syntaxique mais il contribue eacutegalement agrave maintenir le rythme et la

fluiditeacute du reacutecit de mecircme que sa progression informationnelle en se permettant de

laquo reacuteduire raquo de la sorte les peacuteripeacuteties deacutecrites la locutrice manifeste sa volonteacute de passer agrave

autre chose (laquo je te passe les deacutetails raquo) et preacutesente celles-ci comme deacutependantes drsquoun

243

Cf aussi le ponctuant quoi situeacute selon Teston-Bonnard Lefeuvre amp Morel (2011) en fin de rhegraveme (ou noyau)

et portant sur celui-ci contrairement agrave drsquoautres particules comme enfin ou bon qui focalisent ce qui suit

245

deacutenouement agrave venir (Secova 2014 291) Dans lrsquoexemple (334) la seacutequence narrative dont

nous nrsquoavons pas reproduit la suite se conclut comme attendu par une chute (lrsquoeacutechec drsquoune

tentative de meurtre) ainsi qursquoun commentaire global sur lrsquointrigue et son auteur

Le marqueur et tout se rapproche drsquoautres particules discursives servant agrave scander le discours

comme le ponctuant quoi244

Il serait inteacuteressant de mettre en perspective les emplois de

plusieurs types de ponctuants On remarque que ces particules peuvent srsquoaveacuterer totalement

absentes chez certains usagers mais au contraire particuliegraverement productives chez

drsquoautres245

comme chez la locutrice ci-dessus ou encore chez celle-ci

(335) on avait gardeacute contact et tout et puis euh | _ | comme javais eu loccasion | _ | enfin il il

mavait demandeacute si je voulais | _ | si je voulais y aller et tout et puis comme jai eu

loccasion une fois alors je me suis dit | pourquoi pas pourquoi pas profiter et tout et

puis lagrave justement ceacutetait vraiment| _ | ceacutetait tregraves inteacuteressant parce que il est | _ | enfin il

a fait presque deux semaines euh | _ | avec moi et tout il ma fait visiter euh | _ | euh

quelques villes [hellip] si jeacutetais alleacutee seule en touriste vraiment europeacuteenne et tout euh| _ |

on maurait voilagrave on maurait fait vraiment deacutecouvrir les trucs touristiques et tout ce

que jai eu aussi (ofrom)

Dans ce genre drsquooccurrences la position syntaxique du paradigme de la liste eacutebaucheacutee nous

eacutechappe et tout enchaicircnant sur un seul item souvent au rang drsquoune clause si bien que la

structure en liste nrsquoest mecircme plus perceptible (Secova 2014)

Si la fonction de ponctuant est bien illustreacutee par et tout on remarque que tout ccedila nrsquoest pas en

reste Il intervient ci-dessous de maniegravere analogue en tant que laquo tic stylistique raquo chez une

locutrice246

(336) cest vrai que + agrave Paris cest cher quand mecircme tous les cafeacutes tout ccedila ccedila revient cher on

a pas trop les moyens [hellip] la photographie tout ccedila qui nous inteacuteresse plus enfin agrave notre

acircge + + ou voilagrave ou des trucs sur les groupes sur des artistes et tout ccedila lagrave on ira voir

[hellip] + oui voilagrave les tableaux d Picasso tout ccedila voilagrave pas peut-ecirctre pas enfin [hellip] y a la

MJC pas loin y a les conservatoires tout ccedila [hellip] ouais anniversaires alors les

eacutevegravenements tout ccedila toutes les soireacutees on est au courant [hellip] ben + cest plus enfin ccedila

cest enfin si jamais j vais XX cest plus quand mecircme sur la reacuteforme pour les lyceacutees et

cetera tout ccedila les suppressions de postes tout ccedila et cest aussi en geacuteneacuteral parce que y a

quand mecircme enfin plein dineacutegaliteacutes tout ccedila enfin mecircme pour les immigreacutes tout ccedila

enfin cest pour plein d choses (cfpp)

244

Voir agrave cet eacutegard Chanet (2001) Beeching (2007) et Teston-Bonnard Lefeuvre amp Morel (2011) 245

Cf aussi la reacutecurrence de quoi chez certains usagers je dois rendre un truc mec mais | _ | totalement

ininteacuteressant je dois faire un film avec ccedila quoi | _ | sur la base de rien mon gars mais comme cest chaud quoi ils

mont dit ouais tu te deacutemerdes quoi ils mont | il y a genre ma cheffe elle ma donneacute tout le projet elle ma dit

tiens quoi | _ | demain je dois faire le storyboard tu sais des petites des petites tu dessines une petite BD quoi |

puis genre ce que ccedila va ecirctre le film quoi image par image (ofrom) 246

Afin de faire ressortir la reacutecurrence de tout ccedila chez une mecircme locutrice nous nrsquoavons reproduit que ses

interventions mais il faut imaginer qursquoelles srsquoinsegraverent dans une conversation agrave plusieurs dont les tours

interviennent dans les passages non retranscrits que symbolise le signe [hellip]

246

Si lrsquoon compare cet exemple avec les deux preacuteceacutedents il faut reconnaicirctre avec Secova (2014)

que tout ccedila se positionne agrave la suite drsquoun laquo operand raquo mieux identifiable (souvent un parfois

deux SN) plutocirct qursquoentre deux clauses qui se succegravedent dans une routine narrative Selon

Secova lrsquoidentification de la structure de liste rend le fonctionnement de tout ccedila plus

reacutefeacuterentiel que celui drsquoet tout Il nous semble que la preacutesence du deacutesignateur token-reacuteflexif ccedila

joue eacutegalement un rocircle dans cette interpreacutetation reacutefeacuterentielle du marqueur Mais agrave notre avis

cela nrsquoempecircche pas tout ccedila drsquoassocier agrave sa fonction reacutefeacuterentielle des rendements pragmatiques

apparenteacutes agrave celui drsquoun ponctuant

453 Approximation de paroles rapporteacutees

Overstreet (2005 1855) note lrsquoaffiniteacute des particules drsquoextension avec le discours rapporteacute et

Secova (2014 291) relegraveve en particulier lrsquoadeacutequation drsquoet tout dans ce genre de contexte ougrave

il manifeste eacutegalement un rocircle de ponctuant

(337) cest vrai que ccedila eacuteteacute vraiment un accompagnement parce que au deacutebut il me disait | _ |

ouais moi au deacutebut jaimais eacutecouter que les voix de femmes mais maintenant jaime

bien les voix dhommes et tout pis | _ | il a commenceacute agrave sinteacuteresser lui-mecircme | _ | agrave ccedila

(ofrom)

(338) elle m a dit elle voulait venir me chercher elle me dit ouais jpasse te prendre et tout

oh non non cest bon jprends jprends les transports et agrave chaque fois ceacutetait comme ccedila

ouais mais attends mais tu tu fais trente minutes de train et tout tu prends l RER euh

trois changements [hellip] (cfpp)

Cet emploi permet de hieacuterarchiser les types de discours (respectivement les discours hocircte et

rapporteacute) tout en signalant lrsquoincompleacutetude et lrsquoapproximation des paroles rapporteacutees

Contrairement agrave une ideacutee reccedilue247

le discours direct ne garantit nullement la fideacuteliteacute des

propos effectivement tenus Le marqueur et tout est donc particuliegraverement reacuteveacutelateur de cette

contrefaccedilon des paroles par le locuteur citant qui marque de la sorte ses distances agrave leur eacutegard

et se preacutemunit par ce biais drsquoun eacuteventuel reproche drsquoinfideacuteliteacute Il indique ainsi la neacutecessiteacute de

relativiser le caractegravere litteacuteral exact ou cateacutegorique des propos On reconnaicirct ici la fonction de

mitigation dont Sadock (1977) dote les marqueurs drsquoapproximation (environ agrave peu pregraves

approximativement)

the role of an approximator in the pragmatic theory is to trivialize the semantics of a sentence to make it almost unfalsifiable to hedge in a genuine sense (p 437)

Secova (2014 291) justifie lrsquoavantage drsquoet tout dans ces contextes par sa briegraveveteacute jugeant

plus fastidieux le recours agrave des marqueurs plus longs comme et cetera ou et tout ccedila Mais

crsquoest oublier que tout ccedila nrsquoest pas plus long agrave prononcer qursquoet tout et qursquoil se retrouve

eacutegalement aux confins de discours directs

247

Par exemple Grevisse amp Goosse (2011 sect414a) laquo Le rapporteur les [les paroles] reproduit censeacutement telles

quelles sans les modifier Crsquoest le discours (ou style) direct raquo

247

(339) donc elle sest dit elle seacutetait dit oui je travaillerai pour avoir de largent pour faire ccedila agrave

mes enfants tout ccedila et voilagrave donc euh (cfpp)

(340) ben ils essayaient ils essayaient de s plaindre en disant aux policiers enfin vous avez

pas le droit tout ccedila ils disaient mais mais tu veux que jtembarque donc bon (cfpp)

Il est par ailleurs inteacuteressant de remarquer qursquoil demeure une incertitude sur la prise en charge

eacutenonciative des marqueurs248

En effet on peut se demander si lrsquoon doit mettre lrsquooccurrence

drsquoet tout et de tout ccedila au compte de lrsquoeacutenonciateur citant ou de lrsquoeacutenonciateur citeacute En eacutecoutant

les extraits on remarque que la contrefaccedilon meacutelodique du discours direct est volontiers

maintenue sur la particule et tout mais non sur tout ccedila Cela suggegravere qursquoet tout fait partie

inteacutegrante des paroles mimeacutees consciemment deacuteformeacutees et reacuteduites il se fond dans les

propos rapporteacutes A lrsquoinverse tout ccedila semble traduire un comportement davantage

meacutetadiscursif de la part du locuteur citant qui signale par ce biais qursquoil y a drsquoautres propos

analogues agrave consideacuterer

454 Eupheacutemisme

Le rocircle de mitigation ou drsquoatteacutenuation deacutejagrave eacutevoqueacute ci-dessus (Overstreet 2005 1855 Secova

2014 289) peut srsquoaccompagner de rendements eupheacutemiques contribuant agrave adoucir la cruditeacute

de certaines reacutealiteacutes ou propos Ci-dessous lrsquoemploi de tout ccedila preacuteceacutedeacute drsquoun enfin agrave fonction

rectificative atteacutenue la vulgariteacute exprimeacutee via lrsquoexpression mrsquoentuber

(341) moi la coopeacute je la paie donc les gens | qui me tapent sur la gueule je leur donne du fric

pour le faire les g- enfin | je les paie pour aller faire des seacuteances agrave Berne je les paie

pour reacutefleacutechir | agrave comment mentuber enfin tout ccedila je les paie et puis je les paie bien

(ofrom)

Dans lrsquoexemple suivant tout ccedila eacutevoque allusivement toute la classe-objet du sujet tabou de la

maladie

(342) Ben crsquoeacutetait bien parce que bon crsquoeacutetait des handicapeacutes il y avait beaucoup de malades

tout ccedila [hellip] des fois on connaicirct qursquoil y a des gens qui sont malades tout ccedila [hellip] Et

puis il y a plein de malades de cancer et tout qui souffrent eacutenormeacutement (pfc249

)

Enfin signalons un dernier exemple agrave rendement eupheacutemique avec et tout

(343) [L2 vient de confier agrave L1 qursquoelle a entretenu une relation passagegravere avec une

connaissance mutuelle]

L1 (ah ouais)A (et vous vous ecirctes embrasseacutes)

S (et tout et tout)

Q

L2 (on srsquoest embrasseacutes)S (mais pas et tout et tout)

A250 (oral au vol)

248

Dans CFPP les guillemets sont le fait des transcripteurs 249

Locutrice de la Reacuteunion dont la langue maternelle est le creacuteole et le franccedilais la langue seconde 250

Les exposants reproduisent sommairement la fonction de lrsquointonation des eacutenonceacutes telle qursquoelle a eacuteteacute perccedilue

selon lrsquoapproche fribourgeoise S = intonation continuative Q = intonation interrogative A = intonation

exclamative F = intonation conclusive

248

Lrsquointention de L1 est de suggeacuterer implicitement via et tout et tout une succession drsquoactes

typiques (entameacutee explicitement par la phase du baiser) appartenant au script drsquoune relation

amoureuse passagegravere manifestement orienteacutee vers un aboutissement plus intime Autrement

dit L1 cherche agrave se renseigner sur la tournure des eacuteveacutenements agrave propos duquel un

questionnement explicite passerait pour indiscret Ici L1 invite clairement L2 agrave une reacutesolution

de la sous-deacutetermination par ailleurs aussitocirct opeacutereacutee pour preuve la reacuteplique immeacutediate et

symeacutetrique de L2 qui concegravede une partie du script tout en niant subtilement lrsquoeacutepilogue

preacutesumeacutehellip Dans ce cas il faut reconnaicirctre le fonctionnement fondamentalement reacutefeacuterentiel

drsquoet tout et tout dont la vocation est bien de deacutesigner un reacutefeacuterent tabou

455 Emphase

Comme on vient de le voir le marqueur et tout est susceptible de se voir reacutedupliquer pour

marquer une forme drsquoemphase de lrsquoincompleacutetude (laquo et bien plus encore raquo) par laquo iconiciteacute raquo

(Overstreet 2005 1853251

) En effet nous avons observeacute qursquoet tout est particuliegraverement

propice au redoublement252

comme lrsquoillustre encore lrsquoexemple suivant

(344) et euh jrsquosuis revenu et puis y a le chef de service qui m regarde il fait ouais non euh

cest pas drsquosa faute il est comme ccedila et tout et tout jfais ouais mais + XXX non cest

pas des des [hellip] cest pas des excuses jlui dis cest pas + cest pas une faccedilon

dapprendre + on crie pas sur les gens on est pas des animaux [hellip] (cfpp)

Outre lrsquoincompleacutetude des propos la reacuteduplication souligne ici lrsquointensiteacute de lrsquoexcuse citeacutee

dans la tentative de sauver in extremis laquo la peau raquo drsquoun collegravegue Nous avons releveacute le

pheacutenomegravene avec tout ccedila eacutegalement

(345) puis lui cest lagrave quil sest lanceacute en disant que ceacutetait terrible euh au Pakistan parce que

le | _ | le gouvernement laiumlc agrave leacutepoque euh | _ | ceacutetait inacceptable que ceacutetait

beaucoup mieux en Iran tout ccedila tout ccedila | _ | donc un type euh un fanatique de lrsquoislam

(ofrom) = (316)

Dans cet exemple la locutrice rapporte une partie des paroles drsquoun individu (cette fois au

discours indirect) et glose le reste par la reacuteduplication de tout ccedila qursquoon peut interpreacuteter

iconiquement comme lrsquoabondance des arguments deacutelibeacutereacutement passeacutes sous silence agrave lrsquoeacutegard

desquels on infegravere contextuellement la distanciation de la locutrice citante Bien que cet

exemple soit la seule occurrence trouveacutee avec tout ccedila dans les bases examineacutees le pheacutenomegravene

ne semble pas pour autant isoleacute Nous avons en effet retrouveacute ce genre de reacuteduplication dans

des dialogues drsquoouvrages de fiction

251

Elle relegraveve ce pheacutenomegravene avec und so en allemand et etcetera en anglais 252

Voire agrave une reacutepeacutetition plus importante comme en teacutemoigne cet exemple drsquoun locuteur algeacuterien jai

abandonneacute carreacutement agrave leacutepoque je sortais avec une fille son pegravere ceacutetait un opticien bon ceacutetait une belle fille

quand mecircme donc euh Euh elle eacutetait dAlger ils eacutetaient dAlger Ce qui fait jai jai jai eu quand mecircme une

petite ideacutee sur le sur loptique et tout mais jai jai jamais penseacute que je pouvais ecirctre un opticien et tout et tout et

tout et tout (pfc Chlef Algeacuterie)

249

(346) - Andromegravede reacutepeacuteta Raquel en plissant les yeux

Elle portait le pull noir deacutejagrave useacute jusqursquoagrave la corde de lrsquoanneacutee preacuteceacutedente

- Ccedila vient de la mythologie grecque non Le nom me dit vaguement quelque chose

mais je ne me souviens pas de lrsquohistoire

- Victime sacrificielle Perseacutee la Meacuteduse tout ccedila tout ccedilahellip reacutepondit Vic agrave ma place

(Gray C Evernight II)

456 Association agrave drsquoautres eacuteleacutements

4561 machin tout ccedila

Il arrive que tout ccedila (et et tout) srsquoassocie agrave lrsquoemploi de machin geacuteneacuteralement lieacute au code oral

(Mihatsch 1996) du fait des conditions de productions favorables (spontaneacuteiteacute manque de

temps ignorance etc) au recours agrave un terme postiche et passe-partout (cf supra ChIII

sect513)

(347) jai dit eacutecoute euh | _ | il faut il faut que tu trouves cest comme | pour la maniegravere

dapprentissage | mh mh | _ | _ | tu sais le le fait de devoir reacuteviser et tout ccedila | _ | elle me

dit maintenant ccedila va tregraves bien machin tout ccedila euh | cest vrai | _ | vrai | ceacutetait | _ | trop

cool (ofrom)

Lrsquoassociation des deux eacuteleacutements contribue agrave veacutehiculer comme preacuteceacutedemment une valeur

iconique drsquoemphase Mais machin semble ajouter agrave lrsquoincompleacutetude des propos le marquage de

lrsquoindiffeacuterence au niveau lexical (Beacuteguelin amp Corminboeuf agrave par) A noter agrave nouveau lrsquoaffiniteacute

des marqueurs avec le discours rapporteacute Il en va de mecircme ci-dessous avec machin et tout

(348) le coucirct dla vie + quand mecircme + quand jentends + et cest cest + dire quil faut manger

autant de leacutegumes et machin et tout mais attendez + quand quand y a quel- y a

quelquun qui touche trois cent cinquante agrave quatre cent + (mm) cinquante euros par

mois (mm) (cfpp)

4562 tout ccedila mais

Les syntagmes tout ccedila et et tout entrent reacuteguliegraverement dans des mouvements concessifs ougrave ils

contribuent agrave appuyer une argumentation dont la conclusion attendue se voit aussitocirct

contredite souvent via un eacutenonceacute introduit par mais (Secova 2014 292)253

Les marqueurs

renforcent ainsi implicitement lrsquoargument conceacutedeacute en en suggeacuterant drsquoautres avant

lrsquointervention drsquoun deacutenouement anti-orienteacute

(349) jaurais pu le placer lui dans il y avait des des accueils pour les enfants pour euh | _ |

dont les mamans travaillaient et tout ccedila mais je trouvais ccedila vraiment trop (ofrom)

La locutrice eacutevoque lrsquoexistence de structures de garde drsquoenfants pour les megraveres actives

argument qui favorise une conclusion type du genre lsquodonc il y avait des raisons drsquoen profiterrsquo

Le marqueur et tout ccedila contribue ici agrave eacutelaborer lrsquoargument avanceacute en rencheacuterissant sur la

253

Cf and all (that) but en anglais et und so aber en allemand (Overstreet 2005 1859)

250

cateacutegorie des megraveres actives pour mettre en eacutevidence lrsquoexistence de ces accueils Or la

conclusion impliciteacutee dont lrsquoinefficaciteacute est preacutefigureacutee dans lrsquousage du conditionnel jrsquoaurais

pu le placer se voit explicitement contrecarreacutee par le jugement asserteacute ulteacuterieurement

exprimant une forme drsquoexcegraves auquel megravenerait lrsquoalternative Il en va de mecircme dans lrsquoexemple

ci-dessous avec et tout qui amplifie les qualiteacutes preacutediqueacutees (hyper bien eacutecrit le personnage

vachement inteacuteressant) sur les livres eacutevoqueacutes par la locutrice qui travaille comme lectrice

pour une maison drsquoeacutedition

(350) Alors ccedila si par exemple jai eu arriveacute de lire des bouquins ougrave euh euh mais noirs

sordides enfin tu vois un truc euh et euh par contre hyper bien eacutecrit euh le

personnage vachement inteacuteressant et tout mais euh jeacutetais obligeacute de dire euh ben non

Cest pas cest pas pour vous quoi (pfc Dijon)

La conclusion attendue par ce rencheacuterissement (lsquodonc je les ai retenusrsquo) se voit elle aussi nieacutee

au moyen de lrsquoeacutenonceacute introduit par mais On peut donc voir dans ces exemples une variante

du marquage drsquoemphase visant agrave renforcer un argument pour ensuite mieux nier via mais sa

conseacutequence en mettant en avant un deacutenouement argumentatif en apparence inattendu

251

5 Conclusion

Au terme de cet examen des occurrences de tout ccedila nous espeacuterons avoir montreacute comment ce

syntagme est susceptible de deacutevelopper toutes sortes de rendements contextuels au-delagrave de sa

fonction reacutefeacuterentielle sous-deacutetermineacutee

Nous avons tout drsquoabord mis en eacutevidence les speacutecificiteacutes de son contexte drsquooccurrence agrave

savoir les listes Tout en occupant structurellement sa position finale il deacutesigne au niveau

reacutefeacuterentiel un ensemble heacuteteacuteroclite implicite minimalement eacutebaucheacute par les premiers items de

la liste Le caractegravere sous-deacutetermineacute et implicite du reacutefeacuterent favorise lrsquoapparition de toute une

gamme de fonctions pragmatiques Le marqueur tout ccedila est ainsi susceptible de participer agrave

diverses sortes de strateacutegies pragmatiques et interactionnelles telles que le marquage de

lrsquointersubjectiviteacute la progression et le rythme drsquoun reacutecit la synthegravese et lrsquoapproximation drsquoun

discours rapporteacute lrsquoemphase lrsquoatteacutenuation etc

Nous avons releveacute ccedilagrave et lagrave quelques diffeacuterences drsquoemplois entre tout ccedila et et tout ce dernier

apparaissant plus affranchi drsquoun rocircle reacutefeacuterentiel comme le relegraveve Secova (2014) Tout ccedila

srsquoillustre au contraire davantage dans la reacutefeacuterence agrave un ensemble vague dont on peut

identifier certains ingreacutedients La preacutesence du deacutemonstratif ccedila comme nous lrsquoavons deacutejagrave noteacute

y est sans doute pour quelque chose Bien que nous reconnaissions cette diffeacuterence de

comportement reacutefeacuterentiel entre les deux expressions il nous importe de nous distancier de

lrsquohypothegravese de grammaticalisation postuleacutee par Secova agrave propos drsquoet tout illustrant un stade

avanceacute de changement seacutemantico-pragmatique Les arguments invoqueacutes sont sa eacutevolution

diachronique croissante sa preacutedominance chez les jeunes adultes observeacutee dans les corpus et

le deacuteveloppement de fonctions pragmatiques au deacutetriment drsquoun rocircle reacutefeacuterentiel

A propos des deux premiers aspects drsquoordre quantitatif il nous semblerait utile de tenir

compte du critegravere de preacutefeacuterence individuelle en veacuterifiant si certains locuteurs exploitent

massivement tel ou tel marqueur ce critegravere est susceptible de biaiser le bilan chiffreacute de la

repreacutesentativiteacute du marqueur254

A cet eacutegard il faut noter que le corpus personnel de Secova

celui qui fait ressortir la preacutepondeacuterance drsquoet tout chez les jeunes adultes parisiens est

constitueacute de seulement 14 locuteurs (contre 57 dans CFPP et 95 dans le corpus des anneacutees

1980) Enfin concernant le deacuteveloppement des rendements pragmatiques drsquoet tout on

constate qursquoil nrsquoest pas propre agrave ce marqueur tout ccedila eacutetant susceptible comme on lrsquoa vu de

contribuer aux mecircmes effets Plutocirct que de srsquoappuyer sur une hypothegravese deacuteterministe il nous

semble donc plus prudent et pertinent drsquoexpliquer les motivations contextuelles des diffeacuterents

emplois et marqueurs possibles en vue drsquoune vision globale du fonctionnement des particules

drsquoextension Ceci nrsquoeacutetant pas lrsquoenjeu de notre thegravese nous remettons ce travail agrave plus tardhellip

254

Apregraves une recherche grossiegravere sur CFPP on constate par exemple que 5 entretiens sur 24 comprennent 121

occurrences drsquoet cetera sur les 212 reacutesultats (57) qursquoun entretien contient 43 occurrences drsquoet tout sur les 272

reacutesultats de 37 entretiens (16) que 5 entretiens sur 37 contiennent 112 occurrences de tout ccedila sur 333 (34)

252

253

Chapitre V

Fonctionnement reacutefeacuterentiel et pragmatique de ILS agrave

valeur sous-deacutetermineacutee

Crsquoest ccedila qursquoils avaient aneacuteanti avec leur rapport lapidaire lrsquohumaniteacute de ma megravere Qui ccedila ils Je ne le savais pas (Yves Aubrymore Qui a tueacute Frajdla Cinnamone p 51)

254

255

1 Introduction

Le pronom conjoint de 6e personne connaicirct un fonctionnement particulier qui se distingue par

le caractegravere sous-deacutetermineacute de sa reacutefeacuterence On lui reacuteserve agrave ce titre des traits

caracteacuteristiques255

genre masculin nombre pluriel position sujet et interpreacutetation humaine

du reacutefeacuterent ainsi que lrsquoillustre cet exemple

(351) quand on freacutequentait avec mon mari | _ | euh on allait se promener jusquau bout de la |

| de de la Vallombreuse lagrave | _ | alors y avait ceacutetait l | ceacutetait lagrave quils avaient

construit tous les bacirctiments de | _ | de Mont-Goulin (oral ofrom)

Le fonctionnement reacutefeacuterentiel drsquoune telle occurrence srsquoeacutecarte sur bon nombre de points des

proprieacuteteacutes typiquement associeacutees au pronom de 3e personne dans les ouvrages de grammaire

ou de linguistique (cf supra sect3 et sect33)

il nrsquoest pas lieacute agrave un anteacuteceacutedent textuel

il nrsquoest pas voueacute agrave exprimer la continuiteacute reacutefeacuterentielle

il ne renvoie pas agrave un reacutefeacuterent saillant ni bien deacutetermineacute

Un certain nombre de travaux drsquoorigines diverses se sont pencheacutes sur cet emploi de ils (et ses

interpreacutetations) tantocirct deacutecrit comme indeacutefini indeacutesigneacute collectif institutionnel arbitraire

impersonnel etc ou sur ses laquo homologues raquo agrave travers les langues Nous preacutesentons ci-dessous

une synthegravese critique de ces travaux en commenccedilant par le traitement que lui reacuteservent les

grammaires ou autres usuels du franccedilais (sect21) Nous rendons compte ensuite des eacutetudes en

linguistique franccedilaise sur la question (sect22) agrave la suite de quoi nous rapportons quelques

reacutesultats en psycholinguistique (sect23) avant drsquoaccorder notre attention aux travaux en

typologie des langues (sect24) Nous proposons en seconde partie notre propre approche

empirique de la question (sect3) portant sur une collection de donneacutees attesteacutees en franccedilais

(sect31) Notre eacutetude qui vise agrave mettre au jour les circonstances drsquoemploi de ils consiste en un

classement commenteacute des occurrences de ils fondeacute sur les indices contextuels favorisant ou

non sa reacutesolution reacutefeacuterentielle (sect32) Pour terminer nous comparons lrsquousage de ils avec

drsquoautres ressources linguistiques manifestant des rendements pragmatiques similaires (sect34)

255

Pour une vue drsquoensemble des caracteacuteristiques morphologiques et seacutemantiques du pronom clitique de 3e

personne en geacuteneacuteral voir supra (ChII sect2)

256

257

2 Travaux anteacuterieurs

21 Le traitement de ils dans les grammaires

Selon Haase (1898) lrsquoancien franccedilais exprimait le laquo sujet indeacutetermineacute raquo par la 6e personne

drsquoabord dans la seule deacutesinence verbale agrave la maniegravere du latin puis agrave travers la preacutesence du

pronom ils utiliseacute avec un sens analogue au on laquo contemporain raquo A son eacutepoque il en relegraveve

le caractegravere populaire laquo [c]et emploi du verbe avec ou sans pronom assez freacutequent chez les

eacutecrivains du XVIe siegravecle apparaicirct quelquefois au XVIIe et aujourdrsquohui mecircme il est familier

agrave la langue populaire raquo (ibid 4) Il cite Vaugelas comme un adepte de cet usage en

particulier de la relative laquo qursquoils appellent raquo consideacutereacutee comme laquo un latinisme qursquoon ne

rencontre pas ailleurs raquo (ibid)

(352) Quand on cite un livre ou un chapitre ou que lrsquoon nomme un pape ou un roi ou

quelqursquoautre chose semblable il faut se servir du nombre adjectif ou ordinant et non

pas du substantif ou primitif qursquoils appellent comme on fait drsquoordinaire dans les

chaires et dans le barreau (Remarques I 215)

Parmi les auteurs du XVIIe siegravecle Haase cite Racine

(353) Agrippine Jrsquoavouerai les rumeurs les plus injurieuses

Je confesserai tout exils assassinats

Poison mecircmehellip

Burrhus Madame ils ne vous croiront pas (Britannicus III III)

Cet exemple se distingue toutefois du preacuteceacutedent agrave nos yeux par le fait que le pronom renvoie

agrave un reacutefeacuterent deacutejagrave preacuteconstruit par le discours en amont agrave travers les structures actancielles

des verbes de parole avouer et confesser impliquant seacutemantiquement undes destinataires(s)

aux propos (agrave qqn) mecircme sans reacutealisation explicite

Dans leur Preacutecis de grammaire historique de la langue franccedilaise Brunot amp Bruneau (1949

378) nomment laquo indeacutefinie raquo cette valeur de la 6e personne comparable agrave lrsquousage latin qui y

aurait recouru agrave deacutefaut de disposer drsquoun pronom indeacutefini Les auteurs situent cet emploi

latinisant comme anteacuterieur au XVIIIe siegravecle et lrsquoillustrent notamment par un extrait de

Montaigne

(354) Et chose de trop grande obligation agrave qui ne peut beaucoup tenir lrsquoapprecirct donne plus agrave

espeacuterer qursquoil ne porte On se met souvent sottement en pourpoint pour ne sauter pas

mieux qursquoen saye Nihil est his qui placere volunt tam adversarium quam exspectatio Ils ont laisseacute par eacutecrit de lrsquoorateur Curio que quand il proposait la distribution des

piegraveces de son oraison en trois ou en quatre ou le nombre de ses arguments et raisons

il lui advenait volontiers ou drsquoen oublier quelqursquoun ou drsquoy en ajouter un ou deux de

plus (Essais III IX nous eacutelargissons le contexte)

258

A partir du XVIIIe siegravecle lrsquoemploi est traiteacute diffeacuteremment il laquo est exclusivement populaire

[et] renvoie agrave des personnes mal deacutetermineacutees mais connues (et que lrsquoon hait ou que lrsquoon

nrsquoappreacutecie guegravere) raquo (ibid)

Il est paradoxal que le pheacutenomegravene puisse ecirctre traiteacute tantocirct de latinisme tantocirct drsquoemploi

populaire selon la peacuteriode consideacutereacutee Un examen diachronique des conditions drsquoapparition

des emplois de ils pourrait apporter un regard inteacuteressant sur la question pour savoir srsquoil srsquoagit

drsquousages semblables ou diffeacuterents Quoi qursquoil en soit ils se justifie aux yeux des philologues

jusqursquoen moyen franccedilais comme un effet de grammaire seconde conscient (Blanche-

Benveniste 1990b) en tant que survivance du latin et en lrsquoabsence drsquoun pronom atone

speacutecifiquement indeacutefini (on eacutetant employeacute agrave ce moment-lagrave aussi bien en tant que substantif

qursquoen tant que pronom indeacutefini) A partir du XVIIIe siegravecle du fait de lrsquoemploi deacutesormais bien

eacutetabli de on indeacutefini mais sans doute aussi pour drsquoautres raisons agrave rechercher ils ne beacuteneacuteficie

plus de la mecircme leacutegitimiteacute et est qualifieacute de populaire

Ce traitement reacuteserveacute agrave lrsquousage de ils se confirme dans les grammaires du franccedilais moderne

ougrave il repreacutesente le pendant familier et populaire de on Ainsi en va-t-il chez Sandfeld (1970)

Dans le langage populaire et aussi en style familier ils srsquoemploie pour on Ils ne veulent de moi nulle part DT Alp 129 Le peuple deacutesigne par ils tous ceux qui gouvernent qui dirigent qui ont de lrsquoinfluence tout en eacutetant invisibles et inconnus pour la foule Ils ne voudront peut-ecirctre pas me la donner la meacutedaille Duh Mart 159 Pourquoi qursquoon nous traite comme des veaux Jrsquoles en preacuteviens jrsquovas tout plaquer laquo Les raquo crsquoeacutetait lrsquoEtat-major les geacuteneacuteraux la France Benj Gasp 69 (p 33)

Le philologue eacutetend toutefois son emploi agrave la laquo langue courante raquo Dans lrsquoextrait on notera

dans le dernier exemple citeacute lrsquoemploi reacutegime les Sandfeld ajoute lrsquoattestation de la forme au

feacuteminin laquo elles sert parfois agrave deacutesigner les femmes en geacuteneacuteral raquo laquo Elles sont toutes pareilles

Z Feacutec 496) raquo (p 34) Sandfeld suggegravere quelques hypothegraveses sur les motivations de ce type

drsquoemplois telles qursquoun inteacuterecirct particulier pour des individus qui occupent lrsquoesprit du locuteur

ou laquo un besoin eupheacutemistique drsquoeacuteviter de prononcer le vrai nom raquo (p 32-33) On peut

rapprocher ces usages de ceux qursquoil considegravere comme laquo sans anteacuteceacutedent raquo (ou dont

lrsquoanteacuteceacutedent est laquo tout simplement suggeacutereacute par le contexte raquo) comme celui-ci

(355) (on entend la voix drsquoune personne endormie par le chloroforme ) Qursquoest-ce que crsquoest

que cela ndash Crsquoest lrsquoeffet du chloroforme Tu ne savais pas ccedila Sous lrsquoinfluence du

chloroforme ils se mettent agrave deacutelirer Birabeau Chifforton I 18 (ibid 41)

Chez Von Wartburg amp Zumthor (1973) lrsquoemploi de ils est mentionneacute comme un laquo cas

extrecircme raquo de pronom personnel relevant de la langue parleacutee et utiliseacute laquo pour deacutesigner

lrsquoensemble tregraves vague des personnes des ecirctres auxquels on pense en formulant la phrase raquo (p

311) Les grammairiens y associent en outre lrsquoexpression drsquolaquo une nuance affective de crainte

et drsquohostiliteacute raquo le rapprochant par lagrave du rendement eupheacutemique deacutegageacute par Sandfeld Wagner

amp Pinchon (1962 169) le restreignent eacutegalement agrave un registre familier et le dotent de traits

259

subjectifs tels que lrsquoironie et le meacutepris agrave lrsquoeacutegard de personnes laquo qursquoon ne peut ou qursquoon ne

veut pas deacutesigner drsquoune faccedilon explicite raquo Parfois le pronom ne ferait qursquoeacutevoquer de maniegravere

floue des individus partageant une fonction speacutecifique deacutelibeacutereacutement tue

(356) Vous pourrez demander tout agrave lrsquoheure au wagon-restaurant srsquoils en ont (Butor lt

Wagner amp Pinchon ibid)

Dans leur guide pratique des difficulteacutes Grevisse amp Lenoble-Pinson (2009) accordent un

paragraphe particulier agrave ils et y reacutesument les caracteacuteristiques deacutegageacutees par leurs

preacutedeacutecesseurs

ILS dans la langue parleacutee familiegravere srsquoemploie sans anteacuteceacutedent comme indeacutefini souvent dans un sens plutocirct meacuteprisant pour deacutesigner un groupe plus ou moins deacutetermineacute drsquoindividus particuliegraverement ceux qui deacutetiennent lrsquoautoriteacute ILS ont fini par lrsquoarrecircter (Ac) ndash ILS sont en gregraveve (Id) ndash ILS ont encore augmenteacute les impocircts ndash laquo ILS font tout ce qursquoILS peuvent pour nous embecircter raquo laquo Qursquoest-ce qursquoILS ont encore inventeacute raquo ILS ce sont suivant les cas ou simultaneacutement lrsquoEtat le gouvernement ou le Parlement la majoriteacute et lrsquoopposition mais surtout les bureaux ILS ce sont ceux qui deacutecident (Peyrefitte) ndash De mecircme on dit parfois elles pour deacutesigner les femmes en geacuteneacuteral Sans ELLES rien ne serait possible (Grevisse amp Lenoble-Pinson 2009 243)

Crsquoest agrave peu de choses pregraves la caracteacuterisation qursquoen font Grevisse amp Goosse (2011 sect632) y

compris au niveau formel concernant lrsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent A cet eacutegard les auteurs du Bon

usage commentent lrsquoexemple ci-dessous en suggeacuterant paradoxalement de laquo chercher

lrsquoanteacuteceacutedent dans la situation qui vient drsquoecirctre deacutecrite raquo

(357) En sortant spontaneacutement au moment drsquoun accident on mrsquoaurait peut-ecirctre consideacutereacute

seulement comme voisin et mon secours meacutedical aurait passeacute pour gratuit Srsquoils me

voulaient ils nrsquoavaient qursquoagrave mrsquoappeler dans les regravegles et alors ccedila serait vingt francs

(Ceacuteline Voyage au bout de la nuit p 403 lt ibid)

Les auteurs se gardent bien de fournir des indications sur cette quecircte de lrsquoanteacuteceacutedent en

orientant par exemple sur le rocircle du on en amont ou en mettant agrave disposition un contexte plus

large en amont256

Riegel et al (2009 361) deacutecrivent dans un premier temps le proceacutedeacute comme relevant de la

reacutefeacuterence par deacutefaut (par opposition aux reacutefeacuterences anaphorique et deacuteictique) agrave lrsquoinstar du

pronom indeacutefini on ou drsquoautres indeacutefinis Contrairement agrave ceux-ci ils ne serait pas susceptible

drsquoune interpreacutetation geacuteneacuterique et renverrait laquo par deacutefaut au reacutefeacuterent speacutecifique le plus

immeacutediatement accessible agrave partir des informations fournies par le reste de la phrase Ils [=

ceux qui ont le pouvoir drsquoaugmenter les impocircts = les gouvernants] ont encore augmenteacute les

impocircts raquo (ibid) Neacuteanmoins quelques pages plus loin les auteurs integravegrent ce genre drsquoemploi

au fonctionnement deacuteictique du pronom de 3e personne notamment illustreacute par cet exemple

256

Apregraves veacuterification il se trouve que le narrateur relate preacuteceacutedemment un grand fracas survenu dans la rue

suivi de geacutemissements

260

(358) Ils ont encore augmenteacute le prix de la vignette (ibid 366)

Lrsquoexplication suivante en est fournie laquo on interpregravete contextuellement ils comme lrsquoinstance

collective qui a pris la mesure deacutecrite par le preacutedicat raquo Figure encore agrave ce paragraphe

lrsquoexemple ci-dessous

(359) Jrsquoaime bien cet orchestre ils jouent tous remarquablement (ibid)

Dans ce cas laquo lrsquoanteacuteceacutedent collectif se trouve distribueacute par ils sur lrsquoensemble de ses

eacuteleacutements raquo (ibid) On peut mesurer la confusion qui regravegne autour de cet emploi de ils que

Riegel et al (2009) traitent tantocirct comme une reacutefeacuterence par deacutefaut tantocirct comme une

reacutefeacuterence deacuteictique ou encore anaphorique (implicitement cf la notion drsquoanteacuteceacutedent) agrave

lrsquoappui drsquoexemples tregraves proches les uns des autreshellip

En somme recourant agrave une conception substitutive ou textuelle des pronoms les

grammairiens se montrent emprunteacutes face agrave cet emploi de ils pour lequel les notions usuelles

drsquoanteacuteceacutedent de repreacutesentant ou drsquoindeacutefini etc srsquoavegraverent peu ou pas du tout opeacuteratoires Dans

un eacutetat de langue plus ancien et dans les travaux drsquolaquo eacuterudits raquo lrsquousage de ils srsquoexplique

comme une survivance du latin et se voit leacutegitimeacute de la sorte Degraves lors que lrsquoemploi srsquoobserve

chez les usagers ordinaires il eacutecope drsquoun certain discreacutedit de la part des grammairiens257

On

le ramegravene systeacutematiquement agrave des registres de langue peu prestigieux (courant familier

populaire etc) ou au meacutedium oral ainsi qursquoagrave la subjectiviteacute du locuteur (hostiliteacute crainte

meacutepris ironie reacuteserve etc) comme en teacutemoigne encore cet extrait

Le fameux ils deacutesigne nrsquoimporte quelle cateacutegorie sur laquelle on veut deacutecharger sa colegravere (laquo Le manuel de la grammaire franccedilaise raquo httpwwwgabrielwylercom)

Dans le mecircme esprit lrsquoeacutecrivain Pierre Daninos en simple observateur eacutelabore une deacutefinition

sur le ton de lrsquohumour

Ils troisiegraveme personne du pluriel souvent reacuteduite agrave une seule lettre (laquo Y vont encore nous embecircter longtemps avec tous leurs trucs raquo) adopteacutee par les Franccedilais pour deacutesigner lrsquoorigine de tous leurs maux deacuteputeacutes percepteurs communistes fascistes pieacutetons automobilistes fonctionnaires gouvernement Ameacutericains Russes etc Tout est la faute de cette troisiegraveme personne Jamais de la premiegravere (Daninos Le Jacassin)

A lrsquoeacutegard des rendements pragmatiques de ils on remarque plus geacuteneacuteralement que les

grammairiens se concentrent sur le cas particulier drsquoune identiteacute reacutefeacuterentielle deacutelibeacutereacutement

dissimuleacutee Or nous avons montreacute supra (sect41) que la sous-deacutetermination pouvait ecirctre due agrave

drsquoautres facteurs Ces aspects nous paraissent ainsi trop simplement traiteacutes par les grammaires

drsquoaujourdrsquohui qui se limitent souvent agrave reprendre leurs preacutedeacutecesseurs (en plus du contenu les

mecircmes exemples sont souvent citeacutes) alors que nous disposons agrave lrsquoheure actuelle de donneacutees

257

Riegel et al (2009) se gardent neacuteanmoins de remarques sur le registre ou sur les intentions du locuteur A

noter encore que nous nrsquoavons trouveacute aucune reacutefeacuterence agrave cet emploi chez Wilmet (2010) ni chez Arriveacute et al

(1986)

261

beaucoup plus diversifieacutees qui permettent drsquoeacutelargir le champ drsquoobservation et de nuancer ces

commentaires

22 Le traitement de ils en linguistique franccedilaise

Dans la litteacuterature en linguistique franccedilaise plusieurs auteurs ont traiteacute de la question avec

des conceptions toutefois assez diffeacuterentes les unes des autres A part lrsquoeacutetude de Kleiber

(1992b)258

portant sur lrsquointerpreacutetation de ce cas speacutecifique les autres travaux abordent le sujet

dans le cadre de probleacutematiques plus geacuteneacuterales le systegraveme des marques de 3e personne chez

Goudet (1983) la polyseacutemie du pronom il chez Lebas (1997) le statut des faits jugeacutes deacuteviants

chez [Reichler-]Beacuteguelin (1993b) On ne peut donc pas dire que le pheacutenomegravene ait susciteacute

eacutenormeacutement drsquoattention dans le domaine franccedilais Nous passons en revue ci-dessous les

diffeacuterentes proprieacuteteacutes deacutegageacutees par ces auteurs sur lrsquoemploi de ils au niveau reacutefeacuterentiel

(sect221) et au niveau morpho-seacutemantique (sect222) pour en tirer un bilan provisoire

221 Un reacutefeacuterent sous-deacutetermineacute

Les auteurs srsquoaccordent geacuteneacuteralement sur le fait que lrsquousage de ils concerneacute implique un

reacutefeacuterent sous-deacutetermineacute mal identifieacute dont on ignore les caracteacuteristiques distinctives comme

lrsquoillustrent ces exemples259

(360) ils vont construire un hocirctel (Goudet 1983 13)

(361) (en remarquant le brouillard) Tu as vu On dirait qursquoils ont deacutemonteacute la montagne

(Lebas 1997 46)

Les observations des linguistes confirment la preacutesence de ce flou reacutefeacuterentiel

La communication orale srsquoaccommode couramment de ils collectifs deacutesignant des reacutefeacuterents absents de la situation drsquoeacutenonciation et non mentionneacutes preacutealablement qursquoils soient infeacutereacutes du contexte ou utiliseacutes si je puis dire ex nihilo en laquo deixis meacutemorielle raquo ([Reichler-]Beacuteguelin 1993b 103)

[hellip] il est tregraves courant et utile drsquoeacutetablir drsquoautoriteacute pour certaines actions lrsquoexistence drsquoacteurs dont on ne connaicirct rien (Lebas 1997 46)

[hellip] elle [= la langue] attache du prix agrave lrsquoindeacutesignation totale [hellip] la langue suscite un indeacutesigneacute pur drsquoailleurs pluriel puisqursquoaussi bien le singulier nrsquoapparaicirct plus essentiel le ils indeacutesigneacute (Goudet 1983 13)

Neacuteanmoins le degreacute ou la maniegravere drsquoenvisager cette sous-deacutetermination varie drsquoun auteur agrave

lrsquoautre allant de laquo lrsquoindeacutesignation totale raquo (ibid) agrave la neacutecessiteacute drsquoun laquo assignement

reacutefeacuterentiel raquo du groupe en question (Kleiber 1992b) Goudet (1983) nrsquoeacutetudie pas vraiment le

processus interpreacutetatif en jeu se concentrant sur une analyse structurale du systegraveme des

marques de 3e personne Kleiber (1992b) propose agrave lrsquoinverse une analyse seacutemantique deacutetailleacutee

du proceacutedeacute agrave lrsquoœuvre dans une approche restrictive il requiert pour lrsquointerpreacutetation de ils un

258

Cette eacutetude constitue eacutegalement le chapitre 7 de son ouvrage de (1994b) 259

Les auteurs ne fournissent malheureusement aucune indication sur le caractegravere attesteacute forgeacute ou repris des

exemples

262

domaine de reacutefeacuterence circonscrit menant agrave lrsquoidentification du groupe viseacute (agrave deacutefaut de

lrsquoidentification de ses membres) agrave travers des eacuteleacutements textuels ou contextuels

(362) A Paris ils roulent comme des fous (ibid)

(363) Ils ont encore augmenteacute les impocircts (ibid)

(364) [A demande agrave B qui sort du concert]

- Qursquoest-ce qursquoils jouaient (ibid)

Selon Kleiber lrsquoensemble viseacute correspond agrave la notion de groupe eacutemanant de la typologie de

Cruse (1986) qui exige une organisation en systegraveme laquo plus que des attributs en commun les

membres drsquoun groupe ont un but ou une fonction en commun ce qui assure agrave lrsquoensemble un

facteur coheacutesif plus grand que celui que possegravedent les membres drsquoune classe raquo (Kleiber

1992b 337) Sont reconnues de la sorte des entiteacutes comme une famille un jury un comiteacute

une ville une eacutequipe etc Au contraire sont exclus de la notion un troupeau une foule un

groupe (sic) la bourgeoisie etc

[Reichler-]Beacuteguelin (1993b) critique cette approche en questionnant le bien-fondeacute des

jugements grammaticaux de Kleiber (1992b) agrave lrsquoeacutegard drsquoexemples fabriqueacutes dont le

laquo caractegravere deacuteviant [hellip] lui permet de laquo montrer raquo le fonctionnement de ils et de manifester

lrsquoexistence supposeacutee drsquoune contrainte linguistique raquo (p 101) Ainsi en adaptant les donneacutees

jugeacutees deacuteviantes par Kleiber aux contraintes seacutemantiques qursquoil invoque lui-mecircme [Reichler-

]Beacuteguelin montre lrsquoarbitraire du traitement diffeacuterentiel auquel devraient aboutir les eacutenonceacutes

ci-dessous (fautif vs grammatical)

(365) Jrsquoeacutetais pris dans la foule Ils ont failli mrsquoeacutetouffer (Kleiber 1992b)

(366) Jrsquoeacutetais retenu dans la ville Ils ont failli mrsquoeacutetouffer (exemple modifieacute lt [Reichler-

]Beacuteguelin (1993b)

Du reste elle montre qursquoil nrsquoest pas rare de relever mecircme dans lrsquoeacutecrit standard des

enchaicircnements pronominaux sur de simples noms drsquoagreacutegat ou de classe reacuteputeacutes impossibles

par Kleiber car non conformes agrave la notion de groupe

(367) Mon fils nrsquoaura pas le chagrin de commander la noblesse de la vicomteacute de Rennes et

de la baronnie de Vitreacute ils lrsquoont eacutelu malgreacute lui pour ecirctre agrave leur tecircte (Mme de Seacutevigneacute

lt ibid)

(368) Suite aux eacutelections je suis atterreacute de voir nos autoriteacutes dans leur leacutethargie et le peu de

courage qursquoils ont agrave traiter ces problegravemes (presse lt ibid)

Pour Goudet (1983) le cas ougrave ils renvoie agrave un groupe deacutetermineacute nrsquoest en fait qursquoune

eacuteventualiteacute du fonctionnement geacuteneacuteral de ils laquo indeacutesigneacute raquo

Evidemment ils ont encore augmenteacute les impocircts existe aussi et a pu suggeacuterer que ils repreacutesente les autoriteacutes officielles Mais [hellip] cette interpreacutetation ils

263

= les autoriteacutes nrsquoest qursquoun cas particulier de lrsquoemploi geacuteneacuteral de ils indiquant un groupe impreacutecis dont je est exclu (p 13)

Face agrave ces diffeacuterences interpreacutetatives Lebas (1997) propose de distinguer deux sous-types de

ils i) les occurrences ougrave lrsquoon pourrait deacuteterminer lrsquoexistence drsquoun reacutefeacuterent agrave lrsquointeacuterieur drsquoun

cadre circonstanciel et aptes agrave supporter un preacutedicat particulier (les exemples de Kleiber supra

(362) (363) (364)) dans ce cas ils repreacutesente un thegraveme doteacute de laquo suffisamment de structure

[hellip] pour postuler son existence exteacuterieure au preacutedicat raquo (p 44) ii) les emplois non

laquo theacutematiques raquo ougrave le reacutefeacuterent nrsquoa pas de laquo deacutefinition objective raquo (p 46) et ne srsquointerpregravete pas

indeacutependamment du preacutedicat Lrsquoexistence drsquoun actant indeacutetermineacute est en quelque sorte eacutetablie

de facto par lrsquoeacutenonceacute mecircme

(369) Ils ont envoyeacute tous les preacutesidents et les rois agrave la confeacuterence-anniversaire de lrsquoONU

(mais qui donc ) (ibid)

Lrsquoideacutee que ils puisse eacutevoquer un reacutefeacuterent non deacutetermineacute fait eacutecho aux observations de Yule

(1982) sur des donneacutees en anglais qui souligne que lrsquoidentification reacutefeacuterentielle stricte nrsquoest

pas toujours neacutecessaire agrave lrsquointerpreacutetation du pronom de 6e personne et de lrsquoanaphore en

geacuteneacuteral

(370) Well I saw a demolition order there actually ndash a few months ago ndash they said they were

going to demolish some of the flats ndash which is a pity ndash I donrsquot know what theyrsquore

doing with Edinburgh though ndash as long as they donrsquot do what they did with Glasgow

(p 319)

Cet exemple illustre agrave ses yeux une situation de reacutefeacuterence indeacutetermineacutee ougrave le pronom sert de

simple indication de lrsquoexistence drsquoun groupe-agent anonyme dont lrsquoidentiteacute nrsquoapparaicirct pas

pertinente Lrsquoenjeu dans lrsquointerpreacutetation de cet extrait nrsquoest pas drsquoidentifier lrsquoagent mais

plutocirct de comprendre les agissements deacutenoteacutes Ainsi plutocirct que de porter tous ses efforts sur

lrsquointerpreacutetation reacutefeacuterentielle drsquoun pronom atone il est plus pertinent de diriger son attention

vers le preacutedicat du message communiqueacute autrement dit lrsquoinformation nouvelle Plus

geacuteneacuteralement lrsquoeacutetude vise agrave remettre en question la conception traditionnelle de lrsquoanaphore

qui drsquoapregraves Yule nrsquoest pas toujours guideacutee par un objectif de reacutesolution reacutefeacuterentielle

Au vu de ces diffeacuterents points de vue sur la question il semble judicieux drsquoenvisager soit

diffeacuterents types de ils soit qursquoil supporte diffeacuterents degreacutes de sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle

Les deux exemples attesteacutes suivants illustrent ces diffeacuterences

(371) je lui ai reacutepeacuteteacute plusieurs fois que ccedila restait une opeacuteration | _ | hein quy avait pas de

risque zeacutero mais que ceacutetait une opeacuteration entre guillemets banale | _ | sans risque et

couramment courue | _ | et pis ben il sest aveacutereacute que lopeacuteration a eu des complications

que le cheval a eacuteteacute | coucheacute pendant deux jours pis finalement ils ont ducirc leuthanasier

deux jours apregraves (ofrom)

264

(372) On a vu dans la Liberteacute260

qursquoils ont retrouveacute un cadavre dans lrsquoAar hier dans lrsquoapregraves-

midi dans la zone ougrave on nageaithellip (courriel 03082012)

Dans le premier exemple le contexte global et le preacutedicat permettent drsquoinfeacuterer une classe dont

crsquoest le rocircle drsquolaquo euthanasier raquo tandis que dans le second exemple ni la situation ni le preacutedicat

ne contribuent agrave arrecircter un type de reacutefeacuterent deacutetermineacute le preacutedicat lsquoretrouver un cadavrersquo

nrsquoeacutetant pas deacutevolu agrave un seul type de reacutefeacuterent

222 Indices morpho-seacutemantiques

Plusieurs eacutetudes avancent certaines caracteacuteristiques morpho-seacutemantiques propres agrave lrsquoemploi

de ils sous-deacutetermineacute le nombre pluriel le genre masculin et les traits [+humain] et

[+deacutelocuteacute] (Goudet 1983 Kleiber 1992b Lebas 1997) Outre le trait [+deacutelocuteacute] qui fait

consensus parmi les auteurs car inscrit de fait dans le sens de la 3e personne nous eacutevoquons

ci-dessous briegravevement la maniegravere dont les trois autres traits sont preacutesenteacutes dans la litteacuterature

en linguistique franccedilaise

2221 Le nombre pluriel

Le nombre pluriel est constamment mis en avant comme une caracteacuteristique de lrsquoemploi agrave

valeur sous-deacutetermineacutee du pronom de 3e personne Son interpreacutetation toutefois nrsquoest pas

traiteacutee de la mecircme maniegravere selon les auteurs

Chez Goudet ils laquo indeacutesigneacute raquo est par deacutefinition pluriel et ne connaicirct pas drsquoalternance en

nombre par opposition agrave son pendant laquo deacutesigneacute raquo qursquoil considegravere comme son homonyme

Cependant ce pluriel morphologique comme le on ne serait pas marqueacute du point de vue

seacutemantique

(373) ils ont ouvert une pharmacie (Goudet 1983)

Selon Goudet ils pourrait se paraphraser ici par des gens ou quelqursquoun laquo ce pluriel pouvant

eacuteventuellement recouvrir un actant singulier mais dont on ne sait rien raquo (p 13) lrsquoeacutenonceacute laquo ne

signifie pas que deux pharmaciens soient associeacutes il ne postule mecircme pas que le pharmacien

drsquoailleurs inconnu soit marieacute raquo (p 14)

Dans son eacutetude Goudet (1983) place ils en concurrence avec on les deux formes couvrant

laquo lrsquoautre indeacutesigneacute raquo (ibid) indiffeacuterent au nombre seacutemantique Mais aux dires de lrsquoauteur

lrsquoemploi croissant de on comme 4e personne incluant le locuteur (cf nous) favoriserait

lrsquoemploi de ils comme laquo indeacutesigneacute pur raquo (p 13) Arnavielle (1984) conteste cependant ce

sceacutenario diachronique se reacutefeacuterant agrave Haase (1898) et Brunot amp Bruneau (1949) (cf supra

sect21) il soutient que les emplois de ils agrave valeur indeacutetermineacutee et de on agrave valeur de nous261

sont

attesteacutes depuis longtemps sans que ces coexistences posent problegraveme laquo le franccedilais

260

Il srsquoagit du nom drsquoun quotidien reacutegional suisse 261

Par exemple dans ce vers de Corneille laquo On nrsquoa tous deux qursquoun cœur qui sent mecircmes traverses raquo (Polyeucte)

ougrave on = nous ie le mari et la femme

265

contemporain ne fait que reacuteactualiser avec des valeurs expressives sans doute diffeacuterentes ce

que le XVIe et le XVIIe siegravecles connaissaient deacutejagrave raquo (p 48)

Pour Kleiber (1992b) ils collectif serait marqueacute en nombre du point de vue seacutemantique Il

prend drsquoailleurs ses distances agrave lrsquoeacutegard du rapprochement reacuteguliegraverement fait entre on et ils

Selon lui les deux formes ne sont pas substituables dans toutes les situations

(374) On sonne (on = quelqursquoun des gens) (lt Kleiber 1992b)

(375) Ils sonnent (= des gens) (lt Kleiber 1992b)

Lrsquointerpreacutetation laquo existentielle raquo de on ne peut ecirctre rendue pas lrsquoemploi drsquoun ils collectif Cela

montre selon Kleiber que lrsquoemploi de ils est agrave placer du cocircteacute de la deacutefinitude plutocirct que drsquoune

quelconque partition propre aux indeacutefinis le pluriel exprimerait une veacuteritable pluraliteacute

seacutemantique correspondant comme dans les cas du deacutefini pluriel agrave une forme de totaliteacute

obligatoirement restreinte par des eacuteleacutements du contexte (cf la notion restrictive de groupe

supra sect221)

2222 Le genre masculin

La marque de genre masculine est eacutegalement exhibeacutee comme un signe distinctif de lrsquoemploi

de ils agrave reacutefeacuterence sous-deacutetermineacutee (Goudet 1983 Kleiber 1992b Lebas 1997) Selon Goudet

(1983) ils laquo indeacutesigneacute raquo nrsquoalterne pas plus en genre qursquoen nombre contrairement agrave son

homonyme laquo deacutesigneacute raquo En effet le marquage au feacuteminin conduit drsquoapregraves lui ineacutevitablement agrave

lrsquointerpreacutetation drsquoun actant deacutetermineacute

(376) elles viennent encore de barrer la rue (lt ibid 13)

Dans cet exemple elles laquo vise incontestablement un actant deacutesigneacute des femmes greacutevistes ou

des femmes policiers des vaches ou des fourmis des trombes drsquoeau ou des branches

eacutelagueacutees raquo dont la valeur est reacutecupeacuterable en contexte Il constitue le feacuteminin de lrsquoeacutenonceacute avec

ils laquo deacutesigneacute raquo Ainsi lrsquoeacutenonceacute suivant preacutesente une homonymie

(377) ils viennent encore de barrer la rue (ibid)

Dans son sens laquo deacutesigneacute raquo ils peut renvoyer agrave toutes sortes drsquoindividus deacutetermineacutes laquo par

exemple des moutons eacutechappeacutes raquo Dans son sens laquo indeacutesigneacute raquo ils repreacutesentent forceacutement des

humains (cf ci-dessous) Si lrsquoapproche en termes drsquohomonymie nous apparaicirct contre-intuitive

et trop coucircteuse on peut toutefois reconnaicirctre que la simple marque du feacuteminin apporte une

distinction seacutemantique suppleacutementaire agrave ils pour sa part non marqueacute

Dans une approche plus geacuteneacuterale du pronom de 3e (et 6

e) personne [Reichler-]Beacuteguelin

nrsquoexclut pas a priori le feacuteminin de lrsquoemploi collectif citant la fameuse formule

266

(378) Elles sont bien toutes les mecircmes262

Si la plupart des auteurs excluent ce type drsquoemplois au feacuteminin des occurrences

laquo collectives raquo crsquoest sans doute parce qursquoen refleacutetant une deacutenomination sous-jacente

feacuteminine la marque de genre contribue agrave une forme de deacutetermination

2223 Le trait [+humain]

Enfin la plupart des auteurs attribuent agrave lrsquoemploi de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee un trait

exclusivement [+humain] comme deacutejagrave anticipeacute dans la remarque de Goudet (1983) ci-dessus

Le trait [+humain] permettrait notamment de se passer drsquoune reacutecupeacuteration nominale du

reacutefeacuterent selon Kleiber (1992b) cet emploi de ils se distingue drsquoautres emplois indirects du

pronom par le fait qursquoil ne conserve pas le N tecircte drsquoun syntagme anteacuteceacutedent par opposition agrave

lrsquoemploi geacuteneacuterique indirect comme ci-dessous

(379) Jrsquoai acheteacute une Toyota car elles sont bon marcheacute (ltibid)

Conformeacutement agrave la contrainte du trait [+humain] il juge lrsquoexemple ci-dessous mal formeacute

(380) Le troupeau avanccedilait doucement Ils broutaient tranquillement de lrsquoherbe

ou du moins comme ne relevant pas du mecircme type drsquoemploi Kleiber se reacuteclame de lrsquoanalyse

de Goudet (1983) ci-dessus montrant qursquoun changement de genre conduit agrave un assignement

reacutefeacuterentiel particulier au masculin le pronom pourra renvoyer agrave des moutons par exemple et

au feacuteminin agrave des brebis

Une fois de plus la restriction au trait [+humain] semble se justifier par le fait qursquoune

deacutenomination sous-jacente du reacutefeacuterent impliquerait pour ces auteurs un reacutefeacuterent deacutetermineacute

tandis que la reacutefeacuterence humaine se passe de lrsquointermeacutediaire drsquoune eacutetiquette lexicale

A nouveau [Reichler-]Beacuteguelin (1993b) relativise cette contrainte en consideacuterant

lrsquointerpreacutetation humaine comme le reacutesultat drsquoinfeacuterences contextuelles et la preacutedominance des

reacutefeacuterents humains comme conseacutequence de laquo lrsquoanthropocentrisme des discours ambiants raquo (p

106) Elle soutient que lrsquointerpreacutetation en geacuteneacuteral des pronoms deacutepend des connaissances

partageacutees des interlocuteurs et qursquoun exemple forgeacute comme ci-dessous apparaicirct plausible sans

qursquoil veacutehicule de trait [+humain]

(381) A Berlin ils sont fermeacutes le samedi apregraves-midi (lt ibid)

223 Bilan

Au terme de cette synthegravese certains points gagneraient agrave ecirctre eacuteclaircis Drsquoabord la diversiteacute

des donneacutees exploiteacutees et les descriptions proposeacutees mettent en avant lrsquoexistence de diffeacuterents

degreacutes de sous-deacutetermination voire de types drsquoemploi distincts de ils En effet il est tantocirct

262

Cf aussi la citation supra (sect21) de Sandfeld Elles sont toutes pareilles

267

possible drsquoinfeacuterer via le contexte des attributs typants du reacutefeacuterent dont les membres restent

certes anonymes (cf Kleiber 1992b)

(382) Jrsquoai eacuteteacute hier soir au concert Ils jouaient la 9e symphonie Le directeur mrsquoa appris qursquoils

la jouaient tous les vingt ans (lt ibid 337)

Tantocirct la variable introduite demeure largement sous-deacutetermineacutee les seuls attributs dont on

dispose eacutetant fournie par le cadre reacutefeacuterentiel et le preacutedicat eacutepheacutemegravere

(383) [En reacuteaction agrave un article de presse sur le preacutenommeacute Tanabe doyen de lhumaniteacute]

Le dernier plaisir de ce fossile vivant consistait agrave deacutecortiquer une ou deux gambas Il

en mangeait dailleurs de moins en moins car la cuisine agrave lhuile ne lui reacuteussissait

pas Pauvre Tanabe Bientocirct tu seras accueilli au nirvana ils ont installeacute agrave lentreacutee un

stand de gambas frites ougrave tu te goinfreras agrave lœil et lagrave pas trop dhuile (Eric Faye

Nagasaki p17) = (236)

Lrsquoune des difficulteacutes majeure de ces emplois est de savoir si les interlocuteurs eux-mecircmes ont

reacuteellement en tecircte un reacutefeacuterent deacutetermineacute ou non

(384) dimanche on se baignait et aujourdrsquohui crsquoest lrsquohiver non mais ils sont fous (oral au vol

dans un secreacutetariat 21052015)

En effet comment deacutecider si la locutrice incrimine avec humour des responsables particuliers

aussi fictifs soient-ils ou si elle ne fait qursquoexprimer son eacutetonnement face aux caprices du

temps

Comme on lrsquoa vu certains auteurs abordent la question des ils agrave reacutefeacuterence sous-deacutetermineacutee

sous lrsquoangle de lrsquoanaphore avec des conceptions plus (Kleiber 1992b) ou moins restrictives

(Yule 1992 [Reichler-]Beacuteguelin 1993b) Mais peut-on encore parler drsquoanaphore en (384)

lorsqursquoaucune valeur stable ne peut ecirctre attribueacutee agrave la variable introduite Il nous paraicirct degraves

lors neacutecessaire pour eacutetudier la question de situer le pheacutenomegravene par rapport agrave la notion

drsquoanaphore qui on lrsquoa vu repreacutesente une probleacutematique bien plus complexe qursquoelle nrsquoen a

lrsquoair A cet eacutegard les travaux preacutesenteacutes dans les deux sections qui suivent eacutevacuent agrave notre

sens un peu trop rapidement la question de lrsquoanaphore

23 Traitement de they en psycholinguistique

En psycholinguistique le traitement du pronom de 6e personne a fait lrsquoobjet de deux eacutetudes

compleacutementaires sur lrsquoanglais (Sanford et al 2008 Filik et al 2008) Les auteurs appellent le

pronom Institutional They (Sanford et al 2008) parce qursquoil sert drsquoagent par deacutefaut pour une

situation steacutereacuteotypeacutee comme dans On the train they served really bad coffee Cet emploi est

consideacutereacute comme un sous-type de pronoms caracteacuteriseacute comme laquo sans anteacuteceacutedent explicite raquo

Les auteurs partent du constat qursquointuitivement de tels emplois ne paraissent pas poser de

problegravemes drsquointerpreacutetation Ils font lrsquohypothegravese que par opposition aux anaphores

pronominales au singulier ces pronoms au pluriel nrsquoexigent pas drsquoidentification reacutefeacuterentielle

268

au moyen drsquoun anteacuteceacutedent En effet dans la litteacuterature anteacuterieure en psycholinguistique on a

tenteacute de montrer que lrsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent explicite entraicircnait pour les pronoms

anaphoriques des coucircts de traitement cognitif263

(Sanford et al 1994 Greene et al 1994)

Cependant les expeacuterimentations ne portaient que sur des pronoms au singulier Lrsquoenjeu des

expeacuterimentations de Sanford et al (2008) et de Filik et al (2008) est preacuteciseacutement de

srsquointeacuteresser au cas du pluriel laquo sans anteacuteceacutedent raquo Les deux expeacuterimentations sont doteacutees de

designs distincts mais elles recourent agrave un mateacuteriel semblable la premiegravere srsquoappuie sur des

mesures de temps de lecture par eye-tracking (Sanford et al 2008) la seconde sur des

mesures de potentiels eacutevoqueacutes au moyen de lrsquoeacutelectroenceacutephalographie (Filik et al 2008) et

toutes deux font varier la preacutesence et lrsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent telles qursquoillustreacutees par ces

items

(385) a anteacuteceacutedent explicite pronom au pluriel

The in-flight meal I got from the staff was more impressive than usual In fact they

courteously presented the food as well I made a note to travel with this company

again

b anteacuteceacutedent explicite pronom au singulier

The in-flight meal I got from the stewardess was more impressive than usual In fact

she courteously presented the food as well I made a note to travel with this company

again

c pas drsquoanteacuteceacutedent pronom au pluriel

The in-flight meal I got was more impressive than usual In fact they courteously

presented the food as well I made a note to travel with this company again

d pas drsquoanteacuteceacutedent pronom au singulier

The in-flight meal I got was more impressive than usual In fact she courteously

presented the food as well I made a note to travel with this company again (nous

soulignons)

Les reacutesultats des expeacuteriences confirment les intuitions des auteurs ceux-ci nrsquoobservent pas de

diffeacuterence de coucircts de traitement entre les conditions avec ou sans anteacuteceacutedent pour le pronom

au pluriel contrairement agrave la condition au singulier ougrave lrsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent provoque des

difficulteacutes de traitement Pour expliquer cela les auteurs invoquent deux facteurs en jeu ils

ont recours agrave la notion de sous-speacutecification (Sanford amp Sturt 2002) pour lrsquointerpreacutetation du

pronom celui-ci faisant office drsquoagent factice (dummy agent) induisant une repreacutesentation

laquo suffisamment bonne raquo (good enough Ferreira Ferraro amp Bailey 2002) pour la

compreacutehension264

Drsquoautre part les auteurs avancent une diffeacuterence lieacutee au nombre

grammatical du pronom alors qursquoun pronom au singulier exigerait une reacutesolution immeacutediate

agrave deacutefaut de quoi eacutemergeraient des perturbations de traitement qui megravenent agrave lrsquoinfeacuterence drsquoun

reacutefeacuterent nouveau un pronom au pluriel ne requerrait pas drsquoassignement reacutefeacuterentiel immeacutediat

En effet les psycholinguistes soutiennent que lrsquoabsence de perturbations reacutevegravele qursquoil nrsquoy a pas

263

Voir cependant les reacutesultats divergents de Cornish et al (2005) supra (ChII sect421) 264

Cf supra (ChIII sect43) la notion de shallow processing

269

de processus infeacuterentiel drsquointroduction drsquoun reacutefeacuterent nouveau pour lrsquoagent qui de fait

demeure sous-speacutecifieacute

Il faut ici noter que la plupart des travaux en psycholinguistique dont ceux-ci se fondent sur

une conception essentiellement textuelle de lrsquoanaphore en sureacutevaluant le rocircle joueacute par

lrsquoanteacuteceacutedent (parfois le seul critegravere deacuteterminant) Or nous avons deacutejagrave montreacute que la notion

drsquoanaphore ne repose pas sur des critegraveres segmentaux A cet eacutegard les stimuli proposeacutes

appellent quelques remarques la paire drsquoeacutenonceacutes c) et d) de (385) installe un contexte

preacutealable qui contient deacutejagrave lrsquoactant (implicite) en question agrave savoir lrsquoagent du verbe get qui

dans son scheacutema actantiel implique lrsquoexistence de ce dernier Le traitement des pronoms

respectifs ne met donc pas reacuteellement en jeu lrsquoinfeacuterence drsquoun nouvel objet mais fournit une

valeur reacutefeacuterentielle agrave la variable seacutemantiquement impliqueacutee En outre on peut constater en

geacuteneacuteral que pour les besoins des analyses expeacuterimentales impliquant la maicirctrise de tous les

paramegravetres afin de mener agrave bien les mesures et les statistiques qui en deacutecoulent les items

apparaissent deacutepouilleacutes de tout contexte et dans un environnement aseptiseacute Drsquoougrave lrsquoimpression

de stimuli souvent caricaturaux qui occultent la reacutealiteacute et la varieacuteteacute des facteurs en jeu dans les

proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels

Tout en saluant lrsquoeffort entrepris par quelques psycholinguistes pour prendre en consideacuteration

des pheacutenomegravenes de sous-speacutecification et de traitement superficiel (shallow processing) ndash lagrave ougrave

la plupart des confregraveres preacutesupposent un traitement analytique et toujours approfondi du

langage ndash il nous semble donc que les reacutesultats obtenus gagneraient agrave ecirctre compleacuteteacutes par une

analyse de terrain qui tiennent compte des paramegravetres contextuels agrave lrsquoœuvre dans les

productions reacuteelles des usagers

24 Traitement de la 6e personne en grammaire geacuteneacuterative et en typologie des langues

241 Interpreacutetation arbitraire

Dans le cadre theacuteorique geacuteneacuterativiste ce type drsquoemploi du pronom de 6e personne est deacutecrit

par Suntildeer (1983) en termes de reacutefeacuterence arbitraire par analogie avec lrsquointerpreacutetation des PRO

(ie lorsqursquoils ne sont pas controcircleacutes par un anteacuteceacutedent comme dans Just PRO to sit here

should be forbidden) Malgreacute les preacutedictions contraires de la theacuteorie du Gouvernement et du

Liage Suntildeer eacutetend cette analyse aux pronoms nuls non anaphoriques ainsi nommeacutes arbitrary

pro qui se distinguent des PRO par leur accord en personne et en nombre Lrsquoauteur prend le

cas de lrsquoespagnol

(386) pro llaman a la puerta

lsquorsquotheyrsquo are knocking at the doorrsquo (ibid)

Cette construction dite laquo impersonnelle raquo preacutesente agrave ses yeux une interpreacutetation laquo indeacutefinie raquo

ou laquo non speacutecifieacutee raquo (p 189) Suntildeer note lrsquoambiguiumlteacute que manifeste cet eacutenonceacute entre une

lecture arbitraire et une lecture speacutecifique Elle considegravere cependant que dans le cas de la

270

lecture arbitraire le nombre de reacutefeacuterents demeure indeacutetermineacute malgreacute lrsquousage de la marque

de pluriel265

Plutocirct qursquoune indication seacutemantique de multipliciteacute elle considegravere que la marque

formelle de nombre sert agrave indiquer la nature arbitraire de la reacutefeacuterence

Jaeggli (1986) approfondit lrsquoeacutetude de ce type de construction et y ajoute certaines

caracteacuteristiques Il assimile ses conditions de veacuteriteacute avec celles drsquoune construction avec un SN

quantificateur existentiel en position de sujet comme dans Someone is calling at the door

laquo There is an x x a human being such that x is calling at the door raquo (p 46) Cette proprieacuteteacute

est selon lui importante pour distinguer entre lrsquointerpreacutetation arbitraire et lrsquointerpreacutetation

homophone deacutefinie impliquant une reacuteelle pluraliteacute seacutemantique Lrsquoauteur remarque que lrsquoajout

du pronom ellos au deacutebut de lrsquoeacutenonceacute espagnol (386) eacutelimine la lecture arbitraire Cependant

lrsquoanalyse arbitraire ne se limiterait pas aux langues laquo pro-drop raquo comme le suggegravere Suntildeer

(1983) eacutetant donneacute que lrsquoanglais connaicirct par exemple ce type drsquointerpreacutetation avec le pronom

they Jaeggli estime en effet que lrsquoeacutenonceacute suivant repreacutesente lrsquohomologue de la construction

espagnole

(387) They sell cigarettes at all gas stations (lt Jaeggli 1986 60)

Degraves lors il baptise la cateacutegorie arbitrary plural constructions incluant de la sorte aussi bien

les pronoms nuls que les pronoms visibles veacutehiculant une interpreacutetation arbitraire

A la suite de ces travaux Rizzi (1986b 509) envisage un indice seacutemantique nommeacute arb

index qui recouvre lrsquoensemble des proprieacuteteacutes suivantes [+humain +geacuteneacuterique plusmnpluriel]

responsable des interpreacutetations arbitraires des pronoms Neacuteanmoins le trait [+geacuteneacuterique] au

vu de lrsquoattestation drsquointerpreacutetations arbitraires dans des contextes eacutepisodiques tels que (386)

ne fait pas lrsquounanimiteacute (Cabredo Hofherr 2003 2014 6-7) Pour Cinque (1988 545)

lrsquoindice arb est susceptible de fournir diverses variantes contextuelles lieacutees au caractegravere

geacuteneacuterique ou eacutepisodique du preacutedicat respectivement lrsquointerpreacutetation quasi-universelle vs

lrsquointerpreacutetation quasi-existentielle Neacuteanmoins les observations de Condoravdi (1989) et

drsquoAlonso Ovalle (2000) montrent que ces aspects ne sont pas deacutependants les lectures quasi-

existentielles eacutetant compatibles avec des preacutedicats geacuteneacuteriques266

et inversement les lectures

quasi-universelles avec des preacutedicats eacutepisodiques267

Ces constats amegravenent Cabredo Hofherr

265

Jaeggli (1986 46) renvoie agrave la grammaire du castillan de Bello (1847=1977 265) qui signale que dans un

eacutenonceacute comme cantan en la casa vecina il ne faut pas supposer un agent pluriel puisque cette construction

pourrait ecirctre produite dans le cas ougrave une seule personne est agrave lrsquoorigine du procegraves A nos yeux ces propos

reflegravetent une conception arithmeacutetique du nombre associant le pluriel agrave lrsquoaddition drsquoeacuteleacutements et le singulier agrave

lrsquouniteacute (cf supra Ch II sect23) Or les faits suggegraverent drsquoenvisager une approche moins binaire du nombre 266

Lecture quasi-existentielle en contexte geacuteneacuterique

(grec) To apogevma sinithos pro poulane pagoto s afti ti gonia

Le apregraves-midi drsquohabitude vendent3pl glace dans ceDET coin

Lrsquoapregraves-midi ils vendent des glaces agrave cet endroit (Condoravdi 1989) 267

Lecture quasi-universelle en contexte eacutepisodique

(esp) Ayer en Espantildea celebraron el diacutea del trabajo

Hier en Espagne pro ceacuteleacutebrerPST3PL DET jour de + DET travail

Hier en Espagne ils ont ceacuteleacutebreacute le jour du travail (Cabredo Hofherr 2014 7 adapteacute de Alonso Ovale

2000)

271

(2003 2014) agrave conclure que les interpreacutetations arbitraires des pronoms de 6e personne ne

constituent pas de simples variantes pragmatiques de lrsquoindice arb tel que proposeacute par Rizzi

(1986b) ou Cinque (1988)

242 Typologie des pronoms R-impersonnels

La comparaison des possibiliteacutes drsquoemploi de la marque de 6e personne dans diverses langues

pour exprimer le caractegravere arbitraire du reacutefeacuterent incite Cabredo Hofherr (2003 2014) agrave

proposer une classification nuanceacutee des interpreacutetations en preacutesence qui ne repreacutesentent pas

des manifestations drsquoun pheacutenomegravene homogegravene mais requiegraverent des analyses distinctes

Cabredo Hofherr (2014) recourt agrave une appellation et une deacutefinition de Siewierska (2011) pour

caracteacuteriser les pronoms concerneacutes

R-impersonals have the appearance of regular personal constructions but feature a subject which is human and non-referential (Siewierska 2011 57-58)

En se fondant sur une comparaison entre les emplois de ce type de 6e personne notamment en

anglais franccedilais russe espagnol et arabe marocain Cabredo Hofherr (2014 15-16) relegraveve

plusieurs cas de figure et eacutelabore une grille typologique que nous adaptons ci-dessous

Figure 10 Lectures des 3pl sans anteacuteceacutedent drsquoapregraves Cabredo Hofherr (2014)268

i) Lecture existentielle ancreacutee (avec ancrage temporel) Tocan a la puerta (esp)

(Ils) frappent agrave la porte (=quelqursquoun est en train de frapper agrave la porte)

ii) Lecture existentielle vague (sans ancrage temporel) Ils ont trouveacute une moto dans la cour

iii) Lecture existentielle infeacutereacutee (infeacuterence agrave partir drsquoun reacutesultat)269

Aquiacute han comido mariscos (esp)

Ici (ils) ont3pl mangeacute des fruits de mer (= quelqursquoun)

iv) Lecture corporative (preacutedicats avec un sujet pragmatiquement contraint aux

membres drsquoune certaine profession)

Volvieron a aumentar el IVA (esp)

(Ils) ont encore augmenteacute la TVA

v) Lecture universelle locative (permise par la preacutesence drsquoun locatif)

En Espantildea hablan espanotildel (esp)

En Espagne (ils) parlent espagnol

vi) Lecture eacutevidentielle (avec verbe de parole indiquant une information de 2nde

main)

Dicen que en esa casa viviacuteo Darwin (esp) nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

On dit que Darwin a habiteacute dans cette maison

268

Afin de recouvrir les interpreacutetations drsquoautres pronoms R-impersonnels Cabredo Hofherr ajoute une septiegraveme

cateacutegorie agrave savoir la lecture quasi-universelle sans restriction comme dans on ne mange pas avec les doigts ougrave

on repreacutesente lsquoles gens en geacuteneacuteralrsquo sans laquo restriction de domaine raquo contrairement aux cateacutegories iv) et v) (p 15)

Quoi qursquoil en soit cette lecture ne concernant pas la 6e personne nous la laissons de cocircteacute

269 Lrsquoeacutenonceacute reacutesulte drsquoune infeacuterence opeacutereacutee agrave partir de la perception de certains indices

272

Lrsquoauteur (2003) justifie ces distinctions drsquoune part par des critegraveres de comparaison

interlinguistiques par rapport agrave lrsquoespagnol qui admet toutes les lectures le franccedilais exclut

avec ils les emplois i) et iii)270

(auxquels on peut ajouter les emplois vi) au vu des paraphrases

donneacutees) Lrsquoarabe semble quant agrave lui toleacuterer lrsquoemploi i) mais pas le iii) Lrsquoexistence drsquoune

lecture eacutevidentielle (ajouteacutee dans 2014) reacutesulte des observations du pronom avec des verbes

de parole faites par Siewierska amp Papasthati (2011) et se justifie par le fait que certaines

langues (par exemple le finnois et lrsquoestonien) ne connaissent que cet emploi (Siewierska

2011 72) Drsquoautre part Cabredo Hofherr fait intervenir des critegraveres laquo distributionnels raquo en

lrsquooccurrence le type de preacutedicat la preacutesence drsquoun locatif et lrsquoancrage temporel Enfin un

aspect important de la typologie consiste en lrsquoopposition effectueacutee entre interpreacutetations

universelle et existentielle

Quelques aspects de ce classement meacuteritent drsquoecirctre releveacutes et discuteacutes Tout drsquoabord on peut

se demander si ces interpreacutetations ne recouvrent pas lrsquoemploi de deacutesignateurs sous-speacutecifieacutes

de maniegravere plus large Cabredo Hofherr ouvre drsquoailleurs la voie en inteacutegrant les marqueurs du

type on-man (ou similaires dans drsquoautres langues) Mais plus geacuteneacuteralement on observe que

drsquoautres formes sous-speacutecifieacutees se precirctent agrave plusieurs de ces lectures comme les arguments

implicites des verbes en constructions absolues

(388) Je la trouve en train de lire Oslash tranquillement assise agrave la table en bois verni du salon

sous le lustre en cristal (lecture existentielle ancreacutee) (Radulescu D Un train pour

Trieste 2010)

(389) Pendant sa longue patience de combattant clandestin Jacques a beaucoup lu Oslash mais

crsquoest la premiegravere fois depuis de nombreuses anneacutees qursquoil [hellip] (lecture existentielle

vague) (Sonnay J-F Le tigre en papier 1990)

(390) La femme qui sait lire Oslash peut ainsi directement entendre le message des Saintes

Ecritures (lecture universelle) (Berriot-Salvadore E Les femmes dans la socieacuteteacute

franccedilaise de la Renaissance 1990)

On pourrait mecircme envisager la compatibiliteacute de un N avec la plupart des interpreacutetations de la

grille ci-avant271

Ces pistes devraient toutefois ecirctre exploreacutees sur des donneacutees attesteacutees pour

pouvoir ecirctre veacuteritablement prises en compte Mais cela pourrait suggeacuterer que la grille nrsquoest

pas propre agrave un type de marqueur mais plutocirct aux marqueurs sous-speacutecifieacutes en geacuteneacuteral

ouverts agrave plus de possibiliteacutes interpreacutetatives que des deacutesignateurs plus speacutecifieacutes

Revenons ensuite aux cateacutegories proposeacutees Cabredo Hofherr deacutecrit les lectures corporative

(iv) et universelle locative (v) comme partageant lrsquoexpression drsquoun groupe maximal via la 6e

270

Autrement dit Cabredo-Hofherr refuse les emplois du genre Ils frappent agrave la porte dans le sens quelqursquounon

frappe agrave la porte (lecture speacutecifique i) ou Ici ils ont mangeacute des fruits de mer dans le sens de on a mangeacute des

fruits de mer (lecture infeacutereacutee iii) 271

Cf Une personne frappe agrave la porte (lecture existentielle ancreacutee) Une personne a mangeacute des fruits de mer

(lecture infeacutereacutee) En Espagne une personne parle espagnol (lecture universelle locative) Une personne est

responsable de ses propres agissements (lecture laquo universelle raquo )

273

personne neacutecessitant toutefois lrsquointervention drsquoun eacuteleacutement restricteur du domaine eacutetant

donneacute qursquoils ne peut srsquointerpreacuteter comme lsquoles gens en geacuteneacuteralrsquo (cf aussi Kleiber 1992b) En

cela ces emplois se rapprochent de lrsquointerpreacutetation des SN deacutefinis (Cabredo Hofherr 2014

40) Dans le premier cas crsquoest la nature seacutemantique du preacutedicat qui permet de restreindre le

domaine en identifiant forceacutement un agent prototypique en lrsquooccurrence exerccedilant une mecircme

profession Dans le second cas le groupe srsquointerpregravete par rapport agrave un lieu eacutevoqueacute dans le

contexte via un locatif Neacuteanmoins nous allons voir (sect321) que ces contextes ne sont pas

toujours aussi prototypiques et que des indices plus varieacutes interviennent dans le processus

drsquointerpreacutetation rapprochant ces occurrences de lrsquoanaphore

A deacutefaut drsquoun eacuteleacutement restricteur (il nous semble toutefois difficile drsquoenvisager un eacutenonceacute

sans contexte de production) Cabredo Hofherr range les emplois sous une interpreacutetation

existentielle (cateacutegorie i-ii-iii272

) sauf lrsquoemploi eacutevidentiel (vi) Lrsquoauteur rapproche ces

emplois de celui des indeacutefinis dans (2003) mais reacutevise son analyse en les apparentant dans

(2014 41) aux arguments implicites273

Neacuteanmoins lrsquohypothegravese drsquoune analyse existentielle

ne nous apparaicirct pas suffisamment argumenteacutee elle nrsquoest justifieacutee que par la repreacutesentation

logique ou par les gloses agrave lrsquoaide de quantificateurs comme quelqursquoun vs les gens dont on

doit tenir lrsquoeacutequivalence pour acquise Or pour le franccedilais du moins la lecture existentielle et

lrsquoeacutequivalence des paraphrases ne nous semblent pas aller de soi (pour lrsquoemploi (ii) le seul

eacutetant preacutesenteacute comme possible en franccedilais) En outre agrave notre connaissance aucun linguiste

nrsquoa proposeacute drsquointerpreacutetation existentielle du pronom de 3e personne en franccedilais

274 Si elle ne

nous paraicirct pas exclue lrsquoattestation drsquoune telle lecture neacutecessiterait agrave notre sens plus drsquoindices

Il nous paraicirct en effet preacutematureacute drsquoimputer ce fonctionnement au pronom franccedilais sur la base

drsquoune analogie avec un quantificateur existentiel ou avec le fonctionnement du pronom dans

drsquoautres langues sachant que chaque langue possegravede son propre systegraveme de la personne

Drsquoailleurs Cabredo Hofherr (2014 15) preacutesente lrsquoemploi dit eacutevidentiel (vi) comme

eacutechappant agrave une analyse en termes drsquoexistentialiteacute ou drsquouniversaliteacute celui-ci nrsquoeacutetant laquo ni

clairement existentiel ni clairement maximalisant raquo au vu vraisemblablement de sa

compatibiliteacute avec des paraphrases des deux types (Il y a des gens les gens) A cet eacutegard il

nous semble que la lecture vague (ii) pourrait meacuteriter la mecircme analyse pour le franccedilais

Certes la grille typologique de Cabredo Hofherr apporte des eacuteleacutements tout agrave fait ineacutedits dans

lrsquointerpreacutetation du pheacutenomegravene en en proposant une vue drsquoensemble nuanceacutee et cela sur la

base drsquoune documentation fouilleacutee de la situation agrave travers les langues dont nous nrsquoavions pas

272

Les lectures temporellement ancreacutee (i) ou vague (ii) se distinguent en fonction de la preacutecision (i) ou non (ii)

du point drsquoancrage temporel tandis que dans le premier cas le point est constant dans le second la variable

temporelle est existentiellement quantifieacutee permettant une restriction drsquointervalle (2014 13) La lecture infeacutereacutee

(iii) impossible en franccedilais selon Cabredo Hofherr exprime un constat infeacutereacute drsquoune situation sur la base

drsquoindices souvent de nature perceptive Contrairement agrave (i) un ancrage temporel fait deacutefaut la variable

temporelle eacutetant soumise agrave la quantification existentielle 273

Cependant nous montrons ci-dessus (388) (389) (390) que les arguments implicites peuvent conduire suivant

les contextes agrave des interpreacutetations diverses y compris celles que Cabredo Hofherr considegravere comme universelles 274

Si Goudet (1983) rapproche ils de on pour le marquage de lrsquoindeacutesignation il nrsquoinvoque jamais une analyse

existentielle pour leur interpreacutetation

274

ideacutee avant la lecture de ces travaux Neacuteanmoins les reacutesultats obtenus agrave partir de donneacutees

deacutepourvues de tout contexte et sur la base de jugements drsquoacceptabiliteacute demandent agrave notre

sens agrave ecirctre compleacuteteacutes par une approche descriptive des usages reacuteels des locuteurs dans ce

domaine

243 Lrsquohypothegravese de la grammaticalisation

Crsquoest lrsquoun des buts que poursuivent Siewierska amp Papasthati (2011) agrave travers lrsquoapplication de

la typologie de Cabredo-Hofherr (version 2003) agrave un corpus de traductions parallegraveles du deacutebut

du roman Harry Potter and the Philosopherrsquos Stone (en neacuteerlandais anglais franccedilais

allemand grec italien polonais russe et espagnol) Les auteurs recueillent parallegravelement des

jugements drsquoacceptabiliteacute sur des donneacutees fabriqueacutees par le biais de questionnaires soumis agrave

des locuteurs natifs des langues respectives Les occurrences du corpus seacutelectionneacutees sur les

critegraveres drsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent et de la nature humaine areacutefeacuterentielle de la 6e personne sont

appeleacutees third person plural impersonal constructions (3pl IMPs) Elles sont en effet censeacutees

refleacuteter un degreacute drsquoimpersonnaliteacute275

les emplois (iv) corporatif et (v) universel locatif sont

ainsi consideacutereacutes comme semi-impersonnels car ils fournissent certaines informations sur

lrsquoidentiteacute de la collectiviteacute impliqueacutee tandis que les interpreacutetations (i) ancreacutee (ii) vague (iii)

infeacutereacutee et eacutevidentielle (vi) sont perccedilues comme complegravetement impersonnelles car elles ne

donnent selon les auteurs aucun indice sur lrsquoactant du procegraves

Les reacutesultats du corpus montrent que lrsquousage des 3pl IMPs est tregraves variable drsquoune langue agrave

lrsquoautre les 3pl IMPs sont beaucoup plus freacutequents dans la version russe (25 des

occurrences de 6e personne) que dans la version originale anglaise (8) ou que dans la

traduction franccedilaise (65 la plus petite proportion ) Drsquoapregraves les questionnaires et les

donneacutees les locuteurs preacutefegraverent globalement les emplois semi-impersonnels (universels et

corporatifs) aux emplois dits complegravetement impersonnels Les langues qui apparaissent les

plus restrictives agrave lrsquoeacutegard de lrsquousage des 3pl IMPs se reacutevegravelent ecirctre lrsquoallemand et le franccedilais agrave

propos desquelles les auteurs soulignent lrsquoexistence drsquoune construction concurrente de type

onman276

pour lrsquoexpression drsquoagents impersonnels ou semi-impersonnels

Dans une autre eacutetude Siewierska (2011 79) deacutegage une correacutelation entre la nature pro-drop

ou non des langues observeacutees et la maniegravere drsquoexprimer un agent humain dit laquo non

reacutefeacuterentiel raquo Dans les langues europeacuteennes posseacutedant les deux types de constructions MAN-

IMPS277

et 3pl-IMPS (eg on vs ils pour le franccedilais men vs ze pour le neacuteerlandais) les

langues non pro-drop ndash donc agrave sujet reacutealiseacute comme selon la doxa le franccedilais ndash manifestent

selon ses observations une gamme drsquoemplois plus diversifieacutee du premier (MAN-IMPS ie on

275

Dans une conception seacutemantique du terme ie dans le cas ougrave lrsquoagent humain drsquoun procegraves demeure non

speacutecifieacute (Siewierska 2008) 276

A noter que les emplois de on (fr) man (all) et autres laquo eacutequivalents raquo dans les autres langues ne se recouvrent

pas (Franccedilois 1984 Siewierska 2011) 277

Siewierska (2011 60) donne la deacutefinition suivante laquo The term MAN-IMP is used here to refer to an

impersonal construction which denotes an unidentified human subject expressed by a word etymologically

related to lsquohumanrsquo or lsquomanrsquo such as on in French hom in Catalan and man in German raquo

275

pour le franccedilais) que du second (3pl-IMPS ie ils) cela se voit agrave travers le fait que dans ces

langues le pronom de 6e personne (ils) nrsquoexploite pas toutes les valeurs possibles de la

typologie certaines eacutetant prises en charge via les constructions en on men man etc A

lrsquoinverse les langues pro-drop ne posseacutedant geacuteneacuteralement pas de forme de type MAN ou

similaire278

(eg le russe lrsquoitalien lrsquoespagnol le grec etc) disposent drsquoun eacuteventail drsquoemplois

impersonnels ou semi-impersonnels plus vaste de la marque de 3e personne du pluriel

279

Ces diffeacuterences drsquoemploi sont lieacutees selon lrsquoauteur agrave la nature pro-drop et reflegravetent un degreacute

relatif de grammaticalisation des formes en question dans les langues respectives En effet

Siewierska situe les emplois de la marque de 6e personne sur une eacutechelle de blanchiment

seacutemantique (semantic bleaching) manifestant le plus grand degreacute de reacutefeacuterentialiteacute agrave gauche et

le moindre agrave droite Les emplois agrave droite impliquent lrsquoexistence dans une langue donneacutee de

ceux agrave gauche (p 80)

a) plural definite gt b) plural semi-definite gt c) plural non-specific gt d) singular specific

Lrsquoemploi a) correspond agrave lrsquousage anaphorique reacutefeacuterentiel de lrsquoindice de 3e personne lrsquoemploi

b) grosso modo aux emplois universels de Cabredo Hofherr les emplois c) et d) aux emplois

existentiels avec interpreacutetation respectivement plurielle vs individuelle Selon les observations

de Siewierska lrsquoemploi d) crsquoest-agrave-dire ougrave le reacutefeacuterent est potentiellement singulier280

nrsquoest

disponible que dans les langues pro-drop Elle nuance toutefois ce point en admettant une

interpreacutetation analogue dans les langues non pro-drop pour autant seulement que le ou les

individu(s) repreacutesente(nt) un organizational grouping (Myhill 1997) autrement dit une

institution une organisation ou autre entiteacute collective reconnue Ses reacutesultats dans (2008)

montrent que cette lecture est admise en anglais et en neacuteerlandais mais aux dires de ses

informateurs exclue en franccedilais en sueacutedois en norveacutegien en danois en islandais ou en

allemand Quoi qursquoil en soit Siewierska (2011) soutient que les langues pro-drop ont

tendance agrave exploiter lrsquoeacutechelle dans sa globaliteacute alors que les langues non pro-drop sont plus

restrictives agrave lrsquoeacutegard des emplois de lrsquoextreacutemiteacute droite

[hellip] all the languages that exhibit the right-most stage on the cline [hellip] are pro-drop And significantly none of the non-pro-drop languages in which the 3PL is realized by a weak form rather than an affixal one display the singular specific reading (p 81)

Se reacuteclamant de Traugott amp Hopper (1991) elle estime que la possibiliteacute de manifester des

valeurs reacutefeacuterentielles aussi reacuteduites qursquoagrave lrsquoextreacutemiteacute droite de lrsquoeacutechelle est tout agrave fait

caracteacuteristique drsquoun degreacute eacuteleveacute de grammaticalisation des pronoms sujets (Siewierska 2011

81) Dans cette perspective un pronom atone (ie dans les langues non pro-drop) est

278

Le catalan constitue une exception (forme hom) 279

Mais qui peuvent avoir drsquoautres moyens de marquage de lrsquoimpersonnel comme la construction reacuteflexive

impersonnelle (Siewierska 2011 85) 280

Cf aussi Suntildeer (1983) Jaeggli (1986) Myhill (1997)

276

seacutemantiquement plus contraint par les marques de personne et de nombre qursquoune simple

marque affixale du verbe plus susceptible de deacutevelopper des interpreacutetations alternatives

Lrsquohypothegravese invoqueacutee appelle plusieurs remarques Drsquoabord nous avons deacutejagrave suggeacutereacute supra

(Ch II sect2) qursquoen consideacuterant les pronoms laquo clitiques raquo du franccedilais comme des affixes il eacutetait

neacutecessaire de revoir le statut du franccedilais par rapport au paramegravetre pro-drop (voire de

reacuteexaminer les fondements du concept pro-drop) Ensuite le recours agrave des eacutechelles

interpreacutetatives orienteacutees et par lagrave mecircme au cadre theacuteorique de la grammaticalisation nous

apparaicirct discutable En effet lrsquoordre des interpreacutetations est preacutesenteacute comme un laquo parcours

obligeacute raquo (cf la relation drsquoimplication invoqueacutee) ne toleacuterant pas drsquoorientation inverse ni de

sauts drsquoeacutetape comme le deacuteplore Beacuteguelin (2014 15) Drsquoautre part les eacutechelles de ce type se

dotent drsquoune viseacutee preacutedictive voire sont promues au rang de lois formuleacutees comme des

contraintes externes au fonctionnement linguistique (ibid) Ainsi en teacutemoigne lrsquoextrait ci-

dessous

Non-pro-drop languages may be expected to manifest a more restricted range of 3PL-IMP than pro-drop ones (Siewierska 2011 81)

Or sur quoi repose ce genre drsquoaffirmation Pour le franccedilais par exemple lrsquoexclusion de

lrsquointerpreacutetation d) (singular specific) est deacutecideacutee sur la base drsquointuitions drsquoinformateurs

(Siewierska 2008) La question semble rapidement eacutevacueacutee En effet on a vu qursquoil existait un

deacutebat sur cette question en franccedilais Goudet (1983) invoquant le caractegravere seacutemantiquement

non marqueacute du pluriel et Kleiber (1992b) requeacuterant au contraire la dimension plurielle du

groupe viseacute Au vu des positions contradictoires des chercheurs sur la question il paraicirct

neacutecessaire drsquoobserver les faits sur le terrain

244 Bilan

Les travaux geacuteneacuterativistes ou en typologie des langues offrent une perspective eacutelargie de la

question suscitant des reacuteflexions inteacuteressantes sur la question de lrsquouniversaliteacute et de la

productiviteacute relative du pheacutenomegravene281

et suggeacuterant des pistes drsquoanalyse ineacutedites Toutefois la

porteacutee des reacutesultats est difficile agrave eacutevaluer pour plusieurs raisons premiegraverement nous nrsquoavons

souvent pas la possibiliteacute de remettre en cause les jugements avanceacutes agrave lrsquoeacutegard des donneacutees

typologiques nos compeacutetences linguistiques eacutetant tout bonnement limiteacutees dans la plupart des

langues eacutetudieacutees deuxiegravemement une part des linguistes ne srsquoappuient que sur un tregraves petit

nombre drsquoexemples fabriqueacutes deacutepourvus de contexte et soumis agrave des jugements

drsquoacceptabiliteacute intuitifs (les leurs ceux de leurs confregraveres ou drsquoinformateurs des langues

eacutetudieacutees) Degraves lors des conclusions sont parfois hacirctivement tireacutees sur des probleacutematiques qui

demanderaient une analyse plus fine en particulier au sein drsquoune mecircme langue quant agrave

lrsquoexamen sur corpus de Siewierska amp Papastathi (2011) la deacutemarche empirique et contrastive

se reacutevegravele pertinente et instructive sur la productiviteacute interlinguistique du pheacutenomegravene mais

281

Siewierska (2011) atteste lrsquousage des 3PL-IMPS dans un grand nombre de familles de langues outre les

langues occidentales elle mentionne les langues eurasiennes africaines ameacuterindiennes les langues indigegravenes

drsquoOceacuteanie drsquoAustralie et de Nouvelle Guineacutee

277

limiteacutee agrave un corpus eacutecrit drsquoun genre bien particulier la fiction litteacuteraire en outre la

distinction entre les emplois dits (semi-)impersonnels et les proceacutedeacutes anaphoriques agrave nos

yeux loin drsquoecirctre eacutevidente282

repose sur le critegravere segmental de preacutesence ou absence

drsquoanteacuteceacutedent dont on a releveacute les limites agrave maintes reprises

25 Synthegravese geacuteneacuterale sur les travaux anteacuterieurs

Les travaux se montrent pour le moins heacuteteacuterogegravenes sur le plan theacuteorique (la question de la

reacutefeacuterence en particulier) et meacutethodologique (jugements drsquoacceptabiliteacute donneacutees attesteacutees ou

non choix des critegraveres linguistiques etc) Par conseacutequent lrsquoextension des faits consideacutereacutes

apparaicirct tregraves variable drsquoun auteur agrave lrsquoautre

On peut deacutegager grosso modo trois positionnements agrave lrsquoeacutegard de la relation entre ils agrave valeur

sous-deacutetermineacutee et la notion de reacutefeacuterence

i) Lrsquoapproche des grammaires du franccedilais qui tout en abordant le problegraveme avec

une conception segmentale ou substitutive de lrsquoanaphore tente drsquoen distinguer

ils tant bien que mal

ii) Lrsquoapproche qui situe le problegraveme au cœur des proceacutedeacutes de reacutefeacuterence (Kleiber

1992 Lebas 1997 [Reichler-]Beacuteguelin 1993b Yule 1982) Pour [Reichler]-

Beacuteguelin (1993b) et Yule (1982) le pheacutenomegravene remet en cause la conception

mecircme de lrsquoanaphore courante et la question demande agrave ecirctre traiteacutee avec

geacuteneacuteraliteacute Chez Kleiber (1992) et Lebas (1997) on observe agrave lrsquoinverse une

tentative de cibler des sous-types particuliers parmi les proceacutedeacutes de reacutefeacuterence

indirecte dans une viseacutee plus ou moins restrictive

iii) Enfin lrsquoapproche qui eacutevacue la question de la reacutefeacuterence et de lrsquoanaphore soit

en ignorant la probleacutematique (Goudet 1983)283

soit en reacutecusant purement et

simplement le statut anaphorique du pheacutenomegravene en raison de lrsquoabsence

drsquoanteacuteceacutedent (Suntildeer 1983 Jaeggli 1986 Cabredo Hofherr 2003 2014

Siewierska amp Papasthati 2011 Siewierska 2008 2011 Sanford et al 2008

Filik et al 2008)

Quant agrave la meacutethodologie adopteacutee elle deacutepend bien entendu des cadres theacuteoriques exploiteacutes

mais aussi du choix des donneacutees agrave traiter Ainsi une grande part des donneacutees en jeu sont des

exemples eacutelaboreacutes par le soin des auteurs et donc soumis agrave leur propre intuition ou agrave celle

drsquoinformateurs (Kleiber 1992b Lebas 1997 Goudet 1983 Suntildeer 1983 Jaeggli 1986 Cabredo

Hofherr 2003 2014 Sanford et al 2008 Filik et al 2008 en partie Siewierska 2008 2011 et

Siewierska amp Papasthati 2011) drsquoautres donneacutees repreacutesentent des collections drsquoexemples

recueillis de sources authentiques diverses mais en nombre limiteacute (Yule 1982 en anglais

282

Contra lrsquoavis de Siewierska (2011 81) laquo If these [3PL-IMPS in non pro-drop languages] do arise their

grammaticalization is restricted to semi-impersonal contexts in which they are least likely to be confused with

referential 3PL forms raquo (nous soulignons) 283

Dans une optique structuraliste lrsquoauteur se limite agrave lrsquoanalyse componentielle du systegraveme linguistique des

indices de 3e personne sans srsquointeacuteresser agrave la proceacutedure interpreacutetative reacutefeacuterentielle proprement dite

278

[Reichler-]Beacuteguelin 1993b en partie Siewierska 2008) enfin certaines donneacutees sont

extraites drsquoun corpus bien speacutecifique (traductions parallegraveles drsquoun roman chez Siewierska amp

Papasthati 2011)

Malgreacute la diversiteacute des approches des meacutethodologies des langues observeacutees et de lrsquoextension

des faits quelques caracteacuteristiques reacutecurrentes se deacutegagent de ces travaux agrave quelques

exceptions pregraves284

a) La sous-deacutetermination du reacutefeacuterent de lrsquoindice de 6e personne (refleacuteteacutee par la diversiteacute

des adjectifs caracteacuterisant lrsquoemploi tels que indeacutesigneacute indeacutetermineacute vague collectif

non-speacutecifique (semi-)impersonnel arbitraire etc) elle peut ecirctre plus ou moins

marqueacutee

b) Le nombre pluriel le genre masculin (pour les langues dont le pronom de 6e personne

alterne en genre)285

c) Lrsquointerpreacutetation humaine du reacutefeacuterent

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute pour le franccedilais aucune eacutetude empirique ndash crsquoest-agrave-dire

fondeacutee sur des donneacutees attesteacutees ndash nrsquoest entiegraverement consacreacutee agrave la question Il nous semble

donc important de documenter davantage le sujet sous cet angle afin de compleacuteter corroborer

ou remettre en cause les reacutesultats et partis pris de nos preacutedeacutecesseurs Nous probleacutematiserons

en particulier la relation entre les emplois concerneacutes et lrsquoanaphore ou les proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels

Une attention scrupuleuse sera eacutegalement accordeacutee aux donneacutees orales spontaneacutees dont les

conditions de production sont preacutesenteacutees comme particuliegraverement favorables par de nombreux

linguistes (eg Yule 1982 [Reichler-]Beacuteguelin 1993b Siewierska 2008) ou grammairiens

(Von Wartburg amp Zumthor 1973 Grevisse amp Goosse 2011)

284

Rappelons que [Reichler-]Beacuteguelin (1993b) se distancie des restrictions sur le genre et sur le trait humain 285

On pourrait ajouter la position sujet implicitement admise au vu des donneacutees eacutetudieacutees Suntildeer (1983 189)

mentionne toutefois cette exigence agrave propos des seules langues pro-drop Quant agrave [Reichler-]Beacuteguelin (1993b)

elle rend compte drsquoemplois en position de reacutegime et de deacuteterminants possessifs

279

3 Etude de ILS dans une collection de donneacutees en franccedilais

Cette section vise agrave eacutetudier le comportement de ils et ses circonstances drsquoemploi dans des

contextes authentiques ougrave il manifeste un degreacute de sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle A ce titre

il srsquoeacutecarte de la conception courante de lrsquoanaphore pronominale ainsi que le montre

lrsquoexemple ci-dessous

(391) jpense que cest dans les anneacutees alors euh + euh dans les anneacutees euh soixante euh

soixante-trois quatre cinq ccedila a commenceacute + en je je ceacutetait larriveacutee des veacutelomoteurs du

plastic dans en province enfin en province jme souviens de agrave la campagne ceacutetait

frappant euh ils ont pris les anciens meubles ils ont proposeacute des cuisines en formica

y a eu tout ce (cfpp)

Malgreacute la mise en place en M drsquoun domaine drsquointerpreacutetation assez circonstancieacute (anneacutees

soixante agrave la campagne) ils ne renvoie pas agrave un reacutefeacuterent deacutejagrave eacutetabli ni identifieacute dans M et les

preacutedications qui le concernent ne permettent manifestement pas drsquoinfeacuterer les traits distinctifs

drsquoun reacutefeacuterent stabiliseacute dans les connaissances partageacutees A lrsquoinverse elles invitent plutocirct agrave un

traitement sommaire de ils

Drsquoautres occurrences se laissent neacuteanmoins plus volontiers deacutecrire en termes drsquoanaphore

indirecte (voir aussi (371) ou les laquo ils collectifs raquo de Kleiber comme (382)) agrave la faveur drsquoun

processus infeacuterentiel (respectivement collectif-classe pour (392) et sceacutenario-actant pour

(393))

(392) euh enfin la geacuterance a mis des | _ | _ | | un appareil pour euh mesurer lhygromeacutetrie

pis ils ont dit non non tout va bien | pis y avait les papiers peints qui se deacutecollaient | _

| euh ils les ont accuseacutes de je sais pas | _ | et pis | l le | de t | _ | de douvrir trop leur

fenecirctre (ofrom)

(393) ne tinquiegravetes psLa on fait lembarquement ms ils font un exerciceenregistrer tout

manuellementDonc on nest ps prets dembarquerA toutegros becs (Swiss sms

corpus)

Cependant la limite entre les emplois de ils donnant lrsquoinstruction drsquounifier leur variable avec

un objet agrave infeacuterer et ceux qui demeurent pratiquement inanalyseacutes du point de vue interpreacutetatif

nous paraicirct loin drsquoecirctre eacutevidente et meacuterite degraves lors qursquoon srsquoy attarde

Par ailleurs ce genre drsquoemplois sous-deacutetermineacutes nrsquoest pas pris en compte dans les modegraveles

dominants des expressions reacutefeacuterentielles A cet eacutegard nous avons entrepris dans une eacutetude

anteacuterieure (Johnsen 2014) un classement des occurrences de ils issues drsquoun corpus restreint agrave

savoir 26 enregistrements de la base PFC provenant de 13 points drsquoenquecircte de la

francophonie Au total nous avons classeacute 218 occurrences de ils Parmi celles-ci 68

correspondaient agrave une situation laquo canonique raquo crsquoest-agrave-dire ougrave la variable est unifiable avec un

reacutefeacuterent saillant et identifieacute en M lrsquounique cas geacuteneacuteralement preacutedit par les modegraveles existants

Le reste tout de mecircme 32 se reacutepartissait de la maniegravere suivante 8 renvoyait agrave un

280

reacutefeacuterent disponible en M mais en retrait (peu saillant) 17 agrave un reacutefeacuterent agrave infeacuterer et 7 agrave un

reacutefeacuterent largement sous-deacutetermineacute Etant donneacute la taille du corpus les chiffres ne peuvent pas

ecirctre tenus pour repreacutesentatifs Mais mecircmes indicatifs les reacutesultats soutiennent globalement

qursquoune part non neacutegligeable des faits est laisseacutee pour compte dans les theacuteories de la reacutefeacuterence

Afin de compleacuteter cette eacutetude anteacuterieure nous nous proposons drsquoeacutelargir notre champ

drsquoobservation agrave des donneacutees provenant de sources plus varieacutees dans une approche qualitative

Avant drsquoentrer dans lrsquoanalyse proprement dite il convient de rappeler qursquoun proceacutedeacute de

reacutesolution anaphorique typique recouvre la situation ougrave lrsquoobjet preacutesupposeacute par le pointeur se

voit unifieacute avec un objet deacutejagrave preacutesent en M Dans les chapitres preacuteceacutedents nous avons

cependant deacutegageacute plusieurs cas de figure qui srsquoen eacutecartaient au chapitre II la notion

drsquoanaphore indirecte permet de recouvrir la situation ougrave agrave deacutefaut drsquoun objet valide en M

lrsquoobjet viseacute doit ecirctre infeacutereacute sur la base drsquoune relation avec drsquoautres objets preacutesents au

chapitre III (cf supra sect23) nous avons en outre eacutenumeacutereacute plusieurs situations de sous-

deacutetermination reacutefeacuterentielle pour meacutemoire i) les cas de cataphore ougrave lrsquoinstanciation de la

variable se voit retardeacutee la valeur agrave attribuer eacutetant livreacutee a posteriori ii) les cas ougrave la valeur agrave

affecter est absente et doit ecirctre conjectureacutee mais lrsquoensemble des valeurs possibles eacutetant vague

la variable demeure sous-deacutetermineacutee iii) les cas ougrave lrsquounification se fait avec un objet

effectivement valide mais dont la composition et la deacutelimitation demeurent incertaines (eg

les anaphores reacutesomptives)

Dans cette eacutetude deacutedieacutee agrave lrsquoindice de 6e personne ils nous ne nous inteacuteressons pas au cas de

retardement de lrsquounification i) qui ne met pas en jeu une sous-deacutetermination durable ni au

cas iii) car il concerne la reacutefeacuterence agrave des objets non individueacutes Crsquoest avant tout le rapport

entre lrsquoanaphore indirecte et la situation ii) qui occupera deacutesormais notre attention Comme

constateacute ci-dessus il nrsquoest pas toujours eacutevident de deacuteterminer si ils fait effectivement lrsquoobjet

drsquoun traitement infeacuterentiel (anaphore indirecte) ou si la proceacutedure eacutetant trop coucircteuse sa

variable demeure non instancieacutee Nous tenterons donc de cerner de plus pregraves les situations ougrave

le processus infeacuterentiel aboutit agrave une hypothegravese interpreacutetative (sect321) et celles ougrave il nrsquoy

aboutit pas (sect323) de mecircme que les cas ougrave lrsquoanalyse reste indeacutecidable (sect322) Etant donneacute

les similariteacutes deacutejagrave releveacutees par les auteurs entre lrsquousage de ils du passif et de on nous

proposerons eacutegalement une analyse comparative de ces diffeacuterents moyens de sous-

deacutetermination de lrsquoagent (sect34) Avant drsquoentamer lrsquoanalyse proprement dite quelques

preacutecisions sur les donneacutees sont opportunes (sect31)

31 Remarques sur les donneacutees

Nous avons effectueacute des recherches automatiques de la chaicircne de caractegraveres286

(PFC et CFPP)

ou du mot ils (OFROM) via les concordanciers respectifs Comme indiqueacute dans lrsquoAvant-

286

La recherche par chaicircne de caractegraveres seule possibiliteacute dans PFC et CFPP ne permet pas de distinguer

lrsquooccurrence pronominale ils des mecircmes suites de lettres dans un mot (comme fils deacutetails etc) En ajoutant un

espace agrave la suite de la chaicircne on reacuteduit le bruit A lrsquoinverse lrsquoajout drsquoun espace avant se reacutevegravele une requecircte

silencieuse crsquoest-agrave-dire qursquoelle exclut des occurrences comme celles preacuteceacutedeacutees drsquoune apostrophe (eg qursquoils)

281

propos de cette 2e partie au vu du nombre de reacutesultats

287 nous nous sommes pencheacutee sur les

extraits drsquoenregistrements les plus feacuteconds en ils pour nous concentrer dans un second temps

sur les cas les plus probleacutematiques agrave analyser du point de vue de la reacutefeacuterence

Nous avons parfois rencontreacute des problegravemes de transcription dans les bases respectives en

raison de situations drsquohomophonie entre les 3e et 6

e personnes (eg il mange vs ils mangent)

ayant induit une transcription agrave notre sens erroneacutee Drsquoautres fois la situation reste indeacutecidable

du point de vue de lrsquoanalyse comme ci-dessous ougrave le transcripteur a privileacutegieacute le pluriel mais

ougrave lrsquoon pourrait envisager un singulier eacutetant donneacute le genre drsquoeacutemission TV en question288

(394) on regardait lagrave sur ARTE par exemple y a eu cet eacuteteacute euh ++ vers huit heures du soir un

++ euh + des visites de pays ougrave il(s) rencontrai(en)t les gens il(s) les regardai(en)t

lire et il(s) les regardai(en)t manger aussi ++ cuisiner manger (cfpp)

Dans ce cas le contexte approprieacute fait deacutefaut pour reconstituer les intentions reacutefeacuterentielles du

locuteur Des problegravemes drsquoaudibiliteacute dus agrave la qualiteacute sonore des enregistrements ou agrave des

situations de chevauchement ont eacutegalement surgi En cas de doute sur la reacutealisation effective

drsquoun ils nous avons renonceacute agrave prendre lrsquoexemple en compte On peut encore relever des cas

drsquoindistinction perceptive entre le masculin et le feacuteminin (ils vs elles) ougrave crsquoest agrave nouveau le

recours au contexte qui permet eacuteventuellement de trancher Enfin la reacutealisation phoneacutetique

est parfois si teacutenue que lrsquoon est en droit de srsquointerroger sur la preacutesence effective ou non du

morphegraveme Lagrave eacutegalement le doute conduit agrave eacutecarter une telle donneacutee des observations

32 Classement des donneacutees

321 Anaphore indirecte

Comme nous lrsquoavons annonceacute une maniegravere drsquoanalyser certaines occurrences en ils est de les

traiter comme des anaphores indirectes mettant en jeu des types drsquoinfeacuterences par ailleurs

routiniseacutees (cf supra ChI sect33 et ChII sect422) Le pronom conjoint ils requiert drsquounifier sa

variable avec une classe qursquoil est possible drsquoinfeacuterer de lrsquoexistence drsquoun individu collectif

(sect3211) drsquoun lieu (sect3212) ou drsquoun sceacutenario impliqueacute (sect3213)

3211 Infeacuterence collectif-classe

Lrsquolaquo anaphore indirecte collective raquo (Lammert amp Lecolle 2014) est un proceacutedeacute bien connu ils

permet dans ce cas de renvoyer aux membres drsquoune collection deacutejagrave eacutetablie en M (cf supra ch

II sect23) On peut deacutefinir une collection comme un ensemble qui se compose drsquoeacuteleacutements289

le

rapport entre les eacuteleacutements (ou membres) et lrsquoensemble relegraveve ainsi de lrsquoingreacutedience (ou

meacutereacuteonymie) Ci-dessous on relegraveve ce genre de rappel agrave la suite de lrsquointroduction drsquoune

287

Au 16 aoucirct 2016 PFC compte 7234 occurrences OFROM 4590 et CFPP 3569 288

Par exemple une eacutemission ougrave un animateur part seul agrave la rencontre drsquoindigegravenes 289

Certaines deacutefinitions sont plus restrictives ajoutant par exemple lrsquoappartenance des eacuteleacutements agrave une mecircme

cateacutegorie Voir Lammert et Lecolle (2014) pour une vue geacuteneacuterale sur les N collectifs en franccedilais

282

collection comme un groupe (395) une famille (396) une clientegravele (397) une eacutequipe (398) ou

encore une geacuteneacuteration (399)

(395) y avait une soir un soir euh | _ | jeu de nuit donc crsquoest un groupe qui a ducirc organiser

des un jeu de nuit dans la forecirct | _ | qui faisait assez peur dailleurs mais conduit | _ |

hein | _ | ben conduit organiseacute alors ils ont ducirc | _ | organiser donc des jeux de nuit

(ofrom) = (132)

(396) jai jai encore eu y a pas tregraves m tregraves longtemps | une fille de | | qui a | _ | elle a juste

cinquante ans | _ | et cest une famille ougrave ils parlaient toujours patois | _ | elle sest

marieacutee en Singine avec un Suisse allemand (ofrom)

(397) [sur une roulotte laquo take-away raquo] En ce jeudi de juillet la clientegravele deacutefile ndash ils sont

parfois une douzaine agrave faire la queue ndash et les mets proposeacutes jouent lrsquoeacuteclectisme entre

lrsquoEurope et lrsquoAsie Ce jour-lagrave pour moins de 10francs il est ainsi possible de craquer

pour un ragoucirct aux leacutegumes avec sauce-cregraveme au curry et pacirctes pour du poulet ou des

crevettes laquosweet amp sourraquo avec riz au beurre voire mecircme pour une saucisse de veau

avec pommes de terre sauteacutees (presse La Liberteacute 240712)

(398) Crsquoest la rentreacutee Alors si vous avez un petit coup de blues ou besoin dun moment de

bien-ecirctre gustatif venez savourez les bons plats preacutepareacutes par leacutequipe du food-truck

lEpicurieux Ils sont sur le campus les mardis et les mercredis de 11h30 agrave 14h00

durant le mois de septembre et viendront tous les jours agrave partir drsquooctobre (Notification

Facebook 25082015)

(399) L1 vous ne nrsquoavez pas non plus dans les dans les deacutecalages justement de geacuteneacuterations

comment vous vous situez par rapport agrave la + agrave la nouvelle geacuteneacuteration est-ce que +

vous ecirctes vous faites partie des gens qui nrsquosupportent plus les inciviliteacutes je mets tous

les guillemets

L2 [hellip] j trouve quelles [mes filles] ont eacutenormeacutement eacutevolueacute euh + dans un monde

du venant dune geacuteneacuteration quand mecircme euh nrsquoayant pas grand chose agrave proposer nous

et euh + voilagrave un monde assez + + avec de moins en moins d liberteacute si vous voulez

mais jrsquoles trouve pas incivils euh + non j trouve quils pourraient plus encore mecircme

se se reacutevolter + + j trouve quils vivent eacutenormeacutement en groupe moi crsquoest ce qui

mrsquoaura marqueacutee dans cette geacuteneacuteration lagrave crsquoest quils vivent entre eux quoi et jrsquotrouve

que voilagrave au collegravege aussi beaucoup les uns chez les autres (cfpp)

On relegraveve ainsi des types de reacutefeacuterents allant bien au-delagrave de la notion de groupe invoqueacutee

supra (sect2221) par Kleiber (1992b) On note eacutegalement contra Kleiber que la position

reacutegime du clitique est possible (399) de mecircme que la reacutefeacuterence agrave des membres non humains

(cf [Reichler-]Beacuteguelin (1993b)) comme lrsquoillustre encore lrsquoexemple ci-dessous ougrave en

lrsquoabsence drsquoindices on ne connaicirct drsquoailleurs pas le genre du pronom les (les lsquobecirctesrsquo les

lsquovachesrsquo )

(400) la vie agrave la ferme ben en ce moment je suis en plein dedans vu que | _ | je suis ben

justement dans mon anneacutee sabbatique alors jrsquoaide mon papa | _ | euh | _ | ben en gros

283

euh | _ | le matin on se reacuteveille assez tocirct pour srsquooccuper du beacutetail les nourrir les traire |

_ | on les sort on fait des parcs (ofrom)

Il est inteacuteressant de constater que la reacutefeacuterence agrave la classe via lrsquoindice de 6e personne semble

parfois favoriseacutee par lrsquoexpression drsquoun preacutedicat distributif en (396) on peut supposer que le

preacutedicat lsquoparler patoisrsquo srsquoapplique aux membres dans un rapport de reacuteciprociteacute En (397) crsquoest

bien lrsquoaddition des diffeacuterents membres qui correspond agrave la collection quantifieacutee lsquodouzainersquo

De mecircme en (399) on attribuera la proprieacuteteacute de lsquovivre en groupersquo aux individus plutocirct qursquoagrave la

collection Crsquoest encore le cas en (400) ougrave le preacutedicat lsquotrairersquo concerne de la mecircme maniegravere

les becirctes prises seacutepareacutement Mais la lecture collective est eacutegalement bien repreacutesenteacutee comme

le deacutemontre (395) le mecircme preacutedicat eacutetant reformuleacute agrave propos de la collection respectivement

de la classe (lsquodevoir organiser desun jeu(x) de nuitrsquo) Il y a donc de bonnes raisons de

consideacuterer qursquoil srsquoagit drsquoune mecircme action collective De la mecircme maniegravere on infeacuterera

vraisemblablement une interpreacutetation collective du preacutedicat lsquoecirctre sur le campusrsquo en (398) Il se

peut eacutegalement que le preacutedicat demeure non-speacutecifieacute de ce point de vue comme lsquoecirctre incivilrsquo

et lsquopouvoir se reacutevolterrsquo en (399) ougrave il nrsquoest pas pertinent agrave distinguer entre une interpreacutetation

collective ou distributive

3212 Infeacuterence lieu-classe

Dans cette cateacutegorie on peut distinguer deux types de classe dont on infegravere lrsquoexistence agrave partir

drsquoun lieu la classe des simples occupants ou alors une classe de participants du sceacutenario

impliqueacute par ledit lieu

i) Lieu-occupants

Dans lrsquoextrait suivant un lieu est introduit via un compleacutement circonstanciel (dans les pays

africains) servant de cadre pour les preacutedications qui suivent

(401) Comme quand on va maintenant dans les pays africains hein ougrave crsquoest qursquoelle est la

viande dans les eacutetalages en suspens hein Il y a pas de il y a pas de controcircle sanitaire

lagrave hein Il y a les mouches qui se collent dessus mais ils ont faim donc ils mangent

hein Nous on la toucherait pas peut-ecirctre (pfc)

Les occurrences de ils et leur preacutedication conduisent agrave infeacuterer une classe correspondante agrave

partir du contexte eacutetabli La routine infeacuterentielle lieu-occupants (cf supra 33) offre ici un

moule particuliegraverement propice agrave lrsquoinstanciation de la variable On remarque pour cet exemple

que le SN les gens megravenerait agrave une interpreacutetation assez semblable290

Ci-dessous le lieu est indroduit via un circonstant puis se voit reformuleacute par un SN avant

que ses occupants soient viseacutes dans une parenthegravese

290

Sur lrsquoemploi des SN les gensdes gens manifestant des indices de reacuteanalyse vers un statut de pronom indeacutefini

voir Cappeau amp Schnedecker (2014)

284

(402) Gracircce agrave la geacuteneacuterositeacute de mon employeur et au talent de Fabian Cancellara je passe dix

jours en Belgique Le pays des moules des frites du chocolat ndash si si ils y croient ndash

et des biegraveres eacutevidemment (presse La Liberteacute rubrique Plage de vie 130411)

Outre la routinisation de lrsquoinfeacuterence lrsquoemploi de ils au deacutetriment drsquoun SN de gentileacute (les

Belges) est peut-ecirctre motiveacute par une strateacutegie drsquoeacutevitement de redondance lexicale (O3 cf Ch

I sect636) Quant agrave les gens on remarque qursquoil induirait une diffeacuterence drsquointerpreacutetation le

cadre reacutefeacuterentiel agrave consideacuterer se reacutevegravelerait ambigu (les gens en geacuteneacuteral ou les gens de la

Belgique ) Selon Cabredo Hofherr (2014 11) cela srsquoexplique par le fait qursquoils implique

neacutecessairement une laquo restriction de domaine raquo ici exprimeacute par le locatif facultative pour les

gens (qui peut signifier les gens en geacuteneacuteral)

Dans lrsquoexemple suivant le lieu dont les occupants sont eacutevoqueacutes nrsquoest manifestement pas

saillant au moment ougrave apparaicirct ils La locutrice introduit en effet drsquoautres objets qursquoelle place

au centre de lrsquoattention et qursquoelle est en train drsquoeacutelaborer lorsque son interlocuteur opegravere une

sorte de laquo backtracking raquo reacutefeacuterentiel

(403) E Donc quest-ce que vous voyez cet eacuteteacute lagrave quest-ce qui vous tente nnnnnnnnnnnnn

CB Alors en fait je voudrais partir euh oui parce quen fait euh quand javais dix-

huit ans jai gagneacute bon lanneacutee derniegravere hein jai gagneacute agrave un hum un concours un

hum un prix aventure Donc jai eu une bourse de treize mille francs et je suis partie

euh je suis alleacutee agrave Cuba Il fallait choisir une destination et euh enquecircter et rendre

apregraves un dossier agrave euh au deacutec au rectorat Bon je suis partie toute seule en sac agrave dos

et ccedila ma vraiment plu dailleurs je voudrais recommencer cette expeacuterience avec

dailleurs Sylvain Parce que cette anneacutee-lagrave il avait pas pu venir parce quil faisait un

BTS Donc en fait je voudrais partir dans un pays ougrave le niveau de vie est pas tregraves

eacuteleveacute heacutelas hein parce que ccedila revient cher et euh visiter en mecircme temps cest-agrave-dire

se planifier euh des des visites et et partir comme ccedila agrave laventure en sac agrave dosnnnnnn

E Et ils aiment Fidel Castro euh nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

CB Ah non ils ont tregraves tregraves peur de Fidel Castro (pcf)

Afin de reacutepondre agrave la question de E agrave propos de ses projets de vacances la locutrice CB

revient sur un voyage fait agrave Cuba qursquoelle a appreacutecieacute (ccedila mrsquoa vraiment plus) pour motiver son

deacutesir de revivre une expeacuterience similaire mais dans un lieu encore indeacutetermineacute (je voudrais

partir dans un pays ougrave le niveau de vie est pas tregraves eacuteleveacute) Alors qursquoelle est en train de

justifier ses critegraveres pour ce prochain voyage (sur lequel eacutetait centreacutee la premiegravere question de

E) son interlocuteur lrsquointerrompt pour revenir sur lrsquoexpeacuterience de Cuba et pour en savoir plus

sur les habitants Au vu de lrsquoargumentation entameacutee ce sont selon toute vraisemblance les

eacuteleacutements lieacutes au projet futur qui apparaissent les plus saillants dans M du moins au plus haut

de la laquo pile raquo agrave cet instant-lagrave du discours On observe agrave cet eacutegard le rocircle deacuteterminant du

preacutedicat lsquoaimer Fidel Castrorsquo pour lrsquointerpreacutetation du pronom Cet extrait permet de montrer

comment un interlocuteur oriente le discours en ramenant selon ses propres inteacuterecircts un objet

au centre de lrsquoattention Par ailleurs il srsquoattache agrave maintenir saillant aussi bien les occupants

285

que le lieu dans la suite de lrsquoeacutechange (Vous avez vu ce ce problegraveme quils ont actuellement

[hellip] Mais cest beau Cuba non )

Il arrive reacuteguliegraverement que le lieu soit eacutevoqueacute par le biais drsquoun simple SP adverbial cadratif

comme dans lrsquoexemple de Kleiber (1992b) pour rappel

(404) A Paris ils roulent comme des fous = (362)

Le circonstant de mecircme que le preacutedicat lsquorouler comme des fousrsquo servent ainsi de

laquo restricteurs de domaine raquo pour lrsquoinfeacuterence du reacutefeacuterent Nous traitons ce genre de proceacutedeacute

comme une anaphore indirecte (cf aussi la qualification drsquoanaphore laquo divergente raquo de Kleiber

1990a) car il met en jeu un processus analogue drsquounification de la variable avec une classe

infeacutereacutee du cadre reacutefeacuterentiel deacutelivreacute

Dans ce genre de configuration ougrave la porteacutee du cadratif est clairement eacutetablie la commutation

avec les gens semble bien fonctionner

(405) PM Mon pegravere aimait bien discuter en patois avec tous ses copains hein oh oui oui

oui oui oh oui oui oui Oh oui oh oui Oh oui

E Je sais que dans le Sud ils ont souffert de lrsquointerdiction des anneacutees vingt de parler

patois (pfc)

(406) Je sais que dans le Sud les gens ont souffert de lrsquointerdiction (exemple modifieacute)

Dans lrsquoexemple suivant le circonstant cadratif consiste simplement en lrsquoadverbe anaphorique

lagrave pointant sur le lieu preacutealablement introduit

(407) Par contre du cocircteacute de la branche euh maternelle euh ma megravere crsquoeacutetait une Le

Glouannec de lrsquoescouade Gouarec elle eacutetait du pays Fisel et lagrave ils chantaient breton

quoi (pfc)

(408) et lagrave les gens chantaient breton quoi (exemple modifieacute)

Dans cette sous-cateacutegorie les preacutedicats formuleacutes ne sont pas non plus univoquement collectifs

ou distributifs et reposent sur des infeacuterences contextuelles srsquoil nous semble plus plausible291

drsquoenvisager une lecture collective des sentiments exprimeacutes ndash faim (401) admiration et peur

(403) souffrance (405) ndash ou drsquoune croyance (402) les preacutedicats lsquorouler comme des fousrsquo

(404) ou lsquochanter bretonrsquo (407) nous paraissent agrave lrsquoinverse compatibles avec lrsquoune ou lrsquoautre

interpreacutetation la proprieacuteteacute pouvant ecirctre envisageacutee comme celle du groupe ou des individus

qui le composent

291

Selon lrsquoeacutetude psycholinguistique de Frazer Pacht amp Rayner (1999) portant sur lrsquointerpreacutetation collective ou

distributive drsquoeacutenonceacutes dont le sujet se compose de deux SN coordonneacutes les lecteurs manifesteraient clairement

en cas drsquoambiguiumlteacute theacuteorique une preacutefeacuterence pour lrsquointerpreacutetation collective appliqueacutee par deacutefaut Lrsquooccurrence

drsquoun terme distributif deacutesambiguiumlsant (each) situeacute apregraves le preacutedicat entraicircnerait ainsi une reacuteinterpreacutetation

distributive coucircteuse de lrsquoeacutenonceacute depuis le deacutebut Chez les enfants paradoxalement lrsquointerpreacutetation par deacutefaut

est au contraire distributive selon les auteurs laquo For children the distributive reading is strongly preferred

though perhaps for nonlinguistic reasons involving a conceptual preference for a one-one pairing raquo (ibid 101)

286

ii) Lieu-actant

La situation est un peu diffeacuterente lorsque les membres ne sont pas de simples occupants du

lieu mais repreacutesentent un actant drsquoun scheacutema qursquoon peut infeacuterer drsquoun lieu particulier Dans ce

cas une commutation avec les gens serait plus probleacutematique car elle ne rendrait pas compte

du rocircle actantiel en question lagrave ougrave ils permet de lrsquoinfeacuterer Lrsquoexemple ci-dessous preacutesente deux

lieux diffeacuterents respectivement un lsquohocirctelrsquo puis un lsquocafeacutersquo auxquels il est possible drsquoassocier

des scheacutemas respectifs impliquant une relation entre divers actants typiques

(409) Et puis voilagrave donc le premier soir on a coucheacute agrave lhocirctel parce que lrsquoappartement quon

avait reacuteserveacute neacutetait pas libre donc on a coucheacute agrave lhocirctel Alors lrsquohocirctel les bagages

il(s) voulai(en)t pas nos bagages ceacutetait pas lheure Alors que normalement ceacutetait agrave

onze heures du matin ils nous ont dit Non agrave cinq heures de lapregraves-midi On a dit

Mais non vous plaisantez Alors quand mecircme ils ont accepteacute de les mettre dans une

petite piegravece lagrave-bas au fond [hellip] Eh bien en arrivant lagrave-bas eh ben (rires) on est alleacute

chercher un cafeacute pour euh deacutejeuner Mais en Italie cest quon sassoit pas pour

deacutejeuner cest tout au au bar Oh ben on a dit Non on vient de passer une nuit on

veut au moins un petit-deacutejeuner confortable (rires) sasseoir Ben on a eu de la peine

agrave trouver un espegravece de petit recoin au fond de dune salle Ils nous ont servi un cafeacute

alors moi pas du tout agrave la franccedilaise alors le cafeacute hum pas digeacutereacute du tout ccedila (pfc)

Parfois un mecircme lieu engage simultaneacutement plusieurs types de classes agrave reconstituer agrave partir

du contexte On notera en particulier le rocircle des preacutedications respectives pour distinguer entre

les diffeacuterents reacutefeacuterents eacutevoqueacutes par les occurrences de ils

(410) le problegraveme crsquoest que en Australie sans voiture | _ | trsquoes dans la degraveche [hellip] mais ils ils

vont pas genre comme chez nous agrave perpegravete-les-joints avec le train quoi [hellip] donc

euh la voiture cest cest quelque chose dassez indispensable | _ | dailleurs euh ils

peuvent | _ | avoir leur permis | _ | agrave seize ans | _ | mais ccedila pose drsquoeacutenormes problegravemes

parce que deacutejagrave ici agrave dix-huit ans les gamins ils ont pas forceacutement | _ | la maturiteacute euh |

_ | pour comprendre la puissance dune voiture [hellip] enfin voilagrave quoi en plus euh | _ |

avec les kangourous qui traversent la route rien agrave voir euh ccedila aide pas non plus | _ | trsquoas

meilleur temps de pas aller trop vite | _ | mais alors maintenant ils ont instaureacute des

nouvelles lois genre euh ils ont pas le droit davoir de trop grosses cylindreacutees | _ |

heureusement | _ | euh | _ | ils ont pas le droit decirctre plus que deux dans une voiture

apregraves neuf heures le soir | _ | pour pas quils euh | _ | enfin pas quils aillent faire la

foire [hellip] bon voilagrave ils ont mis des restrictions par rapport agrave ccedila (ofrom)

Dans les seacutequences en gras romain le pronom semble renvoyer comme dans la sous-section

preacuteceacutedente aux occupants autrement dit aux lsquoAustraliensrsquo auxquels sont octroyeacutes des

preacutedicats geacuteneacuteriques ie qui geacuteneacuteralisent un eacutetat-de-choses (Carlson 2006) Le locuteur

restreint ensuite explicitement cette classe dans les passages souligneacutes au moyen de plusieurs

attributs (acircge deacutenomination preacutedicats etc) qursquoon peut identifier comme les lsquojeunes

conducteurs australiensrsquo Mais dans lrsquointervalle et de maniegravere inopineacutee il est fait reacutefeacuterence agrave

287

une autre classe via ils la variable nrsquoest en effet unifiable au vu du preacutedicat lsquoinstaurer des

loisrsquo ni avec les lsquooccupants australiensrsquo ni avec les lsquojeunes conducteursrsquo Il srsquoagit donc

drsquoinfeacuterer la classe qui correspond agrave un actant impliqueacute dans un scheacutema vraisemblablement lieacute

agrave lrsquolsquoadministrationrsquo du lieu en question On observe dans la suite du passage que le locuteur

alterne de maniegravere impreacutevisible entre cette classe et celle des lsquojeunes conducteursrsquo seuls les

preacutedicats respectifs permettant de faire la part des choses Il est inteacuteressant de remarquer que

malgreacute ce qursquoon pourrait malencontreusement prendre en raison de lrsquoabsence de

redeacutenomination pour une chaicircne de reacutefeacuterence (Chastain 1975 Corblin 1995 Schnedecker

1997 Schnedecker amp Landragin 2014) le reacuteseau reacutefeacuterentiel agrave lrsquoœuvre se construit sur le vif

de maniegravere assez instinctive fondeacute sur une part drsquoimplicite et sur une sorte de laquo seacutelection

naturelle raquo opeacutereacutee par les preacutedicats On est donc loin de lrsquoidentification de laquo chaicircnons raquo

distincts eacutetablis et controcircleacutes que suppose la notion de chaicircne de reacutefeacuterence (cf supra ChII

sect33)

On pourrait multiplier les exemples avec toutes sortes de lieux dont on peut infeacuterer des

sceacutenarios

(411) voilagrave ben je me suis inscrit euh | _ | dabord au conservatoire de de | | et puis | _ | vu

mon acircge avanceacute euh | _ | ils ils heacutesitaient agrave me prendre parce que y avait pas beaucoup

de place enfin ceacutetait assez difficile (ofrom)

(412) Jattends la reacuteponse de lhocircpital Jai expliqueacute ta situation Ils vont me rappeler As-tu

mal agrave la tecircte Bises (Swiss sms corpus)

Dans cette cateacutegorie la question drsquoune interpreacutetation collectivedistributive offre un eacuteclairage

nouveau En effet lrsquoemploi du verbe agrave la 6e personne permet de diffuser collectivement et

indistinctement la responsabiliteacute drsquoun eacuteventuel exeacutecuteur sur lrsquoensemble des agents associeacutes agrave

lrsquoun des sceacutenarios propres agrave un lieu En drsquoautres termes lrsquointerpreacutetation est compatible avec la

situation ougrave un seul individu a pu agir au nom de lrsquoensemble En cela la structure en ils + V

srsquooppose agrave une structure causative en faire+inf (eacutegalement appeleacutee factitive) qui procegravede par

deacutedoublement des agents celle-lagrave distingue en effet un instigateur laquo qui promeut lrsquoaction raquo

drsquoun exeacutecuteur laquo qui la reacutealise raquo (Simone 2014 347) (eg le professeur a fait nettoyer le

tableau par les eacutelegraveves) La structure causative est donc une diathegravese qui permet de

complexifier un procegraves en augmentant le nombre drsquoagents Parmi ses fonctions pragmatiques

on peut noter celle de marquer lrsquoautoriteacute de lrsquoinstigateur sur lrsquoexeacutecuteur et reacuteciproquement

celle de diminuer la responsabiliteacute de lrsquoexeacutecuteur (ibid) A lrsquoinverse lrsquoemploi de ils dans les

contextes preacutesents permet de diluer la responsabiliteacute drsquoun eacuteventuel exeacutecuteur dans une source

diffuse On peut ainsi voir la structure en ils comme le pendant de la diathegravese causative

Cette observation nous permet de mieux comprendre pourquoi les locuteurs peuvent recourir

agrave ils alors qursquoun seul exeacutecuteur est envisageable ils projette ainsi la responsabiliteacute sur une

entiteacute plus diffuse comprenant potentiellement plusieurs niveaux drsquoagents Pour meacutemoire de

nombreux auteurs remarquent qursquoil est possible drsquoutiliser la 6e personne dans des cas ougrave un

288

seul individu est concerneacute par la situation deacutecrite (Goudet 1983 Suntildeer 1983 Jaeggli 1986

Myhill 1997 Siewierska 2008) Siewierska (2008) soutient cependant que cet emploi nrsquoest

pas possible en franccedilais contrairement agrave lrsquoanglais et au neacuteerlandais qui lrsquoautorisent dans la

mesure ougrave lrsquoindividu est consideacutereacute comme le repreacutesentant drsquoun organisme (Myhill 1997 807-

808)

(413) They accused me of coming to this country just to get rich

It must be assumed that they refers to the entire group of people in whose name the action was done even if in a particular case only one person may have literally done the action (ibid)

Contrairement agrave lrsquoavis de Siewierska cette situation vaut donc aussi pour le franccedilais comme

en teacutemoignent bien les exemples de la section

3213 Infeacuterence sceacutenario-actant

Dans cette cateacutegorie les occurrences de ils requiegraverent lrsquoinfeacuterence drsquoune classe correspondant agrave

lrsquoactant drsquoun sceacutenario Ici non plus la commutation avec les gens nrsquoaboutit pas

systeacutematiquement agrave une interpreacutetation similaire car sa sous-speacutecification invite moins

spontaneacutement agrave lrsquoinfeacuterence drsquoun rocircle actantiel du reacutefeacuterent Dans lrsquoexemple ci-dessous une

locutrice raconte les circonstances drsquoun saut en parachute impliquant un mecircme reacutefeacuterent dont

lrsquoidentiteacute se preacutecise au fil des preacutedications et dont les pointages successifs contribuent agrave

augmenter la saillance

(414) ceacutetait vraiment sympa on a fait aussi un saut en parachute agrave San Diego | _ | ceacutetait

assez euh | _ | assez incroyable surtout que | _ | ouais deacutejagrave on arrive lagrave-bas euh | _ | ils

nous ont presque pas donneacute dexplications | _ | et pis euh tout dun coup ils nous

mettent un | _ | un espegravece de gros euh | _ | un espegravece de gros baudrier avec deux

grosses sangles qui passent sur les eacutepaules | _ | et pis euh | _ | ils nous font ah ben on

va dans lavion machin donc euh on nous on sy attendait trop pas | _ | pis apregraves on

monte dans lavion euh il commence agrave | _ | agrave deacutecoller ceacutetait vraiment un petit avion on

eacutetait quatre dans lavion mais lavion il eacutetait plein | _ | on aurait pas pu ecirctre une

personne de plus | _ | et pis euh lavion il monte et pis on on eacutetait euh | il(s) nous

donne(nt) les explications du saut dans lavion et alors quy a | plein de bruit | _ | ouais

ceacutetait assez euh un peu agrave larrache comme ccedila | _ | et pis euh apregraves agrave quatre mille megravetres

il ouvre la porte et pis hop | on saute euh on avait juste des petites lunettes on navait

rien du tout pour euh | _ | proteacuteger les oreilles ou comme ccedila (ofrom) = (101)

Il est inteacuteressant de constater qursquoau deacutebut de la narration de lrsquoeacutepisode la locutrice eacutevoque via

la 6e personne un ensemble mais qursquoelle en extrait par la suite

292 un seul individu peut-ecirctre

lrsquoexeacutecuteur du sceacutenario Mais lrsquoon pourrait eacutemettre une autre hypothegravese celle selon laquelle

292

Peut-ecirctre deacutejagrave degraves lrsquoavant-derniegravere occurrence eacutetant donneacute lrsquohomophonie de la forme verbale (3e ou 6

e

personne) La derniegravere occurrence est quant agrave elle clairement reacutealiseacutee sans liaison donc tregraves probablement

marqueacutee au singulier

289

le reacutefeacuterent eacutevoqueacute drsquoabord sous forme drsquoensemble soit composeacute en tout et pour tout drsquoun seul

membre

Cette hypothegravese remettrait en question la conception traditionnelle du pluriel comme simple

addition drsquoeacuteleacutements (cf supra ChII sect23) deacutejagrave affaiblie par drsquoautres faits comme les

pheacutenomegravenes drsquoaccords lieacutes aux noms collectifs les interpreacutetations des 4e (nous) et 5

e (vous)

personnes le cas des pluralia tantum etc Ces faits mettent notamment en eacutevidence la

possibiliteacute drsquointerpreacuteter le pluriel comme un ensemble (asymp pluriel interne) Or cette conception

nrsquoexclut pas a priori que lrsquoensemble consideacutereacute soit constitueacute drsquoun seul eacuteleacutement comme peut-

ecirctre ci-dessus (voire drsquoaucun eacuteleacutement cf la notion drsquoensemble vide) Pour certains auteurs

(Suntildeer 1983 Goudet 1983 Siewierska 2008 Cabredo Hofherr 2003 2014) la possibiliteacute de

cette lecture laquo singuliegravere raquo teacutemoigne du caractegravere non marqueacute du pluriel293

Pour Suntildeer (1983)

et Siewierska (2008) le pluriel serait agrave interpreacuteter comme une marque de reacutefeacuterence arbitraire

ou comme la grammaticalisation drsquoune forme drsquoimpersonnel Selon Cabredo Hofherr (2003

2014) le pluriel serait responsable des traits [+comptable] et [+humain] dans lrsquousage des

pronoms arbitraires Notre approche agrave lrsquoinverse se distingue de celles-ci par le fait qursquoelle

reacutevise la conception traditionnelle du pluriel dont la marque peut degraves lors srsquointerpreacuteter soit

comme une somme soit un ensemble auquel cas le nombre drsquoeacuteleacutements peut eacuteventuellement

eacutequivaloir agrave 1

Cette interpreacutetation du pluriel vaut pour les exemples ci-dessous eacutegalement Le suivant

comporte un discours rapporteacute portant sur un examen de conduite

(415) [les interlocuteurs viennent drsquoeacutevoquer la reacutecente obtention du permis de conduire par

une connaissance mutuelle] avec qui que je discutais lautre jour ah | | | qui me

disait quy a un jeune qui eacutetait sucircr de passer son | _ | pis qui qui roulait bien | _ | mais

trop trop sucircr de lui pis ils lui ont | pas donneacute parce que | _ | justement il eacutetait trop sucircr

de lui dans les ronds-points | il y allait trop | _ | trop | | _ | si tu fais pas de becirctises ils

te le donnent hein | _ | (ofrom)

Au vu du sceacutenario sous-jacent on peut assez plausiblement infeacuterer lrsquoidentiteacute de lrsquoagent du

procegraves lsquodonnerrsquo tout comme drsquoailleurs celui de son objet Oslash qursquoon preacutesume coreacutefeacuterentiel au

SN preacuteceacutedent son Oslash A noter que le reacutefeacuterent est dans un premier temps eacutevoqueacute dans un

293

Or selon Corbett (2000 17) un systegraveme ougrave le pluriel servirait de nombre non marqueacute nrsquoest pas attesteacute agrave

travers les langues mecircme si certaines langues nrsquoobligent pas agrave seacutelectionner le trait de nombre pour la cateacutegorie

nominale en recourant agrave une forme laquo geacuteneacuterale raquo qui nrsquoengage pas le locuteur agrave ce niveau (p 9 sqq) Par

exemple dans une langue couchitique appeleacutee le bayso la forme geacuteneacuterale luacuteban (lsquolion(s)rsquo) est utiliseacutee dans les

cas ougrave le nombre est non pertinent ne signalant pas srsquoil est question drsquoun ou plusieurs animaux de ce type par

opposition au singulier luacuteban-titi ou au pluriel luacuteban-jool Cette situation est eacutegalement valable pour le fula un

dialecte de Guineacutee ainsi que pour lrsquoarabe syrien agrave la diffeacuterence pregraves que la forme geacuteneacuterale nrsquoest pas disponible

pour tous les types de noms (p 12-13) Dans drsquoautres langues plus nombreuses une interpreacutetation laquo geacuteneacuterale raquo

ie qui nrsquoengage pas quant au nombre drsquoindividus peut se faire au moyen de lrsquoune des formes existantes du

systegraveme du nombre en lrsquooccurrence le singulier Crsquoest le cas du japonais ougrave le singulier peut indiquer un

nombre non speacutecifieacute Ainsi inu (sg) pourra signifier lsquoun ou plusieurs chien(s)rsquo tandis que inu-tati (pl) indiquera

clairement qursquoil est question de plusieurs chiens Par contre Corbett ne relegraveve pas le pendant de cette situation

ie une langue ougrave le pluriel est le cas non marqueacute

290

contexte eacutepisodique (ici via le passeacute-composeacute) puis reconvoqueacute pour une preacutedication

geacuteneacuterique

Ci-dessous lrsquoextrait illustre le concours drsquoindices de diverses natures pour lrsquoinstanciation de

la variable exprimeacutee par ils

(416) Voici comment Fred a trouveacute notre voiture hier apregraves lopeacuterahellip nnnnnnnnnnnnnnnnnn

[photo drsquoune voiture dont une vitre est casseacutee] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Shit happens Ils ont voleacute un appareil photo et qq trucs du boulot notamment des cleacutes

294

(vachement deacutelicat) Mais par contre le GPS qui eacutetait colleacute au pare-brise mes

lunettes agrave soleil etc ils ny ont pas toucheacute (courriel 30012012)

La photographie eacutevoque un sceacutenario probable dont on peut infeacuterer le type drsquoagent La

preacutedication attribueacutee agrave ils vient confirmer lrsquohypothegravese interpreacutetative avec laquelle on peut degraves

lors instancier la variable Ici aussi il est possible que le nombre de membres eacutequivale agrave 1

Lrsquoexemple suivant comporte lui aussi une dimension visuelle car il srsquoagit drsquoun spot

publicitaire de preacutevention des accidents qui met en scegravene une statuette briseacutee reprenant

progressivement la silhouette drsquoun ouvrier

(417) Lrsquoaccident est arriveacute comme un eacuteclairF295

je me suis plus ou moins casseacute tout ce qursquoon

peut casserF jrsquoai eu la trouille quand ils mrsquoont dit que je devais arrecircter de travailler

pendant cinq mois au moinsF

au boulot ils ont eacuteteacute drocirclement embecircteacutesS et ils ont trouveacute

quelqursquoun pour faire mon travailF

apregraves la quatriegraveme opeacuteration jrsquoeacutetais complegravetement

deacuteprimeacuteS

crsquoest seulement ensuite que jrsquoai pu commencer la reacuteadaptationF (TV spot

publicitaire pour une assurance-accidents intituleacute laquo Attention fragile raquo)

A partir du sceacutenario mis en scegravene et du discours rapporteacute (un ordre drsquoarrecirct de travail) il est

assez aiseacute drsquoinfeacuterer une classe correspondant agrave la premiegravere occurrence de ils Lagrave aussi le

nombre de membres de lrsquoensemble est potentiellement eacutegal agrave 1 On remarque que les

occurrences suivantes de ils ne prolongent pas cette reacutefeacuterence Elles se trouvent sous la porteacutee

drsquoun circonstant cadratif (au boulot) permettant (de mecircme que les preacutedicats formuleacutes) de

restreindre le domaine drsquoinfeacuterence de la nouvelle classe

Ci-dessous le reacuteseau de ils renvoie invariablement agrave une mecircme classe dont lrsquoidentiteacute des

membres nrsquoest pas pertinente

(418) [La locutrice donne son avis sur diffeacuterents films] y avait aussi le maicirctre du jeu je sais

pas si tu | _ | euh le maicirctre du jeu ou le | _ | comment ccedila sa y a une autre euh y a une

autre euh y a un autre titre euh | _ | cest vraiment un film euh | _ |le film est vraiment

fantastique mais ils ont complegravetement changeacute le le le | _ | lhistoire par rapport au

bouquin | _ | mais les deux sont juste incroyables [hellip] jaime ces films ougrave quand tu sors

de de d par exemple du cineacutema | _ | ougrave les quand tu vois les gens tu les croises pis tu

294

Nous anonymisons 295

Pour rappel lrsquoexposant S signale une intonation continuative et F une intonation conclusive

291

discutes du film | _ | quon soit dix pis y a dix v dix faccedilons davoir veacutecu le film

diffeacuteremment | _ | et pis de faccedilons de penser euh agrave ce quil sest passeacute diffeacuterentes | _ | le

ben par exemple Matrix le le le la toute premiegravere euh le tout premier | _ | euh | _ | donc

Matrix un | _ | ceacutetait jai trouveacute ccedila geacutenial | _ | parce que parce que ccedila te laissait | _ | ccedila

te laissait en suspens ils te donnent pas euh | _ | de de ils te donnent pas tout en main

euh | _ | voilagrave tas ta propre imagination cest cool ccedila [hellip] le Da Vinci code pour moi | _

| ils auraient pu arrecircter les vingt derniegraveres minutes | _ | ce film il eacutetait juste | _ | le

donc le premier le deuxiegraveme ceacutetait nul agrave chier | _ | ceacutetait trop visible directement ougrave

euh | _ | le reacutesultat eacutetait trop visible | _ | et le Da Vinci code le un | _ | ils auraient

coupeacute les vingt derniegraveres minutes ce ce film serait eacuteteacute extraordinaire | _ | pourquoi ils

ont besoin agrave la fin de dire | _ | voilagrave alors elle cest la fille de parce que nin nin nin et

pis il lui est arriveacute ccedila et pis | _ | je veux dire | _ | ils ils ont | _ | bout dun moment ils

| _ | coupent toute euh | _ | toute imagination | _ | pis je dans ce film cest dommage

quoi | _ | tout le long ils arrivent agrave agrave faire un suspense | _ | incroyable | _ | pis ces

vingt derniegraveres minutes ccedila a ccedila a tueacute tout le tout le film (ofrom)

La locutrice use massivement du ils pour impliquer une classe dont on infegravere le rocircle agrave travers

les preacutedicats utiliseacutes et le contexte cineacutematographique Apregraves la premiegravere occurrence le rocircle

est donc valide pour toutes les occurrences ulteacuterieures (cf lrsquoexemple (410) ougrave il change

inopineacutement) sans qursquoil soit neacutecessaire drsquoinfeacuterer lrsquoidentiteacute speacutecifique dont on sait qursquoelle

varie en fonction des diffeacuterents films eacutevoqueacutes

Pour tous les exemples de cette cateacutegorie la lecture semble par deacutefaut collective et permet de

diffuser la responsabiliteacute drsquoun eacuteventuel unique exeacutecuteur sur lrsquoensemble

3214 Bilan

Les sous-cateacutegories preacutesenteacutees ci-dessus nous semblent pouvoir ecirctre avantageusement deacutecrites

en termes drsquoanaphore indirecte En effet les extraits mettent en jeu un individu collectif un

lieu ou alors impliquent la reconnaissance drsquoun sceacutenario sur lequel peut se fonder lrsquoinfeacuterence

du reacutefeacuterent preacutesupposeacute par ils Srsquoil est vrai que les membres de la classe eacutevoqueacutee ne sont pas

individuellement identifiables (drsquoougrave lrsquoeffet de sous-deacutetermination) il nrsquoen reste pas moins que

lrsquoon peut infeacuterer des proprieacuteteacutes typantes et distinctives de la classe Bien que les preacutedicats

attribueacutes agrave une classe issue drsquoun individu collectif (sect3211) ou aux occupants drsquoun lieu

puissent ecirctre aussi bien collectifs que distributifs lrsquoinfeacuterence drsquoun actant eacuteventuellement via

un lieu (sect3212) agrave partir drsquoun sceacutenario impliqueacute (sect3213) favorise une lecture collective

avec un rendement drsquoexpansion de la responsabiliteacute sur lrsquoensemble Dans ce cas une

commutation en les gens fonctionne mal car elle dilue le rocircle degraves lors endosseacute par le reacutefeacuterent

Drsquoautres indices montrent que ils nrsquoest pas ici un simple eacuteleacutement postiche mais qursquoil renvoie

agrave un reacutefeacuterent doteacute drsquoun rocircle agrave part entiegravere En effet il se voit affecteacute drsquoattitudes drsquoeacutemotions

drsquointentions agrave travers lrsquooccurrence drsquoauxiliaires modaux (devoir vouloir) ou exprimant lrsquoeacutetat

mental ou physique drsquoun laquo expeacuterimentateur raquo (croire avoir faim aimer avoir peur souffrir

heacutesiter avoir besoin) On peut eacutegalement invoquer la possibiliteacute de prolonger la reacutefeacuterence sur

292

un empan discursif assez large (eg (409) (414) (416) (418)) agrave travers de nombreuses

occurrences de ils qui contribuent agrave en renforcer la saillance

322 Anaphore indirecte ou variable non instancieacutee

Il nrsquoest pas rare que lrsquoon puisse heacutesiter sur lrsquoanalyse agrave imputer au pointeur ils Certains indices

permettent en effet drsquoenvisager un proceacutedeacute drsquoinfeacuterence drsquoun objet pour ils agrave lrsquoinstar des

preacuteceacutedents mais drsquoautres orientent vers une mise en retrait du rocircle de lrsquoagent dans

lrsquoexpression drsquoun procegraves interrogeant le fondement drsquoune reacutesolution reacutefeacuterentielle

3221 Ambiguiumlteacute drsquoanalyse

Lrsquoexemple suivant illustre une analyse ambigueuml qui se traduit par la possibiliteacute drsquoargumenter

pour ou contre un maintien de la fonction instructionnelle drsquoinstanciation de la variable

(419) tous les baregravemes pour les pratiques sont baseacutes sur euh les meilleurs eacute- eacutetudiants euh

des universiteacutes en sport donc tout toutes les meilleures performances euh y euh de

chaque euh canton ou universiteacute de Suisse forment la moyenne donc ils basent les

baregravemes drsquoapregraves ccedila donc euh ce quil faut savoir cest que bien souvent euh cest des

baregravemes assez eacuteleveacutes (ofrom)

La premiegravere analyse consiste agrave consideacuterer ils comme infeacuterable au mecircme titre que les

exemples de la cateacutegorie preacuteceacutedente en termes drsquoanaphore indirecte le contexte acadeacutemique

et le preacutedicat typant restreignent sensiblement lrsquoextension du pointeur bien que lrsquoinfeacuterence

comme toujours puisse demeurer incertaine les professeurs les experts les membres drsquoune

commission etc

Mais une autre analyse consiste agrave renoncer agrave un traitement infeacuterentiel et agrave maintenir la

variable introduite par ils au rang de variable non instancieacutee Dans ce cas ils servirait agrave

remplir une place drsquoagent dont lrsquoimplication dans le procegraves se verrait reacuteduite296

drsquoougrave la mise

en eacutevidence du procegraves lui-mecircme (et eacuteventuellement de son objet patient ou effectueacute) (Myhill

1997 Siewierska 2008) Dans lrsquoexemple en question le locuteur chercherait agrave mettre en avant

les modaliteacutes de conception des baregravemes plutocirct qursquoagrave preacutediquer cette maniegravere de faire sur un

reacutefeacuterent eacutetabli (les professeurs ou autres agents potentiels) La diathegravese passive utiliseacutee au

deacutebut de lrsquoextrait (tous les baregravemes pour les pratiques sont baseacutes surhellip) nrsquoobligeant pas agrave

attribuer une valeur reacutefeacuterentielle pour lrsquoagent impliqueacute tend agrave renforcer cette hypothegravese Nous

examinerons les diffeacuterences entre les structures actives vs passives infra (cf sect341)

Toute une seacuterie de donneacutees peuvent ecirctre analyseacutees de la sorte

(420) on se retrouve quand mecircme dans des endroits franchement Jai jai une c jai une

amie lagrave qui a eu son concours lanneacutee derniegravere qui qui est instit Donc au deacutebut ils ils

296

Cf les notions de laquo baisse drsquoagentiviteacute raquo (Maillard 1994) drsquolaquo agent defocusing raquo (Myhill 1997) ou drsquolaquo agent

demotion raquo (Siewierska 2008)

293

lont mise agrave Meylan et tout donc elle eacutetait super contente elle sest dit voilagrave je vais

me retrouver avec des petits bourges et tout il y a pas de problegraveme (pfc)

Drsquoun cocircteacute il y a moyen drsquoinfeacuterer une classe responsable de lrsquoaffectation en question agrave la

faveur drsquoun sceacutenario aiseacutement reconstituable Drsquoautre part on peut srsquoen tenir agrave lrsquoindication

drsquoaffectation concernant lrsquoindividu la participation drsquoun agent restant en marge

Dans lrsquoexemple suivant crsquoest lrsquointroduction drsquoun lieu qui permet drsquoinvoquer une analyse en

termes drsquoinfeacuterence pour le ils deacutesignant les occupants du lieu A noter que la mention du lieu

remonte agrave plusieurs minutes et tours de parole en amont Neacuteanmoins le lieu sert de cadre

reacutefeacuterentiel agrave tout lrsquoeacutepisode narratif

(421) [agrave propos drsquoun voyage au Maroc] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

G Eh ben ma foi tss le Maroc pour moi ceacutetait bien Si tu veux savoir comment que je

lai euh je lai organiseacute cest une chose [hellip] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

E2 Et alors la nourriture vous avez mangeacute des choses euh speacutecifiques nnnnnnnnnnn

G Ah ben pour la nourriture euh cest tout euh enfin cest la tajine quils appellent

Cest euh cest un un espegravece de euh enfin tu sais ce que cest quune tajine quoi cest

un plat en terre Un grand plat en terre avec un espegravece de couvercle en cocircne Et puis

quils mettent lagrave ils font cuire lagrave-dedans comme ccedila Alors tu manges la tajine aux

oeufs tu manges la tajine au mouton tu manges la ta enfin ils appellent ccedila la tajine

(pfc)

Mais drsquoun autre cocircteacute il paraicirct aussi envisageable de consideacuterer lrsquoacte de deacutenomination de

lrsquoobjet indeacutependamment de la source effective (cf ccedila srsquoappelle la tajine ou on appelle ccedila la

tajine voir infra sect34) au vu de la routinisation de la combinaison de ils avec des verbes de

parole agrave fonction eacutevidentielle (cf infra sect3232)

Ci-dessous le sceacutenario impliqueacute par lrsquoeacutevocation drsquoun chantier permet drsquoinfeacuterer une classe qui

indiffeacuterencie plusieurs niveaux drsquoactants potentiels (exeacutecuteurs instigateurs)

L1 euh + y avait + les bacirctiments qui eacutetaient sur le quai qui existaient + y avait encore

la halle aux v- + nous on a connu la halle aux vins encore donc les derniers les derniers

reacutecalcitrants quand mecircme hein euh + la la majeure partie + eacutetait deacuteja partie mais il

restait quelques-uns euh + autre XX ceacutetait un chantier encore hein ceacutetait vraiment

L2 ils deacutemolissaient nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnmn

L1 ils deacutemolissaient on a euh + on a fait nos eacutetudes au moment de la deacutemolition +

moi je trouve que le + par rapport agrave ce quon a connu le quartier a pas trop trop changeacute

(cfpp)

Quant agrave lrsquoanalyse concurrente elle voit dans la structure ils+V un moyen de mettre lrsquoaccent

sur le procegraves de deacutemolition et son aspect progressif (via lrsquoimparfait cf infra sect341) Par la

suite le procegraves se voit drsquoailleurs reformuleacute via une nominalisation ad hoc qui permet

eacutegalement de mettre en retrait le rocircle drsquoagent

294

Les exemples en vrac ci-dessous illustrent la mecircme ambiguiumlteacute drsquoanalyse

(422) on habitait agrave la rue ici tu vois pregraves de lhospital agrave cocircteacute du marcheacute de la Boqueria ceacutetait

vachement bien ceacutetait un des plus grands marcheacutes dEspagne | | _ | mais non parce

que cest un marcheacute ougrave ils vendent que de la nourriture | _ | pis du coup mais ouais

mais euh on est alleacutes acheter des jus de fruits et tout (ofrom)

(423) Tout est provisoire et tout srsquoachegravete sauf Octave Car je me suis racheteacute ici dans ma

prison pourrie Ils mrsquoont autoriseacute (contre menue monnaie) agrave regarder la teacuteleacute dans ma

cellule (Beigbeder 99F p 269)

(424) [Trois interlocuteurs discutent agrave propos drsquoun voisin habitant manifestement en face du

lieu ougrave ils se trouvent] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

AB1 Crsquoest allumeacute ou pas Il y est Il y est le gars nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

E Pourquoi Il y a qui nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

AB1 Il y a un mec tregraves inteacuteressant qui va partir euh aux Etats-Unis pour faire

reporter-photo Inter international Parce qursquoil parle en fait il parle arabe il parle

anglais il parle franccedilais Ils lrsquoont engageacute297

parce quil parle arabe Donc ils vont

lenvoyer dans les pays arabes (pfc)

(425) On mange chacun un sandwich geacuteneacuteralement on lachegravete sur le bateau parce quils

nous en font des tout fraisgt sur place on le commande puis ils le font i ils font (pfc)

On remarque donc que lrsquoambiguiumlteacute se produit agrave chaque fois que le contexte deacutelivre des indices

suffisants pour une infeacuterence plausible du reacutefeacuterent (cadre reacutefeacuterentiel preacutedicat typant sceacutenario

impliqueacute pointages successifs etc) mais que lrsquoon juge que la pertinence communicative

porte sur le procegraves ou son reacutesultat

3222 Quiproquos interpreacutetatifs

En fait lrsquoexistence de deux sceacutenarios interpreacutetatifs concurrents se reflegravete agrave travers certains

eacutechanges qui illustrent le deacutecalage de traitement potentiel entre les interlocuteurs Il arrive

ainsi que lrsquointerpregravete se lance dans la quecircte du reacutefeacuterent sans toutefois parvenir agrave une hypothegravese

suffisamment fiable Plutocirct que de laisser la variable non instancieacutee il peut solliciter lrsquoaide de

son interlocuteur

(426) [discussion autour du thegraveme de la laquo fecircte des voisins raquo] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 enfin nous on a fait on a fait on a ccedila aussi agrave Sevran dans le quartier ougrave cest tregraves

tregraves grand hein euh ils mettent les barbecues (mm mm) et tout ccedila euh cest bien

organiseacute + avec une fecircte avant pour les enfants + on ils + ils ramegravenent des poneys tu

vois ils ltouais ah ouigt ils font faire des tours XX nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 quand ltdrsquoaccordgt tu dis laquoilsraquo ltilsgt cest qui laquoilsraquo cest pas les habitants qui

297

Apregraves plusieurs eacutecoutes attentives nous avons corrigeacute une transcription agrave notre avis erronneacutee (il est engageacute)

Mais les deux versions ne se distinguant finalement que sur un phonegraveme vocalique il est vrai que le doute

subsiste

295

sorganisent ltsi crsquoest lesgt cest dautres nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 hab- non cest les habitants du quartier (cfpp)

La locutrice L1 use drsquoabord drsquoun indice de personne [ndash deacutelocuteacute] (ou [+inclusif]) (nous on a

fait on a fait on a ccedila aussi) puis passe apregraves heacutesitation (on ils) agrave un indice [+ deacutelocuteacute] de 6e

personne (ils ramegravenent des poneys) Crsquoest peut-ecirctre ce changement qui pousse L2 agrave

srsquointerroger sur lrsquoextension de ce dernier (cf quand tu dis laquo ils raquo crsquoest qui laquo ils raquo crsquoest pas les

habitants qui srsquoorganisent crsquoest drsquoautres ) En fait le choix opeacutereacute par L1 pour un pronom

[+ deacutelocuteacute] traduit manifestement lrsquoimplication drsquoexeacutecuteurs tiers pour les animations

speacutecifiques eacutenumeacutereacutees tandis que lrsquoinstigation de lrsquoeacuteveacutenement dans sa globaliteacute eacutemane des

habitants dont fait partie L1 drsquoougrave lrsquoemploi de nous Quoi qursquoil en soit cet extrait illustre

lrsquousage drsquoun pointeur vraisembablement laquo deacutemotiveacute raquo pour L1 dont lrsquoenjeu est de mettre en

avant les diffeacuterentes activiteacutes proposeacutees tandis que L2 cherche agrave instancier une valeur pour

lrsquoagent impliqueacute

Il en va de mecircme dans lrsquoextrait de conversation suivant

(427) E Tu sais qursquoon nrsquoa plus accegraves au parc

BL Je sais bien oui

E Crsquoest triste hein quand mecircme

BL ltmais cest commegt ici tu ne peux plus aller au domaine de lONE non plus

hein

E plus du tout

BL non ils ont mis une barriegravere en bois enfin avec un cadenas tu ne sais plus rentrer

non plus crsquoest malheureux

E et qui est-ce qui a mis ccedila

BL ben le proprieacutetaire tu ne sais pas qui crsquoest tu es pas au courant de tout ccedila

E ccedila eacuteteacute revendu ccedila a eacuteteacute acheteacute

BL crsquoest acheteacute et tout maintenant hein ah oui crsquoest un des des proprieacutetaires din

dinterbrew un des fils je pense

E Ah oui

BL Un gros manitou Et euh il il fait une villa priveacutee (pfc)

Cet exemple teacutemoigne de la possibiliteacute de taire lrsquoidentiteacute du reacutefeacuterent en toute connaissance de

cause On peut invoquer ici le rendement de dilution de lrsquoagentiviteacute par rapport agrave un sceacutenario

eacuteventuellement complexe impliquant diffeacuterents niveaux drsquoagents (un instigateur qui fait faire

quelque chose par lrsquointermeacutediaire drsquoundrsquoexeacutecuteur(s)) Lrsquousage du pointeur ils permet de

styliser le procegraves pour mettre en avant son reacutesultat lrsquoenjeu eacutetant pour le locuteur de justifier sa

deacuteception Mais cela nrsquoempecircche pas lrsquointerlocuteur E de vouloir connaicirctre les tenants et

aboutissants de la situation ndash y compris sa source eacutevoqueacutee via ilsndash dont il nrsquoest visiblement

pas au courant

Lrsquoextrait suivant met en jeu non pas une demande drsquoidentification mais une demande de

confirmation sur lrsquointerpreacutetation de ils

296

(428) [Il est question drsquoune baignade dans une riviegravere au courant rapide]

L1 tu fais comment pour sortirQ

L2 Ben ils te disent quand il faut sortirF

L1 Ah mais y a des gens qui surveillentQ

L2 Non mais crsquoest eacutecrit sur des panneauxA (oral au vol

298)

A partir de la construction en ils utiliseacutees par L2 L1 infegravere lrsquoexistence drsquoune classe

drsquoindividus dont le rocircle est de surveiller les nageurs Cette reacuteaction oblige L2 agrave rectifier

lrsquoorigine du procegraves en le deacutetaillant La mise au point de L2 confirme bien le processus de

confusion reacutefeacuterentielle opeacutereacute agrave travers ils qui condense indistinctement un ensemble de

circonstances impliquant potentiellement un instigateur [+humain] (drsquoougrave lrsquoemploi de ils

disent) et un exeacutecuteur [ndash humain] (les lsquopanneaux drsquoavertissementrsquo) ce dernier se voyant

complegravetement dilueacute dans la source exprimeacutee (ils) Lrsquoobjectif de L1 agrave travers cette

construction en ils est probablement drsquoexprimer lrsquoexistence drsquoun systegraveme de signalisation agrave

lrsquointention des baigneurs indeacutependamment de la source du procegraves Cet exemple reflegravete bien la

maniegravere dont les locuteurs pour des questions de pertinence manient le degreacute de granulariteacute

(Sturt et al 2004) de leur repreacutesentation des faits du monde avec le risque toutefois que la

sous-deacutetermination soit mal interpreacuteteacutee

Dans lrsquoexemple ci-dessous lrsquoemploi de ils est non seulement motiveacute par lrsquoimputation drsquoune

responsabiliteacute collective et indiffeacuterencieacutee mais aussi par une strateacutegie de cryptage agrave des fins

de sauvegarde de la face

(429) [la police est en neacutegociation teacuteleacutephonique avec un preneur drsquootage qui soupccedilonne un

complot de lrsquoEtat suite au deacutecegraves de sa compagne Le dialogue met en scegravene le preneur

drsquootages et une psychologue de la police] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Jrsquoeacutetais psychologue Plutocirct bon je dois dire Jrsquoavais mon propre cabinet et

financiegraverement je mrsquoen sortais tregraves bien Mais ce nrsquoeacutetait pas lagrave lrsquoessentiel Pour moi il

ne srsquoagissait pas drsquoun boulot ordinaire crsquoeacutetait une veacuteritable vocation Mon travail

crsquoeacutetait toute ma vie et ils me lrsquoont pris nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Qui ccedila ils nnnnnnnnnn nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Au deacutebut quand jrsquoai commenceacute agrave poser des questions mes interlocuteurs ont

drsquoabord eacuteteacute tregraves obligeants [hellip] Jrsquoai reccedilu la visite de deux messieurs probablement

envoyeacutes par les services secrets [hellip] Pour commencer lors drsquoun controcircle routier la

police a trouveacute de la cocaiumlne dans mon coffre Sans mecircme eacutecouter mes deacuteneacutegations

lrsquoordre des psychologues mrsquoa retireacute mon autorisation drsquoexercer [hellip] (Sebastian Fitzek

Ne les crois pas ch 7)

Le preneur drsquootages se plaint via la structure en ils+V de la perte de son travail Ce faisant il

cherche visiblement agrave accuser les responsables de la situation En passant sous silence leur

identiteacute il tente de se preacutemunir contre drsquoeacuteventuelles menaces pour sa face En mecircme temps

sa reacuteponse agrave lrsquointerrogation de lrsquointerlocutrice met en eacutevidence la complexiteacute des

298

Nous avons tenteacute de reconstituer les propos en restant au plus pregraves des faits

297

circonstances et la diversiteacute des actants impliqueacutes dans la perte de son emploi (police service

secret ordre des psychologues etc) Le titre du roman (Ne les crois pas) afin de susciter la

curiositeacute du lecteur consiste drsquoailleurs principalement agrave entretenir le mystegravere lagrave autourhellip299

Lrsquoextrait ci-dessous illustre encore la coexistence de deux analyses possibles conscientiseacutee

paradoxalement par un mecircme locuteur agrave travers une paire questionreacuteponse auto-locuteacutee

(430) Elle [la megravere du narrateur] avait eu lrsquohabitude drsquoexercer des responsabiliteacutes de prendre

des deacutecisions de deacutepenser de lrsquoargent sans trop compter elle eacutetait coquette et cultiveacutee

et voilagrave agrave quoi on lrsquoavait reacuteduite quarante kilos de chair meurtrie et drsquoesprit ravageacute qui

cherchaient encore agrave paraicirctre quelque chose avec ses lunettes sur le nez et des romans

sur sa table de nuit Un vieux machin deacutelaisseacute emballeacute dans une blouse agrave fleur un

cadavre en deacutecomposition qui essayait de se faire passer pour vivant Crsquoest ccedila qursquoils

avaient aneacuteanti avec leur rapport lapidaire lrsquohumaniteacute de ma megravere Qui ccedila ils Je

ne le savais pas La maison de retraite Lrsquoassociation qui geacuterait sa curatelle Le

systegraveme quoi Ou bien alors des individus curateur infirmiegravere meacutedecin qui se

retranchaient derriegravere un systegraveme qui deacuteshumanisait les cas sur lesquels ils

travaillaient (Yves Aubrymore Qui a tueacute Frajdla Cinnamone p 51)

Cet exemple agrave caractegravere dialogique repreacutesente le pendant de (427) ougrave un locuteur recourt agrave ils

sans reacuteellement avoir de valeur reacutefeacuterentielle en tecircte La question Qui ccedila ils souligne le

paradoxe auquel se trouve confronteacute le sujet entre lrsquoinstruction drsquoinstancier la variable et

lrsquoeacutechec de la proceacutedure confirmeacute par lrsquoaveu drsquoignorance (Je ne le savais pas) et par la

diversiteacute des hypothegraveses formuleacutees Ici aussi ils permet drsquoeacutevoquer le caractegravere multiple et

dilueacute des responsabiliteacutes en jeu

323 Variable non instancieacutee

Cette section comprend les cas ougrave les coucircts cognitifs srsquoavegraverent manifestement trop eacuteleveacutes pour

que lrsquoon puisse preacutetendre agrave un traitement infeacuterentiel de la variable300

bien qursquoen theacuteorie

lrsquohypothegravese ne soit jamais complegravetement reacutefutable Nous proposons donc de mettre en avant

les indices qui orientent vers lrsquoabandon drsquoun traitement infeacuterentiel de la variable

3231 Promotion du procegraves

Dans certains cas la mise en retrait du rocircle drsquoagent au profit de la promotion du procegraves ou de

son reacutesultat est manifeste au regard des objectifs communicationnels du locuteur Lrsquoexemple

299

Cf aussi le film intituleacute laquo Ils raquo auquel nous a rendue attentive C Schnedecker (c p) dont voici le synopsis

laquo Lucas et Cleacutementine un couple trentenaire expatrieacute en Roumanie habite [sic] depuis peu une maison isoleacutee en

banlieue de Bucarest Elle professeur de Franccedilais lui romancier vivent un bonheur paisible Pourtant un soir

dans leur maison tout va basculer La pluie battante fait rage agrave lexteacuterieur Le teacuteleacutephone retentit des voix

lointaines au bout du fil incompreacutehensibles Le couple nrsquoest pas seul Le cauchemar commence ILS sont

lagrave raquo (httpwwwallocinefr) 300

Cette cateacutegorie recouvre en grande partie les emplois appeleacutes (quasi-)existentiels par drsquoautres (Cinque 1988

Cabredo Hofherr (2003 2014) cf supra sect242 Cependant comme nous nrsquoadheacuterons pas agrave une analyse en termes

de quantification existentielle et qursquoagrave cet eacutegard quelques cas commenteacutes ici srsquoen distinguent sensiblement nous

renonccedilons agrave emprunter le terme

298

suivant montre que lrsquoeacutetat de choses deacutenoteacute par la construction en ils se dote drsquoune fonction

argumentative dans lrsquoorientation du programme discursif en cours

(431) Je suis parti au milieu de la leccedilon de geacuteographie parce que jrsquoavais mal agrave la tecircte La

dame mrsquoa donneacute un cachet jrsquoavais toujours mal alors elle mrsquoa fait eacutetendre sur un lit

On mrsquoa oublieacute tellement jrsquoai dormi apregraves Quand je me suis reacuteveilleacute il faisait nuit dans

lrsquoeacutecole et les autres ils avaient deacutejagrave fini Jrsquoai sauteacute par-dessus la grille drsquoentreacutee

Dehors ils faisaient la gregraveve du bus et du meacutetro et comme jrsquoavais pas drsquoargent pour

teacuteleacutephoner agrave ma megravere que jrsquoeacutetais en retard alors je suis alleacute agrave pied agrave la gare de Lyon

qui nrsquoest pas loin et jrsquoai pris le train pour Marseille qui passe par chez ma grand-megravere

agrave Monteacutelimar (Yves Pagegraves Les Gauchers lt Envol lyceacutee)

On peut noter dans cet extrait quelques traces de contrefaccedilon drsquooral telles que la dislocation

(les autres ilshellip) ou lrsquoomission du ne (jrsquoavais pas drsquoargenthellip) La gregraveve en vigueur exprimeacutee

par la construction en ils constitue lrsquoune des causes de la conclusion lsquoje suis alleacute agrave piedrsquo la

situation de gregraveve plutocirct que ses agents eacutevoque par ailleurs une conseacutequence implicite

deacuteterminante ndash agrave savoir lrsquoabsence de transports publics opeacuterationnels ndash pour comprendre le

raisonnement argumentatif

Il en va de mecircme dans la conversation en ligne ci-dessous ougrave L1 de retour de vacances

exprime son deacutecouragement agrave reprendre le travail auquel srsquoajoute un deacutesagreacutement

suppleacutementaire

(432) L1 Retour au bureau Bonjour tristesse (statut) nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Pauvre (commentaire du statut de L1) nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L3 rhoooohhhh ccedila promet pour mon retour (commentaire L3 travaille avec L1) nnn

L1 i z ont coupeacute lrsquoeau ce matin de 930 agrave 1200 (commentaire) (reacuteseau social eacutecrit

depuis le lieu de travail 26022013)

Malgreacute le preacutedicat typant susceptible drsquoorienter vers un traitement plus abouti

lrsquointerpreacutetation ne va manifestement pas au-delagrave de lrsquoexpression du procegraves et son reacutesultat

(lrsquointerruption drsquoapprovisionnement en eau) dont lrsquoenjeu est de contribuer agrave imaginer

lrsquohumeur du locuteur

Dans le SMS suivant lrsquoobjectif de lrsquoauteur est de renseigner son destinataire sur la situation

(une suppression de train) et sa conseacutequence (une arriveacutee probablement retardeacutee)

(433) Ils ont supprimeacute mon train Jarrive agrave sonceboz vers 14h05 (Swiss sms corpus)

Lrsquoemploi de ils semble avantageusement exploiteacute pour mettre en relief le mouvement

argumentatif de cause agrave effet Crsquoest aussi le cas ci-dessous

(434) [le locuteur raconte son voyage au Maroc] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Ceacutetait un grand euh un grand bacirctiment une grande terrasse si tu veux qui eacutetait

couverte

299

[srsquoensuit un eacutepisode racontant les deacuterangements intestinaux dont souffrait le locuteur]

Il y avait une douche je me rappelle et puis il y avait quand mecircme le WC Mais le

plus drocircle crsquoest que comme ceacutetait un compre un euh un compresseur un euh nnnnn

D Groupe nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

G Un groupe oui je dis un compresseur mais cest un groupe Un groupe qui faisait

eacutelectriciteacute A minuit quand ils ont coupeacute il y avait plus deacutelectriciteacute Alors dans la

chambre pour se lever ben agrave tacirctons quoi (pfc)

Lrsquolsquointerruption de courantrsquo exprimeacutee via la construction verbale et son reacutesultat (lsquolrsquoabsence

drsquoeacutelectriciteacutersquo) causent lrsquoembarras du locuteur sujet aux va-et-vient nocturnes Dans tous ces

extraits ougrave le procegraves eacutevoqueacute intervient comme une simple eacutetape drsquoun raisonnement

argumentatif il paraicirctrait incongru de demander des clarifications sur lrsquoidentiteacute de lrsquoagent

impliqueacute On remarque aussi qursquoune commutation avec les gens induirait une lecture binaire

sujet-preacutedicat que lrsquoemploi de ils tend agrave eacuteclipser

On relegraveve eacutegalement le mecircme genre drsquoenchaicircnement argumentatif dans les exemples ci-

dessous ougrave crsquoest le procegraves en soi plutocirct que la preacutedication sur des individus qui justifient

lrsquoappreacuteciation du locuteur

(435) et puis le je jour avant on | _ | on est alleacute agrave Queacutebec il y avait le le concert des Pink

Floyd | _ | donc ils eacutetaient en train de deacutemonter la scegravene donc on na | _ | cest vrai que

ceacutetait pas ceacutetait pas tregraves joli il y avait un peu des grues des eacutechafaudages voilagrave

(ofrom)

(436) on est alleacute jusquaux chutes du Niagara | _ | puis lagrave on a pu les voir euh de jour | _ | et

eacutegalement de nuit puis cest vrai que ceacutetait juste euh | _ | magique | _ | de nuit ceacutetait on

avait lrsquoimpression de voir euh | _ | ils projettent des lumiegraveres sur ces chutes cest juste

magique (ofrom)

(437) [la conversation porte sur la pratique du veacutelo en ville de Paris] c qui est sympathique

cest cest le dimanche le long des + le long d la Seine lagrave + une ou deux fois elle la fait

avec nous oui quand ils ferment les quais + lagrave crsquoest sympa + drsquoecirctre au milieu des

rollers (cfpp)

En drsquoautres termes ce sont respectivement le lsquodeacutemontage de la scegravenersquo lsquola projection des

lumiegraveresrsquo et lsquola fermeture des quaisrsquo qui motivent les eacutevaluations exprimeacutees Dans lrsquoexemple

suivant la structure en ils entre dans un mouvement cette fois concessif

(438) bah le troisiegraveme cest jimagine que ccedila doit ecirctre tregraves sympa dy vivre aujourdhui euh ccedila

doit ecirctre tregraves calme tregraves tranquille euh mecircme sils brucirclent les scooters lagrave depuis peu

depuis peu et tout ccedila (cfpp)

La construction en ils repreacutesente un argument inefficace contre la conclusion qursquoon peut

gloser lsquoil fait bon vivre dans le quartierrsquo La pertinence de lrsquoargument agrave nouveau reacuteside dans

300

le constat des incidents qui srsquoy produisent plutocirct que dans la reconnaissance drsquoindividus

responsables des incidents en question

Il peut ecirctre inteacuteressant drsquoobserver la porteacutee de la neacutegation dans les eacutenonceacutes de ce type

(439) [CR est en train de montrer des photos] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

CR Ca cest (X) et (X) agrave New-York il faisait froid on eacutetait coinceacute dans la neige on a

eacuteteacute pris dans une tempecircte de neige on a pas pu rentrer nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

E Crsquoest vrai Ben jrsquoimagine au mois de feacutevrier agrave New-York crsquoest crsquoest le plein hiver

CR Donc il y avait person du coup ils avaient pas deacuteblayeacute la rue ccedila a eacuteteacute

eacutepouvantable on a on a eacute on est on est parti avec une journeacutee de retard (pfc)

(440) ouais ceacutetait vraiment reacuteputeacute pour ecirctre des pistes difficiles | _ | je sais pas si toi tu as eu

mais peut-ecirctre plus jeune quand-mecircme hein | _ | ils ils travaillaient pas les pistes

encore euh ceacutetait vraiment des des champs de bosses tu vois | _ | puis cest bien ceacutetait

bien raide | _ | ceacutetait reacuteputeacute pour ne pas ecirctre | _ | ideacuteal pour des deacutebutants (ofrom) = (4)

Un aspect remarquable est que la neacutegation ne semble pas affecter la relation entre une

constante (la classe drsquoindividus c) et son preacutedicat comme scheacutematiseacute ainsi Neg[deacuteblayer (c

r) ou Neg[travailler (c p)] Mais elle semble plutocirct porter sur le procegraves subi par le patient agrave la

maniegravere drsquoune structure au passif sans agent exprimeacute Neg[deacuteblayeacute(r)] ou Neg[travailleacute(p)]

Autrement dit les locuteurs respectifs nient que la rue ait eacuteteacute deacuteblayeacutee et que les pistes aient

eacuteteacute travailleacutees pour en promouvoir le reacutesultat et en tirer les conclusions respectives Nous

reviendrons sur la question du passif infra (sect341)

3232 Verba dicendi

On trouve reacuteguliegraverement en franccedilais dans les genres de parole laquo improviseacutee raquo en tout cas des

constructions en ils avec un verbe de parole A noter que cela va agrave lrsquoencontre des observations

de Siewierska (2008) pour qui cet emploi laquo eacutevidentiel raquo de la 6e personne se verrait restreint

sauf en anglais familier agrave des genres discursifs particuliers comme les mythes fables ou

proverbes A ses yeux les langues europeacuteennes privileacutegient lrsquousage du passif sans agent ou

drsquoautres formes de construction agrave agent non speacutecifique par exemple lrsquousage du on en franccedilais

ou du man en allemand Les exemples ci-dessous remettent donc en cause cette preacutediction

Preacutecisons que ce nrsquoest pas lrsquoindice de personne en soi mais lrsquoensemble de la construction qui

fonctionne comme une marque drsquoeacutevidentialiteacute

(441) cest sucircr que y a un deacutecalage parce que je veux dire euh | _ | on on on a une autre

dynamique scolaire | que si tu es dans un tout petit village euh | _ | ougrave tu as que des

enfants de la reacutegion ougrave tu as des enfants qui sont euh | _ | suivis par les parents | _ | euh

| _ | apregraves | _ | si tu prends Genegraveve ougrave de nouveau y a une autre dynamique euh | _ | ccedila

peut ecirctre tregraves diffeacuterent euh l ces reacutesultats scolaires | _ | je pense | _ | quest-ce qui fait

que | _ | quest-ce je sais pas pourquoi euh | _ | cest un peu cest vrai quils disent que

| _ | que Fribourg | | le Valais en geacuteneacuteral on a assez de bons reacutesultats au niveau de

ces tests Pisa (ofrom)

301

(442) [la locutrice reacutepond agrave la question de lrsquoenquecirctrice sur ses projets de seacutejour agrave lrsquoeacutetranger

apregraves ses eacutetudes] dabord je pense | _ | faire en Suisse | _ | pour f avoir lexpeacuterience | _ |

avoir des bases | _ | pis souvent p pour partir ils disent que cest mieux de davoir

travailleacute deux ans | dans un endroit | _ | pour ecirctre bien formeacute | _ | pis apregraves ben on

verra ce que lavenir nous reacuteserve on sait | on sait jamais mais jaimerais bien voyager

ouais (ofrom)

(443) [au sujet drsquoun voyage au Neacutepal] la plupart du temps jeacutetais dans la valleacutee de Katmadou

| _ | qui est euh | _ | oui qui est | _ | tregraves touristique cest clair | _ | jai jamais fait un

voyage | _ | vraiment | _ | tregraves tregraves loin dans les euh | _ | dans les euh lieux inconnus

sauf une fois | _ | oui lorsque jeacutetais dans le | _ | comme ils disent le Far West | _ | |

oui oui oui oui oui oui | _ | ceacutetait la seule fois (ofrom)

Dans ces extraits lrsquoenjeu consiste agrave signaler que lrsquoinformation est de seconde main qursquoil

srsquoagisse drsquoeacutetayer un argument de se distancier des propos de les preacutesenter comme incertains

de les rattacher agrave un jargon etc La construction verbale a donc une fonction clairement

mitigatrice On a deacutejagrave eacutevoqueacute supra (Ch IV sect453) le fait que tout discours rapporteacute est par

nature contrefait (agrave lrsquoexception peut-ecirctre des textes scientifiques ougrave la doxa exige en principe

lrsquoexhaustiviteacute en la matiegravere) et cela est particuliegraverement manifeste dans les genres de parole

spontaneacutee comme ci-dessus ougrave il nrsquoy a pas drsquoexigence outre de pertinence relative ni sur la

reproduction des propos ni sur leur source Il est eacutevident que le contexte et le preacutedicat hocircte

restreignent les possibiliteacutes drsquointerpreacutetation de lrsquolaquo autoriteacute raquo invoqueacutee et qursquoil est possible de

faire des conjectures plus ou moins fiables agrave son propos Mais la reacutecurrence du proceacutedeacute

oriente plutocirct vers lrsquohypothegravese drsquoune lexicalisation drsquoun ouiuml-dire La comparaison avec la

locution on dit sera examineacutee infra (sect342)

Il en va un peu de mecircme dans un contexte particulier celui des preacutevisions meacuteteacuteorologiques

qui met reacuteguliegraverement en jeu lrsquooccurrence de ils avec le verbe annoncer dans divers genres de

lrsquolaquo immeacutediat raquo communicatif (Koch amp Oesterreicher 1985)

(444) agrave part ccedila ma cousine elle a toujours pas teacuteleacutephoneacute pour le pique-nique | alors je

suppose quil aura pas lieu | _ | eacutetant donneacute quils annoncent du froid | _ | pis | du

mauvais (ofrom)

(445) Ils vont avoir de la neige parce quils ont annonceacute du mauvais temps lagrave non non huit

jours je sais pas quinze jours non (pfc)

(446) Quelle sale temps Jai regardeacute la meacuteteacuteo ils annoncent pas vraiment dameacutelioration

pour cette a-m (courriel priveacute 230710)

(447) Tu fais tregraves attention si tu dois prendre la route ils annoncent la remonteacutee des pluies

vers le Gard dans la journeacutee Bisous (88milSMS)

302

Dans les corpus oraux examineacutes (PFC OFROM et CFPP301

) la seacutequence ils annoncent (ou

conjugueacutee agrave un autre temps verbal dans OFROM) ne se retrouve que dans ce type de contexte

meacuteteacuteorologique On peut signaler que nous nrsquoy avons pas trouveacute le verbe conjugueacute avec on

Au vu de la preacutedisposition de la seacutequence pour ce contexte discursif302

on peut y voir une

locution qui vise agrave exprimer une preacutevision climatique dont la source nrsquoest mecircme pas traiteacutee

malgreacute lrsquoeacutevidence agrave laquelle megravenerait une telle infeacuterence A nouveau le proceacutedeacute mitigateur

permet de signaler que le locuteur tient lrsquoinformation drsquoune source tierce agrave deacutefaut de la

prendre en charge lui-mecircme (cf Il va faire froid beau mauvais temps etc)

3233 Incrimination feinte

Un rendement diffeacuterent susceptible drsquointervenir dans ces mecircmes contextes meacuteteacuteorologiques

est celui qui consiste agrave simuler ponctuellement lrsquoexistence drsquoun agent dans un sceacutenario reacuteputeacute

geacuteneacuteralement ne pas en contenir (cf les verbes impersonnels comme il pleut il vente il fait

chaud etc) Les exemples suivants recueillis au vol personnifient en quelque sorte la

responsabiliteacute des changements climatiques sans que lrsquoon soit pourtant ameneacute agrave en fournir

une valeur

(448) [la canicule eacutetait annonceacutee pour la veille] Ah aujourdhui il fait vraiment chaud parce

que hier je me suis dit quils auraient pu faire mieux question canicule (au vol

30062015)

(449) [Matin gris et froid] Premier jour de lrsquoautomne ils te le font direct comprendre (au

vol 21092014)

(450) dimanche on se baignait et aujourdhui crsquoest lhiver non mais ils sont fous (au vol

21052015) = (384)

Dans ces situations on impute ironiquement lrsquoinfluence de tempeacuteratures relatives agrave des agents

fictifs ceux qui auraient le pouvoir de laquo faire la pluie et le beau temps raquo On observe ce

rendement dans drsquoautres contextes eacutegalement

(451) ils ont rajouteacute des kilomegravetres entre Yverdon et Fribourg ou quoi (au vol

10062015)

Ici le locuteur accuse un responsable du surplus de trajet eacuteprouveacute

Dans un registre similaire on peut citer la ceacutelegravebre reacuteplique du dessin animeacute humoristique

Southpark ougrave lrsquoun des personnages Kenny meurt agrave la fin de chaque eacutepisode Lrsquoun de ses

acolytes reacutepegravete alors agrave chaque reprise

301

A noter qursquoaucune occurrence nrsquoa eacuteteacute trouveacutee dans CFPP mais cela nrsquoest pas vraiment eacutetonnant eacutetant donneacute

que le sujet de conversation est contraint en lrsquooccurrence les diffeacuterents quartiers de Paris 302

Elle nrsquoest pas pour autant absente drsquoautres contextes cf Je suis agrave la gare de montpellier j attends le train ils

annoncent 10min de retard Bisou (88milSMS) ou USA Aux informations ils annoncent la mort de Barrack

Obama au lieu de Oussama Ben Laden grosse boulette (httpwwwleforumsecretcom consulteacute le 2 mai

2011)

303

(452) Oh mon Dieu Ils ont tueacute Kenny (version franccedilaise traduite de lrsquoanglais Oh my

God They killed Kenny )

Or ce laquo refrain raquo est repris dans toutes sortes de situations que le personnage soit tueacute par une

classe un individu unique un reacutefeacuterent [ndash humain] (eg un taureau) ou bien agrave la suite drsquoune

catastrophe naturelle (une boule de lave volcanique) ou encore drsquoune inattention de sa part

(en jouant au spiroballe par eacutelectrocution etc) Certes il faut tenir compte du genre deacutecaleacute et

ironique de la seacuterie teacuteleacuteviseacutee On remarque cependant que la formule se perpeacutetue quelles que

soit les causes de la mort Quoi qursquoil en soit elle vise surtout agrave inspirer la pitieacute sur le sort

immuable de la victime

Ces exemples montrent que lrsquoagent peut ecirctre monteacute de toutes piegraveces et que malgreacute son

eacuteventuel retrait au profit du procegraves ou de lrsquoeacutetat reacutesultant sa participation nrsquoest pas

complegravetement eacutevacueacutee La fonction drsquoincrimination nrsquoest pas propre agrave des sceacutenarios agrave agent

laquo fictif raquo le rendement drsquoimputation drsquoune responsabiliteacute se manifeste eacutegalement avec des

procegraves agentifs ordinaires comme on lrsquoa deacutejagrave vu avec (221) (429) ou (430) Mais le paradoxe

qui reacutesulte drsquoune agentiviteacute que le destinataire sait feinte montre bien qursquoil nrsquoy a pas de

pertinence agrave instancier la variable

3234 Preacutedicat non typant

On peut enfin relever un dernier indice plaidant pour un traitement deacutemotiveacute du pointeur ils agrave

savoir lrsquoexpression drsquoun preacutedicat non typant (ou non cateacutegorisant) Autrement dit certaines

proprieacuteteacutes preacutediqueacutees nrsquoimpliquent pas lrsquoappartenance agrave un type de reacutefeacuterent particulier mais

peuvent au contraire srsquoappliquer agrave des reacutefeacuterents divers Dans lrsquoexemple suivant la proprieacuteteacute

lsquoposer un grillagersquo ne seacutelectionne pas forceacutement une classe drsquoindividus dont crsquoest un attribut

deacutefinitoire

(453) Merci pour ton message dencouragements D mais tu sais quoi Je suis scandaliseacute

Faut que je fasse tout le tour pour aller chez toi maintenant ( ils ont tout grillageacute

(88milSMS)

La contingence de la proprieacuteteacute est encore plus claire ci-dessous

(454) On a vu dans la Liberteacute qursquoils ont retrouveacute un cadavre dans lrsquoAar hier dans lrsquoapregraves-

midi dans la zone ougrave on nageaithellip (courriel 03082012) = (372)

Dans cet extrait de courriel lrsquoauteur reacutesume une information dont il a pris connaissance par la

presse Le preacutedicat verbal ne permet pas de cibler une classe dont le rocircle est de lsquoretrouver un

cadavrersquo Par ailleurs nous avons reacutecupeacutereacute lrsquoextrait de presse auquel le courriel fait

visiblement eacutecho

(455) Noyade dans lrsquoAar (titre) Le corps sans vie drsquoun asiatique a eacuteteacute repecirccheacute hier apregraves-

midi dans lrsquoAar agrave Berne Crsquoest un passant qui a donneacute lrsquoalerte en le voyant descendant

la riviegravere au-dessous du pont de Kirchenfeld a preacuteciseacute la police bernoise Une heure et

304

demie plus tard il a pu ecirctre sorti de lrsquoeau au-dessous du restaurant de

Schwellenmaumltteli (La Liberteacute lt ats 03082012)

On constate que le processus de deacutecouverte du corps reacutesulte de la participation drsquoactants

multiples (passant police) On remarque eacutegalement lrsquousage du passif agrave double reprise dans

lrsquoextrait source visant agrave mettre en avant lrsquoobjet patient et le procegraves au deacutetriment de lrsquoagent

(cf infra sect341) conformeacutement agrave lrsquoenjeu drsquoun article de fait divers de ce type Au vu du

caractegravere laquo collaboratif raquo de la reacutecupeacuteration du cadavre et de la non pertinence de lrsquoidentiteacute de

lrsquoagent lrsquousage de ils en (454) apparaicirct comme une alternative commode pour indiffeacuterencier

la source de lrsquoaction et en venir au fait agrave savoir celui de partager la stupeur susciteacutee par la

deacutecouverte macabre

3235 Bilan

Cette section a mis jour quelques indices orientant vers une analyse laquo postiche raquo du pointeur

ils dont le rocircle actantiel nrsquoest cependant pas complegravetement eacutelimineacute On peut ainsi invoquer la

promotion de la relation procegraves-objet au deacutetriment de la relation agent-procegraves pour des

raisons argumentatives (sect3231) on peut aussi relever lrsquoaspect lexicaliseacute de certaines

seacutequences comme lrsquoassociation de ils agrave des verbes de parole marquant lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

eacutenonciative du propos asserteacute dont le rendement mitigateur relegravegue au second plan la

reacutesolution reacutefeacuterentielle (sect3232) la simulation du rocircle drsquoagent dans un sceacutenario qui en est

drsquoordinaire priveacute met eacutegalement en eacutevidence le paradoxe drsquoune tentative drsquoidentification

(sect3233) enfin lrsquoattribution de proprieacuteteacutes contingentes agrave deacutefaut drsquoautres indices

contextuels peut eacutegalement favoriser lrsquoabandon drsquoune proceacutedure interpreacutetative (sect3235)

33 Discussion

Le classement ci-dessus a permis de reacuteveacuteler les points communs et diffeacuterences existant entre

les usages de lrsquoindice de 6e personne ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee Nous avons rameneacute un

certain nombre de cas au pheacutenomegravene drsquoanaphore indirecte car on relegraveve des indices

contextuels favorables agrave lrsquoinfeacuterence drsquoun reacutefeacuterent dont on peut conjecturer des traits

distinctifs en geacuteneacuteral agrave partir de la preacutesence en M drsquoune entiteacute collective drsquoun lieu ou alors

via la reconstitution drsquoun sceacutenario Dans ce cas de figure il est possible drsquointerpreacuteter la

seacutequence verbale comme une preacutedication sur la classe concerneacutee agrave laquelle ndash et parfois de

maniegravere distributive ndash peuvent ecirctre attribueacutees des attitudes reacuteactions ou eacutemotions et qui reste

disponible en M pour drsquoeacuteventuels pointages successifs Drsquoautres cas agrave lrsquoinverse sont

difficilement analysables en termes drsquoanaphore le processus drsquounification reacutefeacuterentielle paraicirct

court-circuiteacute et le pointeur reacutefeacuterentiellement deacutemotiveacute sans toutefois que soit annuleacutee la

relation agentive impliqueacutee par le verbe Dans cette situation la seacutequence en ils srsquointerpregravete

peu vraisemblablement comme une opeacuteration binaire de preacutedication sur un sujet (cf un

eacutenonceacute dit laquo cateacutegorique raquo) sans toute fois srsquoassimiler agrave un eacutenonceacute laquo theacutetique raquo autrement dit

dont lrsquointerpreacutetation est la simple reconnaissance drsquoun eacutetat-de-choses En effet si le procegraves est

bien mis en eacutevidence la relation actantielle avec le sujet demeure toutefois agrave lrsquoarriegravere-plan

305

Entre ces deux analyses on trouve toute une seacuterie de faits dont les indices sont ambivalents

Certaines situations dialogiques ont toutefois permis de mettre en eacutevidence la coexistence

entre les interlocuteurs de deux traitements concurrents Le tableau ci-dessous reacutesume les

trois cateacutegories illustreacutees chacune par un exemple

Anaphore indirecte Analyse ambigueuml Variable non instancieacutee

(395) donc crsquoest un groupe qui a ducirc

organiser des un jeu de nuit dans la

forecirct [hellip] alors ils ont ducirc | _ |

organiser donc des jeux de nuit

(420) jai une amie lagrave qui a eu son

concours lrsquoanneacutee derniegravere qui qui est

instit Donc au deacutebut ils ils lont mise

agrave Meylan et tout

(453) Faut que je fasse tout le tour pour

aller chez toi maintenant ( ils ont tout

grillageacute

La reacutecurrence de cas faisant lrsquoobjet drsquoune analyse ambigueuml est peut-ecirctre le signe drsquoune

reacuteanalyse303

ou meacutetanalyse304

du clitique ils qui peut se voir laquo recycleacute raquo comme eacuteleacutement

postiche non instancieacute un peu agrave la maniegravere de la construction asubjectale ccedila+V eacutetudieacutee par

Maillard (1989 1994b) agrave lrsquoorigine pleinement reacutefeacuterentiel on y recourt volontiers de nos

jours lorsqursquoil srsquoagit drsquolaquo impersonnaliser raquo un nouveau verbe305

lagrave ougrave il laquo impersonnel raquo ne se

montre plus du tout productif car ne srsquoassociant qursquoagrave une liste finie de verbes (Maillard 1989

37) Lrsquoauteur relegraveve agrave lrsquoinverse la laquo creacuteativiteacute du schegraveme raquo en ccedila comme lrsquoillustraient agrave

lrsquoeacutepoque les expressions ccedila boume ccedila va barder ccedila va chier ccedila bouchonne ccedila gaze etc

(ibid 92-93) Il fait de ccedila un laquo nouveau reacutegisseur impersonnel raquo (1994b 50-52) autrement

dit une sorte drsquoopeacuterateur de diathegravese bloquant la position sujet et par lagrave la participation mecircme

drsquoun agent Cette analyse de ccedila pourrait apporter des eacuteleacutements de reacuteponse agrave la laquo restriction raquo

(agrave confirmer) de ils agrave la position sujet dans le cas ougrave il reste non instancieacute (vs en anaphore

indirecte cf (400) et (399)) Cela dit on ne peut aller aussi loin avec ils dont lrsquoagent agrave deacutefaut

drsquoecirctre reacutefeacuterentiellement instancieacute reste seacutemantiquement impliqueacute contrairement agrave celui de ccedila

On note cependant la subtile modification qursquoil induit dans la relation actantielle releacuteguant au

second plan la relation agent-procegraves au profit de la promotion du procegraves (et de son eacuteventuel

son objet) parfois de lrsquoeacutetat qui en reacutesulte

Si lrsquoon rappelle les rendements discursifs propres agrave chaque cateacutegorie releveacutee on note

quelques diffeacuterences mais aussi de nombreux points communs Lrsquoune des motivations

possible pour un pointage via ils speacutecifique agrave lrsquoanaphore collective (eacuteventuellement aussi agrave

lrsquoanaphore laquo locative raquo) reacuteside dans lrsquoattribution drsquoune proprieacuteteacute distributive au reacutefeacuterent drsquoougrave

303

Langacker (1977 58) propose la deacutefinition suivante laquo I will define reanalysis as change in the structure of

an expression or class of expressions that does not involve any immediate or intrinsic modification of its surface

manifestation Reanalysis may lead to changes at the surface level as we will see but these surface changes can

be viewed as the natural and expected result of functionally prior modifications in rules and underlying

representations raquo 304

Selon Blinkenberg (1950 43) laquo [l]a meacutetanalyse suppose en effet une mecircme forme analysable de deux

faccedilons Crsquoest la phrase agrave double sens qui est le point de deacutepart et le pivot du mouvement qui amegravene le

regroupement comme crsquoest la phrase agrave double forme qui en est le point drsquoarriveacutee On nrsquoexplique aucune

meacutetanalyse sans srsquoappuyer sur des exemples eacutequivoques on ne prouve la meacutetanalyse que par des exemples

univoques raquo 305

ccedila teacuteleacutecharge tout seul (forum httpwwwcommentcamarchenet) ccedila roots (asymp ccedila va oral au vol) sur

le net ccedila bugue (Libeacuteration 17112014)

306

le recalibrage de la collection au format de classe cf (398) et (400) Un autre objectif guidant

lrsquoemploi de ils au deacutetriment drsquoune expression lexicale consiste agrave eacuteviter la redondance qursquoelle

pourrait engendrer agrave travers la reacutepeacutetition drsquoun N collectif (cf la reformulation dans (395)) On

pourrait peut-ecirctre mecircme eacutetendre cette strateacutegie aux cas ougrave la redondance concernerait le

radical drsquoun N de lieu et drsquoun N de gentileacute voire drsquoun verbe et drsquoun N preacutedicatif

(456) [hellip] je passe dix jours en Belgique Le pays des moules des frites du chocolat ndash si si

les Belges y croient ndash et des biegraveres eacutevidemment (exemple modifieacute) = (402)

(457) [hellip] Les voleurs ont voleacute un appareil photo et qq trucs du boulot [hellip] (exemple

modifieacute) = (416)

Toutefois dans la plupart des cas lrsquoalternative drsquoun SN lexical nrsquoa pas besoin drsquoecirctre

envisageacutee lrsquoenjeu reposant sur lrsquoexploitation de la sous-deacutetermination ils En effet dans les

trois cateacutegories on a releveacute le rendement de diffusion indistincte de la responsabiliteacute du

procegraves sur un agent collectif dont lrsquoidentiteacute soit demande agrave ecirctre globalement infeacutereacutee (sect321)

soit demeure en suspens (sect323) qursquoelle soit insignifiante ((453) (454)) ignoreacutee (430) ou

encore deacutelibeacutereacutement occulteacutee (429) Dans ces cas-lagrave lrsquoindistinction peut conduire agrave releacuteguer

lrsquoactant au second plan dans lrsquoexpression du procegraves qui heacuterite ainsi lui-mecircme du premier plan

Bien que nous ayons essentiellement travailleacute sur des donneacutees orales spontaneacutees nous avons

eacutegalement releveacute le pheacutenomegravene dans drsquoautres genres de laquo lrsquoimmeacutediat raquo (Koch amp Oesterreicher

1985) comme les SMS les courriels priveacutes les reacuteseaux sociaux etc Dans les genres

discursifs reacuteputeacutes plus travailleacutes les occurrences de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee ne sont pas

pour autant absentes comme en teacutemoignent les extraits litteacuteraires reproduits mais en prioriteacute

dans des contrefaccedilons de lrsquooral des dialogues ou alors dans des reacutecits agrave la 1egravere

personne

refleacutetant les penseacutees du narrateur-personnage Notons que malgreacute notre contact privileacutegieacute avec

les eacutecrits scientifiques nous nrsquoy avons pour lrsquoheure sans grande surprise releveacute aucun emploi

de ce type (cf le recours agrave drsquoautres proceacutedeacutes ci-apregraves sect34) Il semble donc que les normes

propres aux genres discursifs aient une grande influence sur la distribution des emplois de ils

Neacuteanmoins lrsquoinventaire en amont montre qursquoil est simplificateur de reacuteduire ceux-ci agrave une

strateacutegie drsquoeacuteconomie propre au style laquo relacirccheacute raquo au vu des rendements diversifieacutes dont ils

sont porteurs

A cet eacutegard les rendements deacutecrits ne sont pas lrsquoapanage de ils comme nous lrsquoavons suggeacutereacute

agrave plusieurs reprises Il existe en effet drsquoautres ressources linguistiques visiblement mieux

toleacutereacutees dans les genres plus centreacutes sur les inteacuterecircts de lrsquointerpregravete offrant certains rendements

similaires et affectant de la sorte la distribution de ils Nous proposons agrave preacutesent de mettre en

perspective ces proceacutedeacutes avec les constructions en ils

307

34 ILS dans le paradigme des constructions agrave agent sous-deacutetermineacute

Plusieurs auteurs ont releveacute des similitudes entre lrsquoemploi de ils et on306

drsquoune part (Goudet

1983 Siewierska 2011 Cabredo Hofherr 2014 Creissels agrave par) et ils et le passif drsquoautre part

(Yule 1982 Gundel et al 1993 [Reichler-]Beacuteguelin 1993a Myhill 1997 Blevins 2003

Siewierska 2008 Cabredo Hoffherr 2014) En effet tous sont susceptibles de manifester la

sous-deacutetermination drsquoun agent ainsi que lrsquoillustrent les exemples ci-dessous

(458) il y a eu eacutenormeacute certainement une civilisation dans le sous-sol de Giegraveres Parce que

quand ils ont construit le groupe scolaire lagrave le groupe sur la place le groupe scolaire

qui srsquoappelle Reneacute Cassin maintenant il y a eu ils ont deacutecouvert des vestiges (pfc)

= (468)Erreur Source du renvoi introuvable

(459) [hellip] quand on a construit le groupe scolaire [hellip] on a deacutecouvert des vestiges (exemple

modifieacute)

(460) [hellip] quand le groupe scolaire a eacuteteacute construit [hellip] des vestiges ont eacuteteacute deacutecouverts

(exemple modifieacute)

A travers la manipulation des eacutenonceacutes on constate que chaque proceacutedeacute permet lrsquooccultation

de lrsquoidentiteacute de lrsquoagent engageacute dans le procegraves Dans lrsquoexemple authentique suivant cette

fonction commune est particuliegraverement mise en eacutevidence dans lrsquoexploitation des trois

structures dont on peut contextuellement infeacuterer la coreacutefeacuterence de lrsquoagent

(461) [deacutebut drsquoun article sur des cas de mobbing dans une eacutecole] laquo Mon fils a eacuteteacute frappeacute et

on lui a urineacute dessus Ensuite ils lrsquoont fait chanter raquo srsquoindigne Gabriella Schlegel

(presse 20minutesch 29102015 lt Beacuteguelin 2015)

Neacuteanmoins chaque construction comporte des speacutecificiteacutes agrave diffeacuterents niveaux qui influent

sur sa mise en œuvre Dans les sections qui suivent nous proposons de confronter lrsquousage de

ils avec les deux autres proceacutedeacutes afin de cerner une eacuteventuelle zone de recouvrement et de

deacutegager les facteurs et circonstances qui motivent le choix pour lrsquoun au deacutetriment des autres

341 ILS vs le passif

Les constructions en ils dont la valeur reste non instancieacutee sont souvent preacutesenteacutees comme

fonctionnellement eacutequivalentes aux constructions passives sans compleacutement drsquoagent (Myhill

1997 Blevins 2003 Siewierska 2008b)

(462) Theyrsquove stolen my bag (Siewierska 2008 31)

(463) My bag has been stolen (ibid)

On peut tout drsquoabord remarquer que la comparaison ne concerne que les verbes transitifs agrave

deux actants agrave savoir un agent et un objet patient Bien que la construction transitive soit

306

Ou ce qui est preacutesenteacute comme leurs formes laquo correspondantes raquo dans drsquoautres langues

308

privileacutegieacutee dans nos donneacutees en sect323 lrsquousage de ils est a priori moins contraint comme le

montrent les emplois agrave laquo agent fictif raquo ougrave il se combine agrave la copule ecirctre (450) agrave une

construction factitive (449) ou agrave un verbe modal (448)

La diathegravese au passif peut ecirctre deacutecrite comme un processus transformationnel ou deacuterivationnel

agrave partir drsquoun verbe transitif qui subit une deacuterivation suffixale geacuteneacuterant un adjectif (participe

passeacute) (Berrendonner 2000) Le patient se voit promu agrave la place drsquoargument sujet tandis que

lrsquoagent se mue en actant interne au procegraves Lrsquoagent peut neacuteanmoins ecirctre exprimeacute par un

compleacutement oblique (eg par x de x) mais crsquoest loin drsquoecirctre la norme Drsquoailleurs dans le

cadre des constructions qui nous inteacuteressent la restitution explicite drsquoun agent ne permet plus

de mettre en œuvre un proceacutedeacute de sous-deacutetermination

(464) quand le groupe scolaire a eacuteteacute construit par eux [hellip] des vestiges ont eacuteteacute deacutecouverts

par eux (exemple modifieacute)

Blevins (2003) considegravere que le processus de deacutetransitivisation de la diathegravese passive reacuteduit la

valence lexicale du verbe On peut invoquer la notion de diathegravese reacutecessive selon la

terminologie de Tesniegravere (1959 272) qui laquo diminue drsquoune uniteacute le nombre des actants raquo En

fait cette conception doit ecirctre nuanceacutee Pour Berrendonner (2000 47) si le passif

laquo absorbe raquo lrsquoagent dans le lexegraveme preacutedicatif cet agent nrsquoen reste pas moins preacutesent

quoiqursquoindeacutetermineacute Selon Muller (2000 51-52) le passif ne fait que releacuteguer laquo au rang de

relation facultative raquo la relation agent-action sans pour autant lrsquoobliteacuterer Creissels (2006 9)

va dans le mecircme sens lrsquoagent peut laquo ecirctre complegravetement occulteacute mais sa participation mecircme

agrave lrsquoeacuteveacutenement reste impliqueacutee raquo307

Certaines formes passives en particulier les laquo passifs

drsquoeacutetat raquo (Riegel et al 2009 736) preacutesentent agrave cet eacutegard un comportement remarquable

(465) Ils [les fruits et leacutegumes] contiennent beaucoup de vitamines et de mineacuteraux bien

davantage que lorsqursquoils sont cuits (Nitshe C Le deacutecodeur minceur 2012 p 44)

Lrsquoeacutenonceacute preacutesente la mecircme forme qursquoune structure adjectivale de type attributive (par ex

frais crus ici le participe passeacute reacutesultatif cuits) Cependant on peut consideacuterer ce genre de

constructions comme passives dans la mesure ougrave elles deacutenotent le reacutesultat du procegraves acheveacute

lsquoils ont eacuteteacute cuitsrsquo Si la construction se voit suivie drsquoun compleacutement drsquoagent on retrouve

lrsquoaspect inaccompli

(466) [Il srsquoagit drsquoune expeacuterience rapporteacutee dans une eacutetude] Deux gigots drsquoun poids eacutegal sont

cuits par un cuisinier intelligent dans les mecircmes conditions de temps et de chaleur

(Loverdo J Le froid artificiel et ses applications industrielles commerciales et

agricoles 1903 p 336)

Dans cet exemple lrsquoaspect inaccompli de la construction active correspondante (un cuisinier

cuit deux gigots) est conserveacute Dans ce cas le verbe ecirctre correspond aux auxiliaires drsquoautres

307

Creissels deacutemontre cela au moyen de lrsquoeacutenonceacute La porte a eacuteteacute ouverte qui accepte le modifieur

volontairement mais non le modifieur toute seule agrave lrsquoinverse de lrsquoeacutenonceacute La porte srsquoest ouverte

309

langues exprimant le sens de (de)venir (all werden it venire ou andare) il indique la

modification en devenir subie par lrsquoobjet patient (Muller 2000)

Dans le cas du passif drsquoeacutetat ecirctre ne srsquointerpregravete pas comme un processus en devenir mais

signale lrsquoaboutissement du processus on constate cependant que lrsquointerpreacutetation reacutesultative

nrsquoest pas toujours bien distincte drsquoune interpreacutetation purement attributive Dans lrsquoeacutenonceacute

(465) on peut supposer que lrsquoeacutetat reacutesulte drsquoune action comprenant un agent implicite Par

contre dans lrsquoexemple suivant il est difficile de preacutesumer lrsquointervention drsquoun agent (preacutealable

ou en cours)

(467) la mer est saleacutee (Riegel et al 2009 ibid)

Lorsqursquoon ne peut reconstituer un agent par transposition agrave partir drsquoun verbe agrave lrsquoactif (on a

saleacute la mer) drsquoun passif processif (avec ajout drsquoun compleacutement drsquoagent) ou qursquoon ne peut

consideacuterer que lrsquoeacutetat reacutesulte drsquoun procegraves accompli (la mer a eacuteteacute saleacutee) on ne traite

geacuteneacuteralement pas la construction en termes de diathegravese passive mais comme une simple

construction adjectivale ou attributive (comme dans Il semblait deacuteccedilu lt ibid) Comme on le

verra les indices ne sont pas toujours univoques et le deacutebat autour de ces constructions qui

deacutepasse le propos de ce travail est loin drsquoecirctre clos

Cela dit le fait qursquoun passif puisse avoir une interpreacutetation inaccomplie ou reacutesultative

(stative) offre un eacuteclairage inteacuteressant sur nos donneacutees On peut en effet supposer que le choix

du passif est motiveacute dans certains cas par des questions drsquoaspect et drsquoorganisation de la

structure actantielle Certains extraits drsquooral fournissent des alternances significatives entre

lrsquoemploi du passif et lrsquoemploi du ils Revenons agrave lrsquoexemple introductif qui comprend une

reformulation au passif (souligneacutee) drsquoun procegraves exprimeacute agrave lrsquoactif avec ils

(468) E Parce qursquoil y a pas eu de galeries creuseacutees il y a pas eu nnnnnnnnnnnnnnnnnnn

AS Non il y a eu eacutenormeacute certainement une civilisation dans le sous-sol de Giegraveres

Parce que quand ils ont construit le groupe scolaire lagrave le groupe sur la place le

groupe scolaire qui srsquoappelle Reneacute Cassin maintenant il y a eu ils ont deacutecouvert des

vestiges ils avaient arrecircteacute les travaux Ils avaient arrecircteacutes les travaux les travaux ont

eacuteteacute arrecircteacutes pendant deux mois il y avait des galeries des des briques des trucs

comme ccedila il y a certainement eu une civilisation (pfc)

Cette laquo reformulation raquo permet drsquoexprimer sans doute plus clairement lrsquoeacutetat reacutesultant de lrsquoarrecirct

des travaux que la forme transitive ils avaient arrecircteacute les travaux signalant lrsquoaccomplissement

du procegraves (dont le reacutesultat nrsquoest qursquoimplicite) crsquoest en effet le reacutesultat statif du procegraves qui

heacuterite de lrsquoaspect duratif exprimeacute par le circonstant (pendant deux mois) En outre du point de

vue de la progression theacutematique (Combettes 1983) on repegravere une progression lineacuteaire ougrave le

rhegraveme de lrsquoeacutenonceacute preacuteceacutedent (les travaux) devient le thegraveme du suivant On observe ainsi une

reacuteorganisation de la structure informationnelle en particulier agrave travers la promotion de lrsquoobjet

patient en position de sujet mettant en relief la relation qursquoil entretient avec le procegraves

310

Dans lrsquoexemple suivant deacutejagrave citeacute supra la reformulation est opeacutereacutee en sens inverse crsquoest-dire

qursquoune construction au passif se voit reformuleacutee via une construction agrave lrsquoactif avec ils

(469) donc faut savoir que | _ | cest tous les cours deux sont plus baseacutes | _ | euh performance

| _ | donc euh par exemple euh pour euh athleacutetisme | _ | il y a le cent megravetres qui est

chronomeacutetreacute | _ | ou | _ | cest les tous les baregravemes pour les pratiques sont baseacutes | _ | sur

euh les meilleurs eacute- eacutetudiants euh des universiteacutes en sport | _ | donc tout toutes les

meilleures performances euh y euh | de chaque euh canton ou universiteacute de Suisse | _ |

forment la moyenne donc ils basent les baregravemes dapregraves ccedila | _ | donc euh ce quil faut

savoir cest que bien souvent euh cest des baregravemes assez eacuteleveacutes (ofrom) = (419)

Lrsquoextrait porte sur la question des baregravemes des examens en sport agrave propos desquels on

apprend la maniegravere dont ils sont calculeacutes et de fait leur seacuteveacuteriteacute (crsquoest des baregravemes assez

eacuteleveacutes) Au vu du deacuteveloppement argumentatif lsquoles baregravemesrsquo constitue ainsi le centre

organisateur courant dans M Le locuteur preacutesente drsquoabord le calcul des baregravemes comme un

fait eacutetabli au moyen du passif (interpreacutetation stative) Srsquoensuit un eacuteclaircissement sur ce qursquoil

entend par les meilleurs eacutetudiants des universiteacutes en sport Puis il recourt agrave la reformulation

avec ils qui fait eacutecho agrave lrsquoagent implicite de la construction passive visant agrave reacutecapituler

globalement comment sont conccedilus les baregravemes Lrsquoaspect inaccompli du verbe agrave lrsquoactif permet

drsquoinsister ainsi non plus tant sur le reacutesultat (le fait eacutetabli) que sur la maniegravere dont sont calculeacutes

les baregravemes par une sorte de meacutetalepse (la conception eacutetant une eacutetape anteacuterieure au reacutesultat)

On voit ainsi comment il est possible drsquoenvisager la situation sous divers angles aspectuels

selon les besoins de lrsquoargumentation

Le choix entre le passif et lrsquoemploi de ils est donc visiblement motiveacute par des critegraveres lieacutes agrave

lrsquoaspect du verbe (reacutesultat vs processus) et de la structure informationnelle (type de

progression reacuteorganisation des rocircles seacutemantiques) A cet eacutegard Lambrecht (1994) fait

lrsquohypothegravese qursquoil existe une loi communicative selon laquelle il nrsquoest pas optimal drsquointroduire

un reacutefeacuterent et de preacutediquer sur lui dans le cadre drsquoune mecircme eacutenonciation ce qui expliquerait

en partie pourquoi les SN indeacutefinis sont eacuteviteacutes en position sujet position typiquement

theacutematique Dans cette perspective la volonteacute drsquointroduire des objets nouveaux pourrait

orienter vers lrsquoemploi drsquoune structure active placcedilant ceux-ci en position drsquoobjet direct plus

adapteacutee agrave la fonction rheacutematique drsquoapport informationnel

(470) juste tu ne peux plus tourner chez moi maintenant ils ont mis des poteaux (ofrom)

(471) ils nous ont presque pas donneacute dexplications = (101)

(472) Tu sais bien que cette anneacutee avec la seacutecheresse avec la canicule les montagnes euh

les neiges eacutetaient tregraves tregraves fondues les glaciers ont fondu et caetera Ils avaient ils

ont ducirc mettre des flics pour que les gens ne montent pas au Mont Blanc (pfc)

Il va de soi qursquoaucune de ces constructions nrsquoest impossible au passif mais on remarque que

la laquo promotion raquo de lrsquoobjet nouveau deacutelivreacute en position sujet chamboulerait passablement la

311

structure informationnelle drsquoorigine Pour les deux derniers exemples une diathegravese au passif

engendrerait en outre une surcharge cognitive respectivement dans la production drsquoun sujet

quantifieacute eacutetendu (473) et dans lrsquoexpression de trois auxiliaires successifs (474)

(473) Presque pas drsquoexplications nous ont eacuteteacute donneacutees (exemple modifieacute)

(474) des flics ont ducirc ecirctre mis pour que les gens ne montent pas au Mont Blanc (exemple

modifieacute)

La mise en perspective des constructions active et passive reacutevegravelent ainsi qursquoelles ne sont de

loin pas des variantes libres malgreacute certains traits et effets similaires308

On peut encore noter certaines diffeacuterences suppleacutementaires entre les constructions eacutetudieacutees

Tandis que la forme ils exhibent des marques morphologiques lrsquoagent non exprimeacute du passif

apparaicirct agrave cet eacutegard beaucoup moins speacutecifieacute En particulier il se montre insensible au trait

[+deacutelocuteacute] propre aux indices de 3e et 6

e personne

(475) donc bon les journeacutees de ski donc euh ben on a pris des abonnements directement agrave la

semaine | _ | comme ccedila ben on | crsquoeacutetait quelque chose de plus avantageux pour euh

nous euh les organisateurs du camp | _ | euh le ski et donc euh les enfants sont reacutepartis

dans des groupes de six agrave | _ | agrave neuf euh eacutelegraveves six agrave neuf enfants (ofrom)

En (475) aucune information explicite ne signale lrsquoinclusion ou lrsquoexclusion du locuteur agrave

lrsquoeacutegard du rocircle drsquoagent dans le procegraves exprimeacute par opposition agrave ils ont reacuteparti les enfants La

construction au passif non marqueacutee sur ce point peut donc recouvrir une situation ougrave le

locuteur a participeacute ou non agrave la reacutepartition effective Cet exemple montre en outre que le

nombre de lrsquoagent reste lui aussi indeacutetermineacute la diathegravese recouvrant une action

potentiellement individuelle ou collective

On peut eacutegalement songer agrave la question de lrsquointerpreacutetation humaine de lrsquoagent souvent

preacutesenteacutee comme inheacuterente agrave lrsquoemploi de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee (voir supra sect2223)

308

Siewierska (2010) deacutegage une parenteacute morphologique entre les constructions dans certaines langues ougrave la

marque de 3e personne du pluriel est preacutesenteacutee comme eacutetant agrave la source du passif dans les langues nilotiques le

passif est perccedilu comme agrave lrsquoorigine de la marque de 6e personne quant aux langues bantoues la 6

e personne est

encore visible en synchronie dans les verbes au passif (le morphegraveme a- ci-dessous)

Kimbundu (Givoacuten 1976 180)

a- mu- mono

3PL 3SG saw

ldquoThey saw himrdquo

Ou

Nzua a- mu- mono kwa meme

Nzua PASS- 3SG saw by me

ldquoNzua was seen by merdquo

De surcroicirct dans des langues qui ne possegravedent pas de passif les indices de 6e personne sont souvent utiliseacutes pour

traduire le passif des langues europeacuteennes (Siewierska 2010)

Libum (Nforgwei 2004 278)

A fa rlii muu ene jisos

3PL give name child that Jesus

ldquoHe was named Jesus They named him Jesusrdquo

312

Le passif apparaicirct pour sa part non marqueacute agrave cet eacutegard comme le montrent les exemples ci-

dessous qursquoil reacutegisse ou non un compleacutement drsquoagent

(476) Vers 19H50 une personne a grimpeacute sur le toit drsquoun train qui repartait de la gare de

Mantes-la Jolie vers Paris Lrsquohomme a eacuteteacute eacutelectrocuteacute par une cateacutenaire et projeteacute sur

les voies (httpwwwlefigarofrflash-actu 27032013)

(477) Une triple fracture du bassin neuf cocirctes et trois vertegravebres casseacutees Didier Castella a

eacuteteacute griegravevement blesseacute le 23 juillet lors drsquoune excursion en quad en Colombie

britannique agrave lrsquoest du Canada (presse La Gruyegravere 04082016)

On remarque que lrsquoemploi drsquoun ils engagerait preacutefeacuterentiellement une interpreacutetation humaine

de lrsquoagent

(478) Une triple fracture du bassin neuf cocirctes et trois vertegravebres casseacutees ils ont griegravevement

blesseacute Didier Castella le 23 juillet lors drsquoune excursion en quad en Colombie

britannique agrave lrsquoest du Canada (exemple modifieacute)

En effet le passif oriente moins sensiblement vers une interpreacutetation humaine (ou animeacutee)

Cela nuance les observations de Blevins (2003 475) selon lesquelles aussi bien

lrsquoimpersonnel le passif sans compleacutement drsquoagent et les constructions verbales actives agrave la 6e

personne impliquent des agents par deacutefaut humains

Par ailleurs on peut srsquointerroger sur la nature inheacuterente ou non du trait [+humain] pour ils

plutocirct qursquoen faire un trait inheacuterent agrave lrsquoemploi de ils [Reichler-]Beacuteguelin (1993b) (cf supra

sect2223) met lrsquointerpreacutetation humaine au compte de la preacutedominance en geacuteneacuteral des reacutefeacuterents

humains pour le pronom de 6e (lrsquohypothegravese de laquo lrsquoanthropocentrisme des discours raquo) Sur un

eacutetat anteacuterieur de la base OFROM (deacutecembre 2012) signalons que nous avions releveacute

seulement 46 interpreacutetations [ndashhumain] du pronom ils (toutes occurrences de ils

confondues309

) sur un total de 822 occurrences soit 56 contre 944 de reacutefeacuterences

[+humaine]

Si lrsquoon recherche les formes passives dans OFROM310

et qursquoon examine le type drsquoagents

implicites les reacutesultats sont a priori varieacutes bien que nous nrsquoayons pas fait de comptage

exhaustif

309

Y compris les ils anaphoriques laquo classiques raquo (les jeunes aimaient bien ccedila avec le pain c c | _ | ils ils

appreacutecient hein la nutella) les redoublements du sujet (les trois cons ils attendaient leur tour) etc Par contre

nous nrsquoavons pas inclus les occurrences reacutepeacuteteacutees dans les bribes (comme la 2e occurrence dans ils ils appreacutecient)

ou qui interviennent dans des structures abandonneacutees (anacoluthes) (donc euh ils | _ | ils | _ | ceacutetaient des

masters plus orienteacutes [hellip]) 310

Nous avons rechercheacute les formes du lemme ecirctre agrave tous les temps simples suivies drsquoun participe passeacute agrave moins

de deux secondes drsquointervalle Mais la requecircte comporte du bruit parce qursquoelle retient tous les verbes agrave une forme

composeacutee avec lrsquoauxiliaire ecirctre (eg ecirctre alleacute etc) Pour les temps composeacutes nous avons rechercheacute eacuteteacute suivi

drsquoun autre participe passeacute Lagrave aussi un grand tri manuel srsquoest aveacutereacute indispensable en raison de nombreux

pheacutenomegravenes drsquohomonymie (nm eacuteteacute) dus agrave des problegravemes drsquoannotation en amont Pour cette requecircte nous avons

passeacute en revue les 200 premiegraveres occurrences produites par 58 locuteurs diffeacuterents

313

(479) donc il faudrait que le peuple valaisan puisse se rallier derriegravere un entraicircneur | qui est

du coin | _ | et pis lagrave du coup comme il a eacuteteacute vireacute on se retrouve avec Docastel | qui est

deacutejagrave passeacute agrave Sion (ofrom)

(480) cest une seacuterie de videacuteos | tourneacutees dans les dans des parcs publics agrave New York | _ | et

qui ont eacuteteacute posteacutees sur le portail internet Youtube degraves le milieu des anneacutees deux mille |

qui marque veacuteritablement la naissance du street workout dans sa forme actuelle

(ofrom)

(481) alors ccedila ccedila fait partie aussi de mon travail | dans la mesure du possible si ce nest pas

trop compliqueacute | _ | je peux jai eacuteteacute ameneacutee agrave agrave faire aussi ce genre de choses donc

(ofrom)

(482) ceacutetait le plus jeune je pense de lassembleacutee agrave peu pregraves | _ | et pis franchement euh | _ |

| elle a eacuteteacute traumatiseacutee parce que | _ | quand euh | _ | quand ils lui ont demandeacute quand

euh quand il est arriveacute et que | _ | et quil a fait euh elle lui a demandeacute de quel pays euh

il venait il a fait des Eacutetats-Unis | _ | hein | _ | pis ccedila pouvait pas ecirctre autre chose

(ofrom)

Dans les deux premiers exemples les preacutedicats seacutelectionnent typiquement des agents

humains mais ce nrsquoest pas le cas dans les deux autres exemples dont lrsquoagent demeure sous-

speacutecifieacute Les passifs drsquoeacutetat semblent particuliegraverement reacuteveacutelateurs de lrsquoabsence de marquage du

trait drsquohumaniteacute

(483) tu vois elle elle est quand mecircme dans le monde du service | et elle a des horaires qui

sont complegravetement deacutecaleacutes | elle comprend pas que le matin je me legraveve agrave six heures et

demi pour aller travailler (ofrom)

(484) il y a des enfants qui jouent dans la dans la boue | _ | et puis le taxi gentiment comme

en Inde | _ | euh prend son chemin | _ | par cette foule | _ | tout gentiment | _ | parce que

tu veux pas euh | _ | rouler sur des gens | _ | ccedila euh lagrave | maintenant je suis euh habitueacute

agrave ccedila mais la premiegravere fois jeacutetais | _ | complegravetement choqueacute (ofrom)

On peut drsquoailleurs relever la difficulteacute de distinguer ci-dessus entre passif drsquoeacutetat et

construction attributive dans lrsquoexemple (483) on peut envisager un agent non humain

responsable du deacutecalage comme le travail de la personne en question avec une lecture

reacutesultative du passif mais on peut eacutegalement y voir une construction attributive au vu de la

substitution possible de deacutecaleacutes par de simples adjectifs (irreacuteguliers fous etc) ou de la

copule ecirctre avec sembler Quant agrave (484) le participe passeacute habitueacute agrave se laisse volontiers

substituer par des adjectifs (familier de coutumier de) mais il nrsquoest pas forceacutement

incompatible avec lrsquoimplication drsquoun agent (par exemple lrsquoexpeacuterience la reacutealiteacute etc) Il en va

de mecircme pour la construction jrsquoeacutetais choqueacutee subseacutequente Quoi qursquoil en soit contrairement agrave

lrsquoemploi de ils ougrave lrsquointerpreacutetation [+humain] est preacutedominante la nature de lrsquoagent des formes

passives semble a priori plus aleacuteatoire sur ce point Neacuteanmoins une eacutetude plus minitieuse sur

lrsquoemploi du passif serait neacutecessaire pour eacutetayer ces hypothegraveses

314

Cette bregraveve confrontation des constructions active et passive met ainsi en eacutevidence des

diffeacuterences drsquoemploi lieacutees agrave des paramegravetres aspectuels (accompliinaccompli

reacutesultatifattributif) et informationnels (structure progression theacutematique relation et ordre des

actants et leur rapport avec le procegraves etc) Au niveau de la nature de lrsquoagent nous avons

montreacute que celui impliqueacute par le passif eacutetait moins speacutecifieacute que celui impliqueacute par ils srsquoen

distinguant par son indiffeacuterence au nombre agrave lrsquoinclusion du locuteur et manifestement au trait

drsquohumaniteacute Nous nrsquoavons pas compareacute exhaustivement lrsquoinfluence du genre de parole ou du

registre de langue A cet eacutegard plusieurs auteurs mentionnent une diffeacuterence agrave propos de

lrsquoanglais lrsquoemploi de they laquo impersonnel raquo ayant tendance agrave ecirctre perccedilu comme familier

(Siewierska 2008) ils suggegraverent que lrsquoemploi du passif serait privileacutegieacute dans des registres

soutenus et eacutecrits (Yule 1982 Myhill 1997) Pour le franccedilais on a releveacute supra (sect21) le

jugement que portent les grammairiens agrave lrsquoeacutegard de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee (style

familier voire populaire) Ce qursquoon peut avancer crsquoest qursquoune semblable attitude ne se

rencontre pas agrave notre connaissance agrave lrsquoeacutegard du passif Lrsquoune des raisons est sans doute

lrsquoinstruction drsquounification reacutefeacuterentielle fortement attacheacutee au pronom de 3e et 6

e personne qui

nrsquoest pas requise pour lrsquoagent impliqueacute du passif Il nrsquoest donc pas surprenant que les genres

influenceacutes par des exigences de laquo style raquo et drsquointerpreacutetabiliteacute soient peu feacuteconds en ils agrave valeur

sous-deacutetermineacutee Mais cela ne signifie pas que le passif soit reacuteserveacute aux modes de la

laquo distance raquo (Koch amp Oesterreicher 1985) comme en teacutemoignent les occurrences usuelles de

notre bref aperccedilu provenant de la base OFROM Nous pouvons agrave preacutesent nous tourner vers un

autre moyen drsquoexprimer la participation drsquoun agent sous-deacutetermineacute

342 ILS vs ON

Dans certaines circonstances que nous allons caracteacuteriser (critegraveres syntaxiques seacutemantiques et

pragmatiques) ils et on peuvent apparaicirctre en concurrence Les grammaires on srsquoen souvient

notent reacuteguliegraverement ce rapprochement en consideacuterant ils comme la variante familiegravere ou

populaire (Haase 1898 Brunot amp Bruneau 1949 Sandfeld 1970) Le pronom on fait lrsquoobjet

drsquoune litteacuterature abondante311

que nous ne pouvons examiner dans le deacutetail ici Neacuteanmoins

nous proposons une synthegravese forceacutement simplifieacutee des principaux apports de ces travaux agrave

des fins contrastives avec lrsquoemploi de ils

Du point de vue syntaxique on nrsquoapparaicirct que comme clitique sujet Sur le plan seacutemantique

outre son trait [+animeacute] on est particuliegraverement sous-speacutecifieacute ce qui lui vaut une flexibiliteacute

remarquable drsquousage Riegel et al (2009 364) relegravevent lrsquoadeacutequation de la deacutefinition de

laquo vague sujet raquo proposeacutee par les verbicrucistes Wilmet (2007 58) invoque son

caractegravere laquo omnipersonnel raquo dont le contenu peut srsquoeacutetendre laquo de lsquoquelqursquoun qui que ce soit

nrsquoimporte quirsquo agrave lsquotout le mondersquo raquo les extreacutemiteacutes de ce continuum sont illustreacutees

respectivement par (485) et (486)

311

Voir entre autres Muller (1970) Boutet (1984) Franccedilois (1984) Blanche-Benveniste (1987) et (2003)

Viollet (1988) Leeman (1991) Rabatel (2001) Guerin (2006) Floslashttum et al( 2007) Beacuteguelin (2014c)

315

(485) On a sonneacute (Riegel et al 2009 364)

(486) En Baviegravere on boit beaucoup de biegravere (ibid)

Le clitique on a en particulier la possibiliteacute de recouvrir la reacutefeacuterence de toutes les personnes

de la conjugaison (Moignet 1965 Riegel et al 2009 364)

(487) Excusez-nous drsquoarriver en retard On a eu une panne (Riegel et al ibid)

(488) Alors on fait la forte tecircte (ibid)

(489) - Comment ccedila va nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- On fait aller (ibid 365)

(490) Je les avais preacutevenues mais on nrsquoa pas voulu mrsquoeacutecouter (ibid)

La diversiteacute des emplois de on montre drsquoembleacutee le caractegravere restreint de la zone eacuteventuelle de

recouvrement avec ils La flexibiliteacute reacutefeacuterentielle de on nrsquoa semble-t-il drsquoeacutegal dans aucune

autre langue europeacuteenne (Floslashttum Jonasson amp Noreacuten 2007) et se reacutepercute sur la

morphosyntaxe agrave travers la diversiteacute des accords possibles des adjectifs ou participes passeacutes

(Beacuteguelin 2014c) Elle met en outre agrave lrsquoeacutepreuve les linguistes sur le deacutebat drsquoun traitement

polyseacutemique vs homonymique de on312

En tout cas on invoque geacuteneacuteralement la nature

laquo indeacutefinie raquo du pronom pour les emplois (485) (on tantocirct appeleacute speacutecifique existentiel) et

(486) (on dit geacuteneacuterique gnomique ou universel) et un emploi de 4e personne pour (487) que

les grammaires normatives tendent agrave stigmatiser (Beacuteguelin (2014c) Certains emplois

exploitent simultaneacutement diverses caracteacuteristiques de on comme celui-ci

(491) [agrave propos de participants agrave un camp de ski que le locuteur organise] une bonne euh

partie est eacutegalement un peu triste de se quitter parce que ben on retrou- | on retourne

chez les parents on se retrouve tout seul sans les amis donc crsquoest crsquoest une autre

ambiance que decirctre euh entoureacute (ofrom)

En effet les interpreacutetations semblent se brouiller du point de vue du locuteur on peut

renvoyer agrave chacun des enfants pris comme un individu anonyme speacutecifique mais en mecircme

temps il reflegravete le point de vue interne de lrsquoenfant sur le mode du discours indirect libre

discours par ailleurs preacutesenteacute comme steacutereacuteotypique Selon les distinctions eacutetablies ci-dessus

cet emploi de on se situe donc au carrefour des emplois speacutecifique de 4e personne (=nous) et

geacuteneacuteriquehellip

Lrsquoun des facteurs de la souplesse reacutefeacuterentielle de on se situe dans son absence de marquage

seacutemantique quant agrave lrsquoinclusion ou lrsquoexclusion du locuteur par opposition aux autres indices

personnels (Creissels agrave par) Le pronom on se diffeacuterencie sur ce point agrave la fois clairement de

nous toujours inclusif (Blanche-Benveniste 2003) et des 3e et 6

e personnes par deacutefinition

312

Lrsquoexamen des potentialiteacutes de coreacutefeacuterence des diffeacuterents emplois du pronom on par Creissels (agrave par) penche

pour un traitement homonymique

316

[+deacutelocuteacute] Crsquoest le contexte le cas eacutecheacuteant qui est responsable drsquoune interpreacutetation incluant

ou non le locuteur Mais dans bien des contextes ce point reste indeacutecidable

(492) [le locuteur parle de son meacutetier de monteur en images] maintenant on travaille sur des

logiciels de de montage euh donc crsquoest du montage virtuel agrave lrsquoeacutepoque on faisait du

montage euh sur bandes (ofrom)

Srsquoil y a des raisons de penser que le locuteur srsquoinclut eacutetant donneacute son meacutetier dans la

reacutefeacuterence du premier on la seconde occurrence est plus floue selon qursquoelle repreacutesente la

classe atemporelle des lsquomonteurs en imagesrsquo ou par contraste (maintenant vs agrave lrsquoeacutepoque)

celle des lsquomonteurs du passeacutersquo En fait il vaut mieux consideacuterer que lrsquointerpreacutetation reste en

suspens de ce point de vue et nrsquoa mecircme pas agrave ecirctre traiteacutee Neacuteanmoins en laissant cette

information indeacutetermineacutee le locuteur prend le risque drsquoune infeacuterence erroneacutee de la part de son

interlocuteur Ci-dessous lrsquoheacutesitation du locuteur peut ecirctre interpreacuteteacutee comme la prise de

conscience drsquoune ambiguiumlteacute agrave ce niveau

(493) il a susciteacute pas mal de haine pendant sa pendant son existence mais aussi euh

beaucoup de deacutevouement bon crsquoest vrai qursquoon le on le on certains le considegraverent un

peu comme un boucher (ofrom)

Finalement le locuteur opte pour lrsquoemploi de certains pronom [+deacutelocuteacute] le dissociant

clairement de la reacutefeacuterence Un comportement assez proche peut ecirctre observeacute dans lrsquoexemple

suivant

(494) moi je me rappelle dans le bureau agrave ma grand-megravere ils eacutet- tous ces vieux papiers dont

on a fait un reacutesumeacute dont jai un reacutesumeacute encore agrave la main qui a eacuteteacute fait de la famille

dedans qui appartient agrave ma grand-megravere (ofrom)

Le locuteur reformule la proposition en on par une structure au passif sans agent313

(jrsquoai un

reacutesumeacute [hellip] qui a eacuteteacute fait de la famille ) la reformulation au passif peut ainsi contribuer agrave

reacuteduire le risque drsquoune interpreacutetation inclusive314

On peut aussi rappeler cet exemple ougrave la

locutrice corrige lrsquousage drsquoun on par un ils

(495) L1 enfin nous on a fait on a fait on a ccedila aussi agrave Sevran dans le quartier ougrave cest tregraves

tregraves grand hein euh ils mettent les barbecues (mm mm) et tout ccedila euh cest bien

organiseacute + avec une fecircte avant pour les enfants + on ils + ils ramegravenent des poneys tu

vois ils ltouais ah ouigt ils font faire des tours = (426)

Lrsquoexemple suivant illustre la situation inverse ougrave ils se voit rectifieacute par on visiblement parce

que la locutrice deacutecide de srsquoinclure dans la reacutefeacuterence

313

Le syntagme preacutepositionnel de la famille apparaicirct en contexte comme le compleacutement du nom reacutesumeacute et non

comme un compleacutement drsquoagent (ne par la famille ) 314

Rappelons toutefois que lrsquoagent implicite du passif est en theacuteorie eacutegalement non marqueacute du point de vue de la

deacutelocution Mais il existe sans doute des facteurs de pertinence qui rendent plus ou moins plausible une infeacuterence

dans un sens ou un autre du genre lrsquoagent drsquoun passif sans compleacutement est interpreacuteteacute inclusivement seulement

srsquoil y a des indices clairs en ce sens

317

(496) et du coup y a ce problegraveme dans la reacutegion de | | _ | et euh on avait un terrain agrave | | _ |

euh queacutetait appartenait agrave la commune queacutetait euh voilagrave qui eacutet qui | _ | sur lequel ils

voulaient faire quelque chose | _ | et pis ben le village ayant perdu sa poste | il y a

quelques anneacutees son petit magasin de justesse | _ | ils lont ils lont on on la reacutecupeacutereacute

mais euh | _ | mais par un un mec genre primo qui ouvre pas comme avant (ofrom)

Un fait remarquable avec on est la possibiliteacute de voir se succeacuteder en discours des suites

drsquooccurrences non coreacutefeacuterentielles (Berrendonner 1981 Blanche-Benveniste 2003) vivement

critiqueacutees par les puristes (Beacuteguelin 2014c)315

dont lrsquoalternance entre interpreacutetations inclusive

ou exclusive ne pose neacuteanmoins aucun problegraveme

(497) on le renvoie comme ccedila et on nous le renvoie comme ccedila (au guichet drsquoune banque agrave

propos drsquoun chegraveque lt Blanche-Benveniste 2003 43)

(498) Lhuicirctre nest pas si malheureuse que nous on lavale sans quelle sen doute mais

pour nous on vient nous dire que nous allons ecirctre avaleacutes et on nous fait toucher au

doigt et agrave lœil que nous serons digeacutereacutes eacuteternellement (Montesquieu Correspondance

1754 lt Beacuteguelin 2014c)

Nous avons montreacute supra ((410) et (417)) que des enchevecirctrements de ils non coreacutefeacuterentiels

(forceacutement [+deacutelocuteacute]) ne constituaient pas non plus des obstacles agrave lrsquointerpreacutetation celle-ci

eacutetant naturellement orienteacutee par la restriction des preacutedications successives

La zone de recouvrement entre ils et on peut srsquoobserver agrave travers lrsquoalternance de on et ils

potentiellement coreacutefeacuterentiels comme en teacutemoignent (461) supra et lrsquoexemple suivant

(499) moi je peux pas j arriverais pas + parce que cest encore mon mon Montreuil agrave moi

bien quoni nousj lrsquoait pris [hellip] crsquoest plus mon Montreuil agrave moi + ben le le fait quilsi

aient fait des HLM y avait tous les gens quonk pouvait imaginer + mais lagrave agrave crsquo

moment-lagrave oni nousj a pris moi- pris mon Montreuil parce qursquooni a pris les champs +

alors Montreuil crsquoeacutetait des champs crsquoeacutetait des petits pavillons bon faits de bric et de

broc hein parce quonj navait pas grand-chose mais c- y avait encore des jeacutea- des

jardins et des champs + que maintenant y a plus rien [hellip] ilsi ont pris tout tout notre

coin [hellip] ilsi ont fait des dans jrsquosais plus quelle anneacutee mais dans quelles anneacutees ceacutetait

+ tout plein de plein de HLM en bas du cimetiegravere + dans la rue Gaston Leriaux tout ccedila

lagrave + (cfpp)

La locutrice exprime dans cet extrait le sentiment de srsquoecirctre fait deacuteposseacuteder de son quartier

avec la construction de HLM et lrsquoarriveacutee de nouveaux habitants Elle en impute ainsi la

responsabiliteacute agrave travers lrsquoalternance de oni et ilsi agrave un agent tiers Malgreacute un doute potentiel

sur la coreacutefeacuterence des deux premiegraveres occurrences on et ils la reformulation agrave la fin de

315

Beacuteguelin (2014c) cite quelques extraits parlants dont celui-ci laquo Inadvertances gecircnantes aussi que celles

consistant agrave utiliser dans une mecircme phrase des on se rapportant agrave des sujets diffeacuterents Il vaut mieux ne pas

imiter Theacuteophile Gautier qui dans Jean et Jeannette a eacutecrit On [= la servante ou le maicirctre drsquohocirctel

probablement] vint dire agrave Mme de Kerkaradec qursquoelle eacutetait servie et lrsquoon [= les convives] passa dans la salle agrave

manger raquo (Pierre-Valentin Berthier amp Jean-Pierre Colignon Le franccedilais eacutecorcheacute Paris Belin)

318

lrsquoextrait ils ont pris tout tout notre coin (cf les autres emplois du verbe prendre avec on)

plaide pour un traitement coreacutefeacuterentiel On remarque ici encore lrsquointercalation non

probleacutematique drsquoautres occurrences de onj non coreacutefeacuterentielles (parfois coreacutefeacuterentielles agrave

nousj)

Au niveau seacutemantique on peut mettre en regard ils et on sur le trait du nombre Le clitique on

apparaicirct non marqueacute de ce point de vue susceptible de repreacutesenter au moins un individu

(Berrendonner 1981 Creissels agrave par) Ceci constitue une diffeacuterence sensible avec ils ce

dernier eacutetant marqueacute en nombre (indiquant lrsquoexistence drsquoun ensemble lui-mecircme

potentiellement composeacute drsquoun eacuteleacutement) Crsquoest notamment ce qui explique qursquoon ne recoure

pas spontaneacutement agrave ils en franccedilais lorsqursquoon vise agrave deacutecrire une situation impliquant

potentiellement un individu isoleacute (agrave moins de vouloir mettre en avant son appartenance agrave un

ensemble) lagrave ougrave on se montre approprieacute

(500) On sonne agrave la porte Personne nrsquoest sur scegravene On sonne de nouveau (didascalie

drsquoune scegravene Reutermann L Un toit pour trois p 71)

Ces contextes appeleacutes existentiels ancreacutes (Cabredo Hofherr 2014) mettent en eacutevidence un

autre trait seacutemantique sur lequel se distinguent ils et on si on est par nature apte agrave introduire

un individu sous-deacutetermineacute les choses sont plus nuanceacutees pour ils bien que lrsquoinstruction

drsquounifier sa variable se trouve en quelque sorte suspendue elle nrsquoen devient pas pour autant

lrsquoinstruction drsquointroduire une telle variable Lrsquointroduction effective de la variable reacutesulte

selon nous de lrsquoabandon de la proceacutedure drsquounification plutocirct que drsquoune indication inheacuterente agrave

ils

Parmi les contextes communs agrave ils et on on retrouve leur combinaison avec des verbes de

parole (cf supra sect3232) La construction verbale indique que les propos proviennent drsquoune

source indirecte non divulgueacutee ou qursquoils ont eacuteteacute obtenus par ouiuml-dire

(501) donc euh on commence euh agrave des heures s | _ | style neuf heures | _ | et pis euh agrave partir

de lagrave on | _ | on commence par euh comme on dit digitaliser les images | _ | les images

(ofrom)

(502) [agrave propos de Napoleacuteon] peut-ecirctre mecircme serait-il mort euh | _ | puisqursquoil eacutetait quand

mecircme euh il faisait assez peu de cas | _ | on lrsquoa accuseacute drsquoavoir f- de faire assez peu de

cas de la vie des autres mais il faisait euh bon aussi assez peu de cas | _ | de sa propre

vie (ofrom)

(503) cest vraiment la reacuteputation qui poursuit les deux euh les deux lyceacutees | _ | euh on dit

que le Jean Piaget est | plus facile que le Denis-de-Rougemont | _ | donc le Denis-de-

Rougemont se targue un peu drsquoavoir euh | _ | une euh une influence et une | _ | un | _ |

une meilleu un meilleur rang (ofrom)

On remarque drsquoembleacutee que le sujet on ne dit rien sur lrsquoeacuteventuelle association du locuteur au

point de vue qursquoil exprime tandis qursquoavec ils les paroles sont sans conteste imputeacutees agrave autrui

319

mecircme anonyme Ainsi le contexte de (501) laisse ouverte la possibiliteacute drsquoinfeacuterer que le

locuteur monteur en images partage lrsquousage du jargon signaleacute La formule comme on dit

permet eacutegalement agrave celui-lagrave de preacutevenir toute reacuteaction potentielle agrave lrsquoemploi de termes

speacutecialiseacutes Lrsquoexemple (502) illustre lrsquooccurrence de on dans une clause rectificative visant

sans doute agrave mitiger le fait agrave asserter (faire assez peu de cas de la vie des autres) Le locuteur

peut ainsi se deacutesengager de lrsquoassertion en lrsquoattribuant agrave une source anonyme On peut

rapprocher ce rendement du proceacutedeacute de laquo deacuteseacutenonciation raquo caracteacuteristique du texte

scientifique (Ouellet 1984) ougrave on contribue agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun ethos objectif (Beacuteguelin

2015) lrsquoauteur srsquoeffaccedilant discregravetement derriegravere une source scientifique anonymehellip La valeur

mitigatrice est eacutegalement bien perceptible dans lrsquoexemple (503) ougrave le verbe introducteur

reacuteduit la subjectiviteacute de la comparaison poleacutemique subseacutequente sans exclure lrsquoadheacutesion du

locuteur qui conserve toutefois la possibiliteacute de srsquoen deacutefendre en cas de reproche On perccediloit

agrave travers ces quelques exemples (cf aussi supra ex (491) le rapport subtil et ambigu de on agrave

lrsquoeacutenonciation qui permet drsquoexploiter de nombreux effets de points de vue316

Crsquoest pour finir eacutegalement cette flexibiliteacute eacutenonciative qui rend possible une extension

potentiellement illimiteacutee de la reacutefeacuterence de on invoqueacutee dans les eacutenonceacutes gnomiques (504)

(Creissels agrave par) par opposition agrave ils qui exclut forceacutement de sa reacutefeacuterence le locuteur (505)

(Kleiber 1992b Cabredo Hofherr 2014 11)

(504) on ne vit qursquoune fois (ibid 15)

(505) on se projette tout le temps et tout et bien lagrave-bas | _ | euh pas ils vivent le moment

preacutesent (ofrom)

343 Bilan

Dans cette section nous avons mis en perspective trois proceacutedeacutes dont le point commun est de

marquer une forme de sous-deacutetermination de lrsquoagent Nous avons repeacutereacute les zones de

recouvrement potentiel pour y observer les speacutecificiteacutes de chacun et pour y relever les facteurs

susceptibles de motiver le choix de la mise en œuvre de lrsquoun au deacutetriment des autres Nous

avons tout drsquoabord constateacute que la concurrence est restreinte agrave lrsquoexpression de procegraves

impliquant les rocircles drsquoagent et de patient Concernant le type drsquoagent possible nous

proposons un tableau reacutecapitulatif des traits seacutemantiques oppositifs propres aux trois

constructions

316

Voir agrave cet eacutegard Maingueneau (2000) et Beacuteguelin (2014c) qui relegravevent des effets de brouillage narratif subtils

dans des textes litteacuteraires

320

Tableau 2 Tableau syntheacutetique des traits oppositifs de ils on et Oslash317

Agent ILS + V ON +V Oslash (agent implicite de

V-PASSIF)

[+ensemble] +

[+humain] +

[+deacutelocuteacute] +

Cet aperccedilu met drsquoembleacutee en eacutevidence le caractegravere plus speacutecifieacute de ils par rapport aux autres

Ce nrsquoest donc veacuteritablement que lorsque le contexte est compatible avec les traits de ils qursquoil y

a concurrence potentielle (format drsquoensemble rocircle drsquoagent et trait deacutelocuteacute)

A ces diffeacuterences de speacutecification seacutemantique srsquoajoutent des eacuteleacutements lieacutes agrave la valeur

aspectuelle du procegraves et agrave la structure informationnelle des eacutenonceacutes Le passif est

particuliegraverement apte agrave marquer lrsquoeacutetat et lrsquoaspect accompli reacutesultant drsquoun procegraves tandis que

les autres proceacutedeacutes ne peuvent qursquoen marquer lrsquoaspect accompliinaccompli Dans une

structure au passif en outre la promotion de lrsquoobjet en position sujet bouleverse lrsquoorientation

des relations et lrsquoimportance des rocircles (laquo patient-oriented as opposed to agent-oriented

situations raquo Siewierska 2011 68) Cette reacuteorganisation entre aussi en jeu dans la maniegravere

dont le locuteur deacutelivre lrsquoinformation

Nous avons eacutegalement eacutevoqueacute chemin faisant quelques eacuteleacutements de reacuteponse agrave la distribution

apparemment ineacutegale des diffeacuterents proceacutedeacutes en fonction du genre discursif A nos yeux la

rareteacute de ils dans les genres orienteacutes vers lrsquooptimisation de lrsquointerpreacutetation srsquoexplique par le

fait que on et le passif sans compleacutement drsquoagent sont par deacutefinition deacutedieacutes agrave lrsquointroduction

drsquoun agent sous-speacutecifieacute alors que le pronom de 3e personne (et par extension de 6

e

personne) est consideacutereacute comme fondamentalement anaphorique dans lrsquoopinion collective Le

deacutefaut de reacutesolution reacutefeacuterentielle constateacute dans certains cas degraves lors laquo contraire raquo agrave la valeur

de base du pointeur repreacutesente sans doute un motif pour ramener lrsquoemploi au style laquo relacirccheacute raquo

(Gundel et al 2000) ou laquo familier raquo (Sandfeld 1970) Dans les genres voueacutes agrave la reacutealisation

drsquoun produit permanent comme les textes scientifiques on et le passif sont agrave lrsquoinverse

susceptibles drsquointroduire de maniegravere laquo leacutegitime raquo une source dont la sous-deacutetermination

fournit paradoxalement un gage drsquoobjectiviteacute tout en nrsquoeffaccedilant pas complegravetement lrsquoinstance

eacutenonciatrice

317

Par analogie aux analyses oppositives en seacutemantique componentielle une case vide indique ici le caractegravere

non marqueacute de lrsquoexpression pour le trait indiqueacute

321

4 Conclusion

Dans ce dernier chapitre nous nous sommes inteacuteresseacutee agrave un emploi de la 6e personne

consideacutereacute comme marginal du fait de sa divergence de comportement par rapport aux emplois

anaphoriques canoniques En effet il se heurte non seulement aux descriptions textuelles de

lrsquoanaphore pronominale car il nrsquoest pas deacutependant drsquoun anteacuteceacutedent segmental mais aussi au

critegravere du maintien de lrsquoattention des approches cognitives Il nrsquoest donc pas eacutetonnant qursquoil

soit traiteacute en marge du pheacutenomegravene de lrsquoanaphore soit comme un proceacutedeacute non anaphorique

(alors qualifieacute drsquoindeacutefini drsquoimpersonnel drsquoareacutefeacuterentiel drsquoarbitraire etc) soit comme un cas

tregraves particulier drsquoanaphore qui preacutesente des contraintes drsquoemploi strictes (emploi dit collectif

au sens kleibeacuterien) A lrsquoopposeacute une alternative suggeacutereacutee par Yule (1982) et Beacuteguelin (1993b)

sur la base de faits drsquooral notamment consiste agrave reacuteviser le critegravere de saillance et de reacutesolution

reacutefeacuterentielle de la conception courante de lrsquoanaphore

Etant donneacute ces divergences drsquoopinion nous avons tenteacute de confronter le pheacutenomegravene agrave la

notion drsquoanaphore Certains cas srsquoy apparentent assez bien dans la mesure ougrave ils invite agrave

unifier sa variable avec un objet infeacuterable quoique parfois peu eacutelaboreacute agrave partir drsquoindices

disponibles dans M Pour drsquoautres au contraire lrsquoinstruction semble demeurer en suspens soit

par deacutefaut drsquoindices soit parce que la construction en ils ne srsquoanalyse manifestement pas en

termes binaires sujet-preacutedicat la prise en compte de lrsquoorientation argumentative du

programme discursif auquel elle participe suggegravere une interpreacutetation en retrait du rocircle drsquoagent

par rapport agrave lrsquoexpression du procegraves lui-mecircme Dans ces situations il est peu vraisemblable

qursquoun traitement infeacuterentiel soit entrepris pour ils bien que la proceacutedure ne soit jamais exclue

Sans lrsquoinstruction drsquounification on peut se demander srsquoil est encore pertinent de parler

drsquoanaphore Mais au vu de la difficulteacute dans bon nombre de cas de trancher entre une analyse

en termes drsquoanaphore indirecte et de pointeur reacutefeacuterentiellement deacutemotiveacute nous avons fait

lrsquohypothegravese que ce dernier eacutetait le reacutesultat drsquoune reacuteanalyse du pronom sur la base drsquoune

analogie avec lrsquoemploi de ccedila laquo asubjectal raquo Contrairement agrave ce dernier veacuteritable opeacuterateur de

diathegravese reacutecessif susceptible drsquoannuler lrsquoagentiviteacute du verbe ils se borne agrave modifier

lrsquoimportance des relations et rocircles actantiels dans lrsquoexpression du procegraves Quoi qursquoil en soit

lrsquohypothegravese de la reacuteanalyse pourrait expliquer pourquoi il arrive que deux participants drsquoun

eacutechange traitent la mecircme seacutequence de maniegravere diffeacuterente

Lrsquoanalyse en termes de variable non instancieacutee rapproche ils de lrsquousage de on et du passif

manifestant des similariteacutes fonctionnelles eacutevidentes dans certaines circonstances Nous avons

vu toutefois que lrsquoagent nrsquoeacutetait pas speacutecifieacute de la mecircme maniegravere selon la forme utiliseacutee et que

leur distribution eacutetait motiveacutee par des paramegravetres informationnels aspectuels pragmatiques et

lieacutes aux genres discursifs En particulier la quasi-absence de ils reacutefeacuterentiellement deacutemotiveacute

dans les eacutecrits les plus travailleacutes (agrave moins drsquoun effet drsquooraliteacute) srsquoexplique vraisemblablement

par lrsquoeacutecart mal toleacutereacute qursquoil y manifeste par rapport agrave sa fonction anaphorique notoirehellip

322

323

Conclusion geacuteneacuterale

Le propos de cette thegravese eacutetait de dresser un bilan critique sur la probleacutematique de la reacutefeacuterence

et de proposer un examen des manifestations linguistiques de la sous-deacutetermination pour

contribuer agrave une meilleure compreacutehension des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels et agrave une description en

adeacutequation avec les usages des locuteurs En guise de conclusion nous proposons une

synthegravese des reacutesultats les plus importants de lrsquoeacutetude et nous esquissons pour finir quelques

pistes de recherche et drsquoapplication susceptibles de prolonger la reacuteflexion sur le sujet

1 Synthegravese des principaux reacutesultats

Dans le premier chapitre nous avons deacutegageacute les postulats sous-jacents de la seacutemantique

veacuterifonctionnelle refleacutetant une conception du monde essentiellement fondeacutee sur lrsquointuition du

linguiste visant agrave eacutetablir une laquo grammaire du reacuteel raquo (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995) Dans cette

optique la langue est perccedilue comme preacutedeacutetermineacutee par la structure du monde et les

expressions reacutefeacuterentielles comme des moyens drsquoidentifier correctement les objets qui nous

entourent Ces principes bien implanteacutes dans la tradition seacutemantique se heurtent cependant

aux comportements effectifs des sujets parlants Lrsquoapproche que nous avons adopteacutee srsquoefforce

agrave lrsquoinverse de deacutegager ce que les donneacutees langagiegraveres reacuteelles reacutevegravelent sur la maniegravere dont les

usagers conccediloivent le monde et gegraverent le discours Nous avons ainsi renverseacute la perspective

pour aborder les aspects incontournables de la reacutefeacuterence comme les types de reacutefeacuterents agrave

lrsquoeacutegard desquels les usages deacutevoilent des proceacutedeacutes drsquoindiffeacuterenciation ou encore les notions

drsquoanaphore et deixis les faits observeacutes mettent en eacutevidence la neacutecessiteacute de prendre en compte

une combinaison de facteurs divers (pragmatiques informationnels cognitifs interactionnels

etc) dans le recrutement drsquoune expression reacutefeacuterentielle lagrave ougrave les modegraveles dominants

nrsquoinvoquent qursquoune seule dimension (textesituation ou maintien reacutefeacuterentielnouveauteacute)

Le modegravele du discours fribourgeois que nous avons exploiteacute repreacutesente un cadre theacuteorique qui

srsquoest aveacutereacute adapteacute agrave nos besoins Il accorde aux faits attesteacutes qursquoils soient courants ou plus

rares oraux ou eacutecrits une eacutegaliteacute de traitement sans preacutejuger de leur acceptabiliteacute Les

reacutefeacuterents y sont conccedilus comme des constructions cognitives (ou objets-de-discours) eacutevoluant

au fil du discours dans un espace de connaissances partageacutees (ou meacutemoire discursive) geacutereacute sur

le vif par les participants de lrsquoeacutechange Le modegravele propose eacutegalement de consideacuterer les

opeacuterations reacutefeacuterentielles comme guideacutees par des strateacutegies et objectifs communicationnels

varieacutes deacuteployeacutes par les locuteurs Crsquoest donc tout naturellement ce cadre qui a servi de toile de

fond agrave lrsquoeacutetude proposeacutee

Le deuxiegraveme chapitre avait pour but de cerner un eacuteleacutement central des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels

incarneacute par le fonctionnement du pronom de 3e personne il En effet au vu de sa sous-

speacutecification seacutemantique il est consideacutereacute comme une ressource particuliegraverement

repreacutesentative du fonctionnement de lrsquoanaphore reacutefeacuterentielle Les modegraveles en vigueur voient

324

geacuteneacuteralement dans lrsquoanaphore pronominale le reflet drsquoune deacutependance segmentale et

interpreacutetative entre le pronom et un anteacuteceacutedent preacutesent en amont dans le contexte linguistique

Crsquoest drsquoailleurs la conception dominante dans les grammaires ou usuels de linguistique ainsi

que dans de nombreux domaines appliqueacutes de la linguistique ougrave le repeacuterage textuel est un

critegravere deacuteterminant Au vu des faits reacutecalcitrants eacutevidents parmi lesquels la difficulteacute de

cerner un segment anteacuteceacutedent une autre approche propose de deacuteplacer le critegravere sur une

dimension cognitive vouant au pronom un rocircle de marqueur de continuiteacute reacutefeacuterentielle Si le

pronom fonctionne souvent de la sorte nous nrsquoy voyons cependant pas un trait encodeacute dans le

sens du pronom la saillance drsquoun objet constitue selon nous seulement une raison parmi

drsquoautres pour lesquelles un locuteur choisit un pronom de 3e personne au deacutetriment drsquoune

autre expression Le cas des pronoms indirects est particuliegraverement reacutefractaire agrave lrsquoanalyse en

termes de continuiteacute reacutefeacuterentielle Il montre que des paramegravetres contextuels divers motivent

leur emploi selon les inteacuterecircts respectifs des protagonistes comme des proceacutedeacutes de cryptage du

reacutefeacuterent de reformatage drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute eacutenonciative drsquoindistinction etc

Le troisiegraveme chapitre eacutetait consacreacute agrave la deacutefinition de la notion de sous-deacutetermination et agrave un

inventaire des moyens drsquoexpression agrave travers lesquels elle se manifeste en discours Nous

avons vu que la recherche drsquounivociteacute du sens constituait un principe de rigueur non

seulement pour les tenants du bon usage mais aussi de maniegravere sous-jacente dans certaines

deacutemarches scientifiques cherchant agrave pallier le flou potentiel de la langue Cette position a

toutefois deacutejagrave eacuteteacute remise en cause par des auteurs srsquointeacuteressant agrave des pheacutenomegravenes drsquoambiguiumlteacute

ou de vague lexical qui se reacutevegravelent parties inteacutegrantes de la langue

La notion de sous-deacutetermination est eacutetroitement lieacutee agrave celle de pertinence des raisons de

pertinence (calculeacutees en termes de coucircts pour les effets rechercheacutes) poussent en effet le

locuteur agrave varier le degreacute de deacutetermination des objets-de-discours eacutevoqueacutees Nous avons

deacutefini la sous-deacutetermination comme la rencontre drsquoobstacles dans lrsquoattribution drsquoune valeur

reacutefeacuterentielle agrave une variable En cause le deacutefaut drsquoattributs distinctifs disponibles

(deacutenomination format proprieacuteteacutes typantes etc) pour identifier lrsquoobjet Nous nous sommes

donc inteacuteresseacutee aux deacutesignateurs qui se heurtent agrave des difficulteacutes drsquoinstanciation de leur

variable relevant de trois sortes i) la suspension temporaire de lrsquoinstanciation de la variable

(cataphore) (ii) lrsquoinfeacuterence avorteacutee car trop aleacuteatoire drsquoune valeur (iii) la deacutelimitation

incertaine drsquoune classe-objet eacutevoqueacutee en amont dans le discours A la suite de cette

modeacutelisation nous avons dresseacute un inventaire des moyens linguistiques qui mettent en œuvre

ces diffeacuterents cas de figure fondeacute sur la nature lexicale ou non des deacutesignateurs A travers cet

inventaire et lrsquoanalyse des exemples nous avons distingueacute deux types de facteurs agrave lrsquoorigine

de la sous-deacutetermination les facteurs drsquoordre accidentel (lacune lexicale ignorance) vs les

facteurs drsquoordre strateacutegique (eacuteconomie de moyens enjeux informationnels interactionnels ou

encore lieacutes agrave lrsquoheacuteteacuterogeacuteniteacute discursive)

Les quatriegraveme et cinquiegraveme chapitres consistaient en deux eacutetudes empiriques explorant en

deacutetail le fonctionnement de deux marqueurs dont la sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle est

325

avantageusement exploiteacutee agrave des fins pragmatiques Le chapitre IV consacreacute agrave tout ccedila

complegravete les nombreux travaux sur ccedila qui ont mis en avant son caractegravere sous-speacutecifieacute et son

deacutefaut de trait de cateacutegorisation expliquant sa souplesse reacutefeacuterentielle Le pointeur se montre

en effet capable drsquoopeacuterer des reacutefeacuterences de diverses natures agrave des objets dont nous avons

illustreacute lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute Nous avons proposeacute de voir lrsquoassociation de lrsquoopeacuterateur de

quantification tout agrave ccedila comme marquant lrsquoexhaustiviteacute drsquoun ensemble qui ne correspond pas

tant agrave une classe homogegravene et deacutenombrable mais plus geacuteneacuteralement agrave une classe-objet crsquoest-

agrave-dire un ensemble flou et heacuteteacuterogegravene lieacute agrave lrsquoeacutevocation drsquoun objet Lrsquoexamen des emplois de

tout ccedila a mis en eacutevidence une valeur reacutesomptive reacuteguliegraverement agrave lrsquoœuvre qui nrsquoexclut

cependant pas lrsquoallusion agrave des eacuteleacutements laisseacutes implicites

Le marqueur tout ccedila en position finale de liste est particuliegraverement productif agrave lrsquooral spontaneacute

ougrave il commute avec drsquoautres particules drsquoextension de liste Nous avons suggeacutereacute que le

fonctionnement pragmatique de tout ccedila nrsquoinvite pas agrave lrsquoinfeacuterence des eacuteleacutements implicites

restants mais qursquoil preacutesente drsquoautres rendements comme la creacuteation drsquoeffets

drsquointersubjectiviteacute drsquoatteacutenuation (ou agrave lrsquoinverse drsquoemphase) la participation agrave la gestion

narrative drsquoun reacutecit lrsquoapproximation de paroles rapporteacutees etc Nous avons eacutegalement eacutemis

quelques reacuteserves agrave lrsquoeacutegard de la notion de grammaticalisation reacuteguliegraverement invoqueacutee pour

lrsquoanalyse des laquo marqueurs discursifs raquo qui envisage les emplois des formes eacutetudieacutees sur des

parcours eacutevolutifs preacutedictifs et uni-directionnels Plutocirct que de recourir agrave une explication

deacuteterministe il nous est apparu plus pertinent drsquoexaminer les circonstances drsquooccurrence du

marqueur en fonction des indices en preacutesence et des objectifs communicationnels agrave lrsquoœuvre

Nous nous sommes pour finir inteacuteresseacutee dans le dernier chapitre agrave lrsquoemploi du pronom

conjoint ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee eacutegalement bien attesteacute agrave lrsquooral spontaneacute Son emploi

tantocirct deacutecrit comme indeacutefini impersonnel ou collectif se distingue du fonctionnement

canonique de lrsquoanaphore et lrsquoun des enjeux du chapitre eacutetait de situer celui-lagrave par rapport agrave

celle-ci En fait nous avons releveacute bon nombre de cas qui peuvent ecirctre traiteacutes en termes

drsquoanaphore indirecte car certains indices reacutefeacuterentiels permettent drsquoinfeacuterer un objet quoique

peu deacutetermineacute pour la variable introduite Drsquoautres cas y sont plus reacutefractaires une infeacuterence

apparaissant beaucoup plus aleacuteatoire si bien qursquoil y a tout lieu de penser qursquoelle nrsquoest mecircme

pas envisageacutee et que la variable reste intacte A cet eacutegard un aspect remarquable de la

construction ils+V est qursquoelle nrsquoa pas agrave ecirctre interpreacuteteacutee en termes de sujet-preacutedicat mais

plutocirct comme la mise en eacutevidence du procegraves verbal eacuteclipsant le rocircle drsquoagent sans toutefois

supprimer celui-ci Entre ces deux analyses de nombreuses donneacutees peuvent ecirctre traiteacutees des

deux maniegraveres des eacutechanges teacutemoignent de traitements concurrents entre les interlocuteurs

pour une mecircme seacutequence Ces situations drsquoambiguiumlteacute nous ont pousseacutee agrave eacutemettre lrsquohypothegravese

drsquoune reacuteanalyse du pronom ils reacutefeacuterentiel en un pointeur deacutemotiveacute par analogie agrave lrsquoemploi de

ccedila en construction asubjectale qui a eacutegalement des reacutepercussions sur lrsquoorganisation actantielle

de lrsquoeacutenonceacute

326

Lrsquoemploi de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee a enfin eacuteteacute mis en regard de on et du passif dans des

contextes comparables afin de deacutegager les speacutecificiteacutes de chacun Bien qursquoils permettent tous

trois de situer un agent en retrait drsquoun procegraves ils preacutesentent des diffeacuterences au niveau

seacutemantique qui contribuent agrave expliquer leur distribution y compris dans les genres discursifs

En particulier contrairement agrave ils on et lrsquoagent Oslash du passif ne sont marqueacutes ni en nombre ni

sur le trait [+deacutelocuteacute] En outre ils servent par deacutefinition agrave introduire une variable sous-

deacutetermineacutee contrairement agrave ils dont ce nrsquoest pas la fonction mais plutocirct la conseacutequence drsquoune

deacutemotivation reacutefeacuterentielle Cet eacutecart de ils par rapport agrave son comportement anaphorique

ordinaire repreacutesente un eacuteleacutement drsquoexplication plausible sur les jugements de valeur dont il fait

lrsquoobjet

2 Pistes de recherche

A lrsquoissue de ce travail nous souhaitons eacutevoquer quelques directions de recherche et points en

suspens pour un prolongement de la reacuteflexion en vue de recherches futures En seacutelectionnant

deux sujets drsquoeacutetude empirique bien deacutelimiteacutes nous sommes consciente drsquoavoir laisseacute de cocircteacute

une part importante de pheacutenomegravenes de sous-deacutetermination dont nous avons montreacute un aperccedilu

dans lrsquoinventaire du chapitre III En particulier les pronoms clitiques reacutegimes le en et y

meacuteriteraient qursquoon srsquoattarde plus seacuterieusement sur leur fonctionnement reacutefeacuterentiel souvent

perccedilu comme un renvoi laquo propositionnel raquo ou agrave un pheacutenomegravene de suppleacuteance au seul niveau

laquo lexical raquo Lrsquoeacutetude reacutefeacuterentielle de ces pointeurs pourrait beacuteneacuteficier agrave notre sens drsquoapports

significatifs par lrsquoexamen des faits oraux

Drsquoautre part le rapport entre lrsquoindeacutefinitude et la deacutefinitude en franccedilais neacutecessiterait un

examen plus approfondi Nous avons en effet pour des raisons drsquohomogeacuteneacuteiteacute exclu de notre

eacutetude les pronoms ou deacuteterminants laquo indeacutefinis raquo alors qursquoils sont fondamentalement

marqueurs de sous-deacutetermination Si notre inteacuterecirct portait deacutelibeacutereacutement sur les deacutesignateurs

pour eacutetudier le laquo conflit raquo qursquoils incarnent (la difficulteacute de trouver une valeur pourtant

requise) on constate que les motivations de lrsquoemploi drsquoexpressions indeacutefinies recouvrent en

grande partie celles des pointeurs eacutetudieacutes Bien que nous ayons abordeacute la question avec la

mise en perspective de ils vs on (et du passif) une recherche minutieuse est agrave continuer en ce

sens examinant notamment la piste de la nature qualifieacutee drsquolaquo existentielle raquo de la 6e personne

(Cabredo Hofherr 2003 2014) A cet eacutegard une comparaison avec drsquoautres marqueurs

drsquoindeacutefinitude pourrait ecirctre prolongeacutee (quelqursquoun (il y a) des gens (qui) certains etc)

Il nous semble que les projets drsquoenvergure de constitution de vastes bases de donneacutees en

franccedilais ORFEO318

et CRFC319

bientocirct accessibles au public pourront apporter des eacuteclairages

nouveaux non seulement sur les faits de sous-deacutetermination particuliegraverement manifestes dans

les productions spontaneacutees mais aussi sur les proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels en geacuteneacuteral

318

httpwwwprojet-orfeofr 319

Siepmann Buumlrgel amp Diwersy (2016)

327

Au niveau de la recherche appliqueacutee en traitement automatique des langues cette eacutetude

esquisse quelques eacuteleacutements sur la maniegravere drsquointeacutegrer un certain nombre de paramegravetres

contextuels qui ne sont pas pris en compte dans les meacutethodes de reacutesolution actuelles On

pourrait par exemple repeacuterer les extraits de discours directs qui en tant que manifestations de

lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute eacutenonciative repreacutesentent un terrain propice agrave lrsquoeacutemergence de pronoms

indirects susceptibles de biaiser les rapports de coreacutefeacuterence Ensuite outre lrsquoexclusion deacutejagrave en

vigueur des il laquo impersonnels raquo et une attention deacutejagrave porteacutee au cas de ce ccedila il vaudrait la

peine de repeacuterer les laquo aphorismes lexicaliseacutes raquo avec pronom compleacutement (cf supra Ch III

sect5223) du type en rajouter srsquoy mettre la fermer srsquoen sortir etc Enfin pour ce qui

concerne plus particuliegraverement les corpus oraux un traitement speacutecifique pourrait ecirctre reacuteserveacute

aux lagrave laquo de clocircture raquo (Ch III sect524) ainsi qursquoau cas de ils en recherchant par exemple dans

le voisinage de ce dernier la preacutesence drsquoun eacuteventuel N collectif drsquoun N (ou compleacutement) de

lieu Ces quelques pistes permettraient peut-ecirctre drsquoeacuteviter que la machine se lance dans la

reacutesolution des formes en italiques ci-dessous

(506) le domaine lagrave | eacutelectronique lagrave ceacutetait agrave la | _ | | _ | ougrave y a le maintenant le | _ |

comment ccedila sappelle | _ | le centre euh | _ | de recherche et tout ccedila | _ | euh | _ | ils ont

deacutemoli lusine pour construire un autre bacirctiment agrave la place (ofrom) = (225)

Pour terminer au vu du manque de ressources didactiques pour lrsquoenseignement des proceacutedeacutes

de coheacuterence discursive et de coheacutesion du texte il serait opportun de proposer des outils

adeacutequats aux enseignants dans ce domaine qui puissent sensibiliser les apprenants agrave la prise

en compte de facteurs de divers niveaux qui interviennent dans le choix drsquoune expression

reacutefeacuterentielle

Afin que les eacutelegraveves prennent conscience des diffeacuterences de contraintes normatives qui pegravesent

sur lrsquoemploi des deacutesignateurs en fonction des genres discursifs il nous paraicirctrait utile de les

confronter concregravetement agrave des types de production distincts Une application pertinente en ce

sens consisterait agrave comparer dans une phase drsquoobservation les deacutesignateurs provenant

drsquoextraits de genres tregraves diffeacuterents par exemple drsquoouvrages scientifiques vs drsquooral spontaneacute

Pour aller plus loin elle pourrait srsquoeacutetendre agrave des extraits narratifs ou de presse qui mettent en

place certaines strateacutegies particuliegraveres (eg respectivement les incipits in medias res ou lrsquoajout

drsquoinformations ineacutedites via un SN anaphorique) Quoi qursquoil en soit il nous semble

indispensable de contextualiser et de formuler les exigences propres agrave chaque type de produit

en vue du deacuteploiement de strateacutegies de deacutesignation approprieacutees en particulier dans lrsquoeacutecriture

scolaire

Lrsquoouvrage de [Reichler-]Beacuteguelin (1990) met ainsi en eacutevidence la neacutecessiteacute de

laquo cotextualiser raquo la reacutefeacuterence dans ce genre drsquoeacutecrits autrement dit drsquointroduire explicitement

les reacutefeacuterents dans le savoir partageacute lagrave ougrave des proceacutedeacutes allusifs et implicites passent sans

problegraveme agrave lrsquooral spontaneacute Drsquoautres principes comme la proscription des redondances

lexicales de mecircme que dans le domaine des pronoms la preacutevention drsquoambiguiumlteacutes et le respect

328

des laquo contraintes drsquoaccord raquo (genre nombre) sont de mise refleacutetant une laquo conception

ideacutealiseacutee raquo de lrsquoanaphore du point de vue de lrsquoeacutecrit qui transpose la nature cognitive des

meacutecanismes en jeu agrave une deacutependance seacutequentielle (ibid 79-80) Lrsquoouvrage propose de

nombreuses activiteacutes de reacutedaction notamment sur la base de documents authentiques comme

la recherche de reformulations para-synonymiques ou hyperonymiques qui tienne compte de

la progression du texte lrsquoameacutelioration de laquo maladresses raquo (redondances reprises lexicales

probleacutematiques pronoms preacutesentant des laquo discordances raquo morphologiques) le rappel par

nominalisation etc

Pour aller plus loin et prendre en compte la dimension cognitive et argumentative des

proceacutedeacutes de reacutefeacuterence nous proposerions de fournir des ressources pour lrsquooral eacutegalement

dans le cadre drsquoactiviteacutes du type laquo exposeacute raquo sur un sujet cibleacute devant la classe avec un support

adeacutequat (preacutesentation powerpoint par exemple) Lrsquoexploitation des proceacutedeacutes de reacutefeacuterence

srsquoancrerait ainsi fondamentalement dans la situation drsquoeacutenonciation tout en participant agrave la

structuration discursive du propos La preacutesence du public et drsquoun support agrave commenter (plan

scheacutema tableau) implique non seulement la maicirctrise des deacutesignateurs approprieacutes mais aussi

les dimensions gestuelle spatiale et visuelle qui sont de fait intrinsegravequement lieacutees agrave ceux-ci

Enfin pour ce qui concerne aussi bien lrsquooral que lrsquoeacutecrit acadeacutemique on pourrait imaginer au-

delagrave des exercices de nominalisation bien connus (il a perdu son portefeuille cette pertehellip

ibid) un accent cibleacute sur des strateacutegies reacutesomptives agrave plus grande eacutechelle crsquoest-agrave-dire sur des

eacutetapes entiegraveres de raisonnement domaine en geacuteneacuteral eacutetudieacute agrave travers lrsquousage des connecteurs

logiques En effet la maicirctrise de rappels par des N laquo capsules raquo (cf supra Ch III sect512) par

exemple hypothegravese aspect objectif question problegraveme enjeu solution argument etc)

permet non seulement de deacutevelopper des compeacutetences meacutetadiscursives de retour syntheacutetique

sur le propos mais aussi de veacutehiculer un positionnement argumentatif qursquoil srsquoagit de maicirctriser

en contexte acadeacutemique

A travers ces quelques suggestions drsquoapplication concregravete nous avons esquisseacute certaines

exploitations possibles des reacutesultats de cette thegravese qui serviront nous lrsquoespeacuterons agrave renouveler

la reacuteflexion sur les proceacutedeacutes de reacutefeacuterence en geacuteneacuteral

329

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5

Reacutesumeacute

Le propos de cette thegravese est de confronter des faits de sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle en

franccedilais aux theacuteories existantes dans le domaine de la reacutefeacuterence en linguistique Notre viseacutee

est de proposer une modeacutelisation suffisamment geacuteneacuterale pour le traitement des expressions

reacutefeacuterentielles en discours Les faits de sous-deacutetermination (via par exemple les marqueurs

vagues comme (tout) ccedila ils non introduit lrsquoadverbe lagrave les deacutenominations postiches comme le

truc le machin etc) remettent en effet en question certains postulats bien implanteacutes dans la

tradition seacutemantique tels que la vocation identificatoire des deacutesignateurs ou encore la notion

drsquoanaphore conccedilue dans une optique aussi bien textuelle que cognitive Lrsquoaccegraves aux bases de

donneacutees fournit de nos jours une ressource opportune pour renouveler la reacuteflexion dans le

domaine ndash en particulier les faits drsquooral ndash lagrave ougrave la recherche en franccedilais se fonde tregraves

majoritairement sur des critegraveres drsquoacceptabiliteacute agrave lrsquoeacutegard drsquoexemples fabriqueacutes ou sur

lrsquoexamen de donneacutees consensuelles provenant de lrsquoeacutecrit travailleacute Apregraves un bilan critique des

theacuteories de la reacutefeacuterence en vigueur nous proposons une typologie et un inventaire des faits de

sous-deacutetermination Puis nous preacutesentons deux eacutetudes empiriques portant sur des

pheacutenomegravenes productifs dans les genres laquo improviseacutes raquo de lrsquooral le cas de tout ccedila dans les

eacutenumeacuterations comme la France est un pays qui adore le progregraves la technique les avions tout

ccedila ainsi que le cas de ils agrave reacutefeacuterence sous-deacutetermineacutee comme dans ils ont annonceacute du mauvais

temps Nous montrons que les situations de sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle peuvent non

seulement ecirctre le fait drsquoune ignorance du locuteur mais eacutegalement reacutesulter drsquoune optimisation

de la pertinence laquelle se traduit par des strateacutegies reacutefeacuterentielles aux rendements discursifs

varieacutes Le choix drsquoune expression reacutefeacuterentielle loin drsquoecirctre deacutetermineacute univoquement par un

segment anteacuteceacutedent ou un statut cognitif du reacutefeacuterent repose ainsi crucialement sur les besoins

communicationnels des participants de lrsquointeraction en cours

Mots cleacutes

Reacutefeacuterence sous-deacutetermination anaphore deacutesignateur meacutemoire discursive objet-de-discours

pronom

6

Abstract

The purpose of this doctoral thesis is to confront referential underdetermination facts in

French to existing theories in the field of linguistic reference in order to put forward a

modelling approach to generalize the treatment of referential expressions in discourse Indeed

underdetermination facts (eg by means of vague markers like (tout) ccedila non-introduced ils

the adverb lagrave placeholder items like le truc le machin etc) challenge certain assumptions

deeply anchored in the semantic tradition such as the identification mission of designators or

the notion of anaphora in a textual as well as in a cognitive approach Access to databases in

particular to spoken facts provides nowadays opportune resources to renew the thought in the

field where research in French is mainly based on acceptability judgments regarding

constructed examples or on the observation of consensual data from formal written discourse

After a critical overview of the current reference theories we offer a typology and an

inventory of underdetermination facts Then we present two empirical studies on productive

phenomenon in improvised spoken genres the case of tout ccedila ending enumerations like in la

France est un pays qui adore le progregraves la technique les avions tout ccedila and the case of the

underdeterminate value of ils like in ils ont annonceacute du mauvais temps We show that

referential underdetermination situations result not only from the speakerrsquos ignorance but

also by optimizing relevance which is achieved through diverse referential strategies and

discourse outputs The choice for a referential expression then far from being exclusively

determined by a textual antecedent or a cognitive referential status crucially rests upon the

communication needs of the participants in the ongoing interaction

Keywords

Reference underdetermination anaphora designator discourse memory discourse object

pronoun

7

Remerciements

Je tiens agrave exprimer ma profonde reconnaissance envers Marie-Joseacute Beacuteguelin et Alain

Berrendonner mes co-directeurs de thegravese pour leur soutien constant leur disponibiliteacute et

leurs remarques constructives Leurs travaux preacutecurseurs et leurs enseignements dans le

domaine de la reacutefeacuterence ont eacuteteacute une source drsquoinspiration deacuteterminante pour cette

recherche Je les remercie de la confiance qursquoils mrsquoont teacutemoigneacutee et qui mrsquoa permis de

mener agrave bien ce travail

Je remercie eacutegalement Patricia Cabredo Hofherr Catherine Schnedecker et Francis

Cornish drsquoavoir accepteacute de faire partie du jury de thegravese Leur lecture attentive et leurs

suggestions lors du colloque preacuteliminaire mrsquoont aideacutee agrave ameacuteliorer sensiblement la qualiteacute

scientifique du manuscrit final

Gracircce au soutien du Fonds National Suisse de la recherche scientifique jrsquoai eu

lrsquooccasion de passer un seacutejour de recherche enrichissant agrave lrsquoUniversiteacute Toulouse Jean

Jauregraves au sein de lrsquoeacutequipe ERSS que je remercie pour son accueil chaleureux Un grand

merci agrave Francis Cornish qui a rendu possible ce seacutejour dans les meilleures conditions et

qui a toujours eacuteteacute disponible

Je suis eacutegalement reconnaissante envers mes collegravegues linguistes des Universiteacutes de

Neuchacirctel et de Fribourg pour leur soutien et les eacutechanges stimulants partageacutes au bureau

ou lors de nos expeacuteditions scientifiques Merci en particulier agrave Mathieu Avanzi Marine

Borel Virginie Conti Gilles Corminboeuf Franccedilois Delafontaine Freacutedeacuteric Gachet

Alexander Guryev Pascal Montchaud et Geacuteraldine Zumwald Kuumlster Je souhaite

eacutegalement remercier mes collegravegues actuels de lrsquoInstitut de langue et civilisation

franccedilaises pour leur encouragement et leur compreacutehension durant les derniegraveres eacutetapes de

ma thegravese

Je tiens pour finir agrave exprimer ma gratitude envers ma famille et mes amis pour leur

soutien sans faille tout au long de ces anneacutees Un merci tout speacutecial agrave ma megravere et agrave

Florent pour leur contribution technique Enfin jrsquoaimerais remercier Adegravele et Olivier qui

ont partageacute cette aventure malgreacute eux avec une compreacutehension et un enthousiasme

admirables

8

9

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE 15

1 Objet drsquoeacutetude 15 2 Meacutethodologie et donneacutees 17 3 Organisation du contenu 19

Premiegravere Partie Reacutefeacuterence anaphore pronominale et sous-deacutetermination eacutetat des lieux 21

CHAPITRE I GENERALITES SUR LA REFERENCE ET LES EXPRESSIONS REFERENTIELLES 23

1 Introduction 25 2 Notions fondamentales 27

21 Reacutefeacuterence existence et monde reacuteel 27 22 Sens et reacutefeacuterence 29 23 Reacutefeacuterence et preacutedication 35 24 Bilan 37

3 Typologie des reacutefeacuterents 41 31 Les ordres de Lyons (1977) 41 32 Deuxiegraveme et troisiegraveme ordres tentative de classement 43 33 Objets laquo indiscrets raquo 48 34 Bilan 50

4 Les expressions reacutefeacuterentielles cateacutegories majeures 55 41 Les noms propres 55 42 Les SN deacutefinis 60 43 Les SN deacutemonstratifs 63 44 Les pronoms personnels 66 45 Les SN indeacutefinis 71 46 Approche cognitive des expressions reacutefeacuterentielles 73

461 La theacuteorie de lrsquoAccessibiliteacute 74 462 La Hieacuterarchie du Donneacute 75 463 Bilan 77

5 Modes de deacutesignation reacutefeacuterentielle anaphore et deixis 79 51 Origine des notions drsquoanaphore et de deixis 79 52 Conception traditionnelle de lrsquoopposition anaphore vs deixis 80 53 Lrsquoanaphore sous lrsquoangle textualiste 81 54 Limites drsquoune approche textualiste de lrsquoanaphore 83 55 Conception cognitive de lrsquoopposition anaphore vs deixis 85 56 Bilan 88

6 Vers un modegravele constructiviste du discours 91 61 Les reacutefeacuterents discursifs 91 62 Une repreacutesentation du discours 92 63 Le modegravele du discours fribourgeois 94

631 Principes meacutethodologiques 94 6311 Le rapport oral-eacutecrit 94 6312 Le statut des donneacutees 95 6313 Une vision non deacuteterministe du rapport monde-langue 97

10

632 Discours et texte 100 633 Les articulations du discours 100 634 Meacutemoire discursive et nature des objets-de-discours 102 635 Opeacuterations de pointage 104 636 Strateacutegies reacutefeacuterentielles 106

7 Conclusion 109

CHAPITRE II FONCTIONNEMENT DE LrsquoANAPHORE PRONOMINALE 111

1 Introduction 113 2 Proprieacuteteacutes morphologiques et seacutemantiques du pronom clitique de 3e personne 115

21 La personne 117 22 Le cas 118 23 Le nombre 119 24 Le genre 125 25 Bilan 131

3 Approches de lrsquoanaphore pronominale 133 31 Conception substitutive 133 32 Conception textualiste 136 33 Conception cognitive 137 34 Bilan 139

4 Lrsquoanaphore pronominale indirecte ou associative 143 41 Lrsquoanaphore associative 143

411 Conception eacutetroite 144 412 Conception large 146 413 Bilan 150

42 Contextes drsquoapparitions des pronoms indirects 151 421 Restrictions drsquoemploi 151 422 Reacutegulariteacutes drsquoemploi 156

5 Conclusion 161

CHAPITRE III LA SOUS-DETERMINATION REFERENTIELLE 163

1 Introduction 165 2 Caracteacuteristiques de la sous-deacutetermination 167

21 Sous-deacutetermination et pertinence 167 22 Une notion scalaire 167 23 Types de sous-deacutetermination 168

3 Notions voisines 173 31 Reacutefeacuterence indeacutefinie 173 32 Approximation 173 33 Ambiguiumlteacute 175 34 Ambivalence 177 35 Interpreacutetation transparente vs opaque 178

4 Emergence et traitement de la sous-deacutetermination 179 41 Motivations de la sous-deacutetermination 179 42 Sous-speacutecification seacutemantique 182 43 Traitement cognitif de la sous-speacutecification 183

5 Inventaire des moyens drsquoexpression de la sous-deacutetermination 185 51 Ressources lexicales 185

511 Hyperonymes 185 512 N sous-speacutecifieacutes laquo capsules raquo 186

11

513 Termes postiches 188 52 Ressources non lexicales 189

521 Anaphores zeacutero 189 522 Pronoms conjoints 190

5221 Pronoms sujets ccedila ils 190 5222 Pronoms reacutegimes le y en 191 5223 Pronoms reacutegimes dans les laquo aphorismes lexicaliseacutes raquo 192

523 Pronoms disjoints 193 5231 Les deacutemonstratifs ccedila ceci cela 193 5232 Les pronoms lrsquounhellip (lrsquoautre) les unshellip les autres 196

524 Lrsquoadverbe lagrave 197 6 Conclusion 199

Deuxiegraveme Partie Manifestations de la sous-deacutetermination deux eacutetudes empiriques 201

AVANT-PROPOS LA CONSTITUTION DES DONNEacuteES 203

CHAPITRE IV FONCTIONNEMENT REFERENTIEL ET PRAGMATIQUE DE TOUT CcedilA 205

1 Introduction 207 2 Les emplois de ccedila 209

21 ccedila conjoint 210 211 ccedila pointe sur un objet cateacutegoriseacute 210

2111 ccedila redouble un sujet 210 2112 ccedila et la reacutefeacuterence humaine 211

212 ccedila pointe sur un objet non cateacutegoriseacute 213 2121 ccedila se rapporte agrave lrsquoexpeacuterience du locuteur 213 2122 ccedila laquo impersonnel raquo 213 2123 ccedila renvoie agrave un procegraves ou agrave un objet laquo indiscret raquo 214 2124 ccedila renvoie agrave une quantiteacute 216

22 ccedila disjoint 216 221 ccedila compleacutement 216 222 ccedila deacutetacheacute 218

23 Bilan sur les emplois de ccedila 220 3 Les emplois de tout ccedila 221

31 Le quantificateur tout 221 32 tout ccedila reacutegi 223 33 tout ccedila deacutetacheacute 223 34 tout ccedila appositif reacutegissant un circonstant 224 35 tout ccedila dans les listes 225 36 Bilan sur les emplois de tout ccedila 225

4 Etude de tout ccedila dans les listes agrave lrsquooral 227 41 Travaux anteacuterieurs 228

411 Les particules drsquoextension 228 412 tout ccedila particule drsquoextension 229 413 Bilan 229

42 Remarques sur les donneacutees 230 43 Proprieacuteteacutes des listes 231

431 Aspects lexico-syntaxiques 231 432 Aspects seacutemantico-pragmatiques 233 433 Aspects prosodiques 235

12

44 Fonctionnement reacutefeacuterentiel 239 441 Un pointage reacutesomptif 240 442 Lrsquoinfeacuterence drsquoun ensemble 241

45 Fonctionnement pragmatique 242 451 Marquage de lrsquointersubjectiviteacute 243 452 Rocircle de ponctuant 244 453 Approximation de paroles rapporteacutees 246 454 Eupheacutemisme 247 455 Emphase 248 456 Association agrave drsquoautres eacuteleacutements 249

4561 machin tout ccedila 249 4562 tout ccedila mais 249

5 Conclusion 251

CHAPITRE V FONCTIONNEMENT REFERENTIEL ET PRAGMATIQUE DE ILS A VALEUR SOUS-

DETERMINEE 253

1 Introduction 255 2 Travaux anteacuterieurs 257

21 Le traitement de ils dans les grammaires 257 22 Le traitement de ils en linguistique franccedilaise 261

221 Un reacutefeacuterent sous-deacutetermineacute 261 222 Indices morpho-seacutemantiques 264

2221 Le nombre pluriel 264 2222 Le genre masculin 265 2223 Le trait [+humain] 266

223 Bilan 266 23 Traitement de they en psycholinguistique 267 24 Traitement de la 6e personne en grammaire geacuteneacuterative et en typologie des langues 269

241 Interpreacutetation arbitraire 269 242 Typologie des pronoms R-impersonnels 271 243 Lrsquohypothegravese de la grammaticalisation 274 244 Bilan 276

25 Synthegravese geacuteneacuterale sur les travaux anteacuterieurs 277 3 Etude de ILS dans une collection de donneacutees en franccedilais 279

31 Remarques sur les donneacutees 280 32 Classement des donneacutees 281

321 Anaphore indirecte 281 3211 Infeacuterence collectif-classe 281 3212 Infeacuterence lieu-classe 283 3213 Infeacuterence sceacutenario-actant 288 3214 Bilan 291

322 Anaphore indirecte ou variable non instancieacutee 292 3221 Ambiguiumlteacute drsquoanalyse 292 3222 Quiproquos interpreacutetatifs 294

323 Variable non instancieacutee 297 3231 Promotion du procegraves 297 3232 Verba dicendi 300 3233 Incrimination feinte 302 3234 Preacutedicat non typant 303 3235 Bilan 304

13

33 Discussion 304 34 ILS dans le paradigme des constructions agrave agent sous-deacutetermineacute 307

341 ILS vs le passif 307 342 ILS vs ON 314 343 Bilan 319

4 Conclusion 321

CONCLUSION GEacuteNEacuteRALE 323

1 Synthegravese des principaux reacutesultats 323 2 Pistes de recherche 326

BIBLIOGRAPHIE 329

14

LISTE DES FIGURES

Figure 1 Triangle seacutemiotique drsquoapregraves Ogden amp Richards (1923) 33

Figure 2 Eacutechelle drsquoAccessibiliteacute drsquoapregraves Ariel (1990) 75

Figure 3 La Hieacuterarchie du Donneacute drsquoapres Gundel et al (1993) 76

Figure 4 Scheacutema des modaliteacutes reacutefeacuterentielles drsquoapregraves Halliday amp Hasan (1976) 81

Figure 5 Echelle de phoriciteacute drsquoapregraves Cornish (2010a) 86

Figure 6 Pluraliteacute interne drsquoapregraves Curat (1988) 120

Figure 7 Pluraliteacute externe drsquoapregraves Curat (1988) 120

Figure 8 Prosogramme 1 238

Figure 9 Prosogramme 2 239

Figure 10 Lectures des 3pl sans anteacuteceacutedent drsquoapregraves Cabredo Hofherr (2014) 271

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 Flexion des pronoms personnels conjoints en franccedilais 116

Tableau 2 Tableau syntheacutetique des traits oppositifs de ils on et Oslash 320

15

Introduction geacuteneacuterale

Ja kann man ein unscharfes Bild immer mit Vorteil durch ein scharfes ersetzen Ist das unscharfe nicht oft gerade das was wir brauchen (Wittgenstein 1953 = 2011 sect71)

1 Objet drsquoeacutetude

La preacutesente eacutetude srsquoinscrit dans le domaine linguistique de la reacutefeacuterence et des expressions

reacutefeacuterentielles Ce domaine srsquointeacuteresse traditionnellement agrave la maniegravere dont laquo le langage entre

en relation avec le reacuteel raquo (Searle 1985 236) Les expressions reacutefeacuterentielles y apparaissent

ainsi comme les moyens drsquoeacutetablir cette relation avec les objets ou reacutefeacuterents du monde Dans

les eacutetudes sur la reacutefeacuterence la plupart largement inspireacutees des travaux en philosophie leur

fonction est deacutecrite dans une viseacutee essentiellement identificatoire laquo [il srsquoagit] de chercher agrave

comprendre comment dans un eacutenonceacute du type de jrsquoai perdu unlemon chat les diffeacuterents

groupes ou syntagmes nominaux dans lesquels apparaicirct le nom chat peuvent ou non conduire

agrave lrsquoidentification drsquoun exemplaire particulier de chat raquo (Charolles 2002 9) Les expressions y

sont appreacutehendeacutees selon des critegraveres drsquoadeacutequation et de conformiteacute au reacuteel pour accomplir

cette tacircche agrave laquelle elles sont voueacutees

Or ces principes rencontrent des limites face agrave des actes reacutefeacuterentiels courants comme des

faits de sous-deacutetermination (eg les deacutesignateurs vagues comme (tout) ccedila ils non introduit

lrsquoadverbe lagrave les deacutenominations postiches comme le truc le machin etc) Notre objectif est

de confronter ces faits aux theacuteories et postulats existants afin de proposer un modegravele plus

geacuteneacuteral pour le traitement des expressions reacutefeacuterentielles qui deacutepasse les situations

laquo consensuelles raquo par la prise en compte des productions reacuteelles des usagers La sous-

deacutetermination qui se manifeste en discours critiqueacutee depuis toujours par les philosophes et

grammairiens soulegraveve en effet drsquointeacuteressantes questions agrave lrsquoeacutegard du traitement de la

reacutefeacuterence

Par sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle nous entendons la situation ougrave un reacutefeacuterent eacutevoqueacute nrsquoest

pas clairement identifieacute (indistinction de ses attributs de ses contours absence de

deacutenomination de proprieacuteteacute cateacutegorisante etc) En examinant ce genre de cas nous visons

ainsi agrave remettre en question lrsquoideacutee que les objets que manipulent les locuteurs dans leurs

eacutechanges sont ceux de la reacutealiteacute et proposons qursquoil srsquoagit drsquoentiteacutes construites dans et par le

discours Dans cette perspective nous montrons que ces laquo objets-de-discours raquo ne sont pas

toujours bien deacutelimiteacutes ni deacutetermineacutes et que les expressions reacutefeacuterentielles ne reflegravetent pas une

adeacutequation au reacuteel ou aux seuls inteacuterecircts de lrsquointerpregravete agrave des fins identificatoires mais plutocirct

une adeacutequation agrave des objectifs communicationnels varieacutes que nous tacirccherons de deacutecrire Les

exemples suivants tireacutes respectivement de lrsquooral non planifieacute et de lrsquoeacutecrit scientifique

donnent un aperccedilu du genre de faits qui nous inteacuteressent

16

(1) et ce qui me frappe beaucoup crsquoest que -1 elles arrivent pas agrave deacutecoller de l- - de de la

mecircme ideacuteologie - crsquoest-agrave-dire que elles ont lrsquoimpression drsquoavoir gagneacute une certaine

liberteacute mais - crsquoest une liberteacute qui encore fonctionne dans le quotidien - et je pense que

m- - malheureusement je pense ccedila - mais je suis peut-ecirctre pessimiste - je pense que le

quotidien actuellement ici - maintenant - crsquoest un truc si frustrant si alieacutenant - que

personne peut eacutepanouir sa personnaliteacute - donc bon crsquoest crsquo crsquoest vrai que crsquoest

pessimiste (oral ctfp)

(2) Le rapport laquo individu-socieacuteteacute raquo est tel que leur dissociation ne peut se concevoir

Cependant ce rapport a fait problegraveme et fait encore problegraveme pour beaucoup

Comment est-ce possible On peut reacutepondre ndash et cette reacuteponse paraicirct coheacuterente ndash que

ce problegraveme est un fait sociologique (Gurvitch G Traiteacute de sociologie t 2 1968

ltFrantext)

Ces exemples illustrent lrsquousage drsquoexpressions qui renvoient agrave des entiteacutes sous-deacutetermineacutees au

moment du pointage reacutefeacuterentiel ndash on sait qursquoil srsquoagit respectivement drsquoun objet de penseacutee (je

pense ccedila) et drsquoun acte illocutoire (cette reacuteponse) ndash dont la caracteacuterisation est fournie par le

discours dans une eacutetape communicative ulteacuterieure Par ailleurs cette caracteacuterisation est creacuteeacutee

par le discours et en cela les objets ne preacuteexistent pas agrave lrsquoeacutenonciation mais en sont au

contraire fondamentalement deacutependants

Les expressions sous-speacutecifieacutees par leur pauvreteacute seacutemantique repreacutesentent agrave cet eacutegard de

bons candidats agrave la diffusion de la sous-deacutetermination elles sont susceptibles de renvoyer agrave

des reacutefeacuterents non cateacutegoriseacutes et laquo instables raquo Leurs traits peu discriminants (et ici leur nature

deacutemonstrative) obligent lrsquointerpregravete agrave srsquoappuyer sur des indices de nature contextuelle plutocirct

que sur leur conformiteacute agrave des objets de la reacutealiteacute tangible Nous avons pour intention

drsquoinventorier les ressources linguistiques lexicales ou pronominales speacutecialiseacutees dans la

sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle et drsquoen observer les circonstances drsquoemploi ainsi que les

rendements discursifs Parmi lrsquoensemble de ces formes nous avons choisi drsquoexaminer plus en

deacutetail deux types de faits repreacutesentatifs de cette situation particuliegraverement productifs dans les

productions spontaneacutees agrave savoir lrsquoemploi de tout ccedila notamment dans les configurations

drsquoeacutenumeacuteration et lrsquoemploi de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee souvent rapprocheacute dans la

litteacuterature de lrsquoemploi de on dit indeacutefini En voici deux exemples repreacutesentatifs

(3) daccord ces jeunes | _ |2jouent le jeu ils sont | _ | ils sont enthousiastes ils ils ont de

leacutenergie ils ont des ideacutees tout ccedila (oral ofrom)

(4) ouais ceacutetait vraiment reacuteputeacute pour ecirctre des pistes difficiles | _ | je sais pas si toi tu as eu

mais peut-ecirctre plus jeune quand mecircme hein | _ | ils ils travaillaient pas les pistes

encore euh ceacutetait vraiment des des champs de bosses tu vois (oral ofrom)

1 Selon les conventions de transcription de Blanche-Benveniste et al (2002) ce signe indique une pause bregraveve et

lorsqursquoil est redoubleacute une pause plus longue 2 Indication drsquoune pause dans la base OFROM (Avanzi Beacuteguelin amp Dieacutemoz 2012-2015)

17

Lrsquoemploi de tout ccedila permet au locuteur de rester eacutevasif sur le reacutefeacuterent eacutebaucheacute par

lrsquoeacutenumeacuteration des qualiteacutes Quant agrave lrsquoemploi de ils il met en jeu un agent dont lrsquoidentiteacute nrsquoest

pas pertinente pour lrsquoenjeu de la communication Les deux expressions ont susciteacute quelque

attention de la part des chercheurs3 sans toutefois que la question de la reacutefeacuterence soit au cœur

des preacuteoccupations ou que des conseacutequences en soient tireacutees sur la description des proceacutedeacutes

reacutefeacuterentiels en geacuteneacuteral Notre intention agrave lrsquoinverse consiste preacuteciseacutement agrave en eacutevaluer les

reacutepercussions pour une theacuteorie de la reacutefeacuterence On voit agrave cet eacutegard drsquoembleacutee que lrsquoemploi de

ils ci-dessus se reacutevegravele difficilement conciliable avec la notion drsquoanaphore telle qursquoelle est

traditionnellement conccedilue

Ce travail offre ainsi lrsquooccasion de revenir sur les notions drsquoanaphore et de deixis

systeacutematiquement exploiteacutees dans lrsquoeacutetude des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels malgreacute les deacutefauts de

geacuteneacuteraliteacute de leur deacutefinition Nos donneacutees interrogent aussi bien la conception textuelle de

lrsquoanaphore fondeacutee sur la preacutesence drsquoun anteacuteceacutedent dans le contexte verbal encore fortement

ancreacutee dans les grammaires et la litteacuterature en linguistique tous domaines confondus

(seacutemantique TAL psycholinguistique typologie grammaire geacuteneacuterative etc) qursquoune

conception cognitive de lrsquoopposition deixisanaphore (nouveauteacute vs continuiteacute reacutefeacuterentielle)

Malgreacute un vif deacutebat sur lrsquoanaphore au cours des derniegraveres deacutecennies du XXe siegravecle en

linguistique franccedilaise refleacutetant des tentatives de renouvellement de la reacuteflexion sur le sujet

les modegraveles dominants actuels semblent peu enclins agrave eacutelargir le champ drsquoobservation aux

donneacutees deacutesormais agrave disposition En effet lrsquoeacutetude des expressions reacutefeacuterentielles en franccedilais

nrsquoa semble-t-il pas profiteacute de lrsquoaccegraves de nos jours faciliteacute aux bases de donneacutees orales et

eacutecrites pour remettre en question ses propres fondements contrairement agrave des domaines

comme la syntaxe la lexicographie la prosodie etc qui ont su en tirer parti pour ajuster leurs

modegraveles ou meacutethodologies respectives A lrsquoegravere des corpus numeacuteriseacutes il nous paraicirct donc

opportun de faire le point sur lrsquoeacutetat des theacuteories en matiegravere de reacutefeacuterence

2 Meacutethodologie et donneacutees

La deacutemarche adopteacutee dans ce travail est empirique consistant agrave recueillir des faits de langue

exclusivement attesteacutes en vue drsquoune analyse minutieuse tenant compte de leur contexte

drsquooccurrence (agrave lrsquoexception drsquoexemples emprunteacutes agrave des auteurs que nous discutons) La

meacutethode se veut qualitative pour le choix des exemples retenus ceux-ci ont eacuteteacute reacutecolteacutes au

cours de notre recherche pour leur valeur heuristique crsquoest-agrave-dire pour leur capaciteacute agrave reacuteveacuteler

des aspects pertinents sur le fonctionnement de la reacutefeacuterence en franccedilais Nos donneacutees ne

repreacutesentent donc pas agrave proprement parler un corpus au sens strict du terme mais une

collection drsquoexemples soigneusement rassembleacutes sur des critegraveres qualitatifs En cela notre

travail nrsquoappartient pas agrave la linguistique de corpus mais constitue une eacutetude linguistique sur

une seacutelection de donneacutees attesteacutees Nous faisons en outre le choix de recourir agrave un ensemble

3 Bilger (1989) Ferreacute (2011) Secova (2014) pout tout ccedila Kleiber (1992b) Cabredo Hofherr (2003 2014)

Siewierska (2010 2011) Siewierska amp Papasthati (2011) sur ils ou les indices de 3e personne du pluriel agrave travers

les langues

18

diversifieacute et ouvert de donneacutees En effet lrsquoexamen des expressions reacutefeacuterentielles degraves lors que

lrsquoon tient compte des expressions nominales ne permet tout simplement pas drsquoexploiter

lrsquoextraction automatique de donneacutees Drsquoailleurs en se concentrant uniquement sur des faits

extractibles on court le risque de se priver de tout un ensemble de pheacutenomegravenes qui

manifestent des reacutegulariteacutes de comportements irreacuteductibles agrave un repeacuterage automatique

(Corminboeuf 2014 2378) Nous partons donc dans un premier temps drsquoune vaste

observation agrave partir de sources diversifieacutees

Pour les parties plus empiriques de cette thegravese nous faisons cependant le choix de recourir en

prioriteacute agrave des donneacutees drsquooral spontaneacute car ce type de contexte de production reste un champ

tregraves peu exploreacute dans le domaine des expressions reacutefeacuterentielles en franccedilais Cela srsquoexplique

peut-ecirctre par la laquo grande pauvreteacute des chaicircnes conversationnelles qui sont reacuteduites agrave

lrsquoalternance drsquoun deacutesignateur et de pronoms raquo comme le relegraveve Corblin (2005 253) Mais

cette laquo pauvreteacute raquo lexicale des deacutesignateurs en conversation nous paraicirct au contraire

susceptible drsquoen dire long sur les pratiques reacutefeacuterentielles des locuteurshellip Pour lrsquooral nous

recourons aux bases suivantes4

- OFROM (Avanzi Beacuteguelin amp Dieacutemoz 2012-2015) httpwwwuninechofrom)

- PFC (Durand et al 2002 2009) httpwwwprojet-pfcnet

- CFPP (Branca-Rosoff Fleury Lefeuvre Pires 2012) httpcfpp2000univ-paris3fr

- CTFP (Blanche-Benveniste et al 2002)

- CRFP (Delic 2004)

Les extraits retenus sont reproduits avec leurs conventions drsquoorigine une tacircche

drsquouniformisation se reacuteveacutelant trop fastidieuse Consciente que les exemples seacutelectionneacutes

puissent parfois paraicirctre artificiellement coupeacutes de leur contexte nous indiquons cependant

toujours la source agrave partir de laquelle est ndash en principe5 ndash accessible le contexte eacutelargi (texte et

audio) Nous reproduisons eacutegalement ponctuellement pour leur pertinence des extraits de

conversation recueillis laquo au vol raquo

Concernant lrsquoeacutecrit ce sont nos lectures quotidiennes en tous genres qui constituent drsquoabord

notre source drsquoobservation agrave savoir textes de presse (papier ou web) litteacuteraires pratiques

administratifs publicitaires etc mais eacutegalement des extraits provenant de genres plus proches

de laquo lrsquoimmeacutediat raquo (Koch amp Oesterreicher 1985) comme les reacuteseaux sociaux forums blogs

4 Le projet ORFEO (httpwwwprojet-orfeofr) encore non accessible va rassembler et mettre agrave la disposition

du public courant 2017 une masse de donneacutees eacutechantillonneacutees sans preacuteceacutedent en franccedilais parleacute et eacutecrit 5 Agrave lrsquoexception de CRFP qui nrsquoest pas en accegraves libre mais dont nous nrsquoavons reproduit que trois exemples et

dont nous pouvons fournir un contexte eacutelargi sur demande

19

courriels SMS6 Nous avons eacutegalement recours agrave la base Frantext (wwwfrantextfr) pour des

recherches de formes particuliegraveres

Dans un second temps une fois cibleacutes les objets drsquoeacutetude speacutecifiques la reacutecolte des donneacutees

peut eacutevidemment beacuteneacuteficier de lrsquoextraction automatique dans les bases respectives (eg

recherches de (tout) ccedila ils on etc) Mais les requecirctes aboutissant agrave un nombre trop eacuteleveacute de

reacutesultats pour une analyse contextuelle exhaustive de chaque occurrence ce sont des critegraveres

qualitatifs qui orientent notre tri En effet selon nos principes descriptifs chaque reacutesultat

requiert pour son observation la prise en compte drsquoun contexte large qui peut eacutequivaloir dans

certains cas agrave lrsquoenregistrement entier (ou agrave des recalibrages de contexte fastidieux dans

Frantext) Les donneacutees seacutelectionneacutees ne peuvent donc preacutetendre agrave un reflet repreacutesentatif de la

distribution des occurrences eacutetudieacutees quoique nous fournissions ponctuellement quelques

comptages effectueacutes sur des sous-corpus restreints Mais de maniegravere geacuteneacuterale nous ne nous

attardons pas sur des faits jugeacutes consensuels ou typiques et favorisons la prise en compte et

lrsquoexamen de donneacutees laisseacutees en marge des descriptions par les chercheurs sous preacutetexte de

rareteacute de manque de pertinence voire de deacuteviance Si certains types de sources paraissent

plus creacutedibles agrave eacutetudier que drsquoautres selon des preacutejugeacutes ambiants nous accordons agrave lrsquoinverse agrave

tous les faits la mecircme valeur scientifique Drsquoailleurs malgreacute lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute des sources les

donneacutees reacutevegravelent des reacutegulariteacutes eacutevidentes sur le fonctionnement de la langue qursquoune

eacutepuration pourrait conduire agrave occulter

3 Organisation du contenu

Cet ouvrage est organiseacute en deux parties la premiegravere constitueacutee de trois chapitres consiste

en un eacutetat des lieux des notions cleacutes de reacutefeacuterence drsquoanaphore et de sous-deacutetermination la

seconde composeacutee de deux chapitres preacutesente deux eacutetudes de cas

Les trois chapitres de la premiegravere partie repreacutesentent des bilans critiques i) sur le traitement

veacuterifonctionnel de la reacutefeacuterence et des expressions reacutefeacuterentielles par les modegraveles existants agrave la

suite de quoi est exposeacute le cadre theacuteorique dans lequel se situe notre approche ii) sur le

pronom de 3e personne et son rocircle unanimement reconnu drsquoanaphorique iii) sur la

probleacutematique de la sous-deacutetermination et les ressources agrave la disposition des locuteurs pour

lrsquoexprimer Dans chacun de ces chapitres nous confrontons lrsquoeacutetat de la recherche agrave des

donneacutees authentiques et gecircnantes pour les theacuteories existantes afin de mettre en eacutevidence les

aspects qui neacutecessitent agrave nos yeux plus ample reacuteflexion dans la perspective drsquoun modegravele

geacuteneacuteral de la reacutefeacuterence

Les deux chapitres de la partie empirique portent respectivement sur lrsquousage de tout ccedila en

particulier dans les structures drsquoeacutenumeacuteration (Chapitre IV) et sur lrsquoemploi de ils dont la valeur

demeure sous-deacutetermineacutee (Chapitre V) Ces deux chapitres ont pour enjeu de deacutegager les

6 Swiss SMS corpus httpssmslinguistikuzhch (Stark et al 2009-2014) 88milSMS http88milsmshuma-

numfrindexhtml (Panckhurst R Deacutetrie C Lopez C Moiumlse C Roche M Verine B 2014)

20

facteurs contextuels accidentels ou strateacutegiques qui favorisent la mise en œuvre des proceacutedeacutes

de sous-deacutetermination

Cette eacutetude sur la sous-deacutetermination qui vise agrave une meilleure compreacutehension des

meacutecanismes reacutefeacuterentiels en contexte inteacuteressera les linguistes travaillant dans le domaine de

la reacutefeacuterence de la coheacuterence de la structure informationnelle et du franccedilais parleacute Plus

geacuteneacuteralement le sujet se situe aux croisements de plusieurs disciplines comme la seacutemantique

la pragmatique lrsquoanalyse du discours et la linguistique interactionnelle Cette thegravese trouvera

eacutegalement des eacutechos parmi les didacticiens de la langue En effet on constate dans les

manuels ou usuels de grammaire lrsquoinsuffisance des ressources disponibles pour

lrsquoenseignement des proceacutedeacutes de coheacuterence en particulier des expressions anaphoriques

invariablement abordeacutees en termes de deacutependance agrave une seacutequence textuelle Lrsquoouvrage pourra

encore inteacuteresser les chercheurs en TAL qui travaillent sur la reacutesolution automatique

drsquoanaphores et drsquoexpressions coreacutefeacuterentielles par ordinateur En effet la plupart des faits que

nous eacutetudions eacutechappent aux algorithmes deacuteveloppeacutes par les ingeacutenieurs en vue de la

reconnaissance des expressions et constituent donc une difficulteacute majeure dans leur travail

Une analyse fouilleacutee du pheacutenomegravene de la sous-deacutetermination permettra nous lrsquoespeacuterons

drsquoapporter de lrsquoeau au moulin des recherches sur la reacutefeacuterence

21

Premiegravere Partie

Reacutefeacuterence anaphore pronominale et sous-

deacutetermination eacutetat des lieux

22

23

Chapitre I

Geacuteneacuteraliteacutes sur la reacutefeacuterence

et les expressions reacutefeacuterentielles

24

25

1 Introduction

Lorsqursquoun usager de la langue participe agrave une interaction verbale il entraicircne geacuteneacuteralement

dans son discours des objets auxquels il attribue des proprieacuteteacutes (on dit qursquoil preacutedique sur eux)

et les met en relation les uns avec les autres Dans le cadre de cette activiteacute locutoire lrsquoacte de

reacutefeacuterence consiste preacuteciseacutement agrave eacutevoquer dans le discours par des moyens verbaux les entiteacutes

souhaiteacutees Le choix pour un type drsquoexpression varie selon diffeacuterents paramegravetres (lrsquoopeacuteration

accomplie la prise en compte du savoir partageacute etc)

(5) jrsquoai perdu unlemon chat (Charolles 2002 9)

Lrsquoenjeu des travaux en seacutemantique reacutefeacuterentielle consiste principalement agrave eacutetudier les

modaliteacutes de reacutefeacuterence agrave un objet selon lrsquoexpression seacutelectionneacutee Ressortissant au domaine de

la parole la probleacutematique de la reacutefeacuterence a drsquoabord eacuteteacute eacutecarteacutee de lrsquoanalyse linguistique

laquo immanentiste raquo dont lrsquoobjet essentiel eacutetait la langue en tant que systegraveme de signes fermeacute

Crsquoest cependant depuis des siegravecles un thegraveme incontournable pour les philosophes qui

cherchent agrave laquo comprendre comment le langage entre en relation avec le reacuteel raquo (Searle 1985

236) Lrsquointeacuterecirct pour la notion de reacutefeacuterence est toutefois apparu dans le champ de la

linguistique avec le deacuteveloppement des eacutetudes sur lrsquoeacutenonciation autrement dit sur

lrsquoactualisation de la langue en contexte par les usagers et avec lrsquoessor de la pragmatique et de

la seacutemantique comme disciplines degraves lors non plus restreintes au domaine de la philosophie

Ce chapitre vise agrave examiner la notion de reacutefeacuterence et ses notions voisines (sect2) tout en

montrant qursquoelles restent largement tributaires des conceptions philosophiques fondeacutees

notamment sur lrsquoideacutee drsquoune conformiteacute des signifieacutes linguistiques aux objets de la reacutealiteacute

tangible Nous preacutesentons les tentatives deacuteployeacutees en seacutemantique pour classer ces reacutefeacuterents

(sect3) et nous dressons une synthegravese critique sur la maniegravere dont les principales expressions

reacutefeacuterentielles sont traiteacutees en linguistique (sect4) Puis nous abordons toujours drsquoun œil critique

les diffeacuterentes modaliteacutes de deacutesignation reacuteguliegraverement invoqueacutees dans lrsquoacte de reacutefeacuterence agrave

savoir lrsquoanaphore et la deixis (sect5) Face aux approches dominantes en matiegravere de reacutefeacuterence

nous preacutesentons pour finir une approche alternative et constructiviste de la question incarneacutee

par le modegravele que nous prenons pour cadre drsquoanalyse (sect6)

26

27

2 Notions fondamentales

21 Reacutefeacuterence existence et monde reacuteel

Drsquoapregraves Frege (1892=1971) et ses continuateurs un nom propre nrsquoa de reacutefeacuterence (ou

deacutenotation dans sa terminologie) que srsquoil deacutesigne un objet pour lequel on suppose une

existence aveacutereacutee dans le monde (cf infra sect22) Autrement dit les reacutefeacuterents constituent les

objets existants du monde qursquoil est possible de prendre comme objets du discours en y

reacutefeacuterant par des moyens linguistiques De la sorte le nom Veacutenus renvoie bien agrave un objet

extralinguistique la planegravete ainsi nommeacutee et observable mais il nrsquoen va pas de mecircme pour le

nom Ulysse qui nrsquoa pas de reacutefeacuterence eacutetablie dans le monde qui nous entoure donc pas de

reacutefeacuterence du tout selon la conception freacutegeacuteenne

Dans une optique reacutesolument inverse certains considegraverent que tout objet que lrsquoon eacutevoque

dans le discours implique son existence laquo whatever is referred to must exist raquo (Searle 1969

77) Crsquoest ici lrsquoacte de reacutefeacuterence linguistique mecircme qui confegravere une existence degraves lors

indeacuteniable agrave lrsquoobjet viseacute

Le compromis geacuteneacuteralement adopteacute face agrave ces positions antagonistes consiste agrave consideacuterer

que des noms tels qursquoUlysse licorne ou autres Tarzan renvoient bien agrave des reacutefeacuterents mais agrave

des reacutefeacuterents existant dans un monde imaginaire (Kleiber 1997a 11) La notion drsquoexistence

doit alors ecirctre adapteacutee agrave cet effet

Existence is a tricky concept in any case and we must allow for various kinds of existence pertaining to fictional and abstract referents (or alternatively show how these apparently diverse kinds of existence relate to the physical existence of spatiotemporally continuous and discrete objects) (Lyons 1977 183)

Le discours aurait donc le pouvoir de ce point de vue de construire des mondes alternatifs agrave

celui dans lequel nous vivons de reacutefeacuterer agrave des mondes possibles ougrave se rencontrent non

seulement des reacutefeacuterents fictifs mais aussi des situations qui pourraient paraicirctre insenseacutees dans

le monde reacuteel et tangible

[hellip] there is no single metaphysical or conceptual framework which underlies every kind of human discourse Statements or propositions which might be held to be contradictory or absurd in a more or less scientific discussion of the physical world may be regarded as perfectly acceptable in a mythological or religious context in poetry in the narration of a dream or in science fiction (Lyons 1977 167)

Lrsquoaxiome drsquoexistence des reacutefeacuterents dont on parle de mecircme que la conformiteacute de la langue au

monde se voient donc preacuteserveacutes moyennant la reconnaissance de capaciteacutes cognitives ad hoc

de la part des usagers de la langue (Kleiber 1997a 11) Dans cette perspective le monde reacuteel

que les usagers perccediloivent reste cependant le monde privileacutegieacute qui sert de point de reacutefeacuterence

28

pour la conception de leurs repreacutesentations7 Ce nrsquoest selon Kleiber qursquoagrave travers sa

reconnaissance qursquoil leur est possible drsquoenvisager drsquoautres mondes possibles et de reacutefeacuterer agrave

des eacuteleacutements fictifs qui apregraves tout sont constitueacutes de laquo morceaux reacuteels animal cheval

corne etc raquo (ibid 15 cf aussi Lyons 1977 211) La solution de nos jours largement

admise est ainsi que les reacutefeacuterents dont on parle ont bien une existence soit dans le monde qui

nous entoure (situation habituelle) soit dans un autre monde possible Cette conception des

mondes possibles multiplie des versions de la reacutealiteacute afin de preacuteserver un principe de veacuteriteacute

(cf infra sect22) consistant agrave garantir lrsquoexistence des reacutefeacuterents dans notre monde reacuteel ou agrave

deacutefaut dans un monde possible Elle suppose que chaque reacutefeacuterent a son correacutelat linguistique

preacuteexistant au-dehors agrave travers une sorte de bi-univociteacute entre reacutealiteacute tangible (ou virtuelle) et

langue

Neacuteanmoins on peut objecter contre cette vision des choses que la notion de mondes possibles

a eacuteteacute conccedilue pour les besoins de lrsquoanalyse logique et qursquoelle laquo nrsquoappartient pas au

meacutetalangage de la linguistique raquo (Gary-Prieur 1994 21) Si lrsquoon se donne pour objectif la

description scientifique des usages effectifs des locuteurs il nrsquoy a pas lieu de juger de

lrsquoadeacutequation drsquoun reacutefeacuterent agrave un univers ad hoc Il suffit de constater que le discours construit

lui-mecircme ses reacutefeacuterents aussi fictifs ou fantaisistes soient-ils dans son univers propre comme

crsquoest le cas du fameux Schmilblick de Pierre Dac dans lrsquoextrait ci-dessous

(6) Crsquoest dans la nuit du 21 novembre au 18 juillet de la mecircme anneacutee que les fregraveres

Fauderche ont jeteacute les bases de cet extraordinaire appareil dont la conception

reacutevolutionnaire risque de bouleverser toutes les lois communeacutement admises tant dans

le domaine de la physique nucleacuteaire que dans celui de la gyneacutecologie dans lrsquoespace

[hellip] Le Schmilblick des fregraveres Fauderche est il convient de le souligner

rigoureusement inteacutegral crsquoest-agrave-dire quil peut agrave la fois servir de Schmilblick

drsquointeacuterieur gracircce agrave la taille reacuteduite de ses gorgomoches et de Schmilblick de

campagne [hellip] (extrait du sketch de Pierre Dac 1950)

A notre sens il nrsquoest pas neacutecessaire de postuler lrsquoexistence drsquoun monde imaginaire car il nrsquoy a

pas de veacuteraciteacute des propos agrave veacuterifier lrsquoobjet degraves lors qursquoon en parle existe tout simplement

dans lrsquounivers construit par le discours agrave lrsquoœuvre (cf Searle ci-dessus) comme nrsquoimporte quel

objet auquel il est fait reacutefeacuterence dans cette mecircme situation de parole (eg les fregraveres

Fauderuche les gorgomoches) On peut ainsi en parler comme nrsquoimporte quel autre objet du

discours et preacutediquer des proprieacuteteacutes aussi loufoques soient-elles agrave son eacutegard Lrsquoexistence des

objets dont on parle est donc une existence poseacutee dans le discours et celle-ci rend caduque la

question de la conformiteacute avec le reacuteel ou lrsquoimaginaire

7 Cf Fauconnier (1984) pour qui laquo lrsquoespace reacuteel raquo E0 est celui par rapport auquel se situent tous les autres

espaces mentaux

29

22 Sens et reacutefeacuterence

La probleacutematique du rapport entre lrsquoemploi drsquoune expression linguistique et sa reacutefeacuterence

soulegraveve ineacutevitablement la question du sens de ce signe Depuis des siegravecles les philosophes

srsquointerrogent sur la maniegravere dont la langue permet de deacutesigner un laquo morceau raquo de la reacutealiteacute

Crsquoest geacuteneacuteralement le sens qui est invoqueacute comme responsable de la bonne deacutetermination

reacutefeacuterentielle Le sens est donc eacutetroitement lieacute agrave la notion de reacutefeacuterence Nous retraccedilons ici dans

les grandes lignes sur la base de travaux de speacutecialistes les conceptions principales de cette

relation au cours des siegravecles

On considegravere souvent ce passage du Peri Hermeneias drsquoAristote comme fondateur de la

theacuteorie du signe de la linguistique moderne (Panaccio 1996 6-7)

Les sons eacutemis par la voix sont les symboles des eacutetats de lrsquoacircme et les mots eacutecrits des symboles des mots eacutemis par la voix Et de mecircme que lrsquoeacutecriture nrsquoest pas la mecircme chez tous les hommes les mots parleacutes ne sont pas non plus les mecircmes bien que les eacutetats de lrsquoacircme dont ces expressions sont les signes immeacutediats soient identiques chez tous comme sont identiques aussi les choses dont ces eacutetats sont les images (Aristote De lrsquointerpreacutetation 16a2-8 trad Tricot)

Aristote conccediloit les laquo eacutetats de lrsquoacircme raquo (παθήματα τῆς ψυχῆς8) ou pourrait-on dire les

impressions ressenties par les sujets comme des images ressemblant (ὁμοιώματα9) aux choses

du monde Ils constituent en quelque sorte leur contrepartie cognitive et comme elles se

distinguent par leur stabiliteacute et leur universaliteacute lagrave ougrave leurs symboles acoustiques ou

graphiques (le code eacutecrit eacutetant voueacute agrave signifier lrsquooral) sont sujets agrave la variation

interlinguistique et agrave lrsquoarbitraire Quoi qursquoil en soit on perccediloit bien lrsquoideacutee drsquoune meacutediation

conceptuelle10

cognitive entre le signe et les objets du monde

Parmi les travaux de lrsquoAntiquiteacute greacuteco-latine touchant au processus de signification Rey

(1973) note la conception particuliegraverement deacuteveloppeacutee des Stoiumlciens agrave lrsquoorigine de

lrsquoeacutelaboration drsquoun veacuteritable laquo appareil conceptuel raquo (p 29) Il cite agrave cet eacutegard le teacutemoignage

de Sextus Empiricus

Les Stoiumlciens disent que trois choses sont lieacutees ce qui est signifieacute ce qui signifie et lrsquoobjet De ces choses celle qui signifie crsquoest la parole par exemple laquo Dion raquo ce qui est signifieacute crsquoest la chose mecircme qui est reacuteveacuteleacutee par elle et que nous saisissons comme durable par notre penseacutee mais que les Barbares ne comprennent pas bien qursquoils soient capables drsquoentendre le mot prononceacute alors que lrsquoobjet est ce qui existe agrave lrsquoexteacuterieur par exemple Dion en personne (Adversus Mathematicos VIII 11-12)

Autrement dit la parole signifie et reacutevegravele quelque chose de conventionnel dans la penseacutee

cette fois propre agrave la langue en question qui srsquooppose agrave lrsquoobjet mecircme existant en dehors de la

8 patheacutemata tecircs psuchecircs

9 homoioacutemata

10 Selon Panaccio (1996 7) les laquo eacutetats de lrsquoacircme raquo comprennent vraisemblablement les concepts (νοήματα)

30

langue On peut donc entrevoir agrave travers ces propos les preacutemisses drsquoune theacuteorie du signe qui

sera remise au goucirct du jour des siegravecles plus tard (cf ci-apregraves le triangle seacutemiotique)

A partir des questions seacutemantiques souleveacutees notamment par les philosophes de lrsquoAntiquiteacute

les scolastiques du Moyen Age continuent de srsquointerroger sur le processus de signification

Une question est notamment de savoir si les mots signifient des concepts ou des choses

Fondeacutee sur la conception transitive drsquoAristote la position courante au Moyen Age est de

consideacuterer que les termes signifient directement des concepts et indirectement des choses Le

premier processus est appeleacute significatio tandis que le second relegraveve de la suppositio si

chaque occurrence drsquoun mot signifie le mecircme concept elle suppose un individu diffeacuterent agrave

chaque fois (Read 2011) Les termes reccediloivent toutefois des conceptions diverses selon les

auteurs meacutedieacutevaux11

Ce qui semble neacuteanmoins faire consensus est la primauteacute de la

significatio sur la suppositio on nrsquoaccegravede agrave la suppositio qursquoen vertu de sa significatio qui

deacutetermine les objets auxquels il est fait (ou possible de faire) reacutefeacuterence

Cette distinction seacutemantique perdure et se voit systeacutematiseacutee dans la Logique de Port-Royal

drsquoArnauld amp Nicole (1662=1874 54 sqq) ouvrage qui a exerceacute une influence consideacuterable

sur les travaux en logique jusqursquoagrave la fin du XIXe siegravecle Lrsquouniteacute seacutemantique de base de la

theacuteorie drsquoArnauld amp Nicole est lrsquoideacutee par laquelle est signifieacute le contenu objectif de la penseacutee

(Buroker 1993 457) La seacutemantique de Port-Royal eacutetablit des relations entre les mots les

ideacutees et les choses de maniegravere transitive agrave lrsquoinstar de la laquo seacutemiotique raquo aristoteacutelicienne les

mots employeacutes pour exprimer des ideacutees signifient eacutegalement les choses signifieacutees par les ideacutees

(ibid 464) Cela dit les auteurs de la Logique ne manquent pas de relever que la

correspondance entre les mots et les ideacutees est imparfaite il nrsquoy a pas de garantie que la

structure de la langue parleacutee reflegravete adeacutequatement la structure logique des ideacutees (Arnauld amp

Nicole 1662=1874 68-87) Dans leur classification des ideacutees Arnauld amp Nicole opposent les

ideacutees singuliegraveres aux ideacutees geacuteneacuterales Les premiegraveres servent agrave repreacutesenter un seul individu

(via un laquo nom propre raquo eg Socrate soleil) alors que les secondes se montrent capables de

repreacutesenter plusieurs choses (via un nom commun ou un adjectif eg homme humain

humaniteacute) Les ideacutees geacuteneacuterales peuvent ainsi repreacutesenter une classe drsquoindividus posseacutedant

lrsquoattribut exprimeacute autrement dit son eacutetendue Crsquoest au cœur de cette probleacutematique que les

auteurs eacutetablissent la distinction entre compreacutehension et eacutetendue (ou intension et extension12

)

preacutefigureacutee agrave travers les concepts meacutedieacutevaux de significatio et suppositio La compreacutehension

drsquoune ideacutee se deacutefinit comme laquo les attributs qursquoelle enferme en soi et qursquoon ne peut lui ocircter

sans la deacutetruire raquo son eacutetendue comme laquo les sujets agrave qui cette ideacutee convient ce qursquoon appelle

aussi les infeacuterieurs drsquoun terme geacuteneacuteral qui agrave leur eacutegard est appeleacute supeacuterieur comme lrsquoideacutee

11

Pierre drsquoEspagne distingue par exemple la suppositio naturelle de la suppositio accidentelle la premiegravere

correspondant agrave lrsquoensemble drsquoobjets auxquels srsquoapplique potentiellement le mot la seconde eacutequivalant agrave la

reacutefeacuterence effective drsquoun terme dans une proposition particuliegravere Chez Guillaume drsquoOckham crsquoest la significatio

qui recouvre lrsquoensemble des choses pouvant ecirctre caracteacuteriseacutees par le mot (Read 2011) 12

Les appellations intension et extension (eg Carnap 1947) lrsquoemportent aujourdrsquohui en seacutemantique sur celles de

compreacutehension et eacutetendue Par ailleurs les concepts recouvrent grosso modo ceux que Mill (1843=1988) nomme

connotation (agrave ne pas confondre avec sa signification usuelle de description subjective) et deacutenotation

31

du triangle en geacuteneacuteral srsquoeacutetend agrave toutes les espegraveces diverses de triangle raquo (ibid 54) Il deacutecoule

de cette theacuteorie seacutemantique la fameuse laquo loi de Port-Royal raquo (Auroux 1992) selon laquelle

compreacutehension et eacutetendue varient en proportion inverse lrsquoajout drsquoattributs entraicircne la

restriction de lrsquoeacutetendue de lrsquoideacutee de mecircme que la reacuteduction drsquoattributs en augmente lrsquoeacutetendue

Ainsi crsquoest la compreacutehension qui deacutetermine lrsquoeacutetendue drsquoune ideacutee

Pegravere de la logique moderne avec sa conception du calcul des preacutedicats Gottlob Frege

contribue eacutegalement agrave la philosophie du langage et agrave la seacutemantique par la deacutefinition de notions

dont on se sert amplement dans les theacuteories actuelles du sens ainsi que par leur inscription

dans une seacutemantique veacutericonditionnelle Crsquoest dans une tentative de reacutesolution du problegraveme

des eacutenonceacutes drsquoidentiteacute non tautologiques qursquoil fait intervenir la notion de sens (Sinn) par

opposition agrave celle de deacutenotation (Bedeutung) (1892=1971)

Sa contribution srsquoinscrit dans un projet scientifique dont lrsquoobjectif est avant tout lrsquoeacutelaboration

drsquoune notation formelle des eacutenonceacutes matheacutematiques dont on rendait compte jusqursquoalors par le

recours agrave la langue naturelle Frege srsquoefforce ainsi de symboliser au moyen drsquoun systegraveme

logique formel appeleacute Begriffsschrift les tournures linguistiques usuelles des matheacutematiques

jugeacutees impreacutecises13

Le logicien distingue trois niveaux de la structure seacutemantique agrave savoir

les signes leur deacutenotation et leur sens

[hellip] il est naturel drsquoassocier agrave un signe (nom groupe de mots caractegraveres) outre ce qursquoil deacutesigne et qursquoon pourrait appeler sa deacutenotation ce que je voudrais appeler le sens du signe ougrave est contenu le mode de donation de lrsquoobjet (1892=1971 103)

Frege assimile lrsquoobjet deacutesigneacute par un signe agrave sa deacutenotation et considegravere le mode de donation

comme une composante du sens Il illustre ces distinctions par le ceacutelegravebre exemple des noms

propres eacutetoile du matin et eacutetoile du soir qui possegravedent la mecircme deacutenotation en lrsquooccurrence la

planegravete Veacutenus en tant qursquoobjet deacutesigneacute mais dont le sens diffegravere par le mode de donation

autrement dit le mecircme objet nrsquoest pas preacutesenteacute de la mecircme maniegravere selon lrsquoexpression

utiliseacutee chacune implique des conditions drsquoemploi diffeacuterentes14

Contrairement au sens drsquoun

signe une deacutenotation nrsquoest selon Frege pas toujours associeacutee agrave ce dernier Il prend agrave cet effet

lrsquoexemple de lrsquoexpression le corps ceacuteleste le plus eacuteloigneacute de la terre qui malgreacute lrsquoexpression

drsquoun sens ne possegravede pas de deacutenotation (p 104) La deacutenotation au sens de Frege est donc un

concept fondeacute sur lrsquoexistence aveacutereacutee des objets du monde qui nous entoure (cf supra sect21)

laquo [l]a deacutenotation drsquoun nom propre est lrsquoobjet mecircme que nous deacutesignons par ce nom raquo (p 106)

Cette quecircte de lrsquoauthenticiteacute se voit exprimeacutee agrave travers la question de la deacutenotation des

propositions laquo crsquoest donc la recherche et le deacutesir de la veacuteriteacute qui nous poussent agrave passer du

sens agrave la deacutenotation raquo (p 109) Pour Frege la deacutenotation drsquoune proposition consiste en sa

valeur de veacuteriteacute crsquoest-agrave-dire le fait qursquoelle soit vraie ou fausse (p 110) Cette conception

13

laquo Presque toujours le langage ne donne pas sinon allusivement les rapports logiques il les laisse deviner sans

les exprimer proprement raquo (Frege 1892=1971 65) 14

Il en va de mecircme pour les notations algeacutebriques laquo 24 raquo et 4x4 raquo qui laquo sont des noms propres du mecircme nombre

mais nrsquoont pas le mecircme sens raquo (ibid 89)

32

faisant de la veacuteriteacute un enjeu de la theacuteorie de la signification va servir de point de deacutepart au

deacuteveloppement drsquoune seacutemantique dite veacutericonditionnelle initieacutee par Tarski (1935) dans un

effort de preacutecision de la notion de veacuteriteacute Crsquoest dans cette perspective que vont srsquointerpreacuteter

les laquo conditions de satisfaction raquo auxquelles doit reacutepondre le reacutefeacuterent laquo The condition that

the referent must satisfy the description has commonly been interpreted by philosophers to

imply that the description must be true of the referent raquo (Lyons 1977 181) Comme nous

lrsquoavons deacutejagrave eacutevoqueacute (supra sect21 cf aussi infra sect631) nous prenons nos distances avec une

approche eacutevaluant le degreacute de conformiteacute drsquoun contenu au monde

Parallegravelement une perspective oppositive et laquo neacutegative raquo de la signification apparaicirct avec la

theacuteorie du signe linguistique deacuteveloppeacutee par Ferdinand de Saussure au deacutebut du XXe siegravecle

Selon le linguiste genevois un signe se deacutefinit par lrsquoassociation drsquoune image acoustique

(signifiant) et drsquoun concept (signifieacute) solidaires comme le recto et le verso drsquoune feuille

(1916=2008) Le contenu invoqueacute est appreacutehendeacute en termes de laquo valeur raquo qui ne se conccediloit

que par opposition agrave drsquoautres valeurs crsquoest uniquement la nature diffeacuterentielle des signes qui

procure agrave chacun une existence au sein drsquoun tel systegraveme (2002 28) Quant au reacutefeacuterent qui

relegraveve de lrsquoactiviteacute de parole et de lrsquoextralinguistique il nrsquoest pas fondamentalement apparieacute

au signe laquo le signe linguistique unit non une chose et un nom mais un concept et une image

acoustique raquo (1916=2008 98) Les heacuteritiers de la seacutemantique structurale srsquoefforcent en

theacuteorie de maintenir cette limite

Les mots de la langue ne sont pas en relation immeacutediate avec les choses Ils ont un signifieacute mais nont pas de reacutefeacuterence Le mot maison en tant que mot de la langue ne dit pas une maison Le mot cheval ne dit pas un cheval il nrsquoest en relation immeacutediate avec aucun ecirctre concret il exprime seulement un ensemble de proprieacuteteacutes et la question de savoir srsquoil existe dans lrsquounivers des ecirctres auxquels appartiennent ces proprieacuteteacutes nrsquoa aucune pertinence pour le lexique (Le Guern 2003 32)

Neacuteanmoins dans les faits deacutecrire le signifieacute en faisant abstraction du reacutefeacuterent nrsquoest pas une

mince affaire Il srsquoagit de mettre au jour les traits distinctifs (ou segravemes cf Greimas 1966 22)

drsquoun signe relativement agrave un ensemble de signes autrement dit drsquoidentifier des eacuteleacutements

abstraits du signifieacute dont la composition (le seacutemegraveme) srsquoopposerait agrave celle drsquoautres signes

voisins Cependant lrsquoimmixtion du reacutefeacuterent est difficile agrave eacuteviter et il nrsquoest pas rare que

lrsquoanalyse componentielle (ou seacutemique) se confonde paradoxalement avec lrsquoobservation des

reacutefeacuterents des lexegravemes crsquoest-agrave-dire avec lrsquoeacutenumeacuteration des proprieacuteteacutes agrave partir de la reacutealiteacute

extralinguistique Ainsi en va-t-il de la fameuse analyse de Pottier (1963) du champ

seacutemantique des noms de siegraveges (chaise fauteuil tabouret canapeacute pouf) qui aboutit agrave

lrsquoeacutemergence de traits tels que avec dossier avec bras sur pied etc dont la pertinence ne

relegraveve vraisemblablement pas de la langue mais comme le relegraveve Moussy (1991 65) de

critegraveres perceptibles en situation

Il est clair que lrsquoexistence aveacutereacutee et tangible drsquoobjets laquo correspondant raquo aux lexegravemes choisis

(ici des types de siegraveges) pour lrsquoanalyse tend agrave court-circuiter lrsquoanalyse oppositive des signifieacutes

33

eux-mecircmes Afin drsquoeacuteviter ce genre de transposition reacutefeacuterentielle Le Guern (2003 37)

suggegravere carreacutement de travailler sur le sens figureacute des mots15

Saussure lui-mecircme (1916=2008

160) proposait drsquoeacutetudier lrsquoopposition entre des laquo synonymes raquo ndash du genre redouter craindre

avoir peur ndash agrave partir desquels il est plus ardu drsquoidentifier des correacutelats tangibles

Mais de maniegravere geacuteneacuterale lrsquointervention du reacutefeacuterent dans le processus de signification figure

deacutesormais en bonne place dans les scheacutematisations traditionnelles du signe linguistique

posteacuterieures agrave Saussure Celles-ci prennent reacuteguliegraverement la forme drsquoun triangle (dit

seacutemiotique) leurs sommets incarnent geacuteneacuteralement A) le signe du point de vue de sa forme

B) sa composante conceptuelle et C) lrsquoobjet extra-linguistique ainsi qursquoillustreacute ci-dessous par

la figure adapteacutee drsquoOgden amp Richards (1923 11)

Figure 1 Triangle seacutemiotique drsquoapregraves Ogden amp Richards (1923)

La relation entre A et C autrement dit la relation de reacutefeacuterence entre une expression

linguistique et lrsquoobjet deacutesigneacute est geacuteneacuteralement consideacutereacutee comme indirecte (rendue par les

pointilleacutes) tandis que les relations AB et BC sont preacutesenteacutees comme plus fondamentales du

processus de signification (cf conception transitive supra) Drsquoun auteur agrave lrsquoautre les

conceptions extensions du pheacutenomegravene et terminologies peuvent sensiblement varier Ces

variations importent cependant peu pour notre propos16

Ce scheacutema que lrsquoon pourrait tenir

pour traditionnel du processus de signification repreacutesente bien la relation triadique deacutejagrave

examineacutee par les philosophes au cours de lrsquohistoire et que reacutesume de maniegravere concise la

maxime scolastique vox significat [rem] mediantibus conceptibus (Lyons 1977 96)

15

laquo Dans lrsquoemploi drsquoun mot au sens propre il nrsquoest guegravere possible de distinguer les eacuteleacutements de signification qui

relegravevent strictement de la linguistique ndash les composantes du signifieacute lexical ndash et ceux qui sont lieacutes agrave la

connaissance de lrsquoobjet extralinguistique Deacuteterminer le signifieacute du mot chat en faisant abstraction de lrsquoanimal

concret nrsquoest pas possible agrave partir des emplois ougrave le mot chat deacutesigne un chat Lrsquoautonomie du signifieacute par

rapport agrave la reacutefeacuterence nrsquoest perceptible que dans les emplois ougrave chat sert agrave deacutesigner autre chose qursquoun chat raquo (Le

Guern 2003 37) 16

Pour une synthegravese voir Lyons (1977 95-99)

A

B

C

34

La question du sens et de la reacutefeacuterence ainsi que de leurs notions voisines est aujourdrsquohui tregraves

marqueacutee par ces influences anteacuterieures agrave fondement logico-philosophique Afin de mettre un

peu drsquoordre parmi ces termes diversement employeacutes par les philosophes (Lyons 1977 174)

nous proposons ci-dessous un reacutecapitulatif des notions les plus reacutepandues de nos jours et de

leur(s) acception(s) en seacutemantique reacutefeacuterentielle agrave lrsquoeacutegard desquelles pour certaines nous

avons deacutejagrave pris quelque distance meacutethodologique que nous expliciterons de maniegravere deacutetailleacutee

dans le bilan qui clocirct cette section (sect24)

Le sens drsquoun signe est consideacutereacute comme un contenu mental qui est diversement appreacutehendeacute

en termes de concept signifieacute intension compreacutehension ou encore reacutefeacuterence (sic) virtuelle

(cf Milner 1982 10) Dans la plupart de ses acceptions il sert agrave deacuteterminer lrsquoobjet qui

laquo tombe raquo sous lui il indique son laquo mode de donation raquo (Frege 1892=1971) Ce contenu est

souvent envisageacute en termes de conditions par exemple chez Milner (ibid) qui le deacutefinit

comme laquo un ensemble de conditions que doit satisfaire un segment de reacutealiteacute pour pouvoir

ecirctre la reacutefeacuterence drsquoune seacutequence ougrave interviendrait crucialement lrsquouniteacute lexicale en cause raquo

La deacutenotation est la capaciteacute pour un lexegraveme de deacutelimiter un certain nombre drsquoobjets qui

satisfont agrave son sens Elle deacutetermine lrsquoextension lrsquoeacutetendue ou encore le denotatum du lexegraveme

(Lyons 1977 207) crsquoest-agrave-dire lrsquoensemble des objets auxquels le lexegraveme peut srsquoappliquer

correctement17

Chez Frege la notion de deacutenotation (traduction de Bedeutung) srsquoapplique non

pas aux uniteacutes lexicales mais aux noms propres autrement dit aux deacutesignateurs et consiste en

lrsquoobjet ainsi deacutesigneacute

La reacutefeacuterence drsquoun signe consiste en la relation de deacutesignation effective entre un signe

linguistique et un objet extra-linguistique Crsquoest une notion deacutependante de lrsquoacte

drsquoeacutenonciation contrairement agrave celles de sens ou de deacutenotation (du point de vue lexical)

(Lyons 1977 176) Degraves lors la reacutefeacuterence nrsquoest pertinente que dans des contextes

drsquoactualisation de la parole crsquoest-agrave-dire qursquoelle ne srsquoapplique qursquoagrave des occurrences

drsquoexpressions utiliseacutees en contexte Par opposition agrave la reacutefeacuterence virtuelle Milner (1982 10)

nomme reacutefeacuterence actuelle ce laquo segment de reacutealiteacute associeacute agrave une seacutequence raquo On dote

geacuteneacuteralement lrsquoacte de reacutefeacuterence drsquoune viseacutee identificatoire drsquoun objet de la reacutealiteacute (eg Lyons

1977 177 Charolles 2002 9)

Le reacutefeacuterent est donc lrsquoobjet extralinguistique qui correspond ndash selon les eacutecoles

potentiellement ou effectivement ndash agrave une expression reacutefeacuterentielle Pour certains (entre autres

Frege cf supra et Russel (1919 chap XVI)) seuls peuvent ecirctre appeleacutes reacutefeacuterents les objets

appartenant au monde environnant A lrsquoinverse certains considegraverent que lrsquoacte de reacutefeacuterence

preacutesuppose lrsquoexistence du reacutefeacuterent (cf Searle supra) laquo [d]egraves lors que quelqursquoun parle de

quelque chose cela suffit pour que celles et ceux agrave qui il srsquoadresse soient mis en demeure de

supposer que cette chose existe [hellip] raquo (Charolles 2002 32) Pour contourner la difficulteacute

17

laquo We will use the term denotatum for the class of objects properties etc to which the expression correctly

applies raquo (Lyons 1977 207 nous soulignons)

35

poseacutee par les expressions sans correacutelats extra-linguistiques lrsquoalternative adopteacutee est la notion

de possible (ecirctres univers ou mondes) rendant compte de lrsquoexistence du reacutefeacuterent dans laquo au

moins une version du monde raquo (ibid 36)

23 Reacutefeacuterence et preacutedication

Depuis les apports de la logique freacutegeacuteenne on oppose geacuteneacuteralement les expressions

reacutefeacuterentielles destineacutees agrave reacutefeacuterer agrave (ou identifier) ce dont on parle aux expressions

preacutedicatives qui servent agrave assigner des proprieacuteteacutes particuliegraveres agrave cet objet identifieacute (Lyons

1977 23) On dit des secondes qursquoelles preacutediquent sur un reacutefeacuterent ou que par leur biais des

proprieacuteteacutes sont preacutediqueacutees agrave propos drsquoun reacutefeacuterent

(7) Chopin eacutetait polonais (Charolles 2002 23)

Dans lrsquoexemple (7) le locuteur reacutefegravere agrave un individu particulier au moyen du nom propre

Chopin auquel il attribue la proprieacuteteacute drsquoecirctre polonais On dit du SN Chopin qursquoil sert de

support agrave la preacutedication (ou de thegraveme au propos) (ibid)

Bien que Frege ait formaliseacute cette bipartition crsquoest en fait agrave Aristote (Organon) qursquoon doit la

distinction entre sujet et preacutedicat le sujet et le preacutedicat sont les deux termes (lt du latin

terminus ie les eacuteleacutements terminaux de lrsquoanalyse logique par opposition agrave lrsquoacception

linguistique) qui entrent en relation pour former une proposition A travers la notion de

preacutedicat Aristote vise agrave eacutetablir une relation par rapport agrave laquelle se situe le sujet Une

proposition est envisageacutee dans cette perspective de maniegravere essentiellement binaire les

termes y repreacutesentent respectivement lsquole sujetrsquo et lsquoce qursquoon dit du sujetrsquo

Dans la logique classique neacuteanmoins les expressions se reacutepartissent plutocirct selon leur

individualiteacute ou leur geacuteneacuteraliteacute (eg Arnauld amp Nicole 1662=1874 ch VI voir supra sect22)

ie les noms propres exprimant une ideacutee singuliegravere vs les termes communs marquant une ideacutee

geacuteneacuterale agrave laquelle correspond un ensemble drsquoindividus La nouveauteacute de Frege est de

formaliser le preacutedicat comme un eacuteleacutement non satureacute neacutecessitant un objet qui laquo tombe sous le

concept raquo

La distinction entre sujet et preacutedicat est reacuteguliegraverement transposeacutee au plan syntaxique sur celle

entre SN sujet et SV dont lrsquoassociation constitue une proposition simple (Lyons 1977 430)

Cette analyse bi-partite de la phrase est profondeacutement ancreacutee dans la grammaire traditionnelle

et elle est mecircme consideacutereacutee comme un pheacutenomegravene universel

There must be something to talk about and something must be said about this subject of discourse once it is selected [hellip] The subject of discourse is a noun As the most common subject of discourse is either a person or a thing the noun clusters about concrete concepts of that order As the thing predicated of a subject is generally an activity in the widest sense of the word [hellip] the verb clusters about concepts of activity No language wholly fails to distinguish

36

noun and verb though in particular cases the nature of the distinction may be an elusive one (Sapir 1921 117)

18

Il nrsquoest cependant pas rare de rencontrer des faits eacutechappant agrave cette distinction On peut

prendre agrave teacutemoin les eacutenonceacutes dits laquo impersonnels raquo

(8) jaimerais bien aller en Ecosse mais bon il pleut toujours (oral ofrom)

Il est inconcevable de seacutelectionner un objet auquel appliquer le preacutedicat lsquopleuvoirrsquo un tel

eacutenonceacute exprime tout simplement un procegraves sans agent A lrsquoinverse un SN peut constituer agrave lui

seul une eacutenonciation19

sans faire lrsquoobjet drsquoune quelconque preacutedication

(9) - Attention Vos gants seacutecriait Mme Tison Trop tard Le rouge agrave legravevres avait laisseacute

sa vilaine traicircneacutee (Garat A-M Pense agrave demain 2010 lt Frantext)

Dans lrsquoexemple ci-dessus une locutrice dirige lrsquoattention de son allocutaire et la met en garde

contre une situation implicite dans laquelle est impliqueacute le reacutefeacuterent (ses gants) elle invite agrave

adopter une attitude particuliegravere agrave lrsquoeacutegard de ce dernier ndash expliciteacutee via lrsquointerjection

Attention ndash sans pour autant lui octroyer une proprieacuteteacute particuliegravere Nous aurons lrsquooccasion

de revenir infra (sect31) sur drsquoautres problegravemes que soulegraveve cette approche binaire

Lagrave ougrave Aristote se concentre sur ce qui est preacutediqueacute du sujet peu importe le nombre drsquoobjets

impliqueacutes la logique moderne conccediloit les preacutedicats comme mettant en relation un certain

nombre drsquoindividus

(10) Chopin a composeacute des valses (Charolles 2002 24)

Dans cet eacutenonceacute on peut consideacuterer outre lrsquoattribution agrave lsquoChopinrsquo de la proprieacuteteacute de

lsquocomposer des valsesrsquo que lrsquoexpression preacutedicative a composeacute met en relation un individu

(lsquoChopinrsquo) avec lsquoun ensemble de valsesrsquo Le calcul logique des preacutedicats eacutelaboreacute par Frege

vise agrave formaliser en ces termes la structure interne des propositions simples Dans la tradition

logique atomiste et empiriste le calcul des preacutedicats est consideacutereacute comme repreacutesentant

correctement la forme logique sous-jacente des eacutenonceacutes linguistiques par la mise en

correspondance de celle-ci avec la structure des eacutetats-de-choses dans le monde reacuteel (Lyons

1977 147-148) Depuis la naissance du calcul des preacutedicats on distingue ndash quantifieurs mis agrave

part ndash les noms des preacutedicats les premiers reacutefeacuterant agrave des individus les seconds se preacutesentant

comme des opeacuterateurs au moyen desquels on peut construire une proposition agrave partir des

noms Une proposition simple se traduit par une fonction appliqueacutee agrave son ou ses argument(s)

les noms servant drsquoarguments et le preacutedicat de foncteur Par exemple on peut rendre par la

notation G(j) lrsquoeacutenonceacute John est grand ougrave j repreacutesente lrsquoindividu lsquoJohnrsquo et G le preacutedicat

lsquograndrsquo Selon le nombre drsquoarguments que requiert un preacutedicat celui-ci est qualifieacute drsquounaire

18

Lyons critique lrsquoimpreacutecision terminologique de cet extrait ougrave sujet est utiliseacute aussi bien pour deacutesigner le

reacutefeacuterent que lrsquoexpression reacutefeacuterentielle et ougrave fait deacutefaut une distinction entre les notions de nom et drsquoexpression

nominale de mecircme qursquoentre celles de verbe et drsquoexpression verbale (Lyons 1977 429) 19

On parle dans ce cas de nominativus pendens ou de hanging topic (Groupe de Fribourg 2012 173)

37

(ou monadique) de binaire (ou dyadique) de ternaire (triadique) etc Ainsi la proposition lsquox

aime yrsquo se notera A(x y) (ibid 149) Au plan syntaxique cette vision qui considegravere le verbe

comme le noyau autour duquel gravitent les autres constituants se retrouve par exemple dans

la theacuteorie de la valence de Tesniegravere (1959)

Quelle que soit lrsquoapproche choisie il nrsquoen demeure pas moins que la cateacutegorie nominale est

clairement associeacutee agrave la fonction reacutefeacuterentielle tandis que la cateacutegorie verbale est lieacutee agrave la

fonction preacutedicative Il a neacuteanmoins eacuteteacute remarqueacute que certains SN ne manifestaient pas dans

tous les contextes une fonction reacutefeacuterentielle Lyons (1977) illustre cela agrave partir de lrsquoeacutenonceacute

suivant qui peut srsquoanalyser de la mecircme maniegravere dans sa version franccedilaise

(11) Giscard drsquoEstaing is the President of France (p 185)

Dans une premiegravere interpreacutetation de lrsquoeacutenonceacute on peut attribuer agrave lrsquoindividu lsquoGiscard

drsquoEstaingrsquo la proprieacuteteacute lsquopreacutesident de la Francersquo20

Le SN the President of France nrsquoa pas pour

vocation de reacutefeacuterer agrave un individu mais bien de preacutediquer quelque chose de lrsquoindividu nommeacute

Giscard drsquoEstaing drsquoougrave une interpreacutetation preacutedicative pour ce SN A ce titre ce preacutedicat peut

ecirctre remplaceacute par un autre de mecircme sens par exemple le SV gouverne la France (Apotheacuteloz

1995a 26) Mais lrsquoeacutenonceacute (11) peut ecirctre interpreacuteteacute diffeacuteremment la copule be permet une

lecture eacutequative eacutetablissant une relation drsquoidentiteacute entre deux individus le SN the President

of France induisant degraves lors une interpreacutetation dite reacutefeacuterentielle21

Dans ce cas les SN de

lrsquoeacutenonceacute sont interchangeables et le deacuteterminant deacutefini est obligatoire en franccedilais tandis que

ce nrsquoest pas le cas dans la lecture preacutedicative (ibid) La distinction entre emplois laquo attributif raquo

et laquo reacutefeacuterentiel raquo a fait lrsquoobjet de nombreuses discussions et critiques (entre autres Kleiber

1981 Reacutecanati 1983 Galmiche 1983) qui nrsquoaboutissent pas agrave un consensus mais qui ont le

meacuterite de montrer que les SN sont susceptibles de questionner la relation entre rocircles

reacutefeacuterentiel et preacutedicatif En tous les cas il en reacutesulte que la frontiegravere nrsquoest pas directement

transposable agrave partir de la syntaxe chaque occurrence en contexte requeacuterant un traitement

particulier

24 Bilan

Il ressort de cet exposeacute des notions fondamentales en matiegravere de reacutefeacuterence un certain nombre

de postulats sous-jacents qui restent solidement ancreacutes dans la tradition seacutemantico-

reacutefeacuterentielle telle qursquoelle est pratiqueacutee de nos jours

a) Les expressions reacutefeacuterentielles ont des correacutelats extralinguistiques reacuteels (ou

virtuels) preacuteexistant dans le monde ou dans lrsquoune de ses versions possibles

20

Donnellan (1966) appelle ces emplois laquo attributifs raquo 21

La premiegravere interpreacutetation pourrait se deacutegager par exemple de la reacuteponse agrave la question Quelle fonction

assume Giscard drsquoEstaing la seconde agrave celle-ci Qui est le preacutesident de la France

38

b) Pour qursquoun acte de reacutefeacuterence soit reacuteussi les reacutefeacuterents doivent veacuterifier le sens de

lrsquoexpression (le sens eacutetant appreacutehendeacute en termes de conditions de satisfaction)

autrement dit les attributs exprimeacutes doivent ecirctre jugeacutes vrais du reacutefeacuterent

c) Les expressions reacutefeacuterentielles sont voueacutees agrave identifier un reacutefeacuterent bien deacutetermineacute

Neacuteanmoins un certain nombre de faits linguistiques posent des difficulteacutes agrave lrsquoeacutegard de ces

postulats parmi lesquels ces deux exemples attesteacutes tireacutes de lrsquoeacutecrit

(12) En revanche ce que vous pouvez faire pour limiter la consommation journaliegravere (et

cette recommandation concerne lrsquoensemble de la famille) crsquoest preacuteparer les desserts

avec des eacutedulcorants (M Montignac Je mange donc je maigris p 186)

(13) Constantinople 1919 Cris vocifeacuterations Effluves de tabac turc vapeurs drsquoalcool

Castagne Un bar un peu glauque des marins franccedilais drsquoun cocircteacute des Anglais de

lrsquoautre De temps en temps ccedila explose Bagarre geacuteneacuterale (Verlant Gainsbourg p 11

(incipit))

Lrsquoexemple (12) illustre un proceacutedeacute de reacutefeacuterence agrave lrsquoacte drsquoeacutenonciation lui-mecircme (lrsquoacte de

lsquorecommanderrsquo) en cours de reacutealisation en mecircme temps qursquoau contenu de cet acte (ce qui est

recommandeacute) dont la caracteacuterisation est en suspens au moment de la deacutesignation En effet

lrsquoinformation pertinente de lrsquoobjet viseacute nrsquoest deacutelivreacutee que via le second mouvement de la

construction pseudo-cliveacutee agrave savoir lsquopreacuteparer les desserts avec des eacutedulcorantsrsquo22

Cet

exemple deacutemontre bien la nature construite de lrsquoobjet consideacutereacute qui est le fruit du discours en

cours produit par le locuteur dans un contexte particulier (conseil dieacuteteacutetique) Il paraicirct degraves lors

peu vraisemblable de consideacuterer ce reacutefeacuterent comme preacuteexistant au discours dans un monde

reacuteel ou alternatif

Lrsquoexemple (13) contient pour sa part un deacutesignateur vague le pronom deacutemonstratif ccedila Le

reacutefeacuterent en question eacutemane du contexte agrave savoir une scegravene drsquoambiance agrave construire au moyen

drsquoune eacutenumeacuteration de SN Ce laquo quelque chose raquo qui explose agrave interpreacuteter agrave partir de

lrsquoatmosphegravere deacutecrite par lrsquoauteur est volontairement laisseacute dans le flou sous-deacutetermineacute (cf

Corblin 1991)23

Ces deux exemples mettent ainsi en eacutevidence lrsquousage de deacutesignateurs en lrsquooccurrence des

deacutemonstratifs deacutedieacutes agrave la reacutefeacuterence indexicale qui srsquoaccommodent mal aux principes deacutegageacutes

supra drsquoabord les objets auxquels il est fait reacutefeacuterence au moyen des expressions ne

preacuteexistent pas dans un quelconque monde au discours puisque crsquoest celui-ci mecircme qui les

creacutee (contra a) Degraves lors lrsquoeacutevaluation de la conformiteacute de la description employeacutee par rapport

22

On peut analyser ce proceacutedeacute reacutefeacuterentiel comme une ana-cataphore Pour lrsquoexamen drsquoana-cataphores de ce type

dans les parenthegraveses voir Johnsen (2008) et (2014) 23

On pourrait arguer que lrsquoemploi se rapproche drsquoune forme impersonnelle et qursquoil est voueacute agrave exprimer

lrsquoeacutemergence drsquoune explosion agrave la maniegravere drsquoun preacutesentatif comme il y a une explosion Pour un

approfondissement des emplois laquo impersonnels raquo de ccedila voir infra (ChIV sect212)

39

agrave un objet du monde devient caduque (contra b)24

Ensuite il faut admettre lrsquoexistence de

reacutefeacuterences agrave caractegravere sous-deacutetermineacute comme lrsquoillustre (13) auxquelles il est difficile

drsquoassigner une identiteacute des attributs distinctifs ou des contours bien dessineacutes (contra c)

Ces deux exemples ne sont cependant pas singuliers Au contraire les discours attestent

reacuteguliegraverement des occurrences de ce type si bien que lrsquoon gagnerait en geacuteneacuteraliteacute agrave traiter tous

les reacutefeacuterents comme des objets de nature cognitive construits par le discours (plutocirct qursquoagrave

multiplier les univers potentiels pour chaque nouvelle occurrence) Crsquoest dans ce sens qursquoun

certain nombre de chercheurs ont reacuteorienteacute la probleacutematique de la reacutefeacuterence vers la fin du XXe

siegravecle La fin de ce chapitre (sect6) sera consacreacutee agrave ces questions Avant cela nous nous

proposons drsquoexaminer diverses tentatives de classement seacutemantique des reacutefeacuterents

24

Par rapport agrave la notion de veacuteriteacute on peut ajouter agrave ces exemples drsquoautres proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels qui nrsquoy satisfont

pas sans pour autant que soit mise en eacutechec lrsquoidentification reacutefeacuterentielle Lyons (1977 182) donne lrsquoexemple

drsquoun locuteur qui prend par erreur le professeur de linguistique pour le facteur et qui y reacutefegravere par une expression

correspondante du type laquo le facteur raquo La reacutefeacuterence peut tout agrave fait aboutir que lrsquoallocutaire partage cette

meacuteprise ou qursquoil soit conscient de lrsquoinadvertance de son interlocuteur De mecircme lrsquoemploi de descriptions

ironiques dont le locuteur connaicirct la laquo fausseteacute raquo ne posent geacuteneacuteralement pas drsquoobstacle agrave la reacutefeacuterence (ibid)

40

41

3 Typologie des reacutefeacuterents

Dans la description seacutemantique traditionnelle les reacutefeacuterents en tant qursquoobjets appartenant au

monde environnant ou agrave lrsquoune de ses versions relegravevent de divers types que certains auteurs

ont tenteacute de mettre en eacutevidence agrave partir de critegraveres srsquoappliquant essentiellement agrave la reacutealiteacute

tangible Par ailleurs une ideacutee communeacutement partageacutee25

que lrsquoon trouve par exemple dans

les ouvrages grand public26

est qursquoaux parties du discours correspondent des types drsquoobjets

caracteacuteristiques par exemple la deacutesignation drsquoecirctres drsquoindividus ou de choses pour les noms

lrsquoexpression drsquoactions drsquoeacutetats de maniegraveres drsquoecirctre ou de devenirs pour les verbes Si ces

projections ont eacuteteacute reacuteviseacutees aussi bien au vu de faits typologiques (eg Croft 199127

) que pour

une langue particuliegravere (eg Flaux amp Van de Velde 2000) (eg lrsquoexistence de nombreux noms

exprimant des quantiteacutes des qualiteacutes des procegraves etc) il nrsquoen reste pas moins qursquoelles sont

souvent implicitement ou explicitement admises en grammaire ou en seacutemantique Lrsquoune des

typologies de reacutefeacuterence en la matiegravere est celle de Lyons (1977 438-452) ce dernier preacutecisant

toutefois qursquoelles ne valent que pour une sous-classe de chaque cateacutegorie syntaxique

autrement dit pour les repreacutesentants consideacutereacutes comme typiques de la cateacutegorie

31 Les ordres de Lyons (1977)

Afin de deacutecrire la structure de la langue et les relations qursquoentretiennent syntaxe seacutemantique

et reacutefeacuterence Lyons eacutetablit une typologie reacutefeacuterentielle preacutesenteacutee comme intuitive (fondeacutee sur

un laquo naive realism raquo p 442) agrave partir de ce que lrsquoon peut observer dans le monde il distingue

agrave cet effet les entiteacutes de premier ordre agrave savoir les objets physiques discrets tels que les

personnes les animaux et autres objets discrets inanimeacutes Au sein de ce premier ordre il

rappelle la diffeacuterence entre les personnes qui occupent une place privileacutegieacutee et les autres

types drsquoobjets diffeacuterence qui se voit lexicaliseacutee ou grammaticaliseacutee dans la grande majoriteacute

des langues (ibid) Neacuteanmoins les proprieacuteteacutes communes des objets du premier ordre sont

jugeacutees constantes du point de vue perceptif ceux-ci srsquoinscrivent en effet dans un cadre

spatio-temporel donneacute et sont publiquement observables (cf les basic particulars de Strawson

1959) Dans le cadre drsquoun discours on peut y reacutefeacuterer et leur attribuer des proprieacuteteacutes actions

qursquoil est possible de repreacutesenter formellement en termes de calcul des preacutedicats du premier

ordre (Lyons 1977 443) Lyons oppose agrave cette cateacutegorie supposeacutee consensuelle celles plus

complexes des entiteacutes de deuxiegraveme et troisiegraveme ordres Parmi les entiteacutes de deuxiegraveme ordre

il fait figurer les eacuteveacutenements processus eacutetats-de-choses etc eux aussi situeacutes dans lrsquoespace-

temps en ce qursquoils sont dits pouvoir se produire (par opposition agrave la capaciteacute drsquoexister des

eacuteleacutements du 1er

ordre) Bien qursquoon puisse y reacutefeacuterer dans certaines langues agrave la maniegravere des

25

Cf la citation de Sapir (1921) supra sect23 26

Voir le Petit Robert le Dictionnaire de lrsquoAcadeacutemie ou encore le Larousse sous les entreacutees respectives de nom

ou verbe 27

Croft (1991) nuance ces correspondances traditionnelles et propose de les envisager comme des laquo correacutelations

non marqueacutees raquo (ou laquo prototypes raquo) Pour lui les fonctions syntaxiques repreacutesentent des maniegraveres de

laquo conceptualiser raquo lrsquoinformation communiqueacutee Ainsi face aux limites des rocircles seacutemantiques usuels (agent

instrument etc) il envisage le scheacutema actantiel drsquoun verbe comme un reacuteseau de relations causales deacuteterminant

le choix des types drsquoarguments du verbe

42

individus (par exemple au moyen de nominalisations telle qursquoune explosion une reacuteunion

etc) elles repreacutesentent plutocirct des constructions perceptibles et conceptuelles tandis qursquoun

mecircme objet physique discret ne peut se trouver en plusieurs endroits au mecircme moment ndash ce

qui suppose pour celui-ci un principe de continuiteacute spatio-temporelle ndash une entiteacute de deuxiegraveme

ordre telle qursquoun eacuteveacutenement peut se produire au mecircme moment dans plusieurs endroits

diffeacuterents La distinction entre une mecircme situation et le mecircme type de situation sa

contrepartie geacuteneacuterique est donc moins claire que pour un objet physique Ces critegraveres

semblent faire consensus selon Lyons laquo within the metaphysical framework of naive

realism raquo (p 444) Enfin le troisiegraveme ordre comprend les entiteacutes abstraites repreacutesenteacutees entre

autres par les propositions situeacutees hors de lrsquoespace-temps (ibid) Celles-ci se distinguent agrave

leur tour des entiteacutes de deuxiegraveme ordre par leur caractegravere non observable et par le fait qursquoon

ne peut pas dire drsquoelles qursquoelles se produisent ou se passent ni dans lrsquoespace ni dans le temps

Lyons les caracteacuterise ainsi

Third-order entities are such that lsquotruersquo rather than lsquorealrsquo is more naturally predicated of them they can be asserted or denied remembered or forgotten they can be reasons but not causes and so on In short they are entities of the kind that may function as the objects of such so-called propositional attitudes as belief expectation and judgement (p 445)

Selon les propos de Lyons on peut reacutefeacuterer aux entiteacutes de troisiegraveme ordre notamment par le

biais de nominalisations lexicales (par exemple en franccedilais un jugement un raisonnement

etc) cependant distinctes de celles utiliseacutees pour le deuxiegraveme ordre Au sein de cette

typologie Lyons propose de consideacuterer les entiteacutes du premier ordre comme entiteacutes par

excellence par opposition agrave celles des deuxiegraveme et troisiegraveme ordres dont la conception se fait

agrave partir des premiegraveres et dont les possibiliteacutes de reacutefeacuterence deacutependent de la structure de chaque

langue (ibid) Pour en revenir aux relations entretenues entre syntaxe et seacutemantique Lyons

renomme ce qursquoon appelle geacuteneacuteralement noms concrets par noms de premier ordre qursquoil

considegravere ecirctre les noms les plus typiques (eg garccedilon chat table etc) Les noms de

deuxiegraveme et troisiegraveme ordres sont souvent reconnaissables par leur caractegravere deacuteriveacute (arriveacutee

eacutetonnement etc) bien que certains lexegravemes simples puissent eacutegalement ecirctre typiques de ces

ordres comme respectivement eacutetat raison ou ideacutee (p 446)

Lyons (1977) se dit conscient de la nature naiumlve de sa typologie voueacutee agrave une premiegravere

approximation Celle-ci nrsquoa drsquoailleurs eacutechappeacute aux critiques (Apotheacuteloz 1995b Rastier

200428

) Depuis de nombreux chercheurs se sont efforceacutes drsquoexaminer plus en deacutetail la

probleacutematique par exemple en reacutevisant la typologie des rocircles seacutemantiques traditionnels (Croft

1991) la cateacutegorie nominale (eg Flaux et al 1996 Flaux amp Van de Velde 2002 Huyghe

201529

) les reacutefeacuterents de type eacuteveacutenementiel (Van de Velde 2006) ou autres objets laquo abstraits raquo

(Asher 1993 voir infra sect32) Il nrsquoen demeure pas moins que la typologie intuitive de Lyons

28

laquo Fait drsquoaffirmations non argumenteacutees lrsquoexposeacute en reste au bon sens crsquoest-agrave-dire au preacutejugeacute heacutelas commun

que toutes les langues repreacutesentent les mecircmes entiteacutes Pour deacutecrire leur sens il faut donc deacutecrire ces entiteacutes que

lrsquoon discrimine en fonction de proprieacuteteacutes spatio-temporelles raquo (p 20) 29

Preacutesentation drsquoun numeacutero consacreacute entiegraverement aux types nominaux

43

sert de fondement agrave de nombreux ouvrages en linguistique30

ou agrave des projets drsquoenvergure

comme WordNet31

et EuroWordNet32

bases de donneacutees lexicales respectivement pour

lrsquoanglais et multilingue (une dizaine de langues europeacuteennes) utilisant des ontologies qui

projettent sur les parties du discours des types univoques selon les ordres ci-dessus dans le

but de laquo construire une repreacutesentation conceptuelle des reacutefeacuterents raquo (Rastier 2004 11)

Mais le problegraveme que pose ce genre drsquoontologie est que tout un ensemble de faits

linguistiques reacutesiste agrave ces cateacutegorisations

(14) Lrsquointoleacuterance des toleacuterants existe de mecircme que la rage des modeacutereacutes (Hugo Les

Travailleurs de la mer 1866 p 118 lt TLFi33

)

(15) Et rappelle-toi que nous sommes ta famille agrave preacutesent ta vraie famille (Queffeacutelec Les

Noces barbares 1988 [1985] p 201 ltTLFi)

Lrsquoexemple (14) montre que la proprieacuteteacute drsquoexister peut ecirctre octroyeacutee agrave des objets autres que

des individus discrets et perceptivement stabiliseacutes (1er

ordre) De la mecircme maniegravere difficile

de consideacuterer que la famille eacutevoqueacutee en (15) constitue un objet abstrait indeacutependant de

lrsquoespace-temps comme lrsquoinduirait lrsquoadjectif vraie On voit par ailleurs que la notion de

vraifaux en langue ne srsquoapplique pas exclusivement agrave des propositions au sens philosophique

du terme en drsquoautres mots elle ne situe pas le contenu drsquoun eacutenonceacute par rapport agrave son

adeacutequation au monde mais elle preacutedique un degreacute de conformiteacute par rapport agrave une norme

preacuteconccedilue (Berrendonner 1985) en lrsquooccurrence le concept de famille tel qursquoil devrait ecirctre

pour le locuteur La prise en compte de tels eacutenonceacutes nous pousse agrave examiner davantage les

indices linguistiques refleacutetant la maniegravere dont les objets-de-discours sont cateacutegoriseacutes par les

locuteurs plutocirct que de tenir pour acquis certaines cateacutegories eacutetablies sur la base de

lrsquoobservation du monde environnant

32 Deuxiegraveme et troisiegraveme ordres tentative de classement

Selon Lyons les entiteacutes des deuxiegraveme et troisiegraveme ordres posent davantage de problegravemes de

traitement que celles du premier ordre En effet toute une litteacuterature srsquoest interrogeacutee sur la

question du statut des objets de ce type Vendler (1967 1970) distinguait deacutejagrave notamment agrave

partir de la manipulation de preacutedicats seacutelectionnels (containers) sur des sentential nominals34

les eacuteveacutenements des faits et des propositions les tight containers (eg to occur to take place

to begin to last etc) se combinent avec des arguments de type eacuteveacutenement les loose

containers (to be unlikelycertain to surprise to cause etc) avec des faits (Vendler 1967)

enfin certains containers (to believe to deny etc) sont speacutecifiques aux propositions (Vendler

30

Voir par exemple Moeschler amp Reboul (1994 36) ou encore Dik (1997) qui ajoute un ordre zeacutero pour les

preacutedicats et un quatriegraveme ordre pour les actes de langage 31

httpswordnetprincetonedu 32

httpswwwillcuvanlEuroWordNet 33

Treacutesor de la langue franccedilaise informatiseacute httpatilfatilffr 34

Crsquoest-agrave-dire des expressions laquo phrastiques raquo pouvant fonctionner comme arguments de verbes Ainsi en va-t-il

de that John died John dying ou Johnrsquos death

44

1970) Lrsquoideacutee est que si deux types de nominals manifestent une distribution diffeacuterente agrave

lrsquoeacutegard des containers ils reacutefegraverent agrave des types seacutemantiques distincts

Asher (1993) se propose drsquoaffiner la typologie de Vendler en la situant notamment sur une

eacutechelle drsquoimmanence mondaine (world immanence spectrum) fondeacutee sur des critegraveres

meacutetaphysiques les entiteacutes nommeacutees eventualities (eacuteveacutenements eacutetats activiteacutes accomplis-

sements achegravevements) se preacutesentent agrave lrsquoextreacutemiteacute du pocircle laquo concret raquo en vertu de leurs

proprieacuteteacutes spatio-temporelles de leurs effets causaux et de leur contingence (ie le fait drsquoecirctre

susceptible de se produire) A lrsquoopposeacute les entiteacutes abstraites de type propositions ne

manifestent pas ces caracteacuteristiques elles existent indeacutependamment de lrsquoespace-temps dans

tous les mondes possibles et ne sont pas doteacutees drsquoun potentiel causal Les entiteacutes laquo factuelles raquo

(faits possibiliteacutes situations eacutetats de choses) se situent pour leur part entre les deux pocircles

drsquoimmanence manifestant des proprieacuteteacutes tantocirct propres aux eacuteveacutenements tantocirct propres aux

propositions (Asher 1993 32) Asher se fonde eacutegalement sur des critegraveres linguistiques pour

lrsquoanglais tels que lrsquoaspect (perfect vs imperfect) et la formes des expressions (constructions en

thathellip en ndashing nominalisations etc) mais surtout agrave la maniegravere de Vendler (cf supra) sur

les contextes compatibles avec les objets abstraits (p 16-22) Ci-dessous la distribution du

container believe qui seacutelectionne a priori un objet de type propositionnel illustre une

distinction seacutemantique entre les arguments du verbe dans chacun des exemples

(16) Sam believed that Fred hit Mary (p 22)

(17) Sam believed Fredrsquos hitting Mary (ibid)

Selon Asher la construction verbale en that est compatible avec un verbe drsquoattitude

laquo propositionnelle raquo contrairement aux laquo derived nominals raquo en ndashing laquo that intuitively denote

events raquo (ibid) Lrsquoauteur observe notamment lrsquousage des anaphores agrave ses yeux

particuliegraverement aptes agrave refleacuteter de telles distinctions seacutemantiques

(18) [The destruction of the city]i took several hours Fred hadnrsquot believed iti when he had

first heard about iti (p 36)

(19) [The destruction of the city]i took several hours Fred hadnrsquot believed that iti could

happen (ibid)

Lrsquoanomalie ressentie en (18) reacutesulte aux yeux drsquoAsher drsquoun laquo clash raquo de contraintes le verbe

believe requeacuterant un objet propositionnel tandis que la nominalisation en ndashing renvoie

forceacutement agrave un eacuteveacutenement Si lrsquoon reacutetablit un container compatible avec un eacuteveacutenement

comme en (19) lrsquoanomalie disparaicirct Neacuteanmoins lrsquoauteur nrsquoenvisage pas des alternatives

drsquointerpreacutetation pourtant ici possibles comme par exemple lrsquoeacuteventualiteacute drsquoune reacutefeacuterence au

contenu global de lrsquoeacutenonceacute preacuteceacutedent Toute une seacuterie de travaux recourt agrave la typologie

drsquoAsher et lrsquoapplique agrave des donneacutees de langues diverses entre autres Gundel et al (2003)

45

pour lrsquoanglais35

Consten et al (2007 93) pour lrsquoallemand36

et Amsili et al (2005) pour le

franccedilais37

Amsili et al (2005) mentionnent parmi les containers (ou conteneurs) drsquoeacuteveacutenements en

franccedilais des verbes comme arriver se produire avoir lieu se passer assister agrave ecirctre teacutemoin

de manquer rater ougrave lrsquoeacuteveacutenement srsquoexprime au moyen drsquoun argument (pro)nominal sujet ou

objet38

(20) La chute de Marie ccedila srsquoest produit(e) alors que le directeur arrivait (Amsili et al

2005 18)

(21) Tout le labo a assisteacute agrave la chute de Marie agrave ccedila (ibid)

Les propositions quant agrave elles se manifestent essentiellement sous la forme drsquoune

subordonneacutee compleacutetive drsquoun verbe drsquoattitude laquo propositionnelle raquo du type croire penser

preacutetendre etc

(22) Jean croit que Marie est tombeacutee (ibid 20)

Quant aux faits39

ils se distinguent notamment des propositions par la reconnaissance de leur

authenticiteacute Degraves lors ils sont souvent exprimeacutes via des compleacutements de verbes comme savoir

que regretter que se souvenir que prouver que il est vrai que etc ou sujets de verbes du

type surprendre eacutenerver deacutecevoir etc40

(23) Leacutea sait que Marie est tombeacutee (ibid 22)

(24) Que Marie soit tombeacutee a surpris tout le monde (ibid)

Dans certaines situations les auteurs remarquent qursquoun type drsquoobjet donneacute peut se voir

laquo coerceacute raquo (Pustejovsky 1995 Lauwers amp Willems 2011) Le pheacutenomegravene de coercition se

35

Gundel et al (2003) soutiennent sur la base de donneacutees attesteacutees et de jugements drsquoacceptabiliteacute que les

propositions sont des types drsquoentiteacutes cognitivement moins accessibles que les eacuteveacutenements et que cette situation

se voit dans la distribution des pronoms non accentueacutes (it) vs accentueacutes (this) les premiers se montrant moins

susceptibles de reacutefeacuterer agrave une proposition que les seconds Cela preacutesuppose on le voit que les objets introduits

soient clairement preacutecateacutegoriseacutes 36

Les auteurs relegravevent des recateacutegorisations anaphoriques drsquoun type agrave un autre neacuteanmoins uniquement possibles

dans une direction de lrsquoeacutechelle drsquoimmanence drsquoAsher agrave savoir du concret vers lrsquoabstrait ce dont les auteurs

rendent compte par le concept drsquoontology changing complexation The Americans tried to invade the building

but were forced back by shots from the top floor (=eacuteveacutenements) This proves (=fait) that the situation in Bagdad

isnrsquot under control yet (lt ibid p 88) 37

Il srsquoagit drsquoune tentative de repreacutesentation formelle du processus anaphorique impliquant les objets abstraits

dans le cadre de la DRT (Kamp amp Reyle 1993) 38

Les auteurs notent en outre agrave la suite de Davidson (1967) que les eacutenonceacutes entiers laquo drsquoaction raquo expriment des

eacuteveacutenements laquo il faut admettre que toute phrase (drsquoaction tout du moins) fait intervenir un eacuteveacutenement

existentiellement quantifieacute raquo Lrsquoexemple donneacute est Marie est tombeacutee hier en sortant du labo (p 17-18) 39

Les auteurs ajoutent la cateacutegorie des situations qui sont en fait des eacuteveacutenements perccedilus (p 18-19) 40

Selon les auteurs les assertions isoleacutees expriment des faits laquo Toute phrase assertive isoleacutee est

pragmatiquement preacutesenteacutee comme vraie raquo (p 22) Ils donnent comme exemple Marie est tombeacutee Il est

eacutetonnant de constater que cet eacutenonceacute exprime pour eux un fait alors que lrsquoexemple citeacute dans la note 38 exprime agrave

leurs yeux un eacuteveacutenement

46

manifeste lorsque les proprieacuteteacutes seacutemantiques (lexicales aspectuelles etc) drsquoune uniteacute entrent

en contradiction avec les traits inheacuterents de lrsquoeacuteleacutement effectivement seacutelectionneacute Il en reacutesulte

une modification (par accommodation ou encore forccedilage) de la nature seacutemantique sur ce

dernier Dans lrsquoapproche en question crsquoest le container qui impose un changement de type

conforme pour lrsquointerpreacutetation de son argument

(25) Pierre a eacuteteacute surpris par lrsquoarriveacutee de Jean (Amsili et al 2005 26)

Dans cet exemple le conteneur surprendre est supposeacute contraindre lrsquoexpression de lrsquoagent

(lrsquoarriveacutee de Jean) agrave ecirctre interpreacuteteacutee comme un fait laquo le fait que Jean soit arriveacute raquo (ibid)

plutocirct que ce qursquoil devrait theacuteoriquement repreacutesenter agrave lrsquoorigine agrave savoir un eacuteveacutenement

A nos yeux les traits seacutelectionnels imputeacutes aux containers en question semblent trop rigides

pour deacutecrire les faits reacuteellement mis en œuvre par les usagers en contexte En effet la

manipulation des containers retenus se montre peu compatible avec lrsquoideacutee de diversiteacute des

emplois mais aussi avec la polyseacutemie inheacuterente des uniteacutes lexicales la plupart possegravedent

diffeacuterentes acceptions et constructions conventionnelles drsquoailleurs reacutepertorieacutees dans les usuels

lexicographiques laquo grand public raquo Certaines significations sont ainsi tout agrave fait compatibles

avec des expressions reacutefeacuterant agrave des entiteacutes reacuteputeacutees de laquo 1er

ordre raquo comme en teacutemoignent ces

exemples donneacutes dans les dictionnaires41

(26) Le lendemain de son mariage il dut descendre dans le salon agrave lrsquoheure du deacutejeuner et se

produire devant une douzaine de personnes (Feuillet Mariage monde 1875 p91

lt TLFi)

(27) [hellip] il est prudent comme un gendarme qui veut surprendre un braconnier (Murger

Nuits hiver 1861 p 77 lt TLFi)

Ces acceptions eacutetant visiblement usuelles pour les usagers de la langue il nrsquoy a pas de raison

de postuler un pheacutenomegravene de laquo coercition raquo agrave partir drsquoune signification laquo premiegravere raquo pour

expliquer la polyseacutemie agrave lrsquoœuvre le reacutefeacuterent de il nrsquoest pas reformateacute comme un eacuteveacutenement

ni celui du SN un gendarme comme un fait Aussi sommes-nous drsquoavis que les significations

attribueacutees aux containers concerneacutes sont moins speacutecifieacutees que le revendiquent les adeptes de

la meacutethode

Par conseacutequent la capaciteacute de ces derniers agrave discriminer des sous-types de reacutefeacuterents

laquo abstraits raquo (des ordres laquo supeacuterieurs raquo) nous paraicirct discutable Ici eacutegalement les containers

ne nous semblent pas agrave mecircme de reacuteveacuteler des types univoques

(28) Notre megravere qui avait rateacute sa vocation de surveillante pour centrale de femmes se

chargea de veiller agrave sa plus stricte application (Bazin H Vipegravere 1948)

41

Ces emplois ne sont pas propres au style litteacuteraire Les artistes qui se produisent dans la rue devant une foule

ne cesseront jamais de mrsquoeacutetonner (blog httpbloguartcom) Il y a sucircrement drsquoautres moyens et surtout plus

leacutegaux pour se deacutetendre au volant Ce samedi matin la police a surpris un automobiliste une main sur le volant

et lrsquoautre tenant un joint (Tribune de Genegraveve 20072004)

47

Il ne nous paraicirct pas tregraves intuitif de cateacutegoriser la laquo vocation raquo drsquoune personne comme un

laquo eacuteveacutenement raquo Mecircme genre de reacuteaction ci-apregraves ougrave le type laquo factuel raquo imposeacute par le

container agrave lrsquoobjet du SN le sommeil nrsquoest pas tregraves convaincant42

(29) Je fis en me couchant dautres reacuteflexions qui me parurent conduire agrave pouvoir expliquer

tout ce qui meacutetait arriveacute par des moyens naturels Le sommeil me surprit au milieu de

ces raisonnements (Potocki Manuscrit trouveacute agrave Saragosse 1815 lt TLFi)

En fait nous avons montreacute dans un travail anteacuterieur agrave partir de donneacutees en franccedilais parleacute

spontaneacute (Johnsen 2010) que les locuteurs dans leurs actes de reacutefeacuterence ne semblent pas

eacutetablir de telles distinctions entre les objets En franccedilais parleacute ce sont surtout les pronoms

sous-speacutecifieacutes et non-cateacutegorisants ceccedila qui renvoient aux objets qui ne possegravedent pas

drsquoattribut de deacutenomination propre

(30) agrave cinq heures de lrsquoapregraves-midi faut te mettre dans la tente parce que lagrave tu as les

moustiques qui viennent partout Donc ccedila crsquoest lrsquohorreur (oral pfc lt Johnsen 2010

153)

Au vu de (30) on constate tout drsquoabord que la meacutethode des containers a ses limites car le

preacutedicat effectivement utiliseacute (ecirctre lrsquohorreur) ne srsquoapparente pas agrave lrsquoun des verbes proposeacutes

par ses promoteurs En effet comment deacuteterminer le type drsquoobjet auquel est appliqueacute un

preacutedicat laquo ordinaire raquo On peut tenter de se reporter agrave lrsquoexpression qui a permis drsquointroduire

lrsquoobjet agrave savoir la CV tu as les moustiques qui viennent de partout mais comment juger si

lrsquoinvasion de moustiques invoqueacutee est perccedilue comme un eacuteveacutenement un fait ou une

proposition Quant au preacutedicat est lrsquohorreur il nrsquoapparaicirct pas non plus vraiment

deacuteterminanthellip Tout bien consideacutereacute il apparaicirct superflu de proceacuteder agrave une telle interpreacutetation

analytique A nos yeux la productiviteacute des formes sous-speacutecifieacutees ceccedila vient en partie du

non-marquage du trait drsquoindividuation qui suggegravere au contraire une certaine indeacutetermination

cateacutegorielle (ibid) Par ailleurs drsquoapregraves les donneacutees typologiques de Corbett (1991) aucune

langue ne coderait des oppositions seacutemantiques de ce genre au moyen de pronoms (Fraurud

1992 31 Cornish 1999 82)

Il faut donc reconnaicirctre que lrsquoobjectif des typologies proposeacutees supra est de deacutegager des

critegraveres propres au domaine de la meacutetaphysique mais que ceux-ci au-delagrave des emplois

consideacutereacutes comme laquo typiques raquo sont difficilement applicables aux pheacutenomegravenes reacutefeacuterentiels agrave

lrsquoœuvre dans les usages veacuteritables des locuteurs Du reste on peut relever le paradoxe de la

42

Amsili et al (2005 26) relegravevent eux-mecircmes un cas eacutequivoque sans toutefois se risquer agrave se positionner agrave son

eacutegard Vous croyez donc agrave laccident (Simenon TLFi) Le container croire fait du SN lrsquoaccident en principe

eacuteveacutenementiel un compleacutement laquo apparemment propositionnel raquo laquo Il reste que la question de savoir srsquoil srsquoagit

drsquoun argument propositionnel reste ouverte raquo (ibid)

48

deacutemarche qui consiste agrave poser des contraintes et eacutetablir des cateacutegories pour en avouer apregraves

coup les deacutefauts de preacutedictibiliteacute43

It [the anaphora test] shows that there is an unexpected fluidity to the typing in the typology of abstract objects and suggests that at a more fundamental level many distinct types of natural language metaphysics may be very similar if not identical (Asher 1993 40)

33 Objets laquo indiscrets raquo

A lrsquoopposeacute de ces modegraveles logico-seacutemantiques un certain nombre de travaux (Berrendonner

1990a 1994 Apotheacuteloz 1995b Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995 Corminboeuf 2011 Johnsen

2013 et Berrendonner 2014) mettent en eacutevidence la nature malleacuteable et hybride des reacutefeacuterents

du discours agrave travers lrsquousage des expressions reacutefeacuterentielles Berrendonner (1994) appelle

narquoisement objet indiscret par opposition agrave une vision discregravete et rigide du monde le

reacutesultat drsquoune laquo indiffeacuterenciation raquo reacutefeacuterentielle autrement dit la reacutefeacuterence agrave laquo un tout

hybride polymorphe et logiquement sous-speacutecifieacute raquo (p 217) On peut relever diffeacuterentes

situations impliquant ce type drsquoobjets Lrsquoexemple ci-dessous illustre le cas drsquoune expression

activant un objet laquo attracteur raquo (Berrendonner 1990a) crsquoest-agrave-dire susceptible drsquoeacutevoquer toute

une constellation drsquoobjets qui lui sont associeacutes

(31) Manifestation agrave Bourg le lynx descend dans la rue (presse Le Progregraves lt ibid 154)

Le SN le lynx deacutesigne dans cet exemple non pas lrsquoanimal mais par meacutetonymie les eacuteleveurs

furieux des ravages causeacutes par le lynx Ce dernier repreacutesente la cause de la protestation par les

manifestants Mais on aurait tort de reacuteduire la meacutetonymie agrave un simple deacuteplacement reacutefeacuterentiel

Lrsquoemploi du SN le lynx permet au contraire de condenser et drsquoeacutevoquer tout un laquo feuilleton raquo

dont lrsquoanimal est le sujet des discours anteacuterieurs agrave caractegravere axiologique un ensemble

drsquoeacuteveacutenements ou de positions le concernant (par ex sa protection sa reacuteintroduction la chasse

etc) et bien entendu ses opposants En tant qursquoattracteur il fonctionne comme laquo repreacutesentant

pour tout un micro-secteur de connaissances raquo (ibid 155)

Apotheacuteloz (1995b) se penche sur le cas de nominalisations lexicales reacuteputeacutees pour leur

polyseacutemie susceptibles drsquoeacutevoquer soit un objet de type procegraves soit lrsquoun de ses ingreacutedients

(32) Il leur fallait manger maintenant dans des gargotes pour quelques sous parmi la

crasse et la vulgariteacute une nourriture qursquoil ne supportait pas Pour ces repas il allait

chercher Tonka ponctuellement comme srsquoil srsquoagissait drsquoun devoir (R Musil Trois

femmes lt ibid 151)

Dans ce cas le SN ces repas peut deacutesigner aussi bien lrsquoaction de se nourrir que les mets

eacutevoqueacutes Mais la polyseacutemie du nom ne donne pas forceacutement lieu agrave une reacuteelle ambiguiumlteacute

drsquointerpreacutetation Lorsque le contexte nrsquoest pas discriminant Apotheacuteloz invoque la possibiliteacute

43

Cf aussi laquo Notons que ceux-ci [les noms drsquoentiteacutes abstraites] sont drsquoailleurs rarement utiliseacutes avec un sens

conforme agrave leur type ontologique si ce nrsquoest dans le discours philosophique ou (meacuteta-)linguistique raquo (Amsili et

al 2005 26)

49

de laquo discerner soit un procegraves soit lrsquoun de ces ingreacutedients soit encore une indiffeacuterenciation des

deux raquo (p 169) Cette laquo sous-speacutecification raquo met ainsi agrave mal la rigiditeacute des eacutechelles logico-

seacutemantiques traditionnelles Lrsquoexistence de ce genre drsquoamalgames cognitifs reflegravete laquo une

certaine latitude drsquoapproximation dans la deacutesignation raquo (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995 258)

Les reacutefeacuterents eacutevoqueacutes dans les discours ressemblent de la sorte agrave des laquo agreacutegats polymorphes

et traitables par les usagers comme de veacuteritables objets gigognes raquo (ibid)

Parmi la diversiteacute des objets indiscrets on peut encore relever lrsquoexistence de dualiteacutes

examineacutees par Berrendonner (1994) et (2014) ainsi que par Corminboeuf (2011) Il srsquoagit

drsquoobjets indiscrets qui se preacutesentent comme laquo agrave la fois un et deux raquo (Berrendonner 2014

179)

(33) La famille royale passa un merveilleux eacuteteacute dans leur chacircteau persuadeacute(es) que rien

ne pourrait leur arriver (oral radio lt ibid)

Dans lrsquoexemple ci-dessus on identifie un individu collectif (lsquola famille royale) agrave la classe de

ses membres Le caractegravere syntaxiquement lieacute du deacuteterminant possessif dans leur chacircteau

malgreacute la marque de 6e personne conduit agrave une interpreacutetation coreacutefeacuterentielle plutocirct

qursquoassociative Certains types de dualiteacutes semblent privileacutegieacutes dans ce genre

drsquoindiffeacuterenciation outre la relation collectif-classe on peut mentionner les relations lieu-

occupants (34) objet-deacutenomination (35) classe-type44

(36) particuliegraverement visibles agrave travers

lrsquoemploi de pronoms clitiques relatifs ou de deacuteterminants possessifs (Berrendonner 201445

)

(34) Il nrsquoy a que Zuumlrich agrave accuser un fort retard reacutesultat de leur manie de se cramponner

deacutesespeacutereacutement agrave un reacuteseau de tramways drsquoune lenteur deacutesespeacuterante (presse lt ibid

172)

(35) Le prototype de lrsquoanaphorique crsquoest le pronom le pronom qui eacutetymologiquement

signifie mis agrave la place du nom (oral confeacuterencier lt ibid 174)

(36) Le programme des maicirctres devra ecirctre eacutequilibreacute dans la semaine ceci pour lui

permettre des moments de preacuteparation de ses cours (circulaire lt ibid 175)

Les indices en preacutesence suggegraverent de confondre les objets plutocirct que de les envisager de

maniegravere distincte Enfin en regard de ces situations drsquoamalgame relevons encore la situation

inverse sans doute moins routiniseacutee de fractionnement drsquoun mecircme objet (Corminboeuf

2011)

(37) Degraves qursquoon essaie de me ranger dans des cases je suis trop nombreuses on fait des

crises de claustrophobiehellip (Motin BD lt ibid 476)

44

Sur la notion de type voir infra sect42 45

Lrsquoopeacuteration de dualiteacute via des pronoms sera plus amplement eacutetudieacutee infra (Ch II sect422)

50

Le preacutedicat collectif nombreux ici appliqueacute agrave la locutrice autrement dit un individu amegravene agrave

concevoir celle-ci de maniegravere fragmenteacutee crsquoest-agrave-dire comme deacutecomposeacutee en de multiples

facettes

Les faits drsquolaquo indiscreacutetion raquo preacutesenteacutes ici remettent clairement en question les typologies

logiques existantes de mecircme que la conception leibnizienne de lrsquoidentiteacute qursquoelles adoptent

pour le traitement des reacutefeacuterents du discours (Berrendonner 2014 169) agrave savoir que laquo deux

objets sont identiques (= le mecircme) srsquoils possegravedent exactement les mecircmes proprieacuteteacutes et sont

neacutecessairement distincts srsquoils diffegraverent par au moins une proprieacuteteacute raquo Les donneacutees observeacutees

montrent que les locuteurs disposent drsquoune marge de manœuvre qui leur permet de construire

en discours des entiteacutes hybrides fictives sous-deacutetermineacutees etc que les modegraveles

reacutefeacuterentialistes ne permettent pas de preacutevoir

34 Bilan

Dans les tentatives de classification logique proposeacutees on constate que les distinctions

eacutetablies se fondent sur des critegraveres propres agrave la reacutealiteacute environnante ou agrave une forme de

meacutetaphysique proprieacuteteacutes perceptuelles ancrage spatio-temporel (stabiliteacute contingence)

relation de causaliteacute etc Ces deacutemarches semblent reposer sur un principe qui vient srsquoajouter

aux trois postulats de la doxa seacutemantique citeacutes supra au sect24 a)-b)-c)

d) La structure du monde preacutedeacutetermine la structure de la langue

Lrsquoapproche en question srsquoefforce de transposer les proprieacuteteacutes et le fonctionnement de notre

univers sur la langue et agrave en mesurer la conformiteacute La deacutemarche que nous proposons dans ce

travail est reacutesolument inverse elle consiste agrave observer ce que les usages linguistiques nous

reacutevegravelent sur la maniegravere dont les locuteurs se repreacutesentent le monde (cf infra sect631) Ainsi

certaines distinctions seacutemantiques se reflegravetent agrave travers les faits attesteacutes en discours on

remarque en effet que certains objets sont deacutesigneacutes en contexte au moyen drsquoun pronom

personnel de 3e personne de type ilelle alors que drsquoautres appellent de preacutefeacuterence un rappel

au moyen de ceccedila

(38) en Suisse si on croise euh le regard dun homme euh qui par hasard euh | nous sourit

parce que voilagrave il est sympathique puis qursquoon sourit | _ | euh cest tout | _ | on ccedila ccedila

peut se tregraves bien srsquoarrecircter lagrave euh | _ | on traverse le passage pieacuteton et puis cest bon

(ofrom)

Cette opposition montre que les reacutefeacuterents respectifs sont envisageacutes par les locuteurs sous des

formats diffeacuterents Dans (38) lrsquoemploi du clitique il indique que le locuteur reacutefegravere agrave un

individu preacutesenteacute comme porteur drsquoun nom qui le cateacutegorise en lrsquooccurrence celui drsquolsquohommersquo

anteacuterieurement mentionneacute dont le clitique adopte par deacutefaut le genre46

En revanche les

deacutemonstratifs ccedila puis crsquo ne preacutesupposent pas la reacutefeacuterence agrave des objets de type individueacute doteacutes

46

Lrsquoeacutetiquette lexicale supposeacutee par le genre du clitique nrsquoest pas toujours mentionneacutee dans le discours comme

on le verra agrave maintes reprises dans la suite de ce travail

51

drsquoune eacutetiquette nominale usuelle (Corblin 1991 Kleiber 1994a Carlier 1996 Johnsen 2010)

En effet le contexte conduit agrave concevoir lrsquoexistence de reacutefeacuterents aux contours vagues

lrsquointerlocuteur va interpreacuteter la reacutefeacuterence du pronom ccedila comme la situation type deacutecrite agrave

savoir le contact eacutetabli entre deux personnes agrave travers leur sourire Quant au crsquo de la seacutequence

crsquoest bon qursquoon peut paraphraser par crsquoest tout ou ccedila va il eacutevoque lrsquoeacutepisode contextuel deacutecrit

auquel le locuteur nie toute suite eacuteventuelle au moyen du preacutedicat

Cet exemple attesteacute illustre ainsi la distinction entre individus nommables et objets non

nommables (grosso modo la diffeacuterence entre le 1er

ordre et les ordres supeacuterieurs de Lyons

1977) ndash laquo nommable raquo au sens ougrave le locuteur choisit de preacutesenter le reacutefeacuterent comme porteur

ou non drsquoune deacutenomination Certains auteurs relegravevent en effet lrsquoabsence drsquoune deacutenomination

courante pour certains objets

Les actions eacuteveacutenements etc ne disposent pas de noms en propre Ils nrsquoappartiennent pas agrave une classe reacutefeacuterentielle dont les individus portent le mecircme nom Opposeacutes aux entiteacutes classifieacutees qui sont en quelque sorte des laquo choses nommeacutees raquo ils ne sont que des choses (Kleiber 1994a 24)

Ainsi les pronoms ce ou ccedila (cf infra 2e partie sect212) seraient particuliegraverement idoines pour

ce genre de reacutefeacuterence A travers lrsquoexemple (38) nous soutenons lrsquoideacutee que les faits

linguistiques permettent de mettre en eacutevidence la maniegravere dont les locuteurs cateacutegorisent et

conccediloivent les objets auxquels ils font reacutefeacuterence (cf infra sect63 lrsquoapproche laquo fribourgeoise raquo)

Par conseacutequent en lieu et place des distinctions laquo meacutetaphysiques raquo comme les laquo ordres raquo de

Lyons agrave fondement logico-philosophique et conccedilues sur la base drsquoune observation laquo naiumlve raquo

de la reacutealiteacute nous privileacutegions une approche partant des usages Apotheacuteloz (1995b 160)

critique agrave cet eacutegard la rigiditeacute de ces modegraveles a priori qui ramegravenent les cateacutegories

reacutefeacuterentielles agrave celles de la tradition logique et philosophique dont lrsquoobjectif scientifique est

distinct et qui montrent leurs limites face agrave des faits empiriques mettant en jeu des

pheacutenomegravenes reacutefeacuterentiels inclassables en ces termes Dans le cadre des opeacuterations de reacutefeacuterence

en discours la langue est agrave remettre au centre de lrsquoattention en vue drsquoeacutetudier le laquo filtrage

cognitif raquo qursquoopegraverent ses usagers pour parler du monde (Rousseau 1996) Ainsi malgreacute les

limites drsquoune conception linguistique de lrsquoopposition concret-abstrait (eg Flaux et al 1996

Wilmet 199647

) celle-ci sert de fondement agrave la plupart des typologies seacutemantiques (entre

autres Lyons 1977 Asher 1993 Flaux amp Van de Velde 2002 Amsili et al 2005 Consten et

al 2007) Or elle est depuis longtemps remise en cause en linguistique

Un des critegraveres les plus usuels est le caractegravere laquo concret raquo ou laquo abstrait raquo du sens lrsquoeacutevolution eacutetant supposeacutee se faire du laquo concret raquo agrave lrsquolaquo abstrait raquo Nous nrsquoinsisterons pas sur lrsquoambiguiumlteacute de ces termes heacuteriteacutes drsquoune philosophie deacutesuegravete

48 (Benveniste 1966 298)

47

Wilmet relegraveve pas moins de sept acceptions diffeacuterentes agrave orientations psychologique (=extrait) ontologique

(= immateacuteriel) discursive (=geacuteneacuterique) mentaliste (= conceptuel) seacutemantique (= reacuteduit) morphologique (=

deacuteriveacute) qui ne vont pas sans poser de problegravemes au sein de chaque approche 48

A propos du deacuteveloppement de valeurs seacutemantiques pour un mot

52

A nos yeux les critegraveres retenus agrave partir de lrsquoobservation du monde sont peu approprieacutes agrave la

description des pheacutenomegravenes de reacutefeacuterence En effet on en revient au vieux et vaste deacutebat sur

lrsquoarbitraire du signe qui remet en cause la conception de la langue comme simple

nomenclature de la reacutealiteacute calquant ses oppositions sur celle-ci chaque langue possegravede son

propre systegraveme de signifieacutes Le fait que les langues ne laquo deacutecoupent raquo pas le monde chacune de

la mecircme maniegravere montre ainsi une certaine autonomie de leur part par rapport agrave celui-ci

(cf les diffeacuterences bien connues dans la deacutesignation des diverses nuances du spectre des

couleurs dans des langues distinctes ou le systegraveme des noms de parenteacute dans diffeacuterentes

langues) En teacutemoigne lrsquoimpression freacutequente que telle notion dans sa langue maternelle ne se

traduit pas aiseacutement dans une autre langue parce qursquoelle contient des traits dont lrsquoautre langue

ne rend pas compte49

ces contrastes reposant notamment sur des repreacutesentations socio-

culturelles distinctes

Or en eacutetablissant une laquo grammaire du reacuteel raquo (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995) crsquoest-agrave-dire en

cherchant dans le monde les proprieacuteteacutes que doit satisfaire un reacutefeacuterent pour porter tel nom la

seacutemantique admet le principe de nomenclature du reacuteel pourtant depuis longtemps remis en

cause Plutocirct que de rechercher les distinctions seacutemantiques dans le fonctionnement du

monde il nous paraicirct plus pertinent de deacutegager celles-ci agrave partir des manifestations drsquoune

langue Souvent cantonneacutee agrave lrsquoeacutetude du laquo systegraveme raquo la seacutemantique a fortiori la seacutemantique

reacutefeacuterentielle aurait agrave notre sens beaucoup agrave gagner de lrsquoobservation des faits en contexte pour

cerner lrsquoinvariant des expressions effectivement utiliseacutees dans une viseacutee de geacuteneacuteralisation

Par deacutefinition lrsquoexamen des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels deacutepasse forceacutement le domaine du

laquo systegraveme raquo pour gagner celui de laquo lrsquousage du systegraveme raquo En effet degraves lors que lrsquoon

srsquointeacuteresse agrave lrsquoacte de reacutefeacuterence il srsquoavegravere essentiel de tenir compte de la laquo varieacuteteacute des

conditions raquo (ibid) dans lesquelles les sujets parlants agissent domaine traditionnellement

releacutegueacute agrave lrsquoanalyse pragmatique De ce point de vue les interlocuteurs ne sont pas reacuteductibles

agrave de laquo simples instances drsquoenregistrement et de reproduction raquo de la relation mot-chose ils

poursuivent des objectifs communicationnels varieacutes qui interviennent dans leur maniegravere de

deacutesigner les reacutefeacuterents comme on le verra infra (sect636)

Un dernier aspect de ces typologies precircte encore agrave discussion agrave savoir la notion polyseacutemique

de proposition Nous avons deacutejagrave attireacute lrsquoattention ailleurs (Johnsen 2010) sur les meacuteprises qui

reacutesultent de cette polyseacutemie En effet la notion est utiliseacutee aussi bien en logique qursquoen

linguistique Et en linguistique elle srsquoemploie en syntaxe comme en seacutemantique avec des

sens diffeacuterents respectivement lrsquoassociation drsquoun sujet et drsquoun syntagme verbal et le contenu

de cette mecircme forme syntaxique A lrsquoorigine la notion est issue de la tradition logique avant

de se reacutepandre dans le domaine de la langue

49

On pense par exemple au nom tartine en franccedilais dont lrsquoanglais ne rend compte du concept qursquoagrave travers des

peacuteriphrases (bread with jambutter etc) et lrsquoallemand que par composition (Butterbrot Marmeladenbrot etc)

Le Guern (2003 28-29) donne de nombreux exemples dont celui de libellule traduit en anglais par dragonfly

qui contient un segraveme fantastique qursquoon ne retrouve pas en franccedilais ou ceux des eacutequivalents de gazelle et antilope

en punu une langue du Gabon comprenant respectivement dans cette langue les segravemes [intelligent] ou [stupide]

53

Le terme de proposition remonte aux grammaires logiques ougrave il deacutesignait toute construction minimale porteuse drsquoun jugement lrsquoassociation drsquoun sujet (ce dont on dit quelque chose) et drsquoun preacutedicat (ce que lrsquoon dit du sujet) [hellip] Progressivement la notion de proposition srsquoest confondue avec celle de phrase pour deacutesigner lrsquouniteacute syntaxique et preacutedicative combinant un sujet grammatical et un groupe verbal (Riegel et al 2009 784-785)

Dans son sens logique la proposition intervient agrave des niveaux drsquoanalyse diffeacuterents Pour le

logicien la proposition son objet drsquoanalyse est ce qui est exprimeacute par un eacutenonceacute deacuteclaratif en

vue drsquoun commentaire sur le monde et qursquoon peut juger en termes de valeur de veacuteriteacute On peut

dire dans ce cas drsquoune proposition qursquoelle est vraie ou fausse conformeacutement au modegravele du

monde dans lequel elle srsquointerpregravete Le concept de proposition est donc dans ce sens un outil

meacutetalinguistique Ainsi au niveau de sa deacutenotation une proposition logique peut renvoyer

selon les typologies supra (sect32) tantocirct agrave un laquo eacuteveacutenement raquo tantocirct agrave un laquo fait raquo tantocirct agrave une

laquo situation raquo ou tantocircthellip agrave une laquo proposition raquo () lorsqursquoelle complegravete un verbe drsquoattitude par

exemple Dans cette derniegravere acception restreinte une proposition deacutesigne donc un sous-type

drsquoobjet dit laquo abstrait raquo (au sens drsquoAsher 1993) que deacutenote le plus souvent une Que-P qui

complegravete un verbe drsquoattitude laquo propositionnelle raquo (verbes de croyance de jugement etc)50

comme dans lrsquoexemple deacutejagrave citeacute

(39) Jean croit que Marie est tombeacutee = (22)

Selon les typologies supra on devrait consideacuterer que lrsquoeacutenonceacute complet ci-dessus consiste en

une laquo proposition raquo au sens meacutetalinguistique (car susceptible de supporter une valeur de

veacuteriteacute) deacutenotant un laquo fait raquo (comme tout eacutenonceacute isoleacute cf Amsili et al 2005 22) agrave savoir le

fait que Jean croit en une certainehellip laquo proposition raquo (exprimeacutee par que Marie est tombeacutee) On

ne saurait deacutenier ici la confusion engendreacutee

Par ailleurs il nous paraicirct peu vraisemblable et contre-intuitif de consideacuterer que la seacutequence

Marie est tombeacutee puisse repreacutesenter toujours drsquoapregraves les typologies supra trois types drsquoobjets

distincts dans les exemples (39) (en lrsquooccurrence une laquo proposition raquo) (40) (un laquo fait raquo) ou

(41) (un laquo eacuteveacutenement raquo)

(40) Leacutea sait que Marie est tombeacutee = (23) (Amsili et al 2005 22)

(41) Marie est tombeacutee hier en sortant du labo (ibid 18)

On ne voit pas en quoi un procegraves ici deacutenoteacute par Marie est tombeacutee relegraveve drsquoune nature

diffeacuterente selon qursquoil est lrsquoobjet drsquoune croyance (proposition) selon qursquoil est explicitement

lrsquoobjet drsquoun savoir (fait) ou indeacutependamment drsquoune quelconque modaliteacute (eacuteveacutenement51

) A

50

Cf la critique de Lyons (1977 146) laquo [hellip] it cannot simply be assumed that because a sentence that

operates as a clause within another more complex sentence sometimes expresses a proposition (and moreover the

same proposition as it would express as an independent sentence) it always expresses a proposition when it

operates as a clause in a more complex sentence raquo 51

Ou un fait Cf la contradiction drsquoAmsili et al (2005) agrave ce sujet que nous avons releveacutee dans la note 40 supra

54

nos yeux il eacutevoque le mecircme objet lequel peut agrave son tour entrer dans la construction drsquoobjets

plus complexes (la croyanceconnaissance du procegraves en question par quelqursquoun etc)

En fait la notion de proposition suscite une grande controverse au sein mecircme de la tradition

logico-philosophique (Lyons 1977 141)52

Etant donneacute sa circulariteacute ainsi que lrsquoembarras

auquel elle donne lieu nous preacutefeacuterons nous en passer autant que faire se peut dans le cadre

de la preacutesente eacutetude

52

laquo The term lsquopropositionrsquo is very troublesome raquo (ibid 142)

55

4 Les expressions reacutefeacuterentielles cateacutegories majeures

Lrsquoacte de reacutefeacuterence consistant agrave convoquer un reacutefeacuterent dans le discours est rendu possible par

lrsquousage drsquoexpressions reacutefeacuterentielles (supra sect1) Afin drsquoavoir une vision drsquoensemble des

ressources linguistiques agrave la disposition des locuteurs nous preacutesentons ci-dessous une

synthegravese des deacutebats en vigueur sur les cateacutegories principalement concerneacutees par les opeacuterations

de reacutefeacuterence parmi lesquelles les syntagmes nominaux (SN) et les pronoms personnels sont

tenus pour repreacutesentatifs Nous traitons des diffeacuterentes cateacutegories dans lrsquoordre suivant

drsquoabord les noms propres (Npr) qui deacutepourvus de descripteur lexical preacutesentent un

fonctionnement reacutefeacuterentiel bien distinct des SN descriptifs avec lesquels ils partagent

toutefois la possibiliteacute de se combiner avec toutes sortes de deacuteterminants (sect41) Nous

distinguons ensuite les diffeacuterentes sous-cateacutegories de SN lexicaux en fonction du deacuteterminant

impliqueacute car celui-ci renseigne en tant qursquoactualisateur (Bally 1932) ou mot reacuteveacutelateur du

nom (Blanche-Benveniste amp Chervel 1966 11) sur la maniegravere dont est saisi un objet (son

extensiteacute cf ibid 12) et sur le type drsquoopeacuteration cognitive qursquoil permet drsquoaccomplir Nous

traitons ainsi drsquoabord du SN deacutefini (sect42) puis du SN deacutemonstratif (sect43) Nous faisons

ensuite un deacutetour par les pronoms personnels conjoints et disjoints (sect44) qui contiennent

lrsquoinstruction comme les SN deacutefini et deacutemonstratif de recruter un reacutefeacuterent supposeacute accessible

dans lrsquoespace discursif commun Ceci nrsquoest pas le cas du SN indeacutefini (sect45) que nous

consideacuterons en dernier car il contribue agrave introduire un objet ineacutedit dans cet espace A ce titre

il se voit souvent exclu des expressions reacutefeacuterentielles conformeacutement agrave lrsquoapproche

philosophique voulant que reacutefeacuterence implique identification (Gary-Prieur 2011 28) ou alors

parce que du point de vue seacutemantique il nrsquoest pas consideacutereacute comme deacutependant drsquoun contexte

quelconque (eg Corblin 1987a 14 Riegel et al 2009 293) Nous partons au contraire du

principe que degraves lors qursquoon envisage une opeacuteration de reacutefeacuterence toute expression

reacutefeacuterentielle qursquoelle reacuteactive ou introduise un objet neacutecessite la prise en compte drsquoun cadre

de reacutefeacuterence53

Preacutecisons encore que nous laissons de cocircteacute un certain nombre drsquoexpressions

(les SN possessifs les pronoms deacutemonstratifs et indeacutefinis etc) car notre objectif est de

fournir un bilan critique sur les expressions qui ont fait couler le plus drsquoencre dans les theacuteories

sur la reacutefeacuterence plutocirct qursquoun inventaire exhaustif des expressions reacutefeacuterentielles Pour

terminer nous discutons la pertinence de modegraveles agrave orientation cognitive (sect46) qui classent

les expressions reacutefeacuterentielles sur des eacutechelles eacutetablies sur les modaliteacutes de reacutecupeacuteration du

reacutefeacuterent

41 Les noms propres

Comme la probleacutematique de la reacutefeacuterence le nom propre (deacutesormais Npr) nrsquoa pas fait lrsquoobjet

drsquoun inteacuterecirct marqueacute de la part des linguistes avant la deuxiegraveme moitieacute du XXe siegravecle du fait

53

Mecircme si les modaliteacutes de recours au contexte diffegraverent selon le type drsquoexpression la distinction commune

(Milner 1982 Moeschler amp Zufferey 2010 125) entre expressions reacutefeacuterentielles autonomes (le chien du

voisinUn chienCharlie est dans la cuisine lt ibid 125) vs priveacutees drsquoautonomie reacutefeacuterentielle (jeil est linguiste)

nous semble ainsi devoir ecirctre reconsideacutereacutee

56

de sa marginaliteacute par rapport agrave la conception du signe en vigueur celle qui requiert la

conception du signifieacute agrave travers une approche systeacutematique et oppositive de la langue (Gary-

Prieur 1994 3) Par contre le Npr repreacutesente une notion fondamentale dans la tradition

logique parce que crsquoest agrave travers lui que srsquoopegravere lrsquoaccegraves agrave lrsquoindividu singulier (cf la notion

drsquoideacutee singuliegravere cf Port-Royal supra sect22) Dans ce sens logique le Npr ndash parfois appeleacute

nom singulier ou individuel (cf Mill 1843=1988) ndash repreacutesente toute expression reacutefeacuterentielle

qui renvoie agrave un objet singulier (eg Frege 1892=1971) cf pour rappel les exemples Socrate

soleil par opposition au N homme qui peut convenir quant agrave lui agrave un nombre indeacutefini de

personnes Dans cette perspective ce nrsquoest pas tant agrave lrsquoemploi du Npr qursquoon srsquointeacuteresse mais

plutocirct au rapport du deacutesignateur agrave lrsquoindividu en tant qursquolaquo opeacuterateur drsquoindividualisation raquo

(Pariente 1973 citeacute par Gary-Prieur 1994 16) On comprend degraves lors pourquoi les Npr

laquo veacuteritables raquo (Frege 1892=1971 103) tels que Socrate Aristote etc ont servi de

deacutesignateurs typiques drsquoindividus singuliers Crsquoest donc tout naturellement que lrsquoanalyse des

logiciens repose sur lrsquoobservation de laquo propositions raquo composeacutees drsquoun Npr de ce type

eacutevidemment sans deacuteterminant et en position reacutefeacuterentielle (Gary-Prieur 1994 16)

Malgreacute les contributions en linguistique ces derniegraveres deacutecennies (eg Le Bihan 1974 Kleiber

1981 Gary-Prieur 1994 Jonasson 1994 Laurent 201654

) la tradition grammaticale srsquoinspire

essentiellement de lrsquoapproche logico-philosophique55

Deux philosophes en particulier ont

influenceacute la conception du Npr en linguistique agrave savoir Mill (1843=1988) et Kripke (1972)56

Mill distingue parmi les noms singuliers les noms connotatifs (le premier empereur de

Rome) des noms non connotatifs (Jean Londres lrsquoAngleterre) Du point de vue grammatical

ces derniers coiumlncident avec ce que la tradition entend par nom propre Chez Mill la

connotation repreacutesente lrsquoensemble des attributs impliqueacutes par une expression et est assimileacutee agrave

celle de signification

[hellip] lorsque les noms fournissent quelque information sur les objets crsquoest-agrave-dire lorsqursquoils ont proprement une signification cette signification nrsquoest pas dans ce qursquoils deacutenotent mais dans ce qursquoils connotent Les seuls noms qui ne connotent rien sont les noms propres et ceux-ci nrsquoont agrave strictement parler aucune signification (1843=1988 35)

La conclusion qursquoon en tire agrave propos des Npr crsquoest lrsquoabsence de signification qui les

caracteacuteriserait et crsquoest geacuteneacuteralement le seul aspect qursquoon retient de la thegravese de Mill comme le

deacuteplore Gary-Prieur (1994 18-19)

De la mecircme maniegravere Gary-Prieur regrette lrsquoimage simplificatrice qursquoon deacutegage de la thegravese de

Kripke agrave propos des Npr et de leur rocircle de deacutesignateur rigide Elle souligne que Kripke ne

srsquointeacuteresse pas au Npr en soi mais agrave la relation que celui-ci entretient avec un individu ainsi

nommeacute comme lrsquoindique la notion de naming dans le titre de son ouvrage Drsquoapregraves Kripke il

54

Il srsquoagit de la preacutesentation drsquoun numeacutero entiegraverement deacutedieacute aux noms propres 55

Gary-Prieur (1994 14) remarque que les deacutefinitions de dictionnaire proposent une deacutefinition logiciste plutocirct

que linguistique 56

Pour cette synthegravese des travaux en logique nous nous fondons sur lrsquoouvrage de Gary-Prieur (1994)

57

existe une relation de causaliteacute entre lrsquoemploi drsquoun Npr et un acte anteacuterieur le laquo baptecircme

initial raquo (= naming) preacutesupposeacute dans tout emploi ulteacuterieur du Npr (Gary-Prieur 1994 19)

Outre cette theacuteorie causale on retient geacuteneacuteralement de Kripke la notion de deacutesignateur rigide

qursquoil attribue aux Npr dont la proprieacuteteacute serait de laquo deacutesigner le mecircme objet dans tous les

mondes possibles raquo (ibid 20) par opposition aux deacutesignateurs accidentels agrave savoir les

expressions descriptives (eg le preacutesident de la Reacutepublique) dont la reacutefeacuterence est susceptible

de changer selon le monde consideacutereacute Cette deacutefinition du fait de la confusion autour de la

notion de mondes possibles propre au domaine de la logique a parfois eacuteteacute reacuteinterpreacuteteacutee agrave tort

comme signifiant qursquoun Npr renvoie toujours au mecircme reacutefeacuterent (ibid 22) Or lrsquoinvariance

de la reacutefeacuterence aux mondes stipuleacutes nrsquoest valable selon Kripke que pour un mecircme eacutenonceacute

susceptible drsquoecirctre interpreacuteteacute dans un monde hypotheacutetique57

Cette ideacutee entraicircne parfois un

autre malentendu lieacute preacuteciseacutement au contexte drsquoeacutenonciation En effet cette indiffeacuterence aux

mondes possibles est parfois traiteacutee comme une indeacutependance au contexte drsquoeacutenonciation58

A

lrsquoinverse Gary-Prieur (1994 25) montre bien que la notion de naming (baptecircme) chez

Kripke est eacutetroitement lieacutee agrave lrsquoeacutenonciation un Npr nrsquoest pas rigidement lieacute agrave un reacutefeacuterent

deacutetermineacute crsquoest chaque occurrence de Npr qui est rigidement lieacutee agrave son porteur en vertu drsquoun

acte initial

En somme les theacuteories de Mill et Kripke mettent le doigt sur des aspects pertinents du Npr

qui sont toutefois agrave reacuteeacutevaluer dans une approche linguistique Gary-Prieur (1994) propose agrave ce

titre un examen particuliegraverement minutieux dont pourraient srsquoinspirer les grammaires qui

reacutecupegraverent les aspects simplifieacutes de la logique et dans lesquelles le Npr est preacutesenteacute sur le

plan formel comme geacuteneacuteralement deacutepourvu de deacuteterminant mais pourvu agrave lrsquoeacutecrit drsquoune

majuscule initiale59

sur le plan seacutemantique il y est deacutecrit comme priveacute de signification et

servant agrave identifier un individu particulier

Le nom propre nrsquoa pas de signification veacuteritable de deacutefinition il se rattache agrave ce qursquoil deacutesigne par un lien qui nrsquoest pas seacutemantique mais par une convention qui lui est particuliegravere [hellip] Les noms propres srsquoeacutecrivent par une majuscule (sect99 a) sont geacuteneacuteralement invariables en nombre (sectsect523-524) se passent souvent de deacuteterminants (sect588) (Grevisse amp Goosse 2011 sect461)

57

Les deux exemples suivants montrent ainsi qursquoun mecircme Npr peut renvoyer agrave des individus diffeacuterents Si

Aristote nrsquoavait pas eacuteteacute grec la penseacutee occidentale aurait eacuteteacute diffeacuterente Si Aristote continue agrave poursuivre le

chat je lrsquoenferme dans sa niche (Gary-Prieur 1994 22) Mais Kripke entend par deacutesignateur rigide qursquoau sein

de chacun de ces eacutenonceacutes le Npr renvoie agrave un seul reacutefeacuterent qursquoil srsquoagisse du monde reacuteel ou drsquoun monde

contrefactuel Dans chacun de ces exemples le Npr renvoie ainsi au mecircme porteur de ce Npr quel que soit le

monde envisageacute 58

Cf lrsquoambiguiumlteacute des propos de Riegel et al (2009 337) laquo Les noms propres sont cognitivement stables

puisqursquoils deacutesignent leur porteur indeacutependamment des variations qursquoil peut subir et des situations ougrave il se trouve

engageacute raquo 59

Cette caracteacuteristique nrsquoest pas propre au Npr la majuscule possegravede une valeur tregraves polyseacutemique servant agrave la

fois de marque segmentale drsquoindicateur honorifique drsquoindice drsquointerpreacutetation figureacutee de marque iconique drsquoun

pheacutenomegravene prosodique etc En outre son emploi est tregraves variable drsquoun locuteur agrave lrsquoautre et selon les genres

comme on le voit agrave travers les liberteacutes graphiques dans certains eacutecrits laquo spontaneacutes raquo (chat SMS courriels etc)

y compris dans les occurrences de Npr (preacutenoms noms de famille lieux etc)

58

Du point de vue distributionnel srsquoil est vrai que les Npr ont la capaciteacute drsquoapparaicirctre en

position de sujet sans deacuteterminant60

cela ne repreacutesente nullement une contrainte certains Npr

sont systeacutematiquement preacuteceacutedeacutes de deacuteterminants deacutefinis comme les noms de pays reacutegions ou

de cours drsquoeau (la Suisse le Rhocircne)61

(Blanche-Benveniste amp Chervel 1966) alors que

drsquoautres srsquoemploient tantocirct avec tantocirct sans deacuteterminant62

En fait agrave la suite de Kleiber

(1981) Gary-Prieur souligne que la distribution des Npr ne se distingue pas de celle des N

communs en geacuteneacuteral car ceux-lagrave admettent le mecircme eacuteventail de deacuteterminants ou

drsquoexpansions du nom63

dont voici quelques illustrations

(42) Qursquoun Cercaire se tue face agrave la deacutefaite crsquoest compreacutehensible (La feacutee Carabine

Pennac lt Gary-Prieur 1994 30)

(43) Il ne reconnaissait plus son Bernard (Les Faux-Monnayeurs Gide lt ibid 33)

(44) Marc disait vrai elle en eacutetait persuadeacutee Crsquoeacutetait bien le Garrett Jones qursquoelle

connaissait vu agrave travers des lunettes tregraves noires (La veacuteriteacute sur Lorin Jones Lurie

lt ibid 32)

Si les Npr ne reposent sur aucun signifieacute lexical inscrit en langue pour orienter leur

interpreacutetation crsquoest que celle-ci est essentiellement une affaire de contexte En effet lrsquoemploi

drsquoun Npr est fortement lieacute agrave des situations drsquoeacutenonciation particuliegraveres il implique un acte de

baptecircme anteacuterieur64

ainsi que la reconnaissance tacite de cette convention deacutenominative par

les interlocuteurs (Gary-Prieur 1994 28) A cette deacutependance contextuelle srsquoajoute

lrsquoarbitraire de lrsquoacte de baptecircme (ibid 27) nrsquoimporte quelle entiteacute eacutetant susceptible de se

voir attribuer nrsquoimporte quel Npr65

et la deacutenomination pouvant ecirctre remise en cause agrave loisir de

la part des membres de la communauteacute en question composeacutee drsquoau moins deux individus

dont le locuteur Blanche-Benveniste amp Chervel (1966 27) invoquent drsquoailleurs pour

marquer le caractegravere ancreacute dans la situation de parole un laquo segraveme raquo [+locuteur] dans la

signification drsquoun Npr

60

Lrsquoabsence de deacuteterminant devant les noms caracteacuterise eacutegalement drsquoautres contextes comme des locutions

verbales du type avoir honteinteacuterecirctpeur des titres drsquoouvrages de presse etc ou encore des tournures

syntaxiquement contraintes (Rendez-vous fut pris) ou propres agrave des styles litteacuteraires (proverbes eacutenumeacuterations)

teacuteleacutegraphiques etc (cf Blanche-Benveniste amp Chervel 1966) 61

Blanche-Benveniste amp Chervel (1966 8) attribuent la preacutesence du deacuteterminant dans ce cas au trait

[+limitrophe] propre agrave lrsquoarticle deacutefini Les pays cours drsquoeau et certaines reacutegions seraient conccedilus comme des

entiteacutes finies par opposition aux villes icircles personnes etc qui seraient appreacutehendeacutees comme des eacutetendues non

deacutelimitables et saisies de maniegravere ponctuelle (cf lrsquousage de agrave pour les lieux) 62

Par exemple Quelle classe ce Jeremy Irons (Gary-Prieur 1994) vs Jeremy Irons confirme ainsi un retour au

premier plan pour 2017 (presse httpswwwcineseriecomnews) 63

Pour un inventaire des contextes distributionnels et une analyse seacutemantique de leurs valeurs voir Gary-Prieur

(1994) 64

Excepteacute pour les contextes strictement laquo deacutenominatifs raquo ougrave lrsquoacte de baptecircme est simultaneacute agrave lrsquoeacutenonciation

associant tel Npr agrave tel individu du type Qui sait en France que le plus grand deacutetective australien srsquoappelle

Napoleacuteon Bonaparte (ibid 28) 65

La preacutedilection laquo baptismale raquo envers certains types drsquoobjets est de nature socio-culturelle les usagers de la

langue tendant agrave baptiser des objets avec lesquels ils entretiennent des relations privileacutegieacutees (humains

institutions monuments animaux domestiques lieux eacuteveacutenements marquants ou autres objets familiers etc)

Voir Charolles (2002 60)

59

Outre cet aspect par deacutefinition variable une caracteacuteristique proprement seacutemantique qursquoon

peut deacutegager des Npr consiste en ce que Kleiber (1981 342) appelle le preacutedicat de

deacutenomination qursquoil veacutehicule lrsquoemploi drsquoun Npr signifie que le reacutefeacuterent deacutesigneacute srsquoappelle

Npr Cette thegravese du preacutedicat de deacutenomination est assez convaincante dans les cas ougrave le

reacutefeacuterent est bien porteur du Npr mais elle fonctionne cependant moins bien pour les emplois

figureacutes du genre

(45) Georges Sand est sur lrsquoeacutetagegravere de gauche (Fauconnier repris par Gary-Prieur

1994 35)

Dans ce cas il faut distinguer le reacutefeacuterent effectivement viseacute pour lrsquoeacutenonciation en cours (le

livre) du reacutefeacuterent initialement baptiseacute de la sorte (lrsquoauteur nommeacutee Georges Sand) qui

intervient dans lrsquointerpreacutetation meacutetonymique en question (ibid 35) La prise en compte du

reacutefeacuterent initial (ibid 29) est donc neacutecessaire agrave lrsquointerpreacutetation du Npr qui se fonde sur la

connaissance de celui-ci Le reacutefeacuterent initial repreacutesente ainsi lrsquoindividu auquel a eacuteteacute octroyeacute le

Npr lors du baptecircme initial identification qui intervient agrave titre de preacutesupposeacute du Npr (ibid

28) Cet ameacutenagement permet agrave Gary-Prieur drsquoexpliquer aussi bien les cas ougrave le reacutefeacuterent

deacutesigneacute est le reacutefeacuterent initial les cas ougrave le reacutefeacuterent effectif est une construction discursive

fondeacutee sur une relation meacutetaphorique meacutetonymique ou encore une simple laquo image raquo (ibid

37) et les cas ougrave le Npr fonctionne de maniegravere preacutedicative Dans ces cas lrsquointerpreacutetation passe

par la prise en compte de certaines proprieacuteteacutes du reacutefeacuterent initial seacutelectionneacutees sur la base du

savoir partageacute (comme pour les Npr laquo lexicaliseacutes raquo eg Don Juan Hercule etc) (Jonasson

1991 7) ou drsquoun simple univers de croyance (Gary-Prieur 1994 51)

(46) Tout se passe comme si Saddam Hussein ce Faust moderne avait choisi la

transgression comme mode de comportement (Journal de Genegraveve lt ibid 47)

Dans cet exemple il nrsquoest mecircme pas neacutecessaire de recourir aux connaissances

encyclopeacutediques sur le reacutefeacuterent initial (le personnage litteacuteraire) pour interpreacuteter le Npr crsquoest

le contexte lui-mecircme qui fournit les proprieacuteteacutes preacutesenteacutees comme pertinentes par le locuteur

en lrsquooccurrence le comportement transgressif implicitement attribueacute au reacutefeacuterent initial (Faust)

et explicitement reporteacute sur lrsquoindividu nommeacute Saddam Hussein (ibid 48)

En deacutefinitive la thegravese du reacutefeacuterent initial de Gary-Prieur se reacutevegravele efficace pour expliquer les

trois fonctionnements principaux du Npr (ibid 58-60) agrave savoir le fonctionnement

deacutenominatif ougrave srsquoopegravere veacuteritablement le baptecircme du reacutefeacuterent initial (Ils ont eu une Ceacutecile) et

dont lrsquointerpreacutetation ne repose que sur le preacutedicat de deacutenomination le fonctionnement

identifiant (emploi typique du Npr) ougrave lrsquoacte de deacutenomination est preacutesupposeacute et ougrave le Npr

deacutesigne le reacutefeacuterent initial (Ceacutecile dort) agrave propos duquel on preacutedique quelque chose enfin

lrsquointerpreacutetation preacutedicative qui neacutecessite la prise en compte de certains attributs pertinents du

reacutefeacuterent initial pour les projeter sur le reacutefeacuterent effectif (cf ex (46)) Cette analyse qui tient

compte dans le sens du Npr de sa relation avec un reacutefeacuterent initial contrairement agrave celui du N

commun qui mobilise des compeacutetences lexicales repreacutesente agrave nos yeux une remise en cause

60

particuliegraverement judicieuse drsquoune approche reacuteduisant le Npr agrave un deacutesignateur rigide et sans

signification

42 Les SN deacutefinis

Par SN deacutefinis nous retenons ici les expressions qui appartiennent au paradigme

morphologique le N Bien que les SN deacutemonstratifs soient parfois rangeacutes parmi les

expressions deacutefinies (eg Riegel et al 2009 285) en vertu du caractegravere identifiable de leur

reacutefeacuterent nous les traiterons dans une section agrave part pour faire ressortir les diffeacuterences de saisie

reacutefeacuterentielle lieacutees agrave lrsquoemploi des deacuteterminants

On reconnaicirct geacuteneacuteralement que le N veacutehicule un preacutesupposeacute drsquoexistence et drsquouniciteacute (Ducrot

1972 Corblin 1987 Riegel et al 2009 283) agrave lrsquoeacutegard de son reacutefeacuterent qursquoon peut paraphraser

par laquo il existe un et un seul x qui possegravede la proprieacuteteacute deacutenoteacutee par N raquo66

La fonction

reacutefeacuterentielle du SN consiste agrave identifier un individu unique correspondant agrave la description de

N

(47) Jrsquoai mangeacute la pomme (Gary-Prieur 2011 29)

En (47) le SN preacutesuppose qursquoil y a un et un seul individu correspondant agrave la proprieacuteteacute

lsquopommersquo agrave identifier au sein drsquoun cadre de reacutefeacuterence agrave preacutesumer aussi envisageacute ailleurs en

termes de domaine drsquointerpreacutetation restreint (Corblin 1987) drsquoensemble partageacute (Hawkins

1978) ou de circonstances drsquoeacutevaluation (Kleiber 1990c 257)67

Il est eacutevident que le cadre

reacutefeacuterentiel pour lequel vaut lrsquouniciteacute est agrave reacuteeacutevaluer pour chaque occurrence de SN deacutefini

Nous consideacuterons donc ce domaine drsquointerpreacutetation comme une notion flexible car il peut se

reacuteduire agrave un contexte restreint comme agrave lrsquounivers de discours (cf les types et les reacutefeacuterents

quelconques ci-dessous) selon lrsquoeacutenonciation consideacutereacutee

Il arrive assez reacuteguliegraverement que le preacutesupposeacute drsquoexistence ne soit pas satisfait du point de

vue de lrsquointerlocuteur on peut dans ce cas invoquer la notion de coup de force

preacutesuppositionnel (Ducrot 1972 51) de la part du locuteur qui consiste agrave preacutesupposer

lrsquoexistence effective drsquoeacuteleacutements qui ne figurent en fait pas encore dans le savoir partageacute

(48) La marquise sortit agrave cinq heures (Titre et incipit drsquoun roman de C Mauriac68

)

Sur la base drsquoun consensus feint le coup de force oblige lrsquointerpregravete agrave remeacutedier

immeacutediatement au deacuteficit informationnel par lrsquoimportation apregraves coup des eacuteleacutements

66

Cette condition drsquouniciteacute est parfois envisageacutee en termes de totaliteacute (Kleiber 1981 Gary-Prieur 2011 28) ou

comme la capaciteacute agrave isoler un et un seul reacutefeacuterent des autres par lrsquointermeacutediaire de N (Corblin 1987a 104) afin

drsquoeacutetendre la description au pluriel aux SN agrave N [+massif] ou aux emplois geacuteneacuteriques 67

Kleiber adopte une perspective veacutericonditionnelle puisqursquoil srsquoagit des laquo circonstances dans lesquelles une

description trouve sa veacuteriteacute raquo (ibid) Pour notre part notre objectif nrsquoeacutetant pas de veacuterifier agrave quelles conditions

une proposition est vraie (cf une approche philosophique) mais de deacuteterminer quel est lrsquoancrage contextuel drsquoun

eacutenonceacute les notions de domaine drsquointerpreacutetation ou de cadre reacutefeacuterentiel nous paraissent plus judicieuses 68

Mauriac fait reacutefeacuterence ici agrave un exemple drsquoincipit imagineacute et condamneacute par Paul Valeacutery aux dires drsquoAndreacute

Breton dans son Manifeste du surreacutealisme

61

manquants impliqueacutes dans les repreacutesentations partageacutees Ce proceacutedeacute nrsquoest pas rare en discours

et peut intervenir avec drsquoautres types drsquoexpressions preacutesupposantes agrave des fins varieacutees comme

les pronoms de 3e personne (cf infra sect42) les adjectifs agrave valeur anaphorique agrave lrsquoinstar de

autre premier etc (Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1996) On comprend degraves lors les

rendements des SN deacutefinis dans les deacutebuts de roman comme ci-dessus placcedilant le lecteur in

medias res crsquoest-agrave-dire au milieu drsquoune scegravene en cours69

(Gary-Prieur 2011 25)

Le contenu du N se reacutevegravele deacuteterminant pour lrsquoidentification du reacutefeacuterent viseacute lrsquoopposant ainsi agrave

drsquoautres reacutefeacuterents distincts par leur signalement Blanche-Benveniste amp Chervel (1966 9)

invoquent agrave cet eacutegard la notion de saisie externe qursquoopegraverent les SN deacutefinis par opposition agrave la

saisie interne propre aux indeacutefinis (cf infra sect45)

(49) Jrsquoai vu un camion et une voiture La voiture roulait vite (ibid)

Lrsquoemploi du deacuteterminant deacutefini marque le contraste entre deux signifieacutes (ici le signifieacute de

camion en opposition avec celui de voiture) laquo le dit les limites externes de la notion raquo (ibid

9) A lrsquoinverse le deacutefini est non marqueacute quant agrave lrsquoaspect continu ou discontinu (ibid) comme

le montre sa compatibiliteacute en anaphore aussi bien avec un reacutefeacuterent preacutealablement introduit

comme comptable (cf (49) ci-dessus) qursquoavec un massif

(50) Jrsquoai acheteacute du vin et de la biegravere Le vin eacutetait cher

La notion de contraste notionnel de Blanche-Benveniste amp Chervel est agrave consideacuterer au niveau

seacutemantique crsquoest agrave travers la nature oppositive du signifieacute envisageacute par rapport aux autres

signifieacutes du systegraveme que le reacutefeacuterent manifeste son uniciteacute Cette saisie externe nrsquoimplique pas

forceacutement la preacutesence effective ou explicite de reacutefeacuterents entrant en contraste avec celui viseacute

On voit bien en (47) et (48) que les SN renvoient respectivement agrave lrsquounique objet

correspondant agrave la description du signifieacute (par opposition agrave drsquoautres) dans le cadre reacutefeacuterentiel

consideacutereacute sans lrsquointervention drsquoobjets drsquoune autre sorte

On sait que les SN deacutefinis sont susceptibles drsquoecirctre interpreacuteteacutes de maniegravere laquo geacuteneacuterique raquo drsquoune

autre faccedilon toutefois que les indeacutefinis (cf supra sect45)

(51) Lrsquohomme a transformeacute le monde (lt Corblin 1987a 103)

Dans les grammaires on assimile souvent cet emploi agrave celui au pluriel deacutesignant la classe

extensionnelle des individus correspondant agrave N (asymp les hommes ont transformeacute le monde)

Berrendonner (2002a 41) montre cependant que les deux types de SN ne supportent pas les

mecircmes preacutedicats notamment les preacutedicats de deacutenombrement

(52) Les pandas sont nombreux (lt ibid)

(53) Le panda est nombreux (lt ibid)

69

Voir agrave cet eacutegard lrsquoouvrage de Gollut amp Zufferey (2000) sur les modaliteacutes de construction de lrsquounivers discursif

dans les incipits de la Comeacutedie humaine

62

Corblin (1987a 95) propose drsquoy voir une diffeacuterence entre la classe (52) (laquo collection

drsquoanalogues discernables raquo) et lrsquoespegravece (53) sans toutefois fournir une deacutefinition preacutecise de

cette derniegravere supposeacutee ecirctre suffisamment intuitive et preacutesenteacutee comme proche de la notion

philosophique de kind de Kripke (1972) En outre pour justifier la condition drsquouniciteacute dans

ces cas Corblin (1987a 104) attribue agrave le N la capaciteacute drsquoisoler lrsquoespegravece N des autres espegraveces

laquo indeacutependamment de tout contexte immeacutediat drsquousage raquo Cette formulation nous paraicirct

discutable et mecircme entrer en contradiction avec des exemples fournis par lrsquoauteur lui-mecircme

(54) Au moyen acircge il y avait bien sucircr des enfants mais lrsquoenfant nrsquoexistait pas (p 96)

Il y a bel et bien ici un cadre de reacutefeacuterence restreint par le locuteur explicitement deacutelivreacute par le

compleacutement circonstanciel au moyen acircge au sein duquel srsquointerpregravete la preacutedication lsquolrsquoenfant

nrsquoexistait pasrsquo Nous consideacutererons donc que les SN deacutefinis neacutecessitent pour leur

interpreacutetation comme toute expression reacutefeacuterentielle un cadre de reacutefeacuterence (explicite ou

implicite) pouvant dans certains cas srsquoeacutetendre agrave lrsquounivers en geacuteneacuteral Mais cela ne reacutesout pas

la question de la nature seacutemantique des SN deacutefinis laquo geacuteneacuteriques raquo singuliers Drsquoautres

hypothegraveses ont eacuteteacute avanceacutees comme celle de Martin (1986) qui ramegravene leur contenu agrave une

intension

Le est intensionnel crsquoest-agrave-dire que dans le chat il renvoie agrave lrsquointension de chat crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoensemble des proprieacuteteacutes qui font qursquoun chat est un chat Le chat reacutefegravere geacuteneacuteriquement agrave la laquo chatitude raquo agrave ce que le locuteur considegravere comme caracteacuteristique du chat (p 190)

Lrsquoune des limites de cette approche inteacutegrant des eacuteleacutements abstraits dans le processus

interpreacutetatif est qursquoelle srsquoadapte mal aux eacutenonceacutes impliquant des preacutedicats eacuteveacutenementiels ou

drsquoespegravece comme le signale Kleiber (1990e)

(55) Le castor a eacuteteacute introduit en Alsace par les autonomistes en 1936 (ibid 47)

(56) Le lynx est en voie de disparition (ibid)

Dans les exemples ci-dessus ce nrsquoest eacutevidemment pas le concept de castor qui a eacuteteacute introduit

ni celui de lynx qui disparaicircthellip Lrsquohypothegravese est donc agrave abandonner Kleiber propose pour sa

part drsquoapparenter les SN deacutefinis geacuteneacuteriques singuliers agrave des SN massifs mecircme lorsque le N

est seacutemantiquement comptable le deacuteterminant le entraicircnant un proceacutedeacute de massification

laquo La massification opeacutereacutee consiste en une preacutesentation homogegravene des occurrences

rassembleacutees par le substantif comptable raquo (1990e 158) Pour Berrendonner (2002)

neacuteanmoins cette conception pose elle aussi des difficulteacutes illustreacutees par lrsquoeacutechec drsquoopeacuterations

de partition ou de totalisation en principe applicables aux continuums

(57) Les zoos deacutetiennent plus de la moitieacute du panda (vs La valleacutee de la Jogne produit plus

de la moitieacute du gruyegravere) (lt ibid 42)

(58) Tout le panda vit en Chine (vs La grande distribution rafle tout le gruyegravere) (ibid)

63

Selon Berrendonner les SN deacutefinis singuliers agrave valeur dite geacuteneacuterique renvoient agrave ce qursquoil

appelle des types Les types repreacutesentent agrave ses yeux des objets situeacutes dans le versant

laquo intensionnel raquo de lrsquounivers de discours contrairement aux objets speacutecifiques srsquoinscrivant

dans le versant laquo extensionnel raquo de nos repreacutesentations et en relation eacutetroite avec lrsquoeacutenonciation

en cours Les types ne sont pas des ensembles de proprieacuteteacutes ou concepts (cf Martin 1986)

mais bien des objets comptables ainsi que lrsquoillustre cette eacutenumeacuteration de types rassembleacutes

sous un SN introducteur de classe

(59) Les mots dont on se sert pour exprimer les penseacutees sont le Substantif lrsquoAdjectif

lrsquoArticle le Pronom le Verbe la Preacuteposition lrsquoAdverbe la Conjonction la Particule

ou lrsquoInterjection (Wailly lt Berrendonner 2002 47)

Les types servent ainsi drsquoinstruments de cateacutegorisation pour les objets particuliers de

lrsquounivers extensionnel de normes ideacuteales proches des ideacutees platoniciennes comme

lrsquoincarnent les expressions du genre Le N par excellence le parfait N (ibid 49) ou ci-

dessous

(60) [agrave propos de sondages dont la diffusion publique est interdite] LrsquoElyseacutee les aura les

partis politiques les auront les journalistes les auront mais lrsquoeacutelecteur lui lrsquoeacutelecteur

majuscule lrsquoeacutelecteur en soi ne les aura pas (radio lt ibid)

En somme la notion de type srsquointegravegre totalement agrave la description geacuteneacuterale du SN deacutefini

srsquoadaptant aux notions de preacutesupposeacute drsquoexistence et drsquouniciteacute de mecircme qursquoagrave celle de cadre de

reacutefeacuterence (ie le versant laquo intensionnel raquo de lrsquounivers du discours) et de saisie externe (son

signifieacute lrsquooppose aux signifieacutes drsquoautres types)

Il est agrave noter pour finir que les SN deacutefinis nrsquoont pas lrsquoexclusiviteacute de la reacutefeacuterence aux types

comme en teacutemoigne cet emploi

(61) Les vrais pandas sont en voie de disparition Les paysans grignotent les terres sur

lesquelles cet animal timide trouve sa nourriture (lt ibid 46)

Le reacutefeacuterent est drsquoabord envisageacute via le SN deacutefini pluriel comme la classe extensionnelle des

individus pandas puis reconfigureacute en tant que type au moyen drsquoun SN deacutemonstratif et drsquoun

deacuteterminant possessif Cet exemple nous offre lrsquooccasion de nous tourner agrave preacutesent vers le cas

des SN deacutemonstratifs

43 Les SN deacutemonstratifs

Le SN ce N identifie et inscrit laquo un eacuteleacutement privileacutegieacute raquo dans laquo la sphegravere du locuteur raquo

(Blanche-Benveniste amp Chervel 1966 10) Cette localisation au cœur de lrsquoeacutenonciation

rattache le SN deacutemonstratif aux marqueurs dits token-reacuteflexifs crsquoest-agrave-dire qui laquo renvoient

effectivement agrave un objet dont lrsquoidentification est lieacutee aux circonstances drsquoeacutenonciation de leur

occurrence raquo (Kleiber 1984 66) ou plus geacuteneacuteralement aux marqueurs deacuteictiques (De Mulder

2000 Charolles 2002 [Reichler-]Beacuteguelin 1995a Gary-Prieur 2011) (parfois aussi appeleacutes

64

indexicaux en particulier en philosophie du langage cf Levinson 2004 97) Ainsi

lrsquointerpreacutetation des SN deacutemonstratifs repose essentiellement sur le laquo contexte drsquoeacutenonciation

immeacutediat raquo (Beacuteguelin 1998 96) sans toutefois reacuteveacuteler ipso facto la localisation du reacutefeacuterent

Ce sont des signaux qui attirent lrsquoattention de lrsquointerlocuteur sur lrsquoexistence drsquoun reacutefeacuterent agrave identifier dans la situation drsquoeacutenonciation de lrsquooccurrence sans indiquer par eux-mecircmes quel est pour la situation donneacutee ce reacutefeacuterent (Kleiber 1984 68)

En effet le renvoi aux circonstances drsquoeacutenonciation peut impliquer des sources drsquointerpreacutetation

de diverses natures Un SN deacutemonstratif permet par exemple au locuteur de diriger lrsquoattention

de lrsquoallocutaire sur un objet rendu perceptivement saillant par lrsquooccurrence du deacutemonstratif

eacuteventuellement accompagneacute drsquoun geste (ou autre indice paraverbal)

(62) Passe-moi ce livre srsquoil-te-plaicirct (Gary-Prieur 2011 71)

Il peut eacutegalement servir agrave deacutesigner un objet tout reacutecemment introduit via le contexte

linguistique

(63) Steacutephane Mallarmeacute a renouveleacute la poeacutesie du XIXe siegravecle ce poegravete a eu de nombreux

disciples dont Paul Valeacutery (Riegel et al 2009 1038)

(64) Il y a de temps en temps un œuf nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

On tire cet œuf drsquoun sac comme un numeacutero de loterie et on le met agrave la coque le

malheureux Crsquoest un veacuteritable crime un coquicide car il y a toujours un petit poulet

dedans (Vallegraves Lrsquoenfant lt [Reichler-]Beacuteguelin 1995a 66)

La deacutesignation peut en outre opeacuterer sur un signe en tant que tel plutocirct que sur lrsquoobjet qursquoil

deacutesigne (proceacutedeacute nommeacute deixis textuelle lt Lyons 1977)

(65) Laboratoire laquo Ce terme insinue que nous testons un produit sur un cobaye raquo reacutetorque

Emilie Vincent (presse La Liberteacute 081105)

Parfois le SN deacutemonstratif renvoie agrave un objet temporairement sous-deacutetermineacute dont la

caracteacuterisation est imminente (cf la notion de cataphore infra sect52)

(66) Suis bien ce conseil ne bois que de lrsquoeau (Riegel et al 2009 1030)

Bref le deacutemonstratif est particuliegraverement adapteacute aux situations reacutefeacuterentielles impliquant une

forme de proximiteacute avec lrsquoeacutenonciation Un tel processus identificatoire distingue le SN

deacutemonstratif du SN deacutefini dont le N intervient de maniegravere deacutecisive pour le repeacuterage

reacutefeacuterentiel eacutetabli sur la base drsquoun contraste notionnel (cf saisie externe) Par opposition on

attribue souvent une valeur partitive ou un contraste interne au SN deacutemonstratif (Blanche-

Benveniste amp Chervel 1966 Kleiber 1984 Corblin 1987 Charolles 2002 Gary-Prieur 2011)

(67) Tu as oublieacute ce carreau (agrave une personne qui vient de laver les vitres) (lt Charolles

2002 111)

65

Le SN ce carreau met en eacutevidence un carreau par opposition agrave drsquoautres carreaux Selon

Kleiber (1984 76) le SN deacutemonstratif repreacutesente lrsquoabreacuteviation drsquoune structure classificatoire

sous-jacente du reacutefeacuterent gloseacutee crsquoest un Ndu N autrement dit il relegraveve drsquoune quantification

partitive Si lrsquointerpreacutetation contrastive ou partitive est freacutequente on ne peut cependant la

ramener agrave une proprieacuteteacute du deacuteterminant deacutemonstratif (Hawkins 1978 Beacuteguelin 1998)

Lrsquoexemple ci-dessous reacutesiste en effet agrave cette analyse

(68) Gutenberg inventa lrsquoimprimerie et cette imprimerie allait bouleverser la culture

(Corblin 1987 204)

La technique de lrsquoimprimerie ne peut ecirctre envisageacutee comme appartenant agrave une classe

drsquolsquoimprimeriesrsquo Le deacutemonstratif consiste ici agrave attirer lrsquoattention sur lrsquoeacuteleacutement tout juste

eacutevoqueacute ndash sur le mode du connu (lrsquoart en question eacutetant supposeacute appartenir agrave notre savoir

encyclopeacutedique) ndash en le theacutematisant par progression lineacuteaire type de progression dont les

rendements argumentatifs ont eacuteteacute mis en eacutevidence par Combettes (1983) On doit donc

admettre agrave travers ce genre drsquoexemples que le contraste interne ne repreacutesente pas une

condition drsquoemploi du SN deacutemonstratif qui peut servir agrave deacutesigner un objet conccedilu comme

unique dans le domaine consideacutereacute

Quoi qursquoil en soit le fait que le N choisi par le locuteur ne constitue pas le point de deacutepart de

lrsquoidentification reacutefeacuterentielle comme dans le cas du SN deacutefini offre davantage de liberteacute au

locuteur pour proceacuteder agrave des (re)cateacutegorisations lexicales (Kleiber 1984 Corblin 1987a

[Reichler-]Beacuteguelin 1995a 1998 Charolles 2002 Gary-Prieur 2011) qui reacutepondent agrave des

strateacutegies discursives varieacutees (Apotheacuteloz 1995a [Reichler-]Beacuteguelin 1995a 199870

Cornish agrave

par)

(69) Lrsquoaffiche de Benetton exhibant un nouveau-neacute sanguinolent interdite dans plusieurs

pays europeacuteens ne sera placardeacutee ni en ville de Fribourg ni vraisemblablement dans

le district de la Gruyegravere En Suisse le combat contre cette laquo utilisation abusive du

corps humain agrave des fin commerciales raquo avait eacuteteacute engageacute la semaine derniegravere par le

Vaudois Feacutelix Gluz [hellip] (LrsquoExpress lt Apotheacuteloz 1995a 73)

Le proceacutedeacute de cateacutegorisation est par exemple lrsquooccasion de condenser par nominalisation (ici

sur une base implicite) des eacuteleacutements (objets et relations entre eux) introduits via le contenu

drsquoune (ou plusieurs) constructions verbales anteacuterieures en mecircme temps que de fournir une

perspective subjective sur la base de contenus implicites (ibid 37) Outre lrsquoacte de reacutefeacuterence

reacutesomptive proprement dit et la preacutedication subjective opeacutereacutee par la recateacutegorisation lexicale

Apotheacuteloz souligne dans lrsquoexemple ci-dessus le caractegravere eacuteminemment polyphonique du

deacutemonstratif marqueacute par lrsquousage des guillemets signalant agrave la fois une laquo deacutenomination

emprunteacutee raquo et une distanciation du journaliste vis-agrave-vis du jugement de valeur manifesteacute agrave

travers ces propos rapporteacutes

70

Ces deux articles dressent un inventaire des rendements discursifs des SN deacutemonstratifs le premier agrave partir de

sources diverses le second dans les Fables de La Fontaine

66

Plus geacuteneacuteralement on reconnaicirct la capaciteacute des deacutemonstratifs agrave relayer des changements de

point de vue et agrave promouvoir ainsi une orientation ineacutedite du reacutefeacuterent (Marandin 1986

Corblin 1987a Apotheacuteloz 1995a Reichler-]Beacuteguelin 1995a 1998 Cornish agrave par)

(70) [il est question de grossesses qui se passent mal] La femme se trouve soudain

laquo videacutee raquo face agrave quelqursquoun de tregraves exigeant totalement eacutegoiumlste parfois pas tregraves joli et

elle ne se sent pas precircte agrave affronter cet eacutetranger (Optima 1989 lt [Reichler-]Beacuteguelin

1995a 75)

Avec drsquoautres indices (guillemets adverbes drsquointensiteacute etc) le SN deacutemonstratif livre le point

de vue drsquoune megravere deacuteconcerteacutee vis-agrave-vis de son nourrisson lrsquoeffet de proximiteacute se traduit par

une laquo preacutegnance cognitive raquo (Beacuteguelin 1998) donnant accegraves aux repreacutesentations de la femme

en question et susceptible drsquoexercer une reacuteaction drsquoempathie sur le lecteur Ce proceacutedeacute71

a eacuteteacute

appeleacute deixis am Phantasma (Buumlhler 1934=2009) deixis empathique (Lyons 1977) deixis

meacutemorielle (Fraser amp Joly 1980) ou encore penseacutee indexicale (Kleiber 1990d) Le choix du N

agrave travers des recateacutegorisations implicites permet donc de manier des effets de discours

subtils Certains associent agrave lrsquousage du deacutemonstratif lrsquoexpression drsquoune rupture avec les

circonstances drsquoeacutenonciation anteacuterieures (De Mulder 1998 Cornish 1999 54 Charolles 2002

119-121) Au vu drsquoexemples comme (63) (64) ou (68) qui agrave notre sens marquent plutocirct la

continuiteacute agrave travers diffeacuterents types de progression theacutematique nous sommes plus nuanceacutee sur

ce point et consideacuterons les potentiels effets de rupture comme le reacutesultat en discours des

pheacutenomegravenes de recateacutegorisation Ci-dessous le scripteur joue ainsi sur la rupture drsquoisotopie

propre agrave la meacutetaphore en jeu

(71) Les larges fenecirctres drsquoune clinique californienne offrent aux malades depuis leurs

chambres une vue champecirctre sur un magnifique preacute planteacute de splendides arbres Ce

tapis vert accueille de gracieux flamants (Optima 1991 lt [Reichler-]Beacuteguelin 1995

76)

La meacutetaphore se dote ici drsquoun rendement argumentatif visant agrave connoter positivement la

clinique en question (ibid) On peut ainsi rattacher ces nombreuses exploitations discursives agrave

lrsquoancrage eacutenonciatif du deacutemonstratif

44 Les pronoms personnels

Nous nous limitons ici au cas des pronoms personnels les autres types de pronoms (indeacutefinis

deacutemonstratifs relatifs possessifs interrogatifs) ayant chacun des speacutecificiteacutes qui deacutepassent le

propos de cette synthegravese critique Par ailleurs certains pronoms feront lrsquoobjet drsquoun examen

approfondi dans les chapitres suivants (en particulier il(s) ccedila on) raison pour laquelle nous

nrsquoentrons pas dans tous les deacutetails ici Lrsquoenjeu de cette section est simplement de situer le

fonctionnement des pronoms personnels par rapport aux autres cateacutegories reacutefeacuterentielles

majeures

71

Pour une discussion sur la relation entre deacutemonstratifs et point de vue voir Kleiber (2003) et Cornish (agrave par)

67

Parmi les pronoms personnels on distingue les pronoms conjoints (ou clitiques) (je tu

ilelleon nous vous ilselles) et disjoints (ou toniquesaccentueacutes cf la seacuterie Moi72

Toi

LuiElle Nous Vous EuxElles) Cette distinction sera plus amplement discuteacutee infra (ChII

sect1) mais il nous paraicirct neacutecessaire de lrsquoeacutevoquer briegravevement car elle induit certaines

diffeacuterences interpreacutetatives Les pronoms disjoints partagent la distribution des SN tandis que

les pronoms conjoints sont contraints drsquoapparaicirctre toujours dans lrsquoenvironnement immeacutediat

drsquoun verbe Les deux cateacutegories se deacuteclinent en personne (1egravere

2e 3

e 4

e etc) en genre

(masc feacutem ou non-marqueacute) et en nombre (sg pl) mais contrairement agrave celle des pronoms

disjoints la forme des pronoms conjoints a la particulariteacute de varier selon la fonction

grammaticale (jeme tute illelui etc) refleacutetant un marquage casuel

Comme les Npr les pronoms ndash conjoints et disjoints ndash se distinguent par leur deacutefaut de

contenu lexical Leur interpreacutetation est donc sensible au contexte drsquoune maniegravere diffeacuterente En

outre la deacutependance au contexte se distingue neacuteanmoins selon le trait de personne En effet

les 1egravere

et 2e personnes renvoient agrave proprement parler aux laquo personnes raquo de lrsquoeacutenonciation

(Benveniste 1966) tandis que la 3e personne renvoie agrave un reacutefeacuterent tiers exclu de

lrsquointerlocution laquo je signifie la personne qui eacutenonce la preacutesente instance de discours

contenant je raquo (ibid 252) et tu repreacutesente laquo lrsquoindividu allocuteacute dans la preacutesente instance de

discours contenant linstance linguistique tu raquo (ibid 253) On peut assimiler les 1egravere

et 2e

personnes agrave des formes token-reacuteflexives mais agrave la diffeacuterence des deacutemonstratifs qui ne livrent

pas par eux-mecircmes les laquo coordonneacutees raquo de leur reacutefeacuterent (cf supra sect43) elles sont supposeacutees

indiquer reacuteflexivement lrsquoidentiteacute du reacutefeacuterent agrave trouver A ce titre on parle de symboles

indexicaux transparents ou complets (Kleiber 1984 67) de deacuteictiques purs (Kerbrat-

Orecchioni 1980) directs (Vuillaume 1993) ou encore primaires (Cornish 1999) laquo parce que

leur sens est tel qursquoil deacutetermine a priori le type de reacutefeacuterent deacutenoteacute raquo (Kleiber 1984 67)

Beacuteguelin (2002) relativise neacuteanmoins la preacutetendue transparence des pronoms au regard de

pheacutenomegravenes drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute eacutenonciative subtils sollicitant des compeacutetences infeacuterentielles de

la part de lrsquointerpregravete

(72) -Vous dites que contrairement aux ideacutees reccedilues lindividualisme le repli sur soi ne

sont pas une tendance de fondnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Je pense agrave une dame qursquoon a intervieweacutee elle avait donneacute son numeacutero agrave SOS amitieacute

et puis avait mis son teacuteleacutephone sur liste rouge Cest tregraves significatif Il y a le besoin de

rester chez moi dans ma bulle et celui de partager avec les autres (presse lt Beacuteguelin

2002 )

Dans cet exemple le pronom moi ne renvoie eacutevidemment pas au locuteur de lrsquoeacutenonciation

courante deacutesigneacute par le je introductif mais il srsquoinscrit dans une laquo eacutenonciation joueacutee fictive

peut-ecirctre cursive raquo (ibid) Des discours directs peuvent ainsi tout agrave fait surgir dans une

eacutenonciation hocircte sans deacutemarcation typographique

72

Nous marquons leur nature disjointe par la majuscule afin de distinguer certaines formes conjointes

homonymes

68

(73) Paris 1960 Tandis qursquoIsraeumll se preacutepare au procegraves Eichmann un jeune eacutetudiant en

droit rencontre sur lrsquoimpeacuteriale drsquoun bus une jeune eacutetudiante allemande Coup de

foudre reacuteciproque mais il faut que je te dise tu es une enfant de lrsquoAllemagne

amneacutesique et moi je suis juif et mon pegravere a eacuteteacute deacuteporteacute Regarde ces photos de morts-

vivants eacutecoute les reacutecits des camps Voilagrave maintenant tu es une Allemande qui sait Agrave

toi de choisir Crsquoest ainsi ou agrave peu pregraves qursquoinspireacutee et soutenue par Serge Klarsfeld

qui lrsquoeacutepousera dans six mois Beate se lance dans la longue traque que lrsquoon sait

(presse lt Beacuteguelin 2002 )

Les indices de 1egravere

et 2e personne ne deacutesignent ici ni directement ni simplement le narrateur ou

le lecteur mais invitent agrave envisager une eacutenonciation fictive et parallegravele agrave celle en cours et agrave en

conjecturer lrsquoidentiteacute des participants (ibid) Il srsquoagit donc pour lrsquointerpregravete de prendre en

consideacuteration cette dimension parfois implicitement heacuteteacuterogegravene de lrsquoeacutenonciation dans les

discours afin de mener agrave bien lrsquoidentification pas si transparente des reacutefeacuterents viseacutes

A propos des formes dites laquo plurielles raquo nous et vous on peut invoquer la notion laquo personne

amplifieacutee raquo de Benveniste (1966) nous ne repreacutesentant pas veacuteritablement une multiplication

de je mais plutocirct une amplification pouvant demeurer diffuse permettant une geacuteneacuteralisation

de la description des emplois varieacutes de nous (modestie majesteacute je+x etc) Il en va de mecircme

pour vous deacutesignant un tu laquo eacutelargi raquo dont les emplois discursifs peuvent ecirctre divers (politesse

tu+x etc) (cf infra sect 21)

Comme nous lrsquoavons dit plus haut les pronoms de 3egraveme

personne ne servent pas agrave reacutefeacuterer aux

participants de lrsquoeacutenonciation mais agrave des individus externes En ce sens Benveniste (1966) les

appelle non-personnes Les objets auxquels ils font reacutefeacuterence sont preacutesenteacutes comme

individueacutes et appartenant agrave une cateacutegorie73

ce dont la marque de genre est lrsquoindice (cf infra

ChII sect24) Le genre peut ecirctre interpreacuteteacute comme la trace drsquoune deacutenomination implicite du

reacutefeacuterent

(74) On a adopteacute un beacutebeacute Elle sappelle Lily (tv seacuterie Modern family saison 1)

Dans lrsquoexemple ci-dessus le trait de genre (feacutem) indique un changement drsquoattribut de

deacutenomination de lrsquoindividu introduit au deacutetriment drsquoun maintien de lrsquoeacutetiquette preacutealablement

utiliseacutee (beacutebeacute n m) (Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995) Au vu de leur eacuteconomie

lexicale les grammaires preacutesentent les pronoms de 3e personne comme un moyen drsquoeacuteviter la

verbalisation drsquoune information eacutevidente dont la reacutecupeacuteration se base sur le contexte Par

contexte on peut entendre le contexte linguistique preacuteceacutedent qui introduit verbalement le

reacutefeacuterent viseacute dans le discours mais aussi toute forme drsquoinput au discours (percepts

situationnels infeacuterences etc)

73

Cette cateacutegorisation nrsquoeacutetant pas obligatoirement explicitement introduite Lrsquoattribut de deacutenomination peut

demeurer implicite (voir infra ChII sect24)

69

(75) Il va venir tout de suite [un censeur drsquoune eacutecole srsquoadressant agrave la megravere drsquoun eacutelegraveve qui

attend devant le bureau du proviseur] (Kleiber 1990a 33)

La condition geacuteneacuteralement invoqueacutee pour un rappel via un pronom de 3e personne est la

saillance preacutealable du reacutefeacuterent le pronom doit assurer la continuiteacute reacutefeacuterentielle drsquoun objet

deacutejagrave placeacute au centre de lrsquoattention (cf infra ChII sect33) drsquoougrave des sanctions normatives en

contexte scolaire par exemple agrave lrsquoeacutegard drsquoenchaicircnements de ce type

(76) Je traversai le mur et me retrouvai agrave lrsquointeacuterieur Elle eacutetait simple (Elle = [la piegravece la

chambre] copie drsquoeacutelegraveve [Reichler-]Beacuteguelin 1993a 328)

On retrouve neacuteanmoins des proceacutedeacutes comparables chez des eacutecrivains notoires remettant du

coup en question ces contraintes drsquoemploi (voir aussi infra ChII sect422) comme ci-dessous

dans la ceacutelegravebre scegravene de LrsquoEacuteducation sentimentale eacutevoquant la premiegravere rencontre entre

Freacutedeacuteric et Mme Arnoux (personnage encore non introduit)

(77) Freacutedeacuteric pour rejoindre sa place poussa la grille des Premiegraveres deacuterangea deux

chasseurs avec leurs chiens nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Ce fut comme une apparition nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Elle eacutetait assise au milieu du banc toute seule ou du moins il ne distingua personne

dans lrsquoeacuteblouissement que lui envoyegraverent ses yeux (LrsquoEacuteducation sentimentale Flaubert)

On reacutetorquera peut-ecirctre qursquoune apparition implique seacutemantiquement un actant et que celui-ci

figure degraves lors deacutejagrave dans les repreacutesentations des interlocuteurs Cela dit ce nrsquoest agrave notre sens

pas (seulement) le critegravere de saillance cognitive qui motive le choix du pronom (noter

eacutegalement lrsquoemploi de la majuscule74

) derriegravere le choix de taire le nom ou drsquoeacuteviter un

descripteur lexical on peut observer la volonteacute de creacuteer de veacuteritables effets de points de vue

le lecteur capte et adopte ainsi le regard subjugueacute de Freacutedeacuteric pour cette femme dont il ignore

lrsquoidentiteacute et dont il est deacutejagrave en train de tomber amoureux On remarquera le va-et-vient entre

les focalisations zeacutero et interne de ce passage ougrave le point de vue du narrateur reacuteapparaicirct pour

rectifier peut-ecirctre avec ironie la perception de Freacutedeacuteric (laquo toute seule ou du moins il ne

distingua personne raquo)75

Une conseacutequence de la contrainte de continuiteacute reacutefeacuterentielle si lrsquoon y adhegravere est que laquo [l]e

pronom [hellip] nrsquoa pas le pouvoir drsquoexprimer un changement de cateacutegorie il maintient le

reacutefeacuterent tel qursquoil eacutetait dans la situation saillante de deacutepart raquo (Charolles 2002 223) Lagrave aussi

on trouve des contre-exemples qui illustrent des pheacutenomegravenes de recateacutegorisation reacutefeacuterentielle

implicite agrave travers lrsquousage des pronoms

(78) [agrave propos drsquoune roulotte laquo take-away raquo] En ce jeudi de juillet la clientegravele deacutefile ndash ils

sont parfois une douzaine agrave faire la queue ndash et les mets proposeacutes jouent lrsquoeacuteclectisme

entre lrsquoEurope et lrsquoAsie (presse La Liberteacute 240712)

74

Cf lrsquoeacutedition lrsquoeacutedition Charpentier de 1891 75

Voir Beacuteguelin (2013) pour une analyse de lrsquoemploi des pronoms de 3e personne chez Flaubert

70

Cet exemple illustre le recalibrage via le clitique ils drsquoun individu collectif (lsquola clientegravelersquo) en

la classe de ses membres Lrsquoexemple (74) supra montre eacutegalement que lrsquoon peut modifier la

cateacutegorisation lexicale sous-jacente drsquoun reacutefeacuterent (lsquoun beacutebeacutersquo) pour induire une interpreacutetation

diffeacuterente du reacutefeacuterent (eg son sexe) via lrsquousage drsquoun pronom Ces questions seront

longuement discuteacutees infra (ChII sect42)

Concernant les pronoms disjoints de 3e personne on trouve des formulations restrictives agrave

lrsquoeacutegard de certaines caracteacuteristiques

Ces formes se diffeacuterencient des clitiques ou laquo vrais pronoms raquo ellesilslelales en ceci qursquoelles sont reacuteserveacutees aux animeacutes (Lui il ne vaut pas cher ne peut se dire que drsquoune personne ou drsquoun animal) qursquoelles alternent pour les inanimeacutes avec celui-cilagrave et qursquoelles exigent un signe drsquoostension (dans les emplois en situation immeacutediate) (Charolles 2002 227)

Les deux extraits suivants mettant en jeu des renvois agrave des inanimeacutes puiseacutes dans des genres

drsquoeacutecrit consideacutereacutes comme laquo soigneacutes raquo suffiront agrave reacutecuser ces propos

(79) Sans filtre les meacutegots de Gitanes seacutetaient quant agrave eux depuis longtemps deacutejagrave

volatiliseacutes dans cette ultime mince colonne de fumeacutee quils exhalent en se tortillant

lorsquils achegravevent de se consumer (Benoziglio J-L La voix des mauvais jours et

des chagrins rentreacutes 2004 lt Frantext)

(80) Donc ne regrettez pas mon fils drsquoecirctre semblable au vulgaire Cela que vous

deacutedaignez en vous megravenera peut-ecirctre vos recircveries agrave la reacutealisation et voici votre

goucirct mecircme pour lrsquohistoire ce goucirct qui vous donne la premiegravere place entre vos

condisciples en cette matiegravere du moins crsquoest lui qui vous reacutevegravele votre force veacuteritable

(Adam P LEnfant dAusterlitz 1902 lt Frantext)

Il faut cependant reconnaicirctre avec Charolles (ibid) que la forme accentueacutee des pronoms leur

permet drsquoaccomplir un veacuteritable geste drsquoostension consistant agrave confirmer lrsquoidentiteacute drsquoun

reacutefeacuterent comme ci-dessus En cela les pronoms disjoints se rapprochent des expressions

token-reacuteflexives par le fait que leur occurrence deacuteclenche un recours immeacutediat aux

circonstances drsquoeacutenonciation pour lrsquoidentification du reacutefeacuterent que celui provienne du contexte

linguistique (ci-dessus) ou de lrsquoenvironnement perceptif (ci-dessous)

(81) Qui va-t-on deacutesigner Moi Lui Nous (Riegel et al 2009 371)

La confirmation drsquoidentiteacute associeacutee agrave leur emploi peut ecirctre exploiteacutee agrave des fins de contraste

En effet lrsquoemploi du pronom lui en (80) permet drsquoopposer lsquole goucirct pour lrsquohistoirersquo agrave tous les

autres reacutefeacuterents potentiels (lsquoet rien drsquoautrersquo) Ci-dessous le contraste est encore plus

explicite

(82) Nos penseacutees disait-il sont de petits couteaux que nous tacircchons drsquoinseacuterer entre les

blocs informes des choses Nous les savons eux si fragiles et elles si pesantes

(Delattre L Carnets dun meacutedecin de village lt Frantext)

71

Cependant tous les emplois des pronoms disjoints ne mettent pas en jeu un accent

drsquoinsistance ou une valeur de confirmation de contraste Dans certains contextes les pronoms

disjoints se preacutesentent comme suppleacuteants des pronoms conjoints lagrave ougrave ceux-ci ne peuvent

apparaicirctre en raison de leur statut syntaxique (Noslashlke 1997 60) Crsquoest par exemple le cas dans

des positions circonstancielles apregraves une preacuteposition (contrairement aux positions

argumentales ougrave le pronom conjoint est tout deacutesigneacute)

(83) - Paula est obligeacutee de tapiner pour vivre Jrsquoai peur pour elle de ce quon pourrait lui

faire vous comprenez ou vous aussi vous ecirctes en pierre (Feacuterey C Mapuche

2012 lt Frantext)

Dans lrsquoexemple ci-dessus le pronom disjoints elle nrsquoest apparemment pas voueacute agrave insister

drsquoune maniegravere particuliegravere sur lrsquoidentiteacute du reacutefeacuterent en question ni agrave marquer un contraste

speacutecifique mais sert simplement agrave identifier la beacuteneacuteficiaire du sentiment de peur Drsquoailleurs

la construction qui suit rappelle cette beacuteneacuteficiaire sous une forme conjointe (lui) dont la

forme dative est disponible pour le verbe en question On peut relever drsquoautres constructions

syntaxiques favorables aux pronoms disjoints parce que peu accessibles aux pronoms

conjoints76

(84) Le moment venu je regarderai comme un devoir de ne rien vous cacher Mais

attendons Harrendt crsquoest un homme fort savant et lui et moi serons probablement du

mecircme avis (Dumas A En Russie 1859 lt Frantext)

Dans cet exemple il nrsquoy a pas de raison drsquoinvoquer un surmarquage de lrsquoidentiteacute reacutefeacuterentielle

ou un effet de contraste77

45 Les SN indeacutefinis

Nous traitons le cas des SN indeacutefinis en dernier car il se distingue des autres expressions par

lrsquoopeacuteration radicalement diffeacuterente en jeu agrave savoir lrsquointroduction drsquoun objet ineacutedit dans le

domaine drsquointerpreacutetation consideacutereacute Cette habileteacute agrave introduire des objets nouveaux explique

selon Charolles (2002 153) la disposition des SN indeacutefinis agrave occuper des positions

rheacutematiques par exemple dans des constructions existentielles comme ci-dessous

(85) Il y a un alligator sous mon lit (titre drsquoun livre pour enfants)

Lrsquointerpreacutetation des SN indeacutefinis nrsquoest pas pour autant affranchie drsquoun cadre de reacutefeacuterence

Dans lrsquoexemple ci-dessus lrsquoeacutenonceacute srsquointerpregravete dans un cadre explicitement introduit par le

circonstant sous mon lit agrave situer lui-mecircme agrave partir drsquoun contexte drsquoeacutenonciation plus geacuteneacuteral

impliquant un locuteur fictif infeacutereacute agrave partir du genre textuel et drsquoeacuteventuels autres indices agrave

disposition Charolles (ibid 154) observe que dans les incipits de romans les SN indeacutefinis

76

Voir cependant des cas de coordination de pronoms conjoints releveacutes par Zumwald Kuumlster (2014) 77

Ou alors si surmarquage il y a il reacutesulte plutocirct du deacutetail des individus composant lrsquoensemble au deacutetriment de

lrsquoemploi drsquoun nous

72

sont souvent preacuteceacutedeacutes de compleacutements circonstanciels servant drsquoancrage au reacutecit et agrave ses

personnages

(86) En 1800 vers la fin du mois drsquooctobre un eacutetranger accompagneacute drsquoune femme et

drsquoune petite fille arriva devant les Tuileries agrave Paris [hellip] (La Vendetta Balzac lt ibid)

Parfois lrsquointerpreacutetation drsquoun SN indeacutefini deacutepend mecircme drsquoun contexte tregraves restreint et peut se

rapprocher drsquoun fonctionnement en anaphore associative (cf infra ChII sect41) ougrave le reacutefeacuterent

deacutesigneacute par le SN indeacutefini est agrave interpreacuteter comme une partie drsquoun tout preacutealablement

introduit (Charolles amp Choi-Jonin 1995)

(87) Les policiers inspectegraverent la voiture Une roue eacutetait pleine de boue (Kleiber 2001a)

Il srsquoagit en effet drsquointerpreacuteter la roue en question comme une roue de la voiture ou une des

roues de la voiture

Du point de vue seacutemantique les linguistes srsquoaccordent pour attribuer au deacuteterminant un le trait

[+deacutenombrable] (aussi appeleacute ailleurs discret discontinu ou comptable) (eg Blanche-

Benveniste amp Chervel 1966 Gary-Prieur 2011 Riegel et al 2009) par opposition au partitif

du qui preacutesente le reacutefeacuterent de N comme [+continu] (ou [+massif])

(88) Nous avons mangeacute un poisson (Gary-Prieur 2011 21)

(89) Nous avons mangeacute du poisson (ibid)

Certains N comme poisson ci-dessus sont non-marqueacutes quant au trait de continuiteacute et ouverts

aux deux emplois selon lrsquointerpreacutetation deacutesireacutee par le locuteur tandis que drsquoautres N

privileacutegient un certain type de deacuteterminant en fonction de leur sens lexical Crsquoest le cas par

exemple du N lyceacuteen qui doteacute drsquoun segraveme comptable est geacuteneacuteralement voueacute agrave deacutesigner un

individu humain srsquoassociant de la sorte agrave un deacuteterminant indeacutefini Neacuteanmoins il nrsquoest pas

rare en discours de laquo contrevenir raquo au trait de discontinuiteacute du N pour creacuteer un effet de

massification

(90) Lrsquoautobus de section en section deacutegorgeant du lyceacuteen et de la dactylo atteignant les

confins de Neuilly-Plaisance (Bazin H Madame Ex)

A lrsquoinverse il est possible de construire des subdivisions reacutefeacuterentielles au sein drsquoun concept N

geacuteneacuteralement perccedilu sans deacutelimitation

(91) Je me suis cacheacute dans un angle de porte LAnglais eacutetait coucheacute sur le ventre Un sang

eacutepais coulait sur le sol (Chalandon S Mon traicirctre 2007 lt Frantext)

Le SN un sang eacutepais renvoie agrave un sous-type de sang ici explicitement caracteacuteriseacute par

lrsquoeacutepithegravete eacutepais

73

Une autre caracteacuteristique du SN indeacutefini consiste dans le fait qursquoil preacutesuppose lrsquoexistence

drsquoune classe de N laquo derriegravere chacun des eacuteleacutements de la seacuterie crsquoest la seacuterie des occurrences

qui se profile Un chat srsquooppose agrave tous les autres chats en disant le premier de la seacuterie

orienteacutee arbitrairement par le discours agrave partir de lui raquo (Blanche-Benveniste amp Chervel 1966

9-10) Autrement dit un N opegravere une saisie interne au sein de la classe extensionnelle de N

(ibid) que Corblin (1987) reformule comme un proceacutedeacute drsquoextraction drsquoun individu agrave partir de

la classe Cette opeacuteration drsquoextraction est parfois interpreacuteteacutee agrave tort comme impliquant la

preacutesence effective dans la situation drsquoeacutenonciation de plusieurs objets de la mecircme cateacutegorie

(eg Gary-Prieur 2011 29) Mais lrsquoappartenance de lrsquoexemplaire agrave une classe nrsquoest qursquoune

information preacutesupposeacutee

(92) Jrsquoai mangeacute une pomme (ibid)

Pour interpreacuteter cet eacutenonceacute il nrsquoest pas neacutecessaire drsquoenvisager les autres reacutefeacuterents du mecircme

type dans la situation deacutecrite lrsquousage de lrsquoindeacutefini conduit simplement agrave assumer lrsquoexistence

drsquoune classe notionnelle correspondante dont le locuteur introduit un speacutecimen dans le

discours

Notons encore que le SN indeacutefini srsquoillustre dans des interpreacutetations laquo geacuteneacuteriques raquo Dans ce

cas le cadre de reacutefeacuterence srsquoeacutetend agrave lrsquoensemble de lrsquounivers discursif

(93) Un chien reconnaicirct toujours son maicirctre (Blanche-Benveniste amp Chervel 1966)

(94) Une socieacuteteacute repose sur des valeurs (Corblin 1987 50)

(95) Un roman policier ccedila se lit en trois heures (Gary-Prieur 2001 36)

Cette valeur geacuteneacuterique se distingue par son interpreacutetation de celle de lrsquoemploi deacutefini

renvoyant agrave un type (cf supra sect42) Ici lrsquoindeacutefini met en jeu un eacuteleacutement perccedilu comme

quelconque (Gary-Prieur 2011 35) Les caracteacuteristiques du deacuteterminant agrave savoir ses traits

[+comptable] [+nouveau] et son preacutesupposeacute drsquoappartenance agrave une classe restent valables en

somme dans ce type drsquoeacutenonceacute le SN signale que le preacutedicat vaut pour nrsquoimporte quel reacutefeacuterent

preacuteleveacute de la classe preacutesupposeacutee78

46 Approche cognitive des expressions reacutefeacuterentielles

Dans une approche cognitive des chercheurs ont proposeacute des modegraveles du fonctionnement des

expressions reacutefeacuterentielles fondeacutes sur lrsquoideacutee que celles-ci encodent dans leur signifieacute des

78

Corblin (1987 50) deacutecrit cet emploi en recourant agrave un proceacutedeacute de multiplication du contexte propositionnel

Autrement dit lrsquointerpreacutetation implique un preacutelegravevement illimiteacute drsquoun eacuteleacutement sur la classe qui aboutit au

parcours entier de celle-ci Lrsquoauteur commente ainsi lrsquoexemple (94) laquo lrsquoeacutenonceacute est veacuterifieacute pour un nombre non

limiteacute drsquoextractions drsquoun individu ʺsocieacuteteacuteʺ Grossiegraverement ʺprenez une socieacuteteacute elle repose sur des valeurs

prenez-en une autre (et autant de fois que vous voudrez) elle repose sur des valeursʺ raquo (ibid 51) Mecircme si crsquoest

agrave lrsquoideacutee de reacutefeacuterent quelconque qursquoaboutit lrsquointerpreacutetation ce processus multiplicateur ne nous paraicirct pas

indispensable pour la description

74

instructions agrave lrsquointention de lrsquointerpregravete en vue de la reacutecupeacuteration du reacutefeacuterent viseacute79

Crsquoest agrave la

suite de travaux invoquant un degreacute de givenness (litteacuteralement lsquocaractegravere donneacutersquo) ou de

familiariteacute des entiteacutes discursives (eg Chafe 1976 Clark amp Haviland 1977 Prince 1981) que

les efforts ont porteacute sur les rapports entre diffeacuterents types drsquoexpressions reacutefeacuterentielles et le

statut cognitif des reacutefeacuterents dans les repreacutesentations mentales des interlocuteurs A cet eacutegard

deux modegraveles sont amplement exploiteacutes dans les travaux en linguistique agrave savoir celui

drsquoAriel (1988 1990 2001) et celui de Gundel et al (1993) Aux yeux drsquoAriel certaines

expressions reacutefeacuterentielles signalent un degreacute drsquoaccessibiliteacute reacutefeacuterentielle relatif alors que pour

Gundel et al les formes utiliseacutees manifestent un statut cognitif particulier deacutefini de maniegravere

qualitative

461 La theacuteorie de lrsquoAccessibiliteacute

Selon Ariel certaines expressions reacutefeacuterentielles encodent un degreacute drsquoaccessibiliteacute autrement

dit le fait qursquoon a plus ou moins facilement accegraves agrave une repreacutesentation mentale du reacutefeacuterent

Crsquoest donc en fonction de lrsquoaccessibiliteacute qursquoun reacutefeacuterent est supposeacute avoir pour lrsquointerlocuteur

qursquoun locuteur seacutelectionne un type drsquoexpression ad hoc Ariel relegraveve quatre critegraveres

susceptibles drsquoaffecter lrsquoaccessibiliteacute drsquoun reacutefeacuterent

- la distance entre un anteacuteceacutedent et un anaphorique

- le nombre de concurrents pour le statut drsquoanteacuteceacutedent

- le degreacute de topicaliteacute du reacutefeacuterent

- le rocircle de lrsquouniteacute consideacutereacutee (inteacutegration de lrsquoanteacuteceacutedent dans le mecircme cadre point

de vue segment paragraphe etc que lrsquoanaphorique)

Demol (2010 130) relegraveve la subtiliteacute de lrsquointeraction de ces facteurs qui nrsquoont pas

lrsquoobligation drsquoecirctre activeacutes simultaneacutement laquo le concept drsquoaccessibiliteacute se preacutesente par

conseacutequent comme un concept fort complexe de sorte qursquoil ne suffit pas drsquoeacutetudier un seul

facteur pour en savoir plus sur le fonctionnement de telle ou telle expression reacutefeacuterentielle raquo

Neacuteanmoins au vu de la difficulteacute de mesurer ces diffeacuterents facteurs et leur interaction Ariel

(1988 70 1990 31) retient essentiellement le critegravere de la distance pour ses releveacutes chiffreacutes

ndash soutenant que les autres se reacutevegravelent geacuteneacuteralement convergents ndash en y ajoutant lrsquoun ou lrsquoautre

paramegravetre selon la pertinence du pheacutenomegravene examineacute (la saillance pour les marqueurs de

haute accessibiliteacute lrsquouniteacute pour les marqueurs drsquoaccessibiliteacute faible) Ses observations se

fondent en grande partie sur des donneacutees attesteacutees en anglais et en heacutebreu (1988 1990) issues

de sources diverses (romans presse textes scientifiques interviews conversation familiegravere)

Sur la base de ses reacutesultats Ariel (1990 73) propose une Eacutechelle drsquoAccessibiliteacute situant agrave

79

laquo [R]efering expressions are no more than guidelines for retrievals raquo (Ariel 1988 68) laquo different determiners

and pronominal forms conventionally signal different cognitive statuses (information about location in memory

and attention state) thereby enabling the addressee to restrict the set of possible referents raquo (Gundel et al 1993

274-275)

75

lrsquoune des extreacutemiteacutes les noms propres modifieacutes (eg Joan Smith the president) comme les

marqueurs drsquoaccessibiliteacute la plus faible agrave lrsquoopposeacute des ellipses sujets nuls formes wh- ou

marques drsquoaccord qui indiquent lrsquoaccessibiliteacute la plus eacuteleveacutee

Figure 2 Eacutechelle drsquoAccessibiliteacute drsquoapregraves Ariel (1990)

Low Accessibility

Full name + modifier

Full (lsquonamyrsquo) name

Long definite description

Short definite description

Last name

First name

Distal demonstrative + modifier

Proximal demonstrative + modifier

Distal demonstrative (+NP)

Proximal demonstrative (+NP)

Stressed pronoun + gesture

Stressed pronoun

Unstressed pronoun

Cliticized pronoun

Extremely High Accessibility Markers

(gaps including pro PRO and wh- traces

reflexives and Agreement [hellip]

High Acessibility

Ariel considegravere cette eacutechelle comme universelle bien que chaque langue ne dispose pas de

toutes les ressources linguistiques mentionneacutees lrsquoordre de lrsquoeacutechelle resterait un critegravere

constant agrave travers les langues On y retrouve les expressions discuteacutees dans lrsquoinventaire supra

agrave lrsquoexception des SN indeacutefinis du fait qursquoils ne renvoient pas agrave un reacutefeacuterent deacutejagrave accessible

dans la meacutemoire de lrsquointerlocuteur Les pronoms personnels se voient ainsi affecteacutes drsquoune

accessibiliteacute eacuteleveacutee autrement dit ils sont consideacutereacutes comme speacutecialiseacutes dans la reacutefeacuterence aux

entiteacutes bien accessibles en meacutemoire les expressions deacutemonstratives de leur cocircteacute sont doteacutees

drsquoune accessibiliteacute intermeacutediaire quant aux descriptions deacutefinies et aux noms propres ils

sont voueacutes agrave reacutecupeacuterer des reacutefeacuterents consideacutereacutes comme moins accessibles Ariel (1988 82) se

reacutefegravere agrave la theacuteorie de la Pertinence (Sperber amp Wilson 1986) pour invoquer le fait qursquoun

marqueur drsquoaccessibiliteacute faible devra comporter de maniegravere compensatoire plus

drsquoinformations lexicales que les formes situeacutees sur le pocircle inverse marquant une haute

accessibiliteacute son coucirct de traitement eacuteleveacute se verra donc compenseacute par des rendements

proportionnellement pertinents

462 La Hieacuterarchie du Donneacute

Le modegravele de Gundel et al (1993) (Givenness Hierarchy) se distingue de celui drsquoAriel par le

fait que les diffeacuterents statuts cognitifs sont deacutefinis qualitativement et sont envisageacutes dans une

relation drsquoimplication les uns par rapport aux autres laquo each status entails (and is therefore

included by) all lower statuses but not vice versa raquo (p 76) Ainsi le statut in focus pour un

76

reacutefeacuterent implique que celui-ci satisfait eacutegalement les autres Ces statuts sont preacutesenteacutes du plus

restrictif (laquo en focus raquo) au moins restrictif (laquo identifiable quant au type drsquoentiteacute raquo)

Figure 3 La Hieacuterarchie du Donneacute drsquoapres Gundel et al (1993)80

in focus gt activated gt familiar gt uniquely

indentifiable gt referential gt type identifiable

it

this

that

this N

that N the N indefinite this N a N

il ccedila

cela ceci ce N-ci

celui-lagrave celui-ci

ce N-lagrave lela N ce N(-ci) indeacutefini unune N

A noter que contrairement agrave lrsquoeacutechelle drsquoAriel celle-ci nrsquointegravegre pas les Npr Par contre elle

tient compte des SN indeacutefinis Selon les auteurs un reacutefeacuterent en focus est situeacute dans le centre

drsquoattention des interlocuteurs (current center of attention p 279) au sein de la meacutemoire agrave

court terme Crsquoest le statut requis pour lrsquoemploi des pronoms non accentueacutes (laquo unstressed

pronominals raquo) ou des anaphores zeacutero en anglais Le statut activeacute indique que le reacutefeacuterent agrave

rechercher se situe dans la meacutemoire agrave court terme mais pas forceacutement dans le centre

drsquoattention des interlocuteurs (I couldnrsquot sleep last night That kept me awake81

) Un reacutefeacuterent

familier signifie que lrsquoallocutaire possegravede une repreacutesentation particuliegravere du reacutefeacuterent au moins

dans la meacutemoire agrave long terme (I couldnrsquot sleep last night That dog (next door) kept me

awake) Dans le cas du statut uniquement identifiable lrsquoallocutaire doit pouvoir acceacuteder agrave une

repreacutesentation unique du reacutefeacuterent par le biais du N lexical que celle-ci existe preacutealablement

en meacutemoire ou non (I couldnrsquot sleep last night The dog (next door) kept me awake) Le statut

reacutefeacuterentiel implique pour lrsquoallocutaire lrsquoidentification drsquoun reacutefeacuterent correspondant agrave N et

signale que le locuteur srsquoattend agrave ce que lrsquoallocutaire construise une repreacutesentation particuliegravere

du reacutefeacuterent viseacute (I couldnrsquot sleep last night This dog (next door) kept me awake) Enfin

lrsquoallocutaire accegravede agrave la repreacutesentation drsquoun reacutefeacuterent identifiable quant au type drsquoentiteacute par le

biais de sa connaissance des eacuteleacutements lexicaux sans qursquoune repreacutesentation particuliegravere soit

preacutealablement connue (I couldnrsquot sleep last night A dog (next door) kept me awake) La

relation drsquoimplication unidirectionnelle signifie qursquoune entiteacute en focus est eacutegalement activeacutee

familiegravere uniquement identifiable reacutefeacuterentielle de mecircme qursquoidentifiable quant au type Degraves

lors une expression associeacutee agrave lrsquoun de ces statuts impliqueacutes peut en theacuteorie ecirctre utiliseacutee pour

reacutefeacuterer agrave un objet en focus par exemple un SN deacutefini pourrait ecirctre employeacute dans cette

situation Drsquoapregraves les auteurs les diverses possibiliteacutes se voient neacuteanmoins pragmatiquement

80

Cette figure est adapteacutee en franccedilais dans Gundel et al (2000) 81

Les exemples voueacutes agrave illustrer la distribution des formes en fonction des diffeacuterents statuts sont pour la plupart

forgeacutes Neacuteanmoins aux dires des auteurs la hieacuterarchie a eacuteteacute testeacutee et compareacutee entre plusieurs langues

(lrsquoanglais le mandarin le chinois le japonais lrsquoespagnol et le russe) sur un corpus diversifieacute (romans nouvelles

presse eacutecrite et orale conversations) avec des similitudes mais aussi certaines divergences par exemple dans

lrsquoemploi respectif des SN deacutemonstratifs ou indeacutefinis Il faut cependant reconnaicirctre avec Demol (2010 136-137)

que la meacutethodologie suivie nrsquoest pas rigoureusement deacutecrite les critegraveres releveacutes de maniegravere non systeacutematique

reposent sur la syntaxe la distance entre les mentions des jugements de pertinence ou la prise en compte du

savoir partageacute (Gundel et al 1993 291)

77

restreintes par la maxime de quantiteacute de Grice (1975) requeacuterant drsquoune part drsquoecirctre aussi

informatif que neacutecessaire drsquoautre part drsquoeacuteviter de donner plus drsquoinformations qursquoil ne faut

463 Bilan

Au-delagrave des divergences terminologiques meacutethodologiques ou theacuteoriques de ces modegraveles on

peut neacuteanmoins relever leur vocation unanime agrave doter les expressions reacutefeacuterentielles

drsquoinstructions univoques pour la reacutecupeacuteration reacutefeacuterentielle En cela ces approches se fondent

essentiellement sur lrsquoideacutee drsquoune adeacutequation des formes aux inteacuterecircts de lrsquoallocutaire en

releacuteguant au second plan drsquoautres aspects qui pourraient guider le choix du locuteur dans la

deacutesignation opeacutereacutee Par exemple au vu de donneacutees comme (63) (64) (68) (69) (70) (71)

ougrave le reacutefeacuterent rappeleacute a eacuteteacute reacutecemment introduit il nous semble contre-intuitif de justifier

lrsquoemploi du deacutemonstratif par le caractegravere moyennement accessible ou preacutealablement en retrait

du reacutefeacuterent De la mecircme maniegravere ni lrsquoaccessibiliteacute ni le statut cognitif ne parviennent agrave

expliquer lrsquoemploi drsquoun pronom personnel comme (77) mecircme en faisant intervenir des lois

pragmatiques (eg maxime de quantiteacute) Les usages qui srsquoen eacutecartent ne sont pas totalement

neacutegligeacutes82

par les auteurs mais ils sont traiteacutes comme des exceptions ndash ou laquo violations raquo

selon les termes des auteurs (Ariel 1990 200 Gundel et al 2000) ndash faisant intervenir des

pheacutenomegravenes drsquoimplications contextuelles ou drsquoaccommodation (cf infra ChII sect421)

Drsquoapregraves Apotheacuteloz (1995a 73-74) lrsquoemploi drsquoune expression reacutefeacuterentielle implique deux

processus lrsquoacte de reacutefeacuterence proprement dit et lrsquoacte de deacutenomination Dans les theacuteories

dominantes on part du principe que le dernier opegravere au service du premier autrement dit

qursquoon deacutenomme pour identifier Mais crsquoest oublier que la deacutenomination peut opeacuterer en vue

drsquoautres objectifs (par exemple un apport significatif drsquoinformation via un SN lexical agrave des

fins argumentatives ou agrave lrsquoinverse une sous-speacutecification agrave des fins de cryptage de

polyphonie etc) Or lrsquoappariement drsquoune forme linguistique agrave une modaliteacute cognitive

comme le postulent les eacutechelles contribue agrave notre sens agrave banaliser le proceacutedeacute reacutefeacuterentiel en

marginalisant les facteurs contextuels en jeu (rapport des interlocuteurs inteacuterecircts respectifs

genre de discours etc) Aussi sans nier totalement la pertinence de ces eacutechelles nous

preacutefeacuterons consideacuterer que les critegraveres cognitifs invoqueacutes constituent un paramegravetre au mecircme

titre que drsquoautres dans le recrutement drsquoune expression reacutefeacuterentielle

Pour deacutecrire plus scrupuleusement ces opeacuterations il est neacutecessaire de faire agrave preacutesent le point

sur les notions largement exploiteacutees drsquoanaphore et de deixis qui concernent la maniegravere dont

le reacutefeacuterent viseacute est porteacute agrave la connaissance des participants de lrsquointeraction mais qui

comportent selon les conceptions un certain nombre drsquoinconveacutenients theacuteoriques

82

Voir par exemple le chapitre 8 drsquoAriel (1990 198 sqq) intituleacute Special uses of accessibility markers ou

Gundel et al (2000 92-94)

78

79

5 Modes de deacutesignation reacutefeacuterentielle anaphore et deixis

Parmi les opeacuterations qui servent agrave reacutecupeacuterer un objet agrave partir de lrsquoespace commun aux

interlocteurs il est drsquousage en linguistique textuelle drsquoopposer deux modes de reacutefeacuterence selon

la maniegravere dont on accegravede au reacutefeacuterent La conception traditionnelle peut ecirctre qualifieacutee de

textualiste eacutetant donneacute qursquoelle fonde la distinction sur lrsquoaccegraves au reacutefeacuterent via le texte vs la

situation extralinguistique Une conception concurrente qursquoon peut appeler cognitive

invoque de son cocircteacute un critegravere de nouveauteacute ou de maintien du reacutefeacuterent dans le savoir partageacute

en lieu et place du critegravere textuelsituationnel On peut illustrer ces deux conceptions agrave travers

les exemples suivants repris de Kleiber (1992 614)

(96) Paul a enleveacute son chapeau Il avait trop chaud (p 614)

(97) Ce chien cherche son maicirctre (avec geste drsquoostension) (ibid)

Selon la conception textualiste on explique geacuteneacuteralement lrsquointerpreacutetation du pronom de 3e

personne en (96) par le renvoi agrave un anteacuteceacutedent dans lrsquoespace textuel en amont en lrsquooccurrence

le nom propre Paul en (97) au contraire le SN deacutemonstratif srsquointerpregravete agrave partir de

lrsquoenvironnement extralinguistique concomitant agrave lrsquoeacutenonciation Drsquoapregraves lrsquoapproche dite

cognitive au contraire lrsquoemploi de il en (96) se justifie par le maintien du reacutefeacuterent deacutejagrave eacutetabli

dans le savoir partageacute tandis qursquoen (97) lrsquoemploi du deacutemonstratif est favoriseacute par la volonteacute

drsquoinstaller un reacutefeacuterent au sein de lrsquoattention des interlocuteurs

Avant de preacutesenter plus en deacutetail ces deux approches ainsi que les problegravemes qursquoelles

soulegravevent nous nous proposons de remonter briegravevement aux sources des notions drsquoanaphore

et de deixis

51 Origine des notions drsquoanaphore et de deixis

Drsquoapregraves Bosch (1983) les premiers deacuteveloppements que lrsquoon trouve sur la notion drsquoanaphore

proviennent drsquoApollonius Dyscole grammairien grec drsquoAlexandrie du 2e siegravecle apregraves J-C

Dans son traiteacute sur les pronoms (Peri Antonymias) il mentionne le fonctionnement soit

deacuteictique soit anaphorique des pronoms (personnels et possessifs) et rattache la deixis agrave la

procircteacute gnocircsis (connaissance premiegravere) et lrsquoanaphore agrave la deuteacutera gnocircsis (connaissance

seconde) la deixis constituant la reacutefeacuterence agrave des objets nouveaux dans le discours lrsquoanaphore

celle agrave des objets deacutejagrave preacutesents dans le discours (Bosch 1983 5-6) Cette distinction

drsquoApollonius aurait eacuteteacute redeacutecouverte apregraves des siegravecles par Windisch (1869) dans le cadre

drsquoune eacutetude sur les pronoms relatifs et crsquoest cette conception devenue courante parmi les

speacutecialistes des langues indo-europeacuteennes contemporains qui preacutedominait encore au deacutebut du

20e siegravecle

83 (ibid 8) Selon Bosch (ibid 5-6) crsquoest une formulation laquo malheureuse raquo de

Windisch qui est responsable de lrsquointerpreacutetation actuelle assimilant la deixis agrave la reacutefeacuterence

situationnelle et lrsquoanaphore agrave la reacutefeacuterence intra-textuelle Lrsquoapproche drsquoApollonius et de

83

Voir par exemple Brugmann (1904) sur les pronoms deacutemonstratifs

80

Windisch serait en fait proche de celle en termes de donneacute et nouveau dans les theacuteories

cognitives plus reacutecentes (eg Chafe 1976 Clark amp Haviland 1977 Prince 1981 cf supra

sect46) Cela dit les notions drsquoanaphore et de deixis nrsquoeacutetaient pas particuliegraverement centrales ni

chez les grammairiens de lrsquoAntiquiteacute ni chez les indo-europeacuteanistes et leur servaient plutocirct

drsquoinstruments auxiliaires de description voueacutes agrave des objectifs de recherche particuliers (Bosch

1983 9)

52 Conception traditionnelle de lrsquoopposition anaphore vs deixis

Buumlhler (1934=2009) se profile comme un acteur important de la conception theacuteorique du

couple deixis-anaphore Parmi les proceacutedeacutes de pointage (Zeigen) il distingue le pointage

drsquoobjets (sachliches Zeigen) ou deixis (du grec lsquomontrerrsquo) du pointage syntaxique

(syntaktisches Zeigen) ou anaphore Le premier proceacutedeacute sert agrave reacutefeacuterer directement aux objets

du monde reacuteel (ou imaginaire = deixis am Phantasma) le second est utiliseacute pour pointer sur

des eacuteleacutements du contexte linguistique crsquoest-agrave-dire les expressions mecircmes du discours ou les

choses telles qursquoelles ont eacuteteacute caracteacuteriseacutees par les interlocuteurs dans le discours (p 563) Il

est agrave noter que pour Buumlhler lrsquoanaphore est une laquo deixis reacuteflexive raquo (p 561) ougrave le contexte

linguistique devient le champ deacuteictique (Zeigfeld) et ougrave les pointeurs laquo prennent en charge une

fonction deacuteictique qui assure un service interne raquo (p 563 nous soulignons) en pointant en

avant ou en arriegravere sur la chaicircne du discours Il y a lagrave une distinction nette de traitement entre

le processus de renvoi agrave un objet exteacuterieur au discours ou agrave un objet mentionneacute Lrsquoopposition

entre reacutefeacuterence extra-linguistique et intra-linguistique est ainsi bien eacutetablie on fait deacutesormais

comme si la deacutesignation drsquoun objet de lrsquoenvironnement exteacuterieur eacutetait drsquoun autre ordre que la

deacutesignation drsquoun objet du discours

Cependant la relation inclusive proposeacutee par Buumlhler faisant de lrsquoanaphore un sous-type de

deixis est rarement mise au premier plan et les scheacutemas classiques tendent agrave induire une

interpreacutetation eacutequipollente des concepts Le lien de parenteacute est surtout mis en eacutevidence dans le

processus drsquoeacutemergence de lrsquoanaphore Lyons (1977 667-671) montre que les emplois

anaphoriques des deacutemonstratifs proximaux et distaux deacutependent de leur composante

premiegraverement deacuteictique De mecircme Halliday amp Hasan (1976 32) et Fraser amp Joly (1980 25)

reconnaissent la primauteacute de la reacutefeacuterence extra-textuelle (appeleacutee exophore) sur la reacutefeacuterence

intra-textuelle (appeleacutee endophore) laquo exophore et endophore sont organiquement lieacutees celle-

ci eacutetant issue de celle-lagrave raquo (ibid 25) Drsquoailleurs pour ces derniers le pheacutenomegravene de deixis

constitue un systegraveme de repeacuterage spatio-temporel qui recouvre aussi bien lrsquoexophore que

lrsquoendophore

Il nrsquoen reste pas moins que drsquoapregraves leurs scheacutemas comme drsquoapregraves certains de leurs propos les

deux modes de reacutefeacuterence (selon la localisation du reacutefeacuterent) sont constamment mis dos agrave dos

plutocirct que preacutesenteacutes dans une relation inclusive

[l]inguistiquement un objet peut avoir deux lieux drsquoexistence hors du discours ou en discours On est du mecircme coup ameneacute agrave distinguer deux types

81

de reacutefeacuterence celle qui renvoie agrave un objet dont le lieu drsquoexistence est extra-discursif et que nous nommons exophore et celle qui renvoie agrave un objet dont le lieu drsquoexistence est intra-discursif et agrave laquelle nous donnons le nom drsquoendophore (ibid 24)

Lrsquoun des scheacutemas repreacutesentatifs agrave cet eacutegard est celui drsquoHalliday amp Hasan (1976 33) issu de

leur ouvrage consacreacute agrave la probleacutematique de la coheacutesion textuelle

Figure 4 Scheacutema des modaliteacutes reacutefeacuterentielles drsquoapregraves Halliday amp Hasan (1976)

A noter que les auteurs emploient ici le nom drsquoanaphore au sens strict pour deacutesigner un sous-

type drsquoendophore celui ougrave laquo lrsquoanteacuteceacutedent raquo autrement dit lrsquoexpression agrave laquelle il convient

de se reporter pour lrsquointerpreacutetation est situeacute en amont dans le texte Le terme drsquoanaphore

srsquooppose agrave celui de cataphore ougrave lrsquoexpression reacutefeacuterentielle deacutepend drsquoun segment situeacute en aval

conformeacutement agrave lrsquoeacutetymologie du mot84

53 Lrsquoanaphore sous lrsquoangle textualiste

Cette conception de lrsquoanaphore perccedilue comme un pheacutenomegravene de deacutependance interpreacutetative

asymeacutetrique entre deux expressions linguistiques a eacuteteacute largement diffuseacutee en linguistique et en

didactique des langues en particulier agrave la suite de lrsquoouvrage drsquoHalliday amp Hasan Aux yeux

de ces derniers (ibid 31) le proceacutedeacute coheacutesif par excellence est laquo lrsquoendophore raquo marquant la

continuiteacute reacutefeacuterentielle au fil du texte construit Cette approche reposant crucialement sur une

opeacuteration de repeacuterage segmental dans la chaicircne textuelle ne va pas sans soulever bon nombre

drsquoobjections comme on le verra infra (sect54) Avant de les formuler il est cependant

neacutecessaire drsquoexaminer les tenants et aboutissants de lrsquoobjet en question

Pour deacutecrire le lien qui unit un eacuteleacutement anaphorique agrave une expression agrave reacutecupeacuterer en amont

dans lrsquoenvironnement textuel il est drsquousage de dire qursquoil reacutefegravere agrave son anteacuteceacutedent (Lyons

1977 660) Maillard (1974) recourt drsquoailleurs au terme de laquo reacutefeacutereacute raquo pour deacutesigner

lrsquoanteacuteceacutedent85

Cet emploi du verbe reacutefeacuterer correspond en fait agrave celui du verbe latin lsquoreferrersquo

dont il provient lui-mecircme traduit du grec lsquoanaphereinrsquo composeacute de lsquoana-rsquo (en haut en

84

Voir aussi chez Maillard ougrave la notion de diaphore ndash la reacutefeacuterence au contexte linguistique ndash recouvre les cas de

lrsquoanaphore et de la cataphore selon la localisation respective de ce qursquoil appelle le laquo reacutefeacutereacute raquo (Maillard 1974) 85

Appeleacute ailleurs source seacutemantique (Tesniegravere 1959 85-87) Apotheacuteloz (1995a 310) relegraveve eacutegalement les noms

drsquointerpreacutetant et de controcircleur

Reference

[situational]

exophora [textual]

endophora

[to preceding text]

anaphora

[to following text]

cataphora

82

arriegravere ou de nouveau) et lsquophereinrsquo (porter) litteacuteralement lsquoreporter plus hautrsquo ou lsquoreacutepeacuteterrsquo86

Dans la perspective adopteacutee lrsquoanaphorique renvoie donc agrave un anteacuteceacutedent preacutesent dans le

contexte linguistique en amont (ou en aval pour son fonctionnement cataphorique) Ce sens

du verbe reacutefeacuterer est agrave distinguer de lrsquoacception laquo philosophique raquo du verbe renvoyant agrave lrsquoacte

de deacutesignation drsquoun objet du monde (Lyons 1977 660) Drsquoapregraves cette seconde acception le

pronom ne reacutefegravere pas agrave son anteacuteceacutedent mais au reacutefeacuterent de cet anteacuteceacutedent Cornish (2010

212-213) critique agrave cet eacutegard lrsquoemploi du verbe reacutefeacuterer pour deacutesigner la relation qui lie

directement un anaphorique agrave son anteacuteceacutedent Une variante du verbe reacutefeacuterer au sens

eacutetymologique est le verbe reprendre ou sa nominalisation On recourt ainsi couramment aux

termes reprise anaphorique dans les eacutetudes linguistiques comme dans les grammaires (voire

de substitution ou suppleacuteance dans le cas du pronom cf infra sect31) etc En tout cas cette

terminologie reflegravete bien le processus de repeacuterage textuel invoqueacute

un segment de discours est anaphorique lorsqursquoil est neacutecessaire pour lui donner une interpreacutetation (mecircme simplement litteacuterale) de se reporter agrave un autre segment du mecircme discours (Ducrot amp Todorov 1979 358)

Les expressions anaphoriques se reacutevegravelent de la sorte seacutemantiquement deacutependantes87

autrement dit elles se preacutesentent comme reacutefeacuterentiellement incomplegravetes

Les expressions anaphoriques se reconnaicirctraient donc au fait qursquoelles sont non satureacutees reacutefeacuterentiellement isoleacutees de lrsquoenvironnement ougrave elles recrutent une expression permettant de fixer leur reacutefeacuterence elles seraient ressenties comme incomplegravetes car impropres agrave constituer agrave elles seules un objet de discours autonome (Charolles 1991 209)

De mecircme pour Tesniegravere (1959 86) un anaphorique est un mot preacutealablement vide qui

devient seacutemantiquement plein degraves qursquoil entre en connexion anaphorique avec un autre mot Il

use agrave cet eacutegard drsquoune image eacuteclairante

on peut comparer avantageusement les anaphoriques agrave des ampoules eacutelectriques qui ne srsquoallument que lorsque le fil qui les alimente est mis en contact avec la source drsquoeacutelectriciteacute Il y a lagrave en quelque sorte une prise de courant seacutemantique (ibid 90)

On peut rapprocher de cette comparaison la notion de laquo chaicircnes de reacutefeacuterence raquo (Chastain

1975) Corblin (1987c 7) exploite cette notion pour laquo deacutepasser les contextes de simple

succession de deux termes auxquels se limite le plus souvent le linguiste qui sort du domaine

phrastique raquo De mecircme Schnedecker (1997 8) recourt agrave la notion pour deacutesigner une

succession drsquoexpressions coreacutefeacuterentielles initieacutees par une forme lexicale afin drsquoeacutetudier

comment les diffeacuterents maillons drsquoune chaicircne contribuent au laquo continuum textuel raquo Lrsquoobjectif

est drsquoexaminer les diffeacuterents types de chaicircnes et leurs composantes lexicales leur rocircle dans

lrsquoorganisation textuelle leur imbrication leur sensibiliteacute au genre discursif ou encore agrave

lrsquoeacutepoque (Schnedecker amp Landragin 2014)

86

Drsquoougrave le deacuteveloppement en rheacutetorique de son sens de reacutepeacutetition stylistique en deacutebut drsquoeacutenonceacute 87

Dans le mecircme esprit Kleiber (1994b 47) eacutevoque dans ce sens la notion de laquo deacutesignateurs seconds raquo pour les

pronoms anaphoriques

83

En somme la conception de lrsquoanaphore comme la manifestation drsquoune deacutependance

interpreacutetative entre un eacuteleacutement incomplet (lrsquoanaphorique) envers une expression laquo donatrice raquo

(lrsquoanteacuteceacutedent) est celle en vigueur dans les usuels de grammaire ou de linguistique mais aussi

dans la plupart des modegraveles formels computationnels et psycholinguistiques ougrave le repeacuterage

segmental constitue un enjeu primordial88

54 Limites drsquoune approche textualiste de lrsquoanaphore

Si lrsquoapproche de lrsquoanaphore dans une perspective textuelle a lrsquoavantage de consideacuterer les

rapports reacutefeacuterentiels au-delagrave de lrsquoenchaicircnement de deux eacutenonceacutes concomitants ouvrant ainsi

lrsquoanalyse agrave lrsquoempan drsquoun texte authentique et agrave sa coheacutesion le processus interpreacutetatif sous-

jacent reste critiquable89

En effet il implique une remonteacutee pour le destinataire de la

laquo chaicircne de reacutefeacuterence raquo jusqursquoagrave la deacutecouverte de lrsquooccurrence initiale (eg Brown amp Yule

1983 chap 6) Drsquoailleurs dans le cadre de lrsquooral la trace auditive et sa disparition sont

instantaneacutees (Cornish 2010b) il paraicirct degraves lors invraisemblable drsquoinvoquer une meacutemorisation

des eacutenonceacutes ou une identification des segments en cause (Valentin 1985) Lrsquoexemple suivant

illustre la difficulteacute de remonter mecircme agrave lrsquoeacutecrit agrave une expression initiale bien deacutefinie

(98) On lui avait offert un harmonica et il a commenceacute agrave jouer et agrave retranscrire tous les

thegravemes qursquoil entendait agrave la radio Il est sorti de lrsquohocircpital passionneacute de jazz Deux ou

trois copains lui ont expliqueacute ce qursquoeacutetaient les grilles drsquoharmonie et il a appris le

solfegravege comme ccedila Alors il a eu une ideacutee faire un grand orchestre en France comme

Woody Herman Ce qui est extraordinaire crsquoest qursquoil a presque reacuteussi Il a embaucheacute

au theacuteacirctre Mouffetard vingt-cinq musiciens tous excellents et il a commenceacute agrave les

faire reacutepeacuteter pour enregistrer un disque Les reacutepeacutetitions eacutetaient publiques et nous y

sommes alleacutes Il y avait des musiciens qui sonnaient fantastiquement Il y avait un

arrangement qui srsquoappelait Pithecanthropus Erectus mais je me trompe peut-ecirctre

parce que je crois que Mingus a fait la mecircme chose Plus ccedila continuait moins de

musiciens venaient En effet crsquoeacutetaient tous des premiers prix de conservatoire qui

avaient eacuteteacute engageacutes pour reacutepeacuteter pour un disque qursquoils ne voyaient pas venir Et je ne

sais pas ce que crsquoest devenu ce truc mais en tout cas cela sonnait merveilleusement

(Perec G Entretiens et confeacuterences II [1979-1981] 2003 lt Frantext)

Le reacutefeacuterent viseacute successivement par ce truc et cela se construit agrave partir drsquoun nombre important

drsquoobjets et de relations entre eux Il srsquoavegravere ainsi vain de cibler dans ce cas un eacuteleacutement

initiateur

88

Ce repeacuterage de lrsquoanteacuteceacutedent srsquoexplique par des objectifs speacutecifiques aux domaines dont voici deux

illustrations (respectivement en TAL et en psycholinguistique) laquo Lrsquoanaphore est une relation linguistique entre

deux entiteacutes textuelles deacutefinie lorsqursquoune entiteacute textuelle (lrsquoanaphore) renvoie agrave une autre entiteacute du texte

(lrsquoanteacuteceacutedent) Comme la preacutesence drsquoanaphores deacutegrade consideacuterablement les performances des systegravemes de

TAL la question de leur reacutesolution est eacutetudieacutee depuis longtemps raquo (Weissenbach amp Nazarenko 2007 146)

laquo [hellip] third-person pronouns typically have explicit antecedents in the preceding text [hellip] Our question is does

an Institutional They cause a processing problem It has been demonstrated that there are costs for missing

antecedents [hellip] raquo (Sanford et al 2008 372-373) 89

Voir agrave cet eacutegard les critiques de Valentin (1985) ou par exemple de Cornish (2010a 2017)

84

On peut eacutegalement mettre en cause la meacutetaphore de la laquo chaicircne raquo dans le sens ougrave elle appuie

lrsquoideacutee drsquoimmuabiliteacute et drsquohomogeacuteneacuteiteacute drsquoune seacutequence de laquo chaicircnons raquo ou laquo maillons raquo

interdeacutependants et bien identifieacutes Elle donne lrsquoimpression que les relations de coreacutefeacuterence

sont controcircleacutees et deacutetermineacutees agrave la base Bien que cette notion puisse sembler fonctionnelle

pour lrsquoanalyse de types de textes particuliers (Schnedecker 2014) elle nous paraicirct mal refleacuteter

les usages reacuteels des locuteurs a fortiori si lrsquoon tient compte de lrsquooral spontaneacute ougrave la gestion

de la reacutefeacuterence srsquoeffectue sur le vif avec toutes les approximations que cela peut comporter

Lrsquoavegravenement des bases de donneacutees et lrsquointeacuterecirct pour les descriptions linguistiques en contexte

inteacutegrant des aspects pragmatiques communicatifs et interactionnels du discours a contribueacute

agrave remettre en cause cette approche essentiellement segmentale de lrsquoanaphore (nominale ou

pronominale) La notion drsquoanteacuteceacutedent et surtout le rocircle qursquoon lui attribue en prennent

seacuterieusement pour leur grade au vu des situations suivantes

i) les cas de laquo discordances morpho-syntaxiques seacutemantiques etou

reacutefeacuterentielles raquo ([Reichler-]Beacuteguelin 1988 18)

(99) La couleur crsquoest la liberteacute Elles se meacutelangent se superposent srsquoopposent et se

reacutepondent (Marie Claire avril 1993 deacutebut de texte lt Beacuteguelin 1997a 34)

Dans un exemple de ce type en effet le pronom affiche non seulement un laquo deacutesaccord raquo

morphologique avec laquo lrsquoanteacuteceacutedent raquo mais teacutemoigne eacutegalement drsquoune modification implicite

de perception du reacutefeacuterent (drsquoabord appreacutehendeacute comme un type puis comme la classe de ses

occurrences) Le processus interpreacutetatif ne peut donc se limiter agrave un simple pheacutenomegravene de

reprise

ii) Les cas ougrave tout comme en (98) supra un anteacuteceacutedent est difficilement

deacutelimitable

(100) Quelques camions faisaient des aller et retour entre la montagne et la ville Mais ces

navettes demeuraient eacutevidemment deacuterisoires (Le Monde 9 4 1991 lt [Reichler]-

Beacuteguelin 1995a)

Le choix lexical de lrsquoanaphorique ces navettes repose non seulement sur le SN quelques

camions mais aussi crucialement sur la preacutedication lsquofaire des aller et retourrsquo Considegravere-t-on

le SN le preacutedicat ou alors lrsquoeacutenonceacute entier comme laquo lrsquoanteacuteceacutedent raquo La deacutelimitation drsquoun

segment responsable de lrsquointerpreacutetation demeure ainsi incertaine

iii) Les cas ougrave un anteacuteceacutedent est absent

(101) on a fait aussi un saut en parachute agrave San Diego | _ | ceacutetait assez euh | _ |assez

incroyable surtout que | _ | ouais deacutejagrave on arrive lagrave-bas euh | _ | ils nous ont presque pas

donneacute dexplications | _ | et puis euh tout dun coup ils nous mettent un | _ | un espegravece

de gros euh | _ | un espegravece de gros baudrier avec deux grosses sangles qui passent sur

les eacutepaules (oral ofrom)

85

Dans lrsquoexemple (101) il nrsquoy a tout bonnement aucun anteacuteceacutedent agrave rattacher agrave lrsquoeacuteleacutement dit

anaphorique Face agrave ce genre de situations la notion drsquoanteacuteceacutedent se montre inopeacuterante ou

neacutecessite des ajustements fondamentaux90

Cornish (1999 41 sqq) recourt pour sa part agrave la notion de deacuteclencheur drsquoanteacuteceacutedent

(antecedent trigger) qui deacutesigne le support segmental pour autant qursquoil existe qui a rendu

disponible agrave un moment donneacute le reacutefeacuterent viseacute par lrsquoanaphorique91

Mais il montre au-delagrave du

rocircle du deacuteclencheur que ce sont avant tout les proprieacuteteacutes seacutemantico-reacutefeacuterentielles intrinsegraveques

de lrsquoexpression anaphorique et son contexte preacutedicatif qui orientent au deacutepart lrsquointerpreacutetation

reacutefeacuterentielle La notion drsquoanteacuteceacutedent au sens traditionnel ne tient ainsi pas compte de lrsquoaspect

eacutevolutif de lrsquoobjet-de-discours entre le moment de son introduction et son rappel lrsquoeacutevolution

dynamique eacutetant une caracteacuteristique fondamentale des approches constructivistes de la

reacutefeacuterence et permettant drsquoexpliquer les nombreux changements observeacutes (entre autres Cornish

ibid Apotheacuteloz 1995b Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995 Beacuteguelin 1997a 1997b Berrendonner

1983 Berrendonner 1990a Corminboeuf 2011 Groupe de Fribourg 2012 etc) Les quelques

exemples ci-dessus reflegravetent ainsi pleinement ce point de vue ougrave lrsquoeacuteleacutement anaphorique nrsquoa

pas agrave ecirctre consideacutereacute comme un eacuteleacutement simplement subordonneacute agrave un autre segment Au

contraire il est doteacute de caracteacuteristiques seacutemantico-reacutefeacuterentielles propres et susceptible de

(re)configurer lrsquoobjet en contexte

55 Conception cognitive de lrsquoopposition anaphore vs deixis

Un autre problegraveme souleveacute agrave lrsquoeacutegard de la conception textualiste de lrsquoanaphore et partant de

son opposition agrave la deixis comme reacutefeacuterence extra-textuelle est que la distinction ne se veacuterifie

pas au niveau de la distribution des expressions reacutefeacuterentielles un grand nombre de formes

(SN deacutefinis deacutemonstratifs pronoms personnels et possessifs de 3e personne etc) endossent

en discours les deux rocircles autrement dit fonctionnent aussi bien laquo deacuteictiquement raquo

qursquolaquo anaphoriquement raquo

Non seulement les expressions recruteacutees comme anaphoriques ou deacuteictiques par le critegravere de localisation ne sont pas homogegravenes mais encore elles ne sont pas speacutecialiseacutees pour lrsquoune ou lrsquoautre tacircche Crsquoest dire que si lrsquoon srsquoen tient au seul critegravere du lieu de reacutesidence il nrsquoy a aucune expression qui ne soit uniquement anaphorique et aucune expression qui ne soit uniquement deacuteictique

92 Article deacutefini adjectif et pronom deacutemonstratif adjectif possessif

pronom personnel de la troisiegraveme personne connaissent en effet les deux types drsquoemplois [hellip] (Kleiber 1992 616)

90

Voir notamment [Reichler-]Beacuteguelin (1995a) et Cornish (2010b) pour une critique des approches segmentales

de lrsquoanaphore 91

Quant agrave la notion drsquoanteacuteceacutedent Cornish (1999 44 sqq) la redeacutefinit au niveau du contenu (laquo discourse model

description raquo) Il deacutecrit sa fonction de la maniegravere suivante laquo providing a full interpetation for the semantically

non-autonomous anaphor raquo 92

Il faut cependant reconnaicirctre que les indices personnels de 1egravere

et 2e personnes font exception agrave ce double

fonctionnement renvoyant aux participants de lrsquoeacutenonciation bien que lrsquoidentiteacute de lrsquoeacutenonciateur doive parfois

ecirctre infeacutereacutee (cf supra sect44)

86

Un traitement eacuteclateacute des formes reacutefeacuterentielles apparaicirct ainsi comme une analyse trop coucircteuse

agrave laquelle drsquoaucuns preacutefegraverent renoncer Le nœud du problegraveme se situe dans le critegravere de

localisation du reacutefeacuterent (extra- ou intra-linguistique) manifestement non opeacuteratoire pour

lrsquoanalyse A celui-ci certains chercheurs preacutefegraverent un critegravere drsquoordre cognitif un retour aux

sources selon Bosch (1983) vers la conception drsquoApollonius Dyscole drsquoapregraves laquelle (cf

supra 51) la deixis est le mode drsquoaccegraves agrave une connaissance nouvelle tandis que lrsquoanaphore est

le mode de maintien drsquoun reacutefeacuterent deacutejagrave connu Lyons (1977 673) srsquoinscrit dans cette

approche

[a]naphora presupposes that the referent should already have its place in the universe-of-discourse Deixis does not indeed deixis is one of the principal means open to us of putting entities into the universe-of-discourse so that we can refer to them subsequently

De mecircme Ehlich (1982) deacutefinit de la sorte les deux opeacuterations reacutefeacuterentielles

The anaphoric procedure is a linguistic instrument for having the hearer continue (sustain) a previously established focus towards a specific item on which he had oriented his attention earlier (p 330)

The deictic procedure is a linguistic instrument for achieving focusing of the hearerrsquos attention towards a specific item which is part of the respective deictic space (deiktischer Raum) (p 325)

Dans la fouleacutee de ces travaux Cornish (2010a) propose une eacutechelle de phoriciteacute ou

drsquoindexicaliteacute sur laquelle il place les diffeacuterentes formes linguistiques selon leur degreacute

drsquoanaphoriciteacute ou de deacuteicticiteacute certaines expressions sont voueacutees respectivement au

maintien de lrsquoattention sur un objet drsquoautres au revirement de lrsquoattention sur un eacuteleacutement

reacutefeacuterentiel nouveau

Figure 5 Echelle de phoriciteacute drsquoapregraves Cornish (2010a)

Deixis Anaphore

jeme tute icimaintnt lagravealors ce N-ci ce N-lagrave celui-ci celui-lagrave le N illehellip se

p1egravere2egravemep gt AdvdmP gt [AdvdmD gt SNdmP gt SNdmD gt pdmP gt pdmD gt SNdf] gt p3egravemep gt pR3egraveme lt-------------------------------anadeixis----------------------------gt

Entre les deux pocircles certaines formes manifestent les deux proprieacuteteacutes (situation appeleacutee

anadeixis) dont lrsquoeffet est de placer au centre de lrsquoattention un reacutefeacuterent jusque-lagrave en retrait

Cornish commente lrsquoexemple suivant

(102) Acircgeacute de 19 ans Adrien (Thomas Langmann) mecircleacute agrave un vol drsquoargent srsquoenfuit de

Bordeaux ougrave il vit avec sa megravere et arrive agrave Paris chez son pegravere Cleacutement (Jean-Pierre

Leacuteaud) qursquoil nrsquoa pas vu depuis quatre ans Ce pegravere est un ecirctre immature qui se

raccroche agrave sa jeunesse perdue en ayant une maicirctresse de 19 ans Louise (Judith

Godregraveche) Elle recircve de devenir comeacutedienne ou tout au moins speakerine agrave la

teacuteleacutevision Cleacutement ne perd pas une occasion de la rabaisser Pour tenir elle se drogue

(hellip) (Le Monde Suppleacutement Radio ndashTeacuteleacute 29-30 avril 2007 lt ibid 123)

87

Dans cet exemple lrsquousage de il est deacutecrit comme typiquement anaphorique car maintenant au

centre de lrsquoattention un reacutefeacuterent bien eacutetabli agrave savoir lrsquoindividu nommeacute Adrien Le SN

deacutemonstratif ce pegravere drsquoapregraves Cornish est anadeacuteictique en ce qursquoil reacutefegravere agrave un individu moins

imposant dans lrsquoattention des interlocuteurs bien que reacutecemment introduit le SN a ainsi pour

fonction de reacutecupeacuterer ce reacutefeacuterent en retrait pour le placer au centre de lrsquoattention de mecircme

qursquoil a une fonction deacutesambiguiumlsatrice (deux reacutefeacuterents eacutetant en concurrence) A cet eacutegard

lrsquoauteur juge maladroit lrsquoemploi du pronom elle plus bas pour deacutesigner un reacutefeacuterent au statut

semblable crsquoest-agrave-dire qui vient drsquoecirctre introduit mais encore non central dans lrsquoattention des

lecteurs A ses yeux une expression anadeacuteictique telle que celle-ci ou cette derniegravere

semblerait laquo plus naturel[le] raquo

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave releveacute supra (sect463) agrave lrsquoeacutegard drsquoautres modegraveles fondeacutes sur un

critegravere cognitif93

il nous paraicirct cependant regrettable de traiter lrsquoemploi drsquoune expression sur

cette seule dimension en lrsquooccurrence les critegraveres de continuiteacute de lrsquoattention ou de

nouveauteacute pour relever apregraves coup lrsquoinadeacutequation de donneacutees qui srsquoen eacutecartent A nos yeux

lrsquoexemple (102) illustre davantage la diversiteacute des paramegravetres qui peuvent favoriser lrsquoemploi

de telle ou telle expression Ainsi sans preacutejuger drsquoune quelconque adeacutequation il nous paraicirct

tout agrave fait inteacuteressant de constater que deux reacutefeacuterents peuvent preacuteciseacutement induire des moyens

de reacutecupeacuteration diffeacuterents (ce pegravere vs elle) alors qursquoils ont eacuteteacute introduits dans des conditions

tregraves semblables en (102) agrave savoir une activation reacutecente parmi drsquoautres reacutefeacuterents deacutejagrave eacutetablis

dans un type de progression lineacuteaire (Combettes 1983) ougrave le laquo rhegraveme raquo drsquoun eacutenonceacute devient

laquo thegraveme raquo de lrsquoeacutenonceacute successif selon la terminologie de lrsquoeacutecole de Prague Il conviendrait en

outre de voir si dans le genre discursif en question (synopsis de film) ce type de progression

peut ecirctre mis au service drsquoeffets de point de vue dans la preacutesentation des personnages94

Pour en revenir agrave lrsquoextrait tandis que lors du premier pointage (ce pegravere) la concurrence des

reacutefeacuterents potentiels favorise sans doute lrsquoemploi drsquoune forme lexicalement deacutesambiguiumlsatrice

la forme Elle est jugeacutee quant agrave elle suffisamment univoque pour atteindre la cible et mecircme

reacutealiser la laquo rupture de thegraveme raquo A noter par ailleurs qursquoil nrsquoest ici pas exclu que le pronom

soit de type disjoint95

Quoi qursquoil en soit en mettant en jeu des reacutefeacuterents au statut drsquoactivation

analogue mais rappeleacutes par des moyens diffeacuterents cet extrait montre justement que les

facteurs qui pegravesent sur le choix de la forme ne peuvent ecirctre rameneacutes au seul critegravere cognitif

Drsquoapregraves lrsquoeacutechelle proposeacutee en outre on ne voit pas tregraves bien en quoi les pronoms je ou tu

introduisent des reacutefeacuterents nouveaux dans le discours eacutetant donneacute qursquoen geacuteneacuteral ils renvoient

au locuteur et agrave lrsquointerlocuteur de lrsquoeacutenonciation en cours donc agrave des reacutefeacuterents ou rocircles eacutetablis

93

Entre autres speacutecificiteacutes theacuteoriques et meacutethodologiques les modegraveles drsquoAriel (1988) et de Gundel et al (1993)

nrsquoexploitent pas directement les notions drsquoanaphoredeixis 94

Beacuteguelin (2013) montre dans une eacutetude sur lrsquoemploi des pronoms de 3e personne chez Flaubert que ce genre

de rupture du thegraveme par progression lineacuteaire cher agrave lrsquoauteur par ailleurs critiqueacute par Proust contribue agrave la

creacuteation de divers effets discursifs (point de vue maintien drsquoune eacutequivoque etc) 95

Comme dans cet exemple Lui recircve de liberteacute et de grands espaceshellip (preacutesentation drsquoune piegravece de theacuteacirctre

httpwwwtheatre-poudrierechles-accueilssaison-2016-2017a-venir)

88

dans le savoir partageacute par le fait de lrsquoeacutenonciation mecircme En cela ils sont certes token-

reacuteflexifs mais lrsquoaspect laquo nouveau raquo nous paraicirct loin drsquoecirctre eacutevident dans le processus

56 Bilan

Lrsquoopposition anaphore-deixis on le voit soulegraveve de seacuterieux problegravemes et est souvent source

de confusion Ni la conception traditionnelle se fondant sur lrsquoopposition textesituation ni

lrsquoapproche cognitive deacuteplaccedilant lrsquoaxe sur le critegravere nouveauteacutemaintien du reacutefeacuterent ne

parviennent agrave expliquer la distribution des expressions reacutefeacuterentielles A notre avis la raison en

est la prise en compte drsquoune seule dimension lagrave ougrave de nombreux paramegravetres contextuels

entrent en jeu En somme nous ne nions pas lrsquointervention de paramegravetres cognitifs mais il

nous semble que leur rocircle doit ecirctre relativiseacute afin drsquooffrir une place plus importante agrave des

facteurs plus conjoncturels de lrsquoeacutenonciation en cours En appariant une proceacutedure agrave une forme

particuliegravere on donne agrave croire que crsquoest lrsquoexpression elle-mecircme qui confegravere une certaine

nature au reacutefeacuterent96

(ineacutedit donneacute etc) alors que crsquoest eacutevidemment le contexte (cf infra

sect633) dans son ensemble qui deacutetermine la place de celui-ci dans le discours et son rapport

aux autres objets En accordant trop drsquoimportance agrave un seul type de critegravere on court ainsi le

risque drsquoeacutetablir une norme agrave partir de laquelle on eacutevalue les usages et celui de marginaliser

ceux qui srsquoen eacutecartent Malgreacute nos reacuteserves agrave lrsquoeacutegard de lrsquoeacutechelle proposeacutee nous nous sentons

davantage en accord avec les observations de Cornish (agrave par) sur lrsquointervention cruciale de

paramegravetres lieacutes agrave la subjectiviteacute lrsquointersubjectiviteacute et la polyphonie dans le choix des

expressions

Par ailleurs il nous semble que les proprieacuteteacutes communes agrave la deixis et agrave lrsquoanaphore

meacuteriteraient une plus grande attention plutocirct qursquoun traitement systeacutematiquement oppositif

Dans tous les cas on observe en effet un proceacutedeacute de pointage vers un reacutefeacuterent (cf

lrsquoeacutetymologie du terme deixis) dont certes le mode drsquoaccegraves (situation immeacutediate infeacuterence

texte etc) peut varier Mais si les mecircmes expressions permettent lrsquoaccegraves agrave des reacutefeacuterents issus

de diverses sources ne devrait-on pas conclure drsquoabord au-delagrave des speacutecificiteacutes seacutemantiques

illustreacutees supra (sect4) agrave un processus fondamentalement commun

Srsquoil fallait retenir un aspect de lrsquoopposition anaphore-deixis nous invoquerions la piste de la

token-reacuteflexiviteacute proposeacutee par Kleiber (1992 623) En effet parmi les expressions donnant

lrsquoinstruction de renvoyer agrave un objet appartenant au savoir partageacute nous avons releveacute supra

(sect4) la nature token-reacuteflexive qui caracteacuterise certaines drsquoentre elles Par exemple un pronom

comme je agrave lrsquoinverse de il implique neacutecessairement la prise en compte de sa propre

occurrence pour son interpreacutetation (sans qursquoil y ait pour autant de nouveauteacute agrave cet eacutegard cf

Cornish ci-dessus) le locuteur reacuteflexivement deacutesigneacute eacutetant partie prenante de lrsquoeacutenonciation en

cours Pour le reste nous prenons nos distances aussi bien vis-agrave-vis de lrsquoapproche selon la

localisation du reacutefeacuterent que de lrsquoapproche en termes de nouveauteacutecontinuiteacute car nous

96

Voir Kibrik (2011 389) pour une critique similaire de la circulariteacute des certaines approches cognitives

laquo [hellip] they infer referent activation from the form of reference raquo

89

consideacuterons que chaque emploi est le reacutesultat drsquoun calcul plurifactoriel tenant compte des

strateacutegies et besoins des locuteurs selon divers objectifs communicationnels

90

91

6 Vers un modegravele constructiviste du discours

Dans les sections preacuteceacutedentes nous avons preacutesenteacute un certain nombre de fondements et

drsquooutils ancreacutes dans la tradition seacutemantique qui traite des expressions reacutefeacuterentielles Il nrsquoest

peut-ecirctre pas inutile agrave ce stade de clarifier les preacuteoccupations respectives des divers acteurs

qui srsquoillustrent dans le domaine de la reacutefeacuterence Ce sont les philosophes les premiers qui se

sont inteacuteresseacutes au lien entre langage et monde exteacuterieur et agrave la capaciteacute pour celui-lagrave de

repreacutesenter celui-ci (cf supra sect2) Dans leur perspective une attention toute particuliegravere est

consacreacutee aux notions fondamentales de veacuteriteacute et de validiteacute des eacutenonceacutes de mecircme qursquoaux

questions drsquoidentiteacute ou encore de croyance Dans la mesure ougrave le langage est voueacute agrave refleacuteter le

monde il va de soi que la mesure de sa conformiteacute et la quecircte de la veacuteriteacute en deacutebusquant les

obstacles restent au cœur des preacuteoccupations philosophiques

En linguistique la seacutemantique est fortement tributaire de ces ideacutees mais lrsquointeacuterecirct porte

davantage sur les conditions drsquoemploi des expressions reacutefeacuterentielles On se demande par

exemple quel est le sens veacutehiculeacute par telle ou telle expression par opposition agrave telle autre dans

un mecircme eacutenonceacute ou entre deux eacutenonceacutes On juge eacutegalement la plausibiliteacute de tel ou tel emploi

dans un univers drsquointerpreacutetation en fonction de lrsquoeacutetat du monde Diverses manipulations

drsquoeacutenonceacutes sont soumises agrave lrsquointuition du linguiste afin de mettre au jour les diverses

contraintes inscrites dans le signifieacute des formes eacutetudieacutees

Si lrsquoon se donne pour objectif comme dans ce travail de deacutecrire les opeacuterations de reacutefeacuterence

en discours il est neacutecessaire de se doter drsquooutils adeacutequats pour rendre compte au-delagrave des

contenus laquo litteacuteraux raquo et de la fonction significative des expressions des facteurs contextuels

qui deacuteterminent leur emploi dans une interaction Nous partons ainsi de lrsquoideacutee eacuteleacutementaire que

les participants drsquoune interaction verbale mettent en œuvre un discours dont la fonction est de

creacuteer un ensemble de repreacutesentations partageacutees (Groupe de Fribourg 2012 22-23) Dans le

dernier quart du XXe siegravecle se sont deacuteveloppeacutees sur la reacutefeacuterence et sur la nature du discours

des reacuteflexions qui se deacutemarquent des cadres de repreacutesentation logique du contenu des

eacutenonceacutes Avant de preacutesenter en deacutetail le cadre drsquoanalyse dans lequel nous nous situons (sect63)

revenons sur les origines de quelques notions fondamentales qui mettent en eacutevidence la nature

discursive des reacutefeacuterents (sect61) et plus geacuteneacuteralement lrsquoincidence cognitive de lrsquoactiviteacute

discursive (sect62)

61 Les reacutefeacuterents discursifs

On doit agrave Karttunnen (1976) la notion de discourse referent Par cette deacutenomination lrsquoauteur

tient agrave se deacutemarquer explicitement des approches philosophiques de la reacutefeacuterence laquo [w]e

maintain that the problem of coreference within a discourse is a linguistic problem and can be

studied independently of any general theory of extralinguistic reference raquo (1976 366) Ce

travail srsquoinscrit dans les travaux geacuteneacuterativistes sur les indices reacutefeacuterentiels en grammaire

transformationnelle et a pour ambition de contribuer agrave deacutegager les contraintes formelles de

coreacutefeacuterence au-delagrave de la phrase Plus preacuteciseacutement Karttunnen met au jour les conditions

92

dans lesquelles un SN indeacutefini est capable drsquoeacutetablir un reacutefeacuterent de discours qui puisse faire

lrsquoobjet de reacutefeacuterences ulteacuterieures dans le texte La notion de discourse referent permet agrave

Karttunen drsquoeacuteviter les consideacuterations ontologiques des philosophes agrave propos des reacutefeacuterents

extra-linguistiques et de demeurer dans un cadre strictement linguistique deacuteterminant les

potentialiteacutes de coreacutefeacuterence dans la suite du texte Sans reacuteel eacutecho en grammaire

transformationnelle cette notion qui nrsquoeacutemane toutefois pas drsquoune reacuteflexion sur la nature

mecircme des reacutefeacuterents sera exploiteacutee dans des theacuteories drsquohorizons divers par exemple en

seacutemantique formelle ou en linguistique computationnelle Dans le cadre de la DRT Kamp

(1981) tente de modeacuteliser la maniegravere dont les interlocuteurs mettent agrave jour de maniegravere

dynamique leur interpreacutetation du discours Heim (1983) utilise quant agrave elle la meacutetaphore des

file cards (qursquoon pourrait traduire par laquo fiches signaleacutetiques raquo) pour repreacutesenter les reacutefeacuterents

de discours sur lesquelles toutes les preacutedications opeacutereacutees sont inscrites au fil des eacutenonceacutes

Dans ces cadres drsquoanalyse on peut constater que la progression du discours demeure au

niveau seacutemantique lrsquoeacutevolution dynamique des reacutefeacuterents se fait au greacute des preacutedications et se

conccediloit comme une sorte de compilation de signifieacutes Il en va de mecircme dans la viseacutee

computationnelle de Sidner (1983) qui tire parti de la notion de discourse entities afin

drsquoeacutelaborer des algorithmes de reacutesolution automatique qui soient informatiquement viables En

termes informatiques une entiteacute discursive repreacutesente une variable qui permet drsquoindexer

lrsquoinformation extraite des eacutenonceacutes agrave la repreacutesentation mentale correspondante (Wolters 2001

11) Dans ces approches formelles la notion de reacutefeacuterent discursif se voit exploiteacutee pour

cataloguer les diverses informations accumuleacutees dans le flux verbal agrave des fins de

repreacutesentation logique ou de traitement automatique des eacutenonceacutes

62 Une repreacutesentation du discours

Une reacuteflexion ineacutedite se deacuteveloppe parallegravelement autour de la nature mecircme des processus

mentaux agrave lrsquoœuvre dans les opeacuterations de raisonnement naturel Dans cette perspective

Johnson-Laird eacutelabore la notion de modegravele mental (1983 1996 2010) Les modegraveles mentaux

sont la repreacutesentation cognitive iconique ndash ce qui veut dire que la structure de la

repreacutesentation mentale est du mecircme type que celle de la situation qursquoon se repreacutesente ndash de

situations reacuteelles ou hypotheacutetiques que construisent les ecirctres humains en vue de raisonner

Cette repreacutesentation est eacutelaboreacutee sur la base de leur perception de leur imagination de leurs

connaissances du monde ou encore du discours La nature des repreacutesentations ainsi produites

est donc bien distincte drsquoune repreacutesentation laquo propositionnelle raquo logique des modegraveles formels

Lrsquoinput discursif notamment donne lieu agrave un modegravele du discours

A discourse model is a mental object that constitutes an individualrsquos knowledge of a discourse It is constructed on the basis of what has occurred in the discourse supplemented by general and specific knowledge Questions may be answered by recourse to the information that it contains assertions may be evaluated by reference to it utterances and actions may be based upon it We do not suppose that mental models are constructed only from discourse they are also created from memory perception imagination and the operation of other mental processes (Johnson-Laird amp Garnham 1980 371)

93

Lrsquooriginaliteacute de cette approche est drsquointeacutegrer des inputs de diverses natures agrave la construction

des repreacutesentations La prise en compte de lrsquoincidence mentale du discours srsquoobserve

eacutegalement dans toute une seacuterie de travaux sur la maniegravere dont les eacuteleacutements du texte servent

drsquoinstructions pour la construction du modegravele

(hellip) let us say that a TEXT is a set of instructions from a speaker to a hearer on how to construct a particular DISCOURSE-MODEL The model will contain DISCOURSE ENTITIES ATTRIBUTES and LINKS between entities A discourse entity is a discourse-model object [hellip] (Prince 1981 235)

Il en ressort notamment que les reacutefeacuterents du discours y figurent avec des statuts cognitifs

distincts comme donneacute nouveau (Chafe 1976 Clark amp Haviland 1977) ou encore infeacuterable

Prince (ibid) Crsquoest sous cette impulsion que voient le jour les eacutechelles cognitives preacutesenteacutees

supra (Ariel 1988 1990 2001 Gundel et al1993) agrave propos desquelles nous avons deacutejagrave

souleveacute lrsquoinconveacutenient drsquoassortir les diffeacuterentes expressions reacutefeacuterentielles drsquoun statut

deacutetermineacute Lrsquoun des aspects lieacute agrave la reacutealiteacute psychologique que recouvre la notion de modegravele

discursif est que chaque interlocuteur construit son propre modegravele sur la base des indices agrave

disposition Nous reviendrons infra (sect634) sur la question du caractegravere individuel ou

commun des repreacutesentations des interlocuteurs

Dans une optique distincte de lrsquoapproche laquo psychologique raquo Grize (1974 1982 1993 1996)

eacutelabore agrave la mecircme peacuteriode la notion de scheacutematisation qui vise pour sa part la modeacutelisation

drsquoopeacuterations logico-discursives

Si dans une situation donneacutee un interlocuteur A adresse un discours agrave un interlocuteur virtuel B (dans une langue naturelle) je dirai que A propose une scheacutematisation agrave B qursquoil construit un micro-univers devant B univers qui se veut vraisemblable pour B (1982 172)

La notion de scheacutematisation recouvre agrave la fois lrsquoaction de scheacutematiser et son reacutesultat (Grize

1996 69) un locuteur construit une repreacutesentation du discours pour son allocutaire et celui-

ci srsquoattache agrave la reconstruire Grize (1993) se deacutemarque par lagrave explicitement de la logique

formelle voueacutee agrave repreacutesenter la penseacutee matheacutematique en proposant des instruments pour

analyser la laquo penseacutee commune raquo un discours en langue naturelle est le fait de sujets

interagissant dans un cadre spatio-temporel guideacutes par une viseacutee argumentative srsquoinscrivant

dans un contexte social En inteacutegrant ces aspects eacutenonciatifs le contenu drsquoune scheacutematisation

se reacutevegravele ainsi complegravetement reacutefractaire agrave une formalisation en termes de valeurs de veacuteriteacute

Le modegravele auquel nous adheacuterons preacutesenteacute ci-dessous srsquoinspire de cette conception de la

scheacutematisation en conservant sa dimension creacuteative et repreacutesentationnelle ainsi que la

complexiteacute de la structuration discursive irreacuteductible agrave un fonctionnement veacuterifonctionnel

(supra sect634) Berrendonner (1997 219-220) formule les avantages suivants du modegravele

laquo ineacutedit raquo de Grize

Derriegravere le terme scheacutematisation il y a lrsquoideacutee que le discours nrsquoa pas pour fonction de restituer un tableau veacuterifonctionnel de quelque reacutealiteacute preacuteexistante absolue et indeacutependante de lui mais plutocirct drsquoimposer ses propres objets en

94

construisant une fiction conceptuelle originale provisoire et eacutevolutive [hellip] La notion porte donc en elle une theacuteorie de la reacutefeacuterence et du contexte qui tranche de faccedilon radicale avec un certain chosisme ambiant Elle suppose en effet qursquoau lieu drsquoassimiler les reacutefeacuterents du discours aux realia en se recommandant du bon sens ou de Frege on leur reconnaisse le statut de repreacutesentations cognitives de scheacutemas mentaux doteacutes drsquoune structure formelle dont la description est affaire de logique et de seacutemiologie Quant au contexte elle conduit agrave y voir non pas un cadre informationnel ou situationnel fixeacute agrave titre de preacutealable mais le produit dynamique de lrsquoactiviteacute de communication un capital eacutevolutif de connaissances drsquohypothegraveses et drsquoassomptions partageacutees assimilable agrave une sorte de meacutemoire collective des interlocuteurs

63 Le modegravele du discours fribourgeois

Nous prenons pour cadre drsquoanalyse le modegravele du discours fribourgeois (Groupe de Fribourg

2012) dont certains aspects ont fait lrsquoobjet drsquoeacutetudes particuliegraveres (Berrendonner 1983 1990a

1990b 1994 1995 1997 2002b 2005 2014 agrave par [Reichler-]Beacuteguelin 1988 1989 1993a

1995 1997a 1997b Apotheacuteloz 1995a et b Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995 1999

Corminboeuf 2011) notamment en ce qui concerne la description des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels

Lrsquoobjectif des chercheurs fribourgeois est de proposer un modegravele geacuteneacuteral du discours pour

lrsquoeacutetude des faits linguistiques Ils proposent drsquoune part face agrave lrsquoinconsistance des notions

usuelles et graphocentriques (mot phrase etc) pour la segmentation des uniteacutes linguistiques

une refonte complegravete de la theacuteorie des articulations du discours et de ses constituants97

(cf

infra sect633) drsquoautre part une description des opeacuterations qui sont exeacutecuteacutees dans le modegravele

Nous nous inteacuteresserons avant tout dans ce travail aux opeacuterations de pointage au moyen de

deacutesignateurs (sect635) et agrave leurs motivations (sect636) Avant de preacutesenter les composantes

speacutecifiques du modegravele il est neacutecessaire de comprendre quelques hypothegraveses fondamentales du

programme de modeacutelisation fribourgeoise (sect631)

631 Principes meacutethodologiques

6311 Le rapport oral-eacutecrit

Pour preacutetendre agrave la geacuteneacuteraliteacute scientifique lrsquoun des choix est tout drsquoabord de renoncer agrave

dissocier laquo langue orale raquo et laquo langue eacutecrite raquo ou agrave une approche en termes de laquo diglossie raquo98

Les speacutecificiteacutes observeacutees au niveau des structures produites via lrsquoun ou lrsquoautre meacutedium

tiennent avant tout aux conditions de production respectives en particulier lieacutees agrave lrsquoopposition

entre laquo produit fugitif raquo vs laquo produit permanent raquo (Beacuteguelin 2012 47) dans le premier se

manifestent les traces drsquoeacutelaboration et de planification en cours qui se traduisent notamment

par la preacutesence de bribes heacutesitations abandons ou autres pheacutenomegravenes de laquo disfluence raquo Ces

caracteacuteristiques du discours improviseacute sont reacuteguliegraverement perccedilues comme des laquo accidents de

performance raquo alimentant le preacutejugeacute selon lequel la langue orale serait par nature fautive (cf

97

Lrsquoune des conseacutequences en est lrsquoabandon de la notion de phrase (Groupe de Fribourg 2012 ch 1) au profit de

la notion de clause uniteacute micro-syntaxiquement autonome Cf aussi Blanche-Benveniste et al (1984 24-25) et

leur notion drsquouniteacute de construction 98

Cf aussi Blanche-Benveniste (1997 65)

95

Blanche-Benveniste 1997 11) le second type de production se voit quant agrave lui geacuteneacuteralement

deacutebarrasseacute de ces laquo scories raquo (possibiliteacute de preacuteparer retoucher effacer etc) guideacute par des

normes reacutedactionnelles et stylistiques sous-jacentes agrave des genres centreacutes sur les inteacuterecircts de

lrsquointerpreacutetation (Beacuteguelin 2012) Les diffeacuterences releveacutees sont ainsi davantage agrave mettre au

compte des conditions propres agrave la varieacuteteacute des genres discursifs ougrave le degreacute drsquoimprovisation

de preacuteparation ou de compeacutetence le laquo niveau de langue raquo etc sont loin drsquoecirctre deacutedieacutes agrave lrsquoun

des deux meacutedia99

(Koch amp Oesterreicher 1985) Sans pour autant neacutegliger lrsquoexistence et la

prise en compte dans un second temps de ces paramegravetres contextuels le modegravele part ainsi de

lrsquohypothegravese fondamentale drsquoune grammaire unifieacutee100

en accordant une eacutegaliteacute de traitement

aux donneacutees issues de lrsquooral longtemps laisseacutees pour compte en linguistique (agrave lrsquoexception de

lrsquoattention particuliegravere qursquoy a porteacute le GARS101

)

6312 Le statut des donneacutees

Une autre conseacutequence de la vocation geacuteneacuteralisante du modegravele reacuteside dans le choix de

consideacuterer des donneacutees effectivement produites par les usagers il srsquoagit laquo drsquoen prendre acte

et de rechercher une explication au fait qursquoon les utilise pour communiquer raquo (Berrendonner

1990a 151) De la sorte les chercheurs reconnaissent lrsquoeacutegaliteacute de laquo lrsquoexistence linguistique raquo

([Reichler-Beacuteguelin 1993a 328) de toutes les occurrences langagiegraveres y compris celles qui

peuvent ecirctre consideacutereacutees comme atypiques voire deacuteviantes par rapport agrave une norme ambiante

Plutocirct que de les mettre agrave lrsquoeacutecart ils cherchent agrave mettre au jour leur raison drsquoecirctre susceptible

de reacuteveacuteler des reacutegulariteacutes sur les comportements des usagers voire aussi lrsquoexplication des

reacuteactions de censure dans des genres normeacutes comme agrave lrsquoeacutegard de lrsquoexemple ci-dessous

produit dans un cadre scolaire

(103) Il est vrai que lorsque nous lisons nous ne pensons pas que cette histoire est en train

de vivre de prendre forme gracircce agrave nous (copie de bac lt ([Reichler-]Beacuteguelin 1988

27)

Dans cette copie drsquoeacutelegraveve on peut visiblement imputer lrsquoappreacuteciation de lrsquoeacutevaluateur au coucirct

de traitement requis au deacutecodage eacutetant donneacute qursquoen deacutebut de texte lrsquohistoire en question nrsquoa

pas eacuteteacute introduite de maniegravere explicite Il nrsquoen reste pas moins que le choix drsquoune expression

deacutemonstrative creacutee ici des effets discursifs drsquointersubjectiviteacute qursquoil est pertinent de mettre en

regard par exemple avec drsquoautres extraits drsquoincipit ougrave le deacutemonstratif ne precircte sans doute pas

agrave discussion notamment du fait de la reconnaissance litteacuteraire dont jouit lrsquoauteur

99

On peut penser agrave la parole publique au dialogue theacuteacirctral aux interventions sur les forums ou blogs au chat

aux SMS etc 100

Les speacutecifiteacutes de chaque meacutedium sont toutefois bien connues agrave drsquoautres niveaux au niveau des deacutemarcations

respectives ponctuation et prosodie ne se recouvrent pas srsquoagissant de la morphologie les marques de personne

(flexion verbale) ou de genre et de nombre (eg flexion adjectivale) pour ne prendre que ces exemples se

manifestent diffeacuteremment agrave lrsquooral qursquoagrave lrsquoeacutecrit Voir agrave cet eacutegard Beacuteguelin (2012 46) qui syntheacutetise les positions

de Claire Blanche-Benveniste sur le rapport oral-eacutecrit 101

Groupe aixois de Recherche en Syntaxe dont faisait partie Claire Blanche-Benveniste qui a publieacute la revue

Recherches sur le franccedilais parleacute de 1974 agrave 2004

96

(104) Cette histoire ne mrsquoappartient pas elle raconte la vie drsquoun autre (Amin Maalouf Les

eacutechelles du Levant)

Degraves lors les partisans du modegravele frigourgeois sont extrecircmement reacuteserveacutes agrave lrsquoeacutegard des

meacutethodes laquo de fauteuil raquo et de leur recours aux donneacutees deacutecontextualiseacutees et fabriqueacutees

une donneacutee linguistique in vitro est une donneacutee incomplegravete sur laquelle il est extrecircmement deacutelicat de porter un jugement drsquoacceptabiliteacute [hellip] la seule voie scientifiquement valide et eacutepisteacutemologiquement acceptable est lrsquoobservation des comportements linguistiques effectifs (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 234)

Le critegravere du jugement drsquoacceptabiliteacute en particulier est mis en cause

[il] autorise agrave trier entre donneacutees laquo pertinentes raquo et donneacutees laquo non pertinentes raquo sur une base qui bien souvent reste purement intuitive Le problegraveme insidieux naicirct chaque fois qursquoest deacuteclareacutee mal formeacutee et donc indigne drsquoecirctre prise en compte dans la description telle ou telle structure pourtant utiliseacutee parfois couramment par les sujets parlants Le proceacutedeacute a ceci de dangereux qursquoil aboutit agrave confondre sous le mecircme asteacuterisque disqualificateur certains artefacts proprement irreacutealistes nrsquoayant aucune chance drsquoecirctre un jour performeacutes avec des eacutenonceacutes qui sont au contraire accessibles agrave lrsquoobservation empirique mecircme si leur forme ne correspond pas en tout point agrave la norme dominante [Reichler-]Beacuteguelin (1993b)

Les chercheurs fribourgeois critiquent non seulement le privilegravege octroyeacute aux donneacutees

forgeacutees mais aussi lrsquointeacuterecirct porteacute presque exclusivement agrave des genres de discours consensuels

(en particulier lrsquoeacutecrit standardiseacute) peu repreacutesentatifs de la reacutealiteacute des discours Cette

laquo repreacutesentation deacuteformeacutee raquo des faits de langue comporte ainsi un risque de laquo circulariteacute du

rapport entre les modegraveles et les donneacutees les premiers leacutegitimant les secondes et celles-ci

nrsquoeacutetant reconnues comme valides et donc comme acceptables que dans la mesure ougrave elles

sont conformes agrave ce que preacutevoient les premiers raquo (Apotheacuteloz amp Pekarek Doehler 2003 112)

Dans le domaine de la seacutemantique reacutefeacuterentielle une pratique commune est la deacutelimitation du

champ drsquoobservation agrave deux phrases ougrave laquo lrsquointroducteur raquo et laquo le pointeur raquo interviennent

dans des positions typiques

Agrave force de neutraliser les paramegravetres eacutenonciatifs et contextuels lrsquoapproche classique accreacutedite aussi une conception eacutetroitement textualiste et segmentaliste des pheacutenomegravenes anaphoriques (ibid)

Il est important de preacuteciser que lrsquoapproche fribourgeoise bien qursquoempirique car se fondant sur

lrsquoobservation de faits attesteacutes ne srsquoinscrit pas dans la tradition de la linguistique de corpus

lrsquoensemble des donneacutees examineacutees ne reacutepondent pas pour lrsquoinstant du moins agrave la deacutefinition

stricte de corpus telle que lrsquoentend par exemple Sinclair (1996) laquo [a] corpus is a collection of

pieces of language that are selected and ordered according to explicit linguistic criteria in

order to be used as a sample of the language raquo Drsquoabord les donneacutees retenues comme on lrsquoa

vu ne sont pas systeacutematiquement homogegravenes (en termes de genre discursif de type de

locuteurs etc) et ne preacutetendent pas agrave la repreacutesentativiteacute drsquoun type de population La meacutethode

de reacutecolte des exemples repose chez les Fribourgeois sur des critegraveres qualitatifs de pertinence

agrave savoir leur capaciteacute agrave reacuteveacuteler des aspects sur le fonctionnement geacuteneacuteral du discours Bien

97

que lrsquoextraction de donneacutees soit parfois utiliseacutee pour lrsquoeacutetude de telle ou telle structure cibleacutee

elle nrsquoen repreacutesente pas pour autant une exigence fondamentale En effet le risque drsquoune

recherche exclusivement automatiseacutee est de neacutegliger tous les pheacutenomegravenes qui ne sont pas

deacutetectables par une machine et qui pourtant reacutevegravelent des reacutegulariteacutes sur le fonctionnement de

la langue

Si la recherche en linguistique ne porte que sur des faits langagiers extractibles de maniegravere automatique (en particulier les laquo marqueurs de discours raquo) on se prive du fonctionnement drsquoune bonne partie du systegraveme (Corminboeuf 2014 2378)

En somme la valeur heuristique accordeacutee aux donneacutees attesteacutees seacutelectionneacutees sur une base

qualitative distingue lrsquoapproche fribourgeoise de nombreux modegraveles En particulier celle-ci

se deacutemarque nettement de deacutemarches consistant agrave mettre au jour les contraintes qui pegravesent sur

lrsquoemploi de marqueurs constructions enchaicircnements etc via des manipulations drsquoeacutenonceacutes

dans le but de reacuteduire les laquo possibiliteacutes raquo theacuteoriques Les Fribourgeois renversent la meacutethode

en se fondant sans a priori sur les observables agrave disposition pour y deacuteceler les reacutegulariteacutes de

fonctionnement En drsquoautres termes ils partent du principe que les comportements locutoires

rares ou freacutequents sont susceptibles de reacuteveacuteler les meacutecanismes sous-jacents de lrsquoactiviteacute

discursive et notamment sur la faccedilon dont on cateacutegorise les objets dont on parle

6313 Une vision non deacuteterministe du rapport monde-langue

Dans le domaine des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels un exemple de la deacutemarche esquisseacutee ci-dessus est

la maniegravere dont sont traiteacutes les faits drsquolaquo indiscreacutetion raquo (cf supra sect33) La conseacutequence qui en

est tireacutee est une conception non logiciste de lrsquoidentiteacute et une certaine malleacuteabiliteacute dans la

faccedilon dont les usagers repreacutesentent les reacutefeacuterents du discours dont certains formats preacutesentent

une disposition agrave la confusion reacutefeacuterentielle Cette approche se deacutemarque de nombreux travaux

traitant de la probleacutematique des reacutefeacuterents dits eacutevolutifs

Pour reacutesumer la question des reacutefeacuterents eacutevolutifs concerne des processus de transformation

encourus par des reacutefeacuterents par voie de preacutedication au fil drsquoun discours et la maniegravere dont se

comportent en particulier les marqueurs anaphoriques agrave cet eacutegard Lrsquoenjeu est laquo de mesurer

jusqursquoagrave quel point certaines formes de reprise sont sensibles au changement raquo (Charolles

1997 71) Si dans le contexte des laquo meacutetamorphoses fictionnelles (du genre Dr JekillMr

Hyde) raquo lrsquoemploi des expressions reacutefeacuterentielles a eacuteteacute agrave juste titre expliqueacute en partie par des

effets de point de vue ou de changement drsquounivers de croyance (Schnedecker amp Charolles

1993 Achard-Bayle 2001) le cas des modifications affectant une entiteacute dans les textes de

type injonctif (recettes de cuisine notice de fabrication etc) est geacuteneacuteralement abordeacute comme

impliquant des transformations de type laquo ontologique raquo (Charolles 1997)

Lrsquoun des points de deacutepart de la reacuteflexion est la critique de Brown amp Yule (1983) agrave lrsquoencontre

du traitement du pronom par Halliday amp Hasan (1976) dans lrsquoeacutenonceacute

98

(105) Lavez et eacutevidez six pommes agrave cuire Mettez-les dans un plat passant au four (trad par

Charolles amp Schnedecker 1993 108)

Brown amp Yule (1983) reprochent agrave la conception laquo segmentale raquo drsquoHalliday amp Hasan le fait

de ne pas tenir compte de lrsquoeacutevolution des reacutefeacuterents entre les deux eacutetapes deacutecrites Il en va de

mecircme dans le fameux exemple du poulet

(106) Tuez un poulet actif et bien gras Preacuteparez-le pour le four Coupez-le en quatre

morceaux et faites-le rocirctir avec du thym pendant une heure (ibid)

Brown amp Yule plaident pour une approche interpreacutetative laquo cumulative raquo crsquoest-agrave-dire qui

tienne compte des changements apporteacutes au reacutefeacuterent dans la progression du texte Charolles amp

Schnedecker (1993) nuancent cependant ce point en avanccedilant que contrairement agrave un SN

deacutefini agrave mecircme de rendre compte du reacutesultat des transformations en vertu de son contenu

lexical le pronom se distingue preacuteciseacutement parce qursquoil permet de laquo faire abstraction raquo de ces

changements et de maintenir la coreacutefeacuterence malgreacute le contexte eacutevolutif Pour reacutesoudre le

paradoxe poseacute par le cas des pronoms les auteurs formulent une contrainte de maintien de

lrsquoidentiteacute sortale du reacutefeacuterent On doit donc conclure de lrsquoemploi des pronoms ci-dessus laquo qursquoil

existe au moins un trait sortal sous lequel ils reacutesistent aux mauvais traitements qursquoon leur

inflige raquo (p 123) en lrsquooccurrence la contrepartie massive saillante qui en subsiste Ceci

expliquerait pourquoi lrsquoexemple ci-dessous est jugeacute impossible

(107) Prenez quatre morceaux de sucre Faites-les fondre dans de lrsquoeau et portez-les agrave

eacutebullition (Charolles amp Schnedecker 1993 123)

Les auteurs invoquent dans ce cas la diffeacuterence suivante laquo la contrepartie massive des

morceaux de sucre dissous (agrave savoir laquo du sucre raquo) nrsquoest pas saillante alors que la laquo chair raquo des

pommes lrsquoest encore dans la compote raquo Charolles (1997) assouplit neacuteanmoins la contrainte

laquo ontologique raquo du trait sortal en accordant un rocircle plus preacutepondeacuterant agrave lrsquoemploi mecircme du

pronom capable de laquo forcer raquo la coreacutefeacuterence au-delagrave des transformations Mais lrsquoenjeu

demeure dans cette optique de deacuteterminer laquo jusqursquoagrave quel point et agrave lrsquoaide de quels moyens

linguistiques on peut encore preacutetendre parler de la mecircme chose alors que lrsquoon expose les

changements dont elle fait lrsquoobjet raquo (ibid 91)

Les Fribourgeois prennent clairement leurs distances agrave lrsquoeacutegard de cette approche des

laquo transformations ontologiques raquo Crsquoest non seulement le critegravere subjectif drsquoacceptabiliteacute qui

est mis en cause mais aussi et surtout la recherche de contraintes ontologiques ndash au deacutetriment

de facteurs linguistiques ndash qui consiste agrave

chercher dans le reacuteel extralangagier les principes censeacutes reacutegler les usages linguistiques (ceux-lagrave mecircmes dont on cherche agrave mettre au jour le fonctionnement) Or sans vouloir refaire la querelle des universaux il nous paraicirct que la deacutemarche qui vient drsquoecirctre deacutecrite si elle nrsquoest pas scrupuleusement pondeacutereacutee aboutit agrave faire du langage un deacutecalque de la reacutealiteacute Et conseacutequence plus grave encore elle conduit presque ineacutevitablement agrave

99

substituer agrave lrsquoinvestigation linguistique une analyse ontologique ou une physique naiumlves (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995 235)

Sans nier lrsquoinfluence de facteurs laquo mondains raquo ndash autrement dit nos connaissances notre

expeacuterience et notre repreacutesentation du monde et ses objets ndash dans la maniegravere dont les locuteurs

cateacutegorisent les reacutefeacuterents en discours les auteurs regrettent toutefois la tendance agrave simplifier

la relation mot-chose et partant agrave neacutegliger la prise en compte drsquoautres facteurs dans le choix

des expressions reacutefeacuterentielles A lrsquoappui drsquoexemples diversifieacutes ils montrent notamment que

les proceacutedeacutes anaphoriques lexicaux comme pronominaux sont susceptibles de tenir compte

ou non des modifications subies anteacuterieurement par voie de preacutedication selon les objectifs du

locuteur102

Parmi ces strateacutegies largement deacutependantes des conditions de production les

auteurs signalent des enjeux argumentatifs sociaux (respect des faces) des effets connotatifs

polyphoniques la gestion drsquoambiguiumlteacutes potentielles etc sur lesquels nous reviendrons infra

(sect636)

La prise en compte des changements de point de vue deacutejagrave invoqueacutee pour lrsquoanalyse drsquoautres

types de meacutetamorphoses discursives (Schnedecker amp Charolles 1993 Achard-Bayle 2001)

meacuteriterait par ailleurs drsquoecirctre exploiteacutee plus geacuteneacuteralement car tout proceacutedeacute de deacutesignation

implique par deacutefinition un point de vue particulier Beacuteguelin (1997b) se penche agrave cet eacutegard sur

lrsquoemploi de marqueurs reacutefeacuterentiels dans des contextes drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute eacutenonciative et montre

que des pheacutenomegravenes de non-congruence entre deux cateacutegorisations drsquoun mecircme reacutefeacuterent

peuvent parfois ecirctre mis au compte drsquoun surmarquage de la polyphonie

(108) Mira elle ne croit plus en personne ni agrave rien Lrsquoopposition laquo Ils ne sont pas assez

forts raquo (Nouveau Quotidien 091194 lt ibid)

Outre la recateacutegorisation implicite opeacutereacutee (individu collectif ndash classe) le pointeur pronominal

accentue le contraste entre les deux univers de croyance en jeu (il va de soi que deux locuteurs

ne recourent pas forceacutement aux mecircmes deacutenominations)

Bref la question des reacutefeacuterents eacutevolutifs a tout lrsquoair dans cette optique drsquoun faux problegraveme

Du moins elle nrsquoest pas un cas particulier mais concerne tous les reacutefeacuterents qui par deacutefinition

sont ameneacutes agrave eacutevoluer par les connaissances qursquoon en a au fil de la construction du discours

(cf infra sect634) Pour les chercheurs fribourgeois le problegraveme agrave creuser nrsquoest ainsi pas celui

des transformations subies par les objets reacuteels mais laquo celles qui affectent le bagage de

connaissances dont disposent agrave chaque moment du discours les interlocuteurs agrave propos drsquoun

reacutefeacuterent donneacute raquo (Apotheacuteloz amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995 239-240) Il convient donc

drsquoexaminer les moyens mis en œuvre par les usagers pour faire eacutevoluer un objet dans le

discours Dans cette perspective lrsquoacte reacutefeacuterentiel proprement dit srsquoaccompagne de viseacutees

strateacutegiques qursquoil convient de mettre au jour (cf infra sect636)

102

Ils eacutevoquent agrave cet eacutegard les strateacutegies opposeacutees de deacutesignation des personnages chez Zola vs chez Flaubert

releveacutees par Corblin (1983) Zola exploite freacutequemment des deacutesignateurs contingents (le peintre le commis)

eacutevoquant parfois lrsquoacte eacutepheacutemegravere drsquoune seule preacutedication (eg le dormeur) tandis que Flaubert ne tient

geacuteneacuteralement pas compte des proprieacuteteacutes attribueacutees aux personnages dans sa faccedilon de les deacutesigner

100

632 Discours et texte

Le modegravele fribourgeois se voulant une theacuteorie de la combinatoire discursive il srsquoagit de

comprendre ce que recouvre la notion fondamentale de discours Dans ce cadre le discours

est conccedilu comme laquo lrsquoensemble des mateacuteriaux seacutemiotiques mis en œuvre par les partenaires

drsquoune [hellip] interaction raquo (Groupe de Fribourg 2012 21)

Un discours est donc un complexe pluri-codique qui comprend non seulement des eacutenonciations en langue naturelle mais aussi des gestes des actions des images des perceptions communes des savoirs partageacutes tacites mutuellement manifestes etc combineacutes selon des modes de planification speacutecifiques

Quant au texte il constitue la trace des donneacutees graphiques et acoustiques drsquoune seacutequence

verbale dont doit bien souvent se contenter le linguiste pour tenter drsquoeacutetudier laquo le discours

appreacutehendeacute agrave travers les textes raquo (p 22) Le texte ne constitue ainsi pas une notion

fonctionnelle dans le modegravele fribourgeois mais seulement lrsquoinstrument fragmentaire agrave partir

duquel le chercheur tacircche de faire des hypothegraveses sur le fonctionnement du discours qui

laquo supporte[nt] autant que possible sans catastrophe la prise en compte ulteacuterieure ou eacutepisodique

des composantes non verbales et environnementales raquo

Cette conception se distingue de celles qui assimilent texte et discours103

ou qui assimilent ce

dernier agrave la laquo chaicircne parleacutee raquo De plus en consideacuterant le texte comme un simple teacutemoignage

de lrsquoeacuteveacutenement discursif elle se distingue aussi drsquoapproches qui le considegraverent comme une

uniteacute seacutemantique (eg Halliday amp Hasan 1976) ou comme un eacuteleacutement constitutif de lrsquoactiviteacute

discursive104

633 Les articulations du discours

Le modegravele fribourgeois srsquoinspire de la notion drsquoarticulation du langage de Martinet (1967)105

pour eacutelaborer sa theacuteorie des uniteacutes constitutives du discours Il distingue ainsi difffeacuterents

ordres de combinatoire se caracteacuterisant par des fonctions des uniteacutes et des regravegles

drsquoassemblage propres La premiegravere articulation (F1) 106

correspond aux uniteacutes dont la fonction

est distinctive agrave savoir les phonegravemes et les syllabes La seconde articulation (F2) est celle qui

concerne les uniteacutes agrave fonction significative crsquoest-agrave-dire morphegravemes syntagmes et clauses107

(laquo icirclotsde deacutependances morpho-syntaxiques raquo Groupe de Fribourg 2012 47)

103

Voir aussi Cornish (2009) sur les risques de cette confusion 104

Crsquoest par exemple le cas de Cornish (2009) qui appelle texte lrsquoensemble des traces seacutemiotiques (verbales et

non verbales) qui mises en œuvre dans un certain contexte contribuent agrave creacuteer le discours La conception

fribourgeoise ne srsquoeacuteloigne pas sur le fond de cette approche de lrsquoactiviteacute discursive Mais la notion de texte nrsquoy

recouvre pas la mecircme reacutealiteacute 105

Qui ne va toutefois pas au-delagrave de la laquo proposition raquo 106

Chez Martinet la premiegravere articulation correspond aux uniteacutes significatives et la seconde aux uniteacutes

distinctives Le Groupe de Fribourg inverse cet ordre pour ajouter des articulations de rang supeacuterieur dont les

uniteacutes laquo incorporent raquo celles des uniteacutes infeacuterieures (p 27 sqq) 107

Lrsquointroduction de ce terme srsquoexplique par la volonteacute de se distinguer de la notion scientifiquement

probleacutematique de phrase

101

Lrsquoune des originaliteacutes du modegravele est de postuler une troisiegraveme articulation (F3) dont les

uniteacutes constitutives sont des actions agrave fonction communicative exeacutecuteacutees sur le mode

laquo ostensif-infeacuterentiel raquo (Sperber amp Wilson 1986) On quitte agrave partir de ce niveau les aspects

traditionnellement deacutevolus agrave la morpho-syntaxe Tout comme les uniteacutes significatives

laquo incorporent raquo des uniteacutes distinctives les uniteacutes communicatives peuvent laquo incorporer raquo des

uniteacutes significatives lrsquoactualisation drsquoune clause megravene agrave son eacutenonciation action qui

comprend drsquoautres composantes comme des caracteacuteristiques prosodiques et de potentiels

gestes ou signes concomitants relevant drsquoun autre code (laquo images iconogrammes vecirctements

odeurshellip raquo ibid 29) Les eacutenonciations sont ainsi des manifestations mimo-gestuelles

seacutemiotiquement heacuteteacuterogegravenes exeacutecuteacutees selon les intentions communicatives des participants

de lrsquointeraction Elles se regroupent en programmes discursifs selon une combinatoire propre

ndash la pragma-syntaxe ndash pour composer des peacuteriodes qui se terminent par un mouvement

meacutelodique conclusif Ce type de contour indique ainsi la fin du programme et partant une

place transitionnelle pour lrsquointerlocuteur

Il reste agrave savoir si la peacuteriode constitue lrsquouniteacute deacutemarcative drsquoune quatriegraveme articulation (F4) agrave

fonction interactive (en tant que composante drsquoun tour de parole Groupe de Fribourg 2012)

ou si elle permet de composer des programmes praxeacuteologiques du niveau de la pragma-

syntaxe (F3) mais de plus grande ampleur crsquoest-agrave-dire des laquo macro-structures narratives

argumentatives cognitives-pratiques etc raquo (Berrendonner 2016) La question nrsquoest pas

trancheacutee Quoi qursquoil en soit le fait qursquoon puisse consideacuterer soit la composition interne des

peacuteriodes soit leur participation agrave une intervention au niveau interactionnel ou alors agrave une

macro-structure drsquoun autre type permet deacutejagrave drsquoeacuteclairer les diffeacuterences drsquoenjeux viseacutees et

objet des domaines de laquo la pragma-syntaxe raquo vs de laquo lrsquoanalyse conversationnelle raquo ou de

laquo lrsquoanalyse du discours raquo

Lrsquoorganisation complexe en niveaux drsquoanalyse distincts108

explique pourquoi le discours ne

peut se concevoir dans cette approche comme la simple concateacutenation de segments verbaux

ou son reacutesultat compositionnel Chaque niveau drsquoanalyse preacutesente une logique de

structuration propre En passant de lrsquoun agrave lrsquoautre

on change en fait drsquoarticulation crsquoest-agrave-dire drsquounivers combinatoire On rencontre drsquoautres types drsquoobjets seacutemiotiques investis drsquoautres fonctions reacutepondant agrave drsquoautres modes drsquoassemblage et dont on a toutes les chances de

108

Cette hypothegravese de stratification nette distingue le modegravele fribourgeois drsquoautres modegraveles theacuteoriques de type

laquo modulaire raquo comme lrsquoapproche du GARS (Blanche-Benveniste et al 1984) ougrave les articulations micro- et

macro-sytaxiques se superposent et srsquoassocient dans la construction des eacutenonceacutes ou encore comme celui de

Roulet (1999 sqq) ougrave les diffeacuterents modules (lexical syntaxique hieacuterarchique reacutefeacuterentiel et interactionnel) se

combinent de maniegravere compleacutementaire pour constituer le discours Par ailleurs lrsquoapproche aixoise fournit des

outils pour lrsquoeacutetude de la syntaxe uniquement et non pour lrsquoanalyse des constituants du discours Quant au

modegravele de Roulet il porte essentiellement sur lrsquointeraction (tregraves peu sur la syntaxe ou les proceacutedeacutes de reacutefeacuterence)

dont les uniteacutes peuvent ecirctre aussi bien monologales que dialogales alors que le modegravele fribourgeois distingue

radicalement les deux ordres Bien que reprenant la notion de meacutemoire discursive Roulet ne preacutecise pas son rocircle

dans les relations interactionnelles tandis que lrsquoapproche fribourgeoise lrsquoexploite agrave des fins de modeacutelisation des

opeacuterations drsquoinfeacuterence

102

meacuteconnaicirctre les speacutecificiteacutes si lrsquoon se contente de les envisager trivialement comme des laquo segments raquo mis bout agrave bout (Groupe de Fribourg 2012 37)

Quand on eacutevoque la question du contexte pour un item eacutetudieacute autrement dit lrsquoenvironnement

dans lequel celui-ci apparaicirct il srsquoagit de tenir compte du niveau auquel on le considegravere pour

deacuteterminer la nature des facteurs environnants Si lrsquoon considegravere uniquement un eacuteleacutement dans

sa dimension phono-syntaxique ou morpho-syntaxique le contexte consideacutereacute sera uniquement

le mateacuteriau linguistique environnant de la combinatoire respective Par contre lorsque lrsquoon

srsquointeacuteresse agrave la production drsquoune occurrence qursquoil srsquoagisse drsquoune uniteacute distinctive

significative communicative ou interactionnelle des facteurs contextuels heacuteteacuterogegravenes influent

sur sa reacutealisation Du reste ces paramegravetres contextuels ne sont pas forceacutement agrave la disposition

du linguiste qui doit srsquoen tenir agrave des hypothegraveses sur la base des indices agrave sa disposition Outre

lrsquoenvironnement linguistique (souvent appeleacute co-texte) et le discours produit en amont le

contexte lieacute agrave la reacutealisation drsquoun eacuteleacutement discursif comprend ainsi les dimensions suivantes

(Auer 2009 Cornish 2009) la situation physique agrave la porteacutee des interlocuteurs la dimension

sociale de lrsquointeraction (rocircles sociaux et interactionnels des participants type drsquoactiviteacute

engageacutee etc) le savoir partageacute ou encore le genre auquel appartient le discours etc

Les chercheurs fribourgeois se penchent principalement sur lrsquoanalyse des faits situeacutes agrave la

frontiegravere entre la morpho-syntaxe (ou micro-syntaxe) (F2) et la pragma-syntaxe (ou macro-

syntaxe) (F3) Agrave ce dernier niveau ils srsquointeacuteressent en particulier agrave la description des routines

praxeacuteologiques (ie des scheacutemas drsquoaction) qui composent les peacuteriodes mais laissent (pour le

moment cf Berrendonner 2016) agrave lrsquoanalyse conversationnelle le soin drsquoeacutetudier la gestion des

tours de parole au sein drsquoun eacutechange et agrave lrsquoanalyse du discours la faccedilon dont se composent les

macro-structures de peacuteriodes

634 Meacutemoire discursive et nature des objets-de-discours

Partant du point de vue de Grize (1974 1982 1993) sur la viseacutee repreacutesentationnelle de

lrsquoactiviteacute discursive Berrendonner (1983 230-231) nomme meacutemoire discursive (deacutesormais

M) lrsquoensemble des repreacutesentations partageacutees par les participants que ceux-ci se donnent pour

but de faire eacutevoluer dans un eacutechange Chaque action communicative en particulier chaque

eacutenonciation permet ainsi de passer drsquoun eacutetat agrave un autre Ces transformations ne sont pas

exeacutecuteacutees par lrsquoincreacutementation de laquo contenus propositionnels raquo mais par des opeacuterations

drsquoinfeacuterences jugeacutees pertinentes agrave partir de chaque acte

La meacutemoire discursive srsquooppose en cela agrave une conception laquo seacutemantique raquo drsquoun univers

drsquointerpreacutetation Elle se situe en effet au niveau du laquo cognitif-extralinguistique raquo (Groupe de

Fribourg 2012 24) sans pour autant srsquoapparenter agrave une proprieacuteteacute pschyologique de chacun

des interlocuteurs se distinguant par lagrave du concept de modegravele discursif (cf supra sect62) M

repreacutesente laquo la modeacutelisation drsquoune reacutealiteacute interlocutivement neutre lrsquoensemble de reacutefeacuterents

construits dans et par le discours raquo (Berrendonner 2016) Le fait que les connaissances en M

soient communes ne signifie pas qursquoelles soient partageacutees agrave lrsquoidentique chez les interlocuteurs

103

M constitue en effet un ensemble laquo flou raquo au sens matheacutematique crsquoest-agrave-dire que la validiteacute

des objets qui y figurent se montre graduable Autrement dit la validiteacute des objets en M peut

se montrer fiable agrave divers degreacutes selon le type drsquoinfeacuterences dont ceux-ci sont le reacutesultat (cf

infra Ch2 sect412 les raisonnements abductifs) Il existe donc une zone de flou permanente en

M dont srsquoaccommodent les interlocuteurs Mais cela explique eacutegalement que des divergences

puissent surgir sur la teneur preacutecise de M comme on le verra agrave maintes reprises

Les eacuteleacutements de M srsquoappellent les objets-de-discours et ils ont donc la proprieacuteteacute drsquoecirctre

manifestes et publiquement partageacutes par les interlocuteurs En outre leur nature est insensible

au code qui a conduit agrave leur introduction (code linguistique iconographique gestuel

infeacuterentiel etc) (ibid 23) ils relegravevent tous laquo drsquoun seul et mecircme type logique naturel raquo (p

123) bien que pouvant se preacutesenter sous des formats et modaliteacutes varieacutes109

La fonction

communicative de chaque eacutenonciation consiste agrave effectuer des opeacuterations sur les objets-de-

discours notamment en attribuant agrave ceux-ci des proprieacuteteacutes par le biais de preacutedications ou

drsquoinfeacuterences Ces attributs constituent lrsquointension drsquoun objet agrave un eacutetat donneacute de M

Il convient cependant de ne pas neacutegliger la dimension socio-culturelle qursquoun objet-de-discours

acquiert au cours de son eacutevolution en M (cf Grize 1993)

[Lrsquoidentiteacute des objets] devient le produit drsquoune interaction entre le sujet humain et son environnement [hellip] dans la mesure ougrave ces objets ont acquis le statut de construits culturels et ougrave par conseacutequent leur laquo essence raquo comporte forceacutement un paramegravetre anthropologique (Apotheacuteloz amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995 239)

Crsquoest donc lrsquoensemble de ces aspects qui contribue agrave faire lrsquoidentiteacute drsquoun objet-de-discours

donneacute en M On est ainsi loin de la conception laquo mondaine raquo traditionnelle des reacutefeacuterents Par

ailleurs la meacutemoire discursive ne renferme pas seulement la repreacutesentation des objets

laquo ordinaires raquo (qursquoils soient discrets ou non fictifs ou non etc) elle enregistre eacutegalement

toutes les donneacutees lieacutees au deacuteroulement de lrsquoeacutechange en cours autrement dit des informations

de nature meacuteta-communicative sur lrsquoeacutenonciation mecircme (Groupe de Fribourg 2012 131 sqq)

Par exemple chaque acte drsquoeacutenonciation opeacutereacute en discours a pour corollaire son inscription

automatique en meacutemoire discursive En teacutemoigne le fait qursquoon puisse y reacutefeacuterer de la mecircme

faccedilon qursquoaux objets du monde

(109) Oser tuer la formule magique La question nrsquoa plus rien de rheacutetorique sous la

coupole feacutedeacuterale en eacutebullition (presse)

De fait on peut subdiviser la meacutemoire discursive en modegravele du monde (MM) vs modegravele des

actions communicatives (MAC) la premiegravere se distinguant par la nature extra-linguistique des

objets lrsquoautre par la nature meacuteta-eacutenoncative des informations livreacutees par le discours mecircme

Cela dit lrsquoexemple montre que lrsquoopeacuteration fondamentale de reacutefeacuterence peut se deacutecrire de la

109

Tel que le montrent notamment lrsquousage de deacuteterminants (eg un vs du) de pronoms (il vs ccedila) de preacutedicats

(ecirctre nombreux srsquoadditionner etc) Par exemple individu vs classe vs continuum individu speacutecifique vs type

classe vs collection etc (Berrendonner 2002 2005)

104

mecircme maniegravere dans les deux sous-ensembles Mais un examen attentif des speacutecificiteacutes

linguistiques respectives meacuteriterait drsquoecirctre meneacute agrave bien

Une autre caracteacuteristique de la meacutemoire discursive est que lrsquoattention accordeacutee agrave certains

objets autrement dit leur importance cognitive ou saillance varie au fil du discours On peut

par exemple imaginer que pour deux interlocuteurs qui sortent drsquoune seacuteance de cineacutema le

film visionneacute (de mecircme que les divers personnages et eacutetapes cleacutes de lrsquointrigue) sera

particuliegraverement saillant agrave ce moment-lagrave dans M En outre la multiplication de relations

eacutetablies en discours entre un reacutefeacuterent (via les images le sceacutenario les pointages reacutefeacuterentiels les

preacutedications les infeacuterences qursquoon peut en tirer etc) (par exemple le personnage principal du

film) et drsquoautres reacutefeacuterents dans un discours contribuera agrave en faire un objet central dans lrsquoeacutetat

courant de M et agrave ce titre le promouvra centre organisateur drsquoun sous-graphe ou reacuteseau

reacutefeacuterentiel complexe De ce point de vue laquo les repreacutesentations que nous nous formons des

objets srsquoorganisent selon un principe plutocirct gravitationnel que taxinomique raquo (Berrendonner

1990a 155 Apotheacuteloz 1995a 169-170)

635 Opeacuterations de pointage

Dans lrsquoapproche fribourgeoise il est ainsi eacutevident qursquoune expression reacutefeacuterentielle ne renvoie

pas agrave un objet de la reacutealiteacute tangible mais bien agrave un objet de la meacutemoire discursive Parmi les

opeacuterations reacutefeacuterentielles il est utile de distinguer entre une opeacuteration drsquointroduction et une

opeacuteration de pointage La premiegravere sert agrave installer un objet-de-discours ineacutedit dans la meacutemoire

discursive via une expression reacutefeacuterentielle (typiquement un SN indeacutefini cf supra sect45) tandis

que la seconde consiste agrave deacutesigner un reacutefeacuterent supposeacute y ecirctre mutuellement manifeste pour les

interlocuteurs Lorsqursquoon parle communeacutement drsquolaquo anaphore raquo ou de laquo deixis raquo crsquoest donc au

second type drsquoopeacuteration qursquoon fait reacutefeacuterence

Plus preacuteciseacutement un pointeur reacutefeacuterentiel comporte outre son aspect descriptif laquo lrsquoinstruction

drsquounifier sa variable anonyme X avec un objet Oi valide110

preacutesent dans M raquo (Berrendonner

1995 242) en srsquoappuyant sur des indices de diverses natures (lexicale morphologique

contextuelle infeacuterentielle etc)

(110) Et lagrave que vois-je Un tregraves tregraves petit chaton tout mignon Il est noir et blanc et un petit

peu touffu (roman-feuilleton en ligne httpswwwwattpadcom91089475-wonderful-

holidays-chap-8-romC3A9o-et-juliette)

(111) Bonjour je voudrais savoir ougrave je pourrais trouver un veacuteteacuterinaire pour cette petite

boule de poils lsquodemandais-je en deacutesignant Apoplexie du doigtrsquo (ibid quelques

paragraphes plus loin)

Dans lrsquoexemple (110) le pronom conjoint il accompagneacute de son preacutedicat preacutesuppose

lrsquoexistence drsquoun objet correspondant en M auquel le rattacher Il se trouve qursquoun objet

110

La notion de validiteacute ne reposant pas sur un principe de veacuteriteacute mais sur la reconnaissance mutuelle de

lrsquoexistence drsquoun objet en M

105

particuliegraverement congruent vient drsquoecirctre introduit en M agrave travers les propos qui preacutecegravedent (un

tregraves tregraves petit chaton tout mignon) Quant au SN deacutemonstratif de lrsquoexemple (111) il implique

via lrsquoacte de monstration qursquoil opegravere lrsquoappartenance agrave M de lrsquoobjet ainsi deacutesigneacute Pour rappel

(cf supra) la maniegravere dont est alimenteacutee M ne deacutetermine pas la nature de ses objets ceux-ci

relevant tous du mecircme type M a la proprieacuteteacute de laquo neutraliser les diffeacuterences de nature entre

ses multiples sources raquo (Berrendonner 1983 231) En drsquoautres termes les deux reacutefeacuterences

exeacutecuteacutees ci-dessus procegravedent fondamentalement de la mecircme faccedilon il srsquoagit drsquoinstancier la

variable introduite par lrsquoexpression en lrsquounifiant avec un objet preacutesenteacute comme valide dans M

Certes chaque expression implique une proceacutedure interpreacutetative speacutecifique dans le premier

cas via le preacutesupposeacute drsquoexistence drsquoun objet porteur drsquoun nom masculin dans le second cas

via la nature token-reacuteflexive du SN deacutemonstratif sans neacutegliger la prise en compte de sa

signification lexicale de son interpreacutetation meacutetonymique etc Neacuteanmoins le fait que tous les

objets-de-discours se situent au mecircme titre dans M ie lrsquoensemble eacutevolutif des connaissances

partageacutees rend caducs les critegraveres traditionnels reposant sur la localisation du reacutefeacuterent (cf

supra sect52) Aux yeux des chercheurs fribourgeois un seul meacutecanisme permet ainsi de

recouvrir le fonctionnement geacuteneacuteral des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels habituellement distingueacutes avec

zegravele les uns des autres

Il est fondamental de reconnaicirctre la nature infeacuterentielle des proceacutedeacutes de pointage agrave lrsquoinstar

drsquoailleurs de tout pheacutenomegravene interpreacutetatif (Sperber amp Wilson 1986) Dans lrsquoopeacuteration en

question cela concerne en particulier le processus de repeacuterage de lrsquoobjet pour lrsquoinstanciation

de la variable introduite par le pointeur et cela agrave partir des divers indices heacuteteacuterogegravenes en

preacutesence

Il nrsquoest agrave cet eacutegard pas rare que lrsquoobjet supposeacute manifeste soit en fait absent de M au moment

du pointage et que le recours aux calculs infeacuterentiels soit particuliegraverement solliciteacute Crsquoest par

exemple le cas lorsqursquoun pointeur renvoie agrave un reacutefeacuterent implicite dont lrsquoexistence mecircme est agrave

infeacuterer agrave partir drsquoindices concomitants (cf le cas de lrsquoanaphore associative preacutesenteacute infra

ChII sect41)

(112) BL Ah non et plutocirct que la agrave la Maison des saveurs comme tu dis jrsquoaime mieux

drsquoaller au Basilic ici agrave Chiegravevremont nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

E Ah ouinnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

BL Moi nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

E Nous on est alleacutes mais crsquoeacutetait une communion et crsquoeacutetait pas terrible mais (tu sais)

crsquoest pas la mecircme chose quand crsquoest un un repas pour beaucoup et ltBL Oui et

maintenantgt

BL crsquoest de nouveau plus la mecircme chose non plus parce que la femme sa femme

est partie elle la quitteacute (X) crsquoeacutetait un il paraicirct que crsquoeacutetait un coureur de jupon je nrsquoen

sais rien crsquoest leur problegraveme Mais elle manque au bazar elle nrsquoest plus lagrave (oral lt

pfc)

106

Il faut drsquoabord remarquer que cet extrait provient drsquoune conversation spontaneacutee entre proches

et comme crsquoest souvent le cas nous nrsquoavons accegraves qursquoagrave une quantiteacute minime de leur savoir

partageacute (leurs expeacuteriences et connaissances communes) de la situation drsquoeacutenonciation courante

et son environnement physique des relations que les participants entretiennent etc

On peut toutefois remarquer que reacutefeacuterence est ici faite agrave des objets qui vraisemblablement ne

figurent pas au preacutealable dans lrsquoeacutetat courant de la meacutemoire discursive Un lieu en

lrsquooccurrence un restaurant est reacutecupeacutereacute apparemment de la meacutemoire agrave long terme par le

locuteur BL au moyen drsquoun nom propre accompagneacute de coordonneacutees spatiales preacutecises (le

Basilic ici agrave Chiegravevremont) BL eacutevoque plus loin le deacutepart drsquoun individu deacutesigneacute via le SN la

femme reformuleacute sa femme le deacuteterminant possessif sa impliquant lrsquoexistence drsquoun tiers agrave

interpreacuteter en relation avec le premier et surtout agrave partir des sceacutenarios eacutevoqueacutes (Sanford amp

Garrod 1981) par exemple le fait que les restaurants se gegraverent par des tenanciers le fait que

les couples peuvent passer par des crises etc Diverses opeacuterations infeacuterentielles agrave partir de ces

eacuteleacutements devraient permettre agrave lrsquointerlocuteur de conclure que les individus deacutesigneacutes sont

quelque chose comme un ex-couple de patrons du restaurant On voit agrave travers cet exemple

que les opeacuterations de pointage induisent des tacircches de reconstitution ou catalyse111

pour les

destinataires et qursquoelles font intervenir des processus infeacuterentiels dont la fiabiliteacute par ailleurs

nrsquoest pas toujours garantie112

636 Strateacutegies reacutefeacuterentielles

On a deacutejagrave vu supra (sect463) que les opeacuterations reacutefeacuterentielles eacutetaient en fait des poly-

opeacuterations en ce sens que la proceacutedure de repeacuterage drsquoun objet srsquoaccompagne drsquoun acte de

deacutenomination qui est fonction de strateacutegies reacutefeacuterentielles particuliegraveres Le choix pour une

expression reacutefeacuterentielle repose ainsi sur la conjonction opportune de divers objectifs

communicationnels Le modegravele se distingue en cela drsquoapproches qui composent avec des

critegraveres drsquoadeacutequation au monde de deacutependance au texte ou encore drsquoordre essentiellement

cognitif Les chercheurs fribourgeois se sont pencheacutes sur le fonctionnement de ces strateacutegies

reacutefeacuterentielles agrave lrsquoœuvre au long drsquoun discours Sans toutefois en exposer un inventaire

exhaustif ils proposent ainsi certains principes geacuteneacuteraux sur les comportements des locuteurs

en matiegravere de reacutefeacuterence

En srsquoinspirant de la notion de pertinence de Sperber amp Wilson (1986) Berrendonner (1990a)

dissocie deux principes reacutegissant les activiteacutes locutoires Le premier correspond agrave une norme

sociale de coopeacuteration particuliegraverement visible dans les meacutetadiscours aussi bien

institutionnels que particuliers autrement dit il incombe au locuteur de preacutevenir toute

difficulteacute susceptible drsquoengendrer des coucircts interpreacutetatifs importants pour le destinataire Ce

111

[Reichler-]Beacuteguelin (1995a) et Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin (1996) empruntent en lrsquoadaptant la

notion de catalyse agrave Hjelmslev (1968) Elle leur sert agrave deacutecrire les tacircches interpreacutetatives de reconstitution

drsquoeacuteleacutements manquants dans M qui ont eacuteteacute laquo inducircment raquo preacutesupposeacutes par le locuteur via des coups de force

preacutesuppositionnels (Ducrot 1972 51) 112

Cf infra (ChII sect41) pour les parcours infeacuterentiels possibles

107

principe de coopeacuteration (appelons-le O1 conformeacutement aux abreacuteviations de Beacuteguelin 1997a

infra) privileacutegiant les inteacuterecircts de lrsquointerpregravete est geacuteneacuteralement invoqueacute comme celui qui reacutegit

les comportements des interlocuteurs en conversation (Grice 1975) si bien qursquoon a vite fait si

on lrsquoassimile aux regravegles mecircmes du langage de consideacuterer comme deacuteviant tout comportement

qui srsquoen eacutecarte (Berrendonner 1990a 151) Neacuteanmoins la communication ne vise pas la

quantiteacute ou lrsquoexactitude reacutefeacuterentielle mais bien comme le suggegraverent Sperber amp Wilson

(1986) la pertinence informationnelle Il srsquoagit degraves lors drsquoadapter la transmission

drsquoinformation aux objectifs communicationnels agrave atteindre Il arrive constamment que les

locuteurs produisent des eacutenonceacutes approximatifs (looseness) Sperber amp Wilson (1990)

donnent agrave cet eacutegard lrsquoexemple drsquoune rencontre entre deux individus nommeacutes Peter et Marie agrave

San Francisco Lrsquohomme demande agrave son interlocutrice ougrave elle habite agrave quoi celle-ci reacutepond

(113) I live in Paris (ibid)

Or il se trouve que la locutrice habite agrave Issy-les-Moulineaux juste en dehors des limites de

Paris Son but nrsquoest manifestement pas de tromper son interlocuteur mais plutocirct de lui fournir

une reacuteponse pertinente pour les infeacuterences qursquoil pourra en tirer Sa reacuteponse ne vise pas ainsi

un objectif de litteacuteraliteacute (literalness) ou de veacuteriteacute mais de preacutesomption de pertinence

Lrsquoapproximation peut ainsi refleacuteter un ajustement agrave ce principe comme dans lrsquoexemple ci-

dessous

(114) cest vrai que + agrave Paris cest cher quand mecircme tous les cafeacutes tout ccedila ccedila revient cher on

a pas trop les moyens (oral cfpp)

Lrsquoemploi du syntagme tout ccedila speacutecialiseacute dans la condensation et lrsquoindistinction reacutefeacuterentielles

(cf infra ch IV) est ainsi jugeacute suffisamment pertinent par le locuteur pour atteindre son but

On doit probablement consideacuterer eacutegalement la mise en œuvre drsquoune loi du laquo moindre effort raquo

incitant le locuteur agrave deacutepenser le moins drsquoeacutenergie possible en vue de la reacutealisation de ses

objectifs On peut donc deacutegager un second principe contrebalanccedilant le premier consistant agrave

meacutenager ses efforts en reacuteduisant ses coucircts de production (O2) que Berrendonner (1990a

150) appelle malicieusement laquo principe de nonchalance raquo Lrsquoactiviteacute interactionnelle se voit

donc guideacutee par un calcul constant de la pertinence informationnelle reacutesultant drsquoun

compromis effectueacute entre deux laquo principes raquo antagonistes agrave savoir drsquoune part lrsquooptimisation

de lrsquointerpreacutetation drsquoautre part lrsquoeacuteconomie des moyens mis en œuvre113

Beacuteguelin (1997a) se propose de compleacuteter les principes deacutegageacutes par Berrendonner (1990a) en

examinant le choix de certaines expressions reacutefeacuterentielles au deacutetriment drsquoautres marqueurs

possibles Elle relegraveve drsquoabord une strateacutegie consistant agrave proscrire les reacutepeacutetitions lexicales (O3)

pour eacuteviter certains effets de monotonie ou de saturation perceptive Une autre conduite

113

Le second principe est drsquoailleurs souvent neacutegligeacute par les chercheurs qui srsquoefforcent de deacuteterminer

exclusivement les conditions drsquointerpreacutetation des expressions reacutefeacuterentielles dans la seule perspective de

lrsquoallocutaire Nous nous efforccedilons drsquoaccorder une place tout aussi importante dans ce travail aux circonstances

de production des pointeurs

108

locutoire est celle qui vise agrave optimiser la mise agrave jour de M en surdeacuteterminant une expression

reacutefeacuterentielle par des informations encore ineacutedites (O4) Ainsi lrsquoexemple ci-dessous manifeste

ces deux objectifs au deacutetriment du principe de coopeacuteration (O2) qui reacuteclamerait lrsquousage de

pointeurs morphologiquement congruents

(115) On y trouve [ie dans mon sac] aussi bien des oursons broche ou barrette un requin ndash

mon mari qui est pourtant lrsquohomme le plus doux de la terre en raffole et les

collectionne ndash que des yeux de lion ou de chat en verre que jrsquoachegravete chez Deyrolle le

ceacutelegravebre empailleur de la rue du Bac (presselt Beacuteguelin 1997a 107)

Dans cet exemple lrsquoemploi pronominal laquo discordant raquo au pluriel les permet agrave la fois drsquoeacuteviter

une reacutepeacutetition lexicale (requin) susceptible drsquoecirctre stylistiquement sanctionneacutee et

drsquoimpleacutementer implicitement dans M la classe en tant qursquoobjet ineacutedit agrave laquelle lrsquoindividu

reacutecemment activeacute (lsquoun requinrsquo) appartient

Enfin Beacuteguelin repegravere la manifestation drsquoun comportement locutoire (O5) tendant au

laquo respect des regravegles de bienseacuteance et de sauvegarde de la face raquo (p 104) qursquoelle illustre par

lrsquoexemple suivant

(116) En reacuteponse laquo lui raquo et surtout laquo elle raquo (comme on dit en Roumanie pour eacuteviter de

prononcer les noms du dictateur et de sa femme)hellip (presse lt ibid108)

Lrsquousage des pronoms minimalement informatifs (donc contra O2) est explicitement justifieacute

par la parenthegravese comme strateacutegie de cryptage et drsquoeacutevitement par peur honte souvenir

deacutesagreacuteable ou encore pudeur associeacutes agrave lrsquoeacutevocation des individus dont il convient degraves lors

drsquoinfeacuterer lrsquoidentiteacute

Lrsquoobservation de donneacutees authentiques met ainsi en lumiegravere une gamme drsquoobjectifs

communicationnels avec lesquels jonglent les locuteurs en fonction de leurs besoins dans une

interaction donneacutee Les emplois reacutepondent donc agrave des strateacutegies plus diversifieacutees que

lrsquooptimisation du deacutecodage ou le maintien de la veacuteriteacute Le reacutesultat est clairement lrsquoœuvre drsquoun

compromis de la part du locuteur certains objectifs prenant momentaneacutement le dessus sur

drsquoautres Bien des cas reacuteputeacutes non standard (car enfreignant O1) srsquoexpliquent par cette gestion

des strateacutegies mises en place par les locuteurs

109

7 Conclusion

Lrsquoobjectif de ce chapitre eacutetait drsquoexposer la maniegravere dont sont traiteacutees quelques questions

centrales en matiegravere de reacutefeacuterence en linguistique afin drsquoen dresser un bilan critique Nous

avons ainsi mis en eacutevidence lrsquoheacuteritage logico-philosophique de la seacutemantique telle qursquoelle est

aujourdrsquohui largement pratiqueacutee mais aussi la preacutegnance drsquoautres modegraveles dans le vaste

domaine drsquoeacutetude des expressions reacutefeacuterentielles En les mettant agrave lrsquoeacutepreuve des faits

linguistiques que lrsquoon rencontre au quotidien nous avons degraves lors pu constater leurs limites agrave

plusieurs eacutegards

A lrsquoheure ougrave lrsquoaccegraves aux bases de donneacutees attesteacutees orales ou eacutecrites est consideacuterablement

faciliteacute ces modegraveles pourraient tirer profit de la multitude drsquoobservables deacutesormais agrave

disposition Ils pourraient beacuteneacuteficier drsquoajustements fondamentaux un peu agrave la maniegravere dont la

syntaxe du franccedilais a eacuteteacute renouveleacutee agrave lrsquoappui des ressources disponibles ndash notamment les

donneacutees orales ndash depuis plusieurs deacutecennies (cf les modegraveles du GARS et du Groupe de

Fribourg)

Partageant les hypothegraveses fondamentales du modegravele du discours fribourgeois nous proposons

ainsi drsquoexaminer ce que les faits sans preacutejuger de leur conformiteacute agrave une norme preacuteeacutetablie

reacutevegravelent sur le fonctionnement geacuteneacuteral de la reacutefeacuterence Nous nous deacutemarquons ainsi

drsquoapproches qui tendent agrave promouvoir ce qui devrait ecirctre en favorisant ce qui est

effectivement attesteacute Par lagrave nous entendons les faits dans leur diversiteacute qursquoils soient

freacutequents ou plus laquo insolites raquo

En inscrivant notre eacutetude dans le cadre fribourgeois nous pouvons en outre avantageusement

rendre compte du fait que les objets dont parlent les locuteurs ne sont pas des realia mais des

constructions discursives doteacutees drsquoune certaine malleacuteabiliteacute A travers les notions drsquoobjets-de-

discours et de meacutemoire discursive le modegravele met en avant la nature fondamentalement

cognitive eacutevolutive et construite des repreacutesentations communes des interlocuteurs Dans ce

cadre les opeacuterations reacutefeacuterentielles que ces derniers exeacutecutent permettent de tenir compte de

facteurs praxeacuteologiques aussi bien que de paramegravetres lieacutes aux aleacuteas de lrsquointeraction

110

111

Chapitre II

Fonctionnement de lrsquoanaphore pronominale

112

113

1 Introduction

Dans le premier chapitre nous avons dresseacute une synthegravese critique des notions en vigueur dans

les theacuteories de la reacutefeacuterence et des expressions reacutefeacuterentielles et en avons souleveacute quelques

inconveacutenients Ensuite nous avons formuleacute les avantages drsquoune approche constructiviste du

discours et avons preacutesenteacute dans le deacutetail le modegravele qui sert de cadre agrave la preacutesente eacutetude Nous

passons agrave preacutesent agrave un point consideacutereacute comme central dans lrsquoeacutetude des proceacutedeacutes de reacutefeacuterence

agrave savoir le fonctionnement du pronom de 3e personne largement preacutesenteacute comme un

prototype en matiegravere de maintien de la reacutefeacuterence Cela nous permettra drsquoexaminer de plus pregraves

la notion drsquoanaphore deacutejagrave esquisseacutee supra (sect51) et de poser les bases de la reacuteflexion sur le

pronom de 3e personne en vue de lrsquoeacutetude empirique meneacutee au chapitre V sur lrsquoemploi de la

forme pluriel ils agrave valeur reacutefeacuterentielle sous-deacutetermineacutee

En effet le pronom personnel clitique (ou conjoint) de 3e personne il est consideacutereacute partout

comme le modegravele de lrsquoanaphore dont la reacutesolution reacutefeacuterentielle opegravere de maniegravere quasi-

automatique Crsquoest laquo lrsquoexpression anaphorique par excellence raquo (Kleiber 1990a 26)

deacutepourvu de tecircte lexicale il indiquerait la continuiteacute par deacutefaut Avant drsquoeacutevaluer ce point de

vue nous proposons de commencer par un rappel des proprieacuteteacutes morpho-syntaxiques du

pronom clitique de 3e personne (sect2) Seront ensuite preacutesenteacutees les principales conceptions de

lrsquoanaphore pronominale de ces derniegraveres deacutecennies drsquoabord les approches laquo anteacuteceacutedentistes raquo

(sect31 sect32) puis lrsquoapproche cognitive (sect33) agrave propos desquelles nous soulegraveverons les

problegravemes en suspens (sect34) Enfin nous aborderons le cas de lrsquoanaphore pronominale

indirecte (ou associative) (sect0) qui se montre reacutefractaire aux modegraveles dominants et qui ouvre

des pistes inteacuteressantes pour lrsquoanalyse des expressions reacutefeacuterentielles en geacuteneacuteral

114

115

2 Proprieacuteteacutes morphologiques et seacutemantiques du pronom clitique de 3e personne

Le pronom il et ses variantes allomorphiques appartiennent agrave la cateacutegorie des pronoms

conjoints (ou clitiques) du franccedilais ainsi appeleacutes parce qursquoils figurent toujours dans

lrsquoenvironnement immeacutediat drsquoun verbe (seule la neacutegation ne ou un autre pronom clitique

peuvent les en seacuteparer) et forment avec lui une mecircme uniteacute prosodique Ils diffegraverent en cela

des pronoms disjoints (cf supra sect 44) qui par leur caractegravere phonologique accentueacute (on les

appelle aussi toniques) peuvent constituer une eacutenonciation agrave eux seuls par exemple en

reacuteponse agrave une question (117) figurer en tant que sujet drsquoune cliveacutee ou encore ecirctre

disloqueacutes (118)

(117) La grandre precirctresse Qui va mrsquoescalader cette colline nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Les Amazones Moi moi (Gracq J Pentheacutesileacutee 1954 lt Frantext)

(118) Crsquoest vraiment lui qui mrsquoa initieacute agrave la musique jrsquoai envie de dire parce que crsquoest crsquoest

lui qui a commenceacute euh | _ | agrave faire du tambour deacutejagrave lui agrave la il avait il avait dix ans je

crois | quand il a commenceacute le tambour la percussion (ofrom)

Si les deux types de pronoms repreacutesentent des arguments du verbe seuls les pronoms disjoints

sont admis dans des positions typiques de SN Comme ils partagent la distribution des SN et

qursquoils commutent avec ceux-ci les pronoms personnels disjoints de la seacuterie Moi Toi Lui

Elle Nous Vous Elles Eux114

on peut les consideacuterer comme des Pro-SN115

(plutocirct que

comme des pronoms) au cocircteacute notamment des pronoms possessifs le mien le tien etc ou des

deacutemonstratifs celui-ci-lagrave cela De leur cocircteacute les clitiques personnels je tu il elle on nous

vous ils elles en deacutepit de lrsquoeacutetymologie du terme pronom ne constituent pas des substituts

syntaxiques (ni drsquoailleurs seacutemantiques voir infra sect3) de N ou de SN malgreacute lrsquoeacutetiquette qursquoon

leur attribue reacuteguliegraverement dans les grammaires scolaires ou dans certains courants

geacuteneacuterativistes (entre autres De Cat 2007 Laezlinger 2003 Rizzi 1986a)116

Du point de vue morphologique certaines formes se deacuteclinent selon leur fonction syntaxique

les clitiques ilelleilselles en position de sujet deviennent lelales en position drsquoobjet direct

luiluileur en position drsquoobjet indirect et en ou y aux reacutegimes obliques Outre leur capaciteacute agrave

marquer la personne verbale (1e 2

e 3

e 4

ehellip) le genre et le nombre les clitiques manifestent

ainsi une deacuteclinaison casuelle ainsi que le montre le tableau ci-dessous

114

La majuscule indique ici le caractegravere accentueacute des Pro-SN permettant le cas eacutecheacuteant de les diffeacuterencier des

clitiques 115

La notion de pro-forme sous-jacente est ici emprunteacutee agrave lrsquoApproche pronominale (Blanche-Benveniste et al

1984 1990) ougrave elle recouvre le concept de proportionnaliteacute syntaxique faisant ressortir un paradigme de formes

et partant un ensemble de contraintes de rection Le terme recouvre donc exclusivement une classe

distributionnelle et non un proceacutedeacute de deacutependance agrave une forme dans le contexte linguistique Pour une critique

de la notion de pro-forme comme substitut drsquoun segment mentionneacute voir Cornish amp Salazar Orvig (2016) Voir

infra (sect31) pour une mise au point agrave ce sujet 116

Pour un bilan de la controverse sur le statut des pronoms sujets voir Zumwald Kuumlster (2014)

116

Tableau 1 Flexion des pronoms personnels conjoints en franccedilais

Rang Nombre Sujet Reacutegime

accusatif

Reacutegime

datif

Reacutegime

locatif

Reacutegime

ablatif

1

Singulier

je me

2 tu te

3 il elle ce ccedila le la lui y en

Non marqueacute

on

4 nous

5 vous

6 Pluriel ils elles les leur

On voit que la plupart des personnes ont des deacuteclinaisons deacutefectives ou neutralisent tantocirct le

paramegravetre du genre (eg lui leur) tantocirct celui du nombre (on nous vous) Il est agrave noter que

ccedila clitique est agrave distinguer drsquoun Ccedila tonique (Creissels 1995 30) Le premier ne fonctionne

qursquoen position sujet et commute avec ce devant le verbe ecirctre tandis que le second commute

avec cela notamment en position de compleacutement (manger ccedila avec ccedila pour ccedila etc) ou en

position deacutetacheacutee (Ccedila crsquoest pas juste) Les clitiques ce et ccedila partagent avec on une deacuteclinaison

largement deacutefective

Le comportement morphologique et syntaxique des clitiques a depuis plusieurs deacutecennies

conduit certains chercheurs agrave les traiter comme des affixes verbaux (eg Strozer 1976 Rivas

1977 Jaeggli 1982 Miller 1992 Auger 1995 Roberge 1995 Miller amp Monachesi 2003

Culbertson 2010 Berrendonner 1993 2008 Zumwald Kuumlster 2014) servant agrave marquer les

diffeacuterents arguments syntaxiques du verbe En outre parmi les clitiques le fonctionnement

des laquo sujets raquo se distingue de celui des reacutegimes comme les suffixes verbaux des langues agrave

laquo sujet nul raquo les clitiques sujets du franccedilais ont pour caracteacuteristique de marquer lrsquoaccord du

verbe avec le sujet (Darmesteter 1877) Degraves lors de nombreux linguistes ont suggeacutereacute qursquoils

eacutetaient en fait (ou en passe de devenir) des preacutefixes verbaux marqueurs drsquoaccord (Auger 1995

Berrendonner 2008) Par ailleurs certains eacutetendent ce traitement aux clitiques objets (eg

Berrendonner 2008) tandis que drsquoautres mettent en eacutevidence les diffeacuterences de statuts entre

clitiques sujets et clitiques objets (eg Auger 1995) En tout cas lrsquohypothegravese du statut affixal

des clitiques laquo sujets raquo repreacutesente un parti-pris audacieux au vu des theacuteories dominantes car

elle remet en cause la pertinence du ceacutelegravebre pro-drop parameter117

obligeant agrave laquo recateacutegoriser

le franccedilais comme langue agrave sujet nul raquo (Berrendonner 2000 30)

Quoi qursquoil en soit nous laissons aux syntacticiens la tacircche de tirer les conseacutequences

theacuteoriques du comportement et de la distribution des clitiques du franccedilais et nous nous

concentrons agrave preacutesent sur chacun des traits morphologiques veacutehiculeacutes par les clitiques de 3e

personne

117

Crsquoest-agrave-dire le critegravere qui caracteacuterise les langues pouvant se passer drsquoun pronom sujet reacutealiseacute (Chomsky

1981)

117

21 La personne

Les pronoms se deacuteclinent en personne afin de marquer les rapports entre les actants impliqueacutes

dans le procegraves exprimeacute par le verbe Dans un eacutetat de langue ancien les personnes eacutetaient

marqueacutees par les deacutesinences verbales et le verbe repreacutesentait un laquo preacutedicat-sujet raquo (Moignet

1981 91) En franccedilais contemporain au contraire la personne srsquoexprime en grande partie

laquo en dehors raquo du verbe au moyen du pronom sujet conjoint sauf pour quelques verbes

freacutequents ougrave la morphologie est particuliegraverement discriminante quant agrave la personne (avoir

ecirctre aller etc) la deacutesinence verbale se montre de nos jours peu discriminante en particulier

agrave lrsquooral pour les trois premiegraveres personnes118

Crsquoest agrave ce titre que les pronoms conjoints

peuvent ecirctre perccedilus comme une forme drsquoaccord avec le verbe marquant avec la deacutesinence

verbale une concordance quant agrave la personne (cf ci-dessus)

Drsquoapregraves une conception heacuteriteacutee de la grammaire grecque on reconnaicirct geacuteneacuteralement trois

personnes une seacuterie au singulier et une au pluriel Parmi celles-ci Benveniste (1966 228-

230) traite je (celui qui parle) et tu (celui agrave qui je srsquoadresse) ensemble fonctionnant de

maniegravere reacuteflexive par rapport agrave lrsquoeacutenonciation ie renvoyant toujours aux mecircmes instances

eacutenonciatives (crsquoest leur laquo uniciteacute speacutecifique raquo p 230) respectivement au locuteur et agrave

lrsquointerlocuteur119

(cf supra ChI sect44) Il oppose agrave ces deux premiegraveres la laquo 3e personne raquo il

totalement exteacuterieure agrave la relation instaureacutee entre je et tu Moignet (1981 92) parle agrave cet

eacutegard du laquo deacutelocuteacute raquo personne laquo absente du systegraveme de lrsquointerlocution raquo Sa reacutefeacuterence se

montre pour sa part variable et deacutepourvue drsquoun trait drsquoanimation Crsquoest pour cette raison que

Benveniste remet en question son statut de personne laquo la 3e personne nrsquoest pas une

personne crsquoest mecircme la forme verbale qui a pour fonction drsquoexprimer la non-personne raquo

(1966 228) Crsquoest drsquoailleurs rappelle-t-il agrave celle-ci que lrsquoon recourt dans les tournures dites

impersonnelles

On deacutejagrave a vu supra aussi (ChI sect44) que Benveniste ne considegravere pas la seacuterie des personnes

dites laquo plurielles raquo comme une simple pluralisation des personnes du singulier En effet nous

ne consiste pas en une multiplication de je mais en laquo une jonction entre je et le non-je

quel que soit le contenu de ce non-je raquo (1966 233) La personne nous repreacutesente en

quelque sorte un laquo je dilateacute au-delagrave de la personne stricte agrave la fois accru et de contours

vagues raquo (p 235) Cela explique les emplois de nous de majesteacute ougrave je est amplifieacute rendu plus

solennel ou les emplois de modestie ougrave je srsquoestompe dans une expression plus laquo diffuse raquo De

mecircme vous exprime un tu amplifieacute par un ensemble indistinct de personnes ou par

meacutetaphore utiliseacute comme une forme de politesse En ce qui concerne le pluriel de la non-

personne ils Benveniste lui reconnaicirct deux interpreacutetations un pluriel laquo reacutegulier raquo donc

multiplicateur mais eacutegalement un fonctionnement diffus ougrave il laquo exprime la geacuteneacuteraliteacute

118

Par exemple les verbes du 1er

groupe (infinitif ndasher sauf aller) preacutesentent la mecircme forme acoustique pour 4

personnes sur 6 au preacutesent de lrsquoindicatif 119

Benveniste (1966) nuance toutefois cette conception qui correspond agrave lrsquoemploi ordinaire La 2e personne tu

(notamment dans ses emplois geacuteneacuteriques) se deacutefinit plutocirct comme laquo la personne non-je raquo ou laquo la personne non-

subjective raquo (p 232)

118

indeacutecise du on (type dicunt they say) raquo laquo Crsquoest la non-personne mecircme qui eacutetendue et

illimiteacutee par son expression exprime lrsquoensemble indeacutefini des ecirctres non-personnels raquo (ibid

235) Pour toutes ces raisons on se gardera de consideacuterer vous nous et ils comme de simples

correspondants pluriels des trois premiegraveres personnes il paraicirct degraves lors plus sage de leur

reacuteserver une position ordinale particuliegravere sous le nom de 4e 5

e et 6

e personnes

22 Le cas

Le marquage casuel des pronoms conjoints reflegravete la structure argumentale du verbe chaque

verbe impose agrave son environnement des configurations syntaxiques particuliegraveres Tesniegravere

(1959) parle de valence drsquoun verbe pour deacutesigner les diffeacuterents arguments qursquoil admet On

postule geacuteneacuteralement une correacutelation entre fonctions syntaxiques et rocircles seacutemantiques

(Tesniegravere 1959 Fillmore 1968 Jackendoff 1990) Ainsi agrave chaque argument syntaxique

correspondraient certains rocircles seacutemantiques lrsquoensemble de la structure argumentale refleacutetant

un scheacutema actanciel ou laquo petit drame raquo (Tesniegravere 1959)

(119) Il la lui a precircteacutee (Charolles 2002 190)

Les diffeacuterents arguments en (119) agrave savoir les clitiques sujet objet direct et objet indirect

expriment les rocircles respectifs drsquoagent (celui qui fait lrsquoaction agrave savoir le prime actant dans la

terminologie de Tesniegravere) de patient ou objet (actant qui supporte le procegraves ou second

actant) et de beacuteneacuteficiaire (celui au beacuteneacuteficedeacutetriment duquel se fait lrsquoaction ou tiers actant)

La liste des rocircles seacutemantiques varie drsquoune langue agrave lrsquoautre mais eacutegalement au sein drsquoune

mecircme langue et en fonction des cadres drsquoanalyse On peut par exemple eacutetablir un inventaire

tregraves deacutetailleacute des rocircles actantiels en affinant le plus possible les cateacutegories ou agrave lrsquoinverse

preacutetendre agrave un grand degreacute de geacuteneacuteraliteacute en ne notant que des oppositions minimales Du fait

qursquoelles reposent sur des critegraveres intuitifs de telles typologies ne peuvent donc pas eacutechapper agrave

une part drsquoarbitraire comme le relegravevent Riegel et al (2009 237)

A un mecircme argument syntaxique peuvent correspondre plusieurs rocircles seacutemantiques ce qui se

voit en franccedilais notamment agrave travers le cas des diathegraveses dans les constructions passives par

deacutefinition lrsquoargument sujet se voit doteacute drsquoun rocircle de patient par opposition agrave sa version active

ougrave le sujet repreacutesente un agent (eg le gacircteausujpatient a eacuteteacute mangeacute par les enfantscomplagent)

Quant aux constructions avec il dit impersonnel elles expriment des verbes sans agent (il

pleut) Sans mecircme envisager les diathegraveses la structure actantielle est lieacutee aux constructions

potentielles drsquoun lexegraveme verbal donneacute

(120) le jardinier a reccedilu un coup dans la figure (Lazard 1995 153)

Le SN le jardinier en position sujet deacutenote ici conformeacutement aux traits de seacutelection

manifesteacutes par le verbe recevoir un beacuteneacuteficiaire Lrsquointerpreacutetation de la structure actantielle

drsquoun eacutenonceacute est donc drsquoabord eacutetroitement lieacutee au sens lexical drsquoun verbe donneacute Cette

conception est sous-jacente agrave la notion de coercition (cf supra ChI sect32) pour rappel une

119

situation drsquoaccommodation ou de forccedilage de nature seacutemantique sur un eacuteleacutement dont les

proprieacuteteacutes sont en contradiction avec les traits seacutelectionnels drsquoun autre terme (voir par ex

Lauwers amp Willems 2011) Soit lrsquoexemple suivant (ou sa traduction en franccedilais)

(121) I began a book (ibid 1219) = Jrsquoai commenceacute un livre

Le verbe commencer seacutelectionne pour son reacutegime un objet de type lsquoprocegravesrsquo alors que le SN

lexical un livre deacutenote en principe un simple ouvrage eacutecrit La contradiction seacutemantique se

reacutesout ainsi par la reacuteinterpreacutetation du SN un livre comme un procegraves en lrsquooccurrence lrsquoactiviteacute

de lecture ou de reacutedaction drsquoun livre (ibid) Ce sont les traits seacutelectionnels du verbe

commencer qui imposent une telle interpreacutetation sur lrsquoargument objet On voit donc qursquoun

scheacutema actantiel deacutepend clairement drsquoun lexegraveme verbal donneacute

Degraves lors il vaut mieux eacuteviter de geacuteneacuteraliser une forme de correspondance entre arguments

syntaxiques et actants seacutemantiques indeacutependamment de la prise en compte drsquoun lexegraveme verbal

particulier On ne dira donc pas que la deacuteclinaison casuelle des pronoms code des rocircles

seacutemantiques mais plutocirct qursquoelle reflegravete la structure argumentale propre agrave un verbe donneacute ndash ou

mieux agrave lrsquoun de ses usages conventionnels La structure actantielle pour sa part reste lieacutee au

sens lexical du verbe en question (notamment agrave ses traits seacutelectionnels)

23 Le nombre

La plupart des clitiques du franccedilais sont en outre variables en genre et en nombre La variation

en nombre se manifeste en franccedilais agrave travers lrsquoopposition morphologique singulierpluriel

Selon la conception courante cette variabiliteacute reflegravete un trait de comptabiliteacute (Lauwers 2014

117) on associe agrave la marque du lsquosingulierrsquo un trait drsquouniciteacute tandis qursquoon dote le lsquoplurielrsquo

drsquoun trait de multipliciteacute (Corbett 2000 4) Dans le cas des noms Guillet (1978 2) rapporte

ainsi que laquo tout substantif N est donc a priori susceptible drsquoecirctre employeacute au singulier et au

pluriel avec les interpreacutetations respectives un seul N et plusieurs N raquo Le nombre serait

seacutelectionneacute selon que le locuteur projette de reacutefeacuterer agrave un ou une somme drsquoindividus dans son

discours Crsquoest ce qui fait dire agrave Cornish (1999 131) qursquoil est agrave interpreacuteter comme un indice

extensionnel par opposition au genre (voir infra sect24)

Or la question du nombre et de ses implications seacutemantico-reacutefeacuterentielles srsquoavegravere bien plus

complexe On a vu ci-dessus (sect21) avec Benveniste (1966) que pour les pronoms de 1egravere

et de

2e personnes les formes dites du laquo pluriel raquo srsquoexpliquent mal en termes de multipliciteacute au vu

des emplois de modestie de majesteacute ou de politesse Le pluriel est agrave envisager dans ce cas

comme laquo une personne amplifieacutee et diffuse raquo et comme un laquo facteur drsquoillimitation non de

multiplication raquo (ibid 235) Benveniste reconnaicirct eacutegalement la possibiliteacute drsquoune lecture

laquo amplifieacutee raquo du pluriel de la laquo non-personne raquo agrave savoir ils dont il rapproche lrsquointerpreacutetation

de celui du on Celui-ci se reacutevegravele drsquoailleurs particuliegraverement polyseacutemique apte agrave repreacutesenter

aussi bien un individu indeacutetermineacute qursquoun ensemble de personnes incluant ou non le locuteur

(cf infra ChV sect342)

120

Drsquoautre part on peut relever que certaines langues ne se limitent pas agrave un systegraveme du nombre

binaire mais integravegrent davantage de membres de lrsquoopposition agrave travers les nombres duel triel

quatriel (voire encore paucal pour certaines langues exotiques cf Corbett 2000) Ces

cateacutegories manifesteraient selon Guillaume (1964 1985) une forme de pluraliteacute interne

La pluraliteacute interne est celle qui sous une uniteacute enveloppante saisit un pluriel contenu plus ou moins apparent Le duel des langues anciennes est un vestige de la pluraliteacute interne Il consiste agrave saisir laquo deux raquo sous un seul regard unique De lagrave sa convenance avec les choses formant naturellement paire (Guillaume 1985 103)

Le pluriel interne srsquooppose ainsi au pluriel externe le seul dont on rend geacuteneacuteralement compte

qui pluralise par addition ou multiplication drsquouniteacutes Guillaume scheacutematise les concepts de

pluraliteacute interne vs pluraliteacute externe de la maniegravere suivante

Figure 6 Pluraliteacute interne drsquoapregraves Curat (1988)

Figure 7 Pluraliteacute externe drsquoapregraves Curat (1988)

La figure 7 illustre donc le mouvement de la laquo pluraliteacute arithmeacutetique raquo tandis que la figure 6

montre un mouvement de regroupement solidaire laquo qui aboutit agrave lrsquouniteacute raquo (ibid)

On peut eacutegalement voir la trace drsquoune pluraliteacute interne dans le cas de formations de collectifs

au neutre pluriel du grec ancien ou du latin par exemple agrave travers la fameuse laquo regravegle raquo Τὰ ζῷα

τρέχει120

selon laquelle de surcroicirct le verbe srsquoaccorde au singulier (Colombat 1993 30) Ce

type drsquoemploi ne serait pas voueacute agrave livrer laquo lrsquoimage drsquoune seacuterie additive mais plutocirct celle

drsquoune collection drsquoougrave le verbe au singulier lorsque le sujet de celui-ci apparaicirct srsquoidentifier agrave

120

Tagrave zỗia treacutekhei = les animaux courent Le verbe τρέχει est conjugueacute agrave la 3e personne du singulier et le sujet

Τὰ ζῷα est au neutre pluriel

121

une telle collection raquo (De Carvalho 1993 99) On associe ainsi geacuteneacuteralement la pluraliteacute

interne agrave une interpreacutetation dite collective et la pluraliteacute externe agrave une interpreacutetation appeleacutee

distributive Une interpreacutetation se reacutevegravele collective si un preacutedicat srsquoapplique agrave un ensemble

plutocirct qursquoagrave ses membres pris seacutepareacutement Elle apparaicirct au contraire distributive si une

proprieacuteteacute est attribueacutee agrave chacun des individus (Mari 2006)

(122) Les Suisses qui ont marqueacute lrsquoanneacutee 2014 sont nombreux (titre drsquoun article de presse

httpwwwillustrechpeopleNationalfil-de-linfo 24122014)

(123) Beaucoup de volontaires sont jeunes autour des 18thinspans (httpwwwlematinch

19092014)

Dans (122) le preacutedicat lsquoecirctre nombreuxrsquo ne peut srsquoappliquer qursquoagrave lrsquoensemble et non agrave chacun

des individus tandis qursquoen (123) le preacutedicat lsquojeunersquo par ailleurs speacutecifieacute apregraves coup (lsquoavoir

environ 18 ansrsquo) srsquoapplique agrave chaque individu et non au groupe lui-mecircme Neacuteanmoins les

contextes sont loin drsquoecirctre tous deacutesambiguiumlsants

(124) Suisse les politiciens chantent pour Noeumll (httpwwwrtschplaytv19h30video

25122014)

Dans ce cas-lagrave rien dans le titre ne permet de trancher entre une interpreacutetation collective (le

chœur ainsi constitueacute) ou une interpreacutetation distributive (chacun des politiciens a chanteacute lrsquoun

apregraves lrsquoautre) mecircme si veacuterification audio-visuelle faite crsquoest la seconde lecture que le

journaliste avait manifestement agrave lrsquoesprit

Le trait collectif ou de pluraliteacute interne peut aussi se manifester lexicalement En franccedilais

comme dans drsquoautres langues certains noms ont la particulariteacute de srsquoemployer presque

exclusivement au pluriel121

Pour cette raison on les appelle pluralia tantum ou pluriels

lexicaux (Lauwers 2014 Lammert 2015 Wierzbicka 1988 Wisniewski 2009) Selon certains

auteurs (Jespersen 1924 Furukawa 1977 citeacutes par Lauwers 2014) le pluriel repreacutesente dans

ces cas-lagrave paradoxalement la marque du non-nombre ce qui se traduit par la non-

deacutenombrabiliteacute des noms en question

En fait Lauwers (2014) remarque que les pluriels lexicaux ne manifestent pas tous le mecircme

degreacute de non-deacutenombrabiliteacute Il propose ainsi une typologie de ces N122

sur la base de leur

apparition respective dans un corpus drsquoeacutecrits du web avec des deacuteterminants de quantification

(les numeacuteraux cardinaux plusieurs divers diffeacuterents) et de jugements drsquoacceptabiliteacute avec

des expressions de reacuteciprociteacute (lrsquoun apregraves lrsquoautre les uns apregraves les autres) et des adjectifs

laquo deacutelimitatifs raquo ou laquo stubbornly distributive raquo (Schwarzschild 2011 citeacute par Lauwers 2014)

comme grand petit long Lauwers relegraveve ainsi du cocircteacute du minimalement deacutenombrable les N

121

Ou alors la variation en nombre ne correspond pas agrave lrsquoopposition entre uniteacute et somme drsquouniteacutes cf lunette vs

lunettes ciseau vs ciseaux etc 122

La seacutelection des N est baseacutee sur les N reacuteguliegraverement eacutevoqueacutes dans les eacutetudes anteacuterieures et sur les indices de

freacutequence opposant la forme au sing et au pl de la base Lexique de B New

(httpwwwlexiqueorgdocLexiquephp) (ibid 120)

122

lexicaux appeleacutes laquo compacts raquo (p 121) qui se montrent les plus reacutefractaires agrave la

deacutenombrabiliteacute Il srsquoagit de noms tels que oreillons alentours qui apparaissent

systeacutematiquement avec des deacuteterminants deacutefinis et dont le contenu seacutemantique se preacutesente

comme opaque ou compact Ensuite lrsquoauteur distingue les pluriels laquo denses raquo (p 122) comme

arrhes eacutepinards loisirs mœurs etc qui admettent la laquo quantification impreacutecise raquo avec des ou

quelques mais pas la quantification discregravete avec plusieurs diffeacuterents ou des numeacuteraux Ces N

repreacutesentent des entiteacutes seacutemantiquement homogegravenes Ils se deacutemarquent en cela de la cateacutegorie

des pluriels laquo agreacutegatifs raquo (p 123) tels que vivres viscegraveres frais donneacutees excreacutements

deacutechets etc qui apparaissent plus reacuteguliegraverement avec des deacuteterminants individuants

(plusieurs divers diffeacuterents et les numeacuteraux) et qui manifestent un plus grand degreacute

drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute seacutemantique entre les individus123

bien que conservant un trait [+collectif]

Lauwers mentionne pour finir une cateacutegorie agrave part celle des laquo pluriels internes transposeacutes raquo

(p 127) qui se laissent volontiers deacutenombrer par les marqueurs ci-dessus Crsquoest le cas de

toilettes archives pourparlers repreacutesailles etc Cependant le deacutenombrement opegravere au

niveau externe il intervient donc exclusivement au niveau du tout et non de ses membres

(laquo deux toilettes raquo laquo trois archives raquo laquo plusieurs pourparlers raquo p 127-128) Les eacuteleacutements qui

composent le tout demeurent ainsi inaccessibles agrave toute saisie quantifieacutee

On peut mettre les pluralia tantum en perspective avec les noms dits collectifs124

qui tout en

eacutetant au singulier deacutesignent un ensemble drsquoindividus dont les proprieacuteteacutes communes peuvent

ecirctre plus ou moins lacircches (Lecolle 2013) Ainsi en va-t-il des noms comme foule

constellation public bouquet peuple etc La laquo pluraliteacute interne raquo de ces N est

particuliegraverement visible agrave travers lrsquoapparition drsquoaccords dits laquo ad sensum raquo eacutetudieacutes par

Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin (1995)

(125) Le jeune couple tregraves eacutetonneacute remercia Mathias et lui dirent au revoir (copie drsquoeacutelegraveve

lt ibid 37)

Selon Lammert (2010 91) ce genre drsquoaccord entre un sujet collectif singulier et un verbe au

pluriel est freacutequent en ancien franccedilais mais disparaicirct peu agrave peu par la suite Elle rapporte un

exemple de Pascal en franccedilais classique

(126) Et ainsi ce peuple deacuteccedilu par lrsquoavegravenement ignominieux et pauvre du Messie ont eacuteteacute ses

plus cruels ennemis (Pascal Les Penseacutees lt Lammert 2010 91)

Neacuteanmoins Lammert juge cet accord impossible en franccedilais moderne Lrsquoattestation

drsquoexemples comme (125) de Berrendonner amp Beacuteguelin (1995) met donc agrave mal cette

preacutediction Drsquoun point de vue normatif drsquoaucuns soutiendront que ces donneacutees proviennent

de scripteurs malhabiles Cependant des donneacutees drsquoautres genres attestent la persistance de ce

type drsquoaccord au pluriel en franccedilais contemporain

123

Lauwers (2014) distingue en fait trois sous-classes manifestant des degreacutes drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute reacutefeacuterentielle

variables 124

Voir Lammert (2015) pour un examen de leurs diffeacuterences seacutemantiques

123

(127) bon apregraves y a des y a des affiniteacutes qui se font machin | _ | mais apregraves crsquoest crsquoest crsquoest

un groupe qui sont tout le temps tout le temps tout le temps tout le temps ensemble y a

pas des deacutechappatoire (ofrom)

(128) Jean Dujardin et Alexandra Lamy forment le couple qui font le plus recircver les Franccedilais

(web leacutegende drsquoune photo du couple httpwwwohmymagcom)

Lorsqursquoun tel pheacutenomegravene apparaicirct chez un eacutecrivain il reccediloit le statut de figure de style en

lrsquooccurrence de syllepse du nombre Ainsi en va-t-il de lrsquoexemple suivant drsquoAragon citeacute dans

le Bon usage

(129) Ce couple tenait peu de place dans leur coin (Aragon citeacute par Grevisse amp Goosse lt

Berrendonner amp Beacuteguelin 1995 24)

A noter qursquoavec le deacuteterminant possessif lrsquoaccord au pluriel dans des eacutecrits laquo surveilleacutes raquo

semble mieux toleacutereacute par la norme

(130) Le groupe Cartier espegravere donc que leurs collegravegues et concurrents reviendront sur leur

deacutecision lrsquoan prochain (presse [Reichler-]Beacuteguelin 1993a)

(131) Il va sans dire que la controverse a fait rage au sein dune bonne partie de la population

norveacutegienne lorsque le couple princier annonccedila en deacutecembre dernier leur intention de

se marier (presse Belga 23082001)

Berrendonner amp Beacuteguelin deacutecrivent le proceacutedeacute agrave lrsquoœuvre comme lrsquoassimilation drsquoun tout agrave la

classe de ses membres (ibid 39) qui repreacutesente une dualiteacute (cf supra ChI sect33) pour

rappel un type drsquoobjet agrave geacuteomeacutetrie variable appreacutehendable de deux points de vue diffeacuterents

ici au format drsquoindividu collectif et de classe

Quant agrave lrsquoanaphore collectif-classe via lrsquoindice de 6e personne elle est en geacuteneacuteral reacutepertorieacutee

par les linguistes pour certains selon des conditions strictes (cf infra sect411)

(132) y avait une soir un soir euh | _ | jeu de nuit donc cest un groupe qui a ducirc organiser des

un jeu de nuit dans la forecirct | _ | qui faisait assez peur dailleurs mais conduit | _ | hein |

_ | ben conduit organiseacute alors ils ont ducirc | _ | organiser donc des jeux de nuit (ofrom)

En somme au vu des diffeacuterentes situations preacutesenteacutees dans cette section (indices personnels

pluriels lexicaux N collectifs) la question du nombre en franccedilais ne peut se reacutesumer agrave une

simple opposition entre uniteacute et somme drsquouniteacutes La deacutefinition traditionnelle de lrsquoopposition

en nombre neacutecessite une reacuteelle remise en question Parmi les pistes inteacuteressantes qursquoon peut

eacutevoquer Lauwers (2014) attribue au pluriel de par lrsquoanalogie entre les pluriels lexicaux et les

N massifs un laquo effet massifiant raquo Drsquoautre part les notions drsquolaquo amplification raquo ou

drsquolaquo illimitation raquo de Benveniste (1966) concernant les indices personnels au pluriel

meacuteriteraient davantage drsquoattention pour drsquoeacuteventuelles geacuteneacuteralisations sur lrsquointerpreacutetation du

pluriel des N Enfin il nrsquoest peut-ecirctre pas inutile de faire un petit deacutetour par les fondements

matheacutematiques de la notion de pluriel inspireacutee de la notion drsquoensemble Un ensemble au sens

124

matheacutematique repreacutesente une collection drsquoeacuteleacutements qursquoon peut par exemple repreacutesenter par

les diagrammes de Venn Les eacuteleacutements sont lieacutes agrave lrsquoensemble par un rapport drsquoappartenance

On considegravere geacuteneacuteralement que le pluriel recouvre lrsquoensemble ou les eacuteleacutements qui le

composent Comme le cas le plus typique consiste en un ensemble contenant plusieurs

eacuteleacutements autrement dit dont le cardinal est supeacuterieur agrave 1 crsquoest la somme des eacuteleacutements qursquoon

retient geacuteneacuteralement pour lrsquointerpreacutetation du pluriel On laisse de cocircteacute le fait qursquoen

matheacutematique un ensemble peut contenir un seul eacuteleacutement (un singleton) voire aucun eacuteleacutement

(ensemble vide) On pourrait se demander si la langue permet de rendre compte drsquoun

ensemble agrave un ou zeacutero eacuteleacutement en langue par exemple au vu de faits comme celui-ci

(133) - Les planegravetes carreacutees ccedila nrsquoexiste pas (Brisson D Gros sur la tomate p 12)

Cet eacutenonceacute ne reflegravete-t-il pas la reacutefeacuterence agrave un ensemble (lsquoles planegravetes carreacuteesrsquo) agrave propos

duquel on nie lrsquoexistence des membres qui le composent

Un autre pheacutenomegravene inteacuteressant agrave envisager de ce point de vue est la notion de personne

amplifieacutee (Benveniste 1966) qui pourrait ecirctre regardeacutee comme un ensemble dont le cardinal

est eacutegal ou supeacuterieur agrave 1 (cf supra sect21 nous et vous de modestie de majesteacute etc) Dans tous

les cas une eacutetude empirique sur les marques du nombre en franccedilais meacuteriterait de voir le jour

pour remettre en cause lrsquoideacutee reacutepandue que le pluriel correspond agrave une simple addition

drsquoeacuteleacutements

Nous terminons par une bregraveve remarque sur le pluriel agrave lrsquooral Le trait du pluriel peut

demeurer non speacutecifieacute125

si les deacuteterminants les suffixes les preacutedicats ou encore le contexte

ne sont pas discriminants En teacutemoigne cet exemple ougrave Charles de Gaulle lors drsquoun discours

public opegravere une reformulation meacutetalinguistique pour deacutesambiguiumlser son propos

(134) laquo Je mrsquoadresse au(x) peuple(s)hellip aux peuples au pluriel raquo (de Gaulle lt Blanche-

Benveniste (2000 15)

Aucun indice ne permet en effet dans ce cas drsquoopter pour une interpreacutetation au pluriel

Blanche-Benveniste (ibid) note toutefois que si le discours nrsquoavait pas eacuteteacute preacutealablement

reacutedigeacute les propos auraient probablement eacuteteacute formuleacutes autrement pour garantir une

interpreacutetation au pluriel Quant agrave la marque du pluriel de lrsquoindice de 6e personne elle nrsquoest

audible que par le biais de la liaison stricte [iz] devant un eacuteleacutement vocalique (eg [iz ])126

Sans cela drsquoautres eacuteleacutements morphologiques (deacutesinence verbale suffixes adjectivaux etc)

125

Une bonne partie des substantifs et adjectifs sont homophones au singulier et au pluriel maison(s)

cheveu(x) bateau(x) grand(s) beau(x) bleu(s) etc 126

A noter que cette liaison nrsquoest pas stricte en franccedilais queacutebeacutecois ougrave la 6e personne peut ecirctre prononceacutee sans

liaison devant voyelle eg [j ]

125

pour autant qursquoils soient distinctifs127

lexicaux (preacutedicats collectifs reacuteciproques etc) ou

contextuels peuvent concourir agrave lrsquointerpreacutetation du nombre

24 Le genre

Contrairement au trait du nombre celui du genre grammatical est en principe inheacuterent agrave un

nom commun Le genre des noms est arbitraire souvent heacuteriteacute de lrsquoeacutetymon de ceux-ci (Riegel

et al 2009 329) Ainsi rien ne motive lrsquoopposition de genre entre veacutelobicyclette

fleuveriviegravere etc Neacuteanmoins pour ce qui concerne les noms drsquoanimeacutes en particulier

drsquohumains la question est plus deacutelicate comme en teacutemoigne le deacutebat toujours actuel autour

de la feacuteminisation du lexique qui a eacutemergeacute dans les anneacutees 1970 (Elmiger 2008 29 sqq) En

scheacutematisant un peu la probleacutematique nous constatons que le genre grammatical ne reflegravete

pas univoquement un trait biologique au vu des exceptions bien connues comme les noms

feacuteminins recrue estafette ou sentinelle qui repreacutesentent des rocircles geacuteneacuteralement deacutevolus au

sexe masculin De mecircme les noms masculins mannequin tendron laideron128

srsquoappliquent

typiquement agrave des femmes A cet eacutegard il faut distinguer entre le sexe biologique et le genre

social ou socioculturel (gender en anglais) Ce dernier tire ses fondements des rocircles activiteacutes

comportements expeacuteriences bref des traits typiquement associeacutes agrave un sexe donneacute (Elmiger

2008 47) On peut encore relever les noms feacuteminins du type personne vedette

connaissance etc qui ne se restreignent pas agrave la deacutesignation de lrsquoun des deux sexes ou genres

socioculturels

Drsquoun autre cocircteacute sexe naturel ou gender ne sont pas totalement sans rapport aussi indirect

soit-il avec les pheacutenomegravenes drsquoaccords grammaticaux dans le cas des noms eacutepicegravenes (ie des

noms qui nrsquoont pas de genre speacutecifieacute au niveau lexical mais qui en discours srsquoadaptent agrave des

accords aussi bien masculins que feacuteminins) tels que pianiste eacutelegraveve concierge En outre

certains suffixes sont speacutecifiquement deacutedieacutes agrave lrsquoopeacuteration drsquoune telle distinction (vendeuse

inspectrice etc) Nous verrons plus bas comment reacutesoudre cet apparent paradoxe

Il faut encore eacutevoquer le pheacutenomegravene du masculin non marqueacute qui concerne aussi bien la

reacutefeacuterence aux animeacutes qursquoaux inanimeacutes la coordination de deux SN dont les noms sont de

genres diffeacuterents entraicircne en principe un accord au masculin pluriel (le garccedilon et la fille sont

grands le verre et la tasse sont grands) Michard (1996) conclut des travaux de Jakobson

(1971) sur les correacutelations entre genres marqueacute et non marqueacute129

que laquo la signification

geacuteneacuterale du masculin est donc poseacutee comme premiegravere crsquoest celle qui srsquooppose au feacuteminin

127

Au preacutesent et agrave lrsquoimparfait la morphologie verbale des 3e et 6

e personnes sont freacutequemment homophones

pour les verbes en ndasher (il mange vs ils mangent il mangeait vs ils mangeaient) par opposition au passeacute composeacute

ou au futur (il a mangeacute vs ils ont mangeacute il mangera vs ils mangeront) Quant au pluriel des adjectifs attributs il

est souvent inaudible (ils semblent contents) 128

Mais laideronne est eacutegalement attesteacute 129

laquo La correacutelation est lrsquoopposition drsquoune cateacutegorie marqueacutee caracteacuteriseacutee par la preacutesence de A et dune cateacutegorie

non-marqueacutee caracteacuteriseacutee par le manque de signalisation de A raquo (Jakobson 1971 citeacute par Michard 1996 30)

126

comme genre non-marqueacute par rapport au genre marqueacute et crsquoest de cette signification geacuteneacuterale

que deacuterivent les significations speacutecifiques raquo (p 31)130

A propos des marques du genre dans le cas des pronoms conjoints on peut admettre que les 1e

et 2e personnes fonctionnent agrave la maniegravere des noms eacutepicegravenes animeacutes dans le sens ougrave ils sont

compatibles avec des accords au masculin et au feacuteminin visibles ailleurs dans le contexte

linguistique

(135) Comme tu es grande ma petite Louise (titre drsquoun livre pour enfant)

En (135) on observe une redondance des marques feacuteminines au sein de lrsquoeacutenonceacute via les

diffeacuterents suffixes et la forme du possessif elles srsquointerpregravetent ici manifestement comme le

reflet drsquoun genre biologique

Ci-dessous le pronom clitique pluriel nous apparaicirct de mecircme non speacutecifieacute en genre Seul le

suffixe de lrsquoadjectif attribut comporte une marque en lrsquooccurrence formellement le masculin

dans un usage qursquoon peut infeacuterer non-marqueacute

(136) Nous sommes loyaux envers nos clients dont les inteacuterecircts sont notre prioriteacute (slogan

drsquoune entreprise)

En effet il deacutesigne ici un reacutefeacuterent indiffeacuteremment homme ou femme Il en va drsquoailleurs de

mecircme pour le SN nos clients

Le cas des indices de 3e

(il elle) et 6e personne (ils elles) est diffeacuterent car ceux-ci sont

intrinsegravequement marqueacutes en genre En outre en tant que laquo non-personnes raquo ils srsquoattachent agrave

deacutesigner aussi bien des animeacutes que des inanimeacutes De nombreux auteurs se sont efforceacutes

drsquoidentifier le critegravere qui deacutetermine la marque de genre du pronom de 3e personne Nous

expliquerons ci-apregraves en quoi nous consideacuterons en reacutealiteacute cette question comme un faux

problegraveme Mais il est neacutecessaire pour cela de comprendre le fondement des hypothegraveses

avanceacutees afin de pouvoir ensuite nous en distancier

130

Dans le cas de la reacutefeacuterence aux animeacutes ce laquo masculin agrave valeur geacuteneacuterique raquo repreacutesente lrsquoune des cibles de la

critique feacuteministe du fait que son interpreacutetation neacutecessite des efforts cognitifs de deacutesambiguiumlsation pour savoir

srsquoil inclut ou non la reacutefeacuterence agrave des femmes en particulier dans lrsquoemploi des N lexicaux animeacutes Srsquoajoute

eacutegalement au deacutebat une dimension symbolique selon laquelle la langue est susceptible de refleacuteter les ineacutegaliteacutes

sociales entre hommes et femmes (Elmiger 2008 111-112) Diverses alternatives sont proposeacutees pour eacuteviter

lrsquoambiguiumlteacute du masculin geacuteneacuterique parmi lesquelles on peut mentionner les deacutefinitions leacutegales dans les textes agrave

caractegravere juridique du type laquo le masculin geacuteneacuterique est utiliseacute pour deacutesigner les deux sexes raquo Chancellerie

feacutedeacuterale 2000 (Elmiger 2008 123) lrsquoemploi des doublets inteacutegraux (laquo les eacutetudiants et eacutetudiantes raquo ibid 127)

ou abreacutegeacutes (laquo les traducteurs-trices raquo ibid 121) (jugeacutes fastidieux et peu lisibles par leurs deacutetracteurs) ou les

innovations graphiques (laquo les eacutetudiantEs raquo laquo illes raquo ibid 121) Neacuteanmoins ces aspects sortent du domaine

linguistique et concernent essentiellement les repreacutesentations sociales On peut agrave cet eacutegard relever la polyseacutemie

de la notion de laquo genre raquo (grammatical biologique sociologique sans oublier son acception en analyse du

discours) et le nombre de disciplines ainsi toucheacutees (linguistique sociologie anatomie psychologie sciences de

la communication peacutedagogie sciences politiques etc) conduisant ineacutevitablement agrave des traitements tregraves divers

de la question pouvant donner lrsquoimpression drsquoune confusion notionnelle

127

Certains invoquent la preacutesence drsquoun controcircleur linguistique autrement dit drsquoun anteacuteceacutedent

responsable de lrsquoaccord du clitique Lorsque le controcircleur explicite fait deacutefaut on invoque le

controcircle par un N absentee agrave reacutecupeacuterer de maniegravere implicite (Tasmowski-De Ryck amp

Verluyten 1982 1985)

(137) (John essaie de mettre une table dans le coffre de sa voiture Mary dit ) Tu

nrsquoarriveras jamais agrave la le faire entrer dans la voiture (Kleiber 1990a 36)

(138) (Mecircme situation mais avec un bureau ) Tu nrsquoarriveras jamais agrave le la faire entrer

dans la voiture (ibid)

Selon les partisans du controcircle linguistique ces exemples montrent que lrsquoadeacutequation du genre

deacutepend drsquoun nom mecircme si celui-ci nrsquoest pas introduit verbalement Cette thegravese srsquoavegravere

cependant moins convaincante dans le cas ougrave le clitique renvoie agrave un ecirctre humain

(139) Mon docteur vient drsquoagrandir son cabinet de reacuteception Elle avait trop de clients (lt

ibid 37)

(140) (un automobiliste fonce sur vous ) Mais il est fou (ibid 29)

Lrsquohypothegravese drsquoune reacutecupeacuteration nominale (femme pour (139) homme ou automobiliste )

pour (140) montre ici ses limites Degraves lors drsquoautres chercheurs proposent drsquoy voir agrave lrsquoinverse

un controcircle pragmatique se passant drsquoun intermeacutediaire linguistique (Lasnik 1976 Wiese

1983 Bosch 1986) le pronom en lrsquoabsence drsquoun anteacuteceacutedent explicite tirerait ses marques

directement des proprieacuteteacutes reacutefeacuterentielles en vertu drsquoun accord dit conceptuel ad sensum (ou

encore par syllepse) respectivement au sexe du reacutefeacuterent (cf aussi supra ChI sect44 et ci-dessus

sect23) Mentionnons drsquoembleacutee que cette notion seacutemantique de lrsquoaccord nous paraicirct tout agrave fait

inapproprieacutee le pheacutenomegravene de lrsquoaccord eacutetant confineacute au domaine des contraintes purement

formelles de cooccurrences

Mais plus geacuteneacuteralement le deacutebat autour de la question du controcircle que ce dernier soit

linguistique ou pragmatique est la conseacutequence drsquoune vision ougrave la langue est subordonneacutee agrave

des influences exteacuterieures en lrsquooccurrence le reacuteel dans cette perspective la langue est voueacutee

agrave reproduire la reacutealiteacute elle est deacutetermineacutee par celle-ci Ainsi les partisans de lrsquoun ou lrsquoautre

camp cherchent agrave prouver ce qui du sexe ou du N du reacutefeacuterent reacutegit lrsquoaccord grammatical

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave exposeacute (supra ChI sect631) notre vision des choses prend le

contrepied de cette approche agrave nos yeux il srsquoagit de partir des usages de la langue et de les

deacutecrire pour observer la maniegravere dont les locuteurs configurent leur repreacutesentation du monde

qui nrsquoen est pas une simple reproduction fidegravele Nous ne nions pas toute influence du monde

reacuteel sur la maniegravere dont les locuteurs se le repreacutesentent il va de soi que notre perception du

monde reacuteel a un rocircle preacutepondeacuterant sur nos repreacutesentations en geacuteneacuteral Mais il faut prendre en

consideacuteration le fait que les usagers disposent drsquoune liberteacute de configuration des reacutefeacuterents

discursifs affranchie des seules contraintes de la reacutealiteacute Dans le domaine en question celui

128

des marques de genre nous partirons donc du principe que crsquoest le locuteur via les marques

morphologiques ad hoc qui attribue des traits en fonction de lrsquointerpreacutetation qursquoil souhaite

veacutehiculer Ainsi ce nrsquoest pas le reacutefeacuterent du monde qui deacutetermine univoquement lrsquoemploi du

genre mais crsquoest lrsquousager qui indique agrave travers la convocation drsquoun genre lrsquoappartenance de

lrsquoobjet agrave une cateacutegorisation nominale masculine ou feacuteminine

En outre une partie des problegravemes poseacutes par ces theacuteories pourrait ecirctre reacutesolue par une

conception alternative du pheacutenomegravene de lrsquoaccord (cf la notion supra de controcircle)

geacuteneacuteralement abordeacute comme une relation orienteacutee ougrave un terme (source) impose ses marques agrave

lrsquoautre (receveur) Ainsi dans une approche geacuteneacuterativiste-transformationnelle lrsquoaccord

observeacute en surface reacutesulte de lrsquoapplication en structure profonde drsquoune regravegle de copie des

traits du premier sur le second (Creissels 2006 24 sqq) Crsquoest ainsi que la theacuteorie du controcircle

linguistique postule que le pronom tire sa marque de genre drsquoun nom donneacute Or dans une

approche strictement descriptive on pourrait se contenter de constater que certaines

informations agrave propos drsquoun reacutefeacuterent se voient reacutepeacuteteacutees ou reacuteparties sur plusieurs formes sans

preacutejuger drsquoune quelconque deacutependance (ibid) a fortiori dans le cas des pronoms non reacutegis

comme (137) (138) (139) et (140) nullement soumis agrave des contraintes formelles

Blinkenberg (1950) soulignait deacutejagrave lrsquoincongruiteacute de la notion drsquoaccord pour lrsquousage des

pronoms conjoints

Un pronom personnel peut toujours se rapporter directement au sens qursquoil repreacutesente sans lrsquointervention preacutealable dans la chaicircne parleacutee drsquoun substantif Il ne srsquoagit plus drsquoun groupement syntactique constitueacute par des termes reacuteciproquement deacutependants au contraire le pronom personnel est un terme syntactiquement indeacutependant (p 17)

A deacutefaut drsquoun pheacutenomegravene drsquoaccord on peut observer dans lrsquousage des pronoms celui de

redondance des marques morphologiques Ainsi dans les cas de reacutefeacuterence pronominale on

observe souvent une congruence des marques de genre agrave travers le ou les pronom(s)

(successifs) sans que la preacutesence drsquoun SN lexical soit obligatoire comme le montrent (137)

(138) (140) De la sorte le locuteur reacuteitegravere le genre de lrsquoattribut de deacutenomination

(Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995) du reacutefeacuterent sur ces divers eacuteleacutements linguistiques

(les pronoms et le cas eacutecheacuteant la reacutealisation effective de la deacutenomination) La congruence en

genre au fil drsquoun discours entre les pronoms successifs et eacuteventuellement un SN

coreacutefeacuterentiel131

srsquoexplique ainsi non pas en termes drsquoaccord mais par un principe

pragmatique drsquoisonymie les sujets parlants laquo conservent par deacutefaut la mecircme deacutenomination

courante et donc la mecircme cateacutegorisation aussi longtemps du moins que ces attributs

demeurent distinctifs et qursquoil nrsquoy a pas un inteacuterecirct strateacutegique particulier agrave proceacuteder

autrement raquo (Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995 34) On peut illustrer ce principe par

cet exemple

131

Congruence traiteacutee ailleurs en termes de laquo chaicircne anaphorique raquo (Chastain 1975 Corblin 1995 cf supra

sect53) Nous renonccedilons agrave lrsquoemploi de cette notion du fait de la vision de deacutependance qursquoelle suppose

129

(141) sur les rochers en fait y a des des vers | _ | qui se sappellent des vers sapins de Noeumll | _

| ils ils sont vraiment en forme de sapin de Noeumll enfin cest drocircle | _ | un peu en spirale

comme ccedila | _ | et euh ils vivent ils vivent sur les cailloux | _ | et quand tu passes agrave cocircteacute

deux ou quand tu claques des doigts agrave cocircteacute deux | _ | euh ils rentrent hyper vite dans

leur trou | _ | cest trop drocircle quoi euh tu claques des mains pis bloup | ils sont ils sont agrave

linteacuterieur tu les vois plus ils disparaissent | _ | pis de pis si tattends un moment | _ | ils

remontent tout doucement (ofrom)

La laquo suite raquo pronominale coreacutefeacuterentielle au masculin pluriel nrsquoest pas grammaticalement reacutegie

par lrsquoanteacuteceacutedent en amont (des vers qui srsquoappellent des vers sapins de Noeumll) mais reacutepegravete

simplement le genre de lrsquoeacutetiquette lexicale (ver) associeacutee au reacutefeacuterent eacutevoqueacute Ce principe

pragmatique drsquoisonymie refleacutetant une strateacutegie drsquoeacuteconomie meacutemorielle permet drsquoexpliquer

avantageusement pourquoi les emplois coreacutefeacuterentiels des pronoms sont prototypiques

La situation complexe de la reacutefeacuterence aux animeacutes meacuterite qursquoon srsquoy attarde On reconnaicirct en

geacuteneacuteral que la cateacutegorisation biologique ou socio-culturelle communeacutement partageacutee est

particuliegraverement preacutegnante laquo crsquoest un fait bien connu appuyeacute par de nombreuses donneacutees

linguistiques qursquoune des cateacutegorisations premiegraveres opeacutereacutees par lrsquohomme est celle qui

discrimine parmi toutes les entiteacutes les ecirctres humains avec une subdivision perceptive directe

en hommes et femmes raquo (Kleiber 1990a 39) Sans entrer dans des consideacuterations

ontologiques [Reichler-]Beacuteguelin (1993a 345) remarque une forme de lexicalisation des

pronoms (conjoint ou disjoint) de 3e personne masculin et feacuteminin susceptibles de veacutehiculer

laquo le contenu descriptif de ecirctre humain du sexe masculin (il) ou ecirctre humain du sexe

feacuteminin (elle) raquo agrave lrsquoappui drsquoexemples de ce genre

(142) Si vous optez pour le rasoir eacutelectrique il vaut mieux en acheter un qui sera reacuteserveacute agrave

votre usage personnel laquo ils raquo ont horreur qursquoon leur emprunte leur rasoir (Bien-Etre-

Santeacute 070890 lt [Reichler-]Beacuteguelin 1993a 345)

Ici la marque de genre contribue agrave construire un reacutefeacuterent porteur drsquoune deacutenomination

masculine dont on peut infeacuterer au vu des preacutedications lsquoavoir horreurrsquo et lsquoavoir un rasoirrsquo une

identiteacute biologique132

Neacuteanmoins il arrive qursquoune situation de conflit survienne entre les

diffeacuterentes interpreacutetations possibles du genre (cf aussi supra (139) On peut invoquer la

volonteacute du locuteur de privileacutegier tantocirct lrsquoinfeacuterence drsquoun genre biologique ou social tantocirct le

marquage drsquoune deacutenomination speacutecifique Ci-dessous les deux exemples montrent des

strateacutegies inverses isonymie (143) vs changement drsquoappellation sous-jacente favorisant une

interpreacutetation biologique (144)

(143) Vendredi de la semaine passeacutee une recrue de lrsquoER inf 2-12 a soudain eacuteteacute victime drsquoun

arrecirct cardiaque agrave Biegravere Malgreacute les mesures de reacuteanimation qui avaient eacuteteacute prises sur-

le-champ la recrue est deacuteceacutedeacutee aujourdrsquohui au CHUV agrave Lausanne ougrave elle avait eacuteteacute

132

Mais rien nrsquoempecircche qursquoon en infegravere selon le contexte une classe de lsquobarbiersrsquo lsquomarchands de rasoirsrsquo etc

130

hospitaliseacutee (wwwnewsadminch 130712 drsquoautres meacutedias preacutecisent qursquoil srsquoagit

dans les faits drsquoun jeune homme)

(144) Le mannequin [Naomi Campbell] est ceacutelegravebre pour son comportement coleacuterique et

parfois violent En 2007 elle avait mecircme ducirc effectuer des travaux drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral

apregraves avoir agresseacute une femme de chambre (httpwwwclosermagfr 040214)

Lrsquoattribut de deacutenomination dont le pronom reflegravete le genre preacutesente de facto les reacutefeacuterents

correspondants comme des reacutefeacuterents classifieacutes nommeacutes ou encore cateacutegoriseacutes (Kleiber

1990a 39) Lorsque la cateacutegorisation demeure implicite on suppose geacuteneacuteralement qursquoelle

correspond agrave un nom de niveau de base de la seacutemantique du prototype (Rosch et al 1976) qui

constitue le niveau utiliseacute par deacutefaut et preacutesentant une saillance reacutefeacuterentielle importante du

point de vue perceptif et fonctionnel comme le montrent de nombreux travaux sur les tacircches

de deacutenomination drsquoobjet (Cornish 1999 132) Au niveau seacutemantique il repreacutesente un

compromis entre la sous-speacutecification et la surcharge informationnelle (cf infra 42)

Lrsquoexemple de Cornish (ibid adapteacute en franccedilais) illustre cette question en voyant un chien

peacuteneacutetrer dans une maison par la porte drsquoentreacutee laisseacutee ouverte un locuteur sera susceptible de

srsquoeacutecrier Qursquoest-ce que ce chien fiche lagrave plutocirct que Qursquoest-ce que cet animal fiche lagrave

(niveau superordonneacute) ou Qursquoest-ce que ce golden retriever fiche lagrave (niveau subordonneacute)

(ibid) Neacuteanmoins avant de juger un emploi comme laquo marqueacute raquo sur la base de lrsquoeacutechelle de

Rosch et al (ibid) il convient de toujours tenir compte de chaque contexte drsquoeacutenonciation

crsquoest avant toutes choses lrsquoeacutetat de M agrave un moment donneacute du discours qui rend pertinent tel ou

tel emploi lexical plus ou moins speacutecifieacute en fonction des coucircts cognitifs et des effets

rechercheacutes par le locuteur

Nous terminons cette section sur le genre en eacutevoquant le cas des pronoms conjoints de 3e

personne ce ccedila (parfois aussi il laquo impersonnel raquo) et les pronoms compleacutements le (reacutefeacuterant agrave

des procegraves) en et y souvent qualifieacutes de neutres dans la mesure ougrave ils neutralisent

lrsquoopposition de genre (entre autres Brunot 1922 91 Grevisse 2011 sect461 sect240 Riegel et al

2009 377 Cornish 1991 Carlier 1996 Bartning 2006) A notre avis cette caracteacuterisation

precircte agrave confusion dans le sens ougrave le terme laquo neutre raquo fait croire agrave un fonctionnement drsquoun

systegraveme agrave trois genres masculin feacuteminin neutre Or le franccedilais ne connaicirct pas un tel

systegraveme133

les pronoms en question srsquoaccordent le cas eacutecheacuteant exclusivement au

masculin134

(145) La mer crsquoest beau (Titre de lrsquoarticle de Willems 1998)

(146) Jrsquoai toujours penseacute que cela finirait ainsi Et je lrsquoai espeacutereacute (Dumas Cl LrsquoHerbe

chaude)

133

Par ailleurs le seul cas ougrave il serait leacutegitime drsquoinvoquer une forme de laquo neutralisation raquo du genre serait celui

des noms eacutepicegravenes ougrave le trait demeure indeacutetermineacute au niveau lexical 134

Sur lrsquoexistence drsquoun genre neutre en ancien franccedilais voir Marchello-Nizia (1989)

131

(147) Il est certain que Constantin aimait le faste Il deacuteveloppa encore les comptes de la

Cour et il entendait que les hauts fonctionnaires lrsquoimitassent (Lot F La fin du monde

antique et le deacutebut du Moyen Acircge)

Quoique dans un emploi seacutemantiquement non marqueacute on a donc bien affaire agrave un accord au

masculin comme en teacutemoignent les eacuteleacutements avec lesquels les pronoms sont en relation

drsquoimplication drsquooccurrence Ce qui est plus inteacuteressant crsquoest le fait que contrairement aux

pronoms ilelle ceux-lagrave sont non-marqueacutes quant au trait drsquoindividuation ils nrsquoindiquent pas

comme il et elle lrsquoappartenance du reacutefeacuterent agrave une cateacutegorie nominale conventionnelle

individualisable De ce point de vue-lagrave ils demeurent donc non speacutecifieacutes ce qui les rend

productifs dans la reacutefeacuterence agrave toutes sortes drsquoobjets aux contours flous et sans deacutenomination

propre (cf infra ChIII sect522)

Signalons pour finir que certaines varieacuteteacutes connaissent des emplois de la 6e personne non-

marqueacutes en genre comme en franccedilais queacutebeacutecois ougrave la prononciation en usage ne distingue pas

entre ils et elles (les deux pouvant ecirctre prononceacutes [i] (ou [j] devant voyelle comme dans

ilselles ont prononceacutes sans liaison [j ]) De son cocircteacute Bauche (1920 111) mentionne les

prononciations dites laquo populaires raquo ma femme il est venu ou les vieilles femmes ils sont

toujours agrave causer La question drsquoune neutralisation peut eacutegalement se poser pour lrsquoexemple

SMS suivant135

(148) Non ici ils mettent tous des jupes et les mecs ils mettent des pantalons de survetment

(88milSMS136

)

On peut enfin remarquer que de maniegravere geacuteneacuterale agrave lrsquooral la distinction entre les clitiques [i]

et [ɛ] (reacuteguliegraverement prononceacutes sans [l] final) sans autres indices drsquoaccord nrsquoest pas toujours

eacutevidente agrave opeacuterer

25 Bilan

A travers cet exposeacute relatif aux marques morphologiques des pronoms conjoints notre

objectif eacutetait de mettre en eacutevidence la complexiteacute et la subtiliteacute de leur interpreacutetation en deacutepit

de lrsquoapparente simpliciteacute avec laquelle ils sont geacuteneacuteralement traiteacutes En ce qui concerne le

pronom reacutefeacuterentiel137

il (et dans une certaine mesure de sa laquo variante raquo au pluriel la 6e

personne) on peut retenir les points suivants

135

En lrsquoabsence de contexte suppleacutementaire (eg le message auquel celui-ci reacuteagit) on ne peut toutefois prouver

que ils renvoient ici agrave des individus de genre biologiquesocial feacuteminin 136

Panckhurst R Deacutetrie C Lopez C Moiumlse C Roche M Verine B (2014) http88milsmshuma-

numfrindexhtml 137

Nous excluons par lagrave eacutevidemment le il laquo impersonnel raquo qui ne commute avec rien Dans les constructions

dites laquo impersonnelles raquo laquo la position drsquoargument sujet nrsquoexiste pas Elle nrsquoest pas simplement vacante mais

impossible agrave instancier raquo (Berrendonner 2000 50) drsquoougrave lrsquoexplication de la vacuiteacute reacutefeacuterentielle du il Ce dernier

a tout lrsquoair drsquoy fonctionner comme un marqueur de diathegravese asubjectale On ne peut degraves lors lrsquointeacutegrer agrave la classe

des pronoms conjoints

132

i) Le clitique il signale une non-personne (au sens de Benveniste) un

laquo deacutelocuteacute raquo il repreacutesente un actant individueacute (par opposition agrave drsquoautres

indices de 3e personne) distinct des personnes du discours (je tu nous

vous)

ii) Son cas (ou reacutegime) reflegravete la structure argumentale drsquoun verbe donneacute agrave

mettre prudemment en rapport avec la structure actantielle du lexegraveme verbal

au niveau seacutemantique

iii) La variation en nombre ne signale pas tant une opposition purement

quantitative qursquoune diffeacuterence entre uniteacute et ensemble lrsquoensemble pouvant

ecirctre appreacutehendeacute de diffeacuterentes maniegraveres

iv) La marque de genre reflegravete le genre de lrsquoattribut nominal du reacutefeacuterent Le

masculin sert de genre non-marqueacute

Une caracteacuteristique eacutevidente et deacutefinitoire des indices personnels est leur nature non lexicale

A ce titre outre les caracteacuteristiques mentionneacutees les indices personnels sont pauvres en

indications laquo descriptives raquo Crsquoest la raison pour laquelle on les traite geacuteneacuteralement comme

des formes sous-speacutecifieacutees par rapport aux expressions lexicales Nous proposons agrave preacutesent

drsquoobserver le fonctionnement du pronom conjoint de 3e personne au-delagrave des marques

morphologiques autrement dit dans sa dimension anaphorique unanimement mise en avant

dans la litteacuterature sur la question

133

3 Approches de lrsquoanaphore pronominale

Etant donneacute la preacutegnance de lrsquoapproche laquo anteacuteceacutedentiste raquo de lrsquoanaphore (cf supra sect53) le

pronom de 3e personne nrsquoeacutechappe pas agrave une telle conception appreacutehendeacutee dans sa version

forte en termes de substitution comme en teacutemoigne lrsquoextrait du Bon usage ci-dessous

Les pronoms sont des repreacutesentants (ou des substituts) quand ils reprennent un terme se trouvant dans le contexte ordinairement avant parfois apregraves Ce terme est appeleacute anteacuteceacutedent [hellip] Vous demandiez les journaux drsquoaujourdrsquohui je vous les apporte (Grevisse amp Goosse 2011 sect650)

La conception substitutive reflegravete fidegravelement lrsquoeacutetymologie du mot (pronomen en latin

traduction du grec antonumia) et apparaicirct dans les traiteacutes de grammaire les plus anciens

(Denys le Thrace IIe s avant J-C Apollionius Dyscole IIe s apregraves J-C) en passant par la

Logique de Port-Royal laquo Lrsquousage des pronoms est de tenir la place des noms et de donner

moyen drsquoen eacuteviter la reacutepeacutetition qui est ennuyeuse raquo (Arnauld amp Nicole 1662=1874 109)

Nous allons voir agrave preacutesent quelles sont les theacuteories linguistiques sous-jacentes agrave la notion de

substitution (sect31) Cette conception sera toutefois abandonneacutee en linguistique (alors qursquoelle

perdure en grammaire scolaire) au profit drsquoune approche plus fonctionnelle drsquoabord

cantonneacutee agrave une perspective textuelle (sect32) puis reacuteameacutenageacutee agrave des fins de geacuteneacuteraliteacute dans

une optique cognitive (sect33) Enfin nous tirons un bilan de la conception en vigueur du

fonctionnement du pronom

31 Conception substitutive

Crsquoest lrsquoapproche en vigueur dans les grammaires classiques ou contemporaines ougrave la

vocation substitutive est eacutegalement appeleacutee suppleacuteance remplacement ou encore

repreacutesentation (eg Arriveacute et al 1986 63 Gardes-Tamine 1998 147 Grevisse 2011 sect220

amp sect650) Si lrsquoon peut admettre qursquoen ancien franccedilais les pronoms personnels sujets

fonctionnaient agrave la maniegravere de SN on ne peut pas en dire autant aujourdrsquohui au vu de leur

distribution distincte les apparentant comme on lrsquoa vu supra (sect1) agrave des affixes de la flexion

verbale lagrave ougrave une seule seacuterie de pronoms eacutetait en usage autrefois on observe de nos jours

deux classes distinctes de pronoms (Zumwald Kuumlster 2014) la classe atone des pronoms

clitiques (ou conjoints) 138

et la classe tonique des pronoms disjoints cette derniegravere seulement

occupant les positions de SN

La conception suppleacutetive des pronoms est eacutetayeacutee par les travaux des plus grands theacuteoriciens

de la linguistique qui font de la substitution un concept cleacute de leur modegravele quoique

138

Pour certains auteurs cette eacutevolution est le reacutesultat drsquoun processus de grammaticalisation (notamment Givoacuten

1976 Lambrecht 1981 Miller et Monachesi 2003 Culberston 2010) La notion de grammaticalisation est

toutefois agrave manipuler avec preacutecaution comme le souligne Zumwald Kuumlster (2014) du fait qursquoelle met en jeu

dans certaines conceptions des sceacutenarios diachroniques rigides impliquant un certain nombre drsquoeacutetapes et une

eacutevolution agrave sens unique Pour une remise en question de la notion voir Beacuteguelin Corminboeuf amp Johnsen

(2014)

134

diversement reacutecupeacutereacute par les grammaires139

Ainsi Bloomfield (1933) part de la deacutefinition

suivante

A substitute is a linguistic form or grammatical feature which under certain conventional circumstances replaces any one of a class of linguistic forms (Bloomfield 1933 247)

Parmi les diffeacuterents substituts140

Bloomfield appelle anaphoriques ceux qui remplacent une

expression deacutejagrave mentionneacutee (lrsquoanteacuteceacutedent) comme ci-dessous

Thus when we say Ask that policeman and he will tell you the substitute he means among other things that the singular male substantive expression which is replaced by he has been recently uttered (ibid 249)

Lrsquoauteur prend soin de preacuteciser qursquoun substitut ne deacutesigne pas directement un reacutefeacuterent du

monde tel que les expressions reacuteguliegraveres mais qursquoil eacutevoque une classe de formes

linguistiques

[hellip] substitutes are one step farther removed than ordinary forms from practical reality since they designate not real objects but grammatical form classes substitutes are so to speak linguistic forms of the second degree (1933 250)

Lyons (1977 659) et Bosch (1983 15-16) voient dans cette approche lrsquoorigine du traitement

initial des pronoms en grammaire transformationnelle lrsquoexistence implicitement admise par

Bloomfield de deux degreacutes de la langue se voit alors reacutecupeacutereacutee en termes de structures

superficielles vs profondes dans le modegravele transformationnel de Chomsky (1965) A partir de

ce modegravele Langacker (1969) eacutelabore la regravegle de pronominalisation qui permet de remplacer

un SN en structure profonde par un pronom en surface si elle maintient une identiteacute

reacutefeacuterentielle (coreacutefeacuterence) ou lexicale entre les deux (noteacutee agrave travers des indices reacutefeacuterentiels

identiques) Ainsi la phrase Pierre pense qursquoil est immortel (Zribi-Hertz 1996 37) ougrave le sujet

de la subordonneacutee repreacutesenterait Pierre est dite deacuteriveacutee drsquoune structure profonde de ce type

(149) Pierrei pense que Pierrei est immortel (ibid)

Neacuteanmoins des difficulteacutes de marquage de la coreacutefeacuterence des termes en structure profonde

conduisent rapidement les geacuteneacuterativistes agrave abandonner cette premiegravere analyse et agrave consideacuterer

que les pronoms sont geacuteneacutereacutes de maniegravere directe (Lyons 1977 663) Lrsquointeacuterecirct se porte alors

sur lrsquoidentification des contraintes syntaxiques et seacutemantiques de coreacutefeacuterence entre anteacuteceacutedent

et pronom agrave travers lrsquoeacutelaboration des concepts de c-commande de liage et gouvernement

139

Cf aussi Buumlhler (1934=2009 563) agrave propos de lrsquoanaphore laquo Si elles pouvaient parler toutes les flegraveches

anaphoriques srsquoexprimeraient agrave peu pregraves ainsi regarde devant ou derriegravere toi le long de la chaicircne du discours

actuel Il y a lagrave quelque chose qui a en fait sa place par ici agrave lrsquoendroit ougrave je me trouve de faccedilon agrave pouvoir ecirctre

relieacute avec ce qui suit raquo (nous soulignons) 140

A titre drsquoexemples Bloomfield integravegre dans cette classe les pronoms personnels anglais les adverbes spatio-

temporels (here there now etc) des quantifieurs tels que all some les pronoms deacutemonstratifs this that les

nombres cardinaux one two three des pro-verbes (do be have will musthellip) les anaphoriques zeacuteros etc

135

(Reinhart 1976 Chomsky 1981) Nous nrsquoentrerons pas dans les deacutetails de ces notions141

eacutetant

donneacute que la grammaire geacuteneacuterative dont le champ drsquoobservation est la phrase isoleacutee ne capte

qursquoune infime partie des emplois des pronoms ceux syntaxiquement contraints qui

possegravedent un anteacuteceacutedent dans le mecircme eacutenonceacute En effet seuls les cas drsquoanaphore dite lieacutee

crsquoest-agrave-dire soumis agrave la contrainte syntaxique de c-commande142

concernent le domaine en

question

En distinguant lrsquoanaphore libre de lrsquoanaphore lieacutee Reinhart fait de la c-commande la ligne de deacutemarcation entre lrsquoanaphore discursive et lrsquoanaphore syntaxique qui seule concerne la theacuteorie grammaticale Parce qursquoelle ignore la c-commande lrsquoanaphore libre peut unir un anaphorique agrave un anteacuteceacutedent situeacute dans une autre phrase Limiteacutee par la c-commande lrsquoanaphore lieacutee nrsquoest par contre a fortiori possible que dans les limites drsquoune phrase (Zribi-Hertz 1996 92)

En bref les limites drsquoune conception substitutive du fonctionnement pronominal se situent agrave

notre avis agrave deux niveaux i) drsquoune part dans lrsquohypothegravese critiqueacutee supra (ChI sect54) selon

laquelle le pronom remplace une expression preacutealablement mentionneacutee la relation entre un

laquo anteacuteceacutedent raquo (srsquoil en y a un) et un anaphorique nrsquoeacutetant pas comme deacutejagrave vu une meacutecanique

reacutegleacutee ii) drsquoautre part ndash et ce problegraveme concerne speacutecifiquement le franccedilais ndash dans lrsquoideacutee

erroneacutee que les pronoms conjoints partagent la distribution des SN (cf supra sect1) Pour

deacutesigner un ensemble de formes grammaticales (eg les pronoms disjoints) syntaxiquement

laquo proportionnel raquo agrave un autre crsquoest-agrave-dire qui partage la mecircme distribution (eg les SN) nous

eacuteviterons ainsi de parler de laquo substitution raquo pour la premiegravere raison invoqueacutee mais nous

emprunterons la notion de pro-forme agrave lrsquoapproche pronominale du GARS (Blanche-

Benveniste et al 1984 1990) qui permet de reacuteveacuteler en micro-syntaxe lrsquoexistence de

paradigmes drsquoeacuteleacutements eacutequivalents et de relations de rection

Au demeurant si les pronoms conjoints ont le statut drsquoaffixes on peut se demander srsquoils sont

capables drsquoassumer un proceacutedeacute reacutefeacuterentiel qursquoon associe typiquement aux expressions

nominales Autrement dit peut-on admettre qursquoun simple affixe supporte un proceacutedeacute

anaphorique En fait selon nombre de linguistes (entre autres Barlow 1988 Corbett 2006

Croft 2013 Siewierska 2004) il nrsquoy pas lieu de faire une distinction entre marques de

personne et expressions anaphoriques

Most scholars working on agreement acknowledge that there is no good basis for differentiating between person agreement markers and anaphoric pronouns (Siewierska 2004 121)

Siewierska montre que dans certaines langues le mecircme affixe (ici le preacutefixe -i) est utliseacute

tantocirct comme marque drsquoaccord du verbe tantocirct comme seul vecteur de valeur reacutefeacuterentielle

141

Par la suite certains repreacutesentants de la grammaire geacuteneacuterative ont avanceacute que les pronoms srsquoassimilaient non

pas agrave des SN mais agrave des deacuteterminants (pour un aperccedilu de la question voir Corblin 1995 27) 142

Deacutefinition de base selon Reinhart (1976) laquo Un nœud A est dit c-commander un nœud B si (1) A ne domine

pas B et inversement (2) le premier nœud agrave ramifications qui domine A domine eacutegalement B (Zribi-Hertz

1996 56)

136

(150) Gumawana143

Kalitoni i-paisewa nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Kalitoni 3SG-work nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

lsquoKalitoni workedrsquo

I-situ vada sinae-na

3 SG -enter house inside-3 SG (INAL)

lsquoHe entered the inside of the housersquo (ibid 122)

En fait on pourrait faire la mecircme analyse en franccedilais

(151) Kalitoni il a travailleacute nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Il est entreacute agrave lrsquointeacuterieur de la maison

Cet exemple montre que le franccedilais connaicirct le mecircme pheacutenomegravene lrsquoindice personnel pouvant

tantocirct ecirctre redondant sur le sujet et surmarquer la 3e personne tantocirct endosser seul le rocircle

reacutefeacuterentiel

Cette mise au point nous permet au final de rejeter la conception substitutive de lrsquoindice de

3e personne en franccedilais ndash agrave consideacuterer syntaxiquement comme un affixe verbal ndash sans que cela

remette en cause sa capaciteacute agrave assumer un fonctionnement reacutefeacuterentiel

32 Conception textualiste

On a vu supra (ChI sect53) le rocircle qursquoa joueacute lrsquoouvrage drsquoHalliday amp Hasan (1976) dans la

conception textualiste de lrsquoanaphore Les auteurs distinguent explicitement le processus de

substitution de la reacutefeacuterence

Substitution is a relation between linguistic items such as words or phrases whereas reference is a relation between meanings In terms of the linguistic system reference is a relation on the semantic level whereas substitution is a relation on the lexicogrammatical level the level of grammar and vocabulary or linguistic lsquoformrsquo

144 (p 89)

Situant le pronom de 3e personne parmi les proceacutedeacutes de reacutefeacuterence ils considegraverent son

fonctionnement comme anaphorique (au sens textuel) par deacutefaut et soulignent sa fonction

particuliegraverement coheacutesive dans les textes145

ougrave les occurrences pronominales sont

susceptibles de srsquoaccumuler pour renvoyer agrave un mecircme reacutefeacuterent

143

Langue austroneacutesienne parleacutee en Papouasie-Nouvelle-Guineacutee 144

Mecircme si certaines occurrences peuvent srsquointerpreacuteter des deux maniegraveres relevant drsquoun pheacutenomegravene agrave la fois

grammatical et seacutemantique (ibid 88) les auteurs situent par exemple lrsquoemploi de one do et so du cocircteacute de la

substitution (respectivement nominale verbale et clausale) et le cas des pronoms personnels deacutemonstratifs et

formes de comparaison du cocircteacute de la reacutefeacuterence Pour ce qursquoils appellent substitution on peut penser en franccedilais agrave

certains emplois de en celuicelle laquo mentionnels raquo ou faire parfois traiteacutes en termes drsquoanaphore laquo lexicale raquo

crsquoest-agrave-dire qursquoils nrsquointerviendraient qursquoau niveau de la deacutenomination (eg Riegel et al 2009 1031) (et non de

la reacutefeacuterence) Ce genre de pheacutenomegravene neacutecessiterait toutefois un examen plus approfondi 145

Pour le franccedilais Corblin (1995 194) note eacutegalement la fonction laquo maximalement coheacutesive raquo du pronom de

3e personne et sa capaciteacute agrave laquo monopoliser les chaicircnes de reacutefeacuterence raquo

137

One occurrence of John at the beginning of a text may be followed by an indefinitely large number of occurrences of he him or his all to be interpreted by reference to the original John This phenomenon contributes very markedly to the internal cohesion of a text since it creates a kind of network of lines of reference each occurrence being linked to all its predecessors up to and including the initial reference (p 52)

Or crsquoest preacuteciseacutement cette vision de connexiteacute segmentale opeacuterant agrave reculons qui a eacuteteacute

critiqueacutee supra (ChI sect54) Les objections on srsquoen souvient sont lrsquoinvraisemblance drsquoun

processus aussi reacutegleacute et analytique dans des genres de parole moins planifieacutes la difficulteacute

dans bien des cas de cerner un segment deacutelimitable ou encore le traitement agrave part du

fonctionnement laquo exophorique raquo des formes concerneacutees Malgreacute les limites et le deacutefaut de

geacuteneacuteraliteacute de la conception textualiste celle-ci reste sous-jacente aux recherches appliqueacutees

par exemple en TAL ou en psycholinguistique focaliseacutees sur le processus de reacutesolution

reacutefeacuterentielle reposant sur lrsquoidentification drsquoun anteacuteceacutedent susceptible de causer des

laquo deacutegradations de performance du systegraveme raquo ou des laquo coucircts de traitement raquo

33 Conception cognitive

Dans la fouleacutee des travaux cognitivistes sur lrsquoanaphore et les expressions reacutefeacuterentielles (supra

sect46 sect33) des hypothegraveses censeacutees parer aux inconveacutenients souligneacutes ont eacuteteacute formuleacutees agrave

propos du pronom de 3e personne

Ainsi pour eacuteviter un laquo traitement eacuteclateacute raquo lieacutee agrave lrsquoopposition traditionnelle anaphore-deixis

(cf supra sect52) Kleiber (1994b) propose de voir dans lrsquooccurrence pronominale ci-dessous la

manifestation drsquoune forme de continuiteacute theacutematique

(152) (en voyant une connaissance passer ) Je ne lrsquoai pas vu depuis des mois (p 103 traduit

de Bosch 1983)

A ses yeux il srsquoagit drsquoun prolongement non seulement de la reacutefeacuterence mais aussi de la

situation laquo manifeste ou saillante raquo (ibid 82) ougrave le reacutefeacuterent doit jouer laquo le rocircle drsquoun

argument raquo (ibid) Kleiber propose la glose suivante de la situation qui fait lrsquoobjet du

prolongement (en italiques)

(153) Crsquoest Paul qui passe Voici Paul Je ne lrsquoai pas vu depuis des mois (ibid 84)

Il ajoute que ce nrsquoest pas seulement la perception de lrsquoindividu en question qui rend celui-ci

ou la situation manifestes mais surtout le fait que les interlocuteurs connaissent preacutealablement

lrsquoindividu et il reacutesume son explication de la sorte

laquo [l]e pronom il dans cette nouvelle optique reste en somme un marqueur de continuiteacute theacutematique mais non pas drsquoune continuiteacute theacutematique simplement nominale il indique que le reacutefeacuterent est saisi en continuiteacute avec la situation manifeste raquo (p 123)

Nous avouons comme Demol (2010 51-52) une certaine gecircne agrave lrsquoeacutegard des notions

employeacutees en particulier agrave lrsquoeacutegard des notions intuitives de situation manifeste ou saillante

138

de continuiteacute theacutematique ou de de rocircle drsquoargument La premiegravere est expliqueacutee comme

renvoyant agrave une situation laquo disponible ou preacutesente dans le focus drsquoattention de

lrsquointerlocuteur raquo Cependant la notion reste vague et fait de surcroicirct appel agrave une autre notion

probleacutematique celle de focus Il en va de mecircme pour lrsquoexpression continuiteacute theacutematique

renvoyant agrave la notion de thegraveme habituellement opposeacutee agrave celle de focus (cf discussion infra

sect34) Quant agrave la notion drsquoargument issue de la tradition logique elle nrsquoest pas non plus

expliciteacutee On ne sait pas si elle est ici agrave fondement syntaxique (cf la valence verbale) si elle

repose seulement sur une seacutemantique intuitive ou si elle meacutelange les deux niveaux avec tous

les problegravemes que cela suppose Drsquoailleurs Kleiber (1994b) admet le caractegravere laquo provisoire raquo

de sa description et les questions ouvertes qursquoelle laisse laquo la question quand est-ce qursquoun

locuteur peut preacutesumer qursquoun reacutefeacuterent est manifeste pour son interlocuteur reste ouverte raquo

(p 130)

Lrsquoauteur souligne eacutegalement le rocircle joueacute par la phrase-hocircte dans la deacutetermination du laquo bon raquo

reacutefeacuterent

(154) Fred enleva son manteau Il eacutetait fatigueacute (p 87)

(155) Fred enleva son manteau Il eacutetait sale (ibid)

La preacutedication opeacutereacutee par la phrase-hocircte ou segment indexical (Cornish 1999 70) se reacutevegravele

donc cruciale pour lrsquointerpreacutetation du pronom (Gundel et al 2000 Yule 1982) a fortiori en

cas drsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent

(156) Attention Tu vas le casser (Cornish 1999 77)

Le preacutedicat lsquocasserrsquo ne seacutelectionne pas nrsquoimporte quel type drsquoobjet mais un actant qui a

preacuteciseacutement la proprieacuteteacute de se casser et doteacute drsquoune classification usuelle au masculin

Cornish propose une vision similaire du fonctionnement du pronom de 3e personne se

traduisant par le maintien de lrsquoattention porteacutee sur le reacutefeacuterent en question

As far as ordinary third-person pronouns are concerned their chief discourse function is to signal referential and attentional continuity thereby marking the stability of a given referentrsquos existence within a given discourse model This is the case where they are unaccented in English and clitic in French raquo (ibid 63)

On se souvient eacutegalement (cf supra ChI sect461) que pour Ariel (1988 1990) les pronoms

marquent une haute accessibiliteacute autrement dit ils sont consideacutereacutes comme speacutecialiseacutes dans la

reacutefeacuterence agrave des entiteacutes tregraves accessibles en meacutemoire cette accessibiliteacute ne reposant pas

seulement sur des critegraveres textuels mais aussi sur le nombre de candidats potentiels et sur la

laquo topicaliteacute raquo (ou laquo saillance raquo) du reacutefeacuterent

Quant au modegravele de Gundel et al (1993 279) (cf supra ChI sect462) il requiert un statut en

focus pour lrsquoemploi des pronoms non accentueacutes crsquoest-agrave-dire que le reacutefeacuterent viseacute doit ecirctre situeacute

139

dans le centre drsquoattention des interlocuteurs (issu de la meacutemoire agrave court terme) Les objets en

laquo focus raquo sont agrave leurs yeux les plus susceptibles de constituer le laquo topique raquo des eacutenonceacutes

subseacutequents146

On pourrait multiplier les teacutemoignages en ce sens agrave lrsquoeacutegard du fonctionnement du pronom de

3e personne

147 reconnu de la sorte comme le marqueur typique de la continuiteacute qualifieacutee

tantocirct de theacutematique tantocirct de topicale ou encore drsquoattentionnelle etc Avant de mettre en

eacutevidence des faits qui srsquoy montrent reacutefractaires (sect42) nous preacutesentons ci-dessous quelques

reacuteserves agrave lrsquoeacutegard des notions invoqueacutees pour justifier celles que nous retenons pour la suite

de ce travail

34 Bilan

Il nous paraicirct agrave ce stade utile de formuler quelques remarques et mises au point sur des

problegravemes drsquoordre notionnel En effet la plupart des theacuteories invoquent des termes dont

lrsquoextension demeure passablement floue Crsquoest notamment le cas des notions de focustopique

(et leurs deacuteriveacutes)

On peut drsquoabord constater que la notion de focus est exploiteacutee dans plusieurs domaines dans

un sens psychologique le focus constitue le centre ou foyer drsquoattention des interlocuteurs

(Sanford amp Garrod 1981 Gundel et al 1993 Cornish 1999) Il repreacutesente le point de repegravere

en fonction duquel les participants gegraverent le flux drsquoinformations eacutechangeacutees au cours du

discours afin de srsquoassurer drsquoecirctre laquo sur la mecircme longueur drsquoondes raquo Dans une perspective

cognitive lrsquoanaphore et la deixis constituent preacuteciseacutement des moyens de geacuterer le focus en y

placcedilant ou en y maintenant des reacutefeacuterents Selon Cornish (1999 25) le focus drsquoattention est

reacuteactualiseacute agrave chaque nouvelle preacutedication par les interlocuteurs ceux-ci eacutetant ameneacutes agrave

deacuteterminer ce qui fait lrsquoobjet de chacune drsquoentre elles ndash et partant ce qui y figure Sidner

(1981 220) adopte une vision similaire agrave lrsquoeacutegard de la notion de focus laquo [t]he items in focus

are those that are talked about for a part of the discourse raquo On ne peut srsquoempecirccher de

remarquer ici des chevauchements avec la notion de topique ou de thegraveme envisageacutee par

Lambrecht (1994) en termes drsquoaboutness ou drsquoagrave-propos concept inspireacute par Strawson (1964

97) laquo we intend in general to give or add information about what is a matter of standing

current interest or concern raquo (nous soulignons) Le topique est en ce sens laquo the matter of

current interest which a statement is about raquo (Lambrecht 1994 119) Les notions de focus et

de topique se recouvrent donc chez certains auteurs laquo topics are referentially given in the

146

La notion de focus est visiblement utiliseacutee dans un sens psychologique et non en termes de structure

informationnelle ougrave topique et focus en principe srsquoopposent En fait les deux notions de focus ne seraient

apparemment pas sans rapport laquo elements tend to be linguistically focussed because the speaker wants to bring

them into the focus of attention raquo (Gundel et al 1993 279) Le terme topique semble quant agrave lui envisageacute ici en

terme drsquoaboutness au rang de la phrase laquo what the speaker intends a sentence to be primarily about raquo (ibid) 147

Cf Lambrecht (1994 132) laquo in coherent discourse the overwhelming majority of subjects are unaccented

pronouns ie expressions which indicate topic continuity across sentences raquo Voir aussi lrsquoeacutetat de la question de

Demol (2010 48-60) sur le marquage de la continuiteacute propre au pronom il Drsquoautres travaux vont dans le mecircme

sens entre autres Apotheacuteloz (1995a 280) Charolles (1997) Givoacuten (1983) Schnedecker (1997)

140

sense of being in the current focus of attention raquo (Gundel amp Fretheim 2004 180) Or dans le

domaine de la structure informationnelle les notions de topiquefocus sont supposeacutees

srsquoopposer du moins se montrer distinctes laquo Topic is what the sentence is about focus is

what is predicated about the topic raquo (Gundel amp Fretheim 2004 176) Du point de vue

psychologique la notion de focus recouvre celle de topique mais dans son acception

informationnelle elle srsquoy oppose

La notion de topique148

agrave son tour ne va pas sans poser problegraveme elle peut ecirctre appreacutehendeacutee

au niveau de lrsquoeacutenonceacute selon les modaliteacutes de livraison de lrsquoinformation laquo topic is given in

relation to focus and focus represents the new information predicated about the topic raquo

(Gundel amp Fretheim 2004 4 nous soulignons) En cela lrsquoopposition se superpose agrave celle de

thegraveme vs rhegraveme lieacutees agrave la structure informationnelle Le topique peut en outre ecirctre envisageacute

drsquoun point de vue positionnel comme le laquo point de deacutepart raquo de lrsquoeacutenonceacute (Demol 2010 172)

Au niveau syntaxique certains assimilent le topique au sujet de la phrase (Givoacuten 1984)

Drsquoautre part le topique peut ecirctre interpreacuteteacute au niveau discursif en tant que participant le plus

central du discours (Givoacuten 1983 1992) Kleiber (1994b) parle eacutegalement de topique discursif

en ne recourant paradoxalement qursquoagrave des exemples de deux phrases comme le relegraveve Demol

(2010 173) En deacutefinitive on constate que les deacutefinitions se montrent souvent intuitives et agrave

lrsquoorigine de problegravemes drsquoidentification (Grobet 2002 27-29) Par ailleurs les niveaux

drsquoanalyse du topique ndash syntaxique cognitif seacutemantique ndash sont freacutequemment confondus

(Demol 2010 173) Cette impreacutecision se reporte sans surprise sur le deacuteriveacute topicaliteacute Demol

(2010 141) calcule le degreacute de topicaliteacute par le nombre de renvois opeacutereacutes sur un mecircme

reacutefeacuterent Drsquoailleurs elle remplace indiffeacuteremment lrsquoexpression par celle de degreacute de saillance

agrave lrsquoimage drsquoAriel (1988 1990) qui recourt agrave tantocirct agrave la notion de topicaliteacute tantocirct agrave celle de

saillance comme fondement de lrsquoun des critegraveres drsquoaccessibiliteacute

Tout compte fait les conceptions concurrentes de focus et topique et leurs deacutelimitations tantocirct

superposeacutees tantocirct croiseacutees tantocirct distinctes contribuent agrave entretenir le flou scientifique

Pour cette raison nous preacutefeacuterons nous passer de ces notions dans nos analyses Lorsque nous

eacutevoquerons des questions strictement lieacutees agrave la structure informationnelle nous conserverons

lrsquoopposition thegraveme-rhegraveme ougrave le thegraveme est envisageacute exclusivement en termes drsquoaboutness (ce

dont on parle) et le rhegraveme deacutesigne lrsquoinformation nouvelle pertinente sur laquelle portent

notamment les modaliteacutes drsquoeacutenonceacute (neacutegation interrogation etc) ou dont la reacutealisation est

susceptible drsquoentrer dans un dispositif de clivage Pour ce qui concerne lrsquoimportance cognitive

accordeacutee agrave un objet-de-discours nous parlerons de son degreacute de saillance ou drsquoactivation

pour un eacutetat donneacute de M (Groupe de Fribourg 2012 126-127) La notion de saillance a le

meacuterite de jouer sur un seul tableau le niveau cognitif149

lagrave ougrave celles de topique et de focus se

rencontrent sur de nombreux terrains de maniegravere parfois indiffeacuterencieacutee et precirctant de la sorte agrave

confusion

148

Voir Demol (2010) pour un exposeacute reacutecent des diverses deacutefinitions proposeacutees 149

Selon Landragin (2004) la notion eacutemane drsquoune analogie avec le domaine de la perception visuelle

141

Landragin (2004) deacutefinit la saillance comme le caractegravere preacutepondeacuterant preacutegnant de certains

eacuteleacutements un eacuteleacutement saillant ressort en premier dans les repreacutesentations cognitives du sujet

parlant Il est vrai que la notion met en jeu une multipliciteacute de facteurs de niveaux drsquoanalyse

diffeacuterents (Kibrik 2011 390 sqq150

) dont certains se montrent difficilement mesurables et

impliquent forceacutement une part drsquointuition facteurs seacutemantiques prosodiques syntaxiques

infeacuterentiels perceptifs reacutecence drsquointroduction drsquoun reacutefeacuterent intentions et attention des

interactants scheacutemas culturels etc (Landragin 2004) Au vu de notre conception du discours

(cf supra ChI sect632) on doit supposer que toutes sortes de paramegravetres contextuels mecircme si

le linguiste nrsquoy a pas accegraves influent sur lrsquoattention porteacutee agrave un reacutefeacuterent en M Et parmi les

objets agrave la porteacutee des interlocuteurs dans un eacutetat donneacute de M il va de soi que certains

apparaissent relativement saillants alors que drsquoautres demeurent plus en retrait

On peut tenter de clarifier cette faccedilon intuitive de voir les choses en distinguant avec

Apotheacuteloz (1995a 169-170) deux sortes de saillance une saillance locale qui deacutepend de

facteurs laquo accidentels raquo de la situation immeacutediate tels que la reacutecence drsquoactivation (par des

moyens verbaux ou non) ou les proprieacuteteacutes perceptives particuliegraveres de lrsquoobjet etc La

saillance cognitive quant agrave elle recouvre la centraliteacute drsquoun objet sur le plan de lrsquoorganisation

des repreacutesentations cognitives en meacutemoire discursive et a trait agrave la notion de pertinence

lrsquoobjet le plus saillant cognitivement est alors celui qui occupe la position la plus centrale dans lrsquounivers drsquoobjets consideacutereacute crsquoest aussi vraisemblablement celui dont lrsquoeffet organisateur est le plus fort dans cet univers (ibid 170)

La saillance locale peut ecirctre repreacutesenteacutee comme une pile drsquoobjets au sommet de laquelle se

tient momentaneacutement le plus saillant drsquoentre eux tandis que la saillance cognitive srsquoapparente

davantage agrave une structure en graphe ou treillis au centre de laquelle se trouve lrsquoobjet le plus

saillant au niveau de lrsquoorganisation de M qui constitue le nœud vers lequel converge le plus

grand nombre de liens (Apotheacuteloz 1995a ibid) il devient ainsi le centre organisateur (cf

supra ChI sect634) La maniegravere dont ces deux types de saillance interagissent reste neacuteanmoins

assez floue et theacuteorique mais leur distinction peut deacutejagrave permettre drsquoaffiner et de nuancer

certaines situations

Nous proposons un exemple pour illustrer la maniegravere dont peut se manifester la saillance drsquoun

objet en M La devinette ci-dessous preacutesente la particulariteacute de jouer sur le caractegravere implicite

drsquoun reacutefeacuterent pourtant bien activeacute en M

(157) Qursquoest-ce que crsquoest nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Lorsque je marche je mets parfois ma main dans la poche de mon pantalon pour le

tripoter - Il nrsquoest pas rare qursquoen mrsquoendormant je le touche nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Il mrsquoarrive aussi de le soupeser involontairement quand je lis mon journal comme

150

Kibrik (2011) adopte une approche pluri-factorielle du degreacute drsquoactivation reacutefeacuterentielle Il deacutegage des facteurs

lieacutes agrave la preacutesence drsquoun anteacuteceacutedent (en termes de distance de syntaxe et de seacutemantique) et drsquoautres lieacutes aux

proprieacuteteacutes mecircmes du reacutefeacuterent (animation protagoniste etc) Nous nous distinguons toutefois de cette approche

qui se fonde essentiellement sur des paramegravetres propres agrave lrsquoeacutecrit et qui considegravere uniquement le degreacute

drsquoactivation pour le choix de lrsquoexpression reacutefeacuterentielle

142

pour mrsquoassurer qursquoil est toujours agrave sa place nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Ben mon teacuteleacutephone portable quoi A quoi ton esprit tordu trsquoa meneacute nnnnnnnnnnnn

(httpsfranswersyahoocomquestionindexqid=20111115232751AAKrGwU)

Dans cet exemple la question initiale introduit un objet momentaneacutement indeacutetermineacute le

placcedilant agrave ce moment-lagrave non seulement au laquo sommet de la pile raquo mais eacutegalement au vu du

genre de discours agrave lrsquoœuvre (une devinette) et des attentes agrave cet eacutegard directement au centre

drsquoun reacuteseau reacutefeacuterentiel agrave eacutelaborer Malgreacute la justification finale du locuteur se

deacuteresponsabilisant de lrsquointerpreacutetation laquo commise raquo par le destinataire de nombreux

paramegravetres contribuent agrave maintenir au plus haut lrsquoactivation de lrsquoobjet incrimineacute tout au long

du discours au genre de la devinette (dont lrsquoenjeu est la deacutecouverte drsquoun reacutefeacuterent) on peut

ajouter des facteurs culturels (le caractegravere tabou du reacutefeacuterent insinueacute dont lrsquoinfeacuterence est

appuyeacutee par les verbes tripoter x toucher x soupeser x etc induisant des scheacutemas drsquoactions

typiques) et surtout le nombre de renvois opeacutereacutes sur lui (ce le sa il) Ces eacuteleacutements

concourent agrave rendre le reacutefeacuterent implicite plus important que drsquoautres objets introduits dans cet

extrait comme la lsquomainrsquo le lsquopantalonrsquo ou le lsquojournalrsquo qui tout en modifiant tour agrave tour le

sommet de la pile au niveau local se greffent et gravitent ainsi autour de lui au niveau

cognitif faisant de lui le centre organisateur du reacuteseau reacutefeacuterentiel construit Cet extrait illustre

en outre une situation de deacutesaccord entre les interlocuteurs sur le contenu exact de M (cf

supra Ch sect634) lrsquoauteur de la devinette pousse deacutelibeacutereacutement son destinataire agrave infeacuterer un

type drsquoobjet en fonction des indices agrave disposition pour finalement mettre en cause

lrsquointerpreacutetation produite et fournir une solution alternative et insoupccedilonneacutee

Dans la section suivante nous allons voir que lrsquohypothegravese laquo cognitive raquo agrave savoir le maintien

de la reacutefeacuterence agrave un objet deacutejagrave saillant au-delagrave des problegravemes terminologiques pointeacutes

rencontre aussi des obstacles au niveau theacuteorique En effet certains faits srsquoy montrent

reacutefractaires en particulier les emplois laquo indirects raquo du pronom de 3e personne que nous allons

aborder ci-apregraves ainsi que lrsquoemploi laquo sous-deacutetermineacute raquo de la 6e personne (ils) eacutetudieacute au

chapitre V Certes il ne srsquoagit pas de remettre en cause lrsquoaptitude du pronom agrave fonctionner

dans des circonstances de continuiteacute appuyeacutee par nombre de donneacutees et drsquoeacutetudes151

Mais le

maintien de la saillance est une motivation ndash fucirct-elle la plus freacutequente ndash parmi drsquoautres

possibles au recours agrave la forme en question Notre ambition dans la section suivante est ainsi

de mettre en lumiegravere drsquoautres facteurs potentiels favorisant le choix du pronom

151

Voir Demol (2010) pour un eacutetat de la question et une eacutetude empirique de ilcelui-ci sur un corpus

journalistique

143

4 Lrsquoanaphore pronominale indirecte ou associative

Dans le cas ougrave aucun objet en meacutemoire ne correspond au pointeur linguistique

lrsquointerpreacutetation peut passer par lrsquoinfeacuterence drsquoun nouvel objet cible agrave partir drsquoun objet-support

deacutejagrave valide en M Pour deacutecrire cette proceacutedure on peut faire appel agrave la notion drsquoanaphore

associative parfois aussi appeleacutee indirecte Cornish (2001) en fournit la deacutefinition suivante

Ce terme [anaphore indirecte] deacutenote des configurations ougrave un anaphorique ne reprend pas le reacutefeacuterent eacutevoqueacute par son anteacuteceacutedent textuel mais pointe vers un autre qui pourra lui ecirctre associeacute drsquoune faccedilon ou drsquoune autre (relation laquo partie-tout raquo de meacutetonymie de laquo classe-ensemble raquo ou plus geacuteneacuteralement laquo associative raquo) (p 1)

Lrsquoorigine du concept drsquoassociation utiliseacute pour caracteacuteriser la relation reacutefeacuterentielle remonte agrave

Guillaume (1919) qui qualifie drsquoassociatives les expressions en italiques ci-dessous (Kleiber

et al 1994)

(158) Et comme le voyageur passait alors devant lrsquoeacuteglise les saints personnages qui eacutetaient

peints sur les vitraux parurent avoir de lrsquoeffroi Le precirctre agenouilleacute devant lrsquoautel

oublia sa priegravere (p 163)

Le caractegravere deacutefini de ces SN deacutecoule ainsi de leur association avec un reacutefeacuterent mentionneacute en

amont via le SN lrsquoeacuteglise Pour certains auteurs le terme drsquoanaphore associative est reacuteserveacute agrave

lrsquoemploi des SN deacutefinis lexicaux de ce type (cf infra Corblin 1987 Kleiber 1990a Kleiber et

al 1994) En ce qui concerne les pronoms leur aptitude agrave fonctionner de la sorte est tantocirct

contesteacutee (Erkuuml amp Gundel 1987 Sanford amp Garrod 1981 Ariel 1990) tantocirct reconnue

comme on le verra sous reacuteserve de conditions drsquoemploi strictes (Kleiber 1990a Cornish

2001 Cornish et al 2005) ou comme des laquo rateacutes de lrsquoeacutemission raquo (Charolles 1990 Gundel et

al 2000) Neacuteanmoins quelques auteurs srsquoefforcent de deacutegager les reacutegulariteacutes drsquoemploi des

pronoms associatifs (Beacuteguelin 1993a Johnsen 2013 Berrendonner 2014) Avant drsquoaborder la

question des pronoms de ce type (sect42) il est toutefois neacutecessaire drsquoexaminer de plus pregraves la

notion geacuteneacuterale drsquoanaphore associative (sect41) qui a en effet susciteacute une vive poleacutemique en

linguistique franccedilaise agrave la fin du XXe siegravecle qursquoil srsquoagisse de sa deacutelimitation ou du meacutecanisme

infeacuterentiel qursquoelle met en jeu

41 Lrsquoanaphore associative

Le proceacutedeacute reacutefeacuterentiel de lrsquoanaphore associative comprend des facteurs de diffeacuterents ordres agrave

savoir seacutemantiques formels cognitifs et pragmatiques Prenons des exemples canoniques tels

que

(159) Jrsquoai acheteacute un stylo hier mais la plume est casseacutee (Azoulay 1978)

(160) Il srsquoabrita sous un vieux tilleul Le tronc eacutetait tout craqueleacute (Fradin 1984)

(161) Nous arrivacircmes dans un village Lrsquoeacuteglise eacutetait situeacutee sur une hauteur (Kleiber 1992c)

144

Par sa nature laquo deacutefinie raquo le SN anaphorique introduit un reacutefeacuterent nouveau laquo sur le mode du

connu raquo Crsquoest en vertu drsquoune relation associative existant entre le reacutefeacuterent disponible et celui

agrave infeacuterer (ici la plume du stylo le tronc du vieux tilleul lrsquoeacuteglise du village dont on vient de

parler) que lrsquoon peut conclure agrave lrsquoexistence de ce dernier On reconnaicirct geacuteneacuteralement deux

eacuteleacutements en jeu dans le processus reacutefeacuterentiel une deacutependance interpreacutetative entre

lrsquoexpression reacutefeacuterentielle et le contexte preacutealable et une disjonction entre le reacutefeacuterent

implicitement introduit et celui qui a servi de point de deacutepart agrave lrsquoinfeacuterence (Charolles 1990)

Bien que mis au jour par Guillaume (1919) le pheacutenomegravene de lrsquoanaphore associative alimente

surtout au deacutebut les recherches sur lrsquoarticle deacutefini et nrsquoest pas eacutetudieacute pour lui-mecircme consideacutereacute

comme nrsquoayant laquo au fond rien de bien mysteacuterieux raquo (Kleiber et al 1994) Ce nrsquoest que vers la

fin du XXe siegravecle que lrsquoanaphore associative fait lrsquoobjet drsquoune attention particuliegravere (entre

autres Hawkins 1978 Azoulay 1978 Fradin 1984 Erkuuml amp Gundel 1987 [Reichler-]Beacuteguelin

1989 Charolles 1990 1994 1999 Kleiber 1990b 1992b 1999 2001a 2001b 2004

Berrendonner 1995 Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1999 Cornish 2001) et que se manifestent des

tentatives de deacutelimitation et de restriction en mecircme temps que des tentatives de geacuteneacuteralisation

du pheacutenomegravene deacutemarches aboutissant agrave des conceptions divergentes agrave lrsquoorigine drsquoun large

deacutebat

411 Conception eacutetroite

La conception qualifieacutee drsquoeacutetroite ou de standard par Kleiber et al (1994) dissocie les notions

drsquoanaphore associative et drsquoanaphore indirecte Ses tenants considegraverent que lrsquoanaphore

associative repreacutesente un cas particulier de lrsquoanaphore indirecte Ils font intervenir dans la

deacutefinition de lrsquoanaphore associative des critegraveres formels et seacutemantiques restrictifs (entre autres

Corblin 1987 Kleiber et al 1994) A noter qursquoau sein de cette approche les contraintes

peuvent varier drsquoun auteur agrave lrsquoautre Un aspect important se situe dans la diffeacuterence de

comportement des diverses expressions reacutefeacuterentielles lrsquohypothegravese eacutetant qursquoun changement de

cateacutegorie linguistique entraicircne un changement de configuration discursive (ibid) Aussi sur la

base de jugements drsquoacceptabiliteacute les auteurs soutiennent que toutes les formes ne sont pas

pareillement aptes agrave supporter une anaphore associative

(162) Nous arrivacircmes dans un village Cette eacuteglise eacutetait situeacutee sur une butte (ibid 48)

(163) Harry roulait vers Londres Elle tomba en panne agrave mi-chemin (ibid trad de Sanford

et al 1983)

Ces exemples sont supposeacutes reacuteveacuteler des restrictions drsquoemploi deacutefinitoires de lrsquoanaphore

associative reacuteserveacutee agrave lrsquoemploi des SN deacutefinis De ce point de vue il ne suffit pas que lrsquoon

comprenne de quel reacutefeacuterent il srsquoagit pour que lrsquoon puisse approuver de tels enchaicircnements Au

contraire leur malformation prouve aux yeux des auteurs lrsquoexclusion des SN deacutemonstratifs

et des pronoms en site associatif A leurs opposants qui exhibent des donneacutees authentiques

infirmant cette position (eg Il neige et elle tient lt [Reichler-]Beacuteguelin 1988 cf infra (185)

145

ils mettent en cause le caractegravere discutable des eacutenonceacutes reacutepliquant que laquo lrsquoauthenticiteacute nrsquoest

pas un gage de bonne formation sinon il nrsquoy aurait plus drsquoerreurs raquo Ils leur reprochent la

surpuissance de leur modegravele qui preacutedit laquo plus drsquoenchaicircnements mal formeacutes que

drsquoenchaicircnements bien formeacutes raquo (Kleiber et al 1994 50) On peut neacuteanmoins rappeler les

risques de circulariteacute drsquoun tel modegravele (cf supra ChI sect631) les auteurs jugeant eux-mecircmes

de lrsquoacceptabiliteacute des donneacutees inventeacutees par leurs soins srsquoimposant de la sorte comme les

garants du bon usage Lrsquoopeacuterationnaliteacute du modegravele en question srsquoexplique au fond par des

jugements de valeur et la mise agrave lrsquoeacutecart des donneacutees reacutecalcitranteshellip

Dans lrsquoapproche eacutetroite seules les opeacuterations infeacuterentielles de deacuteduction sont toleacutereacutees en

particulier celles qui vont laquo du tout vers la partie raquo car laquo une entiteacute se deacutefinit geacuteneacuteralement

par les ingreacutedients qui la constituent raquo (Kleiber et al 1994 42) Cela explique le monopole

du SN deacutefini impliquant selon les theacuteories dominantes au vu du preacutesupposeacute drsquoexistence et

drsquouniciteacute qursquoil veacutehicule que lrsquoon dispose des informations neacutecessaires agrave la saturation

reacutefeacuterentielle (Milner 1982 Corblin 1987 Kleiber et al 1994) Outre le caractegravere orienteacute de la

relation meacutereacuteonymique invoqueacutee celle-ci doit selon Kleiber et al (1994) ecirctre inscrite au

niveau lexical il peut srsquoagir drsquoun savoir conventionnel neacutecessaire (eg le lien entre une

lsquolamersquo et un lsquocouteaursquo) ou agrave caractegravere steacutereacuteotypique (eg le lien entre une lsquoeacuteglisersquo et un

lsquovillagersquo)

Ajoutons pour terminer152

un critegravere textuel agrave la deacutefinition eacutetroite de lrsquoanaphore associative

le caractegravere deacutelimitable de lrsquoanteacuteceacutedent ideacutealement repreacutesenteacute par un SN ou alors un

laquo preacutedicat raquo mais avec des conditions strictes153

(Kleiber et al 1994 Kleiber 1997b)

(164) Pierre se coupa du pain puis rangea le couteau (Corblin 1987)

Dans ce cas la relation exprimeacutee via lrsquoanteacuteceacutedent et lrsquoexpression anaphorique est de type

actantiel ougrave le reacutefeacuterent du SN le couteau repreacutesente un actant (lrsquoinstrument) du preacutedicat de

couper cette relation devant ecirctre preacuteconstruite au niveau lexico-steacutereacuteotypique laquo il suffit de la

mention du preacutedicat pour que ses arguments soient eacutegalement disponibles raquo (Kleiber 1997b

95)

En somme toutes les donneacutees qui srsquoeacutecartent des critegraveres invoqueacutes sont exclues du domaine de

lrsquoanaphore associative Parmi les faits refouleacutes on peut noter

- Les SN deacutefinis sous la porteacutee drsquoun restricteur de domaine

152

Deux contraintes seacutemantiques suppleacutementaires sont ajouteacutees par Kleiber et al (1994) et Kleiber (1999) agrave

savoir la condition drsquoalieacutenation du reacutefeacuterent agrave infeacuterer et le principe de congruence ontologique entre les reacutefeacuterents

mis en relation La premiegravere contrainte indique que le reacutefeacuterent agrave infeacuterer doit ecirctre envisageable comme laquo un

individu autonome raquo (Kleiber 1999 85) La seconde qui explique la difficulteacute drsquoinfeacuterer des entiteacutes

syncateacutegoreacutematiques comme les proprieacuteteacutes ou les eacuteveacutenements exige que les deux reacutefeacuterents impliqueacutes dans le

processus drsquoinfeacuterence soient du mecircme type ontologique selon lrsquoauteur il est ardu drsquoopeacuterer lrsquoalieacutenation agrave partir

de lrsquoexistence drsquoune voiture de sa couleur ou de sa course contrairement agrave son volant (ibid 89) 153

Eg le nom de lrsquoexpression anaphorique doit ecirctre de niveau basique comme couteau dans lrsquoexemple

subseacutequent par opposition agrave canif (hyponyme) ou instrument (hyperonyme)

146

(165) En France le preacutesident voyage beaucoup (Kleiber et al 1994)

- les emplois infeacuterables laquo situationnels raquo

(166) Ce trainil a toujours du retard (A agrave B qui attend comme lui le Vintimille sur le quai de

la gare Kleiber 2004 290)

- les SN deacutemonstratifs laquo textuellement raquo infeacuterables

(167) Jrsquoai planteacute un acacia parce que ces arbres ne craignent pas le froid (ibid)

- les SN deacutemonstratifs meacutemoriels

(168) Souviens-toi de nos vacances cette mer ce sable ce ciel (Wilmet 1986)

- les ils laquo geacuteneacuteriques textuels indirects raquo

(169) Paul a acheteacute une Toyota parce qursquoelles sont robustes (Kleiber 2004 290)

- les ils dits collectifs

(170) Paul a eacuteteacute agrave lrsquohocircpital Ils lrsquoont soigneacute eacutenergiquement (ibid)

Parmi ces proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels certains (les quatre derniers) sont consideacutereacutes comme des

anaphores indirectes agrave deacutefaut drsquoecirctre des anaphores associatives (lrsquoanaphore associative se

reacuteveacutelant comme un sous-type de lrsquoanaphore indirecte) Sans entrer dans le deacutetail de chacune

de ces exclusions on peut percevoir dans lrsquoapproche eacutetroite la volonteacute de traiter seacutepareacutement

des faits en preacutesence sur la base de critegraveres seacutemantico-formels stricts que reacutevegravelent entre

autres les jugements drsquoacceptabiliteacute

412 Conception large

Dans une conception dite large (Kleiber et al 1994) au contraire les chercheurs observent

une varieacuteteacute de relations associatives154

mises en œuvre au moyen de diverses expressions

reacutefeacuterentielles (entre autres [Reichler-]Beacuteguelin 1989 1993a Berrendonner 1994 1995

Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995 Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1999 Charolles 1990

Charolles amp Choi-Jonin 1995) Lrsquoun des points de deacutepart est le fait qursquoon nrsquoobserve pas de

diffeacuterence de nature dans lrsquointerpreacutetation drsquoune anaphore coreacutefeacuterentielle et celle drsquoune

anaphore associative si bien que si lrsquoon en venait agrave consideacuterer la freacutequence des donneacutees on

pourrait ecirctre ameneacute agrave laquo inverser lrsquoordre des preacuteseacuteances raquo (Charolles 1990 3)

Crsquoest drsquoailleurs le parti-pris risqueacute qursquoillustre le modegravele fribourgeois en mettant lrsquoanaphore

associative au premier plan et en ramenant la variante coreacutefeacuterentielle agrave un cas particulier

Berrendonner (1995) srsquoinspire de la notion abstraite drsquoingreacutedience de la meacutereacuteologie

lesniewskienne (1989) qursquoil adapte pour appreacutehender la relation associative de maniegravere

154

Voir aussi Erkuuml amp Gundel (1987) ainsi que Clark (1977) qui reacutepertorie de nombreux types de pontage

infeacuterentiel (inferential bridging)

147

flexible et non limiteacutee agrave un strict rapport partie-tout tel que le procircne la conception eacutetroite

ainsi le foncteur que Berrendonner (1995) nomme laquo ingreacutedient raquo caracteacuterise aussi bien des

liens entre actants et procegraves155

(171) des rapports de simple contiguiumlteacute (localisation matiegravere

etc) (172)156

et mecircme des relations drsquoidentiteacute (173) comme crsquoest le cas pour lrsquoanaphore

coreacutefeacuterentielle

(171) Une supposition que tu attrapes le diamant qursquoest-ce que tu ferais de tout cet argent

(M Aymeacute lt Berrendonner 1995 251)

(172) Il y avait une valise sur le lit Le cuir les vecirctements eacutetai(en)t tout tacheacute(s) (Charolles

1990)

(173) Marc baissa la tecircte croisa les bras brusquement calmeacute Il jeta un rapide regard vers la

cantatrice du front Ouest (F Vargas Debout les morts p 45)

Cette derniegravere situation illustre une conception large et reacuteflexive de la relation drsquoinclusion

dans une theacuteorie ensembliste en logique naturelle drsquoapregraves laquelle on peut consideacuterer que

laquo tout objet est ingreacutedient de lui-mecircme raquo (Berrendonner 1995 253) En bref les situations

drsquoidentiteacute autrement dit de coreacutefeacuterence ne repreacutesentent qursquoun cas particulier de la relation

drsquoingreacutedience ainsi conccedilue Charolles (1990) note eacutegalement de son cocircteacute la diversiteacute des

relations associatives parmi lesquelles laquo toute forme de contiguiumlteacute reacutefeacuterentielle raquo y compris

les rapports les plus vagues comme ci-dessous

(174) Sophie dormait lrsquoavion survolait lrsquoOceacutean indien (ibid 13)

Dans ce cas crsquoest le discours qui impose la relation drsquoassociation poussant lrsquointerpregravete agrave

infeacuterer que laquo lrsquoavion a agrave voir avec le sommeil de Sophie raquo157

Cette approche geacuteneacuteralisante de lrsquoanaphore srsquooppose agrave la deacutefinition laquo eacutetroite raquo par le fait

qursquoelle admet de nombreux parcours infeacuterentiels pour lrsquointerpreacutetation des anaphores

associatives On peut deacutejagrave remarquer que les opeacuterations cognitives agrave lrsquoœuvre preacutesenteacutees

exclusivement comme des deacuteductions dans la conception eacutetroite (eg (159) (160) et (161))

conformeacutement agrave une laquo regravegle raquo du genre lsquosi on a le tout on a la partiersquo sont sans doute

beaucoup plus complexes que cela impliquant plusieurs eacutetapes de diffeacuterentes natures dans le

raisonnement Or lrsquointeraction des divers facteurs cognitifs en jeu ne sont jamais

veacuteritablement deacutecrits dans les travaux Sans pouvoir combler entiegraverement ce manque nous

pouvons neacuteanmoins revenir sur le cas de (161) en signalant la neacutecessiteacute drsquoopeacuterer avant toute

deacuteduction une induction du type lsquoles villages de cette reacutegion comportent une eacuteglisersquo qui ne

155

Le processus interpreacutetatif se fonderait notamment sur lrsquoexistence de structures cognitives telles que les

sceacutenarios (Sanford amp Garrod 1981) cadres (frames lt Minsky 1975) ou encore scripts (Schank amp Abelson

1977) 156

Cf les pontages infeacuterentiels varieacutes chez Clark (1977) 157

Il reste toutefois difficile agrave notre avis drsquointerpreacuteter cet eacutenonceacute indeacutependamment de tout contexte Crsquoest

drsquoailleurs sur les questions qui touchent agrave la nature et au tri des donneacutees que se distinguent principalement

Charolles et le Groupe de Fribourg

148

repreacutesente pas forceacutement un steacutereacuteotype pour tout interpregravete si lrsquoon tient compte de facteurs

culturels Dans le mecircme ordre drsquoideacutees Berrendonner (1995) fournit cet exemple authentique

impliquant manifestement entre autres une opeacuteration drsquoinduction crsquoest-agrave-dire ougrave lrsquointerpregravete

est ameneacute agrave construire un steacutereacuteotype agrave partir du discours mecircme (p 246)

(175) Hier soir vers 19h15 un incendie srsquoest deacuteclareacute dans la chemineacutee drsquoune ancienne ferme

agrave Neyruz158

[hellip] Le feu a pris au sommet de la borne dans la partie non tubeacutee (presse

lt ibid 238)

Crsquoest ici le discours qui permet agrave lrsquoallocutaire drsquoinfeacuterer une relation laquo agrave parfum geacuteneacuterique raquo

(Charolles 1990) en lrsquooccurrence que la borne (en tant que type) est une partie de la chemineacutee

dans les fermes fribourgeoises159

qui constitue ainsi la laquo preacutemisse nomologique raquo de

lrsquointerpreacutetation associative (Berrendonner 1995 246) Par ailleurs on peut noter par ce

raisonnement lrsquoenrichissement potentiel des connaissances de type geacuteneacuterique pour

lrsquointerlocuteur (ibid 247 Charolles 1990 1999)

Berrendonner (1995) relegraveve en outre agrave la suite de Charolles (1990) des parcours infeacuterentiels

de type abductif contesteacutes par drsquoautres (eg Kleiber 1992c)

(176) Le cheval drsquoYvain deacuteclencha un meacutecanisme qui fit tomber sur eux une porte de fer

Enfermeacute dans cette salle Yvain eacutetait complegravetement deacutesorienteacute (copie drsquoeacutelegraveve lt ibid

246)

Dans un exemple de ce type le parcours preacutesente une orientation inverse agrave celle de la

deacuteduction il obeacuteit agrave un calcul probabiliste du genre laquo si on a la partie on a le tout raquo dont la

validiteacute nrsquoest pas garantie En lrsquooccurrence on conclut agrave lrsquoexistence drsquoune salle agrave partir de

celle drsquoune porte de fer au deacutetriment drsquoautres hypothegraveses envisageables (eg lrsquoexistence drsquoun

jardin drsquoune cave etc) Ces deux derniers exemples montrent eacutegalement que le discours lui-

mecircme plutocirct qursquoun savoir lexico-steacutereacuteotypique peut ecirctre agrave lrsquoorigine de la construction de la

relation associative (Erkuuml amp Gundel 1987 Charolles 1990 1994 1999 Berrendonner 1995)

Crsquoest aussi le cas de lrsquoexemple suivant proposeacute par Charolles (1990) tireacute drsquoune fable de La

Fontaine

(177) Un pacirctre agrave ses brebis trouvant quelque meacutecompte nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Voulut agrave toute force attraper le larron (La Fontaine VI I lt ibid)

Selon Charolles un lsquomeacutecomptersquo nrsquoimplique pas lexicalement lrsquoexistence drsquoun larron Crsquoest

bien le contexte discursif par laquo preacutesomption de coheacuterence raquo qui permet de cautionner

lrsquoinfeacuterence et de promouvoir laquo des relations ineacutedites conjoncturelles qui peuvent nrsquoavoir

qursquoune validiteacute occasionnelle raquo (ibid 14) Cela montre non seulement que les relations

158

Neyruz est le nom drsquoun village du canton de Fribourg en Suisse 159

On pourrait toutefois objecter que pour le lecteur fribourgeois de la presse locale le steacutereacuteotype nrsquoa pas agrave ecirctre

construit car il fait deacutejagrave partie de ses connaissances culturelles Si le lectorat est en revanche plus vaste il y a en

effet des chances qursquoil ne soit pas au fait du steacutereacuteotype

149

drsquoassociation deacutepassent largement le savoir laquo a priori raquo (lexical steacutereacuteotypique) mais aussi que

laquo lrsquoinfeacuterence fonctionne agrave reculons pour eacutetablir un lien (un pont) qui ne peut pas ne pas ecirctre

puisqursquoil est manifeste raquo (ibid 4)

Comme en teacutemoignent (171) et (176) la conception large admet une diversiteacute de formes

supportant lrsquoanaphore associative A ce titre les chercheurs fribourgeois qualifient sans

scrupule drsquoassociatifs des indices de 3e personne ou des SN deacutemonstratifs fonctionnant de la

sorte160

(178) Le danger drsquoecirctre piqueacute par une abeille est le plus grand entre mai et juillet Pendant

cette peacuteriode elles essaiment le plus freacutequemment (circulaire meacutedicale [Reichler-

]Beacuteguelin 1993a 337)

(179) Il est vrai que lorsque nous lisons nous ne pensons pas que cette histoire est en train

de vivre de prendre forme gracircce agrave nous (copie de bac lt [Reichler-]Beacuteguelin 1989

312)

Lrsquoexemple (178) preacutesente lrsquointroduction drsquoun individu quelconque de type N (une abeille)

suivie du rappel de la classe extensionnelle correspondante via le pronom clitiques elles

Rappelons que Kleiber (2004 290) les traite comme des anaphores indirectes de type

geacuteneacuterique mais non associatives (cf ex (169) En (179) lrsquoexpression deacutemonstrative renvoie agrave

un reacutefeacuterent implicite repreacutesentant lrsquoobjet effectueacute du processus de lecture qui vient drsquoecirctre

eacutevoqueacute Aux yeux des Fribourgeois les deux exemples srsquoappliquent parfaitement agrave la

description du meacutecanisme de lrsquoanaphore associative Srsquoils reconnaissent des valeurs propres

aux diffeacuterentes formes drsquoexpression reacutefeacuterentielle ils en jugent lrsquoemploi relativement flexible

et en concluent laquo it would be vain to establish a strict correlation between types of

expressions and types of uses raquo (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1999 369) Le choix des formes

drsquoexpressions reacutefeacuterentielles reacutepond davantage agrave la mise en œuvre de strateacutegies guideacutees par les

objectifs et besoins en cours des locuteurs et interlocuteurs (Beacuteguelin 1997a) Ainsi au

reproche de largesse du modegravele accuseacute de geacuteneacuterer des eacutenonceacutes deacuteviants les auteurs reacutepliquent

que la prise en compte des facteurs contextuels permet justement de fournir une explication

aux sentiments de laquo deacuteviance raquo des usagers Lrsquoapproche srsquoefforce ainsi de laquo favoriser

lrsquoeacutemergence de geacuteneacuteralisations en rapprochant sous le terme drsquolaquo associatives raquo toutes les

expressions reacutefeacuterentielles dont lrsquointerpreacutetation met en jeu des opeacuterations de raisonnement raquo

(Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin 1995 26)

Pour finir la contrainte drsquoun anteacuteceacutedent nominal est elle aussi battue en bregraveche Hawkins

(1977) Erkuuml amp Gundel (1987) Beacuteguelin (1997b) et Apotheacuteloz amp Beacuteguelin (1999) remarquent

que les sources solliciteacutees dans le processus infeacuterentiel ne sont pas exclusivement de nature

160

Charolles (1990) exploitant le critegravere drsquoacceptabiliteacute est plus nuanceacute sur ce point jugeant les exemples de

Beacuteguelin laquo agrave la limite de lrsquoacceptabiliteacute raquo ou alors concernant les pronoms comme laquo des rateacutes de lrsquoeacutemission raquo

Cependant il reconnaicirct que les pronoms laquo en syllepse [hellip] manifestent la quintessence du processus en œuvre

dans lrsquoanaphore associative puisque la force du rapport associatif qursquoexploite lrsquoanaphore pronominale est telle

que le support du nom (N2) devient implicitable raquo (p 10)

150

linguistique des indices de la situation environnante des comportements mimo-gestuels ou

des savoirs drsquoarriegravere-plan sont susceptibles de se combiner indistinctement comme ci-

dessous

(180) [L2 a le nez rouge et souffle dans un gros mouchoir] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- L1 vous ecirctes grippeacute nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- L2 Oui jrsquoessaie de la garder pour moi (oral lt Beacuteguelin 1997b)

Cet exemple montre bien qursquooutre lrsquooccurrence de lrsquoadjectif grippeacute (duquel on peut infeacuterer

par principe drsquoisonymie la deacutenomination implicite du reacutefeacuterent impliqueacute) les percepts

situationnels (les indices mimo-gestuels exhibeacutes) et lrsquoexpeacuterience du monde (les effets de la

grippe) contribuent ensemble au processus drsquointerpreacutetation de maniegravere non discrimineacutee

413 Bilan

A lrsquoissue de cette preacutesentation des conceptions concurrentes de lrsquoanaphore associative on

peut constater une divergence manifeste des objectifs respectifs des deux approches

lrsquoapproche dite eacutetroite ou standard vise agrave inventorier et isoler des sous-types et ne retient

comme associatives que les cas jugeacutes consensuels avec souvent lrsquointuition du linguiste

comme garant du respect de la norme Lrsquoapproche large dans laquelle nous nous inscrivons

tend agrave promouvoir un modegravele geacuteneacuteral sur la base des usages observeacutes en faisant primer un

meacutecanisme unique qui englobe une diversiteacute de manifestations

Certes nous convenons que tous les types drsquoexpressions reacutefeacuterentielles ne srsquoutilisent pas

indiffeacuteremment dans les mecircmes contextes et que les composantes seacutemantiques jouent un rocircle

certain dans le choix de la forme Neacuteanmoins la prise en compte des paramegravetres discursifs et

contextuels dans le processus reacutefeacuterentiel nous paraicirct tout aussi deacutecisive dans lrsquoexplication du

choix des marqueurs (cf supra ChI sect636) En outre avec le deacuteveloppement exponentiel des

ressources pour la collecte de donneacutees il nous paraicirct indispensable de deacutepasser lrsquointuition

comme critegravere scientifique et drsquoaller agrave la rencontre des faits reacuteels deacutesormais disponibles

notamment oraux consideacuterablement marginaliseacutes dans les travaux sur lrsquoanaphore Dans le

domaine des expressions reacutefeacuterentielles en linguistique franccedilaise outre les travaux preacutecurseurs

fribourgeois peu de chercheurs srsquoy sont engageacutes161

et le preacutesent travail a pour ambition de

contribuer agrave combler ce manque en portant une attention particuliegravere aux emplois en contexte

drsquooral spontaneacute

Reste un point drsquoordre terminologique agrave clarifier Lrsquoapproche (laquo large raquo) que nous adoptons

ne fait pas de diffeacuterence entre les notions drsquoanaphore associative et anaphore indirecte

Neacuteanmoins afin drsquoeacuteviter toute sorte de confusion notamment celle qui associerait notre

position agrave la conception laquo standard raquo nous emploierons deacutesormais la notion drsquoanaphore

indirecte

161

On peut relever lrsquointeacuterecirct pour lrsquooral de quelques travaux sur la reacutesolution automatique des anaphores en TAL

comme Antoine (2004) et Muzerelle et al (2012)

151

42 Contextes drsquoapparitions des pronoms indirects

Dans leur eacutetude pragmatique sur lrsquoanaphore indirecte Erkuuml amp Gundel (1987) soutiennent que

celle-ci ne peut ecirctre reacutealiseacutee par des pronoms laquo the one formal property which appears to

distinguish all indirect anaphors from direct ones is the fact that they cannot be pronominal raquo

(p 541) Sanford amp Garrod (1981 154) puis Ariel (1990) partagent cette ideacutee laquo I suggest

that the reason why pronouns [hellip] cannot retrieve implied entites is that they mark too high

and automatic a retrieval raquo (p 185) Cependant lorsqursquoon se penche de plus pregraves sur les faits

cette position se voit deacutementie Dans cette section nous preacutesentons les travaux qui remettent

en question ces conclusions et qui cherchent agrave eacuteclairer les contextes drsquoapparition des pronoms

indirects Nous avons distingueacute les eacutetudes selon le type drsquoapproche agrave savoir celles qui

manifestent une optique laquo restrictive raquo et qui srsquoefforcent de deacuteterminer les contraintes

seacutemantiques ou cognitives pesant sur leur emploi (sect421) puis celles qui srsquoinscrivent dans

une perspective laquo descriptive raquo (sect422) en tentant de deacutegager les circonstances reacutecurrentes

favorables agrave leur occurrence

421 Restrictions drsquoemploi

Dans cette partie nous preacutesentons les deacutemarches et hypothegraveses drsquoauteurs qui reconnaissent

lrsquousage des pronoms indirects en eacutetablissant toutefois des conditions strictes drsquoemploi qui

font intervenir les notions de saillance de focus ou encore de centraliteacute

Dans son article de 1990a Kleiber admet lrsquoexistence de pronoms indirects qursquoil propose

drsquoenvisager selon un critegravere non pas textuel (avec ou sans anteacuteceacutedent) mais de preacutesence ou

drsquoabsence preacutealable (linguistique ou situationnelle) du reacutefeacuterent

a) Emplois in praesentia crsquoest-agrave-dire ougrave le reacutefeacuterent est laquo donneacute raquo par le contexte

(181) Fred enleva son chapeau Il avait trop chaud (ici une anaphore coreacutefeacuterentielle typique)

(182) Mais il est fou (face agrave un automobiliste qui fonce sur vous) = (140)

b) Emplois in absentia (ilils dits laquo infeacuterables raquo162

) (p 27)

(183) A Boston ils roulent comme des fous (ibid)

(184) Il va venir tout de suite [un censeur drsquoune eacutecole srsquoadressant agrave la megravere drsquoun eacutelegraveve qui

attend devant le bureau du proviseur] (p 33) = (75)

laquo Lrsquoacceptabiliteacute raquo drsquoexemples comme (183)-(184) srsquoexplique selon lrsquoauteur par le respect des

conditions seacutemantico-cognitives propres agrave lrsquoemploi de il pour rappel (cf supra sect33)

la neacutecessiteacute de renvoyer agrave un reacutefeacuterent conccedilu comme classifieacute et lrsquoindication de rechercher le reacutefeacuterent dans une situation qui est manifeste (ou saillante) et dans laquelle le reacutefeacuterent occupe une place drsquoargument (p 46)

162

Cf Prince (1981)

152

Il y oppose la malformation de (185) exemple reacutedigeacute par un eacutelegraveve

(185) Il neige et elle tient ([Reichler-]Beacuteguelin 1988)

Selon Kleiber il manque une eacutetape infeacuterentielle deacuteterminante agrave savoir le constat de la

preacutesence de la neige pour pouvoir appreacutehender un renvoi par le clitique elle conformeacutement agrave

la thegravese de la continuiteacute Il soutient qursquoen lrsquoeacutetat on nrsquoa pas affaire agrave une situation manifeste et

justifie sa deacutemarche par la volonteacute de

brider les possibiliteacutes de reacutecupeacuteration infeacuterentielle qursquoentraicircne un tel assouplissement pour ne pas donner lieu agrave lrsquoexcegraves contraire agrave savoir une prolifeacuteration incontrocircleacutee drsquoemplois infeacuterables de il (p 43)

Hormis la deacutemarche que nous avons deacutejagrave critiqueacutee sur le tri des donneacutees (cf supra sect631) un

aspect de lrsquoanalyse meacuterite une mise au point agrave savoir lrsquoimportance accordeacutee au critegravere de la

preacutesence vs lrsquoabsence du reacutefeacuterent agrave lrsquoorigine drsquoun traitement infeacuterentiel ou non du pronom (cf

lrsquoappellation il laquo infeacuterable raquo) Dans leur theacuteorie de la pertinence Sperber amp Wilson (1986)

montrent bien que la communication humaine fonctionne sur le mode infeacuterentiel et que tout

processus interpreacutetatif consiste pour le destinataire agrave infeacuterer un sens viseacute par le locuteur agrave

partir des indices agrave disposition dans le contexte La pertinence de ces inputs ne varie pas en

fonction de la nature (stimuli ostensifs tels qursquoeacutenonceacutes gestes ou inputs ordinaires tels que

percepts penseacutees buts souvenirs etc) mais en fonction des coucircts et effets produits par leur

traitement cognitif

On a deacutejagrave soutenu supra (ChI sect635) que tout pointage reacutefeacuterentiel y compris coreacutefeacuterentiel

implique une opeacuteration drsquoinfeacuterence qui megravene agrave lrsquounification du pointeur avec un objet en M

(que le reacutefeacuterent soit deacutejagrave valide ou non en M) Cela peut ecirctre illustreacute simplement en modifiant

lrsquoexemple (181)

(186) Fred enleva son chapeau Il eacutetait mouilleacute

Lrsquoambiguiumlteacute se reacutesout forceacutement agrave travers un pari probabiliste de type infeacuterentiel en fonction

des informations contextuelles agrave disposition En fait dans tous les cas le pointeur reacutefeacuterentiel

donne lrsquoinstruction drsquounifier son contenu avec un objet manifeste Si celui-ci est effectivement

valide dans M lrsquoinfeacuterence consiste agrave seacutelectionner le reacutefeacuterent viseacute tandis que srsquoil fait deacutefaut

lrsquoinfeacuterence consiste agrave lrsquointroduire sur le champ par coup de force pour parer agrave ce manque On

objectera ainsi agrave lrsquoanalyse de Kleiber (mais aussi agrave drsquoautres analyses eg Ariel 1990

invoquant une reacutecupeacuteration laquo automatique raquo par les pronoms en geacuteneacuteral) que les types releveacutes

qursquoils soient laquo in praesentia raquo ou laquo in absentia raquo impliquent de toute faccedilon un processus

infeacuterentiel interpreacutetatif

Gundel et al (2000) srsquointeacuteressent quant agrave eux au fonctionnement des pronoms indirects en

anglais relativement agrave la Hieacuterarchie du Donneacute (voir supra ChI sect462) Pour rappel un

pronom inaccentueacute requiert selon leur theacuteorie un statut en focus du reacutefeacuterent autrement dit il

signale que le reacutefeacuterent est deacutejagrave dans le centre drsquoattention de lrsquoallocutaire au moment ougrave il

153

apparaicirct Un tel pronom se reacutevegravele donc a priori ecirctre un mauvais candidat pour lrsquoanaphore

indirecte dans les cas ougrave lrsquoexistence mecircme du reacutefeacuterent est agrave infeacuterer Cependant les auteurs

constatent que leurs donneacutees reacutecolteacutees agrave partir drsquoun corpus drsquoanglais oral et eacutecrit ne satisfont

pas systeacutematiquement aux preacutedictions de la Hieacuterarchie eacutetant donneacute lrsquoattestation de pronoms

indirects qui ne reacutefegraverent pas agrave des objets laquo en focus raquo

(187) My mum bought an exercise tape and so Irsquoll go nuts and plays it in the morn and in the

afternoon and do the added things she says for those that want a more intense workout

(she = la femme sur la cassette de gym) [soutien alt deacutesordres drsquoalimentation p 96]

En effet Gundel et al reconnaissent que le reacutefeacuterent viseacute en (187) par she agrave savoir lsquola prof de

gymrsquo nrsquoest pas laquo en focus raquo pour lrsquoallocutaire au moment de lrsquooccurrence du pronom agrave

lrsquoinverse de lsquola megravere du locuteurrsquo agrave ce moment-lagrave bien meilleure candidate agrave une reacutefeacuterence

subseacutequente Ici crsquoest aussi bien la preacutedication lsquothe added things she says for those that want

a more intense workoutrsquo que le script (Schank amp Abelson 1977) eacutevoqueacute par la cassette de

gymnastique qui megravenent agrave lrsquointerpreacutetation du reacutefeacuterent adeacutequat

Gundel et al remarquent que dans leur corpus la plupart des exemples concerneacutes par

lrsquoanaphore pronominale indirecte sont des cas de reacutefeacuterence vague dont lrsquoidentification

reacutefeacuterentielle nrsquoapparaicirct pas pertinente

(188) The other therapy I had to say good-bye to was day treatment (where Irsquod been going

off and on since January) - - but it wasnrsquot my own decision They kicked me out

Why For being TOO SICK ([soutien alt deacutesordres drsquoalimentation] p 95)

Les auteurs notent agrave lrsquoeacutegard de cet exemple une quasi-eacutequivalence seacutemantique de lrsquoeacutenonceacute en

they avec une tournure au passif sans agent exprimeacute (I got kicked out)163

Afin drsquoexpliquer ces

exemples ils ont recours agrave la notion drsquoaccommodation (Lewis 1979) qui consiste en une

reacuteparation de ces laquo violations mineures raquo commises envers la Hieacuterarchie se traduisant par un

assouplissement des conditions drsquoemploi de la forme utiliseacutee La motivation de telles

laquo infractions raquo reacutesiderait soit dans lrsquoinsouciance du locuteur agrave lrsquoeacutegard des repreacutesentations

effectives de lrsquointerlocuteur (cf la maxime de nonchalance supra sect636) soit agrave lrsquoinverse

dans sa confiance envers les capaciteacutes infeacuterentielles de celui-ci Dans ce second cas le plus

freacutequent aux dires des auteurs le locuteur mise sur une laquo accommodation raquo de la part de

lrsquointerpregravete srsquoappuyant sur des facteurs tels que la reconnaissance de scripts (Schank amp

Abelson 1977) les connaissances drsquoarriegravere-plan leur connivence et surtout la preacutedication

hocircte du pronom On peut rapprocher la notion drsquoaccommodation de celle de catalyse que

[Reichler-]Beacuteguelin (1995a) et Berrendonner amp [Reichler-]Beacuteguelin (1996) empruntent agrave

Hjelmslev (1968) pour deacutecrire la tacircche interpreacutetative de reconstitution drsquoeacuteleacutements manquants

en M Ces traitements cognitifs peuvent ecirctre envisageacutes comme la conseacutequence drsquoun coup de

force preacutesuppositionnel (Ducrot 1972 51) qui deacutesigne lrsquoopeacuteration laquo illeacutegitime raquo de

163

Nous aurons lrsquooccasion de nuancer cette laquo eacutequivalence raquo infra (ChV sect341341)

154

preacutesuppostion de la part drsquoun locuteur crsquoest-agrave-dire la preacutesupposition drsquoeacuteleacutements

preacutealablement inexistants en M

Si le processus drsquointerpreacutetation deacutecrit par Gundel et al nous paraicirct pertinent agrave certains eacutegards

nous tenons agrave relever le caractegravere passablement contradictoire de lrsquoargumentation proposeacutee

reacutesidant dans le fait que les emplois vagues (selon eux la majoriteacute des exemples) sont

supposeacutes ne pas neacutecessiter de reacutesolution alors que le processus invoqueacute drsquoaccommodation

implique preacuteciseacutement lrsquoinfeacuterence drsquoun reacutefeacuterent adeacutequat

Enfin malgreacute lrsquointeacuterecirct des donneacutees reacutecolteacutees nous pouvons regretter que les auteurs ne

profitent pas de lrsquoattestation de ces faits pour reacuteviser les fondements de la Hieacuterarchie Cette

solution quoiqursquoesquisseacutee est finalement abandonneacutee au profit du maintien de laquo lrsquointeacutegriteacute raquo

de la theacuteorie Degraves lors les faits releveacutes sont releacutegueacutes au rang drsquoexceptions (laquo violations

mineures raquo) ndash aussi bien au niveau quantitatif (laquo relativement peu freacutequents raquo) qursquoau niveau

diaphasique (laquo registre relacirccheacute raquo)

Cornish (2001) revient justement sur le statut requis par les pronoms selon la Hieacuterarchie de

Gundel et al (1993) et propose drsquoenvisager la question en termes de centraliteacute des reacutefeacuterents agrave

lrsquoappui de donneacutees comme celle-ci

(189) Femme Why didnrsquot you write to me nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Homme I did Oslashhellip started to Oslash but I always tore lsquoem up ([dialogue du film Summer

Holiday] p 7)

Lrsquointerpreacutetation du pronom passe par la reacutecupeacuteration drsquoune information preacutealablement

disponible bien qursquoimplicite en meacutemoire En effet le lexegraveme verbal lsquowritersquo du premier

eacutenonceacute comprend seacutemantiquement dans sa structure actantielle lrsquoobjet effectueacute du procegraves agrave

savoir lrsquoobjet de lrsquoacte drsquoeacutecriture qursquoon peut infeacuterer drsquoapregraves le pointage pronominal et le

contexte comme repreacutesentant une classe de lsquolettresrsquo lsquomessagesrsquo ou autres lsquomots douxrsquo

Cornish juge lrsquoextension du statut en focus impreacutecise telle qursquoexigeacutee par lrsquousage des pronoms

inaccentueacutes drsquoapregraves la Hieacuterarchie du Donneacute Il introduit agrave cet effet le concept de centraliteacute

qui distingue entre entiteacute implicite nucleacuteaire et peacuteripheacuterique jugeant qursquoun pronom

inaccentueacute peut renvoyer agrave un reacutefeacuterent implicite nucleacuteaire comme les lsquolettresrsquo du preacutedicat

lsquoeacutecrirersquo en (189) mais non agrave un objet peacuteripheacuterique comme dans

(190) Mary dressed the baby They were made of pink wool (Sanford amp Garrod 1981

154)

En (190) Cornish explique lrsquoincongruiteacute de lrsquoenchaicircnement par le fait que lrsquoobjet viseacute ne

constitue qursquoun instrument du preacutedicat lsquodressrsquo Lrsquohypothegravese de Cornish (2001 2005) se voit

par la suite testeacutee expeacuterimentalement en franccedilais et en anglais dans Cornish et al (2005) au

moyen de mesures de temps de lecture de dialogues de ce genre

155

(191) L1 Cet artiste a peint toute la journeacutee hier nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Oui et il les a vendu agrave bon prix aussi (implicite nucleacuteaire)

(192) L1 Cet artiste a peint toute la journeacutee hier Ses tableaux ont vivement inteacuteresseacute une

passante tregraves riche nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Oui et il les a vendu agrave bon prix aussi (explicite nucleacuteaire)

(193) L1 Cet artiste a peint toute la journeacutee hier nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Oui et il les a tous utiliseacutes du plus fin au plus eacutepais (implicite peacuteripheacuterique)

(194) L1 Cet artiste a peint toute la journeacutee hier Ses pinceaux eacutetaient nombreux et de

tailles diffeacuterentes nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Oui et il les a tous utiliseacutes du plus fin au plus eacutepais (explicite peacuteripheacuterique)

Le design expeacuterimental permet aux auteurs de croiser deux facteurs celui de la centraliteacute et

celui du caractegravere explicite ou non du reacutefeacuterent les preacutedictions eacutetant que la reacutefeacuterence

anaphorique aux objets explicites et nucleacuteaires faciliterait la lecture des eacutenonceacutes En effet les

reacutesultats montrent que les eacutenonceacutes preacutesentant un pronom indirect sont lus plus lentement que

ceux contenant un pronom direct et que les eacutenonceacutes reacutefeacuterant agrave des objets dits peacuteripheacuteriques

sont lus plus lentement que ceux reacutefeacuterant agrave des objets dits nucleacuteaires En situation implicite la

reacutefeacuterence aux objets peacuteripheacuteriques provoque un temps de lecture plus long que la reacutefeacuterence

aux objets nucleacuteaires tandis qursquoil nrsquoy a pas de diffeacuterence significative agrave cet eacutegard en condition

explicite Il faut ajouter que les dialogues eacutetaient suivis drsquoune assertion dont les sujets

devaient juger la veacuteriteacutefausseteacute du genre agrave la suite de (191) Lrsquoartiste a pu vendre ses

tableaux (vrai) Ceci pour veacuterifier que la cible du pronom avait eacuteteacute bien interpreacuteteacutee en

particulier dans les conditions implicites A cet eacutegard les auteurs relegravevent un taux de bonnes

reacuteponses eacuteleveacute (93) et surtout aucune diffeacuterence significative entre les conditions implicites

nucleacuteaire vs peacuteripheacuterique sur ce taux Lrsquoexpeacuterience est reacutepeacuteteacutee pour lrsquoanglais et fournit des

reacutesultats similaires Les auteurs en concluent164

que ce nrsquoest pas tant le caractegravere explicite ou

implicite de lrsquointroduction du reacutefeacuterent en meacutemoire qui autorise ou non la reprise par un

pronom non accentueacute ainsi que le suggegraverent de nombreux travaux anteacuterieurs mais plutocirct la

centraliteacute relative du reacutefeacuterent Ils proposent une mise en perspective du concept scalaire de

centraliteacute avec la Hieacuterarchie du Donneacute et font figurer les reacutefeacuterents nucleacuteaires sur un intervalle

comprenant les statuts en focus et activeacute toleacuterant agrave leurs yeux une reacutecupeacuteration via un pronom

non accentueacute Les reacutefeacuterents peacuteripheacuteriques pour leur part se voient plutocirct attribuer le statut

familier stade jugeacute plus critique quant aux possibiliteacutes de rappels pronominaux

Les reacutesultats esquisseacutes montrent qursquooutre lrsquointroduction explicite drsquoun reacutefeacuterent le scheacutema

actantiel du verbe concerneacute ou le savoir conventionnel influent sur les capaciteacutes de rappel

pronominal Il est indeacuteniable en effet qursquoun objet neacutecessairement impliqueacute par un procegraves se

montre plus laquo accessible raquo qursquoun objet facultatif dont il faut potentiellement infeacuterer

164

A lrsquoeacutegard des travaux expeacuterimentaux en psycholinguistique en geacuteneacuteral il nous semble qursquoune reacuteflexion

pourrait ecirctre meneacutee sur lrsquointerpreacutetation qursquoon tire unanimement des mesures de temps de lecture

156

lrsquoexistence Il demeure agrave nos yeux cependant une certaine eacutequivoque autour de la notion de

centraliteacute conceptuelle du fait que les auteurs rattachent celle-ci aussi bien agrave la structure

lexico-seacutemantique du verbe qursquoagrave une dimension cognitive (cf le parallegravele fait avec les statuts

de Gundel et al 1993) Or il nous paraicirct difficile de preacutejuger de la centraliteacute cognitive des

reacutefeacuterents agrave partir de la seule structure actantielle drsquoun preacutedicat (ou eacuteventuellement drsquoun savoir

steacutereacuteotypique) lrsquoactivation cognitive drsquoun reacutefeacuterent eacutetant fonction comme nous lrsquoavons

eacutevoqueacute supra (sect34) drsquoune pluraliteacute de paramegravetres

Si les eacutetudes preacutesenteacutees ci-avant adoptent des meacutethodologies (intuitive empirique

expeacuterimentale) et des donneacutees (construites ou attesteacutees) diverses elles srsquoefforcent toutes de

tracer une limite entre emplois possibles ou non des pronoms indirects en fonction de la

preacutegnance du reacutefeacuterent dans la perspective du deacutecodage essentiellement Nous nous tournons agrave

preacutesent vers une maniegravere alternative drsquoenvisager la question qui met en eacutevidence les

strateacutegies mises en œuvre par le locuteur

422 Reacutegulariteacutes drsquoemploi

Lrsquooptique consiste agrave prendre acte des emplois reacuteels et agrave deacuteceler les reacutegulariteacutes de

fonctionnement observeacutees en contexte Beacuteguelin (1993a 1997a) inventorie pour sa part les

conditions pragmatiques qui favorisent lrsquoemploi des pronoms indirects en relevant les

routines infeacuterentielles reacutecurrentes Elle preacutecise drsquoabord la nature de la relation indirecte laquo le

pronom ne rappelle pas une information qui serait fournie explicitement dans le contexte

linguistique Son interpreacutetation reacutefeacuterentielle autant que morphosyntaxique neacutecessite le

recours agrave une information non dite agrave une forme lexicale infeacutereacutee raquo (1993a 327)

Lrsquointerpreacutetation se fait ainsi par le biais drsquoun calcul implicite qui permet la construction drsquoune

infeacuterence non stricte du genre laquo srsquoil y a x il y a aussi y raquo (p 335-336) Pour exposer les

rendements de lrsquoemploi des pronoms indirects nous pouvons invoquer les objectifs

communicationnels preacutesenteacutes supra (ChI sect636)

Beacuteguelin mentionne des strateacutegies drsquooptimisation de lrsquoencodage (cf O2) illustreacute ci-dessous agrave

travers un principe laquo nonchalant raquo drsquoeacuteconomie lexicale au deacutetriment drsquoO1 (pour rappel

lrsquooptimisation du deacutecodage)

(195) L1 Jrsquoai tout preacutepareacute pour la fondue nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Tu as rempli le reacutechaud nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 Non pas ccedila mais par contre il y en a dans le tiroir (oral lt ibid 371)

La reconstitution du laquo coup de force raquo par catalyse (ou accommodation) du reacutefeacuterent de en

passe par la prise en compte drsquoun sceacutenario conventionnel (la preacuteparation drsquoun repas de fondue

et des ustensiles) visiblement bien connu des interlocuteurs Lrsquoinfeacuterence de la forme lexicale

sous-jacente peut neacuteanmoins demeurer incertaine comme dans ces exemples drsquooral que nous

avons releveacutes ci-dessous

157

(196) BM Il y a quand mecircme plus quun eacutepicier hein il faut pas quil lui arrive un coup dur

etun boulan il y a deux boulangers mais autrement ben il y a plus rien hein Avant il

y avait pff des eacutepiciers il y en avait quatre ou cinq euh euh la confection il y en avait

deux ou trois euh maintenant il y en a plus qursquoun pff un petit qui qui vivote hein

Cest vrai que ccedila ccedila fait mal quand mecircme (pfc)

(197) L1 ouais enfin ceci dit si on a ouvert le magasin agrave C- un magasin de jonglage agrave Caen

cest pas innocent hein cest quil y en a pas mal hein nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 ah + et q- s- et comment ccedila se fait euh comment tu peux expliquer lt ccedila nnnnnnnn

L1 alors gt lagrave rire lt ccedila je ne nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 cest inteacuteressant gt ccedila nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 ouais ccedila cest + je pense cest je pense que cest parce que depuis pas mal de temps

il y a un magasin qui en vendait + nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 daccord nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 donc forceacutement les gens euh se rassemblent autour dun endroit ougrave ils peuvent

avoir le mateacuteriel facilement quoi + puis nous on a plus ou moins pris la relegraveve quoi

ben cest du cest de lendroit dougrave je viens quoi (crfp)

Dans lrsquoexemple (196) on ne sait pas si le locuteur privileacutegie lrsquoindice morphologique pour la

cateacutegorisation implicite de son reacutefeacuterent (des confectionneurs lexegraveme toutefois peu courant)

ou srsquoil a agrave lrsquoesprit une classe de deacutenommeacutes artisans fabricants vendeurs etc Drsquoailleurs

lrsquoallocutaire nrsquoest pas obligeacute drsquoen infeacuterer une deacutenomination congruente il tacircchera drsquoinfeacuterer

un type de reacutefeacuterent qui soit le plus compatible avec les indices agrave disposition Il en va de mecircme

en (197) ougrave la deacutenomination sous-jacente du reacutefeacuterent de en tel que le conccediloit lrsquoencodeur

pourrait aussi bien ecirctre mateacuteriel eacutequipement articles instruments (de jonglage) etc mais ougrave

les indices contextuels ne permettent pas de trancher A noter que dans tous ces cas ougrave le

pointeur pronominal introduit implicitement un reacutefeacuterent nouveau on peut invoquer lrsquoobjectif

O4 pour rappel lrsquoapport drsquoinformations ineacutedites qui se greffe sur lrsquoacte reacutefeacuterentiel

proprement dit

Un parcours infeacuterentiel freacutequemment mis en œuvre via les pronoms indirects est celui qui

assimile un individu collectif agrave la classe de ses membres Ce proceacutedeacute permet lui aussi au

locuteur de srsquoeacutepargner via O2 une tacircche de recateacutegorisation lexicale du reacutefeacuterent

(198) JO1 Et euh bon ben javais pas de logement ni rien agrave Madrid ltE Tu es parti comme

ccedilagt Quest-ce que jai fait En fait oui Jai teacuteleacutephoneacute avant agrave agrave lAmbassade de

France agrave Madrid pour savoir si jamais bon ben ils pouvaient trouver quelque chose

sait-on jamais (pfc)

Dans ce cas-lagrave on peut invoquer la notion de dualiteacute (cf supra ChI sect33) car les indices

contradictoires de formatage de lrsquoobjet interviennent au sein drsquoune mecircme clause (cf supra

ChI sect633 pour rappel un icirclot de deacutependances morpho-syntaxiques) Outre lrsquoeacuteconomie agrave

lrsquoencodage on pourrait aussi se demander si le laquo deacutesaccord raquo morphosyntaxique ne

158

correspond pas agrave une strateacutegie de deacutesambiguiumlsation (O1) permettant de preacutevenir lrsquoinfeacuterence

drsquoune interpreacutetation biologique que pourrait induire la marque de genre drsquoun elle

Drsquoautres cas drsquolaquo eacuteconomie lexicale raquo srsquoexpliquent plutocirct par la volonteacute drsquoeacuteviter des reacutepeacutetitions

lexicales (O3) en privileacutegiant visiblement le maintien par isonymie de lrsquoattribut de

deacutenomination drsquoun reacutefeacuterent deacutejagrave introduit sans qursquoil y ait toutefois coreacutefeacuterence

(199) Il paraicirct peu probable qursquoune Suissesse srsquoimposera cette fois-ci Crsquoest regrettable

puisqursquoelles sont majoritaires (La Suisse courrier 290189 [Reichler-]Beacuteguelin

1993a 337)

En effet une redondance lexicale pourrait provoquer un effet de saturation perceptive Lagrave

eacutegalement en induisant subrepticement lrsquoinfeacuterence drsquoun nouvel objet en lrsquooccurrence la

classe (elles) agrave laquelle appartient lrsquoindividu membre (une Suissesse) le locuteur met en

œuvre le principe drsquoapport informationnel (O4)

Un peu dans le mecircme genre nous proposons lrsquoexemple suivant qui met en jeu plusieurs

occurrences de pronoms conduisant agrave consideacuterer lrsquoindividu type de la classe extensionnelle

preacutealablement introduite

(200) elle [la confreacuterie] venait surtout en aide agrave agrave lrsquoeacutepoque il y avait beaucoup de

malheureux + mais elle venait surtout en aide mecircme + aux eacutetrangers + qui pouvaient

mourir + euh dans notre village + et lesprit philanthropique de la confreacuterie + crsquoest que

il fallait le prendre en charge et lrsquoenterrer surtout srsquoil nrsquoavait personne (crfp)

Toujours dans une perspective de reacutegulation des reacutecurrences de signal (O3) on peut signaler

les rappels drsquoun actant morpho-seacutemantiquement impliqueacute par un preacutedicat-source

(201) Jrsquoai eacuteteacute tregraves toucheacute drsquoapprendre que jrsquoai une abonneacutee agrave mon journal qui dessine mais

jrsquoaimerais bien en recevoir (Journal de Johnny le Deacutesosseacute Genegraveve en = (des dessins)

[Reichler-]Beacuteguelin 1993a 359)

Lrsquoemploi du pronom permet ici au scripteur de se passer de lrsquointroduction explicite drsquoun

reacutefeacuterent en vue drsquoO4 tout en eacutevitant lrsquoeffet de saturation lexicale que cela pourrait engendrer

Beacuteguelin invoque eacutegalement des rendements eupheacutemiques au profit drsquoO5 lieacutes agrave lrsquousage de

pronoms indirects

(202) Ma megravere me dit qursquoil ne faut pas gacircter les enfants et elle me fouette tous les matins

quand elle nrsquoa pas le temps le matin crsquoest pour midi rarement plus tard que quatre

heures Mlle Balandreau mrsquoy met du suif (J Vallegraves Lrsquoenfant lt Beacuteguelin 1997a 109)

Le locuteur doit ici conjecturer quelle partie du corps manifestement a souffert des coups de

fouets La nature implicite du proceacutedeacute agrave lrsquoœuvre autorise drsquoailleurs le locuteur agrave deacutementir

159

lrsquointerpreacutetation agrave caractegravere tabou induite par le sceacutenario eacutevoqueacute comme ci-dessous par

lrsquointermeacutediaire drsquoune parenthegravese165

(203) En gros ndash je vous la fais courte ndash lrsquohomme marieacute avait un petit creacuteneau juste lagrave enfin

deux heures agrave tirer quoihellip et il se demandait si par tous les hasards du monde ce trou

dans son emploi du temps ne serait pas compatible avec les siens agrave elle Bon le hic ce

nrsquoeacutetait pas tant une question de morale Garance en avait tellement avaleacute (de

couleuvres) avec lui qursquoelle nrsquoen eacutetait plus agrave une humiliation pregraves le hic enfin les

deux hics crsquoest que lagrave maintenant elle avait plutocirct envie de discuter de ses doutes

existentiels que de baiser [hellip] (Gavalda Lrsquoeacutechappeacutee belle p 113)

Dans lrsquoexemple suivant on relegraveve eacutegalement la preacutesence drsquoune parenthegravese apregraves lrsquooccurrence

du pronom agrave fonction eupheacutemique cette fois pour faciliter la tacircche interpreacutetative du lecteur

(204) laquo [hellip] Il preacutevoyait ce qui allait se passer Crsquoest une affaire qui vient de Naples Ils (la

mafia) lrsquoont descendu parce qursquoil savait quelque chose [hellip] raquo (sic La Suisse

18011990 Beacuteguelin 1997a 108)

Lrsquoemploi drsquoun pointeur pronominal reacutevegravele une strateacutegie de sauvegarde de la face par

opposition aux risques encourus par une deacutesignation plus explicite A noter que la parenthegravese

(la mafia) a eacutegalement pour rocircle de distinguer deux situations drsquoeacutenonciation (Beacuteguelin

1997b) Les pheacutenomegravenes drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute sont justement un lieu propice agrave lrsquooccurrence de

pronoms indirects

(205) Et puis ce soir-lagrave vers 21h sortant du cineacutema du Grutli elle cheminait le long de

lrsquoavenue du Mail songeant au voyage qursquoelle projetait de soffrir en Egypte Elle avait

mis son sac en bandouliegravere bien serreacute sous son manteau Elle tenait fermement son

parapluie plieacute sous son bras nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Soudain elle se sentit pousseacutee agrave terre nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Je suis tombeacutee sur le coude Jai vu les eacutetoiles Il mrsquoa pris mon sac Il a ducirc larracher

parce que je le tenais bien (Tribune de Genegraveve 23190 [Reichler-]Beacuteguelin 1993a

373)

Face agrave des faits de discours rapporteacute lrsquointerpregravete est naturellement ameneacute agrave faire des

conjectures sur le deacuteroulement de lrsquointeraction premiegravere et agrave distinguer de la sorte deux

univers de croyance Lrsquoemploi du pronom indirect en (205) dans le discours citeacute contribue

ainsi agrave marquer la discontinuiteacute entre les deux situations drsquoeacutenonciation imbriqueacutees et partant

agrave signaler le changement de point de vue adopteacute par la locutrice citeacutee Cette strateacutegie srsquooppose

agrave une strateacutegie de type laquo inteacutegrative raquo favorisant la continuiteacute des eacutenonciations en preacutesence

(ibid)

165

Noter eacutegalement ici le clitique objet la dans laquo lrsquoaphorisme lexicaliseacute raquo la faire courte Voir agrave cet eacutegard ChIII

sect5223

160

Un effet de point de vue est eacutegalement en jeu ci-dessous auquel il faut ajouter lrsquointervention

drsquoO4 surdeacuteterminant lrsquoopeacuteration reacutefeacuterentielle par lrsquoimplicitation drsquoune nouvelle eacutetiquette

lexicale traduisant ici la rectification implicite drsquoune appellation jugeacutee inadeacutequate

(206) [le gardien de prison arrive avec le repas] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Premier prisonnier - Qursquoest-ce que crsquoest nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Gardien - Le potage du chef aux vermicelles nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

[les hommes commencent agrave manger] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Second prisonnier - Elle nrsquoest pas mangeable (elle = la soupe) (script du film Le trou

lt Rosenberg 1970 citeacute par Cornish agrave par)

Dans ce dialogue le second prisonnier manifeste une rupture de point de vue sur le reacutefeacuterent

concerneacute il considegravere en effet la deacutenomination potage trop valorisante pour deacutesigner le

reacutefeacuterent en question Celui-ci se voit ainsi implicitement laquo reacutetrogradeacute raquo par une eacutetiquette de

registre plus commun voire peacutejorative (Cornish agrave par)

Mentionnons une derniegravere strateacutegie impliquant eacutegalement un changement de deacutenomination

sous-jacente qui consiste cette fois agrave preacutevenir des ambiguiumlteacutes au beacuteneacutefice de O1 (pour rappel

lrsquooptimisation du deacutecodage) et de O4

(207) Jrsquoorchestre mes deacutefileacutes moi-mecircme pour ecirctre sucircr drsquoecirctre bien compris Cette relation

avec les mannequins est tregraves importante Tout agrave coup elles deviennent mes interpregravetes

elles deviennent Montana elles sont extraordinaires (presse lt Beacuteguelin 1997a 107)

Dans (207) le sceacutenario eacutevoqueacute contient des actants humains deacutesigneacutes via une deacutenomination

masculine seacutemantiquement non marqueacutee Lrsquooccurrence du pronom indirect au feacuteminin

suppose un changement drsquoappellation agrave propos duquel on peut infeacuterer lrsquoallusion au sexe des

modegraveles Outre cet apport informationnel le changement de genre permet ainsi de preacutevenir

lrsquohypothegravese que le couturier produirait eacutegalement des vecirctements pour hommes

161

5 Conclusion

Contrairement aux ideacutees reccedilues deacutejagrave eacutevoqueacutees supra on peut donc bien relever

lrsquoopeacuterationnaliteacute des pronoms en site drsquoanaphore indirecte Cet aperccedilu des rendements

discursifs montre que le pheacutenomegravene deacutepasse largement le pur respect des contraintes

seacutemantiques ou cognitives supposeacutees encodeacutees dans le signifieacute des pronoms conjoints de 3e

personne Il montre aussi une part de la varieacuteteacute des routines infeacuterentielles agrave lrsquoœuvre souvent

restreintes en matiegravere drsquoanaphore associative agrave une opeacuteration de deacuteduction fondeacutee sur un

savoir a priori (lexical ou steacutereacuteotypique)

Parmi les opeacuterations infeacuterentielles mises en œuvre par les pronoms indirects il nous paraicirct

utile de distinguer quatre cas de figure distincts

- Les infeacuterences drsquoobjet ordinaires avec laquo disjonction reacutefeacuterentielle raquo (Charolles

1990) proprement dite ougrave le pronom indirect invite agrave infeacuterer lrsquoexistence drsquoun objet

agrave partir drsquoun autre objet comme en (195) en (204) ou en (199)

- Les cas ougrave le pronom est unifiable avec une laquo variable raquo deacutejagrave seacutemantiquement

impliqueacutee (quoiqursquoagrave ce moment-lagrave sous-deacutetermineacutee) comme en (201)

- Les cas ougrave le pronom signale un changement drsquoattribut de deacutenomination sans

disjonction reacutefeacuterentielle (ie il maintient la coreacutefeacuterence) comme en (206) (207)

- Les cas de dualiteacute (cf supra ChI sect33) ougrave lrsquoon peut envisager un mecircme objet sous

deux formats diffeacuterents (198)

Le cas des pronoms laquo indirects raquo produits dans des circonstances reacuteelles nous est apparu

comme un champ drsquoinvestigation pertinent car il reacutevegravele lrsquoexistence de facteurs et strateacutegies

reacutecurrents motivant le choix du marqueur qui passent souvent inaperccedilus dans les approches

seacutemantiques ou cognitives qui se concentrent sur la mise au jour de contraintes drsquoemploi

162

163

Chapitre III

La sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle

164

165

1 Introduction

Une ideacutee communeacutement partageacutee par les sujets parlants est que la langue sert agrave exprimer la

penseacutee de maniegravere claire et univoque Tout flou seacutemantique ou toute interpreacutetation ambigueuml se

voient degraves lors jugeacutes inopportuns et agrave eacuteviter autant que possible Drsquoailleurs cette recherche

drsquounivociteacute du sens semble relever drsquoune sorte de reacuteflexe aussi bien chez les usagers que chez

les linguistes

Lrsquounivociteacute est trop profondeacutement et trop implicitement postuleacutee veacutecue comme une eacutevidence pour qursquoil soit senti neacutecessaire de lrsquoeacutenoncer pour que la foi qursquoon a en elle soit pleinement consciente A cet eacutegard la linguistique (crsquoest-agrave-dire ici la quasi-totaliteacute des linguistiques toutes eacutecoles confondues) participe de cette conviction des sujets parlants (Le Goffic 1982 84)

Preacutemisse inconsciente chez certains le postulat de clarteacute nrsquoest toutefois pas qursquoimplicite il

est reacuteguliegraverement revendiqueacute par les philosophes agrave lrsquoinstar de Descartes ou de Leibniz qui

recircvent drsquoune langue universelle ideacutealement univoque (Le Goffic 1981) Il srsquoensuit que lrsquoon

voit reacuteguliegraverement eacutemerger diverses tentatives de remeacutediation au flou ou agrave lrsquoambiguiumlteacute telles

que les propositions de deacutefinitions de noms (lat definitio nominis) drsquoArnauld amp Nicole

(1662=1874 87 sqq) le systegraveme de notation symbolique (Begriffschrift) instaureacute par Frege

(1971) ou encore le deacuteveloppement de structures sous-jacentes en grammaire geacuteneacuterative ougrave

les transformations sont responsables drsquolaquo effets de deacutegeacuteneacuterescence raquo par disparition

drsquoinformations en surface (Harris 1976 57 citeacute par Fuchs amp Le Goffic 1983)

Cette vision de la langue comme voueacutee agrave lrsquoexpression drsquoideacutees claires et univoques est pour le

moins simpliste ainsi que le regrette Lyons (1981 203)

Not only is it frequently and erroneously associated with the view that all sentences have precise and determinate meanings it is based on the equally erroneous assumption that clarity and the avoidance of vagueness and equivocation are always desirable regardless of what language game we are playing

En effet lrsquoobservation des faits langagiers montre que les pheacutenomegravenes drsquoambiguiumlteacute et de

sous-deacutetermination sont parties inteacutegrantes de la langue et du discours comme en teacutemoignent

les travaux de bon nombre de chercheurs (entre autres Crystal amp Davy 1975 Le Goffic 1981

1982 Fuchs amp Le Goffic 1983 Fuchs 1996 Channell 1994 Jucker et al 2003 Kaltenboumlck et

al 2010 Bat-Zeev Shyldkrot et al 2010 2014 2016)

Nous proposons donc drsquoapprofondir la question du laquo flou raquo qui peut concerner la reacutefeacuterence

aux objets-de-discours susceptible de poser problegraveme aux theacuteories de la reacutefeacuterence existantes

Apregraves une caracteacuterisation de la notion de sous-deacutetermination et une deacutelimitation de lrsquoeacutetendue

des faits qui nous inteacuteressent (sect2) nous prenons soin de la distinguer de pheacutenomegravenes

apparenteacutes (sect3) puis nous en deacutegageons les circonstances et modaliteacutes drsquoapparition et

eacutevoquons quelques hypothegraveses sur son traitement cognitif (sect4) Enfin nous preacutesentons un

inventaire des principales ressources linguistiques agrave la disposition des locuteurs pour exprimer

la sous-deacutetermination en franccedilais (sect5)

166

167

2 Caracteacuteristiques de la sous-deacutetermination

En matiegravere de reacutefeacuterence les approches traditionnelles supposent que lrsquoidentification des

reacutefeacuterents est lrsquoun des critegraveres drsquoune communication reacuteussie Neacuteanmoins les eacutechanges

conversationnels ordinaires montrent plutocirct que les locuteurs manient le degreacute de

deacutetermination reacutefeacuterentielle en fonction de leurs objectifs discursifs Ainsi la manipulation de

la granulariteacute reacutefeacuterentielle permet notamment de geacuterer le degreacute de saillance des objets

contribuant agrave la dynamique des repreacutesentations en M laissant certains objets en retrait et en

placcedilant drsquoautres au centre de lrsquoattention (Jucker et al 2003) Elle permet en outre comme on

le verra de creacuteer des effets discursifs particuliers

21 Sous-deacutetermination et pertinence

Si dans certaines situations de sous-deacutetermination le locuteur ne dispose tout simplement pas

drsquoinformations preacutecises agrave propos drsquoun reacutefeacuterent eacutevoqueacute (par simple ignorance oubli etc) on

peut supposer que dans drsquoautres situations il dispose de connaissances plus preacutecises mais

qursquoil renonce deacutelibeacutereacutement agrave les exploiter pour des raisons de pertinence (Sperber amp Wilson

1986) en effet il peut estimer les coucircts drsquoune telle deacutetermination trop eacuteleveacutes que ce soit agrave

lrsquoencodage ou au deacutecodage preacutesumeacute par rapport aux effets communicatifs escompteacutes

Inversement lrsquointerpregravete calcule de son cocircteacute sur le mecircme principe uniquement un ensemble

drsquoinfeacuterences rentables renonccedilant agrave drsquoautres qui seraient pourtant possibles Crsquoest donc surtout

sur un objectif de pertinence plutocirct que de veacuteriteacute que repose la variation du degreacute de

deacutetermination reacutefeacuterentielle

22 Une notion scalaire

La sous-deacutetermination srsquooppose agrave une situation de deacutetermination reacutefeacuterentielle crsquoest-agrave-dire

dans laquelle les objets eacutevoqueacutes sont identifieacutes et clairement opposables les uns par rapport

aux autres On parlera de sous-deacutetermination lorsque surgissent des difficulteacutes drsquoattribuer une

valeur agrave une variable Cela peut srsquoexpliquer au niveau des reacutefeacuterents par le manque drsquoattributs

distinctifs (en particulier une deacutenomination des proprieacuteteacutes typantes et discregravetes) En parlant

de sous-deacutetermination nous mettons en avant le caractegravere scalaire de la notion Srsquoil nous

semble intuitif drsquoenvisager une situation de deacutetermination laquo complegravete raquo ie lorsqursquoil est

possible drsquoattribuer une valeur agrave un objet il nous semble agrave lrsquoinverse plus probleacutematique de

concevoir un objet totalement indeacutetermineacute En effet tout acte seacutemiotique apportant au moins

une information minimale sur lrsquoobjet auquel il renvoie dans M nous jugeons plus adeacutequat de

recourir agrave une notion en adeacutequation avec ce point dans le cas drsquoun acte eacutenonciatif

lrsquoexpression au moyen de laquelle le reacutefeacuterent est introduit de mecircme que la preacutedication dont il

fait lrsquoobjet fournissent de fait des indications agrave son propos elles le deacuteterminent forceacutement

drsquoune certaine maniegravere aussi minimale soit-elle Crsquoest pourquoi nous recourons agrave la notion de

sous-deacutetermination plutocirct qursquoagrave celle drsquoindeacutetermination

168

Il faut rappeler qursquoen tant qursquoanalyste nous nrsquoavons accegraves qursquoagrave des traces du discours

effectivement produit par des interactants il nous est donc impossible de mesurer fiablement

le degreacute de sous-deacutetermination des objets en M Nous ne pouvons de ce fait que nous appuyer

sur les indications partielles agrave disposition comme les indices verbaux les infeacuterences qursquoon

peut en tirer et parfois les meacutetadonneacutees disponibles

23 Types de sous-deacutetermination

Dans cette eacutetude nous nous inteacuteressons exclusivement agrave la sous-deacutetermination susceptible

drsquointervenir dans le processus drsquounification drsquoune variable avec un objet-de-discours De fait

nous laissons de cocircteacute les proceacutedeacutes de sous-deacutetermination se situant agrave drsquoautres niveaux comme

ceux se rapportant agrave des quantiteacutes comme illustreacutes ci-dessous

(208) voilagrave alors jaimerais te poser quelques questions sur ton | _ | meacutetier denseignant

(ofrom)

(209) et moi jai travailleacute dans le deuxiegraveme eacutetage | _ | qui dans lequel y avait euh trente-trois

reacutesidents | _ | et puis on eacutetait environ huit aides-soignantes en temps normal (ofrom)

Dans lrsquoexemple (208) le quantificateur quelques exprime la sous-deacutetermination du nombre de

questions agrave poser (on sait qursquoil y en a plus qursquoune mais qursquoelles sont jugeacutees peu nombreuses)

Le marqueur environ en (209) fonctionne quant agrave lui comme un approximateur (cf infra sect32)

agrave lrsquoeacutegard du nombre drsquoaides-soignantes exprimeacutee conduisant drsquoembleacutee agrave en relativiser la

preacutecision

De mecircme nous ne nous inteacuteressons pas agrave la sous-deacutetermination affectant les proprieacuteteacutes

comme ci-dessous

(210) ouais pis crsquoest pas que je preacutefegravere lire que | _ | regarder un film mais pour les films qui

sont assez compliqueacutes et pis euh | _ | assez durs comme ccedila je trouve que crsquoest mieux

un livre parce que sinon apregraves crsquoest un peu | _ | ccedila crsquoest des fois un peu violent ou

comme ccedila (ofrom)

Les expressions assez et un peu indiquent ici aussi la neacutecessiteacute de relativiser les qualiteacutes

respectives eacutevoqueacutees Quant aux occurrences de (ou) comme ccedila crsquoest plutocirct sur leur

adeacutequation lexicale que semble porter la fonction mitigatrice (Beacuteguelin amp Corminboeuf agrave

par)

Drsquoautre part certaines expressions sont speacutecifiquement deacutedieacutees agrave lrsquointroduction drsquoune

variable sous-deacutetermineacutee ou quelconque Crsquoest le cas drsquoun certain nombre de pronoms dits

laquo indeacutefinis raquo (cf infra sect31)

(211) y a aussi lhabitude parce que quelquun qui travaille dune semaine agrave lautre | _ | de

temps en temps chez lui | _ | ou bien quelquun qui en fiche pas une et pis qui qui fait |

_ | que son travail agrave agrave la leccedilon ccedila sentend parce quen geacuteneacuteral on retrouve un petit peu

linstrument | aux mecircmes endroits quougrave on la laisseacute avant (ofrom)

169

Le pronom quelqursquoun (mais aussi quiconque quelque chose nrsquoimporte quiquoi quoi que ce

soit je ne sais quiquoi certains drsquoaucuns etc) manifeste agrave travers son signifieacute mecircme la

nature sous-deacutetermineacutee de la variable introduite et lrsquoinutiliteacute de saturer celle-ci

Bien que ces expressions soient au cœur du domaine de la sous-deacutetermination nous avons

choisi de nous pencher uniquement dans la preacutesente eacutetude sur le cas des pointeurs reacutefeacuterentiels

(ou deacutesignateurs) car ils ont ceci drsquointeacuteressant qursquoils donnent lieu agrave une forme de conflit entre

lrsquoinstruction drsquounification veacutehiculeacutee et lrsquoopeacuteration mecircme drsquounification

Avant de distinguer les diffeacuterents cas de figure de sous-deacutetermination preacutecisons ce que nous

entendons par laquo anaphore raquo Lrsquoopeacuteration anaphorique canonique correspond agrave un type

drsquounification non probleacutematique un objet deacutetermineacute est introduit agrave un moment donneacute en M

puis une eacutenonciation ulteacuterieure instancie une variable agrave unifier avec celui-ci (ce processus

reposant comme on lrsquoa vu sur un calcul infeacuterentiel agrave partir drsquoindices de divers ordres) En

dehors de cette situation on peut distinguer plusieurs types de dissension entre lrsquoinstruction

drsquounification de la variable et sa saturation

Berrendonner (2016) recourt agrave la notion de variables provisoires pour deacutesigner laquo une classe

particuliegravere de reacutefeacuterents sous-speacutecifieacutes qui ne satisfont pas agrave lrsquoexigence conventionnelle de

pertinence optimale et dont lrsquointroduction dans M creacutee par conseacutequent un eacutetat non stable du

savoir partageacute raquo Pour le cas des pointeurs reacutefeacuterentiels on peut en relever un premier type

traditionnellement appeleacute laquo cataphore raquo

(i) Lrsquounification de la variable sous-speacutecifieacutee est diffeacutereacutee

(212) Vous lrsquoavez tous remarqueacutehellip Comment drsquoailleurs ne pas le remarquer Dans

certaines zones drsquoEacutepinay-sur-Seine nos rues nos trottoirs et nos espaces publics sont

occupeacutes par drsquoimportants chantiers (ciculaire communale Eacutepinay-sur-Seine mai

2011)

Dans cet exemple la variable sous-deacutetermineacutee est introduite agrave travers deux occurrences

pronominales avant qursquoune eacutenonciation ulteacuterieure vienne lrsquoinstancier Le proceacutedeacute de

cataphore creacutee ainsi un eacutetat instable de M perccedilu comme un effet stylistique drsquoattente (ibid)

Dans ce cas lrsquoinstanciation de la variable provisoire est simplement diffeacutereacutee

Il existe un autre type de variable provisoire

ii) Lrsquoobjet faisant deacutefaut pour lrsquoidentification demande agrave ecirctre infeacutereacute mais le calcul agrave

partir des indices contextuels laquo nrsquoaboutit geacuteneacuteralement qursquoagrave cerner une classe floue

de valeurs possibles plus ou moins vraisemblables raquo (ibid)

(213) apregraves on deacutebarrasse apregraves nous on a une pause de vingt minutes on fait la | pause cafeacute

tout ccedila | _ | apregraves on se deacuteba on arrive on deacutebarrasse d les deacutejeuners (ofrom)

170

Dans ce cas il est possible drsquoinfeacuterer drsquoautres objets en relation avec lsquofaire la pause cafeacutersquo par

exemple hellip discuter fumer une cigarette aller aux wc faire des sudokus etc Cependant

dans le proceacutedeacute de reacutefeacuterence agrave lrsquoœuvre ci-dessus (qui fera lrsquoobjet du chapitre IV infra) il y a

de bonnes raisons de penser que lrsquoinfeacuterence des valeurs potentielles par lrsquointerpregravete soit court-

circuiteacutee par lrsquoapplication du principe de pertinence autant le locuteur en utilisant un tout ccedila

sur le mode allusif juge trop coucircteux de deacutetailler davantage le reacutefeacuterent en vue de ses objectifs

autant lrsquointerlocuteur estime le traitement infeacuterentiel cognitivement peu rentable En fait tout

ccedila eacutevoque ici un laquo faisceau drsquoobjet raquo au sens de Grize (1990 78) crsquoest-agrave-dire un ensemble

drsquoeacuteleacutements heacuteteacuterogegravenes (proprieacuteteacutes relations et schegravemes drsquoaction) attacheacutes agrave un objet donneacute

(ici le reacutefeacuterent lsquopause cafeacutersquo) Grize considegravere que toute introduction drsquoobjet ouvre

simultaneacutement une classe-objet autrement dit les eacuteleacutements heacuteteacuterogegravenes qui lui sont attacheacutes

et qui ont laquo affaire raquo les uns avec les autres A cet eacutegard il faut noter que cette notion de

classe-objet se distingue radicalement de la conception matheacutematique de laquo classe raquo

impliquant des membres homogegravenes Quoi qursquoil en soit la reacutefeacuterence de tout ccedila tout en

srsquoapparentant allusivement agrave une classe-objet demeure ici relativement sous-deacutetermineacutee

On peut enfin relever un dernier type de difficulteacute surgissant dans le processus drsquounification

drsquoune variable qui se distingue des deux cas preacuteceacutedents par le fait qursquoil nrsquoimplique pas de

variable provisoire du moins dans le mecircme sens que preacuteceacutedemment

iii) Lrsquoobjet supposeacute manifeste se montre en fait preacutesent dans M au moment du pointage

mais lrsquoexpression reacutefeacuterentielle typiquement une expression dite laquo reacutesomptive raquo

renvoie agrave une partie mal deacutelimiteacutee du reacuteseau reacutefeacuterentiel en construction

(214) Bon moi jrsquoai travailleacute mais vous me direz euh Dans des conditions euh agreacuteables euh

jrsquoavais mes horaires je me rapportais du travail agrave la maison Tout ccedila eacutetait tellement

souple que jrsquoeacutetais quand mecircme beaucoup avec les enfants Mais euh je sais pas si ils

srsquoen sont tellement aperccedilus hein (pfc)

Le clitique oblique en166

renvoie bien agrave un objet preacutealablement introduit dans M mais cet

objet se montre composite lui-mecircme constitueacute drsquoindividus heacuteteacuterogegravenes et de relations entre

eux dont certain(e)s sont agrave infeacuterer (cf ici aussi la notion de classe-objet) il renvoie ainsi agrave un

sous-graphe de M dont pour rappel lrsquoarchitecture peut ecirctre repreacutesenteacutee sur le mode

laquo gravitationnel raquo (cf supra ChI sect463 et sect634) En tenant compte des indications

seacutemantiques veacutehiculeacutees par le verbe recteur (srsquoapercevoir de qqc) on peut interpreacuteter en non

seulement comme le temps passeacute par la locutrice avec ses enfants mais peut-ecirctre aussi

comme la flexibiliteacute de travail dont elle beacuteneacuteficiait le privilegravege de sa situation etc Dans ce

cas aussi une part drsquoincertitude demeure en particulier au niveau de la composition et des

limites du sous-graphe concerneacute Comme dans le cas preacuteceacutedent tout porte agrave croire que le

reacutefeacuterent est traiteacute en gros et que le calcul de la teneur deacutetailleacutee ou des frontiegraveres de lrsquoobjet

nrsquoest pas jugeacute pertinent

166

On pourrait faire une analyse similaire pour le tout ccedila aussi preacutesent

171

Dans la suite de ce travail nous nous concentrerons sur ces trois types de sous-deacutetermination

pour rappel i) le cas de mise en suspens de lrsquoinstanciation drsquoune variable (ii) le cas ougrave

lrsquoobjet avec lequel unifier la variable nrsquoest pas preacutesent et dont lrsquoinfeacuterence du fait de son

incertitude laisse lrsquoobjet sous-deacutetermineacute (iii) le cas ougrave lrsquoobjet est manifestement preacutesent

mais ougrave la sous-deacutetermination porte davantage sur sa composition et sa deacutelimitation

172

173

3 Notions voisines

Comme on a pu srsquoen apercevoir en restreignant le domaine drsquoobservation certaines notions se

rapprochent de celle de sous-deacutetermination sans toutefois que leurs extensions respectives se

recouvrent Crsquoest notamment le cas des notions de reacutefeacuterence indeacutefinie (sect31)

drsquoapproximation167

(sect32) drsquoambiguiumlteacute (sect33) et autres pheacutenomegravenes apparenteacutes agrave celle-ci

comme lrsquoambivalence (sect34) ou encore lrsquoopposition transparence vs opaciteacute (sect35) Dans un

sens courant toutes eacutevoquent en effet quelque chose de flou ou drsquoimpreacutecis et srsquoopposent

ensemble agrave lrsquoideacutee drsquounivociteacute du langage Il nous paraicirct degraves lors important de nous situer plus

preacuteciseacutement par rapport agrave ces notions

31 Reacutefeacuterence indeacutefinie

La notion de reacutefeacuterence indeacutefinie se rapproche de celle drsquoindeacutetermination reacutefeacuterentielle en ce

qursquoelles renferment toutes deux lrsquoideacutee qursquoon ne peut associer une valeur stable agrave une variable

Sur ce point les notions se recouvrent Mais la notion drsquoindeacutefini est en outre exploiteacutee pour

cerner des cateacutegories grammaticales traditionnelles agrave savoir des laquo articles raquo (une des) et

autres deacuteterminants (quelques plusieurs aucun chaque nul etc) ainsi que des pronoms du

type quelqursquoun quelque chose chacun personne rien on etc A ces derniers on peut encore

ajouter drsquoautres classes dites indeacutefinies comme les adverbes quelque part nulle part jamais

etc (Haspelmath 1997) Du fait de cette heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute la classe des indeacutefinis a souvent eacuteteacute

catalogueacutee de laquo fourre-tout raquo (entre autres Arriveacute Gadet amp Galmiche 1984 Flaux amp De

Mulder 1997 Schnedecker agrave par)

Notre enjeu eacutetant drsquoeacutetudier les pointeurs dont on ne parvient agrave unifier la variable malgreacute

lrsquoinstruction qursquoils comportent (cf supra sect23) la notion drsquoindeacutefini est agrave diffeacuterencier de notre

objet drsquoeacutetude En effet la plupart des formes dites indeacutefinies introduisent au contraire

explicitement une variable sous-deacutetermineacutee sans instruction de saturation Neacuteanmoins on

verra que lrsquousage de certaines expressions eacutetudieacutees dans les parties empiriques de ce travail168

se rapproche agrave certains eacutegards de lrsquoemploi de lrsquoune ou lrsquoautre forme dite indeacutefinie Dans ce

cas nous nrsquoheacutesiterons eacutevidemment pas agrave examiner de plus pregraves leurs rapports (cf infra ChV

sect342)

32 Approximation

Drsquoapregraves le TLFi une approximation est au sens matheacutematique une laquo opeacuteration par laquelle

on tend agrave se rapprocher de plus en plus de la valeur reacuteelle drsquoune quantiteacute ou drsquoune grandeur

sans y parvenir rigoureusement raquo Dans la langue courante elle repreacutesente une laquo eacutevaluation

approximative169

drsquoun nombre drsquoun chiffre drsquoune distance drsquoune date etc raquo et par extension

de sens simplement le laquo caractegravere drsquoune chose lorsqursquoelle nrsquooffre qursquoune exactitude

relative raquo

167

Cf infra (sect453) lrsquoutilisation drsquoet tout et tout ccedila comme marqueurs drsquoapproximation de paroles rapporteacutees 168

En particulier lrsquoemploi de tout ccedila ou du clitique sujet ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee 169

Noter la circulariteacute de la deacutefinition

174

Selon Bat-Zeev Shyldkrot et al (2010 3) le point commun de ces significations est

laquo lrsquoapproche eacutevaluative ou impreacutecise et lrsquoeacutecart par rapport agrave une exactitude rigoureuse raquo

comme lrsquoillustrent les propos de Valeacutery ci-dessous

(215) Crsquoest faute de le savoir [le langage des dieux] que lrsquohomme ou que lrsquoecirctre de lrsquohomme

a creacuteeacute ces approximations les larmes le sourire le soupir lrsquoexpression du regard le

baiser lrsquoembrassement lrsquoillumination du visage le chant spontaneacute la danse (Valeacutery

Mauvaises penseacutees et autres 1942 lt TLFi)

Les eacutenonceacutes contenant des marqueurs drsquoapproximation posent des problegravemes aux logiciens

qui ne parviennent pas agrave leur attribuer une valeur de veacuteriteacute dans le systegraveme binaire vrai-faux

(216) Sam is approximately six feet tall (Sadock 1977 434)

Sadock (1977) eacutevoque la solution consistant agrave recourir agrave la theacuteorie des ensembles flous170

ougrave

la notion de veacuteriteacute est appreacutehendeacutee en termes scalaires le but eacutetant de deacuteterminer par des

algorithmes jusqursquoagrave quelle distance lrsquoestimation garantit la veacuteriteacute de lrsquoeacutenonceacute Lrsquoauteur reste

neacuteanmoins sceptique envers cette approche veacutericonditionnelle171

et privileacutegie une analyse

pragmatique selon laquelle le rocircle drsquoun marqueur drsquoapproximation est simplement de

relativiser le sens drsquoun eacutenonceacute

the role of an approximator in the pragmatic theory is to trivialize the semantics of a sentence to make it almost unfalsifiable to hedge in a genuine sense (ibid 437)

Autrement dit il attribue une fonction mitigatrice agrave ce type de marqueur une approximation

ne srsquoeacutevalue pas en termes de valeur de veacuteriteacute car elle est drsquoembleacutee preacutesenteacutee comme laquo a

purposely and unabashedly inaccurate statement raquo (ibid 434) Il traite lrsquoemploi

drsquoapproximateurs via la maxime conversationnelle de quantiteacute (Grice 1975) enjoignant de

nrsquoen dire ni plus ni moins que requis

Dans une approche pragmatico-interactionnelle les marqueurs drsquoapproximation ont ainsi eacuteteacute

consideacutereacutes comme reacuteduisant lrsquoengagement du locuteur agrave lrsquoeacutegard de son propos lui permettant

par la mecircme occasion de meacutenager sa face dans lrsquoeacutechange Les marqueurs drsquoapproximation

peuvent se reacutepartir en deux classes (Vaguer 2010) ceux qui srsquoappliquent agrave une quantiteacute la

preacutesentant comme non extensive (environ agrave peu pregraves presque etc) (cf supra lrsquoexemple

(209)) et ceux qui portent sur une deacutenomination (plutocirct sorte de genre de espegravece de plus

170

Cf Zadeh (1975 ix) laquo We have been slow in coming to the realisation that much perhaps most of human

cognition and interaction with the outside world involves constructs which are not sets in the classical sense but

rather lsquofuzzy setsrsquo (or subsets) that is classes with unsharp boundaries in which the transition from membership

to non-membership is gradual rather than abrupt Indeed it may be argued that the logic of human reasoning is

not the classical two-valued or even multivalued logic but a logic with fuzzy truths fuzzy connectives and fuzzy

rules of inference raquo (citeacute par Channell 1994 200) 171

Le traitement de lrsquoapproximation en termes de veacuteriteacutefausseteacute apparaicirct comme un reacuteflexe comme en teacutemoigne

ce commentaire de Guilbaud (1977 126) eacutevaluant lrsquoapproximation sous lrsquoangle du mensonge laquo [hellip] An

approximate value as common sense says is that which is not exact Is it a lie then I would not deny that

newspapers sometimes contain lies But there is not always so much malice No Talking and thinking by means

of lsquoaboutrsquo lsquonearlyrsquo is a necessity raquo

175

exactement etc) relativisant son adeacutequation Au vu de (210) nous ajouterions une troisiegraveme

classe de marqueurs qui porte sur les proprieacuteteacutes

Les marqueurs drsquoapproximation ont eacuteteacute rapprocheacutes des marqueurs de modaliteacute eacutepisteacutemique

(Le Querler 1996 74 sqq) tels que peut-ecirctre paraicirct-il je pense etc qui reacuteduisent le degreacute de

certitude agrave lrsquoeacutegard drsquoun contenu asserteacute

(217) ben voilagrave ben avec lui ben jai jai ducirc partir vraiment agrave zeacutero il savait pas tenir ses

baguettes il avait pas de batterie je crois mecircme | _ | agrave la maison (ofrom)

En modalisant son eacutenonceacute par lrsquousage drsquoun verbe parentheacutetique le locuteur en reacuteduit la force

illocutoire et par la mecircme occasion les risques drsquoobjection(s) qursquoil encourt contre son propos

Les deux types drsquoexpression (marqueurs modaux et marqueurs drsquoapproximation) relegravevent

ainsi drsquoune strateacutegie de mitigation ou drsquoatteacutenuation (Caffi 2007) au niveau du contenu drsquoun

eacutenonceacute au niveau de la relation entre un locuteur et son eacutenonciation et au niveau

interpersonnel On voit par lagrave que les faits qui relegravevent de lrsquoapproximation (ou la modaliteacute

eacutepisteacutemique) ne recouvrent pas a priori172

ceux que nous avons deacutelimiteacutes pour notre eacutetude de

la sous-deacutetermination qui concernent les objets-de-discours (et non leur quantiteacute ou leur

attribut de deacutenomination) Cela se traduit notamment par lrsquoexamen de classes de marqueurs

diffeacuterentes tandis que lrsquoapproximation est essentiellement appreacutehendeacutee agrave travers le cas de

modifieurs ou de quantificateurs nous nous inteacuteressons principalement agrave des marqueurs

nominaux ou pronominaux

33 Ambiguiumlteacute

Dans lrsquousage courant on recourt freacutequemment agrave la notion drsquoambiguiumlteacute pour deacutecrire une

situation discursive confuse vague dont lrsquointerpreacutetation est incertaine (Fuchs 1996 13) Or

en linguistique on srsquoefforce de mettre sous cette notion un contenu plus fonctionnel

Lrsquoambiguiumlteacute linguistique se caracteacuterise comme une alternative entre plusieurs significations mutuellement exclusives associeacutees agrave une mecircme forme au sein du systegraveme de la langue (ibid)

A partir de cette deacutefinition Fuchs distingue lrsquoambiguiumlteacute virtuelle ougrave le contexte linguistique

seacutelectionne lrsquointerpreacutetation adeacutequate parmi les significations potentielles concurrentes de

lrsquoambiguiumlteacute effective ougrave le destinataire est veacuteritablement confronteacute agrave un choix insoluble

Ainsi dans les eacutenonceacutes suivants le premier sera consideacutereacute comme un cas drsquoambiguiumlteacute

virtuelle reacutesolu par le contexte linguistique tandis que dans le second lrsquointerpreacutetation

demeure bloqueacutee jusqursquoagrave la fin de la phrase

(218) Les croque-morts deacuteposegraverent la biegravere dans le corbillard (ibid 12)

172

Neacuteanmoins les deux pheacutenomegravenes peuvent ecirctre agrave lrsquoœuvre en mecircme temps cf lrsquoemploi infra (ChIV sect453) de

tout ccedila fonctionnant comme marqueur drsquoapproximation de paroles rapporteacutees tout en introduisant une

repreacutesentation sous-deacutetermineacutee des propos implicites

176

(219) Comme il faisait tregraves chaud le jour de lrsquoenterrement on sortit la biegravere (ibid)

Selon Fuchs le nom biegravere dans lrsquoexemple (218) srsquointerpregravete hors contexte avec la

signification de lsquocercueilrsquo tandis que dans (219) il nrsquoest pas possible de trancher entre ce

mecircme usage ou celui du substantif homonyme signifiant un type de boisson alcooliseacutee Cette

distinction est toutefois discutable au vu de ces exemples la lecture proposeacutee pour (218)

nrsquoexcluant pas la possibiliteacute de lrsquoautre interpreacutetation A lrsquoinverse en (219) on peut reacutetorquer

que la structure argumentative oriente vers une lecture preacutefeacuterentielle (la relation de cause agrave

effet qursquoon peut deacutegager entre la chaleur et le fait de boire de la biegravere) En fait Channell

(1994) relegraveve agrave juste titre qursquoen discours les situations drsquoambiguiumlteacute effective ne sont pas

courantes les participants drsquoune conversation se rendent rarement compte que plusieurs

interpreacutetations sont possibles En effet le contexte au sens large ie linguistique ndash y compris

la prosodie ndash situationnel le savoir encyclopeacutedique ou les infeacuterences qursquoil est possible de

tirer oriente geacuteneacuteralement vers lrsquoune des interpreacutetations Drsquoailleurs Fuchs ramegravene

lrsquoambiguiumlteacute agrave un pheacutenomegravene propre au systegraveme de la langue tandis qursquoelle place la sous-

deacutetermination au niveau du discours (ibid 23)

Dans les deux cas neacuteanmoins on rencontre une situation drsquolaquo indeacutetermination raquo agrave un moment

donneacute dans le cas de lrsquoambiguiumlteacute effective en discours lrsquoindeacutetermination vient de

lrsquoimpossibiliteacute de choisir entre plusieurs significations elles-mecircmes deacutetermineacutees Dans les cas

que nous eacutetudions lrsquoindeacutetermination se situe dans la difficulteacute drsquoattribuer une valeur

reacutefeacuterentielle agrave la variable introduite Fuchs (1996 24) recourt agrave une comparaison parlante

pour distinguer les deux cas de figure elle rapproche lrsquoambiguiumlteacute drsquoimages susceptibles

drsquoecirctre perccedilues de plusieurs maniegraveres mutuellement exclusives telle la fameuse illusion

drsquooptique amenant agrave reconnaicirctre tantocirct le portrait drsquoune vieille femme tantocirct celui drsquoune

jeune fille Quant agrave la sous-deacutetermination elle est illustreacutee par le cas drsquoimages floues

repreacutesentant une seule situation mais aux contours indistincts On pourrait ecirctre tenteacute de

prolonger lrsquoanalogie de Fuchs en remarquant que lrsquoimage est geacuteneacuteralement reacutealiseacutee agrave dessein

dans le premier cas mais involontairement dans le second cas Cependant Fuchs relegraveve

nombre drsquoambiguiumlteacutes laquo non controcircleacutees raquo173

agrave lrsquoinverse la reacutefeacuterence agrave une situation floue peut

ecirctre deacutelibeacutereacutee et reacutepondre agrave certains besoins comme le remarque Wittgenstein (et comme on

le verra drsquoailleurs dans la suite de ce travail)

Ja kann man ein unscharfes Bild immer mit Vorteil durch ein scharfes ersetzen Ist das unscharfe nicht oft gerade das was wir brauchen (Wittgenstein 1953 = 2011 sect71)

173

Fuchs illustre cela par le titre laquo Marche silencieuse contre la violence agrave Bastia raquo (Le Monde lt Fuchs 1996

75) ougrave le journaliste nrsquoest probablement pas conscient de lrsquoambiguiumlteacute virtuelle creacuteeacutee (qursquoest-ce qui de la marche

ou de la violence a eu lieu agrave Bastia ) Neacuteanmoins en contexte cet eacutenonceacute nrsquoest sans doute pas ambigu pour

lrsquoauteur (ni drsquoailleurs pour le reacutecepteur) On peut donc se demander si cela fait sens de parler drsquoambiguiumlteacute non

controcircleacutee en discours

177

Nous nous relativiserons cependant dans la suite de ce travail lrsquoideacutee de laquo substitution raquo sous-

jacente eacutevoqueacutee par Wittgenstein une repreacutesentation sous-deacutetermineacutee nrsquoeacutetant pas (toujours) agrave

consideacuterer comme un substitut drsquoune repreacutesentation deacutetermineacutee

Mentionnons pour finir encore deux acceptions du terme laquo ambiguiumlteacute raquo releveacutees par Le Goffic

(1983 77) celle drsquolaquo incompleacutetude de la signification raquo notamment adopteacutee en analyse

litteacuteraire en psychanalyse ou en seacutemiotique ougrave laquo le potentiel de signification drsquoun eacutenonceacute ou

drsquoun texte nrsquoest jamais eacutepuiseacute raquo Ainsi une seacutequence donneacutee renfermerait un nombre

drsquointerpreacutetations infini Lrsquoauteur eacutevoque enfin une acception de lrsquoambiguiumlteacute situeacutee au niveau

de lrsquoeacutechange discursif appreacutehendeacutee comme le deacutecalage drsquoencodage et de deacutecodage entre le

locuteur et lrsquointerlocuteur on ne peut jamais ecirctre sucircr qursquoil y ait coiumlncidence entre le sens viseacute

par lrsquoun et celui interpreacuteteacute par lrsquoautre Dans ce cas nous ne parlerons pas drsquoambiguiumlteacute mais de

meacuteprise ou de dissension sur le contenu de M

En somme nous pouvons retenir de cette mise au point que lrsquoambiguiumlteacute en linguistique se

distingue de la sous-deacutetermination telle que nous lrsquoentendons par le fait qursquoelle se situe au

niveau seacutemantique et non au niveau reacutefeacuterentiel

34 Ambivalence

Le Goffic (1982) distingue lrsquoambivalence de lrsquoambiguiumlteacute pour les cas qui tout en preacutesentant

une pluraliteacute de significations se precirctent mal agrave lrsquoexclusiviteacute stricte drsquoune interpreacutetation au

deacutetriment de lrsquoautre Dans le cas de lrsquoambiguiumlteacute lrsquoactivation drsquoune signification annule la

possibiliteacute drsquoactiver lrsquoautre (les autres) signification(s) Selon Le Goffic dans certaines

situations il est pourtant difficile de distinguer entre deux interpreacutetations exclusives Il recourt

alors agrave la notion drsquoambivalence pour deacutecrire des cas ougrave des significations a priori distinctes

sont simultaneacutement en vigueur Issu de la psychanalyse le concept deacutesigne laquo la preacutesence

simultaneacutee de deux composantes de sens contraires raquo (p 86) dont le domaine de preacutedilection

est celui des sentiments

Exploiteacutee au niveau seacutemantique la notion permet de faire coexister plusieurs sens en principe

contradictoires soit en les activant chacun dans leur totaliteacute soit en en faisant un produit

mixte ou intermeacutediaire Lrsquoexemple des syllepses peut servir agrave illustrer cela comme dans Il nrsquoy

a pas de diffeacuterence entre un coiffeur et un peintre ils peignent tous les deux (p 93)

lrsquooccurrence peignent du fait de lrsquohomonymie qursquoelle manifeste est susceptible drsquoactiver

simultaneacutement le sens des verbes peindre et peigner Le Goffic eacutevoque encore lrsquoexemple

drsquouniteacutes lexicales agrave lrsquoorigine homonymes dont les sens ont fusionneacute (le verbe errer lt lat

errare et lt lat iterare (p 94) ou enfin le cas de lrsquoadverbe encore dont les valeurs durative et

reacutepeacutetitive peuvent se cumuler (jrsquoeacutecris encore deux pages et je te rejoins) (p 97) Autrement

dit le terme drsquoambivalence est employeacute dans des situations de plurivociteacute ougrave le principe

drsquoalternative ne srsquoavegravere pas adeacutequat Fuchs (1996) parle drsquoailleurs dans ces cas

laquo drsquoindeacutetermination raquo ou de laquo plurivociteacute sans ambiguiumlteacute raquo (p 31) pheacutenomegravene qursquoelle deacutecrit

ainsi

178

Plusieurs significations sont donneacutees agrave comprendre comme co-possibles [hellip] le contexte conduit agrave arrecircter lrsquointerpreacutetation en-deccedilagrave drsquoune distinction trancheacutee entre plusieurs significations de mecircme niveau ce qui est donneacute agrave comprendre se situe agrave mi-chemin entre plusieurs significations participe un peu de toutes neutralise leurs diffeacuterences (p 30)

On peut rapprocher ici la conseacutequence reacutefeacuterentielle des indices seacutemantiques contradictoires de

lrsquoambivalence qui peuvent contribuer agrave eacutevoquer des objets indiscrets (ChI sect33) Neacuteanmoins

la difficulteacute agrave attribuer une valeur reacutefeacuterentielle ne reacutesulte pas du deacutefaut drsquoattributs distinctifs

comme dans les cas de la sous-deacutetermination mais plutocirct drsquoun amalgame de proprieacuteteacutes

contradictoires

35 Interpreacutetation transparente vs opaque

On peut encore relever un cas particulier drsquoambiguiumlteacute dite parfois logique distinguant une

interpreacutetation transparente drsquoune interpreacutetation opaque (Quine 1960)

(220) Nancy veut eacutepouser un Norveacutegien (Fuchs amp Le Goffic 1983 112)

Dans son interpreacutetation transparente lrsquoeacutenonceacute dit de Nancy qursquoelle veut eacutepouser un individu

qui se trouve ecirctre norveacutegien dans une lecture opaque on comprend que Nancy veut devenir

femme-de-Norveacutegien Ces deux significations donnent lieu selon les cadres theacuteoriques

respectifs agrave des formes logiques distinctes de mecircme qursquoagrave des structures profondes

diffeacuterentes On explique geacuteneacuteralement la diffeacuterence drsquointerpreacutetation par le fait que le SN un

Norveacutegien peut ecirctre attribueacute agrave des eacutenonciateurs distincts agrave savoir le locuteur mecircme de

lrsquoeacutenonceacute (1egravere

interpreacutetation) ou le personnage de Nancy lui-mecircme (2e interpreacutetation) Dans le

premier cas on dit que lrsquoexpression est transparente puisqursquoelle laisse transparaicirctre le point

de vue du locuteur (comme dans le ceacutelegravebre Œdipe veut eacutepouser sa megravere) on dit qursquoelle est

opaque lorsque crsquoest lrsquoindividu concerneacute (ici Nancy) qui est responsable de lrsquoemploi du SN

(Charolles 2002 99)

Neacuteanmoins cette explication nrsquoest pas totalement convaincante eacutetant donneacute que lrsquoambiguiumlteacute

du SN un Norveacutegien demeure lorsqursquoil nrsquoy a qursquoun eacutenonciateur comme dans lrsquoeacutenonceacute je veux

eacutepouser un Norveacutegien Il faudrait plutocirct rechercher la source du problegraveme au niveau des types

de verbes concerneacutes et de leur capaciteacute agrave ouvrir des champs drsquointerpreacutetations varieacutes pour les

SN indeacutefinis du type un N En effet si lrsquoon fait par exemple commuter le verbe vouloir+inf

avec le verbe savoir+que P (Nancy sait qursquoelle eacutepouse un Norveacutegien) lrsquoambiguiumlteacute disparaicirct

Malgreacute lrsquointeacuterecirct de la probleacutematique nous laissons aux seacutemanticiens le soin drsquoapprofondir ce

champ drsquoeacutetude tregraves speacutecifique

179

4 Emergence et traitement de la sous-deacutetermination

Dans cette section nous tentons de cerner un certain nombre de facteurs deacuteterminants dans

lrsquoeacutemergence de la sous-deacutetermination (sect41) puis nous examinons le type de ressource

linguistique principale dans lrsquoexpression de la sous-deacutetermination agrave savoir la sous-

speacutecification seacutemantique (sect42) Pour finir nous preacutesentons quelques pistes sur le traitement

cognitif de ce type drsquoinformation (sect43)

41 Motivations de la sous-deacutetermination

On peut srsquointerroger sur les causes de lrsquointroduction en M drsquoune repreacutesentation sous-

deacutetermineacutee Crystal amp Davy (1975 111-112) mettent au jour un certain nombre de facteurs

pour expliquer le laquo vague lexical raquo dont ils constatent la freacutequence dans les conversations

familiegraveres et qursquoils jugent partie inteacutegrante du genre discursif Ils distinguent ainsi

a) La perte de meacutemoire

b) Lrsquoabsence de deacutenomination adeacutequate ou ignorance de la deacutenomination

c) Lrsquoabsence de pertinence de la preacutecision eacutetant donneacute le sujet de conversation

d) Le choix deacutelibeacutereacute drsquoun terme impreacutecis pour maintenir lrsquoatmosphegravere deacutecontracteacutee

Il nous semble que ces paramegravetres intuitifs peuvent ecirctre reacutepartis selon leur caractegravere accidentel

(en gros lrsquoignorance a b) ou strateacutegique (en lien avec la pertinence c d) Les facteurs

proposeacutes par les auteurs relegravevent simplement drsquoun constat geacuteneacuteral sur lrsquoeacutemergence du vague

lexical mais ne sont ni preacutesenteacutes comme le fondement drsquoune typologie eacutelaboreacutee ni

veacuteritablement argumenteacutes ni systeacutematiquement illustreacutes Il nous semble ainsi que cette liste

pourrait servir de base agrave une typologie plus rigoureuse coupleacutees agrave quelques-uns des

rendements mis au jour par Beacuteguelin (1997a et b) Nous proposons donc drsquoexaminer quelques

exemples reacuteveacutelateurs drsquoautres aspects deacuteterminants

(221) - Sous preacutetexte que jrsquoavais laisseacute entrer quelqursquoun qui ne faisait pas partie du

personnel votre ami Walter en lrsquooccurrence ils mrsquoont menaceacute de me licencier en

invoquant une faute professionnelle grave nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Mais qui ccedila laquo ils raquo nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Ceux qui financent lrsquoobservatoire notre gouvernement nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Enfin Martyn cette visite eacutetait parfaitement anodine et puis Walter et moi sommes

tous deux membres de lrsquoAcadeacutemie cela nrsquoa aucun sens (M Levy La premiegravere nuit

p 239-240)

Le locuteur de la premiegravere reacuteplique recourt au pronom sous-speacutecifieacute ils pour eacutevoquer lrsquoagent

impliqueacute dans un procegraves soit qursquoil juge agrave tort en lrsquooccurrence son identiteacute eacutevidente laissant

le soin agrave son interlocuteur de lrsquoinfeacuterer (O2 cf supra ChI sect636) soit qursquoil la juge non

pertinente preacutevenant drsquoeacuteventuels coucircts de deacutecodage (O1) Dans tous les cas il y a divergence

entre les interlocuteurs sur le contenu courant de M eacutetant donneacute la demande drsquoidentification

180

conseacutecutive agrave laquelle le locuteur satisfait mettant un terme agrave lrsquoeacutetat instable ainsi creacuteeacute Au vu

du climat de crainte deacutecrit (le rocircle menaccedilant du reacutefeacuterent) des infeacuterences qursquoon peut tirer agrave

partir de lrsquoidentiteacute reacuteveacuteleacutee apregraves coup du reacutefeacuterent ainsi que du genre discursif il y a de bonnes

raisons de consideacuterer que lrsquoemploi de ils procegravede drsquoune strateacutegie drsquoeacutevitement visant agrave taire le

nom drsquoun reacutefeacuterent jugeacute neacutefaste (conformeacutement agrave O5 pour rappel la sauvegarde des faces)

Dans le mecircme genre lrsquoexemple ci-dessous met en jeu la deacutesignation drsquoun reacutefeacuterent

momentaneacutement sous-deacutetermineacute manifestement eacutegalement au profit de O5

(222) [Quelques jours apregraves lrsquoannonce de la disparition imminente drsquoun hebdomadaire

romand] Depuis quelques jours tout le monde ne parle que de ccedila autour de moi De la

liste La nocirctre Nous sommes comme les autres et jrsquoimagine que ce serait la mecircme

chose dans un autre boulot [hellip] Mais piocher 37 noms crsquoest tellement laid ccedila doit

ecirctre un pari que lrsquoon a perdu sans mecircme savoir de quoi il srsquoagissait (Le Temps 08

feacutevrier 2017 Chronique Ma premiegravere fois)

Ce qui motive le caractegravere drsquoabord sous-deacutetermineacute du reacutefeacuterent deacutesigneacute par ccedila crsquoest son

caractegravere tabou qui srsquoexplique en aval par la reacuteveacutelation de son identiteacute agrave savoir une liste de

noms de personnes agrave licencier Le pronom est visiblement employeacute en laquo deixis

meacutemorielle174

raquo (Fraser amp Joly 1980) crsquoest-agrave-dire qursquoil renvoie agrave un reacutefeacuterent eacutevident dans

lrsquoesprit du locuteur ndash drsquoougrave un effet potentiel drsquoempathie ndash mais non disponible en M au

moment du pointage

Dans lrsquoexemple ci-dessous la locutrice justifie son inteacuterecirct pour les journaux degraves son plus

jeune acircge et deacutesigne dans un discours direct un objet dont elle nrsquoa au moment de

lrsquoeacutenonciation rapporteacutee pas connaisssance

(223) depuis toute petite tu sais il me semble que jai voulu minteacuteresser euh | _ | tout ce quy

avait dans les journaux enfin je prenais le journal je le lisais | | cest quoi ccedila enfin

(ofrom)

Ici lrsquoignorance responsable de la sous-deacutetermination ne se situe pas forceacutement au niveau

lexical seul niveau eacutevoqueacute par Crystal amp Davy (1975) mais probablement au niveau

encyclopeacutedique crsquoest parce que la locutrice ne connaicirct pas au moment du discours mimeacute tel

ou tel sujet concept fait etc eacutevoqueacute dans les journaux qursquoelle utilise les pointeurs crsquo et ccedila

pour le deacutesigner Drsquoailleurs lrsquoemploi de ces deacutesignateurs token-reacuteflexifs surmarquent ici la

discontinuiteacute entre le discours citant et citeacute (Beacuteguelin 1997b) permettant au destinataire

drsquoadopter le point de vue de lrsquoenfant qursquoeacutetait la locutrice au moment des faits rapporteacutes

La sous-deacutetermination en jeu dans lrsquoexemple suivant peut srsquoexpliquer par lrsquoabsence drsquoune

cateacutegorisation adeacutequate existante pour le reacutefeacuterent mais aussi par nonchalance (O2) ou non

pertinence drsquoune eacutetiquette plus speacutecifieacutee (O1)

174

Cf aussi la notion de recognitional deixis de Himmelmann (1996) ou celle drsquoanadeixis de reconnaissance de

Cornish (2010a)

181

(224) donc on a donc on sest deacuteplaceacutes avec nos valises pour trouver notre euh notre hocirctel | _

| et pis euh sinon | _ | apregraves avoir deacuteposeacute les trucs on a petit-deacutejeuneacute (ofrom)

Il est difficile de savoir si lrsquoemploi du SN les trucs ne fait que rappeler lrsquoobjet lsquoles valisesrsquo

anteacuterieurement activeacute ou srsquoil englobe plus de types drsquoobjets (toutes sortes drsquoaffaires

heacuteteacuteroclites par exemple) En tous les cas le N laquo postiche raquo175

a lrsquoavantage de recouvrir

potentiellement un ensemble non speacutecifieacute drsquoobjets contrairement agrave une autre forme lexicale

plus speacutecifieacutee (cf infra sect513) De plus son caractegravere passe-partout est particuliegraverement

avantageux en termes de coucircts drsquoencodage (O2) mais il signale eacutegalement au destinataire

lrsquoinutiliteacute drsquoen infeacuterer davantage (O1)

On remarque ainsi que la sous-deacutetermination peut ecirctre motiveacutee par de nombreux facteurs

susceptibles de se combiner entre eux certains accidentels (meacuteconnaissance du reacutefeacuterent

drsquoune deacutenomination) drsquoautres strateacutegiques (eacuteconomie sauvegarde de la face marquage drsquoune

heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute eacutenonciative ou autres effets de point de vue) Il va de soi que les conditions de

production propres aux diffeacuterents genres discursifs ont un impact sur la preacutesence des

marqueurs de sous-deacutetermination en particulier sur la gestion des causes accidentelles On

sait en geacuteneacuteral que les genres beacuteneacuteficiant de conditions de preacuteparation et supposant des

normes visant agrave preacutevenir des coucircts eacuteleveacutes de deacutecodage eacutevitent autant que possible ce que

drsquoaucuns perccediloivent comme des laquo accidents de performance raquo (cf supra ChI sect631) A

lrsquoinverse les discours produits sur le vif reflegravetent lrsquoeacutetat cognitif courant du locuteur y compris

toutes les laquo instabiliteacutes raquo qursquoil suppose

Ci-dessous lrsquoextrait drsquooral spontaneacute cumule les traces de sous-deacutetermination reacutesultant aussi

bien de causes accidentelles que strateacutegiques qursquoil est par ailleurs parfois difficiles de

distinguer

(225) le domaine lagrave | eacutelectronique lagrave ceacutetait agrave la | _ | 176

| _ | ougrave y a le maintenant le | _ |

comment ccedila sappelle | _ | le centre euh | _ | de recherche et tout ccedila | _ | euh | _ | ils ont

deacutemoli lusine pour construire un autre bacirctiment agrave la place | _ | jai assisteacute agrave

linauguration | de cette fabrique en quarante-sept (ofrom)

Le marqueur laquo spatial raquo lagrave vise manifestement agrave situer dans un espace supposeacute connu un

reacutefeacuterent (lsquole domaine eacutelectroniquersquo) dont la deacutenomination exacte fait deacutefaut (comment ccedila

srsquoappelle) Mais le marqueur convoque plutocirct qursquoune situation geacuteographique lrsquoespace

intersubjectif des interlocuteurs ainsi solliciteacute (cf infra sect524) La lacune lexicale est

visiblement aussi agrave lrsquoorigine de lrsquoemploi drsquoet tout ccedila conseacutecutif agrave la tentative de formulation

du locuteur (le centre de recherche) Outre lrsquoincompleacutetude ou lrsquoapproximation lexicale

lrsquoexpression et tout ccedila contribue agrave eacutevoquer grossiegraverement une classe-objet ie un ensemble

drsquoeacuteleacutements heacuteteacuteroclites rattacheacutes au reacutefeacuterent (eg son nom sa localisation sa fonction etc)

mais dont le contenu deacutetailleacute est jugeacute non pertinent A cela srsquoajoute au niveau interactionnel

175

Cf Kleiber (1987) et Halmoslashy (2006) sur le mot chose 176

Le signe repreacutesente une seacutequence anonymiseacutee remplaccedilant la plupart du temps un nom propre

182

un effet de connivence et tout ccedila servant drsquoappel agrave une repreacutesentation commune (qursquoon

pourrait gloser par tu vois ce que je veux dire je te passe les deacutetails) Pour finir on observe

lrsquousage drsquoun ils renvoyant agrave un agent sous-deacutetermineacute dont lrsquoidentiteacute nrsquoest pas fournie par le

contexte Outre lrsquoignorance potentielle du locuteur agrave cet eacutegard on peut lrsquoexpliquer agrave nouveau

par lrsquoabsence de pertinence de lrsquoidentification En effet agrave la faveur de cette sous-

deacutetermination crsquoest le procegraves deacutecrit agrave savoir la deacutemolition du bacirctiment qui est preacutesenteacute

comme lrsquoinformation pertinente On voit donc que les causes de lrsquoeacutemergence de la sous-

deacutetermination relegravevent de strateacutegies discursives varieacutees et cumulables faisant agrave ce titre de

celle-ci une veacuteritable ressource communicationnelle

Au vu de ces observations nous proposons de classer les motivations de la sous-

deacutetermination de la maniegravere suivante

a) facteurs accidentels lacune lexicale inexistence drsquoune cateacutegorisation lexicale

idoine meacuteconnaissance encyclopeacutedique culturelle ou perceptive du reacutefeacuterent

b) facteurs strateacutegiques i) en lien avec la pertinence reacuteduction des coucircts de

deacutecodage (O1) ou drsquoencodage (O2) gestion de la structure informationnelle ii) en

lien avec lrsquointeraction gestion des faces (O5) intersubjectiviteacute heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

eacutenonciative et effets de point de vue

Preacutecisons que lrsquoopposition entre a) et b) nrsquoest que theacuteorique les marqueurs pouvant relever

des deux types En effet on a vu ci-avant qursquoun marqueur apparaissant en raison drsquoune

instabiliteacute cognitive accidentelle peut par la mecircme occasion ecirctre doteacute de rendements

pragmatiques et interactionnels

42 Sous-speacutecification seacutemantique

Comme on lrsquoa vu agrave travers les exemples preacuteceacutedents les ressources linguistiques couramment

exploiteacutees dans lrsquoeacutemergence de la sous-deacutetermination sont les expressions linguistiques sous-

speacutecifieacutees Preacutecisons agrave cet eacutegard que nous reacuteservons la notion de sous-speacutecification agrave la

description seacutemantique des expressions linguistiques et celle de sous-deacutetermination agrave celle des

objets-de-discours

Rappelons qursquoil est drsquousage en seacutemantique de situer les uniteacutes sur des eacutechelles de

geacuteneacuteraliteacutespeacutecificiteacute et drsquoy reconnaicirctre un degreacute intermeacutediaire dit de base (ou basique) qui

repreacutesente le niveau par deacutefaut et intuitif pour les sujets parlants (Rosch et al 1976) situeacute

entre les niveaux subordonneacute (ou speacutecifique) et superordonneacute (geacuteneacuteral) (cf supra ChII sect24)

Ainsi en va-t-il pour la seacuterie de noms chien (niveau de base) teckel (niveau subordonneacute

terme dit hyponyme) et animal (niveau superordonneacute terme dit hyperonyme) qui manifestent

entre eux des rapports drsquoinclusion seacutemantique le signifieacute du lexegraveme animal est inclus dans

celui du lexegraveme chien lui-mecircme inclus dans celui du lexegraveme teckel (signifieacute le plus speacutecifieacute)

183

La preacutedisposition pour le niveau de base srsquoaccorde bien au niveau pragmatique avec la

maxime de quantiteacute (Grice 1975) qui garantit un eacutequilibre communicationnel issu drsquoun

compromis entre le surplus drsquoinformations drsquoune part et le deacuteficit informationnel drsquoautre part

Il va de soi que tout recours au niveau superordonneacute nrsquoa pas pour effet de produire une

repreacutesentation sous-deacutetermineacutee en M En effet il arrive freacutequemment qursquoun hyperonyme

rappelle un objet deacutejagrave deacutetermineacute sans que celui-ci en perde pour autant ses proprieacuteteacutes

distinctives

(226) A cette eacutepoque Amazone nrsquoeacutetait qursquoun enfant et il habitait pregraves du port de Beacutelem lagrave

ougrave la neige la plus familiegravere eacutetait le coton dont les navires eacutetait chargeacutes Il nrsquoallait pas

encore agrave lrsquoeacutecole il restait agrave la maison avec sa megravere et commenccedilait deacutejagrave agrave jouer sur un

vieux piano qui traicircnait dans la cour et que son pegravere avait reacutecupeacutereacute Dieu sait ougrave

Lrsquoinstrument sonnait faux mais crsquoeacutetait deacutejagrave quelque chose de magique un piano qui

sonnait faux (M Fermine Amazone)

Il en va de mecircme pour les pronoms que contient lrsquoextrait qui sont pour leur part deacutepourvus de

tecircte lexicale (et donc de traits lexicaux inheacuterents) par conseacutequent moins speacutecifieacutes que les SN

lexicaux du point de vue seacutemantique177

leur emploi dans des situations de rappel drsquoobjets

deacutejagrave deacutetermineacutes nrsquoinduit en soi aucune sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle comme on le voit ici

Les expressions sous-speacutecifieacutees qui nous inteacuteressent sont celles qui interviennent dans les cas

de sous-deacutetermination reacutepertorieacutes supra (sect23) ie les cas ougrave la variable qursquoelles introduisent

nrsquoest pas aiseacutement unifiable avec un objet en M celui-ci nrsquoeacutetant pas preacutesent ni facilement

infeacuterable ou alors sa deacutelimitation demeurant indistincte

43 Traitement cognitif de la sous-speacutecification

Au niveau cognitif on peut se demander comment le cerveau humain traite la sous-

speacutecification seacutemantique A lrsquoinstar de la linguistique la psycholinguistique se fonde en

geacuteneacuteral sur un postulat de traitement analytique et rigoureux du langage Cependant un

certain nombre de chercheurs penchent pour une approche plus reacutealiste et pragmatique de

lrsquointerpreacutetation du langage On admet de plus en plus lrsquoideacutee drsquoun traitement superficiel

(shallow processing) dans certaines circonstances pouvant se satisfaire drsquointerpreacutetations sous-

speacutecifieacutees (Sanford amp Sturt 2002) En effet un interpregravete peut se contenter drsquoun traitement

superficiel si lrsquoinformation explicitement communiqueacutee demeure lacunaire ou si une

interpreacutetation complegravete ne vaut pas la peine drsquoecirctre mise en œuvre Il peut manipuler des

repreacutesentations sous-deacutetermineacutees en srsquoabstenant de srsquoengager sur certains aspects du sens On

parle alors de minimal semantic commitment (Frazier amp Rayner 1990) Lrsquoideacutee est qursquoun

allocutaire adaptera son traitement interpreacutetatif en produisant des repreacutesentations

laquo suffisamment bonnes raquo (good enough representations) pour lrsquoobjectif de la communication

177

Rappelons que les pronoms ne sont pas totalement deacutepourvus de sens Leurs traits morphologiques (genre

nombre personne cas etc) notamment comportent des indications seacutemantiques Voir supra ChII sect2

184

en cours autrement dit pour geacuteneacuterer une reacuteaction approprieacutee au stimulus (Ferreira et al

2005) Le but nrsquoest pas de nier lrsquoexistence de traitements analytiques approfondis mais de

doter le processus de compreacutehension drsquoune dimension plus heuristique lui permettant drsquoopeacuterer

plus rapidement (Towsend amp Bever 2001) On reconnaicirct deacutesormais en psycholinguistique que

le systegraveme interpreacutetatif calcule une signification plausible avant mecircme que celle-ci soit

confirmeacutee par les informations explicites Les concepts drsquointerpreacutetation laquo suffisamment

bonne raquo (Ferreira et al 2005) ou de laquo traitement superficiel raquo (Sanford amp Sturt 2002)

illustrent le recours agrave un type drsquoheuristique visant agrave acceacuteder agrave une signification en faisant le

moins drsquoefforts possibles178

Diverses expeacuteriences psycholinguistiques mettant en scegravene des

inconsistances seacutemantiques ou logiques connues sous les noms de Moses illusion (Erickson

amp Mattson 1981) lsquosurvivorsrsquo anomaly (Barton amp Sanford 1993) corroborent lrsquoideacutee drsquoun

traitement rapide et superficiel dans certaines conditions

Il faut preacuteciser que ces reacutesultats portent sur des donneacutees de laboratoire souvent obtenues agrave

partir de stimuli visuels produits dans des conditions rigoureusement controcircleacutees et deacutepouilleacutees

de tout ancrage contextuel Certes crsquoest lagrave une condition neacutecessaire agrave la conduite de toute

eacutetude expeacuterimentale visant agrave veacuterifier telle ou telle hypothegravese au moyen de tests statistiques

appliqueacutes aux donneacutees reacutecolteacutees Mais malgreacute une volonteacute louable de deacutecrire de maniegravere plus

reacutealiste le traitement du sens par les interpregravetes lrsquoapproche demeure paradoxalement eacuteloigneacutee

des usages reacuteels et des conditions accidentelles et strateacutegiques (cf supra sect41) qui favorisent

la sous-deacutetermination

Drsquoautre part la perspective se concentre uniquement sur la tacircche drsquointerpreacutetation et ne

considegravere pas le processus de production ougrave des strateacutegies de simplification sont

manifestement aussi agrave lrsquoœuvre Enfin lrsquoapproche part implicitement du principe que le

traitement superficiel deacutepend du seul niveau seacutemantique (cf les inconsistances seacutemantiques

proposeacutees dans les stimuli respectifs179

) elle nrsquoenvisage pas le fait qursquoune telle interpreacutetation

puisse reacutesulter de la nature mecircme des reacutefeacuterents en tant que constructions cognitives

potentiellement floues et indistinctes (Berrendonner 2014) Comme toujours agrave deacutefaut de

pouvoir acceacuteder directement aux repreacutesentations discursives des interlocuteurs drsquoune

interaction (Grize 1993) nous sommes sur ce point reacuteduits en tant que linguistes agrave faire des

hypothegraveses agrave partir des indices lacunaires dont nous disposons Crsquoest neacuteanmoins la tacircche que

nous nous efforccedilons de poursuivre dans ce travail

178

Ces concepts gagneraient agrave ecirctre rapprocheacutes de la notion de pertinence de Sperber amp Wilson (1986) 179

Cf laquo How many animals of each sort did Moses put on the ark raquo (Erickson amp Mattson 1981)

laquo After an aircrash where should the survivors be buried raquo (Barton amp Sanford 1993) laquo If you donrsquot break the

rules then Irsquoll tell the authorities raquo (Fillenbaum 1974) laquo The dog was bitten by the man raquo (Ferreira et al 2005)

185

5 Inventaire des moyens drsquoexpression de la sous-deacutetermination

Apregraves avoir deacutefini ce que nous entendions par sous-deacutetermination deacutelimiteacute lrsquoobjet drsquoeacutetude et

deacutegageacute les conditions favorables et les meacutecanismes agrave lrsquoœuvre dans son eacutemergence nous nous

proposons drsquoexaminer les ressources linguistiques agrave travers lesquelles elle se manifeste dans

des genres varieacutes Cette section contient donc un inventaire des moyens drsquoexpression agrave la

disposition des usagers Rappelons que nous nous inteacuteressons exclusivement aux opeacuterations

de pointage reacutefeacuterentiel (et non drsquointroduction) (cf supra ChI sect635) dans le cadre desquelles

surgit un obstacle agrave lrsquounification de la variable introduite avec un objet valide en M drsquoune

part lrsquoobjet viseacute peut ecirctre absent soit momentaneacutement (verseacute en M lors drsquoune eacutetape

ulteacuterieure) (i) soit il doit ecirctre infeacutereacute de maniegravere non fiable eacutetant de ce fait susceptible drsquoecirctre

incarneacute par toute une gamme de reacutefeacuterents potentiels (ii) drsquoautre part lrsquoobjet peut ecirctre valide

mais ses frontiegraveres et sa composition exhaustive demeurent incertaines (iii)

Notre inventaire est organiseacute selon un critegravere lexical distinguant drsquoune part les ressources

lexicales (bien que sous-speacutecifieacutees) dont la signification se compose de traits conceptuels

inheacuterents (sect51) drsquoautre part les ressources non lexicales (sect52) deacutepourvues de ce type de

traits et dont la signification peut ecirctre deacutecrite comme fonctionnelle Il faut noter que la

distinction entre lexegravemes et morphegravemes (entendu grammaticaux) nrsquoest de loin pas toujours

claire comme le souligne Martinet (1967) certains eacuteleacutements relevant agrave la fois du lexique et de

la grammaire (il donne lrsquoexemple des preacutepositions pour ou avec) Crsquoest selon le linguiste

lrsquoaspect fonctionnel qui fait basculer un eacuteleacutement du cocircteacute des morphegravemes (grammaticaux)

(ibid 112)180

Nous verrons que cette distinction a ses limites notamment dans le cas des

termes postiches (sect513) Neacuteanmoins elle se montre suffisamment pertinente pour notre

propos qui est de fournir une vue drsquoensemble sur les ressources disponibles

51 Ressources lexicales

511 Hyperonymes

Nous avons deacutejagrave eacutevoqueacute supra (sect42) la possibiliteacute de classer hieacuterarchiquement les uniteacutes

lexicales en termes drsquoinclusion seacutemantique et en distinguant diffeacuterents degreacutes de speacutecification

entre celles-ci Ainsi les hyperonymes ou termes superordonneacutes se caracteacuterisent par une sous-

speacutecification lexicale par rapport agrave leurs subordonneacutes ou hyponymes Leur sens est inclus

dans celui de ces derniers qui se montrent seacutemantiquement plus eacutetoffeacutes A lrsquoinverse

lrsquoextension des hyperonymes est plus large que celle de leurs hyponymes elle recouvre des

entiteacutes moins homogegravenes que celle des hyponymes (cf la diffeacuterence supra entre instrument vs

piano) Lrsquoexemple suivant met en jeu lrsquohyperonyme acte dans lrsquoexpression passer agrave lrsquoacte

180

Neacuteanmoins il existerait selon Martinet un critegravere distributionnel les lexegravemes apparaicirctraient agrave des places

susceptibles drsquoecirctre remplies par des classes ouvertes drsquoitems tandis que les morphegravemes grammaticaux

appartiendraient agrave des classes limiteacutees (ibid 119)

186

(227) laquo Mathieu est passeacute agrave lrsquoacte le pire moment de ma vie raquo (titre drsquoun article

httpwwwlapressecala-tribune 15112016)

La ritualisation du rendement eupheacutemique de lrsquoexpression passer agrave lrsquoacte fournit quelques

pistes drsquointerpreacutetation (eg la preacutedilection pour les domaines de la violence ou de la

sexualiteacute) mais il demeure agrave partir du titre impossible drsquoattribuer une valeur stable au

reacutefeacuterent eacutetant donneacute la diversiteacute des candidats potentiels (agression meurtre suicide acte

sexuel radicalisation etc) Outre son rendement eupheacutemique lrsquoexpression par ailleurs

imputeacutee agrave une instance eacutenonciative distincte de celle du journaliste vise agrave creacuteer un effet

drsquoattente auquel le contenu de lrsquoarticle met fin en reacuteveacutelant le type drsquoacte en question agrave savoir

le suicide drsquoun adolescent

Dans la reacutefeacuterence aux humains on peut mentionner lrsquoemploi du SN les gens le N gens

englobant dans son extension toutes sortes de sous-cateacutegories potentielles Cappeau amp

Schnedecker (2014) font lrsquohypothegravese drsquoune eacutevolution des SN les gens des gens vers un statut

pronominal au vu des reacuteanalyses auxquelles ils donnent lieu les inteacutegrant au paradigme des

pronoms indeacutefinis du franccedilais Dans lrsquoexemple ci-dessous il nrsquoest pas eacutevident de deacutecider si le

SN renvoie agrave un ensemble heacuteteacuterogegravene (les gens qursquoils croisaient quels qursquoils soient) ou agrave

lrsquoinverse srsquoil convient drsquoinfeacuterer une communauteacute particuliegravere agrave partir du contexte (les

eacutelegraveves les instituteurs)

(228) tandis que mon mari | _ | qui avait neuf ans de plus que moi | _ | entre eux et les

parents ils parlaient le patois depuis tout petits | _ | et quand ils ont eacuteteacute agrave leacutecole ils ont

eu beaucoup de peine | _ | et les gens ils se moquaient deux des fois | _ | parce que ils

avaient peine agrave parler franccedilais (ofrom)

Le SN ne semble toutefois pas requeacuterir un traitement plus approfondi laissant par lagrave mecircme le

reacutefeacuterent sous-deacutetermineacute

512 N sous-speacutecifieacutes laquo capsules raquo

On peut distinguer des hyperonymes les laquo noms sous-speacutecifieacutes raquo (Legallois 2006 2008) drsquoun

autre type appeleacutes aussi noms laquo capsules raquo (shell nouns lt Schmid 1997 2000) ou encore

laquo labels raquo (Francis 1994) parmi lesquels181

on trouve pour le franccedilais des noms comme ideacutee

objectif conseil aspect reacutesultat souhait fait chose problegraveme raison conseacutequence182

etc

Contrairement aux hyperonymes ces noms ne srsquoinscrivent pas au sein drsquoune hieacuterarchie

lexicale telle que les degreacutes de Rosch et al (1976) reposant sur des rapports drsquoinclusion

seacutemantique et leur interpreacutetation ne passe pas par la reconnaissance de traits prototypiques

assurant agrave ceux-ci une certaine stabiliteacute conceptuelle (Legallois 2008)

181

Pour un recensement sur un corpus journalistique voir Legallois (2008) 182

A noter que la plupart de ces termes sont polyseacutemiques et qursquoils nrsquoentrent pas dans cette cateacutegorie dans tous

leurs emplois (cf le mot chose qui peut fonctionner comme N postiche cf infra)

187

Pour deacutelimiter la cateacutegorie des noms sous-speacutecifieacutes Legallois (2006 2008) exploite le critegravere

drsquooccurrence dans des structures laquo speacutecificationnelles raquo ie des constructions du type N

(crsquo)ecirctre de infque P comme dans lrsquoobjectif est dequehellip 183

(229) Leur ideacutee a eacuteteacute de dresser le laquo portrait-robot raquo du patron performant (Libeacuteration lt

Legallois 2008)

Ce type de constructions vise agrave speacutecifier le N en question agrave travers la P qursquoil introduit

constituant agrave cet eacutegard sa laquo reacutealisation lexicale raquo (Winter 1992) Ces constructions ne sont

cependant pas celles qui nous inteacuteressent eacutetant donneacute que la P infinitive fournit justement

lrsquoidentiteacute reacutefeacuterentielle au SN leur ideacutee au sein drsquoune mecircme clause Mais une part de sous-

deacutetermination peut surgir dans le cas ougrave le SN renvoie par exemple selon le type (iii) agrave un

sous-graphe deacutejagrave preacutesent en M (sect634) comme ci-dessous

(230) Nous avons encore tous et toutes en meacutemoire les images graves du tremblement de

terre catastrophique de janvier en Haiumlti et nous savons que les habitants de ce pays

auront besoin drsquoaide encore tregraves longtemps Dans cet esprit le Deacutepartement de

Chimie de notre Universiteacute a pris linitiative dorganiser deux eacuteditions speacuteciales de son

spectaculaire cours expeacuterimental Harry Potter et le tournoi magique en faveur des

victimes du tremblement de terre (courrier eacutelectronique adresseacute agrave la communauteacute

universitaire 05022010)

Le SN cet esprit renvoie agrave lrsquoeacutetat mental ndash via sa composante lexicale ndash reacutesultant des

informations eacutevoqueacutees par le contexte preacutealable agrave savoir le souvenir des eacuteveacutenements en

question et la conscience du besoin drsquoaide qui en deacutecoule Il embrasse et construit par

anaphore reacutesomptive sous cette laquo eacutetiquette raquo (cf le terme laquo label raquo de Francis 1994) un

ensemble drsquoobjets heacuteteacuterogegravenes et de relations entre eux dont les limites ne sont pas poseacutees a

priori En outre il engage un positionnement meacutetadiscursif et argumentatif du locuteur

visible notamment dans son rocircle de connecteur conseacutecutif (dans cet esprit)

La capaciteacute drsquolaquo encapsulation raquo (Conte 1996) drsquolaquo empaquetage raquo ou drsquolaquo emballage raquo

(Legallois 2008) reacutesomptif susceptible de veacutehiculer un point de vue (Schmid 2001) ou un

aspect eacutevaluatif (Legallois 2008) a eacuteteacute maintes fois releveacutee dans la litteacuterature (Francis 1994

Conte 1996 Flowerdew 2003 Flowerdew amp Forest 2015) Lrsquoune des speacutecificiteacutes du proceacutedeacute

reacutefeacuterentiel releveacutee par Schmid (1997) est le caractegravere temporaire de la laquo reacuteification raquo opeacutereacutee

presque exclusivement deacutependante du contexte eacutetant donneacute que lrsquoidentification srsquoaffranchit

dans ce cas du recours agrave des traits stables du signifieacute Crsquoest ce qui fait dire agrave Legallois (2008)

que le locuteur libeacutereacute des contraintes seacutemantiques agit avec les N sous-speacutecifieacutes en

laquo deacutemiurge raquo opeacuterant agrave sa guise des cateacutegorisations drsquoobjets des laquo fictions raquo creacuteeacutees en

discours laquo libre de cateacutegoriser ce qursquoil veut comme il veut raquo

183

Cf aussi les contextes drsquoapparition de Schmid (2000 22) pour les shell nouns en anglais N-that N-to N-

wh th-N th-be-N (nous reprenons sa notation)

188

A notre avis cette vision des objets construits par le discours et cateacutegoriseacutes agrave leur guise par

les sujets parlants vaut au-delagrave des emplois de noms sous-speacutecifieacutes ou autres meacutetaphores elle

caracteacuterise le fonctionnement de tous les proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels Ainsi lrsquoemploi de tout SN

reacutefeacuterentiel eacutevoque au moyen de ses traits seacutemantiques inheacuterents (certes en partie influenceacutes

par le monde exteacuterieur) une repreacutesentation discursive faccedilonneacutee par le locuteur laquo deacutemiurge raquo

Autrement dit lrsquousage des N sous-speacutecifieacutes ne doit pas ecirctre vu comme un cas particulier de la

creacuteativiteacute discursive du locuteur comme le suggegravere Legallois (2008) mais il confirme au

contraire le veacuteritable rocircle joueacute par le locuteur dans les opeacuterations de reacutefeacuterence en geacuteneacuteral

La caracteacuteristique des noms laquo capsules raquo reacuteside agrave nos yeux dans la preacutesence drsquoune

cateacutegorisation lexicale un peu particuliegravere conformeacutement aux vertus laquo reacuteifiantes raquo des N en

geacuteneacuteral (Schmid 1997) elle confegravere agrave lrsquoobjet une certaine coheacutesion sous couvert drsquoun point de

vue mais en eacutetant sous-speacutecifieacutee elle est par deacutefinition dans lrsquoincapaciteacute de deacutelimiter

clairement celui-ci Il sera inteacuteressant de mettre cette situation en perspective avec lrsquousage de

ressources non lexicales ayant un fonctionnement semblablement reacutesomptif (les pronoms ccedila

le en y (sect522)) ie capables de syntheacutetiser un mecircme sous-graphe de M sans pour autant

cateacutegoriser celui-ci

513 Termes postiches

Une cateacutegorie de termes sous-speacutecifieacutes se distingue enfin des preacuteceacutedentes par le fait que ses

membres ne srsquoinscrivent ni dans une hieacuterarchie lexicale ni dans un fonctionnement

drsquolaquo encapsulation raquo Bien que drsquoapparence laquo lexicale raquo (ou laquo semi-lexicale raquo Mihatsch 2006)

leur caracteacuteristique reacuteside dans leur emploi passe-partout en lieu et place de lexegravemes plus

speacutecifieacutes184

drsquoougrave la qualification de termes laquo postiches raquo ou laquo vicaires raquo Parmi ceux-ci on

relegraveve par exemple les N chose machin truc bidule zinzin schmilblick185

etc

Les

motivations principales de leur emploi semblent ecirctre la volonteacute de cryptage (par eupheacutemisme

par exemple) lrsquoindiffeacuterence drsquoune speacutecification (le N fonctionnant comme free choice item)

un deacuteficit lexical la complexiteacute du concept qursquoil laquo remplace raquo ou lrsquoinsignifiance du reacutefeacuterent

Les paroles drsquoune chanson drsquoHenri Degraves ci-dessous combinent ces diverses finaliteacutes ougrave un

papa-expert est mis en scegravene dans les reacuteponses qursquoil donne invariablement agrave son enfant sur

des questions drsquoordre technique (eg comment crsquoest fait dans un piano dans une fuseacutee

etc )

(231) Crsquoest le prsquotit zinzin qui passe par ici et qui va toucher le prsquotit machin et le prsquotit

machin qui repasse par lagrave et qui fait marcher le prsquotit zinzin (refrain de la chanson Dis

papa Henri Degraves)

184

Pour une description de ces noms postiches en lieu et place de noms propres voir Kerbrat-Orecchioni (2010)

et Schnedecker (2011) 185

La liste est vraisemblablement restreinte mais nous nrsquoexcluons pas des variantes de type reacutegional voire

drsquoautres types de variantes (idiosyncrasiques par exemple) A noter eacutegalement que certains items peuvent se

combiner (dans divers ordres) truc-machin-chose truc-bidule-chouette etc Il faut encore ajouter qursquoils ne

commutent pas aleacuteatoirement et possegravedent donc des conditions drsquoemploi variables A cet eacutegard voir les analyses

de Kleiber (1987) Halmoslashy (2006) Mihatsch (2006) Bidaud (2015)

189

Lrsquoeffet humoristique de la chanson repose notamment sur le proceacutedeacute parodique auquel

participent les termes postiches visant agrave ridiculiser le discours pseudo-savant du pegravere Il

repose surtout agrave la fin sur le caractegravere tabou de la derniegravere question du fils qui interroge son

pegravere sur la maniegravere de faire les beacutebeacutes La reacuteponse reste toujours la mecircme mais lrsquoembarras est

alors bien perceptible agrave lrsquooreille (raclement de gorge timbre et intensiteacute de la voix etc) On

peut consideacuterer que les deacutenominations postiches sont employeacutees en lieu et place dans un

premier temps de termes techniques compliqueacutes dont le pegravere ignore peut-ecirctre le nom ou dont

ils soulignent la futiliteacute dans un second temps en lieu et place de termes tabous autour du

mystegravere de la sexualiteacute Dans tous les cas il reste difficile drsquoen infeacuterer une identiteacute ou une

deacutenomination univoques en raison de leur occultation deacutelibeacutereacutee

52 Ressources non lexicales

521 Anaphores zeacutero

Il arrive que lrsquoinstruction reacutefeacuterentielle soit exprimeacutee au travers drsquoun laquo deacutesignateur raquo zeacutero

Crsquoest le cas par exemple avec des verbes transitifs dont le compleacutement nrsquoest pas reacutealiseacute laquo en

surface raquo

(232) [la locutrice 82 ans raconte agrave sa petite-fille ses souvenirs de famille] je faisais des

tartines pour euh | _ | enfin pour toute leacutequipe quoi | _ | et pis agrave la reacutecreacute ben ils

venaient au | | _ | pis une fois que quand ceacutetait passeacute que ceacutetait le | _ | quand | 186

|

allait arriver alors lagrave | _ | alors lagrave | _ | tout le monde fi filait parce quentre deux ils

avaient fait des crasses | _ | ils avaient casseacute des fenecirctres tu vois enfin | _ | je trsquoexplique

Oslash un peu en gros | _ | tes pas obligeacute de tout dire hein | _ | enfin voilagrave quoi (ofrom)

Le reacutegime direct du verbe expliquer nrsquoa pas ici de reacutealisation lexicale Outre lrsquoimplication

seacutemantique drsquoun actant187

lrsquoeacuteleacutement zeacutero donne lrsquoinstruction drsquounifier sa variable avec un

objet valide en M ici un sous-graphe de M deacutejagrave introduit ou en cours drsquointroduction dont la

nature aussi bien que les limites demeurent largement sous-deacutetermineacutees

Schnedecker (2014) relegraveve la disposition des anaphores zeacutero agrave apparaicirctre dans les recettes de

cuisine aptes agrave renvoyer agrave des reacutefeacuterents peu identifiables

(233) Mettre les leacutegumes (peleacutes et en cubes) le whisky et le bouillon dans une casserole

Couvrir Oslash drsquoeau et porter Oslash agrave eacutebullition Laisser cuire Oslash agrave feu moyen pendant 30

minutes

Retirer les clous de girofle et les graines de cardamome verte nnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Passer la preacuteparation au mixer hors du feu nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Une fois mixeacutee mettre la preacuteparation sur feu doux ajouter les eacutepices et le beurre nnnn

Laisser cuire Oslash au minimum 15 min (Plus ccedila mijote meilleur crsquoest ) nnnnnnnnnnnnn

Saler Oslash et poivrer Oslash agrave votre goucirct nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

186

Pour rappel signe drsquoanonymisation 187

Cf les emplois absolus du type Il y a toute une population qui casse pour casser (Noailly 1997)

190

Vous pouvez servir Oslash avec des croucirctons au beurre et des copeaux de parmesan

(texte 3 lt ibid 31)

Les formes zeacutero reacutefegraverent reacuteguliegraverement au reacutesultat de meacutelanges ou autre processus propres au

domaine en question (ibid) Le fait que les anaphores zeacutero puissent renvoyer agrave des objets mal

deacutelimiteacutes remet notamment en cause ndash ou du moins nuance ndash lrsquoideacutee qursquoelles encodent une

accessibiliteacute eacuteleveacutee ou autre faciliteacute de traitement (Ariel 1988 1990)

522 Pronoms conjoints

5221 Pronoms sujets ccedila ils

Le pronom clitique sujet ccedila (ou la forme ce devant le verbe ecirctre) possegravede une flexibiliteacute

reacutefeacuterentielle remarquable lui permettant de renvoyer agrave toutes sortes drsquoobjets (cateacutegoriseacutes ou

non animeacutes ou non etc) dans des circonstances tregraves diverses Nous nous limitons ici agrave un

aperccedilu de ces possibiliteacutes et renvoyons pour le reste infra (ChIV sect2) et aux nombreux travaux

consacreacutes agrave la question (Porquier 1972 Maillard 1989 1994 Cadiot 1988 Corblin 1991

Carlier 1996 etc) Le clitique ccedila srsquoutilise reacuteguliegraverement avec des preacutedicats agrave agent animeacute

pour mettre en eacutevidence un procegraves laquo deacutepourvu drsquoagent assignable raquo (Maillard 1985) Il se

rapproche en cela drsquoun emploi impersonnel (Maillard 1985 1989 1994)

(234) Ici crsquoest Fribourg Ccedila jase au bord de la Geacuterine Et ces remous ont pour effet de

pimenter la campagne eacutelectorale agrave Marly Leur cause le refus de la coopeacuterative locale

CRIC-Print drsquoimprimer 6000 tracts de lrsquoUDC marlinoise en vue des eacutelections

communales du 28 feacutevrier (La Liberteacute 040216 chapeau drsquoun article intituleacute Une

entreprise refuse de travailler pour lrsquoUDC)

Maillard (1991) explique que lrsquoemploi de ccedila au deacutetriment drsquoun on indeacutefini est favoriseacute par la

concurrence de lrsquoemploi personnel de ce dernier (asymp nous) Plus que on ccedila permet drsquoocculter

lrsquoagentiviteacute du verbe en placcedilant le procegraves au centre de lrsquoattention Selon Maillard (1985) on

peut consideacuterer ce genre de construction comme un eacutenonceacute theacutetique dans le sens ougrave il pose

lrsquoexistence drsquoun objet qui devient degraves lors disponible comme thegraveme pour une preacutedication

successive188

Crsquoest drsquoailleurs ce qursquoil se passe par la suite les lsquojaseriesrsquo se voyant rappeleacutees

meacutetaphoriquement via ces remous comme thegraveme du propos qui suit Selon cette analyse la

variable introduite par ccedila demeure une variable sous-deacutetermineacutee ie dont lrsquoinstanciation nrsquoest

pas reacutealiseacutee On peut donc se demander dans ce cas si cela fait encore sens de parler de

deacutesignateur (cf le cas du il dit impersonnel)

Outre sa productiviteacute dans laquo lrsquoimpersonnalisation raquo de verbes agrave agent animeacute (Maillard 1994)

lrsquoemploi de ccedila est un bon moyen de rendre compte drsquoune reacutefeacuterence indistincte lieacutee agrave un

contexte eacutenonciatif speacutecifique

188

Une construction theacutetique srsquooppose agrave une construction dite cateacutegorique dont la composition est binaire

constitueacutee drsquoun sujet et drsquoun preacutedicat ou en des termes informationnels drsquoun thegraveme et drsquoun rhegraveme

191

(235) [agrave propos drsquoun funiculaire muni de contrepoids agrave eaux useacutees] une fois jai | _ | je lai

pris pis y avait des Genevois qui eacutetaient en | _ | je sais pas genre en deacutecouverte ici pis

ils font | _ | mais | _ | ccedila pue | _ | quest-ce que cette odeur | _ | cest les eacutegouts | _ | cest

la merde | merde | pis apregraves jai | _ | jai dit ouais ben | _ | ccedila marche aux eacutegouts (ofrom)

Il faut tout drsquoabord noter que les deux occurrences de ccedila interviennent dans un discours direct

et qursquoelles donnent lieu agrave la faveur de leur token-reflexiviteacute agrave une reacutefeacuterence agrave interpreacuteter en

lien eacutetroit avec la situation drsquoeacutenonciation celle rapporteacutee par lrsquoeacutenonciateur citant Elles

srsquoinscrivent ainsi dans le jeu de mime du discours reproduit (Beacuteguelin 1997b) La premiegravere

occurrence de ccedila renvoie agrave lrsquoeacutemanation de la situation rapporteacutee dont lrsquoorigine est inconnue

et difficilement descriptible pour les eacutenonciateurs Srsquoensuivent quelques hypothegraveses des

eacutenonciateurs citeacutes visant agrave cateacutegoriser lrsquoodeur perccedilue au moment en question (crsquoest les eacutegouts

crsquoest la merde)

La seconde occurrence de ccedila sujet du verbe marcher reacutefegravere agrave un objet manifestement eacutetabli

en M dans le deacuteroulement de lrsquoeacutenonciation reproduite agrave savoir le funiculaire On peut degraves

lors se demander pourquoi la locutrice privileacutegie lrsquoemploi de ccedila au deacutetriment drsquoun il

supposant une classification deacutejagrave attribueacutee On peut faire lrsquohypothegravese que le preacutedicat

srsquoapplique au type dont on a eacutevoqueacute un ressortissant perceptible voire agrave sa classe

extensionnelle Ou alors le pronom ccedila vise agrave englober plus que le veacutehicule via sa capaciteacute

meacutetonymique (Corblin 1987b) par exemple lrsquoensemble complexe de son meacutecanisme plus

que le veacutehicule crsquoest le dispositif en place dont on deacutecrit le fonctionnement (aux eacutegouts)

qursquoil est difficile drsquoenvisager de maniegravere deacutelimiteacutee

Aux cocircteacutes de ccedila on peut ajouter le clitique ils reacuteguliegraverement employeacute dans des constructions

voueacutees agrave preacutesenter un procegraves dont lrsquoagent reste sous-deacutetermineacute

(236) Le dernier plaisir de ce fossile vivant consistait agrave deacutecortiquer une ou deux gambas Il

en mangeait dailleurs de moins en moins car la cuisine agrave lhuile ne lui reacuteussissait

pas Pauvre Tanabe Bientocirct tu seras accueilli au nirvana ils ont installeacute agrave lentreacutee

un stand de gambas frites ougrave tu te goinfreras agrave lœil et lagrave pas trop dhuile (Eric Faye

Nagasaki p17)

Contrairement agrave lrsquoemploi traditionnellement deacutecrit du clitique de 3e personne lrsquousage de la 6

e

personne apparaicirct ici ex nihilo sans reacuteel signe preacutecurseur de lrsquoexistence drsquoun reacutefeacuterent

preacutealable Tout au plus peut-on infeacuterer qursquoil srsquoagit drsquooccupants dudit lieu (le nirvana) mais

leur identiteacute nrsquoen est pas davantage infeacuterable Nous reviendrons largement sur le cas de ces

expressions deacutedieacutees agrave la reacutefeacuterence des agents sous-deacutetermineacutes dans les deux derniers chapitres

de ce travail

5222 Pronoms reacutegimes le y en

Un peu agrave la maniegravere de ccedila les clitiques reacutegimes le y et en sont susceptibles de renvoyer agrave des

entiteacutes non classifieacutees ie qui ne possegravedent pas de deacutenomination conventionnelle en

192

particulier des objets de type lsquoprocegravesrsquo eacutevoqueacutes par les constructions verbales Les diffeacuterentes

formes correspondent agrave leur flexion en cas respectivement agrave lrsquoaccusatif pour le au locatif

pour y189

et agrave lrsquoablatif pour en190

Le pointage peut opeacuterer sur des objets plus complexes comme on lrsquoa deacutejagrave vu supra (sect23 ex

(214)) reacutefeacuterant sur le mode reacutesomptif agrave un sous-graphe de M deacutejagrave valide en M mais dont la

deacutelimitation reste indistincte Cela nuance la caracteacuterisation souvent suppleacutetive qui est faite de

ce type de pronom191

Ainsi en va-t-il eacutegalement de lrsquoexemple suivant

(237) je vais vous raconter ce qui mest arriveacute le le quatre en- avril quatre-vingt-huit + ceacutetait

pas sympa + jarrivais de vacances ceacutetait sympa pour moi mais pas pour + pas pour

elle + jeacutetais parti seul + je sais pas comment je je v- + vais faire pour vous le raconter

mais + mais je vais essayer quand mecircme (crfp)

Cet exemple consiste en lrsquoouverture drsquoun eacutepisode narratif explicitement preacutesenteacute comme tel

par le locuteur (je vais vous raconterhellip) A la fin de lrsquoextrait le locuteur interrompt le deacutebut

de son histoire par un commentaire agrave fonction meacutetadiscursive consistant agrave eacutemettre des doutes

sur ses compeacutetences narratives Crsquoest agrave ce moment qursquoapparaicirct le clitique le objet du verbe

raconter Dans une vision substitutive le pronom le serait vraisemblablement consideacutereacute

comme un repreacutesentant du compleacutement ce qui mrsquoest arriveacute le quatre avril quatre-vingt-huit

Or dans une approche constructiviste du discours on interpreacutetera de preacutefeacuterence le pronom le

comme renvoyant agrave lrsquoeacuteveacutenement en cours de narration Certes il srsquoagit bien de lrsquoobjet

annonceacute via ledit compleacutement mais le pronom tient eacutegalement compte de son eacutevolution au fil

du discours en lrsquooccurrence des eacutevaluations eacutemises agrave son propos (sympa pour moi pas pour

elle) ainsi que de lrsquoeacutelaboration de la premiegravere eacutetape narrative (jrsquoeacutetais parti seul) Lrsquoobjet en

question est donc en cours drsquoeacutelaboration au moment ougrave le locuteur y fait reacutefeacuterence par

anticipation A cet eacutegard on peut consideacuterer le fonctionnement du pronom comme ana-

cataphorique (Kęsik 1989 79) non pas dans un sens textualiste mais dans un sens cognitif

il donne lrsquoinstruction drsquoidentifier sa variable avec un objet encore partiellement introduit en M

partant en attente de deacuteterminations ulteacuterieures (Johnsen 2008 2014a)

5223 Pronoms reacutegimes dans les laquo aphorismes lexicaliseacutes raquo

Certains pronoms clitiques reacutegimes ont la particulariteacute drsquoapparaicirctre dans des locutions

verbales du genre srsquoy mettre (asymp commencer) srsquoen sortir (asymp reacuteussir) la fermer (asymp se taire) se

les cailler (asymp avoir froid) etc (Beacuteguelin 2014a) Lrsquoanalyse accordeacutee agrave ces lexies ne recourt

pratiquement jamais agrave la notion de reacutefeacuterence probablement parce qursquoon les considegravere comme

des laquo idiomatismes raquo lexicaliseacutes dont le sens serait compositionnellement inanalysable (ibid

189

Le clitique y fonctionne eacutegalement au datif je lui ressemble vs jrsquoy ressemble Drsquoautre part le terme locatif

nrsquoa pas drsquoimplication seacutemantique y pouvant renvoyer agrave autre chose qursquoun lieu Crsquoest une simple eacutetiquette

casuelle 190

Le clitique en fonctionne eacutegalement agrave lrsquoaccusatif avec un sens partitif (eg jrsquoen ai bu) 191

Voir par ex Riegel et al (2009 369) laquo La forme invariable le repreacutesente un groupe verbal (compleacutement du

verbe faire) une proposition ou un attribut [hellip] raquo

193

156) Beacuteguelin examine neacuteanmoins les circonstances favorisant lrsquoeacutemergence de ce genre

drsquolaquo aphorismes192

lexicaliseacutes raquo qui proviennent agrave lrsquoorigine de situations reacutefeacuterentielles Elle

relegraveve agrave cet eacutegard des cas inteacuteressants de double analyse ougrave le clitique peut srsquointerpreacuteter

tantocirct de maniegravere reacutefeacuterentielle tantocirct de maniegravere laquo autarcique raquo (ibid 139 terme emprunteacute agrave

Damourette amp Pichon 1911-1946 VI) Nous avons eacutegalement rencontreacute ce type de situation

(238) il a mis tout de mecircme une bonne cinquantaine drsquoanneacutees agrave se ruiner dans lrsquoeacutedition et

encore il est pas ruineacute il srsquoen est tireacute assez bien (ctfp)

Dans cet exemple le clitique locatif en peut renvoyer agrave la situation deacutesastreuse eacutevoqueacutee (la

ruine dans le milieu de lrsquoeacutedition) dont lrsquoindividu srsquoest tireacute sans toutefois que le reacutefeacuterent soit

bien circonscrit Mais on peut aussi consideacuterer qursquoil srsquointegravegre pleinement agrave la locution

verbale celle-ci signifiant drsquoun bloc lrsquoaboutissement au succegraves de lrsquoindividu On conviendra

cependant que dans cette derniegravere interpreacutetation il est difficile drsquoomettre complegravetement lrsquoeacutetat

anteacuterieur de la reacuteussite

Beacuteguelin (2014a) propose eacutegalement une double analyse du reacutegime accusatif en ci-dessous

(239) Dites bien comme moi surtout et nrsquoen rajoutez pas nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Moins vous en direz mieux cela vaudra (Frantext Desnos 1943 lt Beacuteguelin 2014a

140)

Dans une interpreacutetation reacutefeacuterentielle en peut eacutevoquer en anaphore indirecte un reacutefeacuterent

comme des lsquoparolesrsquo des lsquoproposrsquo etc qursquoon peut infeacuterer en prenant appui sur la premiegravere

occurrence du verbe dire comportant dans son signifieacute un objet du dire Mais la locution en

rajouter dans son ensemble peut approximativement eacutequivaloir au sens drsquoexageacuterer Il en va

de mecircme pour en dire qui peut signifier simplement parler ou srsquoexprimer

Ces situations sont inteacuteressantes par le fait que le choix entre interpreacutetations reacutefeacuterentielle ou

laquo autarcique raquo nrsquoest au final pas trancheacute et qursquoil est agrave ce titre difficile de parler de reacuteelle

ambiguiumlteacute interpreacutetative On a plutocirct lrsquoimpression drsquoavoir affaire agrave une reacutefeacuterence

laquo eacutevanescente raquo (drsquoapregraves le terme de Beacuteguelin ibid 152)

523 Pronoms disjoints

5231 Les deacutemonstratifs ccedila ceci cela

Cette cateacutegorie se distingue de la preacuteceacutedente par sa distribution syntaxique On constate que

ccedila y figure agrave nouveau cette fois dans des positions non exclusivement sujet contrairement agrave

son emploi clitique On a depuis longtemps releveacute lrsquoaffiniteacute de la seacuterie des deacutemonstratifs ccedila

ceci cela avec les entiteacutes non classifieacutees (Kleiber 1984 Maillard 1989 Corblin 1987)

192

Beacuteguelin (2014a) emprunte le terme agrave Maillard (1974 56) lrsquoadjectif aphorique srsquoopposant agrave

anaphoriquecataphorique lorsque lrsquoeacuteleacutement laquo est parfaitement clos sur lui-mecircme et nrsquoimplique pas le texte raquo

194

Les formes neutres ce ceci cela srsquoemploient quand on nrsquoa aucun nom dans lrsquoesprit (Bonnard 1950 77 citeacute par Corblin 1987b)

Degraves lors ils sont reacuteguliegraverement exploiteacutes comme les pronoms reacutegimes le y en sur le mode

reacutesomptif renvoyant agrave des sous-graphes comportant nombre drsquoobjets et de relations certains

implicites A la diffeacuterence de ceux-ci ils preacutesentent en outre un fonctionnement token-

reacuteflexif

(240) oui alors | | euh il pratique la natation | donc il est il est meacutedaille dor je dirais que il

est tregraves doueacute | _ | agrave la natation | _ | et tout cela ben ccedila demande aussi de lentraicircnement

ccedila demande de la preacutesence | _ | ccedila demande euh beaucoup de | _ | de de motivation de

la part euh des parents et | de la maman puisque cest moi qui fais quand mecircme tout ccedila

(ofrom)

La locutrice reacutepond agrave une question concernant le sport que pratique son fils (dont le nom est

anonymiseacute via le signe ) Dans une position disloqueacutee tout cela dont sont preacutediqueacutees les

exigences (ccedila demandehellip) permet drsquoenglober lrsquoactiviteacute de son enfant (lsquola natationrsquo) de mecircme

que sa classe-objet par exemple son talent son niveau etc qursquoon peut infeacuterer de la seacutequence

argumentative Plus loin dans le discours on relegraveve aussi lrsquoemploi drsquoun tout ccedila compleacutement

du verbe faire Ici eacutegalement le SN renvoie globalement agrave lrsquoensemble des conditions et autres

ingreacutedients concomitants implicites mis en œuvre par la megravere pour la reacuteussite de son fils On

peut envisager lrsquointerpreacutetation comme impliquant une laquo expansion meacutetonymique raquo

accompagnant le laquo deacuteclassement raquo opeacutereacute par ccedila et cela (Corblin 1987b)

Un autre exemple ci-dessous montre que cela se dote drsquoune capaciteacute de synthegravese

remarquable les circonstances qursquoil reacutesume font lrsquoobjet drsquoun vaste deacuteveloppement dans le

discours preacutealable

(241) [hellip] le Mouvement de libeacuteration nationale (MLN) ma proposeacute de partir pour Paris

comme responsable reacutegionale des Jeunes du MLN Jeacutetais logeacutee avec cinq garccedilons

dans lappartement de leacutecrivain Robert Brasillach alors en prison pour Collaboration

Jamais je navais vu une telle bibliothegraveque moi qui adorais lire et qui avais toujours

eu peur de manquer de lectures jeacutetais eacuteblouie par tous ces livres que je pouvais

feuilleter sans contrainte Puis avec Riviegravere et un autre camarade nous avons

deacutemeacutenageacute pour nous installer agrave Montmartre dans lappartement de Le Vigan acteur

ceacutelegravebre agrave cette eacutepoque emprisonneacute lui aussi pour collaboration Nous avions de

lamour plein le coeur et plein les yeux nous parlions dans les congregraves nous eacutecrivions

dans les journaux Nous avions limpression decirctre investis de grands pouvoirs et

javais avec mes camarades lespoir fou de transformer la vie Nous allions changer le

monde Mais cela na pas dureacute tregraves longtemps non plus fin deacutecembre 44 le MLN

navait plus dargent pour nous payer et mes parents sonnaient le tocsin pour que je

revienne agrave Lyon reprendre mes eacutetudes et ma vie de jeune fille convenable

(Domenach-Lallich D Demain il fera beau journal drsquoune adolescente (novembre

1939-1944) 2001lt Frantext)

195

Le pointage via cela permet ici de saisir grossiegraverement tout un sous-graphe deacutejagrave eacutetabli M en

tant qursquoexpeacuterience ou eacutepisode de la vie de la locutrice

Signalons que les pronoms deacutemonstratifs de ce type fonctionnent eacutegalement volontiers de

maniegravere cataphorique crsquoest-agrave-dire en pointant sur un reacutefeacuterent encore non disponible en M

Crsquoest lrsquoun des emplois privileacutegieacutes de ceci laquo reacutesomptif raquo (Kęsik 1989 Theissen 2008)

(242) Donc davarice pas trace Ah si peut-ecirctre une petite chose leacutelectriciteacute [hellip] Et pour

en finir sur ce point ceci Lorsque Jean Rouaud reccediloit le prix Goncourt en 1990 nous

sommes un certain nombre dauteurs de la maison agrave recevoir une lettre de Jeacuterocircme

Lindon nous informant que ce succegraves agrave ses yeux ne serait pas complet si nous ny

participions pas Cette lettre est accompagneacutee dun chegraveque dont je ne me rappelle plus

le montant mais dont je me souviens quil est tout agrave fait substantiel (Echenoz J

Jeacuterocircme Lindon 2001lt Frantext)

Lrsquoauteur de ce texte eacutevoque lrsquoabsence drsquoavarice chez J Lindon Apregraves avoir reconnu une

exception qursquoil deacuteveloppe (pour des raisons de place nous avons eacutelimineacute ce passage) il

propose une illustration de son appreacuteciation via le pronom ceci Crsquoest alors toute une anecdote

qui est relateacutee pour soutenir le propos initial Au vu de lrsquoorientation argumentative du texte

ceci est capable agrave lui seul ndash sans mecircme faire lrsquoobjet drsquoune preacutedication (il fonctionne de

maniegravere syntaxiquement autonome) ndash de confeacuterer au reacutefeacuterent agrave venir via sa token-reacuteflexiviteacute

le statut drsquoeacutevidence de preuve

Ces pronoms apparaissent ainsi comme des moyens commodes de saisir laquo en gros raquo des sous-

graphes soit eacutetablis en M soit agrave venir agrave savoir un type drsquoobjets qui ne possegravede pas de

deacutenomination conventionnelle Comme ils partagent la distribution des SN on peut les mettre

en regard des noms sous-speacutecifieacutes (supra sect512) qui permettent pour leur part au locuteur de

cateacutegoriser subjectivement le mecircme genre drsquoentiteacutes Alors que les vertus reacuteifiantes (Schmid

1997) de la deacutenomination via un nom laquo coquille raquo srsquoaccompagnent de lrsquoattribution explicite

drsquoun point de vue sur lrsquoobjet lrsquoopeacuteration reacutefeacuterentielle via un pronom deacutemonstratif se borne agrave

reacuteunir momentaneacutement sans le nommer un sous-graphe concomitant agrave lrsquoeacutenonciation

Il va de soi que les trois deacutemonstratifs ne sont pas interchangeables en toutes circonstances

Notons drsquoabord que ceci et cela entrent reacuteguliegraverement dans des locutions comme cecicela dit

cela eacutetant fonctionnant comme connecteurs ou alors en correacutelation dans des expressions du

genre pour critiquer ceci cela (cfpp) ougrave ils se dotent drsquoune valeur postiche (cf supra sect513)

Drsquoautre part les emplois semblent diverger en termes de registre et de freacutequence Selon

Maillard (1989 34) cela est beaucoup plus rare que ccedila en franccedilais aussi bien agrave lrsquooral (il

relegraveve dans son corpus oral un 1 cela pour 100 ccedila) qursquoagrave lrsquoeacutecrit (il fait allusion aux statistiques

du TLF) Degraves lors plutocirct que de consideacuterer comme les grammaires que ccedila est une variante

familiegravere de cela Maillard juge plus adeacutequat drsquoinverser la perspective en regardant cela

comme une variante laquo guindeacutee raquo de ccedila lagrave ougrave ils commutent autrement dit comme le reacutesultat

196

drsquoune hypercorrection donnant laquo lrsquoimpression drsquoecirctre agrave cocircteacute de la langue raquo faisant laquo figure

de traduction maladroite ou de reacutecupeacuteration petite-bourgeoise du parler commun raquo (ibid)

Il convient neacuteanmoins de relativiser les chiffres donneacutes par Maillard qui comprennent les

emplois agrave la fois conjoints et disjoints de ccedila alors que cela est exclusivement disjoint

(lrsquoauteur signale drsquoailleurs que cela ne fonctionne jamais avec une valeur impersonnelle

comme ccedila dans ccedila bruine ce matin) Concernant ceci et cela Maillard (ibid 35) invoque agrave

nouveau une diffeacuterence sensible de freacutequence agrave lrsquooral (1 ceci pour 10 cela) Comme pour cela

il situe lrsquoemploi de ceci dans des contextes de franccedilais surveilleacute (ibid 35) Pour Corblin

(1987b) ceci preacutesente des contraintes drsquoemploi plus grandes que ccedila et cela bien que

partageant avec ces derniers lrsquoabsence drsquoun trait de classification il srsquoen distinguerait par la

neacutecessiteacute de reacutefeacuterer agrave un objet deacutelimiteacute Dans OFROM une requecircte rapide193

fournit 24 cela

(2 en locutions) pour 10 ceci (8 en locutions) La mecircme requecircte dans CFPP livre 33 cela (9 en

locutions) pour 32 ceci (31 en locutions principalement dans ceci dit) Pour lrsquoeacutecrit une

recherche sur Frantext de tous les textes posteacuterieurs agrave 1990 donne 20000 cela (19143 en

excluant cela dit et cela eacutetant) pour 1544 ceci (1470 sans ceci dit et ceci eacutetant) Une eacutetude

plus approfondie de la distribution de ces pronoms tenant compte des speacutecificiteacutes syntaxiques

(conjointes ou disjointes) et diaphasiques des expressions meacuteriterait drsquoecirctre meneacutee sur un

corpus agrave plus grande eacutechelle pour compleacuteter les reacutesultats de Maillard

5232 Les pronoms lrsquounhellip (lrsquoautre) les unshellip les autres

Lrsquoidentiteacute des reacutefeacuterents respectivement deacutesigneacutes par les formes lrsquounhellip (lrsquoautre) et les unshellip

les autres nrsquoest pas toujours aiseacutement infeacuterable Crsquoest le cas ci-dessous avec lrsquoemploi de lrsquoun

utiliseacute seul194

(243) Dans la cuisine il trouva trois de ses compagnons de beuverie preacuteparant du cafeacute et

des toasts et lrsquoun mecircme plus intreacutepide un petit deacutejeuner complet tous arborant des

traits deacutecomposeacutes et des yeux anormalement brillants (J Coe La maison du sommeil

lt Schnedecker 2003 99)

La forme pronominale lrsquoun comporte des instructions en apparence contradictoires dans sa

constitution morphologique qui combine laquo une forme associeacutee habituellement agrave

lrsquoindeacutefinitude un raquo et un deacuteterminant deacutefini (Schnedecker 2000) Elle requiert drsquoinstancier sa

variable avec un objet ici preacutesenteacute comme quelconque extrait de la classe preacutealablement

activeacutee (trois de ses compagnons de beuverie)

Dans lrsquoexemple suivant lrsquoemploi des correacutelats les unshellip les autres relegraveve manifestement

drsquoune strateacutegie de cryptage et de respect du politiquement correct

193

Au 15022016 194

Cela semble beaucoup moins freacutequent avec les uns (Schnedecker 2003 99) presque toujours suivi drsquoun

correacutelat en geacuteneacuteral les autres

197

(244) [le ministre belge Didier Gossuin srsquoexprime sur un congregraves organiseacute par son parti sur

le thegraveme de lrsquoeacutethique en politique suite agrave une affaire de conflits drsquointeacuterecircts] Je nirai pas

agrave ce congregraves car jaurais le sentiment de devoir sauver la face et crier en chœur laquo nous

ne sommes pas tous des pourris raquo nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Quelques crapules issues du seacuterail nous ont deacuteshonoreacutes et ont contribueacute agrave miner notre

deacutemocratie Les uns avec leurs titres et fonctions ont frayeacute sans vergogne avec les

pires mafieux corrupteurs et corrompus de notre socieacuteteacute Les autres ont useacute de leurs

mandats pour extorquer agrave leur seul profit la collectiviteacute et le citoyen Pour les uns

comme les autres la seule motivation fut lenrichissement sans cause (12022017

httpwwwlesoirbe)

Le locuteur dans un laquo coup de gueule raquo introduit un ensemble explicitement sous-deacutetermineacute

(quelques crapules) qursquoil partitionne en deux sous-groupes via les uns et les autres dont sont

preacutediqueacutees certaines proprieacuteteacutes mais dont lrsquoidentiteacute reste deacutelibeacutereacutement implicite

524 Lrsquoadverbe lagrave

Nous terminons lrsquoinventaire par lrsquoemploi drsquoune forme sous-speacutecifieacutee agrave lrsquoorigine deacutedieacutee agrave

lrsquoexpression de lrsquoespace agrave savoir lrsquoadverbe lagrave (cf supra (225)) Lrsquoadverbe lagrave constitue en

quelque sorte le pendant tonique des pronoms reacutegimes locatif y et ablatif en Dans les

grammaires on oppose lagrave agrave ici relation tantocirct envisageacutee comme eacutequipollente (eacuteloignement vs

proximiteacute) privative (en faveur du trait de proximiteacute pour ici) ou encore synonymique (Smith

1995) Les linguistes admettent geacuteneacuteralement la seconde hypothegravese agrave savoir celle qui

considegravere lagrave comme le terme non marqueacute de lrsquoopposition (Barbeacuteris 1987 36)195

On sait

qursquoici et lagrave peuvent srsquoaffranchir drsquoun sens purement spatial196

pour se doter drsquoun trait en lien

avec lrsquoeacutenonciation ou la subjectiviteacute ougrave ici marque lrsquoengagement locuteur (Smith 1995) agrave

lrsquoinverse lagrave est au laquo chocircmage deacuteictique raquo laquo sa reacutefeacuterence spatiale est floue voire inexistante

et il ne sert plus qursquoagrave indiquer une absence drsquoengagement (ou le peu drsquoengagement) de la part

du locuteur raquo (ibid 52) Dans le mecircme ordre drsquoideacutee Barbeacuteris (1998 30) attribue agrave ici un

mouvement laquo centripegravete raquo laquo drsquoappropriation purement individuelle de lrsquoespace raquo saisi par le

locuteur sur le vif tandis qursquoelle associe agrave lagrave un mouvement drsquoexpansion laquo centrifuge raquo

engageant une laquo relation interpersonnelle raquo eacutevoquant un espace plus vague et deacutejagrave partageacute A

ses yeux ces caracteacuteristiques respectives mettent en lumiegravere une diffeacuterence drsquointerpreacutetation

entre les eacutenonceacutes suivants malgreacute leur ressemblance

(245) pasque depuis le temps que chuis lagrave (dans le quartier) euh sans les connaicirctre (les

habitants) je les connais d vue (Boulanger lt Barbeacuteris 1998 31 les contenus entre

parenthegraveses sont des explicitations de lrsquoauteur)

195

Smith (1995) montre qursquoaucune hypothegravese nrsquoest complegravetement satisfaisante les donneacutees reacuteveacutelant des

contextes respectivement communs aux deux adverbes des contextes ougrave ici ne se laisse pas substituer par lagrave et

des contextes incompatibles 196

A cet eacutegard Smith (1995 52) explique lrsquoeacutemergence de lagrave-bas dans le systegraveme pour reacutecupeacuterer la composante

spatiale drsquoeacuteloignement deacutesormais absente pour lagrave Sur le sens uniquement spatial de lagrave-bas voir Brault (2001)

198

(246) comme y a vingt ans que j suis ici (dans le quartier) jai du mal agrave faire du changement

hein (rire) (Boulanger lt ibid)

Dans le premier eacutenonceacute la locutrice envisage son lieu de reacutesidence dans sa relation aux

autres agrave lrsquoenvironnement ambiant alors que dans le second eacutenonceacute elle le preacutesente comme

priveacute comme laquo son espace eacutegotique raquo (ibid)

Drsquoapregraves nos observations lagrave manifeste davantage de possibiliteacutes reacutefeacuterentielles qursquoici Ainsi il

est capable de fonctionner de maniegravere reacutesomptive

(247) Mais aussi par la gestion intelligente drsquoun personnage nouveau le chœur repreacutesentant

le peuple de Marseille qui fait plus que commenter lrsquoaction qui y participe Gracircce

aussi aux magnifiques deacutecors de Dominique Pichou et aux costumes de Christian

Gasc lrsquoeacutepoque est eacutevoqueacutee sans ecirctre reconstitueacutee agrave lrsquoidentique Ce sont sans doute lagrave

les cleacutes de cette reacuteussite visuelle (httpwwwconcertonetcom 09042007 lt Corpus

franccedilais Universiteacute de Leipzig)

Cet extrait provient drsquoune critique drsquoun opeacutera-comique dans laquelle la journaliste eacutenumegravere

les qualiteacutes de la piegravece agrave divers niveaux (structure musique sceacutenario personnages deacutecors

etc) Difficile degraves lors de cerner clairement lrsquoeacutetendue de lrsquoadverbe lagrave Situe-t-il la reacuteussite

uniquement dans le rocircle des deacutecors tout juste mentionneacutes Comprend-il la fonction originale

du chœur Recouvre-t-il lrsquoensemble des aspects abordeacutes jusqursquoagrave ce point (ou davantage )

Il semble vain de srsquoorienter exclusivement vers lrsquoune de ces solutions Lrsquointerpregravete se

contentera vraisemblablement drsquoune repreacutesentation globale et positive des divers facteurs de

reacuteussite eacutevoqueacutes

Dans les genres improviseacutes il arrive freacutequemment que lagrave ne fonctionne plus comme

circonstant mais comme simple particule agrave fonction phatique (Barbeacuteris 1987 Smith 1995) en

particulier lorsqursquoil intervient en fin de syntagme Barbeacuteris (1987) appelle cet emploi laquo lagrave de

clocircture raquo

(248) non jai jai des nouvelles de temps en temps pis | _ | ah oui pis tu sais ccedila sest reacutegleacute

lhistoire lagrave tu sais que | _ | tu sais comme quoi javais pas reacutepondu au message |

message tu sais | ah cest vrai | ouais on a parleacute euh ben ceacutetait euh | _ | _ | ben quand

tavais pas pu venir agrave cause du souper justement (ofrom)

Dans cet exemple lagrave ne redonde pas par simple coreacutefeacuterence sur le reacutefeacuterent auparavant activeacute

en lrsquooccurrence lrsquolsquohistoirersquo Son emploi srsquointerpregravete de maniegravere eacuteminemment intersubjective

il convoque un espace commun agrave lrsquoexpeacuterience des interlocuteurs A cette fin la locutrice

laquo mime raquo (ibid 37) lrsquoexistence drsquoun univers partageacute agrave reconstituer elle fait appel agrave la

meacutemoire de son interlocutrice et recherche de sa part un signe drsquoapprobation (cf aussi le tu

sais) qui finit drsquoailleurs par arriver agrave travers ah crsquoest vrai de lrsquointerlocutrice Drsquoapregraves Smith

(1995) crsquoest la sous-speacutecification de lagrave qui lui permet drsquoacqueacuterir un tel fonctionnement

discursif

199

6 Conclusion

Lrsquoobjectif de ce chapitre eacutetait de montrer que la sous-deacutetermination est tout agrave fait courante

dans les eacutechanges mecircme lorsqursquoelle nrsquoest pas annonceacutee comme telle (par opposition aux

expressions dites laquo indeacutefinies raquo) lrsquoemploi de certains deacutesignateurs reacutevegravele qursquoil est

parfaitement possible de reacutefeacuterer agrave un objet qui nrsquoa pas de proprieacuteteacutes distinctives et que cette

situation reacutepond agrave des motivations discursives diverses accidentelles ou strateacutegiques qui se

laissent en tout cas difficilement expliquer par une quecircte de veacuteriteacute

A travers lrsquoinventaire des moyens linguistiques entrepris nous avons distingueacute les ressources

lexicales des ressources non lexicales Ces derniegraveres nrsquoimpliquant pas contrairement aux

premiegraveres un acte de deacutenomination explicite elles nous semblent susceptibles drsquoaller plus

loin dans le pheacutenomegravene de sous-deacutetermination Pour cette raison notamment elles se

montrent particuliegraverement freacutequentes dans les contextes de production spontaneacutee Nous

souhaitons par la suite porter une attention particuliegravere agrave ces contextes dans lesquels les

locuteurs produisent leur discours sur le vif et sans possibiliteacute de le modifier avec tous les

pheacutenomegravenes drsquoinstabiliteacute en M que cela suppose Ces conditions nous apparaissent en effet les

mieux agrave mecircme de refleacuteter les comportements effectifs des usagers affranchis de certaines

contraintes propres agrave des genres dominants plus laquo consensuels raquo ougrave le critegravere du coucirct de

deacutecodage est beaucoup plus important

Dans les limites de ce travail il nous est impossible drsquoexaminer dans le deacutetail le

fonctionnement de lrsquoensemble des formes non lexicales abordeacutees ci-dessus Nous avons

deacutecideacute de consacrer une premiegravere eacutetude de cas au fonctionnement du syntagme tout ccedila

particuliegraverement prolifique dans les contextes drsquooral en configuration drsquoeacutenumeacuteration ougrave il

reflegravete une gamme remarquable de strateacutegies discursives La seconde eacutetude porte sur lrsquoemploi

du pronom clitique de 6e personne ils exprimant un actant sous-deacutetermineacute qui se reacutevegravele

difficilement conciliable avec les descriptions en vigueur de la 3e personne en termes

drsquoanaphore et de continuiteacute reacutefeacuterentielle En seacutelectionnant ces champs drsquoeacutetude particuliers

nous sommes consciente de laisser de cocircteacute un certain nombre de chantiers ouverts qui

meacuteriteraient une attention semblable et une exploration drsquoenvergure sur la base de donneacutees

authentiques Crsquoest notamment le cas de la reacutefeacuterence des clitiques reacutegimes le en y ougrave de

lrsquoadverbe lagrave Nous avons neacuteanmoins lrsquointention de remettre ces questions agrave lrsquoordre du jour

dans le cadre de projets ulteacuterieurs

200

201

Deuxiegraveme Partie

Manifestations de la sous-deacutetermination deux

eacutetudes empiriques

202

203

Avant-propos la constitution des donneacutees

Le choix des deux objets drsquoeacutetude (tout ccedila et ils) de cette seconde partie tient avant tout agrave

lrsquointeacuterecirct qursquoils ont susciteacute chez nous en tant qursquousagegravere du franccedilais en immersion dans les

eacutechanges ordinaires En effet nous avons eacuteteacute frappeacutee au quotidien par la productiviteacute de ces

deux proceacutedeacutes de sous-deacutetermination productiviteacute confirmeacutee par les donneacutees examineacutees par

la suite Il nous a degraves lors paru pertinent drsquoexplorer plus avant ces ressources pour corroborer

lrsquoimpression que celles-ci nrsquoeacutetaient pas seulement le fait drsquoune ignorance du locuteur mais

qursquoelles participaient pleinement agrave lrsquoorganisation du discours

La premiegravere eacutetude sur tout ccedila (Ch IV) complegravete les travaux deacutejagrave abondants sur le pronom ccedila

(eg Porquier 1972 Maillard 1985 1989 1994 Cadiot 1988 Corblin 1991 Boivin 1992

Carlier 1996 Guerin 2006 Sales 2008 etc) et peut ecirctre mise en perspective avec les travaux

sur les particules drsquoextension de liste (eg Ward amp Birner 1993 Overstreet 1999 Ferreacute 2011

Secova 2014) Quant agrave la seconde eacutetude sur ils (Ch V) elle interroge la fonction anaphorique

que lrsquoon associe invariablement au pronom de 3e personne et suggegravere de rapprocher certaines

constructions avec ils drsquoautres proceacutedeacutes de sous-deacutetermination de lrsquoagent tels que lrsquousage du

on dit indeacutefini (eg Muller 1970 Franccedilois 1984 Viollet 1988 Leeman 1991 Rabatel 2001

Blanche-Benveniste 2003 Guerin 2006 Floslashttum et al 2007 Beacuteguelin 2014c etc) ou encore

la diathegravese passive (eg Berrendonner 2000 Muller 2000 Blevins 2003 Creissels 2006 etc)

Concernant les donneacutees analyseacutees hormis celles issues de travaux anteacuterieurs que nous

discutons dans les parties preacuteliminaires nous nous sommes principalement tourneacutee vers des

corpus de franccedilais parleacute en accegraves libre (cf supra Introduction geacuteneacuterale) agrave savoir la base de

donneacutees OFROM197

(env 69h de franccedilais parleacute en Suisse romande voir Avanzi Beacuteguelin amp

Dieacutemoz 2012-2015) la base PFC198

(une trentaine de points drsquoenquecircte dans toute la

francophonie voir Durand et al 2002 2009) ainsi que le corpus CFPP2000199

(environ 48h

de franccedilais parleacute agrave Paris voir Branca-Rosoff Fleury Lefeuvre Pires 2012) Nous avons

conserveacute pour les exemples retenus les conventions de transcription propres agrave chaque

corpus une tacircche drsquouniformisation srsquoaveacuterant trop laborieuse Si les moteurs de chaque base de

donneacutees ont permis drsquoextraire aiseacutement les seacutequences concerneacutees un traitement manuel srsquoest

neacuteanmoins reacuteveacuteleacute indispensable par la suite conformeacutement agrave nos principes drsquoanalyse En

effet en plus des critegraveres purement segmentaux nous accordons une large place aux facteurs

contextuels Pour ce faire nous avons reacuteguliegraverement eu recours agrave la lecture simultaneacutee

197

httpwwwuninechofrom 198

httpwwwprojet-pfcnet 199

httpcfpp2000univ-paris3fr

204

texteson drsquoenregistrements inteacutegraux200

agrave disposition dans les bases afin de tirer parti drsquoun

empan textuel maximal pour chaque occurrence examineacutee

Dans lrsquoimpossibiliteacute de traiter de la sorte les dizaines de milliers de reacutesultats nous avons

orienteacute notre recherche sur des critegraveres qualitatifs en privileacutegiant les exemples qui preacutesentaient

une reacuteelle valeur heuristique Bien que nous fournissions ponctuellement quelques indications

chiffreacutees nous ne preacutetendons donc pas agrave un panorama exhaustif des items eacutetudieacutes

Drsquoautres raisons nous poussent agrave renoncer agrave la deacutelimitation drsquoun sous-corpus drsquoune part les

trois bases de donneacutees exploiteacutees sont des corpus ouverts crsquoest-agrave-dire qursquoelles sont

reacuteguliegraverement alimenteacutees de nouvelles donneacutees dont nous nrsquoavons pas voulu nous priver

Drsquoautre part agrave lrsquoheure actuelle malgreacute des projets de grande envergure en cours dans ce

sens201

il nrsquoexiste pas encore de vaste corpus de franccedilais eacutechantillonneacute et eacutequilibreacute disponible

qui permette de mener agrave bien des analyses quantitatives exhaustives202

(Benzitoun amp Cappeau

2010)

Signalons pour terminer que nous avons releveacute ponctuellement des occurrences dignes

drsquointeacuterecirct au greacute de nos conversations ou lectures ou puiseacutees dans drsquoautres genres discursifs

(SMS Frantext etc) que nous avons jugeacute bon drsquointeacutegrer aux analyses pour eacutetablir le cas

eacutecheacuteant des parallegraveles reacuteveacutelateurs Cela nous donnera lrsquooccasion de deacutegager quelques

diffeacuterences de conditions de production entre les genres de lrsquolaquo immeacutediat raquo et ceux de la

laquo distance raquo communicative (Koch amp Oesterreicher 1985)

200

Par laquo inteacutegraliteacute raquo nous entendons la totaliteacute de lrsquoextrait mis agrave disposition en ligne et non lrsquointeacutegraliteacute de

lrsquoenregistrement drsquoorigine dont souvent seule une partie est audible et a eacuteteacute transcrite 201

Par exemple le projet CRFC (Siepmann Buumlrgel amp Diwersy 2016) pour le franccedilais en geacuteneacuteral consultable agrave

partir de fin 2018 et le projet ORFEO pour le franccedilais parleacute (httpwwwprojet-orfeofr) disponible en principe

courant 2017 202

A noter que la base PFC comporte reacuteguliegraverement des problegravemes de doublons dans les reacutesultats

205

Chapitre IV

Fonctionnement reacutefeacuterentiel

et pragmatique de tout ccedila

- Sacreacute Valentin Alors raconte-moi Le mariage Le commerce Tout

ccedila Ccedila gaze Ccedila boume

- Ccedila va ccedila va

- Cest vague ccedila va (Queneau R Le dimanche de la vie 1951)

206

207

1 Introduction

Outre le caractegravere reacutefeacuterentiellement eacutevasif du syntagme tout ccedila celui-ci agrave la particulariteacute de

manifester des proprieacuteteacutes seacutemantiques en apparence contradictoires tout marquant une

forme drsquoexhaustiviteacute associeacute agrave ccedila pronom largement sous-speacutecifieacute Ce paradoxe que nous

tenterons de reacutesoudre soulegraveve la question de la possibiliteacute drsquoenvisager le parcours exhaustif

drsquoun ensemble sous-deacutetermineacute Cette probleacutematique sera en particulier eacutetudieacutee agrave travers la

disposition du marqueur agrave apparaicirctre dans les contextes eacutenumeacuteratifs

Nous deacutebutons par une synthegravese des emplois du pronom ccedila sur la base des nombreux travaux

anteacuterieurs sur le sujet et de nos propres observations nous illustrons ainsi sa maniabiliteacute qui

se reflegravete agrave travers la gamme de reacutefeacuterents auxquels il est susceptible de srsquoappliquer (sect2) Nous

eacutetendons le champ drsquoeacutetude agrave tout ccedila dont lrsquoinconsistance seacutemantique eacutevoqueacutee ne se reacutevegravele

qursquoapparente en reacutepertoriant ses diffeacuterents contextes drsquoemploi (sect3) En clocircture de liste tout

ccedila se distingue des autres emplois par son affiniteacute avec les contextes drsquooral spontaneacute nous

nous penchons donc pour finir sur son fonctionnement reacutefeacuterentiel dans ce genre tregraves

laquo immeacutediat raquo et sur son aptitude agrave ecirctre au service drsquoun eacuteventail de rendements pragmatiques

(sect4)

208

209

2 Les emplois de ccedila

Le pronom ccedila appartient morphologiquement agrave la cateacutegorie des deacutemonstratifs par deacutefinition

token-reacuteflexifs et posseacutedant aux cocircteacute de ceci cela celui-ci celui-lagrave une distribution de

pronom disjoint (tonique) En mecircme temps il fonctionne aussi comme un pronom clitique

sujet et entre agrave ce titre dans le paradigme des pronoms conjoints de 3e personne aux cocircteacutes de

ilelleon Il importe donc de distinguer deux formes homonymes du pronom ccedila (Creissels

1995 Sales 2008) lrsquoune conjointe ougrave ccedila fonctionne exclusivement comme sujet lrsquoautre

disjointe ougrave ccedila peut occuper toutes les positions deacutevolues aux SN (cf supra ChII sect2)

Comme tout pronom ccedila se caracteacuterise par lrsquoabsence de contenu lexical et donc par un sens

particuliegraverement sous-speacutecifieacute davantage encore que le pronom conjoint ilelle car il srsquoen

distingue par lrsquoabsence de tout trait de cateacutegorisation (Corblin 1991 Kleiber 1994b Carlier

1996 Guillot 2006) Au niveau seacutemantico-reacutefeacuterentiel ces caracteacuteristiques rendent son emploi

tregraves peu contraint et lui permettent de se comporter de maniegravere particuliegraverement polyvalente

on lui impute la capaciteacute de reacutefeacuterer agrave laquo nrsquoimporte quel type de segment de reacutealiteacute raquo (Carlier

1996) que les objets deacutesigneacutes prennent leur source dans la situation immeacutediate ou dans le

contexte verbal

Mais son fonctionnement va au-delagrave certains attribuent eacutegalement agrave ccedila clitique un emploi

impersonnel (Maillard 1989 Guillot 2006) comme dans ccedila craint dans ce quartier Dans les

eacutetudes qui lrsquoenvisagent selon nous agrave tort203

comme un laquo substitut raquo (Porquier 1972 Dubois

1965 Maillard 1989) il pose ineacutevitablement des difficulteacutes de deacutelimitation et de restitution

reacutefeacuterentielle En effet on relegraveve sa capaciteacute agrave mettre en œuvre des reacutefeacuterences diversement

caracteacuteriseacutees comme indistinctes (Corblin 1991) vagues (Bartning 2006) propositionnelles

(Cadiot 1988) ou indeacutefinissables (Carlier 1996) parfois accompagneacutees drsquoun effet

meacutetonymique (Corblin 1991 Willems 1998) Sa souplesse reacutefeacuterentielle lui vaut en particulier

une grande productiviteacute dans les deacutesignations qui posent en geacuteneacuteral des difficulteacutes de

description la reacutefeacuterence agrave des objets de type procegraves (que la tradition seacutemantique sous-

cateacutegorise en eacuteveacutenements faits propositions situations etc cf supra ChI sect32) la reacutefeacuterence

geacuteneacuterique la deixis textuelle (cf supra ChI sect43) etc dont nous fournirons des illustrations

De nombreux travaux sont consacreacutes agrave la description de ccedila qursquoil srsquoagisse de monographies

(Maillard 1989 Boivin 1992 Guerin 2006 Sales 2008) ou drsquoarticles scientifiques (Porquier

1972 Cadiot 1988 Corblin 1991 Maillard 1994 Carlier 1996 Guerin 2007 etc) A partir

des reacutesultats de ces nombreuses recherches nous proposons une vue drsquoensemble des

principaux emplois de ccedila (y compris la variantendash combinatoire ou stylistique ndash ce de la forme

clitique Maillard 1989 32) pour illustrer sa flexibiliteacute reacutefeacuterentielle agrave la faveur de sa sous-

speacutecification Cet inventaire ne se veut pas exhaustif204

aussi laissons-nous de cocircteacute un certain

nombre drsquoemplois dans des contextes speacutecifiques ougrave le pronom est (quasiment)

reacutefeacuterentiellement deacutemotiveacute et qui neacutecessiteraient chacun un examen particulier les cliveacutees

203

Cf la critique de la conception substitutive supra ChII sect31 204

Pour un inventaire de tous les emplois attesteacutes nous renvoyons aux monographies indiqueacutees ci-dessus

210

(crsquoest hellip quique) le dispositif temporel ccedila fait hellip que les pseudo-cliveacutees ce quiquehellip crsquoest

les redoublements de CV (ccedilahellip de Vinfquesi CV eg laquo ccedila fait du bien de parler raquo) Nous

eacutecartons eacutegalement les cas ougrave ccedila ne fonctionne pas comme un pronom mais se rapproche

drsquoune particule ou drsquoun adverbe drsquoeacutenonciation (Sales 2008)205

et peut se combiner agrave des

eacuteleacutements exclamatifs comme dans ccedila alors ccedila par exemple ah ccedila etc En effet la prise en

compte de tous ces eacuteleacutements deacutepasserait lrsquoenjeu de ce chapitre

21 ccedila conjoint

211 ccedila pointe sur un objet cateacutegoriseacute

Malgreacute son deacutefaut de trait de cateacutegorisation ccedila peut servir agrave reacutefeacuterer agrave un objet qui a deacutejagrave eacuteteacute

cateacutegoriseacute par ailleurs dans le discours Nous nous inteacuteressons ici agrave deux situations (qui ne

srsquoexcluent pas mutuellement) drsquoabord le cas ougrave lrsquoobjet a eacuteteacute preacutealablement cateacutegoriseacute via un

SN deacutetacheacute que vient laquo redoubler raquo le clitique ccedila ensuite le cas ougrave ccedila est impliqueacute dans la

reacutefeacuterence humaine

2111 ccedila redouble un sujet

La situation de redoublement est illustreacutee par les exemples suivants

(249) [agrave propos du besoin en eau des fleurs] ce brouillard ccedila mouille pas mal et pis | ouais |

pis | pis maintenant ben | _ | _ | la terre eacutetait aussi pas assez segraveche (ofrom)

(250) [le locuteur raconte les difficulteacutes rencontreacutees en tant que pilote drsquoavion] agrave Londres y

avait vraiment un vent tregraves tregraves fort tempeacutetueux en | plus de de travers qui eacutetait pas

dans dans laxe de la piste | donc ceacutetait tregraves difficile datterrir des des choses comme ccedila

la neige ccedila peut ecirctre difficile mais surtout les orages et le vent je dirais (ofrom)

A la diffeacuterence drsquoun pronom personnel ilelle qui preacutesente lrsquoobjet de maniegravere

individueacutee on remarque avec ccedila une deacutesignation plus floue du reacutefeacuterent donneacute agrave voir plutocirct

comme un pheacutenomegravene (ici meacuteteacuteorologique) diffus non comptable que comme un individu

bien deacutelimiteacute Dans lrsquoexemple (250) ccedila peut renvoyer de maniegravere plus geacuteneacuterale agrave lrsquoexpeacuterience

du locuteur dans laquelle lrsquoobjet mentionneacute entre agrave titre drsquoingreacutedient glosable (non

exhaustivement) par lsquopiloter par temps de neigersquo lsquoatterrir par temps de neigesur la neigersquo

etc (Cadiot 1991) Outre le SN deacutetacheacute crsquoest surtout la preacutedication attribueacutee agrave ccedila qui joue un

rocircle consideacuterable dans la maniegravere drsquoenvisager le reacutefeacuterent Il est agrave remarquer que le sujet

lexical peut ecirctre instancieacute agrave droite du verbe autrement dit que la deacutenomination peut ecirctre

ulteacuterieure agrave la deacutesignation pronominale par ccedila

(251) si si ils annoncent encore un petit peu beau | _ | _ | ccedila doit commencer la foire euh la

foire drsquoautomne agrave Bacircle (ofrom)

205

Sales relegraveve des zones de recouvrement entre ccedila pronominal et ccedila adverbial ougrave lrsquoon peut heacutesiter entre les

deux analyses Qui ccedila laquo lui raquo (ibid 229)

211

Dans ce cas aussi ccedila permet au contraire du pronom elle de preacutesenter lrsquoobjet sous une forme

plutocirct globale (Cadiot 1991) qursquoindividueacutee malgreacute lrsquoexistence drsquoun nom tout deacutesigneacute

identifiant lrsquoeacuteveacutenement en question (la foire drsquoautomne agrave Bacircle) Une autre interpreacutetation

possible est que lrsquoeacutetiquette lexicale nrsquoest pas encore disponible (lacune lexicale) pour le

locuteur au moment de la deacutesignation par ccedila (cf le euh drsquoheacutesitation) En effet on a deacutejagrave vu

supra (ChIII sect41) que ccedila est particuliegraverement propice en situation de recherche lexicale

Le pronom conjoint ceccedila peut proceacuteder agrave des reacutefeacuterences drsquoordre meacutetalinguistique comme ci-

dessous ougrave crsquo renvoie dans un premier temps au signe typewriter

(252) premiegraverement jrsquoai conccedilu un site internet en fait qui srsquoappelle typewriters of art [hellip]

typewriter cest non cest pas un choix qui est anodin | _ | le typewriter cest une figure

du street workout vous verrez tout agrave lheure | _ | et en mecircme ccedila fait reacutefeacuterence euh au

processus ethnographique et agrave lactiviteacute deacutecriture (ofrom)

En effet le choix en question concerne lrsquooccurrence autonymique typewriter (Authier-Revuz

2003) Mais la deuxiegraveme occurrence du pronom (crsquoest une figurehellip) pointe quant agrave elle sur le

type (Berrendonner 2002) introduit par le SN deacutefini le typewriter Le preacutedicat attribueacute agrave crsquo

consiste agrave fournir une caracteacuterisation (est une figure du street workout) au type en question Il

sert ainsi de relais entre lrsquoobjet et une laquo deacutefinition raquo agrave caractegravere identificatoire (Burston amp

Monville-Burston 1981) On peut enfin remarquer que le ccedila qui prolonge ulteacuterieurement la

reacutefeacuterence (ccedila fait reacutefeacuterence) ramegravene la reacutefeacuterence au signe au vu de la preacutedication qui lui est

assigneacutee crsquoest bien au nom typewriter qursquoon attribue la proprieacuteteacute de faire reacutefeacuterence agrave tel et tel

aspect Cet exemple illustre la flexibiliteacute du pronom ccedila qui se reacutevegravele totalement adapteacute aux

situations de reformatage drsquoobjet (ici entre le type et le signe)

2112 ccedila et la reacutefeacuterence humaine

Contrairement agrave certaines ideacutees reccedilues ccedila nrsquoest pas reacuteserveacute agrave la reacutefeacuterence [- animeacute]

(253) si je regarde avec mon fregravere | _ | lui il avait une phase | _ | ougrave il parlait seulement

franccedilais | _ | pis les Suisses allemands ccedila ccedila existait pas pour lui | et maintenant il a la

phase seulement suisse allemand (ofrom)

Dans cet exemple ccedila206

ne renvoie pas aux usagers suisses-allemands pris dans leur

individualiteacute comme pourrait lrsquoinduire un ils distributif mais il engage plutocirct une

interpreacutetation collective de lrsquoensemble eacutevoqueacute (les Suisses allemands) (Carlier 1996) voire

une reacutefeacuterence au type auquel cette classe ressortit Cette affiniteacute avec la geacuteneacutericiteacute est souvent

observeacutee dans les eacutetudes sur ccedila ougrave le SN deacutetacheacute peut prendre diverses formes (un zizi ccedila

sert agrave faire pipi debout la pieles pies ccedila jacasse lt Maillard 1989 Carlier 1996)

206

Lrsquoeacutecoute de lrsquoenregistrement confirme que le redoublement est ducirc agrave un pheacutenomegravene de bribe involontaire

plutocirct qursquoagrave une veacuteritable structure de deacutetachement agrave gauche drsquoun premier ccedila tonique redoubleacute drsquoun ccedila clitique

Crsquoest pourquoi nous consideacuterons qursquoil y a simple pieacutetinement drsquoun ccedila conjoint sur la position sujet

212

Mais ccedila impliqueacute dans la reacutefeacuterence humaine nrsquoapparaicirct pas exclusivement dans les contextes

geacuteneacuteriques Ci-dessous crsquoest est utiliseacute pour pourvoir un individu humain speacutecifiquement

nommeacute (cf le ) drsquoun attribut typant laquo en le rangeant dans la classe des objets ou des ecirctres qui

partagent ce type raquo (Boone 1987 96)207

(254) | jrsquoai connu | | _ | qui eacutetait euh qui donnait des des cours de batterie cest un batteur

donc (ofrom)

Pourquoi recourir agrave ce lorsque lrsquoindividu en question est deacutejagrave par ailleurs identifieacute (via le nom

propre masqueacute) Une alternative serait lrsquoemploi drsquoune structure il est N (il est batteur)

neacuteanmoins celle-ci nrsquoexprimerait plus un processus de classification mais laquo lrsquoattribution au

sujet des proprieacuteteacutes deacutefinitoires du type N1 raquo (Riegel 1985 198) Pour Cadiot (1988 177) la

structure en crsquoest un N invoque laquo la mise en œuvre drsquoun deacutecrochement entre une reacutefeacuterence

assureacutee et une reacutefeacuterence agrave effectuer raquo Le pronom conjoint ce apparaicirct comme lrsquoinstrument de

relais ideacuteal pour faire entrer lrsquoindividu dans une cateacutegorie donneacutee (un batteur) (cf aussi supra

(252))

Lrsquoexemple suivant illustre un cas de reacutefeacuterence humaine ougrave lrsquoon peut heacutesiter entre deux

interpreacutetations

(255) [le locuteur reacutepond agrave une question sur la taille de son neveu de 2 mois] il est il est il

non non donc pour son acircge il est assez grand justement | _ | bon il est neacute agrave cinquante

centimegravetres ce qui est pas mal | _ | pis lagrave je sais pas combien il fait mais euh ccedila grandit

agrave vue drsquoœil lagrave on a fait le weekend de Pacircques en Provence | _ | ouais | _ | et je lai pas

revu depuis toute la semaine jai vu il a changeacute quoi en une semaine (ofrom)

On peut drsquoune part consideacuterer que la preacutedication ccedila grandit concerne une classe prise dans

son ensemble celle des nourrissons exprimant ainsi un commentaire agrave caractegravere geacuteneacuterique

Drsquoautre part on peut interpreacuteter le pronom comme renvoyant speacutecifiquement agrave lrsquoenfant en

question208

mais avec une appreacutehension particuliegravere lrsquoaspect token-reacuteflexif simulant la

preacutesence effective du reacutefeacuterent combineacute au trait non individueacute de ccedila (mise en avant du

processus plutocirct que de lrsquoindividu marquage du caractegravere laquo inacheveacute raquo du beacutebeacute etc)

contribuent agrave produire un discours empreint de subjectiviteacute (attendrissement)

On peut noter agrave cet eacutegard que les grammaires ne relegravevent souvent que lrsquoeffet peacutejoratif de ccedila

pour la reacutefeacuterence humaine (Riegel et al 2009 377) comme dans

(256) ccedila court partout ccedila cavale avec tous les gars du coin ccedila srsquofait engrosser agrave tour de

bras (Maillard 1989 60)

Mais les divers exemples de cette section montrent bien que ce nrsquoest qursquoun effet possible

207

La diffeacuterence avec il est batteur semble ecirctre qursquoavec ce dernier on attribue simplement une proprieacuteteacute au

reacutefeacuterent en question mais non une cateacutegorisation agrave viseacutee identificatoire (cf Burston amp Monville-Burston 1981) 208

Cf lrsquoemploi de it en anglais ou es en allemand pour deacutesigner un beacutebeacute dans des contextes speacutecifiques

213

212 ccedila pointe sur un objet non cateacutegoriseacute

Le pronom ccedila par deacutefinition est particuliegraverement adapteacute agrave la reacutefeacuterence aux objets auxquels

on nrsquoa pas explicitement octroyeacute de classification nominale Nous en preacutesentons ci-dessous

les types de reacutefeacuterence majeurs

2121 ccedila se rapporte agrave lrsquoexpeacuterience du locuteur

Ces objets peuvent avoir pour origine la situation environnante comme lrsquoincident rapporteacute ci-

dessous par le locuteur

(257) [un plat vient de glisser des mains drsquoun essuyeur de vaisselle] ccedila a glisseacute (Maillard

1989 68)

Le clitique ccedila se reacutevegravele dans cette situation particuliegraverement eacuteconomique il est utiliseacute par

deacutefaut et nrsquoimplique pas contrairement agrave il drsquoeacutetiquette lexicale sous-jacente Il reacutevegravele agrave ce

titre que le locuteur nrsquoa pas assigneacute agrave lrsquoobjet un attribut de deacutenomination particulier

Dans le domaine des sens ccedilace peut renvoyer agrave une cible diffuse se mecirclant agrave lrsquoexpeacuterience

sensorielle proprement dite

(258) Mmh crsquoest bon (sur un bavoir pour beacutebeacute)

Pour reacutefeacuterer indistinctement agrave (un aspect de) la situation courante crsquoest agrave ccedila qursquoon recourt

(259) Ccedila suffit ccedila commence agrave bien faire (ibid 71)

A cet eacutegard il devient difficile de distinguer le reacutefeacuterent sur lequel opegravere la preacutedication

lrsquoeacutenonceacute dans son ensemble exprime globalement lrsquoexaspeacuteration du locuteur vis-agrave-vis drsquoune

situation

2122 ccedila laquo impersonnel raquo

De la mecircme maniegravere il apparaicirct impossible de restituer lrsquoagent du procegraves invoqueacute dans les

contextes ci-apregraves ie impliquant les domaines respectivement physiologique climatique ou

interactionnel

(260) [agrave propos de processus abdominaux involontaires] Ccedila gargouille (ibid )

(261) Ccedila caille ce matin ccedila pleut (ibid)

(262) Ccedila boumeccedila baigne ccedila gaze (ibid)

Maillard (1985 1989 1994a) propose de traiter ces cas comme des impersonnels ou plutocirct

comme des SV laquo asubjectaux raquo au vu de lrsquoimpossibiliteacute drsquoy cliver le pronom ccedila (crsquoest ccedila qui

boume) ou drsquoinstancier la place drsquoargument sujet (par exemple par le pronom tonique cela cf

Sales 2008 115) A ce titre ils contribuent seacutemantiquement agrave une laquo baisse drsquoagentiviteacute et agrave

une deacutetheacutematisation de lrsquoagent raquo le procegraves se voit degraves lors laquo mis en vedette au deacutetriment de

214

ses participants raquo (Maillard 1994a 5) Corblin (1991) leur refuse neacuteanmoins le statut

drsquoimpersonnel consideacuterant que ccedila nrsquoy est pas complegravetement expleacutetif mais qursquoil possegravede tout

de mecircme un contenu reacutefeacuterentiel aussi indistinct soit-il Il note agrave cet eacutegard la capaciteacute

drsquolaquo expansion meacutetonymique raquo des constructions en ccedila+V

(263) Ccedila dort lagrave-dedans (ibid 46)

Dans cet eacutenonceacute le verbe seacutelectionne un trait humain imputeacute de ce fait agrave un reacutefeacuterent

indistinct laquo le sommeil semble diffuseacute dans la situation et nrsquoecirctre plus une proprieacuteteacute

drsquoeacuteleacutements discrets et classifieacutes raquo (ibid) Selon Maillard crsquoest au final chaque emploi verbal

qui est responsable drsquoune lecture reacutefeacuterentielle ou non du pronom

Crsquoest le sens du verbe en contexte qui vide ou non de sa capaciteacute reacutefeacuterentielle le morphegraveme preacuteverbal qursquoil srsquoagisse du es allemand du it anglais du il ou ccedila franccedilais A priori tous ces morphegravemes sont preacutesumeacutes reacutefeacuterentiels ndash exophoriques ou endophoriques ndash et seul tel preacutedicat particulier a le pouvoir de les reacuteduire agrave lrsquoeacutetat de formes postiches (Maillard 1994a 4)

Il faut reconnaicirctre que la limite est teacutenue entre ccedila agrave reacutefeacuterence indistincte et ccedila areacutefeacuterentiel Srsquoil

est clair que pour (261) ccedila ne recouvre aucun agent on peut agrave lrsquoinverse admettre qursquoil

renvoie agrave lrsquoorigine (impreacutecise) des gargouillements en (260) Ou plutocirct on pourrait consideacuterer

dans ce dernier cas que lrsquoexemple fait lrsquoobjet de deux analyses concurrentes agrave savoir une

interpreacutetation reacutefeacuterentielle indistincte et une interpreacutetation areacutefeacuterentielle ougrave ccedila est employeacute

comme forme postiche pour mettre en avant un procegraves sans agent Maillard remarque

drsquoailleurs que ccedila contrairement agrave il impersonnel permet de creacuteer de nouveaux preacutedicats

asubjectaux

[hellip] ccedila ne cesse de srsquoaccoupler avec des formes verbales nouvelles (ccedila boume ccedila cartonne ccedila bouchonnehellip) tandis que il est aujourdrsquohui frappeacute de steacuteriliteacute (1989 37)

2123 ccedila renvoie agrave un procegraves ou agrave un objet laquo indiscret raquo

Parmi les reacutefeacuterences agrave des objets non cateacutegoriseacutes figure eacutevidemment en bonne place le renvoi

aux procegraves que la langue peut exprimer au moyen de constructions verbales En effet on a

deacutejagrave vu (supra ChI sect34) que ce type drsquoobjets avait en commun la caracteacuteristique de ne pas

posseacuteder de deacutenomination usuelle Le clitique ccedila repreacutesente un bon moyen de reacutefeacuterer agrave des

objets de ce genre et drsquoailleurs le seul moyen de laquo redoubler raquo en position sujet209

une

construction infinitive deacutetacheacutee210

(Cadiot 1988)

(264) ah ouais parce quagrave | qursquoagrave leacutepoque euh | _ | marier211

un eacutetudiant ben ccedila se faisait pas

hein enfin | _ | agrave part justement si on eacutetait obligeacutes (ofrom)

209

En fait peut-ecirctre pas tout agrave fait cf la structure inverseacutee en -il avec infinitif du type marier un eacutetudiant se

faisait-il agrave lrsquoeacutepoque 210

En position drsquoobjet on trouve eacutegalement le en y cf supra Ch III sect522 211

Ici drsquoapregraves le contexte au sens drsquoeacutepouser et non au sens de donner un eacutepoux (agrave qqn) ou de consacrer une

union

215

Lrsquoobjet viseacute par ccedila nrsquoest cependant pas toujours aussi clairement identifiable agrave travers le

contexte linguistique Ci-dessous ccedila renvoie vraisemblablement agrave la tacircche de reacutepondre au

teacuteleacutephone solliciteacutee par le locuteur ou eacuteventuellement agrave sa demande de faire autrement dit agrave

lrsquoacte de langage rapporteacute (cf la notion de deixis textuelle supra ChIII sect43)

(265) ouais il serait capable de tout faire si il sinvestissait un peu plus | _ | non cest juste que

| _ | genre euh y a le teacuteleacutephone qui sonne je lui dis ben prends | _ | pis euh | _ | ccedila lui

fait chier ou bien euh | _ | genre on doit aller faire un deacutepannage | _ | il me dit ouais

mais je sais pas comment faire (ofrom)

Le pronom ccedila peut eacutegalement se rapporter agrave un sous-graphe de plus grande laquo envergure raquo en

M comme une seacuterie de peacuteripeacuteties

(266) ben moi jeacutetais au stade jai vu jeacutetais juste derriegravere celui qui a jeteacute la torche | _ | alors tu

te dis super tu sais le gars super intelligent qui a tout compris | et allez tiens si on jetait

une torse une torche sur le gardien adverse hein | _ | et pis donc il balance sa torche

apregraves | _ | comme cest un grand courageux il va se planquer dans les gradins pis ccedila a

provoqueacute une bagarre | entre les groupes et les ex les ex groupe (ofrom)

Le pronom fonctionne ici de maniegravere reacutesomptive212

(Maillard 1989 61) reacutesumant toute une

seacutequence narrative agrave propos de laquelle la locutrice preacutedique la conseacutequence (ccedila a provoqueacute

une bagarre) La succession des eacutenonceacutes peut donner lrsquoimpression que leurs contenus sont

mis bout agrave bout dans M ainsi engrangeacutes au fil du discours et potentiellement disponibles pour

les opeacuterations de pointage Mais il ne faut pas oublier que les procegraves ne font pas que

srsquoaccumuler ils se combinent par diverses relations (temporelles causales oppositives etc)

et peuvent aboutir agrave des sous-graphes inanalysables des repreacutesentations au contenu

partiellement implicite et aux contours vagues eacutemergeant de multiples inputs

Ci-dessous un locuteur raconte son seacutejour aux Eacutetats-Unis et son inteacutegration difficile faute de

moyens linguistiques suffisants

(267) cest vrai que pendant | _ | 213

| _ | un bon mois | _ | jai pas vraiment compris ce quon

me racontait | _ | alors cest ccedila peut paraicirctre long | surtout que jeacutetais pas en cours en

mecircme temps que les gens | _ | et jeacutetais lagrave pour faire mon travail de diplocircme donc euh |

du coup euh javais deacutejagrave je voyais deacutejagrave peu de monde | _ | euh la personne que je

voyais le plus ceacutetait le concierge | de linstitut | _ | qui navait quune dent | _ | et qui

parlait euh | _ | ceacutetait un peu particulier ouais | _ | alors je lai pas compris lui

pendant | pendant un an et demi au moins il me parlait tous les jours euh | il venait

fumer sa clope avec moi et pendant ouais | pendant un an et demi jai pas compris ce

quil ma raconteacute | _ | ceacutetait sympa (ofrom)

212

Neacuteanmoins nous nous distancions de lrsquoapproche segmentale de Maillard pour lequel ce sont des laquo fragments

discursifs raquo qui sont laquo repris par ccedila raquo (ibid 61) 213

Le signe signale dans ofrom un eacuteleacutement inaudible

216

Dans les deux preacutedications en crsquoeacutetait le pronom ce renvoie vraisemblablement au reacutesultat

global des eacuteleacutements rapporteacutes par le locuteur214

dont on peut infeacuterer lrsquoincongruiteacute en

mobilisant des compeacutetences drsquointerpreacutetation adeacutequates il capte la conjonction de divers

eacuteleacutements agrave savoir le deacutefaut de ressources linguistiques du locuteur sa solitude sa rencontre

avec un personnage atypique qui deviendra son compagnon malgreacute la barriegravere de la langue

etc Le pronom ce permet ainsi drsquoeacutevoquer grossiegraverement le bilan de ces ingreacutedients divers

qursquoon ne peut ramener agrave une simple addition drsquoeacuteleacutements

2124 ccedila renvoie agrave une quantiteacute

Le pronom conjoint ccedila se montre encore productif en contexte drsquolaquo estimation quantitative raquo

(Maillard 1989 70) agrave travers des formules comme ccedila faithellip ccedila donnehellip crsquoesthellip

(268) les gens qui sont vraiment ce quon appelle des | _ | pratiquants cest dix-huit pour cent

| _ | et puis y a ce quon appelle les laiumlcs ccedila fait environ | treize quatorze pour cent

(ofrom)

En (268) ce et ccedila srsquointerpregravetent comme le reacutesultat drsquoun calcul en lrsquooccurrence des

proportions

22 ccedila disjoint

Nous nous penchons dans cette section sur deux situations la reacutefeacuterence du pronom ccedila en

position de compleacutement dont le fonctionnement reacutefeacuterentiel est en partie semblable aux

emplois reacutefeacuterentiels de ccedila conjoint Et nous envisageons ensuite le fonctionnement reacutefeacuterentiel

de ccedila en position deacutetacheacutee ougrave il apparaicirct tirer totalement parti de sa valeur token-reacuteflexive

mise au service drsquoeffets drsquointensiteacute ou de contraste

221 ccedila compleacutement

Dans la mesure ougrave le fonctionnement reacutefeacuterentiel de ccedila compleacutement nrsquoest pas si diffeacuterent du ccedila

clitique reacutefeacuterentiel nous nous limitons agrave illustrer quelques situations caracteacuteristiques

Outre son affiniteacute avec les objets de type procegraves ccedila compleacutement peut eacutegalement reacutefeacuterer

reacutesomptivement agrave un objet indiscret constitueacute de nombreux ingreacutedients heacuteteacuterogegravenes

(269) [agrave propos de la conduite automobile en Australie] donc euh la voiture cest cest

quelque chose dassez indispensable | _ | dailleurs euh ils peuvent | _ | avoir leur

permis | _ | agrave seize ans | _ | mais ccedila pose deacutenormes problegravemes [hellip] ils ont ils avaient

tendance agrave tous avoir des voitures de sport | _ | et y avait enfin | _ | un taux de mortaliteacute

dingue [hellip]avec les kangourous qui traversent la route rien agrave voir euh ccedila aide pas non

plus | _ | tas meilleur temps215

de pas aller trop vite | _ | mais alors maintenant ils ont

instaureacute des nouvelles lois | genre euh ils ont pas le droit davoir de trop grosses

214

A noter une autre interpreacutetation possible pour le premier ce ougrave celui-ci peut renvoyer agrave la maniegravere de parler

du concierge (a fortiori du fait qursquoil nrsquoavait qursquoune dent) 215

Locution utiliseacutee en Suisse romande signifiant laquo avoir inteacuterecirct agrave raquo

217

cylindreacutees | _ | heureusement | _ | euh | _ | ils ont pas le droit decirctre plus que deux dans

une voiture apregraves neuf heures le soir | _ | pour pas quils euh | _ | enfin pas quils aillent

faire la foire euh | _ | agrave plusieurs remplir une voiture y en a un qui | _ | conduit quil

boive ou quil boive pas euh | _ | agrave seize ans tu rentres agrave une heure du matin tes fatigueacute

euh | tas les copains qui te poussent agrave aller vite enfin cest aussi le truc agrave faire des

conneries | _ | mais euh | _ | bon voilagrave ils ont mis des restrictions par rapport agrave ccedila

(ofrom)

On interpregravete ccedila dans ce contexte reacutecapitulatif (noter le bon voilagrave) comme renvoyant

globalement agrave la situation probleacutematique des jeunes conducteurs en Australie dont le deacutetail a

eacuteteacute preacutealablement rapporteacute

Le pronom compleacutement peut reacutefeacuterer agrave un objet dont la deacutenomination lexicale fait

momentaneacutement deacutefaut (cf aussi (225))

(270) quand on va dans un museacutee | y a beaucoup de choses tandis que lagrave | ouais | lagrave | _ |

quand je vais voir justement ces | _ | euh comment on appelle ccedila l les vernissages | oui

| comme ccedila | _ | mais | oui | bon ils sont | _ | souvent plusieurs | _ | ouais | y a | _ | tregraves

tregraves peu de choses (ofrom)

On rencontre eacutegalement des ccedila compleacutements portant reacuteflexivement sur lrsquoeacutenonciation en cours

comme dans lrsquoexemple suivant ougrave il reacutefegravere agrave lrsquoun de ses aspects para-verbaux agrave savoir la

hauteur de la voix de la locutrice

(271) le petit garccedilon qui chantait en soprano il est reparti de chez moi euh | _ | avec une voix

comme ccedila | _ | et pis vraiment euh et il eacutetait tregraves content (ofrom)

Le pronom ccedila apparaicirct dans une structure comparative ougrave la locutrice enseignante de chant

contrefait sa voix en en reacuteduisant sensiblement la freacutequence sur le segment avec une voix

comme ccedila pour imiter celle de lrsquoeacutelegraveve devenu grand A noter la productiviteacute de la seacutequence

comme ccedila agrave lrsquooral spontaneacute qui peut fonctionner comme lrsquoexpression de la simple

approximation (quantitative comme ci-dessous ou lexicale) (Beacuteguelin 2016 Corminboeuf

2016)

(272) et puis ben voilagrave ccedila fait quoi une dizaine danneacutees douze ans comme ccedila ben | _ | je suis

partie lagrave-dedans (ofrom lt ibid)

Dans cet exemple il nrsquoy a pas lieu de restituer analytiquement les eacuteleacutements de la

comparaison216

le syntagme comme ccedila sert simplement agrave mitiger la dureacutee indiqueacutee agrave la

maniegravere drsquoun adverbe drsquoapproximation (eg environ agrave peu pregraves etc)

Dans le domaine de lrsquoestimation quantitative Maillard (1989 70) rapporte dans des

contextes commerciaux lrsquousage drsquoexpressions confirmatives comme crsquoest (bien) ccedila ougrave ccedila

216

Sur lrsquoemploi reacutefeacuterentiellement laquo deacutemotiveacute raquo de ccedila dans les expressions gros comme ccedila haut comme ccedila etc

voir Beacuteguelin (2016)

218

disjoint renvoie au montant demandeacute Lrsquoexpression peut eacutegalement servir agrave laquo lrsquoappreacuteciation

qualitative raquo par exemple drsquoune expeacuterience perceptive

(273) [un chef de chœur agrave ses choristes] crsquoest pas encore tout agrave fait ccedila (ibid)

Le pronom clitique crsquo renvoie au reacutesultat effectif de lrsquointerpreacutetation tandis que le pronom

attribut deacutesigne le reacutesultat souhaiteacute entre lesquels le locuteur signale lrsquoeacutecart qualitatif

222 ccedila deacutetacheacute

Le pronom ccedila disjoint intervient reacuteguliegraverement en position deacutetacheacutee ougrave il se voit redoubleacute par

un ccedila clitique en position sujet ou un autre pronom en position objet217

(274) il faut euh il faut pas regarder les hommes | _ | ou alors si on les regarde il faut pas les

voir il faut avoir le regard qui passe agrave travers | _ | ccedila ccedila marche assez bien mais | _ | on

nrsquoa pas forceacutement lrsquohabitude en Suisse (ofrom)

(275) peut-ecirctre que je faisais pas bien la vaisselle cest un truc que je deacutetestais faire | _ | mais

euh | _ | mais agrave la base jeacutetais pas lagrave pour ccedila jeacutetais lagrave pour moccuper de sa fille pis ccedila

je le faisais tregraves bien (ofrom)

Dans ces exemples ccedila renvoie respectivement agrave un comportement (274) et agrave une activiteacute

(275) En tant que pronom accentueacute il exploite ici pleinement sa valeur token-reacuteflexive

responsable drsquoun veacuteritable geste ostensif eacuteventuellement accompagneacute drsquoun effet contrastif

(277) (cf supra sur les pronoms disjoints ChI sect44) qui apparaicirct moins manifeste si le

clitique est employeacute seul

(276) ou alors si on les regarde il faut pas les voir il faut avoir le regard qui passe agrave travers |

_ | ccedila marche assez bien (exemple modifieacute agrave partir de (274))

(277) jeacutetais pas lagrave pour ccedila jeacutetais lagrave pour moccuper de sa fille pis je le faisais tregraves bien

(exemple modifieacute agrave partir de (275))

Cet acte drsquoostension marqueacute ne preacutesente pas de contraintes reacutefeacuterentielles particuliegraveres Outre

la reacutefeacuterence aux procegraves illustreacutee ci-dessus ccedila deacutetacheacute renvoie volontiers aussi agrave un objet

indiscret ci-dessous une eacutetape drsquoun exposeacute scientifique comme lrsquoillustre cet exemple de

Maillard (1989)

(278) [hellip] alors ccedila crsquoeacutetaient nos constatations sur le terrain socio-linguistique (ibid 61)

Il est eacutegalement compatible dans cette position avec la reacutefeacuterence humaine

(279) Yves Montand ccedila crsquoeacutetait un chanteur (Leeman 1994 146)

217

Nous nrsquoabordons pas la question du statut syntaxique de ces structures deacutetacheacutees ou disloqueacutees qui selon

lrsquohypothegravese de Berrendonner (2008) ne relegravevent pas toutes du mecircme type Il nous suffit pour notre propos de

comparer la preacutesence agrave lrsquoabsence drsquoun redoublement pour mettre en eacutevidence les diffeacuterences reacutefeacuterentielles

219

(280) et pis y avait donc euh les enfants y avait | 218

| _ | la fille | _ | et pis | | _ | pis ccedila

ceacutetait des enfants que monsieur | | avait adopteacutes qui eacutetaient agrave son fregravere

On voit agrave nouveau que lorsqursquoon veut ranger un reacutefeacuterent dans une cateacutegorie ad hoc crsquoest agrave ccedila

qursquoon recourt (cf supra sect211)

A la faveur de sa nature fonciegraverement ostensive ccedila deacutetacheacute est productif dans la deacutesignation

drsquoeacuteleacutements de la situation ambiante (cf avec les emplois clitiques supra (235) (258)) comme

ci-dessous ougrave la locutrice est en train de montrer les photographies drsquoun mariage agrave son

allocutaire

(281) ccedila crsquoest dans lrsquoeacuteglise des Invalides ccedila crsquoest la agrave la maison ici (pfc)

La deacutesignation peut concerner un aspect de lrsquoeacutenonciation elle-mecircme

(282) L1 je me suis souvent poseacute la question | est-ce quy a ce est-ce quon rencontre ce

pheacutenomegravene est-ce que par exemple tu lui montres un exercice | _ | lui il aura tendance

agrave il va peut-ecirctre ne pas comprendre ce quil doit faire corporellement mais il va essayer

de | copier un petit peu euh le son quil a entendu | _ | euh est-ce que |

L2 alors ccedila cest cest un cest une question absolument pertinente (ofrom)

La cible de ccedila au vu de sa preacutedication constitue autant lrsquoobjet du dire que lrsquoacte locutoire lui-

mecircme

Lrsquoextrait suivant qui implique un discours rapporteacute direct montre que la limite traditionnelle

traceacutee entre sources verbale et situationnelle est probleacutematique (cf supra lrsquoexemple (180))

(283) [la locutrice raconte la faccedilon dont elle a illustreacute sous forme de scheacutema les problegravemes

que se creacuteait une amie] jai dit parce que tu tes mis des bacirctons dans les roues toute

seule | _ | oui |tu tes fait une montagne pour rien | _ | et pis lagrave elle me regarde elle me

dit oui | _ | et jai dit mais ccedila | _ | ccedila lagrave cette montagne ce mur fais | _ | une croix dessus

(ofrom)

La reacutepeacutetition disjointe de ccedila deacutesigne un objet deacutejagrave preacutealablement introduit par des moyens

verbaux (des bacirctons dans les roues une montagne) Mais dans le discours direct reproduit

lrsquoobjet incrimineacute est convoqueacute gestuellement il fait lrsquoobjet de six pointages successifs (ccedila ccedila

lagrave cette montagne ce mur dessus) chacun accompagneacute de proeacuteminences prosodiques

produites avec une scansion rythmique remarquable Lrsquoacte drsquoostension est plus qursquoinsistant

se manifestant agrave plusieurs niveaux (parole gestes dessins) Drsquoailleurs lrsquoenregistrement capte

le bruit reacutepeacuteteacute (sur croix et dessus) de ce qui pourrait ecirctre le choc drsquoun doigt ou autre objet sur

une surface La locutrice est veacuteritablement en train de mimer cette eacutenonciation anteacuterieure (cf

aussi (235) supra) Lrsquointeraction de ces divers paramegravetres contextuels (verbaux gestuels

iconographiques) ainsi que lrsquoimbrication des eacutenonciations hocircte et rapporteacutee illustrent ainsi

bien les difficulteacutes qursquoil y a agrave vouloir distinguer leur nature agrave tout prix

218

Pour rappel signe drsquoanonymisation dans OFROM

220

En somme ce qui nous paraicirct significativement diffeacuterent entre les structures agrave redoublement

avec ccedila deacutetacheacute et les structures sans redoublement219

crsquoest lrsquoacte de confirmation

reacutefeacuterentielle qursquoopegravere le geste ostensif avec ccedila deacutetacheacute sur la validiteacute du reacutefeacuterent en M lagrave ougrave

la preacutesence du seul clitique peut consister en une reacutefeacuterence par deacutefaut ccedila deacutetacheacute contribue

ainsi agrave augmenter la saillance cognitive de lrsquoobjet deacutesigneacute

23 Bilan sur les emplois de ccedila

Pour la majoriteacute des emplois de ccedila la nature conjointe ou disjointe du pronom nrsquoa pas de

conseacutequence sur le fonctionnement reacutefeacuterentiel au vu de sa sous-speacutecification et du deacutefaut de

trait de cateacutegorisation reacutefeacuterentielle ccedila srsquoillustre dans un eacuteventail de reacutefeacuterences que les objets

soient deacutepourvus de deacutenomination ad hoc appreacutehendeacutes de maniegravere non strictement individueacutee

ou qursquoils se montrent ouverts agrave de nouvelles cateacutegorisations On peut neacuteanmoins relever deux

aspects sur lesquels pronom disjoint et pronom conjoint divergent sauf dans des lexies

particuliegraveres agrave pointeur deacutemotiveacute le pronom disjoint exploite toute sa potentialiteacute

reacutefeacuterentielle agrave cet eacutegard en particulier en position deacutetacheacutee il met en œuvre un veacuteritable

geste ostensif qui contribue agrave consolider la place cognitive du reacutefeacuterent dans la meacutemoire

discursive (supra sect222) Drsquoautre part lrsquooccurrence de ccedila dans les structures dites

laquo impersonnelles raquo concerne exclusivement ccedila conjoint (supra sect212) Dans ces emplois la

valeur reacutefeacuterentielle de ccedila srsquoestompe agrave la faveur drsquoune mise en avant du procegraves exprimeacute par le

verbe

219

A noter qursquoil ne fonctionne pas par deacutefinition comme sujet deacutetacheacute drsquoune construction impersonnelle ou

laquo asubjectale raquo

221

3 Les emplois de tout ccedila

31 Le quantificateur tout

Dans le syntagme tout ccedila tout fonctionne comme preacutedeacuteterminant (Grevisse amp Goosse 2011

sect638) devant ccedila disjoint celui-ci occupant une position de SN

toute la compagnie

tout le reste

toutes les choses

tout ccedila

Le quantificateur tout exprime la totaliteacute ou lrsquoexhaustiviteacute qursquoil srsquoagisse drsquoune laquo absence

drsquoexception raquo (= lat omnis) lorsque tout srsquoapplique agrave une classe ou du caractegravere laquo entier raquo (=

lat totus) quand il concerne un individu (Grevisse amp Goosse 2011 sect638) Pour rendre

compte de la premiegravere conception (omnis) on parle geacuteneacuteralement de quantification

universelle Kleiber (1998) formule deux conditions agrave lrsquoeacutegard de lrsquoappreacutehension de la totaliteacute

par tout

[hellip] tout parce qursquoil indique la totaliteacute neacutecessite drsquoune part un domaine de quantification borneacute et drsquoautre part une structuration interne partitive de ce domaine (ibid 90)

Aux yeux de Kleiber envisager soit une entiteacute dans sa totaliteacute soit des entiteacutes dans leur

totaliteacute implique la deacutelimitation de lrsquoensemble envisageacute

(284) Jrsquoai mangeacute toute la saucisse (Kleiber 2011 143)

(285) Jrsquoai mangeacute toutes les saucisses (ibid)

(286) Jrsquoai mangeacute toute une saucisse (ibid)

(287) Jrsquoai mangeacute toute de la saucisse (ibid)

Le dernier exemple montre que le quantificateur est incompatible avec le deacuteterminant partitif

exprimant le caractegravere non deacutelimiteacute du reacutefeacuterent Drsquoautre part la totaliteacute implique que

lrsquoensemble se compose de parties agrave savoir les occurrences de N pour une classe220

(285) ou

des subdivisions internes pour un individu singulier (284) (286) Enfin Kleiber ajoute que

contrairement agrave tout N distributif (eg dans tout homme est mortel) tout SN donne lieu agrave une

saisie externe de la totaliteacute drsquoougrave une exhaustiviteacute perccedilue de maniegravere collective et non

distributive221

Il nous semble que quelques aspects de cette conception meacuteritent drsquoecirctre nuanceacutes La plupart

des eacutetudes sur tout SN se concentrent essentiellement sur son occurrence avec des SN deacutefinis

220

Encore que lrsquoon puisse se demander si les eacuteleacutements drsquoun ensemble en constituent les laquo parties raquo 221

Une lecture distributive nrsquoest pas exclue pour autant (eg tous les enfants ont une voiture) mais elle serait

alors due agrave lrsquoattribution drsquoun preacutedicat individuel (Kleiber 2011 150)

222

et donnent agrave penser que lrsquoensemble exhaustivement perccedilu comporte des eacuteleacutements homogegravenes

et deacutenombrables par analogie agrave la notion matheacutematique drsquoensemble Le cas de tout ccedila

soulegraveve agrave cet eacutegard un laquo paradoxe raquo inteacuteressant car le marqueur se montre susceptible de

renvoyer agrave des sous-graphes (ou reacuteseaux reacutefeacuterentiels) mal deacutelimiteacutes en M Drsquoautres

expressions avec tout posent eacutegalement problegraveme agrave cette approche

(288) laquo Elle raquo avait aussitocirct abordeacute lIndienne qui rasait les murs et apregraves une bregraveve lecture

de son regard noir en amande lrsquoavait embrasseacutee chaleureusement en guise de

bienvenue laquo Tu peux me demander tout ce que tu veux raquo avait-elle souri sous les

spots comme si le monde eacutetait aussi grand (Feacuterey C Mapuche 2012 lt Frantext)

Cet exemple montre eacutegalement la difficulteacute de deacutenombrer les eacuteleacutements de maniegravere exhaustive

comme ceux-ci sont en quantiteacute manifestement indeacutefinie Il en va encore de mecircme ci-dessous

au vu de lrsquoapplication de lrsquoopeacuterateur tout agrave une notion reacuteputeacutee infinie

(289) Tous les nombres premiers sont impairs agrave lexception de 2 (web

httpeducationtoutcommentcom consulteacute le 16092016)

Schnedecker (2008) signale un autre contexte ougrave tout met agrave mal la deacutenombrabiliteacute et

lrsquoexhaustiviteacute du domaine Il srsquoagit de son emploi pronominal qui se rapproche selon lrsquoauteur

drsquoun terme massif du fait qursquoil se combine avec les marqueurs ad hoc le partitif de

lrsquoanaphore par en le quantifieur un peu de dont nous fournissons une illustration ci-dessous

(290) Que nous conseillez-vous Un menu pour les bons clients Ah Preacuteparez-nous

lrsquoassiette du chef ce que vous voulez je vous fais confiance Avec un peu de tout

tregraves bien (Mreacutejen Eau sauvage 2004 lt ibid 2165)

Selon Schnedecker lrsquoabsence de N restreignant son domaine rend celui-ci laquo ouvert

heacuteteacuterogegravene et massif raquo (ibid 2169) Elle relegraveve eacutegalement sa disposition agrave la reacutecapitulation

(291) Agrave cause de haut-parleurs crsquoest la musique qui vous attire et puis plus pregraves voilagrave les

paroles dialogues et bruitages lrsquohistoire On entend tout (Bon Meacutecanique 2001 lt

ibid 2162)

Dans ce cas il va de soi que la reacutefeacuterence de tout englobe les eacuteleacutements eacutenumeacutereacutes Mais elle

srsquoouvre agrave drsquoautres possibiliteacutes reacutefeacuterentielles Selon Schnedecker le fait que tout pronominal

puisse reacutefeacuterer agrave des entiteacutes factuelles contrefactuelles ou potentielles empecircche la reacutealisation

effective du parcours du domaine de quantification La solution choisie est de consideacuterer le

parcours en question non pas comme exhaustivement reacutealiseacute mais comme seulement

virtuellement eacutebaucheacute ou simuleacute

Nous preacutefeacuterons consideacuterer pour notre part que lrsquoensemble eacutevoqueacute par tout SN est agrave interpreacuteter

non pas au sens matheacutematique mais qursquoil recouvre plus geacuteneacuteralement une classe-objet (Grize

1990 cf supra ChIII sect23) dont les eacuteleacutements ne sont pas obligatoirement homogegravenes

223

discrets ou deacutenombrables Crsquoest en tout cas ce que suggegravere lrsquoemploi de tout ccedila comme on va

le voir

Venons-en aux diffeacuterents contextes drsquoapparition de la seacutequence tout ccedila celui-ci peut se

retrouver en relation de deacutependance grammaticale avec son entourage on le trouve aussi en

position deacutetacheacutee redoubleacute par un pronom clitique il peut encore fonctionner comme

apposition et pour finir il apparaicirct en clocircture drsquoeacutenumeacuteration

32 tout ccedila reacutegi

Au niveau micro-syntaxique il peut occuper toutes les places reacutegies deacutevolues aux SN comme

ci-dessous en position de reacutegime direct drsquoun verbe

(292) Aussi on lrsquoaimait et les jours de reacutejouissance nombreux eacutetaient les compegraveres qui se

pressaient autour de lui heureux drsquoentendre ses calembredaines ses histoires ses

drocircleries les provoquant au besoin et le ramenant sans en avoir lrsquoair aux sujets de

conversations qursquoil preacutefeacuterait Ou bien ils commentaient ses reacutecits drsquoun petit clignement

drsquoyeux agrave lrsquoadresse de la socieacuteteacute comme pour en faire valoir la saveur toute la verve

rare et puissante Sacreacute Poloche on ne savait pas ougrave il allait chercher tout ccedila

(Moselly E Terres lorraines 1907 lt Frantext)

Dans cet exemple tout ccedila fonctionne non seulement de maniegravere reacutesomptive mais suggegravere

mecircme plus que les reacutefeacuterents preacutealablement introduits En outre il participe agrave la faveur de son

caractegravere token-reacuteflexif agrave lrsquoexpression drsquoun discours indirect libre rendant compte de

lrsquoexpeacuterience drsquoauditeur du narrateur

33 tout ccedila deacutetacheacute

Le segment tout ccedila peut apparaicirctre comme eacuteleacutement deacutetacheacute redoubleacute par un pronom ici le

clitique ccedila en position sujet

(293) parce quon avait en geacuteneacuteral huit vaches | _ | le mulet | _ | deux deux chegravevres | _ | et

souvent | | un ou deux moutons | _ | et tout ccedila ccedila mange | _ | il faut emmagasiner du

foin pour tout lrsquohiver

Dans ce cas tout ccedila englobe notamment les objets preacutealablement introduits mais envisage

ouvertement le deacutetail de cet ensemble avec une certaine latitude (en geacuteneacuteral souvent un ou

deux)

A noter qursquoon trouve sans problegraveme des deacutetachements dans lrsquoeacutecrit litteacuteraire

(294) [Yersin un meacutedecin suisse est en fonction en Indochine] Yersin heacutesite parce qursquoil

craint de devoir se mettre en regravegle un de ces jours avec les autoriteacutes franccedilaises Il a

solliciteacute sa naturalisation et depuis nrsquoa jamais effectueacute son temps sous les drapeaux

Mais tout ccedila pour lui crsquoest fini Crsquoest son ancienne vie (Deville P Peste et Choleacutera

2012)

224

Le syntagme tout ccedila reacutecapitule les preacuteoccupations du personnage agrave lrsquoeacutegard de sa situation

irreacuteguliegravere mais semble suggeacuterer en mecircme temps lrsquoexistence drsquoautres tracas implicites tout

en participant lagrave aussi agrave lrsquoexpression drsquoun discours indirect libre

34 tout ccedila appositif reacutegissant un circonstant

Le syntagme tout ccedila se retrouve eacutegalement dans une position qursquoon pourrait analyser comme

appositive y reacutegissant un compleacutement subseacutequent

(295) ben euh ben mecircme si tes juste financiegraverement tu peux tinscrire et pis on tenvoie | et

pis sinon tas la possibiliteacute dimprimer chez toi les documents et puis euh | _ | et pis au

moins la secreacutetaire elle est pas obligeacutee de passer deux semaines avant euh | _ | plein

dheures agrave la photocopieuse euh | _ | enfin voilagrave | _ | tout ccedila pour dire | _ | que euh je

suis tregraves contente de cette commission parce que on parle vraiment de | _ | moi jaime

bien tout ce qui est euh | _ | systegravemes eacutelectoraux (ofrom)

Dans lrsquoexemple ci-dessus tout ccedila fonctionne en apposition drsquoune succession drsquoeacutenonceacutes dont

la deacutelimitation syntaxique se montre par ailleurs indeacutecise La seacutequence tout ccedila pour dire

illustre bien lrsquoexploitation argumentative de tout ccedila en contexte reacutecapitulatif (cf enfin voilagrave)

qui consiste agrave mettre fin au deacuteveloppement preacuteceacutedent dans le but drsquointroduire la conclusion

jugeacutee pertinente On retrouve le mecircme scheacutema ci-dessous produisant des rendements

discursifs analogues

(296) donc on travaille beaucoup en interdisciplinariteacute | avec des ergotheacuterapeutes des

physiotheacuterapeutes des assistantes sociales | _ | des dieacuteteacuteticiennes | _ | donc on a

plusieurs corps de meacutetiers | _ | il faut deacutejagrave quon trouve une harmonie entre nous entre

des cultures bien diffeacuterentes | _ | et tout ccedila pour converger vers un vers une personne

dans le but de la maintenir agrave domicile (ofrom)

Dans lrsquoexemple preacuteceacutedent tout ccedila permet de reacutecapituler le deacuteveloppement pour introduire la

finaliteacute du propos Le compleacutement introduit par le biais de tout ccedila nrsquoexprime cependant pas

toujours la finaliteacute Il illustre toutes sortes de fonctions circonstancielles par exemple ci-

dessous la caracteacuterisation drsquoune maniegravere de parler

(297) Alors ma megravere se levait sapprochait du fauteuil deacutesignait les arriveacutees de gaz de

chaque cocircteacute de la glace et entamait un petit cours dhygiegravene dougrave il ressortait que

jeacutetais une enfant que bien souvent la clientegravele adulte est porteuse de germes et que de

toute faccedilon les becs de gaz nrsquoeacutetaient pas lagrave pour les chiens Tout ccedila avec une politesse

exquise Puis elle allait se rasseoir (Signoret S La nostalgie nest plus ce quelle

eacutetait 1976lt Frantext)

Dans cet exemple tireacute de lrsquoeacutecrit litteacuteraire tout ccedila enchaicircne comme auparavant sur un

deacuteveloppement ici agrave la suite drsquoun discours narrativiseacute

225

Enfin lrsquoexemple suivant nous permet de faire la transition avec la derniegravere partie de la

section car il illustre un cas de tout ccedila enchaicircnant sur une liste tout en servant de relais agrave

lrsquoexpression drsquoune cause

(298) alors tu aurais eacutetudieacute six ans tu aurais eacuteteacute au collegravege tu aurais eacuteteacute au gymnase tu

mrsquoaurais coucircteacute tant drsquoargent tout ccedila (il reacutepeacuteta le mot) tout ccedila pour des

enfantillages (Ramuz F Aimeacute Pache peintre vaudois 1911 lt Frantext)

La premiegravere occurrence de tout ccedila peut dans un premier temps ecirctre interpreacuteteacutee comme une

particule drsquoextension de la liste (cf ci-apregraves) Mais le prolongement de la structure deacutement

cette analyse et en fait un eacuteleacutement recteur agrave lrsquoinstar des exemples preacuteceacutedents servant agrave

introduire une cause ici sur le ton du reproche

35 tout ccedila dans les listes

On relegraveve enfin un dernier contexte drsquooccurrence pour tout ccedila la configuration de liste

principalement en derniegravere position de lrsquoeacutenumeacuteration222

(299) Et ccedila se fait comment que lrsquointernet est arriveacute si tard en France Parce que en geacuteneacuteral

la France est un pays qui adore le progregraves la technique les avions tout ccedila Alors euh

pourquoi crsquoeacutetait pas comme ccedila pour lrsquointernet (pfc)

Dans cet extrait tout ccedila intervient agrave la suite drsquoeacuteleacutements lexicaux occupant la position de

compleacutement drsquoobjet direct du verbe adore On est en droit drsquoinvoquer comme dans ses autres

emplois un fonctionnement reacutesomptif il comprend dans sa reacutefeacuterence les objets mentionneacutes

dans le cadre de lrsquoeacutenumeacuteration qursquoil clocirct Mais comme dans les cas preacuteceacutedents il fait bien

plus que ccedila tout en se preacutesentant comme constituant postiche de la liste (cf supra sect513) il

signale justement qursquoil y a davantage agrave consideacuterer que les ingreacutedients explicitement listeacutes il

pousse lrsquointerlocuteur en simulant une certaine connivence agrave envisager une classe-objet

heacuteteacuteroclite dont il reacutevegravele lrsquoampleur

36 Bilan sur les emplois de tout ccedila

Dans tous ses emplois le syntagme tout ccedila a pour vocation de renvoyer agrave une classe-objet

floue ie dont les membres heacuteteacuterogegravenes sont infeacuterables agrave des degreacutes de certitude divers agrave

laquelle appartiennent pour sucircr certains membres explicitement introduits en amont Il semble

donc cumuler une fonction reacutesomptive et laquo extensible raquo

Neacuteanmoins nous avons deacutecideacute de restreindre la suite de notre investigation au dernier

contexte drsquooccurrence de tout ccedila ndash la configuration de liste ndash pour plusieurs raisons

contrairement aux premiers contextes de tout ccedila que nous nrsquoavons pas eu de peine agrave

rencontrer agrave lrsquoeacutecrit laquo travailleacute raquo la position de fin de liste y figure plus rarement Nous lrsquoy

222

Cette position semble privileacutegieacutee mais non exclusive En effet tout ccedila est eacutegalement attesteacute en tecircte de liste (il

est dans ce cas clairement reacutegi) ou alors dans une position intermeacutediaire (voir aussi Bilger 1989 100)

jrsquocommenccedilais agrave en avoir marre de faire le feu de de bois tout ccedila charbon les cendres et tout (cfpp)

226

avons releveacute ponctuellement mais presque exclusivement dans des discours directs ou des

eacutecrits agrave la premiegravere personne

(300) Je dis lagrave des choses tregraves neacutegatives sur moi mais je nai pas du tout lesprit Mai 68 Je

ne partage pas du tout cette utopie reacutevolutionnaire la poeacutesie dans la rue tout ccedila Jai

horreur de la laquo fecircte raquo ccedila ne mrsquointeacuteresse pas Je suis un homme drsquoordre (Grenier C

La vie possible de Christian Boltanski 2007 lt Frantext)

Si nous nous tournons vers sa variante laquo prestigieuse raquo tout cela (cf supra sect523) on constate

une semblable retenue en position de liste agrave lrsquoeacutecrit223

alors que les trois autres contextes y

sont bien repreacutesenteacutes224

Tout porte ainsi agrave croire que lrsquooccurrence de tout ccedila dans les listes est assez speacutecifique de

lrsquooral spontaneacute (Bilger 1989 Ferreacute 2011 Secova 2014) ou du moins des genres de

lrsquoimmeacutediat ougrave il commute non pas tant avec des SN comme dans les autres environnements

syntaxiques mais plutocirct avec des particules drsquoextension de liste comme et cetera Cette

diffeacuterence de paradigme nous pousse degraves lors agrave explorer en deacutetail son fonctionnement

reacutefeacuterentiel dans cette configuration et le deacuteveloppement des rendements pragmatiques et

interactionnels qui lrsquoaccompagne

223

Quant agrave tout cela agrave lrsquooral il est sans surprise plutocirct rare dans la base OFROM il apparaicirct quatre fois

(contre 282 tout ccedila) jamais dans CFPP (contre 333 tout ccedila) et six fois dans PFC (contre 1381 tout ccedila) (en date

du 19072016) Parmi ces six occurrences quatre proviennent drsquoune mecircme locutrice belge et les deux autres de

deux locuteurs drsquoAfrique (Algeacuterie et Reacutepublique centrafricaine) Et dans les trois corpus oraux confondus seul

un tout cela pourrait faire lrsquoobjet drsquoune analyse en contexte de liste encore que son statut syntaxique demeure

ambigu Les Pygmeacutees ils mangent seulement ce quils quils trouvent dans la forecirct les gibiers et puis mecircme les

inyams tout cela ce que nous mangeons eux aussi ils mangent aussi (pfc RCA Bangui) On peut y voir le

dernier constituant drsquoune liste ou alors un compleacutement drsquoobjet deacutetacheacute 224

En voici trois exemples 1) La salle eacutetait sombre et parcourue en tous sens par des gens se deacutepecircchant

malfaiteurs policiers hommes de loi precirctres et journalistes je suppose Tout cela faisait sombre de sombres

formes se pressant dans un espace sombre (Beckett S Molloy 1951 lt Frantext) 2) Cest Mme Badiou qui ma

fait aimer Montaigne Mes copines trouvaient cela austegravere Montaigne cest la toleacuterance louverture aux autres

le goucirct des autres cest la raison Il essaie de se mettre agrave la place des autres pour penser pour voir comment ils

pensent Tout cela cest Montaigne (Dupuy A Journal [hellip] 2013 lt Frantext) 3) Jrsquoeus aussi le peacutenible devoir

de remettre au Geacuteneacuteral deux photographies de sa megravere sur son lit de mort (Il neut pas le bonheur de la

retrouver vivante agrave son retour en France) Il les prit avec une sorte de brutaliteacute ougrave je vis de la pudeur et les mit

de cocircteacute Tout cela sans inteacuterecirct et sans que jy precircte une grande attention (Mauriac C Aimer de Gaulle 1978 lt

Frantext)

227

4 Etude de tout ccedila dans les listes agrave lrsquooral

Comme on vient de lrsquoeacutevoquer le marqueur tout ccedila integravegre un paradigme de marqueurs

drsquoextension de liste parmi lesquels on peut mentionner et cetera et ainsi de suite et autres N

et compagnie et consorts et tout (et tout) et tout le toutim le tremblement le reste le

tralala le bastringue etc) (et) patati et patata (et) machin ou comme ccedila SN comme ccedila ou

nrsquoimporte quoi etc Des eacutetudes sur drsquoautres langues attestent lrsquoexistence drsquoune cateacutegorie

similaire225

qui a reccedilu plusieurs deacutenominations generalized list completers (Jefferson 1990

Selting 2007) set-marking tags (Ward amp Birner 1993) general extenders (Overstreet 1999

Secova 2014) En franccedilais elle reccediloit les noms de particules drsquoextension (Dubois 1993 Ferreacute

2011) ou encore de clocirctureurs (Kahane amp Pietrandrea 2012)

Malgreacute la diversiteacute des formes possibles ce sont les marqueurs et tout tout ccedila et et cetera226

qui dans lrsquoensemble sont les mieux attesteacutes agrave lrsquooral dans les releveacutes des travaux anteacuterieurs227

(Ferreacute 2011 Secova 2014) et dans les bases que nous avons examineacutees Figurent eacutegalement

en bonne place quoique dans des proportions plus faibles les variantes en comme ccedila du type

(ou) truc(s)chose(s) comme ccedila et le cas de (etou) machin228

(Secova 2014) Quant aux autres

marqueurs ils semblent intervenir de maniegravere beaucoup plus ponctuelle voire pas du tout

pour certains dans les bases de donneacutees examineacutees229

Si notre objet drsquoeacutetude principal est tout

ccedila il nous arrivera de le mettre en perspective avec et tout au vu de leur parenteacute

morphologique (quantificateur de totaliteacute) et drsquoun fonctionnement pragmatique tregraves proche

(301) alors on sarrecirctait quand on voulait euh | _ | quand ccedila nous plaisait et tout (ofrom)

La seacutequence tout ccedila est elle aussi reacuteguliegraverement mais non systeacutematiquement preacuteceacutedeacutee du

coordonnant et

(302) bon ben ccedila pose des problegravemes de mainten- enfin de maintenance euh de de mise agrave

jour et tout ccedila euh voilagrave (pfc)

On peut signaler que lrsquoon trouve de faccedilon eacuteparse drsquoautres coordonnants devant tout ccedila

(303) Non mecircme au Canada on peut aller si on va agrave Vancouver ou en Californie ou tout

ccedila230

ouais (pfc)

225

Pour lrsquoanglais and all (that stuff) and stuff or something and everything or whatever etc pour

lrsquoallemand und so (weiter) oder so (was) etc (Overstreet 2005) 226

La particule connaicirct de nombreuses variantes graphiques et cetera etcetera et caetera et caeligtera et ceacuteteacutera

etceacuteteacutera etc 227

Voir Dubois (1992) et Secova (2014) pour une analyse distributionnelle la premiegravere agrave partir de deux corpus

de franccedilais queacutebeacutecois la seconde agrave partir de trois corpus de franccedilais de lrsquoHexagone 228

Sur machin et ou comme ccedila voir Beacuteguelin amp Corminboeuf (agrave par) 229

A noter qursquoil ne faut pas neacutegliger les facteurs diatopiques A partir drsquoun corpus de franccedilais queacutebeacutecois Dubois

(1992) relegraveve des particules semblant speacutecifiques agrave cette aire geacuteographique du genre les variantes en affaire (des

affaires de mecircme toutes ces affaires-lagrave une affaire comme ccedila etc) ou en patente (toutes ces patentes-lagrave des

patentes comme ccedila des patentes de mecircme etc) 230

Rare devant tout ccedila (cf aucune attestation dans OFROM) au contraire de la preacutesence freacutequente de ou devant

comme ccedila (Corminboeuf 2016 Beacuteguelin amp Corminboeuf agrave par)

228

(304) Moi ccedila serait plutocirct le tricot la couture la broderie tout ce qui est feacuteminin dans le

fond hein Mais pas tellement des loisirs autrement de ni dans le sport ni tout ccedila

(pfc)

Enfin mentionnons la possibiliteacute drsquooccurrence drsquoun tout laquo pronominal raquo non preacuteceacutedeacute drsquoun

coordonnant

(305) cest cest cest par rapport agrave la mutuelle euh bon tout et comme ici en plus il a il a

changeacute de de domicile (pfc)

Lrsquoanalyse comme marqueur drsquoextension du morphegraveme tout isoleacute reste neacuteanmoins beaucoup

plus difficile agrave identifier que les autres

Cette section est envisageacutee de la maniegravere suivante nous proposons un aperccedilu des travaux

existants sur les marqueurs drsquoextension et en particulier sur tout ccedila (sect41) Apregraves quelques

preacutecisions sur les donneacutees (sect42) nous nous penchons sur la configuration de liste ndash eacutetudieacutee

sous les angles syntaxique prosodique seacutemantico-pragmatique et interactionnel ndash

configuration qui offre un moule particuliegraverement propice agrave lrsquoeacutemergence des marqueurs

drsquoextension (sect43) Nous nous inteacuteressons ensuite en deacutetail au fonctionnement respectivement

reacutefeacuterentiel (sect44) puis pragmatique de tout ccedila (sect45)

41 Travaux anteacuterieurs

411 Les particules drsquoextension

Les particules ndash ou marqueurs ndash drsquoextension ont pour caracteacuteristique de figurer en clocircture de

syntagme ou de clause marquant agrave cet eacutegard la reacutefeacuterence agrave lrsquoensemble auquel appartien(nen)t

entre autres le ou les membre(s) ainsi introduit(s) en amont (Dubois 1992 Overstreet 2005)

Ils sont souvent composeacutes drsquoun coordonnant (facultatif) drsquoun quantifieur ou drsquoune marque de

comparaison (facultatifs) et drsquoun N geacuteneacuteral Leur usage est en outre reconnu comme un

proceacutedeacute fondamentalement interactionnel veacutehiculant une fonction interpersonnelle creacuteatrice

drsquoeffets drsquointersubjectiviteacute et mettant en œuvre des strateacutegies de politesse ou drsquoatteacutenuation

(Overstreet 1999) Les particules drsquoextension sont vues comme des manifestations typiques de

la langue parleacutee spontaneacutee bien qursquoelles soient eacutegalement attesteacutees dans des proportions bien

plus faibles agrave lrsquoeacutecrit formel (Secova 2014) A cet eacutegard elles sont perccedilues sans surprise

comme des deacutefauts de langage dans lrsquoopinion collective jugeacutees impreacutecises et deacutepourvues de

sens (Dines 1980)

Etant donneacute les fonctions typiquement pragmatiques qursquoelles sont susceptibles de deacutevelopper

et leur sens plus proceacutedural que reacutefeacuterentiel on les ramegravene geacuteneacuteralement agrave la cateacutegorie des

laquo marqueurs discursifs raquo (Dubois 1993 Overstreet 1999 Secova 2014) le seul critegravere qui les

en distingue eacutetant leur position contrainte (position terminale drsquoun syntagme)

229

412 tout ccedila particule drsquoextension

En ce qui concerne plus particuliegraverement le marqueur (et) tout ccedila en franccedilais Bilger (1989)

srsquoy inteacuteresse dans le cadre de lrsquoapproche pronominale du GARS Remarquant qursquoil est

susceptible de clore un paradigme de reacuteiteacuterations lexicales elle souligne toutefois le caractegravere

implicite de la liste entameacutee dont la (ou les) reacutealisation(s) lexicale(s) donne(nt) un indice sur

le champ seacutemantique agrave infeacuterer En comparant la preacutesence avec lrsquoabsence du coordonnant et

elle distingue un effet de sens respectivement additif vs appositif et englobant pour le second

(ibid 100-101)

Secova (2014) compare les types de marqueurs drsquoextension en franccedilais dans trois corpus

distincts afin drsquoy eacutetudier les facteurs diachronique et geacuteneacuterationnel sur la distribution des

marqueurs Dans son propre corpus de jeunes adultes parisiens enregistreacutes dans les anneacutees

2007-2009 crsquoest clairement la variante et tout qui est la plus freacutequente (76) suivie agrave eacutegaliteacute

de tout ccedila (4) machin (4) et truc(s) comme ccedila (4) le reste des occurrences se

reacutepartissant entre huit autres formes Dans le corpus CFPP des anneacutees 2000 dont les locuteurs

sont issus de toutes les cateacutegories drsquoacircge et cetera est le mieux repreacutesenteacute (28) suivi de et

tout (22) tout ccedila (16) et et tout ccedila (9) parmi 28 formes attesteacutees Enfin le dernier

corpus composeacute drsquoenregistrements des anneacutees 1980 de locuteurs franccedilais drsquoacircge variable

indique tout ccedila comme la variante preacutefeacutereacutee (33) suivie drsquoet cetera (18) drsquoet tout (10) et

choses comme ccedila (10) parmi 16 formes utiliseacutees

Lrsquoanalyse met ainsi en lumiegravere une preacutefeacuterence indeacuteniable drsquoet tout dans le corpus le plus

reacutecent et parmi les jeunes adultes (confirmeacutee eacutegalement par le sous-groupe de jeunes dans

CFPP) au deacutetriment de la forme tout ccedila qui eacutetait preacutedominante dans le corpus le plus ancien

Secova srsquointeacuteresse donc de plus pregraves agrave et tout et deacutegage les diverses fonctions pragmatiques

qursquoil assume (rocircle de ponctuant drsquointensificateur ou agrave lrsquoinverse de mitigateur mise en œuvre

de strateacutegies argumentatives etc) Au vu de ces indices lrsquoauteur soutient lrsquohypothegravese drsquoun

processus de grammaticalisation le concernant se traduisant par un blanchiment seacutemantique

et la diminution de sa valeur reacutefeacuterentielle au profit drsquoun fonctionnement pragmatique dont le

stade le plus abouti est celui de ponctuant du discours Au contraire elle considegravere la variante

tout ccedila comme conservant un fonctionnement davantage reacutefeacuterentiel qui maintient lrsquoindication

de lrsquoextension drsquoun ensemble

413 Bilan

Ce bref exposeacute des travaux anteacuterieurs appelle plusieurs commentaires et nous conduit agrave

preacuteciser nos positions

Drsquoune part des reacuteserves peuvent ecirctre eacutemises agrave lrsquoeacutegard de la notion de marqueur discursif

(aussi appeleacute marqueur pragmatique) dont voici une deacutefinition couramment citeacutee

A pragmatic marker is defined as a phonologically short item that is not syntactically connected to the rest of the clause (ie is parenthetical) and has

230

little or no referential meaning but serves pragmatic or procedural purposes (Brinton 2008 1)

Pour le franccedilais on retient dans cette cateacutegorie selon leur contexte drsquooccurrence des items

aussi varieacutes que ben enfin donc quoi tu vois tu sais voilagrave en fait etc

Le problegraveme que pose ce genre de deacutefinition est que les caracteacuteristiques qui sont attribueacutees

aux marqueurs231

ne sont pas speacutecifiques aux eacuteleacutements invoqueacutes elles srsquoappliquent en effet agrave

toutes sortes drsquoautres items de la langue Par exemple le critegravere de reacuteduction phoneacutetique se

retrouve dans je sais gt jrsquosais gt chsais gt chais sans pour autant qursquoon traite celui-ci comme

un marqueur discursif contrairement agrave certains emplois de tu sais gt trsquosais Il en va de mecircme

concernant le critegravere de mobiliteacute syntaxique qui caracteacuterise toutes sortes de constituants

divers (circonstants adverbes drsquoeacutenonciation appositions verbes recteurs faibles etc) Ainsi

malgreacute un vague faisceau de proprieacuteteacutes communes celles-ci ne peuvent ecirctre rigoureusement

tenues pour deacutefinitoires On a par ailleurs souvent reprocheacute le caractegravere laquo fourre-tout raquo de la

cateacutegorie (Kerbrat-Orecchioni 2005 49) mettant degraves lors seacuterieusement en cause sa

pertinence Aussi preacutefeacuterons-nous nous passer de la notion sans toutefois nier le

fonctionnement pragmatique des items qui nous inteacuteressent Preacutecisons que nous approuvons agrave

lrsquoinverse la reconnaissance drsquoune classe de marqueurs drsquoextension pour autant qursquoon y fasse

entrer des eacuteleacutements partageant la mecircme distribution

Drsquoautre part des reacuteserves peuvent ecirctre formuleacutees agrave propos du cadre theacuteorique de la

grammaticalisation adopteacute par Secova (2014) qui comporte en effet plusieurs postulats

discutables parfois contradictoires (Beacuteguelin Corminboeuf amp Johnsen 2014) Parmi ceux-ci

citons par exemple les principes de gradualiteacute et drsquounidirectionnaliteacute qui situent les formes

concerneacutees sur des parcours eacutevolutifs graduels agrave sens unique Bien que ces theacuteories admettent

la possibiliteacute de coexistence simultaneacutee de deux usages drsquoune mecircme forme qui repreacutesenterait

un indice de changement en cours il nous paraicirct plus prudent drsquoexaminer les facteurs

contextuels motivant les emplois respectifs plutocirct que de mettre cela au compte drsquoune

hypothegravese deacuteterministe Par ailleurs ce point de vue sur le changement linguistique occulte

complegravetement la dimension idiosyncratique des emplois alors qursquoil va de soi que le recours agrave

certaines expressions peut ecirctre reacutecurrent chez certains locuteurs comme on va le voir mais

totalement inexistant chez drsquoautres Bien que nous soyons geacuteneacuteralement en accord avec

lrsquoidentification des fonctions pragmatiques et les analyses interpreacutetatives de Secova nous

tenons donc agrave prendre nos distances avec lrsquohypothegravese sous-jacente de grammaticalisation drsquoet

tout Nous allons drsquoailleurs voir que les diffeacuterents rendements observeacutes sont eacutegalement

imputables agrave tout ccedila

42 Remarques sur les donneacutees

La meacutethodologie de reacutecolte des donneacutees ayant deacutejagrave eacuteteacute preacutesenteacutee dans lrsquoavant-propos de cette

partie nous nous limitons agrave quelques preacutecisions speacutecifiques au marqueur eacutetudieacute Nous avons

231

Voir agrave cet eacutegard Fernandez (1994) Brinton (1994) Dostie (2004) Dostie amp Push (2007) Denturck (2008)

231

donc rechercheacute dans les bases indiqueacutees les suites tout ccedila (ainsi que les suites et tout) parmi

lesquelles nous retenons apregraves veacuterification manuelle celles qui srsquoinscrivent dans la

configuration souhaiteacutee de liste Avec toute la prudence que ce genre de releveacute suppose

signalons agrave titre indicatif que nous avons recueilli sur des versions anteacuterieures et plus

restreintes des bases de donneacutees232

35 tout ccedila en configuration de liste sur les 67 reacutesultats233

de la requecircte de la seacutequence sur OFROM (52) 166 sur 297 dans CFPP (56)234

43 Proprieacuteteacutes des listes

Nous envisageons dans ce travail les listes ou eacutenumeacuterations ndash notions que nous consideacuterons

synonymes ndash comme des structures visant agrave lrsquoeacutelaboration reacutefeacuterentielle drsquoune classe-objet et

qui se caracteacuterisent par des paralleacutelismes agrave diffeacuterents niveaux agrave savoir les niveaux lexico-

syntaxique seacutemantico-pragmatique et prosodique Toutefois lrsquoactivation de tous ces

paralleacutelismes nrsquoest pas systeacutematiquement requise pour qursquoon interpregravete une liste de la sorte

mais il semble que plus nombreux et visibles sont les paralleacutelismes mieux reconnue en tant

que telle est la liste (Johnsen amp Avanzi agrave par) On verra drsquoailleurs qursquoune liste si tant est

qursquoon puisse la consideacuterer comme telle peut nrsquoecirctre eacutebaucheacutee que par un seul item suivi drsquoune

particule drsquoextension Avant drsquoobserver le fonctionnement de tout ccedila dans ces configurations

il nous paraicirct important de caracteacuteriser plus preacuteciseacutement ces structures aux diffeacuterents niveaux

signaleacutes pour comprendre pourquoi elles sont favorables agrave lrsquoaccueil du marqueur

431 Aspects lexico-syntaxiques

Au niveau micro-syntaxique on peut consideacuterer la liste comme une seacuterie additive drsquoitems

lexicaux occupant une mecircme position syntaxique sur un axe paradigmatique

(306) Et ccedila se fait comment que lrsquointernet est arriveacute si tard en France Parce que en geacuteneacuteral

la France est un pays qui adore le progregraves la technique les avions tout ccedila Alors euh

pourquoi crsquoeacutetait pas comme ccedila pour lrsquointernet (pfc)

La liste comprend ainsi plusieurs eacuteleacutements instanciant la place drsquoargument objet du verbe

adore Lrsquoapproche du GARS repreacutesente ce genre de pheacutenomegravene sous la forme de laquo grilles raquo

disposeacutees sur lrsquoaxe paradigmatique vertical (Blanche-Benveniste 1990a Blanche-Benveniste

et al 1990) que nous illustrons avec lrsquoexemple preacuteceacutedent

232

En octobre 2012 env 15h drsquoenregistrement sur OFROM et 39h sur CFPP Pour rappel nous avons renonceacute agrave

des comptages sur PFC en raison de problegravemes de doublons dans les reacutesultats Mais nous ne nous privons pas

pour autant du recours aux donneacutees de la base en question 233

Les suites non Pro-SN incluses comme pas du tout ccedila 234

Quant agrave et tout nous en avons releveacute 71 occurrences clocircturant une liste sur 88 dans OFROM (80) et 154 sur

182 occurrences dans CFPP (85) A titre indicatif et tous emplois confondus on relegraveve au 16022017 307

(et) tout ccedila 392 et tout (sans et tout ccedila) dans OFROM 333 (et) tout ccedila et 194 et tout dans CFPP On constate

que le corpus OFROM le plus reacutecent (enregistrements agrave partir de 2008) ne confirme pas le deacuteseacutequilibre releveacute

entre et tout et tout ccedila dans le corpus personnel de Secova (2014) Il est vrai cependant que lrsquoacircge des locuteurs

drsquoOFROM est beaucoup moins homogegravene

232

(307) la France crsquoest un pays qui adore le progregraves nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

la technique nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

les avions nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

tout ccedila (pfc)

Nous prenons cependant nos distances avec la conception aixoise de la liste qui integravegre les

pheacutenomegravenes de laquo bribes du discours raquo (Blanche-Benveniste 1990a 14) comme les

laquo bredouillages heacutesitations maladresses reprises raquo (Blanche-Benveniste et al 1990 20)

(308) on mettait oh mecircme pas la moitieacute drsquoune cuillegravere agrave soupe nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

drsquoune cuillegravere agrave cafeacute (ibid 21)

Srsquoil est vrai qursquoil nrsquoest pas toujours eacutevident de distinguer entre seacuterie additive et

laquo disfluences raquo drsquoougrave lrsquoeacutemergence drsquoambiguiumlteacutes drsquoanalyse (Blanche-Benveniste 2011 Kahane

amp Piertrandrea 2012) nous consideacuterons que les secondes ne relegravevent pas du mecircme

pheacutenomegravene car elles ne sont pas voueacutees au niveau reacutefeacuterentiel agrave la creacuteation deacutelibeacutereacutee drsquoune

classe-objet et elles ne se distinguent pas par des paralleacutelismes reacutecurrents aux autres niveaux

(seacutemantico-pragmatiques prosodiques) Drsquoailleurs sur le plan syntaxique un eacuteleacutement

distinctif semble neacutegligeacute dans lrsquoapproche aixoise lrsquoapparition reacuteguliegravere de coordonnants dans

les seacuteries additives (en ce qui nous concerne la preacutesence possible de et devant tout ccedila) vs leur

absence notoire dans le cas des disfluences Preacutecisons que nous admettons toutefois dans la

cateacutegorie des listes le cas de formulations multiples (Blanche-Benveniste 2011) visant par

exemple agrave lrsquoadeacutequation de la deacutenomination ou agrave la recherche de nuances parce qursquoelles

contribuent contrairement aux disfluences agrave proprement parler235

agrave creacuteer une classe (de

deacutenominations de proprieacuteteacutes etc) En teacutemoigne ci-dessous la caracteacuterisation nuanceacutee drsquoun

mecircme objectif

(309) par exemple jai pas tout agrave fait fini ce que je dois faire ben voilagrave | _ | jarrecircte pour euh |

_ | pour ecirctre en forme le lendemain pour pouvoir euh bien suivre les cours bien

eacutecouter tout ccedila236

(ofrom)

Les eacutenumeacuterations se rencontrent eacutegalement au niveau macro-syntaxique ougrave les items mis en

parallegravele repreacutesentent cette fois des laquo eacutenonciations raquo

(310) daccord ces jeunes | _ | jouent le jeu ils sont | _ | ils sont enthousiastes ils ils ont de

leacutenergie ils ont des ideacutees tout ccedila ce qui est bien | _ | mais franchement pas agrave pas agrave

Berne | _ | pas agrave cet acircge-lagrave et pas agrave Berne (ofrom) = (3)

Il nous semble leacutegitime drsquointeacutegrer ces successions drsquoeacutenonciations drsquoordre macro-syntaxique

aux pheacutenomegravenes de liste drsquoune part au vu de la reacutepeacutetition des patrons lexico-syntaxiques et

235

Kahane amp Piertrandrea (2012) les traitent tous deux dans la mecircme cateacutegorie celle des entassements qursquoils

appellent de dicto 236

Une eacutecoute de lrsquoextrait sonore met en eacutevidence une proeacuteminence prosodique sur la syllabe [te] de eacutecouter qui

oriente vers une interpreacutetation de tout ccedila comme particule plutocirct que comme reacutegime direct du verbe cf infra

sect433

233

prosodiques drsquoautre part du fait preacuteciseacutement qursquoon y trouve les mecircmes particules drsquoextension

qursquoau niveau micro-syntaxique (aussi bien tout ccedila et tout qursquoet cetera) leur fonctionnement

ne semblant ainsi pas diverger selon le niveau syntaxique (cf aussi Bilger 1989)

Un fait remarquable et reacutegulier dans nos donneacutees est que la liste est susceptible de ne contenir

qursquoun eacuteleacutement lexical preacuteceacutedant tout ccedila (ou et tout) (Bilger 1989 Johnsen 2011) Un

comptage anteacuterieur sur OFROM237

bien que statistiquement non significatif car portant sur

un nombre restreint de donneacutees reacutevegravele les proportions suivantes tout ccedila est preacuteceacutedeacute drsquoun

seul item dans 13 listes sur 35 (37) et et tout drsquoun seul item dans 48 cas sur 71 (68)

Dans ces cas-lagrave crsquoest la seule preacutesence du marqueur qui constitue lrsquoindice drsquoune liste

eacutebaucheacutee En outre il nrsquoest pas toujours eacutevident de deacuteterminer sur quel constituant ou

operand (Dubois 1992 181) envisager le paradigme suggeacutereacute Dans lrsquoexemple ci-dessous on

peut ainsi se demander si la liste srsquoinscrit sur la place de la subordonneacutee causale ou sur celle

de lrsquoadjectif attribut comme lrsquoillustrent les extensions potentielles de liste entre parenthegraveses

(311) mais je pense aussi que jrsquoai un tempeacuterament agrave me disperser quand je parle parce que

comme je suis assez euh enthousiaste tout ccedila degraves que jrsquoai jrsquoai une ideacutee qui me passe

par la tecircte jrsquoai envie de le dire tu vois (pfc)

(312) parce que comme je suis assez euh enthousiaste nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

(comme jrsquoaime parler) nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

tout ccedila

(313) parce que comme je suis assez euh enthousiaste nnnnnnnnnnnnnnnnnnn

(spontaneacutee)

tout ccedila

Lrsquoanalyse syntaxique demeure ambigueuml Cela dit on peut noter qursquoune analyse syntaxique

univoque nrsquoest pas deacuteterminante du point de vue de la pertinence communicative agrave lrsquoœuvre

432 Aspects seacutemantico-pragmatiques

On note reacuteguliegraverement une isotopie seacutemantique entre les eacuteleacutements de la liste (Schiffrin 1994

Bilger 2003 Selting 2007 Paveau amp Rosier 2009 Groupe de Fribourg 2012) illustreacutee ci-

dessous par la reacutecurrence du segraveme [+marin]

(314) Jrsquoai toujours et deacuteploreacute que personne de mes aicircneacutes de ma famille tout au moins

nrsquoeacutetait pas eacuteteacute capable de mapprendre la mer la pecircche les poissons les bateaux et

tout ccedila (pfc)

Dans lrsquoexemple suivant la coheacutesion seacutemantique se manifeste au niveau du script (Schank amp

Abelson 1977) ou du sceacutenario (Sanford amp Garrod 1981) crsquoest-agrave-dire drsquoune seacuterie drsquoactions

steacutereacuteotypiques ici les activiteacutes musicales drsquoun groupe

237

Mai 2013 (sur env 15h drsquoenregistrement)

234

(315) on se retrouve comme ccedila des week-ends pour faire un peu de la musique on compose

on joue on a des concerts en Valais tout ccedila (ofrom)

La notion drsquoisotopie demande neacuteanmoins agrave ecirctre assouplie la laquo cateacutegorie creacuteeacutee raquo (Schiffrin

1994) par la liste ne manifestant pas toujours un segraveme geacuteneacuterique preacuteinscrit dans le contenu

lexical ou dans des scheacutemas drsquoactions types mais eacutetant susceptible drsquoeacutemerger drsquoun point de

vue laquo subjectif raquo sur le monde (Schiffrin 1994) ou de facteurs contextuels (Dubois 1992

Johnsen 2011) Lrsquoexemple suivant illustre ainsi une seacutequence drsquoarguments eacutemanant drsquoune

instance tierce et subjective

(316) puis lui cest lagrave quil sest lanceacute en disant que ceacutetait terrible euh au Pakistan parce que

le | _ | le gouvernement laiumlc agrave leacutepoque euh | _ | ceacutetait inacceptable que ceacutetait

beaucoup mieux en Iran tout ccedila tout ccedila | _ | donc un type euh un fanatique de

lrsquoislam (ofrom)

La liste intervient dans le cadre drsquoun discours rapporteacute et entame une seacuterie de critiques agrave

lrsquoeacutegard du gouvernement laiumlc au Pakistan autrement dit elle reflegravete le point de vue subjectif

de lrsquoeacutenonciateur citeacute Il est par conseacutequent difficile de reconnaicirctre un scheacutema drsquoactions

preacutedeacutefini qui engloberait typiquement les items formuleacutes eacutetant donneacute qursquoils eacutevoquent ici des

jugements de valeur (lsquolrsquoaberration drsquoun gouvernement laiumlc au Pakistanrsquo lsquoles conditions plus

favorables de lrsquoIranrsquo)

Au niveau pragmatique on peut srsquointerroger sur la relation que le locuteur eacutetablit entre les

diffeacuterents items eacutenumegravere-t-il des reacutefeacuterents distincts ou procegravede-t-il agrave des deacutesignations

multiples drsquoun mecircme reacutefeacuterent (Blanche-Benveniste 2011) Dans la liste suivante il est

eacutevident que chaque membre de la liste renvoie agrave un individu distinct

(317) teacutetais dans lcouloir en train dparler avec Madame Chauvel Madame Beaumont

Madame Cardeacutemont tout ccedila (cfpp)

Dans drsquoautres cas le locuteur semble plutocirct viser un mecircme reacutefeacuterent pour lequel il cherche la

formulation approprieacutee

(318) par exemple jai pas tout agrave fait fini ce que je dois faire ben voilagrave | _ | jarrecircte pour euh |

_ | pour ecirctre en forme le lendemain pour pouvoir euh bien suivre les cours bien

eacutecouter tout ccedila (ofrom) = (309)

Comme le souligne Blanche-Benveniste (2011) on ne peut pas toujours savoir si le locuteur

tente de reformuler un mecircme concept ou srsquoil cherche plutocirct agrave dissocier diffeacuterents objets par

des nuances fines

Certains auteurs distinguent le caractegravere fermeacute ou ouvert drsquoune liste (Paveau amp Rosier 2009

Selting 2007) En effet une liste peut se preacutesenter comme fermeacutee lorsque des eacuteleacutements du

contexte linguistique (annonce reacutecapitulation) indiquent le nombre drsquoitems concerneacutes ou

lorsque les items sont eux-mecircmes deacutenombreacutes dans la proceacutedure de liste Un coordonnant

235

preacuteceacutedant directement le dernier eacuteleacutement peut eacutegalement constituer lrsquoindice que lrsquoauteur

preacutesente sa liste comme exhaustive

(319) on eacutetait nomades | _ | on avait | _ | une maison agrave | | _ | une maison agrave | | _ | et une

maison agrave | | _ | et partout on avait | _ | des champs (ofrom)

On ne peut neacuteanmoins tirer la mecircme conclusion de la preacutesence du coordonnant dans et tout

(ccedila) Si celui-ci peut servir agrave indiquer au niveau segmental la fin de la structure de la liste le

syntagme dans son ensemble indique au niveau reacutefeacuterentiel la non-exhaustiviteacute des ingreacutedients

de lrsquoensemble eacutevoqueacute (Bilger 1988 Overstreet 1999 Ferreacute 2011 Johnsen 2011)

Enfin au niveau interactionnel la construction de listes a eacuteteacute consideacutereacutee comme une activiteacute

volontiers collaborative (Jefferson 1990 Erickson 1992 Selting 2007) un interlocuteur peut

facilement prendre part agrave lrsquoactiviteacute en ajoutant un ou des membres agrave la liste deacutemarche

aboutissant agrave une laquo co-production of a list in progress raquo (Jefferson 1990 89) Nos donneacutees

attestent ce genre de collaboration

(320) L1 dtfaccedilon cest toujours pareil dans une eacutecole hein va y avoir un peu euh les

racailles

L2 ltouais nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 lesgt gothiques euh nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 les les nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 les shals nnnnnn nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 voilagrave [rires] + les bourges voilagrave lttout ccedila ouais nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 voilagrave gt (cfpp)

Nous aurons lrsquooccasion de revenir sur cet exemple infra (sect451) car le marqueur tout ccedila

permet ici des manœuvres intersubjectives particuliegraverement inteacuteressantes

433 Aspects prosodiques

La prosodie des listes agrave lrsquooral spontaneacute nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoeacutetudes systeacutematiques Le travail

le plus approfondi agrave notre connaissance est celui de Selting (2007) A partir de lrsquoobservation

drsquoun corpus de conversations en allemand lrsquoauteur met en eacutevidence les contours intonatifs

des syllabes accentueacutees des membres de listes Elle distingue plusieurs patrons prosodiques

selon que la liste est fermeacutee ou ouverte Dans le cas des listes fermeacutees elle note que les

eacuteleacutements composent geacuteneacuteralement une seule uniteacute prosodique doteacutee drsquoun contour descendant

se terminant dans le grave sur un scheacutema de downstep238

crsquoest-agrave-dire un abaissement tonal

progressif sur chaque item A lrsquoinverse dans le cas des listes ouvertes les membres sont

prononceacutes dans des uniteacutes prosodiques distinctes avec un paralleacutelisme remarquable entre les

deux premiers membres de la liste reacutepeacutetition des contours intonatifs intensiteacute et dureacutee

238

Selting (2007) donne la deacutefinition suivante laquo lsquoDownsteprsquo here as in most of recent intonology denotes that

successive pitch peaks in an intonation unit are produced on successively lower pitch height ie on a descending

line raquo

236

comparable ceci sans downstep Selting relegraveve sept types de contours pour les syllabes

accentueacutees finales des listes ouvertes La plupart se terminent par une freacutequence haute ou

moyenne souvent atteinte apregraves un palier montant (upward staircase) se terminant par un

plateau haut (ou leacutegegraverement descendant) (ibid 506-507)

welcher BAND welches SCHEInungsjahr und so weiter (p 509)

ou alors via un contour montant continu

fuumlr die rEIfen und so wEIter einige reparaTURN (p 517)

Malgreacute la diversiteacute des types reacutepertorieacutes crsquoest surtout la reacutepeacutetition du contour qui rend la liste

remarquable En ce qui concerne le dernier membre drsquoune liste ouverte Selting remarque

qursquoil peut ecirctre prononceacute soit sur le mecircme scheacutema que les membres preacuteceacutedents srsquoauto-

deacutesignant preacuteciseacutement comme eacuteleacutement non final soit avec une prosodie distincte souvent un

contour descendant signalant la compleacutetude non pas du contenu de la liste mais de lrsquoactiviteacute

mecircme de liste

Pour le franccedilais parleacute une eacutetude drsquoAuchlin amp Simon (2004) est consacreacutee agrave quelques extraits

de listes Lrsquohypothegravese des auteurs est que la reconnaissance drsquoun scheacutema de liste se fonde

essentiellement sur deux composantes le rythme caracteacuteriseacute ainsi laquo reacutegulariteacute du retour des

temps accentueacutes espacement reacutegulier des attaques accents initiaux par eacuteleacutement mis en

liste raquo et la modulation laquo dynamisme accru dans la reacutealisation des tons eacutelargissement du

registre tonal allongement (ou reacuteduction) de la dureacutee des syllabes accentueacutees etc raquo (ibid

188) Les auteurs remarquent agrave juste titre que les listes sont tregraves perceptibles pour un

participant drsquoune interaction mais paradoxalement beaucoup moins lorsqursquoon ne se fie qursquoagrave

sa transcription prosodique Les auteurs accordent une attention particuliegravere agrave la prosodie du

premier eacuteleacutement drsquoune liste Celui-ci peut ecirctre prosodiquement marqueacute comme tel doteacute ainsi

drsquoune valeur de projection (annonccedilant lrsquoinitiation drsquoune eacutenumeacuteration) ou alors nrsquoacqueacuterir le

237

statut de premier eacuteleacutement drsquoune liste qursquoa posteriori de par la similitude syntaxique

prosodique etou seacutemantique qursquoil entretient avec les items ulteacuterieurs Lorsqursquoil se deacutemarque

il peut le faire sur son attaque (pause prise de souffle) ou sur sa syllabe finale (proeacuteminence

exageacuteration du contour) (ibid 190) En principe la syntaxe et la prosodie fonctionnent de

maniegravere compleacutementaire ou redondante Auchlin amp Simon (2004) relegravevent cependant des cas

de laquo conflit entre les instructions donneacutees par la syntaxe et lrsquoempaquetage prosodique raquo

(ibid 190) et illustrent des cas ougrave la prosodie prend le dessus sur la syntaxe pour imposer un

scheacutema de liste sur des structures qui sur le plan strictement syntaxique nrsquoen auraient pas le

statut (voir aussi Selting 2007 519) Ils relegravevent toutefois que toutes les listes ne sont pas

marqueacutees sur le plan intonatif certaines preacutesentent simplement des groupes intonatifs

juxtaposeacutes (contour continuatif bas rehausseacute ou haut en position drsquoaccent final) domineacutes par

le dernier drsquoentre eux (ton plus haut ou alors infra-bas) marquant la clocircture Cela nrsquoempecircche

pas le respect de contraintes drsquoeurythmie alignement des attaques ajustement syllabique ou

de tempo visant agrave la reacutegulariteacute rythmique scansion par des prises de souffles etc Les auteurs

mettent en relation la prosodie plus ou moins marqueacutee des listes avec lrsquoengagement de ceux

qui les produisent lrsquoeacutenergie manifesteacutee tout comme les efforts de reproduction du pattern

sont interpreacuteteacutes comme des signes iconiques de lrsquoinvestissement des locuteurs dans leur

discours

Une eacutetude que nous avons meneacutee (Johnsen amp Avanzi agrave par) sur un corpus de franccedilais parleacute

de Suisse romande montre que les contours des syllabes terminales des eacuteleacutements initiaux ou

internes drsquoune liste manifestent un contour de type continuatif HH239

avec trois variantes

possibles un contour plat et haut (HH) un contour haut montant (LHH) et un contour

plat et haut avec monteacutee effectueacutee sur la syllabe peacutenultiegraveme du membre de lrsquoeacutenumeacuteration

(H+HH) On en conclut donc comme Selting (2007) qursquoon a bien une reacutepeacutetition du type

de contour sur les eacuteleacutements de la liste mais pas systeacutematiquement de la mecircme variante bien

qursquoon observe une reacutealisation dans 61 des cas de la combinaison HH + HH Un

aspect plus caracteacuteristique de la liste se situe au niveau temporel des syllabes terminales des

items de la liste Sans surprise les dureacutees des syllabes finales des eacuteleacutements de la liste sont

comme toute syllabe accentueacutee plus longues que la dureacutee syllabique moyenne de la liste

Mais chose plus inteacuteressante la syllabe du premier membre de la liste est pregraves de deux fois

plus longue que la dureacutee syllabique moyenne sachant qursquoune syllabe accentueacutee laquo ordinaire raquo

est en principe une fois et demie plus longue que les autres (Delattre 1965) Nous avons

montreacute que cette longueur spectaculaire pouvait ecirctre due soit au sur-marquage de lrsquoactiviteacute de

liste par projection agrave partir du premier membre de la liste agrave venir soit agrave lrsquoinverse agrave

lrsquoheacutesitation du locuteur du fait de la recherche lexicale en cours des eacuteleacutements agrave suivre

Quant agrave la prosodie de lrsquoitem tout ccedila ou et tout elle est diversement reacutealiseacutee selon qursquoelle

mime le contour des eacuteleacutements qui preacutecegravedent qursquoelle se fonde de maniegravere atteacutenueacutee dans une

239

Conventions de transcription selon le modegravele F-ToBI (Delais-Roussarie et al 2015) L = ton bas H

= ton haut = accent lexical = frontiegravere prosodique majeure

238

peacuteriode tout en signalant la continuation ou agrave lrsquoinverse qursquoelle corresponde agrave une fin de

peacuteriode Quoiqursquoavec des interpreacutetations diffeacuterentes des nocirctres Ferreacute (2011) observe une

mecircme diversiteacute de reacutealisations des contours prosodiques pour les laquo particules drsquoextension raquo et

cetera (et) tout ccedila et et tout

Signalons pour finir que la prosodie peut parfois deacutesambiguiumlser une analyse syntaxique Ainsi

en va-t-il de lrsquoexemple suivant accompagneacute de son prosogramme240

(321) y a des trucs qui reviennent tout ccedila je me suis remis sur une lettre jrsquoai fait la lettre jrsquoai

corrigeacute tout ccedila et je suis parti agrave six heures six heures et quart peut-ecirctre (pfc)

Figure 8 Prosogramme 1

Dans cet exemple la scansion rythmique par le retour de syllabes exageacutereacutement accentueacutees

(dont les contours sont entoureacutes) est tregraves manifeste La syllabe finale de tout ccedila reproduit le

contour intonatif des proeacuteminences des items preacuteceacutedents de la liste (cf la freacutequence

fondamentale en trait fin agrave laquelle se superpose une version styliseacutee en trait eacutepais) Le

syntagme constitue agrave cet eacutegard un groupe intonatif agrave lui seul de la mecircme faccedilon que les

membres preacuteceacutedents Si lrsquoon ne se fiait qursquoagrave la transcription orthographique on pourrait

interpreacuteter tout ccedila comme le compleacutement du verbe jrsquoai corrigeacute Si tel avait eacuteteacute le cas on

aurait vraisemblablement noteacute une absence de proeacuteminence sur la derniegravere syllabe de jrsquoai

corrigeacute permettant ainsi de regrouper le syntagme tout ccedila avec ce qui preacutecegravede le tout formant

ensemble un groupe intonatif Or la seacuteparation entre les deux groupes est au contraire bien

nette agrave lrsquoeacutecoute (avec des proeacuteminences sur [Ze] de corrigeacute et sur [sa] de tout ccedila) tout ccedila est

de ce fait clairement exhibeacute comme le dernier constituant drsquoune liste ici composeacutee drsquoune

succession drsquoeacutenonciations qursquoon pourrait scheacutematiser ainsi ( indiquant une relation de

continuation entre les eacutenonciations)

240

Outil deacuteveloppeacute par Mertens (2004)

_ja de tRyk ki R vjE n tu sa ZmsHiRmi sy Ryn lE tRZe fE la lE tRZe kO Ri

_yadestrucsqui reviennent tout ccedila je mesuis remissur une lettre jrsquoai fait la lettre jrsquoai corrigeacute

0 1 2 3

70

80

90

100 vow-nucl G=032T2 DG=20 dmin=0035

Prosogram v27g13apd1lg_356692

150 Hz

Ri Ze tu saeZSHi paR ti a si z9 R2 si z9 Re kaR p2 tE tR _

corrigeacute toutccedilaetje suis parti agrave six heures euh six heures et quart peut-ecirctre _

4 5 6 7

70

80

90

100 vow-nucl G=032T2 DG=20 dmin=0035

Prosogram v27g13apd1lg_356692

150 Hz

239

(322) y a des trucs qui reviennent tout ccedila je me suis remis sur une lettre jrsquoai fait la

lettre jrsquoai corrigeacute tout ccedila et je suis parti agrave six heures six heures et quart peut-

ecirctre

Il nrsquoen va pas de mecircme pour lrsquoexemple suivant ougrave la reacutealisation de tout ccedila nrsquoest pas

accompagneacutee des traits caracteacuteristiques drsquoune liste comme en teacutemoigne la figure

correspondante

(323) comme ici en plus il a il a changeacute de de domicile bon savoir srsquoil allait malgreacute tout

rester domicilieacute agrave la maison enfin tout ccedila crsquoest vrai que c crsquoest beaucoup de choses agrave

penser (pfc)

Figure 9 Prosogramme 2

En lrsquooccurrence tout ccedila ne paraicirct pas entrer dans un scheacutema rythmique particuliegraverement

reacutegulier ni preacutesenter les caracteacuteristiques accentuelles drsquoune liste En effet le syntagme crsquoest

vrai qui le suit prolonge naturellement le groupe intonatif auquel il appartient (pas de pause

pas de marque particuliegravere drsquoinitiation drsquoun nouveau groupe la freacutequence fondamentale agrave

lrsquoinitiale de la syllabe [sE] se situe au mecircme niveau que la freacutequence de la syllabe [sa] qui

preacutecegravede) Par conseacutequent tout ccedila est inteacutegreacute dans un groupe intonatif de plus grande

envergure dont le signal de regroupement est une syllabe accentueacutee subseacutequente ([se] de

penser en trait fin) qui domine les syllabes preacuteceacutedentes depuis [fε~] On en conclut que tout

ccedila nrsquoest pas aligneacute sur le paradigme du SV savoir srsquoil allait malgreacute tout rester domicilieacute agrave la

maison mais constitue tregraves vraisemblablement le sujet redoubleacute de crsquoest beaucoup de choses

agrave penser

44 Fonctionnement reacutefeacuterentiel

Nous pouvons agrave preacutesent nous concentrer sur le fonctionnement de tout ccedila dans ces contextes

eacutenumeacuteratifs en nous interrogeant en particulier sur deux proprieacuteteacutes apparemment

contradictoires agrave savoir son fonctionnement reacutesomptif et sa capaciteacute agrave eacutevoquer une classe-

objet de plus grande envergure

bo~ sa vwaR si la lE mal gRe tu REs te dO mi si lje a lamE zo~ fe~ tu sa sEvre

bon savoir srsquoil allait malgreacute tout rester domicilieacute agrave la maison -fin tout ccedila crsquoestvrai

0 1 2 3

70

80

90

100 asyll G=032T2 DG=20 dmin=0035

Prosogram v27gmutuelle

150 Hz

vre ksE sE bo ku tSo z a pa~ se

vraiqu-crsquoestcrsquoestbeaucoupd- choses agrave penser

4 5 6

70

80

90

100 asyll G=032T2 DG=20 dmin=0035

Prosogram v27gmutuelle

150 Hz

240

441 Un pointage reacutesomptif

Au vu de la position terminale de tout ccedila dans les listes et du fonctionnement volontiers

reacutesomptif de ses emplois en geacuteneacuteral (cf supra sect3) il y a de bonnes raisons de consideacuterer qursquoil

englobe dans sa reacutefeacuterence les divers objets preacutealablement introduits Drsquoailleurs drsquoautres

indices de reacutecapitulation se combinent reacuteguliegraverement agrave tout ccedila ainsi que lrsquoillustrent les

exemples ci-dessous via les particules bon voilagrave quoi et enfin

(324) L1 ouais + et les filles cest le le sac aussi cest important nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Vanessa Bruno nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 Vanessa Bruno euh Geacuterard Darel euh tout ccedila bon voilagrave quoi (cfpp)

(325) on soccupait au deacutebut de tout c qui eacutetait lmateacuteriel donc extrecircmement multiple puisque

y avait aussi bien des des couleurs des pastels des clous des enfin tout ccedila (cfpp)

Dans lrsquoexemple (324) la locutrice L1 entreprend lrsquoeacutenumeacuteration de marques de sacs agrave main agrave

savoir Vanessa Bruno puis Geacuterard Darel et clocirct sa liste via le syntagme tout ccedila accompagneacute

des ponctuants bon voilagrave quoi qui permettent de reacutecapituler et de finaliser le propos

Lrsquoexemple (325) illustre lrsquoeacutelaboration drsquoune liste de mateacuteriel (des couleurs des pastels des

clous) termineacutee par tout ccedila lui-mecircme preacuteceacutedeacute de la particule enfin jouant eacutegalement un rocircle

de synthegravese (Bertrand amp Chanet 2005)

Mais on voit bien que lrsquoanalyse uniquement reacutesomptive du marqueur est insuffisante Trois

arguments viennent appuyer ce point de vue Il y a drsquoabord le fait que la liste se voie parfois

prolongeacutee agrave la suite du marqueur tout ccedila Crsquoest le cas de lrsquoexemple (324) ci-dessus que nous

avions deacutelibeacutereacutement abreacutegeacute et dont voici le contexte posteacuterieur

(324rsquo) L1 Vanessa Bruno euh Geacuterard Darel euh tout ccedila bon voilagrave quoi

L2 que dla marque quon paye cher

L3 Longchamp Seacutequoia et compagnie quoi

L1 ouais voilagrave quoi + (cfpp)

Ce prolongement par ailleurs effectueacute par une autre locutrice et approuveacute (ouais voilagrave quoi)

par la premiegravere inclut explicitement drsquoautres membres agrave lrsquoensemble deacutesigneacute par tout ccedila

Drsquoailleurs le syntagme et compagnie rencheacuterit sur cette extension Cet extrait illustre bien le

fait que le reacuteseau eacutevoqueacute ne se limite pas aux membres citeacutes en amont

Drsquoautre part certains exemples contiennent une reformulation lexicale agrave la suite de tout ccedila

indiquant explicitement un ensemble plus vaste que celui constitueacute des seuls items

preacutealablement introduits

(326) donc jrsquoai eu la chance lagrave de euh de voir ccedila sinon bon apregraves crsquoest les petites

vacances qursquoon passe quand on eacutetait jeunes avec les parents en eacuteteacute bon ben en

lrsquooccurrence crsquoeacutetait Nice Cannes enfin tout ccedila toute la Cocircte dAzur (pfc)

241

Ainsi tout ccedila deacutesigne allusivement un ensemble sous-deacutetermineacute comprenant Nice et Cannes

que le locuteur juge bon de speacutecifier via la reformulation toute la Cocircte dAzur On remarque

qursquoenfin nrsquoest ici pas agrave interpreacuteter comme une marque de synthegravese finale mais plutocirct comme

un indice de changement au niveau de la planification discursive qursquoon pourrait gloser par

laquo jrsquointerromps le deacutetail de ma liste pour aller droit au but raquo

Par ailleurs on a deacutejagrave signaleacute supra (ex (311)) que les listes pouvaient ecirctre structurellement

constitueacutees drsquoun seul eacuteleacutement lexical preacuteceacutedant tout ccedila Il paraicirct degraves lors peu vraisemblable

qursquoils soient voueacutes agrave reacutecapituler via un marqueur de totaliteacute un ensemble composeacute en tout et

pour tout drsquoun seul objet-de-discours

Au final il nous semble qursquoon peut admettre une analyse reacutesomptive de tout ccedila dans la

mesure ougrave il comprend dans sa reacutefeacuterence celle des items (de lrsquoitem) preacutealablement

mentionneacute(s) Mais il indique en mecircme temps que la liste entreprise ne reflegravete pas

exhaustivement sa reacutefeacuterence qui va bien au-delagrave Crsquoest drsquoailleurs cet aspect que mettent en

eacutevidence les appellations general extenders (Overstreet 1999 Secova 2014) ou particules

drsquoextension (Dubois 1993 Ferreacute 2011)

442 Lrsquoinfeacuterence drsquoun ensemble

Dans le cadre de la theacuteorie de la pertinence (Sperber amp Wilson 1986) on pourrait consideacuterer

que tout ccedila convie le destinataire agrave enrichir par infeacuterence le contenu drsquoun message agrave partir des

informations explicites et contextuelles agrave disposition dans le but drsquoatteindre le sens que le

locuteur cherche agrave communiquer Drsquoune part le syntagme tout ccedila clocirct une liste au niveau

structurel drsquoautre part il deacutesigne un ensemble dont la teneur est partiellement implicite au

niveau reacutefeacuterentiel Ce faisant il incite agrave en infeacuterer drsquoautres membres potentiels

(327) cest vrai que + agrave Paris cest cher quand mecircme tous les cafeacutes tout ccedila ccedila revient cher on

a pas trop les moyens (cfpp)

(328) cest vrai que + agrave Paris cest cher quand mecircme tous les cafeacutes les boutiques les

restaurants ccedila revient cher on a pas trop les moyens (exemple modifieacute)

En effet en fonction du contexte et de lrsquoorientation argumentative du discours on peut

reacutecupeacuterer lrsquoisotopie de deacutepart et en infeacuterer drsquoautres eacuteleacutements congruents (Bilger 1989 Ward

amp Birner 1993) Ainsi en ne nommant qursquoun eacuteleacutement de la liste le locuteur reacutealise une

eacuteconomie de moyens au regard des effets escompteacutes241

Mais agrave lrsquoinverse la theacuteorie de la pertinence permet eacutegalement de rendre compte du fait qursquoun

traitement infeacuterentiel peut srsquoaveacuterer trop coucircteux conduisant lrsquointerpregravete agrave se contenter drsquoun

reacutefeacuterent sous-deacutetermineacute pour les besoins de lrsquoeacutechange (Berrendonner 1990a Overstreet 2005

Jucker et al 2007) Lrsquoexemple suivant teacutemoigne de cette situation

241

On peut aussi invoquer la maxime de quantiteacute de Grice (1975) qui enjoint de ne pas fournir plus

drsquoinformation que neacutecessaire

242

(329) SC Et puis autrement euh bon bah je sais pas il ma demandeacute un truc sur le euh Il il

redemande le euh le cholesteacuterol et puis alors les euhEt puis un ionogramme

E Un quoi

SC Ionogramme cest les ltE Cest quoi gt Bah lrsquoionogramme cest les euh Euh

cest les chlorures les euh Les chlorures euh tout ccedila oui les euh

E Et ccedila se(X) je connais pas Je sais pas agrave quoi ccedila sert (pfc)

Lrsquointerlocutrice SC eacutevoque ici visiblement une classe-objet du reacutefeacuterent lsquoionogrammersquo dont

elle est capable de mentionner lrsquoun des ingreacutedients agrave savoir lsquoles chloruresrsquo Etant donneacute la

complexiteacute de ce que la notion de ionogramme recouvre (elle deacutesigne un examen meacutedical

analysant la teneur drsquoun liquide organique en eacutelectrolytes) la locutrice utilise tout ccedila de

maniegravere allusive pour srsquoeacuteviter drsquoen formuler le deacutetail (visiblement inconnu) tout ccedila deacutesigne

ainsi lrsquoobjet laquo indiscret raquo dont lsquoles chloruresrsquo repreacutesente lrsquoun des composants heacuteteacuteroclites au

demeurant indeacutenombrables On peut remarquer agrave cet eacutegard que lrsquointerlocutrice E ne se

satisfait pas de cette allusion srsquoattendant agrave une explication plus preacutecise sa reacuteaction nuance

lrsquoobservation de Dines (1980) selon laquelle lrsquoemploi des general extenders geacutenegravere

drsquohabitude des marques drsquoapprobation de la part de lrsquointerlocuteur Lrsquointerlocutrice E en

lrsquooccurrence ne laquo joue pas le jeu raquo Cette situation illustre un cas de dissension sur lrsquoeacutetat de

M en traccedilant minimalement un reacutefeacuterent un locuteur nrsquoest pas agrave lrsquoabri drsquoeacuteventuelles

demandes de clarification

On reconnaicirct ici le comportement nonchalant de la locutrice (Berrendonner 1990a) qui pour

des raisons drsquoeacuteconomie mais eacutegalement pour eacutepargner agrave son interlocutrice des deacutetails jugeacutes

non pertinents se contente drsquoune eacutevocation vague

une repreacutesentation apparaicirct drsquoautant plus eacuteconomique agrave manipuler qursquoelle est moins complexe et moins analytique Crsquoest pourquoi il peut ecirctre avantageux de ne laquo tracer raquo discursivement la penseacutee que par un minimum de repegraveres cognitifs vagues [hellip] (ibid 150)

Par conseacutequent le destinataire a tout avantage agrave se contenter de lrsquoindication minimale drsquoune

classe drsquoobjets entretenant des rapports entre eux sans chercher agrave la compleacuteter (voir aussi

Jucker et al (2003)

En somme on constate que selon les circonstances et le calcul de la pertinence tout ccedila invite

ou non lrsquointerpregravete agrave infeacuterer drsquoautres objets laquo de la mecircme sorte raquo que celui ou ceux

introduit(s) En tout cas il nrsquooblige pas systeacutematiquement agrave une restitution a fortiori dans les

cas ougrave le reacutefeacuterent deacutesigneacute srsquoapparente agrave une classe-objet au contenu inanalysable

45 Fonctionnement pragmatique

Dans cette section nous observons quelles sont plus preacuteciseacutement les fonctions assumeacutees par

tout ccedila quelles strateacutegies du locuteur son emploi reflegravete et agrave quels effets discursifs il donne

lieu

243

451 Marquage de lrsquointersubjectiviteacute

Le marquage de lrsquointersubjectiviteacute est reacuteguliegraverement invoqueacute pour lrsquousage des particules

drsquoextension (Dubois 1992 Overstreet 1999 2005 Secova 2014) en ce qursquoelles sollicitent de

lrsquointerlocuteur une participation active agrave la construction de repreacutesentations communes

Overstreet (2005 1851) deacutefinit lrsquointersubjectiviteacute comme laquo the process by which individuals

manage to achieve interpersonal understanding despite subjective differences raquo Lrsquoauteur

insiste sur la preacutesomption de cette communauteacute de savoir et drsquoexpeacuterience plutocirct que sur sa

reacutealiteacute On constate freacutequemment un effet drsquoempathie voire de connivence qursquoon pourrait

gloser par laquo tu vois ce que je veux dire raquo Ci-dessous lrsquoexemple (330) illustre lrsquoeacutebauche drsquoune

liste de lieux interrompue par lrsquoeacutevocation de repreacutesentations via tout ccedila accompagneacute de

lrsquoadverbe lagrave ce dernier fonctionnant non seulement comme un marqueur proprement spatial

mais aussi comme un deacutesignateur de lrsquoespace mental partageacute (cf supra ChIII sect524)

(330) ils ont fait des dans j sais plus quelle anneacutee mais dans quelles anneacutees ceacutetait + tout

plein de plein de HLM en bas du cimetiegravere + dans la rue Gaston Leriaux tout ccedila lagrave

(cfpp)

La combinaison tout ccedila lagrave de par sa nature token-reacuteflexive srsquoappuyant sur la situation

drsquoeacutenonciation invite les interlocuteurs agrave partager leurs repreacutesentations cognitives leurs

espaces mentaux Il en va de mecircme ci-dessous

(331) ceacutetait un un ensemble dusines + et dateliers + qui eacutetait tregraves freacutequentes agrave Montreuil +

dans les anneacutees cinquante + mecircme + derriegravere lagrave242

ougrave ils ont construit ougrave y a une partie

de de de de de ladministration qui sest installeacutee lagrave au truc des immigreacutes lagrave tout ccedila

(cfpp)

De nouveau lrsquoadverbe lagrave est utiliseacute agrave plusieurs reprises pour mobiliser les repreacutesentations

communes et se figurer mentalement la scegravene et fonctionne agrave ce titre comme particule de

clocircture ou ponctuant (cf supra ChIII sect524 et infra sect452) Avec tout ccedila ils contribuent

ensemble agrave solliciter lrsquoactiviteacute de co-construction discursive

Comme on lrsquoa deacutejagrave mentionneacute supra (sect432) tout ccedila est susceptible drsquointeacutegrer des listes co-

construites par plusieurs locuteurs Pour meacutemoire

242

Contrairement aux suivantes cette occurrence est principalement spatiale et accompagne drsquoautres expressions

contribuant agrave situer un lieu particulier (derriegravere lagrave ougravehellip)

244

(332) L1dtfaccedilon cest toujours pareil dans une eacutecole hein va y avoir un peu euh les

racailles

L2 ltouais

L1 lesgt gothiques euh

L2 les les

L1 les shals

L2 voilagrave [rires] + les bourges voilagrave lttout ccedila ouais

L1 voilagrave gt (cfpp) = (320)

Le syntagme tout ccedila eacutevoque ainsi lrsquoensemble amorceacute collaborativement par les participants et

continuant dans un espace commun implicite A noter qursquoon rencontre des co-eacutenonciations de

listes termineacutees par et tout eacutegalement

(333) L1 moi jhabite dans des banlieues jai toujours habiteacute dans des banlieues ougrave y a

dplus en plus de de Noirs de gens meacutetisseacutes

L2 ltmmh mmh de meacutelange ouigt

L1 et tout + et moi au contraire ccedila mplaicirct hein (cfpp)

Tous ces exemples illustrent avantageusement lrsquoinvitation ou la participation des

interlocuteurs agrave la construction de repreacutesentations communes

452 Rocircle de ponctuant

A sa fonction drsquoextension implicite on peut ajouter le rocircle de ponctuant qursquoest susceptible

drsquoendosser tout ccedila Vincent amp Demers (1994) deacutefinissent un ponctuant comme un eacuteleacutement

prosodiquement et pragmatiquement rattacheacute agrave ce qui preacutecegravede243

qui se dote drsquoune fonction de

structuration du discours il agit en cela au niveau de la segmentation des uniteacutes syntaxiques

et prosodiques mais aussi aux niveaux interactionnels et argumentatifs (Vincent 1993)

Secova (2014) insiste sur la vocation de ponctuant du marqueur et tout contrairement agrave tout

ccedila Ce rocircle de ponctuant est bien illustreacute ci-dessous

(334) et pis y a une euh donc y a tout le monde qui part dans | _ | tout le FBI et la CIA qui

partent dans tout dans toutes les hy les hypothegraveses possibles et tout [hellip] ils sont de de

sortie dans un restaurant et tout et pis euh | elle monte dans sa voiture et tout | _ | pis

elle se prend un petit peu la tecircte avec son son amant (ofrom)

Tout en signalant qursquoelle passe sous silence une partie des deacutetails du sceacutenario policier en

question la locutrice emploie de maniegravere reacutecurrente le marqueur et tout agrave la fin de clauses

syntaxiquement complegravetes En tant que ponctuant le syntagme et tout sert non seulement de

signe de deacutemarcation syntaxique mais il contribue eacutegalement agrave maintenir le rythme et la

fluiditeacute du reacutecit de mecircme que sa progression informationnelle en se permettant de

laquo reacuteduire raquo de la sorte les peacuteripeacuteties deacutecrites la locutrice manifeste sa volonteacute de passer agrave

autre chose (laquo je te passe les deacutetails raquo) et preacutesente celles-ci comme deacutependantes drsquoun

243

Cf aussi le ponctuant quoi situeacute selon Teston-Bonnard Lefeuvre amp Morel (2011) en fin de rhegraveme (ou noyau)

et portant sur celui-ci contrairement agrave drsquoautres particules comme enfin ou bon qui focalisent ce qui suit

245

deacutenouement agrave venir (Secova 2014 291) Dans lrsquoexemple (334) la seacutequence narrative dont

nous nrsquoavons pas reproduit la suite se conclut comme attendu par une chute (lrsquoeacutechec drsquoune

tentative de meurtre) ainsi qursquoun commentaire global sur lrsquointrigue et son auteur

Le marqueur et tout se rapproche drsquoautres particules discursives servant agrave scander le discours

comme le ponctuant quoi244

Il serait inteacuteressant de mettre en perspective les emplois de

plusieurs types de ponctuants On remarque que ces particules peuvent srsquoaveacuterer totalement

absentes chez certains usagers mais au contraire particuliegraverement productives chez

drsquoautres245

comme chez la locutrice ci-dessus ou encore chez celle-ci

(335) on avait gardeacute contact et tout et puis euh | _ | comme javais eu loccasion | _ | enfin il il

mavait demandeacute si je voulais | _ | si je voulais y aller et tout et puis comme jai eu

loccasion une fois alors je me suis dit | pourquoi pas pourquoi pas profiter et tout et

puis lagrave justement ceacutetait vraiment| _ | ceacutetait tregraves inteacuteressant parce que il est | _ | enfin il

a fait presque deux semaines euh | _ | avec moi et tout il ma fait visiter euh | _ | euh

quelques villes [hellip] si jeacutetais alleacutee seule en touriste vraiment europeacuteenne et tout euh| _ |

on maurait voilagrave on maurait fait vraiment deacutecouvrir les trucs touristiques et tout ce

que jai eu aussi (ofrom)

Dans ce genre drsquooccurrences la position syntaxique du paradigme de la liste eacutebaucheacutee nous

eacutechappe et tout enchaicircnant sur un seul item souvent au rang drsquoune clause si bien que la

structure en liste nrsquoest mecircme plus perceptible (Secova 2014)

Si la fonction de ponctuant est bien illustreacutee par et tout on remarque que tout ccedila nrsquoest pas en

reste Il intervient ci-dessous de maniegravere analogue en tant que laquo tic stylistique raquo chez une

locutrice246

(336) cest vrai que + agrave Paris cest cher quand mecircme tous les cafeacutes tout ccedila ccedila revient cher on

a pas trop les moyens [hellip] la photographie tout ccedila qui nous inteacuteresse plus enfin agrave notre

acircge + + ou voilagrave ou des trucs sur les groupes sur des artistes et tout ccedila lagrave on ira voir

[hellip] + oui voilagrave les tableaux d Picasso tout ccedila voilagrave pas peut-ecirctre pas enfin [hellip] y a la

MJC pas loin y a les conservatoires tout ccedila [hellip] ouais anniversaires alors les

eacutevegravenements tout ccedila toutes les soireacutees on est au courant [hellip] ben + cest plus enfin ccedila

cest enfin si jamais j vais XX cest plus quand mecircme sur la reacuteforme pour les lyceacutees et

cetera tout ccedila les suppressions de postes tout ccedila et cest aussi en geacuteneacuteral parce que y a

quand mecircme enfin plein dineacutegaliteacutes tout ccedila enfin mecircme pour les immigreacutes tout ccedila

enfin cest pour plein d choses (cfpp)

244

Voir agrave cet eacutegard Chanet (2001) Beeching (2007) et Teston-Bonnard Lefeuvre amp Morel (2011) 245

Cf aussi la reacutecurrence de quoi chez certains usagers je dois rendre un truc mec mais | _ | totalement

ininteacuteressant je dois faire un film avec ccedila quoi | _ | sur la base de rien mon gars mais comme cest chaud quoi ils

mont dit ouais tu te deacutemerdes quoi ils mont | il y a genre ma cheffe elle ma donneacute tout le projet elle ma dit

tiens quoi | _ | demain je dois faire le storyboard tu sais des petites des petites tu dessines une petite BD quoi |

puis genre ce que ccedila va ecirctre le film quoi image par image (ofrom) 246

Afin de faire ressortir la reacutecurrence de tout ccedila chez une mecircme locutrice nous nrsquoavons reproduit que ses

interventions mais il faut imaginer qursquoelles srsquoinsegraverent dans une conversation agrave plusieurs dont les tours

interviennent dans les passages non retranscrits que symbolise le signe [hellip]

246

Si lrsquoon compare cet exemple avec les deux preacuteceacutedents il faut reconnaicirctre avec Secova (2014)

que tout ccedila se positionne agrave la suite drsquoun laquo operand raquo mieux identifiable (souvent un parfois

deux SN) plutocirct qursquoentre deux clauses qui se succegravedent dans une routine narrative Selon

Secova lrsquoidentification de la structure de liste rend le fonctionnement de tout ccedila plus

reacutefeacuterentiel que celui drsquoet tout Il nous semble que la preacutesence du deacutesignateur token-reacuteflexif ccedila

joue eacutegalement un rocircle dans cette interpreacutetation reacutefeacuterentielle du marqueur Mais agrave notre avis

cela nrsquoempecircche pas tout ccedila drsquoassocier agrave sa fonction reacutefeacuterentielle des rendements pragmatiques

apparenteacutes agrave celui drsquoun ponctuant

453 Approximation de paroles rapporteacutees

Overstreet (2005 1855) note lrsquoaffiniteacute des particules drsquoextension avec le discours rapporteacute et

Secova (2014 291) relegraveve en particulier lrsquoadeacutequation drsquoet tout dans ce genre de contexte ougrave

il manifeste eacutegalement un rocircle de ponctuant

(337) cest vrai que ccedila eacuteteacute vraiment un accompagnement parce que au deacutebut il me disait | _ |

ouais moi au deacutebut jaimais eacutecouter que les voix de femmes mais maintenant jaime

bien les voix dhommes et tout pis | _ | il a commenceacute agrave sinteacuteresser lui-mecircme | _ | agrave ccedila

(ofrom)

(338) elle m a dit elle voulait venir me chercher elle me dit ouais jpasse te prendre et tout

oh non non cest bon jprends jprends les transports et agrave chaque fois ceacutetait comme ccedila

ouais mais attends mais tu tu fais trente minutes de train et tout tu prends l RER euh

trois changements [hellip] (cfpp)

Cet emploi permet de hieacuterarchiser les types de discours (respectivement les discours hocircte et

rapporteacute) tout en signalant lrsquoincompleacutetude et lrsquoapproximation des paroles rapporteacutees

Contrairement agrave une ideacutee reccedilue247

le discours direct ne garantit nullement la fideacuteliteacute des

propos effectivement tenus Le marqueur et tout est donc particuliegraverement reacuteveacutelateur de cette

contrefaccedilon des paroles par le locuteur citant qui marque de la sorte ses distances agrave leur eacutegard

et se preacutemunit par ce biais drsquoun eacuteventuel reproche drsquoinfideacuteliteacute Il indique ainsi la neacutecessiteacute de

relativiser le caractegravere litteacuteral exact ou cateacutegorique des propos On reconnaicirct ici la fonction de

mitigation dont Sadock (1977) dote les marqueurs drsquoapproximation (environ agrave peu pregraves

approximativement)

the role of an approximator in the pragmatic theory is to trivialize the semantics of a sentence to make it almost unfalsifiable to hedge in a genuine sense (p 437)

Secova (2014 291) justifie lrsquoavantage drsquoet tout dans ces contextes par sa briegraveveteacute jugeant

plus fastidieux le recours agrave des marqueurs plus longs comme et cetera ou et tout ccedila Mais

crsquoest oublier que tout ccedila nrsquoest pas plus long agrave prononcer qursquoet tout et qursquoil se retrouve

eacutegalement aux confins de discours directs

247

Par exemple Grevisse amp Goosse (2011 sect414a) laquo Le rapporteur les [les paroles] reproduit censeacutement telles

quelles sans les modifier Crsquoest le discours (ou style) direct raquo

247

(339) donc elle sest dit elle seacutetait dit oui je travaillerai pour avoir de largent pour faire ccedila agrave

mes enfants tout ccedila et voilagrave donc euh (cfpp)

(340) ben ils essayaient ils essayaient de s plaindre en disant aux policiers enfin vous avez

pas le droit tout ccedila ils disaient mais mais tu veux que jtembarque donc bon (cfpp)

Il est par ailleurs inteacuteressant de remarquer qursquoil demeure une incertitude sur la prise en charge

eacutenonciative des marqueurs248

En effet on peut se demander si lrsquoon doit mettre lrsquooccurrence

drsquoet tout et de tout ccedila au compte de lrsquoeacutenonciateur citant ou de lrsquoeacutenonciateur citeacute En eacutecoutant

les extraits on remarque que la contrefaccedilon meacutelodique du discours direct est volontiers

maintenue sur la particule et tout mais non sur tout ccedila Cela suggegravere qursquoet tout fait partie

inteacutegrante des paroles mimeacutees consciemment deacuteformeacutees et reacuteduites il se fond dans les

propos rapporteacutes A lrsquoinverse tout ccedila semble traduire un comportement davantage

meacutetadiscursif de la part du locuteur citant qui signale par ce biais qursquoil y a drsquoautres propos

analogues agrave consideacuterer

454 Eupheacutemisme

Le rocircle de mitigation ou drsquoatteacutenuation deacutejagrave eacutevoqueacute ci-dessus (Overstreet 2005 1855 Secova

2014 289) peut srsquoaccompagner de rendements eupheacutemiques contribuant agrave adoucir la cruditeacute

de certaines reacutealiteacutes ou propos Ci-dessous lrsquoemploi de tout ccedila preacuteceacutedeacute drsquoun enfin agrave fonction

rectificative atteacutenue la vulgariteacute exprimeacutee via lrsquoexpression mrsquoentuber

(341) moi la coopeacute je la paie donc les gens | qui me tapent sur la gueule je leur donne du fric

pour le faire les g- enfin | je les paie pour aller faire des seacuteances agrave Berne je les paie

pour reacutefleacutechir | agrave comment mentuber enfin tout ccedila je les paie et puis je les paie bien

(ofrom)

Dans lrsquoexemple suivant tout ccedila eacutevoque allusivement toute la classe-objet du sujet tabou de la

maladie

(342) Ben crsquoeacutetait bien parce que bon crsquoeacutetait des handicapeacutes il y avait beaucoup de malades

tout ccedila [hellip] des fois on connaicirct qursquoil y a des gens qui sont malades tout ccedila [hellip] Et

puis il y a plein de malades de cancer et tout qui souffrent eacutenormeacutement (pfc249

)

Enfin signalons un dernier exemple agrave rendement eupheacutemique avec et tout

(343) [L2 vient de confier agrave L1 qursquoelle a entretenu une relation passagegravere avec une

connaissance mutuelle]

L1 (ah ouais)A (et vous vous ecirctes embrasseacutes)

S (et tout et tout)

Q

L2 (on srsquoest embrasseacutes)S (mais pas et tout et tout)

A250 (oral au vol)

248

Dans CFPP les guillemets sont le fait des transcripteurs 249

Locutrice de la Reacuteunion dont la langue maternelle est le creacuteole et le franccedilais la langue seconde 250

Les exposants reproduisent sommairement la fonction de lrsquointonation des eacutenonceacutes telle qursquoelle a eacuteteacute perccedilue

selon lrsquoapproche fribourgeoise S = intonation continuative Q = intonation interrogative A = intonation

exclamative F = intonation conclusive

248

Lrsquointention de L1 est de suggeacuterer implicitement via et tout et tout une succession drsquoactes

typiques (entameacutee explicitement par la phase du baiser) appartenant au script drsquoune relation

amoureuse passagegravere manifestement orienteacutee vers un aboutissement plus intime Autrement

dit L1 cherche agrave se renseigner sur la tournure des eacuteveacutenements agrave propos duquel un

questionnement explicite passerait pour indiscret Ici L1 invite clairement L2 agrave une reacutesolution

de la sous-deacutetermination par ailleurs aussitocirct opeacutereacutee pour preuve la reacuteplique immeacutediate et

symeacutetrique de L2 qui concegravede une partie du script tout en niant subtilement lrsquoeacutepilogue

preacutesumeacutehellip Dans ce cas il faut reconnaicirctre le fonctionnement fondamentalement reacutefeacuterentiel

drsquoet tout et tout dont la vocation est bien de deacutesigner un reacutefeacuterent tabou

455 Emphase

Comme on vient de le voir le marqueur et tout est susceptible de se voir reacutedupliquer pour

marquer une forme drsquoemphase de lrsquoincompleacutetude (laquo et bien plus encore raquo) par laquo iconiciteacute raquo

(Overstreet 2005 1853251

) En effet nous avons observeacute qursquoet tout est particuliegraverement

propice au redoublement252

comme lrsquoillustre encore lrsquoexemple suivant

(344) et euh jrsquosuis revenu et puis y a le chef de service qui m regarde il fait ouais non euh

cest pas drsquosa faute il est comme ccedila et tout et tout jfais ouais mais + XXX non cest

pas des des [hellip] cest pas des excuses jlui dis cest pas + cest pas une faccedilon

dapprendre + on crie pas sur les gens on est pas des animaux [hellip] (cfpp)

Outre lrsquoincompleacutetude des propos la reacuteduplication souligne ici lrsquointensiteacute de lrsquoexcuse citeacutee

dans la tentative de sauver in extremis laquo la peau raquo drsquoun collegravegue Nous avons releveacute le

pheacutenomegravene avec tout ccedila eacutegalement

(345) puis lui cest lagrave quil sest lanceacute en disant que ceacutetait terrible euh au Pakistan parce que

le | _ | le gouvernement laiumlc agrave leacutepoque euh | _ | ceacutetait inacceptable que ceacutetait

beaucoup mieux en Iran tout ccedila tout ccedila | _ | donc un type euh un fanatique de lrsquoislam

(ofrom) = (316)

Dans cet exemple la locutrice rapporte une partie des paroles drsquoun individu (cette fois au

discours indirect) et glose le reste par la reacuteduplication de tout ccedila qursquoon peut interpreacuteter

iconiquement comme lrsquoabondance des arguments deacutelibeacutereacutement passeacutes sous silence agrave lrsquoeacutegard

desquels on infegravere contextuellement la distanciation de la locutrice citante Bien que cet

exemple soit la seule occurrence trouveacutee avec tout ccedila dans les bases examineacutees le pheacutenomegravene

ne semble pas pour autant isoleacute Nous avons en effet retrouveacute ce genre de reacuteduplication dans

des dialogues drsquoouvrages de fiction

251

Elle relegraveve ce pheacutenomegravene avec und so en allemand et etcetera en anglais 252

Voire agrave une reacutepeacutetition plus importante comme en teacutemoigne cet exemple drsquoun locuteur algeacuterien jai

abandonneacute carreacutement agrave leacutepoque je sortais avec une fille son pegravere ceacutetait un opticien bon ceacutetait une belle fille

quand mecircme donc euh Euh elle eacutetait dAlger ils eacutetaient dAlger Ce qui fait jai jai jai eu quand mecircme une

petite ideacutee sur le sur loptique et tout mais jai jai jamais penseacute que je pouvais ecirctre un opticien et tout et tout et

tout et tout (pfc Chlef Algeacuterie)

249

(346) - Andromegravede reacutepeacuteta Raquel en plissant les yeux

Elle portait le pull noir deacutejagrave useacute jusqursquoagrave la corde de lrsquoanneacutee preacuteceacutedente

- Ccedila vient de la mythologie grecque non Le nom me dit vaguement quelque chose

mais je ne me souviens pas de lrsquohistoire

- Victime sacrificielle Perseacutee la Meacuteduse tout ccedila tout ccedilahellip reacutepondit Vic agrave ma place

(Gray C Evernight II)

456 Association agrave drsquoautres eacuteleacutements

4561 machin tout ccedila

Il arrive que tout ccedila (et et tout) srsquoassocie agrave lrsquoemploi de machin geacuteneacuteralement lieacute au code oral

(Mihatsch 1996) du fait des conditions de productions favorables (spontaneacuteiteacute manque de

temps ignorance etc) au recours agrave un terme postiche et passe-partout (cf supra ChIII

sect513)

(347) jai dit eacutecoute euh | _ | il faut il faut que tu trouves cest comme | pour la maniegravere

dapprentissage | mh mh | _ | _ | tu sais le le fait de devoir reacuteviser et tout ccedila | _ | elle me

dit maintenant ccedila va tregraves bien machin tout ccedila euh | cest vrai | _ | vrai | ceacutetait | _ | trop

cool (ofrom)

Lrsquoassociation des deux eacuteleacutements contribue agrave veacutehiculer comme preacuteceacutedemment une valeur

iconique drsquoemphase Mais machin semble ajouter agrave lrsquoincompleacutetude des propos le marquage de

lrsquoindiffeacuterence au niveau lexical (Beacuteguelin amp Corminboeuf agrave par) A noter agrave nouveau lrsquoaffiniteacute

des marqueurs avec le discours rapporteacute Il en va de mecircme ci-dessous avec machin et tout

(348) le coucirct dla vie + quand mecircme + quand jentends + et cest cest + dire quil faut manger

autant de leacutegumes et machin et tout mais attendez + quand quand y a quel- y a

quelquun qui touche trois cent cinquante agrave quatre cent + (mm) cinquante euros par

mois (mm) (cfpp)

4562 tout ccedila mais

Les syntagmes tout ccedila et et tout entrent reacuteguliegraverement dans des mouvements concessifs ougrave ils

contribuent agrave appuyer une argumentation dont la conclusion attendue se voit aussitocirct

contredite souvent via un eacutenonceacute introduit par mais (Secova 2014 292)253

Les marqueurs

renforcent ainsi implicitement lrsquoargument conceacutedeacute en en suggeacuterant drsquoautres avant

lrsquointervention drsquoun deacutenouement anti-orienteacute

(349) jaurais pu le placer lui dans il y avait des des accueils pour les enfants pour euh | _ |

dont les mamans travaillaient et tout ccedila mais je trouvais ccedila vraiment trop (ofrom)

La locutrice eacutevoque lrsquoexistence de structures de garde drsquoenfants pour les megraveres actives

argument qui favorise une conclusion type du genre lsquodonc il y avait des raisons drsquoen profiterrsquo

Le marqueur et tout ccedila contribue ici agrave eacutelaborer lrsquoargument avanceacute en rencheacuterissant sur la

253

Cf and all (that) but en anglais et und so aber en allemand (Overstreet 2005 1859)

250

cateacutegorie des megraveres actives pour mettre en eacutevidence lrsquoexistence de ces accueils Or la

conclusion impliciteacutee dont lrsquoinefficaciteacute est preacutefigureacutee dans lrsquousage du conditionnel jrsquoaurais

pu le placer se voit explicitement contrecarreacutee par le jugement asserteacute ulteacuterieurement

exprimant une forme drsquoexcegraves auquel megravenerait lrsquoalternative Il en va de mecircme dans lrsquoexemple

ci-dessous avec et tout qui amplifie les qualiteacutes preacutediqueacutees (hyper bien eacutecrit le personnage

vachement inteacuteressant) sur les livres eacutevoqueacutes par la locutrice qui travaille comme lectrice

pour une maison drsquoeacutedition

(350) Alors ccedila si par exemple jai eu arriveacute de lire des bouquins ougrave euh euh mais noirs

sordides enfin tu vois un truc euh et euh par contre hyper bien eacutecrit euh le

personnage vachement inteacuteressant et tout mais euh jeacutetais obligeacute de dire euh ben non

Cest pas cest pas pour vous quoi (pfc Dijon)

La conclusion attendue par ce rencheacuterissement (lsquodonc je les ai retenusrsquo) se voit elle aussi nieacutee

au moyen de lrsquoeacutenonceacute introduit par mais On peut donc voir dans ces exemples une variante

du marquage drsquoemphase visant agrave renforcer un argument pour ensuite mieux nier via mais sa

conseacutequence en mettant en avant un deacutenouement argumentatif en apparence inattendu

251

5 Conclusion

Au terme de cet examen des occurrences de tout ccedila nous espeacuterons avoir montreacute comment ce

syntagme est susceptible de deacutevelopper toutes sortes de rendements contextuels au-delagrave de sa

fonction reacutefeacuterentielle sous-deacutetermineacutee

Nous avons tout drsquoabord mis en eacutevidence les speacutecificiteacutes de son contexte drsquooccurrence agrave

savoir les listes Tout en occupant structurellement sa position finale il deacutesigne au niveau

reacutefeacuterentiel un ensemble heacuteteacuteroclite implicite minimalement eacutebaucheacute par les premiers items de

la liste Le caractegravere sous-deacutetermineacute et implicite du reacutefeacuterent favorise lrsquoapparition de toute une

gamme de fonctions pragmatiques Le marqueur tout ccedila est ainsi susceptible de participer agrave

diverses sortes de strateacutegies pragmatiques et interactionnelles telles que le marquage de

lrsquointersubjectiviteacute la progression et le rythme drsquoun reacutecit la synthegravese et lrsquoapproximation drsquoun

discours rapporteacute lrsquoemphase lrsquoatteacutenuation etc

Nous avons releveacute ccedilagrave et lagrave quelques diffeacuterences drsquoemplois entre tout ccedila et et tout ce dernier

apparaissant plus affranchi drsquoun rocircle reacutefeacuterentiel comme le relegraveve Secova (2014) Tout ccedila

srsquoillustre au contraire davantage dans la reacutefeacuterence agrave un ensemble vague dont on peut

identifier certains ingreacutedients La preacutesence du deacutemonstratif ccedila comme nous lrsquoavons deacutejagrave noteacute

y est sans doute pour quelque chose Bien que nous reconnaissions cette diffeacuterence de

comportement reacutefeacuterentiel entre les deux expressions il nous importe de nous distancier de

lrsquohypothegravese de grammaticalisation postuleacutee par Secova agrave propos drsquoet tout illustrant un stade

avanceacute de changement seacutemantico-pragmatique Les arguments invoqueacutes sont sa eacutevolution

diachronique croissante sa preacutedominance chez les jeunes adultes observeacutee dans les corpus et

le deacuteveloppement de fonctions pragmatiques au deacutetriment drsquoun rocircle reacutefeacuterentiel

A propos des deux premiers aspects drsquoordre quantitatif il nous semblerait utile de tenir

compte du critegravere de preacutefeacuterence individuelle en veacuterifiant si certains locuteurs exploitent

massivement tel ou tel marqueur ce critegravere est susceptible de biaiser le bilan chiffreacute de la

repreacutesentativiteacute du marqueur254

A cet eacutegard il faut noter que le corpus personnel de Secova

celui qui fait ressortir la preacutepondeacuterance drsquoet tout chez les jeunes adultes parisiens est

constitueacute de seulement 14 locuteurs (contre 57 dans CFPP et 95 dans le corpus des anneacutees

1980) Enfin concernant le deacuteveloppement des rendements pragmatiques drsquoet tout on

constate qursquoil nrsquoest pas propre agrave ce marqueur tout ccedila eacutetant susceptible comme on lrsquoa vu de

contribuer aux mecircmes effets Plutocirct que de srsquoappuyer sur une hypothegravese deacuteterministe il nous

semble donc plus prudent et pertinent drsquoexpliquer les motivations contextuelles des diffeacuterents

emplois et marqueurs possibles en vue drsquoune vision globale du fonctionnement des particules

drsquoextension Ceci nrsquoeacutetant pas lrsquoenjeu de notre thegravese nous remettons ce travail agrave plus tardhellip

254

Apregraves une recherche grossiegravere sur CFPP on constate par exemple que 5 entretiens sur 24 comprennent 121

occurrences drsquoet cetera sur les 212 reacutesultats (57) qursquoun entretien contient 43 occurrences drsquoet tout sur les 272

reacutesultats de 37 entretiens (16) que 5 entretiens sur 37 contiennent 112 occurrences de tout ccedila sur 333 (34)

252

253

Chapitre V

Fonctionnement reacutefeacuterentiel et pragmatique de ILS agrave

valeur sous-deacutetermineacutee

Crsquoest ccedila qursquoils avaient aneacuteanti avec leur rapport lapidaire lrsquohumaniteacute de ma megravere Qui ccedila ils Je ne le savais pas (Yves Aubrymore Qui a tueacute Frajdla Cinnamone p 51)

254

255

1 Introduction

Le pronom conjoint de 6e personne connaicirct un fonctionnement particulier qui se distingue par

le caractegravere sous-deacutetermineacute de sa reacutefeacuterence On lui reacuteserve agrave ce titre des traits

caracteacuteristiques255

genre masculin nombre pluriel position sujet et interpreacutetation humaine

du reacutefeacuterent ainsi que lrsquoillustre cet exemple

(351) quand on freacutequentait avec mon mari | _ | euh on allait se promener jusquau bout de la |

| de de la Vallombreuse lagrave | _ | alors y avait ceacutetait l | ceacutetait lagrave quils avaient

construit tous les bacirctiments de | _ | de Mont-Goulin (oral ofrom)

Le fonctionnement reacutefeacuterentiel drsquoune telle occurrence srsquoeacutecarte sur bon nombre de points des

proprieacuteteacutes typiquement associeacutees au pronom de 3e personne dans les ouvrages de grammaire

ou de linguistique (cf supra sect3 et sect33)

il nrsquoest pas lieacute agrave un anteacuteceacutedent textuel

il nrsquoest pas voueacute agrave exprimer la continuiteacute reacutefeacuterentielle

il ne renvoie pas agrave un reacutefeacuterent saillant ni bien deacutetermineacute

Un certain nombre de travaux drsquoorigines diverses se sont pencheacutes sur cet emploi de ils (et ses

interpreacutetations) tantocirct deacutecrit comme indeacutefini indeacutesigneacute collectif institutionnel arbitraire

impersonnel etc ou sur ses laquo homologues raquo agrave travers les langues Nous preacutesentons ci-dessous

une synthegravese critique de ces travaux en commenccedilant par le traitement que lui reacuteservent les

grammaires ou autres usuels du franccedilais (sect21) Nous rendons compte ensuite des eacutetudes en

linguistique franccedilaise sur la question (sect22) agrave la suite de quoi nous rapportons quelques

reacutesultats en psycholinguistique (sect23) avant drsquoaccorder notre attention aux travaux en

typologie des langues (sect24) Nous proposons en seconde partie notre propre approche

empirique de la question (sect3) portant sur une collection de donneacutees attesteacutees en franccedilais

(sect31) Notre eacutetude qui vise agrave mettre au jour les circonstances drsquoemploi de ils consiste en un

classement commenteacute des occurrences de ils fondeacute sur les indices contextuels favorisant ou

non sa reacutesolution reacutefeacuterentielle (sect32) Pour terminer nous comparons lrsquousage de ils avec

drsquoautres ressources linguistiques manifestant des rendements pragmatiques similaires (sect34)

255

Pour une vue drsquoensemble des caracteacuteristiques morphologiques et seacutemantiques du pronom clitique de 3e

personne en geacuteneacuteral voir supra (ChII sect2)

256

257

2 Travaux anteacuterieurs

21 Le traitement de ils dans les grammaires

Selon Haase (1898) lrsquoancien franccedilais exprimait le laquo sujet indeacutetermineacute raquo par la 6e personne

drsquoabord dans la seule deacutesinence verbale agrave la maniegravere du latin puis agrave travers la preacutesence du

pronom ils utiliseacute avec un sens analogue au on laquo contemporain raquo A son eacutepoque il en relegraveve

le caractegravere populaire laquo [c]et emploi du verbe avec ou sans pronom assez freacutequent chez les

eacutecrivains du XVIe siegravecle apparaicirct quelquefois au XVIIe et aujourdrsquohui mecircme il est familier

agrave la langue populaire raquo (ibid 4) Il cite Vaugelas comme un adepte de cet usage en

particulier de la relative laquo qursquoils appellent raquo consideacutereacutee comme laquo un latinisme qursquoon ne

rencontre pas ailleurs raquo (ibid)

(352) Quand on cite un livre ou un chapitre ou que lrsquoon nomme un pape ou un roi ou

quelqursquoautre chose semblable il faut se servir du nombre adjectif ou ordinant et non

pas du substantif ou primitif qursquoils appellent comme on fait drsquoordinaire dans les

chaires et dans le barreau (Remarques I 215)

Parmi les auteurs du XVIIe siegravecle Haase cite Racine

(353) Agrippine Jrsquoavouerai les rumeurs les plus injurieuses

Je confesserai tout exils assassinats

Poison mecircmehellip

Burrhus Madame ils ne vous croiront pas (Britannicus III III)

Cet exemple se distingue toutefois du preacuteceacutedent agrave nos yeux par le fait que le pronom renvoie

agrave un reacutefeacuterent deacutejagrave preacuteconstruit par le discours en amont agrave travers les structures actancielles

des verbes de parole avouer et confesser impliquant seacutemantiquement undes destinataires(s)

aux propos (agrave qqn) mecircme sans reacutealisation explicite

Dans leur Preacutecis de grammaire historique de la langue franccedilaise Brunot amp Bruneau (1949

378) nomment laquo indeacutefinie raquo cette valeur de la 6e personne comparable agrave lrsquousage latin qui y

aurait recouru agrave deacutefaut de disposer drsquoun pronom indeacutefini Les auteurs situent cet emploi

latinisant comme anteacuterieur au XVIIIe siegravecle et lrsquoillustrent notamment par un extrait de

Montaigne

(354) Et chose de trop grande obligation agrave qui ne peut beaucoup tenir lrsquoapprecirct donne plus agrave

espeacuterer qursquoil ne porte On se met souvent sottement en pourpoint pour ne sauter pas

mieux qursquoen saye Nihil est his qui placere volunt tam adversarium quam exspectatio Ils ont laisseacute par eacutecrit de lrsquoorateur Curio que quand il proposait la distribution des

piegraveces de son oraison en trois ou en quatre ou le nombre de ses arguments et raisons

il lui advenait volontiers ou drsquoen oublier quelqursquoun ou drsquoy en ajouter un ou deux de

plus (Essais III IX nous eacutelargissons le contexte)

258

A partir du XVIIIe siegravecle lrsquoemploi est traiteacute diffeacuteremment il laquo est exclusivement populaire

[et] renvoie agrave des personnes mal deacutetermineacutees mais connues (et que lrsquoon hait ou que lrsquoon

nrsquoappreacutecie guegravere) raquo (ibid)

Il est paradoxal que le pheacutenomegravene puisse ecirctre traiteacute tantocirct de latinisme tantocirct drsquoemploi

populaire selon la peacuteriode consideacutereacutee Un examen diachronique des conditions drsquoapparition

des emplois de ils pourrait apporter un regard inteacuteressant sur la question pour savoir srsquoil srsquoagit

drsquousages semblables ou diffeacuterents Quoi qursquoil en soit ils se justifie aux yeux des philologues

jusqursquoen moyen franccedilais comme un effet de grammaire seconde conscient (Blanche-

Benveniste 1990b) en tant que survivance du latin et en lrsquoabsence drsquoun pronom atone

speacutecifiquement indeacutefini (on eacutetant employeacute agrave ce moment-lagrave aussi bien en tant que substantif

qursquoen tant que pronom indeacutefini) A partir du XVIIIe siegravecle du fait de lrsquoemploi deacutesormais bien

eacutetabli de on indeacutefini mais sans doute aussi pour drsquoautres raisons agrave rechercher ils ne beacuteneacuteficie

plus de la mecircme leacutegitimiteacute et est qualifieacute de populaire

Ce traitement reacuteserveacute agrave lrsquousage de ils se confirme dans les grammaires du franccedilais moderne

ougrave il repreacutesente le pendant familier et populaire de on Ainsi en va-t-il chez Sandfeld (1970)

Dans le langage populaire et aussi en style familier ils srsquoemploie pour on Ils ne veulent de moi nulle part DT Alp 129 Le peuple deacutesigne par ils tous ceux qui gouvernent qui dirigent qui ont de lrsquoinfluence tout en eacutetant invisibles et inconnus pour la foule Ils ne voudront peut-ecirctre pas me la donner la meacutedaille Duh Mart 159 Pourquoi qursquoon nous traite comme des veaux Jrsquoles en preacuteviens jrsquovas tout plaquer laquo Les raquo crsquoeacutetait lrsquoEtat-major les geacuteneacuteraux la France Benj Gasp 69 (p 33)

Le philologue eacutetend toutefois son emploi agrave la laquo langue courante raquo Dans lrsquoextrait on notera

dans le dernier exemple citeacute lrsquoemploi reacutegime les Sandfeld ajoute lrsquoattestation de la forme au

feacuteminin laquo elles sert parfois agrave deacutesigner les femmes en geacuteneacuteral raquo laquo Elles sont toutes pareilles

Z Feacutec 496) raquo (p 34) Sandfeld suggegravere quelques hypothegraveses sur les motivations de ce type

drsquoemplois telles qursquoun inteacuterecirct particulier pour des individus qui occupent lrsquoesprit du locuteur

ou laquo un besoin eupheacutemistique drsquoeacuteviter de prononcer le vrai nom raquo (p 32-33) On peut

rapprocher ces usages de ceux qursquoil considegravere comme laquo sans anteacuteceacutedent raquo (ou dont

lrsquoanteacuteceacutedent est laquo tout simplement suggeacutereacute par le contexte raquo) comme celui-ci

(355) (on entend la voix drsquoune personne endormie par le chloroforme ) Qursquoest-ce que crsquoest

que cela ndash Crsquoest lrsquoeffet du chloroforme Tu ne savais pas ccedila Sous lrsquoinfluence du

chloroforme ils se mettent agrave deacutelirer Birabeau Chifforton I 18 (ibid 41)

Chez Von Wartburg amp Zumthor (1973) lrsquoemploi de ils est mentionneacute comme un laquo cas

extrecircme raquo de pronom personnel relevant de la langue parleacutee et utiliseacute laquo pour deacutesigner

lrsquoensemble tregraves vague des personnes des ecirctres auxquels on pense en formulant la phrase raquo (p

311) Les grammairiens y associent en outre lrsquoexpression drsquolaquo une nuance affective de crainte

et drsquohostiliteacute raquo le rapprochant par lagrave du rendement eupheacutemique deacutegageacute par Sandfeld Wagner

amp Pinchon (1962 169) le restreignent eacutegalement agrave un registre familier et le dotent de traits

259

subjectifs tels que lrsquoironie et le meacutepris agrave lrsquoeacutegard de personnes laquo qursquoon ne peut ou qursquoon ne

veut pas deacutesigner drsquoune faccedilon explicite raquo Parfois le pronom ne ferait qursquoeacutevoquer de maniegravere

floue des individus partageant une fonction speacutecifique deacutelibeacutereacutement tue

(356) Vous pourrez demander tout agrave lrsquoheure au wagon-restaurant srsquoils en ont (Butor lt

Wagner amp Pinchon ibid)

Dans leur guide pratique des difficulteacutes Grevisse amp Lenoble-Pinson (2009) accordent un

paragraphe particulier agrave ils et y reacutesument les caracteacuteristiques deacutegageacutees par leurs

preacutedeacutecesseurs

ILS dans la langue parleacutee familiegravere srsquoemploie sans anteacuteceacutedent comme indeacutefini souvent dans un sens plutocirct meacuteprisant pour deacutesigner un groupe plus ou moins deacutetermineacute drsquoindividus particuliegraverement ceux qui deacutetiennent lrsquoautoriteacute ILS ont fini par lrsquoarrecircter (Ac) ndash ILS sont en gregraveve (Id) ndash ILS ont encore augmenteacute les impocircts ndash laquo ILS font tout ce qursquoILS peuvent pour nous embecircter raquo laquo Qursquoest-ce qursquoILS ont encore inventeacute raquo ILS ce sont suivant les cas ou simultaneacutement lrsquoEtat le gouvernement ou le Parlement la majoriteacute et lrsquoopposition mais surtout les bureaux ILS ce sont ceux qui deacutecident (Peyrefitte) ndash De mecircme on dit parfois elles pour deacutesigner les femmes en geacuteneacuteral Sans ELLES rien ne serait possible (Grevisse amp Lenoble-Pinson 2009 243)

Crsquoest agrave peu de choses pregraves la caracteacuterisation qursquoen font Grevisse amp Goosse (2011 sect632) y

compris au niveau formel concernant lrsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent A cet eacutegard les auteurs du Bon

usage commentent lrsquoexemple ci-dessous en suggeacuterant paradoxalement de laquo chercher

lrsquoanteacuteceacutedent dans la situation qui vient drsquoecirctre deacutecrite raquo

(357) En sortant spontaneacutement au moment drsquoun accident on mrsquoaurait peut-ecirctre consideacutereacute

seulement comme voisin et mon secours meacutedical aurait passeacute pour gratuit Srsquoils me

voulaient ils nrsquoavaient qursquoagrave mrsquoappeler dans les regravegles et alors ccedila serait vingt francs

(Ceacuteline Voyage au bout de la nuit p 403 lt ibid)

Les auteurs se gardent bien de fournir des indications sur cette quecircte de lrsquoanteacuteceacutedent en

orientant par exemple sur le rocircle du on en amont ou en mettant agrave disposition un contexte plus

large en amont256

Riegel et al (2009 361) deacutecrivent dans un premier temps le proceacutedeacute comme relevant de la

reacutefeacuterence par deacutefaut (par opposition aux reacutefeacuterences anaphorique et deacuteictique) agrave lrsquoinstar du

pronom indeacutefini on ou drsquoautres indeacutefinis Contrairement agrave ceux-ci ils ne serait pas susceptible

drsquoune interpreacutetation geacuteneacuterique et renverrait laquo par deacutefaut au reacutefeacuterent speacutecifique le plus

immeacutediatement accessible agrave partir des informations fournies par le reste de la phrase Ils [=

ceux qui ont le pouvoir drsquoaugmenter les impocircts = les gouvernants] ont encore augmenteacute les

impocircts raquo (ibid) Neacuteanmoins quelques pages plus loin les auteurs integravegrent ce genre drsquoemploi

au fonctionnement deacuteictique du pronom de 3e personne notamment illustreacute par cet exemple

256

Apregraves veacuterification il se trouve que le narrateur relate preacuteceacutedemment un grand fracas survenu dans la rue

suivi de geacutemissements

260

(358) Ils ont encore augmenteacute le prix de la vignette (ibid 366)

Lrsquoexplication suivante en est fournie laquo on interpregravete contextuellement ils comme lrsquoinstance

collective qui a pris la mesure deacutecrite par le preacutedicat raquo Figure encore agrave ce paragraphe

lrsquoexemple ci-dessous

(359) Jrsquoaime bien cet orchestre ils jouent tous remarquablement (ibid)

Dans ce cas laquo lrsquoanteacuteceacutedent collectif se trouve distribueacute par ils sur lrsquoensemble de ses

eacuteleacutements raquo (ibid) On peut mesurer la confusion qui regravegne autour de cet emploi de ils que

Riegel et al (2009) traitent tantocirct comme une reacutefeacuterence par deacutefaut tantocirct comme une

reacutefeacuterence deacuteictique ou encore anaphorique (implicitement cf la notion drsquoanteacuteceacutedent) agrave

lrsquoappui drsquoexemples tregraves proches les uns des autreshellip

En somme recourant agrave une conception substitutive ou textuelle des pronoms les

grammairiens se montrent emprunteacutes face agrave cet emploi de ils pour lequel les notions usuelles

drsquoanteacuteceacutedent de repreacutesentant ou drsquoindeacutefini etc srsquoavegraverent peu ou pas du tout opeacuteratoires Dans

un eacutetat de langue plus ancien et dans les travaux drsquolaquo eacuterudits raquo lrsquousage de ils srsquoexplique

comme une survivance du latin et se voit leacutegitimeacute de la sorte Degraves lors que lrsquoemploi srsquoobserve

chez les usagers ordinaires il eacutecope drsquoun certain discreacutedit de la part des grammairiens257

On

le ramegravene systeacutematiquement agrave des registres de langue peu prestigieux (courant familier

populaire etc) ou au meacutedium oral ainsi qursquoagrave la subjectiviteacute du locuteur (hostiliteacute crainte

meacutepris ironie reacuteserve etc) comme en teacutemoigne encore cet extrait

Le fameux ils deacutesigne nrsquoimporte quelle cateacutegorie sur laquelle on veut deacutecharger sa colegravere (laquo Le manuel de la grammaire franccedilaise raquo httpwwwgabrielwylercom)

Dans le mecircme esprit lrsquoeacutecrivain Pierre Daninos en simple observateur eacutelabore une deacutefinition

sur le ton de lrsquohumour

Ils troisiegraveme personne du pluriel souvent reacuteduite agrave une seule lettre (laquo Y vont encore nous embecircter longtemps avec tous leurs trucs raquo) adopteacutee par les Franccedilais pour deacutesigner lrsquoorigine de tous leurs maux deacuteputeacutes percepteurs communistes fascistes pieacutetons automobilistes fonctionnaires gouvernement Ameacutericains Russes etc Tout est la faute de cette troisiegraveme personne Jamais de la premiegravere (Daninos Le Jacassin)

A lrsquoeacutegard des rendements pragmatiques de ils on remarque plus geacuteneacuteralement que les

grammairiens se concentrent sur le cas particulier drsquoune identiteacute reacutefeacuterentielle deacutelibeacutereacutement

dissimuleacutee Or nous avons montreacute supra (sect41) que la sous-deacutetermination pouvait ecirctre due agrave

drsquoautres facteurs Ces aspects nous paraissent ainsi trop simplement traiteacutes par les grammaires

drsquoaujourdrsquohui qui se limitent souvent agrave reprendre leurs preacutedeacutecesseurs (en plus du contenu les

mecircmes exemples sont souvent citeacutes) alors que nous disposons agrave lrsquoheure actuelle de donneacutees

257

Riegel et al (2009) se gardent neacuteanmoins de remarques sur le registre ou sur les intentions du locuteur A

noter encore que nous nrsquoavons trouveacute aucune reacutefeacuterence agrave cet emploi chez Wilmet (2010) ni chez Arriveacute et al

(1986)

261

beaucoup plus diversifieacutees qui permettent drsquoeacutelargir le champ drsquoobservation et de nuancer ces

commentaires

22 Le traitement de ils en linguistique franccedilaise

Dans la litteacuterature en linguistique franccedilaise plusieurs auteurs ont traiteacute de la question avec

des conceptions toutefois assez diffeacuterentes les unes des autres A part lrsquoeacutetude de Kleiber

(1992b)258

portant sur lrsquointerpreacutetation de ce cas speacutecifique les autres travaux abordent le sujet

dans le cadre de probleacutematiques plus geacuteneacuterales le systegraveme des marques de 3e personne chez

Goudet (1983) la polyseacutemie du pronom il chez Lebas (1997) le statut des faits jugeacutes deacuteviants

chez [Reichler-]Beacuteguelin (1993b) On ne peut donc pas dire que le pheacutenomegravene ait susciteacute

eacutenormeacutement drsquoattention dans le domaine franccedilais Nous passons en revue ci-dessous les

diffeacuterentes proprieacuteteacutes deacutegageacutees par ces auteurs sur lrsquoemploi de ils au niveau reacutefeacuterentiel

(sect221) et au niveau morpho-seacutemantique (sect222) pour en tirer un bilan provisoire

221 Un reacutefeacuterent sous-deacutetermineacute

Les auteurs srsquoaccordent geacuteneacuteralement sur le fait que lrsquousage de ils concerneacute implique un

reacutefeacuterent sous-deacutetermineacute mal identifieacute dont on ignore les caracteacuteristiques distinctives comme

lrsquoillustrent ces exemples259

(360) ils vont construire un hocirctel (Goudet 1983 13)

(361) (en remarquant le brouillard) Tu as vu On dirait qursquoils ont deacutemonteacute la montagne

(Lebas 1997 46)

Les observations des linguistes confirment la preacutesence de ce flou reacutefeacuterentiel

La communication orale srsquoaccommode couramment de ils collectifs deacutesignant des reacutefeacuterents absents de la situation drsquoeacutenonciation et non mentionneacutes preacutealablement qursquoils soient infeacutereacutes du contexte ou utiliseacutes si je puis dire ex nihilo en laquo deixis meacutemorielle raquo ([Reichler-]Beacuteguelin 1993b 103)

[hellip] il est tregraves courant et utile drsquoeacutetablir drsquoautoriteacute pour certaines actions lrsquoexistence drsquoacteurs dont on ne connaicirct rien (Lebas 1997 46)

[hellip] elle [= la langue] attache du prix agrave lrsquoindeacutesignation totale [hellip] la langue suscite un indeacutesigneacute pur drsquoailleurs pluriel puisqursquoaussi bien le singulier nrsquoapparaicirct plus essentiel le ils indeacutesigneacute (Goudet 1983 13)

Neacuteanmoins le degreacute ou la maniegravere drsquoenvisager cette sous-deacutetermination varie drsquoun auteur agrave

lrsquoautre allant de laquo lrsquoindeacutesignation totale raquo (ibid) agrave la neacutecessiteacute drsquoun laquo assignement

reacutefeacuterentiel raquo du groupe en question (Kleiber 1992b) Goudet (1983) nrsquoeacutetudie pas vraiment le

processus interpreacutetatif en jeu se concentrant sur une analyse structurale du systegraveme des

marques de 3e personne Kleiber (1992b) propose agrave lrsquoinverse une analyse seacutemantique deacutetailleacutee

du proceacutedeacute agrave lrsquoœuvre dans une approche restrictive il requiert pour lrsquointerpreacutetation de ils un

258

Cette eacutetude constitue eacutegalement le chapitre 7 de son ouvrage de (1994b) 259

Les auteurs ne fournissent malheureusement aucune indication sur le caractegravere attesteacute forgeacute ou repris des

exemples

262

domaine de reacutefeacuterence circonscrit menant agrave lrsquoidentification du groupe viseacute (agrave deacutefaut de

lrsquoidentification de ses membres) agrave travers des eacuteleacutements textuels ou contextuels

(362) A Paris ils roulent comme des fous (ibid)

(363) Ils ont encore augmenteacute les impocircts (ibid)

(364) [A demande agrave B qui sort du concert]

- Qursquoest-ce qursquoils jouaient (ibid)

Selon Kleiber lrsquoensemble viseacute correspond agrave la notion de groupe eacutemanant de la typologie de

Cruse (1986) qui exige une organisation en systegraveme laquo plus que des attributs en commun les

membres drsquoun groupe ont un but ou une fonction en commun ce qui assure agrave lrsquoensemble un

facteur coheacutesif plus grand que celui que possegravedent les membres drsquoune classe raquo (Kleiber

1992b 337) Sont reconnues de la sorte des entiteacutes comme une famille un jury un comiteacute

une ville une eacutequipe etc Au contraire sont exclus de la notion un troupeau une foule un

groupe (sic) la bourgeoisie etc

[Reichler-]Beacuteguelin (1993b) critique cette approche en questionnant le bien-fondeacute des

jugements grammaticaux de Kleiber (1992b) agrave lrsquoeacutegard drsquoexemples fabriqueacutes dont le

laquo caractegravere deacuteviant [hellip] lui permet de laquo montrer raquo le fonctionnement de ils et de manifester

lrsquoexistence supposeacutee drsquoune contrainte linguistique raquo (p 101) Ainsi en adaptant les donneacutees

jugeacutees deacuteviantes par Kleiber aux contraintes seacutemantiques qursquoil invoque lui-mecircme [Reichler-

]Beacuteguelin montre lrsquoarbitraire du traitement diffeacuterentiel auquel devraient aboutir les eacutenonceacutes

ci-dessous (fautif vs grammatical)

(365) Jrsquoeacutetais pris dans la foule Ils ont failli mrsquoeacutetouffer (Kleiber 1992b)

(366) Jrsquoeacutetais retenu dans la ville Ils ont failli mrsquoeacutetouffer (exemple modifieacute lt [Reichler-

]Beacuteguelin (1993b)

Du reste elle montre qursquoil nrsquoest pas rare de relever mecircme dans lrsquoeacutecrit standard des

enchaicircnements pronominaux sur de simples noms drsquoagreacutegat ou de classe reacuteputeacutes impossibles

par Kleiber car non conformes agrave la notion de groupe

(367) Mon fils nrsquoaura pas le chagrin de commander la noblesse de la vicomteacute de Rennes et

de la baronnie de Vitreacute ils lrsquoont eacutelu malgreacute lui pour ecirctre agrave leur tecircte (Mme de Seacutevigneacute

lt ibid)

(368) Suite aux eacutelections je suis atterreacute de voir nos autoriteacutes dans leur leacutethargie et le peu de

courage qursquoils ont agrave traiter ces problegravemes (presse lt ibid)

Pour Goudet (1983) le cas ougrave ils renvoie agrave un groupe deacutetermineacute nrsquoest en fait qursquoune

eacuteventualiteacute du fonctionnement geacuteneacuteral de ils laquo indeacutesigneacute raquo

Evidemment ils ont encore augmenteacute les impocircts existe aussi et a pu suggeacuterer que ils repreacutesente les autoriteacutes officielles Mais [hellip] cette interpreacutetation ils

263

= les autoriteacutes nrsquoest qursquoun cas particulier de lrsquoemploi geacuteneacuteral de ils indiquant un groupe impreacutecis dont je est exclu (p 13)

Face agrave ces diffeacuterences interpreacutetatives Lebas (1997) propose de distinguer deux sous-types de

ils i) les occurrences ougrave lrsquoon pourrait deacuteterminer lrsquoexistence drsquoun reacutefeacuterent agrave lrsquointeacuterieur drsquoun

cadre circonstanciel et aptes agrave supporter un preacutedicat particulier (les exemples de Kleiber supra

(362) (363) (364)) dans ce cas ils repreacutesente un thegraveme doteacute de laquo suffisamment de structure

[hellip] pour postuler son existence exteacuterieure au preacutedicat raquo (p 44) ii) les emplois non

laquo theacutematiques raquo ougrave le reacutefeacuterent nrsquoa pas de laquo deacutefinition objective raquo (p 46) et ne srsquointerpregravete pas

indeacutependamment du preacutedicat Lrsquoexistence drsquoun actant indeacutetermineacute est en quelque sorte eacutetablie

de facto par lrsquoeacutenonceacute mecircme

(369) Ils ont envoyeacute tous les preacutesidents et les rois agrave la confeacuterence-anniversaire de lrsquoONU

(mais qui donc ) (ibid)

Lrsquoideacutee que ils puisse eacutevoquer un reacutefeacuterent non deacutetermineacute fait eacutecho aux observations de Yule

(1982) sur des donneacutees en anglais qui souligne que lrsquoidentification reacutefeacuterentielle stricte nrsquoest

pas toujours neacutecessaire agrave lrsquointerpreacutetation du pronom de 6e personne et de lrsquoanaphore en

geacuteneacuteral

(370) Well I saw a demolition order there actually ndash a few months ago ndash they said they were

going to demolish some of the flats ndash which is a pity ndash I donrsquot know what theyrsquore

doing with Edinburgh though ndash as long as they donrsquot do what they did with Glasgow

(p 319)

Cet exemple illustre agrave ses yeux une situation de reacutefeacuterence indeacutetermineacutee ougrave le pronom sert de

simple indication de lrsquoexistence drsquoun groupe-agent anonyme dont lrsquoidentiteacute nrsquoapparaicirct pas

pertinente Lrsquoenjeu dans lrsquointerpreacutetation de cet extrait nrsquoest pas drsquoidentifier lrsquoagent mais

plutocirct de comprendre les agissements deacutenoteacutes Ainsi plutocirct que de porter tous ses efforts sur

lrsquointerpreacutetation reacutefeacuterentielle drsquoun pronom atone il est plus pertinent de diriger son attention

vers le preacutedicat du message communiqueacute autrement dit lrsquoinformation nouvelle Plus

geacuteneacuteralement lrsquoeacutetude vise agrave remettre en question la conception traditionnelle de lrsquoanaphore

qui drsquoapregraves Yule nrsquoest pas toujours guideacutee par un objectif de reacutesolution reacutefeacuterentielle

Au vu de ces diffeacuterents points de vue sur la question il semble judicieux drsquoenvisager soit

diffeacuterents types de ils soit qursquoil supporte diffeacuterents degreacutes de sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle

Les deux exemples attesteacutes suivants illustrent ces diffeacuterences

(371) je lui ai reacutepeacuteteacute plusieurs fois que ccedila restait une opeacuteration | _ | hein quy avait pas de

risque zeacutero mais que ceacutetait une opeacuteration entre guillemets banale | _ | sans risque et

couramment courue | _ | et pis ben il sest aveacutereacute que lopeacuteration a eu des complications

que le cheval a eacuteteacute | coucheacute pendant deux jours pis finalement ils ont ducirc leuthanasier

deux jours apregraves (ofrom)

264

(372) On a vu dans la Liberteacute260

qursquoils ont retrouveacute un cadavre dans lrsquoAar hier dans lrsquoapregraves-

midi dans la zone ougrave on nageaithellip (courriel 03082012)

Dans le premier exemple le contexte global et le preacutedicat permettent drsquoinfeacuterer une classe dont

crsquoest le rocircle drsquolaquo euthanasier raquo tandis que dans le second exemple ni la situation ni le preacutedicat

ne contribuent agrave arrecircter un type de reacutefeacuterent deacutetermineacute le preacutedicat lsquoretrouver un cadavrersquo

nrsquoeacutetant pas deacutevolu agrave un seul type de reacutefeacuterent

222 Indices morpho-seacutemantiques

Plusieurs eacutetudes avancent certaines caracteacuteristiques morpho-seacutemantiques propres agrave lrsquoemploi

de ils sous-deacutetermineacute le nombre pluriel le genre masculin et les traits [+humain] et

[+deacutelocuteacute] (Goudet 1983 Kleiber 1992b Lebas 1997) Outre le trait [+deacutelocuteacute] qui fait

consensus parmi les auteurs car inscrit de fait dans le sens de la 3e personne nous eacutevoquons

ci-dessous briegravevement la maniegravere dont les trois autres traits sont preacutesenteacutes dans la litteacuterature

en linguistique franccedilaise

2221 Le nombre pluriel

Le nombre pluriel est constamment mis en avant comme une caracteacuteristique de lrsquoemploi agrave

valeur sous-deacutetermineacutee du pronom de 3e personne Son interpreacutetation toutefois nrsquoest pas

traiteacutee de la mecircme maniegravere selon les auteurs

Chez Goudet ils laquo indeacutesigneacute raquo est par deacutefinition pluriel et ne connaicirct pas drsquoalternance en

nombre par opposition agrave son pendant laquo deacutesigneacute raquo qursquoil considegravere comme son homonyme

Cependant ce pluriel morphologique comme le on ne serait pas marqueacute du point de vue

seacutemantique

(373) ils ont ouvert une pharmacie (Goudet 1983)

Selon Goudet ils pourrait se paraphraser ici par des gens ou quelqursquoun laquo ce pluriel pouvant

eacuteventuellement recouvrir un actant singulier mais dont on ne sait rien raquo (p 13) lrsquoeacutenonceacute laquo ne

signifie pas que deux pharmaciens soient associeacutes il ne postule mecircme pas que le pharmacien

drsquoailleurs inconnu soit marieacute raquo (p 14)

Dans son eacutetude Goudet (1983) place ils en concurrence avec on les deux formes couvrant

laquo lrsquoautre indeacutesigneacute raquo (ibid) indiffeacuterent au nombre seacutemantique Mais aux dires de lrsquoauteur

lrsquoemploi croissant de on comme 4e personne incluant le locuteur (cf nous) favoriserait

lrsquoemploi de ils comme laquo indeacutesigneacute pur raquo (p 13) Arnavielle (1984) conteste cependant ce

sceacutenario diachronique se reacutefeacuterant agrave Haase (1898) et Brunot amp Bruneau (1949) (cf supra

sect21) il soutient que les emplois de ils agrave valeur indeacutetermineacutee et de on agrave valeur de nous261

sont

attesteacutes depuis longtemps sans que ces coexistences posent problegraveme laquo le franccedilais

260

Il srsquoagit du nom drsquoun quotidien reacutegional suisse 261

Par exemple dans ce vers de Corneille laquo On nrsquoa tous deux qursquoun cœur qui sent mecircmes traverses raquo (Polyeucte)

ougrave on = nous ie le mari et la femme

265

contemporain ne fait que reacuteactualiser avec des valeurs expressives sans doute diffeacuterentes ce

que le XVIe et le XVIIe siegravecles connaissaient deacutejagrave raquo (p 48)

Pour Kleiber (1992b) ils collectif serait marqueacute en nombre du point de vue seacutemantique Il

prend drsquoailleurs ses distances agrave lrsquoeacutegard du rapprochement reacuteguliegraverement fait entre on et ils

Selon lui les deux formes ne sont pas substituables dans toutes les situations

(374) On sonne (on = quelqursquoun des gens) (lt Kleiber 1992b)

(375) Ils sonnent (= des gens) (lt Kleiber 1992b)

Lrsquointerpreacutetation laquo existentielle raquo de on ne peut ecirctre rendue pas lrsquoemploi drsquoun ils collectif Cela

montre selon Kleiber que lrsquoemploi de ils est agrave placer du cocircteacute de la deacutefinitude plutocirct que drsquoune

quelconque partition propre aux indeacutefinis le pluriel exprimerait une veacuteritable pluraliteacute

seacutemantique correspondant comme dans les cas du deacutefini pluriel agrave une forme de totaliteacute

obligatoirement restreinte par des eacuteleacutements du contexte (cf la notion restrictive de groupe

supra sect221)

2222 Le genre masculin

La marque de genre masculine est eacutegalement exhibeacutee comme un signe distinctif de lrsquoemploi

de ils agrave reacutefeacuterence sous-deacutetermineacutee (Goudet 1983 Kleiber 1992b Lebas 1997) Selon Goudet

(1983) ils laquo indeacutesigneacute raquo nrsquoalterne pas plus en genre qursquoen nombre contrairement agrave son

homonyme laquo deacutesigneacute raquo En effet le marquage au feacuteminin conduit drsquoapregraves lui ineacutevitablement agrave

lrsquointerpreacutetation drsquoun actant deacutetermineacute

(376) elles viennent encore de barrer la rue (lt ibid 13)

Dans cet exemple elles laquo vise incontestablement un actant deacutesigneacute des femmes greacutevistes ou

des femmes policiers des vaches ou des fourmis des trombes drsquoeau ou des branches

eacutelagueacutees raquo dont la valeur est reacutecupeacuterable en contexte Il constitue le feacuteminin de lrsquoeacutenonceacute avec

ils laquo deacutesigneacute raquo Ainsi lrsquoeacutenonceacute suivant preacutesente une homonymie

(377) ils viennent encore de barrer la rue (ibid)

Dans son sens laquo deacutesigneacute raquo ils peut renvoyer agrave toutes sortes drsquoindividus deacutetermineacutes laquo par

exemple des moutons eacutechappeacutes raquo Dans son sens laquo indeacutesigneacute raquo ils repreacutesentent forceacutement des

humains (cf ci-dessous) Si lrsquoapproche en termes drsquohomonymie nous apparaicirct contre-intuitive

et trop coucircteuse on peut toutefois reconnaicirctre que la simple marque du feacuteminin apporte une

distinction seacutemantique suppleacutementaire agrave ils pour sa part non marqueacute

Dans une approche plus geacuteneacuterale du pronom de 3e (et 6

e) personne [Reichler-]Beacuteguelin

nrsquoexclut pas a priori le feacuteminin de lrsquoemploi collectif citant la fameuse formule

266

(378) Elles sont bien toutes les mecircmes262

Si la plupart des auteurs excluent ce type drsquoemplois au feacuteminin des occurrences

laquo collectives raquo crsquoest sans doute parce qursquoen refleacutetant une deacutenomination sous-jacente

feacuteminine la marque de genre contribue agrave une forme de deacutetermination

2223 Le trait [+humain]

Enfin la plupart des auteurs attribuent agrave lrsquoemploi de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee un trait

exclusivement [+humain] comme deacutejagrave anticipeacute dans la remarque de Goudet (1983) ci-dessus

Le trait [+humain] permettrait notamment de se passer drsquoune reacutecupeacuteration nominale du

reacutefeacuterent selon Kleiber (1992b) cet emploi de ils se distingue drsquoautres emplois indirects du

pronom par le fait qursquoil ne conserve pas le N tecircte drsquoun syntagme anteacuteceacutedent par opposition agrave

lrsquoemploi geacuteneacuterique indirect comme ci-dessous

(379) Jrsquoai acheteacute une Toyota car elles sont bon marcheacute (ltibid)

Conformeacutement agrave la contrainte du trait [+humain] il juge lrsquoexemple ci-dessous mal formeacute

(380) Le troupeau avanccedilait doucement Ils broutaient tranquillement de lrsquoherbe

ou du moins comme ne relevant pas du mecircme type drsquoemploi Kleiber se reacuteclame de lrsquoanalyse

de Goudet (1983) ci-dessus montrant qursquoun changement de genre conduit agrave un assignement

reacutefeacuterentiel particulier au masculin le pronom pourra renvoyer agrave des moutons par exemple et

au feacuteminin agrave des brebis

Une fois de plus la restriction au trait [+humain] semble se justifier par le fait qursquoune

deacutenomination sous-jacente du reacutefeacuterent impliquerait pour ces auteurs un reacutefeacuterent deacutetermineacute

tandis que la reacutefeacuterence humaine se passe de lrsquointermeacutediaire drsquoune eacutetiquette lexicale

A nouveau [Reichler-]Beacuteguelin (1993b) relativise cette contrainte en consideacuterant

lrsquointerpreacutetation humaine comme le reacutesultat drsquoinfeacuterences contextuelles et la preacutedominance des

reacutefeacuterents humains comme conseacutequence de laquo lrsquoanthropocentrisme des discours ambiants raquo (p

106) Elle soutient que lrsquointerpreacutetation en geacuteneacuteral des pronoms deacutepend des connaissances

partageacutees des interlocuteurs et qursquoun exemple forgeacute comme ci-dessous apparaicirct plausible sans

qursquoil veacutehicule de trait [+humain]

(381) A Berlin ils sont fermeacutes le samedi apregraves-midi (lt ibid)

223 Bilan

Au terme de cette synthegravese certains points gagneraient agrave ecirctre eacuteclaircis Drsquoabord la diversiteacute

des donneacutees exploiteacutees et les descriptions proposeacutees mettent en avant lrsquoexistence de diffeacuterents

degreacutes de sous-deacutetermination voire de types drsquoemploi distincts de ils En effet il est tantocirct

262

Cf aussi la citation supra (sect21) de Sandfeld Elles sont toutes pareilles

267

possible drsquoinfeacuterer via le contexte des attributs typants du reacutefeacuterent dont les membres restent

certes anonymes (cf Kleiber 1992b)

(382) Jrsquoai eacuteteacute hier soir au concert Ils jouaient la 9e symphonie Le directeur mrsquoa appris qursquoils

la jouaient tous les vingt ans (lt ibid 337)

Tantocirct la variable introduite demeure largement sous-deacutetermineacutee les seuls attributs dont on

dispose eacutetant fournie par le cadre reacutefeacuterentiel et le preacutedicat eacutepheacutemegravere

(383) [En reacuteaction agrave un article de presse sur le preacutenommeacute Tanabe doyen de lhumaniteacute]

Le dernier plaisir de ce fossile vivant consistait agrave deacutecortiquer une ou deux gambas Il

en mangeait dailleurs de moins en moins car la cuisine agrave lhuile ne lui reacuteussissait

pas Pauvre Tanabe Bientocirct tu seras accueilli au nirvana ils ont installeacute agrave lentreacutee un

stand de gambas frites ougrave tu te goinfreras agrave lœil et lagrave pas trop dhuile (Eric Faye

Nagasaki p17) = (236)

Lrsquoune des difficulteacutes majeure de ces emplois est de savoir si les interlocuteurs eux-mecircmes ont

reacuteellement en tecircte un reacutefeacuterent deacutetermineacute ou non

(384) dimanche on se baignait et aujourdrsquohui crsquoest lrsquohiver non mais ils sont fous (oral au vol

dans un secreacutetariat 21052015)

En effet comment deacutecider si la locutrice incrimine avec humour des responsables particuliers

aussi fictifs soient-ils ou si elle ne fait qursquoexprimer son eacutetonnement face aux caprices du

temps

Comme on lrsquoa vu certains auteurs abordent la question des ils agrave reacutefeacuterence sous-deacutetermineacutee

sous lrsquoangle de lrsquoanaphore avec des conceptions plus (Kleiber 1992b) ou moins restrictives

(Yule 1992 [Reichler-]Beacuteguelin 1993b) Mais peut-on encore parler drsquoanaphore en (384)

lorsqursquoaucune valeur stable ne peut ecirctre attribueacutee agrave la variable introduite Il nous paraicirct degraves

lors neacutecessaire pour eacutetudier la question de situer le pheacutenomegravene par rapport agrave la notion

drsquoanaphore qui on lrsquoa vu repreacutesente une probleacutematique bien plus complexe qursquoelle nrsquoen a

lrsquoair A cet eacutegard les travaux preacutesenteacutes dans les deux sections qui suivent eacutevacuent agrave notre

sens un peu trop rapidement la question de lrsquoanaphore

23 Traitement de they en psycholinguistique

En psycholinguistique le traitement du pronom de 6e personne a fait lrsquoobjet de deux eacutetudes

compleacutementaires sur lrsquoanglais (Sanford et al 2008 Filik et al 2008) Les auteurs appellent le

pronom Institutional They (Sanford et al 2008) parce qursquoil sert drsquoagent par deacutefaut pour une

situation steacutereacuteotypeacutee comme dans On the train they served really bad coffee Cet emploi est

consideacutereacute comme un sous-type de pronoms caracteacuteriseacute comme laquo sans anteacuteceacutedent explicite raquo

Les auteurs partent du constat qursquointuitivement de tels emplois ne paraissent pas poser de

problegravemes drsquointerpreacutetation Ils font lrsquohypothegravese que par opposition aux anaphores

pronominales au singulier ces pronoms au pluriel nrsquoexigent pas drsquoidentification reacutefeacuterentielle

268

au moyen drsquoun anteacuteceacutedent En effet dans la litteacuterature anteacuterieure en psycholinguistique on a

tenteacute de montrer que lrsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent explicite entraicircnait pour les pronoms

anaphoriques des coucircts de traitement cognitif263

(Sanford et al 1994 Greene et al 1994)

Cependant les expeacuterimentations ne portaient que sur des pronoms au singulier Lrsquoenjeu des

expeacuterimentations de Sanford et al (2008) et de Filik et al (2008) est preacuteciseacutement de

srsquointeacuteresser au cas du pluriel laquo sans anteacuteceacutedent raquo Les deux expeacuterimentations sont doteacutees de

designs distincts mais elles recourent agrave un mateacuteriel semblable la premiegravere srsquoappuie sur des

mesures de temps de lecture par eye-tracking (Sanford et al 2008) la seconde sur des

mesures de potentiels eacutevoqueacutes au moyen de lrsquoeacutelectroenceacutephalographie (Filik et al 2008) et

toutes deux font varier la preacutesence et lrsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent telles qursquoillustreacutees par ces

items

(385) a anteacuteceacutedent explicite pronom au pluriel

The in-flight meal I got from the staff was more impressive than usual In fact they

courteously presented the food as well I made a note to travel with this company

again

b anteacuteceacutedent explicite pronom au singulier

The in-flight meal I got from the stewardess was more impressive than usual In fact

she courteously presented the food as well I made a note to travel with this company

again

c pas drsquoanteacuteceacutedent pronom au pluriel

The in-flight meal I got was more impressive than usual In fact they courteously

presented the food as well I made a note to travel with this company again

d pas drsquoanteacuteceacutedent pronom au singulier

The in-flight meal I got was more impressive than usual In fact she courteously

presented the food as well I made a note to travel with this company again (nous

soulignons)

Les reacutesultats des expeacuteriences confirment les intuitions des auteurs ceux-ci nrsquoobservent pas de

diffeacuterence de coucircts de traitement entre les conditions avec ou sans anteacuteceacutedent pour le pronom

au pluriel contrairement agrave la condition au singulier ougrave lrsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent provoque des

difficulteacutes de traitement Pour expliquer cela les auteurs invoquent deux facteurs en jeu ils

ont recours agrave la notion de sous-speacutecification (Sanford amp Sturt 2002) pour lrsquointerpreacutetation du

pronom celui-ci faisant office drsquoagent factice (dummy agent) induisant une repreacutesentation

laquo suffisamment bonne raquo (good enough Ferreira Ferraro amp Bailey 2002) pour la

compreacutehension264

Drsquoautre part les auteurs avancent une diffeacuterence lieacutee au nombre

grammatical du pronom alors qursquoun pronom au singulier exigerait une reacutesolution immeacutediate

agrave deacutefaut de quoi eacutemergeraient des perturbations de traitement qui megravenent agrave lrsquoinfeacuterence drsquoun

reacutefeacuterent nouveau un pronom au pluriel ne requerrait pas drsquoassignement reacutefeacuterentiel immeacutediat

En effet les psycholinguistes soutiennent que lrsquoabsence de perturbations reacutevegravele qursquoil nrsquoy a pas

263

Voir cependant les reacutesultats divergents de Cornish et al (2005) supra (ChII sect421) 264

Cf supra (ChIII sect43) la notion de shallow processing

269

de processus infeacuterentiel drsquointroduction drsquoun reacutefeacuterent nouveau pour lrsquoagent qui de fait

demeure sous-speacutecifieacute

Il faut ici noter que la plupart des travaux en psycholinguistique dont ceux-ci se fondent sur

une conception essentiellement textuelle de lrsquoanaphore en sureacutevaluant le rocircle joueacute par

lrsquoanteacuteceacutedent (parfois le seul critegravere deacuteterminant) Or nous avons deacutejagrave montreacute que la notion

drsquoanaphore ne repose pas sur des critegraveres segmentaux A cet eacutegard les stimuli proposeacutes

appellent quelques remarques la paire drsquoeacutenonceacutes c) et d) de (385) installe un contexte

preacutealable qui contient deacutejagrave lrsquoactant (implicite) en question agrave savoir lrsquoagent du verbe get qui

dans son scheacutema actantiel implique lrsquoexistence de ce dernier Le traitement des pronoms

respectifs ne met donc pas reacuteellement en jeu lrsquoinfeacuterence drsquoun nouvel objet mais fournit une

valeur reacutefeacuterentielle agrave la variable seacutemantiquement impliqueacutee En outre on peut constater en

geacuteneacuteral que pour les besoins des analyses expeacuterimentales impliquant la maicirctrise de tous les

paramegravetres afin de mener agrave bien les mesures et les statistiques qui en deacutecoulent les items

apparaissent deacutepouilleacutes de tout contexte et dans un environnement aseptiseacute Drsquoougrave lrsquoimpression

de stimuli souvent caricaturaux qui occultent la reacutealiteacute et la varieacuteteacute des facteurs en jeu dans les

proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels

Tout en saluant lrsquoeffort entrepris par quelques psycholinguistes pour prendre en consideacuteration

des pheacutenomegravenes de sous-speacutecification et de traitement superficiel (shallow processing) ndash lagrave ougrave

la plupart des confregraveres preacutesupposent un traitement analytique et toujours approfondi du

langage ndash il nous semble donc que les reacutesultats obtenus gagneraient agrave ecirctre compleacuteteacutes par une

analyse de terrain qui tiennent compte des paramegravetres contextuels agrave lrsquoœuvre dans les

productions reacuteelles des usagers

24 Traitement de la 6e personne en grammaire geacuteneacuterative et en typologie des langues

241 Interpreacutetation arbitraire

Dans le cadre theacuteorique geacuteneacuterativiste ce type drsquoemploi du pronom de 6e personne est deacutecrit

par Suntildeer (1983) en termes de reacutefeacuterence arbitraire par analogie avec lrsquointerpreacutetation des PRO

(ie lorsqursquoils ne sont pas controcircleacutes par un anteacuteceacutedent comme dans Just PRO to sit here

should be forbidden) Malgreacute les preacutedictions contraires de la theacuteorie du Gouvernement et du

Liage Suntildeer eacutetend cette analyse aux pronoms nuls non anaphoriques ainsi nommeacutes arbitrary

pro qui se distinguent des PRO par leur accord en personne et en nombre Lrsquoauteur prend le

cas de lrsquoespagnol

(386) pro llaman a la puerta

lsquorsquotheyrsquo are knocking at the doorrsquo (ibid)

Cette construction dite laquo impersonnelle raquo preacutesente agrave ses yeux une interpreacutetation laquo indeacutefinie raquo

ou laquo non speacutecifieacutee raquo (p 189) Suntildeer note lrsquoambiguiumlteacute que manifeste cet eacutenonceacute entre une

lecture arbitraire et une lecture speacutecifique Elle considegravere cependant que dans le cas de la

270

lecture arbitraire le nombre de reacutefeacuterents demeure indeacutetermineacute malgreacute lrsquousage de la marque

de pluriel265

Plutocirct qursquoune indication seacutemantique de multipliciteacute elle considegravere que la marque

formelle de nombre sert agrave indiquer la nature arbitraire de la reacutefeacuterence

Jaeggli (1986) approfondit lrsquoeacutetude de ce type de construction et y ajoute certaines

caracteacuteristiques Il assimile ses conditions de veacuteriteacute avec celles drsquoune construction avec un SN

quantificateur existentiel en position de sujet comme dans Someone is calling at the door

laquo There is an x x a human being such that x is calling at the door raquo (p 46) Cette proprieacuteteacute

est selon lui importante pour distinguer entre lrsquointerpreacutetation arbitraire et lrsquointerpreacutetation

homophone deacutefinie impliquant une reacuteelle pluraliteacute seacutemantique Lrsquoauteur remarque que lrsquoajout

du pronom ellos au deacutebut de lrsquoeacutenonceacute espagnol (386) eacutelimine la lecture arbitraire Cependant

lrsquoanalyse arbitraire ne se limiterait pas aux langues laquo pro-drop raquo comme le suggegravere Suntildeer

(1983) eacutetant donneacute que lrsquoanglais connaicirct par exemple ce type drsquointerpreacutetation avec le pronom

they Jaeggli estime en effet que lrsquoeacutenonceacute suivant repreacutesente lrsquohomologue de la construction

espagnole

(387) They sell cigarettes at all gas stations (lt Jaeggli 1986 60)

Degraves lors il baptise la cateacutegorie arbitrary plural constructions incluant de la sorte aussi bien

les pronoms nuls que les pronoms visibles veacutehiculant une interpreacutetation arbitraire

A la suite de ces travaux Rizzi (1986b 509) envisage un indice seacutemantique nommeacute arb

index qui recouvre lrsquoensemble des proprieacuteteacutes suivantes [+humain +geacuteneacuterique plusmnpluriel]

responsable des interpreacutetations arbitraires des pronoms Neacuteanmoins le trait [+geacuteneacuterique] au

vu de lrsquoattestation drsquointerpreacutetations arbitraires dans des contextes eacutepisodiques tels que (386)

ne fait pas lrsquounanimiteacute (Cabredo Hofherr 2003 2014 6-7) Pour Cinque (1988 545)

lrsquoindice arb est susceptible de fournir diverses variantes contextuelles lieacutees au caractegravere

geacuteneacuterique ou eacutepisodique du preacutedicat respectivement lrsquointerpreacutetation quasi-universelle vs

lrsquointerpreacutetation quasi-existentielle Neacuteanmoins les observations de Condoravdi (1989) et

drsquoAlonso Ovalle (2000) montrent que ces aspects ne sont pas deacutependants les lectures quasi-

existentielles eacutetant compatibles avec des preacutedicats geacuteneacuteriques266

et inversement les lectures

quasi-universelles avec des preacutedicats eacutepisodiques267

Ces constats amegravenent Cabredo Hofherr

265

Jaeggli (1986 46) renvoie agrave la grammaire du castillan de Bello (1847=1977 265) qui signale que dans un

eacutenonceacute comme cantan en la casa vecina il ne faut pas supposer un agent pluriel puisque cette construction

pourrait ecirctre produite dans le cas ougrave une seule personne est agrave lrsquoorigine du procegraves A nos yeux ces propos

reflegravetent une conception arithmeacutetique du nombre associant le pluriel agrave lrsquoaddition drsquoeacuteleacutements et le singulier agrave

lrsquouniteacute (cf supra Ch II sect23) Or les faits suggegraverent drsquoenvisager une approche moins binaire du nombre 266

Lecture quasi-existentielle en contexte geacuteneacuterique

(grec) To apogevma sinithos pro poulane pagoto s afti ti gonia

Le apregraves-midi drsquohabitude vendent3pl glace dans ceDET coin

Lrsquoapregraves-midi ils vendent des glaces agrave cet endroit (Condoravdi 1989) 267

Lecture quasi-universelle en contexte eacutepisodique

(esp) Ayer en Espantildea celebraron el diacutea del trabajo

Hier en Espagne pro ceacuteleacutebrerPST3PL DET jour de + DET travail

Hier en Espagne ils ont ceacuteleacutebreacute le jour du travail (Cabredo Hofherr 2014 7 adapteacute de Alonso Ovale

2000)

271

(2003 2014) agrave conclure que les interpreacutetations arbitraires des pronoms de 6e personne ne

constituent pas de simples variantes pragmatiques de lrsquoindice arb tel que proposeacute par Rizzi

(1986b) ou Cinque (1988)

242 Typologie des pronoms R-impersonnels

La comparaison des possibiliteacutes drsquoemploi de la marque de 6e personne dans diverses langues

pour exprimer le caractegravere arbitraire du reacutefeacuterent incite Cabredo Hofherr (2003 2014) agrave

proposer une classification nuanceacutee des interpreacutetations en preacutesence qui ne repreacutesentent pas

des manifestations drsquoun pheacutenomegravene homogegravene mais requiegraverent des analyses distinctes

Cabredo Hofherr (2014) recourt agrave une appellation et une deacutefinition de Siewierska (2011) pour

caracteacuteriser les pronoms concerneacutes

R-impersonals have the appearance of regular personal constructions but feature a subject which is human and non-referential (Siewierska 2011 57-58)

En se fondant sur une comparaison entre les emplois de ce type de 6e personne notamment en

anglais franccedilais russe espagnol et arabe marocain Cabredo Hofherr (2014 15-16) relegraveve

plusieurs cas de figure et eacutelabore une grille typologique que nous adaptons ci-dessous

Figure 10 Lectures des 3pl sans anteacuteceacutedent drsquoapregraves Cabredo Hofherr (2014)268

i) Lecture existentielle ancreacutee (avec ancrage temporel) Tocan a la puerta (esp)

(Ils) frappent agrave la porte (=quelqursquoun est en train de frapper agrave la porte)

ii) Lecture existentielle vague (sans ancrage temporel) Ils ont trouveacute une moto dans la cour

iii) Lecture existentielle infeacutereacutee (infeacuterence agrave partir drsquoun reacutesultat)269

Aquiacute han comido mariscos (esp)

Ici (ils) ont3pl mangeacute des fruits de mer (= quelqursquoun)

iv) Lecture corporative (preacutedicats avec un sujet pragmatiquement contraint aux

membres drsquoune certaine profession)

Volvieron a aumentar el IVA (esp)

(Ils) ont encore augmenteacute la TVA

v) Lecture universelle locative (permise par la preacutesence drsquoun locatif)

En Espantildea hablan espanotildel (esp)

En Espagne (ils) parlent espagnol

vi) Lecture eacutevidentielle (avec verbe de parole indiquant une information de 2nde

main)

Dicen que en esa casa viviacuteo Darwin (esp) nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

On dit que Darwin a habiteacute dans cette maison

268

Afin de recouvrir les interpreacutetations drsquoautres pronoms R-impersonnels Cabredo Hofherr ajoute une septiegraveme

cateacutegorie agrave savoir la lecture quasi-universelle sans restriction comme dans on ne mange pas avec les doigts ougrave

on repreacutesente lsquoles gens en geacuteneacuteralrsquo sans laquo restriction de domaine raquo contrairement aux cateacutegories iv) et v) (p 15)

Quoi qursquoil en soit cette lecture ne concernant pas la 6e personne nous la laissons de cocircteacute

269 Lrsquoeacutenonceacute reacutesulte drsquoune infeacuterence opeacutereacutee agrave partir de la perception de certains indices

272

Lrsquoauteur (2003) justifie ces distinctions drsquoune part par des critegraveres de comparaison

interlinguistiques par rapport agrave lrsquoespagnol qui admet toutes les lectures le franccedilais exclut

avec ils les emplois i) et iii)270

(auxquels on peut ajouter les emplois vi) au vu des paraphrases

donneacutees) Lrsquoarabe semble quant agrave lui toleacuterer lrsquoemploi i) mais pas le iii) Lrsquoexistence drsquoune

lecture eacutevidentielle (ajouteacutee dans 2014) reacutesulte des observations du pronom avec des verbes

de parole faites par Siewierska amp Papasthati (2011) et se justifie par le fait que certaines

langues (par exemple le finnois et lrsquoestonien) ne connaissent que cet emploi (Siewierska

2011 72) Drsquoautre part Cabredo Hofherr fait intervenir des critegraveres laquo distributionnels raquo en

lrsquooccurrence le type de preacutedicat la preacutesence drsquoun locatif et lrsquoancrage temporel Enfin un

aspect important de la typologie consiste en lrsquoopposition effectueacutee entre interpreacutetations

universelle et existentielle

Quelques aspects de ce classement meacuteritent drsquoecirctre releveacutes et discuteacutes Tout drsquoabord on peut

se demander si ces interpreacutetations ne recouvrent pas lrsquoemploi de deacutesignateurs sous-speacutecifieacutes

de maniegravere plus large Cabredo Hofherr ouvre drsquoailleurs la voie en inteacutegrant les marqueurs du

type on-man (ou similaires dans drsquoautres langues) Mais plus geacuteneacuteralement on observe que

drsquoautres formes sous-speacutecifieacutees se precirctent agrave plusieurs de ces lectures comme les arguments

implicites des verbes en constructions absolues

(388) Je la trouve en train de lire Oslash tranquillement assise agrave la table en bois verni du salon

sous le lustre en cristal (lecture existentielle ancreacutee) (Radulescu D Un train pour

Trieste 2010)

(389) Pendant sa longue patience de combattant clandestin Jacques a beaucoup lu Oslash mais

crsquoest la premiegravere fois depuis de nombreuses anneacutees qursquoil [hellip] (lecture existentielle

vague) (Sonnay J-F Le tigre en papier 1990)

(390) La femme qui sait lire Oslash peut ainsi directement entendre le message des Saintes

Ecritures (lecture universelle) (Berriot-Salvadore E Les femmes dans la socieacuteteacute

franccedilaise de la Renaissance 1990)

On pourrait mecircme envisager la compatibiliteacute de un N avec la plupart des interpreacutetations de la

grille ci-avant271

Ces pistes devraient toutefois ecirctre exploreacutees sur des donneacutees attesteacutees pour

pouvoir ecirctre veacuteritablement prises en compte Mais cela pourrait suggeacuterer que la grille nrsquoest

pas propre agrave un type de marqueur mais plutocirct aux marqueurs sous-speacutecifieacutes en geacuteneacuteral

ouverts agrave plus de possibiliteacutes interpreacutetatives que des deacutesignateurs plus speacutecifieacutes

Revenons ensuite aux cateacutegories proposeacutees Cabredo Hofherr deacutecrit les lectures corporative

(iv) et universelle locative (v) comme partageant lrsquoexpression drsquoun groupe maximal via la 6e

270

Autrement dit Cabredo-Hofherr refuse les emplois du genre Ils frappent agrave la porte dans le sens quelqursquounon

frappe agrave la porte (lecture speacutecifique i) ou Ici ils ont mangeacute des fruits de mer dans le sens de on a mangeacute des

fruits de mer (lecture infeacutereacutee iii) 271

Cf Une personne frappe agrave la porte (lecture existentielle ancreacutee) Une personne a mangeacute des fruits de mer

(lecture infeacutereacutee) En Espagne une personne parle espagnol (lecture universelle locative) Une personne est

responsable de ses propres agissements (lecture laquo universelle raquo )

273

personne neacutecessitant toutefois lrsquointervention drsquoun eacuteleacutement restricteur du domaine eacutetant

donneacute qursquoils ne peut srsquointerpreacuteter comme lsquoles gens en geacuteneacuteralrsquo (cf aussi Kleiber 1992b) En

cela ces emplois se rapprochent de lrsquointerpreacutetation des SN deacutefinis (Cabredo Hofherr 2014

40) Dans le premier cas crsquoest la nature seacutemantique du preacutedicat qui permet de restreindre le

domaine en identifiant forceacutement un agent prototypique en lrsquooccurrence exerccedilant une mecircme

profession Dans le second cas le groupe srsquointerpregravete par rapport agrave un lieu eacutevoqueacute dans le

contexte via un locatif Neacuteanmoins nous allons voir (sect321) que ces contextes ne sont pas

toujours aussi prototypiques et que des indices plus varieacutes interviennent dans le processus

drsquointerpreacutetation rapprochant ces occurrences de lrsquoanaphore

A deacutefaut drsquoun eacuteleacutement restricteur (il nous semble toutefois difficile drsquoenvisager un eacutenonceacute

sans contexte de production) Cabredo Hofherr range les emplois sous une interpreacutetation

existentielle (cateacutegorie i-ii-iii272

) sauf lrsquoemploi eacutevidentiel (vi) Lrsquoauteur rapproche ces

emplois de celui des indeacutefinis dans (2003) mais reacutevise son analyse en les apparentant dans

(2014 41) aux arguments implicites273

Neacuteanmoins lrsquohypothegravese drsquoune analyse existentielle

ne nous apparaicirct pas suffisamment argumenteacutee elle nrsquoest justifieacutee que par la repreacutesentation

logique ou par les gloses agrave lrsquoaide de quantificateurs comme quelqursquoun vs les gens dont on

doit tenir lrsquoeacutequivalence pour acquise Or pour le franccedilais du moins la lecture existentielle et

lrsquoeacutequivalence des paraphrases ne nous semblent pas aller de soi (pour lrsquoemploi (ii) le seul

eacutetant preacutesenteacute comme possible en franccedilais) En outre agrave notre connaissance aucun linguiste

nrsquoa proposeacute drsquointerpreacutetation existentielle du pronom de 3e personne en franccedilais

274 Si elle ne

nous paraicirct pas exclue lrsquoattestation drsquoune telle lecture neacutecessiterait agrave notre sens plus drsquoindices

Il nous paraicirct en effet preacutematureacute drsquoimputer ce fonctionnement au pronom franccedilais sur la base

drsquoune analogie avec un quantificateur existentiel ou avec le fonctionnement du pronom dans

drsquoautres langues sachant que chaque langue possegravede son propre systegraveme de la personne

Drsquoailleurs Cabredo Hofherr (2014 15) preacutesente lrsquoemploi dit eacutevidentiel (vi) comme

eacutechappant agrave une analyse en termes drsquoexistentialiteacute ou drsquouniversaliteacute celui-ci nrsquoeacutetant laquo ni

clairement existentiel ni clairement maximalisant raquo au vu vraisemblablement de sa

compatibiliteacute avec des paraphrases des deux types (Il y a des gens les gens) A cet eacutegard il

nous semble que la lecture vague (ii) pourrait meacuteriter la mecircme analyse pour le franccedilais

Certes la grille typologique de Cabredo Hofherr apporte des eacuteleacutements tout agrave fait ineacutedits dans

lrsquointerpreacutetation du pheacutenomegravene en en proposant une vue drsquoensemble nuanceacutee et cela sur la

base drsquoune documentation fouilleacutee de la situation agrave travers les langues dont nous nrsquoavions pas

272

Les lectures temporellement ancreacutee (i) ou vague (ii) se distinguent en fonction de la preacutecision (i) ou non (ii)

du point drsquoancrage temporel tandis que dans le premier cas le point est constant dans le second la variable

temporelle est existentiellement quantifieacutee permettant une restriction drsquointervalle (2014 13) La lecture infeacutereacutee

(iii) impossible en franccedilais selon Cabredo Hofherr exprime un constat infeacutereacute drsquoune situation sur la base

drsquoindices souvent de nature perceptive Contrairement agrave (i) un ancrage temporel fait deacutefaut la variable

temporelle eacutetant soumise agrave la quantification existentielle 273

Cependant nous montrons ci-dessus (388) (389) (390) que les arguments implicites peuvent conduire suivant

les contextes agrave des interpreacutetations diverses y compris celles que Cabredo Hofherr considegravere comme universelles 274

Si Goudet (1983) rapproche ils de on pour le marquage de lrsquoindeacutesignation il nrsquoinvoque jamais une analyse

existentielle pour leur interpreacutetation

274

ideacutee avant la lecture de ces travaux Neacuteanmoins les reacutesultats obtenus agrave partir de donneacutees

deacutepourvues de tout contexte et sur la base de jugements drsquoacceptabiliteacute demandent agrave notre

sens agrave ecirctre compleacuteteacutes par une approche descriptive des usages reacuteels des locuteurs dans ce

domaine

243 Lrsquohypothegravese de la grammaticalisation

Crsquoest lrsquoun des buts que poursuivent Siewierska amp Papasthati (2011) agrave travers lrsquoapplication de

la typologie de Cabredo-Hofherr (version 2003) agrave un corpus de traductions parallegraveles du deacutebut

du roman Harry Potter and the Philosopherrsquos Stone (en neacuteerlandais anglais franccedilais

allemand grec italien polonais russe et espagnol) Les auteurs recueillent parallegravelement des

jugements drsquoacceptabiliteacute sur des donneacutees fabriqueacutees par le biais de questionnaires soumis agrave

des locuteurs natifs des langues respectives Les occurrences du corpus seacutelectionneacutees sur les

critegraveres drsquoabsence drsquoanteacuteceacutedent et de la nature humaine areacutefeacuterentielle de la 6e personne sont

appeleacutees third person plural impersonal constructions (3pl IMPs) Elles sont en effet censeacutees

refleacuteter un degreacute drsquoimpersonnaliteacute275

les emplois (iv) corporatif et (v) universel locatif sont

ainsi consideacutereacutes comme semi-impersonnels car ils fournissent certaines informations sur

lrsquoidentiteacute de la collectiviteacute impliqueacutee tandis que les interpreacutetations (i) ancreacutee (ii) vague (iii)

infeacutereacutee et eacutevidentielle (vi) sont perccedilues comme complegravetement impersonnelles car elles ne

donnent selon les auteurs aucun indice sur lrsquoactant du procegraves

Les reacutesultats du corpus montrent que lrsquousage des 3pl IMPs est tregraves variable drsquoune langue agrave

lrsquoautre les 3pl IMPs sont beaucoup plus freacutequents dans la version russe (25 des

occurrences de 6e personne) que dans la version originale anglaise (8) ou que dans la

traduction franccedilaise (65 la plus petite proportion ) Drsquoapregraves les questionnaires et les

donneacutees les locuteurs preacutefegraverent globalement les emplois semi-impersonnels (universels et

corporatifs) aux emplois dits complegravetement impersonnels Les langues qui apparaissent les

plus restrictives agrave lrsquoeacutegard de lrsquousage des 3pl IMPs se reacutevegravelent ecirctre lrsquoallemand et le franccedilais agrave

propos desquelles les auteurs soulignent lrsquoexistence drsquoune construction concurrente de type

onman276

pour lrsquoexpression drsquoagents impersonnels ou semi-impersonnels

Dans une autre eacutetude Siewierska (2011 79) deacutegage une correacutelation entre la nature pro-drop

ou non des langues observeacutees et la maniegravere drsquoexprimer un agent humain dit laquo non

reacutefeacuterentiel raquo Dans les langues europeacuteennes posseacutedant les deux types de constructions MAN-

IMPS277

et 3pl-IMPS (eg on vs ils pour le franccedilais men vs ze pour le neacuteerlandais) les

langues non pro-drop ndash donc agrave sujet reacutealiseacute comme selon la doxa le franccedilais ndash manifestent

selon ses observations une gamme drsquoemplois plus diversifieacutee du premier (MAN-IMPS ie on

275

Dans une conception seacutemantique du terme ie dans le cas ougrave lrsquoagent humain drsquoun procegraves demeure non

speacutecifieacute (Siewierska 2008) 276

A noter que les emplois de on (fr) man (all) et autres laquo eacutequivalents raquo dans les autres langues ne se recouvrent

pas (Franccedilois 1984 Siewierska 2011) 277

Siewierska (2011 60) donne la deacutefinition suivante laquo The term MAN-IMP is used here to refer to an

impersonal construction which denotes an unidentified human subject expressed by a word etymologically

related to lsquohumanrsquo or lsquomanrsquo such as on in French hom in Catalan and man in German raquo

275

pour le franccedilais) que du second (3pl-IMPS ie ils) cela se voit agrave travers le fait que dans ces

langues le pronom de 6e personne (ils) nrsquoexploite pas toutes les valeurs possibles de la

typologie certaines eacutetant prises en charge via les constructions en on men man etc A

lrsquoinverse les langues pro-drop ne posseacutedant geacuteneacuteralement pas de forme de type MAN ou

similaire278

(eg le russe lrsquoitalien lrsquoespagnol le grec etc) disposent drsquoun eacuteventail drsquoemplois

impersonnels ou semi-impersonnels plus vaste de la marque de 3e personne du pluriel

279

Ces diffeacuterences drsquoemploi sont lieacutees selon lrsquoauteur agrave la nature pro-drop et reflegravetent un degreacute

relatif de grammaticalisation des formes en question dans les langues respectives En effet

Siewierska situe les emplois de la marque de 6e personne sur une eacutechelle de blanchiment

seacutemantique (semantic bleaching) manifestant le plus grand degreacute de reacutefeacuterentialiteacute agrave gauche et

le moindre agrave droite Les emplois agrave droite impliquent lrsquoexistence dans une langue donneacutee de

ceux agrave gauche (p 80)

a) plural definite gt b) plural semi-definite gt c) plural non-specific gt d) singular specific

Lrsquoemploi a) correspond agrave lrsquousage anaphorique reacutefeacuterentiel de lrsquoindice de 3e personne lrsquoemploi

b) grosso modo aux emplois universels de Cabredo Hofherr les emplois c) et d) aux emplois

existentiels avec interpreacutetation respectivement plurielle vs individuelle Selon les observations

de Siewierska lrsquoemploi d) crsquoest-agrave-dire ougrave le reacutefeacuterent est potentiellement singulier280

nrsquoest

disponible que dans les langues pro-drop Elle nuance toutefois ce point en admettant une

interpreacutetation analogue dans les langues non pro-drop pour autant seulement que le ou les

individu(s) repreacutesente(nt) un organizational grouping (Myhill 1997) autrement dit une

institution une organisation ou autre entiteacute collective reconnue Ses reacutesultats dans (2008)

montrent que cette lecture est admise en anglais et en neacuteerlandais mais aux dires de ses

informateurs exclue en franccedilais en sueacutedois en norveacutegien en danois en islandais ou en

allemand Quoi qursquoil en soit Siewierska (2011) soutient que les langues pro-drop ont

tendance agrave exploiter lrsquoeacutechelle dans sa globaliteacute alors que les langues non pro-drop sont plus

restrictives agrave lrsquoeacutegard des emplois de lrsquoextreacutemiteacute droite

[hellip] all the languages that exhibit the right-most stage on the cline [hellip] are pro-drop And significantly none of the non-pro-drop languages in which the 3PL is realized by a weak form rather than an affixal one display the singular specific reading (p 81)

Se reacuteclamant de Traugott amp Hopper (1991) elle estime que la possibiliteacute de manifester des

valeurs reacutefeacuterentielles aussi reacuteduites qursquoagrave lrsquoextreacutemiteacute droite de lrsquoeacutechelle est tout agrave fait

caracteacuteristique drsquoun degreacute eacuteleveacute de grammaticalisation des pronoms sujets (Siewierska 2011

81) Dans cette perspective un pronom atone (ie dans les langues non pro-drop) est

278

Le catalan constitue une exception (forme hom) 279

Mais qui peuvent avoir drsquoautres moyens de marquage de lrsquoimpersonnel comme la construction reacuteflexive

impersonnelle (Siewierska 2011 85) 280

Cf aussi Suntildeer (1983) Jaeggli (1986) Myhill (1997)

276

seacutemantiquement plus contraint par les marques de personne et de nombre qursquoune simple

marque affixale du verbe plus susceptible de deacutevelopper des interpreacutetations alternatives

Lrsquohypothegravese invoqueacutee appelle plusieurs remarques Drsquoabord nous avons deacutejagrave suggeacutereacute supra

(Ch II sect2) qursquoen consideacuterant les pronoms laquo clitiques raquo du franccedilais comme des affixes il eacutetait

neacutecessaire de revoir le statut du franccedilais par rapport au paramegravetre pro-drop (voire de

reacuteexaminer les fondements du concept pro-drop) Ensuite le recours agrave des eacutechelles

interpreacutetatives orienteacutees et par lagrave mecircme au cadre theacuteorique de la grammaticalisation nous

apparaicirct discutable En effet lrsquoordre des interpreacutetations est preacutesenteacute comme un laquo parcours

obligeacute raquo (cf la relation drsquoimplication invoqueacutee) ne toleacuterant pas drsquoorientation inverse ni de

sauts drsquoeacutetape comme le deacuteplore Beacuteguelin (2014 15) Drsquoautre part les eacutechelles de ce type se

dotent drsquoune viseacutee preacutedictive voire sont promues au rang de lois formuleacutees comme des

contraintes externes au fonctionnement linguistique (ibid) Ainsi en teacutemoigne lrsquoextrait ci-

dessous

Non-pro-drop languages may be expected to manifest a more restricted range of 3PL-IMP than pro-drop ones (Siewierska 2011 81)

Or sur quoi repose ce genre drsquoaffirmation Pour le franccedilais par exemple lrsquoexclusion de

lrsquointerpreacutetation d) (singular specific) est deacutecideacutee sur la base drsquointuitions drsquoinformateurs

(Siewierska 2008) La question semble rapidement eacutevacueacutee En effet on a vu qursquoil existait un

deacutebat sur cette question en franccedilais Goudet (1983) invoquant le caractegravere seacutemantiquement

non marqueacute du pluriel et Kleiber (1992b) requeacuterant au contraire la dimension plurielle du

groupe viseacute Au vu des positions contradictoires des chercheurs sur la question il paraicirct

neacutecessaire drsquoobserver les faits sur le terrain

244 Bilan

Les travaux geacuteneacuterativistes ou en typologie des langues offrent une perspective eacutelargie de la

question suscitant des reacuteflexions inteacuteressantes sur la question de lrsquouniversaliteacute et de la

productiviteacute relative du pheacutenomegravene281

et suggeacuterant des pistes drsquoanalyse ineacutedites Toutefois la

porteacutee des reacutesultats est difficile agrave eacutevaluer pour plusieurs raisons premiegraverement nous nrsquoavons

souvent pas la possibiliteacute de remettre en cause les jugements avanceacutes agrave lrsquoeacutegard des donneacutees

typologiques nos compeacutetences linguistiques eacutetant tout bonnement limiteacutees dans la plupart des

langues eacutetudieacutees deuxiegravemement une part des linguistes ne srsquoappuient que sur un tregraves petit

nombre drsquoexemples fabriqueacutes deacutepourvus de contexte et soumis agrave des jugements

drsquoacceptabiliteacute intuitifs (les leurs ceux de leurs confregraveres ou drsquoinformateurs des langues

eacutetudieacutees) Degraves lors des conclusions sont parfois hacirctivement tireacutees sur des probleacutematiques qui

demanderaient une analyse plus fine en particulier au sein drsquoune mecircme langue quant agrave

lrsquoexamen sur corpus de Siewierska amp Papastathi (2011) la deacutemarche empirique et contrastive

se reacutevegravele pertinente et instructive sur la productiviteacute interlinguistique du pheacutenomegravene mais

281

Siewierska (2011) atteste lrsquousage des 3PL-IMPS dans un grand nombre de familles de langues outre les

langues occidentales elle mentionne les langues eurasiennes africaines ameacuterindiennes les langues indigegravenes

drsquoOceacuteanie drsquoAustralie et de Nouvelle Guineacutee

277

limiteacutee agrave un corpus eacutecrit drsquoun genre bien particulier la fiction litteacuteraire en outre la

distinction entre les emplois dits (semi-)impersonnels et les proceacutedeacutes anaphoriques agrave nos

yeux loin drsquoecirctre eacutevidente282

repose sur le critegravere segmental de preacutesence ou absence

drsquoanteacuteceacutedent dont on a releveacute les limites agrave maintes reprises

25 Synthegravese geacuteneacuterale sur les travaux anteacuterieurs

Les travaux se montrent pour le moins heacuteteacuterogegravenes sur le plan theacuteorique (la question de la

reacutefeacuterence en particulier) et meacutethodologique (jugements drsquoacceptabiliteacute donneacutees attesteacutees ou

non choix des critegraveres linguistiques etc) Par conseacutequent lrsquoextension des faits consideacutereacutes

apparaicirct tregraves variable drsquoun auteur agrave lrsquoautre

On peut deacutegager grosso modo trois positionnements agrave lrsquoeacutegard de la relation entre ils agrave valeur

sous-deacutetermineacutee et la notion de reacutefeacuterence

i) Lrsquoapproche des grammaires du franccedilais qui tout en abordant le problegraveme avec

une conception segmentale ou substitutive de lrsquoanaphore tente drsquoen distinguer

ils tant bien que mal

ii) Lrsquoapproche qui situe le problegraveme au cœur des proceacutedeacutes de reacutefeacuterence (Kleiber

1992 Lebas 1997 [Reichler-]Beacuteguelin 1993b Yule 1982) Pour [Reichler]-

Beacuteguelin (1993b) et Yule (1982) le pheacutenomegravene remet en cause la conception

mecircme de lrsquoanaphore courante et la question demande agrave ecirctre traiteacutee avec

geacuteneacuteraliteacute Chez Kleiber (1992) et Lebas (1997) on observe agrave lrsquoinverse une

tentative de cibler des sous-types particuliers parmi les proceacutedeacutes de reacutefeacuterence

indirecte dans une viseacutee plus ou moins restrictive

iii) Enfin lrsquoapproche qui eacutevacue la question de la reacutefeacuterence et de lrsquoanaphore soit

en ignorant la probleacutematique (Goudet 1983)283

soit en reacutecusant purement et

simplement le statut anaphorique du pheacutenomegravene en raison de lrsquoabsence

drsquoanteacuteceacutedent (Suntildeer 1983 Jaeggli 1986 Cabredo Hofherr 2003 2014

Siewierska amp Papasthati 2011 Siewierska 2008 2011 Sanford et al 2008

Filik et al 2008)

Quant agrave la meacutethodologie adopteacutee elle deacutepend bien entendu des cadres theacuteoriques exploiteacutes

mais aussi du choix des donneacutees agrave traiter Ainsi une grande part des donneacutees en jeu sont des

exemples eacutelaboreacutes par le soin des auteurs et donc soumis agrave leur propre intuition ou agrave celle

drsquoinformateurs (Kleiber 1992b Lebas 1997 Goudet 1983 Suntildeer 1983 Jaeggli 1986 Cabredo

Hofherr 2003 2014 Sanford et al 2008 Filik et al 2008 en partie Siewierska 2008 2011 et

Siewierska amp Papasthati 2011) drsquoautres donneacutees repreacutesentent des collections drsquoexemples

recueillis de sources authentiques diverses mais en nombre limiteacute (Yule 1982 en anglais

282

Contra lrsquoavis de Siewierska (2011 81) laquo If these [3PL-IMPS in non pro-drop languages] do arise their

grammaticalization is restricted to semi-impersonal contexts in which they are least likely to be confused with

referential 3PL forms raquo (nous soulignons) 283

Dans une optique structuraliste lrsquoauteur se limite agrave lrsquoanalyse componentielle du systegraveme linguistique des

indices de 3e personne sans srsquointeacuteresser agrave la proceacutedure interpreacutetative reacutefeacuterentielle proprement dite

278

[Reichler-]Beacuteguelin 1993b en partie Siewierska 2008) enfin certaines donneacutees sont

extraites drsquoun corpus bien speacutecifique (traductions parallegraveles drsquoun roman chez Siewierska amp

Papasthati 2011)

Malgreacute la diversiteacute des approches des meacutethodologies des langues observeacutees et de lrsquoextension

des faits quelques caracteacuteristiques reacutecurrentes se deacutegagent de ces travaux agrave quelques

exceptions pregraves284

a) La sous-deacutetermination du reacutefeacuterent de lrsquoindice de 6e personne (refleacuteteacutee par la diversiteacute

des adjectifs caracteacuterisant lrsquoemploi tels que indeacutesigneacute indeacutetermineacute vague collectif

non-speacutecifique (semi-)impersonnel arbitraire etc) elle peut ecirctre plus ou moins

marqueacutee

b) Le nombre pluriel le genre masculin (pour les langues dont le pronom de 6e personne

alterne en genre)285

c) Lrsquointerpreacutetation humaine du reacutefeacuterent

Comme nous lrsquoavons deacutejagrave signaleacute pour le franccedilais aucune eacutetude empirique ndash crsquoest-agrave-dire

fondeacutee sur des donneacutees attesteacutees ndash nrsquoest entiegraverement consacreacutee agrave la question Il nous semble

donc important de documenter davantage le sujet sous cet angle afin de compleacuteter corroborer

ou remettre en cause les reacutesultats et partis pris de nos preacutedeacutecesseurs Nous probleacutematiserons

en particulier la relation entre les emplois concerneacutes et lrsquoanaphore ou les proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels

Une attention scrupuleuse sera eacutegalement accordeacutee aux donneacutees orales spontaneacutees dont les

conditions de production sont preacutesenteacutees comme particuliegraverement favorables par de nombreux

linguistes (eg Yule 1982 [Reichler-]Beacuteguelin 1993b Siewierska 2008) ou grammairiens

(Von Wartburg amp Zumthor 1973 Grevisse amp Goosse 2011)

284

Rappelons que [Reichler-]Beacuteguelin (1993b) se distancie des restrictions sur le genre et sur le trait humain 285

On pourrait ajouter la position sujet implicitement admise au vu des donneacutees eacutetudieacutees Suntildeer (1983 189)

mentionne toutefois cette exigence agrave propos des seules langues pro-drop Quant agrave [Reichler-]Beacuteguelin (1993b)

elle rend compte drsquoemplois en position de reacutegime et de deacuteterminants possessifs

279

3 Etude de ILS dans une collection de donneacutees en franccedilais

Cette section vise agrave eacutetudier le comportement de ils et ses circonstances drsquoemploi dans des

contextes authentiques ougrave il manifeste un degreacute de sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle A ce titre

il srsquoeacutecarte de la conception courante de lrsquoanaphore pronominale ainsi que le montre

lrsquoexemple ci-dessous

(391) jpense que cest dans les anneacutees alors euh + euh dans les anneacutees euh soixante euh

soixante-trois quatre cinq ccedila a commenceacute + en je je ceacutetait larriveacutee des veacutelomoteurs du

plastic dans en province enfin en province jme souviens de agrave la campagne ceacutetait

frappant euh ils ont pris les anciens meubles ils ont proposeacute des cuisines en formica

y a eu tout ce (cfpp)

Malgreacute la mise en place en M drsquoun domaine drsquointerpreacutetation assez circonstancieacute (anneacutees

soixante agrave la campagne) ils ne renvoie pas agrave un reacutefeacuterent deacutejagrave eacutetabli ni identifieacute dans M et les

preacutedications qui le concernent ne permettent manifestement pas drsquoinfeacuterer les traits distinctifs

drsquoun reacutefeacuterent stabiliseacute dans les connaissances partageacutees A lrsquoinverse elles invitent plutocirct agrave un

traitement sommaire de ils

Drsquoautres occurrences se laissent neacuteanmoins plus volontiers deacutecrire en termes drsquoanaphore

indirecte (voir aussi (371) ou les laquo ils collectifs raquo de Kleiber comme (382)) agrave la faveur drsquoun

processus infeacuterentiel (respectivement collectif-classe pour (392) et sceacutenario-actant pour

(393))

(392) euh enfin la geacuterance a mis des | _ | _ | | un appareil pour euh mesurer lhygromeacutetrie

pis ils ont dit non non tout va bien | pis y avait les papiers peints qui se deacutecollaient | _

| euh ils les ont accuseacutes de je sais pas | _ | et pis | l le | de t | _ | de douvrir trop leur

fenecirctre (ofrom)

(393) ne tinquiegravetes psLa on fait lembarquement ms ils font un exerciceenregistrer tout

manuellementDonc on nest ps prets dembarquerA toutegros becs (Swiss sms

corpus)

Cependant la limite entre les emplois de ils donnant lrsquoinstruction drsquounifier leur variable avec

un objet agrave infeacuterer et ceux qui demeurent pratiquement inanalyseacutes du point de vue interpreacutetatif

nous paraicirct loin drsquoecirctre eacutevidente et meacuterite degraves lors qursquoon srsquoy attarde

Par ailleurs ce genre drsquoemplois sous-deacutetermineacutes nrsquoest pas pris en compte dans les modegraveles

dominants des expressions reacutefeacuterentielles A cet eacutegard nous avons entrepris dans une eacutetude

anteacuterieure (Johnsen 2014) un classement des occurrences de ils issues drsquoun corpus restreint agrave

savoir 26 enregistrements de la base PFC provenant de 13 points drsquoenquecircte de la

francophonie Au total nous avons classeacute 218 occurrences de ils Parmi celles-ci 68

correspondaient agrave une situation laquo canonique raquo crsquoest-agrave-dire ougrave la variable est unifiable avec un

reacutefeacuterent saillant et identifieacute en M lrsquounique cas geacuteneacuteralement preacutedit par les modegraveles existants

Le reste tout de mecircme 32 se reacutepartissait de la maniegravere suivante 8 renvoyait agrave un

280

reacutefeacuterent disponible en M mais en retrait (peu saillant) 17 agrave un reacutefeacuterent agrave infeacuterer et 7 agrave un

reacutefeacuterent largement sous-deacutetermineacute Etant donneacute la taille du corpus les chiffres ne peuvent pas

ecirctre tenus pour repreacutesentatifs Mais mecircmes indicatifs les reacutesultats soutiennent globalement

qursquoune part non neacutegligeable des faits est laisseacutee pour compte dans les theacuteories de la reacutefeacuterence

Afin de compleacuteter cette eacutetude anteacuterieure nous nous proposons drsquoeacutelargir notre champ

drsquoobservation agrave des donneacutees provenant de sources plus varieacutees dans une approche qualitative

Avant drsquoentrer dans lrsquoanalyse proprement dite il convient de rappeler qursquoun proceacutedeacute de

reacutesolution anaphorique typique recouvre la situation ougrave lrsquoobjet preacutesupposeacute par le pointeur se

voit unifieacute avec un objet deacutejagrave preacutesent en M Dans les chapitres preacuteceacutedents nous avons

cependant deacutegageacute plusieurs cas de figure qui srsquoen eacutecartaient au chapitre II la notion

drsquoanaphore indirecte permet de recouvrir la situation ougrave agrave deacutefaut drsquoun objet valide en M

lrsquoobjet viseacute doit ecirctre infeacutereacute sur la base drsquoune relation avec drsquoautres objets preacutesents au

chapitre III (cf supra sect23) nous avons en outre eacutenumeacutereacute plusieurs situations de sous-

deacutetermination reacutefeacuterentielle pour meacutemoire i) les cas de cataphore ougrave lrsquoinstanciation de la

variable se voit retardeacutee la valeur agrave attribuer eacutetant livreacutee a posteriori ii) les cas ougrave la valeur agrave

affecter est absente et doit ecirctre conjectureacutee mais lrsquoensemble des valeurs possibles eacutetant vague

la variable demeure sous-deacutetermineacutee iii) les cas ougrave lrsquounification se fait avec un objet

effectivement valide mais dont la composition et la deacutelimitation demeurent incertaines (eg

les anaphores reacutesomptives)

Dans cette eacutetude deacutedieacutee agrave lrsquoindice de 6e personne ils nous ne nous inteacuteressons pas au cas de

retardement de lrsquounification i) qui ne met pas en jeu une sous-deacutetermination durable ni au

cas iii) car il concerne la reacutefeacuterence agrave des objets non individueacutes Crsquoest avant tout le rapport

entre lrsquoanaphore indirecte et la situation ii) qui occupera deacutesormais notre attention Comme

constateacute ci-dessus il nrsquoest pas toujours eacutevident de deacuteterminer si ils fait effectivement lrsquoobjet

drsquoun traitement infeacuterentiel (anaphore indirecte) ou si la proceacutedure eacutetant trop coucircteuse sa

variable demeure non instancieacutee Nous tenterons donc de cerner de plus pregraves les situations ougrave

le processus infeacuterentiel aboutit agrave une hypothegravese interpreacutetative (sect321) et celles ougrave il nrsquoy

aboutit pas (sect323) de mecircme que les cas ougrave lrsquoanalyse reste indeacutecidable (sect322) Etant donneacute

les similariteacutes deacutejagrave releveacutees par les auteurs entre lrsquousage de ils du passif et de on nous

proposerons eacutegalement une analyse comparative de ces diffeacuterents moyens de sous-

deacutetermination de lrsquoagent (sect34) Avant drsquoentamer lrsquoanalyse proprement dite quelques

preacutecisions sur les donneacutees sont opportunes (sect31)

31 Remarques sur les donneacutees

Nous avons effectueacute des recherches automatiques de la chaicircne de caractegraveres286

(PFC et CFPP)

ou du mot ils (OFROM) via les concordanciers respectifs Comme indiqueacute dans lrsquoAvant-

286

La recherche par chaicircne de caractegraveres seule possibiliteacute dans PFC et CFPP ne permet pas de distinguer

lrsquooccurrence pronominale ils des mecircmes suites de lettres dans un mot (comme fils deacutetails etc) En ajoutant un

espace agrave la suite de la chaicircne on reacuteduit le bruit A lrsquoinverse lrsquoajout drsquoun espace avant se reacutevegravele une requecircte

silencieuse crsquoest-agrave-dire qursquoelle exclut des occurrences comme celles preacuteceacutedeacutees drsquoune apostrophe (eg qursquoils)

281

propos de cette 2e partie au vu du nombre de reacutesultats

287 nous nous sommes pencheacutee sur les

extraits drsquoenregistrements les plus feacuteconds en ils pour nous concentrer dans un second temps

sur les cas les plus probleacutematiques agrave analyser du point de vue de la reacutefeacuterence

Nous avons parfois rencontreacute des problegravemes de transcription dans les bases respectives en

raison de situations drsquohomophonie entre les 3e et 6

e personnes (eg il mange vs ils mangent)

ayant induit une transcription agrave notre sens erroneacutee Drsquoautres fois la situation reste indeacutecidable

du point de vue de lrsquoanalyse comme ci-dessous ougrave le transcripteur a privileacutegieacute le pluriel mais

ougrave lrsquoon pourrait envisager un singulier eacutetant donneacute le genre drsquoeacutemission TV en question288

(394) on regardait lagrave sur ARTE par exemple y a eu cet eacuteteacute euh ++ vers huit heures du soir un

++ euh + des visites de pays ougrave il(s) rencontrai(en)t les gens il(s) les regardai(en)t

lire et il(s) les regardai(en)t manger aussi ++ cuisiner manger (cfpp)

Dans ce cas le contexte approprieacute fait deacutefaut pour reconstituer les intentions reacutefeacuterentielles du

locuteur Des problegravemes drsquoaudibiliteacute dus agrave la qualiteacute sonore des enregistrements ou agrave des

situations de chevauchement ont eacutegalement surgi En cas de doute sur la reacutealisation effective

drsquoun ils nous avons renonceacute agrave prendre lrsquoexemple en compte On peut encore relever des cas

drsquoindistinction perceptive entre le masculin et le feacuteminin (ils vs elles) ougrave crsquoest agrave nouveau le

recours au contexte qui permet eacuteventuellement de trancher Enfin la reacutealisation phoneacutetique

est parfois si teacutenue que lrsquoon est en droit de srsquointerroger sur la preacutesence effective ou non du

morphegraveme Lagrave eacutegalement le doute conduit agrave eacutecarter une telle donneacutee des observations

32 Classement des donneacutees

321 Anaphore indirecte

Comme nous lrsquoavons annonceacute une maniegravere drsquoanalyser certaines occurrences en ils est de les

traiter comme des anaphores indirectes mettant en jeu des types drsquoinfeacuterences par ailleurs

routiniseacutees (cf supra ChI sect33 et ChII sect422) Le pronom conjoint ils requiert drsquounifier sa

variable avec une classe qursquoil est possible drsquoinfeacuterer de lrsquoexistence drsquoun individu collectif

(sect3211) drsquoun lieu (sect3212) ou drsquoun sceacutenario impliqueacute (sect3213)

3211 Infeacuterence collectif-classe

Lrsquolaquo anaphore indirecte collective raquo (Lammert amp Lecolle 2014) est un proceacutedeacute bien connu ils

permet dans ce cas de renvoyer aux membres drsquoune collection deacutejagrave eacutetablie en M (cf supra ch

II sect23) On peut deacutefinir une collection comme un ensemble qui se compose drsquoeacuteleacutements289

le

rapport entre les eacuteleacutements (ou membres) et lrsquoensemble relegraveve ainsi de lrsquoingreacutedience (ou

meacutereacuteonymie) Ci-dessous on relegraveve ce genre de rappel agrave la suite de lrsquointroduction drsquoune

287

Au 16 aoucirct 2016 PFC compte 7234 occurrences OFROM 4590 et CFPP 3569 288

Par exemple une eacutemission ougrave un animateur part seul agrave la rencontre drsquoindigegravenes 289

Certaines deacutefinitions sont plus restrictives ajoutant par exemple lrsquoappartenance des eacuteleacutements agrave une mecircme

cateacutegorie Voir Lammert et Lecolle (2014) pour une vue geacuteneacuterale sur les N collectifs en franccedilais

282

collection comme un groupe (395) une famille (396) une clientegravele (397) une eacutequipe (398) ou

encore une geacuteneacuteration (399)

(395) y avait une soir un soir euh | _ | jeu de nuit donc crsquoest un groupe qui a ducirc organiser

des un jeu de nuit dans la forecirct | _ | qui faisait assez peur dailleurs mais conduit | _ |

hein | _ | ben conduit organiseacute alors ils ont ducirc | _ | organiser donc des jeux de nuit

(ofrom) = (132)

(396) jai jai encore eu y a pas tregraves m tregraves longtemps | une fille de | | qui a | _ | elle a juste

cinquante ans | _ | et cest une famille ougrave ils parlaient toujours patois | _ | elle sest

marieacutee en Singine avec un Suisse allemand (ofrom)

(397) [sur une roulotte laquo take-away raquo] En ce jeudi de juillet la clientegravele deacutefile ndash ils sont

parfois une douzaine agrave faire la queue ndash et les mets proposeacutes jouent lrsquoeacuteclectisme entre

lrsquoEurope et lrsquoAsie Ce jour-lagrave pour moins de 10francs il est ainsi possible de craquer

pour un ragoucirct aux leacutegumes avec sauce-cregraveme au curry et pacirctes pour du poulet ou des

crevettes laquosweet amp sourraquo avec riz au beurre voire mecircme pour une saucisse de veau

avec pommes de terre sauteacutees (presse La Liberteacute 240712)

(398) Crsquoest la rentreacutee Alors si vous avez un petit coup de blues ou besoin dun moment de

bien-ecirctre gustatif venez savourez les bons plats preacutepareacutes par leacutequipe du food-truck

lEpicurieux Ils sont sur le campus les mardis et les mercredis de 11h30 agrave 14h00

durant le mois de septembre et viendront tous les jours agrave partir drsquooctobre (Notification

Facebook 25082015)

(399) L1 vous ne nrsquoavez pas non plus dans les dans les deacutecalages justement de geacuteneacuterations

comment vous vous situez par rapport agrave la + agrave la nouvelle geacuteneacuteration est-ce que +

vous ecirctes vous faites partie des gens qui nrsquosupportent plus les inciviliteacutes je mets tous

les guillemets

L2 [hellip] j trouve quelles [mes filles] ont eacutenormeacutement eacutevolueacute euh + dans un monde

du venant dune geacuteneacuteration quand mecircme euh nrsquoayant pas grand chose agrave proposer nous

et euh + voilagrave un monde assez + + avec de moins en moins d liberteacute si vous voulez

mais jrsquoles trouve pas incivils euh + non j trouve quils pourraient plus encore mecircme

se se reacutevolter + + j trouve quils vivent eacutenormeacutement en groupe moi crsquoest ce qui

mrsquoaura marqueacutee dans cette geacuteneacuteration lagrave crsquoest quils vivent entre eux quoi et jrsquotrouve

que voilagrave au collegravege aussi beaucoup les uns chez les autres (cfpp)

On relegraveve ainsi des types de reacutefeacuterents allant bien au-delagrave de la notion de groupe invoqueacutee

supra (sect2221) par Kleiber (1992b) On note eacutegalement contra Kleiber que la position

reacutegime du clitique est possible (399) de mecircme que la reacutefeacuterence agrave des membres non humains

(cf [Reichler-]Beacuteguelin (1993b)) comme lrsquoillustre encore lrsquoexemple ci-dessous ougrave en

lrsquoabsence drsquoindices on ne connaicirct drsquoailleurs pas le genre du pronom les (les lsquobecirctesrsquo les

lsquovachesrsquo )

(400) la vie agrave la ferme ben en ce moment je suis en plein dedans vu que | _ | je suis ben

justement dans mon anneacutee sabbatique alors jrsquoaide mon papa | _ | euh | _ | ben en gros

283

euh | _ | le matin on se reacuteveille assez tocirct pour srsquooccuper du beacutetail les nourrir les traire |

_ | on les sort on fait des parcs (ofrom)

Il est inteacuteressant de constater que la reacutefeacuterence agrave la classe via lrsquoindice de 6e personne semble

parfois favoriseacutee par lrsquoexpression drsquoun preacutedicat distributif en (396) on peut supposer que le

preacutedicat lsquoparler patoisrsquo srsquoapplique aux membres dans un rapport de reacuteciprociteacute En (397) crsquoest

bien lrsquoaddition des diffeacuterents membres qui correspond agrave la collection quantifieacutee lsquodouzainersquo

De mecircme en (399) on attribuera la proprieacuteteacute de lsquovivre en groupersquo aux individus plutocirct qursquoagrave la

collection Crsquoest encore le cas en (400) ougrave le preacutedicat lsquotrairersquo concerne de la mecircme maniegravere

les becirctes prises seacutepareacutement Mais la lecture collective est eacutegalement bien repreacutesenteacutee comme

le deacutemontre (395) le mecircme preacutedicat eacutetant reformuleacute agrave propos de la collection respectivement

de la classe (lsquodevoir organiser desun jeu(x) de nuitrsquo) Il y a donc de bonnes raisons de

consideacuterer qursquoil srsquoagit drsquoune mecircme action collective De la mecircme maniegravere on infeacuterera

vraisemblablement une interpreacutetation collective du preacutedicat lsquoecirctre sur le campusrsquo en (398) Il se

peut eacutegalement que le preacutedicat demeure non-speacutecifieacute de ce point de vue comme lsquoecirctre incivilrsquo

et lsquopouvoir se reacutevolterrsquo en (399) ougrave il nrsquoest pas pertinent agrave distinguer entre une interpreacutetation

collective ou distributive

3212 Infeacuterence lieu-classe

Dans cette cateacutegorie on peut distinguer deux types de classe dont on infegravere lrsquoexistence agrave partir

drsquoun lieu la classe des simples occupants ou alors une classe de participants du sceacutenario

impliqueacute par ledit lieu

i) Lieu-occupants

Dans lrsquoextrait suivant un lieu est introduit via un compleacutement circonstanciel (dans les pays

africains) servant de cadre pour les preacutedications qui suivent

(401) Comme quand on va maintenant dans les pays africains hein ougrave crsquoest qursquoelle est la

viande dans les eacutetalages en suspens hein Il y a pas de il y a pas de controcircle sanitaire

lagrave hein Il y a les mouches qui se collent dessus mais ils ont faim donc ils mangent

hein Nous on la toucherait pas peut-ecirctre (pfc)

Les occurrences de ils et leur preacutedication conduisent agrave infeacuterer une classe correspondante agrave

partir du contexte eacutetabli La routine infeacuterentielle lieu-occupants (cf supra 33) offre ici un

moule particuliegraverement propice agrave lrsquoinstanciation de la variable On remarque pour cet exemple

que le SN les gens megravenerait agrave une interpreacutetation assez semblable290

Ci-dessous le lieu est indroduit via un circonstant puis se voit reformuleacute par un SN avant

que ses occupants soient viseacutes dans une parenthegravese

290

Sur lrsquoemploi des SN les gensdes gens manifestant des indices de reacuteanalyse vers un statut de pronom indeacutefini

voir Cappeau amp Schnedecker (2014)

284

(402) Gracircce agrave la geacuteneacuterositeacute de mon employeur et au talent de Fabian Cancellara je passe dix

jours en Belgique Le pays des moules des frites du chocolat ndash si si ils y croient ndash

et des biegraveres eacutevidemment (presse La Liberteacute rubrique Plage de vie 130411)

Outre la routinisation de lrsquoinfeacuterence lrsquoemploi de ils au deacutetriment drsquoun SN de gentileacute (les

Belges) est peut-ecirctre motiveacute par une strateacutegie drsquoeacutevitement de redondance lexicale (O3 cf Ch

I sect636) Quant agrave les gens on remarque qursquoil induirait une diffeacuterence drsquointerpreacutetation le

cadre reacutefeacuterentiel agrave consideacuterer se reacutevegravelerait ambigu (les gens en geacuteneacuteral ou les gens de la

Belgique ) Selon Cabredo Hofherr (2014 11) cela srsquoexplique par le fait qursquoils implique

neacutecessairement une laquo restriction de domaine raquo ici exprimeacute par le locatif facultative pour les

gens (qui peut signifier les gens en geacuteneacuteral)

Dans lrsquoexemple suivant le lieu dont les occupants sont eacutevoqueacutes nrsquoest manifestement pas

saillant au moment ougrave apparaicirct ils La locutrice introduit en effet drsquoautres objets qursquoelle place

au centre de lrsquoattention et qursquoelle est en train drsquoeacutelaborer lorsque son interlocuteur opegravere une

sorte de laquo backtracking raquo reacutefeacuterentiel

(403) E Donc quest-ce que vous voyez cet eacuteteacute lagrave quest-ce qui vous tente nnnnnnnnnnnnn

CB Alors en fait je voudrais partir euh oui parce quen fait euh quand javais dix-

huit ans jai gagneacute bon lanneacutee derniegravere hein jai gagneacute agrave un hum un concours un

hum un prix aventure Donc jai eu une bourse de treize mille francs et je suis partie

euh je suis alleacutee agrave Cuba Il fallait choisir une destination et euh enquecircter et rendre

apregraves un dossier agrave euh au deacutec au rectorat Bon je suis partie toute seule en sac agrave dos

et ccedila ma vraiment plu dailleurs je voudrais recommencer cette expeacuterience avec

dailleurs Sylvain Parce que cette anneacutee-lagrave il avait pas pu venir parce quil faisait un

BTS Donc en fait je voudrais partir dans un pays ougrave le niveau de vie est pas tregraves

eacuteleveacute heacutelas hein parce que ccedila revient cher et euh visiter en mecircme temps cest-agrave-dire

se planifier euh des des visites et et partir comme ccedila agrave laventure en sac agrave dosnnnnnn

E Et ils aiment Fidel Castro euh nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

CB Ah non ils ont tregraves tregraves peur de Fidel Castro (pcf)

Afin de reacutepondre agrave la question de E agrave propos de ses projets de vacances la locutrice CB

revient sur un voyage fait agrave Cuba qursquoelle a appreacutecieacute (ccedila mrsquoa vraiment plus) pour motiver son

deacutesir de revivre une expeacuterience similaire mais dans un lieu encore indeacutetermineacute (je voudrais

partir dans un pays ougrave le niveau de vie est pas tregraves eacuteleveacute) Alors qursquoelle est en train de

justifier ses critegraveres pour ce prochain voyage (sur lequel eacutetait centreacutee la premiegravere question de

E) son interlocuteur lrsquointerrompt pour revenir sur lrsquoexpeacuterience de Cuba et pour en savoir plus

sur les habitants Au vu de lrsquoargumentation entameacutee ce sont selon toute vraisemblance les

eacuteleacutements lieacutes au projet futur qui apparaissent les plus saillants dans M du moins au plus haut

de la laquo pile raquo agrave cet instant-lagrave du discours On observe agrave cet eacutegard le rocircle deacuteterminant du

preacutedicat lsquoaimer Fidel Castrorsquo pour lrsquointerpreacutetation du pronom Cet extrait permet de montrer

comment un interlocuteur oriente le discours en ramenant selon ses propres inteacuterecircts un objet

au centre de lrsquoattention Par ailleurs il srsquoattache agrave maintenir saillant aussi bien les occupants

285

que le lieu dans la suite de lrsquoeacutechange (Vous avez vu ce ce problegraveme quils ont actuellement

[hellip] Mais cest beau Cuba non )

Il arrive reacuteguliegraverement que le lieu soit eacutevoqueacute par le biais drsquoun simple SP adverbial cadratif

comme dans lrsquoexemple de Kleiber (1992b) pour rappel

(404) A Paris ils roulent comme des fous = (362)

Le circonstant de mecircme que le preacutedicat lsquorouler comme des fousrsquo servent ainsi de

laquo restricteurs de domaine raquo pour lrsquoinfeacuterence du reacutefeacuterent Nous traitons ce genre de proceacutedeacute

comme une anaphore indirecte (cf aussi la qualification drsquoanaphore laquo divergente raquo de Kleiber

1990a) car il met en jeu un processus analogue drsquounification de la variable avec une classe

infeacutereacutee du cadre reacutefeacuterentiel deacutelivreacute

Dans ce genre de configuration ougrave la porteacutee du cadratif est clairement eacutetablie la commutation

avec les gens semble bien fonctionner

(405) PM Mon pegravere aimait bien discuter en patois avec tous ses copains hein oh oui oui

oui oui oh oui oui oui Oh oui oh oui Oh oui

E Je sais que dans le Sud ils ont souffert de lrsquointerdiction des anneacutees vingt de parler

patois (pfc)

(406) Je sais que dans le Sud les gens ont souffert de lrsquointerdiction (exemple modifieacute)

Dans lrsquoexemple suivant le circonstant cadratif consiste simplement en lrsquoadverbe anaphorique

lagrave pointant sur le lieu preacutealablement introduit

(407) Par contre du cocircteacute de la branche euh maternelle euh ma megravere crsquoeacutetait une Le

Glouannec de lrsquoescouade Gouarec elle eacutetait du pays Fisel et lagrave ils chantaient breton

quoi (pfc)

(408) et lagrave les gens chantaient breton quoi (exemple modifieacute)

Dans cette sous-cateacutegorie les preacutedicats formuleacutes ne sont pas non plus univoquement collectifs

ou distributifs et reposent sur des infeacuterences contextuelles srsquoil nous semble plus plausible291

drsquoenvisager une lecture collective des sentiments exprimeacutes ndash faim (401) admiration et peur

(403) souffrance (405) ndash ou drsquoune croyance (402) les preacutedicats lsquorouler comme des fousrsquo

(404) ou lsquochanter bretonrsquo (407) nous paraissent agrave lrsquoinverse compatibles avec lrsquoune ou lrsquoautre

interpreacutetation la proprieacuteteacute pouvant ecirctre envisageacutee comme celle du groupe ou des individus

qui le composent

291

Selon lrsquoeacutetude psycholinguistique de Frazer Pacht amp Rayner (1999) portant sur lrsquointerpreacutetation collective ou

distributive drsquoeacutenonceacutes dont le sujet se compose de deux SN coordonneacutes les lecteurs manifesteraient clairement

en cas drsquoambiguiumlteacute theacuteorique une preacutefeacuterence pour lrsquointerpreacutetation collective appliqueacutee par deacutefaut Lrsquooccurrence

drsquoun terme distributif deacutesambiguiumlsant (each) situeacute apregraves le preacutedicat entraicircnerait ainsi une reacuteinterpreacutetation

distributive coucircteuse de lrsquoeacutenonceacute depuis le deacutebut Chez les enfants paradoxalement lrsquointerpreacutetation par deacutefaut

est au contraire distributive selon les auteurs laquo For children the distributive reading is strongly preferred

though perhaps for nonlinguistic reasons involving a conceptual preference for a one-one pairing raquo (ibid 101)

286

ii) Lieu-actant

La situation est un peu diffeacuterente lorsque les membres ne sont pas de simples occupants du

lieu mais repreacutesentent un actant drsquoun scheacutema qursquoon peut infeacuterer drsquoun lieu particulier Dans ce

cas une commutation avec les gens serait plus probleacutematique car elle ne rendrait pas compte

du rocircle actantiel en question lagrave ougrave ils permet de lrsquoinfeacuterer Lrsquoexemple ci-dessous preacutesente deux

lieux diffeacuterents respectivement un lsquohocirctelrsquo puis un lsquocafeacutersquo auxquels il est possible drsquoassocier

des scheacutemas respectifs impliquant une relation entre divers actants typiques

(409) Et puis voilagrave donc le premier soir on a coucheacute agrave lhocirctel parce que lrsquoappartement quon

avait reacuteserveacute neacutetait pas libre donc on a coucheacute agrave lhocirctel Alors lrsquohocirctel les bagages

il(s) voulai(en)t pas nos bagages ceacutetait pas lheure Alors que normalement ceacutetait agrave

onze heures du matin ils nous ont dit Non agrave cinq heures de lapregraves-midi On a dit

Mais non vous plaisantez Alors quand mecircme ils ont accepteacute de les mettre dans une

petite piegravece lagrave-bas au fond [hellip] Eh bien en arrivant lagrave-bas eh ben (rires) on est alleacute

chercher un cafeacute pour euh deacutejeuner Mais en Italie cest quon sassoit pas pour

deacutejeuner cest tout au au bar Oh ben on a dit Non on vient de passer une nuit on

veut au moins un petit-deacutejeuner confortable (rires) sasseoir Ben on a eu de la peine

agrave trouver un espegravece de petit recoin au fond de dune salle Ils nous ont servi un cafeacute

alors moi pas du tout agrave la franccedilaise alors le cafeacute hum pas digeacutereacute du tout ccedila (pfc)

Parfois un mecircme lieu engage simultaneacutement plusieurs types de classes agrave reconstituer agrave partir

du contexte On notera en particulier le rocircle des preacutedications respectives pour distinguer entre

les diffeacuterents reacutefeacuterents eacutevoqueacutes par les occurrences de ils

(410) le problegraveme crsquoest que en Australie sans voiture | _ | trsquoes dans la degraveche [hellip] mais ils ils

vont pas genre comme chez nous agrave perpegravete-les-joints avec le train quoi [hellip] donc

euh la voiture cest cest quelque chose dassez indispensable | _ | dailleurs euh ils

peuvent | _ | avoir leur permis | _ | agrave seize ans | _ | mais ccedila pose drsquoeacutenormes problegravemes

parce que deacutejagrave ici agrave dix-huit ans les gamins ils ont pas forceacutement | _ | la maturiteacute euh |

_ | pour comprendre la puissance dune voiture [hellip] enfin voilagrave quoi en plus euh | _ |

avec les kangourous qui traversent la route rien agrave voir euh ccedila aide pas non plus | _ | trsquoas

meilleur temps de pas aller trop vite | _ | mais alors maintenant ils ont instaureacute des

nouvelles lois genre euh ils ont pas le droit davoir de trop grosses cylindreacutees | _ |

heureusement | _ | euh | _ | ils ont pas le droit decirctre plus que deux dans une voiture

apregraves neuf heures le soir | _ | pour pas quils euh | _ | enfin pas quils aillent faire la

foire [hellip] bon voilagrave ils ont mis des restrictions par rapport agrave ccedila (ofrom)

Dans les seacutequences en gras romain le pronom semble renvoyer comme dans la sous-section

preacuteceacutedente aux occupants autrement dit aux lsquoAustraliensrsquo auxquels sont octroyeacutes des

preacutedicats geacuteneacuteriques ie qui geacuteneacuteralisent un eacutetat-de-choses (Carlson 2006) Le locuteur

restreint ensuite explicitement cette classe dans les passages souligneacutes au moyen de plusieurs

attributs (acircge deacutenomination preacutedicats etc) qursquoon peut identifier comme les lsquojeunes

conducteurs australiensrsquo Mais dans lrsquointervalle et de maniegravere inopineacutee il est fait reacutefeacuterence agrave

287

une autre classe via ils la variable nrsquoest en effet unifiable au vu du preacutedicat lsquoinstaurer des

loisrsquo ni avec les lsquooccupants australiensrsquo ni avec les lsquojeunes conducteursrsquo Il srsquoagit donc

drsquoinfeacuterer la classe qui correspond agrave un actant impliqueacute dans un scheacutema vraisemblablement lieacute

agrave lrsquolsquoadministrationrsquo du lieu en question On observe dans la suite du passage que le locuteur

alterne de maniegravere impreacutevisible entre cette classe et celle des lsquojeunes conducteursrsquo seuls les

preacutedicats respectifs permettant de faire la part des choses Il est inteacuteressant de remarquer que

malgreacute ce qursquoon pourrait malencontreusement prendre en raison de lrsquoabsence de

redeacutenomination pour une chaicircne de reacutefeacuterence (Chastain 1975 Corblin 1995 Schnedecker

1997 Schnedecker amp Landragin 2014) le reacuteseau reacutefeacuterentiel agrave lrsquoœuvre se construit sur le vif

de maniegravere assez instinctive fondeacute sur une part drsquoimplicite et sur une sorte de laquo seacutelection

naturelle raquo opeacutereacutee par les preacutedicats On est donc loin de lrsquoidentification de laquo chaicircnons raquo

distincts eacutetablis et controcircleacutes que suppose la notion de chaicircne de reacutefeacuterence (cf supra ChII

sect33)

On pourrait multiplier les exemples avec toutes sortes de lieux dont on peut infeacuterer des

sceacutenarios

(411) voilagrave ben je me suis inscrit euh | _ | dabord au conservatoire de de | | et puis | _ | vu

mon acircge avanceacute euh | _ | ils ils heacutesitaient agrave me prendre parce que y avait pas beaucoup

de place enfin ceacutetait assez difficile (ofrom)

(412) Jattends la reacuteponse de lhocircpital Jai expliqueacute ta situation Ils vont me rappeler As-tu

mal agrave la tecircte Bises (Swiss sms corpus)

Dans cette cateacutegorie la question drsquoune interpreacutetation collectivedistributive offre un eacuteclairage

nouveau En effet lrsquoemploi du verbe agrave la 6e personne permet de diffuser collectivement et

indistinctement la responsabiliteacute drsquoun eacuteventuel exeacutecuteur sur lrsquoensemble des agents associeacutes agrave

lrsquoun des sceacutenarios propres agrave un lieu En drsquoautres termes lrsquointerpreacutetation est compatible avec la

situation ougrave un seul individu a pu agir au nom de lrsquoensemble En cela la structure en ils + V

srsquooppose agrave une structure causative en faire+inf (eacutegalement appeleacutee factitive) qui procegravede par

deacutedoublement des agents celle-lagrave distingue en effet un instigateur laquo qui promeut lrsquoaction raquo

drsquoun exeacutecuteur laquo qui la reacutealise raquo (Simone 2014 347) (eg le professeur a fait nettoyer le

tableau par les eacutelegraveves) La structure causative est donc une diathegravese qui permet de

complexifier un procegraves en augmentant le nombre drsquoagents Parmi ses fonctions pragmatiques

on peut noter celle de marquer lrsquoautoriteacute de lrsquoinstigateur sur lrsquoexeacutecuteur et reacuteciproquement

celle de diminuer la responsabiliteacute de lrsquoexeacutecuteur (ibid) A lrsquoinverse lrsquoemploi de ils dans les

contextes preacutesents permet de diluer la responsabiliteacute drsquoun eacuteventuel exeacutecuteur dans une source

diffuse On peut ainsi voir la structure en ils comme le pendant de la diathegravese causative

Cette observation nous permet de mieux comprendre pourquoi les locuteurs peuvent recourir

agrave ils alors qursquoun seul exeacutecuteur est envisageable ils projette ainsi la responsabiliteacute sur une

entiteacute plus diffuse comprenant potentiellement plusieurs niveaux drsquoagents Pour meacutemoire de

nombreux auteurs remarquent qursquoil est possible drsquoutiliser la 6e personne dans des cas ougrave un

288

seul individu est concerneacute par la situation deacutecrite (Goudet 1983 Suntildeer 1983 Jaeggli 1986

Myhill 1997 Siewierska 2008) Siewierska (2008) soutient cependant que cet emploi nrsquoest

pas possible en franccedilais contrairement agrave lrsquoanglais et au neacuteerlandais qui lrsquoautorisent dans la

mesure ougrave lrsquoindividu est consideacutereacute comme le repreacutesentant drsquoun organisme (Myhill 1997 807-

808)

(413) They accused me of coming to this country just to get rich

It must be assumed that they refers to the entire group of people in whose name the action was done even if in a particular case only one person may have literally done the action (ibid)

Contrairement agrave lrsquoavis de Siewierska cette situation vaut donc aussi pour le franccedilais comme

en teacutemoignent bien les exemples de la section

3213 Infeacuterence sceacutenario-actant

Dans cette cateacutegorie les occurrences de ils requiegraverent lrsquoinfeacuterence drsquoune classe correspondant agrave

lrsquoactant drsquoun sceacutenario Ici non plus la commutation avec les gens nrsquoaboutit pas

systeacutematiquement agrave une interpreacutetation similaire car sa sous-speacutecification invite moins

spontaneacutement agrave lrsquoinfeacuterence drsquoun rocircle actantiel du reacutefeacuterent Dans lrsquoexemple ci-dessous une

locutrice raconte les circonstances drsquoun saut en parachute impliquant un mecircme reacutefeacuterent dont

lrsquoidentiteacute se preacutecise au fil des preacutedications et dont les pointages successifs contribuent agrave

augmenter la saillance

(414) ceacutetait vraiment sympa on a fait aussi un saut en parachute agrave San Diego | _ | ceacutetait

assez euh | _ | assez incroyable surtout que | _ | ouais deacutejagrave on arrive lagrave-bas euh | _ | ils

nous ont presque pas donneacute dexplications | _ | et pis euh tout dun coup ils nous

mettent un | _ | un espegravece de gros euh | _ | un espegravece de gros baudrier avec deux

grosses sangles qui passent sur les eacutepaules | _ | et pis euh | _ | ils nous font ah ben on

va dans lavion machin donc euh on nous on sy attendait trop pas | _ | pis apregraves on

monte dans lavion euh il commence agrave | _ | agrave deacutecoller ceacutetait vraiment un petit avion on

eacutetait quatre dans lavion mais lavion il eacutetait plein | _ | on aurait pas pu ecirctre une

personne de plus | _ | et pis euh lavion il monte et pis on on eacutetait euh | il(s) nous

donne(nt) les explications du saut dans lavion et alors quy a | plein de bruit | _ | ouais

ceacutetait assez euh un peu agrave larrache comme ccedila | _ | et pis euh apregraves agrave quatre mille megravetres

il ouvre la porte et pis hop | on saute euh on avait juste des petites lunettes on navait

rien du tout pour euh | _ | proteacuteger les oreilles ou comme ccedila (ofrom) = (101)

Il est inteacuteressant de constater qursquoau deacutebut de la narration de lrsquoeacutepisode la locutrice eacutevoque via

la 6e personne un ensemble mais qursquoelle en extrait par la suite

292 un seul individu peut-ecirctre

lrsquoexeacutecuteur du sceacutenario Mais lrsquoon pourrait eacutemettre une autre hypothegravese celle selon laquelle

292

Peut-ecirctre deacutejagrave degraves lrsquoavant-derniegravere occurrence eacutetant donneacute lrsquohomophonie de la forme verbale (3e ou 6

e

personne) La derniegravere occurrence est quant agrave elle clairement reacutealiseacutee sans liaison donc tregraves probablement

marqueacutee au singulier

289

le reacutefeacuterent eacutevoqueacute drsquoabord sous forme drsquoensemble soit composeacute en tout et pour tout drsquoun seul

membre

Cette hypothegravese remettrait en question la conception traditionnelle du pluriel comme simple

addition drsquoeacuteleacutements (cf supra ChII sect23) deacutejagrave affaiblie par drsquoautres faits comme les

pheacutenomegravenes drsquoaccords lieacutes aux noms collectifs les interpreacutetations des 4e (nous) et 5

e (vous)

personnes le cas des pluralia tantum etc Ces faits mettent notamment en eacutevidence la

possibiliteacute drsquointerpreacuteter le pluriel comme un ensemble (asymp pluriel interne) Or cette conception

nrsquoexclut pas a priori que lrsquoensemble consideacutereacute soit constitueacute drsquoun seul eacuteleacutement comme peut-

ecirctre ci-dessus (voire drsquoaucun eacuteleacutement cf la notion drsquoensemble vide) Pour certains auteurs

(Suntildeer 1983 Goudet 1983 Siewierska 2008 Cabredo Hofherr 2003 2014) la possibiliteacute de

cette lecture laquo singuliegravere raquo teacutemoigne du caractegravere non marqueacute du pluriel293

Pour Suntildeer (1983)

et Siewierska (2008) le pluriel serait agrave interpreacuteter comme une marque de reacutefeacuterence arbitraire

ou comme la grammaticalisation drsquoune forme drsquoimpersonnel Selon Cabredo Hofherr (2003

2014) le pluriel serait responsable des traits [+comptable] et [+humain] dans lrsquousage des

pronoms arbitraires Notre approche agrave lrsquoinverse se distingue de celles-ci par le fait qursquoelle

reacutevise la conception traditionnelle du pluriel dont la marque peut degraves lors srsquointerpreacuteter soit

comme une somme soit un ensemble auquel cas le nombre drsquoeacuteleacutements peut eacuteventuellement

eacutequivaloir agrave 1

Cette interpreacutetation du pluriel vaut pour les exemples ci-dessous eacutegalement Le suivant

comporte un discours rapporteacute portant sur un examen de conduite

(415) [les interlocuteurs viennent drsquoeacutevoquer la reacutecente obtention du permis de conduire par

une connaissance mutuelle] avec qui que je discutais lautre jour ah | | | qui me

disait quy a un jeune qui eacutetait sucircr de passer son | _ | pis qui qui roulait bien | _ | mais

trop trop sucircr de lui pis ils lui ont | pas donneacute parce que | _ | justement il eacutetait trop sucircr

de lui dans les ronds-points | il y allait trop | _ | trop | | _ | si tu fais pas de becirctises ils

te le donnent hein | _ | (ofrom)

Au vu du sceacutenario sous-jacent on peut assez plausiblement infeacuterer lrsquoidentiteacute de lrsquoagent du

procegraves lsquodonnerrsquo tout comme drsquoailleurs celui de son objet Oslash qursquoon preacutesume coreacutefeacuterentiel au

SN preacuteceacutedent son Oslash A noter que le reacutefeacuterent est dans un premier temps eacutevoqueacute dans un

293

Or selon Corbett (2000 17) un systegraveme ougrave le pluriel servirait de nombre non marqueacute nrsquoest pas attesteacute agrave

travers les langues mecircme si certaines langues nrsquoobligent pas agrave seacutelectionner le trait de nombre pour la cateacutegorie

nominale en recourant agrave une forme laquo geacuteneacuterale raquo qui nrsquoengage pas le locuteur agrave ce niveau (p 9 sqq) Par

exemple dans une langue couchitique appeleacutee le bayso la forme geacuteneacuterale luacuteban (lsquolion(s)rsquo) est utiliseacutee dans les

cas ougrave le nombre est non pertinent ne signalant pas srsquoil est question drsquoun ou plusieurs animaux de ce type par

opposition au singulier luacuteban-titi ou au pluriel luacuteban-jool Cette situation est eacutegalement valable pour le fula un

dialecte de Guineacutee ainsi que pour lrsquoarabe syrien agrave la diffeacuterence pregraves que la forme geacuteneacuterale nrsquoest pas disponible

pour tous les types de noms (p 12-13) Dans drsquoautres langues plus nombreuses une interpreacutetation laquo geacuteneacuterale raquo

ie qui nrsquoengage pas quant au nombre drsquoindividus peut se faire au moyen de lrsquoune des formes existantes du

systegraveme du nombre en lrsquooccurrence le singulier Crsquoest le cas du japonais ougrave le singulier peut indiquer un

nombre non speacutecifieacute Ainsi inu (sg) pourra signifier lsquoun ou plusieurs chien(s)rsquo tandis que inu-tati (pl) indiquera

clairement qursquoil est question de plusieurs chiens Par contre Corbett ne relegraveve pas le pendant de cette situation

ie une langue ougrave le pluriel est le cas non marqueacute

290

contexte eacutepisodique (ici via le passeacute-composeacute) puis reconvoqueacute pour une preacutedication

geacuteneacuterique

Ci-dessous lrsquoextrait illustre le concours drsquoindices de diverses natures pour lrsquoinstanciation de

la variable exprimeacutee par ils

(416) Voici comment Fred a trouveacute notre voiture hier apregraves lopeacuterahellip nnnnnnnnnnnnnnnnnn

[photo drsquoune voiture dont une vitre est casseacutee] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Shit happens Ils ont voleacute un appareil photo et qq trucs du boulot notamment des cleacutes

294

(vachement deacutelicat) Mais par contre le GPS qui eacutetait colleacute au pare-brise mes

lunettes agrave soleil etc ils ny ont pas toucheacute (courriel 30012012)

La photographie eacutevoque un sceacutenario probable dont on peut infeacuterer le type drsquoagent La

preacutedication attribueacutee agrave ils vient confirmer lrsquohypothegravese interpreacutetative avec laquelle on peut degraves

lors instancier la variable Ici aussi il est possible que le nombre de membres eacutequivale agrave 1

Lrsquoexemple suivant comporte lui aussi une dimension visuelle car il srsquoagit drsquoun spot

publicitaire de preacutevention des accidents qui met en scegravene une statuette briseacutee reprenant

progressivement la silhouette drsquoun ouvrier

(417) Lrsquoaccident est arriveacute comme un eacuteclairF295

je me suis plus ou moins casseacute tout ce qursquoon

peut casserF jrsquoai eu la trouille quand ils mrsquoont dit que je devais arrecircter de travailler

pendant cinq mois au moinsF

au boulot ils ont eacuteteacute drocirclement embecircteacutesS et ils ont trouveacute

quelqursquoun pour faire mon travailF

apregraves la quatriegraveme opeacuteration jrsquoeacutetais complegravetement

deacuteprimeacuteS

crsquoest seulement ensuite que jrsquoai pu commencer la reacuteadaptationF (TV spot

publicitaire pour une assurance-accidents intituleacute laquo Attention fragile raquo)

A partir du sceacutenario mis en scegravene et du discours rapporteacute (un ordre drsquoarrecirct de travail) il est

assez aiseacute drsquoinfeacuterer une classe correspondant agrave la premiegravere occurrence de ils Lagrave aussi le

nombre de membres de lrsquoensemble est potentiellement eacutegal agrave 1 On remarque que les

occurrences suivantes de ils ne prolongent pas cette reacutefeacuterence Elles se trouvent sous la porteacutee

drsquoun circonstant cadratif (au boulot) permettant (de mecircme que les preacutedicats formuleacutes) de

restreindre le domaine drsquoinfeacuterence de la nouvelle classe

Ci-dessous le reacuteseau de ils renvoie invariablement agrave une mecircme classe dont lrsquoidentiteacute des

membres nrsquoest pas pertinente

(418) [La locutrice donne son avis sur diffeacuterents films] y avait aussi le maicirctre du jeu je sais

pas si tu | _ | euh le maicirctre du jeu ou le | _ | comment ccedila sa y a une autre euh y a une

autre euh y a un autre titre euh | _ | cest vraiment un film euh | _ |le film est vraiment

fantastique mais ils ont complegravetement changeacute le le le | _ | lhistoire par rapport au

bouquin | _ | mais les deux sont juste incroyables [hellip] jaime ces films ougrave quand tu sors

de de d par exemple du cineacutema | _ | ougrave les quand tu vois les gens tu les croises pis tu

294

Nous anonymisons 295

Pour rappel lrsquoexposant S signale une intonation continuative et F une intonation conclusive

291

discutes du film | _ | quon soit dix pis y a dix v dix faccedilons davoir veacutecu le film

diffeacuteremment | _ | et pis de faccedilons de penser euh agrave ce quil sest passeacute diffeacuterentes | _ | le

ben par exemple Matrix le le le la toute premiegravere euh le tout premier | _ | euh | _ | donc

Matrix un | _ | ceacutetait jai trouveacute ccedila geacutenial | _ | parce que parce que ccedila te laissait | _ | ccedila

te laissait en suspens ils te donnent pas euh | _ | de de ils te donnent pas tout en main

euh | _ | voilagrave tas ta propre imagination cest cool ccedila [hellip] le Da Vinci code pour moi | _

| ils auraient pu arrecircter les vingt derniegraveres minutes | _ | ce film il eacutetait juste | _ | le

donc le premier le deuxiegraveme ceacutetait nul agrave chier | _ | ceacutetait trop visible directement ougrave

euh | _ | le reacutesultat eacutetait trop visible | _ | et le Da Vinci code le un | _ | ils auraient

coupeacute les vingt derniegraveres minutes ce ce film serait eacuteteacute extraordinaire | _ | pourquoi ils

ont besoin agrave la fin de dire | _ | voilagrave alors elle cest la fille de parce que nin nin nin et

pis il lui est arriveacute ccedila et pis | _ | je veux dire | _ | ils ils ont | _ | bout dun moment ils

| _ | coupent toute euh | _ | toute imagination | _ | pis je dans ce film cest dommage

quoi | _ | tout le long ils arrivent agrave agrave faire un suspense | _ | incroyable | _ | pis ces

vingt derniegraveres minutes ccedila a ccedila a tueacute tout le tout le film (ofrom)

La locutrice use massivement du ils pour impliquer une classe dont on infegravere le rocircle agrave travers

les preacutedicats utiliseacutes et le contexte cineacutematographique Apregraves la premiegravere occurrence le rocircle

est donc valide pour toutes les occurrences ulteacuterieures (cf lrsquoexemple (410) ougrave il change

inopineacutement) sans qursquoil soit neacutecessaire drsquoinfeacuterer lrsquoidentiteacute speacutecifique dont on sait qursquoelle

varie en fonction des diffeacuterents films eacutevoqueacutes

Pour tous les exemples de cette cateacutegorie la lecture semble par deacutefaut collective et permet de

diffuser la responsabiliteacute drsquoun eacuteventuel unique exeacutecuteur sur lrsquoensemble

3214 Bilan

Les sous-cateacutegories preacutesenteacutees ci-dessus nous semblent pouvoir ecirctre avantageusement deacutecrites

en termes drsquoanaphore indirecte En effet les extraits mettent en jeu un individu collectif un

lieu ou alors impliquent la reconnaissance drsquoun sceacutenario sur lequel peut se fonder lrsquoinfeacuterence

du reacutefeacuterent preacutesupposeacute par ils Srsquoil est vrai que les membres de la classe eacutevoqueacutee ne sont pas

individuellement identifiables (drsquoougrave lrsquoeffet de sous-deacutetermination) il nrsquoen reste pas moins que

lrsquoon peut infeacuterer des proprieacuteteacutes typantes et distinctives de la classe Bien que les preacutedicats

attribueacutes agrave une classe issue drsquoun individu collectif (sect3211) ou aux occupants drsquoun lieu

puissent ecirctre aussi bien collectifs que distributifs lrsquoinfeacuterence drsquoun actant eacuteventuellement via

un lieu (sect3212) agrave partir drsquoun sceacutenario impliqueacute (sect3213) favorise une lecture collective

avec un rendement drsquoexpansion de la responsabiliteacute sur lrsquoensemble Dans ce cas une

commutation en les gens fonctionne mal car elle dilue le rocircle degraves lors endosseacute par le reacutefeacuterent

Drsquoautres indices montrent que ils nrsquoest pas ici un simple eacuteleacutement postiche mais qursquoil renvoie

agrave un reacutefeacuterent doteacute drsquoun rocircle agrave part entiegravere En effet il se voit affecteacute drsquoattitudes drsquoeacutemotions

drsquointentions agrave travers lrsquooccurrence drsquoauxiliaires modaux (devoir vouloir) ou exprimant lrsquoeacutetat

mental ou physique drsquoun laquo expeacuterimentateur raquo (croire avoir faim aimer avoir peur souffrir

heacutesiter avoir besoin) On peut eacutegalement invoquer la possibiliteacute de prolonger la reacutefeacuterence sur

292

un empan discursif assez large (eg (409) (414) (416) (418)) agrave travers de nombreuses

occurrences de ils qui contribuent agrave en renforcer la saillance

322 Anaphore indirecte ou variable non instancieacutee

Il nrsquoest pas rare que lrsquoon puisse heacutesiter sur lrsquoanalyse agrave imputer au pointeur ils Certains indices

permettent en effet drsquoenvisager un proceacutedeacute drsquoinfeacuterence drsquoun objet pour ils agrave lrsquoinstar des

preacuteceacutedents mais drsquoautres orientent vers une mise en retrait du rocircle de lrsquoagent dans

lrsquoexpression drsquoun procegraves interrogeant le fondement drsquoune reacutesolution reacutefeacuterentielle

3221 Ambiguiumlteacute drsquoanalyse

Lrsquoexemple suivant illustre une analyse ambigueuml qui se traduit par la possibiliteacute drsquoargumenter

pour ou contre un maintien de la fonction instructionnelle drsquoinstanciation de la variable

(419) tous les baregravemes pour les pratiques sont baseacutes sur euh les meilleurs eacute- eacutetudiants euh

des universiteacutes en sport donc tout toutes les meilleures performances euh y euh de

chaque euh canton ou universiteacute de Suisse forment la moyenne donc ils basent les

baregravemes drsquoapregraves ccedila donc euh ce quil faut savoir cest que bien souvent euh cest des

baregravemes assez eacuteleveacutes (ofrom)

La premiegravere analyse consiste agrave consideacuterer ils comme infeacuterable au mecircme titre que les

exemples de la cateacutegorie preacuteceacutedente en termes drsquoanaphore indirecte le contexte acadeacutemique

et le preacutedicat typant restreignent sensiblement lrsquoextension du pointeur bien que lrsquoinfeacuterence

comme toujours puisse demeurer incertaine les professeurs les experts les membres drsquoune

commission etc

Mais une autre analyse consiste agrave renoncer agrave un traitement infeacuterentiel et agrave maintenir la

variable introduite par ils au rang de variable non instancieacutee Dans ce cas ils servirait agrave

remplir une place drsquoagent dont lrsquoimplication dans le procegraves se verrait reacuteduite296

drsquoougrave la mise

en eacutevidence du procegraves lui-mecircme (et eacuteventuellement de son objet patient ou effectueacute) (Myhill

1997 Siewierska 2008) Dans lrsquoexemple en question le locuteur chercherait agrave mettre en avant

les modaliteacutes de conception des baregravemes plutocirct qursquoagrave preacutediquer cette maniegravere de faire sur un

reacutefeacuterent eacutetabli (les professeurs ou autres agents potentiels) La diathegravese passive utiliseacutee au

deacutebut de lrsquoextrait (tous les baregravemes pour les pratiques sont baseacutes surhellip) nrsquoobligeant pas agrave

attribuer une valeur reacutefeacuterentielle pour lrsquoagent impliqueacute tend agrave renforcer cette hypothegravese Nous

examinerons les diffeacuterences entre les structures actives vs passives infra (cf sect341)

Toute une seacuterie de donneacutees peuvent ecirctre analyseacutees de la sorte

(420) on se retrouve quand mecircme dans des endroits franchement Jai jai une c jai une

amie lagrave qui a eu son concours lanneacutee derniegravere qui qui est instit Donc au deacutebut ils ils

296

Cf les notions de laquo baisse drsquoagentiviteacute raquo (Maillard 1994) drsquolaquo agent defocusing raquo (Myhill 1997) ou drsquolaquo agent

demotion raquo (Siewierska 2008)

293

lont mise agrave Meylan et tout donc elle eacutetait super contente elle sest dit voilagrave je vais

me retrouver avec des petits bourges et tout il y a pas de problegraveme (pfc)

Drsquoun cocircteacute il y a moyen drsquoinfeacuterer une classe responsable de lrsquoaffectation en question agrave la

faveur drsquoun sceacutenario aiseacutement reconstituable Drsquoautre part on peut srsquoen tenir agrave lrsquoindication

drsquoaffectation concernant lrsquoindividu la participation drsquoun agent restant en marge

Dans lrsquoexemple suivant crsquoest lrsquointroduction drsquoun lieu qui permet drsquoinvoquer une analyse en

termes drsquoinfeacuterence pour le ils deacutesignant les occupants du lieu A noter que la mention du lieu

remonte agrave plusieurs minutes et tours de parole en amont Neacuteanmoins le lieu sert de cadre

reacutefeacuterentiel agrave tout lrsquoeacutepisode narratif

(421) [agrave propos drsquoun voyage au Maroc] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

G Eh ben ma foi tss le Maroc pour moi ceacutetait bien Si tu veux savoir comment que je

lai euh je lai organiseacute cest une chose [hellip] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

E2 Et alors la nourriture vous avez mangeacute des choses euh speacutecifiques nnnnnnnnnnn

G Ah ben pour la nourriture euh cest tout euh enfin cest la tajine quils appellent

Cest euh cest un un espegravece de euh enfin tu sais ce que cest quune tajine quoi cest

un plat en terre Un grand plat en terre avec un espegravece de couvercle en cocircne Et puis

quils mettent lagrave ils font cuire lagrave-dedans comme ccedila Alors tu manges la tajine aux

oeufs tu manges la tajine au mouton tu manges la ta enfin ils appellent ccedila la tajine

(pfc)

Mais drsquoun autre cocircteacute il paraicirct aussi envisageable de consideacuterer lrsquoacte de deacutenomination de

lrsquoobjet indeacutependamment de la source effective (cf ccedila srsquoappelle la tajine ou on appelle ccedila la

tajine voir infra sect34) au vu de la routinisation de la combinaison de ils avec des verbes de

parole agrave fonction eacutevidentielle (cf infra sect3232)

Ci-dessous le sceacutenario impliqueacute par lrsquoeacutevocation drsquoun chantier permet drsquoinfeacuterer une classe qui

indiffeacuterencie plusieurs niveaux drsquoactants potentiels (exeacutecuteurs instigateurs)

L1 euh + y avait + les bacirctiments qui eacutetaient sur le quai qui existaient + y avait encore

la halle aux v- + nous on a connu la halle aux vins encore donc les derniers les derniers

reacutecalcitrants quand mecircme hein euh + la la majeure partie + eacutetait deacuteja partie mais il

restait quelques-uns euh + autre XX ceacutetait un chantier encore hein ceacutetait vraiment

L2 ils deacutemolissaient nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnmn

L1 ils deacutemolissaient on a euh + on a fait nos eacutetudes au moment de la deacutemolition +

moi je trouve que le + par rapport agrave ce quon a connu le quartier a pas trop trop changeacute

(cfpp)

Quant agrave lrsquoanalyse concurrente elle voit dans la structure ils+V un moyen de mettre lrsquoaccent

sur le procegraves de deacutemolition et son aspect progressif (via lrsquoimparfait cf infra sect341) Par la

suite le procegraves se voit drsquoailleurs reformuleacute via une nominalisation ad hoc qui permet

eacutegalement de mettre en retrait le rocircle drsquoagent

294

Les exemples en vrac ci-dessous illustrent la mecircme ambiguiumlteacute drsquoanalyse

(422) on habitait agrave la rue ici tu vois pregraves de lhospital agrave cocircteacute du marcheacute de la Boqueria ceacutetait

vachement bien ceacutetait un des plus grands marcheacutes dEspagne | | _ | mais non parce

que cest un marcheacute ougrave ils vendent que de la nourriture | _ | pis du coup mais ouais

mais euh on est alleacutes acheter des jus de fruits et tout (ofrom)

(423) Tout est provisoire et tout srsquoachegravete sauf Octave Car je me suis racheteacute ici dans ma

prison pourrie Ils mrsquoont autoriseacute (contre menue monnaie) agrave regarder la teacuteleacute dans ma

cellule (Beigbeder 99F p 269)

(424) [Trois interlocuteurs discutent agrave propos drsquoun voisin habitant manifestement en face du

lieu ougrave ils se trouvent] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

AB1 Crsquoest allumeacute ou pas Il y est Il y est le gars nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

E Pourquoi Il y a qui nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

AB1 Il y a un mec tregraves inteacuteressant qui va partir euh aux Etats-Unis pour faire

reporter-photo Inter international Parce qursquoil parle en fait il parle arabe il parle

anglais il parle franccedilais Ils lrsquoont engageacute297

parce quil parle arabe Donc ils vont

lenvoyer dans les pays arabes (pfc)

(425) On mange chacun un sandwich geacuteneacuteralement on lachegravete sur le bateau parce quils

nous en font des tout fraisgt sur place on le commande puis ils le font i ils font (pfc)

On remarque donc que lrsquoambiguiumlteacute se produit agrave chaque fois que le contexte deacutelivre des indices

suffisants pour une infeacuterence plausible du reacutefeacuterent (cadre reacutefeacuterentiel preacutedicat typant sceacutenario

impliqueacute pointages successifs etc) mais que lrsquoon juge que la pertinence communicative

porte sur le procegraves ou son reacutesultat

3222 Quiproquos interpreacutetatifs

En fait lrsquoexistence de deux sceacutenarios interpreacutetatifs concurrents se reflegravete agrave travers certains

eacutechanges qui illustrent le deacutecalage de traitement potentiel entre les interlocuteurs Il arrive

ainsi que lrsquointerpregravete se lance dans la quecircte du reacutefeacuterent sans toutefois parvenir agrave une hypothegravese

suffisamment fiable Plutocirct que de laisser la variable non instancieacutee il peut solliciter lrsquoaide de

son interlocuteur

(426) [discussion autour du thegraveme de la laquo fecircte des voisins raquo] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 enfin nous on a fait on a fait on a ccedila aussi agrave Sevran dans le quartier ougrave cest tregraves

tregraves grand hein euh ils mettent les barbecues (mm mm) et tout ccedila euh cest bien

organiseacute + avec une fecircte avant pour les enfants + on ils + ils ramegravenent des poneys tu

vois ils ltouais ah ouigt ils font faire des tours XX nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 quand ltdrsquoaccordgt tu dis laquoilsraquo ltilsgt cest qui laquoilsraquo cest pas les habitants qui

297

Apregraves plusieurs eacutecoutes attentives nous avons corrigeacute une transcription agrave notre avis erronneacutee (il est engageacute)

Mais les deux versions ne se distinguant finalement que sur un phonegraveme vocalique il est vrai que le doute

subsiste

295

sorganisent ltsi crsquoest lesgt cest dautres nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L1 hab- non cest les habitants du quartier (cfpp)

La locutrice L1 use drsquoabord drsquoun indice de personne [ndash deacutelocuteacute] (ou [+inclusif]) (nous on a

fait on a fait on a ccedila aussi) puis passe apregraves heacutesitation (on ils) agrave un indice [+ deacutelocuteacute] de 6e

personne (ils ramegravenent des poneys) Crsquoest peut-ecirctre ce changement qui pousse L2 agrave

srsquointerroger sur lrsquoextension de ce dernier (cf quand tu dis laquo ils raquo crsquoest qui laquo ils raquo crsquoest pas les

habitants qui srsquoorganisent crsquoest drsquoautres ) En fait le choix opeacutereacute par L1 pour un pronom

[+ deacutelocuteacute] traduit manifestement lrsquoimplication drsquoexeacutecuteurs tiers pour les animations

speacutecifiques eacutenumeacutereacutees tandis que lrsquoinstigation de lrsquoeacuteveacutenement dans sa globaliteacute eacutemane des

habitants dont fait partie L1 drsquoougrave lrsquoemploi de nous Quoi qursquoil en soit cet extrait illustre

lrsquousage drsquoun pointeur vraisembablement laquo deacutemotiveacute raquo pour L1 dont lrsquoenjeu est de mettre en

avant les diffeacuterentes activiteacutes proposeacutees tandis que L2 cherche agrave instancier une valeur pour

lrsquoagent impliqueacute

Il en va de mecircme dans lrsquoextrait de conversation suivant

(427) E Tu sais qursquoon nrsquoa plus accegraves au parc

BL Je sais bien oui

E Crsquoest triste hein quand mecircme

BL ltmais cest commegt ici tu ne peux plus aller au domaine de lONE non plus

hein

E plus du tout

BL non ils ont mis une barriegravere en bois enfin avec un cadenas tu ne sais plus rentrer

non plus crsquoest malheureux

E et qui est-ce qui a mis ccedila

BL ben le proprieacutetaire tu ne sais pas qui crsquoest tu es pas au courant de tout ccedila

E ccedila eacuteteacute revendu ccedila a eacuteteacute acheteacute

BL crsquoest acheteacute et tout maintenant hein ah oui crsquoest un des des proprieacutetaires din

dinterbrew un des fils je pense

E Ah oui

BL Un gros manitou Et euh il il fait une villa priveacutee (pfc)

Cet exemple teacutemoigne de la possibiliteacute de taire lrsquoidentiteacute du reacutefeacuterent en toute connaissance de

cause On peut invoquer ici le rendement de dilution de lrsquoagentiviteacute par rapport agrave un sceacutenario

eacuteventuellement complexe impliquant diffeacuterents niveaux drsquoagents (un instigateur qui fait faire

quelque chose par lrsquointermeacutediaire drsquoundrsquoexeacutecuteur(s)) Lrsquousage du pointeur ils permet de

styliser le procegraves pour mettre en avant son reacutesultat lrsquoenjeu eacutetant pour le locuteur de justifier sa

deacuteception Mais cela nrsquoempecircche pas lrsquointerlocuteur E de vouloir connaicirctre les tenants et

aboutissants de la situation ndash y compris sa source eacutevoqueacutee via ilsndash dont il nrsquoest visiblement

pas au courant

Lrsquoextrait suivant met en jeu non pas une demande drsquoidentification mais une demande de

confirmation sur lrsquointerpreacutetation de ils

296

(428) [Il est question drsquoune baignade dans une riviegravere au courant rapide]

L1 tu fais comment pour sortirQ

L2 Ben ils te disent quand il faut sortirF

L1 Ah mais y a des gens qui surveillentQ

L2 Non mais crsquoest eacutecrit sur des panneauxA (oral au vol

298)

A partir de la construction en ils utiliseacutees par L2 L1 infegravere lrsquoexistence drsquoune classe

drsquoindividus dont le rocircle est de surveiller les nageurs Cette reacuteaction oblige L2 agrave rectifier

lrsquoorigine du procegraves en le deacutetaillant La mise au point de L2 confirme bien le processus de

confusion reacutefeacuterentielle opeacutereacute agrave travers ils qui condense indistinctement un ensemble de

circonstances impliquant potentiellement un instigateur [+humain] (drsquoougrave lrsquoemploi de ils

disent) et un exeacutecuteur [ndash humain] (les lsquopanneaux drsquoavertissementrsquo) ce dernier se voyant

complegravetement dilueacute dans la source exprimeacutee (ils) Lrsquoobjectif de L1 agrave travers cette

construction en ils est probablement drsquoexprimer lrsquoexistence drsquoun systegraveme de signalisation agrave

lrsquointention des baigneurs indeacutependamment de la source du procegraves Cet exemple reflegravete bien la

maniegravere dont les locuteurs pour des questions de pertinence manient le degreacute de granulariteacute

(Sturt et al 2004) de leur repreacutesentation des faits du monde avec le risque toutefois que la

sous-deacutetermination soit mal interpreacuteteacutee

Dans lrsquoexemple ci-dessous lrsquoemploi de ils est non seulement motiveacute par lrsquoimputation drsquoune

responsabiliteacute collective et indiffeacuterencieacutee mais aussi par une strateacutegie de cryptage agrave des fins

de sauvegarde de la face

(429) [la police est en neacutegociation teacuteleacutephonique avec un preneur drsquootage qui soupccedilonne un

complot de lrsquoEtat suite au deacutecegraves de sa compagne Le dialogue met en scegravene le preneur

drsquootages et une psychologue de la police] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Jrsquoeacutetais psychologue Plutocirct bon je dois dire Jrsquoavais mon propre cabinet et

financiegraverement je mrsquoen sortais tregraves bien Mais ce nrsquoeacutetait pas lagrave lrsquoessentiel Pour moi il

ne srsquoagissait pas drsquoun boulot ordinaire crsquoeacutetait une veacuteritable vocation Mon travail

crsquoeacutetait toute ma vie et ils me lrsquoont pris nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Qui ccedila ils nnnnnnnnnn nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- Au deacutebut quand jrsquoai commenceacute agrave poser des questions mes interlocuteurs ont

drsquoabord eacuteteacute tregraves obligeants [hellip] Jrsquoai reccedilu la visite de deux messieurs probablement

envoyeacutes par les services secrets [hellip] Pour commencer lors drsquoun controcircle routier la

police a trouveacute de la cocaiumlne dans mon coffre Sans mecircme eacutecouter mes deacuteneacutegations

lrsquoordre des psychologues mrsquoa retireacute mon autorisation drsquoexercer [hellip] (Sebastian Fitzek

Ne les crois pas ch 7)

Le preneur drsquootages se plaint via la structure en ils+V de la perte de son travail Ce faisant il

cherche visiblement agrave accuser les responsables de la situation En passant sous silence leur

identiteacute il tente de se preacutemunir contre drsquoeacuteventuelles menaces pour sa face En mecircme temps

sa reacuteponse agrave lrsquointerrogation de lrsquointerlocutrice met en eacutevidence la complexiteacute des

298

Nous avons tenteacute de reconstituer les propos en restant au plus pregraves des faits

297

circonstances et la diversiteacute des actants impliqueacutes dans la perte de son emploi (police service

secret ordre des psychologues etc) Le titre du roman (Ne les crois pas) afin de susciter la

curiositeacute du lecteur consiste drsquoailleurs principalement agrave entretenir le mystegravere lagrave autourhellip299

Lrsquoextrait ci-dessous illustre encore la coexistence de deux analyses possibles conscientiseacutee

paradoxalement par un mecircme locuteur agrave travers une paire questionreacuteponse auto-locuteacutee

(430) Elle [la megravere du narrateur] avait eu lrsquohabitude drsquoexercer des responsabiliteacutes de prendre

des deacutecisions de deacutepenser de lrsquoargent sans trop compter elle eacutetait coquette et cultiveacutee

et voilagrave agrave quoi on lrsquoavait reacuteduite quarante kilos de chair meurtrie et drsquoesprit ravageacute qui

cherchaient encore agrave paraicirctre quelque chose avec ses lunettes sur le nez et des romans

sur sa table de nuit Un vieux machin deacutelaisseacute emballeacute dans une blouse agrave fleur un

cadavre en deacutecomposition qui essayait de se faire passer pour vivant Crsquoest ccedila qursquoils

avaient aneacuteanti avec leur rapport lapidaire lrsquohumaniteacute de ma megravere Qui ccedila ils Je

ne le savais pas La maison de retraite Lrsquoassociation qui geacuterait sa curatelle Le

systegraveme quoi Ou bien alors des individus curateur infirmiegravere meacutedecin qui se

retranchaient derriegravere un systegraveme qui deacuteshumanisait les cas sur lesquels ils

travaillaient (Yves Aubrymore Qui a tueacute Frajdla Cinnamone p 51)

Cet exemple agrave caractegravere dialogique repreacutesente le pendant de (427) ougrave un locuteur recourt agrave ils

sans reacuteellement avoir de valeur reacutefeacuterentielle en tecircte La question Qui ccedila ils souligne le

paradoxe auquel se trouve confronteacute le sujet entre lrsquoinstruction drsquoinstancier la variable et

lrsquoeacutechec de la proceacutedure confirmeacute par lrsquoaveu drsquoignorance (Je ne le savais pas) et par la

diversiteacute des hypothegraveses formuleacutees Ici aussi ils permet drsquoeacutevoquer le caractegravere multiple et

dilueacute des responsabiliteacutes en jeu

323 Variable non instancieacutee

Cette section comprend les cas ougrave les coucircts cognitifs srsquoavegraverent manifestement trop eacuteleveacutes pour

que lrsquoon puisse preacutetendre agrave un traitement infeacuterentiel de la variable300

bien qursquoen theacuteorie

lrsquohypothegravese ne soit jamais complegravetement reacutefutable Nous proposons donc de mettre en avant

les indices qui orientent vers lrsquoabandon drsquoun traitement infeacuterentiel de la variable

3231 Promotion du procegraves

Dans certains cas la mise en retrait du rocircle drsquoagent au profit de la promotion du procegraves ou de

son reacutesultat est manifeste au regard des objectifs communicationnels du locuteur Lrsquoexemple

299

Cf aussi le film intituleacute laquo Ils raquo auquel nous a rendue attentive C Schnedecker (c p) dont voici le synopsis

laquo Lucas et Cleacutementine un couple trentenaire expatrieacute en Roumanie habite [sic] depuis peu une maison isoleacutee en

banlieue de Bucarest Elle professeur de Franccedilais lui romancier vivent un bonheur paisible Pourtant un soir

dans leur maison tout va basculer La pluie battante fait rage agrave lexteacuterieur Le teacuteleacutephone retentit des voix

lointaines au bout du fil incompreacutehensibles Le couple nrsquoest pas seul Le cauchemar commence ILS sont

lagrave raquo (httpwwwallocinefr) 300

Cette cateacutegorie recouvre en grande partie les emplois appeleacutes (quasi-)existentiels par drsquoautres (Cinque 1988

Cabredo Hofherr (2003 2014) cf supra sect242 Cependant comme nous nrsquoadheacuterons pas agrave une analyse en termes

de quantification existentielle et qursquoagrave cet eacutegard quelques cas commenteacutes ici srsquoen distinguent sensiblement nous

renonccedilons agrave emprunter le terme

298

suivant montre que lrsquoeacutetat de choses deacutenoteacute par la construction en ils se dote drsquoune fonction

argumentative dans lrsquoorientation du programme discursif en cours

(431) Je suis parti au milieu de la leccedilon de geacuteographie parce que jrsquoavais mal agrave la tecircte La

dame mrsquoa donneacute un cachet jrsquoavais toujours mal alors elle mrsquoa fait eacutetendre sur un lit

On mrsquoa oublieacute tellement jrsquoai dormi apregraves Quand je me suis reacuteveilleacute il faisait nuit dans

lrsquoeacutecole et les autres ils avaient deacutejagrave fini Jrsquoai sauteacute par-dessus la grille drsquoentreacutee

Dehors ils faisaient la gregraveve du bus et du meacutetro et comme jrsquoavais pas drsquoargent pour

teacuteleacutephoner agrave ma megravere que jrsquoeacutetais en retard alors je suis alleacute agrave pied agrave la gare de Lyon

qui nrsquoest pas loin et jrsquoai pris le train pour Marseille qui passe par chez ma grand-megravere

agrave Monteacutelimar (Yves Pagegraves Les Gauchers lt Envol lyceacutee)

On peut noter dans cet extrait quelques traces de contrefaccedilon drsquooral telles que la dislocation

(les autres ilshellip) ou lrsquoomission du ne (jrsquoavais pas drsquoargenthellip) La gregraveve en vigueur exprimeacutee

par la construction en ils constitue lrsquoune des causes de la conclusion lsquoje suis alleacute agrave piedrsquo la

situation de gregraveve plutocirct que ses agents eacutevoque par ailleurs une conseacutequence implicite

deacuteterminante ndash agrave savoir lrsquoabsence de transports publics opeacuterationnels ndash pour comprendre le

raisonnement argumentatif

Il en va de mecircme dans la conversation en ligne ci-dessous ougrave L1 de retour de vacances

exprime son deacutecouragement agrave reprendre le travail auquel srsquoajoute un deacutesagreacutement

suppleacutementaire

(432) L1 Retour au bureau Bonjour tristesse (statut) nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L2 Pauvre (commentaire du statut de L1) nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

L3 rhoooohhhh ccedila promet pour mon retour (commentaire L3 travaille avec L1) nnn

L1 i z ont coupeacute lrsquoeau ce matin de 930 agrave 1200 (commentaire) (reacuteseau social eacutecrit

depuis le lieu de travail 26022013)

Malgreacute le preacutedicat typant susceptible drsquoorienter vers un traitement plus abouti

lrsquointerpreacutetation ne va manifestement pas au-delagrave de lrsquoexpression du procegraves et son reacutesultat

(lrsquointerruption drsquoapprovisionnement en eau) dont lrsquoenjeu est de contribuer agrave imaginer

lrsquohumeur du locuteur

Dans le SMS suivant lrsquoobjectif de lrsquoauteur est de renseigner son destinataire sur la situation

(une suppression de train) et sa conseacutequence (une arriveacutee probablement retardeacutee)

(433) Ils ont supprimeacute mon train Jarrive agrave sonceboz vers 14h05 (Swiss sms corpus)

Lrsquoemploi de ils semble avantageusement exploiteacute pour mettre en relief le mouvement

argumentatif de cause agrave effet Crsquoest aussi le cas ci-dessous

(434) [le locuteur raconte son voyage au Maroc] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

Ceacutetait un grand euh un grand bacirctiment une grande terrasse si tu veux qui eacutetait

couverte

299

[srsquoensuit un eacutepisode racontant les deacuterangements intestinaux dont souffrait le locuteur]

Il y avait une douche je me rappelle et puis il y avait quand mecircme le WC Mais le

plus drocircle crsquoest que comme ceacutetait un compre un euh un compresseur un euh nnnnn

D Groupe nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

G Un groupe oui je dis un compresseur mais cest un groupe Un groupe qui faisait

eacutelectriciteacute A minuit quand ils ont coupeacute il y avait plus deacutelectriciteacute Alors dans la

chambre pour se lever ben agrave tacirctons quoi (pfc)

Lrsquolsquointerruption de courantrsquo exprimeacutee via la construction verbale et son reacutesultat (lsquolrsquoabsence

drsquoeacutelectriciteacutersquo) causent lrsquoembarras du locuteur sujet aux va-et-vient nocturnes Dans tous ces

extraits ougrave le procegraves eacutevoqueacute intervient comme une simple eacutetape drsquoun raisonnement

argumentatif il paraicirctrait incongru de demander des clarifications sur lrsquoidentiteacute de lrsquoagent

impliqueacute On remarque aussi qursquoune commutation avec les gens induirait une lecture binaire

sujet-preacutedicat que lrsquoemploi de ils tend agrave eacuteclipser

On relegraveve eacutegalement le mecircme genre drsquoenchaicircnement argumentatif dans les exemples ci-

dessous ougrave crsquoest le procegraves en soi plutocirct que la preacutedication sur des individus qui justifient

lrsquoappreacuteciation du locuteur

(435) et puis le je jour avant on | _ | on est alleacute agrave Queacutebec il y avait le le concert des Pink

Floyd | _ | donc ils eacutetaient en train de deacutemonter la scegravene donc on na | _ | cest vrai que

ceacutetait pas ceacutetait pas tregraves joli il y avait un peu des grues des eacutechafaudages voilagrave

(ofrom)

(436) on est alleacute jusquaux chutes du Niagara | _ | puis lagrave on a pu les voir euh de jour | _ | et

eacutegalement de nuit puis cest vrai que ceacutetait juste euh | _ | magique | _ | de nuit ceacutetait on

avait lrsquoimpression de voir euh | _ | ils projettent des lumiegraveres sur ces chutes cest juste

magique (ofrom)

(437) [la conversation porte sur la pratique du veacutelo en ville de Paris] c qui est sympathique

cest cest le dimanche le long des + le long d la Seine lagrave + une ou deux fois elle la fait

avec nous oui quand ils ferment les quais + lagrave crsquoest sympa + drsquoecirctre au milieu des

rollers (cfpp)

En drsquoautres termes ce sont respectivement le lsquodeacutemontage de la scegravenersquo lsquola projection des

lumiegraveresrsquo et lsquola fermeture des quaisrsquo qui motivent les eacutevaluations exprimeacutees Dans lrsquoexemple

suivant la structure en ils entre dans un mouvement cette fois concessif

(438) bah le troisiegraveme cest jimagine que ccedila doit ecirctre tregraves sympa dy vivre aujourdhui euh ccedila

doit ecirctre tregraves calme tregraves tranquille euh mecircme sils brucirclent les scooters lagrave depuis peu

depuis peu et tout ccedila (cfpp)

La construction en ils repreacutesente un argument inefficace contre la conclusion qursquoon peut

gloser lsquoil fait bon vivre dans le quartierrsquo La pertinence de lrsquoargument agrave nouveau reacuteside dans

300

le constat des incidents qui srsquoy produisent plutocirct que dans la reconnaissance drsquoindividus

responsables des incidents en question

Il peut ecirctre inteacuteressant drsquoobserver la porteacutee de la neacutegation dans les eacutenonceacutes de ce type

(439) [CR est en train de montrer des photos] nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

CR Ca cest (X) et (X) agrave New-York il faisait froid on eacutetait coinceacute dans la neige on a

eacuteteacute pris dans une tempecircte de neige on a pas pu rentrer nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

E Crsquoest vrai Ben jrsquoimagine au mois de feacutevrier agrave New-York crsquoest crsquoest le plein hiver

CR Donc il y avait person du coup ils avaient pas deacuteblayeacute la rue ccedila a eacuteteacute

eacutepouvantable on a on a eacute on est on est parti avec une journeacutee de retard (pfc)

(440) ouais ceacutetait vraiment reacuteputeacute pour ecirctre des pistes difficiles | _ | je sais pas si toi tu as eu

mais peut-ecirctre plus jeune quand-mecircme hein | _ | ils ils travaillaient pas les pistes

encore euh ceacutetait vraiment des des champs de bosses tu vois | _ | puis cest bien ceacutetait

bien raide | _ | ceacutetait reacuteputeacute pour ne pas ecirctre | _ | ideacuteal pour des deacutebutants (ofrom) = (4)

Un aspect remarquable est que la neacutegation ne semble pas affecter la relation entre une

constante (la classe drsquoindividus c) et son preacutedicat comme scheacutematiseacute ainsi Neg[deacuteblayer (c

r) ou Neg[travailler (c p)] Mais elle semble plutocirct porter sur le procegraves subi par le patient agrave la

maniegravere drsquoune structure au passif sans agent exprimeacute Neg[deacuteblayeacute(r)] ou Neg[travailleacute(p)]

Autrement dit les locuteurs respectifs nient que la rue ait eacuteteacute deacuteblayeacutee et que les pistes aient

eacuteteacute travailleacutees pour en promouvoir le reacutesultat et en tirer les conclusions respectives Nous

reviendrons sur la question du passif infra (sect341)

3232 Verba dicendi

On trouve reacuteguliegraverement en franccedilais dans les genres de parole laquo improviseacutee raquo en tout cas des

constructions en ils avec un verbe de parole A noter que cela va agrave lrsquoencontre des observations

de Siewierska (2008) pour qui cet emploi laquo eacutevidentiel raquo de la 6e personne se verrait restreint

sauf en anglais familier agrave des genres discursifs particuliers comme les mythes fables ou

proverbes A ses yeux les langues europeacuteennes privileacutegient lrsquousage du passif sans agent ou

drsquoautres formes de construction agrave agent non speacutecifique par exemple lrsquousage du on en franccedilais

ou du man en allemand Les exemples ci-dessous remettent donc en cause cette preacutediction

Preacutecisons que ce nrsquoest pas lrsquoindice de personne en soi mais lrsquoensemble de la construction qui

fonctionne comme une marque drsquoeacutevidentialiteacute

(441) cest sucircr que y a un deacutecalage parce que je veux dire euh | _ | on on on a une autre

dynamique scolaire | que si tu es dans un tout petit village euh | _ | ougrave tu as que des

enfants de la reacutegion ougrave tu as des enfants qui sont euh | _ | suivis par les parents | _ | euh

| _ | apregraves | _ | si tu prends Genegraveve ougrave de nouveau y a une autre dynamique euh | _ | ccedila

peut ecirctre tregraves diffeacuterent euh l ces reacutesultats scolaires | _ | je pense | _ | quest-ce qui fait

que | _ | quest-ce je sais pas pourquoi euh | _ | cest un peu cest vrai quils disent que

| _ | que Fribourg | | le Valais en geacuteneacuteral on a assez de bons reacutesultats au niveau de

ces tests Pisa (ofrom)

301

(442) [la locutrice reacutepond agrave la question de lrsquoenquecirctrice sur ses projets de seacutejour agrave lrsquoeacutetranger

apregraves ses eacutetudes] dabord je pense | _ | faire en Suisse | _ | pour f avoir lexpeacuterience | _ |

avoir des bases | _ | pis souvent p pour partir ils disent que cest mieux de davoir

travailleacute deux ans | dans un endroit | _ | pour ecirctre bien formeacute | _ | pis apregraves ben on

verra ce que lavenir nous reacuteserve on sait | on sait jamais mais jaimerais bien voyager

ouais (ofrom)

(443) [au sujet drsquoun voyage au Neacutepal] la plupart du temps jeacutetais dans la valleacutee de Katmadou

| _ | qui est euh | _ | oui qui est | _ | tregraves touristique cest clair | _ | jai jamais fait un

voyage | _ | vraiment | _ | tregraves tregraves loin dans les euh | _ | dans les euh lieux inconnus

sauf une fois | _ | oui lorsque jeacutetais dans le | _ | comme ils disent le Far West | _ | |

oui oui oui oui oui oui | _ | ceacutetait la seule fois (ofrom)

Dans ces extraits lrsquoenjeu consiste agrave signaler que lrsquoinformation est de seconde main qursquoil

srsquoagisse drsquoeacutetayer un argument de se distancier des propos de les preacutesenter comme incertains

de les rattacher agrave un jargon etc La construction verbale a donc une fonction clairement

mitigatrice On a deacutejagrave eacutevoqueacute supra (Ch IV sect453) le fait que tout discours rapporteacute est par

nature contrefait (agrave lrsquoexception peut-ecirctre des textes scientifiques ougrave la doxa exige en principe

lrsquoexhaustiviteacute en la matiegravere) et cela est particuliegraverement manifeste dans les genres de parole

spontaneacutee comme ci-dessus ougrave il nrsquoy a pas drsquoexigence outre de pertinence relative ni sur la

reproduction des propos ni sur leur source Il est eacutevident que le contexte et le preacutedicat hocircte

restreignent les possibiliteacutes drsquointerpreacutetation de lrsquolaquo autoriteacute raquo invoqueacutee et qursquoil est possible de

faire des conjectures plus ou moins fiables agrave son propos Mais la reacutecurrence du proceacutedeacute

oriente plutocirct vers lrsquohypothegravese drsquoune lexicalisation drsquoun ouiuml-dire La comparaison avec la

locution on dit sera examineacutee infra (sect342)

Il en va un peu de mecircme dans un contexte particulier celui des preacutevisions meacuteteacuteorologiques

qui met reacuteguliegraverement en jeu lrsquooccurrence de ils avec le verbe annoncer dans divers genres de

lrsquolaquo immeacutediat raquo communicatif (Koch amp Oesterreicher 1985)

(444) agrave part ccedila ma cousine elle a toujours pas teacuteleacutephoneacute pour le pique-nique | alors je

suppose quil aura pas lieu | _ | eacutetant donneacute quils annoncent du froid | _ | pis | du

mauvais (ofrom)

(445) Ils vont avoir de la neige parce quils ont annonceacute du mauvais temps lagrave non non huit

jours je sais pas quinze jours non (pfc)

(446) Quelle sale temps Jai regardeacute la meacuteteacuteo ils annoncent pas vraiment dameacutelioration

pour cette a-m (courriel priveacute 230710)

(447) Tu fais tregraves attention si tu dois prendre la route ils annoncent la remonteacutee des pluies

vers le Gard dans la journeacutee Bisous (88milSMS)

302

Dans les corpus oraux examineacutes (PFC OFROM et CFPP301

) la seacutequence ils annoncent (ou

conjugueacutee agrave un autre temps verbal dans OFROM) ne se retrouve que dans ce type de contexte

meacuteteacuteorologique On peut signaler que nous nrsquoy avons pas trouveacute le verbe conjugueacute avec on

Au vu de la preacutedisposition de la seacutequence pour ce contexte discursif302

on peut y voir une

locution qui vise agrave exprimer une preacutevision climatique dont la source nrsquoest mecircme pas traiteacutee

malgreacute lrsquoeacutevidence agrave laquelle megravenerait une telle infeacuterence A nouveau le proceacutedeacute mitigateur

permet de signaler que le locuteur tient lrsquoinformation drsquoune source tierce agrave deacutefaut de la

prendre en charge lui-mecircme (cf Il va faire froid beau mauvais temps etc)

3233 Incrimination feinte

Un rendement diffeacuterent susceptible drsquointervenir dans ces mecircmes contextes meacuteteacuteorologiques

est celui qui consiste agrave simuler ponctuellement lrsquoexistence drsquoun agent dans un sceacutenario reacuteputeacute

geacuteneacuteralement ne pas en contenir (cf les verbes impersonnels comme il pleut il vente il fait

chaud etc) Les exemples suivants recueillis au vol personnifient en quelque sorte la

responsabiliteacute des changements climatiques sans que lrsquoon soit pourtant ameneacute agrave en fournir

une valeur

(448) [la canicule eacutetait annonceacutee pour la veille] Ah aujourdhui il fait vraiment chaud parce

que hier je me suis dit quils auraient pu faire mieux question canicule (au vol

30062015)

(449) [Matin gris et froid] Premier jour de lrsquoautomne ils te le font direct comprendre (au

vol 21092014)

(450) dimanche on se baignait et aujourdhui crsquoest lhiver non mais ils sont fous (au vol

21052015) = (384)

Dans ces situations on impute ironiquement lrsquoinfluence de tempeacuteratures relatives agrave des agents

fictifs ceux qui auraient le pouvoir de laquo faire la pluie et le beau temps raquo On observe ce

rendement dans drsquoautres contextes eacutegalement

(451) ils ont rajouteacute des kilomegravetres entre Yverdon et Fribourg ou quoi (au vol

10062015)

Ici le locuteur accuse un responsable du surplus de trajet eacuteprouveacute

Dans un registre similaire on peut citer la ceacutelegravebre reacuteplique du dessin animeacute humoristique

Southpark ougrave lrsquoun des personnages Kenny meurt agrave la fin de chaque eacutepisode Lrsquoun de ses

acolytes reacutepegravete alors agrave chaque reprise

301

A noter qursquoaucune occurrence nrsquoa eacuteteacute trouveacutee dans CFPP mais cela nrsquoest pas vraiment eacutetonnant eacutetant donneacute

que le sujet de conversation est contraint en lrsquooccurrence les diffeacuterents quartiers de Paris 302

Elle nrsquoest pas pour autant absente drsquoautres contextes cf Je suis agrave la gare de montpellier j attends le train ils

annoncent 10min de retard Bisou (88milSMS) ou USA Aux informations ils annoncent la mort de Barrack

Obama au lieu de Oussama Ben Laden grosse boulette (httpwwwleforumsecretcom consulteacute le 2 mai

2011)

303

(452) Oh mon Dieu Ils ont tueacute Kenny (version franccedilaise traduite de lrsquoanglais Oh my

God They killed Kenny )

Or ce laquo refrain raquo est repris dans toutes sortes de situations que le personnage soit tueacute par une

classe un individu unique un reacutefeacuterent [ndash humain] (eg un taureau) ou bien agrave la suite drsquoune

catastrophe naturelle (une boule de lave volcanique) ou encore drsquoune inattention de sa part

(en jouant au spiroballe par eacutelectrocution etc) Certes il faut tenir compte du genre deacutecaleacute et

ironique de la seacuterie teacuteleacuteviseacutee On remarque cependant que la formule se perpeacutetue quelles que

soit les causes de la mort Quoi qursquoil en soit elle vise surtout agrave inspirer la pitieacute sur le sort

immuable de la victime

Ces exemples montrent que lrsquoagent peut ecirctre monteacute de toutes piegraveces et que malgreacute son

eacuteventuel retrait au profit du procegraves ou de lrsquoeacutetat reacutesultant sa participation nrsquoest pas

complegravetement eacutevacueacutee La fonction drsquoincrimination nrsquoest pas propre agrave des sceacutenarios agrave agent

laquo fictif raquo le rendement drsquoimputation drsquoune responsabiliteacute se manifeste eacutegalement avec des

procegraves agentifs ordinaires comme on lrsquoa deacutejagrave vu avec (221) (429) ou (430) Mais le paradoxe

qui reacutesulte drsquoune agentiviteacute que le destinataire sait feinte montre bien qursquoil nrsquoy a pas de

pertinence agrave instancier la variable

3234 Preacutedicat non typant

On peut enfin relever un dernier indice plaidant pour un traitement deacutemotiveacute du pointeur ils agrave

savoir lrsquoexpression drsquoun preacutedicat non typant (ou non cateacutegorisant) Autrement dit certaines

proprieacuteteacutes preacutediqueacutees nrsquoimpliquent pas lrsquoappartenance agrave un type de reacutefeacuterent particulier mais

peuvent au contraire srsquoappliquer agrave des reacutefeacuterents divers Dans lrsquoexemple suivant la proprieacuteteacute

lsquoposer un grillagersquo ne seacutelectionne pas forceacutement une classe drsquoindividus dont crsquoest un attribut

deacutefinitoire

(453) Merci pour ton message dencouragements D mais tu sais quoi Je suis scandaliseacute

Faut que je fasse tout le tour pour aller chez toi maintenant ( ils ont tout grillageacute

(88milSMS)

La contingence de la proprieacuteteacute est encore plus claire ci-dessous

(454) On a vu dans la Liberteacute qursquoils ont retrouveacute un cadavre dans lrsquoAar hier dans lrsquoapregraves-

midi dans la zone ougrave on nageaithellip (courriel 03082012) = (372)

Dans cet extrait de courriel lrsquoauteur reacutesume une information dont il a pris connaissance par la

presse Le preacutedicat verbal ne permet pas de cibler une classe dont le rocircle est de lsquoretrouver un

cadavrersquo Par ailleurs nous avons reacutecupeacutereacute lrsquoextrait de presse auquel le courriel fait

visiblement eacutecho

(455) Noyade dans lrsquoAar (titre) Le corps sans vie drsquoun asiatique a eacuteteacute repecirccheacute hier apregraves-

midi dans lrsquoAar agrave Berne Crsquoest un passant qui a donneacute lrsquoalerte en le voyant descendant

la riviegravere au-dessous du pont de Kirchenfeld a preacuteciseacute la police bernoise Une heure et

304

demie plus tard il a pu ecirctre sorti de lrsquoeau au-dessous du restaurant de

Schwellenmaumltteli (La Liberteacute lt ats 03082012)

On constate que le processus de deacutecouverte du corps reacutesulte de la participation drsquoactants

multiples (passant police) On remarque eacutegalement lrsquousage du passif agrave double reprise dans

lrsquoextrait source visant agrave mettre en avant lrsquoobjet patient et le procegraves au deacutetriment de lrsquoagent

(cf infra sect341) conformeacutement agrave lrsquoenjeu drsquoun article de fait divers de ce type Au vu du

caractegravere laquo collaboratif raquo de la reacutecupeacuteration du cadavre et de la non pertinence de lrsquoidentiteacute de

lrsquoagent lrsquousage de ils en (454) apparaicirct comme une alternative commode pour indiffeacuterencier

la source de lrsquoaction et en venir au fait agrave savoir celui de partager la stupeur susciteacutee par la

deacutecouverte macabre

3235 Bilan

Cette section a mis jour quelques indices orientant vers une analyse laquo postiche raquo du pointeur

ils dont le rocircle actantiel nrsquoest cependant pas complegravetement eacutelimineacute On peut ainsi invoquer la

promotion de la relation procegraves-objet au deacutetriment de la relation agent-procegraves pour des

raisons argumentatives (sect3231) on peut aussi relever lrsquoaspect lexicaliseacute de certaines

seacutequences comme lrsquoassociation de ils agrave des verbes de parole marquant lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

eacutenonciative du propos asserteacute dont le rendement mitigateur relegravegue au second plan la

reacutesolution reacutefeacuterentielle (sect3232) la simulation du rocircle drsquoagent dans un sceacutenario qui en est

drsquoordinaire priveacute met eacutegalement en eacutevidence le paradoxe drsquoune tentative drsquoidentification

(sect3233) enfin lrsquoattribution de proprieacuteteacutes contingentes agrave deacutefaut drsquoautres indices

contextuels peut eacutegalement favoriser lrsquoabandon drsquoune proceacutedure interpreacutetative (sect3235)

33 Discussion

Le classement ci-dessus a permis de reacuteveacuteler les points communs et diffeacuterences existant entre

les usages de lrsquoindice de 6e personne ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee Nous avons rameneacute un

certain nombre de cas au pheacutenomegravene drsquoanaphore indirecte car on relegraveve des indices

contextuels favorables agrave lrsquoinfeacuterence drsquoun reacutefeacuterent dont on peut conjecturer des traits

distinctifs en geacuteneacuteral agrave partir de la preacutesence en M drsquoune entiteacute collective drsquoun lieu ou alors

via la reconstitution drsquoun sceacutenario Dans ce cas de figure il est possible drsquointerpreacuteter la

seacutequence verbale comme une preacutedication sur la classe concerneacutee agrave laquelle ndash et parfois de

maniegravere distributive ndash peuvent ecirctre attribueacutees des attitudes reacuteactions ou eacutemotions et qui reste

disponible en M pour drsquoeacuteventuels pointages successifs Drsquoautres cas agrave lrsquoinverse sont

difficilement analysables en termes drsquoanaphore le processus drsquounification reacutefeacuterentielle paraicirct

court-circuiteacute et le pointeur reacutefeacuterentiellement deacutemotiveacute sans toutefois que soit annuleacutee la

relation agentive impliqueacutee par le verbe Dans cette situation la seacutequence en ils srsquointerpregravete

peu vraisemblablement comme une opeacuteration binaire de preacutedication sur un sujet (cf un

eacutenonceacute dit laquo cateacutegorique raquo) sans toute fois srsquoassimiler agrave un eacutenonceacute laquo theacutetique raquo autrement dit

dont lrsquointerpreacutetation est la simple reconnaissance drsquoun eacutetat-de-choses En effet si le procegraves est

bien mis en eacutevidence la relation actantielle avec le sujet demeure toutefois agrave lrsquoarriegravere-plan

305

Entre ces deux analyses on trouve toute une seacuterie de faits dont les indices sont ambivalents

Certaines situations dialogiques ont toutefois permis de mettre en eacutevidence la coexistence

entre les interlocuteurs de deux traitements concurrents Le tableau ci-dessous reacutesume les

trois cateacutegories illustreacutees chacune par un exemple

Anaphore indirecte Analyse ambigueuml Variable non instancieacutee

(395) donc crsquoest un groupe qui a ducirc

organiser des un jeu de nuit dans la

forecirct [hellip] alors ils ont ducirc | _ |

organiser donc des jeux de nuit

(420) jai une amie lagrave qui a eu son

concours lrsquoanneacutee derniegravere qui qui est

instit Donc au deacutebut ils ils lont mise

agrave Meylan et tout

(453) Faut que je fasse tout le tour pour

aller chez toi maintenant ( ils ont tout

grillageacute

La reacutecurrence de cas faisant lrsquoobjet drsquoune analyse ambigueuml est peut-ecirctre le signe drsquoune

reacuteanalyse303

ou meacutetanalyse304

du clitique ils qui peut se voir laquo recycleacute raquo comme eacuteleacutement

postiche non instancieacute un peu agrave la maniegravere de la construction asubjectale ccedila+V eacutetudieacutee par

Maillard (1989 1994b) agrave lrsquoorigine pleinement reacutefeacuterentiel on y recourt volontiers de nos

jours lorsqursquoil srsquoagit drsquolaquo impersonnaliser raquo un nouveau verbe305

lagrave ougrave il laquo impersonnel raquo ne se

montre plus du tout productif car ne srsquoassociant qursquoagrave une liste finie de verbes (Maillard 1989

37) Lrsquoauteur relegraveve agrave lrsquoinverse la laquo creacuteativiteacute du schegraveme raquo en ccedila comme lrsquoillustraient agrave

lrsquoeacutepoque les expressions ccedila boume ccedila va barder ccedila va chier ccedila bouchonne ccedila gaze etc

(ibid 92-93) Il fait de ccedila un laquo nouveau reacutegisseur impersonnel raquo (1994b 50-52) autrement

dit une sorte drsquoopeacuterateur de diathegravese bloquant la position sujet et par lagrave la participation mecircme

drsquoun agent Cette analyse de ccedila pourrait apporter des eacuteleacutements de reacuteponse agrave la laquo restriction raquo

(agrave confirmer) de ils agrave la position sujet dans le cas ougrave il reste non instancieacute (vs en anaphore

indirecte cf (400) et (399)) Cela dit on ne peut aller aussi loin avec ils dont lrsquoagent agrave deacutefaut

drsquoecirctre reacutefeacuterentiellement instancieacute reste seacutemantiquement impliqueacute contrairement agrave celui de ccedila

On note cependant la subtile modification qursquoil induit dans la relation actantielle releacuteguant au

second plan la relation agent-procegraves au profit de la promotion du procegraves (et de son eacuteventuel

son objet) parfois de lrsquoeacutetat qui en reacutesulte

Si lrsquoon rappelle les rendements discursifs propres agrave chaque cateacutegorie releveacutee on note

quelques diffeacuterences mais aussi de nombreux points communs Lrsquoune des motivations

possible pour un pointage via ils speacutecifique agrave lrsquoanaphore collective (eacuteventuellement aussi agrave

lrsquoanaphore laquo locative raquo) reacuteside dans lrsquoattribution drsquoune proprieacuteteacute distributive au reacutefeacuterent drsquoougrave

303

Langacker (1977 58) propose la deacutefinition suivante laquo I will define reanalysis as change in the structure of

an expression or class of expressions that does not involve any immediate or intrinsic modification of its surface

manifestation Reanalysis may lead to changes at the surface level as we will see but these surface changes can

be viewed as the natural and expected result of functionally prior modifications in rules and underlying

representations raquo 304

Selon Blinkenberg (1950 43) laquo [l]a meacutetanalyse suppose en effet une mecircme forme analysable de deux

faccedilons Crsquoest la phrase agrave double sens qui est le point de deacutepart et le pivot du mouvement qui amegravene le

regroupement comme crsquoest la phrase agrave double forme qui en est le point drsquoarriveacutee On nrsquoexplique aucune

meacutetanalyse sans srsquoappuyer sur des exemples eacutequivoques on ne prouve la meacutetanalyse que par des exemples

univoques raquo 305

ccedila teacuteleacutecharge tout seul (forum httpwwwcommentcamarchenet) ccedila roots (asymp ccedila va oral au vol) sur

le net ccedila bugue (Libeacuteration 17112014)

306

le recalibrage de la collection au format de classe cf (398) et (400) Un autre objectif guidant

lrsquoemploi de ils au deacutetriment drsquoune expression lexicale consiste agrave eacuteviter la redondance qursquoelle

pourrait engendrer agrave travers la reacutepeacutetition drsquoun N collectif (cf la reformulation dans (395)) On

pourrait peut-ecirctre mecircme eacutetendre cette strateacutegie aux cas ougrave la redondance concernerait le

radical drsquoun N de lieu et drsquoun N de gentileacute voire drsquoun verbe et drsquoun N preacutedicatif

(456) [hellip] je passe dix jours en Belgique Le pays des moules des frites du chocolat ndash si si

les Belges y croient ndash et des biegraveres eacutevidemment (exemple modifieacute) = (402)

(457) [hellip] Les voleurs ont voleacute un appareil photo et qq trucs du boulot [hellip] (exemple

modifieacute) = (416)

Toutefois dans la plupart des cas lrsquoalternative drsquoun SN lexical nrsquoa pas besoin drsquoecirctre

envisageacutee lrsquoenjeu reposant sur lrsquoexploitation de la sous-deacutetermination ils En effet dans les

trois cateacutegories on a releveacute le rendement de diffusion indistincte de la responsabiliteacute du

procegraves sur un agent collectif dont lrsquoidentiteacute soit demande agrave ecirctre globalement infeacutereacutee (sect321)

soit demeure en suspens (sect323) qursquoelle soit insignifiante ((453) (454)) ignoreacutee (430) ou

encore deacutelibeacutereacutement occulteacutee (429) Dans ces cas-lagrave lrsquoindistinction peut conduire agrave releacuteguer

lrsquoactant au second plan dans lrsquoexpression du procegraves qui heacuterite ainsi lui-mecircme du premier plan

Bien que nous ayons essentiellement travailleacute sur des donneacutees orales spontaneacutees nous avons

eacutegalement releveacute le pheacutenomegravene dans drsquoautres genres de laquo lrsquoimmeacutediat raquo (Koch amp Oesterreicher

1985) comme les SMS les courriels priveacutes les reacuteseaux sociaux etc Dans les genres

discursifs reacuteputeacutes plus travailleacutes les occurrences de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee ne sont pas

pour autant absentes comme en teacutemoignent les extraits litteacuteraires reproduits mais en prioriteacute

dans des contrefaccedilons de lrsquooral des dialogues ou alors dans des reacutecits agrave la 1egravere

personne

refleacutetant les penseacutees du narrateur-personnage Notons que malgreacute notre contact privileacutegieacute avec

les eacutecrits scientifiques nous nrsquoy avons pour lrsquoheure sans grande surprise releveacute aucun emploi

de ce type (cf le recours agrave drsquoautres proceacutedeacutes ci-apregraves sect34) Il semble donc que les normes

propres aux genres discursifs aient une grande influence sur la distribution des emplois de ils

Neacuteanmoins lrsquoinventaire en amont montre qursquoil est simplificateur de reacuteduire ceux-ci agrave une

strateacutegie drsquoeacuteconomie propre au style laquo relacirccheacute raquo au vu des rendements diversifieacutes dont ils

sont porteurs

A cet eacutegard les rendements deacutecrits ne sont pas lrsquoapanage de ils comme nous lrsquoavons suggeacutereacute

agrave plusieurs reprises Il existe en effet drsquoautres ressources linguistiques visiblement mieux

toleacutereacutees dans les genres plus centreacutes sur les inteacuterecircts de lrsquointerpregravete offrant certains rendements

similaires et affectant de la sorte la distribution de ils Nous proposons agrave preacutesent de mettre en

perspective ces proceacutedeacutes avec les constructions en ils

307

34 ILS dans le paradigme des constructions agrave agent sous-deacutetermineacute

Plusieurs auteurs ont releveacute des similitudes entre lrsquoemploi de ils et on306

drsquoune part (Goudet

1983 Siewierska 2011 Cabredo Hofherr 2014 Creissels agrave par) et ils et le passif drsquoautre part

(Yule 1982 Gundel et al 1993 [Reichler-]Beacuteguelin 1993a Myhill 1997 Blevins 2003

Siewierska 2008 Cabredo Hoffherr 2014) En effet tous sont susceptibles de manifester la

sous-deacutetermination drsquoun agent ainsi que lrsquoillustrent les exemples ci-dessous

(458) il y a eu eacutenormeacute certainement une civilisation dans le sous-sol de Giegraveres Parce que

quand ils ont construit le groupe scolaire lagrave le groupe sur la place le groupe scolaire

qui srsquoappelle Reneacute Cassin maintenant il y a eu ils ont deacutecouvert des vestiges (pfc)

= (468)Erreur Source du renvoi introuvable

(459) [hellip] quand on a construit le groupe scolaire [hellip] on a deacutecouvert des vestiges (exemple

modifieacute)

(460) [hellip] quand le groupe scolaire a eacuteteacute construit [hellip] des vestiges ont eacuteteacute deacutecouverts

(exemple modifieacute)

A travers la manipulation des eacutenonceacutes on constate que chaque proceacutedeacute permet lrsquooccultation

de lrsquoidentiteacute de lrsquoagent engageacute dans le procegraves Dans lrsquoexemple authentique suivant cette

fonction commune est particuliegraverement mise en eacutevidence dans lrsquoexploitation des trois

structures dont on peut contextuellement infeacuterer la coreacutefeacuterence de lrsquoagent

(461) [deacutebut drsquoun article sur des cas de mobbing dans une eacutecole] laquo Mon fils a eacuteteacute frappeacute et

on lui a urineacute dessus Ensuite ils lrsquoont fait chanter raquo srsquoindigne Gabriella Schlegel

(presse 20minutesch 29102015 lt Beacuteguelin 2015)

Neacuteanmoins chaque construction comporte des speacutecificiteacutes agrave diffeacuterents niveaux qui influent

sur sa mise en œuvre Dans les sections qui suivent nous proposons de confronter lrsquousage de

ils avec les deux autres proceacutedeacutes afin de cerner une eacuteventuelle zone de recouvrement et de

deacutegager les facteurs et circonstances qui motivent le choix pour lrsquoun au deacutetriment des autres

341 ILS vs le passif

Les constructions en ils dont la valeur reste non instancieacutee sont souvent preacutesenteacutees comme

fonctionnellement eacutequivalentes aux constructions passives sans compleacutement drsquoagent (Myhill

1997 Blevins 2003 Siewierska 2008b)

(462) Theyrsquove stolen my bag (Siewierska 2008 31)

(463) My bag has been stolen (ibid)

On peut tout drsquoabord remarquer que la comparaison ne concerne que les verbes transitifs agrave

deux actants agrave savoir un agent et un objet patient Bien que la construction transitive soit

306

Ou ce qui est preacutesenteacute comme leurs formes laquo correspondantes raquo dans drsquoautres langues

308

privileacutegieacutee dans nos donneacutees en sect323 lrsquousage de ils est a priori moins contraint comme le

montrent les emplois agrave laquo agent fictif raquo ougrave il se combine agrave la copule ecirctre (450) agrave une

construction factitive (449) ou agrave un verbe modal (448)

La diathegravese au passif peut ecirctre deacutecrite comme un processus transformationnel ou deacuterivationnel

agrave partir drsquoun verbe transitif qui subit une deacuterivation suffixale geacuteneacuterant un adjectif (participe

passeacute) (Berrendonner 2000) Le patient se voit promu agrave la place drsquoargument sujet tandis que

lrsquoagent se mue en actant interne au procegraves Lrsquoagent peut neacuteanmoins ecirctre exprimeacute par un

compleacutement oblique (eg par x de x) mais crsquoest loin drsquoecirctre la norme Drsquoailleurs dans le

cadre des constructions qui nous inteacuteressent la restitution explicite drsquoun agent ne permet plus

de mettre en œuvre un proceacutedeacute de sous-deacutetermination

(464) quand le groupe scolaire a eacuteteacute construit par eux [hellip] des vestiges ont eacuteteacute deacutecouverts

par eux (exemple modifieacute)

Blevins (2003) considegravere que le processus de deacutetransitivisation de la diathegravese passive reacuteduit la

valence lexicale du verbe On peut invoquer la notion de diathegravese reacutecessive selon la

terminologie de Tesniegravere (1959 272) qui laquo diminue drsquoune uniteacute le nombre des actants raquo En

fait cette conception doit ecirctre nuanceacutee Pour Berrendonner (2000 47) si le passif

laquo absorbe raquo lrsquoagent dans le lexegraveme preacutedicatif cet agent nrsquoen reste pas moins preacutesent

quoiqursquoindeacutetermineacute Selon Muller (2000 51-52) le passif ne fait que releacuteguer laquo au rang de

relation facultative raquo la relation agent-action sans pour autant lrsquoobliteacuterer Creissels (2006 9)

va dans le mecircme sens lrsquoagent peut laquo ecirctre complegravetement occulteacute mais sa participation mecircme

agrave lrsquoeacuteveacutenement reste impliqueacutee raquo307

Certaines formes passives en particulier les laquo passifs

drsquoeacutetat raquo (Riegel et al 2009 736) preacutesentent agrave cet eacutegard un comportement remarquable

(465) Ils [les fruits et leacutegumes] contiennent beaucoup de vitamines et de mineacuteraux bien

davantage que lorsqursquoils sont cuits (Nitshe C Le deacutecodeur minceur 2012 p 44)

Lrsquoeacutenonceacute preacutesente la mecircme forme qursquoune structure adjectivale de type attributive (par ex

frais crus ici le participe passeacute reacutesultatif cuits) Cependant on peut consideacuterer ce genre de

constructions comme passives dans la mesure ougrave elles deacutenotent le reacutesultat du procegraves acheveacute

lsquoils ont eacuteteacute cuitsrsquo Si la construction se voit suivie drsquoun compleacutement drsquoagent on retrouve

lrsquoaspect inaccompli

(466) [Il srsquoagit drsquoune expeacuterience rapporteacutee dans une eacutetude] Deux gigots drsquoun poids eacutegal sont

cuits par un cuisinier intelligent dans les mecircmes conditions de temps et de chaleur

(Loverdo J Le froid artificiel et ses applications industrielles commerciales et

agricoles 1903 p 336)

Dans cet exemple lrsquoaspect inaccompli de la construction active correspondante (un cuisinier

cuit deux gigots) est conserveacute Dans ce cas le verbe ecirctre correspond aux auxiliaires drsquoautres

307

Creissels deacutemontre cela au moyen de lrsquoeacutenonceacute La porte a eacuteteacute ouverte qui accepte le modifieur

volontairement mais non le modifieur toute seule agrave lrsquoinverse de lrsquoeacutenonceacute La porte srsquoest ouverte

309

langues exprimant le sens de (de)venir (all werden it venire ou andare) il indique la

modification en devenir subie par lrsquoobjet patient (Muller 2000)

Dans le cas du passif drsquoeacutetat ecirctre ne srsquointerpregravete pas comme un processus en devenir mais

signale lrsquoaboutissement du processus on constate cependant que lrsquointerpreacutetation reacutesultative

nrsquoest pas toujours bien distincte drsquoune interpreacutetation purement attributive Dans lrsquoeacutenonceacute

(465) on peut supposer que lrsquoeacutetat reacutesulte drsquoune action comprenant un agent implicite Par

contre dans lrsquoexemple suivant il est difficile de preacutesumer lrsquointervention drsquoun agent (preacutealable

ou en cours)

(467) la mer est saleacutee (Riegel et al 2009 ibid)

Lorsqursquoon ne peut reconstituer un agent par transposition agrave partir drsquoun verbe agrave lrsquoactif (on a

saleacute la mer) drsquoun passif processif (avec ajout drsquoun compleacutement drsquoagent) ou qursquoon ne peut

consideacuterer que lrsquoeacutetat reacutesulte drsquoun procegraves accompli (la mer a eacuteteacute saleacutee) on ne traite

geacuteneacuteralement pas la construction en termes de diathegravese passive mais comme une simple

construction adjectivale ou attributive (comme dans Il semblait deacuteccedilu lt ibid) Comme on le

verra les indices ne sont pas toujours univoques et le deacutebat autour de ces constructions qui

deacutepasse le propos de ce travail est loin drsquoecirctre clos

Cela dit le fait qursquoun passif puisse avoir une interpreacutetation inaccomplie ou reacutesultative

(stative) offre un eacuteclairage inteacuteressant sur nos donneacutees On peut en effet supposer que le choix

du passif est motiveacute dans certains cas par des questions drsquoaspect et drsquoorganisation de la

structure actantielle Certains extraits drsquooral fournissent des alternances significatives entre

lrsquoemploi du passif et lrsquoemploi du ils Revenons agrave lrsquoexemple introductif qui comprend une

reformulation au passif (souligneacutee) drsquoun procegraves exprimeacute agrave lrsquoactif avec ils

(468) E Parce qursquoil y a pas eu de galeries creuseacutees il y a pas eu nnnnnnnnnnnnnnnnnnn

AS Non il y a eu eacutenormeacute certainement une civilisation dans le sous-sol de Giegraveres

Parce que quand ils ont construit le groupe scolaire lagrave le groupe sur la place le

groupe scolaire qui srsquoappelle Reneacute Cassin maintenant il y a eu ils ont deacutecouvert des

vestiges ils avaient arrecircteacute les travaux Ils avaient arrecircteacutes les travaux les travaux ont

eacuteteacute arrecircteacutes pendant deux mois il y avait des galeries des des briques des trucs

comme ccedila il y a certainement eu une civilisation (pfc)

Cette laquo reformulation raquo permet drsquoexprimer sans doute plus clairement lrsquoeacutetat reacutesultant de lrsquoarrecirct

des travaux que la forme transitive ils avaient arrecircteacute les travaux signalant lrsquoaccomplissement

du procegraves (dont le reacutesultat nrsquoest qursquoimplicite) crsquoest en effet le reacutesultat statif du procegraves qui

heacuterite de lrsquoaspect duratif exprimeacute par le circonstant (pendant deux mois) En outre du point de

vue de la progression theacutematique (Combettes 1983) on repegravere une progression lineacuteaire ougrave le

rhegraveme de lrsquoeacutenonceacute preacuteceacutedent (les travaux) devient le thegraveme du suivant On observe ainsi une

reacuteorganisation de la structure informationnelle en particulier agrave travers la promotion de lrsquoobjet

patient en position de sujet mettant en relief la relation qursquoil entretient avec le procegraves

310

Dans lrsquoexemple suivant deacutejagrave citeacute supra la reformulation est opeacutereacutee en sens inverse crsquoest-dire

qursquoune construction au passif se voit reformuleacutee via une construction agrave lrsquoactif avec ils

(469) donc faut savoir que | _ | cest tous les cours deux sont plus baseacutes | _ | euh performance

| _ | donc euh par exemple euh pour euh athleacutetisme | _ | il y a le cent megravetres qui est

chronomeacutetreacute | _ | ou | _ | cest les tous les baregravemes pour les pratiques sont baseacutes | _ | sur

euh les meilleurs eacute- eacutetudiants euh des universiteacutes en sport | _ | donc tout toutes les

meilleures performances euh y euh | de chaque euh canton ou universiteacute de Suisse | _ |

forment la moyenne donc ils basent les baregravemes dapregraves ccedila | _ | donc euh ce quil faut

savoir cest que bien souvent euh cest des baregravemes assez eacuteleveacutes (ofrom) = (419)

Lrsquoextrait porte sur la question des baregravemes des examens en sport agrave propos desquels on

apprend la maniegravere dont ils sont calculeacutes et de fait leur seacuteveacuteriteacute (crsquoest des baregravemes assez

eacuteleveacutes) Au vu du deacuteveloppement argumentatif lsquoles baregravemesrsquo constitue ainsi le centre

organisateur courant dans M Le locuteur preacutesente drsquoabord le calcul des baregravemes comme un

fait eacutetabli au moyen du passif (interpreacutetation stative) Srsquoensuit un eacuteclaircissement sur ce qursquoil

entend par les meilleurs eacutetudiants des universiteacutes en sport Puis il recourt agrave la reformulation

avec ils qui fait eacutecho agrave lrsquoagent implicite de la construction passive visant agrave reacutecapituler

globalement comment sont conccedilus les baregravemes Lrsquoaspect inaccompli du verbe agrave lrsquoactif permet

drsquoinsister ainsi non plus tant sur le reacutesultat (le fait eacutetabli) que sur la maniegravere dont sont calculeacutes

les baregravemes par une sorte de meacutetalepse (la conception eacutetant une eacutetape anteacuterieure au reacutesultat)

On voit ainsi comment il est possible drsquoenvisager la situation sous divers angles aspectuels

selon les besoins de lrsquoargumentation

Le choix entre le passif et lrsquoemploi de ils est donc visiblement motiveacute par des critegraveres lieacutes agrave

lrsquoaspect du verbe (reacutesultat vs processus) et de la structure informationnelle (type de

progression reacuteorganisation des rocircles seacutemantiques) A cet eacutegard Lambrecht (1994) fait

lrsquohypothegravese qursquoil existe une loi communicative selon laquelle il nrsquoest pas optimal drsquointroduire

un reacutefeacuterent et de preacutediquer sur lui dans le cadre drsquoune mecircme eacutenonciation ce qui expliquerait

en partie pourquoi les SN indeacutefinis sont eacuteviteacutes en position sujet position typiquement

theacutematique Dans cette perspective la volonteacute drsquointroduire des objets nouveaux pourrait

orienter vers lrsquoemploi drsquoune structure active placcedilant ceux-ci en position drsquoobjet direct plus

adapteacutee agrave la fonction rheacutematique drsquoapport informationnel

(470) juste tu ne peux plus tourner chez moi maintenant ils ont mis des poteaux (ofrom)

(471) ils nous ont presque pas donneacute dexplications = (101)

(472) Tu sais bien que cette anneacutee avec la seacutecheresse avec la canicule les montagnes euh

les neiges eacutetaient tregraves tregraves fondues les glaciers ont fondu et caetera Ils avaient ils

ont ducirc mettre des flics pour que les gens ne montent pas au Mont Blanc (pfc)

Il va de soi qursquoaucune de ces constructions nrsquoest impossible au passif mais on remarque que

la laquo promotion raquo de lrsquoobjet nouveau deacutelivreacute en position sujet chamboulerait passablement la

311

structure informationnelle drsquoorigine Pour les deux derniers exemples une diathegravese au passif

engendrerait en outre une surcharge cognitive respectivement dans la production drsquoun sujet

quantifieacute eacutetendu (473) et dans lrsquoexpression de trois auxiliaires successifs (474)

(473) Presque pas drsquoexplications nous ont eacuteteacute donneacutees (exemple modifieacute)

(474) des flics ont ducirc ecirctre mis pour que les gens ne montent pas au Mont Blanc (exemple

modifieacute)

La mise en perspective des constructions active et passive reacutevegravelent ainsi qursquoelles ne sont de

loin pas des variantes libres malgreacute certains traits et effets similaires308

On peut encore noter certaines diffeacuterences suppleacutementaires entre les constructions eacutetudieacutees

Tandis que la forme ils exhibent des marques morphologiques lrsquoagent non exprimeacute du passif

apparaicirct agrave cet eacutegard beaucoup moins speacutecifieacute En particulier il se montre insensible au trait

[+deacutelocuteacute] propre aux indices de 3e et 6

e personne

(475) donc bon les journeacutees de ski donc euh ben on a pris des abonnements directement agrave la

semaine | _ | comme ccedila ben on | crsquoeacutetait quelque chose de plus avantageux pour euh

nous euh les organisateurs du camp | _ | euh le ski et donc euh les enfants sont reacutepartis

dans des groupes de six agrave | _ | agrave neuf euh eacutelegraveves six agrave neuf enfants (ofrom)

En (475) aucune information explicite ne signale lrsquoinclusion ou lrsquoexclusion du locuteur agrave

lrsquoeacutegard du rocircle drsquoagent dans le procegraves exprimeacute par opposition agrave ils ont reacuteparti les enfants La

construction au passif non marqueacutee sur ce point peut donc recouvrir une situation ougrave le

locuteur a participeacute ou non agrave la reacutepartition effective Cet exemple montre en outre que le

nombre de lrsquoagent reste lui aussi indeacutetermineacute la diathegravese recouvrant une action

potentiellement individuelle ou collective

On peut eacutegalement songer agrave la question de lrsquointerpreacutetation humaine de lrsquoagent souvent

preacutesenteacutee comme inheacuterente agrave lrsquoemploi de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee (voir supra sect2223)

308

Siewierska (2010) deacutegage une parenteacute morphologique entre les constructions dans certaines langues ougrave la

marque de 3e personne du pluriel est preacutesenteacutee comme eacutetant agrave la source du passif dans les langues nilotiques le

passif est perccedilu comme agrave lrsquoorigine de la marque de 6e personne quant aux langues bantoues la 6

e personne est

encore visible en synchronie dans les verbes au passif (le morphegraveme a- ci-dessous)

Kimbundu (Givoacuten 1976 180)

a- mu- mono

3PL 3SG saw

ldquoThey saw himrdquo

Ou

Nzua a- mu- mono kwa meme

Nzua PASS- 3SG saw by me

ldquoNzua was seen by merdquo

De surcroicirct dans des langues qui ne possegravedent pas de passif les indices de 6e personne sont souvent utiliseacutes pour

traduire le passif des langues europeacuteennes (Siewierska 2010)

Libum (Nforgwei 2004 278)

A fa rlii muu ene jisos

3PL give name child that Jesus

ldquoHe was named Jesus They named him Jesusrdquo

312

Le passif apparaicirct pour sa part non marqueacute agrave cet eacutegard comme le montrent les exemples ci-

dessous qursquoil reacutegisse ou non un compleacutement drsquoagent

(476) Vers 19H50 une personne a grimpeacute sur le toit drsquoun train qui repartait de la gare de

Mantes-la Jolie vers Paris Lrsquohomme a eacuteteacute eacutelectrocuteacute par une cateacutenaire et projeteacute sur

les voies (httpwwwlefigarofrflash-actu 27032013)

(477) Une triple fracture du bassin neuf cocirctes et trois vertegravebres casseacutees Didier Castella a

eacuteteacute griegravevement blesseacute le 23 juillet lors drsquoune excursion en quad en Colombie

britannique agrave lrsquoest du Canada (presse La Gruyegravere 04082016)

On remarque que lrsquoemploi drsquoun ils engagerait preacutefeacuterentiellement une interpreacutetation humaine

de lrsquoagent

(478) Une triple fracture du bassin neuf cocirctes et trois vertegravebres casseacutees ils ont griegravevement

blesseacute Didier Castella le 23 juillet lors drsquoune excursion en quad en Colombie

britannique agrave lrsquoest du Canada (exemple modifieacute)

En effet le passif oriente moins sensiblement vers une interpreacutetation humaine (ou animeacutee)

Cela nuance les observations de Blevins (2003 475) selon lesquelles aussi bien

lrsquoimpersonnel le passif sans compleacutement drsquoagent et les constructions verbales actives agrave la 6e

personne impliquent des agents par deacutefaut humains

Par ailleurs on peut srsquointerroger sur la nature inheacuterente ou non du trait [+humain] pour ils

plutocirct qursquoen faire un trait inheacuterent agrave lrsquoemploi de ils [Reichler-]Beacuteguelin (1993b) (cf supra

sect2223) met lrsquointerpreacutetation humaine au compte de la preacutedominance en geacuteneacuteral des reacutefeacuterents

humains pour le pronom de 6e (lrsquohypothegravese de laquo lrsquoanthropocentrisme des discours raquo) Sur un

eacutetat anteacuterieur de la base OFROM (deacutecembre 2012) signalons que nous avions releveacute

seulement 46 interpreacutetations [ndashhumain] du pronom ils (toutes occurrences de ils

confondues309

) sur un total de 822 occurrences soit 56 contre 944 de reacutefeacuterences

[+humaine]

Si lrsquoon recherche les formes passives dans OFROM310

et qursquoon examine le type drsquoagents

implicites les reacutesultats sont a priori varieacutes bien que nous nrsquoayons pas fait de comptage

exhaustif

309

Y compris les ils anaphoriques laquo classiques raquo (les jeunes aimaient bien ccedila avec le pain c c | _ | ils ils

appreacutecient hein la nutella) les redoublements du sujet (les trois cons ils attendaient leur tour) etc Par contre

nous nrsquoavons pas inclus les occurrences reacutepeacuteteacutees dans les bribes (comme la 2e occurrence dans ils ils appreacutecient)

ou qui interviennent dans des structures abandonneacutees (anacoluthes) (donc euh ils | _ | ils | _ | ceacutetaient des

masters plus orienteacutes [hellip]) 310

Nous avons rechercheacute les formes du lemme ecirctre agrave tous les temps simples suivies drsquoun participe passeacute agrave moins

de deux secondes drsquointervalle Mais la requecircte comporte du bruit parce qursquoelle retient tous les verbes agrave une forme

composeacutee avec lrsquoauxiliaire ecirctre (eg ecirctre alleacute etc) Pour les temps composeacutes nous avons rechercheacute eacuteteacute suivi

drsquoun autre participe passeacute Lagrave aussi un grand tri manuel srsquoest aveacutereacute indispensable en raison de nombreux

pheacutenomegravenes drsquohomonymie (nm eacuteteacute) dus agrave des problegravemes drsquoannotation en amont Pour cette requecircte nous avons

passeacute en revue les 200 premiegraveres occurrences produites par 58 locuteurs diffeacuterents

313

(479) donc il faudrait que le peuple valaisan puisse se rallier derriegravere un entraicircneur | qui est

du coin | _ | et pis lagrave du coup comme il a eacuteteacute vireacute on se retrouve avec Docastel | qui est

deacutejagrave passeacute agrave Sion (ofrom)

(480) cest une seacuterie de videacuteos | tourneacutees dans les dans des parcs publics agrave New York | _ | et

qui ont eacuteteacute posteacutees sur le portail internet Youtube degraves le milieu des anneacutees deux mille |

qui marque veacuteritablement la naissance du street workout dans sa forme actuelle

(ofrom)

(481) alors ccedila ccedila fait partie aussi de mon travail | dans la mesure du possible si ce nest pas

trop compliqueacute | _ | je peux jai eacuteteacute ameneacutee agrave agrave faire aussi ce genre de choses donc

(ofrom)

(482) ceacutetait le plus jeune je pense de lassembleacutee agrave peu pregraves | _ | et pis franchement euh | _ |

| elle a eacuteteacute traumatiseacutee parce que | _ | quand euh | _ | quand ils lui ont demandeacute quand

euh quand il est arriveacute et que | _ | et quil a fait euh elle lui a demandeacute de quel pays euh

il venait il a fait des Eacutetats-Unis | _ | hein | _ | pis ccedila pouvait pas ecirctre autre chose

(ofrom)

Dans les deux premiers exemples les preacutedicats seacutelectionnent typiquement des agents

humains mais ce nrsquoest pas le cas dans les deux autres exemples dont lrsquoagent demeure sous-

speacutecifieacute Les passifs drsquoeacutetat semblent particuliegraverement reacuteveacutelateurs de lrsquoabsence de marquage du

trait drsquohumaniteacute

(483) tu vois elle elle est quand mecircme dans le monde du service | et elle a des horaires qui

sont complegravetement deacutecaleacutes | elle comprend pas que le matin je me legraveve agrave six heures et

demi pour aller travailler (ofrom)

(484) il y a des enfants qui jouent dans la dans la boue | _ | et puis le taxi gentiment comme

en Inde | _ | euh prend son chemin | _ | par cette foule | _ | tout gentiment | _ | parce que

tu veux pas euh | _ | rouler sur des gens | _ | ccedila euh lagrave | maintenant je suis euh habitueacute

agrave ccedila mais la premiegravere fois jeacutetais | _ | complegravetement choqueacute (ofrom)

On peut drsquoailleurs relever la difficulteacute de distinguer ci-dessus entre passif drsquoeacutetat et

construction attributive dans lrsquoexemple (483) on peut envisager un agent non humain

responsable du deacutecalage comme le travail de la personne en question avec une lecture

reacutesultative du passif mais on peut eacutegalement y voir une construction attributive au vu de la

substitution possible de deacutecaleacutes par de simples adjectifs (irreacuteguliers fous etc) ou de la

copule ecirctre avec sembler Quant agrave (484) le participe passeacute habitueacute agrave se laisse volontiers

substituer par des adjectifs (familier de coutumier de) mais il nrsquoest pas forceacutement

incompatible avec lrsquoimplication drsquoun agent (par exemple lrsquoexpeacuterience la reacutealiteacute etc) Il en va

de mecircme pour la construction jrsquoeacutetais choqueacutee subseacutequente Quoi qursquoil en soit contrairement agrave

lrsquoemploi de ils ougrave lrsquointerpreacutetation [+humain] est preacutedominante la nature de lrsquoagent des formes

passives semble a priori plus aleacuteatoire sur ce point Neacuteanmoins une eacutetude plus minitieuse sur

lrsquoemploi du passif serait neacutecessaire pour eacutetayer ces hypothegraveses

314

Cette bregraveve confrontation des constructions active et passive met ainsi en eacutevidence des

diffeacuterences drsquoemploi lieacutees agrave des paramegravetres aspectuels (accompliinaccompli

reacutesultatifattributif) et informationnels (structure progression theacutematique relation et ordre des

actants et leur rapport avec le procegraves etc) Au niveau de la nature de lrsquoagent nous avons

montreacute que celui impliqueacute par le passif eacutetait moins speacutecifieacute que celui impliqueacute par ils srsquoen

distinguant par son indiffeacuterence au nombre agrave lrsquoinclusion du locuteur et manifestement au trait

drsquohumaniteacute Nous nrsquoavons pas compareacute exhaustivement lrsquoinfluence du genre de parole ou du

registre de langue A cet eacutegard plusieurs auteurs mentionnent une diffeacuterence agrave propos de

lrsquoanglais lrsquoemploi de they laquo impersonnel raquo ayant tendance agrave ecirctre perccedilu comme familier

(Siewierska 2008) ils suggegraverent que lrsquoemploi du passif serait privileacutegieacute dans des registres

soutenus et eacutecrits (Yule 1982 Myhill 1997) Pour le franccedilais on a releveacute supra (sect21) le

jugement que portent les grammairiens agrave lrsquoeacutegard de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee (style

familier voire populaire) Ce qursquoon peut avancer crsquoest qursquoune semblable attitude ne se

rencontre pas agrave notre connaissance agrave lrsquoeacutegard du passif Lrsquoune des raisons est sans doute

lrsquoinstruction drsquounification reacutefeacuterentielle fortement attacheacutee au pronom de 3e et 6

e personne qui

nrsquoest pas requise pour lrsquoagent impliqueacute du passif Il nrsquoest donc pas surprenant que les genres

influenceacutes par des exigences de laquo style raquo et drsquointerpreacutetabiliteacute soient peu feacuteconds en ils agrave valeur

sous-deacutetermineacutee Mais cela ne signifie pas que le passif soit reacuteserveacute aux modes de la

laquo distance raquo (Koch amp Oesterreicher 1985) comme en teacutemoignent les occurrences usuelles de

notre bref aperccedilu provenant de la base OFROM Nous pouvons agrave preacutesent nous tourner vers un

autre moyen drsquoexprimer la participation drsquoun agent sous-deacutetermineacute

342 ILS vs ON

Dans certaines circonstances que nous allons caracteacuteriser (critegraveres syntaxiques seacutemantiques et

pragmatiques) ils et on peuvent apparaicirctre en concurrence Les grammaires on srsquoen souvient

notent reacuteguliegraverement ce rapprochement en consideacuterant ils comme la variante familiegravere ou

populaire (Haase 1898 Brunot amp Bruneau 1949 Sandfeld 1970) Le pronom on fait lrsquoobjet

drsquoune litteacuterature abondante311

que nous ne pouvons examiner dans le deacutetail ici Neacuteanmoins

nous proposons une synthegravese forceacutement simplifieacutee des principaux apports de ces travaux agrave

des fins contrastives avec lrsquoemploi de ils

Du point de vue syntaxique on nrsquoapparaicirct que comme clitique sujet Sur le plan seacutemantique

outre son trait [+animeacute] on est particuliegraverement sous-speacutecifieacute ce qui lui vaut une flexibiliteacute

remarquable drsquousage Riegel et al (2009 364) relegravevent lrsquoadeacutequation de la deacutefinition de

laquo vague sujet raquo proposeacutee par les verbicrucistes Wilmet (2007 58) invoque son

caractegravere laquo omnipersonnel raquo dont le contenu peut srsquoeacutetendre laquo de lsquoquelqursquoun qui que ce soit

nrsquoimporte quirsquo agrave lsquotout le mondersquo raquo les extreacutemiteacutes de ce continuum sont illustreacutees

respectivement par (485) et (486)

311

Voir entre autres Muller (1970) Boutet (1984) Franccedilois (1984) Blanche-Benveniste (1987) et (2003)

Viollet (1988) Leeman (1991) Rabatel (2001) Guerin (2006) Floslashttum et al( 2007) Beacuteguelin (2014c)

315

(485) On a sonneacute (Riegel et al 2009 364)

(486) En Baviegravere on boit beaucoup de biegravere (ibid)

Le clitique on a en particulier la possibiliteacute de recouvrir la reacutefeacuterence de toutes les personnes

de la conjugaison (Moignet 1965 Riegel et al 2009 364)

(487) Excusez-nous drsquoarriver en retard On a eu une panne (Riegel et al ibid)

(488) Alors on fait la forte tecircte (ibid)

(489) - Comment ccedila va nnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

- On fait aller (ibid 365)

(490) Je les avais preacutevenues mais on nrsquoa pas voulu mrsquoeacutecouter (ibid)

La diversiteacute des emplois de on montre drsquoembleacutee le caractegravere restreint de la zone eacuteventuelle de

recouvrement avec ils La flexibiliteacute reacutefeacuterentielle de on nrsquoa semble-t-il drsquoeacutegal dans aucune

autre langue europeacuteenne (Floslashttum Jonasson amp Noreacuten 2007) et se reacutepercute sur la

morphosyntaxe agrave travers la diversiteacute des accords possibles des adjectifs ou participes passeacutes

(Beacuteguelin 2014c) Elle met en outre agrave lrsquoeacutepreuve les linguistes sur le deacutebat drsquoun traitement

polyseacutemique vs homonymique de on312

En tout cas on invoque geacuteneacuteralement la nature

laquo indeacutefinie raquo du pronom pour les emplois (485) (on tantocirct appeleacute speacutecifique existentiel) et

(486) (on dit geacuteneacuterique gnomique ou universel) et un emploi de 4e personne pour (487) que

les grammaires normatives tendent agrave stigmatiser (Beacuteguelin (2014c) Certains emplois

exploitent simultaneacutement diverses caracteacuteristiques de on comme celui-ci

(491) [agrave propos de participants agrave un camp de ski que le locuteur organise] une bonne euh

partie est eacutegalement un peu triste de se quitter parce que ben on retrou- | on retourne

chez les parents on se retrouve tout seul sans les amis donc crsquoest crsquoest une autre

ambiance que decirctre euh entoureacute (ofrom)

En effet les interpreacutetations semblent se brouiller du point de vue du locuteur on peut

renvoyer agrave chacun des enfants pris comme un individu anonyme speacutecifique mais en mecircme

temps il reflegravete le point de vue interne de lrsquoenfant sur le mode du discours indirect libre

discours par ailleurs preacutesenteacute comme steacutereacuteotypique Selon les distinctions eacutetablies ci-dessus

cet emploi de on se situe donc au carrefour des emplois speacutecifique de 4e personne (=nous) et

geacuteneacuteriquehellip

Lrsquoun des facteurs de la souplesse reacutefeacuterentielle de on se situe dans son absence de marquage

seacutemantique quant agrave lrsquoinclusion ou lrsquoexclusion du locuteur par opposition aux autres indices

personnels (Creissels agrave par) Le pronom on se diffeacuterencie sur ce point agrave la fois clairement de

nous toujours inclusif (Blanche-Benveniste 2003) et des 3e et 6

e personnes par deacutefinition

312

Lrsquoexamen des potentialiteacutes de coreacutefeacuterence des diffeacuterents emplois du pronom on par Creissels (agrave par) penche

pour un traitement homonymique

316

[+deacutelocuteacute] Crsquoest le contexte le cas eacutecheacuteant qui est responsable drsquoune interpreacutetation incluant

ou non le locuteur Mais dans bien des contextes ce point reste indeacutecidable

(492) [le locuteur parle de son meacutetier de monteur en images] maintenant on travaille sur des

logiciels de de montage euh donc crsquoest du montage virtuel agrave lrsquoeacutepoque on faisait du

montage euh sur bandes (ofrom)

Srsquoil y a des raisons de penser que le locuteur srsquoinclut eacutetant donneacute son meacutetier dans la

reacutefeacuterence du premier on la seconde occurrence est plus floue selon qursquoelle repreacutesente la

classe atemporelle des lsquomonteurs en imagesrsquo ou par contraste (maintenant vs agrave lrsquoeacutepoque)

celle des lsquomonteurs du passeacutersquo En fait il vaut mieux consideacuterer que lrsquointerpreacutetation reste en

suspens de ce point de vue et nrsquoa mecircme pas agrave ecirctre traiteacutee Neacuteanmoins en laissant cette

information indeacutetermineacutee le locuteur prend le risque drsquoune infeacuterence erroneacutee de la part de son

interlocuteur Ci-dessous lrsquoheacutesitation du locuteur peut ecirctre interpreacuteteacutee comme la prise de

conscience drsquoune ambiguiumlteacute agrave ce niveau

(493) il a susciteacute pas mal de haine pendant sa pendant son existence mais aussi euh

beaucoup de deacutevouement bon crsquoest vrai qursquoon le on le on certains le considegraverent un

peu comme un boucher (ofrom)

Finalement le locuteur opte pour lrsquoemploi de certains pronom [+deacutelocuteacute] le dissociant

clairement de la reacutefeacuterence Un comportement assez proche peut ecirctre observeacute dans lrsquoexemple

suivant

(494) moi je me rappelle dans le bureau agrave ma grand-megravere ils eacutet- tous ces vieux papiers dont

on a fait un reacutesumeacute dont jai un reacutesumeacute encore agrave la main qui a eacuteteacute fait de la famille

dedans qui appartient agrave ma grand-megravere (ofrom)

Le locuteur reformule la proposition en on par une structure au passif sans agent313

(jrsquoai un

reacutesumeacute [hellip] qui a eacuteteacute fait de la famille ) la reformulation au passif peut ainsi contribuer agrave

reacuteduire le risque drsquoune interpreacutetation inclusive314

On peut aussi rappeler cet exemple ougrave la

locutrice corrige lrsquousage drsquoun on par un ils

(495) L1 enfin nous on a fait on a fait on a ccedila aussi agrave Sevran dans le quartier ougrave cest tregraves

tregraves grand hein euh ils mettent les barbecues (mm mm) et tout ccedila euh cest bien

organiseacute + avec une fecircte avant pour les enfants + on ils + ils ramegravenent des poneys tu

vois ils ltouais ah ouigt ils font faire des tours = (426)

Lrsquoexemple suivant illustre la situation inverse ougrave ils se voit rectifieacute par on visiblement parce

que la locutrice deacutecide de srsquoinclure dans la reacutefeacuterence

313

Le syntagme preacutepositionnel de la famille apparaicirct en contexte comme le compleacutement du nom reacutesumeacute et non

comme un compleacutement drsquoagent (ne par la famille ) 314

Rappelons toutefois que lrsquoagent implicite du passif est en theacuteorie eacutegalement non marqueacute du point de vue de la

deacutelocution Mais il existe sans doute des facteurs de pertinence qui rendent plus ou moins plausible une infeacuterence

dans un sens ou un autre du genre lrsquoagent drsquoun passif sans compleacutement est interpreacuteteacute inclusivement seulement

srsquoil y a des indices clairs en ce sens

317

(496) et du coup y a ce problegraveme dans la reacutegion de | | _ | et euh on avait un terrain agrave | | _ |

euh queacutetait appartenait agrave la commune queacutetait euh voilagrave qui eacutet qui | _ | sur lequel ils

voulaient faire quelque chose | _ | et pis ben le village ayant perdu sa poste | il y a

quelques anneacutees son petit magasin de justesse | _ | ils lont ils lont on on la reacutecupeacutereacute

mais euh | _ | mais par un un mec genre primo qui ouvre pas comme avant (ofrom)

Un fait remarquable avec on est la possibiliteacute de voir se succeacuteder en discours des suites

drsquooccurrences non coreacutefeacuterentielles (Berrendonner 1981 Blanche-Benveniste 2003) vivement

critiqueacutees par les puristes (Beacuteguelin 2014c)315

dont lrsquoalternance entre interpreacutetations inclusive

ou exclusive ne pose neacuteanmoins aucun problegraveme

(497) on le renvoie comme ccedila et on nous le renvoie comme ccedila (au guichet drsquoune banque agrave

propos drsquoun chegraveque lt Blanche-Benveniste 2003 43)

(498) Lhuicirctre nest pas si malheureuse que nous on lavale sans quelle sen doute mais

pour nous on vient nous dire que nous allons ecirctre avaleacutes et on nous fait toucher au

doigt et agrave lœil que nous serons digeacutereacutes eacuteternellement (Montesquieu Correspondance

1754 lt Beacuteguelin 2014c)

Nous avons montreacute supra ((410) et (417)) que des enchevecirctrements de ils non coreacutefeacuterentiels

(forceacutement [+deacutelocuteacute]) ne constituaient pas non plus des obstacles agrave lrsquointerpreacutetation celle-ci

eacutetant naturellement orienteacutee par la restriction des preacutedications successives

La zone de recouvrement entre ils et on peut srsquoobserver agrave travers lrsquoalternance de on et ils

potentiellement coreacutefeacuterentiels comme en teacutemoignent (461) supra et lrsquoexemple suivant

(499) moi je peux pas j arriverais pas + parce que cest encore mon mon Montreuil agrave moi

bien quoni nousj lrsquoait pris [hellip] crsquoest plus mon Montreuil agrave moi + ben le le fait quilsi

aient fait des HLM y avait tous les gens quonk pouvait imaginer + mais lagrave agrave crsquo

moment-lagrave oni nousj a pris moi- pris mon Montreuil parce qursquooni a pris les champs +

alors Montreuil crsquoeacutetait des champs crsquoeacutetait des petits pavillons bon faits de bric et de

broc hein parce quonj navait pas grand-chose mais c- y avait encore des jeacutea- des

jardins et des champs + que maintenant y a plus rien [hellip] ilsi ont pris tout tout notre

coin [hellip] ilsi ont fait des dans jrsquosais plus quelle anneacutee mais dans quelles anneacutees ceacutetait

+ tout plein de plein de HLM en bas du cimetiegravere + dans la rue Gaston Leriaux tout ccedila

lagrave + (cfpp)

La locutrice exprime dans cet extrait le sentiment de srsquoecirctre fait deacuteposseacuteder de son quartier

avec la construction de HLM et lrsquoarriveacutee de nouveaux habitants Elle en impute ainsi la

responsabiliteacute agrave travers lrsquoalternance de oni et ilsi agrave un agent tiers Malgreacute un doute potentiel

sur la coreacutefeacuterence des deux premiegraveres occurrences on et ils la reformulation agrave la fin de

315

Beacuteguelin (2014c) cite quelques extraits parlants dont celui-ci laquo Inadvertances gecircnantes aussi que celles

consistant agrave utiliser dans une mecircme phrase des on se rapportant agrave des sujets diffeacuterents Il vaut mieux ne pas

imiter Theacuteophile Gautier qui dans Jean et Jeannette a eacutecrit On [= la servante ou le maicirctre drsquohocirctel

probablement] vint dire agrave Mme de Kerkaradec qursquoelle eacutetait servie et lrsquoon [= les convives] passa dans la salle agrave

manger raquo (Pierre-Valentin Berthier amp Jean-Pierre Colignon Le franccedilais eacutecorcheacute Paris Belin)

318

lrsquoextrait ils ont pris tout tout notre coin (cf les autres emplois du verbe prendre avec on)

plaide pour un traitement coreacutefeacuterentiel On remarque ici encore lrsquointercalation non

probleacutematique drsquoautres occurrences de onj non coreacutefeacuterentielles (parfois coreacutefeacuterentielles agrave

nousj)

Au niveau seacutemantique on peut mettre en regard ils et on sur le trait du nombre Le clitique on

apparaicirct non marqueacute de ce point de vue susceptible de repreacutesenter au moins un individu

(Berrendonner 1981 Creissels agrave par) Ceci constitue une diffeacuterence sensible avec ils ce

dernier eacutetant marqueacute en nombre (indiquant lrsquoexistence drsquoun ensemble lui-mecircme

potentiellement composeacute drsquoun eacuteleacutement) Crsquoest notamment ce qui explique qursquoon ne recoure

pas spontaneacutement agrave ils en franccedilais lorsqursquoon vise agrave deacutecrire une situation impliquant

potentiellement un individu isoleacute (agrave moins de vouloir mettre en avant son appartenance agrave un

ensemble) lagrave ougrave on se montre approprieacute

(500) On sonne agrave la porte Personne nrsquoest sur scegravene On sonne de nouveau (didascalie

drsquoune scegravene Reutermann L Un toit pour trois p 71)

Ces contextes appeleacutes existentiels ancreacutes (Cabredo Hofherr 2014) mettent en eacutevidence un

autre trait seacutemantique sur lequel se distinguent ils et on si on est par nature apte agrave introduire

un individu sous-deacutetermineacute les choses sont plus nuanceacutees pour ils bien que lrsquoinstruction

drsquounifier sa variable se trouve en quelque sorte suspendue elle nrsquoen devient pas pour autant

lrsquoinstruction drsquointroduire une telle variable Lrsquointroduction effective de la variable reacutesulte

selon nous de lrsquoabandon de la proceacutedure drsquounification plutocirct que drsquoune indication inheacuterente agrave

ils

Parmi les contextes communs agrave ils et on on retrouve leur combinaison avec des verbes de

parole (cf supra sect3232) La construction verbale indique que les propos proviennent drsquoune

source indirecte non divulgueacutee ou qursquoils ont eacuteteacute obtenus par ouiuml-dire

(501) donc euh on commence euh agrave des heures s | _ | style neuf heures | _ | et pis euh agrave partir

de lagrave on | _ | on commence par euh comme on dit digitaliser les images | _ | les images

(ofrom)

(502) [agrave propos de Napoleacuteon] peut-ecirctre mecircme serait-il mort euh | _ | puisqursquoil eacutetait quand

mecircme euh il faisait assez peu de cas | _ | on lrsquoa accuseacute drsquoavoir f- de faire assez peu de

cas de la vie des autres mais il faisait euh bon aussi assez peu de cas | _ | de sa propre

vie (ofrom)

(503) cest vraiment la reacuteputation qui poursuit les deux euh les deux lyceacutees | _ | euh on dit

que le Jean Piaget est | plus facile que le Denis-de-Rougemont | _ | donc le Denis-de-

Rougemont se targue un peu drsquoavoir euh | _ | une euh une influence et une | _ | un | _ |

une meilleu un meilleur rang (ofrom)

On remarque drsquoembleacutee que le sujet on ne dit rien sur lrsquoeacuteventuelle association du locuteur au

point de vue qursquoil exprime tandis qursquoavec ils les paroles sont sans conteste imputeacutees agrave autrui

319

mecircme anonyme Ainsi le contexte de (501) laisse ouverte la possibiliteacute drsquoinfeacuterer que le

locuteur monteur en images partage lrsquousage du jargon signaleacute La formule comme on dit

permet eacutegalement agrave celui-lagrave de preacutevenir toute reacuteaction potentielle agrave lrsquoemploi de termes

speacutecialiseacutes Lrsquoexemple (502) illustre lrsquooccurrence de on dans une clause rectificative visant

sans doute agrave mitiger le fait agrave asserter (faire assez peu de cas de la vie des autres) Le locuteur

peut ainsi se deacutesengager de lrsquoassertion en lrsquoattribuant agrave une source anonyme On peut

rapprocher ce rendement du proceacutedeacute de laquo deacuteseacutenonciation raquo caracteacuteristique du texte

scientifique (Ouellet 1984) ougrave on contribue agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun ethos objectif (Beacuteguelin

2015) lrsquoauteur srsquoeffaccedilant discregravetement derriegravere une source scientifique anonymehellip La valeur

mitigatrice est eacutegalement bien perceptible dans lrsquoexemple (503) ougrave le verbe introducteur

reacuteduit la subjectiviteacute de la comparaison poleacutemique subseacutequente sans exclure lrsquoadheacutesion du

locuteur qui conserve toutefois la possibiliteacute de srsquoen deacutefendre en cas de reproche On perccediloit

agrave travers ces quelques exemples (cf aussi supra ex (491) le rapport subtil et ambigu de on agrave

lrsquoeacutenonciation qui permet drsquoexploiter de nombreux effets de points de vue316

Crsquoest pour finir eacutegalement cette flexibiliteacute eacutenonciative qui rend possible une extension

potentiellement illimiteacutee de la reacutefeacuterence de on invoqueacutee dans les eacutenonceacutes gnomiques (504)

(Creissels agrave par) par opposition agrave ils qui exclut forceacutement de sa reacutefeacuterence le locuteur (505)

(Kleiber 1992b Cabredo Hofherr 2014 11)

(504) on ne vit qursquoune fois (ibid 15)

(505) on se projette tout le temps et tout et bien lagrave-bas | _ | euh pas ils vivent le moment

preacutesent (ofrom)

343 Bilan

Dans cette section nous avons mis en perspective trois proceacutedeacutes dont le point commun est de

marquer une forme de sous-deacutetermination de lrsquoagent Nous avons repeacutereacute les zones de

recouvrement potentiel pour y observer les speacutecificiteacutes de chacun et pour y relever les facteurs

susceptibles de motiver le choix de la mise en œuvre de lrsquoun au deacutetriment des autres Nous

avons tout drsquoabord constateacute que la concurrence est restreinte agrave lrsquoexpression de procegraves

impliquant les rocircles drsquoagent et de patient Concernant le type drsquoagent possible nous

proposons un tableau reacutecapitulatif des traits seacutemantiques oppositifs propres aux trois

constructions

316

Voir agrave cet eacutegard Maingueneau (2000) et Beacuteguelin (2014c) qui relegravevent des effets de brouillage narratif subtils

dans des textes litteacuteraires

320

Tableau 2 Tableau syntheacutetique des traits oppositifs de ils on et Oslash317

Agent ILS + V ON +V Oslash (agent implicite de

V-PASSIF)

[+ensemble] +

[+humain] +

[+deacutelocuteacute] +

Cet aperccedilu met drsquoembleacutee en eacutevidence le caractegravere plus speacutecifieacute de ils par rapport aux autres

Ce nrsquoest donc veacuteritablement que lorsque le contexte est compatible avec les traits de ils qursquoil y

a concurrence potentielle (format drsquoensemble rocircle drsquoagent et trait deacutelocuteacute)

A ces diffeacuterences de speacutecification seacutemantique srsquoajoutent des eacuteleacutements lieacutes agrave la valeur

aspectuelle du procegraves et agrave la structure informationnelle des eacutenonceacutes Le passif est

particuliegraverement apte agrave marquer lrsquoeacutetat et lrsquoaspect accompli reacutesultant drsquoun procegraves tandis que

les autres proceacutedeacutes ne peuvent qursquoen marquer lrsquoaspect accompliinaccompli Dans une

structure au passif en outre la promotion de lrsquoobjet en position sujet bouleverse lrsquoorientation

des relations et lrsquoimportance des rocircles (laquo patient-oriented as opposed to agent-oriented

situations raquo Siewierska 2011 68) Cette reacuteorganisation entre aussi en jeu dans la maniegravere

dont le locuteur deacutelivre lrsquoinformation

Nous avons eacutegalement eacutevoqueacute chemin faisant quelques eacuteleacutements de reacuteponse agrave la distribution

apparemment ineacutegale des diffeacuterents proceacutedeacutes en fonction du genre discursif A nos yeux la

rareteacute de ils dans les genres orienteacutes vers lrsquooptimisation de lrsquointerpreacutetation srsquoexplique par le

fait que on et le passif sans compleacutement drsquoagent sont par deacutefinition deacutedieacutes agrave lrsquointroduction

drsquoun agent sous-speacutecifieacute alors que le pronom de 3e personne (et par extension de 6

e

personne) est consideacutereacute comme fondamentalement anaphorique dans lrsquoopinion collective Le

deacutefaut de reacutesolution reacutefeacuterentielle constateacute dans certains cas degraves lors laquo contraire raquo agrave la valeur

de base du pointeur repreacutesente sans doute un motif pour ramener lrsquoemploi au style laquo relacirccheacute raquo

(Gundel et al 2000) ou laquo familier raquo (Sandfeld 1970) Dans les genres voueacutes agrave la reacutealisation

drsquoun produit permanent comme les textes scientifiques on et le passif sont agrave lrsquoinverse

susceptibles drsquointroduire de maniegravere laquo leacutegitime raquo une source dont la sous-deacutetermination

fournit paradoxalement un gage drsquoobjectiviteacute tout en nrsquoeffaccedilant pas complegravetement lrsquoinstance

eacutenonciatrice

317

Par analogie aux analyses oppositives en seacutemantique componentielle une case vide indique ici le caractegravere

non marqueacute de lrsquoexpression pour le trait indiqueacute

321

4 Conclusion

Dans ce dernier chapitre nous nous sommes inteacuteresseacutee agrave un emploi de la 6e personne

consideacutereacute comme marginal du fait de sa divergence de comportement par rapport aux emplois

anaphoriques canoniques En effet il se heurte non seulement aux descriptions textuelles de

lrsquoanaphore pronominale car il nrsquoest pas deacutependant drsquoun anteacuteceacutedent segmental mais aussi au

critegravere du maintien de lrsquoattention des approches cognitives Il nrsquoest donc pas eacutetonnant qursquoil

soit traiteacute en marge du pheacutenomegravene de lrsquoanaphore soit comme un proceacutedeacute non anaphorique

(alors qualifieacute drsquoindeacutefini drsquoimpersonnel drsquoareacutefeacuterentiel drsquoarbitraire etc) soit comme un cas

tregraves particulier drsquoanaphore qui preacutesente des contraintes drsquoemploi strictes (emploi dit collectif

au sens kleibeacuterien) A lrsquoopposeacute une alternative suggeacutereacutee par Yule (1982) et Beacuteguelin (1993b)

sur la base de faits drsquooral notamment consiste agrave reacuteviser le critegravere de saillance et de reacutesolution

reacutefeacuterentielle de la conception courante de lrsquoanaphore

Etant donneacute ces divergences drsquoopinion nous avons tenteacute de confronter le pheacutenomegravene agrave la

notion drsquoanaphore Certains cas srsquoy apparentent assez bien dans la mesure ougrave ils invite agrave

unifier sa variable avec un objet infeacuterable quoique parfois peu eacutelaboreacute agrave partir drsquoindices

disponibles dans M Pour drsquoautres au contraire lrsquoinstruction semble demeurer en suspens soit

par deacutefaut drsquoindices soit parce que la construction en ils ne srsquoanalyse manifestement pas en

termes binaires sujet-preacutedicat la prise en compte de lrsquoorientation argumentative du

programme discursif auquel elle participe suggegravere une interpreacutetation en retrait du rocircle drsquoagent

par rapport agrave lrsquoexpression du procegraves lui-mecircme Dans ces situations il est peu vraisemblable

qursquoun traitement infeacuterentiel soit entrepris pour ils bien que la proceacutedure ne soit jamais exclue

Sans lrsquoinstruction drsquounification on peut se demander srsquoil est encore pertinent de parler

drsquoanaphore Mais au vu de la difficulteacute dans bon nombre de cas de trancher entre une analyse

en termes drsquoanaphore indirecte et de pointeur reacutefeacuterentiellement deacutemotiveacute nous avons fait

lrsquohypothegravese que ce dernier eacutetait le reacutesultat drsquoune reacuteanalyse du pronom sur la base drsquoune

analogie avec lrsquoemploi de ccedila laquo asubjectal raquo Contrairement agrave ce dernier veacuteritable opeacuterateur de

diathegravese reacutecessif susceptible drsquoannuler lrsquoagentiviteacute du verbe ils se borne agrave modifier

lrsquoimportance des relations et rocircles actantiels dans lrsquoexpression du procegraves Quoi qursquoil en soit

lrsquohypothegravese de la reacuteanalyse pourrait expliquer pourquoi il arrive que deux participants drsquoun

eacutechange traitent la mecircme seacutequence de maniegravere diffeacuterente

Lrsquoanalyse en termes de variable non instancieacutee rapproche ils de lrsquousage de on et du passif

manifestant des similariteacutes fonctionnelles eacutevidentes dans certaines circonstances Nous avons

vu toutefois que lrsquoagent nrsquoeacutetait pas speacutecifieacute de la mecircme maniegravere selon la forme utiliseacutee et que

leur distribution eacutetait motiveacutee par des paramegravetres informationnels aspectuels pragmatiques et

lieacutes aux genres discursifs En particulier la quasi-absence de ils reacutefeacuterentiellement deacutemotiveacute

dans les eacutecrits les plus travailleacutes (agrave moins drsquoun effet drsquooraliteacute) srsquoexplique vraisemblablement

par lrsquoeacutecart mal toleacutereacute qursquoil y manifeste par rapport agrave sa fonction anaphorique notoirehellip

322

323

Conclusion geacuteneacuterale

Le propos de cette thegravese eacutetait de dresser un bilan critique sur la probleacutematique de la reacutefeacuterence

et de proposer un examen des manifestations linguistiques de la sous-deacutetermination pour

contribuer agrave une meilleure compreacutehension des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels et agrave une description en

adeacutequation avec les usages des locuteurs En guise de conclusion nous proposons une

synthegravese des reacutesultats les plus importants de lrsquoeacutetude et nous esquissons pour finir quelques

pistes de recherche et drsquoapplication susceptibles de prolonger la reacuteflexion sur le sujet

1 Synthegravese des principaux reacutesultats

Dans le premier chapitre nous avons deacutegageacute les postulats sous-jacents de la seacutemantique

veacuterifonctionnelle refleacutetant une conception du monde essentiellement fondeacutee sur lrsquointuition du

linguiste visant agrave eacutetablir une laquo grammaire du reacuteel raquo (Apotheacuteloz amp Beacuteguelin 1995) Dans cette

optique la langue est perccedilue comme preacutedeacutetermineacutee par la structure du monde et les

expressions reacutefeacuterentielles comme des moyens drsquoidentifier correctement les objets qui nous

entourent Ces principes bien implanteacutes dans la tradition seacutemantique se heurtent cependant

aux comportements effectifs des sujets parlants Lrsquoapproche que nous avons adopteacutee srsquoefforce

agrave lrsquoinverse de deacutegager ce que les donneacutees langagiegraveres reacuteelles reacutevegravelent sur la maniegravere dont les

usagers conccediloivent le monde et gegraverent le discours Nous avons ainsi renverseacute la perspective

pour aborder les aspects incontournables de la reacutefeacuterence comme les types de reacutefeacuterents agrave

lrsquoeacutegard desquels les usages deacutevoilent des proceacutedeacutes drsquoindiffeacuterenciation ou encore les notions

drsquoanaphore et deixis les faits observeacutes mettent en eacutevidence la neacutecessiteacute de prendre en compte

une combinaison de facteurs divers (pragmatiques informationnels cognitifs interactionnels

etc) dans le recrutement drsquoune expression reacutefeacuterentielle lagrave ougrave les modegraveles dominants

nrsquoinvoquent qursquoune seule dimension (textesituation ou maintien reacutefeacuterentielnouveauteacute)

Le modegravele du discours fribourgeois que nous avons exploiteacute repreacutesente un cadre theacuteorique qui

srsquoest aveacutereacute adapteacute agrave nos besoins Il accorde aux faits attesteacutes qursquoils soient courants ou plus

rares oraux ou eacutecrits une eacutegaliteacute de traitement sans preacutejuger de leur acceptabiliteacute Les

reacutefeacuterents y sont conccedilus comme des constructions cognitives (ou objets-de-discours) eacutevoluant

au fil du discours dans un espace de connaissances partageacutees (ou meacutemoire discursive) geacutereacute sur

le vif par les participants de lrsquoeacutechange Le modegravele propose eacutegalement de consideacuterer les

opeacuterations reacutefeacuterentielles comme guideacutees par des strateacutegies et objectifs communicationnels

varieacutes deacuteployeacutes par les locuteurs Crsquoest donc tout naturellement ce cadre qui a servi de toile de

fond agrave lrsquoeacutetude proposeacutee

Le deuxiegraveme chapitre avait pour but de cerner un eacuteleacutement central des proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels

incarneacute par le fonctionnement du pronom de 3e personne il En effet au vu de sa sous-

speacutecification seacutemantique il est consideacutereacute comme une ressource particuliegraverement

repreacutesentative du fonctionnement de lrsquoanaphore reacutefeacuterentielle Les modegraveles en vigueur voient

324

geacuteneacuteralement dans lrsquoanaphore pronominale le reflet drsquoune deacutependance segmentale et

interpreacutetative entre le pronom et un anteacuteceacutedent preacutesent en amont dans le contexte linguistique

Crsquoest drsquoailleurs la conception dominante dans les grammaires ou usuels de linguistique ainsi

que dans de nombreux domaines appliqueacutes de la linguistique ougrave le repeacuterage textuel est un

critegravere deacuteterminant Au vu des faits reacutecalcitrants eacutevidents parmi lesquels la difficulteacute de

cerner un segment anteacuteceacutedent une autre approche propose de deacuteplacer le critegravere sur une

dimension cognitive vouant au pronom un rocircle de marqueur de continuiteacute reacutefeacuterentielle Si le

pronom fonctionne souvent de la sorte nous nrsquoy voyons cependant pas un trait encodeacute dans le

sens du pronom la saillance drsquoun objet constitue selon nous seulement une raison parmi

drsquoautres pour lesquelles un locuteur choisit un pronom de 3e personne au deacutetriment drsquoune

autre expression Le cas des pronoms indirects est particuliegraverement reacutefractaire agrave lrsquoanalyse en

termes de continuiteacute reacutefeacuterentielle Il montre que des paramegravetres contextuels divers motivent

leur emploi selon les inteacuterecircts respectifs des protagonistes comme des proceacutedeacutes de cryptage du

reacutefeacuterent de reformatage drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute eacutenonciative drsquoindistinction etc

Le troisiegraveme chapitre eacutetait consacreacute agrave la deacutefinition de la notion de sous-deacutetermination et agrave un

inventaire des moyens drsquoexpression agrave travers lesquels elle se manifeste en discours Nous

avons vu que la recherche drsquounivociteacute du sens constituait un principe de rigueur non

seulement pour les tenants du bon usage mais aussi de maniegravere sous-jacente dans certaines

deacutemarches scientifiques cherchant agrave pallier le flou potentiel de la langue Cette position a

toutefois deacutejagrave eacuteteacute remise en cause par des auteurs srsquointeacuteressant agrave des pheacutenomegravenes drsquoambiguiumlteacute

ou de vague lexical qui se reacutevegravelent parties inteacutegrantes de la langue

La notion de sous-deacutetermination est eacutetroitement lieacutee agrave celle de pertinence des raisons de

pertinence (calculeacutees en termes de coucircts pour les effets rechercheacutes) poussent en effet le

locuteur agrave varier le degreacute de deacutetermination des objets-de-discours eacutevoqueacutees Nous avons

deacutefini la sous-deacutetermination comme la rencontre drsquoobstacles dans lrsquoattribution drsquoune valeur

reacutefeacuterentielle agrave une variable En cause le deacutefaut drsquoattributs distinctifs disponibles

(deacutenomination format proprieacuteteacutes typantes etc) pour identifier lrsquoobjet Nous nous sommes

donc inteacuteresseacutee aux deacutesignateurs qui se heurtent agrave des difficulteacutes drsquoinstanciation de leur

variable relevant de trois sortes i) la suspension temporaire de lrsquoinstanciation de la variable

(cataphore) (ii) lrsquoinfeacuterence avorteacutee car trop aleacuteatoire drsquoune valeur (iii) la deacutelimitation

incertaine drsquoune classe-objet eacutevoqueacutee en amont dans le discours A la suite de cette

modeacutelisation nous avons dresseacute un inventaire des moyens linguistiques qui mettent en œuvre

ces diffeacuterents cas de figure fondeacute sur la nature lexicale ou non des deacutesignateurs A travers cet

inventaire et lrsquoanalyse des exemples nous avons distingueacute deux types de facteurs agrave lrsquoorigine

de la sous-deacutetermination les facteurs drsquoordre accidentel (lacune lexicale ignorance) vs les

facteurs drsquoordre strateacutegique (eacuteconomie de moyens enjeux informationnels interactionnels ou

encore lieacutes agrave lrsquoheacuteteacuterogeacuteniteacute discursive)

Les quatriegraveme et cinquiegraveme chapitres consistaient en deux eacutetudes empiriques explorant en

deacutetail le fonctionnement de deux marqueurs dont la sous-deacutetermination reacutefeacuterentielle est

325

avantageusement exploiteacutee agrave des fins pragmatiques Le chapitre IV consacreacute agrave tout ccedila

complegravete les nombreux travaux sur ccedila qui ont mis en avant son caractegravere sous-speacutecifieacute et son

deacutefaut de trait de cateacutegorisation expliquant sa souplesse reacutefeacuterentielle Le pointeur se montre

en effet capable drsquoopeacuterer des reacutefeacuterences de diverses natures agrave des objets dont nous avons

illustreacute lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute Nous avons proposeacute de voir lrsquoassociation de lrsquoopeacuterateur de

quantification tout agrave ccedila comme marquant lrsquoexhaustiviteacute drsquoun ensemble qui ne correspond pas

tant agrave une classe homogegravene et deacutenombrable mais plus geacuteneacuteralement agrave une classe-objet crsquoest-

agrave-dire un ensemble flou et heacuteteacuterogegravene lieacute agrave lrsquoeacutevocation drsquoun objet Lrsquoexamen des emplois de

tout ccedila a mis en eacutevidence une valeur reacutesomptive reacuteguliegraverement agrave lrsquoœuvre qui nrsquoexclut

cependant pas lrsquoallusion agrave des eacuteleacutements laisseacutes implicites

Le marqueur tout ccedila en position finale de liste est particuliegraverement productif agrave lrsquooral spontaneacute

ougrave il commute avec drsquoautres particules drsquoextension de liste Nous avons suggeacutereacute que le

fonctionnement pragmatique de tout ccedila nrsquoinvite pas agrave lrsquoinfeacuterence des eacuteleacutements implicites

restants mais qursquoil preacutesente drsquoautres rendements comme la creacuteation drsquoeffets

drsquointersubjectiviteacute drsquoatteacutenuation (ou agrave lrsquoinverse drsquoemphase) la participation agrave la gestion

narrative drsquoun reacutecit lrsquoapproximation de paroles rapporteacutees etc Nous avons eacutegalement eacutemis

quelques reacuteserves agrave lrsquoeacutegard de la notion de grammaticalisation reacuteguliegraverement invoqueacutee pour

lrsquoanalyse des laquo marqueurs discursifs raquo qui envisage les emplois des formes eacutetudieacutees sur des

parcours eacutevolutifs preacutedictifs et uni-directionnels Plutocirct que de recourir agrave une explication

deacuteterministe il nous est apparu plus pertinent drsquoexaminer les circonstances drsquooccurrence du

marqueur en fonction des indices en preacutesence et des objectifs communicationnels agrave lrsquoœuvre

Nous nous sommes pour finir inteacuteresseacutee dans le dernier chapitre agrave lrsquoemploi du pronom

conjoint ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee eacutegalement bien attesteacute agrave lrsquooral spontaneacute Son emploi

tantocirct deacutecrit comme indeacutefini impersonnel ou collectif se distingue du fonctionnement

canonique de lrsquoanaphore et lrsquoun des enjeux du chapitre eacutetait de situer celui-lagrave par rapport agrave

celle-ci En fait nous avons releveacute bon nombre de cas qui peuvent ecirctre traiteacutes en termes

drsquoanaphore indirecte car certains indices reacutefeacuterentiels permettent drsquoinfeacuterer un objet quoique

peu deacutetermineacute pour la variable introduite Drsquoautres cas y sont plus reacutefractaires une infeacuterence

apparaissant beaucoup plus aleacuteatoire si bien qursquoil y a tout lieu de penser qursquoelle nrsquoest mecircme

pas envisageacutee et que la variable reste intacte A cet eacutegard un aspect remarquable de la

construction ils+V est qursquoelle nrsquoa pas agrave ecirctre interpreacuteteacutee en termes de sujet-preacutedicat mais

plutocirct comme la mise en eacutevidence du procegraves verbal eacuteclipsant le rocircle drsquoagent sans toutefois

supprimer celui-ci Entre ces deux analyses de nombreuses donneacutees peuvent ecirctre traiteacutees des

deux maniegraveres des eacutechanges teacutemoignent de traitements concurrents entre les interlocuteurs

pour une mecircme seacutequence Ces situations drsquoambiguiumlteacute nous ont pousseacutee agrave eacutemettre lrsquohypothegravese

drsquoune reacuteanalyse du pronom ils reacutefeacuterentiel en un pointeur deacutemotiveacute par analogie agrave lrsquoemploi de

ccedila en construction asubjectale qui a eacutegalement des reacutepercussions sur lrsquoorganisation actantielle

de lrsquoeacutenonceacute

326

Lrsquoemploi de ils agrave valeur sous-deacutetermineacutee a enfin eacuteteacute mis en regard de on et du passif dans des

contextes comparables afin de deacutegager les speacutecificiteacutes de chacun Bien qursquoils permettent tous

trois de situer un agent en retrait drsquoun procegraves ils preacutesentent des diffeacuterences au niveau

seacutemantique qui contribuent agrave expliquer leur distribution y compris dans les genres discursifs

En particulier contrairement agrave ils on et lrsquoagent Oslash du passif ne sont marqueacutes ni en nombre ni

sur le trait [+deacutelocuteacute] En outre ils servent par deacutefinition agrave introduire une variable sous-

deacutetermineacutee contrairement agrave ils dont ce nrsquoest pas la fonction mais plutocirct la conseacutequence drsquoune

deacutemotivation reacutefeacuterentielle Cet eacutecart de ils par rapport agrave son comportement anaphorique

ordinaire repreacutesente un eacuteleacutement drsquoexplication plausible sur les jugements de valeur dont il fait

lrsquoobjet

2 Pistes de recherche

A lrsquoissue de ce travail nous souhaitons eacutevoquer quelques directions de recherche et points en

suspens pour un prolongement de la reacuteflexion en vue de recherches futures En seacutelectionnant

deux sujets drsquoeacutetude empirique bien deacutelimiteacutes nous sommes consciente drsquoavoir laisseacute de cocircteacute

une part importante de pheacutenomegravenes de sous-deacutetermination dont nous avons montreacute un aperccedilu

dans lrsquoinventaire du chapitre III En particulier les pronoms clitiques reacutegimes le en et y

meacuteriteraient qursquoon srsquoattarde plus seacuterieusement sur leur fonctionnement reacutefeacuterentiel souvent

perccedilu comme un renvoi laquo propositionnel raquo ou agrave un pheacutenomegravene de suppleacuteance au seul niveau

laquo lexical raquo Lrsquoeacutetude reacutefeacuterentielle de ces pointeurs pourrait beacuteneacuteficier agrave notre sens drsquoapports

significatifs par lrsquoexamen des faits oraux

Drsquoautre part le rapport entre lrsquoindeacutefinitude et la deacutefinitude en franccedilais neacutecessiterait un

examen plus approfondi Nous avons en effet pour des raisons drsquohomogeacuteneacuteiteacute exclu de notre

eacutetude les pronoms ou deacuteterminants laquo indeacutefinis raquo alors qursquoils sont fondamentalement

marqueurs de sous-deacutetermination Si notre inteacuterecirct portait deacutelibeacutereacutement sur les deacutesignateurs

pour eacutetudier le laquo conflit raquo qursquoils incarnent (la difficulteacute de trouver une valeur pourtant

requise) on constate que les motivations de lrsquoemploi drsquoexpressions indeacutefinies recouvrent en

grande partie celles des pointeurs eacutetudieacutes Bien que nous ayons abordeacute la question avec la

mise en perspective de ils vs on (et du passif) une recherche minutieuse est agrave continuer en ce

sens examinant notamment la piste de la nature qualifieacutee drsquolaquo existentielle raquo de la 6e personne

(Cabredo Hofherr 2003 2014) A cet eacutegard une comparaison avec drsquoautres marqueurs

drsquoindeacutefinitude pourrait ecirctre prolongeacutee (quelqursquoun (il y a) des gens (qui) certains etc)

Il nous semble que les projets drsquoenvergure de constitution de vastes bases de donneacutees en

franccedilais ORFEO318

et CRFC319

bientocirct accessibles au public pourront apporter des eacuteclairages

nouveaux non seulement sur les faits de sous-deacutetermination particuliegraverement manifestes dans

les productions spontaneacutees mais aussi sur les proceacutedeacutes reacutefeacuterentiels en geacuteneacuteral

318

httpwwwprojet-orfeofr 319

Siepmann Buumlrgel amp Diwersy (2016)

327

Au niveau de la recherche appliqueacutee en traitement automatique des langues cette eacutetude

esquisse quelques eacuteleacutements sur la maniegravere drsquointeacutegrer un certain nombre de paramegravetres

contextuels qui ne sont pas pris en compte dans les meacutethodes de reacutesolution actuelles On

pourrait par exemple repeacuterer les extraits de discours directs qui en tant que manifestations de

lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute eacutenonciative repreacutesentent un terrain propice agrave lrsquoeacutemergence de pronoms

indirects susceptibles de biaiser les rapports de coreacutefeacuterence Ensuite outre lrsquoexclusion deacutejagrave en

vigueur des il laquo impersonnels raquo et une attention deacutejagrave porteacutee au cas de ce ccedila il vaudrait la

peine de repeacuterer les laquo aphorismes lexicaliseacutes raquo avec pronom compleacutement (cf supra Ch III

sect5223) du type en rajouter srsquoy mettre la fermer srsquoen sortir etc Enfin pour ce qui

concerne plus particuliegraverement les corpus oraux un traitement speacutecifique pourrait ecirctre reacuteserveacute

aux lagrave laquo de clocircture raquo (Ch III sect524) ainsi qursquoau cas de ils en recherchant par exemple dans

le voisinage de ce dernier la preacutesence drsquoun eacuteventuel N collectif drsquoun N (ou compleacutement) de

lieu Ces quelques pistes permettraient peut-ecirctre drsquoeacuteviter que la machine se lance dans la

reacutesolution des formes en italiques ci-dessous

(506) le domaine lagrave | eacutelectronique lagrave ceacutetait agrave la | _ | | _ | ougrave y a le maintenant le | _ |

comment ccedila sappelle | _ | le centre euh | _ | de recherche et tout ccedila | _ | euh | _ | ils ont

deacutemoli lusine pour construire un autre bacirctiment agrave la place (ofrom) = (225)

Pour terminer au vu du manque de ressources didactiques pour lrsquoenseignement des proceacutedeacutes

de coheacuterence discursive et de coheacutesion du texte il serait opportun de proposer des outils

adeacutequats aux enseignants dans ce domaine qui puissent sensibiliser les apprenants agrave la prise

en compte de facteurs de divers niveaux qui interviennent dans le choix drsquoune expression

reacutefeacuterentielle

Afin que les eacutelegraveves prennent conscience des diffeacuterences de contraintes normatives qui pegravesent

sur lrsquoemploi des deacutesignateurs en fonction des genres discursifs il nous paraicirctrait utile de les

confronter concregravetement agrave des types de production distincts Une application pertinente en ce

sens consisterait agrave comparer dans une phase drsquoobservation les deacutesignateurs provenant

drsquoextraits de genres tregraves diffeacuterents par exemple drsquoouvrages scientifiques vs drsquooral spontaneacute

Pour aller plus loin elle pourrait srsquoeacutetendre agrave des extraits narratifs ou de presse qui mettent en

place certaines strateacutegies particuliegraveres (eg respectivement les incipits in medias res ou lrsquoajout

drsquoinformations ineacutedites via un SN anaphorique) Quoi qursquoil en soit il nous semble

indispensable de contextualiser et de formuler les exigences propres agrave chaque type de produit

en vue du deacuteploiement de strateacutegies de deacutesignation approprieacutees en particulier dans lrsquoeacutecriture

scolaire

Lrsquoouvrage de [Reichler-]Beacuteguelin (1990) met ainsi en eacutevidence la neacutecessiteacute de

laquo cotextualiser raquo la reacutefeacuterence dans ce genre drsquoeacutecrits autrement dit drsquointroduire explicitement

les reacutefeacuterents dans le savoir partageacute lagrave ougrave des proceacutedeacutes allusifs et implicites passent sans

problegraveme agrave lrsquooral spontaneacute Drsquoautres principes comme la proscription des redondances

lexicales de mecircme que dans le domaine des pronoms la preacutevention drsquoambiguiumlteacutes et le respect

328

des laquo contraintes drsquoaccord raquo (genre nombre) sont de mise refleacutetant une laquo conception

ideacutealiseacutee raquo de lrsquoanaphore du point de vue de lrsquoeacutecrit qui transpose la nature cognitive des

meacutecanismes en jeu agrave une deacutependance seacutequentielle (ibid 79-80) Lrsquoouvrage propose de

nombreuses activiteacutes de reacutedaction notamment sur la base de documents authentiques comme

la recherche de reformulations para-synonymiques ou hyperonymiques qui tienne compte de

la progression du texte lrsquoameacutelioration de laquo maladresses raquo (redondances reprises lexicales

probleacutematiques pronoms preacutesentant des laquo discordances raquo morphologiques) le rappel par

nominalisation etc

Pour aller plus loin et prendre en compte la dimension cognitive et argumentative des

proceacutedeacutes de reacutefeacuterence nous proposerions de fournir des ressources pour lrsquooral eacutegalement

dans le cadre drsquoactiviteacutes du type laquo exposeacute raquo sur un sujet cibleacute devant la classe avec un support

adeacutequat (preacutesentation powerpoint par exemple) Lrsquoexploitation des proceacutedeacutes de reacutefeacuterence

srsquoancrerait ainsi fondamentalement dans la situation drsquoeacutenonciation tout en participant agrave la

structuration discursive du propos La preacutesence du public et drsquoun support agrave commenter (plan

scheacutema tableau) implique non seulement la maicirctrise des deacutesignateurs approprieacutes mais aussi

les dimensions gestuelle spatiale et visuelle qui sont de fait intrinsegravequement lieacutees agrave ceux-ci

Enfin pour ce qui concerne aussi bien lrsquooral que lrsquoeacutecrit acadeacutemique on pourrait imaginer au-

delagrave des exercices de nominalisation bien connus (il a perdu son portefeuille cette pertehellip

ibid) un accent cibleacute sur des strateacutegies reacutesomptives agrave plus grande eacutechelle crsquoest-agrave-dire sur des

eacutetapes entiegraveres de raisonnement domaine en geacuteneacuteral eacutetudieacute agrave travers lrsquousage des connecteurs

logiques En effet la maicirctrise de rappels par des N laquo capsules raquo (cf supra Ch III sect512) par

exemple hypothegravese aspect objectif question problegraveme enjeu solution argument etc)

permet non seulement de deacutevelopper des compeacutetences meacutetadiscursives de retour syntheacutetique

sur le propos mais aussi de veacutehiculer un positionnement argumentatif qursquoil srsquoagit de maicirctriser

en contexte acadeacutemique

A travers ces quelques suggestions drsquoapplication concregravete nous avons esquisseacute certaines

exploitations possibles des reacutesultats de cette thegravese qui serviront nous lrsquoespeacuterons agrave renouveler

la reacuteflexion sur les proceacutedeacutes de reacutefeacuterence en geacuteneacuteral

329

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