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L'Egypte musulmane Le Moyen Âge De 638 à 640, l'Egypte, dont la population était devenue largement chrétienne, fut conquise par les Arabes, sous la conduite d'Amrou, un des généraux du calife Omar. L'Islam y fut introduit et le pays fut réuni au califat de Damas. Le Turc Touloun, qui administrait le pays au nom du calife de Bagdad en 869, usurpa l'autorité suprême, et tût le fondateur de la dynastie des Toûloûnides, qui ne régna que jusqu'en 905. Abou-Obeid-Allah s'empara de l' Egypte en 909, lorsqu'il commença à établir le puissant empire des Fâtimides; mais il en fut chassé par Abou- Bekr Mohammed, gouverneur de l'Egypte, au nom du calife de Bagdad. Abou-Bekr se rendit indépendant en 935, et prit le titre d'Ikhchid, qui était celui des rois de la partie du Turkestan d'où il était originaire. Sa dynastie, dite des Ikhchidites, fut dépossédée par Moez-Ledinillah, troisième successeur d'Abou- ObeidAllah, qui se proclama souverain en 969 sous le litre de calife, et fixa sa résidence dans la ville du Caire, qu'il avait fait bâtir La dynastie des Fatimides régna en Egypte sous onze califes jusqu'en 1171. Saladin, qui commandait une armée envoyée par Nour-Eddin, atabek de Syrie, profita de l'anarchie où les derniers califes fatimides, par leur indolence, avaient laissé tomber l'Etat, pour substituer le nom, du calife de Bagdad à celui du dernier, fatimide. Lorsque ce prince mourut en 1171, Saladin se fit reconnaître sultan d'Egypte, et fonda la dynastie des Ayyoubites, ainsi appelée du nom de son père Ayyoub. Saladin eut pour successeur son

l'Histoire de l' Egypte Musulmane

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L'Egypte musulmane Le Moyen Âge De 638 à 640, l'Egypte, dont la population était devenue largement chrétienne, fut conquise par les Arabes, sous la conduite d'Amrou, un des généraux du calife Omar. L'Islam y fut introduit et le pays fut réuni au califat de Damas. Le Turc Touloun, qui administrait le pays au nom du calife de Bagdad en 869, usurpa l'autorité suprême, et tût le fondateur de la dynastie des Toûloûnides, qui ne régna que jusqu'en 905. Abou-Obeid-Allah s'empara de l' Egypte en 909, lorsqu'il commença à établir le puissant empire des Fâtimides; mais il en fut chassé par Abou-Bekr Mohammed, gouverneur de l'Egypte, au nom du calife de Bagdad. Abou-Bekr se rendit indépendant en 935, et prit le titre d'Ikhchid, qui était celui des rois de la partie du Turkestan d'où il était originaire. Sa dynastie, dite des Ikhchidites, fut dépossédée par Moez-Ledinillah, troisième successeur d'Abou-ObeidAllah, qui se proclama souverain en 969 sous le litre de calife, et fixa sa résidence dans la ville du Caire, qu'il avait fait bâtir La dynastie des Fatimides régna en Egypte sous onze califes jusqu'en 1171. Saladin, qui commandait une armée envoyée par Nour-Eddin, atabek de Syrie, profita de l'anarchie où les derniers califes fatimides, par leur indolence, avaient laissé tomber l'Etat, pour substituer le nom, du calife de Bagdad à celui du dernier, fatimide. Lorsque ce prince mourut en 1171, Saladin se fit reconnaître sultan d'Egypte, et fonda la dynastie des Ayyoubites, ainsi appelée du nom de son père Ayyoub. Saladin eut pour successeur son

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deuxième fils, Mélik-el-Aziz-Othman, qui enleva Damas en 1196 à son frère aîné, Mélikel-Afdhâl. Sous la dynastie des Ayyoubites, qui prit part à la lutte de l'Orient musulman contre les croisés, les chrétiens s'emparèrent de Damiette en 1219, et en 1249 dans l'expédition malheureuse de Saint Louis. Après 1500 Les Mamelouks, dont le sultan Mélik-et-Salêh avait fait sa garde, massacrèrent en 1250 le sultan Mélik-el-Moadham, son fils, et le remplacèrent par le Mamelouk Ibegh, qui avait épousé la veuve de Mélik-el-Salêh. Mais ils proclamèrent sultan, quelques jours après, un enfant de huit ans de la dynastie ayyoubite, Mélik-el-Ascharf. Ibegh conserva néanmoins toute l'autorité en qualité d'atabek du dernier rejeton du sang de Saladin, qu'il fit déposer en 1254, pour se faire reconnaître sultan. C'est par lui que continence la dynastie des Mamelouks Bharites qui fut ainsi substituée à celle des Ayyoubites. Nour-Eddin-Ali succéda à son père Ibegh, qui fut assassiné en 1257. L'Egypte fut élevée à un haut degré de puissance par les quatre sultans Mamelouks Baharites : Bibars, Kélaoun, Kalil-Aschraf, et Nasser-Mohammed, qui portèrent les derniers coups aux colonies chrétiennes fondées en Orient par les croisés. Les Mamelouks Baharites furent dépossédés en 1382 par les Mamelouks Bourdjites. L'avant-dernier Bourdjite, Kansou-al-Gauri, qui d'esclave devint sultan en 1501, s'opposa aux conquêtes des Portugais en Afrique et en Arabie. Il fut vaincu par Sélim Ier, sultan ottoman, en 1516; à Mardj-Dabek près d'Alep, et resta sur le champ de bataille. Toumam-Bey, son neveu et son successeur, succomba aussi en 1517, malgré son héroïque bravoure, sous les armes de Sélim, qui le fit

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pendre à une des portes du Caire, et réunit l'Egypte à son empire. L'Egypte ottomane fut administrée par un pacha assisté de 24 beys, pris dans la milice des Mamelouks. L'un d'eux, Ali-Bey, se rendit indépendant de la Porte en 1766, et fut supplanté en 1772 par son gendre, Mohammed-Bey, qui mourut de la peste devant Saint-Jean-d'Acre en 1776. L'expédition conduite en Egypte par Bonaparte en 1798, aboutit à la conquête et à l'occupation de l'Egypte par les troupes françaises, de 1798 à 1801; la puissance des Mamelouks fut alors anéantie en grande partie. La Turquie étant rentrée en possession du pays avec le secours de l'Angleterre, Mehemet-Ali s'en fit donner le gouvernement en 1806, et se débarrassa des Mamelouks en les faisant tous massacrer en 1811. II soumit la Nubie à sa domination en 1822. Il fit deux fois la guerre à son suzerain. Il lui enleva d'abord la Syrie en 1831-1832, et son fils Ibrahim défit l'armée turque à Konya en décembre 1832 et à Nézib en 1859. Mais l'intervention européenne arrêta chaque fois Mehemet-Ali dans ses succès, Il fut forcé en 1841 de restituer ses conquêtes à la Porte, qui lui accorda la vice-royauté héréditaire de l'Egypte, sous la suzeraineté de la Turquie, et moyennant un tribut annuel. Ses efforts pour européaniser l'Egypte n'atteignirent que très imparfaitement leur but. Il s'attribua le monopole de l'industrie. Mehemet-Ali mourut en 1849, et eut pour successeur son petit-fils Abbas-Pacha, mort en 1854. Ce dernier fut été remplacé par son oncle, Saïd-Pacha, fils de Mehemet-Ali, prince généreux et éclairé, qui encouragea de tout son pouvoir le percement de

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l'isthme de Suez, et qui a fourni à l'égyptologue Mariette, les moyens d'accomplir les plus précieuses découvertes archéologiques. Saïd-Pacha, mort en 1863, a eu pour successeur son neveu Ismaïl-Pacha. En 1882, l'armée britannique prend position en Egypte afin d'y protéger ses intérêts dans la région devenue stratégique du Canal de Suez. Elle participera aussi à la répression du soulèvement du Mahdi, au Soudan (1881-1885). En 1914, le protectorat britannique sur l'Egypte fut officialisé. L'Égypte contemporaine Parallèlement au mouvement pan-arabe islamiste des Frères Musulmans qui se constitue à partir de 1928 autour d'Hassan al-Banna, un mouvement indépendantiste, le Wafd, dirigé par Sahad Zaghloul, apparaît au sortir de la la Première Guerre mondiale. Il poussera le Royaume-Uni à se désengager formellement du pays et à laisser s'installer une monarchie dès 1923, en attendant l'indépendance proclamée seulement en 1936 (le Soudan, dit anciennement anglo-égyptien, ne s'émancipera de la domination anglaise qu'en 1956). Malgré cette indépendance, la zone du Canal resta sous le contrôle de l'armée britannique. A la suite des remous consécutifs à la défaite dans la première Guerre Israélo-Arabe (1948), un coup d'État (23 juillet 1952) renversera le roi Farouk et placera au pouvoir la "dynastie d'officiers" toujours en place : Mohammed Néghib (évincé en 1954), Gamal Abdel Nasser (jusqu'en 1970), Anouar el-Sadate (assassiné le 6 octobre 1981 par un groupe islamiste radical, al-Jihad), Hosni Moubarak (président depuis 1981). Les grands bouleversements du pays auront eu lieu sous la présidence de Nasser, qui s'était posé à la fois

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comme un des animateurs du mouvement des pays Non-Alignés, et le chantre de l'arabisme : Nationalisation du Canal de Suez (et crise internationale qui s'ensuit) en juillet 1956; construction du Barrage d'Assouan décidée vers la même époque; unification de l'Égypte et de la Syrie sous le nom de République Arabe Unie (RAU) entre 1958 et 1961; Guerre des Six-Jours avec Israël (1967), dont les conséquences (occupation par Israël des Territoires Palestiniens, en particulier), restent encore aujourd'hui un des points d'ancrage des tensions au Proche-Orient. La conquête arabe Dès 628, le prophète Mohammed avait pensé pouvoir traiter d'égal à égal avec les rois de la terre, ainsi qu'il appelait les potentats voisins de sa péninsule. Chacun d'eux avait été sommé par lui de choisir entre la guerre et l'islam. Ces démarches étranges et hardies à la fois n'obtinrent pas le succès que le prophète des Arabes en attendait. Seul le moqauqis d'Égypte (préfet indigène), Djoreïdj, fils de Minâ, montra des dispositions amicales; il envoya même des présents consistant en un mulet, un âne et une femme, Marie la Copte, que Mohammed s'empressa d'épouser. Quelques années plus tard, sous le règne d'Omar ibn el-Khattâb, deuxième calife (639-644}, les musulmans devaient trouver en lui un utile allié. L'empire sassanide de Perse venait de tomber sous leurs coups; la Syrie tout entière était occupée militairement. Restait l'Égypte, principal objet de leur convoitise. Cette province faisait partie de l'empire romain d'Orient et obéissait alors à Héraclius, treizième successeur d'Arcadius. Sa

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population, véritable mosaïque de peuples, était formée de deux éléments absolument distincts, vivant juxtaposés, mais nullement mêlés, de deux castes politiques et ethnographiques : les gouvernants et les gouvernés, les melkites et les jacobites (L'Égypte Chrétienne). Les premiers étaient les Grecs affluant de Byzance, tous revêtus d'emplois et de fonctions militaires ou administratives, exacteurs impitoyables, colons insolents, presque tous appartenant à la religion orthodoxe. Les seconds comprenaient les descendants des anciens maîtres du sol, les Coptes ou Égyptiens, peuple d'agriculteurs et d'artisans paisibles, fait au joug depuis plusieurs siècles; ils avaient généralement embrassé la doctrine d'Eutychès ou des monophysites, propagée dans la vallée du Nil par Jacob Baradée, mort évêque d'Edesse en 578. Tout s'opposait donc à une fusion entre ces deux populations d'un même pays : les haines communautaires, l'inimitié du vaincu à l'égard du vainqueur et aussi les divergences religieuses de deux partis également fanatiques. De là de perpétuelles luttes intestines, de réciproques excommunications, qu'entretenaient la tyrannie des agents impériaux et l'exaspération des indigènes. Tel est le singulier spectacle qu'offrait l'Égypte en 639, lorsque Amr ibn El-As, l'un des plus brillants généraux de l'armée de Syrie, envahit la contrée par El Arich, Faramâ (Péluse) et Menf (Memphis). Alexandrie était la capitale grecque de l'Égypte (L'Égypte Ptolémaïque), Menf, la capitale copte. La marche des musulmans fut une promenade militaire : les Grecs n'étaient pas en état de tenir la campagne, et, d'autre part, la population copte accueillait Amr en libérateur. Saisissant avec empressement cette

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occasion inespérée de rompre avec Alexandrie et son gouvernement, le moqauqis de Menf conclut avec Amr un traité par lequel les Coptes promettaient aux musulmans une soumission entière. En échange, Amr leur assurait la liberté religieuse, la sûreté personnelle, l'inviolabilité des biens, une justice exacte et impartiale. Les vexations arbitraires et exorbitantes des préposés impériaux furent remplacées par la redevance fixe et annuelle d'un dinar par tête. Les clauses de ce traité parurent si favorables que toute la population des provinces se mit sous la protection des Arabes. Cependant l'élément grec de la population refusa de se soumettre et se réfugia à Alexandrie ou se retrancha dans la forteresse de Babylone, située sur la rive droite du Nil, un peu au Nord de Menf. Amr attaqua cette forteresse qui fit peu de résistance, grâce aux intrigues du moqauqis. Maître de la partie la plus considérable de l'Égypte, Amr marcha sur Alexandrie, dont la prise pouvait seul lui assurer la possession du pays. Bien qu'abandonnés à leurs propres ressources, les Alexandrins tinrent quatorze mois contre les assauts réitérés des Arabes, dans l'un desquels Amr lui même fut fait prisonnier. Une ruse le fit relâcher. Les Grecs vaincus gagnèrent Constantinople sur leurs vaisseaux. Amr avait perdu dans ce siège vingt-trois mille hommes (22 décembre 640). Selon une tradition peu authentique, le calife Omar lui aurait donné l'ordre de faire brûler ce qui restait de manuscrits dans les bibliothèques d'Alexandrie. L'Égypte subjuguée, Amr songea à organiser sa conquête, tandis que ses lieutenants poussaient leurs armes victorieuses jusqu'au pays de Barqa (Cyrénaïque) et jusqu'en Nubie. Il construisit une

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capitale militaire, Fostât Misr, avec une mosquée cathédrale encore existante; il y établit sa résidence, y forma divers établissements et s'efforça de mettre en pratique un système de sage et prudente administration. Tous les habitants furent soumis à une capitation uniforme; les anciens nilomètres furent réparés, de nouveaux furent construits; l'ancien canal de Qolzoum, qui joignait le Nil à la mer Rouge, fut restauré; d'autres grands travaux furent entrepris et en quelque temps l'Égypte se trouva entièrement régénérée. L'impôt avait rapporté pendant la première année de la conquête un million de dinars; douze ans plus tard il produisait quatorze millions. En 644, le premier soin d'Oçmân ibn Affân, successeur du calife Omar, fut de destituer Amr au profit de son frère de lait, Abd Allâh ibn Saïd. Le nouveau gouverneur augmenta de suite les impôts modérés que son prédécesseur avait institués. Il conserva néanmoins son poste jusqu'à la mort du calife (655). Le vieil Amr ne fut remis en possession de son gouvernement que sous Moâwiya, premier calife omeyyade, qui lui devait son élévation au trône. Malheureusement il mourut deux ans après (663). Dès lors, les Coptes purent se croire revenus aux pires jours de la domination romaine. Le gouvernement de l'Égypte fut confié jusqu'à l'avènement des Abbâsides (750) à une série de créatures avides ou incapables qui mirent en coupe réglée la plus belle province de l'empire des califes. Aux actes d'intolérance et de despotisme des âmil, aux incarcérations, aux amendes, aux confiscations, au pillage des églises et des monastères, aux massacres, les Égyptiens répondirent par d'inutiles révoltes aussitôt étouffées dans le sang. Ils jouirent toutefois d'un repos relatif,

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et le pays recouvra un instant sa prospérité sous l'administration bienfaisante d'Abd el-Aziz, frère du calife Abd el-Malik, de 685 à 705. (Paul Ravaisse). Les Toûloûnides et les Ikhchîdites Les Toûloûnides (868 - 905) Maltraités au temps des Abbasides, les Egyptiens saluairent avec enthousiasme l'usurpation d'Aboû'l I Abbâs le Sanguinaire, qui venait de vaincre Merwân II dans les plaines d'Arbelles et de fonder la dynastie des Abbâsides sur les débris de celle des Omeyyades (750). Merwân chercha vainement un refuge sur les bords du Nil; il fut tué par trahison quelques mois après sa défaite. Dans la crainte que la jouissance d'une autorité aussi lointaine n'inspirât à leurs délégués des idées d'indépendance et d'usurpation, les chefs de l'Islam eurent plus soin que jamais de changer souvent les titulaires. Malgré ces fréquentes mutations, l'Égypte, heureuse sous le nouveau régime, resta tranquille et soumise. Depuis la conquête du pays par Amr ibn et-As jusqu'à l'apparition d'Ahmed ibn Toûloûn sur la scène politique, c.-à-d. en l'espace de deux cent vingt-huit ans, il n'y eut pas moins de cent quatorze nominations de gouverneurs, dont cinq sous les califes légitimes, trente et une sous les Omeyyades et soixante-dix-huit sous les Abbâsides; quelques-uns de ces proconsuls étaient restés quinze jours en place, d'autres avaient dû résigner leurs fonctions à deux et trois reprises. Pendant la dernière période, qui fut une époque d'intrigues et de conspirations permanentes à la cour de Bagdad, il arriva rarement que les personnages

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influents nommés au gouvernement des provinces, se déterminassent à quitter la métropole pour aller résider dans leurs gouvernements. Ils les faisaient administrer en leur nom par des lieutenants qui étaient leurs hommes-liges. L'administration de l'Égypte était ainsi partagée entre plusieurs vice-gouverneurs, les uns commandant à Fostât, d'autres à Alexandrie, à Syoût ou à Assouan. Le pouvoir n'y était pas concentré dans les mêmes mains, mais, dans chacune de ces préfectures, l'armée avait un chef particulier, tandis qu'un autre fonctionnaire était chargé de l'administration civile et de la levée des impôts. En 868, le gouverneur de l'Égypte, Bakbak, avait fait choix d'un nommé Ahmed ibn Toûloûn pour son lieutenant militaire à Fostât, confiant l'administration civile et financière à un autre agent; puis il était retourné à la cour en Irak. Ahmed était fils d'un esclave affranchi originaire du Turkestan, qui avait su obtenir d'El-Mâmoûn et de ses successeurs plusieurs emplois honorables. Lui-même avait hérité de la faveur dont avait joui son père (mort en 853). Personnage d'une éducation distinguée, il devint bientôt assez puissant dans Fostât pour rendre son autorité égale à celle d'un gouverneur en titre et pour soumettre par les armes ceux de ses collègues qui prétendaient conserver dans les différentes préfectures de l'Egypte leur indépendance vis-à-vis de lui. En 872, il obtenait du calife le titre de gouverneur et, dès lors, investi de toute l'administration politique et financière, de tous les pouvoirs civils et militaires de l'Égypte, il agit en souverain maître, tout en se reconnaissant le vassal d'El-Motamid. Le palais des anciens gouverneurs lui étant devenu insuffisant par

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suite de l'expansion de sa maison, de ses armements et de ses richesses, il construisit à l'Est de Fostât la cité militaire d'El-Qatâï (= les fiefs), avec un hôpital, une citadelle, un palais et la splendide mosquée qui porte son nom; en outre, il répara le phare d'Alexandrie, le nilomètre de Rauda, les canaux de la Basse-Égypte, fonda la ville de Rachid (Rosette); enfin il réduisit de 100 000 dinars les impôts vexatoires de ses prédécesseurs. En 877, il s'empara de la Syrie dans une seule campagne : c'était rompre ouvertement avec le calife, ou plutôt avec le gérant de l'empire, El-Mouwaffaq, qui tenait son frère El-Motamid dans une étroite tutelle. Lorsqu'il mourut, après un règne de dix-huit ans (884), son fils Khomârouyah recueillit sans contestation son vaste héritage. Dès lors, la souveraineté des califes de Bagdad sur l'Égypte n'est plus que nominale et ne consiste qu'en un droit d'investiture et un tribut annuel de 3 millions, rarement payé. Au demeurant, les relations entre vassal et suzerain étaient des plus amicales, et c'est pour cimenter ces relations que Khomâroûyah fit épouser au calife sa propre fille, Qatr en-Nadâ (= Goutte-de-Rosée), qui reçut en dot un million de dinars et dont les noces furent célébrées avec un luxe inusité. Véritable monarque, Khomâroûyah dépassa son père en faste et en munificence. Les historiographes arabes décrivent avec admiration les merveilles contenues dans le palais d'El-Qatâï, les statues représentant le prince et ses femmes, les jardins, les volières, la ménagerie, un lac tout de mercure, etc. C'est de tout l'éclat de la richesse et de la puissance que brilla le règne des deux premiers Toûloûnides. Sous leur gouvernement très populaire, l'Égypte eut

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pour la première fois une force et une existence spéciales; elle fut dotée d'une marine respectable, son revenu fut porté à 300 millions de pièces d'or, l'agriculture fut encouragée, les arts, les sciences et les lettres furent aussi en faveur qu'à la cour de Bagdad. Mais avec Khomâroûya, assassiné en 895, s'anéantit la splendeur de cette dynastie, qui semblait cependant fermement assise et qui ne dura pas plus de trente-sept ans. La faiblesse et l'inexpérience des deux fils de ce prince, trop jeunes pour régner, une incursion des Carmathes et surtout l'insubordination des émirs d'Égypte et de Syrie, poussèrent le calife EL-Moktafi à profiter des circonstances pour faire rentrer ces deux provinces sous son autorité immédiate (905). L'Égypte releva de nouveau des Abbâsides. Mais cette reprise de possession fut précaire et de bien courte durée; elle contribua à exciter les convoitises d'un antagoniste dont le parti, depuis un demi-siècle, révolutionnait le monde musulman et sapait sourdement la puissance décrépite de la maison d'Abbâs. Je veux parler du soi-disant mahdî Obeïd Allâh, fondateur de la dynastie fameuse des Fâtimides qui devait rompre avec le califat orthodoxe de Bagdad par un schisme éclatant, à la fois politique et religieux. Cet Obeïd Allâh se vantait d'être issu de Fâtima, fille du Prophète et femme d'Ali ibn Abî Tâlib. Mais on sait aujourd'hui ce qu'il faut penser de cette prétention. Il était en réalité le petit-fils de l'oculiste persan Abd Allâh ibn Meïmoûn, sous la direction duquel s'était formée, vers 870, une vaste société secrète se disant ismaélienne (chiite) et n'ayant d'autre but que la ruine de l'islam officiel et de la dynastie abbâside. De là sortirent les sectes

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redoutables des Carmathes, des Druzes et des Assassins. Investi du pontificat ismaélien, Obeïd Allâh passa en 902 de Syrie en Afrique où l'attendait une armée de partisans recrutés par ses dâï ou missionnaires. En 908, grâce à de faciles conquêtes, son empire embrassait une partie du Maroc actuel, l'Ifriklya (Afrique proprement dite), la Cyrénaïque et la Tripolitaine, sans compter la Sicile, Malte, la Sardaigne et les Baléares. Les Aghlâbites étaient à peine chassés de Qaïrouân, les Idrissites tremblaient encore dans Fez, que déjà le regard du mahdi se tournait vers l'Orient, vers l'Égypte. Trois armées d'invasion pénétrèrent simultanément dans le Delta; mais elles furent victorieusement repoussées par les troupes abbâsides (912). Une seconde expédition lui valut la possession définitive du Fayoûm et d'Alexandrie. Entre temps, comme il lui fallait une capitale neuve, il avait fondé El-Mahdiya; comme il lui fallait un titre, à défaut d'aïeux, il s'était fait proclamer calife, s'attribuant les droits exclusifs de la légitimité, à l'égal, d'ailleurs, des califes de Cordoue et de Bagdad. Les Ikhchîdites (935 - 969) En 934, le fils d'Obeïd Allah, El-Qîïm, lui succéda dans sa puissance comme dans ses grands desseins. Aux précédentes conquêtes il ajouta le Saïd, malgré les préparatifs de défense et les efforts du gouverneur de l'Egypte, général brave et habile, Aboû Bekr Mohammed ibn Toghdj, dont le père avait été un des principaux émirs des princes Toûloûnides. Les Abbâsides ne possédaient donc plus en Afrique que la vallée inférieure da Nil; ils étaient à la veille de se voir enlever pour toujours ce lambeau d'une province qui avait constitué le plus beau fleuron de leur

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couronne. Dès l'année 935, sous le califat d'Er-Râdi Billâh, Mohammed ibn Toghdj, témoin de l'anarchie profonde qui régnait d'une extrémité à l'autre de l'empire, ne comptant plus d'ailleurs que sur lui même et sur le peuple égyptien pour préserver le pays contre une nouvelle tentative du dehors, arbora le drapeau de l'indépendance et força le chef de l'islâm à reconnaître son usurpation. Il prit le titre d'El-Ikhchîd qui était celui des rois du Ferghânah (Sogdiane) dont il disait descendre et transmit à ses fils un pouvoir héréditaire que brisa, trente-quatre ans plus tard le Fâtimide El-Mouïzz li-Din Allâh. En effet, l'avènement d'Ahmed, petit-fils de El-Ikhchid, à l'âge de onze ans et dans un temps de peste, de famine et de guerre, ayant été le signal de graves désordres, les émirs, soucieux de mettre un terme à la période de dure misère que traversait l'Égypte, résolurent de recourir à l'intervention d'un prince étranger. Ils appelèrent El-Mouïzz, arrière-petit-fils du mahdi Obeïd Allâh. Celui-ci ne fit pas attendre longtemps sa réponse. Il rassembla une armée d'élite et la lança vers l'Est sous le commandement suprême du Grec Djauhar qu'il chargea de prendre possession de la Basse-Egypte en son nom et de fonder sur les bords du grand fleuve une capitale capable de rivaliser avec la Bagdâd abbâside. En juin 969, Djauhar campait sous les murs de Fostât; une victoire décisive remportée sur les partisans des Ikhchîdites lui en ouvrait les portes. La khotba (Salvum fac) fut aussitôt récitée par Djauhar au nom des Fâtimides, acte solennel qui consacrait l'avènement de la nouvelle dynastie. (Paul Ravaisse). Les Fâtimides (969-1171)

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Sans perdre de temps, Djauhar se mit en devoir d'achever la mission qui lui avait été confiée. A l'endroit même où les troupes maghrébines avaient dressé leurs tentes, c.-à-d. un peu au Nord d'El-Qatâï et à une certaine distance du Nil, les assises d'une nouvelle capitale furent jetées, chaque corps d'armée fondant un quartier auquel il donna son nom ou celui de son chef. Lorsque, trois ans après (973), le camp fut devenu ville (El-Qâhira = la Ville victorieuse = Le Caire), que la célèbre mosquée El-Azhar et l'immense palais construit pour le calife (93 495 m² de superficie) furent complètement terminés, El-Mouïzz quitta El-Mahdiya avec sa cour, son harem et ses volumineux trésors et transporta au Caire le siège du califat. Le rêve du mahdi se trouvait enfin réalisé : El-Mahdîya, dans sa pensée, n'avait été qu'un abri provisoire. Dans l'intervalle, Djauhar avait réorganisé et dégrevé l'Égypte; il avait conquis la Syrie en moins de temps qu'il n'en faut pour la parcourir, rattachant à l'Égypte cette province qui ne devait cesser d'en faire politiquement partie qu'au XIXe siècle. L'Egypte avait souffert des dernières guerres : El- Mouïzz et son successeur El-Azîz réussirent à lui rendre la prospérité d'autrefois. A partir de cette époque, les Fâtimides soutinrent avec avantage la lutte spirituelle engagée de longue date avec les califes orthodoxes de Bagdad. Leur profession de foi, prononcée du haut des chaires dans toutes les mosquées de l'Afrique, de la Syrie et de l'Arabie, gravée sur leurs monnaies; brodée sur leurs étendards blancs, fut : Il n'y a pas d'autre dieu qu'Allâh, Mohammed est l'envoyé d'Allâh, Alî le chéri d'Allâh!

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Avec le sixième calife de cette famille, El-Hâkim (996-1020), qui fut bien le prince le plus étrange de son temps, l'ismaélisme prit de suite un développement original et fort éloigné de l'esprit qui avait animé la secte à ses débuts. Tour à tour musulman bigot, ou athée effréné, il en vint à croire, sur la foi de deux sectaires étrangers, Darâzi et Hamza, qu'il était l'incarnation de la divinité. El-Hâkim prétendit forcer l'Égypte à lui rendre les honneurs divins. Cette conduite provoqua au Caire un soulèvement qui dura trois jours : le calife, par représailles, mit le feu à la ville. Cependant, toute une église se forma autour de ce dieu de chair, et, quand il disparut subitement trois ans après son apothéose, probablement assassiné, ses fidèles annoncèrent qu'il reparaîtrait dans son humanité au jour de la résurrection. Le culte d'El-Hâkim ne survécut guère à son dieu en Égypte, mais il a subsisté jusqu'à nos jours dans les montagnes de Syrie : Darâzi et Hamza y ont laissé des disciples qui, sous le nom du premier, les Druzes, attendent encore le retour d'El-Hâkim, homme et dieu. Le règne d'El-Mostansir, qui ne dura pas moins de cinquante-huit ans (1036-94), marque l'apogée de la dynastie, mais cet apogée fut suivi d'un désastreux lendemain. El-Mostansir fut au moment de rétablir le califat universel. Moyennant des subsides en hommes et en argent, un émir mécontent, Arslân el-Basâsirl, général des troupes au service des Abbâsides, se chargea de chasser de Bagdad le calife El-Qâïm, et de le contraindre à renoncer à ses droits à l'imâmat en faveur des Fâtimides. L'autorité d'El-Mostansir fut ainsi reconnue jusque dans le Khorasân. El-Qâïm, affolé, se jeta dans les bras du Seldjoukide Toghrul

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Bey qui mit fin à cette tentative révolutionnaire en rétablissant lui-même dix mois après son suzerain sur le trône. Il est vrai qu'il tint à assumer sur lui et sur sa descendance toutes les responsabilités du pouvoir temporel (1055). El-Mostansir en fut pour ses frais. En Egypte, la situation se compliquait pour lui en raison de sa faiblesse et du mauvais gouvernement de son premier ministre, El-Yâzoûri. Une querelle entre un mercenaire turc et un soldat de la milice noire (c.-à-d. composée de troupes originaires de Haute-Egypte et du Soudan) du calife alluma pour quatre ans la guerre civile. La victoire finit par rester à Nasr ed-Daula, chef des Turcs. Mais, alors, l'insolence et les exigences de ceux-ci ne connurent plus de bornes; ils vendirent à l'encan les richesses accumulées par les Fâtimides, pillèrent leurs palais, brûlèrent leurs bibliothèques et s'arrogèrent l'autorité tout entière. El-Mostansir, réduit au dernier dénuement, allait être déposé, quand l'émir de Syrie, Bedr el-Djamâlî , secrètement appelé avec ses troupes, délivra l'Égypte des factieux par un massacre général. Bedr, devenu premier ministre et généralissime d'EI-Mostansir, administra ensuite l'Égype pendant vingt ans en maître absolu, mais éclairé; il y rétablit la paix, le travail et l'abondance absents depuis quarante années. Tous deux moururent en 1094; à cette date, les revenus publics avaient monté de 42 millions à 46 millions et demi. En 1068, la dynastie des Zeïrites, qui gouvernait l'Afrique fâtimide depuis 972, s'était déclarée indépendante. La Syrie allait bientôt se morceler à la suite des invasions franques. Châhinchâh el-Afdal, fils et successeur de Bedr au vizirat, eut en effet à guerroyer contre les Ortoqides et les Francs de la

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première croisade qui lui prirent Jérusalem (1099). Les progrès des chrétiens en Syrie et en Mésopotamie furent d'ailleurs singulièrement favorisés par la rivalité entre les différents princes seldjoukides et par le schisme qui divisait Abbâsides et Fâtimides. Quant à l'Egypte, défendue qu'elle était par ses déserts de l'Est, elle resta pour le moment en dehors de la lutte. Ce ne fut qu'en 1117, sous le calife El-Amir, que Baudouin Ier fit à l'improviste une pointe sur Faramâ, qu'il mit à feu et à sang. Mais la mort le surprit près d'El Arich et l'Égypte fut pour cette fois épargnée. Après El-Amir, poignardé en 1130 par un émissaire du Vieux de la Montagne (le chef des Ismaéliens) qui commençait à faire trembler les monarques de l'Orient, la décadence des Fâtimides s'accentue d'année en année. Les quatre derniers califes (1130-1171), réduits à la nullité, renfermés dans le harem où ils se livrent à de petites intrigues entre leurs femmes et leurs mignons, abandonnent toute l'autorité à leurs vizirs, qui s'arrogent, du reste, avec la plénitude du pouvoir, le titre de malik, roi. Ces ministres-rois ont nom Roudwân, Ibn Sallâr, Abbâs qui tue le calife Ez-Zâfir pour venger son fils du déshonneur, Talaï, son fils Rouzzik, Châwar, Dirgham, Chirkoûh, enfin Salâh ed-Dîn (Saladin). En cette dernière période, l'Égypte est ensanglantée par les discordes de ces émirs turbulents et ambitieux qui se disputent le gouvernement, mais ne savent ni conserver Ascalon, prise par les croisés, ni empêcher les Vikings de Sicile de brûler Tinnis et de menacer Alexandrie (1153). En 1163, sous El-Adhid, dernier prince de cette dynastie moribonde, Châwar, supplanté par Dirgham, sollicita le concours de l'atâbek de Syrie, Noûr ed-Dîn, fils de Zenguî. Celui-ci,

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heureux de pouvoir s'immiscer dans les affaires d'Égypte, envoya une armée commandée par Chirkoûh ibn Châdî, un des principaux émirs de sa cour, qui emmena avec lui son neveu Yoûsouf Salâh ed-Din ibn Ayyoûb. Saladin marchait sans le savoir à la conquête d'un trône. Mais bientôt Châwar, rétabli par les armes des Syriens, se brouilla avec ses protecteurs. Pour s'en mieux débarrasser, il appela à son aide Amaury, roi de Jérusalem, qui avait autant d'intérêt que l'atâbek à s'emparer de l'Égypte. Aussi ce pays devint-il, de 1164 à 1169, le théâtre d'une guerre acharnée. Amaury, après avoir ravagé le Delta, fut bien vite aux portes du Caire, qu'il espérait prendre et piller, pour se le faire racheter ensuite à prix d'or. Ce fut le tour du calife de réclamer l'aide de Chîrkoûh contre son vizir et contre les Francs. Ceux-ci sont battus et chassés d'Égypte, Châwar est assassiné et le généralissime de Noûr ed-Dîn est mis à sa place. Mais il meurt peu de mois après (1169), léguant son pouvoir à son neveu Saladin, qui relègue El-Adhid au fond de son harem, proclame sa déchéance et substitue à son nom, dans la khotba, celui du calife abbâside. Sur ces entrefaites, El-Adhid, malade depuis longtemps, meurt (1171) se croyant toujours calife; Saladin ne lui donne pas de successeur, mais gouverne au nom de l'atâbek de Syrie. Ainsi s'éteignit, entre les mains d'un soldat kurde, cette dynastie fâtimide qu'un sectaire ambitieux avait fondée deux siècles et demi auparavant. (Paul Ravaisse). Les Ayyoûbites (1171-1250) Saladin avait pris le pouvoir. Toutefois, ce ne fut pas sans une vive opposition que le nouveau régime fut

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accepté par les populations indigènes sincèrement attachées à la secte d'Alî (Chiites). Le parti dynastique comptait de nombreux défenseurs, et en 1173, une formidable conspiration éclata pour chasser Saladin et rétablir le califat en la personne de l'imâm El-Mostasim, cousin d'El-Adlhid. Conduite par le poète Ourâra, cette conspiration réunissait les Francs, les Assassins ou Ismaéliens, les Noirs de la Haute-Égypte et tous les partisans des Fâtimides. Les Francs furent battus et chassés (Les Croisades); la conspiration formée au Caire fut étouffée; quant aux Ismaéliens, ils avaient tenté deux fois d'assassiner Saladin; celui-ci ne pouvant les atteindre jugera meilleur de s'allier avec leur chef Sinân (1177). Dès lors, la réaction fut réduite à l'impuissance, et Saladin s'appliqua par tous les moyens possibles à déraciner dans le pays les principes du chiisme : c'est ainsi qu'il détruisit les anciennes académies fâtimides pour les remplacer par des collèges selon le rite orthodoxe de l'imam Châfy. Dans le même temps, l'atâbek Noûr ed-Dîn, qui commençait à prendre ombrage de la trop grande puissance de son lieutenant, meurt (1174). Sous prétexte de sauvegarder les intérêts de son héritier au trône, Saladin occupe la Syrie militairement, puis, levant le masque, il se déclare indépendant tant en Égypte qu'en Syrie après avoir battu et chassé le fils de Noûr ed-Dîn et tous ses compétiteurs (1176). Les croisés deviennent alors ses ennemis directs et personnels. Ils ne lui laissent pas le loisir d'administrer par lui-même l'Egypte où il ne fait que deux courtes apparitions. Saladin en confie le gouvernement à son lieutenant, le légendaire Bahâ ed-Dîn Qarâqoûch (= l'Oiseau-Noir), qui s'acquitte de sa tache avec fidélité

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et intelligence, réglant les impôts, rétablissant les canaux d'inondation, les digues et les chemins, entourant Le Caire d'une nouvelle enceinte et commençant la construction du château de la Montagne où les maîtres de l'Egypte habiteront jusqu'au milieu du XIXe siècle. La révolution opérée par Saladin avait eu une portée immense : elle avait aggravé la situation des colonies chrétiennes en Orient et fait cesser, au point de vue politique, le grand schisme qui partageait l'Islam : il n'y aura plus désormais qu'un chef spirituel, qui sera sunnite, c.-à-d. orthodoxe. A la mort de Saladin (1193), ses fils, frères, oncles, neveux et cousins, toute la descendance d'Ayyoûb, en un mot, s'apprêtèrent à se partager son vaste empire. L'Égypte échut à son fils El-Malik el-Azîz (1193-98). Mais bientôt, d'alliées qu'elles étaient, les différentes branches de la famille ayyoûbite devinrent ennemies. El-Adil, frère de Saladin et prince de Karak, s'empara de la sultanie du Caire (1200) et réunit bientôt sous sa domination les apanages de ses neveux. Cet homme énergique et audacieux tint en échec les chrétiens des quatrième, cinquième et sixième croisades qui comptaient sur la division des Ayyoûbites. Son fils El-Kâmil (1218-38) ne put empêcher les Francs de remonter le Nil et de s'ouvrir, après un combat à El-Mansoûra, le chemin du Caire. Vainement il proposa un arrangement aux chefs croisés. Enfin, il reçut du renfort des princes syriens de sa famille. Un mouvement tournant, opéré par les musulmans qui rompirent les digues des canaux et livrèrent l'armée chrétienne an fléau de l'inondation, obligea les croisés à implorer la paix et à rendre Damiette sans compensation : l'Egypte fut évacuée (1221).

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En 1240, Es-Sâlih, fils d'El-Kâmil, tua El-Adil Il, son propre frère, et usurpa le pouvoir. Son règne, comme celui de ses prédécesseurs, offrit le triste spectacle de luttes fratricides, mêlées an duel engagé depuis cent cinquante ans entre musulmans et chrétiens. Pour la septième fois, l'Europe chrétienne vint fondre en armes sur l'islam. A la tête de cette croisade marchaient saint Louis et la fine fleur la chevalerie française. Tout d'abord Damiette, clef de d'Egypte, est prise. L'armée sarrasine vient prendre position devant El-Mansoûra, lorsque Es-Sâlih succombe à une maladie; il venait de créer, pour la ruine de sa dynastie, la garde prétorienne (halqa) des Mamloûks (Mamelouks), esclaves turcs achetés à prix d'argent. Sa mort est tenue secrète jusqu'après l'arrivée de son fils El-Moazzam Toûrân Châh qui guerroie en Syrie. Le 6 avril 1250, un combat meurtrier est livré devant El-Mansoûra que les Francs mettent à sac. Mais la marche en avant de l'ennemi est arrêtée par les Mamelouks qui coupent ses communications avec Damiette. Poursuivis, harcelés, décimés, les Francs battent en retraite sur Fâriskoûr où Saint Louis, après une lutte héroïque, est capturé avec les princes et les barons de France survivants. Le 4 mai, Toûran Châh, qui s'était vite aliéné l'esprit de ses troupes par des rigueurs intempestives, meurt sous les yeux des prisonniers francs, assassiné par Baïbars el-Boundoukdâri, l'un des principaux émirs mamelouks. L'Égypte, ou plutôt les Mamelouks, n'avait plus de maître : Chadjarat ed-Dourr, mère du sultan massacré, se chargea de leur en donner un : elle se fit proclamer reine, événement unique dans les fastes musulmans, et choisit pour atâbek (= tuteur) Izz ed-Dîn Aïbek, comme elle Turc de naissance et

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ancien esclave, qui était son amant et qu'elle épousa. Mais bientôt le parti des Mamelouks conservateurs força le nouveau sultan à s'associer au pouvoir un descendant de Saladin, le jeune El-Achraf Moûsâ, arrière-petit-fils da sultan El-Kâmil avec qui prit fin, quatre ans après (1254), la glorieuse dynastie des Ayyoûbites d'Égypte. Dans L'intervalle, saint Louis s'était retiré en Syrie avec ses troupes après avoir rendu Damiette pour sa rançon et pavé six millions pour celle des prisonniers chrétiens ( Les Croisades). (Paul Ravaisse). Le temps des Mamelouks (1254-1517) Les Mamelouks turcomans bahrites (1254-1382) Le règne effectif des sultans mamelouks qui comprend deux périodes d'une durée presque égale, correspondant à deux dynasties d'origine différente. Les nouveaux maîtres de l'Égypte, ceux de la première dynastie, étaient des Turcs originaires du Kiptchak (La Horde d'Or). Ils avaient été introduits en Égypte vers 1227, au nombre de 12 000, à l'époque ou Gengis Khan lançait ses hordes mongoles à travers l'Asie et l'Europe orientale. Ce fut cette expédition qui causa la création des Mamelouks. Les Tatars avaient ramené avec eux une foule de jeunes gens des deux sexes : leurs camps, leurs marchés regorgeaient d'esclaves. Les sultans d'Égypte virent là une bonne occasion de se procurer sur-le-champ des troupes solides et nombreuses dont les cadres continuèrent toujours à se remplir par la même voie de sélection et d'achat. Cette milice devint bientôt si puissante en Égypte qu'elle finit par supplanter ses maîtres dans les circonstances que l'on sait. La dynastie des Mamelouks turcomans ou bahrites

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(ainsi nommés parce que leurs casernements s'étendaient le long du Nil, el Bahr) n'a guère que trois sultans célèbres : Ez-Zâhir Baïbars, El-Mansoûr Qalâwoûn et le fils de celui-ci , En-Nâsir Mohammed. En 1258, Bagdad tombait au pouvoir d'Hoûlâgoû, petit-fils de Gengis Khan, et le califat abbâsside était détruit. Ce fut Baïbars (1260-77), le meurtrier de Toûrân Châh, qui recueillit les membres de la famille abbâside échappés au fer des Mongols et fit revivre au Caire, en eux, le califat orthodoxe qui s'y perpétua jusqu'en 1517 sous le patronage des sultans d'Égypte. Qâlàwoûn (1279-90), surnommé El-Alfi pour avoir été jadis acheté mille dinars repoussa une invasion d'Abaka Khân, conclut un traité d'alliance avec Alphonse III d'Aragon et fonda une foule d'établissements utiles; il fut la tige d'une suite de quinze rois dont la succession fut peu interrompue jusqu'au renversement de sa dynastie par les Mamelouks bourdjites. En-Nâsir occupa le trône à trois reprises différentes; son règne (1293, 1299-1341) fut le plus long, l'un des plus paisibles et des plus bienfaisants qu'aient vu les populations égyptiennes. Mais après lui, ses fils ou petits-fils, devenus la jouet des émirs mamelouks, fournirent des règnes éphémères, sans éclat, et préparèrent en moins d'un demi-siècle le renversement de leur dynastie. Les Ayyoûbites avaient commis une erreur lourde de conséquences en s'entourant d'une garde prétorienne; Qalâwoûn, qui était lui-même un Mamelouk de cette garde, ne sut profiter de l'expérience le jour où, voulant donner un contrepoids à la prépondérance de ses congénères devenus ses sujets, il créa un nouveau corps de soldats esclaves, non plus d'origine turkmène cette fois, mais circassienne. La halqa des

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sultans bahrites, chargée surtout de la défense des forteresses, des bourdj, d'où son nom de bourdjite, fut d'abord un appui et une force, puis devint un embarras et un péril; après avoir consolidé le trône, elle en vint à l'usurper avec Ez-Zâhir Barqoûq (1382-88) qui fut le premier des sultans circassiens. Mamelouks circassiens bourdjites (1382 - 1517) Du reste, cette seconde dynastie de princes mamelouks ne fit guère que continuer celle des Turcomans. Ce fut toujours la même marche et la même politique; toujours des émirs turbulents qui se disputaient le pouvoir à chaque vacance et en créaient le plus souvent possible par des voies anarchiques et violentes. Barqoûq eut au moins cette gloire qu'il sauva l'Égypte de l'invasion d'un nouveau conquérant turco-mongol plus terrible que le premier, Timour Leng (Tamerlan), qui remplissait alors l'Asie tout entière du bruit de ses exploits. En 1412, à la suite d'un coup d'État que rien n'eût pu faire prévoir après un siècle et demi d'effacement, le trente-huitième calife abbâside, El-Mostaïn Billâh, se trouva investi des pouvoirs temporel et spirituel comme aux plus beaux jours de la papauté musulmane. En réalité, il n'était qu'un aveugle instrument entre les mains du plus ambitieux des émirs mamelouks, Cheikh Mahmoûdi, qui, en cette affaire, n'avait prétendu travailler que pour lui-même. Moins d'un an après son triomphe, le trop confiant El-Mostaïn était détrôné, puis exilé par son protecteur, lequel se contenta de régner temporellement, du reste en prince accompli, sous le nom célèbre d'El-Mouayyad (1412-1421). El-Achraf Bars Bây, après lui, fit l'Égypte heureuse au dedans et glorieuse à l'extérieur (1422-1437). Le

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pieux sultan Qâit Bây parvint à se maintenir vingt-huit ans sur un trône que menaçait déjà la puissance ottomane; celle. ci commençait à prévaloir sur l'influence moghole. Par une générosité fatale, Qâit Bây donna asile au prince Djem (Zizim), compétiteur de Bayézid Il (L'Empire Ottoman, d'Osman à Bayézid II), ce qui attira sur lui des haines funestes dans l'avenir (1467-1495). Au reste, maints signes extérieurs indiquaient clairement que la dynastie circassienne et la fortune de l'Égypte étaient à la veille de s'abîmer dans une commune catastrophe. L'Égypte était lasse de la domination rarement supportable des sultans mamelouks, grâce auxquels, cependant, elle avait atteint le plus haut degré de la civilisation orientale. Cette aristocratie guerrière, composée d'esclaves achetés sur les marchés, n'avait pas de racine dans le pays qu'elle exploitait plutôt qu'elle ne le gouvernait. Elle était également détestée des Coptes, des Grecs et des Arabes qui formaient la population de l'Égypte. En outre, la prospérité commerciale du pays venait d'être profondément ébranlée par la découverte de la route du cap de Bonne-Espérance (1498). Alexandrie, comme Venise, se trouva déshéritée du commerce de l'Inde et de la Chine au profit des pays occidentaux de l'Europe. En 1504, le doge et le sultan s'unirent par une alliance contre les Portugais. Ce fut peine inutile; les Portugais étaient déjà maîtres de l'Inde. L'anarchie intérieure et la ruine du commerce maritime préparèrent l'oeuvre de la conquête turque. A l'automne de 1516, Sélim II, successeur de Béyazid (Le Siècle de Soliman), envahissait la Syrie. Le sultan Qansoûh IV El-Ghoûri, malgré ses quatre-vingts ans, marcha au-devant des Turcs. Il fut vaincu et tué, près

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d'Alep, malgré la valeur désespérée des Mamelouks. La victoire de Gaza donna à Sélim l'entrée de l'Égypte, celle de Reïdâniya lui ouvrit les portes du Caire (22 janvier 1517). Toûmân Bây, élu sultan d'Égypte par les Mamelouks, y rentra secrètement et extermina le corps d'occupation. Sélim fut obligé de reprendre la ville rue par rue, maison par maison. Mais Le Caire fut puni de sa révolte par le massacre de 50 000 habitants. Toumân Bây opposa une résistance héroïque, mais vaine. Trahi par un Arabe, il fut livré à Sélim qui le fit pendre au Caire sous l'arcade de la porte Zowaïleh (13 avril). (Paul Ravaisse). La domination ottomane (1517 - 1805) Le pouvoir ottoman Sélim II , fils et successeur de Soliman le Magnifique avait réuni dans ses mains le pouvoir temporel des sultans et le pouvoir spirituel des califes en s'emparant d'El-Motawakkil, cinquante-cinquième et dernier calife abbâside. Les villes saintes, La Mecque et Médine, enchaînées en sort de l'Égypte, passèrent avec ce pays sous le joug ottoman. La province d'Egypte fut confiée à un pacha, surveillé lui-même et contrôlé par deux autres pouvoirs collatéraux : les aghâs et les anciens beys mamelouks. Les premiers, au nombre de six, puis de sept, formèrent le conseil obligé du pacha, qu'ils devaient surveiller et, au besoin, dénoncer à Istanbul; ils avaient sous leurs ordres les six corps militaires ou odjâk chargés de la défense, de la police et de la perception des impôts. Les beys, au nombre de douze, rééligibles tous les ans, furent chargés des douze gouvernements de l'Égypte. Les bases de cette organisation furent tant soit peu modifiées par Soliman ler, qui donna à

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l'administration de l'Égypte la forme compliquée qu'elle conserva jusqu'à Mohâmmed-Ali (Mehemet-Ali). Cette organisation fut si bien équilibrée pour la stabilité de la possession, mais non pour le bien-être du pays, que, malgré les distances, malgré une suite non interrompue de conspirations, l'Égypte resta pendant près de trois siècles vassale de la Porte. Il serait long et fastidieux de suivre cette nomenclature de pachas (on en compte cent seize de 1517 à 1766), hommes sans importance pour la plupart, agents de la Porte, tantôt obéis, tantôt méconnus, tenanciers d'une ferme politique, qui ne travaillèrent qu'à s'enrichir et à mériter le lacet de soie. Au XVIIIe siècle, avec l'affaiblissement de l'empire ottoman, la dignité de pacha d'Égypte, accordée au plus offrant, ne cessa de s'avilir davantage. A la fin, le pacha ottoman n'eut plus qu'un rôle fictif et dépendit entièrement du cheikh el-balad ou chef des beys mamelouks, qui devint roi effectif. A côté de ces gouverneurs sans gloire figurèrent bientôt ces beys héréditaires qui en savaient acquérir. Ismâïl Bey, Doû'l Fikâr, Ibrâhim Kiahyâ, Roudwân, Khâlil Bey et surtout Ali Bey el-Kebir (1763-1772). Rêvant l'indépendance de l'Égypte, Alî Bey osa braver la Porte, lui désobéit, la combattit et la vainquit; le premier il osa battre monnaie à son coin et se faire nommer par le chérif de La Mecque sultan-roi de l'Egypte. En cette qualité, il rechercha des alliances européennes, s'adressant aux Vénitiens par l'intermédiaire de l'Italien Rosetti, et aux Russes par le canal de l'Arménien Yâqoûb qui fit des ouvertures à l'amiral Orloff. Sous son règne l'Égypte fut réorganisée, pacifiée, prospère. Mais la trahison entraîna, avec des révoltes, la défaite d'Ali Bey qui,

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fait prisonnier sur le champ de bataille, mourut au Caire de ses blessures. Ibrâhim et Moûrâd, auxquels l'expédition française donna tant de relief, ne surent qu'attirer les colères de la France républicaine par les avanies intolérables qu'ils firent subir aux nationaux. En effet, dans le courant de l'année 1795, Magallon, consul de France au Caire, adressa au Directoire une série de pétitions qui concluaient à la conquête de l'Égypte, projet déjà mis en avant par Leibniz en 1672, puis sous Louis XV par Choiseul. Au retour de Campo-Formio (octobre 1797) Bonaparte prit connaissance de ces pétitions. Poussé par l'ambition et la gloire, l'horreur de l'inaction, la crainte des haines secrètes du gouvernement, Bonaparte fit décréter l'expédition d'Égypte. Le Directoire, de son côté, n'était pas fâché de se débarrasser d'un homme dont la réputation l'écrasait. Le prétexte politique fut de frapper l'Angleterre dans l'Inde. Le moment toutefois était mal choisi; mais, en cette circonstance, les véritables intérêts du pays ne furent pas consultés. L'Expédition française (mai 1798-septembre 1801) Le Directoire abandonna à Bonaparte des pouvoirs discrétionnaires pour préparer dans le plus grand secret la conquête et la colonisation de l'Egypte. L'armée expéditionnaire, forte de 36 000 hommes, dont 2500 cavaliers, presque tous soldats de l'armée d'Italie, et de 10 000 marins, s'embarqua à Toulon (19 mai). La flotte se composait de 30 vaisseaux ou frégates, 72 corvettes et 400 transports. Bonaparte emmenait, outre les généraux Berthier, Lannes, Marmont, Murat, Kléber, Desaix, Reynier, Menou, un corps auxiliaire de cent vingt-deux savants et artistes tels que Monge, Berthollet, Larrey, Desgenettes,

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Geoffroy Saint-Hilaire, Denon, Marcel, qui devaient l'aider « dans la tâche laborieuse de faire oublier par les bienfaits de la paix les misères de la conquête ». L'amiral Brueys avait sous ses ordres Gantheaume, Villeneuve, Decrès. Le 10 juin, Malte fut prise après un simulacre de défense; le 2 juillet, le débarquement avait lieu à l'anse du Marabout, à 4 lieues d'Alexandrie, qui était aussitôt enlevée d'assaut après un combat violent. Bonaparte y laissa Kléber avec 3000 hommes et marcha de suite sur Le Caire. Les troupes, après une marche très pénible par le désert de Damanhoûr, atteignirent (10 juillet) Rahmâniyeh, où elles opérèrent leur jonction avec la flottille du Nil, chargée des convois. La première rencontre eut lieu à Chébreïs (13 juilet) : Moûrâd, à la tête de 1200 Mamelouks et 500 Arabes fut repoussé avec pertes. Le 21 était livrée la fameuse bataille d'Embâbeh ou des Pyramides. Moûrad fut aussitôt poussé dans la Haute-Egypte par Desaix; Ibrâhim s'enfuit du côté de la Syrie, et les Français, ayant franchi le fleuve, firent leur entrée au Caire (22-25 juillet). Bonaparte déclara aux habitants qu'il venait comme allié de la Porte ottomane pour les délivrer de la domination des Mamelouks. Il donna un gouvernement municipal à la ville, respecta les propriétés, les moeurs, la religion des habitants, établit des manufactures, entoura Le Caire d'une ceinture de forts et bientôt fonda l'Institut d'Egypte, instrument actif de colonisation formé par l'élite des savants, des ingénieurs et des artistes français. Les Français commençaient à avoir l'espoir de faire un établissement durable dans ce pays, lorsqu'un irréparable désastre vint ruiner tout l'avenir de leur expédition. La flotte française, poursuivie depuis

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deux mois par les Anglais, n'ayant pu entrer dans le port d'Alexandrie, fut surprise et détruite par l'escadre de Nelson dans la rade d'Aboukir; Brueys était tué (1er août 1798). Ce fut l'un des événements qui ont le plus influé sur les destinées du monde, au moins jusqu'à la Première Guerre Mondiale. Si la plupart des habitants se pliaient avec fatalisme la domination française, il s'en fallait que le clergé montrât de la sympathie à l'égard des infidèles. Une mesure fiscale du maladroit Poussielgue ajouta aux griefs des meneurs, et, le 21 octobre, une insurrection terrible éclata au Caire dans laquelle périrent 300 Français et qui ne fut apaisée qu'après une bataille de deux jours. Pendant ce temps, Desaix avec 4000 hommes et les généraux Davout, Belliard et Friant finissait par rejeter Moûrâd en Nubie. Le 3 mars 1799, Belliard atteignait Philae; le 29 mai, Desaix occupait le port de Qoseïr, sur la mer Rouge. Vers la même époque, deux armées turques se rassemblaient à Rhodes et à Damas pour chasser les Français de l'Égypte. Bonaparte, qui savait que la possession de la Syrie était indispensable à qui voulait conserver l'Égypte, fit ses préparatifs de campagne. Le 10 février, il partait, à la tête de 13 000 hommes, dans la direction d'El-Arîch, traversait le désert, entrait dans Gaza et arrivait le 7 mars devant Jaffa, qu'il prenait d'assaut le 13. On sait que, embarrassé de ses prisonniers, il les fit fusiller. De là, il marcha sur Saint-Jean-d'Acre qui, vigoureusement défendue par le pacha Djezzâr, Sydney Smith, commandant de la croisière anglaise, et deux émigrés français, repoussa deux assauts (20 mars). Pendant en temps, l'armée de Damas s'avançait sur le Jourdain. Kléber, avec 2000 hommes, marcha à sa

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rencontre et fut enveloppé près du mont Thabor par 12 000 cavaliers et autant de fantassins. Bonaparte arriva à temps avec 3000 hommes pour mettre l'immense cohue adverse en déroute (16 avril). On retourna devant Saint-Jean-d'Acre; mais, menacé par L'armée de Rhodes, Bonaparte en dut lever le siège après quatorze assauts et deux mois d'inutiles efforts. Il fallait renoncer à la conquête de la Syrie, partant à tout espoir de succès ultérieur. L'armée revint au Caire sans obstacle, mais diminuée de 4000 hommes et découragée (24 mai). Bientôt après, l'armée de Rhodes, forte de 18 000 hommes, abordait dans la presqu'île d'Aboukir et s'y retranchait. A cette nouvelle, le général en chef accourut du Caire avec 6000 hommes; le 25 juillet, l'armée turque était détruite et, par cette victoire, la possession de l'Égypte sembla assurée aux Français. Le 22 août suivant, Bonaparte quittait secrètement l'Égypte avec Lannes, Duroc, Bessières, Marmont, Berthier, Monge et Berthollet; il venait d'apprendre par les journaux que lui avait envoyés l'amiral anglais les récents désastres et l'anarchie de la France. Auréolé maintenant d'une gloire fabuleuse, il se laissa entraîner par le souci de sa fortune politique; il partit, abandonnant le commandement de l'armée à Kléber avec des instructions qui l'autorisaient à évacuer l'Égypte (22 août). Ce départ fut regardé par l'armée tout entière comme comme une désertion. Kléber exhala son indignation dans une lettre au Directoire. Privée de marine et de renforts, sans défense du côté de la Syrie, menacée de plus par les forces considérables et renouvelables des Anglais et des Turcs, réduite enfin à 15 000 combattants disponibles, l'armée française était

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démoralisée et craignait de ne pouvoir se maintenir longtemps sur cette terre éloignée. Alors Kléber, cédant aux clameurs de ses soldats, aux mauvais conseils de Reynier, entama des négociations avec la Porte et Sydney Smith et signa la convention d'El-Arich (24 janvier 1800). L'armée française devait rendre les forteresses et évacuer le pays avec tous les honneurs de la guerre pour être transportée en France sur des vaisseaux anglais. Le mouvement d'évacuation était commencé lorsque, par une perfidie insigne, l'amiral Keith avertit Kléber que le cabinet britannique ne pouvait reconnaître la convention d'El-Arich, à moins que l'armée ne se rendit à discrétion (20 mars). Indigné, Kléber rompt aussitôt la convention. Avec 10000 hommes, il marche contre l'armée du grand vizir forte de 80 000 soldats, la met en pleine déroute à Matariyeh (Héliopolis, 24 mars), puis, revenant au Caire où Ibrâhim Bey était rentré en son absence, il bombarde la ville révoltée et la soumet après une bataille de dix jours. Les français reprirent leurs positions; Moûrâd Bey traita avec eux et s'en alla gouverner l'Egypte comme tributaire : l'Egypte était reconquise. Le courage revenait aux troupes et les projets de colonisation étaient repris avec une ardeur toute nouvelle, lorsqu'un nouveau malheur vint décider pour toujours du sort de l'expédition : le 14 juin 1800, Kléber tombait frappé à mort par un Syrien fanatisé. Le général Menou lui succéda, non par l'ordre de mérite, mais par le droit de l'âge. La colonie affaiblie jouit encore de six mois de paix intérieure. Au commencement de l'année 1801, 30 000 Anglais, sous les ordres du général Abercrombie, débarquent à Aboukir. Le 21 mars, Menou est écrasé à Canope,

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par la faute de Reynier, qui reste immobile avec sa division; il se retire à Alexandrie, mais y reste bloqué, Hutchinson ayant rompu les dignes qui séparent la mer du lac Mareotis, alors desséché depuis deux siècles. Son lieutenant, Belliard, enveloppé avec 8000 hommes dans Le Caire par 50 000 Turcs ou Anglais, se décide à capituler sur les bases de la convention d'El-Arîch (25 juin). Il évacue la ville avec tous les honneurs de la guerre et embarque ses troupes sur des vaisseaux anglais. Menou, assiégé dans Alexandrie, se rend le 2 septembre, aux mêmes conditions que Belliard. Dans le courant du même mois, l'évacuation complète de l'Égypte était consommée. Telle fut cette fragile conquête, une expédition manquée et meurtrière. (Paul Ravaisse). Le temps des Vice-Rois (1805 - 1892) Mehemet-Ali et ses successeurs Le départ des Français laissa l'Égypte au pouvoir des Turcs, des Anglais et des Mamelouks. Ceux-ci, réunis sous leurs deux principaux beys, Oçmân Bardîsi et Mohammed el-Alfi remportèrent sur le gouverneur turc Khosreu Pacha une victoire complète. Ce dernier imputa sa défaite à l'absence d'un commandant de 1000 Albanais, et l'appela auprès de lui dans le dessein de le mettre à mort. Ce chef nommé Mohammed-Ali ou Mehemet-Ali (il était né en 1769à Ravala, port de Macédoine), prévenu à temps, s'allia aux Mamelouks et leur ouvrit les portes du Caire; puis, se mettant à la solde de Bardisi il marcha contre Khosreu et le fit prisonnier (1803). S'élevant peu à peu jusqu'au premier rang en face des beys, ses rivaux, il renversa bientôt Khosreu, puis Khourehid, gouverneurs turcs, et finit, grâce à son audace, à sa

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popularité, à la division entre Turcs et Mamelouks dont il sut profiter, par se faire élire pacha du Caire et gouverneur de l'Egypte (1805). La Porte sanctionna cette usurpation sous la condition d'un tribut de 7 millions. Le nouveau pacha réunit une forte armée, rétablit l'ordre dans le pays et se mit ouvertement à appuyer la politique française. En effet, les Anglais, de concert avec les Mamelouks, ayant tenté de s'emparer du pays, le général Fraser qui tenait Alexandrie fut repoussé (septembre 1807); quant aux Mamelouks, dont la rapacité et la turbulence ne cessaient de troubler l'Égypte, Mehemet-Ali résolut de les anéantir. Le 1er mars 1811, il les faisait exterminer au nombre de 480 dans un guet-apens à la Citadelle. Ceux restés en province, plus de 600 en tout, furent égorgés sur son ordre. Son pouvoir était désormais affermi. Aussitôt après cet horrible massacre, le pacha pressa l'expédition d'Arabie contre les sectaires wahhâbites, expédition commandée par la Porte qui ne voyait pas sans inquiétude grandir ce vassal redoutable. Cette guerre, que conduisirent ses fils Toûsoûn et Ibrâhim, se termina au bout de sept ans par la conquête du Hiddjâz et la délivrance des lieux saints (la Mecque et Médine). En 1822, la Nubie, le Sennâr et le Kordofân lui étaient conquis par son troisième fils Ismâïl et son gendre le defterdâr Ahmed-Bey ; Khartoum était fondée au confluent des deux Nils. En 1824, le sultan Mahmoûd ayant imploré contre la Grèce révoltée le secours de son puissant vassal, celui-ci envoya Ibrâhim Pacha avec 26 000 hommes. La flotte turco-égyptienne fut écrasée à Navarin (20 octobre 1827) et Ibrahim dut évacuer la Morée (1828). Pour prix de ses services, Mehemet-Ali réclama le

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gouvernement de Syrie; Mahmoûd refusa. Ibrâhim envahit la Syrie, puis l'Anatolie et battit deux généraux turcs à Homs et à Konya (1832); Istanbul était menacée. La Russie et la France intervinrent et imposèrent aux belligérants la convention de Kutâhyeh (14 mai 1833) qui laissait au pacha d'Égypte la Syrie tout entière. En 1839, la Porte, à l'instigation de l'Angleterre, reprit les hostilités : Ibrâhim écrasa de nouveau les Turcs à Nezib (24 juin), mais il fut forcé d'évacuer la Syrie devant les troupes anglaises qui lui enlevèrent Beyrouth et Acre. La France conseilla à Mehemet-Ali de céder et le sultan Abd ul-Madjid finit par lui assurer la possession héréditaire de l'Egypte, en vertu d'un hatti-chérif et d'un traité ratifié par les grandes puissances (1841) (L'Agonie de l'Empire Ottoman). Sept ans plus tard, l'ancien chef de milice albanaise, retombé en enfance, abdiquait le pouvoir entre les mains de son fils Ibrâhîm. Celui-ci, atteint lui-même d'une grave maladie inflammatoire, mourait le 10 novembre 1843 après un règne de six semaines. On peut dire de Mehemet-Ali qu'il ressuscita l'Égypte. En même temps qu'il poursuivait ses guerres et ses conquêtes, il appliqua tous ses soins à l'organisation et à l'exploitation de ce beau pays. Il avait été initié dans sa jeunesse aux spéculations de l'Occident par un négociant de Marseille; plus tard, il fut encouragé et conseillé par les consuls français Mathieu de Lesseps et Drovetti. Ses sympathies étaient depuis longtemps acquises à la France, et c'est à la France qu'il demanda des instructeurs, des marins, des ingénieurs, des constructeurs, des mécaniciens, des chimistes, des médecins. Les noms de Selve, Besson, Varin, de Cerizy, Clot, Linant de Bellefonds, Ch.

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Lambert, Bruneau, Mougel, sont intimement liés à l'histoire de son règne. La digue d'Aboukir fut restaurée en 1816, et en 1849 fut creusé le canal Mahmoûdiveh. Dès 1822, il envoya de jeunes Égyptiens à Paris pour s'instruire dans les sciences et dans les lettres; il donna une grande extension à la culture du coton et créa des filatures, des raffineries, etc., dans tous les chefs-lieux de province. Mais de ces usines élevées à grands frais, en masse, avec une rapidité inconsidérée, la plupart tombèrent faute d'entretien, de débouchés et de qualité suffisante des produits. En outre, pour opérer ce bouleversement, le vice-roi écrasa les Fellâhs de corvées et d'impôts, et les déposséda; toutes les propriétés passèrent entre ses mains; il réserva pour l'Etat tout commerce extérieur et exerça le plus rigoureux des monopoles. Cette situation ne fit que s'aggraver sous Abbâs Pacha, fils de Toûsoûn, successeur d'Ibrâhîm, qui, docile à la voix de l'Angleterre, compromit l'oeuvre de régénération commencée (25 novembre 1848-14 juillet 1854). Mais Saïd Pacha, quatrième fils de Mehemet-Ali, qui avait quelque chose de l'intelligence hardie et de son père, avec une instruction européenne très étendue et infiniment d'esprit, poursuivit les réformes et les étendit. En deux ans, il abolit le trafic des esclaves, supprima les douanes intérieures ainsi que les monopoles, rendit aux Fellâhs la liberté individuelle et le droit de propriété, éteignit les anciennes dettes de l'État. C'est lui qui acheva le barrage du Nil, autorisa Ferdinand de Lesseps, son ami d'enfance, à percer le canal de Suez, et qui le premier créa la Liste civile. Le 5 janvier 1856, Saïd Pacha donnait à Lesseps l'acte de concession da canal de Suez. En novembre 1858, il souscrivait pour

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176 602 actions de la Compagnie du canal de Suez au nom du gouvernement égyptien. En avril 1859 avait lieu le commencement effectif des travaux, malgré les attaques de l'Angleterre qui longtemps sembla croire à un retour de la vieille politique de Bonaparte. Ismâïl Pacha, fils d'Ibrâhim, succéda à Saïd le 18 janvier 1863. Sous le règne de ce prince, les institutions nouvelles furent maintenues, les travaux continués, les études scientifiques encouragées. En octobre de la même année, le musée égyptien créé par Mariette, à Boûlâq, fut solennellement inauguré. En 1866, le vice-roi obtint du sultan le droit d'hérédité pour ses fils et l'abolition de l'ordre de primogéniture pour les branches collatérales, et l'année suivante (juin 1867), il reçut officiellement le titre de khédive, titre qui, dans la hiérarchie ottomane, vient immédiatement après celui de sultan et se place avant celui de vizir. Au mois de novembre de la même année, le canal de Suez fut achevé et solennellement inauguré sous la présidence Lesseps et en présence des notabilités de tous les pays du monde. Désordres financiers et civils De 1871 à 1876, l'Égypte, par Samuel Baker, puis le colonel Charles Gordon, étendit sa domination sur le haut Nil, dans le Dârfoûr, le Kordofàn, le Feïzoghloû, sur la mer Rouge, jusqu'aux frontières de l'Abyssinie, des grands lacs intérieurs et des territoires somalis : 1 965 560 km² peuplés de 10 800 000 habitants. Mais le khédive, en dix ans de règne, avait emprunté à des conditions onéreuses 2 milliards et demi. Ce prince dissipateur et orientalement voluptueux avait espéré par ses largesses et le faste inouï de son hospitalité, conquérir une indépendance absolue vis-à-vis de la Porte. Il ne réussit qu'à vider le Trésor et à rendre

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imminente la banqueroute de l'Égypte. On dut recourir aux mesures les plus sérieuses. Le 2 mai 1876 parut un décret instituant en Egypte une caisse d'amortissement ou caisse de la dette publique; le 7, un décret d'unification de cette dette; le 11, un décret sur 1° l'installation d'un conseil suprême et ses attributions, 2° la formation du budget de l'État, 3° la composition et l'organisation des sections du conseil suprême du Trésor. Le 18 novembre, nouveau décret sur : 1° la séparation de la Daïra (domaine privé) du khédive d'avec la dette publique, 2° le rétablissement de la Mouqâbala (impôt compensateur), 3° la nomination de deux contrôleurs généraux, l'un Français, l'autre Anglais. Ismaïl Pacha se voyait forcé d'accepter l'intervention européenne dans la gestion des finances de l'Égypte. Deux ministres étrangers, Rivers Wilson, Anglais, et Blignières, Français, entrèrent dans le cabinet égyptien (1874). En même temps les propriétés khédiviales et princières étaient abandonnées à l'État, qui offrit à aux Rothschild, de Londres, de leur confier tous ces biens, en garantie d'un emprunt de 8 millions et demi de livres sterling, plus de 200 millions de francs. Des conflits ne tardèrent pas à s'élever sur le service de la dette; le khédive refusa de se soumettre au contrôle et destitua les deux Européens. La France et l'Angleterre exigèrent de la Porte la déposition d'Ismâïl. Elle fut accordée par le sultan et le pouvoir transmis le 26 juin 1879 à Tewfik Pacha, fils d'Ismàïl, sous le contrôle anglo-français pour tout ce qui concernait les finances égyptiennes. Alors éclata, en 1881, une émeute militaire suscitée par un soi-disant parti national, qui entendait supprimer le contrôle. Le 9 septembre, 4000 hommes

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de la garnison du Caire assiégèrent le khédive dans son palais, demandant la destitution du cabinet, l'augmentation de l'armée, une assemblée de notables, etc. Le cabinet fut renversé et le parti national appelé an pouvoir. A la suite de nouveaux troubles, le colonel Arabî fut nommé ministre de la guerre (4 janvier 1882). La chute de Chérif Pacha donna lieu à la formation du ministère Mahmoûd Baroûdi (2 février) qui proposa la déposition de Tewfik (10 mai); les consuls généraux de France et d'Angleterre exigèrent l'éloignement d'Arabi et il fut entendu qu'une conférence européenne se tiendrait à Istanbul pour le règlement des affaires égyptiennes (31 mai). Sur ces entrefaites, une émeute éclata à Alexandrie; un grand nombre d'Européens furent massacrés ou blessés, sous les yeux du khédive impuissant et des flottes française et anglaise immobiles (11 juin). Un mois après, l'amiral français Conrad, sur l'ordre de son gouvernement, quittait les eaux d'Alexandrie, emportant avec son pavillon le qui restait encore à la France de prestige en Égypte, et le lendemain (11 juillet) l'amiral anglais Seymour bombardait la ville. Arabi entama des négociations pour gagner du temps, et tandis qu'il se retirait avec ses troupes à Kafr ed Douâr, il fit ouvrir les portes du bagne. Les forçats pillèrent la ville et l'incendièrent. A Paris, la Chambre ayant refusé les crédits demandés peur parer aux événements, il en résulta une crise ministérielle qui se termina par la chute du ministère Freycinet et l'arrivée an pouvoir du cabinet Duclerc (7 août). Quant à la Sublime Porte qui devait envoyer 5 ou 6000 hommes, il lui fut imposé de si ridicules conditions de débarquement sur son propre territoire, que sa dignité de puissance suzeraine l'obligea à

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s'abstenir, ainsi que les Anglais y comptaient. Dans le même temps, le khédive déclarait Arabi rebelle et. autorisait l'amiral Seymour à occuper la ligne du canal de Suez et à combattre la révolte. Le 20 août, 35 000 Anglais, sous le commandement de sir Garnet Wolseley, débarquaient à Port-Saïd, battaient les troupes d'Arabi à Qassâsin (28 août) et les mettaient en pleine déroute, après une fusillade de cinq minutes dans la plaine de Tell el-Kébir (13 septembre) Le lendemain, l'avant-garde anglaise s'embarquait sur le chemin de fer et arrivait tranquillement au Caire. On a attribué tout le mérite de cette facile victoire à la cavalerie de Saint-Georges, par allusion à l'effigie que portaient à cette époque les livres sterling, avec quoi elle aurait été achetée au préalable. Toujours est-il qu'Arabi et ses complices se rendirent, passèrent devant une cour martiale, furent condamnés à mort après un semblant de procès et que le khédive, docile jusqu'au bout au secret verdict de l'Angleterre, commua la peine en celle de l'exil perpétuel. A la suite de cette tragi-comédie, le contrôle anglo-français fut supprimé (14 janvier 1883); malgré les réclamations de la Porte, et grâce à la politique d'abandon de la France, l'Angleterre disposa sans rivale des destinées de l'Égypte. Elle annonça le projet de réformer l'administration de la dette égyptienne, d'établir des impôts communs aux indigènes et aux Européens, de prolonger les pouvoirs des tribunaux mixtes pour permettre de méditer à loisir une réforme judiciaire, de réorganiser l'armée, de créer une gendarmerie, d'abolir le contrôle moyennant la nomination par le khédive d'un conseiller européen (anglais), de doter le pays d'une constitution plus ou moins

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représentative, enfin d'abolir l'esclavage pour de bon cette fois. Lord Dufferin, malgré son titre d'ambassadeur auprès de la Sublime-Porte, fut chargé d'étudier sur place tous ces projets et d'en assurer l'exécution. La révolte du Mahdi Jusque-là, à cause de l'éloignement et des graves préoccupations du moment, le cabinet britannique n'avait porté qu'une attention distraite sur le mouvement insurrectionnel dont les provinces du haut Nil étaient le théâtre (Histoire de l'Afrique : du Lac Tchad au Nil). En effet, par une coïncidence étrange qui a fait croire à une vaste conspiration du panislamisme, dans le même temps que s'était révélé le parti national, tout le Soudan égyptien s'était soulevé à la voix d'un nouveau mahdi, Mohammed-Ahmed, né à Dongola vers 1843. Cet illuminé, s'attribuant la mission divine de réformer l'islam, puis passant de la prédication aux actes, avait tout à coup proclamé la guerre sainte (août 1881). Quatre- mois après, 7000 hommes envoyés par Réouf Pacha, gouverneur de Khartoum, étaient attaqués par 50 000 insurgés et exterminés (décembre). Le 17 janvier 1882, El-Obeïd tombait dans les mains du mahdi, qui anéantissait successivement trois nouveaux détachements, puis se portait sur Khartoum (juillet). Alors avaient lieu les massacres d'Alexandrie. Entre Arabî, maître de la Basse-Egypte, et Mohammed-Ahmed, maître du Soudan, le khédive semblait perdu. Le gouvernement de la reine comprit qu'il se devait à son protégé : il confia à Hicks Pacha, ancien colonel de l'armée des Indes, le soin de rétablir l'ordre au Soudan. Hicks s'embarqua pour Souâkin en décembre avec 42 officiers européens et 10 000

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Fellâhs enrôlés à prix d'or. On était depuis dix mois sans nouvelles de l'expédition, et les troupes anglaises se préparaient à évacuer l'Egypte, sauf 3000 hommes laissés à Alexandrie lorsqu'on apprit avec stupeur que Hicks avait été massacré avec toute son armée,dans un défilé inconnu du Kordofân, Hahsgate, et qu'un renfort de 500 hommes envoyé à sa rencontre avait subi Le même sort à Tokar, près de Souakin (3-6 novembre 1883). Ce désastre inattendu humiliait tant soit peu le prestige de l'Angleterre; mais il venait fort à propos permettre au cabinet de Londres de contremander le mouvement d'évacuation sans paraître faillir aux protestations libérales dont lord Dufferin s'était fait l'interprète. Au surplus, l'opinion publique en Egypte contraignit l'Angleterre à intervenir directement. Des colonnes expéditionnaires tirées d'abord du corps d'occupation, puis de l'armée des Indes, furent coup sur coup dirigées vers le Soudan, soit par la voie du Nil, soit pur Souâkin et Berber. Mais, dans ces contrées sauvages, les Anglais devaient subir de terribles échecs. Les désastres succédèrent aux désastres deux années durant, chaque victoire équivalant à une défaite. Dès le 5 février 1881, Baker Pacha est anéanti à Trinkitat; le 29 février à Tebb, puis le 27 mars à Tamâniyeh, Graham est vainqueur d'Oçmân Degna, mais il sort décimé de cette lutte inégale; en avril, Gordon tente vainement une sortie sur Halfîyeh pour dégager la route du Nord; le 16 janvier 1883, Stewart écrase les Soudanais aux puits d'Aboû Kléa, mais il est blessé à mort; le 28, sir Wilson est repoussé devant Khartoum qui a été livré au mahdi par le gouverneur égyptien et où l'héroïque Gordon vient d'être massacré avec une partie de la

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population. Dès lors, la campagne est perdue, le sort de 10 000 hommes compromis. Sir Wolseley se porte sur Berber, résolu à s'en emparer coûte que coûte, afin d'ouvrir par Souâkin des communications avec l'Angleterre et d'y attendre du renfort (février); Earle, dans cette marche, est vainqueur entre Derbikân et Doulka, mais il est tué; enfin, le 20 mars, Graham, parti de Souâkin ait secours de l'armée, livre près de Tamaï deux combats qui ne laissent plus d'espoir sur cette tentative téméraire. Wolseley reprend la route du Caire avec les débris de sa vaillante armée, renonçant à lutter contre un climat meurtrier et un fanatisme religieux qui transforme en fauves ceux qui en sont passédés. A la suite de cette campagne néfaste, le cabinet Gladstone dut se résigner à l'humiliante évacuation du Soudan : il reporta les frontières de l'Egypte à Wadi Halfâ. De ses immenses possessions du Soudan, l'Égypte ne conserva que Souâkin où fut placée une garnison de 300 hommes sous le commandement du major Kitchner, puis du général Grenfell. Encore cette cité, ruinée aujourd'hui et toute déchue, resta-t-elle longtemps bloquée par les bandes d'Oçmàn Degna. (Paul Ravaisse). Le Caire Le Caire, en arabe Masr [-el-Kâhirah]. - Capitale de l'Égypte. Le Caire est situé par 28°55' de longitude Est et par 30°2' de latitude Nord, sur la rive droite du Nil, et s'étendant même sur gauche par l'englobement de ses faubourgs, qui avec celui de Gizeh, lui font presque toucher les Pyramides. La ville est bornée à l'Est et au Sud-Est par les collines de Moqattam, d'où la citadelle domine toute la plaine, au Nord par le

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canal d'Ismaïliéh, au Sud par un vaste espace sablonneux semé des ruines de l'ancien Caire. Un ruisseau, à sec la plupart du temps, parcourt le Caire dans toute son étendue : c'est le Khalig qui part du Nil et va se jeter dans le canal d'Ismaïliéh au Nord-Est du Caire. C'est aujourd'hui, avec plus de 3 millions d'habitants, la plus grande ville d'Afrique. Histoire. Le Caire fut fondé en l'an de l'hégire 358, le 18 Chaaban (9 juillet 969 de notre ère), un peu au Nord de l'ancienne ville de Fostât, par les ordres du calife El-Mansour El-Mouizz qui venait de faire conquérir l'Égypte par son lieutenant Gouhar et y établit la dynastie fatimide après avoir vaincu le dernier calife ikhchidite. Fostât était situé à peu près sur l'emplacement de l'ancienne ville pharaonique à laquelle les auteurs classiques donnent le nom de Babylone, et que les inscriptions hiéroglyphiques nomment Banbin. C'est pourquoi les écrivains du Moyen âge donnent au Caire le nom de Babylone. Fostât perdit bien de son importance, ses édifices tombèrent en ruine, et ce n'est plus maintenant qu'une plaine couverte de décombres, connue sous le nom de Masr-el-Atikah ou Vieux-Caire. Quant à la ville nouvelle, elle prit le nom de El-Kahirah, « la Victorieuse », d'où les Européens ont fait le Caire; les Arabes l'appellent aujourd'hui Masr ou Misr, nom qu'ils donnent également à l'Égypte même. Le Caire devint tout à la lois la capitale de l'Égypte et de tout l'empire fatimide. Il fut la résidence de El-Mansour El-Mouizz et de ses successeurs, qui contribuèrent à orner la ville de nombreux édifices, dont quelques-uns subsistent encore. Le Caire atteignit rapidement

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le chiffre de 260 000 habitants, chiffre qu'il n'a guère dépassé qu'au XXe siècle. A la chute de la dynastie fatimide, en 1176, le calife Salah-ed-din lousouf ibn-Ayyoub fonda la dynastie des Ayyoubites. Salah-ed-din est devenu Saladin chez les historiens des Croisades, et ses cavaliers, qu'en arabe on nomme Serradjin, firent donner le nom de Sarrasins aux Musulmans de toute nationalité. Salah-ed-din fit substituer aux murailles de briques, dont le fondateur avait entouré la ville, une enceinte de pierres qui existe encore en partie, et fit bâtir sur le Moqattam, presque sur l'emplacement de l'ancienne forteresse de Babylone, la citadelle moderne du Caire, El-Qalaa. C'est sous son règne que les premiers marchands chrétiens reçurent l'autorisation de s'établir au Caire, ou ils fondèrent le quartier franc, connu ensuite sous le nom de Mouski. Pendant les règnes suivants, le Caire alla s'agrandissant et s'embellissant de jour en jour; des palais, des mosquées, des écoles s'élevèrent comme par enchantement. Les califes mamelouks, Baïbars surtout, édifièrent de riches constructions, ils firent réparer la vieille mosquée d'El-Azhar, ainsi que la grande tour de la citadelle, qui tombait en ruine. La nécropole, connue aujourd'hui sous le nom de Tombeaux des Califes, nous a conservé les splendides mosquées funéraires de cette époque, qui sont certainement ce qui existe de plus élégant et de plus parfait dans toute l'architecture arabe d'Égypte. Sous le calife Et-Ghouri, en 1500, fut construit l'aqueduc en pierre qui amenait à la citadelle les eaux du Nil. Rien à placer au Caire, au point de vue purement historique, sinon la capture de Saint Louis, en 1249, pendant sa marche sur le Caire, et une

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longue suite de troubles, de dissensions intestines, de révoltes de palais qui durèrent jusqu'au commencement de la domination turque, en 1507. De cette époque jusqu'à l'expédition française, rien encore ne mérite d'être signalé dans l'histoire du Caire. On sait qu'après la bataille des Pyramides l'armée française, sous la conduite de Bonaparte, fit son entrée au Caire le 22 juillet 1798. L'histoire du Caire n'est plus ensuite qu'une partie de l'histoire de l'expédition française. Révolte des Cairotes au mois d'août, départ de Bonaparte en l'année suivante, commandement en chef de Kléber, qui fut bientôt assassiné par un fanatique sur la place de l'Ezbékiéh, après avoir défait une armée turque près des ruines de l'ancienne Héliopolis; enfin, en août et septembre 1801, capitulation du Caire et rembarquement de l'armée française à Aboukir : tous ces faits sont trop connus pour qu'il soit nécessaire de leur consacrer plus de place. L'issue de la campagne de Bonaparte et la brièveté du séjour des armées françaises en Égypte ne permirent pas aux ingénieurs français de réaliser au Caire tous les plans d'assainissement et d'amélioration qu'ils avaient conçus. Mais dès ce moment l'influence européenne prédomina en Égypte. Sous Mohammed-Ali (Mehemet-Ali) et ses successeurs, surtout à partir de l'inauguration du canal de Suez, la ville prit un développement considérable (L'Égypte au temps des Vice-Rois). Une très importante colonie européenne s'y établit, la ville s'étendit vers le Nil, fut dotée de chemins de fer, de théâtres, de larges boulevards percés en ligne droite, de maisons européennes à cinq étages, et ce n'est qu'au fanatisme invétéré de ses habitants que les vieux quartiers de Caire, d'une si

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franche et vivante originalité, doivent de n'avoir pas été bouleversés de fond en comble, et de n'avoir pas vu leurs nombreuses et tortueuses ruelles, aux étages surplombant les uns sur les autres, dégénérer en avenues géométriques pleines de soleil, bordées de trottoirs d'asphalte et plantées de sycomores entourés de ferrures. On connut les événements de 1881-1882 , le mouvement créé par Arabi-Pacha, le siège et le bombardement d'Alexandrie, le choléra pénétrant dans le Delta, par surcroît de malheur, et arrivant jusqu'au Caire, les Bédouins du désert s'avançant en force et campant dans la plaine de Gizeh, enfin la victoire de Tell-el-Kébir et l'entrée des troupes anglaises dans la capitale de l'Égypte. Le premier soin des Anglais fut d'établir un champ de courses près du Caire, à Géziréh, à l'ombre même des pyramides de Khéops et de Khéphren. Le Caire s'haussmannisera encore, connaît les chapelles protestantes et, les lectures du dimanche; tout cela heureusement se passera dans les nouveaux quartiers européens : le vieux et pittoresque Caire des califes restera dans une large mesure préservé. Monuments. Dans les paragraphes qui suivent, on reprend la description que pouvait en faire un voyageur à la charnière des XIXe et XXe siècles. Beaucoup de ce qu'il en dit reste vrai; pour être plus exact, il faudrait simplement mentionner l'explosion démographique qui en un siècle à fait multiplier la population de la ville par dix, quinze ou davantage, et la circulation automobile effrénée, fléau de toutes les grandes métropoles, et qui ici aussi altère quelque peu le charme des vieux quartiers. Aspect général de la ville.

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Le Caire a longtemps été, après Istanbul, la plus grande ville de l'Orient; c'est en même temps celle qui a le mieux conservé son caractère original, car les constructions bâties dans le goût européen se trouvent réunies dans les quartiers nouveaux, où l'on éprouve l'impression d'être à mille lieues de l'Égypte. La ville arabe est composée d'un certain nombre de harah ou quartiers. La police en est faite toute la nuit par des ghafirs. Les ruelles arabes bifurquent en tous sens, se replient en angle, en courbe, reviennent sur elles-mêmes, s'arrêtent brusquement en impasse, de sorte que le plan d'un quartier rappelle un arbre aux branches tordues et enlacées. Les cinquante-trois quartiers du Caire, qui n'ont aucune forme régulière, sont enclavés les uns dans les autres, et coupés parfois de longues rues en zigzag qui traversent la ville dans toute son étendue. Aussi le plan de la capitale égyptienne présente-t-il, pour la partie arabe, le plus inextricable fouillis qui se puisse imaginer. Depuis 1886, presque toutes les rues ont été dénommées et les maisons numérotées dans les plus grandes voies. On s'égare facilement au Caire, mais s'y perdre est un enchantement. Si les ruelles n'y sont pas en ligne droite, c'est que leurs brusques et nombreux changements de direction amènent de fréquentes alternatives d'ombre et de soleil, fort agréables en pays chaud. Les maisons y sont hautes, séparées seulement par quelques mètres des maisons d'en face; les étages fort souvent surplombent les uns sur les autres, au point de se toucher presque à la hauteur des terrasses. Dans les ruelles plus larges, des claies de bois ou de roseau , couvertes de toiles multicolores, s'étendent en travers de la voie, à la hauteur du

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premier étage; partout l'ombre et la fraîcheur. Pas de pavés ni de dalles; la terre seule, arrosée souvent par des Saqqa ou porteurs d'outres. Les automobiles ont peine à y passer; une caravane de chameaux y empêche la circulation. Dans les bazars, ou quartiers à boutiques, chaque rue est occupée par des marchands de même catégorie; on trouve la Rue des Orfèvres, la Rue des Tanneurs, etc. Les boutiques sont des sortes de niches sans devanture, à un mètre du sol, dans lesquelles le marchand se tient accroupi sur une natte au milieu d'un amoncellement de marchandises accrochées aux parois, suspendues au plafond, empilées contre les angles, débordant dans la rue. Des soies flottent à l'air, des grands plateaux de cuivre ciselé luisent dans l'ombre, des pastilles odorantes répandent partout leurs fumées bleuâtres qui se mêlent aux senteurs lourdes des flacons des parfumeurs, les boutiques de cafetiers sont pleines de gens oisifs réunis autour d'un joueur de roubab ou viole à trois cordes. Musique rêveuse d'Orient, odeurs balsamiques, couleurs voyantes, foule bruyante et bariolée, tout concourt à rappeler au promeneur les décors féeriques entrevus dans les Mille et une Nuits. La Citadelle. La citadelle du Caire est située au Sud-Est de la ville, sur une colline que domine le Moqattam. Trois enceintes s'y emboîtent l'une dans l'autre, s'ouvrant par de larges portes à la voûte en fer à cheval, flanquées de basses tours rondes, à créneaux cintrés. Du palais qu'habita Salah-ed-din, qui se trouve dans l'enceinte supérieure, il ne reste plus que des ruines. Les colonnes gisant à terre appartiennent à des temples pharaoniques de Memphis qu'utilisèrent les constructeurs arabes. Une mosquée plus récente,

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construite par Mehemet-Ali, domine la citadelle, et par conséquent toute la ville. De loin, ses deux minarets grêles et élevés font le plus heureux effet. De près, la désillusion vient vite. Malgré la richesse de l'albâtre employé, cette construction n'a aucune originalité; c'est la copie d'un vulgaire édifice d'Istanbul, qui détonne au milieu des remparts sarrasins de Saladin. Dans un angle, une tour peinte en or et en noir est décorée d'une horloge, présent du roi Louis-Philippe. Dans une cour de la citadelle se trouve le Puits de Joseph, que la légende populaire fait remonter au fils de Jacob. Ce puits, profond de 88 m, est divisé en deux étages percés dans le roc. Sur le palier qui les sépare, des boeufs tournent jour et nuit un appareil qui élève l'eau et la verse dans un vaste réservoir. Au haut du puits, d'autres boeufs élèvent l'eau du premier réservoir et la déversent dans un second d'où elle est distribuée par toute la citadelle. Du haut de la citadelle le coup d'oeil est splendide. Le Caire s'étend au loin, avec ses milliers de minarets et de coupoles disséminés au hasard, tantôt rapprochés au point de se toucher, tantôt rares et espacés. De l'autre côté du Nil, on voit très distinctement les trois grandes pyramides de Gizeh, et bien d'autres pyramides plus petites, appartenant à l'ancienne nécropole de Memphis. Sur le prolongement du Moqattam, qui longe la ville à l'Est, se trouvaient de nombreux moulins inhabités, dont les ailes qui ne tournaient plus agrémentaient toujours d'une façon bizarre la silhouette barrant l'horizon. Les Mosquées. Les mosquées du Caire sont au nombre de quatre cents environ, et presque toutes sont intéressantes. Deux cent cinquante d'entre elles ont des minarets,

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les autres n'ont que des coupoles. Cinquante mosquées au moins sont remarquables par la richesse de leur architecture. Les trois plus importantes sont : la mosquée de Touloun, celle du sultan Hassan, et celle d'El-Azhar. La Mosquée de Touloun date de l'an 879 de notre ère, c.-à-d. est antérieure de près d'un siècle à la fondation du Caire, et fut construite par le sultan Touloun dans la plaine au Nord de Fostât (L'Égypte Toulounide). C'est un édifice carré de 90 m de côté. Des quatre minarets qui en surmontaient les angles, trois se sont écroulés et le dernier, où monte, les soirs, le muezzin pour l'appel à la prière, est si délabré que l'appel ne se fait que du premier étage. Commencé en carré, le minaret se continue en cylindre et se termine en octogone, chacun de ses trois étages étant séparé de l'autre par un balcon circulaire entouré d'une balustrade ouvragée. Les murailles nues qui joignent les minarets sont ornées de créneaux en forme de trèfles découpés à jour. Un dôme surmonte la mosquée dans sa partie sud. Grande cour à l'intérieur, avec une fontaine au centre et un entourage de colonnades aux arceaux en ogive orientale. La Mosquée du sultan Hassan, que l'on considère comme la plus parfaite du Caire, est un bâtiment nu et sévère d'aspect, mesurant 140 m de long. Elle est ornée d'une coupole de 55 m de hauteur, flanquée de deux minarets de 86 m. On entre dans la mosquée par une porte de dimensions colossales, mesurant près de 39 m de hauteur, dont la voûte est couverte de riches stalactites sculptées en surplomb. L'intérieur est une cour avec fontaine. Sous les arcades qui l'entourent se trouvent la chaire ou member, la tribune ou mastabah, la niche sainte ou mihrab. Des lampes, des

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rampes, des lustres de bronze, sont d'une beauté remarquable. Les mosaïques et les arabesques qui couvrent les parois offrent des dessins d'une variété inépuisable. Cette mosquée date de l'an 1356 de notre ère. La Mosquée d'El-Azhar, construite en même temps que le Caire, est à la fois un édifice religieux et une école. Sous les arcades nombreuses de ses cours se tiennent accroupis, lisant et écrivant sous la surveillance de nombreux maîtres, plus de neuf mille élèves venus de toutes les parties du monde musulman et distribués par nationalité. C'est à peu près le seul intérêt qu'elle présente pour le visiteur, car la plus grande partie de la mosquée a été restaurée à différentes époques. D'autres mosquées du Caire méritent encore d'être signalées, la Mosquée du sultan El-Hakim, la Mosquée du sultan Qalaoun, celles de Hassaneïn, d'El-Ghouri de Setti Zeinab. Les Bazars et les Fontaines. Le principal bazar du Caire est le Khan-Khalil. Les fontaines publiques ou sébil sont nombreuses au Caire. Au fond d'une niche décorée d'arabesques se trouve l'extrémité d'un étroit tuyau. Le passant altéré y applique sa bouche et aspire, jusqu'à étanchement de sa soif, l'eau qui lui vient d'un réservoir intérieur. D'autres fontaines, abreuvoirs pour les animaux ou hôd, existent aussi en grand nombre. Le plus joli sébil du Caire est celui de la rue Setti-Zeinab; le plus beau hôd est près de la porte Bab-el-Tourbéh. Les Portes et les Nécropoles. La plupart des portes du Caire sont anciennes. Elles sont ordinairement flanquées de tours à créneaux entre lesquelles s'ouvre une étroite et profonde voûte.

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Les plus intéressantes sont : Bab-el-Karaféh, qui s'ouvre sur l'ancien Caire, Bab-el-Foutouh et Bab-en-Nasr qui se trouvent placées de chaque côté de la mosquée d'El-Hakim. Trois nécropoles existent auprès du Caire, deux au Sud, le Tourabel-Karaféh et le Tourab-es-Sitta, une à l'Est, le Tourab-Kaït-bey. Cette dernière, nommée par les Européens Tombeaux des Califes, est de beaucoup la plus curieuse. Elle renferme, en plus de quelques tombes de grands personnages, les mosquées funéraires de quatre sultans : El-Ghouri, El-Achraf-Barsebaï, El-Barqouq et Kaït-bey, lesquels régnèrent au XVe siècle. Ces monuments, situés presque en plein désert, tombent malheureusement peu à peu en ruine. Ce sont des mosquées semblables à celles du Caire, avec minarets, dômes, cours, fontaines, arcades, mais une salle est réservée, dans un angle, au tombeau du constructeur. Ces tombeaux, objets de grande vénération de la part des musulmans, sont des sépulcres en pierre, très simples, entourés d'une balustrade de bois sculpté et placés, sous un dôme ajouré, au centre d'une salle vide, dont les parois supportent des lampes de bronze accrochées à des supports au moyen de longues chaînes. A la fin du XIXe siècle, l'herbe y pousse partout dans les cours, la solitude y règne, et le visiteur en revient avec une impression de grande mélancolie. Depuis, les habitants les plus pauvres du Caire ont élu domicile jusque dans ces nécropoles devenues de sortes de bidonvilles (Victor Loret).