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L’écrivain britannique Salman Rushdie hier, à «Libé». PHOTO STÉPHANE LAVOUÉ.PASCO SALMAN RUSHDIE INVITÉ SPÉCIAL Assassinats en Corse: la piste mafieuse Jacques Nacer, abattu mercredi, comme Antoine Sollacaro, tué mi-octobre, étaient proches des milieux d’affaires et d’Alain Orsoni, le président de l’AC Ajaccio. PAGES 14-15 Parité et diversité: le CAC 40 épinglé La proportion de femmes dans les conseils d’administration des grands groupes n’atteint pas les 40% imposés d’ici à 2017. Et les minorités ne sont pas mieux loties. PAGES 18-19 «Je sais que tout peut changer du jour au lendemain» PUBLICITÉ GAZA DE NOUVEAU DANS UN ÉTAU PAGES 6-7 HATEM OMAR.AP 1,50 EURO. PREMIÈRE ÉDITION N O 9803 VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 WWW.LIBERATION.FR IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,20 €, Andorre 1,50 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,60 €, Canada 4,50 $, Danemark 26 Kr, DOM 2,30 €, Espagne 2,20 €, Etats-Unis 5$, Finlande 2,60 €, Grande-Bretagne 1,70 £, Grèce 2,60 €, Irlande 2,35 €, Israël 19 ILS, Italie 2,20 €, Luxembourg 1,60 €, Maroc 16 Dh, Norvège 26 Kr, Pays-Bas 2,20 €, Portugal (cont.) 2,30 €, Slovénie 2,60 €, Suède 23 Kr, Suisse 3 FS, TOM 410 CFP, Tunisie 2,20 DT, Zone CFA 1 900 CFA.

Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

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Assassinatsen Corse:la pistemafieuseJacques Nacer, abattumercredi, commeAntoine Sollacaro, tuémi-octobre, étaientproches des milieuxd’affaires et d’AlainOrsoni, le président del’AC Ajaccio.

PAGES 14­15

Parité etdiversité:le CAC 40épingléLa proportion de femmesdans les conseilsd’administration desgrands groupes n’atteintpas les 40% imposés d’icià 2017. Et les minorités nesont pas mieux loties.

PAGES 18­19

«Jesaisquetoutpeutchangerdu jourau lendemain»

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GAZA DENOUVEAUDANS UN ÉTAU

PAGES 6­7

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• 1,50 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO9803 VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 WWW.LIBERATION.FR

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,20 €, Andorre 1,50 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,60 €, Canada 4,50 $, Danemark 26 Kr, DOM 2,30 €, Espagne 2,20 €, Etats­Unis 5 $, Finlande 2,60 €, Grande­Bretagne 1,70 £, Grèce 2,60 €,Irlande 2,35 €, Israël 19 ILS, Italie 2,20 €, Luxembourg 1,60 €, Maroc 16 Dh, Norvège 26 Kr, Pays­Bas 2,20 €, Portugal (cont.) 2,30 €, Slovénie 2,60 €, Suède 23 Kr, Suisse 3 FS, TOM 410 CFP, Tunisie 2,20 DT, Zone CFA 1 900 CFA.

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Le romancier britannique d’origine indienne et citoyennew-yorkais était hier l’invité spécial de «Libération».

«J’en ai marre d’êtrele penseur de servicesur l’islam»

P récédé de policiers dont, de-puis des années déjà, il ne veutplus entendre parler mais queles autorités de certains pays,

dont la France, lui imposent lors de sesvoyages, Salman Rushdie arrive heu-reux et curieux à Libération, un journalauquel il a parfois collaboré mais qu’iln’avait encore jamais eu l’occasion devisiter. Après une brève séance photo,l’écrivain monte la rampe de notre im-meuble-parking jusqu’à la salle dite duHublot, où se tient la conférence mati-

nale. Il est, pour un jour, notre rédac-teur en chef invité.«Libération» a fait sa une, jeudi, sur levote des étrangers en France. Avez-voussuivi ce débat en Europe?Comme je vis principalement en Amé-rique, j’ai suivi le débat similaire auxEtats-Unis sur les immigréslégaux et illégaux. Il y a unechose que nous espérons dela nouvelle administration, c’est qu’ellefasse certaines des choses dont Obamaa parlé. Comme accorder la citoyenneté

L'ESSENTIEL

LE CONTEXTEL’écrivain Salman Rushdie était hierl’invité exceptionnel de Libération.Il a participé à la conférence derédaction et abordé tous les sujetsde l’actualité avant de se confier dansune longue interview sur son travailet le rôle de l’écrivain dans le monde.

aux immigrés qui sont là depuis long-temps – même si, à l’origine, ils sontvenus illégalement. Je suis évidemmentpour, ce serait très bon pour l’Améri-que, cela permettrait à plein de gensd’avoir le droit de vote, mais aussi ledroit à la santé et d’autres droits impor-tants. J’appliquerais donc le mêmeprincipe ici.Vous pensez que Barack Obama va pas-ser à l’action maintenant qu’il est réélu?Je ne sais pas… Le soir de l’élection,j’étais avec des amis et nous étions biensûr heureux du résultat, parce que l’al-ternative aurait été une horreur. Mais,dès qu’on a eu le résultat, on s’est tousdit : «Eh bien, maintenant, vas-y, faisquelque chose.» Parce que le premierround a été décevant pour certainsd’entre nous. Parfois, au second man-dat, les présidents américains se sententlibres, ils n’ont plus de campagne à me-ner. Obama pourra être lui-même. Onverra… Obama est un être prudent parnature. C’est le problème (rires). Les ré-publicains ont perdu deux élections etils doivent comprendre pourquoi au lieude dire que c’est la faute de jeunes céli-bataires dévergondées qui ont votémassivement pour Obama parce qu’el-les veulent s’envoyer en l’air (rires). Lesrépublicains ne comprennent plus cepays qui est plus libéral que jamais.En France, nous avons passé une loi surle voile islamique, qu’en pensez-vous?Vous savez, je viens d’une famille mu-sulmane, quoique ma famille directe

n’était pas pratiquante. Maisdans ma famille étendue, onse considérait comme mu-

sulman pratiquant. Cependant, pas uneseule femme de ma famille ne supporte-rait l’idée d’un voile

1988 LES VERSETSSATANIQUESEn partie inspiré de l’histoire deMahomet, le quatrième roman deRushdie est aussi son plus ambitieux.Il lui vaudra une fatwa de l’ayatollahKhomeini et demeure à ce jour sonseul livre interdit en Inde.

1981 LES ENFANTSDE MINUITAprès un premier roman SF, Rushdiefait une entrée fracassante dans lemonde des lettres britanniques avecce roman qui obtient le Booker Prize,et sera, en 2008, élu meilleur lauréatpour les 40 ans du prix.

1990 HAROUN ETLA MER DES HISTOIRESVivant dans la clandestinité, n’étantplus en mesure de lire des histoiresle soir à son fils, Salman Rushdiedécide de lui écrire un livre. Sansdoute l’un des plus beaux romansjamais écrit pour la jeunesse.

Suite page 4

INTERVIEW

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 20122 • EVENEMENT

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«Joseph Anton» est son premier –et dernier?– roman autobiographique.

Salman Rushdie contraintde jouer son propre rôleS ans doute est-il d’abord un con-

teur. Accro aux histoires et à l’His-toire depuis l’enfance. Précis, ful-

gurant d’intelligence, maniant à l’oralun art de la nuance qui, souvent, con-traste avec sa propension écrite à laflamboyance et même, par ins-tants, l’exubérance. On peutl’écouter des heures et toujours,lors de ces conversations, survient unmoment magique, l’irruption d’uneville extraordinaire, Bombay, dont ilsemble chaque fois plus amoureux en-core. Une ville où il est né en 1947 deuxmois avant l’indépendance, et qu’il aquittée à 13 ans pour aller étudier àRugby. Une ville monde, paradis en-fantin où il a cru, longtemps, ne plus ja-mais pouvoir remettre les pieds aprèsqu’un jour de Saint-Valentin tragique,sa tête fut mise à prix depuis l’Iran parun ayatollah subclaquant. Ce 14 fé-vrier 1989, sa vie bascule en quelquesheures dans la clandestinité.Thriller. C’est par cette scène ahuris-sante, cinématographique –le coup defil d’un journaliste de la BBC qui lui an-nonce froidement la nouvelle et lui pro-pose de réagir– que s’ouvre Joseph An-ton, le premier livre autobiographiquequ’il ait jamais écrit et qui vient d’êtrepublié simultanément dans le monde

entier. Salman Rushdie a choisi d’yparler de lui à la troisième personnepour donner à ce récit vrai les alluresd’un faux roman. Il a troqué son anglaispyrotechnique pour la langue sobre etefficace des thrillers. La chance, si l’on

ose dire, de Rushdie fut que lasentence de mort intervintalors qu’il était déjà outre-

Manche un écrivain remarqué, et mêmecouronné par le prestigieux BookerPrize pour un roman aujourd’hui consi-

déré comme un classique contempo-rain, les Enfants de minuit. Mais enFrance, comme dans beaucoup d’autrespays, Rushdie se fit, hélas, connaîtrepar une fatwa qui lui colle encore à lapeau et qui a, paradoxalement, offert àde nombreux lecteurs une très mau-vaise raison d’en parler souvent et de nele lire que très rarement.Indépendamment du contexte politi-que, les Versets sataniques, roman com-plexe et incroyablement érudit, n’of-

frait sans doute pas la porte d’entrée laplus facile vers une œuvre aussi variéeque travaillée par des thématiques ré-currentes, un univers singulier recon-naissable entre mille et pourtant enperpétuelle expansion littéraire. Dinguede fictions en tous genres – des livrespour enfants aux séries télé, avec uneprédilection assumée pour les ro-mans –, Salman Rushdie a dérogé untemps à son plaisir et à ses principespour s’autoriser ce qu’il déteste: utiliser

la littérature pour parlerde soi plutôt que pourexplorer le vaste monde.Masques. Mais la pa-renthèse s’achève aprèsdeux ans et demi d’écri-ture et six semaines detournée mondiale et

bientôt, il remettra les masques de per-sonnages dont il a le secret pour se glis-ser dans d’autres vies, celles de clowncomme celles de terroristes, de rockstar ou de princesse, et mener de nou-veau l’enquête, tenter de percer, à l’aided’intrigues, les mystères faramineux denotre monde commun. Ecrire une his-toire personnelle dont, par définition,personne, à part lui, ne saurait décréterla fin.

SYLVAIN BOURMEAU

Les Versets sataniques, livre complexeet incroyablement érudit, n’offrait pasla porte d’entrée la plus facile versune œuvre aussi variée que travailléepar des thématiques récurrentes.

Hier matin,à «Libé». PHOTOSSÉBASTIEN CALVET

NICOLAS DEMORAND

Joie de vivre

Un moment de grâce et de légèreté.D’intelligence et de pudeur. D’humour etd’ironie. La visite, hier, de Salman Rushdie aucomité de rédaction de Libération ne fut pas laconfrontation de l’insouciance esthétique etdes gens sérieux ; de la littérature coupée dumonde et de ceux dont le métier est de s’ycoltiner. Pas ça, pas lui, pas nous. Le sentimentd’amitié qui circula durant plus de deux heuresprovenait, au contraire, de l’évidence d’unetelle rencontre. Elle n’avait encore jamais eulieu dans nos murs, in praesentia. Mais elleétait écrite depuis longtemps ; éprouvée dansdes combats et des valeurs communes ;matérialisée par cette vieille une de Libé, àl’époque de la fatwa, qu’une collaboratrice dujournal lui mit entre les mains et sous les yeux.Une une purement typographique, jaunie,barrée d’une manchette en lettres capitales :«Lire Rushdie». Tant d’années après,entendre Rushdie défendre sereinement unelaïcité jubilatoire, râler contre les gardes ducorps que les Européens continuent à lui colleraux basques alors qu’il prend seul le métro àNew York, décrire ses projets d’écriturepour la télévision et le cinéma, bref témoignerde sa joie de vivre au futur et non au passé,renvoyait chacun à la même question : de quelalliage faut-il bien être composé pour garderune telle joie, une telle intensité humaineaprès avoir été emmuré vivant pendant plus dedix ans, condamné par la bêtise à la mortcivile et à la mort tout court ? Réponse dansson dernier livre : Joseph Anton,une autobiographie.

ÉDITORIAL

1992 PATRIESIMAGINAIRESA côté de son activité de romancier,Salman Rushdie a toujours écrit pourles journaux et les revues, des comp­tes rendus de livres mais aussi delongs reportages et des essais. Destextes regroupés dans ce volume.

1992 LE MAGICIEN D’OZEnfant à Bombay, le cinéma marquaautant Rushdie que la littérature.A la demande du British Film Insti­tute, il a écrit ce bref essai sur sonfilm préféré de toujours, l’occasionaussi de dévoiler son rapportpersonnel au cinéma.

2012 JOSEPH ANTON,UNE AUTOBIOGRAPHIEIl lui aura fallu attendre, laisserdu temps passer, et aussi déciderd’écrire sur soi à la troisièmepersonne pour être enfin en mesurede relater de manière époustou­flante ses années fatwa.

PROFIL

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 • 3

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quelconque. J’ai étéélevé dans cette atmosphère. Et mêmema grand-mère, très conservatrice,aurait été horrifiée à l’idée qu’une de sestrois filles soit voilée. Ma mère n’auraitjamais accepté une telle chose. Le voileest clairement un instrument d’oppres-sion. Je comprends qu’en Occident,dans certaines communautés musulma-nes, ce soit pour les jeunes femmes unmoyen d’affirmer leur identité. Mais sije peux encore citer ce philosophe dis-crédité qu’est Karl Marx, c’est ce qu’ilaurait appelé «la fausse conscience». Sil’on fait ce choix, qui est une contraintedans le reste du monde, on est compliced’une telle situation.Est-ce que cela doit être une loi? Je nesais pas. Je ne suis pas un grand fan des

lois qui dictent aux gens ce qu’ils doi-vent faire.Qu’avez-vous pensé des soulèvementsdu printemps arabe?Je suis comme tout le monde. J’étaisoptimiste l’année dernière, et cette an-née je suis dans le doute. En Egypteparticulièrement, les Frères musulmanset les salafistes étaient plus organisésque la gauche. Comme c’est souvent lecas avec les forces progressistes, ellesconsacrent la plupart de leur énergie àse battre entre elles (rires).Ces jeunes qui étaient place Tahrir, iln’y a aucun doute que leur révolutiona été détournée – comme cela a été lecas avec Khomeiny et la révolution ira-nienne. Mais l’histoire est lente. Tousces désirs que les gens ont exprimés

l’année dernière n’ont rien à voir avecla religion ; les désirs de liberté et deprospérité sont toujours là. A un mo-ment, ils trouveront bien un moyen des’exprimer.Quel rapport entretenez-vous avecl’Inde aujourd’hui?

Bien sûr je me tiens au courant de ce quis’y passe, et je suis très inquiet de la si-tuation politique. Le Congrès national

indien, qui gouverne le pays, est cor-rompu et très affaibli. Le Premier mi-nistre est un pantin, puisqu’il doit de-mander son avis à Sonia Gandhi pourtout. A la tête de l’opposition, le Partidu peuple indien fait les yeux doux àNarendra Modi, qui est l’homme quis’apparente le plus à un nazi en Inde. Ilest tout à fait possible que ce type de-vienne Premier ministre un jour et, là,il y a de quoi avoir peur pour la démo-cratie indienne.Vos livres sont-ils lus là-bas?Oui, il y a d’ailleurs beaucoup d’édi-tions pirates, qui ne me rapportent pasun centime (rires)… Les Versets satani-ques y sont toujours interdits, maisaujourd’hui ça ne veut plus rien dire,puisqu’il suffit d’aller sur Amazon pouren télécharger un. Joseph Anton a euénormément de succès, il a été bienreçu, ce qui me ravit, car la critiquepeut être très sévère en Inde. Ce qui estformidable, c’est qu’il n’y a pas si long-temps, on ne pouvait pas y vendre autrechose que des livres de poche là-bas,pour éviter que cela soit trop cher.Aujourd’hui, la classe moyenne est suf-fisamment riche pour faire vivre l’édi-tion. Et puis l’alphabétisation a énor-mément progressé : l’Inde est le seulpays au monde où les ventes de jour-naux augmentent sans cesse, toutcomme celles de livres. Il faut alleren Inde si l’on veut travailler dans lapresse!Quel est le meilleur livre que vous ayezlu cette année?Un livre formidable sur un bidonville àBombay, Behind the Beautiful Forevers,écrit par Katherine Boo, qui est journa-liste au Washington Post. Ça se litcomme un roman, les personnages sontincroyablement attachants, et elle rendmagnifiquement compte de cet universpourtant sordide. Ce n’est pas de la fic-tion, c’est du reportage, mais je me suisrendu compte, avec la publication deJoseph Anton, qu’on vit dans un mondeoù la «non-fiction» a le dessus, où lesgens lisent de moins en moins de ro-mans. Ce qui me désole, car la fiction etles pouvoirs de l’imagination m’inté-ressent beaucoup plus.Je viens de passer deux ans et demi àn’écrire que sur moi, et six mois à neparler que de moi, et il est temps que çacesse! J’en ai assez! (rires) On devientécrivain pour écrire sur le monde, passur soi. Mais il m’est arrivé cette choseétrange, cette expérience unique, et jeme suis dit qu’il fallait que je le raconte,que cela résonnerait au-delà de monhistoire personnelle. Même si écrire surdes sujets politiques m’intéresse moinsqu’avant. La politique a fait irruptiondans ma vie, sans doute trop, et désor-mais j’ai moins envie de me battre.J’aimerais écrire un conte de fées.Vous n’êtes plus un écrivain engagé?Si, mais moins qu’avant. J’ai participéau mouvement Occupy, au début. Toutavait bien commencé et ils se sont per-dus en cours de route. Mais l’ouraganSandy leur a redonné une raison d’être,ils font un travail de terrain formidableavec Occupy Sandy, bien meilleur quecelui de la Croix-Rouge. De toute façon,je trouve qu’il se passe plus de chosesintéressantes au niveau des villes quedes pays, aujourd’hui. Je suis par naturecitadin, et me suis beaucoup impliquédans la vie de New York. J’ai le senti-ment que les administrations des villessont plus efficaces que celles des Etats

Salman Rushdie,65 ans, vitaujourd’huià New York. PHOTOS.LAVOUÉ.PASCO

Suite de la page 2

«Les printemps arabes? Comme tout lemonde, j’étais optimiste l’année dernière et,cette année, je suis dans le doute. Souvent,les forces progressistes consacrent la plupartde leur énergie à se battre entre elles.»

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 20124 • EVENEMENT

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nations. C’est pour cela qu’avec le Par-lement international des écrivains,nous avons initié le projet Villes refu-ges : les municipalités peuvent facile-ment prêter un appartement à un écri-vain dissident, alors qu’un Premierministre pourra refuser de s’impliquerpour des raisons diplomatiques ou éco-nomiques.Comment écrivez-vous?J’ai très peu de rituels. Je suis meilleurtard la nuit que le matin tôt. Mai j’ai unesuperstition : je crois qu’on se réveillechaque matin avec un petit paquetd’énergie créative pour la journée. Jecrois qu’il faut travailler immédiate-ment. Quand je me réveille, j’y vais toutde suite, avant même de me laver lesdents. Il faut écrire, que l’on soit debonne ou mauvaise humeur. J’essaied’écrire tous les jours. Le grand pro-blème dans une vie d’écrivain, quandon voyage et qu’on parle de ses livres,c’est qu’on ne peut plus passer des heu-res seul, à penser et rêver. Mais c’est madernière semaine de tournée, la se-maine prochaine… libération !Vous êtes très actif sur Twitter, quel plai-sir y prenez-vous?J’ai commencé il y a environ un an,parce qu’un ami m’avait assuré que çame plairait, et je le fais comme on con-duit une petite expérience. C’est amu-sant, il ne faut pas le prendre trop au sé-rieux. J’ai environ 450000 abonnés et,bien sûr, je suis flatté de voir qu’unefoule de gens se pressent pour lire ceque j’ai à dire… (rires) Pourtant ce n’estpas cela qui est intéressant avec Twitter,

mais, au contraire, tout ce qu’on y ap-prend. Les informations qu’on glaneplus vite qu’ailleurs, de la politique auxsports. Je sais qu’au Japon on donne desprix à des romans écrits sur Twitter,mais il ne faut pas compter sur moi pourça. La seule chose qui m’inquiète, c’estque l’anonymat y autorise tout lemonde à être incroyablement violent.C’est en train de créer une culture del’impolitesse, de l’irresponsabilité. Jepasse mon temps à bloquer des gens: onpeut m’insulter une fois, mais pas deux!Vous estimez, dans Joseph Anton, que lesécrivains n’ont plus l’aura qui était laleur jusque dans les années 80…Oui, aux Etats-Unis, il n’y a plus d’in-tellectuels publics, de la stature de Nor-man Mailer ou Susan Sontag, à qui l’onoffrait des tribunes dans les médias.Sans doute Christopher Hitchensétait-il le dernier. En France et en An-gleterre, c’est différent : s’il y a uneélection au Royaume-Uni, on demandeà Ian McEwan ou Martin Amis de s’ex-primer sur la question. Mais en Améri-que, où vient de se dérouler une prési-dentielle décisive, et où quantitéd’auteurs, tels que Joan Didion ou DonDeLillo, auraient eu beaucoup à dire :rien. Le commentaire politique s’estprofessionnalisé, il faut être Tom Fried-man ou Maureen Dowd [deux éditoria-listes du New York Times, ndlr] pouravoir le droit de le pratiquer.Mais vous-même êtes très sollicité?J’ai un statut un peu particulier, on mepose toujours les mêmes questions, c’estd’un ennui! Souvent, je refuse, parce

que j’en ai marre d’être le penseur deservice sur les questions de l’islam et duMoyen-Orient. Je n’écris pas sur la reli-gion. Et je n’y pense d’ailleurs pas tantque ça. Par exemple, j’ai suivi l’affairedes caricatures de Mahomet parce queles journalistes du monde entier m’ontappelé pour savoir ce que j’en pensais.Et ce que j’en pense, c’est que l’on doitavoir le droit d’en faire. Je ne sais pas ceque serait une satire politique consen-suelle. Une caricature respectueuse, çan’existe pas. Si l’on vit dans un mondeoù la satire est autorisée, il faut être prêtà accepter qu’elle soit déplaisante.

Quel regard portez-vous sur la jeune gé-nération d’écrivains américains?Ils sont très nombreux à avoir des cho-ses passionnantes à dire sur le mondedans lequel ils vivent. Les plus intéres-sants sont souvent issus de l’immigra-tion récente, ils viennent de Chine,comme Yiyun Li, du Vietnam, commeNam Le, ou d’Haïti, comme EdwidgeDanticat, et racontent des histoires surdes pays qu’on connaît moins. C’esttrès enrichissant pour la littératureaméricaine. Il y a quatre ans, on m’ademandé d’éditer un recueil regroupantles meilleures nouvelles de l’année. J’ai

accepté, car c’est une manière de metenir au courant, de découvrir de nou-veaux talents. Cela m’a rendu très opti-miste sur l’état de la fiction contempo-raine. Ce qu’il y a de bien, avec letalent, c’est qu’il finit toujours par sefaire connaître.Vous semblez plutôt optimiste sur l’étatdu monde…Je ne suis pas sûr, ça dépend de l’heurede la journée. Il est difficile d’être opti-miste de nos jours. Les élections améri-caines me rendent optimiste, car il yavait quand même un risque que Rom-ney passe. Depuis la première électionde George W. Bush, une élection volée,on sait que les républicains ne sont pasà un coup tordu près. Les frères Kochont dépensé 2 milliards de dollars poursoutenir Romney, et ils ont perdu. Shel-don Adelson [grande fortune des casinos,ndlr] a dépensé 1 milliard pour soutenirtrente-et-un candidats de droite, etseulement deux d’entre eux sont pas-sés. C’est jouissif de voir que cette élec-tion n’a pas pu être achetée. Mais, pouravoir étudié l’histoire, je sais que toutpeut changer du jour au lendemain. Si,en 1988, je vous avais annoncé la finimminente de l’Union soviétique, vousne m’auriez pas cru. •

Recueilli par ÉLISABETH FRANCK-DUMAS, ANNETTE LÉVY-WILLARD,

SYLVAIN BOURMEAU, PHILIPPELANÇON, JEAN-PIERRE PERRIN

et la rédaction de «Libération»Photos SÉBASTIEN CALVET

et STÉPHANE LAVOUÉ . PASCO

«Je crois qu’on se réveille chaque matinavec un petit paquet d’énergie créativepour la journée. Je crois qu’il faut travaillerimmédiatement. Moi j’y vais tout de suite,avant même de me laver les dents.»

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 EVENEMENT • 5

Page 6: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

Un jeune Palestinienet son frère, tué selon desofficiels gazaouis par untir israélien, hier, à KhanYounès (sud de la bandede Gaza). PHOTO IBRAHEEMABU MUSTAFA. REUTERS

GazaetIsraël

s’embrasentPluie de roquettes de partet d’autres, mouvements

de troupes: la mort du chefmilitaire Ahmed Jabari met

le feu aux poudres.

D es centaines d’hommes encolère portaient hier encortège dans les rues deGaza la dépouille d’Ah-

med Jabari, le chef militaire du Ha-mas, ceinte d’un drap blanc. Précé-dés de motos klaxonnantes etd’hommes en armes tirant en l’air,nombre d’entre eux criaient ven-geance et appelaient à la guerrecontre Israël. «En mou-rant, Jabari a laissé der-rière lui une armée et vanous fortifier», a déclaré Abou Mja-hed, le porte-parole des Comités derésistance populaire, une faction ar-mée à Gaza.En marge du défilé, l’agglomérationprincipale du petit territoire palesti-nien était vidée de ses habitants.Alors que le bruit sourd des raids aé-riens israéliens continuait à se faireentendre, suivi de fumées grises etde l’envol des oiseaux, rares étaientles Gazaouis à s’aventurer à l’exté-

rieur. Seules quelques gargotes etdes épiceries accueillaient lesclients. Le début de l’opération «Pi-lier de défense», menée par l’arméeisraélienne depuis mercredi en find’après-midi, a provoqué à Gazaune ruée sur les produits alimen-taires, l’essence et le gaz, menant àleur rapide pénurie.Au moins 15 Palestiniens ont ététués par les bombardements de Tsa-hal depuis deux jours, dont quatrecivils, et plus d’une centaine ont été

blessés. Parmi eux, Ab-delkader, 22 ans, touchépar des éclats de bombe

alors qu’il se tenait devant l’immeu-ble dans lequel il vit. A l’hôpital Al-Shifa, sa tante racontait en se tor-dant les mains d’angoisse qu’ellepriait pour que son neveu soit soignéen Israël.

ALARMES. Pour la première fois de-puis la guerre du Golfe de 1991, lessirènes d’alerte ont par ailleurs re-tenti côté israélien à Tel-Avivmême. Une roquette palestinienne

a ainsi atteint, sans faire de victi-mes, Rishon-LeZion, située dans lagrande banlieue, à 15kilomètres dela métropole.L’armée israélienne a affirmé avoirtouché une centaine de sites de lan-cement de roquettes à travers toutela bande de Gaza, «endommageantsévèrement les capacités de tirs utili-sées par les organisations terroristes»,selon un communiqué.Des spécialistes israéliens de la dé-fense se sont en outre félicités queplusieurs roquettes Fajr, de fabrica-tion iranienne et pouvant atteindreune cible à 75km, aient été détrui-tes. Durant toute la journée, des in-formations contradictoires ont cir-culé sur le tir de tels engins contreIsraël.Parallèlement à l’opération surGaza, une pluie de roquettes pales-tiniennes s’est abattue sur le sudd’Israël. Le bruit lancinant des alar-mes prévenant de l’arrivé des pro-jectiles et leurs explosions ontmaintenu les habitants dans l’an-goisse. Selon l’armée, plus de

Par AUDE MARCOVITCHEnvoyée spéciale à Gaza

REPORTAGE

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 20126 • MONDE

Page 7: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

«Je viens d’arriver etd’apprendre ce qui s’est passé àGaza, ces assassinats ciblés dontil est clair qu’il y en aura d’autres.Quel est le but de cesassassinats? Je ne sais pas.«C’est une période électoralepour Nétanyahou, et il a étéclairement fragilisé par le résultatde l’élection américaine. Tout lemonde sait que sa relation avecObama est mauvaise, et il a peut­être envie de rebondir. Cetteopération est­elle unecoïncidence, ou liée à l’électionaméricaine, je ne sais pas. Mais ily aura plus d’assassinats ciblés.Quant à l’éventualité d’uneattaque contre l’Iran, j’ai toujoursété contre. C’est ce qui pourraitle plus unifier la populationiranienne autour du régime desmollahs. Toute attaque del’étranger serait contre­productive.»

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«Nétanyahoua été fragilisépar l’électionaméricaine»

SALMAN RUSHDIELe scrutin de janvier pèse lourd dans l’opération menée contrele mouvement islamiste, désormais capable d’atteindre Tel-Aviv.

Un Hamas mieux armé contreun Etat hébreu en campagneQ uatre ans après l’opération

«Plomb durci», qui avaitcomplètement ravagé labande de Gaza, l’armée is-

raélienne a repris ses raids aérienscontre l’enclave palestinienne, tan-dis que le Hamas palestinien, pourla première fois, est parvenu à at-teindre avec deux roquettes la ban-lieue de Tel-Aviv.

Quels sont les enjeux de la nou­velle guerre entre Israël et leHamas ?Ce qui inquiète l’Etat hébreu, c’estque le Hamas a renforcé son poten-tiel stratégique avec de nouvelles ar-mes entrées en contrebande. D’unepart, des missiles Kornet, l’équiva-lent russe du Milan européen, capa-bles de détruire des chars Merkava– l’un d’eux l’avait été en décem-bre 2010. C’est encore un tir de mis-sile contre une jeep israélienne quiest à l’origine de la reprise des hos-tilités, samedi. D’autre part, le Ha-mas possède à présent, outre cellesde fabrication artisanale, des ro-quettes à longue portée, notammentdes Al-Fajr 5 iraniennes, qui pèsentenviron une tonne et ont une portéemaximale de 75km. Ces livraisonsclandestines en provenance d’Iransont acheminées via le Soudan et leSinaï égyptien. Même si le Hamas apris ses distances avec Téhéran, enraison de son soutien absolu au ré-gime syrien, sa branche armée aconservé des liens étroits avec la di-rection militaire iranienne.

Israël a­t­il marqué un point dé­

cisif en tuant le chef de la bran­che militaire du Hamas ?Proche du fondateur du Hamas,cheikh Yassin, Ahmed Jabari étaiten tête de la liste des responsablespalestiniens que le Shin Bet (contre-espionnage) et l’armée israéliennecherchent à éliminer. Il était notam-ment impliqué dans l’orchestrationde l’attaque de juin 2006, durant la-quelle plusieurs soldats israéliensont été tués ou kidnappés (dont Gi-lad Shalit). Son assassinat affaiblitbien évidemment le Hamas. Mais lemouvement islamiste a toujoursmontré sa capacité à se réorganiser,même après des pertes importantes.

Comment Israël a­t­il réussi àtuer un homme qui n’apparais­sait jamais en public ?Hier, le quotidien Haaretz a révéléque le feu vert final à l’opérationd’élimination, décidée par le Pre-mier ministre, Benyamin Nétanya-hou, et le ministre de la Défense,Ehud Barak, avait été méticuleuse-ment camouflé «par une opérationde désinformation impliquant nonseulement les responsables militaireset de sécurité, mais aussi d’impor-tants ministres». En clair, Israël atendu un piège au Hamas en lui fai-sant croire qu’il respectait le cessez-le-feu que venait de négocierl’Egypte –ce qui explique en partiela colère du Caire. Selon le journal,«le but était de leurrer le Hamas et lesautres organisations de Gaza en unfaux sentiment de sécurité, afin qu’ilsrelâchent leur préparation à une atta-que israélienne». Cette feinte non-

chalance, a résumé le spécialistemilitaire du quotidien Yedioth Aha-ronot, «a fait sortir Jabari et ses amisde leur tanière et rendu possible l’atta-que surprise». Pour rendre encoreplus efficace leur piège, BenyaminNétanyahou et Ehud Barak ont eux-mêmes brouillé les cartes en se ren-dant sur la frontière syrienne, quel-ques heures avant le raid qui a tué lechef islamiste.

L’actuelle confrontation risque­t­elle d’être la répétition del’opération «Plomb durci» ?Jusqu’à présent, les raids aériens is-raéliens n’ont pas eu l’intensité deceux de décembre 2008, lorsquel’opération avait commencé. Oncomptait alors 270 tués le premierjour, contre 11 hier. Même si uneoffensive terrestre ne peut pas êtreexclue, elle est rendue délicate parla proximité des élections législati-ves –fin janvier. Une opération surle terrain, face à un mouvementmieux armé qu’en 2008, pourraitcauser des pertes dans les rangs is-raéliens ou être l’occasion d’une«bavure» avec un effet désastreuxpour la coalition de Nétanyahou. Leprochain scrutin pèse néanmoinstrès lourd dans l’actuel embrase-ment. Il explique en grande partiel’escalade actuelle. Les Palesti-niens, eux, ont déjà perdu beau-coup: ils voulaient obtenir dans lessemaines à venir le statut d’Etatnon-membre à l’ONU. Les violen-ces actuelles risquent fort de tor-piller leur demande.

JEAN-PIERRE PERRIN

245 roquettes ont été tirées sur leterritoire israélien en deux jours,dont 80 ont été interceptées par lesystème antimissile «Dôme de fer».Les alarmes et les abris n’ont pasempêché la mort de trois civils,

dont une femme, tués dans leurappartement de Kiryat Malachi,une petite ville défavoriséede 20000 habitants. Alors que toutle voisinage se pressait hier, hébété,devant l’immeuble touché, GabyPeretz, un collègue de l’un des civilstués affirmait : «Même si les tirsse poursuivent, l’opération militairedoit continuer jusqu’à ce qu’on ait lecalme ici.»Alors que l’attaque contre AhmedJabari a pris le Hamas par surprise,tout le monde s’interrogeait hier

sur la poursuite des violences desdeux côtés du mur. Le Hamas a re-jeté «toute discussion sur une trêveavec Israël en ce moment». «Nous nenous laisserons plus abuser par lesduperies de l’occupation. Nous consi-

dérons que discuterd’une trêve en ce mo-ment reviendrait àfournir une couver-ture supplémentaire àla poursuite de l’es-calade contre Gaza»,a ainsi déclaré Sami

Abou Zouhri, un porte-paroledu Hamas, lors d’une conférencede presse.

«OFFENSIVE TERRESTRE». Côté is-raélien, le Premier ministre, Benya-min Nétanyahou, a indiqué que sonpays allait «continuer à mener touteaction nécessaire pour défendre sa po-pulation», en soulignant que l’arméeétait prête à «étendre significative-ment son opération» à Gaza. Un desporte-parole de Tsahal, le brigadiergénéral Mordechai, a indiqué pour

sa part que des troupes se diri-geaient vers le sud et se préparaientà entrer dans la bande de Gaza «si lemonde autorisait le lancement d’uneoffensive terrestre». Des chars ont eneffet commencé à se masser autourdu petit territoire palestinien, sansqu’il soit possible de savoir s’ils’agissait d’une simple menace oud’une préparation à une action élar-gie. En décembre 2008-jan-vier 2009, l’opération «Plombdurci» avait, durant trois semaines,fait intervenir l’aviation comme lestroupes terrestres israéliennes, pro-voquant la mort d’environ 1400 Pa-lestiniens et 13 Israéliens.Appelant les deux parties à la rete-nue, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont reconnu à Israël ledroit de se défendre, alors que leprésident égyptien, MohamedMorsi, a affirmé que l’opération is-raélienne était «inacceptable».Le Caire a rappelé son ambassadeuren poste en Israël et annoncé la ve-nue aujourd’hui à Gaza du Premierministre égyptien. •

«Discuter d’une trêve en ce momentreviendrait à fournir une couverturesupplémentaire à la poursuitede l’escalade contre Gaza.»Sami Abou Zouhri porte­parole du Hamas

REPÈRES

L’opération israéliennecontre les groupes armésde Gaza se déroule surfond d’élections. Benya­min Nétanyahou a faitvoter la dissolution de laKnesset, le Parlementisraélien, et avancé le scru­tin au 22 janvier. Le Pre­mier ministre et son parti,le Likoud (droite), sont entête dans les sondages.

«Les Israéliensdoivent réaliser queleur agression, nousne l’acceptons pas.Elle ne peut menerqu’à de l’instabilitérégionale»Mohamed Morsile président égyptien, hier

10C’est le nombre de per­sonnes tuées hier lors dudeuxième jour de l’opéra­tion israélienne «Pilier dedéfense», en majorité desPalestiniens.

ISRAËLMer

Méditerranée

MerMorte

SYRIE

JORDANIE

50 km

Tel-AvivKiryat Malachi

ÉGYPTEÉGYPTEÉGYPTE

LIBANLIBANLIBAN

Bande de Gaza

Cisjordanie

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 MONDE • 7

Page 8: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

Chine: lesseptprêcheurscapitauxLe XVIIIe congrès du Parti communiste chinois s’est achevé, hier à Pékin, avec la présentationdes nouveaux membres du comité permanent, au pouvoir pour les dix prochaines années.

C omme dans un théâtre, lesnouveaux leaders du Particommuniste chinois sesont dévoilés, hier

à Pékin, sur la traditionnellescène rouge décorée par unpanneau représentant la grandemuraille. Laissant dans les coulissesles obscurs débats ayant déterminéleur choix, les membres perma-nents du Politburo ont défilé dansl’uniforme des mandarinsd’aujourd’hui, le costume noir et lacravate pourpre, clôturant ainsi leXVIIIe congrès du Parti.La composition de cette équipechargée de diriger la Chine jus-qu’en 2022 a, sans explication, étéréduite de neuf à sept personnes.Leur chef de file, Xi Jinping, 59 ans,désigné hier secrétaire général, aaussi été nommé chef de la com-mission militaire du Parti, quicommande aux armées. Il devien-dra de surcroît, en mars, président

du pays. Par sa démarche naturelleet son sourire sympathique, le nu-méro 1 chinois tranche d’embléeavec l’allure de robot de son prédé-cesseur, Hu Jintao. Il parle le man-darin sans accent, ce qui est une

première dans l’histoire dela République populaire. Leplus difficile à déchiffrer

jusqu’alors ayant été Mao, dont lesdiscours n’étaient compris que parune minorité de Chinois.

DISSIMULATION. Li Keqiang,57 ans, qui doit prendre le poste dePremier ministre en mars, est leplus diplômé de ces sept héritiersdu pouvoir suprême. Anglophone,détenteur d’une maîtrise en droit etd’un doctorat en économie del’Université de Pékin, c’est intellec-tuellement le plus brillant de tous.Il a traduit en chinois l’un desgrands classiques du droit britanni-que. Li a toutefois failli mal tourner,puisqu’en 1980 il a aidé à organiserles premières élections libres dusyndicat étudiant de son campus,

contre l’avis des autorités. Deux deses amis de l’époque sont devenusdes dissidents, vivant en exil auxEtats-Unis. L’un d’eux, Wang Jun-tao, dit de Li Keqiang qu’«il réfléchitde manière indépendante, mais ne vajamais contre l’autorité sur les ques-tions importantes». Il posséderaitaussi «une très forte ambition per-sonnelle». Pour faire carrière dansla «machine rouge», Li Keqiang adonné beaucoup de gages. Gouver-

neur de la province du Henan (dansl’est) de 1999 à 2003, il a étouffé lescandale du sang contaminé qui atué des milliers de paysans. Ce ré-flexe de dissimulation a sans douteété un bon point pour sa promotion,et un signe de sa transformation envrai homme de l’appareil.L’élite du Politburo compte un seul

membre semble-t-il enclin à réfor-mer le régime politique –une aspi-ration partagée par une partiecroissante de la population. «Lacorruption au sein du pouvoir est telle,écrivait hier un microblogueur surle site Weibo, que le seul moyen de ré-soudre le problème, c’est de changerde régime politique.» Wang Qishan,économiste, ancien maire de Pékinet membre du Comité organisateurdes JO de 2008, négociateur inter-

national, ex-directeurd’une banque d’Etat,historien de forma-tion, est la personna-lité dont l’esprit paraîtle plus ouvert. Qishan,64 ans, a cependant

été relégué à des responsabilités quine pourraient être plus éloignées deses compétences: la lutte anticor-ruption. Son influence risque d’êtreminime, en dépit de son apparte-nance à la «caste rouge» (son beau-père est un ancien vice-Premierministre). Prince rouge en chef, lenouveau numéro 1, Xi Jinping, est

le membre le plus illustre de ce clan,puisque son père était un compa-gnon d’armes de Mao (Libération du5 novembre).Yu Zhengsheng, chef du Parti deShanghai, appartient lui aussi àl’aristocratie rouge. Son père a étédans les années 30 l’époux de JiangQing, avant que Mao ne l’épouse àson tour. Issu d’une famille demandarins remontant à l’empiremandchou, Yu est le maîtred’œuvre de l’Exposition universellequi s’est tenue à Shanghai en 2010.Ingénieur en missiles de formation,c’est un moderniste, un pragmati-que, mais aussi un dur à cuire enpolitique.

POISON. Il est cependant moinsconservateur que le numéro 3 dupouvoir : Zhang Dejiang, 66 ans,diplômé de l’université nord-co-réenne Kim Il-sung. Durant sa car-rière, Zhang a dirigé deux provin-ces en plein essor, courtisant lesinvestisseurs étrangers tout en ré-primant tout ce qui pourrait trou-bler la bonne marche de l’écono-mie. A la tête du Guangdong(sud-est) en 2003, il a tentéd’étouffer une épidémie de Sras quis’est par contrecoup étendue et,deux ans plus tard, il a fait tirer surune foule de manifestants à Dong-zhou (20 morts).Difficile toutefois d’être plus con-servateur que le numéro 4 del’équipe, Liu Yunshan, 65 ans, di-recteur du département de la pro-pagande du Parti, et à ce titre cen-seur en chef du pays. C’est un despères de la police de l’Internet quimaille le pays et de la campagned’expansion en Occident des chaî-nes de télévision officielles, finan-cées à coups de milliards afin depolir l’image du régime.Le dernier de la «bande des sept»,Zhang Gaoli, 65 ans, chef du Partide la ville de Tianjin (nord-est), estun apparatchik féru de langue debois, un technocrate effacé qui abeaucoup courtisé les anciens duParti. Comme ses pairs, il a pour luid’avoir toujours tout absorbé del’Occident, sauf le poison virulentde la démocratie. «Il n’y aura pas deréformes politiques, explique le sino-logue David Shambaugh, car trop degens dans le système considèrent cel-les-ci comme une pente savonneusevers l’effondrement.» •

Par PHILIPPE GRANGEREAUCorrespondant à Pékin

L’élite du Politburo compte un seulmembre semble-t-il enclinà réformer le régime politique:l’économiste Wang Qishan.

RÉCIT

Hier, à Pékin. De g. à dr.: Liu Yunshan, Zhang Dejiang, Xi Jinping, Li Keqiang, Zhang Gaoli (au fond), Yu Zhengsheng et Wang Qishan. MARK RALTSON. AFP

PolitburoLe bureau politique du Particommuniste chinois est com­posé de 25 personnes, dontdeux femmes. Son comité centralcompte désormais sept mem­bres, contre neuf auparavant.

La Chine est sur la voie dedevenir la première économiedu monde pendant le mandat deXi Jinping, qui doit normalements’achever en 2022. Le pays estactuellement la deuxièmepuissance économique mondialedepuis qu’il a dépassé le Japon,l’an dernier.

REPÈRES XI JINPINGAgé de 59 ans, ce fils d’un hérosde la Révolution de Mao étaitdepuis 2008 vice­président de laChine. Nommé hier secrétairegénéral du Parti, il est aussi à latête de la commission militaire etdeviendra président en mars.

«Il y a beaucoup deproblèmes à résoudre, enparticulier la corruption,l’éloignement du peuple,le formalismeet le bureaucratisme.»Xi Jinping nouveau chef du Parti

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 20128 • MONDE

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V ingt mois jour pourjour après les premiè-res manifestations

antirégime ayant lancé unerévolte devenue conflit armé,les forces syriennes poursui-vaient, hier, une vaste opé-ration sur Damas et sa ré-gion. Deux villes proches dela capitale, Daraya et Moua-damiya al-Cham, étaient no-tamment sous les bombes.Ailleurs, des combats oppo-saient les rebelles à l’arméeaux abords de l’aéroport mi-litaire d’Alep (nord) ainsique dans certains quartiersde Homs (ouest), tandis quela ville d’Azaz, près de laTurquie, était égalementbombardée.Pour la seule journée d’hier,un bilan provisoire publiépar l’Observatoire syrien desdroits de l’homme (OSDH)fait état de 39 morts.

Alors que l’hiver approche etque les combats – quiauraient fait 39 000 mortsdepuis mars 2011 selonl’OSDH – s’intensifient, lesorganisations de défense desdroits de l’homme s’inquiè-tent d’une situation humani-taire «critique». Difficultésd’approvisionnement, cou-pures d’électricité et d’eauainsi que bombardements del’aviation et combats de ruesont le lot des habitants dansles zones de conflit.Sur le plan international, laFrance, qui est à la pointe dusoutien à l’opposition–qu’elle a officiellement re-connue mardi –, cherche àentraîner ses partenaireseuropéens sur la voie d’unelevée de l’embargo sur les«armes défensives» pouraider la rébellion. La Syrie fi-gurera notamment au menu

de la réunion des ministresdes Affaires étrangères del’Union européenne, prévueen début de semaine pro-chaine. Mais Moscou, allié deDamas, a averti que les payssoutenant l’opposition com-mettraient une «violationgrossière» du droit interna-tional s’ils fournissaient desarmes aux insurgés.Pour leur part, les Etats-Unis, qui réclamaient avecinsistance l’unification desrangs de l’opposition, ontsalué la nouvelle coalitionconstituée au forceps lundi àDoha (Qatar), vantant soncaractère «diversifié et repré-sentatif». Barack Obama acependant prévenu queWashington n’était pas «pasprêt à la reconnaître commeune sorte de gouvernementen exil».

G.T.

Syrie:vingtmoisdeconflitet39000mortsGUERRE CIVILE Alors que la coalition s’est enfin unifiée,les ONG pointent désormais une situation «critique».

ARGENTINE Le crime de«féminicide», homicide ag-gravé d’une femme ou d’untranssexuel, sera désormaispuni de la prison à vie. Cetteloi, adoptée à l’unanimité,fait suite à une série demeurtres de femmes qui abouleversé le pays.

SIERRA LEONE 2,6 millionsd’électeurs sont appelés àvoter samedi, lors d’élec-tions générales considérées

comme un test crucial pourla consolidation de la démo-cratie, dix ans après la fin dela guerre civile.

PAKISTAN La France a con-damné hier la pendaison auPakistan d’un soldat reconnucoupable du meurtre d’unsupérieur. Cette exécutionmet fin à un moratoire deplus de quatre ans d’Islama-bad sur la peine de mort dansle pays.

«Pour des raisons humanitaires,les expulsions seront paralysées pendantdeux ans pour les groupes les plusvulnérables, notamment les famillesnombreuses et les personnesdépendantes.»Soraya Sáenz de Santamaria porte­parole du gouvernementespagnol, hier

450C’est le nombre de détenus amnistiés et libérés par lesautorités birmanes à quelques jours de la visite deBarack Obama à Rangoun. D’après l’Association d’aideaux prisonniers politiques, basée à Bangkok, aucun desdétenus politiques ne serait concerné. «Ce doit être lapire amnistie de l’histoire», a indiqué l’organisation sur sapage Facebook.

L’ex­Première ministreukrainienne Ioulia Timo­chenko, condamnée l’andernier à sept ans deprison pour abus de pou­voir, aurait accepté demettre un terme à la grèvede la faim qu’elle avaitentamée le 29 octobre,selon des officiels ukrai­niens qui lui ont renduvisite. Transférée de sa pri­son à l’hôpital en raison dehernies discales, l’ancienneégérie de la révolutionorange protestait contre lafraude aux législatives du28 octobre. L’avocat del’opposante a refusé decommenter, précisantseulement à la pressequ’actuellement elle n’avaitpas encore recommencéà manger. PHOTO AP

IOULIATIMOCHENKOPRÊTE À SERÉALIMENTER

LES GENS

Nom générique. Boîte exemplaire

Chèque Déjeuner, Scop en Île-de-France. 2130 salariés dont 357 salariés associés.

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 MONDEXPRESSO • 9

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AyraulttentelagreffeduRhin

Hier à Berlin,le Premier ministrea cherché à atténuerles tensions franco-allemandes face àune chancelièreplutôt réservée.

Par LAURE BRETTONEnvoyée spéciale à Berlin

I l n’est pas du genre à fanfaronner. Alors,quand on attrape au vol Jean-Marc Ayrault àson arrivée à Berlin pour lui parler du tout petitrebond de la croissance française au troisième

trimestre, il marque une pause d’une secondeavant de répondre. «Les indicateurs sont promet-teurs mais pas suffisants. Le combat pour la crois-sance est engagé, il ne doit pas faiblir», prévient lePremier ministre, dont l’épouse veille, juste der-rière lui, à ne pas écraser son petit bouquet bleu-blanc-rouge dans la cohue. Et pour la première foisen terre allemande, il défend le «pactede compétitivité» français, «plus quejamais nécessaire».Ce sera le fil rouge de sa journée outre-Rhin. Pourdissiper les «Misstöne», ces bruits dissonants, quicourent en Allemagne sur une France incapable dese réformer. Mais pas question de faire amende ho-norable sous les critiques.«Il y a à expliquer, pas à sejustifier», insiste son di-recteur de cabinet, Chris-tophe Chantepy. Car,pour Jean-Marc Ayrault,«il n’y a pas d’ambiguïté :quelques articles dans lapresse ne correspondent pas à la réalité». Et tant pissi l’inquiétude relayée par les médias allemandss’affiche désormais aussi en une du magazine bri-tannique libéral The Economist, pour qui la Franceest la «bombe à retardement» de l’Europe… Une

«outrance pour faire vendre du papier qui n’impres-sionne pas du tout la France», dixit un Ayrault re-gonflé à bloc depuis la présentation du pacte decompétitivité et la conférence de presse de Fran-çois Hollande. «Je n’étais pas du tout tendu avant,crâne-t-il. Je suis très détendu parce que je suis con-vaincu de ce que nous entreprenons pour la France»,confie-t-il après une balade dans les rues de Berlin.

HILARE. L’ancien prof d’allemand multiplie lesapartés dans la langue de Goethe –«c’est très im-portant de se comprendre !» –, se recueille devantle mémorial des Juifs tués pendant la SecondeGuerre mondiale et pose, hilare –ce qui est rare–,

en compagnie d’une poignée d’éco-liers. Avant sa rencontre avec AngelaMerkel, il a mis les points sur les i dans

un grand entretien au quotidien de centre gaucheSüddeutsche Zeitung, où il réclame la «compréhen-sion» de l’Allemagne pour les problèmes «spécifi-ques» de la France. Mais puisqu’entre amis on doit

pouvoir tout se dire il dresse la liste des défis alle-mands: son taux de natalité en berne et les inter-rogations sur son système de retraite qui risqued’exploser sous le poids du vieillissement de la po-pulation. Du coup, même si la chancelière alle-

REPORTAGE

Jean­Marc Ayrault et Angela Merkel, hier à Berlin. Le Premier ministre a multiplié les apartés en allemand, langue dont il était professeur. PHOTO ODD ANDERSEN. AFP

«Vous n’attendez tout de même pas sérieusement queje note ce qui se passe en France! Tout comme lePremier ministre s’abstiendra bien de noter ce quenous entreprenons.»Angela Merkel hier à Berlin

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 201210 • FRANCE

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Venez chanter au rendez-vousle plus solidaire de France !

17 novembreSamedi

Parvis du Trocadéro

Rejoignez les milliers de chanteurs réunis face à l’écran géant qui diffuserales paroles de la chanson de Sinsemilia

Suivez et partagez sur : facebook.com/Lebonheurdetreensemble

Tout le bonheur du monde

QUART DE PAGE SOS VE - 164 X126mm.ai 1 13/11/12 15:05

mande offre à Ayrault un accueil de chef d’Etatavec tapis rouge et honneurs militaires afférents,la conférence de presse qui suit leur entretien n’estpas d’une chaleur suffocante.Interrogée sur le pacte de compétitivité, AngelaMerkel s’en tient au service minimum souhaitant«le plein succès de ce qui a été engagé en France»,sans se prononcer sur le fond des mesures ou en-courager Paris dans ses réformes. Pour la diri-geante conservatrice, la campagne pour les élec-tions générales, dans un an, a déjà commencé. Ellese garde donc de saluer un ensemble de mesuresportant un sceau socialiste alors qu’elle engage unbras de fer avec les sociaux-démocrates. «Vousn’attendez tout de même pas sérieusement que je notece qui se passe en France! Tout comme le Premier mi-nistre s’abstiendra bien de noter ce que nous entrepre-nons», ajoute-t-elle sans un sourire.

«MUR DES RÉALITÉS». Dans ce petit jeu de la bar-bichette franco-allemand, Ayrault souligne alorsque les deux pays partagent «l’essentiel», mais faitvaloir qu’il n’y a jamais un seul «modèle» de déve-loppement ou de redressement. Les «bonnes prati-ques» peuvent, à la rigueur, se partager. «Ce quim’inspire, c’est la qualité du dialogue social en Alle-magne», vante donc le chef du gouvernement. Ila d’ailleurs rencontré les syndicats à la mi-journéeet appelle depuis Berlin les partenaires sociauxfrançais à un accord «historique» sur la sécurisa-tion de l’emploi. Pour bâtir le «nouveau modèlefrançais, explique Ayrault, nous prenons ce qu’il ya de meilleur chez les autres, mais d’abord nous allonschercher au plus profond de nous-mêmes ce que nousavons de plus fort et qui nous permettra de réussir».Ses trente-six heures berlinoises ont aussi permisà Jean-Marc Ayrault de régler ses comptes avecGerhard Schröder dont l’«Agenda 2010» est pré-senté comme l’horizon indépassable des réformesstructurelles de gauche en Europe. Pour l’ancienchancelier social-démocrate, la politique de Fran-çois Hollande se heurtera forcément au «mur desréalités». «Il a ses forces mais aussi ses faiblesses»,se permet le Premier ministre français. Non seule-ment la France a ouvert le chantier compétitivitésix mois après son arrivée au pouvoir (alors queSchröder l’avait fait au cours de son deuxièmemandat), mais l’Allemagne de l’époque avait alorslaissé filer son déficit et mis en place une réformede l’indemnisation-chômage, engendrant une trèsforte précarité. Bref, Paris n’a pas besoin (nonplus) «des leçons» de Schröder, estime Ayrault.Plutôt bégueule, le ministre délégué aux Affaireseuropéennes, Bernard Cazeneuve, prédit d’ailleursque «bientôt, quand on recherchera un modèle de re-lance dans la crise, on dira“faites comme Hollande”et plus “faites comme Schröder”». Pour lui, «cejour-là, on aura réussi». Mais pas avant. •

LE TRAITÉ DE L’ÉLYSÉELa France et l’Allemagne célébreront, l’annéeprochaine, le cinquantième anniversaire dutraité de l’Elysée signé le 22 janvier 1963 parCharles de Gaulle et Konrad Adenauer. Cetraité d’amitié, paraphé par le chef de l’Etatfrançais et le chancelier allemand, a inauguré laréconciliation des «ennemis héréditaires».Jean­Marc Ayrault a indiqué hier que les gou­vernements français et allemand, ainsi que lesParlements des deux pays, se retrouveraientfin janvier à Berlin.

REPÈRES

«Ce serait bien si les socialistesengageaient maintenant vraimentdes réformes structurelles. Celaferait du bien au pays et à l’Europe.»

Volker Kauder président du groupeparlementaire de la CDU, le 9 novembre

«C’est honteux, pour la cinquièmepuissance, de se faire reprendre,donner des leçons d’économie parl’Allemagne qui, jusqu’à présent,était son principal allié.»Valérie Pécresse députée UMP des Yvelines, lundi

«J’ai pas mal voyagéen Europe cesderniers temps etsurtout en Espagne,il y a quelquessemaines encore.J’adore l’Espagneet elle est dans unétat épouvantable,avec 25% dechômeurs.Shocking.«Je m’inquiète pourl’avenir de l’Unioneuropéenne,

vraiment. Je suis allé en Grèce et c’est pire. Je mesouviens quand les Britanniques ont refusé d’entrerdans l’euro et tout le monde les a critiqués: ils nejouaient pas le jeu, pas fair­play. Pas Européens. Ehbien, maintenant, ils ont l’air de génies. Et la livre estplus forte que l’euro.«Je pense que c’est Gordon Brown qui a refuséd’entrer dans l’euro. En tout cas, c’est assezconfortable aujourd’hui de ne pas se retrouver aumilieu de cette bataille. Eurosceptique? Non, j’aitoujours eu foi dans cette idée d’union mais peut­ellesurvivre dans cette forme aussi large? L’Unioneuropéenne est devenue si vaste… On doit discuterdes possibilités d’en finir avec ce cadre­là. Parfois,même les meilleures idées ne survivent pas.»

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«Les Britanniquesont aujourd’hui l’airde génies»

SALMAN RUSHDIE

Pour Jean­Marc Ayrault, l’opération séduction endirection des entreprises ne s’arrête pas à uneseule rive du Rhin. Le Premier ministre a passéhier une petite heure en compagnie de dirigeantsfrançais installés en Allemagne aux commandesde filiales de grands groupes hexagonaux oud’entreprises allemandes. L’occasion de faire lepoint sur le «différentiel» franco­allemand loin des«rumeurs» de la presse. Où il a été question depoids des charges sociales, de flexibilité dumarché du travail et… d’enseignement deslangues étrangères. «Ici, c’est une matière aussiessentielle que les maths», insiste Eric Hanania,qui pilote Capgemini Allemagne. Thibaud deSéguillon, patron d’Heliatek, une start­up deDresde fabricant des films photovoltaïques, aévoqué le succès des entreprises de tailleintermédiaire –le Mittelstand– quasi inexistantesen France. Du velours pour Ayrault, qui a vanté enretour la création de la Banque publiqued’investissement pour y remédier et son «pactede compétitivité». L.Br. (à Berlin)

LE PREMIER MINISTRE PRÊTEL’OREILLE AUX PATRONS

«La France sera­t­elle la nouvelle Grèce?»interrogeait le Bild le 31 octobre.

DR

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«Si Jean-FrançoisCopé devait être éluà la présidence del’UMP, le bail dessocialistes risqueraitd’être prolongé.»Eric Ciotti directeur decampagne de François Fillon,hier au Figaro

1ouvrier sur 577 députés:«l’élite sociale s’accaparela représentation natio­nale» pointe une notede l’Institut Diderot,«Une Assemblée nationaleplus représentative?»A lire sur libération.fr

E n rentrant dans sacommune de Sevran, ils’est fait applaudir. Les

gens lui ont dit qu’ils étaient«fiers». Stéphane Gatignon,le maire (EE-LV) de cetteville de 51000 habitants enSeine-Saint-Denis, a arrêtéhier sa grève de la faim, enta-mée vendredi dernier dans le

but de «rompre le silence» etréclamer une solidarité fi-nancière pour les villes lesplus pauvres. Il a remballé latente installée devant l’As-semblée nationale. Et a re-commencé à boire de lasoupe. Fatigué, il a annulé denombreuses interviews. Li-bération l’a joint dans la voi-ture qui le ramenait à Sevran.Qu’avez-vous obtenu?Je voulais un fonds d’urgencepour les villes les plus fragilesfinancièrement. Le gouver-nement a décidéque les augmen-tations prévuespar le budget del’Etat en 2013pour un certainnombre de créditsde la politique dela ville seront af-fectées en priorité aux com-munes les plus pauvres. C’estde fait payant pour Sevran.Son budget sera crédité de5 millions d’euros par an.C’est une somme dont onavait besoin pour ne pasmettre la clé sous la porte.Enfin, je participerai aux ate-liers de la mission confiée aumaire de Sarcelles [FrançoisPupponi, ndlr] sur les péré-quations de ces aides. C’estune avancée. Le système doitévoluer car les collectivitésriches sont encore très richeset les pauvres, très pauvres.Que faut-il changer?Il faut un vrai travail sur lespéréquations. Je suis pourdes mesures radicales. Il fautque ceux qui sont assis surdes coffres-forts acceptent lasolidarité ou y soient con-traints. Prenons un autreexemple: je suis pour qu’unmaire qui ne respecte pas lequota de construction de lo-gements sociaux sur sa com-mune soit déclaré inéligible.

D’une certaine manière, ils’agit de la même chose :c’est une question de fiscalitéet de répartition de l’effort.Ne regrettez-vous pas d’avoirdû faire une grève de la faim,un geste un peu désespéré?Non, ce n’est pas désespéré.Le désespoir, c’est l’aban-don. Je suis un combattant.Ce n’est pas une forme d’ac-tion habituelle pour un élu,mais je le fais comme mili-tant citoyen. Cela fait dix ansque je me bats, en vain.

Quelle sociétéveut-on cons-truire? Avec ceuxqui gardent le po-gnon, ceux qui es-sayent de gratter?Derrière, il y a unproblème démo-cratique: un élu de

banlieue n’est pas entendu. Ily a une incompréhension dece qui s’y passe. Les habi-tants, eux, comprennent. Ilsvenaient me dire que je leurredonnais confiance. J’aiaussi eu le soutien de députésde l’outre-mer ou de territoi-res ruraux. Et ce n’est pas unhasard si Manuel Valls [mi-nistre de l’Intérieur, ndlr] etClaude Bartolone [présidentde l’Assemblée nationale] sesont montrés compréhensifs:ils ont été élus de banlieue, ilsont l’expérience de terrain.

Recueilli parCHARLOTTE ROTMAN

«5millionsparanenpluspourSevran»SOLIDARITÉ Le maire Stéphane Gatignon revientsur les motifs et les résultats de sa grève de la faim.

L’alliance de circonstance entre droite et communistes aencore frappé. Après le projet de loi de programmationbudgétaire et le texte sur un bonus­malus pour la tarifica­tion de l’énergie, c’est le budget de la Sécu qui en a fait lesfrais hier. «Je regrette que la majorité ne soit pas davantagerassemblée», a déploré la ministre de la Santé, Marisol Tou­raine, prenant acte du rejet de son texte par 186 sénateurscontre 155. «Chacun assumera sa responsabilité. Celle dugouvernement est de permettre une politique de protectionsociale. Le paradoxe, c’est que toutes les mesures de pro­tection ne pourront pas être examinées, mais l’Assembléereprendra les débats», a­t­elle déclaré. La présidente dugroupe communiste, Eliane Assassi, s’est justifiée, estimantque «la gauche gouvernementale s’install[ait] dans deschoix de rigueur et non pas de justice sociale». PHOTO AFP

AU SÉNAT, MARISOLTOURAINE VICTIME DEL’ALLIANCE UMP ET PCF

LES GENS

AFP

A lire «On est passécomplètement à côté dudébat sur la solidarité.»Trois maires de Seine­Saint­Denis réagissentà l’action de StéphaneGatignon.

• SUR LIBÉ.FR

Hasard du calendrier: alors que Stéphane Gatignon vientde mettre fin à sa grève de la faim, un rapport de l’Obser­vatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus) quidoit être publié ce matin confirme que la situation sociales’est dégradée dans les quartiers en difficulté où logent4,5 millions d’habitants. Le nombre de personnes vivantsous le seuil de pauvreté (964 euros par mois) est passéde 30,5% de la population en 2006 à 36,1% en 2010, con­tre respectivement 11,9% et 12,6% en dehors de ces quar­tiers. Le taux de chômage y est de 22,7%, soit plus dudouble que dans le reste de l’Hexagone. T.S.

LA PAUVRETÉ GAGNE DU TERRAINDANS LES QUARTIERS EN DIFFICULTÉ

LE RAPPORT

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 201212 • FRANCEXPRESSO

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ALomme,l’écoledesfansdesquatrejoursetdemiLa ville du Nord, qui teste la réforme de Peillon, la plébiscite malgré son coût.

P arents contents, élus in-quiets? La semaine de qua-tre jours et demi, là où çaexiste déjà, ça plaît aux pa-

rents. Dans les écoles maternelle etprimaire La Fontaine et Lamartinede Lomme (Nord), où l’on pratiquel’aménagement du temps de l’en-fant, la classe dure du lundi au ven-dredi, mercredi matin compris,dont deux après-midi par semained’ateliers, et pas plus decinq heures de cours parjour au lieu de six.«Que du positif pourl’instant», estime Magalie, em-ployée à la sécurité à la sortie del’école et mère de Romain, 7 ans,rencontrée un mercredi midi avantles vacances. «L’école le mercredimatin, c’est bien, poursuit-elle. Lesenfants sont plus concentrés, plus at-

tentifs, ils travaillent mieux le matin.»Son fils? «Il est content. Il a apprisles planètes, les années-lumière, maisde manière cool, pas stricte. Il a visitéune ferme, une station d’épuration. Ilattend avec impatience l’atelier delangage des signes.»

CIRQUE. A côté d’elle, Julie, char-gée de com et mère de Gaspard,trouve que «six heures de cours parjour, c’était trop». Pour Cécile, profen lycée professionnel, et mère deCélestine et Mathilde, les atelierssont «une ouverture formidable».

Sandrine, mère au foyerde six enfants, dont troisdans l’école, est ravieque Mindy, 11 ans, soit

allée au tribunal dans le cadre duparcours «citoyen de demain»,mais trouve Sécylla, 3 ans, «un peufatiguée». Magalie ajoute: «Le mer-credi matin, ils préféreraient rester auchaud, c’est sûr. C’est un rythmenouveau, il faut s’habituer.»

L’école de Lomme préfigure la ré-forme des rythmes scolaires… si leministre de l’Education, VincentPeillon, arrive à la mener à bien.Après les déclarations consensuel-les sur les défauts de la semaine dequatre jours, on est entré dans leconcret. Et les discussions s’avèrentdifficiles. Les communes, surtoutles plus pauvres, redoutent de de-voir payer davantage, et les profes-

seurs des écoles, parmi les plus malpayés d’Europe, craignent une dé-gradation de leurs conditions detravail. Pour éviter l’ornière, Peillona promis une table ronde.A Lomme, l’expérimentation a dé-marré à la rentrée, sous l’impulsiondu précédent maire, le député Yves

Durand, spécialiste des questionsd’éducations au PS. Les élèves ontvingt-quatre heures de scolariténormale, plus les ateliers –cirque,alimentation, arts urbains, sport,parcours scientifique, percussions,cinéma, et même philosophie. «Ilsn’ont pas moins de cours que lesautres, mais ils ont une semaine pluschargée: cinq heures de plus», expli-que Romy Zaghbib, chargée de

l’aménagement dutemps de l’enfant dansl’école. La municipa-lité, elle, facilite la viedes parents qui tra-vaillent. Le mercredi,c’est cantine le midi,

comme les autres jours. Puis lacommune accompagne les enfantsen bus au centre de loisirs.Est-ce généralisable? Pas en l’état.«Cela coûte 800 euros de plus paran et par enfant, un surplus dû àl’embauche de vacataires, reconnaîtOlivier Caremelle, adjoint à l’édu-

cation à Lomme. On ne peut pas gé-néraliser ça aux huit groupes scolai-res de la ville.» Dans chaque atelier,en plus de l’intervenant, il y a unanimateur qui connaît les élèves etassure au besoin la discipline. Letout coûte 200000 euros par an et,dans cette commune modeste,l’expérience n’est possible queparce qu’elle est financée pourmoitié par la ville de Lille, dontLomme est «commune associée».La caisse d’allocations familialesfait le reste.

«PÂTE À MODELER». Et pour lesautres communes ? Elles risquentde le payer cher. Si les cours s’ar-rêtent à 15h30 mais qu’on ne lâchepas les enfants avant 16 h 30 – lescénario initial proposé par Peillon,aujourd’hui rediscuté –, elles de-vront organiser des activités aprèsla classe. «Le temps périscolaire estune compétence municipale. Est-ceque les communes en ont les capaci-tés? se demande Olivier Caremelle,tout socialiste et partisan de la se-maine de quatre jours et demi qu’ilest. On n’a pas l’ambition de faire dela pâte à modeler, mais de porter unparcours éducatif. Comment va s’or-ganiser le temps de service des ensei-gnants ? Qui va assurer l’aide auxdevoirs ? Qui fait quoi et qui paiequoi? On attend les décisions.» Et ilreconnaît que, «dans descommunes plus petites, ça peut êtretrès compliqué».Dans son village de Marquillies, nonloin de Lomme, le sénateur-mairecommuniste Eric Bocquet confirmeles craintes : «Cela aura forcémentdes conséquences.» Outre les finsd’après-midi, «une cinquième jour-née, ça veut dire qu’une partie des en-fants déjeuneront à la cantine, quifonctionnera donc un jour de plus. Cene sont pas des petites préoccupa-tions». Le maire estime que 40% dubudget de sa commune concernel’école: «On demande aux collectivi-tés de serrer la vis. Or, il y a des dé-penses nouvelles tout le temps.»Exemple avec la nouvelle piscine,située dans le village voisin d’Her-lies. «A chaque fois que nos enfantsfont de la natation, c’est 65 euros rienque pour les dix minutes de car, indi-que Eric Bocquet. Soit 10000 eurosen plus sur le budget», limité à1,2 million d’euros de fonctionne-ment. Il s’inquiète aussi de devoirtrouver des gens qualifiés pour larentrée, et d’avoir les informationsà temps pour boucler le bud-get 2013. «C’est très bien commeidée, on est d’accord sur le fond. Maisça va nous compliquer la vie.» •

Par HAYDÉE SABÉRANEnvoyée spéciale à Lomme (Nord)Photo AIMÉE THIRION

«Romain est content. Il a apprisles planètes, les années-lumière,mais de manière cool, pas stricte.»Magalie mère de Romain, 7 ansREPORTAGE

A la sortie des écoles La Fontaine et Lamartine de Lomme, le 17 octobre. Les quatre jours et demi coûtent 800 euros de plus par an et par enfant à la ville.

600C’est, en millions d’euros, le coûtde la réforme des rythmesscolaires pour les collectivitéslocales, selon l’Association desmaires des grandes villes.

LommeMer duNord

BELGIQUEPAS-

DE-CALAIS

AISNESOMME 25 km

NORD

Lille

Les professeurs des écoles sonttrès partagés sur la semaine dequatre jours et demi: 50% sontpour, 47% contre, 3% s’abstenant,selon un sondage diffusé hier parle Snuipp (principal syndicat duprimaire). Et 61% sont favorablesà une journée de cinq heurescontre six actuellement.

REPÈRES «La réforme desrythmes scolairess’appliquera en 2013.[…] Je veux que toutle monde s’y engage.»Vincent Peillonministre de l’Education, hier

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Corse:unmortdeplusàlacroiséedesaffaires

Tout comme l’avocat Antoine Sollacaro, tué enoctobre, Jacques Nacer, abattu mercredi à Ajaccio,était un proche d’Alain Orsoni.

Par OLIVIERBERTRAND(à Marseille),MICHEL HENRYet PATRICIATOURANCHEAU

C’ est un proche de l’enquêtequi murmure: «Il ne manqueplus qu’un magistrat ou unpolicier, et on sera vraiment

dans un cadre mafieux napolitain.» Unmois après l’assassinat, le 16 octobre, del’ancien bâtonnier Antoine Sollacaro,le président de la chambre de com-merce et d’industrie (CCI)d’Ajaccio, Jacques Nacer,59 ans, a été exécuté mer-credi, vers 18 h 50. Il allaitfermer son magasin de vête-ments et chaussures pourhomme, rue Fesch, artèresemi-piétonne du centred’Ajaccio. Il y avait encoreun client et une vendeuse.Un homme cachant son visage est en-tré, a sorti une arme, probablement unrevolver: aucune douille comme les ar-mes automatiques en éjectent n’a étéretrouvée. Il a fait feu plusieurs fois, àbout portant. La victime «a été touchéeau moins deux ou trois fois à la face, peut-être aussi une fois au thorax, mais il fautattendre l’autopsie pour en être certain»,indique une source proche de l’enquête.Le tueur est reparti dans la rue.

Si, selon une autre source, «les pistessont trop nombreuses, on ne peut pas iso-ler une hypothèse». Et certaines ressem-blent beaucoup à celles avancées aprèsle meurtre d’Antoine Sollacaro. Lesdeux victimes étaient proches d’AlainOrsoni, ancien chef nationaliste,homme d’affaires et président de l’AC

Ajaccio (ACA). Elles étaienttoutes deux concernées (Jac-ques Nacer comme diri-geant, Antoine Sollacarocomme avocat) à la fois parle club de foot et la chambrede commerce.«Alain Orsoni a perdu deux deses amis», explique un res-ponsable de l’enquête qui

fait «un rapprochement entre ces deuxflingages»: «Les victimes sont des nota-bles proches de voyous, mais qui n’appar-tiennent pas au banditisme. Ça dégommedur dans le camp d’Alain Orsoni, mais cesont des gens périphériques, pas étiquetésbandits.» Pour la police judiciaire char-gée de l’enquête, les assassinats de «cesgens faciles à abattre, car ils ne sont passur la défensive et ne se méfient pas»,sont peut-être destinés «à marquer le

cœur de l’équipe que ses ennemis n’arri-vent pas à atteindre».Cette hypothèse de règlements decomptes par procuration pour toucherAlain Orsoni n’implique pas qu’ils’agisse des mêmes tueurs. L’arme et le«modus operandi» sont «différents». At-teint dans sa voiture par deux hommes«sur une moto de type BMW», dont lepassager est descendu pour tirer, An-toine Sollacaro a été exécuté de neuf«balles de calibre 11,43 tirées par un pis-tolet automatique». Selon les premièresexpertises balistisques, Jacques Nacera été tué «a priori par un revolver».

MILIEUX. Sa famille était arrivée enCorse juste avant-guerre. Son grand-père était marchand ambulant, puis sonpère a monté, dans les années 50, uneboutique de prêt-à-porter pour hom-mes, rue Fesch. Jacques Nacer a tra-vaillé avec lui, avant d’ouvrir son ma-gasin dans la même rue. Un ami ledécrit comme un «bon vivant» quiaimait plaisanter. Un «brave type» sou-vent taquin, resté en lien avec ses amisd’enfance, qui connaissait du mondedans tous les milieux, «même les plusmodestes, malgré sa réussite». Il avaitdeux enfants, un fils d’une trentained’années, une fille plus jeune.Jacques Nacer a aussi été l’adjoint deRaymond Ceccaldi, précédent présidentde la CCI. Il lui a succédé en novem-bre 2008, après l’arrestation de Cec-caldi, fin 2007, dans l’affaire de la So-ciété méditerranéenne de sécurité(SMS). Cette entreprise, créée par d’an-ciens nationalistes et chargée notam-ment de la sécurité de l’aéroport d’Ajac-cio, a été au cœur d’une vaste fraude auxmarchés publics. Elle semblecentrale dans la vague de rè-glements de comptes –plu-sieurs de ses membres ont étéliquidés.L’histoire de la SMS démontreaussi le curieux rôle quejouent parfois certains policiers dansl’île. Ainsi, quand l’affaire éclate, sonprincipal dirigeant, Antoine Nivaggioni,proche d’Alain Orsoni, est renseignédans sa cavale par des amis RG surl’évolution de l’enquête de la PJ. S’en-suit une guerre des polices qui culminequand l’élu Jean-Christophe Angelini(autonomiste, modéré), soupçonné dechercher à transmettre un faux passe-port à Nivaggioni, est interpellé par la PJen janvier 2008, sortant d’un déjeuner

avec… Bernard Squarcini, patron de laDirection centrale du renseignement in-térieur (DCRI). «La PJ avait juste oubliéde me prévenir qu’ils avaient quelque chosecontre lui», fulminera Squarcini. Selonlui, Nivaggioni, travaillant dans la sécu-rité à la SMS, avait «une relation de tra-vail» avec le précédent patron des RG.Nivaggioni est finalement assassiné enoctobre 2010 à Ajaccio. Puis Yves Ma-nunta, qui cofonda la SMS avec Nivag-gioni avant de se brouiller avec lui, est

supprimé en juillet dernier. «Tout lemonde sait à Ajaccio d’où vient le danger,cela remonte à l’affaire SMS», avait dé-claré Manunta auparavant. Au procèsSMS, en mars 2011, Me Sollacaro avaitqualifié Manunta d’«indicateur de la po-lice». Yves Manunta fustigera l’avocat– «Sollacaro m’a mis une cible dans ledos»– avant de tomber sous les balles.A priori, Jacques Nacer n’a rien à voiravec la SMS. Il a juste fait preuve de«complaisance», selon le parquet,

«Tous les proches d’Alain Orsonise font fumer. Désormais, on viseles entourages, plus les personnes.»Un connaisseur des enquêtes

REPÈRES

w 16 octobre L’avocat AntoineSollacaro est tué de plusieurs ballesdans la tête à bord de sa voituredans une station­service du centre­ville d’Ajaccio.w 11 septembre Trois hommesconnus de la police sont découvertscriblés de balles dans leur véhiculesur une route de Haute­Corse.w 7 août Maurice Costa, considérépar la justice comme un pilier de labande de la «Brise de mer» estassassiné dans la boucherie de soncousin à Ponte­Leccia.w 9 juillet Yves Manunta, anciennationaliste et cofondateur de la

«Un nouvel assassinat,ça veut dire que la mafia està l’œuvre en Corse […].Il ne s’agit pas de faiblirun seul instant.»Jean­Marc Ayrault hier

17c’est le nombre de meurtres enCorse depuis le début de l’annéedont 14 règlements de comptes

LES PRÉCÉDENTS MARQUANTSSociété méditerranéenne de sécu­rité (SMS), qualifié «d’indic» parMe Sollacaro, est tué à Ajaccio.w 21 avril 2011 Marie­Jeanne Bozzi,55 ans, ancienne élue locale, estassassinée à Porticcio.w 5 décembre 2010 Florian Costa,30 ans, neveu d’un «parrain» sup­posé, est exécuté dans sa voiture,sous les yeux de ses enfants.w 18 octobre 2010 AntoineNivaggioni, 49 ans, ex­nationalistedu Mouvement pour l’autodétermi­nation d’Alain Orsoni, qui avaitmonté la SMS avec Manunta, estabattu dans la rue à Ajaccio.

AP

Jacques Nacer.

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quand la CCI qu’il présidait ne s’est pasconstituée partie civile au procès SMS.Il estimait, malgré les détournementssubis, qu’il n’y avait pas de préjudice.Le procureur qualifiera Jacques Nacerde «prince du tango corse», selon l’AFP.

PROXIMITÉ. Jacques Nacer était proched’Alain Orsoni. Il avait intégré l’ACAjaccio bien avant que le club, relancépar les nationalistes du MPA dans lesannées 90, ne retrouve la Ligue 1. Se-crétaire général de l’ACA, il était moinsimpliqué depuis qu’il dirigeait la CCI.A-t-il été tué pour sa proximité avecAlain Orsoni, dont de nombreux pro-ches ont été assassinés ces dernièresannées? Pour son activité à la tête de laCCI, très convoitée car pourvoyeuse demarchés publics ? Des «imbrications»entre ces pistes sont également possi-bles, selon un magistrat.«Tous les proches d’Alain Orsoni se fontfumer, remarque un connaisseur des en-quêtes. Désormais, on vise les entourages,plus les personnes.» Avec audace. L’an-cien bâtonnier a été abattu devant descaméras de surveillance, le président dela CCI dans son magasin d’une rue trèspassante. Comme si l’on se fichait de lajustice, réduite à compter les morts.•

Sur l’île, Taubira et Valls ont relayé le message de fermeté de l’Elysée et de Matignon.

Deux ministres envoyés illico prestoA son tour, le président

François Hollande est con-fronté au «défi» de la vio-

lence en Corse qui a empoisonnéles gouvernements précédents, dedroite comme de gauche. Dépê-chés «sans délai» à Ajaccio parl’Elysée et par Jean-Marc Ayraultpour qui «la mafia est à l’œuvre»,les ministres de la Justice et del’Intérieur, Christiane Taubira etManuel Valls, ont anticipé dedeux semaines leur déplacement,pour aller montrer «la détermina-tion de l’Etat» qui «ne capitule pas,ne recule pas en Corse», selon lagarde des Sceaux. La fille del’avocat Antoine Sollacaro, quiavait reproché au gouvernementde ne pas avoir «bougé» après lemeurtre par balles de son pèrevoilà un mois, a remarqué com-bien les ministres «se sont précipi-tés à Ajaccio après cet assassinat

[de Jacques Nacer, hier, ndlr]».Hollande a ordonné à Valls etTaubira de retrouver «les coupa-bles» et de «chercher les causesmêmes de cette tuerie qui concerneun certain nombre de personnali-tés» en Corse: «Il faut faire la lu-mière sur les trafics et un certainnombre de situations clientélaires.»«Fric». Avec 17 victimes d’homi-cide depuis le début de l’année,l’île est la zone la plus crimino-gène d’Europe, et un enjeu ma-jeur de sécurité pour la France.Valls a déploré que la Corse con-centre «environ 20% des règle-ments de comptes commis sur leterritoire», «une proportion excep-tionnelle au regard de la popula-tion», de 310 000 habitants.Pour le président de l’assembléede Corse, Dominique Bucchini(PCF), «la racine du mal, les gensle savent bien ici, c’est le fric». Le

Premier ministre avait annoncé le22 octobre 10 mesures pour lutteren particulier contre le blanchi-ment, car «les affaires économi-ques et financières sont à l’originede la plupart des homicides».Taubira et Valls, qui se sont entre-tenus hier avec des élus de Corse,des magistrats et des policiers,ont affiché lors d’une conférencede presse leur fermeté conjointedans la lutte contre la criminalitéorganisée et «l’affairisme» quigangrène l’île. «Il y en a assezqu’une minorité accuse sans cessel’Etat», a tonné le ministre del’Intérieur, qui a appelé à unemobilisation de toute la sociétécorse, car «seul l’Etat ne peutrien». Interrogé sur le fait que lepouvoir ciblerait à tort certainssecteurs d’activité comme lesport, Valls a asséné que ce n’estpas sans raison : «Pas de tabous,

pas de mensonges, pas de secteursqui échapperaient à l’action del’Etat. Le sport, l’immobilier, leBTP, le tourisme, la nuit, le jeu, onne désignerait pas cela au nom deje ne sais quel danger? Mais de quise fiche-t-on ?»«Elucidation». Au-delà de lastratégie policière et judiciaire,Valls a évoqué le «contexte depressions exercées sur les témoins»et l’omerta:«On connaît les com-manditaires, on sait, mais on neparle pas.» Tandis que Taubira apromis de «protéger» les témoinssous X et «d’améliorer le tauxd’élucidation des affaires». En re-vanche, la garde des Sceaux n’estpas favorable à la création d’unpôle antimafia en Corse, sur lemodèle de ce qui existe en Italie,car «le gouvernement ne veut pasjouer à l’“Etat Rambo”».

P.T.

Manuel Valls,ministre del’Intérieur, hierà Ajaccio. PHOTOPASCAL POCHARD­CASABIANCA

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 FRANCE • 15

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LOGEMENT Le ministères’est défendu hier de vouloir«entraver» les réquisitionsde logements vacants, alorsque l’association Droit au lo-gement (DAL) l’accused’avoir fait «disparaître» unamendement concernantleur mise en œuvre dans leprojet de loi sur le logement.

JUSTICE La cour d’appel deParis a confirmé hier la con-damnation d’un blogueurayant propagé des rumeurssur Martine Aubry. En 2011,un retraité avait posté sur sonblog un texte qui affirmaitque la maire de Lille était al-coolique, lesbienne et prochedes milieux islamistes.

«Il y a des évolutionsinévitables.Elles peuventsembler pourcertains brutales,mais avec le tempsleur évidences’impose à tous.»Erwann Binet député PS del’Isère et rapporteur du textesur le mariage pour tous,hier, à l’occasion des 13 ansdu Pacs

14C’est le nombre de présidents d’université qui, dansune lettre, demandent à la ministre de l’Enseignementsupérieur, Geneviève Fioraso, de «reprendre la gestionde la masse salariale et des postes des personnels titu­laires», estimant ne pas avoir les moyens financiers dediriger leur établissement. «Nous n’avons pas été éluspour réduire les postes, diminuer les crédits consacrés à laformation, la recherche ou la documentation quand l’ave­nir de notre pays et de l’Europe suppose que la nationinvestisse pour amener 50 % d’une classe d’âge au niveaubac+3», écrivent­ils. La loi sur l’autonomie des universitésde 2007 a confié aux facs la gestion de la masse salariale.

C’ est la mère de lajeune femme, Cora-lie, 26 ans, qui a

alerté les policiers mercredisoir. Sans nouvelles de safille, injoignable, et de sespetites filles, elle s’était ren-due, inquiète, à leur domicilede Vienne (Isère), un appar-tement au premier étaged’un petit immeuble mo-deste dans une rue commer-çante, et avait trouvé porteclose. Hier matin, la police aforcé l’entrée avec l’aided’un serrurier et des pom-piers et découvert troiscorps. «La jeune femme étaitdissimulée derrière un canapé.Elle présentait des blessurespar arme blanche», a expli-qué le procureur de la Répu-blique de Grenoble, Jean-Yves Coquillat, lors d’uneconférence de presse hier enfin de journée. Des traces desang sur le sol allaient jus-qu’au congélateur. A l’inté-rieur, les policiers ont dé-

couvert le corps deCharlotte, cinq ans. Et dansle réfrigérateur, placé dansun sac, celui de la petite Fey-riel, trois mois.Hier soir, prudent, le procu-reur se refusait à parler de

mandat de recherche. Mais ilétait évident que les enquê-teurs faisaient tout pour re-trouver le compagnon deCoralie et père de son bébé.Cet homme, âgé de 26 ans,avait déjà été condamné enmai à quatre mois de prisonavec sursis pour des violen-ces sur Coralie.Une information judiciairepour triple homicide a étéouverte par le parquet. «Le

témoignage du père de la plusjeune des enfants nous intéres-serait», s’est borné à indi-quer le procureur. Uneautopsie des trois corps de-vrait avoir lieu ce matin. «Lamère est morte d’une mort vio-

lente», a simple-ment précisé leprocureur. Lesdécès pourraientremonter à déjàplusieurs jours.Selon les premierstémoignages deshabitants d’Es-

tressin, un quartier populairemais réputé «tranquille» dunord de Vienne, Coralie sor-tait toujours seule avec sesdeux enfants. Le père de lafille aînée, Charlotte, estégalement recherché. Hiersoir, les enquêteurs disaientencore ne vouloir écarteraucune piste, même si celledu drame familial semblait laplus évidente.

ONDINE MILLOT

Unemèretuée,sesdeuxenfantsaufrigoISÈRE Après la découverte des corps à Vienne, uneinformation judiciaire pour homicide a été ouverte.

On les appelait le «gangdes sucettes». Avant decambrioler des bureauxtabac, ils allaient repérerles lieux en achetant desfriandises ou du papier àrouler. Ils étaient au nom­bre de six et avaient déva­lisé plusieurs dizaines decommerces un peu partouten Ile­de­France et enPicardie, emportant àchaque fois des cartou­ches de cigarettes, desjeux à gratter et le fondde caisse. Montant dupréjudice: entre 10000 et20000 euros pour chaquecambriolage. Le gang étaitconstitué de jeunes âgésde 20 à 25 ans, tous con­nus des services de police.Mardi, ils ont tous étéinterpellés en Seine­Saint­Denis. Ils doivent être pré­sentés aujourd’hui à unjuge d’Evry (Essonne).

LE «GANGDES SUCETTES»DÉMANTELÉ

L’HISTOIRE

Les deux fillettes étaient âgées de cinq ans et trois mois. PHOTO JEFF PACHOUD. AFP

Les ministères de l’Intérieur et de laJustice ont annoncé hier le lancementde 49 nouvelles zones de sécuritéprioritaires (ZSP), portant à 64 leurtotal en France. Quinze ont déjà étémises en place depuis septembre dansdes secteurs touchés par différents ty-pes de délinquance comme les vio-lences urbaines, des problèmesd’économie souterraine, de cambrio-

lages, de trafics voire d’incivilités etde nuisances. Le lancement de la «se-conde vague» hier s’appuie, selon legouvernement, sur une demande ve-nant «du terrain», via les procureurset les préfets qui avaient été sollicitésafin de faire «remonter les proposi-tions». Ces nouvelles ZSP sont princi-palement situées dans le nord et lesud de la France ainsi que dans le bas-

sin grenoblois. Une troisième tranched’une cinquantaine, en 2014, a étéannoncée. Les syndicats de police ontréagi à cette extension de manièremitigée, s’interrogeant pour certainssur les moyens. «En l’état actuel deseffectifs, de nouvelles missions de police[…] ne pourront pas être assurées», anotamment déclaré un représentantd’Unité police SGP-FO.

A RETOUR SUR LA SECONDE VAGUE DU DISPOSITIF LANCÉ EN SEPTEMBRE

49 nouvelles zones de sécurité prioritaires

A lire «On donne toutpour exercer. Jusqu’où?»Trois jeunes femmesinternes en médecinetémoignent.A lire «L’Europe devientun producteur majeurde cannabis», retoursur le rapport del’Observatoire européendes drogues.

• SUR LIBÉ.FR

Par PIERRE­HENRI ALLAIN (à Brest)

Naufrage du «Sokalique»:de la prison ferme requise

A près trois jours deprocès, cinq et qua-tre ans de prison

ferme ont été requis hier parle tribunal correctionnel deBrest contre deux marinsazerbaïdjanais jugés après lacollision en 2007 d’un cargo,l’Ocean Jasper, avec le Soka-lique, un navire de pêchebreton qui avait couléen 2007, entraînant la mortd’un marin-pêcheur.Le capitaine de l’Ocean Jas-per, Rafik Agaev, et le seconddu cargo battant pavillon desîles Kiribati, Mirzoyev Aziz,étaient poursuivis pour ho-micide involontaire, délit defuite et non-assistance àpersonne en danger. Malgréun mandat d’arrêt interna-tional, ils sont les grands ab-sents de ce procès marquépar l’émotion des matelotsrescapés et celle d’Yvette Jo-bard, la veuve du marin mortnoyé.

Cette nuit-là, le 17 août 2007vers 3 heures du matin, aularge de l’île d’Ouessant, lamétéo était clémente lorsquel’Ocean Jasper, un cargo de81 mètres, entre en collisionavec le Sokalique, un ca-seyeur de 19,5m, venu rele-ver ses casiers. Après une sé-rie de chocs très violents,six hommes d’équipageréussissent à sauter dans uncanot de survie. En quelquesminutes le Sokalique est en-glouti et son patron, Bernard

Jobard, à la passerelle pourprévenir les secours, ne par-viendra pas à rejoindre sesmatelots.Alors que les deux naviresétaient parfaitement éclai-rés, la collision s’expliquesurtout, selon les experts,par un défaut de veille vi-suelle à bord du cargo, pourcause d’absence ou d’assou-pissement du marin dequart. Le radar d’alarmeavait quant à lui été débran-ché. En tout état de cause, leSokalique avait la priorité, setrouvant sur le côté tribord(droite) de l’Ocean Jasper.

Après la collision, celui-ci netentera rien pour venir ausecours des marins naufra-gés, poursuivant sa routesans alerter les secours. Lecargo sera néanmoins arrai-sonné et conduit au port deBrest. Quand on est marin, onne laisse pas des gens à l’eau,grondait encore SemioneCoupille, matelot du Sokali-que, au tribunal. Il faut que leschoses avancent et que les ma-rins arrêtent de mourir pourdes irresponsabilités pa-reilles.» Le procureur Ber-trand Leclerc a, lui, évoqué«les ombres» qui planaientsur ce procès. Celle d’un«patron pêcheur courageux»,mais aussi les «ombres noiresde deux hommes de la mer qui,jusqu’au bout, avaient fuileurs responsabilités». Verdictle 22 janvier. •

À LA BARRE

«La jeune femme étaitdissimulée derrière uncanapé. Elle présentait desblessures par arme blanche»Le procureur de la Républiquede Grenoble hier

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 201216 • FRANCEXPRESSO

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Laurence Parisot, lundi, au ministère de l’Economie. Le Medef a attendu un mois pour dégainer son premier texte. PHOTO ÉRIC PIERMONT. AFP

Négociationsociale:lespatronsnefontpasdecadeau

Les premièrespropositionssur la réformedu marchédu travail,remises hierpar le Medef, ontchoquéles syndicats.

«L e plus dur, c’étaitd’ouvrir la négociation.C’est fait.» Ainsi parlaithier soir Patrick Pier-

ron, de la CFDT, à l’issue de la jour-née de discussions, au siège du Me-def sur la réforme du marché dutravail. Manière de dire que les qua-tre séances précédentes de lagrande négociation sociale, lancéele 4 octobre à la demande du gou-vernement, n’avaient servi à rien.

Il a fallu un mois pourque le Medef dégaine,comme le veut la tra-

dition dans les négociations patro-nat-syndicats, le premier texte, quidoit servir de base aux discussions.Mais ce document de 12 pages,d’inspiration très libérale, a provo-qué une bronca des syndicats.«C’est un texte qui cherche à imposerune régression historique», s’indigneAgnès Le Bot, de la CGT.

«HOCHETS». La pression du gou-vernement sur le patronat (Medef,CGPME, UPA) était pourtant maxi-male. Après avoir accordé la baga-telle de 20 milliards d’euros auxentreprises via le «pacte de compé-titivité», l’exécutif attendait, en re-tour, que le patronat se montre ac-commodant dans la négociation surle marché du travail. La compétiti-vité, «c’est aussi le dialogue social»,avait insisté François Hollande lorsde sa conférence de presse demardi, appelant les partenaires so-ciaux à «faire ce compromis histori-

que». C’est-à-dire s’accorder surune réforme qui réussisse à donnerà la fois plus de protection aux sala-riés et plus de souplesse aux entre-prises. Sinon, la réforme, «c’estnous qui allons la faire», en déposantun projet de loi début 2013, mena-çait le même jour le ministre duTravail, Michel Sapin.Le compromis «historique» sembleencore bien loin, tant le texte pa-tronal a déçu les syndicats. «Le pa-tronat lance une offensive majeurecontre le CDI et veut une flexibilitémaximum du contrat de travail»,poursuit Agnès Le Bot. En décou-vrant le texte, le syndicat a de-mandé illico une interruption deséance pour s’accorder avec les

quatre autres (CFDT, FO, CGC,CFTC). Tous ont convenu que lamouture patronale contenait despoints inacceptables, visant à «dé-tricoter le droit du travail», selonMarie-Françoise Leflon (CGC). Etque le texte poussait pour plus deflexibilité, tout en restant vague surla sécurisation de l’emploi.Parmi les quelques pistes prévues

pour renforcer lesdroits des salariés pré-caires, figurent l’amé-lioration de «la couver-ture complémentairepour tous les salariés»(pour la santé), le ren-

forcement des droits à la formationdes personnes en CDD ou encorel’idée de «faciliter l’accès» des pré-caires «au logement» ou «aux prêtsbancaires».Autant de pistes jugées trop vaguespar les syndicats, quand ils ne lesqualifient pas de «hochets» ou de«leurres». «Soit on a des dispositionssibyllines, a commenté AgnèsLe Bot, soit des dispositifs renvoyésà d’autres négociations.» Par exem-ple, le patronat délègue aux négo-ciations de branches le soin de fixerune durée minimum pour les con-trats à temps partiel. Idem pourl’idée de pénaliser financièrementle recours aux contrats précaires,que le texte propose de renvoyer à

la renégociation de l’assurancechômage, fin 2013. Une timidité quis’explique par les divisions du pa-tronat sur le sujet. «Pas questionqu’on surtaxe les cotisations» socia-les des salariés précaires, prévientGeneviève Roy, de la CGPME. Tan-dis que le Medef serait prêt à l’ac-cepter, en échange d’une simplifi-cation des licenciements collectifs.

Sur la flexibilité, les propositionspatronales sont jugées très dures.Le texte propose de précariser da-vantage le CDI, en élargissant le re-cours aux contrats d’export ou dechantier pour des projets à duréeincertaine. Réclamée par les PME,la mesure est «inacceptable» pourles syndicats. Le patronat réclameégalement que le délai de prescrip-

tion soit ramené à un an au lieu decinq pour l’ouverture d’un conten-tieux prud’homal. Il veut aussi fa-ciliter les accords compétitivité-emploi, qui consistent à demanderdes sacrifices aux salariés (horaires,salaires, etc.) quand une entrepriseva mal, en échange du maintien del’emploi. Le patronat admet des«clauses de retour à bonne fortune»en cas d’amélioration, mais sans lespréciser. Joseph Thouvenel de laCFTC insistait hier soir pour que cesoient des «garanties sérieuses».

«NŒUDS». Enfin, sur le quatrièmevolet, le plus ardu, le patronatprône de «repenser» le licencie-ment économique. Pour éviter lesrecours, il suggère ainsi de revenirà une homologation administrativepréalable. Et un salarié qui refuse-rait une «offre valable d’emploi»aurait l’interdiction de contesterson licenciement en justice.La négociation n’est pas pourautant vouée à l’échec: le patronatmet traditionnellement la barre trèshaut, afin de pouvoir reculer surcertains points par la suite. LaCFDT a déjà décelé «des débutsd’ouverture» lors des discussionsd’hier. Le syndicat va plancher surcertains «nœuds» majeurs d’ici à laprochaine séance, renvoyéeau 30 novembre. •

Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL

«C’est un texte qui chercheà imposer une régressionhistorique.»Agnès Le Bot négociatrice pour la CGT

RÉCIT

REPÈRES

L’emploi salarié dans les sec­teurs marchands (non agri­cole) a perdu 50400 postesau 3e trimestre 2012, dont lesdeux tiers dans l’intérim, selondes estimations publiéesmardi par l’Insee. En un an,l’intérim a perdu 73600 pos­tes, soit 12,5% de ses effectifs.

«Plutôt que delégiférer, […] je préfèreque le Parlementtranspose un accordqui serait historique etpermettrait à notreéconomie de retrouverforce et confiance.»François Hollande mardi

59%des salariés se disent prêts àaccepter un gel des salairespour éviter un plan social,selon un récent sondageIpsos­Cesi­le Figaro.

«Les patrons de PMEont besoind’adaptation,de simplification,de lisibilité pourvaincre la peurde l’embauche.»Laurence Parisot mardi,sur BFM TV

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ECONOMIE • 17

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Ladiversité,capitalnégligédesgrandesentreprisesUn think tank a évalué la présence des minorités au seindes conseils d’administration des sociétés du CAC 40.Par DIDIER ARNAUDDessin MUZO

L es géants du CAC 40 ont encore beau-coup de chemin à faire pour promou-voir les femmes et les minorités. C’est

le résultat d’une étude inédite réalisée parRépublique et diversité. Cethink tank, qui rassemble unevingtaine de jeunes (doctorants,avocats, chefs d’entreprise), pas tous issusde la diversité, a interrogé les quarante so-ciétés du CAC sur leurs «performances» enmatière de parité et de diversité dans leurs

conseils d’administration. «On a souhaitéréaliser cette enquête à la manière d’uneagence de notation», explique l’universitaireLouis-Georges Tin, président de Républiqueet diversité et fondateur du Conseil repré-sentatif des associations noires (Cran).

«JAPONAIS». Les résultats ne sont pasbrillants, avec davantage de «bonnetsd’âne» que de «tableaux d’honneur». Ainsi,39 entreprises restent «hors la loi» pour laparité (avec moins de 40% de femmes).Mais elles ne peuvent être «poursuivies»stricto sensu, car la loi a fixé cette exigenceà 2017. Quant à la diversité, c’est encoreplus catastrophique: plus de la moitié desentreprises du CAC 40 ne compte aucunadministrateur issu des minorités dans sonconseil d’administration.Pour la parité, le champion est Publicis,suivi de la Société générale et de Safran.EADS, Renault et Veolia se classent bonsderniers. Quant à la diversité, le tiercé detête est formé par ArcelorMittal, Renault etDanone, tandis que les plus mauvais sontUnibail, Vallourec et Vivendi. Mais la per-formance des meilleurs est à nuancer. Ar-celor a un patron indien, qui a «mis dansson conseil d’administration sa famille et sesamis», relève Tin. Chez Renault, la diversitédoit beaucoup au fait qu’il y a «beaucoup deJaponais» depuis l’alliance avec Nissan.

Louis-Georges Tin espère que l’étude «aurades conséquences politiques». «Depuis quenous avons fait un baromètre de la diversitédans les médias en 2009, il y a eu une évolu-tion sensible. Le CSA s’en est vraiment saisi,et on compte désormais plusieurs journalistesissus de la diversité dans les médias audiovi-

suels.» L’universitaire promet decontacter, dès lundi, les entrepri-ses pour leur demander de recti-

fier le tir. Si des sociétés se montrent récal-citrantes, il menace d’«étudier l’idée d’allersur le terrain judiciaire». C’est possible pourla parité depuis l’adoption de loi Coppé-

Zimmerman de 2010. Mais pour ladiversité, il n’existe aucune obliga-tion légale.Tin espère que les entreprises vontprendre conscience que la promo-tion des minorités est bonne pourleur «image»: «Une boîte qui se mo-que de la diversité, ce n’est pas tena-ble. On ne peut pas vendre des pro-

duits à l’international en ayant une imageraciste.» Il cite volontiers l’exemple duRoyaume-Uni, qui avait proposé à des ath-lètes africains en manque d’infrastructuresdans leurs pays de venir s’entraîner à Lon-

dres, ce qui avait entraîné un vote massifdes pays de la Françafrique pour la candi-dature anglaise aux Jeux olympiques. Ilaime également rappeler que les Améri-cains, dans les années 20, testaient leursfilms sur les «minorités» de leur pays (lati-nos, noirs, irlandais) et n’hésitaient pas àemployer des acteurs européens. Résultat:les films américains se sont «bien vendusdans le monde entier».

CHARTE. L’exemple américain semble bienloin. Dans l’Hexagone, bon nombre d’en-treprises mal classées dans l’enquête ontpourtant signé la Charte de la diversité.Mais les salariés issus des minorités restent,le plus souvent, scotchés au «bas del’échelle». Ce que Tin appelle le «planchercollant» joue à plein. Pour Claire Dor-land Clauzel, directrice des marques de Mi-chelin (douzième ex-æquo pour la paritéet dernier, avec vingt autres, pour la diver-sité), «le vivier des femmes est plus importanten nombre que celui de la diversité. C’est enpartie la raison de ces mauvais résultats».Louis-Georges Tin n’est pas convaincu. Etconclut par une question aux politiques :«A quand une loi sur la diversité ?» •

ANALYSE

«Les femmes, on continue à s’asseoirdessus ou on change pour de bon?»Début 2012, avec cette campagne, leLaboratoire de l’égalité, sorte de thinktank qui regroupe 700 hommes etfemmes, secouait le cocotier. Rebelotehier avec la publication d’une enquête(de Mediaprism menée auprès de2733 personnes) sur l’égalité hommes­femmes et la perception que lesFrançais(es) en ont. Réconfortant, 75%des sondés ont le sentiment que depuispeu des combats sont menés en faveurde la réduction des inégalités (enfin!).A 55%, ils jugent que la nomination d’ungouvernement paritaire est utile, demême que la (re)création d’un ministèredu Droit des femmes. Signe qu’il «y a unevraie prise de conscience», analyse OlgaTrostiansky secrétaire générale duLaboratoire, 51% estiment que laréduction des inégalités hommes­

femmes doit être une priorité dugouvernement (même s’ils comptentd’abord sur les associations pour faireprogresser le combat).Et quel doit être le chantier principal?Comme un seul homme (ou comme uneseule femme), ils évoquent, à 71%, laréduction des écarts de salaire, devant lalutte contre les stéréotypes sexistes, oula parité en politique. Impatients, ils sont71% à estimer que le gouvernementn’avance pas assez vite sur cettequestion. Las, au chapitre desstéréotypes testés par le sondeur, ondésespère: 62% pensent qu’il existe descaractéristiques propres aux filles etd’autres aux garçons. Et ils sontencore 57% à penser qu’il est plusdifficile pour une femme que pour unhomme d’exercer un poste àresponsabilités tout en ayant plusieursenfants. CATHERINE MALLAVAL

LES ÉCARTS DE SALAIRE, PRIORITÉ DES FRANÇAIS

«Une boîte qui se moquede la diversité, ce n’est pas tenable.On ne peut pas vendre des produitsà l’international en ayantune image raciste.»Louis­Georges Tin de République et diversité

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ECONOMIE • 19

La Commission européenne veut renforcer la proportion de femmesdans les conseils d’administration des entreprises cotées en Bourse.

Bruxelles fixe un cap de 40%A u moins 40% de femmes dans

les conseils d’administration detoutes les entreprises européen-

nes cotées en Bourse en 2020. C’estl’objectif fort (il n’y en a que 14%aujourd’hui) fixé par une proposition dedirective, adoptée mercredi par le col-lège des 27 commissaires européens.Pour entrer en vigueur, ce texte devraêtre approuvé par le Conseil des minis-tres (où siègent les représentants desEtats) et le Parlement de Strasbourg. Labataille n’est pas encore gagnée.«Critères préétablis». Elle l’estd’autant moins que le dispositif finale-ment retenu est moins ambitieux quene l’aurait voulu la commissaire à laJustice et aux Droits fondamentaux, Vi-viane Reding. Contrairement à ce quesouhaitaient les pays les plus libéraux,il s’agit toujours d’une directive, c’est-à-dire d’un texte contraignant. Maiselle ne comporte qu’une obligation demoyens. Viviane Reding avait été for-cée, le mois dernier, de retirer la pre-mière version de son texte (Libérationdu 24 octobre), qui comprenait uneobligation de résultat. Plusieurs com-missaires (dont des femmes), soutenus

par des Etats comme le Royaume-Uni,avaient estimé que l’Union ne devaitpas intervenir dans la gouvernance desentreprises. En «politique, il faut faire unpeu machine arrière pour ensuite fairevingt pas en avant», a reconnu, mer-credi, Reding.Le texte actuel reste, cependant, loind’une simple recommandation. Pouratteindre le quota de 40% de femmes àl’horizon 2020 (2018 pour les entrepri-ses publiques), la directive oblige les so-ciétés cotées en Bourse à adopter uneprocédure de sélection des candidatsbasée sur des «critères préétablis, clairs,univoques et formulés en termes neutres».A compétences égales, les femmes de-vront être choisies. En revanche, si lespostulants masculins sont plus compé-tents, les entreprises ne seront pas te-nues de respecter le plancher de 40%.Afin de rendre possible un contrôle, lessociétés devront communiquer auxcandidates éconduites les éléments pré-cis et détaillés qui «ont fait pencher labalance en faveur d’un candidat de l’autresexe». S’il s’avère qu’il y a eu discrimi-nation, les firmes s’exposeront, auchoix des Etats, soit à des amendes ad-

ministratives qui devront être «effica-ces, proportionnées et dissuasives», soità l’annulation judiciaire de la nomina-tion contestée.Chefs de cabinet. La France ne serapas concernée par la directive. Elle a eneffet adopté en janvier 2011 une loi im-posant 40% de femmes dans les socié-tés cotées d’ici à 2017. En l’espace d’unan, ce texte a fait bondir de 11,4%à 24% la part des administratrices dansles entreprises tricolores. En revanche,de nombreux pays européens, dontl’Italie (6% de femmes), vont devoir sé-rieusement réviser leurs pratiques.La Commission elle-même devrait son-ger à donner l’exemple: si un tiers descommissaires sont de sexe fémininsfemmes, on n’en compte que deuxparmi les chefs de cabinet et sept parmiles chefs de cabinet adjoints. Un désé-quilibre que l’on retrouve parmi leshauts fonctionnaires européens. Aprèstout, l’Hexagone n’a-t-il pas adoptéune loi en mars qui impose un quotade 40% de femmes parmi les hautsfonctionnaires d’ici à 2018 ?

De notre correspondant à BruxellesJEAN QUATREMER

LE MODÈLESUÉDOISLa ministre des Droits desfemmes, Najat Vallaud­Bel­kacem, était récemment enSuède dont elle comptes’inspirer. Présenté lorsd’un comité interministérielle 30 novembre, son planpour les droits des femmesdevrait évoquer la ques­tion des congés familiaux.

REPÈRES

«Je suis favorableaux quotas pour uneraison toute simple:les manières douces,malheureusement,n’ont jamaisfonctionné!»Sylvie Goulardeurodéputée centriste aumagazine Challenges

La loi organique sur l’équi­libre des finances publi­ques prévoit la parité ausein du futur Haut Conseildes finances publiques(onze membres). Comme ilcomprendra d’office deuxhommes (le président de laCour des comptes et ledirecteur de l’Insee), laparité, compliquée à éta­blir, concernera les neufautres membres.

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012

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C’ est une divine sur-prise. Pour la pre-mière fois depuis un

an, la France vient de con-naître une croissance posi-tive au troisième trimestre,avec un frémissement duproduit intérieur brut (PIB) à+0,2%. Alors que le consen-sus des économistes tablaitsur un repli, et que l’Inseeprévoyait une «croissancezéro», comme lors des troistrimestres précédents.Le gouvernement s’est em-pressé de célébrer la nou-velle. «Cela montre que laFrance est une économie so-lide, qui a un potentiel de re-bond. Ça vient démentir lescraintes de récession», a ditPierre Moscovici. Pas peufier, le ministre de l’Econo-mie a ajouté qu’il avait étél’un des seuls à «anticiper»ce «résultat meilleur qu’at-tendu».Résistance. En visite à Ber-lin (lire aussi page 10), le Pre-mier ministre, Jean-MarcAyrault, a lui aussi salué «unindicateur prometteur». Unefois n’est pas coutume, lacroissance a été identique desdeux côtés du Rhin au troi-sième trimestre. L’Allemagnea subi un ralentissement parrapport au premier (0,5%) etau deuxième (0,3%) trimes-tres. Tandis que la France,dont la croissance était néga-

tive au deuxième trimestre(elle a été révisée hier à labaisse à -0,1% au lieu de 0%précédemment, générant lepremier trimestre négatif de-puis le printemps 2009), a surebondir pendant l’été.Cela s’explique par la con-jonction de trois facteurs.D’abord, une résistanceinattendue de la consomma-tion (+0,3%, après -0,2% audeuxième trimestre), avecdes ménages qui ont puisédans leur épargne pourcompenser le recul de leurpouvoir d’achat. Ensuite,

une accélération de la pro-duction après cinq trimes-tres quasiment au point mort(+ 1% pour l’industrie ma-nufacturière). Et, enfin, unsolde du commerce extérieurpositif, notamment grâce auniveau de ventes exception-nel de la filière aéronautique.Merci, Airbus !Mais ce sursaut risque de nepas durer. «Tous les moteursde l’économie restent à peuprès à l’arrêt et il n’y a aucuneraison de les voir redémarrer àtrès court terme, indique Cé-

dric Audenis, chef du dépar-tement de la conjoncture del’Insee. Il y a peu d’espoird’avoir deux trimestres favo-rables sur le front de la crois-sance.» La Banque de Franceanticipe un repli de 0,1% auquatrième trimestre, etl’Insee une croissance nulle,ce qui signifie que la stagna-tion de l’économie française,à l’œuvre depuis la fin 2011,risque de se poursuivre dansles prochains mois.«Mobilisateur». Moscoviciveut toutefois voir dans la ti-mide embellie un signe que la

prévision decroissance dugouvernement de0,8% en 2013 (etdonc l’objectif deréduction du dé-ficit public de 3%à la fin 2013)

«reste un objectif réaliste, mo-bilisateur et atteignable».Grâce au rebond de 0,2% autroisième trimestre, l’acquisde croissance emmagasinépour 2013 est à ce stade de0,2%, contre zéro précédem-ment. Alors que la France ré-siste encore, la zone euro està l’inverse entrée en réces-sion cet été pour la deuxièmefois en trois ans en enregis-trant un recul du PIBde 0,1%. Un sombre présagepour l’économie française.

CHRISTOPHE ALIX

L’étévautàlaFranceunetimideembellieCROISSANCE En dépit de toutes les prévisions,l’Hexagone a connu un troisième trimestre positif.

ÉNERGIE E.ON a été con-damné par la justice à arrê-ter fin 2012 deux vieillescentrales au charbon. Lenuméro 1 allemand del’énergie demandait un délaiaux autorités régionales, enraison du retard pris par laconstruction d’une nouvellecentrale.

SANDY Les effets de l’oura-gan qui a frappé le nord-estdes Etats-Unis se font sentirsur plusieurs indicateurséconomiques. Ainsi, les nou-velles inscriptions au chô-mage ont augmenté de 22%en une semaine, soit la plusforte hausse depuis plus desept ans.

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Les 3 plus basses

-0,45 %12 514,82-0,55 %2 831,06-0,77 %5 677,75+1,90 %8 829,72

«Les banques se verront interdire de menercertaines activités spéculatives fortementcritiquées: la spéculation sur les dérivésde matières premières agricoles ou encorele trading à haute fréquence.»Pierre Moscovici ministre de l’Economie, au sujet du projetde réforme bancaire

Stéphane Richard a réclamé un «choc de compétitivité»dans les télécoms. Lors du colloque de l’Institut del’audiovisuel et des télécoms en Europe (Idate) à Mont­pellier, le PDG de France Télécom a estimé, hier, que lespolitiques publiques devaient «redonner des marges demanœuvre» au secteur, et que les opérateurs devaient«stopper la spirale de baisse des prix». Pour Richard, ilfaut adapter à son secteur les conclusions du rapportGallois sur la compétitivité. «Cela doit passer par uneremise en cause profonde» des principes qui ont «donnéla priorité aux consommateurs», plaide­t­il. Ajoutantqu’aujourd’hui, «le prix d’un forfait mobile en France estquatre fois plus faible qu’aux Etats­Unis, et deux foismoins cher qu’au Royaume­Uni». PHOTO AFP

STÉPHANE RICHARD POUR UNRAPPORT GALLOIS DES TÉLÉCOMS

LES GENS

Le débat national sur latransition énergétique enFrance doit bientôt s’ouvrir,mais il se fera peut­êtresans les associations.Après Greenpeace lundi,ce sont les Amis de laTerre qui ont annoncé, hier,le boycott de cette mani­festation. Principal repro­che adressé augouvernement: les mem­bres du comité de pilotagede ce débat sont étiquetéspronucléaire. «Sur les cinqpersonnalités désignées,deux ont été parmi les prin­cipaux promoteurs dunucléaire en France etdans le monde», dénoncel’ONG. Il s’agit d’Anne Lau­vergeon, présidente duconseil de surveillance deLibération, et de PascalColombani, tous deuxanciens d’Areva.

LE DÉBAT SURL’ÉNERGIE PRIVÉD’ÉCOLOGISTES

L’HISTOIRE

70C’est, en millions d’euros,le montant qu’Arkema arenoncé à investir dansson usine de Pierre­Bénite(Rhône) pour développerla production de polymèrefluoré. Raison avancée parle fabricant français deproduits chimiques: unegrève de la CGT pourréclamer des embauches.«On ne peut pas continuerà avoir une usine prise enotage», justifie la direction.

Ce sursaut risque de ne pasdurer. La Banque de Franceanticipe un repli de 0,1%au quatrième trimestre, etl’Insee une croissance nulle.

BP a annoncé hier qu’il allait payerune très lourde amende de plus de4,5 milliards de dollars (3,5 milliardsd’euros) aux autorités américainesdans le cadre de l’accord à l’amiablepour régler une partie du dossier de lamarée noire du golfe du Mexique. Lespaiements de la douloureuse seront«étalés sur une période de six ans», aprécisé le groupe pétrolier britanni-

que. Dans le cadre de cet accord, BPplaide «coupable» des accusations defaute professionnelle ou de négligen-ces liées aux onze morts lors de l’ex-plosion de la plateforme DeepwaterHorizon, en avril 2010. Il va payer4 milliards de dollars au ministèreaméricain de la Justice en échange del’abandon des poursuites pénales fé-dérales et 525 millions de dollars à

l’autorité boursière américaine (SEC).Cet accord ne concerne toutefois pascertaines poursuites civiles fédérales,privées ou émanant de certains Etatscontre lesquelles BP indique qu’il va«continuer à se défendre vigoureuse-ment». Par ailleurs, le groupe avaitdéjà conclu un accord à l’amiable de7,8 milliards de dollars avec des victi-mes de la marée noire.

A RETOUR SUR L’EXPLOSION DE LA PLATEFORME DEEPWATER HORIZON EN 2010

Marée noire: amende record pour BP

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 201220 • ECONOMIEXPRESSO

Page 21: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

Kito de Pavant, de «Groupe Bel», à son arrivée au Portugal lundi. PHOTO RICARDO PINTO. WINDREPORT’. GROUPE BEL

RADAR Malgré des systèmes électroniques sophistiqués, les bateauxrisquent l’abordage. Pavant et Burton en ont fait l’amère expérience.

VendéeGlobe: lafragilesécuritédessolitaires

L a sécurité en mer n’estpas une mince affaire.Et lorsque, en moins de

deux jours, deux bateaux en-gagés dans le Vendée Globepercutent un chalutier, onest en droit de se demandersi cela obéit à la loi des sérieset si les chocs subis par Kitode Pavant (Groupe Bel) etLouis Burton (Bureau Vallée)auraient pu être évités.Comment des monocoqueséquipes de matériels électro-niques aussi sophistiquéspeuvent-t-il être aussi vul-nérables ? Adrien Hardy,28 ans, plusieurs fois engagédans la Solitaire du Figaro etofficier première classe dansla marine marchande, expli-que combien, lorsqu’on na-vigue en solitaire, ce risqueest élevé. «La veille ne peutpas être permanente car lesmarins doivent se reposer detemps en temps, dit-il. Deplus, les bateaux vont de plusen plus vite. Kito et Louis Bur-ton allaient à près de20 noeuds au moment de l’im-pact. Imaginons que le chalu-tier allait à 10 noeuds. Cela fait30 noeuds en vitesse de rappo-chement.»Visibilité. A ce calcul arith-métique, il faut ajouterd’autres paramètres commela mauvaise visibilité. Sur un60 pieds, très bas sur l’eau,

elle est au maximum de3 milles nautiques. «A30 noeuds, cela fait un impacten moins de six minutes. C’estle temps d’aller chercher unetasse de café», expliqueAdrien Hardy.Sur un voilier de ce genre, onne voit pas grand-chose.L’horizon, par une bonne vi-sibilité, est à 7 milles. Denuit, on aperçoit des feux àun peu plus de 3 milles. Mais

c’est sans compter les effetsde la houle. Surtout, sur un60 pieds, la surface des voilesest telle que l’angle mort estimportant. «Il représente120 degrés et va de l’axe dubateau jusqu’aux trois quartsarrière, continue AdrienHardy. Les bateaux sont équi-pés de caméras pour expédierles images de la com’. Il fau-drait peut-être en placer une àl’avant du bateau, même si ellene voit pas plus loin qu’unmille. En tous cas, il y a deschoses à développer là-des-sus.»Ces voiliers sont bien sûréquipés de radars mais en-

core faut-il que l’alarme soitbien réglée. «Un radar effec-tue un balayage à 360 degrésavec une portée de 20 milles,indique Adrien Hardy. Leproblème, c’est que le plasti-que et la rondeur de la coquerenvoient beaucoup moins bienles ondes. En cas de mauvaistemps, il faut mettre des filtrespour ne pas voir apparaître lesvagues comme des bateaux.Mais parfois, en plaçant ces

filtres, on élimineun voilier en mêmetemps…»Restent deux fa-çons de repérerun bateau : le«mer-veille», quidéclenche une

alarme lorsqu’il détecte unradar, et l’AIS (AutomaticIdentification System), quiéchange la position, le cap, lavitesse, le nom des ba-teaux, etc. Ce matériel estobligatoire pour les embar-cations supérieures à 17 mè-tres.«Le problème est que les cou-reurs font confiance à ce sys-tème, dit Hardy. C’est aussiun piège. En fait, un skippeurpourrait rester à la table à car-tes pour observer les concur-rents. Ils mettent moins le nezdehors comme cela se passelors de la Solitaire du Figaro…»De son côté, Patrick Le Gal,

ancien marin et aujourd’huiexpert maritime, rappelleque le règlement internatio-nal pour prévenir les aborda-ges en mer (Ripam) stipuledans sa règle 5 que «chaquenavigateur doit faire une veilleauditive et visuelle perma-nente». Il explique aussi queles voiliers sont privilégiéspar rapport aux bateaux àpropulsion mécanique, s’iln’y a pas action de pêche…Dans les couloirs maritimes,ce sont les cargos qui passenten premiers.«Expert maritime». «Con-cernant les abordages, il va yavoir une procédure judiciaire,explique Patrick Le Gal,39 ans. Un juge devrait nom-mer un expert maritime pourenquêter sur l’accident etidentifier le tiers. Quand lesresponsabilités de part etd’autre seront évaluées, il fau-dra évaluer les dommages surla coque, les périphériques, lespertes de retombées médiati-ques pour le sponsor, etc.»Pour le moment, Groupe Bel,le bateau de Kito de Pavant,se trouve toujours à Cascais(Portugal), où il attend unedeuxième expertise. Celui deLouis Burton faisait quant àlui toujours route vers les Sa-bles-d’Olonne hier pourtenter de réparer.

DINO DIMEO

«La veille ne peut pas êtrepermanente car les marinsdoivent se reposer de tempsen temps.»Adrien Hardy coureur au large

Par MARC GUILLEMOT (Equipe Safran)

«C’est l’heure des motsforts et du réconfort»

U n petit tour et puis…plus rien ! La parti-tion est, depuis qua-

tre ans, répétée en solitaire,en double ou encore en équi-page, les instruments pour lajouer me sont familiers. Latête est bien con-centrée sur le su-jet, tous lesvoyants sont auvert pour s’élan-cer avec sérénitéet confiance dansce Vendée Globe2012. C’est magi-que de larguer les amarrespour contourner l’Antarcti-que, les liens tissés à terrerestent derrière, la route de-vant est à construire. Noussommes le 10 novem-bre 2012, il est 13h02, le dé-part est lancé. Pas celui quel’on prend à chaque régated’entraînement mais celuiqui n’est donné qu’une foistous les quatre ans, calé surle cycle d’une olympiade.Celui qui dépasse tout ce quel’on peut imaginer, tantl’engagement, la passion etl’effort s’imposent aux skip-pers pour se lancer sur unVendée Globe.

Le mien a été si court qu’àpeine les voiles réglées et laterre disparue, ma courses’arrête et je dois rentreravec un bateau bien handi-capé. Rien n’est visible del’extérieur. A l’appel, ilmanque juste la quille, la fa-meuse. Sans elle, la stabilitédevient hasardeuse et lesperformances impossibles.Envisager de continuer estimpensable. En 2009, j’ai dûnaviguer sans cet appendicependant les huit derniersjours de course. Je n’avaisd’autre choix que de rega-gner les Sables-d’Olonnepour terminer mon parcoursriche en aventures.

Là, en un instant, touts’écroule. On imagine deve-nir le centre de son mondeéphémère, sans que per-

sonne autour ne puisse in-tervenir. En même temps, etmis à part un goéland enperdition à la recherche d’unchalutier, personne n’est surzone, si ce n’est les autresconcurrents affairés à la

marche de leursbateaux. C’estbien fini, je suisdépité, je n’aimepas subir les cho-ses, et pourtant jen’ai pas le choix.Voiles affalées, surmon bateau déso-

rienté, un peu paumé, jepousse la barre et mets le capsur la ligne de départ oud’arrivée, c’est selon. J’aisommeil mais ne peux dor-mir, j’ai faim mais ne peuxmanger. Je pense aux éner-gies de mon équipe, de monpartenaire, de la mienne etde toutes celles des autres in-tervenants qui voient avectristesse leur travail s’envo-ler à quelque cinquante mil-les des Sables.

Je pense aussi à Gabart,Stamm, Le Cléac’h, Dick,Beyou, Riou, Boissières, Da-vies, de Broc, Golding, leCam, Thomson, Gutkowski,de Lamotte et tous les autresau centre du match alors quede Pavant et Burton viennentde se faire sortir par le chalu-tier que le goéland cherchait.Les digues se rapprochent,mes camarades de travailembarquent à bord, c’estl’heure du réconfort, desmots à la tonalité ajustée,forts, puissants, rien de trop.A quelques dizaines de mè-tres de Safran, un bateaucroise cap vers le large: Ber-trand de Broc repart, sacourse commence, lamienne s’achève, il est3h00 TU, c’est le 11 novem-bre, les oiseaux marins sonten sommeil.

Dicton du jour: quille par lefond, carène au plafond ;choque tout et rentre auport. •

LE VENDÉE BLOG

29,7C’est le nombre de milles nautiques qui séparaient hiersoir le leader François Gabart (Macif) et Armel LeCléac’h (Banque populaire), repassé devant BernardStamm (Cheminées Poujoulat). Vincent Riou (PRB) qui apris une option plus ouest pointe à 103 milles. Mais lesconditions plus calmes freinent l’avant de la course.

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LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 SPORTS • 21

Page 22: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

Le peuple syrien vit une tra-gédie depuis dix-huit mois.Ayant osé s’exprimer mas-sivement et pacifiquementpour la liberté, la démocratieet contre la dictature de Ba-char al-Assad, celui-ci a ré-

pondu en tirant au revolver, au fusil, àla mitrailleuse, au canon, de ses chars,ses hélicoptères, ses avions, ses navires,sans oublier l’arme blanche et les ter-ribles bombes à fragmentation, toutcela visant les hommes et les femmesjusqu’aux enfants. L’arithmétique de lamort dépasse 33 000 personnes, et100 000 autres arrêtées, torturées,déplacées, disparues, sans compter340000 enfuies à l’étranger. C’est uneguerre contre les civils, une horribletempête inhumaine déferlant jusquedans les maisons.Le peuple syrien s’affronte à «l’en-sauvagement» de sa vie par un bour-reau haineux et dominateur qui recourtà des crimes contre l’humanité. Le droitde vivre en Syrie est un devoir d’hu-manité pour chacun de nous. Là-bas,c’est ici. Là-bas agissent des com-pagnons simples et lumineux, ici nousdevons clamer notre colère.Chacun doit se dire: «Si je ne dis pas, neserait-ce qu’un mot, alors qui? Si je ne

le dis pas tout de suite, alors quand?».Là-bas se trouve un peuple souffleur deconscience refusant l’intimidation etsurmontant la peur, ici peut et doit setrouver un peuple qui se comprometteavec la dignité et la liberté des Syriens endécidant de dire et de faire une solidaritéintrépide et courageuse en direction detous les détenteurs d’autorité en France,

en Europe et dans le monde, ceux-làmêmes qui se font surtout remarquer parleur défaillance. Bachar al-Assad bruta-lise à l’extrême la Syrie, les manifestantspacifiques la civilisent. Bachar al-Assadet son clan ont perdu leur légitimité maispersistent dans la répression contre la-quelle l’Armée syrienne libre se trouveen première ligne.Le monde ne fait même pas le mini-mum. L’ONU est aphone, impuissante,incapable de la moindre réactionhumaine efficace. Le Conseil de sécu-rité, dans sa forme actuelle, se limite àenregistrer régulièrement les veto inex-cusables de la Russie et de la Chine qui,

par ailleurs, contribuent à armerBachar al-Assad. En attendant une ré-forme de l’ONU, pourquoi ignorer que,lorsque le Conseil de sécurité est bloquépar un veto, il est possible de saisirl’Assemblée générale qui bénéficie alorsd’un large pouvoir? Elle peut, dans cecadre, prendre des initiatives appro-priées à la situation tragique du peuple

syrien. Sans oublierla saisine de la Cour pé-nale internationale. L’Eu-rope a certes décrété dessanctions dont la réussiteest mise en cause par lesdiverses livraisons de la

Russie et de l’Iran. L’Europe ne devraitpas oublier le conseil de Walter Benja-min : «Laisser aller le cours des choses,voilà la catastrophe.»La France a une parole généreuse quis’évanouit dans une posture velléitaire,réclamant une démocratie à l’occiden-tale sans mesurer la diversité ethniqueet confessionnelle du peuple syrien etle travail inouï qu’a représenté son ras-semblement auquel œuvre sans relâcheun mouvement laïc très ancien. La Syriecontinue de connaître des centaines demanifestations pacifiques avec un motd’ordre d’unité: «Un, un, un, le peuplesyrien est un». C’est «sa belle manièred’être avec les autres», dirait Eluard.La France doit s’engager concrètementet ardemment aux côtés de la sociétécivile, des réseaux sociaux, des comitéslocaux dans les quartiers populaires etles villages, mais aussi de la Coalitionnationale des forces de la révolution etde l’opposition syrienne que le prési-dent Hollande vient de reconnaîtrecomme légitime représentante du peu-ple syrien. Ce dernier a besoin de nour-riture, de médicaments et de matérielhospitalier, de fournitures scolaires, de

matelas, de couvertures avant l’hiver etenfin qu’on assure sa protection.La France, l’Europe, le monde doiventapporter la bonne réponse à l’agitationde l’épouvantail jihadiste, si précieuxpour Bachar al-Assad. La présence jiha-diste encore marginale en nombre estun danger réel si le peuple syrien estabandonné à lui-même. Ne pas céder àla peur est la meilleure arme contre l’is-lam radical. Les journalistes courageuxqui sont allés là-bas le confirment. Bienmeilleure encore est l’arme d’un appuià tous ceux dont nous approuvons lalutte, celle de leur liberté contre un ré-gime tortionnaire.Ne laissons pas détruire ce pays dontl’histoire a été si précieuse pour toutel’humanité. C’est là qu’a été construitela première maison, qu’est apparu lepremier alphabet, qu’ont été construitsdes édifices classés par l’Unesco«Trésor de l’Humanité». Le peuple sy-rien, traditionnellement si hospitalieret pacifique, réclame et espère un appuirapide, efficace, sur place et dans lescamps de réfugiés, une aide logistiqueet financière, et la reconnaissance de sacapacité à se créer un avenir de paix, dejustice et de liberté.C’est dans cet esprit que deux initiativesà caractère culturel, humain et politiqueporteront auprès de l’opinion françaiseet des instances européennes l’urgenced’agir aux côtés du peuple syrien, avecl’appui d’associations, de personnalitéset de citoyens de tous horizons. La pre-mière, lundi à Paris (lire ci-contre) et ladeuxième, le 11 décembre, quand un«Train pour la liberté du peuple syrien»partira de la gare de l’Est (avec le con-cours du Syrian Business Forum) pourStrasbourg où des délégations pluralis-tes et internationales iront à la rencon-tre des élus du Parlement européen.

Premiers signataires : Michel Piccoli,Ariane Mnouchkine, Pierre Arditi, HélèneCixous, Jack Ralite, Marcel Bozonnet,Emmanuel Wallon, Farouk Mardam­Bey,Samar Yazbek, Mohamad al­Roumi, FadwaSuleiman, Costa­Gavras, Rithy Panh, Jean­Luc Godard, Maguy Marin, Jonathan Littell,Stéphane Hessel, Rony Brauman, HortenseArchambault, Vincent Baudriller, DominiqueBlanc, Ariane Ascaride, Chantal Morel,Marie­Christine Barrault, Jane Birkin, JulieBrochen, Catherine Dolto, Robin Renucci,Bernard Noël, Olivier Py, Emmanuel Ethis,Louis Joinet, Monique Chemillier­Gendreau, Alain Joxe, Jacques Gamblin,Christian Schiaretti, Elias Khoury, AbdellatifLaâbi, Jacques Gaillot, Ernest Pignon­Ernest, Olivier Poivre d’Arvor, Nedim Gürsel,Geneviève Brisac, Alain Gresh, BéatriceSoule, Michel Broué, Dan Franck, ChristianBoltanski, Sarah Moon, Patrick Weil, PierreHassner, Jean­Pierre Mignard, MichelTubiana, Gérard Lauton, Michel Morzière,Jean­Michel Frodon, Philippe Herzog,Claude Fischer, José Garçon, JanineMossuz­Lavau, Carlo Ossola, Paul Fourier,Gérard Alezard, Jacques Lassalle, DidierBezace, Denis Podalydès, Lucien et

Micheline Attoun, Bernard Faivre d’Arcier,Pascal Ory, Denis Guénoun, Michel Cantal­Dupart, Noëlle Châtelet, Muriel Mayette,José­Manuel Gonçalvès, Jean­Michel Ribes,Laurence de Magalhaes, StéphaneRicordel, Sophie Cluzan, Anne Alvaro,Maurice Buttin, Jean­Pierre Thibaudat,André Markowicz, Françoise Morvan,François Tanguy, Laurence Chable, Jean­François Louette, Michel Kail, Jean­PierreSiméon, Laurent Fleury, Roland Monod,Jacques Téphany, Julie Bertuccelli, AlanGeorge, Fabrice Puchault, CarolineCasadesus, Paul Rondin, Michel Reynaud,Virginie Dörr, Rafik Schami, ChristopheRuggia, Jean­Pierre Sinapi, Joël Huthwohl,Darina al­Joundi, Wladimir Glasman,Ammar Abd Rabbo, Memè Perlini, SalvinoRaco, Stefan Weber, Ignacio Gutiérrez deTerán Gómez Benita, Fernando GarciaBurillo, Inmaculada Jiménez Morell, ClaraJanés Nadal, Moustafa Khalifé, Ziad Majed,Maram al­Masri, Rania Samara, ClioMakris, Zizi Makris, Bahram Hajou…

Liste complète des signataires avec leurprofession et information sur les initiativesen cours sur http://souriahouria.com

Le monde ne fait même pasle minimum. L’ONU est aphone,impuissante, incapable de la moindreréaction humaine efficace.

Par Despersonnalités dela société civile

L’urgence d’agir aux côtésdu peuple syrienLundi19 novembre,de 18heuresà 22heuresau CentQuatre,5, rue Curial(Paris XIXe),opposants syrienset experts dela région ferontle pointsur la situationen Syrie etles perspectivesd’actioninternationalelors d’unerencontrepublique desolidarité avecla résistance:www.104.fr

«Livrer des armes à l’oppositionsyrienne? Je ne suis pas un expert etc’est difficile de donner mon opinion surla situation en Syrie mais je partagel’inquiétude exprimée par denombreuses personnes sur l’arrivée demilitants d’Al­Qaeda en grand nombre.La Syrie pourrait devenir une autre baseislamiste, encore plus dangereuse, quecelle en Afghanistan. Je pense doncqu’on doit essayer de savoir qui sont cesgens auxquels on livre des armes.«On a déjà fait la même erreur dans lepassé avec les moudjahidin enAfghanistan. Les moudjahidin ont créé

les talibans. Alors il faut être très prudent. Les Européens mettentbeaucoup de pression sur les groupes de l’opposition pour qu’ilsconstruisent une sorte de front uni mais il faut essayer de comprendrequelles sont leurs idées. De ce que j’entends, le nouveau leader decette opposition se présente comme une personnalité religieusemodérée. Je ne sais pas… Quand quelqu’un prononce les mots“personnalité religieuse modérée”, moi, je trouve ça louche.»

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«En Syrie, il faut êtreprudent et ne pas fairecomme en Afghanistan»

SALMAN RUSHDIE

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 201222 • REBONDS

Page 23: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

La création estvivante à Paris

L’émotion et l’inquiétude sus-citées par la situation duThéâtre Paris-Villette ont jetéun doute sur les intentions de

la Ville de Paris (lire Libération du6 novembre 2012, «Paris-Villette :douze personnalités du théâtre encolère»). Notre attachement à lacréation et notre souhait de donnerà un public toujours plus nombreuxla richesse de notre offre culturellesont plus forts que jamais.Dans cette période de crise, nous de-vons être exemplaires dans la gestiondes deniers publics, sans perdre devue nos objectifs majeurs en matièreculturelle que sont l’éducation artis-tique, l’accès du plus grand nombreà une offre diversifiée et de qualité etle renouvellement permanent d’unecréation dynamique. Aujourd’huiplus qu’hier, un principe de respon-sabilité s’impose à nous pour quevive le spectacle vivant. C’est pos-sible, de nombreux partenairesculturels, publics comme privés, leprouvent chaque jour à nos côtés.Prenant la mesure de la gravité de lasituation pour les salariés et les com-pagnies, les services de la ville ontreçu chaque salarié et le conseil deParis a voté le versement d’un se-cours exceptionnel à leur attention.Les compagnies programmées ontaussi reçu des propositions d’accueildans des théâtres parisiens.Nous comprenons l’émoi et le déchi-rement que représente la fin d’unehistoire commune. Avoir fait vivre,ne donne pas le droit de mettre enpéril. C’est parce que nous voulonsque ce théâtre de création vive quenous refusons de continuer, annéeaprès année, par des hausses et dessubventions exceptionnelles, à lesoutenir dans cette triste impassequ’est un théâtre qui se vide. Je par-tage en cela les mots de Peter Brook,«au théâtre, c’est le public qui est leterme des étapes de la création». Unappel à projet devrait être lancé dèsque possible. Le Paris-Villette resteraun théâtre tourné vers la création,mais aussi et surtout tourné vers lepublic, pierre angulaire de notre tra-

vail et je le crois de celui des artistes.La période difficile que nous traver-sons au côté des compagnies et dessalariés du Théâtre Paris-Villetten’est pas le reflet d’une vision poli-tique à courte vue ou strictementgestionnaire. Je réaffirme combienje crois plus que jamais au rôle de lacréation et de l’art, miroirs dumonde, regards croisés, espacesd’échanges indispensables. Depuisque Bertrand Delanoë est maire deParis, aucun théâtre n’a fermé, maiscombien de lieux de création ontouvert leurs portes ou ont été soute-nus à toutes les échelles du processusde création, de production, de diffu-sion ? Le dynamisme de notre vieculturelle est aussi le fruit de ce sou-tien continu dans le domaine duthéâtre et de la musique, mais aussipour ces disciplines qui fleurissent eten lesquels nous croyons. Je pense àla réouverture d’un espace dédié aucirque à la porte des Lilas ou àl’ouverture en 2014 d’un espace dé-dié au hip-hop aux Halles que nousavons souhaité avec Anne Hidalgo,symboles de ce Paris Métropole quise dessine dont la culture devra êtreun vecteur puissant.Nous n’opposons pas création et ex-périmentation d’un côté et ouvertureau public de l’autre. Nous assumonsce double objectif qui est notre con-ception de la mission de servicepublic d’un théâtre subventionné, saraison d’être. Si donner à voir,à penser, à rêver à un public toujoursplus nombreux est notre ambition,rien ne peut se faire sans artistes.J’entends l’inquiétude des compa-gnies et des lieux de diffusion les plusfragiles et je veux y répondre. Il estaussi de notre devoir de permettre laprise de risque artistique nécessaireau renouvellement de la création.Je propose à l’Etat, à la région Ile-de-France et à tous les partenairespublics impliqués, que soit créé unfonds d’aide à la diffusion. Commentaccepter de lire que la mairie de Parissèmerait la mort du théâtre? Elle tra-vaille pour la vie, pour aider à semerles graines de cette «herbe drue desœuvres fécondes», pour un Parisvivant, divers, ancré dans son temps,tourné vers l’avenir.

Par BRUNO JULLIARD Adjoint aumaire de Paris, chargé de la culture

Réponse et Mode dxemploi mardi 20 novembre dans

Changement climatique : que faut-il changer ?

www.festival-modedemploi.net

Notre-Dame-des-Landes, un Occupyà la française?

«Une manifestation de réoccupation.»C’est le mot d’ordre que les oppo-sant-e-s à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ont lancé pour la journée

nationale d’actions de demain. Beaucoup d’or-ganisations du mouvement social et écologisteainsi que de nombreux élus et personnalités po-litiques doivent y participer. Il ne s’agit donc pasd’une simple manifestation de solidarité avecles habitants et paysans de la zone évacuée vio-lemment ces dernières semaines. «Réoccuper»,«se réinstaller», «reconstruire», autant d’objec-tifs qui entrent en résonance avec les ressortspolitiques des formes d’occupation de l’espacepublic mis en œuvre par les Indignés, les mou-

vements Occupy ou, avant eux, les manifestantsde la place Tahrir au Caire et les sit-in de la Cas-bah à Tunis. Occuper pour résister. Pour inven-ter. Pour transformer.La Zone d’aménagement différé, devenue ZoneA Défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landess’apparente en ce sens à une déclinaison ruraledu mouvement Occupy et de la lutte des 99%contre les 1%. A partir de l’occupation de quel-ques hectares de bocage nantais, les opposantsà l’aéroport se réapproprient des espaces vouésà être bétonnés, privatisés, fermés et contrôlés.Ce faisant, ils posent des problèmes globaux,aussi bien dans leur résistance qu’à travers l’ex-périmentation de pratiques alternatives. Com-battre les dérèglements climatiques, préserverles terres cultivées, relocaliser les productions,réduire notre empreinte écologique, sortir deslogiques productivistes et prédatrices sontautant d’exigences globales qu’ils font vivre etexpérimentent au quotidien. L’opposition àl’aéroport contribue donc à relocaliser les luttes.Elle ne démondialise pas pour autant les reven-dications, donnant ainsi forme à un processusde solidarité «translocale».Cette solidarité translocale s’exprime à traversles liens et relations patiemment tissés lors desforums sociaux et rencontres contre les «grands

projets inutiles et imposés» organisés ces deuxdernières années. Lors de ces rencontres, lesopposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes côtoient les opposants à la nouvelle garede Stuttgart, aux lignes à grande vitesse Lyon-Turin, Bordeaux-Bilbao ou Londres-Birmin-gham, aux nouveaux projets d’autoroutes ou deméga complexes touristiques en Espagne, enItalie, en Russie et ailleurs. Tous évoquent desprojets démesurés, nés d’un imaginaire du sièclepassé (1). Pour les mettre en œuvre, les pouvoirspublics se mettent au service des intérêts desentreprises privées, au détriment des financespubliques et des équilibres sociaux, démocrati-ques et écologiques locaux. L’exigence d’une al-ternative radicale revient comme un leitmotiv,celui de la recherche et de la pratique d’autresmodèles de production et de consommation.La sociologue argentine Maristella Svampa parled’un «virage éco-territorial» pour caractériser

l’essor des luttes en Amériquelatine, qui mêlent langageécologiste et pratique de la ré-sistance et de l’alternativeinscrite dans des territoires.Le territoire n’est pas ici unconfetti qu’il faudrait sauver

des dégâts du productivisme, de l’industrialisa-tion ou de la mondialisation néolibérale. Il estau contraire l’espace à partir duquel se cons-truisent résistances et alternatives. Ici, aucunégoïsme du type «je ne veux pas de ce projetchez moi, ailleurs, je m’en fiche»: la préserva-tion, la promotion et la résilience de tous les ter-ritoires représentent l’horizon d’ensemble.D’une certaine façon, les mobilisations contreles gaz et pétrole de schiste, en France etailleurs, notamment lorsqu’elles se doublentd’exigences de transition énergétique radicale,participent de cette même logique.Occupy Wall Street a montré la puissance politi-que de l’occupation des interstices urbains :s’immobiliser durablement dans des espaces detransit et de flux permet d’engager des conver-sations politiques d’une intensité et d’une diver-sité rares, tout en articulant construction derapports de forces et réflexion sur les comporte-ments individuels. Le mouvement de solidaritéavec les opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pourrait ainsi contribuer à faire dela lutte contre cette infrastructure un OccupyMade in France, qui s’inspire autant de la lutte duLarzac que des mouvements Occupy et Indignés.(1) http://mouvements.info/Carte­des­grands­projets­inutiles.html

Par MAXIME COMBESet NICOLAS HAERINGERMembres d’Attac France et du comité derédaction de la revue Mouvements

Le territoire n’est pas ici un confetti qu’ilfaudrait sauver des dégâts de l’industrialisation.Il est l’espace à partir duquel se construisentrésistances et alternatives.

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 REBONDS • 23

Page 24: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

Compétitivité des entreprises:le chaînon manquant

Pour les dirigeants des plusgrandes entreprises françaises,les coûts de la main-d’œuvreseraient principalement respon-

sables de notre piètre compétitivité. Onpeut cependant en douter.Tout d’abord la compétitivité de cesgrandes entreprises est-elle si dégradéepar le coût de l’heure travaillée ? Lesrésultats des entreprises du CAC 40n’en témoignent pas vraiment…Ayant largement bénéficié des soutienspublics –notamment sur la recherche,le développement et l’innovation– elles

ont pu améliorer leurs produits, souventen intégrant les technologies les plusrécentes. Ce qui est positif et évidem-ment nécessaire. Mais cet effort n’aporté que sur des productions existan-tes, déjà présentes sur les marchés oùelles doivent affronter une vive concur-rence.Il n’en reste pas moins, comme le souli-gne Nicolas von Bülow, spécialiste del’innovation en France, que «la Francea pris un retard considérable depuis unequarantaine d’années sur les sujets liés àl’innovation parce que le pays a manqué

l’émergence puis l’explosion des nouvellesgénérations de haute technologie. LaFrance est passée entièrement à côté de laréforme économique structurelle induitepar la nouvelle économie de l’innovation.En somme un pan entier de l’économie,l’un des plus importants de surcroît man-que à l’économie française».Le déséquilibre dont souffre notre éco-nomie ne provient-il pas précisémentde là, plutôt que des coûts du travail ?Car la France n’a pas su créer ce queHervé Biausser, directeur de l’Ecolecentrale de Paris, et Pascal da Costa,économiste, appellent «les produitsnouveaux issus d’innovations radicalesrequérant initiative individuelle et prise derisque que seules lesPME sont capables deréaliser» (2). Ni met-tre sur le marché, àcôté des grands pro-duits existants, unegamme de produitsnouveaux attractifspour les marchés mondiaux où ils auto-risent des marges autrement conforta-bles.Vouloir faire porter tout l’effort sur la«compétitivité coût» risquerait d’assé-cher toutes les autres formes de déve-loppement comme le soutien à l’inno-vation créatrice de ces produits dufutur.Ce serait un pari à courte vue car nouspourrions nous retrouver assez vitedans la même situation qu’aujourd’hui:les produits existants toujours améliorésseront toujours plus concurrencés puisarriveront à obsolescence et l’on se dé-solera alors de ne pas avoir de relève.Au cours des années passées, à reboursde tous les grands pays industriellementavancés, les PME de technologie et toutle tissu des PME conventionnelles con-cernées ont vu en France se restreindrejusqu’à épuisement les soutiens néces-saires à leur aboutissement. Elles ontsouvent disparu et leurs produits –fraisde développement payés– ont parfoisfait les choux gras de compétiteursétrangers !Veut-on reproduire ce schéma dévasta-teur ou bien admettre qu’un partageéquitable de nos maigres ressources doitêtre fait entre le soutien à la compéti-tivité coût et celui à la «compétitivitéhors coût» ?

Cela implique, en particulier, de réser-ver une part au soutien de l’innovation«radicale» celle qui associe le monde dela recherche et les PME, même petiteset très petites, seules capables de proje-ter ces produits en rupture. Ceux-làmême qui, associés aux productions desgrandes entreprises, équilibreront notreéconomie.Il suffirait pour cela d’ouvrir plus large-ment l’accès aux aides à l’innovationdes PME–TPE qui en sont actuellementexclues en raison de conditions troprestrictives. Il faut notamment assou-plir considérablement les conditionsd’accès pour la phase d’«amorçage»qui conditionne toute la procédure

d’innovation. Cette phase est bien sûrsoutenue dans le cadre du Systèmefrançais de recherche et d’innovation(SFRI) par un ensemble de moyens(CIR, Oseo, aides territoriales…) quiapportent conseils, expertise et finan-cement toutefois limité à une participa-tion partielle au budget de l’opération(apport maximum égal au capital socialde l’entreprise, prise en compte aumieux d’un tiers à la moitié du coût.).Ce système adapté aux grandes etmoyennes grandes structures ne l’estpas pour les PME et a fortiori pour lesTPE qui ne peuvent assumer les com-pléments de coût restant à leur charge.Il suffirait de soutenir très largement etpourquoi pas intégralement dans cer-tains cas, l’étape dite de «preuve duconcept», c’est-à-dire la réalisationdes démonstrateurs et prototypes. Uneformule qui fonctionne aux Etats-Unisdepuis trente ans ! Il y a dans ce pays98 dirigeants de grande entreprise etdes milliers de patrons de PME – TPEpleins d’idées créatrices qu’ils vou-draient voir se concrétiser. Dans l’inté-rêt de tous.

(1) «L’Innovation en France: un systèmeen échec» de Nicolas von Bülow, juin 2012,éd. Terra Nova.

(2) «Le Monde» du 15 juin 2012.

Par JACQUESMARTINATPrésident dela CommissionInnovation dela Confédérationgénéraledu patronatdes petiteset moyennesentreprises(CGPME)du Rhône, ancien,PDG de Metravib

L’effort n’a porté que sur des productionsexistantes, déjà présentes sur lesmarchés où elles doivent affronter unevive concurrence, et non sur la nouvelleéconomie de l’innovation…

L'ŒIL DE WILLEM

PRIX3èm

e

du reportage

AUDIO

Envoyez votre reportage avant le 10 janvier 2013Gagnez un enregistreur numérique Zoom H4Net un abonnement numérique d'un an à Libération

Conditions de participation sur www.liberation.fr/laboLongueur d'ondes, 10e festival de la radio et de l'écoute, du 7 au 10 février 2013, Brest

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 201224 • REBONDS

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De la diversité poursortir de la torpeur

Six mois après son élection, Fran-çois Hollande a-t-il tenu lespromesses faites le 6 mars,quand il a répondu à l’appel à la

résistance que nous lancions avec60 associations pour l’égalité et la di-gnité des femmes ? Certes, pour lesfemmes, le paysage a un peu changé. Legouvernement est désormais paritaireet le ministère des Droits des femmes aenfin été créé. La loi sur le harcèlementsexuel, gratuité de la pilule pour les mi-neures, remboursement à 100% del’IVG, cela va dans le bon sens. Maisbeaucoup reste à faire. Comment creverles plafonds de verre auxquels se heur-tent des millions de femmes en France?Temps partiel subi, inégalité salariale,absence dans les comités de direction:pas de changement.

Sur le plan politique, l’Assembléenationale et le Sénat sont toujourscomposés à 73% d’hommes, faut-il s’enréjouir? Bien sûr, la commission Jospina montré les dents, en bannissant lecumul des mandats et en promouvantla proportionnelle, mais 57 députés sur577 pour oxygéner notre République,c’est un petit souffle alors qu’on atten-dait un ouragan pour que notre démo-cratie représentative devienne le refletde la France du XXIe siècle. Quelle estcette démocratie où des leaders poli-tiques représentant la diversité des cou-rants d’opinions sont exclus de la repré-sentation nationale? Une société qui sepasse du talent et parfois du courage deSégolène Royal, de François Bayrou, deJean-Luc Mélenchon, pourra-t-ellesurvivre à l’endogamie et à l’endor-missement ?La France connaît une grave crise de lareprésentation politique. La preuve, de-puis plus de deux décennies, l’absten-tionnisme est devenu le plus grand partide France. Comment lutter contre cettedéfection ? La réponse est simple, nosconcitoyens veulent des dirigeants poli-tiques qui leur ressemblent. Il faudraprendre toute la mesure de cette attentepopulaire, sous peine de voir de nouvel-les voies d’expression explorées avec lerisque qu’elles ne soient pas conformesà notre idéal républicain. Barack Obamaa compris cet enjeu de la participationcitoyenne et ce sont les femmes et lesminorités qui lui ont assuré sa réélec-tion. Mais si en politique la diversité ades difficultés à se frayer un chemin,ailleurs les choses avancent… un peu.Le projet de loi du mariage «pourtous», si décrié par la droite et les reli-

gieux, déçoit les associations LGBT caril n’intègre pas le statut du beau-parentou la procréation médicalement assistéepour les lesbiennes. De même, en ma-tière d’immigration, malgré des progrèsnotables, comme la levée de la restric-tion de l’accès à l’emploi des étudiantsétrangers ou l’assouplissement des cri-tères pour la naturalisation, on attendle symbole phare qu’est le droit de votedes immigrés que François Mitterrandavait jeté aux oubliettes après en avoirfait un étendard pour son élection en1981. Trente ans déjà et rien ne dit quel’appel des 75 courageux députés socia-listes pour le droit de vote arrivera àvaincre les frilosités d’une opinion pu-blique de plus en plus rétive. Prenonsgarde, si Robert Badinter avait attendul’approbation de l’opinion publiquepour abolir la peine de mort, la guillo-tine aurait encore longtemps couvertnotre pays de déshonneur et du sang

mal séché de la barbarie.Beaucoup de nos conci-toyens issus de la diversitésont maintenant fatiguésd’être jugés à l’aune deleur origine et leur senti-ment d’appartenir à notre

Nation s’affaiblit. Pourtant leurs aînés,trente ans auparavant, dans leur longuemarche pour l’égalité dite marche «desbeurs», prônaient l’égalité et la frater-nité. Que de temps perdu, que de gâchiset d’espoir déçu. Prenons garde que nosbanlieues ne fassent sécession, ce serala fin de notre «vivre ensemble», cha-cun le sait, c’est de nos quartiers popu-laires que viendra le renouveau de notrepromesse républicaine.Car il existe dans ces territoires«oubliés de la République», un gise-ment d’énergie, de talents qu’il esttemps de mettre à contribution si nousvoulons que la France gagne le choc decompétitivité tant attendu. StéphaneGatignon, maire de Sevran, ne dit pasautre chose, lui qui se bat contre la dés-hérence de sa ville et pour que le chô-mage massif de ses jeunes ne soit pasune fatalité. Sa grève de la faim est unefaçon de signer la fin de trente ans desolitude et de renoncements, aidons-leà gagner son pari. Gageons aussi queCécile Duflot, ministre de l’Egalité desterritoires, comprenne que c’est la der-nière chance de redonner une vision ànos cités à bout de souffle. C’est le sensde notre engagement pour l’égalité etc’est aussi le sens des «sept proposi-tions» que les Marianne de la diversitévont annoncer le 19 novembre dansl’enceinte symbolique de l’Assemblénationale (1), pour dire solennellementà François Hollande, élu président de laRépublique grâce aux voix des femmeset celles nombreuses des quartiers po-pulaires, que «la parité et la diversité,c’est maintenant !».Colloque de 17 heures à 20h30 salle Victor­Hugo, 101 rue de l’université paris 75007.

Par FADILA MEHAL Présidente desMarianne de la diversité

Une société qui se passe de SégolèneRoyal, François Bayrou, Jean-LucMélenchon, pourra-t-elle survivre àl’endogamie et à l’endormissement?

Adoption pour tous:les droits de l’enfantne sont pas menacés

Le projet de loi visant à ouvrir le ma-riage aux couples de même sexe,auquel je souscris sans réserve, remetl’adoption sur le devant de l’actualité.

Pour avoir conduit la réforme de l’adoptioninternationale du rapport Colombani, re-construit l’Autorité centrale de l’adoption in-ternationale, inventé le réseau des Volontai-res de la protection de l’enfance et del’adoption internationale, je tiens à porter audébat quelques idées à l’encontre de lieuxcommuns ou contre-vérités assénés ces der-niers mois.Ouvrir l’adoption aux couples homosexuelsn’atteint pas les droits de l’enfant. La Con-vention internationale des droits de l’enfantne fait pas mention de la nécessité de parentsde sexe opposé et l’adoption en tant que telleest une institution de protection de l’en-fance. Elargir l’accès des enfants à l’adoptionrenforce bel et bien leur droit à la protection.C’est le droit de chacun d’avoir la convictionqu’un couple homosexuel ne peut pas fairefamille. Mais c’est instrumentaliser les en-fants que de maquiller cette opinion person-nelle en atteinte à leurs droits. Surtout lors-que ces droits sont inventés de toutes piècesau détriment de ceux qui existent bel et bien.Où étaient ces zélés défenseurs lorsque lesdroits de l’enfant subissaient de véritablesatteintes: Arche de Zoé, collectifs de pressionpour régulariser des adoptions internationa-les irrégulières, rapatriement d’enfants haï-tiens encore non adoptés au motif du séisme

de 2010? Nulle part. Au contraire, le discoursdominant a systématiquement été de verserune larme sur ces pauvres enfants victimesde la cruauté des institutions qui tentaient,justement, de faire respecter les droits et l’in-térêt supérieur de l’enfant.En matière de droits de l’enfant, il n’y a pasdeux poids deux mesures. Et ceux qui les in-voquent aujourd’hui pour justifier leur rejetde la famille homosexuelle se réveillent bientard. Ils auraient été mieux inspirés de se mo-biliser face à des faits réels. On n’en a pasmanqué ces dernières années. On ne peut pasplus prétendre défendre les droits de l’enfantet rejeter ce qui apportera une solution aux50 000 à 400 000 d’entre eux vivant d’oreset déjà en France au sein de familles homo-parentales.Les droits de l’enfant sont aussi au cœur del’accompagnement puis du suivi des projetsd’adoption. Non exempt de défauts, le dispo-sitif français existe et fonctionne et il est pro-fondément injuste de nier ou occulter sa ca-pacité à intégrer chaque particularité

familiale, sauf à considérer que les opinionsdes adultes qui le font priment sur l’intérêtdes enfants pour qui ils interviennent et met-tre en doute leur qualité et leur intégrité pro-fessionnelles. Enfin, si l’adoption par lescouples homosexuels signifiait un «droit àl’enfant» pour ces derniers, au nom de quoiil n’en serait pas de même pour l’adoptionpar les couples hétérosexuels ou les célibatai-res ? Affirmer cela, c’est remettre en causetoute l’institution de l’adoption.Ouvrir l’adoption aux couples homosexuelsne pénalisera pas l’adoption internationale.Certains ont agité la peur de voir les paysd’origine des enfants pénaliser la France dansle traitement des dossiers d’adoption aumotif qu’elle permettrait mariage et adoptionpar les couples homosexuels quand leurculture locale y est opposée. Cette affirma-tion démontre une méconnaissance desquestions relatives à l’adoption internatio-nale. Elle ne se fonde sur aucune réalité, laFrance est connue pour son combat interna-tional en faveur de l’égalité des droits quelleque soit l’orientation sexuelle, encore récem-ment affirmé par le président de la Répu-blique à l’Assemblée générale des Nationsunies. Les pays d’origine ne l’ignorent évi-demment pas. En réalité, si de tels faits dis-criminatoires voyaient le jour dans des paysd’origine, ce n’est pas l’égalité des droits enFrance qui en serait la cause, mais bien la dé-gradation de notre dispositif d’adoption in-ternationale, qui n’est plus, depuis long-temps, adapté à ses enjeux actuels. Lacapacité française à porter ses projets fami-liaux dans les pays d’origine tient à un en-

semble complexe de relations avecces pays. Elle est très faible. Il man-que une véritable stratégie de terrain,une diplomatie de l’adoption interna-tionale. Pour mieux adopter, laFrance doit savoir accompagner lespays d’origine à avoir moins besoind’adoption. C’est le cœur même des

principes généraux des droits de l’enfant.Penser en priorité à l’enfant, c’est porter lesefforts sur la rénovation de notre dispositifd’adoption et non sur des débats idéologi-ques stériles.C’est à ce prix que les droits de l’enfant se-ront renforcés et que les adultes porteurs deprojets familiaux ne seront pas discriminés.C’est une action de long terme qui engagetous les acteurs publics et privés de la protec-tion de l’enfance. Développer l’accompagne-ment amont et aval des projets familiaux etrénover notre dispositif d’adoption interna-tionale sont les deux urgences. Sans cesse re-poussée, l’opportunité est offerte aujourd’huide les engager. Si elle ne relève pas strictosensu du projet de loi proposé par le gouver-nement, c’est un de ses grands avantages dela remettre d’actualité. Pour les enfants.

(1) Au sein du cabinet de Rama Yade, secrétaired’Etat chargé des Droits de l’homme, il pilote laréforme de l’adoption internationale. Sesfonctions l’ont amené à intervenir notamment surl’affaire de l’Arche de Zoé.

Par ÉRIC WALTER Secrétaire général del’Hadopi, s’exprime ici à titre personnel (1).

Chacun a le droit de penser qu’uncouple homosexuel ne peut pas fairefamille. C’est instrumentaliser lesenfants que de maquiller cette opinionpersonnelle en atteinte à leurs droits.

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 REBONDS • 25

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RAP Adoubé parses pairs, le jeuneCalifornien sort«Good Kid,M.A.D.D City»,un second albumqui témoignede son ascension.

L’ album débute par une prièreimplorant le pardon et appe-lant la rédemption. Juste der-rière, Kendrick Lamar insiste

sur le fait qu’il est un pécheur. Sortien 2011, son premier album, Section 80,abordait déjà le thème de la morale reli-gieuse, à travers le morceau Kush & Co-rinthians (His Pain). Aujourd’hui, il pré-cise : «Oui, je crois en Dieu. J’aimeaborder cette question car, comme moi,beaucoup s’interrogent sur ce sujet. Maisje n’ai pas peur de mettre ce en quoi jecrois dans ma musique.»

CLIVAGES. Kendrick Lamar n’est paspour autant un descendant des GospelGangstas, ce groupe de christian rap desannées 90 originaire comme lui deCompton, dans la banlieue sud de LosAngeles. Il refuse de faire du prosély-tisme et ses paroles ne sont pas des prê-ches. «Je fais de la musique à l’image dema génération», explique-t-il. A savoir,celle née à l’époque de Ronald

Par DAMIEN DOLEPhoto AUDOIN DESFORGES

KendrickLamar,

la semainedernière

à Paris.

Kendrick Lamarflow fervent

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CULTURE

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7 AU 24 NOVEMBRE 2012

METTRE EN SCÈNE

RENNES MÉTROPOLE / QUIMPER / LANNIONVANNES / BREST / SAINT BRIEUC / LORIENT

créations / coproductionsLES OISEAUX Aristophane / Madeleine LouarnLIVING! Living Theatre / Stanislas NordeyLE BANQUET Platon / Christine LetailleurPARLAPAROLE Rabelais / Didier GalasRINGS Julia CimaTERRIER Nedjma Benchaïb / Laure SaupiqueMORT À VENISE Thomas Mann / Thomas OstermeierLES TRIBULATIONS D’UNE ÉTRANGÈRE D’ORIGINE Élisabeth Mazev / François BerreurRABAH ROBERT LazareZIG ET MORE Marine Auriol / Gaëlle HérautCONTRACTIONS Mike Bartlett / Mélanie LerayTHE ARTIFICIAL NATURE PROJECT Mette IngvartsenÀ BAS BRUIT Mathurin BolzeDOPO LA BATTAGLIA Pippo DelbonoCASA E JARDIM Chris Thorpe / Jorge AndradeMA MÈRE MUSICIENNE Louis Wolfson / Benjamin Lazar

accueilsL’APRÈS-MIDI D’UN FOEHN Phia MénardHENRY VI Shakespeare / Thomas JollyGAZE IS A GAP IS A GHOST Daniel LinehanRÉTROSPECTIVE Xavier Le RoyTROIS SOLOS Xavier Le RoyLE QUAI DES OUBLIÉS Igor / Violeta Todó-GonzálezICH SAH : DAS LAMM AUF DEM BERG ZION OFFB.14,1 VA Wölfl / Neuer TanzMAGNIFICAT Marta GórnickaDIFFRACTION Cindy Van Acker

CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL

THÉÂTRE NATIONAL DE BRETAGNE/RENNESRENSEIGNEMENTS 02 99 31 12 31 WWW.T-N-B.FR

L’écurie californiennecartonne aussi avec Ab Soul,Schoolboy Q et Jay Rock.

Top Dawg,label mordantA vec Good Kid, M.A.A.D City, le label Top

Dawg Entertainment termine l’année avecautant de panache qu’il l’a débutée. En ef-

fet, dès janvier arrivait un 18 titres de School-boy Q, Habits & Contradictions, porté par le pla-nant Hands on the Wheel. Le charisme de cerappeur marquera les premiers mois de l’actu rap,jusqu’à ce que Ab Soul sorte, en mai, un ControlSystem du même acabit. Caractérisé par une bellecohésion, le label fonctionne avec un petit nombrede signatures: Kendrick Lamar, Schoolboy Q, JayRock et Ab Soul, qui apparaissent ensemble, àl’occasion, sous le nom de Black Hippy.Si leurs sonorités piochent un peu ici et là, l’originecommune du quarteron en fait en revanche un purproduit West Coast: Lamar est né à Compton, JayRock et le PDG du label, Anthony Tiffith, ontgrandi dans le quartier de Watts, Schoolboy Q dansle sud de Los Angeles, et Ab Soul vient de CarsonCity, ville de la banlieue sud de Los Angeles. Pro-ches géographiquement, les artistes le sont aussiartistiquement, ce qui favorise l’émulation: «Nousavons commencé et continuons de nous construireensemble, étape par étape», explique Kendrick La-mar, ajoutant, pour qui n’aurait pas encore biencompris : «Nous défendons la même musique.»Ces quatre noms sont parmi les plus prometteursdu moment, même si les critiques positives deleurs premiers albums leur ont déjà permis defranchir le cap de rookie. Toutes les sorties sur lelabel ont en outre été classées dans le Top 20 desmeilleures ventes rap. A cet égard, au rayon busi-ness, Anthony Tiffith annonçait en mars le rachatde Top Dawg par Aftermath, le label de Dr Dre,donc par Interscope aux Etats-Unis (Polydor enFrance et dans le reste du monde), donc UniversalMusic Group. Une opération à travers laquelleKendrick Lamar se contente de voir l’opportunitéde «continuer à grandir». A vérifier avec les pro-chaines sorties du label: Jay Rock et Schoolboy Q,durant le premier semestre 2013.

D.Do.

Reagan, dans les années 80. Sec-tion 80 ne commençait pas par uneprière, mais une injonction: «Fuck yourethnicity» («on se fout de votre appar-tenance ethnique»). La génération à la-quelle il s’adresse n’est donc pas uni-quement celle des ghettos noirsaméricains, Kendrick Lamar appelantà dépasser les clivages ra-ciaux – et sociaux par lamême occasion.Celui qui s’appelait K-Dotau début de sa carrière adécidé de prendre sonnom civil, façon commeune autre d’affecter une certaine nor-malité. Les réactions à son sujet ontd’emblée été quasiment unanimes,Snoop Dogg, The Game et Dr Dre allantjusqu’à l’adouber comme «le nouveauroi de la West Coast». A 25 ans, les mé-dias grand public comme les revues etsites spécialisés reconnaissent la qualitéde ses albums, Good Kid, M.A.A.D Cityvenant désormais compléter Section 80.Sorti il y a quelques jours, le dernier nédonne à voir d’autres facettes de l’étoilemontante. A commencer par l’étenduede son flow, hypnotique et varié, qui luipermet de placer un couplet saccadé etsombre sur Swimming Pools, suave surMoney Trees ou explosif sur M.A.A.DCity. Lorsqu’on se laisse bercer par sadiction, ce sont toutes les années 90 durap américain qui remontent à la sur-face. On entend les Bone Thugs & Har-mony parfois, Notorious Big sur cer-tains couplets ou même des sonorités àla Lil Half Dead sur Bitch, Don’t Kill MyVibe.

INTERLUDES L’album est sous-titré Uncourt métrage de Kendrick Lamar. Defait, les morceaux se répondent selonun ordonnancement clairement prééta-bli. Le livret est constellé de Polaroidsde sa vie, son enfance particulièrement,et cette vision, presque nostalgique,renforce la tristesse qui émane de cer-tains morceaux. Ce que l’artiste con-firme implicitement quand il précise :«Mes paroles sont sombres car je racontece que je vois et ce que j’ai vécu.» Son

existence, il ne la glorifie pas, pas plusqu’il ne tombe dans le misérabilisme.Originaires de Chicago, ses parents sontarrivés à Compton quelques annéesavant sa naissance. Elève studieux, ilaime répéter qu’il n’a manqué de rien.Les guerres de gangs entre Crips etBloods faisaient alors la une des jour-

naux. Mais là où moult pairs revendi-quent clairement leur appartenance àun des deux bords, K-Dot l’aborde demanière détachée, notamment dans lemorceau Good Kid. «Ce n’est pas une in-terview mais une thérapie», balance-t-ilalors, allongé sur un sofa, l’air fatiguéà quelques heures de l’enregistrementd’un plateau télé. A cet égard, on peutaussi trouver des vertus introspectivesà l’album, avec ses nombreux interludespermettant d’organiser les transitions.Ils donnent en effet à entendre des scè-nes de vie et renforcent la cohérenced’un projet servi par une production dequalité où l’on croise des valeurs sûres

et efficaces (Pharrell, Just Blaze), d’ex-cellents membres de son label, TopDawg Entertainment (lire ci-contre), ouDJ Dahi, à l’origine du sublime MoneyTrees. Sachant bien s’entourer, Ken-drick Lamar fait aussi de bons choix surles featurings. Malgré les absences,dommageables, de ses coreligionnairesSchoolboy Q et Ab Soul, les renforts deDrake, MC Eiht, Jay Rock et Dr Dre luipermettent de donner encore plus deprofondeur à l’ensemble.Dre, d’ailleurs, apparaît sur le morceaudédié à leur patrie, Compton. KendrickLamar est fan d’une autre légende durap californien, Eazy-E. Détail cocasse,il y a dix-neuf ans, Eazy E s’attaquait àDr Dre dans l’un des clashs les plus re-tentissants de l’histoire du rap, en ac-cusant ce dernier de ne pas être repré-sentatif de Compton. Désormais,Dr Dre, dont on a fini par se lasser deguetter l’Arlésienne Detox, se contentedu rôle de deus ex machina. Ce qu’il saitfaire de mieux depuis une dizained’années, et dont Kendrick Lamar bé-néficie ici à plein tubes. •

KENDRICK LAMARCD: GOOD KID, M.A.A.D CITY(Top Dawg Entertainment).

«Oui, je crois en Dieu. Et je n’ai paspeur de mettre ce en quoi je croisdans ma musique.»Kendrick Lamar

ICE­T, MÉMOIRE DE LA WEST COAST

«Quand j’ai vraiment été connu, le moment était décisifpour la musique à L.A. Tout explosait en ville.» L’intérêtdes mémoires d’Ice­T, ancien voyou devenu rappeur,réside moins dans l’écriture que dans les expériencespartagées. On suit Ice­T dans Los Angeles et ses ban­lieues, riches et moins riches. L’ouvrage, au caractèresociologique certain, rend compte de l’explosion de lamusique et des guerres de gangs en Californie dans lesannées 80. Depuis, tout est rentré dans l’ordre: Ice­T,

désormais quinquagénaire, entretient un style raffiné («une meuf pour de bonvaut mieux que dix putes qui en jettent»), tourne actuellement dans lasérie New York unité spéciale et confie adorer jouer à Call of Duty. Il a quittéle milieu du hip­hop pour embrasser celui du cinéma et de la télévision. D’oùle sous­titre de sa bio, De South Central à Hollywood, un déménagement àlire comme une forme d’ascension sociale. D.Do.«Ice: mémoires de ma vie de gangster et de rédemption, de South Central à Hollywood»,de Ice­T et Douglas Century, G3J éditeur, 248pp., 25euros.

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ROCK Chouchous chez nous avec huit albums au compteur,les Anglais en tournée remplissent deux soirs le Zénith de Paris.

Archive, bien classédans l’HexagoneARCHIVE CD: WITH US UNTILYOU’RE DEAD (Dangervisit/Pias). Enconcert ce soir et demain à Paris, puis le 19à Nancy et le 20 à Lyon.

P eu de remous médiatique, mais unnom qui écume les salles. Archive,collectif dérangé, poursuit sa

tournée en France à guichets fermés,avec deux soirs blindés au Zénith de Pa-ris. «On a des fans loyaux, ici, mais aussien Pologne, en Allemagne ou en Grèce, etqui se renouvellent», murmure DariusKeeler, âme, avec Danny Griffiths, dela troupe à 12 membres. Depuis quinzeans et un manifeste trip-hop (Londi-nium), les «Frenchies» ont les premiersbaignés dans cette atmosphère prog-post rock electro-symphonique qui dé-route l’Angleterre. Mais dont le roman-tisme noisy possédé et le répétitif méta-morphique lèvent des bataillons defans.Bacs. La France reste le premier socleexport des disques d’Archive. «Autourde 40% des ventes en moyenne», selonMathieu Pinaud, de Co-operative, quiassure la distribution et promotion mai-son. Ce qui correspondrait à 35000 co-pies en huit semaines de With Us UntilYou’re Dead, huitième très bel album aulyrisme frôlant le pompier. Et disqued’or en vue. «Les Français ont une formede mélancolie qui les enclint à aimer lamusique triste, avance Darius Keeler. Les

Britanniques sont plus pessimistes, cyni-ques, ils n’aiment pas la tragédie. LesFrançais, si.»Archive, pas prophète en son pays, unesouffrance ? «Juste une frustration. Nousavons eu des problèmes avec notre label audépart, pour qu’il diffuse nos disques enAngleterre…» Et là, après sept ans d’ab-sence dans les bacs outre-Manche ?Quelque 7500 ventes, une poignée dechroniques, pas de quoi casser la bara-que. «Archive n’explosera jamais à domi-

cile, mais on aimerait tourner chez nous,admet Keeler, rêvant d’émancipationaméricaine. Un groupe comme nous, avecautant de musiciens, est très coûteux. Ilfaudrait qu’on en réduise le nombre…»Archive, apatride, la musique mondiali-sée? «Notre cœur est anglais, même sinous sommes un groupe incluant des ar-tistes de Pologne, des Etats-Unis oud’Australie.» Keeler vit désormais entreMontmartre et Londres, depuis septem-bre, loin de son Bristol natal. «Là-bas,je n’ai plus le temps de rencontrer des mu-siciens comme en France.» Et de quoiparlent-ils? «De la dureté du métier oude la passion de l’art… L’industrie fran-

çaise est flinguée : trop bureaucratique.Plus facile dans le monde de la pop de sefrayer un accès au succès en Grande-Bre-tagne : l’anglais est la langue rock’n’rollmondiale.» Dans la foulée, il parle dubig-bang numérique: «L’Internet nousa permis une chose: nous libérer de la tu-telle des labels. Quitte pour certains à fairede la pub. Le capitalisme nous a baisés: onn’a pas le choix, si on veut vivre.»Scie. Ainsi vogue Archive, tenant le fil(du rasoir) à force d’entêtement, d’ex-

périmentations soniques,et d’embardées verbales.Comme dans With Us…, surl’amour. Des love songs quiouvrent les cœurs à la scieégoïne. «Elles charrient desmoments de cruauté, d’agres-

sion, de beauté: Archive défend une formede violence romantique.» Wiped Out,ouverture de l’album, donne le la: «Youwore me down/ Mentally/ Gonna wearyou down/ Physically/ Amputate yoursoul.» Faute de rémission sentimentale,Archive accélère : «On a presque fini leprochain album», dit Keeler.Il devrait être bouclé en février, puisenregistré après la fin de tournée, enmars. «Il sortira à l’automne 2013.» Ré-volution copernicienne : pour la pre-mière fois, Archive n’attendra pas deuxans entre deux CD. Comme s’il y avaiturgence à se tenir en état d’urgence.

CHRISTIAN LOSSON

«Nous sommes un groupe incluantdes artistes de Pologne, des Etats-Unis ou d’Australie.»Darius Keeler co­leader d’Archive

Le collectif britannique a sorti fin août With Us Until You’re Dead, un bel album lyrique. Bientôt disque d’or? PHOTO DR

«Je n’écoutepas de rap.J’entends lerap et la popparce qu’onne peut pasles éviter àNew York,c’est partout…Mais je nel’écoute pasavec plaisir.Je suis arrivéau pointterrible où je

déteste les goûts musicaux de mes enfants.J’étais un môme quand cela a commencéet je suis encore de la vieille école, celledu rock’n’roll. Beatles ou Rolling Stones?Tolstoï ou Dostoïevski [rires]. Ils sontdifférents. Quand ils ont commencé, j’étaisun fan des Rolling Stones et après, j’ai penséque les Beatles faisaient un truc plusintéressant. Et puis, les Rolling Stones sontdevenus les Rolling Stones. Les Beatles ontduré huit ans et les Stones jouent toujours.Et sont en vie! En fait, j’ai rencontre KeithRichards parce qu’il recevait un prixlittéraire et il avait l’air très en forme. Et j’aivu les musiciens de U2, avec qui j’ai travaillé,qui s’inquiètent toujours: est­ce qu’ondevrait chercher un autre chanteur parceque Bono est toujours ailleurs, à travers lescontinents, à sauver le monde?»

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O«J’en suis aupoint terribleoù je déteste lesgoûts musicauxde mes enfants»

SALMAN RUSHDIE

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 201228 • CULTURE

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1ÈRE RADIODE FRANCE*

WORLD La Brésilienne qui vit à Paris sort un premieralbum bigarré et poursuit ses concerts exubérants.

Coelho, bossade Notre-DameFLAVIA COELHOCD: BOSSA MUFFIN(Discograph). Complet ce soir àla Cigale, 75018. Le 30 novembreà Aubevoye (27), le 18 décembreà Lens (62). Et les 17 et 18 avrilau Nouveau Casino (75011).

L es esprits avisés, oudu moins s’imagi-nant comme tels,avaient mis en garde

Flavia Coelho : un premierCD, ça ne marche jamais, onn’existe, au mieux, qu’à par-tir du deuxième. «Je me suisdit, “si je dois faire un couppour rien, autant me faire plai-sir”», raconte la Brésilienne.C’est finalement à un grand

nombre d’amateurs queFlavia Coelho a fait plaisir,avec Bossa Muffin et plus en-core lors de ses concertsexubérants. Une jolie perfor-mance pour une artiste quine s’inscrit dans aucun despassages obligés des Brési-liens expatriés: ni samba decarnaval ni electro-bossapour lounge bar.«Maquilleuse». L’origina-lité réside surtout dans sonpenchant pour les rythmi-ques de Jamaïque. «A SãoLuis do Maranhão, où j’ai vécudeux ans, on écoute du reggaeen permanence, explique lachanteuse. Sur cette île duNordeste, les ondes hertzien-nes des Caraïbes sont captéessans problème. Dès les an-nées 60, la région écoutait ducalypso, du mento, puis duska. C’est Jimmy Cliff qui l’af-firme : après Kingston, ladeuxième capitale du reggaeest São Luis.» Quant au débitsaccadé du raggamuffin, ellele relie aux emboladores telsque Caju & Castanha, dontles joutes verbales accompa-gnées au tambourin ont ins-piré les Toulousains évanouisde Fabulous Trobadors.Pour Flavia Coelho, la capi-tale du Maranhão n’estqu’une étape dans un longparcours. «Mes parents dé-ménageaient tous les ans. Mamère était maquilleuse, unedes premières à se spécialiserdans la clientèle de travestis.

Et mon père travaillait dans lasécurité, ou comme docker.Une famille très simple d’im-migrés du Nordeste. Nousavions une vie de gitans : rienqu’à Rio, où je suis née, nousavons connu une dizained’adresses. Changer de quar-tiers, d’écoles, d’amis me coû-tait beaucoup. Mais, au final,c’est ce qui m’a appris àm’adapter à tout et à m’ouvriraux autres.»«Troquet». A 14 ans, FlaviaCoelho rencontre un groupede pop variétés qui lui ferafaire ses premiers pas surscène. En 2002, à 22 ans, elledécouvre l’Europe, grâce à latournée d’une troupe de

carnaval. Paris,avec sa diversitéculturelle, l’im-pressionne. Elle sejure d’y revenir.Ce qu’elle faiten 2006. Sonadaptation, elle la

raconte dans la chanson bi-lingue De Paris à Rio: «Je faisun tour à Clignancourt, quibouillonne pareil que le marchéde Bangu.»Avec un visa de touriste viteexpiré, elle passe ses jour-nées au labo de langues ducentre Pompidou pour ap-prendre le français. Ellechante dans le métro et lescafés. «Dans un troquet deSaint-Ouen [Seine-Saint-Denis, ndlr], j’ai fait la con-naissance du CamerounaisBika Bika Pierre, avec qui j’aicomposé une partie de mondisque. On chantait du jazz etdu blues en échange de troisdemis et du droit de passer lechapeau.»Ces premières chansons sé-duisent un producteur pari-sien, Victor Vagh, qui enre-gistre Bossa Muffin dans sonstudio. Flavia Coelho écrittoutes les paroles et quelquesmusiques. Hélas, «les labelsn’accrochent pas : trop de di-rections différentes». C’est lascène qui vient à son se-cours: elle remporte le trem-plin Génération Réservoiren 2011, deux ans après Zaz.Le lendemain de la finale, lamaison de disques Disco-graph s’engage avec elle.Plus que la promo ou les pas-sages à la radio, c’est le bou-che à oreille qui à fait lereste. La Cigale, ce soir, affi-che complet, et c’est désor-mais l’étranger qui est à

l’écoute: hier, Flavia Coelhofaisait ses débuts anglais auLondon Jazz Festival, et ledisque sort en Allemagne.Dans son agenda, une datecompte un peu plus que lesautres : la découverte del’Afrique, avec un voyage auSénégal.

FRANÇOIS-XAVIER GOMEZ Flavia Coelho, 32 ans, est arrivée dans la capitale en 2006. PHOTO ROCH ARMANDO

«A São Luis do Maranhão,où j’ai vécu deux ans,on écoute du reggaeen permanence.»Flavia Coelho

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 CULTURE • 29

Page 30: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

I l y a ceux qui prennentl’Orient-Express pouraller guincher à la foire de

Brive, et puis ceux, moinsnombreux mais plus pas-sionnés, qui se rendent à labase sous-marine de Saint-Nazaire pour y découvrir desromanciers étrangers peu oupas connus.Pour la dixième annéeconsécutive, la Maison desécrivains étrangers et destraducteurs (Meet) invite desauteurs du monde entier à serencontrer, à se présenteraux lecteurs: ce sont les ren-contres Meeting, qui se tien-nent jusqu’à dimanche. On ycroisera le Hongrois PeterEsterhazy, mais aussi RégisJauffret, le jeune Argentin

Martín Felipe Castagnet,mais aussi Anne-MarieGarat, l’Equatorien MarioCampaña, mais aussi Domi-nique Fernandez (1).Faire connaître la littératureétrangère émergente ne re-lève pas exactement duspectacle tel que l’aiment lessponsors de la culture, sibien qu’il n’est pas sûr que laMeet et ses Meetings puis-sent continuer longtemps àtenir ouverts leurs laboratoi-res dans le contexte actuel dedisette budgétaire. PatrickDeville, directeur de la Meetet prix Femina 2012, voitavec inquiétude stagner ourégresser ses soutiens publics(la ville de Saint-Nazaire, ledépartement, la région, la

Drac, la ville de Nantes, leCentre national des lettres).Avec un budget annuel d’unpeu moins de 400000 euros,il faut organiser des résiden-ces pour les écrivains étran-gers, publier leurs textes,éditer une revue, organiserdes festivals à Saint-Nazaireet à Fontevraud. Sans sonnerle tocsin, Deville laissepercer un certain décourage-ment : «La littérature, c’estquelque chose d’un peu caché,c’est une activité pas vraimentpublique: cela ne relève pas del’animation socioculturelle.»Porter ce genre de projetsdevient difficile.

ÉDOUARD LAUNET(1)Rens.: www.maisonecrivainsetrangers.com

LITTÉRATURE A Saint-Nazaire, les 10es rencontres entreauteurs et lecteurs ont lieu malgré un budget serré.

Les écrivains étrangerstiennent Meeting

40 millionsde dollars (soit 31,3 millions d’euros) ont été débourséspour l’achat d’une toile du peintre américain FranzKline, figure de l’expressionnisme abstrait. Le tableausans titre, caractérisé par de violents coups de pinceauà la peinture noire a été vendu quatre fois plus cherque lors d’une précédente vente Kline.

Décès du père du musée Dapper…Michel Leveau, 81 ans, fondateur du musée Dapper, est mortmercredi sur l’île de Gorée, au large de Dakar, où il préparaitdeux expositions pour le mois prochain, l’une consacrée auxmasques africains et l’autre aux œuvres contemporainesabordant la question de l’esclavage.

… et du musicien Maxime SauryClarinettiste et chef d’orchestre, partisan d’un jazz très or-thodoxe, Maxime Saury est mort hier à l’âge de 84 ans.

La Cinémathèque de la danse à PantinSuite au Conseil d’administration de mardi dernier, la Ciné-mathèque de la danse disparaît en tant qu’association. Elleintègre le Centre national de la danse de Pantin (Seine-Saint-Denis) en tant que département, tout en conservant son ap-pellation et son personnel.

«C’est génial d’êtrereconnu par unegénération qui estpresque la mienneet par ceux quipourraient être mesgrands-parents.»Joël Dicker 27 ans, recevanthier le Goncourt des lycéens

Le trio Rusconi avait déjàéveillé les curiosités,s’emparant, sur son précé­dent album, du répertoirenoisy rock des New­Yorkaisde Sonic Youth. Les jeunesSuisses le concluaient avecIt’s a Sonic Life, triple colla­boration avec le label Sony,décidés à reprendre lecontrôle de leur futureproduction. De retouravec Revolution, le trio,méconnu en France maisinstallé sur les scènes alé­maniques, impose un sonfrais et dense où jazz, pop,electro et même expéri­mental jouent au chat et àla souris sur fond degroove, sans perdre le filmélodique. A noter, laprésence sur Alice in theSky du fin limier guitaristeaméricain Fred Frith etle retour en terre SonicYouth (Hits of Sunshine)aux échos de basse coltra­niens (Love Supreme).A l’œuvre depuis sept ansdans ce power trio aupotentiel certain, le pia­niste Stefan Rusconi (fande Thurston Moorecomme de Paul Bley);Fabian Gisler à la rythmi­que, avec sa contrebasse àressorts, qui préfère DeadKennedys et Miles Davis,et Claudio Strüby à la bat­terie et au glockenspiel. Adécouvrir sur scène. D.Q.Rusconi, CD: «Revolution»(Bee Jazz). En concert le11 décembre (21h) au Sunside,60, rue des Lombards, 75001.

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Bernd et Hilla Becher, forte impressionDe Taysir Batniji à Nicolas Dhervillers, lesjeunes photographes revendiquent l’impor-tance de Bernd et Hilla Becher, sans forcé-ment connaître la représentation impriméede leur œuvre. Réparation est faite avec lelibraire Antoine de Beaupré qui a retrouvé,en Allemagne, leur terre natale, comme enItalie ou aux Etats-Unis, des catalogues demusées, des livres et des affiches. «On voitainsi leur évolution, explique Antoine deBeaupré, comment ils ont réussi, avec leur ty-

pologie, à développer leur écriture jusqu’à laparution, en 1977, de leur première monogra-phie.» Ces papiers bavards resituent dansl’histoire de l’art, à leur juste place, ces artis-tes aux sculptures anonymes proches de lascience-fiction (photo) et qui ont, avec l’écolede Düsseldorf, ouvert la photographie à touteune génération, d’Andreas Gursky à CandidaHöfer. B.O. PHOTO BERND ET HILLA BECHER

Paris Photo, au Grand Palais. Jusqu’à dimanche.Rens.: www.parisphoto.com/

Frédéric Lordon, chercheur au CNRS, est un économiste«atterré» mais pas du tout à terre. Pour preuve, D’unretournement l’autre, sa «comédie sérieuse» sur la crisebancaire, en quatre actes et en alexandrins, le swing duvers classique convenant autant à la farce qu’à la tragé­die. De fait, c’est à hurler de rire, car à hurler tout court.Banquiers, traders, conseillers, Premier ministre ou prési­dent, autant de prête­noms interchangeables, et traitéscomme tels dans la belle mise en scène de Judith Ber­nard, tout en retournements de vestes (doublées vison).Et toujours, plus que jamais d’actualité, la rengaine desmêmes fadaises: l’économie comme science et ses loiscomme naturelles. «Bullshit de merde», dit Lordon enmots nettement mieux choisis. On dirait quoi? Du Brechtpour aujourd’hui. D’autant que souvent, la comédie se faitmusicale, accompagnée au piano par Ludovic Lefebvre.Du chœur à l’ouvrage. G.L. PHOTO RAPHAËL SCHNEIDER«D’un retournement l’autre», de Frédéric Lordon, ms JudithBernard. Théâtre Montmartre Galabru, 4, rue de l’Armée­d’Orient,75018. Le dimanche à 18h45. Jusqu’au 2 décembre.

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LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 ANNONCES • 31

Page 32: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

HORRIBILISScandalesà répétition,enquêtesinternes,crédibilitémise à mal…L’institutionbritannique, quifête ses 90 ans,traverse une crisesans précédent.

BBC, monumenthystériqueD ans un monde idéal, la BBC aurait

dû passer une excellente semaine.Avec mercredi, à 17 h 33, un beaugâteau d’anniversaire pour les

90 ans de la première émission de radio de laBritish Broadcasting Corporation. C’étaitle 14 novembre 1922 et les premiers mots en-tendus sur les ondes furent: «This is 2LO cal-ling» («ici 2LO»), du nom de l’émetteurutilisé pour la transmission. Après ces célé-brations, la BBC devait terminer la semaineen fanfare, aujourd’hui, avec son grand tra-lala annuel, une fiesta à but caritatif sur tou-tes les antennes du groupe, pour Children inneed, l’enfance en détresse. Sauf que la fêtea pris un tour amer, alors que la vénérablemaison se retrouve aux prises avec unénorme scandale de pédophilie, un directeurgénéral évaporé après cinquante-qua-tre journées en fonction (un record), une

émission d’information prestigieuse discré-ditée, pas moins de neuf enquêtes diversessur le dos, quatre arrestations, sans parler dela menace de plusieurs procès en diffama-tion. Bref, comme le résume simplement unjournaliste de la BBC, qui, «vu l’atmosphère»,préfère garder l’anonymat, «ça pue.»

FIASCO. Comment ce mastodonte du servicepublic, financé par la redevance –145,50 li-vres par an (180 euros) –, doté de 20 000salariés, et encore perçu dans le monde en-tier comme un modèle d’excellence et dequalité, en est-il arrivé là? La BBC se reposedepuis trop longtemps sur les lauriers de saréputation. L’excellence est aujourd’hui àchercher du côté d’Al-Jezira ou de SwedishRadio, ou même de NPR, aux Etats-Unis.«Depuis trop longtemps, les pontes de la BBCdonnent des leçons à tout le monde sur leursvertus au lieu de regarder ailleurs pour en tirerdes leçons», analyse Charlie Beckett, direc-teur de Polis, département des médias et

communication à la London School ofEconomics.La BBC a péché par excès de confiance.D’abord en décembre 2011, en décidant de nepas diffuser un reportage dans l’émission

d’informations Newsnight (lire ci-contre).L’enquête accusait de pédophilie un ancienprésentateur vedette de la BBC, Sir JimmySavile, un excentrique philantrope, mortdeux mois auparavant.Officiellement, la décision de ne pas diffuserle reportage était liée à certains témoignagesjugés peu fiables. L’argument est certes, jour-nalistiquement, parfaitement recevable. Làoù l’histoire coince, c’est que la «Beeb»

décidait de diffuser, quelques semaines plustard, une série d’hommages dithyrambiquesà Jimmy Savile. Et abandonnait tout bonne-ment l’enquête sur ses mœurs, avant que lachaîne privée concurrente ITV n’ouvre laboîte de Pandore en septembre.La police est désormais impliquée et, seloncette dernière, Jimmy Savile pourrait avoirviolé ou aggressé sexuellement plus de200 adolescentes. Y compris dans les studiosde la BBC. Y compris en compagnie de vedet-tes pop de l’époque ou de collègues. Quatrehommes, dont l’ancien chanteur pop, GaryGlitter, déjà condamné pour pédophilie auVietnam, ont été interpellés. Décidé à rache-ter une vertu au groupe public, le directeurgénéral, à peine arrivé et déjà presque parti,George Entwistle, par ailleurs unanimementqualifié d’homme très compétent et respec-table, annonce alors une série d’enquêtes.Et là, patatras, second fiasco. Newsnight, pi-

quée au vif d’avoir été ac-cusée de couvrir une his-toire de pédophilie, décidede diffuser, le 2 novem-bre, un reportage accu-sant de pédophilie LordMcAlpine, ancien tréso-rier du Parti conservateur

et proche de Margaret Thatcher. Le reportagene donne aucun nom, mais Internet prend lerelais. Sauf que les accusations sont fausses.Le principal témoin n’a jamais vu la photo deLord McAlpine et quand le quotidien TheGuardian lui en montre une, il l’innocenteimmédiatement.Cette seconde bourde a scellé le sort deGeorge Entwistle, qui touchera tout demême un an de salaire, 450 000 livres

Par SONIA DELESALLE­STOLPERCorrespondante à Londres

«Depuis trop longtemps, les pontes de la BBCdonnent des leçons à tout le mondesur leurs vertus au lieu de regarder ailleurspour en tirer des leçons.»Charlie Beckett expert en médias et communication

Mastodontedu service public,la BBC compte20000 salariés.PHOTO LUKEMCGREGOR. REUTERS

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 201232 • ECRANS&MEDIAS

Page 33: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

John Lloyd, spécialiste des médias, s’interrogesur l’impact des scandales auprès du public:

«C’est un véritabletest de popularité»L a «Beeb» n’en est pas à son pre-

mier scandale. En 2003, déjà lerapport Hutton avait pointé des

failles au sein de la BBC après qu’unjournaliste a accusé le Premier minis-tre, Tony Blair, d’avoir exagéré la me-nace irakienne pour justifier le recoursà la force auprès du public. L’informa-teur de la BBC, un expert en armes dedestruction massive, conseiller du gou-vernement s’était suicidé.Plus globalement, les médiasbritanniques ont été secouésces dernières années, avecl’affaire des écoutes qui atouché les tabloïds de RupertMurdoch (l’enquête Levesonest en cours), avant que laBBC ne soit frappée par lesscandales Savile puis Newsnight (lire ci-dessous). John Lloyd, qui dirige le Reu-ters Institute for the Study of Journa-lism à l’université d’Oxford, analyse cemarasme.Les médias britanniques subissent-ilsune sorte de crise de conscience entrel’enquête Leveson sur les écoutes illéga-les et le scandale qui touche la BBC?Non, je pense que les deux crises n’ontrien à voir. L’enquête Leveson a mis enlumière une culture fondée sur des en-registrements illégaux, des pots de vin,de la corruption, pratiqués essentielle-ment par les tabloïds –la presse la pluspuissante dans ce pays. Des pratiquesque la plupart des journalistes desautres médias ignoraient. Dans le cas dela BBC, il s’agit bien plus d’un problèmede culture interne. Même si les tabloïdsboivent du petit-lait depuis la révélationdu scandale. Il y a pour eux une cer-taine satisfaction à voir la «sainte BBC»faillir. D’autant qu’elle a un peu joué lesmères-la-vertu dans la couverture del’enquête sur les écoutes.N’est-ce pas paradoxal que la BBC chan-celle à cause de Newsnight, l’un de sesplus sérieux et prestigieux programmes?Newsnight n’est plus le programme

phare qu’il a été pendant un moment.Les chiffres d’audience ont baissé. Et ily a deux affaires Newsnight. Dans lepremier cas de figure, en décem-bre 2011, le rédacteur en chef avait dé-cidé de ne pas diffuser le reportage ac-cusant Jimmy Savile de pédophilie, enestimant que certains témoins pou-vaient ne pas être fiables. Il s’est montrétrès, trop confiant, ce qui n’est pas for-

cément une mauvaise choselorsqu’on veut produire uneémission de qualité. Le pro-blème est que ces accusa-tions étaient véridiques. Et jene pense pas qu’il y ait eudes instances supérieures quiont réclamé d’étouffer le re-portage. Dans le deuxième

cas, c’est bien plus grave. Les responsa-bles n’ont pas voulu être accusésd’étouffer une nouvelle affaire de pédo-philie. Ils ont donc diffusé le reportage,sans procéder à des vérificationsd’usage basiques. Et là, les accusationsétaient fausses.La BBC n’en est pas à sa première crise,comment va-t-elle s’en sortir?Dans un sens, l’affaire Hutton était plusimportante, il s’agissait de sécurité na-tionale, de guerre et un homme, con-seiller scientifique du gouvernement,s’est suicidé. Mais, à l’époque, les son-dages ont montré que le public se ran-geait du côté de la BBC. En raison de laforte opposition à la guerre en Irak, ilpréférait blâmer Tony Blair et son gou-vernement. Dans le cas présent, il n’ya que la BBC à blâmer, personned’autre. Et les crimes de pédophilieavérés sont odieux. Il s’agit d’un vérita-ble test de popularité pour la BBC, no-tamment après le succès de sa couver-ture des Jeux olympiques. La BBC esttellement ancrée dans la psyché britan-nique que, finalement, cette histoire depédophilie est bien plus dommageableen termes d’affection du public.

Recueilli par S. D.-S. (à Londres)

DR

Lancée le 30 juin 1980 sur BBC Two,Newsnight offre à 22h30 et cinq jourssur sept, 50 minutes d’analyses,d’interviews et de longs reportages.Au même titre que Today, leprogramme phare d’informationsmatinales sur la radio BBC Four,Newsnight est l’émission où lesministres sont envoyés. Et lesinterviews, sous le feu des questionsimpitoyables des présentateurs,peuvent rapidement tourner aucarnage. Le conservateur MichaelHoward, ancien ministre de l’Intérieurde John Major, s’en souvient encore.En mai 1997, le présentateur vedetteJeremy Paxman lui avait poséexactement la même question, à

douze reprises. A la fin, le ministreressemblait à un lapin affolé par lesphares d’une voiture. Sacré meilleurprogramme d’informations de latélévision en 2012, Newsnight apourtant vu son audience s’éroder aufil des derniers mois. Alors qu’elledépassait régulièrement et largementle million, elle tourne aujourd’huiautour de 680000 téléspectateurspar soir. Avec un budget divisé pardeux en dix ans, plusieurs de sesjournalistes vedettes ont récemmentpréféré quitter le navire. Le maintiende Newsnight à l’antenne, dans saforme actuelle, est aujourd’huisérieusement discuté.S. D.­S. (à Londres)

«NEWSNIGHT», À VOUS LES STUDIEUX

«J’adore la BBC, mais elle estvraiment dans une mauvaisepasse. Ce sont de terriblesmanquements. J’ai demandéà un cadre de la BBCcomment tous ces enfantsavaient pu être abusés et quefinalement personne nedémissionne, personne.Pourquoi? Durant toutes cesannées, il y a eu de terribleserreurs que certainespersonnes soupçonnaient,mais personne n’a rien fait.C’est du très très mauvaisjournalisme. On n’en a pasrespecté les règlesélémentaires. C’est trèschoquant, parce que la BBCest tombée très bas dans lescritères journalistiques. Il n’y aaucune excuse. Cela va êtretrès difficile à rattraper. Il fautse souvenir que la BBC estextraordinaire. La couverturedes derniers Jeux olympiquesétait formidable, encenséedans le monde entier. J’ai untrès grand respect pour leWorld Service, j’ai grandi enl’écoutant, c’est quelquechose d’incomparable dans lemonde.«La retransmission des Jeuxolympiques aux Etats­Unisrendait fou, les coursesétaient interrompues par despublicités. De quoi jeter latélé par la fenêtre! Et deretour à Londres, tout étaitparfait. Par ailleurs, lesprogrammes ont toujours étéde très haute qualité à laBBC, comme la productionde films. Je suis un fan de laBBC, mais ce qui est arrivéest vraiment terrible.»

STÉP

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«Il y a eude terribleserreurs mais,bien sûr,personnen’a rien fait»

SALMAN RUSHDIE

(558 000 euros) de dédommagement ! De-puis, dans un exercice quelque peu schizo-phrène, la BBC se livre à une autoflagellationen règle, en multipliant les reportages sur seserreurs. Du coup, le sort des centaines devictimes de Savile, déjà niées pendant plusde vingt ans, passe au second plan.

CONFUSION. D’autres têtes ont roulé –celledu président de la BBC, Lord Chris Patten, quiavait soutenu Entwistle ne tient plus qu’à unfil – et les débats font rage. Notamment surl’opportunité d’avoir un directeur généralqui cumule aussi les fonctions de rédacteuren chef. «Un directeur général a un million dechoses à faire par minute, il ne peut pas en pluscontrôler le contenu rédactionnel des informa-tions, c’est irrationnel», estime John Lloyd(lire ci-contre), qui enseigne le journalismeà l’université d’Oxford et collabore au Finan-cial Times. La multiplication des couches demanagement provoque une confusion au seindes rédactions et est aujourd’hui remise encause. Le Guardian a publié un diagrammereprésentant la chaîne des responsabilités deNewsnight pour les décisions éditoriales. Leschéma, où les lignes entre les différentsnoms se croisent et s’entrecroisent, est in-compréhensible.La BBC n’en est pas à sa première crise. Il ya eu le rapport Hutton, les salaires astrono-miques des présentateurs vedettes ou encoreles appels téléphoniques truqués lors d’unjeu. Pourtant, la confiance dans l’entreprisen’a sans doute jamais été à ce point ébranlée.Un récent sondage a ainsi estimé queseuls 45% des Britanniques jugeaient désor-mais la BBC «digne de confiance», contrepresque 70% il y a deux ans. •

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 ECRANS&MEDIAS • 33

Page 34: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

Largement partagéesur Twitter dès mardi,la couverture de l’Expressde cette semaine, repré­sentant une femme voiléedevant un bureau d’alloca­tions familiales et titrée «Levrai coût de l’immigration»,a vivement choqué larédaction. En cause, la con­tradiction entre la tonaliténégative du visuel et dutitre de une, et le contenudu dossier, qui conclut surles effets bénéfiques del’immigration. Hier matin, ledirecteur de l’hebdo, Chris­tophe Barbier, a dû s’expli­quer lors d’une assembléegénérale «houleuse», selondes participants. PourBarbier, «il fallait un visuelqui soit cru, qui traduiseles interrogations desgens». «Il nous a expliquéqu’aujourd’hui on ne pou­vait plus faire des unes troptièdes, mais qu’il fallaitdes unes mordantes, pourqu’elles accrochent lelecteur, raconte un membrede la Société des journalis­tes. Ce qui nous importe,c’est que notre travail defond ne soit pas tronquépar ce genre de unes.» I.H.

EN UNE,LE VRAI COUPDE «L’EXPRESS»

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51C’est le nombre de paysoù Netflix est présentet auxquels il compte secantonner pour l’instant.Kelly Merryman, la vice­présidente du serviceaméricain de vidéo à lademande par abonnement,dit vouloir «se concentrer»sur ces pays, le temps«d’évaluer» la situation.L’arrivée en France–redoutée par les chaîneshistoriques– de Netflixétait attendue en 2013.

Natura Morta est une œuvre en ligne réalisée pour leMacro, le musée d’art contemporain de Rome. L’artistecanadien Jon Rafman réactualise la nature morte, mariantle genre pictural séculaire avec l’esthétique des premiersjeux vidéo et du Web originel. Les peintures se transfor­ment en gifs animés. Une composition de potiron et noixs’orne de kiwis volants pixélisés, un plateau de gibier san­glant est complété avec des fruits de mers malicieux etautres poissons frétillants. En animant ces images figées,l’artiste réinsuffle de la vie dans ces natures mortes, jouantsur les contradictions de cette expression qu’on retrouvedans son équivalent anglais still life («vie immobile»). M.Le.http://natura­morta.com/

NATURES MORTES­VIVANTES

VU SUR LE WWW

Par ERWAN CARIO

Facebook: les marquesau fer rouge

E lles se sont installéespetit à petit dans lepaysage des utilisateurs

de Facebook. Les réclamessocialement augmentées ontdébarqué discrètement, dansla colonne de droite. On s’estrendu compte un beau jourque certains amis étaient ci-tés dans un encart publici-taire pour avoir «aimé» (se-lon la célèbre dialectiquelocale) une marque quel-conque. Troublant. Mais onl’oublie vite, cette colonne,à droite du flux d’actualité.Et Facebook a bien dû s’enrendre compte (on ne mettrapas en doute ici leur capacitéà connaître nos moindresfaits et gestes). Surtout, leréseau social devait absolu-ment rentabiliser son appli-cation mobile où il n’y a pasde colonne de droite.

Ces amicales publicités ontdonc débarqué il y a quel-ques semaines au beau mi-lieu du flux d’actualité desutilisateurs. Ainsi, selon lanouvelle hiérarchie de l’in-formation sociale, justeaprès avoir découvert laphoto de la petite fille d’uncouple ami exilé en Poitou-Charentes, on apprend doncqu’Untel aime Samsung ouque cet autre se considèrepote avec BMW. Sur mobile,c’est pire : ces accointancesdouteuses sont livrées parpaquet de trois. Il aimeOrange, elle est fan deING Direct, et lui, là, il s’est

épris de Monoprix. Com-ment diable peut-on se sen-tir proche d’une enseigne dedistribution ? Passé cetteréaction d’incrédulité, laconsternation s’impose (et lefait qu’on préférerait ne pasconnaître l’existence de tel-les déviances chez nos amis,mais c’est un autre sujet).

L’adage populaire sur Inter-net qui explique que «si vousne payez pas, vous n’êtes pasle consommateur, vous êtesle produit en train d’êtrevendu» n’aura jamais étéaussi pertinent. On pourrait(encore une fois) s’offusquerde la politique commercialede Facebook, mais ce seraitabsoudre un peu trop vite lesinternautes qui sont les pre-miers responsables de leursamours marketing. Un destextes les plus anciens à pro-pos du savoir-vivre sur leWeb date de 1995 et s’appellela Nétiquette. Il établissait engros qu’il ne fallait pas avoirun comportement en lignedifférent de celui adopté lorsd’une situation réelle. Etdonc, à moins d’avoir pourhabitude de se promener dé-guisé en homme-sandwichpour une bagnole ou un fast-food, ON NE CLIQUE PASSUR LE BOUTON «J’AIME»D’UNE PAGE DE MARQUE!La Nétiquette précisait aussiqu’il fallait éviter d’écrire enmajuscule, ce qui équivaut àhurler, mais en l’occurrence,on s’en fout. •

DÉBAT D’IP

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R.D. CONSERVATIONSARL Unipersonnelle au capital de

2000 €Siège social : 4-6 rue Lagille

75018 PARIS - RCS 510 266 505Par décision en date du 30/10/2012, le gérant a décidé de transférer le siège social au 12 rue Labois-Rouillon – 75019 PARIS à compter du 30/10/2012.Les statuts ont été modifiés en conséquence.Mention en sera faite au RCS de PARIS.

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A LA TELE CE SOIR20h50. Koh-Lanta.Télé-réalité présentépar Denis Brogniart.23h00. Qui veutépouser mon fils ?Télé-réalité présentépar Elsa Fayer.0h55. Premier amour.Magazine.1h35. Premier amour.Magazine.2h15. Premier amour.Magazine.3h00. Trafic info.3h04. 50 mn inside.

20h45. Main couranteSérie française :Fin de mois,Samedi noir.Avec Marie Bunel,Jean-Baptiste Puech.22h30. Tirage del’euromillions.22h35. Vous trouvez ça normal ?!Magazine présenté parBruce Toussaint.0h15. Taratata.Musique.1h50. Journal de la nuit.

20h45. Thalassa.Saigon l’intrépide.Magazine présenté parGeorges Pernoud.23h40. Soir 3.0h05. Tsunami, imagesintimes d’unecatastrophe.Documentaire deJanice Sutherland.1h20. Le match desexperts.Magazine.1h45. Des racines & desailes.

20h55. On ne choisitpas sa famille.Comédie française de Christian Clavier,105mn, 2011.Avec Christian Clavier,Jean Reno.22h35. Captainamerica : first avenger.Film d'action américainde Joe Johnston,124mn, 2011.Avec Chris Evans.0h40. L’Agence.Film.

20h50. Drei.Comédie dramatiqueallemande de TomTykwer, 119mn, 2010.Avec Sophie Rois,Devid Striesow.22h45. Breaking bad.Série américaine :Négociations,Frères et partenaires,Incontrôlables.Avec Bryan Cranston,Aaron Paul.1h05. Court-Circuit.Magazine.

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20h45. Le père Noëlest une ordure.Comédie française deJean-Marie Poiré,83mn, 1982.Avec Thierry Lhermitte,Anémone.22h10. Dany Boon :Waika.Spectacle.23h45. Dany Boon As’baraque et en ch’ti.Spectacle.1h45. #Faut pas rater ça !Magazine.

20h40. On n’est pasque des cobayes !Magazine.21h30. Bernard Hinault- Dernier roi du vélo.Documentaire.22h30. C dans l’air.Magazine.23h35. Dr CAC.23h40. Entrée libre.Magazine.0h00. Dans lescoulisses de la Maison Blanche.Documentaire.

20h40. Les GrossesTêtes.Invités : Régis Mailhot et Laurent Baffie.Divertissementprésenté par Philippe Bouvard.22h45. Zemmour &Naulleau.Magazine présenté parÉric Naulleau et Éric Zemmour.23h55. 17e sansascenseur.Magazine.

20h35. Les Cordier,juge et flic.Téléfilm français :Fausses notes.Avec Pierre Mondy,Charlotte Valandrey.22h25. Les Cordier,juge et flic.Le chien de Charlotte.Téléfilm.0h00. Central nuit.Fanny,Une affaire d’honneur.Série.

20h45. Hercule Poirot.Téléfilm britannique :Drame en trois actes.Avec David Suchet.22h30. Hercule Poirot.Le crime d’Halloween.Téléfilm.0h30. Preuve à l’appui.Un enfant a disparu,Fin de carrière ?,Recherche mamandésespérément.Série.2h55. Rosemary &Thyme.

20h50. Enquêted’action.Forces de l’ordre à moto :à la poursuite desdélinquants de la route.Magazine.23h00. Encore +d’action.Fiesta, drague et bonsplans : les étudiantsfrançais s’éclatent àBerlin.Magazine.23h50. Enquêted’action.

20h45.Duke, l’aristochien.Téléfilm britannico-canadien.Avec James Doohan,Courtnee Draper.22h30.Le trésor de Hanna.Téléfilm américain.Avec Boyd Kestner,Luke Perry.0h00. Dessins animés.Jeunesse.

20h50. Au coeur del’enquête.Stupéfiants, trafic etcoup de filet.Documentaire.22h30. Au coeur de l’enquête.Guet-apens, revolver etchasse à l’homme.Documentaire.23h45. Tout le mondeen a parlé.1h45. Programmes denuit.

20h45. Les mystèresde Haven.Série américaine :Les Glendower,Faux semblants,L’épidémie.Avec Eric Balfour.23h15. The walkingdead.Wildfire,Sujet-test 19.Série.0h55. Mini-Miss, quisera la plus belle ?

20h50. Le Zap.Divertissement.23h25. Enquête très spéciale.2 épisodes.Série.0h25. Star story.Rihanna, ange ou démon ?Documentaire.1h25. Nuit électro.Musique.

TF1

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GULLIW9TMCPARIS 1ERE

NRJ12 D8 NT1 D17

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SoifW9, 20h35Mais qu’est­ce qui nousarrive? On s’est pris, l’autrejour, à rigoler devant lamini­série Soda et ce grandcouillon de Kev Adams.

SommeilFrance 2, 20h45Surprise: la nouvelle sériefranco­policière Main cou­rante se déroule dans uncommissariat où les flzzz…Wow, on s’est endormi.

ScolaritéArte, 20h50C’est vendredi, c’est notreleçon d’allemand: Drei, dunom de cette fiction pasmal, signifie «trois», comme«ménage à trois». De rien.

LES CHOIX

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 201234 • ECRANS&MEDIAS

Page 35: Liberation N__9803 - Vendredi 16 Novembre 2012

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CalmePeu agitée

AgitéeAverses Pluie

Éclaircies

Orage

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LLEE MMAATTIINN Nuages bas et brouillardquasi généralisés et parfois denses :aention sur les routes, la visibilité seraréduite !

LL’’AAPPRRÈÈSS--MMIIDDII Comme ces derniersjours, les nuages bas et les brouillardspourront persister. Mais là où il ferabeau, il fera doux.

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VENDREDI

La perturbation va avancer assezlentement. Ailleurs, le temps restecalme et sec mais le ciel se voile. Légerredoux à l'avant des pluies.

SAMEDI La perturbation disparaîtra sur placeentre les Pyrénées et l'est. Retour debelles éclaircies partout ailleurs.

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LIBÉRATIONwww.liberation.fr11, rue Béranger 75154Paris cedex 03 Tél. : 01 42 76 17 89

Edité par la SARLLibération SARL au capital de 8726182 €.11, rue Béranger, 75003ParisRCS Paris : 382.028.199Durée : 50 ans à compter du 3 juin 1991.

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Michel Becquembois(édition)Pascal Virot (politique)Jacky Durand (société)Olivier Costemalle et Richard Poirot(éditions électroniques)Jean-Christophe Féraud (éco-terre)Mina Rouabah (photo)Marc Semo (monde)Sibylle Vincendon etFabrice Drouzy (spéciaux)Directeur administratif et financierChloé NicolasDirecteur commercial Philippe [email protected] dudéveloppement Pierre Hivernat

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Amaury médias25, avenue Michelet93405 Saint-Ouen CedexTél.01 40 10 53 [email protected] annonces.Carnet. IMPRESSIONPOP (La Courneuve), Midi-print (Gallargues)Nancy Print (Nancy)Ouest-Print (Bournezeau),Imprimé en France

Tirage du 15/11/12:136 108 exemplaires. Membre de OJD-Diffusion Contrôle.CPPP: 1115C 80064.

ISSN 0335-1793.Nous informons nos lecteursque la responsabilité du jour -nal ne saurait être engagéeen cas de non-restitution dedocuments

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GOÛT

Pain perdu,vicede retrouvé

P lus à l’heure queM. Buleau, ça ne doitpas exister. Tous lessoirs, à sept heures

tapantes, il embauche à l’ac-cueil de l’hôtel-restaurantRubens. Veilleur de nuit qu’ilest. Mais lui, il préfère dire«concierge», comme dans lespalaces. Il est toujours bienmis derrière son comptoirM. Buleau. Chemise cravate,été comme hiver. Des tonspastel mais aussi des trucsbariolés. En ce moment, ilrajoute son inimitable pulldébardeur jacquard qu’on luiconnaît depuis des lustres.Mais ce qu’on préfère dans sadégaine, ce sont ses pompes.Des italiennes qui brillentcomme un miroir vénitien.Vous pourriez user tous vosvieux slips et vos glandessalivaires sur vos paires deBerluti que vous n’arriveriezpas à la cheville de M.Buleau,question cirage de groles.

NAPOLÉON. Faut dire qu’il atoujours été dans des métiersoù il faut être tiré à quatreépingles. Non, il n’était pasjulot-casse-croûte M. Bu-leau. Juste VRP avec «beau-coup de KF», comme il dit. Ilparcourait la France dans desberlines allemandes – «J’aitoujours été Mercedes.» Avec

le Michelin dans la boîte àgants parce qu’«on n’attra-pait pas les clients à la cafété-ria Casino».De cette période, M. Buleaudit: «Je n’ai pas vu passer mavie», avant d’ajouter «Sur-tout conjugale, hein ?»Mme Buleau regardait beau-coup les Feux de l’amour. Unjour, elle a éteint le poste etelle est partie. M. Buleau apartagé l’argent de la ventede leur villa de Longjumeauet négocié une confortableindemnité de départ avecson employeur. «Les enfantsétaient élevés, ils avaient unesituation et plus grand-choseà me dire.» Puis M. Buleau atéléphoné à un vieux copainqui était dans l’hôtellerie etqui lui a trouvé sa gâche ac-tuelle. Il a pris un aller sim-ple pour cette ville de pro-

vince, emménagé dans unpetit studio coquet du centreet vient chaque soir à pied auRubens.Quand il n’accueille pas lesclients, M. Buleau se retran-che souvent dans le cagibicuisine que l’on aperçoit àgauche du tableau où sontaccrochées les clés deschambres. Il y fait des sudo-kus et les grilles de mots flé-chés du Télé Star Jeux. A20 heures, il allume une mi-nuscule télé en forme decube posée sur la table où ilprend également ses repas.Au menu, le JT de la Une etune soupe en sachet. Lelundi, par exemple, c’est«poule aux vermicelles», lemercredi, «minestrone».Ensuite, il s’autorise une Va-che qui rit sur une tranche depain de mie et un fruit desaison. Puis, il éteint la petitetélé et se gave à nouveau demots croisés ou «d’un romanhistorique», comme il dit.M. Buleau aime beaucoupNapoléon et de Gaulle. Il estallé deux fois à Colombey-les-deux-Eglises. Mais «ja-mais, au grand jamais», vousne le verrez «en train de fairede l’Internet» dans sa loge«parce que vous savez, l’ordi-nateur, ça a cassé l’accueildans l’hôtellerie», philoso-phe-t-il.Alors, l’autre soir, quand onle surprend la tête dansl’écran du PC derrière son

comptoir, ontrouve ça louche.Pour le coup, il al’air un peu mer-deux, M. Buleau.Il prend sur luipour nous de-mander. «Vous ne

voulez pas m’aider. Je sais paschercher sur l’Internet. C’estpour un client qui a oubliéquelque chose dans sa cham-bre, qu’il nous demande enrougissant. Je n’ai pas sonnuméro de téléphone. Je saisjuste qu’il est commerçant àStrasbourg. J’appellerai de-main à sa boutique si voustrouvez ses coordonnées.»

CAMÉ. Une fois qu’on a déni-ché le bigo du distrait,M. Buleau nous entraîne dis-crètement dans son cagibidont il referme la porte.«Faut pas qu’on vous voieici», qu’il fait. Il sort d’unplacard une bouteille dePaddy et deux verres qu’ilremplit au tiers. «Pensez pasque c’est tous les jours commeça, c’est parce que vous êteslà.» Puis il exhume d’un ti-

Par JACKY DURANDPhoto EMMANUELPIERROT. VU

TU MITONNES Chaquevendredi, passageen cuisine et réveildes papilles.Aujourd’hui, acte demilitance anti-rassis

«Jamais au grand jamais»,vous ne verrez M. Buleausur Internet, parce que«l’ordinateur, ça a cassél’accueil dans l’hôtellerie».

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 201236 •

VOUS

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Par OLIVIER BERTRAND

Du cul de vacheà l’horizon, baladechez Barral (acte II)

J’ étais parti tôt le matin,laissant dans les brumesaveyronnaises une mai-

son endormie. Arrivé chezDidier Barral, vigneron enFaugères, nous avions com-mencé par aller voir ses bê-tes, qui nourrissent la familleet la terre (Libération de ven-dredi dernier). Nous appro-chions des vignes, avec l’idéede comprendre comment onfait du vin dans ce coin duLanguedoc au sous-sol sipauvre. Ici le schiste affleure,recouvert d’un peu deterre trop acide. Pour yremédier, certains lasaupoudrent de chaux,qui fait baisser l’acidité.Justement, une sil-houette au loin semait lapoudre blanche dans savigne. Mais la chauxagit quelques années,booste le sous-sol,avant de le laisserplus pauvre encoreet plus acide. Aquel horizon tra-vaille-t-on ? Laquestion se pose aupaysan aussi bienqu’à l’entrepre-neur. Faut-il sau-ver sa récolte ouson sol ? «Si tuchaules ta terre, tesenfants seront pau-vres»: un vieux dic-ton du coin rapportépar Didier Barral.

Sa famille était assez riche,au XIXe siècle. Puis un arrièrearrière arrière grand-pèreéleveur est un jour descenduà Béziers vendre son trou-peau. Il s’est fait assassinerau retour. La famille a vécuplus chichement, de polycul-ture et d’élevage. En 1993,Didier et son frère Jean-Lucont sorti les raisins de la coo-pérative, pour vinifier. Il afallu apprendre vite. En 1995,la sécheresse a montré qu’ilfallait se protéger du soleilautant que s’en nourrir. Di-dier a privilégié des cépagestardifs, qui mûrissent une

fois passé le stress hydriquedans les années de canicule.Il a cherché à faire de l’ombreau sol, en laissant par exem-ple les sarments se déployeren éventail autour du cep.Puis, en 1996 et 1997, degrosses pluies ont fait com-prendre l’urgence de drainerle sol. Il a commencé parcroiser ses labourages (unefois dans un sens, une foisdans l’autre), pour aérer.C’est moins brutal que lachimie, mais cela tue quand

même une partie de la viesous terre, notammentles précieux lombrics, quiforent sans relâche. Jus-qu’au jour où il a réaliséqu’à l’exception desmouillères à sangliers, iln’y avait jamais de fla-ques en forêt. Les solsy sont drainés, les ra-cines des arbresplongent profondé-ment. Depuis, ilinstalle ses nouvel-les vignes dans lesbois, où il trouveun meilleur équi-libre. Il a cesséaussi de couperl’herbe ; il accro-che derrière sontracteur une sortede rouleau qui lacouche, casse ses

fibres. Cela faitcomme une paillasse

qui ombrage le sol, conservel’humidité lorsqu’il y en abesoin. C’est elle que les va-ches brouteront bientôt.

En écoutant le vigneron,l’envie est passée, fugace, detout plaquer pour venir fairedu vin comme ça. On pico-rait quelques grains oubliéspar les vendangeurs. Cela adonné l’envie d’aller goûterce que leurs petits frèresavaient donné dans les cu-ves… •(A suivre vendredi prochain)

Domaine Léon Barral àCabrerolles (34480), hameaude Lentéric.Sur RDV: 0467902913

PARLONS CRUS

DR

24%des Français plébiscitent le fondant au chocolat, ce quien fait le dessert préféré dans l’Hexagone, selon unsondage TNS Sofres pour le magazine Gourmand. Lamousse au chocolat (23%), les crêpes (23%), l’île flottante(23%) et la tarte aux pommes (22%) complètent le top 5.

Façon pain perdu, une briochesauce caramel au beurre salé.

Tranchesde mieP our accompagner une

belle tranche de vie, onvous propose la «brio-

che en pain perdu» du chefChristian Constant qui vientde commettre un très appé-tissant bouquin autour dessaveurs du Sud-Ouest (1).Pour six personnes, il faut :3 boules de brioche du bou-langer; 4 jaunes d’œufs ;100 g de sucre en poudre ;1 sachet de sucre vanillé ;20 cl de crème liquide ; 30 clde lait, beurre pour le moule.Pour la sauce caramel aubeurre salé : 300 g de sucreen poudre ; 45 g de beurredemi-sel ; 30 cl de crème li-quide ; 1 pincée de fleur desel.La veille: retirez la croûte dela brioche (vous pouvez enlaisser un petit peu) et dé-coupez la mie en dés. Battezles jaunes d’œufs avec le su-cre jusqu’à ce que le mélangeblanchisse. Ajoutez le sucrevanillé. Incorporez la crèmeliquide, le lait, mélangezbien l’ensemble, puis met-tez-y les dés de brioche àmariner. Recouvrez le réci-

pient de film alimentaire etlaissez reposer au frais pen-dant toute une nuit. Le jourmême: préchauffez le four à160 degrés. Beurrez et sucrezun moule profond; versez labrioche imbibée puis en-fournez la préparation pourtrente-cinq minutes. Pen-dant la cuisson, préparez unesauce caramel au beurre salé.Faites fondre dans une casse-role à fond épais le sucre enpoudre jusqu’à l’obtentiond’un caramel blond. Ajoutezle beurre demi-sel; laissez-lefondre, puis versez la crèmeliquide. Remuez jusqu’àl’obtention d’une émulsionparfaite (au départ le sucrecristallise, mais, sur feu douxet en remuant doucement, lasauce devient très belle). In-corporez une pincée de fleurde sel. Servez le gâteau entranches, nappées de saucecaramel, chaude ou froide.

J.D.(1) «Chez Constant, recettes etproduits du Sud­Ouest»,de Christian Constant.Photographies de Jean­DanielSudres, ed. Michel Lafon,24,95 euros

roir une boîte à gâteaux enfer-blanc qu’il ouvre avecprécaution. A l’intérieur, il ya tout un bric-à-brac plus oumoins précieux: une montreLipp, un bracelet en perles deculture, plusieurs bouclesd’oreilles et boutons de man-chettes dépareillés, un an-neau en argent et un coupe-cigares censé appartenir auclient strasbourgeois, nousexplique M. Buleau. «Ce sontmes trésors, ironise-t-il. Dixans d’objets trouvés et jamaisréclamés. Bizarre, hein, il y ades jolies choses et puis intimesavec ça.» M. Buleau noustend un camé monté sur unebroche: «Regardez. C’est sû-rement un bijou familial quel’on s’est transmis de généra-tion en génération. Qu’est-cequi fait qu’on l’a abandonnéainsi dans un hôtel de sous-préfecture ?»M. Buleau refait les niveauxen Paddy et boit une gorgéeen soupirant. «Je sais, vousallez dire : “Sûrement desgens qui n’avaient rien àfaire ici et qui n’ont pas enviequ’on leur rappelle qu’ils ontoublié quelque chose sur unetable de nuit d’hôtel, en ga-lante compagnie.” C’est uneminorité, vous savez. Non, il ya d’autres raisons. Comme sices gens avaient besoin de se

séparer de quelque chose dansun endroit impersonnel.»M. Buleau farfouille dans laboîte pour s’emparer d’unbouton de manchette avecles initiales T.R. «Tiens,dit-il. Prenez son propriétaire.Il était arrivé, seul, une nuit,entre deux trains. Il a pris lachambre pour quelques heures,je n’avais même pas son nom.Il m’a juste dit qu’il habitaitOrléans. Et bien vous mecroyez si vous voulez mais j’aifait toutes les pages de l’an-nuaire concernant Orléanspour trouver les noms com-mençant par R avec des pré-noms débutant par T. J’ai dûêtre flic dans une autre vie. J’aifini par tomber sur l’hommeaux boutons de manchette. Autéléphone, il n’avait pas l’airdu tout surpris. Quand je lui aiparlé de ses boutons de man-chette, il m’a coupé tout desuite: “Je sais, gardez-les.” Ilétait franchement agacé que jelui dise que c’était dommage.Il m’a raccroché au nez.»M. Buleau reste pensif unepoignée de secondes. Puis ilfrappe dans ses mains:«C’est pas tout ça, vous allezbien goûter le pain perdu denotre chef. C’est mon en-casde minuit. Et puis la vie desautres, j’en ai soupé cesoir.» •

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CécileHeurtaut, Camille etCyrille Boulongne ont leplaisir de vous faire

part de la naissance deClémence

le 14 novembre dernier.

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Le 16 novembre 2008Charles J.WERQUINnous quittait

" Les morts sont invisibles,ils ne sont pas absents "

Saint Augustin .

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ESPACE Les ministres en charge de l’Agence spatiale européennedécideront, les 20 et 21 novembre à Naples, de l’avenir du lanceur.

Ariane faceà son destin

Du succès au replifrileux: ce pourraitêtre l’histoired’Ariane, la fuséeeuropéenne bran-die comme sym-bole de l’Union pardes responsables

politiques en mal de réussites. C’est l’undes enjeux de la réunion du Conseil mi-nistériel de l’Agence spatiale euro-péenne, à Naples (Italie), les 20 et21 novembre. Il doit décider de l’avenirde la fusée européenne, garant d’un ac-cès indépendant à l’espace. Faut-ilpoursuivre en grand, avec une fuséelourde capable de lancer des satellitesutilitaires, mais aussi de participer àl’exploration robotique et humaine del’espace? Ou faut-il se contenter d’une

Par SYLVESTRE HUET

Ariane 5 lors d’un tiren 2008, à Kourou. Lafusée européenne captela moitié du marchémondial des satcoms(à droite, Thaicom 4).PHOTOS ESA. CNES.ARIANESPACE ET REUTERS

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après sa mission afin d’éviter de générerun débris dangereux de plus. Et autori-serait des manœuvres plus agiles lors-que la fusée largue les satellites. Une af-faire d’un milliard et demi d’euros. Unecapacité d’emport en orbite géostation-naire passant de 10 à 12 tonnes. Et uneassurance contre un éventuel retard ouéchec dans le programme Ariane 6. Ou,au contraire, faut-il se lancer illico dansune Ariane 6, moins chère mais moinspuissante, afin d’en disposer le plus vitepossible ?La première stratégie était défendue parle patron d’Astrium, François Auque,qui pense aussi à sa technologie cryo-génique (oxygène et hydrogène liquidesqui propulsent l’étage principald’Ariane 5) fabriquée en France. Tandis

que Yannick d’Escatha, le patron duCnes, défendait le développement ra-pide d’une Ariane 6 moins puissante età poudre, utilisant la technologie despropulseurs d’appoints d’Ariane 5, dela petite fusée Vega et des missiles. Ge-neviève Fioraso a fait appel à Jean-Jac-ques Dordain, le directeur général del’ESA (l’Agence spatiale européenne),et à Jean-Yves le Gall (le PDG d’Aria-nespace) pour faire émerger un accordqui sera soumis au conseil des minis-tres : finir Vinci, qui servira aussi detroisième étage à Ariane 6, et mettre enservice cette dernière dès 2021. Unestratégie qui permet de renoncer in fineà Ariane 5 ME et de continuer avec l’ac-tuelle Ariane 5, ou d’y recourir si (hy-pothèse jugée improbable par les ingé-nieurs du Cnes) le projet Ariane 6tombait sur un os.Pourquoi s’écharper sur ce qui semblemarcher à merveille ? En témoigne ledernier tir d’Ariane 5, depuis l’astro-port de Kourou (Guyane), le 10 novem-bre, pour mettre sur orbite deux grossatellites de communication («sat-coms») pour Eutelsat et le brésilien StarOne. Arianespace, la société qui com-mercialise la fusée, aligne 52 lance-ments réussis d’affilée, déjà six tirsen 2012, et un septième prévu avant lafin de l’année. Ariane, toutes versionsconfondues, affiche 210 vols, et acca-pare la moitié des lancements de satelli-tes commerciaux du monde, pourl’essentiel des satcoms sur orbite géos-tationnaire, à 36 000 kilomètres au-dessus de l’équateur.Personne n’avait imaginé ce scénariolorsque la première Ariane s’était élevéeau-dessus de la forêt équatoriale à laNoël 1979. Et l’on sourit encore, dans lesmilieux techniciens, sur le titre de Libé-ration, «La France lance un nouveausous-marin», à propos de l’échec dudeuxième tir. A l’époque, la Nasa,auréolée de ses missions lunaires, lancela navette. Et si l’Europe a développéAriane, c’est de sa faute. Lorsque lesEuropéens ont demandé à la Nasa delancer leur premier satellite de télé-communication, la réponse fut: «D’ac-cord, à une seule condition, vous nel’exploitez pas.» Ce diktat fit basculerles gouvernements et, depuis, justifie lavolonté de disposer d’un accès indé-pendant à l’espace.

L’histoire donna raison à la petiteéquipe visionnaire (Hubert Curien, Fré-déric d’Allest) qui lança Ariane. L’er-reur stratégique américaine du tout-na-vette, la réussite technologique desingénieurs (français, allemands et ita-liens surtout) les qualités de Kourou(coûts les plus bas et meilleur astroportpour les tirs de satellites) ont trans-formé une dépense publique nécessairepour acquérir l’accès indépendant àl’espace en booster économique.Ariane est toujours soutenue par desfonds publics (120 millions par an),mais génère des activités en cascade(1 euro public pour 20 privés, avance unrapport) et des emplois qualifiés parmilliers. L’industrie spatiale euro-péenne exporte satellites et tirs

d’Ariane, et contrôle 40% dumarché mondial – pour le-quel la France bénéficie d’unsolde commercial positif de500 millions d’euros.A ces réussites techniqueset économiques, s’est ajoutéle piment de l’exploration

scientifique et humaine pour lequelAriane 5 (750 tonnes au décollage, plusde 20 tonnes de charge utile hissée enorbite basse) possède la puissance né-cessaire. Elle a donc permis à l’Europede payer sa quote-part de la stationspatiale par l’envoi de cargos automati-ques. Ou de lancer la sonde Rosetta versune comète, qu’elle rejoindra en 2014,après dix ans de voyage, et les télesco-pes de l’Agence spatiale européenne.

Les concurrents russes,chinois et américains

L’avenir d’Ariane devrait être moinsprestigieux : calé sur le «marché» dessatellites commerciaux, insiste Gene-viève Fioraso, et assurant le tir des sa-tellites gouvernementaux civils et mili-taires. Avec la petite fusée Vega etAriane 6, l’Europe pourrait lancer dessatellites de 100 kilos à 6 tonnes en or-bite géostationnaire, ce qui signe unestratégie modeste. Elle vise surtoutl’adaptation aux concurrents russes,chinois et américains dont les coûtssont complètement fictifs, en raison dessubventions gouvernementales et mili-taires massives. Cette stratégie réalistesuppose de renoncer à fonder la coopé-ration internationale dans les vols habi-tés et l’exploration robotique lointainedu système solaire sur l’apport d’unefusée puissante. Les industriels qui ap-puient cette dernière conception nesont pas plus amateurs de science-fic-tion que les ministres. Ils savent surtoutque cette exploration garantit des pro-grammes sur fonds publics pour leursentreprises. Ce n’est donc pas une rai-son suffisante pour la justifier.De leur côté, les Russes et les Améri-cains affichent des projets de fuséeslourdes capables de lancer des vaisseauxhabités ou automatiques vers une sta-tion orbitale –l’actuelle doit durer jus-qu’en 2020– ou des cibles lointaines,comme un astéroïde. Faut-il disposerd’une fusée afin de participer à cetteexploration ? Ou peut-on se limiter àdes contributions scientifiques, des ins-truments, des briques technologiquescompatibles avec les ressources finan-cières que l’Europe y consacre, très in-férieures à celles que la Nasa peut mobi-liser? C’est la stratégie défendue par laministre française de la Recherche. Réa-liste ou frileuse, l’histoire jugera. •

Charles Darwinà flotsjour après jour

L a théorie de l’évolution biologique campe aucœur de la science contemporaine. L’idéemême d’évolution a débordé en physique,

en astrophysique et cosmologie, en chimie commeen robotique et en informatique. Pourtant, sesconcepts les plus élémentaires et les plusfondamentaux demeurent des objets de contro-verses et de contresens brutaux.Leur oubli est à la racine d’erreurs majeures denos sociétés techniciennes, qui se prétendent sa-vantes. Comme le mauvais usage des antibioti-ques, dont l’abus débouche sur des impasses thé-rapeutiques par la sélection de souches

ultrarésistantes. Ou celui depratiques agricoles –commele couple plante génétique-ment modifiée pour tolérerun herbicide et ce mêmeherbicide – qui négligent laleçon centrale du darwi-nisme : à cogner sans cesseavec le même glaive sur lemême bouclier, c’est ce der-nier qui est sans cesse ren-forcé, car l’attaque sélec-tionne la meilleure défense.S’instruire et informer la so-ciété sur la science de l’évo-lution demeure donc un im-pératif culturel et social. Envoici deux occasions,récemment sorties en librai-rie. La première proposed’embarquer pour un longvoyage. Celui de Charles

Darwin, sur le Beagle, pour un tour du monde encinq ans, de 1831 à 1836. Sans intermédiaire, puis-que les éditions Honoré Champion éditent la pre-mière traduction en français du Journal de bord duvoyage du Beagle du jeune Darwin (il a 21 ans audépart de l’exploration), introduite avec talent parle spécialiste du darwinisme Patrick Tort dans untexte joliment baptisé Un voilier nommé désir.Matrice du Voyage d’un naturaliste autour du monde,publié par Darwin en 1839, ce document histori-que brut donne un accès direct à ce voyage, auxpérégrinations maritimes et terrestres de l’ap-prenti savant. Il permet de saisir sur le vif l’horreurqui envahit Darwin devant l’esclavage et ses dé-mêlés sur ce terrain avec le capitaine. Ses observa-tions de phénomènes géologiques témoignant dela longue durée de l’histoire de la Terre. Ou sur lestortues des Galapagos, «on aurait dit des animauxtrès anciens, antédiluviens ou plutôt des habitants dequelque autre planète».Avec Charles Darwin, l’essentiel est dit – maisreste pourtant à faire. En témoigne l’imposantouvrage, superbe d’érudition comme de synthèse,d’Hervé le Guyader, intitulé Penser l’évolution (1).Le généticien y développe une passionnante leçond’histoire et de philosophie des sciences aprèsavoir démarré par une charge virulente contre lecréationnisme et ses absurdités. Il montre avecpuissance, en éclaircissant les concepts clés de labiologie évolutive comme moléculaire, que, de-vant déformations et idéologies, le bon cheminreste «d’approfondir la science, méthodiquement, etmodestement». A noter une stimulante synthèsesur l’idée d’une «autodomestication» de l’homme,avec l’invention de l’agriculture au néolithique,qui répond à la question «l’homme évolue-t-iltoujours ?»

S.H.(1) Imprimerie nationale éditions, 543pp., 30€.

EN HAUT DE LA PILE

JOURNALDE BORDDU VOYAGEDU «BEAGLE»de CHARLESDARWINEditions HonoréChampion822pp., 29€.

Faut-il finir le développementd’Ariane 5 ME ou se lancer dansune Ariane 6 moins chère maismoins puissante, afin d’en disposerplus vite?

version moins puissante et limitée àl’utile? Le choix donne lieu à d’intensesdiscussions entre acteurs –l’industrielAstrium, les agences spatiales françaiseet allemande, Arianespace et les minis-tres. Au ministère de la Recherche, onnarre avec ironie, en évoquant «deuxde Funès», la venue des patrons d’As-trium et du Cnes (l’agence française),chacun venu défendre avec ardeur desstratégies opposées devant la ministrede la Recherche, Geneviève Fioraso.

Une affaire d’un milliardet demi d’euros

Faut-il ou non finir le développementd’Ariane 5 ME (pour «mid-life evolu-tion»), avec le moteur cryogéniqueVinci du troisième étage, réallumable?Il permettrait enfin d’obéir à la loi spa-tiale française en pilotant le suicidedans l’atmosphère du troisième étage

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012 SCIENCES • 39

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PORTRAIT EN SÉRIE 2/2 BRUNO WOLKOWITCH

Pour le scénariste, Dan Franck, qui achève l’écriture de lasaison 2 (axée sur l’exercice du pouvoir, avec la question ira-nienne et le terrorisme en toile de fond), donner le rôle deKapita à Wolkowitch était une évidence. «Quand j’ai vu lesessais, pour moi, c’était lui. J’avais conçu le personnage commeun mec fort et vulnérable. Un solitaire, cynique mais homme deconviction. Et tout de suite, il a compris. Car il y a ça en lui, unemasculinité fragile.» Le réalisateur, Frédéric Tellier, l’avaitvu jouer au théâtre: «Il avait la sensibilité, l’âge et l’élégancedu personnage», dit-il. L’intéressé le reconnaît : «J’ai avecKapita un nombre de points communs supérieurs à la moyenne.Il est tordu de la même manière, tout en retenue de sa propre vio-lence, obsédé par la déontologie de sa vie professionnelle maiscapable de foirer sa vie privée.»Ce jour-là, il a le crâne rasé pour les besoins du tournage d’untéléfilm de Jacques Fansten dans lequel il incarne un tueurd’enfants. Et c’est vrai qu’il fait un peu peur, le visage chif-fonné par une soirée achevée tard, pas faim, et l’angoisse che-villée au corps de devoir se dévoiler. Bien plus torturé qu’ilne paraissait à l’écran. Le genre d’homme avec qui, à cetteheure matinale (13 heures!), il faut y aller avec des pincettes.On sort donc notre artillerie légère et il s’adoucit au fil de laconversation, grignotant une salade du bout des lèvres mais

grillant cigarette sur cigarette (du Old Holborn bleu à rouler)au chaud dans son blouson de cuir pendant qu’on se pèle defroid dans notre petite robe. Arrivé avant nous, le fumeur s’estinstallé en terrasse et on n’a rien osé dire. Finalement, cethomme ne déteste pas tant que ça parler de lui.Sa chance et son problème, c’est que les Hommes de l’ombren’est pas sa première série télé à succès. Pendant de nom-breuses années, Bruno Wolkowitch a été Vincent Fournier,commandant de police solitaire et exigeant de P.J. qui, autournant des années 2000, égayait nos vendredis soir. Pas siéloigné de Simon Kapita, ce personnage a marqué nombrede téléspectateurs, même les plus concernés. «Les flics m’ar-rêtent encore dans la rue en me disant “bonjour commandant”»,dit-il avec ce petit sourire qui fait plisser ses yeux bleu azuret leur donne une coloration mi-grave, mi-tendre, sa marquede fabrique. «Quand Gérard Vergès m’a contacté pour P.J.j’avais déjà refusé 14 séries.Je ne voulais pas être un hérosde télé et risquer de me grillerpour le cinéma.» Il se laisseconvaincre «pour des raisonsaffectives» par cette série «degauche» qui montre des flicshumains. Mais, au bout detrois ans, en plein succès,il décide d’arrêter, trop an-goissé à l’idée de trimbaler cerôle à vie. Il sera assassinédans le 100e épisode et élevéà titre posthume au grade decommissaire.Drôle de fin pour lui qui dit«penser à la mort 70 000 foispar jour» et qui reconnaîtavoir été tenté de s’y réfu-gier. «Il y a eu plusieurs moments où j’ai réalisé que je passaisla plupart du temps dans l’angoisse et le mal de vivre, et où jeme suis demandé au nom de quoi, dans ces conditions, je seraisforcé de continuer.» De grosses périodes de remise en questionà raison de trois séances d’analyse par semaine. «Je ne faisaispas ce que je voulais. Je voulais faire du cinéma, je n’en fais pas»,expire-t-il dans une volute de fumée, le visage sombre. «J’aifait quatre longs métrages quand j’avais 30 ans et j’ai joué demalchance. Soit, ils ne sont pas sortis en France. Soit, ça a faitdes bides. Ce sont des choses que le milieu n’oublie pas.»Le cinéma, il en rêve pourtant [comme l’héroïne de Borgen,ndlr] depuis l’âge de 8 ans quand un film de Henry Hathawayl’a cloué sur son siège de ciné de quartier. Il est né fils uniquedans une famille modeste d’origine juive polonaise qui bossedur pour améliorer l’ordinaire. Son père tailleur deviendraexpert-comptable, sa mère esthéticienne se formera à ladermatologie. Lui «choisit d’être cancre» pour qu’on lui fichela paix et quitte le domicile familial très jeune pour tentersa chance. De rencontres en petits boulots, il rejoint quandmême le Studio 34, une école privée d’art dramatique.Puis c’est le Conservatoire, la Comédie-Française et il finitpar imposer ici ou là sa gueule de beau gosse un peu cabosséet sa voix de basse qui le sert au théâtre. C’est l’époque où,avec les femmes, il a «la capacité d’aimer profondément…pendant deux heures». C’est en revanche un grand fidèle enamitié comme le souligne un de ses amis, le comédien,Bernard Waver.En bon Simon Kapita, il a voté Aubry aux primaires. «Aprèstout ce bordel, c’était peut-être une femme qui pouvait le mieuxremettre les pendules à l’heure. Je crois que les femmes sont supé-rieures aux hommes.» D’ailleurs, s’il n’avait pas été comédien,il aurait aimé être obstétricien. Lui, qui dit avoir longtempseu du mal avec le monde de l’enfance, est fasciné par cette«machine de vie, la plus belle au monde» qu’est la femme.«Vous êtes des horloges extraordinaires», dit-il, et c’est bienla première fois qu’on nous dit une chose pareille. C’est unefemme, d’ailleurs, qui semble avoir chassé ses angoisses, lacomédienne Fanny Gilles, rencontrée sur le tournage de P.J.avec qui il a deux enfants et vit dans une maison, à 50 kilo-mètres de Paris. Finie, l’époque où il foirait sa vie privée. Ellesera l’héroïne de sa première mise en scène, une pièce dethéâtre pour enfants qu’elle a écrite, le Secret de Poussinette.En parallèle, il expose son travail de photographe, autre pas-sion, des clichés en argentique pris notamment au Niger etau Maroc. Histoire d’attendre le plus sereinement possiblequ’au cinéma son heure vienne enfin. •

Par ALEXANDRA SCHWARTZBRODPhoto AUDOIN DESFORGES

EN 8 DATES

10 mai 1961 Naissanceà Paris. 1981 RencontreClaude Mathieu auStudio 34. 2002 RencontreFanny Gilles, sa compagne.2006 Naissance de sa fille.2011 Naissance de son fils.Hiver 2012 Sérieles Hommes de l’ombre.Décembre 2012 Exposeses photos à la galerieJansen à Paris et monteà Courbevoie le Secret dePoussinette. Janvier 2013Reprise de la pièce Au Portdu Salut à Paris.

P our un homme de l’ombre, il accroche sacrémentbien la lumière. Si bien que France 2 a décidé de don-ner une suite aux aventures de Simon Kapita, le spindoctor (conseiller en communication politique)

qu’interprète Bruno Wolkowitch aux côtés de Nathalie Baye,dans cette série d’inspiration anglo-saxonne que les téléspec-tateurs ont suivi nombreux, l’hiver dernier, à la veille del’élection présidentielle. Une série qui, à l’instar de Borgenau Danemark (Libération d’hier), met en scène l’arrivée d’unefemme au pouvoir avec tout ce que ce parcours suppose dechausse-trappes, de machisme et de trahisons diverses. Scé-nario totalement fictif puisque, au moment où la chaînepublique diffusait les Hommes de l’ombre, Martine Aubry étaitéliminée depuis longtemps de la course à la présidentielle.Mais crédible. Et cela doit beaucoup à Wolkowitch qui crèvel’écran. C’est lui, ou plutôt Kapita, qui se bat pour que la se-crétaire d’Etat aux Affaires sociales se lance dans la courseà l’Elysée, après la mort du Président dans un attentat. Avecune présence, un regard, une voix qui ne peuvent laisserindifférents. Pas nous, en tout cas.

Ce comédien va tourner la saison 2 de la série télé «les Hommesde l’ombre», où cet acteur de théâtre s’est imposé en spin doctor.

L’homme de l’ombre

LIBÉRATION VENDREDI 16 NOVEMBRE 2012