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28 formation zoom Actualités pharmaceutiques n° 482 Février 2009 E n une centaine d’années se sont succédées plu- sieurs grandes étapes : de la préhistoire des trai- tements (l’irradiation hémicorporelle et le drainage du canal thoracique) aux immunothérapies sélectives d’aujourd’hui, en passant par les premiers immunosup- presseurs (chlorambucil, cyclophosphamide...), les cor- ticoïdes (1949) et les “nouveaux” immunosuppresseurs (ciclo-sporine, acide mycophénolique...). Tout a changé à partir des années 2000 avec l’avènement des biothéra- pies dirigées contre des cytokines ou des cellules. Progrès conceptuel et saut technologique Aujourd’hui, nous disposons de toute une gamme de molécules commercialisées ou en voie de l’être dans le traitement des maladies auto-immunes (MAI), notam- ment de la polyarthrite rhumatoïde (PR). Ces molécules sont nées d’une meilleure connaissance de la physio- pathologie des MAI et de progrès importants réalisés dans le domaine des biotechnologies. Trois grandes stratégies sont développées : – cibler une molécule ou une cellule avec un anti- corps (Ac) monoclonal ou utiliser un leurre physiologique (ex : récepteur soluble du TNF alpha) ; – bloquer le dialogue intercellulaire ; – bloquer une voie de signalisation intra-cellulaire (en cours de développement). Les biomédicaments ne sont pas des molécules chimi- ques, ne subissent pas de modification hépatique ou rénale et, pour la plupart, n’interfèrent pas avec le méta- bolisme des médicaments. Nombre d’entre eux sont des anticorps (Ac) monoclonaux (suffixe “mab”) qui peu- vent être chimériques (syllabe “xi” précédant le suffixe “mab”), humanisés à 95 % (syllabe “zu” précédant le suffixe “mab”) ou totalement humanisés (syllabe “mu” précédant le suffixe “mab”), potentiellement mieux tolé- rés. Les protéines de fusion sont, quant à elles, identi- fiées par leur suffixe en “cept”. Par exemple, le couplage de la molécule d’intérêt à des fragments Fc d’immuno- globulines (Ig) permet d’allonger leur demi-vie. Les premiers biomédicaments commercialisés dans la PR ont été : – des anti-TNF alpha : étanercept (Enbrel ® ), infliximab (Rémicade ® ), adalimumab (Humira ® ) ; – puis un inhibiteur de l’IL-1 : anakinra (Kineret ® ). Ces deux dernières années, deux nouvelles molécules ont obtenu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans la PR : un anti-CD20, le rituximab (Mabthera ® ), et un anti- CTLA4-Ig, l’abatacept (Orencia ® ), développés dans le cadre d’une stratégie d’inhibition des lymphocytes T ou de la col- laboration lymphocyte T/cellule présentatrice de l’antigène (CPA). De très nombreuses molécules sont à l’étude. Les stratégies antilymphocytes T La stratégie biologique du développement de l’abatacept (Orencia ® ) repose sur la réponse immunitaire élémentaire. Une CPA présente un antigène (Ag) à un lymphocyte T et ne l’active que s’il existe une voie de costimulation dont une est la voie B7-CD28. Lorsque le lymphocyte T reçoit ce signal, il est activé et a, parallèlement, une action de rétrocontrôle en exprimant à sa surface CTLA-4 dont l’affi- nité pour B7 est cent fois supérieure à celle de CD28. Ainsi, lorsque CTLA-4 s’exprime à la surface du lymphocyte, cette molécule reçoit l’information de B7 (signal négatif) et le lymphocyte se met au repos. Ce mécanisme permet qu’il n’y ait pas développement d’une MAI après une infection. L’idée d’injecter CTLA-4 à un malade dans un contexte de MAI était d’induire un signal négatif vers le lymphocyte T pour qu’il s’anergise ou meure (neutralisation des lympho- cytes T autoréactifs). Les études cliniques randomisées en double aveugle effectuées dans la PR ont montré une amélioration clinique et radiographique bien supérieure dans le groupe traité par abatacept + méthotrexate (MTX) à celle observée dans le groupe MTX + placebo. © BSIP/Phototake/CNRI Toute une gamme de molécules est commercialisée ou en voie de l’être dans le traitement des maladies auto-immunes et notamment de la polyarthrite rhumatoïde. L’immunothérapie ciblée : la révolution des biomédicaments Depuis qu’a été démontré le rôle prépondérant de l’immunité dans les grandes maladies inflammatoires, les médecins n’ont cessé de développer des stratégies d’immunomodulation de plus en plus performantes. Actuellement, plusieurs dizaines de milliers de malades sont traités par ces biomédicaments.

L’immunothérapie ciblée : la révolution des biomédicaments

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Actualités pharmaceutiques n° 482 Février 2009

En une centaine d’années se sont succédées plu-sieurs grandes étapes : de la préhistoire des trai-tements (l’irradiation hémicorporelle et le drainage

du canal thoracique) aux immunothérapies sélectives d’aujourd’hui, en passant par les premiers immunosup-presseurs (chlorambucil, cyclophosphamide...), les cor-ticoïdes (1949) et les “nouveaux” immunosuppresseurs (ciclo-sporine, acide mycophénolique...). Tout a changé à partir des années 2000 avec l’avènement des biothéra-pies dirigées contre des cytokines ou des cellules.

Progrès conceptuel et saut technologiqueAujourd’hui, nous disposons de toute une gamme de molécules commercialisées ou en voie de l’être dans le traitement des maladies auto-immunes (MAI), notam-ment de la polyarthrite rhumatoïde (PR). Ces molécules sont nées d’une meilleure connaissance de la physio-pathologie des MAI et de progrès importants réalisés dans le domaine des biotechnologies. Trois grandes stratégies sont développées :– cibler une molécule ou une cellule avec un anti-corps (Ac) monoclonal ou utiliser un leurre physiologique (ex : récepteur soluble du TNF alpha) ;– bloquer le dialogue intercellulaire ;– bloquer une voie de signalisation intra-cellulaire (en cours de développement).Les biomédicaments ne sont pas des molécules chimi-ques, ne subissent pas de modification hépatique ou rénale et, pour la plupart, n’interfèrent pas avec le méta-bolisme des médicaments. Nombre d’entre eux sont des anticorps (Ac) monoclonaux (suffixe “mab”) qui peu-

vent être chimériques (syllabe “xi” précédant le suffixe “mab”), humanisés à 95 % (syllabe “zu” précédant le suffixe “mab”) ou totalement humanisés (syllabe “mu” précédant le suffixe “mab”), potentiellement mieux tolé-rés. Les protéines de fusion sont, quant à elles, identi-fiées par leur suffixe en “cept”. Par exemple, le couplage de la molécule d’intérêt à des fragments Fc d’immuno-globulines (Ig) permet d’allonger leur demi-vie.Les premiers biomédicaments commercialisés dans la PR ont été :– des anti-TNF alpha : étanercept (Enbrel®), infliximab (Rémicade®), adalimumab (Humira®) ;– puis un inhibiteur de l’IL-1 : anakinra (Kineret®).Ces deux dernières années, deux nouvelles molécules ont obtenu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans la PR : un anti-CD20, le rituximab (Mabthera®), et un anti-CTLA4-Ig, l’abatacept (Orencia®), développés dans le cadre d’une stratégie d’inhibition des lymphocytes T ou de la col-laboration lymphocyte T/cellule présentatrice de l’antigène (CPA). De très nombreuses molécules sont à l’étude.

Les stratégies antilymphocytes TLa stratégie biologique du développement de l’abatacept (Orencia®) repose sur la réponse immunitaire élémentaire. Une CPA présente un antigène (Ag) à un lymphocyte T et ne l’active que s’il existe une voie de costimulation dont une est la voie B7-CD28. Lorsque le lymphocyte T reçoit ce signal, il est activé et a, parallèlement, une action de rétrocontrôle en exprimant à sa surface CTLA-4 dont l’affi-nité pour B7 est cent fois supérieure à celle de CD28. Ainsi, lorsque CTLA-4 s’exprime à la surface du lymphocyte, cette molécule reçoit l’information de B7 (signal négatif) et le lymphocyte se met au repos. Ce mécanisme permet qu’il n’y ait pas développement d’une MAI après une infection. L’idée d’injecter CTLA-4 à un malade dans un contexte de MAI était d’induire un signal négatif vers le lymphocyte T pour qu’il s’anergise ou meure (neutralisation des lympho-cytes T auto réactifs). Les études cliniques randomisées en double aveugle effectuées dans la PR ont montré une amélioration clinique et radiographique bien supérieure dans le groupe traité par abatacept + méthotrexate (MTX) à celle observée dans le groupe MTX + placebo.©

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Toute une gamme de molécules est commercialisée ou en voie de l’être dans le traitement des maladies auto-immunes et notamment de la polyarthrite rhumatoïde.

L’ immunothérapie ciblée : la révolution des biomédicamentsDepuis qu’a été démontré le rôle prépondérant de l’immunité dans les grandes

maladies inflammatoires, les médecins n’ont cessé de développer des stratégies

d’immunomodulation de plus en plus performantes.

Actuellement, plusieurs dizaines de milliers de malades sont traités

par ces biomédicaments.

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Actualités pharmaceutiques n° 482 Février 2009

Il existe de nombreuses perspectives dans le cadre de ces stratégies antilymphocytaires, en particulier de vac-cination peptidique. Cette dernière repose sur l’utilisation de débris d’auto-Ac ou d’auto-Ag pour stimuler le sys-tème immunitaire et induire une tolérance non spécifi-que. Ces stratégies destructrices de lymphocytes ou de cytokines sont aujourd’hui à l’essai chez l’homme.

Des apprentis sorciersCes molécules ont une action ciblée, mais nous n’en maîtrisons pas toutes les conséquences. L’une des principales difficultés vient du fait que l’évaluation chez l’animal est difficile, car les cibles humaines sont diffé-rentes, voire inexistantes chez l’animal. Ainsi, l’administration à six volontaires anglais sains d’un Ac agoniste anti-CD28 susceptible de stimuler les lymphocytes T régulateurs, a provoqué un vérita-ble “ouragan cytokinique” (invisible chez la souris) qui a conduit les six patients en réanimation. Une autre complication récemment détectée est la surve-nue d’infections de type LEMP (leucoencéphalite multi-focale progressive) dues au virus JC qui provoque une démyélinisation irréversible dans le cerveau de patients immunodéprimés. Ce type d’infection a été observé au cours des traitements par le natalizumab, Tysabri® (Ac mc anti-intégrine commercialisé dans la sclérose en plaques) et avec le rituximab, Mabthera® (complications décrites dans les vascularites et le lupus).Ainsi, en élevant le niveau de l’immunosuppression, nous ne sommes pas à l’abri d’un effet délétère immuno-logique ou pro-infectieux...

Les stratégies antilymphocytes B La plus célèbre des stratégies anti-B développées en auto-immunité est l’utilisation du rituximab (Mabthera®), un anti-CD20 dont l’efficacité dans le lupus et la PR est excellente, sur une cible différente de celle des anti-TNF. Une autre stratégie est la stimulation d’un récep-teur FcγRIIB, récepteur exprimé sur les lymphocytes B qui transmet un signal négatif et qui joue un rôle-clé dans le contrôle de l’autoréactivité. L’expression de ces récepteurs est anormale à la surface des plasmocytes autoréactifs de sujets lupiques. La transfection du gène codant ce récepteur chez des souris lupiques a entraîné une nette amélioration des souris et une inhibition des manifestations auto-immunes biologiques et cliniques. Ces effets bénéfiques ouvrent une voie intéressante chez l’homme.“Anecdote” récente, une étude a montré que le poly-morphisme de FcγRII induisant le lupus chez l’homme est le même que celui protégeant du paludisme dans les pays d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, ce qui pourrait expliquer pourquoi le lupus est plus fréquent dans ces populations.

Les nouveaux inhibiteurs de cytokines et chemokinesLe tocilizumab est un inhibiteur du récepteur de l’IL6 dont l’efficacité anti-inflammatoire est d’une puissance au moins égale, voire supérieure, à celle des anti-TNF. L’IL6 étant un facteur de croissance autocrin et paracrin de nombreuses pathologies, le tocilizumab est actuellement développé pour le traitement de la PR, mais aussi d’autres maladies inflammatoires, et à l’essai dans les cancers.Très schématiquement, on peut distinguer au plan cyto-kinique, les maladies TNF-dépendantes (PR) et les mala-dies IFN-dépendantes (lupus érythémateux, syndrome de Sjögren). De fait, sont aussi développés des Ac mono-clonaux dirigés contre différentes structures de la voie de l’IFN, notamment un Ac anti-IFNalpha qui s’est révélé efficace dans une étude préliminaire chez des patients lupiques.Dans l’“inhibition cytokinique”, un autre espoir est d’agir non sur la cytokine ou son récepteur, mais sur la cascade de signalisation de ce ligand-récepteur. L’idée de déve-lopper cette stratégie dans la PR découle de l’un des plus grands scoops médicaux de ces quinze dernières années : la découverte du Glivec® (imatinib), un inhibiteur de tyrosine kinase ayant donné d’excellents résultats hématologiques et cytogénétiques dans la leucémie myéloïde chronique (LMC), malgré des échappements thérapeutiques. En effet, de nombreuses cellules impliquées dans la PR (macro-phages, synoviocytes, mastocytes, lymphocytes B et T) ont des structures de surface dont la signalisation cellulaire dépend d’une tyrosine kinase... qui pourrait être inhibée par l’imatinib ou autres molécules apparentées.

ConclusionDe nouvelles stratégies sont à l’étude, plus simples, uti-lisant par exemple de la CRP humaine qui, injectée à des souris lupiques, a entraîné leur guérison. Autre voie, celle des extraits de racine de vigne chinoise expérimen-tés dans la PR versus la salazopyrine et qui s’avèrent très efficaces. Par ailleurs, l’éthanol à 10 % a montré une efficacité anti-érosive importante dans les arthri-tes au collagène, en agissant sur l’activation de NF-κB via la modulation de la “testostérone macrophagique” (sic)... Dans tous les cas, les nouveaux biomédicaments devront tenter de s’adapter aux caractéristiques indivi-duelles et à la maladie de chaque patient pour optimiser leur efficacité et leur tolérance. �

Carole Émile

Pharmacien biologiste,

CH de Montfermeil (93)

[email protected]

L’adalimumab, un des premiers biomédicaments commercialisés dans la polyarthrite rhumatoïde.©

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SourceD’après une communication de Jean Sibilia, lors du 5e colloque GEAI, Paris, juin 2008.