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Un article d'Asma Mechakra. Source: Investig'Action
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L'implication du changement climatique
dans les révoltes "arabes"
Existe-il un rapport de cause à effet entre le changement climatique et les vagues
de protestations populaires ayant survenu dans des pays du moyen orient et
d'Afrique du nord? Une littérature grandissante sur le sujet semble le confirmer.
par Asma MECHAKRA
Un homme tunisien utilise une baguette de pain comme arme à l'occasion du troisième anniversaire de larévolution tunisienne. Sidi Bouzid, le mardi 17 décembre 2013, rassemblement dans la place où a eulieu l'auto-immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010. © Amine Landoulsi.
La concentration de CO2 et autres gaz à effet de serre dans l'atmosphère ne cessent
d'augmenter provoquant le réchauffement climatique. Elle a pour source principale la
combustion des hydrocarbures, la déforestation et l'exploitation agricole intensive et
a pour conséquence l'augmentation de la survenue et de l'impact des sécheresses,
des inondations et des cyclones (dernier exemple en date, l'ouragan Patricia est
l'ouragan le plus intense jamais observé dans l'hémisphère ouest 1). Par ailleurs, une
corrélation positive entre le climat et les conflits civils a été rapportée dans plusieurs
études 2–4. Ces travaux statistiques analysent le lien entre les paramètres mesurables
des conflits civils (le nombre de morts par exemple), et les variables climatiques
telles que les chutes de pluie et la température.
Le cas de la Syrie
De 2007-2010, la Syrie a été touchée par la sécheresse la plus sévère jamais
enregistrée 5. Selon un rapport de 2011 réalisé conjointement par le Centre arabe
pour l'étude des zones et terres arides et les Nations Unies, les quatre provinces les
plus touchées (Hassaké, Raqqa, Alep ou Halab, et Dier ez-Zor) étaient les principales
productrices de blé, elles représentaient à elles seules 75% de la production totale
de blé en Syrie. Dans un pays ou le secteur agricole employait jusqu'à 40% de la
main d'œuvre et qui représentait 25% du produit intérieur brut, les conséquences
d'une telle catastrophe étaient désastreuses 6. La détérioration des cultures et la
désertification des terres a poussé 1.5 millions de Syriens des régions rurales
agricoles à l'exode vers les centres urbains 7. Selon une enquête de terrain réalisée
en 2011 dans des villages touchés, la plupart des maisons s'étaient vidées et moins
de 10% étaient occupées par des personnes âgées et des enfants. Les hommes
jeunes parcouraient des milliers de kilomètres en quête de travail, en Syrie ou même
au Liban et en Jordanie, tandis que les femmes allaient chercher du travail dans la
partie occidentale du pays 7.
Selon le représentant de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et
l’agriculture (FAO) en Syrie, M. Bin Yahia, les autorités Syriennes ont fourni des
efforts "considérables" pour remédier à cette catastrophe (distribution de paniers
alimentaires aux personnes affectées, leur dispense de payement des taux d’intérêt
ou la modification des échéances de remboursement des prêts) 9. Hélas, ces
solutions ponctuelles étaient insuffisantes face à la gravité de la situation.
Fin 2010, les tensions sociales étaient à leur apogée en conséquence de la mauvaise
gestion gouvernementale des ressources naturelles (favorisation de pratiques
agricoles non durables, ex subvention des cultures de blé et de coton très
demandeuses en eau, encouragement des techniques d’irrigation inefficaces) et des
changements démographiques (échec dans la prise en charge de population locale
déplacée ainsi que de l'afflux important de réfugiés Irakiens après l'invasion
Américaine de 2003) 10.
Le chercheur Kelley C.R. de l'université de Californie et ses co-auteurs, dans une
étude publiée en 2015 8, démontrent un lien direct entre la sécheresse ayant touché
la Syrie entre 2007 et 2010 et les révoltes du peuple Syrien. En outre, l'analyse
montre une plus grande probabilité de survenue de la sécheresse pendant ces 3
années (2-3 fois plus de chance) pour cause d'interférence humaine dans le
changement climatique, comparé à la variabilité naturelle seule. Donc non seulement
le changement climatique est lié à la révolte du peuple Syrien, mais en plus il s'agit
d'un changement climatique induit par l'homme.
Le contexte mondial
Selon un rapport publié par "The Center for Climate & Security" 11, le prix du blé qui
se négociait à 4 $ le boisseau en Juillet 2010 avait atteint 8.50-9 $ en Février 2011
en conséquence des conditions météo défavorables à travers le monde. Quelques
exemple: la Chine, plus grand producteur et consommateur de blé dans le monde est
passé par des périodes de grande sécheresse en 2011. Des séries de mesures ont
été prises par le gouvernement Chinois par crainte de mauvaises récoltes de
céréales. Parmi ces mesures, l'achat de blé sur le marché internationale . Le Canada,
deuxième plus grand exportateur de blé après les Etats-Unis a vu ses récoltes baisser
à peu près au quart après des précipitations record au printemps 2010. Peu après,
les feux de brousse couplés à la sécheresse ayant touché la Russie (4ème plus grand
exportateur de blé, représentant 14% du commerce mondial) ont fait baisser les
récoltes de blé annuelles à 60 millions de tonnes contre 97 millions en 2009. Par
crainte de pénuries locales et de la hausse des prix, la Russie avait imposé des
restrictions sur les exportations de blé, d'orge et de seigle. A partir de janvier 2011,
les récoltes Américaines ont également été endommagées par plusieurs tempêtes.
Quel lien avec les autres révoltes arabes?
Les pays du moyen orient et d'Afrique du nord sont les pays les plus dépendants aux
importations d'aliments que partout ailleurs dans le monde. Selon l'hebdomadaire
britannique "The Economist" 13, la plupart des pays arabes importent la moitié de leur
alimentation de l'étranger et rien qu'entre 2007-2010, les importations céréalières
ont augmenté de 13%. Avec une telle dépendance, toute diminution de l'offre
mondiale résultant de la baisses des exportations principalement des Etats-Unis et de
la Russie et de la hausse des importations de la Chine, implique une forte hausse des
prix et de graves impacts économiques sur ces pays. par ailleurs, plusieurs études
montrent un lien direct entre la hausse des prix alimentaires et l'instabilité politique14,15.
Entre 2008-2010, l'Egypte, plus grand importateur de blé dans le monde, a vu les
prix locaux des denrées alimentaires augmenter de 37% 13. Au cours des six derniers
mois de l'année 2010, ce pays n'a reçu que 1,8 millions de tonnes de blé en
provenance de Russie contre 2.8 millions de tonnes en 2009 pendant la même
période 16. Ainsi, même lorsque la sécheresse ou les inondations frappent d'autres
pays, la population Egyptienne qui dépend de produits alimentaires de base importés
fait face à la volatilité des prix, et devient incapable de se nourrir. Les Egyptiens
n'affrontent pas seulement la faim, mais ils subissent également la destruction
brutale des cultures et du bétail à cause du changement climatique. L'élévation du
niveau de la mer au niveau du Delta du Nil a obligé les familles agricoles à évacuer
leurs maisons à plusieurs reprises au cours des dernières années 17.
Ce n'est donc pas anodin si le slogan de la révolution égyptienne de 2011 était : "
d'autant plus, que ce pays a ,(Pain, liberté, égalité sociale) "عيش حرية عدالة اجتماعية
déjà vu une "Intifada du pain" en 1977 suite à la hausse des prix des denrées
alimentaires de base. En 2008, la Jordanie, le Bahreïn, le Yémen et le Maroc ont tous
vécu des protestations ayant un lien avec la nourriture. L'Algérie et la Tunisie n'ont
pas été épargnées. La répression violente des manifestants qui protestaient contre le
chômage et la hausse des prix alimentaires par la police avait laissé plusieurs morts18. Ces deux pays, comme l'Egypte, ont déjà vu dans leur passé surgir des
protestations pour ces mêmes motifs (159 morts en Algérie en Octobre 1988 et 89
morts en Tunisie entre 1983-1984 selon les rapports officiels 19,20).
Selon Omneia Helmy, directeur adjoint au Centre égyptien d'études économiques, il
ne s'agissait pas seulement de "Bread riots" (littéralement émeutes de pain) dans
son pays, mais les revendications concernaient aussi la justice, la démocratie,
l'égalité et la liberté politique. Il est effectivement important, pour ne pas tomber
dans une analyse monolithique "climato-centrique", de remettre les choses dans un
contexte général de mauvaise gouvernance, de pauvreté et d'autres facteurs
socioéconomiques spécifiques à chaque pays. Tous ces facteurs ne peuvent être pris
en compte dans les études statistiques. C'est précisément la critique principale de
ces travaux.
Au sein de la communauté scientifique, deux groupes s'opposent 21. D'un côté il y a
les chercheurs qui étudient chaque conflit en détail et qui sont appelés les
"qualitatifs" et de l'autre côté, les "quantitatifs", qui utilisent les méthodes
statistiques pour étudier la corrélation entre climat et conflits. Le premier groupe
insiste sur le fait que les conflits sont très complexes et les méthodes quantitatives
ne peuvent inclure tous les facteurs dans leurs modèles d'études.
Des causes du changement climatique
Cette critique fera le bonheur des "climato-sceptiques", mais jusqu'à quand le monde
continuera à faire la politique de l'autruche? Au delà de l'échec des gouvernements
dans le combat et l'adaptation au changement climatique, les pays industrialisés tels
que les Etats-Unis et l'Union européenne ont leur part de responsabilité dans ce qui
arrive puisque ce sont les pays qui brûlent la plus grande quantité de combustibles
fossiles. Bien qu'ils ne représentent que 20% de la population mondiale, les pays
développés produisent plus de 70% des émissions depuis 1850 22. Qui paye les frais?
sûrement pas les pays riches. Les collectivités autochtones et paysannes ainsi que les
communautés pauvres des pays du Sud sont sur la ligne de front.
La contribution des facteurs anthropiques au changement climatique est maintenant
admise dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat (GIEC) et il existe un consensus au sein de la communauté scientifique qui dit
que si l'augmentation de la températures moyenne mondiale dépasse 1,5-2°C, il sera
impératif de réduire les émissions de gaze à effet de serre de 80% en 2020. Malgré
des conférences des Nations unies sur le changement climatique qui se tiennent
chaque année, en l'absence de traités contraignants et d'une réelle volonté politique
d'apporter des changements structurels, les pollueurs continueront de polluer et les
gouvernements poursuivront leur laxisme. Pablo Solón Romero, ancien négociateur
climatique et ambassadeur de la Bolivie aux nations Unies, dans son article intitulé
"Changement climatique: toutes les actions ne sont pas des solutions appropriées" 23
affirme que:
" Le Sommet du climat est un grand coup de publicité, il ne fait même pas
partie des négociations officielles de la Convention-cadre des Nations
Unies sur le changement climatique. C'est simplement une façon de
donner aux "leaders" du climat une plate-forme mondiale pour faire de
beaux discours sur les actions à entreprendre. Il n'y a pas seulement cela,
il promeut aussi des solutions technologiques axées sur le marché qui
feront plus de mal que de bien à la planète... Ces fausses solutions ne
sont pas conçues pour lutter contre le changement climatique. Elles visent
à garantir la continuité des bénéfices des entreprises. Pire encore, elles
servent à marchandiser et à privatiser la nature et à détruire les
écosystèmes sur lesquels repose la vie sur cette planète - forêts, sols,
zones humides, rivières, mangroves, océans...- ".
Selon l'activiste Indienne Vandana Shiva, ceux qui font des bénéfices de l'économie
polluante ont tout fait pour saboter la convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques 23. Lors de la conférence de Copenhague, il y a eu des
références répétées à un nouvel ordre mondial. Mais cet ordre est déterminé par les
multinationales et par l'OMC (organisation mondiale du commerce) et non par le
traité climatique de l'ONU. C'est un ordre mondial basé sur le marché qui protège les
pollueurs et leur garantie la continuité des profits.
"Se mobiliser et s’organiser pour éviter et stopper la fièvre de la planète!"
Même si le changement climatique n'est pas la raison principale des conflits civils, il
reste un facteur aggravant et les décideurs politiques, y compris le président
Américain Barack Obama, en sont conscients 24. La gravité des catastrophes
climatiques dans le monde arabe dépasse largement la capacité des structures
institutionnelles à les affronter. Une solidarité internationale pour trouver des
solutions aux causes profondes de la crise climatique s'impose.
Dans une déclaration commune publiée en Décembre 2014, plus de 330
mouvements sociaux et organisations représentant plus de 200 millions de personnes
de par le monde, un appel d'urgence à adopter le plan suivant à 10 points a été
lancé afin d'éviter le chaos climatique: - La prise d'engagements contraignants
immédiats pour maintenir l’augmentation de la température globale en deçà de
1,5ºC. - maintenir plus de 80% des réserves connues d’énergies fossiles sous le sol. -
Bannir les nouvelles explorations pétrolières et gazières et d'abandonner l'extraction
des ressources. - Accélérer la transition vers des énergies alternatives basées sur une
un contrôle collectif et citoyen. - Promouvoir la production et la consommation de
produits locaux et durables. - Transformer les agricultures industrialisées et orientées
à l’exportation vers des productions agricoles répondant aux besoins alimentaires
locaux basés sur la souveraineté alimentaire. - Appliquer des stratégies de zéro
déchets pour le recyclage et l’élimination des déchets ainsi que pour la rénovation
des bâtiments. - Améliorer et développer les transports en commun. - Créer de
nouveaux emplois qui rétablissent l’équilibre du système Terre pour réduire les
émissions de gaz à effet de serre. - Démanteler l’industrie de l’armement et
l’infrastructure militaire dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre
générées par la guerre, et récupérer les budgets militaires pour promouvoir une paix
véritable 25.
A la veille de la prochaine conférence de l'ONU sur le changement climatique qui se
tiendra à paris en Décembre, un appel à une mobilisation en masse a été lancé par
un groupe de personnalités renommées, parmi lesquelles on trouve Noam Chomsky
et Naomi Klein 26. On peut lire: " Nous sommes confiants en notre capacité à mettre
fin aux crimes climatiques. Dans le passé, des femmes et des hommes déterminés
ont résisté et surmonté l'esclavage, le totalitarisme, le colonialisme ou l'apartheid. Ils
ont décidé de se battre pour la justice et la solidarité et savaient que personne ne le
fera à leur place. Le changement climatique est un défi similaire, et nous appuyons
un tel soulèvement".
Ainsi, la lutte contre le changement climatique au moyen orient et en Afrique du nord
constitue un enjeu majeur pour les futures gouvernements, il en va de leur légitimité
et de la stabilité de la région. Sans justice climatique, qui consiste en la
reconnaissance de l'occident industrialisé de sa responsabilité historique dans le
réchauffement climatique, il n'y aura pas de paix. Elle implique la rupture totale avec
le discours ambiant et les fausses solutions promues par les conférences et sommets
en grandes pompes qui ne protègent finalement que les pollueurs. La rupture doit se
faire également avec le modèle économique désuet qui se base sur les énergies
fossiles. Ceci nécessite un processus réellement démocratique qui obéi aux lois de la
nature et qui garantie le droit des citoyens, non celui des lobbys .
Asma Mechakra.
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