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© Simon Pierre Hemle Djob Sotong, 2019 L'indépendance judiciaire à l'épreuve de la «grande corruption» Illustration à travers la réception des instruments internationaux de lutte contre la corruption dans les systèmes judiciaires de Common Law et de Droit Civil et selon les contextes sociaux Nord/Sud (Canada, France, Cameroun) Thèse Simon Pierre Hemle Djob Sotong Doctorat en droit Docteur en droit (LL. D.)

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© Simon Pierre Hemle Djob Sotong, 2019

L'indépendance judiciaire à l'épreuve de la «grande corruption» Illustration à travers la réception des

instruments internationaux de lutte contre la corruption dans les systèmes judiciaires de Common Law et de Droit Civil et selon les contextes sociaux Nord/Sud

(Canada, France, Cameroun)

Thèse

Simon Pierre Hemle Djob Sotong

Doctorat en droit

Docteur en droit (LL. D.)

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L’indépendance judiciaire à l’épreuve de la « grande corruption »

Illustration à travers la réception des instruments internationaux de lutte contre la corruption dans les systèmes judiciaires de Common Law et de Droit Civil et selon les contextes sociaux Nord/Sud

(Canada, France, Cameroun)

Thèse

Simon Pierre HEMLE DJOB SOTONG

Sous la direction de :

Mario Naccarato, directeur de recherche

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RÉSUMÉ

Après avoir constaté que le cadre juridique national ne se saisit que partiellement de l’infraction de corruption, les États ont massivement adhéré aux conventions régionales et internationales de lutte contre la corruption.

Dans un souci de consensus, la souplesse des termes utilisés dans ces conventions a masqué la fermeté de leur finalité. Pendant que cette apparente souplesse a suscité la réception différentielle des instruments conventionnels, suivant le système juridique de l’État partie considéré, leur évaluation par les différents mécanismes de suivi suggère l’harmonisation du droit en matière d’anticorruption.

Concrètement, il s’observe que cette finalité harmonisatrice ne peut être effective sans un mécanisme coercitif de contrôle, mis en œuvre par la plainte ou la communication de tout acteur social intéressé par la lutte contre la corruption.

Seulement, les différentes perceptions qu’ont certains États de l’initiation des poursuites devant la Cour pénale internationale rendent utopique, à l’heure actuelle, l’institutionnalisation d’une Cour pénale internationale des crimes économiques. La solution la plus plausible, pour lutter contre la corruption, exige que les acteurs sociaux s’organisent en réseau de poursuivants. Celui-ci devra saisir tous les mécanismes juridiques nationaux, étrangers et internationaux rattachés à l’infraction de corruption par le même fait « corruptionnel ».

Cette concurrence implicite entre des instances quasi-juridictionnelles et juridictionnelles de divers ordres juridiques instaure entre eux une compétition spontanée ; laquelle participera à l’amélioration des garanties d’indépendance des juridictions nationales.

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ABSTRACT

Noting that the national legal framework could only take into consideration partly the transnational corruption offense, the States have massively joined regional and international conventions against corruption.

For the sake of consensus, the flexibility of terms used within these conventions covered up their purpose. For example, when the concept of functional equivalence generated a differential receipt of the conventional instrument according to legal system of a given member State; the evaluation by different follow-up mechanisms of those instruments seems to be suggesting the harmonisation of criminal law.

In practical terms, it is observed that this harmonising purpose cannot be effective without a coercive monitoring mechanism implemented by the complaint/communication of every interested social actor against corruption.

However, the political discrepancies noted in some mechanisms of criminal law make nowadays difficult the institutionalization of an international criminal court for economic crimes. The most plausible anticorruption alternative seems to be that social actors get organized in prosecutorial network. This network should have access to all national, foreign, and international juridical mechanisms connected with the transnational corruption offense by the same “corruptional’’ fact.

That implicit competition between the judicial and quasi-judicial bodies of different legal systems creates among themselves a spontaneous competition. While participating on improvement of national jurisdictions, this competition represents also an essential condition for their independence.

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Table des matières

RÉSUMÉ…………………………………………………………………………………………….iii

ABSTRACT…………………………………………………………………………………………iv

LISTE DES ABRÉVIATIONS………………………………………………………………………x

DÉDICACES……………………………………………………………………………………….xii

REMERCIEMENTS………………………………………………………………………………xvii

AVANT-PROPOS………………………………………………………………………………….xix

INTRODUCTION GÉNÉRALE…………………………………………………………………….1

TITRE 1er LA FLEXIBILITÉ DU DROIT PÉNAL ………………………………………………21

CHAPITRE 1er LE CONTEXTE : UN DROIT POSITIF POSTMODERNE…… …………25

1.1 Brève présentation du paradigme de la postmodernité ........................................................... 25

1.2 Convergence entre la postmodernité et le positivisme juridique ............................................ 27

1.3 Application de l’herméneutique postmoderne à la « grande corruption » .............................. 31

1.3.1 Le droit pénal de fond ...................................................................................................... 31

1.3.1.1 La grande corruption : un crime international ? ........................................................ 31

1.3.1.2 La grande corruption : une violation des droits de l’homme ? .................................. 36

1.3.2 Le droit pénal de forme .................................................................................................... 39

1.3.2.1 La puissance de juger chez Montesquieu .................................................................. 40

1.3.2.1.1 L’impartialité...................................................................................................... 40

1.3.2.1.2 L’indépendance .................................................................................................. 44

1.1.2.1.3 L’autonomie fonctionnelle ................................................................................. 49

1.3.2.2 Le dévoiement de la puissance de juger dans les systèmes juridiques contemporains ............................................................................................................................................... 51

1.3.2.2.1 La puissance de juger en Droit Civil .................................................................. 52

1.3.2.2.2 La puissance de juger en Common Law ............................................................ 55

1.3.2.2.3 Prétentions doctrinales d’une autonomie du pouvoir judiciaire ......................... 57

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CHAPITRE 2 LE TEXTE : DE LA COMPARAISON DES DROITS VERS L’ÉMERGENCE D’UN DROIT SPÉCIAL ANTICORRUPTION……………………………………………………65

2.1 Les fins particulières des conventions de lutte contre la corruption ................................... 66

2.1.1. La Convention de l’OCDE .......................................................................................... 66

2.1.1.1 Le corrupteur actif ................................................................................................. 68

2.1.1.2 L’équivalence fonctionnelle .................................................................................. 76

2.1.1.3 L’indépendance des poursuites judiciaires ............................................................ 79

2.1.2 Les Conventions régionales : le cas de la convention de l’Union Africaine. ............... 80

2.1.2.1 La sauvegarde des droits fondamentaux par la lutte contre la corruption ............. 81

2.1.2.2 La lutte contre la corruption par la coopération internationale ............................. 89

2.2 L’émergence d’un droit anticorruption par la Convention des Nations Unies .................... 97

2.2.1 La complémentarité des organes traditionnels du système judiciaire par des organes spéciaux anticorruptions........................................................................................................ 99

2.2.1.1 L’indépendance des organes spécialisés dans la lutte contre la corruption ......... 101

2.2.1.2 Les méthodes d’enquête des organes anticorruptions ......................................... 106

2.2.2 La latence d’un droit international pénal de la corruption ......................................... 108

Conclusion titre 1er La flexibilité du droit pénal…………………………………………………...121

Titre 2 LA GARANTIE PRINCIPALE DE L’INDÉPENDANCE JUDICIAIRE : L’ACCÈS À LA JUSTICE NATIONALE…………………………………………………………………………..123

CHAPITRE 3 L’ACCÈS À LA JUSTICE PAR DES POURSUITES PRIVÉES DES ACTEURS NON ÉTATIQUES ..................................................................................................................... 129

3.1 Le fondement conventionnel de la poursuite privée ......................................................... 129

3.2 La poursuite privée en Common Law ............................................................................... 132

3.2.1 Le cadre normatif applicable à la poursuite privée .................................................... 133

3.2.2 La relative adéquation des poursuites privées canadiennes au droit anticorruption .. 139

3.2.2.1 La suprématie ministérielle sur le pouvoir judiciaire .......................................... 140

3.2.2.2 La remise en cause de la poursuite privée canadienne par les mécanismes de suivi des conventions anticorruptions ...................................................................................... 145

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3.2.3 Conclusion partielle : la résistance de l’approche positiviste de l’indépendance judiciaire à la dynamique d’un droit spécial applicable à la corruption ............................ 153

3.3 La poursuite privée en Droit Civil .................................................................................... 161

3.3.1 Le cadre normatif applicable à la constitution de partie civile/poursuite privée ........ 161

3.3.1.1 Le droit commun de la constitution de partie civile ................................................ 162

3.3.1.2 Les restrictions légales à la constitution de partie civile/poursuite privée .............. 167

3.3.1.2.1 La restriction absolue à la constitution de partie civile : la Haute Cour........... 168

3.3.1.2.2 La restriction relative à la constitution de partie civile : la Cour de justice de la République ...................................................................................................................... 172

3.3.2 La remise en cause du cadre normatif français – applicable à la constitution de partie civile – par les mécanismes de suivi des conventions anticorruptions ................................ 175

3.3.3 Conclusion partielle : la relative résistance du Droit Civil français à la dynamique d’un droit prospectif applicable à la corruption ......................................................................... 188

3.4 La poursuite privée dans un contexte social en démocratisation ...................................... 190

3.4.1 La déclinaison d’un contexte social en démocratisation ............................................ 191

3.4.2 Le cadre normatif de la poursuite privée en droit camerounais ................................. 194

3.4.3 L’évaluation tardive du cadre normatif camerounais par le mécanisme de suivi de la convention des Nations Unies ............................................................................................. 201

CHAPITRE 4 L’ACCÈS À LA JUSTICE PAR DES POURSUITES PRIVÉES DU SECTEUR PUBLIC ...................................................................................................................................... 205

4.1 Les mécanismes conventionnels de lutte contre la corruption nationale .......................... 206

4.1.1 Les organes de prévention de la corruption ............................................................... 206

4.1.2 Le service de renseignement financier ....................................................................... 209

4.1.3 Les autorités spécialisées dans la répression de la corruption .................................... 216

4.2 La réception en droit interne des mécanismes conventionnels de lutte contre la corruption ................................................................................................................................................. 218

4.2.1 Les mécanismes canadiens de lutte contre la corruption ........................................... 219

4.2.1.1 Le CANAFE........................................................................................................ 219

4.2.1.2 L’UPAC .............................................................................................................. 227

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4.2.1.3 Les commissions d’enquête ................................................................................ 232

4.2.2 Les mécanismes français de lutte contre la corruption............................................... 237

4.2.2.1 Le service central de prévention de la corruption ............................................... 237

4.2.2.2 Le TRACFIN ...................................................................................................... 241

4.2.3 Les mécanismes camerounais de lutte contre la corruption ....................................... 249

4.2.3.1 L’ANIF ................................................................................................................ 249

4.2.3.2 La CONAC ......................................................................................................... 256

Conclusion titre 2 La garantie principale de l’indépendance judiciaire : l’accès à la justice nationale ………………………………………………………………………………………………..263

Titre 3 LA GARANTIE SUBSIDIAIRE DE L’INDÉPENDANCE JUDICIAIRE : L’EXTERNALISATION DE LA JUSTICE NATIONALE………………………………………267

CHAPITRE 5 LA TRANSNATIONALISATION DE L’INFRACTION « CORRUPTIONNELLE »......................................................................................................... 269

5.1 La coopération judiciaire en matière pénale dans les conventions de lutte contre la corruption ................................................................................................................................ 271

5.1.1 La coopération classique ............................................................................................ 271

5.1.2 Les nouvelles formes de coopération ......................................................................... 278

5.2 La réception de la coopération judiciaire par les parties aux conventions de lutte contre la corruption ................................................................................................................................ 282

5.2.1 L’impact de la coopération anticorruption dans le système juridique de la Common Law canadienne ............................................................................................................................... 285

5.2.2 L’impact de l’affaire des biens mal acquis dans le système juridique de Droit Civil français .................................................................................................................................... 292

5.2.3 L’Appel de Genève et les nouvelles formes de coopération en matière pénale ............. 297

CHAPITRE 6 L’INTERNATIONALISATION DU DROIT DE LA CORRUPTION…………….301

6.1 L’internationalisation de la lutte contre la corruption par les mécanismes de suivi des conventions de lutte contre la corruption .................................................................................... 303

6.2 L’internationalisation de la lutte contre la corruption par le droit international des droits de l’homme .................................................................................................................................. 304

6.2.1 La collecte de la preuve : le droit d’accès à l’information ......................................... 309

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6.2.2 L’accès à la justice : l’actualité du droit à un procès équitable .................................. 311

6.2.3 Les garanties financières de la poursuite privée : de l’utopie à l’effectivité du droit à un procès équitable ................................................................................................................... 330

Conclusion titre 3 La garantie subsidiaire de l’indépendance judiciaire : l’externalisation de la justice nationale ............................................................................................................................ 337

CONCLUSION GÉNÉRALE ...................................................................................................... 339

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

ANIF : Agence Nationale d’Investigation Financière

CANAFE : Centre d’Analyse des opérations et déclarations financières du Canada

CNUCC : Convention des Nations Unies Contre la corruption.

CCUAC : Conseil Consultatif de l’Union Africaine sur la Corruption

C. de D : Cahiers de Droit

C.cr : Code criminel

CIISE : Commission Internationale de l’Intervention et de la Souveraineté des États

CEDH : Cour Européenne des Droits de l’Homme

C.I.J : Cour Internationale de Justice

CMF : Code Monétaire et Financier

CNUDCI : Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International

CONAC : Commission Nationale Anti-Corruption

CP : Code pénal

C.P : Coefficient de Perfectionnement

CPP : Code de Procédure Pénale

CPI : Cour Pénale Internationale

CRD : Commission de Réforme du Droit

CS : Cour Suprême

JCP : Juris Classeur Périodique

JDI : Journal du Droit International

JORF : Journal Officiel de la République Française

LGDJ : Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence

OAC : Organe Anticorruption

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OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Économiques

ONUDC : Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime

PUA : Presses Universitaires d’Afrique

PUF : Presses Universitaires de France

RJT : Revue Juridique Thémis

RTDH : Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme

RCS : Recueil des arrêts de la Cour Suprême du Canada

RGDIP : Revue Générale de Droit International Public

Rev. Sc. Crim (RSC) : Revue des Sciences Criminelles

TRACFIN : Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits Financiers Clandestins

UA: Union Africaine

UBCL Rev: University of British Columbia Law Review

UE : Union Européenne

UPAC : Unité Permanente Anti-Corruption

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DÉDICACES

À toi,

FOUDA ABENE, pour notre histoire. Quelle histoire… !

À vous,

Maximin Florian Crépin La Paix

Ben Sira Le Sage Alfred Nsouandele

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REMERCIEMENTS Je tiens à signifier ma profonde gratitude à toutes celles et à tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce travail. Je pense notamment aux personnes et organismes suivants :

Monsieur le professeur Mario NACCARATO, le directeur de cette thèse, pour sa rigueur scientifique, son assiduité et son sens élevé du respect de la personne humaine.

L’UNIVERSITÉ LAVAL, qui a bien voulu m’octroyer une bourse d’exemption des droits de scolarité supplémentaires d’une valeur de 36 000 $.

La FACULTÉ DE DROIT de l’Université Laval, à travers son fonds d’enseignement et de recherche de 5 000 $ et de la bourse de rédaction de 5 000 $.

Le CENTRE D’ÉTUDES EN DROIT ÉCONOMIQUE et le MINISTÈRE DES FINANCES du Québec, qui m’ont accordé une bourse de 5 000 $. Les professeur(e)s de la Faculté de droit :

- Pierre ISSALYS, pour son précieux cours d’épistémologie juridique. - Georges AZZARIA, pour la délicatesse de son cours de méthodologie juridique. - Julie DESROSIERS, pour ses précieux conseils à la conception de cette étude. - Bjarne MELKEVIK, pour toutes les discussions informelles en théorie du droit. - Alexandre STYLIOS pour toutes les discussions informelles en droit pénal.

L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE D’AFRIQUE CENTRALE et L’UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ II qui ont guidé mes premiers pas vers la recherche scientifique, à travers les professeur(e)s Jean-Marie TCHAKOUA et Solange NGONO. Monsieur le Commissaire de police principal ZOGO ONANA André Corsini, pour avoir favorisé mon épanouissement intellectuel. La famille SOTONG pour le souffle de vie qu’elle m’a donné. La famille MEBANA qui m’a donné une compagne de vie. À mes collègues doctorants qui m’ont accordé le privilège de leur amitié : Michèle Patricia Akiobe Songolo, Mohamadou Diallo, Serge Christian Ékani, Gatien Geraud Essoua Essoua, Emara Fehr Abdelazim, Éric Fokou, Titine Pétronie Kouendze Ingoba, Kader Leonide Modou, Mulry Mondélice, Morsen Mosses, André Muneza, Vincent de Paul Mutambudi, Ndeye Dieynaba Ndiaye, Micheline Nga Ndzana, Georges Boniface Nlend, Guy Marcel Nono, Jonathan Russel Nsangou, Christine Santerre, Christian Zogo.

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AVANT-PROPOS

Deux précisions méritent d’être apportées au lecteur. Elles sont relatives à deux données, dont l’une est implicite et l’autre est explicite. S’agissant de la première donnée, cette thèse sous-entend qu’un tribunal indépendant et impartial est, da façon conséquente, compétent. C'est-à-dire qu’un tel tribunal a l’expertise nécessaire pour apporter une réponse, objectivement acceptable, à la cause qui lui a été déférée. Il s’agit, bien sûr, de la compétence qu’il aurait eue si son indépendance et son impartialité n’avaient pas été compromises. Quant à la seconde donnée, elle porte sur le néologisme « corruptionnel ». En effet, les trois adjectifs dérivés du substantif « corruption » ne rendent pas véritablement compte de la complexité inhérente à la corruption. Ainsi, les adjectifs « corruptible » et « corrompu » traduisent une certaine passivité de l’agent. Pendant ce temps, l’adjectif « corruptrice/corrupteur » semble qualifier le seul donneur d’ordre. L’épithète « corruptionnel », dont l’usage est suggéré dans cette thèse, semble mieux déterminer aussi bien les faits relatifs à la corruption que l’infraction de corruption.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

L’indépendance judiciaire à l’épreuve de la grande corruption traduit l’ambition de suggérer

un mécanisme répressif de lutte contre la corruption, à partir des limites observées dans la

poursuite des faits de corruption en droit positif. Mais avant de vérifier les interactions entre

le système judiciaire et le phénomène asocial de corruption, qu’il soit permis de mentionner

les considérations factuelles qui ont motivé cette étude.

D’abord, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels1 (ci-

après, le « PIDESC ») relève que « […] tous les peuples peuvent disposer librement de leurs

richesses et de leurs ressources naturelles […]2 ». Toutefois on se rend compte, à

l’observation, que la dotation de certains États en ressources naturelles et richesses diverses

contraste avec la pauvreté de leur population. Il en est de même de la répartition inéquitable

des efforts collectifs du fait de la corruption. On observe, paradoxalement, l’enrichissement

d’une certaine catégorie de dirigeants étatiques et des entités privées.

À la suite de ces constats, les études faites, à la fois par des acteurs institutionnels et ceux de

la société civile, au double plan interne et international, concluent à une mauvaise répartition

des ressources nationales du fait de la corruption. Si les deux premiers contrastes

susmentionnés sont plus perceptibles dans des contextes sociaux relativement démocratiques,

tel le Cameroun, Transparency international nous renseigne qu’aucun pays ne se rapproche

de la perfection en matière de corruption3. C’est ainsi que, parmi les pays membres de

l’OCDE, notamment ceux considérés comme démocratiques, à l’instar du Canada et de la

France, les actes de corruption se manifestent davantage dans le financement des partis

politiques, des processus contractuels et des transactions commerciales. Il suit de ce qui

précède que, malgré les différentes perceptions liées à la capacité de chaque système social

à organiser son cadre institutionnel de reddition des comptes, le phénomène « corruptionnel »

1 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 19 décembre 1966, 993 RTNU3. 2 Ibid art. 1er par.2 3 Corruption perceptions indexe 2016, en ligne, Transparency international, [https://www.transparency.org/news/feature/corruption_perceptions_index_2016] [consulté le 12/11/2017].

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2

peut être systémique4 et transnational5. La doctrine le désigne « grande corruption », lorsqu’il

implique des personnes politiquement vulnérables6 ou exposées7. Il s’agit des personnes sur

qui repose la confiance des citoyens pour administrer les biens publics et lutter contre la

criminalité. D’où la troisième considération à l’origine de l’étude : comment doit être

accommodé le droit pénal8 au regard des enjeux sus évoqués ?

En résumé, les trois observations factuelles qui ont suscité cette étude sont :

a) une mauvaise répartition des richesses collectives du fait de la corruption ;

b) l’implication des dirigeants étatiques dans une criminalité de droit commun ;

c) la restauration de la confiance des citoyens dans la capacité des institutions étatiques,

notamment celles du système répressif, à lutter contre la corruption des dirigeants

étatiques.

La réponse au questionnement factuel de l’accommodation du droit pénal est complexe. Elle

exige, pour être bien comprise, de préciser que cette adaptation du droit pénal intéresse, au

plan scientifique, les déclinaisons suivantes de cette discipline :

4 Dans une grande partie de ses travaux liés à la grande corruption, Susan Rose-Ackerman montre qu’il existe un lien étroit en la corruption et le développement. Le développement étant entendu ici aux multiples plans institutionnel, humain, économique. Voir notamment, Susan ROSE-ACKERMAN, « Corruption and Post-Conflit Peace-Building » (2008) 34 Ohio Northern University Law Review, p.440: « [No] growth can occur unless institutions are restored to at least a minimal level of competency. Corruption is a symptom indicating that the relationship between the state and the rest of society is dysfunctional, undermining the legitimacy of the state and leading to wasteful public policies». 5 Voir à cet effet, Transparency international France, au sujet du jugement du 27 octobre 2017 de la 32e Chambre du Tribunal correctionnel de Paris, sur l’affaire dite des « biens mal acquis », en ligne, [https://transparency-france.org/actu/proces-biens-mal-acquis-semaine1/] [Consulté, le 12-02-2018]. 6 Loi, canadienne sur, le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, ch.17, art.9 (3) : « étranger politiquement vulnérable […] national politiquement vulnérable […] ». 7 GAFI (2012), Recommandations du GAFI – Normes internationales sur la lutte contre la blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération, mise à jour octobre 2016, GAFI, Paris, France, [www.fatf-gafi.org/fr/publications/recommandationsgafi/documents/recommandations-gafi.html] [consulté, le 26/11/2017], « l’expression personne politiquement exposée (PPE) désigne les personnes qui exercent ou ont exercé d’importantes fonctions publiques dans un pays étranger, par exemple, les chefs d’État et de gouvernement, les politiciens de haut rang, les hauts responsables au sein des pouvoirs publics, les magistrats et militaires de haut rang, les dirigeants d’entreprise publique et les hauts responsables de partis politiques. L’expression PPE nationales […] ». 8 Les expressions « droit pénal » et « droit criminel » s’utilisent alternativement et renvoient au droit répressif.

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3

Le droit pénal de fond. Cette partie du droit pénal vérifie que l’ensemble des éléments

constitutifs, du fait asocial de corruption, sont contenus dans la criminalisation de la

corruption. Ce qui interroge la définition légale du fait « corruptionnel ». Advenant que cette

légalité ait omis certains faits « corruptionnels », elle induirait une incompétence partielle du

système judiciaire, en vertu du principe de la légalité du droit pénal.

Le droit pénal de forme. Cette branche du droit pénal s’intéresse aux différentes étapes du

procès pénal. Il s’agit des étapes d’enquête policière, de poursuite par le ministère public et

de jugement par les magistrats du siège. L’octroi des garanties constitutionnelles et légales,

différentes entre les organes du procès pénal, invite à questionner la pertinence de ces

protections asymétriques au sein d’un même système procédural. On interroge, dans ce cas,

l’indépendance du système judiciaire pendant le procès pénal de corruption.

Le droit positif. Le questionnement suscité au sujet du droit pénal de fond et de forme induit,

au plan méthodologique, une grille d’analyse non positiviste dont les conclusions ont

vocation à compléter le droit en vigueur ; afin qu’à terme, la perception d’une indépendance

judiciaire à l’épreuve de la grande corruption soit renversée par celle de la grande

corruption à l’épreuve du système judiciaire.

Nous verrons infra que cette complexité du droit pénal de la corruption, brièvement évoquée,

innerve toute l’analyse, bien qu’elle fasse l’objet d’une étude détaillée dans la justification

du cadre théorique de la présente étude (Titre 1er).

De façon générale, le concept de « grande corruption », dont des manifestations sont plus

perceptibles dans des contextes sociaux du Sud, du fait du contraste plus marqué entre la

pauvreté des populations et l’enrichissement de leurs dirigeants, relève d’une construction

doctrinale. Parmi les premiers auteurs qui se sont intéressés à ce phénomène, on note George

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Moody-Stuart. À travers son article intitulé « The cost of corruption9 », il précise la

distinction entre la « petite corruption » et la « grande corruption » en ces termes :

[…] it is useful to distinguish between ‘‘grand corruption’’, which involves senior officials, ministers, and heads of state and ‘‘petty corruption’’, which entails immigration officials, customs clerks, policeman, and like. This is not simply a difference of scale. Petty corruption is usually about getting routine procedures followed more quickly or not followed at all. Grand corruption involves influencing decision-makers.

To focus on grand corruption is not in any way to condone petty corruption, which can seriously damage the quality of life of the ordinary citizen – particularly of the most vulnerable members of society. But grand corruption can destroy nations: where it is rampart, there is no hope of controlling petty corruption10.

Pour Moody-Stuart, faire une distinction entre la « grande corruption » et la « petite

corruption » ne revient pas à accorder un permis à cette dernière. Elle constitue autant une

infraction de corruption que la « grande corruption ». Pourtant, deux éléments constitutifs de

« grande corruption » n’ont pas été pris en compte dans la définition légale de la corruption.

Le premier élément distinctif est l’auteur de l’infraction de corruption. Lorsqu’il s’agit de la

« petite corruption », l’auteur est un citoyen ordinaire. Dans ce cas, l’étude sur la corruption

n’a aucun intérêt particulier, dans la mesure où la corruption est une infraction parmi la litanie

d’infractions définies par le législateur pénal. Par contre, dans le cas de la « grande

corruption », l’auteur est un décideur (decision-makers). Cette distinction est fondamentale

au double plan épistémologique et substantiel.

D’abord, au plan épistémologique, les sciences criminelles décrivent le délinquant comme

un inadapté social. C’est pour cette raison qu’elles ont pour finalité sa réintégration dans la

société. À partir du moment où le délinquant n’est plus considéré comme un inadapté social,

on peut interroger la nouvelle finalité du droit criminel en présence d’un délinquant atypique

qui, en plus d’être parfaitement intégré dans la société, la dirige.

9 George MOODY-STUART, «The Cost of Grand Corruption » (1996) 4 Ethic and Governance Reform Today, en ligne, [groups.google.com/forum/#!topic/soc.culture.venezuela] [consulté le 15 mars 2014]; (1997) 4:1 Institute of Economic Affairs 1. 10 Ibid.

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Au plan substantiel, le droit criminel tire sa source des valeurs communes admises dans la

société. C’est par un processus politique que ces valeurs sont transformées en droit criminel.

On peut interroger la place qu’occupe le « délinquant décideur » dans le processus de

transformation des valeurs sociales en droit criminel anticorruption. Le simple fait qu’une

telle question se pose, dans le contexte de la « grande corruption » et non dans celui relatif à

la « petite corruption », suffit pour miner la confiance des citoyens dans la capacité de leurs

institutions à légiférer et à poursuivre la « grande corruption ».

Le second élément mis en relief par Moody-Stuart concerne les conséquences ou le résultat

produit par la « grande corruption », comparativement à celui de « petite corruption ». Cet

auteur précise que là où la grande corruption est systématique, elle détruit les nations,[et] il

n’y a aucun espoir de contrôler la petite corruption.

Ce constat, relatif à la destruction des nations, suscite une analogie entre la « grande

corruption » et les crimes définis comme étant contre l’humanité.

C’est dans cette perspective que dix ans après Moody-Stuart, Ilias Bantekas formalise ce

constat à travers son article intitulé « Corruption as an International Crime and Crime against

Humanity11 ». Pour l’essentiel, cet auteur relève que, même si la corruption transnationale a

été élevée ces dernières années en infraction internationale, elle n’est pas, au plan pratique,

considérée comme suffisamment grave pour permettre la poursuite des dirigeants étatiques

et des membres de leur cabinet par des juridictions étrangères; alors que, dans certains cas,

la corruption peut prendre la forme d’un crime contre l’humanité, justiciable devant la Cour

pénale internationale.

Quant à Kofele-Kale, il abonde dans le même sens qu’Ilias Bantekas, en désignant la

corruption des dirigeants étatiques en termes de patrimonicide12, d’indigenous spoliation13.

11 Ilias BANTEKAS, « Corruption as an International Crime and Crime against Humanity. An outline of Supplementary Criminal Justice Policies» (2006) 4 Journal of International Criminal Justice, p.479. 12Ndiva KOFELE-KALE, The international law of responsibility for economic crimes: holding state officials individually liable for acts of fraudulent enrichment, 2nd Ed., Hampshire, Ashgate Publishing Limited, 2006, ix. 13 Ibid.

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Il soutient que cette catégorie de corruption, autrement qualifiée de « grande corruption »,

constitue une violation grave et systématique des droits fondamentaux des citoyens. Pour

cela, elle devrait être élevée au rang de crime international, justiciable devant les juridictions

pénales internationales14.

La recension des travaux antérieurs sur la « grande corruption » renforce le questionnement

factuel sur l’accommodation du droit pénal. On déduit une certaine tension entre le droit

positif anticorruption et les prétentions mises en exergue par la doctrine de « grande

corruption ». Il ressort, en effet, du concept doctrinal de « grande corruption » que

- l’infraction de corruption peut être comparable aux crimes contre

l’humanité, lorsqu’elle implique des dirigeants étatiques;

- le régime de poursuites de « grande corruption » ne s’aligne pas sur celui

des crimes internationaux, quand bien même la grande corruption et ces

crimes produiraient les mêmes résultats et que le caractère international de

la corruption est déjà constaté.

L’écart sus illustré entre la « grande corruption » et l’infraction de corruption montre, selon

un prisme doctrinal, que la perception positiviste de la corruption est restrictive. D’où une

relative incompétence du système judiciaire à se saisir de la « grande corruption », c’est-à-

dire, la corruption des dirigeants étatiques. C’est pour cette raison que la présente étude se

propose de suggérer des solutions à la poursuite légale de « grande corruption ». En clair,

l’objectif visé par cette thèse est de participer au renforcement de la lutte contre l’impunité,

en permettant une poursuite effective des personnes, dites politiquement vulnérables, en droit

pénal interne, transnational et international.

Pour y arriver, l’une des initiatives consiste à analyser la réception des conventions

internationales de lutte contre la corruption, dans les systèmes juridiques et les contextes

14 Ndiva KOFELE-KALE, “The Right to a Corruption-Free Society as an Individual and Collective Human Right: Elevating Official Corruption to a Crime under International Law” (2000) The International Lawyer, 196.

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sociaux retenus dans cette étude. Cette démarche vérifie dans quelle mesure la réception des

conventions anticorruptions pourrait servir de complément au droit positif.

En définitive, en choisissant le Cameroun, le Canada et la France comme cadre de réception

des instruments internationaux de lutte contre la corruption, la présente étude, même si son

approche est comparative, n’a pas vocation à comparer des mécanismes de lutte contre la

corruption entre ces différents pays. Il s’agit plutôt d’une comparaison interne à chaque

système juridique – Droit Civil et Common Law – et à chaque contexte social – Pays en

développent et pays industrialisé. C’est donc l’écart entre le droit interne et le droit prospectif

en matière d’anticorruption qui est analysé, dans la perspective d’une coopération judiciaire

entre les systèmes juridiques et les contextes sociaux différents. D’où l’examen de la

réception des instruments internationaux de lutte contre la corruption dans différents

contextes juridiques et sociaux. Ce qui permettra de suggérer un mécanisme anticorruption

au sein duquel la poursuite bénéficie des meilleures garanties d’indépendance et

d’impartialité dans chaque système analysé et, de façon transsystémique, lorsque le même

fait « corruptionnel » transverse différents contextes sociaux et juridiques. C’est plus le

dépassement de chaque système juridique, Droit Civil et Common Law, et de chaque

contexte social, pays pauvre et pays développé, qui est recherché. Vu sous cet angle, le

Cameroun, le Canada et la France sont des illustrations qui sont susceptibles de s’adapter à

des contextes sociaux et juridiques similaires. Ce qui permet d’atteindre l’objectif visé, qui

est, la fin de l’impunité de « grande corruption » en droits interne, transnational et

international. Tel est aussi l’objectif sous-jacent à l’article 36 de la Convention des Nations

Unies contre la corruption15 (ci-après, la « Convention des Nations Unies ») lorsqu’il exige,

des États parties, qu’ils complètent leur système répressif par des autorités spécialisées16 dans

15 Convention des Nations Unies contre la corruption, 31 octobre 2003, 2349 RTNU 41. 16 Ibid art.36, « Chaque État partie fait en sorte, conformément aux principes fondamentaux de son système juridique, qu’existent un ou plusieurs organes ou des personnes spécialisées dans la lutte contre la corruption par la détection et la répression. Ce ou ces organes ou ces personnes se voient accorder l’indépendance nécessaire, conformément aux principes fondamentaux du système juridique de l’État partie, pour pouvoir exercer leurs fonctions efficacement et à l’abri de toute influence indue. Ces personnes ou le personnel dudit ou desdits organes devraient avoir la formation et les ressources appropriées pour exercer leurs tâches ».

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la répression de la corruption. Cette exigence est expliquée par l’Office des Nations Unies

contre la drogue et le crime en ces termes :

Les États Parties voudront peut-être avoir à l’esprit que l’expérience acquise au plan international montre que l’une des principales raisons de créer un OAC [Organe anticorruption] existant a été le manque d’indépendance réel ou apparent des services existants de détection et de répression et les doutes manifestés par le public quant à l’efficacité de leur travail17.

Cette explication onusienne questionne une nouvelle restriction du droit positif. Il s’agit, cette

fois, du droit procédural, notamment de l’indépendance des organes du procès pénal. Raison

pour laquelle nous retenons de ce qui précède que l’approche retenue dans cette thèse, pour

garantir une poursuite effective des personnes suspectées de « grande corruption », consiste

à remettre en cause, pour la compléter, l’acception positiviste du principe de l’indépendance

judiciaire.

Ceci invite à clarifier comment ce principe constitutionnel est perçu dans la présente étude.

Précision sur la notion « judiciaire ».

Le judiciaire se conçoit différemment en droit Canadien et dans les systèmes qui appliquent

le droit français de tradition romano-germanique. Ici, le pouvoir judiciaire, tel qu’il est

organisé au Titre V de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996, ou l’autorité

judiciaire, du Titre VIII de la Constitution française du 4 octobre 1958, renvoie à la

magistrature. Celle-ci est composée des magistrats du siège ou des juges, et des magistrats

du parquet qui composent le ministère public.

Au Canada, la magistrature, dont les conditions d’indépendance se retrouvent à la partie VII

de la Loi constitutionnelle de 1867, renseigne uniquement sur les juges. Le procureur du

ministère public ne fait pas partie de la magistrature.

Toutefois, cette conception différentielle de la magistrature n’a pas d’incidence sur la

présente thèse. Il faudra comprendre la notion d’indépendance judiciaire au sens large,

comme l’indépendance du système judiciaire répressif. Ce système a trois organes : les

17 ONUDC, Guide technique de la Convention des Nations Unies contre la corruption, Nations Unies, New York, 2010, à la p.130.

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organes d’enquête, les organes de poursuite et les organes de jugement. Comme dans tout

système dont les éléments sont en corrélation, la faillite d’un organe interpelle l’ensemble du

système. À titre d’exemple, une mauvaise enquête, conduite par l’organe d’enquête, a des

répercussions négatives sur l’inculpation, conduite par l’organe de poursuite. Il en est de

même de l’inculpation vis-à-vis du procès, conduite par l’organe de jugement. Ces étapes, de

la procédure pénale, montrent que la préséance entre les différents organes du système

judiciaire est réversible, suivant que l’on s’intéresse au statut des différents organes ou au

déroulement du procès.

Parlant du statut, l’encadrement constitutionnel du statut du juge18 le place au sommet de la

pyramide des organes du système judiciaire, suivi des officiers du ministère public et enfin

de la police.

Par contre, il y a, au plan matériel, une inversion des préséances. Puisque la poursuite est liée

à la qualité de la preuve fournie par l’enquête et, en absence de l’inculpation, il n’y a pas de

procès non plus. Le fait que l’office de « l’autorité supérieure », au plan statutaire, soit

dépendant de la décision de « l’autorité subalterne » consacre, paradoxalement, la préséance

de celle-ci sur celle-là. Car, en définitive, c’est l’autorité qui bénéficie des garanties

d’indépendance les moins élevées qui sélectionne l’objet sur lequel statuera l’autorité ayant

les garanties d’indépendance les plus élevées.

On peut déduire, de ce constat, que les garanties d’indépendance et d’impartialité du juge

sont inopérantes, faute d’une indépendance comparable des autres organes du système

judiciaire. Il y a, en d’autres termes, une atteinte proactive à l’indépendance du juge lorsque,

même en ayant les meilleures garanties constitutionnelles, il ne peut se saisir de l’objet qui

permet de valider la pertinence desdites garanties. C’est sur cette dépendance matérielle

18 Au Cameroun et en France, bien que la constitution consacre l’appartenance des juges et des officiers du ministère public à la magistrature, elle apporte plus de garanties à l’indépendance des premiers cités qu’aux seconds. C’est ainsi qu’il ressort de l’Article 37 (2) de la Constitution du 18 janvier 1996 (Cameroun) que « […] les magistrats du siège ne relèvent dans leurs fonctions juridictionnelles que de la loi et de leur conscience ». Quant à la Constitution du 4 octobre 1958 (France), elle mentionne en son article 64 que « les magistrats du siège sont inamovibles ».

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(l’objet du procès) ou fonctionnelle (la procédure pénale) que l’indépendance judiciaire est

analysée dans la présente thèse.

Globalement, cette thèse soutient que l’indépendance judiciaire n’est effective que si tous les

organes du système judiciaire jouissent d’une indépendance comparable à celle du juge. Cette

proposition, aux allures utopiques dans le contexte social actuel, exclut de la présente étude

l’organe de jugement de la procédure pénale. Mieux, la présente étude suppose que les

garanties d’indépendance des magistrats du siège sont objectivement mieux encadrées que

celles des autres organes du système judiciaire. Cependant, ce meilleur encadrement devient

inopérant du fait de l’appartenance du juge au système judiciaire. Autrement dit, il est

impossible d’apprécier l’indépendance du juge en absence de procès; c’est-à-dire,

l’indépendance du juge ne peut être observée tant que l’action publique n’a pas été mise en

œuvre à travers une inculpation. C’est pour cette raison que la remise en cause de

l’indépendance judiciaire, dans le cadre de cette étude, va essentiellement intéresser

l’indépendance des autorités de poursuite et celle des organes spécialisés dans la lutte contre

la corruption.

Nous retenons de ce qui précède que l’objectif de cette étude est de mettre fin à l’impunité

dans le contexte de la « grande corruption ». L’approche retenue pour atteindre cet objectif

consiste à apporter un complément au principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire.

Avant d’exposer l’hypothèse à partir de laquelle le complément à l’indépendance judiciaire

sera suggéré, il nous paraît essentiel de faire une brève recension du traitement de la

corruption en droit positif.

La définition de la corruption

Il faut relever que la définition de la corruption est encore déficiente en droit positif. Les

conventions internationales relatives à la lutte contre la corruption sont restées prudentes sur

cette question. Elles se sont contentées de procéder à une énumération non exhaustive19 des

infractions assimilées à la corruption. Tel est le cas de l’article 1er (a) de la Convention des

19 Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, 11 juillet 2003, 2860 RTNU 167, art. 4 para.2 : « […] tout autre acte ou pratique de corruption et infractions assimilées non décrit dans la présente Convention ».

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Nations Unies qui dispose, entre autres, que son but est « de promouvoir et renforcer les

mesures visant à prévenir et combattre la corruption ». Cependant, les soixante-et-onze

articles de cette convention ne définissent pas le terme « corruption ». On peut, toutefois,

constater, à la lecture de son chapitre III titré incrimination, détection et répression, qu’elle

réfère au trafic d’influence20, à l’abus de fonctions21, à l’enrichissement illicite22, au

blanchissement du produit du crime23, au recel24, etc. Il ressort de cette liste que la corruption

est un phénomène complexe25, dont l’étude impose une délimitation rigoureuse. C’est cette

logique que semble suivre Karamoko Kané, dans son étude de la corruption des

fonctionnaires africains26. Il saisit ce phénomène au sens large comme :

[l’utilisation] abusive d’une fonction à caractère public à des fins d’enrichissement personnel privé, le phénomène revêtant de multiples formes : distorsions dans la passation des marchés publics, fraudes en douane, racket administratif, trafic d’influence, népotisme, détournement de fonds, etc27.

Or, les marchés publics auxquels l’auteur fait allusion ne mettent pas en présence les seuls

agents de l’État, car, aux termes de l’article 1er de la Convention sur la lutte contre la

corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales

(ci-après, la « Convention de l’OCDE »), la corruption désigne aussi le fait « pour toute

personne, d’offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indu […] »28.

Face aux énumérations non exhaustives de la corruption par des conventions internationales,

on peut se demander si la définition de la corruption peut être plus précise en droit interne.

20 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.18. 21 Ibid art.19. 22 Ibid art.20. 23 Ibid art.23. 24 Ibid art.24. 25 C’est dans ce sens que la Convention interaméricaine contre la corruption, 29 mars 1996, 35 ILM 724, mentionne dans son préambule : « toutes les formes de corruption ». 26 Karamoko KANÉ, La corruption des fonctionnaires africains. Comment sortir d’un système de capitulation générale, Yaoundé, Éditions Clé, 2009. 27 Ibid à la p.17. 28 Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, 17 décembre 1997, 2802 RTNU 248.

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La réponse à cette question ne va pas de soi en droit français. Le Livre IV du Code pénal29

intitulé Des crimes et délits contre la nation, l’État et la Paix publique contient plusieurs

dispositions relatives à la corruption. Tel est notamment le cas du Titre III, dont le chapitre

II rend compte des atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant

une fonction publique30. Le chapitre III du même titre renvoie, quant à lui, aux atteintes à

l’administration publique commises par des particuliers31. Au plan international, le chapitre

V, du titre sus évoqué, sanctionne des atteintes à l’administration publique et à l’action de la

justice des communautés européennes, des États membres de l’Union européenne, des autres

États étrangers et des autres organisations internationales publiques32.

Dans la loi camerounaise, n° 2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code pénal, deux articles

relatifs aux fonctionnaires définissent la corruption active et la corruption passive. Dans le

premier cas, il s’agit de

[…] tout fonctionnaire ou agent public national, étranger ou international qui, pour lui-même ou pour un tiers, sollicite, agrée ou reçoit des offres, promesses, dons ou présents pour faire, s’abstenir de faire ou ajourner un acte de sa fonction33.

Dans le second cas, il s’agit de

quiconque, pour obtenir soit l’accomplissement, l’ajournement ou le refus d’accomplissement d’un acte, soit des faveurs ou des avantages tels que prévus à l’article 134 ci-dessus, fait des promesses, offres, dons, présents ou cède à des sollicitations tendant à la corruption […]34.

Toutefois, il ressort, d’une lecture suivie de ce Code, que cet intitulé « corruption » ne couvre

pas tous les actes constitutifs de corruption. Son chapitre III du livre II – Des infractions

29 L’actuel Code pénal français résulte de plusieurs lois adoptées le 22 juillet 1992 et entrées en vigueur le 1er mars 1994. Il s’agit de : Loi n° 92-683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du Code pénal ; Loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du Code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la personne ; Loi n0 92-685 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du Code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les biens ; Loi n° 92-686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du Code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique. 30 Ibid V. arts.432-10 et s. 31 Ibid arts. 433 et s. 32 Ibid arts. 435 et s. V. dans le même sens, les arts. 441 et s., relatifs aux atteintes à la confiance publique. 33 Code pénal camerounais, art.134 (1). 34 Ibid art. 134-1 (1).

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commises par les fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions – incrimine de nombreux

autres avantages illicites, constitutifs de corruption au sens des conventions internationales35.

Tel est notamment le cas de l’intérêt dans un acte36, du délit d’initié37, de l’entrave au

fonctionnement du marché38, de la participation à une affaire39, etc. Il en va de même pour

l’article 184 – détournements des biens publics – placé au chapitre IV du même livre II sous

l’empire duquel certains anciens hauts commis de l’État tels Premier ministre, ministres et

directeurs généraux des entreprises parapubliques font actuellement l’objet des poursuites

pénales40.

Les articles 119 (1) – corruption de fonctionnaire judiciaire, 120 – corruption de

fonctionnaire, et 121(1) – fraude envers le gouvernement, du Code criminel canadien ne sont

pas fondamentalement différents des textes précédents. Le texte le plus innovant reste celui

de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers41(LCAPE). Aux termes de l’article 3

de cette loi,

commet une infraction quiconque, directement ou indirectement, dans le but d’obtenir ou de conserver un avantage dans le cours de ses affaires, donne, offre ou convient de donner ou d’offrir à un agent public étranger ou à toute personne au profit d’un agent public étranger un prêt, une récompense ou un avantage de quelque nature que ce soit : en contrepartie d’un acte ou d’une omission dans le cadre de l’exécution des fonctions officielles de cet agent ; pour convaincre ce dernier d’utiliser sa position pour influencer les actes ou les décisions de l’État étranger ou de l’organisation internationale publique pour lequel il exerce ses fonctions officielles42.

Un premier constat se dégage des définitions légales et conventionnelles : elles ne font pas

de distinction entre la corruption des fonctionnaires subalternes et celle des dirigeants

étatiques de haut rang. Cette confusion ne permet pas de distinguer les différentes catégories

de corruption, selon leur gravité ou leur impact social. Parmi les pays cités dans cette thèse,

35Convention de l’UA, préc, note 19, art. 1er « […] ‘corruption’, les actes ou pratiques, y compris les infractions assimilées, prohibées par la présente Convention ». 36 Code pénal camerounais, préc, note 33, art. 134. 37 Ibid art. 135-1. 38 Ibid art. 135-2. 39 Ibid art. 136. 40 Charly Gabriel MBOCK (coord.), l’opération épervier au Cameroun. Un devoir d’injustice ? Montréal, Kiyikaat, 2011. 41 Loi canadienne sur la corruption d’agents publics étrangers, L.C. 1998, ch.34. 42 Ibid art. 3(1) a) b).

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une exception peut être faite au Canada. L’instabilité du contexte politique, observée au

Moyen-Orient en 201143, a incité le pays à légiférer sur le blocage des biens des dirigeants

étrangers corrompus. Si la loi énumère les fonctions pour lesquelles une personne est un

étranger « politiquement vulnérable44 », elle s’abstient de définir l’acte criminel commis par

un tel délinquant.

D’autre part, le choix de définir la corruption par énumération laisse à la catégorie de simples

faits les actes non contenus dans l’énumération légale.

Ces deux observations nous invitent, dans le cadre de cette étude, à définir la corruption

comme l’ensemble des manœuvres frauduleuses(MF) initiées ou corroborées, de quelques

manières que ce soient, par un individu, peu importe son appartenance ou non à une entité

étatique ou privée, qui vise pour lui-même ou pour autrui l’obtention d’un gain, d’un bénéfice

ou d’un intérêt quelconque, qu’il n’est pas possible de justifier (GNJ) par l’exercice des

fonctions légales (FL) au sein d’un organisme public ou privé (cf. schéma 1).

Schéma 1 Définition de la corruption

Corruption

Légende

→ : Associer

FL : Fonction Légale

GJ : Gains (susceptibles d’être) Justifiés

GNJ : Gains Non Justifiés

43 Erin SHAW et Julian WALKER, Résumé législatif. Projet de loi C-61 : Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, Bibliothèque du Parlement, n°40-3-C61-F, 24 mars 2011, [en ligne] [http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/LegislativeSummaries/40/3/c61-f] [consulté, le 12 juin 2012]. 44 Loi sur le blocage des biens des dirigeants étrangers corrompus, L.C. 2011, ch.10, art.2.

MF

GNJ

FI

FL

GJ

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MF : Manœuvres Frauduleuses

FI : Fonction Illégale (Illicite)

GNJ ou MF ou FI = Corruption

FL ou GJ = Corruption si associée à GNJ ou MF ou FI.

On parlera de « grande corruption » chaque fois que des manœuvres frauduleuses seront le

fait d’une personne politiquement vulnérable ; ou seront de nature à produire des résultats

comparables à ceux des « crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté

internationale45 ».

De ce qui précède, deux constats permettent de justifier la perception d’un système judiciaire

mis en échec par la grande corruption :

- des circonstances aggravantes, susceptibles de caractériser la « grande

corruption » ne sont pas explicites en droit pénal substantiel ;

- la Convention des Nations Unies adhère à la perception d’absence

d’indépendance des organes du procès pénal.

Sachant que ces deux restrictions du droit positif s’observent alors qu’il existe une forte

présomption de l’implication des dirigeants étatiques à des activités criminelles de droit

commun, on peut comprendre les auteurs qui estiment que la Convention des Nations Unies,

voire le droit positif en général, « omet […] de s’attaquer au problème de la corruption

politique de manière adéquate46 ». Cela fait dire à d’autres que « taking effective action

against the bribery (…) will remain elusive47 », car la corruption est « pratiquée par les

autorités qui sont supposées mettre en branle la machine répressive du droit […] contre la

45 Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, 17 juillet 1998, 2187 RTNU 3, art. 5par.1. 46 Peter EIGEN, « Préface : Changer les règles du jeu », dans Tiziano BALMELLI, Bernard JAGGY, Les traités internationaux contre la corruption. L’ONU, l’OCDE, le Conseil de l’Europe et la Suisse, Lausanne/Berne/Lugano, 2004, Éditions interuniversitaires suisses-Edis, p.4. 47 John HATCHARD, “Combating transnational corporate corruption: enhancing human rights and good governance”, in Aurora VOICULESCU and Helen YANACOPULOS (eds.), The Business of Human Rights. An evolving agenda for corporate responsibility, London/New York, The Open University, 2011, p.150.

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corruption48 ». Une telle situation a un impact négatif, non seulement sur le principe de la

séparation des pouvoirs, mais aussi sur la capacité des organes répressifs à remplir leurs

obligations légales. On se demande, dès lors, comment peut-on garantir l’indépendance et

l’impartialité des juridictions nationales49, dans un contexte de compromission potentielle

du système judiciaire, par l’absence des garanties (objectives/crédibles) d’indépendance des

autorités de poursuite ? Telle est la question fondamentale de cette étude.

Nous retenons, en guise d’hypothèse, que si, par un passé très récent, la pénalisation des

hommes politiques a été internationalisée, cette évolution du droit pénal n’a été vérifiée qu’en

période de crise ou de violations graves des droits de la personne. La grande corruption, quant

à elle, n’entre encore dans aucune catégorie répertoriée par les juridictions pénales

internationales ou les juridictions nationales qui appliquent le principe de la compétence

universelle. Ce constat amène les hommes politiques, du fait des prérogatives exorbitantes

du ministère public dans le déclenchement de l’action pénale, à tenir les juges à l’écart de

leurs faits et gestes professionnels, voire privés50. Cependant, si certains magistrats ont tout

de même pu poursuivre des élus ou des notables51, d’autres devraient être incités à faire de

même. Raison pour laquelle il est proposé que la garantie d’une lutte contre l’impunité en

matière de corruption est possible, au plan national, par l’accès des citoyens, d’autres

acteurs non étatiques et des organes spécialisés dans la lutte contre la corruption aussi bien

aux juridictions nationales, qu’à toute juridiction étrangère, en vertu de la transnationalité

de la corruption, voire à tout mécanisme international pertinent.

Cette hypothèse sera vérifiée par une lecture contemporaine du principe de la séparation des

pouvoirs de Montesquieu. En effet, l’analyse du Livre XI, chapitre VI, De la Constitution

d’Angleterre, dans le contexte actuel, révèle un système judiciaire autonome des pouvoirs

politiques. Cette autonomie ne reconnaît à aucun organe rattaché aux pouvoirs politiques des

48 Patrick Juvet LOWE, « La responsabilité en droit international pour corruption dans la gestion des ressources naturelles en Afrique centrale », dans Réseau francophone de droit international. Colloque (4e : 2007 : Paris, France), La corruption et le droit international, Bruxelles, Bruyant, 2010, p.158. 49 Il a été observé supra que les garanties d’indépendance et d’impartialité du juge sont inopérantes, chaque fois que son office dépend des actes de procédure et des organes ayant des garanties d’indépendance et d’impartialité moins objectives que les siennes. 50 Michel MASSE, Caroline DUPARC, Bernadette AUBERT, « La pénalisation du politique », dans Michel MASSÉ, Jean-Paul JEAN, André GIUDICELLI (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, Paris, Puf, 2009, à la p 208. 51 Ibid à la p 214.

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prérogatives exorbitantes pour déclencher des poursuites pénales. C’est pour cette raison que,

à défaut de suggérer une révision constitutionnelle pour assimiler le statut du poursuivant

public au statut du juge, il est suggéré de limiter les prérogatives exorbitantes du ministère

public, en le mettant en concurrence avec des poursuites privées et des poursuites autonomes

des organes spécialisés dans la lutte contre la corruption.

Qu’il soit permis de rappeler que l’observation du droit positif montre que, dans sa

structuration actuelle, l’ordre juridique étatique questionne les garanties d’indépendance et

d’impartialité de ses juridictions lorsque des citoyens qui exercent des fonctions au sommet

de la hiérarchie des différents pouvoirs constitutionnels sont impliqués dans la délinquance

de droit commun52. S’il est vrai que les questions relatives à l’indépendance et à l’impartialité

du pouvoir judiciaire ont souvent été abordées par la littérature juridique, c’est le plus souvent

sous l’angle du principe de la séparation des fonctions répressives53 ou sous celui de la

séparation du pouvoir judiciaire des pouvoirs politiques54. Ces deux approches qui visent

tantôt la protection des droits de la personne, tantôt celle de la constitution55, ont jusqu’à

présent omis d’interroger, sur le plan substantiel, l’impact de l’opportunité des poursuites

sur l’indépendance des juges. Autrement dit, peut-on dire de l’organe de jugement qu’il est

indépendant lorsqu’il ne peut sélectionner, parmi les objets possibles de son ressort, ceux qui

52 G. Delaloy, « [m]ême quand ils avaient connaissance de faits illégaux impliquant des hommes politiques, des élus ou des personnalités économiques locales, la plupart des magistrats ne s’autorisaient pas à les poursuivre ou à enquêter comme ils l’auraient fait pour des “justiciables ordinaires” », Guillaume DELALOY, Le Pouvoir judiciaire, Paris, PUF, 2005, p.36 ; V. dans un autre sens, Éric ALT, « Les mêmes États d’une main rémunèrent des juges, des policiers et des fonctionnaires pour enquêter, et de l’autre, des agents ou des officines pour empêcher l’enquête », dans « L’effectivité du droit en matière de lutte contre la corruption » (2009) Penant 866, p.51. 53 Cette problématique est plus en vigueur dans les systèmes juridiques de droit civil, où il est démontré que la maîtrise des trois fonctions répressives (poursuite, instruction et jugement) par des autorités distinctes garantit une meilleure protection des droits individuels. Voir dans ce sens, Solange NGONO, Le procès pénal camerounais au regard des exigences de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, Paris, L’Harmattan, 2002. 54 Martine VALOIS, L’indépendance judiciaire. La justice entre droit et gouvernement, Montréal/Genève, Thémis/Schulthess, 2011. 55 Hypothèse mise en œuvre dans les systèmes de la Common Law, et qui a fait naître un changement de paradigme dans l’interprétation de la Constitution canadienne. Laquelle est passée depuis la Loi constitutionnelle de 1982, du principe de la « primauté parlementaire » à celui de la « primauté constitutionnelle ». Voir, Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale, (Î. –P. –É.), [1997] 3 R. C. S. 3, para. 101.

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lui permettent de mieux assoir sa compétence56 ? En clair, à quoi sert l’indépendance du juge

si la question pour laquelle cette indépendance est requise a été écartée de son office par un

organe dont les garanties d’indépendance sont moins objectives que les siennes ?

L’éventualité que la question « corruptionnelle » soit écartée du processus judiciaire sans être

soumise au juge est-elle réelle ou apparente ? Il ressort de ces interrogations que cette étude

ambitionne de questionner la dépendance matérielle ou fonctionnelle du principe

constitutionnel de l’indépendance judiciaire. Puisque la question de la dépendance du

principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire, à la prérogative de l’opportunité des

poursuites, n’a pas encore été posée par les chercheurs, tout comme la solution suggérée

d’une garantie de l’équité des procès nationaux par l’implication citoyenne, et a fortiori, par

celle des acteurs extérieurs à l’État, il est permis de dire que cette étude est originale.

Parce que cette thèse se veut complémentaire au droit positif, sa démonstration s’effectuera

sous l’empire du paradigme de la flexibilité du droit pénal ; en tant que correctif aux

restrictions du droit pénal de fond et de forme.

En effet, de par son statut, l’individu soupçonné de corruption est un auteur potentiel de la

norme pénale. L’analyse montre que, dans sa structuration actuelle, cette norme de fond (la

criminalisation de la corruption) et de forme (l’atteinte proactive à l’indépendance du juge)

est inopérante pour se saisir de la corruption des dirigeants étatiques. D’où la qualification

doctrinale de « grande corruption ». Il est donc paradoxal de trouver une solution positiviste

à une infraction non positiviste. Dans cette perspective, la flexibilité du droit pénal

revendique, au plan épistémologique, l’émancipation de ce droit, afin qu’il puisse s’adapter

au profil atypique du délinquant auteur de la « grande corruption ». Ce qui le différencie du

droit pénal « paternaliste »57, structuré autour de l’inadaptabilité sociale du délinquant, au

profit duquel la légalité de l’infraction et la répression de celle-ci remplissent une fonction

protectrice, pour lui permettre de réintégrer la société.

La mise en œuvre de la démonstration de cette thèse se fera sur la base d’un plan à six

chapitres, organisés autour de trois titres. Mais avant, il est nécessaire de préciser que cette

56 V. En guise d’analogie, Louis VOGEL (dir.), Cours suprêmes : comment le filtrage des recours révèle le pouvoir des juges, Paris, Panthéon-Assa, 2005. 57 R. c. Jobidon, [1991] 2 R. C. S. 714, 765

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organisation est le fruit d’un arbitrage délicat entre deux présentations possibles. La première

approche envisagée consistait à présenter, au titre premier, l’accès à la justice nationale.

L’externalisation de cette justice aurait fait l’objet du titre deux, alors que le titre trois aurait

été destiné à la régulation internationale de la justice anticorruption. Ceci revenait, au plan

disciplinaire, à limiter le premier titre au droit criminel (droit pénal national) ; le deuxième

au droit pénal international et le troisième au droit international pénal. Toutefois, cette

première approche nécessitait un titre préliminaire, autour duquel le cadre théorique de

l’étude aurait été discuté. Seulement, compte tenu du caractère prospectif de cette étude, il

est apparu que la valeur épistémologique du cadre théorique, notamment la flexibilité du droit

pénal, conditionne la compréhension de la thèse de l’indépendance des juridictions

nationales par des acteurs non étatiques et des acteurs extérieurs à l’État. C’est pour cette

raison que le titre préliminaire est désormais le titre premier. Dans cette réorganisation, le

titre deuxième (ancien titre premier) est resté dominé par le droit pénal national. Ce titre

analyse l’accès à la justice nationale comme la garantie principale de l’indépendance

judiciaire. Pendant ce temps, le titre troisième analyse l’externalisation de la justice en tant

que garantie subsidiaire de l’indépendance de la justice nationale. Ce titre s’intéresse, dans

son premier chapitre, au droit pénal international alors que son second chapitre est exclusif

au droit international des droits de l’homme, en attendant l’émergence d’un droit

international pénal de la corruption qu’on espère en construction.

Le plan de cette thèse se dévoile de la façon suivante :

- Titre 1er, la flexibilité du droit pénal

• Chapitre 1er, le contexte : un droit positif postmoderne

• Chapitre 2, le texte : l’émergence d’un droit spécial applicable à la corruption

- Titre 2, la garantie principale de l’indépendance judiciaire : l’accès à la justice

nationale

• Chapitre 3, l’accès à la justice par des poursuites privées des acteurs non étatiques

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• Chapitre 4, l’accès à la justice par des poursuites des organes étatiques spécialisés

dans la lutte contre la corruption

- Titre 3, la garantie subsidiaire de l’indépendance judiciaire : l’externalisation

de la justice nationale

• Chapitre 5, la transnationalisation de l’infraction corruptionnelle

• Chapitre 6, l’internationalisation du droit de la corruption

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TITRE 1er

LA FLEXIBILITÉ DU DROIT PÉNAL Tout coule […] on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve

Héraclite (VIe siècle Av. J.-C.)

L’indépendance judiciaire à l’épreuve de la grande corruption traduit la difficulté éprouvée

par le droit positif pour se saisir du fait illicite de « grande corruption ». C’est pour cette

raison que le paradigme de la flexibilité du droit pénal ambitionne d’adapter le droit à son

objet. Cet objectif d’accommodation est d’autant plus délicat que la rigidité du droit pénal a

souvent été justifiée par son appartenance au « pouvoir régalien de l’État58 ». On peut se

demander si un tel argument résiste à l’épreuve du temps. Car à chaque étape de l’évolution

d’un groupe social, correspond un droit pénal qui doit « exprimer les valeurs essentielles de

la société59 ». Il en est ainsi du droit pénal comme du droit en général. C’est à ce constat

qu’arrive Jean Carbonnier dans Flexible droit. À travers deux hypothèses apparemment

antagonistes, l’hypothèse de l’évolution et celle de la structure, cet auteur met en évidence la

flexibilité du droit.

Dans la première hypothèse, Carbonnier utilise un raisonnement par analogie pour comparer

la société à un organisme vivant60. Puisque tout organisme vivant se transforme « de la

conception à la mort, par l’enfance, l’adolescence, la maturité et le vieillissement61 », il en

déduit qu’« il existerait une croissance et une décadence de cet organisme vivant qu’est la

société62 ». De ce fait, « le droit, qui est un élément constituant [cet organisme], participe de

58Brigitte PEREIRA, « Éthique commerciale, bonne gouvernance des entreprises et corruption internationale » (2008) 1 t. XXII, Revue internationale de droit économique, p.12. 59Frédéric DESPORTES ET Francis LE GUNEHEC, Droit pénal général, 13e Éd., Paris, Economica, 2006, à la p 5. 60 Jean CARBONNIER, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e Éd., Paris, L.G.D.J, 2007, à la p 13. 61 Ibid. 62 Ibid.

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la vie de tout l’organisme63 » parce que « […] la société se reflète dans le droit, et le droit a

pu aider à la construire64 ». Par conséquent, le droit ne peut qu’être flexible.

Dans la seconde hypothèse, Carbonnier n’envisage plus le droit en mouvement. Il le suppose

fixe ou immobile, et se met, tel un géologue, à l’analyse de sa structure. Il en tire deux

observations. Il se réfère d’abord à une conception moniste du droit, selon laquelle le droit

est un bloc sans fissure qui se confond à l’État dont il tire sa source65. Il est par conséquent

« exclusif [et] ne peut que dénier à tout autre système de règles le titre de droit66 ». Cependant,

le monisme du droit ne signifie pas que l’État vit en autarcie, puisqu’il arrive que l’ordre

juridique national soit influencé, dans ses rapports avec d’autres entités à travers, notamment

le droit international. Dans cette optique, le législateur national réceptionnera, par un

processus qu’il identifiera, le droit international avant son application67, si bien qu’en

définitive, c’est bien le droit national qui s’appliquera à l’interne, et non pas le droit

extraétatique. Mais, un tel raisonnement aboutit à une sorte d’absurdité; dans la mesure où le

droit international, incorporé dans l’ordre juridique national, continue d’exister. Ensuite, la

thèse moniste semble être remise en cause à l’époque contemporaine, avec le phénomène du

pluralisme juridique68. Dans un premier temps, l’État est concurrencé dans son œuvre

créatrice du droit par d’autres foyers autonomes69. Tel est le cas « des syndicats, des

associations, des sociétés anonymes […]70 ». Dans un second temps, le pluralisme juridique

est lui-même précédé par l’acculturation. C’est ce qui se produit « lorsqu’une culture

63 Ibid. 64 Ibid à la p 224. 65 Ibid à la p 18. 66 Ibid 67 Ibid. Il est utile de relever que la conception « moniste » à laquelle réfère l’auteur diffère de l’acception de cette expression quand elle est utilisée comme système de droit, dans son opposition avec le système « dualiste ». On peut, à cet effet, se permettre un rapprochement entre les deux systèmes dans la perspective du droit dogmatique usitée par J. Carbonnier. Dans la mesure où, dans le système moniste, l’application directe du droit international dans l’ordre interne est précédée par sa ratification. 68 De l’avis de Marie-Pierre Blin Franchomme, « “[l]a pluralité juridique est le concept-clé d’une vision post-moderne du droit”, apte à rendre compte de la diversité des espaces normatifs agissant sur des échelles différentes. L’État n’est plus le seul foyer du droit ». Marie-Pierre BLIN FANCHOMME, « Le commerce équitable, un autre exemple de droit post-moderne », dans Geneviève PARENT (dir.), Production et consommation durables : de la gouvernance au consommateur – citoyen, Actes du Colloque international tenu à Québec en septembre 2008, Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2008, p.174. 69 J. CARBONNIER, préc, note 60. 70 Ibid à la p.19.

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d’origine étrangère est greffée sur une culture autochtone71 ». La prise en compte de cette

diversité des sources du droit au sein d’un même État aboutit inévitablement à un droit

synthétique, donc flexible.

Il suit de ce qui précède que, quelle que soit la méthode utilisée pour l’observer, on finit par

constater que le droit est flexible. Toutefois, un droit flexible n’est pas un droit inefficace72

et ineffectif73. Dire du droit qu’il est flexible, revient à reconnaître « que l’on peut [le]

modifier pour [l’] adapter aux circonstances74 » de son temps. On rejoint ainsi Raymond

Charles pour reconnaître que « l’examen des systèmes juridiques […] confirme que le Droit

n’est qu’un aspect de la civilisation, qu’il se modifie selon les cycles d’évolution et de

régression politique et sociale, qu’il ne vit pas isolé75 ».

Une observation de l’évolution du droit pénal valide le constat de sa flexibilité. De l’antiquité

à l’époque contemporaine, en passant par le siècle dit des Lumières, le droit pénal a

successivement été mis en œuvre par les particuliers76, l’État, voire par la communauté

internationale. Si, à l’origine, le droit pénal s’exerçait par la vengeance d’un membre du

clan77, il s’aligne désormais sur la thèse de la défense sociale nouvelle de Marc Ancel78,

relativement à l’ordre juridique étatique; tandis que la protection de la dignité humaine est la

finalité visée par l’ordre juridique international. La flexibilité du droit pénal dérive donc de

sa contingence79.

71 Ibid. 72 Denis DE BÉCHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit?, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997, p.87. 73 De l’avis de Bernard Cubertafond, « Ce n’est pas l’effectivité qui définit le droit, celui-ci apparaissant comme une proposition souvent garde-fou qui fait l’objet de jeux de transgression et de négociation lors de son application », Bernard CUBERTAFOND, La création du droit, Paris, Ellipses, 1999, p.102. 74 Le nouveau Petit Robert de la langue française, 2010, p.1060. 75 Raymond CHARLES, Histoire du droit pénal, Coll. Que sais-je?, Paris, PUF, 1976, p.18. 76 Ibid à la p.8. 77 Jean-Marie CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, Paris, PUF, 1990, p.9. 78 Roger Merle, « une défense sociale dont l’ambition nouvelle était de protéger la société en protégeant d’abord les délinquants, en leur tendant la main au lieu de les rejeter ». Roger MERLE, « L’évolution du droit pénal français contemporain », (1977) 42 Recueil Dalloz Sirey, 303. 79 Jean-Marie Carbasse, « La nature des tribunaux, leurs règles de fonctionnement, la définition des infractions, le régime des peines forment à chaque époque un tout cohérent, lui-même étroitement lié à la société globale », Jean-Marie CARBASSE, Histoire du droit pénal et la justice criminelle, Paris, PUF, 2000, p.21.

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En ce début de XXIe siècle, la société civile (interne et internationale); le respect dû à

l’enfant, à la femme ou à l’homme du seul fait de son appartenance à l’humanité (l’obligation

de protéger); les instances juridictionnelles ou quasi juridictionnelles supra-étatiques; et la

transnationalisation de la délinquance soutenue par des technologies actuelles de la

communication relativisent de plus en plus le monopole de l’État en matière pénale80, si bien

que la flexibilité du droit pénal est tantôt motivée au plan interne par le contexte sociétal : la

postmodernité (Chapitre 1er); tantôt, justifié au plan externe par la norme étrangère81 : la

comparaison des droits (Chapitre 2); ceci, qu’il s’agisse du fond ou de la forme du droit

pénal.

80 Au sujet du monopole de l’État en matière criminelle, V. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, préc, note 59, « L’exercice de la répression est aujourd’hui à la fois la responsabilité exclusive de l’État et la marque de sa souveraineté […] Expression directe de la puissance publique, le droit pénal est, par là même, étroitement lié à la souveraineté de l’État », p.16, §35 et p.18, §37. Voir aussi Jean-François CHASSAING, « Les trois codes français et l’évolution des principes fondateurs du droit pénal contemporain » (1993) 3 Rev. Sc. Crim, 446. Voir aussi Bernard BOULOC, « L’influence du droit communautaire sur le droit pénal interne », dans Mélanges offerts à Georges Levasseur. Droit pénal, droit européen, Paris, Litec, 1992, p.103; Mireille DELMAS-MARTY, « La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et le droit pénal de fond», dans Mélanges offerts à Georges Levasseur. Droit pénal, droit européen, Paris, Litec, 1992, p.195. 81 Il faut comprendre ici le concept de « norme étrangère » au sens large, comme toute norme différente (par sa source) de la norme nationale.

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CHAPITRE 1er

LE CONTEXTE : UN DROIT POSITIF POSTMODERNE La première solution à la répression de toutes les formes de corruption, peu importe leur

gravité et la personnalité de leur auteur supposé, est d’ordre théorique. La méconnaissance

du concept doctrinal de « grande corruption » par le droit positif n’est plus suffisante pour

justifier les limites du système judiciaire à se saisir du fait illicite, constitutif, de « grande

corruption ». Il devient utile d’appliquer l’herméneutique postmoderne à ce concept (1.3).

Mais avant, la présentation du paradigme de la postmodernité (1.1) rend compte du

relativisme du positivisme juridique, dont les points de convergence avec la postmodernité

résistent de moins en moins à l’observation (1.2).

1.1 Brève présentation du paradigme de la postmodernité

Il se dégage un consensus suivant lequel le terme « postmoderne » apparut dans les années

1960 et fut utilisé par la génération des auteurs nés autour de 1930. Il postule le déclin du

projet moderne comme promesse d’émancipation82. Le paradigme de la postmodernité se

révèle à travers deux considérations. La première est d’ordre temporel et évoque le passage

d’une époque à une autre. La seconde est d’ordre substantiel et met en évidence

l’inadéquation entre les valeurs véhiculées par une société et les théories mises en œuvre pour

les expliquer.

Vu sous cet angle, la postmodernité n’aurait aucune spécificité, dans la mesure où, avant elle,

la postmédiévalité ou la modernité83, se différenciait des époques antérieures par un

changement civilisationnel84 caractérisé au plan social, notamment en Europe, par l’abandon

des « diverses particularités régionalistes, les spécificités locales, les dialectes, les us et

coutumes, les modes de vie, et même les instances de gestion ou de gouvernement

provinciales […] au profit des États nationaux, et de leurs organismes représentatifs85 » ; et

82 Jean MONTENOT (dir), Encyclopédie de la philosophie, Paris, Librairie générale française, 2002, p.1298. 83 Michel MAFFESOLI, « De la ‘‘postmédiévalité’’ à la postmodernité », dans Yves BOISVERT (dir.), Postmodernité et sciences humaines. Une notion pour comprendre notre temps, Québec, Liber, 1998, p.11. 84 Ibid à la p10. 85 Ibid à la p 11.

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au plan épistémologique, par la consécration de l’individu comme le maître et possesseur de

lui-même et de la nature86.

D’une manière générale, la temporalité évoquée ici n’est qu’en fonction des changements

observés dans la société. Or, de tels changements sont, par nature, progressifs. Ce qui

suppose, par conséquent, une période transitoire préalable au cours de laquelle l’épuisement

(et non la faillite) du précédent paradigme est observé et vérifié. Dans cette logique, on ne

peut envisager un changement radical de paradigme dans la mesure où le nouveau paradigme

trouve son fondement dans l’amendement de l’ancien87. C’est dans cette perspective que la

postmodernité sera comprise, dans cette étude, comme « un cri du cœur pour que nous

réorientions notre manière de penser en fonction des ‘‘réalités’’ contemporaines et non en

fonction des utopies du dix-huitième siècle88 ». Il s’agira moins d’une révolution que d’une

« redéfinition des racines philosophiques susceptibles d’instaurer une régulation pertinente

de nos sociétés contemporaines89 ». Se fondant sur les notions de changement90, de contexte,

de contemporanéité, l’herméneutique postmoderne utilisée, dans cette étude, agira comme

« un décodeur permettant de mieux interpréter le présent91 » pour suggérer des solutions

pragmatiques aux questions soulevées dans la présente étude.

Caractéristiques du paradigme de la postmodernité. Le savoir postmoderne réfute toute

abstraction fondatrice des théories universelles. Si ce savoir se veut d’abord conjoncturel,

c’est parce qu’il cherche une « ‘‘voie de sortie de crise’’ […] du ‘‘déterminisme’’92 »

fécondé par des théories modernes. Mais, en principe, il s’agit d’un savoir circonstanciel93

qui se construit pour s’appliquer à un cas concret. Par cette attitude, il se veut réaliste et

pragmatique. Cette spécialisation du savoir sur son objet limite l’ambition élitiste du sujet,

86 Ibid à la p 13. 87 Voir dans ce sens, Pauline MAISANI et Florence WIENER, « Réflexions autour de la conception post-moderne du droit » (1994) 27 Droit et société, p. 451 et s. 88 Louis BORGEAT, « Postmodernité et droit », dans Yves BOISVERT (dir.), Postmodernité et sciences humaines. Une notion pour comprendre notre temps, Montréal, Liber, 1998, p.54. 89 André-Jean ARNAUD, « De la postmodernité », dans André-Jean ARNAUD, Entre modernité et mondialisation, cinq leçons d’histoire de la philosophie du droit et de l’État, Paris, LGDJ, 1998, p.166. 90 Yves BOISVERT, L’analyse postmoderniste. Une nouvelle grille d’analyse socio-politique, Paris, L’Harmattan, 1997, p.14. 91 L. BORGEAT, préc, note 88, à la p 120. 92 Y. BOISVERT, préc, note 90, à la p 2. 93 Ibid à la p 84.

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dont la tâche ne consiste plus à comprendre pour les autres, mais « plutôt à rendre les

individus plus efficaces et plus performants dans le traitement des problèmes qui les

confrontent94 ». Ce qui fait dire à Michel Maffesoli que « l’analyste postmoderniste doit

davantage chercher à […] susciter une recherche et un débat qu’apporter une théorie close

et rigide95 […] ».

Il y a donc, non seulement une quête permanente de l’efficacité et de l’effectivité de la

solution proposée, mais aussi, un souci plus accentué de sa légitimation par l’implication et

l’adhésion de l’ensemble du corps social à son adoption et à son acceptation96. Ce

pragmatisme de la postmodernité semble familier au positivisme juridique ; si bien qu’il

devient possible de questionner l’opportunité d’un positivisme postmoderne.

1.2 Convergence entre la postmodernité et le positivisme juridique

Cette réflexion est induite, dans le cadre de la présente étude, par Pierre Moor, à travers

l’analyse qu’il fait de la métaphore de la « pyramide des normes » de Hans Kelsen et de celle

d’un « roman écrit à la chaîne par une pluralité d’auteurs, chacun responsable d’un chapitre »

de Ronald Dworkin97. La première métaphore réfère le droit positif à « un système de valeurs

qui doivent être coordonnées suivant leur degré d’importance, et un système d’autorités qui

94 Ibid à la p 84. 95 Cité par Yves BOISVERT, ibid à la p.77. 96 Voir dans ce sens Niklas LUHMANN, La légitimation par la procédure, Québec, Presses de l’Université Laval, 2001. Il est soutenu dans cette étude l’idée selon laquelle « la légalité est au service de la légitimité » et non « la légitimité au service de la légalité ». Cette idée postule que la légitimité est un sentiment subjectif par lequel un sujet accepte un ordre déterminé. Pour éviter tout désordre dans ce sentiment subjectif, il a été objectivé par la légalité, laquelle est elle-même constitutive d’un consensus. Il y a donc, selon nous, une assimilation de ‘‘La procédure’’ de Luhmann à la légalité. Voir dans ce sens Yves-Marie Morissette, « […] c’est cette procédure, cette manière d’opérer la résorption de ce qu’on appelle collectivement des ambiguïtés, qui est garante de l’État de droit […] », cité dans Yves-Marie MORISSETTE, «Peut-on ‘interpréter’ ce qui est indéterminé», dans Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT (dir.), Interpretation non cessat. Mélanges en l’honneur de Pierre-André Côté, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p.33 ; Voir aussi Martine VALOIS, Évolution du droit et de la fonction de juger dans la tradition juridique occidentale. Une étude sociohistorique de l’indépendance judiciaire, Thèse de doctorat en droit, Faculté des études supérieures de l’Université de Montréal, 2009, inédit : « La modernité a introduit une forme de légitimation pour le droit qui repose entièrement sur la loi, expression de la volonté du peuple. À l’ère des droits fondamentaux et des revendications minoritaires, cette forme de légitimation est devenue désuète. », p.136. 97 Pierre MOOR, « ‘‘Le char de l’État navigue sur un volcan’’ ou brève note sur les métaphores, spécialement sur celles de l’État de droit » (2000) 117 Revue européenne des sciences sociales, p 95.

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doivent être corrélativement hiérarchisées98 ». Quant à la seconde, elle suggère que « le droit

repose sur une continuité dans le temps99 ».

On perçoit à travers ces deux conceptions du droit positif que l’une est abstraite et générale,

valable parce qu’imposée par une autorité centrale (Hans Kelsen) ; tandis que l’autre

privilégie la cohérence et une diffusion apaisée et continue dans le corps social de référence

(Ronald Dworkin). Dans son raisonnement, Moor montre que cette double attitude n’est pas

le fait du hasard, mais dépend du contexte sociologique de chaque penseur. En effet, Kelsen

est né au XIXe siècle (1881-1973), dominé par « la constitution des États-nations […]. En

même temps, il est héritier d’une conception normative, et de la morale, et du droit, fondée

sur le thème de la prédominance de la règle générale100 ». Tel n’est pas le cas de Dworkin,

qui est un juriste américain contemporain ; c’est-à-dire issu d’un pays où la culture politique

est méfiance et invétérée envers tout autre organe étatique que le juge, et où l’énergie

organisatrice, dans la société, est d’abord celle de la multiplicité des responsabilités

individuelles. En même temps, aussi, il manifeste le pragmatisme de la pensée concrète,

privilégiant les approches par situations existentielles aux instruments abstraits101.

Il ressort de ce qui précède que la théorie du droit positif n’est pas figée. Elle est flexible. Il

est logique à cet effet que Kelsen émette l’idée d’une norme générale au moment où l’État-

nation, l’un des grands thèmes explicatifs de la modernité102, apporte des solutions « souvent

sur une approche de type autoritaire, c'est-à-dire sur une norme imposée, de portée générale

et applicable uniformément à tous, pour respecter un idéal d’universalité103 ». Tel n’est pas

le cas de Dworkin qui se situe à « une époque de primauté de la personne face aux systèmes

d’autorité qui ont traditionnellement encadré et uniformisé les comportements104 ».

Cela dit, si la pensée de Dworkin se distingue nettement de celle de Kelsen, elle n’est pas

postmoderne, dans la mesure où elle se borne à une interprétation authentique105 de la norme

98 Ibid à la p 96. 99 Ibid à la p 97. 100 Ibid. 101 Ibid. 102 M. MAFFESOLI, préc, note 83, à la p 16. 103 L. BORGEAT, préc, note 88, à la p 124. 104 Ibid à la p 121. 105 Une distinction est faite entre l’interprétation scientifique et l’interprétation authentique du droit. Alors que la première est le fait de la doctrine, et vise à rechercher tous les sens possibles d’un énoncé juridique ; la seconde est le fait des acteurs du droit, et consiste à un sens, qui a seul la signification d’une norme juridique

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générale édictée solitairement par une autorité hiérarchique. Il pourrait alors s’agir, tout au

plus, des premières hypothèses de la « théorie micropolitique du droit » de Pierre Moor106.

Toutefois, la césure entre ces deux auteurs a l’avantage de présenter une théorie du droit

positif dynamique, passant d’une époque dite moderne à une autre susceptible d’être qualifiée

de « prépostmoderne107 », pour aboutir à l’époque contemporaine postmoderne. Quel peut

être le contenu du droit positif postmoderne ?

L’une des principales caractéristiques de la postmodernité se vérifie dans la perte de

confiance des citoyens envers des représentants du pouvoir108. Dans une telle logique, la

rédaction du texte normatif ne peut plus être laissée à la seule discrétion des autorités

instituées109. Le droit positif, dans un contexte postmoderne, cesse d’être dicté pour être

négocié :

C'est-à-dire un droit qui, s’il est édicté par l’autorité [centrale], a été conçu, au stade de l’avant dire droit, non comme le produit d’un sage ou d’une élite ou d’un groupe de gens éclairés ou encore des intérêts d’une classe sociale, mais comme l’aboutissement d’une négociation entre ceux qui, par métier, savent mieux que les autres quelles sont les contraintes conjoncturelles, d’une part, et ceux qui, parce qu’ils vivent plus au ras du sol, connaissent les aspirations des destinataires de ce droit110.

positive. Voir Guillaume TUSSEAU, « État (postmoderne) du droit, logique textuelle et théorie micropolitique du droit : sur un exemple de pensée juridique ‘‘soft’’ » 2009 22 Int. J Semiot Law, à la p.128. 106 Cette théorie, considérée par Guillaume Tusseau comme ‘‘microthéorie politique du droit’’, se fonde sur l’idée que le droit doit être compris non comme déjà là et immédiatement donnée dans la norme, mais comme un travail de production concrète de sens. Voir G. TUSSEAU, ibid, à la p.123. 107 Si, sur le plan de la forme, il est incontestable que Ronald Dworkin est un contemporain de l’ère postmoderne, c’est sa pensée qui est ici qualifiée de ‘pré-postmoderne’ dans la mesure où, telle qu’expliquée par Pierre Moor, elle ne tient pas compte des acteurs extraétatiques dans le processus de production de la norme juridique applicable à un cas concret. 108 Denis JEFFREY, « Éthique et postmodernité », dans Yves BOISVERT (dir.), Postmodernité et sciences humaines. Une notion pour comprendre notre temps, Québec, 1998, p. 141. Voir aussi dans le même sens, Russell J. DALTON, Democratic Challenges, Democratic Choices : The Erosion of Political Support in Advanced Industrial Democratic, Oxford/New York, Oxford University Press, 2004. 109 Voir dans un sens comparable, Pierre MOOR, « ‘‘Droit subjectif’’ et ‘‘sujet de droit’’ dans une théorie du droit comme processus », dans Études en l’honneur de Gérard Timsit, Bruxelles, Bruylant, 2004, à la p.149 : « Il s’agit ainsi d’analyser [le droit] dans son entier, […] ce qui implique enfin d’y inclure le système des acteurs, envisagés non plus comme les simples mécaniciens d’une machine parfaitement huilée, mais comme les (co)producteurs du droit. », et à la p.152 : « […] il faut qu’il y ait une organisation de l’ensemble des acteurs du système juridique pour que la lecture de ces textes et de ce qui est produit avec eux soit une lecture sociale ». 110 A.-J. ARNAUD, préc, note 89, à la p158.

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Il s’agit, en d’autres termes, du phénomène dit de la « contractualisation du droit111 », selon

lequel,

[La] production des normes juridiques, de même que leur application, est le résultat préalable de la négociation entre l’État et les groupes sociaux ayant acquis, dans les secteurs de leur spécialisation, le monopole de la représentation et de la participation au processus décisionnel112.

Ce phénomène de contractualisation du droit est clairement affirmé par les rédacteurs de la

Convention des Nations Unies. Raison pour laquelle ils précisent que chaque État partie

favorise

[La] participation active des personnes et groupes n’appartenant pas au secteur public, telles que la société civile, les organisations non gouvernementales, et les communautés de personnes à la prévention de la corruption et à la lutte contre ce phénomène113.

D’une manière générale, il ressort de ce qui précède que loin d’être un déni de la modernité,

le paradigme de la postmodernité innove dans sa quête constante du réalisme et du

pragmatisme. Il rejette les théories générales et abstraites à caractère universel pour des

solutions « au cas par cas » ; c'est-à-dire circonstancielles, spécifiques, directement

applicables à une espèce donnée. Cette logique se transfère progressivement en droit positif.

Elle fait actuellement l’objet de fortes suggestions (implicites), tant des auteurs positivistes

que du juge national. Il ressort ainsi, de plus en plus, en matière constitutionnelle que :

Les questions liées au processus d'élaboration des droits constitutionnels prennent une place importante et croissante au sein de notre société. L'articulation des droits constitutionnels est perçue comme englobant une obligation de négocier, une obligation de consulter, un devoir d'assurer la participation des minorités et une obligation d'accommodement114.

111 Jean-François THUOT, « Déclin de l’État et formes postmodernes de la démocratie » (1994), 26 Revue québécoise de science politique, à la p.92. 112 Ibid. 113 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.13. 114 Colleen SHEPPARD, “Constitutionnalisme axé sur le processus: vers un renforcement ou un affaiblissement des droits substantiels”, dans Les ateliers de la Faculté de droit de l’Université Laval, novembre 2012, inédit.

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Dans la même veine, une analyse doctrinale du Renvoi relatif à la sécession du Québec115

montre que l’obligation constitutionnelle de négocier, énoncée dans cet avis, s’impose

comme une source de norme à valeur supra législative116. Cette norme impose aux

représentants de l’État fédéral et des provinces une obligation de négocier de bonne foi avec

le Québec les changements constitutionnels [...]117. Par ailleurs, cette obligation est

transférable et peut s’appliquer à d’autres projets de modification constitutionnelle, autre que

la sécession d’une province118.

Il suit de ces deux exemples que la mise en œuvre des droits ne peut plus occulter la

participation active des sujets aux différentes phases de l’élaboration, de la réception et de

l’application desdits droits. Il faut donc espérer que l’application de l’herméneutique

postmoderne au concept doctrinal de « grande corruption » favorise sa reconnaissance par le

droit positif anticorruption.

1.3 Application de l’herméneutique postmoderne à la « grande corruption »

La suggestion d’une prise en compte de la « grande corruption » en droit positif, par

l’herméneutique postmoderne, nécessite de distinguer le droit pénal de fond (1.3.1) du droit

pénal de forme (1.3.2).

1.3.1 Le droit pénal de fond

Il ressort des travaux de la doctrine spécialisée qu’au plan matériel, les effets de la « grande

corruption » s’assimilent aux crimes internationaux et à la violation des droits de l’homme119.

1.3.1.1 La grande corruption : un crime international ?

Suivant une perspective strictement positiviste, dire que la « grande corruption » est un crime

international revient à montrer qu’elle obéit au principe nullum crimen sine lege. C'est-à-dire

qu’il existe un texte conventionnel international qui, non seulement définit la grande

corruption comme un crime international, mais précise aussi avec une clarté suffisante ses

115 Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217. 116 Patrick TAILLON et Alexis DESCHÊNES, « Une voie inexplorée de renouvellement du fédéralisme canadien : l’obligation constitutionnelle de négocier des changements constitutionnels » (2012) 53 :3 C. de D., 471. 117 Ibid, à la p.470. 118 Ibid, à la p.477. 119 V., Martine BOERSMA, Corruption: a Violation of Human Rights and a Crime under International Law? Cambridge/Antwerp/Portland, Intersentia, 2012.

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différents éléments constitutifs120. Certains auteurs ont opté pour une posture différente pour

montrer le caractère international de la « grande corruption ».

C’est notamment le cas de Cherif Bassiouni121. Il met en exergue les critères permettant

d’attribuer à une conduite interdite le statut de crime international. En effet, après avoir

précisé que « [l]es crimes internationaux ne sont définis [en] droit international [que] par la

voie conventionnelle, et […] par la voie coutumière122 », cet auteur déduit que l’identification

de

[L]’existence d’un crime international dans [une convention internationale repose] sur une méthode inductive d’analyse permettant d’établir qu’une convention fait partie du droit pénal international lorsque celle-ci contient un des dix éléments suivants :(1) reconnaissance explicite du fait que la conduite interdite constitue un crime du droit international, un crime en vertu du droit international ou un crime international ; (2) reconnaissance implicite du caractère pénal de l’acte par la mise en place d’un devoir, d’incriminer, de prévenir, de poursuivre, de réprimer ou par des mesures équivalentes ; (3) incrimination de la conduite interdite ; (4) obligation ou droit de poursuivre ; (5) obligation ou droit de réprimer la conduite interdite ; (6) obligation ou droit de procéder à l’extradition ; (7) obligation ou droit de coopérer dans la poursuite et le châtiment, y compris les modalités de l’entraide judiciaire pénale ; (8) reconnaissance d’une théorie de la compétence pénale ; (9) renvoi de la compétence pénale à une cour pénale internationale ; (10) élimination de la condition d’exonération de la responsabilité pénale dans le cas de l’obéissance aux ordres supérieurs123.

Parmi ces dix éléments, seuls trois font défaut dans les différentes conventions de lutte contre

la corruption. Il s’agit des éléments (1) et (9) et (10). On peut, à cet effet, conclure que, sur

le plan strictement doctrinal, la corruption est un crime international.

La distinction entre les différents crimes internationaux réside, en ce moment, sur les

modalités de leur poursuite. On différencie ainsi les crimes qui obéissent au « système

d’application direct124 », c'est-à-dire des crimes pour lesquels l’instrument conventionnel

120 Le contenu du principe de la légalité est complexe : existence d’une loi ou d’une source formelle, non-rétroactivité, exigence de la clarté suffisante de la définition du crime, interprétation stricte du crime, interdiction de l’analogie, etc. V. Emmanuel HEUGAS-DARRASPEN, « article 22. Nullum crimen sine lege », dans Julia FERNANDEZ et Xavier PACREAU (dir.), Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par article, Tome I, Paris, Pedone, 2012, à la p.782; Robert KOLB et Damien SCALIA (ed.), Droit international pénal, 2e Éd., Bâle, helbing Lichtenhahn, 2012, aux pp.207-209. 121Chérif BASSIOUNI, Introduction au droit pénal international, Bruxelles, Bruylant, 2002, pp.77-84. 122 Ibid à la p.63. 123 Ibid à la p.61. 124 Ibid à la p.59.

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crée en plus de l’incrimination, un mécanisme international de poursuite ; et les autres crimes

internationaux, dont le « système d’application est indirect125 » ; c’est-à-dire, des crimes qui

sont punis par des mécanismes nationaux et/ou étrangers. Tel est le cas de la corruption. Quid

de la « grande corruption » ?

Après avoir analysé les effets de la Grand corruption126, Kofele-Kale estime qu’il s’agit

d’une Indigenous Spoliation, définie comme :

[The] deliberate and systematic plunder of the wealth and resources of a nation by officials in position of public trust in violation of thier fiduciary obligations to the larger community127.

Cette analyse l’amène à vérifier si, par ses effets, ses éléments constitutifs et la valeur sociale

protégée, l’indigenous spoliation ou Grand corruption est susceptible de constituer une

menace contre la paix et la sécurité internationales. Autrement dit, cet auteur veut savoir s’il

est justifié que la Grand corruption fasse partie des crimes devant être soumis à un système

d’application directe. Quatre tests ont été réalisés à cet effet.

Le premier est celui de « Trans-nationality » (l’extraterritorialité du crime). Kofele-Kale

observe que les actes « corruptionnels » affectent les intérêts de plus d’un État128. Tel est le

cas lorsque:

[The] sheer amounts of national wealth plundered is shocking to the conscience of mankind; the destruction of domestic economies and the political instability engendered in the wake; the displacement of large numbers of people and the resultant global economic refugee problem pose a direct or indirect threat to world peace and security; finally, the transfer of spoliated capital to “tax haven” states involves the use of means and instrumentalities that transcend national boundaries129.

125 Ibid. 126 Transparency International, “[…] it’s clear that corruption is a major threat facing humanity. Corruption destroys lives and communities, and undermines countries and institutions. It generates popular anger that threatens to further destabilize societies and exacerbate violent conflicts”, Corruption perception index 2012, en ligne [http://www.transparency.org/cpi2012/results] [consulté le 11/06/13]. 127 N. KOFELE-KALE, The international law of responsibility for economic crimes: holding state officials individually liable for acts of fraudulent enrichment, 2nd Ed., Hampshire, Ashgate Publishing Limited, 2006, p.75. 128 Ibid à la p.76. 129 Ibid.

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Le deuxième test est celui de la valeur fondamentale communément partagée par la

communauté internationale « Essentialness/Effects test ». À ce sujet, l’auteur relève que,

dans son troisième rapport adressé à l’Assemblée générale, le Rapporteur spécial en charge

du Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité avait admis que le

droit à l’autodétermination constitue un intérêt fondamental de la communauté

internationale130. Or, le droit à l’autodétermination implique le droit des peuples à la libre

disposition de leurs biens et de leurs ressources naturelles. La violation de ce droit par

l’indigenous spoliation équivaut à la violation du droit des peuples à l’autodétermination.

Cela constitue une menace à la paix et à la sécurité de la communauté internationale131.

Le troisième test vérifie les conditions dans lesquelles le caractère de jus cogens132 peut

s’appliquer à une norme. Dans cette perspective, Kofele-Kale fait quelques observations

relativement au Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.

D’abord, il fait valoir que les crimes définis dans ce Projet sont ceux qui choquent le plus la

conscience de l’humanité. Cependant, le Projet n’ambitionne pas d’être exhaustif. Il se

présente plutôt comme la prise de conscience d’une nouvelle ère. Pour cela, la liste de ses

incriminations pourrait s’ouvrir à d’autres crimes graves, tels notamment :

Wanton acts of depredations carried out by high-ranking public officials, which have led to the financial and economic ruin of so many countries around the globe […]133.

Ensuite, cet auteur fait remarquer que, de même que d’autres crimes qui ont acquis le

caractère de jus cogens, l’indigenous spoliation pourrait également faire l’objet d’une

convention particulière; à l’instar du génocide, de l’esclavage, de la piraterie, du terrorisme,

etc. Ces crimes sont – à l’image de l’indigenous spoliation – si flagrants que,

[Their] prohibition has now achieved broad acceptance among the community of nations. These crimes have become part of customary international law though a

130 Voir à cet effet art.1 des deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques, et aux droits économiques, sociaux et culturels. 131 N. KOFELE-KALE, préc, note 127, à la p.76. 132 Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, art.53, « […] une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ». 133 Ibid à la p.77.

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formal prohibition may not exist. Indigenous spoliation can also become part of international custom just as these other unconscionable crimes134.

Enfin et dans la même veine que l’observation précédente, l’auteur estime que l’indigenous

spoliation trouve sa source coutumière dans la relation de confiance qui lie les dirigeants

étatiques aux populations. La rupture de cette internationally-recognized fiduciary

obligation135, doit empêcher que les chefs d’État et d’autres dirigeants étatiques bénéficient

d’une quelconque immunité interne ou internationale.

Le dernier test de l’auteur est celui de la reconnaissance internationale « International

Community Recognition ». Selon lui, non seulement la criminalisation de « breaches of

fiduciary obligations » est effective dans plusieurs États, ce crime est aussi concerné par

diverses conventions régionales et internationales. Un tel consensus devrait aboutir à « an

international law on economic crimes with particular reference to the crime of indigenous

spoliation136 ».

Que retient-on de l’herméneutique postmoderne appliquée au concept doctrinal de « grande

corruption »? La consultation de la doctrine et les travaux des groupes sociaux ayant acquis

une expertise dans le domaine de la lutte contre la corruption montrent qu’il est possible de

faire une distinction entre les infractions de corruption, actuellement en vigueur, et les

circonstances aggravantes de ces infractions. Celles-ci pouvant être constitutives de grande

corruption dont les effets s’assimilent « aux crimes les plus graves qui touchent l’ensemble

de la communauté internationale137 ». On peut se demander si, en se plaçant dans des mêmes

conditions d’observation, il est également possible de trouver des liens entre la corruption et

la violation des droits de la personne.

134 Ibid. 135 Ibid à la p.78. 136 Ibid. 137 Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, préc, note 45.

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1.3.1.2 La grande corruption : une violation des droits de l’homme ?

La question des liens entre la corruption et la violation des droits humains est très discutée

en doctrine138. Plusieurs études faites à la fois par les institutions internationales, des

organisations non gouvernementales et la doctrine s’accordent sur le caractère approximatif

des statistiques139 avancées en matière de produit de la corruption. On y retient notamment

que,

[Au] niveau mondial, les actes de la corruption représenteraient entre 600 milliards et 1500 milliards de dollars US […] le chiffre annuel des flux internationaux de produits de la corruption se situe dans une fourchette de 30 à 50 milliards, […] celui des flux provenant des pays en développement et des pays en transition entre 20 et 40 milliards140.

Quant à la Banque mondiale, elle estime que,

[L]es mouvements internationaux de fonds tirés d’activités criminelles, ou d’actes de corruption et de fraude fiscale, représentent des montants de l’ordre de 1000 à 1600 milliards de dollars par an, provenant pour moitié d’économies en développement et en transition. Quant aux seuls montants associés à des pots-de-vin versés à des fonctionnaires des pays en question, ils sont estimés à quelque 20 à 40 milliards de dollars141.

Pour d’autres auteurs, la corruption est évaluée par le Fonds Monétaire International à 500

milliards de dollars (US) par an, soit 2% du PIB mondial142. Au cours de la même période,

les Nations Unies estiment les pertes subies par les entreprises du Nord à 80 milliards de

138 V. notamment, International Council on Human Rights, Transparency International, Corruption and Human Rights: Making the Connection, Geneva, Atar Roto Press SA, 2009; Martine BOERSMA and Hans NELEN (eds.), Corruption & Human Rights: interdisciplinary perspectives, Antwerp – Cambridge – Portland, Intersentia, 2010; Martine BOERSMA, Corruption: a Violation of Human Rights and a Crime under International Law? Cambridge/Antwerp/Portland, Intersentia, 2012. 139 La criminologie contemporaine se heurte toujours à l’identification du chiffre noir de la criminalité. Il s’agit de la différence entre le nombre d’infractions commises et le nombre d’infractions répertoriées dans les statistiques des services compétents (police ou organes judiciaires). Étant donné le caractère secret de la corruption, associé à « l’intelligence » et au statut social des criminels en col blanc, l’identification de ce chiffre est particulièrement difficile en matière de corruption. 140 A.G des N.U., Étude approfondie sur les effets négatifs du non-rapatriement des fonds d’origine illicite dans les pays d’origine sur la jouissance des droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, A/HRC/19/42, 2011, p.3. 141 Alejandra VIVEROS, La Banque mondiale lance l’Initiative pour la restitution des avoirs volés, en ligne, [http://web.worldbank.org] [consulté, le 07/05/12]. 142 Jacqueline RIFFAULT-SILK, « La lutte contre la corruption nationale et internationale par les moyens du droit pénal » (2002) 54 Revue internationale de droit comparé, p.639.

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dollars, ce qui équivaut au montant nécessaire pour éradiquer la pauvreté dans le monde143.

L’Union africaine évalue les pertes du continent à 148 milliards de dollars annuels,

représentant 25% du PIB du continent144.

Cette profusion des chiffres en matière de corruption, notamment dans des contextes sociaux

pauvres, questionne la perspective programmatoire145 des droits économiques et sociaux,

comparativement à la justiciabilité des droits civils et politiques ; dans la mesure où les

premiers droits cités n’impliquent « pas d’obligation juridique stricto sensu, mais un idéal à

atteindre de manière progressive146 ». C’est la raison pour laquelle cette étude adhère à la

thèse suivant laquelle « le développement d’une méthodologie judiciaire [pour mieux

encadrer la justiciabilité des droits économiques et sociaux] contribuerait147 », de façon

significative, à la répression de la corruption.

Toutefois, bien que d’autres études présentent différentes méthodes pour établir un lien de

causalité entre la corruption et les droits de l’homme148, ce rattachement de la corruption à

un droit substantiel a, de notre point de vue, une portée transitoire. Il est révélateur de la

partielle criminalisation du fait « corruptionnel ». Cette quête de légalité vise à intégrer la

corruption en droit positif, afin d’identifier le régime juridique applicable à la poursuite des

faits de corruption. La marge des faits « corruptionnels » qui échappe au système judiciaire,

143Dawn L. ROTHE, « International financial institutions, corruption and human rights violations », in Martine BOERSMA and Hans NELEN (eds.), Corruption & Human Rights: interdisciplinary perspectives, Antwerp – Cambridge – Portland, Intersentia, 2010, p.177, p.182. 144 Mustafa HUSSEIN, « Combating Corruption in Malawi » (2005) 14 African Security Review, p.93. 145 Julie FERRERO, « État des lieux de la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels, dans le système interaméricain » (2015) 108 Rev. trim. dr. h., p. 986. 146 Ibid. 147 David ROBITAILLE, « Pour une théorie de la justiciabilité substantielle et processuelle des droits économiques et sociaux » (2013) 94 Rev. trim. dr. h., p.223. 148 Pour montrer le caractère systématique de la violation des droits fondamentaux du fait de la corruption, il est intéressant d’apprécier la démarche suivie par le Conseil des droits de l’homme et Transparency international. Ces deux organes font une étude croisée des différentes obligations de l’État relativement à la garantie des droits fondamentaux. Ils observent d’abord qu’il faut distinguer “corrupt practices that directly violate a human right from corrupt practices that lead to violation of a human right (but do not themselves violate a right), and from corrupt practices where a causal link with a specific violation of rights cannot practically be established”. Ensuite, ils rappellent que “A violation of human right occurs when a state’s acts, or failure to act, do not conform with state’s obligation to respect, protect or fulfill recognized human rights of persons under its jurisdiction”. Enfin, ils précisent que “While we address each right separately, the interdependency of Human Rights should be kept in mind. In practice, corruption is likely to affect the enjoyment of several rights simultaneously”. V. International Council on Human Rights, Transparency International, Corruption and Human Rights: Making the Connection, Geneva, Atar Roto Press SA, 2009, pp.24, 26 et 31.

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suivant le principe de la légalité criminelle, entretient la perception d’une indépendance

judiciaire à l’épreuve de la corruption. Cette perception n’a pas disparu avec les conventions

internationales de lutte contre la corruption. En effet, alors que la Convention des Nations

Unies a fait du recouvrement des avoirs issus de la corruption, un principe fondamental, elle

réserve, pour l’instant, la vérification de la conformité à cette disposition aux seuls États.

Cette restriction de l’accès à un mécanisme quasi juridictionnel renforce la perception d’une

absence d’équité du système répressif anticorruption, dans la mesure où l’élite dirigeante de

l’État victime peut être à l’origine des avoirs dont l’État sollicite le recouvrement149.

D’une manière générale, on observe que l’analyse du droit pénal de fond invite à constater

que la perception d’un système judiciaire à l’épreuve de la grande corruption trouve une

explication dans la partielle criminalisation du fait « corruptionnel ». Par ailleurs, le constat

du « stato-centrisme150 » relevé par certaines organisations de la société civile pour décrier

la restriction de l’accès aux mécanismes de suivi des conventions internationales aux seuls

États, permet de questionner les mécanismes de poursuite en droit interne, à l’aune de la

théorie de l’indépendance judiciaire suggérée par Montesquieu. En effet, partant de

l’hypothèse que « les théories ne sont jamais définitives, et qu’il faut constamment les

réviser, les perfectionner pour tenir compte des nouveaux phénomènes151 », la relecture de

Montesquieu permet de poser la question suivante : sachant que, pour lui, un « pouvoir

judiciaire nul » –c'est-à-dire non permanent, non identifiable en un organe – est l’excellente

149 V. dans ce sens, Transparency International France et Sherpa, pour une restitution des avoirs volés aux populations victimes. Les enseignements de l’affaire des « Biens Mal Acquis », 2014, en ligne, [www.transparency.ca/9-Files/2014-New/20141120-Rapport%20BMA.pdf] [consulté, le 09/03/2015]., p.10, « […] si la Convention de Merida renforce considérablement les moyens d’action en vue de recouvrer les avoirs volés, ces mêmes moyens sont à la seule disposition de l’État victime. Quid lorsque les élites dirigeantes de cet État sont précisément celles qui se livrent au pillage des ressources du pays ? ». 150 Ibid. 151 Yves BOISVERT, L’analyse postmoderniste. Une nouvelle grille d’analyse socio-politique, Paris, L’Harmattan, 1997, p.14. V. dans le même sens, S. Milacic « Les “grandes idées” traversent les temps et les espaces particuliers en tendant vers l’universalité. Elles “rebondissent” en se “recyclant” dans les différents contextes puisque, par hypothèse, elles sont censées expliquer, au bout du compte, les diversités et les ressemblances humaines […] », Slobodan MILACIC, « De la séparation des pouvoirs à l’idée des contre-pouvoirs : Montesquieu revigoré par le néolibéralisme », dans Alain PARIENTE (dir.), La séparation des pouvoirs. Théorie contestée et pratique renouvelée, Paris, Dalloz, 2007, p.31.

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garantie de la protection des libertés individuelles, comment, de nos jours, ce pouvoir devrait

être organisé pour permettre une poursuite impartiale de la grande corruption ?

1.3.2 Le droit pénal de forme

Il sera question ici d’appliquer l’herméneutique postmoderne à la théorie de la séparation des

pouvoirs, notamment, à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Pour cela, il est apparu

nécessaire de lire la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu dans le contexte

présent. Par cette contextualisation (Livre XI, Chapitre VI, De la constitution d’Angleterre),

il ne sera pas question dans cette thèse de se borner à une interprétation littérale de l’œuvre

de cet auteur ; puisqu’il est constamment admis que la théorie politique de Montesquieu n’est

ni une théorie de la séparation des pouvoirs152 ni moins encore celle de l’indépendance du

judiciaire153. Il ressort toutefois de cette œuvre qu’elle vise, comme finalité première, la quête

d’une meilleure protection des libertés individuelles154. Celles-ci se réalisent, selon

Montesquieu, par l’implication et la collaboration de toutes les strates sociales

(« puissances155 ») à l’exercice des différentes attributions (« fonctions156 ») de la

souveraineté étatique. Car, « tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des

principaux, ou des nobles, ou du peuple exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois,

celui d’exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des

particuliers157 ». Sachant que le concept de « grande corruption » renvoie à l’implication des

dirigeants étatiques dans une activité criminelle de droit commun, la lecture contextuelle ou

152 Charles EISENMANN, « L’“Esprit des lois” et la séparation des pouvoirs », dans Mélanges R. Carré de Malberg, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1933, p. 165 et s.; François SAINT-BONNET, « L’“autre” séparation des pouvoirs de Montesquieu », dans Alain PARIENTE, La séparation des pouvoirs. Théorie contestée et pratique renouvelée, Paris, Dalloz, 2007, p.51. 153 Martine VALOIS, L’indépendance judiciaire. La justice entre droit et gouvernement, préc., note 54. 154 D. Gingras, « Montesquieu, un pionnier des droits de l’homme. […] c’est dans L’esprit des lois que l’individu est considéré à sa juste valeur ; […] cette idée que ni l’État ni sa souveraineté ne sont une fin en eux-mêmes, mais sont au service de l’homme et limités par les droits de l’homme. Lorsqu’il dénonce les régimes politiques dans lesquels tous les pouvoirs sont sous l’autorité d’un seul chef d’État, Montesquieu démontre qu’il accorde une importance capitale aux droits de l’individu. L’affirmation des droits individuels se présente à lui “comme le complément nécessaire de la négation du pouvoir tyrannique” », Denis GINGRAS, Réné Cassin et les droits de l’homme, Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval, 1996, inédit, p.73. 155 Gerard BERGERON, Tout était dans MONTESQUIEU. Une relecture de l’esprit des lois, Paris-Montréal, L’Harmattan, 1996, à la p.175. 156 Ibid. 157MONTESQUIEU, « Livre XI, Chapitre VI, De la Constitution d’Angleterre », dans De l’Esprit des lois, Éditions Gallimard, 1995, p.328.

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l’herméneutique postmoderne, appliquée à la théorie de la séparation des pouvoirs de

Montesquieu, permet de vérifier que les organes du procès pénal des États contemporains ont

des garanties crédibles d’indépendance et d’impartialité. Pour cela, il convient de préciser la

puissance de juger présentée par Montesquieu (1.3.2.1), avant d’évaluer sa réception dans

l’État contemporain (1.3.2.2).

1.3.2.1 La puissance de juger chez Montesquieu

De l’avis de Gérard Bergeron, le chapitre VI du livre XI De L’Esprit des lois « est le plus

important chapitre de philosophie politique de tout l’ouvrage158 ». C’est pour cette raison

qu’il retient l’attention de la présente analyse.

Montesquieu ne procède pas, comme à l’époque contemporaine, à une organisation

systématique du pouvoir judiciaire. Toutefois, il est possible de distinguer, chez lui, un

pouvoir judiciaire, dont la puissance de juger se répartit entre les tribunaux ordinaires et un

tribunal d’exception. Ce dernier est constitué de la partie du corps législatif composé des

nobles. Dans son ensemble, le pouvoir de juger, c’est-à-dire les tribunaux ordinaires et le

tribunal d’exception, remplit quatre missions:

- la punition ou le jugement des différends du peuple ;

- la punition ou le jugement des nobles et des ministres ;

- l’arbitrage des conflits entre la puissance législative et la puissance exécutrice et ;

- l’interprétation des lois.

La première mission est remplie par les tribunaux ordinaires. Le second tribunal est

compétent pour les trois dernières. Pour une bonne exécution de ces missions, le système

judiciaire de Montesquieu bénéficie des garanties suivantes : l’impartialité, l’indépendance

et l’autonomie fonctionnelle.

1.3.2.1.1 L’impartialité

Selon le juge Le Dain, dans l’arrêt Valente, « l’impartialité désigne un état d’esprit ou une

attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige159 ». Plusieurs considérations dans l’œuvre

de Montesquieu rendent compte de cette attitude, relativement à l’organisation du tribunal, à

158 G. BERGERON, préc, note 155, à la p.169. 159 R.c. Valente, [1985] 2 R.C.S, à la p.685.

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la sélection des juges et aux entités ou personnes susceptibles d’être jugées. L’impartialité

détectée dans l’œuvre de Montesquieu se révèle comme suit :

[La] puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple dans certains temps de l’année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert160.

En clair, puisque, pour Montesquieu, la puissance de juger est la plus liberticide des

puissances161, elle ne doit pas faire l’objet d’une organisation permanente, encore moins d’un

corps de métier permanent, car « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du

pouvoir est porté à en abuser162 ». Cette logique montesquienne a été bien saisie par Hannah

Arendt qui estime que la philosophie politique de Montesquieu avait été privilégiée par le

constituant américain du XVIIIe siècle, « parce qu’il était le seul de son époque à effectuer

une synthèse entre “pouvoir” et “liberté”163 ». Le juge doit être ad hoc afin d’éviter

l’émergence d’une nouvelle classe sociale dont les éventuels privilèges auraient conduit à la

confusion entre l’institution judiciaire et la personne du juge164. Ceci aurait miné la confiance

du citoyen dans l’institution. Or, pour renforcer cette confiance, le juge est ad hoc. Il est

dénué de conscience et d’opinion. Il se contente d’appliquer strictement la loi dont il n’est

que « la bouche ». Cette loi n’est pas étrangère au justiciable puisqu’il a participé à son

élaboration à travers ses représentants à la puissance législative. C’est dans ce contexte que

Montesquieu mentionne la subordination du judiciaire au législatif, puisque l’un se limite à

exécuter ce qui a été préalable défini par l’autre165. Le pouvoir de juger est ainsi « nul », c'est-

à-dire non visible et non identifiable en un organe ou en une personne. William Bondy estime,

160 MONTESQUIEU, préc, note 157, aux pp.329 à 330. 161 Ibid. 162 MONTESQUIEU, préc, note 157, à la p.326. 163 D. GINGRAS, préc, note 154, à la p.60. V. aussi C. Eisenmann « Tout le monde s’accorde à reconnaître que l’idée politique, ou tout au moins l’une des idées politiques, de Montesquieu était […] “le pouvoir arrête le pouvoir” ». C. EISENMANN, préc, note 152, à la p.175. 164 V. dans ce sens Fabrice HOURQUEBIE, Le pouvoir juridictionnel en France, Paris, PUF, 2010. À propos du « corporatisme » des juges, pp.34-35. V. aussi J.-P. Royer et al., au sujet de la méfiance des révolutionnaires français de 1789 à l’égard d’un “pouvoir judiciaire”: «il est certain qu’ils ont voulu à jamais dissiper l’esprit de corps qui avait animé “ces corporations judiciaires qui ont érigé en principes tous les systèmes favorables à leur domination” ». Jean-Pierre ROYER et al., Histoire de la justice en France, 4e ed., Paris, PUF, 2010, à la p.255. 165 J. Roels, « si on pousse l’analyse plus avant, le pouvoir judiciaire n’y gagne pas en indépendance, car sur le plan théorique lui-même, le pouvoir législatif est censé être exercé au nom de la nation, en sorte que c’est bien une tâche d’exécution de la loi qui incombe au juge […] », JEAN ROELS, « Aux sources historiques des fondements du pouvoir judiciaire, l’Assemblée constituante française de 1789-1791 » (1975) 43 Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, à la p 50.

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à cet effet, qu’il s’agit de la partie inactive du pouvoir exécutif, qui ne procède à l’exécution

des lois qu’en cas de litige166.

Toutes ces précautions contribuent à garantir l’impartialité du pouvoir judiciaire. De plus,

cet attribut est renforcé par la prérogative reconnue au justiciable de récuser le juge. Cette

récusation est une garantie essentielle de la confiance du citoyen dans la justice. Elle est

nécessaire parce qu’il est aussi important que le justiciable puisse se reconnaître dans le juge.

Les juges doivent être « de la condition de l’accusé, ou ses pairs, pour qu’il ne puisse pas se

mettre dans l’esprit qu’il [est] tombé entre les mains de gens portés à lui faire violence167 ».

Cette condition justifie que la composition du tribunal soit faite en fonction du statut et du

corps social auxquels appartient l’accusé. Ainsi, le citoyen ordinaire sera jugé par un tribunal

ordinaire dont les juges sont « [tirés] du corps du peuple ». Or, il serait difficile pour ces

mêmes juges de garder leur impartialité s’ils étaient appelés à juger les nobles, puisque ceux-

ci

[Sont] toujours exposés à l’envie ; et s’ils étaient jugés par le peuple, ils pourraient être en danger, et ne jouiraient pas du privilège qu’a le moindre des citoyens […] Il faut donc que les nobles soient appelés, non pas devant les tribunaux ordinaires de la nation, mais devant cette partie du corps législatif qui est composée de nobles168.

Montesquieu fait de cette partie du corps législatif, un tribunal « ordinaire » pour des nobles.

Seulement, il est intéressant de savoir si cette quête de l’impartialité ne viole pas la

différenciation fonctionnelle opérée avant. Puisque Montesquieu précise que « si elle [la

puissance de juger] était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des

citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur169 ». Qu’en est-il du pouvoir sur la vie

et la liberté des nobles, jugés par leur puissance législative ?

Il est possible que deux considérations aient tempéré le risque liberticide encouru par cette

monopolisation des deux pouvoirs par un seul corps. D’abord, étant donné que la puissance

166 William BONDY, Separation of Governmental Powers: in History, in Theory and in the Constitutions, New York, Columbia College, 1896. “the executive power is generally divided into organs: the administrative, which is active; and the judicial, which is inactive, has no initiative, and is only exercised when a controversy arises” P.15 [147]. 167 MONTESQUIEU, préc, note 157, à la p.330. 168 Ibid, à la p.337. 169 Ibid à la p.328.

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législative est partagée par le corps des nobles et le corps qui est choisi par le peuple, et que

chaque corps a « [ses] assemblées et [ses] délibérations à part170 », on pourrait envisager que

l’impartialité du corps des nobles dans le jugement de ses semblables serait garantie par son

abstention à la votation de la loi qui fondera son jugement. Mais, un tel raisonnement est

absurde, dans la mesure où chaque assemblée a ses propres délibérations, et que Montesquieu

précise, par ailleurs, que les nobles ont leurs intérêts propres. Il est difficile d’envisager qu’ils

acceptent d’être jugés par des lois d’une autre assemblée, notamment, les lois du peuple.

Montesquieu validerait donc l’impartialité du corps des nobles, agissant comme tribunal sur

des considérations subjectives. En effet, compte tenu des mœurs en vigueur à cette époque,

il pourrait espérer que même si la partie du corps législatif qui est composée des nobles

participe à l’élaboration des lois qui fonderont ses jugements, l’impartialité serait inhérente

à la noblesse. Elle n’aurait donc pas besoin des garanties supplémentaires pour que la justice,

par elle rendue, soit considérée comme impartiale. Par contre, l’impartialité de cette classe

ne peut pas être douteuse lorsqu’elle agit comme « une puissance réglante » qui tempère les

éventuels conflits entre les puissances législative et l’exécutrice. L’auteur reste cependant

discret sur les éventuels conflits susceptibles d’opposer le corps législatif, composé des

nobles, au pouvoir exécutif. On pourrait envisager en toute logique que la « puissance

réglante », dans ce cas, soit le corps législatif composé des représentants du peuple.

Peu importe les incohérences de ce schéma, il est essentiel de retenir qu’en matière

d’impartialité du tribunal, seul « l’intérêt particulier de celui qui doit être jugé171 » intéresse

l’auteur. Il en est d’ailleurs conscient. C’est pour cette raison qu’il avertit son lecteur que

« quoiqu’en général la puissance de juger ne doive être unie à aucune partie de la législative,

cela est sujet à trois exceptions […]172 ». Ces exceptions s’appliquent aussi à certains citoyens

ne faisant pas partie de la classe des nobles. Tel est, par exemple, le cas des gestionnaires des

affaires publiques qui violeraient, dans leur gestion, les droits des peuples. Cependant, il ne

faut pas perdre de vue que l’impartialité du tribunal est une fin qui ne peut être conquise sans

son indépendance173.

170 Ibid à la p.333. 171 Ibid à la p.337. 172 Ibid. 173 R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, à la p.139.

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1.3.2.1.2 L’indépendance

Analysant le renvoi de la Cour suprême du Canada relatif à la rémunération des juges174,

Martine Valois, selon une grille d’analyse sociohistorique, désapprouve la réflexion des juges

majoritaires175 selon laquelle « l’indépendance de la magistrature est une conséquence de la

séparation des pouvoirs176 ». En se fondant sur la théorie de différenciation sociale, cette

auteure estime que « l’indépendance judiciaire doit être considérée comme étant

l’aboutissement de la séparation du droit des autres modes d’exercice de l’autorité

politique177 », car il serait « à la fois anachronique et paradoxal d’utiliser la doctrine de la

séparation des pouvoirs comme justification au principe de l’indépendance judiciaire178 ». Il

s’observe à la lecture du chapitre VI du Livre XI De l’Esprit des lois, que la justesse de

l’analyse faite par Martine Valois néglige les interférences des actions politiques dans la

diffusion lente et progressive de l’évolution sociale. Son observation vise à cantonner l’étude

théorique de l’indépendance judiciaire à la seule grille d’analyse sociologique. Or, « [u]ne

certaine forme de pluralisme épistémologique nous paraît dès lors constituer un point de

départ inévitable, au sens où la diversité des points de vue possibles à l’égard d’un même

objet ne permet à aucun d’eux de revendiquer une position à tous égards privilégiée179 ». Dès

cet instant, il semble logique d’admettre qu’en qualifiant de despotique le gouvernement au

sein duquel les trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, Montesquieu fait de la

séparation des pouvoirs (et donc de l’indépendance judiciaire), le gage d’un gouvernement

modéré, c'est-à-dire d’un gouvernement protecteur des libertés individuelles. Dans cette

174 Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de I.P.É.; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de I.P.É.; [1997] 3 RCS 3, 1997 CanLII 317 (CSC). V. aussi, G. Côté-Harper, « dans certains États, on peut identifier une tension croissante entre les pouvoirs exécutifs et législatifs à l’égard du pouvoir judiciaire, menaçant ainsi l’indépendance institutionnelle qui repose sur la séparation des pouvoirs », GISÈLE CÔTÉ-HARPER, « L’État de droit et l’indépendance judiciaire » (1998) 11.2 Revue québécoise de droit international, 152. 175 Voir M. Valois, thèse préc, note 96, à la p.353 : « Il est […] à la fois anachronique et paradoxal d’utiliser la doctrine de la séparation des pouvoirs comme justification au principe d’indépendance judiciaire. » ; à la p. 462 : « Or, nous l’avons démontré, la théorie politique de la séparation des pouvoirs n’a jamais existé au profit du pouvoir judiciaire ». 176 Renvoi, préc, note 174, par. 130. 177Martine VALOIS, L’indépendance judiciaire. La justice entre droit et gouvernement, préc, note 54., à la p.283. 178 Ibid. 179 François OST et Michel VAN DE KERCHOVE, « De la scène au balcon. D’où vient la science du droit ? », dans F. CHAZEL et J. COMMAILLE (dir.), Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ, 1991, à la p.68.

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perspective de protection desdites libertés, la place accordée à la dissociation de la puissance

de juger des autres pouvoirs est capitale. Les libertés individuelles pouvant être garanties

même si le prince s’octroie les pouvoirs exécutifs et législatifs, à condition qu’il « laisse à

ses sujets l’exercice du [pouvoir judiciaire]180 ». Cette analyse est partagée par Jean Roels

qui estime que « Montesquieu pense comme Locke que l’indépendance du judiciaire est plus

essentielle encore que la séparation entre le législatif et l’exécutif181 ». D’une façon générale,

il ressort De la constitution d’Angleterre que l’indépendance judiciaire est à la fois

organique182 et personnelle, mais relativement matérielle et institutionnelle183.

Aux plans organique et personnel, dire que le pouvoir judiciaire est indépendant signifie qu’il

existe un personnel affecté à un service singulier qui se distingue des autres services de l’État

par sa forme (procédure) et son objet184 (matière).

En ce qui concerne le service judiciaire, il convient de distinguer l’indépendance des

tribunaux ordinaires de celle de la partie législative composée des nobles, lorsqu’elle agit en

qualité de tribunal.

Pour les premiers (tribunaux ordinaires), leur invisibilité ou leur non-permanence contribue

à leur indépendance, voire à leur autonomie. Ils ne sauraient être, par leur nullité, rattachés

ni à la puissance exécutrice ni à la puissance législative.

Quant à la partie du corps législatif qui est composée des nobles, deux considérations mettent

en exergue son indépendance :

180 MONTESQUIEU, préc, note 157, à la p.328. 181 J. ROELS, préc, note 165, à la p.46. 182 On entend par organe, aux fins de cette étude, l’« instrument d’une fonction ; éléments qui liés à la structure d’une institution, en assure le fonctionnement [ou] personne ou service chargé de remplir une fonction constitutionnelle », Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris, PUF, 2002, p.715. 183 On entend par institution la « réalité que constitue […] un organisme existant lorsque s’y dégagent la conscience d’une mission et la volonté de la remplir en agissant comme une personne morale. [Ça peut aussi être une] organisation sociale établie en relation avec l’ordre général des choses dont la permanence est assurée par un équilibre de forces ou par une séparation des pouvoirs et qui constitue par elle-même un état de droit », ibid à la p.553. 184 V. dans ce sens Roger BONNARD, « La conception matérielle de la fonction juridictionnelle », dans Mélanges R. Carré de Malberg, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1933, p.1 et s.

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- d’abord, elle est préoccupée par ses intérêts particuliers185. Ceux-ci sont différents de

« la volonté générale de l’État186 » issue des représentants du peuple. Ce qui

caractérise son indépendance vis-à-vis du pouvoir législatif ;

- ensuite, ayant des intérêts différents, elle ne participe pas à « l’exécution de cette

volonté générale187 » par l’exécutif. D’où son indépendance par rapport à l’exécutif.

Cette indépendance vaut également lorsque les gestionnaires des affaires publiques, auteurs

des violations du droit du peuple, sont accusés188.

Au plan personnel, la société de Montesquieu est composée de trois corps (strates sociales).

Le peuple, les nobles et le prince. Le prince est, d’emblée, exclu de la fonction judiciaire :

c’est la principale caractéristique d’un État modéré. Le pouvoir judiciaire y est exercé par le

peuple et les nobles. En ce qui concerne les représentants du peuple qui siègent en qualité de

juge, Montesquieu met en exergue deux garanties complémentaires, constitutives de leur

indépendance: leur « [tirage] du corps du peuple189 » pour un contentieux précis et la

possibilité offerte à l’accusé de les récuser. Par ailleurs, en permettant que « les juges soient

de la condition de l’accusé, ou ses pairs […]190 », et en laissant que celui-ci puisse « récuser

un si grand nombre [de juges], que ceux qui restent soient censés être de son choix191 »,

Montesquieu ne laisse pas savoir si pareilles garanties ont également été offertes à

l’accusation. Cette précision n’était pas nécessaire, puisque dans le contexte de Montesquieu,

l’indépendance de l’accusation est garantie par sa diversité. Elle peut être l’œuvre d’une

personne privée, d’un agent public ou du juge192.

Relativement à la situation sociale des juges, cette condition semble négligeable dans

l’analyse de l’indépendance judiciaire, car les juridictions de Montesquieu sont constituées

de juges ad hoc.

185 MONTESQUIEU, « […] il faut qu’il [le corps des nobles] ait un très grand intérêt à conserver ses prérogatives, odieuses par elles-mêmes, et qui, dans un État libre, doivent toujours être en danger », p.333. 186 Ibid à la p.330. 187 Ibid. 188 L’une des principales idées soutenues dans cette thèse stipule qu’il est difficile de convoquer l’indépendance judiciaire, relativement à la criminalité des dirigeants étatiques, tant que le ministère public reste subordonné au pouvoir exécutif. 189 MONTESQUIEU, préc, note 157, à la p.330. 190 Ibid. 191 Ibid. 192 J.-M. CARBASSE, préc, note 77, à la p.148.

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Aux plans matériel et institutionnel, relativiser l’indépendance judiciaire invite à se souvenir

que la théorie politique de Montesquieu vise une finalité idéelle : la réalisation d’un

gouvernement modéré. Autrement dit, la sacralisation193 de la liberté individuelle. C’est

pour atteindre cette finalité (unité matérielle) que la souveraineté étatique se répartit en trois

dépendances principales. Il y a donc, au sein de chaque État, une unité matérielle dont la

réalisation nécessite que les différentes institutions (législatif, exécutif, judiciaire) aient

chacune dans leur domaine de compétence propre, la faculté de statuer194, et dans le domaine

de compétence d’autres institutions, la faculté d’empêcher195. Cette dialectique induit que les

193 Luc Ferry, « j’entends ici le terme “sacré”, non au sens religieux, mais dans son acception étymologique et philosophique, non pas comme l’opposé du profane, mais plutôt comme “ce pourquoi on peut se sacrifier”, risquer ou donner sa vie. […] les motifs traditionnels du sacrifice collectif ont été littéralement liquidés, du moins en Europe, presque liquéfiés par la grande déconstruction des valeurs et des autorités traditionnelles […] Qui voudrait encore aujourd’hui dans les jeunes générations, mourir pour Dieu, pour la patrie ou pour la révolution ? Presque ou personne. […] Il suffit de s’interroger en son for intérieur sur les raisons qui pourraient encore nous conduire à risquer notre vie, pour percevoir qu’elles n’ont point toutes disparu, que notre rapport au sacré, entendu comme un motif de sortie de soi, de suspension de l’égocentrisme individualiste, n’est nullement anéanti. Simplement, sous l’effet de l’histoire de la vie privée et de la montée en puissance des exigences de l’affectivité, ses objets ont changé. Il s’est incarné ailleurs, dans des personnes et non plus dans des abstractions. […] Les seuls êtres pour lesquels nous serions prêts désormais, s’il le fallait absolument, à mettre en jeu notre existence sont d’abord et avant tout des humains, non plus des idéaux politiques ou religieux, mais des êtres de chair et de sang, à commencer bien sûr par ceux que nous aimons, par ceux qui sont pour ainsi dire transfigurés, puis “sacralisés” par l’amour. Nous vivons ainsi un moment de refondation à nul autre semblable, une de ses périodes rares et précieuses où il nous faut découvrir, voire inventer une nouvelle vision du monde touchant tous les domaines de l’existence humaine, depuis la connaissance théorique jusqu’à l’éthique, de la métaphysique à la politique en passant par la vie quotidienne. Une sorte de révolution copernicienne qui, à la place des principes fondateurs anciens – le cosmos des Grecs, le Dieu des grandes religions, le cogito, la raison et les droits de l’humanisme républicains –, faits de l’amour, de l’amitié et de la fraternité le nouveau socle de nos valeurs et le place au cœur de nos préoccupations. », c’est nous qui soulignons. LUC FERRY, La révolution de l’amour. Pour une spiritualité laïque, Paris, Plon, 2010, pp.14-16. Cette théorie philosophique de L. Ferry (la spiritualité laïque, dont le corollaire est la sacralisation de l’humain), se retrouve depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale dans les nouveaux paradigmes fondateurs du droit international humanitaire, avec le concept de la responsabilité de protéger ; et du droit international des droits de l’homme, avec la théorie des obligations positives des États. Cette substitution des valeurs traditionnelles (abstraites) par l’idéalisation de la personne humaine (valeur concrète) est aussi justificative de l’herméneutique postmoderne. D’où la nécessité d’une flexibilité du droit pénal (un droit pénal postmoderne), c'est-à-dire, un droit pénal plus protecteur des libertés individuelles, et moins préoccupé par la souveraineté étatique. Par ailleurs, il ressort des travaux de J.-M. Carbasse qu’à partir des années 1720, l’homme était privilégié au dépourvu d’une justice prompte et rigoureuse. Toutefois, après la révolution de 1789, les droits de l’homme ont fléchi devant l’impératif de la défense de la Révolution, puis celle de la République. ibid, pp.382. 194 MONTESQUIEU, préc, note 157, à la p.334 : « j’appelle faculté de statuer, le droit d’ordonner par soi-même, ou de corriger ce qui a été ordonné par un autre ». 195 Ibid., « j’appelle faculté d’empêcher, le droit de rendre nulle une résolution prise par quelqu’un d’autre ».

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différentes institutions réalisant leur mission particulière, pour une fin commune, ne peuvent

pas être séparées à la manière du ciel et de la terre, mais plutôt, reliées tels l’océan et le

continent196.

Dès lors, que la théorie politique de Montesquieu soit comprise comme une théorie des

checks and balances197, ou comme celle de la primauté parlementaire198, ou encore comme

celle de la primauté du droit199 via l’indépendance judiciaire ; on peut simplement admettre,

à la manière de la métaphore « d’un roman écrit à la chaîne par une pluralité d’auteurs, chacun

responsable d’un chapitre200 », que l’auteur du premier chapitre, Montesquieu, en sa qualité

de pionnier des droits de l’homme, a laissé le soin aux auteurs ultérieurs d’organiser les

différents pouvoirs de l’État dans une perspective protectrice des libertés individuelles. On

ne peut, dans ce contexte, que partager la synthèse faite par Gérard Timsit selon laquelle « le

discours de Montesquieu à propos de la séparation des pouvoirs comporte trois thèmes

étroitement imbriqués – le thème de la balance des pouvoirs […] – le thème de l’équilibre

des puissances sociales […] – celui de la spécification des actes juridiques […]201 ». Puisque

la spécification des actes juridiques incombe à titre principal au pouvoir judiciaire, on peut

comprendre qu’il soit différencié des autres organes de l’État par son autonomie

fonctionnelle.

196 V. dans ce sens, W. BONDY, préc, note 166, «each [executive, legislative and judicial departments] owes its existence to the will of the state only, and not to the will of any of the other departments, each is now independent of and co-ordinate with the others», à la p.10 [142]. V. aussi F. Hourquebie, préc, note 164, « l’indépendance du troisième pouvoir devient ainsi toute relative puisque les pouvoirs sont fonctionnellement dans une relation de complémentarité ou de concurrence qui les rend substantiellement et organiquement dépendants les uns des autres. Au surplus, l’interdépendance du pouvoir juridictionnel avec les autres pouvoirs constitutionnels doit permettre au juge, comme aux autres pouvoirs, de rendre des comptes sur son activité », à la p.37. 197 Théorie constitutionnelle des États-Unis. 198 Théorie constitutionnelle en vigueur dans certains systèmes juridiques de la Common Law, notamment au Canada. 199 Théorie constitutionnelle canadienne depuis l’enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés dans la Constitution canadienne. Selon Nicole Duplé, « si la suprématie de la constitution était certaine avant 1982, l’ère du constitutionnalisme canadien n’a cependant débuté qu’à partir de cette date avec l’introduction de la Charte canadienne des droits et libertés dans la constitution du Canada ». V. NICOLE DUPLÉ, Droit constitutionnel : principes fondamentaux, 4e Éd., Manuel de l’étudiant, Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, p.84. 200 P. MOOR, « ‘‘Le char de l’État navigue sur un volcan’’ ou brève note sur les métaphores, spécialement sur celles de l’État de droit », préc, note 97, à la p.97. 201 Gérard TIMSIT, « M. Le Maudit. Relire Montesquieu », dans Comité de patronage marceaulong (dir.), Mélanges René Chapus : droit administratif, Paris, Montchrestien, 1992, p.618. V. aussi S. MILACIC, « trois mots-clés apparaissent dans le vocabulaire conceptuel de Montesquieu : séparation, équilibre, modération », préc, note 151, à la p.36.

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1.1.2.1.3 L’autonomie fonctionnelle

La théorie politique de Montesquieu peut être perçue suivant deux approches. Dans la

première, elle peut être considérée comme une théorie d’équilibre des corps sociaux, au sein

de laquelle chaque corps dispose d’une puissance. Dans la seconde, elle est une théorie de

séparation organique, mais de collaboration fonctionnelle, dans une perspective de protection

des libertés individuelles. L’herméneutique postmoderne nous convie à contextualiser la

théorie politique de Montesquieu aux fins de la protection contemporaine des mêmes libertés

individuelles. Cela étant, la société d’aujourd’hui n’est plus divisée en classes sociales

antagonistes. Dans un tel contexte, le pouvoir judiciaire ne se limite plus aux seuls tribunaux

ordinaires. Il intègre aussi la partie du corps législatif composée des nobles. Telle est

l’organisation judiciaire dont il faut observer l’autonomie fonctionnelle. Dans une telle

perspective, il est nécessaire de comprendre avec circonspection Montesquieu lorsqu’il

précise, d’une part que « [des] trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en

quelque façon nulle. Il n’en reste que deux202 » et, d’autre part, que « les juges de la nation

ne sont, […] que la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés qui n’en

peuvent modérer ni la force ni la rigueur203 ».

En analysant au plan fonctionnel le pouvoir judiciaire, on se rend compte que Montesquieu

ne le limite pas à la simple « [application] de la loi, à la faire respecter dans toute sa rigueur,

sans même pouvoir l’interpréter ou la nuancer d’une quelconque manière204 ». C’est à la

classe populaire, agissant comme juge (tribunaux ordinaires), que cette limitation s’applique,

et non à l’ensemble du pouvoir judiciaire composé des tribunaux ordinaires et de la partie du

corps législatif composée des nobles. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue qu’il a été

relevé supra que « Montesquieu pense comme Locke que l’indépendance du judiciaire est

plus essentielle encore que la séparation entre le législatif et l’exécutif205 ». Il ne saurait, pour

cette raison, avoir une compréhension aussi restrictive des compétences de ce pouvoir sans

202 Montesquieu, préc, note 157, à la p.333. 203 Ibid à la p.337. 204 J. ROELS, « Aux sources historiques des fondements du pouvoir judiciaire, l’assemblée constituante française de 1789-1791 », préc, note 165, à la p.46. 205 Ibid.

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le subordonner implicitement au pouvoir législatif. Cette apparente limitation des

compétences judiciaires s’explique par la logique montesquienne de répartition des

compétences entre les différentes strates sociales afin d’assurer leur équilibre206.

Le pouvoir judiciaire est exercé par deux institutions : les tribunaux ordinaires, dont les juges

sont tirés du corps des peuples, et la partie du corps législatif, qui est composée des nobles.

De sorte que, si les tribunaux ordinaires ne peuvent « modérer ni la force ni la rigueur » de

la loi, cette restriction ne s’adresse pas à l’ensemble du pouvoir judiciaire. C’est une

compétence de l’autre frange de ce pouvoir, notamment la partie du corps législatif composée

des nobles et statuant comme « tribunal207 ». Ce tribunal dispose d’une « autorité suprême à

modérer la loi en faveur de la loi même, en prononçant moins rigoureusement qu’elle208 ».

Cette analyse invite à tempérer la suprématie législative sur le judiciaire selon la perspective

montesquienne209, puisque la loi, dont l’interprétation est interdite au tribunal ordinaire n’est

pas renvoyée à son auteur (la partie du corps législatif composée des représentants du peuple),

mais plutôt, à une instance juridictionnelle qualifiée de « suprême210 » ou

d’ « exceptionnelle211 ».

S’il y a chez Montesquieu une quête d’équilibre ou de collaboration entre les différentes

classes sociales, il y a, par contre, une autonomie de la fonction juridictionnelle. Laquelle

justifie son indépendance et son impartialité. On peut se demander si, dans le contexte

contemporain, la fonction juridictionnelle jouit d’une autonomie similaire, susceptible de

garantir son indépendance et son impartialité lorsque l’implication des dirigeants étatiques

dans une activité criminelle de droit commun est alléguée.

206 G. TIMSIT, préc, note 201. 207 Montesquieu reste cependant silencieux sur la saisine de ce tribunal « exceptionnel », lorsque la loi n’est pas claire. Est-il saisi par l’une des parties, le tribunal ordinaire, le juge, ou se saisit-il lui-même? 208 MONTESQUIEU, préc, note 157, à la p.338. 209 V. dans le même sens, F. HOURQUEBIE, préc, note 164, aux pp.12-13; V. aussi pour une interprétation actualisée, Dmitri Georges LAVROFF, « Conclusion », dans Alain PARIENTE (dir.), La séparation des pouvoirs. Théorie contestée et pratique renouvelée, Paris, Dalloz, 2007, à la p.151. 210 MONTESQUIEU, préc, note 157. 211 Ibid.

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1.3.2.2 Le dévoiement de la puissance de juger dans les systèmes juridiques contemporains

La question fondamentale qui se pose dans la présente section est de savoir si la fonction

juridictionnelle est – encore – une « puissance » dans les systèmes étatiques contemporains.

Autrement dit, peut-on dire, qu’à l’image des pouvoirs exécutif et législatif, le pouvoir

judiciaire constitue un véritable « pôle de pouvoir » dans les systèmes juridiques de Droit

Civil et de Common Law ?

Il ressort globalement de la littérature spécialisée que, si elle s’est beaucoup intéressée aux

travaux de Montesquieu, L’esprit des lois, elle a surtout discuté du sens et des sources de la

division tripartite ou bipartite des pouvoirs, de leurs relations exclusives ou complémentaires

relativement à leur réception par les acteurs politiques212. Or, ceux-ci se sont limités à une

« interprétation orientée de Montesquieu213 ». Une telle vision n’a pas été favorable à une

abondante recherche sur la réception de la fonction juridictionnelle dans les institutions

étatiques contemporaines, selon la perspective montesquienne214. C’est donc au regard De la

Constitution d’Angleterre que le pouvoir judiciaire sera analysé. Il s’agira, à titre illustratif,

des droits français/camerounais215 et canadien.

212 P. Avril met en exergue, dans le contexte français, un cas de « manipulation » par des hommes politiques, du principe de la séparation des pouvoirs : « Cette idée que la séparation des pouvoirs peut être un masque sous lequel celui qui l’invoque fait passer autre chose, qu’il ne dit pas explicitement, me paraît s’appliquer à l’usage qu’en fait le général de Gaulle en 1958 […] ». Pierre AVRIL, « La séparation des pouvoirs et la Ve République : le paradoxe de 1958 », dans Alain PARIENTE (dir.), La séparation des pouvoirs. Théorie contestée et pratique renouvelée, Paris, Dalloz, 2007, à la p.80. 213 F. HOURQUEBIE, préc, note 164, à la p.13. 214 La présente thèse adhère à l’idée (déjà admise par Hannah Arendt, voir, note 163) selon laquelle, la Constitution américaine, avec sa logique des checks and balances, semble plus conforme à la théorie de Montesquieu. Car tel qu’il a été démontré supra, en recherchant la protection des libertés individuelles, Montesquieu répartit les fonctions étatiques entre les différentes strates sociales. Si bien qu’en limitant de façon apparente la fonction juridictionnelle : « des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en quelque façon nulle », Montesquieu ne vise que la fonction exercée par le peuple, et non la fonction juridictionnelle dans son ensemble. Celle-ci est exercée par le peuple et les nobles. V. aussi F. Hourquebie, « reste qu’à partir d’un même objet d’étude, la théorie de Montesquieu, des conséquences radicalement opposées ont été tirées de part et d’autre de l’Atlantique. Car, à l’interprétation française d’une séparation des pouvoirs déséquilibrée reléguant le judiciaire répond la conception américaine des checks and balances à visée d’équilibre global entre des pouvoirs distincts, mais puissants », ibid à la p.14. 215 Il convient de relever que le droit civil camerounais tire sa source du droit civil français. La distinction entre les deux systèmes peut se situer alternativement sur les hypothèses de pluralisme juridique, inhérentes d’une part, à la concurrence entre les droits traditionnels camerounais et le droit civil ; et d’autre part, à la conciliation entre le droit civil et la Common Law puisque deux provinces sur les dix que compte le Cameroun sont influencées par ce système.

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1.3.2.2.1 La puissance de juger en Droit Civil

Après avoir observé que Montesquieu tenait compte de deux déterminants dans la réalisation

du gouvernement modéré, notamment la composition du corps social – peuple, noblesse, roi

– et les fonctions – législative, judiciaire, exécutive – on peut s’interroger sur l’actualité de

sa théorie dans un contexte où le premier déterminant (la composition du corps social) a

disparu. Il est ainsi utile de savoir comment pourraient être réparties les fonctions étatiques,

dans une société au sein de laquelle il n’existe plus de différenciation sociale liée à la

naissance, puisque tous les citoyens sont admissibles aux mêmes droits et obligations.

En ce qui concerne la fonction juridictionnelle, exercée selon Montesquieu par le peuple

(tribunaux ordinaires) et les nobles (sénat agissant en qualité de tribunal d’exception), quatre

attributions essentielles lui sont reconnues dans De la Constitution d’Angleterre. Il s’agit de :

- la punition des crimes ou le jugement des différends des particuliers,

- la punition des crimes des citoyens chargés de la gestion des affaires publiques,

- l’interprétation de la loi (modérer la loi en faveur de la loi même) et,

- l’arbitrage des différends entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.

La réception de la Constitution d’Angleterre, dans un contexte révolutionnaire et contre-

révolutionnaire français, si elle a eu l’avantage d’abolir la stratification du corps social, a, par

contre, au plan fonctionnel, alterné les suprématies législative et exécutive au préjudice du

juridictionnel, selon que le système politique en vigueur était parlementaire, autoritaire ou

présidentiel216. Ce qui a vidé la théorie montesquienne de sa substance.

En effet, tout commence le 5 mai 1789, lorsque le roi Louis XVI ouvrit les travaux des états

généraux avec une répartition disproportionnée des différentes catégories sociales. Y étaient

conviés 1139 députés repartis ainsi qui suit : « 291 pour le clergé [dont 208 proches du tiers

état (c'est-à-dire le peuple)], 270 représentants de la noblesse et 578 du tiers état217 ».

L’autoproclamation de cette assemblée en assemblée nationale constituante, le 9 juillet 1789,

avait eu pour corollaire qu’elle devenait, par cet acte, la seule détentrice de la souveraineté218.

Ainsi, à la logique de collaboration fonctionnelle de Montesquieu, se substitua une logique

216 V. notamment, Jean-Pierre ROYER et al., Histoire de la justice en France, 4e ed., Paris, PUF, 2010, préc, note 164. 217 Ibid à la p.230. 218 Ibid à la p.233.

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de préséance, mieux, de suprématie d’une fonction sur les autres219. Le peuple n’avait pas

seulement réussi à assimiler en lui les autres catégories sociales (noblesse et royauté). Mais,

il avait également privilégié sa fonction (législative) sur les autres, notamment sur la fonction

juridictionnelle220. On feignait, dans un tel contexte, d’être favorable à la nullité de la fonction

juridictionnelle de Montesquieu221, mais on s’écartait de son esprit. Le système de Droit Civil

se mettait alors sous l’empire de la suprématie législative.

En ce qui concerne la suprématie de l’exécutif, elle trouve sa source dans la constitution de

l’an VIII. « Le gouvernement se plaçait délibérément au-dessus de l’administration du

judiciaire, en remplaçant la notion de pouvoir judiciaire par celle d’autorité judiciaire,

exercée par un corps de fonctionnaires subordonnés au pouvoir politique222 ».

Cependant, si les deux pouvoirs politiques que sont le législatif et l’exécutif ont réussi à

écarter le judiciaire de l’enjeu de l’équilibre des institutions étatiques, cette mise à l’écart

219 G. Delaloy, « ce n’est pas pour répartir la souveraineté que les révolutionnaires séparent les pouvoirs, mais, tout à l’inverse, pour assurer le règne sans partage du legislatif». G. DELALOY, préc, note 52, à la p 17. 220 Il faut relever qu’il ressort De la Constitution d’Angleterre que la fonction juridictionnelle est la plus liberticide. Montesquieu la répartit entre les deux catégories sociales qui ne participent pas à la fonction exécutive (réservée au roi): le peuple et les nobles. La fonction juridictionnelle qui est nulle selon Montesquieu, ne recouvre que la branche dont l’unique attribution (parmi les quatre de la fonction juridictionnelle dans son ensemble) ressortit au peuple. Le tribunal ordinaire au sein duquel les juges tirés du peuple officient n’est pas permanent. Tel n’est pas le cas du tribunal d’exception gouverné par les nobles. On peut ainsi se permettre de constater qu’en substituant la suprématie parlementaire à la collaboration fonctionnelle de Montesquieu, le peuple se présente comme la principale composante du corps social, détenant par cette logique la principale attribution étatique qui lui revient « de plein droit ». Puisque la fonction judiciaire est disproportionnellement partagée entre le peuple (puissance de juger nulle), et la noblesse (puissance de juger permanente). 221 Il ressort pour l’essentiel qu’une part importante de la littérature juridique adhère, erronément, à l’interprétation orientée que certaines personnalités politiques ont fait de la conception montesquienne de la « nullité du pouvoir judiciaire ». Il ressort de cette thèse que la théorie de Montesquieu est fondée sur la dichotomie (pouvoir/liberté, pouvoir/contre-pouvoir). Étant donné que Montesquieu considère le pouvoir judiciaire comme le plus liberticide, la liberté ou le contre-pouvoir d’une telle puissance réside dans sa « nullité physique ». C’est-à-dire qu’il ne doit pas être identifié de façon visible en un organe ou en une fonction. Mais, sa permanence est réelle dans la conscience de tout citoyen. Il appartient dès lors (selon la conception que cette thèse se fait de la théorie de Montesquieu) aux constituants contemporains d’instituer un pouvoir judiciaire débarrassé des craintes liberticides de Montesquieu. Par ailleurs, Montesquieu identifie – dans la personne du prince – l’une des sources potentielles des dérives liberticides du pouvoir judiciaire puisqu’il précise que, « [dans] la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré, parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs [celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques], laisse à ses sujets l’exercice du troisième [celui de juger les crimes ou les différends des particuliers] ». Il n’a donc jamais été question, selon la perspective montesquienne, d’envisager la nullité ou l’inexistence du pouvoir judiciaire. 222 G. DELALOY, préc, note 52, à la p.18.

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semble se vérifier davantage au plan organique (l’organe judiciaire), que fonctionnel223 (la

fonction judiciaire).

C’est ainsi, qu’au plan organique, deux astuces cumulatives sont mises en œuvre par le

constituant et les pouvoirs politiques pour méconnaître à l’organe judiciaire, des garanties

constitutionnelles identiques à celles des organes législatif et exécutif. Il s’agit d’abord de la

partition du pouvoir judiciaire par le constituant français224 ensuite, de la dépossession

« d’une part croissante de sa mission [la mission du juge] traditionnelle [au profit] des

organes extrajudiciaires225 » par les pouvoirs politiques. Une telle stratégie qui consiste à

fractionner le pouvoir judiciaire pour mieux consolider les pouvoirs politiques fragilise

substantiellement son indépendance « externe226 ».

Au plan « interne », c’est-à-dire au regard de chaque institution judiciaire partitionnée,

l’attention de cette étude se focalise sur l’autorité judiciaire. On se demande, dès lors, si la

partition et la dépossession sus évoquées se prolongent de façon récurrente au sein de la

justice pénale. Autrement dit, au-delà de la « faiblesse constitutionnelle227 » inhérente au

pouvoir judiciaire dans son ensemble, on aimerait savoir si l’ordre judiciaire pénal connaît

une « faiblesse » structurelle additionnelle. La pertinence de cette question ne se limite pas à

l’identification des compétences du pouvoir judiciaire (juridictions pénales), ou des matières

qui font partie de cette compétence. Elle vise plutôt à vérifier si, dans la connaissance des

matières qui fondent sa compétence, la procédure228 judiciaire jouit d’une indépendance

certaine.

223 On observe en effet que les fonctions juridictionnelles recensées par Montesquieu n’ont pas disparu dans les systèmes juridiques contemporains. Elles ont toutefois été « dispersées » entre différents organes « infra-judiciaire ». Ce qui fragilise la Justice en tant qu’organe cohérent, titulaire de la fonction judiciaire et contribue à ce que Fabrice Hourquebie qualifie de « faiblesse constitutionnelle » du pouvoir judiciaire. 224 V. à cet effet, Constitution de la République Française, 4 octobre 1958 : titre VII le Conseil constitutionnel, titre VIII de l’autorité judiciaire, titre IX la Haute cour de justice. 225 G. DELALOY, préc, note 52, à la p.30. 226 Il faut entendre ici par « indépendance externe », la dislocation de l’Organe JUSTICE, en multi-structures judiciaires d’influence relative, comparativement à celle que serait susceptible d’avoir l’organe JUSTICE (originel). Autrement dit, « l’indépendance externe » interroge la capacité du juridictionnel à faire face (relation d’équilibre ou d’influence réciproque) respectivement au législatif et à l’exécutif. 227 F. HOURQUEBIE, préc, note 164, à la p.22. 228 N. Luhmann, « une procédure ne serait qu’une structure de rôles, séparée des autres rôles sociaux et instituée de manière relativement autonome, dans laquelle on pratiquerait la communication dans le but d’en arriver à une décision juste. […] Il faut, par conséquent, admettre que soient créées au sein de la procédure des raisons additionnelles qui permettent que les décisions soient reconnues et qu’en ce sens le pouvoir de décision soit

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Puisque cette question intéresse autant le Droit Civil que la Common Law, il importe, au

préalable, d’analyser la réception de la théorie de Montesquieu dans ce système.

1.3.2.2.2 La puissance de juger en Common Law

Analyser la théorie de Montesquieu dans la Common Law canadienne, invite à considérer la

puissance de juger dans ce système, à partir de la Loi constitutionnelle de 1867229. Dès lors,

le contexte canadien, tant sur les plans social, institutionnel et politique, diverge de celui qui

était à l’origine de la théorie de Montesquieu230. Cependant, la quête d’un gouvernement

modéré selon la logique de la séparation/collaboration des pouvoirs n’y est pas exclue. D’où

la pertinence d’y interroger le statut du judiciaire.

La singularité de la Common Law réside en ce que le pouvoir judiciaire n’y est pas perçu,

d’emblée, sous forme d’organe. La personne du juge précède celle de l’institution judiciaire,

ou se confond à celle-ci231. Si le juge est nommé par le gouverneur général232, il reste en

fonction durant bonne conduite, c’est-à-dire, jusqu’à l’âge de la retraite fixée à soixante-

quinze ans233 ; à moins d’être révoqué par le même gouverneur général sur une adresse du

Sénat et de la Chambre des Communes234. Ses salaires, allocations et pensions sont fixés et

payés par le parlement du Canada235. Le constituant s’attèle ainsi à mettre en place – par

l’entremise du juge – les conditions de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Celles-ci seront

par ailleurs mieux explicitées par le juge lui-même. Il s’agit d’abord des conditions

minimales, notamment, l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance

administrative ; auxquelles s’ajoute l’indépendance institutionnelle ou collective de la cour

produit et légitimé, c’est-à-dire qu’il soit rendu indépendant de toute contrainte s’exerçant de manière concrète. ». N. LUHMANN, préc, note 96, aux pp.12 et 17. 229 Ancienne colonie anglaise, le Canada accède à une autonomie relative à partir de la Loi constitutionnelle de 1867; puis à l’indépendance au moyen du Statut de Westmister de 1931. Il faut toutefois noter que la puissance de juger, au Canada, semble implicitement renforcée depuis l’adoption par le Parlement britannique, à la demande des autorités canadienne, de la Loi constitutionnelle de 1982. V. Luc HUPPÉ, Histoire des institutions judiciaires au Canada, Montréal, Wilson & Lafleur Ltée, 2007, pp.427, 493 et 662. 230 On observe qu’à la différence des États-Unis, le Canada n’a pas été influencé par la théorie politique de Montesquieu. Cette différence, dans un contexte social et culturel comparable, se justifie par la stabilité politique qui a caractérisé l’émancipation des institutions canadiennes de la métropole britannique. 231 « Le tribunal pour les fins de l’al. 11d) de la Charte », était le juge Sharpe, Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 683. 232 Loi constitutionnelle de 1867, art. 96. 233 Ibid., art. 99. 234 Ibid., art. 99 (1). 235 Ibid., art. 100.

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ou du tribunal auquel le juge appartient236. Cependant, il convient de relever que l’absence

d’une consécration constitutionnelle de l’organisation judiciaire canadienne aboutit à un

pouvoir judiciaire stratifié. Au sommet de la strate, on retrouve les juges des cours

supérieures, de district, de comté ou ceux nommés en vertu du mécanisme de l’article 101 de

la Loi constitutionnelle de 1867, bénéficiant seuls des garanties sus évoquées. On retrouve

au bas de l’échelle, les juges des cours provinciales, municipales, administratives, etc;

bénéficiant implicitement de certaines garanties à travers l’œuvre prétorienne des premiers

juges237. Il est dès lors possible de constater que ce n’est pas exclusivement dans les garanties

accordées à un juge isolé du pouvoir judiciaire que se justifie l’indépendance de la puissance

de juger en Common Law. Celle-ci semble davantage se cristalliser dans le fédéralisme

canadien. En effet,

[En] créant un partage des compétences entre deux ordres de gouvernement, la Loi constitutionnelle de 1867 annonce d’inévitables conflits entre les instances fédérales et provinciales ; c’est aux tribunaux […] qu’il revient de les régler238.

Avec les déterminants différents de ceux utilisés dans la théorie de Montesquieu, la Common

Law canadienne n’échappe pas à une logique de partage des fonctions étatiques dans la

perspective d’un gouvernement modéré. Les protagonistes de cet équilibre, dans ce système,

sont l’ordre de gouvernement fédéral, les ordres provinciaux et le judiciaire239. Il ressort de

la Constitution canadienne que, parmi ces trois institutions, le pouvoir judiciaire ne bénéficie

236 J. J. MICHEL ROBERT, L’indépendance judiciaire de Valente à aujourd’hui : les zones claires et les zones grises, 6e Conférence Albert Mayrand, Montréal, les Éditions Thémis/Université de Montréal, 2002, pp.8-9. 237 V. dans ce sens, Henri BRUN et al., « […] Ces fondements divers, qui visent différentes catégories de tribunaux, font que l’indépendance judiciaire n’a pas exactement la même signification pour tous les tribunaux. Ainsi, l’indépendance découlant des articles 96 à 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne s’applique-t-elle qu’aux cours supérieures provinciales. L’indépendance énoncée à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés ne vaut quant à elle que pour les tribunaux de juridiction pénale ou criminelle alors que celle découlant des “principes de justice fondamentale” de l’article 7 de la Charte ne vise que les tribunaux dont les décisions affectent le droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité des personnes, et non leurs droits purement économiques. Enfin, l’indépendance affirmée par l’article 23 de la Charte québécoise des droits s’applique aux tribunaux provinciaux, alors que celle de l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits s’applique aux tribunaux fédéraux. ». Henri BRUN, Guy TREMBLAY, Eugénie BROUILLET, Droit constitutionnel, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, à la p.815. 238 L. HUPPÉ, préc, note 229, à la p.404. 239 L. Huppé, « À la différence du régime qu’elle établit à l’égard des institutions législatives et exécutives, la Loi constitutionnelle de 1867 n’introduit aucun principe de fédéralisme parmi les institutions judiciaires, c’est-à-dire un partage du domaine judiciaire entre des institutions judiciaires fédérales, exerçant leur compétence dans l’ensemble du Canada à l’égard de certaines matières et des institutions judiciaires provinciales, exerçant leur compétence dans le territoire d’une province à l’égard d’autres matières », ibid, à la p.401.

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d’aucune garantie constitutionnelle explicite au plan organique. L’institution judiciaire jouit

d’une indépendance implicite au plan fonctionnel. Celle-ci se vérifie lorsque l’organe

judiciaire est juge du partage des compétences entre les ordres de gouvernement fédéral et

provincial. On peut interroger la résistance de la seule indépendance fonctionnelle en absence

d’une consécration constitutionnelle explicite de l’indépendance organique.

Il ressort des dispositions constitutionnelles des systèmes juridiques de Droit Civil et de la

Common Law que le pouvoir judiciaire est faiblement encadré, comparativement aux

pouvoirs politiques. Un tel déséquilibre, au profit des pouvoirs politiques, remet en cause

l’autonomie de la fonction judiciaire. Ce qui est contraire à la théorie politique de

Montesquieu. Car, selon cette théorie, l’équilibre entre les différents pouvoirs est la condition

d’un État modéré, c’est-à-dire, un État protecteur des libertés individuelles de ses citoyens.

Toutefois, ce constat de la faible adéquation des systèmes juridiques contemporains avec la

théorie de Montesquieu peut sembler hâtif. Il se borne à la seule évaluation des dispositions

constitutionnelles. Une telle démarche s’apparente à un positivisme kelsennien. Telle n’est

pas l’approche privilégiée dans cette étude. Ce qui nous invite à vérifier si, dans son

fonctionnement réel, le pouvoir judiciaire, malgré les lacunes susmentionnées, jouit d’une

autonomie effective dans les systèmes de Droit Civil et de Common Law.

1.3.2.2.3 Prétentions doctrinales d’une autonomie du pouvoir judiciaire

Dans ses travaux, Niklas Luhmann définit la procédure comme « une structure de rôles,

séparée des autres rôles sociaux et instituée de manière relativement autonome, dans laquelle

on pratiquerait la communication dans le but d’en arriver à une décision juste240 ». Son étude

porte, en l’espèce, sur les procédures électorales, les procédures de législation parlementaire

et le processus judiciaire241. Martine Valois abonde dans la même perspective, lorsqu’elle

soutient que la thèse de la séparation des pouvoirs n’est pas justificative de l’indépendance

240 N. LUHMANN, préc, note 96, à la p.12. 241 Ibid, à la p.6. Selon Yves-Marie Morissette, « […] c’est cette procédure, cette manière d’opérer la résorption de ce qu’on appelle collectivement des ambiguïtés, qui est garante de l’État de droit […] ». Voir dans Y-M MORISSETTE, préc, note 96.

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judiciaire242. Selon elle, l’indépendance judiciaire trouve sa source dans la différenciation du

droit des autres modes de régulation de la société, notamment la politique243. Ainsi,

[La] fonction principale du système politique est la prise de décisions qui lie la collectivité. Le code de communication du système politique est formé par le schéma binaire gouvernement/opposition et la structure programmatique est fondée sur des objectifs de finalité […]

Dès que les intérêts et les buts collectifs sont transformés en lois, c’est le système juridique qui en gère l’application […] sur la base de programmes conditionnels […], en fonction du code légal/illégal244.

Cette prise en compte de la différenciation des fonctions étatiques réhabilite la question posée

supra :

Compte tenu des compétences dévolues au pouvoir judiciaire, selon la théorie de la

séparation des pouvoirs de Montesquieu, est-il possible d’affirmer l’indépendance, ou

l’autonomie fonctionnelle de la procédure judiciaire dans les systèmes de Droit Civil et de

Common Law? En d’autres termes, existe-t-il, dans ces deux systèmes, un organe détenteur

du pouvoir judiciaire, et exclusivement compétent pour statuer – sur la base de programmes

conditionnels […] en fonction du code légal/illégal – sur la punition des crimes ou le

jugement des différends des particuliers, la punition des crimes des citoyens chargés de la

gestion des affaires publiques, l’interprétation de la loi et l’arbitrage des différends entre le

pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ?

Selon la théorie de la différenciation sociale opérée par Martine Valois, les fonctions

politiques se limitent à la prise de décisions qui lient la collectivité, suivant un schéma binaire

gouvernement/opposition, tandis que les fonctions judiciaires sont consécutives aux

premières et s’exercent selon le code légal/illégal. Il est, dès cet instant, possible en dehors

de tout texte normatif d’identifier, dans un système modéré, les organes politiques des

organes judiciaires. Cette identification se fonde sur deux questions principales.

242 M. VALOIS, préc, note 54, aux pp.284-291. 243 Ibid. 244 Ibid, à la p.287.

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La première : quelle est la méthode de communication de l’organe à identifier ? Si cette

méthode tient compte des divergences entre plusieurs tendances, dont la différence entre elles

ne tient compte que des soutiens apportés à une opinion (majorité versus opposition), on

conclut que l’organe à identifier est politique. Par contre, si la méthode de communication se

borne à vérifier la conformité à une norme préexistante ou à une norme de référence, on

conclut que l’organe à identifier est judiciaire.

La seconde question : quelle est la finalité de la communication ? Si la communication vise

une fin collective et impersonnelle, on conclura qu’elle est issue d’un organe politique. A

contrario, si la communication est personnelle (subjective), on dira qu’elle est issue d’un

organe judiciaire.

Un tel exercice n’est pas à l’abri des zones grises, c’est-à-dire des communications ou

décisions qui pourraient être attribuées aussi bien aux organes politiques que judiciaires. Le

recours dans, ces circonstances, à la répartition des fonctions étatiques de Montesquieu serait

d’un atout indéniable245.

On peut également observer que cette différenciation se vérifie dans la « théorie de droit

comme processus » de Pierre Moor246. Cette théorie a une répartition trinitaire des fonctions

étatiques dans son œuvre créatrice du droit. Les fonctions politiques exercées en principe par

des organes politiques tirent leur source de la norme générale (3), et se concrétisent par la

création d’un texte normatif (1). Quant aux fonctions judiciaires, elles débutent par ce texte

normatif (1) et se réalisent dans la norme individuelle (2). Il est, dès cet instant, retenu dans

la présente thèse que le pouvoir judiciaire n’est dit indépendant que s’il a la maîtrise

(exclusive) du processus décisionnel qui tire sa source au (1) (texte normatif) et s’achève au

(2) (norme individuelle) (cf. schéma 2).

245 Il convient de relever que ce recours ne comblera pas instantanément les zones grises. Chaque répartition des fonctions laissera toujours apparaître de façon récurrente ces zones. Les différents organes de l’État ne peuvent que collaborer à la réalisation d’un État modéré. D’où l’adhésion de cette thèse à une logique de collaboration des différentes fonctions étatiques, et non à une séparation stricte. 246 P. MOOR, préc, note 109.

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60

Schéma 2 Différenciation du droit des autres fonctions de l'État

1

Fonctions judiciaires Prétentions Fonctions politiques (processus judiciaire) Expectatives (processus politique) ↓

2 Interprétations synthèse des sens 3

Critiques, débats, doctrines, lectures

On peut également retenir, sans être exhaustif, d’autres travaux relatifs à la différenciation

du droit des autres fonctions de l’État. Roger Bonnard s’est ainsi donné pour mission de

réaliser « la conception matérielle de la fonction juridictionnelle247 ». Cet auteur soutient

que :

[Les] fonctions de l’État consistent dans la participation de l’État au développement du droit et dans les opérations effectuées par lui à cet effet, si ces opérations sont de nature différente, on tire de là pour chacune des trois fonctions de l’État une caractéristique matérielle qui s’impose. La fonction législative comprend la formation du droit par voie générale, la fonction administrative la formation du droit par voie individuelle ainsi que les actes de pure exécution du droit, la fonction juridictionnelle les opérations de redressement du droit. […] Or précisément, la conception à laquelle on aboutit ainsi pour la fonction juridictionnelle est […] que l’acte juridictionnel a pour base la prétention émise qu’il y a quelque chose de contraire au droit et qu’un redressement doit être opéré248.

Cette spécification de la fonction juridictionnelle l’amène à situer « la base et le point de

départ de l’opérationnelle juridictionnelle249 » dans la prétention250, qui, en l’espèce, doit être

247 R. BONNARD, préc, note 184. 248 Ibid, à la p.27, la mise en exergue est de nous. Voir dans le même sens, Bjarne MELKEVIK, « Un peu de débroussaillage dans le domaine de l’épistémologie juridique » (2011) 52 C. de D., p.682 « […] la question du droit se résout, en pratique, dans un monde réel, avec des individus en chair et en os et ne se présente finalement que comme l’aboutissement d’une controverse résolue d’une façon procédurale, discursive, argumentative, dialectique et par un jugement judiciaire approprié ». 249 Ibid à la p.17. 250 Ibid, « La prétention émise dans l’acte juridictionnel consiste à soutenir qu’il y a quelque chose de contraire au droit, qu’il s’est produit une atteinte à l’ordonnancement juridique et que cette chose contraire au droit doit être supprimée, que l’atteinte à l’ordonnancement juridique doit être réparée. Ainsi on prétend qu’un acte juridique ou matériel a été fait contrairement au droit, qu’une situation juridique qui s’est établie n’est pas conforme au droit. Enfin on prétend que quelque chose qui s’est introduit dans l’ordonnancement juridique ne devrait pas y figurer et par conséquent doit en être enlevé ».

Texte normatif (loi pénale)

Norme individuelle (décision constatatoire) Norme générale

(Valeur sociale protégée)

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connue par l’autorité judiciaire. Sa connaissance par une autre autorité constitue une atteinte

à l’indépendance judiciaire.

On peut maintenant se demander si les organes judiciaires des systèmes de Droit Civil et de

Common Law ont la parfaite exclusivité des fonctions comprises entre (1) et (2).

Dans un but autre que la réponse à cette question, les travaux de la Commission de réforme

du droit du Canada, relativement aux pouvoirs du procureur général et des procureurs de la

couronne251, apportent à travers l’analyse des compétences de ces autorités, et des

recommandations conséquentes, des pistes de réflexion pertinente.

D’abord, la Commission observe qu’au plan fédéral, voire provincial, les fonctions de

procureur général et de ministre de la Justice sont réunies en une personne, laquelle est

membre du cabinet et nommée de ce fait par le Premier ministre252. Étant donné que le

procureur général est à l’origine des poursuites relatives aux infractions prévues au Code

criminel ainsi que par d’autres lois fédérales et provinciales, la Commission ne peut que

constater que cette autorité, qui se trouve au centre du système judiciaire, n’est pas à l’abri

d’un conflit d’intérêts entre ses attributions politiques et judiciaires253. D’où la nécessité de

confier ces doubles fonctions « à une personne intègre et responsable254 ».

En soumettant l’engagement des poursuites pénales à la théorie de Montesquieu, de Valois

et de Moor (schématisée à la schéma 2 intervalle 1 à 2), on se rend compte qu’il s’agit d’une

fonction judiciaire, exercée par une autorité qui n’a pas la qualité de juge. Qualité qui confère

en Common Law, l’appartenance au pouvoir judiciaire et, par conséquent, au bénéfice des

garanties constitutionnelles relatives à l’indépendance judiciaire255.

En guise de solution, la Commission recommande :

[D]’instituer la charge de directeur des poursuites pénales, d’une part pour que l’engagement des poursuites pénales échappe à toute considération partisane, et d’autre part afin d’atténuer les risques de conflits d’intérêts au sein du ministère

251 CRD, Droit pénal – Poursuites pénales : les pouvoirs du procureur général et des procureurs de la couronne, Document de travail n°62, Ottawa, la Commission, 1990. 252 Ibid aux pp.1-11. 253 Ibid. 254 Ibid. 255 Il est délicat dans un État de droit (gouvernement modéré), de supposer l’impartialité ou l’indépendance d’une institution en dehors des garanties textuelles, quelle que soit par ailleurs l’intégrité reconnue à ses administrateurs.

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dirigé par le procureur général. Le titulaire dirigerait le ministère public et relèverait directement du procureur général256.

Il faut reconnaître que si cette solution a le mérite d’améliorer la diligence de l’autorité

chargée des poursuites, en adjoignant au procureur général un subalterne efficace, elle ne

règle pas la question épistémologique de la répartition des fonctions dans un État modéré.

Peut-on penser que cette observation serait différente si le procureur général faisait partie du

pouvoir judiciaire ?

Tel est le cas du système de Droit Civil. Ici, le procureur général n’est pas le ministre de la

Justice. C’est un magistrat membre du pouvoir judiciaire, mais lié au gouvernement, tantôt

par des instructions générales qu’il reçoit du ministre de la Justice, tantôt par des rapports

qu’il lui adresse, relativement à l’application de la politique pénale et à la gestion des parquets

de son ressort257.

Il ne suffit donc pas que le poursuivant public – subordonné à d’autres organes étatiques –

fasse partie du pouvoir judiciaire pour que celui-ci soit reconnu comme un organe

indépendant dans l’accomplissement de ses fonctions.

S’il est vrai que l’élaboration d’une politique pénale est une œuvre gouvernementale, il est

aussi vrai que la poursuite des infractions à la loi pénale est une œuvre judiciaire. Elle est

constitutive du filtrage258 à travers lequel le pouvoir judiciaire, après la transformation de la

256 CRD, préc, note 251, à la p.55. 257 V. Quelques textes français : - Constitution, art. 65, « Le conseil supérieur de la magistrature comprend une formation compétente à l’égard des magistrats du siège et une formation compétente à l’égard des magistrats du parquet ». - Code de l’organisation judiciaire, art. L 122-1, « […] le ministère public est exercé par des magistrats appartenant au corps judiciaire ». - Code de procédure pénale, art. 30, « Le ministre de la Justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales. Il ne peut leur adresser aucune instruction dans les affaires individuelles ». Art. 34, « Le procureur général représente en personne ou par ses substituts le ministère public auprès de la cour d’appel et auprès de la cour d’assises instituée au siège de la cour d’appel […] ». Art. 35, « Le procureur général veille à l’application de la loi pénale dans toute l’étendue du ressort de la cour d’appel et au bon fonctionnement des parquets de son ressort […] Outre les rapports particuliers qu’il établit soit d’initiative, soit sur demande du ministre de la Justice, le procureur général adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et des instructions générales ainsi qu’un rapport annuel sur l’activité et la gestion des parquets de son ressort […] ». 258 Ce terme est emprunté à l’ouvrage collectif de Louis VOGEL (dir.), Cours suprêmes : comment le filtrage des recours révèle le pouvoir des juges, Paris, Panthéon-Assas, 2005. Il ressort in fine de cet ouvrage que

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norme générale en texte normatif par le processus politique, reçoit toutes les prétentions en

fonction de son code légal/illégal : c’est le commencement du processus judiciaire.

Reconnaître à d’autres instances la compétence de sélectionner des litiges qui seront par la

suite transmis au pouvoir judiciaire équivaut à une atteinte proactive à l’indépendance de ce

pouvoir. Dès cet instant, il est permis de relativiser les garanties constitutionnelles de

l’indépendance judiciaire. Elles ne sont opérantes que pour les prétentions transmises au

pouvoir judiciaire. En ce qui concerne les prétentions non transmises, la décision de leur

exclusion est ontologiquement juridictionnelle. Elle est toutefois prise par des organes

extrajudiciaires, dépourvus des garanties textuelles d’indépendance et d’impartialité

inhérentes tant aux organes judiciaires qu’à leurs fonctions.

On peut donc observer que, si l’exigence d’une bonne administration de la justice nécessite

la distinction des autorités de filtrage (poursuite) de celles normatives (jugement), cette

question reste interne à l’organe et aux fonctions judiciaires.

Que retient-on de l’application de l’herméneutique postmoderne au droit pénal de forme ?

Il ressort de ce qui précède que la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu se

recoupe dans la théorie de la différenciation fonctionnelle des auteurs contemporains. La

théorie suggérée par Montesquieu ne reconnaît à aucun organe des prérogatives exorbitantes

pour sélectionner parmi diverses prétentions, celles qui seraient renvoyées au juge.

Quant à la théorie la différenciation fonctionnelle, elle renseigne que toute communication

qui vérifie la conformité à une norme préexistante et qui s’adresse à un sujet identifié relève

de l’organe judiciaire. Dès lors, si l’organisation judiciaire des États contemporains ne

s’identifie pas à celle suggérée par Montesquieu, il serait plus pertinent, pour une meilleure

perception de l’impartialité du procès, qu’elle s’aligne sur la théorie de la différenciation

fonctionnelle. Ce qui permettrait à toute partie intéressée de soumettre des faits allégués de

corruption à un système judiciaire dont les organes, des différentes étapes du procès, jouissent

des garanties identiques d’indépendance.

l’autorité ou l’autonomie des juges des cours suprêmes se révèle d’abord dans la capacité de leur institution à sélectionner, parmi plusieurs pourvois, ceux qui retiendront finalement leur attention ou leur jugement.

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D’une façon générale, il ressort de ce qui précède que le paradigme de la flexibilité du droit

pénal apporte une réponse à l’inadaptation entre le droit positif anticorruption et le fait illicite,

constitutif de « grande corruption ». Une lutte efficace contre la corruption nécessite que le

droit pénal s’adapte à son objet, c’est-à-dire au fait criminel. Cependant, cette

accommodation du droit pénal, ou encore, cette interprétation dynamique du droit n’est pas

une défiance à l’égard du droit en vigueur. Elle se veut, plutôt, complémentaire, car initiée

par des « groupes sociaux ayant acquis, dans les secteurs de leur spécialisation, le monopole

de la représentation et de la participation au processus décisionnel259». Il s’agit, dans le cas

qui intéresse la présente étude, de la doctrine et de la société civile. Parce qu’ils sont des

professionnels ou des spécialistes d’une question donnée, notamment celle de la corruption,

ces groupes sociaux ont une excellente expertise pour suggérer des solutions contextuelles et

pratiques aux autorités instituées. C’est pour cette raison que la flexibilité du droit pénal est

motivée, au plan interne, par le contexte sociétal : la postmodernité. Cependant, le contexte

sociétal n’est pas la seule donnée susceptible d’apporter des suggestions au droit pénal.

L’État, dans ses relations extraterritoriales, rencontre des normes étrangères et internationales

qui influencent la norme interne. La « réelle émergence de la lutte contre la corruption260 »

montre que la flexibilité du droit pénal anticorruption peut aussi être justifiée, au plan externe,

par la comparaison des droits.

259 J.-F. THUOT, préc, note 111. 260 B. PEREIRA, préc, note 58, à la p.17.

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CHAPITRE 2

LE TEXTE : DE LA COMPARAISON DES DROITS VERS L’ÉMERGENCE D’UN DROIT SPÉCIAL ANTICORRUPTION

La flexibilité du droit pénal, par le texte, se vérifie chaque fois que l’acquittement des

obligations contractées conventionnellement, par un État, se réalise par l’adaptation de son

cadre normatif aux dispositions de la convention. En l’espèce, le texte conventionnel porteur

d’un droit pénal anticorruption, pour lequel les États parties doivent adapter leur législation,

est élaboré au triple plan régional, international et universel. Il invite le droit pénal non

seulement à s’adapter à ses termes, mais aussi à reconnaître comme équivalent, dans la

perspective d’une coopération interétatique, des normes prises en droit pénal261 comparé pour

lutter contre la corruption.

La flexibilité du droit pénal par le texte sera analysée à l’aune de la Convention des Nations

Unies contre la corruption262 (ci-après, la « Convention des Nations Unies »), de la

Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions

commerciales internationales263 (ci-après, la « Convention de l’OCDE »), de la Convention

de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption264 (ci-après, la

« Convention de l’UA »), de la Convention interaméricaine contre la corruption265 (ci-après,

la «Convention de l’OEA »), et la Convention pénale sur la corruption266. L’analyse de ces

conventions montre que les conventions internationales et régionales ont des finalités

particulières (2.1) qui se recoupent dans la Convention universelle de lutte contre la

corruption (2.2).

261 V. au sujet de la structure du droit, J. CARBONNIER, préc, note 60, à la p.11 et s. 262 Convention des Nations Unies, préc., note 15. 263 Convention de l’OCDE, préc., note 28. 264 Convention de l’UA, préc., note 19. 265 Convention de l’OEA, préc., note 25. 266 Convention pénale contre la corruption, 27 janvier 1999, 2216 RTNU 225.

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2.1 Les fins particulières des conventions de lutte contre la corruption267 L’analyse de la convention internationale (2.1.1) précèdera celle des conventions régionales

(2.1.2).

2.1.1. La Convention de l’OCDE La finalité première de la Convention de l’OCDE est l’exclusion de la corruption dans les

transactions commerciales internationales. Par transaction commerciale, il faut comprendre

« tout contrat ou transaction de caractère commercial pour la vente de biens ou la prestation

de services ; tout contrat de prêt ou autre transaction de nature financière, y compris toute

obligation268 ». Pour savoir si une telle transaction est internationale, il faut se référer, selon

la littérature pertinente, à deux critères dont l’un est économique et l’autre juridique269.

Selon le critère économique, le contrat (la transaction) est international lorsqu’« il met en jeu

les intérêts du commerce international270 ». Une transaction est également internationale,

selon le critère juridique, lorsqu’elle se rattache « à des normes juridiques émanant de

plusieurs États ou bien encore le contrat qui, par les actes concernant sa conclusion ou son

exécution ou la situation des parties quant à leur nationalité ou leur domicile, ou la

localisation de son objet, a des liens avec plus d’un système juridique271 ». Il suit du silence

de la Convention de l’OCDE, quant à la détermination du critère de la transaction

commerciale internationale, que l’approche juridique a été privilégiée à l’approche

économique, sans que celle-ci soit exclue de la Convention272. C’est dans cette logique que,

267 Il existe d’autres textes internationaux non pris en compte dans cette étude. C’est notamment le cas du Protocole contre la corruption de la communauté de développement d’Afrique australe, du 14 août 2001; la Convention relative à la lutte contre la corruption impliquant les fonctionnaires communautaires ou nationaux, du 26 mai 1997; la Convention civile du conseil de l’Europe du 4 novembre 1999; Plan anti-corruption de l’Asie-Pacifique. 268 Jean SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, à la p.1098. 269 Vincent HEUZE, Dictionnaire Joly, Contrats internationaux, Paris, GNL Joly éditions, 1990, à la p.18. Voir dans le même sens, G. CORNU, préc, note 182, à la p.563 « un contrat international est, en ce sens juridique, celui qui présente des contacts avec le Droit de plusieurs États […]. (Sens économique). Qui met en cause des intérêts du commerce international ». 270 Ibid. 271 Ibid. 272 Il faut cependant retenir, contrairement aux exemples cités par Vincent Heuze, que peu importe l’approche économique ou juridique, la Convention de l’OCDE ne s’applique pas lorsque les suspects (agent public et corrupteur) appartiennent à un même ordre juridique. C’est le droit national qui s’applique dans ce cas, à condition qu’il n’y ait pas d’autres critères rattachant le seul corrupteur à un ordre juridique étranger. Il faut nécessairement, pour l’application de cet instrument, que le corrupteur (personne physique ou morale) soit de nationalité différente de l’agent public. Si bien qu’en définitive il y a, relativement à cette convention, un seul

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selon la perspective juridique, la Convention de l’OCDE s’observe d’abord comme une suite

logique des objectifs poursuivis273 par les États Parties à la Convention relative à

l’Organisation de Coopération et de Développement Économique du 14 décembre 1960274 ;

avant de se l’élargir, suivant une perspective économique, à d’autres États non Parties à cette

Convention, mais dont les économies émergentes ont un impact significatif sur des

transactions économiques internationales275. C’est également selon la perspective

économique qu’il a été retenu à l’article 15 de la Convention de l’OCDE, qu’elle entrerait en

vigueur non pas à la suite d’un « nombre de ratifications absolu par des États signataires276 »,

mais

[L]e soixantième jour suivant la date à laquelle cinq pays qui comptent parmi les dix premiers pays pour la part des exportations, […], et qui représentent à eux cinq au moins 60% des exportations totales cumulées de ces dix pays, auront déposé leur instrument d’acceptation, d’approbation ou de ratification […]277.

suspect : le corrupteur actif. L’agent public n’étant qu’éventuellement suspect au regard du droit national, ou d’autres instruments complémentaires à la Convention de l’OCDE contre la corruption. De façon générale, cette précision devient subsidiaire dans la mesure où la Convention de l’OCDE n’est pas directement applicable, et invite le législateur national, selon le principe de l’équivalence fonctionnelle, à criminaliser la corruption d’un agent public étranger dans les transactions commerciales internationales. Il appartiendra en définitive à chaque Partie, de restreindre ou non cette incrimination aux suspects d’un même ordre juridique. 273 Convention relative à l’Organisation de Coopération et de Développement Économique, 14 décembre 1960, 888 RTNU 179, art.1 « L’organisation de Coopération et de Développement Économique […] a pour objectif de promouvoir des politiques visant :

a) à réaliser la plus forte expansion possible de l’économie et de l’emploi et une progression du niveau de vie dans les pays Membres, tout en maintenant la stabilité financière, et à contribuer ainsi au développement de l’économie mondiale ;

b) à contribuer à une saine expansion économique dans les pays Membres, ainsi que non membres, en voie de développement économique ;

c) à contribuer à l’expansion du commerce mondial sur une base multilatérale et non discriminatoire conformément aux obligations internationales ».

274Les 34 pays membres de l’OCDE sont : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Corée Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Islande, Irlande, Italie, Japon, Luxembourg, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Slovaque, République Tchèque, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Turquie. Le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie sont devenus membres de l’OCDE en 2010. En ligne, OCDE [http://www.oecd.org/fr/apropos/membresetpartenaires/], [consulté le 11/02/2014]. 275 Les 6 pays non membres de la Convention de l’OCDE, mais Parties à la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales sont : l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, la Bulgarie, la Colombie et la Russie. En ligne [[http://www. Oecd.org/fr/daf/anti-corruption/]. [Consulté le 11/02/2014]. 276 Enery QUINONES « L’évolution du droit international en matière de corruption : la convention de l’OCDE » (2003) 49 Annuaire français de droit international, à la p.564. 277 Convention de l’OCDE, art.15§1.

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En définitive, la Convention de l’OCDE concerne essentiellement « les pays qui sont les

grands exportateurs et investisseurs à l’étranger278 » et permet l’atteinte de l’un de leurs

objectifs qui est l’évitement « que ne se développent des situations qui pourraient mettre en

danger leur économie ou celle d’autres pays279 » telle, notamment, la corruption.

Cette vocation commerciale de la Convention de l’OCDE distingue cet instrument des

conventions homologues et se réalise à travers deux concepts, dont chacun se rattache à la

flexibilité du droit pénal. Il s’agit du concept du corrupteur actif (2.1.1.1) et celui de

l’équivalence fonctionnelle (2.1.1.2). Par ailleurs, la convention de l’OCDE a une perception

singulière de l’indépendance judiciaire (2.1.1.3) qu’elle n’hésite pas à imposer aux États

parties à travers son mécanisme de suivi.

2.1.1.1 Le corrupteur actif Selon les Parties à la Convention de l’OCDE,

[L]’expression ‘‘corruption active’’ n’est pas utilisée dans la Convention tout simplement pour éviter une interprétation erronée de la part du lecteur non averti, qui pourrait induire que le corrupteur a pris l’initiative et que le bénéficiaire se trouve dans une situation de victime passive. En fait, il est fréquent que le bénéficiaire ait incité le corrupteur ou ait fait pression sur lui, en ayant ainsi joué le rôle plus actif280.

Malgré cette précision, la responsabilité pénale du corrupteur passif qui, dans les faits,

pourrait être le véritable incitateur à la corruption d’agents publics étrangers n’a pas été

retenue dans la Convention de l’OCDE. L’infraction de corruption d’agent public étranger

n’est retenue que dans deux hypothèses. D’abord,

[L]e fait intentionnel, pour toute personne, d’offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indu pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles, en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international281.

278 Le groupe de travail de l’OCDE sur la lutte contre la corruption, Recommandation du Conseil visant à renforcer la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, 26 novembre 2009. 279 Convention relative à l’Organisation de Coopération et de Développement Économique, préc., note 273, art.2§c). 280 Conférence de négociations, Commentaires relatifs à la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, 21 novembre 1997. 281 Convention de l’OCDE, préc, note 28, art.1§1.

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Ensuite,

[L]e fait de se rendre complice d’un acte de corruption d’un agent public étranger, y compris par instigation, assistance ou autorisation. La tentative et le complot en vue de corrompre un agent public étranger devront constituer une infraction pénale dans la mesure où la tentative et le complot en vue de corrompre un agent public de cette Partie constituent une telle infraction282.

On peut se demander ce qui justifie que «la convention de l’OCDE [soit] exclusivement

centrée sur « l’offre » de pots-de-vin, c'est-à-dire lorsque le représentant d’une entreprise ou

le particulier offre, promet ou verse effectivement un pot-de-vin283», quand les Parties

contractantes reconnaissent, dans les faits, une responsabilité partagée entre le corrupteur

actif et le corrupteur passif ; ou encore, une responsabilité prédominante de ce dernier.

On peut simplement répondre que seul le corrupteur actif est lié par les parties à la

Convention. Mais en réalité, les États parties à la Convention de l’OCDE émettent des

réserves sur la volonté politique des ordres juridiques étrangers, notamment ceux des

contextes sociaux relativement démocratiques, à garantir leurs intérêts économiques au

moyen d’une répression effective de la corruption. Cette hypothèse se vérifie dans

l’illustration des deux situations suivantes :

Situation 1: le corrupteur passif est un agent public d’une Partie à la Convention de l’OCDE.

Si les trente-quatre pays de l’OCDE représentent plus de 60% des exportations mondiales

des biens et services284, ils comptent aussi parmi les États dont les institutions sont renforcées

par une culture démocratique séculaire. Il n’est pas indispensable, dans ce cas, de

criminaliser, au moyen d’une convention internationale, la corruption d’un agent public

puisque pareille infraction existe déjà dans l’ordre interne. C’est ce qui ressort de l’article 3

de la Convention de l’OCDE contre la corruption, aux termes duquel « […] l’éventail des

282 Ibid., art.1§2. 283 E. QUINONES, préc, note 276, à la p.566. 284OCDE, Ensemble de données : Commerce International (PIE), en ligne, [http://stats.oecd.org/Index.aspx ?] [Consulté, le 12/02/2014]. Par ailleurs, 43 gouvernements ont adhéré aux principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Ils représentent toutes les régions du monde et 85% de l’investissement direct à l’étranger. En ligne [www.oecd.org/fr/daf/inv/mne/principesdirecteursdelocdealintentiondesentreprisesmultinationales.htm] [consulté, le 13/02/2014].

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sanctions applicables doit être comparable à celui des sanctions applicables à la corruption

des agents publics de la Partie en question […] ».

Cette relative crédibilité des institutions285 des États membres de l’OCDE semble se vérifier

par la constance de leur classement, au peloton de tête, par l’organisation non

gouvernementale Transparency International, à l’occasion de la publication annuelle de

l’indice de perception de la corruption. En clair, il est inopportun pour ces pays de statuer par

convention sur une attitude asociale déjà réprimée dans l’ensemble des États Parties286.

L’exigence de flexibilité du droit pénal n’est pas nécessaire dans ce cas.

Toutefois, s’il peut être vérifié que la corruption passive est effectivement réprimée par la

législation interne de chaque Partie à la Convention de l’OCDE contre la corruption, cela

vaudrait également mutatis mutandis pour la corruption active. Pour quelle raison seule cette

dernière est-elle prise en compte par la Convention de l’OCDE ? Cette interrogation révèle

toute la pertinence du consensus qui a prévalu lors de la négociation de cette Convention : il

est fréquent que le bénéficiaire ait incité le corrupteur ou ait fait pression sur lui, en ayant

ainsi joué le rôle plus actif287. Autrement dit, l’investisseur d’une Partie à la Convention de

285 Transparency International “The Global Corruption Barometer asks for people’s views on corruption in their country generally, and in which institutions the problem of corruption is most severe”. Par ailleurs, « l’indice de perception de la corruption de 2013 [indique] que l’abus de pouvoir, les transactions sécrètes et la corruption continuent de ravager les sociétés à travers le monde. Les scores de l’indice de 177 pays et territoires sur une échelle de 0 (très corrompu) à 100 (très propre) […] les deux tiers des pays obtiennent un score inférieur à 50 […] », tandis que la moyenne de l’ensemble des pays de l’OCDE est supérieure à 62. En ligne [http://www.transparency.org] [consulté, le 12/02/2014]. 286 Dans le même sens, les travaux de Susan Rose-Ackerman établissent une corrélation directe entre la corruption et le niveau de fiabilité des institutions étatiques. Plus un gouvernement ou un État est corrompu, moins ses institutions sont fiables. Voir, Susan ROSE-ACKERMAN, Corruption and Gouvernment : Causes, Consequences, and Reform, Cambridge, Cambridge University Press, 1999 ; « Corruption and Government » (2008) 15(3) Journal of International Peacekeeping, 328 ; « Corruption and Post-Conflit “Peace-Building”» (2008) 15(3) Ohio Northern Law Review, 328; etc. 287 Il est intéressant d’observer que ce constat questionne la concordance entre la qualification légale et le fait. En clair il revient au juge de déterminer, au regard des faits exposés, lequel des délinquants était en situation d’imposer le pacte « corruptionnel » à l’autre délinquant. L’hésitation de l’OCDE à employer les épithètes « active » et « passive », montre qu’il y a des situations où le payeur de pot-de-vin pourrait être contraint de le faire; et d’autres où le bénéficiaire des avantages indus serait lui aussi contraint de les recevoir. L’avantage de cette qualification judiciaire permettrait une meilleure identification des responsabilités pénales, et par conséquent, une application proportionnelle de la sanction. Ainsi, le délinquant ayant imposé le pacte « corruptionnel » aurait la sanction la plus grave, à condition que l’autre délinquant signale ce pacte aux autorités compétentes. La confusion actuelle entre corruption active et corruption passive, du fait de leur qualification légale, équilibre erronément la responsabilité pénale. Ce qui fragilise les enquêtes dans la mesure où l’une des potentielles victimes de cette corruption (corrupteur actif ou passif) n’aura aucun intérêt à dénoncer l’activité criminelle, dans laquelle elle aurait été invitée contre son gré.

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l’OCDE serait sanctionné, par son État, pour résister au projet « corruptionnel » venu

d’ailleurs. Cette sanction permet, entre autres, à l’OCDE de garantir les conditions d’une

saine et loyale concurrence dans les transactions commerciales internationales288. Mais, pour

que cette concurrence soit effectivement loyale entre tous les potentiels investisseurs à

l’étranger, encore faut-il garantir des sanctions identiques, non seulement entre les seuls

membres de l’OCDE, mais également à tout ressortissant d’un autre État susceptible de

mettre en jeu les intérêts du commerce international. Cela met en évidence la pertinence de

l’approche économique au fondement de la Convention de l’OCDE.

Cette criminalisation de la corruption active, aux fins de la régulation du commerce

international, tire son origine dans la loi américaine du Foreign Corrupt Practices Act289

(FCPA) de 1977. En effet, la commission d’enquête consécutive au scandale du Watergate

avait révélé aux citoyens américains que :

large American corporations were using slush funds not only to illegally contribute to political campaigns, but also to bribe overseas foreign officials290.

Cette corruption des agents publics étrangers était un danger potentiel contre la stabilité des

valeurs boursières américaines, car il était possible que « la dépendance des sociétés cotées

à l’égard de grands contrats obtenus grâce à des pots-de-vin n’aboutisse à une instabilité

inacceptable des cours des actions291 ».

En optant pour la seule criminalisation de la corruption active, la Convention de l’OCDE n’a

pas seulement sauvegardé les intérêts économiques des États parties. Elle leur a exigé aussi

la revendication d’une compétence extraterritoriale, fondée sur le principe de la personnalité

288 OCDE, « La corruption active ou passive […] décourage l’investissement et exerce des distorsions sur la compétitivité internationale », dans Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, Éd. 2011, p.58, §74. 289 The Foreign Corrupt Practices Act of 1977, (15 U.S.C. §§78 dd-1, et seq.). Cette loi avait été amendée en 1998, pour s’étendre à toutes les sociétés cotées à la bourse américaine, y compris des sociétés non américaines. 290 Timothy W. SCHMIDT, «Sweetening the Deal: Strengthening Transnational Bribery Laws through Standard International Corporate Auditing Guidelines » (2009) 93 Minesota Law Review, p.104. 291 Une traduction de E. QUINONES, préc, note 276. Voir. Jeremy P. CARVER, «It is often forgotten that the real impetus for adopting the FCPA came, not from any moral principle, but from hard-headed concern of the Securities and Exchange Commission that unacceptable share price volatility resulted from reliance of quoted companies on major contracts induced by bribes». In “Combating Corruption: The emergence of new international law” (2003) 5(2) International Law Forum du droit international, p, 119.

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active. Il s’agit, en fait, d’un cas de flexibilité de droit pénal pour les ordres juridiques qui se

bornaient à la revendication de la seule compétence territoriale. On peut questionner la

posture de l’État du corrupteur passif lorsque des accusations seront portées contre le

corrupteur actif.

Situation 2: le corrupteur passif est un agent public d’un Gouvernement non-Partie à la

Convention de l’OCDE.

Selon la maxime, Pacta sunt servanda, « tout pacte doit être respecté292 » entre les parties

qui l’ont conclu. Ce qui signifie, a contrario, que la criminalisation de la corruption passive

d’agent public étranger n’aurait aucun effet sur des États non-Parties à la Convention de

l’OCDE, si cette dernière l’avait prévue. De plus, en vertu du principe de la souveraineté

étatique, il n’est pas possible de lier un ordre juridique étranger par une disposition légale

convenue par d’autres États.

Toutefois, doit-on convenir au regard des principes susmentionnés que l’agent public d’un

État non-Partie à la Convention de l’OCDE, échappera à toute responsabilité pénale

conformément à cette Convention ?

La réponse à cette question permet de mettre en évidence, relativement à la Convention de

l’OCDE, le principe de la flexibilité du droit pénal soutenu dans la présente thèse.

En effet, selon l’article 4(1) (4) de cette Convention,

1. Chaque Partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard de la corruption d’un agent public étranger lorsque l’infraction est commise en tout ou partie sur son territoire.

4. Chaque Partie examine si le fondement actuel de sa compétence est efficace pour lutter contre la corruption d’agents publics étrangers ; si tel n’est pas le cas, elle prend les mesures correctrices appropriées.

Cette application relativiste de la Convention amène Enery Quinones à constater que « [ce]

texte est souple, au sens où les parties peuvent en adapter les dispositions en fonction de leur

propre système juridique, dès lors qu’elles aboutissent au même résultat final293 ». C’est aussi

292 John B. WHITTON, « La règle Pacta Sunt Servanda » (1934) 49 Recueil des cours, à la p.161. 293 E. QUINONES, préc, note 276, à la p.566.

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cet esprit qui a prévalu à la conférence de négociations de cette Convention. Il ressort, en

effet, de l’analyse relativement à la criminalisation de la corruption active que,

L’article 1 fixe une norme que doivent respecter les Parties, mais il ne les oblige pas à reprendre son libellé exact pour définir l’infraction en droit interne. Une Partie peut procéder de différentes manières pour s’acquitter de ses obligations, dès lors que, pour qu’une personne soit convaincue de l’infraction, il n’y a pas à apporter la preuve d’éléments autres que ceux dont la preuve devrait être apportée si l’infraction était définie comme dans ce paragraphe. À titre d’exemple, une loi générale sur la corruption d’agent public étranger, et une loi limitée à la corruption d’un agent public étranger pourraient l’une comme l’autre être conformes à cet article294.

La Convention de l’OCDE insiste pour que la corruption active d’agent public étranger soit

insérée, à titre principal, dans l’instrument juridique interne de sa réception. Cet instrument

interne pourrait dans la perspective de l’efficacité295 recherchée par la Convention, faire

l’objet d’une loi générale296. Celle-ci pourrait retenir, entre autres, comme responsabilité

secondaire297, la corruption passive de l’agent public étranger. Cette législation interne

pouvant, suivant les principes fondamentaux du système juridique considéré, opter pour la

criminalisation légale de « corruption passive » ou d’autres criminalisations se rattachant à

la responsabilité secondaire du fait de la « corruption active ». Pourrait ainsi être complice298

de corruption active, toute personne ayant « incité le corrupteur ou fait pression sur lui299 ».

294 Conférence de négociations de la Convention de l’OCDE, préc, note 280. 295 Convention de l’OCDE, art.4(4). 296 Conférence de négociations de la Convention de l’OCDE, préc, note 280. 297 Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 45. La responsabilité secondaire : complicité et infractions inchoatives, Ottawa, 1985, p.5 et s. 298 Voir les dispositions combinées du Code criminel, L.R.C. (1985), ch.-46, art.463 b) « quiconque tente de commettre un acte criminel pour lequel, sur déclaration de culpabilité, un accusé est passible d’un emprisonnement de quatorze ans ou moins ou est complice, après les faits, de perpétration d’un tel acte, […] » ; et Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, L.C. 1998, ch.34, art 3(1) « quiconque commet une infraction prévue au paragraphe (1) est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans». Sur la notion de complicité après le fait, voir Raoul Dandurand et Charles Lanctot, Traité théorique et pratique de droit criminel, Montréal, A. Périard, 1890, p.94, « il y a complicité après le fait quand une personne, sachant qu’un crime a été commis, reçoit le coupable, lui donne des secours, ou l’assiste ». 299 Conférence de négociations, préc, note 280. Voir également Code criminel, art.22 « Lorsqu’une personne conseille à une autre personne de participer à une infraction et que cette dernière y participe subséquemment, la personne qui a conseillé participe à cette infraction, même si l’infraction a été commise d’une manière différente de celle qui avait été conseillée. Quiconque conseille à une autre personne de participer à une infraction participe à chaque infraction que l’autre commet en conséquence du conseil et qui, d’après ce que savait ou aurait dû savoir celui qui a conseillé était susceptible d’être commise en conséquence du conseil.

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Une telle disposition permettrait à une Partie à la Convention de l’OCDE de retenir la

responsabilité pénale de l’agent public d’un gouvernement non-partie à cette Convention. Il

suffirait alors que l’infraction de corruption active, tout comme les éléments constitutifs des

infractions secondaires de ce crime aient été « [commis] en tout ou partie sur son

territoire300 », ou suivant les critères de compétence pénale propre à chaque système juridique

affilié à la Convention de l’OCDE. Cette latitude accordée par la Convention de l’OCDE

peut convier un État partie à cette Convention, à sanctionner la corruption passive commise

hors de son territoire, dès lors que le corrupteur passif se trouve sur son territoire.

Un autre cas de flexibilité du « droit pénal de la corruption » concerne la législation interne

d’un gouvernement non-Partie à la Convention de l’OCDE.

En effet, soit deux États A et B. A est Partie à la Convention de l’OCDE et B n’y est pas

Partie. Advenant qu’une personne physique ou morale de A ait été reconnue coupable de

corruption active d’un agent public de B. Quid de la responsabilité pénale de cet agent public

dans son État B301, étant donné qu’il a été mentionné supra que les États parties à la

Convention de l’OCDE émettent des réserves sur la volonté politique des ordres juridiques

étrangers, notamment ceux des contextes sociaux relativement démocratiques, à garantir

leurs intérêts économiques au moyen d’une répression effective de la corruption.

Cette question trouve sa réponse dans l’élargissement de l’article 9 de la Convention de

l’OCDE aux gouvernements non-Parties à cette Convention. Ceci, aux moyens d’autres

instruments internes (et non prescriptifs) à l’Organisation de Coopération et de

Développement Économique. Tel est notamment le cas de l’Illicit Financial Flows from

Developing Countries. Il y ressort que :

[…] developing countries must make it a priority to engage in effective mutual legal assistance, provide the necessary information to investigating authorities with which they co-operate, and proactively pursue and sanction their nationals implicated in corruption cases302.

Pour l’application de la présente loi, ‘‘conseiller’’ s’entend d’amener et d’inciter, et ‘‘conseil’’ s’entend de l’encouragement visant à amener ou à inciter ». 300 Convention de l’OCDE, art.4. 301 Cette hypothèse suppose que les éléments constitutifs de la corruption active d’agent public étranger ont alternativement eu lieu dans les États A et B. Toutefois, l’agent public de B ne s’est jamais rendu dans l’État A, tout comme les produits de cette corruption. 302 OCDE, Measuring OECD Responses to Illicit Financial Flows from Developing Countries, 2013, p.87.

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Cette interpellation non conventionnelle a son pendant dans le texte de la convention. Il s’agit

de l’article 9 de la Convention aux termes duquel,

Chaque Partie accorde, autant que le permettent ses lois et ses instruments internationaux pertinents, une entraide judiciaire prompte et efficace aux autres Parties aux fins des enquêtes et des procédures pénales engagées par une Partie pour les infractions relevant de la présente Convention ainsi qu’aux fins des procédures non pénales relevant de la présente Convention engagées par une Partie contre des personnes morales […].

Autrement dit, alors qu’au plan strictement légal, la Convention ne s’applique pas à B, celui-

ci est invité, par le canal des instruments non prescriptifs, à coopérer avec A. Cette

coopération permet à A de compléter son enquête relative à la corruption active d’agent

public étranger, pour des faits commis par son citoyen dans la juridiction de B. Bien plus,

l’OCDE recommande à B de sanctionner son agent public, impliqué dans le même fait

« corruptionnel ». Or, la sanction de l’agent public de B ne se fera pas ex nihilo. Elle devra

se fonder sur une loi interne de l’État B. Cette loi de l’État B est, entre autres, fortement

suggérée par la coopération judiciaire nécessaire entre A (État Partie à la Convention de

l’OCDE) et B (État non-Partie à cette Convention)303. Nous sommes ici en présence d’un cas

de flexibilité du droit pénal, où une norme internationale – la Convention de l’OCDE – lie

juridiquement les différentes Parties, tout en produisant des effets dans les États non-Parties.

Ces derniers sont liés à cette Convention par des obligations d’opportunité304. Celles-ci leur

imposent, tantôt, l’application de certaines dispositions de la Convention (tel est le cas de

l’article 9), tantôt, l’adoption des législations internes complémentaires à la Convention (tel

est le cas de l’infraction de corruption passive de l’agent public étranger).

303 Il serait en effet curieux qu’une personne, citoyenne d’une Partie à la Convention de l’OCDE soit sanctionnée pour corruption d’agent public étranger, et que l’État non Partie à cette Convention dont l’agent public a été corrompu, laisse ce dernier jouir paisiblement des produits de la corruption. Au plan strictement légal, B exerce sa compétence soit sur le fondement de la territorialité, soit sur celui de la nationalité. Mais, dans les faits, B a été incité à exercer sa compétence. C’est pour cette raison qu’il est affirmé, dans cette thèse, que le fondement réel ou opérationnel de la compétence de B se situe dans sa coopération avec A. Voir, dans le même sens, les effets de l’art. 9 de la Convention de l’OCDE à la p.76 ; voir aussi conclusion du titre 3, à la page 327, au sujet des conditions d’attractivité d’un État souverain. 304 L’une des « obligations d’opportunité » recensée dans les instruments de lutte contre la corruption est le souci, pour les pays en développement, de recouvrer des avoirs illicites.

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Il ressort de ce qui précède qu’en criminalisant la seule corruption active, la Convention de

l’OCDE suggère des modifications suivantes au droit positif anticorruption :

- une compétence pénale extraterritoriale, fondée sur l’infraction de corruption active,

alors que certains ordres juridiques se bornaient à la revendication de la seule

compétence territoriale (cf., note 313);

- une compétence pénale extraterritoriale, sur un agent public étranger se trouvant sur

le territoire d’un État partie à la Convention de l’OCDE, fondée sur l’infraction de

corruption passive ;

- comparativement, une compétence pénale de l’État du for, incité par la Convention

de l’OCDE à criminaliser la corruption passive commise par son agent.

Si l’infraction de « corruption active » permet de vérifier la mise en œuvre de la flexibilité

du « droit pénal de la corruption », il en est également ainsi du concept de l’« équivalence

fonctionnelle ».

2.1.1.2 L’équivalence fonctionnelle Dans le domaine juridique, le concept de l’« équivalence fonctionnelle » a été utilisé par la

Commission des Nations Unies pour le droit commercial international. Il vise à transférer au

document électronique (immatériel) la même force probante que le document papier305. Il

suffit, pour que les documents matériel et immatériel soient fonctionnellement équivalents,

de s’assurer qu’ils visent les mêmes objectifs et fonctions306.

C’est cette appréciation des objectifs et des fonctions des législations internes des Parties à

la Convention de l’OCDE qui est visée par cet instrument. En se fondant sur le respect des

principes fondamentaux de chaque système juridique qui lui est affilié, la Convention

n’impose pas son incorporation littérale en droit interne.

305 Voir dans ce sens, Eric A. CAPRIOLI et Renaud SORIEUL, « Le commerce international électronique : vers l’émergence de règles juridiques transnationales » (1997) 2 JDI., p.382 ; Vincent GAUTRAIS, « Les principes d’Unidroit face au contrat électronique » (2002) 36 RJT, p.493. 306 Nations Unies, Guide pour l’incorporation dans le droit interne de la Loi type de la CNUDCI sur le commerce électronique, 1996.

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Toutefois, cette souplesse307 apparente est paradoxalement contraignante308 au double plan

vertical et horizontal.

Verticalement, il ressort de l’article 3 paragraphe 2 que :

Si, dans le système juridique d’une Partie, la responsabilité pénale n’est pas applicable aux personnes morales, cette Partie fait en sorte que les personnes morales soient passibles de sanctions non pénales efficaces, proportionnées et dissuasives, y compris pécuniaires, en cas de corruption d’agents publics étrangers.

Cette disposition est souple dans la mesure où le système juridique qui la reçoit n’est pas

obligé de la classer dans la catégorie des normes pénales309. Elle est cependant contraignante,

puisqu’elle impose – sans possibilité de réserves – que les personnes morales soient

dorénavant sanctionnées. Ce qui oblige toute Partie à adopter un régime de sanctions

applicable aux personnes morales, dont la gravité, les effets et les modalités d’exécution ne

se différencient pas fondamentalement des sanctions pénales. Il est dès lors permis de

constater que, si la Convention de l’OCDE est souple au plan formel, elle est rigide au plan

substantiel. L’équivalence fonctionnelle recherchée ne doit souffrir d’aucune dérogation310.

C’est dans cette rigidité substantielle qu’est véhiculée la flexibilité du droit pénal. Cette

habile restriction de la souveraineté étatique contraint, dans certains cas, les Parties à la

Convention de l’OCDE à adopter des dispositions opposées aux principes fondamentaux de

leur système juridique311. À titre d’illustration, il a été fortement recommandé312 au Canada,

307 E. QUINONES, préc, note 276, à la p.566. 308 Convention de l’OCDE, Préambule, « Reconnaissant qu’assurer l’équivalence fonctionnelle entre les mesures que doivent prendre les Parties constitue un objet et un but essentiels de la Convention qui exige que la Convention soit ratifiée sans dérogations affectant cette équivalence » (c’est nous qui soulignons). 309 Pour des personnes morales, la sanction pénale peut être à l’origine de la faillite du fait de son exclusion à certaines sources de financement et au marché. Ce qui n’est pas le cas d’une sanction non pénale. Voir à cet effet, Groupe SNC-Lavalin c. Le Directeur des poursuites pénales, 2019 CF 282. 310 Convention de l’OCDE, préambule. 311 L’analyse des objectifs et de la finalité visée par la Convention de l’OCDE montre qu’il s’agit, en fait, d’une Convention rigide. Contrairement à l’expression récurrente selon laquelle « […] conformément à ses principes juridiques […] », la Convention exige paradoxalement la conformité desdits principes à la lutte efficace contre la corruption d’agents publics étrangers. Cette rigidité est mise en œuvre, verticalement par le Groupe de travail de l’article 12 et d’autres instruments internes à l’OCDE ; et horizontalement par la coopération interétatique en matière d’entraide judiciaire et d’extradition. 312 Alors que l’article 4 n’oblige aucune Partie à reconnaître le principe de la compétence personnelle active, les membres du groupe de travail justifient cette recommandation au seul motif que d’autres Parties qui appliquent, comme le Canada, la Common Law ont déjà intégré cette compétence dans leur ordre juridique.

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d’intégrer dans son ordre juridique, contrairement aux principes fondamentaux de son

système, le principe de la compétence personnelle313.

Au plan horizontal, la rigidité substantielle de la Convention de l’OCDE, vectrice de la

flexibilité du droit pénal, se vérifie lors des procédures d’entraide judiciaire (article 9) et de

l’extradition (article 10).

Dans le premier cas, l’article 9 paragraphe 2 dispose que,

Lorsqu’une Partie subordonne l’entraide judiciaire à une double incrimination, celle-ci est réputée exister si l’infraction pour laquelle l’entraide est demandée relève de la présente Convention.

Nonobstant les commentaires retenus par la Conférence de négociations314, cette disposition

contraint une Partie qui ne l’a pas encore intégrée dans son ordre interne315 à coopérer

judiciairement avec un autre État partie, au seul motif qu’elle a ratifié la Convention. Ceci

réfute implicitement la distinction entre les systèmes dualiste316 et moniste317.

Toute chose restant identique, par ailleurs, le raisonnement précédent s’applique aussi à

l’article 10 paragraphe 2 relatif à l’extradition318.

313 OCDE, Direction des affaires financières et des entreprises, Canada : phase 2. Rapport de suivi sur la mise en œuvre des recommandations au titre de la phase 2 sur l’application de la Convention et de la Recommandation de 1997 sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, juin 2006, para. 9, [en ligne] [http://www.ocde.org./fr] [consulté, le 08/04/2012]. 314 Conférence de négociations de la Convention de l’OCDE, préc, note 280, « le paragraphe 2 concerne la question de l’identité des normes dans le cadre de la double incrimination. Les Parties, dont les lois sont très diverses puisqu’elles vont des lois contre la corruption d’agents publics en général à des lois visant spécifiquement la corruption d’agents publics étrangers, devraient pouvoir coopérer pleinement dans le cadre de la présente Convention pour les affaires dont les faits relèvent des infractions visées dans cette Convention ». 315 La Convention de l’OCDE n’est pas directement applicable à l’ordre interne. Les Parties sont invitées à adapter leur législation interne à la Convention. 316 J. SALMON (dir.), préc, note 268, « Position doctrinale considérant que l’ordre juridique interne de chaque État et l’ordre juridique international sont des ordres juridiques indépendants l’un de l’autre, tant en considération de leurs sources, que de leur objet et de leurs destinataires », p.402. 317 Ibid, « position doctrinale qui affirme l’unicité de la notion d’ordre juridique. Dans cette perspective, les différences entre le droit international et le droit interne sont niées et l’un et l’autre sont pensés comme relevant d’un seul et même ordre juridique. Le monisme peut alternativement venir au soutien de la thèse de la primauté du droit interne et de celle de la primauté du droit international », p.713. 318 Convention de l’OCDE, art.10§2 « lorsqu’une Partie qui subordonne l’extradition de la part d’une Partie avec laquelle elle n’a pas de Convention d’extradition, elle peut considérer la présente Convention comme base juridique pour l’extradition en ce qui concerne l’infraction de corruption d’un agent public étranger ».

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De façon générale, il suit de ce qui précède que la Convention de l’OCDE lie principalement

les États qui ont un impact considérable sur les transactions commerciales internationales.

Leur engagement dans la lutte contre la corruption transnationale vise principalement à

garantir les conditions d’une saine concurrence lors desdites transactions.

Il ressort de ce qui précède que le principe de l’équivalence fonctionnelle impose aux États

parties à la Convention de l’OCDE à appliquer directement sur leur ordre juridique des

dispositions contenues dans la Convention, même si de telles dispositions ne sont pas reçues

en droit interne. Une telle posture va à l’encontre de la posture dualiste du droit positif.

Si la Convention de l’OCDE protège les transactions commerciales internationales des

pratiques « corruptionnelles », c’est pour garantir une saine et loyale concurrence entre

l’ensemble des États parties. C’est pour cette raison qu’elle insiste, aussi, pour que les

poursuites, en cas de corruption, ne soient pas influencées par des considérations d’intérêt

économique national.

2.1.1.3 L’indépendance des poursuites judiciaires Alors qu’elle s’intéresse à la garantie des intérêts économiques des États membres, la

Convention de l’OCDE et la présente thèse semblent avoir une perception similaire de

l’indépendance judiciaire, dans le contexte de la lutte contre la corruption. À titre de rappel,

il a été précisé supra que la remise en cause de l’indépendance judiciaire, dans le cadre de

la lutte contre la corruption, va essentiellement intéresser l’indépendance des autorités de

poursuite. C’est dans cette veine qu’il ressort de la Convention de l’OCDE que :

Les enquêtes et poursuites en cas de corruption d’un agent public étranger […] ne seront pas influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause319.

De façon précise, les commentaires faits par l’OCDE pour faciliter la compréhension de cette

disposition, aux fins de sa réception et de son application, mentionnent qu’ « afin de protéger

l’indépendance des poursuites, l’opportunité de celles-ci doit s’apprécier sur la base de motifs

professionnels, sans être indûment influencée par des préoccupations de nature politique.

319 Convention de l’OCDE, préc, note 28, art.5.

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[…]320 ». Une telle précision, faite par l’OCDE, confirme la thèse d’un décalage entre le droit

positif et la réalité sociale. Il n’est pas suffisant que l’indépendance des autorités de

poursuite, notamment, celle du ministère public soit proclamée par un instrument normatif,

réitérée par la jurisprudence, pour que l’indépendance des organes de poursuite soit

pertinente pour garantir une poursuite indépendante, voire une répression effective de la

corruption. En d’autres termes, reconnaître que le ministère public exerce des fonctions quasi

judiciaires321 qui lui imposent un devoir d’impartialité322 ne permet pas de distinguer la

norme d’impartialité à laquelle correspond une fonction judiciaire, de la norme d’impartialité

correspondante à la fonction quasi judiciaire. A contrario, si l’impartialité est la même aussi

bien pour la fonction judiciaire que pour la fonction quasi judiciaire, on devrait garantir une

identique indépendance aux mêmes débiteurs de l’identique norme d’impartialité.

Il est possible de retenir de ce qui précède que la convention de l’OCDE suggère une inflexion

au droit pénal de forme. Celle de l’amendement de l’indépendance alléguée des organes de

poursuite. Une telle suggestion ne peut trouver un écho favorable que si le droit pénal est

flexible.

Si la Convention de l’OCDE protège les transactions commerciales internationales des

pratiques « corruptionnelles », d’autres instruments de lutte contre la corruption visent des

fins différentes. Il en est par exemple ainsi des conventions régionales. Elles fédèrent, autour

des mêmes objectifs, les Parties d’une même zone géographique. C’est ainsi que l’étude de

la Convention de l’UA fera ressortir l’intérêt singulier des États africains dans la lutte contre

la corruption.

2.1.2 Les Conventions régionales : le cas de la convention de l’Union Africaine. À l’inverse de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique, l’Union

Africaine compte trente-deux (32) des trente-huit (38) pays les plus endettés et les plus

pauvres du monde323. Il est donc délicat d’isoler la corruption de nombreuses problématiques

de ces jeunes États, qui n’accédèrent progressivement à une relative souveraineté

320 Convention de l’OCDE et documents annexes, para.27. 321 R. c. Anderson, [2014] R.C.S. 167, para. 37. 322 Pierre BÉLIVEAU et Martin VAUCLAIR, Traité général de preuve et de procédure pénales, 20e Édition, Cowansville, Les Éditions Thémis/Éditions Yvon Blais, 2013, p.98 et s. 323 Conseil Consultatif de l’Union Africaine sur la Corruption (CCUAC), Plan stratégique 2011-2015, juin 2011.

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internationale que près de deux décennies après la Deuxième Guerre mondiale324. La lutte

contre la corruption dans un tel contexte se confond et se fond dans la construction de l’État

de droit325. Cette complexité se vérifie dans la Convention de l’UA qui se singularise des

instruments comparables, d’une part, par la conciliation des droits fondamentaux à la lutte

contre la corruption (2.1.2.1) et, d’autre part, par la sollicitation de la coopération

internationale dans le contexte de la lutte contre la corruption (2.1.2.2).

2.1.2.1 La sauvegarde des droits fondamentaux par la lutte contre la corruption Alors que la doctrine et les organisations de la société civile perçoivent des liens de causalité

entre la corruption et la violation des droits de la personne326, la Convention de l’UA ne

codifie pas ces liens327. L’évocation des dispositions relatives aux droits de l’homme est, ici,

perçue comme une suite logique de l’Acte constitutif de l’Union africaine et des instruments

subséquents. Ils reconnaissent que « la liberté, l’égalité, la justice, la paix et la dignité sont

des objectifs essentiels pour la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains328 ».

Dans cette perspective, la lutte contre la corruption se présente dans cet instrument comme

324 La grande majorité des États africains, au sud du Sahara, accède à une relative indépendance à partir de 1960. C’est ainsi qu’à l’occasion de la Guerre froide, les puissances dominatrices ont implicitement toléré et favorisé la corruption pour obtenir l’adhésion, aux blocs respectifs de l’Ouest et de l’Est, des États appartenant au bloc hybride des Non Alignés. Il est raisonnablement permis, suivant cette logique, de situer l’hypothèse de la construction autonome (l’indépendance réelle) des États africains dès la décennie 1990. 325 Pierre TITI-NWELL, La lutte contre la corruption au Cameroun de 1999 à 2008, Yaoundé, PUA, 2009 « la racine de la corruption, sa cause déterminante (…) a pour nom : l’inconsistance de notre démocratie. Toutes les mesures prises en vue d’éradiquer la corruption font l’effet d’un coup d’épée dans l’eau tant qu’elles ne sont pas ciblées sur l’amélioration du système politique ». Voir dans une logique comparable S. ROSE-ACKERMAN, préc, note 4. 326 Pour certains auteurs, la Corruption constitue une violation si grave et systématique des droits des personnes qu’elle doit être érigée en crime international, justiciable devant la Cour pénale internationale. V. dans ce sens, NDIVA KOFELE-KALE et Ilias BANTEKAS, préc, notes 11 et 12. Pour d’autres, la corruption se rattache directement ou indirectement à la violation des droits économiques et sociaux, civils et politiques. Voir dans ce sens, Martine BOERSMA & Hans HELEN (eds.), Corruption & Human Rights: interdisciplinary perspectives, Antwerp – Cambridge – Portland, Intersentia, 2010. 327 Certains auteurs estiment que ce défaut de base légale exclut de telles analyses du domaine juridique. Voir, Jan WOUTERS, Cedric RYNGAERT and Ann Sofie CLOOTS, “The International Legal Framework against Corruption: Achievements and Challenges” (2013) 14 Melb. J. Int’L., 205. “[…] critics of linking corruption to human rights infringements may not so much criticize the adverse effects which corruption may have on human rights, so much as question whether the anti-corruption movement truly furthers a collective right to development, or an even more diffuse general concept such as human dignity. These are questions of political economy which lawyers are not particulary well-placed to answer”, p.275. 328 Convention de l’UA, préc, note 19, Préambule, 1er Considérant.

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une alternative à la protection des droits humains329, sans que la corruption soit

intrinsèquement admise comme une violation desdits droits330.

Cette redondance de la protection des droits humains s’observe à travers trois dispositions,

et soulève des inquiétudes sur une.

Parmi les dispositions redondantes, on retient de l’article 2 paragraphe 4 de la Convention,

qu’outre la lutte contre la corruption, cette Convention a aussi pour objectif la promotion du

« développement socio-économique par l’élimination des obstacles331 à la jouissance des

droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques ».

Les principes de la Convention sont énoncés à l’article 3 et se déclinent ainsi qui suit :

329 Il faut relever que l’Organisation de l’Unité Africaine, devenue l’Union Africaine, est à l’origine de plusieurs instruments relatifs à la protection des droits fondamentaux. Notamment, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 1er juin 1981, ratifiée par 53 États sur un total de 54 ; la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, du 30 janvier 2007, ratifiée par 23 États. Voir en ligne [http://legal.au.int/fr/] [consulté, le 27/02/2014]. 330 Si aucun des instruments internationaux de lutte contre la corruption ne codifie pas, de façon explicite, le lien (direct ou indirect) entre la corruption et la violation des droits des personnes, cette connexion est cependant relevée dans leur préambule. Cependant, comparé à l’instrument analogue (européen), on se rend compte que le préambule de l’instrument africain reste très vague dans cette connexion. Voir à titre de comparaison :

- Préambule de la Convention de l’Union africaine contre la corruption « Reconnaissant que la corruption compromet le respect de l’obligation de rendre compte et du principe de transparence dans la gestion des affaires publiques, ainsi que le développement socio-économique du continent » ;

- Préambule de la Convention pénale sur la corruption de l’Union européenne « soulignant que la corruption constitue une menace pour la prééminence du droit, la démocratie et les droits de l’homme, sape les principes de bonne administration, d’équité et de justice sociale, fausse la concurrence, entrave le développement économique et met en danger la stabilité des institutions démocratiques et les fondements moraux de la société ».

Contrairement à la thèse soutenue par Melissa Khemani selon laquelle « [the] AU Anti-Corruption Convention therefore emerged significantly on the basis of human rights considerations. This is further buttressed by the number of provisions of the AU Anti- Corruption Convention that make specific reference to human rights. In this regard, the Convention is unique amongst international anti-corruption conventions by recognizing the connection between acts of corruption and the violation of human rights», Melissa KHEMANI, « Corruption and the Violation of Human Rights: The Case for Bringing the African Union Convention on Preventing and Combating Corruption with the Jurisdiction of the African Court on Human and Peoples ‘Rights » (2008) 16 African Yearbook of International Law, pp.227-228. Ce n’est pas parce que la Convention de l’UA contre la corruption se réfère à certaines dispositions relatives à la protection des droits de la personne qu’elle établit de façon systématique une connexion entre la corruption et la violation desdits droits. 331 Même si on retenait, dans cette disposition, que le substantif ‘obstacle’ était un synonyme de ‘corruption’ ; autrement dit, qu’en éliminant la corruption (obstacle), on accèderait à la jouissance des droits… Il resterait difficile dans cette perspective de retenir la ‘corruption’ comme une violation directe des droits de la personne, ou encore comme un acte criminel ; à moins de faire la preuve de l’existence de la mens rea dans ce dernier cas, et de celle du manquement aux obligations positives de l’État dans le premier cas.

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Respect des principes et institutions démocratiques, de la participation populaire, de l’État de droit et de la bonne gouvernance ;

Respect des droits de l’homme et des peuples et autres instruments pertinents concernant les droits de l’homme ;

Transparence et obligation de rendre compte dans la gestion des affaires publiques ;

Promotion de la justice sociale pour assurer un développement socio-économique équilibré ;

Condamnation et rejet des actes de corruption, des infractions assimilées et de l’impunité.

Quant à l’article 14, il est relatif aux garanties minimales pour un procès équitable. Il dispose

que :

[…] toute personne accusée d’avoir commis un acte de corruption et d’infractions assimilées a droit à un procès équitable, conformément aux garanties minimales contenues dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et dans tout autre instrument international pertinent concernant les droits de l’homme, reconnu par les États parties concernés.

Comment comprendre, dans le contexte de la lutte contre la corruption, cette protection

itérative des droits de l’homme ?

La réponse à cette question distingue la Convention de l’UA des autres instruments analysés

dans cette étude. Il ne s’agit pas d’un instrument de régulation de l’économie internationale

(telle la Convention de l’OCDE), ou d’un instrument exclusif de droit international pénal

(telle la Convention des Nations Unies), mais bien d’un instrument de protection des droits

de l’homme.

En effet, les africains ont une compréhension extensive du concept « droits de l’homme ». Il

« comprend non seulement les droits civils et politiques, mais également les droits

économiques, sociaux et culturels ainsi que les droits des peuples332 ». Cette compréhension

332 Fédération Internationale des Ligues de Droits de l’Homme (FIDH), Guide pratique. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Vers la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, Paris, 2010, à la p.21.

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large se vérifie dans les compétences dévolues à la récente Cour africaine des droits de

l’homme et des peuples. Il y ressort en effet que :

La Cour est compétente pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.

En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide333.

Or, la Fédération Internationale des Ligues de Droits de l’Homme recense parmi d’autres

instruments de protection des droits de l’homme, la Convention de l’Union africaine sur la

prévention et la lutte contre la corruption334. Cela peut-il signifier que la Cour est compétente

pour en connaître ? La réponse à cette question est encore ambigüe, puisque lorsque cette

organisation cite explicitement les instruments juridiques pour lesquels la Cour est

compétente, elle omet la Convention de l’UA335.

Par ailleurs, les dispositions de la Charte africaine336, pour lesquelles la Cour est

explicitement compétente, intègrent simultanément les droits civils et politiques (articles 2 à

14) ; les droits économiques, sociaux et culturels (articles 15 à 18) ; et les droits des peuples

(articles 19 à 24)337. Parmi ces derniers, l’article 21 retient particulièrement l’attention quant

à son lien avec la corruption. Il dispose, entre autres, que :

Les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. En cas de spoliation, le peuple spolié a droit à la légitime récupération de ses biens ainsi qu’à une indemnisation adéquate.

333 Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, juin 1998, art.3. 334 FIDH, préc, note 332, à la p 21 ; M. KHEMANI, préc, note 330. Il est également important de relever que les États parties à la Convention de l’UA chargent le comité de suivi de l’article 22, d’établir des partenariats avec, entre autres, « la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples […] » (art.22§g). 335 Ibid à la p.58. 336 Charte africaine des Droits de l’homme et des Peuples, 27 juin 1981, 1520 RTNU 217. 337 FIDH, préc, note 332, à la p.57.

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On peut admettre, compte tenu de ce qui précède, que la proposition faite par Kafele-Kale

Ndiva d’instituer le crime international d’indigenous spoliation338 ne relève pas d’une simple

utopie. Il s’agit, en fait, dans le contexte africain, d’un droit positif pour lequel la Cour

africaine des droits de l’homme et des peuples est susceptible d’être saisie339.

Cependant, en marge de la protection des droits de la personne susmentionnée, certaines

dispositions de la Convention de l’UA sont, de l’avis de certains auteurs, liberticides. Tel est

le cas de l’article 8 relatif à l’enrichissement illicite.

En effet, aux termes de l’article 1 de la Convention, l’enrichissement illicite est défini comme

« l’augmentation substantielle des biens d’un agent public ou de toute autre personne que

celle-ci ne peut justifier au regard de ses revenus ». En clair, « any person must be ready to

explain each significant increase in his assets or be punished as a criminal340 ». L’infraction

d’enrichissement illicite – assimilé à l’infraction de corruption selon l’article 8 – viole les

338 Ndiva KOFELE-KALE, “The Right to a Corruption-Free Society as an Individual and Collective Human Right: Elevating Official Corruption to a Crime under International Law” (2000) The International Lawyer, p.158. 339 Comparé à d’autres mécanismes régionaux et universels de protection des droits de l’homme, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples semble plus outillée pour une hypothèse très plausible de connexion de la corruption aux droits des personnes pour deux raisons dont l’une est juridique, et l’autre factuelle. D’abord, aux termes de l’art.3§2 : « En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide » ; toute personne morale ou physique ayant qualité pour saisir la Cour en vertu de l’article 5 du Protocole de la Charte africaine portant création de la Cour peut lui soumettre une affaire relative à la Corruption. Sa décision aura la force d’un précédent didactique fortement attendu. Ensuite, considérant qu’au plan factuel, il pourrait être moins contraignant de rattacher la violation des droits économiques au crime de corruption ; que la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples affirme de façon constante « l’indivisibilité et l’interdépendance des droits de l’homme ; [qu’] en 2002, sur plus de 45 cas examinés par la Commission, 15 concernaient différents droits économiques et sociaux garantis par la Charte » ; telle la communication, The Social and Economic Rights Action Center and the Center for Economic and Social Rights v. Nigeria, N°155/96 (2001). Voir dans FIDH, préc, note 332, aux PP.59 et 63. On pourrait également envisager la saisine de la Cour africaine par une connexion entre la violation des droits économiques et sociaux et le crime de corruption. Pendant ce temps aux Nations Unies, le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 10 décembre 2008, (reconnaissant le droit aux particuliers de saisir le Comité des droits économiques, pour violation des droits garantis par le Pacte correspondant), n’est entrée en vigueur que le 5 mai 2013, et compte douze Parties au 28 février 2014. Il faut cependant, dans le contexte sociopolitique du continent africain, relativiser les compétences (théoriques) de la Cour. Voir à cet effet, M. Fatsah OUGUERGOUZ, « La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Gros plan sur le premier organe judiciaire africain à vocation continentale » (2006) 52 Annuaire français de droit international, aux pp.226-239. 340 Peter W. SCHROTH, « The African Union Convention on Preventing and Combating Corruption » (2005) 49 J. Afr. L., à la p.27.

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principes relatifs au procès équitable. Il contredit ainsi l’article 7 paragraphe 1b) de la Charte

africaine des droits de l’homme et des peuples qui garantit la présomption d’innocence341.

Or, il suit d’une lecture attentive de la Convention de l’UA que si l’argument tiré de la

violation du principe de la présomption d’innocence est fondé de façon générale, il

méconnait, toutefois, le contexte spécifique de cette Convention.

En effet, il a été relevé supra que cette Convention n’est pas exclusivement un instrument de

droit pénal stricto sensu. Il s’agit d’abord et surtout d’un instrument de prévention qui

s’adresse prioritairement à la corporation des agents publics, mieux, au fonctionnaire

africain. Dans la Convention de l’UA, le droit déontologique342 (préventif) côtoie le droit

pénal (répressif) au double plan interne et interétatique ; tout en invitant les différentes

autorités chargées de la mise en œuvre de ces deux domaines à coopérer pour lutter contre la

corruption343.

En tant qu’instrument de droit préventif, il ressort de la Convention de l’UA que,

Pour lutter contre la corruption et les infractions assimilées dans la fonction publique, les États parties s’engagent à :

Exiger que tous les agents publics ou ceux qui sont désignés par la loi déclarent leurs biens lors de leur prise de fonctions, ainsi que pendant et à la fin de leur mandat ;

Mettre sur pied un comité interne ou un organe semblable chargé d’élaborer un code de conduite et de veiller à l’application de ce code, et sensibiliser et former les agents publics en matière de respect de la déontologie au sein de la fonction publique ;

Adopter des mesures disciplinaires et des procédures d’enquête dans des cas de corruption et d’infractions assimilées afin de suivre le rythme des développements technologiques et améliorer l’efficacité des agents chargés des enquêtes […]344.

En tant qu’instrument qui allie droit préventif et droit répressif au double plan interne et

international, la Convention invite les États parties à une,

341 Ibid à la p.30 ; J. Wouters, C. RYNGARERT and A. S. CLOOTS, préc, note 327, à la p.273. 342 Me Pierre MAROIS au nom de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et le juge Dubois, 2004 CMQC 3 (2 mai 2012), par. 46 « […] le processus déontologique doit […] poursuivre des objectifs pédagogiques et préventifs que doivent adopter les […] » membres d’une corporation, en l’occurrence les juges. 343 Voir dans ce sens, les arts. 7 et 18 de la Convention de l’UA. 344 Convention de l’UA, art.7.

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[G]rande coopération et à la plus grande assistance technique possibles dans le prompt examen des demandes des autorités investies, en vertu de leurs législations nationales, des pouvoirs de prévenir, de détecter, enquêter et réprimer les actes de corruption et d’infractions assimilées345.

Au plan strictement déontologique,

[L]es États parties, si possible, coopèrent entre eux pour se fournir mutuellement toute forme d’assistance technique dans l’élaboration des programmes et codes de déontologie, ou pour organiser conjointement le cas échéant, à l’intention de leurs personnels, des stages de formation, pour un ou plusieurs États, dans le domaine de la lutte contre la corruption et les infractions assimilées346.

Cette mixité du déontologique et du pénal relève du principe de la flexibilité du droit pénal

soutenu dans cette thèse. On ne peut dès lors prétendre, de façon générale, à la violation du

principe de la présomption d’innocence, d’abord parce qu’il n’est pas question d’un droit

pénal classique (stricte). La procédure du droit pénal flexible, dans ce cas, est un continuum

de la procédure préventive du code de déontologie de l’agent public. Il lui est demandé avant

toute suspicion de faire la déclaration de ses biens347 avant, pendant et à la fin de son mandat.

Si bien que lorsqu’il est soupçonné d’enrichissement illicite (commencement de la procédure

répressive), la collaboration entre les autorités de prévention et de répression (art.18 para.1)

mettra en évidence les actes constitutifs de l’infraction d’enrichissement illicite. Ce qui évite

le renversement de la charge de la preuve, dont le respect du principe de la présomption

d’innocence348.

En outre, par son statut particulier qui le différencie du citoyen ordinaire, la théorie générale

du droit est susceptible de justifier que la procédure pénale applicable à l’agent public se

345 Ibid art.18§1. 346 Ibid art. 18§4. 347 La Convention des Nations Unies semble plus stricte à cet effet que la Convention de l’UA. Elle ne se limite pas à la déclaration des biens, mais exige que tout agent public déclare aux autorités compétentes « toutes activités extérieures, tout emploi, tous placements, tous avoirs et tous dons ou avantages substantiels d’où pourrait résulter un conflit d’intérêts avec leurs fonctions d’agents publics », V. Convention des NU contre la corruption, art.8§5. Voir dans le même sens, La Banque Mondiale, La déclaration par les agents publics de leurs avoirs et de leurs revenus est essentielle à la lutte contre la corruption, explique une nouvelle étude de StAR, [en ligne] [http://www.banquemondiale.org/fr/news] [consulté le 28/03/2012]. 348 Il sera vu infra qu’avec l’institutionnalisation des services de renseignement financier souhaitée par la Convention des Nations Unies (arts. 14§1b et 58), et la coopération nécessaire entre ces organes et les autorités de poursuite, la preuve de l’enrichissement illicite sera faite par ces derniers, sans qu’on oblige le suspect à témoigner contre sa personne ou à faire la preuve de son enrichissement illicite. Au contraire, le suspect produira la source de ses revenus légitimes pour se décharger de l’accusation d’enrichissement illicite.

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distingue de la procédure pénale applicable au commun des citoyens. En l’espèce,

l’enrichissement illicite est l’expression pénale du manquement, par l’agent public, à son

code de déontologie. Ce manquement s’apprécie par l’inadéquation entre les trois paramètres

suivants : les biens déclarés349, les revenus de la fonction et les biens réels. Cette discordance

est d’abord constatée par la corporation de l’agent public qui veille au respect de la norme

déontologique correspondante. L’échec constaté des mesures préventives à la corruption

autorise l’autorité chargée de la lutte préventive contre la corruption à collaborer avec

l’autorité judiciaire. Il y aurait ainsi, dans la Convention de l’UA contre la corruption,

violation de la présomption d’innocence si cette infraction était imputée à l’agent public au

moment de la déclaration de ses biens, préalable à la prise de fonctions. Cette violation serait

également pertinente si l’infraction d’enrichissement illicite était imputée à « toute

personne350 » dépourvue d’un ordre professionnel insusceptible de mettre en œuvre des

mécanismes de prévention de la corruption. Par contre, il n’y a aucune violation des règles

du procès équitable si la collaboration entre les autorités préventives et répressives de lutte

contre la corruption met en évidence les actes constitutifs de l’enrichissement illicite de

l’agent public. Il n’est pas demandé à l’agent public de témoigner contre sa personne. La

preuve de l’infraction sera déduite de l’écart observé entre les avoirs déclarés et les avoirs

réels, compte tenu, notamment, de ses revenus officiels. C’est parce que la bonne

organisation de sa corporation rend possible la construction de la preuve sans méconnaitre

les règles du procès équitable que l’agent public (ou privé) est susceptible d’être poursuivi

pour des faits d’enrichissement illicite. Car s’ « il est interdit de distinguer là où la loi ne

349 Il faut noter que, dans certains États africains, la déclaration des biens et avoirs est prescrite dans la Loi fondamentale. Voir en ce qui concerne le Cameroun, Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, art.66, « Le Président de la République, le Premier ministre, les membres du Gouvernement et assimilés, le Président et les membres du Bureau du Sénat, les députés, les sénateurs tout détenteur d’un mandat électif, les Secrétaires généraux des Ministères et assimilés, les Directeurs des administrations centrales, les Directeurs généraux des Entreprises publiques et parapubliques, les magistrats, les personnels des administrations chargées de l’assiette, du recouvrement et du maniement des recettes publiques, tout gestionnaire de crédits et des biens publics, doivent faire une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin leur mandat ou de leur fonction. Une loi détermine les autres catégories de personnes assujetties aux dispositions du présent article et en précise les modalités d’application ». 350 L’expression « toute personne » ne peut se comprendre ici que dans les circonstances d’une responsabilité secondaire, voir supra, note 297.

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distingue pas (Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus)351 », il est par contre

permis de distinguer là où la loi distingue. Tel est notamment le cas de l’agent public distinct,

par son statut particulier, du citoyen ordinaire. De même, au plan normatif, s’il est également

admis que « les dispositions générales ne dérogent pas aux dispositions spéciales (Generalia

specialibus non derogant), […], à l’inverse, on est conduit à considérer que les dispositions

spéciales dérogent aux dispositions générales (Specialia generalibus derogant)352 ».

Autrement dit, le droit pénal spécial applicable à la corruption est susceptible d’amender

certaines dispositions du droit pénal général. Si bien que, même en absence d’une

collaboration entre les autorités du droit déontologique (préventif) et du droit pénal

(répressif), le renversement de la charge de la preuve entre la poursuite et le suspect serait

admis comme une exception à la procédure spéciale applicable à la corruption.

Compte tenu de ce qui précède, il est possible de constater que la flexibilité suggérée par la

Convention de l’UA trouve sa pertinence en droit pénal de procédure. Dans un premier

temps, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples se présente comme une

juridiction susceptible de connaître des faits attribuables à la corruption. Toutefois, il faut

encore développer la méthodologie353 qui permettra de rattacher l’acte « corruptionnel » aux

droits civils et politiques, aux droits économiques et sociaux et aux droits des peuples.

Dans un second temps, en admettant que la méconnaissance d’une norme déontologique

participe à la preuve de l’infraction d’enrichissement illicite, la Convention de l’UA va

permettre l’incrimination progressive des faits non encore admis dans la criminalisation de

la corruption. Une telle logique est en harmonie avec la définition de la corruption illustrée

au schéma 1, et participe aussi à la flexibilité du droit substantiel.

Cependant, malgré cette enthousiaste perception de la Convention de l’UA, d’autres auteurs

affirment que l’État africain capitule face à la corruption de ses fonctionnaires354. Est-ce pour

cette raison qu’elle insiste autant sur la coopération internationale ?

2.1.2.2 La lutte contre la corruption par la coopération internationale

351 François TERRÉ, Introduction générale au droit, 9e Ed., Paris, Dalloz, 2012, à la p.469. 352 Ibid. 353 D. ROBITAILLE, préc, note 147. 354 K. KANÉ, préc, note 26.

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Parmi les trois conventions régionales, de lutte contre la corruption, analysées dans cette

étude, notamment, la Convention de l’OEA, la Convention pénale du Conseil de l’Europe

sur la Corruption et la Convention de l’UA, on observe que les deux premières conventions

citées ont chacune une seule logique en matière de coopération. Il s’agit d’une coopération

entre les différents États parties. Si cette démarche se vérifie dans la Convention de l’UA,

celle-ci intègre une seconde logique : la coopération entre États parties et États non parties à

la Convention355. Il ressort ainsi de l’article 19 que,

Dans l’esprit de la coopération internationale, les États parties s’engagent à :

Collaborer avec les pays d’origine des multinationales pour définir comme des infractions pénales et réprimer la pratique de commissions occultes et les autres formes de corruption, lors des transactions commerciales internationales ;

Promouvoir la coopération régionale, continentale et internationale dans la prévention des pratiques de corruption, dans des transactions commerciales internationales ;

Encourager tous les pays à prendre des mesures législatives pour éviter que les agents publics jouissent des biens mal acquis, en bloquant leurs comptes à l’étranger et en facilitant le rapatriement des fonds volés ou acquis de façon illégale dans les pays d’origine ;

Collaborer étroitement avec les institutions financières internationales, régionales et sous-régionales pour bannir la corruption dans les programmes d’aide au développement et de coopération, en définissant des règles strictes d’éligibilité basées sur le respect de la bonne gouvernance, dans le cadre global de la politique de développement ;

Coopérer, conformément aux dispositions des instruments internationaux régissant la coopération internationale en matière pénale, dans la conduite des enquêtes et des poursuites judiciaires concernant les infractions pénales relevant de la compétence de la présente Convention.

Qu’est-ce qui peut justifier l’extension de la coopération aux États non-Parties, dans le cadre

de la Convention de l’UA356 ?

355 On trouve cependant une logique similaire dans la Convention de l’OCDE, qui vise deux catégories d’États non membres de l’OCDE. Il s’agit d’une part, des États dont les économies émergentes ont un impact significatif sur les transactions commerciales internationales et, d’autre part, des États dont les agents publics – ignorés dans la Convention de l’OCDE – sont des nationaux. Voir supra, section 2.1.1. La Convention de l’OCDE. 356 La coopération internationale dans la Convention pénale du Conseil de l’Europe fait l’objet du Chapitre IV intitulé : Coopération internationale. Voir notamment les art.25 (Principes généraux et mesures s’appliquant à la coopération internationale) ; art. 26 (Entraide) et art. 27 (Extradition). Toutes ces dispositions ne sont prescrites qu’à l’égard des États parties. C’est cette logique qui se vérifie dans la Convention de l’OEA, voir les arts. XIII et XIV, relatifs respectivement à l’extradition et à l’entraide et à la coopération. Leur pendant dans

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La réponse à cette question suscite des analyses fondées sur des considérations implicites et

explicites.

Une coopération internationale implicite Parmi les premières considérations implicites, il peut être envisagé que les paragraphes 1 et

2 de l’article 19 complètent le dispositif non prescriptif de l’OCDE relatif à la coopération

entre les États membres de l’OCDE et les États en développement357.

En effet, il a été signalé supra qu’alors que l’article 9 de la Convention de l’OCDE se borne

à une coopération entre États Parties à cette Convention, l’OCDE a sollicité la coopération

des États non membres à travers l’Illicit Financial Flows from Developing Countries. Lequel

stipule que:

[…] developing countries must make it a priority to engage in effective mutual legal assistance, provide the necessary information to investigating authorities with which they co-operate, and proactively pursue and sanction their nationals implicated in corruption cases358.

Cette coopération, entre les États Parties à la Convention de l’UA et ceux de l’OCDE, comble

le dispositif normatif de cette dernière convention qui méconnaît la corruption passive des

agents publics étrangers.

À cette première considération implicite, il est possible d’adjoindre une autre liée à l’absence

– relative – de l’État de droit dans certains États africains. Ce qui a pour corollaire une

partielle incapacité institutionnelle à lutter contre la corruption. Étant donné qu’il est possible

de situer cette incompétence institutionnelle dans le passé colonial. Stuart S. Yeh relève à cet

effet que:

Colonial administrators dismantled traditional checks and balances in order to centralize power in their own hands and the hands of small number of local chiefs […]. Local chiefs became accustomed to the exercise of absolute rule without judicial restraint, as long as they enjoyed the confidence of the colonial administrator. Thus, colonial practices institutionalized favouritism, self-

la Convention de l’UA est l’art.18 (Coopération et entraide judiciaire en matière pénale), alors que l’art.19 (Coopération internationale) implique les États non partie à cette Convention. 357 Il est difficile de ne pas voir dans le groupe nominal « les pays d’origine des multinationales », une interpellation en direction des pays de l’OCDE ou une réplique à la Convention de l’OCDE. 358 OCDE, Measuring OECD Responses to Illicit Financial Flows from Developing Countries, préc, note 302.

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aggrandizement and despotic rule, essentially training African elites in the methods of favouritism, the exercise of unbridled power and personal enrichment.

After independence, the transfer of this power to African heads of state had disastrous results. Africa’s ruling elites quickly discovered that they could use their combined economic and political power to direct economic activity, enrich themselves, reward political rivals and crush opposition to their rule359.

Cet enracinement de la corruption depuis la période coloniale fait observer à cet auteur que

la corruption n’est pas seulement à l’origine de la centralisation des pouvoirs, elle inhibe

également l’émergence des institutions nécessaires à l’établissement des contrepouvoirs

efficaces pour lutter contre la corruption des élites360. En guise de solution à la problématique

de la corruption en Afrique, il estime – par analogie au Statut de Rome de la Cour Pénale

Internationale (CPI)361 que – seuls les inspecteurs des Nations Unies sont susceptibles de

lutter efficacement contre la corruption en Afrique362.

On est en droit de se demander si, de façon implicite, la coopération internationale stipulée

dans la Convention de l’UA se rapproche de la proposition faite par Stuart S. Yeh, c'est-à-

dire, à travers une institution internationale homologue de la CPI. Les réserves émises ces

dernières années par des États africains et l’Union africaine à l’occasion de certaines affaires

déférées devant la CPI363 suggèrent une réponse négative. Ceci d’autant plus que la

359 Stuart S. YEH, “Ending corruption in Africa through United Nations inspections” (2011) 87 International Affairs, p.630. 360 Ibid, pp.631 et s. 361 Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, 17 juillet 1998, [tel qu’amendé par les procès-verbaux du 12 juillet 1999, 30 novembre 2000, 17 janvier 2001et 16 janvier 2002]. 362 S. S. YEH, préc, note 359. 363 Union Africaine (UA), « réaffirme ses décisions antérieures sur l’abus des principes de compétence universelle adoptées en juillet 2008 à Charm El-Cheikh et sur les activités de la CPI en Afrique, adoptées en janvier et juillet 2009, en janvier et juillet 2010, en janvier et juillet 2011, en janvier et juillet 2012, en mai 2013, dans lesquelles elle exprime sa ferme conviction que la recherche de la justice doit être poursuivie de manière à ne pas entraver ni compromettre les efforts visant à promouvoir une paix durable ; Réitère la préoccupation de l’UA en ce qui concerne la politisation et l’utilisation abusive des inculpations des dirigeants africains par la CPI, ainsi que les inculpations et les poursuites sans précédent engagées contre le Président et le Vice-président en exercice du Kenya en rapport avec les évènements récents au Kenya ; […] Décide par conséquent de ce qui suit :

i. sauvegarder l’ordre constitutionnel, la stabilité et l’intégrité des États membres en réaffirmant qu’aucune poursuite ne doit être engagée devant un tribunal international contre un chef d’État ou de gouvernement en exercice ou toute autre personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité durant son mandat ;

ii. demander la suspension des procès du Président Uhuru Kenyatta et de son Vice-président William Samoei Ruto, qui sont les dirigeants en exercice du Kenya, jusqu’à la fin de leur mandat […] ».

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Convention de l’UA a prévu en son article 22 un mécanisme de suivi. Celui-ci a pour

fonction, aux termes de l’article 22 paragraphe 5, de :

Promouvoir et d’encourager l’adoption et l’application de mesures de lutte contre la corruption sur le continent ;

Rassembler des documents et des informations sur la nature et l’ampleur de la corruption et des infractions assimilées en Afrique ;

Élaborer des méthodes pour analyser la nature et l’ampleur de la corruption en Afrique et diffuser l’information, et sensibiliser l’opinion publique sur les effets négatifs de la corruption et des infractions assimilées ;

Conseiller les gouvernements sur la manière de lutter contre le fléau de la corruption et des infractions assimilées au niveau national ;

Recueillir des informations et procéder à des analyses sur la conduite et les pratiques douteuses des sociétés multinationales opérant en Afrique, et diffuser ces informations auprès des autorités nationales visées au paragraphe 1 de l’article 18 de la présente Convention ;

Élaborer et promouvoir l’adoption de codes de conduite harmonisés à l’usage des agents publics ;

[…] ;

Faire régulièrement rapport au Conseil exécutif sur les progrès réalisés par chaque État partie dans l’application des dispositions de la présente Convention ; […].

Décision sur les relations entre l’Afrique et la Cour Pénale Internationale (CPI), Ext/Assembly/AU/Dec.1 (oct. 2013). AU, « exprime sa profonde préoccupation devant l’acte d’accusation délivré par la Chambre d’accusation de la CPI contre le Président Omar Hassan Ahmad El Bashir, Président de la République du Soudan ; Note avec une grave préoccupation les conséquences malheureuses que cet acte d’accusation a eu sur le processus de paix délicat en cours au Soudan et le fait qu’il continue de saper les efforts déployés en vue de faciliter le règlement rapide du conflit au Darfour ; Demande, conformément à la Décision Assembly/Déc. 213 (XII) adoptée en février 2009 chargeant la Commission, en consultation avec la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, d’examiner les implications de l’octroi à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples de la compétence à juger des cas de crimes graves de préoccupation internationale tels que le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, qui seraient complémentaires des juridictions et processus nationaux de lutte contre l’impunité […] ; Décide que, la demande de l’UA [de reporter les poursuites contre le Président Bashir du Soudan, conformément à l’article 16 du Statut de Rome de la CPI] n’ayant pas été prise en compte, les États membres de l’UA ne coopéreront pas conformément aux dispositions de l’article 98 du Statut de Rome de la CPI relatives aux immunités dans l’arrestation et le transfert du Président Omar El Bashir du Soudan à la CPI », Décision le Rapport de la Réunion des États africains parties au Statut de Rome de la CPI, Doc. Assembly/AU/13(XIII), Assembly/AU/Dec. 245 (XIII), du 1-3 juillet 2009. Voir aussi, Habib Ahmed DJIGA, « L’Union Africaine, la Cour Pénale Internationale et le cas Omar El-Béchir : vers une justice pénale internationale sur mesure ? » (2010) 43 Sécurité Mondiale, 1.

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C’est dans le cadre de cette disposition que le Conseil Consultatif de l’Union Africaine sur

la Corruption (CCUAC) a adopté en 2009 le plan stratégique 2011-2015. Les observations

préliminaires faites par ce Conseil sont identiques à l’analyse de Stuart S. Yeh. Le Conseil a

en effet observé que,

Les insuffisances constatées au niveau de la gouvernance qui prennent la forme d’une coexistence de régimes autocratiques, de l’impunité généralisée et de l’exploitation non déclarée des ressources naturelles, continuent d’être la source d’énormes problèmes pour le développement socioéconomique du continent. […] Les institutions étatiques et leur capacité à fournir des mécanismes régulateurs au sein du système demeurent faibles, alors que le projet démocratique reste fragile et réversible. En outre, les progrès réalisés dans la lutte contre la corruption sont limités, du fait de l’insuffisance des capacités et des infrastructures de gestion des finances publiques364.

Cette observation semble se vérifier dans le fonctionnement du Conseil lui-même, car la mise

en œuvre du plan stratégique décrit par le CCUAC reste discutable. Ceci parce que « no

country reviews have taken place yet and the Strategic Plan describes the role of the Advisory

Board as that of a think tank365 ». Ce fonctionnement déficient du CCUAC interroge, une

fois de plus, la relative incapacité des mécanismes internes africains à lutter contre la

corruption et réhabilite la nécessité d’une coopération avec les États et les institutions non

Parties à la Convention de l’UA. D’ailleurs, un examen comparatif de l’état de ratification

des différentes conventions laisse constater que les États africains sont peu enthousiastes, par

rapport aux autres régions, à prendre une part active dans leur propre mécanisme de lutte

contre la corruption.

En effet, on peut observer en date du 05 mars 2014, que sur vingt-huit (28) signatures à la

Convention de l’OEA, il y a trente-trois (33) ratifications. Soit un taux de participation actif

en valeur relative de 117, 85%. Sur quarante-quatre (44) signatures à la Convention pénale

du Conseil de l’Europe, on dénombre quarante une (41) ratifications. Soit un taux de

participation effectif à ce mécanisme de 93,18%. Il y a quarante (40) ratifications à la

Convention de l’OCDE qui ne compte que trente-quatre (34) membres. Par contre, la

Convention de l’UA compte quarante-cinq (45) signatures pour trente une (31) ratifications.

364 CCUAC, préc, note 323. 365 J. WOUTERS, C. RYNGAERT and A. S. CLOOTS, préc, note 327, à la p.230.

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Soit le taux de participation en valeur relative le plus bas : 68,88%. Bien plus, on constate

que les États africains accordent plus de crédit à la Convention des Nations Unies qu’à la

Convention de l’UA. Car, parmi les quarante-huit (48) pays africains qui ont signé la

Convention des Nations Unies, quarante-sept (47) l’ont ratifié. Il y a donc, en valeur relative,

97,91% de pays africains qui sont favorables à un mécanisme extra-africain de lutte contre

la corruption, contre 68,88% favorables au mécanisme continental de lutte contre la

corruption.

Ces statistiques permettent d’affirmer avec force que les États Parties à la Convention de

l’UA souhaitent une coopération internationale (extra-africaine) de lutte contre la corruption.

Cependant, s’il ne s’agit pas d’un mécanisme analogue à la CPI, il est important de mieux

décrypter le mécanisme souhaité par l’article 19 de la Convention.

Une coopération internationale explicite Deux dispositions rendent compte de la coopération internationale souhaitée par la

Convention de l’UA. Il s’agit des paragraphes 3 et 4 de l’article 19.

En effet, selon l’article 19 paragraphe 3, il faut :

Encourager tous les pays à prendre des mesures législatives pour éviter que les agents publics jouissent des biens mal acquis, en bloquant leurs comptes à l’étranger et en facilitant le rapatriement des fonds volés ou acquis de façon illégale dans les pays d’origine.

La lecture attentive de cette disposition permet d’envisager qu’elle constitue l’objet principal

de la coopération internationale souhaitée par cette Convention. Cet article est une invitation

explicite, des États et autres institutions internationales non-Parties à la Convention de

l’UA366, à compléter les actions prises par les États Parties pour une lutte systématique contre

la corruption.

Le paragraphe 3 semble d’autant plus important que la coopération souhaitée ne s’inscrit pas

dans le domaine judiciaire, mais plus tôt dans le domaine politique. Il suffit, pour bien

366 En guise de rappel, l’art.18 traite de la coopération entre États parties à la Convention de l’UA contre la corruption.

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illustrer ce constat, de faire une lecture comparée des articles 16 (coopération judiciaire

stricto sensu) et 19.

En effet, l’article 16 applicable entre les différents États Parties liste les actions judiciaires

qui aboutiront au « rapatriement des produits de la corruption ». Il s’agit notamment des

enquêtes, du gel, de la saisie, de la confiscation, etc. Cette démarche est semblable à celle de

la Convention de l’OEA. Celle-ci dispose, entre autres, en son article XV paragraphe 2 que

« […] cette partie pourra transférer la totalité ou une partie de ces biens à une partie qui aurait

apporté son assistance à la conduite de l’enquête ou des procédures ayant mené à la saisie ».

Par contre, l’article 19 paragraphe 3 fonde le rapatriement des fonds volés sur des mesures

législatives de blocage des comptes, sans préciser comment les comptes à bloquer seront

identifiés.

Quant aux termes utilisés, le langage juridique clarifié à l’article 2367 est substitué par des

concepts flous (non définis). On y note, entre autres, « des comptes bloqués », « l’étranger »,

« les pays d’origine », « des fonds volés ou acquis de façon illégale ». Ces termes laissent

penser qu’au-delà des actes de corruption368 cités dans la Convention, il existerait d’autres

manœuvres non (encore) identifiables, par lesquelles des biens sont extraits des pays

d’origine369 vers les comptes bancaires étrangers370. Cette première analyse permet de

conclure que, si la Convention de l’UA retient une coopération judiciaire entre les différents

États Parties, ceux-ci sont plus propices à une coopération politique avec les États et les

organisations internationales non-Parties à cette Convention. Tel est d’ailleurs le sens de

l’article 19 paragraphe 4, aux termes duquel les États Parties s’engagent à « collaborer

étroitement avec les institutions financières internationales, régionales et sous-régionales

367 L’art.2 de la Convention de l’UA contre la corruption définit les termes utilisés dans cette Convention. Ce qui n’est pas le cas des expressions usitées à l’art.19§3. 368 La corruption se définit globalement comme l’infraction commise par un agent public ou privé dans l’exercice de ses fonctions, tandis qu’en droit criminel, le vol est globalement défini comme l’appropriation frauduleuse de la chose d’autrui. Convoquer le vol dans le cadre de cette convention permet de questionner l’appropriation frauduleuse des biens, appartenant à un organe public ou privé, par une personne non identifiée ou non employée par cet organe. 369 Doit-on entendre par cette expression les États parties à la Convention de l’UA contre la Corruption ? 370 Doit-on entendre par cette expression les États non parties à la Convention de l’UA contre la corruption ?

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pour bannir la corruption dans les programmes d’aide au développement et de coopération

[…] ».

Une lecture suivie de la Convention de l’UA montre que, malgré les dispositions novatrices

qu’elle contient, notamment l’infraction d’enrichissement illicite, les contextes sociaux

relativement démocratiques, tel le Cameroun, manquent de volonté politique pour lutter

contre la corruption. Ce constat se vérifie par la non-mise en œuvre du mécanisme de suivi

de la Convention de l’UA et le peu d’enthousiasme des États africains à ratifier leur propre

instrument de lutte contre la corruption, comparativement à d’autres régions. Pourtant, les

États africains, dont l’instrument de lutte contre la corruption vise le développement

économique et la construction de l’État de droit souhaitent une coopération politique avec les

États membres de l’OCDE, dont la Convention vise la protection de leurs intérêts

économiques.

On peut interroger la pertinence d’une telle coopération puisque le constat relatif à l’absence

de volonté politique des États africains, dans la lutte contre la corruption, se vérifie aussi dans

les contextes sociaux dits démocratiques, tels les États membres de l’OCDE, lorsque

l’impératif de lutte contre la corruption semble contrarier les intérêts économiques371. Cette

convergence des intérêts divergents, et peu propices à la répression de la corruption, renforce

la thèse d’un système judiciaire à l’épreuve de la corruption. Ce qui constitue une raison

supplémentaire à la limitation des prérogatives exorbitantes du ministère public, du fait de

son rattachement à la branche exécutive de l’État. Il est donc nécessaire qu’il soit

concurrencé, dans la poursuite des faits de corruption, par des « personnes et des groupes

n’appartenant pas au secteur public, tels que la société civile, les organisations non

gouvernementales et les communautés de personnes372 ». Il s’agit, en d’autres termes, de la

flexibilité du droit pénal de procédure suggérée par la Convention des Nations Unies.

2.2 L’émergence d’un droit anticorruption par la Convention des Nations Unies Bien que les conventions internationales et régionales de lutte contre la corruption aient, pour

chacune d’elle, une finalité particulière, la Convention des Nations Unies, en tant

371 cf., note 320. 372 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.13.

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qu’instrument universel de lutte contre la corruption, intègre au double plan épistémologique

et opérationnel, les particularités prises en compte par chacune des conventions internationale

et régionale. C’est ainsi qu’on y retrouve les dispositions relatives à la corruption des agents

publics étrangers, propres à la Convention de l’OCDE, et la restitution des produits de la

corruption, défendue par les Conventions de l’OEA et de l’UA373. Au-delà de ce souci de

conciliation, la Convention des Nations unies se démarque des instruments précédents par sa

capacité à susciter l’émergence d’un droit spécial, applicable à la corruption. Cet objectif se

réalise, suivant la Convention, par la consécration d’un principe fondamental. Ce principe se

lit, ainsi, à l’article 51 :

La restitution d’avoirs en application du présent chapitre est un principe fondamental de la présente Convention, et les États Parties s’accordent mutuellement la coopération et l’assistance la plus étendue à cet égard.

S’il est logique de comprendre par cet énoncé que l’une des finalités essentielles de cette

Convention est d’aboutir, dans le processus de lutte contre la corruption, à la restitution des

avoirs issus de la corruption374, on doit au préalable vérifier que ce processus est encadré par

deux précautions essentielles : la détection (identification) des produits de la corruption,

d’une part et, d’autre part, la garantie que les produits restitués ou leurs équivalents ne feront

plus l’objet d’une corruption récidiviste375. Car, on peut seulement restituer ce que l’on a pu

373 Voir à cet effet, Transparency International, The Nyanga Declaration on the Recovery and repatriation of African’s Wealth Illegally appropriated and Banked or Invested Abroad, 4 March 2001; Tiziano BALMELLI, « La restitution internationale des avoirs acquis par la corruption : de l’obligation morale à l’obligation juridique », dans Tiziano BALMELLI, Bernard JAGGY (dir.), Les traités internationaux contre la corruption. L’ONU, l’OCDE, le Conseil de l’Europe et la Suisse, Lausanne/Berne/Lugano, Éditions interuniversitaires suisses, 2004 : « la proposition avancée par le Président nigérian Olusegun Obasanjo, le 23 septembre 1999, devant l’Assemblée générale de l’ONU, a contribué à inclure la question de la restitution dans le mandat du Comité spécial chargé de négocier le projet de convention », p.73. 374 Il faut noter que certains travaux relatifs à l’interprétation de la Convention des Nations Unies mentionnent que « l’article 51 est une déclaration d’intention dont il ressort qu’en cas de doute concernant l’interprétation des dispositions relatives au recouvrement d’avoirs, la préférence doit aller au recouvrement, en tant qu’objectif fondamental de la coopération internationale prévue par la Convention », Voir ONUDC, Guide technique, préc, note 17, à la p.215; Nations Unies, Assemblée Générale, Rapport du Comité spécial chargé de négocier une convention contre la corruption sur les travaux de ses premières à septième sessions, additif, Notes interprétatives pour les documents officiels (travaux préparatoires) des négociations sur la Convention des Nations Unies contre la corruption, A/58/422/Add.1, 2003, par.48. 375 Il a été signalé supra que certaines conventions régionales, notamment la Convention de l’UA, intègre dans la lutte contre la corruption, la construction de l’État de droit. C’est ainsi qu’il ressort de l’Étude mondiale sur le transfert de fonds d’origine illicite que certains États requis hésitent à retourner les fonds illicites dans leur pays d’origine pour des raisons, non exhaustives, suivantes : « il faut du temps avant que l’État de droit soit

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détecter, et la restitution doit pouvoir limiter voire éradiquer le processus « corruptionnel ».

On se demande si la lecture de cette Convention rend compte de ce cycle de lutte contre la

corruption376, qui va de la détection à la restitution, en passant par la sanction des personnes

convaincues de corruption. La réponse à cette question est délicate, non nécessairement du

fait de la complexité de l’infraction de corruption, mais aussi et surtout, du fait de

l’implication des agents publics et privés, situés au sommet de la hiérarchie de leurs organes

respectifs377, dans le phénomène asocial de grande corruption. D’où l’utilité d’analyser la

Convention des Nations Unies à l’aune de sa finalité en questionnant sa mise en œuvre en

droit interne (2.2.1), et les attentes que suscite un droit international anticorruption (2.2.2).

2.2.1 La complémentarité des organes traditionnels du système judiciaire par des organes spéciaux anticorruptions

Si la Convention des Nations Unies insiste sur l’assistance technique dont ont besoin les États

dans sa mise en œuvre378, il faut reconnaître qu’elle n’a pas facilité la tâche de ces derniers

quant à l’identification de l’organe chargé de la lutte contre la corruption. La Convention

mentionne, entre autres, les organes de prévention379, les organes de détection et de

rétabli [dans l’État requérant] … ». L’État requis peut également soupçonner, entre autres, que « les actions en recouvrement sont inspirées par des motivations d’ordre politique » ou « que l’État requérant soit exempt de corruption et nourrir des craintes quant à ce qu’il adviendrait des fonds ou avoirs s’ils étaient restitués ». Voir dans Nations Unies, Comité spécial chargé de négocier une convention contre la corruption, Étude mondiale sur le transfert de fonds d’origine illicite, en particulier de fonds provenant d’actes de corruption, A/AC.261/12, 13-24 janvier 2002, pars.31et 44. Voir dans le même sens, T. BALMELLI, préc, note 373, à la p.78. 376 Voir dans ce sens, Convention des Nations Unies, art.3§1 « [l]a présente Convention s’applique, conformément à ses dispositions, à la prévention, aux enquêtes et aux poursuites concernant la corruption ainsi qu’au gel, à la saisie, à la confiscation et à la restitution du produit des infractions établies conformément à la présente Convention. […] ». 377 Edwin Hardin SUTHERLAND, White collar crime, New York, Holt, Renehart and Whiston, 1961, aux pp. 4-5. 378 Voir, Convention des Nations Unies, préc, note 15, préambule, Chapitre 1er et Chapitre VI. 379 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.5§3 « chaque État partie s’efforce d’évaluer périodiquement les instruments juridiques et mesures administratives pertinents en vue de déterminer s’ils sont adéquats pour prévenir et combattre la corruption ». Art.6 « chaque État partie fait en sorte, conformément aux principes fondamentaux de son système juridique, qu’existent un ou plusieurs organes, selon qu’il convient, chargés de prévenir la corruption […] ». Art.12§2f) « l’application aux entreprises privées, compte tenu de leur structure et de leur taille, d’audits internes suffisants pour faciliter la prévention et la détection des actes de corruption et la soumission des comptes et des états financiers requis de ces entreprises privées à des procédures appropriées d’audit et de certification ». Art.13 « chaque État partie prend des mesures appropriées, dans la limite de ses moyens et conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, pour favoriser la participation active de personnes de groupes

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répression380. Elle établit des liens non codifiés entre eux, en veillant chaque fois à leur

indépendance respective, conformément aux principes fondamentaux de chaque État partie.

En effet, si la quasi-totalité des études montrent que la complexité à la fois nationale et

transnationale de la corruption et des infractions assimilées nécessite « l’harmonisation des

législations nationales381 » et au plan international, une coopération plus renforcée382 voire,

l’implémentation du principe de l’équivalence fonctionnelle, ces études, suivies par la

Convention des Nations Unies, suscitent à rebours de l’unification de la norme, la diversité

des organes de sa mise en œuvre. On peut ainsi craindre que la corruption et la restitution

consécutive des avoirs, après avoir longtemps résisté à la diversité des systèmes juridiques et

des normes nationales, résistent davantage à la diversité des organes chargés respectivement

de prévenir, de détecter et de réprimer la corruption383. Cette observation se vérifie avec plus

de force dans certains États où la lutte contre la corruption se confond à l’implémentation de

la bonne gouvernance384, et où la création de nouvelles institutions anticorruptions révèle

paradoxalement de nouvelles opportunités au népotisme385. C’est dans cette veine qu’une

n’appartenant pas au secteur public, tels que la société civile, les organisations non gouvernementales et les communautés de personnes, à la prévention de la corruption et à la lutte contre ce phénomène […] ». 380 Ibid arts. 11, 14, 36, 48, etc. 381 J. RIFFAULT-SILK, préc, note 142, à la p.647. 382 Convention des Nations Unies, préc, note 15, chap.4. 383 Voir dans ce sens, Jean Spreutels, qui estime que la coopération internationale entre les différentes cellules de renseignement financier est rendue difficile, parce que ces cellules sont dans les différents ordres juridiques tantôt « administrative (autorité indépendante, simple service d’un ministère ou division d’une autorité prudentielle), [tantôt], judiciaire (parquet), policière ou mixte (judiciaire et policière) ». Voir dans Jean SPREUTELS, « Vingt ans après… Lutter contre le blanchiment : utopie ou réalité ? », Dans Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF), Le livre blanc de l’argent noir. Vingt ans de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, Bruxelles, 2013, P.107, en ligne [http://www.ctif-cfi.be] [consulté, le 18 juin 2014]. 384 Voir supra, section I-2- La Convention de l’UA ; Susan ROSE-ACKERMAN, « Corruption and Government » (2008) 15/3 International Peacekeeping, préc, note 286, à la p.328. 385 L’actualité au Québec, relativement à la nomination du Commissaire de l’Unité Permanente Anti-Corruption (UPAC) n’échappe pas à la perception des infiltrations politiques dans la nomination des autorités anticorruptions et dans la réalisation de leurs activités. La presse locale révèle notamment que le député du parti libéral du Québec, M. Guy Ouellette, en sa qualité de Président de la Commission des institutions à l’Assemblée nationale, avait proposé, dans un rapport transmis au gouvernement, l’implantation de la norme ISO 37001 – Systèmes de management anticorruption, pour que l’élite politique n’intervienne plus dans l’agenda de la lutte contre la corruption. De même, l’opposition à l’Assemblée nationale a refusé de voter le projet de loi 107, Loi visant à accroitre la compétence et l’indépendance du Commissaire à la lutte contre la corruption […], parce qu’elle conteste la nomination du Commissaire de l’UPAC par le gouvernement. Voir notamment, Journal de Québec, L’ISO – Ouellette dérangeait-elle l’UPAC, [en ligne] [www.journaldequebec.com/2017/10/26/liso-ouelette-derangeait-elle-lupac] [consulté, le 26/10/2017] ; Radio-Canada, L’UPAC obtient plus de pouvoirs, [en ligne] [ici.radio-canada.ca/nouvelle/1083632/unite-permanente-anticorruption-projet-loi-quebec-assemblee-nationale-vote] [consulté, le 13/02/2018].

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auteure observe que « […] In most cases, these new specialised anti-corruption bodies are

established in parallel of existing traditional institutions […]386 ». Or, cette institution

traditionnelle, « chargée de résoudre pacifiquement les conflits sociaux387 » est bien connue

dans la société contemporaine, en vertu de la théorie de la séparation des pouvoirs : il s’agit

du pouvoir judiciaire388.

Toutefois, les rédacteurs de la Convention des Nations Unies justifient la nécessité d’instituer

des organes complémentaires au système judiciaire, par le fait qu’ils ont observé un « manque

d’indépendance réel ou apparent des services existants de détection et de répression et les

doutes manifestés par le public quant à l’efficacité de leur travail389 ». C’est pour cette raison

qu’en suggérant des organes de prévention390, des services de renseignement financier391 ou

des autorités spécialisées392, la Convention exige que chaque État partie leur accorde

l’indépendance nécessaire, afin qu’ils exercent leurs fonctions à l’abri de toute influence

indue. Ceci invite à revisiter la norme d’indépendance compatible avec l’exercice des

activités anticorruptions, ainsi que les méthodes d’enquête suggérées par la Convention des

Nations Unies.

2.2.1.1 L’indépendance des organes spécialisés dans la lutte contre la corruption

Pour mieux comprendre l’« indépendance » à laquelle renvoient les instruments de lutte

contre la corruption, il est utile d’accorder une place de choix aux observations faites par

certains professionnels de la lutte contre la corruption, moins d’une décennie avant la

signature de la Convention des Nations Unies.

En effet, dans l’Appel de Genève du 1er octobre 1996, sept magistrats européens avaient

clairement fait savoir dans quelles conditions de travail « la corruption sera réellement

386 Marie CHENE, « Coordination Mechanisms of Anti-corruption Institutions », u4 Expert Answer, 2009, [en ligne] [http://www.u4.n°/publications/coordination-mechanisms-of-anti-corruption-institutions/ [consulté le 20/03/2014]. 387 Stéphane ENGUELEGUELE, « Situer “l’appel de Genève” », dans Questions sensibles, Paris, Puf, 1998, p.149. 388 MONTESQUIEU, préc, note 157. 389 ONUDC, Guide technique, préc, note 17. 390 Convention des Nations Unies, art.6. 391 Ibid art. 14 par.1b) et art. 58. 392 Ibid art. 36.

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éradiquée393 ». Il ne sera relevé, pour les nécessités de la présente section, que les conditions

relatives à l’indépendance judiciaire. Ces magistrats estiment entre autres que :

Pour avoir une chance de lutter contre une criminalité […], il est urgent d’abolir les protectionnismes dépassés en matière policière et judiciaire. Il devient nécessaire d’instaurer un véritable espace judiciaire européen au sein duquel les magistrats pourront, sans entraves autres que celles de l’État de droit, rechercher et échanger les informations utiles aux enquêtes en cours. Nous demandons la mise en application effective des accords de Schengen prévoyant la transmission directe de commissions rogatoires internationales et du résultat des investigations entre juges, sans interférences du pouvoir exécutif et sans recours à la voie diplomatique394. (Nos italiques).

Si l’Appel de Genève avait été lancé dans le contexte de l’Union européenne, on constate

qu’il est transposable mutatis mutandis à l’ensemble des États Parties aux conventions de

lutte contre la corruption.

La première observation qui ressort de cet Appel, sur le plan de la forme, est qu’il confirme

la théorie de la différenciation fonctionnelle susmentionnée. Les magistrats reconnaissent

que la signature des conventions internationales relève des attributions des autorités

politiques. Par contre, ils revendiquent que l’ensemble du processus judiciaire, aussi bien

national qu’international, incombe aux seules autorités judiciaires, sans interférence du

pouvoir exécutif et sans recours à la voie diplomatique. Tel est le prix, selon eux, de

l’éradication de la corruption, de la construction de la démocratie et des garanties des droits

de l’homme395.

Quant aux observations de fond, elles invitent à vérifier si les conditions de travail sollicitées

par les magistrats se recoupent dans les différentes conventions de lutte contre la corruption.

Ce recoupement se fait aussi bien au plan national, que lors de la coopération judiciaire

internationale.

Dans le premier cas, il ressort de l’article 6 paragraphe 2 de la Convention des Nations Unies

que :

393 Bernard BERTOSSA et al., L’Appel de Genève, Octobre 1996, [en ligne] [http://www.fabriquedesens.net/Appel-de-Geneve-par-7-magistrats] [consulté, le 09/04/2012]. 394 Ibid. 395 Ibid.

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Chaque État partie accorde à l’organe ou aux organes visés au paragraphe 1 du présent article l’indépendance nécessaire […] pour leur permettre d’exercer efficacement leurs fonctions à l’abri de toute influence indue.

Cette disposition est identique à celle de l’article 36 de la même Convention, relativement

aux « organes ou aux personnes spécialisées dans la lutte contre la corruption par la détection

et la répression ». Sachant que tous les instruments visent un but commun : la lutte efficace

contre la corruption, la complémentarité de leur analyse ne peut qu’être favorable à l’atteinte

de leur finalité commune396.

On se rend ainsi compte, à la lecture de la Convention de l’OCDE, que « l’influence indue »

auquel renvoie la Convention des Nations Unies est susceptible de prendre, notamment, la

forme des « considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les

relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause397 ».

L’actualité de la lutte contre la corruption montre que de telles considérations sont prises en

compte par le ministère public, au double regard de son rattachement à la branche exécutive

de l’État, et des prérogatives exorbitantes qu’il détient dans le déclenchement et l’arrêt des

poursuites judiciaires.

Dans un cas, le parquet parisien avait classé sans suite, à deux reprises, la plainte de certaines

associations relatives aux détournements de fonds publics par différents chefs d’État et leurs

proches, alors qu’une enquête préliminaire diligentée par ses soins avait établi que les biens

querellés avaient été acquis au moyen d’un financement atypique398. Dans l’autre, le

Gouvernement britannique avait invité – avec insistance – les autorités compétentes à

abandonner les poursuites dans une affaire de corruption, au motif qu’il risquait de perdre un

allié de taille dans lutte contre le terrorisme399.

396 Convention des Nations Unies, préc, note 15, préambule, « rappelant les travaux menés dans ce domaine par d’autres organisations internationales et régionales, notamment le […] Conseil de l’Europe, […] l’organisation de coopération et de développement économique, l’organisation des États américains, l’Union Africaine, […] ». 397 Convention de l’OCDE, art.5. 398 Chantal CUTAJAR, « Affaire ‘‘des biens mal acquis’’, un arrêt qui ne clôt pas le débat » (2009) 51 JCP G, à la p 563. 399Paul H. COHEN, Arthur MARIOTT QC, International Corruption, London, Thomson Reuters, 2010, à la p.31 et s.

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Ces deux exemples (non exhaustifs) montrent que l’implication directe ou indirecte des

autorités politiques dans le processus judiciaire fragilise ce dernier. Or, tel qu’il ressort de

l’Appel de Genève, aucune distinction n’est faite entre les autorités de poursuite et de

jugement. Toutes les autorités judiciaires doivent « pouvoir exercer leurs fonctions

efficacement et libres de toute pression illicite400 ». Autrement dit, il n’y a pas

d’indépendance sans « l’autonomie nécessaire pour [que les autorités nationales en charge

de la lutte contre la corruption exercent] efficacement leurs fonctions401 ». Cette explication

est encore mieux clarifiée dans la Convention des Nations Unies. L’article 11 paragraphe 2

dispose que :

Des mesures dans le même sens que celles prises en application du paragraphe 1 du présent article peuvent être instituées et appliquées au sein des services de poursuite dans les États Parties où ceux-ci forment un corps distinct, mais jouissent d’une indépendance semblable à celle des juges.

Les États Parties à la Convention des Nations Unies affirment par cette disposition que si les

autorités judiciaires peuvent être distinctes selon les systèmes juridiques, elles doivent

impérativement jouir de la même indépendance. Par cette clarification, la Convention des

Nations Unies, de même que l’ensemble des instruments de lutte contre la corruption,

montrent que leurs dispositions doivent être lues en fonction de leur objet402. Quant à la

formule lapidaire « conformément aux principes fondamentaux de son système juridique »,

elle n’a qu’une simple fonction d’attrait, sans laquelle certains États hésiteraient à adhérer

aux traités. Par contre, il risque d’être difficile à un mécanisme de suivi, de valider la pratique

d’une Partie qui s’avère manifestement inefficace à lutter contre la corruption403. On peut,

dès lors, dire au regard de ce qui précède que les organes judiciaires ne sont indépendants

que lorsque les autorités de poursuite jouissent de la même indépendance que les autorités

de jugement. Le processus judiciaire souffre d’un déficit d’indépendance et d’impartialité,

chaque fois que « les juges ne sont indépendants que dans le cadre des faits pour lesquels ils

400 Convention pénale de l’Europe, art.20. 401 Convention de l’UA, préc, note 19, art.20 para.4. 402 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art. 1er, Convention de l’UA, art.2 ; Convention de l’OEA, art. II. 403 Cf. préc, note 313.

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sont saisis par les procureurs404 ». Puisque la sélection de ces faits fait elle-même partie du

processus judiciaire, il est impératif que leurs auteurs, notamment les procureurs du ministère

public, jouissent de la même indépendance que les juges ; afin que tout le processus judiciaire

soit réellement indépendant. C’est également sous la tutelle exclusive des procureurs et des

juges indépendants que devraient agir des organes ou personnes spécialisé(e)s dans la

détection de la corruption. C’est pour cette raison qu’il est soutenu, dans cette étude, que

compte tenu de leur spécialisation dans la lutte contre la corruption, leur accès au juge, sans

intervention du ministère public, participe davantage à l’indépendance de leurs fonctions.

En ce qui concerne la coopération judiciaire qui a particulièrement retenu l’attention de

l’Appel de Genève, la lecture des instruments de lutte contre la corruption fait ressortir trois

types de dispositions.

La première, qualifiée ici de neutre, invite les États à désigner une autorité centrale. La

deuxième n’exclut pas la communication des procédures par les autorités diplomatiques ou

celles de l’exécutif. Quant à la troisième, elle fait allusion à une communication entre

homologues, selon la phase du procès anticorruption. On peut se demander si ces trois types

de dispositions sont compatibles avec l’objet des instruments de lutte contre la corruption,

notamment, la lutte efficace contre la corruption.

Il suit de l’indépendance du processus judiciaire, sus évoqué, que l’intervention d’une

autorité étrangère dans la procédure le fragilise. Par ailleurs, une coopération judiciaire entre

homologues a le double avantage de la célérité et celui de leur exhaustivité (qualité). À une

scène de crime transnationale, on ne peut qu’opposer une procédure de même type pour une

lutte efficace et systématique contre le crime. C’est pour cette raison que l’Appel de Genève

indique qu’

[I]l est urgent d’abolir les protectionnismes dépassés en matière policière et judiciaire. Il devient nécessaire d’instaurer un véritable espace judiciaire […]au sein duquel les magistrats pourront, sans entraves autres que celles de l’État de droit, rechercher et échanger les informations utiles aux enquêtes en cours405.

404 Véronique PUJAS, « Les pouvoirs judiciaires dans la lutte contre la corruption politique en Espagne, en France et en Italie » (2000) 44/45 Droit et Société, à la p.47. 405 B. BERTOSSA, préc, note 393.

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Cet Appel est conforme aux dispositions des instruments de lutte contre la corruption. Ces

derniers soulignent notamment la nécessité de :

[R]enforcer les voies de communication entre leurs autorités, organismes et services compétents et, si nécessaire, en établir afin de faciliter l’échange sûr et rapide d’informations concernant tous les aspects des infractions visées par la présente Convention, y compris, si les États Parties concernés le jugent approprié, les liens avec d’autres activités criminelles406.

On peut ainsi dire, sans crainte de se tromper, qu’en matière de lutte contre la corruption, il

n’est pas question d’une simple coopération judiciaire, mais plutôt de l’émergence d’un

espace judiciaire commun407 entre les États Parties aux différents instruments régionaux,

internationaux et universels de lutte contre la corruption. C’est dans le cadre de cet espace

commun et des garanties d’indépendance et d’objectivité conséquentes, que la Convention

des Nations Unies leur reconnaît des méthodes d’enquête singulières.

2.2.1.2 Les méthodes d’enquête des organes anticorruptions La particularité du texte anticorruption est qu’il confie certaines prérogatives aux autorités

chargées de le mettre en œuvre, compte tenu d’une part, du lien que la corruption entretient

avec le blanchiment d’argent, la criminalité organisée et le terrorisme408 et d’autre part, de

l’implication des dirigeants étatiques et des entités privées dans le phénomène asocial de

« grande corruption ». Leurs méthodes d’enquête (dites spéciales) ou de détection de la

corruption et des infractions assimilées vont des livraisons surveillées409 à la surveillance

406 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.48 para. 1a) ; voir aussi Convention de l’UA, préc, note 19, art.20 para.3. 407 B. BERTOSSA, préc, note 393. 408 Voir à cet effet, la similitude entre la Convention des Nations Unies contre la corruption, et la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. Voir aussi Hervé JAMAR, « […] bien que liés, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme sont deux phénomènes distincts. Le premier relève, dans un premier temps, de la lutte contre la criminalité en col blanc ; le deuxième relève de la sécurité de l’État », dans Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF), Le livre blanc de l’argent noir. Vingt ans de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, Bruxelles, 2013, à la p.102, en ligne [http://www.ctif-cfi.be] [consulté, le 18 juin 2014]. 409 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.2i) « on entend par “livraison surveillée” la méthode consistant à permettre la sortie du territoire, le passage par le territoire, ou l’entrée sur le territoire d’un ou de plusieurs États, d’expéditions illicites ou suspectées de l’être, au su et sous le contrôle des autorités compétentes de ces États, en vue d’enquêter sur une infraction et d’identifier les personnes impliquées dans sa commission ».

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électronique, en passant par des opérations d’infiltration410. Il s’agit des opérations de police

sécrète411 ou d’intelligence412, sur lesquelles la Convention des Nations Unies s’appuie

« pour que les preuves recueillies au moyen de ces techniques soient admissibles devant [les]

tribunaux413 ». Ces opérations s’appliquent à toute entité publique ou privée et à tout

professionnel414 susceptible d’être utilisé par tout suspect ou complice415. Il est permis de

retenir, au regard de ce qui précède, que par cette disposition, la Convention des Nations

Unies valide l’hypothèse – retenue dans cette étude – d’un droit flexible applicable à la

corruption. Il s’agit d’un droit non figé, qui s’adapte à la complexité de son objet pour

atteindre la finalité recherchée. Toutefois, il ne s’agit pas d’un droit de type “bigbrother”416,

dans la mesure où toutes les opérations se réalisent suivant un processus judiciaire417,

supervisées par des magistrats indépendants418 des autorités extrajudiciaires.

410 Voir dans ce sens, Maurice CUSSON, « Brigands, trafiquants et mafieux. Les organisations criminelles à la lumière de la criminologie historique », dans Jean PRADEL et Jacques DALLEST (dir.), La criminalité organisée. Droit français, droit international et droit comparé, Paris, LexisNexis, 2012, à la p.17 et s. 411 Il faut noter que l’une des principales caractéristiques des services d’intelligence est la proactivité. Leur activité de détection est dès lors, concomitante aux activités de prévention de la corruption. 412 Cellule de traitement des informations financières, Le livre blanc de l’argent noir. Vingt ans de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, Bruxelles, 2013, à la p.67, en ligne [http://www.ctif-cfi.be] [consulté, le 18 juin 2014]. 413 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.50§1. Voir aussi Conseil de l’Europe, Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, art.4§2 « chaque Partie envisage d’adopter les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour lui permettre d’employer des techniques spéciales d’investigation facilitant l’identification et la recherche du produit ainsi que la réunion de preuves y afférentes. Parmi ces techniques, on peut citer les ordonnances de surveillance de comptes bancaires, l’observation, l’interception de télécommunication, l’accès à des systèmes informatiques et les ordonnances de production de documents déterminés ». 414 J. SPREUTELS, préc, note 383, « la jurisprudence […] des Cours européennes et de la Cour constitutionnelle a clairement indiqué que l’obligation de déclaration de soupçon, assortie des multiples garanties dont, notamment, le droit belge ou le droit français l’entourent, ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel, au regard des droits fondamentaux garantis par la Constitution et le droit international », p.110. 415 Il ressort du Guide technique à la Convention des Nations Unies contre la corruption, que le service de renseignement financier (art.58) peut prendre entre autres, le cadre juridique d’un service judiciaire ou inquisitoire, à la p.243. 416 Cette expression est empruntée à Hervé Jamar. Il précise in fine que les prérogatives exorbitantes reconnues aux autorités judiciaires devraient cependant respecter des libertés individuelles. préc, note, 408. 417 N. LUHMANN, préc, note 96 « [pour] atteindre son objectif, à savoir faire accepter une décision par un individu, surtout contre son gré, ses intérêts, la procédure en tant que système particulier d’action se doit d’être différenciée au moyen de normes organisationnelles et procédurales fondées spécifiquement en droit et par une séparation des rôles institutionnalisées. […] On y trouvera de façon typique l’attente que la procédure favorisera une décision juste, qu’elle rendra possible et qu’elle canalisera la communication, qu’elle garantira la prise d’une décision […] » pp. XXXIX et 4. 418 Il faut retenir que l’article 11 de la Convention des Nations Unies exige que les services de poursuite « jouissent d’une indépendance semblable à celle des juges ». Nous y reviendrons infra.

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En laissant à chaque État partie le soin d’adapter les mécanismes de prévention et de détection

de la corruption aux principes fondamentaux de son système juridique, la Convention des

Nations Unies s’est voulue souple, afin de susciter l’adhésion du maximum d’États Parties à

sa finalité419. Toutefois, cette finalité est susceptible d’être dévoyée, faute pour cette

Convention de s’identifier comme un mécanisme d’application directe420 de droit

international pénal. Cette crainte est cependant relativisée par son article 63, qui donne

compétence à la Conférence des États Parties à la Convention pour créer tout mécanisme de

contrôle de sa mise en œuvre.

2.2.2 La latence d’un droit international pénal de la corruption Pour que la restitution des avoirs issus de la corruption mette fin au processus

« corruptionnel », encore faut-il que la détection des produits de la corruption et

l’identification des personnes corrompues soient confirmées par une décision judiciaire.

Celle-ci a pour vocation, non seulement d’« éliminer les délinquants de la société », mais

aussi d’avertir des potentiels délinquants des risques d’une entreprise « corruptionnelle »,

tout en éduquant les citoyens sur les conséquences néfastes de la corruption. Tel est le sens

de la sanction pénale. Laquelle pourrait être consécutive ou concomitante au « gel ou

saisie421 » et à la « confiscation422 » définis par la Convention des Nations Unies comme des

décisions émanant d’un tribunal ou d’une autre autorité compétente.

419 C. M. BASSIOUNI, préc, note 121 « des considérations politiques plutôt que juridiques ont prévalu dans la rédaction des conventions de droit pénal international. Par exemple, si à un moment donné le représentant d’un État décide que la notion de compétence universelle ne rencontre pas, politiquement parlant l’agrément de ses supérieurs, il peut exercer sur ses collègues une influence contraire à l’inclusion d’une disposition de ce type dans une convention, quels qu’en soient ces mérites », à la p.88. Dans cette veine, il est possible d’admettre que si l’expression : « selon les principes fondamentaux de son système juridique » largement utilisée dans la Convention des Nations Unies tient réellement compte des différences de culture juridique ; on ne peut totalement réfuter l’idée qu’elle encourage aussi les États à adhérer à un instrument international avec la garantie que la contrainte de ce dernier sera relative. 420 Ibid., «Le système idéal d’application du DPI serait formé par la combinaison d’un système d’application directe, sous la forme d’un tribunal pénal international permanent […], et d’un système efficace d’application indirecte […]. En effet, ces deux systèmes sont complémentaires l’un de l’autre et nécessaires l’un à l’autre », à la p.27. 421 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.2f) « on entend par “gel” ou “saisie” l’interdiction temporaire du transfert, de la conversion, de la disposition ou du mouvement de biens, ou le fait d’assumer temporairement la garde ou le contrôle de biens sur décisions d’un tribunal ou d’une autre autorité compétente ». 422 Ibid art.2g) « on entend par “confiscation” la dépossession permanente de biens sur décision d’un tribunal ou d’une autre autorité compétente ».

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Seulement, alors que la corruption est en principe une infraction liée à la fonction423, il est

possible de se rendre compte que la Convention des Nations Unies a manqué, un tant soit

peu, de cohérence du fait de son hésitation à relativiser les immunités dont sont susceptibles

de jouir certains agents publics. Ceci hypothèque la saisine des tribunaux (et corollairement

la restitution des avoirs), compte tenu de l’application indirecte de la Convention, et laisse

ouverte la question d’un mécanisme d’application directe des crimes patrimoniaux.

Le mécanisme d’application indirecte à l’épreuve des immunités Il ressort de l’article 30 paragraphe 2 de la Convention des Nations Unies que :

Chaque État partie prend les mesures nécessaires pour établir ou maintenir, conformément à son système juridique et à ses principes constitutionnels, un équilibre approprié entre toutes immunités ou tous privilèges de juridiction accordés à ses agents publics dans l’exercice de leurs fonctions, et la possibilité, si nécessaire, de rechercher, de poursuivre et de juger effectivement les infractions établies conformément à la présente Convention.

Afin de clarifier cette disposition, les Nations Unies précisent que,

Les États Parties voudront peut-être avoir à l’esprit que l’article suit un concept “fonctionnel” des privilèges ou immunités de juridiction. Autrement dit, les privilèges ou immunités de juridiction se rapportent à la fonction et non à son titulaire. En conséquence, les États Parties pourront considérer que les privilèges et immunités équilibrés et par conséquent légitimes sont seulement ceux qui sont nécessaires pour sauvegarder le bon fonctionnement des institutions étatiques424.

Il existe un consensus à la Convention des Nations Unies selon lequel la corruption est, de

façon intrinsèque, « particulièrement préjudiciable aux institutions démocratiques, aux

économies nationales et à l’État de droit425 ». Autrement dit, c’est l’acte « corruptionnel »

qui est préjudiciable au bon fonctionnement des institutions étatiques, alors que les poursuites

et le jugement consécutifs à cet acte garantissent le bon fonctionnement desdites institutions.

Il est, dès lors, ambigu de trouver un équilibre entre l’immunité de juridiction, à la suite de

423 Il faut noter que, si un citoyen ordinaire peut être responsable de certaines infractions définies dans la Convention des Nations Unies (arts.23, 24, 25, etc.), ces infractions impliquent principalement des personnes agissant à titre de…(Agent public ou agent privé). Ce qui est particulièrement vrai quand il s’agit de la grande corruption. 424 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.98. 425 Convention des Nations Unies, préc, note 15, préambule.

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soupçons de corruption, et le bon fonctionnement des institutions étatiques426. Par ailleurs, il

serait paradoxal de considérer la corruption comme un acte de fonction, car, si la corruption

est pratiquée dans le cadre de l’exécution d’une fonction, elle

[n’est pas un acte] de la fonction, du moins doit-on le contester. On pourrait donner l’exemple de détournement de fonds publics, ou de prestations dues à l’État, à des fins d’enrichissement personnel. Il s’agit d’actes effectués à l’occasion, ou dans le cadre, de l’exercice des fonctions, mais qui ne devraient pas être tenus pour actes de fonction dans l’optique de l’immunité de juridiction pénale […]427.

Étant donné que la corruption est insusceptible d’être rattachée à un acte légal de fonction,

accorder dans ce contexte des privilèges et immunités à un agent public, revient à reconnaître

ces prérogatives au titulaire de la fonction (à l’individu), et non à la fonction (l’État pour

lequel il agit428).

De plus, la lecture de la Convention des Nations Unies paraît, elle-même, soutenir

l’incompatibilité des privilèges et immunités de juridiction avec la corruption. Sans être

exhaustif, l’article 8 relatif aux codes de conduites n’exonère aucun agent public,

[D]es mesures et systèmes faisant obligation aux agents publics de déclarer aux autorités compétentes notamment toutes activités extérieures, tout emploi, tous placements, tous avoirs et tous dons ou avantages substantiels d’où pourraient résulter un conflit d’intérêts avec leurs fonctions d’agent public429.

426 Voir à cet effet, l’analyse faite par Alvaro BORGHI, Le blocage et la restitution internationale de biens illicitement acquis, Lausanne/Bâle, Éditions interuniversitaires suisses/Helbing & Lichtenhahn, 2006p.90 « [si] d’une part, on considère que conformément à la théorie de l’intérêt de la fonction, l’immunité est accordée aux dirigeants politiques étrangers en vertu de la mission qu’ils accomplissent pour l’État qu’ils gouvernent, et donc dans l’intérêt de ce dernier, et que, d’autre part, ce sont justement cet État et sa population qui sont les principales victimes des malversations dont le produit est protégé par l’immunité, on se rend compte du paradoxe qu’entraîne le respect absolu de l’immunité pour ce qui a trait aux délits patrimoniaux. Ce paradoxe est accentué par le fait que les autorités de l’État où les fonds sont déposés ont la plupart du temps conscience de cette situation, mais ne peuvent rien faire sinon attendre que la personne en question ait perdu le pouvoir ». 427 Christian DOMINICÉ, « Quelques observations sur l’immunité de juridiction pénale de l’ancien chef d’État » (1999) 2 R.G.D.I.P., p.304. 428 Alvaro BORGHI, « Corruption et immunité des dirigeants politiques », dans Tiziano balmelli, Bernard JAGGY (dir.), Les traités internationaux contre la corruption. L’ONU, l’OCDE, le Conseil de l’Europe et la Suisse, Lausanne/Berne/Lugano, Éditions interuniversitaires suisses, 2004, p.93. 429 Des dispositions similaires sont intégrées dans les dispositifs constitutionnels de certains États.

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Des dispositions similaires sont prévues aux articles 12 s’agissant des agents privés, et 52

s’agissant des agents publics dits « appropriés430 ». Si le système de déclaration des avoirs,

en guise de prévention de la corruption, n’exonère aucun agent public, il est fondé de se

demander pour quelle raison les processus de détection, de poursuite et de jugement du même

instrument devraient sélectionner parmi ces agents, ceux dont les poursuites déstabiliseraient

les institutions étatiques.

Par ailleurs, les mesures spéciales d’enquêtes (livraisons surveillées, surveillance

électronique, opérations d’infiltration431) ; la mission confiée aux institutions financières de :

[…] vérifier l’identité des clients et de prendre des mesures raisonnables pour déterminer l’identité des ayants droit économiques des fonds déposés sur de gros comptes, ainsi que de soumettre à une surveillance accrue les comptes que des personnes qui exercent, ou ont exercé, des fonctions publiques importantes432 et des membres de leur famille et de leur proche entourage cherchent à ouvrir ou font détenir par un intermédiaire. Cette surveillance est raisonnablement conçue de façon à détecter les opérations suspectes afin de les signaler aux autorités compétentes […]433,

sont en discordance avec l’article 30 paragraphe 2 suscité. Ce sont des opérations qui, avant

tout jugement au fond, peuvent justifier qu’un agent public soit soupçonné de corruption.

Cette situation amène un auteur à se demander si, dans le cadre

[D]’une demande d’entraide requérant le blocage d’argent sale “[le] juge qui dispose des éléments propres à accéder à cette requête doit […] s’abstenir dès lors qu’il est établi que les fonds en cause appartiennent à un chef d’État”. Il répond à cette question par la négative, du moins lorsque “des indices sérieux donnent à penser qu’il s’agit de fonds douteux”, et conclut en affirmant clairement que “l’immunité de juridiction pénale ne devrait pas protéger des fonds des activités criminelles”434 435, [notamment la corruption].

430 Convention des Nations contre la Corruption, art.52 paras. 5 et 6 « [chaque] État partie envisage d’établir, conformément à son droit interne, pour les agents publics appropriés, des systèmes efficaces de divulgation de l’information financière et prévoit des sanctions adéquates en cas de non-respect […] Chaque État partie envisage de prendre, conformément à son droit interne, les mesures nécessaires pour que ses agents publics appropriés ayant un droit ou une délégation de signature ou tout autre pouvoir sur un compte financier domicilié dans un pays étranger soient tenus de le signaler aux autorités compétentes et de conserver des états appropriés concernant ces comptes. Il prévoit également des sanctions appropriées en cas de non-respect de cette obligation ». 431 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.50. 432 Les italiques sont de nous. 433 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.52§1. 434 C. DOMINICÉ, préc, note 427, aux pp.307 et 308. 435 A. BORGHI, préc, note 428, à la p.95.

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D’une façon générale, la doctrine juridique semble unanime pour reconnaître

l’incompatibilité des immunités de juridiction pénale avec les délits patrimoniaux. Ce souhait

est bien soutenu par L’Institut de Droit international qui souligne, entre autres, que :

[C]es immunités ne devraient pas lui [chef d’État ou de gouvernement] permettre de s’approprier frauduleusement des avoirs de l’État qu’il représente et que tous les États doivent se prêter mutuellement assistance en vue de la restitution de ces avoirs à l’État auquel ils appartiennent436.

Et que :

Lorsque la légalité de l’appropriation d’un bien ou de tout autre avoir détenu par ou pour le compte d’un chef d’État prête sérieusement à doutes, les dispositions qui précèdent n’empêchent pas les autorités de l’État dans le territoire duquel ces biens ou avoirs sont localisés de prendre à leur égard les mesures provisoires jugées indispensables pour en conserver le contrôle tant que la légalité de leur appropriation n’est pas établie à suffisance de droit437.

Au regard de ce qui précède, il peut sembler hâtif de songer que la problématique des

immunités de certains agents publics a été définitivement close, notamment, à l’occasion de

la décision de la Cour Internationale de Justice, rendue dans l’affaire relative au Mandat

d’arrêt du 11 avril 2000438. C’est le cas pour trois raisons : d’abord, les faits étaient

totalement différents des « gros » délits patrimoniaux (grande corruption). En l’espèce, il

était reproché à la Belgique d’avoir délivré, à l’encontre du ministre des Affaires étrangères

de la République démocratique du Congo, M. Abdulaye Yerodia Ndombassi, un mandat

d’arrêt « en tant qu’auteur ou coauteur, de crimes constituant des infractions graves aux

conventions de Genève de 1949 et aux protocoles additionnels à ces conventions, ainsi que

de crimes contre l’humanité439 ».

Ensuite, alors que le demandeur insistait pour que la Cour reconnaisse « l’immunité pénale

absolue des ministres des Affaires étrangères en fonction440 », celle-ci s’était bornée à statuer

436 Institut de Droit international, Les immunités de juridiction et d’exécution du chef d’État et de gouvernement en droit international, préambule, Vancouver, 2001. 437 Ibid art.4§2. 438 Mandate d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, à la p.3. 439 Ibid para.13. 440 Ibid paras. 11, 12, 21, 57.

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dans son dispositif441 que le défendeur avait « méconnu l’immunité de juridiction pénale […]

dont le ministre des Affaires étrangères en exercice de la République démocratique du Congo

jouissait en vertu du droit international442 ».

Enfin, cet arrêt permet de faire une distinction entre l’immunité de juridiction pénale et

l’inviolabilité de la personne. En effet, l’inviolabilité est le

Droit d’un [agent public] étranger à ne pas être soumis à des mesures de contrainte de la part des autorités de l’État sur le territoire duquel il se trouve en visite ou en mission et de bénéficier de la protection de ces mêmes autorités443 ;

alors que l’immunité de juridiction est l’ « [exemption] qui permet à certaines entités et

personnes […] d’échapper à l’action des juridictions de l’État de séjour ou d’États tiers444 ».

Si le maintien de l’inviolabilité de l’agent public étranger est susceptible de soulever moins

de controverses, la levée de l’immunité de juridiction paraît plutôt salutaire au double regard

du consensus à la Convention des Nations Unies sus évoquée et du paradoxe mentionné par

Alvaro Borghi445. De plus, ces deux privilèges n’ont pas les mêmes effets sur le régime de la

réparation indispensable à la satisfaction des victimes.

En effet, partant de l’hypothèse que le mode de réparation qui conviendrait mieux à la quasi-

totalité des victimes des crimes de sang et des crimes patrimoniaux est la restitutio in

integrum ; on se rend compte qu’elle ne peut pas être accordée aux victimes des crimes de

sang. Celles-ci ne se contentent, dès lors, que de la contrainte exercée sur le délinquant pour

l’éloigner de la société (atteinte à l’inviolabilité). C’est cette mise à l’écart de l’agent public

qui cause un préjudice à sa fonction. Ce préjudice est plus grave si la contrainte a été exercée

à l’étranger. Il faudra impérativement substituer, dans cette fonction devenue vacante, le

délinquant par une autre personne. Une telle vacance de la fonction est susceptible de

déstabiliser les institutions étatiques, et se présente plus comme une offense faite à l’État,

441 G. CORNU, préc, note 182, « partie finale d’un jugement qui, faisant suite aux motifs énoncés afin de la justifier, contient la décision du juge et qui, constituent la chose jugée, est seule dotée, à l’exclusion des motifs, de l’autorité que la loi attache à celle-ci », à la p.353. 442 Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 préc, note 438, para. 78 2). 443 J. SALMON, préc, note 268, aux pp.614-615. 444 Ibid à la p.559. 445 Cf. note 435.

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qu’à l’individu présumé criminel. C’est dans ce sens que la haute juridiction internationale

précise que « les immunités reconnues au ministre des Affaires étrangères ne lui sont pas

accordées pour son avantage personnel, mais pour lui permettre de s’acquitter librement de

ses fonctions pour le compte de l’État qu’il représente446 ».

Par contre, en ce qui a trait aux victimes des crimes patrimoniaux, la réparation par la restitio

in integrum est possible. Ces victimes seraient plus intéressées par la restitution de leurs

biens, que par la contrainte physique exercée sur la personne du délinquant. L’immunité de

juridiction pénale est, dès cet instant, susceptible d’être levée à condition que l’inviolabilité

de l’agent public soit maintenue. L’agent public continuera à vaquer à ses fonctions, en même

temps que le processus judiciaire sur la licéité de ses avoirs suivra son cours. Il n’y a, dès

lors, aucun risque de déstabilisation des institutions étatiques. Mieux, celles-ci seront

revigorées par la mise en œuvre des normes éthiques, contenues dans les codes de conduite

mentionnés dans la Convention des Nations Unies.

Il suit de ce qui précède que, qu’il s’agisse du crime de sang ou d’un crime patrimonial

commis par un agent public, seule la méconnaissance de l’inviolabilité de la personne est

susceptible de porter atteinte à sa fonction et, donc, à l’État que cet agent public représente ;

alors que la levée de l’immunité, sous réserve du maintien de l’inviolabilité ne porte aucune

atteinte à la fonction.

Cette solution semble correspondre à la jurisprudence de la Cour internationale de justice.

Dans l’affaire Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale447, la

CIJ précise que :

[L]a Cour constate que la convocation adressée par le juge d’instruction français, le 17 mai 2005, au Président de la République de Djibouti n’était pas assortie des mesures de contrainte prévues par le Code de procédure pénale français en son article 109 ; il s’agissait en effet d’une simple invitation à témoigner, que le chef de l’État pouvait accepter ou refuser librement. Par conséquent, il n’a pas été porté atteinte, de la part de la France, aux immunités de juridiction pénale dont jouit le chef de l’État, puisqu’aucune obligation ne lui a été imposée dans le cadre de l’instruction de l’affaire Borrel448.

446 Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 préc, note 438, para. 53. 447 Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p.177. 448 Ibid para. 171.

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Cette position de la CIJ permet d’adhérer à la prétention de la France selon laquelle, « seule

la limitation de la liberté d’action nécessaire à un chef d’État étranger pour s’acquitter de sa

fonction est de nature à méconnaître l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité dont

il jouit449 ». Si cette prétention française distingue l’immunité de juridiction pénale de

l’inviolabilité de la personne, elle semble convaincre qu’il ne peut exister d’inviolabilité sans

immunité, alors que celle-ci est possiblement détachable de celle-là. Autrement dit, seule la

méconnaissance de l’inviolabilité porte objectivement (matériellement) atteinte à la fonction

protégée ; alors que la seule levée de l’immunité de juridiction pénale – tout en sauvegardant

l’inviolabilité de la personne – n’affecte que le seul individu, à l’exclusion de sa fonction450.

Cette approche permet-elle de déduire, sous réserve de l’inviolabilité de leur personne, que

toutes les procédures de détection, de jugement et de restitution des avoirs prévues par la

Convention des Nations Unies peuvent être mises en œuvre sans qu’elles ne violent le

principe coutumier de l’immunité de certains agents publics ? La Décision de la CIJ dans

l’affaire Djibouti c France incline vers une réponse positive. Il paraît, dans ce cas,

souhaitable de substituer dans le paragraphe 2 de l’article 30 de la CNUCC, le substantif

« immunité » par celui de l’ « inviolabilité451 ». On pourrait ainsi parvenir à la restitution

des avoirs issus de la corruption – avant que l’agent public corrompu perde sa fonction452 –

sans méconnaître les principes de la courtoisie internationale et certaines règles coutumières

et conventionnelles afférentes aux immunités453. Dans l’attente d’une confirmation judiciaire

explicite de cette hypothèse, d’autres auteurs estiment que les actes constitutifs de grande

corruption sont si graves qu’ils devraient être connus par un mécanisme d’application directe

de droit international pénal.

449 Ibid para. 167. 450 Il faut relever, dans ce cas, que le maintien de l’inviolabilité quand l’immunité de juridiction pénale est levée peut affecter subjectivement la fonction. Il appartiendra à l’individu d’organiser librement la suspension de sa fonction, afin de préserver l’organe public de sa conduite personnelle détachable des actes de sa fonction. 451 Il faut noter que cette substitution aura l’unique avantage de rendre le texte plus clair. 452 On ne peut pas attendre la fin de la fonction de l’agent public pour engager les poursuites pour corruption, car selon T. BALMELLI, préc, note 373, « [dans] les cas de “grande corruption”, c’est très souvent le sommet de l’État lui-même qui est largement corrompu, et la corruption constitue un véritable “système”. Dans ces conditions, c’est tout l’appareil de l’État qui risque d’être infecté par le mal et les organes clés ne peuvent pas jouer leur rôle de contrôle et de contrepoids », à la p.67. 453 Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale, préc, note 447, para. 165.

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Les immunités à l’épreuve du mécanisme d’application directe Lors des négociations relatives à la signature du Statut de Rome de la CPI, certaines

initiatives avaient suggéré que les compétences de la Cour soient élargies à l’incrimination

de vol d’État ; ou que la Cour soit dotée d’une chambre économique454. Si ces deux

propositions n’ont pas prospéré en leur temps, sont-elles plus crédibles aujourd’hui avec la

signature des conventions internationales de lutte contre la corruption ? En clair, doit-on

songer à une modification du Statut de Rome de la CPI, afin d’élargir ses compétences à la

criminalité économique ? Advenant une réponse positive à cette question, la présente thèse

soutient qu’une telle prospection ne peut être pertinente, que si les compétences de cette CPI

enchâssent les garanties d’indépendance judiciaire contenues dans la Convention des Nations

Unies. Car il serait, par exemple, absurde de limiter la saisine d’une CPI modifiée à l’État

partie455, alors que le crime économique est potentiellement commis par ses plénipotentiaires.

L’indépendance d’une telle juridiction nécessitera d’élargir sa saisine, compte tenu de

l’article 13 de la Convention, à la société civile, dont la compétence en matière de lutte contre

la criminalité économique aura préalablement été légitimée par le statut d’observateur auprès

de cette juridiction internationale. Cette société civile internationale sera, dès cet instant, le

relais des « […] personnes et groupes n’appartenant pas au secteur public, tels que la société

civile, les organisations non gouvernementales et les communautés de personnes […]456».

Par ailleurs, alors que la saisine d’une juridiction pénale internationale, en matière

économique, par le Conseil de sécurité peut sembler, d’emblée, contraire au principe de

l’indépendance judiciaire relativement à l’incompatibilité entre la finalité politique de cet

454 Voir au sujet de ces propositions, A. BORGHI, préc, note 428, à la p.100. 455 Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, préc, note 45, art.13 « [la] Cour peut exercer sa compétence à l’égard d’un crime visé à l’article 5, conformément aux dispositions du présent statut :

a) si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déféré au Procureur par un État partie, comme prévu à l’article 14 ;

b) si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déféré au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; ou

c) si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime en question en vertu de l’article 15 ». 456 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.13.

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organe457 et l’article 5 de la Convention de l’OCDE458, elle paraît plutôt salutaire à l’élévation

de la grande corruption dans la catégorie des crimes internationaux ayant un mécanisme

d’application directe. Il en est ainsi parce que le Conseil de sécurité ne saisit la CPI qu’en

vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies intitulé « action en cas de menace contre

la paix, de rupture de la paix et d’actes d’agression ». Il s’agit des actions générées par des

crimes dont la norme prescriptive a valeur de jus cogens459. Une telle œuvre, par nature,

politique ouvrira des perspectives intéressantes, d’analyse et d’action, en droit international

pénal et en droit international des droits de la personne.

En droit international pénal, la saisine d’une juridiction internationale en matière économique

par le Conseil de sécurité permettra d’identifier le lien de causalité entre la grande corruption

et la menace contre la paix ou la rupture de la paix internationale. Autrement dit, quels sont

les actes constitutifs de la menace à l’ordre public international par la corruption ? Est-ce, à

titre d’illustration, la crise migratoire contemporaine ? Quels sont les fondements de cette

crise ? La pauvreté ? Qu’est-ce qui justifie cette dernière ? Est-ce la mauvaise répartition des

ressources ? À quelle qualification juridique correspond cette mauvaise gouvernance ? Cette

qualification fait-elle partie des infractions définies dans les conventions anticorruptions ?

La Convention des Nations Unies, à travers son préambule460, rend possible des perspectives

457 Voir dans ce sens Frédéric MÉGRET, « La Cour pénale internationale comme un objet politique » dans Julian FERNANDEZ et Xavier PACREAU (dir.), Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par article, Paris, Éditions A. Pedone, 2012, aux pp.119-133. 458 Art. 5 de la Convention de l’OCDE, « Les enquêtes et poursuites en cas de corruption d’un agent public étranger […] ne seront pas influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause ». 459 Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, art.53, « […] Aux fins de la présente convention, une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ». 460 Convention des Nations Unies, préc, note 15, préambule, « Les États Parties à la présente Convention, Préoccupés par la gravité des problèmes que pose la corruption et de la menace qu’elle constitue pour la stabilité et la sécurité des sociétés, en sapant les institutions et les valeurs démocratiques, les valeurs éthiques et la justice et en compromettant le développement durable et l’état de droit, Préoccupés également par les liens qui existent entre la corruption et d’autres formes de criminalité, en particulier la criminalité organisée et la criminalité économique, y compris le blanchiment d’argent, Préoccupés en outre par les affaires de corruption qui portent sur des quantités considérables d’avoirs, pouvant représenter une part substantielle des ressources des États, et qui menacent la stabilité politique et le développement durable de ces États,

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de réponses à toutes ces questions. Ce questionnement est aussi suffisant pour que la thèse

soutenue par Kofele-Kale Ndiva et Ilias Bantekas fasse l’objet d’une vérification empirique.

Car, selon ces auteurs, la corruption des dirigeants étatiques devrait être qualifiée de

patrimoncide, d’indigenous spoliation. Ils soutiennent que cette catégorie de corruption,

autrement qualifiée de grande corruption, constitue une violation grave et systématique des

droits fondamentaux des citoyens. Pour cela, elle devrait être élevée au rang de crime

international, justiciable devant les juridictions pénales internationales461.

En droit international des droits de l’homme, les questions ci-dessus posées, consécutives à

la saisine d’une éventuelle chambre économique de la CPI par le Conseil de sécurité,

permettent de mettre en évidence le principe de l’interdépendance des droits de l’homme. La

clarification de ce concept (interdépendance ou indivisibilité des droits humains) concerne

aussi le lien de causalité entre la méconnaissance d’un droit social et économique et la

violation du droit civil et politique correspondant. Ceci offre l’opportunité, au plan juridique,

à une réelle justiciabilité des droits économiques et sociaux, voire des droits collectifs. Cette

projection n’ouvre pas la porte à une justiciabilité fantasmagorique. Il appartiendra à chaque

système juridique, compte tenu de son niveau de développement économique, d’encadrer

chaque année, de façon continue et cumulative dans le temps, les conditions d’application de

l’article 2 du PIDESC; afin que, selon le « maximum [des] ressources disponibles462 » à un

moment donné de son essor économique, il assure « progressivement le plein exercice des

droits463 » limitativement énumérés dans un texte législatif ou règlementaire. Ainsi, d’année

en année, les droits sociaux économiques cesseront d’être abstraits pour se transformer en

prétentions de droit positif. Ce processus aboutit, en fin de compte, à un audit du système

social et économique concerné. Lequel audit équivaut à une lutte généralisée (systématique)

Convaincus que la corruption n’est plus une affaire locale, mais un phénomène transnational qui frappe toutes les sociétés et toutes les économies, ce qui rend la coopération internationale essentielle pour la prévenir et la juguler, Convaincus du fait que l’acquisition illicite de richesses personnelles peut être particulièrement préjudiciable aux institutions démocratiques, aux économies nationales et à l’état de droit ». 461 N. KOFELE-KALE, préc, notes 12, à la p.196 et I. BANTEKAS, préc, note, 11. 462 PIDESC, préc, note 1, art.2. 463 Ibid.

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et diffuse contre la corruption464. Car si après les évènements vécus pendant la Deuxième

Guerre mondiale, la justiciabilité interne, régionale et internationale des droits civils et

politiques a permis, à l’heure actuelle, un respect relatif desdits droits, aussi bien dans les

sociétés démocratiques que dans celles en démocratisation, il devient impératif de vérifier si

la transposition de cette évolution aux droits économiques et sociaux entrainera des résultats

identiques465. À cet effet, il vient d’être montré que la justiciabilité des droits économiques

et sociaux est l’une des solutions à la détection et à la répression de la corruption.

D’une façon générale, la quête d’un mécanisme international de lutte contre la corruption

vise un objectif précis : lever toute immunité en vertu de l’article 27466 du Statut de Rome de

la CPI. Cette conjecture, sur un mécanisme d’application directe des conventions de lutte

contre la corruption, aussi enthousiaste soit-elle, ne s’écarte pas du pragmatisme de Alvaro

Borghi qui estime, in fine, que malgré la pertinence des propositions doctrinales, la

constitution d’un tel mécanisme relève encore de l’utopisme467. Soulignons toutefois, à toutes

fins utiles, que cet utopisme trouve son unique fondement dans l’absence de volonté politique

des autorités normatives compétentes, et non dans la théorie du droit stricto sensu.

Peut-on dire, au regard de ce qui précède, que le projet porté par la Convention des Nations

Unies se démarque du droit positif, pour suggérer l’émergence d’un droit pénal spécial

applicable à la corruption ?

464 Voir dans ce sens, CNUCC, art. 5, « Chaque État partie élabore et applique ou poursuit, conformément aux principes fondamentaux de son système juridique, des politiques de prévention de la corruption efficaces et coordonnées qui favorisent la participation de la société et reflètent les principes d’état de droit, de bonne gestion des affaires publiques et des biens publics, d’intégrité, de transparence et de responsabilité. Chaque État partie s’efforce de mettre en place et de promouvoir des pratiques efficaces visant à prévenir la corruption. […] ». 465 V. aussi D. ROBITAILLE, « Pour une théorie de la justiciabilité substantielle et processuelle des droits économiques et sociaux » (2013), préc, note 147. 466 Statut de Rome de la CPI, préc, note 45, art.27 « [le] présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne ». 467 A. BORGHI, préc, note 428, à la p.94. Pour comprendre une possible justification de cet utopisme, voir note de bas de page 266.

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La réponse à cette question est positive. La Convention des Nations Unies ne se contente pas

de réitérer les suggestions faites par les conventions internationale et régionales de lutte

contre la corruption. Bien plus, elle suggère des organes complémentaires aux organes

traditionnels du système judiciaire pour sa mise en œuvre. Leur constitution est nécessaire

parce qu’il a été relevé que, les organes actuels de poursuite et de répression manquent

d’indépendance pour lutter contre la corruption. Cette observation invite à reprendre mutatis

mutandis la proposition faite relativement à l’indépendance du juge. En clair, l’indépendance

des organes spécialisés, dans la lutte contre la corruption, ne sera pertinente que si ces organes

peuvent directement saisir le juge, sans que l’intervention du ministère public constitue une

étape dirimante de la procédure pénale.

Quant aux suggestions de la Convention des Nations Unies relativement au droit pénal

international et au droit international pénal, il s’observe que la Convention n’est pas allée au

terme de sa logique. En faisant de la restitution des avoirs issus de la corruption son principe

fondamental, la Convention maintient, paradoxalement, les privilèges et immunités qui

empêchent que les juridictions étrangères connaissent des procédures susceptibles d’aboutir

au recouvrement des avoirs issus de la corruption. Il est, dès lors, souhaitable que dans le

contexte des délits patrimoniaux, une distinction soit faite entre les immunités et privilèges

de juridiction accordés à certains agents publics, et l’inviolabilité de leur personne.

L’immunité peut être levée, permettant la poursuite de la procédure judiciaire relative au

recouvrement des avoirs, alors que le maintien de l’inviolabilité empêche que l’agent public

soit soumis à des mesures de contrainte de la part des autorités étrangères.

Il ressort de ce qui précède que si les textes fondateurs d’un droit pénal de la corruption sont

porteurs des finalités particulières en fonction de leur contexte régional, international ou

universel ; ils sont aussi vecteurs d’un droit pénal spécial anticorruption.

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Conclusion du titre 1er

La flexibilité du droit pénal

Il ressort de ce qui précède que la perspective pyramidale du droit, suivant la logique du

positivisme étatique, n’est pertinente que lorsque la règle de droit est réellement générale et

impersonnelle. Tel est notamment le cas en droit criminel, lorsque la norme juridique encadre

la conduite des délinquants, entendus comme des citoyens non adaptés à leur société. Le but

visé, en pareille circonstance, étant la réintégration du délinquant dans la société. C’est dans

ce contexte que le droit pénal se présente comme un droit paternaliste, dans la mesure où il

réalise une délicate conciliation entre la protection de la société et celle du délinquant468.

Par contre, le positivisme étatique a un déficit de pertinence lorsque, d’une part, le délinquant

présumé n’est pas un inadapté social, et d’autre part, si ce délinquant atypique est un auteur

potentiel de la règle de droit. C’est ce changement de paradigme dans la relation entretenue

entre l’auteur de la règle de droit, la règle de droit elle-même et le délinquant qui est exprimé

à travers le concept de la flexibilité du droit pénal. Ce concept s’exprime par deux modalités.

Dans un premier temps, le contexte social, sans être critique à l’égard du droit positif, convie

le positivisme juridique à une mutation méthodologique à travers la contractualisation du

droit469. Cette contractualisation suggère qu’avant sa sanction, la règle de droit tienne compte

de l’avis des groupes sociaux ayant acquis une expertise raisonnable dans le domaine de

référence que la régit. C’est ainsi qu’il ressort, en l’espèce, que la perception d’un système

judiciaire à l’épreuve de la corruption se justifie, en droit pénal de fond, par une

criminalisation incomplète du fait illicite constitutif de l’infraction de corruption ; d’où le

complément doctrinal de l’infraction de corruption par le concept de « grande corruption ».

Relativement au droit procédural, les travaux des auteurs consultés montrent qu’au plan

matériel et scientifique, il est possible d’isoler l’activité judiciaire des autres activités

sociales, si bien que, matériellement, l’ensemble des autorités judiciaires exercent la même

468 Gisèle CÔTÉ-HARPER, Pierre RAINVILLE et Jean TURGEON, Traité de droit pénal, 4e Éd., Cowansville, Yvon Blais, 1998, pp.23 et 26. 469 cf., note 111.

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122

fonction ou la même activité judiciaire. Toutefois, le positivisme juridique accorde des

garanties différentielles aux organes qui participent à la même activité judiciaire. Cette

stratification des garanties d’indépendance mine, en fin de compte, la perception

d’indépendance souhaitée du système judiciaire. Les propositions qui mettent en exergue

l’inadaptation du droit positif à son contexte sociétal sont soutenues par le paradigme de la

postmodernité.

Dans un second temps, la flexibilité du droit pénal est suggérée par le texte anticorruption. Il

s’agit des conventions régionales, internationale et universelle relatives à la lutte contre la

corruption. Si ces textes reprennent la quasi-totalité des observations analysées dans le cadre

du paradigme de la postmodernité, on se rend compte que le consensus qui a gouverné leur

rédaction a privilégié la modération de leurs termes, sans masquer la fermeté de leur finalité.

C’est ainsi qu’en droit pénal substantiel, l’infraction d’enrichissement illicite reste

difficilement reçue par les États Parties ; alors qu’en droit procédural, l’indépendance de

certains organes du système judiciaire est explicitement relativisée.

On déduit de ce qui précède que l’analyse de la flexibilité du droit pénal répond réellement à

deux exigences de la présente étude. Elle définit le référentiel à la constitution d’un

mécanisme répressif national de lutte contre la corruption, en même temps qu’elle apporte

une réponse à la perception d’indépendance du système judiciaire, dans le cadre de la

répression de la corruption. C’est, compte tenu de ce référentiel méthodologique, que la

présente étude soutient que l’accès à la justice nationale est une garantie essentielle de

l’indépendance judiciaire.

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123

Titre 2

LA GARANTIE PRINCIPALE DE L’INDÉPENDANCE JUDICIAIRE : L’ACCÈS À LA JUSTICE NATIONALE

Le droit pénal contemporain […] vient après une longue histoire, et il n’est lui-même qu’un moment d’une longue histoire. J.-M. Carbasse

À la différence des États en démocratisation470, la conception de l’indépendance judiciaire

dans les démocraties occidentales semble se construire, davantage de nos jours, autour de

l’indépendance du juge. En France, il ressort du titre VIII de la Constitution471, consacré à

« l’Autorité judiciaire », que les magistrats du siège sont inamovibles472. De plus,

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d’appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme473.

Pendant ce temps,

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet donne son avis sur les nominations qui concernent les magistrats du parquet474.

Ainsi, si

[L]e principe d’indépendance s’applique à l’ensemble de l’autorité judiciaire, siège et parquet confondus, [on ne peut s’empêcher d’observer qu’] il est très différemment aménagé pour le ministère public, placé sous l’autorité du garde des Sceaux et ne bénéficiant pas de l’inamovibilité475.

470 L’indépendance judiciaire est consubstantielle à la démocratie. Il est, dès lors, délicat de convoquer ce principe dans un système social en démocratisation. 471 Constitution du 4 octobre 1958. 472 Ibid art.64. 473 Ibid art.65. 474 Ibid. 475 Guy CARCASSONNE, La Constitution : introduite et commentée, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p.265.

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Au Canada, la partie VII de la Loi constitutionnelle de 1867476, consacrée à la « Judicature »,

concerne exclusivement les juges. Dans ce système, les officiers du ministère public ne font

pas partie de la magistrature, si bien que les garanties d’indépendance judiciaire relatives à

l’administration des tribunaux par les gouvernements provinciaux477 et à la nomination des

juges des cours supérieures par le gouvernement fédéral478, leur inamovibilité479 et leur

garantie financière480 ne s’appliquent qu’aux seuls juges. Telles sont les principales garanties

de l’indépendance judiciaire, enchâssés dans des textes fondamentaux d’un système juridique

de Droit Civil et d’un autre de la Common Law.

La question essentielle que pose cette étude est de savoir si l’indépendance du juge, à

supposer qu’elle soit parfaite dans les systèmes ci-dessus évoqués481, est seule suffisante pour

affirmer l’indépendance du pouvoir judiciaire, voire de l’ensemble du système judiciaire482.

Autrement dit, le fonctionnement du système judiciaire se limite-t-il au seul office du juge

pour que l’exclusion de son unique statut des risques de dépendance, vis-à-vis des systèmes

extrajudiciaires, garantisse l’indépendance de tout le système judiciaire ?

La réponse à cette question exige deux attitudes complémentaires. La première consiste à

différencier, dans les sociétés actuelles, le système judiciaire des autres systèmes au sein

desquels l’État contemporain exerce sa souveraineté. Quant à la seconde attitude, elle

nécessite de spécifier les différentes composantes du système judiciaire et de singulariser,

malgré la diversité de ses organes, le critère commun de la fonction judiciaire. C’est ce critère

qui justifie la différenciation du système judiciaire des autres systèmes sociaux et commande,

476 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch.3 (R.-U.). 477 Ibid art.92 para. 14. 478 Ibid art.96. 479 Ibid art.99. 480 Ibid art.100. 481 Cette étude n’abordera pas l’indépendance judiciaire relativement au statut du juge (approche qui est par ailleurs très documentée), mais du point de vue de l’ensemble du système judiciaire. 482 La notion de pouvoir ou de système judiciaire, voire d’autorité judiciaire se réfère ici, selon la théorie de la différenciation sociale, aux différents organes dont le mode de communication se réalise à travers le processus judiciaire (N. Luhmann). Il s’agit, de façon concrète, des organes qui agissent sur la base des programmes conditionnels en fonction du code légal/illégal (M. Valois) ; ou qui fondent leurs actions lorsqu’il y a une prétention émise qu’il y a quelque chose de contraire au droit (R. Bonnard). Le pouvoir judiciaire dans cette étude exclut, dès lors, les controverses doctrinales françaises au sujet des concepts d’« autorité judiciaire » et de « pouvoir judiciaire ».

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de façon conséquente, l’application des garanties statutaires similaires à tous les organes de

ce système.

Ces deux exigences, relatives d’une part à la différenciation des fonctions judiciaires des

autres fonctions de l’État souverain et, d’autre part, à l’identification des organes judiciaires

a été abordée à la section 1.3.2 Le droit pénal de forme. Il a été vu qu’il s’agit des organes

exclusivement compétents pour appliquer les programmes conditionnels en fonction du code

légal/illégal483. Mieux encore, cette catégorie d’organes fonde ses fonctions sur la prétention

émise qu’il y a quelque chose de contraire au droit et qu’un redressement doit être opéré484.

Selon le schéma 2 (ci-dessous repris), ce sont des organes dont les fonctions sont comprises

dans l’intervalle 1 et 2.

1

Fonctions judiciaires Prétentions Fonctions politiques (processus judiciaire) Expectatives (processus politique) ↓

2 Interprétations synthèse des sens 3

Critiques, débats, doctrines, lectures

Une lecture suivie des textes internationaux relatifs à la lutte contre la corruption montre

qu’ils semblent opter pour une compréhension du pouvoir judiciaire, telle qu’elle est ci-

dessus schématisée. C’est dans cette logique qu’il ressort in fine de la Convention des Nations

Unies que le pouvoir judiciaire intègre les fonctions de poursuite, de détection et de

répression des infractions485. Bien plus, l’écriture de cette Convention ressort clairement dans

le schéma 2. La norme pénale contenue dans cette Convention fait l’objet du chapitre III,

483 Cf. M. VALOIS, préc, note 54, à la p.287. Voir cet extrait à la p.79. 484 Cf. R. BONNARD, préc, note 184, à la p.27. Voir cet extrait à la p.81. 485 Convention des Nations Unies, art.30, «Poursuites judiciaires, jugement et sanctions», para.3 « Chaque État partie s’efforce de faire en sorte que tout pouvoir judiciaire discrétionnaire conféré par son droit interne et afférent aux poursuites judiciaires engagées contre des personnes pour des infractions établies conformément à la présente Convention soit exercé de façon à optimiser l’efficacité des mesures de détection et de répression de ces infractions, compte dûment tenu de la nécessité d’exercer un effet dissuasif en ce qui concerne leur commission ».

Texte normatif (loi pénale)

Norme individuelle (décision constatatoire) Norme générale

(Valeur sociale protégée)

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126

intitulé Incrimination, détection et répression. Les autorités chargées de son application font

toutes partie du pouvoir judiciaire. Il en est ainsi, notamment, des autorités de poursuite486,

des autorités spécialisées487, des autorités chargées de l’enquête et de la recherche des

preuves488, des juges489. La singularité de ces autorités est qu’elles agissent dès lors qu’il y a

des soupçons de violation de la loi. Les autorités ci-dessus identifiées, dans le cadre de la

Convention des Nations Unies, le sont également dans d’autres instruments490. Elles sont

affectées aux mêmes fonctions judiciaires, dans des conditions identiques d’indépendance,

indispensables aux objectifs d’une lutte efficace contre la corruption.

C’est ainsi que la Convention de l’UA recommande aux États Parties de « mettre en place,

rendre opérationnelle et renforcer des autorités ou agences nationales indépendantes chargées

de lutter contre la corruption491 ». Par lutter contre la corruption, il faut comprendre entre

autres : « la recherche, l’identification, le repérage, la gestion et le gel ou la saisie, par des

autorités compétentes, des moyens et produits de la corruption, en attendant le jugement

définitif492 ».

Quant aux normes d’indépendance, la Convention des Nations Unies invite les États Parties

à appliquer, aux services de poursuite, une indépendance semblable à celle des juges493. Pour

marquer la différenciation des fonctions judiciaires des autres fonctions, la Convention de

l’UA ne se limite pas à solliciter l’indépendance des autorités ou agences nationales de lutte

contre la corruption. Elle exige en plus, leur autonomie494. Les conditions matérielles

d’indépendance des fonctions judiciaires sont exposées dans la Convention de l’OCDE. Elle

précise que :

Les enquêtes et poursuites en cas de corruption […] ne seront pas influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause495.

486 Convention des Nations Unies, préc, note 15, arts. 30 par.3 ; 38 et 39. 487 Ibid art. 36. 488 Ibid art.37. 489 Ibid art.11. 490 Convention pénale de l’Europe, arts. 20, 21, 23. 491 Convention de l’UA, préc, note 19, art.5 par.3. 492 Ibid art.1 (a). 493 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.11 par.2. 494 Convention de l’UA, préc, note 19, art.20 par.4. 495 Convention de l’OCDE, préc, note 28, art.5.

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Il ressort de ce qui précède que, si les organes remplissant les fonctions judiciaires sont

indépendants et autonomes, du fait de la différenciation fonctionnelle et sociale, ils devraient

être accessibles par tout corps social intéressé à la lutte contre la corruption. Cette initiative

pouvant être privée ou publique. Elle est privée lorsqu’elle est conduite par des acteurs non

étatiques, tandis qu’elle est publique lorsqu’elle est conduite par des acteurs étatiques. Il

s’agit, en l’espèce, des organes publics spécialisés dans la lutte contre la corruption.

L’indépendance du pouvoir judiciaire peut, dès lors, se vérifier par l’accès à la justice aussi

bien par des poursuites privées des acteurs non étatiques (Chapitre 3) que par des poursuites

privées des acteurs étatiques (chapitre 4). Cette hypothèse ne se vérifie que si la poursuite

privée s’entend comme la poursuite engagée par des personnes privées ou publiques autres

que les officiers du ministère public.

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CHAPITRE 3

L’ACCÈS À LA JUSTICE PAR DES POURSUITES PRIVÉES DES ACTEURS NON ÉTATIQUES

Dans tout système juridique […] la participation active du citoyen prend une importance capitale. […] l’une des solutions consiste à donner à ce dernier la possibilité de s’adresser lui-même aux tribunaux,

Commission de réforme du droit (Canada), 1986.

En droit criminel, notamment canadien, la « poursuites privées » désigne toutes poursuites

« menées par un poursuivant autre que le procureur général et dans lesquelles le procureur

général n’intervient pas496». Ceci revient à considérer comme poursuite privée, une poursuite

conduite par toute autre autorité publique qui n’agit pas pour le compte du procureur général

(Voir Chapitre 4). Les poursuites privées qui intéressent ce chapitre sont celles initiées par

des individus, des groupes de personnes, et des personnes morales qui n’appartiennent pas

au secteur public497. Dans le cadre du présent chapitre, il est utile de rappeler le fondement

conventionnel des poursuites privées, avant d’analyser sa réception dans les différents

systèmes juridiques étudiés.

3.1 Le fondement conventionnel de la poursuite privée

Les conventions analysées dans cette étude abordent de façon plus ou moins élaborée les

poursuites privées, sans explicitement les qualifier ainsi. Elles mettent en exergue les

différentes catégories de personnes susceptibles d’initier l’action pénale, la pertinence de

leurs dénonciations ainsi que leur suivi.

Aux termes de l’article 13 de la Convention des Nations Unies,

Chaque État partie prend des mesures appropriées, dans la limite de ses moyens et conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, pour favoriser la participation active de personnes et de groupes n’appartenant pas au secteur public, tels que la société civile, les organisations non gouvernementales et les communautés de personnes, à la prévention de la corruption et à la lutte contre ce phénomène [...]498.

496Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 574 (3). 497 Voir dans le même sens, Peter BURNS, « Private Prosecutions in Canada: The Law and a Proposal for Change» (1975) 21 McGill L. J., p.269. 498 Convention des Nations Unies, art.13 para.1

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Par ailleurs, la Convention favorise une acception extensive des personnes qui doivent

participer activement à la lutte contre la corruption. Il s’agit entre autres :

des ONG, des syndicats, les médias, les organisations confessionnelles, […] des groupes qui peuvent ne pas avoir de représentation constituée et en particulier des groupes sociaux marginalisés499.

Autrement dit, toute personne physique ou morale est susceptible de saisir des organes

compétents de lutte contre la corruption. C’est dans ce sens que la Convention pénale de

l’Europe dispose que :

Chaque partie adopte les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour assurer une protection effective et appropriée :

aux personnes qui fournissent des informations concernant des infractions pénales établies […] ou qui collaborent d’une autre manière avec les autorités chargées des investigations ou des poursuites ;

aux témoins qui font une déposition concernant de telles infractions500.

Quant à la Convention de l’UA, elle suggère « d’adopter les mesures afin de s’assurer que

les citoyens signalent les cas de corruption, sans craindre éventuellement des

représailles501 ». Des dispositions similaires se retrouvent également dans la Convention de

l’OEA qui encourage « la participation de la société civile et des organisations non

gouvernementales aux efforts tendant à prévenir la corruption502 ».

Afin que la participation des acteurs non étatiques, à la lutte contre la corruption ne soit pas

vidée de sa substance, la Convention de l’UA insiste pour que

Chaque État partie adopte les mesures législatives et autres mesures pour donner effet au droit d’accès à toute information qui est requise pour aider à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées503.

499 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.72. 500 Convention pénale de l’Europe, art.22. 501 Convention de l’UA, préc, note 19, art.5 para.6. Voir dans le même sens, art.12, para.3, « Les États parties s’engagent à assurer la participation de la société civile au processus de suivi et consulter la société civile dans la mise en œuvre de la présente conventions ». 502 Convention de l’OEA, préc, note 25, art. III, para.11. 503 Convention de l’UA, préc, note 19, art.9. Voir aussi art.12 para.4, « Veiller à ce que les médias aient accès à l’information dans les cas de corruption et d’infractions assimilées sous réserve que la diffusion de cette information n’affecte pas négativement l’enquête ni le droit à un procès équitable ».

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Cette position est partagée par la Convention des Nations Unies, selon laquelle des personnes

doivent avoir « l’accès effectif […] à l’information504 ». Cette information doit être

accessible avant la saisine des organes de lutte contre la corruption et après cette saisine.

Avant, le citoyen (personne morale ou physique) en plus de participer au processus

décisionnel, doit être informé ou recevoir, sur demande, les prestations prévues par les

diverses administrations dont il attend les services. Lesquels (services) sont susceptibles

d’être évalués par lui, afin de vérifier que le cahier des charges a été rempli. Cette évaluation

entre les prestations attendues et celles réalisées dans les délais prescrits le détermine à initier

ou non une action judiciaire. Une fois que les autorités compétentes en matière de corruption

ont été saisies, elles doivent informer le citoyen dans les délais raisonnables de leur intention

de poursuivre ou non l’action anticorruption (enquête, poursuite et procès). Cela offre

l’opportunité au citoyen d’initier lui-même l’action pénale en cas d’inaction non justifiée des

organes de poursuite. Dans cette veine, il n’est pas demandé au citoyen de faire la preuve

judiciaire de la pratique « corruptionnelle ». Seule sa bonne foi fera l’objet d’une vérification.

Cette simple dénonciation oblige les services de détection et de répression à ouvrir une

enquête et à poursuivre en cas d’acte de corruption505. Les Nations Unies précisent que cette

attitude des services d’enquête et de poursuite est la norme, alors que la déclaration d’un non-

lieu est une exception qui doit être justifiée506. Par cette disposition, la Convention des

Nations Unies contribue de façon significative aux garanties d’indépendance et d’impartialité

de tous les organes du système judiciaire en élargissant aux autres organes l’obligation de

motiver leur décision507, alors que pareille obligation n’est imposée actuellement en droit

positif qu’aux seuls juges. Mieux encore, la Convention des Nations Unies exige qu’il soit

504 Convention des Nations Unies, préc, note 15, arts. 10 et 13 para.1b). Convention de l’UA, préc, note 19, art.9. 505 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.100. 506 Ibid. 507 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.30 para.3 « Chaque État partie s’efforce de faire en sorte que tout pouvoir judiciaire discrétionnaire conféré par son droit interne et afférent aux poursuites judiciaires engagées contre des personnes pour des infractions établies conformément à la présente Convention soit exercé de façon à optimiser l’efficacité des mesures de détection et de répression de ces infractions, compte dûment tenu de la nécessité d’exercer un effet dissuasif en ce qui concerne leur commission ».

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reconnu, au citoyen faisant de bonne foi une dénonciation508, le droit de faire appel du non-

lieu des services d’enquête et de poursuite509.

De façon générale, il ressort des conventions de lutte contre la corruption que les autorités

publiques n’ont pas le monopole du déclenchement de l’action publique en matière de lutte

contre la corruption. La dénonciation d’une personne privée doit être à l’origine de

l’ouverture du processus judiciaire ; ceci, dans le respect des droits des tiers de bonne foi, et

de ceux des défendeurs éventuels. Il reste à vérifier comment l’exigence conventionnelle de

poursuite privée est reçue dans les systèmes judiciaires de la Common Law (3.2), de Droit

Civil (3.3) et des contextes sociaux relativement démocratiques (3.4).

3.2 La poursuite privée en Common Law Le Canada est partie à trois conventions de lutte contre la corruption. Il s’agit de la

Convention de l’OEA; de la Convention de l’OCDE et de la Convention des Nations Unies.

Il s’agit maintenant de voir comment un citoyen, tout acteur de la société civile ou toute

personne morale de droit privé est susceptible d’apporter sa contribution à la mise en œuvre

de ces conventions. Autrement dit, un acteur privé peut-il être à l’origine des poursuites

criminelles sur le fondement d’un soupçon de pratiques « corruptionnelles » dans la

Common Law canadienne ? Répondre à cette question nécessite de parcourir le cadre

normatif canadien en la matière, avant de se demander si ce dispositif distingue le droit

criminel général du droit prospectif qui devrait s’appliquer à la corruption510.

508 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, « il ne faudra pas perdre de vue que des informations apparemment d’une importance mineure peuvent marquer le début d’une enquête sur des affaires de corruption complexes, de sorte que des informations communiquées pourront intéresser différentes institutions, dont toutes devront respecter la politique fixée en la matière et les procédures de protection prévues ». 509 Ibid, « Dans certains États Parties, il existe des lois ou règlements qui prescrivent comment les magistrats du parquet doivent s’acquitter de leur pouvoir discrétionnaire […] ces lois ou directives comportent des clauses aux termes desquelles un procureur peut renoncer à ouvrir des poursuites lorsque celles-ci ne seraient pas dans “l’intérêt public”. En pareil cas, les États Parties voudront peut-être envisager soit d’éviter des termes aussi généraux soit, s’ils décident d’accorder de tels pouvoirs discrétionnaires, de les préciser en énonçant et en rendant public les critères à prendre en considération pour que les facteurs pris en compte pour parvenir à une telle conclusion apparaissent clairement. […] Les États Parties voudront peut-être envisager d’exiger que le procureur motive sa décision de clore l’affaire ou de déclarer le non-lieu pour que les motifs invoqués puissent faire l’objet d’un examen interne ou externe approprié. […] les procureurs devraient informer les plaignants de l’issue de l’enquête et de leur décision d’entamer ou non des poursuites ». p.100. 510 Il résulte du chapitre 1er de cette étude, que le droit criminel applicable à la grande corruption est flexible et contextuel.

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3.2.1 Le cadre normatif applicable à la poursuite privée

Selon les dispositions de l’article 504 C.cr.,

Quiconque croit, pour des motifs raisonnables, qu’une personne a commis un acte criminel peut faire une dénonciation par écrit et sous serment devant un juge de paix, et celui-ci doit recevoir la dénonciation, s’il est allégué, selon les cas :

que la personne a commis, en quelque lieu que ce soit, un acte criminel qui peut être jugé dans la province où réside le juge de paix et que la personne :

ou bien se trouve ou est présumée se trouver,

ou bien réside ou est présumée résider,

dans le ressort du juge de paix ;

que la personne, en quelque lieu qu’elle puisse être, a commis un acte criminel dans le ressort du juge de paix ;

que la personne a illégalement reçu, en quelque lieu que ce soit, des biens qui ont été illégalement obtenus dans le ressort du juge de paix ;

que la personne a en sa possession, dans le ressort du juge de paix, des biens volés. Le Code criminel, par l’usage du pronom relatif « quiconque », a opté pour une implication

implicite511 des personnes privées dans le déclenchement512 de la procédure pénale. Cette

hypothèse est soutenue par les articles 2 et 785 C.cr. Dans le premier cas, le « poursuivant »

est défini comme étant « [le] procureur général ou, lorsque celui-ci n’intervient pas, la

personne qui intente les poursuites en vertu de la présente loi513 ». Dans le second cas, le

« poursuivant » est « le procureur général ou le dénonciateur lorsque le procureur général

n’intervient pas514 ». S’il ressort de ces dispositions que toute personne privée, du fait de sa

dénonciation, est susceptible de mettre en mouvement l’action pénale, il reste que

l’application effective de cette disposition est soumise à certaines conditions légales et

prétoriennes.

Au plan légal, et ceci depuis 2002515, le Code criminel encadre restrictivement le droit

préalablement accordé au poursuivant privé à l’article 504. La dénonciation précédemment

511 Le Service fédéral des poursuites guide, Politique applicable à certains types de litiges, en ligne, [http://www.ppsc-sppc.gc.ca/fra/sfp-fps/fpd/ch26.html] [consulté, le 24/11/11]. 512 Guy COURNOYER et Gilles OUIMET, Code criminel annoté, Cowansville, Yvon Blais, 2003, p.791. 513 Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 2. 514 Ibid art.785. 515 Le Service fédéral des poursuites guide, préc, note 680, « [avant] les modifications apportées au Code criminel en 2002, les tribunaux avaient statué que : a) un citoyen privé pouvait intenter et mener une poursuite

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déposée ne peut prospérer sans être conforme aux dispositions de l’article 507.1 C.cr. aux

termes desquelles,

(1) Le juge de paix qui reçoit une dénonciation faite en vertu de l’article 504, autre que celle visée au paragraphe 507(1), la renvoie devant un juge de la cour provinciale ou, au Québec, devant un juge de la Cour du Québec, ou devant un juge de paix désigné, afin qu’il soit décidé si l’accusé devra comparaître à cet égard.

(2) Lorsqu’il estime qu’on a démontré qu’il est justifié de le faire, le juge ou le juge de paix désigné à qui une dénonciation est renvoyée en vertu du paragraphe (1) décerne une sommation ou un mandat d’arrestation pour obliger l’accusé à comparaître devant un juge de paix pour répondre à l’inculpation.

(3) Le juge ou le juge de paix désigné ne peut décerner une sommation ou un mandat d’arrestation que si les conditions suivantes sont remplies :

Il a entendu et examiné les allégations du dénonciateur et les dépositions des témoins ;

Il est convaincu que le procureur général a reçu copie de la dénonciation ;

Il est convaincu que le procureur général a été avisé, en temps utile, de la tenue de l’audience au titre de l’alinéa a) ;

Le procureur général a eu la possibilité d’assister à l’audience, de procéder à des contre-interrogatoires, d’appeler des témoins et de présenter tout élément de preuve pertinent.

Le Règlement de la Cour du Québec favorise une compréhension aisée des dispositions ci-

dessus. Il y ressort qu’

Une personne qui désire déposer une plainte privée doit se présenter au greffe pour l'ouverture du dossier. Le personnel du greffe lui explique la démarche à suivre et lui remet la liste des documents nécessaires au soutien de la dénonciation ainsi que le formulaire intitulé “Formulaire de renseignements relatifs à une poursuite privée”516.

Selon les renseignements obtenus au greffe, avant de déposer sa dénonciation devant un juge

de paix, le poursuivant privé devra d’abord rencontrer un agent de la paix qui examinera sa

en vertu d’une loi fédérale, sans que le procureur général du Canada ne le sache ou n’y participe ; b) un langage clair et précis est nécessaire pour abolir les poursuites privées en vertu d’une loi fédérale. Les amendements de 2002 introduisent cependant des limites importantes au droit d’un citoyen d’entamer une plainte privée ». 516 Règlement de la Cour du Québec, RLRQ c C-25 r4, art.93.

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plainte517 et procédera éventuellement à une enquête policière518. Il devra, par la suite,

rencontrer un procureur aux poursuites criminelles et pénales, ou du moins, faire la preuve

qu’il y a déposé sa dénonciation519. Ce n’est qu’après les étapes policière et ministérielle ci-

dessus que la dénonciation pourrait être reçue par le juge de paix. Il faut toutefois retenir au

regard des paragraphes 507.1 (1) et (2), que les formalités policière et ministérielle n’ont pas

un caractère impératif. Cependant, elles ont l’avantage de limiter la décision du juge, quant

à l’émission d’une sommation ou d’un mandat d’arrestation, qu’aux seules conditions de

l’alinéa 507.1(3)a)520. Il suit de ce qui précède qu’après le dépôt d’une dénonciation et avant

l’ouverture éventuelle d’un procès, la poursuite privée est d’abord soumise à une discrétion

judiciaire (para. 573(3)). Celle-ci n’est pas la seule, puisque la citation au procès dépend aussi

d’une discrétion ministérielle.

Dans la Common Law canadienne, les poursuites criminelles ressortent principalement au

domaine de compétence du ministère public521, les poursuites privées sont, dès lors, une

faculté subsidiaire offerte aux citoyens522. Il s’agit de la raison pour laquelle elles sont

soumises au contrôle du poursuivant public. Il ressort de la Loi sur le directeur des poursuites

pénales que le directeur des poursuites pénales du Canada exerce « les pouvoirs du procureur

général relatifs aux poursuites privées, notamment celui d’intervenir et d’assurer leur

conduite ou d’en ordonner la suspension523 ». C’est dans cette logique que le directeur des

poursuites criminelles et pénales de la Province de Québec « exerce également les fonctions

utiles à l'exécution de sa mission, y compris pour autoriser une poursuite, […] ou pour

517 La doctrine estime que si la police a refusé d’intervenir, la dénonciation privée devra nécessaire faire l’objet d’une préenquête devant un juge de la Cour du Québec ou un juge de paix désigné par le juge de cette Cour. Voir à cet effet, P. BÉLIVEAU et M. VAUCLAIR, préc, note 322, à la p.777, para.1757. 518 Formulaire de renseignements relatifs à une poursuite privée en matière criminelle, inédit. 519 Ibid. 520 « Il [le juge] a entendu et examiné les allégations du dénonciateur et les dépositions des témoins ». 521 Loi sur le directeur des poursuites pénales, L.C. 2006, ch.9, art.3 (3) « Il [Directeur des poursuites pénales] exerce, sous l’autorité et pour le compte du procureur général, les attributions suivantes : engager et mener les poursuites pour le compte de l’État, […] intervenir relativement à toute affaire dans laquelle des questions d’intérêt public sont soulevées qui pourraient avoir une incidence sur la conduite des poursuites ou enquêtes connexes […] ». V. dans le même sens, Loi sur le directeur des poursuites criminelles et pénales, L.R.Q., ch. D-9.1. 1, art.13. 522 Kent ELSON, « Taking Workers’ Rights Seriously: Private Prosecutions of Employment Standards Violations » (2008) 26 Windsor Y.B. Access Just., p.337 “[…] private prosecutions continue to fill a gap left by government inaction”. 523 Loi sur le directeur des poursuites pénales, préc, note 690, art.3(3) f).

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intervenir dans une affaire à laquelle il n'est pas partie lorsque, à son avis, l'intérêt de la justice

l'exige524 ». D’une façon générale, les modes d’intervention du poursuivant public sont

détaillées dans les Directives du Directeur des poursuites criminelles et pénales.

Il y ressort, entre autres, qu’avant de déposer la dénonciation au bureau du directeur des

poursuites criminelles et pénales, le poursuivant privé doit « rencontrer préalablement un

agent de la paix qui examinera la plainte et pourra procéder à une enquête policière si

nécessaire525 ». Ce n’est qu’après cette étape policière que la plainte pourrait être déposée.

Dès cet instant, le procureur intervient au dossier :

[S]oit pour surveiller les procédures conduites par le poursuivant privé. À cette fin, il assiste à l’audition et veille à l’intérêt de la justice et, si nécessaire, il contre-interroge ou fait entendre des témoins et soumet toute preuve pertinente sans pour autant assumer la conduite des procédures ;

soit pour se substituer au poursuivant privé et, à toute étape de la cause526.

Le procureur du ministère public peut aussi intervenir pour mettre un terme aux

procédures527. Deux observations peuvent être faites au regard de la double discrétion du juge

et du directeur des poursuites criminelles et pénales, relativement au déclenchement de

l’action pénale par la poursuite privée.

- D’abord, il est souhaitable pour le poursuivant privé de déposer sa dénonciation de

façon chronologique aux différentes étapes policière, ministérielle et enfin judiciaire.

Il dispose à chaque étape, en cas de rejet de sa dénonciation, d’un recours qui peut

être judiciaire528 ou administratif529.

524 Ibid art.13.2°. 525 Directeur des poursuites criminelles et pénales, Poursuite privée (infractions au Code criminel ou à une autre loi fédérale), PRI-1, 1995, para.2. 526 Ibid para.4. 527 Code criminel, art.579 et Directeur des poursuites criminelles et pénales, Procédures – arrêt des procédures (nolle prosequi), NOL-1, 1980. 528 Cf. para.507.1(5) C.cr. ; P. BÉLIVEAU et M. VAUCLAIR, préc, note 322, « […] lorsque le dénonciateur d’un crime est un simple citoyen, notamment dans le cas où la police a refusé d’intervenir […] le Code criminel exige la tenue d’une préenquête devant un juge de la Cour du Québec ou un juge de paix désigné par le juge en chef de cette Cour […] », p.777, para.1757. 529 Cf. Directeur des poursuites criminelles et pénales, Poursuite privée, préc, note 694, para.6. Il sera vu infra, que la discrétion du procureur général relative au nolle prosequi, est également susceptible (à certaines conditions) d’un contrôle judiciaire.

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- Une analyse des dispositions normatives sus évoquées montre que la discrétion

judiciaire est doublement hétéronome530 de la discrétion ministérielle.

Dans un premier temps,

le juge de paix ne peut décerner une sommation ou un mandat d’arrêt que si les conditions suivantes sont remplies :

il est convaincu que le procureur général a reçu copie de la dénonciation ;

il est convaincu que le procureur général a été avisé, en temps utile de la tenue de l’audience […] ;

le procureur général a eu la possibilité d’assister à l’audience, de procéder à des contre-interrogatoires, d’appeler des témoins et de présenter tout élément de preuve pertinent531.

En clair, à moins que « […] les allégations du dénonciateur et les dépositions des témoins532 »

ne révèlent une preuve prima facie533, elles ne seront pas suffisantes pour que le juge décerne

une sommation ou un mandat d’arrêt pour contraindre l’accusé à répondre à l’inculpation,

tant que l’implication du procureur général ne sera pas conforme aux conditions ci-dessus

énumérées. Dans un second temps, l’issue favorable de l’enquête préliminaire conduite par

le juge de paix aboutit difficilement à un acte d’accusation en cas d’inaction du procureur de

la couronne.

En effet, la Directive du Directeur des poursuites criminelles et pénales mentionne que « si

le procureur décide de ne pas déposer d’acte d’accusation, il laisse au poursuivant privé le

soin de requérir du tribunal une ordonnance en vertu de l’article 574(3) C.cr534. » Telle est

également la lettre de l’article 574(3) C.cr., qui dispose :

Dans le cas de poursuites menées par un poursuivant autre que le procureur général et dans lesquelles le procureur général n’intervient pas, aucun acte d’accusation ne peut être déposé en vertu de l’un des paragraphes (1) à (1.2) devant un tribunal sans une ordonnance écrite de ce tribunal ou d’un juge de ce tribunal.

530 L’usage à des fins juridiques de cet adjectif est emprunté à Mario NACCARATO, De l’incidence normative du droit privé au regard du droit criminel économique : perspectives de droit transsystémique (Canada, Angleterre, Suisse et France), Cowansville, Yvon Blais, 2008, p.1 et s. 531 als. 507.1(3)b)c)d) C.cr. 532 al.507.1(3)a) C.cr. 533 P. BÉLIVEAU et M. VAUCLAIR, préc, note 322, à la p.778, para.1759. Ces auteurs définissent une preuve “prima facie” comme « une preuve qui, soumise à un jury raisonnablement bien instruit en droit ou au juge du procès, permettrait de rendre un verdict de culpabilité », à la p.882, para.2014. 534 Directeur des poursuites criminelles et pénales, Poursuite privée, préc, note 694, para.7c).

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On peut relever que cette lettre du paragraphe 574(3) est complexe dans son application. En

effet, le juge ou le tribunal refusera toujours son consentement au dépôt d’un acte

d’accusation non expressément approuvé par le poursuivant public535, à moins que le

poursuivant privé ne montre que l’inaction du procureur général relève :

[d’une] allégation d’abus de la part du Procureur général ;

d’un déni de justice ;

le respect du rôle du Procureur général dans le cadre de ses fonctions administratives ;

la force – ou la faiblesse – de la preuve de la poursuite ;

une injustice flagrante536.

Ces observations semblent mettre en relief la difficile conciliation entre le droit fondamental

du citoyen à l’accès à la justice537 (différent du droit fondamental et historique de dénoncer

la commission d’une infraction538) et le pouvoir discrétionnaire du procureur général dans

l’encadrement de ce droit. L’affirmation jurisprudentielle de cette suprématie ministérielle

face à la poursuite privée, induit la doctrine à constater une certaine déférence du juge au

ministère public539. Même s’il convient de relativiser un tel constat540, il ressort de la

jurisprudence constante que les critères retenus pour renverser la décision du procureur

général, d’arrêter la procédure sont difficilement surmontables par les poursuivants privés.

En effet, aux termes de l’article 579 C.cr,

Le procureur général ou le procureur mandaté par lui à cette fin peut, à tout moment après le début des procédures à l’égard d’un prévenu ou d’un défendeur et avant

535 P. BÉLIVEAU et M. VAUCLAIR, préc, note 322, à la p.766, para.1723, « les tribunaux considèrent que l’administration de la justice relève essentiellement du ministère public, et une telle autorisation ne sera accordée que si la cour supérieure estime qu’un refus équivaudrait à un déni de justice grave ». 536 Brochu c. Ainslie, [2002] J.Q. n° 3395 (QL) (C.S.), para. 17. 537 Si la jurisprudence reconnaît que tout citoyen à le droit de faire une dénonciation, ce droit est contrôlé par le Procureur général (R. c. Dowson, [1983] 2 R.C.S., 155). Puisque celui-ci n’est pas un tribunal au sens de la Constitution canadienne, le droit de faire une dénonciation n’est pas le droit d’accès à la justice. Par ailleurs, le droit du citoyen d’aller lui-même déposer une dénonciation devant le juge de paix aurait pu être considéré comme un droit d’accès à la justice, n’eût été le contrôle du procureur général susévoqué. 538 Chartrand c. Québec (P.G.), [1987] J.Q. n°1411, para.10. 539 V. à cet effet, BRYCE C. TINGLE, «The Strange Case of the Crown Prerogative Over Private Prosecutions or Who Killed Public Interest Law Enforcement?» (1994) 28 U.B.C.L. Rev., 309. 540 La discrétion du ministère public n’est pas à l’abri du contrôle judiciaire. Voir à cet effet, R. c. Dubé, [2010] QCCA 1377, para.32 ; Proulx c. Québec (P.G), [2001] CSC 66.

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jugement, ordonner au greffier ou à tout autre fonctionnaire compétent du tribunal de mentionner au dossier que les procédures sont arrêtées sur son ordre et cette mention doit être faite séance tenante ; dès lors, les procédures sont suspendues en conséquence et tout engagement y relatif est annulé.

Les procédures arrêtées conformément au paragraphe (1) peuvent être reprises sans nouvelle dénonciation ou sans nouvel acte d’accusation, selon le cas, par le procureur général ou le procureur mandaté par lui à cette fin […].

Dans Hunter c. R., la Cour supérieure de Québec précise qu’à l’égard du pouvoir

discrétionnaire du procureur général, « les tribunaux doivent user d’une retenue

judiciaire541 ». La décision du procureur général ne peut être contrôlée que s’il a :

enfreint la loi ou abusé de ses pouvoirs, par corruption en faveur de l’accusé, par préjugé défavorable contre la victime ou contre la disposition qui crée l’infraction ou enfin par une décision carrément déraisonnable, [ou s’il a] fait preuve d’inconvenance flagrante542.

Dans une autre affaire, bien que le procureur général ait, de façon automne, pris la décision

d’arrêter la procédure dans l’attente d’une décision de la Cour suprême sur la

constitutionnalité de la criminalisation de l’avortement, il est difficile de passer outre

l’impact de cette décision sur l’égalité des armes entre les parties en litige. D’une part, le

poursuivant privé, auteur de la dénonciation, avait convaincu le juge de l’enquête

préliminaire de la nécessité d’un procès et, d’autre part, l’accusé avait sollicité et obtenu le

nolle prosequi avant sa citation à procès543.

On peut dès à présent se demander si la pratique de la poursuite privée, telle qu’usitée dans

le système judiciaire canadien, favorise la participation des groupes de personnes

n’appartenant pas aux services gouvernementaux dans la lutte contre la corruption.

3.2.2 La relative adéquation des poursuites privées canadiennes au droit anticorruption

La question que pose la présente section est de savoir si la poursuite privée, du système

canadien, est conforme au droit prospectif anticorruption. La réponse à cette question est

mitigée. D’abord, la doctrine canadienne émet de profondes réserves sur l’accès du

poursuivant privé à la justice. Ensuite, les mécanismes de suivi de certaines conventions de

541 Hunter c. R., [2006] QCCS 7307, para. 14. 542 Ibid para. 16. 543 Chartrand c. Québec (P.G.), [1987] J.Q. n°1411.

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lutte contre la corruption souhaitent que le Canada améliore le cadre juridique de la poursuite

privée.

3.2.2.1 La suprématie ministérielle sur le pouvoir judiciaire

À titre de rappel, il a été vu supra que les garanties d’indépendance et d’impartialité du juge

sont inopérantes, faute d’une indépendance comparable des autres organes du système

judiciaire. Ce qui conduit, en d’autres termes, à une atteinte proactive à l’indépendance du

juge, lorsque, ayant des meilleures garanties constitutionnelles, il ne peut se saisir de l’objet

qui permet de valider la pertinence desdites garanties. C’est pour cette raison que l’analyse

de l’indépendance judiciaire, dans cette étude, s’intéresse davantage aux prérogatives qui

permettent au poursuivant public d’« exercer les pouvoirs du procureur général relativement

aux poursuites privées, notamment celui d’intervenir et d’assumer leur conduite ou

d’ordonner la suspension544 ». C’est dans cette intervention ministérielle que l’atteinte

proactive à l’indépendance judiciaire est susceptible de se réaliser, puisqu’il est mis fin au

procès avant que le juge ne soit saisi.

Il faut relever que la doctrine s’est jusqu’à présent peu intéressée à la poursuite privée. Les

auteurs qui s’y sont concentrés relèvent avec embarras la suprématie du procureur général

sur le fonctionnement du pouvoir judiciaire. Les études historiques y relatives montrent que

la poursuite privée se fondait jadis sur la vengeance et la compensation financière qu’elle

octroyait au poursuivant545, victime de l’infraction qu’il dénonçait546. Ainsi, tout changement

sur la nature de la condamnation infligée à l’accusé influait sur le taux des poursuites privées.

Lorsque le juge ne respectait pas l’accord conclu entre l’accusé et le poursuivant privé, les

poursuites privées décroissaient de façon substantielle547. Il fallait donc faire place aux

poursuites publiques, parce que le crime ne trouble pas seulement la tranquillité d’un seul

individu ou d’un seul groupe, mais celle de toute la collectivité. De nos jours, les poursuites

544 Loi concernant la charge de Directeur des poursuites pénales, L.C. 2006, ch.9, art.3 (3) f). Voir dans le même sens, Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales, C. D- 9.1.1, art. 18 para.3 « le directeur surveille les poursuites intentées par des poursuivants privés et, si l’intérêt de la justice l’exige, […] y met fin ». 545 Daniel KLERMAN, « Settlement and Decline of Private Prosecution in Thirteenth-Century England» (2001) 19 Law & Hist. Rev., 1. 546 V. aussi, K. ELSON, préc, note 522, à la p.336 «English prosecutions between the 7th and 10th century were often motivated by the fact that the victim-prosecutor could make a monetary settlement with the accused». 547 D. KLERMAN, préc, note 545.

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privées ont acquis un fondement nouveau : elles sont subsidiaires aux poursuites publiques,

puisqu’elles ne sont mises en œuvre qu’en cas d’inaction du gouvernement548. Dès lors, le

problème que pose la poursuite privée réside dans la nécessaire conciliation entre « le droit

d’un citoyen à déposer une dénonciation, et le droit et le devoir du procureur général de

surveiller les poursuites en matière criminelle549 ». Si l’action citoyenne vise à corriger

l’inaction du gouvernement, il ne faudrait pas que la surveillance exercée par ce dernier

contrevienne au double droit du premier. D’abord à contrôler par son action le gouvernement,

ensuite à accéder à la justice. Cette conciliation pose un problème de fond. C’est celui de

l’impartialité du gouvernement à surveiller une action qui décrie son inertie, voire sa

partialité550. Ce qui amène certains auteurs à interroger la légalité du fondement dudit

contrôle.

Cette recherche a été menée par Bryce C. Tingle, relativement aux prérogatives du procureur

général à intervenir et à arrêter les poursuites privées551. Il fait à cet effet le constat suivant:

To stay a prosecution, the Attorney General intervenes in the private prosecution, taking it over from the private citizen. The Attorney General can then direct that the case be withdrawn, prosecuted or stayed. However, the claim that this power is part of the Prerogative is impossible to make out552.

À travers les principes juridiques applicables à la Common Law553, Bryce C. Tingle montre

que la prérogative du procureur général, qui consiste à intervenir dans la poursuite privée, est

douteuse dans son fondement. Car elle tire sa source d’une doctrine entirely created by 20th

century Canadian courts554.

548 K. ELSON, préc, note 522, à la p.337 ; le Service fédéral des poursuites guide, préc, note 680 « le droit d’un citoyen d’intenter une poursuite pour contravention à la loi a été qualifié de “garantie constitutionnelle contre l’inertie ou la partialité des autorités” ». Le service fédéral des poursuites citait l’affaire Gouriet c. Union of Post Office Workers, à la p.477. Voir dans le même sens la Commission de réforme du droit du Canada, Les poursuites privées, document de travail 52, 1986, à la p.24 : « La pleine participation du citoyen, à titre de poursuivant privé, est nécessaire pour enrayer la menace grave que posent pour la société la carence et les actes inconsidérés du ministère public. […] on ne peut se contenter de répondre à la victime qu’elle peut toujours s’adresser aux tribunaux civils, parce que le préjudice personnel qu’elle a subi n’est pas vraiment mesurable en espèce ». 549 Le Service fédéral des poursuites guide, préc, note 680. 550 Ibid. 551 B. C. TINGLE, préc, note 539, paras.16 à 41. 552 Ibid para.16. 553 Il s’agit des principes du précédent et celui de la délégation des prérogatives du Souverain. 554 B. C. TINGLE, préc, note 539, para.23.

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En effet, à la suite de l’adjonction de la poursuite publique à la poursuite privée, ces deux

procédures jouissaient d’une relative égalité, confirmée by a series of three acts respecting

criminal procedure passed by Canadian Parliament in 1869555. En ce moment, the only

external control over private prosecutions was exercised by the judiciary in relation to

certain indictable offences556. Cependant, la première décision autorisant l’intervention du

procureur général dans la poursuite privée fut l’affaire Rex v. Gilmore de 1903557. Or, cette

affaire qui apportait une nouvelle direction à la Common Law canadienne n’était fondée sur

aucun précédent. La seule référence susceptible d’y être rattachée se retrouvait dans un

obiter558 de l’affaire anglaise Dixon de 1886559. Dès lors, le précédent ambigu contenu dans

Gilmore a été repris par d’autres cours pour justifier la prérogative du procureur général à

intervenir sans l’autorisation du poursuivant privé. C’est cette construction jurisprudentielle

douteuse, selon Bryce C. Tingle, qui l’amène à relativiser la légalité du fondement de la

prérogative du procureur général à intervenir dans les poursuites privées. Il estime ainsi que:

The cases are obviously of too recent vintage to constitute the formation of Crown Prerogative, something which had to be done prior to the declaration of parliamentary sovereignty in 1688. Further, the courts at the time made the dubious claim that the power to intervene was at least partially derived from statutory instruments. If this were true, and it is problematic, it could not be a prerogative power. Prerogative powers must result from an arrogation by the Sovereign560.

En clair, cet auteur remet en cause la source jurisprudentielle à l’origine de la prérogative

ministérielle d’une part et, d’autre part sa potentielle source législative. Car une telle

prérogative devrait se fonder sur une dévolution royale. C’est dans une analyse similaire que

555 Ibid., para.18. Les lois auxquelles l’auteur se réfère sont: « An Act respecting the duties of Justices of Peace, out of sessions, in relation to summary convictions and orders, S.C. 1869, c.31; An Act respecting the duties of Justices of the Peace, out of sessions, in relation to persons charged with Indictable Offences, S.C. 1869, c.30; and An Act respecting Procedure in Criminal Cases and other matters relating to Criminal Law, S.C. 1869, c.29». 556 Ibid. 557 Ibid para.21. Rex v. Gilmore [1903], 6 O.L.R. 286. 558 Henri ROLAND, Lexique juridique. Expressions latines, 5e édition, Paris, Lexis Nexis Litec, 2010, p.248 « Obiter dictum. Désigne, dans un jugement, l’opinion que le juge donne au passage, à titre indicatif et à toutes fins utiles, sur une question qui n’est pas en rapport direct et nécessaire avec le litige en cause et qui, par suite, ne fait pas partie des motifs ». 559 B. C. TINGLE, préc, note 539, para. 21. 560 Ibid para.24.

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l’auteur remet également en cause la prérogative du procureur général relative à l’arrêt des

procédures engagées par une poursuite privée561.

Quant aux travaux de Peter Burns réalisés en 1975, s’ils ne remettent pas en cause le

fondement de la prérogative du procureur général, ils visent à équilibrer la procédure de la

poursuite privée, en y introduisant une discrétion judiciaire. Tel est notamment le cas de

l’article 496 C.cr. Au paragraphe 1, il fait la proposition suivante :

496 (1) Where an accused elects under section 464, 484 or 492 to be tried by a judge without a jury, an indictment in Form 4 shall be preferred by the Attorney General or his agent, or by any person who has the written consent of the Attorney General, or by any person who has the written consent of a judge of a court of superior criminal jurisdiction562, and in British Columbia may be preferred by the Clerk of the Peace.

À ce même article, l’auteur propose l’introduction du nouveau paragraphe 2 qui suit :

(2) Where [a judge or magistrate] finds that an accused should be committed for trial after preliminary hearing, a judge of a court of superior jurisdiction shall grant on application permission in writing to the prosecutor to prefer an indictment in accordance with subsection (1) of this section563.

Selon lui, ces amendements permettraient que a private prosecutor [have] the right to pursue

his case in the absence of intervention by the Attorney-General564.

On se rend compte, au regard de ce qui précède, que sans convoquer explicitement une

suprématie du procureur général sur le fonctionnement du pouvoir judiciaire, les auteurs

relativisent tantôt les fondements de ses prérogatives, tantôt suggèrent des prérogatives

judiciaires concurrentes, afin que l’exercice de la poursuite privée ne soit pas sous le contrôle

exclusif du procureur général. Cette approche est similaire à celle contenue dans les travaux

de la Commission de réforme du droit du Canada.

En effet, tenant compte de la nécessaire adéquation du droit à l’évolution socio-économique

dans une société démocratique, l’Association du Barreau canadien et certains professeurs des

561 Ibid para.41. 562 P. BURNS, préc, note 497, le soulignement est l’ajout que Peter Burns propose au Code criminel. 563 Ibid. 564 Ibid à la p.294.

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facultés de droit ont, dès la deuxième moitié du vingtième siècle, fortement incité le

gouvernement à créer un organisme indépendant de réforme du droit565. C’est ainsi que la

Loi prévoyant la création d’une Commission de réforme du droit du Canada fut sanctionnée

le 26 juin 1970566. Cette institution devait, de l’avis de ces promoteurs, combler :

[L]’incapacité de l’appareil judiciaire et des assemblées législatives [à] garder les lois pertinentes et à jour dans une société moderne : ils avaient besoin de l’appui d’un organisme permanent, indépendant et très qualifié chargé d’examiner le droit et de recommander des mesures de réforme567.

Les objectifs de la Commission étaient fixés à l’art.11 de la Loi sur la Commission de réforme

du droit. Il y était mentionné que :

La Commission a pour objets d’étudier et de revoir, d’une façon continuelle et systématique, les lois et autres règles de droit qui constituent le droit du Canada, en vue de faire des propositions pour améliorer, moderniser et réformer, et notamment, sans toutefois limiter la portée générale de ce qui précède, en vue de

supprimer les anachronismes et anomalies du droit ;

[…]

supprimer les règles de droit tombées en désuétude ; et

développer de nouvelles méthodes et de nouveaux concepts de droit correspondant à l’évolution des besoins de la société canadienne moderne et des individus qui la composent.

Ce sont ces objectifs qui justifient le document de travail 52 relatif aux poursuites privées.

La Commission y fait les recommandations suivantes :

Le droit d’intenter des poursuites privées devrait être maintenu et étendu aux éléments du processus judiciaire de première instance et d’appel à l’égard desquels il est présentement restreint ou inexistant.

Dans toute la mesure du possible, le poursuivant privé devrait jouir des mêmes droits que le ministère public pour mener sa cause. Cette proposition ne vise pas que le processus de première instance, mais aussi l’appel.

Le droit de faire une dénonciation et d’engager des poursuites relativement à celle-ci ne devrait pas être exceptionnel et devrait continuer d’être régi par les règles de droit ordinaires qui s’appliquent dans tous les cas.

565 Gavin MURPHY, Les organismes de réforme du droit, ministère de la Justice du Canada, Groupe de coopération internationale, 2004, en ligne, [www.justice.gc.ca/fra/apd-abt/gci-icg/rd-Ir.pdf] [consulté, le 23/05/2014]. 566 Loi sur la Commission de réforme du droit, Statuts du Canada, 1969/70, Ch.64. 567 G. MURPHY, préc, note 565.

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Le droit de mener des accusations jusqu’au procès ne devrait pas être exceptionnel ni être différent suivant qu’il est exercé par un poursuivant privé ou par le ministère public. En conséquence, les anomalies et les restrictions qui caractérisent la procédure relative aux actes criminels, comme l’obtention du consentement du tribunal ou du procureur général, devraient être supprimées.

Le droit du poursuivant privé d’interjeter appel, aussi bien en cas de condamnation qu’en cas d’acquittement, ne devrait pas être exceptionnel et devrait être régi par les mêmes règles qui s’appliquent actuellement aux appels en général. Cette recommandation vise aussi les pourvois devant la Cour suprême du Canada.

Toutes les recommandations qui précèdent sont soumises au droit du procureur général d’intervenir dans des poursuites afin de les prendre en main, d’y mettre fin ou de retirer les accusations.

Le droit de présenter directement un acte d’accusation en cas de libération de l’accusé à la suite de l’enquête préliminaire ou lorsqu’aucune enquête préliminaire n’a eu lieu, devrait rester la prérogative du procureur général et ne devrait pas être accordé au poursuivant privé568.

On peut noter que si des difficultés budgétaires ont eu raison de la Commission de réforme

du droit et, plus tard, de la Commission du droit du Canada569, son principe fondateur est

toujours d’actualité, à savoir, l’adaptation du droit aux changements sociaux570. Considérant

le changement social actuel marqué par la prise de conscience de l’implication des dirigeants

étatiques dans la criminalité de droit commun, en l’occurrence la corruption, quel devrait être

le droit pénal applicable dans la société contemporaine ? L’analyse des évaluations faites par

les mécanismes de suivi des conventions de lutte contre la corruption apporte des suggestions

pertinentes à cette question.

3.2.2.2 La remise en cause de la poursuite privée canadienne par les mécanismes de suivi des conventions anticorruptions

Le constat d’un auteur suivant lequel la Convention de l’OCDE « est souple, au sens où les

parties peuvent en adapter les dispositions en fonction de leur propre système juridique, dès

lors qu’elles aboutissent au même résultat final571 » se vérifie dans cette section et s’applique

aux autres conventions anticorruptions. Il s’agit, en d’autres termes, d’une souplesse

568 Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 52, préc, note 548, à la p.37. 569 La commission de réforme du droit du Canada a été abolie en 1992, suite à des restrictions budgétaires. Une loi de 1996 : Loi sur la Commission du droit du Droit du Canada, L.C. 1996, ch.9, créait la Commission du droit du Canada. Celle-ci fut abolie à son tour en 2006, pour des mêmes raisons budgétaires que sa devancière. 570 Voir aussi, K. ELSON, préc, note 522, à la p.339. 571 E. QUINONES, préc, note 276, p.566.

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conditionnelle à l’atteinte des résultats communs entre les parties aux différentes

conventions. Cette subtile fermeté transparaît lors de l’examen de l’application des

conventions par leur mécanisme de suivi respectif. Ainsi, selon les paragraphes 13.1 et 2 de

la Convention des Nations Unies,

1. Chaque État partie prend des mesures appropriées, dans la limite de ses moyens et conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, pour favoriser la participation active de personnes et de groupes n’appartenant pas au secteur public, tels que la société civile, les organisations non gouvernementales et les communautés de personnes, à la prévention de la corruption et à lutte contre ce phénomène572 […].

2. Chaque État partie prend des mesures appropriées pour veiller à ce que les organes de prévention de la corruption compétents mentionnés dans la présente Convention soient connus du public et fait en sorte qu’ils soient accessibles573 […].

Bien que l’art.13 fasse partie du Chapitre II relatif aux mesures préventives, il ne limite pas

la participation des personnes et groupes n’appartenant pas au secteur public à la seule

prévention de la corruption. D’ailleurs, en droit pénal, la sanction remplit également une

fonction préventive574, de sorte que la répression précède – aussi – la prévention. D’où

l’expression « la lutte contre ce phénomène », du paragraphe 13.1. On peut, dès cet instant,

admettre relativement au paragraphe 13.2 que « les organes de prévention » qui doivent être

connus et accessibles au public intègrent les organes de répression. C’est dans ce sens que le

Guide technique de la Convention retient entre autres que,

[…] il importe tout particulièrement de mettre à la disposition des citoyens des moyens d’exprimer leurs préoccupations ou de formuler des allégations sans crainte d’intimidation ou de représailles575.

Par ailleurs,

Les organes visés aux arts. 6 et 36 devront mener des campagnes de publicité et désigner les personnes ou services avec lesquels pourront se mettre en rapport les citoyens qui auraient des allégations à formuler. […] Tous les organismes publics devront également publier des informations sur leurs services et leurs attributions, ainsi que sur la procédure à suivre pour déposer des plaintes576.

572 La mise en évidence est celle de l’auteur. 573 Ibid. 574 Xavier BEBIN, Pourquoi punir ? L’approche utilitariste de la sanction pénale, Paris, L’Harmattan, 2006, p.38 et s. 575 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.71. 576 Ibid.

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Cette clarification de l’article 13 de la Convention des Nations Unies par l’Office des Nations

Unies contre la drogue et le crime est favorable à une reconnaissance effective du droit des

citoyens des États Parties à la poursuite privée. Bien plus, tout État qui accorde cette garantie

à ses nationaux respecte ses engagements internationaux en lien avec cette Convention. Cette

analyse est conforme à l’article 35 de la Convention. Celui-ci fait partie du Chapitre III,

intitulé Incrimination, détection et répression. C’est dans ce cadre répressif que la

Convention exhorte chaque État à prendre :

[L]es mesures nécessaires, conformément aux principes de son droit interne, pour donner aux entités ou personnes qui ont subi un préjudice du fait d’un acte de corruption le droit d’engager une action en justice à l’encontre des responsables dudit préjudice en vue d’obtenir réparation577.

Avant la poursuite de cette analyse, il importe de préciser que, malgré la ratification d’une

convention internationale par le Canada, celle-ci ne devient impérative au pays « que s’il lui

est donné effet par l’intermédiaire du processus d’élaboration des lois du Canada578 ».

Toutefois, cette affirmation du système dualiste canadien n’emporte pas d’effets dans la

présente thèse pour deux raisons. D’abord parce que l’approche suggérée dans cette étude ne

relève pas du positivisme juridique, si bien que toute suggestion susceptible de contribuer à

une meilleure prise en compte des actes de corruption, par le système judiciaire, se veut

complémentaire au droit en vigueur. Ensuite, en soumettant la pratique de son droit

anticorruption à l’évaluation des pairs, le Canada, s’il ne reconnaît pas implicitement que la

convention anticorruption est directement applicable en droit interne – ce qui correspond au

relativisme du dualisme juridique – donne l’impression qu’il alignera systématiquement son

cadre normatif sur les dispositions des conventions anticorruptions.

C’est dans ce contexte d’examen par des pairs de la conformité du cadre normatif canadien

à la convention des Nations Unies579 qu’il ressort que l’article 13 de cette convention

577 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.35. 578 Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, [2014] 3RCS 176, aux paras. 149-150. 579 Nations Unies, Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption, Examen de l’application de la Convention des Nations Unies contre la corruption, CAC/COSP/IRG/I/3/1/Add.8, 2014.

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s’applique concomitamment580 avec les articles 32581 et 33582 de la même convention. Ils

sont reçus, en droit interne, à travers la Loi sur le programme de protection des témoins, L.C.

1996, ch. 15. Il ressort à cet effet du document de travail de la Conférence des États Parties

à la Convention que :

La loi fédérale sur le programme de protection des témoins du Canada, administrée par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC), appuie les personnes qui fournissent des renseignements ou des éléments de preuve dans le cadre d’une enquête ou d’une poursuite relative à une infraction ou y participent583.

Il en est de même de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes

répréhensibles, L.C. 2005, ch.46, qui « apporte aux employés publics un mécanisme leur

permettant de divulguer des actes répréhensibles584 ».

Cependant, même s’il est possible de faire correspondre l’article 13 dans les articles suscités,

notamment dans l’article 33585, il faut relever que cet article (art. 33 de la Convention des

Nations Unies) traite, entre autres, de la dénonciation, et non du déclenchement de l’action

publique par une personne privée (objet de l’art.13 de la Convention des Nations Unies)

lorsque le poursuivant public refuse de poursuivre pour cause d’inertie ou de partialité586. On

peut donc dire, qu’en fusionnant l’article 13 aux articles 32 et 33 de la Convention des

Nations Unies, le cadre normatif canadien s’éloigne de la finalité recherchée par l’article 13.

Cette finalité concerne l’encadrement de la poursuite privée. Ce qui remet en cause, la

conformité du système canadien à l’exigence de l’article 13.

580 Le groupe de travail a limité son étude aux chapitres III (Incrimination, détection et répression) et IV (Coopération internationale) de la Convention. Le Canada n’a pas été évalué sur son application du chapitre II (Mesures préventives), notamment sur l’application de l’article 13. 581 Art.32, Protection des témoins, des experts et des victimes. 582 Art.33, protection des personnes qui communiquent des informations. 583 Nations Unies, Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption, préc, note 579, à la p.7. 584 Ibid. 585 Art.33, « Chaque État partie envisage d’incorporer dans son système juridique interne des mesures appropriées pour assurer la protection contre tout traitement injustifié de toute personne qui signale aux autorités compétentes, de bonne foi et sur la base de soupçon raisonnable, tous faits concernant les infractions établies conformément à la présente Convention ». 586 Cf. note 547.

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En ce qui concerne la Convention de l’OCDE, elle ne traite pas de l’initiation des poursuites

par une personne privée, mais plutôt de la discrétion du poursuivant public relativement à

l’opportunité des poursuites. Il ressort ainsi de son article 5 que :

Les enquêtes et poursuites en cas de corruption d’un agent public étranger sont soumises aux règles et principes applicables de chaque partie. Elles ne seront pas influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause.

De façon précise, les commentaires faits par l’OCDE pour faciliter la compréhension de cette

disposition, aux fins de sa réception et de son application, mentionnent qu’ « afin de protéger

l’indépendance des poursuites, l’opportunité de celles-ci doit s’apprécier sur la base de motifs

professionnels, sans être indûment influencée par des préoccupations de nature politique.

[…]587 ». Les trois phases d’évaluation588 de l’application de la Convention de l’OCDE

montrent qu’elles émettent des réserves quant à la réception de cette disposition par le

Canada.

Il ressort du rapport d’évaluation de la phase 1 que :

Le procureur général a le pouvoir d’engager, de suspendre ou de clore des poursuites. […] pour décider d’engager ou de continuer des poursuites, il faut au préalable vérifier si les éléments de preuve justifient le lancement ou la continuation des poursuites, et si c’est le cas, si l’intérêt public l’exige. […] L’un des facteurs liés à l’intérêt public réside dans la question de savoir si les poursuites entraînent la divulgation de renseignements qui nuiraient aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationale, ou encore, à l’intérêt public589.

Le Groupe de travail de l’OCDE observera dans les deux phases d’évaluation que ce facteur

de détermination de l’intérêt public ne met pas le procureur général à l’abri des conflits

587 Convention de l’OCDE et documents annexes, para.27. 588 La Convention de l’OCDE prévoit une évaluation mutuelle par les membres du Groupe de travail de l’OCDE. La phase 1 qui s’est déroulée (pour le Canada) en 1999 évalue si la législation du pays concerné convient pour mettre en œuvre la Convention. La phase 2 (2004-2006) est destinée à évaluer si un pays applique efficacement cette législation. Quant à la phase 3 (2011-2013), elle s’attache à la mise en application de la Convention, de la Recommandation de 2009 et des Recommandations en vigueur depuis la phase 2. En ligne, [www.oecd.org/fr/daf/anti-corruption] [consulté, le 30/01/2014]. 589 OCDE, Canada. Examen de l’application de la Convention et de la Recommandation de 1997, en ligne, [www.oecd.org/fr/daf/anti-corruption/conventioncontrelacorruption/238509.pdf] [consulté, le 30/01/2014].

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d’intérêts590, incompatibles avec l’indépendance indispensable au principe de l’opportunité

des poursuites. Tel pourrait être :

[L]e cas de poursuites engagées à l’encontre d’une personnalité politique de haut rang présumée coupable de corruption d’agent public étranger, ce qui pourrait être embarrassant pour le Canada, ou encore, le cas du versement d’un pot-de-vin concernant un marché conclu avec un gouvernement étranger, ce qui risquerait de nuire aux relations internationales en cas de poursuites591.

Ce constat a amené le Groupe de travail de l’OCDE à suggérer au Canada de :

Préciser, en ce qui concerne l’opportunité des poursuites et les directives du Guide du [Service fédéral des poursuites] S.F.P., qu’on ne saurait tenir compte de considérations légitimes d’intérêt économique national, d’effets possibles sur la relation avec un autre État ou de l’identité des personnes physiques ou morales en cause dans les enquêtes et poursuites d’actes de corruption d’agents publics étrangers, et de communiquer des directives à l’intention des procureurs sur la procédure à suivre lorsqu’ils refusent de poursuivre une infraction qui peut faire intervenir un facteur d’intérêt public figurant dans la liste du Guide du S.F.P592.

Réagissant à cette Recommandation, le Canada a apporté des modifications au chapitre 33

du Guide du S.F.P. qui traite de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (LCAPE),

L.C. 1998, ch.34593. Il est demandé aux procureurs de :

“[T]enir compte des principes exposés sous la décision d’intenter des poursuites”, relativement à la consignation au dossier des motifs de la décision de ne pas intenter de poursuites. Ces motifs peuvent être fort pertinents si l’on allègue que des préoccupations déplacées de nature politique ont eu une incidence sur la décision prise en matière de poursuite”. Selon ces principes, “s’il est décidé de ne pas intenter une poursuite, il est recommandé de consigner au dossier les motifs de cette décision”. Est également fournie une liste des critères qui ne doivent pas entrer en ligne de compte dans la décision d’intenter des poursuites. Ces critères comprennent entre autres un éventuel avantage ou désavantage politique pour le gouvernement ou tout groupe ou parti politique et l’effet possible de la décision sur la situation personnelle ou professionnelle des personnes chargées de prendre la décision594.

590 OCDE, Canada : phase 2. Rapport sur l’application de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales et de la Recommandation de 1997 sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales, 2004, para.79, en ligne, [www.oecd.org/fr/daf/anti-corruption/conventioncontrelacorruption/31643074.pdf] [consulté, le 30/01/2014]. 591 Ibid. 592 Ibid Recommandation 5d). 593 Loi sanctionnée le 10 décembre 1998 pour appliquer la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions internationales. 594 OCDE, Canada : phase 2. Rapport de suivi sur la mise en œuvre des Recommandations au titre de la phase 2 sur l’application de la Convention et de la Recommandation de 1997 sur la lutte contre la corruption d’agents

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On peut ainsi admettre, à la suite de la réaction canadienne, que les motifs – consignés au

dossier d’une affaire – pour lesquels le directeur des poursuites pénales ou le procureur

général décidera de ne pas intenter de poursuites, seront accessibles à toute personne

intéressée, conformément à l’article 10 de la Convention des Nations Unies sur l’information

du public595.

Toutefois, ces nouvelles garanties n’ont pas satisfait les évaluateurs du Groupe de travail de

la mise en application de la Convention de l’OCDE en 2011. Même s’ils ont relevé avec

satisfaction que la distinction du procureur général (ministre de la Justice) du Directeur des

poursuites pénales596 (responsable devant le parlement par l’intermédiaire du procureur

général) renforce l’indépendance de ce dernier relativement à l’exercice de l’opportunité des

poursuites597, ils sont restés préoccupés par deux considérations :

[D]’abord, l’article 5 de la Convention interdit la prise en compte, lors de l’appréciation de l’opportunité de poursuivre, d’au moins l’un des facteurs d’intérêt public figurant dans le Guide du SFP : “la possibilité que les poursuites entraîne la divulgation de renseignements qui nuiraient aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationale, ou encore, à l’intérêt public”598.

publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, 2006, en ligne, [www.oecd.org/fr/daf/anti-corruption/conventioncontrelacorruption/36985644.pdf] [consulté, le 30/01/2014]. 595 Convention des Nations Unies, art.10, « Compte tenu de la nécessité de lutter contre la corruption, chaque État partie prend, conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, les mesures nécessaires pour accroître la transparence de son administration publique, y compris en ce qui concerne son organisation, son fonctionnement et ses processus décisionnels s’il y a lieu. Ces mesures peuvent inclure notamment :

a) L’adoption de procédures ou de règlements permettant aux usagers d’obtenir, s’il y a lieu, des informations sur l’organisation, le fonctionnement et les processus décisionnels de l’administration publique, ainsi que, compte dûment tenu de la protection de la vie privée et des données personnelles, sur les décisions et actes juridiques qui les concernent ;

b) La simplification, s’il y a lieu, des procédures administratives afin de faciliter l’accès des usagers aux autorités de décision compétentes ; et

c) La publication d’informations, y compris éventuellement de rapports périodiques sur les risques de corruption au sein de l’administration publique.

596 Loi sur le directeur des poursuites pénales, préc, note 690, art.121. 597 Il faut noter que cette proposition avait déjà été faite par la Commission de réforme du droit en 1990. V. Commission de réforme du droit du Canada, Poursuites pénales : les pouvoirs du procureur général et des procureurs de la couronne, Document de travail 62, 1990, p.121, « Il y aurait lieu d’instituer la charge de directeur des poursuites pénales, d’une part pour que l’engagement des poursuites pénales échappe à toute considération politique partisane, et d’autre part afin d’atténuer les risques de conflit d’intérêts au sein du ministère dirigé par le procureur général. Le titulaire dirigerait le ministère public et relèverait directement du procureur général. […] ». 598 OCDE, Rapport de phase 3 sur la mise en œuvre par le Canada de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption, mars 2011, para. 108, en ligne, [www.oecd.org/fr/daf/anti-corruption/Conventioncontrelacorruption/CanadaPhase3FR.pdf] [consulté, le 30/01/2014].

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Ensuite, la lettre adressée au Secrétaire général de l’OCDE par le Canada n’avait pas été prise

en considération du fait de l’imprécision de sa nature juridique. Elle avait été admise comme

simplement interprétative de l’article 5 et non comme une réserve à cet article 5. Par

conséquent, cette lettre est insusceptible d’altérer les obligations du Canada relativement à

cette disposition599.

Compte tenu de ces réserves, le Groupe de travail a conclu que « le Canada n’a toujours pas

complètement mis en œuvre la recommandation de la phase 2600 ». Il a ainsi formulé la

nouvelle recommandation qui demande au Canada:

De préciser que dans les enquêtes et poursuites relatives à la LCAPE, les considérations fondées sur l’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause ne sont jamais légitimes601.

Faisant suite à ces observations, le Canada a précisé d’une part que le Guide des SFP n’est

consulté que « where an offences is “not so serious as to plainly require criminal

proceedings”602 ». Or, «offences under the CFPOA would not be considered as offences “not

so serious as to plainly require criminal proceeding”; thus, not resort to the public interest

guidelines would be required603».

D’autre part, le Pays a promis de réécrire le Guide des SFP en « including specific reference

to article 5 of the Convention604».

Le questionnement sur l’accès à la justice par la poursuite privée, dans un système juridique

de Common Law, a permis d’examiner le cadre normatif applicable à la poursuite privée au

regard de la doctrine canadienne et des mécanismes de suivi des conventions de lutte contre

la corruption (Conventions des Nations Unies et de l’OCDE). Tandis que le recours à la

599 Ibid note de bas de page 34. Cette lettre précisait : « Tel que déclaré lors des négociations, le Canada accepte le libellé de l’art.5 de la Convention dès lors qu’il est clairement entendu que l’obligation énoncée dans cet article est de faire en sorte que les enquêtes et les poursuites en cas de corruption d’agents publics étrangers ne soient pas influencées par des considérations indues d’intérêt économique national, les effets ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause ». 600 Ibid para.112. 601 Ibid Recommandation 4 a). 602 OECD, Canada: follow up to the phase 3 report & recommendations, May 2013, en ligne, [www.oecd.org/daf/anti-bribery/CanadaP3writtenfollowupreportEN.pdf] [Consulté, le 30/01/2014]. 603 Ibid. 604 Ibid.

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doctrine nationale a permis d’examiner de façon générale l’accès des citoyens à la justice, les

mécanismes de suivi des conventions internationales ont permis de voir si le pays a aligné

son droit pénal au droit prospectif anticorruption. Deux observations sont susceptibles d’être

faites relativement à ces deux problématiques. D’abord, la doctrine relève que les

prérogatives exorbitantes du poursuivant public limitent le droit du citoyen à la justice. C’est

dans une logique semblable que les conventions internationales incitent les États Parties à

favoriser la participation des acteurs non étatiques à la lutte contre la corruption, tout en

relativisant la discrétion du poursuivant public dans l’exercice de l’opportunité des

poursuites. Ces deux considérations fondent l’interrogation de cette étude sur une

indépendance judiciaire à l’épreuve de la corruption.

3.2.3 Conclusion partielle : la résistance de l’approche positiviste de l’indépendance judiciaire à la dynamique d’un droit spécial applicable à la corruption

Il faut relever que le questionnement sur l’indépendance judiciaire, dans cette étude, n’a pas

un fondement positiviste, mais conventionnel. C’est le cas parce que l’analyse faite dans le

cadre théorique a montré qu’il y a une inadéquation entre les valeurs véhiculées dans les

sociétés contemporaines et les théories mises en œuvre pour les expliquer. Tel est notamment

le cas du principe de l’indépendance judiciaire. Dès lors, la question posée a une portée

dynamique et interroge l’actualité de l’indépendance judiciaire. Un auteur n’affirme-t-il pas

que le principe de « l’indépendance judiciaire a un sens différent selon le moment historique

dans lequel [il] s’inscrit605 » ? En effet, le principe de l’indépendance judiciaire, tel qu’il est

actuellement appliqué au Canada tire sa source de l’Acte of Settlement de 1701. Cette loi,

consécutive à une querelle de pouvoir entre le Roi et le Parlement d’Angleterre606 avait

comme principale vocation l’autonomie de la magistrature. On peut donc comprendre que

les travaux doctrinaux et la jurisprudence, se faisant l’écho des articles 96 à 100 de la loi

constitutionnelle de 1867607, s’articulent principalement sur l’inamovibilité, la sécurité

financière des juges et l’indépendance institutionnelle des tribunaux. Ces composantes se

605 Karim BENYEKHLEF, Les garanties constitutionnelles relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire au Canada, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1988, p.5. 606 Ibid p.6. 607 Il ressort de la jurisprudence que la loi constitutionnelle de 1867 contient des sources supplémentaires de l’indépendance judiciaire. Il s’agit, entre autres, du partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces ; du préambule de la loi constitutionnelle de 1867. Ibid p.151.

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réalisent aussi, suivant l’analyse de Karim Benyekhlef, en indépendance individuelle et

institutionnelle608. Dans une logique dynamique, il est permis de dire, sous un angle

positiviste, que la première finalité de l’indépendance judiciaire au Canada visait la

protection du juge609 et ne s’appliquait sur la personne de l’inculpé que de façon incidente610.

De cela découle la difficulté pour celui-ci de convoquer efficacement, à son profit, certaines

garanties relatives à un procès équitable telle l’indépendance du tribunal611. Ensuite, toujours

sous un angle positiviste, la deuxième finalité de l’indépendance judiciaire est venue combler

la lacune sus identifiée. Elle trouve son fondement dans l’article 11d) de la Charte

canadienne des droits et libertés612. Ainsi, même si chacune des lois constitutionnelles de

1867 et de 1982 consacre le principe de l’indépendance judiciaire, la loi de 1982 vise la

protection de l’accusé, alors que celle de 1867 est exclusive à la protection du juge613.

Cette étude ne remet pas en cause les fondements et finalités de l’indépendance judiciaire

susmentionnés. Elle se demande si, au-delà de ce positivisme strict, le principe de

l’indépendance judiciaire ne souffre d’aucune limite apparente ou réelle. Autrement dit,

cantonner l’indépendance judiciaire aux seules entités du juge et de l’inculpé, tout en

excluant cet attribut à d’autres intervenants du système judiciaire, quelle que soit

l’importance objective des gestes qu’ils posent614, rend-il compte de l’application effective

de ce principe ?

En effet, si cette question laisse voir explicitement que le principe de l’indépendance

judiciaire ne s’applique pas au poursuivant public et au poursuivant privé, le système de

608 Ibid. 609 Ibid p.150. 610 Ibid. 611Voir dans un sens comparable, Ibid à la p.151. 612 Charte canadienne des droits et libertés, art. 11d), « tout accusé a le droit d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable ». 613 Ces dispositions s’influencent réciproquement, V., K. BENYEKHLEF, préc, note 605, à la p.150, « les articles 96 à 100, en consacrant l’indépendance judiciaire des cours supérieures, accordent indirectement au justiciable le bénéfice de subir son procès devant un tribunal indépendant, alors que l’article 11d), en constitutionnalisant le droit à un procès devant un tribunal indépendant pour une personne inculpée d’une infraction criminelle ou pénale, permet au tribunal concerné de jouir d’un degré plus large d’autonomie ou, à tout le moins, d’un énoncé constitutionnel d’indépendance judiciaire ». 614Ibid à la p.140.

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justice canadien est plutôt convaincu du contraire en ce qui concerne le poursuivant public.

La jurisprudence affirme avec récurrence que :

[L]e droit reconnaît le caractère constitutionnel du principe voulant que les poursuivants n’agissent pas à des fins illégitimes, comme des motifs purement partisans. Ce principe est un précepte fondamental de notre système juridique. Il sauvegarde les droits de la personne et l’intégrité du système de justice. En outre, il satisfait aux critères de reconnaissance d’un principe de justice fondamentale. Un poursuivant – qu’il s’agisse d’un procureur général, d’un procureur du ministère public ou d’un autre fonctionnaire exerçant une fonction de poursuivant – a l’obligation constitutionnelle d’agir indépendamment de toute considération partisane et d’autres motifs illégitimes.

À l’instar du procureur général ou d’autres fonctionnaires exerçant une fonction de poursuivant, le ministre a droit au bénéfice d’une forte présomption qu’il exerce son pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites indépendamment de toute considération partisane. […] les considérations partisanes ou autres considérations illégitimes ne doivent pas influencer les décisions d’un procureur du ministère public615.

Si l’indépendance du procureur du ministère public est admise comme un principe de droit

fondamental en droit positif canadien, la question que pose cette thèse est de savoir si cette

présomption d’indépendance est irréfragable dans le contexte d’un droit anticorruption

prospectif. La réponse à cette question invite à dépasser le droit appliqué afin de faire deux

recensions. D’abord, celle des intervenants du système judiciaire, ensuite celle des rôles.

Cette méthode présente l’avantage de procéder à une classification objective des

intervenants, d’une part, et des rôles, d’autre part. Ceci permettra d’accorder les mêmes

attributs aux intervenants similaires et des protections identiques aux mêmes rôles.

Il ressort, à cet effet, de l’analyse de Niklas Luhmann relativement aux procédures de prise

de décision juridiquement instituées, que « [toutes] les procédures judiciaires se construisent

à partir d’une différenciation des rôles qui garantit que ce ne seront pas les personnes

concernées elles-mêmes qui décideront616 ». Il y a ainsi dans ces procédures deux rôles

principaux : les décideurs et les destinataires de la décision617. Dans l’accomplissement de

leurs rôles respectifs, les destinataires de la décision s’accordent réciproquement « carte

615 R. c. Cawthorne [2016] 1 R. C. S. 983, aux paras. 22, 24, 26, 27. Voir dans le même sens, R. c. Anderson, préc, note 32. 616 N. Luhman, préc, note 96, à la p.98. 617 Ibid à la p.103.

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blanche pour s’opposer [entre eux] sans que cela ne vienne influencer l’issue du conflit618 ».

Quant au décideur, il « doit être [exclu] de la présentation puisque la décision doit apparaître

comme une conclusion tirée des normes et des faits619 ».

En l’espèce, le raisonnement de Niklas Luhmann permet d’identifier les rôles des parties

prenantes dans la procédure judiciaire. Il s’agit, notamment, du juge, de l’inculpé, du

poursuivant public et du poursuivant privé. Les deux premiers jouissent déjà d’une protection

constitutionnelle. Le troisième jouit d’une présomption d’indépendance, alors que le droit

reste muet sur les garanties inhérentes au quatrième.

Il ressort de la théorie de Luhmann que le procureur général ou les personnes agissant en son

nom ont, dans le système canadien, un double rôle alternatif de décideur et de destinataire de

la décision. Le poursuivant public agit en qualité de décideur au regard de la mise en œuvre

des articles 504, 507.1 et 579 C.cr. Sa décision dans le processus relatif à l’initiation de

l’action pénale par le poursuivant privé est, au plan substantiel, judiciaire, car elle se fonde

sur des « normes et les faits620 ». Cette spécialisation des fonctions judiciaires est aussi

singularisée par Martine Valois selon qui,

La fonction du système juridique est de stabiliser les attentes normatives collectives et individuelles dans le temps. Le système juridique utilise pour ce faire des programmes conditionnels, composés de normes primaires et secondaires, et des concepts élaborés dans la dogmatique juridique notamment, qui sont appliqués dans les décisions juridiquement régulées, en fonction du code légal/illégal621.

Il est utile de relever que la similitude entre les fonctions du juge, entendues comme les actes

matériels posés pour exercer son office, et celles du procureur du ministère public ne soulève

pas de réserves. La question scientifique soulevée dans cette étude est celle de la divergence

des garanties statutaires permettant que ces fonctions similaires s’exercent dans les mêmes

conditions d’indépendance afin qu’elles génèrent une identique norme d’impartialité. C’est

dans cette logique que le système de justice canadien oppose aux garanties constitutionnelles

d’indépendance du juge, la présomption d’indépendance dont bénéficie le procureur du

ministère public. L’argumentaire au soutien de cette présomption d’indépendance mentionne

618 Ibid à la p.99. 619 Ibid p.104. 620 Cf. note 785. 621 M. VALOIS, préc, note 54, aux pp.287 et s.

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157

que le pouvoir discrétionnaire du poursuivant public est indépendant de toute considération

partisane ou d’autres considérations illégitimes622. Force est de constater que le sens que le

système de justice canadien donne aux expressions : considérations partisanes ou illégitimes,

n’est pas exactement le même que les mécanismes de suivi des conventions anticorruptions

accordent à ces mêmes expressions.

Pour le Canada, le procureur du ministère public agit dans l’intérêt public. C’est-à-dire qu’il

ne vise pas la protection d’un groupe particulier, il n’est pas au service d’une idéologique,

d’un avantage indu, encore moins de l’intérêt individuel des procureurs623.

Telle n’est pas, a priori, ou, du moins, dans une première lecture, le sens que les conventions

anticorruptions réservent aux mêmes expressions de considérations partisanes ou

illégitimes. Pour ces traités, les considérations sont partisanes ou illégitimes dès lors que le

pouvoir discrétionnaire du poursuivant public tient compte de l’intérêt public. C’est-à-dire,

la Dignité du Canada, notamment, l’économie canadienne, les relations internationales du

Canada avec des États étrangers, la considération du Canada sur le plan international, au cas

où un dirigeant étatique de haut rang serait inculpé pour corruption, etc. Ces considérations

sont partisanes ou illégitimes, parce qu’elles privilégient la Dignité du Canada au détriment

de la poursuite d’un fait de corruption. En d’autres termes, le fait que tous les groupes

partisans du Canada se sentent protégés par les critères tirés de l’intérêt public, n’empêche

pas que ces critères soient partisans et illégitimes pour les fins de la lutte contre la corruption.

Tel a notamment été le cas du poursuivant public britannique qui a abandonné les poursuites

dans une affaire de corruption, au motif que l’État risquait de perdre un allié de taille dans

lutte contre le terrorisme624. Ces critères d’appréciation de l’intérêt public écartent le

poursuivant public des « motifs professionnels625 » qui fondent ses fonctions judiciaires dans

l’appréciation de l’opportunité des poursuites.

622 R. c. Cawthorne [2016] 1 R. C. S. 983, aux paras. 22, 24, 26, 27. Voir dans le même sens, R. c. Anderson, [2014] 2 R. C. S. 167. 623 R. c. Anderson, préc, note 321, para. 37. 624Paul H. COHEN, Arthur MARIOTT QC, International Corruption, London, Thomson Reuters, 2010, p.31 et s. 625 OCDE, Commentaires relatifs à la Convention sur la lutte la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, para.27.

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158

En clair, si l’examen des décisions prises par le poursuivant public avant le procès montre

qu’elles sont matériellement similaires à celles du juge du fond, il est souhaitable, pour

qu’elles paraissent impartiales (objectives), que le principe de l’indépendance judiciaire

s’applique de façon similaire, autant au juge du fond qu’au juge de l’opportunité des

poursuites.

Toutefois, dès lors qu’une dénonciation a été « renvoyée devant un juge de la cour

provinciale ou au Québec, devant un juge de la Cour du Québec, ou devant un juge de paix

désigné626 » (sous réserve de l’application de l’article 579 C. cr.) le procureur du ministère

public cesse d’être décideur pour devenir, dès cette étape de la procédure, l’un des

destinataires de la décision qui déterminera si l’accusé devra comparaître ou non. Il devrait

en ce moment avoir des garanties similaires aux autres destinataires de la décision, à savoir

l’inculpé et le poursuivant privé627. Ceci n’est pas le cas compte tenu du nolle prosequi.

À propos de ce dernier (le poursuivant privé), il est (tout comme l’inculpé), durant toutes les

phases de la procédure judiciaire, destinataire de la décision soit du poursuivant public, soit

du juge de l’enquête préliminaire ou du juge du jugement. Cela autorise, au même titre que

l’inculpé, la transposition, à son profit, des garanties constitutionnelles de 1867 (de façon

incidente) et de 1982 (de façon directe).

Dans une seconde lecture, la présomption d’indépendance du procureur du ministère public

peut être renversée en l’absence d’une garantie textuelle crédible. Cette présomption expose

le système juridique canadien à un risque légal628 de corruption du poursuivant public. Car,

en absence des garanties objectives du statut du poursuivant public, il existe une incertitude,

même partielle629, qu’il confonde l’intérêt public à des considérations partisanes ou

illégitimes, au sens où ces expressions sont comprises dans le système juridique canadien.

Toutefois, cette incertitude retient moins l’attention de la présente étude.

626 Art.507.1(1) C.cr. 627 Commission de réforme du droit du Canada, préc, note 251, Recommandation 2, à la p.37. 628 LEELEEA Shailendrasingh, Lutte anti-corruption. Gestion des risques et compliance, Paris, Éditions Lamy, 2013, p.30. 629 ISO 37001 :2016 – Systèmes de management anticorruption, clause 3.12.

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En résumé, il ressort de l’application de la théorie de Niklas Luhmann à la procédure pénale

de lutte contre la corruption qu’elle compte quatre intervenants et deux rôles. Parmi les

intervenants, il y a : le juge du fond, le ministère public, le poursuivant privé et l’inculpé.

Parmi les rôles, on distingue le décideur d’une part et, d’autre part, le destinataire de la

décision.

Le juge du fond est toujours décideur. Quant à l’inculpé (défendeur) et au poursuivant privé,

ils sont toujours les destinataires de la décision. Enfin, le rôle du ministère public est

alternatif. Durant la phase de l’opportunité des poursuites, il est décideur. Alors qu’il est,

pendant la phase d’évaluation de sa prérogative ou du jugement sur le fond de la prétention,

destinataire de la décision du juge, au même titre que le poursuivant privé et l’inculpé. Il

ressort de cette classification qu’un pouvoir judiciaire indépendant ne peut être à l’origine

d’une procédure judiciaire indépendante et impartiale que :

- si le poursuivant public bénéficie des mêmes garanties statutaires que le juge du fond

au cours de la phase de l’opportunité des poursuites,

- après la saisine du juge du fond, le poursuivant public, l’inculpé, et le poursuivant

public devraient avoir droit aux mêmes garanties constitutionnelles.

Le Droit, dans son application actuelle, élude cette solution par des motivations dogmatiques,

parmi lesquelles:

- l’État, en sa qualité de débiteur des droits fondamentaux, détient le monopole de

l’action publique,

- il y aurait des risques d’atteinte à l’honneur du défendeur en cas de poursuites privées

abusives,

- toute victime peut porter sa cause devant une juridiction civile.

Force est de constater que, si ces motivations étaient autrefois fondées dans le contexte de la

construction de l’État moderne, où la souveraineté étatique primait sur les libertés

individuelles, leur pertinence est, aujourd’hui, relativisée. D’abord, parce que depuis la fin

de la Guerre froide, il est arrivé à la société internationale de remettre en cause la capacité de

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l’État à garantir une jouissance effective des droits fondamentaux630 à ses citoyens. La CPI

est la preuve éloquente de cette assertion. Bien plus, l’adhésion des États aux conventions de

lutte contre la corruption rend implicitement compte de leur difficulté à lutter efficacement

contre ce crime en droit interne. Par ailleurs, par la ratification desdites conventions, l’État

contemporain interroge le pacte de confiance qui le lie à ses serviteurs les plus représentatifs.

Cela crée un effet de dominos sur les citoyens ordinaires.

Ensuite, relativement à la deuxième motivation (dogmatique), les sanctions dissuasives sont

susceptibles de garantir le défendeur contre toute dénonciation abusive.

Enfin, il ressort d’une certaine doctrine que l’action civile et l’action pénale ont des finalités

différentes631. La première permet la réparation des dommages et intérêts civils, alors que la

seconde concourt à la découverte de la vérité. Dès lors, les dispositions relatives au procès

équitable « devraient bénéficier à la partie civile [poursuivant privé], non seulement pour

garantir son accès au juge, mais tout au long du procès pour assurer qu’il soit équitable à son

égard […]632 ».

Il est retenu de ce qui précède que, pour une application effective des conventions de lutte

contre la corruption, limiter la protection du Droit aux seuls juge et défendeur, suivant une

approche positiviste, ne rend plus compte du principe de l’indépendance judiciaire, tel qu’il

est actuellement suggéré par le projet de droit émergent applicable à la corruption. Peut-être

devrait-on substituer le groupe nominal pouvoir judiciaire par celui de système judiciaire. Il

s’agit d’encadrer toute la chaîne processuelle commençant par la dénonciation, en passant

par l’enquête et la poursuite, pour aboutir au jugement. C’est à ce processus qu’il faudra

appliquer le principe de l’indépendance judiciaire pour une lutte efficace contre la corruption.

630 Voir dans ce sens, Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États (CIISE), La responsabilité de protéger. Rapport de la commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États, Ottawa, Centre de recherche pour le développement international, 2001. 631 Frédéric DESPORTES et Laurence LAZERGES – COUSQUER, Traité de procédure pénale, 12e éd., Paris, Economica, pp.252 et s. 632Ibid à la p.254.

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À la différence du système juridique de la Common Law qui cantonne le pouvoir judiciaire

aux seuls juges, le système juridique de Droit Civil intègre dans le pouvoir judiciaire le

poursuivant public et le juge. On peut se demander si la disposition formelle de ce système

le prédispose à une meilleure prise en compte de l’indépendance judiciaire au regard des

conventions de lutte contre la corruption.

3.3 La poursuite privée en Droit Civil

En droit pénal français, la poursuite privée, entendue comme la mise en mouvement de

l’action publique par la partie lésée par une infraction, est exercée par une partie au procès

pénal qualifiée de « partie civile633 ». La justice pénale dans ce système distingue le régime

particulier applicable au Président de la République et aux membres du gouvernement, dans

l’exercice de leurs fonctions, du régime commun applicable aux autres citoyens, y compris

les membres du gouvernement pour des actes détachables de leurs fonctions.

3.3.1 Le cadre normatif applicable à la constitution de partie civile/poursuite privée

Selon les dispositions du Code de procédure pénale (CPP) français,

[T]oute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent en application des dispositions des articles 52, 52-1 et 706-42.

Toutefois, la plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d’une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu’il n’engagera pas lui-même des poursuites, soit qu’un délai de trois mois s’est écroulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat, contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire […]634

Si cette disposition donne l’impression que tout acteur non étatique peut avoir accès au juge

en cas d’inaction du ministère public, le système civiliste français distingue le droit commun

de la constitution de partie civile, des privilèges de juridiction dont jouissent le Président de

la République et les membres du gouvernement.

633 Sur la mise en œuvre de l’action publique par la partie civile, voir les arts. 85 à 89 du Code de procédure pénale. 634 Code de procédure pénale, art. 85.

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3.3.1.1 Le droit commun de la constitution de partie civile

Le système civiliste français reconnaît au ministère public la faculté de déclencher, à titre

principal, des poursuites pour le compte de la société. Il applique, à cet effet, le principe de

l’opportunité des poursuites. Il s’agit du pouvoir d’appréciation détenu par le ministère

public, en vertu duquel il peut ne pas autoriser de « déclencher des poursuites alors qu’il

possède l’assurance qu’une infraction présentant tous les éléments constitutifs prévus par

l’incrimination a bien été commise635 ». Si une telle prérogative vise la bonne administration

de la justice, les risques du classement sans suite pour des raisons d’opportunité discutable

sont réels636. C’est la raison pour laquelle il est permis à la partie lésée, par l’infraction, de

contrôler l’action du procureur de la République en mettant, elle-même, en mouvement

l’action publique637 par une constitution préalable de partie civile. Il est constamment admis

que la constitution de partie civile a d’abord été accordée à la victime par la Cour de

cassation638 avant d’être consacrée dans le CPP. Selon l’article 1er dudit Code, «[l’action

publique] peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée, dans les conditions

déterminées par le présent Code639 ». De façon concrète, la partie lésée par une infraction

peut s’associer aux poursuites déclenchées par le ministère public ou les initier.

Si elle choisit de s’associer aux poursuites,

- La victime devra déposer sa plainte à la police judiciaire640. Celle-ci l’informera, dans

les conditions de l’article 14 du CPP, du préjudice qu’elle a subi.

- La victime peut aussi déposer sa plainte devant le procureur de la République641.

Si elle ne s’associe pas aux poursuites du procureur de la République,

635 G. CORNU, préc, note 182, aux pp.710-711. 636 F. DESPORTES et L. LAZERGES – COUSQUER, préc, note 631, à la p.658. 637 Code de procédure pénale (CPP), art. 1er. 638 Il s’agit de l’arrêt du 8 décembre 1906, dit Laurent-Atthalin, S. 1907, 1, p.377. 639 CPP, art 1er, al.2. 640 CPP, art.15-3. 641 CPP, art.40.

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- La victime saisit le juge d’instruction par une plainte avec constitution de partie

civile642.

- La victime se constitue aussi partie civile par voie d’action directe devant la

juridiction de jugement643.

Cette constitution de partie civile fait de la victime, directe de l’infraction, une partie au

procès pénal. Selon que les réquisitions du ministère public lui sont favorables ou non, elle

peut les corroborer644. La partie civile peut aussi participer activement à la découverte de la

vérité dans les limites légales. Dans cette perspective, elle peut au cours de l’information645,

[S]aisir le juge d’instruction d’une demande écrite et motivée tendant à ce qu’il soit procédé à [son] audition ou à [son] interrogatoire, à l’audition d’un témoin, à une confrontation ou à un transport sur les lieux, à ce qu’il soit ordonné la production par l’une d’elles [une des parties] d’une pièce utile à l’information, ou à ce qu’il soit procédé à tous autres actes qui [lui] paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité646.

Bien plus, la partie civile peut exiger que tous les actes sollicités soient effectués en présence

de son avocat647. Il s’observe, dès lors, que la partie civile contribue activement à la

découverte de la preuve.

Advenant que le procureur de la République prenne des réquisitions de non informer ou de

non-lieu visant la plainte avec constitution de partie civile, le juge d’instruction peut passer

outre ces réquisitions en statuant par une ordonnance motivée648. Il est ainsi arrivé, dans une

affaire, que le juge d’instruction déclare recevable la constitution de partie civile pour

« entrave à la justice, faux témoignage, corruption active et passive, abus de biens sociaux et

recel aggravé649 », contrairement aux réquisitions du procureur de la République qui n’avait

642 CPP, arts.51 et 80. 643 CPP, arts.551 et svts. 644 F. DESPORTES et L. LAZERGES – COUSQUER, préc, note 631, à la p.876. 645 G. CORNU, préc, note 182, à la p.545, « l’action de rechercher une preuve et les résultats de cette recherche ». 646 CPP, art.82-1. 647 CPP, art.82-2. 648 CPP, art.86. 649 Haritini MATSOPOULOU, « Affaire de l’attentat de Karachi : recevabilité des constitutions de partie civile pour corruption et abus de biens sociaux » (2012) Rev. Sc. Crim, 553.

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retenu que les infractions de faux témoignage et d’entrave à la justice, en se prononçant pour

l’irrecevabilité des autres prétentions de la partie civile650. Dans une autre affaire, les

associations Sherpa, Survie et la Fédération des congolais de la diaspora avaient adressé, en

mars 2007, une plainte simple au procureur de la République de Paris dénonçant des faits de

recel et de blanchiment, en France, des détournements de fonds publics opérés par différents

chefs d’États africains et leurs proches (affaire dite des Biens mal acquis)651. Une enquête

préliminaire diligentée par le procureur de la République, le 18 mai 2007, confirmait la

plupart des allégations et avait, par ailleurs, révélé l’existence de nombreux autres avoirs et

le caractère particulièrement atypique de certains financements652. La plainte fut, toutefois,

classée sans suite par le procureur de la République le 9 novembre 2007653. Cette affaire a

connu son épilogue le 27 0ctobre 2017654 grâce à la recevabilité, en cour de cassation, de la

constitution de partie civile de l’Association transparence internationale France655. Dans le

sillage de cette affaire, le cadre normatif français a évolué, avec le nouvel article 2-23 du

CPP aux termes duquel,

Toute association agréée déclarée depuis au moins cinq ans à la date de la constitution de partie civile, se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions suivantes :

1° Les infractions traduisant un manquement au devoir de probité, réprimées aux articles 432-10 à 432-15 du code pénal ;

2° Les infractions de corruption et trafic d'influence, réprimées aux articles 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1 du même code ;

650 Ibid. 651 Maud PERDRIEL-VAISSIERE, « La poursuite des faits de corruption à la lumière de l’affaire des “biens mal acquis” » (2011) Recueil Dalloz, p.112. 652 Ibid. 653 Ibid. 654 Transparency International France, « Après dix ans d’un intense combat judiciaire, le premier procès historique dans l’affaire des Biens mal acquis s’est tenu à Paris, du 19 juin au 05 juillet 2017. Teodorin Obiang, Vice-président de Guinée Équatoriale était soupçonné de s’être constitué un patrimoine considérable en France avec de l’argent public détourné de son pays d’origine. Le 27 octobre 2017, Le Tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement : 3 ans de prison avec sursis, une amende de 30 millions d’euros avec sursis et à la confiscation intégrale de ses biens saisis sur le territoire français, d’une valeur estimée à plus de 150 millions d’euros. C’est la première fois qu’un un haut dirigeant étranger en exercice est condamné en France pour des faits de blanchiment, notamment de détournement de fonds publics et de corruption », [en ligne] [https://transparency-france.org/aider-victimes-de-corruption/biens-mal-acquis/] [Consulté, le 18-03-2018]. 655 Cass. Crim., 9 nov. 2010, n° J 09-88.272 F-D.

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3° Les infractions de recel ou de blanchiment, réprimées aux articles 321-1, 321-2, 324-1 et 324-2 dudit code, du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° du présent article […]656.

Dans sa relation avec le juge d’instruction, la partie civile n’est soumise, à l’exception de la

manifestation expresse de constitution de partie civile, à aucune condition de forme ou de

fond dirimante. Ainsi, le juge ne peut prononcer un non-lieu « sur le fondement d’un examen

abstrait des plaintes, sans rechercher par une information préalable, si les faits dénoncés657 »

ne sont pas constitutifs d’infractions pénales.

Il suit de ce qui précède que dans le système de Droit Civil français, la constitution de partie

civile vise une finalité répressive. Car, elle « a pour objet essentiel la mise en mouvement de

l’action publique en vue d’établir la culpabilité de l’auteur de l’infraction qui a causé un

préjudice au plaignant658 ». À côté de cette première finalité répressive, le droit positif de la

poursuite privée a une finalité secondaire. Elle est aussi une action en responsabilité civile659.

Seulement, cette analyse n’est pas partagée par la jurisprudence. Elle semble denier à la

constitution de partie civile son caractère répressif. Tel est le cas lorsque l’appel interjeté par

la partie civile ne peut porter que sur les seuls intérêts civils, à l’exclusion de l’action

publique. C’est ce qui ressort de la décision du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2014,

n°2013-363 QPC, qui précise in fine que « la règle selon laquelle la partie civile ne peut [pas]

interjeter appel d’un jugement de relaxe du prévenu quant à l’action publique n’est pas

contraire à la Constitution660 ». Une telle décision s’analyse comme une méconnaissance du

droit d’accès à la justice. Car, comme le précisent certains auteurs, le système français devrait

aller au terme de sa logique.

[Dès] lors qu’elle est autorisée, la constitution de partie civile doit pouvoir être mise en œuvre sans entrave excessive dans le respect du droit au juge. […] [Dès]

656Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. 657 H. MATSOPOULOU, préc, note 649. 658 Cass. Crim. 16 déc. 1980, B. n°348, cité par F. DESPORTES et L. LAZERGES – COUSQUER, préc, note 631, à la p 878. 659 F. DESPORTES et L. LAZERGES – COUSQUER, préc, note 631, à la p.862. 660 François FOURMENT, « Chronique de jurisprudence de procédure pénale » (2014) 133 Gazette du Palais, 40.

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lors que la constitution de partie civile est prévue par la loi, les règles de l’article 6 CESDH [Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme]661 devraient bénéficier à la partie civile, non seulement pour garantir son accès au juge, mais tout au long du procès pour assurer qu’il soit équitable à son égard […]662.

Cantonner l’appel interjeté, par la partie civile, aux seuls intérêts civils interroge la cohérence

du Droit Civil français. En effet, l’organisation judiciaire française distingue les juridictions

civiles des juridictions répressives. La partie lésée par l’infraction a le choix, pour les mêmes

faits, de saisir l’une ou l’autre juridiction. Elle sait que la saisine de la juridiction civile

n’emportera aucune conséquence pénale et ne se limitera qu’à la seule réparation des

dommages civils. En plus, selon la règle electa una via663, dès qu’elle aura choisi la voie

civile, elle ne pourra plus, pour les mêmes faits et en présence des mêmes parties, saisir la

juridiction répressive. Cette pratique est suffisante pour reconnaître à la constitution de partie

civile, sa primauté répressive.

Cette position est d’autant plus vraie qu’elle correspond au second intérêt de la constitution

partie civile. Celui-ci se vérifie dans son rôle de contre-pouvoir à la prérogative de

l’opportunité des poursuites du ministère public664, puisque « le système de l’opportunité des

poursuites, qui donne un pouvoir considérable au ministère public, ne se conçoit pas en effet

sans l’existence d’un contre-pouvoir665 ».

D’une manière générale, le cadre normatif applicable à la constitution de partie civile permet

de mettre en évidence le concept d’intérêt public, sur lequel les ministères publics des

systèmes juridiques de Droit Civil et de Common Law apprécient l’opportunité des poursuites.

L’affaire dite des Biens mal acquis montre que, malgré l’enquête préliminaire diligentée par

ses soins, qui confirmait les allégations des poursuivants privés et révélait, d’autres avoirs

661 CESDH, art. 6. Droit à un procès équitable, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle […] ». 662 F. DESPORTES et L. LAZERGES – COUSQUER, préc, note 631, à la p.254. 663 Pour les exceptions à cette règle, voir ibid aux P.870 et s. 664 Voir à cet effet, Alain SPILLIARET, « La place de la victime dans le procès pénal. Réponse au discours de rentrée de Monsieur le Premier Président de la Cour d’appel de Paris » (2013) 36 Gazette du Palais, 16. 665 Jean VOLFF, « Action publique. La privatisation rampante de l’action publique » (2004) 146 JCP. G., à la p 1217 ; F. DESPORTES et L. LAZERGES – COUSQUER, préc, note 631, à la p.658.

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atypiques, le procureur de la République, pour des considérations d’intérêt public, notamment

des relations bilatérales entre la France et la Guinée Équatoriale, avait classé l’affaire sans

suite. Cette espèce montre que l’intérêt public, dans ce cas, ne visait pas des considérations

partisanes ou illégitimes ou l’intérêt particulier du Procureur, tel que l’exige la jurisprudence

de la Cour suprême du Canada. Il s’agit bien de l’intérêt public français. Toutefois, cet intérêt

public a l’inconvénient d’infiltrer les prérogatives de la branche exécutive de l’État, dans les

activités judiciaires. Le seul intérêt public, compatible avec les activités judiciaires concerne

la distinction entre la légalité et l’illégalité. La poursuite de tout autre intérêt, même par un

organe judiciaire, est une atteinte à l’indépendance de l’activité judiciaire. Or, une telle atteinte

est tempérée par un contre-pouvoir au pouvoir du ministère public, notamment la partie civile

(poursuivant privé). Toutefois, ce contre-pouvoir n’a pas d’effet lorsque, dans le cadre de

l’exécution de leurs fonctions, les soupçons d’actes criminels pèsent sur certains agents

publics de haut rang.

3.3.1.2 Les restrictions légales à la constitution de partie civile/poursuite privée

En droit français, les membres du pouvoir exécutif jouissent d’un privilège de juridiction.

C’est-à-dire qu’ils ont le « droit […] d’être jugés, pour les infractions à la loi pénale qui leur

[sont] reprochées, par une juridiction à laquelle la loi attribue exceptionnellement

compétence666 ». Ce privilège de juridiction trouve son fondement, entre autres, dans les

dispositions de l’article 16667 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26

août 1789, et dans l’article 13668 de la Loi sur l’organisation judiciaire des 16-24 août 1790.

Alors que sous l’empire de la Constitution du 4 octobre 1958, le Président de la République

et les membres du gouvernement étaient justiciables de la Haute Cour de justice, la Loi

constitutionnelle n°93-9952 du 27 juillet 1993669 dissocie désormais la juridiction

compétente pour juger le Président de la République, de celle des membres du gouvernement.

666 G. CORNU, préc, note 182, à la p.588. 667 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art.16, « Toute société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». 668 Loi sur l’organisation judiciaire des 16-24 août 1790, art.13, « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ». 669 JORF n°172 du 28 juillet 1993, à la p.10600.

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3.3.1.2.1 La restriction absolue à la constitution de partie civile : la Haute Cour

Selon les dispositions de la Loi constitutionnelle n°2007-238 du 23 février 2007 portant

modification du titre IX de la Constitution du 4 octobre 1958670,

Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les obstacles et procédures auxquels il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions671.

Pour mieux comprendre cette disposition, il importe de revenir sur le contexte de son

adoption, notamment la décision du Conseil constitutionnel n°98-408 DC du 22 janvier 1999.

Celle-ci faisant elle-même suite à la saisine dudit Conseil le 24 décembre 1998, par le

Président de la République et le Premier ministre. Ils se demandaient, si compte tenu des

engagements souscrits par la France, l’autorisation de ratifier le traité portant statut de la CPI

signé à Rome le 18 juillet 1998 devait être précédée d’une révision de la Constitution672. La

disposition du statut de Rome de la CPI qui avait retenu l’attention du Conseil constitutionnel

est son article 27 aux termes duquel :

Le présent statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.

Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne673.

670 JORF n°47 du 24 février 2007, p.3354. 671 Art. 67 de la Constitution de 1958. 672 [En ligne] [www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel//français/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/1999] [consulté, le 22/07/2014]. 673 Statut de Rome de la Cour pénale Internationale, préc, note 45, art.27.

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Cette disposition semblait être en contradiction avec les termes de l’article 68 de la

Constitution française, en vigueur au moment de la signature du Statut de Rome. Il y était

stipulé que :

Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice674.

Faisant suite à la saisine du Président de la République et du Premier ministre dans les

conditions fixées par l’article 54 de la Constitution675, le Conseil Constitutionnel avait précisé

dans ses motifs contenus dans le 16e considérant

[Q]u’il résulte de l’article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d’une immunité ; qu’au surplus pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice […]676.

Cette décision, diversement accueillie en doctrine677 et précisée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation678, avait servi de fondement au rejet d’une poursuite

674 Loi constitutionnelle n°93-952 du 27 juillet 1993, JORF n°172, préc, note 669. 675 Constitution du 4 octobre 1958, art.54 « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution ». 676 Conseil constitutionnel, décision n°98-408 DC du 22 janvier 1999. 677 Il faut retenir que la rédaction, lacunaire, de l’article 68 (Loi constitutionnelle n°93-952) avait amené le Conseil constitutionnel à se prononcer, dans ses motifs, non seulement sur la question de la conformité de la constitution au traité international (objet de sa saisine), mais aussi sur le statut pénal du Président de la République en droit interne. Ce statut pénal était relatif aux actes accomplis en dehors, avant ou détachables de ses fonctions (question non précisée par la Constitution en vigueur au moment de sa saisine, et pour laquelle le Conseil n’avait pas été saisi. Le Conseil n’étant pas juge de l’interprétation de la Constitution). Dans ses conclusions, le Premier avocat général M. de Gouttes a résumé les avis de la doctrine en deux tendances. D’une part, « les tenants de la lecture “unitaire” de l’article 68, selon lesquels la Constitution aurait entendu exclure tout privilège de juridiction du Président de la République pour les actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions ou avant son élection ». D’autre part, « les tenants de la lecture “séparatiste” des deux phrases de l’article 68, qui pensent que le privilège de juridiction prévu par la seconde phrase de cet article doit être étendu, pendant la durée du mandat, à tous les actes accomplis par le Président de la République en dehors de l’exercice de ses fonctions ou avant le début de son mandat ». Voir, Cour de Cassation, Assemblée plénière, du 10 octobre 2001, 01-84.922. 678 Pour M. de Gouttes, la signification exacte de l’article 68 n’existe pas, « puisque c’est la Constitution elle-même qui est lacunaire sur ce point et qui ne permet pas d’apporter une réponse […] Pour sortir de cette situation, la véritable solution aurait été et demeure une révision de l’article 68 de la Constitution », ibid.

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privée dirigée contre le Président de la République, en exercice, Jacques Chirac. Les allégations de

[F]avoritisme, détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, prise ou conservation illégale d’intérêt, complicité, recel, concernant des irrégularités dans les marchés publics passés par la Société d’économie mixte parisienne de prestation679,

qui pesaient sur le président de la République remontaient à la période où il était maire de

Paris. Il faut retenir pour l’essentiel qu’avant la Loi constitutionnelle n°2007-238 du 23

février 2007, la Constitution était terne sur la question de la responsabilité pénale du Président

de la République. Dans son analyse de la décision du Conseil constitutionnel, le Conseiller

rapporteur M. Roman a retenu que pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions,

le Président de la République jouit d’une immunité absolue680. Par contre, pour les actes

détachables de l’exercice de ses fonctions, il ne bénéficie que d’une inviolabilité durant la

durée de ses fonctions681.

Que peut-on retenir de ce qui précède du statut pénal du Président de la République, sous

l’empire de la Loi constitutionnelle de 1993 ? Malgré le silence de l’article 68 de la

Constitution, la décision du Conseil constitutionnel et la jurisprudence de la Cour de

cassation convient le lecteur à deux observations. D’abord, étant donné que le Président de

la République

[N]’est pas soumis à l’obligation de comparaître en qualité de témoin, dès lors que cette obligation est assortie d’une mesure de contrainte par l’article 109 du Code de procédure pénale (CPP) et qu’elle est pénalement sanctionnée. Il s’ensuit qu’est irrecevable la demande d’une partie civile tendant à l’audition du Président de la République en qualité de témoins682.

Ensuite,

[T]ant l’article 68 de la Constitution que la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel excluent la mise en mouvement, par l’autorité judiciaire de droit commun, de l’action publique à l’encontre du Président de la République dans les conditions prévues par le CPP, pendant la durée de son mandat présidentiel683.

679 Cour de Cassation, Assemblée plénière, Ibid. 680 Ibid. 681 Ibid. 682 Ibid Conclusion du Premier avocat général M. de Gouttes. La mise en évidence est de nous. 683 Ibid Rapport du Conseiller M. Roman, La mise en évidence est de nous.

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D’une façon précise, tant que la Haute Cour de justice n’assimile pas les actes de corruption

du Président de la République, dans l’exercice de ses fonctions, à la haute trahison, il ne

pourra pas être mis en accusation devant cette juridiction d’exception ou politique684. Il en

sera ainsi, a fortiori, des juridictions de droit commun. Il faudra donc espérer que de telles

pratiques « corruptionnelles » soient considérées comme détachables685 de la fonction, pour

que l’action publique soit ouverte à la fin du mandat ou – s’il est prorogé – des mandats

présidentiels, par un poursuivant privé, ou public. On peut dès lors s’interroger sur des

éventuelles innovations de la nouvelle rédaction de cette disposition (actuel article 67), issue

de la Loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007.

Même si dans la nouvelle rédaction du Titre IX, la Haute Cour de justice est substituée par

la Haute Cour, il ressort à l’observation que le constituant de 2007 a fait un effort de

clarification en s’adaptant aussi bien à la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier

1999, qu’à celle de l’Assemblée plénière du 10 octobre 2001. Ainsi, les actes accomplis par

le Président de la République dans l’exercice de ses fonctions sont couverts d’une immunité

absolue, à l’exception de deux circonstances respectivement définies aux articles 53-2686 et

68687. Quant à l’article 67, il rend compte du concept de l’inviolabilité, tel qu’il a été défini

par le Conseiller rapporteur M. Roman. Ainsi, durant le mandat présidentiel, le Président de

la République ne peut devant aucune autorité administrative ou judiciaire française, « être

requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information,

d’instruction ou de poursuite688 », pour les actes détachables de ses fonctions ; peu importe

684 Cette juridiction est qualifiée de « politique » parce qu’il ressort de l’art.67 de la Constitution qu’ « [elle] est composée de membres élus, en leur sein et en nombre égal, par l’Assemblée nationale et par le Sénat […] ». Il ne s’agit donc pas de juges professionnels, mais des parlementaires (hommes politiques) convertis en juges ad hoc. 685 S’il est aisé d’identifier les actes commis avant l’exercice des fonctions présidentielles et à la fin de l’exercice desdites fonctions, il semble délicat d’isoler les actes détachables de la fonction ; commis concomitamment durant l’exercice de la fonction présidentielle. 686 L’article 53-2 selon lequel « [la] République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 », est conforme à la décision du Conseil qui, selon son article 1er, précise que « [l’] autorisation de ratifier le traité portant Statut de la Cour Pénale internationale exige une révision de la Constitution ». 687 Quant à l’article 68, le concept politisé de « haute trahison » est substitué par un groupe nominal qui n’est pas plus conforme au principe de légalité des délits et des peines que le concept qu’il remplace. Il y est précisé que « [le] Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat » 688 Constitution du 4 octobre 1958, art.67.

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qu’ils soient commis avant, ou concomitamment à l’exercice des fonctions présidentielles.

Toutefois, « [les] instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être

reprises contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions689 ».

On observe dans la Constitution française que si les membres du gouvernement bénéficient,

au même titre que le Président de la République, d’un privilège de juridiction, ils ne jouissent

pas de l’inviolabilité.

3.3.1.2.2 La restriction relative à la constitution de partie civile : la Cour de justice de la République

La responsabilité pénale des membres du gouvernement fait l’objet du Titre X de la

Constitution du 4 octobre 1958. L’analyse de cette institution montre que loin d’instaurer un

privilège de juridiction à l’individu titulaire de la fonction ministérielle, le but de la

Constitution se cantonne à la protection exclusive de la fonction gouvernementale690. En

effet, à la différence du régime juridique applicable au président de la République, la

compétence de la Cour de justice de la République « est limitée aux actes constituant des

crimes ou délits commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions et qui ont un

rapport direct avec la conduite des affaires de l’État relevant de leurs attributions. [Elle] ne

s’étend pas aux faits commis à l’occasion d’une activité ministérielle691, ou concomitante à

l’exercice desdites activités692 », encore moins aux « comportements concernant la vie privée

ou les mandats électifs locaux693 ». De plus, le privilège de juridiction dans ce cas est strict.

Il ne s’applique à aucune criminalisation spéciale, puisqu’il se limite à la seule matière

procédurale (la juridiction), et exclut le droit pénal substantiel. Ainsi, la Cour de justice de la

République (juridiction d’exception) « est liée par la définition des crimes et délits ainsi que

par la détermination des peines telles qu’elles résultent de la loi694 ». Par ailleurs, les membres

du gouvernement ne jouissent d’aucune immunité et inviolabilité. Les actes détachables de

leurs fonctions restent du domaine de compétence des juridictions de droit commun.

689 Ibid. 690 Charles DEBBASCH et al., Constitution de la Ve République. Textes – Jurisprudence – Pratique, 5e éd., Paris, Economica, 2012, p. 545. 691 Cass. Crim., 13 déc. 2000, n°0082-617 ; 6 fév. 1997, n°96-80.615. 692 Cass. Crim., 16 fév. 2000, n°99-86.307. 693 Cass. Crim., 26 juin 1995, n°95-82.333. 694 Constitution du 4 octobre 1958, art. 68-1.

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173

En outre, il est possible de tirer des dispositions constitutionnelles qu’une poursuite privée

est possible, en vertu des faits commis par le membre du gouvernement dans l’exercice de

ses fonctions. Car, « [toute] personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis

par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès

d’une commission des requêtes695 ».

Toutefois, à bien regarder la procédure applicable devant la Cour de justice de la République,

la disposition de l’article 68-2 ne confère au demandeur privé que le droit de faire une simple

dénonciation696, dont l’appréciation souveraine par la commission des requêtes peut lui être

notifiée, sans qu’il bénéficie, en l’espèce, d’aucun recours697. Si la personne lésée par

l’infraction commise par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut

saisir les juridictions de droit commun pour la réparation du préjudice subi, il faut noter que

l’absence de constitution de partie civile ne lui confère pas le statut de partie au procès devant

la Cour de justice de la République. Elle ne pourra pas, de ce fait, contribuer à la

manifestation de la vérité. Ce qui prive cette juridiction d’un contrepoids indispensable à son

fonctionnement698.

Dans la même veine, la composition de ce tribunal alterne des magistrats professionnels et

des juges parlementaires aux différentes fonctions répressives. La phase préalable au procès

est confiée aux magistrats professionnels. Il en est ainsi du ministère public699, de la

commission des requêtes700 et de la commission d’instruction701. Ceci laisse supposer,

qu’après avoir exclu la partie civile du procès702, le législateur a souhaité garantir l’objectivité

des phases de poursuite et d’enquête ; même s’il convient de relever que cette objectivité a

été tempérée par la composition politique des juges de la phase de jugement. En effet, la Cour

de justice est composée de quinze juges, dont « douze parlementaires élus, en leur sein et en

695 Constitution du 4 octobre 1958, art. 68-2. 696 Loi organique n°93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de la justice de la République Art. 13, « Aucune constitution de partie civile n’est recevable devant la Cour de justice de la République ». 697, Ibid art.14. 698 Voir dans le même sens, F. DESPORTES et L. LAZERGES-COUSQUER, préc, note 631, à la p 858, « [dans] l’équilibre général de notre système procédural, le droit reconnu à la victime de mettre en mouvement l’action publique apparaît comme une pièce maîtresse de celui-ci ». 699 Loi organique n°93-1252 du 23 novembre, préc, note 696, art.8. 700 Ibid art.12. 701 Ibid art.11. 702 Ibid art.13.

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nombre égal, par l’Assemblée nationale et par le Sénat […] et trois magistrats du siège à la

Cour de cassation, dont l’un préside la Cour de justice de la République703 ». La formation

de jugement de la Cour de justice de la République reste dès lors, du fait de sa composition,

une juridiction politique, agissant à titre de contre-pouvoir interne au pouvoir, afin d’y

« prévenir un abus ou un mauvais usage du pouvoir par son détenteur704 ». On peut, dès cet

instant, interroger l’application du droit pénal substantiel de droit commun devant la Cour de

justice de la République, puisqu’il ressort, de la procédure d’application des peines, qu’elles

seront en définitive plus douces que si elles avaient été prononcées – dans les mêmes

circonstances de commission par les mêmes délinquants – par des juridictions de droit

commun. Car, lorsqu’un accusé (membre du gouvernement) est déclaré coupable,

il est voté sans désemparer sur l’application de la peine. Toutefois, après deux votes dans lesquels aucune peine n’aura obtenu la majorité des voix, la peine la plus forte proposée dans ce vote sera écartée pour le vote suivant et ainsi de suite en écartant chaque fois la peine la plus forte jusqu’à ce qu’une peine soit prononcée par la majorité absolue des votants705.

Si le législateur a certes voulu que les phases de poursuite et d’instruction participent

activement à la collecte objective des preuves par des magistrats professionnels, il n’a pas

voulu confier à ces derniers la sanction des délinquants. Il suit de ce qui précède que,

nonobstant l’application du droit pénal substantiel de droit commun au crime commis par les

membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions, ils ne subissent que des peines

« symboliques » dans les faits qui leur seront reprochés, à moins que l’infraction commise

soit détachable des fonctions gouvernementales. Dans ce cas, ils seront, comme l’ensemble

des citoyens et le Président de la République (à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la

cessation des fonctions), justiciables des juridictions de droit commun.

On retient de l’analyse du cadre normatif applicable à la poursuite privée française qu’elle

semble, a priori, présenter des meilleures garanties à la constitution de partie civile. Celle-ci

agit comme un contre-pouvoir de la prérogative ministérielle de l’opportunité des poursuites,

703 Constitution du 4 octobre, art. 68-2. 704 José DELFONT, Responsabilité pénale et fonction politique, Paris, L.G.D.J., 2006, à la p 205. 705 Loi organique n°93-1252, préc, note 696, art.32.

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selon les critères d’appréciation discutables de l’intérêt public. Toutefois, le système civiliste

français ne va pas au terme de sa logique. Tel est le cas lorsqu’il refuse, d’une part, que l’appel

interjeté par la partie civile concerne l’action publique et, d’autre part, lorsqu’il substitue

l’autorité judiciaire par des juridictions politiques qui dénient toute constitution de partie civile

(poursuite privée). Cette ambiguïté liée à la constitution de partie civile, dans le système

juridique de Droit Civil, amène à constater qu’elle ne répond que partiellement à la question

de l’indépendance du système judiciaire. D’où la nécessité d’apprécier, dans ce système, la

réception des mécanismes conventionnels de lutte contre la corruption.

3.3.2 La remise en cause du cadre normatif français – applicable à la constitution de partie civile – par les mécanismes de suivi des conventions anticorruptions

Les conventions analysées dans le cadre de cette étude pour lesquelles la France est partie

sont : la Convention des Nations Unies, la Convention de l’OCDE et la Convention pénale

sur la corruption.

3.3.2.1 La Convention des Nations Unies

À propos de la mise en application de la Convention des Nations Unies, les paragraphes 2 et

3 de l’article 30, intitulé : Poursuites judiciaires, jugement et sanctions, de cette convention

retiendront l’attention, relativement à la perception de l’indépendance du système judiciaire

français. Il y ressort que :

Chaque État partie prend les mesures nécessaires pour établir ou maintenir, conformément à son système juridique et à ses principes constitutionnels, un équilibre approprié entre toutes immunités ou tous privilèges de juridiction accordés à ses agents publics dans l’exercice de leurs fonctions, et la possibilité, si nécessaire, de rechercher, de poursuivre et de juger effectivement les infractions établies conformément à la présente Convention.

Chaque État partie s’efforce de faire en sorte que tout pouvoir discrétionnaire conféré par son droit interne et afférent aux poursuites judiciaires engagées contre des personnes pour des infractions établies conformément à la présente Convention soit exercé de façon à optimiser l’efficacité des mesures de détection et de répression de ces infractions, compte dûment tenu de la nécessité d’exercer un effet dissuasif en ce qui concerne leur commission706.

706 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.30, paras. 2 et 3.

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Tandis que le paragraphe 2 incite à vérifier si les privilèges de juridiction établis en faveur

du Président de la République et des membres du gouvernement sont compatibles avec

l’indépendance judiciaire requise pour lutter contre la corruption, le paragraphe 3 soulève la

même problématique, relativement au statut du procureur de la République. Dans le premier

cas, les autorités françaises font savoir aux évaluateurs des Nations Unies qu’ « il n’existe

pas à proprement parler d’immunité pour les agents publics. La Constitution prévoit quelques

régimes spéciaux707 ». On peut se demander si les « régimes spéciaux », dont évoque la

France, permettent un accès effectif à la justice, aussi bien dans les conditions définies au

paragraphe 2 ci-dessus, que dans celles identifiées à l’article 13708 de la même Convention.

D’abord, relativement au Président de la République, il suit de l’analyse du fonctionnement

de la Haute Cour, que depuis la Loi constitutionnelle n°2007-238 du 23 février 2007 portant

modification du titre IX de la Constitution du 4 octobre 1958,

Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68. Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.

Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le parlement constitué en Haute Cour […]709.

Il ressort de cette disposition que la réforme constitutionnelle a été fidèle aux décisions du

Conseil constitutionnel et de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation sus évoquées.

Autrement dit, en matière pénale – exclusion faite des crimes qui ressortissent à la

compétence de la Cour pénale internationale (article 53-2 constitution du 04 octobre 1958) –

le Président de la République jouit d’une immunité absolue pour des actes accomplis en cette

707 ONUDC, Mécanisme d’examen de l’application de la Convention des Nations Unies contre la corruption. Rapport de l’examen de la France, cycle d’examen 2010-2015, à la p 52. 708 Convention des Nations Unies, art.13 para.1, « Chaque État partie prend des mesures appropriées, dans la limite de ses moyens et conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, pour favoriser la participation active de personnes et de groupes n’appartenant pas au secteur public, tels que la société civile, les organisations non gouvernementales et les communautés de personnes, à la prévention de la corruption et à la lutte contre ce phénomène, […] ». 709 Constitution du 04 octobre 1958, arts.67 à 68.

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qualité. La seule responsabilité possible du Président de la République est politique. Les

mêmes chambres du Parlement, autrement constituées en Haute Cour, sont la seule

juridiction compétente pour connaître des actes du Président dans l’exercice de ses fonctions.

En clair, le président français ne peut être justiciable de corruption que si les faits

« corruptionnels » reçoivent la qualification de haute trahison. Il s’en suit une immunité de

fait du président de la République en exercice. Cette immunité aurait pu résister à la critique

si le Chef d’État français était, à l’instar de ses homologues des démocraties comparables

(Président de la République fédérale d’Allemagne, Reine d’Angleterre, etc.), une

personnalité apolitique. Il est, par contre, la personnalité politique de premier plan de son

pays, élu sur la base d’un programme politique, éventuellement contestable par le

gouvernement en cas de cohabitation710. En dehors de la cohabitation, le gouvernement affilié

à la majorité présidentielle applique le programme et les orientations politiques de ce dernier.

Il lui est donc substantiellement subordonné. En tant que personnalité partisane, le chef de

l’État français est susceptible de partialité dans l’exercice de ses fonctions énumérées au titre

II de la Constitution du 4 octobre 1958. Le risque que ses attributions servent les intérêts

partisans est évident. Pourtant, le chef de l’État français échappe, sur le plan de la procédure,

à la juridiction de droit commun, et sur le plan substantiel, à toute incrimination de droit

commun, y compris à l’inculpation pour corruption. En permettant au président de la

République de redevenir un justiciable ordinaire un mois après la fin de son mandat, la

Constitution du 4 octobre 1958 fragilise l’institution judiciaire, d’abord, parce que la fin du

mandat n’est pas clairement identifiable dans le contexte d’une pluralité de mandats. Ceci

rend la conservation et l’utilisation de la preuve difficile. Il s’en suit un risque

d’incompétence du pouvoir judiciaire à remplir ses obligations légales. Ensuite, l’institution

judiciaire est aussi fragilisée par l’ancien chef d’État. Tel est notamment le cas des

710 La cohabitation est une « situation politique accidentelle marquée par le partage de l’exécutif entre une majorité descendante et une opposition montante qui peut résulter, avant l’expiration du mandat d’un Président de la République issu d’une tendance, d’un renversement de la majorité parlementaire aux élections législatives », G. CORNU, préc, 182, note, à la p.188.

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critiques711 acerbes des anciens chefs d’État712, devenus justiciables des juridictions de droit

commun. Cette deuxième conséquence de l’immunité temporaire du chef de l’État, en

exercice, expose l’autorité judiciaire au discrédit de l’opinion publique. On constate, dans le

contexte français, que la principale personnalité politiquement vulnérable713 échappe à toute

autorité judiciaire ou administrative du pays. Cela prive le système judiciaire de sa

compétence en matière de lutte contre la corruption nationale.

Relativement à l’article 13 de la Convention des Nations Unies, il suit du constant de la mise

en œuvre mitigée du paragraphe 2 de l’article 30 que, s’il est impossible aux autorités

judiciaires de questionner la responsabilité pénale du Président de la République, il en est

ainsi a fortiori des groupes n’appartenant pas au secteur public. Ils ne pourront, contrairement

à l’enthousiasme manifesté par la Convention des Nations Unies, participer activement à la

lutte contre la corruption.

Toute chose restant égale par ailleurs, les effets du privilège de juridiction ci-dessus analysés

s’appliquent dans les conditions de fonctionnement de la Cour de justice de la République

aux autres membres du gouvernement714.

Quant aux objectifs du paragraphe 3 de l’article 30 de la Convention des Nations Unies, ils

visent in fine que le pouvoir discrétionnaire conféré aux autorités de poursuite n’inhibe pas

711 Selon le deuxième alinéa de l’art.67, « les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions ». Cette disposition, caractéristique de « l’inviolabilité » du Président de la République selon le Conseiller rapporteur Roman (Cass. Ass. Plén., 10 octobre 2001), n’est pas exempte de reproche relativement à la théorie de l’apparence. Elle laisse supposer que la défaite politique induit une vulnérabilité judiciaire. L’importance quantitative des procédures (éventuelles) cumulées durant la fonction présidentielle et ouvertes après celle-ci laisserait croire que l’ancien Président de la République fait face à un acharnement judiciaire. Il y aurait ainsi un manque de tact du système constitutionnel qui se transformerait en bourreau de son ancien serviteur. Il est possible de supposer que, dans les systèmes relativement démocratiques, une telle disposition serait un prétexte aux fraudes électorales ; dans la mesure où le Président de la République, en exercice, souhaite échapper à une justice dont il ne serait plus le garant de l’indépendance (Constitution du 04 octobre, art.64). 712 Après avoir été placé en garde à vue pour des faits antérieurs à son élection à la Présidence de la République, M. Nicolas Sarkozy dénonce une instrumentalisation politique d’une partie de la justice, [en ligne] [www.lapresse.ca/international/europe] [consulté, le 02/07/2014]. 713 Voir dans ce sens, Loi sur le blocage de biens de dirigeants étrangers corrompus, L.C., 2011, ch.10, art.2(1). 714 Contrairement à la Haute Cour, la Cour de justice de la République est liée par les définitions des crimes et délits telle qu’elle résulte de la loi. Toutefois, le procès pénal sera fragilisé par l’absence de constitution de partie civile, ce qui renvoie à une application mitigée de l’art.13 de la Convention des Nations Unies. La composition politique de la formation de jugement et la procédure d’application des peines font que celles-ci seraient plus douces que les peines appliquées dans les juridictions de droit commun. Ce qui renvoie à une application mitigée du paragraphe 1er de l’art.30 de la Convention.

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l’efficacité de la lutte contre la corruption. Considérant les prérogatives du ministère public

dans le système judiciaire français,

Les experts (des Nations Unies) expriment la préoccupation que l’application du principe de l’opportunité des poursuites dans un contexte de dépendance du parquet au pouvoir politique puisse nuire à la répression efficace de certains cas de corruption. Les experts souhaitent recommander qu’une étude approfondie dans la matière soit menée, visant à empêcher, au moins en ce qui concerne les actes de corruption, toute possibilité d’interférence politique dans les décisions du parquet de poursuivre ou classer sans suite715.

Ils fondent ainsi leurs espoirs sur une « proposition de création d’un Procureur général de la

Nation, qui serait indépendant et qui donnerait les instructions aux procureurs dans toutes les

affaires716 ». Il importe de relever que le statut du procureur de la République français a aussi

particulièrement attiré l’attention des évaluateurs de la Convention de l’OCDE.

3.3.2.2 La Convention de l’OCDE

La Convention de l’OCDE a été reçue en droit français à travers la loi n°2000-595 du 30 juin

2000 modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale. L’évaluation de la France, par

le Groupe de travail de l’OCDE, a plus insisté sur la réception et la mise en œuvre de l’article

5 de la Convention. Il s’en est suivi deux observations principales en lien avec l’indépendance

judiciaire. La première concerne le régime différentiel des poursuites pénales en fonction du

lieu de commission de l’infraction. Quant à la seconde, elle est relative au statut et aux

prérogatives du ministère public.

Qu’il soit permis de rappeler qu’avant la loi du 30 juin suscitée, le droit français, en matière

de poursuites pénales, faisait une distinction entre :

- l’infraction totalement ou partiellement commise sur le territoire français et,

- la totalité des faits infractionnels sont commis hors du territoire français.

Dans le premier cas, la victime pouvait se constituer partie civile. Ce qui faisait un

contrepoids à la prérogative de l’opportunité des poursuites du ministère public. Dans le

715 ONUDC, Rapport de l’examen de la France, cycle d’examen 2010-2015, préc, note 707, à la p.61. 716 Ibid à la p.90.

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second cas, seul le ministère public pouvait déclencher l’action pénale717. Aucune

constitution de partie civile n’était possible.

La loi du 30 juin était supposée déroger à ce droit commun afin de se conformer à l’article 5

de la Convention de l’OCDE. Tel n’a pas été le cas. Bien que cette loi a amendé le droit

commun, elle s’est bornée à élargir la constitution de partie civile aux faits infractionnels

commis sur le territoire européen718. C’est ainsi qu’il ressort de l’évaluation de la phase 2,

que la France méconnaît la disposition de l’article 5 de la Convention qui exclut, entre autres,

la prise en considération « d’intérêt économique national » dans la mise en œuvre des

poursuites. Pour parvenir à ce constat, le Groupe de travail s’est fondé sur les justifications

données par les représentants du ministère de la Justice et par les représentants des entreprises

françaises, relativement à l’impossibilité pour les victimes de corruption hors de l’Union

européenne, de déclencher l’action pénale.

Pour les premiers cités (les représentants de l’État français), il s’agit à travers ce régime

différentiel d’éviter d’une part, une instrumentalisation de la justice à des fins extrajudiciaires

et, d’autre part, de faire droit au principe de l’équivalence fonctionnelle avec les autres Parties

signataires qui n’accordent pas aux parties civiles la possibilité de déclencher les

poursuites719.

Pour le monde des entreprises, le procureur de la République doit avoir l’exclusivité du

déclenchement des poursuites, afin d’éviter le risque d’un recours à la justice pénale comme

« armes de guerre » entre entreprises concurrentes720.

Ces arguments ont été balayés du revers de la main par le Groupe de travail de l’OCDE

d’abord, parce que la constitution abusive de partie civile est sanctionnée par plusieurs

717 Code pénal, arts. 435-6. 718 Code pénal, Livre quatrième, Titre III, Chapitre V, Section II, Sous-section I, 100e éd., Paris, Dalloz, 2003, p.766. 719 OCDE, France : phase 2. Rapport sur l’application de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales et de la Recommandation de 1997 sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales, 22 janvier 2004, p.27, para.73, [en ligne] [www.oecd.org/fr/daf/anti-corruption/conventioncontrelacorruption/26243002.pdf] [consulté, le 08/08/2014]. 720 Ibid à la p.27, para. 74.

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dispositions légales721, ensuite parce que les pratiques anticoncurrentielles peuvent avoir lieu

par d’autres procédés que la justice.

Le silence du Groupe de travail de l’OCDE, quant à la justification que le ministère de la

Justice fait du principe de l’équivalence fonctionnelle, invite à questionner la portée de ce

principe dans la Convention de l’OCDE. Il aurait ainsi pour seule finalité de permettre aux

États Parties de reconnaître comme équivalent, dans leur système juridique, des dispositions

favorables à la poursuite des faits criminels de corruption. Par contre, les dispositions

défavorables à une telle poursuite, telle la loi du 30 juin 2000, ne sauraient faire appel à

l’équivalence fonctionnelle.

Quant à la seconde observation majeure, les examinateurs de L’OCDE estiment qu’

Un risque existe sur l’orientation et l’issue que pourrait donner le ministère public à une affaire de corruption portée à sa connaissance. Ce risque dérive de deux principes fondamentaux de la poursuite pénale en France : le principe de l’opportunité des poursuites dont disposent les magistrats du parquet et qui les autorise à décider de ne pas poursuivre l’auteur d’une infraction, même si celle-ci est parfaitement caractérisée, et la soumission statutaire du parquet à l’exécutif au travers d’une organisation interne très hiérarchisée rattachée à l’autorité du ministre de la Justice722.

Pour eux, « il y a un risque de pressions sur le parquet […] en vue d’obtenir le classement de

dossiers au nom des intérêts économiques de la France723 ». Ce constat a amené le Groupe

de travail de l’OCDE, à travers la Recommandation 8, à exhorter la France à « faciliter la

poursuite sur plainte des victimes des infractions de corruption d’agents publics étrangers de

tout État étranger, sur la même base que celle prévue pour la corruption d’agents publics

français724 ».

Au cours du suivi de cette Recommandation en avril 2006, l’OCDE s’était contentée de

prendre acte de la circulaire ministérielle du 21 juin 2004725 pour conclure que la

721 Voir en ce qui concerne le Code de procédure pénale, arts. 91, 177-2, 212-2, 392-1, 425, 800-1. 722 OCDE, préc, note 719, p.29, para.76. 723 Ibid. 724 Ibid à la p.56, para.160. 725 Bulletin officiel du Ministère de la justice n°94 (1er avril – 30 juin 2004).

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Recommandation 8 avait été mise en œuvre de façon satisfaisante726. En effet, cette circulaire

qui rappelait au ministère public

[D]e faciliter la poursuite sur plainte simple des victimes des infractions de corruption d'agents publics étrangers en adoptant de facto les mêmes conditions de recevabilité que celle exigée pour une plainte avec constitution de partie civile du chef de corruption d'agents publics français727.

Or, il ressort de cette circulaire que le Groupe de travail de l’OCDE avait été induit en erreur

en concluant que la Recommandation 8 avait été mise en œuvre de façon satisfaisante, car

cette circulaire n’avait aucune portée juridique. Elle n’apportait pas de modification en droit

français puisque le déclenchement de l’action pénale, par une plainte avec constitution de

partie civile, relève des compétences des juridictions d’instruction et de jugement. Ce constat

de la méconnaissance par la France de ses engagements internationaux, notamment de la

Convention de l’OCDE via la Recommandation 8, avait été rappelée par une auteure en 2009,

à la suite de réquisitions d’irrecevabilité de constitution de partie civile par le procureur de

la République728.

Au cours du troisième rapport de l’OCDE, en 2012, les évaluateurs ont mis en évidence le

contraste qui existe entre, d’une part, le rôle prépondérant du ministère public dans le

fonctionnement de la justice et, d’autre part, la fragilité de son statut, notamment sa

subordination hiérarchique au ministre de la Justice. Au regard de celle-ci, il y a, de l’avis

des évaluateurs, des risques prépondérants que le système judiciaire français manque

d’indépendance, conformément aux dispositions de l’article 5 de la Convention729. Ils

constatent à cet effet que :

[L]a procédure pénale française place le ministère public au cœur de l’action publique […] aucune juridiction ne peut se saisir elle-même et le déclenchement

726 Ocde, France : phase 2. Rapport de suivi sur la mise en œuvre des recommandations au titre de la phase 2 sur l’application de la Convention et de la Recommandation de 1997 sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, 30 mars 2006, p.5, [en linge] [www.oecd.org/fr/daf/anti-corruption/conventioncontrelacorruption/36411181.pdf] [consulté, le 08/08/2014]. 727 Bulletin officiel du Ministère de la justice, préc, note 725. 728 C. CUTAJAR, préc, note 398. 729 Convention de l’OCDE, art.5, « Les enquêtes et poursuites en cas de corruption d’un agent public étranger […] ne seront pas influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause ».

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des poursuites par le ministère public est un préalable indispensable à toute condamnation […]730731

Par ailleurs, le rapport d’évaluation de 2012 a également permis de mettre en relief un autre

procédé susceptible de faire obstacle à la constitution de partie civile. Il s’agit de la

classification de l’infraction de corruption d’agent public étranger dans la catégorie des

crimes ou des délits. De façon générale, le Code pénal classe les infractions selon leur gravité

en crimes, délits ou contraventions732. C’est la peine encourue qui détermine la catégorie à

laquelle l’infraction est rattachée733. Ainsi, en matière de privation de liberté, les peines

criminelles sont la réclusion criminelle ou la détention criminelle, dont la durée est de dix

ans au moins734 ; tandis que les peines correctionnelles (délictuelles) privatives de liberté sont

l’emprisonnement qui ne peut excéder dix ans735. En matière d’amende, le Code pénal précise

que « si le délit n’est puni que d’une peine d’amende, la juridiction ne fixe que le montant de

l’amende, qui ne peut excéder [quinze-mille] 15 000 euros736 ». Par ailleurs, le taux

maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu

pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction737. Lorsqu’il s’agit d’un crime

pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue à l’encontre des personnes physiques,

l’amende encourue par les personnes morales est d’un million d’euros738.

Cette classification emporte des conséquences dans le déclenchement des poursuites. Il

ressort des dispositions de l’article 85 du Code de procédure pénal que :

La plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d’une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu’il n’engagera pas lui-même des poursuites, soit qu’un délai de trois mois s’est écoulé

730 OCDE, Rapport de phase 3 sur la mise en œuvre par la France de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption, 2012, p.35, [en ligne] [www.oecd.org/fr/daf/anti-corruption/FrancePhase3FR.pdf] [consulté, le 12/08/2014]. 731 Force est de rappeler que cette observation est au cœur de la problématique actuelle de l’indépendance du système judiciaire (pouvoir ou autorité judiciaire) dans les démocraties occidentales. Autrement dit, doit-on cantonner l’indépendance du Tribunal à l’indépendance du juge, alors que ce dernier n’est que le dernier maillon dans le processus de construction de la décision judiciaire ? 732 Code pénal, art.111-1. 733 Bernard BOULOC, Droit pénal général, 23e éd., Paris, Dalloz, 2013, pp.181 et 183. 734 Code pénal, art.131-1. 735 Code pénal, art.131-4. 736 Code pénal, art.131-8-1. 737 Code pénal, art.131-38. 738 Ibid.

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depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat, contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. Cette condition de recevabilité n’est pas requise s’il s’agit d’un crime739.

Ce qui revient à dire que la constitution de partie civile est soumise à certaines conditions de

validité en matière délictuelle (correctionnelle). Ceci n’est pas le cas en matière criminelle.

Cette distinction invite à se demander à quelle catégorie d’infraction appartient la corruption

d’agents publics étrangers ?

Il ressort de l’article 435-3 CP que le maximum de la peine encourue est de dix ans, alors que

l’amende est de 1 000 000 d’euros. L’infraction de corruption d’agents publics étrangers a

été classée dans la catégorie des délits par la Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à

la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique. Cela rend difficile, la

constitution de partie civile à tout individu. Cet obstacle n’est levé qu’en faveur de toute

association constituée selon les termes de l’article 2-23 du CPP. On peut s’interroger sur la

classification de la « grande délinquance économique et financière740 » dans la catégorie des

délits. Elle aurait également pu être classée dans la catégorie des crimes, étant donné que le

quantum de la peine privative de liberté (dix ans), ainsi que la valeur de l’amende (un million

d’euros), sont similaires à la gravité des sanctions encourues en cas de crime741. Doit-on

conclure que cette classification des crimes économiques les plus graves dans la catégorie

des délits vise à faire échec à la constitution de partie civile ? Si une pareille conclusion peut

s’avérer facile, elle gagnerait en pertinence en interrogeant le système français de

classification des infractions. Devrait-il pour cela concilier sa classification légale avec la

classification prétorienne usitée dans le système de la Common Law742 ?

739 Code de procédure pénale, art.85. 740 Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013, préc, note 656. 741 Cet argument illustre que les peines sont dans une position mitoyenne. Qu’est-ce qui justifie, dans ce cas, le choix d’une catégorie plutôt que l’autre ? Cela interroge la pertinence de la méthode de classification des infractions dans ce système. 742 En droit comparé canadien, « la classification des infractions prend son origine dans la jurisprudence, mais la création des infractions demeure législative ». Cette classification distingue les infractions de mens rea ; les infractions de responsabilité stricte et les infractions de responsabilité absolue. Voir RACHEL GRONDIN, « Classification des infractions », dans Marie-Pierre ROBERT et Simon ROY (dir.), JurisClasseur Québec, Coll. Droit pénal général, Montréal, LexisNexis, 2013, Fasc. 5.

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Sachant que les examinateurs de l’OCDE insistent sur les sanctions dissuasives743,

consécutives d’une infraction intentionnelle744, il serait tout à fait logique que la gravité de

l’infraction, appréciée in concreto, commande celle de la peine et non l’inverse745. Ceci aurait

pour avantage d’appliquer la même procédure aux infractions intentionnelles et une

procédure différente aux infractions non intentionnelles. Le ministère public détiendrait

l’exclusivité du déclenchement de l’action publique dans ce dernier cas, et serait concurrencé

par la partie civile dans la catégorie des infractions intentionnelles. Une telle approche

rendrait mieux compte du respect par la France de ses engagements internationaux, en lien

avec la Convention de l’OCDE contre la corruption746. Quid de la Convention pénale de

l’Europe ?

3.3.2.3 Convention pénale sur la corruption

Selon les dispositions de l’article 24 de la Convention pénale sur la corruption, « le Groupe

d’États contre la corruption (GRECO) assure le suivi de la mise en œuvre de la présente

Convention par les Parties ». C’est à ce titre que le GRECO a lancé quatre cycles d’évaluation

commençant tous les 1ers janviers de chacune des années 2000, 2003, 2007 et 2012. Chaque

cycle d’évaluation porte sur certaines dispositions spécifiques des vingt principes

743 Convention de l’OCDE, art.3 744 Ibid art.1. 745 Réagissant à une critique selon laquelle les infractions devraient être classées selon leur gravité, afin que celle-ci détermine la peine, Bernard Bouloc estime que cette critique est sans pertinence puisque « le législateur a apprécié l’infraction, et n’a précisé celle-là qu’en considération de celle-ci » [V. B. BOULOC, préc, note 895, à la p 182.] Or, il paraît en l’espèce que tous les soins pris par le législateur pour procéder à cette classification préalable n’échappent pas à des zones grises. Seul le juge, en fonction du cas qui lui est soumis, peut mieux apprécier la gravité de l’infraction afin de fixer la peine corrélative. Bien sûr, il peut être reproché à ce constat que le législateur français fixe les intervalles de peines, à l’intérieur desquelles le juge apprécie souverainement la peine applicable à un cas d’espèce. Cet argument trouve sa limite à partir du moment où pour une incrimination créée par le législateur en des termes qui ne laissent aucun doute sur la gravité du comportement identifié, on est en droit de se demander l’intérêt de cantonner « la grande délinquance économique et financière » dans la catégorie de délits. Qu’en serait-il de la petite délinquance économique et financière ? Compte tenu des sanctions encourues, il aurait été logique que cette infraction soit classée dans la catégorie des crimes ; et laisser, en fonction de chaque espèce, la possibilité aux autorités compétentes de procéder à la correctionnalisation judiciaire. 746 Le Groupe d’États contre la corruption (GRECO), met en relief un autre inconvénient relatif à la classification des actes de corruption et assimilés en délits. Il s’agit du délai de prescription qui est de Trois (03) ans (et 10 ans en matière criminelle). Ce délai est jugé court, compte tenu du caractère ‘secret’ de la corruption. Cela empêche de mener à bien les enquêtes de corruption. Voir GRECO, Premier cycle d’évaluation. Rapport d’évaluation sur la France, 10-14 septembre 2001, p.12, [en ligne] [www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/around1/GrecoEval1(2001)4_France_FR.pdf] [consulté, le 13/08/2014].

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directeurs747 et sur les dispositions connexes de la Convention pénale sur la corruption.

Compte tenu de leur proximité avec la présente étude, l’analyse se limitera aux principes 3748,

6749 et 7750 qui ont fait l’objet du premier et du quatrième cycle d’évaluation.

Si les recommandations consécutives aux évaluations du GRECO portent sur les

problématiques identiques aux évaluations des mécanismes précédents, l’équipe d’évaluation

du GRECO revient sur deux autres modalités qui impactent de façon substantielle sur

l’autonomie et l’indépendance des organes chargés des enquêtes et des poursuites en cas de

corruption. Il s’agit d’abord de la notion de « secret défense ». Selon le GRECO,

le pouvoir politique […] aurait […] usé/abusé du « secret défense » pour bloquer des enquêtes (et parfois forcer l’abandon des poursuites) dans des dossiers sensibles de corruption et/ou de grande envergure. Cela a parfois pris la forme d’oppositions répétées et imprévues, de façon ad hoc, du secret défense, au fur et à mesure de la progression de l’enquête. Or, de l’avis de l’équipe d’évaluation du GRECO, les dispositifs entourant la classification et la déclassification relative au secret défense soulèvent bien des interrogations dans leur forme actuelle, de nature à porter ombrage à l’autonomie des procureurs et de l’indépendance des juges d’instruction. D’une part, la déclassification de documents est laissée en dernier recours à l’appréciation d’un ministre, membre de l’exécutif, dont les intérêts divergent parfois de ceux de la justice et qui peut ainsi faire obstacle à une instruction pénale […] Par ailleurs, l’élargissement du secret défense à des lieux, dont la liste n’est pas aisément accessible et l’obligation pour le parquet ou pour un juge d’instruction de faire appel au président de la Commission consultative du secret défense ou à son délégué qui est seul habilité à consulter les documents et à en extraire les pièces topiques pour l’instruction, pourrait constituer un obstacle supplémentaire. L’absence de voie de recours et par conséquent l’absence d’accès à un juge pour remettre en cause l’appréciation préoccupe l’équipe d’évaluation du GRECO, ce d’autant qu’il lui a été rapporté que parmi les lieux protégés figureraient des entreprises déployant en grande partie des activités privées. […] Au vu de ces considérations, le GRECO recommande que la faculté pour le ministre de la Justice de solliciter ou d’obtenir des informations relatives à une affaire particulière soit réglementée de manière précise quant à sa finalité ; qu’une limite claire soit fixée au « secret de la défense nationale », assortie d’une

747 Conseil de l’Europe, Comité des ministres, Résolution (97) 24 portant les vingt principes directeurs pour la lutte contre la corruption, 6 novembre 1997, [en ligne] [www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/documents/Resolution(97)24_FR.pdf] [consulté, le 13/08/2014]. 748 Ibid Principe 3, « assurer que les personnes chargées de la prévention, des enquêtes, des poursuites et de la sanction des infractions de corruption bénéficient de l’indépendance et de l’autonomie nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, soient libres de toute influence incompatible avec leur statut et disposent de moyens adéquats pour l’obtention de preuves ; assurer la protection des personnes qui aident les autorités à lutter contre la corruption et sauvegarder le secret de l’instruction ». 749 Ibid principe 6, « veiller à limiter toute immunité à l’égard des enquêtes, des poursuites et des sanctions relatives aux infractions de corruption à ce qui est nécessaire dans une société démocratique ». 750 Ibid principe 7, « favoriser la spécialisation de personnes ou organismes chargés de la lutte contre la corruption et leur accorder les moyens et la formation nécessaires à l’exercice de leurs fonctions ».

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187

procédure permettant d’éviter les blocages indus dans les enquêtes concernant des affaires de corruption nationale ou internationale751.

Il ressort de cette recommandation que, si le « secret défense » n’est pas remis en cause dans

son principe, son usage semble abusif. Ce qui soulève des interrogations du GRECO. Celles-

ci concernent d’une part l’indépendance de la Commission Consultative du Secret de la

Défense Nationale (CCSDN), en tant qu’autorité administrative indépendante et,

corrélativement l’impact de ses décisions sur l’indépendance des organes chargés de

l’enquête, au nombre desquels le parquet et la juridiction d’instruction. En effet, même si le

statut de ses membres752 laisse percevoir une relative indépendance, la CCSDN se borne à

donner des avis qui ne lient pas le ministre, car c’est lui qui décide en dernier ressort si les

documents sollicités par les organes anticorruptions doivent être déclassifiés ou non. La

deuxième modalité qui retient l’attention de cette étude est le risque de fuites des enquêtes

menées par la juridiction d’instruction, compte tenu de la subordination hiérarchique des

collaborateurs institutionnels que sont la police judiciaire et le ministère public. Dans le

premier cas, le GRECO se fait l’écho de la revendication de la magistrature de voir placer la

police judiciaire sous la direction du ministère de la justice afin d’éviter le problème actuel

de la double loyauté, du fait de l’impossibilité de résister aux demandes d’information de la

part de sa hiérarchie753. Dans le second cas, malgré la réforme législative de 2013, aux termes

de laquelle le ministre de la Justice ne peut plus adresser des instructions au ministère public

dans les affaires individuelles754, le parquet reste affecté par la suspicion de dépendance à

l’égard de l’exécutif manifesté par bien d’autres formes : suivi des dossiers sensibles par

751 GRECO, Quatrième cycle d’évaluation. Prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs. Rapport d’évaluation France., pp.58-59, [en ligne] [www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/round4/GrecoEval4(2013)3_France_FR.pdf] [consulté, le 13/08/2014]. 752 La commission comprend cinq membres dont le mandat n’est pas renouvelable, trois dont le président, le vice-président et un membre sont nommés pour six ans par le Président de la République qui les choisit sur une liste de six membres du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes, etc. V. Loi n°98-567 du 8 juillet 1998 instituant une Commission consultative du secret de la défense nationale, art.2. JORF n°157 du 9 juillet 1998, p.10488. 753 GRECO, Premier cycle d’évaluation. Rapport d’évaluation sur la France, préc, note 746, à la p.29. 754 Loi n°2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de l’action publique. JORF n°0172 du 26 juillet 2013, p.12441 ; Code de procédure pénale, art.30.

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l’exécutif, pressions résultant de la faculté de nommer un procureur et de le sanctionner755.

Le GRECO estime in fine qu’une assimilation du statut des magistrats du parquet à celui des

magistrats du siège serait bénéfique pour la perception de l’indépendance du système

judiciaire français756. Enfin, l’institution du « secret défense » rappelle, une fois de plus, les

critères de l’intérêt public qui déterminent le ministère public à engager ou non l’action

public. S’il peut être avéré, dans une certaine mesure, que ces critères ne visent pas toujours

des considérations partisanes ou illégitimes, il s’observe, de plus en plus, qu’ils ne se fondent

pas, non plus, sur le code de communication des activités judiciaires, lequel se borne à

distinguer le légal de l’illégal.

3.3.3 Conclusion partielle : la relative résistance du Droit Civil français à la dynamique d’un droit prospectif applicable à la corruption

Une observation est susceptible d’être déduite des évaluations des mécanismes de suivi des

conventions de lutte contre la corruption sur le système juridique français. La France semble

s’adapter promptement aux recommandations qui lui sont faites. À titre d’exemple, sur treize

recommandations à elle adressée en 2004, l’OCDE concluait en 2006 que « les

recommandations 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8757, 10, 11, 12 et 13 ont été mises en œuvre ou traitées

de façon satisfaisante758». Et que seule la Recommandation 9 a été partiellement mise en

œuvre759. Il ressort toutefois, à l’observation, que la relative résistance du système français à

la dynamique d’un droit prospectif applicable à la corruption, se situe dans les privilèges et

immunités qu’il accorde à certains agents publics de haut rang.

En ce qui concerne, par exemple, l’immunité du Président de la République, si les instruments

de lutte contre la corruption ne s’opposent pas à de tels principes, ils exigent que :

755 GRECO, Quatrième cycle d’évaluation. Prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs, préc, note 751, à la p 53. 756 Ibid aux pp 54 et s. 757 La Recommandation 8 était relative à l’application de l’art. 5 de la Convention de l’OCDE. Il était demandé à la France de permettre la mise en échec de l’opportunité des poursuites du parquet, par une constitution de partie civile, pour des faits de corruption d’agent public étranger commis entièrement à l’étranger (hors Union Européenne). 758 OCDE, France : phase 2. Rapport de suivi sur la mise en œuvre des recommandations au titre de la phase 2 sur l’application de la Convention et de la Recommandation de 1997 sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, préc, note 719, à la p.5. 759 Ibid.

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Les lois et principes spécifiant les motifs justifiant une levée de l’immunité ne doivent pas laisser place à un pouvoir discrétionnaire à motivation politique. Les États parties voudront peut-être envisager de stipuler que la commission d’actes de corruption constitue en droit une raison suffisante pour lever les privilèges ou immunités760.

Une lecture de la Constitution française montre, qu’en dehors de l’hypothèse de la destitution

du Président de la République à l’initiative d’une assemblée politique, il est impossible de

lever l’immunité, l’inviolabilité et le privilège de juridiction dont jouit cet agent public. De

même, il est difficile de distinguer, durant l’exercice de la fonction présidentielle, les actes

qui se détachent de cette fonction. De cette façon, la responsabilité pénale potentiellement

identifiable du chef de l’État ne concerne que les actes accomplis avant ou à la fin de la

fonction présidentielle. Ce qui laisse impunis les actes criminels accomplis durant l’exercice

de la fonction de chef d’État.

Par ailleurs, l’indépendance souhaitée des magistrats du parquet passe nécessairement par

une réforme constitutionnelle. Il s’agit notamment de leur octroyer un statut similaire à celui

des magistrats du siège, conformément aux dispositions des articles 64 et 65 de la

Constitution.

L’analyse de l’accès à la justice par la poursuite privée dans la Common Law canadienne et

le Droit Civil français laisse voir, qu’au-delà des divergences mineures sur l’organisation de

ces deux systèmes, leurs évaluations conduisent à des résultats quasi similaires. Il y ressort

entre autres que :

i- Les juges font difficilement l’objet des commentaires défavorables.

ii- Toutefois, parce que le juge ne peut être saisi que par le ministère public, son

indépendance est hypothéquée par l’absence d’indépendance crédible du

poursuivant public.

iii- Il y a une perception suivant laquelle la complexité du fait asocial pour laquelle

l’indépendance du juge est constitutionnellement garantie échappe à son office,

760 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.99.

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lorsque ce fait échoue au test de l’intérêt public. Puisque c’est cet intérêt qui

détermine le ministère public à engager ou non l’action publique. Ce qui rend

inopérant l’indépendance du juge.

iv- D’où il ressort qu’au plan matériel (l’objet du litige), le ministère public a un rôle

prépondérant au rôle du juge. Il est, de ce fait, plus exposé aux influences

extrajudiciaires. Il devrait, pour cette raison, bénéficier d’une protection plus

objective que celle du juge.

v- À défaut d’une telle protection, l’opportunité des poursuites devrait être une

prérogative judiciaire.

vi- Dans une telle logique, le poursuivant privé (partie civile) devrait avoir les mêmes

garanties procédurales que le poursuivant public (ministère public).

Les droits français et canadiens sont aussi similaires par leur contexte social. Il s’agit des

sociétés industrielles qui semblent privilégier, dans la lutte contre la corruption, l’intérêt

économique national, contrairement aux dispositions de l’article 5 de la Convention de

l’OCDE. Par contre, en se soumettant constamment à l’évaluation des mécanismes de suivi

des conventions de lutte contre la corruption auxquelles ils sont parties, les systèmes français

et canadiens garantissent le perfectionnement et l’amélioration continue de leur cadre

juridique de lutte contre la corruption. Qu’en est-il de la réception des conventions de lutte

contre la corruption dans un contexte social relativement démocratique ?

3.4 La poursuite privée dans un contexte social en démocratisation Le Cameroun a un système juridique principalement orienté vers le Droit Civil. Seulement,

l’analyse des systèmes de Droit Civil français et de la Common Law canadienne, laisse voir

que le critère de comparaison, tiré de la nature du système juridique, ne produit pas

systématiquement des résultats divergents sur l’accès à la justice par la poursuite privée. Ceci

amène à interroger le contexte sociojuridique de réception des conventions de lutte contre la

corruption, afin d’y apprécier la pertinence d’une poursuite privée.

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3.4.1 La déclinaison d’un contexte social en démocratisation

Dans ses travaux, Susan Rose-Ackerman761 établit une corrélation entre la corruption et la

performance des institutions étatiques. Il y ressort que, plus un gouvernement ou un système

étatique est perméable à la corruption, moins ses institutions sont fiables. Si pareille situation

peut se justifier pour les États qui sortent des conflits armés, on rencontre aussi de telles

institutions dans les États stables, lesquels, « même dans les périodes de paix, sont incapables

de répondre aux besoins universels de la société internationale762 », si bien qu’on est amené

à se demander s’ils ont admis la défaillance763 comme un système d’administration. Telle est

notamment la situation décrite par certains auteurs dont l’étude porte sur des États au contexte

social comparable à celui du Cameroun. Ils estiment que :

Le fonctionnement réel’’ de l’État dans [les trois pays étudiés], au-delà des organigrammes, des textes juridiques ou réglementaires et des déclarations politiques, est en effet éloigné de son fonctionnement ‘‘ officiel’’. On peut parler d’un ‘‘fonctionnement informel généralisé”764.

Cela amène à dire qu’il s’agit des États dont les gouvernants sont assez compétents pour

mettre formellement en place des institutions conformes aux exigences internes et

internationales, mais qui, paradoxalement, sont volontairement dévoyées dans leur

substance. C’est à cette conclusion qu’a abouti la quasi-totalité des auteurs qui ont travaillé

sur la corruption au Cameroun765. Car, en matière de lutte contre la corruption, le Cameroun

compte plusieurs institutions, dont certaines sont antérieures aux conventions de lutte contre

la corruption.

S’agissant des institutions normatives, on peut citer, entre autres :

761 Voir notamment, Susan ROSE-ACKERMAN, Corruption and Gouvernment : Causes, Consequences, and Reform, Cambridge, Cambridge University Press, 1999 ; « Corruption and Government » (2008) 15(3) Journal of International Peacekeeping, 328 ; « Corruption and Post-Conflit “Peace-Building”» (2008) 15(3) Ohio Northern Law Review, 328; etc., préc, note 4. 762 Serge SUR, « Sur les “États défaillants” » Revue des revues de l’adpf, mai 2006. 763 Serge Sur définit un État défaillant comme un État « qui ne peut résoudre seul ses problèmes, qui a besoin, même s’il n’en est pas demandeur, d’une intervention extérieure », ibid. 764 Giorgio BLUNDO et Jean-Pierre olivier DE SARDAN (dir.), Etat et corruption en Afrique. Une anthropologie comparative des relations entre fonctionnaires et usagers (Benin, Niger, Sénégal), Paris/Marseille, Karthala et APAD, 2007, à la p.7. 765 Voir notamment, C. G. MBOCK, préc, note 40, à la p.1, « Le bon sens est gravement dérouté lorsqu’il s’observe que pour les mêmes faits, dans un même pays, certains camerounais sont littéralement persécutés pendant que d’autres, non satisfaits de ne pas être inquiétés, jouissent de promotions dans les organigrammes de l’État ».

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- le Code pénal, notamment, au chapitre III du titre 1er, intitulé, des infractions

commises par les fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction ;

- l’article 66 de la loi n°06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du

02 juin 1972 qui dispose :

Le Président de la République, le Premier ministre, les membres du gouvernement et assimilés, le président et les membres du bureau de l’Assemblée nationale, le président et les membres du bureau du Sénat, les députés, les sénateurs, tout détenteur d’un mandat électif, les secrétaires généraux des ministères et assimilés, les directeurs des administrations centrales, les directeurs généraux des entreprises publiques et parapubliques, les magistrats, les personnels des administrations chargées de l’assiette, du recouvrement et du maniement des recettes publiques, tout gestionnaire de crédits et des biens publics, doivent faire une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction766.

Quant aux organes, le pays est doté d’une Chambre des comptes767, d’un ministère du

Contrôle supérieur de l’État768, d’une Commission Nationale Anticorruption769, d’une

Agence Nationale d’Investigation Financière770 et, d’un tribunal criminel spécial771.

Enfin, le Cameroun est partie à la Convention des Nations Unies. Il a signé, en date du 30

juin 2008, la Convention de l’UA, qu’il n’a pas encore ratifié.

766 Constitution du 18 janvier 1996, art.66. 767 Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, art.41 « La chambre des comptes est compétente pour contrôler et statuer sur les comptes publics et ceux des entreprises publiques et parapubliques. Elle statue souverainement sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures des comptes. Elle connaît de toute autre matière qui lui est expressément attribuée par la loi ». 768 Décret n°2004/320 du 8 décembre 2004 portant organisation du Gouvernement, art.5(2) « Le ministre délégué à la Présidence de la République chargé du contrôle supérieur de l’État est chargé du contrôle supérieur de la gestion des finances publiques dans les services publics, les établissements et les organismes publics et parapublics sur les plans administratifs et financiers ». Voir aussi Décret n°2008/028 du 17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière, art.2(1) « Le Conseil est chargé de prendre des sanctions à l’encontre des agents publics, patents ou faits, coupables des irrégularités et fautes de gestion commises dans l’exercice de leurs fonctions, irrégularités et fautes ayant eu pour effet de porter préjudice aux intérêts de la puissance publique ». 769 Décret n°2006/088 du 11 mars 2006 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale Anti-corruption, art.2(1) « La Commission est un organisme public indépendant chargé de contribuer à la lutte contre la corruption ». 770 Décret n°2005/187 du 31 mai 2005 portant organisation et fonctionnement de l’Agence Nationale d’Investigation Financière. 771 Loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un tribunal criminel spécial, art.2 « Le Tribunal est compétent pour connaître, lorsque le préjudice est d’un montant minimum de 50 000 000 F CFA, des infractions de détournement de deniers publics et des infractions connexes prévues par le Code pénal et les Conventions internationales ratifiées par le Cameroun ».

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Toutefois, les analystes affirment sans équivoque que, malgré cet arsenal institutionnel, la

lutte contre la corruption n’a produit aucun effet772. Ceci parce qu’il ne s’agit que « des

institutions d’apparat, car, à y regarder de très près, ces structures viennent plutôt semer la

confusion, voire créer un désordre dans la lutte contre la corruption et les détournements des

deniers publics773 ». Ce constat s’avère d’autant plus plausible que, si dans les contextes de

Droit Civil français et de la Common Law canadienne, il a été observé que les juges sont

relativement à l’abri des commentaires défavorables, dans le contexte social camerounais,

c’est tout le système judiciaire qui est enlisé. Le droit y appliqué « de façon sélective et

ponctuelle [et] sert quelquefois même à régler des problèmes politiques sous couvert de

crimes [et] ne correspond [pas] à une politique criminelle appliquée de façon générale et

systématique774 ». Ceci est dû à un contexte sociopolitique où les « grands corrupteurs et

corrompus sont difficilement appréhensibles en raison de leur personnalité, leur rang social

[…]. Cet héritage de l’ère du Parti unique s’est malheureusement perpétué pendant la période

du multipartisme775 », puisqu’il existe désormais :

[U]ne imbrication entre corruption et réseaux de sociabilité au Cameroun […] La corruption apparaît comme une modalité […] un instrument “efficace” de conquête de leadership […] Dans un contexte où les caisses des partis politiques sont toujours vides, le financement du parti au pouvoir échoit d’abord aux titulaires des positions de pouvoir au sein des instances de l’État et du secteur privé. La corruption devient le dernier recours pour financer “leur” parti. La production et la diffusion d’un discours officiel réfractaire à la corruption, ainsi que la création de structures chargées officiellement de lutter contre elle, ne sont dès lors que des faux-fuyants destinés à distraire les bailleurs de fonds qui font de la lutte contre la corruption une conditionnalité pour continuer de prétendre à leur assistance776.

772 Olivier VALLEE, La police morale de l’anticorruption : Cameroun, Nigéria, Prais, Karthala, 2010, p.161. 773 Spener YAWAGA, « Avancées et reculades dans la répression des infractions de détournement des deniers publics au Cameroun : Regard critique sur la loi n°2011/028 du 11 décembre 2011 portant création d’un Tribunal criminel spécial » (2012) 90 Revue de droit et de science politique (juridis périodique), p.43. 774 Maurice KAMTO, « La chose publique » (2000) 2/1 Revue africaine des sciences juridiques, p.16 ; Voir aussi Jeanne Claire MEBU NCHIMI, « La problématique répression de la corruption en droit camerounais » (2007) 4/1 Revue africaine de sciences juridiques, p.89 « De fait, les détenteurs d’une parcelle de l’autorité de l’État susceptibles d’être mis en cause étaient parfois ou très souvent également membres influents du parti unique ou dominant, si bien qu’il n’était pas aisé pour le ministère public de déclencher l’action publique ». 775 J. C. MEBU NCHIMI, préc, note 774. 776 Joseph-Marie ZAMBO BELINGA, « Corruption, communautarisme, quête de notabilité et ethos social au Cameroun. Une asymétrie entre la rhétorique officielle et les pratiques au quotidien » dans DOMINIQUE DARBON (dir.), Le comparatisme à la croisée des chemins. Autour de l’œuvre de Jean-François Médard, Paris/Pessac, Karthala/MSHA, 2010, à la p 74.

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Ce contexte amène à s’interroger si la ratification, par le Cameroun, de la Convention des

Nations Unies n’est qu’ une « illusion [pour] à montrer à la communauté internationale que

le pays s’engage résolument dans la voie de la “bonne gouvernance”777 ».

3.4.2 Le cadre normatif de la poursuite privée en droit camerounais En Droit Civil camerounais, l’action publique peut être mise en mouvement par le ministère

public, par une administration, ou par la victime de l’infraction778. Il ressort ainsi de l’article

157 du Code de procédure pénale (CPP) que :

Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou par un délit peut, en portant plainte, se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent. La plainte avec constitution de partie civile met en mouvement l’action publique.

Après avoir mis en mouvement l’action publique, son exercice est exclusivement réservé au

ministère public779. Le juge d’instruction communique la plainte au procureur de la

République pour son réquisitoire. Celui-ci peut tendre, soit à l’irrecevabilité de la constitution

de la partie civile, soit à ce qu’il soit informé contre personne dénommée ou non dénommée

ou à une sollicitation des informations complémentaires, si la plainte n’est pas suffisamment

justifiée780. La constitution de partie civile est également ouverte à toute personne de

nationalité étrangère781, dans les hypothèses prévues au chapitre III du livre premier du Code

pénal relatives à l’application de la loi pénale dans l’espace. Même si le conseil de la partie

civile peut assister son client devant le juge d’instruction pour tous les actes d’information

posés par ce dernier782, il ne peut relever d’appel que des ordonnances de refus d’informer,

d’irrecevabilité de la constitution de partie civile, de rejet d’une demande d’expertise ou de

contre-expertise, de restitution des objets saisis ou de non-lieu783. Son appel n’est recevable

que sur l’action civile784.

777 M. KAMTO, préc, note 774, à la p 18. 778 Loi n°2005/007 du 27 juillet 2005 portant Code de procédure pénale (CPP), art.60. 779 Ibid. 780 CPP., art.160. 781 C.S. arrêt n°3/P du 1er octobre 1981 cité par GUY BLAISE DZEUKOU, Code de procédure pénale. Annoté et commenté. Tome I Annotations, Bafoussam, Éditions juridiques camerounaise, 2007, p.156. 782 CPP., art.173. 783 CPP., art.270. 784 CPP., arts.455(3) et 456.

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Au-delà de la possibilité ouverte à toute personne physique de mettre en mouvement l’action

publique, l’exercice de cette prérogative semble difficile pour deux raisons. L’incrimination

de la corruption ne permet pas de distinguer la victime du délinquant785. Car entre l’agent

public qui sollicite un avantage indu, en échange d’un service, et l’usager qui octroie cet

avantage, il n’est pas aisé de déterminer s’il s’agit d’une résolution criminelle ou si l’un des

acteurs du pacte de corruption y a participé contre son gré. Comment faire la preuve que le

pacte « corruptionnel » a été imposé à l’une des parties ? Ou mieux, comment mettre en

œuvre l’action publique sans s’accuser soi-même ? Ces deux difficultés, à savoir,

l’identification du délinquant d’une part, et la preuve de l’acte « corruptionnel » d’autre part

se recoupent aussi bien dans le droit substantiel que dans le droit procédural.

Dans le premier cas, en considérant l’infraction de corruption, il ressort des dispositions du

Code pénal qu’

Est puni d’un emprisonnement de cinq (05) à dix (10) ans et d’une amende de deux cent mille (200 000) à deux millions (2000 000) de francs, tout fonctionnaire ou agent public national, étranger ou international qui, pour lui-même ou pour un tiers, sollicite, agrée ou reçoit des offres, promesses, dons ou présents pour faire, s’abstenir de faire ou ajourner un acte de sa fonction.

La peine prévue à l’alinéa 1 ci-dessus est un emprisonnement d’un (1) à cinq (05) ans une amende de cent mille (100 000) à un million (1000 000) de francs si l’acte n’entre pas dans les attributions de la personne corrompue, mais a été facilité par sa fonction.

Est puni des peines prévues à l’alinéa 2 ci-dessus, tout agent public national ou international qui sollicite ou accepte une rétribution en espèce ou en nature pour lui-même ou pour un tiers, en rémunération d’un acte déjà accompli ou une abstention passée

Les peines prévues aux alinéas 1, 2 et 3 ci-dessus sont doublées si le fonctionnaire ou l’agent public incriminé est un magistrat, un officier de police judiciaire, un agent d’une institution de lutte contre la corruption, un chef d’unité administrative ou tout autre fonctionnaire ou agent public assermenté786.

Si l’article 134 est une hypothèse de corruption active de l’agent public, il a son pendant dans

l’article 134-1787 qui concerne la corruption passive. Il s’agit en d’autres termes de la

785 J. C. MEBU NCHIMI, préc, note 774, à la p.88. 786 Code pénal, art.134, Corruption. 787Code pénal, art.134 bis, « Quiconque, pour obtenir soit l’accomplissement, l’ajournement ou l’abstention d’un acte, soit une des faveurs ou avantages vus à l’article précédent, fait des promesses, offres, dons, présents

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corruption active de l’usager. Prouver que l’infraction de corruption active de l’agent public

a été commise, revient à déposer comme pièce à conviction788 l’acte pour lequel l’obtention,

l’abstention ou l’ajournement a nécessité la corruption. Or, cette pièce à conviction laisse

supposer autant la preuve d’une passivité de l’agent public que celle d’une activité corruptrice

de l’usager. En clair, la preuve de la corruption est susceptible d’engager simultanément la

responsabilité pénale de l’agent public et celle de la partie civile (sous l’empire de l’article

134-1). Cette situation décourage les dénonciations et donne l’impression que les populations

s’accommodent de cette délinquance789. Un embarras similaire avait déjà été relevé par les

Parties à la Convention de l’OCDE qui justifiaient, à l’occasion de la conférence de

négociations, pourquoi elles ne trouvaient pas pertinent de distinguer la corruption active de

la corruption passive. Pour elles,

[L]’expression ‘‘corruption active’’ n’est pas utilisée dans la Convention tout simplement pour éviter une interprétation erronée de la part du lecteur non averti, qui pourrait induire que le corrupteur a pris l’initiative et que le bénéficiaire se trouve dans une situation de victime passive. En fait, il est fréquent que le bénéficiaire ait incité le corrupteur ou ait fait pression sur lui, en ayant ainsi joué le rôle plus actif790.

Cela étant, le constat fait par les Parties à la Convention de l’OCDE n’apporte pas de réponse

sur la charge de la preuve qui incombe à la partie civile. Pour cela, il est souhaitable que le

législateur sous-estime la distinction sus évoquée, afin de retenir la constitution de partie

civile, uniquement pour l’article 134. Cette solution a l’avantage de contribuer à une

meilleure précision de l’incrimination de corruption. Dans cette veine, la corruption cesse

d’être l’infraction de tout le monde pour s’appliquer au seul professionnel ou à l’agent d’un

service public ou privé. Vis-à-vis de l’usager qui sollicite un service, l’agent est en position

ou cède à des sollicitations prévues à l’article 134, alinéa 1er, ci-dessus, que la corruption ait ou non produit son effet. Est puni des peines prévues à l’alinéa 2 de l’article précédent, celui qui fait des dons, présents ou cède aux sollicitations tendant à rémunérer un acte déjà accompli ou une abstention passée ». 788 G. CORNU, préc, note 182, à la p.763 « objet placé sous-main de justice à l’effet de servir d’élément de preuve (aidant à la conviction du juge) dans un procès pénal ». 789 J. C. MEBU NCHIMI, préc, note 774, à la p.90. 790 Conférence de négociations, Commentaires relatifs à la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, 21 novembre 1997, préc, note 280.

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197

d’autorité. De plus, il peut se fonder sur l’article 160791, s’il est contraint par l’usager à faire

ou à ne pas faire un acte de sa fonction. C’est donc exclusivement sur lui que repose la

responsabilité pénale pour corruption. Il lui appartient de dénoncer toute pression

éventuellement subie. Il doit, à l’avance, déterminer dans quelles conditions un service est

susceptible d’être rendu. En faisant de la corruption l’infraction de l’agent (public ou privé),

on permet à la partie civile, notamment, à l’usager, unique victime de la corruption de faire

la preuve de l’infraction « corruptionnelle » sans s’accuser elle-même.

Dans le second cas relatif au détournement le Code pénal dispose :

Quiconque par quelque moyen que ce soit obtient ou retient frauduleusement quelque bien que ce soit, mobilier ou immobilier, appartenant, destiner ou confié à l’État unifié, à une coopérative, collectivité ou établissement, ou publics ou soumis à la tutelle administrative de l’État ou dont l’État détient directement ou indirectement la majorité du capital, est puni […]792.

Cette disposition soulève deux difficultés. Il s’agit de la preuve du détournement d’une part

et, d’autre part, l’intérêt à agir d’une personne privée. S’agissant de la preuve, le constituant

avait initié une solution à travers l’article 66 de la constitution du 18 janvier 1996, qui fait

obligation à certains agents publics de faire la déclaration de leurs biens et avoirs au début et

à la fin de leurs fonctions. Cet article est à l’origine de la Loi n°003/2006 du 25 avril 2006

relative à la déclaration des biens et avoirs. Elle n’a pas encore été mise en application. Il

est permis d’espérer que les institutions publiques spécialisées dans la lutte contre la

corruption saisiront le procureur de la République dans les conditions fixées à l’article 135

CPP.

En ce qui concerne les personnes et groupes n’appartenant pas au secteur public, on se

demande si leur seule contribution à l’impôt suffit pour justifier leur intérêt à agir. Dans

l’attente d’une solution jurisprudentielle, il est possible de répondre à cette question en se

fondant sur l’article 45 de la Constitution. Selon les termes de cette disposition, « les traités

ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une

791 Code pénal, art. 160, Contrainte de fonctionnaire, « Est puni d’un emprisonnement de deux (02) à dix (10) ans et d’une amende de vingt mille (20 000) à un million (1 000 000) de francs, celui qui, par voies de fait ou menaces, détermine un fonctionnaire à un acte ou une abstention irrégulière ». 792 Code pénal, art.184, Détournement.

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autorité supérieure à celle des lois […] ». La clarté de cette disposition constitutionnelle

devrait permettre l’application, en l’espèce, de l’article 13793 de la Convention des Nations

Unies. De plus, il ressort de l’article 10(1) de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 relative

à la liberté d’association, que « [toute] association déclarée dans les conditions prévues par

la présente loi peut librement ester en justice ». Ceci autorise toute personne morale, voire

physique, jouissant de ses droits civils, à se constituer partie civile pour des faits de

détournement des deniers publics. Toutefois la question des preuves et, avant elle, celle de

l’information n’ont pas encore de réponse. Comment des personnes n’appartenant pas au

secteur public pourraient être informées des faits de détournement des derniers publics ?

Deux solutions sont susceptibles d’être envisagées, dont l’une est interne, et l’autre est

extraterritoriale.

Au plan interne, la lutte contre la corruption par les poursuites privées nécessite une parfaite

réception de l’article 13 de la Convention des Nations Unies, notamment en son paragraphe

1b). Il y ressort qu’il faut « assurer l’accès effectif à l’information ». Au sens de la

Convention des Nations Unies, les États Parties doivent interpréter largement la société et les

associations représentatives avec lesquelles ils doivent collaborer, Ce qui comprend, entre

autres,

[L]es ONG, les syndicats, les médias, les organisations confessionnelles, etc., ainsi que les institutions avec lesquelles il se peut que l’État n’entretienne pas de relations directes. Les États Parties devront également veiller à ce qu’il soit tenu compte des perspectives et des vues des groupes qui peuvent ne pas avoir de représentation constituée, et en particulier des groupes sociaux marginalisés.794

Au bénéfice des catégories de personnes susmentionnées, la Convention des Nations Unies

exige, entre autres,

De mettre à la disposition des citoyens des moyens d’exprimer leurs préoccupations ou de formuler des allégations sans crainte d’intimidation ou de représailles ;

793 Convention des Nations Unies, préc, note 15, « [chaque] État partie prend des mesures appropriées, dans la limite de ses moyens et conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, pour favoriser la participation active de personnes et de groupes n’appartenant pas au secteur public, tels que la société civile, les organisations non gouvernementales et les communautés de personnes, à la prévention de la corruption et à la lutte contre ce phénomène, ainsi que pour mieux sensibiliser le public à l’existence, aux causes et à la gravité de la corruption et à la menace que celle-ci représente […] ». 794 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.71.

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199

Tous les organismes publics devront également publier des informations sur leurs services et leurs attributions, ainsi que sur la procédure à suivre pour déposer des plaintes de corruption ;

Le principe étant que chacun devrait avoir, sur demande, accès aux documents officiels détenus par les autorités publiques, sans discrimination795.

Il paraît en l’état actuel du droit positif camerounais que les exigences des Nations Unies

relatives au droit d’accès à l’information sont loin d’être suivies, aux fins d’une lutte efficace

contre la corruption. À l’exception de quelques « dispositions législatives éparses

susceptibles de servir de catalyseur à l’atteinte d’un gouvernement ouvert et éventuellement

l’adoption d’une loi générale d’accès à l’information au Cameroun, force est de constater

qu’il existe encore de nombreux obstacles796 ». On peut notamment citer :

Une mauvaise interprétation de l’obligation de réserve et du secret professionnel ; Une culture de manque de service au sein de l’administration ; Une rhétorique démocratique et des pratiques antidémocratiques ; Une absence d’une culture de participation citoyenne ; Une absence de documentation et une mauvaise tenue des archives dans les services publics ; La personnalisation des dossiers publics par des fonctionnaires, etc.797,

Il ressort de la description de ce cadre juridique relatif au droit d’accès à l’information que,

malgré l’intérêt à agir au profit d’une personne privée, il lui sera difficile d’accéder à la

justice, faute d’information (donc de preuve), pour dénoncer ou se constituer partie civile

pour des faits de détournement de deniers publics. Cette évidence invite à soutenir l’une des

hypothèses retenues dans cette étude. En effet, au lieu de faire de la restitution des avoirs son

principe fondamental, la Convention des Nations Unies aurait mieux fait d’élever la détection

au rang de principe fondamental. Ce qui revient, dans le contexte camerounais, à garantir une

place centrale dans le procès du droit d’accès à l’information en matière de lutte contre la

corruption.

S’il est admis qu’au plan interne la poursuite privée est délicate, cette difficulté est

susceptible d’être relativisée par la logique des réseaux de l’ère postmoderne. Dans leur

perspective transnationale, les mêmes faits « corruptionnels » produisent des effets à

795 Ibid, aux pp.71-73. 796 Initiative de gouvernance citoyenne, Droit d’accès à l’information et transparence administrative au Cameroun. Étendue et limite du cadre normatif et institutionnel, 2010, [en ligne] [www.citizens-gouvernance.org/documentation/publications.html] [consulté, le 25/08/2014], p.73. 797 Ibid, pp.74-81.

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l’extérieur du territoire national sous des qualifications diverses. La mise en réseau de la

société civile permet aux organisations nationales de perfectionner la quête de l’information

locale à partir des dénonciations extraterritoriales, et vice versa. Trois exemples non

exhaustifs permettent de mettre en relief l’impact positif de la société civile internationale

sur la lutte contre la corruption dans des contextes relativement démocratiques. Dans le

contexte camerounais, certains auteurs estiment que c’est le classement du Cameroun au

peloton de tête des pays les plus corrompus en 1998 et 1999, par l’ONG Transparency

international, qui avait motivé l’institutionnalisation de certains mécanismes de lutte contre

la corruption798. Des poursuites judiciaires pour recel et blanchiment de détournement des

fonds publics, dirigées contre certains chefs d’État africains, ont été initiées en France en

2007 par la société civile française799. Or compte tenu du contexte social et institutionnel, de

telles actions ne peuvent pas encore prospérées dans des pays où l’infraction initiale a eu lieu.

Par ailleurs, la condamnation à Paris le 5 septembre 2012 du Groupe Safran800, pour

corruption d’agents publics étrangers au Nigeria, n’a pas eu d’effets judiciaires sur des

ministres corrompus par l’entreprise française. Les situations susmentionnées correspondent

à la définition de l’État défaillant retenue par Serge Sur. Il s’agit des États qui, en temps de

paix ne parviennent pas ou mieux, n’ont pas la volonté politique de lutter contre la

corruption ; et nécessitent à cette fin, même s’ils n’en font pas la demande, d’une aide

extérieure. Cette conception maximaliste801 n’appelle pas pour autant une solution

manichéenne. La postmodernité, telle qu’elle est comprise dans cette étude, ne postule

nullement que l’émergence de la société civile s’accompagne d’un déclin des institutions

étatiques. Il s’agit plutôt de faire coopérer802 les organisations n’appartenant pas au secteur

public au renforcement des institutions étatiques.

798 Voir notamment, Claude ASSIRA, « Procès et procédures : État de non-droit permanent ? », dans Charly Gabriel MBOCK (coord.), L’opération épervier au Cameroun. Un devoir d’injustice ?, Montréal, Kiyikaat Editions, 2011, à la p 49 ; J. C. MEBU NCHIMI, préc, note 774, à la p.80 ; S. YAWAGA, préc, note 773, à la p.41. 799 Voir supra, note 655 et s. 800 [En ligne] [www.actubenin.com/?Le-groupe-safran-condamne-a-Paris] [consulté, le 05 novembre 2012]. 801 S. SUR, préc, note 762. 802 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.71, « [les] États Parties devront interpréter largement ce qu’il faut entendre par la société et par les associations représentatives avec lesquelles ils doivent coopérer ».

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On observe, de ce qui précède, qu’avant même d’analyser la réception, en droit interne

camerounais, des mécanismes internationaux de lutte contre la corruption, le pays devrait

d’abord songer à la maturation, soit de son cadre normatif interne, soit de la volonté politique

à lutter contre la corruption.

3.4.3 L’évaluation tardive du cadre normatif camerounais par le mécanisme de suivi de la convention des Nations Unies

Le Cameroun a signé la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre

la corruption, le 30 juin 2008 et ne l’a pas encore ratifiée. Il a signé la Convention des Nations

Unies le 10 décembre 2003 et l’a ratifiée le 6 février 2006.

Suivant les dispositions de l’article 63.1 de la Convention des Nations Unies803, la

Conférence des États Parties à la Convention a créé, dans sa Résolution 3/1, un mécanisme

d’évaluation de la mise en œuvre de la Convention804. La première phase d’examen par ce

mécanisme intergouvernemental d’une durée de cinq années était prévue de juin 2010 à juin

2014. Cette phase concernait les chapitres III (Incrimination, détection et répression) et IV

(Coopération internationale)805. Le Cameroun, dont l’examen était prévu à la deuxième phase

(du 30 mai au 3 juin 2011), l’a renvoyé en 2016806. Il y ressort que s’il est possible d’interjeter

appel d’une décision de non-poursuite, il n’y a en revanche aucune mesure visant à éviter les

abus de pouvoir discrétionnaire807. D’autre part, la poursuite privée est également improbable

au pays parce que « le Cameroun n’a pas mis en œuvre les dispositions relatives à la

protection des témoins et des personnes qui communiquent des informations808 ».

803 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.63.1, « Une conférence des États Parties à la Convention est instituée pour améliorer la capacité des États Parties à atteindre les objectifs énoncés dans la présente Convention et renforcer leur coopération à cet effet ainsi que pour promouvoir et examiner l’application de la présente Convention ». 804 Conférence des États Parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption, Résolution 3/1, Doha, 9-13 novembre 2009, [en ligne] [www.unodc.org/documents/treaties/UNCAC/COSP/session3/V1051986f.pdf] [consulté, le 21/08/2014]. 805 Implementation Review Group of the United Nations Convention against Corruption, [en ligne] [http://www.unodc.org/unodc/en/treaties/CAC/IRG-sessions.html] [Consulté, le 21/08/2014]. 806 Nations Unies, Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption, Examen de l’application de la Convention des Nations Unies contre la corruption, CAC/COSP/IRG/I/2/1/Add.37, 2016. 807 Ibid, p.5. 808 Ibid.

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Quant à la Convention de l’UA, son mécanisme de suivi est le Conseil consultatif de l’Union

africaine sur la corruption. Il est institué par l’article 22(1) de la Convention. Après avoir

constaté que seuls treize (13) États parties avaient répondu aux questionnaires qu’il avait

envoyé à l’ensemble des États pour évaluer leur mise en œuvre de la Convention, il a modifié

sa méthodologie809. Dans les faits, l’absence de financement810 ne permet pas au Conseil de

procéder à une évaluation systématique de la mise en œuvre de la Convention par les États

parties. Bien plus, le Cameroun ne faisait pas partie du groupe des treize qui avait répondu

aux questions du Conseil.

On observe de ce qui précède que la lutte contre la corruption dans les contextes sociaux

relativement démocratiques, tel le cas du Cameroun, interroge, en premier lieu, la

constitution d’un véritable état de droit dans ces contextes. Trois exemples non exhaustifs

suffisent à illustrer ce constat :

• l’article 66 de la constitution du 18 janvier 1996, relatif à la déclaration des biens

et avoirs de certains agents publics, au début et à la fin de leur mandat n’est pas

toujours appliqué au Cameroun ;

• le pays a ratifié la Convention des Nations Unies. Celle-ci n’a pas, au Cameroun,

une autorité supérieure à la loi, contrairement aux dispositions de l’article 45 de

la constitution. On relève, par exemple, que l’article 20 de cette convention, relatif

à l’enrichissement illicite, ne constitue pas une infraction en droit camerounais ;

• suivant les dispositions de l’article 60 du Code de procédure pénale, la victime

peut mettre en mouvement l’action publique. Toutefois, en absence d’un

encadrement juridique du droit d’accès à l’information, il ne lui est pas possible

de collecter la preuve nécessaire au soutien de son action.

809 Conseil consultatif de l’Union Africaine sur la corruption, Cinquième rapport du Conseil consultatif de l’Union africaine sur la corruption au Conseil Exécutif de l’Union Africaine, mai 2014, p.2. 810 Ibid p.7.

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Après avoir analysé la conformité des systèmes juridiques de Droit Civil et de Common Law

d’une part et des contextes sociaux démocratiques et en démocratisation d’autre part, aux

conventions régionales et internationales anticorruptions, que peut-on retenir de l’accès à la

justice par la poursuite privée dans ces différents systèmes et contextes ? On observe d’une

façon générale que :

i- L’absence d’une autonomie organisationnelle et décisionnelle du ministère public

porte atteinte au principe de l’indépendance judiciaire.

ii- Du fait des considérations liées à l’intérêt public, le groupe de travail de l’OCDE

émet encore des réserves sur la conformité des États parties à l’article 5 de cette

convention.

iii- Les systèmes sociaux non démocratiques n’adhèrent que de façon apparente aux

conventions de lutte contre la corruption.

Il faut toutefois relever que la corruption, notamment la grande corruption, étant un crime

complexe, les parties aux conventions de lutte contre la corruption ont institué d’autres

mécanismes publics pour lutter contre ce comportement asocial. S’il ressort de ce qui précède

que l’accès à la justice par les poursuivants privés non étatiques ne satisfait pas encore aux

conditions d’indépendance judiciaire suggérées par les mécanismes internationaux de lutte

contre la corruption, qu’en est-il des poursuites privées étatiques ? Les organes du secteur

public spécialisés dans la lutte contre la corruption peuvent-ils accéder au juge sans

l’interférence du ministère public

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CHAPITRE 4

L’ACCÈS À LA JUSTICE PAR DES POURSUITES PRIVÉES DU SECTEUR PUBLIC

Les États Parties voudront avoir à l’esprit que […] l’une des raisons de créer un OAC (organe anticorruption) a été le manque d’indépendance […] des services existants […] et les doutes […] quant à l’efficacité de leur travail.

Guide technique de la Convention des N. U. contre la corruption (2010).

En dehors des autorités traditionnelles de poursuite du système judiciaire, notamment le

ministère public, est-il possible que d’autres mécanismes publics mettent en mouvement

l’action publique pour des faits de corruption ? Telle est la question que pose le présent

chapitre.

Il a été précisé supra811 que, malgré sa saisine par des instruments juridiques régionaux et

internationaux, l’infraction de corruption ne revoie pas toujours à un fait unique et précis. Il

s’agit d’un concours complexe d’actes illicites, dont l’efficacité de la prise en compte

nécessite une approche multidisciplinaire812. Il se dégage un consensus selon lequel une telle

approche ne peut efficacement se réaliser qu’en confiant le mandat de la lutte contre la

corruption à des organes indépendants, autonomes et spécialisés. C’est dans ce sens que

l’OCDE mentionne que,

Anti-corruption legislation and measures need to be implemented and monitored through specialised bodies/or personnel with adequate powers, resources and training […] “corruption is phenomenon the prevention investigation and prosecution of which need to be approached on numerous levels using specific knowledge and skills from a variety of fields (law, finance, economics, accounting, civil engineers, etc813.)

Cette conciliation, entre la complexité de l’infraction « corruptionnelle » et la spécialisation

indispensable des organes de sa prise en compte, a conduit les auteurs des conventions de

lutte contre la corruption, tantôt, à suggérer aux États Parties les secteurs d’activités sensibles

811 Cf. pp.10-14. 812 Convention des Nations Unies, préc, note 15, préambule. 813 OECD, Specialised Anti-Corruption Institutions: Review of Models: Second Edition, OECD Publishing, 2013, à la p.19.

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pour lesquelles les mesures particulières de lutte contre la corruption devraient être prises,

tantôt, à leur conseiller la création des autorités spécialisées dans la lutte contre cette

criminalité, par la prévention, la détection et la répression814. Ces autorités sont

complémentaires au système judiciaire traditionnel et ne doivent leur existence qu’à la

spécialisation de leur mandat. Il faut, pour cette raison, que leur institutionnalisation ressorte

« leur valeur ajoutée815 » dans la détection et la poursuite des faits de corruption. Ainsi,

l’accès à la justice par des poursuites publiques – ou poursuites privées conduites par des

autorités administratives indépendantes – permet d’analyser l’originalité du cadre juridique

sans lequel certains faits de corruption ne seraient pas connus par la justice, si les organes

publics spécialisés dans la lutte contre la corruption n’avaient pas été institués. Cette analyse

permet, dans un premier temps, de recenser les propositions faites dans les instruments

juridiques internationaux de lutte contre la corruption, avant d’apprécier, dans un second

temps, leur réception dans les systèmes juridiques analysés.

4.1 Les mécanismes conventionnels de lutte contre la corruption nationale

La quasi-totalité des instruments de lutte contre la corruption, analysés dans cette étude,

suggère l’institutionnalisation des mécanismes spécifiques particulièrement adaptés à la lutte

contre la corruption. C’est dans ce sens que la Convention de l’UA précise parmi ses

objectifs, « la mise en place […] des mécanismes nécessaires pour prévenir, détecter,

réprimer et éradiquer la corruption et les infractions assimilées816 ». Cela laisse observer que

les organes de lutte contre la corruption peuvent être, entre autres, les organes de prévention,

les cellules de renseignement financier et les organes chargés d’enquête et de poursuites des

faits de corruption.

4.1.1 Les organes de prévention de la corruption

Les organes de prévention se retrouvent à l’article 6 de la Convention des Nations Unies. Il

y ressort que « chaque État partie fait en sorte, conformément aux principes fondamentaux

814 Convention des Nations Unies, préc, note 15, arts. 6, 12 para.2f, 14, 36 ; Convention de l’OCDE. 815 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.131. 816 Convention de l’UA, préc, note 19, art.2 para.1. Voir dans le même sens, Convention de l’OEA, préc, note 25, art. II para.1.

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de son système juridique, qu’existent un ou plusieurs organes, selon qu’il convient, chargés

de prévenir la corruption […]817 ».

L’analyse des fonctions dévolues à un tel organe montre qu’il s’agit d’un mécanisme de

coordination de la lutte contre la corruption, dans un État partie donné. À ce titre, il est

l’organe national compétent pour évaluer le cadre juridique de la lutte contre la corruption.

Au regard des politiques visées à l’article 5818 de la même Convention, il peut notamment :

exiger des institutions du secteur public qu’elles élaborent des plans d’action spécifiques et guider/revoir leur exécution, entreprendre des évaluations ou des inspections des institutions, recevoir et examiner les plaintes du public et recevoir les rapports d’audit, rapports d’investigation ou rapport parlementaires des organes responsables des enquêtes sur les cas de corruption ; entreprendre les recherches sur la législation et les procédures administratives applicables ; organiser des sondages d’opinion et exploiter d’autres sources d’information ; collecter les informations et organiser les auditions en vue d’examiner périodiquement l’avancement des plans de lutte contre la corruption819.

Sachant qu’il ne s’agit que d’un organe de prévention et non de répression, on peut se

demander comment cet organe peut contribuer à l’accès à la justice des organes spécialisés

dans la répression de la corruption ? La réponse à cette question se dévoile dans les

compétences qui lui sont reconnues. À l’exclusion des missions de répression, de poursuite

ou d’enquête qui ne lui sont pas dévolues, l’organe de prévention n’est pas limité dans les

rapports qu’il établit sur les mesures les plus efficaces de lutte contre la corruption. À travers

les missions d’audit, des sondages d’opinion et d’autres sources d’information mises à sa

disposition, il est susceptible de constater que certains mécanismes publics, spécialisés dans

la lutte contre la corruption, devraient être autorisés à saisir le juge pour des faits de

corruption par eux découverts. Cette solution trouve son fondement dans les différentes

conventions de lutte contre la corruption qui suggèrent la mise en place des agences

817 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.6 para.1. 818 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.5 « Chaque État partie élabore et applique ou poursuit […] des politiques de prévention de la corruption efficaces et coordonnées qui favorisent la participation de la société et reflètent les principes d’état de droit, de bonne gestion des affaires publiques, d’intégrité, de transparence et de responsabilité. […] Chaque État partie s’efforce d’évaluer périodiquement les instruments juridiques et mesures administratives pertinents en vue de déterminer s’ils sont adéquats pour prévenir et combattre la corruption. […] ». 819 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.11.

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nationales indépendantes de lutte contre la corruption820. Il est remarquable de relever à quel

point les instruments de lutte contre la corruption insistent sur le concept d’ « indépendance »

des organes de lutte contre la corruption. Pour l’instrument onusien, « chaque État partie

accorde à l’organe ou aux organes visés au paragraphe 1 du présent article l’indépendance

nécessaire […] pour leur permettre d’exercer efficacement leurs fonctions à l’abri de toute

influence indue821 ». Quant à la Convention pénale de l’Europe, elle précise que « des

personnes ou des entités […] spécialisées dans la lutte contre la corruption […] disposeront

de l’indépendance nécessaire […] pour pouvoir exercer leurs fonctions efficacement et libres

de toute pression illicite822 ». Les critères d’indépendance relevés dans la Convention de

l’OCDE ont déjà été explicités supra823. Il y ressort que « les enquêtes et poursuites en cas

de corruption d’un agent public étranger […] ne seront pas influencées par des considérations

d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou

l’identité des personnes physiques ou morales en cause824 ».

Peut-on dire que cette exigence d’« indépendance » suppose que les organes spécialisés, dans

la lutte contre la corruption, devraient se substituer aux organes de poursuite de l’ordre

juridique considéré, notamment au ministère public ? La réponse à cette question dépend, au

plan formel, du système juridique de chaque État partie. Mais au plan substantiel, les

conventions de lutte contre la corruption visent l’harmonisation du droit pénal applicable à

la corruption825 par l’application du principe de l’équivalence fonctionnelle. L’effectivité de

ce principe étant garantie par des mécanismes de suivi des différentes conventions de lutte

contre la corruption. Dans cette logique, l’indépendance des organes de lutte contre la

corruption induit que les faits de corruption, par eux déférés devant le ministère public,

doivent faire l’objet des poursuites judiciaires. Ces faits ne devraient pas être classés sans

820 Convention de l’UA, préc, note 19, art.5 para.3. 821 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.6 para.2. 822 Convention pénale sur la corruption, préc, note 266, art.20. 823 Voir entre autres, notes 589, et s. sur les rapports d’évaluation de la mise en œuvre de la Convention de l’OCDE par le Canada ; et notes 719 et s. sur les rapports d’évaluation de la mise en œuvre de la Convention de l’OCDE par la France. 824 Convention de l’OCDE, préc, note 28, art.5. 825 Voir dans ce sens, Convention de l’UA, préc, note 19, art.2 para.3 les objectifs de la présente Convention sont les suivants : « coordonner et harmoniser les politiques et les législations entre les États Parties aux fins de prévention, de détection, de répression et d’éradication de la corruption sur le contient ».

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suite pour des motifs illicites, illégitimes ou indus, puisque l’organe qui les a déférés devra

être renseigné sur leur suite. Il se réservera le droit de se substituer au ministère public

défaillant. Une telle substitution n’est pas souhaitable, car elle fera apparaître l’échec de la

coopération souhaitée entre les autorités traditionnelles de poursuite et les organes spécialisés

dans la lutte contre la corruption826. Ceci ne pourra se produire que si les organes de lutte

contre la corruption jouissent de meilleures garanties d’indépendance que celles reconnues

au ministère public. Tel est notamment le cas de l’autonomie institutionnelle827. C’est pour

cette raison que l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime rappelle que,

Les États Parties voudront peut-être avoir à l’esprit que l’expérience acquise au plan international montre que l’une des principales raisons de créer un OAC [Organe anticorruption] existant a été le manque d’indépendance réel ou apparent des services existants de détection et de répression et les doutes manifestés par le public quant à l’efficacité de leur travail828.

Après avoir analysé les missions dévolues à l’organe chargé de coordonner la lutte contre la

corruption, il revient maintenant d’examiner les mandats particuliers confiés aux autres

organes anticorruptions.

4.1.2 Le service de renseignement financier

Le service de renseignement financier est expressément cité dans la Convention des Nations

Unies829. Il est d’autant plus indispensable à la lutte contre la corruption, que son absence ou

son inefficacité est susceptible de concilier le crime économique de corruption et les crimes

de sang830. Ceci pourrait entraîner la systématisation de la criminalité nationale et

transnationale. Le service de renseignement financier veille principalement à la fiabilité des

826 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.38. 827 Voir supra sur la notion d’« indépendance » retenue dans cette étude, section 1.1.4.1.2, pp.66 et s. Par ailleurs, les conventions de lutte contre la corruption associent au concept « d’indépendance », la capacité de l’organe indépendant d’exercer ses fonctions « à l’abri de toute influence indue » (Convention des N.U, art.6 para.2); « exercer leurs fonctions efficacement et libres de toute pression illicite » (Convention pénale sur la corruption, art.20); et Convention de l’OCDE art.5. Ces précisions mentionnent l’absence d’une quelconque tutelle ou d’une hiérarchie organique, intellectuelle ou idéologique. Ce qui n’est pas toujours le cas des organes de poursuite des infractions pénales. 828 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17. 829 Convention des Nations Unies, préc, note 15, arts.14 para.1b, 58. 830 Voir dans ce sens, Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 15 novembre 2000, 2225 RTNU 209.

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210

comptes afin d’éviter le blanchiment d’argent aussi bien au plan national que transnational

et, dans les activités privées et publiques.

S’agissant des activités des entreprises privées, il ressort de l’article 8 de la Convention de

l’OCDE que :

Pour combattre efficacement la corruption d’agents publics étrangers, chaque Partie prend les mesures nécessaires, dans le cadre de ses lois et règlements concernant la tenue des livres et états comptables, la publication d’informations sur les états financiers et les normes de comptabilité et de vérification des comptes, pour interdire aux entreprises soumises à ces lois et règlements l’établissement de comptes hors livres, les opérations hors livres ou insuffisamment identifiées, l’enregistrement de dépenses inexistantes, l’enregistrement d’éléments de passif dont l’objet n’est pas correctement identifié, ainsi que l’utilisation de faux documents, dans le but de corrompre un agent public étranger ou de dissimuler cette corruption.

Chaque Partie prévoit des sanctions civiles, administratives ou pénales efficaces, proportionnées et dissuasives en cas de telles omissions ou falsifications dans les livres, les documents, les comptes et les états financiers de ces entreprises831.

Qu’il soit permis de rappeler que la lutte contre la corruption aux moyens du contrôle des

normes comptables avait été initiée aux États-Unis par la U.S. Foreign Corrupt Practices Act

(FCPA) of 1977832. En ces années 1970, la combinaison des enquêtes du bureau du procureur

spécial sur l’affaire du Watergate, de la Securities and Exchange Commission (SEC) et du

sous-comité du Sénat sur les entreprises multinationales avait révélé que :

[F]alsifications of corporate financial records, designed to disguise or conceal the source and application of corporate funds misused for illegal purposes, as well as the existence of secret ‘slush funds’ disbursed outside the normal financial accountability system833.

En ce moment, la corruption d’agents publics étrangers n’était pas encore criminalisée. Un

consensus national, également souhaité par les chefs d’entreprises, avait admis qu’il serait

efficace de lutter contre ce type de corruption par un contrôle légal des livres comptables834.

831 Convention de l’OCDE, préc, note 28, art.8. Voir aussi, Convention de l’UA, préc, note 19, art.5 para.2 ; Convention de l’OEA, préc, note 25, art.III para.10, Convention pénale sur la corruption, art.14. 832 U.S. Foreign Corrupt Practices Act of 1977, 15 U.S.C. §§ 78 dd-1, et seq. 833 Mike KOEHLER, The Foreign Corrupt Practices Act in a new era, Cheltenham, Edward Elgar Pub. Ltd, 2014, à la p.3. 834 Ibid à la p.8.

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Cette solution est partagée par les différentes conventions de lutte contre la corruption à

travers la disposition suscitée. Pour une parfaite mise en œuvre de cette disposition (art.8 de

la Convention de l’OCDE), les commentaires authentiques de la Convention renvoient à la

section V de la Recommandation révisée de 1997. Celle-ci met en évidence trois types de

contrôle simultanés applicables aux règles comptables, à la vérification externe indépendante

et au contrôle interne des sociétés. De façon précise, la section V de la Recommandation

révisée suggère que :

A. Règles comptables adéquates

Les pays membres devraient exiger des entreprises qu’elles tiennent des comptes adéquats des sommes reçues ou versées, avec mention de l’objet des encaissements ou versements. Les entreprises ne devraient pas être autorisées à effectuer des transactions hors livres comptables ou avoir des comptes hors livres comptables.

Les pays membres devraient exiger des entreprises qu’elles fournissent dans leurs états financiers toutes les informations utiles sur les provisions pour risque d’un montant significatif.

Les pays membres devraient sanctionner de façon adéquate les omissions, falsifications et fraudes dans les comptes.

B. Vérification externe indépendante

Les pays membres devraient examiner si les règles concernant l’obligation de se soumettre à une vérification externe des comptes sont adéquates.

Les pays membres et les associations professionnelles devraient fixer les normes adéquates pour assurer l’indépendance des vérifications externes, afin de leur permettre d’effectuer une évaluation objective des comptes, états financiers et contrôles internes des entreprises.

Les pays membres devraient exiger du vérificateur des comptes qui découvre des indices d’éventuels actes illicites de corruption qu’il en informe les dirigeants et, le cas échéant, les organes de contrôle de la société.

Les pays membres devraient examiner si les vérificateurs externes des comptes devraient être tenus de signaler les indices d’éventuels actes illicites de corruption aux autorités compétentes.

C. Contrôle interne des sociétés

Les pays membres devraient encourager la mise au point et l’adoption de systèmes de contrôle interne adéquats par les sociétés, y compris des règles de conduite.

Les pays membres devraient encourager les dirigeants des sociétés à faire dans leurs rapports annuels des déclarations concernant leur mécanisme de contrôle interne, y compris ceux qui contribuent à empêcher la corruption.

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Les pays membres devraient encourager la création d’organes de contrôle, indépendants des dirigeants, tels que les comités d’audit des conseils d’administration ou des conseils de surveillance.

Les pays membres devraient encourager les sociétés à fournir des moyens de communication ou de protection aux personnes qui ne veulent pas commettre une infraction à la déontologie ou aux normes professionnelles sur les instructions ou sous la pression de leurs supérieurs hiérarchiques835.

S’il est généralement admis que « the accounting standards required by article 8 can

facilitate the identification and prosecution of individuals and entities involved in the bribery

of foreign publics officials836», certains observateurs regrettent que le principe de

l’équivalence fonctionnelle appliqué dans le cadre de cette Convention soit susceptible

d’aboutir à des réceptions différentielles837 du contrôle des normes comptables838. Ceci n’est

pas favorable à la prévention et à la détection de la corruption dans tous les systèmes

juridiques où la (même) entreprise multinationale mène ses activités.

Si une telle compréhension est pertinente, elle rend difficilement compte de l’acception du

principe de l’équivalence fonctionnelle admise dans cette étude. En effet, une lecture

complémentaire d’autres instruments de lutte contre la corruption met en échec l’hypothèse

d’une réception divergente du contrôle des normes comptables. Car, si la Conférence de

négociations de la Convention de l’OCDE a identifié que « les infractions comptables visées

à l’article 8 se produisent généralement dans le pays d’origine de la société, alors que

l’infraction de corruption a pu être commise dans un autre pays839 » ; la Convention de l’UA

soutient, quant à elle, qu’il faut « [renforcer] les mesures nationales de contrôle pour s’assurer

que l’implantation et les activités des sociétés étrangères sur le territoire d’un État partie sont

soumises au respect de la législation nationale en vigueur840 ». Ainsi, les normes comptables

de la même entreprise devront être assujetties au double contrôle des autorités compétentes

835 OCDE, Recommandation révisée du Conseil sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales, 1997. 836 Mark PIETH et al., The OECD Convention on Bribery. A Commentary, Cambridge/New York, Cambridge Unieversity Press, 2007, p.380. 837 Si le constat d’une réception différentielle de la Convention est réel, il ne pourrait se fonder sur le principe de l’équivalence fonctionnel. En effet, ce principe vise l’harmonisation du droit substantiel. Cette harmonisation est mise en œuvre par les mécanismes de suivi des différentes conventions de lutte contre la corruption. 838 M. PIETH et al. préc, note 836. 839 Conférence de négociations de la Convention de l’OCDE, préc, note 280. 840 Convention de l’UA, préc, note 19, art.5 para.2.

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de son pays d’origine (selon la Convention de l’OCDE) et de tout autre pays où elle a des

activités (selon la Convention de l’UA). Dans cette perspective, les infractions comptables

pourront être détectées et sanctionnées autant dans le pays d’origine de la société que dans

celui où l’infraction de corruption d’un agent public étranger est susceptible d’être commise.

Cette criminalisation transversale des infractions comptables permet au pays du lieu de

commission de l’infraction « corruptionnelle » de la prévenir et de disposer, en cas de sa

commission, des éléments de preuve suffisants dans l’éventualité d’une poursuite judiciaire.

En outre, il importe de se demander comment les trois fonctions de contrôle A, B et C listées

à la section V de la Recommandation révisée de 1997 pourraient être à l’origine d’une

poursuite judiciaire. Pour répondre adéquatement à cette question, il faut préalablement

identifier le statut des autorités desdits contrôles. Dans cette logique, il est possible de les

classer en deux catégories. Les autorités préposées à l’entreprise et à ses partenaires d’affaires

et les autorités publiques investies d’un pouvoir de contrôle de l’entreprise.

La première catégorie concerne les professionnels de l’audit interne et externe. Les premiers

professionnels (audit interne) ont pour objectif « d’apprécier la bonne maîtrise des activités

de l’entreprise et de recommander les actions pour l’améliorer841 » ; tandis que les seconds

(audit externe) certifient « la régularité, la sincérité, l’image fidèle, des comptes, résultats et

états financiers842 ». Dans leur mission de contrôle interne et externe de l’entreprise, ces

professionnelles peuvent-ils « signaler les indices d’éventuels actes de corruption aux

autorités compétentes843 », notamment judiciaires ? La réponse de principe est négative. Les

autorités préposées à l’entreprise rendent compte, soit aux organes de l’entreprise, soit à ses

partenaires. Leur finalité vise le bon gouvernement des entreprises par l’évitement des erreurs

de management. Toutefois, cette réponse peut être nuancée en cas de découverte d’un acte

de corruption manifeste. Autrement dit, l’auditeur interne ou externe est fondé à alerter les

autorités publiques compétentes s’il détecte un fait intentionnel de corrompre, attribuable à

tout personnel de l’entreprise qui agit à son profit, au profit d’un tiers ou au profit de

l’entreprise. L’auditeur agira dans ce contexte en qualité de whistleblower. Il devrait

841 Jacques RENARD, Théorie et pratique de l’audit interne, 8e éd., Paris, Eyrolles, 2013, p.66. 842 Ibid. 843 OCDE, Recommandation préc, note 835, section V, B iv).

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bénéficier à cet effet de la protection prévue aux articles 32 et 33 de la Convention des

Nations Unies.

Par ailleurs, que se passe-t-il si le lanceur d’alerte se rend compte que les faits

« corruptionnels » signalés n’ont pas fait l’objet de poursuites judiciaires pour des motifs

infondés ? Il est suggéré dans cette étude que, tenant compte de son statut professionnel qui

lui confère une expertise pertinente dans la connaissance des faits criminels allégués, le

whistleblower soit autorisé à initier une poursuite privée, dans les mêmes conditions de

protection de sa personne et de son emploi que celles prévues aux articles 32 et 33 de la

Convention des Nations Unies sus évoqués. Mieux, dans les mêmes conditions de poursuites

pénales que le ministère public.

La seconde catégorie concerne les autorités publiques de contrôle. Selon le système juridique

applicable à chaque Partie aux conventions de lutte contre la corruption, elles peuvent être

rattachées au système judiciaire ; ou être constituées en autorité administrative indépendante.

Ainsi, au-delà de la production normative, le contrôle efficace des normes comptables

nécessite qu’à côté de la pratique de l’audit externe à des fins de management de l’entreprise,

se superpose l’audit conduit par l’autorité publique à des fins de contrôle de l’effectivité du

cadre juridique applicable à la tenue des normes comptables, et à des fins de lutte contre la

corruption844. Une telle perspective doit permettre à ce type d’administration d’initier des

poursuites judiciaires dans le cadre de l’exécution de son mandat. Ces poursuites doivent

aussi se dérouler avec les mêmes garanties procédurales que les poursuites conduites par le

poursuivant public.

Le contrôle des normes comptables ne s’effectue pas seulement sur les entreprises privées.

Les conventions des Nations Unies et de l’Union Africaine suggèrent que les comptes publics

fassent aussi l’objet des contrôles. C’est ainsi qu’aux termes de l’article 9 paragraphes 2 et 3

de la Convention des Nations Unies,

Chaque État partie prend, conformément aux principes fondamentaux de son système juridique, des mesures appropriées pour promouvoir la transparence et la

844 Il n’est pas exclu dans cette hypothèse que l’autorité publique compétente sollicite, pour son compte, les services d’un auditeur externe.

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responsabilité dans la gestion des finances publiques. Ces mesures comprennent notamment : des procédures d’adoption du budget national ; la communication en temps utile des dépenses et des recettes ; un système de normes de comptabilité et d’audit, et de contrôle au second degré […] Chaque État partie prend, conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, les mesures civiles et administratives nécessaires pour préserver l’intégrité des livres et états comptables, états financiers ou autres documents concernant les dépenses et recettes publiques et pour en empêcher la falsification845.

S’il peut être vérifié qu’à l’image des entreprises privées, les États Parties aux différentes

conventions de lutte contre la corruption disposent dans leur organigramme des services

chargés du contrôle des finances publiques, la recommandation des conventions suscitées

trouve sa principale justification dans l’implication des citoyens à la gestion des finances

publiques. Le fondement d’une telle implication se vérifie dans les dispositions des articles

10 (Information du public) et 13 (participation de la société) de la Convention des Nations

Unies, ainsi qu’à l’article 9 (accès à l’information) de la Convention de l’UA. Il y ressort

d’une façon générale que les États parties doivent :

[G]arantir que le citoyen a compris le fonctionnement de l’administration publique et [doit] être informé des décisions prises par les agents publics. En outre les institutions de l’État devront publier périodiquement des rapports sur leurs activités, ainsi que sur les risques de corruption que celle-ci suppose.

La transparence permet au citoyen de vérifier ce que l’administration fait en son nom et raffermit sa confiance dans les institutions […]846.

En clair, l’accès à l’information permet à tout citoyen d’effectuer un véritable audit de la

gestion des affaires publiques. Dans cette optique, le citoyen seul ou en groupe (ONG) peut

axer sa vérification sur une sphère géographique ou thématique. À partir de la loi budgétaire,

par exemple, il lui sera possible d’évaluer la conformité d’une action publique au budget

alloué. Ceci lui permettra également d’examiner, entre autres, la procédure de passation de

marché847 qui aura permis la réalisation de l’action publique évaluée.

845 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.9 paras. 2 et 3. Voir dans le même sens, Convention de l’UA, préc, note 19, art.5 para.4 « […] rendre opérationnels et renforcer des systèmes internes de comptabilité, de vérification des comptes et de suivi, notamment en ce qui concerne les revenus publics, les recettes douanières et fiscales, les dépenses et les procédures de location, d’achat et de gestion des biens publics et services ». 846 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p 49. 847 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.9.

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Globalement, il ressort de l’examen du contrôle des normes comptables, que dans la

perspective d’une lutte efficace contre la corruption, les auteurs des différentes conventions

de lutte contre la corruption n’ont pas voulu distinguer, dans la perspective de contrôle

anticorruption, les activités publiques des activités privées. En clair, autant les autorités

publiques sont invitées à contrôler les activités des entreprises privées aux fins de la lutte

contre la corruption, autant tout individu est autorisé, aux mêmes fins, à contrôler les

entreprises publiques. Logiquement, ce contrôle croisé devrait aboutir aux mêmes résultats :

l’accès à la justice pour des faits de corruption privée ou publique. Corollairement, les faits

présumés de corruption privée et publique ne sauraient limiter au seul ministère public le

monopole de l’opportunité des poursuites. L’impérieuse nécessité de l’accès à l’information,

suffisamment élaborée dans les différents instruments de luttent contre la corruption, justifie

la flexibilité souhaitée dans cette étude du droit positif applicable aux poursuites privées. Il

en est de même des poursuites initiées par d’autres mécanismes publics que le ministère

public.

4.1.3 Les autorités spécialisées dans la répression de la corruption

Une lecture des conventions régionales et internationales de lutte contre la corruption, sous

le prisme de l’indépendance judiciaire, invite à s’interroger sur le fonctionnement réel du

système judiciaire des États contemporains. Tel est notamment le cas de la Convention de

l’UA qui recommande aux États Parties de « mettre en place, rendre opérationnel et renforcer

des autorités ou agences nationales indépendantes chargées de lutter contre la corruption848 ».

Cette disposition donne l’impression que, si les différents ordres juridiques internes ne sont

pas dépourvus de système judiciaire, l’institution qui officie en cette qualité semble éprouver

de sérieuses difficultés à lutter contre la corruption849. Cette observation a été confirmée par

848 Convention de l’UA, préc, note 19, art.5 para.3. Voir dans le même sens, Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.11 ; ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.129, « cet article [Convention des Nations Unies, art.36] stipule que les États Parties doivent désigner des institutions ou des personnes essentiellement chargées de fonctions de détection et de répression, c’est-à-dire des enquêtes et, le cas échéant, des poursuites. Toutefois, il ne spécifie pas la forme que devront revêtir ces institutions, mais évoque les questions de procédure et les questions de ressources dont les États Parties doivent tenir compte pour adopter l’approche institutionnelle la mieux adaptée à leurs circonstances spécifiques. L’article 36 a un caractère obligatoire […] ». 849 Voir dans ce sens, ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.130, « les États Parties voudront peut-être avoir à l’esprit que l’expérience acquise au plan international montre que l’une des

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les auditions de la Commission Charbonneau850, où les témoignages des sieurs Michel Forget

et Michel Pelletier, respectivement directeur de la Communication et responsable à la

direction de la lutte à la criminalité contre l’État ont fait ressortir que « les enquêtes portant

sur la corruption suscitaient peu d’intérêt jusqu’en 2009 et que peu d’effectifs y étaient

consacrés. [De plus] les enquêteurs qui se retrouvaient dans l’escouade des crimes

économiques étaient souvent en début de carrière851 ». Un tel témoignage recommande de

porter une attention particulière sur les autorités chargées de la lutte contre la corruption. Si

elles peuvent être intégrées au système judiciaire existant, elles devraient d’abord être

modernisées852. Il faut entendre par « modernisation » au sens de la Convention des Nations

Unies et de la Convention pénale sur la corruption, la capacité des États Parties aux

conventions de lutte contre la corruption à faire en sorte que :

Ce ou ces organes ou ces personnes [spécialisées dans la lutte contre la corruption] se voient accorder l’indépendance nécessaire […], pour pouvoir exercer leurs fonctions efficacement et à l’abri de toute influence indue. Ces personnes ou le personnel dudit ou desdits organes devraient avoir la formation et les ressources appropriées pour exercer leurs tâches853.

Une lecture attentive de cette disposition semble ressortir les principaux critères rattachés à

l’indépendance judiciaire dans les États démocratiques854. Cependant, en sus de ces critères,

les conventions de lutte contre la corruption insistent sur le niveau de spécialisation du

personnel, de l’institution répressive, sur l’infraction qu’il est supposé connaître ; tout en

élargissant l’application du principe de l’indépendance à tous les professionnels du système

judiciaire855.

principales raisons de créer un OAC existant a été le manque d’indépendance réel ou apparent des services existants de détection et de répression et les doutes manifestés par le public quant à l’efficacité de leur travail ». 850 Gouvernement du Québec, Décret numéro 1029-2011 du 19 octobre 2011 concernant la constitution de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction. 851 En ligne [http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2014/10/14/003-surete-quebec-enquetes-corruptions-commission-charbonneau.shtml] [consulté, le 15/10/2014]. 852 Convention de l’OEA, préc, note 25, art.III para.9. 853 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.36 et Convention pénale sur la corruption, art.20. 854 K. BENYEKHLEF, pré., note 605, aux pp.47 et s. Pour cet auteur, deux éléments principaux sont caractéristiques de l’indépendance judiciaire. Il s’agit d’abord de l’indépendance individuelle, qui se recoupe dans les situations suivantes : la nomination et l’inamovibilité, les questions financières, l’impartialité, l’immunité judiciaire et l’indépendance intrajudiciaire ; ensuite l’indépendance institutionnelle, reconnaissable par l’indépendance administrative, la séparation des pouvoirs et la révocation. 855 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.11.

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Il importe donc peu que les autorités spécialisées dans la lutte contre la corruption fassent

l’objet d’une administration autonome. Selon le système juridique applicable à chaque État

partie aux conventions de lutte contre la corruption, ces autorités peuvent être les mêmes que

les autorités de prévention, les services de renseignement financier ou les autorités d’enquête

et de poursuite habituellement en charge de la répression des infractions. Mais, à la différence

de ces dernières, les autorités chargées de la prévention ou de la répression de la corruption

doivent faire l’objet d’une spécialisation et d’une indépendance non encore parfaitement

accessibles aux organes d’enquête et de poursuite du système judiciaire traditionnel. Est-ce

le cas des systèmes juridiques de la Common Law et du Droit Civil ?

4.2 La réception en droit interne des mécanismes conventionnels de lutte contre la corruption

Certains travaux établissent un lien étroit entre la corruption et la gouvernance856. On observe

dans une telle logique que la pratique de la bonne gouvernance – entendue comme la bonne

gestion des biens publics – est une mesure efficace de prévention de la corruption. À ce titre,

des institutions dont la finalité première est de garantir la bonne gouvernance ne seront pas

analysées dans cette étude. Il en est ainsi, par exemple, du vérificateur général857 du système

canadien et des juridictions des comptes858 des systèmes civilistes. Sans prétendre procéder

à une analyse exhaustive des différents mécanismes internes, l’attention de cette étude sera

retenue par des institutions permanentes et ad hoc spécialement chargées de la prévention et

de la lutte contre la corruption au Canada, en France et au Cameroun.

856 Susan ROSE-ACKERMAN, Corruption and Government. Causes, Consequences, and Reform, Cambridge, Cambridge University press, 1999; Susan ROSE-ACKERMAN, « Corruption and the Global Economy » in United Nations Development Program, Corruption and Integrity Improvement Initiatives in Developing Countries, New York, 1998; Susan ROSE-ACKERMAN, « Corruption and Government » (2008) 15/3 International Peacekeeping, préc, note 195. 857 Loi sur le vérificateur général, L.R.C., 1985, ch. A-17, art.5, « le vérificateur général est le vérificateur des comptes du Canada, y compris ceux qui ont trait au Trésor et, à ce titre, il effectue les examens et enquêtes qu’il juge nécessaires pour lui permettre de faire rapport comme l’exige la présente loi ». Voir dans le même sens, Loi sur le Vérificateur général, RLRQ c V-5.01. 858 En France, la Cour des comptes avait été créée par la Loi du 16 septembre 1807, complétée par le Décret du 28 septembre 1807. Suivant la Constitution du 04 octobre 1958 art.47-2, « La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques. Par ses rapports publics, elle contribue à l’information des citoyens […] ». Au Cameroun, selon la Loi n°06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, art.41, « La chambre des comptes est compétente pour contrôler et statuer sur les comptes publics et ceux des entreprises publiques et parapubliques […] ».

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4.2.1 Les mécanismes canadiens de lutte contre la corruption

Il sera retenu, à titre illustratif, trois institutions dont deux fédérales et une québécoise. Il

s’agit du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE),

de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) et de la Commission d’enquête sur le

programme des commandites et des activités publicitaires (Commission Gomery).

4.2.1.1 Le CANAFE

Le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada est constitué

suivant les dispositions de l’article 41(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la

criminalité et le financement des activités terroristes859. Même si le CANAFE est antérieur

à la Convention des Nations Unies contre la corruption et à la Convention des Nations Unies

contre la criminalité transnationale organisée860, ses missions se recoupent dans les

dispositions de ces deux instruments861. Ceci lui confère une double mission de lutte contre

la criminalité économique et de sauvegarde de la sûreté de l’État862.

Relativement à la mission qui consiste à lutter contre la corruption, le CANAFE prévient et

détecte – tout en identifiant ses auteurs – le recyclage des produits de la criminalité. Le Code

criminel définit ainsi l’infraction pour laquelle :

[Q]uiconque – de quelque façon que ce soit – utilise, enlève, envoie, livre à une personne ou à un endroit, transporte ou modifie des biens ou leurs produits, en dispose, en transfère la possession ou prend part à toute autre forme d’opération à leur égard, dans l’intention de les cacher ou de les convertir sachant ou croyant qu’ils ont été obtenus ou proviennent, en totalité ou en partie, directement ou indirectement :

Soit de la perpétration, au Canada, d’une infraction désignée863 ;

859 Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17. 860 Cette Convention a été ratifiée par le Canada le 13 mai 2002. 861 Voir pour la Convention des Nations Unies, arts. 14, 23, 52, 58, etc… En ce qui concerne la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, arts. 6, 7. 862 Alain NOYER, La sûreté de l’État (1789-1965), Paris, L.G.D.J., 1966, p.11 « toute atteinte à la sécurité publique est-elle une atteinte à la sûreté de l’État, et inversement toute atteinte à la sûreté de l’État est une atteinte à la sécurité publique ». 863 Il ressort de l’art. 462.3(1) C.cr. qu’une « infraction désignée » est :

a) Soit toute infraction prévue par la présente loi ou une autre loi fédérale et pouvant être poursuivie par mise en accusation, à l’exception de tout acte criminel désigné par règlement ;

b) Soit le complot ou la tentative en vue de commettre une telle infraction ou le fait d’en être complice après le fait ou d’en conseiller la perpétration.

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Soit d’un acte ou d’une omission survenue à l’extérieur du Canada qui, au Canada, aurait constitué une infraction désignée864.

L’interprétation de cette incrimination, à la lumière du principe de l’équivalence

fonctionnelle, montre que le CANAFE est un mécanisme national de lutte contre la

corruption, spécialement chargé de la prévention et de la détection – tout en identifiant leurs

auteurs – des infractions de blanchiment du produit du crime865, de recel866. Ce mécanisme

permet aussi, par ricochet, la prévention et la détection des infractions de soustraction,

détournement ou autre usage illicite de biens par un agent public867 et d’enrichissement

illicite868. Pour ce faire, le CANAFE recueille, analyse et évalue toute déclaration qui lui est

faite par des personnes et des entités visées à l’article 5 de la Loi sur le recyclage des produits

de la criminalité et le financement des activités terroristes869. Il s’agit, entre autres, des

banques, des coopératives de crédit, des sociétés d’assurance-vie, des sociétés de fiducie, des

casinos, etc870. Ces déclarations sont, en fait, des dénonciations de toutes les opérations

financières (ou autres) effectuées ou tentées d’effectuer dans le cours des activités à l’égard

desquelles il y a des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles sont liées à la perpétration

réelle ou tentée d’une infraction de recyclage des produits de la criminalité871. Les personnes

et entités de l’article 5 sont, de facto, organiquement liées au CANAFE à travers la procédure

d’inscription872. Elles sont, à cet effet, les premières instances de prévention et de lutte contre

la corruption. De jure, elles doivent dénoncer au CANAFE tout soupçon de corruption ou de

transaction où il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est liée à des activités illicites.

Dans le contexte de la grande corruption, il leur incombe de mentionner si elles font affaire

864 Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 462.31(1). 865 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.23. 866 Ibid art.24. 867 Ibid art.17. 868 Ibid art.20. Il faut signaler que lors de la ratification de la Convention des Nations Unies, le Canada avait émis des réserves sur l’incrimination de l’enrichissement illicite. Cette incrimination est, selon le Canada, contraire aux principes fondamentaux de son système juridique, car elle imposerait au défendeur de faire la preuve de son inculpation. Or, il ressort des missions confiées au CANAFE et de sa collaboration avec des autorités d’enquête et de poursuite que la preuve de l’enrichissement illicite est susceptible d’être faite par le poursuivant. 869 Voir au plan provincial (québécois), Loi sur les entreprises de services monétaires, RLRQ, c.E-12.000001 ; et les analyses contenues dans Claude BOLDUC, Les aspects juridiques des crimes économiques, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, pp.47-59. 870 Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, art.5. 871 Ibid art.7. 872 Ibid art.11.1 et s.

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avec un étranger politiquement vulnérable873. Pour garantir le lien juridique entre le

CANAFE et les entités visées à l’article 5, celles-ci doivent s’inscrire auprès du CANAFE.

Celui-ci contrôle l’effectivité des obligations mises à la charge de celles-là. Le contrôle que

le CANAFE exerce sur les personnes et les entités de l’article 5 est relatif à leur constitution

et à leur fonctionnement.

Dans le premier cas, le CANAFE vérifie d’abord si la personne ou l’entité déclarante est

admissible à l’inscription. Autrement dit, il suffit de vérifier que cette personne ou entité

n’est pas inscrite au sens de l’article 1 du Règlement d’application des résolutions des

Nations Unies sur la lutte contre le terrorisme874 ou au sens du paragraphe 83.01(1) du Code

criminel875, ou encore, que cette personne ou entité n’est pas condamnée d’une infraction

relative au recyclage des produits de la criminalité, du financement des activités terroristes,

d’une infraction prévue par la loi sur le recyclage des produits de la criminalité876. Pour les

personnes et les entités admissibles à l’inscription, les vérifications du CANAFE porteront

sur leur identification, la nature de leurs activités commerciales, et des renseignements

identiques concernant leurs mandataires ou succursales877.

Au sujet du contrôle du fonctionnement des personnes et entités inscrites au CANAFE, celui-

ci veille particulièrement à ce qu’elles appliquent avec exactitude, la Partie 1 de la loi sur le

recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes relatives

873 Ibid art.9.3(3), « pour l’application du présent article, “étranger politiquement vulnérable” s’entend de la personne qui occupe ou a occupé l’une des charges ci-après au sein d’un État étranger ou pour son compte :

a) Chef d’État ou chef de gouvernement ; b) Membre du conseil exécutif de gouvernement ou membre d’une assemblée législative ; c) Sous-ministre ou titulaire d’une charge de rang équivalent ; d) Ambassadeur, ou attaché ou conseiller d’un ambassadeur ; e) Officier ayant le rang de général ou un rang supérieur ; f) Dirigeant d’une société d’État ou d’une banque d’État ; g) Chef d’un organisme gouvernemental ; h) Juge ; i) Leader ou président d’un parti politique représenté au sein d’une assemblée législative ; j) Titulaire d’un poste ou d’une charge visés par règlement. Est assimilé à la personne tout membre de sa famille visé par règlement.

874 Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur la lutte contre le terrorisme DORS/2001-360, art.1 : « personne dont le nom est inscrit sur la liste établie à l’annexe conformément à l’article 2 ». 875 C.cr., art.83.01(1) : « entité inscrite sur la liste établie par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 83.05». 876 Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, art.11.11(1). 877 Règlement sur l’inscription – recyclage des produits de la criminalité et financement des activités terroristes, DORS/ 2007-121.

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à, la tenue de documents, la vérification d’identités, la déclaration des opérations

douteuses878. Ainsi, toute personne autorisée à exercer ce contrôle peut à l’occasion :

[P]énétrer à toute heure convenable dans un local, autre qu’une habitation, lorsqu’elle a des motifs raisonnables de croire que s’y trouvent des documents utiles à l’application de la partie 1.

Avoir recours à tout système informatique se trouvant dans le local pour vérifier les données qu’il contient ou auxquelles il donne accès ;

(2) L’exploitant du local visité, ainsi que quiconque s’y trouve, est tenu de prêter à la personne autorisée toute l’assistance possible dans l’exercice de ses fonctions et lui donner les renseignements qu’elle peut valablement exiger quant à l’application de la partie 1879.

À l’issue du contrôle, toute détection d’une non-conformité de ces personnes et entités

entraîne des sanctions pénales et des pénalités administratives pécuniaires imposées par le

CANAFE. Le Règlement880 fixe un barème de pénalités selon la gravité de la violation,

notamment si elle est mineure, grave ou très grave. Parmi les pénalités graves dont l’amende

varie de 1$ à 100.000$CAD, on relève à titre d’exemple le non-respect du paragraphe 62(2).

Au nombre des pénalités très graves dont l’amende varie de 1$ à 500.000$ figure, entre

autres, « le fait pour toute personne ou entité, de ne pas joindre à la déclaration visée les

renseignements réglementaires881 » (art.7 loi sur le recyclage des produits de la criminalité).

Par le contrôle des personnes et entités déclarantes énumérées à l’article 5 de la loi sur le

recyclage des produits de la criminalité, le CANAFE a « accès à un vaste éventail de données

portant sur des opérations financières882 ». Ce qui lui permet de « dévoiler de nombreux

aspects des crimes qui sont soutenus par [le blanchiment d’argent] ou des activités [de

blanchiment d’argent] qui sont soutenues par ces crimes883 ». De plus, comptant sur un

personnel hautement qualifié, le CANAFE « permet de déceler la piste de l’argent et peut

mener à des criminels bien précis […]884 ».

878 Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, art.62 (1). 879 Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, art.62. 880 Règlement sur les pénalités administratives – Recyclage des produits de la criminalité et financement des activités terroristes, DORS/ 2007-292. 881 Ibid. 882 CANAFE, Rapport annuel 2011, [en ligne] [www.canafe.gc.ca/publications/ar2011/ar2011-fr.pdf] [consulté, le 07/10/2014], p.4. 883 Ibid. 884 Ibid à la p.8.

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Compte tenu des compétences dévolues au CANAFE, il est permis de se demander s’il peut

mettre en mouvement l’action publique, afin de poursuivre les auteurs des activités illicites

qu’il détecte.

Dans le contexte de la lutte contre la criminalité économique, il ressort des dispositions de la

Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes

que le mandat du CANAFE se limite à recueillir, analyser et évaluer des renseignements

utiles pour la détection, la prévention et la dissuasion en matière de recyclage des produits

de la criminalité885. Les résultats de ces opérations doivent ensuite être communiqués à « tout

organisme chargé de l’application de la loi886 ». C’est dans ce sens que,

s’il a des motifs raisonnables de soupçonner, à la lumière de l’analyse et de l’appréciation faite en application de l’alinéa 54(1)c), qu’ils seraient utiles aux fins d’enquête ou de poursuite relativement à une infraction de recyclage des produits de la criminalité […], le [CANAFE] communique les renseignements désignés aux forces policières compétentes887.

Cette transmission des renseignements d’un service spécialisé dans la lutte contre la

corruption, à un service d’enquête général garantit-elle une lutte efficace contre la criminalité

économique ? S’il est incontestable, selon les principes fondamentaux du système juridique

canadien, que, par les renseignements qu’il communique aux services d’application de la loi,

le CANAFE apporte une contribution pertinente dans la lutte contre la criminalité

économique888 ; c’est la portée qualitative de cet apport qui est susceptible d’être interrogée

au regard des conventions internationales de lutte contre la corruption889. Cela permet de

vérifier si la spécialisation reconnue au CANAFE correspond à celle de l’article 36 de la

Convention des Nations Unies. Selon cette disposition,

Chaque État partie fait en sorte, conformément aux principes fondamentaux de son système juridique, qu’existent un ou plusieurs organes ou des personnes spécialisés dans la lutte contre la corruption par la détection et la répression. Ce ou ces organes ou ces personnes se voient accorder l’indépendance nécessaire, conformément aux

885 Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, art.40.b). 886 Ibid art.40.a). 887 Ibid art.55. (3) a). 888 Voir en ce sens les rétroactions de la Gendarmerie Royale du Canada et de la Sûreté du Québec dans CANAFE, Rapport annuel 2013, [en ligne] [www.canafe.gc.ca/publications/ar/2013/ar2013-fr.pdf] [consulté, le 07/10/2014], aux pp.12 et s. 889 Les réserves émises par les mécanismes internationaux de lutte contre la corruption relativement à l’indépendance des organes de poursuite et d’enquête ont été discutées à la section 2.1 du présent chapitre.

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principes fondamentaux du système juridique de l’État partie, pour pouvoir exercer leurs fonctions efficacement et à l’abri de toute influence indue. Ces personnes ou le personnel dudit ou desdits organes devraient avoir la formation et les ressources appropriées pour exercer leurs tâches890.

La lecture des différents rapports annuels du CANAFE montre que, si les critères

d’indépendance relatifs au niveau de spécialisation de son personnel et de ses ressources

financières résistent à la critique, il n’en est pas ainsi de l’indépendance substantielle

rattachée à son mandat et de l’indépendance institutionnelle.

Relativement à son mandat, la Convention des Nations Unies a souhaité concilier, au sein du

même organe spécialisé, sa capacité à détecter les activités criminelles et à engager des

poursuites relativement aux activités détectées. On observe, en l’espèce, que l’activité – de

communication des résultats de ses opérations aux organismes chargés de l’application de la

loi –confie la répression des activités détectées par le CANAFE à d’autres organes. Cela

fragilise la perception de la valeur ajoutée apportée par cet organe dans la lutte contre la

corruption. C’est dans ce sens que l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime

fait l’observation suivante :

Étant donné l’accent qui est mis sur la détection et la répression, les États Parties peuvent choisir entre un organe spécial exclusivement chargé de la lutte contre la corruption ou une autorité spécialisée relevant de structures existantes de police, du parquet et/ou des tribunaux.

[…] pour pouvoir mener efficacement des enquêtes sur des affaires graves et complexes de corruption et sur la délinquance financière, des autorités spécialisées doivent être investies de pouvoirs adéquats et mettre en œuvre des procédures appropriées. […] les autorités spécialisées doivent également être habilitées à avoir accès aux renseignements financiers et criminels et aux procédures d’enquêtes judiciaires, de poursuites […]891

En clair, pour éviter une perte892 d’efficacité occasionnée par l’activité de transmission, la

Convention des Nations Unies propose au choix des États Parties, deux modèles

d’organisation des autorités spécialisées :

890 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.36. 891 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, aux pp.129 et 131. 892 Les pertes liées à la distinction entre la détection de l’activité criminelle et la poursuite de celle-ci s’évaluent en termes de temps, d’opportunité, de personnel, de budget, etc. La fusion du mandat de détection à celui de la

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Le premier modèle suggère d’accorder à cet organe les mandats d’enquête et de poursuite.

Ce peut être par l’ajout à son personnel des professionnels, tels des avocats et des policiers,

pour des finalités d’enquête et de poursuite. Le second modèle recommande de créer cet

organe spécialisé au sein des services de police et de poursuite existants. Ce peut être par

l’ajout à ces services, des professionnels de renseignement financier.

De façon générale, les commentaires faits par l’Office des Nations Unies contre la drogue et

le crime relativement à l’article 36 de la Convention des Nations Unies semblent raviver

l’interrogation d’un droit pénal (spécial) applicable à la corruption. Cela correspond à la thèse

de la flexibilité du droit pénal soutenue dans cette étude, puisque l’organe onusien fait

allusion à :

La réforme du cadre législatif rendue nécessaire par la création ou l’habilitation d’autorités spécialisées dans la lutte contre la corruption et peut-être aussi d’autres types de délinquance financière devrait, dans la mesure du possible, être planifiée dans le cadre de l’effort de réforme du système […] Des réformes comme celles qui sont envisagées dans le présent chapitre doivent être plus efficaces si elles s’inscrivent dans le cadre d’un programme à plus long terme de révision et d’actualisation du droit pénal et de la procédure pénale et des institutions appelées à participer aux enquêtes, aux poursuites et aux procès893.

Le second critère qui fragilise l’indépendance du CANAFE au plan substantiel est le but visé

par son mandat. En effet, le CANAFE et, de façon analogique, les Nations Unies sont

confrontées à la difficile conciliation entre la lutte contre la criminalité économique et la lutte

contre le terrorisme894. Alors que la première criminalité relève de la compétence du système

judiciaire, la seconde est du domaine de la sécurité publique895. Il se déduit que ce double

enjeu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités

terroristes amène chaque fois le CANAFE à démêler, parmi les informations qu’il détient,

répression ferait notamment l’économie du paragraphe 60(2) et s. de la loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. 893 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, aux pp.131-132. 894 L’embarras des Nations Unies se vérifie dans les deux conventions contre la criminalité transnationale organisée (2000) et la corruption (2003). Le lien entre ces deux problématiques justifie qu’elles incriminent concomitamment la corruption, le blanchiment d’argent et envisagent la création d’un service de renseignement financier. 895 Suivant la théorie de l’accumulation des évènements, une série d’actes terroristes, même isolés dans le temps, équivaut à une agression armée. Voir dans ce sens, Eric CORTHAY, La lutte contre le terrorisme international. De la licéité du recours à la force armée, Bâle, Helbing Lichtenhahn, 2012, p.117-118.

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celles qu’il doit communiquer aux autorités judiciaires896 de celles qui sont destinées aux

autorités de sécurité publique897. Ce choix délicat peut nécessiter, dans certaines

circonstances, des arbitrages qui ne sont pas à l’abri des erreurs stratégiques. Ceci peut

fragiliser, tantôt les objectifs d’une lutte efficace contre le recyclage des produits de la

criminalité, tantôt ceux de la lutte contre les activités terroristes. Tel est notamment le cas de

la procédure de l’article 60 (2) et suivants, qui n’aurait pas été nécessaire si le CANAFE était

intégré à un mécanisme de répression.

Dans une logique comparable, l’indépendance du CANAFE est également fragilisée au plan

substantiel par ses attributions contenues dans la partie 1.1 de la loi. En effet, cette partie vise

la protection du système financier canadien. Celle-ci s’assimile à la prise en considération

de l’intérêt économique national. Cette mission semble être en contradiction avec les

garanties d’indépendance suggérées à l’article 5 de la Convention de l’OCDE898 et rappelées,

régulièrement au Canada, dans les différents rapports d’évaluation de la mise en œuvre de

cette Convention899.

S’agissant de l’indépendance du CANAFE au plan institutionnel, le renouvellement du

mandat du directeur et ses rapports avec le ministre peuvent susciter certaines interrogations.

Dans le premier cas, alors que le directeur du CANAFE est nommé « à titre amovible pour

un mandat d’au plus cinq ans900 » éventuellement renouvelable une fois, l’Office des Nations

Unies contre le crime et la drogue indique que la meilleure garantie d’indépendance de

l’organe spécialisé dans la lutte contre la corruption sied avec « des nominations de durée

déterminée afin que l’exécutif n’ait pas à intervenir dans de nouvelles nominations901 ». Il

896 Art.55 (3) « S’il a des motifs raisonnables de soupçonner, à la lumière de l’analyse et de l’appréciation faite en application de l’alinéa 54(1) c), qu’ils seraient utiles aux fins d’enquête ou de poursuite relativement à une infraction de recyclage des produits de la criminalité ou à une infraction de financement des activités terroristes, le Centre communique les renseignements désignés : […] ». 897 Art.55.1 (1) « S’il a des motifs raisonnables de soupçonner, à la lumière de l’analyse et de l’appréciation faite en application de l’alinéa 54(1) c), que les renseignements désignés se rapporteraient à des menaces envers la sécurité du Canada, le Centre communique ces renseignements : […] ». 898 Convention de l’OCDE, préc, note 28, art. 5 « les enquêtes et poursuites en cas de corruption d’un agent public étranger sont soumises aux règles et principes applicables de chaque Partie. Elles ne seront pas influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause ». 899 OCDE, Rapport de phase 3, préc, note 598, Recommandation 4 a), « les considérations fondées sur l’intérêt économique national […] ne sont jamais légitimes ». 900 Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, art.43. 901 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.132.

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serait souhaitable pour une meilleure perception de l’indépendance, que le directeur du

CANAFE soit nommé à titre inamovible pour un mandat dont la durée n’est pas renouvelable.

De même, l’autonomie dont devrait faire preuve le Centre n’est pas compatible avec les

dispositions des articles 42, 48 (2) et 52902.

De façon générale, même s’il ressort du résumé analytique du rapport de l’application de la

Convention des Nations Unies que la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le

financement des activités terroristes permet au Canada de s’acquitter de ses obligations

internationales envers cette Convention903, ce qui est le cas de « la détection, la prévention et

la dissuasion en matière de recyclage des produits de la criminalité », l’analyse montre que

cette loi a également deux autres objectifs essentiels : le premier concerne la protection de

son système financier et le second est relatif à la prévention des activités terroristes (cf.

paragraphe précédent). Ces deux objectifs ont une finalité politique. Celle-ci aliène

l’indépendance nécessaire à l’exercice des fonctions judiciaires – la lutte contre la corruption

– telle qu’elle est précisée dans les termes de l’article 5 de la Convention de l’OCDE. S’il est

admis que la double mission assignée au CANAFE peut fragiliser sa compétence, voire son

indépendance, qu’en est-il du mécanisme exclusivement spécialisé dans la lutte contre la

corruption ?

4.2.1.2 L’UPAC

L’unité permanente anticorruption est un mécanisme institué par la Province canadienne du

Québec, suivant le décret n° 114-2011 du 16 février 2011904. La Loi concernant la lutte

contre la corruption905 fixe l’organisation et le fonctionnement de l’UPAC. Cette loi a été

modifiée par le Projet de loi 107, Loi visant à accroitre la compétence et l’indépendance du

Commissaire à la lutte contre la corruption et du Bureau des enquêtes indépendantes ainsi

que le pouvoir du Directeur des poursuites criminelles et pénales d’accorder certains

902 Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, art.42. (1) (2) : « Le Centre est placé sous la responsabilité du ministre. Le ministre peut donner des instructions au Centre sur les matières qui, selon lui, touchent notablement des questions d’ordre public et les orientations stratégiques du Centre ». Art.48 (2) : « Le directeur peut, avec l’agrément du ministre, établir des bureaux ailleurs au Canada ». Art.52 : « Le directeur renseigne le ministre sur l’exercice des attributions que lui confère la présente loi ». 903 Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption, préc, note 579. 904 Décret 114-2011, (2011) 143 G. O. 2, p. 956. 905 Loi concernant la lutte contre la corruption, RLRQ c L-6.1.

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avantages à des témoins collaborateurs906. Le projet de loi 107 apporte des modifications

substantielles à la Loi concernant la lutte contre la corruption, et suscite l’espoir d’une

amélioration continue de l’UPAC à travers le nouveau chapitre III-1, relatif au Comité de

surveillance des activités de l’unité permanente anticorruption.

Il ressort d’une façon générale que l’UPAC a été placée sous la responsabilité d’un

Commissaire à la lutte contre la corruption. Il est nommé « sur la recommandation du

ministre, parmi les personnes qui ont été déclarées aptes à exercer la charge par le comité de

sélection formé pour la circonstance907 ». Son mandat « est d’une durée de sept ans et ne peut

être renouvelé908 ».

S’il semble évident que la nouvelle rédaction de l’article 5 garantit mieux l’indépendance du

Commissaire de l’UPAC que l’ancien article 5 qui prévoyait un mandat de cinq ans,

éventuellement renouvelable, cette disposition n’est pas, à son tour, à l’abri des risques de

dépendance, dans un contexte où l’ancien Commissaire reste admissible à d’autres fonctions

et privilèges. Il est donc souhaitable, pour des meilleures garanties d’indépendance du

Commissaire de l’UPAC, qu’il ne puisse pas faire l’objet d’une nouvelle nomination à un

emploi public, soit-il ad hoc, pendant un délai raisonnable après son mandat à l’UPAC, à

l’exception de l’emploi qu’il occupait avant sa nomination comme Commissaire. D’autres

dispositions de la Loi concernant la lutte contre la corruption suscitent des interrogations sur

l’indépendance de l’UPAC, tant en ce qui concerne son organisation que son fonctionnement.

S’agissant de son organisation, l’UPAC est formée par deux entités. Il s’agit d’un corps de

police spécialisé dans la lutte contre la corruption et des équipes formées par le

gouvernement. Parmi les membres du corps de police spécialisé, on retrouve notamment :

le commissaire,

le commissaire associé aux enquêtes,

les enquêteurs dont les services sont prêtés par un corps de police conformément à l’article 14,

906 Ce Projet de loi présenté le 8 juin 2016, a été sanctionné le 14 février 2018. 907 Loi, préc, note 905, art. 5. 908 Ibid art.5.2.

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les commissaires associés aux vérifications,

le personnel non policier dont les compétences sont requises pour l’accomplissement de la mission du commissaire909.

Quant aux équipes formées par le gouvernement, elles sont constituées

de personnes agissant en matière de vérification ou d’enquête dans des ministères ou des organismes afin qu’elles contribuent à la lutte contre la corruption, sous la coordination, selon le cas, des commissaires associés aux vérifications ou du commissaire associé aux enquêtes910.

D’autre part, la loi exige également que

les services de gendarmerie, d’enquête et de soutien de la Sûreté du Québec doivent être mis à la disposition du commissaire lorsque celui-ci les requiert. À cette fin, le directeur général de la Sûreté du Québec ainsi que tout membre ou employé de celle-ci doivent collaborer avec le commissaire911.

On peut se demander ce qui empêche que l’ensemble de l’UPAC, sous l’autorité du

Commissaire, soit un corps de police spécialisé à la lutte contre la corruption. Cette

constellation de corps de métiers et d’équipes diverses autour de l’UPAC donne l’impression

que malgré sa volonté politique apparente, le Québec n’a pas encore finalisé la constitution

d’une autorité spécialisée dans la lutte contre la corruption. Il y a une perception selon

laquelle le Commissaire de l’UPAC n’est pas le véritable gestionnaire de ses ressources

humaines. Cette observation est susceptible de justifier des récentes crises internes qu’a

connues l’UPAC912 y compris celle qui l’a opposée au Président de l’Assemblée nationale913.

909 Ibid art.8.4. 910 Ibid art.8.5. 911 Ibid art.8.7. 912 Voir à titre illustratif, les titres des journaux suivants : Le Devoir, La déroute de l’UPAC est inquiétante, [en ligne] [www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/519928/upac-edito-myles] [consulté, le 14-02-2018]; Le Journal de Montréal, Bachand et Fournier ont fait l’objet d’une enquête, selon Yves Francœur, [en ligne] [www.journaldemontreal.com] [Consulté, le 18-09-2017]; Journal de Québec, L’indépendance de l’UPAC mise en doute, [en ligne] [www.journaldequebec.com] [Consulté, le 4-05-2017]. 913 Assemblée nationale Québec, Directives de la présidence sur les questions soulevées par le leader de l’opposition officielle concernant les droits et privilèges des parlementaires face au travail policier, Québec, le 16 novembre 2017.

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Relativement au fonctionnement de l’UPAC, c’est au ministre que le Commissaire soumet

les prévisions budgétaires pour l’année suivante914. En dehors des fonctions qui lui sont

expressément confiées par la loi, il peut aussi exercer toute autre fonction que lui confie le

gouvernement ou le ministre915. Il est possible de dire, au regard de ces dispositions, que le

ministre pourrait tenir l’UPAC en laisse, tant en ce qui concerne son budget que ses fonctions.

Par ailleurs, si le Commissaire est compétent pour « recevoir, […] consigner et […] examiner

les dénonciations d’actes répréhensibles, afin de leur donner les suites appropriées916 », la

notion d’actes répréhensibles peut susciter des confusions entre les compétences du

Commissaire de l’UPAC et celle du Protecteur du citoyen.

En effet, selon la Loi concernant la lutte contre la corruption, on entend par acte

répréhensible,

1° une contravention à une disposition d’une loi fédérale ou du Québec ou à un règlement pris en application d’une telle loi, si cette contravention implique de la corruption, de l’abus de confiance, de la malversation, de la collusion, de la fraude ou du trafic d’influence dans, entre autres, l’adjudication, l’obtention ou l’exécution des contrats octroyés dans l’exercice des fonctions d’un organisme ou d’une personne du secteur public, ainsi que dans l’administration de la justice et l’octroi de droits ou de privilèges, telles une autorisation, une nomination ou une subvention, par un organisme ou une personne du secteur public;

1.1° une contravention aux dispositions des articles 21.12 à 21.14 et 27.5 à 27.11 de la Loi sur les contrats des organismes publics (chapitre C-65.1);

Pendant ce temps, Québec a également sanctionné la Loi facilitant la divulgation d’actes

répréhensibles à l’égard des organismes publics. Cette loi, qui est applicable depuis le 1er

mai 2017, définit l’acte répréhensible comme,

1° une contravention à une loi du Québec, à une loi fédérale applicable au Québec ou à un règlement pris en application d’une telle loi;

2° un manquement grave aux normes d’éthique et de déontologie;

3° un usage abusif des fonds ou des biens d’un organisme public, y compris de ceux qu’il gère ou détient pour autrui;

914 Loi, préc, note 905, art.24. 915 Ibid art.9. 916 Ibid art.9. 1°

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231

4° un cas grave de mauvaise gestion au sein d’un organisme public, y compris un abus d’autorité;

5° le fait, par un acte ou une omission, de porter gravement atteinte ou de risquer de porter gravement atteinte à la santé ou à la sécurité d’une personne ou à l’environnement;

6° le fait d’ordonner ou de conseiller à une personne de commettre un acte répréhensible visé aux paragraphes 1° à 5°917.

La Loi sur la divulgation d’actes répréhensibles est appliquée par le Protecteur du citoyen.

Il s’est adjoint, pour cela, une nouvelle direction sur des enquêtes en matière d’intégrité. Les

articles 14 et 23 de cette loi mentionnent que le Protecteur du citoyen peut transférer les

divulgations au Commissaire de l’UPAC, s’il estime que les divulgations reçues relèvent de

sa compétence. Il est de l’avis de cette thèse que le budget alloué au Protecteur du citoyen

pour l’application de cette loi aurait mieux servi au Commissaire de l’UPAC pour une

meilleure rationalisation de la lutte contre la corruption, dont les liens avec l’intégrité ne

souffrent d’aucune ambiguïté. La nuance entre ces deux définitions est si fine que le

Commissaire aurait pu gagner en célérité dans ses diligences, s’il lui revenait de transférer

au Protecteur du citoyen, selon une énumération exhaustive, des actes qui ressortiraient de la

compétence de ce dernier.

Par ailleurs, il est important de relever que les faits caractéristiques de corruption, de

collusion ou d’actes répréhensibles sont, dans certaines circonstances, sui generis. Ce sont

des construits mutants et dynamiques dont la caractérisation précède la normativité dans des

instruments déontologiques et pénaux. Cette préséance du fait sur la norme a convié l’UPAC

à recommander que les organismes publics aient un plan annuel de gestion des risques de

corruption et de collusion918. D’où l’intérêt, une fois de plus, de confier à l’UPAC

l’application de la loi sur la divulgation des actes répréhensibles.

Enfin, une autre limite de l’indépendance de l’UPAC réside dans les dispositions de l’article

18 de la loi, puisque le commissaire « doit informer le directeur des poursuites criminelles

917 Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics, ch. D-11.1, art.4. 918 Directive concernant la gestion des risques en matière de corruption et de collusion dans les processus de gestion contractuelle, 14 juin 2016.

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232

dès le commencement d’une enquête pénale ou criminelle et, le cas échéant, requérir les

conseils de ce dernier919 ». Or, il ressort de cette thèse que la principale prérogative d’un

organe spécialisé dans la lutte contre la corruption est sa propre capacité à mettre en

mouvement l’action publique.

Nonobstant les observations précédentes, la modification de la Loi concernant la lutte contre

la corruption par, le Projet de loi 107 est une avancée supplémentaire vers la constitution

d’un organe spécialisé dans la lutte contre la corruption au Québec. Son amélioration

continue s’effectuera, désormais, au gré du mandat confié au comité de surveillance des

activités de l’UPAC920.

4.2.1.3 Les commissions d’enquête

Dans le système juridique canadien, le gouvernement en conseil peut former une commission

pour procéder à une enquête sur toute question touchant le bon gouvernement du pays ou la

gestion des affaires publiques921. La commission d’enquête, ainsi constituée, est un

organisme ad hoc formé pour établir les faits et « découvrir la “vérité”, en réaction au choc,

au sentiment d’horreur, à la désillusion ou au scepticisme ressenti par la population922 ». Sa

formation vise le plus souvent à remédier certaines carences systémiques et individuelles en

vue de proposer des mesures correctives923. Dans cette perspective, elle s’analyse comme un

mécanisme de dernier recours qui permet, par l’identification des faits, de mettre un terme

immédiat à la situation problématique et de faire des suggestions pour éviter la répétition des

erreurs identifiées. Même si elle peut attribuer des blâmes personnels, ses constatations

n’emportent aucune conséquence sur la responsabilité civile ou criminelle des individus

blâmés924.

919 Loi, préc, note 905, art., art.18. 920 Ibid art.35.3 et s. 921 Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, art.2 ; Loi sur les commissions d’enquête, L.R.Q., c C-37, art.1er. 922 Phillips c. N.-É. (Enquête Westray), [1995] 2 R.C.S, paragraphe 62. 923 Gilles LETOURNEAU, « La problématique des commissions d’enquête des temps modernes », dans Actes de la XIIIe Conférence des juristes de l’État, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p.186. 924 Voir notamment, ibid., p.173 et Dominique ROUSSEAU, « Les commissions d’enquête : nature, mandat et limites », dans Actes de la XIIIe Conférence des juristes de l’État, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, à la p149.

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233

Dans le contexte de la présente étude, l’analyse se cantonnera à la commission d’enquête sur

le programme de commandites et les activités publicitaires, autrement qualifiée de

Commission Gomery. Elle fut constituée par décret en conseil P.C. 2004-110 du 19 février

2004925, pour « faire enquête et faire rapport sur les questions soulevées, directement ou

indirectement, par les chapitres 3 et 4 du Rapport de la vérificatrice du Canada à la Chambre

des Communes […] concernant le programme des commandites et les activités publicitaires

du gouvernement du Canada […]926 ». De façon générale, la commission d’enquête était

mandatée pour identifier les manquements à l’origine de la révélation suivant laquelle de «

1997 jusqu’au 31 mars 2003 le gouvernement a dépensé environ 250 millions de dollars pour

commanditer 1987 évènements sportifs et culturels […] que de cette somme plus de 100

millions, soit 40% des dépenses, ont été versés en frais douteux […]927 ». Les travaux de la

commission d’enquête ont confirmé les conclusions du Rapport de la vérificatrice générale,

madame Sheila Fraser, sur la commission des faits suivants :

détournement des fonds publics vers un parti politique ;

détournement des fonds publics à des fins individuelles ;

népotisme ;

liens d’amitié entre un administrateur public et leurs fournisseurs principaux ;

production des fausses factures, la surfacturation et la tarification abusive ;

absence de livraison des produits ;

non-respect des lois fiscales et électorales ;

non-inscription des lobbyistes au registre ;

nombreuses fautes administratives ;

détournement du rôle du Parlement ;

représailles928.

925 John H. GOMERY, Qui est responsable ? Rapport factuel, Ottawa, Travaux publics et services gouvernementaux Canada, 2005. 926 Ibid à la p.469. 927 Gilles TOUPIN, Le déshonneur des libéraux. Le scandale des commandites, Montréal, vlb éditeur, 2006, p.80. 928 Yves BOISVERT (dir.), L’impact du scandale des Commandites sur la régulation des comportements des agents publics du gouvernement canadien, ENAP, mai 2007, [en ligne] [archives.enap.ca/bibliotheques/2008/02/030017511.pdf] [consulté, le 06/11/2014].

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De ce qui précède, il est permis de faire des observations sur la portée des travaux de la

commission d’enquête, en sa qualité de mécanisme ad hoc de lutte contre la corruption.

Premièrement observation : il n’est pas utopique de constater que l’accès à la justice est

une garantie essentielle à l’indépendance et au bon fonctionnement du judiciaire. Dans la

logique de la présente étude, la notion d’ « accès à la justice » signifie, d’une part, que le

système judiciaire soit informé de la survenance d’un fait suspecté d’illicite, afin que l’action

publique se mette en mouvement. D’autre part, que la mise en mouvement de l’action

publique conduise à la saisine du juge.

Dans le cas d’espèce, le Rapport de la Commission situe le déroulement des faits illicites de

1996 à 2002929. La Gendarmerie royale du Canada avait été saisie par la vérificatrice générale

en 2002930. Il peut être déduit des suggestions de la Commission Gomery que, si la Loi

prévoyant un mécanisme de dénonciation des actes répréhensibles dans le secteur public et

de protection des dénonciateurs avait été sanctionnée avant 2002931, les faits à l’origine de

la Commission d’enquête aurait été dénoncé au système judiciaire932, avant leur connaissance

par la vérificatrice générale. Ainsi, la saisine du système judiciaire aurait pu empêcher le

scandale à l’origine de la commission d’enquête. On peut donc constater qu’une parfaite

protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles favorise l’accès à la justice.

Deuxième observation : il n’est pas utopique de craindre qu’en matière de lutte contre la

grande corruption, certains faits, non forcément prémédités, puissent conduire les organes

d’enquête et de poursuite à fragiliser l’indépendance du système judiciaire. Tel est

notamment le cas lorsque la participation active ou passive de certains membres du pouvoir

929 J. H. GOMERY, préc, note 925, à la p.439 et s. 930 G. TOUPIN, préc, note 927, à la p.165. 931 Cette loi a obtenu la sanction royale le 25 novembre 2005, V. JOHN H. GOMERY, Rétablir l’imputabilité. Recommandations, Ottawa, Travaux publics et services gouvernementaux, 2006, p.54. 932 Ibid aux pp.49-50.

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exécutif933 et des forces de police934 est susceptible d’engager leur responsabilité pénale,

administrative ou morale.

Troisième observation : l’accès à l’information, la protection des dénonciateurs des actes

répréhensibles et d’autres instruments comparables sont susceptibles de renforcer la

crédibilité des poursuites privées, tout en diminuant des dénonciations abusives et frivoles.

Il se déduit de ce qui précède que la commission d’enquête est un mécanisme utile à la lutte

contre la corruption. Outre la révélation des faits « corruptionnels » et ses recommandations,

elle a favorisé de nombreux recours civils935 et criminels936. De plus, l’indépendance de la

commission d’enquête et la participation des citoyens à son déroulement soulèvent moins de

réserves.

Néanmoins, deux difficultés peuvent diluer son efficacité dans la perspective d’une lutte

systématique contre la corruption. Il s’agit d’abord de l’identification du lieu de l’enquête.

Car, si la commission d’enquête est constituée à la suite des allégations persistantes de

corruption dans un ministère donné, rien ne prouve que l’absence de soupçons dans d’autres

lieux signifie qu’ils sont exempts de corruption. D’où la pertinence d’un plan annuel de

gestion des risques de corruption, tel que suggéré par l’UPAC. Ensuite, il faudra déterminer

le moment (la date) à partir duquel la commission devra être constituée. Ou, mieux, quel est

le seuil critique d’allégations à partir duquel une commission d’enquête doit être constituée ?

La réponse à cette question n’est pas fondamentalement objective, puisque la constitution

d’une commission d’enquête relève de la discrétion du gouvernement937. Il est donc possible

qu’une commission d’enquête mandatée pour lutter contre la corruption serve plutôt une

finalité politique. Une telle perspective est contraire aux critères d’indépendance retenus par

933 J. H. GOMERY, préc, note 925, aux p.439 et s. 934 Ibid à la p.246. 935 Voir notamment, Canada (PG) c. Groupaction Marketing inc, 2006 QCCS 6501 (CanLII), « Le procureur général du Canada réclame de 28 personnes physiques et morales le remboursement d’une somme dépassant 60. 000. 000 $, le tout découlant de commandites et de divers contrats intervenus entre celles-ci et le gouvernement du Canada ». 936 R. c. Guité, [2005] J. Q. n0 3068. 937 Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, art.2.

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les différents instruments internationaux de lutte contre la corruption. C’est pour cette raison

qu’il est suggéré, dans cette étude, que la décision de créer une commission d’enquête

anticorruption devrait être prise par un organe spécialisé dans la lutte contre la corruption, à

l’instar du mécanisme québécois de l’Unité permanente anticorruption ou de l’Autorité des

marchés publics. Sachant que le « Commissaire a pour mission d’assurer, pour l’État, la

coordination des actions de prévention et de lutte contre la corruption […] dans le secteur

public938 », il est permis d’espérer que le commissaire ou le comité de surveillance des

activités de l’UPAC semble plus objectif pour suggérer la constitution d’une commission

d’enquête, à laquelle aucun membre de l’UPAC ou de son comité de surveillance ne sera

commissaire. Une telle décision aura pour unique finalité la lutte contre la corruption.

Les mécanismes publics de lutte contre la corruption au Canada sont permanents et ad hoc.

Ils ont tantôt un statut d’organe administratif, tantôt un statut d’organe répressif. Leur

compétence géographique peut être fédérale ou provinciale. S’il peut être observé qu’ils

accordent une place de choix à la participation de la société conformément aux dispositions

de l’article 13 de la Convention des Nations Unies, celle-ci peine à percevoir les résultats de

sa contribution à ces mécanismes. Deux causes objectives sont susceptibles d’expliquer cette

réserve.

Selon la première cause, les efforts des mécanismes publics, notamment le CANAFE, sont

dilués dans sa double mission de lutte contre la criminalité économique d’une part et, des

considérations politiques d’autre part. Celles-ci sont relatives à la protection du système

financier et à la prévention des activités terroristes. Cela complexifie sa conformité aux

dispositions de l’article 5 de la Convention de l’OCDE contre la corruption.

En guise de seconde réserve, le Canada reste profondément attaché à ses principes directeurs

de justice pénale. En l’occurrence, l’initiation des poursuites criminelles par le procureur du

ministère public. Or, si les poursuites privées sont relativisées pour des risques de frivolité et

d’atteinte aux droits fondamentaux des défendeurs, ses lacunes ne sauraient être transposées

aux mécanismes publics, spécialisés dans la lutte contre la corruption. Il est donc nécessaire

938 Loi, préc, note 905, art.4.

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de mieux cerner les critères de détermination de l’opportunité des poursuites. Qu’en est-il

des mécanismes publics de lutte contre la corruption dans le système de Droit Civil ?

4.2.2 Les mécanismes français de lutte contre la corruption

La France s’est dotée en décembre 2013 d’un procureur de la République financier939. En

effet, ce magistrat du parquet près le Tribunal de grande instance de Paris a une compétence

nationale pour agir sur certaines affaires fiscales, économiques ou financières majeures qui

ont souvent une dimension internationale940. Mais, parce qu’il trouve son origine dans la forte

médiatisation de l’affaire Jérôme Cahuzac (ce ministre délégué au budget poursuivi pour

avoir détenu des comptes bancaires non déclarés à l’étranger941) et dans la substitution d’une

majorité de Droite par un gouvernement de Gauche, certains observateurs craignent que le

contexte politique de la Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 dilue les expectatives juridiques

de la lutte contre la criminalité économique et financière942. C’est l’une des raisons pour

laquelle cette institution ne sera pas analysée dans cette étude. Par ailleurs, les doutes sur

l’indépendance objective des membres du ministère public fragilisent la perception du

procureur de la République financier comme un organe spécialisé dans la lutte contre la

corruption, au sens des conventions anticorruptions. Deux institutions non juridictionnelles

retiendront l’attention. Il s’agit du Service central de prévention de la corruption (SCPC), qui

a été remplacé en 2016 par l’agence française anticorruption et du Traitement du

Renseignement et Action contre les Circuits Financiers Clandestins (TRACFIN).

4.2.2.1 Le service central de prévention de la corruption

Le SCPC a été créé par la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la

corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. Il est placé

auprès du ministre de la Justice943. La loi lui confère trois missions principales : centraliser

les informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption ; prêter

939 Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013. 940 Nicolas RONTCHEVSKY, « Création du procureur de la République financier » (2014) RTD.com, 151. 941 Etienne VERGES, « Le procureur de la République financier : entre projet politique et recherche de l’efficacité » (2014) RSC, 143. 942 Ibid. 943 Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, art. 1er.

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son concours aux autorités administratives et judiciaires qui en font la demande944 ; et faire,

dans ses rapports annuels, des propositions pour prévenir la corruption945. Le SCPC est

antérieur aux différentes conventions internationales de lutte contre la corruption. Il a été créé

dans « un contexte de crise de confiance du citoyen vis-à-vis du politique à la suite de

plusieurs “affaires” retentissantes, liées à l’époque au financement des partis politiques946 ».

Quant à son personnel, le décret n°93-232 du 22 février 1993 précise que le chef du service

et les autres membres sont nommés par décret pour une période de quatre ans

renouvelables947. Si le SCPC reconnaît qu’il est une autorité anticorruption au sens des

conventions internationales948, il ne sera pas nécessaire d’analyser sa conformité auxdites

conventions, puisque d’une part, ses différents rapports annuels relèvent, avec récurrence, la

nécessité d’une réécriture de ses textes fondateurs afin qu’ils soient conformes aux exigences

institutionnelles et fonctionnelles949 des articles 6 et 36 de la Convention des Nations Unies.

D’autre part, tenant compte de cette limite systémique, le SCPC se donne l’ambition de

remplir ses obligations légales de manière extensive950. Cette approche permet au mécanisme

français de prévention de la corruption d’apporter, à travers ses propositions, une contribution

pertinente à la lutte contre la corruption. Dans cette veine, on peut se demander comment le

SCPC contribue à l’accès à la justice pour des faits de corruption. Cette question invite à

interroger le chapitre V du rapport annuel de 2011 relatif aux dispositifs d’alerte : le

whistleblowing. Il sera question de voir si la réflexion faite par le SCPC, au sujet du lanceur

d’alerte, améliore l’accès à la justice.

En effet, dans ses travaux contenus dans le rapport annuel de 2011951, le SCPC se demande

si le lanceur d’alerte est à la fois adapté et efficace à la lutte contre la corruption952. Cette

944 Ibid. 945 Décret n°93-232 du 22 février 1993 relatif au service central de prévention de la corruption institué par la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, art.3. 946 Service central de prévention de la corruption, Rapport pour l’année 2012 au Premier ministre et au garde des Sceaux, ministre de la Justice, Paris, Direction de l’information légale et administrative, 2013, p.5. 947 Décret n°93-232 du 22 février 1993, préc, note 945, art.1er. 948 Service central de prévention de la corruption, préc, note 946. 949 Ibid. 950 Ibid. 951 Service central de prévention de la corruption, Rapport pour l’année 2011 au Premier ministre et au garde des Sceaux, ministre de la Justice, Paris, Direction de l’information légale et administrative, 2012. 952 Ibid à la p.170.

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question amène à se demander si l’article 40 al.2 du Code de procédure pénale français est

susceptible d’être assimilé à un mécanisme d’alerte au sens de la Convention des Nations

Unies, notamment en ses articles 8953, 13954 et 33955. Deux considérations sont susceptibles

de relativiser la portée de l’article 40 al.2. Elles sont relatives à l’auteur de la dénonciation

d’une part et à son destinataire d’autre part.

S’agissant de la première considération, l’article 40 al.2 est libellé ainsi qui suit :

Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

L’auteur de la dénonciation qui est visé par cette disposition est l’agent public, en raison de

sa participation à l’autorité publique956. Or, tel que le précise le SCPC, cette disposition aurait

eu plus de pertinence si l’agent public avait pour fonction explicite la détection de la

corruption957. De plus, compte tenu du caractère intelligent de la corruption, de son opacité

et de son invisibilité958, le lanceur d’alerte peut être toute personne qui dénonce de bonne foi

les pratiques corruptrices. Peu importe qu’elle soit ou non un agent public, voire une partie

au pacte corrupteur. Il faut donc comprendre au sens large la vulnérabilité au soutien de

laquelle le donneur d’alerte nécessite une protection. Elle peut être physique, psychologique,

professionnelle ou pénale959.

953 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.8 para.4 « chaque État partie envisage aussi, conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, de mettre en place des mesures et des systèmes de nature à faciliter le signalement par les agents publics aux autorités compétentes des actes de corruption dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions ». 954 Ibid art.13 para.2 « chaque État partie prend des mesures appropriées pour veiller à ce que les organes de prévention de la corruption compétents mentionnés dans la présente convention soient connus du public et fait en sorte qu’ils soient accessibles, lorsqu’il y a lieu, pour que tous faits susceptibles d’être considérés comme constituant une infraction établie conformément à la présente convention puissent leur être signalés ». 955 Ibid art.33 « chaque État partie envisage d’incorporer dans son système juridique interne des mesures appropriées pour assurer la protection contre tout traitement injustifié de toute personne qui signale aux autorités compétentes, de bonne foi et sur la base de soupçons raisonnables, tous faits concernant les infractions établies conformément à la présente convention ». 956 Service central de prévention de la corruption, Rapport pour l’année 2011, préc, note 946, à la p.214. 957 Ibid à la p.217. 958 Ibid à la p.169. 959 Convention des Nations Unies, art.37 para.3 « chaque État partie envisage de prévoir la possibilité, conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, d’accorder l’immunité de poursuites à une personne qui coopère de manière substantielle à l’enquête ou aux poursuites relatives à une infraction établie conformément à la présente convention ».

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En ce qui concerne le destinataire de l’alerte, l’art.40 al.2 le limite au procureur de la

République. Il est difficile, dans ce contexte, d’évacuer les craintes formulées au sujet de

« l’indépendance du parquet960 », car elles peuvent être considérées comme un fondement

essentiel à la sous-utilisation de l’article 40 al.2. On observe que cette réserve n’échappe pas

aux instruments internationaux de lutte contre la corruption. C’est dans cette logique qu’ils

incitent, d’une part, au meilleur encadrement des garanties statutaires des services de

poursuite961 et, d’autre part diversifient les destinataires des dénonciations par

l’institutionnalisation des organes spécialisés dans la lutte contre la corruption962. Il se déduit

de ce qui précède que l’article 40 al.2 aurait pu être assimilé à un mécanisme d’alerte si le

whistleblower avait également la possibilité de saisir le SCPC, afin que ce dernier garantisse

lui-même la détection et la poursuite (éventuelle) relatives à la dénonciation reçue.

L’Agence française anticorruption963

La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la

corruption et à la modernisation de la vie économique, a abrogé certaines dispositions de la

loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence

de la vie économique et des procédures publiques. Le service central de prévention de la

corruption est désormais remplacé par l’Agence française anticorruption. Dans le cadre de

ses attributions, l’agence française anticorruption n’a pas reçu le mandat de mettre en

mouvement l’action publique, puisqu’elle doit saisir le procureur de la République ou le

procureur de la République financier, dans les conditions définies aux articles 43, 705 et 705-

1 du Code de procédure pénale964. Deux innovations sont contenues dans cette loi. Il s’agit

du chapitre II sur la protection des lanceurs d’alertes et, du chapitre III relatif aux autres

mesures de lutte contre la corruption et divers manquements à la probité.

960 Service central de prévention de la corruption, Rapport pour l’année 2011, préc, note 946, à la p.236 961 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.11 para.2. 962 Ibid art.13 para.2. 963 Étant donné que l’Agence française anticorruption n’était pas instituée au moment de la rédaction de cette thèse, son étude approfondie sera faite lors des travaux ultérieurs. 964 Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, art. 3.6°

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241

S’agissant du chapitre II, on observe que la rédaction de l’article 8, qui fixe les conditions

dans lesquelles le signalement d’une alerte peut être fait, est complexe. Cette procédure

semble fastidieuse et ne garantit pas la confidentialité et l’anonymat du lanceur d’alerte, vis-

à-vis de son employeur. Quant au chapitre III, notamment à travers son article 17, il décrit

un système de management anticorruption comparable à celui suggéré par la norme ISO

37001965.

En dehors de l’Agence française anticorruption, la France peut aussi compter sur le

TRACFIN, en tant qu’organe spécialisé dans la lutte contre la corruption.

4.2.2.2 Le TRACFIN

La cellule de renseignement financier nationale TRACFIN (Traitement du Renseignement et

Action contre les Circuits Financiers Clandestins) a été instituée par la Loi n°90-614 du 12

juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le

blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants. Cette loi et ses décrets

d’application sont contenus dans le livre V, titre VI, chapitre Ier du Code monétaire et

financier (CMF) respectivement dans ses parties législative et réglementaire.

Il ressort, pour l’essentiel, que TRACFIN est chargé de lutter contre le blanchiment du

produit d’une infraction punie d’une peine privative de liberté supérieure à un an et du

financement du terrorisme. C’est ainsi qu’il recueille et exploite tout renseignement propre à

établir l’origine ou la destination des sommes ou la nature des opérations ayant fait l’objet

d’une déclaration966. Celle-ci est faite par des organismes financiers dont la liste est précisée

à l’article L561-2 du CMF967. Elle porte sur des sommes inscrites dans leurs livres ou les

965 Organisation internationale des normes, ISO 37001 :2016 – systèmes de management anti-corruption. 966 CMF, art. L. 561-23. 967 Il s’agit entre autres :

- des organismes, institutions et services régis par les dispositions du titre Ier du présent livre ; - des établissements de paiement régis par les dispositions du chapitre II du titre II du présent livre ; - des établissements de monnaie électronique régis par le chapitre VI du titre II du présent livre ; - des entreprises mentionnées à l’article L. 310-1 du code des assurances et des intermédiaires

d’assurance sauf ceux qui agissent sous l’entière responsabilité de l’entreprise d’assurance ; - des institutions ou unions régies par le titre III du livre IX di code de la sécurité sociale ou relevant du

II de l’article L. 727-2 du code rural ; - des mutuelles et unions réalisant des opérations visées au 1° du I de l’article L. 111-1 du code de la

mutualité et les mutuelles et unions qui procèdent à la gestion des règlements mutualisés et des contrats pour le compte des premières ;

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opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons

de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté

supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme968. Dans le cadre de ses

attributions et notamment aux fins de recoupement des déclarations susmentionnées,

TRACFIN reçoit, à sa demande, ou à l’initiative des administrations de l’État, des

collectivités territoriales, des établissements publics, des organismes mentionnés à l’article

L. 134-1 du code des juridictions financières et de toute autre personne chargée d’une mission

de service public, toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission969.

De même, il a un droit d’accès direct aux fichiers utilisés par les services en charge de

l’établissement de l’assiette, du contrôle et du recouvrement des impôts970. L’autorité

judiciaire, les juridictions financières et les officiers de police judiciaire peuvent le rendre

destinataire de toute information aux mêmes fins971.

Au plan organisationnel, TRACFIN est rattaché au ministre chargé de l’économie et au

ministre chargé du budget972. Il est dirigé par un directeur et un directeur adjoint, assistés par

un conseiller juridique, tous nommés par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et

du ministre chargé du budget973. Lorsque des investigations menées par TRACFIN mettent

en évidence des faits susceptibles de relever de ses attributions, il saisit le procureur de la

République par note d’information974 après une caractérisation éventuelle des faits975. Le

procureur de la République informe TRACFIN du classement sans suite, de l’ouverture d’une

procédure judiciaire ainsi que des décisions prononcées par une juridiction répressive, dans

les affaires qu’il lui a transmises976.

- la Banque de France, l’institut d’émission des départements d’outre-mer mentionné à l’article L. 711-2 du présent code et l’institut d’émission d’outre-mer mentionné à l’article L. 712-4 du même code ;

- des entreprises d’investissement autres que les sociétés de portefeuille … - des changeurs manuels ; - … ;

968 CMF, art. L561-15. 969 CMF, art. L561-27. 970 Ibid. 971 Ibid. 972 CMF, art. R561-33. 973 CMF, art. R561-34. 974 CMF, art. LR561-23. 975 CMF, art.R561-34. 976 CMF, art. LR561-24.

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On peut se demander, au regard de ce qui précède, si l’organisation et le fonctionnement de

TRACFIN sont compatibles avec les objectifs assignés aux cellules de renseignement

financier dans les conventions de lutte contre la corruption. La réponse à cette question invite

à distinguer la Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe, de la Convention

des Nations Unies.

Dans le premier cas, l’article 13 de la Convention pénale relatif au blanchiment du produit

des délits de corruption renvoie aux dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe

relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et

au financement du terrorisme. Cet instrument définit la « cellule de renseignement financier »

comme une unité nationale centrale chargée de recevoir, d’analyser et de transmettre aux

autorités compétentes les déclarations d’informations financières977. Dans sa structure, cette

convention distingue les pouvoirs d’investigation décrits à l’article 7 de ceux qui ressortissent

à la cellule de renseignement financier aux articles 12, 13 et 14. Toutefois, si cette distinction

ne dénie pas à la cellule de renseignement financier les pouvoirs d’investigation, sa

transposition en droit français suscite quelques observations tant sur l’organisation de

TRACFIN que sur les mécanismes répressifs proprement dits.

En effet, il ressort du CMF que le contrôle des obligations relatives à la lutte contre le

blanchiment des capitaux incombant aux personnes listées à l’article L561-2 est assuré, entre

autres, par l’autorité de contrôle prudentiel, l’autorité des marchés financiers, l’ordre du

barreau, les chambres des notaires978, etc. Or, il est constamment admis que les ordres

professionnels veillent prioritairement au respect, entre leurs différents membres, des normes

déontologiques qui leur sont applicables. S’il peut être vérifié que la lutte contre la corruption

et le blanchiment d’argent se greffent à cet objectif prioritaire, ce greffage ne suffit pas à

conférer aux ordres professionnels la compétence nécessaire pour garantir le respect des

obligations relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent. Une telle attribution semble

mieux convenir aux attributions de la cellule de renseignement financier. Cette solution

977 Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme, art. 1 para.f. 978 CMF, art. L561-36.

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semble plus harmonieuse avec les dispositions de l’article 13 de la convention du Conseil de

l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du

crime et au financement du terrorisme. Car il paraît plus logique de confier au destinataire

des déclarations des opérations suspectes, le contrôle de la mise en œuvre du dispositif qui

est à l’origine desdites déclarations. Ceci, sous réserve des garanties d’indépendance,

individuelle et institutionnelle, de la cellule de renseignement financier et de ses dirigeants.

S’agissant des techniques et pouvoirs d’investigation, la Convention du Conseil de l’Europe

les détermine de la manière suivante :

1 chaque partie adopte les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour habiliter ses tribunaux ou ses autres autorités compétentes à ordonner la communication ou la saisie de dossiers bancaires, financiers ou commerciaux afin de mettre en œuvre les mesures visées aux articles 3, 4 et 5. Une partie ne saurait invoquer le secret bancaire pour refuser de donner effet aux dispositions du présent article. 2 Sans préjudice du paragraphe 1, chaque partie adopte les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour lui permettre : a) de déterminer si une personne physique ou morale détient ou contrôle un ou plusieurs comptes, de quelque nature que se soit, dans une quelconque banque située sur son territoire et, si tel est le cas, d’obtenir tous les renseignements concernant les comptes répertoriés ; b) d’obtenir les renseignements concernant des comptes bancaires déterminés et des opérations qui ont été réalisées pendant une période déterminée sur un ou plusieurs comptes spécifiés, y compris les renseignements concernant tout compte émetteur ou récepteur ; c) de suivre, pendant une période déterminée, les opérations bancaires réalisées sur un ou plusieurs comptes identifiés ; et d) de faire en sorte que les banques ne révèlent pas au client concerné ni à d’autres tiers que des informations ont été recherchées ou obtenues conformément aux alinéas a, b, ou c, ou qu’une enquête est en cours. Les parties examinent la possibilité d’étendre cette disposition aux comptes détenus par des institutions financières non bancaires. 3 chaque partie envisage d’adopter les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour lui permettre d’employer des techniques spéciales d’investigation facilitant l’identification et la recherche du produit ainsi que le recueil de preuves y afférentes, telles que l’observation, l’interception de télécommunication, l’accès à des systèmes informatiques et les ordonnances de production de documents déterminés979.

La lecture des attributions conférées à TRACFIN montre qu’il exerce la quasi-totalité des

pouvoirs et techniques d’investigation ci-dessus mentionnés, à l’exception des prérogatives

contenues dans le paragraphe 3, notamment, les techniques spéciales d’investigation. Par

ailleurs, il ressort in fine de l’article L561-29 que, lorsque TRACFIN reçoit une information

979 Convention du Conseil de l’Europe, préc, note 977, art.7.

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en lien avec un service particulier, il est autorisé à communiquer cette information audit

service aux fins des investigations spécialisées, voire approfondies. Tel est notamment le cas

des services de renseignement spécialisé, lorsque l’information reçue est susceptible de

relever d’une menace contre les intérêts fondamentaux de la nation. Ce peut aussi être

l’administration fiscale ou tout autre service mentionné à l’article L561-29. Par un contre, le

CMF reste silencieux quant à l’organe spécialisé à effectuer des techniques d’investigation

spéciale lorsque l’information reçue est exclusivement liée au mandat de TRACFIN, à savoir

le blanchiment du produit de la criminalité. La technique spéciale d’investigation mentionnée

dans la Convention du Conseil de l’Europe invite à interroger les rapports de collaboration

entre TRACFIN et le procureur de la République. Ainsi, il ressort du CMF que « lorsque les

investigations [menées par TRACFIN] mettent en évidence des faits susceptibles de relever

du blanchiment du produit d’une infraction […] le service mentionné au I [TRACFIN] saisit

le procureur de la République par note d’information980 ». Le procureur de la République

informe TRACFIN « de l’engagement d’une procédure judiciaire, du classement sans suite

ainsi que des décisions prononcées par une juridiction répressive, dans les affaires ayant fait

l’objet d’une note d’information981 ». La lecture combinée de ces deux dispositions invite

l’observateur à poser deux questions :

i) TRACFIN est-il l’autorité spécialisée dans l’enquête relative au blanchiment du

produit du crime ?

ii) l’identification de l’autorité spécialisée dans l’enquête relative au blanchiment

du produit du crime incombe-t-elle, exclusivement, au procureur de la

République ?

Répondre positivement à la question i) invite à considérer que la technique d’investigation

spéciale relève du domaine de compétence de TRACFIN. Dans cette veine, le procureur de

la République ne statue que sur la question « de l’opportunité des poursuites ». Cette position

semble confortée par l’article L561-27 du CMF, puisque, dans le recoupement des

informations qu’il reçoit, TRACFIN peut solliciter des administrations de l’État. Bien plus,

980 CMF, art. L561-23 para. II. 981 CMF, art. L561-24.

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« l’autorité judiciaire, les juridictions financières et les officiers de police judiciaire peuvent

le rendre destinataire de toute information aux mêmes fins982 ». Le statut de TRACFIN, vu

comme l’autorité compétente pour enquêter sur le blanchiment des produits de la criminalité

devrait s’accompagner, pour plus d’efficacité, de deux prérogatives additionnelles. Il s’agit

de la conduite des investigations spéciales et de l’opportunité des poursuites.

En répondant négativement à la question i), on fait droit à la lettre de la Convention du

Conseil de l’Europe qui considère la cellule de renseignement financier comme un organe

administratif. Il se limite dans ce cas, à analyser les déclarations reçues afin de « prendre une

décision sur celles qu’elle transmettra aux services répressifs aux fins d’enquête983 ». Cela

suppose une distinction entre la phase d’analyse et la phase d’enquête984. Cette lecture est

difficilement transposable à TRACFIN. En effet, selon le texte français, les termes

« analyse » et « investigation » sont interchangeables ou d’application successive par la

même autorité de renseignement financier TRACFIN. Ainsi, celui-ci recueille, analyse,

enrichit et exploite tout renseignement propre à établir l’origine ou la destination des sommes

[…]985. Quant aux investigations, elles mettent en évidence des faits susceptibles de relever

du blanchiment du produit d’une infraction986, si bien que, lorsque TRACFIN saisit le

procureur de la République, il a préalablement caractérisé les faits987 qui fondent cette saisine.

Cela conduit à dire que TRACFIN n’est pas seulement un organe administratif de collecte et

d’analyse des déclarations suspectes, il est également un organe d’enquête. Ce qui devrait le

qualifier à utiliser les techniques d’investigation spéciale.

Une réponse positive à la question ii) laisse penser que TRACFIN peut saisir le procureur de

la République pour des faits non caractérisés, voire des simples soupçons. Il reviendrait ainsi

au ministère public de saisir l’autorité spécialisée dans les investigations relatives au

blanchiment du produit des infractions. Une telle autorité, connue du seul ministère public,

982 CMF, art. L561-27. 983 Convention du Conseil de l’Europe, préc, note 1150, Rapport explicatif [en ligne] [conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/198.htm] [consulté, le 15/12/2014], para. 47. 984 Ibid. 985 CMF, art. L561-23. 986 Ibid. 987 CMF, art. R561-34.

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serait alors habilitée à utiliser les techniques spéciales d’investigation mentionnées à l’article

7 paragraphe 3 de la Convention du Conseil de l’Europe. Une telle approche paraît absurde

et contradictoire à l’esprit du chapitre Ier, titre VI, livre V du CMF relatif aux obligations de

lutte contre le blanchiment des capitaux.

Il découle des réponses aux questions i) et ii) que le législateur français est invité à aller au

terme de sa logique. En faisant de TRACFIN un organe d’analyse et d’enquête, il aurait pu

intégrer parmi ses prérogatives celles relatives aux techniques spéciales d’investigation.

Cette recommandation avait déjà été faite, en son temps, par le GRECO dans les termes

suivants :

Les pouvoirs d’investigation pour enquêter sur le produit du crime, les pouvoirs de réquisition et de perquisition paraissent suffisants. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a ajouté des dispositions sur la réquisition de documents, notamment aux institutions financières. Néanmoins, les méthodes spéciales d’investigation applicables en matière de criminalité organisée, telles qu’introduites par la loi Perben II ne sont pas applicables en matière de corruption988.

Il reste maintenant à se demander si la Convention des Nations Unies rencontre les mêmes

exigences que la Convention pénale du Conseil de l’Europe.

La Convention des Nations Unies compte quatre dispositions directement liées au mandat

des cellules de renseignement financier. Il s’agit, notamment, des articles 14, 23, 52 et 58.

Cette dernière disposition retiendra l’attention de la présente analyse, car en plus de

convoquer l’un des mandats des cellules de renseignement financier (coopération

internationale), elle discute des différentes formes que peuvent revêtir lesdites cellules.

Selon l’article 58, le service de renseignement financier est chargé « de recevoir, d’analyser

et de communiquer aux autorités compétentes des déclarations d’opérations financières

suspectes ». Doit-on comprendre, dans ces termes, que la cellule de renseignement financier

ne peut pas procéder à une enquête approfondie (voire aux techniques spéciales

d’investigation) des déclarations obtenues ? Autrement dit, cette convention limite-t-elle cet

988 GRECO, Deuxième cycle d’évaluation. Rapport d’évaluation sur la France, 2004, paragraphe 26.

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organe à un statut administratif ? Si oui, à quelle « autorité compétente » devrait-on

communiquer des déclarations d’opérations suspectes aux fins d’enquête ?

La lecture du Guide technique de la Convention des Nations Unies montre qu’en fonction du

système juridique de l’État partie, la cellule de renseignement financier peut être un organe

administratif, répressif, judiciaire, inquisitoire ou hybride989. Usant d’une flexibilité

apparente990, le Guide a relevé les avantages et les inconvénients de chaque modèle. Ce qui

offre la possibilité aux parties à cette convention, d’identifier le modèle le mieux adapté à la

lutte contre le blanchiment d’argent. Même s’il est possible qu’elles optent, en définitive,

pour un modèle moins efficace au motif qu’il serait plus conforme à leur système juridique.

Dans cette logique, il ressort en substance que les services financiers peuvent avoir certaines

réticences à collaborer avec des services de renseignement financier institués sur les modèles

répressif et judiciaire. Car il existerait des risques pour que des déclarations d’opération

suspectes transmises servent à d’autres fins qu’à la lutte contre le blanchiment du produit de

la criminalité991.

Par contre en optant pour un modèle administratif, la cellule de renseignement financier perd

en efficacité et en indépendance. D’abord parce qu’« il peut y avoir des retards dans

l’application des mesures comme le gel d’une opération suspecte, l’arrestation d’un suspect

[…]992 ». Ensuite parce que « les services de renseignement financier de type administratif

peuvent être soumis à un contrôle plus direct des autorités politiques993 ». Ce constat invite à

opter pour un modèle hybride, afin de « tirer parti des avantages des différents types de

services de renseignement financier en les rassemblant en une même institution994 ». Cette

solution est en harmonie avec les objectifs d’une lutte efficace contre la corruption. Il s’agit,

en fait, de la nécessité de constituer des autorités multidisciplinaires spécialisées dans la lutte

989 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, aux pp 244 et s. 990 Il est montré dans cette étude que les conventions de lutte contre la corruption semblent flexibles dans leur forme, mais rigides dans leur substance : la lutte contre la corruption. Ainsi, si elles laissent à chaque État partie le choix du modèle d’organe spécialisé qui sied le mieux à leur système juridique, les mécanismes de mise en œuvre des conventions n’hésitent pas à recommander la substitution de ces organes par des modèles qu’ils estimeront plus adaptés à la finalité d’une lutte efficace contre la corruption. 991 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, aux pp 244 et s. 992 Ibid aux pp.244 et 245. 993 Ibid. 994 Ibid à la p.247.

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contre la corruption (cf. article 36). De telles autorités sont, par ailleurs, justifiées par « le

manque d’indépendance réel ou apparent des services existants […] et les doutes manifestés

par le public quant à l’efficacité de leur travail995 ». Cela revient à dire que la cellule de

renseignement financier ne peut pas être un simple organe administratif. Pour atteindre les

objectifs d’une lutte efficace contre le blanchiment des produits de la criminalité, la cellule

de renseignement financier doit être un organe spécialisé dans la lutte contre la corruption au

sens de l’article 36 de la Convention des Nations Unies. Elle pourrait être, dans cette logique,

mieux compétente pour enquêter et poursuivre les auteurs présumés des infractions définies

à l’article 23 de la Convention des Nations Unies.

À la différence du Canada, la France ne semble pas reconnaître la participation de la société

à ses mécanismes publics de lutte contre la corruption. Par contre, si ces deux systèmes sont

favorables à une collaboration entre leurs mécanismes publics de lutte contre la corruption et

le système judiciaire, ils ne permettent pas à ceux-là de saisir directement celui-ci aux fins

de sanction. Ce qui semble diluer la valeur ajoutée de ces organes dans la lutte contre la

corruption et le blanchiment des produits de la criminalité. D’une façon générale, il apparaît,

au regard de ce qui précède, que les États parties à la Convention de l’OCDE éprouvent

encore des difficultés à réussir au test de l’article 5 de cette convention. Ceci invite à discuter

du test auquel pourraient être soumis les mécanismes publics de lutte contre la corruption

dans un contexte relativement démocratique.

4.2.3 Les mécanismes camerounais de lutte contre la corruption Le système camerounais de lutte contre la corruption a opté pour deux mécanismes non

répressifs. Il s’agit de l’Agence Nationale d’Investigation Financière (ANIF) et de la

Commission Nationale Anticorruption (CONAC).

4.2.3.1 L’ANIF

L’ANIF a été constituée par Décret n°2005/187 du 31 mai 2005. Elle est un service de

renseignement financier rattaché au ministère chargé des finances. Au plan organisationnel,

elle comprend quatre membres dont un directeur et trois chargés d’études. Ils sont issus du

995 Ibid à la p.130.

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ministère chargé des finances, de la police judiciaire et du ministère chargé de la justice996.

En plus du personnel mis à la disposition de l’ANIF dans les conditions de l’Arrêté

n°06/403/CF/MINEFI du 28 décembre, l’agence recourt également à des correspondants

dans la police, la gendarmerie, la direction générale à la recherche extérieure, les douanes, la

justice, le ministère du Commerce, le ministère chargé des relations extérieures ou tout autre

service public dont le concours est jugé nécessaire dans le cadre de la lutte contre le

blanchiment des capitaux997. Ces correspondants sont nommés à la demande du directeur,

par arrêté du ministre chargé des finances et sur proposition des administrations dont ils

relèvent998.

Les missions de l’ANIF sont contenues aussi bien dans le décret n°2005/187 du 31 mai 2005,

que dans le Règlement n°01/03-CEMAC-UMAC portant prévention et répression du

blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme en Afrique centrale. Selon les

dispositions combinées du Décret (art.8) et du Règlement, l’ANIF a pour objet de prévenir,

détecter, empêcher ou réprimer l’utilisation du système financier ou des autres secteurs de la

vie économique des États de la CEMAC (Communauté Économique et Monétaire de

l’Afrique Centrale) à des fins de blanchiment des capitaux999. Pour ce faire, l’ANIF reçoit les

déclarations de soupçon des organismes financiers et d’autres personnes assujetties1000. Ces

déclarations contiennent notamment :

996 Décret n°2005/187 du 31 mai 2005, arts. 4 et 5. 997 Ibid art.9 998 Ibid art.10. 999 Règlement n°01/03-CEMAC-UMAC portant prévention et répression du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme en Afrique centrale, art.4. 1000 Il s’agit selon les dispositions du Décret préc, note 996, art. 13 de :

- le Trésor public ; - la Banque des États de l’Afrique Centrale ; - les organismes financiers ; - les changeurs manuels ; - les gérants, directeurs et propriétaires de casinos et établissements de jeux ; - les notaires et autres membres des professions juridiques indépendantes lorsqu’ils conseillent ou

assistent des clients ou agissent au nom ou pour le compte de leurs clients pour l’achat et la vente de biens, d’entreprises ou de fonds de commerce, la manipulations d’actifs, de titres ou d’autres actifs, l’ouverture de comptes bancaires, la constitution, la gestion ou la direction de sociétés, de fiducies ou de structures similaires, ou toutes autres opérations financières ;

- les agents immobiliers ; - les sociétés de transport et de transfert de fonds ; - les agences de voyages ;

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[L]es sommes ou tous autres biens qui sont en leur possession lorsqu’ils pourraient être liés à un crime ou à un délit ou s’inscrire dans un processus de blanchiment de capitaux ;

les opérations qui portent sur des sommes ou biens qui pourraient provenir d’un crime ou d’un délit ou s’inscrire dans un processus de blanchiment des capitaux1001.

De même que dans les systèmes canadien et français,

Dès que les informations recueillies mettent en évidence des faits susceptibles de relever du trafic de stupéfiants, de l’activité d’organisations criminelles, du blanchiment ou de toute autre infraction prévue par le présent règlement, l’ANIF en réfère au procureur de la République près la juridiction compétente à qui elle transmet un rapport sur les faits comportant son avis1002.

Il suit de ce qui précède que l’analyse de la réception des instruments internationaux de lutte

contre la corruption, dans leurs dispositions relatives aux cellules de renseignement financier

en droit camerounais, aboutit à des observations quasi similaires à celles faites dans les

systèmes juridiques précédents. De plus, afin de détecter efficacement le blanchiment du

produit du crime, il s’observe que les services de renseignement financier vont au-delà des

dispositions conventionnelles. En effet, celles-ci ne semblent confier à ceux-là que la

connaissance des actes relatifs au blanchiment du produit du crime par conversion, transfert,

dissimulation, déguisement, acquisition, détention et utilisation des produits et biens issus

des actes criminels1003. Il s’agit des infractions subsidiaires, c'est-à-dire, des infractions

consécutives à la commission préalable d’autres infractions dites principales1004. Par contre,

les déclarations de soupçon reçues par les cellules de renseignement financier, dont l’ANIF,

incluent les infractions principales, de sorte que l’ANIF est susceptible de détecter les

infractions subsidiaires et les infractions principales. Tel est notamment le cas de

l’enrichissement illicite1005.

- les commissaires aux comptes, les experts-comptables et auditeurs externes, les conseils fiscaux ; - les marchands d’articles de valeur tels que les œuvres d’art, les métaux et les pierres précieuses, les

automobiles. 1001 Ibid art.14. 1002 Règlement préc, note 999, art.34. 1003 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.23 ; Convention de l’UA, préc, note 19, art.6. 1004 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.23 para.2. 1005 L’incrimination de l’enrichissement illicite occupe une place importante dans la lutte contre la corruption. Elle est prévue par trois instruments internationaux de lutte contre la corruption : la convention des Nations Unies, préc, note 15, (art.20), la convention de l’UA, préc, note 19, (art.8) et la Convention de l’OEA, préc,

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Par ailleurs pour accomplir ses missions, l’ANIF compte parmi les différentes cellules de son

organigramme1006, la cellule des enquêtes financières et administratives et la cellule des

enquêtes judiciaires et de la recherche. La première cellule citée est chargée, entre autres, de

la conduite des enquêtes administratives et financières, alors que la seconde a, parmi ses

attributions, la conduite des enquêtes judiciaires1007. Il faut compter, en plus de cette

organisation, la stratégie des correspondants. À travers celle-ci, les collaborateurs de l’ANIF

sont infiltrés dans d’autres administrations pour un meilleur recoupement des déclarations

d’opérations suspectes.

Il convient cependant de constater que cette organisation et ce fonctionnement qui échappent,

a priori, à toute critique contrastent avec la littérature juridique camerounaise1008, et les

observations de la communauté internationale sur l’état de la corruption au Cameroun1009.

D’où l’intérêt de rechercher les causes de ce contraste. Un tel projet invite à dépasser

l’évaluation des énoncés textuels pour s’intéresser à celle de leur mise. Il s’agit, en l’espèce,

note 25, (art.IX). Toutefois, il convient de rappeler que le Canada a fait une réserve visant à ne pas instaurer cette infraction dans son ordre juridique. Car elle est incompatible avec la Constitution canadienne, notamment avec la Charte canadienne des droits et liberté (art. 11c) et avec les principes fondamentaux du système juridique du Canada. L’accueil mitigé de cette incrimination, par ailleurs nécessaire dans la lutte contre la corruption invite à poser deux questions de forme et de fond : d’abord pourquoi ne limiter cette infraction qu’aux seuls agents publics ? Ensuite, étant donné les attributions des cellules de renseignement financier, l’enrichissement illicite devrait-elle être – au plan substantiel – une infraction ou un soupçon d’infraction ? L’auteur de cette étude observe que l’enrichissement illicite devrait être un indice important dans la recherche des preuves visant les actes de corruption et des infractions assimilées. Puisqu’elle est définie comme l’«augmentation substantielle du patrimoine d’un agent public que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes », il est possible d’admettre que les missions de collecte des informations, leur synthèse et des recoupements attribués aux cellules de renseignement financier devraient permettre de déterminer l’origine de l’augmentation illicite du patrimoine, non seulement de l’agent public, mais de tout auteur présumé des actes de corruption et des infractions assimilées. Admettre l’enrichissement illicite comme un « soupçon d’infraction » pourrait améliorer sa réception dans les systèmes juridiques des différents États parties aux conventions de lutte contre la corruption. 1006 Il ressort de l’arrêté n°06/403/CF/MINEFI du 28 décembre 2006 que les différentes cellules de l’ANIF sont : la cellule des affaires judiciaires (art. 6) ; la cellule des enquêtes financières et administratives (art. 7) ; la cellule des enquêtes judiciaires et de la recherche (art. 8). 1007 Ibid. 1008 Voir entre autres, S. YAWAGA, préc, note 773. 1009 Au cours des dix dernières années, le classement du Cameroun selon Transparency International oscille entre le 129e (2004) et le 146e (2010) rang des pays corrompus. [En ligne] [www.transparency.org] [consulté, le 18/12/2014].

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253

de se demander si l’indépendance institutionnelle et fonctionnelle de l’ANIF est conforme

aux dispositions des instruments internationaux de lutte contre la corruption.

Dans un premier temps, il ressort des typologies des cas de corruption et de blanchiment

d’argent, présentés par l’ANIF, que les délinquants présumés de ces crimes se recrutent

prioritairement dans la haute administration publique1010. Ces hypothèses semblent se

confirmer par l’opération dite épervier1011. Il s’agit d’une sorte d’opération mains propres

qui a vu inculper, pour des raisons de corruption et des infractions assimilées de 2006 à nos

jours, de nombreux hauts fonctionnaires, des directeurs des sociétés d’État, des ministres,

Premier ministre et secrétaires généraux de la présidence de la République. Or, il ressort des

textes de l’ANIF que cette institution et ses dirigeants sont subordonnés à la catégorie de

personnalité dite vulnérable à la corruption.

En effet, l’ANIF est rattachée au ministère chargé des finances1012. Son directeur est nommé

par décret du Premier ministre sur proposition du ministre en charge des finances pour un

mandat de trois ans renouvelables une fois1013. La désignation des chargés d’études est

constatée par décision du ministre chargé des finances, sur proposition de leur administration

d’origine1014. Dans une logique comparable, les correspondants de l’ANIF sont désignés par

décision du ministre compétent prise à la demande du ministre en charge des finances sur

proposition du directeur de l’ANIF1015. De plus, les membres de l’ANIF peuvent être

révoqués à tout instant1016. Il ressort de ces dispositions que l’ANIF et ses membres ne

jouissent d’aucune garantie d’indépendance, leur permettant de mettre en application leurs

compétences et d’exercer leurs fonctions telles qu’elles sont définies dans le décret

n°2005/187 du 31 mai 2005 et le règlement n°01/03-CEMAC-UMAC du 04 avril 2003. Les

autorités qui bénéficient des pouvoirs discrétionnaires dans la nomination et la révocation du

personnel de l’ANIF sont les mêmes autorités qui sont inculpées pour des faits de corruption.

1010 Voir à titre d’illustration, ANIF, Quelques typologies en 2011, [en ligne] [www.anif.cm] [consulté, le 18/12/2014]. 1011 C. G. Mbock, (coord.), préc, note 40. 1012 Décret préc, note 996, art.2. 1013 Ibid art.7. 1014 Ibid. 1015 Règlement préc, note 999, art.28. 1016 Décret préc, note 996, art.7 para.3.

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254

Il est, dès lors, possible de dire que ce ne sont pas des collaborateurs de l’ANIF qui infiltrent

les administrations stratégiques dans la lutte contre la corruption. C’est plutôt l’ANIF qui est

infiltrée par des personnalités vulnérables à la corruption, à travers les membres des

différentes administrations, proposées par chacune d’elle, à la nomination à l’ANIF. Faute

des meilleures garanties d’indépendance institutionnelles et personnelles de l’ANIF,

l’explication de l’infiltration de l’ANIF par les personnalités vulnérables à la corruption

semble plausible pour justifier le contraste qui existe entre son cadre normatif et la perception

d’une corruption endémique au Cameroun.

S’agissant de l’indépendance fonctionnelle, elle suscite un questionnement au double plan

administratif et répressif. Dans le premier cas, le règlement prévoit dans son titre II intitulé :

prévention et détection du blanchiment, une série de dispositions à la charge des personnes

assujetties. Elles concernent, entre autres, l’identification des clients, la surveillance

particulière de certaines opérations, la conservation des documents et pièces, etc. Ces

dispositions ont vocation à préparer les personnes assujetties à la meilleure connaissance de

leurs clients, afin de déclarer toute opération financière suspecte à l’ANIF. Ainsi,

lorsque, par suite soit d’un défaut de vigilance, soit d’une carence dans l’organisation de ses procédures internes de contrôle, un organisme financier a omis de faire la déclaration prévue […] l’autorité ayant pouvoir disciplinaire est habilitée à engager une procédure sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs et à en aviser le procureur de la République1017.

À l’image des textes français, le système camerounais met à la charge des organismes non

compétents dans la lutte contre le blanchiment d’argent – à savoir les ordres professionnels

– la surveillance des mesures devant garantir la prévention dudit blanchiment. Bien plus, ces

organismes ne sont pas clairement identifiés dans le décret et le règlement relatifs à l’ANIF.

Ceci pourrait laisser subsister un doute sur l’existence de certains d’entre eux. Par ailleurs, le

règlement semble silencieux sur le rapport qui existe entre les mesures administratives et/ou

disciplinaires que devraient prendre les ordres professionnels et les prérogatives répressives

du procureur de la République. Or, il paraît qu’il aurait été pertinent de laisser à la charge

1017 Règlement préc, note 999, art.21 ; et Décret préc, note 996, art.19.

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d’une ANIF indépendante, le contrôle des mesures prises par les personnes assujetties pour

prévenir le blanchiment du produit du crime.

Dans un second cas, à la suite des déclarations de soupçon,

Dès que les informations recueillies mettent en évidence des faits susceptibles de relever du trafic de stupéfiants, de l’activité d’organisations criminelles, du blanchiment ou de toute autre infraction prévue par le présent règlement, l’ANIF en réfère au procureur de la République près la juridiction compétente à qui elle transmet un rapport sur les faits comportant son avis1018.

Il a été constaté supra que l’ANIF a des compétences nécessaires pour effectuer des enquêtes

administratives, financières et judiciaires en lien avec des déclarations d’opérations suspectes

reçues. Par ailleurs, il ressort de l’article 8 du règlement que les personnes non formellement

identifiées pour faire les déclarations auprès de l’ANIF, portent à la connaissance du

procureur de la République, les opérations dont elles savent qu’elles proviennent d’un crime,

d’un délit ou s’inscrivent dans un processus de blanchiment des capitaux. Le procureur

informe l’ANIF qui lui fournit tous renseignements utiles. Cette dernière disposition montre,

une fois de plus, que l’ANIF est mieux qualifiée que tout autre organe pour faire la preuve

d’un acte de blanchiment du produit de la criminalité ou de toute autre infraction définie dans

son mandat. Dans cette logique, si la saisine de l’ANIF par le procureur de la République

peut être objectivement justifiée, il n’en est pas de même de la référence de l’ANIF au

procureur de la République. Dans cette veine, étant donné que l’ANIF est plus compétente

pour enquêter sur le blanchiment des produits de la criminalité que le procureur de la

République, on peut se demander ce qui fonde, en droit camerounais, l’opportunité des

poursuites du procureur de la République dans les affaires que lui défère l’ANIF. Il ressort

de la synthèse des activités de l’ANIF en 2010 que, sur un total de six-cent-cinq (605)

déclarations de soupçon reçues de 2006 à 2010, l’ANIF a transmis à la justice (procureur de

la République) cent-cinquante-une (151) déclarations1019. Il serait intéressant, pour

l’observateur de la lutte contre la corruption au Cameroun, de savoir parmi les cent-

1018 Ibid art.34. 1019 ANIF, Synthèse des activités de l’ANIF du Cameroun en 2010, [en ligne] [www.anif.cm] [consulté, le 18/12/2014].

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cinquante-une (151) déclarations transmises au procureur de la République, le nombre qui a

fait l’objet des poursuites pénales. Puis, des motifs éventuels qui auraient empêché la

poursuite du nombre restant. C’est dans ce sens que le rapport de la commission nationale

anticorruption publié en novembre 2012 relève qu’

[A]près six (6) années de fonctionnement effectif, le retour d’information sur le sort réservé aux dossiers transmis par l’ANIF aux juridictions compétentes [parquets] n’est pas toujours assuré. Aussi n’est-il pas possible, en décembre 2011, de présenter une situation exacte de l’exploitation des cent-quatre-vingt-neuf (189) dossiers transmis à vingt (20) juridictions à travers le triangle national1020.

La méconnaissance des suites accordées aux cent-cinquante-une (151) déclarations

transmises au procureur de la République ne rend pas compte de l’objet1021 du règlement

n°01/03-CEMAC-UMAC portant prévention et répression du blanchiment des capitaux et du

financement du terrorisme en Afrique centrale. Cela ne permet pas non plus une bonne

perception des activités de l’ANIF et de l’état de la corruption. En clair, le constat fait au

sujet de l’indépendance institutionnelle et personnelle de l’ANIF s’impose avec la même

rigueur au sujet de son indépendance fonctionnelle. Il aurait été souhaitable de permettre à

l’ANIF de poursuivre les infractions détectées qui relèvent de son mandat. Est-ce le cas de

la Commission Nationale Anticorruption ?

4.2.3.2 La CONAC

La Commission Nationale Anti-Corruption (CONAC) a été créée par Décret n°2006/088 du

11 mars 2006. Elle est un organisme public indépendant1022, placé sous l’autorité du Président

de la République1023.

Les missions de la CONAC, définies à l’article 2 (2) sont les suivantes :

[S]uivre et évaluer l’application effective du plan gouvernemental de lutte contre la corruption ;

1020 CONAC, Rapport sur l’état de la lutte contre la corruption au Cameroun en 2011, novembre 2012, [en ligne] [www.conac-cameroun.net] [consulté, le 20 juin 2013], p.273. 1021 Règlement préc, note 999, art.4 « le présent règlement définit les règles visant à prévenir, détecter, empêcher ou réprimer : l’utilisation du système financier ou des autres secteurs de la vie économique des États de la CEMAC à des fins de blanchiment des capitaux ; […] ». 1022 Décret n°2006/088 du 11 mars 2006 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale Anti – Corruption, art.2 (1). 1023 Ibid art.1er (2).

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recueillir, centraliser et exploiter les dénonciations et informations dont elle est saisie pour des pratiques, faits ou actes de corruption et infractions assimilées ;

mener toutes études ou investigations et proposer toutes mesures de nature à prévenir ou à juguler la corruption ;

procéder, le cas échéant, au contrôle physique de l’exécution des projets, ainsi qu’à l’évaluation des conditions de passation des marchés publics ;

diffuser et vulgariser les textes sur la lutte contre la corruption ;

identifier les causes de la corruption et proposer aux autorités compétentes les mesures susceptibles de permettre de l’éliminer dans tous les services publics ou parapublics ;

accomplir toute autre mission à elle confiée par le Président de la République1024.

L’article 3 du décret permet à la CONAC de se saisir d’office des pratiques, faits ou actes de

corruption et infractions assimilées dont elle a connaissance. De même, elle peut aussi être

saisie par toute personne physique ou morale de plainte ou de dénonciation pour faits ou actes

de corruption. Dans sa structure, la CONAC a deux organes dont les membres sont nommés

par décret du Président de la République1025. Il s’agit du comité de coordination et du

secrétariat permanent. Le comité de coordination est chargé :

[D]’établir des rapports directs avec les membres du gouvernement et les dirigeants des administrations publiques et parapubliques ;

d’autoriser les missions des membres de la commission ;

de la discipline, de l’efficience, et de l’efficacité des membres et des personnels de la commission ;

d’élaborer un programme annuel d’activités de la commission conformément à ses missions, et de veiller à sa mise en œuvre1026.

Quant au secrétariat permanent, il est l’organe opérationnel de la CONAC. À ce titre, il est

chargé :

[D]’instruire les affaires de la commission ;

de coordonner les activités des structures de la commission ;

de veiller à la formation et au recyclage des personnels de la commission ;

1024 Ibid art.2(2). 1025 Ibid arts.8 et 35. 1026 Ibid art.5

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d’assister les membres de la commission en mission d’investigation ;

de participer à la recherche des preuves dans le cadre des enquêtes menées par la commission ;

de la collecte, de la centralisation et de l’exploitation des informations et dénonciation relatives aux pratiques, faits et actes de corruption ou infractions assimilées ;

des études relatives au renforcement des capacités des organes de lutte contre la corruption ;

de l’exploitation des rapports des cellules ministérielles de lutte contre la corruption ;

de la préparation des réunions et de l’élaboration des rapports séquentiels et annuels de la CONAC ;

du suivi de la mise en œuvre des recommandations de la commission1027.

Dans l’accomplissement de ses missions, la CONAC jouit de prérogatives exorbitantes.

Notamment, elle a un droit d’accès à tous les services publics, parapublics et privés ainsi qu’à

tous les documents et informations nécessaires à l’exécution de sa mission1028. Tout refus

d’apporter à un membre de la commission agissant dans l’exercice de ses fonctions la

collaboration ou le soutien requis est susceptible d’entraîner des poursuites disciplinaires ou

administratives1029. L’exercice des pouvoirs de la CONAC se vérifie dans ses rapports

annuels. C’est ainsi qu’on peut lire dans le rapport annuel de 2011 qu’

[U]ne étude menée en 2008 par l’ONG dénommée Association Citoyenne de Défense des Intérêts Collectifs (ACDIC) a révélé des pratiques peu orthodoxes dans la gestion des subventions allouées par l’État camerounais aux organisations paysannes dans le cadre du Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural (MINADER). Selon les allégations de l’ACDIC, sur près de deux milliards de FCA1030 alloués aux producteurs de maïs depuis 2006, moins de 50% des financements seraient effectivement allés aux destinataires que sont les producteurs de maïs1031.

Cette allégation avait conduit la CONAC à mener du 22 décembre 2008 au 20 janvier 2009,

une mission d’investigation sur le fonctionnement du Programme National d’Appui à la

1027 Ibid art.10. 1028 Ibid art.20. 1029 Ibid art.21. 1030 2 000.000.000 F CFA, soit environ $ US 4 000.000 1031 CONAC, Rapport sur l’état de la lutte contre la corruption au Cameroun en2008, 2009 et 2010, 2011, [en ligne] [www.conac-cameroun.net] [consulté, le 20 juin 2013], à la p.138.

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Filière Maïs (PNAFM) du MINADER. Aux termes de cette mission, les allégations de l’ONG

avaient été confirmées dans leur globalité. Après avoir parcouru cinq (5) régions, dix-neuf

(19) départements et interrogé quatre-vingt-dix-sept (97) associations bénéficiaires de la

subvention susmentionnée, la CONAC relève ce qui suit :

On peut donc légitimement conclure que sur un montant de 1.002.334.000 FCFA (environ $ US 2.004.668) effectivement débloqués en 2006, 2007 et 2008 par le PNAFM pour la production du maïs dans les régions concernées […] 34,04% n’ont pas servi à la production du maïs. Cet argent a été détourné par des groupes et individus que la mission de la CONAC a identifiés1032.

Le même rapport de la CONAC contient aux pages 149 à 150 une liste non exhaustive des

personnes suspectées de détournement dans le cadre du programme maïs. Les résultats des

enquêtes similaires sont mis à la disposition du public par la CONAC. Il en est ainsi du

rapport 2011, au sujet du ministère des Forêts et de la Faune, des fonds PPTE, du port en eau

profonde de Kribi, du barrage hydro-électrique, etc.1033. Force est de constater que malgré les

soupçons explicites de corruption et des infractions assimilées attribuables aux personnes

nommément désignées, aucune poursuite judiciaire n’est engagée sous le fondement des

rapports de la CONAC.

En effet,

- même s’il ressort du décret instituant la CONAC qu’elle doit mener les investigations

nécessaires, dans les délais raisonnables, dès réception d’une dénonciation ou

saisine1034 ;

- même si les membres de la commission disposent des pouvoirs de suivi, d’évaluation

et d’investigation dans l’accomplissement de leur mission1035 ;

- même si le président de la commission et les membres du comité de coordination

peuvent suivre les poursuites devant les tribunaux1036 ;

1032 Ibid à la p.148. 1033 CONAC, Rapport sur l’état de la lutte contre la corruption au Cameroun en 2011, préc, note 1194, aux pp.129 et s. 1034 Décret préc, note 996, art.19. 1035 Ibid art.20. 1036 Ibid art.23.

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- même si les résultats des investigations de la commission donnent lieu à des

poursuites disciplinaires ou judiciaires1037,

il reste constant que la commission, peu importe ses pouvoirs et prérogatives, ne peut saisir

elle-même les juridictions compétentes. Car, « en cas de constatation d’actes ou de faits

susceptibles d’être qualifiés de corruption ou de tout délit connexe, la commission réunit les

éléments de preuve et transmet le dossier constitué au Président de la République pour les

décisions appropriées1038 ». On peut se demander si le Président de la République est un le

procureur spécial en charge de la lutte contre la corruption au Cameroun !

Aucun texte ne répond à cette question. On constate, une fois de plus, qu’un mécanisme

camerounais de lutte contre la corruption est décrédibilisé, non pas par l’incompétence de ses

ressources humaines, mais par la frilosité de son cadre juridique. Celui-ci ne permet pas à un

mécanisme public, spécialisé dans la lutte contre la corruption, de soumettre au juge l’objet

de ses soupçons.

On observe au terme de ce chapitre que dans sa pratique, le droit positif justifie l’encadrement

restrictif des poursuites privées, initiées par des acteurs non étatiques, par la frilosité des

preuves, l’engorgement des tribunaux et les risques d’atteintes aux droits fondamentaux par

des poursuites privées abusives. Il était logique d’espérer que l’institutionnalisation des

organes publics, spécialisés dans la lutte contre la corruption, lèverait les réserves

susmentionnées. En soumettant l’expertise des organes étatiques spécialisés dans la lutte

contre la corruption au principe de l’opportunité des poursuites du ministère public, on porte

implicitement atteinte à leur indépendance organisationnelle et matérielle. Ce qui remet en

cause l’efficience et l’efficacité des objectifs de lutte contre la corruption. D’où la persistance

d’une indépendance judiciaire à l’épreuve de la corruption. Car il ressort de la présente étude

que l’indépendance judiciaire se vérifie aussi dans la capacité qu’offre le système judiciaire

d’un ordre juridique donné à soumettre au juge, à défaut de la quasi-totalité de la criminalité

1037 Ibid art.22 (1). 1038 Ibid art.22 (2).

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réelle1039, une part considérable de la criminalité apparente1040. Il ressort des analyses

successivement développées dans cette étude que le monopole de l’opportunité des

poursuites par le ministère public, ne permet pas l’atteinte de cet objectif. Des réserves émises

par les différents mécanismes de suivi, des conventions de lutte contre la corruption, sur les

critères de détermination de l’opportunité des poursuites conduisent à constater que cette

prérogative n’est pas favorable à la réduction du chiffre gris1041 de la criminalité (en matière

de corruption). Ce qui fragilise la construction de l’objet droit1042 de la corruption. Il y a donc

un lien entre l’indépendance judiciaire, par l’accès au juge, et la construction de la norme

juridique. Ainsi, une société accessible au juge est susceptible de produire une règle de droit

mieux adaptée à la résorption (sanction) de sa criminalité qu’une société comparable où le

juge est moins accessible.

1039 Il s’agit de l’ensemble des infractions commises en un temps et un lieu donnés selon diverses estimations. 1040 Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel, Tome I, 7e édition, Paris, Éditions Cujas, 1997, à la p 41, « des faits qui font l’objet de dénonciations, plaintes, enquêtes policières ou poursuites judiciaires et qui n’ont pas encore donné lieu à des condamnations lorsque les statistiques sont établies ». 1041 G. CORNU, préc, note 182 à la p.172, « nom donné à la différence entre la criminalité dite apparente saisie par les statistiques de la police et de la criminalité dite légale correspondant, dans les statistiques judiciaires, aux seules condamnations (à l’exclusion des classements sans suite, non-lieux et relaxes) ». 1042 Cf. schéma 2.

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Conclusion du titre 2

La garantie principale de l’indépendance judiciaire : l’accès à la justice nationale

Qu’est ce qui permet de soutenir, dans ce titre 2, que l’accès à la justice nationale constitue

une garantie principale de l’indépendance judiciaire ?

En réponse à cette question, il convient de relever que l’expression justice nationale renvoie

à deux logiques. Selon la première logique, la justice nationale est appréhendée par rapport

à la justice extranationale, en termes de justice étrangère et de justice internationale. Ce qui

renvoie, implicitement, à une double comparaison de la justice nationale. Cette mise en

parallèle de la justice nationale vise à souligner que l’indépendance de la justice doit d’abord

s’appréhender à l’interne1043. D’où l’intérêt de privilégier, au plan interne, l’accès à la justice

par des poursuites privées.

Suivant la seconde logique, la justice nationale est assimilée au juge. Rappelons, dans cette

perspective, que dans l’État contemporain, le statut du juge est constitutionnellement garanti

afin que seuls les faits, la norme et sa conscience conditionnent son office. Les différents

mécanismes internationaux de lutte contre la corruption ne soulèvent, quasiment, aucune

réserve sur l’indépendance et l’impartialité du juge. Ce qui laisse supposer, sur le plan formel,

que l’indépendance et l’impartialité du juge sont plus objectives que l’indépendance et

l’impartialité des autres organes du système judiciaire. Par contre au plan substantiel,

l’indépendance et l’impartialité du juge sont partielles. Ce constat se justifie par le fait que le

juge n’a pas compétence sur l’ensemble des prétentions du système judiciaire. Puisque son

indépendance et son impartialité ne s’opèrent que dans les seuls faits qui sont portés à sa

connaissance par la mise en accusation du ministère public. Quid des prétentions qui

1043 Voir, par analogie, l’avant dernier paragraphe du préambule et l’article 1er du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui relèvent, in fine, que la Cour pénale internationale est complémentaire aux juridictions pénales nationales.

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échappent au juge par la prérogative ministérielle de l’opportunité des poursuites1044 ? Cette

question invite à constater qu’un système judiciaire indépendant est celui au sein duquel

l’ensemble des organes jouissent d’une indépendance similaire à celle du juge. À défaut

d’une harmonisation des garanties d’indépendance, on doit déduire que la seule

indépendance de l’organe judiciaire n’est pas suffisante pour affirmer l’indépendance du

système judiciaire. C’est pour cette raison que le titre 2, de cette étude, relativise la pertinence

de la prérogative exorbitante du ministère public, dans la mise en mouvement de l’action

publique, pour des raisons suivantes :

- Dans un premier temps, le lanceur d’alerte (le poursuivant privé) des systèmes de

management anticorruption n’a pas un intérêt personnel dans le fait dénoncé à l’instar

d’une victime privée. La démarche du poursuivant privé dans le contexte de

l’anticorruption n’est pas motivée par une vengeance privée1045, mais par des

considérations d’intérêt collectif ou public. Ce changement de paradigme, dans la

finalité poursuivie par le poursuivant privé, lorsqu’il saisit le système judiciaire,

questionne la pertinence du maintien des prérogatives exorbitantes du ministère

public dans la mise en mouvement de l’action publique.

- Dans la même veine, la spécialisation et la meilleure connaissance du fait dénoncé

par le lanceur d’alerte, réduit les risques de dénonciations frivoles.

- De plus, il semble absurde que l’expertise des autorités publiques spécialisées dans

la lutte contre la corruption, soit contredite par les critères discutables d’intérêt public

des procureurs du ministère public.

Il ressort de ce qui précède que la prérogative de l’opportunité des poursuites écarte de

l’office du juge des dénonciations faites par des personnes et des autorités spécialisées dans

la lutte contre la corruption. Ce constat autorise à dire que le chiffre gris1046, en matière de

1044 Par un curieux hasard, les systèmes juridiques analysés dans cette étude appliquent, dans leur procédure pénale, le principe de l’opportunité des poursuites. Cette étude ne sous-entend pas que les systèmes qui appliquent le principe de la légalité des poursuites luttent mieux contre la corruption. Il est donc souhaitable, pour une meilleure compréhension de cette étude, de prêter plus d’attention dans la proposition qui consiste à relativiser le monopole du ministère public dans l’initiation des poursuites pénales. 1045 J.-M. CARBASSE, préc, note 77. 1046 Cf, note 1041.

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corruption, aurait pu être réduit, si les professionnelles de la lutte contre la corruption avaient,

par le fait de leur expertise, la compétence pour mettre en mouvement l’action publique. On

susciterait, par cette flexibilité du droit pénal, l’augmentation de la criminalité légale1047,

consécutive, elle-même, à une exploitation rationnelle de l’impartialité et de l’indépendance

du juge.

Cette analyse est en harmonie avec à la première assertion de l’hypothèse selon laquelle : la

garantie d’une lutte contre l’impunité en matière de corruption est possible, au plan national,

par l’accès des acteurs non étatiques et des organes spécialisés dans la lutte contre la

corruption aux juridictions nationales. Qu’en est-il de la lutte contre l’impunité en matière

de corruption, lorsque le fait « corruptionnel » traverse les frontières nationales ?

1047 Ibid.

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Titre 3

LA GARANTIE SUBSIDIAIRE DE L’INDÉPENDANCE JUDICIAIRE : L’EXTERNALISATION DE LA JUSTICE

NATIONALE Il est urgent qu’à l’internationalisme du crime s’oppose

l’internationalisme de la répression. H. Donnedieu de Vabres (1880-1952)

Pour mieux comprendre l’analyse développée dans ce titre, il est nécessaire de faire un rappel

de la problématique à laquelle la présente étude se propose d’apporter une réponse.

Le problème posé consiste à trouver des compléments à l’indépendance des juridictions

nationales, dans un contexte de compromission de l’impartialité du système judiciaire, par

l’absence des garanties d’indépendance objective des autorités de poursuite. Il s’agit, en

d’autres termes, d’examiner les recours dont dispose le poursuivant privé, lorsqu’après avoir

épuisé les recours disponibles en droit interne, il n’est pas satisfait des motivations pour

lesquelles la dénonciation du fait « corruptionnel » n’a pas abouti à la mise en mouvement

de l’action publique.

La proposition d’un droit applicable à la corruption pourrait être suggérée sur des bases

horizontale et verticale, selon qu’il s’agit du droit pénal international ou du droit international

pénal.

Dans le premier cas, l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire sont susceptibles

d’être garanties par la coopération judiciaire. Il faudra vérifier les solutions exposées dans

des instruments internationaux de lutte contre la corruption, lorsque le même fait

« corruptionnel » produit des effets sur plus d’un ordre juridique. La question de l’accès à la

justice nationale par le poursuivant privé ayant été analysée au titre 2, on interrogera

davantage, dans ce cas, les possibilités dont dispose le poursuivant privé pour mettre en

mouvement l’action publique d’une juridiction étrangère. Il sera aussi question d’observer

les effets de la justice étrangère en droit national.

Dans le second cas, il s’agira de l’unicité judiciaire. Il faudra supposer, qu’après avoir

épuisé les recours disponibles en droit interne, il n’a pas été possible d’établir un lien de

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rattachement entre le même fait « corruptionnel » et l’ordre juridique étranger. L’unicité

judiciaire interroge, si ce n’est la mutation des mécanismes de suivi des différentes

conventions anticorruptions en mécanismes quasi-juridictionnels ou juridictionnels, leur

capacité à susciter, aux plans régional et international, un droit positif applicable à la

corruption.

Ces deux modalités de garantie subsidiaire de l’indépendance et de l’impartialité de la

puissance de juger peuvent s’apprécier tour à tour dans la transnationalisation de l’infraction

« corruptionnelle » (chapitre 5) et dans l’internationalisation du droit de la corruption

(chapitre 6).

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CHAPITRE 5

LA TRANSNATIONALISATION DE L’INFRACTION « CORRUPTIONNELLE »

La transnationalisation de l’infraction « corruptionnelle » renvoie à la localisation, sur plus

d’un ordre juridique, des éléments de rattachement de l’infraction, tels qu’ils ressortent du

droit international public et de la pratique des États1048. Il peut s’agir des lieux du

déroulement des mêmes faits, des actes préparatifs, de la localisation des produits de

l’infraction, de leurs conséquences ou de la nationalité des auteurs et des complices, etc.

Même si la qualification juridique des faits peut différer d’un for à un autre, ou en fonction

de la situation du fait illégal dans la chaîne criminelle, la transnationalisation de l’infraction

peut nécessiter une coopération entre les ordres juridiques compétents. C’est à ce titre que

Durmus Tezcan définit le droit pénal international comme,

la branche du droit qui traite de l’organisation d’une coopération répressive internationale en vue de rendre une justice équitable et sans lacune lorsqu’on se trouve en présence d’une infraction contenant un ou plusieurs éléments d’extranéité1049.

Cette discipline n’aura pas, dans cette étude, vocation à apporter une solution aux conflits

positifs de juridictions pénales1050. Elle trouve plutôt, dans la revendication de compétence

de chaque ordre juridique, l’opportunité d’une garantie de l’indépendance et de

l’impartialité du système judiciaire national. En effet, à travers des éléments d’extranéité

qui la constitue, la grande corruption est susceptible de tisser spontanément, autour d’elle,

un réseau de juridictions dans différents systèmes juridiques, dont chacun pourrait engager

des poursuites pour le même fait1051 « corruptionnel ». Il n’est pas possible, dans cette

perspective, de limiter au plan extranational la connaissance concurrente du même fait

1048 V. Ian BROWNLIE, Principle of public International Law, seven Edition, New York, Oxford University Press, 2008, à la p.311. 1049 Durmus TEZCAN, Territorialité et conflits de juridictions en droit pénal international, Ankara, Faculté des sciences politiques de l’Université d’Ankara, 1983, à la p.6. 1050 Ibid à la p.25. 1051 Voir dans ce sens, Libman c. La Reine, [1985] 2 R. C. S., à la p.184.

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criminel par le principe ne bis in idem, car, si ce principe assure, au plan interne, la

protection des droits fondamentaux des défendeurs et la crédibilité du système

juridique1052, son exception, aux plans transnational et international met la coopération

judiciaire à l’abri des « parodie[s] de procès1053 ». Cette relativité du principe ne bis in idem

concourt ainsi à la garantie de l’indépendance et de l’impartialité des juridictions

nationales. C’est cette logique qui justifie le paragraphe 20 (3) du statut de Rome de la

Cour pénale internationale aux termes duquel :

Quiconque a été jugé par une autre juridiction pour un comportement […] ne peut être jugé par la Cour que si la procédure devant l’autre juridiction :

Avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale […] ; ou

n’a pas été au demeurant menée de manière indépendante ou impartiale, dans le respect des garanties d’un procès équitable prévues par le droit international […]1054.

Il suit de ce qui précède que tout poursuivant non satisfait des suites de sa dénonciation

dans un premier ordre juridique pourra, via le réseau des poursuivants intéressés par le

même fait criminel, initier de nouvelles poursuites dans un autre ordre juridique rendu

compétent par son rattachement aux faits dénoncés1055. Les suites de cette nouvelle saisine

permettront d’apprécier (implicitement) le niveau d’indépendance et d’impartialité du

système judiciaire du premier ordre juridique saisi. La pratique systématique de cette

saisine concurrente devrait permettre de renforcer l’indépendance et l’impartialité des

juridictions nationales, tout en participant à une construction harmonisée d’un droit pénal

de la corruption.

1052 Emmanuel HEUGAS-DARRASPEN, « Article 20. Ne bis in idem », dans Julian FRENANDEZ et Xavier PACREAU (dir.), Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par article, Paris, Ed. A. Pedone, 2012, à la p.751. 1053 Ibid à la p.758. 1054 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, préc, note 45, art. 20.3. 1055 Voir dans ce sens, Chantal CUTAJAR, « L’affaire des “biens mal acquis” ou le droit pour la société civile de contribuer judiciairement à la lutte contre la corruption » (2009) 22 JCP, 277.

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Cette concurrence entre des juridictions des différents systèmes est aussi favorable au

défendeur. Tel est, par exemple, le cas lorsqu’il estime qu’il n’a pas bénéficié des garanties

relatives au procès équitable. Ce cas ne sera pas abordé dans cette étude pour deux raisons :

d’abord, parce qu’une telle hypothèse semble peu réaliste dans le cadre d’un contrôle

horizontal des juridictions nationales, alors que le contrôle vertical relève du droit

international des droits de la personne. Ensuite, parce que la présente étude s’intéresse

particulièrement à la répression de la corruption.

Pour voir si la perspective d’une garantie de l’indépendance et de l’impartialité des

juridictions nationales est partagée par les différentes conventions de lutte contre la

corruption, il importe d’analyser, tour à tour, la coopération interétatique qui y est

enchâssée (5.1), et la réception de cette coopération par les différents systèmes juridiques

retenus dans cette étude (5.2). Enfin, il faudra se demander si la coopération interétatique

contenue dans les conventions suscitées sied à la coopération suggérée par les praticiens

de la lutte contre la corruption à travers l’Appel de Genève (5.3).

5.1 La coopération judiciaire en matière pénale dans les conventions de lutte contre la corruption

La pratique actuelle de la coopération judiciaire en matière pénale distingue les méthodes

classiques1056 ou traditionnelles1057 de coopération, des formes relativement nouvelles1058.

Dans la première catégorie, on liste l’extradition et l’entraide judiciaire, alors que la

seconde concerne la transmission des poursuites, la reconnaissance de la valeur

internationale des jugements répressifs et la création d’organes conjoints d’enquêtes. Si la

quasi-totalité des conventions étudiées convoque la forme classique de coopération, la

seconde semble exclusive à la Convention des Nations Unies.

5.1.1 La coopération classique La disposition la plus élaborée relative à l’extradition est l’article 44 de la Convention des

Nations Unies. Il y ressort que :

1056 D. TEZCAN, préc, note 1047, à la p.231. 1057 ONUDC, Guide Technique de la Convention, préc, note 17, à la p.159. 1058 Ibid.

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1. Le présent article s’applique aux infractions établies conformément à la présente Convention lorsque la personne faisant l’objet de la demande d’extradition se trouve sur le territoire de l’État partie requis, à condition que l’infraction pour laquelle l’extradition est demandée soit punissable par le droit interne de l’État partie requérant et de l’État partie requis.

2. […] un État dont la législation le permet peut accorder l’extradition d’une personne pour l’une quelconque des infractions visées par la présente Convention qui ne sont pas punissables en vertu de son droit interne.

[…]

4. Chacune des infractions auxquelles s’applique le présent article est de plein droit incluse dans tout traité d’extradition en vigueur entre les États parties en tant qu’infraction dont l’auteur peut être extradé. […]

5. Si un État partie qui subordonne l’extradition à l’existence d’un traité reçoit une demande d’extradition d’un État partie avec lequel il n’a pas conclu pareil traité, il peut considérer la présente Convention comme la base légale de l’extradition pour les infractions auxquelles le présent article s’applique.

[…]

11. Un État partie sur le territoire duquel se trouve l’auteur présumé d’une infraction, s’il n’extrade pas cette personne au titre d’une infraction à laquelle s’applique le présent article au seul motif qu’elle est l’un de ses ressortissants, est tenu, à la demande de l’État partie requérant l’extradition, de soumettre l’affaire sans retard excessif à ses autorités compétentes aux fins de poursuites. […]1059.

Pour mieux comprendre cette disposition, il est nécessaire de la lire en fonction des

objectifs des instruments internationaux de lutte contre la corruption, notamment,

« combattre la corruption de manière plus efficace1060 ». Ceci vise à éviter l’impunité en

matière de lutte contre la corruption. Dans cette veine, les conventions anticorruptions

1059 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art. 44 ; voir aussi Convention de l’UA, préc, note 19, art. 15, Convention de l’OEA, préc, note 25, art. XIII ; Convention pénale sur la corruption, art. 27, Convention de l’OCDE, préc, note 28, art. 10. 1060 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art. 1er.

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apportent un encadrement global à l’extradition afin que toute personne inculpée ou

sanctionnée sur le fondement des infractions « corruptionnelles » ne puisse échapper aux

conséquences judiciaires de ses actes.

Dans un premier temps, les conventions reconnaissent que l’ensemble des infractions pour

lesquelles elles sont établies sont des infractions pour lesquelles leurs auteurs peuvent être

extradés. Pour cette raison, elles devraient être incluses dans tout traité d’extradition

existant entre les parties. À défaut d’un tel traité, les parties pourraient considérer les

conventions de lutte contre la corruption comme la base légale de l’extradition pour les

infractions qui y sont définies. Par ailleurs, en vertu du principe aut dedere aut judicare,

l’État requis à qui une demande d’extradition a été faite est tenu de soumettre l’auteur de

l’infraction pour laquelle l’extradition est demandée à ses autorités compétentes s’il ne

l’extrade pas.

Il faut cependant relever que le principe aut dedere aut judicare est différemment exprimé

dans la Convention des Nations Unies et, dans les conventions interaméricaine et pénale

de l’Europe. Dans le cas de la Convention des Nations Unies, il est précisé que lorsque

l’extradition est refusée parce que l’auteur présumé est ressortissant de l’État requis, celui-

ci est tenu, à la demande de l’État requérant, de soumettre l’affaire à ses propres

autorités1061. On peut se demander si le silence de l’État requérant pourrait conduire à la

négation du principe aut dedere aut judicare. Une telle hypothèse est difficilement

envisageable, dans la mesure où, malgré l’exercice exclusif de la souveraineté sur leur

territoire, il est acquis « en règle générale, [que] les États ne refusent pas, pour des raisons

de commodité pratique, de laisser produire certains effets au droit étranger sur leur

territoire […]1062 ». De plus, tel qu’il est ci-dessus indiqué, les conventions de lutte contre

la corruption accordent plus d’importance à la répression de la corruption qu’au conflit de

juridictions. C’est dans ce sens que le motif de refus, fondé sur la nationalité, cherche

paradoxalement à sensibiliser les systèmes juridiques hostiles à l’extradition de leurs

1061 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.44 para.11. 1062 Patric DALLIER, Mathias FORTEAU, Alain PELLET, Droit international public, 8e Édition, Paris, L.G.D.J., 2009, à la p.562.

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nationaux à assouplir leur législation vers une extradition temporaire de leurs

ressortissants, de sorte qu’à l’issue du procès, le ressortissant de l’État requis extradé vers

l’État requérant revienne subir sa peine sur son État d’origine1063. On peut déduire de ce

qui précède, que la Convention des Nations Unies semble favorable à une application

souple du principe aut dedere aut judicare. Tel n’est pas le cas des Conventions

interaméricaine et pénale de l’Europe où l’application du principe aut dedere aut judicare

paraît rigide. En effet, ces conventions reconnaissent que le refus de l’extradition peut être

fondé sur « la base de la nationalité de la personne qui fait l’objet de la requête ou parce

que la partie requise se considère compétente en l’espèce1064 ». Dans ce cas, il n’est pas

nécessaire que la partie requérante demande à la partie requise de soumettre l’affaire à ses

autorités compétentes. Elle devra impérativement le faire, à moins que « d’autres

dispositions [aient] été convenues avec la partie requérante1065 ».

Quant à la question de la double incrimination, elle nécessite une attention particulière dans

la coopération internationale relative à la lutte contre la corruption. Dans un premier temps,

le paragraphe 1er de l’article 44 de la Convention des Nations Unies fait d’elle une condition

nécessaire à l’extradition. En effet, selon les termes de cette disposition, l’infraction pour

laquelle l’extradition est demandée doit être punissable aussi bien dans le droit interne de

la partie requérante que dans le droit interne de la partie requise. On constate que cette

précision exclut du champ de l’extradition tout fait ou acte « corruptionnel » pour

s’intéresser à la seule qualification de celui-ci, à savoir l’infraction « corruptionnelle ». Et,

il faut que cette qualification soit la même aussi bien dans l’État requérant que dans l’État

requis. Cette limitation de l’extradition à l’identique caractérisation légale (principe de

l’identité de la norme1066) du fait criminel dans deux ordres juridiques est-elle réaliste ? Il

semble que non, d’où l’atténuation de la double incrimination par le paragraphe 2 du même

article. Désormais, et selon le droit interne de la partie requise, l’extradition pourrait être

1063 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.44 par. 12. 1064 Convention de l’OEA, préc, note 25, art. XIII par. 6 ; Convention pénale, art. 27 par. 5. 1065 Ibid. 1066 Manuel ADOLFO VIEIRA, « L’évolution récente de l’extradition dans le continent américain » dans Recueil des cours de l’Académie de droit international, Hague/Boston/London, Martinus Nijhoff Publishers, 1985, à la p.212.

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accordée même si l’infraction qui la fonde n’y est pas punissable. Cependant, elle devrait,

tout de même, être l’une des infractions définies dans les conventions de lutte contre la

corruption. C’est cette solution qui est aussi retenue dans la Convention de l’OCDE1067,

alors que les trois conventions régionales (Union africaine, interaméricaine, Conseil de

l’Europe) ne retiennent pas le principe de la double incrimination. Cette précision suppose

qu’on pourrait mieux convoquer, dans le contexte des conventions des Nations Unies et de

l’OCDE, la réciprocité1068 de la valeur sociale violée comme base de l’extradition, et non

forcément le principe de la double incrimination. C’est ce fondement factuel de

l’extradition qui est retenu par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime en

ces termes :

[Chaque] fois que la double incrimination est considérée comme une condition, celle-ci est réputée remplie dès lors que les deux États intéressés considèrent l’acte ayant donné lieu à la demande de coopération comme une infraction, sans égard à la qualification juridique de l’infraction ou la catégorie d’actes dont relève l’infraction1069.

Cet assouplissement a des applications pratiques indéniables. Il a, en effet, été mentionné

supra que le Canada ne reconnaît pas, dans son ordre juridique, l’incrimination définie à

l’article 20 de la Convention des Nations Unies, notamment, l’enrichissement illicite1070.

Mais, selon le paragraphe 2 de l’article 44 de la Convention des Nations Unies sus citée, il

pourrait accorder à une autre partie n’ayant pas formulée la même réserve, soit le Cameroun

ou la France, l’extradition d’une personne inculpée ou condamnée dans ces pays pour

enrichissement illicite. Cet exemple renfonce la thèse de la réciprocité des faits, en lieux et

places de la double incrimination, et autorise à postuler qu’en matière de lutte contre la

corruption, le fait ou l’acte et non forcément l’infraction, est le principal fondement de

l’extradition. En revenant sur la réserve canadienne au sujet de l’incrimination de

l’enrichissement illicite, on constate que cette infraction pourrait exister en droits

camerounais et français, alors qu’elle ne décrit qu’un fait pour l’ordre juridique canadien.

1067 Convention de l’OCDE, art.10 par.4. 1068 M. A. VIEIRA, préc, note 10666. 1069 ONUDC, Guide Technique de la Convention, préc, note 17, à la p.161. 1070 Cf. notes 868 et 1005.

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Mais puisqu’elle est une infraction définie dans la Convention des Nations Unies, elle

pourrait, à ce titre, déterminer l’État requis (Canada) à accorder l’extradition à l’État

requérant (Cameroun ou France).

Dans un sens similaire, la rédaction de la Convention de l’UA semble n’opposer aucune

distinction entre le fait « corruptionnel » et l’infraction de corruption comme fondement de

l’extradition. Elle se limite à préciser que « chaque État partie s’engage à extrader toute

personne inculpée ou reconnue coupable d’un acte de corruption ou d’infractions

assimilées […]1071 ». Si la prudence de cet instrument peut se justifier par la possibilité

d’une qualification différentielle du même fait, par différents ordres juridiques, cette

situation revêt également un intérêt particulier dans les garanties d’indépendance et

d’impartialité du système judiciaire national.

En effet, alors que l’infraction, en tant que qualification légale du fait, est susceptible de

varier à chaque phase de la procédure pénale, le fait criminel, est quant à lui, statique ; si

bien que la qualification alléguée par le lanceur d’alerte ou le poursuivant privé pourrait

différer de celle des organes d’enquête. Celle-ci pourrait aussi changer à la phase de

poursuite, tout comme la juridiction de jugement n’est pas liée par les qualifications

précédentes. Cette variation est susceptible d’égarer le dénonciateur qui, face à la subtilité

et au professionnalisme de la procédure judiciaire, pourrait difficilement concilier

l’infraction sanctionnée par le juge, au fait originel dont il a été témoin. Cela est susceptible

de le priver d’une appréciation objective du fonctionnement du système judiciaire. Fonder

l’extradition sur le fait invite chaque partie intéressée à la procédure pénale à comparer la

décision prise à chaque étape de la procédure au fait vécu par l’auteur (témoin) de la

dénonciation. Dans cette logique, toute personne sera susceptible de questionner les suites

possibles d’une demande d’extradition.

En ce qui concerne l’entraide judiciaire, elle vise généralement à établir une large

coopération entre les services d’enquête, de poursuite et les juridictions des États parties

aux conventions de lutte contre la corruption. Deux instruments attirent particulièrement

1071 Convention de l’UA, préc, note 19, art.15 par.5.

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l’attention dans ce domaine. Il s’agit de la Convention de l’UA et du mécanisme de lutte

contre la corruption de l’OCDE. Ils préconisent l’entraide judiciaire en matière de lutte

contre la corruption, entre les parties non liées par des conventions multilatérales ou

bilatérales relatives à l’entraide judiciaire. Dans sa disposition relative à la coopération

internationale, la Convention de l’UA invite les États parties à

[C]ollaborer avec les pays d’origine des multinationales pour définir comme des infractions pénales et réprimer la pratique de commissions occultes et les autres formes de corruption, lors des transactions commerciales internationales ;

[…]

Encourager tous les pays à prendre des mesures législatives pour éviter que les agents publics jouissent des biens mal acquis, en bloquant leurs comptes à l’étranger et en facilitant le rapatriement des fonds volés ou acquis de façon illégale dans les pays d’origine1072.

Cette disposition a trouvé un écho favorable dans le mécanisme de lutte contre la corruption

de l’OCDE. C’est ainsi que cet organe recommande entre autres à ses membres de :

Se concerter et coopérer avec les autorités compétentes des autres pays, et, en tant que de besoin, avec les réseaux internationaux et régionaux d’instances chargées de l’application des lois impliquant les pays membres et non membres, dans les enquêtes et autres procédures judiciaires concernant des cas spécifiques de corruption dans les transactions commerciales internationales […]

Envisager des moyens de faciliter l’entraide judiciaire entre pays membres et avec les pays non membres dans de tels cas de corruption, y compris concernant les seuils de preuve pour certains pays membres1073.

Ce dialogue implicite entre les systèmes juridiques du Sud (Union africaine) et ceux du

Nord (OCDE), fonde l’entraide judiciaire sur la nécessité d’encadrer les transactions

commerciales internationales. Le lien commercial dans ce contexte justifie l’entraide

judiciaire. S’il est vrai qu’une telle hypothèse renforce le caractère aléatoire du mécanisme

1072 Convention de l’UA, préc, note 19, art.19 para. 1 et 3. 1073 OCDE, Recommandation du Conseil visant à renforcer la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, le 26 novembre 2009 – C (2009) 159/REV1/FINAL, Amendé(e) le 18 février 2010 – C (2010) 19, Recommandation XIII, [en ligne] [http://ats.oecd.org/Instruments/ShowInstrumentView.aspx?InstrumentD=258&Lang=fr&Book=False] [consulté, le 19/02/15].

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de l’entraide judiciaire1074, on ne peut négliger, dans ces échanges, les influences

respectives des différents systèmes judiciaires saisis du même fait criminel. Car, si les

conventions de lutte contre la corruption reconnaissent que « les autorités compétentes

d’un État partie peuvent, sans demande préalable, communiquer des informations

concernant des affaires pénales à une autorité compétente d’un autre État1075 », il sera

possible aux premières d’interroger (ne serait-ce qu’implicitement) les suites que leurs

homologues auront accordé à leur communication spontanée. De telles influences, a priori

informelles, sont susceptibles de renforcer l’indépendance et l’impartialité du système

judiciaire national.

Que ce soit dans le cadre de l’extradition ou de la coopération judiciaire, on remarque que

la saisine concurrente des systèmes judiciaires saisis d’un même fait devrait permettre

d’isoler ou d’écarter de la coopération, les ordres juridiques dont l’incompétence dans la

lutte contre la corruption aurait été observée par les autres acteurs (privés et institutionnels)

de façon manifeste. L’une des solutions plausibles à cette incompétence pourrait trouver

son application dans l’amélioration des garanties d’indépendance et d’impartialité des

systèmes judiciaires isolés. Qu’en est-il des nouvelles formes de coopération judiciaire en

matière pénale ?

5.1.2 Les nouvelles formes de coopération

La convention des Nations Unies liste trois nouvelles formes de coopération en matière

pénale. Il s’agit du transfert des procédures pénales, de l’assistance pour la création

d’organes conjoints d’enquête et de la coopération visant à promouvoir une utilisation

appropriée des méthodes spéciales d’enquête1076.

La première forme de coopération citée est stipulée en ces termes :

Les États parties envisagent la possibilité de se transférer mutuellement les procédures relatives à la poursuite d’une infraction établie conformément à la présente Convention dans les cas où ce transfert est jugé nécessaire dans l’intérêt

1074 Muriel UBEDA-SAILLARD, « L’entraide judiciaire dite “mineure” entre les États », dans Hervé ASCENSIO, Emmanuel DECAUX et Alain PELLET (dir.), Droit international pénal, 2e Ed., Paris Editions A. Pedone, 2012, à la p.1098. 1075 Convention des Nations Unies, art.46 para.4. 1076 ONUDC, Guide Technique de la Convention, préc, note 17, à la p.159.

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d’une bonne administration de la justice et, en particulier lorsque plusieurs juridictions sont concernées, en vue de centraliser les poursuites1077.

La lettre de cette disposition semble accorder un fort crédit à la thèse de la garantie de

l’indépendance judiciaire par la transnationalisation de l’infraction « corruptionnelle ». En

effet, l’article 47 suscite et incite à la création d’un espace pénal commun entre les

différents États parties à la Convention des Nations Unies. Il ne s’agit pas, dans ce cas,

d’un conflit positif de juridictions où chaque ordre juridique revendique le critère de

rattachement le plus pertinent à l’exercice de sa compétence pénale. Il s’agit plutôt d’un

souci de « bonne administration de la justice ». Pour que cette bonne administration de la

justice garantisse l’indépendance judiciaire, encore faut-il, au préalable, identifier le

titulaire de sa gestion1078.

Si une telle coopération trouve actuellement application dans l’espace commun européen,

c’est en raison de la confiance que se font les systèmes judiciaires des États concernés, car,

« l’entraide pénale suppose […] un minimum de similitude entre les législations pénales

des divers pays et un minimum de confiance dans le respect par leurs tribunaux des droits

de la défense et des autres principes inhérents à une bonne administration de la justice1079 ».

La confiance entre les systèmes judiciaires différents participe à leur indépendance

réciproque. Il semble, en effet, évident que les autorités compétentes d’un État pourraient

hésiter à transférer à un autre État partie, également compétent pour les mêmes faits, les

suites de leurs procédures judiciaires, si elles doutent de la capacité de ce dernier à les

conduire suivant les normes du procès équitable requises en droit international. Cet

évitement, d’un système judiciaire désorganisé, conduirait à centraliser les poursuites vers

un autre système indépendant et impartial, peu importe qu’en l’espèce, les critères de

rattachement dudit système, à l’objet des poursuites, soient moins pertinents suivant

1077 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.47. 1078 Cette question interroge aussi l’opportunité d’un droit international de la corruption, voir infra, chapitre 6. 1079 Henri ROLIN, « L’entraide pénale et les droits de l’homme », dans René Cassin Amicorum discipulorumque liber, T. I, Paris, Ed. A. Pedone, 1969, à la p.243.

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l’échelle des critères pratiques1080 suggérée par l’Office des Nations Unies contre la drogue

et le crime. Une telle attitude favorise une lutte efficace contre la corruption, tout en

permettant l’émulation des systèmes judiciaires des différents ordres juridiques vers des

meilleures garanties de leur indépendance et de leur impartialité1081. Il convient cependant

de relever que, parmi les critères sus cités, si ceux relatifs, entre autres, « à la législation la

plus efficace, à la meilleure production et divulgation des éléments de preuve, à la

procédure la plus rapide, au moyen de recouvrement des avoirs le plus développé […]1082 »

servent au choix du système juridique le plus susceptible de mieux lutter contre la

corruption, voire le plus indépendant et impartial, d’autres critères – tels le lieu de

commission de l’infraction, le lieu d’arrestation du délinquant, le pays le plus affecté par

le crime1083, etc. – peuvent susciter des conflits de juridictions inhérents à la coopération

pénale classique. Cette confusion peut altérer la réception de la Convention des Nations

Unies, dans sa contribution aux meilleures garanties d’indépendance et d’impartialité du

système judiciaire par des nouvelles formes de coopération pénale.

Quant aux autres nouvelles formes de coopération, elles trouvent leur siège dans les articles

48, 49 et 50. Leur particularité est qu’elles sont exclusives aux services de détection et de

répression, c'est-à-dire à la phase antérieure au procès pénal. Leur objectif est de

1080 ONUDC, Guide Technique de la Convention, préc, note 17, aux pp196-197, « où l’infraction a-t-elle été commise et où le délinquant a-t-il été arrêté ; où se trouvent les témoins ou les éléments de preuve les plus importants ou les victimes du crime commis ; quel est le pays où la législation est la plus développée ou la plus efficace ; quel est le pays où la législation relative à la confiscation est la plus développée ; quel est le pays où la procédure est la plus rapide ; quel est le pays offrant les meilleures garanties en matière de sécurité et de garde à vue ; quel est le pays le mieux à même de régler les questions délicates concernant la production et la divulgation des éléments de preuve ; quel est le pays qui peut prendre en charge le coût de la procédure ; quel est le pays le plus directement affecté par le crime commis ; où se trouve la plupart des avoirs pouvant être recouvré ; quel est le pays où les mécanismes de recouvrement des avoirs sont les plus développés ». 1081 Qu’il soit permis de rappeler que cette étude ne confond pas la « compétence », entendue comme la capacité d’un système judiciaire à produire dans un délai raisonnable les résultats satisfaisants de l’objet de sa saisine, à l’indépendance. Seulement, il est volontairement admis que cette « compétence » est consubstantielle à l’indépendance et à l’impartialité du système judiciaire intéressé. Car un système indépendant et impartial saura choisir l’expertise (qui lui est extérieure) la plus appropriée à l’éclairage d’un point, présentant une complexité particulière. 1082 ONUDC, Guide Technique de la Convention, préc, note 17, à la p.197. 1083 Ibid.

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« renforcer l’efficacité de la détection et de la répression des infractions visées1084 » par la

Convention des Nations Unies. Pour cela, elles se proposent entre autres de :

- Renforcer les voies de communication entre les autorités et services compétents ;

- Faciliter l’échange sûr et rapide des informations ;

- Échanger des informations sur les moyens et procédés spécifiques employés ;

- Établir des instances conjointes d’enquête ;

- Procéder aux techniques d’enquête spéciales1085.

Une analyse minutieuse des objectifs et des moyens que la coopération entre les services

de détection et de répression se propose de mettre en place se résume en deux principales

articulations : l’efficacité et la confidentialité dans la détection de la corruption. Pour une

meilleure application du tandem efficacité/confidentialité, il importe d’identifier en

premier lieu à quels organes de détection et de répression se réfère la Convention des

Nations Unies dans le cadre des nouvelles formes de coopération en matière pénale. S’agit-

il de la police, du ministère public ou des organes spécialisés dans la lutte contre la

corruption, notamment les services de renseignement financiers ?

La réponse à cette question paraît claire dans le Guide technique de la Convention. Il est

recommandé au service en charge d’un dossier de contacter officieusement ses homologues

des autres pays1086. Les opérations de détection de la corruption sont fortement dépendantes

de la confiance que se font les différents services1087, même, nationaux. Il est possible de

déduire que les services homologues, du fait de leur appartenance à un groupe institutionnel

international1088, sont plus enclins à se faire confiance entre eux.

Une deuxième question subsiste relativement au souci d’efficacité et de confidentialité de

la détection et de la répression de la corruption. En effet, on se demande si les nouvelles

1084 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art. 48. 1085 Par techniques d’enquête spéciales, il faut comprendre : « des livraisons surveillées […], la surveillance électronique ou d’autres formes de surveillance et les opérations d’infiltration », Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.50. 1086 ONUDC, Guide Technique de la Convention, préc, note 17, à la p.201. 1087 Ibid à la p.200. 1088 Voir notamment, Interpol pour la police et le Groupe Egmont pour les services de renseignement financier.

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formes de coopération s’effectueront par les mêmes autorités centrales que celles prévues

à la coopération classique, à savoir,

une autorité centrale qui a la responsabilité et le pouvoir de recevoir les demandes d’entraide judiciaire et, soit de les exécuter, soit de les transmettre aux autorités compétentes pour exécution. […] sans préjudice du droit de tout État partie d’exiger que ces demandes et communications lui soient adressées par la voie diplomatique […]1089.

La réponse est négative. La coopération entre les services de détection et de répression

devrait être conduite par un agent de liaison1090. Encore faut-il qu’il soit nommé, en toute

discrétion, par le(s) service(s) impliqué(s) dans la coopération. Cependant, le dispositif

conférant à cette nouvelle forme de coopération une efficacité et une confidentialité

certaines semble se heurter à l’organigramme traditionnel de la phase des poursuites

judiciaires. En effet, s’il est logique de substituer l’autorité centrale de la coopération

classique par l’agent de liaison ; il aurait été davantage logique de substituer le poursuivant

public de la procédure pénale classique par un organe directement rattaché aux services de

détection1091. En absence d’une telle précaution, on peut craindre que le souci d’une lutte

efficace contre la corruption soit dévoyé par les réserves faites précédemment au sujet du

ministère public. Ceci atténue la finalité fondatrice des nouvelles formes de coopération

pénale relatives à la lutte contre la corruption. On peut se demander comment ces nouvelles

formes de coopération ont été reçues dans les systèmes juridiques qui retiennent l’attention

de la présente étude.

5.2 La réception de la coopération judiciaire par les parties aux conventions de lutte contre la corruption

Après avoir mentionné que l’objectif du droit pénal international, dans cette étude, est de

garantir l’indépendance du système judiciaire national à travers la compétence concurrente

de plusieurs juridictions pour un même fait, seules les nouvelles formes de coopération

intéresseront cette section. Cependant, bien que l’article 42 de la Convention des Nations

Unies fasse partie des formes traditionnelles de coopération pénale, il demeure le point de

1089 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.46 para. 13. 1090 Ibid art. 48 par. 1.e). 1091 Cf. chapitre 4, « l’accès à la justice par des poursuites privées du secteur public ».

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départ, à partir duquel les États parties devront formuler les critères de mise en œuvre des

nouvelles formes de coopération. Ceci invite à questionner la réception, en droit interne,

de cet article, afin de vérifier l’état de mise en œuvre des nouvelles formes de coopération

en droit interne.

En effet, il ressort de l’article 42 de la Convention des Nations Unies que :

Chaque État partie adopte les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard des infractions établies conformément à la présente Convention dans les cas suivants :

Lorsque l’infraction est commise sur son territoire ; ou

lorsque l’infraction est commise à bord d’un navire qui bat son pavillon ou à bord d’un aéronef immatriculé conformément à son droit interne au moment où ladite infraction est commise.

Sous réserve de l’article 4 de la présente Convention, un État partie peut également établir sa compétence à l’égard de l’une quelconque de ces infractions dans les cas suivants :

Lorsque l’infraction est commise à l’encontre d’un de ses ressortissants ; ou

lorsque l’infraction est commise par l’un de ses ressortissants ou par une personne apatride résidant habituellement sur son territoire ; ou

Lorsque l’infraction est l’une de celles établies conformément à l’alinéa b) ii) du paragraphe 1 de l’article 23 de la présente Convention et est commise hors de son territoire en vue de la commission, sur son territoire, d’une infraction établie conformément aux alinéas a) i) ou ii) ou b) i) du paragraphe 1 de l’article 23 de la présente Convention ; ou

lorsque l’infraction est commise à son encontre.

Aux fins de l’article 44 de la présente Convention, chaque État partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard des infractions établies conformément à la présente convention lorsque l’auteur présumé se trouve sur son territoire et qu’il n’extrade pas cette personne au seul motif qu’elle est l’un de ses ressortissants.

Chaque État partie peut également prendre les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard des infractions établies conformément à la présente convention lorsque l’auteur présumé se trouve sur son territoire et qu’il ne l’extrade pas.

Si un État partie qui exerce sa compétence en vertu du paragraphe 1 ou 2 du présent article a été avisé, ou a appris de toute façon que d’autres États parties mènent une enquête ou ont engagé des poursuites ou une procédure judiciaire concernant le même acte, les autorités compétentes de ces États parties se consultent, selon qu’il convient, pour coordonner leurs actions.

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Sans préjudice des normes du droit international général, la présente Convention n’exclut pas l’exercice de toute compétence pénale établie par un État partie conformément à son droit interne1092.

Tenant compte des dispositions susmentionnées, on peut se demander si elles ont permis

aux États parties à la Convention des Nations Unies de générer une série de critères

pratiques qui puissent les aider à mettre en œuvre des nouvelles formes de coopération

pénale1093. La réponse à cette question n’est pas évidente. À défaut d’une jurisprudence

internationale ou interne en la matière, la réception de la coopération internationale ne peut

s’apprécier que dans le cadre d’une approche empirique. Celle-ci n’a pas été retenue dans

le cadre théorique de la présente étude, laquelle se borne à prendre acte des cadres de

coopération qui existent entre les différents services de renseignement financier1094, de

police, et des conventions de coopération judiciaire1095 existants entre les parties aux

conventions de lutte contre la corruption.

Ceci étant, il est difficile de passer outre l’impact que les différents mécanismes de mise

en œuvre des instruments internationaux de lutte contre la corruption et des organisations

non gouvernementales ont eu sur les systèmes juridiques nationaux. Il en est ainsi, par

exemple, du renouveau normatif de la Common Law canadienne et de l’affaire dite des

biens mal acquis expérimentée dans le système de Droit civil français. Le droit

camerounais ne sera pas abordé, dans la mesure où aucune innovation normative ou

jurisprudentielle ne permet d’apprécier l’impact des nouvelles formes de coopération

judiciaire dans ce système.

1092 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.42. 1093 ONUDC, Guide Technique de la Convention, préc, note 17, à la p.196. 1094 CANAFE, Rapport annuel 2013, préc, note 888, aux pp.25-26. 1095 Accord de coopération en matière de justice entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République Unie du Cameroun, Yaoundé, le 21 février 1974 ; Convention d’extradition entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement de la République française, Ottawa, le 17 novembre 1988 ; Convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement de la République française, Paris, le 15 décembre 1989.

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5.2.1 L’impact de la coopération anticorruption dans le système juridique de la Common Law canadienne

Dans l’affaire Libman c. La Reine1096, le juge La Forest présente l’état du droit pénal

international canadien en ces termes :

L’expérience canadienne peut se résumer ainsi. Au cours des années qui ont suivi immédiatement la Confédération, le principe de la territorialité a été interprété de façon étroite […] Mais à mesure que le temps passait, les tribunaux ont commencé à interpréter leur compétence territoriale de façon libérale. […] Dans l’ensemble cependant, malgré leur politique d’élargissement de leur compétence, ils ont eu tendance à appliquer la solution de la substance de l’infraction plus uniformément et mécaniquement que les tribunaux anglais. […] Toutefois, comme en Angleterre, les tribunaux canadiens étaient disposés à aller au-delà du critère de la substance de l’infraction, lorsque les conséquences d’un crime étaient ressenties au Canada. […]

Je pourrais résumer ainsi ma façon d’aborder les limites du principe de la territorialité. Selon moi, il suffit, pour soumettre une infraction à la compétence de nos tribunaux, qu’une partie importante des activités qui la constituent se soit déroulée au Canada. […] il suffit qu’il y ait un “lien réel et important” entre l’infraction et notre pays […]1097.

Ainsi, en droit canadien, peu importe la liberté que s’octroie le juge pour déterminer sa

compétence, celle-ci ne peut, en principe, se fonder que sur le critère de la territorialité.

C’est dans ce sens qu’il ressort, des dispositions du Code criminel, que : « [sous] réserve

des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, nul ne doit être

déclaré coupable d’une infraction commise à l’étranger […]1098 ». On peut, dès lors,

comprendre la déclaration faite par le Canada à l’occasion de la ratification de la

Convention des Nations Unies. Le pays avait fait la précision suivante :

Comme le Canada jouit d’une vaste compétence sur son territoire pour juger les infractions de corruption, il n’a pas l’intention de faire valoir sa compétence dans les cas d’infractions commises par un ressortissant canadien à l’extérieur de son territoire1099.

1096 Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 1097 Ibid aux pp.206, 212-213. 1098 Code criminel, art.6 (2). 1099 Nations Unies, Recueil des Traités, vol.2349, à la p.41.

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Par ailleurs, à travers le principe de la courtoisie1100, le droit pénal international canadien

peut donner l’impression de se rapprocher des nouvelles formes de coopération suggérées

par la Convention des Nations Unies. En effet, il ressort de l’arrêt R. c. Hape que,

À une époque où l’activité criminelle revêt souvent un caractère transnational et où personnes et biens franchissent aisément et rapidement les frontières, le principe de la courtoisie incite à collaborer les uns avec les autres pour élucider les crimes transfrontaliers même lorsque aucun traité ne les y oblige1101.

Cependant, même dans le contexte de l’application du principe de la courtoisie, le critère

retenu pour trancher le conflit positif de compétences entre plusieurs juridictions demeure

la recherche de l’ordre juridique au sein duquel le fait infractionnel « a un lien réel et

important1102 ». Cela rapproche l’arrêt Hape de l’arrêt Libman, dans la mesure où le conflit

de juridictions sera toujours favorable à l’État dont la souveraineté est plus affectée par le

fait « corruptionnel ». Tel n’est pas la finalité recherchée par les nouvelles formes de

coopération pénale.

Selon la Convention des Nations Unies, c’est à l’État le plus susceptible de rassembler la

preuve de l’infraction et de poursuivre le délinquant qu’il faudra reconnaître la compétence.

La courtoisie entre les différentes juridictions compétentes, pour le même fait, devrait les

inciter à rechercher la juridiction compétente parmi les critères suivants :

Où l’infraction a-t-elle été commise et où le délinquant a-t-il été arrêté ?

Où se trouvent les témoins ou les éléments de preuve les plus importants ou les victimes du crime commis ?

Quel est le pays où la législation est la plus développée ou la plus efficace ?

Quel est le pays où la législation relative à la confiscation est la plus développée ?

Quel est le pays où la procédure est la plus rapide ?

Quel est le pays offrant les meilleures garanties en matière de sécurité et de garde à vue ?

Quel est le pays le mieux à même de régler les questions délicates concernant la production et la divulgation des éléments de preuve ?

1100 R. c. Hape, [2007] CSC 26, para.51 1101 Ibid para. 52. 1102 Ibid para.62.

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Quel est le pays qui peut prendre en charge le coût de la procédure ?

Quel est le pays le plus directement affecté par le crime commis ?

Où se trouve la plupart des avoirs pouvant être recouvré ?

Quel est le pays où les mécanismes de recouvrement des avoirs sont les plus développés ?1103

Dans le contexte de conflit positif de juridictions, les critères suggérés par les nouvelles

formes de coopération pénale s’assimilent à des outils d’évaluation des garanties

d’indépendance et d’impartialité des systèmes judiciaires. Ainsi, le système judiciaire

compétent sera celui qui présentera les meilleures garanties pour poursuivre et punir les

actes de corruption. La courtoisie devrait normalement inciter les ordres juridiques,

potentiellement compétents, soit à désigner la juridiction la plus susceptibles de remplir les

critères suscités, soit à s’accorder mutuellement assistance dans la poursuite des mêmes

faits. On assiste, dès lors, au relativisme de la souveraineté étatique, au profit d’une

compétence transnationale fondée sur l’appréciation objective des normes d’indépendance

et d’impartialité du système judiciaire. Peut-on dire que cette nouvelle tendance de

résolution des conflits de juridiction, en droit pénal international, a eu raison de la récente

évolution législative du Canada ?

En effet, depuis le 19 juin 2013, le Canada a revu les critères de compétence de ses

tribunaux en matière de lutte contre la corruption transnationale. La Loi sur la corruption

d’agents publics étrangers (LCAPE) a été sanctionnée le 10 décembre 19981104. Jusqu’à la

date du 4 mars 2015, quatre affaires avaient été jugées sous son empire1105. Après plusieurs

modifications, c’est la dernière survenue le 19 juin 2013 qui marque un tournant décisif en

droit pénal international canadien. En matière de lutte contre la corruption, le Canada

appliquera désormais le critère de la nationalité, en plus de celui de la territorialité. Ce

revirement est exprimé en ces termes :

1103 ONUDC, Guide Technique de la Convention, préc, note 17, à la p.197. 1104 Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (LCAPE), L.C. 1998, ch. 34. 1105 R. v. Karigar, [2014] ONSC 3093 (CanLii) ; R. v. Griffiths Energy Internternational, [2013] AJ n°412 (Alta. Q. B.) ; R. v. Niko Resources Ltd., [2011], 101 W. C. B. (2d) 118 (Alta. Q. B.) ; R. v. Watts [Hydro Kleen], [2005] A. J. n°568 (Alta. Q. B.).

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Quiconque commet à l’étranger tout acte – action ou omission – qui, s’il était commis au Canada, constituerait une infraction prévue aux articles 3 ou 4, un complot en vue de commettre une telle infraction, une tentative de la commettre, une complicité après le fait à son égard ou le fait d’en conseiller la perpétration, est réputé commettre l’acte au Canada si, selon le cas :

il a la citoyenneté canadienne ;

il est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et se trouve au Canada après la commission de l’acte ;

il est un organisme public, une personne morale, une société, une compagnie, une entreprise ou une société de personnes constitués, formés ou autrement organisés au Canada en vertu d’une loi fédérale ou provinciale1106.

On peut également relever qu’avant la LCAPE, les tribunaux canadiens pouvaient déjà

appliquer le critère de la nationalité sous l’empire de la Loi sur le blocage des biens des

dirigeants étrangers corrompus1107 (LBBDEC). Ce virement avait moins attiré l’attention,

parce que la LBBDEC est une loi d’exception, qui a été sanctionnée dans le contexte du

printemps arabe 20111108. Le caractère exceptionnel de la LBBDEC se justifie par le fait

qu’elle ne peut être mise en œuvre qu’en cas de troubles internes dans un État étrangers1109.

Si cette évolution de la législation canadienne est appréciable, elle reste très prudente. Elle

se borne, en effet, à la corruption d’agents publics étrangers et au blocage des biens des

dirigeants étrangers corrompus. Ce qui peut susciter, dans ce dernier cas, une confusion

entre les infractions de corruption et les infractions politiques.

1106 LCAPE, art. 5 (1). 1107 Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, L.C. 2011, ch. 10, art.11(2) « Lorsqu’il est allégué qu’un canadien a commis une infraction à la présente loi alors qu’il se trouvait à l’étranger, des poursuites peuvent être engagées à l’égard de cette infraction dans toute circonscription territoriale au Canada que l’accusé soit ou non présent au Canada et il peut subir son procès et être puni à l’égard de cette infraction comme si elle avait été commise dans cette circonscription territoriale ». 1108 Erin SHAW et Julian WALKER, Résumé législatif. Projet de loi C-61 : Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, Bibliothèque du Parlement, n°40-3-C61-F, 24 mars 2011, [en ligne] [http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/LegislativeSummaries/40/3/c61-f] [consulté, le 12 juin 2012]. 1109 LBBDEC, art.4(2)b) « [le Gouverneur en conseil] ne peut toutefois prendre le décret ou règlement que s’il est convaincu que les conditions ci-après sont remplies […] il y a troubles internes ou une situation politique incertaine dans l’État étranger ».

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Que peut-on retenir de l’impact de la coopération internationale, relativement à la lutte

contre la corruption transnationale en droit canadien ? L’analyse du système canadien

convie à deux constats et à un questionnement.

En effet, il est possible de constater que :

- En adjoignant au principe de la territorialité celui de la nationalité, le système

canadien confirme l’hypothèse de la flexibilité du droit pénal, comme fondement

d’une législation compatible avec l’objectif d’une répression systématique de la

corruption ;

- Cette flexibilité chemine vers la construction d’un droit spécial applicable à la

corruption.

Par ailleurs, les récentes décisions prises par les juridictions canadiennes, en lien avec la

corruption transnationale continuent à questionner l’impact des nouvelles formes de

coopération en droit transnational :

1- Affaire Niko resources Ltd (2011). Une filiale de Niko au Bangladesh a mis un véhicule d’une valeur de 190 984$ à la disposition du ministre de l’Énergie du Bangladesh et a assumé ses frais de déplacement de 5000$ pour qu’il assiste à un salon d’exposition gazière et pétrolière à Calgary, et pour un voyage personnel à New York et à Chicago pour visiter sa famille1110.

2- Affaire Nazir Karigar Le défendeur avait comploté pour corrompre le ministre de l’aviation civile de l’Inde et certains agents d’Air India pour s’assurer que Cryptometric Canada se verrait octroyer par Air India un contrat d’approvisionnement en logiciel de reconnaissance faciale […] En juin 2006, Cryptometric U.S.A., la société mère de Cryptometric Canada, a transféré 200 000 $ US à Karigar, somme qui devait sans doute servir à corrompre un haut dirigeant d’Air India. En mars 2007, une somme supplémentaire de 250 000 $ US a été transférée à Karigar pour obtenir le contrat d’Air India. La Cour a conclu qu’il n’y a aucune preuve de ce qui était advenu des 450 000 $ US […]1111.

1110 R. v. Niko Resources Ltd., [2011], 101 W. C. B. (2d) 118 (Alta. Q. B.). Voir aussi, John W. BOSCARIOL, Une analyse approfondie de la première grande cause canadienne relative à la corruption d’agents publics étrangers : Niko Resources Ltd, 21 novembre 2011, [en ligne] [http://mccarthy.ca/fr/article_detail.aspx?id=5640] [consulté, le 21/01/2013]. 1111 R. v. Karigar, [2014] ONSC 3093 (CanLii). Voir aussi, John W. BOSCARIOL, et al., Le premier procès en vertu de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers du Canada donne lieu à une déclaration de culpabilité, 28 août 2013, [en ligne] [http://www.mccarthy.ca/fr/article_detail.aspx?id=6409] [consulté, le 05/03/2015].

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3- Affaire Griffiths Energy Aux environs de la date de création de la société en août 2009, Griffiths et plusieurs de ses actionnaires fondateurs ont cherché à créer des liens et à organiser des rencontres avec des représentants politiques tchadiens de haut niveau, notamment l’ambassadeur du Tchad au Canada et le ministre du Pétrole et de l’Énergie de ce pays.

Ces démarches ont mené à la signature d’un contrat de consultation le 30 août 2009 entre Griffiths et Ambassade du Tchad LLC (Tchad LLC), entité immatriculée aux États-Unis et détenue en propriété exclusive par l’ambassadeur. Le contrat […] prévoyait des honoraires de deux millions de dollars payables à Tchad LLC si Griffiths devait obtenir les contrats de partage de production (CPP) souhaités avant la fin 2009 ou une date dont les parties pouvaient convenir. […]

Le 15 septembre 2009, Griffiths a conclu, avec une autre entité constituée aux États-Unis, laquelle était alors détenue en propriété exclusive par la conjointe de l’ambassadeur et portait la dénomination Chad Oil Consulting LLC (COCL). […] à l’issue de plusieurs mois de négociations, une filiale de Griffiths a signé un CPP avec le Tchad le 19 janvier 2011. Le paiement de 2 millions de dollars dû à COCL […] a alors été entiercé en février 2011 avant d’être transféré à COCL aux termes des directives de dépôt reçues […]1112.

Ces affaires invitent à poser des questions suivantes :

- Les critères de compétence suggérés par les nouvelles formes de coopération ont-

ils été appliqués ?

- Quel a été la collaboration des systèmes judiciaires du Bengladesh, de l’Inde et du

Tchad ?

- Les agents publics bengali, indiens et tchadiens ont-ils fait l’objet des poursuites

judiciaires au Canada et/ou dans leur pays respectif ?

Ces interrogations mettent en exergue deux limites, dont l’une est subjective et l’autre

objective.

La première limite est relative au cadre théorique de cette étude. Étant donné que les

décisions de justice canadienne ne font pas explicitement allusion à la coopération

judiciaire avec les juridictions de toutes les parties potentiellement impliquées dans les

1112 R. v. Griffiths Energy Internternational, [2013] AJ n°412 (Alta. Q. B.). Voir aussi, Paul Michael BLYSCHAK et John W. BOSCARIOL, Examen approfondi de l’affaire Griffiths Energy : Leçons et perspectives entourant l’application des lois anticorruptions canadiennes, 14 février 2013, [en ligne] [http://www.mccarthy.ca/fr/article_detail.aspx?id=6176] [consulté, le 05/03/2015].

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actes de corruption, seule une recherche empirique est susceptible d’apporter des réponses

aux questionnement sur la mise en œuvre effective des nouvelles formes de coopération en

matière pénale.

Quant à la limite objective, elle est relative aux dispositions de la Convention de l’OCDE,

sous l’empire de laquelle la LCAPE est appliquée au Canada, car, après avoir relevé lors

de la Conférence de négociations que :

[l]’expression ‘‘corruption active’’ n’est pas utilisée dans la Convention tout simplement pour éviter une interprétation erronée de la part du lecteur non averti, qui pourrait induire que le corrupteur a pris l’initiative et que le bénéficiaire se trouve dans une situation de victime passive. En fait, il est fréquent que le bénéficiaire ait incité le corrupteur ou ait fait pression sur lui, en ayant ainsi joué le rôle plus actif1113,

On observe dans la pratique que seule la responsabilité pénale du supposé corrupteur actif

est retenue dans cette Convention. Cette restriction se justifie par l’approche économique

qui la fonde1114. Toutefois, le contexte d’une lutte systématique contre la corruption devrait

convier les États parties à la Convention de l’OCDE à la recevoir dans le cadre d’une loi

générale1115, munie des hypothèses de responsabilité secondaire1116, notamment, la

corruption passive de l’agent public étranger. Ceci pourrait susciter une meilleure

collaboration, voire une harmonisation des garanties d’indépendance et d’impartialité entre

les différents systèmes de justice intéressés à la sanction des mêmes faits

« corruptionnels ».

D’autre part, le cadre législatif canadien confirme l’approche économique de la Convention

de l’OCDE, à travers la LCAPE. En effet, selon l’article 6 de la loi, seuls

[L]es officiers de la Gendarmerie royale du Canada ou les personnes désignées comme agent de paix en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada sont autorisés à faire une dénonciation en vertu de l’article 504 du Code criminel à l’égard d’une infraction prévue par la présente loi […]1117.

1113 Conférence de négociations, préc, note 280. 1114 Cf. section 2.1.1.1 Le corrupteur actif, à la p.70. 1115 Une telle loi peut aussi se fonder sur la complémentarité des différents instruments de lutte contre la corruption. 1116 Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 45, préc, note 297. 1117 LCAPE, art. 6.

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292

Cette restriction limite l’accès des poursuivants privés à la justice transnationale. On peut

se demander, dans ce cas, si la plainte déposée en mars 2018 par la coalition des biens mal

acquis du Canada1118 connaîtra des suites identiques à l’affaire française des biens mal

acquis.

5.2.2 L’impact de l’affaire des biens mal acquis dans le système juridique de Droit Civil français

Pour mieux comprendre l’impact de l’affaire des biens mal acquis dans les nouvelles

formes de coopération judiciaire en matière pénale, il convient de faire un rappel des faits,

tels qu’ils sont exposés dans le rapport 2014 des associations Transparency International

France et Sherpa1119 :

En 2007, l’Organisation non gouvernementale Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD)-Terre Solidaire publie un rapport intitulé : Biens mal acquis… profitent trop souvent. La fortune des dictateurs et les complaisances occidentales1120.

Suite à ce rapport, les associations Sherpa, Survie et la Fédération des congolais de la diaspora déposent plainte devant le Procureur de la République de Paris contre les familles dirigeantes de l’Angola, du Burkina Faso, de la République du Congo, de la Guinée Équatoriale, et du Gabon, estimant qu’elles possèdent des patrimoines immobiliers considérables qui n’ont pu être raisonnablement constitués au moyen de leurs seuls salaires et émoluments. La plainte repose sur le chef d’inculpation de recel de détournement de fonds publics qui incrimine le fait de détenir sur le sol français des biens qui ont été acquis de manière illégale.

En juin 2007, une enquête diligentée par la police française confirme et corrobore la plupart des allégations et révèle par ailleurs l’existence de nombreux autres biens, immobiliers et mobiliers […].

En novembre 2007, le Procureur de la République a classé sans suite l’affaire, au motif que l’infraction n’était pas suffisamment caractérisée […].

Afin de surmonter la décision du parquet [classement sans suite], le 2 décembre 2008, Transparency International France, Gregory Ngbwa Mintsa, citoyen gabonais, tous deux représentés [par un avocat de Sherpa] ont déposé une plainte avec constitution de partie civile. […] Par ordonnance en date du 5 mai 2009, la

1118 Communiqué de presse, 1er mars 2018, « Biens mal acquis : Sherpa et la Coalition Biens Mal Acquis du Canada demandent conjointement l’ouverture d’une enquête sur les biens mal acquis et le blanchiment d’argent au Canada », [en ligne] [www.asso-sherpa.org/biens-mal-acquis—demande-douverture-denquete-canada] [Consulté, le 08/03/2018]. 1119 Transparency International France et Sherpa, pour une restitution des avoirs volés aux populations victimes. Les enseignements de l’affaire des « Biens Mal Acquis », 2014, [en ligne] [www.transparency.ca/9-Files/2014-New/20141120-Rapport%20BMA.pdf] [consulté, le 09/03/2015]. 1120 [En ligne] [ccfd-terresolidaire.org.IMG/pdf/biens-mal-acquis.pdf] [consulté, le 18/04/2012].

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Doyenne des juges d’instruction auprès du tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande de constitution de partie civile déposée par le citoyen gabonais estimant qu’il n’avait pas d’intérêt à agir pour réclamer l’ouverture d’une instruction. Elle s’est en revanche prononcée en faveur de la recevabilité de la demande de constitution de partie civile de Transparency International France. […] Le parquet a fait appel de cette décision. […] le 29 octobre 2009, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a infirmé l’ordonnance de la Doyenne des juges d’instruction. […] Par un pourvoi en cassation déposé par Transparency International France, et par un arrêt datant du 9 novembre 2010, la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par les juges de la Cour d’appel en concluant à la recevabilité de la plainte déposée par Transparency International France.

La décision de la Cour de cassation a permis la désignation de deux juges d’instruction et l’ouverture d’une information judiciaire. Depuis lors, ces derniers tentent de déterminer dans quelles conditions le patrimoine visé par la plainte a été acquis et celles dans lesquelles les très nombreux comptes bancaires identifiés par les services de police ont été alimentés. Cette information devrait aussi permettre de faire toute la lumière sur le rôle joué par les divers intermédiaires qui auraient pu faciliter la réalisation des opérations litigieuses1121.

Les faits ci-dessus sont un véritable cas d’école pour les différentes approches de la lutte

contre la corruption transnationale. Les associations Transparency International France et

Sherpa s’en sont servies pour mettre en exergue les failles de la restitution des avoirs volés

aux victimes. La présente analyse s’intéresse aux nouvelles formes de coopération

judiciaire. D’où les deux questions suivantes :

1- Pourquoi certains citoyens déposent-ils leur plainte dans un État étranger, alors que

l’infraction présumée a également des liens de rattachement avec leur État

d’origine ?

2- Pourquoi dans l’État du for, le ministère public reste-t-il insensible à une succession

d’informations, que lui transmet le service de renseignement financier1122 ?

1121 Transparency International France et Sherpa, préc, note 149, aux pp.10-12. 1122 Ibid à la p 18, « Entre 2000 et 2011, onze notes d’information ont ainsi été transmises par TRACFIN au Parquet de Paris concernant les personnes visées dans la plainte des “Biens Mal Acquis”. Pourtant, à aucun moment, y compris après le dépôt de la plainte en 2007, le Parquet n’a jugé utile de poursuivre. De même, en juin 2011, TRACFIN informait le Parquet que Teodorin Nguema Obiang avait dépensé pas moins de 18 millions d’euros lors de la vente aux enchères de la collection d’Yves Saint-Laurent et de Pierre Bergé. Cette transaction […] a été effectuée par un ministre d’un État étranger par ailleurs visé par une plainte pénale en France pour des activités présumées de blanchiment d’argent, et elle portait sur une somme considérable […] là encore, le Parquet a refusé d’engager des poursuites ».

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Cette thèse soutient que la réponse à ces différentes questions est implicitement contenue

dans les nouvelles formes de coopération pénale. À travers le transfert des procédures

pénales, la création des organes conjoints d’enquête et les méthodes spéciales d’enquête,

la Convention des Nations Unies suscite l’atteinte des objectifs suivants :

- L’instauration d’un espace pénal commun pour une poursuite effective et

harmonieuse des faits de corruption. Cette communauté se construit autour du

même fait, dont le déplacement, à travers différents fors, peut générer des

incriminations différentes.

- Les nouvelles formes de coopération judiciaire se déroulent, de préférence, entre

des services homologues, y compris le réseau des sociétés civiles.

- Toutefois, ces nouvelles formes de coopération sont dévoyées par la procédure

pénale interne (l’opportunité de poursuites du ministère public). Il est donc

nécessaire que chaque organe (privé ou public), spécialisé dans la lutte contre la

corruption, puisse initier l’action pénale.

De manière générale, l’affaire des biens mal acquis montre le succès d’une coopération

judiciaire initiée par des personnes privées. Cette poursuite est ainsi qualifiée (coopération

judiciaire) parce que, selon l’énoncé des faits ci-dessus, les « familles dirigeantes [sont

suspectées de posséder] des patrimoines immobiliers considérables qui n’ont pu être

raisonnablement constitué au moyen de leurs salaires et émoluments ». Il s’agit, en

l’espèce, d’un soupçon de l’incrimination de détournement de fonds publics1123 (article 17

de la Convention des Nations Unies) qui aurait eu lieu dans les États suivants : Angola,

Burkina Faso, République du Congo, Guinée Équatoriale, Gabon. Les faits à l’origine de

cette infraction sont rattachés à la France par l’incrimination de recel de détournement de

fonds publics (article 24 Convention des Nations Unies). Le choix du système judiciaire

français par les sociétés civiles française, congolaise et gabonaise présente deux intérêts :

1123 Ce pourrait aussi être l’infraction d’enrichissement illicite (art.20 Convention des Nations Unies).

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295

D’une part, tel qu’il est suggéré aux acteurs étatiques, à travers les nouvelles formes de

coopération, les acteurs privés se concertent pour centraliser les poursuites vers le système

judiciaire qui présente les meilleurs critères de poursuite des faits « corruptionnels ».

D’autre part, il ne s’agit pas ici d’orienter prioritairement les poursuites vers le système

juridique (ou système social) le plus affecté par la corruption, à travers le critère tiré du

« lien réel et important » (hypothèse des formes de coopération judiciaire classiques).Il

s’agit plutôt de sélectionner le système, dont l’analyse objective des critères de compétence

montre qu’il est le plus susceptible de détecter, d’identifier les délinquants de corruption

et de les punir.

La mise en application des critères d’attribution de compétence, suggérés par les nouvelles

formes de coopération, permet d’isoler les juridictions qui présentent moins de garanties

dans la poursuite des infractions de corruption, malgré leurs liens réels et importants avec

le fait criminel. Dans une telle perspective, l’isolément du système judiciaire le plus affecté

par le phénomène criminel pourrait le convier à se perfectionner.

Au plan interne, cette compétition entre différentes juridictions améliore les conditions

d’indépendance et d’impartialité du système judiciaire saisi. Autrement dit, parmi les

différents systèmes judiciaires en concurrence, le système le plus compétent verra, du fait

de sa saisine, ses conditions d’indépendance et d’impartialité s’améliorer. Elles seront

meilleures que les conditions qui y existaient avant sa saisine. Cette situation se vérifie

dans l’affaire des biens mal acquis.

En effet, le régime juridique de la poursuite privée française s’est amendé. C’est ainsi qu’à

la suite de l’arrêt de la Cour cassation du 9 novembre, le législateur français a apporté une

modification au Code de procédure pénale. Il y est désormais institué l’article 2-23, aux

termes duquel,

[Toute] association agréée déclarée depuis au moins cinq ans à la date de la constitution de partie civile, se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions suivantes :

1° Les infractions traduisant un manquement au devoir de probité, réprimées aux articles 432-10 à 432-15 du code pénal ;

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2° Les infractions de corruption et trafic d'influence, réprimées aux articles 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1 du même code ;

3° Les infractions de recel ou de blanchiment, réprimées aux articles 321-1, 321-2, 324-1 et 324-2 dudit code, du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° du présent article ;

4° Les infractions réprimées aux articles L. 106 à L. 109 du code électoral.

Un décret en Conseil d'État fixe les conditions dans lesquelles les associations mentionnées au premier alinéa du présent article peuvent être agréées1124.

Les suites des nouvelles formes de coopération suggérées par les instruments de lutte contre

la corruption renforcent l’une des thèses soutenues dans cette étude : c’est la détection de

la corruption qui devrait être élevée au rang de principe fondamental de la Convention des

Nations Unies, en lieux et places de la restitution des avoirs. Mieux, les avoirs recouvrés

devraient prioritairement financer les organes privés et publics spécialisés dans la lutte

contre la corruption. Ainsi, et en conformité avec la finalité de la sanction pénale, la

meilleure prévention de la corruption passe par la détection systématique des infractions

« corruptionnelles », alors que le principe du recouvrement des avoirs multiplie les

opportunités de corruption, du fait, entre autres, d’une détection défaillante.

Cette lacune stratégique des instruments internationaux de lutte contre la corruption trouve

sa justification, selon Transparency International France et Sherpa, sur le stato-

centrisme1125. Or, bien avant ces instruments, les magistrats spécialisés dans la lutte contre

la criminalité transnationale avaient suggéré les conditions d’une meilleure coopération

judiciaire dans la perspective d’une lutte efficace contre la criminalité transnationale. Leur

expertise a-t-elle été retenue dans les mécanismes actuels de lutte contre la corruption

transnationale ?

1124 Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013, art. 1, préc, note 656. 1125 Transparency International France et Sherpa, préc, note 149, à la p.10, « stato-centriste, c'est-à-dire, “par les États pour les États”. En d’autres termes, si la Convention de Merida renforce considérablement les moyens d’action en vue de recouvrer les avoirs volés, ces mêmes moyens sont à la seule disposition de l’État victime. Quid lorsque les élites dirigeantes de cet État sont précisément celles qui se livrent au pillage des ressources du pays ? ».

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5.2.3 L’Appel de Genève et les nouvelles formes de coopération en matière pénale

L’Appel de Genève est une alerte lancée, dans le contexte européen, par sept magistrats

anticorruptions. Il s’agit de Bernard Bertossa, Edmondo Bruti Liberati, Gherardo Colombo,

Benoit Dejemeppe, Baltasar Garzon Real, Carlos Jimenez Villarejo et Renaud Van

Ruymbeke. Cet appel stipule, entre autres, que :

[…] à l’ombre de cette Europe en construction visible, officielle et respectable, se cache une autre Europe, plus discrète, moins avouable. C’est l’Europe des paradis fiscaux […] Cette Europe des comptes à numéro et des lessiveuses à billets est utilisée pour recycler l’argent de la drogue, du terrorisme, des sectes, de la corruption et des activités mafieuses. […]

À l’heure des réseaux informatiques d’Internet, du modem et du fax, l’argent d’origine frauduleuse peut circuler à grande vitesse d’un compte à l’autre, d’un paradis fiscal à l’autre, sous couvert de sociétés off shore, anonymes, contrôlées par de respectables fiduciaires […] L’impunité est aujourd’hui quasi assurée aux fraudeurs. Des années seront en effet nécessaires à la justice de chacun des pays […] pour retrouver la trace de cet argent, quand cela ne s’avérera pas impossible dans le cadre légal actuel hérité d’une époque où les frontières avaient encore un sens pour les personnes, les biens et les capitaux.

[…] il est urgent d’abolir les protectionnismes dépassés en matière policière et judiciaire. Il devient nécessaire d’instaurer un véritable espace judiciaire […] au sein duquel les magistrats pourront, sans entraves autres que celles de l’État de droit, rechercher et échanger les informations utiles aux enquêtes en cours.

Nous demandons la mise en application effective des accords […] prévoyant la transmission directe de commissions rogatoires internationales et du résultat des investigations entre juges, sans interférences du pouvoir exécutif et sans recours à la voie diplomatique1126.

Il ne fait aucun doute que de 1996 à 2015, plusieurs obstacles à la coopération judiciaire

ont été levés. Tel est notamment le cas du secret bancaire1127 ou des infractions relatives

aux questions fiscales1128.

Par contre, si les nouvelles formes de coopération judiciaire suggérées dans l’Appel de

Genève donnent l’impression de se retrouver dans les instruments de lutte contre la

corruption, ces instruments ont toujours retenu le principe de l’autorité centrale et de la

1126 [En ligne] [www.fabriquedesens.net/Appel-de-Geneve-par-7-magistrats] [consulté, le 11/03/2015]. [Nos caractères gras]. 1127 Convention des Nations Unies, préc, note, 15, art.31 par.7, art.40. 1128 Ibid art.44 par.16, art.46 par.22.

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transmission des demandes d’entraide judiciaire par la voie diplomatique1129. Une telle

disposition paraît contradictoire avec les nouvelles formes de coopération, selon lesquelles

les communications devraient s’échanger entre homologues. L’immixtion d’une autorité

étrangère dans les échanges entre homologues, c’est-à-dire, des professionnels exerçant les

activités similaires dans différents ordres juridiques, est susceptible d’hypothéquer les fins

poursuivies par cette communication. La transposition de ce raisonnement à la

problématique de l’indépendance judiciaire montre que l’institution d’une autorité centrale

rattachée au pouvoir exécutif, tout comme la transmission des mêmes communications par

voie diplomatique, porte atteinte à l’indépendance et à l’impartialité du pouvoir judiciaire.

De l’avis des magistrats anticorruptions européens, cela ne permet pas une lutte efficace

contre la corruption. Cette limite à la lutte contre la corruption est aussi illustrée dans le

rapport 2014 des associations Transparency International France et Sherpa. Elles ont

constaté, dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis, que les dirigeants étatiques

peuvent être à l’origine du pillage des ressources publiques1130. Dans un tel contexte, la

désignation d’une autorité centrale ou la transmission des demandes d’entraide judiciaire

par la voie diplomatique est susceptible de compromettre l’objectif poursuivi par les

conventions de lutte contre la corruption.

Il semble donc logique, pour une lutte efficace et systématique contre la corruption, que la

transmission des demandes d’entraide judiciaire, à chaque étape du procès, relève de la

compétence des services concernés.

D’une façon générale, il ressort de ce qui précède que la coopération internationale en

matière de lutte contre la corruption est une coopération pénale innovante. Elle se

démarque de la coopération classique par les caractéristiques suivantes :

a) Une quête de l’efficacité par la lutte systématique contre la corruption. Pour cette

raison, le principe de la double incrimination n’est plus indispensable en matière

d’extradition ou d’entraide judiciaire. Il suffit que l’infraction pour laquelle la

coopération est souhaitée, par l’État requérant, soit définie dans la convention

1129 Ibid art.46 par.13. 1130 Transparency International France et Sherpa, préc, note 149, à la p.10.

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299

anticorruption, même si ce fait ne constitue pas une infraction dans l’État requis.

Pour la Convention de l’OCDE et la Convention de l’UA, la coopération pénale, en

matière de lutte contre la corruption, est possible en dehors de tout instrument

conventionnel bilatéral ou multilatéral.

b) Relativement à l’autonomie fonctionnelle du système judiciaire, la coopération

entre homologues est suggérée à chaque phase du procès pénal. Ceci écarte, dans

l’administration de la coopération internationale, toute autorité centrale ou toute

voie diplomatique. Ce dialogue entre homologues harmonise les pratiques des

systèmes judiciaires concernés, tout en renforçant, réciproquement, leurs

compétences et les conditions de leur indépendance et de leur impartialité.

Par contre la coopération internationale, en matière de lutte contre la corruption, hésite

encore à affirmer son autonomie par rapport au droit pénal classique. Ceci s’observe dans

la contradiction à vouloir concilier dans un même texte, la coopération pénale entre

homologues et l’administration de celle-ci par une autorité centrale ou par la voie

diplomatique. Car il est constamment relevé que l’implication des autorités extrajudiciaires

dans la procédure judiciaire porte atteinte à l’indépendance et à l’impartialité du système

judiciaire.

Cette incohérence des conventions anticorruptions s’observe également, au plan

substantiel, à travers le paragraphe 21.b) de l’article 46 de la Convention des Nations Unies.

En disposant que « l’entraide judiciaire peut être refusée si l’État partie requis estime que

l’exécution de la demande est susceptible de porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité,

à son ordre public ou d’autres intérêts essentiels », cette Convention contrarie les critères

d’indépendance retenus à l’article 5 de la Convention de l’OCDE. Puisqu’il y est

mentionné que « les enquêtes et poursuites en cas de corruption […] ne seront pas

influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur

les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause ».

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300

D’une manière générale, il ressort de ce qui précède qu’à travers les critères de leur mise

en œuvre, les nouvelles formes de coopération judiciaire apportent une normativité

supplémentaire aux garanties d’indépendance et d’impartialité des juridictions nationales.

Le transfert des procédures pénales, la création des organes conjoints d’enquête et la mise

en œuvre des méthodes spéciales d’enquête sont des processus qui se réalisent entre les

homologues des différents ordres juridiques sans l’intervention, en principe, d’une autorité

centrale et d’une voie diplomatique rattachées à la branche exécutive de l’État. Cette

évolution du droit pénal international, qui consiste à relativiser l’immixtion de la branche

exécutive dans l’activité judiciaire, est en harmonie avec l’hypothèse soutenue dans la

présente étude.

En fait, en suggérant l’attribution de compétences, en cas de conflit de juridictions, à l’ordre

juridique qui présente les meilleures garanties de poursuites et de sanction des faits de

corruption, plutôt qu’à l’ordre juridique qui justifie un « lien réel et important » avec le fait

criminel, les nouvelles formes de coopération opèrent un changement de paradigme dans

l’attribution de compétences en droit pénal international. Désormais, les critères relatifs

aux garanties d’indépendance et d’impartialité des juridictions, devraient être privilégiés

aux seuls critères qui mettent en avant, la souveraineté étatique. Toutefois, une telle

évolution ne peut être reçue, en droit positif, que si elle est confirmée par un mécanisme

juridictionnel ou quasi-juridictionnel de droit international anticorruption.

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301

CHAPITRE 6

L’INTERNATIONALISATION DU DROIT DE LA CORRUPTION

Bien que l’internationalisation du droit de la corruption puisse s’appliquer à certains

mécanismes régionaux et internationaux – ce qui sera le cas des travaux ultérieurs –

notamment le droit de l’OHADA et le droit international de l’investissement, pour ne citer

que ces deux cas, la présente étude se limitera aux dispositions des conventions

anticorruptions et à leur pendant en droit international des droits de l’homme.

Qu’il soit permis de rappeler que l’internationalisation du droit de la corruption se présente

comme la seconde alternative à l’externalisation de la justice nationale. En effet, si la

coopération judiciaire se justifie par la transnationalisation de l’infraction

« corruptionnelle », l’internationalisation du droit de la corruption trouve, quant à elle, son

fondement dans les sources internationales de la norme relative à la lutte contre la

corruption. La proposition défendue dans cette étude suggère que la réception, en droit

positif, de la norme anticorruption soit soutenue par sa validation au sein de l’ordre

juridique qui l’a suscitée. Il s’agit, en l’espèce, de l’ordre juridique régional en ce qui

concerne les conventions régionales de lutte contre la corruption et de l’ordre juridique

international en ce qui concerne les conventions internationales de lutte contre la

corruption. Ce processus de validation devrait aboutir à une norme prescriptive

anticorruption1131. Ainsi, le précédent d’un droit international des droits de l’homme –

constitué par les organes de contrôle juridictionnel et quasi-juridictionnel1132,

internationaux et régionaux des conventions des droits de la personne – pourrait servir de

modèle à la constitution d’un droit international anticorruption1133. Il faudra, dans ce cas,

associer le contrôle actuellement effectué par des mécanismes de suivi des différentes

conventions avec un mode de contrôle non juridictionnel, à l’initiative des acteurs non

1131 Maria GAVOUNELI, « L’effet normatif des mécanismes de suivi : l’exemple de la lutte contre la corruption », dans Le Pouvoir normatif de l’OCDE, Paris, Éditions A. Pedone, 2013, à la p.49. 1132 Anne WEBER, Les mécanismes de contrôle non contentieux du respect des droits de l’homme, Paris, Éditions A. Pedone, 2008, à la p.24. 1133 M. GAVOUNELI, préc, note 1131.

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302

étatiques. En effet, si les conventions de lutte contre la corruption incitent les États parties

à prendre

[D]es mesures appropriées, dans la limite de [leurs] moyens et conformément aux principes fondamentaux de [leur] droit interne, pour favoriser la participation active de personnes et de groupes n’appartenant pas au secteur public, tels que la société civile, les organisations non gouvernementales et les communautés de personnes, à la prévention et à la lutte contre ce phénomène1134,

il semble logique que l’ensemble des acteurs impliqués dans l’application interne des

conventions soient aussi associés à la validation de leur réception, voire de leur

effectivité1135. Ce raisonnement met en exergue l’une des caractéristiques communément

partagées par les conventions de lutte contre la corruption et les conventions de protection

des droits de la personne. « [Elles] ne consistent pas en un simple échange d’engagement

interétatique, mais visent à conférer des droits aux individus1136 ». Il faut donc permettre

que ces individus participent à la création du droit international de la corruption, à travers

leur accès aux mécanismes de suivi des conventions anticorruptions (6.1).

Par ailleurs, les interdépendances entre la corruption et la violation des droits de la personne

suscitent, à certains égards, une confusion dans l’identification de la norme violée. De là

provient l’hypothèse de l’imbrication, voire de la connexion entre la corruption et les droits

de l’homme1137. Mais, pour qu’une telle hypothèse soit vraie, encore faut-il établir un lien

de causalité entre l’acte « corruptionnel » et la violation d’une norme prescriptive des droits

de la personne. C’est à cette condition que l’internationalisation du droit de la corruption

pourrait se réaliser par les mécanismes de contrôle des droits de l’homme1138(6.2).

1134 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.13.1. 1135 Voir a contrario, A. PEYRO LLOPIS, aux pp 161-162 : « Bien que l’on assiste à un foisonnement de déclarations, d’instruments et de mécanismes de contrôle, autant les États que l’Organisation [des Nations Unies] elle-même privilégie la plupart du temps les rapports secrets et la dilution de la contrainte et des poursuites. Ils ont probablement la crainte – fondée – qu’une connaissance réelle de la portée des cas de corruption ait des effets bien plus négatifs sur leur crédibilité et réputation que l’opacité et une passivité complice », A. PEYRO LLOPIS, « Les Nations Unies et la lutte contre la corruption » dans BANNELLIER-CHRISTAKIS K. et al. (dir.), Les 70 des Nations Unies : quel rôle dans le monde actuel? Journée d’études en l’honneur du professeur Yves Daudet, Édition A Pedone, 2014. 1136 A. WEBER, préc, note 1132, à la p.16. 1137 M. BOERSMA, préc, note 119. 1138 Olaniya KOLAWOLE, Corruption and Human Rights Law in Africa, Oxford and Portland, Oregon, Hart Publishing, 2014; Martine BOERSMA and Hans NELEN (eds.), Corruption & Human Rights:

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303

6.1 L’internationalisation de la lutte contre la corruption par les mécanismes de suivi des conventions de lutte contre la corruption

Qu’il s’agisse de la Convention des Nations Unies, de la Convention de l’OCDE, de la

Convention de l’OEA contre la corruption, de la Convention de l’UA et de la Convention

pénale de l’Europe sur la corruption, aucun de ces instruments n’autorise que son

mécanisme de suivi soit saisi par des acteurs non étatiques afin de les associer à leur mise

en œuvre.

Toutefois, il est possible d’espérer que, profitant de la large ouverture du mandat conféré

à ces mécanismes, la nécessité d’une lutte systématique contre la corruption les motive à

étendre leur saisine à des acteurs non étatiques, ou à toute autre institution intéressée à la

lutte contre la corruption. Un tel espoir reste permis relativement au mandat des

mécanismes de suivi de la Convention de l’UA et de la Convention des Nations Unies.

Dans le premier cas, le mécanisme de suivi de l’instrument africain est notamment autorisé

à,

Établir des partenariats avec la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, la société civile africaine, les organisations gouvernementales et non gouvernementales, afin de faciliter le dialogue sur la lutte contre la corruption et les infractions assimilées1139.

C’est dans un sens similaire qu’il ressort, de la Convention des Nations Unies, que la

Conférence des États Parties crée, si elle le juge nécessaire, tout mécanisme ou organe

approprié pour faciliter l’application de la Convention1140. Cependant, en attendant

l’ouverture souhaitée des mécanismes suscités à un processus de communications à

l’initiative de tout organe gouvernemental ou non gouvernemental, intéressé à la lutte

contre la corruption, l’internationalisation de la lutte contre la corruption peut efficacement

se référer aux différents mécanismes de protection des droits de la personne.

interdisciplinary perspectives, Antwerp – Cambridge – Portland, Intersentia, 2010; International Council on Human Rights, Transparency International, Corruption and Human Rights: Making the Connection, préc, note 24. 1139 Convention de l’UA, préc, note 19, art.22.5. g. 1140 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.63.7.

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304

6.2 L’internationalisation de la lutte contre la corruption par le droit international des droits de l’homme

Il sera vu dans cette section que, s’il est possible de lutter contre la corruption au moyen

du droit international des droits de l’homme, on ne devrait pas confondre la corruption à la

violation desdits droits. Dès cet instant, la particularité de cette étude consistera à mettre

en exergue les voies procédurales par lesquelles le droit international des droits de l’homme

est susceptible de contribuer à la répression de la corruption. L’objectif étant de

perfectionner les garanties d’indépendance et d’impartialité du système judiciaire national.

Le lien entre la corruption et la violation des droits de la personne, dans le cadre de cette

étude, sera essentiellement procédural. La « théorie de Drittwirkung [ou la théorie]

d’obligations positives à effets horizontaux1141 » ne sera pas retenue, ici, dans la mesure où

elle n’est pas exclusive à la corruption. Elle s’applique à toute défaillance de l’État. Ainsi,

tout phénomène criminel, caractérisé par une impunité systématique, est susceptible

d’engager la responsabilité de l’État pour violation de ses obligations positives. Ce

raisonnement s’applique mutatis mutandis à toute violation des valeurs protégées par le

code pénal (criminel) et non suivie des sanctions prévues par ledit code. Il convient donc

de relativiser, dans la perspective de sa sanction, l’assimilation de la corruption à la

violation des droits de la personne. Pour mieux illustrer ce constat, le questionnement

suivant montre qu’en substituant le mot « corruption » par un autre vocable criminel,

notamment « meurtre », il sera toujours possible de tenter une connexion, infructueuse dans

le but de la sanction, entre le droit criminel et le droit des droits de la personne : peut-on

saisir un mécanisme international de protection des droits de l’homme pour meurtre ?

Qu’est-ce qui peut fonder la saisine d’un tel mécanisme lorsqu’il y a des allégations de

meurtre ? Le meurtre porte-t-il atteinte au droit à la vie, garanti par l’article 6 du Pacte

1141 Riccardo Pisillo MAZZESCHI, « Responsabilité de l’État pour violation des obligations positives relatives aux droits de l’homme » (2008) T. 333 Recueil des cours de l’Académie de droit international, à la p 226 ; H. DIPLA, La responsabilité de l’État pour violation des droits de l’homme. Problèmes d’imputation, préc, note 274, à la p 60; Eric ENGLE, « Third Party Effect of Fundamental Righrs (Drittwirkung) » (2009) European Law/Europarecht, 165.

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international relatif aux droits civils et politiques (ci-après PIDCP)? Ou mieux, dans

quelles conditions le meurtre peut-il porter atteinte à ce droit?1142

Ces questions mettent en évidence des liens qui existent entre le droit criminel et les droits

de l’homme, sans que ce lien n’autorise la saisine des mécanismes de protection des

seconds, pour des faits attribuables au premier. En clair, pour saisir des mécanismes

internationaux de protection des droits de la personne pour des faits de corruption, il faudra

faire la preuve soit de la corruption d’agents publics nationaux, soit de la corruption des

fonctionnaires internationaux, soit, encore, du détournement des biens par un agent public.

Or, en vertu du principe nullum crimen sine lege, les mécanismes de protection des droits

des personnes ne peuvent pas recevoir des communications relatives aux infractions de

corruption. Que faire ?

Pour répondre à cette question, il convient de considérer les faits, imaginaires suivants :

Faits1

Dans l’État X, il a été prévu dans le budget de l’année 2000 la construction d’une

autoroute qui devrait relier la localité X1 à la localité X2. X1 est la première productrice

du blé du pays. Elle est enclavée. Pour cette raison, les ventes du blé sont moins

importantes que ce qu’elle aurait dû être si X1 n’était pas enclavée. Elle n’a ni école, ni

centre de santé. Le produit des petites ventes de blé sert principalement à l’achat de

drogues fortes. En 1998, l’absence d’une connexion à l’eau potable avait été à l’origine

d’une épidémie de choléra, qui causa la mort de six cents (600) personnes. En 2000, ce

nombre de morts fut multiplié par trois. À la première cause de mortalité s’ajoutèrent des

accidents de circulation et l’absence des centres de santé. Si rien ne se faisait dans les

délais raisonnables, certains experts estimaient que, malgré sa richesse en blé, la localité

X1 pourrait enregistrer plusieurs milliers de morts toutes les décennies, ce qui ferait

environ cinquante mille (50 000) morts à l’horizon 2050.

Ce constat, établi par l’Organisation non gouvernementale BOS, fut pris au sérieux par le

gouvernement. Ceci l’amena à placer la route X1-X2 dans ses priorités. Avec ce projet,

1142 Au sujet de la nature des obligations de l’État en matière des droits de l’homme, voir Sir Nigel RODLEY, « Engagement des États parties », dans Emmanuel DECAUX (dir.) Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Commentaire article par article, Paris, Economica, 2011, à la p.122.

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X1 devrait recevoir de nombreux investisseurs. Les écoles et les hôpitaux auraient été

construits, si bien qu’à l’horizon 2010, X1 serait la localité la plus prospère du pays.

Malheureusement, malgré la votation effective du budget et la signature des contrats, rien

n’a changé dans la localité X1 jusqu’en 2014. Plus grave, le changement climatique s’est

manifesté, et les prévisions cauchemardesques des experts semblent se réaliser à une

vitesse exponentielle.

Si tout le monde parle de corruption dans le pays relativement au « méga projet 2000 »,

aucune action n’a été portée devant les juridictions nationales par les autorités étatiques

compétentes. Certaines associations de protection des droits de la personne s’activent

dans diverses actions judiciaires. Leur objectif est d’épuiser les voies de recours internes.

Comme l’État X est partie au récent protocole facultatif se rapportant au Pacte

international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, elles estiment que c’est

ce mécanisme qui faisait défaut à la lutte contre la corruption. D’ailleurs, sans jeu de mots,

est-ce qu’il n’est pas évident que les crimes économiques violent les droits économiques?

Faits 2

Dans l’État Y, les deux partis politiques Y1 et Y2 s’alternent régulièrement au pouvoir.

Selon les chercheurs des principales universités du pays, les résultats des élections

générales dépendent fortement de la capacité de chaque parti à mobiliser le financement

des campagnes électorales auprès de ses sympathisants. Aucun parti politique n’ayant

jamais obtenu la majorité critique lui permettant de modifier la loi électorale, chacun suit

le mode de financement qui lui sied. Les campagnes électorales sont financées sans une

réelle clarté, autant par l’État que par les sympathisants.

Tandis que les sympathisants de Y1 se recrutent majoritairement dans la classe ouvrière,

Y2 peut compter sur l’appui des patrons des petites et moyennes entreprises.

Heureusement pour Y2, il est au pouvoir. Il a un grand défi : l’organisation des Jeux

olympiques dans la capitale nationale. Les élections générales auront lieu neuf mois après

les Jeux olympiques. Mais, les caisses du parti sont vides, celle de Y1 le sont aussi. À la

veille des Jeux olympiques, le directeur des élections avait déjà fait savoir que, pour des

raisons d’équilibre budgétaire, le financement des partis politiques sera réduit de 10%

lors des prochaines échéances électorales.

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Les stratèges de chaque parti Y1 et Y2 comptent sur les travaux relatifs aux Jeux

olympiques pour financer leur campagne électorale respective. Chaque parti a mis sur

pied un stratagème correspondant au mode de financement de ses sympathisants.

Y1 a fait appel à un lobbyiste. Il a convaincu les ouvriers qu’en cotisant plus au profit du

parti, le salaire dans l’industrie de la construction connaîtrait une hausse de 15% quand il

sera au pouvoir. Pour les convaincre davantage, il leur apporte une assistance indirecte à

l’organisation d’une grève, avant la fin de la construction du stade qui accueillera la

cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Par cette pression, ils espèrent une

augmentation salariale de 5%.

Y2 a mis sur pied un stratagème identique. Mais pour s’adapter à ses sympathisants, c’est

plutôt le taux d’exécution des contrats qui a connu une augmentation de 30%, sans une

amélioration équivalente de la qualité des travaux ni des matériaux utilisés.

À la fin des travaux, le journaliste indépendant PY crie au scandale. Ses investigations

révèlent de graves présomptions de corruption dans tous les chantiers reliés aux Jeux

olympiques.

Les faits 1 illustrent la corruption, telle qu’elle se perçoit dans des pays en développement

ou pauvres, alors que les faits 2 illustrent les mêmes pratiques dans des pays dits riches.

On peut constater que la confusion entre la corruption et les droits de la personne se perçoit

moins dans l’État Y (pays riche) que dans l’État X (pays pauvre). Or, c’est exclusivement la

lutte contre la corruption qui intéresse la présente étude. Il faut donc isoler le droit de la

corruption des droits voisins, pour une lutte efficiente contre la corruption.

Dans cette perspective, et sous réserve de certaines hypothèses de corruption dans le secteur

privé, la grande particularité des infractions primaires1143 de corruption est qu’il s’agit des

infractions auxquelles participe – au moins – un agent public. Objectivement, il peut peser

1143 Il est considéré que les infractions de corruption dites « primaires », sont celles décrites de l’article 15 à l’article 20 de la Convention des Nations Unies contre la corruption. Elles sont dites primaires parce que leur commission ne nécessite pas l’existence préalable d’une autre infraction. Quant aux infractions de blanchiment du produit du crime et de recel, elles sont dites « secondaires », parce que leur commission exige l’existence préalable d’autres infractions. Une telle distinction ne vise pas, dans cette étude, à classer les infractions de corruption en fonction de leur gravité. Il s’agit juste de leur localisation dans le temps, de la chaîne d’exécution des infractions de corruption.

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sur le droit pénal de la corruption une présomption de partialité du poursuivant public

(ministère public). Étant lui-même un agent public, il ne serait pas assez indépendant et

impartial pour poursuivre si ce n’est lui-même, d’autres agents publics. D’où l’impression

ou le constat d’impunité, voire de la politisation des infractions relatives à la corruption.

C’est cette méfiance qui est explicitement mise en exergue dans l’article 5 de la Convention

de l’OCDE1144. Implicitement, cette méfiance est contenue dans l’article 11 paragraphe 2 de

la Convention des Nations Unies1145.

Le second élément de distinction du droit pénal de la corruption dérive de la limite objective

ci-dessus mentionnée. Que faut-il faire si la confiance du poursuivant public est perçue

comme étant minée ?

Les conventions relatives à la lutte contre la corruption apportent une réponse implicite à

cette réponse. Elles accordent une importance particulière à la poursuite privée (lanceur

d’alerte [whistleblower], ONG). Dans cette veine, c’est moins la preuve apportée par le

poursuivant privé qui compte. Il faut principalement questionner sa bonne foi. Elle devrait

être suffisante pour obliger les autorités compétentes à engager l’action pénale1146, d’où le

recours dans la pratique anticorruption actuelle aux lignes de signalement. Dans une telle

perspective, on se rend compte que la garantie d’une participation du poursuivant privé dans

la poursuite des infractions commises par des agents publics vise à apporter un certain

équilibre dans la procédure pénale relative à la lutte contre la corruption. Ce défi nécessite

d’interroger les garanties du procès équitable, telles qu’elles sont actuellement prescrites

dans les conventions internationales de protection des droits des personnes (voir infra). Pour

revenir à la question initiale, comment faire pour poursuivre, au moyen du droit international

1144 Convention de l’OCDE contre la corruption, art.5, « Les enquêtes et poursuites en cas de corruption d’un agent public étranger sont soumises aux règles et principes applicables de chaque partie. Elles ne seront pas influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause ». 1145 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.11 par.2 « Des mesures dans le même sens que celles prises en application du paragraphe 1 du présent article peuvent être instituées et appliquées au sein des services de poursuite dans les États parties où ceux-ci forment un corps distinct, mais jouissent d’une indépendance semblable à celle des juges ». 1146 Voir de ce sens, arts. 13, 33 de la convention des Nations Unies, préc, note 15.

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des droits de l’homme, les faits de corruption présumés dans les illustrations soumises à

l’étude ? Deux étapes sont nécessaires :

La première nécessite de rassembler la preuve de la corruption, alors que la seconde consiste,

au moyen des preuves collectées, à accéder à la justice. C’est dans ces étapes que les

mécanismes de protection des droits de l’homme sont susceptibles de contribuer à la lutte

contre la corruption.

6.2.1 La collecte de la preuve : le droit d’accès à l’information La corruption est un acte illicite qui engage la responsabilité personnelle de son auteur.

À partir des faits 1 et 2, il est possible à un acteur non étatique de rassembler la preuve

nécessaire à la saisine du système judiciaire. Cette collecte passe par l’accès à l’information.

Il s’agit d’un droit fondamental de la personne humaine1147. Il est encadré aussi bien dans

les conventions de protection de droits de la personne1148 que dans celles relatives à la lutte

contre la corruption1149. Il ressort ainsi, du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques, que « [toute] personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la

liberté de rechercher […] des informations1150 ». Dans cette veine, l’Observation générale

n°34 relative à cette disposition précise entre autres que :

Le paragraphe 2 de l’article 19 vise un droit d’accès à l’information détenue par les organismes publics. Cette information est constituée par des dossiers détenus par un organisme public, quelle que soit la forme sous laquelle elle est stockée, la source et la date de production1151.

Selon le Comité des droits de l’homme, les organismes publics sont, entre autres :

Tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), ainsi que toute autre autorité publique ou gouvernementale à quelque échelon que ce soit – national, régional ou local – [ou] d’autres organes qui exercent des fonctions publiques1152.

1147 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, 999 RTNU 171, art.19, para.2. 1148 Ibid. 1149 V., notamment Convention des Nations Unies, préc, note 15, art. 9 para.1a); art.10; art.12 para.3; art.13 para.1; art. 33; art.38. 1150 PIDCP, art.19 para.2. 1151 Comité des droits de l’homme, Observation générale n°34, CCPR/C/GC/34, 11-29 juillet 2011, par.18. 1152 Ibid para.7 et 18.

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Il ressort, de ce qui précède, que le droit relatif à la recherche de l’information est opposable

aux seules autorités publiques. Toute personne intéressée peut savoir, sur demande, le budget

réellement consacré à la construction de la route X1/X2 (faits 1) ou aux travaux de

construction relatifs aux Jeux olympiques (faits 2). En plus du budget, la personne intéressée

peut solliciter que les organismes publics lui fournissent la liste des différents

soumissionnaires, ainsi que les critères à partir desquels certains ont été sélectionnés. De

même, les résultats des différentes inspections réalisées par les maîtres d’ouvrage respectifs

doivent lui être communiqués. D’une façon générale, aucune information détenue par les

agents publics ne peut échapper à la personne qui en fait la demande. Ce droit d’accès à

l’information, encadré par les conventions de protection des droits de la personne, renforce

– au moyen des obligations positives des États – la finalité des conventions de lutte contre

la corruption. C’est ainsi que la Convention des Nations Unies précise que :

Compte tenu de la nécessité de lutter contre la corruption, chaque État partie prend, conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, les mesures nécessaires pour accroître la transparence de son administration publique, y compris en ce qui concerne son organisation, son fonctionnement et ses processus s’il y a lieu. Ces mesures peuvent inclure notamment :

L’adoption des procédures ou règlements permettant aux usagers d’obtenir, s’il y a lieu, des informations sur l’organisation, le fonctionnement et les processus décisionnels de l’administration publique […]. La simplification, s’il y a lieu, des procédures administratives afin de faciliter l’accès des usagers aux autorités décisionnelles compétentes […]1153.

De plus, non seulement l’information doit être donnée, elle doit également parvenir à son

destinataire dans les délais raisonnables. C’est pour cette raison qu’il ressort de la

Convention de l’UA que, chaque État partie doit adopter « les mesures législatives et autres

pour donner effet au droit d’accès à toute information qui est requise pour aider à la lutte

contre la corruption et les infractions assimilées1154 ».

Il suit de ce qui précède que l’accès à l’information est utile à la mise en mouvement de

l’action pénale. Le requérant non satisfait des suites de sa demande d’information est fondé

1153 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.10a) b). 1154 Convention de l’UA, préc, note 19, art.9.

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à saisir le système judiciaire national, voire, tout mécanisme international de protection des

droits de l’homme.

La saisine d’un mécanisme international de protection des droits de la personne ne se fondera

pas sur l’acte « corruptionnel », mais plutôt sur la norme internationale de protection des

droits de l’homme, à savoir l’accès à l’information1155. La réparation attendue du mécanisme

international de protection des droits de la personne est la délivrance, par l’État défendeur,

de l’information sollicitée. Celle-ci permettra, à la partie demanderesse, de mettre en

mouvement l’action publique pour un fait de corruption. Cette décision contribue, de façon

intrinsèque, au renforcement du système judiciaire national. Car elle permet de concurrencer

ou de compléter des investigations des autorités étatiques de poursuite à celles de tout acteur

non étatique. Une telle concurrence est favorable à une détection systématique des

infractions de corruption.

Si on peut espérer que l’organe international de protection des droits de l’homme pourrait

être sensible à la motivation de sa saisine, notamment la lutte contre la corruption, il ne

faudrait pas s’attendre, dans l’état du droit positif actuel, que sa décision soit favorable au

demandeur qui substituerait l’objet de la saisine, à savoir l’accès à l’information, à sa

motivation, qui est la lutte contre la corruption. C’est dans des conditions semblables que le

droit d’accès à la justice peut contribuer à une mise en mouvement de l’action publique.

6.2.2 L’accès à la justice : l’actualité du droit à un procès équitable Suivant la problématique analysée dans cette étude, le droit d’accès à la justice se pose en

ces termes : un poursuivant privé, après avoir collecté la preuve dans des conditions

développées au paragraphe précédent, dépose sa dénonciation auprès des autorités nationales

compétentes. De quelles voies de recours dispose le poursuivant privé qui, ayant épuisé tous

les recours disponibles au plan interne, n’a pas pu accéder au juge pénal (juge du procès)

anticorruption ? Cette question est délicate et se situe au centre, aussi bien de la lutte

systématique contre la corruption que, de l’indépendance judiciaire.

1155 PIDCP, préc, note 1145, art.10 ; Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, préc, note 336, art.9 ; Convention américaine relative aux droits de l’homme, art.13.

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En effet, telles qu’elles sont actuellement conçues dans les États contemporains, les garanties

relatives à l’indépendance judiciaire s’appliquent différemment au ministère public et au

juge. Si les garanties constitutionnelles qui s’appliquent à ce dernier soulèvent moins de

controverses1156 dans la perspective de l’indépendance judiciaire, il n’en est pas ainsi du

ministère public, dont le statut d’agent public justifie la perception de partialité et de

dépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Or, le procès pénal a deux phases principales : la

phase antérieure au procès (la poursuite) et la phase du procès proprement dite (le jugement).

La phase antérieure au procès peut aussi être qualifiée d’entrée en justice, entendue comme

la procédure qui détermine si, oui ou non, une dénonciation doit être transmise au juge du

procès. Elle est considérée, dans cette étude, comme l’étape principale de vérification de

l’indépendance judiciaire. C’est ici que se réalise la sélection des prétentions qui seront

déférées au juge, c’est-à-dire, des prétentions qui seront définitivement jugées. La distinction

entre la phase d’entrée en justice d’une part et la phase de jugement d’autre part, interroge

la direction du système ou du pouvoir judiciaire. Autrement dit, après avoir montré selon la

théorie de la différenciation fonctionnelle qu’au plan matériel, l’entrée en justice et le

jugement constituent une même activité judiciaire, il est intéressant d’identifier entre

l’autorité de la phase d’entrée en justice et celle de jugement, laquelle pourrait être

appréhendée ou perçue comme responsable du pouvoir judiciaire. La pertinence de cette

question se justifie dans la différenciation des garanties d’indépendance accordées aux

organes qui, en plus d’appartenir à un même système judiciaire, doivent être à l’origine des

décisions impartiales dans leur office respectif. Cette interrogation invite à relativiser la

pertinence des garanties constitutionnelles du juge, à défaut d’une reconnaissance des

garanties similaires au poursuivant public. Car c’est d’abord à la phase d’entrée en justice

que toutes les dénonciations de corruption sont déférées. Il s’en suit que de façon qualitative

et quantitative, c’est à cette phase du procès que se concentrent les affaires qui sont le plus

susceptibles d’éprouver l’indépendance et l’impartialité du système judiciaire. Elle aurait

1156 Cette étude tient compte de deux contextes sociaux différents. Le contexte social démocratique, dont font parties certains États de l’OCDE, et le contexte social relativement démocratique, dont font parties certains États non industrialisés. Ainsi, dans les États relativement démocratiques, les garanties relatives à l’indépendance judiciaire soulèvent les mêmes controverses autant en ce qui concerne le statut du juge que celui des membres du ministère public.

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donc dû bénéficier d’une plus forte protection. S’il existe une crainte objective de

dépendance du ministère public au système extrajudiciaire, on peut logiquement envisager

que le poursuivant public pourrait ne pas transmettre au juge (n’inculpera pas) les prétentions

pour lesquelles les garanties d’indépendance et d’impartialité du juge sont indispensables.

Or, dans sa configuration actuelle, le principe de l’indépendance judiciaire protège avec

moins de rigidité l’autorité du système judiciaire la plus exposée aux risques de dépendance

extrajudiciaire. Et paradoxalement, c’est l’autorité de jugement, celle qui est moins exposée

aux mêmes risques de dépendance extrajudiciaire que le principe de l’indépendance

judiciaire protège avec plus de rigueur. On peut donc affirmer, avec des craintes négligeables

de se tromper, que la faible protection du statut du ministère public relativise le principe de

l’indépendance judiciaire1157. Cela nous autorise, une fois de plus, à interroger les garanties

d’indépendance et d’impartialité de cet agent public, à inculper d’autres agents publics pour

corruption.

De façon précise, cette étude ne remet pas systématiquement en cause, l’indépendance et

l’impartialité du ministère public dans tout procès pénal. Toutefois, la question se pose avec

force lorsque le procès pénal concerne l’infraction de corruption, sachant qu’il s’agit d’une

infraction qui concerne prioritairement l’agent public.

Dans son temps, Montesquieu, dans sa quête d’un gouvernement modéré s’était confronté à

un dilemme similaire. En effet, dans son œuvre De l’Esprit des lois, au chapitre relatif à la

constitution d’Angleterre1158, il avait analysé la question de l’accusation dans le contexte

d’une présomption de fraude d’un agent public. Il précisa que :

Il pourrait encore arriver que quelque citoyen, dans les affaires publiques, violerait les droits du peuple, et ferait des crimes que les magistrats établis ne sauraient ou ne voudraient pas punir1159. Mais, en général, la puissance législative ne peut pas juger ; et elle peut encore moins dans ce cas particulier, où elle représente la partie intéressée, qui est le peuple. Elle ne peut donc être qu’accusatrice.1160

1157 Cf. Conséquence : le pouvoir judiciaire est-il indépendant au regard des conventions de lutte contre la corruption, aux pp.171 et s. 1158 MONTESQUIEU, préc, note 157. 1159 Le soulignement est de nous. 1160 MONTESQUIEU, préc, note 157, à la p.338.

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En analysant la réflexion de Montesquieu dans le contexte actuel, on se demande pourquoi

« les magistrats établis ne sauraient ou ne voudraient pas punir » un agent public. Cette

question est suffisante pour montrer que, dans le contexte de Montesquieu, le statut d’agent

public était susceptible de mettre en difficulté l’impartialité des magistrats. Cela montre,

par ailleurs, qu’il y a des risques de partialité lorsque le tribunal ne s’adapte pas à la

personnalité du délinquant. Cette réflexion de Montesquieu s’adapte actuellement dans la

prérogative de l’opportunité des poursuites du ministère public en matière d’activité

criminelle présumée commise par un agent public, tel le cas de corruption.

Ce constat est implicitement observé dans la quasi-totalité des conventions de lutte contre

la corruption. C’est pour cette raison qu’elles insistent pour que les organes de poursuite

jouissent de la même indépendance que les juges1161; que des personnes qui communiquent

des informations soient protégées1162; qu’il y ait des autorités spécialisées dans la lutte

contre la corruption1163; que les acteurs non étatiques s’impliquent dans la lutte contre la

corruption1164; que la prérogative de l’opportunité des poursuites soit restrictivement

encadrée1165.

À l’observation, si les conventions de lutte contre la corruption sont favorables à l’accès

des poursuivants privés au tribunal pénal, la protection de cette prérogative semble encore

fragile en droit international des droits de la personne.

En effet, aucune convention relative à la protection des droits de l’homme ne semble

encadrer le droit d’accès – du demandeur – à la justice pénale. C’est ce qui ressort des

conventions qui retiennent l’attention de cette étude.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un

1161 Convention des Nations Unies, préc, note, 15, art.11 para.2 1162 Ibid art.33 ; Convention pénale de l’Europe, art.22. 1163 Ibid art.36 ; Convention de l’UA, préc, note 19, art.20. 1164 Ibid art.13. 1165 Convention de l’OCDE, art.5.

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tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle […]1166.

La Charte africaine des droits de l’homme,

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur […]1167.

La Convention américaine des droits de l’homme,

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue avec les garanties voulues, dans un délai raisonnable, par un juge ou un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi antérieurement par la loi, qui décidera du bien-fondé de toute accusation dirigée contre elle en matière pénale […] Toute personne accusée d’un délit est présumée innocente jusqu’à ce sa culpabilité ait été légalement établie. […]1168.

La Convention européenne des droits de l’homme,

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle […]1169.

Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles1170.

Il ressort, pour l’essentiel, que l’accès à la justice est une norme prescriptive de droit

international des droits de l’homme en ce qui concerne deux catégories de personne. Le

défendeur à l’action pénale et le demandeur à la même action dont un droit explicitement

protégé, par le droit international des droits de la personne, a été violé. Tel n’est pas le cas

1166 PIDCP, art.14. 1167 Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, préc, note 336, art.7. 1168 Convention américaine relative aux des droits de l’homme, art.8. 1169 Convention européenne des droits de l’homme, art.6.1. 1170 Ibid art.13.

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de la corruption1171. Ce constat signifie-t-il qu’aucune action n’est possible en droit

international des droits de l’homme en faveur d’un demandeur à l’action pénale pour

corruption ? Trois considérations invitent à tempérer la rigidité de cette matière et fondent

l’espoir d’une évolution du droit international des droits de l’homme relativement à cette

question. Nous allons d’abord les énumérer avant de les analyser.

i- La jurisprudence du Comité des droits de l’homme et de la Cour européenne

des droits de l’homme sur le statut du ministère public.

ii- Sachant qu’à travers les mécanismes du droit international des droits de la

personne, l’accès à l’information a permis de rassembler la preuve de

l’infraction « corruptionnelle », cette preuve permet-elle de poursuivre l’État

pour manquement à ces obligations positives en matière de droits de l’homme?

iii- L’article 21 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples permet-

il de saisir les mécanismes africains de protection des droits de l’homme pour

des faits de corruption ?

i- La remise en cause de l’indépendance du ministère public par la jurisprudence des mécanismes de protection des droits de l’homme

Qu’il soit permis de préciser que cette étude pose comme hypothèse, l’incertitude de

l’effectivité du principe d’indépendance judiciaire, du fait d’une indépendance incertaine

du ministère public. Cette hypothèse est confortée au double plan théorique et pratique.

1171 Il sera vu infra que, lorsque la preuve de corruption aura été apportée par le poursuivant privé au moyen du droit d’accès à l’information, et que, malgré cette preuve, les autorités compétentes n’engagent aucune poursuite, le poursuivant privé – qui a mis en évidence (par la preuve) le lien de causalité entre la corruption et la violation des droits de l’homme – sera fondé à saisir les mécanismes de protection des droits de la personne pour deux motifs : d’abord le droit violé par le refus de sanctionner la corruption et, ensuite, l’obligation positive qui incombe aux États de respecter, de protéger, de promouvoir et de réaliser les droits de l’homme (art.2 PIDCP, voir aussi Observation générale n°31 du Comité des droits de l’homme et art.3 para.2 CADHP).

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317

Au plan théorique, la théorie de la différenciation fonctionnelle de Niklas Luhmann invite

à constater que la décision prise, par le juge du fond et par le ministère public, se réalise

suivant le processus judiciaire1172.

Au plan pratique, les auteurs sont unanimes pour reconnaître que le ministère public exerce

des fonctions quasi-judiciaires qui lui imposent un devoir d’impartialité1173. Or, il est

soutenu dans cette étude que si le juge du fond et le ministère public réalisent le même type

de communication, identifiable à travers le processus judiciaire, ou s’ils exercent des

fonctions similaires qui sont quasi-judiciaires pour le second et judiciaires pour le premier,

ou encore si on attend d’eux une même attitude qui est l’impartialité, on devrait garantir

une identique protection à leur statut respectif. À défaut d’arrimer le statut du ministère

public à celui du juge, cet organe de poursuite ne devrait pas avoir le monopole de

l’opportunité des poursuites. Dans un souci d’équité du procès, il devrait être concurrencé

dans cette prérogative, afin que seule l’autorité ayant des garanties nécessaires

d’impartialité et d’indépendance soit le juge, aussi bien de l’entrée en justice, que du

procès. C’est dans une logique similaire qu’il est possible de lire avec constance, la

jurisprudence du Comité des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de

l’homme.

S’agissant d’abord du Comité des droits de l’homme, il avait été saisi, par un particulier,

au motif de la violation par l’État défendeur de l’article 9 paragraphe 3 du Pacte

international relatif aux droits civils et politiques aux termes duquel : « [tout] individu

arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant

un juge ou une autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires […] ». Dans

1172Toutes les procédures judiciaires se construisent à partir d’une différenciation des rôles qui garantit que ce ne seront pas les personnes concernées elles-mêmes qui décideront. Il y a ainsi, dans ces procédures, deux rôles principaux : les décideurs et les destinataires de la décision. Dans l’accomplissement de leurs rôles respectifs, les destinataires de la décision s’accordent réciproquement carte blanche pour s’opposer entre eux sans que cela ne vienne influencer l’issue du conflit. Quant au décideur, il doit être exclu de la présentation puisque la décision doit apparaître comme une conclusion tirée des normes et des faits. 1173 P. BÉLIVEAU et M. VAUCLAIR, préc, note 322, aux pp.98 et s.

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cette affaire, le demandeur avait été conduit non pas devant un juge, mais devant un

membre du ministère public. Ceci avait amené le Comité à constater que :

Le comité rappelle, en premier lieu, qu’un élément inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire est qu’il doit être assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions à traiter. Il estime en outre que le Procureur général ne peut être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’« autorité habilité à exercer des fonctions judiciaires » au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Dans ces circonstances, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits garantis par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte1174.

C’est dans des circonstances factuelles similaires que la Cour européenne des droits de

l’homme s’est prononcée – en France – sur le statut du ministère public, relativement à la

mise en œuvre de l’article 5 paragraphe 31175 de la Convention européenne des droits de

l’homme. Pour cela,

La Cour constate tout d’abord que si l’ensemble des magistrats de l’ordre judiciaire représente l’autorité judiciaire citée à l’article 66 de la Constitution, il ressort du droit interne que les magistrats du siège sont soumis à un régime différent de celui prévu pour les membres du ministère public. Ces derniers dépendent tous d’un supérieur hiérarchique commun, le garde des sceaux, ministre de la Justice, qui est membre du gouvernement, et donc du pouvoir exécutif. Contrairement aux juges du siège, ils ne sont pas inamovibles en vertu de l’article 64 de la Constitution. Ils sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques au sein du Parquet, et sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice. En vertu de l’article 33 du code de procédure pénale, le ministère public est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44 du même code, même s’il développe librement les observations orales qu’il croit convenables au bien de la justice.

[…] la cour considère que, du fait de leur statut ainsi rappelé, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l’impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat » au sens de l’article 5§3. […] Or la Cour rappelle que les garanties d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties excluent notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale […]1176.

1174 Yuri Bandajevsky c. Bélarus, CCPR/C/86/D/1100/2002, 18 avril 2006, para.10.3. 1175 CEDH, art.5 para.3, « [toute] personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. […] ». 1176 Moulin c. France, n°37104/06, CEDH, 23 novembre 2010, paras. 55-58. Voir dans le même sens, Medvedyev et autres c. France [GC], n°3394/03, CEDH, 29 mars 2010.

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La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de

l’homme met en exergue trois considérations, dont deux intéressent la présente étude1177.

D’abord, les mécanismes de protection des droits de la personne s’intéressent à la

conception matérielle de la fonction judiciaire et non à une conception formelle. Il ressort

ensuite de cette conception que toute autorité ayant une dénomination autre que celle de

juge doit être soumise au même régime statutaire que celui de juge, chaque fois qu’elle est

appelée à exercer des fonctions judiciaires ou des fonctions dites quasi-judiciaires. Pour

que cette jurisprudence serve les intérêts de la lutte contre la corruption, encore faut-il se

demander si la décision relative à l’opportunité des poursuites, à l’inculpation ou à l’entrée

en justice, c’est-à-dire, la décision qui consiste à déférer ou non un suspect au juge du

procès peut, matériellement, être qualifiée de décision judiciaire. Autrement dit, cette

décision est-elle matériellement semblable à celle du juge du fond ?

Toutes les hypothèses envisagées dans cette étude s’accordent pour une réponse positive à

cette question. Il en est ainsi, notamment, du schéma 2, de la théorie de la différenciation

fonctionnelle de Niklas Luhmann et celle de la différenciation sociale de Martine Valois,

de Pierre Béliveau et Martin Vauclair, des analyses relatives à l’article 5 de la Convention

de l’OCDE. Il est, dès lors, possible d’affirmer avec force que la décision de poursuivre ou

non (l’opportunité des poursuites) est une activité qui relève d’une fonction

substantiellement judiciaire.

Si l’appréciation de l’opportunité des poursuites relève d’un processus judiciaire, que les

garanties d’indépendance et d’impartialité de l’auteur de ce processus souffrent d’un déficit

d’objectivité, alors, on peut déduire que l’opportunité des poursuites souffre, à son tour,

d’un déficit de légitimité. Cette incertitude sur l’objectivité de l’appréciation de

l’opportunité des poursuites mine l’équité du procès. Par conséquent, toute personne qui

a rassemblé la preuve de corruption, mais dont la dénonciation a été rejetée ou classée

1177 La considération, mise en exergue par la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’intéresse pas la présente étude est le principe de la séparation des fonctions de justice répressive. Selon ce principe, chaque phase du procès pénal doit être administrée par une autorité différente, dont la garantie d’impartialité par rapport aux parties se fonde sur sa non-participation aux phases antérieures du même procès.

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sans suite, par le ministère public, est fondée à saisir les mécanismes de protection des

droits de la personne sur le fondement d’atteinte au droit à un procès équitable. En pareille

circonstance, la réparation attendue par le demandeur est la saisine d’une autorité

indépendante et impartiale pour statuer sur l’opportunité des poursuites. Il est permis

d’affirmer qu’une telle démarche renforce, au plan interne, les garanties relatives à

l’indépendance et à l’impartialité du pouvoir judiciaire. Or, des garanties relatives au

procès équitable emportent d’autres conséquences, notamment financières (voir infra, à la

page 321).

Au-delà des garanties relatives au procès équitable, on peut également se demander si,

après avoir collecté la preuve de l’activité « corruptionnelle », celle-ci peut constituer un

lien de causalité qui autorise une connexion possible entre la corruption et la violation des

droits de la personne.

ii- La corruption : une violation de l’obligation positive à respecter les droits

de la personne

Il est nécessaire de rappeler qu’en l’état actuel du droit positif, la corruption ne constitue

pas une violation des droits de l’homme suivant le principe nullum crimen sine lege. C’est

la raison pour laquelle il n’est pas possible de saisir un mécanisme de protection des droits

de l’homme pour corruption (la question sera discutée infra en iii).

Toutefois, au regard des faits 1 mentionnés supra, on ne peut nier que si les actes de

corruption sont distincts de la violation du droit à la vie (accident de circulation pour route

défectueuse), du droit à la santé (épidémie de choléra), etc., la corruption (détournement

du budget relatif à la construction de la route X1-X2) suscite et aggrave la violation desdits

droits. Ou encore, on ne peut pas nier que sans la corruption, les populations de la localité

X1 auraient des meilleures conditions de vie. Elles ne seraient plus exposées aux violations

de leurs droits fondamentaux. En droit international des droits de l’homme, cette

problématique est prise en compte par l’article 2 du Pacte international relatif aux droits

civils et politiques. Il y ressort que :

1. Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte […]

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2. Les États parties au présent Pacte s’engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur.

3. Les États parties au présent Pacte s’engagent à :

Garantir que toute personne dont les droits reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ;

Garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’État, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et à développer les possibilités de recours juridictionnel ;

Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié1178.

Cette disposition est susceptible d’être mise en œuvre par toute personne intéressée à

dénoncer les faits relatifs à la corruption dans les États X et Y de deux façons :

- d’une part, à travers des preuves collectées, elle devra établir un lien de causalité

entre la corruption et un droit expressément garanti par des mécanismes de

protection des droits de la personne;

- d’autre part, cette personne devra établir que le refus d’accorder une suite

satisfaisante à sa dénonciation constitue une violation de l’article 2 suscité.

De toutes les façons, la première alternative semble être une description factuelle, alors

que la seconde est juridique, parce que les États X et Y n’auront pas mis en mouvement

l’action publique pour des faits de corruption dénoncés. Cette abstention est

constitutive du lien de causalité entre la corruption et l’obligation positive de l’État

partie aux Conventions de protection des droits de la personne, de respecter et de

garantir les droits fondamentaux des personnes se trouvant sur leur territoire.

En effet, il ressort de l’Observation générale n°31 que :

Les États parties ne pourront pleinement s’acquitter de leurs obligations positives […] de garantir les droits reconnus dans le Pacte que si les individus

1178 PIDCP, art.2.

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322

sont protégés par l’État non seulement contre les violations de ces droits par ses agents, mais aussi contre des actes commis par des personnes privées, physiques ou morales, qui entraveraient l’exercice des droits énoncés dans le Pacte dans la mesure où ils se prêtent à une application entre personnes privées, physiques ou morales. Dans certaines circonstances, il peut arriver qu’un manquement à l’obligation énoncée à l’article 2 de garantir les droits reconnus dans le Pacte se traduise par une violation de ces droits par un État partie si celui-ci tolère de tels actes ou s’abstient de prendre des mesures appropriées ou d’exercer la diligence nécessaire pour prévenir et punir de tels actes commis par des personnes privées, physiques ou morales, enquêter à leur sujet ou réparer le préjudice qui en résulte en sorte que lesdits actes sont imputables à l’État concerné. […] qu’il existe un lien entre les obligations positives découlant de l’article 2 et la nécessité de prévoir des recours utiles en cas de violation, conformément au paragraphe 3 de l’article 21179.

En clair, l’obligation générale encadrée à l’article 2 du PIDCP oblige l’État, défendeur, à

enquêter sur la dénonciation de corruption. C’est aussi dans ce sens qu’il convient de lire

l’article 30 de la Convention des Nations Unies relative aux poursuites judiciaires,

jugement et sanctions. L’office des Nations Unies contre la drogue et le crime précise à cet

effet que :

Dans certains États Parties, il existe des lois ou règlements qui prescrivent comment les magistrats du parquet doivent s’acquitter de leur pouvoir discrétionnaire […] ces lois ou directives comportent des clauses aux termes desquelles un procureur peut renoncer à ouvrir des poursuites lorsque celles-ci ne seraient pas dans “l’intérêt public”. En pareil cas, les États Parties voudront peut-être envisager soit d’éviter des termes aussi généraux soit, s’ils décident d’accorder de tels pouvoirs discrétionnaires, de les préciser en énonçant et en rendant public les critères à prendre en considération pour que les facteurs pris en compte pour parvenir à une telle conclusion apparaissent clairement. […] Les États Parties voudront peut-être envisager d’exiger que le procureur motive sa décision de clore l’affaire ou de déclarer le non-lieu pour que les motifs invoqués puissent faire l’objet d’un examen interne ou externe approprié. […] les procureurs devraient informer les plaignants de l’issue de l’enquête et de leur décision d’entamer ou non des poursuites1180.

Il en est ainsi, a fortiori, lorsqu’une telle dénonciation fait suite à une preuve établie,

conformément à la mise en œuvre du droit d’accès à l’information. Dans ce cas, la

réparation attendue – par l’auteur de la communication adressée au comité des droits de

l’homme – devra conduire à l’ouverture d’une enquête. Celle-ci devra permettre

1179 Comité des droits de l’homme, Observation générale n°31. La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, 26 mai 2004, para.8. 1180 ONUDC, Guide technique de la Convention, préc, note 17, à la p.100.

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d’identifier tous les auteurs présumés de corruption afin qu’ils soient déférés au juge du

procès. Ceci mettrait un terme aux violations des droits subies par les populations, du fait

de la corruption.

Une fois de plus, la saisine du mécanisme de protection des droits de la personne ne sera

pas fondée sur la corruption1181, mais sur le lien de causalité entre la corruption et la

violation des droits protégés par le droit international des droits de la personne. Il s’agit, en

l’espèce, de l’obligation générale selon laquelle l’État doit respecter et garantir les droits

de la personne.

S’il ressort de ce qui précède qu’il est difficile, voire impossible, de saisir un mécanisme

de protection des droits de la personne pour des faits de corruption – en vertu du principe

nullum crimen sine lege – cette assertion présente un enthousiasme inverse relativement à

une certaine interprétation de l’article 21 de la Charte africaine des droits de l’homme et

des peuples.

iii- La spoliation des peuples : un crime de corruption ?

Il convient de relever que la libre disposition des ressources naturelles, sous l’empire de

laquelle la spoliation des peuples se réalise, n’est pas une nouveauté de la Charte africaine

des droits de l’homme et des peuples. En effet, selon l’article 1er commun aux deux Pactes

internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques sociaux et

culturels,

Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.

Les États parties au présent pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non automnes et des territoires sous tutelle, sont

1181 Observation générale n°31, préc, note 1179, « […] les obligations générales énoncées au paragraphe 1 de l’article 2 […] n’ont pas en droit international un effet horizontal direct. Le Pacte ne saurait se substituer au droit civil ou pénal national ».

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tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies1182.

Cependant, malgré le caractère contractuel de ces deux Pactes, la doctrine observe que cette

disposition a un effet moins contraignant dans les instruments onusiens que dans la Charte

africaine car, « [si] selon les Pactes, les peuples “peuvent disposer librement” de leurs

richesses et ressources naturelles, ce qui n’est qu’une éventualité devient dans la Charte

africaine un droit qui “s’exerce”1183 ». Quelle est la teneur de ce droit ?

Selon les dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples,

Les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Ce droit s’exerce dans l’intérêt exclusif des populations. En aucun cas, un peuple ne peut en être privé.

En cas de spoliation, le peuple spolié a droit à la légitime récupération de ses biens ainsi qu’à une indemnisation adéquate.

La libre disposition des richesses et des ressources naturelles s’exerce sans préjudice de l’obligation de promouvoir une coopération internationale fondée sur le respect mutuel, l’échange équitable, et les principes du droit international.

[…]1184.

La question qui se pose, relativement à l’article 21 de la Charte, est de savoir comment la

spoliation des peuples s’assimile-t-elle à la corruption? Peut-elle fonder la saisine des

mécanismes africains de protection des droits de l’homme pour corruption?

Pour répondre à ces questions, certains auteurs, stimulés par la jurisprudence récente de la

Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, concluent à un lien implicite

entre l’article 21 et la corruption. C’est notamment le cas de Kolawole Olaniyan, pour qui,

« clearly, Article 21 does not refer explicitly to corruption. […] it implicitly prohibits

1182 PIDCP et PIDESC, art.1er. 1183 Ahmed MAHIOU, « article 21§3 », dans Maurice KAMTO (dir.), La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le protocole y relatif portant création de la Cour africaine des droits de l’homme. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2011, à la p.552. 1184 Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, préc, note 336, art.21.

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corruption in some ways and can potentially be use to combat it1185». Pour mieux étayer

son assertion, il précise que

Because it directly and arbitrarily deprives peoples of their wealth and natural resources, it is difficult to deny that corruption breaches the content, intent, object, and purpose of Article 21, and indeed all the provisions of the African Charter. The effects of corruption are that it not only deprives peoples of their right to freely dispose of their wealth and natural resources for their own benefit, but it also causes serious injuries and harms to the people – individuals and communities – especially the economically and socially vulnerable, and reflects violations of other human and people’s rights guaranteed by the charter1186.

En clair, si Kolawole Olaniyan reconnaît que l’article 21 ne se réfère pas explicitement à

la corruption, il conclut à une prescription implicite de la corruption par cette disposition,

dans la mesure où la corruption et la spoliation des ressources naturelles ont des effets

similaires sur leurs victimes. Ce raisonnement est susceptible de trouver un fondement

logique dans la jurisprudence de la Commission africaine des droits de l’homme et des

peuples, relativement aux affaires Social and Economic Rights Action Center and Center

for Economic (SERAC) and Social Rights vs. Nigeria1187 et Centre for Minority Rights

Development et Minorority Rights Group vs. Kenya1188.

Dans la première affaire, la Commission africaine avait conclu à la violation de l’article

21 ; au motif que le Gouvernement nigérian n’avait pas pris la diligence due pour protéger

le peuple Ogoni de l’exploitation et de la destruction de ses ressources naturelles. Dans le

second cas, la Commission aboutissait à la même conclusion, parce que le peuple Endorois,

du Kenya, n’avait pas bénéficié de l’indemnisation et de la restitution adéquate consécutive

à l’exploitation de son espace vital.

Si les arguments développés par Kolawole Olaniyan et la jurisprudence de la Commission

africaine des droits de l’homme et des peuples sont pertinents, ils n’emportent pas

l’adhésion de cette étude. Pour la présente thèse, lutter systématiquement contre la

1185 Kolawole OLANIYAN, Corruption and Human Rights Law in Africa, Oxford and Portland, Oregon, Hart Publishing, 2014, à la p.297. 1186 Ibid à la p 306. 1187 155/96 Social and Economic Rights Action Center (SERAC) and another vs. Nigeria, 27 octobre 2001. 1188 276/2003 Centre for Minority Rights Developpement (Kenya) and Minority Rights Group International on behalf of Endorois Welfare vs. Kenya.

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corruption nécessite que le droit de la corruption soit différencié et distingué des droits

voisins. Toute confusion entre la corruption et ces droits entraînera l’effet inverse. On

aboutira à l’engorgement des mécanismes de protection des droits de la personne et au rejet

des actions fondées sur la corruption en application du principe nullum crimen sine lege.

En effet, l’analyse de l’article 21 montre que la spoliation des ressources naturelles, telle

qu’elle est actuellement encadrée dans la Charte africaine, ne peut fonder la saisine des

mécanismes de protection des droits de l’homme pour des faits de corruption. De plus, cet

article ne peut fonder la saisine du mécanisme africain de protection des droits de l’homme

par un demandeur autre que l’État souverain postcolonial. Le tableau ci-dessous rend

compte des déterminants respectifs de ces faits illicites.

Schéma 3 Distinction entre la corruption et la spoliation des peuples1189

Auteur Victime Opportunité Actus reus Mobile Preuve

Spoliation des peuples (art.21 CADHP)

Personne morale (privée ou publique)

Peuple Entité sous domination extranationale1190

Colonisation Occupation Contrôle des biens du territoire occupé

Transfert des biens de la collectivité dominée vers la personne morale dominante

Enrichissement de la personne morale extranationale

Ouverte (acte de possession de facto ou de jure)

Corruption Personne privée1191 (physique ou morale)

Citoyens État souverain

Gestionnaire Acquisition personnelle d’un bien commun

Enrichissement personnel ou à des fins privées

Opaque

En effet, la différence entre la corruption et la spoliation des peuples réside dans les

caractéristiques respectives de chaque acte illicite, telles qu’elles sont diffuses dans le

contexte social qui a suscité leur encadrement dans l’ordre juridique international. C’est à

ce titre que s’agissant de la spoliation des peuples de l’article 21, la Commission africaine

des droits de l’homme, dans l’affaire SERAC, relève que

1189 Conséquence de la distinction : même de façon implicite, ces deux faits illicites ne peuvent être comparés. Il s’en suit que la répression de la spoliation obéit à une modalité politique, alors que celle de la corruption relève du domaine juridique ; même s’il peut être vérifié que l’ordre politico-administratif est nécessaire à la prévention de la corruption. 1190 Le caractère extranational montre que l’occupant ne partage ni la même histoire, ni le même dessein que le peuple (spolié) dont le territoire est occupé. 1191 Il faut considérer l’agent public comme étant une personne privée, puisque la corruption ne vise pas l’intérêt public.

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L’origine de cette disposition [article 21] peut remonter au colonialisme, période durant laquelle les ressources matérielles et humaines de l’Afrique ont été largement exploitées au profit de puissances étrangères, créant ainsi une tragédie pour les Africains eux-mêmes, les privant de leurs droits inaliénables et de leurs terres. Les conséquences de l’exploitation coloniale ont laissé les populations et les ressources précieuses de l’Afrique encore vulnérables au détournement étranger. Les rédacteurs de la Charte africaine voulaient manifestement rappeler aux gouvernements africains l’héritage douloureux du continent et ramener le développement économique coopératif à sa place traditionnelle, c'est-à-dire au cœur de la société africaine1192.

Cette perspective est autant conforme à l’article 21 de la Charte africaine qu’à l’article 1er

commun aux deux Pactes internationaux de 1966. Il semble donc logique d’adhérer à

l’analyse suivant laquelle « […] la Charte africaine tant dans son esprit que dans sa lettre

concevait les peuples en termes de peuple État au détriment des peuples-ethnie ou des

peuples-tribu1193 ». Cette précision permet de faire deux commentaires en lien avec la

référence implicite de l’article 21 à la corruption et, relativement à la jurisprudence de la

Commission africaine des droits de l’homme suscitée.

S’agissant du premier commentaire, assimiler la spoliation à la corruption revient à dire

que le peuple se spolie lui-même. Ce qui est absurde. L’agent public, auteur de corruption,

dérive du peuple qui s’est libéré de la puissance étrangère. La première distinction entre la

corruption et la spoliation réside dans l’origine (nationale) de l’auteur de chaque acte

illicite. La spoliation est commise par des auteurs non membres du peuple spolié. Ce

peuple, autrement qualifié de nation n’est pas souverain, ce qui rend difficile toute action

légale contre la spoliation au plan interne. Par contre, supposer la spoliation dans les États

souverains paraît déraisonnable. En effet, les citoyens qui se sont substitués au peuple

peuvent combattre cette spoliation interne de deux manières : en choisissant d’autres

dirigeants en lieux et places des dirigeants corrompus (spolieurs), et en traduisant des

auteurs présumés de corruption (spoliation) devant les tribunaux étatiques. Il semble donc

difficile qu’un État souverain postcolonial puisse convoquer, de nos jours, la spoliation de

ses ressources naturelles. Cette accusation ne peut être crédible que si l’État demandeur

1192 Affaire SERAC, préc, note 1187, para.56. 1193 Jean-Claude TCHEUWA, « article 21§2 », dans Maurice KAMTO (dir.), La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le protocole y relatif portant création de la Cour africaine des droits de l’homme. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2011, à la p.541.

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328

fait la preuve qu’il a perdu, de facto, pendant une période déterminée, une partie ou la

totalité de sa souveraineté. À défaut d’une telle hypothèse, la spoliation ne peut être

convoquée que par un État défaillant, c'est-à-dire, un État au sein duquel les citoyens ne

peuvent ni choisir librement leurs dirigeants, ni traduire des auteurs présumés d’infractions

devant les tribunaux. Dans ce cas, la lutte contre la spoliation des peuples relève des

hypothèses d’autres sciences que le droit. Cette solution est similaire à l’hypothèse émise

par Fatsah Ouguergouz lorsqu’il soutient que la spoliation dans le contexte d’un État

souverain relève « de la mauvaise gestion du mandat confié par le peuple à son État1194 ».

En ce qui concerne le second commentaire relatif à la jurisprudence de la Commission

africaine, il faut préciser que si elle [jurisprudence] ne concerne pas fondamentalement le

sujet de la présente étude, elle est susceptible de soutenir une possible assimilation de la

spoliation des peuples à la corruption. Dans les faits, elle soulève deux difficultés d’ordre

juridique. L’une est relative à sa saisine sous le fondement de l’article 21 et, l’autre à la

motivation de sa décision.

En effet, si le peuple, tel qu’il est compris dans l’article 21, renvoie exclusivement à un

peuple État, on peut en déduire que seul un État souverain est sujet de droit à la libre

disposition des ressources naturelles et, donc, seul compétent pour saisir la Commission

africaine sur le fondement de l’article 21. Car,

[L]e droit de libre disposition des ressources naturelles, corollaire du droit à l’autodétermination externe, ne peut avoir que le même sujet de droit. Par conséquent […] il est difficilement concevable qu’une ethnie puisse disposer librement – et donc jouisse exclusivement – des ressources naturelles sises sur son territoire de rattachement1195.

Or, recevoir la communication d’une communauté autochtone nationale ou d’une minorité

ethnique fait peser sur les États africains – compte tenu du principe de l’uti possidetis

1194 Fatsah OUGUERGOUZ, La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Une approche juridique des droits de l’homme entre tradition et modernité, Paris, Puf, 1993, à la p.182. 1195 Ibid à la p.183.

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329

juris1196 – une menace à l’unité nationale1197. Cette observation permet d’interroger la

nécessaire distinction entre les problématiques relatives aux droits des peuples (article 21)

et celles concernant, entre autres, le droit des minorités ethniques, le droit des populations

autochtones, le droit de l’environnement etc. Cette interrogation se pose avec plus d’acuité

lorsque la motivation de la décision de la Commission africaine cible des obligations

différentes à ses conclusions. En effet, avant de conclure que l’État du Nigeria a violé

l’article 21 de la Charte, les commissaires soutiennent que,

[…] dans le cas présent, malgré l’obligation dans laquelle il se trouvait de protéger les personnes contre les entraves à la jouissance de leurs droits, le gouvernement nigérian a facilité la destruction [du pays Ogoni]. Contrairement aux obligations de la Charte [africaine] et en dépit de tels principes internationalement reconnus, pour affecter de manière considérable le bien-être des Ogoni. Si l’on utilise n’importe quelle mesure de normes, sa pratique n’atteint pas la conduite minimum que l’on attend des gouvernements et est, par conséquent, en violation des dispositions énoncées dans l’article 21 de la Charte africaine1198.

La lecture de cet extrait montre que, contrairement à la conclusion retenue, notamment la

violation de l’article 21 de la Charte, il est reproché à l’État du Nigeria d’avoir manqué à

l’obligation générale qui incombe aux États de protéger les droits de l’homme (article 3

paragraphe 2). C’est dans une approche similaire que, dans la condamnation de l’État

Kenya pour violation du même article 21, il n’est pas évident d’isoler clairement, dans la

motivation de la Commission africaine, la spoliation du droit de propriété1199.

1196 Voir dans un sens analogue, Ibid aux pp.170-171, « Pour résumer notre propos on dira que l’environnement politico-juridique de la Charte Africaine plus que son texte milite en faveur d’une interprétation stricte du principe d’autodétermination énoncé par l’article 20. Dans sa dimension externe, celui-ci ne viserait donc que les seuls peuples encore sous domination coloniale ou raciale. En ce qui concerne les États africains indépendants, l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne saurait concerner que le peuple-État ; celui-ci s’imposera au détriment de l’ethnie même si pour cette dernière tout espoir n’est pas totalement interdit ». 1197 Dominique ROSENBERG, « article 21§1 », dans Maurice KAMTO (dir.), La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le protocole y relatif portant création de la Cour africaine des droits de l’homme. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2011, à la p.532. 1198 Affaire SERAC, préc, note 1187, para.58. 1199 Centre for Minority Rights Developpement (Kenya), préc, note 1186, para.256, « […] La Commission africaine, toutefois, mentionne des cas dans le système interaméricain des droits de l’homme pour éclairer cet aspect de la loi. La Convention américaine n’a pas d’équivalent à l’article 21 de la Charte africaine relative au droit aux ressources naturelles. Elle assimile donc le droit aux ressources naturelles au droit à la propriété (article 21 de la Convention de l’OEA) […] ».

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330

Au regard de ce qui précède, il est retenu, dans cette étude, que même si la spoliation des

peuples et la grande corruption sont susceptibles de produire les mêmes effets sur les

peuples et les citoyens, on ne peut pas les confondre. Par conséquent, à moins d’une

relecture de l’article 21 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, on ne

peut efficacement saisir – sur le fondement de cette disposition – les mécanismes africains

de protection des droits de l’homme pour des faits allégués de corruption.

D’une façon générale, l’actualité du droit à un procès équitable invite à questionner à –

titre principal – l’indépendance et l’impartialité du ministère public. Ce questionnement

autorise d’autres mécanismes de poursuite, afin que seul un juge indépendant et impartial

garantisse l’objectivité des poursuites. La résistance des États parties, aux différentes

conventions de lutte contre la corruption, à cette suggestion est susceptible d’être mise en

échec par des mécanismes de protection des droits de l’homme. Ceci sur le fondement du

manquement de l’État défendeur à ses obligations à respecter, à protéger, à garantir et à

mettre en œuvre les droits de l’homme. Une telle initiative ne sera couronnée de succès

que si le demandeur a préalablement mis en évidence le lien de connexion entre la

corruption et la violation d’un droit fondamental, au moyen du droit d’accès à

l’information. Une lecture attentive du processus qui conduit le poursuivant privé à saisir

le juge international des droits de l’homme, pour constituer la preuve de corruption au

moyen du droit d’accès à l’information, montre que l’action pénale du demandeur n’a pas

été reçue en droit interne, voire en droit transnational. Toute chose qui montre que la

perspective d’une actualité du procès équitable ne peut être réaliste que si certaines

garanties financières sont accordées au poursuivant privé.

6.2.3 Les garanties financières de la poursuite privée : de l’utopie à l’effectivité du droit à un procès équitable

Suivant l’agencement logique retenu dans ce chapitre, la présente section aurait dû être un

sous paragraphe de la section 6.2.2 L’accès à la justice : l’actualité du droit à un procès

équitable. Elle est conçue comme une section automne pour deux raisons. La première est

relative à la prépondérance réservée à la poursuite privée, dans cette étude, en tant

qu’alternative à l’indépendance judiciaire. La seconde est liée à la réserve que cette thèse

fait au sujet de l’article 51 de La Convention des Nations Unies, aux termes duquel « la

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331

restitution d’avoirs en application du présent chapitre est un principe fondamental de la

présente Convention ».

Au plan substantiel, la garantie financière de la poursuite privée, entendue comme une

garantie du droit à un procès équitable se fonde tantôt sur le droit international des droits

de l’homme, tantôt sur les incertitudes perçues dans le chapitre V de la Convention des

Nations Unies relatif au recouvrement d’avoirs.

En effet, il se déduit de l’analyse de la jurisprudence relative au statut du ministère public

que toute personne qui a rassemblé la preuve de corruption, mais dont la dénonciation a

été rejetée ou classée sans suite par le ministère public est fondée à saisir les mécanismes

de protection des droits de la personne, sur le fondement d’atteinte au droit à un procès

équitable. Or, le rétablissement de l’équité du procès ne peut se limiter au seul accès du

poursuivant privé à la justice, sans que cet accès ne s’accompagne de toutes les garanties

substantielles liées au procès équitable, telle la garantie financière. En effet, il ressort du

PIDCP que,

Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes […] à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer1200.

S’il est vrai que les garanties procédurales de l’article 14 du PIDCP ne s’appliquent qu’au

défendeur à l’action pénale, ces mêmes garanties devraient aussi s’appliquer à toutes les

personnes dont l’action pénale sera jugée recevable. C’est ce qui ressort de l’analyse que

certains auteurs ont fait de l’article 6, relatif au droit à un procès équitable, de la Convention

européenne des droits de l’homme. Selon eux,

[…] dès lors que la constitution de partie civile [poursuivant privé] est prévue par la loi, les règles de l’article 6 CESDH devraient bénéficier à la partie civile, non seulement pour garantir son accès au juge, mais tout au long du procès pour assurer qu’il soit équitable à son égard même si certaines adaptations peuvent apparaître nécessaires afin de tenir compte du cadre pénal dans lequel s’exerce alors son action et, notamment, de la présence

1200 PIDCP, art.14 para.3d).

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332

du ministère public, souvent allié de la partie civile, mais, parfois aussi, adversaire de celle-ci1201.

Qu’il soit permis de rappeler que la garantie financière au bénéfice de la poursuite privée

est d’autant plus indispensable qu’il s’agit d’une procédure longue et couteuse. En effet, le

poursuivant privé doit collecter la preuve qui établit le lien de connexion entre la corruption

et la violation d’un droit fondamental. Il doit, ensuite, saisir le juge répressif national ou

contribuer à la saisine d’un juge étranger. Il doit, enfin, épuiser les voies de recours interne

avant la saisine éventuelle d’un mécanisme de protection des droits de l’homme. Toutes

ces étapes sont nécessaires à la garantie de l’indépendance et de l’impartialité des

juridictions nationales. En même temps, elles sont financièrement couteuses. Sans ce

financement, la poursuite privée est impossible et la solution de l’indépendance judiciaire

par des poursuites concurrentes à celles du ministère public demeure une simple utopie.

Par conséquent, la détection et la répression de la corruption deviennent problématiques.

Or, en droit pénal, on ne peut négliger les fins préventives de la sanction pénale. Cette

analyse pose la problématique de la véritable finalité des conventions de lutte contre la

corruption, notamment celle des Nations Unies.

En effet, considérant que le préambule est la partie du texte normatif qui contient ses

motifs, donc sa raison d’être, ce pour quoi il existe, on observe que les trois préoccupations

suivantes sont au centre de la Convention des Nations Unies:

- La corruption est une menace pour les valeurs et les institutions démocratiques ;

- Il y a un lien inévitable entre la corruption et les formes de criminalité suivantes :

la criminalité organisée, la criminalité économique et le blanchiment d’argent ;

- La corruption est une menace à la stabilité politique et économique des États.

On est en droit de se demander si la meilleure solution à ces préoccupations réside dans la

restitution des avoirs. Autrement dit, dans quelle mesure l’élection de la restitution des

avoirs, en principe fondamental, résout la problématique de la corruption ? Il est d’autant

plus difficile de répondre à cette question qu’il n’est pas aisé de vérifier la pertinence

scientifique du principe fondamental qui se dégage de la restitution d’avoirs. Car « ce

1201 F. DESPORTES et L. LAZERGES-COUSQUER, préc, note 631, à la p.254.

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dispositif ne permet pas de garantir que les avoirs restitués puissent contribuer au

développement de la population victime et ne soient pas de nouveau détournés1202 ». De

même, il n’est pas possible de déterminer la pertinence du recouvrement des avoirs dans la

lutte contre la corruption.

Par ailleurs, il ressort de l’observation, que la réception de l’article 51, en droit interne,

génère des finalités politiques qui peuvent être en contradiction avec les objectifs d’une

lutte systématique contre la corruption. Il en est ainsi, par exemple, du paragraphe 35 de la

Directive du Parlement européen, au sujet de la confiscation des produits du crime (France)

et, de la loi canadienne sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus.

Dans le premier cas, la Directive dispose que :

Les États membres devraient envisager de prendre des mesures permettant que les biens confisqués soient utilisés à des fins d’intérêt public ou pour des finalités sociales. Ces mesures pourraient, entre autres, inclure l’affectation de ces biens à des projets en matière d’application des lois et de prévention de la criminalité, ainsi qu’à d’autres projets d’intérêt public et d’utilité sociale […]1203.

Dans le second cas, il ressort du texte canadien que la prise du décret ou du règlement pour

saisir, bloquer ou mettre sous séquestre les biens d’origine illicite peut tenir compte, entre

autres, de « l’intérêt des relations internationales1204 ».

Il ressort de ces dispositions que des incertitudes sur des fins objectives de l’article 51 de

la Convention des Nations Unies génèrent, au plan interne, des dispositions contradictoires

au principe de la souveraineté étatique. L’État à qui des biens volés ont été restitués devrait

avoir la libre disposition de ses biens conformément à l’article 1er commun aux PIDCP et

PIDESC et à l’article 21 de la CADHP. Toutefois, la véritable difficulté omise par les

différents instruments de lutte contre la corruption est celle qui a été mise en exergue par

Transparency International France et Sherpa : comment garantir que les avoirs restitués

1202 Transparency International France et Sherpa, préc, note 149, à la p.28. 1203 Directive 2014/42/UE du parlement européen et du Conseil concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne, 3 avril 2014, para.35. 1204 Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, L.C.2011, ch.10, art.4(2) c).

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ne seraient pas de nouveau détournés ? La réponse à cette question est subsidiaire à

l’amélioration des situations suivantes :

- la démocratisation de certains contextes sociaux ;

- l’octroi des garanties d’indépendance et d’impartialité identiques aux organes

exerçant les fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires ;

- l’assouplissement des restrictions à l’exercice des poursuites privées.

On peut déduire de ce qui précède que le rang de principe fondamental de la Convention

des Nations Unies sied mieux à la détection et la répression de la corruption, qu’à la

restitution des avoirs. Dans une telle logique, la restitution des avoirs – issus de la

corruption – devrait plus bénéficier aux organisations (gouvernementales ou non) qui se

spécialisent dans la lutte contre la corruption. Cette solution semble plus pertinente à la

lutte contre la corruption, que celle actuellement retenue à l’article 51 de la Convention des

Nations Unies. Concrètement, cette étude adhère à la proposition de Transparency

International France et Sherpa selon laquelle il faut « créer par exemple une banque

internationale sous l’égide de l’UNODC (en lien avec la Convention UNCAC) qui gèrerait

les avoirs saisis et qui prendrait la décision sur la manière dont les avoirs devraient

être1205 », soit retournés aux États, soit mis à la disposition des poursuivants privés.

Au regard de ce qui précède, on retient de l’internationalisation du droit de la corruption

deux perspectives d’analyse :

La première est prospective. Elle soutient l’idée d’une construction progressive d’un droit

spécial applicable à la corruption. Cet objectif peut être atteint en alignant les mécanismes

de suivi, des conventions de lutte contre la corruption, sur le modèle institutionnel des

mécanismes de protection des droits de l’homme. Dans cette perspective, il est souhaitable

que les mécanismes de suivi se mutent en mécanismes quasi-juridictionnels et/ou

1205 Transparency International France et Sherpa, préc, note 149, à la p.29.

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juridictionnels susceptibles d’être saisis par tout organisme intéressé, pour statuer sur toute

prétention relative à la mise en œuvre des conventions anticorruptions.

La seconde perspective d’analyse est pragmatique. Elle se présente comme une alternative

aux mécanismes juridictionnels anticorruptions. Si elle relève, d’emblée, que la corruption

ne constitue pas une violation des droits de l’homme, en vertu du principe nullum crimen

sine lege, elle reconnaît, en revanche, qu’en mettant en œuvre le droit d’accès à

l’information et le droit à un procès équitable, les mécanismes de protection des droits de

l’homme permettent une poursuite, indirecte, des faits « corruptionnels ».

Il suit de ce qui précède que l’émergence d’un droit international de la corruption, par un

mécanisme direct (analyse prospective) ou indirect (analyse pragmatique), prescrirait des

normes d’indépendance et d’impartialité autour desquelles les critères d’indépendance et

d’impartialité des systèmes judiciaires, des États parties aux conventions anticorruptions,

seraient évaluée

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Conclusion du titre 3

La garantie subsidiaire de l’indépendance judiciaire : l’externalisation de la justice nationale

L’indice de perception de la corruption que publie Transparency International, chaque

année depuis 1995, montre qu’aucun pays n’est insensible à sa réputation, telle qu’elle est

perçue à l’extérieur de ses frontières. C’est ainsi que, suivant qu’un pays est bien ou mal

classé, il se félicite ou remet en cause la méthodologie utilisée. Même dans ce dernier cas,

il arrive souvent que le pays mal classé, après avoir contesté son rang, s’engage à reformer

son cadre organisationnel1206 pour améliorer son attractivité.

Ce constat situe la présente étude dans un contexte postmoderne, où l’action de l’État,

même à l’intérieur de ses frontières, n’est plus conditionnée par sa seule souveraineté. Cette

observation se vérifie avec plus d’acuité lorsque l’objet pour lequel l’action de l’État est

requise suscite l’action concurrente d’autres États, tout en étant régi par des conventions

régionales et internationales. C’est cette influence de l’ordre extra-étatique sur l’ordre

étatique qui est analysée, à travers la transnationalisation de l’infraction « corruptionnelle »

et l’internationalisation du droit de la corruption ».

Ces deux considérations, qui relèvent tantôt du droit pénal international, tantôt du droit

international pénal, invitent à observer que les systèmes judiciaires des contextes sociaux

du Nord sont plus portés à poursuivre les faits « corruptionnels », même si ceux-ci peuvent

justifier d’un lien réel et important plus soutenu dans les contextes sociaux du Sud. Si cette

courtoisie est compatible avec les nouvelles formes de coopération qui privilégient, dans

l’hypothèse d’un conflit positif de juridictions, celles qui offrent des meilleures garanties

de poursuite, elle ne résout pas le déficit d’indépendance judiciaire qui fait obstacle à la

poursuite des faits « corruptionnels » au Sud. Par ailleurs, la limitation de telles poursuites

au cadre normatif de la Convention de l’OCDE donne l’impression que c’est plus

1206 Voir, note 798.

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l’assainissement des transactions commerciales internationales qui est recherchée. En effet,

la poursuite pour corruption d’agents publics étrangers1207 devrait induire celle d’agents

publics nationaux1208. L’abstention d’une poursuite des agents nationaux, complices

passifs ou instigateurs1209 de corruption d’agents publics étrangers, révèle un déficit

d’indépendance et d’impartialité du système judiciaire du Sud, relativement à celui du

Nord. C’est ce qui justifie que les acteurs non étatiques, des contextes sociaux en

démocratisation, privilégient la saisine des juridictions des contextes sociaux

démocratiques, lorsqu’ils identifient des critères de rattachement à ces juridictions. Il est

possible de prétendre, qu’en documentant cette absence de poursuites dans la jurisprudence

naissante en matière de corruption d’agents publics étrangers, notamment, par référence à

la coopération ou à l’absence de coopération entre les ordres juridiques concernés par le

même fait « corruptionnel », les systèmes judiciaires du Sud pourraient s’obliger à

poursuivre les agents publics nationaux, ne serait-ce que pour atténuer les risques

réputationnels liés à leur attractivité.

De même, cette abstention des contextes sociaux du Sud ne permet pas au cadre normatif

anticorruption de se constituer à travers un contentieux ou un arbitrage, de conflits de

juridictions, au cours duquel la vérification de la mise en œuvre des nouvelles formes de

coopération, aurait permis l’évaluation des garanties d’indépendance et d’impartialité des

systèmes judiciaires des contextes sociaux du Nord.

La prise en compte de ces problématiques par des mécanismes de suivi des conventions

anticorruptions, saisis par requête, permettrait une construction harmonieuse des normes

d’indépendance et d’impartialité, relevant d’un droit international anticorruption.

1207 Convention de l’OCDE, préc, note 28, art. 1; Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.16. 1208 Convention des Nations Unies, préc, note 15, art.15. 1209 Cf., notes 280, 299, 790 et 1113.

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CONCLUSION GÉNÉRALE

L’éventualité que le fait « corruptionnel » soit écarté du processus judiciaire sans être

soumis au juge est-elle réelle ou apparente ? Cette interrogation situe la question de

l’indépendance judiciaire, non pas dans les garanties d’indépendance et d’impartialité de

la fonction du juge, mais plutôt dans la soumission des prétentions à cette fonction. Qui

détermine la prétention sur laquelle statue le juge ? Quelle est la raison d’être du juge ? Le

juge vient-t-il valider un déficit d’indépendance et d’impartialité antérieur à sa saisine ?

Il s’agit, en fait, de la partielle reportabilité des faits criminels au juge, du fait de leur

sélection préalable par le ministère public. Cette sélection par une instance, dont les

garanties d’indépendance et d’impartialité sont déficitaires par rapport à celles du juge,

invite à se demander si le juge a été bien saisi ou s’il a été saisi par défaut. Cela pose le

problème de la dépendance matérielle du principe de l’indépendance judiciaire. Ce pan

matériel de l’indépendance judiciaire n’est pas encore saisi par l’approche positiviste du

droit. Il y a, pour cette raison, des craintes objectives que les prétentions pour lesquelles

l’indépendance du juge est garantie ne lui soient pas déférées. La question, non résolue, de

la saisine objective du juge ou le simple doute que suscite cette question rend compte de

l’épuisement du cadre explicatif proposé par le positivisme juridique pour répondre à une

question sociale de son temps. Ce constat s’observe avec acuité dans le contexte de la

répression de la « grande corruption ». Dans la mesure où celle-ci symbolise un fait

criminel de droit commun auquel participent les agents publics de haut rang, avec lesquels

les relations de dépendance avec le ministère public demeurent problématiques. Ce qui

n’est pas le cas, du moins dans un contexte démocratique, des liens entre les agents publics

et le juge.

Sachant que le sujet de droit pénal, dans un contexte de droit commun, est un dirigeant

étatique, il est prudent que ce droit s’adapte au profil de ce délinquant atypique, dont

l’ingéniosité ou la capacité de nuisance dans l’activité criminelle, met à l’épreuve

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l’obligation légale du système répressif. Ce système utilise des mêmes normes

d’appréciation à des profils criminels différents. D’où il ressort de cette étude, le constat

d’une relative inadaptation du droit pénal contemporain à son objet, lorsque les citoyens

qui exercent des fonctions au sommet de la hiérarchie des différents pouvoirs

constitutionnels sont impliqués dans la délinquance de droit commun. Les suggestions

suivantes permettent de tempérer ce constat :

i- Le ministère public devrait avoir des garanties d’indépendance et d’impartialité similaires aux garanties constitutionnelles du juge.

Cette proposition est une conséquence de l’ambitieuse expectative que le droit positif fonde

sur le ministère public. Il a été montré que la décision relative à l’opportunité des poursuites

est substantiellement identique à la décision judiciaire. Cette identité est qualifiée, par

Niklas Luhmann, selon la théorie de la différenciation fonctionnelle, de processus

judiciaire1210. Quant à la jurisprudence et à la littérature spécialisée en matière pénale, elles

reconnaissent que le ministère public exerce des fonctions quasi-judiciaires1211 qui lui

imposent un devoir d’impartialité1212. On peut, dès lors, se demander s’il est possible de

distinguer la norme d’impartialité à laquelle correspond une fonction judiciaire, de la

norme d’impartialité correspondante à la fonction quasi-judiciaire. A contrario, si

l’impartialité est la même aussi bien pour la fonction judiciaire que pour la fonction quasi-

judiciaire, on devrait garantir une identique indépendance aux mêmes débiteurs de

l’identique norme d’impartialité.

Cependant, si l’amendement du statut du ministère public est susceptible de contribuer à

une réelle indépendance et à une autonomie du système judiciaire, il peut être fastidieux,

au regard des considérations d’opportunité politique. D’où l’alternative suivante :

1210N. LUHMANN, préc, note 96. 1211 R. c. Anderson, préc, note 321, para. 37. 1212 P. BÉLIVEAU et M. VAUCLAIR, préc, note 322, aux pp.98 et s.

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ii- Relativiser le monopole du ministère public dans la mise en mouvement de l’action publique.

Cette proposition se fonde sur l’un des aspects du paradigme de la postmodernité. Elle

trouve aussi son fondement dans les cadres de gestion de l’anticorruption à travers le

lanceur d’alerte (Whistleblower) et la fonction de conformité anticorruption.

En effet, durant la constitution des États modernes, il était logique de laisser l’exclusivité

de la poursuite pénale au ministère public, en tant que défenseur de « l’intérêt public1213 ».

Or, il ressort des conventions internationales relatives à la lutte contre la corruption et de

la doctrine que la grande corruption viole les droits fondamentaux des personnes. Depuis

la fin de la Deuxième Guerre mondiale, cette branche de droit [le droit international des

droits de l’homme] est mise en œuvre chaque fois que la souveraine et le souverain se

comportent en mauvais-e-s mère et père de famille. Ce manquement du leader étatique à

son obligation de protéger ses citoyens s’illustre, avec force, dans l’activité criminelle de

grande corruption. Ceci questionne, au plan épistémologique, la légitimité du ministère

public à défendre l’intérêt collectif. Il est donc justifié qu’il soit concurrencé par des

poursuivants privés.

D’autre part, il a été montré que les considérations d’intérêt public, sur lesquelles le

ministère public fonde l’opportunité des poursuites, sont en contradiction avec les fins

poursuivies par des conventions anticorruptions. Bien plus, l’histoire du droit pénal

renseigne que les poursuites privées, jadis initiées par des personnes physiques, avaient été

substituées aux poursuites publiques parce qu’elles visaient essentiellement un intérêt

personnel, familial ou clanique. Tel n’est pas le cas des poursuites privées anticorruptions.

L’affaire des biens mal acquis montre que les poursuites privées, initiées par des acteurs

non étatiques, s’alignent sur des considérations d’intérêt public, compatibles avec des fins

poursuivies par des mécanismes anticorruptions. Il est donc logique que le ministère public

soit concurrencé, dans la mise en mouvement de l’action publique, par les poursuivants

privés et les autorités administratives indépendantes.

1213 R. c. Anderson, préc, note 321.

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Par ailleurs, l’analyse fondée sur les systèmes de gestion anticorruption montre que le fait

« corruptionnel » est dynamique. Il est sui generis et échappe au principe de la légalité

pénale. Il s’agit d’un fait qui est mieux saisi dans un contexte organisationnel, soumis à

une évaluation périodique des risques de corruption. Vu ainsi, le ministère public a une

connaissance relative de la preuve du fait « corruptionnel ». D’où l’intérêt des poursuites

privées exercées par les lanceurs d’alerte et la fonction de conformité anticorruption.

Une autre solution pour lutter contre la corruption s’illustre dans la comparaison des droits.

iii- La lutte contre la grande corruption au moyen du droit comparé des droits de la personne.

La grande corruption est un crime complexe. Cette complexité s’observe par son auteur

présumé (un délinquant parfaitement adapté à la société), son lieu de commission (national

et transnational) et ses effets (violation des droits de la personne, liens avec la criminalité

classique, détournement de la démocratie, faiblesse de l’État). Elle (complexité) invite à se

demander si l’objectif d’une répression systématique de la corruption peut faire l’économie

d’un droit qui lui est spécifique. Le processus de construction d’un droit applicable à la

corruption, s’il semble être initié par les différentes conventions y relatives, il n’atteindra

sa maturation que si les mécanismes de suivi desdites conventions se mutent en

mécanismes semblables à ceux relatifs à la protection régionale et internationale des droits

de l’homme. Dans l’attente d’une telle mutation, il a été constaté que la lutte contre la

corruption peut être effective par ricochet à la protection des droits de la personne. Il faut,

pour cette raison, que les droits économiques, sociaux et culturels soient réellement sur le

plan empirique, interdépendants des droits civils et politiques. Ce qui pose le problème de

la justiciabilité de ces droits. À titre d’exemple, le procès du droit de jouir du meilleur état

de santé physique et mentale (article 12 du PIDESC), dans un espace géographique donné,

offre l’opportunité aux citoyens dudit espace d’interroger l’utilisation du budget affecté

aux travaux de construction et d’équipement de l’hôpital espéré. Un tel procès semble plus

efficace à la lutte contre la corruption que les programmes spontanés anticorruptions. En

effet, si la longue évolution de la justiciabilité des droits civils et politiques a rendu

possible, via le concept de la dignité humaine, la détection et la poursuite internationale

des crimes de sang, il est possible, par analogie, qu’une justiciabilité comparable des droits

économiques et sociaux rende aussi possible la détection et la poursuite internationale des

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crimes économiques. Il n’est pas soutenu, dans cette étude, l’idée d’une justiciabilité

universelle des droits économiques et sociaux. Il s’agit plutôt de sa contextualisation. Il

appartiendra à chaque ordre juridique d’identifier le « maximum de ses ressources

disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice [desdits droits]1214 ». Cela

fera naître, d’année en année, des véritables droits acquis en matière économique et sociale

dans un ordre juridique déterminé.

Au-delà de ce qui précède, une attention mérite d’être portée aux récentes initiatives prises

en France et dans la Province canadienne du Québec pour prévenir la corruption. C’est par

exemple le cas, en France, de la Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la

transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Selon les dispositions de cette loi, les présidents, les directeurs généraux, les gérants d’une

société ou d’un établissement public à caractère industriel et commercial, employant au

moins cinq cents salariés […] et dont le chiffre d’affaires […] est supérieur à 100 millions

d’euros sont tenus de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission,

en France ou à l’étranger, des faits de corruption ou de trafic d’influence […] sous peine

de sanctions1215.

Parmi les mesures de prévention et de détection de la corruption prévue par la Loi, on note

entre autres,

[Un] code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportement à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence […] ; un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements […] ; une cartographie des risques […] destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption ; des procédures de contrôle comptable ; un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés […] en cas de violation du code de conduite ; un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre1216.

1214 PIDESC, préc, note 1, art.2. 1215 Loi préc, note 963, art.17 para. I. 1°. 1216 Ibid art.17 para. II.

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Si les dispositions de cette loi sont compatibles avec les exigences de la prévention et du

traitement de la corruption, elles gagneraient à s’appliquer à tous les organismes privés et

publics, voire à l’ordre juridique français. La corruption n’est pas exclusive aux personnes

morales qui emploient plus de cinq cents salariés ou qui ont un chiffre d’affaires supérieur

à 100 millions d’euros. Par contre, il est possible d’adapter les mêmes mécanismes

anticorruptions au contexte social et financier de de chaque organisation.

Dans la même veine, la Province de Québec, au Canada, a adopté trois instruments dont

les dispositions sont semblables à celle de l’article 17 suscité. Il s’agit, notamment, de la

Directive concernant la gestion des risques en matière de corruption et de collusion dans

les processus de gestion contractuelle, du 14 juin 2016 ; de la Loi favorisant la surveillance

des contrats publics et instituant l’Autorité des marchés publics, du 1er décembre 2017 ; de

la Loi favorisant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics,

RLRQ c D-11.1. La mise en œuvre de ces différentes initiatives permettra de mieux situer

le renouveau de la lutte contre la corruption au Québec.

Si les initiatives françaises et québécoises sont louables, elles demeurent partielles. Il y a

des risques que la corruption s’intensifie à l’extérieur du périmètre des grandes entreprises

françaises et des processus contractuels québécois. Ces initiatives n’interrogent pas encore,

au plan épistémologique, l’adaptation de la réaction criminelle au phénomène criminel.

En effet, le droit pénal est actuellement construit autour de la resocialisation du délinquant.

Celui-ci est considéré comme une personne non adaptée à sa société, du fait, entre autres,

de sa constitution, de son hérédité, ou de l’influence de son milieu de vie. C’est pour cette

raison que le droit pénal, aussi bien de fond que de forme, poursuit trois fonctions : la

fonction répressive (la peine est une conséquence de la faute); la fonction expressive

(derrière chaque sanction, il y a une valeur sociale protégée) et la fonction protectrice ou

éducative.

La question contemporaine, qui intéresse la répression systématique de la corruption, est

celle de la redéfinition des fonctions du droit pénal, face à un délinquant parfaitement

intégré au sein de la société dont il est l’un des leaders.

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Au-delà de la science du droit, cette étude peut être porteuse d’applications dans d’autres

sciences sociales, notamment en criminologie et en sciences politiques. Elle interpelle la

société sur la place et le rôle de l’organe judiciaire dans l’architecture institutionnelle de

l’État contemporain1217. C’est dans ce sens qu’il s’observe qu’une parfaitement

contextualisation de la théorie politique de Montesquieu rend possible la réalisation d’un

État modéré. C’est-à-dire, un État démocratique où les droits civils et politiques et les droits

économiques, sociaux et culturels sont garantis aux citoyens.

Sur le plan économique, il ressort de cette étude que la conciliation entre les initiatives

françaises, québécoises, la Norme ISO 37001 – systèmes de management anticorruption et

la justiciabilité des droits économiques participe au meilleur encadrement du concept de

bonne gouvernance.

Sur le plan politique stricto sensu, on observe que la libéralisation politique opérée dans

certains États africains, au sud du Sahara, dans les années 1990 n’a pas réussi à les

transformer en véritables États démocratiques. Car, ici, on observe encore un déficit du pan

formel du principe de l’indépendance judiciaire en vigueur en Occident. Ce constat

s’applique mutatis mutandis aux évènements qualifiés de printemps arabes en 2012, aux

crises algériennes et soudanaises de 2019. Il y a donc un lien entre la démocratie et l’État

de droit, dans la mesure où « [la première ne puise] sa positivité, voire son opposabilité,

que dans le contexte du second1218 ». Il découle de cette observation que, sur le plan

universel, des démocraties actuelles, celles qui sont héritières de la constitution de l’État

moderne du XVIIIe siècle s’assimilent à des représentations partielles du processus

démocratique. Une démocratie postmoderne, du moins, celle qui peut ressortir de l’analyse

de la présente étude est une démocratie protectrice de la dignité humaine. Elle rend

justiciable les droits économiques et sociaux, et vérifie l’applicabilité formelle et

substantielle du principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

1217 V. dans ce sens, Patrick WAFEU TOKO, « Le juge qui crée le droit est-il un juge qui gouverne? » (2013) 54 C. de D., 145. 1218 Ibid à la p. 147.

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