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L’INFLUENCE INTERNATIONALE DU DROIT FRANÇAIS

L'influence internationale du droit français », Rapport du

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  • LINFLUENCE INTERNATIONALE

    DU DROIT FRANAIS

    pages 2 et3/influence 17/09/01 14:35 Page 1

  • En application de la loi du 11 mars 1957 (art.41) et du code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992,toute reproduction partielle ou totale usage collectif de la prsente publication est strictement interdite sansautorisation expresse de l'diteur.

    Il est rappel cet gard que l'usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l'quilibre conomique descircuits du livre.

    La Documentation franaise _ Paris, 2001ISBN : 2 11 004939-1

    pages 2 et3/influence 17/09/01 14:35 Page 3

    http://www.ladocfrancaise.gouv.fr

  • LINFLUENCE INTERNATIONALE

    DU DROIT FRANAIS

    tude adopte par lAssemble gnrale

    du Conseil dtat le 19 juin 2001

    CONSEIL DTATSection du rapport et des tudes

    La Documentation franaise

    pages 2 et3/influence 17/09/01 14:35 Page 2

  • Publications du Conseil dtatchez le mme diteur

    Collection tudes et documents du Conseil dtat Rapport public du Conseil dtat, 1998, Considrations gnrales :

    Sur le droit de la sant (EDCE, n 49). Rapport public du Conseil dtat, 1999, Considrations gnrales :

    Lintrt gnral (EDCE, n 50). Rapport public du Conseil dtat, 2000, Considrations gnrales :

    Les associations et la loi de 1901, cent ans aprs (EDCE, n 51). Rapport public du Conseil dtat, 2001, Considrations gnrales :

    Les autorits administratives indpendantes (EDCE, n 52).

    Collection Les tudes du Conseil dtat Statut et protection de lenfant, 1991. LAide juridique : pour un meilleur accs au droit et la justice, 1991. Sports : pouvoir et discipline, 1991. Lurbanisme : pour un droit plus efficace, 1992. Rgler autrement les conflits :

    Conciliation, transaction, arbitrage en matire administrative, 1993. Les pouvoirs de ladministration dans le domaine des sanctions, 1995. La responsabilit pnale des agents publics, 1996. Les groupements dintrt public, 1997. Rendre plus attractif le droit des fondations, 1997. Pour une meilleure transparence de ladministration, 1998. Internet et les rseaux numriques, 1998. Aide sociale, obligation alimentaire et patrimoine, 1999. Le cumul dactivits et de rmunrations des agents publics, 1999. Lutilit publique aujourdhui, 1999. Les lois de biothique : cinq ans aprs, 1999. La norme internationale en droit franais, 2000 Les associations reconnues dutilit publique, 2000

    Collection Documents dtudes Jurisprudence du Conseil dtat Annes 1988 1999 (disponibles). Anne 2000, Documents dtudes 6.13.

    Collection Notes et tudes documentaires Les tablissements publics nationaux, ND no 4784, 1985. Droit international et droit franais, ND no 4803, 1986. Sciences de la vie De lthique au droit, ND no 4855, nlle d., 1988. Administration et nouvelles technologies de linformation, ND no 4851, 1988. Les tablissements publics : transformation et suppression, ND no 4876, 1989.

    Collection Les tudes de la Documentation franaise Le Conseil dtat, par J. Massot et T. Girardot, 1999.

    Hors collection La justice administrative en pratique, nlle dition, 2001.

    Documentation franaise - Conseil dtat Norme page 4 - jeudi 13 septembre 2001

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  • Sommaire

    Principaux sigles et appellations utiliss 9

    Introduction 11

    Premire partieLinfluence juridique aujourdhui 17

    1.1. Les diffrences entreles deux principaux systmes de droit 181.1.1. Une histoire et une gographie distinctes 18

    Le systme des droits romano-germaniques 18 Le systme de la common law 19 La gographie des deux systmes 20

    1.1.2. Des caractristiques opposesmalgr des convergences 22

    Les frontires entre les diffrents systmes juridiquessont dsormais brouilles 22

    Des oppositions qui perdurent 28

    1.2. Les autres lments de la comptition juridique 321.2.1. Les institutions mondiales et rgionales,

    lieux dhybridation des droits nationaux 32 Labsence de relle comptition juridique en matire de

    droit international public gnral et de droits de lhomme 32 Une comptition plus vive en matire de droit

    international priv et de droit conomique 34 Les ensembles rgionaux, lieux privilgis

    de linfluence juridique 361.2.2. Les tats, des importateurs de droit 391.2.3. Les entreprises et les professions juridiques :

    acheteurs et marchands de droit 43 La privatisation du droit :

    un droit international de lentreprise 43 Le rle des avocats dans la diffusion

    et limportation du droit 45 La naissance dune soft law internationale :

    lexemple de la gouvernance 471.2.4. Les acteurs de la socit civile internationale,

    des prescripteurs de droit 49

    Documentation franaise - Conseil dtat Norme page 5 - jeudi 13 septembre 2001

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  • Deuxime partieLinfluence juridique de la France 51

    2.1. Histoire et gographie de linfluence juridiquefranaise 512.1.1. La diffusion du droit priv 52

    Un effet codification 53 Un effet idologique et doctrinal 54

    2.1.2. Le rayonnement du droit administratif 54 Un droit en avance 55 Un droit volutif 56

    2.1.3. Linfluence dans la constitution de lordre juridiqueinternational et communautaire 57

    Laction des juristes franais 57 Le succs de concepts franais 58

    2.2. Atouts et handicaps de la Francedans la comptition juridique 612.2.1. Des facteurs extrinsques plutt dfavorables 61

    La puissance conomique et financire anglo-saxonne 61 La langue anglaise 63

    2.2.2. Des faiblesses relles ou supposes qui masquentcertains atouts 64

    Manque dattractivit ou inadaptationaux ides dominantes ? 64

    Des qualits formelles contestes ou mal exploites 692.2.3. Une mobilisation croissante qui se heurte encore

    des obstacles 72 Une administration plus consciente des enjeux 72 Des professions juridiques encore trop faibles 75

    Troisime partielments dune stratgie dinfluence juridique 79

    3.1. Identifier les principaux terrainsde la comptition juridique moyen terme 803.1.1. Les sujets 80

    La construction dun ordre institutionnelet normatif plurinational 81

    Laction en justice pour la protection des droits 84 Lencadrement juridique des nouvelles technologies

    de la gntique et de linformation 873.1.2. Les lieux 93

    Les enceintes internationales et non-gouvernementales 93 Les zones gographiques 98

    Documentation franaise - Conseil dtat Influence page 6 - jeudi 13 septembre 2001

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  • 3.2. Donner une meilleure visibilit au droit franais 993.2.1. Connatre les droits trangers pour rendre le droit

    franais plus intelligible 993.2.2. Prserver les qualits du droit franais 103

    La codification 104 Lexpertise juridique 105 Le style juridictionnel 105

    3.2.3. Rendre le droit franais matriellement accessible 106 Traduire le droit franais 106 tre prsents sur internet 109

    3.3. Utiliser plus systmatiquementles canaux naturels dinfluence du droit franais 1103.3.1. LUniversit 111

    La formation des tudiants trangers en France 111 La formation des tudiants franais aux droits trangers 114

    3.3.2. Les professions juridiques franaises 118 Poursuivre le processus de rapprochement

    des professions juridiques 118 Favoriser ladaptation des cabinets davocats un march

    mondialis en levant leurs handicaps de comptitivit 1203.3.3. Les institutions publiques 121

    Renforcer les capacits dexpertise juridiquepour la coopration internationale 122

    Renforcer la coordination des actionset la circulation de linformation 125

    Conclusion 129

    Annexes 133Annexe ILettre de mission du Premier ministre 135Annexe IIComposition du groupe de travail 139Annexe IIIListe des personnes auditionnes 141Annexe IVProgramme de traduction des principaux textes de droit franais lancpar le ministre des Affaires trangres 143Annexe Vlments de bibliographie sur les systmes et la comptition juridiques 145Annexe VILocalisation des principaux systmes juridiques 147Annexe VIIProposition de loi portant crationdune Fondation pour les tudes comparatives 153

    Documentation franaise - Conseil dtat Influence page 7 - jeudi 13 septembre 2001

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  • Documentation franaise - Conseil dtat Influence page 8 - jeudi 13 septembre 2001

  • Principaux sigleset appellations utiliss

    ABA American bar association

    ACOJURIS Agence de coopration juridique internationale

    ADETEF Association pour le rglement des changes en technologieconomique et financire

    AFJE Association franaise des juristes dentreprises

    AIHJA Association internationale des hautes juridictionsadministratives

    ALENA Accord du libre-change nord-amricain

    AMM Association mdicale mondiale

    ARPEJE Association pour le renouveau et la promotion des changesjuridiques internationaux

    BGB Burgenliche gesetzbuche

    BM Banque mondiale

    BOT Build, Operate and Transfer : construire, exploiter, transfrer

    CCJA Cour commune de justice et darbitrage

    CEDH Cour europenne des droits de lhomme

    CEI Communaut des tats indpendants

    CICID Comit interministriel de la coopration internationaleet du dveloppement

    CIOMS Conseil des organisations internationalesdes sciences mdicales

    CIJ Cour internationale de Justice

    CIMEE Comit interministriel des moyens de ltat ltranger

    CJCE Cour de Justice des communauts europennes

    CNUDCI Commission des Nations unies pour le droit du commerceinternational

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  • COCOP Comit dorientation, de coordination et de projets

    CPI Cour pnale internationale

    CPJI Cour permanente de justice internationale de la SDN

    DGCID Direction gnrale de la coopration internationaleet du dveloppement

    ENA cole nationale dadministration

    FMI Fonds montaire international

    GAC Governemental advisory committee

    GATT General agreement on tariffs and trade

    HCCI Haut conseil de la coopration internationaleet du dveloppement

    HUGO Human genom organization

    IIAP Institut international dadministration publique

    IASC International accounting standards committee

    ICANN Internet corporation for assigned names and numbers

    OAB Office amricain des brevets

    OEB Office europen des brevets

    OHADA Organisation pour lharmonisation du droit des affairesen Afrique

    OMC Organisation mondiale du commerce

    OMPI Organisation mondiale de la proprit intellectuelle

    OMS Organisation mondiale de la sant

    ONG Organisation non gouvernementale

    ONU Organisation des Nations unies

    ORD Organisme de rglement des diffrends

    PECO Pays dEurope centrale et orientale

    SCP Socit civile professionnelle

    SEL Socit dexercice libral

    TANU Tribunal administratif des Nations unies

    TAOIT Tribunal administratif de lOrganisation internationaledu travail

    TPIR Tribunal pnal international pour le Rwanda

    TPIY Tribunal pnal international pour lex-Yougoslavie

    UNIDROIT Institut international pour lunification du droit priv

    ZLEA Zone de libre change des Amriques

    ZSP Zone de solidarit prioritaire

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  • Introduction

    Le droit franais a longtemps rayonn au-del de nos frontires. Il aservi de rfrence de nombreux lgislateurs trangers, apport sacontribution la cration dun ordre juridique international, form desgnrations dtudiants et denseignants du monde entier unemthode de raisonnement et une culture juridique propres la France.

    Dans les faits, ce statut de modle de notre droit est contest. Dansune confrontation qui opposerait le systme romano-germanique auquelappartient la France au systme de common law dont lAngleterre et lestats-Unis sont les principaux reprsentants et, plus gnralement, dansune comptition lie la mondialisation du droit, nous ne disposerionsplus de la position dominante qui a pu, dans de nombreux domaines,faire la force du droit franais au cours des sicles prcdents.

    Cest la raison pour laquelle le Premier ministre a demand au Conseildtat une tude permettant, partir dun constat des forces enprsence, dclairer le Gouvernement sur les moyens de renforcer cetteinfluence.

    Cette tude doit plus prcisment examiner linfluence respective dessystmes juridiques romano-germanique et anglo-saxon dans le mondecontemporain et faire linventaire des domaines dans lesquels ledroit franais constitue une rfrence [...] en analysant les moyens parlesquels cette influence sexerce ainsi que celle des matires o nostraditions juridiques sont mconnues ou critiques hors de France entchant dexposer les raisons dune telle situation . Elle doit, au vu dece constat, formuler des propositions de nature accrotre le rayon-nement international du droit franais, tant dans les enceintesinternationales [...] quauprs des tats en sinterrogeant galement sur les adaptations de notre systme juridique qui pourraient tre denature favoriser sa comprhension et son influence .

    Conformment une pratique habituelle, la Section du rapport et destudes a t charge dlaborer le projet dtude soumettre la dlib-ration de lAssemble gnrale du Conseil dtat. cette fin, elle aconstitu un groupe de travail dune quinzaine de membres (cf. compo-sition du groupe en annexe II) qui, par leur exprience professionnelle

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  • propre, paraissaient mme de couvrir de faon suffisamment diver-sifie et opratoire le champ de ltude.

    Ce groupe a travaill de dcembre 2000 juin 2001. Il a dbattu defaon approfondie des divers lments de la problmatique du sujet, partir non seulement de contributions individuelles substantielles deplusieurs de ses membres, mais aussi dauditions de diverses personna-lits (voir annexe III) auxquelles il a t procd, soit loccasiondune runion du groupe, soit de faon plus informelle.

    Les dbats ont montr que ltude commande au Conseil dtatcomportait trois types de difficults quil convient de circonscriredemble.

    1. Les phnomnes dimitation ou demprunt dans le monde du droitsont loin dtre nouveaux : ils sont inhrents la dimension la foistechnique, culturelle, administrative et politique du droit qui a toujourspermis, grce notamment au droit compar, et parfois impos, autravers des conqutes militaires ou coloniales, la circulation de modleset de concepts. Nen dplaise Montesquieu, pour qui [les lois]doivent tre tellement propres au peuple pour lequel elles sont faitesque cest un grand hasard si celles dune nation peuvent convenir uneautre 1, de nombreux tats ont ainsi export et import du droit. LaFrance, plus que dautres, a colport ltranger ses codes et loiscomme les techniques et concepts quils utilisent, le droit matrielcomme les institutions et procdures administratives ou juridiction-nelles. Limage dun monde dans lequel existent des exportateurs dedroit est donc tout la fois exacte et ancienne et la concurrence desides ou des produits juridiques nest, ds lors, elle-mme pas unenouveaut : La France et lAllemagne se sont ainsi affrontes sur ceterrain, par exemple, dans lEurope du Sud et au Japon au XIXe sicle.

    Dans ces phnomnes dimitation, il est toutefois indispensable dedistinguer le rayonnement des valeurs politiques ou sociales exprimespar la norme, autrement dit le fond du droit, sur la pertinence duquel lejuriste na ni comptence, ni lgitimit propres, et le rayonnement de lamthode par laquelle la norme exprime ces valeurs en caractrisant unsystme de droit.

    La question de linfluence internationale du droit franais est doncaujourdhui comme hier fonction, dune part de la faon dont sontcomprises et values les rponses apportes par la France des ques-tions qui se posent dans dautres tats ou au niveau international,dautre part de la volont et de la capacit de notre pays faire valoirces solutions ltranger. Et ces deux facteurs ne sont pas juridiques.En dautres termes, la diffusion de normes est dabord le reflet dune

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    1. Lesprit des lois, I. 3.

  • puissance avant den tre le vecteur : le Code civil na pas prcd lesarmes de Napolon, sil leur a survcu.

    Il y a donc lieu de relativiser le rle de modles juridiques dans laconstruction dune lgislation, dune institution ou dun rgime juri-dique et, partant, de rester lucide sur les rsultats potentiels dunestratgie dinfluence juridique.

    2. Si, comme aux XIXe et au XXe sicles, les enjeux de la confrontationdes normes sont aujourdhui la fois politiques, sociaux, culturels etconomiques, ils ont chang de dimension.

    Linternationalisation du droit a transform lenjeu politique etculturel de lexportation du droit.

    Il sagit toujours, comme hier, au travers de la ngociation de conven-tions internationales bilatrales et multilatrales, de lenvoi de missionsdexpertise, de la participation aux structures et aux travaux des organi-sations internationales, de marquer la prsence dun tat au travers deson droit et de ses juristes.

    Il sagit cependant, plus quhier, de concevoir la promotion de notredroit comme le moyen de mieux connatre les droits trangers pour senenrichir et les apprhender, selon lheureuse expression du professeurLyon-Caen, comme des miroirs de nos forces et de nos faiblesses.

    Il sagit aussi dsormais de dfendre une certaine diversit culturelle envitant limportation non matrise dans notre droit de notions ou deconcepts qui lui sont trangers ou, linverse, en facilitant la diffusionde nos concepts dans les autres droits nationaux par leur adoption auniveau international. Et plus gnralement de participer la crationdun nouvel ordre juridique mondial au sein duquel puissent existerdroits nationaux, droits transnationaux et droit international.

    Mettre en valeur notre lgislation, les ides qui linspirent et lesconcepts qui la sous-tendent, dfendre notre conception du droit estindispensable pour garantir que la norme ou la dcision juridiction-nelle, quelle que soit sa porte juridique, rsulte dun choix ou le caschant dun effort de synthse suffisamment clair entre diffrentessolutions. De nombreux textes de droit international font rfrence lareprsentation des principaux systmes juridiques du monde dans lechoix des personnes appeles siger dans des organes juridictionnels.Cest le cas du statut de la Cour internationale de justice 2 ou de celuidu tribunal international de la mer. Cependant tous ces textes ne sontpas contraignants et cette rfrence nest pas universelle. On ne laretrouve pas, sagissant, par exemple, de lOrgane de rglement des

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    2. Larticle 9 du statut de la cour dispose que les juges lus doivent assurer dans lensemble lareprsentation des grandes formes de civilisation et des principaux systmes juridiques du monde .

  • diffrends (ORD) de lOrganisation mondiale du commerce (OMC).Aucun principe de droit international noblige non plus ce quuneconvention multilatrale soit ngocie et rdige en ayant pris encompte les principaux systmes juridiques du monde .

    Or lextension du champ dintervention du droit international (notam-ment en matire pnale), la multiplication des juridictionsinternationales, lintgration de plus en plus pousse de la France dansun ensemble europen ont modifi la perspective.

    Dans les diffrentes enceintes de ngociation, il ne sagit plus en effetseulement dapporter la contribution du droit franais ou de la concep-tion franaise du droit des textes de porte principalement politiquemais dlaborer ce qui sera demain, le droit franais, invocable devantles juridictions franaises 3. Lenjeu de linfluence internationale denotre droit devient ainsi de plus en plus... national 4.

    Ce constat implique, pour les ngociateurs, la recherche dun plura-lisme juridique ordonn , selon lexpression du professeurDelmas-Marty. Elle peut conduire adopter une stratgie de fermetdans les cas o la procdure dadoption la majorit qualifie dunenorme de droit international ou de droit communautaire risque, sur unsujet donn, daboutir une solution bouleversant lordre juridiqueinterne, voire exigeant une rvision de la Constitution.

    La question est alors de savoir si la vision que peuvent avoir des forceset faiblesses des diffrentes branches du droit franais les entreprises etles institutions publiques ou prives ainsi que leur pratique spontanedans le champ international sont suffisamment cohrentes pour pouvoirconstituer une stratgie nationale dinfluence juridique permettant laFrance de rester un acteur dans la comptition sans trahir sa culture.

    Lenjeu conomique du droit est sans commune mesure avec cequil pouvait tre par le pass du simple fait de lexplosion ducommerce mondial, les changes ayant t multiplis par 17 entre 1965et 1990.

    Servir de modle pour ladoption ou la rforme dune lgislation dunautre tat ou les rgles de fonctionnement dune organisation interna-tionale cest, pour un tat, donner un avantage aux entreprises qui

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    3. Cf. article 55 de la Constitution de 1958 : Les traits ou accords rgulirement ratifis ou ap-prouvs ont, ds leur publication, une autorit suprieure celle des lois, sous rserve, pour chaqueaccord ou trait, de son application par lautre partie . La suprmatie ainsi confre aux engage-ments internationaux ne sapplique pas, dans lordre interne, aux dispositions de nature constitution-nelle (C.E, Assemble, 30 octobre 1998, Sarran, Levacher et autres, Rec p. 39 ; Cass, Ass. Pln, 2juin 2000, Mlle Fraisse, Bull. 2000, AP n 4 p. 7).4. Comme la montr ltude du Conseil dtat, La norme internationale en droit franais, la Do-cumentation franaise, 2000.

  • connaissent et pratiquent le modle et donc favoriser les entreprisesnationales.

    Disposer dune lgislation et dinstitutions administratives et juridic-tionnelles correspondant un standard international constitue un atoutdans la comptition que se livrent les tats pour attirer des investisse-ments sur leur territoire. Larticle 9 de la loi du 19 aot 1986 autorisantlinsertion dune clause compromissoire dans les contrats conclus pour la ralisation doprations dintrt national entre une pluralitde personnes publiques agissant conjointement et des socits tran-gres pour faciliter limplantation du parc Eurodisney Marne-la-Valle est un exemple dadaptation ponctuelle du droit admi-nistratif sous la pression de considrations conomiques. Linfluencedu modle anglo-saxon sur lvolution du droit boursier et financierfranais dans les trente dernires annes 5 en est un autre.

    La comptition juridique se situe donc galement, par la force deschoses, au niveau des acteurs conomiques eux-mmes qui cherchent rduire les incertitudes juridiques qui peuvent affecter un march etaccrotre leurs charges. Les entreprises dune certaine taille fontaujourdhui quotidiennement du droit compar. Les juristes dentre-prises se sont regroups en France dans une association, lAssociationfranaise des juristes dentreprise (AFJE), qui compte aujourdhui plusde 2 000 membres et dont lobjectif, selon lun de ses anciens prsi-dents, est damener davantage de chefs dentreprise de notre pays considrer le droit comme un domaine fondamental face aux dfis delentreprise dans le contexte de mondialisation .

    Directement ou indirectement, par les cabinets juridiques dont ellessattachent les services, et dont lactivit devient elle-mme un enjeuconomique important, les entreprises agissent pour promouvoir lesdispositifs juridiques les plus propres faciliter leurs affaires. Cesdispositifs sont trs souvent ceux que connaissent et, de plus en plus,fabriquent les entreprises dominant le march et les cabinets juridiqueseux-mmes dont lintrt est de raliser des conomies dchelle enobtenant une uniformisation du droit et des procdures. Se rejoignentainsi la conqute de parts dun march du droit et dun march par ledroit.

    3. La troisime difficult de ltude tient ce que la reprsentation dudroit franais comme un rameau du droit romano-germanique auquelsopposerait le droit anglo-saxon comporte, comme on le verra, unepart darbitraire quil faut ds maintenant souligner.

    Documentation franaise - Conseil dtat Influence page 15 - jeudi 13 septembre 2001

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    5. Cf. sur ce point Considrations gnrales sur les autorits administratives indpendantes ,Rapport public du Conseil dtat 2001, la Documentation franaise, mars 2001.

  • Il convient en effet de relativiser lexistence de deux systmes juridi-ques, romano-germanique dune part, anglo-saxon dautre part. Le droitfranais a t moins marqu que dautres par le droit romain et silsparlent peu prs la mme langue, le juriste anglais et celui de ltat deNew York ou de Virginie ne vivent pas dans le mme univers juridique.Au surplus, les contrastes et les oppositions entre les droits ou lesfamilles de droit, tant du point de vue de leurs sources que de leurcontenu, sont dintensit variable selon les disciplines juridiques : siaucune nest vritablement labri des influences extrieures, neserait-ce quen raison de la culture juridique des auteurs de normes, unechelle de la sensibilit ces influences placerait probablement le droitde la famille en bas et le droit des activits conomiques en haut delchelle. Enfin, la confrontation entre droit romano-germanique etcommon law, inspire par une sorte de jusoccidentalocentrisme, nesaurait videmment puiser les reprsentations et conceptions du droitdans le monde daujourdhui.

    Sous ces rserves, les termes droit franais et droitromano-germanique pourront parfois tre employs de manire syno-nyme dans la prsente tude. Ils le seront de prfrence lexpressionanglaise de civil law , dont la traduction franaise peut prter confusion. De mme, pourront tre employes les expressions common law au fminin ou de droit anglo-saxon .

    ** *

    Les considrations qui prcdent conduisent dresser un panorama delinfluence juridique aujourdhui (1) avant danalyser les forces et lesfaiblesses de la France en la matire (2) puis de proposer les lmentsdune stratgie dinfluence juridique (3).

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  • 1. Linfluence juridiqueaujourdhui

    Le droit est un lment de la comptitivit des territoires nationaux. Ence quil a vocation scuriser des oprations conomiques internatio-nales de plus en plus nombreuses et complexes, il est aussi, pour partie,un march que les professions du conseil juridique cherchent separtager.

    Mais le march est galement le paradigme pertinent pour dcrire lesphnomnes dinfluence juridique. Les systmes juridiques se trouventen effet en concurrence sur le march international du droit. On cons-tate quil est cependant rare quun systme prvale compltement surlautre : le plus souvent, la comptition juridique produit un mlangedes solutions nationales, soit par volont de compromis lors des ngo-ciations internationales, soit par slection des solutions ponctuelles lesplus efficaces, soit par laction des hommes et du hasard... La compti-tion juridique se traduit par un jeu dinfluences entre diffrentes formesde lgitimit : celle des tats souverains, mais galement celle de tousles acteurs qui composent la socit internationale. Ces influencesaboutissent des combinaisons complexes de normes et de pratiques.

    Pour dcrire ce mcanisme dhybridation, il faut dabord analyserloffre de solutions juridiques qui est le fait de deux principauxsystmes, le droit romano-germanique et la common law, puis analyserle rle des prescripteurs ou acheteurs de droit que sont les tats, lesorganisations internationales, les entreprises et les citoyens. En effet,les diffrences entre les deux principaux systmes de droit ne sontquun des lments de la comptition juridique.

    Documentation franaise - Conseil dtat Influence page 17 - jeudi 13 septembre 2001

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  • 1.1. Les diffrences entre les deux principauxsystmes de droit

    La common law et les droits romano-germaniques ont une histoire etune gographie distinctes et, en dpit dun processus de convergencegraduelle, demeurent marqus par des modes de pense diffrents.

    1.1.1. Une histoire et une gographie distinctes

    la diffrence de la common law, la notion de droit romano-germa-nique est doctrinale 6. Elle sappuie, toutefois, sur une histoire et unescience communes et sil nexiste pas un droit romano-germaniquemais des droits romano-germaniques, ceux-ci peuvent revendiquer descaractristiques qui les distinguent de la common law.

    Le systme des droits romano-germaniques

    Au premier rang des caractristiques des droits romano-germaniquesfigure videmment la filiation du droit romain, avec lequel les droitsromano-germaniques partagent lide dun raisonnement par catgo-ries. Cest parce que le renouveau du droit sest effectu dans les payslatins et germaniques, partir du XIIe sicle, poque de la scolastique,sur la base des dfinitions et classifications des Institutes de Gaus 7 etdu Corpus Juris Civilis de Justinien que la filiation peut tre tablie 8.Cette filiation explique linfluence du droit romain sur le droit matrieldes diffrents tats europens 9. Cette influence ne sera toutefoisjamais exclusive dautres influences : celle du droit canon, lautre droitsavant (utrumque jus) du Moyen ge, et celle des droits locaux princi-palement coutumiers. Ainsi, mme si la thorie gnrale desobligations du Code civil doit beaucoup au droit romain, la libertcontractuelle, la libert du consentement, et lautonomie de la volonttaient inconnues Rome o lon pratiquait le systme des contratsformalistes et nomms. Le droit allemand est, cet gard, beaucoupplus redevable au droit romain que le droit franais.

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    6. On la doit au professeur R. David, cf. R. David et C. Jauffret-Spinosi, Les grands systmes dedroit contemporains, Dalloz, 10e dition, p. 17 et s.7. Desquelles viennent entre autres la distinction entre le droit commun tous les hommes etcelui qui est propre chaque peuple , ce dernier, li la cit, tant le droit civil qui est une autremanire de dnommer le droit romano-germanique.8. Encore que dans la mesure o il sest dvelopp comme un droit prtorien au sens propre duterme et donc comme un droit processuel, le droit romain pourrait plus srement revendiquer la pa-ternit du common law que celle de droits qui ne sont pas principalement jurisprudentiels.9. Le droit public franais lui doit, entre autres, la notion dutilit publique ou la distinction do-maine public/domaine priv.

  • La deuxime caractristique des droits romano-germaniques est de nepas tre, titre principal, des droits jurisprudentiels, ce quil estcommunment convenu daffirmer en voquant les pays de droitcrit , expression qui, au pied de la lettre, ne permet pas de distinguerles deux familles de droit. Cette caractristique ngative recouvre deuxides intimement lies. Tout dabord, lide de la loi crite commesource unique du droit, du fait de lillgitimit du juge crer du droit.Ensuite, lide que les catgories et concepts du droit doivent former unsystme ordonn, cohrent et rationnel dont dcoulent en quelque sortenaturellement les solutions aux problmes juridiques, et donc auxlitiges, et que seul un acte du souverain peut crer.

    Le droit romano-germanique est donc devenu le droit des codes, quilsagisse de codes-compilations ou de codes-rvolutions , le codetant conu comme un instrument qui dcuple la force de la loi 10.Au-del des prcdents romains (codes du Bas-Empire, Code Thodo-sien et Code de Justinien), ce sont les codes des pays allemands,notamment le code gnral des tats prussiens promulgu en 1794 puisle Brgerlichen GesetzBuche (BGB), ainsi que les cinq codes franaisdu dbut du XIXe sicle qui feront de la codification lun des traitsdistinctifs, sinon le principal, des droits romano-germaniques.

    Le systme de la common law

    Avant la conqute normande, le droit anglo-saxon ntait gure diff-rent du droit continental. Il mlait droits coutumiers, droitecclsiastique et droit romain. Huit sicles plus tard, la common law, ausens le plus large du terme, peut tre prsente comme un droit qui sedistingue par son mode dlaboration, la fois processuel et jurispru-dentiel.

    Les Normands nont pas import un droit en Angleterre. En revanche,leur stratgie politique passe par la cration dune justice royale, qui vapeu peu simposer par son efficacit et par sa plus grande impartialitpar rapport la justice seigneuriale ou ecclsiastique. Lefficacit decette justice comme la stratgie politique commandent den limiter etlaccs en 1227, il ny a que 56 cas-types permettant daccder lajustice royale et la comptence de cette dernire est restreinte auxquestions touchant aux finances royales, la proprit de la terre et auxaffaires criminelles graves afin de ne pas trop restreindre les revenus dejustice des seigneurs fodaux. Llment cl de cette justice est le writ,acte introductif dinstance qui autorise le demandeur engager despoursuites devant la Cour royale. Avec le writ, ou bref, dlivr par leChancelier, cest lensemble de ldifice qui est contrl : surveillance

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    10. A. Garapon Common law et droit romano-germanique lheure dee la mondialisation .Note communique par lauteur.

  • des demandes prsentes la justice du Roi et conditions dexercice decelle-ci. Il ny a donc pas, cette poque, de droit dagir en justice 11

    pas plus que de droits subjectifs. Le droit est intimement li lactionen justice qui en constitue la substance mme, lessentiel tant moinsde connatre ou de rechercher abstraitement la solution un problmejuridique que de trouver la formule daction permettant daccder lajuridiction qui tranchera un litige. Selon la formule de Sir HenryMaine 12, le droit est scrt dans les interstices de la procdure . Lapremire caractristique de la common law est donc dtre un droit deprocdure.

    La common law est complte, partir du XVe sicle, par lequity, quipermet au Roi ou son chancelier de pallier, au nom de la morale, lesrigidits ventuelles de la common law : deux types de droits et deuxtypes de juridiction vont donc coexister jusquau XIXe sicle. Lesrformes engages partir de cette poque 13 sous la pression des idescontinentales relayes en vain, sagissant de la codification, par J.Bentham 14 auront, entre autres effets, celui de faire ressortir le carac-tre jurisprudentiel du droit anglais. La rgle du prcdent ne date pasdu XIXe sicle : sa premire formulation thorique remonterait larestauration des Stuart en 1660. Mais ces rformes, spcialement larduction du rle du jury au profit dun juge charg de dire le droit etlinstauration dune hirarchie judiciaire, dplacent la perspective enfocalisant dsormais lattention sur le fond du droit : le droit applicable la solution du procs importe autant sinon plus que le droit quigouverne lintroduction de ce procs 15.

    La gographie des deux systmes

    Que la common law anglaise ait pu faire lobjet dexportations et soitaujourdhui le systme juridique de nombre dtats de la plante nestquen partie paradoxal.

    Sans doute, comme le montre lexemple des tats-Unis au XVIIIe

    sicle, les caractristiques de la common law de cette poque sont peupropices une diffusion ltranger : lie une procdure complexedont le maniement exige des spcialistes expriments, la common lawnest pas adapte aux problmes que connaissent les colons. Elle est

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    11. Lautorisation du chancelier pour agir en justice ne sera supprime quen 1832 et les formesdactions auxquelles le demandeur devait se rfrer pour justifier son action en 1852.12. Sir Henry Maine, Early, Law and Custom. Cit par Henry Lvy-Ullmann, Le systme juri-dique de lAngleterre, Sirey, 1926.13. Aprs la suppression de lautorisation du chancelier et des formes dactions, les judicaturesacts de 1873-1875 mettent en partie fin la complexit du systme dual common law et equity -,crent une cour dappel et simplifient la structure des tribunaux de premire instance.14. Du moins en Angleterre, car la codification des coutumes qui aura lieu en Inde au cours de laseconde moiti du XIXe sicle lui doit certainement quelque chose.15. Voir H. P. Glenn La civilisation de la common law , Revue internationale de droit compa-r, 1993, p. 559 et s.

  • pourtant applicable en vertu du Calvins case 16. partir de ce cas a tdgage une thorie sur lapplication du droit anglais aux colonies : lessujetsanglais transportent la common law avec eux lorsquils stablis-sent dans des territoires qui ne sont pas soumis des nations civilises.Elle peut tre toutefois carte dans la mesure o ses rgles ne sont pas appropries aux conditions de vie rgnant dans ses colonies . Lefond du droit anglais nest pas non plus ncessairement adapt auxexigences de la vie coloniale.

    Plus gnralement, lon peut penser quil est plus difficile un droit juris-prudentiel de simplanter en dehors du pays o il a t labor, sans lesinstitutions, judiciaires mais aussi politiques et culturelles, qui sont sasource : la problmatique nest dailleurs pas trs diffrente pour le droitadministratif franais. Mais plusieurs facteurs ont permis de surmonter cetobstacle et expliquent laudience actuelle de la common law.

    Au-del du simple effet de la colonisation, qui a donn la GrandeBretagne un terrain de diffusion de son droit considrable, il y a lasouplesse du systme du Calvins case et les caractristiques de lacommon law : pragmatisme, adaptabilit, neutralit au regard du droitmatriel local. Celles-ci ont permis toute une palette de solutions quant la combinaison du droit anglais et des droits locaux : du maintien, aumoins provisoire, de ceux-ci, comme en Afrique du Sud, au Sri Lanka, lle Maurice, jusqu leur ngation, comme en Australie, en passantpar leur prise en compte, comme en Inde o se mlent codificationdes coutumes et systme judiciaire anglais ou dans certains tats afri-cains. Quel que soit le fond du droit, une tradition a t cre parrfrence la culture juridique de lAngleterre : systme judiciaire,procdure, importance des prcdents, publication des dcisions. Peu peu, lapplication des rgles locales, coutumires ou non, par une couranglaise les transformera, par leffet de la rgle du prcdent en loiapplicable par une Cour anglaise [devenant] vraiment par-l un ordreman du souverain 17.

    lheure actuelle, daprs une tude de luniversit dOttawa ralise la mi-1998 18, la common law serait en totalit ou titre principal lesystme juridique denviron une centaine dentits politiques 19, la

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    16. Du nom de laffaire Calvin, personnage imaginaire cens tre n en Ecosse aprs la fusion desdeux Royaumes et qui engage une action pour rcuprer des biens qui lui auraient t soustraits parun Anglais.17. H. Summer-Maine, tudes sur lhistoire du droit, Paris, 1889. Cit par N. Rouland, Introduc-tion historique au droit, PUF, 1998.18. Consultable sur le site http://www.uottawa.ca/world-legal-systems. Ltude retient six cat-gories : droit civil (romano-germanique), common law, droit coutumier, droit musulman, droit tal-mudique, droit mixte (cette dernire catgorie dsignant les combinaisons des systmes prcdents).Voir en annexe VI une carte extraite de cette tude.19. Lexpression entits politiques dsigne la plupart du temps des tats mais aussi parfois desdivisions politiques de ceux-ci, disposant dune certaine autonomie et dont le systme juridique a ac-quis ou conserv une certaine autonomie.

    http://www.uottawa.ca/world-legal-systems

  • plupart issues de la colonisation britannique. Elle rgit plus du tiers dela population mondiale, dont la majeure partie en Angleterre, Irlande,Pays de Galles, tats-Unis, Inde et Australie : 6,41 % ltat pur ; plusde 33 % en comptant les systmes inspirs de la common law mais troporiginaux pour sy rduire, comme lInde.

    Daprs la mme tude, la civil law serait le systme juridiquedenviron 150 tats et couvrirait prs de 60 % de la populationmondiale : 23,95 % ltat pur et 28,54 % au titre de la Chine, dont ledroit mle droit civil et droit coutumier.

    En conclure que le droit romano-germanique resterait dominant parrapport la common law serait commettre une erreur plusieurs titres :tout dabord en accrditant lide de lexclusivit des deux systmespour dcrire ltat du monde juridique, ce contre quoi les auteurs deltude mettent au demeurant en garde ; ensuite en rduisant lanalysede linfluence des systmes juridiques une comptition dont le seulenjeu serait le droit des tats ; enfin, en ne sinterrogeant pas sur lespossibilits quont les deux principaux systmes de donner naissance des concepts hybrides, des solutions communes, des rgles parta-ges.

    1.1.2. Des caractristiques opposesmalgr des convergences

    On peut observer un processus de convergence graduelle des systmesjuridiques. Toutefois, cette convergence ne gomme pas les diffrencesde culture juridique entre la common law et les droits romano-germani-ques.

    Les frontires entre les diffrents systmes juridiquessont dsormais brouilles

    Lexistence de systmes mixtes vient tout dabord contredire lidedune tanchit totale entre les deux systmes. Daprs ltudeprcite de lUniversit dOttawa, 6,24 % de la population mondiale,soit plus de 350 millions de personnes, vivrait dans des entits politi-ques dans lesquelles le systme juridique comprendrait la fois dudroit romano-germanique et de la common law 20, parfois associs dautres traditions. Isral offre ainsi lexemple dun tat ayant hrit lacommon law de linfluence anglaise et qui sest orient vers un systmede droit crit (avec notamment une volont de codifier le droit 21),coexistant avec du droit talmudique.

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    20. Pour la seule mixit common law et droit romano-germanique : Afrique du Sud, Bostwana,Chypre, Ecosse, Guyana, Louisiane, Malte, le Maurice, Namibie, Philippines, Porto Rico, Qubec,Sainte Lucie, Seychelles, Thalande.21. Le droit priv a t codifi en 1994 partir du Code des obligations suisse et du Code civil italien.

  • Le cas du Canada mrite cet gard une attention particulire. Depuislacte de Qubec de 1774 adopt par le Parlement britannique, le droitpriv canadien comprend un droit dinspiration romano-germanique auQubec et la common law dans les autres tats. Au bilinguisme a eneffet succd un vritable bijuridisme. La loi constitutionnelle de 1867avait procur des garanties aux francophones. La loi sur les languesofficielles de 1969 a accord au franais et langlais lgalit de statutau Parlement, devant les tribunaux et dans ladministration fdrale. LaCharte canadienne des droits et des liberts de 1982 a complt cesgaranties, accordant la mme valeur aux versions anglaise et franaisedes textes de loi.

    La rdaction dun nouveau Code civil au Qubec entr en vigueur en1994 et qui consacre des principes et des institutions de droit anglais etde common law, tout en respectant la structure de base et la termino-logie de la codification de droit civil a conduit le gouvernementfdral sengager dans une vritable politique de bijuridisme. Il sestainsi engag rdiger les deux versions des textes de loi fdraux entenant compte des deux systmes de droit, lorsque le projet a des cons-quences sur le droit priv des provinces ou des territoires et lorsque lelgislateur fdral pose lui-mme des rgles de droit priv.

    Les juristes canadiens 22 observent que ce bijuridisme est un atout dansle domaine de lenseignement du droit comme du commerce interna-tional, notamment au sein de lAccord de libre-change nord-amricain(ALENA), o le Canada dispose dune position intermdiaire entre lestats-Unis, dont le rgime juridique a sa souche dans la common law, etle Mexique, dont le systme est issu du droit civil.

    La mixit peut se constater galement dans les solutions adoptes parles tats dans un domaine particulier : ainsi il ny a pas un droitcommercial de la common law qui sopposerait au droit commercialromano-germanique. En la matire, des auteurs 23 ont mme pu releverlexistence de sept types de lgislation : droit anglais, droit amricain,droit mixte anglo-romain, droit germanique et scandinave, droit fran-ais, droit mixte dinspiration franaise et germanique, droit islamiste.

    De puissants facteurs sont aujourdhui luvre pour contribuerau rapprochement des deux systmes : part croissante du droit inter-national comme source de droit, uniformisation des conditionsconomiques et sociales, comparaison accrue des solutions juridiques.

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    22. Voir par exemple R.A. Macdonald, prsident de la commission du droit du Canada Le bijuri-disme en droit canadien : vers un modle pour le XXIe sicle , Colloque sur lharmonisation de lalgislation fdrale avec le droit civil qubcois, 24 novembre 1997 ; A-R Nadeau Code civil, bi-juridime et mondialisation , Journal du barreau du Qubec, 1er novembre 2000 ; A.Grenon, Lacommon law en franais dans le contexte de mondialisation , Rencontres de Montpellier du rseauinternational de juristes dexpression franaise. (http://www.oveanet.com/rijef/contributions.htm).23. P. Wood , Maps of World Financial Law, Allen and Overy, 1997.

    http://www.oveanet.com/rijef/contributions.htm

  • Ltude ralise par le Conseil dtat sur la norme internationale endroit franais a montr limportance quantitative des normes internatio-nales et communautaires dans notre droit comme la place quelles ontprise dans des domaines importants de celui-ci 24.

    Sagissant du droit communautaire, le constat vaut galement pour leRoyaume-Uni, un texte ayant t ncessaire pour lui donner un effetdirect et garantir sa primaut 25. Cette primaut sur la common law et ledroit crit tend, dans les domaines de comptence communautaire, effacer les diffrences entre les deux systmes. Il est indniable que ledroit anglais, notamment public 26, a pu perdre de sa spcificit par cet envahissement du droit communautaire 27. Le Royaume-Uni vienten outre de transposer dans son droit la Convention europenne desauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales, dontlapplication ncessitera un important effort de la part des juridictionset aura vraisemblablement dimportantes consquences sur le droit et laprocdure 28.

    Sagissant du droit international conventionnel classique, son influencesur le droit interne du Royaume-Uni comme des tats-Unis peut treaffaiblie ou ralentie par le fait que ces tats ne reconnaissent pas lanorme internationale une autorit suprieure la loi ou la jurispru-dence.

    Luniformisation, du moins dans les pays occidentaux, des conditionsconomiques et sociales provoque un ncessaire rapprochement dessolutions de fond, qui doivent rpondre aux mmes problmes.Plusieurs tudes comparatistes soulignent ainsi que, sous des conceptsou des terminologies diffrentes, la common law et le droitromano-germanique parviennent des rsultats identiques 29.

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    24. La norme internationale en droit franais, prcite.25. Du fait de lapproche dualiste du droit international retenue par le Royaume-Uni. Mais lEuro-pean Communities act de 1972 qui traite du droit crit et de la jurisprudence de la CJCE constitue, ence quil donne au droit communautaire un effet direct dans le droit interne, une exception cette ap-proche.26. Voir X. Lewis Linfluence du droit communautaire sur le droit administratif anglais ,AJDA, numro spcial Droit administratif et droit communautaire , juin 1986, p. 124.27. Suivant limage de la mare remontant la Tamise employe par Lord Denning dans Bulmer v.Bollinger (1974) 2 All ER 1226).28. Voir par exemple : A. J. Bullier La transposition en droit interne de la convention euro-penne des droits de lhomme dstabilise le systme judiciaire de lEcosse , LPA, n 253, 21 d-cembre 1999. Le Royaume-Uni avait sign et ratifi la convention mais estimait que les rgles decommon law assuraient dj leffectivit des garanties poses par la convention. Ncessaire pour queles droits institus par celle-ci soient directement invocable par les particuliers, lHuman Right Actde 1998 sinspire des techniques de lEuropean Communities act.29. B. Markesinis, Foreign Law and Comparative Methodology, Hart Publishing, Oxford, 1997 :lauteur souligne la proximit des notions de cause et de consideration en droit des obligations fran-ais et anglais, et lobjectif identique quelles poursuivent : sassurer du caractre synallagmatiquedu contrat.

  • La dmarche comparatiste peut tre favorise par la richesse de linfor-mation juridique disponible, grce en particulier lInternet. En effet,que les causes des mises en ligne de textes juridiques soient multipleset souvent purement nationales ne les privent pas de leffet quellespeuvent avoir sur le travail du chercheur tranger. Des sites tatiques,comme celui de la librairie du congrs des tats-Unis 30, ou non tati-ques, comme celui de lInstitut Max Planck 31, vont jusqu offrir unpanorama souvent trs riche de textes de la plupart des tats aumonde. cette information brute, sajoute, toujours sur internet, uneinformation spcialise : les sites de droit compar, gnralistes ounon, la plupart du temps universitaires, sont nombreux. Le travail decomparaison juridique nest dailleurs plus limit un cercle despcialistes : des analyses de droit compar sont disponibles sur lesite du Snat franais 32 .

    Linternet nest videmment pas le seul mode de diffusion des droitsnationaux. Les changes dides provoqus par la multiplication derencontres organiques ou conjoncturelles de juridictions suprmes, degroupes parlementaires et linformation diffuse par les organisationsinternationales comme lOCDE peuvent aussi inspirer tant ceux quidictent des normes que ceux qui rendent des jugements.

    Tous ces lments facilitent sans doute plus limitation de solutionspour un problme donn que limportation de systmes juridiquescomplets. Mais ils tendent, en tout tat de cause, dvaluer lapport dela tradition par rapport celui de la comparaison 33.

    Dans les pays de common law, la place croissante du droit critaffecte limage dun systme essentiellement juridictionnel et juris-prudentiel.

    Quoique pays de common law, les tats-Unis font depuis longtempsune place au droit crit. Le balancement entre les deux systmes qui a

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    30. Le Rseau mondial dinformations juridiques (Global Legal Information Network (GLIN))fournit et maintient une base de donnes comprenant des lois, des rglements et un certain nombredautres sources juridiques complmentaires mis la disposition de la Bibliothque du Congrs destats-Unis dAmrique par les gouvernements des pays membres du rseau. http://memo-ry.loc.gov/law/GLINv1/GLIN.htm31. http://www.virtual-institute.de/32. Voir le site du snat http://www.senat.fr/elc.html . LAssemble nationale effectue galementdes tudes de lgislation compare en application de larticle 86 de son rglement qui prvoit que les rapports faits sur un projet ou une proposition de loi portant sur des domaines couverts par lac-tivit des communauts europennes comportent en annexe des lments dinformation sur le droiteuropen applicable et la lgislation en vigueur dans les principaux tats europens .Il serait toutefois erron de penser que le souci dinformation sur les droits trangers soit une proc-cupation rcente : la fin du XIXe sicle, le ministre de la Justice disposait de son propre comit delgislation trangre. Lexpos des motifs du projet de loi dpos en 1936 sur le droit dauteur et lecontrat ddition est un exemple particulirement significatif de ce souci. (JO, Chambre des dputssession ordinaire 2e sance 13 aot 1936, annexe 1164).33. B. Markesinis, op. cit.

    http://www.memory.loc.gov/law/GLINv1/GLIN.htmhttp://www.virtual-institute.de/http://www.senat.fr/elc.html

  • marqu lhistoire du droit aux tats-Unis entre 1750 et 1850 comme lefdralisme ont loign le droit des tats-Unis de la common lawanglaise. La common law est en principe morcele entre les diffrentstats 34 pour toutes les matires relevant de la comptence lgislativede tats. Si les diffrences dun tat lautre sont limites, cestnotamment en raison de lexistence des restatements of the law qui, aunombre dune vingtaine, exposent les principes adopts par la majoritdes juges dans le domaine de la common law. Sans tre proprementparler des codes, ces rexposs du droit tablis sous lautorit dunesocit savante prive, lAmerican Law Institute, font plus queprsenter ltat du droit, ils visent lamliorer en procdant deschoix qui, pour tre purement doctrinaux, nen influencent pas moinsles solutions jurisprudentielles.

    Leur existence montre lintrt port aux tats-Unis lide de codifi-cation mme sil ne sagit pas dune codification rformatrice et audroit crit. ct de lUniform Commercial Code adopt par 49 des 50tats, dont lauteur, K. Llewellyn, tait imprgn de culture juridiqueallemande, figurent le Uniform Consumer Credit Code et le UniformProbate Code. Un Code de procdure civile prpar par D. DudleyField en 1846 et adopt par la plupart des tats et la Fdration esttoujours en vigueur dans plusieurs tats dont la Californie 35. Il existedailleurs un Office of the Law Revision Counsel qui tient jour etpublie une version consolide des textes fdraux 36.

    Le droit crit occupe galement aujourdhui une place prpondranteau Royaume-Uni. Malgr lexistence dun courant en faveur de la codi-fication, celle-ci ne sest pas dveloppe. Mme sil est difficiledeffectuer des comparaisons sur le stock existant on notera quelactivit normative annuelle est grosso modo quivalente la ntre 37.Elle suscite des critiques identiques : en 1994, la Plain languagecommission notait ainsi : Le gouvernement est responsable duntorrent de lgislation plus de 2 000 pages de lois nouvelles en 1991.Mais il na rien fait pour rendre la loi nouvelle plus comprhensible 38.

    Symtriquement, ne saurait tre perdu de vue le fait que le systmejuridique franais comporte des pans entiers de droit jurispruden-

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    34. Depuis larrt Erie Railroad Company V. Tompkins de la Cour Suprme de 1938.35. V. George, A. Berman La codification aux tats-Unis in RFAP, 1997 et D. Tallon La co-dification dans le systme de common law , Droits, 1998, p. 40.36. V. http://uscode.house.gov/cod.htm37. Une cinquantaine de public et local acts adopts directement par le Parlement et 3 000 actes delgislation dlgue ou secondaire statutory instrument, lquivalent des textes rglementairesfranais par an.38. Martin Cutts, Lucid law : the sequel to unspeakable acts ?, Londres Plain Language commis-sion, 1994. la fin des annes 1970, le rapport Renton avait dj abord la question de la qualit lin-guistique des textes. Certaines de ses propositions avaient conduit des rformes (notammentlaboration de lois de consolidation).

    http://uscode.house.gov/cod.htm

  • tiel dont ni les Anglais, ni les Amricains ne renieraient le modedlaboration 39. Mme si le juriste anglo-saxon peut tre drout parlexistence de rgles, de juridictions et de procdures distinctes pour ledroit public et le droit priv, le droit administratif franais voque irr-sistiblement pour lui, au moins en premire analyse, un droit decommon law. Comme le souligne Ren Chapus 40, ce droit fait par lejuge est la consquence quon peut dire normale, ou mme invi-table, de la carence de la loi [...]. Ni en 1804, ni par la suite, il ny a euquelque chose qui aurait pu tre au droit administratif ce que le Codecivil est au droit civil .

    Ce trait nest dailleurs pas propre au droit administratif : le droit inter-national priv franais est du moins en ce qui concerne les rgles deconflit de lois un droit essentiellement jurisprudentiel, bti surlarticle 3 du Code civil. On a pu relever 41 que le droit franais est, cet gard, rest paradoxalement lcart dun grand mouvement decodification 42 en notant que labsence de codification avait permis la jurisprudence de suivre le mouvement des ides , la Francemarquant en outre sa prfrence pour une unification internationale dessolutions. Le Code civil lui-mme peut apparatre, pour des juristesanglo-saxons, en raison de la gnralit de ses termes, comme laissantune large place la jurisprudence.

    Le point de savoir si la jurisprudence est une source, matrielle ouformelle, du droit est toujours discut en doctrine 43. Dans la mesure dela place prise par le droit europen dans le droit franais et continental,cette question parat tranche, la citation, dans les dcisions des juridic-tions franaises administratives et judiciaires, des arrts de la Cour dejustice des Communauts europennes en tant la preuve. Sans douteest-il normal que le juge national, ayant pos une question au jugecommunautaire dans le cadre du renvoi prjudiciel cite, dans sa propredcision, celle de la Cour de Justice qui rpond sa question. Toute-fois, la citation, par une juridiction, dun arrt de cette cour dans lesautres cas de figure fait apparatre alors plus nettement la jurisprudencecommunautaire comme une source formelle du droit 44. Quant la juris-

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    39. Voir respectivement J. Bell, La jurisprudence vue par un juriste anglais et G. A. Bermann, Llaboration du droit : la jurisprudence in Llaboration du droit- le contrle de ladministra-tion , Colloque du bicentenaire du Conseil dtat, La revue administrative, n spcial 2000.40. Llaboration du droit : la jurisprudence. Rapport introductif in colloque prcit.41. H. Battifol et P. Lagarde, Droit international priv, LGDJ.42. Englobant lEurope de lEst et de lOuest puis la Louisiane et le Qubec.43. Voir par exemple rcemment la discussion entre plusieurs auteurs. La jurisprudence au-jourdhui libre propos sur une institution controverse , Revue trimestrielle de droit civil, 1992p. 337.44. Voir par exemple pour le Conseil dtat, faisant rfrence la jurisprudence de la CJCE ,25 novembre 1998, Compagnie Luxembourgeoise de Tlvision, Rec p. 443 et, citant une dcision :Section, 3 dcembre 1999, Association ornithologique et mammalogique de Sane-et-Loire et Asso-ciation France nature environnement, Rec p. 381.

  • prudence de la Cour Europenne des Droits de lHomme, elle constitue,notamment en raison de linvocation frquente devant les juridictionsadministratives et judiciaires des dispositions de larticle 6.1 de laconvention relatif au droit au procs quitable, une rfrence obligemme si les arrts de la Cour ne sont revtus que de lautorit relativede la chose juge.

    Cest donc en fait moins dans le conntenu ou les sources du droit quedans des mthodes de raisonnement et la conception mme du rle dudroit que sont rechercher les diffrences essentielles entre commonlaw et droit romano-germanique.

    Des oppositions qui perdurent

    La common law ne sest pas toujours dveloppe en fonction daxesrigoureusement logiques et lorsque la logique mnerait la Cour sur unchemin parsem dembches pratiques, celle-ci ne craindra pas de sendtourner pour rechercher la solution pragmatique qui servira aumieux les besoins de la socit 45 : quoiquon lait, dans la prsentetude, par commodit de rdaction, associe lide de systme, lacommon law ne se pense pas comme telle. Cest ce qui explique quct des puissants facteurs de convergence relevs plus haut demeurentdes oppositions entre les deux cultures juridiques.

    Des mthodes diffrentes dlaboration du droit. Dans le systmeromano-germanique, le juge qualifie juridiquement les faits pourdgager la question de droit que pose le litige et en dduire la solutiondu droit applicable conventionnel, lgislatif, rglementaire ou jurispru-dentiel. Le juge de common law se considre lui avant tout confront une situation de fait quil y a lieu de comparer des situations simi-laires propos desquelles des dcisions ont dj t rendues. Toutedcision dun juge de common law doit tre lue et comprise la lumiredes faits quelle commence dailleurs par exposer longuement et prci-sment. la suite de cette relation, le juge rappelle les dcisionsrendues sur des cas similaires et procde des parallles et distinctions.Qualifier le raisonnement du juge de common law dinductif est exact condition de prciser quil ne tire pas des prcdents une rgle quilappliquerait aux faits qui lui sont soumis mais reproduit une solutiondgage pour des faits semblables. En ce sens, la signification du motjurisprudence nest pas la mme dans les pays de la common law etdans ceux de droit romano-germanique. L o nous entendons rglejurisprudentielle, les juristes de common law entendent prcdentsrelis entre eux par des faits.

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    45. Lord Justice Griffiths, Ex parte King [1984] 3, All, E.R 897 (C.A) p. 903, cit par P. Legrand Sens et non-sens dun code civil europen , RIDC, 4-1996, p. 7779.

  • Cela ne signifie nullement quil nest pas possible de dgager, des dci-sions rendues par un juge anglais ou amricain, des rglesjurisprudentielles qui pourraient in fine faire lobjet dune codificationofficielle ou non. Cest bien lide des restatements of the law ameri-cains qui nont pas dautre valeur que doctrinale. Blackstone,adversaire acharn de la codification, sy est dailleurs essay dans sesCommentaries on the laws of England (1765-1769) 46. Simplement, celane correspond pas au mode de pense de la common law.

    Cette diffrence de mthode est lorigine de diffrences de stylesrdactionnels 47 qui sont source dincomprhensions : un juriste fran-ais 48 pourra ne voir, dans une dcision de la Chambre des Lordsrelatant longuement des considrations de fait, quun jugement qui-table tandis que la lecture des motifs dun arrt de la Cour de Cassationou du Conseil dtat par un juriste anglais ou amricain pourra luidonner limpression dun simple appel abstrait du droit sans attentionrelle aux faits de lespce.

    La conception du rle du droit crit dans les pays de common lawdcoule en grande partie de ce qui prcde. En droit anglais, un texte deloi a pour fonction dapporter des complments ou des corrections lacommon law 49 et non dnoncer des principes ou dexprimer unsystme juridique. Apparu comme un coup port la comptence de lacommon law, le droit lgislatif a fait ds le dpart lobjet dinterprta-tions restrictives, mme si, en tant quuvre dun Parlement souverain,les lois doivent tre interprtes et appliques la lettre. Cette concep-tion ne laisse pas davoir des consquences sur les mthodes derdaction des textes et leur contenu : le lgislateur a ainsi recours desdfinitions pour circonscrire de faon dtaille des situations de fait,sauf lorsque le terme correspond une notion juridique jurispruden-tielle, auquel cas est opr un renvoi implicite la dfinitionjurisprudentielle. Cette mthode est pratiquement oppose la mthoderomano-germanique de rdaction des textes.

    Ces diffrences de mthode recouvrent des conceptions divergentesde la reprsentation et de la fonction du droit. La common law est undroit de praticiens dont la figure est le juge slectionn pour sa russiteprofessionnelle comme avocat. Les juges sont beaucoup moinsnombreux en Angleterre quen France 50 du fait de lexistence denombreux magistrats bnvoles. Leur nom est connu grce notamment

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    46. V. F. Lessay, Blackstone, common law et codification in Droits, 1998, p. 2.47. B. Markesinis, op. cit.48. Il y a en effet lieu de noter que les dcisions juridictionnelles allemandes ou italiennes ne sontgure moins dveloppes que les jugements anglais ou amricains.49. Les cours royales existrent bien avant que ne saffirme le pouvoir lgislatif du Parlement.50. Il y avait environ 2 300 juges professionnels en Angleterre et au Pays de Galles en 1995 pourenviron 6 100 en France avec une population quivalente (juges du sige). Source : European DataBase on Judicial systems . IRSIG-CNR 1999.

  • aux opinions dissidentes quils ont la facult dmettre et qui consti-tuent un matriau essentiel dans la connaissance du droit comme dansson apprentissage.

    Droit de praticiens, la common law requiert lapprentissage de techni-ques ayant pour but de rgler des cas concrets, en trouvant des remdes . Si lon peut constater des diffrences entre lenseigne-ment du droit aux tats-Unis dont les coles ne sont ouvertesquaprs quatre annes dtudes dans une autre discipline et lAngle-terre o les facults de droit sont ouvertes ds la fin des tudessecondaires et dlivrent une formation gnrale plus thorique quecelle des coles professionnelles, ces diffrences se rduisent face ausystme denseignement du droit dans les pays de droit romano-germa-nique dont lapprentissage ne fait pas appel aux mmes ressortsintellectuels. Le droit romano-germanique a pour figure, au contraire, leprofesseur, la fois auteur de thories et commentateur de dcisions dejustice qui, sans tre anonymes, ne sont pas personnalises.

    Le droit romano-germanique et la common law se distinguent gale-ment par une conception diffrente du procs. La procdure est lun desdomaines du droit particulirement symbolique de loppositioncommon law/droit romano-germanique, qui prend la forme dune oppo-sition procdure accusatoire/procdure inquisitoire en matire pnale :en common law la procdure est mene sous la direction des parties galit darmes avec une intervention faible de ltat et un juge arbitrealors quen droit romano-germanique elle est, de sa mise en mouve-ment jusqu son issue, conduite par ltat.

    Pour se limiter lanalyse des systmes europens 51, ces diffrencessont sensibles aux diffrents stades de la procdure pnale : au stade du dclenchement des poursuites, qui repose sur ltat autravers dun ministre public puissant dans les systmesromano-germaniques, et, mme si cest aujourdhui plus une fictionquune ralit, sur les personnes prives en Angleterre ; au stade de lenqute, pour laquelle la police dispose en Angleterre depouvoirs qui, dans les pays de droit romano-germanique, sont, engnral, dvolus au ministre public ou un juge dinstruction, sous ladirection desquels la police effectue lenqute ; au stade du jugement de laffaire, o le juge de common law estprsent comme un arbitre qui ne juge pas, la diffrence du jugeromano-germanique qui dirige les dbats et juge.

    On peut galement percevoir cette opposition dans le statut destmoins, le rle de la victime dans le procs, ou les rgles gouvernant lapreuve. Sur ce dernier point, qui est crucial dans le procs pnal, des

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    51. Voir la recherche mene dans le cadre de lInstitut de droit compar de Paris : Procdures p-nales dEurope, sous la direction de M. Delmas-Marty, PUF, 1995.

  • diffrences existent dabord sur le plan des principes : linitiative de larecherche des preuves nappartient pas au juge dans le systmeanglo-saxon, alors que cest en France la mission du juge dinstruc-tion ; aucune preuve de culpabilit nest requise en droit anglais lgard de la personne qui plaide coupable, alors que laveu nest, endroit franais, quune preuve comme une autre qui ne lie pas letribunal. Des diffrences existent ensuite dans les modes de preuve, quine font pas la place au ou-dire en droit anglais.

    Les caractristiques de la procdure pnale, en Angleterre et au Pays deGalles se retrouvent en matire civile o, comme lexplique LordWoolf la conduite des contentieux civils, comme dans dautres paysde common law, est par tradition de type accusatoire [...] les partiesassument lessentiel de linitiative et de la conduite des dbats danschaque affaire et le plaignant fixe habituellement la cadence. Le rledu juge consiste trancher les questions choisies par les parties aumoment o elles dcident de les soumettre la cour 52.

    Sans doute la fonction pdagogique de lopposition procdure accusa-toire/procdure inquisitoire a-t-elle pu conduire surestimer lesdiffrences thoriques et pratiques entre les procdures pnales destats. Par ailleurs, les rformes proposes par Lord Woolf et mises enuvre depuis quelques annes ont conduit accrotre le rle du jugedans la procdure civile.

    Il nen reste pas moins des diffrences importantes dans la reprsenta-tion symbolique des sources du droit et, par-l, de sa fonction mme :expression du souverain pour les droits romano-germaniques, constata-tion dun consensus social pour la common law, norme dessencesuprieure contre rgle du jeu, qui explique galement la prfrence dela common law et de ses praticiens pour des rgles ngocies ou dont lecaractre contraignant ne repose pas sur une intervention extrieure(notamment les codes de conduite).

    Ces diffrences culturelles vivaces, enracines dans des institutions etdes pratiques traditionnelles, doivent tre relativises par lanalyse desautres aspects de la comptition juridique.

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    52. Access to justice, Final report to the Lord Chancellor on the justice system in England andWalles, Londres, HMSO, 1996, p138. Sur ce rapport on peut consulter le rapport dinformation de lacommission des lois constitutionnelles, de la lgislation, du suffrage universel, du rglement et deladministration gnrale du Snat sur Le fonctionnement de la justice civile en Angleterre et auPays de Galles Session 1996-1997.

  • 1.2. Les autres lmentsde la comptition juridique

    Les organisations internationales ou rgionales, qui produisent un droitnouveau partir dun compromis entre les droits nationaux comme lestats, qui importent des solutions juridiques trangres dans un but demodernisation, constituent des lieux traditionnels de comptition juri-dique. La nouveaut est le rle majeur dsormais jou par les acteursconomiques (entreprises, professions juridiques) et la socit civile(Organisations non gouvernementales (ONG), opinion publique inter-nationale) dans les mcanismes de linfluence juridique.

    1.2.1. Les institutions mondiales et rgionales,lieux dhybridation des droits nationaux

    Il serait trs excessif daffirmer que les enceintes internationales fontaujourdhui lobjet dune bataille juridique globale entre les tatsde common law et ceux de droit romano-germanique. Il sagit plutt dejeux dinfluences, fonds sur lide que la promotion de son propresystme juridique pourrait venir au soutien des positions de ngociationadoptes sur le fond. En fait la comptition se rvle dintensit trsingale selon les matires et selon les caractristiques des institutionsou enceintes de ngociation.

    Labsence de relle comptition juridique en matire de droitinternational public gnral et de droits de lhomme

    Le droit international gnral laisse peu de place la comptition entreles systmes juridiques. Il est, dans ses fondements, issu de rglescoutumires exprimant un accord mri et gnral des tats en faveur dela reconnaissance, en tant que rgle de droit, dun comportementrpt. Certes, certaines rgles seraient plus empruntes au droitromano-germanique (thorie des vices du consentement 53) et dautres la common law (principe destoppel 54). De manire gnrale cepen-dant, puisquil sapplique des relations inter-tatiques, il ne peutgure transposer directement des solutions juridiques de droit interne.

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    53. Voir sur ce point P. Reuter, La nature des vices du consentement dans la convention deVienne sur le droit des traits in Liber Amicorum Elie Van Bogaert, Kluwer, 1983 qui, tout en com-parant la concision de la convention celle du Code civil franais, fait galement tat dinfluencesanglo-saxonnes.54. Lestoppel est une exception procdurale destine sanctionner, au nom de la bonne foi, lescontradictions dans les comportements dun tat, celui-ci tant li par son comportement antrieuret ds lors estopped faire valoir une prtention nouvelle . Vocabulaire juridique, sous la direc-tion de G. Cornu, Association Henri Capitant, PUF.

  • Il reste que les modles administratifs et juridictionnels nationauxpeuvent chercher influencer les rgles de fonctionnement des organi-sations internationales, et les procdures applicables devant lesjuridictions internationales. Il est en effet vident quune meilleurematrise des rgles procdurales applicables peut laisser ltat partie un diffrend relevant de la comptence de la juridiction internationalelespoir dune dfense plus facile.

    En matire de droits de lhomme, la proximit des conceptions retenuespar les tats occidentaux, ft-ce sous des formes prsentant de lgresdiffrences, laisse peu de place la comptition juridique, sagissantnotamment du droit au respect de la vie, de la prohibition des traite-ments inhumains et dgradants... la notable exception delinterdiction de la peine de mort. Il va de soi que continueront nourrir des dbats doctrinaux les diffrences existant dans les modes etlintensit de la protection accorde, par les diffrents tats parexemple la libert dexpression, la libert religieuse, la libertdassociation, au droit de proprit, au droit la non-discrimination ouau droit dagir en justice 55 .

    La conscration dans des instruments internationaux de droits conomi-ques et sociaux fait, en apparence, lobjet de divergences. Lestats-Unis nont ainsi jamais ratifi le Pacte international sur les droitsconomiques et sociaux de 1966. Ces diffrences de point de vue sesont galement rvles lors de llaboration de la Charte des droitsfondamentaux de lUnion europenne. En fait, les juristes anglo-saxonssopposaient linsertion dans un texte de droits auxquels on nevoudrait pas confrer de relle porte contraignante, tandis que lesjuristes franais soutenaient quils pouvaient tout le moins tre consi-drs comme des principes ou des objectifs . Il convientpeut-tre den retenir lide que la promotion de la conception fran-aise des droits de lhomme nemporte pas ncessairement ladhsionimmdiate la culture et la technique juridiques franaises.

    On ne peut dailleurs exclure que naissent de vritables divergences et donc une comptition juridique sil apparaissait que la dfense etla reconnaissance de ces droits fondamentaux soient intimement lies lexistence de services dintrt gnral censs en garantir leffectivit.

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    55. Sagissant notamment des restrictions pouvant tre apportes la libert de manifester sa reli-gion on peut relever une certaine identit dinspiration entre le Religious liberty protection Act adop-t par le Congrs des tats-Unis en 1999 et larticle 9 paragraphe 2 de la Convention europenne desdroits de lhomme. Il reste que ces dispositions sinscrivent dans des contextes institutionnels et juri-diques respectifs fort diffrents.

  • Une comptition plus vive en matire de droit international privet de droit conomique

    En matire de droit international priv, lide dune comptition entreles deux systmes doit tre relativise dans la mesure o cette compti-tion oppose en ralit lEurope aux tats-Unis. Le modleeuropen , qui inclut le Royaume-Uni, rsulte au dpart dun droitconventionnel.

    Ce modle europen, fond, sagissant des conflits de lois, sur desrgles abstraites de dtermination de la loi applicable, soppose enpratique un modle amricain qui sappuie plutt sur une dtermina-tion au cas par cas (issue by issue) de la loi qui a le plus grand intrt sappliquer lespce. Les tats-Unis ignorent en particulier la tech-nique des lois de police et des rgles de conflit protectrices de la partiefaible. Dans ce domaine cependant, la comptition au sein de la conf-rence de La Haye 56 est sans enjeu, car si les conventions adoptes sontplus proches du modle europen, elles ne sont pas ratifies par lestats-Unis. En revanche, en matire de conflits de juridiction, locca-sion de la ngociation dune convention mondiale sur la comptencejuridictionnelle et lexcution des dcisions en matire civile etcommerciale, le systme europen constitu des conventions deBruxelles 57 (1968) et Lugano (1988), saffronte vivement au systmeamricain 58. Derrire un dbat sur les rgles de comptence juridiction-nelle, lenjeu, qui concerne essentiellement la matire contractuelle, estlapplicabilit dun droit de la responsabilit diffrent de part et dautrede lAtlantique. Les tats-Unis recherchent un systme permettantdattraire les socits europennes devant leurs juridictions plus gn-reuses dans loctroi dindemnits et de bnficier pour lexcution desdcisions de celles-ci des facilits offertes par le systme europen.

    Sagissant du droit des affaires, le projet dunification port parUNIDROIT 59 sest concrtis pour lessentiel par ladoption de laconvention internationale sur les lettres de change (1930), de laconvention sur les ventes internationales de marchandises (1980), enfin

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    56. Initialement (1883) confrence diplomatique ayant abouti la conclusion de plusieursconventions rglant les problmes de conflits en droit international priv, la confrence de la Hayeest devenue (1955), du fait de sa permanence, une organisation intergouvernementale dont le but estlunification des rgles de droit international priv. Elle comprenait 51 membres au 13 juin 2001.http://www.hcch.net/57. Auquel se substituera bientt le rglement du Conseil 44/2001 du 22 dcembre 2000.58. Les tats-Unis veulent, par exemple, faire reconnatre comme chef de comptence la rgle dudoing business (lexercice dune activit sur un territoire vaut consentement implicite y tre jug)ou celle du for non conveniens (possibilit pour une juridiction de se dclarer incomptente si le d-fendeur le souhaite et sil nen rsulte pas de trop gros inconvnients pour le demandeur) et refusentdadmettre comme chefs de comptence ceux qui protgent en tant que telles les parties rputes fai-bles par le systme europen (par exemple les consommateurs ou les travailleurs).59. Institut international pour lunification du droit priv, cr sous lgide de la Socit des Na-tions dans les annes 20.

    http://www.hcch.net/

  • des principes applicables aux contrats internationaux (1994). Cesderniers principes ne se sont pas imposs dans les relations contrac-tuelles entre acteurs du commerce international : la rgle delautonomie de la volont laisse en effet, au premier chef, ces acteursprivs dcider du systme quils souhaitent appliquer. Sur ce point, lacomptition sest dplace du terrain inter-tatique vers celui des ngo-ciations entre acteurs du commerce international 60.

    Dans les enceintes internationales vocation technique ou conomique,la comptition est plus exacerbe parce que llaboration dun droitmatriel laisse plus de place la concurrence entre solutions nationales,et parce que le droit labor dans ces enceintes acquiert une emprisecroissante sur le droit interne. Ainsi la ngociation commerciale multi-latrale, qui portait auparavant sur la diminution des droits de douane,vise aujourdhui la suppression des barrires non tarifaires, et peutdonc directement affecter certaines rgles du droit interne.

    Linfluence anglo-saxonne est forte au sein du Fonds montaire inter-national (FMI), de la Banque mondiale et de lOrganisation mondialedu commerce (OMC) (comme elle la t au sein du GATT) pour desraisons tant conceptuelles quhistoriques : la thorie conomique etdonc la pratique juridique anglaise ont promu le libre-change depuis1840, tandis que les tats-Unis avec les pays du Commonwealth ont t lorigine du GATT. La cration de lOMC a nanmoins t loccasiondun certain rquilibrage ds lors que sa charte fait dsormais rf-rence aux principes gnraux du droit international et aux mcanismesdinterprtation fixs par la Convention de Vienne sur le droit destraits, dans lesquels des principes inspirs du droit romano-germa-nique sont plus prsents.

    Les mthodes dlaboration des rgles se transforment galement.Lefficacit du mcanisme de rglement des diffrends de lOMC(dlais rapides de jugement et procds de contrainte lexcution) etle blocage concomitant des ngociations inter-tatiques, laissent penserque le droit du commerce international prendra un caractre jurispru-dentiel. Les panels et lORD affrontent quotidiennement la ncessitdarbitrer entre la libralisation des marchs et le respect des exigencescollectives en matire denvironnement, de sant publique, mme sitout pouvoir normatif leur est en principe dni 61. Le pouvoir ainsidonn des organes quasi-juridictionnels sans lgitimit politique estmoins bien accept par les systmes romano-germaniques. Sur le fond,cependant, il ny a aucune raison de penser que laction des panels sefera au dtriment de lUnion europenne. La jurisprudence de lORDvise avant tout sanctionner les pratiques discriminatoires, unilatrales

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    60. Cf. infra 1.3.3.61. Article 3 du Mmorandum daccord sur le rglement des diffrends.

  • ou caractre extraterritorial, ce qui peut se faire galement au dtri-ment de lgislations amricaines 62.

    Par ailleurs, les sources classiques du droit international font une place diverses formes de normes non-contraignantes (standards, codes deconduite, actes concerts non conventionnels), plus habituelles dans lessystmes de common law. Des organisations, telles que lOCDE parexemple, laborent au sein de leurs groupes de rflexion des concepts,qui se diffusent rapidement pour devenir de vritables standards inter-nationaux : ainsi le concept de bonne gouvernance , qui aujourdhuitend se substituer ou tout le moins complter lexigence du respectdes droits de lhomme et de ltat de droit impose par les bailleurs defonds occidentaux 63.

    Les ensembles rgionaux, lieux privilgis de linfluence juridique

    lorigine, la plupart des ensembles rgionaux ont t crs entre destats dont les systmes juridiques prsentaient une certaine ressem-blance, et appartenaient dailleurs la famille romano-germanique :cest le cas de lUnion europenne, du Mercosur 64, de lOrganisationpour lharmonisation du droit des affaires en Afrique 65 (OHADA)... Lesuccs de la formule et llargissement de ces ensembles ont dj mis etmettront encore en prsence au sein de la mme organisation des tatsrelevant des deux systmes. LUnion europenne a vcu une telle diver-sification des sources dinfluence avec ladhsion du Royaume-Uni etde lIrlande. De ce point de vue, lentre du Royaume-Uni dans la CEE,mme si elle est tempre par la ncessit pour le droit anglais de seconformer aux rgles communautaires, peut constituer un nouveauvecteur dinfluence sur un systme juridique o la place du juge commelinspiration conomique librale sont minentes. On peut prdire unediversification similaire, plus ou moins court terme, pour le Mercosurqui sera soumis au sein dune Zone de libre-change des Amriques(ZLEA) au poids de la tradition juridique amricaine ; de mme, onpeut esprer que le succs de lOHADA lamnera intgrer des tatsafricains de tradition linguistique et juridique anglaise.

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    62. Voir laffaire des crevettes (tats-Unis : prohibition limportation de certaines crevettes,rapport du 12 octobre 1998) o lORD a condamn linterdiction par les tats-Unis de limportationde crevettes en provenance de pays ne respectant pas leurs normes environnementales de pche.63. Voir le Code des bonnes pratiques en matire de transparence des finances publiques, adoptpar le Comit intrimaire du FMI en mai 1998.64. Le Mercosur, qui fonctionne depuis 1995, est un march commun regroupant lArgentine, leBrsil, le Paraguay et lUruguay. Le Chili, la Bolivie et le Prou y ont le statut de membres associs.65. Organisation pour lharmonisation du droit des affaires en Afrique, issue dun trait sign le17 octobre 1993 entre seize pays francophones et appartenant la zone franc, lexception de laGuine-Bissau. Le trait cre une organisation internationale comprenant une Cour commune dejustice et darbitrage (CCJA) et prvoit une harmonisation non seulement du fond du droit mais aussides procdures darbitrage.

  • Ces ensembles rgionaux, et titre principal lUnion europenne quiprsente une forte avance en la matire, constituent donc des labora-toires de phnomnes de mtissage du droit. En effet, la diffrencedes enceintes de ngociation de conventions internationales, ces institu-tions ont pour objet mme, sinon toujours lunification du droit dans unespace plurinational dtermin, du moins son harmonisation. Cestdonc tout naturellement quelles mettent en prsence, comparent, etslectionnent les solutions nationales. Le droit europen peut dailleurstre dautant plus un creuset dinfluences rciproques quil nest passoumis linfluence dune puissance dominante : les textes adoptssont donc ncessairement le produit des compromis entre des systmesdiffrents 66.

    La Commission europenne, lors de la prparation des projets de rgle-ments et de directives, joue un premier rle de comparaison et deslection des solutions adoptes par les tats membres. On peut raison-nablement affirmer que, dans ce travail, la Commission adopte uneattitude gnrale de neutralit vis--vis des systmes des tatsmembres : son objectif est tout dabord de slectionner la solution quisera la plus mme de raliser la libralisation du march intrieur ; ilest ensuite de rechercher la solution commune la plus proche des droitsnationaux, de manire en faciliter ladoption par le Conseil.Lobjectif poursuivi par les tats membres est de faire en sorte que letexte communautaire provoque la plus faible modification de leur droitinterne. Les tats qui parviendront le mieux cet objectif seront ceuxqui auront russi, trs en amont du processus dlaboration des normes(par exemple lors de la prparation des livres blancs , livresverts , etc.), proposer la Commission des modles ou conceptspertinents 67. Quant la Cour de justice des communauts europennes,elle doit quilibrer la vocation intgratrice des traits et du droit drivde ces traits avec le respect des rgles nationales qui peuvent treregardes comme lexpression de certains choix politiques et cono-miques adapts aux particularits socio-culturelles nationales ourgionales 68. Dans la recherche de cet quilibre, le mcanisme durenvoi prjudiciel fournit la Cour loccasion dune comparaison et

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    66. Compromis qui peut prendre la forme dun objectif atteindre dans le respect des systmes ju-ridiques des tats membres. Ainsi, la directive 2000/31/CE du Parlement europen et du Conseil du8 juin 2000, dite directive sur le commerce lectronique , ne tranche pas la question de la date la-quelle un contrat lectronique est rput conclu entre les parties, cette question tant traite diff-remment dans les diffrents systmes juridiques.67. Voir, sur ce point, la prcdente tude La norme internationale en droit franais.68. Cf. par exemple CJCE, 23 novembre 1989, Torfaen Borough Council de 1989, affaireC-145/88, Rec p. 3851 ; CJCE, 2 juin 1994, Punto Casa, affaires C-69/93 et C-258/93, Rec I-2355 et propos de linterdiction douverture des commerces le dimanche, ou Grogan, affaire 159/90, Rec1991 p. I-4685, propos de linterdiction de la promotion des cliniques pratiquant linterruption degrossesse.

  • dune apprciation des droits nationaux, laune des objectifs pour-suivis par le droit communautaire.

    De mme, dans sa fonction dorgane juridictionnel charg de la mise enuvre du droit de recours individuel institu pour lapplication de laConvention du 4 novembre 1950 et de ses protocoles annexes ouverts la signature des membres du Conseil de lEurope, la Cour europennedes droits de lhomme a t amene mettre en place une base dedonnes sur le droit des tats parties cette convention. La Courlabore en effet une jurisprudence dont lobjectif est de dfinir un ordre public europen 69, certes fond sur une conception communedes droits de lhomme, mais qui se combine avec lautonomie dessystmes juridiques nationaux, traduite dans la notion de margenationale dapprciation 70.

    Au-del du droit positif, lespace europen est le terrain de plusieursrflexions actives visant dgager les principes et les rgles dunnouveau jus commune : la Charte des droits fondamentaux delUnion europenne, adopte lors du sommet de Nice, en est unexemple. Dautres travaux, qui se situent pour linstant dans un cadredoctrinal, serviront peut-tre lavenir de base de travail pour destextes normatifs : on peut citer le Corpus juris pour la protection desintrts financiers de lUnion europenne 71 ou le projet de Codecivil europen issu des travaux de la commission Lando 72.

    un niveau moindre, parce quelle reste trs fortemen