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Colloque international ARACT Martinique / REDFORD / UAG du 7 au 8 avril 2010
Thème : « Quelle inscription du développement durable dans les politiques et les pratiques en
matière d’éducation, de formation et de travail ? »
« L’intégration de la RSE dans les formations académiques : une
perspective nord-sud par l’étude comparée du master 2 management de la
RSE de l'UPEC et du master éthique et gouvernance du CERAP »
Par Urbain Kiswend-Sida YAMEOGO
Doctorant en sciences de gestion - IRG/Université Paris-Est
PhD. student en Administration - ESG/UQAM
Chaire de la responsabilité sociale et développement durable
Email : [email protected] /
Et
Frédéric Josselin ABE
Responsable des programmes en éthique économique et développement durable
Ecole des Sciences Morales et Politiques d’Afrique de l’Ouest/IDDH-CERAP
Email : [email protected]
Résumé : Après avoir exploré la définition des concepts de gouvernance, d’éthique des affaires et de
développement durable et mis en exergue les liens entre ces concepts, cet article s’attache à décrire et
à comparer deux formations qui intègrent très fortement la RSE dans leurs enseignements. Il met ainsi
en exergue les points de convergence et de divergence entre les deux formations à travers d’une part
leurs histoires et les raisons qui ont présidé à leur mise en place, d’autre part à travers le profil, les
motivations/attentes et les aspirations des étudiants et des diplômés et enfin l’offre de chaque
formation en termes de contenu et de pratiques pédagogiques et de liens avec leur environnement.
Abstract: After exploring the definitions of the notions of governance, business ethics and sustainable
development, and highlighted the links between these concepts, this paper attempts to describe and to
compare two academic teaching programs which deeply integrate CSR. It thus highlights and
illustrates the convergent and divergent points through their stories and the reasons that led to their
establishment on the one hand, through the profile, motivations and aspirations/expectations of
students and graduates on the other, and finally examine the offer of each training program in terms of
content and teaching practices and relationships with their environment.
Mots clés : RSE, développement durable, éthique des affaires, citoyenneté d’entreprise, gouvernance,
enseignement/formation académique
2
La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) suscite beaucoup d’intérêt partout dans le
monde. Cette dynamique est liée à l’action des organisations de la société civile et à l’appropriation du
concept, tout au moins dans les discours, par les entreprises elles-mêmes. Mais l’essor de la RSE est
aussi lié au portage du concept par le monde académique qui, à travers l’enseignement et la recherche,
participe au processus même d’institutionnalisation et de vulgarisation du concept. Malgré la diffusion
progressive de la RSE à travers le monde et la profusion de « formations développement durable »
dans certains pays, sa prise en compte dans la formation académique dans d’autres comme la Côte
d'Ivoire reste très faible, récente voire marginale. Nous proposons à travers cet article, de comparer
deux exemples d’intégration de la RSE dans l’enseignement en France et en Côte d’Ivoire par l’étude
de deux masters : le master RSE de l’UPEC et le master éthique et gouvernance du CERAP. Il
convient dans une première partie de revenir sur les notions clés de notre étude à travers le débat
conceptuel, les ambiguïtés et la confusion qui les entourent pour mieux comprendre les enjeux de leur
prise en compte dans l’enseignement supérieur. Dans la deuxième partie, nous ferons une description
comparée des deux formations en les restituant dans leur contexte.
I- Eclairage théorique et problématique de l’introduction de la RSE dans l’enseignement
1- Débats et liens entre des notions aussi adulées que controversées
a. RSE : les développements modernes d’une interrogation ancienne sur l’entreprise
Le livre de Bowen (1953) – Social Responsibilities of the Businessman – est très souvent cité
comme l’acte fondateur de la RSE. L’unanimité semble ainsi se faire autour de l’origine américaine du
concept qui s’est progressivement institutionnalisé, géographiquement propagé au reste du monde et
enfin conceptuellement étendu, s’enrichissant au passage des réflexions et des débats propres à chaque
milieu. Toutefois, malgré la nouveauté du concept, les problématiques soulevées sont aussi vielles que
le monde (Ballet et De Bry 2001). L’on s’est en effet, de tout temps et en tout lieu, interrogé sur la
relation de l’homme à son environnement, sur l’articulation entre intérêt privé et intérêt général et la
conciliation de l’activité économique avec les attentes de la société. L’activité économique a même
souvent été considérée comme amorale et immorale (De BRY, 2008). Et, suivant les époques et les
nécessités du moment, la régulation de ces rapports, la réponse à cette tension a été plus ou moins bien
assumée (Capron et Quairel, 2007). Les mutations profondes de l’environnement socio-économique
(Wolff, Remillard) avec la mondialisation et les scandales impliquant les entreprises n’ont fait
qu’accentuer l’appel à une redéfinition de son rôle dans la société. La légitimité de l’entreprise, son
utilité sociale, sa contribution au bien-être collectif ou encore l’acceptabilité sociale de son activité
sont donc autant de problématiques au cœur de la RSE. Malgré les efforts de concertation, de
normalisation et de conceptualisation, il n’y a pas de consensus sur la définition ou les contours du
concept. Pour l’occasion, deux définitions retiendront notre attention. La Commission
européenne dans son livre vert sur la RSE (2001) l’appréhende comme l’intégration volontaire par les
entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs
3
relations avec les parties prenantes1. Cette approche de la Commission, bien que très discutée voire
contestée, est cependant très usitée et citée comme point de référence par le milieu des affaires,
allergique à toute idée de réglementation. Jean Pasquero pour sa part propose une définition plus large
du concept. Pour lui, la RSE est « l’ensemble des obligations, légales ou volontaires, qu’une
entreprise doit assumer afin de passer pour un modèle imitable de bonne citoyenneté dans un milieu
donné »2. Elle ne se réduit donc pas au pur volontarisme. Dans ce même sens, Michel DOUCIN
soutient l’existence d’une doctrine française voire francophone de la RSE marquée par une
« préférence donnée à la norme publique sur la "soft law" et par l’attachement au dialogue social »3.
La RSE est devenue un thème récurrent dans les réflexions sur la régulation de la mondialisation, mais
la mondialisation constitue aussi le vecteur de son internationalisation4. Elle subit de vives critiques au
même titre que la mondialisation. Les plus sceptiques et les critiques les plus acerbes n’y voient rien
de plus qu’une stratégie de reconquête de légitimité pour les entreprises. Au mieux, il s’agit d’un
simple effet de mode sans véritable démarche de fond pouvant être facteur de changement réel5.
D’autres adoptent une posture de prudence. Pour Delalieux, il y a lieu de se méfier de la RSE comme
de tous les concepts qui tendent à porter en eux l’idée de progrès, d’amélioration de l’efficience. Le
développement de la RSE pourrait aller de pair avec l’affaiblissement du rôle de l’Etat qui est le garant
de la solidarité objective6. Malgré le scepticisme ambiant ainsi que le rejet dont il fait souvent l’objet,
le concept poursuit son expansion géographique et son extension conceptuelle. Pour mieux saisir les
enjeux de son enseignement, nous proposons de revenir sur les liens qui existent entre la RSE et des
notions comme la gouvernance qui lui sont souvent assimilées ainsi que les débats qui les entourent.
b. La gouvernance au service de la RSE
Charreaux (2004) définit la gouvernance comme «l’ensemble des mécanismes organisationnels
et institutionnels ayant pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants,
autrement dit, qui “gouvernent” leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire.». Comme la
1 Il s’agit pour l’entreprise « non seulement (de) satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir "davantage" dans le capital humain, l'environnement et les relations avec les parties prenantes», Livre vert « Promouvoir un cadre européen pour la RSE », Com (2001)366 final 2 Pasquero J. (2005) La responsabilité sociale de l’entreprise comme objet des sciences de gestion. Un regard historique, in Responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise, Marie-France B. TURCOTTE et A. SALMON (dir.), p. 80 3 Il affirme que « le fait que l’on traduise "corporate social responsability" par "responsabilité sociale des entreprises" est à l’origine d’une réticence forte et triple dans l’univers francophone : le monde syndical refuse l’idée que des normes privées unilatérales régissent la dimension sociale de l’entreprise; la sphère patronale redoute de se voir entraînée dans de nouvelles obligations dans un domaine qu’elle estime déjà très contraignant ; l’Etat n’admet pas que les principes mis en place historiquement pour régir les rapports sociaux dans l’entreprise, qui combinent l’intervention de la loi publique et les négociations collectives sous regard public, se trouvent remis en cause ». 4 Pour Jean Pasquero « la tendance des économies contemporaines est de se rapprocher des conditions d’une économie de marché du type de celle dont les États-Unis font depuis un siècle l’expérience, il est permis de penser que les mêmes conditions qui ont mené à l’émergence de la RSE aux États-Unis favoriseront elles aussi l’émergence d’un souci de RSE ailleurs dans le monde ». 5 BOYER (2002) fait remarquer que l’engagement de l’entreprise dans les grandes causes est devenu une tendance lourde de sa communication. Il ne s’agit donc ni plus ni moins qu’un véritable marketing social 6 La solidarité objective au sens de Ballet et De Bry (2001) est celle qui est fondée sur le travail et les droits du citoyen. Elle se définit a contrario de la solidarité subjective où tout est dû à la volonté et à la charité du patron.
4
RSE, les Etats-Unis sont cités comme point de départ de la notion de «corporate governance » traduite
en français par gouvernance ou gouvernement d’entreprise. Berle et Means dès le début des années
1930 attirent l’attention sur les risques inhérents à la séparation entre la propriété et la direction des
sociétés cotées et recommandent de contrôler les dirigeants et de préserver les intérêts des petits
actionnaires (Benbrahim Z., 2006). Leur livre – The Modern Corporation and Private Property – cité
comme point de départ du concept de gouvernance par les uns n’en est pas moins brandi comme
document de référence dans l’histoire de la RSE par les autres, traduisant une fois de plus les liens
étroits qui existent entre la gouvernance et la RSE. L’irruption de la notion de corporate governance
en Europe se situerait dans les années 1990. Le débat prend pied d’abord en Grande-Bretagne, avant
de toucher la France autour des années 1994 avec la montée en puissance de grands investisseurs
étrangers. Les scandales impliquant de grandes entreprises aboutissent à une remise en question de la
concentration des pouvoirs entre les mains des PDG. En Afrique, le débat n’est pas étranger au
renforcement des investissements directs étrangers sur le continent. Mais ce sont les institutions
financières internationales et les programmes multilatéraux de développement qui vont alimenter le
débat à travers le concept de "bonne gouvernance" dans une visée beaucoup plus macro-économique.
La Commission King en Afrique du Sud reprend à son compte l’approche de la gouvernance
développée par Sir Adrian Cadbury : “ Corporate governance is concerned with holding the balance
between economic and social goals and between individual and communal goals…the aim is to align
as nearly as possible the interests of individuals, corporations and society” 7. Les connexions entre
RSE et gouvernance sont, on ne peut, plus qu’évidentes avec cette approche de la gouvernance. Pour
notre part la RSE n’est pas réductible aux seules problématiques de gouvernance. RSE et gouvernance
sont donc indissociables sans pour autant être complètement assimilables.
c. RSE et éthique des affaires
L’éthique des affaires et la RSE sont aussi employées de façon indifférenciée. Et pour cause, les
deux concepts interpellent le plus souvent les mêmes problématiques et renvoient aux « relations entre
l'entreprise et la société, à une réflexion sur le rôle de l'entreprise dans la société ». Pour Pasquero
« (…) dès que l'on demande aux entreprises d'assumer des responsabilités allant au-delà de la
maximisation légale de leurs profits, on rentre de plein pied dans un débat de type éthique, un débat
sur quelles valeurs privilégier ». Si la réflexion sur les actions humaines et leur acceptabilité traverse
toutes les sociétés, les tentatives de réponse sont variables, chaque société ayant une éthique propre.
C’est pourquoi BOYER (2002) fait remarquer que : « la préoccupation éthique dans les affaires qui
est depuis longtemps répandue aux Etats-unis tend à se globaliser sous la pression de
l’internationalisation des entreprises. Cette extension ne se fait pas sans mal, puisque la conception de
7 En Afrique du sud le rapport King II sur la gouvernance des entreprises est cité comme une étape majeure dans l’émergence du concept RSE. King Committee on Corporate Governance for South Africa, Report of 2002, 356 pages
5
l’éthique est spécifique à chaque culture »8. Suivant l’éthique propre à la société américaine, ancrée
dans la morale protestante dominante, marquée entre autres par l’individualisme, le pluralisme
démocratique, le moralisme et l’utilitarisme, « l’entreprise méritante est celle qui prospère parce
qu’elle se maintient au service des besoins de la société, tels qu’ils s’expriment à travers la demande
du marché » (Pasquero, 2005). Les actions philanthropiques font par conséquent partie intégrante de
l’éthique et de la responsabilité d’entreprise. Sans vouloir revenir sur les différents aspects de l’éthique
et sa distinction d’avec la morale, il convient de noter que l’éthique fait référence aux valeurs
(Lepineux 2003, Ballet et De Bry 2001) : valeurs internes partagées dans l’entreprise, valeurs
supérieures inspirées de la société, etc. François Lepineux (2003) explique ainsi que « Le succès d’une
entreprise dépend aujourd’hui non seulement du respect des règles du jeu économique, mais aussi de
la référence à des valeurs supérieures telles que l’honnêteté, le respect des autres, la solidarité (…).».
La RSE et l’éthique des affaires font l’objet des mêmes critiques, des mêmes craintes et de la même
méfiance. Mais elles sont aussi porteuses des mêmes aspirations de régulation de la mondialisation, de
moralisation et d’humanisation de l’économie, de promotion de la solidarité, de renforcement du
contrôle social des entreprises. L’éthique comme la conscience de la responsabilité doit être une
référence permanente, s’inscrire dans une perspective de long terme ; et qui dit long terme dit
perspective de développement durable.
d. Développement durable et RSE : au-delà de la simple référence idéologique
C’est vraisemblablement en 1980 que l’expression développement durable apparaît pour la
première fois (Blandin, 2005). Mais c’est le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement
et le développement (CMED) ou Commission Brundtland de 1987 qui a officialisé le concept en en
donnant une définition très largement reprise. En effet, selon la Commission, il s’agit d’un
« développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations
futures à satisfaire les leurs ». Même si pendant longtemps la tendance fut plutôt à l’enfermement du
concept dans les problématiques environnementales, il est désormais acquis que prospérité
économique, équité sociale et protection de l’environnement en constituent les trois piliers. La
définition de la RSE proposée par la Commission européenne fait aussi ressortir ces trois piliers et
exhibe de ce fait les liens entre RSE et développement durable. Sans prétention aucune de faire
l’étalage de tout le débat qui entoure le concept de développement durable, il convient de mentionner
brièvement que la littérature ne manque pas de relever aussi la confusion qui l’entoure. Il est ainsi
qualifié de concept « fourre-tout » (Mancebo 2006, Sachs 1999), de lieu commun ou d’arène
d’affrontement entre une multitude d’acteurs aux intérêts divergents. Certains auteurs font observer
qu’il est porteur à la fois de contradictions (Micoud, 2005), d’ambiguïté (Pasquero 2008, Capron et
Quairel, Delalieux) et d’incertitudes (Pasquero, 2005). D’autres invoquent la dimension culturelle
comme 4ème pilier (ELAME, 2004, Sauvé 2007). Même si l’assimilation des deux concepts n’est pas
8 La reconnaissance des pratiques d’entreprises comme démarche éthique évolue aussi selon les époques ; référence est souvent faite au paternalisme comme une forme d’éthique patronale, une éthique d’avant-garde (Ballet, De Bry, 2001), qui fut par la suite considérée comme réactionnaire.
6
du goût de tout le monde, Capron et Quairel (2004) affirment que dans le contexte européen, la RSE
trouve dans le développement durable un cadre de référence idéologique9. Pour notre part, nous
adopterons la position certes simpliste mais en phase avec le cadre actuel de l’étude qui consiste à
appréhender la RSE comme une déclinaison du développement durable au sein de l’entreprise. Après
le tour d’horizon des différents concepts qui inhibent notre étude, il convient à présent de voir
comment la littérature traite de leur intégration dans l’enseignement académique.
2- Finalité de la formation académique et problématique de l’intégration de la RSE
Comme toute nouveauté, l’enseignement de RSE ou du développement durable est
problématique. Quoi de plus normal de s’interroger sur "le comment" et "le pourquoi" de
l’enseignement de concepts flous, ambigus et non stabilisés dans un monde « d’efficience » où
dominent "l’idéologie technoscientifique" (Kreitlon, 2002), où sont valorisés l’esprit instrumental et la
"formation technicostratégique" (Gendron et al.). Mais peut-on réduire la mission de la formation
académique à la simple acquisition de savoir et/ou de savoir faire ?10
a. La fonction structurante de l’enseignement et mission des établissements
Le milieu académique ne peut rester indifférent face aux mutations profondes que connaît notre
monde ni ignorer les débats qui jalonnent l’évolution de la société. Comme l’affirment plusieurs
auteurs, les universités et les grandes écoles sont des organisations en prise avec la société ; par
conséquent, elles sont en droit sinon dans l’obligation de s’interroger sur leur propre responsabilité,
leurs pratiques, la nature des connaissances prodiguées et la qualité intrinsèque de la ressource
humaine formée. Elles ont un pouvoir d’influence et de structuration de la société et ne sont pas
étrangères aux mutations sociales. Et pour cause, les dirigeants politiques, les grands chefs
d’entreprises, les consultants et les grands penseurs qui ont eu une influence déterminante dans le
façonnement des ordres économique et politique en sont issus11. Les établissements d’enseignement
supérieur sont des piliers de la société et des acteurs structurants de la vie au même titre que d’autres
institutions, car ils fournissent à la société les cadres dont elle a besoin et transmettent un corps de
connaissances et une hiérarchie de valeurs (DIDIER C. HUËT R.). Henri BAH (2007) fait une analyse
sans concession de la responsabilité de l’enseignement dans une Afrique en crise. Pour lui, la
responsabilité sociale de l’enseignement a « le sens d’un devoir à accomplir pour guérir la société
9 Les participants au processus ISO26000 sur la responsabilité sociétale des organisations font état de profondes divergences d’approche et de vision, le bloc anglo-saxon demeurant frileux sinon réfractaire à toute idée de référence au développement durable. 10 Dès 1978, Ulysse ROY faisait remarquer que malgré tout le progrès scientifique et les efforts d’innovation pour construire un monde meilleur, les hommes semblaient insatisfaits des résultats. Il considérait alors, à l’instar de Charles DEBBASCH, que la crise de l’université était une crise d’orientation résultant d’un manque de réflexion sérieuse sur la finalité de l’université. 11 Dans ce même sens et parlant du continent africain, Henri BAH fait observer que l’université est «le berceau où se forment les dirigeants politiques et les chefs d’institutions économiques, les membres des professions qui devraient être à l’avant-garde pour les problèmes multiformes qui se posent à la société (…). Et pourtant ! Les faits montrent nettement que ce continent est dirigé par la minorité sortie des écoles et des Universités. C’est cette couche de la population qui "refuse le développement", détourne les deniers publics, fomente les coups d’Etat, tue, liquide les richesses de l’Afrique à vil prix et obstrue l’avenir de l’Afrique ».
7
actuelle et promouvoir celle de demain ». Il faut ainsi amener l’institution universitaire à se savoir
responsable du devenir de l’Afrique et à assumer pleinement sa mission, de produire des cadres aux
compétences intellectuelles et morales indéniables et pouvant être au service du développement de
l’Afrique (BAH, 2007) 12. C’est pourquoi il faut s’interroger sur la capacité de l’enseignement de la
RSE à répondre à cette nécessité. Pour Philippe de Woot (2005), les grandes écoles et les universités
devraient « se hisser au niveau des défis qui se posent à notre modèle de développement » et ainsi
devenir, selon ses termes, des « agents majeurs du changement culturel ». Cela nécessite dans un
monde en crise la prise de conscience de la réelle mission ou de la finalité de l’enseignement
académique : aider et de guider l’homme vers son accomplissement (BAH, 2007), former des
Hommes mieux équilibrés, d’une grande maturité, capables d’approfondir et d’appliquer les
connaissances à des situations nouvelles, capables de promouvoir une vie meilleure dans leur milieu
(ROY, 2007). Il s’agit de former non seulement, un « homo faber » (intellectuel) doué du savoir-faire,
mais aussi un « homo frater » (héros), nanti du savoir-vivre en harmonie avec ses semblables (BAH,
2007). Cette approche de la mission de l’enseignement académique – qui ne se réduit plus à l’apport
de réflexes pragmatistes ou de recettes utilitaristes - légitime sur plusieurs plans la finalité que certains
assignent à l’introduction de la RSE dans la formation académique.
b. La vocation de l’enseignement de la RSE en milieu académique
Selon Kreitlon (2002) l’introduction de l’enseignement de la RSE doit s’inscrire dans la
poursuite d’un projet d’avenir à la fois individuel et collectif qui ne réduise pas l’être dans le monde à
ses aspects purement instrumentaux d’efficacité et d’adaptabilité. Un programme éducationnel en
éthique des affaires devrait ainsi avoir pour but de « cultiver le raisonnement critique et systémique ».
Gendron et al. adoptent la typologie de Rossouw (2002) qui décrit trois niveaux de finalités dans la
formation éthique13. Les compétences requises pour développer et implanter un véritable programme
de RSE correspondraient selon nos auteurs au troisième niveau (développement de compétences
managériales). Quelle que soit la finalité retenue, le défi qui se pose est de parvenir à hisser les
enseignements de la RSE au même niveau que les autres disciplines et faire en sorte que les objectifs
et les stratégies pédagogiques favorisent le développement d’habiletés individuelles de prise de
décision éthique, stimulent et cultivent le raisonnement critique et l’esprit d’analyse14. Toutefois, on
s’interroge encore sur l’approche la plus adéquate en la matière : former des spécialistes RSE par des
programmes dédiés à la RSE ou par des cours spécialisés, ou au contraire faire une sensibilisation
générale en distillant la RSE à travers les enseignements traditionnels. Sur ce point Gendron et al.
12 Bah déplore par ailleurs que de grandes écoles de pays africains, se vantant d’être des partenaires d’universités occidentales dont elles délivrent les diplômes au niveau local, proposent des formations professionnelles pour lesquelles les professions elles-mêmes n’existent pas en Afrique. 13 Le premier niveau est le développement d’une « compétence cognitive en éthique » (acquisition de connaissances), le second est celui du développement d’une « compétence behaviorale » (conduite individuelle éthique) et enfin le développement d’une « compétence managériale » (capacité à faire respecter l’éthique dans un milieu organisationnel par l’ensemble des acteurs). 14 « Si le “savoir sur” l’éthique n’est pas suffisant, il est certainement nécessaire pour mieux guider l’action morale. Peu importe la ferme intention de suivre la bonne route que l’on peut avoir: on aura des difficultés à agir moralement si l’on ignore par où commencer et comment procéder à l’analyse des variables impliquées »
8
(2004) font remarquer que « l’option d’un cours spécialisé «autonome» engendre un risque de
marginalisation par rapport aux cours centraux de la formation en gestion. Par ailleurs, l’intégration
dans les cours fonctionnels condamnerait presque certainement la préoccupation éthique ou de
responsabilité sociale à un traitement superficiel qui ne lui rendrait pas davantage justice ». On se
trouve ainsi au centre d’un dilemme caractéristique de la complexité même des concepts en jeu. Kelly
A McElhany (2003) fait remarquer dans le même sens que « Si nous souhaitons sincèrement changer
le paradigme de management global afin d’y inclure la durabilité et une stratégie RSE, une étape
vitale et rudimentaire consiste à instaurer cette mentalité au coeur de notre formation : nous devons
enseigner à nos futurs managers la théorie critique, les cadres et les pratiques de RSE tout comme
nous leur enseignons les domaines traditionnels que sont la finance, le marketing et la comptabilité ».
Dans cette étude, la réflexion va au-delà de cours spécialisés ou de disciplines RSE autonomes pour
traiter de programmes spécialisés, entièrement dédiés à la RSE et au développement durable. C’est
l’objet de notre deuxième partie qui s’attache à décrire et à comparer deux masters dédiés à la
formation sur la RSE.
II- L’intégration de la RSE dans l’enseignement : cas du Master RSE et du Master éthique
et gouvernance
1. Observations méthodologiques
Dans le cadre de cette étude, le recueil des données empiriques s’est fait à travers l’exploration
de la documentation liée aux deux formations : site web, maquettes pédagogiques, syllabus et planning
de cours, rapports et études. Nous avons interrogé ensuite les étudiants et les diplômés des deux
masters par un questionnaire afin de recueillir leur opinion sur la formation suivie et leurs perceptions
de la RSE. Et enfin nous avons eu des entretiens non directifs (téléphoniques) avec les responsables
et/ou les fondateurs des masters à partir d’un guide d’entretien élaboré après la consultation de la
documentation. Les données recueillies, essentiellement qualitatives, ont fait l’objet d’un traitement et
d’une analyse qui permettent de décrire et de comparer les deux formations à partir de trois axes
principaux15. Il convient toutefois de noter que cela ne s’est pas fait sans difficulté car d’une part les
deux formations sont à un stade de maturité inégale et dans des contextes complètement différents et
d’autre part le nombre de réponses au questionnaire était en deçà des attentes16. Le non respect des
consignes de réponse nous a souvent conduit à ne pas considérer les réponses à certaines questions.
Tout cela suggère une relativisation des conclusions qu’on peut tirer de l’analyse des perceptions des
étudiants et anciens étudiants. Cela n’enlève rien cependant à l’intérêt de l’étude d’autant plus que
chacune de ces deux formations est ou fut une innovation pédagogique dans le milieu académique et
15 Ces 3 axes sont l’histoire (justification, finalité et étapes essentielles de leur évolution) de la création de la formation, le profil des étudiants et leurs motivations, les modalités d’intégration de la RSE (rattachement disciplinaire, contenu des enseignements et stratégies pédagogiques, compétences visées et position de la formation dans son environnement) 16 Nous avons reçu 24 réponses de l’UPEC et les répondants appartenant à 6 promotions différentes du master RSE (promotion de 2004/2005 à 2009/2010). Au niveau des données recueillies auprès du CERAP, les 22 répondants appartiennent aussi bien au master EG (promotions 2008 et 2009) qu’au DESS EEDD (promotions 2007/2008, 2008/2009, 2009/2010).
9
se positionne comme un acteur de référence et structurant en matière de RSE. Il convient, d’entrée de
jeu, de nous intéresser au CERAP et à certains de ses démembrements pour mieux comprendre
l’histoire du master éthique et gouvernance (EG) et les raisons qui sont à la base de sa création.
2. Histoires d’intégration de la RSE : contexte, motivation et évolution
Le Centre de recherche et d’action pour la paix (CERAP) est une institution d’inspiration
chrétienne, créée par les jésuites en 1962, au lendemain des indépendances africaines sous
l’appellation INADES-Formation. Il comprend aujourd’hui quatre (4) départements dont l’Institut de
la Dignité et des Droits Humains (IDDH), créé le 21 juillet 2003 et reconnu comme établissement
privé d'enseignement supérieur par les autorités ivoiriennes. Sa création n’est pas étrangère à la
situation de crise dans laquelle la Côte d'Ivoire est plongée depuis septembre 2002 et qui a mis en
évidence la nécessité de promouvoir des valeurs tels que les droits humains, la paix et la dignité
humaine. L’IDDH entend ainsi par la formation académique et la conduite de projets éducatifs de
proximité « apporter sa contribution à la constitution d'une société politique garantissant le mieux
possible à tous la justice et la paix ». Institut à vocation africaine, il a acquis aujourd’hui un très fort
ancrage sous régional avec l’Ecole des sciences morales et politiques d’Afrique de l’Ouest (ESMPAO)
qui ambitionne de « devenir un pôle d’excellence dans la sous région ouest africaine en matière de
formation universitaire sur l’éthique et la responsabilité des entreprises privées, des structures
publiques et des organisations de la société civile»17. Cette école abrite aujourd’hui entre autres
formations le master éthique et gouvernance (Master EG) qui est le résultat d’un processus, d’un
cheminement et d’une construction tout comme le master RSE de l’UPEC.
L’université Paris-Est Créteil (UPEC) est un établissement français d’enseignement supérieur
créé en 1971 qui comprend à ce jour douze (12) composantes dont la faculté de Sciences Économiques
et de Gestion. L’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) Gustave Eiffel constitue un des
départements de cette faculté et accueille chaque année plus de 850 étudiants au sein de formations
en licence et master de sciences de gestion. Parmi ces formations on trouve le MASTER 2
professionnel management de la responsabilité sociale des entreprises (master RSE) rattaché à la
mention management et conseil18. Le master RSE, autrefois DESS audit social et sociétal, est né de
l’initiative individuelle de François BEAUJOLIN, qui depuis les années 60-70 s’est intéressé aux
rapports entre la stratégie des firmes et les liens stratégiques que celles-ci développent à l’égard des
parties prenantes en général et des salariés en particulier. L’idée de cette formation est partie ainsi du
constat de l’existence de rapport étroit entre la stratégie globale des firmes les stratégies à l’égard des
parties prenantes, les stratégies à long terme, de valeur ajoutée du personnel : « les firmes qui ont une
certaine gestion des RH sont aussi des firmes qui ont des analyses stratégiques à long terme ». Mais à
17 L’ESMPAO et le laboratoire de prospective sociales (LAPS) sont les deux composantes de l’IDDH 18 L’encadrement du MASTER se fait à 3 niveaux : la codirection administrative mise en place depuis 2004 assurée par un enseignant-chercheur et un professeur associé (Julienne BRABET et Olivier MAUREL), le comité d’orientation du diplôme (COD) auquel participent les intervenants depuis le début du MASTER et un représentant de l’association des anciens diplômés et l’équipe d’encadrement des travaux des étudiants qui regroupe essentiellement des universitaires intervenant dans le MASTER.
10
cette époque, ces questions n’accrochaient pas en France face aux modes de management à succès
venus des Etats-unis. L’apparition du concept de développement durable fut alors une opportunité de
reprendre la problématique sous l’angle de l’efficacité sociale dans la gestion des entreprises. Mais
cela ne s’est pas fait sans difficulté. Endossé sans enthousiasme particulier par l’IAE (anciennement
Ecole Supérieure des Affaires), jugé d’abord sans intérêt par les autorités d’habilitation puis accepté
par la suite, le DESS voit le jour en 2001 avec pour but de « former des acteurs qui auraient une
position fonctionnelle à l’intérieur comme à l’extérieur des entreprises pour développer des
démarches de participation des travailleurs à la gestion de leurs entreprises sur des thèmes quotidiens
de travail et qui pouvaient être aussi des enjeux de relations avec les parties prenantes externes ». Il
va sans dire qu’à cette époque, le DESS ne s’intéressait pas aux enjeux environnementaux. L’approche
globale du développement durable et la prise en compte de la triple dimension de la RSE interviennent
à la faveur d’un changement significatif qui s’est opéré en 2005 : transformation en master
consécutive à l’adoption du système LMD, adoption d’un nouvel intitulé et réorientation de l’objectif
même du master. C’est aussi l’occasion d’une rationalisation et d’une systématisation des cours en
trois (3) volets et douze (12) modules afin de donner plus de visibilité aux enseignements. L’ancrage
de cette formation dans les sciences de gestion se justifie par l’histoire du master et la vocation de
l’institut qui l’abrite. Le master offre une formation professionnelle, opérationnelle aux principes et
aux techniques de la RSE. Si à ses débuts le DESS était très axé sur l’analyse et l’audit, l’ouverture au
management a rendu la formation plus générale et certainement plus apte à favoriser
l’interdisciplinarité et le croisement de la gestion avec d’autres disciplines (droit, science politique,
philosophie, psychologie, ergonomie, écologie…) au même titre que le master EG qui revendique
encore plus l’interdisciplinarité.
Le master EG est le résultat d’un processus qui a commencé en 2004 avec la mise en place du
DESS droits de l’homme, suivi en 2005 par le DESS gestion des conflits et paix (GCP) et le DESS
éthique économique et développement durable (EEDD) en 200719. C’est à travers les modules
d’enseignement de cette dernière que les concepts de RSE et de développement durable vont faire leur
apparition explicite dans les formations offertes par le CERAP. Une année plus tard voit le jour le
master éthique et gouvernance (septembre 2008) qui comprend aujourd’hui 4 options en deuxième
année de cursus : droits de l’homme et pratiques juridiques (DHPJ), gestion des conflits et paix (GCP),
gouvernance d’entreprise (GE), éthique économique et développement durable (EEDD)20. A travers
ces programmes, l’ESMPAO se donne pour objectif de « former des Hommes d’action, capables
d’exercer des responsabilités majeures, sachant opérer des choix alliant éthique, efficacité et
performance, dans le souci du bien commun et du respect de la dignité de la personne humaine »21. Le
19 Les DESS existent encore à ce jour mais ils sont appelés à disparaître pour laisser la place au Master EG 20 L’ensemble du Mater est sous la responsabilité du directeur de l’ESMPAO, d’un responsable académique et d’un responsable à la formation. Le Conseil de développement de l’ESMPAO auquel participent des acteurs externes, notamment les entreprises, travaille à l’adaptation du programme aux besoins du terrain et la mobilisation des ressources. 21 Il s’agit de le développer les capacités de leadership éthique et de management socialement responsable des étudiants, de leur donner les outils pertinents en matière d’éthique des affaires et de RSE, de développer le sens de la créativité, de l’innovation et de l’adaptation aux situations nouvelles dans un monde aux changements de
11
master EG est une formation qualifiante et professionnalisante visant également à favoriser la
polyvalence et l’acquisition de savoir, de savoir-être et de savoir-faire (savoir-agir et savoir-réagir)
selon les mots des responsables. Les raisons qui ont présidé à la création du master EG sont diverses et
variées. A la différence du master RSE, il s’agit d’une aventure collective portée par l’institution dès la
base. La justification de la création de ce master tient à la fois à la nature et à la mission du CERAP
d’une part, au contexte local et à l’environnement international d’autre part. La raison principale est
selon la direction de l’IDDH la cohérence des concepts d’éthique des affaires, de RSE et de DD avec
la vocation même du CERAP. Les valeurs dont il est question à travers ces concepts, sont des valeurs
que l’on retrouve dans "l’enseignement sociale de l’Eglise"22. Le contexte local ivoirien marqué par
une crise à la fois politique, sociale et économique a conduit à une prise de conscience et rendu
nécessaire la mise en avant de ces valeurs et concepts. Il y a enfin la volonté de répondre autrement
aux besoins des parties prenantes de l’institution au nombre desquelles les entreprises partenaires.
Apporteurs de ressources et de conseil, certaines d’entre elles participent au conseil d’orientation de
l’ESMPAO et ont appelé avec insistance à une orientation du programme vers les besoins qui sont les
leurs. La direction de l’école affirme cependant que la demande des entreprises n’était pas en faveur
de l’inclusion de la RSE dans l’enseignement d’autant plus que ces concepts étaient encore très
nouveaux dans le contexte ivoirien23. Le CERAP n’entendait pas répondre à cette demande
d’adaptation du programme de formation en mettant en place les formations classiques (management,
GRH…) que l’on retrouve par ailleurs sur place dans les écoles de commerce et les grandes écoles. La
grande innovation de l’équipe fut donc de s’approprier les concepts de RSE et développement durable
qui étaient en parfaite cohérence avec leur mission et leur volonté de "faire de la formation en faisant
autrement". Enfin le contexte international de débat autour des problématiques de RSE et de
développement durable, son introduction dans l’enseignement dans d’autres pays ainsi que le soutien
du projet par des partenaires extérieurs déjà bien renseignés sur ces questions ont favorisé l’impulsion
de la dynamique d’intégration de la RSE aux enseignements du CERAP et la création du master EG.
Premier du genre en Côte d'Ivoire, ce master se réclame de l’interdisciplinarité, aussi bien dans la
sélection des étudiants et le domaine de spécialisation de ses intervenants que dans son contenu.
3. Profil des étudiants : background, motivation et aspirations professionnelles
Les étudiants du master EG sont recrutés par un jury intégrant des partenaires extérieurs à
travers une procédure en trois étapes24. Il accueille aussi bien des étudiants en formation initiale que
plus en plus rapides, et enfin de les sensibiliser aux interactions entre le mondial et le local dans la réflexion stratégique et pratique des entreprises ou institutions. 22 La direction souligne que « L’Eglise s’est toujours prononcée sur les questions économiques notamment la question de l’entreprise, qui normalement, est investie d’une responsabilité. Même si son but premier c’est de produire des richesses, cela ne doit pas s’arrêter là. L’entreprise doit être à la recherche du profit mais doit aussi veiller à ce que d’abord la justice sociale s’applique (…) et mettre en œuvre des actions sociales, sa responsabilité sociale. Dans l’économie, on doit d’abord veiller à l’éthique ». 23 Il faut noter par ailleurs que la fonction publique n’étant plus très pourvoyeuse d’emplois, il s’avérait nécessaire d’offrir aux étudiants les compétences et les aptitudes nécessaires pour s’insérer éventuellement dans le secteur privé. 24 Les 3 étapes sont : examen du dossier académique, test de sélection et entretien de motivation
12
des professionnels en formation continue. Aucun profil n’est privilégié mais l’institution s’attache à
favoriser la diversité quant aux origines nationales et culturelles25. Le master RSE quant à lui a fait le
choix de privilégier certains profils dans le recrutement (cf. infra). Le processus de sélection se fait en
deux étapes : un examen du dossier d’admission suivi d’un entretien de motivation. Cet entretien
permet au jury de mesurer la sensibilité réelle du candidat pour les questions sociétales, de s’assurer
que, de par son expérience professionnelle ou personnelle, militante, associative ou syndicale, ou de
par son ouverture d’esprit, le candidat a été amené à développer préalablement une réflexion sur la
RSE. Si pour le master EG rien ne laisse apparaître la prise en compte de tel critère dans le
recrutement, il ressort tout de même que les étudiants qui postulent s’intéressent aux problèmes
sociaux et ne voient pas d’emblée l’entreprise comme le lieu privilégié pour travailler sur ces
problématiques comme le fait remarquer la direction de l’ESMPAO26. Tout l’enjeu aussi de la
formation est de réconcilier l’étudiant avec l’entreprise à travers l’enseignement de la RSE. Cela nous
a amené à interroger les étudiants et les diplômés des deux masters sur leur profil, c'est-à-dire leur
formation d’origine ou leur activité professionnelle avant l’admission au master, leur niveau de
connaissance de la RSE ou leur état d’esprit au moment d’intégrer la formation, la justification du
choix de la formation et les perspectives professionnelles envisagées après la formation.
S’agissant de la formation d’origine et de l’activité professionnelle, on note une grande diversité
de profils de part et d’autre. Néanmoins au niveau du CERAP, beaucoup d’étudiants viennent de
formation ou de profession juridiques (droit des affaires comme droit public, collaborateur et conseil
juridiques, formateur…). Figurent aussi en bonne position les candidats en provenance des formations
de sciences économiques et de gestion, audit et comptabilité, études commerciales ou ayant occupé
des fonctions en lien avec ces disciplines. Enfin, on note des profils particuliers : formation en
philosophie, en développement du capital humain et en informatique. Les données recueillies au titre
du master RSE confirment la primauté accordée à certains profils dans la sélection. Une récente étude
de Caroline Cario et Marina Sapezhinskaya (2009) sur le parcours professionnel des diplômés du
master RSE révèle que « 68,55% sont issus d’une formation de type sciences de gestion / école de
commerce, 11,25% ont suivi des études de droit, 6,25% proviennent d’une formation en sciences
politiques, moins de 2% ont obtenu un diplôme d’ingénieur, les derniers 17% ont préparé un autre
type de diplôme et présentent plutôt les profils suivants : marketing, communication, langues
étrangères ou encore Gestion des Ressources Humaines (GRH)». Les profils professionnels des
étudiants en formation continue est aussi variée : management de la qualité-productivité, ressources
humaines, analyse financière, ingénierie de ressources, marketing, immobilier social, administration,
CRM data management. Il ressort dans les deux cas qu’il y a une très grande diversité en termes de
représentations des disciplines que d’expérience professionnelle. Cela confirme la volonté des
25 Les statistiques présentées dans le rapport 2009 du CERAP révèle que le MASTER EG compte 69 étudiants (28 en Master 2 et 41 en Master 1). Sur les 69 étudiants, 43 sont ivoiriens et 26 viennent de 10 pays différents. 26 Les étudiants intéressés a priori par une carrière en entreprise s’inscrivent dans les écoles de commerce et les grandes écoles. Ceux du CERAP envisagent à l’entrée leurs perspectives professionnelles au sein des organismes internationaux (ONU, ONUCI), des organisations de la société civile et les structures publiques.
13
responsables pédagogiques de favoriser des échanges d’expériences "l’auto apport" des étudiants entre
eux, la complémentarité et l’entraide.
S’agissant du niveau de connaissance et de l’état d’esprit des étudiants au moment d’intégrer la
formation, une grande majorité des répondants dans les deux cas était peu connaisseur du concept et
désireux d’en découvrir les contours. On note toutefois que 45,8% des répondants de l’UPEC
déclarent non seulement connaître le concept mais aussi en avoir une approche positive avant leur
intégration du master
RSE contre 18,2% au
CERAP.
Lorsque l’on combine
cette donnée avec le
moyen par lequel les
répondants ont connu la
formation27 et le facteur
de "prise en compte par
le jury de la réflexion
RSE préalablement menée par le candidat lors de l’entretien de sélection", on peut conclure qu’il y a
une démarche explicite d’adhésion, de choix de spécialisation dans ce domaine de la part des
étudiants. Les raisons qu’ils mettent en avant pour justifier leur choix de la formation sont des
motivations d’ordre stratégique, utilitariste : « double compétence, différenciation sur le marché du
travail, intérêt, amélioration de l’employabilité, cohérence avec une formation de base, élargissement
du champ de spécialité» et des motivations plus militantes « engagement personnel, conviction de
changer les modes de vie, volonté de donner du sens à son activité professionnelle», etc. 43,5% des
étudiants et diplômés du master RSE affirment n’avoir pas eu d’appréhension particulière de la RSE
avant d’intégrer le master. Mais on notera plus loin que certains sont devenus très critiques vis-à-vis
de la RSE. Ils sont 52,2% à envisager des perspectives professionnelles orientées sur les projets ou
thématiques RSE tandis que 47,8% tiendront compte de la RSE quelle que soit la fonction occupée. Il
faut sans doute mettre cela en lien avec le contexte français où le niveau de débat autour de la RSE et
les initiatives des acteurs ont fini par vulgariser le concept et par développer un marché de l’emploi
RSE (employés des services ou départements développement durable, chargés de missions RSE,
consultants et conseils, audit social et sociétal, etc.). Dans le cas du CERAP la faible connaissance du
concept au moment d’intégrer de la formation (77,3% peu connaisseur) et la nature des motivations
personnelles au moment du choix du master EG laissent indiquer que le choix n’est pas très éclairé dès
le départ. Toutefois, un choix d’adhésion intervient en deuxième année de master avec certaines
options plus portées à une intégration forte de la RSE. Les raisons mises en avant pour justifier le
choix sont la curiosité :
« La curiosité et la recherche de formation complémentaire à ma formation d’origine »
27 Les étudiants du master RSE ont, en grande majorité, connu le master en faisant une recherche de "formation RSE" sur internet
Niveau de connaissance ou état d'esprit au moment d 'intégrer la formation
4,5
18,2
77,3
0
45,854,2
0102030405060708090
Connaisseur et critique Connaisseur avecappréhension positive
Peu connaisseur etcurieux
Connaissance/état d'esprit
Pou
cent
age
de
répo
ndan
ts
Cerap
Upec
14
la volonté de découverte, l’attractivité des modules, le caractère novateur de la formation :
« La nouveauté de la problématique. Je dirai même quelque chose dont j’entends parler pour la
toute première fois et donc curieux d’en savoir plus »,
la complémentarité avec une formation de base et dans une moindre proportion la conviction et la
prise de conscience, l’engagement :
« la situation critique en économique et les conditions toujours difficiles des employés dans la
globalisation que traverse notre planète, le souci de changer moi-même mon comportement et aider
mon propre peuple à faire de son mieux en ce sens » …
78,9% des répondants CERAP avaient des appréhensions sur la RSE et affirment que ces
appréhensions ont changé positivement grâce à la formation à tel point que 81% d’entre eux pensent
pouvoir prendre en compte les principes de RSE quel que soit le travail qu’ils sont amenés à faire
contre 19% qui souhaitent
travailler sur des projets RSE
ou à des postes dédiés.
L’inexistence de débouchés
proprement RSE dans le
contexte ivoirien et ouest
africain explique cette faible
proportion sans doute. On
comprend donc pourquoi la
formation met en avant la
polyvalence des étudiants et intègre des problématiques macro en matière de développement durable
ou des cours qui en première année de MASTER qui renforcent la compétence initiale des étudiants
avant une plus forte intégration de la RSE en deuxième année en fonction de l’option choisie. D’où
l’intérêt d’évoquer le contenu de ces formations et des modalités d’intégration de la RSE.
4. L’offre RSE : contenu et pratiques pédagogiques, modalité d’intégration et
environnement des formations
Si le master RSE est entièrement et presque exclusivement dédié à l’approche micro du
développement durable le master EG quant à lui aborde des thématiques plus macro qui sortent de la
RSE classique. Et lorsque l’on se réfère à la stipulation même de l’ambition de l’ESMPAO, on se rend
compte qu’elle ne s’intéresse pas qu’à la RSE, mais à « l’éthique et la responsabilité des entreprises
privées, des structures publiques et des organisations de la société civile». On est donc en l’espèce
dans une optique de responsabilité sociétale des organisations (RSO), y compris des entreprises. Dans
les deux cas, la formation est à visée professionnalisante. Il ressort aussi une vision partagée de la
RSE, appréhendée comme la déclinaison du développement durable en entreprise. Pour la
direction du master RSE, le positionnement direct dans les entreprises et la transversalité des
enseignements font la spécificité du master. En effet, le master RSE a pour objectif de former des
étudiants qui vont s’occuper de questions de développement durable soit directement dans les grandes
Perspectives professionnelles envisagées
19
81
0
52,2 47,8
00
102030405060708090
Travailler sur desprojet/thématiques RSE
Considérer la RSE quelque soit le travail
Travailler dans desdomaines sans lienobjectif avec la RSE
Choix professionnels et RSE
Pou
rcen
tage
de
répo
ndan
ts
CERAP
UPEC
15
entreprises ou des PME à des postes entièrement dédiés à la RSE ou dans des départements où ils
peuvent prendre en compte la RSE, soit travailler au sein d’autres organismes pour s’occuper de
questions de responsabilité sociétale des entreprises. L’approche globale de la RSE, l’intégration
horizontale de celle-ci dans les enseignements ainsi que les choix pédagogiques distinguent ce master
des autres où l’intégration se fait le plus souvent de façon verticale (non monitorée) au gré des
intervenants ou des responsables de formation28. Cependant le master n’a pas la prétention de ne
former que des spécialistes de la RSE. La finalité principale reste l’acquisition par les étudiants d’une
compétence RSE complémentaire à leur formation de base (double compétence). Leur employabilité
reste très clairement d’ailleurs dépendante de leur parcours académique et/ou professionnel antérieur.
Les enseignements sont organisés en 3 volets répartis en 12 modules auxquels s’ajoutent des séances
de méthodologie et des cours complémentaires suggérés par l’actualité ou par les étudiants. Le premier
volet avec le plus grand volume horaire (120h/350h) est consacrée à une approche globale, théorique
de la RSE, des acteurs et des stratégies, les valeurs et les débats autour de la RSE, ainsi qu’un module
consacré à la thématique environnementale et un autre aux achats. Le volet 2 quant à lui est
entièrement consacré aux outils de la RSE qu’ils soient de diagnostic, d’audit social et sociétal, de
pilotage ou de reporting. Enfin, le troisième volet articule RSE et GRH en traitant des problématiques
sociales internes à l’entreprise (RSE et pratiques de GRH, organisation du travail et politiques de RSE,
droits de l’homme au travail, les conditions de vie au travail. On peut ainsi observer tout de même
l’existence d’un déséquilibre dans la prise en compte des trois (3) piliers du développement durable.
Cette formation, de par son histoire, accorde une grande place aux problématiques sociales en rapport
avec les problématiques économiques et un peu moins les enjeux environnementaux. Cependant
l’approche intégrée est développée à travers les modules théoriques. Tous les modules sont
entièrement et exclusivement consacrés à la RSE. La formation allie théorie et pratique, besoin de
savoirs pluridisciplinaires, acquisition de savoir-faire opérationnelle et de savoir-être29. Un des défis
dans une telle formation constitue le dosage entre exhaustivité dans la profondeur de l’étude des outils
et exhaustivité dans les méthodes d’analyse, de diagnostic ou de pilotage. Le master a fait le choix
d’une approche globale de la RSE qui permet la présentation d’un "panorama de l’existant" afin de
faciliter la mobilisation d’outils pertinents et la contextualisation des situations par les étudiants selon
sa direction. Les réponses au questionnaire transmis aux étudiants et anciens révèlent une demande
forte en outils et en approfondissement de certains volets (environnemental, sociétal…) qui ressort
aussi dans les évaluations du master par les étudiants. Toutefois, les points de vue ou les perceptions
restent très hétérogènes sur ce point avec souvent des clivages. La formation se caractérise par ailleurs
par un très grand nombre d’enseignants, issus de disciplines ou d’horizons professionnels divers
(entreprises, institutions internationales, organismes publics, ONG, syndicats, consultants) possédant
28 Les choix opérés par le MASTER sont tels que l’on se situe beaucoup, en termes de pédagogie, dans le témoignage et la transmission d’expérience que dans la transmission de savoirs académiques classiques. 29 Suivant la maquette du MASTER, les futur(e) s diplômé(e) s apprennent à analyser les opportunités, les enjeux stratégiques et les conditions d’implantation d’une démarche de RSE. La maîtrise des outils de pilotage et d’évaluation de la RSE leur permet aussi d’accompagner le processus de mise en oeuvre, d’en contrôler la cohérence et d’en apprécier les résultats (pour l’entreprise et son environnement.)
16
une grande expérience de terrain qui partagent leurs expériences. Le témoignage des professionnels et
le débat qui s’en suit permettent aux étudiants de mesurer l’ampleur des défis. La conduite de projets
collectifs et le stage professionnel (4 à 6 mois) permettent aussi de confronter les étudiants aux réalités
du terrain. Le mémoire professionnel quant à lui permet la mise en perspective d’une question de RSE
à partir d’une démarche empirique et constitue autant de contribution au débat et à la construction de
la connaissance sur la RSE.
Les enseignements du master EG se focalisent sur les grands enjeux de la gouvernance
politique, économique et juridique en Afrique et la perspective commune de toutes les options
demeure le respect de la dignité de la personne humaine par une gouvernance juridique, et politique
plus éthique et une économie au service de la personne humaine. La formation se déroule sur deux ans
avec une première année de tronc commun au cours de laquelle des cours de cultures générales et les
notions fondamentales de bonne gouvernance sont données à travers des cours théoriques magistraux
et quelques séminaires interactifs. La perspective de spécialisation de la deuxième année conduit les
étudiants à suivre en option des cours complémentaires (120h) pouvant porter sur les notions de
développement durable et de RSE suivant l’option. Ce caractère optionnel n’était pas de nature à
permettre à tous les étudiants du master de découvrir la RSE. C’est pourquoi avec la révision du
programme, des modules de RSE sont désormais intégrés dans des unités de valeurs (UV) obligatoires
dès le master 1 : c’est le cas de l’UV104 vie de l’entreprise dans laquelle il y a un module obligatoire
de 20h sur la RSE. En deuxième année, certaines options consacrent une part importante du volume
horaire à la RSE et l’option EEDD est à cet effet celle qui se rapproche le plus, dans la forme et le
contenu du master RSE, avec une intégration forte de la RSE. Dans l’option EEDD 88,57% du volume
horaire des séminaires – hors cours de méthodologie, langues et informatique – est consacré à la RSE
ou à des modules dans lesquels il est envisageable de l’aborder. La proportion est de 71,87% pour
l’option GE et plus faible dans les deux autres options30. Toutefois des modules de RSE sont abordés
dans toutes les options et permettent ainsi d’ouvrir tous les étudiants du master aux problématiques de
RSE31. Les cours et séminaires sont assurés par des intervenants venant de milieux et d’origines
géographiques divers32. Le manque de compétences suffisantes au niveau local conduit à faire appel à
l’expertise extérieure et à envisager des partenariats à l’échelle internationale. L’interactivité des
enseignements (séminaire, études de cas, exposé, simulation) facilite l’apprentissage et l’assimilation
des savoirs. Les stages annuels de 4 mois permettent aux étudiants de se confronter aux réalités de
terrain et d’acquérir un savoir faire et des compétences. Le contenu des enseignements et
l’environnement de travail permettent de cultiver un savoir-être. L’insuffisance de compétences
locales en matière de RSE constitue un handicap certain mais il amène la formation à s’ouvrir et à
s’enrichir de l’apport d’intervenants extérieurs de nationalités diverses. Cependant, cela n’est pas
souvent de nature à favoriser une adaptation des concepts aux réalités locales souvent méconnues par
30 Dans certains modules comme "genre et développement", la prise en compte de la RSE sera fonction de la connaissance même et de la volonté de l’intervenant qui peut ne pas faire état des problématiques genre au sein de l’entreprise. 31 C’est le cas des modules leadership et entreprenariat social, Business ethics, SMQSE, 32 Les proportions sont estimées à : 50% d’enseignants académiques et 50% de professionnels des entreprises.
17
les intervenants. Par ailleurs, en dehors de quelques entreprises pionnières (Azito O&M, Groupe
SIFCA, etc.), il n’existe pas beaucoup d’entreprises engagées dans une démarche de RSE explicite,
formalisée, encore moins de départements ou services développement durable. C’est sans doute pour
cela, qu’un cursus exclusivement RSE comme celui de l’UPEC n’est pas envisageable à court terme.
C’est pourquoi le master s’attache à développer la diversification des savoirs et la polyvalence en
termes de compétences, en incluant d’autres disciplines d’enseignement. Pour compléter l’analyse du
contenu des formations, nous avons jugé intéressant d’interroger les diplômés et les étudiants sur
l’incidence de la formation pour eux, les compétences acquises, leur vision de la RSE et de son
intégration dans l’enseignement. Les résultats sont sans ambiguïté : 91,7% des répondants UPEC tous
les répondants CERAP (100%) jugent absolument nécessaire et incontournable l’intégration la RSE à
l’enseignement. Peut-être cela préfigure-t-il dans une certaine mesure une réconciliation des étudiants
avec l’entreprise. Leurs visions de la RSE et de l’enseignement de la RSE sont traduites également
par le plébiscite d’un certain nombre d’affirmations qui leur ont été soumises.
Accord et désaccord avec les affirmations
54,5
72,7
27,318,2
72,7
0
81,8
54,2
83,3
37,5
20,8
66,7
0
70,8
0102030405060708090
Il fa
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Opinion exprimée
Pou
cent
age
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s
CERAP
UPEC
S’agissant des thématiques qui ont retenu l’attention des étudiants du master RSE, il y a là
aussi un plébiscite de l’approche globale et théorique de la RSE, l’étude des acteurs, des leviers :
« J’ai beaucoup apprécié les modules théoriques et historiques, ils permettent de mieux comprendre la
RSE et de la situer dans notre monde actuelle, d’expliquer son apparition et d’en comprendre à la fois
les fondements et par extension son avenir », « étude des acteurs de la RSE, des concepts et des outils
(normes, référentiels…), analyse des stratégies de déploiement des politiques RSE, étude des leviers et
des modalités d’intégration à la stratégie d’entreprise, politiques environnementales » soutient un
répondant UPEC. Mais on note surtout l’utilité des outils (référentiels) dans la vie professionnelle des
diplômés et une forte demande d’approfondissement de leur étude, que ce soit les outils de diagnostic,
d’audit, de notation, de reporting ou de pilotage : « Reporting, ISR, les modules touchant aux cadres
du reporting et du suivi de l’engagement social m’ont le plus concernés et me servent dans ma
pratique professionnelle. C’est tout compte fait, les modules hérités de l’ancien DESS d’audit social »
soutient un autre répondant UPEC. Il y a enfin une focalisation sur certaines thématiques ou
18
dimensions de la RSE : dimensions sociale (GRH, risques psychosociaux, diversité, handicap) et
environnementale (analyse du cycle de vie des produits). Les étudiants du CERAP quant à eux ont
plébiscité les notions de base, l’étude des concepts et des thématiques liées à l’ancrage territorial des
entreprises, la santé et la sécurité au travail, les outils (QSE), les thématiques environnementales
(étude d’impact environnemental, énergies renouvelables). Ils font aussi référence à des thématiques
ou des modules qui s’inscrivent plus dans une approche macro du développement durable (gestion
intégrée des ressources en eau (GIRE), pauvreté et égalités, etc.). Cela traduit une fois de plus
l’attachement du master EG autant aux enjeux micro qu’aux enjeux macro du développement durable.
« Prise de conscience, plus grande sensibilité, esprit critique et d’analyse aiguisé, connaissances,
savoirs et savoir-faire, capacité de synthèse, travail en équipe, ouverture d’esprit …», sont autant
d’expressions utilisées pour qualifier l’incidence des deux formations sur les étudiants : « plus grande
sensibilité en termes de RH en entreprise et de questions environnementales », « Ma conception
classique de l’entreprise a fait place à une tout autre approche qui consiste à mettre l’entreprise au
cœur des activités humaines ». Elles ont permis le développement de compétences sur des
problématiques particulières et souvent une réorientation de carrière ou une redéfinition des choix
personnels et professionnels : « En se confrontant à ces problématiques RSE, cette formation a
totalement axé/réorienté ma carrière professionnelle (qui n’était pas née !) sur de nouveaux métiers
indépendants de mes 1ères compétences (qui me destinait à une carrière en entreprise). J’ai
développé des compétences sur les thématiques sociales et environnementales (et non plus axée
uniquement sur l’économie de la société) et donc pu les intégrer à des stratégies d’entreprise
(management éthique, produits éco innovants, économie du carbone, risques d’image…) et à mon
métier d’aujourd’hui ». Un autre diplômé du master RSE qui avait déjà une bonne expérience
professionnelle soutient : « J’ai trouvé un nouveau job, dans le même métier mais à un niveau de
responsabilité supérieur à celui que j’exerçais avant la formation. (…) Mais je l’exerce de façon très
différente ». La tendance commune qui se dégage quant à l’incidence de ces formations est le
changement qu’elles ont insufflé à différents niveaux chez les diplômés. Elles ont permis à certains de
faire autrement ce qu’ils faisaient avant au niveau personnel comme professionnel, confirmant ainsi la
volonté des diplômés de tenir désormais compte des principes de RSE quel que soit l’occupation
professionnelle. Toutefois, ces tendances ne doivent pas faire oublier que les deux formations évoluent
dans des contextes bien différents aussi bien en terme de liens développés avec les acteurs locaux de la
RSE qu’en termes de concurrence sur le marché de la formation RSE.
En France, l’offre de formation RSE ou développement durable s’est très considérablement
renforcée. Novethic recense ainsi plus de 235 formations (bac+2 et plus) en France en lien avec la
RSE. Toutefois, chaque formation a sa spécificité et un niveau fort différent d’intégration de la RSE et
des problématiques y relatifs dans ses enseignements. L’originalité du positionnement de la spécialité,
l’implication d’intervenants professionnels, la qualité et la légitimité de l’équipe pédagogique sur le
champ comme souligné par l’agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur
(AERES), le taux d’insertion plus que satisfaisant des diplômés, la contribution du diplôme à la
structuration du champ et du marché de la RSE et son rôle en tant qu’acteur même de la RSE font la
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force du master RSE et la mettent en position de concurrencer d’autres formations qui elles jouissent
du prestige des établissements qui les abritent (HEC, écoles de commerce ou d’ingénieurs, etc.). Cela
est confirmé par la présence du master RSE dans le top 10 du classement SMBG depuis 2009,
occupant même la quatrième place dans la rubrique Meilleurs Masters Management de
l'Environnement et du Développement Durable devant de grandes écoles. L’autre force du master est
qu’il est adossé à l’Institut de recherche en gestion (IRG), laboratoire de recherche auquel ses
enseignants-chercheurs sont rattachés33. Ses chercheurs sont très actifs dans la recherche et les
publications sur la RSE. Ils sont présents dans les réseaux dédiés à la réflexion, la recherche et
l’enseignement sur la RSE comme l’Association pour le Développement de l’Enseignement et de la
Recherche sur la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (ADERSE) et le Réseau International de
recherche sur les Organisations et le Développement Durable (RIODD). Le master RSE a su par
ailleurs nouer des partenariats stratégiques avec des entreprises, et les acteurs de la RSE sont associés
à la vie du master à travers les projets collectifs qu’ils confient aux étudiants. L’association des
diplômés « InveRSE » bien que d’un dynamisme encore bien limité, contribue à renforcer le réseau et
la notoriété de la formation. Le master EG est beaucoup plus récent et n’a pas encore eu la possibilité
de se bâtir une telle réputation. Il est à sa deuxième année et ses premiers étudiants seront diplômés
cette année. Si les DESS sont déjà habilités par le ministère ivoirien des enseignements supérieurs, le
master est en cours d’habilitation auprès du ministère des enseignements supérieurs. Un dossier
d’habilitation sera transmis au CAMES34 après la sortie de la première promotion35. Force est toutefois
de reconnaître que dans le contexte ivoirien, le master EG constitue une formation pionnière. Quelques
formations estampillées développement durable, RSE ou éthique des affaires existent mais
n’interviennent pas dans le même champ ou ne s’adressent pas au même public. C’est le cas des
formations offertes à l’Institut des hautes études Afrique (IHE-Afrique) qui s’adressent aux cadres et
dirigeants d’entreprises et ne sont pas du tout de type académique. AGITEL-Formation offre un
master de communication avec une option développement durable qui s’en éloigne aussi. L’originalité
du master EG dans le contexte ivoirien, le nombre réduit des étudiants, la qualité de l’équipe,
l’interdisciplinarité de la formation, les partenariats avec les entreprises ainsi que le dynamisme de
l’institution en tant que acteur de la RSE constituent les forces essentielles de la formation offerte36.
L’IDDH travaille à la construction d’un réseau d’acteurs engagés à l’échelle de la Côte d'Ivoire et à
développer des partenariats avec des écoles et institutions à l’échelle internationale pour accompagner
la consolidation de la formation RSE offerte.
33 Le laboratoire est porteur d’un projet ANR qui mobilise des équipes pluridisciplinaires travaillant sur le potentiel régulatoire de la RSE 34 Le Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES) est l’organisme de coordination des politiques d’Enseignement Supérieur des pays d’expression française d’Afrique et de Madagascar. Elle est chargée entre autre de l’habilitation des diplômes d’enseignement supérieur : http://www.cames.bf.refer.org 35 L’ESMPAO est en cours d’agrément auprès de l’Agence universitaire francophone (AUF) 36 Le CERAP travaille aujourd’hui à la constitution d’un réseau local d’acteurs RSE.
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Conclusion
Cette étude comparée nous a permis de mettre en lumière les points de convergence et de divergence
entre les deux formations. Sans vouloir exhiber une nouvelle fois ces points, il nous paraît essentiel de
souligner quelques uns des plus saillants pour conclure. Il ressort ainsi qu’il y a une vision partagée de
la RSE et des liens avec le développement durable. Cette étude n’a donc pas permis de dégager une
approche de la RSE divergente, une perspective africaine ou ivoirienne différente de l’approche
française, même si les problématiques éthiques semblent occuper une place importante dans le master
EG. L’étude n’avait pas cette prétention de déceler une approche africaine de la RSE ou une
spécificité de son enseignement. Mais cela ne doit pas surprendre quand on sait que le CERAP fait
appel à la compétence extérieure pour assurer les modules RSE. Par ailleurs, la création des deux
masters et le contenu de leurs enseignements partent de considérations largement partagées quant au
rôle de l’entreprise dans la société. Toutefois, l’acuité des problématiques, la taille et le nombre des
défis en la matière en Côte d'Ivoire sont tels qu’il est fort à craindre que les attentes vis-à-vis de
l’entreprise ne soient excessives face à la défaillance de l’Etat. La déception pourrait alors être grande
et les démarches RSE considérées comme inopérantes dans de telles situations. Par ailleurs, l’étude a
permis d’éclairer certaines questions posées dans les réflexions théoriques autour de la mission de
l’enseignement et de la fonction structurante des établissements d’enseignement supérieur. En effet,
l’exemple du CERAP et de l’UPEC montre qu’on ne peut réduire la mission de ceux-ci à une livraison
de savoir ou de savoir-faire. Ils assument aussi une mission de formation à la vie. De ce fait ils doivent
favoriser l’émergence de compétences en termes de savoir-être, d’esprit critique et d’analyse, ou
encore le développement de la culture générale, d’une approche globale, intégrée et contextualisée des
problématiques. Il est certes de la responsabilité des établissements de dispenser des formations qui
puissent favoriser l’insertion professionnelle des diplômés. Ces deux établissements n’y dérogent pas
en intégrant fortement la RSE à leur programme. La prise en compte des intérêts des parties prenantes
des établissements est aussi essentielle. Le cas du CERAP est particulièrement éloquent à ce sujet. Il
démontre qu’il est possible de répondre aux attentes des parties prenantes, en l’espèce les entreprises,
sans dévier de sa vocation ou de sa mission quand elle est noble. En choisissant d’intégrer la RSE, elle
s’assure de la cohérence entre son offre de formation, les demandes de ses partenaires et sa vision. Le
cas de l’UPEC et dans une moindre mesure celle du CERAP confirment la fonction strcturante des
universités : les incidences des formations sur la vie et les choix personnels et professionnels des
diplômés, la construction ou la participation à des réseaux d’acteurs de la RSE, le développement
prodigieux en France de l’offre de formation RSE et en Côte d'Ivoire l’intérêt manifeste de certaines
entreprises pour la RSE et leur persévérance dans le partenariat avec le CERAP sont autant de signes
confirmatoires. On peut donc conclure que "il y a besoin de RSE" aussi bien dans les pays développés,
industrialisés que dans les pays pauvres, à la fois en termes d’enseignement académique aux futurs
managers que d’engagement et de pratiques réelles des acteurs concernés.
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