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L’intensification du travail en débat. Ethnographie et histoire aux chaînes de Peugeot-Sochaux The intensification of work debated: Ethnography and history on the Peugeot-Sochaux assembly line Nicolas Hatzfeld Centre Pierre Naville, UFR de sciences sociales et gestion, 2, rue du facteur Cheval, 91000 Evry, France Résumé Recourant à l’ethnographie et à l’histoire, l’étude du travail dans l’usine de Peugeot-Sochaux à la fin du XX e siècle et au cours du demi-siècle qui précède invite à s’écarter d’une vision unifiante et généralisée de l’intensification. D’une part, la variation des règles et la diversité des jeux font ressortir les forces et les tensions qui traversent cet enjeu omniprésent des relations de travail. D’autre part, le repérage de moments d’accentuation effective de la charge de travail invite à envisager une pluralité des périodes et des tendances, pour mieux suivre les évolutions effectives. Surtout, l’étude des ateliers sochaliens appelle à se défaire d’une vision quantitative, abstraite de l’intensité du travail et de son évolution. Elle invite à examiner concrètement les changements qui affectent les conditions d’emploi et les modalités techniques du travail : dans la durée, par exemple, l’usine gagne en intensité. Loin de devenir insaisissable, la notion prend ainsi une richesse et une pertinence nouvelles pour l’analyse des mondes de travail. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract With the use of ethnography and history, this study of work in the Peugeot-Sochaux automobile factory in the last half of the 20th century makes us stand back from a unifying, generalized view of Adresse e-mail : [email protected] (N. Hatzfeld). Sociologie du travail 46 (2004) 291–307 www.elsevier.com/locate/soctra 0038-0296/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.soctra.2004.06.001

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L’intensification du travail en débat.Ethnographie et histoire aux chaînes

de Peugeot-Sochaux

The intensification of work debated:Ethnography and history on the Peugeot-Sochaux

assembly line

Nicolas Hatzfeld

Centre Pierre Naville, UFR de sciences sociales et gestion, 2, rue du facteur Cheval,91000 Evry, France

Résumé

Recourant à l’ethnographie et à l’histoire, l’étude du travail dans l’usine de Peugeot-Sochaux à lafin du XXe siècle et au cours du demi-siècle qui précède invite à s’écarter d’une vision unifiante etgénéralisée de l’intensification. D’une part, la variation des règles et la diversité des jeux font ressortirles forces et les tensions qui traversent cet enjeu omniprésent des relations de travail. D’autre part, lerepérage de moments d’accentuation effective de la charge de travail invite à envisager une pluralitédes périodes et des tendances, pour mieux suivre les évolutions effectives. Surtout, l’étude des atelierssochaliens appelle à se défaire d’une vision quantitative, abstraite de l’intensité du travail et de sonévolution. Elle invite à examiner concrètement les changements qui affectent les conditions d’emploiet les modalités techniques du travail : dans la durée, par exemple, l’usine gagne en intensité. Loin dedevenir insaisissable, la notion prend ainsi une richesse et une pertinence nouvelles pour l’analyse desmondes de travail.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

With the use of ethnography and history, this study of work in the Peugeot-Sochaux automobilefactory in the last half of the 20th century makes us stand back from a unifying, generalized view of

Adresse e-mail : [email protected] (N. Hatzfeld).

Sociologie du travail 46 (2004) 291–307

www.elsevier.com/locate/soctra

0038-0296/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.soctra.2004.06.001

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the intensification of labor. For one thing, variations in work rules and the diversity of relatedproblems bring to light the tensions underlying the issue of workloads. For another, detecting whenworkloads are actually heavier and more stressful calls for taking into account a variety of periods andtendencies while studying working conditions. This study conducted in workshops in the Sochauxplant leads us away from a quantitative, abstract view of the intensification of work. We are thus ledto examine the concrete changes that affect employment conditions and the technical aspects of workover a longer term. Far from losing sense, the idea of an intensification of work processes becomesricher and more relevant for analyzing the world of work.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Intensification ; Usine ; Travail à la chaîne ; Peugeot ; Cadences

Keywords: Assembly-line work; Factory; Heavier workloads; Speedups; Peugeot; France

Lors d’une grève contre l’aggravation des cadences, qui survient en 1981 sur les chaînes demontage de l’usine automobile de Peugeot à Sochaux, un vif débat s’instaure, entre lessyndicalistes qui animent la lutte, sur la négociation à mener avec la direction. Celle-ci arépondu à la revendication d’allègement des cadences en proposant de discuter en détail descharges de travail et des règles qui président à leur définition : une attitude nouvelle de sapart puisque jusque-là, elle refusait tout débat sur les questions d’organisation, qu’elleconsidérait comme son domaine exclusif. Certains délégués de la CGT et de la CFDTveulent entrer en discussion avec les représentants de la direction sur le détail des règlestechniques et de leur combinaison, de leur bien-fondé et des changements qui leur ont étéapportés récemment. D’autres en revanche, au sein de la CGT, refusent ce terrain qu’ilsconsidèrent piégé ; ils veulent s’en tenir strictement aux formulations ouvrières du mécon-tentement et à la demande d’un allègement des charges. À l’intuition, ils soupçonnent unpiège techniciste qu’effectivement leurs interlocuteurs managériaux leur tendent. Ils voientjuste : au cours des négociations, les représentants de l’encadrement déploieront leursarguments techniques comme un rideau de fumée ; ils obtiendront, moyennant quelquesdispositions temporaires, la confirmation des règles présidant aux cadences contestées(Hatzfeld, 2002a, pp. 498–500).

Ce débat entre syndicalistes sur la conduite de la négociation montre l’acuité, dansl’action sociale elle-même, de la question suivante : comment appréhender l’évolution de lacharge de travail ? L’évidence initiale de la revendication ouvre une controverse dès lorsqu’il faut définir le terrain du débat et les critères d’appréciation : choisir entre d’un côté, lasubjectivité des ouvriers de fabrication, qui ne s’appuie que sur l’autorité de la chosevécue ; ou de l’autre, des mesures résultant d’une combinaison abstraite de règles seprétendant aussi scientifiques que l’organisation du travail, située en l’occurrence sur descritères patronaux.

La dispute entre les militants invite ceux qui s’intéressent aux mondes du travail às’interroger eux aussi. Certes, elle renvoie à la préoccupation lancinante pour un grandnombre de salariés de voir, dans leur travail, la part de la peine s’alourdir ; une préoccupa-tion que les chercheurs explorant les évolutions du travail se doivent de ne pas négliger ni

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traiter à la légère1. En même temps, elle conduit à rechercher les moyens d’appréhender leproblème, comme réalité et peut-être aussi comme révélateur d’enjeux traversant lesespaces de travail2.

1. Plaidoyer pour une étude du dedans, ethnographique et historique

Bien souvent l’évolution du travail est présentée à travers la notion d’intensificationprise comme une quasi-évidence. C’est le cas, par exemple, de la grande enquête statistiquepubliée récemment sur le bonheur et le travail (Baudelot et Gollac, 2003, p. 321) quiannonce ainsi dans sa conclusion : « Le travail s’est intensifié. Très rapide, au cours de laseconde moitié des années 1980, l’intensification s’est poursuivie, bien qu’un peu pluslentement, au cours des années 1990. » Cette recherche, qui repose sur un vaste travail dequestionnement et d’entretien présente, outre des analyses précieuses par leur richesse, legrand mérite de remettre l’accent sur la relation au travail telle qu’elle est dite par ceux quil’effectuent et de faire leur le matériau d’une parole massivement négligée dans les débatspublics — et par certains débats scientifiques — de ces dernières années. Ses auteursreportent vers d’autres travaux la démonstration de cette intensification par la mesurescientifique (p. 223), estimant que l’enquête statistique est « l’approche la plus appropriéepour embrasser dans sa totalité, et surtout dans son extrême diversité, la nature contradic-toire des relations que les individus entretiennent avec leur travail » (p. 15).

D’autres travaux, tels Retour sur la condition ouvrière (Beaud et Pialoux, 1999)3, ontmontré qu’on peut viser autrement la complexité d’un monde agencé autour des enjeux dutravail : l’exploration menée à Sochaux-Montbéliard sur le travail à l’usine, sur les enjeuxscolaires, sur les tensions de la vie locale et sur la crise du militantisme permet de tisser unereprésentation dense de ce monde ouvrier travaillé par des crises. Polarisé par la plusgrande usine de France, ce travail ethnographique met en valeur des questions qu’ailleurs,une certaine dispersion tend à occulter dans le paysage social. Là aussi, l’accroissement dela charge de travail est abordé, parfois fugitivement comme une donnée de base (pp. 51, 56,59) et parfois comme l’effet de nouvelles pressions, de nouvelles pratiques que destémoignages reproduisent sur le même schéma à plusieurs années d’intervalle (pp. 57–58).Ayant pris le parti d’un ancrage situé, qui donne aux analyses le poids de l’exemplarité,cette recherche s’effectue essentiellement à partir d’entretiens approfondis. Le discoursouvrier est alors à la fois témoignage sur la vie au travail et mouvement de réappropriationde soi, recomposition d’une distance vis-à-vis de l’usine par les interlocuteurs dessociologues.

1 Il faut remarquer, notamment, la relance apportée au débat sur la notion par le colloque « Organisation,intensité du travail, qualité du travail », organisé à Paris, en novembre 2002, par le Centre d’études de l’emploi, leCepremap, l’École doctorale Entreprise–Travail–Emploi et le Latts.

2 Ce texte bénéficie de plusieurs lectures, notamment de la part de Yves Cohen, Pierre Fournier, Cédric Lomba,Jean-Philippe Mazaud, Sophie Pochic, Nicolas Renahy, Gwenaële Rot et Dilip Subramanian. Mais il n’engageque son auteur.

3 Hors de la sphère universitaire, on peut noter le foisonnement de films récents, souvent documentaires, sur lemonde ouvrier, et le travail artistique et ethnographique effectué sur les ouvriers et les usines de Saint-Dizier parl’association l’Entretenir autour de Stéphane Gatti en 2002.

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Bien distinctes l’une de l’autre, ces deux démarches partagent le fait de resterextérieures aux lieux mêmes du travail. Leur attachement à la parole des travailleurs estsource d’analyses indispensables. Permet-il de saisir la totalité des enjeux ? Il ne mesemble pas. Tout en sachant le poids d’une entrée effectuée avec l’accord des maîtres desentreprises, l’observation de plain-pied, mieux la participation au travail même que l’onétudie me semble apporter un complément précieux. Certes, le chercheur prend ainsi lerisque d’isoler « ce qui se passe dans l’entreprise de ce qui se passe à l’extérieur » oud’étudier de manière séparée « les décisions prises par les managers et leurs effets dansl’entreprise, d’une part, et, d’autre part, les caractéristiques socioculturelles des salariés »(Beaud et Pialoux, 1999, p. 18). En contrepartie — car il me semble qu’aucun point devue n’est total — une présence au cœur des ateliers peut offrir une attention respectueuseà l’égard des travailleurs en même temps qu’un accès direct et irréductible à une réalitédu travail, dont les permanences et les changements doivent être sans cesse reconsidérésde près (voir Encadré 1). Certes une telle réalité reste singulière, au mieux exemplaire ;cette remarque appelle, par conséquent, d’autres recherches elles aussi situées.

La référence ethnographique mérite d’être explicitée (Dodier et Baszanger, 1997). Ils’agit de privilégier la recherche empirique et les matériaux qu’offre la plongée réflexivedans le monde que l’on se propose d’explorer sans canevas préalable d’enquête ; égale-ment, de laisser aux acteurs le soin de déterminer leurs actions et de dessiner les significa-tions qu’ils donnent aux règles, aux situations et aux actes qui jalonnent leur vie sociale ;d’accepter que ces significations s’inscrivent dans des espaces sociaux et des temporalitésd’envergures variées. Le texte qui suit vise donc à retravailler la notion d’intensification àpartir des usages qui en sont faits par les acteurs dans le cours des relations de travail. Ladimension historienne découle certes de l’épaisseur temporelle embrassée, la secondemoitié du XXe siècle ; une épaisseur précieuse, à mon sens, pour traiter concrètement d’unenotion qui suppose une dynamique temporelle. Mais, là aussi, méthode et point de vue ne sedissocient pas : il s’agit aussi de ne pas réduire les traces du passé aux coups d’œil qu’y jetteun présent parfois peu curieux, regroupant le passé dans la catégorie fluctuante de« l’avant » : d’intensité, il fut déjà beaucoup question, et aussi d’intensification (Fridenson,1986). La peine des travailleurs d’aujourd’hui ne doit pas faire traiter avec désinvolturecelle de générations précédentes, la réflexion d’aujourd’hui doit bien dialoguer avec lesrésultats d’hier. Le déploiement des espaces passés que vise l’approche historienne conduità admettre également une dynamique non linéaire, faite peut-être d’allers et retours, etcomplexe, voire plurielle. Enfin, l’approche historienne conduit à croiser les sources, entirant de chacune toute sa substance sans outrepasser leur portée.

Pour réexaminer cette notion d’intensification, classique pour les syndicalistes(Hatzfeld, 2003) et reprise, donc, par une partie des sociologues, les chaînes de montageà Peugeot-Sochaux constituent un excellent terrain d’observation. Elles représentent unlieu emblématique, qui fut longtemps invoqué pour illustrer l’intensité du travail ouvrier.Par ailleurs, elles reposent sur un type d’organisation particulièrement complexe etprécis, peut-être le plus sophistiqué en matière d’organisation du travail, particulièrementapte à fournir des traces de dispositifs, de systèmes, de réformes, de conflits sur notresujet.

La réflexion se déroulera en deux temps. Tout d’abord, l’étude d’une définition évoquéeplus haut — l’intensification comme augmentation de la charge de travail. Ensuite,

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l’examen d’une autre piste, elle aussi suggérée par des réflexions ouvrières, déplaçant leregard de la personne qui effectue le travail vers le système qui prend celui-ci, enl’occurrence vers l’intensification de l’usine.

Encadré 1

Cette recherche a été engagée en 1996 avec Jean-Pierre Durand, dansle cadre d’une étude de sociologie du travail, au sein des ateliers d’assem-blage de l’usine Peugeot-Sochaux (Durand et al., 1998). Elle s’est réaliséeavec le soutien de la direction de l’usine, qui souhaitait sans doutedisposer d’une étude extérieure et non orientée sur ses propres ateliers,et qui préparait plusieurs réformes, dont la modification des collectifs detravail et une transformation industrielle des ateliers d’assemblage. Larecherche a toujours été présentée aux ouvriers, à la maîtrise et à l’enca-drement comme une recherche universitaire, indépendante et menéeavec l’assentiment de la direction, et débouchant sur des résultats pu-blics. Engagée à deux, cette recherche a combiné diverses méthodes(Durand et Hatzfeld, 2002). Pour ma part, elle s’est centrée autour de latenue effective de postes d’opérateur (de monteur) sur les chaînes demontage durant trois périodes (trois mois au total, y compris les temps deformation). L’observation participante se concentrait alors sur l’équipe àlaquelle appartenait le poste occupé. En outre, j’ai interviewé ou suivi lesagents de maîtrise de la ligne hiérarchique directe, et quelques autres trèsproches, une dizaine de techniciens et presque autant de cadres, laplupart du temps hors de l’horaire de l’équipe de travail. À la fin dechaque période, j’ai réalisé des entretiens–conversations avec plus d’unedizaine d’opérateurs de chaque équipe afin d’élargir la connaissanceobtenue sur le poste. Il en sortait une confrontation complexe entrel’approche par le travail partagé et l’approche par entretien. Enfin,d’autres relations, extérieures à ce réseau focalisé, permettaient d’élargirla situation de la recherche. Nous avons obtenu les documents, gestion-naires et techniques, que nous souhaitions consulter concernant lesressources humaines, les relations sociales ou l’organisation de la pro-duction. En outre, ma recherche s’est étoffée de 1996 à 1999 : outre cetterecherche ethnographique, j’ai réalisé une thèse d’histoire sociale surcette usine automobile au cours de la seconde moitié du XXe siècle, àpartir des archives du site de Sochaux, de l’entreprise PSA et du muséeL’Aventure Peugeot de Sochaux, de sources syndicales et privées, ainsique des sources orales constituées en réseau, au fil de l’avancée desquestions et des contacts.

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2. Toujours plus et plus vite ? Une évidence en question

2.1. L’expression d’une inquiétude incessante

Qu’ils soient interrogés ou qu’ils abordent le sujet spontanément, les ouvriers defabrication s’accordent souvent à parler d’un accroissement de la charge de travail. L’idéeest parfois brute. C’est le cas, à l’occasion d’une retrouvaille avec un ouvrier qui, deux ansplutôt, m’avait formé au poste sur lequel je devais le remplacer. Évoquant les changementsqui affectaient son poste, il s’interrompt tout à coup : « De toutes façons, depuis que tuviens, tu as bien vu par toi-même que c’est de pire en pire. » Et d’invoquer, comme uneévidence, le récent ajout d’une opération sur son poste à l’occasion d’un changement derépartition tel qu’il s’en effectue chaque mois en fonction du programme de production.Dans cette dénonciation ordinaire des modifications de charge de travail, les récriminationsouvrières s’appuient sur différents cas de figure.

Les critiques peuvent porter, comme c’est le cas ici, sur la redéfinition incessante despostes de travail par le Bureau des méthodes. Chaque mois en effet, à l’occasion deschangements du programme de production établi pour l’usine, un technicien déterminel’effectif qu’il faudra affecter à la ligne entière, à partir d’une estimation de la variété desvoitures qui seront mises en production. Puis il répartit l’ensemble des opérations entre lespostes : une production accrue implique un passage plus rapide des voitures, un temps decycle plus court, un personnel plus nombreux et, en moyenne, une diminution des opéra-tions de chaque poste sur chaque voiture. Au contraire, une production réduite se traduit parun allongement des temps de cycle, une diminution des effectifs et un accroissement dunombre d’opérations par poste. Bien que ces modifications ne changent pas forcément lacharge théorique moyenne de travail telle qu’elle est définie dans les documents techni-ques4, elles imposent aux ouvriers un effort incessant de réapprentissage, d’autant plusfatigant qu’il risque de devenir inutile à l’occasion d’une répartition ultérieure.

De plus, une stabilité globale de la charge de travail n’empêche nullement que parmi lesouvriers, certains soient gagnants et d’autres défavorisés. En effet la maîtrise aménage ladistribution des opérations issue des stricts calculs : elle sait d’expérience que ceux-cis’écartent plus ou moins de la réalité pratiquée du travail ; elle tient aussi compte de cequ’elle perçoit comme acceptable par les différents ouvriers de l’équipe, appelée unitéélémentaire, en fonction de la composition de celle-ci, de ses traditions, bref en fonction dela notion essentielle qu’est l’ambiance du collectif (voir Encadré 2).

Des ajustements semblables à ceux que réalise le chef d’équipe sont effectués à l’échellede l’ensemble de la chaîne ou même dans l’ensemble de l’atelier. Outre l’incessant effortd’adaptation déjà évoqué, les ouvriers sont donc amenés à défendre sans cesse leur positionau sein des divers collectifs afin d’éviter d’y être les perdants de la répartition5. Cetteautodéfense face à l’organisation comme face aux autres ouvriers se rapproche de l’Eigen-

4 Cette charge théorique joue un rôle essentiel : établie selon des règles strictes et complexes, elle sert à ladirection pour établir les objectifs fixés aux bureaux des méthodes, et pour évaluer les résultats atteints, en matièred’intensité du travail ouvrier.

5 On pourrait tout à fait comparer ce jeu à celui qui s’effectue entre enseignants avec la répartition annuelle desclasses et des emplois du temps, à l’occasion de la préentrée. Ici comme là, les dimensions individuelles et

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sinn, ce sens de soi défini à propos des ouvriers allemands du XXe siècle (Lüdtke, 2000).Elle donne matière à des relations complexes entre ouvriers. D’une part, elle suscitel’affirmation de hiérarchies informelles mais prégnantes au sein des équipes, liées àl’habileté déployée pour se faire attribuer les bons postes ou obtenir un agencementfavorable (Durand et Hatzfeld, 2002, p. 124). D’autre part, les procédés et comportementsmis en œuvre sont soumis au jugement des autres. Lorsqu’elles restent acceptables, cesfrictions entre ouvriers sont lissées par une critique commune du système et de l’intensifi-cation. Mais ces arrangements sociaux ne procèdent pas d’une modification de la chargemoyenne de travail.

2.2. Productivité : des techniques situées

Les gains de productivité posent un autre type de problème. De façon continue, ces gainssont réalisés directement par les techniciens et ingénieurs des bureaux des méthodes. Il faut

collectives interfèrent, les stratégies s’opposent, les positions se rejouent, les résultats dessinent la face de chacunet les arbitrages hiérarchiques contribuent à former l’ambiance que l’on attribue à « la boîte ».

Encadré 2

La notion d’ambiance est un mystère de recherche ou un paradoxe.Omniprésente dans les milieux de travail, elle est très précieuse pourcaractériser la cohésion d’un groupe social institué ou d’une commu-nauté particulière. Elle s’applique tout aussi bien à un groupe familialqu’à un collectif de travail ou de sport, voire à un collectif d’habitat ou à unensemble politique. Plus précisément, elle est utilisée pour désignergrosso modo la part volontaire d’un tel groupe social, sa cohésion assu-mée par les intéressés, une fois la part faite aux institutions qui lerégissent. En ce sens, elle évoque, dans ces institutions plus ou moinscontraignantes, les aspects — qui renvoient au postulat de liberté —caractérisant la société ouverte. Souvent, en suivant la pluralité desqualifications d’une ambiance au sein d’un groupe donné, on en arrive àvoir se déployer les enjeux et tensions qui le traversent. Ainsi, l’ambiancesera souvent jugée différemment dans une équipe de travail par un jeunechef entreprenant, par des intérimaires féminines filles d’immigrés, pardes ouvriers anciens ou par des syndicalistes, etc. Cette pluralité d’appré-ciation renverra à des réseaux de solidarité plus ou moins distincts, ettous relatifs. Paradoxalement, beaucoup de sociologues et de gestionnai-res semblent contourner cette notion dans leurs recherches en entre-prise, lorsqu’ils attachent la plus haute attention au concept d’autonomiepar exemple. À la différence de ce dernier, la notion d’ambiance faitréférence aux ramifications extérieures à l’espace et au moment oùs’expriment les enjeux. En prenant en considération les jeux d’échellesociaux et temporels en œuvre dans les situations, cette notion permet derépondre au risque de cloisonnement des recherches.

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certes ajouter à cela les suggestions, ces propositions de gains de productivité effectuées parles ouvriers contre une rémunération par l’entreprise, sans toutefois surestimer leur effi-cience industrielle. Ce type de pratique, ancien, a connu plusieurs formules depuis lesannées 1930, et la plus récente — le kaizen japonais — eut son heure de gloire dans lesdiscours managériaux des années 1980. Mais aux dires des dirigeants et consultantsjaponais eux-mêmes, l’implication des ouvriers avait une fonction essentiellement idéolo-gique et visait avant tout à faire accepter à ces derniers les gains majeurs réalisés par lestechniciens et les ingénieurs (Shimizu, 1999). Dans la grande époque de la productivité— les années 1950 — déjà, les rapports techniques montraient que les suggestions nereprésentaient qu’environ 10 % des gains réalisés par les bureaux des méthodes (Hatzfeld,2002a, pp. 314–319).

Si les gains de productivité ne modifient pas la charge théorique de travail du personnel,ils se traduisent par la transformation incessante des opérations et, très souvent, par legrignotage d’interstices de repos que, grâce à leur savoir-faire gestuel — à leurs combi-nes —, les ouvriers se sont aménagé dans l’accomplissement même de ces opérations et seréaménagent sans cesse, en réponse aux modifications incessantes des pièces et desoutillages. Il en résulte une sourde tension qui hante la vie des ateliers. Certaines entreprisesn’en font pas cas et laissent agir sans cadrage les techniciens du Bureau des méthodes faceaux ouvriers de fabrication, en comptant sur le marché de l’emploi pour réguler les frictionsqui en résultent (Gorgeu et al., 1998) : en période de forte activité, le turn-over desopérateurs sert de soupape tandis que lorsque l’emploi se fait rare, la crainte du chômageincite à la résignation. Les rapports de force et de négociation au ras du travail jouent aussileur rôle. Un ancien chronométreur de l’usine Chrysler de Poissy se rappelle qu’une partiede ses collègues « faisaient leur boulot, planqués sur les plates-formes ou derrière unpoteau » ; méthode sauvage dont les outrances étaient réprouvées par le chef du Bureau desméthodes. Lui-même s’était un jour fait accrocher par le col de sa blouse à un palan, par unchef d’atelier furieux d’avoir vu certains temps réduits dans des proportions socialementexplosives (Loubet et Hatzfeld, 2001, p. 169). D’autres firmes, au contraire, choisissent depolicer la recherche et la mise en œuvre des gains de productivité. Ainsi, chez Peugeot, lessystèmes de suggestion obéissent à des procédures strictes réservant, par exemple, le droitde déposer une suggestion au personnel affecté au poste concerné, afin d’instaurer l’imaged’un juste partage des gains et d’éviter celle d’une intensification cynique (Hatzfeld, 2004).De même, des années 1960 aux années 1990, les chronométreurs n’ont le droit de modifierun temps alloué à une opération que si celle-ci a subi une modification d’ergonomie,d’outillage ou de préparation. Ils doivent en principe respecter un protocole sophistiqué :interdiction de chronométrer un ouvrier ne travaillant pas habituellement sur le poste (unvirtuose susceptible de « casser » les temps, par exemple, c’est-à-dire de les réduirefortement), obligation d’informer préalablement l’ouvrier intéressé, de lui rappeler ladéfinition de principe de l’opération (le « mode opératoire » prescrit), possibilité pourl’ouvrier de se faire assister d’un délégué, etc. Il s’agit à la fois de légitimer l’image neutreet scientifique des chronométreurs et des temps qu’ils établissent, et de les inclure dans unerelation conventionnelle. Ce double objectif n’est que partiellement atteint et les préven-tions ouvrières résistent à la séduction (Goux, 2003 ; Durand, 1990).

La codification du travail des chronométreurs ne varie pas seulement selon les entrepri-ses, elle est aussi historiquement située. Jusqu’à la fin des années 1950 dans les grandes

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usines automobiles, le salaire des ouvriers de fabrication était dit au rendement (Rolle,1962). Les techniciens allouaient un temps à chaque tâche après chronométrage et lamaîtrise organisait le travail en conséquence. Mais les ouvriers de fabrication pouvaientdépasser la quantité fixée et percevoir un boni, une majoration de leur rémunération. Ensollicitant cette initiative ouvrière sur l’intensité de leur propre travail, les organisateursreconnaissaient le caractère approximatif de leurs estimations ; ils s’autorisaient à lesréduire, après un rechronométrage de pure forme, quand le boni s’avérait trop facile àgagner. Sur les chaînes, où la cadence est collective, les dépassements de production étaientune pratique entérinée dans les calculs de productivité et la rémunération, à travers uneprime de boni collective. Mais d’année en année, les organisateurs affinèrent leurs mesu-res ; ils voulurent faciliter la coordination globale de l’activité. Surtout, ils voulurentaffirmer, sans ambages et sans partage, leur autorité sur les gens d’atelier. Le salaire aurendement fut progressivement réduit puis supprimé en 1960. Cette transformation s’effec-tue à Sochaux à peu près en même temps que chez Renault (Moutet, 2003), mais apparem-ment plus tôt que dans les autres entreprises automobiles européennes, comme si lesrationalisateurs français faisaient preuve d’une ambition plus radicale que leurs collèguesallemands ou italiens (Hatzfeld et al., 2004)6. À la suite de ces changements, les quantitésde pièces exigées furent stabilisées, ainsi que les rythmes de travail : si l’insuffisanceindividuelle de production continuait d’entraîner des difficultés pour l’ouvrier, le fait detravailler plus vite que la cadence imposée devint un jeu gratuit, une affirmation devirtuosité, une reconquête ostensible de soi à travers la réinvention de l’instant vécu(Moulinié, 1993 ; Dodier, 1995). Par ailleurs, en revendiquant le caractère scientifique deleurs mesures, les services des méthodes s’interdirent de les corriger en l’absence d’unchangement de procédé. Dès lors, toute réduction des temps alloués est prise dans unetransformation de l’activité proprement dite.

Mais cette codification des techniques d’organisation a encore évolué. À partir desannées 1980, les progrès de l’informatisation ont permis de modifier les modalités d’éta-blissement des temps alloués qui, dans la plupart des cas, ne sont plus établis par chrono-métrage. Contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer en restant hors des ateliers, ceteffacement ne constitue nullement un adoucissement des formes ou du fond de l’emprisedu temps, mais un évitement par les agents d’étude des temps, successeurs des ancienschronométreurs, de la confrontation avec les ouvriers au travail, avec les justifications,frictions et négociations qui l’accompagnaient. Les faiseurs de temps ont voulu contournerles règles sociales que leurs prédécesseurs avaient instituées. Dans un ordre d’idée sembla-ble, un récent film sur l’usine Renault du Mans montre les effets ravageurs d’une relativedilution des objectifs de production fixés aux nouveaux ouvriers, et de leur retour brutal dèsque les dépassements espérés ne se produisent pas (Poirier, 2002). L’effacement decertaines règles n’atténue en rien les contraintes.

6 De nombreuses entreprises industrielles, ne disposant pas de services de méthodes aussi puissants et sophis-tiqués, continuent de recourir au salaire au rendement. On n’a donc nullement de déterminisme historique outechnique en la matière.

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3. Productivité et intensification : les limites de l’arithmétique

3.1. Aggravation de la charge : des moments repérables

Quelles que soient les formes, la dynamique constante de gains de productivité entraînechez les ouvriers l’image d’une attaque incessante de la définition de leur travail, ainsi quela crainte d’une contraction des temps et des marges : pour la plupart d’entre eux, larecherche de productivité, c’est la menace d’une augmentation de la charge de travail. Cettemenace est-elle confirmée par les mesures que contiennent les documents de l’usine ? Pourcertaines époques, oui. C’est le cas de la grande période de recherche de productivitéeffectuée au cours des années 1950 (Barjot et Reveillerd, 2002). À travers le mouvement desimplification du travail, les documents7 montrent comment, mois après mois, les bureauxdes méthodes de Sochaux, comme ceux des principales usines automobiles, réalisent unencadrement beaucoup plus précis, beaucoup plus serré, de la production et du travailouvrier. Comment ils parviennent à incorporer dans la nouvelle charge de travail et dans lesalaire un surcroît de production qu’ils stabilisent et le boni qui y correspond. Le lien gainsde productivité/intensification apparaît à nouveau dans les archives du début des années1980, lorsque les entreprises françaises de l’automobile, plongées dans une grave criseindustrielle (Loubet, 2001), recherchent dans l’urgence des gains de productivité (Goux,2003). Renault puis PSA font alors appel à des consultants qui procèdent à des méthodesd’observation rudimentaires au sein des ateliers afin de repérer et d’évaluer la part de tempsnon travaillé dans les collectifs ouvriers. Étant extérieurs à l’entreprise, ces cabinetspeuvent recourir à de telles pratiques jugées indignes par les techniciens et ingénieurs duBureau des méthodes, et préconiser des réductions d’effectifs dans les ateliers étudiés.Parallèlement, en 1982–1983, Peugeot « rachète » d’autorité aux ouvriers de Sochaux destours de main susceptibles d’apporter des gains de productivité (Hatzfeld, 2002a,pp. 500–502). L’usine s’approprie ainsi des réductions de temps que les chronométreursconstatent entre deux prises de chronos, et qui ne découlent d’aucun changement deméthode, d’outillage ni de produit. Les primes accordées selon le barème prévu pour lessuggestions sont assez élevées pour que ces suppressions de temps libre s’effectuent sansheurts. Enfin, à l’échelle du groupe PSA, une harmonisation des méthodes de calcul destemps entre les usines de Citroën, Talbot et Peugeot entraîne à la même époque une reprisearithmétique de certains temps alloués ainsi que la suppression de certaines concessionslocales.

Dans ces deux moments, clairement, la rationalisation de l’organisation qui s’effectuealors et qui apporte des gains substantiels de productivité comporte un aspect repérabled’accroissement de la charge de travail ouvrier. Dans les deux cas, les effets sociaux sontnets : des grèves surviennent et comportent l’enjeu du surcroît de travail. À Peugeot-Sochaux, en 1981, comme on l’a vu en introduction, une grève survient dans les ateliers lesplus touchés par l’accroissement des charges de travail, à la suite de laquelle cette questionest au centre des discussions. Mais les grévistes n’ont pas gain de cause sur ce plan. En

7 Il s’agit en particulier de remarquables rapports techniques établis mensuellement par le directeur de Sochauxà l’intention de la direction générale de l’entreprise. Archives disponibles au musée L’Aventure Peugeot deSochaux.

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1960 et 1961, l’usine avait connu des grèves, contre les « cadences infernales », qui avaientobtenu satisfaction sur certaines revendications : un coefficient réducteur était affecté auxtemps alloués en raison de la durée de la journée de travail ; de plus, les ouvriers travaillanten chaîne se faisaient attribuer des temps de repos appelés « dépannages », pris à tour derôle sous forme de remplacements effectués par des dépanneurs. L’aménagement despauses et des dépannages est-il un allègement de la charge du travail ou plutôt unecompensation à son aggravation ? Au-delà des dénonciations syndicales d’alors, lesmilitants ouvriers se gardent de trancher de façon arithmétique et analysent rétrospective-ment ces acquis comme un « premier succès qu’il faut prendre à sa juste valeur, mais quiillustre aussi les conditions déplorables de travail » (Minazzi, 1978).

3.2. Les règles du temps, des techniques sociales avant tout

Les arguments syndicaux, en se répétant, suscitent aussi la perplexité. Ainsi, des tractsdénoncent en 1981 l’instauration de cadences inhumaines ; mais cela avait déjà été dénoncéau cours des années 1970 et de façon encore plus nette une dizaine d’années plutôt. Alors,la CGT soulignait l’importance de la rationalisation et se trouvait à l’initiative de luttes« contre les cadences inhumaines de travail » (Hatzfeld, 2003) : « Il ne se passe pas de moiset même parfois de semaines, indiquait le responsable sochalien en 1963, sans que desdébrayages aient lieu sur le problème des cadences, des charges de travail... » Lors desgrèves de 1960–1961, à Sochaux toujours, elle était rejointe par la CFTC d’alors. Il devientalors difficile de reprendre telles quelles ces dénonciations répétées, de penser l’accentua-tion de la charge de travail ouvrier comme un processus objectif et cumulatif de longuedurée. Pourquoi juger les déclarations de 1961 moins crédibles que celles de 1981, quandtoutes deux disent que les limites du supportable sont dépassées ? Et quelle part faire à ceuxqui, plus tard encore, disent que c’est de pire en pire ? En fait, hormis les momentsparticuliers évoqués plus haut où tout converge (documents patronaux et syndicaux,témoignages et événements), les repères se font plus flous, voire fuyants pour apprécierl’évolution de la charge de travail sur une longue période. On trouve même — exception-nellement — un document qui suggère qu’une dynamique inverse serait plausible. En1971, les temps de dépannage sont accrus : une harmonisation de ces temps entre les usinesde Sochaux et de Mulhouse entraîne l’adoption par le moins généreux, Sochaux, desproportions de dépanneurs et de temps de remplacement pratiquées à Mulhouse,« qu’aucune raison ne semblait alors permettre de refuser », selon les termes d’unresponsable de l’époque (Hatzfeld, 2002a). Comme si la tendance était alors à lâcher dulest, au moment où la critique des cadences infernales se renouvelle dans l’opinion ouvrière(Vigna, 2003).

C’est qu’aux indications quantifiées, il faut ajouter la part des représentations (Coninck,2001). Les dénonciations des cadences font ressortir une composante subjective et socialeinhérente à l’organisation dite rationnelle. Les ouvriers et les organisateurs le savent bien,eux qui connaissent le caractère contestable au quotidien du jugement d’allure, ce fameuxcoefficient par lequel les chronométreurs pondèrent, en fonction de leur intime convictionet des recommandations de la maîtrise d’atelier, les mesures chiffrées que leur donnentleurs chronométrages. Toutes les précautions techniciennes ne résolvent pas le problèmedes variations du jugement d’allure sur une longue période ou celui des effets de la durée et

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des horaires du travail sur l’allure des ouvriers et sur son estimation par les techniciens.Surtout, ces mesures ne peuvent être dissociées des situations dans lesquelles l’usine setrouve prise, et que traduisent les relations sociales entre gens d’atelier, en particulier entreles ouvriers de fabrication et l’encadrement de la production. En 1960–1961, les protesta-tions des ouvriers de chaîne contre les cadences s’effectuent alors qu’ils passent en horairealterné dit de doublage (une équipe du matin, une du soir), horaire particulièrementéprouvant qui suffirait, à lui seul, à rendre insupportables des cadences tolérées jusque-là.Les ouvriers protestataires comptent, selon les rapports, une forte proportion de jeunesrécemment recrutés dans les campagnes alentour et encore peu rôdés à leur travail d’OS.Audébut des années 1970, les contrecoups dans la vie de l’usine de « l’effet 1968 », lesdifficultés de recrutement et surtout l’importance du turn-over peuvent inciter la direction àassouplir les règles de dépannage. Au contraire, l’intensification repérée en 1980–1981 cor-respond à une conjoncture de fermeture de l’embauche, de chute du turn-over et d’inquié-tude des salariés pour l’avenir de l’entreprise et de l’emploi. En somme, une visionstrictement arithmétique est doublement limitée. D’une part, hormis des moments précis oùles règles et mesures peuvent être relativement dissociées des autres caractéristiques dutravail, il n’est guère possible d’étudier l’intensification du travail d’un strict point de vuequantitatif. D’autre part, les changements de règles traduisent les modalités selon lesquel-les les ouvriers et l’encadrement, au nom de la direction de l’entreprise, se calent à nouveauaprès avoir pris la mesure d’un changement de situation.

4. Pour une approche qualitative

4.1. Moins pénible mais plus diffıcile : une autre définition ouvrière

La difficulté à isoler un accroissement strict de la charge de travail n’invalide pas l’idéed’intensification, mais elle conduit à changer de point de vue. Si l’on revient à la source,c’est-à-dire à la représentation qu’en donnent les ouvriers concernés lors de l’enquêteethnographique, une autre piste est dessinée. Dans les discours ouvriers, en effet, l’accrois-sement de charge de travail n’est pas toujours présenté comme une évidence, mais souventintégré dans une vision plus ambivalente. « Avant, c’était plus pénible, mais c’était moinschargé », voici ce que répondent certains monteurs, ayant une ancienneté d’au moins unequinzaine d’années, lorsqu’ils sont interrogés sur l’évolution du travail. Ils veulent ainsimettre en lumière deux évolutions contradictoires.

Un travail moins pénible : la majorité des anciens, en gros âgés de plus de 37 à 38 ans,font référence à une prise en compte progressive de données ergonomiques. Les postures,les outillages et les éléments sont dans l’ensemble étudiés plus soigneusement. Les effortsmusculaires sont moins intenses qu’avant, et l’activité impose moins de charges importan-tes, moins de mouvements en porte-à-faux ou en extension, etc. L’ergonomie a, depuis lesannées 1970 chez Peugeot et bien avant chez Renault (Perriaux, 1998 ; Rot, 2000), pris uneplace explicite croissante dans la mise au point du travail et réduit notablement les effortsmusculaires et la dépense d’énergie. Cette diminution n’est guère mesurable à cause dechangements intervenus dans la gestion des trajectoires ouvrières. Avant les années 1980,en effet, la tradition voulait qu’autour de 45 ans, les ouvriers encore en chaîne soient

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réaffectés vers des emplois moins pénibles : sous l’effet de ces arrangements implicites etdes changements d’activité qui en résultaient, les lésions corporelles se faisaient discrètes.Au cours des années 1990 au contraire, avec l’arrêt de l’embauche et des trajectoires depromotion, les ouvriers sont astreints de plus en plus fréquemment à rester — parfois mêmeà revenir — en chaîne jusqu’au départ à la retraite. Face à cette astreinte nouvelle,inquiétante et déstabilisatrice (Gaudard, 1996 ; Laville, 1996 ; Gollac et Volkoff, 2000), laconstatation de lésions par la médecine du travail est un des moyens privilégiés par lesquelsles ouvriers âgés tentent de se faire retirer du travail en ligne de montage (Durand etHatzfeld, 2002, pp. 213–220). Quoi qu’il en soit, les sollicitations du corps se déplacent.Intégrant les progrès de l’ergonomie, elles se concentrent davantage sur les organesimpliqués dans les contacts, dans la mise en place des pièces et la communication quil’accompagne : si le buste est relativement épargné par les installations et les outillages, lesmains, les avant-bras sont plus sollicités.

La représentation d’une difficulté accrue du travail est liée au resserrement des cycles depassage des voitures. Les témoignages se réfèrent à une image ancienne où les ouvriersavaient plus de marges d’autonomie et pouvaient dégager plus de temps libre au travail,pour peu qu’ils eussent une dextérité moyenne. La durée des temps de cycle est invoquée.Alors qu’ils sont en 2002 d’une à deux minutes sur les lignes d’assemblage comportant uneactivité normale, ils duraient trois minutes, voire quatre ou cinq voici quelques décennies.En outre, compte tenu de la difficulté de décomposer certaines tâches, il existait parfois despostes à durée double (et quelquefois triple), qui permettaient à des ouvriers brillants(Linhart, 1978, p. 34) de se relayer, l’un se reposant tandis que l’autre travaillait. Dans tousles cas, l’ampleur des temps de cycle permettait assez facilement aux ouvriers d’accélérerleur travail pour remonter la chaîne et s’approprier des plages de repos par ce typed’auto-intensification. La réduction de la durée des temps de cycle a diminué l’ampleur desremontées de chaîne. Cette évolution est délicate à apprécier à partir des témoignages, quirenvoient à la jeunesse des témoins et peuvent minimiser les difficultés d’alors.

4.2. Une intensification négligée, celle de l’usine

Derrière la réduction des temps de cycle se cache en fait l’énorme progrès dans lamaîtrise des ateliers par les bureaux des méthodes. Pour l’obtenir en effet, les ingénieurs ettechniciens doivent avoir mené à bien l’œuvre considérable de simplification du travailévoquée plus haut : celle-ci consiste en une décomposition toujours plus fine, permettant demaîtriser non plus seulement les tâches, mais les opérations voire les gestes élémentaires.Cette décomposition ne se résume pas simplement en une partition des unités mesurées etrépertoriées, mais se fonde sur un transfert du savoir-faire gestuel vers les pièces et lesfournitures, les outillages et les installations. La majeure partie du travail de bureaux desméthodes s’emploie précisément à matérialiser ainsi l’essence de l’esthétique ouvrière : sajustesse, à la fois belle et efficace, à effectuer l’opération prescrite en épargnant son corps.En empruntant des notions élaborées par Gilbert Simondon (Simondon, 1989) à propos del’évolution des objets techniques, l’activité ouvrière est de plus en plus enserrée tandis quel’usine devient toujours plus dense, et tend à renforcer l’imbrication de ses éléments (sesinstallations, ses outils, ses règles, ses fournitures). Ainsi non seulement les organisateurs,en particulier les services des méthodes, affinent toujours plus leur connaissance de

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l’activité des ouvriers mais ils réduisent sans cesse le rapport à la matière qui constituait saspécificité. Par ce fait, ils réduisent les marges correspondantes, temporelles, spatiales,cognitives nécessaires jusque-là à l’accomplissement de la production (Iseres–CGT, 2001).L’ouvrier, s’il n’est pas remplacé par les robots, est dépossédé de la richesse concrète deson activité. La comparaison à quelques décennies d’intervalle du même type d’interven-tion sur la voiture est révélatrice. Pour garnir l’intérieur de la carrosserie, un ouvrier desannées 1960 découpait sur la chaîne même une pièce de tissu au format et la tendait ensuite,ajustée au millimètre pour éviter aussi bien les défauts visuels que d’étanchéité. L’opéra-tion, qui exigeait une grande dextérité et une forte concentration mentale, laisse la place àune simple mise en place par poussée et vissage d’une pièce préformée par moulage. Lesimplications d’une telle évolution ne sont pas minces : c’est elle qui permet de réduire lestemps de cycle, d’accroître la répétition, de resserrer l’activité sur l’objet, de fragmenter lesopérations et les sollicitations. C’est elle, plus encore que l’accélération des cadences, quirend particulièrement inquiétante l’augmentation des troubles musculo-squelettiques dansles zones du corps ouvrier mobilisées par ces mises en place.

Le temps, on le comprend, n’est qu’un des aspects de cette intensification. L’espaceaussi se réduit tandis que l’autonomie même du jugement de l’ouvrier est de plus en plusétroitement prise dans les systèmes de qualité. Son activité est suivie avec une précision etune sûreté croissante par les dispositifs de contrôle qui accompagnent ces normes (Rot,1998). L’imbrication toujours plus forte de l’activité de chacun dans le système global seconcrétise par un réseau toujours plus dense de fiches, d’écrans, de câbles, d’installationsplus ou moins automatiques, de programmes spécifiques et de flux coordonnés qui sollici-tent une vigilance fragmentée, dispersée et multiforme. Une progression comparable del’organisation s’effectue au plan de la coordination de la fabrication. Les développementsde l’informatique industrielle permettent ainsi de lisser de façon spectaculaire les à-coupsde production liés aux variations de l’organisation des flux. La maîtrise d’une fabrication enflux tendus a des incidences directes sur l’intensité du travail : en diminuant de façonspectaculaire au début des années 1980 les impondérables de la programmation, lesorganisateurs de la production obtiennent une véritable pacification de la vie ordinaire desateliers, mais aussi une réduction drastique de toutes les marges en effectifs et en temps,qu’à tous les niveaux, de l’ouvrier au chef d’atelier, les personnels avaient conservées afinde pallier l’ampleur des incertitudes de production (Loubet et Hatzfeld, 2001). Parallèle-ment, l’articulation entre temps de repos et temps de travail est de plus en plus convoitée parles organisateurs qui s’emploient à développer leur emprise sur les liens collectifs et àindividualiser les relations hiérarchiques (Hatzfeld, 2002b) : l’ambiance de travail devientun enjeu d’organisation de plus en plus repérable, de plus en plus explicite. L’intensifica-tion du travail, vu de la sorte, s’exprime peut-être en termes de resserrement, d’intégration,d’emprise croissante de l’usine sur les ouvriers (Cottereau, 1998 ; Cohen, 2000). De cepoint de vue, la mise en œuvre de nouveaux ateliers de chaînes, en 1989 puis en 2000, areprésenté une transformation marquante du travail en chaîne (Pialoux, 1996).

5. Conclusion

Pour conclure ce questionnement, il est difficile de ne pas repasser par la définition quedonnait Marx de l’intensification du travail. L’ouvrier, selon lui, était contraint « à dépenser

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au moyen d’une tension supérieure plus d’activité dans le même temps, à resserrer les poresde sa journée et à condenser ainsi le travail à un degré qu’il ne saurait atteindre sans ceraccourcissement » (Marx, 1969, p. 296). L’auteur, tout d’abord, voyait cette intensificationcomme une réponse patronale à la réduction de la durée du travail obtenue par les combatsouvriers. Ensuite, il repérait cette tendance dans l’accentuation de la discipline et de lasurveillance visant à réduire les temps morts ainsi que dans l’effet du progrès technique, lesmachines imprimant de plus en plus leur rythme aux ouvriers. Marx écrivait ceci avantl’usage du chronomètre, avant la transformation des usines par l’électricité, les convoyeurset les systèmes informatisés, autant de différences qui invitent à recourir avec prudence auxconstats qu’il effectuait. Ceux-ci renvoient cependant à une analyse complexe, à la foistechnique et sociale, à une vision dialectique des tendances qui affectaient les situations detravail.

À côté d’un usage militant — légitime au demeurant dans le registre de l’action — de lanotion, la référence tutélaire invite surtout à renouveler les recherches sur l’intensification,au-delà de la seule cadence. Non pas que celle-ci ait disparu. Bien au contraire, l’autorité dutemps mesuré ne faiblit pas dans les relations de travail et gagne sans doute des secteursd’activité longtemps régis par d’autres critères8. Mais une représentation fréquente selonlaquelle la charge de travail s’accroît globalement et continûment me semble discutable àplus d’un titre. Tout d’abord, la démonstration d’une telle évolution dans la longue durée,sur la base de mesures appliquées à l’activité même, me semble encore à faire, si tant estqu’elle soit réalisable. Les enquêtes réalisées par l’Insee questionnant des travailleurs à desmoments successifs se placent sur un autre terrain. Elles comportent une rigueur réflexivequi fait ressortir combien les chiffres produits découlent des conditions d’enquête (formu-lation et ordonnancement des questions, choix des enquêteurs et relation d’enquête) ; letravail d’interprétation et de correction des données offre des analyses fines du rapport autravail à ces différents moments (Gollac, 1997). Mais il reste centré sur l’épaisseur durapport lui-même, par exemple sur les représentations que se font les intéressés de leurmobilité professionnelle, de la fragilité de l’emploi ou de la reconnaissance sociale. C’est àtravers ces représentations que l’intensité se trouve dessinée. Quelle que soit la rigueur descritiques internes, ces enquêtes appellent des recoupements, des confrontations avec desrecherches situées, ancrées dans des pratiques effectives.

Recourant à l’ethnographie et à l’histoire, l’étude du travail dans l’usine de Sochauxn’est pas à proprement parler une étude de cas. Par ses résultats, elle propose de sedéprendre d’une vision unifiante et généralisée de l’intensification du travail. Confortant lerepérage de moments d’accentuation effective de la charge de travail — ainsi le début desannées 1980 dans l’industrie automobile —, elle invite à la prudence pour d’autres périodesoù la pression se fait moins nette, peut-être même moins forte. Cette différenciation enapporte une autre, entre espaces de travail. Dans la seule branche automobile, les systèmesde fabrication se recomposent, et jouent d’une façon nouvelle et variée de l’externalisationjuridique de travaux toujours plus intégrés : l’usine, en quelque sorte, traverse l’entreprise.Mais dans les ateliers ainsi externalisés, la charge de travail semble nettement plus lourde,appuyée sur une précarité et une contrainte plus fortes que dans ceux de l’entreprise

8 L’emprise nouvelle du temps normé sur l’activité des chauffeurs routiers en est un exemple frappant(Audouin-Desfontaines, 2002).

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centrale (Gorgeu et Mathieu, 2003). Ainsi, reconnaître la pluralité des tendances, dans lasynchronie et la diachronie, permet d’accorder l’attention aux évolutions effectives. Celapermet aussi d’accorder le même respect à des lassitudes récentes qu’à des peines plusanciennes.

Surtout, l’étude des ateliers sochaliens appelle à se défaire d’une vision quantitative,arithmétique, de l’intensité du travail et de son évolution. La limite qu’on rencontre à traiterde charge de travail en termes abstraits, indépendamment de la combinaison des modalitéssuivant lesquelles l’activité est effectuée, ne doit pas conduire à écarter la question del’intensité, enjeu omniprésent des relations de travail. Il importe au contraire de rendrecompte concrètement des changements qui affectent le travail à travers la transformationdes conditions d’emploi et des modalités techniques de l’activité : dans la durée, assuré-ment, la société d’usine gagne en intensité et prend plus étroitement les gens qui s’yactivent. Loin de devenir insaisissable, la notion prend ainsi une consistance et unepertinence nouvelles pour l’analyse des mondes de travail.

Filmographie

Poirier, A., 2002. L’usine désenchantée. Film couleur, 52 minutes, production-distribution VM Group (avec TV 10 Angers).

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307N. Hatzfeld / Sociologie du travail 46 (2004) 291–307