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Rencontre professionnelle - Compte rendu HorsLesMurs Le bonheur est-il dans le pré ? Compte rendu téléchargeable sur www.horslesmurs.fr - Mise à jour : septembre 2012 Page 1/29 L’intercommunalité : une arme de construction massive ? Tous intercommunaux ? Les projets participatifs, sésame de l’intercommunalité culturelle ? Compte rendu des ChalonBrunchstorming, Rencontres professionnelles organisées les 26 et 27 juillet 2013 Rencontres professionnelles organisées par HorsLesMurs en partenariat avec le festival Chalon dans la rue SOMMAIRE Métropoles, communautés d’agglomération, communautés de communes… Si l’intercommunalité apparaît comme un terrain encore en friche pour la culture, elle pourrait bien s’avérer être un territoire d’avenir. HorsLesMurs et Chalon dans la rue ont invité des représentants de collectivités, des opérateurs et des artistes à témoigner de projets artistiques et culturels intercommunaux et à réfléchir ensemble aux enjeux, pour mieux se saisir de cette échelle territoriale. Tous intercommunaux? ...................................................................................... 2 Les projets participatifs, sésame de l'intercommunalité culturelle ?.. 16 Compte rendu réalisé par Anne Meyer

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L’intercommunalité : une arme de construction massive ? Tous intercommunaux ? Les projets participatifs, sésame de l’intercommunalité culturelle ? Compte rendu des ChalonBrunchstorming, Rencontres professionnelles organisées les 26 et 27 juillet 2013

Rencontres professionnelles organisées par HorsLesMurs en partenariat avec le festival Chalon dans la rue

SOMMAIRE Métropoles, communautés d’agglomération, communautés de communes… Si l’intercommunalité apparaît comme un terrain encore en friche pour la culture, elle pourrait bien s’avérer être un territoire d’avenir. HorsLesMurs et Chalon dans la rue ont invité des représentants de collectivités, des opérateurs et des artistes à témoigner de projets artistiques et culturels intercommunaux et à réfléchir ensemble aux enjeux, pour mieux se saisir de cette échelle territoriale.

Tous intercommunaux? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 Les projets partic ipati fs, sésame de l' intercommunalité culturelle ? . . 16

Compte rendu réalisé par Anne Meyer

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Tous intercommunaux ?

L’intercommunalité s’impose progressivement comme l’incontournable échelle territoriale. Où en sommes-nous de cette évolution, à l’heure de l’acte III de la décentralisation ? Quels enjeux pour la culture ? Comment les opérateurs et artistes de rue se saisissent-ils de l’échelle intercommunale, avec quelles difficultés, quelles réussites ? Intervenants Éric AUBRY, directeur de la Paperie, Centre national des arts de la rue (Angers) Olivier BIANCHI, vice-président Culture de Clermont Communauté et président de la commission Culture de l’AdCF (Assemblée des communautés de France) Caroline COLL, directrice de l’action culturelle de la Ville de St-Ouen et membre du conseil d’administration de l’Asdac, Association des directeurs des affaires culturelles d’Ile de France Mathieu MEUNIER, responsable du pôle Réseaux professionnels et directeur par intérim de Culture O Centre (région Centre) Atte OKSANEN, chargé de relations avec le Parlement de l’AdCF Rencontre modérée par Gentiane GUILLOT, Secrétaire générale de HorsLesMurs en charge de l’administration générale Gentiane Guillot Au cours des deux rencontres nous allons interroger la pertinence de l’échelon intercommunal pour la politique culturelle, mais aussi la pertinence de la culture pour l’intercommunalité. L’objectif est de mieux comprendre nos enjeux respectifs – ceux des acteurs culturels, ceux des intercommunalités - pour construire des projets plus solides et mieux adaptés. Les intervenants présents autour de la table ont des points de vue différents, parfois divergents, en tout cas nuancés, et ce sera l’occasion d’en débattre. Lors des ChalonBrunchstorming organisés en 2012 nous avons pu constater qu’en milieu rural, la méconnaissance réciproque des protagonistes reste l’une des difficultés majeures : le milieu culturel et artistique n’appréhende pas nécessairement bien les contraintes et les attentes des élus; de la même façon, les élus ne distinguent pas toujours les rôles de l’artiste et de l’opérateur culturel, et sont peu familiers de leurs pratiques. Nous verrons à quel point ce problème demeure en contexte intercommunal, , et pas seulement en milieu rural. Comme l’expliquera Olivier Bianchi, le monde de l’intercommunalité constitue encore une sorte d’ « exo-planète » peu compréhensible pour les acteurs de la culture qui ne l’ont pas pratiqué. Il est essentiel pour les uns et les autres de dépasser les représentations habituelles. C’est aussi ce qui nous motive, à HorsLesMurs, car ces temps de rencontre offrent l’opportunité d’un dialogue. Quelques rappels techniques concernant l’intercommunalité : les 36 000 communes françaises ont la possibilité de s’associer en réseau, pour constituer des intercommunalités - ou EPCI (Établissements publics de coopération intercommunale), qui mutualisent des moyens au service de projets communs. L’intercommunalité se présente comme une réponse à l’émiettement communal, comme un instrument de l’organisation rationnelle des territoires. En 2010, 95% des communes appartenaient à une intercommunalité. La loi de 2010 réformant les collectivités territoriales imposait l’achèvement de la carte intercommunale. Les statistiques produites sur le sujet montrent que l’on s’oriente vers une couverture totale du territoire par les structures intercommunales et nous verrons où nous en sommes sur ce point. Au premier échelon, les Communautés de communes concernent l’association de communes sur un territoire d’un seul tenant et sans enclave, de moins de 50 000 habitants. Au degré d’intégration supérieure, on trouve la Communauté d’agglomérations, territoire d’un seul tenant et sans enclave, de plus de 50 000 habitants. Les échelons suivants sont ceux des Communautés urbaines (plus de 450 000 habitants) et des Métropoles (plus de 500 000 habitants). Les compétences et les principes qui régissent le fonctionnement des EPCI :

• le principe de spécialité ; les EPCI n’exercent des compétences que si elles ont leur été confiées par les communes qui les constituent.

• le principe de l’exclusivité ; à partir du moment où un EPCI se voit transférer une compétence, les communes membres ne peuvent plus l’exercer.

• la clause générale

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Cette clause de compétence générale est détenue par l’ensemble des collectivités, et s’oppose au principe de spécialité des EPCI. Elle permet d’intervenir sur tout ce qui relève de l’intérêt de la collectivité en question. Nous verrons quels sont les enjeux de ces principes, et quelle est leur souplesse d’application concrète. Nous examinerons donc des points de vue de terrain, des points de vue militants.

Atte Oksanen, chargé de relations avec le Parlement pour l’AdCF L’AdCF est la fédération des élus de l’intercommunalité. Je m’y occupe notamment des questions culturelles. D’une manière générale, la compétence Culture est une compétence partagée, qui peut être exercée par tous les différents échelons de groupement intercommunal. Pour les Communautés de communes et les Communautés d’agglomérations, c’est une compétence « optionnelle », ce qui signifie que les élus d’une Communauté de communes ou d’agglomérations disposent d’une liste de six compétences (dont la culture) parmi lesquelles ils doivent en choisir une. Pour les Communautés urbaines et les Métropoles, en revanche, il s’agit d’une compétence obligatoire avec « définition d’intérêt communautaire » : les élus de ces intercommunalités sont obligés de traiter cette compétence, dont ils doivent définir l’étendue, ce qui leur laisse une marge de manœuvre. Quels sont les changements occasionnés par la réforme des collectivités actuellement en cours d’examen ? C’est le projet de loi Métropole qui est examiné en ce moment au Parlement. Il ne va pas changer grand-chose, en l’espèce, quant à la compétence Culture : en effet, il ne la touche pas en tant que telle. La loi de 2010 a créé un statut des Métropoles, qui n’était pas réellement opératoire, puisqu’une seule Métropole a été mise en place (celle de Nice). Le projet de loi actuellement au Parlement vise à modifier la situation, en transformant automatiquement certaines agglomérations en Métropole. C’est le cas, bien entendu, pour Paris, Lyon et Marseille, Lille et Strasbourg, mais également pour certaines grandes Communautés d’agglomérations (Grenoble, Rennes, Rouen, Montpellier, Toulon). Pour des Communautés d’agglomérations d’importance moindre, l’accès au statut de Métropole est possible, mais uniquement sur décision volontaire des élus. Ces nouvelles Métropoles disposeront de la compétence obligatoire avec définition d’intérêt communautaire.

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Gentiane Guillot Ce temps de transformation induit-il un temps de concertation politique au cours duquel il est possible d’intervenir ? Atte Oksanen Tout à fait. En revanche, pour les agglomérations concernées par la transformation automatique en Métropole, il n’y aura pas de débat, même si elles doivent débattre de l’étendue de la compétence Culture, dans le cadre de la définition de l’intérêt communautaire. Le projet de loi crée un dispositif assez inédit, dans chaque Région : les Conférences territoriales d’action publique (CTAP). Les communes, les intercommunalités et les départements y seront représentés, ainsi que la Région (le président de Région présidera ces conférences). Ce sera un espace de coordination permettant aux participants de déterminer de quelle façon les compétences partagées sont exercées. Ainsi, les différentes collectivités devront réfléchir et décider comment elles souhaitent mettre en œuvre la compétence Culture à l’échelle de la Région. Un amendement parlementaire visait à donner une place plus importante à la culture en instituant une réunion annuelle obligatoire consacrée aux politiques culturelles, mais il a été rejeté, au motif que ce n’est pas prévu pour les autres compétences et que la culture ne peut constituer une exception. Le projet de loi institue aussi le Haut Conseil des territoires, une instance de concertation entre l’État et les collectivités, présidée par le premier ministre. Dans ce cadre, la ministre de la Culture fait une proposition forte : intégrer le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC) au sein du Haut Conseil. Le CCTDC est l’instance de concertation actuelle entre le ministère de la Culture et les collectivités ; les différents niveaux de collectivités y sont représentés, y compris l’AdCF. Il s’avère que la culture est un des rares domaines où existe cette concertation régulière institutionnalisée, avec des réunions de groupe de travail, des plénières, et cela fonctionne très bien. Le ministère de la Culture souhaite donc intégrer cette instance dans le Haut Conseil. Les associations de collectivités ont débattu de cette proposition. Initialement, elles avaient quelques réticences, notamment par crainte d’être noyées dans cette grande structure et d’y perdre de l’autonomie. Au final, nous avons décidé de soutenir cette proposition, qui représente une véritable reconnaissance des collectivités dans le domaine culturel. De quoi parle-t-on au CCTDC ? Il est beaucoup question du projet de loi d’orientation sur la création artistique dans le spectacle vivant et les arts plastiques, sujet que vous connaissez bien. Le texte de ce projet de loi devrait être présenté d’ici la fin de l’année au Conseil des ministres ; il n’est pas encore totalement rédigé. Il traitera de l’emploi dans ces secteurs, notamment via la création d’un CDI, dont la fin coïnciderait avec celle d’un projet artistique, et l’ajout des artistes de cirque et des marionnettistes à la liste des professions du spectacle consignée dans le Code du Travail. Il comprendra également des dispositions sur les pratiques amateurs et sur les pratiques d’enseignement, et essaiera de préciser la place de la culture et des équipements culturels communs dans le cadre intercommunal. Il est également question du projet de loi « Patrimoine », présenté en début d’année prochaine, qui traitera de la préservation du patrimoine culturel et historique. Là aussi, l’intercommunalité a une place très importante : il est ainsi envisagé de transférer la responsabilité du Plan local d’urbanisme (PLU) à l’échelle intercommunale, notamment en ce qui concerne la protection du patrimoine culturel. Sur toutes ces réformes, on observe que l’intercommunalité est au cœur des discussions. Dans ce cadre, on entend dire que la culture est une chance pour l’intercommunalité, ce qui est vrai. L’intercommunalité est souvent perçue comme une structuration froide et peu compréhensible, la culture peut lui permettre de créer du lien, de faire corps avec la population du territoire. On dit moins souvent que l’intercommunalité est une chance pour la culture, alors même que, quand l’État taille dans les budgets, la mutualisation est plus que jamais nécessaire. La coopération intercommunale est une bonne façon de faire ensemble avec moins de moyens. Gentiane Guillot On voit bien, à travers votre intervention, quels sont les enjeux concrets de cette nouvelle donne législative. Olivier Bianchi va maintenant nous expliquer où nous en sommes de la carte intercommunale et de la prise de compétence Culture. Olivier Bianchi, vice-président Culture de Clermont Communauté et président de la commission Culture de l’AdCF (Assemblée des communautés de France) L’objectif fixé dans les années 2010 est atteint : la carte de l’intercommunalité est quasiment complète. A quelques communes près, l’ensemble du territoire est couvert par l’intercommunalité. Malgré cela, sur le rapport de l’Observatoire financé avec l’AdCF, vous observerez des prises de compétence très inégales.

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En effet, nous avons parlé tout à l’heure de compétences optionnelles mais, en réalité, certaines intercommunalités ont pris la compétence mais ne l’exercent pas ; à l’inverse, certaines ne l’ont pas retenue et l’exercent. Enfin, heureusement, certaines combinent la compétence et son exercice. Cela s’explique de plusieurs façons : ceux qui l’exercent sans l’avoir choisie l’intègrent parfois à l’intérieur d’une autre politique, notamment via la compétence économique. Il existe des aides économiques dévolues aux professionnels de la culture ; cela ne relève pas de la compétence culturelle, mais ce sont des financements qui vont directement vers la culture. Je suis ravi d’être présent aujourd’hui car, à l’AdCF, depuis un an ou deux, nous assistons à un mouvement qui montre bien que la carte est bouclée et que l’intercommunalité est entrée dans l’horizon des professionnels de la culture. Alors que, voilà quatre ou cinq ans, nous devions prendre notre bâton de pèlerin pour aller convaincre les acteurs sur les territoires, nous sommes désormais invités par les professionnels de la culture à participer à des tables rondes consacrées à l’interculturel dans les intercommunalités. Pour nous, c’est une grande réussite : ainsi, nous étions à Vendôme l’année dernière, pour le festival des musiques actuelles ; aujourd’hui, nous sommes à Chalon, et à Avignon depuis deux ou trois ans. C’est très important car cela signifie que vous, le milieu professionnel culturel, avez compris qu’il y a quelque chose à creuser, à comprendre, à saisir. Vous avez raison, et c’est ce que je vais essayer de démontrer. L’intercommunalité en matière culturelle est une question assez récente. Le mouvement a une petite dizaine d’années car l’intercommunalité a d’abord mutualisé des moyens sur les grandes compétences stratégiques classiques : le ramassage des déchets, les transports et la mobilité, l’économie, etc., ainsi que sur les grands schémas d’aménagement. Puis, la question s’est creusée autour du « vivre ensemble », des solidarités à faire apparaître sur les territoires, et de la compétence Culture. Dans la loi Chevènement, il y a un problème : la compétence concerne les équipements sportifs et culturels. Nous militons pour rappeler que, si nous appliquons la loi au pied de la lettre, la compétence intercommunale se contente de construire des murs… or, le projet qui préside à ces constructions est tout aussi important. Fort heureusement, la plupart du temps, très vite, les intercommunalités qui font bâtir des équipements se préoccupent aussi des projets qui font vivre ces équipements, afin de créer un destin commun pour le nouveau territoire intercommunal ; les élus ont considéré que la culture peut les aider à écrire ce qu’un sociologue a appelé le « roman intercommunal » ou roman communautaire. Ce qui pose la question de l’identité territoriale, du rôle de la culture dans ce domaine ; cela peut faire débat car, en tant que professionnels, vous pouvez le voir de façon négative, en le considérant comme une instrumentalisation de la culture pour de mauvaises raisons. A contrario, on peut appréhender la question positivement : aujourd’hui, les élus se rendent compte qu’on ne construit pas un territoire sans projet culturel. Au fond, passer d’une somme de communes à un territoire nouveau, à une entité intercommunale ne se construit pas grâce aux réseaux de transport ou d’assainissement, mais grâce à de l’activité et des réseaux culturels. Comment les professionnels de la culture s’y retrouvent-ils ? Mon expérience débute : je suis à la fois adjoint à la Ville de Clermont-Ferrand, chargé de la culture, et vice-président de l’agglomération clermontoise, et je prends conscience du fait que, pour de nombreux acteurs culturels, les intercommunalités sont relativement invisibles ; de nombreuses institutions culturelles ne maîtrisent pas, ne connaissent pas bien ces instances. Je vous invite au contraire à en faire un diagnostic car c’est un futur lieu de financement culturel, qui a encore des moyens à mettre à disposition. Vous devez donc faire un travail de compréhension de ce qui se joue. Pourquoi ? Parce que le vice-président chargé de la culture à la Communauté de communes peut effectivement n’être pas du tout dans votre champ de visibilité, parce qu’il est maire d’une commune membre où il n’a jamais mené de politique culturelle, n’a jamais marqué d’intérêt pour cette question. Mais voilà : par les jeux politiques de répartition, il se retrouve vice-président à la Culture, acteur à considérer alors qu’il était jusque là totalement invisible. Vous allez par conséquent devoir mesurer les rapports de force, les personnalités politiques sur lesquelles vous appuyer. Dans certaines Communautés de communes, il n’y a pas de fonctionnaires ; dans d’autres, vous avez des postes de chargés de développement culturel, des médiateurs… Les situations sont très hétérogènes et disparates. Il n’y a donc pas de clé d’entrée générale, et c’est peut-être là que réside l’intérêt de l’intercommunalité : nous sommes favorables à la territorialisation des politiques, notamment les politiques culturelles. Or, l’intercommunalité est faite pour penser les projets spécifiquement en fonction du territoire, de ses forces et de ses faiblesses, des circulations entre ses habitants, des liens entre les villes qui pratiquent déjà une politique culturelle et celles qui n’en ont pas ; elle travaille sur l’aménagement du territoire et des solidarités et s’attache donc à penser des projets très spécifiques. Vous devez, vous aussi, à chaque fois, mener à bien cette analyse pour trouver les ressources politiques et administratives qui vont vous aider à mettre en œuvre votre projet.

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Ma vision est moins technique que pragmatique… Les échelles sont multiples : d'une région assez vaste, comme celle des Pays de la Loire par exemple, qui comprend moult intercommunalités très diverses, au petit regroupement intercommunal du nord Mayenne, qui travaille en réseau depuis une quinzaine d’années, par défaut, face à la précarité et aux besoins du secteur rural, et qui fait un vrai travail de fond avec les habitants, ou encore aux Communautés d’agglomérations où la question centrale concerne la place et le rôle de la ville forte par rapport à l’identité culturelle des petites communes du pourtour... Pour le ramassage des ordures ou la mise en place d’un réseau de transport, on peut s’entendre car il y va de l’intérêt économique de tous. En revanche, la petite ville de 5 000 habitants est singulière de par son histoire, qui détermine une identité propre et une volonté ou contre-volonté de s’intégrer (ou non) à une politique culturelle commune. Ainsi, dans une intercommunalité, la commune principale est à gauche et la plupart des petites municipalités sont de droite ; dans ces conditions, comment les opérateurs culturels s’y prennent-ils pour mettre en musique une politique culturelle ? Gentiane Guillot Vous m’avez expliqué que, dans l’intercommunalité, les oppositions ne recoupent pas nécessairement les clivages gauche / droite… Olivier Bianchi Vous avez raison, et c’est l’objet de cette troisième partie. Quand je dis que vous devez faire un diagnostic, cela concerne aussi des endroits où n’existe manifestement pas de volonté de mettre en œuvre la compétence culturelle. Dans ce cas, face à ce « trou noir », l’intercommunalité ne constitue pas une réponse. Mais vous devez toujours essayer de percevoir si (et comment) l’intercommunalité joue un rôle. Une étude très intéressante a été menée par quatre agences régionales (Rhône-Alpes ; PACA ; Poitou-Charentes ; Lorraine) sur les cartes de financement public de la culture. Il en ressort que, partout où les départements sont forts, en termes de financement, notamment en milieu rural, vous trouvez plutôt des intercommunalités faibles pour les financements publics de la culture. Inversement, partout où on trouve des intercommunalités fortes, les départements n’ont pas de politique culturelle en milieu rural. Par exemple, le département de l’Ardèche a mené une politique culturelle extraordinaire, sur un territoire dépourvu de véritables agglomérations, où les Communautés de communes sont très en retrait. En Maine-et-Loire, en revanche, il existe une vraie politique intercommunale, de même qu’en Bretagne. Vous appartenez aux réseaux professionnels du spectacle, des arts de la rue, du cirque, et vous ne devez pas vous tromper : on parle beaucoup des réseaux de bibliothèques et d’enseignement artistique comme étant les compétences transférées dans les intercommunalités. Mais un troisième champ arrive, notamment dans le milieu rural : c’est le spectacle vivant. On a parfois l’impression que l’intercommunalité ne se mêle que des équipements, mais non du spectacle vivant, de la diffusion et de la création, mais c’est faux. L’interco est un espace d’hyper-conflit. C’est la guerre permanente, c’est l’Europe, exactement selon la même problématique. Au fond, vous avez deux types d’élus : d’une part, les partisans de la confédération, qui veulent que la commune demeure l’espace territorial fondamental, et que la somme des communes fabrique l’intercommunalité ; d’autre part, les fédéralistes, qui considère l’intercommunalité comme un territoire nouveau, spécifique. Une tension existe entre ces deux courants, avec toutes les dérives que rencontre par exemple l’Europe : les maires accusent ainsi l’intercommunalité d’être responsable de telle décision votée (la mauvaise foi est assez courante chez les élus). Comme c’est un espace d’hyper-négociation, d’hyper-conflit, vous devez, en tant qu’acteurs culturels, vous situer clairement, pour éviter d’être pris en tenaille entre les deux courants. Quelle est la nature des conflits ? Comme vous l’avez dit, d’après mon expérience, ils sont peu de nature gauche-droite. D’abord, parce que, dans les Communautés de communes, on gère encore ensemble, tant qu’il n’y a pas de suffrage universel direct. Cependant, d’autres espaces de conflit existent : les gros contre les petits, et la question des frais de centralité. Nous payons toutes les institutions culturelles fréquentées par tous les habitants de l’intercommunalité ; la stratégie des grandes villes est de transférer ces frais à l’intercommunalité, et les petites villes les refusent, au motif que ce n’est pas leur problème. Vous avez aussi le conflit entre périphérie et centre, ainsi que celui qui oppose les communes ayant traditionnellement une politique culturelle et celles qui n’en ont pas. Avec des effets paradoxaux : celles qui n’en ont pas veulent que l’intercommunalité en ait une, dans un souci de solidarité ; celles qui en ont une ne veulent pas la transférer car telle salle de spectacle, tel festival, tel équipement, sont tellement l’incarnation d’une commune (voire d’un élu) qu’il est impensable de les partager. La majorité de ces conflits, qui peuvent apparaître au premier abord comme un peu cyniques et politiciens, sont de vrais conflits géopolitiques, au sens territorial du terme, avec des enjeux

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d’aménagement du territoire et de rapports de force. C’est la raison pour laquelle les gens du milieu culturel se sont tenus en lisière : cela paraît compliqué, ce sont des histoires qui vous concernent peu, où l'on prend des coups. Pour autant, et ce sera ma conclusion, avec la raréfaction des moyens financiers, la mutualisation à l’échelle intercommunale va générer des moyens complémentaires pour l’accompagnement de vos projets culturels. Gentiane Guillot Compte tenu des problématiques que vous venez d’exposer, des rivalités et des modes de gouvernance possibles, comment répartir les différentes compétences ? Comment les préciser au niveau de l’intercommunalité, au regard de ce qui relève déjà des communes ? Comment faire sur le terrain, et quelle est la marge de manœuvre juridique ? Les textes ménagent-ils une possibilité d’adaptation ou non ? L’expérience de Plaine Commune présente une gouvernance et un point de vue particuliers sur cette question. Caroline Coll, directrice de l’action culturelle de la Ville de St-Ouen et membre du conseil d’administration de l’Asdac, Association des directeurs des affaires culturelles d’Ile de France L’expérience de Plaine Commune est effectivement emblématique d’une situation et d’un terrain extrêmement mouvants, en lien avec les réformes en cours. Nous sommes une Communauté d’agglomérations, qui comprend neuf communes, après l’intégration de St-Ouen, la dernière arrivée. Son territoire couvre la moitié de la superficie de Paris, et nous comptons désormais plus de 450 000 habitants. Néanmoins, nous restons une Communauté d’agglomérations, et nous attendons les précisions de la loi sur les Métropoles (Paris Lyon Marseille), car nous sommes un des dix territoires du grand Paris. Le schéma du grand Paris s’est constitué d’abord autour d’une réflexion sur les transports, et sur la relation entre Paris centre et les territoires de sa périphérie (qui développent chacun un projet de territoire spécifique). Au départ, Plaine Commune a été décrété « territoire de la création et de la culture ». Cette appellation était un peu égocentrique et les élus ont ensuite réfléchi au fait que culture et création existent manifestement aussi ailleurs ; ils sont donc revenus à « territoire de culture et de création ». Ce n’est pas une auto-proclamation, mais le fruit d’une réflexion et d’une longue concertation entre l’État, l’intercommunalité et les neuf villes composantes. Je confirme à cette occasion qu’une intercommunalité qui fonctionne correctement n’est pas la somme des neufs communes ; c’est un autre projet de territoire, avec une identité propre, fédéraliste. Je détaillerai la méthodologie de projet mise en place à Plaine Commune. Un lien très fort existe entre intercommunalité et culture : en effet, l’intercommunalité, au-delà d’une structure, peut être un véritable lieu d’exercice de la démocratie participative. Cela me paraît essentiel, car on ne peut pas travailler sur la culture en étant centraliste ; ce sont deux éléments antinomiques. Un fonctionnement réellement culturel suppose un fonctionnement réellement démocratique. Les dix territoires ont été définis comme territoires de développement ; ils doivent signer, avec l’État et leurs villes membres, un Contrat de développement territorial (CDT) auquel peuvent abonder la Région, le département et la Ville de Paris, dans une logique de partenariat. Nous devons signer ce contrat en janvier 2014. Cependant, dans le cadre de la réforme, la Métropole a décrété tout récemment qu’elle va créer un EPCI Métropole, qui englobera les dix territoires. Ce qui est très problématique, du fait du transfert de compétence. De plus, au vu de l’échelle de la Métropole, la situation paraît difficilement gérable ; en outre, cela remet en question le fonctionnement démocratique en termes de représentativité des différentes communes, et la relation entre le centre et la périphérie. Nous n’imaginons pas quelle forme cela va prendre (une fédération d’EPCI ?), mais il s’agirait de créer un seul EPCI qui se substituerait à la fédération, ce qui pose problème. Plaine Commune avait pris une seule compétence culturelle : le réseau des médiathèques, avec une gestion centralisée, dans une logique de construction d’équipements, avec une vraie mutualisation budgétaire, et une véritable politique menée auprès des publics. Quand l’intercommunalité s’est positionnée comme territoire de culture et de création, elle se présentait comme « cluster de la création ». Nous avions imaginé la création sans la culture. Les acteurs culturels sont alors montés au créneau pour affirmer que la création n’existe pas sans la culture. Gentiane Guillot Est-ce l’équipe de l’intercommunalité qui a d’abord commencé à concevoir le processus, repris par les équipes des communes, ou… ? Caroline Coll Très concrètement, Plaine Commune a organisé des réunions avec tous les partenaires. Il y avait notamment des groupes thématiques sur la culture, ou se retrouvaient les Directeurs d’action

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culturelle. Nous avons proposé de produire une réflexion contributive expliquant, de notre point de vue, la nature d’un territoire de création et de culture, ce qui a donné un rapport de 60 pages. Pour le synthétiser, nous pensions d’abord à un mode de gouvernance, c'est-à-dire un fonctionnement en réseau (l’absence de centralité), et à la possibilité de rééquilibrer entre le sud du territoire, très bien doté de nombreux équipements et deux scènes nationales, et le nord, beaucoup plus sinistré. Culture et création sont aussi synonymes d’innovation, en faisant également vivre l’existant et en le revisitant au regard des nouveaux enjeux. En troisième lieu, Plaine Commune a créé un poste de chef de projet Culture, sans avoir la compétence. Ce poste de coordinateur doit intégrer la culture au développement urbain, au développement économique, au développement social. Le travail est organisé en groupes thématiques, avec des sujets très précis ; ainsi, un des groupes va déposer un dossier auprès de l’association des Pays d’art et d’histoire, afin de reconvertir notre patrimoine industriel en lieux de culture. De même, nous demandons à toutes les entreprises qui viennent s’implanter sur le territoire et obtiennent un permis de construire ce qu’elles vont faire pour la culture (c’est la logique du 1% artistique), dans l’idée de créer un fonds auxquelles elles abonderaient. Ou encore, dans le cadre de tout projet de construction, sont prévus des commerces, des logements, mais aussi des lieux dédiés pour des entreprises de l’économie sociale et solidaire, et/ou culturelles. Il y a aussi une clause sur les marchés publics, d’après une idée de Nicolas Frize : a minima, les entreprises qui répondent aux appels d’offre doivent réfléchir à leur position quant au territoire de la culture et de la création. Au mieux, nous réfléchissons à une clause culturelle, à l’image de la clause sociale, intégrée dans la réponse à l’appel d’offre. Ainsi, une entreprise qui répond à un appel à projet de rénovation urbaine va s’associer à une compagnie pour accompagner les habitants au moment de la démolition de leurs tours. Gentiane Guillot Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut mener des actions culturelles sans détenir la compétence de façon formelle (ce qui renvoie à la marge de manœuvre). Il y a aussi la question de la gouvernance et de la répartition des rôles. Vous êtes « fédéralistes » mais, concrètement, comment les choses se passent-elles entre l’intercommunalité et les communes qui la constituent ? Comment considérez-vous que les champs de responsabilité doivent être partagés ? Vous donnez à l’intercommunalité un rôle plutôt innovant… Caroline Coll Ce qui me paraît intéressant dans la nouvelle loi, c’est l’idée d’une compétence culturelle sur la base d’un intérêt communautaire qui doit être défini par l’ensemble des acteurs partenaires. A l’Asdac, évidemment, nous sommes favorables à l’inscription de la compétence culturelle dans les textes, à tous les niveaux ; il n’y aura jamais trop de culture. En revanche, la répartition peut être très mauvaise : nous connaissons tous des situations d’empilement qui sont sources d’inefficacité. Les Conférences sont destinées à répondre à ce problème en croisant les niveaux de compétence et en répartissant les responsabilités de manière très fine entre tous les échelons. Avec, aussi, un regard sur les spécificités territoriales. Selon moi, la décentralisation, c’est trouver un équilibre entre des normes qui restent républicaines et les singularités d’un territoire et de ses habitants. A St Ouen, nous avons tous les pays du monde, depuis très longtemps, c’est une terre d’immigration, et il faut le prendre en compte dans les projets culturels. On ne peut pas être hors sol. A partir de mon expérience, je ne pense pas que l’intercommunalité doive nécessairement reprendre des compétences qui incombent à d’autres instances (cela mérite d’être étudié au cas par cas). Mais c’est un endroit où l'on peut inventer, parce que c’est neuf et non encore déterminé. Typiquement, ici, c’est le 1% artistique, l’art dans la rue : les neuf communes construisent un projet d’art dans l’espace public avec des manifestations sur l’ensemble du territoire. Il faut sortir de la crise culturelle, des budgets fléchés sur les gros équipements (par exemple, nous avons deux CDN, qui ont une très bonne programmation, mais qui s’adressent à un certain public). L’intérêt de l’intercommunalité est aussi d’être dans les interstices, dans la transversalité, dans la coordination et donc d’être très innovants. L’intercommunalité, parce que ce n’est pas une collectivité territoriale mais un EPCI, est également très bien placée pour faire le lien avec le privé, car nous avons besoin de partenaires privés. Les collectivités territoriales ne sont pas habituées à cela, ce n’est pas leur culture… Les EPCI, en outre, sont très aguerris sur la compétence du développement économique et de l’aménagement urbain ; ils font donc bien le lien avec le développement culturel. Dernier point : notre intercommunalité est très démocratique et très dynamique, notamment depuis que le président de la Communauté d’agglomérations n’est plus le maire de la ville centre ; il me semble que cela devrait être inscrit dans la loi. En effet, quand le président de l’agglomération était maire de St Denis, il prenait les décisions en réfléchissant en tant que maire de St Denis. Depuis qu’il

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est président de la Communauté sans être maire de St Denis, il porte vraiment le projet de la Communauté, et se positionne différemment. C’est ainsi que nous réfléchissons à un équipement de cultures urbaines dans le cadre du CDT, et il envisage de le positionner au nord, où il y a un besoin flagrant. Olivier Bianchi Sans vouloir jouer les trublions, j’ai l’impression que les politiques ont du mal à éviter cet écueil des grandes villes contre les petites. On a envie de voir comment ça se passe à Plaine Commune, pour voir comment les EPCI ne se substituent pas aux communes… Les communes existent et existeront après la réforme des territoires, et le véritable enjeu réside dans le fait de trouver une identité communale, et, en même temps, de construire ensemble une identité d’intercommunalité. Le fait que les maires des grandes villes ne président pas ces intercommunalités peut contribuer puissamment au fait que la grande ville ne soit pas outrageusement dominante sur l’intercommunalité. Il y a là un vrai enjeu et un écueil à éviter. Gentiane Guillot On peut brosser un tableau de cauchemar, avec un président d’EPCI qui défendrait essentiellement les intérêts de sa commune. On y subirait aussi l’absence d’innovation, c'est-à-dire un exercice de la compétence Culture qui ne rajoute rien à celles des collectivités. Par exemple, l’intercommunalité se contenterait de redistribuer des subventions. Autre exemple, une situation où, la gestion des équipements culturels ayant été confiée à l’intercommunalité, les petites collectivités se retrouveraient sans rien, à la fois sans valeur ajoutée et sans vision. Cela rejoint la question de la formation des élus ou des agents des intercommunalités. C’est aussi à ce niveau qu’intervient le rôle des acteurs culturels, qui peuvent sensibiliser l’intercommunalité à la nécessité d’innovation, au travail avec les partenaires privés, etc. Nous allons voir, avec le dispositif soutenu par Culture O Centre, comment cette question est appréhendée. Hocine Chabira, metteur en scène de La Chose publique et de Renaissance, festival de Bar le Duc Je souhaiterais que Caroline Coll revienne sur un point qu’elle a abordé très rapidement, qui m’inquiète un peu, mais que j’ai peut-être mal compris. J’ai cru comprendre, dans le cadre des appels d’offre de rénovation urbaine, que vous avez demandé à des entreprises comme Bouygues de faire appel à des compagnies pour accompagner la rénovation urbaine ? Caroline Coll En fait, le groupe de travail est en train de se constituer, et les formes ne sont pas encore fixées. L’idée est la suivante : pour que le territoire de création et de culture ne soit pas seulement une image, mais une réalité en acte, une clause culturelle devrait être intégrée dans l’ensemble des marchés. Nous venons par exemple de lancer un marché, pour une étude d’urbanisme ; dans le cahier des charges de cette étude, nous demandons qu’elle soit portée par une équipe pluridisciplinaire composée d’architectes, d’urbanistes et d’artistes qui se préoccupent du territoire, des habitants, et de l’évolution des relations entre ce territoire et ses habitants, au regard de notre contexte, celui d’une profonde mutation urbaine et sociologique. Ainsi, à St Ouen, un quart du territoire était constitué de friches industrielles et devient un éco-quartier, sur 100 hectares. En l’occurrence, cela n’a posé aucun problème aux urbanistes, au contraire. De plus, les appels d’offre sont étudiés, analysés et sélectionnés. Gentiane Guillot Avant d’aller plus loin dans le débat proprement dit, je voudrais que nous abordions le dispositif de Culture O Centre, un regard particulier sur le mode de construction de la pluri-communalité . Mathieu Meunier, responsable du pôle Réseaux professionnels et directeur par intérim de Culture O Centre (région Centre) Culture O Centre est l’établissement public de la Région Centre pour le développement culturel. Cette agence est dotée de trois activités principales :

• la mise à disposition d’un parc de matériel scénique ; • le pôle production ; • le pôle Réseaux professionnels, qui a pour mission d’accompagner les territoires sur un

dispositif important de la Région, qui n’est pas « exemplaire », mais qui se définit comme lieu de recherche, où on accompagne et on étaie fortement les intercommunalités.

Pour parler du territoire en question, j’ai besoin de vous en montrer une carte. Je suis assez d’accord que le territoire, ce sont avant tout les habitants, mais j’ai besoin de m’appuyer aussi sur sa géographie. La région Centre est un territoire grand comme la Belgique, extrêmement rural. L’axe ligérien va d’Orléans à Tours en passant par Blois, et est très bien doté en équipements. Je vais

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beaucoup parler de diffusion artistique, mais peu d’équipements de diffusion. En effet, les projets que nous menons ne s’inscrivent pas, bien souvent, dans des équipements de diffusion types. Ce dispositif régional, les PACT, projets artistiques et culturels de territoires, existe depuis 2001. Auparavant, il portait le nom de « Saison culturelle ». Son objectif était de mailler le territoire régional en dehors du réseau national de diffusion artistique ; le chantier est très vaste. La région, rappelons-le, va de Dreux (Eure-et-Loire), à cinquante kilomètres à l’ouest de Paris, jusqu’à St Amand-Montrond, à cent kilomètres environ de Clermont-Ferrand. L’identité de cette région est donc assez particulière. Le dispositif représente à peu près soixante-dix saisons à l’échelle de ce territoire régional, qui sont les plus gros diffuseurs de la région Centre, bien au-delà du réseau national et des équipements de diffusion artistique. L’ensemble de cette saison culturelle représente dix millions d’euros. La Région contribue à hauteur de 30% de cette somme, soit trois millions d’euros environ et, sur la partie subventionnable, elle représente 48,8% du financement de la diffusion artistique, ce qui est un investissement conséquent. Depuis 2011, une nouvelle disposition est apparue, puisque la Région a souhaité travailler sur la pluri-communalité : il s’agit de proposer à des municipalités de s’associer par deux. C’est un des critères pour être éligibles au PACT, un autre étant d’appartenir à un bassin de population de plus de 5 000 habitants ; les équipes artistiques éligibles au financement doivent en outre être des équipes professionnelles. Selon d’autres critères, on favorise les équipes artistiques de la région, et/ou financées par la Région. Sur la carte, les communes indiquées en bleu portent seules leur projet de diffusion. Elles étaient près de soixante en 2001 ; aujourd’hui, elles ne sont plus que douze, le reste étant regroupé en intercommunalité et/ou en pluri-communalité. L’avantage de la pluri-communalité est qu’elle réunit des communes qui désirent s’essayer ensemble à un projet de diffusion artistique commun ; cela peut préfigurer d’une prise de compétence culture à l’échelon intercommunale. Pour nous, c’est un élément très important car, au-delà de la négociation et du débat, au moment où on teste la mise en œuvre, il y a surtout du projet artistique : des artistes viennent travailler avec des communes autour d’un projet qui les relie. Ce qui pose aussi l’enjeu de l’identité de l’intercommunalité : qu’est-ce qui fait identité autour de l’association de deux communes, voire autour d’une intercommunalité ? A Culture O Centre, notre travail est d’accompagner plus précisément ces PAC. Nous avons ainsi un Contrat d’Emergence et de Développement, CED, qui permet d’accompagner les territoires en termes d’ingénierie, c'est-à-dire d’explorer avec eux ce qu’ils disent de leur identité. Souvent, ils nous parlent des équipements de proximité, de la bibliothèque ; et, plus nous avançons dans l’exploration, plus nous parlons d’éléments économiques. Ce territoire est extrêmement rural, je l’ai dit, et bon nombre de régions de ce territoire sont dans des situations économiques préoccupantes : les usines ont fermé, la prise de compétence s’est faite sur la gestion de l’eau… La question de l’identité apparaît comme fédératrice et permet aux communes de collaborer et d’approfondir le sujet. Nous les accompagnons dans leur démarche et le portage de ces projets culturels de territoire est très divers : on accueille des élus bénévoles, des équipes artistiques, jusqu’aux DAC. Les intercommunalités connaissent un opérateur de proximité, une équipe artistique dont l’univers les intéresse, et qui leur semble en rapport avec l’image qu’ils se font de l’identité de leur territoire, et elles leur confient la programmation de leur saison culturelle. Il y a bien sûr des écueils dans ce tableau. Par exemple, faut-il tout confier à une seule équipe artistique ? Nous pensons plutôt que la prise de compétence consiste aussi à interroger les compétences en interne, à les mettre en question. Nous avons mis en place des ateliers d’analyse de pratiques professionnelles, qui réunissent les porteurs de ces saisons culturelles (élus, équipes artistiques et DAC) et les font dialoguer ensemble sur les difficultés qu’ils rencontrent à mettre en œuvre leurs projets de diffusion artistique sur leur territoire. L’intérêt est d’aborder dans le détail le contexte de leur projet de diffusion, et de recueillir trois points de vue différents. En effet, prise de compétence juridique n’équivaut pas nécessairement à compétence technique, et il y a là un important travail à réaliser : quand on examine la qualité artistique de ces soixante-dix saisons, on constate une bonne marge de manœuvre pour l’accompagnement ; il y a encore de nombreux espaces à défricher. Je souhaiterais insister là-dessus. Aujourd’hui, nous pensons que le réseau national (scènes nationales, CDN, scènes conventionnées, pôles…) est en recul sur ses marges artistiques et ses capacité d’intervention. Il nous faut donc ouvrir des espaces de projets nouveaux sur d’autres territoires, même avec peu de moyens. Il y aura d’autres projets, sous d’autres formes. En revanche, dans ces endroits, certains élus se disent prêts à consacrer un peu de moyens à la diffusion artistique, moyennant un accompagnement à la fois technique et artistique pour affecter ces moyens publics nouveaux. Notamment sur la question de la permanence artistique : certaines équipes artistiques sont en proximité de ces territoires, il faut leur permettre de s’installer. Si un élu manifeste l’envie d’accueillir des artistes sur son territoire, il faut aussi accompagner la manière dont il les reçoit. Aujourd’hui, mobiliser des moyens pour rémunérer des artistes

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professionnels n’est pas de même nature qu’accompagner la compagnie amateur locale. Même si, bien sûr, la question de l’amateurisme est une question en soi et qu’elle n’est pas négligeable. Il y a là, on le voit, un chantier extraordinaire. Notre avantage est que nous avons un moyen de production : le festival Excentrique, qui s’intitule « festival », mais accueille en réalité des résidences durant toute l’année, avec ces collectivités. La question de la diffusion de leur projet va passer par un projet artistique, une commande faite à un artiste. Nous réfléchissons actuellement à la façon de transférer nos compétences au territoire avec lequel nous travaillons pendant un à trois ans, de telle sorte que, quand nous quittons le territoire, il soit le plus autonome possible. Il peut y avoir à ce niveau de vrais échecs : malgré une présence de trois ou quatre ans, il est arrivé que certaines dynamiques s’arrêtent, alors que nous pensions que le territoire pouvait enclencher des choses. Il faut avoir beaucoup d’humilité par rapport à ce qui est possible à ces endroits, se poser les bonnes questions afin de remettre le projet sur le métier. En guise de conclusion, quel rôle les professionnels de la culture peuvent-ils avoir ? Dans certaines intercommunalités, loin d’être reçus à bras ouverts, vous allez vous heurter à des fins de non-recevoir. Il y a là un vrai enjeu : vous devez professionnaliser les techniciens de ces collectivités, de manière à ce que cela soit une vraie aide à la prise de décisions pour les élus. Serge Calvier La question, en effet, devrait être : quelle politique ? L’apparition de ces nouveaux acteurs sur le territoire est aussi une chance pour les arts de la rue qui sont très mobiles, polymorphes, sans lieu défini… Il va effectivement falloir intervenir auprès des nouveaux acteurs de l’intercommunalité, car quelle politique culturelle vont-ils définir ? Entre, d’une part, les politiques libérales, à l’aune des la Directive Services, qui joue la culture comme « enjeu de compétitivité », pour sauver le capitalisme avec les pôles de compétence, les industries créatives (l’exemple de Plaine Commune est parlant à cet égard : il était au départ, dans le schéma du grand Paris, défini comme pôle de compétitivité d’industries créatives), et, d’autre part, une politique citoyenne de territoire, faite pour les habitants, où on cherche à mieux vivre ensemble et à construire le bien commun. Dans cette seconde hypothèse, les arts de la rue ont toute leur place pour être force de proposition, en milieu rural ou urbain, pour inventer de nouvelles formes de création et de diffusion, et pour faire de la culture un bien partagé, un bien commun quotidien. Quand on regarde les textes officiels de la réforme, la lutte entre les Métropoles pour l’attractivité est toujours présente. Auparavant, elle existait déjà sous d’autres formes : les élus de certaines villes misaient sur la culture pour être dans Télérama. C’est donc à nous, acteurs de la culture, d’être inventifs et d’interpeller les politiques pour les mettre devant leurs responsabilités : quels choix sont faits ? C’était l’objet de la campagne menée par la Fédération des arts de la rue, L’art est public. L’art est l’affaire de tous, et nous allons poursuivre cette mobilisation. C’est un chantier à construire et à co-construire, en échangeant et en confrontant. C’est une chance d’avoir de nouveaux interlocuteurs à réunir autour d’une table pour élaborer des projets communs, des projets communautaires, en rompant avec les politiques passées qui mettaient tout dans la ville centre, l’équipement central ; il faut aller irriguer les territoires. Caroline Coll Je vais vous donner des exemples que j’ai en tête : je pense à une opération de rénovation sur le Val d’Oise, à la cité de La Muette, où il s’agissait de détruire des immeubles et d’en rebâtir d’autres. Certains résidents étaient nés dans la cité, y avaient toujours vécu. Le projet de reconstruction s’est réalisé avec l’appui d’une compagnie de théâtre, en résidence pendant trois ans dans la cité, qui est entrée en contact avec les habitants en s’adossant aux activités de la maison de quartier et en proposant des activités. Elle a également participé en présentant ses créations théâtrales, en prenant part à la vie de quartier. Il en est résulté une relation d’intimité avec les habitants. Au bout de trois ans, trois documentaires ont été produits : l’un était centré sur deux grands-mères du quartier, qui s’occupaient des enfants, participaient aux fêtes, etc. Le deuxième documentaire, Puissance Mille était centré sur les jeunes, notamment issus de l’immigration, avec l’histoire douloureuse d’un jeune victime d’une injustice, qui concluait en disant qu’il allait se battre encore plus pour s’intégrer « puissance mille » (d’où le titre du documentaire). Le troisième film portait sur les familles relogées, qui témoignaient de leur parcours et de ses difficultés. Au final, les choses ne se sont pas très bien passées entre la mairie et la compagnie de théâtre, car les images renvoyaient une image plus complexe et ambiguë que ce que la mairie avait imaginé. Cet accompagnement est toutefois très utile pour les habitants qui ont pu se raconter, faire le deuil de leur vécu antérieur, se poser, et qui ont rencontré des formes d’expression documentaire ou artistique nouvelles. Autre exemple, à Plaine Commune : au service des espaces verts, ils s’appliquent à eux-mêmes la clause culturelle. Quand ils interviennent pour la rénovation d’un square, ils le font de manière systématique avec des créateurs de jardins, plutôt qu’avec les seules compétences internes. A Plaine Commune, à chaque fois que la clause culturelle entre en jeu, on parle de marchés expérimentaux ; à

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chaque opération, on engage des discussions pour chercher à savoir s’il existe une opportunité d’application de la clause culturelle. Intervention salle Je suis ici en tant que membre du CITI et je remercie Chalon de nous avoir invités. Quand on parle d’équipements, la question se pose immédiatement, au niveau de l’urbanisme, des équipements nécessaires pour recevoir les structures de théâtre itinérant, qui ne sont pas exactement les mêmes que celles du théâtre de rue. C’est une notion que je me permets d’apporter, qui a son importance : le théâtre itinérant, ou le cirque, nécessite une structure particulière, de façon à ne pas être rejeté à la décharge publique ou sur les parkings de supermarché. Merci d’en tenir compte. Sylvia MANUEL, compagnie « 36 du mois », cirque 360 Je suis déléguée pour l’Ile de France du Syndicat du Cirque de Création. L’intervention précédente rejoint exactement la question que nous nous posons pour le cirque. D’autre part, j’ai une autre remarque, plus en rapport avec la compagnie. Un artiste qui cherche un contact avec un public, une relation directe, a de plus en plus d’intermédiaires et d’étapes à franchir, simplement pour exercer son métier : jouer devant un public. La naissance des intercommunalités a entraîné un niveau supplémentaire, qui rajoute en complexité par rapport à ce qui a été créé depuis une dizaine d’années, et qui subsiste, comme les Pays. Du point de vue des opérateurs, c’est beaucoup plus facile, et ils sont plus facilement reconnus, mais pour une compagnie, je vous assure que l’intercommunalité n’est pas simple. Avez-vous des exemples de lien direct entre une compagnie et des Communautés de communes, ou des Communautés urbaines, ou encore pire, des Métropoles ? Il me semble que ce sont des niveaux où nous sommes quasi inexistants. Ou alors, il faut être une très grosse compagnie, et surtout pas une compagnie en émergence. De nombreuses intercommunalités ne transfèrent leur compétence culturelle qu’au niveau des grands opérateurs diffuseurs, ou des théâtres de ville. Olivier Bianchi Ma réponse sera peut-être un peu imparfaite, mais vous avez raison de poser la question. Vous avez l’impression que les intercommunalités se concentrent essentiellement sur les institutions, les réseaux et que le travail avec les compagnies est plus compliqué. Par exemple, notre intercommunalité n’a pas pris la compétence du spectacle vivant et c’est plutôt au niveau des communes que nous le gérons. Ceci étant, des dispositifs se mettent en place. Le Pays du Grand Clermont, qui regroupe 106 communes, vient de lancer un appel à projet et les trois compagnies retenues sont en résidence sur le territoire. A un territoire du Grand Clermont va correspondre une compagnie et une résidence. Il existe des dispositifs, qu’il faut effectivement repérer et connaître ; des possibilités existent. En revanche, le débat que vous posez sur l’intercommunalité, la suprastructure intercommunale, est celui de la proximité, ou d’une sorte de prise de distance de la décision politique vis-à-vis des territoires. Je m’inscris totalement en faux là-dessus. Prenons un autre secteur : nous avons transféré les bibliothèques à l’agglomération clermontoise. Les élus ont protesté : la distance, les habitants qui ne pourraient plus utiliser les structures, la bibliothécaire en phase avec son lectorat ne ferait plus son travail… Ce n’est pas vrai : nous avons mis en place une carte unique pour l’ensemble du territoire de l’agglomération, en convention avec l’université (valable aussi pour toutes les bibliothèques universitaires). Ce qui signifie qu’on peut déposer un ouvrage dans une bibliothèque même si on l’a emprunté dans une autre, et c’est le réseau qui se charge de redistribuer les ouvrages. Nous venons aussi de signer cinq conventions de portage à domicile avec les CCAS des communes (la sixième est pour septembre) où, concrètement, des agents médiateurs portent les livres à domicile, chez les personnes handicapées, les personnes âgées ou isolées. Ce que je veux faire entendre (avec, effectivement, un bémol sur le travail avec les compagnies), c’est que ce n’est pas parce que l’intercommunalité est la suprastructure qu’il y a systématiquement une incompréhension ou un impensé de la question de la proximité avec les habitants. Les politiques intercommunales ne sont pas hors sol ; au contraire, elles sont quelquefois, paradoxalement, plus territorialisées que celles des communes. Nous nous posons des questions d’aménagement du territoire. Vous parliez du nord et du sud de Plaine Commune ; nous avons la même interrogation sur l’agglomération clermontoise, entre un sud développé et équipé et un nord en difficulté et non équipé. Aujourd’hui, le travail de l’intercommunalité au niveau culturel, à Clermont, consiste à remettre des équipements et des propositions artistiques au nord. Les fédérations professionnelles des compagnies devraient faire un travail de recensement des dispositifs intercommunaux qui se mettent en place. Ce serait une des missions des professionnels de la culture. Mathieu Meunier Ce que je vois, dans les territoires ruraux, ce sont des élus qui cherchent de la ressource chez les gens présents localement. Ce n’est pas nécessairement auprès de la structure ressource régionale, ni même départementale ; parfois, c’est auprès de l’équipe artistique ou de l’opérateur de proximité.

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Dans cette salle, il y a une équipe artistique d’arts de la rue à l’œuvre dans la proposition de programmation de son territoire intercommunal. L’élu est allé chercher cette équipe parce qu’il s’est intéressé à son univers artistique, qu’il n’a pas d’équipement de diffusion sur son territoire ; il a reconnu une compétence qui ont ensuite amené l’équipe à porter ce projet artistique. Là, il y a des modalités différentes, facilitatrices pour la collectivité qui n’as de compétence technique. Je pense encore aujourd’hui que ne nombreux élues ont envies de porter une politique de diffusion artistique sur leur territoire, mais se sentent trop esseulé pour le faire. Peut-être y a-t-il là un enjeu à explorer. Caroline Coll Je comprends votre crainte face à un échelon supplémentaire, des dossiers à monter, une lourdeur administrative… Je pense que c’est aux opérateurs culturels d’inclure cela dans leur organisation de travail : l’intercommunalité permet de fédérer et de mutualiser. Alors que nous organisions chacun notre petit festival d’arts de la rue dans notre coin, le fait de se rencontrer et de mutualiser nous permet d’organiser des tournées ; là où il y avait une date, il y en aura cinq ou six. Autre élément : l’effet territoire. Par exemple, sur notre territoire, il y a le stade de France. A chaque grande manifestation, de nombreuses animations sont organisées autour du stade. Au moment de l’appel d’offre, nous demandons à la structure événementielle organisatrice, dans le cahier des charges, d’intégrer un pourcentage de compagnies du territoire. C’est le rôle de l’intercommunalité et du réseau des acteurs culturels, sur un territoire donné, de s’organiser pour faire vivre et mettre en valeur l’existant. Olivier Bianchi Qu’on ne se trompe pas : auparavant, certains territoires ne faisaient rien en termes de politique publique culturelle ; il n’y avait ni service, ni financement, ni volonté, ni présence artistique. Grâce à la solidarité de l’intercommunalité, aujourd’hui, on remet dans le jeu des territoires qui n’avaient pas la possibilité, au niveau financier, de se penser comme pouvant accueillir une compagnie. Si les villes centres, mais aussi les pôles de développement dans les Communautés de communes, décident d’être solidaires avec leur territoire, cela devient possible. Pour l’appel à projet du Grand Clermont (106 communes – 9 EPCI), nous avons d’abord mené une étude avec l’agence régionale. Il y a une « banane bleue » qui fait que Riom Communauté, Clermont Communauté et Billom St Dier forment une sorte de colonne vertébrale de la densité culturelle. Tout autour, dans les six autres EPCI, nous avons observé qu’il n’y a pas grand chose ; il y a bien sûr une culture populaire, mais pas de pratique culturelle avérée forte. Le choix des politiques a été d’exclure les communes de la colonne vertébrale du dispositif, en ne postulant pas : inutile de rajouter une équipe artistique à ce qui existe déjà. Seules les six autres EPCI vont postuler. Voilà un véritable aménagement de territoire. C’est, au fond, un nouvel acte de la loi de décentralisation culturelle. L’État a mis en place ce processus, dont nous avons fait le bilan il y a un an ou deux avec le Ministère. Cela a effectivement commencé par les grandes villes, les villes moyennes et des territoires ruraux très volontaristes. Aujourd’hui, les Communautés de communes sont en train de compléter et d’aller encore plus loin dans cette dynamique. Et c’est une grande chance car ce sont des gens, de vrais publics qui, souvent, circulent difficilement, faute de moyens de transport publics denses, et qui rencontrent peu cette offre culturelle, dans des communes qui n’ont pas les moyens d’agir seules. Pomme Boucher, Le mur de la Mort (collectif du Limousin) L’association dont nous dépendons travaille beaucoup sur le territoire, et nous sommes confrontés à tout ce dont il est question aujourd’hui. J’entends bien ce que vous dites et je pense qu’un engagement politique des élus est effectivement nécessaire. Mais je m’interroge aussi sur le fait que, sur le territoire, les propositions des compagnies sont relativement nombreuses. L’existence des programmes est positive, mais les compagnies finissent par devenir des prestataires. Donc, via toutes les fédérations et compagnies qui existent, est-il envisageable de prendre en considération le gros travail de réflexion et d’engagement politique qui se fait à leur niveau ? Sur la question de l’espace public, il y a énormément de choses à faire. Les propos précédents montrent bien qu’on peut passer, à un moment, de cette superstructure très… structurante à une dynamique d’accompagnement, pour aller chercher aussi ce qui existe, et fonctionner dans les deux sens. Il arrive en effet que certains élus se prennent pour des programmateurs et organisent eux-mêmes leur festival, qui n’a pas obligatoirement de sens par rapport à leur territoire. Dans ces conditions, je pense qu’il y a un gros travail à faire, de rencontre et de débat. Il y a aussi la difficulté des compagnies qui sont présentes avant tout pour faire des propositions artistiques et ne peuvent pas passer leur temps à répondre à des appels d’offre, à des appels à projet. Mathieu Meunier Je parlais de subsidiarité et d’accompagnement : effectivement, est-ce à l’équipe artistique de devenir technicienne de la politique culturelle ? Je pense qu’elle a un rôle à jouer et qu’il faut imaginer des choses autour de cette question. De nombreuses expérimentations sont conduites, et il faudra en faire l’évaluation. Quand une équipe artistique est en dialogue avec un élu sur le territoire où elle est

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implantée, elle est ressource car elle connaît le terrain et son identité ; dans le même temps, il me semble que la collectivité n’a pas à s’abandonner, à se livrer complètement à l’équipe artistique et à sa proposition. Par ailleurs, il y a une demande autour de l’action culturelle de proximité, de l’implication des habitants… mais je pense qu’il faut aussi un peu d’universalisme dans la diffusion. Il faut pouvoir montrer un spectacle, proposer un univers, ici comme ailleurs, et c’est aussi important que le projet de territoire. C’est la dialectique et la convergence des deux qui va être la plus intéressante ; c’est pour nous l’endroit de la recherche. Comment l’opérateur et la collectivité peuvent-ils s’accorder là-dessus dans leur collaboration ? Je ne suis pas sûr qu’il y ait à ce propos de « vérité ». Certains élus prennent des initiatives, y compris sur des projets de festival qui ont du sens ; parallèlement, on peut avoir des équipes artistiques qui, sur leur territoire, proposent des projets qui en sont dépourvus. C’est l’objet d’un travail de négociation, au bon sens du terme : il y a un enjeu pour la survie de ma structure et la renaissance du territoire, et je pense que je peux constituer pour vous une ressource ; voyons jusqu’à quel point. En face, il y a la responsabilité de l’élu, qui peut dire : vous avez travaillé, vous avez « labouré » ce territoire, mais peut-être devez-vous maintenant travailler ailleurs. Julie Kalt, compagnie KompleXKapharnaüm Nous sommes situés à Villeurbanne, une grande ville. Sur la question de la méta-structure, il y a un problème pour nous, en tant que compagnie, pour identifier nos interlocuteurs (techniciens et élus) dans la mesure où il n’y a pas de compétence Culture, d’élu chargé de ce domaine ni de DAC. Au Grand Lyon, pour nos projets, nous sommes confrontés à cette difficulté. Je voulais par conséquent réagir à la première intervention technique : vous avez précisé que, dans le projet de loi, sur les super grandes villes et grandes villes volontaires, on va créer des Métropoles. Qu’est-ce que ça va changer en termes de méta-structure et d’interlocuteur ? Atte Oksanen Si nous considérons le cas de la Métropole lyonnaise (un cas un peu à part), elle deviendra une collectivité à statut particulier, en intégrant le département, les communes et les EPCI environnants. Ce qui permettra d’avoir une cohérence sur l’ensemble des politiques, notamment les politiques culturelles. Au niveau de la Métropole, vous aurez donc un interlocuteur comprenant tous ceux que vous aviez auparavant, ce qui facilitera le dialogue. Caroline Coll C’est là un gros point de fragilité par rapport à nos espérances vis-à-vis de l’intercommunalité des Métropoles, qui se construisent de la manière que vous avez indiquée et non pas comme une confédération d’EPCI sur un territoire métropolitain donné. On va se trouver, à mon avis, dans la problématique évoquée par Serge Calvier tout à l’heure : ces Métropoles vont se positionner sur des enjeux internationaux (cf. Berlin, Londres, etc.). J’attends de voir et je ne suis pas tout à fait favorable à cette configuration, au regard de ce qui me paraît riche, exceptionnel, spécifiquement français, dans ce maillage territorial et ces croisements de compétences qui produisent de la discussion, de la négociation et de la diversité. Olivier Bianchi Avec une nuance, fondamentale par rapport au contexte et au débat français : si un politique est conséquent, si j’étais le patron du Grand Lyon… Lyon va s’inscrire dans la ville-monde, évidemment, dans le cadre d’une politique internationale de compétitivité. Mais, dans le même temps, il va devoir mener une politique territoriale. Sur un seul pied, vous ne marchez pas ! C’est une histoire typiquement française, et la question se pose de façon similaire dans toutes les communes : à Clermont, on se demande si on met toutes les institutions au centre ville ou si, dans le cadre de la politique de la Ville, on mène une politique Culture sur les quartiers. L’intercommunalité clermontoise n’est pas le Grand Lyon, mais la problématique est du même ordre : Clermont veut se mesurer aux trente plus grandes villes de France, alors que les élus de sa périphérie voudraient se préoccuper des zones péri-urbaines ; et il faut faire les deux. A ce niveau, je suis plus enthousiaste : il va sans doute y avoir du tangage politique, du conflit politique, mais c’est à partir de là que naissent la démocratie et les enjeux, que les acteurs peuvent se positionner, batailler. Intervention salle Mais ils ne sont pas élus… Olivier Bianchi Ils le seront, et c’est la réforme qui est en train de se mettre en place. Dans les années qui viennent, ils le seront de plus en plus : pour les prochaines élections, vous choisirez vos délégués intercommunaux, vous aurez un double bulletin de vote. Je fais partie des élus qui se battent pour l’application du suffrage universel dès maintenant. Les opposants au suffrage universel dans les

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intercommunalités refusent qu’elles deviennent des territoires de plein droit, et veulent qu’elles demeurent des EPCI. Ce sont des débats compliqués. Pour revenir à la question – justement, parce que ces conflits politiques vont avoir lieu, votre rôle est aussi de former et d’interpeller les élus. Quand je vous dis de refaire de la politique, c’est cela : vous êtes des acteurs citoyens d’un territoire… Intervention salle Nous ne sommes pas en situation de faire de la pédagogie vis-à-vis des politiques ! Olivier Bianchi Mais si ! Quand notre commission a mis en place des équipes de travail avec les artistes, j’étais furieux que la moitié des artistes ne soient pas venus pour rencontrer et former les élus locaux ruraux qui ne disposent pas d’une administration susceptible de leur expliquer ce que sont un spectacle, une bourse, une résidence. Cette désertification des instances de partage et de dialogue est à votre détriment. Julie Kalt, compagnie KompleXKapharnaüm Refaire de la politique, d’accord, s’inscrire dans ce débat est un enjeu fort pour nous et pour le territoire, mais, encore une fois, c’est complexe. Compte tenu de ce qui est en train de se tramer pour les Métropoles et les intercommunalités en général, à quels endroits devons-nous nous inscrire ? Les intercommunalités vont prendre une partie de la compétence culturelle en fonction de leurs intérêts communautaires, mais je ne vois pas à quel endroit nous pouvons rentrer dans le débat. Caroline Coll Par rapport à ce que dit Olivier Bianchi, l’idéal est effectivement d’être à la fois sur le global et sur le local, mais il faut avoir les outils de gouvernance pour que ça demeure possible. Je reste donc dubitative… Par ailleurs, il faut travailler de manière groupée, à travers les associations de professionnels, les fédérations. Il faut militer pour que la compétence culturelle soit là, et bien là, et pour qu’existe une vraie logique de négociation, de croisement et de complémentarité aux différents échelons. On peut agir en rejoignant les associations professionnelles. Hocine Chabira Je voulais relater rapidement deux expériences de la Chose publique. Nous nous sommes installés dans la ville la plus pauvre de la Communauté urbaine. Quand nous sommes allés les voir au sujet des financements, les élus nous ont renvoyé vers la Communauté urbaine du grand Nancy, qui nous a répondu n’avoir pas la compétence Culture. Or, vous venez de dire qu’ils ont obligatoirement cette compétence. Gentiane Guillot Non, ce n’est pas le cas. Hocine Chabira Quoi qu’il en soit, nous sommes allés vers cette instance qui ne veut pas nous financer non plus. La deuxième expérience est celle du festival RenaissanceS de Bar le Duc. Une Communauté d’agglomérations se met en place et prend la compétence Culture. Le festival voit sa subvention baisser de 20%. Je ne vois pas de cause à effet et je décide d’aller demander le complément à la présidente de la Communauté d’agglomérations, maire de Bar le Duc, qui me répond négativement : si elle demande à la Communauté, elle va se trouver en difficulté car on va tout prendre sur la ville centre ; je n’ai pas réussi à me faire entendre des autres élus.

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Les projets participatifs : sésame de l’intercommunalité culturelle ?

Comment construire une culture partagée ? Les projets participatifs, fondés sur une implication des habitants, peuvent-ils être moteurs d’une dynamique intercommunale ? Des exemples de projets participatifs menés à l’échelle intercommunale permettront d’explorer ces questionnements, en interrogeant notre capacité à en mesurer les effets. Intervenants Patrice de BENEDETTI, compagnie P2BYM Céline BLANCHÉ, chargée de communication de l’Usine (Tournefeuille) Delphine DUONG, assistante de direction du Boulon (Vieux Condé) Clotilde FAYOLLE, administratrice du Boulon (Vieux Condé) Yui MITSUHASHI, compagnie P2BYM Camille PERREAU, compagnie Entre Chien et Loup Anne Gonon Cette année, la thématique abordée pose une question un peu offensive : « l’intercommunalité, une arme de construction massive ? ». Il s’agit de réfléchir ensemble à la question de cet échelon administrative qui représente, si ce n’est un territoire en friche, en tout cas une nouvelle dimension à explorer, d’ailleurs d’ores et déjà exploré par certains acteurs des arts de la rue et du cirque. Hier, la matinée a été très riche ; nous y avons abordé les enjeux et problématiques du sujet, avec une introduction technique qui a permis de découvrir la complexité de la situation, et un débat qui a mis en exergue à quel point il est important que les opérateurs culturels et les artistes (notamment ceux des arts de la rue) s’en saisissent. Ce matin, nous avons choisi de traiter des projets participatifs à l’échelle intercommunale et, en la matière, nous n’avons pas croulé sous les exemples… Nous avions repéré des projets de diffusion à l’échelle intercommunale, comme celui qui a existé pendant plus de dix ans, le Mai des Arts, organisé par le Fourneau autour du Pays de Morlaix. C’était, dès les années 2000, un des premiers projets à l’échelle intercommunale, initié par Marylise Le Branchu, qui avait alors estimé que la Communauté de communes ne pouvait pas se contenter d’être le ramassage des poubelles car cela ne raconterait rien aux habitants. Elle avait passé commande d’un projet intercommunal au Fourneau, qui, à l’époque, était assez novateur. Nous avions aussi bien évidemment repéré le travail mené par Pronomade(s) sur le territoire du Pays de Comminges, en pluri-communalité. Nous avons donc souhaité nous pencher spécifiquement sur les projets dits « participatifs », à l’échelle intercommunale. Pourquoi ces projets en particuliers ? Tout d’abord parce que les projets participatifs sont très présents dans le secteur des arts de la rue depuis quelques années. Un travail a été mené par Gentiane Guillot sur les projets participatifs dans l’espace public sur les territoires prioritaires de la politique de la Ville, et a fait l’objet d’une publication, In Situ, In Cité1. Nous animons également un groupe de travail sur la médiation dans les arts de la rue, où cette question des projets participatifs est très présente. Le thème était donc présent dans plusieurs de nos chantiers. Enfin, en travaillant sur le thème de l’intercommunalité, nous nous sommes rendu compte qu’à cette échelle, un des enjeux majeurs est l’identité du territoire : que veut dire habiter une intercommunalité ? Or, il nous semblait que, précisément, les projets participatifs étaient susceptibles de proposer des récits de vivre ensemble aux intercommunalités. A travers les exemples qui vont nous être présentés, nous allons parler d’intercommunalité et de pluri-communalité. Pour clarifier la différence entre les deux notions, précisons que certains territoires sont des intercommunalités administratives, comme le Grand Toulouse, tandis que d’autres sont des territoires pluri-communaux qui ne correspondent pas nécessairement à une entité administrative propre. La problématique de l’identité culturelle sur une intercommunalité a été évoquée lors de la rencontre d’hier : qu’est-ce qui fait que quelqu’un sent qu’il habite la CUB, à Bordeaux ? L’enjeu de l’identité culturelle à l’échelle intercommunale est aussi souvent lié au fait que chaque commune défend son identité culturelle propre à travers des équipements, des événements, une mémoire – par exemple la mémoire ouvrière d’une ville périphérique par rapport à la ville centre, très bourgeoise. Pour toutes les intercommunalités, qu’elles soient Communautés de communes, ou d’agglomérations,

1 Voir cette publication au format pdf en ligne : http://www.horslesmurs.fr/IMG/pdf/In_Situ_In_Cite_.pdf

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Communautés urbaines ou futures Métropoles, ces enjeux identitaires sont omniprésents et, fondamentalement, politiques. L’une des thématiques sur lesquelles travaillent les projets participatifs étant la question du lien entre les habitants, et de la relation entre les habitants et leur territoire, la problématique de l’identité culturelle nous semble y être particulièrement mise en jeu. Hier, l’un des intervenants, Olivier Bianchi, a parlé de l’écriture du « roman intercommunal » : il s’agit d’écrire et de raconter une histoire aux habitants et/ou de leur permettre de se réapproprier leur histoire. Deux éléments complémentaires, en introduction : d’une part, nous allons parler de l’échelle de territoire (c’est un des points qui a émergé lors des échanges préalables), davantage que des projets participatifs en eux-mêmes. Ils induisent des questionnements spécifiques tels que : pourquoi fait-on participer les gens ? Comment ? Qu’est-ce que cela signifie ? Ces questionnements seront abordés mais ils ne constitueront pas le cœur des nos échanges qui vont se focaliser sur la spécificité de l’échelle intercommunale. Nous avons trouvé assez peu d’exemples à partager, et pour cause : d’après les échanges avec mes interlocuteurs, ce n’est pas facile. Un des objectifs de ces deux rencontres est donc aussi de réfléchir avec vous aux dynamiques de mobilisation de ces territoires, qui restent à défricher. D’autre part, nous allons employer le terme de « projet participatif », mais peut-être certains d’entre vous n’emploieront-ils pas cette expression. Cela peut faire débat : parle-t-on de participation ou d’implication ? Les projets présentés ce matin sont très divers, de par, justement, l’implication des habitants et la façon dont les artistes s’adressent à eux. Ateliers, travail de recueil de paroles, etc. les exemples présentés ce matin seront à l’image de la diversité des projets dits participatifs. L’enjeu de ce matin n’est pas d’en établir une définition. Je souligne qu’avec la composition de la table ronde, nous contre-balançons la rencontre d’hier et la sur-représentation féminine de ce matin nous permet d’atteindre la parité hommes / femmes. Nous allons focaliser sur quelques projets et donner le temps aux intervenants de raconter leurs expériences et, par ce biais, de poser les problématiques. Comme l’an dernier, nous avons pris le parti d’accueillir des binômes opérateur / artiste, fonctionnement qui se révèle assez pertinent. D’abord parce que les projets sont souvent co-construits avec le territoire, mais aussi entre des opérateurs et des artistes, et qu’il nous semble intéressant de montrer comment ces histoires s’écrivent ensemble. Ensuite, sur le cas particulier des projets participatifs à l’échelle intercommunale, nous nous sommes rendu compte que les enjeux et les problématiques sont parfois assez différents pour les artistes et les opérateurs. Il s’agit donc d’identifier à quels endroits ils se rencontrent, et « se frottent » parfois. Nous allons tenter de décrire les échelles de territoire concernées et les intervenants vont aussi parler de géographie de territoire – expression qui est souvent revenue lors des échanges préalables. Comment les opérateurs se saisissent-ils de ces échelles de territoire ? Pourquoi décident-ils d’intervenir sur un terrain plutôt que sur un autre ? Et, du point de vue des artistes, qu’implique de travailler à ces échelons, qui, aux yeux de certains, sont de taille assez conséquente ? Je propose, si vous le voulez bien, que nous débutions notre tour de France à Tournefeuille… Céline Blanché, chargée de communication de l’Usine (Tournefeuille) Tournefeuille fait partie du « Grand Toulouse », que l’on appelle désormais Toulouse Métropole, bien que nous ne soyons pas encore une métropole au sens administratif du terme. Toulouse Métropole est en fait une Communauté urbaine regroupant 37 communes ; c’est un « petit bébé » puisqu’elle n’existe que depuis 2009. Auparavant, c’était une Communauté d’agglomérations, créée en 2001. On a donc affaire à une entité relativement nouvelle, qui a connu un fort accroissement du nombre de ses communes membres. Par ailleurs, précisons que la Communauté urbaine du Grand Toulouse ne s’est dotée de la compétence Culture qu’en 2011, ce qui est extrêmement récent. L’Usine est implantée à Tournefeuille, une commune de la périphérie toulousaine. C’est un lieu de création qui existe depuis plus de 25 ans et regroupe quatre structures en résidence permanente (le Phun, la Machine, la Ménagerie, les Thérèses). Le Phun et la Machine sont des compagnies de rue, la Ménagerie est une association spécialisée dans le film d’animation et les Thérèses une structure d’accompagnement d’artistes et de compagnies. Aux côtés et avec ces quatre structures, l’association l’Usine développe un projet culturel autonome qui articule le soutien à la création, la formation, la transmission et la production ainsi que le développement d’actions sur le territoire. Sur Toulouse Métropole, nous organisons des actions de diffusion et de programmation de spectacles, que nous cherchons à recontextualiser pour être en un lien direct avec le territoire. Nous appelons « infusion » ce travail qui complète la diffusion : cela a du sens, dans la mesure où, sur ce territoire, nous tentons d’infuser des compagnies sur des temporalités plus ou moins longues, pour leur donner le temps de créer une présence artistique sur du moyen ou du long terme. Dans ce cadre précis, nous développons un projet intitulé Fin d’interdiction de stationner, que nous avons initié en 2007. Il est à la fois simple et complexe : chaque année, nous invitons une compagnie à venir travailler pendant un an environ, autour d’une thématique très générale. Nous invitons la compagnie à explorer le territoire de Toulouse Métropole, sur quelques communes (nous ne pouvons pas travailler simultanément sur plus de trente communes). La compagnie invitée a carte blanche

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pour des tentatives d’expérimentation artistique avec, pour ligne directrice, la consigne de travailler avec, à partir de et sur le territoire. Par territoire, nous n’entendons pas cadre ou découpage administratif, mais bel et bien surface habitée, territoire partagé par des habitants, des acteurs culturels et associatifs, des établissements éducatifs, etc. Cela se concrétise par des temps de résidence plus ou moins longs, au cours desquels les artistes explorent le territoire, rencontrent les habitants, via les acteurs associatifs et les services culturels avec lesquels nous travaillons. Au terme de la démarche, il y a une restitution, qui n’est qu’une étape de l’ensemble du projet, et qui donne à voir tout le travail mené avec les habitants. Anne Gonon Tu as précisé que la Communauté urbaine ne s’est dotée de la compétence Culture qu’en 2011. L’Usine reçoit-elle des financements de la Communauté urbaine ? Est-ce à cette occasion que l’intercommunalité vous a interpellés, ou vous êtes-vous saisis vous-mêmes et pourquoi ? Céline Blanché Il y a eu deux logiques concomitantes. L’Usine bénéficie effectivement de financements de la Communauté urbaine, c’est même son partenaire le plus important – il a notamment permis de relocaliser l’Usine. Avant 2008, nous étions installés dans une ancienne menuiserie industrielle. Mathieu Maisonneuve, directeur de l’Usine, a mené un travail avec les partenaires institutionnels, au premier rang desquels la Communauté d’agglomérations, à l’époque, pour envisager une relocalisation. Nous sommes aujourd’hui abrités dans des locaux neufs spécifiquement construits pour nous (il ne s’agit pas de la réhabilitation de locaux industriels préexistants), qui accueillent les quatre structures permanentes, et l’Usine, depuis 2008. Avant même l’arrivée dans ce bâtiment, une préfiguration avait fait de l’Usine le premier équipement culturel finalisé de l’agglomération toulousaine, ce qui nous a donné une légitimité pour mener des projets dits « d’intérêt communautaire ». Nous avons souhaité nous saisir de ce territoire et de cet objectif, avant même de déménager, puisque, dès 2006, nous commencions à travailler sur le territoire de l’agglomération. Cela répondait à la logique d’accompagnement et au travail de négociation, ou de co-construction avec les partenaires publics. Mais aussi, et c’est le plus important, l’Usine étant un lieu de création partagée depuis le milieu des années 1980, elle a eu longtemps un fonctionnement relativement endogène, peu ouvert sur le territoire, tout simplement car elle se concevait d’abord comme lieu mutualisé investi par des équipes artistiques. Puis, le projet a émergé de créer un lieu de création culturelle, doté d’une véritable politique d’accueil en résidence, qui s’est développée depuis. Parallèlement au travail avec les partenaires publics, nous avons eu envie de développer la création artistique avec le territoire. Pour en revenir au projet Fin d’interdiction de stationner, nous invitons donc chaque année une compagnie. Nous avons commencé par travailler avec Ex Nihilo, puis avec Patricia Ferrara et Unber Humber, pour le deuxième opus, puis avec KompleX KapharnaüM. Nous avons aussi invité P2BYM, que nous accompagnons quasiment depuis sa création, sur la création du triptyque. Il nous a semblé évident de poursuivre une collaboration sur un autre terrain, de leur offrir cette carte blanche et de voir comment ils allaient s’en saisir. Ce qui s’est révélé tout à fait concluant. Anne Gonon Tu as prononcé le mot « évidence ». Qu’est-ce qui explique que vous vous dirigiez vers tel type d’équipe artistique pour travailler à l’échelle de l’intercommunalité ? Quels sont vos critères de choix ? Céline Blanché Depuis environ dix ans, nous faisons preuve d’une fidélité auprès de certaines équipes – j’évoquais KompleXKapharnaüm, avec qui nous avons mené trois projets différents. C’est dans cette rencontre, sur la durée, que nous échangeons vraiment sur le fond, sur les envies, sur des endroits que les équipes ont envie d’explorer sans avoir l’occasion de s’en saisir, ou, inversement, ce sont des compagnies qui travaillent depuis de longues années sur ce champ exploratoire – c’est par exemple le cas de KompleX pour la collecte de témoignages. Jusque-là, effectivement, il y a toujours eu une évidence dans le choix des compagnies que nous avons invitées. L’opus 5, sur lequel P2BYM a travaillé, a abordé la question du flux. Nous choisissons toujours des thématiques assez larges : le centre et la périphérie, l’image dans l’espace public, la place du végétal dans l’espace public, etc. Pour le flux, il s’agissait de s’emparer de la question d’un point de vue artistique et culturel, et de trouver une résonance avec le territoire et les habitants. Patrice de Benedetti, compagnie P2BYM Nous sommes une compagnie de danse dans l’espace public, dont la démarche consiste justement à avancer dans le flux. Quand l’Usine nous a proposé cette carte blanche, c’était aussi une forme d’évidence que de nous servir de notre savoir-faire à l’échelle d’un projet plus large que ce que nous faisons d’habitude. Jusqu’à présent, nous avions plutôt travaillé à une micro-échelle, en nous accaparant un quartier, en lui imposant une présence récurrente, afin de voir jusqu’où ça résonne. Et nous nous apercevons que ça résonne chez les habitants, par vagues. En ayant plusieurs territoires de

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jeu, nous voulions là aussi voir comment notre présence allait résonner dans chaque lieu. Au lieu d’être une onde de choc, nous voulions voir si cela tissait des liens entre les trois territoires. C’est de ce questionnement que nous sommes partis. Artistiquement, nous nous sommes posés la question du flux pendant tout le repérage et nous avons travaillé sur des approches complètement différentes. Sur le premier territoire, le travail portait sur le flux de piétons. A Saint-Jean, il n’y a pas de cœur de ville ; celle-ci est coupée en deux par la nationale et les feux rouges ont carrément été supprimés pour favoriser le flux automobile. C’est là-dessus que nous avons choisi de travailler, en posant la question : où sont les gens, là-dedans ? Nous les avons assis sur des chaises, à regarder passer les voitures. À Fenouillet, en revanche, l’espace public sert de transition entre des espaces fermés ; il n’y a pas de vie dans l’espace public, qui ne sert aux gens que pour se rendre d’un endroit à un autre. Nous, danseurs, nous aimons l’espace public, et nous détestons les espaces fermés ; donc, nous sommes rentrés, nous avons commencé à pousser les portes, à chercher, avec des opérateurs de l’Usine. Nous sommes alors tombés sur des migrants en phase d’alphabétisation, qui suivent des ateliers tous les mardis et mercredis. C’est là que nous avons travaillé, sur le flux migratoire. Nous avons construit notre proposition artistique autour de trois axes très simples mais forts. Sur une année, nous travaillons, nous rencontrons les gens, nous avons un cadre pour jouer le jeu, et nous avons envie de voir jusqu’à quelle limite nous pouvons jouer. Quand nous arrivons sur le terrain pour les repérages et que nous rencontrons les équipes culturelles attachées à chaque lieu, nous commençons à prendre la température, pour regarder à quels endroits ils travaillent dans leur ville. En tant que compagnie de danse, nous n’avions pas nécessairement envie de faire danser tout le monde, d’impliquer tout le monde sur la restitution. La question qui se pose est la suivante : comment mener un travail de fond, sensibiliser à la danse contemporaine dans l’espace public, en posant un acte là où cela semble le plus juste, dans la rencontre entre artistes et habitants. Sachant que la notion d’habitants, pour nous, est large… Telle personne est connue dans sa ville, tout le monde passe et la salue. Pour nous, il est important de l’asseoir là, mais elle n’est pas le public visé ; on se sert d’elle pour résonner. Anne Gonon Tu as commencé par dire que vous travaillez d’habitude à des échelles micro-locales. Que veut dire pour vous, en termes d’enjeux particuliers, ou de difficultés, le fait de travailler sur trois villes différentes, avec des identités urbaines, donc artistiques, différentes ? La question de l’intercommunalité a-t-elle un sens pour vous au moment où vous travaillez le projet ? Pour les artistes, cette entité administrative signifie-t-elle quelque chose ? Et que pensez-vous qu’elle signifie pour les habitants auxquels vous vous adressez dans le cadre du projet ? Patrice de Benedetti Pour nous, la question se pose de fait car pendant l’année, nous avons mené des « opérations commandos » : nous travaillions sur les trois communes en même temps, nous faisions sans arrêt le lien entre les trois. Quand nous arrivions dans une commune, nous disions : « Hier, nous étions là, et demain nous allons là-bas. » Et juste en racontant ce qui se passe dans ces autres communes, les gens ont envie de voir, de suivre : ils se sont déplacés sur les trois propositions, parce qu’elles étaient très différentes. Chez les seniors, à St Jean, nous ne les avons pas fait danser ; ils ont été pris en photo et exposés dans la rue. Les habitants des autres communes, quand nous le leur avons dit, sont venus voir cette exposition. Cela nous a vraiment posé la question de la circulation du public, et des moyens logistiques afférents. Nous avons pensé à des navettes, ce qui mobilise d’autres services. Nous restons concentrés sur notre proposition artistique, mais nous avons envie d’observer les rouages de ces administrations, à quels endroits cela bloque, et comment nous pouvons débloquer ça. Je pense que cela passe par la motivation, l’implication des gens sur leur territoire. Sur chaque territoire, le travail d’Elsa Pellerin, la chargée de production, a été énorme : elle connaît le territoire et les 37 communes, elle centralise les demandes des artistes. Quand nous avons un besoin, elle anticipe la demande et sait ce qui est possible, de façon à trouver une solution. Mais, au final, je crois que tout passe par l’envie de l’artiste de pousser un peu les murs et de se frotter à ces blocages administratifs. Céline Blanché Pour rebondir sur les propos de Patrice, il y a certes des blocages ou des points d’accrochage, qui peuvent s’expliquer par la capacité donnée, ou non, à un artiste, de déverrouiller tout ceci. Je souhaite revenir sur la question posée hier matin, sur l’identité et le fédéralisme. Sur le mode opératoire et la façon de conduire le projet avec les villes partenaires, cela se déroule très simplement : la thématique est déjà choisie ; nous avons invité la compagnie et engagé une écriture commune. Ensuite, nous présentons le projet lors d’une réunion où sont invités tous les élus de chaque ville (il faut dire que la fréquentation est très variable et que peu de villes se déplacent). Puis, les villes se portent volontaires pour participer au projet ; certaines le font quasiment tous les ans, alors que nous aimerions une forme de renouvellement des participants pour travailler véritablement sur l’ensemble du territoire.

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Une précision : les villes partenaires ne financent pas directement le projet, qui l’est indirectement, via Toulouse Métropole. Du coup, nous avons parfois le sentiment que certaines villes se positionnent sur le projet, non pas tant pour co-construire, travailler, accueillir des artistes, mais pour obtenir gratuitement un an de « plus-value » avec nous. Certes, les services culturels (quand ils existent) s’impliquent, de même que les services techniques, pour l’aide au montage logistique, et même au-delà, puisque certaines communes se sont reliées, à partir d’une véritable connaissance du terrain et des acteurs avec lesquels nous travaillons en collaboration. Cependant, l’implication de la ville devrait se faire aussi sur l’identité de Toulouse Métropole. Or nous ne sommes pas encore parvenus à débloquer la notion d’intérêt communautaire. Chaque année, sur le principe de la répétition, nous tentons de bien faire comprendre à chaque ville partenaire qu’il s’agit d’un projet d’intérêt communautaire, global, et que cela doit se ressentir au niveau de l’action – notamment sur la question des publics –, mais aussi de la communication. Mais bien souvent, les villes partenaires n’ont envie d’annoncer que les dates qui les concernent. C’est mon travail quotidien de lutter contre cette tendance, pour leur faire entendre l’intérêt de travailler à l’échelle de l’ensemble du territoire. Anne Gonon Au cours de nos échanges préalables, tu as souligné le fait qu’il s’agit à chaque fois d’un projet résolument contextuel. Dans ce que tu présentes, il semble que la question des habitants n’est pas particulièrement déterminée. Il n’y a pas de demande préexistante de l’Usine. L’action se construit au fur et à mesure des rencontres et du repérage que vous réalisez ensemble sur le terrain. Patrice de Benedetti C’est en effet vraiment au moment du repérage sur le terrain, quand on rencontre les équipes culturelles, qu’on fait part des envies, qu’on prend la température, qu’on sait avec quelles associations on va travailler… Il nous est arrivé de partir sur de fausses pistes, par exemple à Colomiers. Tout dépend de l’éventail de ce qui nous est proposé, et nous répondons affirmativement ou négativement. A P2BYM, nous affirmons vraiment une ligne artistique : c’est dans la rue, tous les jours. Nous n’avons pas besoin des studios, sinon pour venir nous échauffer et prendre une douche. C’est une façon de travailler parfois difficile à faire entendre dans certaines communes mais, finalement, quand on est assez clair sur cette ligne artistique, nous parvenons à débloquer pas mal de choses. A Fenouillet, ce n’était pas gagné non plus ; nous ne savions pas comment accrocher avec les femmes voilées de l’association Femmes du monde. J’entretenais une distance et elles devaient faire toutes les prises d’image par elles-mêmes… Avec l’Usine, nous cherchons toujours par quel biais nous pouvons arriver là où nous avons envie d’aller. Et de fait, il y a toujours des solutions. Anne Gonon L’artiste pose la question de l’interpellation du public, que vous vous posez aussi en tant qu’opérateur, et cela rejaillit sur les questions de communication, la façon dont les communes s’investissent, l’endroit où elles se placent… Cela raconte beaucoup de choses sur l’intercommunalité et son stade d’avancement. Céline Blanché Tout à fait. Les allers et retours sont permanents sur l’identité de ce grand territoire (37 communes, environ 700 000 habitants), marqué par de fortes disparités entre de grandes villes et de toutes petites communes qui ont intégré la Communauté urbaine au fur et à mesure de son extension. Ces allers et retours posent aussi le problème de la communication et de la manière dont Toulouse Métropole communique sur sa compétence Culture. Au-delà de la question de communication, la culture est associée à une commission « base de loisirs, sports, culture ». Il existe une commission Culture, qui regroupe l’ensemble des élus de l’agglomération, mais il y a un décalage total entre les intentions, affichées ou non, et le vécu des habitants. Si on demande à des habitants de Toulouse Métropole ce qu’est la Communauté urbaine et ce qu’elle fait, ils n’ont pas d’idée précise sur cette entité et son rôle – mis à part la responsabilité des travaux actuels liés au tramway. Ils vivent encore à l’heure du territoire communal. Cela se ressent donc dans les représentations des habitants, mais également dans les déplacements des élus sur les propositions. Patrice de Benedetti Il y a une carte que nous dégainons à des moments stratégiques et qui peut débloquer des situations : c’est la restitution, le temps fort où nous montrons ce que nous avons fait en immersion. Car nous sommes présents tous les jours sur le terrain, mais les élus ne l’entendent pas forcément. Nous sommes en lien avec les habitants et, au bout de trois jours, nous connaissons toute la rue, les ronds-points, et même les éboueurs qui nous disent bonjour… La restitution est tout de même un moment fédérateur, un temps fort de mobilisation où nous parvenons à toucher les élus. Céline Blanché Cela pose toujours la question de la visibilité, du retour sur investissement de chaque commune. Il ne s’agit pas ici de présenter un tableau découragé, mais il est vrai que cela exige de la patience et une inscription au long cours. Au terme de ces différents opus (nous allons commencer le septième

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cette année), une sorte de sédimentation s’opère, à partir de la connaissance que nous parvenons à avoir des différentes villes participantes. Anne Gonon Comme nous l’avons dit hier, il existe des intercommunalités qui n’ont pas choisi la compétence Culture et ne l’exercent pas ; d’autres la prennent sans l’exercer, et une troisième catégorie la prend et l’exerce effectivement. Après Toulouse Métropole, je propose que nous traversions la France du Sud au Nord, direction Vieux Condé. Delphine Duong et Clotilde Fayolle travaillent au Boulon, Centre national des arts de la rue en préfiguration. Vous avez mené divers projets au niveau de l’intercommunalité et aussi de la pluri-communalité, donc à des échelles différentes selon les cas. Delphine Duong, assistante de direction du Boulon (Vieux Condé) Le Boulon est une structure de diffusion et de production des arts de la rue, située à Vieux Condé, dans l’arrondissement du Valenciennois, à 15 km de Valenciennes. Nous sommes très proches de la frontière belge. Le Boulon est implanté dans une ancienne usine fraîchement réhabilitée, au terme de 18 mois de travaux, en 2010 et 2011, sur 4 700 m². Nous développons une saison annuelle Arts de la rue et Arts de la piste, et exerçons une mission de soutien à la création, ainsi que d’accompagnement de pratiques artistiques amateurs. Au 1er mai, nous avons aussi un temps fort de diffusion autour des arts de la rue, le festival des Turbulentes. Les actions décentralisées sont menées en parallèle de ce temps fort. Le festival a été déclaré d’intérêt communautaire en 2003. Suite à cela, durant le week-end précédant le temps fort, nous avons imaginé des actions de décentralisation du festival sur le territoire de notre Communauté d’agglomérations, Valenciennes Métropole – qui n’est pas une métropole non plus. Notre objectif est de parcourir le territoire pendant deux jours, en y amenant une programmation de théâtre de rue et surtout en invitant les gens, sur ces communes, à venir rejoindre le festival à Vieux Condé. Nous avons mené cette action de 2003 à 2011. Puis, le projet s’est un peu essoufflé car nous nous sommes rendu compte que le fait de travailler des « one shot » n’incite pas les habitants concernés par ce temps très et trop court à pousser les portes du Boulon tout au long de l’année. En conséquence, parallèlement à ces actions de décentralisation, nous avons imaginé des projets plus durables. Anne Gonon Vous êtes donc parties d’un constat. Vous avez observé qu’il manquait quelque chose dans le contact avec les gens. Delphine Duong Tout à fait. Les rendez-vous rencontraient un certain succès public, et la fréquentation de ces temps-là ne s’est pas démentie. Mais nous avons eu envie de développer des projets qui invitent les participants à se situer dans une rencontre plus longue avec les équipes. Anne Gonon Pour que l’on comprenne bien, à la différence de l’Usine qui a donné un intitulé, Fin d’interdiction de stationner, qui réapparaît tous les ans (même si des compagnies différentes sont sollicitées chaque année), le Boulon n’a pas donné de nom particulier à son dispositif, qui est constitué de plusieurs projets à inventer à chaque fois en fonction des territoires et des liens que vous avez tissés. Delphine Duong Effectivement. Je parlais de décentralisation du festival baptisé les Turbulentes ; parallèlement, de nombreux projets d’action sont menés, développés notamment dans le cadre de la Politique de la Ville. A partir de 2006, nous avons pu travailler des compagnies comme le groupe Zur, KMK ou la compagnie des Chercheurs d’air, et sur le projet avec la compagnie Entre chien et loup, que nous présentons ce matin avec Camille Perreau. Cette année, nous avons développé un jeu de territoire avec la compagnie Caracol, qui s’est appuyée sur du collectage auprès d’habitants, au cours du premier semestre. Ce temps va déboucher sur la présentation d’un jeu adapté du Memory à la rentrée prochaine. Il s’agit d’aller à la rencontre des habitants pour présenter le jeu avec la compagnie, de façon à rendre le Boulon plus « spectaculaire ». La coopération avec la compagnie Entre chien et loup est vraiment une histoire de rencontre, de sensibilité et de fidélité. Nous avons accueilli Camille Perreau en 2009, pour un temps de résidence autour d’un projet 2, Un état des lieux, qui comportait de nombreuses rencontres avec des femmes du territoire. Nous nous sommes aperçus que beaucoup d’entre elles étaient les femmes d’anciens mineurs ; d’où le désir de mettre un coup de projecteur sur ces femmes vivant dans l’ombre de leur mari. Beaucoup de travaux ont porté sur les mineurs, mais moins sur leurs épouses. Le projet de mémoire de minière Une mine de femmes est né de cette façon. En 2010, la compagnie est venue opérer un collectage de paroles. Douze femmes ont été repérées, grâce à la collaboration avec un partenaire culturel belge et le club Bassin minier uni du Pays de Condé. L’année dernière, le bassin

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minier du Nord-Pas de Calais a été inscrit au patrimoine mondial de l’humanité et le Bassin minier uni travaillait déjà au collectage de paroles dans le cadre de cette reconnaissance. La compagnie a rencontré ces douze femmes, pour les écouter et partager leur témoignage. Il en est sorti l’ouvrage Une mine de femmes, composé à partir d’extraits de la parole de ces femmes. Différentes thématiques sont abordées : l’éducation, les tâches ménagères, les premiers départs en vacances à La Napoule, les bals, etc. Ce collectage de paroles s’est accompagné de photographies de femmes qui se sont prêtées au jeu, des photographies signées Christophe Raynaud de Lage. Nous ne nous sommes pas arrêtés là : à la suite de l’ouvrage, nous avons eu envie de produire une installation-exposition. Anne Gonon Tu as parlé d’un partenaire belge. Vous avez travaillé à une échelle pluri-communalle et transfrontalière. Clotilde Fayolle, administratrice du Boulon C’est vrai. Delphine a parlé de Valenciennes Métropole, Communauté d’agglomérations où nous nous situons, tout au nord, à la frontière belge. Le projet Une mine de femmes est né dans le cadre d’un partenariat Inter-reg, un dispositif de financement européen transfrontalier. Notre partenaire belge est situé juste de l’autre côté de la frontière. En Belgique, les regroupements territoriaux fonctionnent de manière différente : ils regroupent plusieurs communes qui, en elles-mêmes, ont peu d’existence. Du côté français, c’était le Pays de Condé qui était concerné. Anne Gonon Camille, peux-tu nous raconter cette histoire singulière ? Comment t’es-tu approprié ce territoire pluri-communal et transfrontalier ? Camille Perreau, compagnie Entre Chien et Loup J’anime la compagnie Entre chien et loup, dont le travail se situe entre les arts plastiques, les textes et le son. Jusqu’à récemment, nous intervenions dans des lieux plutôt atypiques et, depuis cette année, dans l’espace public. Dans le cadre du travail sonore, très présent dans notre démarche, nous nous sommes souvent appuyés sur la parole de personnes. Une mine de femmes est le premier projet que nous avons identifié comme participatif mais, sur tous nos spectacles, plus d’une soixantaine de personnes ont participé – nous n’avions jamais appelé cela « participatif ». Ce projet a déclenché ensuite un autre type de projet que nous menons depuis 2010, à savoir des « coups de cœur », ou des évidences telles que Une mine de femmes, qui sont souvent des commandes. Nous y poursuivons un travail un peu différent de celui de nos spectacles. Ces projets laissent une trace différente, en l’occurrence des livres ou des installations plastiques. Entre chien et loup est à la fois un bon exemple et un contre-exemple pour le sujet de ce matin. Quand HorsLesMurs m’a proposé de participer à cette rencontre, je me suis posé des questions… Pour être tout à fait honnête, je n’avais jamais pensé à l’intercommunalité ! Après réflexion, j’ai réalisé que, depuis quelques années, notre travail se déroule constamment sur de l’intercommunalité ou de la pluri-communalité. Mais, dans le fond, j’avoue que tout ce que vous avez pu dire sur la dimension politique ne m’intéresse que peu. Chaque projet est situé sur un territoire, que je vois plutôt comme un grand espace de jeu. Ce qui m’excite, c’est d’inviter des gens à s’amuser avec moi dans cet espace. L’important, et l’intérêt, est d’amener des gens vivant les uns à côté des autres à se rencontrer, et de voir ce qui peut s’en dégager modestement sur la durée, à petite échelle, avant de voir ce qui peut se faire à plus grande échelle. Il s’agit d’écrire une histoire commune, comme cela a été dit hier, mais j’ai l’impression qu’il faut souvent commencer par inventer cette histoire. Pour revenir à Une mine de femmes, le projet est vraiment parti d’un coup de cœur. Nous étions à Vieux Condé avec Caroline, mon ancienne collègue, et nous avions interviewé des femmes pour un projet créé en 2009, sur la condition des femmes vivant en Occident. Vieux Condé était notre dernière résidence d’interviews et nous avons remarqué que, parmi le panel de femmes rencontrées, il nous manquait des femmes un peu plus âgées, de plus de soixante ans. Nous en avons donc rencontré un certain nombre et cela a été un choc de prendre conscience de ce qu’avait été la vie de ces femmes. C’est ce qui nous a convaincues de mener un projet ici. Quant à la partie pluri-communale, je l’ai trouvée plutôt intéressante, en ce sens que nous allions avoir affaire à des femmes ayant vécu des choses légèrement différentes. Sur le territoire où nous avons travaillé, six ou sept communes, l’identité culturelle est très forte, et les gens avaient globalement la même vision. C’était cependant très intéressant car, selon les villes, les puits de mine ont fermé à des moments différents ; les femmes n’avaient pas le même âge, trente ans d’écart maximum, et avaient mené concrètement des vies différentes. Au cours de nos projets précédents, nous avons toujours interviewé beaucoup de monde, de trente à soixante personnes, dans le cadre de questionnements courts de type micro-trottoir. Pour Une mine de femmes, nous avions vraiment envie de rencontrer des personnes ; nous savions qu’elles avaient

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été femmes de mineurs, et que c’était ce dont elles allaient parler. En même temps, toutes les questions posées étaient périphériques au sujet, car il s’agissait de les rencontrer, elles, en tant que femmes. Entre autres multiples raisons, le chiffre douze nous semblait être le maximum pouvant être intégré dans le projet, car la rencontre avec chaque femme a duré entre trois et six heures, pour des entretiens franchement longs. Nous nous invitons chez les gens, nous y restons ; du coup, ce qui a participé au choix des personnes (volontaires, cela va de soi), c’est la possibilité que les gens avaient d’ouvrir leur cœur, pour des raisons très diverses. Ce n’est pas la même chose d’interroger quelqu’un par téléphone ou de passer une demi-journée chez lui, d’autant plus que nous sommes revenus quelques semaines plus tard pour les rencontrer une seconde fois avec le photographe. Ce sont des démarches assez intimes, ce qui explique que nous avons, en définitive, choisi assez peu de femmes. Ce qui donne des projets tout à fait autres, assez touchants avec une implication totalement différente. Suite à ce premier livre, nous en avons réalisé d’autres. Ce sont des projets très chronophages, dans la tête et dans le cœur, car on se sent une très grande responsabilité suite à cet échange et à ce que les gens nous confient. D’ailleurs, j’ai maintenant une mamie, Martha, à Vieux Condé, avec laquelle je continue à communiquer et qui m’attendait avec un gâteau, cette année, aux Turbulentes, où je jouais. Ce n’est donc pas que de l’intercommunalité, mais aussi des rapports humains qui se tissent. Delphine Duong Nous avons ensuite imaginé cette exposition itinérante, et nous sommes ravis de montrer, au travers du projet, comment toutes ces histoires singulières aboutissent à une histoire plus universelle, en tout cas partagée sur un territoire. L’exposition voyage, et n’importe quel acteur associatif et/ou culturel peut en faire la demande et l’accueillir sur sa commune. Au second semestre, elle va ainsi voyager dans le Pas-de-Calais. Nous l’avons montrée au siège de la Région, et cela a fait émerger d’autres demandes. C’est bien la preuve que cette culture commune est partagée dans d’autres points du territoire. Camille Perreau Ce qui nous intéresse, en tant qu’artistes, dans ce type de travail, c’est de laisser sur place quelque chose qui va vivre indépendamment de nous. Notre processus implique finalement assez peu de monde, sur le plan intercommunal – cinquante à soixante personnes, à l’échelle de plusieurs communes, c’est très peu. Cependant, il est toujours resté une sorte de témoignage qui circule. La réalisation du livre était aussi pour nous une envie et un challenge, car c’est totalement différent de la conception d’un spectacle. L’exposition était aussi une envie (autour de l’art plastique, que nous maîtrisons davantage), et nous voulions également qu’elle vive sans nous. Depuis 2010, elle tourne et continue à vivre. Je reçois parfois des photos et des messages m’indiquant où elle est. C’est bien, car si nous la gérions nous-mêmes, nous ne pourrions pas être présents sur le territoire de la même façon que vous, tout simplement pour des raisons d’emploi du temps. Anne Gonon Nous avons vu, au niveau de l’Usine, une sorte de convergence entre la Communauté urbaine qui lance un appel et un opérateur qui se saisit du territoire. Pour ce qui concerne les communes avec lesquelles vous travaillez au niveau de l’intercommunalité de Vieux Condé, quelle est la dynamique ? Est-ce vous, en tant qu’opérateur, qui avez été offensif ? Avez-vous été interpellés ? Comment les différentes communes réagissent-elles ? Céline dit que certaines communes s’engagent peut-être par opportunisme, d’autres par conviction. A quoi le processus ressemble-t-il sur votre territoire ? Comment les différents projets s’enchaînent-ils ou en déclenchent-ils d’autres ? Clotilde Fayolle Pour ce qui est des parades Turbulentes, les communes se manifestaient pour accueillir ces parades chaque année. Pour le projet Une mine de femmes, nous avons moins travaillé avec les communes qu’avec les gens, en direct. Aujourd’hui, pour les projets participatifs que nous menons à l’échelle de Valenciennes Métropole, c’est plutôt nous qui décidons de travailler avec telle ou telle commune en fonction du sens de l’action, ainsi que de nos capacités à aller tisser des liens humains, ce qui demande du temps – cela fait partie des grandes difficultés de ces projets. Le temps long est ici très important car il faut vraiment du lien, des relations de confiance ; c’est cela que nous recherchons. Pour Caracol, nous avons décidé de nous concentrer sur le corridor minier, sur les villes qui relient Valenciennes à Vieux Condé et qui terminent la « banane minière » de la carte. Cette année, nous avons l’intention de travailler avec de nouvelles communes, mais en restant attentifs à notre capacité à conduire le projet. Anne Gonon Par quoi la capacité à conduire le projet est-elle limitée, concrètement ?

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Clotilde Fayolle Les moyens humains, le temps... A partir de septembre, nous allons avoir avec nous une personne qui sera plus proche de ces projets, alors que jusqu’à maintenant, nous n’avions personne sur les questions de médiation culturelle. Quant aux financements, les projets menés à l’échelle de l’agglomération sont financés dans le cadre du Contrat Urbain de Cohésion Social (CUCS). Précisons que les parades Turbulentes ont été déclarées d’intérêt communautaire, et c’est de cette façon que nous les avons démarrées. Au départ, Valenciennes Métropole finançait seulement le festival, puis nous avons reçu un financement global pour la réhabilitation du lieu. Camille Perreau En tant qu’artiste, une chose me semble évidente : mener un projet comme Une mine de femmes reposait sur du bouche à oreille, pour rechercher douze personnes. Grâce à plusieurs expériences de projets participatifs menés avec le festival Excentrique, piloté par Culture O Centre, j’ai pu me rendre compte que c’est déjà un projet en soi que de mettre en place le projet ! Quand je mesure le travail accompli pour que je puisse aller travailler avec des gens sur le territoire, cela représente un quart de temps pour deux personnes. Pas seulement pour du travail de bureau, mais aussi pour aller rencontrer des gens, prendre des contacts dans tous les sens… Je trouve cela énorme ! Pour le type de projets que mène Entre chien et loup autour de l’art plastique, dans le cadre du festival Excentrique sur un territoire, nous serions dans l’impossibilité de le faire seuls. Anne Gonon Cela rejoint une constante pointée hier matin : ces projets ne peuvent pas être « hors sol », mais l’implantation demande beaucoup de temps et d’énergie, pour tisser et maintenir le lien, et c’est d’autant plus difficile quand le territoire est grand. Céline Blanché Pour rebondir sur les propos de Camille, nous avons mené cette année Fin d’interdiction de stationner avec le group Berthe, qui a développé un travail avec seulement neuf habitants, à l’occasion de rencontres à leur domicile. Dans ce travail, il y a eu création d’un groupe à part entière, et il s’est véritablement passé quelque chose entre les personnes. La restitution a eu lieu mi-juin. Il ne s’agissait pas de la circulation de public, mais de la circulation et de la rencontre d’habitants, qui se sont revus de manière totalement autonome, sans nous prévenir, ce qui est très bien. En échangeant avec d’autres personnes sur ce type de projet, je me suis aperçue qu’il est capital d’avoir une personne dédiée, et je me demande souvent comment elle parvient à mener à bien sa mission, qui me semble compliquée et requiert une multitude de compétences : la connaissance de terrain, la capacité à maintenir en permanence un lien avec ces différents partenaires, associatifs, et du service culturel, etc. Par ailleurs, je reviens un peu en arrière : je n’ai peut-être pas été assez précise tout à l’heure sur le dispositif de Fin d’interdiction de stationner. C’est l’Usine qui l’a proposé à la Communauté d’agglomérations. Nous évoquons régulièrement, avec Mathieu Maisonneuve, la première présentation de ce projet aux élus et techniciens des communes ; ils étaient éberlués ! Ils ne comprenaient pas le fait même de vouloir travailler à l’échelon intercommunal, ni la volonté d’associer des compagnies qui ne viennent pas du territoire. Le simple fait d’expliquer que nous souhaitions travailler sur un territoire global, mais à des échelles différentes, avec différents types de protagonistes… tout cela les a beaucoup étonnés. Nous le voyons bien à travers le temps dont nous avons eu besoin pour décrire le type de partenaire impliqué dans ce projet. Alors même que le plus intéressant est tout de même ce qui se passe « en vrai », sur le terrain, artistiquement, dans les rencontres, et ensuite sur la durée. Nous avons mené par ailleurs des projets que nous qualifions de « projets de territoire », plutôt que de projets participatifs, car nous estimons, comme Camille, que tout projet de ce type est intrinsèquement participatif, quel que soit le mode d’implication des personnes présentes. Nous les animons avec d’autres acteurs culturels de Toulouse Métropole. Aujourd’hui, au terme de six années de travail au long cours, ce sont les communes, à leur propre échelle, qui nous sollicitent, sur des commandes plus ou moins régulières. C’est donc le mouvement inverse, assez agréable, et c’est ainsi que nous essayons de travailler dans la réciprocité, non seulement avec les artistes que nous invitons, mais aussi avec nos partenaires institutionnels, selon un mouvement d’aller-retour face à des propositions qui peuvent paraître fantasques à certains élus. Remarquons que ces projets de territoire se développent un peu partout en France, et ailleurs. Danielle Bellini, directrice des affaire culturelles de Tremblay en France Je travaille pour un service culturel en région parisienne. J’étais auparavant dans le Val de Marne, et je suis désormais dans une ville nouvelle de Seine Saint-Denis. Je trouve que ce que vous dites sur le temps est très important. On ne peut pas imaginer un travail avec les habitants, ou les partenaires, sans prendre le temps du maillage, de la prise de connaissance, etc. Le point de vue que j’apporte est celui d’un service culturel. Une dimension me paraît essentielle, et vous l’avez abordée : les allers et retours avec le territoire, en particulier pour rester ouvert au fait que les projets peuvent émerger, non des artistes ni des opérateurs, mais des habitants et des associations. On ne s’appuiera donc pas nécessairement au départ sur un projet artistique, mais sur

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une initiative d’habitants. D’où l’intérêt de travailler dans le temps, avec des opérateurs qui sont implantés de façon permanente, et qui réalisent des missions de service public. Ils permettent de mettre en relation des projets d’habitants et des équipes artistiques. On sent bien que les réseaux sont multiples et qu’il est intéressant de travailler sur les questions d’horizontalité. En tant que service culturel, nous attachons de l’importance au fait de travailler avec les partenaires associatifs, les centres sociaux, de partager des espaces sans nécessairement être « surplombants ». Le service culturel n’arrive pas en disant : « Nous avons un super projet pour vous ! » Je trouve essentielles l’interaction et l’écoute, et il ne me semble pas contradictoire que les territoires croisent des propositions artistiques et des projets issus d’habitants. Souvent, répondre à la demande des habitants est considéré comme démagogique mais, en 25 ans d’expérience, j’ai rarement entendu des gens demander tel artiste ou telle comédie musicale à succès. Par exemple, nous avons travaillé avec un comité de travailleurs migrants. Nous nous attendions de leur part à une demande sur l’interculturel, mais ils en ont marre ; ils nous ont en fait demandé à travailler… sur le travail ! Ce qu’il génère en terme de relations sociales. Le thème de l’exploitation les passionnent également. Une autre association nous a interpellés, cette fois sur la question de l’interculturalité. Nous sommes parfois surpris par ce qui émerge du territoire, qui peut être très fécond. Anne Gonon Les questions soulevées sont intrinsèques à des projets de territoire. Ce qui, parfois, ajoute de la complexité au fait de travailler à l’échelon intercommunal, c’est que cette intercommunalité est elle-même en cours de construction. Quand l’artiste demande à l’habitant ce que signifie « habiter là », cela résonne avec l’expression utilisée hier par un des intervenants, qui qualifie l’intercommunalité « d’espace d’hyper-conflit ». Il s’agit de se positionner par rapport à cet espace : où est-on au sein de ce conflit ? Ce que nous avons entendu ce matin va également dans ce sens. L’artiste, pour lequel l’intercommunalité n’a guère de sens, vient toucher, symboliser et interpréter une identité de territoire à travers les endroits qu’il explore et les gens qu’il rencontre ; dans le même temps, il interroge une réalité administrative, juridique et politique, celle des communes et collectivités, et la façon dont les intercommunalités se construisent. On perçoit bien, là, que les artistes et les opérateurs viennent poser des questions et jouent un rôle particulier. Intervention salle L’intercommunalité est une réalité politique qui se met en place depuis un certain nombre d’années sur les communes. Je suis conseillère municipale d’un village de cent habitants, et nous observons que nous perdons toutes les compétences que nous avions auparavant. Mais, selon les territoires, qui se pose la question de l’intercommunalité, en tant que simple citoyen ? Anne Gonon C’est vraisemblablement la raison pour laquelle l’intervention culturelle et artistique apparaît comme une clé de la dimension intercommunale, précisément pour composer ce fameux « roman intercommunal ». On n’attend pas d’un écrivain, et encore moins d’un artiste, qu’ils écrivent ce roman ; il ne faut pas l’écrire, effectivement, mais l’inventer. Je ne pense pas que les élus attendent de leurs habitants qu’ils se disent : « j’habite l’intercommunalité de Toulouse Métropole ». Peut-être en rêvent-ils, mais au-delà, ces territoires sont avant tout des territoires de vie. Certains vont dire : « j’habite Floirac », quand d’autres diront qu’ils habitent Bordeaux, alors qu’ils habitent Floirac, ce qui pose toujours la question du centre et de la périphérie. La ville centre est l’emblème de l’agglomération. Il me semble que les artistes viennent précisément interroger toutes ces dimensions. Quelle existence donne-t-on à l’intercommunalité, au-delà de ce terme un peu barbare ? Camille Perreau En tant qu’artiste, je me pose régulièrement la question : pourquoi est-ce que je fais ça, et pour qui ? J’essaye en tout cas de trouver un sens en me disant que je le fais pour les gens avec qui j’agis, mais pas pour les politiciens, même s’ils financent, qui voudraient entendre dire aux habitants qu’ils sont « Toulousains métropoliens » ou je ne sais quoi. Patrice de Benedetti Pour nous, ce qui est important, et c’est pour cela que nous remplissons les cahiers des charges, c’est de nous retrouver face aux gens, au-delà des intermédiaires, car ce sont eux qui nous intéressent. Céline Blanché Camille a employé tout à l’heure l’expression « aire de jeu ». On parle encore une fois de tout ce que nous, en tant qu’acteurs culturels, nous devons mettre en place. Il y a une nécessité, et il est intéressant de participer à ces échanges, d’une réciprocité avec les partenaires institutionnels. Mais le plus important est que l’aire de jeu que nous proposons aux artistes s’agrandisse. Aujourd’hui, dans le cadre de la mutation de la Communauté urbaine Toulouse Métropole, nous allons déjà mener un projet à l’échelle de cette future métropole, avec d’autres acteurs culturels, en l’occurrence Circa, le

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Pôle national des arts du cirque, sur deux Pays, le Pays d’Auch et celui des Portes de Gascogne, sur la question de la mobilité. Que signifie se mouvoir entre Toulouse et Auch ? Dans ces projections, il est intéressant d’osciller entre un territoire fantasmé (même s’il est administratif) et un territoire vécu au quotidien, par tous les citoyens. Personne n’identifie Toulouse Métropole à part à travers le ramassage des poubelles, etc. Y participer en tant qu’acteur culturel est extrêmement intéressant et pose de très nombreuses questions dans la relation aux institutions, mais au cœur de tout cela, l’aire de jeu que peuvent proposer les artistes, c’est la mise en lien avec les habitants. Delphine Duong A Vieux Condé, il y a deux ans, nous avons développé, avec le collectif de géographie subjective porté par Catherine Jourdan, une carte subjective de la ville, qui s’appuie sur les perceptions que les habitants ont de leur ville. L’année dernière, Valenciennes Métropole s’est emparée de cet outil. Catherine Jourdan travaille actuellement à l’échelle de cinq communes qui seront liées, d’ici peu, par le tramway. C’est une illustration de la manière dont une action, née localement, a des répercussions à une échelle plus large. Intervention salle Nous sommes installés sur une Communauté de communes (et non une Communauté urbaine). Tournefeuille est actuellement en France est une des communes les plus équipées culturellement, et l’Usine s’appuie sur une mairie et des élus très motivés, qui ont promu depuis longtemps la compétence Culture. Notre Communauté de communes, Tarn et Agout, est située à 50 km seulement de Toulouse. Elle regroupe 29 communes, et seulement 50 000 habitants, dont 25 000 résident sur deux grosses communes, alors que certains villages comptent environ 200 habitants. Nous avons été accueillis dans cette Communauté de communes il y a 14 ans. Nous nous sommes installés sur une friche industrielle, avec l’aide de la Communauté, qui a financé une partie de la réhabilitation, ce qui était très osé à l’époque, dans un secteur très rural. Dans ce cadre, convaincre les élus de l’importance de la culture, au même titre que les transports, n’est pas évident. On vit la Communauté de communes au jour le jour, et elle propose de nombreux services : les crèches, les transports, le ramassage des ordures, les médiathèques… Mais pour la culture proprement dite, c’est très difficile, et le travail auprès des élus, pour lesquels la culture n’est vraiment pas une priorité, est d’une toute autre nature qu’à Tournefeuille, où ils sont acquis à la question. Je suis d’ailleurs étonné qu’aucun élu ne soit présent aujourd’hui. Anne Gonon Cette matinée est le deuxième volet d’une rencontre en deux parties. Hier, un élu était présent, sans être représentant d’une Communauté de communes, puisqu’il s’agissait de la Communauté d’agglomérations de Clermont-Ferrand. L’année dernière, nous avons traité du milieu rural et de ses spécificités, ainsi que des questions de la relation aux élus et de la place de la culture en milieu rural – on peut se reporter aux actes de cette rencontre2. Hier, cette différence entre milieux urbain et rural a été également pointée, notamment du point de vue des enjeux. En tout cas, nous avons bien conscience du nombre croissant de projets impliquant les arts de la rue à l’échelle de Communautés de communes. Karine Delorme J’ai été élue à la Culture à Chalon-sur-Saône. Comme je l’ai dit en 2003 et 2001, je crois qu’il y a, à l’heure actuelle, une réelle difficulté pour convaincre les élus, malgré le travail et la conviction des artistes. Une dichotomie totale existe entre le monde des élus, de l’administration (dont la lourdeur est considérable et terrible) et la nécessité de prendre du temps et de la liberté, qui sont pourtant indispensables aujourd’hui. Cela doit certainement passer par une sensibilisation, par la confiance, la liberté de créer, une prise de parole politique extrêmement forte, contrairement à l’épouvantable no man’s land actuel, qu’il soit de droite ou de gauche. Je pense que si l’ on rate l’étape de l’intercommunalité, on ratera la formation et la confiance d’une population vis-à-vis des territoires, comme on a raté la construction européenne. J’attends effectivement des artistes qu’ils posent cette question, et je sais que les deux compagnies présentes aujourd’hui le font de façon admirable. Camille Perreau Cela ne peut être qu’un travail de fond, particulièrement pour les opérateurs. Mais, comme nous sommes dépendants du calendrier politique local, il est remis en jeu tous les six ans, et les choses sont mises en stand by, ou s’arrêtent. Donc, que se passe-t-il ensuite ? Faut-il redémarrer à zéro ? Dans ces conditions, comment travailler sur la durée ? En outre, ce sont des situations un peu absurdes, où nous sommes obligés de négocier avec d’autres que ceux pour lesquels nous travaillons – mais dont ils sont néanmoins les représentants. 2 Le compte rendu est en ligne sur le site de HorsLesMurs, en pdf : http://www.horslesmurs.fr/IMG/pdf/CompteRendu_MilieuRural_juillet2012.pdf

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France Évrard, Centre international des théâtres itinérants (CITI) Je voudrais témoigner d’un projet en cours avec le Parc transfrontalier Scarpe-Escaut, pas loin du Boulon. Les Aventures artistiques sont différents projets transfrontaliers participatifs, où il n’est pas seulement question de collecte, mais où les habitants participent aux créations, et se retrouvent sur scène. En ce moment, nous sommes en train de préparer un projet de charte sur le processus participatif, en vue d’avoir un moyen de communication efficace vis-à-vis des élus, des opérateurs culturels et des artistes. En effet, dans le cadre d’Aventures artistiques, nous nous sommes rendus compte qu’il y a énormément de confusion par rapport aux termes « participatif », « culturel », « médiation »… L’idée a donc germé d’établir une charte sur le participatif ; le chantier va démarrer en septembre, et je vous invite à me contacter pour en savoir plus. Patrice de Benedetti Pour réagir aux propos de Karine Delorme, ils ont résonné à mes oreilles de Marseillais non par rapport à l’intercommunalité, mais par rapport à la question : à quoi sert la culture dans une ville ? J’entendais parler de tramway et de ramassage des poubelles, et c’est vraiment dans ces logiques que nous sommes, à Marseille. Un tramway y a été construit, qui suit le même trajet que le métro, autour du centre ville – on continue à se regarder le nombril. Le tissage qui peut se faire sur un grand territoire tel que Marseille est significatif : on voit comment les élus se servent de la culture, de la même façon que du tramway, ou de tout ce qui peut tisser un lien social. Raphaël Thiers, compagnie Antipodes Notre compagnie intervient aussi dans l’espace public. Ma question porte sur le projet participatif, sur les notions de trace, de mémoire, et d’analyse. On voit bien que ce projet se situe au carrefour du projet artistique, de par la volonté des porteurs de projet, qui animent de façon artistique, et de l’envie de mener ensuite d’autres projets, de valoriser les questions posées. Je me pose la question de la trace, sous un angle innovant. Qu’est-ce qu’une trace ? La personne qui enregistre les voix dispose de quelque chose qu’elle peut « montrer », si je puis dire. Pour la vidéo, je ne sais pas si c’est un outil… Patrice de Benedetti Dans notre projet, il y a une partie de spectacle vivant, mais nous avons utilisé la vidéo sur les trois volets, ainsi qu’une restitution photo, une exposition qui est restée un moment à Colomiers. Nous avons foi en la résonnance, parce que nous sommes là tous les jours, de façon récurrente. Quand on est tous les jours au même endroit, nous savons que la trace reste en mémoire. Et quand nous partons, généralement, les gens viennent nous voir en disant : « Vous partez, et demain, il n’y a plus rien. » Nous avons voulu laisser des photos et nous avons également essayé, via le site Internet de l’Usine, de laisser des traces. C’est effectivement une vraie question, que nous nous sommes posée : nous pratiquons dans le domaine du spectacle vivant, donc que donnons-nous à voir et que laissons-nous derrière ? Raphaël Thiers La notion de trace était-elle intégrée au projet, dès sa conception ? D’autre part, je suis assez étonné : on se situe au niveau de l’intercommunalité, ce qui paraît important (je n’ai cependant pas l’impression qu’il y a davantage de moyens qu’ailleurs), dans ce cadre, y a-t-il aussi des rencontres avec des sociologues, des gens qui raisonnent ? Parce que cela pourrait aussi enrichir la trace, la réflexion… Patrice de Benedetti La démarche de la compagnie est de faire confiance aux gens croisés dans la rue. Nous partons du territoire existant, des trajectoires de gens qui vivent ce territoire au quotidien. Si nous sommes là, nous créons quelque chose qui n’existe pas, et ce que nous créons, nous faisons confiance aux gens pour qu’ils en gardent une trace et la distribuent autour d’eux. C’est une idée qui fait partie des fondements de la compagnie. Finalement, nous ne nous posons pas la question de ce qui reste après notre départ ; nous partageons le moment. Quand nous avons travaillé à Fenouillet, nous nous sommes demandé comment, dans l’espace public, rendre compte des espaces fermés. La vidéo est un très bon outil. Nous n’avons pas pu filmer ces femmes voilées qui apprenaient à lire, mais nous avons pu filmer leurs mains en train d’apprendre à écrire, et nous avons diffusé le film sur la place publique. La trace s’est constituée à ce moment. Camille Perreau Il est plus facile pour moi, en tant que plasticienne, de laisser une trace. Dans le cadre des projets menés avec le festival Excentrique, j’ai remarqué une particularité que j’ai trouvée géniale : nous travaillons des mois pour mettre en place des installations de type land art dans le paysage, qui modifient la perception que les habitants ont de leur commune. L’apothéose de cette expérience a eu lieu l’année dernière dans le village de Néron, où les installations sont restées exposées durant 24 heures, ce qui apparaît comme un phénomène totalement irrationnel par rapport au temps et à l’investissement humain et financier. Mais, justement… c’est génial, car cela déploie la force de ce qui

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a été vu, car l’imaginaire, le souvenir, magnifient ce qui a été fait, du fait de cet aspect éphémère. En tant que danseurs, j’imagine que dans votre travail, c’est la mémoire orale qui restera. Cette mémoire orale, du point de vue historique, est ce qui perdure le plus, même si elle se transforme et que, dans dix ans, les gens ne raconteront certainement pas ce que vous avez fait. Cependant, le souvenir restera. Pour revenir au projet que nous avons mené l’année dernière à Néron, dans le cadre du festival Excentrique, il a été tout à fait éphémère… et très fort. Et l’envie en est sortie d’en garder une trace par le biais d’un livre. Cette fois, ce sont tous les participants qui devaient témoigner du projet. L’idée de ce livre a émané du festival, et j’ai pu constater, sur le terrain, à quel point l’initiative était intelligente et juste. Il a été réalisé par une journaliste, Julie Bordenave, qui est venue régulièrement sur le territoire, pour rencontrer les gens. En lisant le livre, on voit à quel point la perception des participants se modifie à mesure de l’avancement du projet. Ce livre n’est pas seulement une trace de ce qui a été fait, mais du processus de travail commun. Céline Blanché Je ne suis pas sûre qu’il revient aux artistes de se poser la question de la trace. A l’Usine, nous travaillons avec Loran Chourrau et Erik Damiano du collectif de photographes et de vidéastes petit cowboy, qui travaillent sur notre identité graphique, avec une forte place laissée à l’image. Deux d’entre eux, Laurent et Eric, viennent le plus souvent possible pour photographier tout ce que nous proposons à l’Usine, et pas seulement les projets participatifs. Donc, pour nous, la trace va être photographique et vidéo. Pour exploiter ces traces, nous allons faire un livre. Sur le deuxième aspect, quand tu parlais de collaborer avec des sociologues qui s’intéressent à ces questions de territoire et d’intercommunalité, c’est un peu notre rêve. Depuis des années, nous aimerions faire accompagner Fin d’interdiction de stationner par des éclairages de personnes, sous d’autres angles, en apportant une autre matière à la population à laquelle nous avons affaire. Mais c’est aussi une question de moyens. Clotilde Fayolle Nous espérons aussi mener des projets intercommunaux participatifs, car l’important, c’est la trace, au-delà du vécu de cette aventure collective. Nous voyons, à Vieux Condé, comment les gens reviennent vers nous suite à ces aventures collectives, et avec quelle force l’aventure collective parvient à nouer des liens. Pour nous, opérateurs, la trace est aussi dans la volonté de mettre à disposition la carte de géographie subjective, ou le jeu produit avec Caracol, par exemple, pour partager des objets communs, qui vont vivre par ailleurs. Ainsi, la carte de géographie subjective peut vivre auprès des élus, auprès des aménageurs. Comme le livre Une mine de femmes vit dans l’imaginaire des femmes qui l’ont acheté suite à un article dans la presse. D’où l’importance de la trace… Véronique Ejnès, La Ville est un théâtre (Strasbourg) Voilà trois ans que je travaille avec une sociologue qui enseigne à l’école d’architecture de Strasbourg, et nous concevons des projets ensemble. Nous travaillons sur un quartier qui ne relève pas du tout de la Politique de la Ville, ce qui pose quelques questions de moyens humains, financiers, et de travail dans la durée. Nous menons un travail participatif avec les habitants, en lien avec des artistes qui transfigurent et métamorphosent des textes d’habitants qui sont à la fois des fictions et des témoignages. Dans le cadre du travail avec cette sociologue, qui travaille sur la sociologie urbaine, nous avons participé à l’Atelier urbain, qui se tient à Strasbourg et envisage avec les habitants la construction de leur ville dans le futur, et son extension vers l’est, vers l’Allemagne. A l’occasion d’une rencontre avec les participants de cet atelier urbain, nous avons travaillé sur le quartier de l’Esplanade, construit dans les années 1970, et nous avons imaginé un projet à partir d’une fiction créée par les participants de l’atelier, qui dit que le quartier est, pour moitié un échec et pour moitié une réussite. J’ai proposé qu’une appropriation plus fine soit travaillée, et, au mois de juin, la sociologue a soumis aux participants de l’atelier un questionnaire très ouvert sur la façon dont ils perçoivent leur quartier. Au mois d’octobre, nous avons lancé le projet d’appréhension sensible du quartier. Nous avions recruté des guides dans le quartier, en leur demandant de nous emmener dans des endroits privés ou publics, qu’ils considéraient comme relevant du « chez eux », du territoire de l’intime (ce pouvait être chez eux, là où ils avaient travaillé, etc.) et nous avons proposé aux participants de l’atelier urbain une visite, avec ces guides, dans ces lieux qu’ils avaient choisis, pour témoigner de leur histoire. Ensuite, il y a eu d’autres propositions d’artistes dans l’espace public ; puis, nous avons procédé à une sorte de débriefing pour voir en quoi un parcours sensible, avec des habitants guides et des artistes, pouvait modifier la perception des lieux. C’était vraiment très intéressant. Le fait de travailler avec des spécialistes des sciences humaines permet de regarder de façon distnaciée ce que l’on fait en tant qu’artiste ou opérateur culturel. L’idée est d’accompagner ce travail sur d’autres quartiers, avec cette double inscription dans l’espace : à la fois inscription artistique, de médiation culturelle, et de réflexion / mise à distance avec cette sociologue.

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Laurent Bordereau, domaine départemental de Chamarande (Essonne) Je suis assez d’accord avec le propos de Camille : le point d’ancrage est vraiment le temps long. En tant qu’opérateurs culturels, il nous faut pouvoir donner ce temps long. On a évoqué le temps politique, mais c’est peut-être à nous de le shunter pour inventer un autre temps plus long et proposer son appropriation par les habitants, par les enfants, les élèves – on parle beaucoup d’éducation active et d’enfants en difficulté. Dans les milieux ruraux, on prend du temps pour les connaître et cela ne se fait pas en cinq minutes. Avec un enfant en difficulté, vous prenez du temps. On parle d’appropriation et je pense que ce terme a tout son sens. En tant qu’opérateurs culturels, il faut que nous donnions du temps aux artistes. Ainsi, à Chamarande, nous proposons une résidence d’écrivains sur deux ans. Souvent, nous sommes pris en otage par un festival, car il faut que la résidence puisse apparaître sur le festival. A un moment de notre saison, nous devons rendre lisible un travail d’appropriation… Nous avons pris le parti de casser tout cela en disant : si ce n’est pas demain, ce sera après-demain, et si ce n’est pas cette année, ce sera l’année prochaine. En tout état de cause, je pense que c’est à nous d’inventer le temps long. Marion Franquet, festival Excentrique, Culture O Centre En deux mots, je reviens sur la question de la trace des projets participatifs, Camille a évoqué le livre sur Néron, mais aussi la trace des projets culturels et des structures qui les portent. En fait, le rêve dont parlait Céline, nous l’avons réalisé, avec Anne Gonon. Nous avons travaillé avec elle pendant deux ans sur cette question de la trace, afin de mettre à distance à la fois le contenu du projet et sa mise en œuvre (avec les questions du temps, des moyens humains, etc.). Cette mise à distance a été bénéfique pour nous et, quant à l’identification des destinataires, le livre est destiné à tous les participants, mais aussi aux opérateurs locaux et à tous les gens qui s’intéressent un peu à ce type de projet. Le livre s’intitule Bienvenue chez vous ! Culture O Centre, aménageur culturel de territoire et est sorti, début juillet, aux éditions l’Attribut.