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Lachemi SIAGH L’ISLAM et le monde des affaires Argent, éthique et gouvernance Éditions d’Organisation, 2003 ISBN : 2-7081-2939-2

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Lachemi SIAGH

L’ISLAMet le monde des affaires

Argent, éthique et gouvernance

Éditions d’Organisation, 2003ISBN : 2-7081-2939-2

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Les banques islamiques face à la concurrence

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Banques classiques versus banques islamiques

Le portefeuille de produits

Si l’on examine la structure du portefeuille des banquesclassiques et des banques islamiques, on constate queces dernières engagent de façon directe relativementplus de ressources que les banques classiques dans lestransactions économiques et commerciales. Les ban-ques commerciales canalisent de plus en plus de res-sources vers l’acquisition de bons du trésor et d’autresobligations gouvernementales qui génèrent un taux derendement élevé, représentent peu de risques ets’accompagnent d’avantages fiscaux importants. Dansle cas de la Turquie par exemple au moment où les ban-ques islamiques allouent 80 à 85 % de leurs actifs à desactivités productives, les banques classiques n’en affec-tent que 40 %. On remarque aussi que dans les paysmusulmans, les firmes réduisent de plus en plus leurdépendance vis-à-vis des banques classiques en recou-rant aux opérations de Murabaha, les substituant auxlignes de crédit coûteuses que les banques classiquesmettent à leur disposition pour financer leur fonds deroulement. Les opérations dites Ijara ou leasing offertespar les banques islamiques permettent de leur côté auxfirmes de financer leurs opérations hors bilan.

Dans le système bancaire classique, le rôle d’une ban-que est de collecter des fonds et de les utiliser pour desopérations de prêt, généralement à long terme, c’est-à-dire pour opérer l’intermédiation financière. La banquetire ses revenus en jouant sur les taux d’intérêt crédi-teurs et débiteurs. Contrairement à la banque islamique,

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elle ne se livre pas à des transactions commerciales,industrielles ou agricoles.

La relation avec les clients

La banque islamique collecte les fonds des épargnantscomme la banque classique, qu’elle emploiera dansdiverses opérations. Mais, comme le recours à l’intérêtest interdit, ces opérations seront fondées sur le principede la participation ou celui du partage des pertes et desprofits (3P). Dans la philosophie des banques islami-ques, les clients sont des partenaires. S’ils sont des« déposants » rémunérés, ils doivent accepter de parta-ger les risques des activités financées par les dépôts.S’ils sont « emprunteurs », la banque leur avance desfonds et se trouve de ce fait partenaire dans leurs activi-tés.

Lorsqu’elle s’engage dans un processus d’allocation deressource (dépôts des clients), la banque islamique agitcomme fiduciaire des déposants en même temps queprincipal vis-à-vis des entrepreneurs actifs à qui elleavance les fonds nécessaires au démarrage d’un projet(Moucharaka). Elle a donc une relation contractuelledouble.

De cette relation contractuelle double découlent desconflits d’intérêt où c’est la banque qui est avantagée.En effet les déposants tout en assumant la totalité desrisques payent des frais de gestion à la banque. La ban-que ne leur assure pas un revenu fixe sur leurs dépôtscomme le ferait une banque classique mais s’engage àleur verser une part du profit réalisé ou à défaut à lesdébiter d’une part des pertes encourues le cas échéant.De plus les déposants ne bénéficient d’aucune assu-rance contre leurs dépôts et n’ont aucun droit de regarddirect sur les choix d’investissements faits par la ban-

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que. Les entrepreneurs, qui sont en même temps agentset partenaires, recevront une part des profits, selon unpourcentage arrêté de façon contractuelle. Si le projetessuie des pertes, seuls le banquier et en dernière ana-lyse les déposants les assument. Le risque de l’entrepre-neur se limite à la perte de son temps et de son effort.Dans la relation d’agence qui doit s’établir entre la ban-que et son agent, le choix de l’entrepreneur est donccrucial. Pour assurer un certain contrôle sur les activitésdu projet, la banque qui est actionnaire insiste toujourspour avoir un siège au conseil d’administration en plusd’imposer certains ratios comptables (covenants) enmatière de gestion, le cas échéant. Cette situation estd’autant plus difficile, voire normalement inacceptable,pour les déposants que la banque ne semble avoiraucun pouvoir de gouvernance réel sur les dirigeantsdes firmes où elle investit.

Tout comme dans le système bancaire allemand, cesinvestisseurs (déposants) ne sont pas des actionnaires àproprement parler et de ce fait n’ont aucun droit devote. La banque islamique est l’actionnaire détenant lecontrôle des fonds et compagnies d’investissement.C’est la banque qui à travers ces fonds a droit de regardsur les entreprises où ces fonds mutuels investissent.Les investisseurs (déposants) n’en ont aucun contrôle.

Les relations avec les entreprises et leurs dirigeants

Il convient de remarquer que, contrairement aux ban-ques allemandes, les banques islamiques n’en sontencore qu’à leur début et ne sont pas encore arrivées àun stade où elles peuvent avoir une position de contrôledans les grandes entreprises. Elles se trouvent encoreelles-mêmes dans une phase d’accumulation de capital.

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Bien que les banques détiennent souvent un siège auconseil d’administration dans les compagnies où ellesinvestissent (Mucharaka) on ne peut pas dire que lepouvoir de gouvernance dans les firmes soit concentré,comme en Allemagne, entre les mains des hauts diri-geants des banques. C’est pour cela que la grande majo-rité des opérations des banques islamiques estconcentrée dans des transactions de type Murabaha àcourt terme.

Les banques islamiques n’étant pas prêteuses, au sensclassique du terme, n’ont aucun moyen de disciplinerles dirigeants des firmes en tant que créancier comme leferait une banque commerciale. Celle-ci se doit d’inter-venir, par exemple, lorsque des indicateurs de défaut depaiement d’un prêt apparaissent. Les banques islami-ques pour leur part ne peuvent intervenir qu’en tantqu’actionnaire par le truchement de leur présence auconseil d’administration. Reste à savoir si cette présenceconduit, en cas de besoin, à des changements au niveaude l’équipe de direction de la firme. Il ne semble, donc,pas aisé pour les banques islamiques d’avoir uneinfluence décisive sur la gouvernance des entreprises.

La banque, partenaire silencieux, qui va s’entendre avecun entrepreneur actif s’engage moins dans un partena-riat que dans une relation de confiance. Si l’entrepre-neur ne possède pas le capital, il a tout de même leplein contrôle sur l’activité de l’entreprise. Les proprié-taires ont peu ou pas du tout d’influence sur la directionque prend la firme, malgré leur représentation au con-seil d’administration. Celui-ci joue rarement un rôle trèsactif dans la gestion de la firme.

Grâce aux indicateurs financiers, la banque islamiquepeut en principe intervenir par le biais de sa représenta-tion au conseil d’administration mais on ne connaît pasla véritable capacité des banques à discipliner les hauts

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dirigeants des entreprises. Les banques ne semblent pasêtre les garants de la gouvernance d’entreprise. Elles nesemblent pas être équipées pour jouer un rôle de sur-veillance des hauts dirigeants des firmes. Étant donné ladiversité des activités économiques dans laquelle lesbanques islamiques investissent (industrie, agriculture,information, tourisme, etc.) on peut se poser des ques-tions quant à leur pouvoir effectif d’influencer de façonefficace la gouvernance des firmes. Les banques islami-ques sont loin d’atteindre la concentration de pouvoirdont jouissent les banques allemandes ou japonaises.

Le problème qui se pose c’est donc de savoir commentcontrôler les dirigeants qui détiennent les pleins pou-voirs. Peut-on utiliser les moyens classiques que sont ladette, l’utilisation de plans d’incitatifs explicites, les for-ces persuasives du marché du travail, du marché descapitaux, du marché des produits ?

D’aucuns considèrent la dette comme un moyen de lierles dirigeants. Avec le spectre de la faillite, la dette forceles dirigeants à agir d’une manière plus conforme auxintérêts des actionnaires. Ce schéma suppose bienentendu que les dirigeants ne détiennent pas d’actions.

Dans un contexte islamique, cependant, certaines nuan-ces sont de mise.

• Les marchés financiers dans les pays islamiquesne sont pas très développés et encore moins lesmarchés pour le contrôle corporatif.

• Le financement par voie de dette est supposé êtreprohibé, puisque tout financement doit se fairepar voie de capital ou sous d’autres formesexcluant l’intérêt, telle le leasing ou la Mouda-raba. Par voie de conséquence, il est difficile deparler d’une structure de capital optimale dans uncontexte islamique, vu l’inexistence d’emprunt.

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• Les voies de financement sur ressources propreset par le capital qu’empruntent les institutionsislamiques semblent aller à l’encontre de la ten-dance générale où le financement par le capitalest en déclin et le financement des projets par ladette en plein essor.

• Les entreprises avec une structure de capital sansdette sont, en général, protégées contre lesabsorptions ou « take overs » et les prédateurséventuels.

Le concept des banques islamiques, leur fonctionne-ment et la doctrine économique qui les sous-tend sontencore mal connus et peu ou pas étudiés. Les con-traintes majeures que leur impose l’environnementintangible dans lequel elles opèrent, les désavantagentpar rapport aux banques classiques établies de longuedate. Ces dernières disposent de grands avantages22

sur les banques islamiques comme le mentionneV. NIENHAUS de l’université de Bochum en Allemagne :

« Les banques de type occidental ont l’avantage d’unnom établi, d’économies d’échelle, d’une plus grandeexpérience des produits financiers et des standardscomptables acceptés. »

Cependant, on constate que dans un contexte où leschéma classique de transformation des dépôts en prêtsest en train de perdre du terrain, les banques islamiquesont une longueur d’avance sur les banques classiquesdans les pays musulmans en matière de titrisation et destructuration de produits de même nature aux investis-seurs (déposants).

22. Reuter, 26 oct. 1994.

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Les profits distribués

L’avantage des banques islamiques réside dans le faitqu’en plus de la satisfaction que retirent les clients surle plan religieux, les profits distribués ont toujours étéau moins égaux aux intérêts que reçoivent les déposantsdes banques classiques pour des montants similaires.

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Concurrence ou complémentarité ?

Collecte des dépôts

Les banques islamiques de détail et les banques conven-tionnelles qu’elles soient locales dans les pays musul-mans ou occidentales sont sans aucun doute enconcurrence directe en ce qui a trait à la collecte desdépôts.

Cependant les banques islamiques d’investissement ontvu le jour pour, entre autres, éponger et placer les liqui-dités sur le marché. En plus de ces banques d’investis-sement, des fenêtres islamiques sont également venuess’ouvrir au sein des banques classiques en Europe etdans le monde arabo-islamique comme Goldman Sachs& Co, Dresdner Bank AG, Kleinworth Benson, RobertFlemming & Co, ABN AMRO, Citibank, HSBC, ANZ, Bar-clays, Saudi International Bank, Al Rajhi Banking andInvestment Corp., etc.

Selon un banquier islamique :

« Beaucoup de banques occidentales ouvrent desfenêtres islamiques. Elles ont vu une opportunité pourattirer des fonds et elles ont les actifs qu’elles peuventstructurer conformément à la Chari’a pour les attirer.Elles ont l’expertise technique pour cela. »

Mobilisation des actifs

Dans ce contexte les banques islamiques, de détail oud’investissement, travaillent étroitement avec les fenê-tres islamiques ouvertes par les banques classiquesoccidentales.

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Les premières sont les clientes des banques d’investisse-ment et des fenêtres islamiques qui génèrent ou structu-rent les actifs pour elles. Les fenêtres islamiques desbanques occidentales génèrent grâce au réseau étendude leur maison mère respective les actifs nécessaires quifont défaut aux banques islamiques confrontées à latâche de trouver emploi à leurs ressources.

ADERRAHMAN AL BAQER, responsable du service de lasupervision des institutions financières à la BahrainMonetary Authority, nous confiait :

« Il y a quatre ans une dame qui était en charge dela fenêtre islamique de Kleinworth Benson m’avaitlaissé entendre qu’elle avait douze banques islami-ques comme clients avec un volume d’affaires de3,2 milliards de dollars américains dont 90 % étaitinvesti dans des matières premières (commodities). »

Fenêtres islamiques

De l’avis de certains banquiers, il n’y a pas de concur-rence entre les banques islamiques et les banques occi-dentales, la concurrence existe en fait entre les banquesoccidentales qui ont mis en place des fenêtres islami-ques.

Selon la revue mensuelle de la chambre de commerceAnglo-Arabe, les banques classiques étaient sceptiquesau départ à propos d’un système bancaire dont les prin-cipes directeurs reposent sur l’éthique et les valeurs reli-gieuses. Cependant, plusieurs banques occidentalesenvisagent l’établissement de leur propre structure ban-caire islamique. Attirées par un potentiel de croissanceénorme, elles espèrent utiliser leur expertise afin destructurer des transactions sophistiquées en vue de

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générer des solutions originales aux défis que pose cettenouvelle industrie.

Si les banques islamiques d’investissement sont structu-rées et opèrent conformément à la Chari’a, par contre,les fenêtres islamiques sont actuellement très controver-sées.

Certains les considèrent simplement comme un moyend’attirer les capitaux islamiques et que leurs promoteursn’ont aucun engagement vis-à-vis de la religion musul-mane ou envers la communauté des clients musulmans.Ils les considèrent comme responsables d’une concur-rence déloyale. D’autres au contraire considèrent lafenêtre islamique simplement comme une étape vers lacréation d’une banque islamique, le temps de se fami-liariser avec le concept et développer une masse d’affai-res critique qui rende l’opération viable. Ce futl’approche de Citibank et de l’ABC.

Diversification des sources de financement et opérations mixtes

À vrai dire les banques classiques et les banques islami-ques se trouvent sur des voies parallèles et ont très peude chances de rentrer en confrontation. Chaque catégo-rie cherche à satisfaire une clientèle qui lui est propre.Cependant pour des considérations de diversification derisque, de capacité, de différence de développement etde sophistication il existe d’énormes possibilités decomplémentarité entre les deux catégories de banque.

On retrouve de plus en plus, dans le cadre de grandsprojets mobilisant des montants considérables, des tran-ches islamiques à côté des financements classiques. Ils’avère fréquemment que pour assurer le succès desmontages financiers de leurs projets les promoteurs font

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appel aux deux catégories de financement, classique etislamique.

Pour un grand nombre d’entreprises occidentales lefinancement islamique constitue une nouvelle sourcesubstantielle et fiable de diversification des ressourcesfinancières. Les grands projets exigent des montants definancements substantiels. À cet égard deux méthodesprincipales de financement islamique sont utilisées :Ijara wa Iktina pour ce qui est des opérations impli-quant de la dette et la Musharaka pour ce qui est desopérations impliquant du capital.

Exemple

Ainsi en 2001 le gouvernement de Bahreïn avait signédeux accords de prêts mixés de 255 millions de dollarspour financer l’expansion de la centrale électrique de700 MW et l’usine de déssalement d’eau d’Al Hidd. Lefinancement comprend un prêt de 200 millions de dol-lars garanti par l’agence officielle d’assurances créditsuisse ERG et une tranche islamique du type Ijara.L’agent de la première tranche est BNP-Paribas (Suisse) etl’agent pour la deuxième tranche est HSBC AmanahFinance.

De même l’an dernier la compagnie aérienne« Emirates » de Dubai s’est vu décerné la distinction de« l’opération de leasing d’avion de l’année » par Jane’sTransport Magazine pour avoir innové en réalisant pourla première fois une opération financière mixée impli-quant un financement islamique partiel de 10 ans com-biné avec un crédit export arrangés par l’équipe desfinancements structurés de la banque HSBC à HongKong, HSBC Amanah Finance et la Banque Islamique de

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Dubai. Cette dernière agissant à titre de conseiller pourle montage islamique.

Les financements islamiques ne sont pas seulement uti-lisés dans des transactions d’échanges commerciaux oud’infrastructure mais également dans des projets dehaute technologie.

Exemple

Ainsi La compagnie nationale de télécomunication desÉmirats arabes unis avait commandé et lancé le satelliteThuraya il y a un peu plus de deux ans. Ce satellite a étéconstruit par la compagnie américaine Hughes. Le prêtd’un montant de 600 millions de dollars comprend unetranche conventionnelle impliquant ANZ, Société Géné-rale et Union National Bank et une tranche islamique de100 millions de dollars. La clause pari pasu s’applique àla tranche islamique. La banque Islamique d’Abu Dhabiqui a monté la tranche islamique retient le titre de pro-priété de la station terrestre du projet ce qui lui permetde recevoir un loyer plutôt qu’un montant d’intérêt puis-que ce dernier est prohibé par la Chari’a. Cependantdans le cas où le projet rencontre de sérieuses difficultésla propriété de la station terrestre sera transférée à unpool qui regroupera tous les autres actifs de la société.Ces actifs seront partagés au prorata entre les différentsbailleurs de fonds conformément à la clause pari pasu.

En 1996 un prêt de 1,2 milliard de dollars pour financerle projet Equate dans l’État du Koweit a été syndiqué. Cecomplexe qui produit de l’éthyléne, du polyéthylène etdu glucol d’éthylène est d’une valeur de 2 milliards dedollars. Il est sponsorisé par la Compagnie des industriespétrochimiques koweïtienne Petrochemical IndustriesCompany (PIC) et Union Carbide Corporation (UCC) des

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États-Unis. C’est probablement le premier prêt qui aimpliqué une tranche islamique importante. En effet àcôté du financement conventionnel on trouve une tran-che islamique. Le financement se compose d’une tran-che domestique de 500 millions de dollars couvertepar les banques koweitiennes et d’une tranche de700 millions de dollars couverte par les banquesrégionales et internationales. La tranche domestiquecomprend une portion islamique de 200 millions de dol-lars.

Une année plus tard ce prêt a été refinancé en vue deréduire les marges et encore une fois une tranche islami-que de 200 millions de dollars a été couverte par laKuwait Finance House.

De la même manière l’extension de l’aluminerie de l’Étatde Bahreïn qui commencera cette année et qui impli-quera un financement de 1,5 milliard de dollars com-prendra une tranche islamique de 250 millions dedollars à côté du reste qui sera couvert par des finance-ments émanant d’agences occidentales d’assurances cré-dit et de banques régionales et internationales. Lesbanques islamiques qui avaient soumis une offre sontABC Islamic Bank, Dubai Islamic Bank, Shamil Bank,GIB et Kuwait Finance House.

Par ailleurs et sur un autre plan, la dernière émissiond’obligations islamiques souveraines (Soukouk) à hau-teur de 600 millions de dollars lancée en 2002 par l’Étatde Malaisie ont suscité un très grand intérêt tant de lapart d’investisseurs musulmans du Golfe que conven-tionnels d’Asie, d’Europe et d’Amérique. Ces obligationsont été notés Baa2 (positif) par Moody’s et BBB (positif)par Standard & Poor’s. Elles avaient été listées à la boursedu Luxembourg et à Lubuan International FinancialExchange (LFX) la bourse de Malaisie. La Malaisie a aucours des trois dernières années mobilisé plus de deux

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milliards de dollars grâce à ce type d’obligation. Le pro-duit de ces obligations sert à financer des projets.

Devant l’ampleur et les besoins financiers générés parles grands projets les banques islamiques sont, en l’étatactuel des choses, incapables de faire face à lademande. Un moyen d’y faire face serait le recours auxfusions.

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Une nécessaire consolidation pour affronter la concurrence

Si pour le moment certains pensent qu’il n’y a pasvéritablement de concurrence entre les banques islami-ques et les banques occidentales et que la concurrencese situe en fait au niveau des banques occidentales quiont mis en place des fenêtres islamiques, cette situationchangera inéluctablement avec l’acceptation sur le planinternational du concept de la finance islamique.

Le problème de la sous-capitalisation

Les banques islamiques qui sont sous-capitalisées nesoutiendraient pas à l’avenir une concurrence rude de lapart des banques classiques.

Selon les recherches effectuées par Capital Intelligenceune agence de cotation basée à Chypre et qui publiemaintenant des cotations de plusieurs banques islami-ques :

« Malgré ses inconvénients, le système bancaire isla-mique gagne progressivement en crédibilité. Il joueun rôle important dans le développement de plu-sieurs pays du Golfe et jouit d’une acceptation pluslarge sur les marchés internationaux. »23

Cette acceptation plus large attire avec elle de nouveauxacteurs occidentaux qui fragilisent la position concur-rentielle des banques islamiques.

Selon Arab British Trade un mensuel de la chambre decommerce arabo-britannique :

23. Financial Times, 16 mars 1999.

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« Londres est en train de devenir un centre de tran-sactions impliquant des instruments financiers islami-ques arrangés par ANZ Grindlays, CitibankInternational, Kleinwort Benson, Saudi InternationalBank et Al Rajhi Banking and Investment Corp. enplus du groupe Dallah Al Baraka et de la United Bankof Kuwait, qui disposent de compagnies d’investisse-ment à Londres. »24

Le grand groupe bancaire HSBC avait lui aussi créé enjuillet 1998 une structure bancaire islamique (HSBC Glo-bal Islamic Finance Unit).

IQBAL KHAN, à la tête de cette structure déclarait :

« HSBC voit dans le système bancaire islamique unmarché qui croît extrêmement vite juste après lesmarchés de capitaux et les financements d’infrastruc-tures… Notre structure islamique à HSBC espèrejouer un rôle dans le développement de l’industriebancaire islamique. »25

La position des autorités monétaires britanniques quiavaient en 1993 retiré la licence de la banque islamiqueAl-Baraka à Londres a de son côté évolué. En effet laFinancial Services Authority (FSA) qui est régulateurfinancier de Londres a convié les membres de la com-munauté bancaire islamique à une réunion le 8 septem-bre 1999.

À cette occasion un membre de la FSA avait déclaré :

« Il n’y a rien dans la loi bancaire qui empêche unebanque islamique d’avoir une licence… Certainsdomaines pourraient être problématiques, comme la

24. Gulf News du 27 février 1996.25. MEED, 31 juillet 1998.

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question des réserves relatives aux dépôts et le rôledu comité de la Chari’a au sein du management maisil n’y a rien qui empêche la résolution de cesquestions. »26

Cela est indéniablement un changement de direction dela part de la FSA qui auparavant avait déclaré que cesdeux problèmes en particulier étaient insurmontables.En effet EDDIE GEORGE, gouverneur de la banqued’Angleterre, avait alors souligné les difficultés de trou-ver des moyens satisfaisants permettant d’inclure lesprincipes bancaires tant occidentaux qu’islamiques ausein d’une structure réglementaire unique. L’un desprincipaux problèmes selon lui est de savoir commentclassifier les fonds islamiques dans le cadre légal britan-nique.

L’entrée en force des banques occidentales dans la finance islamique

En définitive devant l’entrée en force des banques occi-dentales dans la finance islamique les banques islami-ques restent encore renfermées sur elles-mêmes. Ellesdoivent se réinventer si elles veulent survivre. Privilé-gier la formation et le développement humain et faireface à la complexité technique découlant du développe-ment de nouveaux produits répondant aux exigencesreligieuses sont pour elles la voie du succès.

26. MEED, 24 sept. 1999.

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Une question de survie

Le système bancaire islamique est arrivé à un pointd’inflexion majeur dans sa courte histoire en tant quenouvel intermédiaire financier. C’est une question demarginalisation éventuelle voire de survie.

L’innovation, le marketing, l’investissement dans leshommes et les fusions sont donc essentiels pour la sur-vie des banques islamiques. La survie dans un mondeen changement nécessite des stratégies adaptées et desplans d’affaires bien étudiés

L’innovation et le marketing sont deux choses fonda-mentales parce qu’à l’avenir les banques islamiquesverront les banques conventionnelles s’ériger enconcurrents. Les barrières à l’entrée sont très basses euégard aux multitudes de fenêtres islamiques qu’ouvrentles banques conventionnelles et au nombre de fondsislamiques que mettent en place et gèrent les banquesclassiques ainsi que les compagnies d’investissement etde courtage. Selon ATIF ABDULMALIK, président de FirstIslamic Bank :

« Les banques islamiques doivent s’éloigner du syn-drome risque faible, rendement faible et offrir desproduits et des services équivalents à ceux des ban-ques conventionnelles… Nous devons aller au-delàdes produits de Mourabaha à bas rendement et offrirdes produits et services diversifiés qui couvrent toutela gamme de profils de risques. Les banques islami-ques doivent faire la distinction entre les affaires et lesobjectifs sociaux et éviter d’expliquer leur mauvaiseperformance par l’engagement à la réalisation desobjectifs sociaux. »27

27. Gulf Daily News, 7 déc. 1999.

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L’industrie bancaire islamique a connu une progressionnaturelle de la banque de détail à la banque de gros,puis à la banque d’investissement et enfin à la banqueprivée. Ce phénomène est dû à deux facteursprincipaux :

• Une classe moyenne croissante qui reconnaîtl’importance de l’épargne.

• La sophistication croissante de l’industrie ban-caire islamique dans ses efforts à satisfaire lesbesoins des investisseurs qui désirent avoir leursactifs gérés conformément à la Chari’a.

La concurrence croissante entre les banques islamiquesa fait que les déposants exigent des rendements tou-jours plus grands. Cela pousse les banques islamiques àrechercher des transactions générant de hauts rende-ments qui nécessitent des investissements à long terme.Cette situation a pour effet de créer un manque d’appa-riement (mismatch) entre les investissements à longterme et les dépôts à court terme que la banque ne peutrésoudre.

Le handicap des besoins de liquidités

Un autre problème majeur auquel font face les banquesislamiques dans leur processus de développement, c’estle manque de moyens de gérer leurs besoins en liquiditéquotidienne. La faiblesse de leur capital est aussi unimportant handicap qui compromet leur pouvoir com-pétitif en matière de financement de grands projets.Bien que les banques islamiques puissent avoir recoursà la syndication cela ne peut être qu’une solution àcourt terme. Elles doivent augmenter leur capital oufusionner. Il n’y a pas d’autres solutions.

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Le coup d’envoi de la consolidation

Dallah Albaraka, l’un des plus grands groupes d’inves-tissement et de commerce en Arabie Saoudite qui con-trôle 23 banques et une multitude de compagniesd’investissement à travers le monde, a donné le coupd’envoi à la consolidation dans l’industrie.

Albaraka a établi à Bahreïn à la fin de l’année 1999 unholding, Albaraka Banking Group, regroupant la moitiédes banques et compagnies d’investissement du groupe.La nouvelle structure non seulement renforcera lemanagement des banques mais créera la synergie néces-saire qui faisait défaut à ce groupe. Avec une capitalisa-tion de 590 millions de dollars, cette nouvelle entité serala troisième plus grande banque islamique avec unebonne diversification géographique en Algérie, enÉgypte, au Liban, en Turquie, en Tunisie et à travers larégion du Golfe. Selon un conseiller du groupe :

« Cela permettra de développer rapidement la capa-cité de générer des transactions au niveau central etde tirer avantage d’un réseau très large pour lesécouler. »28

L’objectif de la restructuration est d’améliorer l’organi-sation, l’efficacité et la performance financière à traversla mise en place d’une stratégie unifiée pour le réseaude banques et compagnies financières particulièrementdans les domaines de l’application des principes de laChari’a et du contrôle administratif. Albaraka entend, àterme, mettre en vente 55 % de ce groupe qui jusqu’àprésent était une affaire familiale. C’est là aussi uneautre caractéristique. La plupart des banques islamiquessont entre les mains de familles.

28. MEED, 8 oct. 1999.

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Les banques islamiques face à la concurrence

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Le capital de la Dubai Islamic bank a aussi été dilué.SAID LOTAH le fondateur ne garda que 13 % du capitalde la banque.

Par ailleurs, les actionnaires de Faysal Islamic Bank ofBahrain (FIBB) et de Islamic Investment Company of theGulf (IICG) aussi basée à Bahreïn ont approuvé la fusionde ces deux institutions. La fusion a été instiguée par legroupe Dar Al Mal Al Islami (DMI) trust qui contrôleces deux banques et qui cherche à consolider ses actifsà Bahreïn. Cette nouvelle entité qui s’appelle ShamilBank of Bahrain a un capital de 500 millions de dollarsdont 230 millions de libérés. Ce sera l’une des plusgrandes banques islamiques. Cette initiative de DMI suitla décision du groupe Albaraka de consolider ses diffé-rentes opérations bancaires islamiques au sein d’unmême groupe basé à Bahreïn.

La nécessité de fusionner

Il existe aujourd’hui sur le marché environ deux centsbanques islamiques. La plupart de ces banques sontsous-capitalisées. Étant donné la forte concurrence, lesmarges de plus en plus réduites dans l’industrie et lanécessité d’innover en matière de produits financiers,ces banques n’ont d’autre recours que de fusionner,sinon elles disparaîtront tout simplement.

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Le fonctionnement des banques islamiques

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La progression du point de vue de l’éthique, à l’échelle mondiale

Lorsque le concept de banque islamique avec sesvaleurs éthiques a vu le jour, le monde financier n’y apas cru. Tout le monde se demandait ce que les valeursou l’éthique avait avoir avec la finance. Cependant, lesattitudes sont entrain de changer et le concept de ban-que islamique gagne du terrain chaque jour. À cet effetun banquier disait :

« Du point de vue du banquier conventionnel, lanaissance d’un système bancaire excluant l’intérêt estune perversité qui ne doit pas exister et qui ne peutpas persister parce qu’il contredit les principes fonda-mentaux de maximisation du profit de la finance.Dans les pays musulmans à travers le monde, cepen-dant, ce sont les banquiers conventionnels qui sontsur la défensive, alors que les institutions islamiquesrevendiquent une part croissante des dépôts. Le sys-tème bancaire islamique est une réalité que les régu-lateurs et les concurrents ne peuvent plus ignorer. »29

Un phénomène similaire est d’ailleurs en train de sedévelopper en Amérique du Nord avec l’émergence dece que l’on appelle les fonds éthiques « ethical funds »ou des communautés comme les Quakers et les Hamishexigent que leurs avoirs ne soient pas investis dans descompagnies d’armes à feu, d’alcool, de jeux, de porno-graphie, des projets anti-environnementaux, etc. Laseule différence avec le paradigme financier islamiquec’est que ces fonds ne rejettent pas la notion d’intérêt.

29. Meed, 24 août 1994.

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Les banques islamiques face à la concurrence

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À titre d’exemple Merryl Lynch gérerait un fonds de cegenre de plusieurs dizaines de milliards de dollars.

En définitive, l’industrie continuera à se développerd’autant qu’au cours des dernières années, un nombregrandissant de gens avait commencé à remettre encause leurs pratiques bancaires dans le cadre du sys-tème bancaire classique qui fait fi des valeurs islami-ques. Il y a de plus en plus de réticences à déposer desfonds dans des banques qui investissent cet argent dansdes activités à caractère non éthique ou socialementnuisibles.