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Classiques Contemporains & Pierre Chaine Les mémoires d’un Rat LIVRET DU PROFESSEUR établi par Stéphane Maltère professeur de Lettres

LIVRET DU PROFESSEUR - enseignants.magnard.fr · lettres de combattants, journaux intimes de poilus, poèmes, récits autobiogra-phiques, mémoires et romans. ... Henri Barbusse Le

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Classiques Contemporains&

Pierre ChaineLes mémoires d’un Rat

LIVRET DU PROFESSEURétabli par

Stéphane Maltèreprofesseur de Lettres

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SOMMAIRE

DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIREContexte : la littérature au temps de la Grande Guerre ..... 3Mémoires d’un Rat : passages coupés de cette édition ....... 6

POUR COMPRENDRE :quelques réponses, quelques commentaires

Étape 1 « Un humble rat de tranchée » .................................... 11Étape 2 « Le temps de la formation » ....................................... 19Étape 3 « J’étais soldat » ................................................................ 22Étape 4 « Moi aussi j’étais à Verdun ! » ................................. 25Étape 5 « Victime de ma gourmandise » ................................ 32Étape 6 « Retour au front » ........................................................... 34Étape 7 « Les délices de Capoue » ............................................. 37Étape 8 « C’était donc ça » ............................................................. 39

Conception : PAO Magnard, Barbara TamadonpourRéalisation : Nord Compo, Villeneuve- d’Ascq

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DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE

Contexte : la littérature au temps de la Grande Guerre

Nombreux sont les ouvrages littéraires traitant de la Première Guerre mondiale : lettres de combattants, journaux intimes de poilus, poèmes, récits autobiogra-phiques, mémoires et romans. La littérature actuelle, qu’on songe à Cris de Laurent Gaudé, aux Âmes grises de Philippe Claudel ou au Prix Goncourt 2013 Au revoir là-haut de Pierre Lemaître, a fait de la Grande Guerre le décor de romans d’aujourd’hui, comme si la Der des Der constituait un héritage à perpétuer.

Mais, entre 1914 et 1918, en pleine guerre, ont été publiés (et parfois récompen-sés) des livres écrits par des écrivains-combattants. Sur le tableau ci-dessous fi gurent en gras les auteurs primés par le Prix Goncourt.

Année de parution

AuteurTitre

de l’œuvre

1915 René Benjamin Gaspard

1916

Henri Barbusse Le Feu : journal d’une escouade

Adrien Bertrand L’Appel du Sol

René Benjamin Sous le ciel de France

Maurice Genevoix Sous Verdun : août-octobre 1914

Paul Géraldy La Guerre, Madame…

1917

Pierre Chaine Les Mémoires d’un Rat

Henry Malherbe La Flamme au Poing

Mathilde Démians d’Archimbaud À travers le tourment : une vie intime

J. Delorme Jules-Simon Âmes de guerre, âmes d’amour

Georges Duhamel Vie des Martyrs

René Benjamin Un pauvre village de France

Adrien Bertrand L’Orage dans le Jardin de Candide

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Année de parution

AuteurTitre

de l’œuvre

1918

Pierre Benoit Koenigsmark

René Benjamin Les Rapatriés

Georges Duhamel Civilisation

Camille Mayran Histoire de Gotton Connixlo

André Maurois Les Silences du Colonel Bramble

• 1916 : Le Feu : journal d’une escouade d’Henri Barbusse (Prix Goncourt 1916)

Ce roman a d’abord connu une parution dans les quotidien L’Œuvre à l’été 1916. Barbusse est engagé volontaire dans la guerre. Il prend des notes dans un carnet de guerre entre 1914 et 1916 et commence la rédaction de son récit en convalescence à Chartres puis à Plombières.

Extrait du chapitre XIII, Les gros mots Barque me voit écrire. Il vient vers moi à quatre pattes à travers la paille, et me

présente sa fi gure éveillée ponctuée par son toupet roussâtre de Paillasse, ses petits yeux vifs au-dessus desquels se plissent et se déplissent des accents circonfl exes. Il a la bouche qui tourne dans tous les sens à cause d’une tablette de chocolat qu’il croque et mâche, et dont il tient dans son poing l’humide moignon.

Il bafouille, la bouche pleine, en me souffl ant une odeur de boutique de confi serie.– Dis donc, toi qui écris, tu écriras plus tard sur les soldats, tu parleras de nous, pas ?– Mais oui, fi ls, je parlerai de toi, des copains, et de notre existence.– Dis-moi donc…Il indique de la tête les papiers où j’étais en train de prendre des notes. Le crayon

en suspens, je l’observe et l’écoute. Il a envie de me poser une question.– Dis donc, sans t’commander… Y a quéqu’chose que j’voudrais te d’mander.

Voilà la chose : si tu fais parler les troufi ons dans ton livre, est-ce que tu les f’ras parler comme ils parlent, ou bien est-ce que tu arrangerais ça, en lousdoc ? C’est rapport aux gros mots qu’on dit. Car enfi n, pas, on a beau être très camarades et sans qu’on s’engueule pour ça, tu n’entendras jamais deux poilus l’ouvrir pendant une minute sans qu’i’s disent et qu’i’s répètent des choses que les imprimeurs n’aiment pas besef imprimer. Alors, quoi ? Si tu ne le dis pas, ton portrait ne sera pas r’ssemblant : c’est

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comme qui dirait que tu voudrais les peindre et que tu n’mettes pas une des couleurs les plus voyantes partout où elle est. Mais pourtant ça s’fait pas.

– Je mettrai les gros mots à leur place, mon petit père, parce que c’est la vérité.– Mais dis-moi, si tu l’mets, est-ce que des types de ton bord, sans s’occuper de la

vérité, ne diront pas que t’es un cochon ?– C’est probable, mais je le ferai tout de même sans m’occuper de ces types.– Veux-tu mon opinion ? Quoique je ne m’y connais pas en livres : c’est coura-

geux, ça, parce que ça s’fait pas, et ce sera très chic si tu l’oses, mais t’auras de la peine au dernier moment, t’es trop poli !… C’est même un des défauts que j’te connais depuis qu’on s’connaît. Ça, et aussi cette sale habitude que tu as quand on nous dis-tribue de la gniole, sous prétexte que tu crois que ça fait du mal, au lieu de donner ta part à un copain, de t’la verser sur la tête pour te nettoyer les tifs.

• 1916 : L’Appel du Sol d’Adrien Bertrand (Prix Goncourt 1914, décerné en 1916)

Blessé au début de la guerre, il écrit à l’hôpital où il meurt des suites de ses bles-sures en 1917.

Extrait du chapitre I Le bataillon était engagé sur un plateau. On avançait lentement. Les hommes

sentaient encore, après trois heures de repos, une quarantaine de kilomètres dans les jambes et, dans les reins, deux journées et deux nuits de voyage. En colonnes, par compagnies et par sections, l’un derrière l’autre, les chasseurs se suivaient. Ils mar-chaient la tête basse, sans un mot, remontant parfois le sac sur les épaules, de leur geste mécanique. Leurs bérets émergeaient, des seigles hauts et de l’avoine.

C’était la guerre. On marchait droit devant soi, sans rien épargner. Première dévastation : celle des cultures. Et ces paysans, respectueux hier des moissons ingrates, saisis déjà par cette ivresse de meurtre, prenaient plaisir au saccage des champs. Ils assouvissaient leur rancune pour les durs labours des hivers passés, pour les gerbes moisies par la pluie, pour toutes les infi délités de la terre. Quelques-uns, qui étaient réservistes, songeaient, en abattant avec le canon du fusil les céréales lorraines, aux blés qu’ils venaient d’abandonner, à la veille du fauchage, dans leurs hautes vallées des Alpes et sur leurs traversiers des Cévennes.

Il faisait encore presque nuit. Le silence était impressionnant. La plaine montait en pente douce jusqu’à une crête qui bornait l’horizon. À cet endroit, le ciel se frangeait d’une teinte orange. À mesure qu’on avançait la couleur s’élargissait, des nuances mauves remplaçaient le gris. Un brouillard humide encadrait la lisière de la forêt.

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– Un matin d’Ile-de-France ! cria le sous-lieutenant Lucien Fabre, qui marchait en tête de section, au capitaine Nicolaï.

– Un pauvre soleil, répondit l’offi cier.De son bras il montrait le disque rose, qui émergeait, face à eux, de la colline et

trouait la brume. Il prononçait povre. Son poing, qui tenait la pipe allumée, restait tendu vers le soleil, en un geste de moquerie et de pitié. Nicolaï comparait cette aube aux aurores provençales, aux irruptions fantastiques de lumière sur le bleu de la Méditerranée ou sur les cimes rouges de la Corse.

Il ajouta :– Voilà pour le saluer !Un long siffl ement venait de traverser l’air ; un éclatement sourd le déchira.Tous les chasseurs levèrent la tête brusquement. Quelques-uns s’arrêtèrent. Ceux

qui les suivaient les heurtèrent, faillirent les faire tomber. Il y eut des protestations :– Prends garde !– Mais avance donc !– Zou, zou, despatcho té !Et, avec cela, une inquiétude vague, un étonnement plutôt du bruit entendu.Pour le coup, tout le bataillon était réveillé. Le même siffl ement traversa

l’atmosphère.

Mémoires d’un Rat : passages coupés de cette édition

• La lettre-préface de Ferdinand

Cette lettre est dédiée à Tristan Bernard, auteur en 1917 des Souvenirs épars d’un ancien cavalier.

Ferdinand, Ratà Tristan Bernard, Cavalier

Illustre maître,

C’est par le « Bulletin des armées de la République », que j’ai appris à vous connaître. Malgré l’importance de son tirage, cette feuille nationale ne pouvait pas fournir un exemplaire à chaque soldat. Le caporal se chargeait donc de lire à haute voix vos mémoires militaires et c’est à votre exemple que l’idée m’est venue d’écrire les miens.

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N’est-il pas naturel alors que je vous dédie ces pages ?Je sais que vous êtes séparé de moi qui ne suis qu’un fantassin par l’abîme ouvert

entre nos deux armes. Mais vous n’ignorez pas que la guerre actuelle a beaucoup adouci la morgue du cavalier ? Je ne vous vois pas sur votre jument Bretagne dans les tranchées de l’Argonne ou de I’Artois ; il vous faudrait mettre pied à terre.

Vous ne retrouveriez pas ce brillant uniforme dont vous étiez si fi er et rien ne vous distinguerait plus de l’infanterie que la couleur du passepoil et des écussons. Le casque lui-même, orgueil de votre jeunesse, a cessé d’être le privilège des dragons ! Vous voyez que les distances ont bien diminué.

D’ailleurs, votre portrait en cavalier dont s’ornait chaque feuilleton de vos « Souvenirs » m’a révélé l’indulgence de votre sourire malgré l’ironie de vos yeux.

Mon maître et ami Juvenet vous ressemblait un peu avant qu’il eut coupé sa barbe et cette similitude m’encourage à escompter chez vous la bienveillance que j’ai trouvée en lui.

Agréez donc, vénéré confrère, l’hommage de cet opuscule ; il sera honoré de se rencontrer sur vos rayons avec les livres rares et précieux qu’on dit que vous collec-tionnez. Même, afi n que la curiosité de la reliure me donne plus facilement droit de cité dans votre bibliothèque je fais vue de vous léguer ma peau – ma peau que j’ai sauvée de tant de hasards, et qui, tannée convenablement, revêtira d’un cuir peu commun l’exemplaire que je vous destine.

Aux Armées (Deuxième Zone)17 février 1916.

• Première partie, chapitre premier

« Ces grossières erreurs qui font la joie des combattants »

Au début, cet hebdomadaire était excusable qui imprimait sous une photogra-phie : « Mitrailleuse en action sur le front », sans s’apercevoir que la dite mitrailleuse était encore pourvue de son appareil pour le tir à blanc. Mais après vingt-sept mois de guerre on est étonné de trouver dans un article de journal des phrases de ce genre : « C’est une mitrailleuse qu’on amena et dont on tourna la manivelle jusqu’à ce que les deux cents fussent tombés. »

Certains correspondants de guerre se représentent encore une mitrailleuse sous l’aspect d’un moulin à café ou d’un orgue de Barbarie et on les étonnerait beaucoup en leur apprenant que la pièce qu’ils ont prise pour une manivelle motrice n’est autre

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chose que le volant de l’appareil de pointage. Serait-ce trahir un secret de la Défense Nationale si je révélais qu’aucun Boche n’a jamais été tué par la rotation de cette « manivelle » et que, la mitrailleuse étant une arme automatique, il suffi t de presser sur la détente pour déclencher le tir ?

Dans un autre journal, on donnait gravement la photographie d’un trépied lance-fusée avec cette curieuse légende : « Un nouvel engin qui, paraît-il, fi t merveille lors de notre dernière off ensive ». Je ne savais pas pour ma part, que les Boches crai-gnissent la lumière du magnésium au point qu’une pluie de fusées éclairantes pût suffi re à les faire reculer.

• Deuxième partie, chapitre IV

Ferdinand à Paris

Jusqu’au métro, ma niche, à moitié dissimulée par la capote de mon maître, n’attira l’attention de personne, pas même celle des employés de l’octroi.

Mais dans le wagon de première où nous avions trouvé place, Mme Juvenet sur-prit le geste de son mari qui me glissait discrètement sous la banquette.

– Qu’est-ce que tu portes là ? s’informa-t-elle avec curiosité.– C’est mon rat, répondit Juvenet.Et il m’exhiba ingénument, sans penser à mal.Mais à peine eus-je paru que deux pimbêches qui occupaient le vis-à-vis mon-

tèrent debout sur leur banquetteEn poussant des cris d’épouvante.Jamais mon aspect n’avait produit pareil eff et ; je ne me savais pas si redou-

table, moi qui, si souvent, avais cherché mon salut dans la fuite, et cette révélation imprévue de la terreur que j’inspirais aurait pu m’occasionner quelque orgueil si les épreuves que j’avais antérieurement traversées n’avaient émoussé déjà ma fatuité naturelle.

Juvenet essaya de calmer leur eff roi :– N’ayez pas peur, mesdames, il est apprivoisé. Tenez, je vais l’appeler, il viendra

dans ma main…À cette proposition imprudente répondit une tempête de cris et de protestations.

Tout le monde s’était levé et le cercle s’élargissait autour de nous.Une dame se trouva mal ; une autre s’écroula en proie à une crise de nerfs ; des

hommes prenaient le parti de toutes ces mijaurées et menaçaient Juvenet de la prison,

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s’il faisait mine d’ouvrir la mienne. Juvenet répondait par des sarcasmes et par des injures. Heureusement, le train stoppa et les cris des voyageurs attirèrent le chef de station.

On le somma de nous faire partir, ordre que Mme Juvenet ne se fi t pas répéter. Mais il fallut plus de diplomatie pour persuader son irascible époux.

Le chef de station prouva, règlement en main, que je rentrais dans deux catégo-ries d’objets également prohibés. Je pouvais être assimilé, au choix, soit à un chien d’appartement en ma qualité d’animal domestique, soit à un colis malpropre et nauséabond, susceptible d’incommoder les voyageurs. La première alternative me parut plus convenable, et c’est, en eff et, devant elle que Juvenet préféra s’incliner.

*Mme Juvenet se montra immodérément aff ectée par cette avanie. Elle voulait

que son mari me jetât, en passant, dans le canal Saint-Martin. Comme si j’étais res-ponsable de la rigueur des règlements ou de l’inconséquence de mon maître I Mais Juvenet repoussa avec horreur ces suggestions criminelles et, comme aucune voiture publique ne voulait m’accepter, ce fut à pied que nous gagnâmes l’embarcadère du bateau pour Billancourt.

Quel spectacle que la descente de la Seine ! Quels égouts que ceux de la capitale ! J’aurais voulu visiter ces cloaques célèbres qu’on dit être le paradis des rats. Mais je dus me contenter d’apercevoir, au passage, leurs voûtes spacieuses, leurs vastes por-tiques et la cascade de leurs eaux grasses.

L’accueil cordial que je reçus à Billancourt de la part des deux petits Juvenet m’aurait réconcilié avec les Parisiens si leur mère ne les avait brutalement éloignés de moi avec force bourrades, les menaçant des plus terribles maladies, au cas où ils me toucheraient seulement du petit doigt.

Ce fut dans un coin de la cuisine qu’on me déposa comme un pestiféré. Juvenet prit faiblement ma défense. Peut-être m’en voulait-il inconsciemment de ne pas lui avoir procuré le succès de curiosité qu’il avait escompté que je lui rapporterais.

• Troisième partie, chapitre III

« L’idée même de la mort »

Elle se présentait à moi sous un double aspect : l’image de la mienne et le spec-tacle de celle des autres. Mais je m’aperçus que, par un curieux mirage de la pensée, je confondais entre eux ces deux aspects : je ne concevais pas ma mort : j’en étais le

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témoin désolé comme si c’eût été celle d’un autre. Je me voyais étendu raide, le ventre au soleil, les pattes en l’air, en proie aux vers et aux fourmis, et ce qui m’affl igeait le plus c’était la continuation de la vie autour de mon cadavre, si bien que je cumulais la peine de celui qui part et le chagrin de ceux qui restent…

« Et pourtant, la mort, m’écriais-je, ce n’est pas ces images répugnantes, ce cortège hideux, ces puantes métamorphoses ? Toutes ces visions macabres n’existent que pour les vivants et ne sont que les conséquences de la mort.

« La véritable cause de ma révolte instinctive, ce n’est même pas l’horreur du néant, mais une invincible répugnance à entrer dans l’inconscient. Peu m’importe que chaque partie de moi-même subsiste et se survive, si ce qui fait l’unité de ma personne disparaît, c’est-à-dire ma conscience et ma mémoire ! »

L’accouplement de ces deux mots fut pour moi un trait de lumière, je me représentai ce que deviendrait la conscience sans la mémoire et je trouvai que ce serait un état bien voisin de la mort. La perte entière de tous mes souvenirs jusqu’à aujourd’hui n’équivaudrait-elle pas à la disparition du rat que je suis ? Je retomberais immédiatement en enfance et ce serait un autre que moi-même qui recommencerait une autre vie.

Cette supposition n’est pas aussi saugrenue qu’elle le parait d’abord. Au temps de la grande persécution, j’ai connu un rat dont les émotions trop vives et trop répétées avaient dérangé la cervelle. Il se croyait un soldat et passait son temps, à mâchonner une pipe qu’il avait trouvée dans la tranchée. J’estime que ce malheureux était mort ou du moins qu’il avait éprouvé par anticipation le seul eff et que nous craignons du trépas : l’anéantissement de notre moi personnel.

Mais sans chercher des exemples pathologiques et exceptionnels, nous trouvons en chacun de nous assez de phénomènes qui s’apparentent à la mort précisément par le côté que nous redoutons le plus en elle.

Le sommeil n’est-il pas un abandon quotidien de cette prérogative, à laquelle nous tenons tant, de nous posséder nous-mêmes. Et cette perte de conscience momenta-née est-elle si pénible que nous devions nous eff rayer de savoir qu’elle se prolongera indéfi niment un jour ?

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POUR COMPRENDRE : réponses aux questions et commentaires

Étape 1 [« Un humble rat de tranchée »]

1 Le rat commence par dire ce qu’il n’est pas, en dressant une liste d’expressions associées aux rats (« rat d’opéra », « rat de cave », « rat d’hôtel ») et indiquant les pistes vers lesquelles il n’amènera pas le lecteur (les « récits polissons », les « contes égril-lards » ou les conseils pour « amateurs de pinard »). Le « je », qui inaugure le récit, pour montrer le choix du point de vue interne et du récit autobiographique, est très vite associé au « vous » du destinataire (le lecteur) : le narrateur met en garde et joint le lecteur à ce début de récit. Le « je », d’ailleurs, est remplacé par une expression plus impersonnelle (et étrange pour un rat !) : « l’auteur de ces lignes ». Dans ce début d’autobiographie, on trouve un des topoï du genre : le récit de la naissance (« Né dans les camps… ») et de l’éducation parentale. Enfi n, la présentation du narrateur en guerrier, dès les premières lignes de son récit, donne le ton et ancre le texte dans un genre : celui des récits de guerre.

2 Les rats sont vus comme de « simples embusqués », c’est-à-dire des « plan-qués », qui ont trouvé une place confortable et loin du danger. Plus loin, on leur reproche d’être dérangeants et désagréables (« les ingrats se plaignent de notre impor-tunité », (l. 18) : en eff et, ils rongent la nourriture et les aff aires des soldats.

3 Pour Ferdinand, les rats ont plusieurs rôles d’importance dans cette guerre : d’abord, ils permettent, par le bruit incessant qu’ils font, de maintenir la vigilance des soldats (l. 16-17) : « Grâce à nous, le poilu ne dort jamais que d’un œil ». On trouve, en fi n de passage, une référence aux « oies du Capitole » qui va dans ce sens. Ensuite, ils servent de prétexte aux soldats pour le renouvellement des vivres des aff aires détruits ou rongés par les rats (l. 20-21). Évidemment, Ferdinand transforme en qualités ce qui est ressenti comme des nuisances… Enfi n, et ce n’est pas une mince fi erté pour Ferdinand, la guerre de tranchées est directement inspirée des galeries dans lesquelles vivent les rats (l. 22-25).

4 Ferdinand reproche aux journaux de guerre leur goût du sensationnel (« l’hé-roïsme souriant et bavard des “récits du front” ») qui conduit à une propagande mensongère et exagérée sur le sacrifi ce des soldats (« les blessés qui refusent de se faire évacuer, […] les mutilés impatients de retourner au feu, […] les morts qui veulent rester debout »). Pour lui, le ton grandiloquent et pompeux des journaux rend

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insipides les récits qui se veulent sincères et objectifs (l. 39-42). Enfi n, il déplore les erreurs que commettent les journaux.

5 Parmi les mots du champ lexical de l’écriture, on trouve : « prose », « mémoires », « plume », « récits », « littérature », « texte ». Le projet de Ferdinand se construit en opposition à ce que « cuisinent les grands quotidiens » : des « mémoires », c’est-à-dire un témoignage de choses vues, notamment lors d’un événement historique, qui se veulent, à l’image de son narrateur, « humble[s] », plus « terre à terre » (sans envolées lyriques ou transformations) et marqués par l’exactitude des faits (en opposition aux « grossières erreurs » des journaux).

6 Pour Ferdinand, l’intérêt d’un récit de guerre n’est pas dans « l’étalage […] d’une répugnante boucherie ». Pour lui, ces descriptions sont inutiles car :

– leur pouvoir évocateur ne va pas jusqu’à l’élimination de la guerre (l. 56-57), qui devrait être leur conséquence, par le dégoût qu’elles cherchent à provoquer ;

– elles créent une souff rance à ceux qui ont vécu les choses décrites (l. 57-58) ;– elles ne servent pas aux lecteurs : s’ils n’ont pas vécu ce qui est dépeint, ils ne

pourront le comprendre (et la réalité dépasse la description) (l. 58-62) ;– elles sont « psychologiquement fausses » (l. 64), puisqu’une même scène d’hor-

reur sera perçue diff éremment selon l’état d’esprit du soldat et les circonstances (l. 63-71) et ne correspondent pas à ce qu’a vécu le soldat (l. 75-77).

7 Cette phrase illustre le dernier argument en défaveur des descriptions de la guerre : elle explique la relativité des perceptions, selon la situation du soldat. Ferdinand oppose un « brancard anonyme recouvert de toile » (évocation pudique de la mort) et « les débris humains sur lesquels on piétine » (évocation dure et plus frappante de la mort) avec deux situations : la montée au front et la sortie du champ de bataille. En allant combattre, le soldat sera eff rayé et démoralisé par toute vision macabre (qu’il associera à sa propre mort, peut-être immédiate), alors qu’en retour-nant à l’arrière, du côté de la vie, il ne fera pas attention aux images de la mort (ou il les relativisera au regard de sa propre situation).

8 Ce chapitre constitue une préface parce que le texte présente les objectifs du narrateur (son projet) : écrire des mémoires qui sonnent vrai et livrer ses impressions et ses intentions. Il s’agit plus d’un texte théorique sur la façon d’écrire la guerre qu’une véritable entrée dans les Mémoires d’un rat.

9 On attend de cet exercice d’écriture une bonne maîtrise du point de vue interne, mais aussi une construction du texte en une petite histoire complète. Pour ce faire, on peut suivre le schéma narratif. Il s’agit d’un récit d’aventures écrit avec du recul. On n’oubliera pas les commentaires de Ferdinand ni même ses pensées, sensations et sentiments.

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10 Dans ce texte argumentatif, le questionnement porte sur les attentes d’un lecteur devant un récit de guerre. Doit-on montrer ou dissimuler les aspects les plus horribles des combats et étaler les souff rances et la barbarie ? On peut s’appuyer sur les arguments du rat-narrateur (p. 11-12) pour les contester ou pour abonder dans leur sens. Une construction claire (paragraphes, connecteurs logiques…) est attendue.

11 On peut faire de ce sujet d’écriture un exercice de style, en s’amusant à cher-cher les expressions liées aux trois animaux proposés (cheval d’arçon, de retour, de Troie, de trait… chien de chasse, de traineau, de berger, d’appartement, d’aveugle… oiseau de paradis, oiseau-mouche, oiseau de proie, drôle d’oiseau, oiseau de mal-heur…) en établissant, comme Ferdinand, une anti-présentation (p. 9, l. 1-11). On peut tout aussi bien commencer un journal de guerre par une présentation plus classique (nom, race, lieu de combat, circonstances qui ont conduit sur les lieux…), en n’oubliant pas le lexique guerrier.

12 Ces trois expressions font partie d’un ensemble important associé à l’animal :– le « rat d’opéra » (ou petit rat d’opéra) est une élève de classe de danse. Les

« contes égrillards » auxquels il est fait allusion sont sans doute une référence à la « danseuse » au sens de maîtresse, les petits rats, comme les danseuses expérimentées, étant très appréciées des vieux messieurs ;

– le « rat de cave » est un employé des impôts chargé de vérifi er les caves ;– le « rat d’hôtel » est un cambrioleur.Autres expressions : « rat de prison » (avocat), « rat d’église » (bigot), « rat de

bibliothèque » (lecteur assidu), rat d’eau (campagnol), rat des champs (mulot), rat d’égout (gros rat)… ; « être fait comme un rat » (devant une situation sans issue), « être comme rat en paille » (très à l’aise), « s’ennuyer comme un rat mort », « être gueux comme un rat », « les rats quittent le navire », « être rat » (radin)…

13 Parmi les noms des commandants français de la Première Guerre mondiale, il faut retenir :

– Joseph Joff re (1852-1931) associé à la victoire de la bataille de la Marne et à l’off ensive à outrance, stratégie militaire qui mène massacre des soldats français qui doivent avancer en dépit des dangers.

– Philippe Pétain (1856-1951) surnommé le « vainqueur de Verdun ».– Ferdinand Foch (1851-1929) a commandé les Alliés lors de la bataille de

la Marne. Nombreux échecs suivis d’un limogeage. Adepte aussi de l’off ensive à outrance. En mars 1918, il est nommé « généralissime » sur le front de l’Ouest.

– Robert Nivelle (1856-1924) succède à Pétain dans la défense de Verdun. Il cesse la guerre d’usure engagée par son prédécesseur pour revenir à une off ensive coûteuse

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en vies humaines, comme la bataille du Chemin des Dames en 1917 qui inaugura les premières mutineries. Il est surnommé le « Boucher ».

14 Au ive siècle avant J.-C., les Gaulois, dirigés par leur chef Brennus (celui du fameux bouclier…), tentent d’envahir une partie de l’Italie. Rome est prise, mais sa population est partie se réfugier sur le mont Capitole, dans une citadelle. Commence alors un long siège. Une nuit, une attaque des Gaulois est déjouée grâce aux oies qui donnent l’alerte aux Romains en poussant des cris.

16 Le travail de lecture à voix haute, pour un texte poétique comme une fable, nécessite à la fois de bien savoir lire les vers (« e » muet, diérèse, enjambements…) et de savoir adapter sa lecture à la narration, aux paroles des personnages et à la morale.

Le Chat et le Rat (livre VIII, fable 22)Quatre animaux divers, le Chat grippe-fromage, Triste-oiseau le Hibou, Ronge-maille le Rat,

Dame Belette au long corsage, Toutes gens d’esprit scélérat,

Hantaient le tronc pourri d’un pin vieux et sauvage. Tant y furent, qu’un soir à l’entour de ce pin L’homme tendit ses rets. Le Chat de grand matin

Sort pour aller chercher sa proie. Les derniers traits de l’ombre empêchent qu’il ne voie Le fi let ; il y tombe, en danger de mourir ; Et mon Chat de crier, et le Rat d’accourir, L’un plein de désespoir, et l’autre plein de joie. Il voyait dans les lacs son mortel ennemi.

Le pauvre Chat dit : Cher ami, Les marques de ta bienveillance Sont communes en mon endroit :

Viens m’aider à sortir du piège où l’ignorance M’a fait tomber. C’est à bon droit

Que seul entre les tiens par amour singulière Je t’ai toujours choyé, t’aimant comme mes yeux. Je n’en ai point regret, et j’en rends grâce aux Dieux.

J’allais leur faire ma prière ; Comme tout dévot Chat en use les matins. Ce réseau me retient : ma vie est en tes mains :

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Viens dissoudre ces nœuds. Et quelle récompense En aurai-je ? reprit le Rat. Je jure éternelle alliance Avec toi, repartit le Chat.

Dispose de ma griff e, et sois en assurance : Envers et contre tous je te protégerai,

Et la Belette mangerai Avec l’époux de la Chouette.

Ils t’en veulent tous deux. Le Rat dit : Idiot ! Moi ton libérateur ? Je ne suis pas si sot.

Puis il s’en va vers sa retraite. La Belette était près du trou.

Le Rat grimpe plus haut ; il y voit le Hibou : Dangers de toutes parts ; le plus pressant l’emporte. Ronge-maille retourne au Chat, et fait en sorte Qu’il détache un chaînon, puis un autre, et puis tant

Qu’il dégage enfi n l’hypocrite. L’homme paraît en cet instant.

Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite. À quelque temps de là, notre Chat vit de loin Son Rat qui se tenait à l’erte et sur ses gardes. Ah ! mon frère, dit-il, viens m’embrasser ; ton soin

Me fait injure ; tu regardes Comme ennemi ton allié. Penses-tu que j’aie oublié Qu’après Dieu je te dois la vie ?

Et moi, reprit le Rat, penses-tu que j’oublie Ton naturel ? Aucun traité

Peut-il forcer un Chat à la reconnaissance ? S’assure-t-on sur l’alliance Qu’a faite la nécessité ?

Le combat des Rats et des Belettes (livre IV, fable 6)La nation des belettes, Non plus que celle des chats, Ne veut aucun bien aux rats ; Et sans les portes étrètes

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De leurs habitations, L’animal à longue échine En ferait, je m’imagine, De grandes destructions. Or une certaine année Qu’il en était à foison, Leur roi, nommé Ratapon, Mit en campagne une armée. Les belettes, de leur part, Déployèrent l’étendard. Si l’on croit la renommée, La victoire balança : Plus d’un guéret s’engraissa Du sang de plus d’une bande. Mais la perte la plus grande Tomba presque en tous endroits Sur le peuple souriquois. Sa déroute fut entière, Quoi que pût faire Artapax, Psicarpax, Méridarpax, Qui, tout couverts de poussière, Soutinrent assez longtemps Les eff orts des combattants. Leur résistance fut vaine ; Il fallut céder au sort : Chacun s’enfuit au plus fort, Tant soldat que capitaine. Les princes périrent tous. La racaille, dans des trous Trouvant sa retraite prête, Se sauva sans grand travail ; Mais les seigneurs sur leur tête Ayant chacun un plumail, Des cornes ou des aigrettes, Soit comme marques d’honneur, Soit afi n que les belettes En conçussent plus de peur,

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Cela causa leur malheur. Trou, ni fente, ni crevasse Ne fut large assez pour eux ; Au lieu que la populace Entrait dans les moindres creux. La principale jonchée Fut donc des principaux rats. Une tête empanachée N’est pas petit embarras. Le trop superbe équipage Peut souvent en un passage Causer du retardement. Les petits, en toute aff aire, Esquivent fort aisément : Les grands ne le peuvent faire.

La ligue des Rats, 1692 (hors recueil)Une Souris craignait un Chat

Qui dès longtemps la guettait au passage. Que faire en cet état ? Elle, prudente et sage, Consulte son Voisin : c’était un maître Rat,

Dont la rateuse Seigneurie S’était logée en bonne Hôtellerie, Et qui cent fois s’était vanté, dit-on,

De ne craindre de chat ou chatte Ni coup de dent, ni coup de patte.

Dame Souris, lui dit ce fanfaron, Ma foi, quoi que je fasse,

Seul, je ne puis chasser le Chat qui vous menace ; Mais assemblant tous les Rats d’alentour, Je lui pourrai jouer d’un mauvais tour. La Souris fait une humble révérence ;

Et le Rat court en diligence À l’Offi ce, qu’on nomme autrement la dépense,

Où maints Rats assemblés Faisaient, aux frais de l’Hôte, une entière bombance.

Il arrive les sens troublés, Et les poumons tout essouffl és.

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Qu’avez-vous donc ? lui dit un de ces Rats. Parlez. En deux mots, répond-il, ce qui fait mon voyage, C’est qu’il faut promptement secourir la Souris,

Car Raminagrobis Fait en tous lieux un étrange ravage.

Ce Chat, le plus diable des Chats, S’il manque de Souris, voudra manger des Rats. Chacun dit : Il est vrai. Sus, sus, courons aux armes. Quelques Rates, dit-on, répandirent des larmes. N’importe, rien n’arrête un si noble projet ;

Chacun se met en équipage ; Chacun met dans son sac un morceau de fromage, Chacun promet enfi n de risquer le paquet.

Ils allaient tous comme à la fête, L’esprit content, le coeur joyeux. Cependant le Chat, plus fi n qu’eux, Tenait déjà la Souris par la tête. Ils s’avancèrent à grands pas Pour secourir leur bonne Amie. Mais le Chat, qui n’en démord pas (4),

Gronde et marche au-devant de la troupe ennemie. À ce bruit, nos très prudents Rats,

Craignant mauvaise destinée, Font, sans pousser plus loin leur prétendu fracas (5),

Une retraite fortunée. Chaque Rat rentre dans son trou ;

Et si quelqu’un en sort, gare encor le Matou.

17 Ce travail oral s’appuie sur l’exercice d’argumentation de la question 10. Les élèves sont amenés à réfl échir sur leurs attentes de lecteurs et à les confronter. Attend-on de retrouver des combats violents et sanguinolents, une réfl exion sur la guerre, le récit d’épisodes historiques connus… ?

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Étape 2 [« Le temps de la formation »]

1 Plusieurs mots du début de ce chapitre laissent entendre que le narrateur n’est pas un humain, mais un rat : ainsi « race prolifi que », « portée », « nid » mettent sur une voie animalière.

2 Pourtant, ce début de chapitre est ambigu : il mêle le champ lexical anima-lier à celui de la famille : « fi ls », « frères et sœurs », « aîné », « cadet », « parents », « enfantins ».

3 Ferdinand découvre la vie grâce à un « vieux rat » qui lui sert de « guide », de « maître », et qui a une « grande expérience » (en même temps qu’une « longue queue », signe, sans doute, de sa longévité). Deux verbes ont une importance parti-culière : « il avait connu la guerre » (l. 33) et il « apprit » (l. 42) à Ferdinand ce qu’il devait savoir de l’existence.

4 Le vieux rat, le « patriarche » donne trois conseils :– rester prudent et ne rien risquer (l. 48 et 53) ;– faire preuve de ruse (l. 49) ;– ne pas succomber à la tentation de la nourriture (l. 50).5 Pour donner ses conseils, le vieux rat a recours à plusieurs formes d’injonction :– l’utilisation d’un verbe d’obligation : « il faut » ;– l’expression de la défense (ordre négatif) par l’utilisation à la forme négative du

mode impératif (« Ne vous laissez jamais… ») ;– l’emploi du futur, pour marquer la certitude de la réalisation du conseil.6 La vie des rats semble très agréable, marquée par l’organisation (une vie « réglée

et patriarcale ») et le plaisir (« vadrouilles », « sommeil » et soirées au coin de feu au son des voix des soldats). L’adverbe « béatement » (de façon sereine et satisfaite) résume ce bien-être des rats.

7 La chasse aux rats est un enfer pour eux. En eff et, les termes de sens fort sont utilisés : « persécution » (l. 56), « massacre » (l. 77), « calamité », « eff roi » (l. 81). De plus, les situations décrites sont cauchemardesques : la diversité des pièges et des instruments de torture (« trébuchets », « machine infernale »…), l’ingéniosité pour organiser cette « chasse lucrative » (« le génie du mal », l. 67), et jusqu’à l’évocation des « ténèbres » (l. 79). Tout cela aboutit à la peur, à la folie et au suicide.

8 La fi n de cette persécution est purement administrative : « la lenteur et la pape-rasserie de l’administration » (l. 90-91) oblige à tenir un compte précis des victimes de cette chasse (tâche qui devient vite impossible). De plus, on ne sait comment payer les « chasseurs ». La chasse s’arrête donc là, les soldats trouvant une nouvelle occupation dans la fabrication de briquets… Le jeu de mots « les bureaux avaient eu

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raison des bourreaux » résume cette lourdeur administrative qui freine l’élan assassin des soldats.

9 Le début du chapitre IV montre Ferdinand comme un jeune rat gouverné par ses « instincts » (l. 7) : il est décrit comme plein de « fougue » (l. 7), de « courage » (l. 8). Cela se voit à son allure physique : les « oreilles déchirées, des touff es de poils arrachées sur tout le corps » et la queue en partie coupée (l. 9-10). Il est violent pour chasser les prétendants de son amoureuse Ratine, au point de tuer (l. 17). Il se pose en défenseur du « Droit et de la Justice » (l. 25), comme un chevalier du moyen-âge.

10 Son maître lui a appris la prudence et la tempérance. Pourtant, il se laisse entraîner par l’odeur d’une saucisse, désobéissant ainsi aux conseils du patriarche de trouver du plaisir dans la prudence des détritus (l. 44-45)… C’est d’ailleurs sa première réaction : « Prenons garde » (l. 46), dit-il à la rate de sa vie, enceinte de ses œuvres. Mais il doit céder au caprice de la belle et abandonner sa prudence. De ce fait, il se trouve prisonnier dans une cage… Sa vie bascule à cause de cette désobéis-sance : il perd Ratine et se trouve bientôt embarqué dans la Guerre.

11 Si Ferdinand croit d’abord à un possible empoisonnement de la saucisse qu’il convoite (p. 26, l. 95-96), il va subir de vraies tortures de la part des soldats qui le récupèrent : il parle d’ « outrages », de « pilori ». Ainsi, on peut citer : on se moque de lui, on le pique avec la pointe d’une baïonnette, on lui tire la queue, on lui urine dessus, on prévoit des plans horribles pour s’en débarrasser (le brûler vif, lui coudre le derrière, le noyer dans un puisard).

12 C’est l’arrivée du colonel qui le sauve. En eff et, il compte se servir de lui comme « d’avertisseur en cas d’attaque par les gaz » (l. 66-67). De nuisible, Ferdinand passe au rang d’animal utile, à protéger.

13 La fi n de la première partie marque une transition importante : Ferdinand se rapproche des humains et s’éloigne de ses congénères. Il commence par être baptisé et reçoit un prénom humain (l. 77). De plus, la visite des rats autour de lui, la nuit venue, montre mépris et indiff érence (l. 93-97) de leur part. Ils l’abandonnent, sans chercher à le sauver. Un bon ami à lui prend une partie de son camembert et le paie de fausses promesses, Ratine, quant à elle, se console auprès d’autres rats… C’est ainsi que Ferdinand, dégoûté des siens, se rapproche des humains (l. 121-124).

14 Cette première partie des Mémoires d’un Rat correspond au schéma du roman d’apprentissage : un jeune rat va apprendre l’existence de la bouche d’un maître et au contact des aventures que lui réserve sa vie. (cf. « À savoir », p. 155).

15 L’exercice demande une amplifi cation du texte de départ, par ajout d’un épisode. Il faut s’appuyer sur les informations données par le texte (on a tiré sur le vieux rat) et inventer les circonstances qui ont conduit à sa mort.

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16 Il est une nouvelle fois possible de s’appuyer sur les conseils déjà donnés par le vieux maître de Ferdinand. L’introduction présentera le lieu, le moment et les protagonistes de cette scène d’adieux, le développement laissera la place aux paroles de sagesse du vieux rat (les conseils de prudence, de tempérance, de solidarité…) et la conclusion montrera à la fois la mort du sage et les réactions et résolutions de Ferdinand.

17 Le monologue délibératif doit montrer que le narrateur débat en lui-même sur son sort : que va-t-il lui arriver ? Quels moyens d’y échapper ? La délibération permet de faire naître un monologue intérieur fait de questions-réponses pour par-venir à une décision. On pourra entendre le désespoir de Ferdinand à travers un vocabulaire choisi, mais aussi un choix adéquat des types de phrases ou des interjec-tions utilisés.

18 Ce sujet de réfl exion nécessite une bonne organisation d’ensemble (introduc-tion, développement, conclusion) reposant sur l’examen de deux thèses (thèse 1 : il faut être prudent/thèse 2 : il faut prendre des risques) et l’emploi d’arguments et d’exemples précis et développés. On n’oublie pas les paragraphes et l’enchaînement logique des idées.

19 Il ne faut pas confondre « autobiographie » et « mémoires », même si les deux termes ont rapport avec le récit de l’existence de leur narrateur :

– l’autobiographie est un récit rétrospectif marqué par l’identité entre auteur, narrateur et personnage, traitant de la vie de l’auteur de sa naissance à l’âge adulte ;

– les mémoires sont un récit autobiographique attaché à un événement historique : l’existence de l’auteur-narrateur-personnage est traitée comme un témoignage historique. C’est un récit moins intime et introspectif que l’autobio-graphique.

20 Dante Alighieri est un poète italien (1265-1321), auteur de la Divine Comédie et de la Vita nuova, en l’honneur de Béatrice. Dans La Divine Comédie, commencée en 1306, Dante, accompagné du poète latin Virgile, visite l’enfer, le paradis et le purgatoire. Il est dit « poète allié » en fonction de son origine, l’Italie étant du côté des Français en 1914-1918.

21 Botticelli a illustré L’Enfer de Dante au xve siècle. Près d’une centaine de dessins, parmi lesquels cette « carte de l’Enfer » (32 x 47 cm), qui représente les neuf cercles de l’Enfer. Un immense gouff re est représenté, se rétrécissant au fur et à mesure de la descente, amenant à Lucifer, placé au centre de la terre. En observant cette œuvre, un lien peut s’établir entre cet espace souterrain dans lequel les hommes souff rent avec l’enfer des tranchées.

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Étape 3 [« J’étais soldat »]

1 Ferdinand devient un soldat au début de la deuxième partie. Il a même le senti-ment d’être devenu « un rouage minuscule mais nécessaire dans le prodigieux engrenage de l’armée » (l. 5-6). Il se sent investi d’une « mission de sacrifi ce » (l. 8) qui le gonfl e d’orgueil (« me rehaussait prodigieusement à mes propres yeux », l. 9-10) : il a le senti-ment de devoir se comporter en « héros » (l. 14). Pour cela, il doit en avoir aussi l’appa-rence : on le teint aux couleurs de l’uniforme français du début de la Guerre (« ma robe gris-brun était devenue bleu horizon », l. 26-27), on lui peint « le numéro de régiment » sur le dos (l. 31) : le voilà donc « immatriculé » (l. 36) : « J’étais soldat ! » (l. 36).

2 Juvenet est décrit comme un « guetteur débonnaire », c’est-à-dire décontracté : on l’associe à un marin avec ses jumelles plutôt qu’à un chasseur armé de son fusil (l. 75-77). Il se transforme en observateur animalier, à la diff érence près que l’espèce observée n’est pas animale mais humaine (l. 86). Il se montre curieux de l’observation de l’ennemi « en chair et en os » (l. 87), comme « un astronome qui verrait des habi-tants dans la lune » (l. 92-93). Il en oublie son devoir et éprouve de la sympathie pour un ennemi qui lui ressemble. Il manque même (exprès) un soldat en train de faire ses besoins, estimant indigne de tirer sur un homme désarmé et en fâcheuse posture.

3 Juvenet se reconnaît dans ce soldat qui lui ressemble : des « gestes pareils » qui constituent une « communauté de vie et de préoccupations » (les « mêmes dangers », les « mêmes intempéries », les « mêmes corvées ») : tout cela forme un « point de contact ». Juvenet se sent proche de son ennemi qui vit la même existence que lui. D’où cette sympathie, étrange vis-à-vis d’un ennemi mortel.

4 Juvenet a donc des « barrières morales » qui guident son comportement à la guerre :

– pour tuer, il faut se trouver devant un risque semblable (l. 127-128) ;– il ne tire pas sur les soldats désarmés (un travailleur ou un cuisinier, l. 137-138) ;– il estime la vie du soldat aussi importante que celle d’un civil (l. 151-153).Tout cela se résume par cette expression : il applique « les règles de l’honnêteté et

de l’honneur » (l. 131-132).5 On pourrait penser que Ferdinand ressente de la joie à être libre. Pourtant il

éprouve une « déception », un « malaise » : il est attaché à Juvenet, a pris l’habitude des conditions de la guerre. Il a changé : il n’est plus un « jeune étourdi ». Il est devenu un soldat et le refl et de son uniforme le ramène à la raison.

6 Le fait d’être mis en prison est, pour Juvenet, inoff ensif et formel (« plato-nique » et « protocolaire »). On le punit par une peine qui est plus douce que les conditions de vie des soldats au front. C’est donc une prison toute paradoxale : il

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n’est pire peine, en réalité, que les combats de tranchées, et la prison passe alors pour un adoucissement de peine, ce qui n’est pas son but premier…

7 Le retour volontaire de Ferdinand change la relation entre lui et son maître. D’ailleurs, le sens même de ce mot (« maître ») prend non plus celui de « possesseur » mais de « maître à penser », de « guide ». Ils deviennent amis (« amitié », « attache-ment »…).

8 Juvenet est chargé de surveiller la tranchée, en compagnie de Ferdinand, employé à la surveillance des attaques par les gaz. Il voit soudain des vapeurs qui lui font lancer un appel d’avertissement à ses camarades : l’alerte donnée provoque immédiatement des tirs vers la tranchée ennemie. Le commandant se rend alors compte que les supposés gaz ne sont en fait qu’une nappe de brouillard. Juvenet se justifi e, mais il est trop tard. Les Allemands, surpris, se mettent à tirer à leur tour. Pour sauver sa réputation, le commandant doit mentir dans son rapport et faire passer l’erreur de Juvenet pour un acte héroïque.

9 Juvenet tire un bilan négatif de sa permission : retrouvailles froides avec son épouse, repas en l’honneur du soldat qui tourne aux reproches et se termine froi-dement, sentiment de gâcher ses retrouvailles avec la famille, temps qui passe trop vite… Les seuls moments heureux, hormis les sorties en famille, teintées de regrets, sont dans l’attente du retour (l. 4-8) et le retour au front dans l’espoir d’une future permission (l. 104-105).

10 Il s’agit de prolonger l’ébauche de portrait proposée par le texte. À quoi res-semble ce rat-soldat ? Il faut utiliser un lexique militaire précis (uniforme, accessoires, couleurs…) sans oublier la physionomie d’un rat.

11 Il s’agit de trancher : le sergent a-t-il raison de vouloir que Juvenet tire sur un soldat désarmé, en situation de faiblesse ou Juvenet est-il dans son bon droit de refuser une action aussi basse ? La réponse peut être organisée, mais il n’est pas exclu d’autoriser une plus grande liberté de construction.

12 Pour ce monologue, qu’il est possible d’enchaîner directement à la ligne 31, on peut se servir des phrases des lignes 32-39, mais il faut surtout les amplifi er. Juvenet pense à sa famille loin du front, au quotidien de sa femme et de ses enfants, dont les pensées sont tournées vers lui. On peut lui faire exprimer des regrets, de la nostalgie, de la tristesse, de l’espoir…

13 La maîtrise des codes de la lettre est indispensable (lieu et date, formule d’appel, formule fi nale et signature). On attend, de la part de Madame Juvenet, le récit de son quotidien (les nouvelles de la famille, des enfants…), des journées d’angoisse à attendre des nouvelles du front, son espoir de voir revenir son mari et les rêves de bonheur pour l’après-guerre. L’expression des sentiments doit avoir une bonne place dans le texte.

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14 Le sujet indique la situation d’énonciation (dans le train, avant de retourner chez lui) : Juvenet projette les retrouvailles avec sa famille, la redécouverte des lieux qu’il a laissés, les joies qu’il espère… Il faut penser à introduire et à conclure, de manière à donner une construction d’ensemble au texte.

15 Le sujet est assez libre, ainsi que son traitement. Il s’agit d’un récit, à la pre-mière personne, s’appuyant, dans la mesure du possible, sur des souvenirs personnels. C’est une ouverture possible sur le genre autobiographique. Il s’agit moins d’un récit des faits que de l’analyse des sentiments et émotions que l’on ressent en anticipation d’un moment de bonheur.

16 Le travail porte d’abord sur une recherche lexicale. On attend des élèves un important travail de recherche afi n d’établir des listes de synonymes, de mots de la même famille et d’expressions qui puissent enrichir leur travail d’écriture. La ques-tion 10 porte sur le portrait physique de Ferdinand (exercice habituel), cet exercice, lui, envisage de peindre le caractère du personnage. Il faut faire sentir la glorifi cation de Ferdinand, en multipliant les expressions emphatiques et les exagérations. Il s’agit là d’un portrait épique du personnage.

17 Le mot « héros » a une origine intéressante. Il vient du grec et signifi e « demi-dieu », pour souligner la valeur exceptionnelle d’un homme (souvent lors de com-bats). Mots de la même famille : héroïne (drogue et féminin de « héros »), héroïque, héroïsme, héroïcité, héroïde (texte sur la vie d’un héros), héroïser ou héroïciser (élever au rang de héros), héroïsation…

18 L’uniforme du fantassin en 1914 est composé d’un pantalon garance (rouge), d’une capote bleue, d’une cravate bleue, d’un képi rouge et bleu, de brodequins et de jambières. Une musette, des cartouchières, un sac à dos et une gourde.

La couleur rouge, dans la tenue du fantassin depuis 1867, est d’une visibilité trop grande et l’ennemi est grandement favorisé : le fantassin français est dès lors une cible trop facile. La tenue n’est pas non plus étudiée pour la vie dans les tranchées et n’est conçue ni pour résister aux grandes chaleurs, ni pour résister aux grands froids, ni pour parer la pluie.

Les autres grandes armées européennes ont adopté des couleurs plus discrètes, comme les Britanniques (marron), les Russes et les Allemands (gris-vert)…

En août 1915, c’est un nouvel uniforme qui apparaît : bleu clair de la tête aux pieds (on appellera cette couleur « bleu horizon »). Il sera généralisé en fi n d’année 1916. De la même manière, pour compléter le képi qui n’off re aucune protection, on distribue des cervelières à placer dessous, mais elles sont peu pratiques. En 1916, on distribue des casques métalliques (casque Adrian).

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Tenue de campagne des fantassins d’un régiment d’infanterie,1914 (à gauche) et 1915 (à droite) (Musée de l’Armée)

19 On peut lire seul ce texte. On fera attention aux changements de locuteurs (narrateur, personnages) ainsi qu’aux types de phrases et aux intonations ainsi suggérées. Un bon lecteur donne un rythme au texte, souligne de la voix les mots importants, sait user du silence. À plusieurs, on répartira les « rôles » : le narrateur, les parents, amis et voisins (l. 62-63), le cousin (l. 75-76) et Juvenet (l. 77-78).

20 On peut proposer aux élèves une sélection de textes, tirés, par exemple de Paroles de Poilus. Certaines lettres sont précédées d’informations biographiques qui seront précieuses pour la présentation de l’extrait. On attend une lecture expressive, faisant ressortir le sens du texte, son émotion, ses intentions.

Étape 4 [« Moi aussi j’étais à Verdun »]

1 Un soldat qui rentre de permission attire autour de lui bon nombre de ses camarades. Ils sont en eff et friands des nouvelles de l’arrière qu’il rapporte : « Le rôle du permissionnaire est d’assurer la liaison » entre les soldats et les civils.

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2 Les soldats mettent en avant une suspicion de « ce qui est imprimé ». On se rappelle que dans le début du récit, le narrateur mettait en avant les absurdités que les journaux racontaient, les exagérations de la réalité… D’où ce manque de confi ance en l’écrit. « Tout pouvait être vrai, à l’exception de ce qu’on laissait imprimer » (l. 24). Un récit oral, fait par un camarade qui partage les horreurs des combats et l’inconfort du quotidien, leur paraît plus digne de foi. Quant aux lettres, la censure qui peut les truff er, réduit la confi ance qu’on peut avoir en elles pour dire la vérité. Et pourtant, Juvenet, en manque de nouvelles, n’hésite pas à raconter n’importe quoi…

3 Ce qui est inattendu (et étonnant) au sujet de Verdun (une des batailles les plus meurtrières de la Première Guerre mondiale), c’est qu’elle est évoquée pour son « action […] bienfaisante » (l. 33-34) sur les soldats. Bien sûr, il s’agit de soldats placés loin des combats, mais cette bataille est associée à un champ lexical de la tranquillité et de la nature qui contrastent avec sa violence. Ainsi, il est question de « musarder devant l’entrée des abris », de « déjeuner sur l’herbe dans les bois », de « dormir en plein air »… On parle de « sécurité […] douce » (l. 45), dont les échos se mêlent au chant des oiseaux dans une nature accueillante (l. 48-51). Enfi n, la bataille produit des vibrations qui bercent les soldats.

4 Le narrateur estime que la compagnie de Juvenet ne risque rien, ne faisant pas partie des plus jeunes recrues de la guerre. Il part d’un raisonnement tout simple, qui sous-tend une critique contre les Ministères de la Guerre eux-mêmes : la guerre tue les hommes jeunes et sains, plutôt que « ceux qui ont passé le meilleur âge de la procréation » ; la compagnie ne comporte pas de très jeunes hommes ; donc la compagnie ne risque rien.

5 Les soldats se rassurent en pensant :– que tout homme doit mourir un jour (p. 60, l. 38-39) : mourir aux combats

n’est qu’une façon d’écourter le temps accordé à l’homme sur la terre ;– la religion des hommes prévoit une vie après la mort (censée consoler de celle-

ci) (p. 61, l. 4-5) ;– les hommes s’accrochent aux statistiques des pertes (33 %), espérant ainsi

échapper à la mort (p. 62, l. 14-16). Ferdinand, en raison de sa petite taille, trouve une raison supplémentaire d’espérer ;

– enfi n, la croyance en un armement supérieur à celui de l’ennemi et la volonté de tuer permet au soldat de croire à une sorte d’immortalité (p. 63, p. 9-14).

6 La lourdeur de l’équipement du soldat est marquée par l’énumération (ou accumulation), un procédé qui permet de dresser une liste afi n de provoquer un eff et de masse (l. 27-30). Juvenet emporte Ferdinand par amitié, mais aussi au titre de « fétiche » car il semble « port[er] bonheur à l’escouade » (l. 33).

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7 Le champ de bataille de Verdun est un lieu sans frontière (l. 39-40), où les tranchées sont rares et peu profondes. C’est un lieu particulièrement dangereux en raison du manque de protection qu’off rent les autres secteurs. Le champ de bataille lui-même (qui s’ouvre par « une piste à peine tracée au milieu des trous d’obus », l. 71) se situe sur une ancienne forêt dont il ne reste pas un arbre (l. 78-84). C’est un lieu désertique, creusé par les obus qui forment des collines, un lieu où se repérer est très diffi cile (l. 97-100).

Le narrateur compare le décor à un océan fi gé (l. 75-77, l. 87).8 Dans le chapitre VII, Ferdinand joue un rôle capital dans la survie de la com-

pagnie (preuve qu’il est bien un porte-bonheur) : c’est lui qui, posé sur le parapet de la tranchée, aperçoit l’approche de l’ennemi (p. 71, l. 64-90). « Donc, si Verdun fut sauvé c’est un peu grâce à moi dont les cris donnèrent à temps l’éveil à ses défen-seurs » (l. 91-92). Il est, à l’instar de Pétain, le « sauveur de Verdun ».

9 Juvenet blessé rend sa liberté à Ferdinand pour lui assurer une survie qui ne serait pas garantie à l’hôpital (l. 47). Il voit même un danger de voir Ferdinand « tomber dans les mains d’un vivisecteur » (l. 48-49).

10 Dans les « considérations générales » (l. 24) de sa conclusion, Ferdinand émet quelques critiques :

– la guerre est décidée par des hommes qui ne la font pas (l. 30-33) ;– en regardant la guerre de loin, ceux qui la décident sacrifi ent les hommes d’une

nation (l.34-41).C’est une attaque contre les Ministres de la Guerre et autres membres des gou-

vernements qui décident d’une guerre sans en mesurer les exactes conséquences sur la vie des hommes qu’ils obligent à combattre.

11 Il s’agit là d’un texte qui peut être écrit après la lecture de textes ou d’images (des tableaux par exemples, des croquis, des photographies) ayant trait à la guerre, ou le visionnage de fi lms sur la Première Guerre mondiale, afi n d’enrichir de façon docu-mentaire l’imaginaire des élèves. La vérité historique n’est pas forcément attendue, la préférence allant à la justesse de l’expression de l’horreur du champ de bataille, de la force de l’anéantissement des êtres et des lieux. Le texte de Pierre Chaine, p. 59, pro-pose quelques pistes : il s’agit d’un récit de la bataille de Verdun destiné à « terroriser », comme le font les journaux du temps. On peut d’ailleurs s’appuyer sur le vocabulaire proposé en italique ligne 12 : « pilonnage, enfer, volcan, cataclysme ».

12 Cet exercice s’appuie sur une forme particulière, l’article de journal (titre, accroche, apparence de neutralité…) et propose là encore un travail sur le lexique, en cherchant des expressions et un vocabulaire précis pour mettre en valeur l’héroïsme des soldats.

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13 Circé, dans la mythologie grecque, est la magicienne qui, après avoir trans-formé les compagnons d’Ulysse en pourceaux, le retient un an sur son île d’Ééa. Juvenet, n’ayant aucune nouvelle de l’arrière à rapporter à ses compagnons, imagine que les combats à Salonique (en Grèce) sont freinés par une Circé moderne, belle femme ensorceleuse qui retiendrait sous ses charmes le général Harem.

14 La bataille de Verdun s’étend du 21 février au 19 décembre 1916. Au total, 9 mois, 3 semaines et 6 jours d’une des principales batailles de la Première Guerre mondiale. En un an, 700 000 soldats meurent sur un front de 30 kilomètres. On surnomme cette zone la « zone rouge » tant le danger de mort est omniprésent.

21 février 1916, 7 h 15 : l’armée allemande fait tomber les premiers obus sur Verdun et en fi n de journée, l’assaut est lancé sur les troupes françaises que l’État-Major allemand conduit à l’agonie. Les deux tiers de l’armée française combattent à Verdun. La logistique française se met en place. Joff re envoie la IIe armée et en confi e le commandement à Pétain. Celui-ci décide de faire circuler une succession ininter-rompue de camions jour et nuit sur une route départementale (« la voie sacrée ») qui ravitaille le front en hommes, munitions et vivres.

En mars, une grande off ensive allemande est déclenchée à partir de Douaumont. Le village de Fleury-devant-Douaumont fut le théâtre de combats particulièrement intenses. Il disparaît sous les obus.

La ligne de front ne cesse de bouger, mais ne cède pas.En avril, les contre-attaques françaises succèdent aux attaques allemandes. Le

Mort-Homme est pris par l’ennemi mais les poilus opposent une défense acharnée, ce qui fait dire à Pétain : « Courage, on les aura ! » Les combats se poursuivent aux Éparges dans les pires atrocités. On meurt sous les obus, sous les balles, on meurt asphyxié, on meurt au bord d’une tranchée, d’un trou d’obus et quand on ne meurt pas, on revient blessé, handicapé, la « gueule cassée ».

En mai, les Français tentent de reprendre le fort de Douaumont et en juin, réus-sissent une avancée de 6 km malgré les obus et les gaz toxiques.

En juillet, l’État-Major allemand décide une action défensive et renonce à prendre Verdun. Le sort de la bataille bascule avec le déclenchement de la bataille de la Somme (juillet-novembre 1916) car le Commandement allemand prélève des troupes et de l’artillerie sur le front des opérations à Verdun. Mais les combats ne cessent pas. Le 24 octobre, le fort de Douaumont est reconquis par le régiment d’infanterie coloniale du Maroc.

En décembre, les Allemands sont refoulés et en position de départ.15 Contrairement à L’Yser 1917 et au Plateau de la Bolante en Argonne, Verdun

de Felix Vallotton montre les aspirations du peintre à atteindre l’abstrait. Ce tableau

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de guerre (une guerre sans hommes) fait la part belle aux formes géométriques qui viennent se heurter à des formes plus arrondies, marquées par le volume. Le jeu des couleurs, qui créent un contraste, passe par la superposition en transparence. On dis-tingue certains aspects fi guratifs de l’œuvre : les troncs d’arbres en feu ou calcinés, les collines, les fl ammes, la fumée, la terre. Les rayons qui traversent l’œuvre apportent leur étrangeté au décor. La réalité de la guerre (les armes, les hommes, la mort) n’est pas montrée.

16 Une oraison est à l’origine une prière. En rhétorique, l’oraison est un discours et quand elle est dite « funèbre », elle sert d’éloge des mérites d’un mort. Parmi les très célèbres oraisons funèbres, celle de Bossuet et l’honneur d’Henriette d’Angleterre ou encore celle d’André Malraux pour l’entrée de Jean Moulin au Panthéon :

Oraison funèbre d’Henriette-Anne d’Angleterre, duchesse d’Orléans pronon-cée à Saint-Denis le 21 août 1670 par Jacques-Bénigne Bossuet.

Monseigneur, j’étais donc encore destiné à rendre ce devoir funèbre à très haute et très puissante princesse Henriette Anne d’Angleterre, duchesse d’Orléans. Elle, que j’avais vue si attentive pendant que je rendais le même devoir à la reine sa mère, devait être si tôt après le sujet d’un discours semblable, et ma triste voix était réservée à ce déplorable ministère.

Ô vanité ! ô néant ! ô mortels ignorants de leurs destinées ! L’eût-elle cru, il y a dix mois ? Et vous, messieurs, eussiez-vous pensé, pendant qu’elle versait tant de larmes en ce lieu, qu’elle dût si tôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même ? Princesse, le digne objet de l’admiration de deux grands royaumes, n’était-ce pas assez que l’Angleterre pleurât votre absence, sans être encore réduite à pleurer votre mort ? Et la France, qui vous revit, avec tant de joie, environnée d’un nouvel éclat, n’avait-elle plus d’autres pompes et d’autres triomphes pour vous, au retour de ce voyage fameux, d’où vous aviez remporté tant de gloire et de si belles espérances ? Vanité des vanités, et tout est vanité ! C’est la seule parole qui me reste ; c’est la seule réfl exion que me permet, dans un accident si étrange, une si juste et si sensible douleur.

Aussi n’ai-je point parcouru les livres sacrés pour y trouver quelque texte que je pusse appliquer à cette princesse. J’ai pris, sans étude et sans choix, les premières paroles que me présente l’Ecclésiaste, où, quoique la vanité ait été si souvent nom-mée, elle ne l’est pas encore assez à mon gré pour le dessein que je me propose. Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines. Ce texte, qui convient à tous les états et à tous les événements de notre vie, par une

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raison particulière devient propre à mon lamentable sujet ; puisque jamais les vanités de la terre n’ont été si clairement découvertes, ni si hautement confondues.

Non, après ce que nous venons de voir, la santé n’est qu’un nom, la vie n’est qu’un songe, la gloire n’est qu’une apparence, les grâces et les plaisirs ne sont qu’un dangereux amusement : tout est vain en nous, excepté le sincère aveu que nous fai-sons devant Dieu de nos vanités, et le jugement arrêté qui nous fait mépriser tout ce que nous sommes. […]

Considérez, Messieurs, ces grandes puissances que nous regardons de si bas. Pendant que nous tremblons sous leur main, Dieu les frappe pour nous avertir. Leur élévation en est la cause ; et il les épargne si peu, qu’il ne craint pas de les sacrifi er à l’instruction du reste des hommes. Chrétiens, ne murmurez pas si Madame a été choisie pour nous donner une telle instruction. Il n’y a rien ici de rude pour elle, puisque, comme vous le verrez dans la suite, Dieu la sauve par le même coup qui nous instruit.

Nous devrions être assez convaincus de notre néant : mais s’il faut des coups de surprise à nos cœurs enchantés de l’amour du monde, celui-ci est assez grand et assez terrible. Ô nuit désastreuse ! ô nuit eff royable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt ! Madame est morte ! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup, comme si quelque tragique accident avait désolé sa famille ? Au premier bruit d’un mal si étrange, on accourut à Saint-Cloud de toutes parts ; on trouve tout consterné, excepté le coeur de cette princesse. Partout on entend des cris ; partout on voit la douleur et le désespoir, et l’image de la mort. Le Roi, la Reine, Monsieur, toute la cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré ; et il me semble que je vois l’accomplissement de cette parole du prophète : le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple de douleur et d’étonnement.

Mais et les princes et les peuples gémissaient en vain ; en vain Monsieur, en vain le Roi même tenait Madame serrée par de si étroits embrassements. Alors ils pouvaient dire l’un et l’autre, avec saint Ambroise : Stringebam brachia, sed jam ami-seram quam tenebam : « je serrais les bras ; mais j’avais déjà perdu ce que je tenais ». La princesse leur échappait parmi des embrassements si tendres, et la mort plus puissante nous l’enlevait entre ces royales mains. Quoi donc ! elle devait périr si tôt ! Dans la plupart des hommes les changements se font peu à peu, et la mort les prépare ordinairement à son dernier coup. Madame cependant a passé du matin au soir, ainsi que l’herbe des champs. Le matin, elle fl eurissait ; avec quelles grâces, vous le savez : le soir, nous la vîmes séchée ; et ces fortes expressions, par lesquelles l’écriture sainte exagère l’inconstance des choses humaines, devaient être pour cette princesse si précises et si littérales ! […]

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Discours prononcé par André Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon le 19 décembre 1964 (extrait)

Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d’exaltation dans le soleil d’Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des aff reuses fi les de Nuit et Brouillard, enfi n tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle – nos frères dans l’ordre de la Nuit…

Commémorant l’anniversaire de la Libération de Paris, je disais : « Écoute ce soir, jeunesse de mon pays, les cloches d’anniversaire qui sonneront comme celles d’il y a quatorze ans. Puisses-tu, cette fois, les entendre : elles vont sonner pour toi ».

L’hommage d’aujourd’hui n’appelle que le chant qui va s’élever maintenant, ce Chant des Partisans que j’ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d’Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors, quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Runstedt lancés de nouveau contre Strasbourg. Écoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du Malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. À côté de celles de Carnot avec les soldats de l’an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu’elles reposent avec leur long cortège d’ombres défi gurées. Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France.

17 L’œuvre d’Otto Dix, grâce à l’épreuve d’Histoire des Arts au brevet, n’a plus vraiment de secrets pour les collégiens. Le tableau La Guerre ou les gravures du peintre allemand (« Soldats ensevelis », « Champ de trous d’obus près de Dontrien, éclairés par des fusées », « Près de Longemark », « Tranchée de combat s’écroulant », « Peloton montant à l’assaut sous les gaz », « Danse des morts, année 17 »…) sont autant de scènes de guerre qui peuvent être utilisées pour l’exercice. Il s’agit d’un entraînement à l’oral d’Histoire des Arts, au cours duquel on présente une œuvre (auteur, titre, date, informations sur le genre, le courant, l’artiste…), on la replace dans son contexte (historique, artistique, biographique…) avant de proposer une description (précise, organisée) servant à l’analyse de l’œuvre, puis d’évoquer des œuvres artistiques proches de celle présentée (du même artiste, sur le même sujet… des textes, des tableaux, des musiques, des fi lms…).

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Étape 5 [« Victime de ma gourmandise »]

1 Ferdinand est retiré dans un entrepôt de l’intendance, loin de la guerre, et s’est autoproclamé « inspecteur bénévole des grains et farines ». Il eff ectue des « pré-lèvements » et goûte tous les envois. On comprend bien toute la fantaisie d’un tel emploi, excuse du rat pour tout dévorer à sa guise.

2 La gourmandise de Ferdinand le conduit à être piégé dans une caisse contenant un jambon. Cette caisse se dirigera vers le front.

3 Ferdinand « retomb[e] dans la même faute », une nouvelle fois, comme dans la première aventure qui l’avait conduit à devenir soldat (la saucisse), « victime de[s]a gourmandise » (l. 66).

4 Ferdinand pourrait s’échapper. C’est d’ailleurs ce qu’il commence par faire. Mais, quand il comprend qu’il se dirige vers la division « trois cent vingt-deux », son ancienne division, son cœur se met à battre et il décide de rester (l. 97-113).

5 L’ « heureuse faute », c’est celle du gourmand Ferdinand qui, par son impru-dence et son manque de tempérance, est mené auprès de ses anciens compagnons du front. Cette faute, qui aurait pu conduire à des conséquences fâcheuses, est en fait un bienfait pour lui.

6 Ferdinand reconnaît immédiatement Juvenet, mais Juvenet, ne pouvant ima-giner que son rat puisse revenir et le retrouver, essaye de le chasser à coup de canne. Ferdinand est vexé que son maître l’ait pris pour un autre. Il fait ainsi l’expérience des éphémères « amitiés de tranchées ». Après réfl exion, Ferdinand décide de retrouver auprès de Juvenet et de lui montrer quelque chose qui puisse lui faire comprendre qu’il s’agit bien de lui. Il exécute donc devant son ancien maître, après avoir reçu une volée de brodequins, une pirouette qu’il lui avait apprise. La reconnaissance est immédiate.

7 Juvenet blessé, il avait été évacué, pensant que le front était terminé pour lui. Face à cette illusion, il décide de trouver une activité qui le garde à l’arrière. Il s’agit, pour cela, de permuter avec un autre soldat. Il fait appel à son cousin pour trouver un emploi, mais ce dernier n’envisage pas que l’héroïque Juvenet quitte le front. Il décide alors d’apprendre la cuisine, au côté d’un oncle lyonnais. Très vite, il sait se faire apprécier des offi ciers qui l’estiment indispensable.

8 Page 94, on voit que Juvenet tient à se faire valoir auprès de Mme Badois : d’abord pour qu’on n’oublie pas qu’avant de trouver une place loin du front, il a été confronté à la guerre ; ensuite pour « rendre la maman favorable » (l. 115) et faire en sorte qu’elle le chouchoute au moyen d’une chambre avec tout le confort nécessaire.

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9 Le « scandale » du « Quartier-général » est la venue clandestine, sous une fausse identité, de Mme Juvenet auprès de son mari.

10 Juvenet est jaloux des avances que le capitaine du Schnock fait à sa femme, sous ses yeux. Invitée en présence du général à la table du capitaine, la femme de Juvenet, sous les traits de Berthe, doit accepter. Le mari jaloux fait exprès de râter le repas.

11 [Mme Juvenet dut partir le lendemain sous l’œil narquois des gendarmes] (Proposition indépendante) [et Juvenet fut relevé de ses fonctions.] (Proposition indépendante) [Le seul adoucissement… [qu’il obtint] (Proposition subordonnée relative) …fut d’être renvoyé à son ancien bataillon.] (Proposition principale) [Il n’aurait dépendu… [je crois,] (Proposition indépendante), …que de Mme Juvenet de conserver son poste à son mari.] (Proposition indépendante) [Mais il faut la louer de n’avoir pas donné à son persécuteur le seul argument capable de le fl échir.] (Proposition indépendante)

12 Cet exercice d’écriture peut faire (ou non) appel à des souvenirs personnels. Il s’agit d’écrire un récit (introduction – développement – conclusion) relatant des retrouvailles. L’évocation du passé doit se confronter à celle du présent, déce-vant et frustrant. Les tournures négatives, le lexique de la désillusion devront être employés.

13 En lisant le chapitre III, on se rend compte que Juvenet et son cousin n’ont pas tout à fait la même vision des choses. Pour Ernest, Juvenet est un héros qui aime la guerre à en mourir. Juvenet, au contraire, cherche à servir à l’arrière, loin des tranchées. Le dialogue entre les deux devra confronter ces deux visions, en faisant du lecteur le spectateur de ce malentendu. Le cousin Ernest restera-t-il sourd aux demandes de Juvenet de quitter le front ou montrera-t-il de la déception ? Juvenet osera-t-il dire ce qu’il pense ?

14 P. 93, on peut lire que Mme Badois en a assez d’entendre les histoires de Juvenet : « Il racontait à Mme Badois nos aventures, les misères de la vie de cam-pagne et nos combats devant Verdun ». Juvenet n’épargne pas les détails et se montre bavard et vantard (p. 94, l. 107-108). Il faut, avant de commencer le récit d’une des aventures, placer la conversation entre Juvenet et Mme Badois dans son contexte, ne pas hésiter à en rajouter dans l’héroïsme et les détails sordides, jusqu’au dégoût de Mme Badois qui tente de le faire taire.

15 Jules César a écrit les Commentaires sur la Guerre des Gaules et les Commentaires sur la Guerre Civile, deux titres qu’imite la suite des aventures de Ferdinand, ainsi placées sous un haut patronage.

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16 Si les hommes combattent au front, les femmes ont elles aussi un rôle impor-tant dans le Première Guerre mondiale et prennent en charge une partie de l’eff ort de guerre :

– les infi rmières ;– les marraines de guerre (échange des lettres, envoi de colis, visites aux bles-

sés…) ;– les prostituées ;– les ouvrières (notamment dans les usines d’armement, dans l’industrie et dans

de nombreux secteurs, en remplacement des hommes) ;– les travailleuses agricoles.Un document peut être intéressant, c’est l’appel aux Françaises lancé par le

Président du Conseil René Viviani le 7 août 1914 : « Debout, femmes françaises, jeunes enfants, fi lles et fi ls de la patrie. Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! Il n’y a pas, dans ces heures graves, de labeur infi me. Tout est grand qui sert le pays. Debout ! À l’action ! À l’œuvre ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde. »

17 Cette question fait écho à la question 12. Un travail préparatoire de recherche d’arguments s’impose. On peut aussi noter quelques exemples concrets (personnels, s’il le faut) sur le sujet.

Étape 6 [« Retour au front »]

1 En voulant déshonorer Juvenet, du Schnock, par une phrase malheureuse rapprochant les tranchées du bagne : « n’est bon qu’à être envoyé dans les tran-chées », attire sur son rival toutes les sympathies des offi ciers. Le lexique : « crime », « condamnation », « récidiviste » assure ce rapprochement. On peut aussi se référer au début du chapitre II, p. 106, où la métaphore fi lée se poursuit.

2 Les offi ciers d’état-major sont critiqués sur deux points : leurs décorations multiples et l’inexpérience des combats. Cette « porcelaine richement décorée » ne va pas « au feu » (sens propre : ne peut pas servir de plat de cuisson/sens fi guré : ne va pas combattre au front, sous le feu des balles ennemies).

3 Les mots servant à désigner les soldats (procédés de reprise nominale et pro-nominale) :

– « ils » (l. 9) : pronom ;– « les » (l. 11) : pronom ;

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– « les guetteurs » (l. 15) : GN ;– « les malheureux » (l. 19) : GN.4 La popularité de Ferdinand, qu’il nomme « [s]on ancienneté et [s]es états de

service » (l. 41), se mesure aux souvenirs (des anciens) et aux légendes (que les nou-veaux ont apprises) qui tournent autour de lui. Tous les anciens soldats, à l’arrivée de Juvenet, veulent voir son rat (l. 52-54). De plus, en hommage, on donne le nom d’une tranchée à Ferdinand (l. 66-72).

5 Quand Juvenet passe au grade de caporal (le premier grade militaire, donc le plus « humble »), il obtient une fonction d’une grande importance :

– c’est le seul gradé, selon le narrateur, qui ne délègue pas ses ordres et qui agit (l. 10-14) ;

– c’est le seul gradé à qui les soldats obéissent (l. 14-16), étant leur seul intermé-diaire avec le reste de la hiérarchie militaire.

6 Si Juvenet ne dévore pas le gâteau avant le temps de Noël, c’est pour ne pas trahir la confi ance tacite entre sa femme et lui : il imagine que sa femme a prévu qu’il le mangerait au soir du réveillon (elle pensera à lui à ce moment-là). Il aimerait que leurs pensées se rejoignent dans ce temps-là. Il fait de ce cake un objet sacré d’union entre son épouse et lui.

7 Face à l’attaque du gâteau par les rats, Ferdinand se trouve devant un cas de conscience : doit-il ou non participer à la dévastation du cake ? S’il le fait, il est un brigand comme les autres, s’il ne le fait pas, il se prive d’une part qui lui revient de droit. Son choix est simple : manger le plus possible. Ainsi, il dévore sa part et, fait amusant, s’empiff re tant qu’il « sauv[e] celle de Juvenet » (l. 90-91). Drôle de sauvetage…

8 Ferdinand cherche une « compensation » (l. 127) pour son maître : il se rend dans la tranchée ennemie et rapporte une terrine de foie gras (l. 150).

9 Le personnage qui réapparaît, c’est Hugon, qui avait fait attaquer par jalousie Ferdinand par un ratier (p. 39-43). Il s’attribue le cadeau fait à Juvenet de la terrine de foie gras, en signe de paix. Ferdinand est outré : c’est lui qui voulait faire plaisir à son ami, inconsolable de la perte du cake. Mais quand il goûte au « foie gras », il se rend compte qu’il s’agit de cirage (l. 194)… Hugon est humilié.

10 Dans le chapitre II, Ferdinand a pitié de ses « frères misérables » (l. 87), qui constituent une « foule grouillante et famélique » (l. 88). Il parle d’eux comme de « malheureux » (l. 89-90) toujours soumis à une eff royable persécution. Ferdinand se sent malgré tout « comme un étranger parmi eux » (l. 95) : il n’a plus grand rapport avec ses congénères : « Je les trouvais grossiers, cruls et ennuyeux » (l. 96-97). Pourtant, il leur vient en aide dès que possible (l. 100-102), même s’il les juge « sang-gêne » et

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« impudent[s] » (l. 104-105). Au chapitre IV, au moment de la dévoration du cake, Ferdinand ne semble plus aussi éloigné de ses congénères. Même s’il tente une ruse en leur faisant croire qu’il est empoisonné, il est pris d’une frénésie génétique et participe à la gloutonnerie. Plus tard, Ferdinand ressent de la « honte d’être un rat » (l. 119), en ayant agi de concert avec eux (l. 120-125).

11 La lettre de Juvenet, ébauchée dans le récit, est évidemment destinée à ne pas blesser son épouse. La suite à imaginer doit aller dans la direction du mensonge qu’il débute (l’attente de la dégustation, le partage avec les camarades, les qualités du gâteau…). En aucun cas, il ne peut décevoir sa femme en lui expliquant que son gâteau a été dévoré par les rats.

12 Le récit proposé peut-être tiré d’une expérience personnelle, mais il est auto-risé de recourir à la fi ction. L’obligation porte sur le point de vue interne – avec le pronom « je » – et la construction du récit : exposé du contexte, présentation de l’injustice et de la manière de la réparer…

13 La butte de Vauquois est aujourd’hui un paysage lunaire, marqué par de gigantesques cratères.

Toute proche de Verdun, elle est, pour les Allemands qui s’y installent en sep-tembre 1914, un observatoire stratégique important. À son sommet, un village d’une centaine d’habitants. Après une première bataille pour sa possession, les combattants français et allemands creusent et aménagent leur secteur. Des obus viennent ravager le village puis, de mars 1915 à avril 1918, c’est une guerre de mines qui s’engage. La butte est arasée de plusieurs mètres.

14 Le chapitre VIII des Croix de Bois donne une image d’une guerre des mines, dans un endroit très ressemblant à la butte de Vauquois : « le Calvaire fumait comme une usine. On voyait les torpilles monter du bois des Boches et tomber lourdement sur cette terre morte, où elles ne pouvaient plus rien arracher que des lambeaux d’hommes et de cailloux ». Envoyé pour quelques jours dans cet « enfer du secteur », le narrateur et son escouade commencent à entendre qu’on creuse sous leurs pas. C’est une mine, que l’ennemi remplit d’explosif. L’attente de l’escouade est horrible : vont-ils sauter ?

15 On distingue d’abord les « hommes du rang » : les soldats (1re classe) et les grades de caporal et de caporal-chef. Ensuite, on accède au corps des « sous-offi -ciers » : sergent, sergent-chef, adjudant, adjudant-chef et major. Viennent alors les « offi ciers subalternes » : aspirant, sous-lieutenant, lieutenant et capitaine. Les grades d’ « offi ciers supérieurs » sont : chef de bataillon, lieutenant-colonel et colonel. Les « généraux », de brigade, de division, de corps d’armée ou d’armée précèdent alors le grade suprême : maréchal de France.

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Le monument et la butte de Vauquois (février 2015). Photos : Stéphane Maltère

Étape 7 [« Les délices de Capoue »]

1 Habitués par la guerre, les soldats ne parviennent plus à voir les lieux pour ce qu’ils sont (un bois, une colline, un paysage…), mais pour ce qu’ils représentent sur la carte d’état-major et dans la perspective des combats. Ils ont acquis malgré eux une « vision exclusivement militaire ».

2 « si j’avais cru que cette révélation le put tant soit peu diminuer dans l’estime des honnêtes gens » et « si je dissimulais maladroitement ses conquêtes les plus fl at-teuses » : expression de la condition. « s’il se laissa un temps dévoyer » : expression de l’opposition.

3 Juvenet devient sergent (il passe sous-offi cier) et change d’apparence physique (l. 42-47). Il gagne en assurance, et, devant son succès auprès des femmes, dissimule son alliance…

4 Dans le chapitre IV, Juvenet se justifi e :– cette histoire avec Marie-Louise, n’étant plus de son âge, il devient nécessaire

pour lui de la faire exister (l. 18-20) ;– il veut profi ter des instants perdus de sa jeunesse (l. 31-34). C’est comme une

dette de guerre (l. 52-55).Il résume ainsi son raisonnement : « Je l’aime parce que, peut-être, c’est la der-

nière amante, je l’aime par reconnaissance d’avoir pu lui plaire, je l’aime enfi n pour la joie de lui entendre dire : “Je t’aime !” » (l. 39-41).

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5 Juvenet correspond avec Marie-Louise, a conservé des preuves de leur amour dans un coff ret et baptise son abri « Villa Marie-Louise » (l. 61-70).

6 Juvenet se sent coupable : il reçoit avec gêne les lettres de sa femme, comme s’il était pris en faute et il se met à travailler à la gravure d’une boîte à poudre aux initiales de sa femme. Il sait que c’est à elle qu’iront ses dernières pensées.

7 Juvenet récupère les lettres d’un ami mort au front : Jacques Berthet. En observant l’une d’elles, il reconnaît l’écriture et le parfum de Marie-Louise. Il vient en eff et également d’en recevoir une d’elle. Il n’ouvre ni l’une ni l’autre, trop troublé. C’est là que Ferdinand intervient, en dévorant la lettre de Berthet, pour éviter à son maître la confi rmation de ses soupçons. Au matin, Juvenet décide de disparaître. Ferdinand croit à un suicide, mais en fait, Juvenet écrit sur l’enveloppe de la lettre de Marie-Louise : « Le destinataire n’a pu être atteint », signe de sa mort au front. Marie-Louise est oubliée.

8 L’amplifi cation demandée s’appuie sur le texte, qui propose une ébauche du portrait physique de Marie-Louise : évocation des yeux, de son élégance vestimen-taire et dans le soin apporté à sa coiff ure. En vous aidant de la manière dont le narrateur développe la description du regard de Marie-Louise, proposez la peinture d’autres parties de son visage ou de son corps. Le recours aux analogies (comparaison, métaphore) est un moyen d’enrichir son texte.

9 Face à la lacune du texte (Ferdinand n’était pas présent lors de la rencontre entre Juvenet et Marie-Louise), il convient de développer le récit du premier regard des deux amants. Choisissez le cadre de leur rencontre, soignez la mise en scène, préparez le lecteur à croire en ce coup de foudre. Il faut raconter en construisant convenablement le récit et inclure une description (aidez-vous de la réponse à la question 8) mais aussi un dialogue. Faites en sorte que l’échange de paroles ne soit pas banal et pensez à respecter les codes du discours direct et du discours indirect.

10 Le texte propose deux idées intéressantes pour l’argumentation de Ferdinand : le bonheur ne peut pas se trouver dans cette infi délité ; la passion n’apporte pas la tranquillité d’esprit que donne une solide amitié. On voit bien que Ferdinand raisonne comme son vieux maître. Sans faire parler le rat (il ne le fait que par le monologue intérieur qui constitue la narration), on peut envisager une réfl exion que Ferdinand se fait à lui-même, en prolongeant ce que dit le texte.

11 La question ne porte pas sur la justifi cation ou non de l’infi délité (pour ou contre l’infi délité), mais sur la situation dans laquelle se met Juvenet dans le contexte de la guerre. Peut-on comprendre qu’il se laisse entraîner dans une histoire d’amour ? L’objectif est de répondre avec ses convictions, ses aprioris et d’essayer de les dépasser par une réfl exion plus générale.

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12 Au iiie siècle avant J.-C., les troupes d’Hannibal, manquant de matériel pour marcher sur Rome, s’installent à Capoue, une ville au nord de Naples. Là, on raconte que son armée et lui-même s’amollissent au contact des plaisirs et du bien-être qu’off re la ville. Sa défaite est proche… « S’endormir dans les délices de Capoue » est une expression qui dénonce l’amollissement dans le plaisir et la facilité.

13 Pendant la guerre, les soldats baptisent les tranchées et boyaux dans lesquels ils combattent : les noms sont parfois attribués en fonction des lieux proches, des noms de régiments, parfois des régions de France, de noms de personnes ou d’animaux : tranchée du Pommier, des Provençaux, de l’Est, des renards, des homosexuels, des touristes, des aubergines, des gourmets, boyau des deux calvaires…

On donne parfois à une tranchée un nom de soldat : « Les tranchées portent d’habitude le nom de quelqu’un qui a été tué en la faisant ou du gradé qui comman-dait à leur exécution. Ici nous avons la tranchée Brejeau, la tranchée Farge, le boyau Rizard etc. Tous des noms de notre compagnie. » (Julien Poulhès, Journal de Guerre)

14 Les réseaux de tranchées sont reliés au poste de commandement par des boyaux, galeries qui permettent de rejoindre à couvert la ligne de front. Les tranchées elles-mêmes, profondes généralement de trois mètres, sont creusées en zigzag pour éviter les tirs en enfi lade et sont parcourues d’abris et de postes de guet. En obser-vant un plan de coupe d’une tranchée, on peut relever un vocabulaire spécifi que : le parodos (monticule de terre à l’arrière de la tranchée), la crête de feu, la banquette de tir, la berme… Les tranchées ennemies sont séparées par un « no man’s land » recouvert de barbelés.

15 Ce travail oral permet de remettre en forme un travail de recherche afi n de le partager.

16 Cette question permet de se poser la question de la vérité : est-il préférable d’avoir une certitude qui blesse ou un doute qui console ? Certains verront dans l’attitude de Ferdinand un moyen amical de laisser le bénéfi ce du doute à Marie-Louise. D’autres penseront qu’il est néfaste de lui cacher la vérité.

17 Il s’agit de mettre en voix un texte poétique, en cherchant à faire ressortir son sens.

Étape 8 [« C’était donc ça »]

1 L’indiff érence face à la mort des soldats n’est pas due à un « manque de sensibi-lité » (l. 44) mais à un « excès de sensation – excès dans l’intensité et dans le nombre » (l. 44-45). Les hommes se sont habitués à la mort de leurs camarades.

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2 Il apprend de lui des informations pour son « bien-être matériel » (le peu de place nécessaire au repos, comment garder la chaleur du corps…) (l. 9-20), mais aussi « l’état d’esprit du combattant, les émotions du champ de bataille » (l. 21-22). Il lui apprend, en les lui imitant, les sons des diff érents obus et des balles (l. 22-27). Il l’informe enfi n sur son rôle de chef de section et sur le règlement (l. 29-31). Il lui sert de véritable mentor.

3 Le lieutenant craint d’être la risée du bataillon en montrant un signe de fai-blesse à sa compagnie. Il a peur de ne pas être à la hauteur de l’attente de ses hommes.

4 Le tremblement du lieutenant, qu’on peut expliquer face à la peur du danger et de la mort, semble un tremblement mécanique, incontrôlable (l. 81-83). Il cesse de trembler à l’instant même où il a une mission à accomplir et son devoir à faire face à ses hommes (l. 93-95).

5 Trois sens sont utilisés pour évoquer la guerre :– la vue : « nous avions comme horizon quelques brins d’herbe », « des insectes

autour de nous continuaient leur vie aff airée » (l. 57-60), « nous suivions machina-lement de l’œil’ (l. 60-61) ;

– l’ouïe, marquée par les nombreux sons de la guerre : « mugissement », « ton-nerre » (l. 63-64), « vagissements », « des blessés appelaient » (l. 78-79) ;

– le toucher : « nous sentions le souffl e de leur passage » (l. 66), « chaque détona-tion nous secouait » (l. 73) ; « je fus soulevé par le vent » (l. 80).

6 L’expérience de la mort et du danger, l’appartenance à un groupe qui a « colla-boré à l’histoire » métamorphose les hommes. Ils ne seront plus jamais comme avant.

7 La métaphore concerne une mer prise dans la tempête : les combats y sont associés grâce aux termes : « tempête », « s’engloutiraient », « démontée », « aborde-raient », « traversée périlleuse », « ouragan », « écueil ». La métaphore de la page 147 fi le le champ lexical de l’amputation : « amputée », « moignon », « cicatrice », « lépreux ».

8 Il transmet plusieurs messages :– il souhaite que personne ne vienne embellir ces années de guerre atroce

(l. 28-30) ;– il craint l’admiration des soldats français pour l’organisation allemande, ce qui

serait une forme de défaite dans la victoire (l. 49-57) ;– il espère que les Français garderont leur légèreté et leur goût de l’oisiveté

(l. 66-67) ;9 Ce travail d’écriture mené à la première personne doit se voir comme un

exercice de style. La description ne se fera que par l’intermédiaire d’un sens, le seul à disposition de Ferdinand pour évoquer la bataille de Malmaison : l’ouïe. Le

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développement du champ lexical de l’ouïe, la variété et la richesse du vocabulaire pour décrire les sons entendus et leur interprétation, doit pouvoir produire un texte original.

10 Selon le principe du Décameron de Boccace, où chaque intervenant raconte à son tour une histoire, il s’agit, pour le capitaine, de relater sa première expérience des combats. Le traitement est assez libre, mais il serait sans doute intéressant de construire le texte selon les axes suivants : le contexte, les attentes et les appréhensions du capitaine avant la bataille, le déroulement des combats (les faits et les impres-sions), une analyse en guise de conclusion. On n’oubliera pas le caractère oral de ce récit au cours duquel des interventions des autres personnages sont possibles.

11 Ce récit peut prendre la tournure d’un texte autobiographique, mais le recours à la fi ction est possible. Le point de vue interne est de rigueur. Il s’agit de se projeter dans ses premières fois (premier jour de collège, premier jour de colonie de vacances, premier exposé devant une classe, premier contact avec l’entreprise, pre-mière fois dans le bureau du principal…). Les faits doivent être mêlés à l’expression et à l’analyse des sentiments.

12 Le narrateur propose ici au lecteur d’amplifi er lui-même la fi n de son récit : il propose les diff érentes actions du récit qu’il ne prend pas la peine de faire. Le sujet porte donc sur une suite de texte guidée : le ralliement des troupes dans la nuit, puis l’attaque (avec une surprise !) puis l’attente que le bombardement d’obus cesse…

13 Le sujet de réfl exion porte ici sur le ton du texte. Les attentes du lecteur ont-elles été satisfaites ? Le ton n’était-il pas trop léger, porté vers l’humour et la légèreté des anecdotes ? Un texte organisé comprend une introduction présentant le sujet à traiter, un développement en paragraphes et aux enchaînements soignés d’argument en argument et une conclusion bilan.

14 La bataille de Malmaison se déroule du 23 au 26 octobre 1917. Elle s’inscrit dans une succession d’échecs français (comme celui du Chemin des Dames) qui ont conduit aux mutineries. Pétain est alors appelé au secours du commandement français pour apaiser les soldats et il organise une off ensive à l’ouest du Chemin des Dames, de petite dimension qui, gagnée par les Français, leur remonte le moral.

15 Le Décaméron de Boccace (écrivain italien du xive siècle) et l’Heptaméron de Marguerite de Navarre (une femme de lettres française du xvie siècle) sont des recueils de nouvelles dont les histoires sont racontées à tour de rôle par les person-nages de ces recueils, dans une circonstance qui les oblige à passer le temps. Les devi-sants, qu’on trouve dans Les Mémoires d’un rat sont un capitaine, un lieutenant, un aspirant et un sous-lieutenant, amenés, « pour tromper l’insomnie et tuer le temps » (p. 137, l. 24) à raconter chacun leur tour « son baptême du feu » (l. 25-26).

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16 Parmi les martyrs chrétiens célèbres, on peut retenir les destinées de :– Sainte Blandine, livrée aux taureaux dans un cirque en 177 (sous le règne de

Marc Aurèle) ;– Saint Laurent, brûlé vif sur un gril ;– Sainte Eulalie, enfermée dans un tonneau rempli de tessons de verre qu’on a

fait rouler (ive siècle).17 Il existe deux batailles de la Marne, dont la première est la plus marquante.– La première date de septembre 1914 et permet de repousser l’irrésistible avancée

allemande des premières semaines de la guerre. Joff re ordonne aux troupes françaises en repli de repartir à l’attaque. Français et Britanniques ont besoin de renforts pour mener à bien leur contre-attaque : on fait alors appel aux « taxis de la Marne » pour transporter en urgence sur le front les milliers de soldats nécessaires. Les troupes sont bloquées. La guerre de tranchées peut commencer.

– La seconde date de juillet 1918. Il s’agit d’une contre-off ensive victorieuse pour la France et les Alliés.

18 Le Monument national de la Victoire de la Marne est étrange avec ses airs de totem. C’est l’architecte Paul Bigot et le sculpteur Henri Bouchard qui le réalisent, de 1931 à 1938. Il est inauguré en 1951, l’inauguration de septembre 1939 ayant été annulée en raison du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

Les éléments qui le composent :– une victoire ailée ;– la fresque des généraux au pied de la sculpture ;– des inscriptions.19 Le chemin des Dames est un plateau calcaire de l’Aisne qui a donné son

nom à une célèbre bataille (avril 1917). Nivelle commande les Français : il a prévu un bombardement massif des lignes ennemies (sur près de 30 km) puis l’interven-tion de l’infanterie. Le terrain est boueux et les bombardements, n’ayant pas bien réussi, l’avancée française est stoppée au niveau de la deuxième ligne de tranchées allemandes. Les chars français sont un échec. C’est un massacre. L’off ensive qui devait être rapide, conduit à un enlisement de plusieurs semaines, qui démoralisent les troupes.

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