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Mécanique & Industries 3 (2002) 489–496 Localisation de la déformation dans les polycristaux Colette Rey, Philippe Erieau , Thierry Hoc Laboratoire de mécanique des sols, structures et matériaux, UMR 8579, École centrale Paris, Grande voie des Vignes, 92295 Châtenay-Malabry cedex, France Abstract Strain localization appears during cold forming processes, leading to softening and to specific deformation texture. This phenomenon has a strong impact on damage and recrystallization. This paper focuses on the description of the localization bands in polycrystals submitted to different loading paths. Modelling of localization, based on a crystalline approach using a finite element code, is proposed. The simulation gives some details on the evolution of dislocation densities, on all activated slip systems and also on the microstructural anisotropy. Relations between localization bands and stored energy inhomogeneities are discussed. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. 1. Introduction Le phénomène de localisation de la déformation plastique sous forme de bandes, limitées par des plans, a un impact important sur la technologie des procédés de mise en forme à froid et à chaud. En effet, ce phénomène s’accompagne de l’apparition de la ductilité, il régit l’endommagement et donc la rupture et enfin, contrôle les textures de déformation et de recristallisation. La localisation qui a été très étudiée dans les alliages d’aluminium et les aciers, connaît un renou- veau d’intérêt lié aux nouvelles techniques expérimentales permettant d’accéder aux champs de déformation locaux à l’échelle du grain (techniques d’extensométrie par micro- grilles) et à l’évolution de l’orientation cristalline par les techniques d’Electron Back Scattering Diffraction (EBSD) mais aussi aux approches numériques basées sur la méthode des éléments finis. Le phénomène de localisation est le résultat d’un effet de structure (chargement, géométrie de la pièce) et d’un effet matériau (propriétés microstructurales, provenant de la déformation cristalline sur des plans et suivant des directions). On comprend de ce fait le succès des approches « micro-macro » basées sur des changements d’échelle. Une revue de ces phénomènes à l’échelle de la micro- structure a été proposée par Kuhlman-Wilsdorf [1]. Les bandes de déformation correspondent à une partition du vo- lume en domaines, correspondant, dans le cas du laminage, * Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (P. Erieau). à des strates parallèles présentant des alternances d’orien- tation cristallines. Cette configuration hétérogène, est le ré- sultat d’une activation dans différents domaines du grain ou de plusieurs grains, d’un nombre de systèmes de glissement beaucoup plus restreint que celui nécessité par une déforma- tion homogène. La conséquence est que la microstructure résultant de la déformation hétérogène conduit à une énergie de défor- mation plus faible que celle nécessaire à une déformation homogène. L’existence de ces domaines, séparés par des interfaces restant stables avec la déformation, dépend es- sentiellement de l’énergie de faute d’empilement du maté- riau [2,3]. La localisation de la déformation plastique en bandes a été observée, pour différentes sollicitations, à plu- sieurs échelles, microscopique et macroscopique. En char- gement monotone (traction, compression simple, plane), on note à l’échelle de quelques grains et pour des déformations inférieures à 40 %, deux familles de bandes plus ou moins alignées avec les joints de grains parallèles aux plans de ci- saillement maximum [5–8]. L’explication la plus simple est que ces bandes suivent le chemin de déformation le plus fa- cile, c’est à dire les zones « molles » permettant d’accom- moder les contraintes internes au voisinage des joints bien orientés par rapport à la sollicitation. Lorsque ce phéno- mène devient intense, la matrice se déforme peu et on note une augmentation de la ductilité. Les bandes de localisation appelées bandes de cisaillement, bandes de pliage, ou plus généralement macrobandes, se manifestent à l’échelle de la structure, principalement lors de changements de trajet de déformation. Elles sont liées à une instabilité se traduisant 1296-2139/02/$ – see front matter 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. PII:S1296-2139(02)01192-2

Localisation de la déformation dans les polycristaux

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Mécanique & Industries 3 (2002) 489–496

Localisation de la déformation dans les polycristaux

Colette Rey, Philippe Erieau∗, Thierry Hoc

Laboratoire de mécanique des sols, structures et matériaux, UMR 8579, École centrale Paris, Grande voie des Vignes,92295 Châtenay-Malabry cedex, France

Abstract

Strain localization appears during cold forming processes, leading to softening and to specific deformation texture. This phenomenon hasa strong impact on damage and recrystallization. This paper focuses on the description of the localization bands in polycrystals submitted todifferent loading paths. Modelling of localization, based on a crystalline approach using a finite element code, is proposed. The simulationgives some details on the evolution of dislocation densities, on all activated slip systems and also on the microstructural anisotropy. Relationsbetween localization bands and stored energy inhomogeneities are discussed. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved.

1. Introduction

Le phénomène de localisation de la déformation plastiquesous forme de bandes, limitées par des plans, a un impactimportant sur la technologie des procédés de mise en formeà froid et à chaud. En effet, ce phénomène s’accompagnede l’apparition de la ductilité, il régit l’endommagement etdonc la rupture et enfin, contrôle les textures de déformationet de recristallisation. La localisation qui a été très étudiéedans les alliages d’aluminium et les aciers, connaît un renou-veau d’intérêt lié aux nouvelles techniques expérimentalespermettant d’accéder aux champs de déformation locaux àl’échelle du grain (techniques d’extensométrie par micro-grilles) et à l’évolution de l’orientation cristalline par lestechniques d’Electron Back Scattering Diffraction (EBSD)mais aussi aux approches numériques basées sur la méthodedes éléments finis.

Le phénomène de localisation est le résultat d’un effetde structure (chargement, géométrie de la pièce) et d’uneffet matériau (propriétés microstructurales, provenant dela déformation cristalline sur des plans et suivant desdirections). On comprend de ce fait le succès des approches« micro-macro » basées sur des changements d’échelle.

Une revue de ces phénomènes à l’échelle de la micro-structure a été proposée par Kuhlman-Wilsdorf [1]. Lesbandes de déformation correspondent à une partition du vo-lume en domaines, correspondant, dans le cas du laminage,

* Correspondance et tirés à part.Adresse e-mail : [email protected] (P. Erieau).

à des strates parallèles présentant des alternances d’orien-tation cristallines. Cette configuration hétérogène, est le ré-sultat d’une activation dans différents domaines du grain oude plusieurs grains, d’un nombre de systèmes de glissementbeaucoup plus restreint que celui nécessité par une déforma-tion homogène.

La conséquence est que la microstructure résultant dela déformation hétérogène conduit à une énergie de défor-mation plus faible que celle nécessaire à une déformationhomogène. L’existence de ces domaines, séparés par desinterfaces restant stables avec la déformation, dépend es-sentiellement de l’énergie de faute d’empilement du maté-riau [2,3]. La localisation de la déformation plastique enbandes a été observée, pour différentes sollicitations, à plu-sieurs échelles, microscopique et macroscopique. En char-gement monotone (traction, compression simple, plane), onnote à l’échelle de quelques grains et pour des déformationsinférieures à 40 %, deux familles de bandes plus ou moinsalignées avec les joints de grains parallèles aux plans de ci-saillement maximum [5–8]. L’explication la plus simple estque ces bandes suivent le chemin de déformation le plus fa-cile, c’est à dire les zones « molles » permettant d’accom-moder les contraintes internes au voisinage des joints bienorientés par rapport à la sollicitation. Lorsque ce phéno-mène devient intense, la matrice se déforme peu et on noteune augmentation de la ductilité. Les bandes de localisationappelées bandes de cisaillement, bandes de pliage, ou plusgénéralement macrobandes, se manifestent à l’échelle de lastructure, principalement lors de changements de trajet dedéformation. Elles sont liées à une instabilité se traduisant

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sur les courbes de traction ou de cisaillement par un maxi-mum suivi d’un plateau. Elles s’accompagnent d’une micro-structure de dislocations spécifiques [9–12].

Différentes techniques permettent de mesurer l’évolu-tion du champ de déformation intra et intergranulaire.Nous avons utilisé dans ce qui suit, la méthode des mi-crogrilles qui permet, du fait de la régularité du maillage(ce qui peut être parfois un inconvénient) non seulementde mesurer les déformations, mais aussi de bien visuali-ser les bandes de localisation. Ces techniques qui n’ana-lysent que la surface du matériau, permettent d’acquérir, àl’échelle du grain, les trois composantes du tenseur de Green¯̄E(E11,E22,E12) [5,8,13]. L’évolution de la texture locale

dans les grains est déterminée par EBSD.

2. Modélisation par élément finis, approche cristalline

Un modèle prenant en compte les mécanismes de la plas-ticité cristalline (déformation sur les systèmes de glissementet rotation du réseau cristallin) a été utilisé pour décrire lesphénomènes de localisation dans les matériaux de structurecubique. Cette approche a été implantée dans le code d’élé-ments finis ABAQUS par Hoc [14–16] selon les travaux deSmelser et Becker [17]. Le modèle s’inscrit dans le cadre dé-veloppé par Asaro [18], Peirce et al. [19,20] et modifié parTeodosiu et al. [21].

La cinétique est celle des grandes transformations, baséesur la décomposition multiplicative du gradient de la trans-formation élastique et plastique. L’anisotropie plastique estdécrite en termes de densité de dislocations sur chaque sys-tème de glissement plutôt qu’en déformation cumulée. Dansle cas des matériaux de structure cubique centrée, on utiliseune loi puissance viscoplastique qui relie la cission résolueτ sg sur le système de glissement (s) dans le grain (g) et lavitesse de glissement associéeγ̇ sg. Cette loi est de la forme :

γ̇ sg= γ̇0

∣∣∣∣τ sg

τsgc

∣∣∣∣n

sgn(τ sg) si τ sg> τ

sgc

γ̇ sg= 0 dans le cas contraire

n est le coefficient de sensibilité à la vitesse,γ̇0 est unevitesse de référence qui dépend de la température,τ

sgc est

la cission critique qui dépend des variables structurales et dela température.

La cission résolueτ sg sur le système (s) du grain g, estdonnée par :

τ sg= σ g : ( �msg⊗ �nsg)Où �msg et �nsg sont respectivement la direction de glissementet la normale du système (s).

La condition d’activation d’un système de glissement (s)du grain (g) est donnée par la loi de Schmid :

τ sg≥ τsgc avec τ

sgc = τ0 + µb

(∑u

asuρu

)1/2

Tableau 1Coefficients de la matrice d’interaction

Plans {110} ∩ {110} {110} ∩ {112} {112} ∩ {112}Identiques ao Ksoao

Colinéaires K1ao Kp1ao KsoK1ao

Non colinéaires K1K2ao Kp1Kp2ao KsoK1K2ao

où τ0 est la force de friction etasu la matrice qui caractériseles interactions entre deux familles de dislocations (s) et(u).

Pour les matériaux cubiques centrés se déformant, au-dessus de la température de transition, suivant les 24systèmes{110}〈111〉 et {112}〈110〉, la matriceasu est unematrice symétrique 24× 24. Elle est constituée de termesdifférents, regroupant les interactions entre des systèmes deglissements identiques, colinéaires et non colinéaires. Dansces matériaux, on distingue six termes différents, dont lescomposantes sont données dans le Tableau 1.

Ces coefficients doivent être identifiés par des essaisd’écrouissage latent sur monocristaux ou par identificationen utilisant des modèles inverses à partir d’essais surpolycristaux.

La loi d’évolution des densités de dislocations est baséesur la relation d’Orowan et sur celle du processus d’annihi-lation des dipôles de dislocations. L’évolution de la densitéde dislocation est donnée par :

ρ̇sg= 1

b

(1

Lsg − Gcρsg)∣∣γ̇ ug

∣∣b est la norme du vecteur de Burgers,Gc est le paramètrelié au processus d’annihilation entre dipôles de dislocations,Lsg est le libre parcours moyen du système (s) dans le grain(g). Il peut se mettre sous la forme :

Lsg= K√∑u ρgu

K est un paramètre matériau.On peut également écrire l’évolution de la cission critique

sous la forme :

τ̇sgc = hsuγ̇ ug

hsu = µ

2asu

(∑l

aslρ l

)−1/2{1

K

(∑l �=u

ρl

)1/2

− Gcρu

}

correspond à la matrice d’écrouissage évoluant avec ladéformation.

3. Simulation numérique de la localisationde la déformation et de l’énergie associée

La structure polycristalline doit être idéalisée avant intro-duction dans le code de calcul. En effet la connaissance 3Dde la structure conduit à sa destruction et la discrétisationd’une structure virtuelle ne permet pas de traduire les inter-actions entre grains réels donc les phénomènes physiques.

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Fig. 1. Agrégat obtenu à partir de coupes orientées par EBSD, six des couches consécutives sont données à titre d’exemple.

(a) (b)

Fig. 2. (a) Déformation des grains d’une des couches internes en déformation plane (30 %). (b) Hétérogénéités de déformation.

Nous avons choisi deux méthodes, la première est d’étudierun agrégat 3D, obtenu par polissage des couches successivesdu matériau, ceci afin d’avoir une représentation réaliste dumatériau, la seconde plus simple, est d’étudier une couche degrains orientés, l’ensemble étant placé suivant les cas, dansun matériau équivalent ou non. Le motif étudié n’est doncpas totalement représentatif, mais sa taille est choisie de fa-çon à obtenir des courbes macroscopiques et des textureséquivalentes à celle du matériau réel. Le compromis entrela taille de l’agrégat et le nombre d’éléments du maillageest déterminé par le temps de calcul et la finesse des évé-nements physiques que l’on recherche. Le problème le plusdélicat est d’introduire les conditions aux limites qui s’exer-cent sur la couche, et qui peuvent être un peu différentes decelles appliquées à l’agrégat massif.

A titre d’exemple, nous avons étudié les inhomogénéi-tés de contraintes de déformation et d’énergie stockée aprèscompression plane d’un acier IF [22]. Cet acier provientd’une tôle laminée à chaud, dont la taille de grain est de100 µm. L’échantillon analysé est constitué d’une surfacede 504× 504µm2 et de 12 couches de 25µm. La forme, lataille, la position et l’orientation des grains sont identifiéespar EBSD selon une grille de 8µm2. Chaque couche estconstituée d’éléments 8 nœuds au total (63× 63 élémentspar couche) auxquels on donne une position et une orienta-tion cristalline déterminées par l’EBSD. L’intérêt d’appro-

cher au mieux, l’amplitude et la répartition de l’énergie sto-ckée dans un polycristal réside dans la compréhension desphénomènes de recristallisation [23,24]. En effet les modèlesd’homogénéisation utilisés pour ce genre d’étude ne peuventni prendre en compte les joints de grains réels, ni décrireles hétérogénéités et restent imparfaits pour décrire la tex-ture [25].

L’agrégat et six des couches sont donnés sur la Fig. 1.L’échantillon est comprimé suivant la face supérieure NDet les faces perpendiculaires à TD sont supposées fixes ;l’échantillon peut s’allonger dans la direction RD. La dé-formation imposée est de 30 %, ce qui correspond à une dé-formation équivalente de Von Mises de 0,41.

3.1. Hétérogénéités de déformation

La déformation des grains et les hétérogénéités de dé-formation dans la direction de compression à l’échelle del’agrégat sont données sur la Fig. 2. On note une déformationcomprise entre−1,23 et−0,13. Le faible nombre élémentspar couche ne permet pas ici d’identifier à l’échelle du grainles bandes de localisation. Celles-ci sont plus visibles sur laFig. 3, correspondant à une couche de 100 grains, mailléeplus finement (couche 3D formée de 4900 éléments) et dé-formée de 30 %. La déformation s’effectue suivant deux fa-milles de bandes. En replaçant les valeurs obtenues dans laconfiguration non déformée (Figs. 4(a) et (b)), on peut ai-

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Fig. 3. Agrégat déformé en compression plane. Carte de la déformation axiale à 30 % de déformation imposée (configuration déformée et initiale).

(a) (b)

Fig. 4. (a) Carte de déformation E33 (replacée dans la configuration initiale) déformation appliquée 1 %. (b) Carte de déformation E33 (replacée dans laconfiguration initiale) déformation appliquée 30 %.

sément suivre l’évolution de la déformation. On constateque celle-ci se localise très précocement dans des régionsde l’agrégat proche des joints de grain orientés dans la di-rection de cisaillement maximum. Les bandes restent locali-sées au même endroit mais s’intensifient et s’élargissent. Ilexiste d’autres modèles cristallins basés sur une approche si-milaire mais qui différent pour l’essentiel, sur la descriptionde l’écrouissage [27–30].

3.2. Énergie stockée

L’énergie stockée par unité de volume s’obtient à partir ducalcul des contraintes résiduelles après décharge. Le résultatest peu différent de celui obtenu à partir de l’évaluation del’énergie à partir des dislocations stockées [22], donnée parla formuleE

ρst = 1

2µb2ρ (Fig. 5(a)). On constate que les dis-locations sont stockées près de certains joints de grains, afin

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(a) (b)

Fig. 5. Comparaison entre la carte de l’énergie stockée calculée à partir des densités de dislocation et celle du travail plastique. Les valeurs et lesemplacementsdes maxima sont différents. (a)E

ρst = 1

2µb2ρ, (b) Epwst = ∫

σ ε̇p dt .

(a) (b) (c)

Fig. 6. (a) Trajet de déformation : déformation plane – traction simple. (b) Morphologie de la localisation lors du second trajet (haut essai DL, localisationdiffuse, bas essai DT, localisation en bandes). (c) Courbes contraintes–déformation pour 3 taux de prédéformation (essai DT).

d’accommoder les incompatibilités de déformation plastiqueet de relaxer les contraintes internes. L’énergie stockée ex-primée à partir des dislocations est nettement différente dutravail plastique emmagasiné (Fig. 5(b)) souvent utilisé à tortpour décrire l’énergie stockée.

3.3. Localisation de la déformation lors d’essaisséquentiels

Des travaux récents portant sur la modélisation des insta-bilités de déformation plastique après changements de tra-jets ont montré l’importance d’une description précise dela microstructure de dislocations pour prévoir les courbescontrainte-déformation [30]. Le modèle cristallin ANAÏSprésenté plus haut, a permis malgré une description simplede la microstructure [15], de prévoir la morphologie desbandes de localisation et de proposer un critère de locali-sation. En revanche, elle ne permet pas de décrire après unchangement de trajet, la disparition de la première micro-structure qui vient de ce fait, se superposer à la seconde. Ilest clair que cette description en densité continue de dis-

location ne décrit la microstructure que par la nature dessystèmes actifs et leur libre parcours moyen. Cela est néan-moins suffisant pour traduire l’évolution de l’anisotropie mi-cro structurale pendant le premier trajet et son influence surle deuxième trajet de déformation.

À titre d’exemple, nous donnons une comparaison entreles résultats expérimentaux et la simulation numériqued’essais traction plane-traction simple.

3.4. Résultats expérimentaux

Les essais consistent en une déformation plane dansla direction de laminage suivie, après découpe de petiteséprouvettes dans la tôle déformée, d’essais de tractionsimple dans la direction de laminage DL (essai DL) et dansla direction transverse DT (essai DT), voir Fig. 6(a). Lamorphologie des bandes lors du second trajet, ainsi queles courbes pour les essais DT lors du second trajet, sontdonnées sur les Figs. 6(b) et (c). On observe une localisationdiffuse pour l’essai DL et en macrobandes à 45◦ de l’axe detraction, pour l’essai DT. Les courbes de traction présentent

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(a) (b)

Fig. 7. (a) Cartographie de la déformation E22 suivant l’axe de traction dans la macrobande (essai DT) pour une déformation macroscopique de 1,5 %. (b)Évolution de la déformation en des points matériels situés dans la bande, sur une parallèle à l’axe de traction.

(a) (b)

Fig. 8. (a) Simulation de la localisation, essai DL et essai DT. (b) Simulation des courbes contrainte–déformation, essais DL et DT.

un maximum correspondant à la localisation, suivi d’unadoucissement puis d’un plateau. Le maximum est plusimportant pour les essais DT.

Des essais de traction dans un MEB, ont permis dequantifier simultanément, lors du deuxième chargement,dans la zone où se localisait la déformation, l’évolutiondu champ de déformation à partir du déplacement desnœuds d’une microgrille (5µm de pas) et l’évolution del’orientation cristalline dans les éléments de cette grille.

La macrobande de localisation examinée est limitée pardeux interfaces, l’une mobile, l’autre fixe. Elle est constituéede deux familles de mésobandes, situées initialement à 45degrés de l’axe de traction. Ces mésobandes traversent un oudeux grains et localisent toute la déformation, la matrice res-tant élastique. La propagation de la macrobande s’effectuepar activation de nouvelles mésobandes près de l’interfacemobile. Ces mésobandes sont formées de paquets de glisse-ment grossier. La zone localisée se comporte comme un « su-per monocristal » se déformant suivant deux familles de mé-sobandes qui ignorent l’existence des joints de grains et tour-nent vers l’axe de traction lorsque la déformation augmente.Nous avons constaté, comme le montrent les Figs. 7(a) et (b),que la déformation est toujours localisée aux mêmes points

matériels. Notons que la déformation longitudinale localedans les mésobandes, peut atteindre 1,2 pour une déforma-tion imposée de 1,5 %. Lorsqu’il y a saturation de la défor-mation dans une mésobande, une autre s’active près de l’in-terface mobile.

Les mesures par EBSD montrent que la texture dans lamatrice est identique à celle obtenue à la fin du premiertrajet. En revanche, la texture dans la macrobande évoluefortement vers la texture classique de traction simple.L’adoucissement observé n’est donc pas d’origine texturale.

3.5. Résultats numériques

Pour simuler le second trajet, l’agrégat est composé d’unmotif élémentaire reproduit huit fois. Le motif élémentaireanalysé prend en compte la forme des grains, leur positiondans l’agrégat, leur orientation cristalline mesurée à la fin dupremier du ? trajet et les densités de dislocation calculées àla fin du premier trajet.

Les résultats sont donnés sur les Figs. 8(a) et (b). Lescourbes contrainte–déformation sont en accord qualitatifavec les courbes expérimentales :

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(a) (b)

Fig. 9. (a) Évolution des densités de dislocation lors du deuxième trajet de déformation. La localisation en macrobande correspond à la saturation des densités.(b) Évolution des amplitudes de glissement avant et après localisation.

• la localisation pour l’essai DT s’effectue pour unedéformation supérieure à celle de l’essai DL et le stadede micro plasticité est plus important dans le premiercas ;

• en revanche la localisation apparaît pour des déforma-tions plus élevées que dans le cas expérimental ;

• la morphologie de la localisation, en bande pour les es-sais DT et diffuse pour les essais DL est bien modélisée.

Aucun critère de localisation n’est pris en compte dansle modèle. Pour comprendre l’origine de la localisation etde la ductilité associée, nous avons calculé l’évolution desdensités de dislocation et des amplitudes de glissement surles systèmes de glissement actifs dans un grain appartenantà la macrobande pour l’essai DT (Fig. 9). Pour le trajetDT, les systèmes actifs lors du premier trajet, deviennentlatents lors du second (leur densité reste constante) et troisnouveaux systèmes sont activés. Ils interagissent avec lapremière microstructure d’où un durcissement plus fort etune localisation plus tardive que pour l’essai DL. Pourl’essai DL, les systèmes actifs lors du premier et du secondtrajet sont identiques, la localisation est donc précoce, sansstade de micro plasticité.

Il y a donc localisation et apparition de la ductilité,lorsque les densités de dislocation actives tendent vers uneconstante(ρ̇s = 0), tandis que les amplitudes de glissementcorrespondantesγ s augmentent rapidement.

Dans la simulation, le retard de la localisation vient de ceque nous n’avons pas pris en compte les hétérogénéités dedéformation et de contrainte, calculées lors du premier trajetet de ce que la première microstructure formée ne disparaîtpas, ce qui est en contradiction avec l’expérience.

4. Conclusion

La localisation de la déformation en bandes macrosco-piques (échelle de l’éprouvette) et mésoscopique (échellede quelques grains) a été étudiée pour des températures del’ordre de 0,3Tf , via différentes méthodes expérimentales et

numériques. Les observations menées à différentes échellesmontrent l’importance des effets indissociables de la plasti-cité cristalline et de structure. L’activation de quelques sys-tèmes de glissement dans des mésobandes dont la largeur estinférieure au grain conduit à une augmentation de la ductilitédu fait de la restauration qui augmente avec la densité de sys-tèmes. Ces bandes sont à l’origine des textures et conduisentà des énergies de déformation plus faibles que celles cor-respondant à une déformation homogène suivant plusieurssystèmes de glissement. Il est admis que l’initiation de cesmésobandes au voisinage des joints de grains et des nœudstriples est liée aux incompatibilités de déformation d’ori-gine élastique mais surtout plastique. A forte déformation,les bandes saturent et d’autres apparaissent.

Une approche cristalline s’appuyant sur la méthode deséléments finis nous a permis de prendre en compte les inter-actions entre grains voisins (dont les orientations n’ont riend’aléatoires) et d’introduire des longueurs caractéristiquesqui correspondent ici aux libres parcours moyens des dis-locations. La microstructure est ici décrite grossièrement pardes dislocations continues. Le principal intérêt du modèle estde donner accès à des grandeurs non accessibles expérimen-talement, comme les densités de dislocation et les systèmesde glissement actifs, mais aussi d’apporter des éléments nou-veaux pour tout ce qui concerne les critères d’instabilité etles phénomènes liés à la recristallisation.

Le modèle cristallin présenté ici est limité à des défor-mations inférieures à 30–40%. Pour des déformations plusélevées (stade IV et V du monocristal), il est nécessaire d’ac-quérir des informations à une échelle plus microscopiqueafin de mieux corréler la localisation de la déformation etla microstructure et d’introduire ces informations, sous uneforme appropriée, dans les codes d’éléments finis.

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