4
L’occupation américaine et les larmes de sang prédites par Hannibal Price (2 de 5) Par Leslie Péan, 25 juillet 1915 Les configurations noiristes et mulâtristes, autant en théorie qu’en pratique, n’augurent rien de lumineux pour la Nation. Le moteur de la liberté est amputé dès le départ avec l’exclusion des affaires nationales, autant des Polonais, des Français révolutionnaires abolitionnistes comme Malet que des Allemands de Bombardopolis. Les mécanismes de dilapidation des deniers publics mis en avant sous Dessalines avec le « Plumez la poule, mais ne la laissez pas crier » et sous Pétion avec le « Voler l’État, ce n’est pas voler » vont être pérennisés, multipliés et complexifiés. D’une génération à l’autre, les antivaleurs se transmettent. En réalité, le problème est plus grave du fait que notre entendement est perturbé au point de nous empêcher de distinguer le bien du mal. La gangrène de la corruption légitime le manque d’éthique, rejette les universaux et martèle que la moralité dépend du contexte culturel i . Nous acceptons le mal s’il est fait par un des nôtres, mais ce même mal est condamné s’il est fait par un étranger à notre groupe. Hannibal Price est étonné du silence manifesté lors de l’emprisonnement sans jugement du Noir Brunet Brice pendant 11 ans sous le règne du noiriste Faustin Soulouque et de l’exécution de son fils Broussain Brice dit Brice Ainé sous le gouvernement noiriste de Domingue-Rameau. L’approche épistémologique qui refuse les r è gles de moralit é et de civilit é est également à la racine du « Pito nou lèd nou la », et du « tout voum se do ». Deux approches délirantes qui font qu’Haïti va de mal en pis. Convaincu que la société haïtienne « blanche, jaune ou noire » avait atteint le fond et ne pouvait descendre plus bas, Hannibal Price écrivait : «Il faut remonter maintenant ou périr. Avant la fin d’un autre demi-siècle, il faut l’apothéose ou la chute du rideau, l’auréole de gloire ou la chute éternelle ii Le refus de la finance noire L’inquiétude exprimée par Hannibal Price est évidente. De son poste d’ambassadeur d’Haïti à Washington, il dresse l’inventaire du consensus financier mou qui nous a étouffés. En effet, les parlementaires libéraux avaient mené des enquêtes extraordinaires sur les emprunts Domingue-Rameau de 1874 (15 millions de francs) et de 1875 (50 millions de francs). Ils 1

L’Occupation Américaine Et Les Larmes de Sang Prédites Par Hannibal Price-2 de 5

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Les configurations noiristes et mulâtristes, autant en théorie qu’en pratique, n’augurent rien de lumineux pour la Nation. Le moteur de la liberté est amputé dès le départ avec l’exclusion des affaires nationales, autant des Polonais, des Français révolutionnaires abolitionnistes comme Malet que des Allemands de Bombardopolis. Les mécanismes de dilapidation des deniers publics mis en avant sous Dessalines avec le « Plumez la poule, mais ne la laissez pas crier » et sous Pétion avec le « Voler l’État, ce n’est pas voler » vont être pérennisés, multipliés et complexifiés. D’une génération à l’autre, les antivaleurs se transmettent.

Citation preview

Loccupation amricaine et les larmes de sang prdites par Hannibal Price (2 de 5)

Par Leslie Pan, 25 juillet 1915

Les configurations noiristes et multristes, autant en thorie quen pratique, naugurent rien de lumineux pour la Nation. Le moteur de la libert est amput ds le dpart avec lexclusion des affaires nationales, autant des Polonais, des Franais rvolutionnaires abolitionnistes comme Malet que des Allemands de Bombardopolis. Les mcanismes de dilapidation des deniers publics mis en avant sous Dessalines avec le Plumez la poule, mais ne la laissez pas crier et sous Ption avec le Voler ltat, ce nest pas voler vont tre prenniss, multiplis et complexifis. Dune gnration lautre, les antivaleurs se transmettent.En ralit, le problme est plus grave du fait que notre entendement est perturb au point de nous empcher de distinguer le bien du mal. La gangrne de la corruption lgitime le manque dthique, rejette les universaux et martle que la moralit dpend du contexte culturel[endnoteRef:1]. Nous acceptons le mal sil est fait par un des ntres, mais ce mme mal est condamn sil est fait par un tranger notre groupe. Hannibal Price est tonn du silence manifest lors de lemprisonnement sans jugement du Noir Brunet Brice pendant 11 ans sous le rgne du noiriste Faustin Soulouque et de lexcution de son fils Broussain Brice dit Brice Ain sous le gouvernement noiriste de Domingue-Rameau. [1: Kesner Castor, 1998, thique vaudou : une hermneutique de la matrise, Paris, L'Harmattan, 1998, p. 12. ]

Lapproche pistmologique qui refuse les rgles de moralit et de civilit est galement la racine du Pito nou ld nou la, et du tout voum se do. Deux approches dlirantes qui font quHati va de mal en pis. Convaincu que la socit hatienne blanche, jaune ou noire avait atteint le fond et ne pouvait descendre plus bas, Hannibal Price crivait: Il faut remonter maintenant ou prir. Avant la fin dun autre demi-sicle, il faut lapothose ou la chute du rideau, laurole de gloire ou la chute ternelle[endnoteRef:2]. [2: Hannibal Price, De la rhabilitation de la race noire par la Rpublique d'Hati, Port-au-Prince, Imprimerie Verrollot, 1900, p. 657.]

Le refus de la finance noire

Linquitude exprime par Hannibal Price est vidente. De son poste dambassadeur dHati Washington, il dresse linventaire du consensus financier mou qui nous a touffs. En effet, les parlementaires libraux avaient men des enqutes extraordinaires sur les emprunts Domingue-Rameau de 1874 (15 millions de francs) et de 1875 (50 millions de francs). Ils avaient conclu que le gouvernement Domingue-Rameau avait festoy et ripaill jusqu livresse avec ces emprunts et quHati ne devait pas ses montants dilapids par les bandits alors au pouvoir. Une partie de ces deux dettes de 1874 et 1875 a t utilise pour payer les annuits de la double dette de lindpendance (dette de 150 millions francs-or et emprunt de 30 millions de francs-or). Les parlementaires libraux ont refus daccepter la finance noire et ont conclu par le dcret de lAssemble Nationale du 11 juillet 1877 quHati ne devait que 21 millions de francs pour les emprunts de 1874 et 1875. Do les guerres menes par les financiers occultes entre 1877 et 1915 chargeant tort et travers pour dfendre leurs magouilles. Hannibal Price a vu ses frres de combat assassins lors de la guerre de la Rue Pave entre Bazelaisistes et Canalistes du 30 juin au 3 juillet1879. Il a examin lalliance de Boisrond Canal (multriste) et de Lysisus Salomon (noiriste) aboutissant son bannissement le 17 septembre 1879 avec 78 de ses amis, dont Boyer Bazelais, Edmond Paul, Antnor Firmin, Camille Bruno. Le champ tait libre pour continuer la strangulation financire refuse par les Libraux bazelaisistes au parlement et permettre au gouvernement de Salomon de livrer la Banque Nationale dHati linstitution franaise dnomme Socit Gnrale de Crdit Industriel et Commercial. Leffondrement du projet de modernit tait consacr avant mme la dbcle des Libraux Miragone fin 1883. Hannibal Price est conscient de ltroite marge de manuvre dHati devant la contrainte extrieure franaise, allemande, amricaine, anglaise avec les multiples possibilits de drive que cette contrainte peut exercer quand au choix des dirigeants quHati se donne. Question rcurrente sil en est avec la dcision de la communaut internationale dimposer Hati en 2010 Michel Martelly comme prsident?

La zombification dHati

Hannibal Price aborde la question de la dcapitalisation massive dHati tantt pour payer les frais de nos rvolutions, tantt pour rembourser de prtendus emprunts ltranger qui nont jamais fait rentrer au Trsor que des obligations publiques dj rembourses deux ou trois fois par des gouvernements ignorants ou vicieux[endnoteRef:3]. Hannibal Pricemet le doigt dans la plaie. En effet le premier emprunt dHati ltranger na pas fait rentrer un sou dans les caisses nationales. Il sagit de lemprunt de 30 millions de francs-or contract en 1825 qui a servi payer le premier versement de la dette de 150 millions de francs-or connu sous le nom de dette de lIndpendance. Hannibal Price mentionne cette dette comme le commun des mortels regarde le soleil. Pas trop longtemps. Insupportable. Il dtourne son regard de cette norme dcapitalisation pour Hati comme en parlera lhistorienne Suzy Castor[endnoteRef:4]. [3: Hannibal Price, op. cit., p. 650.] [4: Tania Chytil, Entretien avec Suzy Castor, Radio Tlvision Suisse, 2011.]

La zombification dHati avec la dette de lindpendance a entrav tout dveloppement du fait que la conscience nationale ne la pas pleinement intgre dans sa vraie dimension, qui fait de 1804 une illusion. En maintenant lconomie hatienne dans une instabilit critique et en dtruisant le systme financier hatien, cette dette constitue la matire premire pour luvre de contrle dHati au 20e sicle ralise par loccupation amricaine. Cest la destruction de luvre de 1804 sur le champ de bataille financier. Depuis 1904, lditeur Francis T. Miller du Connecticut Magazine crit dans le journal new-yorkais The Independent quHati est la proie de la finance moderne[endnoteRef:5]. En effet, loccupation ouvre la fentre sur la prennisation du contrle financier amricain et encourage en plus ltalage du fantastique et de la futilit. Nous y reviendrons. [5: Francis T.Miller, Hati, thePrey of Modern Finance,The Independent, Vol. 57, September 8, 1904.]

Le contrle des finances hatiennes se fait par la City Bank qui dclare en 1922 dans son journal La Banque dHati nous appartient (Bank of Hati is ours)[endnoteRef:6]. Ce contrle se nourrit entre autres de celui de lmission montaire, de celui des douanes et de la continuation des emprunts comme celui de 1922 qui servira au financement de la compagnie JG White et de la Shada. Il faut y ajouter les arrangements politiques cosmtiques tels que le Parlement hatien remplac par le Conseil dtat dont les membres sont nomms par la prsidence. De ce fait, le Parlement nest plus indpendant mme nominalement. [6: Hudson, The National City Bank of New York and Hati, Radical History Review, 1909-1922, p. 93. ]

Le pacte social dcoulant du mode de financement global de la socit mis en uvre avec la double dette de lindpendance a cass les liens de solidarit, fait la promotion de lexclusion de la paysannerie et ruin Hati. Les recettes labores partir de la cuisine des fantasmes noiristes et multristes ont abouti la brutale ralit des emprunts de 1825, 1875, 1896 et 1910 totalisant un solde net de 21 millions de dollars dendettement le 28 juillet 1915. Quand on y ajoute les dettes internes et la dette flottante de 11 millions de dollars, on obtient un total de 32 millions de dollars amricains de dettes au dbarquement des marines amricains le 28 juillet 1915. ( suivre)

PAGE 1