loi sur « mariage pour tous »

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  • 7/29/2019 loi sur mariage pour tous

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    Et si linconstitutionnalit de la loi mariage pour tous venait

    de ses consquences sur la filiation adoptive ?

    La Constitution est peut-tre bonne fille, mais, point trop nen faut. Car,

    comme on le sait, qui trop embrasse mal treint ! Voil un proverbe qui

    pourrait trouver sillustrer propos du projet de loi actuellement dbattudevant le Parlement.

    Certes, il est acquis depuis la dcision du Conseil constitutionnel du 28

    janvier 2011, que la Constitution ne soppose pas ce que le lgislateur

    accorde la libert de se marier des couples de personnes de mme sexe.

    Il nen reste pas moins que le projet de loi ouvrant le mariage pour

    tous prsente un risque rel dinconstitutionnalit par un effet induit,

    pour linstant ignor du dbat. Pourquoi ? Il convient dtre prcis.

    1) Selon la volont du Gouvernement, le projet de loi ne se limite pas ouvrir le mariage aux couples de mme sexe ; il leur offre ipso facto la

    voie de ladoption plnire, que ce soit ladoption conjointe dun enfant,

    par les deux poux ou, surtout, ladoption de lenfant du conjoint.

    2) Or depuis la loi du 11 juillet 1966, notre systme de droit,

    contrairement la plupart de ceux de nos voisins, connat deux formes

    d'adoption : ladoption simple et ladoption plnire.

    Ladoption plnire, filiation de substitution complte, se distingue

    fortement de ladoption simple, filiation additionnelle. Dune part,contrairement cette dernire, elle aboutit tablir un nouvel acte de

    naissance de l'adopt. Dautre part, elle est irrvocable. Cest pourquoi,

    une fois ladoption plnire prononce, que ce soit ladoption conjointe

    dun enfant par deux poux htrosexuels ou ladoption de lenfant du

    conjoint dans un couple htrosexuel, lenfant aura dfinitivement un

    nouvel tat civil, dans lequel figurera uniquement sa filiation telle

    qu'elle rsulte du jugement ; sur l'extrait de l'acte de naissance avec

    filiation, il sera crit quil est n(e), fille ou garon, de monsieur Untel

    et madame Unetelle1. C'est l un apport essentiel de la loi du 11 juillet1966 qui a mis l'adoption plnire sur un pied d'galit avec toute

    filiation lgalement tablie, afin de scuriser le statut de l'adopt, en lui

    donnant un nouvel acte de naissance dfinitif qui ne le distingue pas

    des autres enfants.

    3) Ainsi, en ltat de notre droit de la filiation, seule l'adoption simple

    fait coexister deux filiations, ventuellement dans chacune des lignes

    paternelle et maternelle, elle ninterdit pas un enfant davoir deux

    1 En droit, l'expression n de marque l'ascendance; elle est utilise notamment dans

    les articles du code civil relatifs la nationalit franaise.

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    mres ou deux pres et autorise galement quil ait un pre, s'il a deux

    mres et une mre s'il a deux pres. Dailleurs, en 2010, la Cour de

    cassation a reconnu les effets en France d'un jugement amricain

    prononant l'adoption simple dun enfant par la compagne dune mre,

    donnant ainsi cet enfant une mre adoptive franaise en plus de celleamricaine qui lavait mis au monde grce une insmination par

    donneur anonyme et partageant l'autorit parentale entre ces deux

    femmes.

    4) En revanche, sagissant de ladoption plnire, la Cour de cassation a

    affirm, par deux arrts du 7 juin 2012, quest contraire un

    principe essentiel du droit franais de la filiation , celui de l'altrit

    sexuelle, la transcription sur les registres de ltat civil franais,valant acte de naissance, dune adoption qui emporte inscription

    dun enfant comme n de deux parents du mme sexe. Dans les

    deux cas, il sagissait de reconnatre les effets dun jugement

    dadoption plnire conjointe dun enfant par deux hommes, dont

    lun tait de nationalit franaise, lune des dcisions avait t

    prononce au Qubec, lautre au Royaume-Uni. Dans les deux cas, la

    Cour de cassation a solennellement refus la reconnaissance de ces

    adoptions dans notre pays. Ce nest pas une surprise. Ds 2005,

    devant la mission dinformation sur la famille et les droits de lenfant

    prside par Patrick Bloche, le Professeur Franoise Dekeuwer-

    Dfossez, avait expos que l'adoption par les couples homosexuels

    pose un problme de fond dmesur par rapport l'ampleur pratique

    qu'elle prendrait. [.] lorsqu'un enfant est adopt de manire

    plnire par un couple homosexuel, il a deux pres ou deux mres,

    ce qui pulvrise l'ensemble de notre systme de filiation .

    5) Le projet de loi et l'engament pris de ne pas bouleverser la forme des

    actes d'tat civil des enfants, adopts ou non, laissent penser que

    pour ouvrir ladoption plnire aux couples de mme sexe, il suffit de

    crer un tat civil spcifique qui fera de fait de l'orientation sexuellede leurs parents un marqueur de leur identit. Un tel choix est-il

    compatible avec lintrt de lenfant ? Autre question : la socit

    franaise est-elle prte repenser tout le droit de la filiation, le

    faire reposer essentiellement sur l'intention comme le prconisent

    certains, faire de l'adoption le paradigme de la filiation, mais aussi

    s'affranchir davantage de la vrit biologique en s'y opposant

    frontalement par l'abandon de la rfrence l'altrit sexuelle

    ncessaire pour la conception de tout enfant?

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    6) A rebours de l'histoire du droit de la filiation et de celui de l'adoption,

    autorise pour les mineurs... et les couples maris depuis 1923

    seulement, droits qui se sont construits sur le principe d'galit entre

    les enfants, le projet de loi, au nom d'un principe d'galit entre les

    adultes, prend le risque de consacrer une adoption dans l'intrtd'abord des adoptants et de rompre l'galit de statut entre les

    enfants selon leur filiation.

    7) La vrit est que la logique du projet de loi ouvrant le mariage

    supposerait de rformer le droit de la filiation, tous le moins

    l'adoption plnire. Cest dailleurs ce quont relev tant la

    Commission nationale consultative des Droits de lHomme, que le

    Dfenseur des Droits que, encore, le Conseil national des Barreaux.

    8) Or, la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel sont

    prcises et exigeantes. Elles rservent exclusivement au lgislateur

    la responsabilit de fixer ltat des personnes et le droit de la

    filiation. Aussi, faute de faire ces rformes en mme temps quil

    ouvre tous les effets du mariage aux couples de mme sexe, le

    lgislateur npuise-t-il pas sa comptence. Il prend ainsi un srieux

    risque de voir invalider son projet de loi pour incomptence

    ngative , au nom de l'inintelligibilit de la loi, par le Conseil

    constitutionnel. Ce qui serait un vritable chec, car le mariage et

    l'adoption tant lis l'un l'autre, le juge constitutionnel n'aurait

    d'autres solutions que de censurer les deux.

    Plutt que de permettre le mariage tous les couples en percutant le droit

    de la filiation, le projet de loi pourrait se limiter ouvrir le mariage aux

    couples de personnes de mme sexe, en permettant la seule adoption

    simple de lenfant du conjoint. Nul doute quainsi le Prsident de la

    Rpublique rpondrait ses engagements sans risquer les foudres du

    Conseil constitutionnel. Car, dans sa dsormais fameuse dcision du 28

    janvier 2011, il a nonc que la diffrence de situation entre les couples

    de mme sexe et les couples composs d'un homme et d'une femme peut

    justifier une diffrence de traitement quant aux rgles du droit de lafamille .

    Ce serait une premire tape. Puisque tout le monde saccorde dire que

    dsormais cest lenfant qui fait la famille , pourquoi ne pas attendre le

    futur projet de loi sur la famille annonce par le Gouvernement pour

    construire une parent et une parentalit pour les enfants levs par des

    couples homosexuels, sans le faire au dtour du mariage pour tous, de

    manire lusive, en contradiction avec un principe essentiel du droit

    franais de la filiation et en dnaturant l'adoption plnire telle qu'elle

    ressort de loi du 11 juillet 1966, au dtriment de l'intrt mme des

    enfants concerns?

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    Laurent BAYON, magistrat, ancien conseiller parlementaire du groupe socialiste

    lAssemble nationale

    Marie-Christine Le Boursicot, magistrate, ancien membre du Conseil suprieur de l'adoption