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L‘Ordinateur à l’École Primaire: les Logiques d’Usages Danielle Colardyn Consultante a l’OCDE, Paris, France 1. Présentation de la recherche Un enseignant néophyte en informatique, c’est-à-dire n’ayant jamais eu recours à l’ordi- nateur pour un usage professionnel ou personnel, a accepté de suivre une formation pour ensuite introduire l’ordinateur dans son enseignement de mathématique du CM2. Pour analyser quelques unes des principales raisons des résistances, des échecs et des succès de l’informati- que à l’école, nous avons distingué différentes étapes dans les processus de construction d’une logique des usages. D’abord, il faut «faire connaissance» avec l’objet et avec le avoir nou- veau qu’il suppose. Ensuite, des tentatives de dialogues s’instaurent par lesquelles petit à petit l’individu va faire sienne ces connaissances, ce savoir et cette pratique qui il y a peu encore, étaient un corps étranger. Ainsi, par approches successives, les informations pertinentes évo- luent et se structurent pour aboutir à la mise en oeuvre d’une logique des usages, elle-même objet de restructurations permanentes. Dans le cas présent, pour examiner comment les usa- ges de l’ordinateur se nichent dans la pratique pédagogique d’un enseignant nous avons dif- férencié trois moments. D’abord, la découverte par l’instituteur de l’outil informatique, et cela par le biais de la formation. Ensuite, l’instituteur s’approprie progressivement cet outil: l’ensemble d’informations qu’il sélectionne va peu à peu se sédimenter et prendre la forme d’une représentation déjà plus précise, bien qu’encore «idéalisée», car non confrontée avec la pratique dans la classe. Et enfin, la construction de sa logique des usages et son évolution lors des séances d’informatique avec les enfants. 2. La méthodologie La formation proposée à l’enseignant comportait deux phases: l’une eut lieu en décem- bre 86, et l’autre en février 87. Les dix premières séances présentaient quelques données his- toriques et générales sur les nouvelles technologies de l’information .ainsi qu’un enseignement du LOGO. Les dix séances suivantes furent consacrées aux principaux logiciels disponibles en mathématique, à un traitement de texte et à un logiciel de gestion des données. Nous avons recueilli des données sur les représentations de l’informatique, ses usages, sur les acquis en cours de formation, sur le choix des activités informatiques et sur la ren- contre entre ces activités et le programme scolaire de mathématique du CM2. Pour cela, nous avons eu recours à des observations et à des entretiens systématiques. Les observations ont portées sur quelques leçons de mathématique, sur la moitié des séances de formation (con- tenu et mode d’appropriation des connaissances par l’instituteur), sur la moitié des séances d’informatique (interaction maître-élève-savoir, analyse de la tâche informatique proposée aux élèves, des raisonnements et des résultats obtenus par les enfants, examen des modes d’inter- vention pédagogique de l’enseignant, etc). De novembre 86 à juin 87, les sept entretiens réa- lisés avec l’instituteur avaient pour objet de cerner les caractéristiques spécifiques à chaque moment d’appropriation «de l’ordinateurs. Ces entretiens passaient en revue des dimensions retenues a priori, avec comme hypothèse que suivant l’évolution de l’instituteur, c’est l’une

L’Ordinateur à l’École Primaire: les Logiques d’Usages

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L‘Ordinateur à l’École Primaire: les Logiques d’Usages

Danielle Colardyn Consultante a l’OCDE, Paris, France

1. Présentation de la recherche

Un enseignant néophyte en informatique, c’est-à-dire n’ayant jamais eu recours à l’ordi- nateur pour un usage professionnel ou personnel, a accepté de suivre une formation pour ensuite introduire l’ordinateur dans son enseignement de mathématique du CM2. Pour analyser quelques unes des principales raisons des résistances, des échecs et des succès de l’informati- que à l’école, nous avons distingué différentes étapes dans les processus de construction d’une logique des usages. D’abord, il faut «faire connaissance» avec l’objet et avec le avoir nou- veau qu’il suppose. Ensuite, des tentatives de dialogues s’instaurent par lesquelles petit à petit l’individu va faire sienne ces connaissances, ce savoir et cette pratique qui il y a peu encore, étaient un corps étranger. Ainsi, par approches successives, les informations pertinentes évo- luent et se structurent pour aboutir à la mise en oeuvre d’une logique des usages, elle-même objet de restructurations permanentes. Dans le cas présent, pour examiner comment les usa- ges de l’ordinateur se nichent dans la pratique pédagogique d’un enseignant nous avons dif- férencié trois moments. D’abord, la découverte par l’instituteur de l’outil informatique, et cela par le biais de la formation. Ensuite, l’instituteur s’approprie progressivement cet outil: l’ensemble d’informations qu’il sélectionne va peu à peu se sédimenter et prendre la forme d’une représentation déjà plus précise, bien qu’encore «idéalisée», car non confrontée avec la pratique dans la classe. Et enfin, la construction de sa logique des usages et son évolution lors des séances d’informatique avec les enfants.

2. La méthodologie

La formation proposée à l’enseignant comportait deux phases: l’une eut lieu en décem- bre 86, et l’autre en février 87. Les dix premières séances présentaient quelques données his- toriques et générales sur les nouvelles technologies de l’information .ainsi qu’un enseignement du LOGO. Les dix séances suivantes furent consacrées aux principaux logiciels disponibles en mathématique, à un traitement de texte et à un logiciel de gestion des données.

Nous avons recueilli des données sur les représentations de l’informatique, ses usages, sur les acquis en cours de formation, sur le choix des activités informatiques et sur la ren- contre entre ces activités et le programme scolaire de mathématique du CM2. Pour cela, nous avons eu recours à des observations et à des entretiens systématiques. Les observations ont portées sur quelques leçons de mathématique, sur la moitié des séances de formation (con- tenu et mode d’appropriation des connaissances par l’instituteur), sur la moitié des séances d’informatique (interaction maître-élève-savoir, analyse de la tâche informatique proposée aux élèves, des raisonnements et des résultats obtenus par les enfants, examen des modes d’inter- vention pédagogique de l’enseignant, etc). De novembre 86 à juin 87, les sept entretiens réa- lisés avec l’instituteur avaient pour objet de cerner les caractéristiques spécifiques à chaque moment d’appropriation «de l’ordinateurs. Ces entretiens passaient en revue des dimensions retenues a priori, avec comme hypothèse que suivant l’évolution de l’instituteur, c’est l’une

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ou l’autre de ces dimensions qui correspondrait à son état de relation avec l’objet informati- que. Ces entretiens ont été réalisés avant et après chaque phase de formation; avant, pendant et après les séances d’informatiques réalisées en classe avec les enfants. Les dimensions explorées étaient respectivement, les attitudes et sentiments de l’enseignant par rapport à l’ordinateur, la façon dont il envisageait d’introduire l’ordinateur dans la classe et dans le programme scolaire de mathématique, l’image qu’il avait de l’attitude des enfants, et des conséquences sur’ la dynamique des apprentissages.

3. Les résultats

Les résultats présentés concernent l’appropriation de l’outil informatique, et la construction des logiques d’usages.

3.1 Lo logique d’appropriation: de l’état de néophyte aux usages imaginaires

Au début de l’enquête, l’enseignant traduisait son sentiment par rapport à l’ordinateur comme de l’inquiétude, de la peur: l’ordinateur était un outil intéressant en même temps qu’un danger par rapport à la fonction de l’instituteur. Pour l’enseignant, l’usage de l’ordi- nateur en classe était par exemple celui du «laboratoire de langue)) permettant de contrôler un à un les élèves, ou encore, celui d’un aide qui permettait de ({mieux faire passer un cours)) tel que celui sur les fractions. La fin de la première phase de formation est caractéris6e comme «un moment où l’on est mécontent)): il y a à la fois une envie de continuer, de commencer le travail avec les enfants, et en même temps l’impression d’avoir été gavé d’informations mais de ne pas «les maîtriser)). Petit à petit, les usages «imaginaires» de l’ordinateur se pré- cisent: savoir utiliser un ordinateur n’apparaît plus seulement un moyen de contrôler, cela signifie aussi ((acquérir un raisonnement, une tournure d’esprit)).

3.2 Les usages réels

Sans entrer dans le détail du contenu des dix séances de travail avec les enfants, le pro- gramme des séances d’informatique reste emprunt du plus grand classicisme. C’est la copie de la formation suivie par l’enseignant: présentation du matériel, historique de l’informati- que, présentation de LOGO, et des exercices tels que mesurer l’écran, construire des figures géométriques simples, utiliser des couleurs, etc. Les séances sont organisées sur le principe du travail collectif: les problèmes posés sont résolus en groupe, consignés dans un cahier et vérifiés sur l’ordinateur. Cette organisation ne laisse que très peu de temps aux enfants pour manipuler l’ordinateur de l’ordre de 10 secondes, c’est-à-dire le temps d’entrer une commande pré-selectionnée. L‘élève passe une grande partie du temps à recopier des consignes et des commandes dans un cahier. Comme l’exprime l’enseignant: ((l’écran, c’est le bonus)). Sans adaptation ou modification particulière, l’instituteur a transposé son mode de fonctionne- ment pédagogique habituel aux séances d’informatique.

Cette conception des séances d’informatique témoigne de l’impossibilité dans laquelle se trouve l’instituteur d’utiliser l’ordinateur de façon «adaptée» au cours de mathématique. Les difficultés rencontrées pour s’approprier l’outil et construire des usages, laissent penser que l’informatique ne se niche pas aisément dans l’enseignement, même pour un enseignant ayant une longue expérience professionnelle (17 ans). En effet, tout au long de la formation, ce que l’enseignant a découvert était en rupture avec sa propre expérience professionnelle: l’ordinateur n’avait pas d’usage immédiatement visible, automatiquement inclu dans la pra- tique pédagogique quotidienne. Quelque soit le secteur professionnel, les nouvelles technolo- gies de l’information ne peuvent s’intégrer dans la pratique professionnelle sans répercussion profonde su.r celle-ci, c’est le cas aussi pour les enseignants (clarification des objectifs, définition d’une progression et de critères d’évaluation). Lors du bilan, après les séances d’informatique, l’enseignant souligne qu’il reste encore et toujours inquiet par rapport au

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fonctionnement de la machine («et si l’ordinateur ne marchait plus?»). Evidemment, dans cette perspective l’utilisation d’un seul appareil paraît plus confortable que celui d’un réseau. En fin d’année, l’ordinateur est défini comme un outil pour vérifier un raisonnement. Néan- moins, dans la pratique, son usage passe toujours par une étape préalable de ((papier-crayon», l’ordinateur ayant acquis un statut de «vérificateur».

4. Conclusions

Pour les instituteurs, intégrer des usages de l’ordinateur dans le curriculum, et plus par- ticulièrement dans un cours de mathématique n’est pas une tâche aisée à laquelle n’importe quelle formation est à même de préparer. Au stade actuel de l’étude, quelques éléments peu- vent déjà être retenus. D’abord, l’enseignant a du mal à dépasser sa propre formation, aussi est-il probablement utile de concevoir une formation qui comprenne une partie de l’enseig- nement destiné aux enfants. Y insérer ce qu’il faudra transmettre aux enfants évitera que l’enseignant duplique purement et simplement sa propre formation. Ensuite, malgré des con- ditions matérielles favorables, l’enseignant continue à se sentir seul face aux problèmes à résou- dre, et il sollicite des personnes ressources disponibles pour l’aider. Ce phénomène a également été observé par les équipes en Belgique et au Royaume-Uni. Enfin, l’acceptation progressive de l’ordinateur peut entraîner d’importantes remises en causes professionnelle: le flou quant aux objectifs et aux progressions pédagogiques rend les usages de l’ordinateur particulière- ment douloureux et délicats. La formation à l’informatique et à ses usages pourrait avanta- geusement s’accompagner d’une remise à niveau pédagogique. De plus, former les enseignants aux usages que les enfants ont de l’ordinateur (jeux, résolutions de problèmes) suggérerait des possibilités d’activités nouvelles, des exploitations jusqu’ici ignorées, voire la création d’acti- vités particulières centrées sur les transferts possibles.