9
LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUS Techniques agraires et entités sociales au Yatênga Jean-Yves hIARCHAL Géographe ORS TOM RÉSUMÉ Au nord du Burkina Faso deux systèmes culturaux peuvent être recon!ws selon l’identité socio-ethnique des agriculteurs: soit Moose soit Tèngbîise, ce qui revient à dire également: selon la taille des unités domestiques. On s’attache dans cet article à présenter les avantages de la culture << intensive 0 propre cuc Tèngbiise, lesquels détiennent pourtant les mêmes outils aratoires que les Moose. RIOTS-CLÉS : Nord Burkina-Faso - Moose - Tgngbiise - Houes - Cult.ure permarwnt.e - Restitution de fertilit8 - Gestion collective et gestion individuelle du patrimoine foncier. ABSTRACT THE IblPLEhmNT 1s RELEGATED TO THE BACKGROUND. AGRARIAN TECHNIQUES AND mxh~ GROUPS IN YATÊNGA In the northern Burkina Paso tmo cropping systems cari be identified uccording ta whether the furmers belong to the Moose ethnie group or to the Téngbiise ethnie groupI rvhich is tantamount to saying, according to the size of the family nuclei. This paper is very particular about shorving the advantages of tha “intensive” cultivation which is typical of the Tèngbîise u~ho make, helvever, use of the same agricultural implements as the Moose. KEY WORDS : Northern Burkina Faso - Moose - Tengbîise - Hoes - Permanent. trop - Fertility restoration ation - Collective and individual land management.. Au nord du Burkina Faso, il est des gens couram- ment appelés o Moose du YatPnga D (1) mais l’on doit distinguer parmi eux plusieurs groupes de cultiva- teurs selon les appartenances socio-ethniques, déri- vées de l’histoire. Cela fait que les t.echniques agraires peuvent être jugées globalement homogènes d’un lieu g l’autre de la région et. que l’on soit même tenté de les rattacher à celles pratiquées dans l’ensemble de l’aire soudano-sahelienne. Pourtant, à y regarder de prés, des diversités locales sensibles apparaissent dans l’usage plus ou moins performant qui est fait, du même outil aratoire, la houe (photos 1 et 2), par les différents groupes en présence. C’est de cet aspect des choses que nous voulons rendre compte en portant l’att.ention sur les deux groupes de cultivateurs majoritaires du Yatênga : les Moose proprement dits et les .T&ngbîise qui cohabitent souvent dans les m&nes villages. t 1 * A strictement parler, les Moose sont les descendants en ligne masculine d’un ancetre commun : Naaba Wedraogo. Dans le Yatcnga, ils se répartissent en plusieurs groupes de descendance issus de chefs ayant participé & la conquete de la région (fin du XV~ siècle). Cependant, si tous les membres de ces (1) Le Yat5nga (12 300 km%)est un département, de l’ancienne RBpublique de Haute-Volta (app~l8e depuis lOY3 Burkinü Faso). Un demi-million d’habit.ants y sont. recensus (1980). L’ah. ORSTOM, sér. Ski. Hum., vol. ALY, no 3-4, 1984 : 461-409.

LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUShorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sc… · LORSQUE L’OUTIL PIE COMPTE PLUS 463 PHOTO 1. - Houes kurumba (village de

  • Upload
    others

  • View
    5

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUShorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sc… · LORSQUE L’OUTIL PIE COMPTE PLUS 463 PHOTO 1. - Houes kurumba (village de

LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUS Techniques agraires et entités sociales au Yatênga

Jean-Yves hIARCHAL Géographe ORS TOM

RÉSUMÉ

Au nord du Burkina Faso deux systèmes culturaux peuvent être recon!ws selon l’identité socio-ethnique des agriculteurs: soit Moose soit Tèngbîise, ce qui revient à dire également: selon la taille des unités domestiques. On s’attache dans cet article à présenter les avantages de la culture << intensive 0 propre cuc Tèngbiise, lesquels détiennent pourtant les mêmes outils aratoires que les Moose.

RIOTS-CLÉS : Nord Burkina-Faso - Moose - Tgngbiise - Houes - Cult.ure permarwnt.e - Restitution de fertilit8 - Gestion collective et gestion individuelle du patrimoine foncier.

ABSTRACT

THE IblPLEhmNT 1s RELEGATED TO THE BACKGROUND. AGRARIAN TECHNIQUES AND mxh~ GROUPS IN YATÊNGA

In the northern Burkina Paso tmo cropping systems cari be identified uccording ta whether the furmers belong to the Moose ethnie group or to the Téngbiise ethnie groupI rvhich is tantamount to saying, according to the size of the family nuclei. This paper is very particular about shorving the advantages of tha “intensive” cultivation which is typical of the Tèngbîise u~ho make, helvever, use of the same agricultural implements as the Moose.

KEY WORDS : Northern Burkina Faso - Moose - Tengbîise - Hoes - Permanent. trop - Fertility restoration ation - Collective and individual land management..

Au nord du Burkina Faso, il est des gens couram- ment appelés o Moose du YatPnga D (1) mais l’on doit distinguer parmi eux plusieurs groupes de cultiva- teurs selon les appartenances socio-ethniques, déri- vées de l’histoire.

Cela fait que les t.echniques agraires peuvent être jugées globalement homogènes d’un lieu g l’autre de la région et. que l’on soit même tenté de les rattacher à celles pratiquées dans l’ensemble de l’aire soudano-sahelienne. Pourtant, à y regarder de prés, des diversités locales sensibles apparaissent dans l’usage plus ou moins performant qui est fait, du même outil aratoire, la houe (photos 1 et 2), par les différents groupes en présence.

C’est de cet aspect des choses que nous voulons rendre compte en portant l’att.ention sur les deux groupes de cultivateurs majoritaires du Yatênga : les Moose proprement dits et les .T&ngbîise qui cohabitent souvent dans les m&nes villages.

t 1 *

A strictement parler, les Moose sont les descendants en ligne masculine d’un ancetre commun : Naaba Wedraogo. Dans le Yatcnga, ils se répartissent en plusieurs groupes de descendance issus de chefs ayant participé & la conquete de la région (fin du XV~ siècle). Cependant, si tous les membres de ces

(1) Le Yat5nga (12 300 km%) est un département, de l’ancienne RBpublique de Haute-Volta (app~l8e depuis lOY3 Burkinü Faso). Un demi-million d’habit.ants y sont. recensus (1980).

L’ah. ORSTOM, sér. Ski. Hum., vol. ALY, no 3-4, 1984 : 461-409.

Page 2: LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUShorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sc… · LORSQUE L’OUTIL PIE COMPTE PLUS 463 PHOTO 1. - Houes kurumba (village de

162 J.-Y. MARCHAL

groupes se considérent comme Moose, un clivage est intervenu à la suite de luttes pour la détention du pouvoir royal, de telle sorte qu’un seul groupe (celui descendant de Naaba Sugunûm, souverain ayant vécu à la fin du XVII~ siècle) revendique le nom de Nakombse (sing. Nakombga), qui peut se traduire par o gens du pouvoir 0. C’est du groupe des Nakombsr, dans sa définition précédente, qu’est issu le Yatênga naabu et que sont choisis la plupart des chefs de village. Par rapport aux Nakombse, t.ous les autres Moose, appartenant aux groupes de descendance éloignée généalogiquement de la dynastie royale en place, forment l’ensemble des Taise (sing. Tal!a), mot dont la connot.ation est nettement dépréciat,lve, voire mkprisante, réservé a ceux qui sont paysans.

Entrent également dans le groupe des Moose les captifs rp?aux, appelés Yemse (sing. Yâmba) ou plus prtclsement Bîngdemba, qui est un nom collectif désignant les G gens du Bîngo 0, c’est-A-dire les gens des quartiers de captifs, dans les résidences royales et les villages de servit.eurs.

Sous l’appellation de Moose, on peut donc regrou- per les Nakombse, les Talse et les Bîngdemba.

Les Moose appellent Têngbiise (sing. Téngbliga), qui peut se traduire par G fils de la terre )), les déten- teurs des droits sur la terre (knga). Ceux-ci sont., soit des autochtones, quelle que soit la nature de l’autotochtonie en question, soit, des gens venus du sud avec les conquérants, mais de souche pré-mooga dans leur pays d’origine. Dans ce dernier cas, on parlera des Téngbîise moose, qui sont les moins nombreux, tandis que l’on dist,inguera les divers groupes pré-moose du Yatênga selon leur origine ethnique : Têngbîise kibse pour les o fils de la terre u d’origine dogon et Têngbîise fulse pour les autochtones d’origine kurumde (plur. Kzzrumba).

Quelles que soient, leurs origines, les Têngblise se situent dans l’idéologie mooga en opposition compk- mentaire avec le Moogo : le Monde des Moose. Les Moose commandent aux hommes; les gens de la terre commandent à la nature ei aux phénor&nes naturels: ils sont les garants de la prospérité du puys ( IZARD, 1973, p. 196).

Associés à ce second groupe, les forgerons : Saaba (sing. seya) sont dans leur majorité d’origine auto- chtone, mais certains sont venus du sud également.. Ce qui les distingue particulièrement des TL:ngbîi.se est leur statut : ils ne participent pas aux échanges

matrimoniaux qui se font ent.re les autres groupes ; ils sont considérés par tous comme étant 4 à part 0.

Hors des deux principaux segments sociaux qui viennent d’é,tre présentés, la population comprend encore plusieurs autres petits groupes que l’on pourrait qualifier d’annexes et qu’il n’y a pas lieu de présenter ici (1).

En présentant ces groupes composites, nous n’exhumons pas des vestiges sociologiques mais rendons compte d’une structure de la société régionale encore bien vivante (malgré l’islamisation de la population) qui se perqoit directement dans le paysage, quand on observe l’habitat et sa répartition à l’intérieur des terroirs mais aussi quand l’attention se porte sur les techniques culturales et notamment sur les modes de sarc.lage et de fumure des champs.

Travail du sol et fertilité

D’une manière générale, le systéme cultural dépend de la surface cultivée, du type de sol, des outils, de l’importance de la fumure disponible et des forces de travail en présence, de telle sorte que parler de système cult.ural amène à étudier G la gestion des ressources en terre, travail et fumure, rgalisée par les exploifants pour assurer une production vivrière la moins mauvaise possible )) (BILLAZ, 1980, p. 74) (2). Or, ce que les observations mettent en évidence, quand on parcourt le Yatênga, c.‘est. que deux systkmes culturaux cohabitent à l’intérieur des mêmes terroirs. Parfois, d’un champ à l’autre, 011 s’aperçoit, qu’ici, le terrain est plat, a été hativement sarclé et que les vestiges culturaux laissent supposer une récolte médiocre t.andis que 15 le sol a été butté, porte des traces de fumure et que les tiges de mil encore en terre sur le haut des buttes sont de gros calibres. De telles observations laissent deviner deux stratégies que nous présentons schématiquement comme suit :

- la stratégie 6 extensive 0, caractérisée par une fumure légère épandue owasionnellement, des semis Kches, des sarclages expédiés, un faible investisse- ment en travail et des bas rendements culturaux à l’unit6 de surfac.e ;

- la st,ratégie 0 intensive 0, qui se rapporte A un investissement important en travail et autres moyens

(1) Marâ.w, ymse, silmimoose et silmîise (nom moore d+signant. les Fnlbs). (2) Selon leur importance, les productions sont. : - les mils (Sorgho blanc et rouge, puis mil pennisetum) : 89 y(, do la superficie cultivée : - les arachides associbes aux pois de terre : 10 y0 ; - le coton : 1 y&

(d’après une Etude portant. sur un terroir villageois de 900 ha).

Cuh. ORSTOM, st;r. Sri. Hum., vol. XX, no 3-4, 1984 : do’l-169.

Page 3: LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUShorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sc… · LORSQUE L’OUTIL PIE COMPTE PLUS 463 PHOTO 1. - Houes kurumba (village de

LORSQUE L’OUTIL PIE COMPTE PLUS 463

PHOTO 1. - Houes kurumba (village de Tugu). A gauche, Sugho pour semer; à droite, Kuri, pour sarcler et butter.

de produc.tion (fumure, façons culturales) Q l’unité de surface.

La première stratégie s’applique aux champs cultivés en forte proportion par les Moose et la seconde aux parcelles exploitkes par les Tênbgiise. Et une raison essentielle explique cette distinckion : d’un c.ôté nous avons affaire à des petites unités de production de 4 ou 5 actifs en moyenne, travaillant en ordre dispersé sur des parc,elles G personnelles 1) (beolse) ; de l’aut.re, à des groupes de travail G consolidés 0 de 10 B 15 act,ifs ceuvrant ensemble sur des champs (c communs D.

Ainsi, en rassemblant. le maximum d’observat,ions dont nous disposons, nous pouvons affirmer que selon l’identité ethnique des habitants, d’une part,

et la taille des unités domestiques, d’autre part, on remarque ou non des buttes sur les champs.

Les Téngbîise et les Saaba qui habitent la partie nord du Yat,ênga, où ils sont majoritaires, aménagent de grosses buttes et des bourre1et.s de terre sur leurs champs permanents. Tous ne le font pas - beaucoup s’en faut - mais eux seuls travaillent le sol de cette façon.

Au sud, où les Tèrzgbîise ne sont plus majoritaires mais associés de longue dat,e aux Moose, au point qu’ils s’assimilent à ces derniers, on ne trouve plus de grosses buttes sur les champs mais de petites but.tes façonnées aux pieds des tiges de mil, quand les sarclages sont réalisés par des groupes importants. Ce type de butt.es se rencontre notamment sur les (( champs du chef )) et sur ceux de quelques doyens de lignage.

Enfin, que ce soit au nord ou au sud, dans les quartiers de Tèngbîise ou de Moose, quand les équipes de sarclage sont de petit.e taille ou que les cultiva- teurs s’adonnent aux travaux en ordre dispersé, on ne rencont.re plus aucune butte sur les champs : la surface au sol est plane ou à peine bosselée (photo 3).

Deux données s’entrecroisent donc : l’appartenance ethnique et la force de travail, pour expliquer la présence ou l’absence de buttes résultant soit de l’enfouissement des advwkiws soit de sarclages à plat.

l

+ *

HAULIN (1967) dkcrit, a propos des Dogon du Mali, des champs a buttes en tous points semblables a c.eux rencontrés dans le Yaténga (1). Il les associent au mode de culture intensif en opposition aux champs à surface plane qu’il range dans le mode de culture extensif.

Les grosses buttes observées rekvent de la tech- nique du débuttage OU butiage intercalaire. Les culti- vateurs chargés d’bter les herbes qui gênent la croissance des jeunes pousses de mil repoussent dans l’intervalle lais& libre entre les pieds les adventices et la l.erre qui enveloppe leurs racines. Il se constitue ainsi, dès le premier sarclage, de petits monticules qui deviennent des buttes de 20 a 30 cm de hauteur après le second et le troisième sarclage. Ces butt.es enrichies (engrais vert) sont ensemencées l’annke suivant.e alors que dans l’année en cours les Plant:s sont clébutiés. Ils se trouvent dans des cavités (entre quatre buttaes) qui (( piègent )) l’eau ruisselée. [Jne fois la récolte faite, les tiges peu- vent être cassées et jetées dans ces cavités, qui seront

(1) Les Dogon (Kihse en moore) et les Kurumba (Fulse) forment dans le Yati?nea les deux principales souches ttkgbfise. Nous ne sommes donc pas &tonnr: de trouver, Pratiqu&es par les « gens de la terre D, les techniyues dogon. HAUL~ (p. 72) reconndt d’aillenrs que les pagsans du Mossi, imm6dintement en contact avec les Dogon, ont une gamme aussi 6tendue de procbdks techniques que ces derniers.

Cah. ORSTOM, sér. Sci. Hum.. vol. A-X, no 3-1, 1984 : 461-J69.

Page 4: LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUShorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sc… · LORSQUE L’OUTIL PIE COMPTE PLUS 463 PHOTO 1. - Houes kurumba (village de

36-I *J.-Y. MARCHAL

PHC ITO 2.. - HOU~ mmc (village de Bure). A gauche, Sngho et Kuri pour sarcler sur sol proforld ; à droite, Sfinga sol gravillnnnnire (quatre exemplaires)

recouvertes aux sarclages de la saison suivante, mais le plus souvent les animaux broutent ces tiges. Elles peuvent encore Gtre brûlées (phoLos 4 et. 5). Nul besoin dc préciser qu’un tel aménagement. demande un travail soutenu.

Les petites buttes rencontrées sur les champs des villages rrzoose relkvent d’une tec.hnique différente. Les équipes de sarclage ramènent la terre et, les herbes au pied de chaque t,ige, formant ainsi une bulia qzzi accroît la quant& de muiières nutritives et permef lu conseraation de la fraîcheur, etz évitant l’évaporafinn rapide (...). Deux sarclages, rarement trois, sont nécessaires (RAULIN, 1967 : 76-77) (photos 6 et 7).

Les c.hamps :l surface plane, les plus nombreux, sont ceux sarclks hStivement. Le sarclage rapide consisk simplement à racler les herbes qui, abandon- nées sur le sol, se desséchent. Au dernier sarclage - qui peut être seulement le second, voir le seul - il peut se faire que les pieds de mil soient légèrement but.tés, mais sans qu’il y ait enfouissement systé- matique des adventices. Le butiage dans ces cond&ions a pour seul but d’éviter la verse des plants venus à maturité. C’est la technique la plus extensive (photo 3).

De le rapidité ou de la lenteur du travail, de la simplicité ou de la dificulté; des tâches, dépend la durée d’utilisat.ion du champ, si l’on fait abstraction des apports supplkment,aires de fumure. En toute

pour sarc.ler sur

logique, la demande en fumier ne fait. CILE çroît,re h mesure que les sarclages de types soignk se raréfient.

S’il est. difkile de porter un jugement sur les avantages et les inconvénients à court terme entre les trois procédés de sarclage qui viennent d’ètre inventoriés (encore que les deux premiers favorisent indiscutablement le maintien de l’humidité au pied des plants), il n’y a plus de doute à avoir lorsqu’on s’interroge sur l’entretien de la fertilité des champs szw zzne longzze dzzrée. Il est indbniable que la technique de « débzzttage » corzstitrze un progrès sensible par rapport à celle du (( bzzttage O, écrit. RAULIN (ibid., p. 71). D’une part, le champ est systé- matiquement préparé pour la mise en culture de l’année suivante ; d’autre part, les buttes en place, bien que dégradées par le passage des animaux au moment de la vaine pâture, sont suffisamment solides pour résister (5 la &flation sous l’effet de l’harmattarz et freiner le ruissellement, lorsque surviennent les premières tornades. Le champ G débutté o peut étre cultivé indéfiniment (au moins en théorie).

Le bullage s’accompagne lui aussi de l’enfouisse- ment des herbes mais il n’implique pas que les semis se fassent l’année suivante sur le sommet. des buttes, ce qui reviendrait à semer chaque année aux mêmes endroits. De plus, les buttes n’ét,ant pas très hautes, la surface du champ redevient progressivement plane sous l’effet du piétinement des animaux pendant la saison séche. Aussi la fertilisation par bzzitage est-elle

(21711. ORSTOdl, sh. Sci. Hum., 001. XX, no 3-4, 1.984 : GI-369.

Page 5: LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUShorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sc… · LORSQUE L’OUTIL PIE COMPTE PLUS 463 PHOTO 1. - Houes kurumba (village de

LORSQUE L’OUTIL NE COMPTE PLIJS 465

1)HOTO 3. - Champ sarclti à plat (ttat. cn fin de saison sPche) ; alignement de blocs de cuirasse ferrugineuse pour

luttkr contre 1~ d&apape du sol (village de Zom)

PHOTO 1. - Champ permanent.; tracrs de hutlnge (village de Kumbane)

Pawo 5. - Traces de debuttage (état en fin dc saison séche) ; chaumes do mil dOpos~s dans les inter-buttes. Au premier plan bourrclct et rigolr,

en limite de parcelle (village dc Tugu)

Page 6: LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUShorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sc… · LORSQUE L’OUTIL PIE COMPTE PLUS 463 PHOTO 1. - Houes kurumba (village de

466 J.-Y. MARCHAL

PHOTO 6. - Champ légèrement butté (village de Dombre)

moins eficace que dans le c,as précédent et l’aspect du sol, quand reviennent les pluies, est-il davantage propice à l’activité du ruissellement.

Il n’est pas nécessaire de s’apesantir sur les consé- quenc.es des sarclages légers : gain de temps, soit!, mais pas ou peu de restitution au sol. C’est enc.ore sur les parcelles sarclées A la hâte que le ruissellement, se developpe le plus vite.

Des solutions techniques différenciées; deux sociétés en présence

Par-delà les diversités - elles sont multiples -, l’&t,ude des techniques culturales nous amène à considker, d’une faqon trés schématique, deux états d’évolution que nous mettons en relation avec l’origine et.hnique des habitants, t,out du moins avec la dominank ethnique des collectivitks villageoises. L’état d’évolution le plus avancé (le plus dest,ructuré) serait représenté par les Moose ; l’état le moins avancé (le mieux conservé) serait représenté par les Têngbîise.

Que nos colkgues du Burkina ne soient pas choqués par ce classement qu’ils pourraient. considérer A tort, comme reflétant une vision passéiste de la société. Nous ne songeons nullement à ressusciter le fait ethnique. Notre propos vise seulement ?I faire part de deux comport.ements agraires singuliers, et. nos lecteurs originaires du Yat.ênga comprendront parfaitement ce que nous voulons dire : dans un cas, on aménage l’espace, on s’aménage un cadre de vie ; dans le second, on dévore l’espace, on émigre à la recherche de nouvelles terres.

Exemples caricaturaux, peut-être, mais non ten- dancieux. Sans vouloir jouer sur les mots, les ten- daizces se rapprochant. d’un cas ou de l’autre sont perceptibles dans tous les quartiers villageois que nous avons visitAs.

Les Tèngbîise partagent en commun une même concept,ion du monde, pour laquelle l’agriculture ne saurait être détachée d’un ensemble religieux. Du culte du terzgcc aux rites agraires, la production dépend de l’accord entre le travail des hommes et les o puissances o naturelles. On pourrait dire des Tèngbîise qu’ils sont des géopoétiqzzes, sensibles aux c.hoses de la terre, du vent et de la pluie ; des êtres religieux en accord avec. le grand ordre des choses. L’influence de l’Islam a bien entendu altéré leur conception du monde, mais sans la faire disparaître. En tant qu’observateur étranger, il nous est impos- sible de faire la part entre la religion nouvelle et les survivances des anciennes croyances, cependant, il nous semble bien avoir reconnu une symbiose entre la prat.ique de l’Islam et l’observance du rituel ancien.

Dans les quartiers fhgbiise, nous constatons un conservatisme culturel et technique. Les anciens transmettent aux plus jeunes l’ensemble des valeurs reconnues, comme s’il s’agissait de règles ou d’obli- gations 2 respecter. Parmi c,elles-ci, retenons toutes celles qui, conjuguées, définissent ce qui peut être appelé (( maîtrise de l’espace agraire 1~ : différenciation des houes et adapt.ation de celles-ci à chaque type de culture, connaissance des assolements, Utilisat<ion des composfs fabriqués dans les fosses, construction de dispositifs anti-érosifs, entretien du Q parc D et pratique du débzzftage sur t.erres sableuses (cf. RAULIN, 1967, p. 26).

Notons à propos des houes que les Kzzrumba comme les Moost! disposent de plusieurs instruments ara- toires adaptés aux types de sol et aux divers travaux de culture. Cependant, on remarquera sur les photos 1 et 2 que les houes kzzrumba sont d’une autre facture que les houes moose ; elles ont un fer plus large (pour façonner les buttes) et un manche plus long qui permet de travailler en position droite, avec moins d’effort. L’outillage kzzrumde semble avoir été em- prunté A la fois aux Songhaî et aux Dogon et cette recherc,he en matière d’adaptation d’outils pourrait s’expliquer par l’alliance existant, entre les Kzzrzzmba et les Saaba (forgerons). A l’inverse de ce qui se passe c,hez les Moose, les forgerons sont int,égrés A la société fhzgbiiga ; au moins l’attit,ude à leur égard n’est-elle pas imprégnée de sentimenk appréhensifs : le forgeron fabrique la houe et maîtrise la foudre ; le fèngsoba commande au vent et aux nuages. Le forgeron, spécialiste saisonnier intégré aux travaux de la collect,ivité, peut ainsi êt,re le vecteur de l’adapta- t.ion des t,echniques : il peut apporter des arnélioru- fions aux outils qu’il utilise (...). Il parficipe auz

Page 7: LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUShorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sc… · LORSQUE L’OUTIL PIE COMPTE PLUS 463 PHOTO 1. - Houes kurumba (village de

LORSQUE L’OUTIL NE COMPTE l?LlJS 467

PHOTO 7. - Traces dc butta@ rt alignements de blocs de cuirassç? (village de Zom)

amér~agements mesurés, aux changements le&, mais continus, des outils (RAULIN, 1967, p. 34).

En comkepoint nous ne retrouvons pas cette attention erztiérement tournée vers la terre et nous ne ressentons pas une organisation stable dans les quartiers moose. La fragmentation des unités de produc.tion y est générale et plutôt qu’une concen- t,ration des efforts aux mêmes temps sur les mêmes lieux - comme dans le cas prkédent -, c’est davantage une dilution des forces de t,ravail qu’il nous est donné d’observer.

Le corps social déciderait donc de la structure du travail et, part.ant, de la st,abilité ou du changement t.echnique. Or, chez les Moose, parler de corps social revient B distinguer plusieurs entit.és :

II y a d’abord les Nakombse, ces g gens du pouvoir D pour qui, traditionnellement, le travail de la terre est relégué au bas de l’échelle des valeurs. Avec les Nakombse, G spécialistes )) du commandement, c’est l’image d’un ordre politique, de gestion des hommes qui s’impose. On pourrait dire d’eux également que ce sont les (< gens de l’errance )) ; soit ils n’ont pas de commandement, soit ils en obt.iennent mais peuvent être révoqués si tout moment de leur charge : ils ne sont pas ancrés au territoire. Les familles de chefs sont accompagnées de Q serviteurs 1). Dans l’ancien temps, ceux-ci entretenaient à eux seuls les (t champs du chef 1) ; présentement, ils c,ontinuent d’apporter leur aide - une aide substantielle - aux familles nakombse (étant entendu que, de t,oute façon, un chef qui se respecte ne travaille pas) : les 0 serviteurs 0 restent unis à leur maître.

Les Nakombse ne prtkentent donc une disposition à la culture que dans la mesure on ils sont encore entourés de (1 serviteurs D. Ils ne sont pas à même de s’intéresser aux tec.hniques agraires et à fasonner durablement un paysage comme le font les Tengblise. La conjoncture économique nouvelle instaurée par la colonisation les a obligés à s’intéresser A leur subsistance et les A donc contraints g Cult>iver. Mais c’est un fait rkent. Leur compétenc,e n’est pas de ce domaine. Ce n’est. que par In force des c.hoses qu’ils ont été t,ransformPs en c.ultivateurs, alors qu’ils sont dépourvus de traditions agraires. G Gens du pouvoir )) ils sont rest,és, appliqu6s autant que faire se peut j maintenir une construction politique dont ils sont les bénéficiaires. Ce n’est, pw chez les Nakombse que l’on doit chw~her IZIZP paysannerie maîtresse d’elle-mème et responsable de son destin (PÉLISSIER, 1966, p. 101). Leur aisanre ne repose pas tant sur la disponibilité de c.hamps, souvent pris par la forc.e, que sur celle d’une c.lientéle nombreuse.

Aux cotés des Nakombse se rangent les Taise, formés de groupes de descendance évincés du pouvoir à toutes les kpoques. L,a fract.ion talga est c.onstituée de pans entiers de la pyramide dynastique des Q gens du pouvoir )) ayant ghssé dans le lot des G gens du commun )), suite aux péripéties inhérentes aux successions à la chefferie. Comme les Nakombse, les Talse se sont donc trouvés à un moment ou à un autre dans l’oblignt.ion d’assurer leur propre subsis- tance et,, pour ce faire, de s’anwer, non sans réticence, au territoire. Cultivat.eurs par nécessité, ils main- t.iennent au sein de leur formation les valeurs du

Cnlz. ORSTOM, sér. Sci. Hum., vol. xx, Il” 3-1, lll84 : 461-469.

Page 8: LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUShorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sc… · LORSQUE L’OUTIL PIE COMPTE PLUS 463 PHOTO 1. - Houes kurumba (village de

468 J.-Y. MARCHAL

groupe dont ils sont issus ; il leur arrive d’ailleurs, au gré de c.irconstances fortuites, de réintégrer la classe dirigeante, quand ils sont choisis par le Yat&nga naaba pour prendre le commandement de tel ou tel village. Les Talsc n’ont donc pas rompu avec leur anc.ienne tradition et, bien qu’assujettis au travail de la terre, ils véhiculent dans les collectivités villa- geoises les idéaux propres au commandemenl. Du moins se comportent-ils comme de (C petits Nakombse )) a l’échelle de leur exploitation, chaque chef de famille talga cherchant à maintenir sous sa coupe et de facon G autocratique j) les forces d’appoint que c.onstituent ses frères et ses enfants. Dans les unités d’exploitation taise, la place occupée par chaque individu esb définie par un tissu complexe de dépendances (...) selon l’avancemenf de chacun au sein de la société (REMY, 1977, p. ll), comme si la famille ialga était construite sur le modèle de relations liant les G serviteurs )) aux chefs.

La G contamination )) d’un système de production par des comportements hérités de la chefferie aurait, donc pour effet de (C fragiliser )) ce système. En tout état de cause, la domination des aînés sur les généra- t,ions cadettes provoque indirectement cet (( engoue- ment )) pour la culture extensive, puisqu’elle est l’un des mot.eurs de la subdivision des groupes de pro- duction (1).

La t,roisième fraction du corps social mooga est constituée par les Bîngdemba : ces t( serviteurs 0 dont nous venons de parler, personnel anciennement razzié et déplacé d’un village à l’autre, c.ommis d’oflice au travail des champs. De par leur origine, ils sont encore moins attaches au territoire que les Taise, d’autant, moins qu’ils constituent souvent les quartiers les plus récemment installés et qu’en conséquence leurs dotations de t)erre ne correspondent pas toujours - beaucoup s’en faut - aux meilleurs sols. Enfin, ils ont adopté eux aussi les idéaux de leurs a maîtres 9 ; c.‘est 18 un phénomkne social courant.

De c.e qui précbde nous retiendrons que les trois fractions du groupe mooga partagent en commun les mêmes idéaux ; plus précisément que les deux fractions sujetkes ont véhiculé au-dedans même de la société le modéle (ou les (t visées ))) de la fraction dirigeante. D’une manière générale, chez les MOOSP, chaque individu appartient plus à un groupe qu’à

un lieu et est davantage engagé dans les luttes d’influente, pour préserver sa place ou l’améliorer au sein de l’édifice social, que soucieux des questions de la terre (REhfY, 1977; p. 1G).

* T I

Voilà que nous nous sommes éloigné des techniques mais pas fondamentalement de notre propos, puisqu’il y a ident,ification des tec.hniques aux groupes d’habi- tants, indépendamment du système polit.ique présente comme unificateur. II existe bien dans le Yatênga des état,s d’évolution distincts résultant de pratiques sociales singulières aboutissant à la const.itution de milieux géographiques CC séparés J).

La strucfure sociale est le seul facteur qui s’impose à l’homme ei! qu’il n’est pas en son pouvoir de modifier, sauf circonstances exceptionnelles; le seul qui soif hors d’atteinte de sa liberié de choix ef de sa souplesse d’adaptation. C’est la sfrucfure sociale qui fournit les cadres de l’activité humaine et la plus profonde em- preinte au paysage rural. Le milieu nafurel, certaines conditions juridiques et, pourquoi pas, les attitudes collectives locales ef même le libre arbitre individuel fournissent l’infinie richesse des formes de détail ( BRUNET, 1960).

Si l’un des groupes habitant le Yatênga connaît des techniques et que l’autre les ignore ou ne les a pas apprises c.‘est bien qu’il existe entre chac.un d’eux et des territoires qu’ils cont,rôlent une distance n’ayant pas la mème amplitude (GALLAIS, 1976). La masse rurale des Têngblise, socialement. égalitaire, imposant le régime d’exploitation des terres le plus conforme B l’intérêt général, a kté (C bousculée 0 dans un premier temps par l’installation d’autorité des quartiers moose dans les villages puis lent,ement pénétrée au fil du temps par les idéaux véhiculés par les Nakombse et leurs dépendants. D’un Côt,&, une institution agraire soucieuse de l’aménagement permanent du milieu et de l’adaptation technique ; de l’autre, une organisation sans conteste davant.age tournée vers les entreprises politiques.

Novembre 1983

JfanLzscrit rqu au Service des l?difionz de PORSTOM le 3 septembre 1984

(1) Les cadets cherchent à vivre séparément des aînés. L)I%S qu’ils sont mari&, ils construisent un habit.at Q part et, dans la mesure du possible, cullivent pour ens-mgmea. La soci6té mooga skréte donc, an fil des génbrations, de petits groupes de production qni, faute de main-d’owvre en suffisance, sont u condamnés x A cultiver leur lot de parcelles de maniére 01 extensive B.

Page 9: LORSQUE L'OUTIL NE COMPTE PLUShorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sc… · LORSQUE L’OUTIL PIE COMPTE PLUS 463 PHOTO 1. - Houes kurumba (village de

LORSQUE L’OUl’lL A’E COMPTE PLliS 469

BIBLIOGRAPHIE

BILL~~ (R.), 1980. - Snbountz, nn viZlul/e du I’ntPnga, fax. 2 : PÉLISSIER (p.1, l:i66. - h.9 ,WlSUnS du &h!gal - Le8 hi& les sgsfèmcs de culture, IPD/A@S, Ouagadougou, 103 p. sniions izgrnircs du Cnyvr ù la Casamancs, Impr. multigr., annexrs. Fab&gue, Saint-Yrieis, 971 1).

BRUNET (R.), 1960. - (1 Les paysages ruraux do l’Aquitaine *, Rev. GEogr. des Pgr. cf du Sud-Ou&st, no 32.

GALLAIS (J.), 1976. - B Contribution à la connaissance de la perception spatiale chez les pasteurs ùu Suliel Y, L’Espace Gtiogrtzphiqne, T. V, 110 1 : 33-38.

R.%IJLIN (H.1, 1567. - La tl.yncznziqzzr des iechniques ngraires en dfriqrzc fropicolp drz nord, C:NRS, Paris, Études et L)octs. Inst. d’Ethnologie, 181 p., pl. photos, annexes.

RE~IY (G.), 1 W7. - Enqzzt’ie szzr les nzozzvcmerzt.s de popzzlation à parfir drz ptr!g.s mossi (Hurzfo T~olfzz) - Rnpport de sunthkse, Min. du Travail et Fonction Publirrue-

IZ~RD (M.), 1973. - (1 Remarques sur le vocdbulake politique mossi D, L’Honme, vol. XIII, C,dh. 1-2 : 193-206.

nIIi\‘CC)OP-C)RSTC,hI, C~Lla~dd»ugou-Parie, 2 f&û., 159 p.

Cuh. ORSTOAI, sCr. Sci. Hum., vol. -Y-Y, 110 3-4, 1454 : 4Gl-4G!l.