Upload
mrtonynelson
View
213
Download
0
Embed Size (px)
DESCRIPTION
Lacan quptidien 501
Citation preview
2Dimanche 12 avril 2015 20h00 [GMT + 1]
NO 501 Je naurais manqu un Sminaire pour rien au monde PHILIPPE SOLLERS
Nous gagnerons parce que nous navons pas dautre choix AGNES AFLALO
www.lacanquotidien.fr
Implosion du FN
Assomption de Marine
par Philippe De Georges
Alors, osera-t-i ou osera-t-i pas ? Marine Le Pen va-t-elle virer le vieux , qui elle doit tout ou presque ? Lequel de ces anagrammes retenir : Anime le Pre ou Amne le pire ? JMLP
est-il une sorte de Roi Lear comique ou, comme il le dit lui-mme ( Le cadavre remue
encore ), va-t-il sauver sa mise au nom du Nom-du-Pre et de ce qui fait son droit lgitime
sur la bande quil a su mener aux portes du pouvoir ? Les mdias gourmands se lchent les
babines et sen donnent cur joie. Leurs commentateurs, experts et spcialistes patents
fourbissent leurs arguments et distillent savamment leurs analyses Pourtant, la messe est
dite et la cause entendue : le FN connat une crise qui est le fait de la logique mme, puisquil
se trouve en passe de russir sa ddiabolisation : le pas qui reste franchir, pour que
Marine soit le ministre de lIntrieur du premier gouvernement que Sarkozy appellera aux
affaires ds son lection suppose une clarification.
Lambigut qui a servi jusquici nos Pieds Nickels commence avoir ses effets
ngatifs : pour accder, sinon llyse, du moins aux ors de la Rpublique, rve des
ennemis de la rpoubellique et de la dmocrassouille, il faut oprer une dcantation. Certains
oripeaux doivent tre rejets ; il faut tuer le vieil homme ; refouler de lexpression publique
certaines rengaines et certains slogans qui font la joie des brutes avines au caf du
commerce et des nervis si utiles pour les coups de main. Il faut bien en effet faire alliance :
seuls, on ne peut pas dpasser les miraculeux 33 %. Il faut tre frquentable ; soigner son
style et donner des gages de respectabilit dutilit publique, comme dit papi ! Or, le
partenaire oblig, cest-- dire le parti no-gaulliste et celui qui va-t--la-messe, oblige
bannir les rfrences explicites Ptain, la collaboration et lOAS.
Le problme est toutefois que cest bien en cela que rside lessence du parti, sa
matrice et son discours fondateur. Le FN a dans ses gnes, comme disent les journalistes,
Vichy et les guerres coloniales. Il est lhritier de Laval et de Darnand, de Salan et de Bastien-
Thiry. Lantismitisme est lhuile sainte de son baptme bon sang ne saurait mentir ! Or,
cest tout cela quil faut taire, si on admet que Paris vaut bien un passage la synagogue. Car
en fin de compte le choix est simple : veut-on oui ou non le pouvoir ?
Prcisment, le patriarche ne lentend pas de cette oreille : il tient ses principes plus
quau pouvoir. Le refoulement, cest pas son truc, lui dont le succs de tribune tient au
slogan connu : je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas . Il se dit volontiers que
le pouvoir na jamais t vraiment son but : sa gloire et son panache rsident dans la
dnonciation du systme et dans limprcation haineuse des mtques et du systme .
Cest en vrit en ce sens lhritier dune longue tradition. Depuis la Rvolution franaise,
une part variable de lopinion vit sur ce fond de commerce qui est celui de la dtestation de
tout ce qui existe, du refus de toute innovation et de toute compromission au nom de la
ralit et de la jouissance mauvaise du discours dcliniste. Tout est pourri , plus rien ne
va . Seul le retour dans le pass serait digne dtre envisag : les Bourbons sur le trne et le
Christ-Roi triomphant sur les genoux de la Fille ane de lglise. La Chevalerie franaise
reprsente lidal perdu avec la fin de lAncien Rgime ; le peuple rgicide ne peut que payer
indfiniment son crime par le dclin que les cieux lui promettent ; rien ne vaut, sinon les
paroles amres de Cassandre voyant chaque jour confirmer le diagnostic fait une bonne fois
pour toute de la modernit : triomphe des francs-maons, de lanti-France et de la
juiverie . Lancien royaume dchu se vautre dans sa fange, lheure o, comme le disait le
Marchal en 40, lesprit de jouissance simpose partout.
Cette veine a su donner des morceaux de bravoure dans le champ littraire et celui du
pamphlet : Lon Bloy, Huysmans, ou Barbey dAurevilly, puis le premier Bernanos (celui de
La Grande Peur des bien-pensants, pas celui des Grands cimetires sous la lune !). Mais ceux-l
trempaient leur plume gniale dans le fiel de la nostalgie et lamertume de la dploration : ils
ne briguaient ni sige dlu ni hochet la boutonnire.
Le pouvoir, en effet, pour quoi faire ? tre dans le systme, nest-ce pas
ncessairement tre comme les autres ? Le parti de la rdemption peut-il tenir son pouvoir du
vote de la canaille honnie ? Accepter la rgle du jeu tout en la dnonant ne voue-t-il pas au
destin de tous les lus quon dnonce : compromission, concession, entente entre coquins et
corruption ? Force est de constater que la poigne de conseillers gnraux que le FN a gagne
se paye denqutes sur des emplois fictifs, des dtournements de fonds publics nationaux ou
europens. La blanche (ou bleue) Marine ne devient-elle pas lagent de Moscou, comme hier
le parti communiste ?
Notons quil est dj arriv que lextrme droite accde paradoxalement aux affaires
par le vote dit dmocratique : Hitler lui-mme a gagn le Reichstag et est devenu Chancelier
dans la lgalit la plus stricte. Il a reu les insignes de son rgne dans le respect formel de la
constitution et des mains dun Marchal aussi gteux que complaisant. Rares sont les lus
qui ont eu dailleurs autant de voix ! Car, il faut bien ladmettre : le peuple a consenti
largement et a donn sa pleine adhsion la dictature, sur le programme explicite de Mein
Kampf. Comme le dit Carl Schmitt : le peuple opine ! Et il opinait, prcisment : en
connaissance de cause, sans version dulcore et massivement. Or, en France, il ny a pas
dexemple comparable : lextrme droite na jamais gouvern que par la grce dune arme
doccupation. Elle a parfois t une force populaire considrable, alliant les puissants et les
humbles dans la mme foi, comme chez les Chouans. Elle a pu soulever des foules motives
et ardentes, comme du temps des Ligues et du Colonel de La Roque et lors des meutes du 6
fvrier 1934. Mais cela na jamais suffi pour abolir la Rpublique, restaurer les principes
lgitimes de lautorit ou renverser le cours de lhistoire. Sans remonter aux immigrs de
Koblenz, la Restauration due la prsence des troupes royales anglaises et des Cosaques,
au massacre des communards sous le regard bienveillant (et dgot) des armes
prussiennes, ce camp dit National na jamais gagn qu loccasion de leffondrement de
la Nation : ainsi du rgime de Vichy, rsultant de la lchet de lAssemble issue du Front
populaire et de loccupation nazie, comme du putsch dAlger, procdant son nom lindique
du pronunciamiento de quelques vieilles ganaches et de la sdition dun rgiment de la
Lgion (trangre).
Tout a, il faut bien dire, ne tient ensemble que par un pauvre ciment : celui de la rage
ractionnaire et de la ngativit, ncessairement destructrice. La composante lgitimiste ,
nostalgique de Louis XVI, nest quune part infime de la galaxie quest en ralit ce Front.
Mme le courant monarchiste est exsangue, sans comparaison avec laura quavait avant-
guerre lAction Franaise et linfluence de Charles Maurras. La droite catholique,
traditionaliste ne pse pas lourd face aux no-paens venus du Club de lHorloge et de la
Nouvelle Droite, frocement antichrtienne, voue la mmoire du pass celtique et du
mythe boral du continent davant la conqute romaine. Et tout cela, qui sent le rance et a
des relents de sacristie ou de catacombes, nest que bien peu de chose dans le flot venu du
poujadisme dautrefois et de la complaisance xnophobe et populiste qui fait nombre et pse
au moment du dpouillement. Sans compter ceux qui faisaient les bataillons de la CGT et du
Parti communiste, et qui se sont recycls en masse, au moins dans le secret des isoloirs Le
lien qui fait le Un de cette famille rtrograde (autoritarisme, mpris de llite et des
intellectuels, thme de la dcadence) ne suffit plus quand lpreuve de vrit se prcise :
comment gouverner concrtement ? Contre les juifs ou contre les arabes, dont on nous dit
que laffrontement donne le ton de la politique internationale ? Avec plus dtat ou plus de
libralisme conomique ? La liste est longue des incompatibilits de fond.
Voil de quoi le FN hrite, voil de quoi il est fait. Voil pourquoi ses cadres et ses
sympathisants sont lheure dun choix dcisif : il ne suffit plus dincarner les jrmiades de
la raction, la plainte des couches sociales voues par le capitalisme financier et la
mondialisation la disparition. Il ne suffit plus dassumer la fonction tribunitienne quaucun
Georges Marchais ou Henri Krasucki ne tient plus. Agiter les fanions du pass glorieux et
flatter les penchants les plus vils des dsesprs et des mcontents, nourrir la passion
xnophobe, anti-arabe et anti-juive ne fait pas une politique.
Marine le sait.
La droite rpublicaine sait aussi ( part quelques aventuriers) quelle a sauv son
honneur et celui de la France en rompant radicalement avec cette engeance.
Rponse Rancire
par Jacques-Alain Miller
Paris, le 7 avril 2015 Cher Rancire,
Je viens de lire dans LObs les propos que tu as tenus ric Aeschimann, et je ne sais pas si
nous vivons dans le mme pays, que dis-je ? sur la mme plante, quand je te vois dire en
ouverture de cet entretien : Tout le monde, bien sr, est daccord pour condamner les
attentats de janvier .
Contre-vrit si flagrante quelle dcourage la polmique. Je ne dis rien. Tu as le
champ libre pour expliquer ta guise ce quil faut comprendre de cette phrase. Quel est donc
ce tout le monde, bien sr ? Tu nous le prsenteras, je serai enchant de faire sa
connaissance, cest un tout le monde de bonne compagnie, mme sil laisse bon nombre
de personnes hors de lui.
y rflchir, je crois que tu as voulu dire que tu ntais pas du ct des assassins, et si
tu las dit maladroitement, cest que tu nes pas davantage du ct de ceux quils assassinent.
Ce tout le monde qui nest pas tout le monde fait, si lon y songe, le problme, de
luniversel. Tu dplores que luniversalisme ait t confisqu et manipul , transform
en signe distinctif dun groupe . Mais le ver est dans le fruit, je veux dire dans le concept
mme. Les universalistes ne sont pas si sots quils ignorent quils ne sont pas tout le monde.
Sil y a des universalistes, cest quil y a des particularistes, sans compter les singularits. Il
sensuit que luniversalisme nest jamais rien que le signe distinctif dun groupe . Et les
particularistes, de leur ct, sont fonds tenir luniversalisme pour le particularisme des
universalistes.
Ce nest pas draisonnable. Ceux qui pensent que les grandes valeurs
universalistes , comme tu les appelles, ne sont que les instruments new look de
limprialisme occidental, sont lgion. Ils sont la majorit lAssemble gnrale des Nations
Unies. L-dessus, Poutine et ses philosophes slavophiles, les matres de la Chine, de lArabie
saoudite, de lIran, le nouveau Califat islamique, sans oublier le dfunt Lee Kuan Yew,
inventeur de Singapour, et les frres Castro, tous sont daccord.
Tu dis pareil concernant la France. Cest savoir que les grands principes
universalistes y sont dsormais instruments par une volont de domination qui semploie
tourmenter une communaut prcise . Du coup, tu renies un universalisme qui ne
vhicule plus que xnophobie et racisme. L, je dis stop.
Distinguons le plan international et le plan national. Pour ce qui est du concert des
nations, il nest pas absurde de penser que mieux vaut admettre que luniversalisme est un
particularisme, le ntre, plutt que de vouloir mordicus le faire universel. Car, dans ce cas,
force est de rappeler dentre les morts lUniversel bott, celui quincarna jadis, sous lgide
des Droits de lHomme, le fameux mangeur dhommes , lEmpereur des Franais. Mais en
France, au nom de quoi veux-tu maintenant obtenir des indignes quils soumettent leur
particularisme, qui est universaliste, au particularisme de la communaut prcise ?
Quand Aeschimann tinterroge sur le port du voile et lmancipation fminine, tu lui
rponds : Le statut des femmes dans le monde musulman est srement problmatique,
mais cest dabord aux intresses de dgager ce qui est pour elles oppressif. Et, en gnral,
cest aux gens qui subissent loppression de lutter contre la soumission. On ne libre pas les
gens par substitution.
Ta dernire phrase rsume bien lobjection de Robespierre Brisset, quand celui-ci
appelait la France rvolutionnaire une croisade de la libert universelle : La plus
extravagante ide qui puisse natre dans la tte d'un politique est de croire qu'il suffise un
peuple d'entrer main arme chez un peuple tranger pour lui faire adopter ses lois et sa
constitution. Personne n'aime les missionnaires arms ; et le premier conseil que donnent la
nature et la prudence, c'est de les repousser comme des ennemis (Discours au club des
Jacobins, le 2 janvier 1792).
Mais largument ne rpond pas la question pose. Il ne sagit pas de guerres
trangres. Aeschimann ne te parle pas de librer les Afghanes ou les Saoudiennes, il te
questionne sur lmancipation des Franaises voiles. Se dfausser sur les murs du
monde musulman quand on tinterroge sur le sort de nos compatriotes, et renvoyer
celles-ci leur responsabilit, a ne le fait pas. Cest noyer le poisson et jouer les Ponce-Pilate.
Leur assujettissement ventuel nest pas seulement leur affaire, ni mme celle de la
communaut prcise , il concerne la communaut nationale dans son ensemble.
Je ne te vois pas mieux inspir quand tu estimes que la libert dexpression ntait
nullement en cause dans le massacre de la rdaction de Charlie, et quon ne sest polaris l-
dessus que pour disqualifier une partie de la population . Tu vois dans la libert
dexpression un principe qui rgit les rapports entre les individus et ltat .
Non, Rancire. Pourquoi la tuerie du 7 janvier a-t-elle suscit une motion
incomparable avec celle quavaient souleve les attentats des gares madrilnes en 2004, avec
leurs 200 morts et 1400 blesss ? Cest que soudain une volont se rendait prsente au cur
de Paris, qui annonait lhumanit dans son ensemble que, sous peine de mort, nulle part
au monde certaines choses ne devaient tre dites ni reprsentes. Cette exigence exorbitante
du droit des gens tmoignait du dsir fou dune soumission universelle. La tuerie a suscit
les ractions les plus diverses : terreur, rvolte, rsistance, mais aussi comprhension,
adhsion et admiration.
En fait, tout tait dj l en germe depuis le 14 fvrier 1989, dans la fameuse fatwa de
layatollah Khomeini. Souviens-toi quelle invitait tous les musulmans, luniversel des
croyants, excuter sans phrase Salman Rushdie, ses diteurs, et toute personne ayant
connaissance du livre des Versets sataniques. Le matre de lIran dmontra ainsi quil pouvait
ouvertement, impunment, condamner mort pour dlit de blasphme les ressortissants de
plusieurs tats trangers vivant sur le sol de ceux-ci. Diras-tu que la libert dexpression, l
non plus, ntait pas en cause parce que la situation sortait du cadre de ta docte dfinition ?
Un curieux entrecroisement. Une jolie ruse. mesure que lOccident tait forc
dadmettre de mauvais gr que son universalisme ntait quun particularisme, le
particularisme musulman se rvlait tre un universalisme. LUniversel bott est de retour
parmi nous. La tentative des no-conservateurs amricains ayant chou, cest au tour de
lUniversel musulman de monter sur la scne de lHistoire, et de jouer lme du monde .
Lui aussi chouera. Dune part, il est divis, dvor de lintrieur par le schisme qui
dresse sunnites et chiites les uns contre les autres. Dautre part, les dmocraties ont une
rsilience qu les voir dvirilises, corrompues et chaotiques, les totalitarismes
mconnaissent. Tu sembles pour ta part mconnatre la dimension transnationale des
difficults franaises.
Il y a un universalisme juif, puisque les sept lois noachiques valent pour chacun, mais
cest un universalisme sans proslytisme, dont le noyau est le particularisme revendiqu du
peuple lu. Il fut un temps o luniversalisme chrtien tait jeune, tonique, et parfois
sanguinaire : il se satisfait aujourdhui des palabres de lcumnisme. Luniversalisme
communiste ne survit qu ltat de souvenir et desprance. Restent en concurrence
luniversalisme capitaliste et luniversalisme musulman.
Le rcent accord nuclaire avec lIran montre quObama fait fond sur le soft power
pour subvertir de lintrieur laustre Rpublique islamique. Sans doute espre-t-il que le
jour o lon fera la queue Thran pour acqurir le dernier iPhone, Apple Akbar ! ne sera pas
loin de se substituer lantique takbir. Laccueil enthousiaste rserv au mme accord par les plus allums des rvolutionnaires iraniens montre quils nen croient rien. Lutte titanesque :
qui lemportera, du gadget ou de lUn ? de lobjet ou du signifiant-matre ? En rsultera-t-il
un mariage de la production intensive et de lidentification nationaliste, la chinoise ?
Le particularisme russe prtend jouer dans la cour des grands universalismes
contemporains. Sa ressource est de faire revivre la thorie eschatologique de Moscou
troisime Rome . On observe tous les jours comme il attire dans son orbite les extrmes
droites europennes. Son Internationale ira-t-elle beaucoup au-del ?
Quant au particularisme franais, il na plus les ambitions que Maurras avait inspires
De Gaulle : celles de faire de la vieille nation le chef de file des petites et moyennes
puissances rsistant aux Empires. Elles se bornent maintenir son modle , qui nest plus
modle pour personne. Tes sarcasmes contre la lacit la franaise, et il nen est pas dautre,
je les lis toutes les semaines dans le New York Times, dans The Economist, dans le Wall Street
Journal, dans le Financial Times. Franais, disent-ils tous, encore un effort si vous voulez tre
capitalistes : soyez multiculturels, liquidez votre Leitkultur (culture dominante), laissez passer librement les personnes et les biens, et puis, que chacun jouisse en paix de ses amours,
de sa vture, de sa nourriture.
Jolie ruse, l encore, qui voit les dfenseurs, dont tu es, des plus exploits des
exploits, travailler pour le roi de Prusse.
Tu fais du Parti socialiste le fossoyeur de la gauche. Cest mconnatre la part prise par
le Parti communiste dans la mise au tombeau de lHomme-de-Gauche. la grande poque,
sous Thorez, le PCF, moscoutaire jusqu los, russissait apparatre comme un parti
national, voire nationaliste. Autre ruse : laiss lui-mme, loin de senraciner dans la nation,
il en perdit le sens.
Toi-mme ne veux voir dans lattention porte au facteur national que droitisation
galopante . Tu espres des mouvements dmocratiques de masse , sortis don ne sait zou.
Des quarante dernires annes, tu ne retiens que dsastres conomiques et chaos
gopolitique . Et tu es lun des penseurs les plus distingus de la gauche de la gauche.
La messe est dite. Les proltaires sont au Front national. La gauche de la gauche se
ratatine. La gauche glisse au centre. Loffre droite, de Sarkozy Jupp, est la plus ample.
Cest la nouvelle donne.
Avec mon meilleur souvenir.
JAM
La rponse de Jacques Rancire
Jai trouv hier soir cette rponse de Jacques Rancire ma lettre ouverte du 7 avril. Il me laisse libre de la considrer comme prive ou comme rponse publique (ma) lettre publique . La voici donc. Je
ferai mon profit de ses remarques et objections, dont je le remercie. JAM, le 10 avril 2015
Cher Jacques-Alain Miller,
Tu te demandes si nous vivons dans le mme pays. Je me demande, pour ma part, si nous
parlons du mme texte.
Tu te dis curieux de connatre le tout le monde dont je dis quil est daccord pour
condamner la boucherie du 7 janvier. Je pense que tu le frquentes tous les jours. Ma phrase
se rfrait au large consensus des opinions publiquement exprimes en France aprs
lattentat. Il y a, bien sr, les voix rapportes, les rcits sur ces jeunes collgiens qui
trouvaient quils lavaient bien mrit. Mais justement ces voix taient rapportes comme des
voix dun autre monde. Ma phrase se rfrait au consensus des voix dans le monde o jtais
convi parler, qui est aussi celui o tu parles. Elle indiquait que je nentendais pas me
distinguer de ce consensus et que cest dautre chose que je parlerais. Parlons donc du fond
des choses.
Tu maccuses de renier luniversalisme sous prtexte quil ne vhiculerait plus
aujourdhui que xnophobie et racisme. Et tu massimiles gnreusement tous les
dictateurs pour qui les grandes valeurs universalistes ne sont que les instruments new
look de limprialisme occidental. Pour ma part je nai jamais cess, depuis La Leon
dAlthusser, de mopposer ceux pour qui luniversalisme, les droits de lhomme, les liberts
formelles, lhumanisme ou la dmocratie ntaient que le masque de lexploitation ou de la
domination. Je nai pas chang et ne changerai pas l-dessus. Et cest bien pourquoi je
minquite de voir que depuis une ou deux dcades sest dvelopp un discours
universaliste qui semble fait exprs pour donner raison aux dictateurs en question et
tous ceux qui partagent leur avis. Bien sr luniversalisme est toujours celui dun groupe
humain dtermin. Cela ne le soustrait pas lobligation dtre en accord avec ses propres
principes. Quand luniversalisme est appliqu en sens unique, quand il se trouve assimil
un systme de rgles et de contraintes voire de brimades qui ne peuvent concerner
quune partie dtermine de la totalit quil est cens rguler, quand il est brandi avec
arrogance comme marque de distinction entre un nous et un eux , il ne peut que
renforcer et radicaliser chez ceux qui se trouvent, de fait, viss le sentiment quil est un
mensonge fait seulement pour les opprimer. Je dfends donc luniversalisme contre ceux qui
le ruinent par le fait.
Je ne me dfausse pas concernant les filles voiles en France. Ma proposition selon
laquelle cest aux intresses de savoir ce qui est pour elles oppressif et quon ne libre pas
les gens par substitution concerne dabord la question du voile en France. Sur le premier
point, nous avons jadis appris que ce qui nous paraissait le plus oppressif dans lexploitation
du travail ntait pas forcment ce dont les intresss souffraient le plus fortement. Il en va
de mme dans le cas de la condition des filles et femmes musulmanes ici et nous savons quil
y a chez elles une multiplicit de faons dinterprter le port du voile jusqu celui de la
provocation. Cest pourquoi je crois que la communaut nationale a des choses plus
importantes traiter et que la manire dont laffaire a t nationalise a largement
renforc les crispations identitaires quelle prtendait combattre.
Concernant la libert dexpression, je maintiens que sa dfinition stricte concerne le
rapport entre ltat et ceux qui expriment leur opinion. Tu mopposes la raction contre une
volont annonant lhumanit dans son ensemble que, sous peine de mort, nulle part au
monde certaines choses ne devaient tre dites ni reprsentes . On peut discuter sur la
porte universelle que les frres Kouachi donnaient leur acte. Mais je maintiens que le
problme pos par cette volont ne peut pas tre renferm dans le cadre de la libert
dexpression ou de la libert de la presse . Au lendemain du 7 janvier un certain Jacques-
Alain Miller crivait que Nulle part, jamais, depuis quil y a des hommes, il na t licite de
tout dire . Par quoi, je pense, il nentendait pas justifier le crime mais rappeler que la
question de ce qui se dit et ne se dit pas ainsi que la question des effets dune parole
excdaient toute dfinition lgale de la libert dexpression. Il y a toujours eu, il y aura
toujours des gens prts tuer pour une parole qui leur dplat. Le problme est de savoir,
comment, au sein dune communaut dtermine, en loccurrence la communaut franaise
ou la communaut de ceux qui vivent en France, on fera en sorte que ceux-l ne se
multiplient pas et que leurs actes ne suscitent pas ladmiration et ladhsion dune part plus
large de la population. Et pour cela la simple affirmation quil y a un droit de tout dire qui
est indissolublement li lidentit franaise est non seulement insuffisante mais contre-
productive, parce quil est connu que le directeur de Charlie Hebdo avait lui-mme dcrt
quon navait pas, sous peine dtre licenci, le droit de tout dire dans son journal. Il y faut un
peu plus, la capacit davancer un peu dans la comprhension des raisons des uns et des
autres, de voir ce sur quoi il peut et ne pas y avoir accord, ce sur quoi on peut ou ne peut pas
transiger pour que ceux qui ont vivre ensemble le fassent selon des modalits qui ne
soient pas celles du meurtre ni celles du mpris. Il y a aussi la responsabilit de chacun quant
ce quil lui semble juste de dire ou de ne pas dire et quant la faon dont sa parole est
appele tre entendue. Ceux qui hurlent au multiculturalisme ds quon voque ces choses
ne font certainement pas de bien.
Tu parles enfin de mes sarcasmes quant la lacit la franaise et tu me mets l-
dessus au diapason non des dictateurs post-communistes ou islamistes mais de la presse
anglo-saxonne bien-pensante. Ce que jai dit sur la lacit se rsume en ceci : on a invent
depuis quelques annes une lacit qui na plus rien voir avec celle qui a exist pendant
plus dun sicle en France. Cette dernire concernait lEtat et ses institutions, commencer
par linstitution scolaire. Et le combat des militants de la lacit tait un combat pour que les
fonds publics soient rservs lEcole publique. On a rcemment invent une lacit qui
ntait plus une obligation de lEtat mais une obligation des individus. On la invente
comme une obligation universelle qui se trouvait concerner un objet bien particulier une
pice de vtement transforme en message de propagande religieuse et une catgorie bien
dtermine, celle des jeunes filles de religion musulmane. Si tu veux critiquer ce que je dis
sur la lacit, il faut prouver que cette transformation radicale de la notion na pas eu lieu ou
quelle est un bien. Mais cest ce que tu ne fais pas
Pour le reste, tu mobjectes que le Parti socialiste nest pas seul avoir tu la gauche et
que le Parti communiste y a sa part. Mon propos ntait pas de rpartir les bons ou les
mauvais points. Cest simplement un fait que le Parti Communiste, malgr tout ce quil a fait
en quelques dcennies, na jamais russi tuer la gauche et que le Parti socialiste a, lui, russi
labsorber et la tuer. Par ailleurs, comme tu ne dfinis aucun espace politique dans lequel
tu te situerais, il ny a pas lieu de sattarder sur les rves davenir dont tu me juges la victime
nave.
Bien cordialement,
Jacques Rancire
*****
Connaissez-vous Ernst Toller ?
par Philippe Benichou
On joue Hinkemann dErnst Toller Paris, dans une remarquable mise en scne de Christine
Letailleur, avec qui lEnvers de Paris dialoguera ce 18 avril au Thtre de la Colline, lissue
de la reprsentation.
N en 1893 en Prusse orientale, Ernst Toller tait juif et allemand. En 1914, 21 ans,
anim dun dsir passionn de prouver en risquant sa vie quil tait allemand et rien
quallemand 1, il est engag volontaire et combat contre la France. La guerre fait de lui un
pacifiste convaincu et, aprs avoir t rform de larme, puis rintgr de force suite son
engagement politique en faveur de la paix, il est exclu de larme pour raisons psychiatriques
aprs son passage devant Emil Kraepelin2.
Toller, tout en se consacrant lcriture, est un des leaders de la rvolution spartakiste
en Bavire et il est condamn en 1919 cinq ans dincarcration pour haute trahison. Cest
dans la forteresse de Niederschnenfeld quil crit pomes et drames et sinterroge sur la
difficult de concilier engagement politique et puret de laction. Il est aussi lucide sur les
limites de laction politique pour traiter du drame du sujet et cest par l que son uvre parle
au psychanalyste.
Le socialisme lui-mme ne supprimera que la souffrance qui a son origine dans
linsuffisance des systmes sociaux, mais il y aura toujours un reste 3. Cest pour le dmontrer
quil crit Hinkemann et, pour reprsenter ce reste, il choisit la castration dun sujet dans le
rel, lhistoire dun homme qui revient de la guerre mascul, ddaign par son pouse et
conduit renoncer ses valeurs de respect de la vie en devenant un monstre de foire tuant
des animaux vivants et ce, pour prserver la femme quil aime de la misre. La pice met en
scne la solitude radicale dun sujet qui ne peut rien esprer. crite en 1924, la pice fait
galement entendre la haine antismite et son appel au meurtre sur lesquels Christine
Letailleur sait insister avec talent. Saluons en particulier la superbe mise en scne du rve de
lapparition maternelle qui tmoigne cette poque du dclin de limago paternelle.
sa libration, Toller devient une figure de lexpressionnisme allemand et ses pices
seront parmi les plus joues au Thtre proltarien dErwin Piscator Berlin. En 1933, ses
livres seront brls par les nazis et il fuira en exil. Il mettra fin ses jours New York en
1938.
1. Toller E., Une jeunesse en Allemagne, 1933, ditions Lge dhomme, p. 217.
2. Ibid., p. 160 : on y dcouvre Emil Kraepelin, grand nosographe, en sinistre nationaliste
fervent dfenseur de laccroissement de lespace vital allemand.
3. Ibid., p. 216. (soulign par nous)
HINKEMANN de Ernst Toller
La Colline, thtre national 15, rue Malte-Brun - 75020 Paris
Le 18 avril : reprsentation suivie d'un dbat avec Christine Letailleur, metteure en scne de la pice Dbat
anim par Philippe Benichou et Christiane Page.
Rservations au tarif prfrentiel de 20 euros (14 pour les - de 30 ans)
auprs de Ninon Leclre au 01 44 62 52 10
Lacan Quotidien publi par navarin diteur
INFORME ET REFLTE 7 JOURS SUR 7 LOPINION CLAIRE
comit de direction
directrice de la rdaction catherine lazarus-matet [email protected]
directrice de la publication eve miller-rose [email protected]
conseiller jacques-alain miller
comit de lecture
pierre-gilles gueguen, catherine lazarus-matet, jacques-alain miller, eve miller-rose, eric zuliani
quipe
dition ccile favreau, luc garcia
diffusion ric zuliani
designers viktor&william francboizel [email protected]
technique mark francboizel & olivier ripoll
mdiateur patachn valds [email protected]
suivre Lacan Quotidien :
[email protected] liste dinformation des actualits de lcole de la cause freudienne et des acf
responsable : ric zuliani
[email protected] liste de diffusion de leurofdration de psychanalyse
responsable : gil caroz
[email protected] liste de diffusion de lassociation mondiale de psychanalyse responsable : oscar
ventura
[email protected] liste de diffusion de la new lacanian school of psychanalysis responsables :
Florencia Shanahan et Anne Braud
[email protected] uma lista sobre a psicanlise de difuso privada e promovida
pela AMP em sintonia com a escola brasileira de psicanlise moderator : patricia badari
traduction lacan quotidien au brsil : maria do carmo dias batista
POUR ACCEDER AU SITE LACANQUOTIDIEN.FR CLIQUEZ ICI.
lattention des auteurs
Les propositions de textes pour une publication dans Lacan Quotidien sont adresser par mail (catherine
lazarus-matet [email protected]) ou directement sur le site lacanquotidien.fr en cliquant sur "proposez
un article",
Sous fichier Word Police : Calibri Taille des caractres : 12 Interligne : 1,15 Paragraphe : Justifi
Notes : la fin du texte, police 10
lattention des auteurs & diteurs
Pour la rubrique Critique de Livres, veuillez adresser vos ouvrages, NAVARIN
DITEUR, la Rdaction de Lacan Quotidien 1 rue Huysmans 75006 Paris.