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2 Dimanche 12 avril 2015 20h00 [GMT + 1] NO 501 Je n’aurais manqué un Séminaire pour rien au mondePHILIPPE SOLLERS Nous gagnerons parce que nous n’avons pas d’autre choix — AGNES AFLALO www.lacanquotidien.fr ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– Implosion du FN Assomption de Marine par Philippe De Georges Alors, osera-t-i ou osera-t-i pas ? Marine Le Pen va-t-elle virer le « vieux », à qui elle doit tout ou presque ? Lequel de ces anagrammes retenir : Anime le Père ou Amène le pire ? JMLP est-il une sorte de Roi Lear comique ou, comme il le dit lui-même (« Le cadavre remue encore »), va-t-il sauver sa mise au nom du Nom-du-Père et de ce qui fait son droit légitime sur la bande qu’il a su mener aux portes du pouvoir ? Les médias gourmands se lèchent les babines et s’en donnent à cœur joie. Leurs commentateurs, experts et spécialistes patentés fourbissent leurs arguments et distillent savamment leurs analyses… Pourtant, la messe est dite et la cause entendue : le FN connaît une crise qui est le fait de la logique même, puisqu’il se trouve en passe de réussir sa « dédiabolisation » : le pas qui reste à franchir, pour que Marine soit le ministre de l’Intérieur du premier gouvernement que Sarkozy appellera aux affaires dès son élection suppose une clarification. L’ambiguïté qui a servi jusqu’ici nos Pieds Nickelés commence à avoir ses effets négatifs : pour accéder, sinon à l’Élysée, du moins aux ors de la République, rêve des ennemis de la répoubellique et de la démocrassouille, il faut opérer une décantation. Certains

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Lacan quptidien 501

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  • 2Dimanche 12 avril 2015 20h00 [GMT + 1]

    NO 501 Je naurais manqu un Sminaire pour rien au monde PHILIPPE SOLLERS

    Nous gagnerons parce que nous navons pas dautre choix AGNES AFLALO

    www.lacanquotidien.fr

    Implosion du FN

    Assomption de Marine

    par Philippe De Georges

    Alors, osera-t-i ou osera-t-i pas ? Marine Le Pen va-t-elle virer le vieux , qui elle doit tout ou presque ? Lequel de ces anagrammes retenir : Anime le Pre ou Amne le pire ? JMLP

    est-il une sorte de Roi Lear comique ou, comme il le dit lui-mme ( Le cadavre remue

    encore ), va-t-il sauver sa mise au nom du Nom-du-Pre et de ce qui fait son droit lgitime

    sur la bande quil a su mener aux portes du pouvoir ? Les mdias gourmands se lchent les

    babines et sen donnent cur joie. Leurs commentateurs, experts et spcialistes patents

    fourbissent leurs arguments et distillent savamment leurs analyses Pourtant, la messe est

    dite et la cause entendue : le FN connat une crise qui est le fait de la logique mme, puisquil

    se trouve en passe de russir sa ddiabolisation : le pas qui reste franchir, pour que

    Marine soit le ministre de lIntrieur du premier gouvernement que Sarkozy appellera aux

    affaires ds son lection suppose une clarification.

    Lambigut qui a servi jusquici nos Pieds Nickels commence avoir ses effets

    ngatifs : pour accder, sinon llyse, du moins aux ors de la Rpublique, rve des

    ennemis de la rpoubellique et de la dmocrassouille, il faut oprer une dcantation. Certains

  • oripeaux doivent tre rejets ; il faut tuer le vieil homme ; refouler de lexpression publique

    certaines rengaines et certains slogans qui font la joie des brutes avines au caf du

    commerce et des nervis si utiles pour les coups de main. Il faut bien en effet faire alliance :

    seuls, on ne peut pas dpasser les miraculeux 33 %. Il faut tre frquentable ; soigner son

    style et donner des gages de respectabilit dutilit publique, comme dit papi ! Or, le

    partenaire oblig, cest-- dire le parti no-gaulliste et celui qui va-t--la-messe, oblige

    bannir les rfrences explicites Ptain, la collaboration et lOAS.

    Le problme est toutefois que cest bien en cela que rside lessence du parti, sa

    matrice et son discours fondateur. Le FN a dans ses gnes, comme disent les journalistes,

    Vichy et les guerres coloniales. Il est lhritier de Laval et de Darnand, de Salan et de Bastien-

    Thiry. Lantismitisme est lhuile sainte de son baptme bon sang ne saurait mentir ! Or,

    cest tout cela quil faut taire, si on admet que Paris vaut bien un passage la synagogue. Car

    en fin de compte le choix est simple : veut-on oui ou non le pouvoir ?

    Prcisment, le patriarche ne lentend pas de cette oreille : il tient ses principes plus

    quau pouvoir. Le refoulement, cest pas son truc, lui dont le succs de tribune tient au

    slogan connu : je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas . Il se dit volontiers que

    le pouvoir na jamais t vraiment son but : sa gloire et son panache rsident dans la

    dnonciation du systme et dans limprcation haineuse des mtques et du systme .

    Cest en vrit en ce sens lhritier dune longue tradition. Depuis la Rvolution franaise,

    une part variable de lopinion vit sur ce fond de commerce qui est celui de la dtestation de

    tout ce qui existe, du refus de toute innovation et de toute compromission au nom de la

    ralit et de la jouissance mauvaise du discours dcliniste. Tout est pourri , plus rien ne

    va . Seul le retour dans le pass serait digne dtre envisag : les Bourbons sur le trne et le

    Christ-Roi triomphant sur les genoux de la Fille ane de lglise. La Chevalerie franaise

    reprsente lidal perdu avec la fin de lAncien Rgime ; le peuple rgicide ne peut que payer

    indfiniment son crime par le dclin que les cieux lui promettent ; rien ne vaut, sinon les

    paroles amres de Cassandre voyant chaque jour confirmer le diagnostic fait une bonne fois

    pour toute de la modernit : triomphe des francs-maons, de lanti-France et de la

    juiverie . Lancien royaume dchu se vautre dans sa fange, lheure o, comme le disait le

    Marchal en 40, lesprit de jouissance simpose partout.

    Cette veine a su donner des morceaux de bravoure dans le champ littraire et celui du

    pamphlet : Lon Bloy, Huysmans, ou Barbey dAurevilly, puis le premier Bernanos (celui de

    La Grande Peur des bien-pensants, pas celui des Grands cimetires sous la lune !). Mais ceux-l

    trempaient leur plume gniale dans le fiel de la nostalgie et lamertume de la dploration : ils

    ne briguaient ni sige dlu ni hochet la boutonnire.

    Le pouvoir, en effet, pour quoi faire ? tre dans le systme, nest-ce pas

    ncessairement tre comme les autres ? Le parti de la rdemption peut-il tenir son pouvoir du

    vote de la canaille honnie ? Accepter la rgle du jeu tout en la dnonant ne voue-t-il pas au

    destin de tous les lus quon dnonce : compromission, concession, entente entre coquins et

    corruption ? Force est de constater que la poigne de conseillers gnraux que le FN a gagne

    se paye denqutes sur des emplois fictifs, des dtournements de fonds publics nationaux ou

    europens. La blanche (ou bleue) Marine ne devient-elle pas lagent de Moscou, comme hier

    le parti communiste ?

    Notons quil est dj arriv que lextrme droite accde paradoxalement aux affaires

    par le vote dit dmocratique : Hitler lui-mme a gagn le Reichstag et est devenu Chancelier

    dans la lgalit la plus stricte. Il a reu les insignes de son rgne dans le respect formel de la

    constitution et des mains dun Marchal aussi gteux que complaisant. Rares sont les lus

  • qui ont eu dailleurs autant de voix ! Car, il faut bien ladmettre : le peuple a consenti

    largement et a donn sa pleine adhsion la dictature, sur le programme explicite de Mein

    Kampf. Comme le dit Carl Schmitt : le peuple opine ! Et il opinait, prcisment : en

    connaissance de cause, sans version dulcore et massivement. Or, en France, il ny a pas

    dexemple comparable : lextrme droite na jamais gouvern que par la grce dune arme

    doccupation. Elle a parfois t une force populaire considrable, alliant les puissants et les

    humbles dans la mme foi, comme chez les Chouans. Elle a pu soulever des foules motives

    et ardentes, comme du temps des Ligues et du Colonel de La Roque et lors des meutes du 6

    fvrier 1934. Mais cela na jamais suffi pour abolir la Rpublique, restaurer les principes

    lgitimes de lautorit ou renverser le cours de lhistoire. Sans remonter aux immigrs de

    Koblenz, la Restauration due la prsence des troupes royales anglaises et des Cosaques,

    au massacre des communards sous le regard bienveillant (et dgot) des armes

    prussiennes, ce camp dit National na jamais gagn qu loccasion de leffondrement de

    la Nation : ainsi du rgime de Vichy, rsultant de la lchet de lAssemble issue du Front

    populaire et de loccupation nazie, comme du putsch dAlger, procdant son nom lindique

    du pronunciamiento de quelques vieilles ganaches et de la sdition dun rgiment de la

    Lgion (trangre).

    Tout a, il faut bien dire, ne tient ensemble que par un pauvre ciment : celui de la rage

    ractionnaire et de la ngativit, ncessairement destructrice. La composante lgitimiste ,

    nostalgique de Louis XVI, nest quune part infime de la galaxie quest en ralit ce Front.

    Mme le courant monarchiste est exsangue, sans comparaison avec laura quavait avant-

    guerre lAction Franaise et linfluence de Charles Maurras. La droite catholique,

    traditionaliste ne pse pas lourd face aux no-paens venus du Club de lHorloge et de la

    Nouvelle Droite, frocement antichrtienne, voue la mmoire du pass celtique et du

    mythe boral du continent davant la conqute romaine. Et tout cela, qui sent le rance et a

    des relents de sacristie ou de catacombes, nest que bien peu de chose dans le flot venu du

    poujadisme dautrefois et de la complaisance xnophobe et populiste qui fait nombre et pse

    au moment du dpouillement. Sans compter ceux qui faisaient les bataillons de la CGT et du

    Parti communiste, et qui se sont recycls en masse, au moins dans le secret des isoloirs Le

    lien qui fait le Un de cette famille rtrograde (autoritarisme, mpris de llite et des

    intellectuels, thme de la dcadence) ne suffit plus quand lpreuve de vrit se prcise :

    comment gouverner concrtement ? Contre les juifs ou contre les arabes, dont on nous dit

    que laffrontement donne le ton de la politique internationale ? Avec plus dtat ou plus de

    libralisme conomique ? La liste est longue des incompatibilits de fond.

    Voil de quoi le FN hrite, voil de quoi il est fait. Voil pourquoi ses cadres et ses

    sympathisants sont lheure dun choix dcisif : il ne suffit plus dincarner les jrmiades de

    la raction, la plainte des couches sociales voues par le capitalisme financier et la

    mondialisation la disparition. Il ne suffit plus dassumer la fonction tribunitienne quaucun

    Georges Marchais ou Henri Krasucki ne tient plus. Agiter les fanions du pass glorieux et

    flatter les penchants les plus vils des dsesprs et des mcontents, nourrir la passion

    xnophobe, anti-arabe et anti-juive ne fait pas une politique.

    Marine le sait.

    La droite rpublicaine sait aussi ( part quelques aventuriers) quelle a sauv son

    honneur et celui de la France en rompant radicalement avec cette engeance.

  • Rponse Rancire

    par Jacques-Alain Miller

    Paris, le 7 avril 2015 Cher Rancire,

    Je viens de lire dans LObs les propos que tu as tenus ric Aeschimann, et je ne sais pas si

    nous vivons dans le mme pays, que dis-je ? sur la mme plante, quand je te vois dire en

    ouverture de cet entretien : Tout le monde, bien sr, est daccord pour condamner les

    attentats de janvier .

    Contre-vrit si flagrante quelle dcourage la polmique. Je ne dis rien. Tu as le

    champ libre pour expliquer ta guise ce quil faut comprendre de cette phrase. Quel est donc

    ce tout le monde, bien sr ? Tu nous le prsenteras, je serai enchant de faire sa

    connaissance, cest un tout le monde de bonne compagnie, mme sil laisse bon nombre

    de personnes hors de lui.

    y rflchir, je crois que tu as voulu dire que tu ntais pas du ct des assassins, et si

    tu las dit maladroitement, cest que tu nes pas davantage du ct de ceux quils assassinent.

    Ce tout le monde qui nest pas tout le monde fait, si lon y songe, le problme, de

    luniversel. Tu dplores que luniversalisme ait t confisqu et manipul , transform

    en signe distinctif dun groupe . Mais le ver est dans le fruit, je veux dire dans le concept

    mme. Les universalistes ne sont pas si sots quils ignorent quils ne sont pas tout le monde.

    Sil y a des universalistes, cest quil y a des particularistes, sans compter les singularits. Il

    sensuit que luniversalisme nest jamais rien que le signe distinctif dun groupe . Et les

    particularistes, de leur ct, sont fonds tenir luniversalisme pour le particularisme des

    universalistes.

    Ce nest pas draisonnable. Ceux qui pensent que les grandes valeurs

    universalistes , comme tu les appelles, ne sont que les instruments new look de

    limprialisme occidental, sont lgion. Ils sont la majorit lAssemble gnrale des Nations

    Unies. L-dessus, Poutine et ses philosophes slavophiles, les matres de la Chine, de lArabie

    saoudite, de lIran, le nouveau Califat islamique, sans oublier le dfunt Lee Kuan Yew,

    inventeur de Singapour, et les frres Castro, tous sont daccord.

    Tu dis pareil concernant la France. Cest savoir que les grands principes

    universalistes y sont dsormais instruments par une volont de domination qui semploie

    tourmenter une communaut prcise . Du coup, tu renies un universalisme qui ne

    vhicule plus que xnophobie et racisme. L, je dis stop.

    Distinguons le plan international et le plan national. Pour ce qui est du concert des

    nations, il nest pas absurde de penser que mieux vaut admettre que luniversalisme est un

    particularisme, le ntre, plutt que de vouloir mordicus le faire universel. Car, dans ce cas,

    force est de rappeler dentre les morts lUniversel bott, celui quincarna jadis, sous lgide

  • des Droits de lHomme, le fameux mangeur dhommes , lEmpereur des Franais. Mais en

    France, au nom de quoi veux-tu maintenant obtenir des indignes quils soumettent leur

    particularisme, qui est universaliste, au particularisme de la communaut prcise ?

    Quand Aeschimann tinterroge sur le port du voile et lmancipation fminine, tu lui

    rponds : Le statut des femmes dans le monde musulman est srement problmatique,

    mais cest dabord aux intresses de dgager ce qui est pour elles oppressif. Et, en gnral,

    cest aux gens qui subissent loppression de lutter contre la soumission. On ne libre pas les

    gens par substitution.

    Ta dernire phrase rsume bien lobjection de Robespierre Brisset, quand celui-ci

    appelait la France rvolutionnaire une croisade de la libert universelle : La plus

    extravagante ide qui puisse natre dans la tte d'un politique est de croire qu'il suffise un

    peuple d'entrer main arme chez un peuple tranger pour lui faire adopter ses lois et sa

    constitution. Personne n'aime les missionnaires arms ; et le premier conseil que donnent la

    nature et la prudence, c'est de les repousser comme des ennemis (Discours au club des

    Jacobins, le 2 janvier 1792).

    Mais largument ne rpond pas la question pose. Il ne sagit pas de guerres

    trangres. Aeschimann ne te parle pas de librer les Afghanes ou les Saoudiennes, il te

    questionne sur lmancipation des Franaises voiles. Se dfausser sur les murs du

    monde musulman quand on tinterroge sur le sort de nos compatriotes, et renvoyer

    celles-ci leur responsabilit, a ne le fait pas. Cest noyer le poisson et jouer les Ponce-Pilate.

    Leur assujettissement ventuel nest pas seulement leur affaire, ni mme celle de la

    communaut prcise , il concerne la communaut nationale dans son ensemble.

    Je ne te vois pas mieux inspir quand tu estimes que la libert dexpression ntait

    nullement en cause dans le massacre de la rdaction de Charlie, et quon ne sest polaris l-

    dessus que pour disqualifier une partie de la population . Tu vois dans la libert

    dexpression un principe qui rgit les rapports entre les individus et ltat .

    Non, Rancire. Pourquoi la tuerie du 7 janvier a-t-elle suscit une motion

    incomparable avec celle quavaient souleve les attentats des gares madrilnes en 2004, avec

    leurs 200 morts et 1400 blesss ? Cest que soudain une volont se rendait prsente au cur

    de Paris, qui annonait lhumanit dans son ensemble que, sous peine de mort, nulle part

    au monde certaines choses ne devaient tre dites ni reprsentes. Cette exigence exorbitante

    du droit des gens tmoignait du dsir fou dune soumission universelle. La tuerie a suscit

    les ractions les plus diverses : terreur, rvolte, rsistance, mais aussi comprhension,

    adhsion et admiration.

    En fait, tout tait dj l en germe depuis le 14 fvrier 1989, dans la fameuse fatwa de

    layatollah Khomeini. Souviens-toi quelle invitait tous les musulmans, luniversel des

    croyants, excuter sans phrase Salman Rushdie, ses diteurs, et toute personne ayant

    connaissance du livre des Versets sataniques. Le matre de lIran dmontra ainsi quil pouvait

    ouvertement, impunment, condamner mort pour dlit de blasphme les ressortissants de

    plusieurs tats trangers vivant sur le sol de ceux-ci. Diras-tu que la libert dexpression, l

    non plus, ntait pas en cause parce que la situation sortait du cadre de ta docte dfinition ?

    Un curieux entrecroisement. Une jolie ruse. mesure que lOccident tait forc

    dadmettre de mauvais gr que son universalisme ntait quun particularisme, le

    particularisme musulman se rvlait tre un universalisme. LUniversel bott est de retour

    parmi nous. La tentative des no-conservateurs amricains ayant chou, cest au tour de

    lUniversel musulman de monter sur la scne de lHistoire, et de jouer lme du monde .

  • Lui aussi chouera. Dune part, il est divis, dvor de lintrieur par le schisme qui

    dresse sunnites et chiites les uns contre les autres. Dautre part, les dmocraties ont une

    rsilience qu les voir dvirilises, corrompues et chaotiques, les totalitarismes

    mconnaissent. Tu sembles pour ta part mconnatre la dimension transnationale des

    difficults franaises.

    Il y a un universalisme juif, puisque les sept lois noachiques valent pour chacun, mais

    cest un universalisme sans proslytisme, dont le noyau est le particularisme revendiqu du

    peuple lu. Il fut un temps o luniversalisme chrtien tait jeune, tonique, et parfois

    sanguinaire : il se satisfait aujourdhui des palabres de lcumnisme. Luniversalisme

    communiste ne survit qu ltat de souvenir et desprance. Restent en concurrence

    luniversalisme capitaliste et luniversalisme musulman.

    Le rcent accord nuclaire avec lIran montre quObama fait fond sur le soft power

    pour subvertir de lintrieur laustre Rpublique islamique. Sans doute espre-t-il que le

    jour o lon fera la queue Thran pour acqurir le dernier iPhone, Apple Akbar ! ne sera pas

    loin de se substituer lantique takbir. Laccueil enthousiaste rserv au mme accord par les plus allums des rvolutionnaires iraniens montre quils nen croient rien. Lutte titanesque :

    qui lemportera, du gadget ou de lUn ? de lobjet ou du signifiant-matre ? En rsultera-t-il

    un mariage de la production intensive et de lidentification nationaliste, la chinoise ?

    Le particularisme russe prtend jouer dans la cour des grands universalismes

    contemporains. Sa ressource est de faire revivre la thorie eschatologique de Moscou

    troisime Rome . On observe tous les jours comme il attire dans son orbite les extrmes

    droites europennes. Son Internationale ira-t-elle beaucoup au-del ?

    Quant au particularisme franais, il na plus les ambitions que Maurras avait inspires

    De Gaulle : celles de faire de la vieille nation le chef de file des petites et moyennes

    puissances rsistant aux Empires. Elles se bornent maintenir son modle , qui nest plus

    modle pour personne. Tes sarcasmes contre la lacit la franaise, et il nen est pas dautre,

    je les lis toutes les semaines dans le New York Times, dans The Economist, dans le Wall Street

    Journal, dans le Financial Times. Franais, disent-ils tous, encore un effort si vous voulez tre

    capitalistes : soyez multiculturels, liquidez votre Leitkultur (culture dominante), laissez passer librement les personnes et les biens, et puis, que chacun jouisse en paix de ses amours,

    de sa vture, de sa nourriture.

    Jolie ruse, l encore, qui voit les dfenseurs, dont tu es, des plus exploits des

    exploits, travailler pour le roi de Prusse.

    Tu fais du Parti socialiste le fossoyeur de la gauche. Cest mconnatre la part prise par

    le Parti communiste dans la mise au tombeau de lHomme-de-Gauche. la grande poque,

    sous Thorez, le PCF, moscoutaire jusqu los, russissait apparatre comme un parti

    national, voire nationaliste. Autre ruse : laiss lui-mme, loin de senraciner dans la nation,

    il en perdit le sens.

    Toi-mme ne veux voir dans lattention porte au facteur national que droitisation

    galopante . Tu espres des mouvements dmocratiques de masse , sortis don ne sait zou.

    Des quarante dernires annes, tu ne retiens que dsastres conomiques et chaos

    gopolitique . Et tu es lun des penseurs les plus distingus de la gauche de la gauche.

    La messe est dite. Les proltaires sont au Front national. La gauche de la gauche se

    ratatine. La gauche glisse au centre. Loffre droite, de Sarkozy Jupp, est la plus ample.

    Cest la nouvelle donne.

    Avec mon meilleur souvenir.

    JAM

  • La rponse de Jacques Rancire

    Jai trouv hier soir cette rponse de Jacques Rancire ma lettre ouverte du 7 avril. Il me laisse libre de la considrer comme prive ou comme rponse publique (ma) lettre publique . La voici donc. Je

    ferai mon profit de ses remarques et objections, dont je le remercie. JAM, le 10 avril 2015

    Cher Jacques-Alain Miller,

    Tu te demandes si nous vivons dans le mme pays. Je me demande, pour ma part, si nous

    parlons du mme texte.

    Tu te dis curieux de connatre le tout le monde dont je dis quil est daccord pour

    condamner la boucherie du 7 janvier. Je pense que tu le frquentes tous les jours. Ma phrase

    se rfrait au large consensus des opinions publiquement exprimes en France aprs

    lattentat. Il y a, bien sr, les voix rapportes, les rcits sur ces jeunes collgiens qui

    trouvaient quils lavaient bien mrit. Mais justement ces voix taient rapportes comme des

    voix dun autre monde. Ma phrase se rfrait au consensus des voix dans le monde o jtais

    convi parler, qui est aussi celui o tu parles. Elle indiquait que je nentendais pas me

    distinguer de ce consensus et que cest dautre chose que je parlerais. Parlons donc du fond

    des choses.

    Tu maccuses de renier luniversalisme sous prtexte quil ne vhiculerait plus

    aujourdhui que xnophobie et racisme. Et tu massimiles gnreusement tous les

    dictateurs pour qui les grandes valeurs universalistes ne sont que les instruments new

    look de limprialisme occidental. Pour ma part je nai jamais cess, depuis La Leon

    dAlthusser, de mopposer ceux pour qui luniversalisme, les droits de lhomme, les liberts

    formelles, lhumanisme ou la dmocratie ntaient que le masque de lexploitation ou de la

    domination. Je nai pas chang et ne changerai pas l-dessus. Et cest bien pourquoi je

    minquite de voir que depuis une ou deux dcades sest dvelopp un discours

    universaliste qui semble fait exprs pour donner raison aux dictateurs en question et

    tous ceux qui partagent leur avis. Bien sr luniversalisme est toujours celui dun groupe

    humain dtermin. Cela ne le soustrait pas lobligation dtre en accord avec ses propres

    principes. Quand luniversalisme est appliqu en sens unique, quand il se trouve assimil

    un systme de rgles et de contraintes voire de brimades qui ne peuvent concerner

    quune partie dtermine de la totalit quil est cens rguler, quand il est brandi avec

    arrogance comme marque de distinction entre un nous et un eux , il ne peut que

    renforcer et radicaliser chez ceux qui se trouvent, de fait, viss le sentiment quil est un

    mensonge fait seulement pour les opprimer. Je dfends donc luniversalisme contre ceux qui

    le ruinent par le fait.

  • Je ne me dfausse pas concernant les filles voiles en France. Ma proposition selon

    laquelle cest aux intresses de savoir ce qui est pour elles oppressif et quon ne libre pas

    les gens par substitution concerne dabord la question du voile en France. Sur le premier

    point, nous avons jadis appris que ce qui nous paraissait le plus oppressif dans lexploitation

    du travail ntait pas forcment ce dont les intresss souffraient le plus fortement. Il en va

    de mme dans le cas de la condition des filles et femmes musulmanes ici et nous savons quil

    y a chez elles une multiplicit de faons dinterprter le port du voile jusqu celui de la

    provocation. Cest pourquoi je crois que la communaut nationale a des choses plus

    importantes traiter et que la manire dont laffaire a t nationalise a largement

    renforc les crispations identitaires quelle prtendait combattre.

    Concernant la libert dexpression, je maintiens que sa dfinition stricte concerne le

    rapport entre ltat et ceux qui expriment leur opinion. Tu mopposes la raction contre une

    volont annonant lhumanit dans son ensemble que, sous peine de mort, nulle part au

    monde certaines choses ne devaient tre dites ni reprsentes . On peut discuter sur la

    porte universelle que les frres Kouachi donnaient leur acte. Mais je maintiens que le

    problme pos par cette volont ne peut pas tre renferm dans le cadre de la libert

    dexpression ou de la libert de la presse . Au lendemain du 7 janvier un certain Jacques-

    Alain Miller crivait que Nulle part, jamais, depuis quil y a des hommes, il na t licite de

    tout dire . Par quoi, je pense, il nentendait pas justifier le crime mais rappeler que la

    question de ce qui se dit et ne se dit pas ainsi que la question des effets dune parole

    excdaient toute dfinition lgale de la libert dexpression. Il y a toujours eu, il y aura

    toujours des gens prts tuer pour une parole qui leur dplat. Le problme est de savoir,

    comment, au sein dune communaut dtermine, en loccurrence la communaut franaise

    ou la communaut de ceux qui vivent en France, on fera en sorte que ceux-l ne se

    multiplient pas et que leurs actes ne suscitent pas ladmiration et ladhsion dune part plus

    large de la population. Et pour cela la simple affirmation quil y a un droit de tout dire qui

    est indissolublement li lidentit franaise est non seulement insuffisante mais contre-

    productive, parce quil est connu que le directeur de Charlie Hebdo avait lui-mme dcrt

    quon navait pas, sous peine dtre licenci, le droit de tout dire dans son journal. Il y faut un

    peu plus, la capacit davancer un peu dans la comprhension des raisons des uns et des

    autres, de voir ce sur quoi il peut et ne pas y avoir accord, ce sur quoi on peut ou ne peut pas

    transiger pour que ceux qui ont vivre ensemble le fassent selon des modalits qui ne

    soient pas celles du meurtre ni celles du mpris. Il y a aussi la responsabilit de chacun quant

    ce quil lui semble juste de dire ou de ne pas dire et quant la faon dont sa parole est

    appele tre entendue. Ceux qui hurlent au multiculturalisme ds quon voque ces choses

    ne font certainement pas de bien.

    Tu parles enfin de mes sarcasmes quant la lacit la franaise et tu me mets l-

    dessus au diapason non des dictateurs post-communistes ou islamistes mais de la presse

    anglo-saxonne bien-pensante. Ce que jai dit sur la lacit se rsume en ceci : on a invent

    depuis quelques annes une lacit qui na plus rien voir avec celle qui a exist pendant

    plus dun sicle en France. Cette dernire concernait lEtat et ses institutions, commencer

    par linstitution scolaire. Et le combat des militants de la lacit tait un combat pour que les

    fonds publics soient rservs lEcole publique. On a rcemment invent une lacit qui

    ntait plus une obligation de lEtat mais une obligation des individus. On la invente

    comme une obligation universelle qui se trouvait concerner un objet bien particulier une

    pice de vtement transforme en message de propagande religieuse et une catgorie bien

    dtermine, celle des jeunes filles de religion musulmane. Si tu veux critiquer ce que je dis

  • sur la lacit, il faut prouver que cette transformation radicale de la notion na pas eu lieu ou

    quelle est un bien. Mais cest ce que tu ne fais pas

    Pour le reste, tu mobjectes que le Parti socialiste nest pas seul avoir tu la gauche et

    que le Parti communiste y a sa part. Mon propos ntait pas de rpartir les bons ou les

    mauvais points. Cest simplement un fait que le Parti Communiste, malgr tout ce quil a fait

    en quelques dcennies, na jamais russi tuer la gauche et que le Parti socialiste a, lui, russi

    labsorber et la tuer. Par ailleurs, comme tu ne dfinis aucun espace politique dans lequel

    tu te situerais, il ny a pas lieu de sattarder sur les rves davenir dont tu me juges la victime

    nave.

    Bien cordialement,

    Jacques Rancire

    *****

    Connaissez-vous Ernst Toller ?

    par Philippe Benichou

    On joue Hinkemann dErnst Toller Paris, dans une remarquable mise en scne de Christine

    Letailleur, avec qui lEnvers de Paris dialoguera ce 18 avril au Thtre de la Colline, lissue

    de la reprsentation.

    N en 1893 en Prusse orientale, Ernst Toller tait juif et allemand. En 1914, 21 ans,

    anim dun dsir passionn de prouver en risquant sa vie quil tait allemand et rien

    quallemand 1, il est engag volontaire et combat contre la France. La guerre fait de lui un

    pacifiste convaincu et, aprs avoir t rform de larme, puis rintgr de force suite son

    engagement politique en faveur de la paix, il est exclu de larme pour raisons psychiatriques

    aprs son passage devant Emil Kraepelin2.

    Toller, tout en se consacrant lcriture, est un des leaders de la rvolution spartakiste

    en Bavire et il est condamn en 1919 cinq ans dincarcration pour haute trahison. Cest

    dans la forteresse de Niederschnenfeld quil crit pomes et drames et sinterroge sur la

    difficult de concilier engagement politique et puret de laction. Il est aussi lucide sur les

    limites de laction politique pour traiter du drame du sujet et cest par l que son uvre parle

    au psychanalyste.

  • Le socialisme lui-mme ne supprimera que la souffrance qui a son origine dans

    linsuffisance des systmes sociaux, mais il y aura toujours un reste 3. Cest pour le dmontrer

    quil crit Hinkemann et, pour reprsenter ce reste, il choisit la castration dun sujet dans le

    rel, lhistoire dun homme qui revient de la guerre mascul, ddaign par son pouse et

    conduit renoncer ses valeurs de respect de la vie en devenant un monstre de foire tuant

    des animaux vivants et ce, pour prserver la femme quil aime de la misre. La pice met en

    scne la solitude radicale dun sujet qui ne peut rien esprer. crite en 1924, la pice fait

    galement entendre la haine antismite et son appel au meurtre sur lesquels Christine

    Letailleur sait insister avec talent. Saluons en particulier la superbe mise en scne du rve de

    lapparition maternelle qui tmoigne cette poque du dclin de limago paternelle.

    sa libration, Toller devient une figure de lexpressionnisme allemand et ses pices

    seront parmi les plus joues au Thtre proltarien dErwin Piscator Berlin. En 1933, ses

    livres seront brls par les nazis et il fuira en exil. Il mettra fin ses jours New York en

    1938.

    1. Toller E., Une jeunesse en Allemagne, 1933, ditions Lge dhomme, p. 217.

    2. Ibid., p. 160 : on y dcouvre Emil Kraepelin, grand nosographe, en sinistre nationaliste

    fervent dfenseur de laccroissement de lespace vital allemand.

    3. Ibid., p. 216. (soulign par nous)

    HINKEMANN de Ernst Toller

    La Colline, thtre national 15, rue Malte-Brun - 75020 Paris

    Le 18 avril : reprsentation suivie d'un dbat avec Christine Letailleur, metteure en scne de la pice Dbat

    anim par Philippe Benichou et Christiane Page.

    Rservations au tarif prfrentiel de 20 euros (14 pour les - de 30 ans)

    auprs de Ninon Leclre au 01 44 62 52 10

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