L'universalité de la fonction phallique

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  • 7/27/2019 L'universalit de la fonction phallique

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    COLLOQUE SUR LAJOUISSANCE DANS LA LOGIQUEPSYCHANALYTIQUE

    GUY LE GAUFEY

    LUNIVERSALITE DE LA FONCTION PHALLIQUE

    Lexpression fonction phallique apparat dans lenseignement de JacquesLacan ds les premiers sminaires, mais avec de tout autres sens que celui quelle a prisavec les formules de la sexuation. De 1953 1969, on la voit se manifester peine unevingtaine de fois ; ici, cest dans une quasi confusion avec la phase phallique deFreud ; l (mais nous voil dj dans le sminaireLidentification), elle se situe dans unlien plus ou moins tendu avec le dsir diffrenci de la demande ; mais ce nest quavecle sminaire Langoisse quelle prend un sens plus original, dans une sorted homologie avec lactivit orale :

    [] lexistence de cet organe nigmatique [] quest la langue, nouspermet galement de faire intervenir ce niveau ce quelque chose qui,dans les sous-jacences de notre analyse, est l pour nourrirlhomologie avec la fonction phallique et sa dissymtrie singulire,celle sur laquelle nous allons revenir linstant, cest savoir que lalangue joue la fois dans la succion ce rle essentiel de fonctionner

    par ce quon peut appeler aspiration, soutien dun vide, dont cestessentiellement la puissance dappel qui permet la fonction [desuccion] dtre effective, et dautre part, dtre ce quelque chose qui

    peut nous donner limage de la sortie de ce plus intime, de ce secret dela succion, de nous donner, sous une premire forme, ce quelquechose qui restera je vous lai marqu ltat de fantasme, au fond,tout ce que nous pouvons articuler autour de la fonction phallique, savoir le retournement du gant, la possibilit dune version de ce quiest au plus profond du secret de lintrieur1.

    Voici donc cette fonction dote dune particularit topologique remarquable : dufait dune dissymtrie singulire , elle est appele porter vers sa manifestation la

    plus visible ce qui est au plus profond du secret de lintrieur , quand dans le mmetemps elle est, vis--vis de lextrieur, aspiration, soutien dun vide . Propritsdapparences contradictoires, mais qui sont bien celles de la langue pour autant que ce

    mot, en son ambigut foncire, dsigne ce muscle qui meuble notre cavit buccale,rgit nos jouissances gustatives, rgle nos modulations phontiques, et savre sibienvenu dans lamour tout comme il dsigne lautre langue, celle que lon parle, cellequi nous lance dans laventure subjective et forge la relation aux autres.

    La fonction phallique , dans son acception logique rgle, continue cependantde se faire attendre dans le cours des sminaires. De 1964 1968, lexpression se rarfie(trois pauvres mentions en quatre ans), pour faire un retour en force seulement lors de lafabrication des formules dites de la sexuation, au sein desquelles elle trne demble enayant hrit de la lettre , qui avait antrieurement servi dsigner le phallussymbolique.

    1 J. Lacan, Langoisse, sance du 15 mai 1963. Version courte dans ldition du Seuil, p. 271-272. VersionRoussan, p. 205.

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    Luniversalit de la fonction phallique, p. 2

    Lexpression phallus symbolique , que lon rencontre, elle aussi, ds lespremiers sminaires, se fait, elle, plus que rare aprs 1963, remplace par la seule lettre qui continue de se maintenir dans la fonction ponyme qui ici nous intresse.

    Cette lettre , dans son opposition native au , phallus imaginaire, vient pourdsigner chez ltre parlant quelle que soit chez lui la prsence ou labsence dattribut

    pnien cette commune rfrence ce qui chez Freud sannonait comme unique libidopour les deux sexes. En promouvant ce , Lacan confirme cette donne freudienne enplaant tous les tres parlants dans un mme registre qui touche tout la fois au langageet au corps, la dimension symbolique propre au langage et cette pice centrale de lasexualit quest le phallus freudien dans lconomie dsirante. Ce mouvementsaccentue lorsquil rapproche cette lettre du terme religieux de prsence relle :

    Mais alors que veut dire le ? Est-ce que je le rsume dsigner cetteplace de la prsence relle en tant quelle ne peut apparatre que dansles intervalles de ce que couvre le signifiant, que de ces intervalles, si

    je puis mexprimer ainsi, cest de l que la prsence relle menace toutle systme signifiant ?2

    Cette allusion au mystre de la transsubstantiation vaut quon sy arrte, surtoutaprs le livre remarquable dIrne Rosier-Catach surLa parole efficace3 qui met envaleur la pertinence des rflexions mdivales quant ce qui pouvait rendre efficaces ou

    pas les paroles attaches tout sacrement. Bien avant quAustin ne sintresst auxperformatifs, les plus grands esprits de la chrtient occidentale se sont penchs sur lesconditions qui peuvent faire quune srie non quelconque de signes fassent acte au pointde modifier la condition des sujets qui les profrent ou les agrent. Au centre de cessacrements, lEucharistie et sa prsence relle tablissent quaprs la conscration,ce qui tait jusque l du pain et du vin se trouvent tre dsormais le corps et le sang duChrist. Avec ce sacrement, le signe ne se contente plus de signifier, mais soutient lemystre de lIncarnation et fait quil y a du corps. Avec la prsence relle, nous voilune nouvelle fois de plain pied avec ce chiasme, cette version par laquelle le signedevient corps et le corps devient signe, entre magie et religion, non loin dessignatures la Paracelse telles que Giorgio Agamben les commente dans son dernier ouvrage4. Cestdans ces eaux-l que Lacan tricote son affaire de phallus symbolique et de fonction

    phallique : tous ces termes visent un point singulier et catastrophique de lconomiesymbolique qui noue sexe et langue, et fait sentrecroiser symbolique et rel dunefaon qui outrepasse la consistance de chacun des ordres ainsi lis en ce nexus crucial.

    On est cependant encore bien loin dune fonction au sens logique. Le terme

    mme vient de Frege, lequel fait son apparition, au dpart discrte5, dans les sminaires partir de 1965 en apportant avec ce mot de fonction lide dune entit symbolique

    prsentant un trou, un vide, et qui ne prend de valeur de vrit que si on comble ce trou,ce vide, grce un objet qui se spcifie, lui, de ne prsenter aucun vide. Il y a un ctsuccion, bouche bante, langue aspirante dans la fonction frgenne en attente de sonobjet. Quoiquil en soit, ces perspectives ouvertes par le concept de fonction permettent

    2 J. Lacan, Le transfert dans sa disparit subjective, dition stcriture, sance du 26 avril 1961.3 Irne Rosier-Catach, La parole efficace,Signe, rituel, sacr, Paris, Le Seuil, coll. Des Travaux, 2004.4 G. Agamben, Signatura rerum, Sur la mthode, Paris, Vrin, 2008.5 Frege ne sera traduit en franais par Claude Imbert (crits philosophiques, puis Les fondements de

    larithmtique) quen 1971, mais il semble que Lacan ait eu accs plus tt certains de ces textes, publisen allemand depuis longtemps. partir de 1971, donc dans les sminaires ou pire et Le savoir delanalyste, Frege devient par contre une rfrence constante.

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    Luniversalit de la fonction phallique, p. 3

    Lacan de passer du substantif phallus la fonction phallique . On en tiendra,sinon pour preuve, du moins pour indice le fait que le terme phallus connat, du

    point de vue statistique, un vritable effondrement dans le cours des sminaires : alorsque les dix premires annes le voient apparatre prs de 1 500 fois, dans les dix annesqui suivent cest peine sil se montre 200 fois, et pour les dernires annes, o les

    sances sespacent et o Lacan se montre moins disert il est vrai, on nen compte plusque neuf timides apparitions. En tant que substantif, il prsentait en effet linconvnientde renvoyer imaginairement un objet toujours cens rpondre aux questions : quest-ce que cest ? O cest ? De quoi cest fait ? a se casse ? etc. Le mot frgen de fonction permet dsormais de dissoudre cet encombrant substantif dans un adjectifqui nappelle plus aux mmes questions embarrassantes sur la localisation et les

    proprits dun tel tre. Avec cette quasi disparition du substantif phallus , la voie estmaintenant ouverte pour la fonction phallique , entendue dsormais au sens frgendu terme, pourvue dun argument (x) et passible dune quantification qui autorise senservir pour dfinir les universelles et particulires affirmatives et ngatives au sein ducarr logique qui ordonne ces quatre propositions.

    Cette soudaine promotion logique napporte pas pour autant toute la lumirequon pourrait souhaiter quant au sens de cette fonction, sens dont on en chercherait envain une dfinition inaugurale. Tout au contraire, plus Lacan lemploie pour dcrire lefonctionnement de ses formules, et plus le lecteur est dans le noir concernant le sens donner une telle fonction. De temps en temps, un avis tombe, comme ce 12 janvier1972 : la fonction phallique est proprement ce qui obture le rapport sexuel . Ah bon ?Dans le cours de la mme sance, il ajoute :

    Et ce nest pas parce que jai dit que la jouissance sexuelle est le pivotde toute jouissance que jai pour autant suffisamment dfini ce quilen est de la fonction phallique. Provisoirement, admettons que ce soit

    la mme chose.

    Et donc : fonction phallique = jouissance ? Plutt que de se prcipiter ici lire unetelle quivalence en donnant trop vite sens ce terme de jouissance tenu pourvident pour qui lemploie mais obscur pour tous les autres, on sattardera ici lunedes difficults de lecture des formules de la sexuation, qui tient la valeur que Lacan adonne aux critures du ct gauche, dit homme , en tant que commentaire logicisdu mythe du meurtre du pre produit par Freud dans Totem et tabou (Lacan dixit,Freud, quant lui, considre la chose comme un fait historique, Im Anfang war dieTat ).

    La premire proposition crite est luniverselle affirmative, qui nonce : "x. #x, tout homme , tout parltre (

    "x) vrifie (dit oui ) la fonction phallique ensen faisant largument : (

    "x). Lacan commente cette criture ainsi (une seule fois) : tout homme est serf de la fonction phallique . nonc qui se renforce du sens donn

    par Lacan lui-mme la particulire affirmative, cet "x.#x lu comme Il en existe aumoins un qui dit non la fonction phallique , avec pour exemple phare (et unique) le

    pre totmique suppos jouir de toutes les femmes , y compris donc de sa mre, etpar l chapper ldipe entendu comme loi du genre. Ce pre constituerait ainsilexception unique, encore une fois qui confirmerait la rgle, selon ladage bienconnu et logiquement stupide6.

    6 Lexpression, il vaut mieux ici le savoir ou s en souvenir, nest quune abrviation de la formule juridique : Lexception confirme la rgle pour les cas non excepts , par o le lgislateur entend signifier qu en

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    Luniversalit de la fonction phallique, p. 4

    Ces affirmations, et bien dautres issues des sminaires de ces annes-l,constituent un embrouillamini dont il est difficile de se dfaire dans la mesure o ellessemblent apporter un ordre logique rigoureux la construction freudienne plus inspire de Totem et tabou, laquelle offre en retour un sens prt--porter pour descritures quon prfre en gnral ne pas lire dans leur ordonnancement interne, se

    contentant ds lors du commentaire autoris de Lacan leur propos. Il ny a quun hic cela, mais il est de taille : la particulire affirmative est une particulire, et non unesingulire. Elle affirme quelque chose en loccurrence dire non la fonction

    phallique , "x comme tant le fait, non pas dun seul, mais de quelques-uns . "x ne signifie pas en effet Il y en a un et un seul qui , mais Il y en a desqui . Lacan loublie si peu dans sa lecture applique des formules quil lappellel homoinzun , laissant entendre que sil ny en a jamais zro cet endroit, sil y en a au moins un , il nest jamais exclu quil y en ait plusieurs. La question qui nest pasrgle pas ce seul quantificateur existentiel "x, cest de savoir si ce il existe desx telsque peut aller jusquau tous de luniverselle affirmative dont il ne serait quuneinstanciation particulire (cest le sens de la particulire dite minimale par

    J. Brunschwig), ou sil connat un maximum avant datteindre ce tous, sil sarrte un pas tous , moyennant quoi on parlera son propos de particulire maximale7 .

    Or le pre de la horde freudienne, celui que Lacan dit jouir de toutes lesfemmes , on nen connat pas quelques-uns ou au-moins-un par horde, mais

    bien un et un seul. Si un concurrent se pointe, il y aura lutte mort et il nen resteraquun et un seul en fonction. Nous ne sommes pas avec lui dans le cas dune particulireaffirmative, quoiquen dise Lacan, mais dans celui dune singulire affirmative, soitdune fonction qui, en logique, ne pose pas de la mme faon quune particulire laquestion de lexistence de llment dont elle parle8. Pour comprendre cette satanefonction phallique, il vaut donc mieux se passer de lappui que Lacan offrait son

    auditoire dalors avec sa version de Totem et tabou, et scarter de cette vulgatefreudienne du meurtre du pre en tant quexception unique la srie humaine argument qui prend trop vite sens dans nos cultures monothistes , pour nous

    aventurer la fois vers ce que Freud a voulu faire avec ce terme de castration et lafaon dont Lacan la reu.

    Nous affirmons, crit Freud, que lorganisation gnitale phallique prit(zugrunde gehen) avec [la] menace de castration (kastrations-drohung)9.

    Or il avait dj avertit ses lecteurs du fait que la menace elle seule ne suffit enrien. Pour la rendre efficace (problme phallique sil en est !), pour que lenfant yaccorde sa crance, un ton de voix menaant ne suffit pas. Quel est donc ce mouvement,subjectif entre tous, o lon accorde son assentiment une menace, o lon y croit ?La vue des organes gnitaux fminins, voire maternels, ny suffit pas non plus : le petit

    dehors des exceptions quil a lui-mme prvues pour la loi quil promulgue, il nen sera accept aucuneautre. On est loin du sens vhicul par lemploi de la formule raccourcie qui sous-entend que la rglene saurait rgner partout et pour tous, quil y en a toujours un pour ne pas jouer les moutons, etc. Le sensmoral, mme revtu doripeaux logiciens, ne doit pas faire illusion ici si du moins l on veut bien ne pasconfondre logique et sapience.7 Dveloppement de ce point dans Guy Le Gaufey, Le pastout de Lacan, consistance logique,consquences cliniques, Paris, Epel, 2006, p. 77-83.8 Au point que la logique moderne a cherch liminer ces propositions singulires grce aux procds

    dcriture que lui permettaient les quantificateurs.9 S. Freud, La disparition du complexe ddipe , in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1973, p . 119.Allemand : Studienausgabe V, p. 247. zugrunde gehen : se perdre, se ruiner, faire naufrage, prir.

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    garon, tout de mme inquiet, sen tire alors en considrant que a va grandir , ouqu elle a t punie , ou nimporte quel autre argument qui rendra sauve luniverselleaffirmative portant au moins sur le monde animal, et telle que le petit Hans la un journonce : Un chien et un cheval ont un fait-pipi ; une table et une chaise nen ont

    pas10 .

    Quant la petite fille11, comment Freud sy prend-il pour la faire entrer dans laphase phallique et la castration qui invinciblement sy rattache ?

    Lenfant ne comprend pas, crit-il, que son manque actuel de pnis estun caractre sexuel, mais elle lexplique par lhypothse (die

    Annahme) quelle a possd autre fois un membre tout aussi grand, etquelle la perdu par castration (durch Kastration verloren hat).

    Voil une construction fort sophistique, quil parat bien dlicat duniversaliser,mais on ne sarrtera pas ici des considrations sociologiques dans la mesure o ilsagit dtablir luniversalit de la phase phallique considre comme tant de dpart

    chez chacun, fille ou garon, pour autant que tous sont soumis la castration, soitquelle ait dj eu lieu (fille), soit quelle se profile lhorizon (garon). Il y a doncchez Freud lui-mme une implication rciproque (autant dire une quivalence) entre

    phase phallique et castration puisque la seconde simpose comme mode soit de sortiesoit dentre oblige de la premire, ce que Lacan reprend son compte dans lcrituredune universelle "x.#x dans laquelle saffirme et lunicit de la phase phallique et sonlien oblig la castration, selon des modes que seules spcifieront les particuliresaffirmative et ngative.

    Pour ce quil en serait de la conviction touchant la castration, cartons dabordlide dun constat empirique, mme rpt. Seul un vnement de pensepeut en venir tablir luniversalit de la phase phallique, puisque celle-ci est base sur une inductionqui permet de passer de lobservation, elle empirique, selon laquelle quelques-uns (n0+ n + nn + 1) lont au tous lont fort peu empirique de luniverselle affirmative.Cette induction, qui est au fondement de luniverselle, ne pourra tre suspendue que sise trouve reusur le mme mode logique lexistence dexceptions qui lui font objection.

    Ce sont les particulires qui viennent chez Lacan effectuer ces objectionsdiffrencies luniverselle affirmative, certains x se spcifiant dun "x.#x quifonctionne comme un il y en a au moins un qui chappe la fonction , tandis quedautres se trouvent ports vers un "x. #x, soit une acceptation partielle de luniverselledans la mesure o il sy dit que pas-tout dit oui cette fonction phallique.

    En sappliquant cette lecture croise du dclin du complexe ddipe selonFreud et des formules de la sexuation selon Lacan, autrement dit en refusant la facilittrompeuse dassimiler le dire non un refus panique de la castration symbolis parun pre totmique qui continue dtre mang toutes les sauces, on ne peut pas ne pasnoter la parfaite ambigut du dire oui de luniverselle affirmative. quoi sagit-ilde dire oui ? En quoi la possession universelle du phallus quivaudrait-elle sa

    perte, alors dnomme castration ? Qui a jamais dit oui une telle opposition devaleurs ? quelle fonction tout tre parlant est-il dit satisfaire travers cette fonction

    phallique ?

    10 S. Freud, Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1971, p. 96. Allemand : Studienausgabe VIII, p. 16.11 Au sujet de laquelle Freud avoue d emble : Ici notre matriel devient de faon incomprhensible plus obscur et plus lacunaire. S. Freud, in La vie sexuelle, op. cit., p. 121. Studienausgabe V, p. 249.

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    Luniversalit de la fonction phallique, p. 6

    Pour comprendre une telle situation, mieux vaut se tourner vers un autre typednonc universel qui touche lui aussi de plein fouet tout tre humain en affirmant : tout ce qui vit meurt , ce qui implique la mort venir de qui lnonce, qui le pense.Sur la base de quelle induction peut survenir pareille conviction ? Car il faut bien lereconnatre : chacun, quitte repousser cette ide avec la dernire nergie, convient de

    la vrit de cette universelle (

    "x.

    #x) dont la fonction affirme que chacun de seslments (donc le vivant qui la profre) perdra la proprit qui produit son appartenance lensemble servant de base la fonction.

    Avec ce type de proposition qui annonce la ruine de la proprit quelle affirme,on naura pas de mal trouver une particulire affirmative du type "x.#x : il suffitdavoir assist une messe denterrement de style chrtien pour savoir que Jsus estcelui-l, et quen cela il a ouvert le chemin pour chacun qui, comme lui, aura perdu savie terrestre. De plus, en attendant la rsurrection des corps (que Jsus, lui, a connu dsle troisime jour), chacun gardera intacte son me, prouvant ainsi que pas tout dudfunt naura dfunt (

    "x. #x). Et par ailleurs, il reste clair quil ny en a pas lombre

    dun pour chapper ce sort puisque Jsus lui-mme, tout dieu quil fut, y a succomb(

    "x.#x).

    La fonction qui rpond ces jeux dcritures quelle soit phallique ou vitale doit ainsi recler en son sein une contradiction, tout le moins possder un pli internequi permette un tel dploiement, pli dj annonc dans la citation inaugurale selonlaquelle la fonction phallique participe de la possibilit dune version de ce qui est au

    plus profond du secret de lintrieur . Il y a l comme une rminiscence de lAu-deldu principe de plaisirfreudien: sous les pavs indfinis de la pulsion de vie, la plagesans fin de la pulsion de mort. Pas lun sans lautre, pas lautre sans lun.

    Cette pliure interne la fonction rend compte du lien entre phallus et castration

    comme elle le fait dans cet exemple entre vie et mort. Ni plus ni moins. De sorte que lafonction phallique, telle que Lacan lavance avec les formules de la sexuation, contractedans une seule lettre, ce grand antrieurement connect la prsence relle du dieudans lhostie le principe mme de larticulation signifiante et symbolique : que deuxlments puissent faire un en restant chacun distinct de lautre. Voil bien le minimumrequis pour passer de la lettre au sens, pour passer de deux lments discrets et fixes leur liaison qui dsigne une direction.

    Cest par l que Lacan, commentant une nouvelle (et presque dernire fois) foiscette fonction phallique, la toute fin Dun discours qui ne serait pas du semblant12,rejoint explicitement Frege. Usant dun witz qui connat toujours un indniable succschez les lacaniens, Lacan soutient que son texte prononc le 9 mai 1958 en allemand lInstitut Max Planck de Munich reclait en son titre Die Bedeutung des Phallus un

    plonasme au sens o Phallus y quivalait Bedeutung, et rciproquement. Ilconvient de sapprocher de cette prcieuse indication avec quelque prcaution.

    Car Lacan a accept que lon traduist en franais cet article sous le titre Lasignification du phallus , tel quon le trouve dans les crits13. premire vue, il nyaurait pas chercher ombrage une telle traduction puisque Bedeutung peut fort

    bien se traduire loccasion par signification , dautres fois par sens , dautresfois encore par importance , voire acception (quand il sagit de laBedeutungdun

    12 J. Lacan, Dun discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Le Seuil, 2006, p. 169-178.13 J. Lacan, La signification du phallus , in crits, Paris, Le seuil, 1966, p. 685-696. Ce fut apparemmentla premire et la seule publication de ce texte, aucune publication allemande ntant indique la fin descrits.

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    mot). Pour peu cependant que lon ait des exigences frgennes (cest bien le cas duLacan qui ici nous intresse), il importe dtre plus prcis.

    Le grand article de 1892 intitul ber Sinn und Bedeutunga t traduit par ClaudeImbert Sens et dnotation14 , de sorte que Sinn =sens etBedeutung= dnotation. Latradition logique franaise, pour se dmarquer tout la fois de langlais denotation et du fait que dnotation est un terme dabord reu en linguistique (o il soppose connotation ) a depuis pris lhabitude de rendre le Bedeutung frgen par rfrence15 . Ainsi oppose-t-on le plus souvent dsormais, non pas sens etdnotation, mais biensens (ousignification) et rfrence. Le phallus est donc dsormais entendre comme un plonasme au regard de la rfrence, les deux ambitionnant de

    pointer un hors symbolique, au sens lacanien du terme. (On voit au passage que Lacansest fort cart du phallus comme signifiant, ft-ce comme signifiant paradoxal.)

    Mais quest-ce donc que rfrence ? Si la signification, le Sinn toile dumatin et la signification, le Sinn toile du soir sont distinctes, ces significationsdiffrentes se rvlent aprs enqute scientifique possder une Bedeutung, une

    rfrence commune qui sappelle aussi Vnus , mais ce nom nest pas lui seul unerfrence, il nest encore quune autre signification, un autre Sinn. Seul laccord sur cetalignementde plusieurs significations sur un mme lment conu comme ntant pas,lui, dordre littral dsigne ce quon appellera une rfrence . Cette rfrence permetalors de faire squivaloir les diverses significations qui lacceptent comme rfrentcommun, tout en continuant de se distinguer les unes des autres.

    Si donc le phallus ainsi promu par la fonction phallique nest rien dautre quunerfrence universelle pour tout tre parlant, cela implique que quels que soient leslments produits au long dune quelconque chane symbolique, et pour peu quelle soit

    profre, ce phallus constituera la rfrence commune de toutes les occurrences ainsi

    produites en tant que concatnes.Un tel niveau duniversalit effraie en ce quil dpasse de beaucoup lordre des

    raisons qui veut, depuis Leibniz et son grand principe, que rien nest sans raison , etque tout donc tout ce qui est, se trouve, dune faon ou dune autre, concatn dautrestres selon des liens quil est permis darticuler (ou desprer articuler) en raison. Avecla promotion lacanienne du phallus comme rfrence gnrale, au sens o Marx parlaitde lor comme quivalent gnral dans lconomie capitaliste du XIXe sicle, toute

    jaculation mise en rapport avec quelque autre jaculation pointera au passage vers cerfrent. Autant dire quaucun dploiement symbolique nest concevable sans ce phallusqui rfre pour toute mise en acte dun quelconque fragment de chane signifiante, maisautant dire aussi que cette promotion du phallus au firmament de la rfrence gnralenous dit tout sur sa fonction, et rien sur ce quil est, sil est quoi que ce soit.

    Une telle universalit ne manque pas de pertinence pour le psychanalyste dans lamesure o elle rend raison de cette chose bien plus terre terre, invente de toutes

    pices par Freud, savoir la rgle fondamentale : que nimporte quoi puisse tre mis enrelation avec nimporte quoi et produire du mme pas, non pas tant demble unesignification (laissons a cette proche cousine qui sappelle paranoa), mais cette

    14 Gottlob Frege, Sens et dnotation , in crits logiques et philosophiques, Paris, Le seuil, 1971,traduction Claude Imbert, p. 102-126.15 quoi il faut ajouter le fait qu en 1947 Carnap, dans son ouvrage fondamental Meaning and Necessity,

    a assimil la Bedeutungfrgenne lextension (en tant quoppose lintension), en y voyant le domainedes objets qui permettent dinterprter le langage logique choisi, ce qui a renforc dans le champ lexicalfranais lquivalence Bedeutung= rfrence.

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    rfrence phallique et le sujet qui lui est appendu. Car la dfinition du sujet en tant quereprsent par un signifiant pour un autre signifiant se situe elle aussi ces sommetsduniversalit, et une dfinition aussi universelle du sujet ne pouvait tre atteinte que

    par celui qui stait donn un rfrent tout aussi universel.

    Reste que cet universel nintresse Jacques Lacan que pour autant quil trbuchesur lexistence, entirement dvolue dans son carr logique aux particulires affirmativeet ngative. Chaque existant, saisi par cet universel qui linscrit dans ltre pour autantquil parle, trbuche diffremment en suivant les apories dun indpassable binarismesexuel. Ceci est une autre histoire, qui suppose dautres dveloppements. Je nai cherchici mme qu situer la fonction phallique, celle partir de laquelle peuvent se dployerles formules de la sexuation, en montrant que cette fonction recle ncessairement, non

    pas tant une contradiction quune sorte de pli interne qui articule deux versants quelledistingue en les liant sans rien perdre de son unit. En ce sens, elle est la matricesymbolique qui offre un corps dot de la capacit de babiller cette nouvelle

    perspective duvrer dsormais en tant que sujet. Dans cette nouvelle aventure,

    lattribut pnien qui semblait donner son nom la fonction nest plus rien quunaccident de taille, assurment ! mais il lui faudra composer avec les modesdobjecter, de se faire objet de luniverselle qui fonde chaque parltre comme sujet

    particulier, cest--dire : sexu.