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LUXE, INNOVATIONS ET CRISE : LES ENSEIGNEMENTS DES ÉCONOMISTES CLASSIQUES Joël Thomas Ravix De Boeck Supérieur | Innovations 2013/2 - n°41 pages 29 à 49 ISSN 1267-4982 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-innovations-2013-2-page-29.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Ravix Joël Thomas, « Luxe, innovations et crise : les enseignements des économistes classiques », Innovations, 2013/2 n°41, p. 29-49. DOI : 10.3917/inno.041.0029 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Dalhousie University - - 129.173.72.87 - 18/05/2013 21h12. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Dalhousie University - - 129.173.72.87 - 18/05/2013 21h12. © De Boeck Supérieur

Luxe, innovations et crise : les enseignements des économistes classiques

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LUXE, INNOVATIONS ET CRISE : LES ENSEIGNEMENTS DESÉCONOMISTES CLASSIQUES Joël Thomas Ravix De Boeck Supérieur | Innovations 2013/2 - n°41pages 29 à 49

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2013-2-page-29.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Ravix Joël Thomas, « Luxe, innovations et crise : les enseignements des économistes classiques »,

Innovations, 2013/2 n°41, p. 29-49. DOI : 10.3917/inno.041.0029

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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LUXE, INNOVATIONS ET CRISE : LES ENSEIGNEMENTS

DES ÉCONOMISTES CLASSIQUESJoël Thomas RAVIX

GREDEG (UMR 7321)Université de Nice – Sophia Antipolis

[email protected]

L’histoire des modes de consommation en Europe montre que, entre le 18e et le 19e siècle, s’est progressivement substitué à un luxe « aristocratique », propre aux fastes des cours princières et à l’apparat des grands seigneurs, un luxe qualifié de « bourgeois », plus orienté vers le confort et la sphère domestique (Berg, Clifford, 1998 ; Berg, Eger, 2003). Elle montre également que cette « démocratisation » du luxe est non seulement le résultat des bou-leversements politiques et économiques qui, au cours de cette période, ont transformé les sociétés européennes, mais aussi que cette évolution se pour-suit et s’approfondit aux siècles suivants avec en particulier la constitution d’une véritable industrie du luxe et, plus récemment, l’émergence de grands groupes multinationaux spécialisés dans les produits de luxe (Daumas, de Ferrière le Vayer, 2007). Face à cette évolution, largement documentée par les spécialistes de l’histoire du luxe, l’analyse économique contemporaine reste pour l’essentiel étrangement muette. En dehors de quelques travaux théoriques consacrés aux problèmes des choix de consommation (Ikeda, 2006), il n’existe pratiquement pas d’études portant sur l’industrie du luxe et sur son rôle économique1.

Il semble donc que depuis les cinq volumes de la monumentale Histoire du luxe, publiée de 1878 à 1881 par l’économiste Henri Baudrillart, l’analyse économique n’ait plus grand-chose à dire sur cette question. Tel est d’ail-leurs le constat formulé à la fin de 19e siècle par Maurice Block dans son ouvrage sur Les progrès de la science économique depuis Adam Smith : « Le luxe est plutôt une question de morale qu’une question économique ; sur cette matière, en effet, les économistes seront à peu près d’accord dans leurs appréciations, tan-dis que les moralistes se diviseront » (Block, 1890, II, p. 524). Ce désintérêt

1. Pour une étude relativement récente, voir Comité Colbert (2008).

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marqué des économistes s’explique principalement par deux raisons qui nous sont données par Jean-Gustave Courcelle-Seneuil dans son article « Luxe », rédigé pour le Nouveau dictionnaire d’économie politique de Léon Say et Joseph Chailley. La première est que « ce mot, qui s’applique à des faits purement relatifs, et dont les éléments sont très complexes, échappe à toute définition exacte et scientifique » (Courcelle-Seneuil, 1892, p. 191). Ceci explique selon lui pourquoi « les économistes des deux derniers siècles et ceux même de notre temps ont beaucoup discuté sur les avantages et les inconvénients du luxe, sans pouvoir parvenir à une formulation définitive et satisfaisante » (ibid.). La seconde raison, qui découle directement de la précédente, est que « l’économie politique ne connaît pas le luxe. Elle ne distingue pas, entre les désirs qui causent le travail, ceux qui ont pour fin les consommations de luxe de tous les autres » (ibid., p. 194). Il peut alors en conclure que « le luxe est chose d’opinion », de sorte que « c’est à l’opinion et à l’opinion seule qu’il appartient de le régler et de le modérer » (ibid., p. 194). Ainsi reléguée du côté de l’opinion et du jugement moral, la question du luxe n’a effectivement plus aucune raison d’entrer dans les préoccupations de l’économiste.

Il convient toutefois de souligner que si les réflexions sur le luxe ont pour l’essentiel déserté le champ de l’analyse économique, elles ont en revanche co-lonisé celui de la sociologie. La fonction du luxe y a été abordée par le rôle qu’il a pu jouer dans l’évolution de la société capitaliste, et en particulier pour en expliquer les transformations à travers des notions comme celles de consom-mation ostentatoire (Veblen, 1899), de dépense improductive (Bataille, 1933) ou encore de marque de distinction (Bourdieu, 1979). Or, par certains côtés, ces réflexions renouent indirectement avec certaines des préoccupations des premiers économistes qui, entre 1650 et 1850 environ, s’interrogeaient sur les liens entre l’expansion du commerce international, le développement du luxe et l’occurrence de crises économiques. En effet, les incidences politiques, sociales et économiques engendrées par les premières bulles spéculatives, qui caractérisèrent cette période de naissance du capitalisme, ne pouvaient man-quer de frapper l’opinion et de susciter des réflexions sur les transformations de la société. Cela a été en particulier le cas au 17e siècle avec la « crise de la tulipe », qui a suivi l’engouement pour un produit de luxe très convoité, mais aussi avec l’éclatement de la « bulle des mers du sud » (1711-1720) en Angleterre ou encore avec l’effondrement du système de Law en 1720, qui l’une comme l’autre accompagnèrent le développement du commerce de pro-duits de luxe en provenance d’Amérique et d’Asie. Il apparaît alors que si l’analyse économique contemporaine ne nous est pas d’un grand secours pour comprendre le rôle économique du luxe, en revanche nous avons sans doute beaucoup à apprendre de la manière dont les économistes classiques appréhen-daient les liens entre luxe, commerce et crise économique.

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Pour explorer cette perspective, nous nous proposons de montrer tout d’abord que l’approche classique puise sa source dans le débat sur les implica-tions politiques du développement du commerce et du luxe, qui marque les débuts du 18e siècle. Nous expliquerons ensuite comment ce premier débat s’oriente vers une conception particulière qui associe le luxe à une sorte d’in-novation sociale pour expliquer l’enrichissement des nations, qui sert de fon-dement aux analyses classiques ultérieures. Enfin, nous préciserons comment cette approche classique se structure, dans la première moitié du 19e siècle, autour des liens entre luxe, innovation technique et crise économique. Nous pourrons alors montrer, pour conclure, comment la conception des écono-mistes classiques peut servir de cadre théorique pour appréhender la fonction économique du luxe.

LE LUXE : VECTEUR DE CORRUPTION OU DE CIVILISATION ?

Comme le suggère Pierre Rétat (1994), la querelle du luxe qui agite les esprits au début du 18e siècle peut être considérée comme le creuset où s’éla-bore l’économie politique à venir. Son enjeu principal est en effet de savoir si les développements de la richesse et du luxe, qui accompagnent l’essor du commerce international, viennent corrompre la société ou s’ils constituent un progrès de la civilisation2. À l’origine de cette querelle on trouve deux points de vue différents.

Le premier s’inscrit dans une perspective néo-machiavélienne qui défend le principe d’un antagonisme entre le commerce et la vertu républicaine3. Il est principalement exprimé par Charles Davenant lorsqu’il affirme : « Il ne fait aucun doute que le commerce est par sa nature une chose pernicieuse ; il apporte cette richesse qui introduit le luxe ; il donne libre cours à la fraude et à l’avarice et il éteint la vertu et la simplicité des mœurs ; il déprave un peuple et ouvre la voie à cette corruption qui ne manque jamais de finir dans l’esclavage étranger ou domestique » (Davenant, 1699, p. 275). Or pour Davenant, la solution pour combattre la corruption de la société existe : elle passe par une restauration de la frugalité, c’est-à-dire par la négation du luxe. Pour lui en effet « le meilleur moyen de rendre le commerce étranger véritablement bénéfique à un pays est de promouvoir et d’encourager la frugalité ; car nous sommes très loin d’adhérer à la vieille idée que le luxe et certains excès pourraient être profitables » (Davenant, 1698, pp. 389-390).

2. On trouve une présentation générale de ce débat dans Hont (2006).3. Pour une présentation des thèses économiques néo-machiavéliennes, voir Hont (1990).

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Le second point de vue est bien évidemment celui de Bernard Mandeville qui montre au contraire que la frugalité n’accompagne que la pau-vreté alors que la prodigalité et le luxe favorisent le dynamisme de la société.

« La frugalité est comme l’honnêteté, c’est une pauvre vertu chétive qui ne convient qu’à de petites sociétés de braves gens pacifiques qui veulent bien être pauvres, pourvu qu’ils soient sans tracas ; mais dans une grande nation remuante, on en a vite suffisamment. C’est une vertu oisive et rêveuse, qui n’emploi pas d’ouvriers, et est par conséquent fort inutile dans un pays d’affaires, où il y a des foules de gens qu’il faut d’une façon ou d’une autre faire travailler. La prodigalité a pour empêcher les gens de rester en repos, mille inventions auxquelles la frugalité n’aurait jamais pensé » (Mandeville, 1714, pp. 106-107).

En sortant du cadre de l’opposition entre vertu et commerce, dans lequel se situait Davenant, Mandeville parvient à neutraliser le caractère corrup-teur du luxe. Il montre que « pour rendre une société humaine forte et puissante, il faut toucher les passions de ses membres » (ibid., p. 200), car les passions favorisent « cette émulation, ces efforts continuels pour l’emporter les uns sur les autres, (…) qui donnent du travail aux pauvres, stimulent l’industrie, et encou-ragent l’ouvrier habile à chercher encore des perfectionnements » (ibid., p. 133). Le luxe peut ainsi devenir le moyen de la puissance d’une nation dans la mesure où « jamais les grandes richesses et les trésors de l’étranger ne daigneront venir là où on ne laisse pas entrer en même temps leurs inséparables compagnons, la cupidité et le luxe » (ibid., pp. 200-201).

Cette idée, que le luxe serait le moyen de la puissance, est reprise par Jean-François Melon dans son Essai politique sur le commerce (1734). Il y af-firme, comme Mandeville, que les passions conduisent les hommes et, qu’en conséquence, « le législateur ne doit chercher qu’à les mettre à profit pour la société » (Melon, 1734, p. 742). Le luxe ne saurait donc être condamnable en soi, il est au contraire « une suite nécessaire de toute société bien policée » (ibid.). Il présente même une valeur positive pour la société puisque « le luxe est en quelque façon le destructeur de la paresse et de l’oisiveté » (ibid., p. 743)4. L’argument de Davenant est ainsi complètement retourné : ce n’est plus le luxe mais l’oisiveté qui vient corrompre la société. Ce résultat, qui fait du luxe le remède contre la corruption réduite à l’oisiveté5, découle du rôle poli-tique particulier que Melon attribue au commerce. Il distingue en effet deux manières d’atteindre la puissance pour une nation : l’une passe par la guerre et l’expansion territoriale ; l’autre par son développement interne et par le

4. Melon ajoute que « tout ce que la morale a pu dire contre l’oisiveté sera encore trop faible, lorsqu’on n’en fera pas un crime d’État, ou capital, parce qu’elle est le germe de tous les crimes » (ibid., p. 740).5. Pour une analyse des rapports entre luxe et oisiveté, voir Ravix (2011).

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commerce. Or, pour Melon, ces deux logiques sont incompatibles6. Bien qu’il disqualifie l’esprit de conquête et donc la vertu militaire, qui lui sert de fondement, au profit de la sagesse du principe de conservation, qui caracté-riserait l’esprit de commerce, Melon inscrit néanmoins sa réflexion politique sur le commerce dans une logique de puissance, qui constitue l’espace com-mun où s’opposent les deux points de vue qui viennent d’être distingués.

Montesquieu, qui connaît parfaitement les arguments des uns et des autres, modifie complètement les termes de ce débat en proposant en quelque sorte d’en faire la synthèse. D’un côté, il redéfinit l’esprit du commerce pour écarter toute référence à l’idée de puissance en montrant que « l’effet naturel du com-merce est de porter à la paix » (Montesquieu, 1748, II, p. 10)7. D’un autre côté, en établissant que « le commerce a du rapport avec la constitution », il replace le problème du lien entre le commerce et le luxe dans un clivage opposant république et monarchie puisqu’il considère que, « dans le gouvernement d’un seul, il est ordinairement fondé sur le luxe » ; tandis que « dans le gouvernement de plusieurs, il est plus souvent fondé sur l’économie » (ibid., p. 11). Montesquieu explique en effet que, comme dans les monarchies « les richesses y sont inégale-ment partagées, il faut bien qu’il y ait du luxe. Si les riches n’y dépensent pas beau-coup, les pauvres mourront de faim » (ibid., I, p. 228). Le commerce de luxe est donc indispensable, car « pour que l’Etat monarchique se soutienne, le luxe doit aller en croissant, du laboureur à l’artisan, au négociant, aux nobles, aux magis-trats, aux grands seigneurs, aux traitants principaux, aux princes ; sans quoi, tout serait perdu » (ibid., p. 229). Dans les républiques au contraire, le commerce de luxe doit être banni au profit du commerce d’économie. Ainsi, « lorsque la démocratie est fondée sur le commerce, il peut fort bien arriver que des particuliers y aient de grandes richesses, et que les mœurs n’y soient pas corrompues. C’est que l’esprit de commerce entraîne avec soi celui de frugalité, d’économie, de modé-ration, de travail, de sagesse, de tranquillité, d’ordre et de règle » (ibid., p. 173). Et Montesquieu ajoute : « Le mal arrive, lorsque l’excès des richesses détruit cet esprit de commerce : on voit tout à coup naître les désordres de l’inégalité » (ibid.).

On retrouve ici l’idée de Davenant selon laquelle la frugalité permettrait de rendre le développement du commerce compatible avec le principe de la

6. En effet, Melon précise que : « L’esprit de conquête et l’esprit de commerce s’excluent mutuellement dans une nation : mais ajoutons aussi une observation qui n’est ni moins assurée ni moins importante, c’est que l’esprit de conquête et l’esprit de conservation ne sont pas moins incompatibles ; c’est-à-dire que lorsque la nation conquérante cesse de l’être, elle est bientôt subjuguée ; mais l’esprit de commerce est toujours accompagné de la sagesse nécessaire pour la conservation. Il cherche moins à étendre des frontières qu’à bâtir des forteresses pour sa tranquillité » (ibid., pp. 733-734).7. La raison avancée par Montesquieu est que « deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels » (ibid.).

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république. Mais cette vertu n’a plus la place centrale qu’elle occupait dans le discours néo-machiavélien puisqu’elle se retrouve associée à d’autres, parmi lesquelles le travail. Dans une république commerçante, en effet, le travail se présente comme une figure de l’indépendance, car l’homme industrieux n’est pas directement soumis aux autres pour sa subsistance (Manin, 2001). Les choses sont différentes dans les monarchies où « le luxe (…) n’est fondé que sur les commodités qu’on se donne par le travail des autres » (Montesquieu, 1748, I, p. 225). Cette référence au travail permet également à Montesquieu de dis-joindre l’idée de liberté de celle d’égalité que les auteurs néo-machiavéliens considéraient comme inséparables. À la question de savoir ce qu’est la liberté, Montesquieu répond que c’est « cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opi-nion que chacun a de sa sûreté » ; en précisant que « pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen » (ibid., p. 294). En d’autres termes, c’est la nature du gouvernement et non son principe qui vient garantir la liberté politique. Cette dernière est donc parfaitement compatible avec l’inégalité des conditions dans les gou-vernements modérés parce que « l’esprit de modération (…) y tient la place de l’esprit d’égalité » (ibid., p. 177). Or la modération est également une des vertus qui, avec la frugalité et le travail, vient caractériser l’esprit du commerce.

Cette position, en quelque sorte médiane, est cependant loin de clore le débat entre les apologistes et les détracteurs du luxe puisque, au milieu du siècle, Jean-Jacques Rousseau relance la polémique avec son Discours sur les sciences et les arts (1750). Il modifie cependant en partie les termes du débat par l’introduction d’une nouvelle dimension consistant à associer le déve-loppement des sciences et des arts à l’extension du luxe, pour faire de ces signes du progrès de la civilisation des marques de décadence et de déprava-tion des mœurs. Rousseau considère en effet que « nos âmes se sont corrom-pues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. (…) Tandis que les commodités de la vie se multiplient, que les arts se perfectionnent et que le luxe s’étend ; le vrai courage s’énerve, les vertus militaires s’évanouissent » (Rousseau, 1750, pp. 34 et 46). Cette nouvelle perspective, qui réanime l’antinomie vertu – richesse, est à son tour contestée par David Hume dans son essai intitulé « Du luxe », publié dans la première édition de ses Political Discourses (1752) et qui portera comme titre « Du raffinement dans les arts » à partir de l’édition de 1760. Hume montre que le luxe a pour effet principal de relier par une chaîne indissoluble l’industrie, la connaissance et l’humanité, et que ces dernières « contribuent à la grandeur et au progrès du gouvernement autant qu’au bonheur et à la prospérité des individus » (Hume, 1760, p. 447). La connaissance qui se développe toujours dans les âges de raffinement a pour lui deux conséquences : elle encourage d’un côté l’industrie et, de l’autre, elle favorise la douceur et la modération dans l’art de gouverner. Pour autant,

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cet adoucissement des mœurs n’implique pas que les hommes perdent leur esprit martial.

Le développement des arts et du luxe n’a pas pour effet d’amollir le corps et l’esprit, ni de rendre les hommes « moins intrépides et moins vaillants à défendre leur patrie ou leur liberté » (ibid.). Hume considère au contraire que « le sens de l’honneur, principe plus fort, plus constant et plus aisé à gouverner, gagne une nouvelle vigueur grâce à l’élévation du génie qui naît de la connaissance et de l’éducation » (ibid., p. 449). Il s’oppose également à l’idée, avancée par Rousseau, que le progrès des arts et du luxe engendrerait un déclin de la liberté politique : « Quand on considère la question sous son vrai jour, écrit-il, on constate que le progrès des arts est plutôt favorable à la liberté et qu’il a natu-rellement tendance à préserver les gouvernements libres, sinon à les engendrer » (ibid., p. 451). Nulle nécessité donc de faire appel à la morale ou à « la vertu de nos lointains ancêtres » (ibid., p. 453) pour défendre la liberté politique. La curiosité pour les sages, la vanité pour les sots, sont des passions suffisantes qui permettent d’atteindre de manière plus oblique, mais sans doute plus sûre, le même objectif.

Si la position de Hume n’entre pas fondamentalement en contradiction avec celle de Montesquieu, ni l’une ni l’autre ne saurait cependant satisfaire un auteur comme Mirabeau (Kwass, 2004). En effet, dans L’ami des hommes qu’il publie en 1756, Mirabeau s’écarte nettement de Montesquieu, car il ne peut accepter l’idée que le commerce de luxe soit propre aux monarchies. Il soutient au contraire l’idée que « l’amour de la patrie peut exister dans la Monarchie » (Mirabeau, 1756, II, p. 75). Considérant que « l’honneur ne sub-sistera jamais qu’avec la vergogne et la modestie », il peut en déduire que comme « le luxe est l’ennemi juré de celles-ci, aussi l’est-il de l’honneur » (ibid., p. 108). En fait, Mirabeau établit une distinction entre faste et luxe. Il estime que le premier est nécessaire aux grands états : « J’ai dit que la magnificence graduelle, s’il est permis de parler ainsi, c’est-à-dire celle qui observe les différentes gradations et classes de citoyens, n’était que faste que je me garderais bien d’interdire dans un grand État, puisque ce serait ramener les lois de Lycurgue, étouffer toute industrie, et qu’il ne fallait appeler luxe que le renversement de cet ordre » (ibid., p. 113). En revanche, il condamne le luxe et critique Hume en faisant remarquer que « d’un bout à l’autre de son Traité il confond le luxe avec la politesse, l’industrie et les arts » (ibid., p.124). Or, Mirabeau soutient à l’inverse que le luxe tend à les détruire. Plus généralement, il montre que le luxe vient corrompre les fondements de la société puisqu’il « confond les rangs (…) dispense de la bien-séance, affaiblit les liens de la nature, détruit les usages anciens, au moyen de quoi il n’y a plus d’union que de fantaisie, ce qui équivaut à dire qu’il n’y en a plus du tout » (ibid., p. 136). C’est donc avant tout pour des raisons politiques que Mirabeau rejette le luxe, tout en défendant la nécessité du faste.

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Cette brève mise en perspective montre que, dans ce premier débat, la dimension proprement économique du luxe apparaît essentiellement à travers l’argument selon lequel les dépenses des riches permettraient de faire vivre les pauvres. Toutefois, si une telle explication peut permettre de comprendre l’effet du luxe, elle ne saurait expliquer par elle-même son extension, que tous les auteurs s’accordent à reconnaître. Pour y parvenir, il devient nécessaire de replacer la question du luxe dans une perspective diffé-rente qui consiste à rompre avec la distinction entre faste et luxe, établie par Mirabeau, en replaçant le second dans le prolongement historique du pre-mier, de manière à pouvoir attribuer au luxe un rôle économique essentiel dans l’évolution de la société.

DU FASTE A L’OPULENCE : LA « RÉVOLUTION SECRÈTE » DU LUXE

Le changement de perspective à propos des liens entre luxe et faste appa-raît clairement chez Sénac de Meilhan (1787) qui associe le faste à la puis-sance et le luxe à la richesse. Il considère en effet que « le faste (…) annonce la supériorité du rang ; il se manifeste par la pompe, l’éclat, la décoration » ; tandis que « le luxe est plus particulièrement l’attribut des riches, de quelque ordre qu’ils soient » (Sénac de Meilhan, 1787, p. 88). Deux idées importantes ressortent de son analyse. La première est qu’il replace cette distinction dans une pers-pective historique en montrant que, au fil du temps, « le commerce a fait jaillir des sources d’opulence inconnues dans les temps anciens, des gens obscurs sont parvenus à la plus grande fortune par cette voie ou par des emplois lucratifs, que la noblesse dédaignait » (ibid., p. 93). L’accroissement des richesses engendré par le développement du commerce a eu pour conséquence que la puissance a cédé le pas à la richesse et que « le luxe a remplacé le faste » (ibid., p. 97). La raison de cette évolution réside dans le fait que « la noblesse est descendue de son rang pour combattre de richesse à richesse avec des hommes obscurs, dont l’argent formait seul l’existence ; elle a éprouvé dans cette lutte le désavantage le plus marqué » (ibid.). Et il peut donc en déduire que « le luxe s’est établi sur les débris du faste, qui a cessé avec le pouvoir de la noblesse » (ibid., p. 99). La seconde idée développée par Sénac de Meilhan est que « rien n’est avanta-geux que ce qui a pour objet la fécondité, c’est la tendance invariable de la nature. Modifiant sans cesse tout ce qui existe, elle ne détruit que pour reproduire ; ses sacrifices apparents ne diminuent rien de sa fécondité » (ibid., pp. 114-115). Or, si « le luxe l’imite dans cette prodigalité », en revanche « il détruit sans repro-duire » (ibid., p. 115). Le luxe se présente donc comme une consommation improductive, car « les subsistances sont les premières, les seules richesses, et le

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travail en est le moyen et la mesure ; mais un travail vain et frivole, qui ne fait que modifier sans reproduire, n’est d’aucun prix pour la société, et lui est même nui-sible » (ibid., p. 116). Il convient toutefois de souligner que ces deux idées ne sont pas fondamentalement nouvelles puisqu’elles s’inspirent implicitement des analyses de David Hume et d’Adam Smith.

Dans son essai intitulé Du commerce, Hume est en effet le premier à replacer les liens entre commerce et luxe dans une perspective plus large d’évolution de la société. Il considère que, dès l’origine de la société, se met en place une division du travail entre ceux qui sont employés « à cultiver la terre » et ceux qui transforment « les matériaux fournis par les premiers pour produire tous les biens nécessaires à la vie humaine ou qui contribuent à l’embel-lir » (Hume, 1752a, p. 429). Cette première division du travail reste tou-tefois sous la domination des propriétaires fonciers parce que « les arts de l’agriculture emploient dans un premier temps la partie la plus nombreuse de la population » (ibid.). Cependant, la division du travail produisant ses effets, « le temps et l’expérience font tellement progresser ces arts que la terre peut aisé-ment assurer la subsistance d’un nombre d’hommes bien supérieur à ceux qui sont immédiatement employés à la cultiver ou qui fournissent les biens manufacturés les plus nécessaires à ces derniers » (ibid.). L’apparition d’un excédent de richesses ouvre alors deux perspectives différentes selon la manière dont est utilisée cette main-d’œuvre superflue. Lorsqu’elle est employée « aux arts raffinés que l’on dénomme communément arts du luxe, elle ajoute au bonheur du pays en of-frant à un grand nombre de personnes la possibilité de goûter des agréments qui leur seraient autrement inconnus » (ibid.). Cette première option contribue ainsi à favoriser le développement de la division du travail et donc la multiplication des produits de luxe. L’autre possibilité consiste à employer les bras inutiles « à l’entretien des flottes et des armées sur une échelle bien plus grande que dans le cas où un grand nombre de métiers sont requis pour pourvoir au luxe de quelques particuliers » (ibid.). Cette seconde option ne peut cependant se concevoir, selon Hume, que pour les petites républiques, comme celles de l’Antiquité où le luxe était inconnu. En revanche, il écarte une telle perspective pour les grandes nations modernes, car « aujourd’hui, selon le cours le plus naturel des choses, l’industrie, les arts et le commerce accroissent le pouvoir du souverain autant que le bonheur de ses sujets ; et c’est une politique fort violente que celle qui fonde la grandeur publique sur la misère des individus » (ibid., p. 433).

Pour expliquer pourquoi le développement des arts et du luxe est conforme au cours ordinaire des choses, Hume commence par remarquer que dans les sociétés à dominante agricole, même si les cultivateurs parviennent à déga-ger un excédent en augmentant leur habileté et leur industrie, « ils ne peuvent échanger ce surplus contre des biens pouvant servir à leur plaisir ou à leur vanité » (ibid., p. 434). Cette situation a pour conséquence de faire que la plupart des

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terres restent en friche ou sont mal cultivées. Au contraire, « quand les manu-factures et les arts mécaniques abondent dans une nation, les propriétaires fonciers autant que les fermiers étudient l’agriculture comme une science et redoublent d’industrie et d’attention », et il en résulte que « le surplus dégagé par leur travail n’est pas perdu, mais échangé avec les manufacturiers contre ces biens que le luxe fait désormais désirer aux hommes » (ibid.).

Toutefois, cette explication n’est pas suffisante pour justifier le passage d’une situation à l’autre ; il faut encore qu’un nouvel élément vienne aiguil-lonner les passions pour attiser le désir de luxe et assurer ainsi le dévelop-pement des manufactures. Ce nouvel élément, Hume le découvre dans le développement du commerce étranger puisqu’il observe que, « si nous consul-tons l’histoire, nous trouvons que dans la plupart des nations, les manufactures ne se sont perfectionnées qu’après l’essor du commerce extérieur eût fait naître le luxe domestique » (ibid., p. 437). Le commerce extérieur se présente dès lors comme le stimulant qui va encourager les hommes à quitter leur état anté-rieur pour devenir industrieux. Comme ils ne peuvent acquérir ces marchan-dises nouvelles et étrangères que par l’exportation de leur surplus, ils vont être incités à développer leurs activités et à découvrir ainsi « les plaisirs du luxe et les profits du commerce » (ibid.). Hume qualifie cette innovation sociale de « révolution secrète » (Brewer 1998, p. 80) dans la mesure où elle est le produit involontaire de l’action des individus. Elle résulte en effet de l’essor du commerce qui a deux conséquences principales. D’une part, « le petit nombre de marchands qui possèdent le secret de ces importations et exportations font des profits considérables ; et en rivalisant, par leurs richesses, avec l’ancienne noblesse, ils incitent d’autres entrepreneurs à devenir leurs rivaux dans le com-merce » (Hume, 1752a, p. 437). D’autre part, « l’imitation a tôt fait de diffuser tous ces arts », de sorte que « les manufacturiers du pays se font les émules des progrès des manufactures étrangères et s’efforce de porter la production de biens domestiques à la perfection dont elle est susceptible » (ibid.). Le développement du commerce engendre ainsi un processus endogène d’innovation et donc de transformation progressive de la société, qui rend caduque la distinction éta-blie par Montesquieu entre un commerce de luxe, propre aux monarchies, et un commerce d’économie, propre aux républiques. On comprend alors mieux pourquoi, dans son essai sur le luxe, Hume insiste sur l’existence d’un lien étroit, « indissoluble », entre luxe et connaissance.

Le même processus d’innovation sociale, articulant luxe et commerce, est repris par Adam Smith dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776). S’il explique dans les mêmes termes que Hume l’essor du commerce et du luxe, il en attribue toutefois l’origine aux com-portements des grands propriétaires fonciers et des marchands. Il considère en effet que « dans un pays où il n’existe ni commerce étranger ni manufactures

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importantes, un grand propriétaire ne trouvant pas à échanger la plus grande partie du produit de ses terres qui se trouve excéder la subsistance des cultivateurs, en consomme la totalité chez lui, en une sorte d’hospitalité rustique » (Smith, 1776, I, p. 502). Dans une telle situation, le grand propriétaire est donc inévitable-ment « environné d’une foule de client et de gens à sa suite, qui, n’ayant aucun équivalent à lui donner en retour de leur subsistance, mais étant entièrement nour-ris de ses bienfaits, sont à ses ordres, par la même raison qui fait que des soldats sont aux ordres du prince qui les paye » (ibid., pp. 502-503). Or, Smith explique que pour assouvir leur vanité, les grands propriétaires ont été progressive-ment incités à dépenser leur revenu pour eux-mêmes, en achats de biens de luxe, au lieu de l’utiliser pour l’entretien des gens de leur suite. Ils ont donc été conduits par degrés à congédier leur clientèle, à confier leurs terres à des fermiers indépendants, afin d’obtenir un plus grand revenu à dépenser auprès des marchands ou des manufacturiers et, pour finir, par abandonner « ce qu’ils avaient de crédit et de puissance » (ibid.). Ce n’est donc pas directement le commerce et les manufactures qui sont à l’origine de la transformation pro-gressive de la société féodale en société commerçante, mais plus précisément la vanité des grands propriétaires et l’intérêt des marchands. Toutefois, pré-cise Smith, « pas un d’eux ne sentait ni ne prévoyait la grande révolution que l’extravagance des uns et l’industrie des autres amenaient insensiblement à la fin » (ibid., pp.509-510).

Dans cette nouvelle approche de l’enrichissement des nations, le com-merce ne peut plus être conçu dans les mêmes termes que chez Mandeville et Melon. Ainsi, dans son essai intitulé De la jalousie du commerce, Hume critique « cette opinion nuisible et bornée » qui consiste à soutenir que « l’accroissement des richesses et du commerce d’une nation déterminée, loin d’être préjudiciable à celui de toutes les nations avoisinantes, leur est au contraire favorable » (Hume, 1752b, p. 717). Pour Hume, le commerce ne repose pas sur un échange inégal impliquant que ce que l’un gagne l’autre le perd ; l’échange est au contraire mutuellement avantageux et les gains procurés par le commerce sont réciproques. Il en résulte que les nations ont mutuelle-ment avantage à soutenir leur commerce, car « un Etat ne saurait pousser bien loin les progrès de son commerce et de son industrie si tous ceux qui l’entourent sont plongés dans l’ignorance, l’oisiveté et la barbarie » (ibid., p. 718). Aussi, par voie de conséquence, Hume ne saurait adhérer à la doctrine de la balance du commerce. Smith la critique également en remarquant que « toute cette doctrine de la balance du commerce (…) est la chose la plus absurde qui soit au monde » (Smith, 1776, II, p. 80). Mais s’il écarte cette notion, c’est pour lui substituer « une autre balance (…), qui est très différente de la balance du com-merce, et qui occasionne, selon qu’elle se trouve être favorable ou défavorable, la prospérité ou la décadence d’une nation. C’est la balance entre le produit annuel

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et de la consommation » (ibid., p. 91). Cette nouvelle balance permet à Smith d’établir une distinction entre deux formes de consommation de la produc-tion annuelle : l’une peut être qualifiée de consommation productive, parce qu’elle participe au renouvellement du produit annuel ; l’autre de consom-mation improductive, parce qu’elle se présente comme une simple destruc-tion qui ne contribue en rien au renouvellement de la production.

Si pour Smith, toute consommation improductive peut être assimilée à du luxe, il considère que l’épargne ne saurait entrer dans cette catégorie parce qu’elle est pour lui synonyme d’investissement dans la mesure où « tout ce qu’une personne épargne sur son revenu, elle l’ajoute à son capital » (ibid., p. 425). Dès lors que l’épargne revient à dépenser un revenu en le transfor-mant en capital, elle prend nécessairement la forme d’une consommation productive. Smith précise sa conception en distinguant le revenu brut du revenu net. « Le revenu brut de tous les habitants d’un grand pays, écrit-il, com-prend la masse totale du produit annuel de leur terre et leur travail ». Le revenu net au contraire est ce qui reste de ce total « déduction faite de ce qu’il faut pour entretenir premièrement le capital fixe, secondement le capital circulant » ; c’est aussi ce que les individus « peuvent placer, sans empiéter sur leur capital, dans leur fonds de consommation, c’est-à-dire ce qu’ils peuvent dépenser pour leurs sub-sistance, commodités et amusements » (ibid., I, p. 368). Le revenu net désigne ainsi le surproduit de l’économie ; c’est-à-dire la partie restante de la produc-tion totale une fois le capital remplacé. L’existence d’un surproduit garantit que la reproduction de l’économie est possible, mais surtout que la nation s’enrichit. La poursuite du développement économique dépend donc de la manière dont le revenu est dépensé. Smith analyse ce phénomène en éta-blissant une nouvelle distinction entre les travailleurs productifs et ceux qui ne le sont pas. Cette distinction ne repose pas sur la nature du travail réalisé, mais sur l’existence ou non d’une contribution à la production du revenu de la nation. Comme le travail productif est celui qui assure le renouvellement de la production et la formation du revenu de l’économie, il en résulte que le seul travail qui soit productif est celui qui, en s’échangeant contre du capital, rapporte un revenu. À l’inverse, « les travailleurs non productifs et les gens qui ne travaillent pas du tout sont tous entretenus par un revenu » (ibid., p. 419). Il apparaît alors que, dans l’analyse de Smith, seul le capital est productif puisque la poursuite de l’enrichissement de la nation nécessite un accroisse-ment du capital qui ne peut s’obtenir qu’au détriment du revenu.

Cependant, comme le souligne Anthony Brewer (1998), la réponse ap-portée par Smith à la question du rôle économique du luxe reste largement ambiguë puisqu’il considère, d’un côté, que la consommation productive et l’épargne favorisent l’enrichissement ; tandis que, d’un autre côté, il explique le développement économique, et en particulier le passage de la société

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féodale à la société commerçante, en attribuant au luxe et donc à la consom-mation improductive un rôle essentiel. Or, c’est sur cette ambiguïté que vont s’appuyer les économistes classiques, successeurs de Smith, pour montrer que le développement économique des nations peut s’accompagner d’une aug-mentation de la pauvreté en raison des crises économiques ; ce qui leur per-met d’attribuer au luxe une nouvelle fonction économique.

LA PAUVRETÉ DANS L’ABONDANCE : LUXE ET CRISE ÉCONOMIQUE8

S’interrogeant sur les raisons des progrès du luxe, Jacques Necker indique qu’on fait « un premier pas vers la connaissance de la vérité, lorsqu’on dit, en général, que le luxe est l’effet de l’inégalité des fortunes » (Necker, 1784, p. 92). La question devient alors celle de savoir : « Comment cette inégalité s’est-elle accrue, et comment a-t-elle dû nécessairement s’accroître ? » (ibid.). Pour lui, la réponse est à rechercher dans « la nature des choses » qui veut que la société soit divisée en deux classes : une « dont la fortune doit toujours être à peu près la même » et « une autre dont la richesse augmente nécessairement » (ibid., p. 93). La première classe est composée « de tous ceux qui vivent du travail de leurs mains, reçoivent impérieusement la loi des propriétaires, et sont forcés de se contenter du salaire proportionné aux simples nécessités de la vie : leur concurrence et l’urgence de leurs besoins, constituent leur état de dépendance ; est ces circons-tances ne peuvent point changer » (ibid., pp. 93-94). Réduits à la simple subsis-tance, en raison de la concurrence qu’ils se livrent, les salariés ne peuvent avoir accès au luxe et se retrouvent donc dans un état précaire, sans que leur situation puisse s’améliorer. La seconde classe de la société au contraire, celle « dont la richesse s’est accrue par le temps, est composée de tous les propriétaires » (ibid., p. 94). Cette dernière classe voit sa richesse s’accroître régulièrement parce qu’elle est la seule à bénéficier des progrès réalisés dans les arts et les sciences.

« L’invention successive des instruments qui ont simplifié tous les arts méca-niques, a donc augmenté les richesses et le lot fortuné des propriétaires ; une partie de ces instruments, en diminuant les frais d’exploitation des fonds de terre, a rendu plus considérable le revenu dont les possesseurs de ces biens peuvent disposer ; et une autre partie des découvertes du génie, a tellement facilité tous les travaux de l’industrie, que les hommes, au service des dispensateurs des subsistances, ont pu, dans un espace de temps égal, et pour la même rétribution, fabriquer une plus grande quantité d’ouvrages de toute espèce » (ibid., p. 95).

8. L’expression « la pauvreté dans l’abondance » est empruntée à Keynes (2002).

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Considérant que le progrès technique ne profite qu’à la classe des pro-priétaires, Necker peut donc en déduire que ce n’est pas le luxe qui est à l’origine du développement des arts, mais « c’est plutôt à l’avancement de la science dans tous les genres, qu’il faut imputer l’accroissement du luxe » (ibid., p. 96). Si le progrès technique contribue fortement au développement du luxe, il n’en constitue pas la cause fondamentale, qui réside dans l’inéga-lité du partage des richesses. Or, pour Necker, « la plupart de ces inégalités ne peuvent être ni changées ni prévenues : l’ordre commun des héritages, la for-tune du commerce, les relations d’intérêt que tous les hommes ont entre eux, le mouvement continuel d’une grande société, les fautes des uns, l’intelligence des autres, toutes ces circonstances introduisent inévitablement de grandes disparités dans le partage des biens » (ibid., p. 104). Ces inégalités relevant de la nature des choses, il est donc impossible à l’État d’y porter remède, car « le luxe a une marche inévitable que la science de l’administration de saurait arrêter » (ibid., p. 103). Bien au contraire, ajoute Necker, « le Gouvernement ne saurait intervenir habituellement, au milieu de cette immense circulation, sans risquer de produire de plus grands maux que ceux auxquels il voudrait remédier » (ibid., p. 106). Si le discours de Necker annonce certaines des positions libérales, qui se développeront au siècle suivant, il présente surtout l’intérêt de mettre l’accent sur les liens qu’entretiennent l’inégalité des richesses et l’innovation ou le perfectionnement des techniques pour expliquer les progrès du luxe. Or ces liens permettent d’ouvrir, à la suite de Smith, une nouvelle perspective dans la manière de concevoir l’articulation entre la consommation de luxe et le développement économique.

Ainsi, dans ses Nouveaux principes d’économie politique (1819), Sismondi considère que « c’est une grande erreur, dans laquelle sont tombés la plupart des économistes modernes, que de se représenter la consommation comme une puis-sance sans bornes, toujours prête à dévorer une production infinie » (Sismondi, 1819, p. 104). Il dénonce donc aussi bien ceux qui « ne cessent d’encourager les nations à produire, à inventer de nouvelles machines, à perfectionner leurs tra-vaux, pour que la quantité d’ouvrage achevée dans l’année surpasse toujours celle de l’année précédente », que ceux qui « s’affligent de voir multiplier le nombre des ouvriers improductifs » et qui « signalent les oisifs à l’indignation publique » (ibid.). Or, pour Sismondi, cette erreur provient du fait que l’on oublie géné-ralement que les besoins des salariés sont nécessairement limités parce que leur revenu se borne au minimum de subsistance (Ravix, 1999). Dans ces conditions, « la multiplication indéfinie des pouvoirs productifs du travail, ne peut donc avoir pour résultat que l’augmentation du luxe ou des jouissances des riches oisifs » (ibid., p.106). Sismondi fait ainsi le même constat que Necker à propos du rôle que jouent conjointement l’inégalité du partage des richesses et l’innovation technologique dans le développement du luxe. Il remarque

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en effet que « le progrès de l’industrie, le progrès de la production comparé avec la population, tend à augmenter l’inégalité parmi les hommes. Plus une nation est avancée dans les arts, dans les manufactures, et plus est grande la dispropor-tion entre le sort de ceux qui travaillent et celui de ceux qui jouissent ; plus les uns ont de peine, plus les autres étalent de luxe » (ibid.). Toutefois, le progrès de l’industrie ne se limite pas à favoriser le développement de l’inégalité des richesses et donc du luxe, il engendre également un autre phénomène, plus redoutable aux yeux de Sismondi par la misère sociale qu’il occasionne. Ce danger est celui de l’apparition de crises économiques de surproduction.

« Si la nation entière travaillait comme le font les seuls manouvriers ; si par conséquent elle produisait dix fois plus de nourriture, de logement, de vêtement que chacun d’eux n’en peut consommer, se figure-t-on que la part de chacun en serait meilleure ? Bien au contraire. Chaque ouvrier aurait à vendre comme dix et à acheter seulement comme un : chaque ouvrier vendrait d’autant plus mal, et se trouverait d’autant moins en état d’acheter ; et la transformation de la nation en une grande manufacture d’ouvriers productifs constamment occupés, loin de causer la richesse, causerait la misère universelle » (ibid.)9.

Le risque de surproduction découle directement de la division du tra-vail qui, pour Sismondi, a deux effets. D’une part, elle engendre une sépa-ration entre l’effort et la récompense puisque « ce n’est pas le même homme qui travaille et qui se repose, mais c’est parce que l’un travaille que l’autre doit se reposer » (ibid., p. 104). D’autre part, elle introduit une coupure, entre la production et la consommation, qui se manifeste par la nécessité d’éta-blir « une distinction entre le capital et le revenu » (ibid., p. 108). La question fondamentale est alors celle de la reproduction dont la réalisation passe par l’échange du revenu annuel contre la production annuelle. « Par cet échange, nous dit Sismondi, chacun pourvoit à sa consommation, chacun remplace un capi-tal reproducteur, chacun fait place et cause une demande pour une reproduction nouvelle ». L’enjeu est d’importance, car « si le revenu annuel n’achetait pas la totalité de la production annuelle, une partie de cette production resterait inven-due, elle obstruerait les magasins des producteurs, elle paralyserait leurs capitaux, et la production s’arrêterait » (ibid., p. 121).

Ainsi, contrairement à Smith, Sismondi considère que l’existence d’un surproduit est une condition nécessaire, mais non suffisante pour garantir la reproduction et donc l’enrichissement d’une nation. Pour lui en effet « la

9. Sismondi précise en note qu’il fait, « dans ce raisonnement, abstraction du commerce extérieur. Si on veut le prendre en considération, une nation pourra en effet être la pourvoyeuse de sa voisine ; mais le raisonnement se retrouvera vrai pour le genre humain, ou pour toute cette partie du genre humain qui commerce ensemble, et qui ne forme plus aujourd’hui, en quelque sorte, qu’un seul marché » (ibid.).

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richesse nationale, dans sa progression, suit un mouvement circulaire » qui im-plique que « le revenu national doit régler la dépense nationale, celle-ci doit absorber, dans le fonds de consommation, la totalité de la production ; la consom-mation absolue détermine une reproduction égale ou supérieure et de la repro-duction naît le revenu » (ibid., p. 125). Ce processus de reproduction devrait conduire « à trouver qu’à la fin de la circulation, si elle n’est nulle part arrêtée, la production aura créé une consommation, mais en faisant abstraction du temps et de l’espace » (ibid., p. 351). Cependant, constate Sismondi, « il s’en faut de beaucoup que ce mouvement soit si régulier et, tandis que le besoin qui fait accroître la production répand une aisance générale, la surabondance qui doit la ré-duire cause une longue et cruelle souffrance à tout le corps politique avant d’avoir produit l’effet qu’on en attend » (ibid., p. 248).

La raison fondamentale qui explique l’occurrence de crises de surpro-duction tient principalement au fait que, pour Sismondi, les décisions des producteurs sont antérieures au déroulement du marché. L’offre n’a donc a priori aucune raison de coïncider avec la demande, ce qui ouvre la pos-sibilité de crise économique. Or, un tel phénomène peut être amplifié par d’autres rigidités tenant à l’absence de mobilité de la main-d’œuvre et des capitaux ou encore au comportement des producteurs. En particulier, Sismondi considère que les spécialisations techniques des salariés empêchent souvent leur déplacement effectif d’un emploi vers un autre, mais aussi que les complémentarités des équipements interdisent de considérer les capitaux fixes comme étant parfaitement divisibles et transférables d’une activité à une autre. Enfin, il faut également prendre en compte le fait que la psycho-logie des entrepreneurs les conduit en général à n’abandonner leur branche d’activité qu’au tout dernier moment, « après avoir causé (...) une perte et de capitaux, et de revenu, et de vie humaine, qu’on ne peut calculer sans frémir » (ibid., p. 249). L’ensemble de ces facteurs explique, pour Sismondi, le carac-tère durable des dépressions économiques, qui constituent dès lors le mode de fonctionnement normal des économies décentralisées.

Un constat équivalent se retrouve chez Malthus, avec toutefois la diffé-rence que ce dernier n’en propose pas la même explication. En effet, dans ses Principes d’économie politique (1820), Malthus remarque que « Adam Smith soutient que les capitaux s’accroissent par l’épargne ; que tout homme frugale est un bienfaiteur de la société, et que l’accroissement de la richesse dépend de l’excé-dent des produits par-delà les consommations (…) ; mais il est aisé de voir que ces propositions cessent d’être vraies, si on leur donne une latitude indéfinie, et que le principe d’économie, poussé à l’excès, finirait par détruire tout encouragement à la production » (Malthus, 1820, p. 6). Aussi, il se pose la question de savoir « comment il est possible, dans de telles circonstances, de supposer que le sur-croît de produits obtenus avec un plus grand nombre d’ouvriers productifs, puisse

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trouver des acheteurs, sans qu’il y ait une telle diminution de prix, que la valeur des produits vienne à tomber au-dessous des frais de production, ou, pour le moins, à diminuer beaucoup les moyens ou la volonté d’épargner » (ibid., p. 279).

Ce que récuse Malthus, tout comme Sismondi, c’est la pertinence de la loi des débouchés qui assure qu’une surabondance générale de tous les produits est impossible parce que la production serait nécessairement absorbée par la demande. C’est en effet d’après ce principe qu’on suppose que « si la portion la plus riche de la société renonçait à ses jouissances habituelles d’aisance et de luxe, dans le but d’accumuler, le seul effet qui en résulterait serait de porter presque tout le capital national vers la production de choses nécessaires » (ibid., p. 286) et que, par voie de conséquence, on en déduit pour ce qui regarde l’ouvrier, que « moins il emploiera de temps à se procurer de la nourriture, et plus il pourra en consacrer à acquérir des objets d’utilité et de luxe » (ibid., p. 295). Or c’est cette dernière inférence que critique Malthus : « Faire l’application de cette vérité à des nations en masse, et en tirer pour conclusion que plus la facilité d’obtenir des subsistances sera grande, plus le peuple sera pourvu des objets d’utilité et de luxe, serait donner un nouvel exemple des conclusions hasardées et chimériques auxquelles on arrive souvent, faute d’avoir suffisamment tenu compte du changement que l’application d’une proposition peut apporter dans les principes sur lesquels elle repose » (ibid.).

Il considère en effet que deux raisons viennent contredire une telle conception. D’une part, « si, après avoir obtenu les choses nécessaires à la vie, l’ouvrier regarde l’oisiveté comme une plus grande jouissance que toutes celles qu’il pourrait se procurer par un surcroît de travail, la proposition cesse d’être vraie » (ibid.), car dans ce cas, l’ouvrier préférera « le luxe de l’oisiveté à celui des objets qui embellissent la vie » (ibid., p. 298). D’autre part, même si Malthus admet que, pour le bonheur de la grande masse de la société, il faudrait que les ouvriers soient mieux payés, il considère néanmoins qu’une amélioration des salaires devrait avoir pour conséquence un accroissement des frais de pro-duction : ce qui ne peut manquer de réduire les profits et donc de diminuer l’incitation à accumuler. Et Malthus peut alors en conclure :

« Si les entrepreneurs d’industrie, par l’effet du louable désir qu’ils ont d’amé-liorer leur condition, et de pourvoir aux besoins d’une famille, ne consomment pas assez pour donner un encouragement suffisant à l’accroissement de la richesse ; et si les ouvriers producteurs, en augmentant leur consommation, nuisent plus à l’ac-croissement de la richesse en diminuant le pouvoir productif, qu’ils ne peuvent le favoriser en augmentant la demande des produits ; si enfin, la dépense des proprié-taires, jointe à celle des deux classes précédentes, se trouve être insuffisante pour maintenir et augmenter la valeur des choses produites, par qui la consommation requise se fera-t-elle, si ce n’est par les ouvriers improductifs d’Adam Smith ? » (ibid., p. 363).

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Cette position originale découle du fait que Malthus considère que les dépenses de luxe et le recours au travail improductif sont des composantes essentielles de ce qu’il nomme la demande effective (Winch, 1996). Il définit en effet la demande effective comme « celle qui remplira les conditions naturelles et nécessaires de l’offre » ; elle représente donc « le sacrifice que les demandeurs doivent faire pour continuer l’offre du produit dans les quantités exigées » (Malthus, 1820, p. 74). En faisant ainsi référence à la nécessité d’un approvisionnement continu du marché, la demande effective intègre la contrainte de reproduc-tion de l’économie (Ravix, 1999). C’est donc en introduisant une distinction entre la « faculté d’acheter » et la « volonté d’acheter » que Malthus parvient à expliquer l’apparition d’un désajustement entre l’offre et la demande effec-tive. « Dans l’état ordinaire de la société, nous dit Malthus, les producteurs pro-priétaires et les capitalistes, quoiqu’ils en aient les moyens, n’ont pas la volonté de consommer autant qu’il le faudrait » et « quant à leurs ouvriers, il faut convenir que, s’ils en avaient la volonté, ils n’en auraient pas les moyens » (Malthus, 1820, p. 361). Il en résulte alors, si la production et la distribution ne sont pas « combinées dans de justes proportions » (ibid., p. 301), que la production de biens de luxe, en incitant les classes fortunées à dépenser leurs revenus, peut constituer le moyen d’éviter l’occurrence de crises économiques.

CONCLUSION

Loin de dénoncer, comme Davenant ou Rousseau, les excès du luxe qui accompagnent l’essor du commerce, des sciences et des arts, les économistes classiques n’adhèrent pas pour autant à l’idée, développée par Mandeville et Melon, selon laquelle le luxe, par le travail qu’il donne aux pauvres, serait le signe de la richesse et de la puissance économique. Ils prennent, à la suite de Hume et de Smith, le parti du progrès économique et social en soute-nant à l’inverse la nécessité d’encourager la consommation productive et l’innovation au détriment des dépenses de luxe. Ainsi, par exemple, David Ricardo montre que le progrès technique exerce les mêmes effets positifs sur l’enrichissement que le commerce extérieur, car ils permettent, l’un comme l’autre, d’obtenir à moindre coût les produits entrant dans la consommation des salariés (Bratosin et Ravix, 2012). Même si certains d’entre eux, comme Malthus et Sismondi, soulignent les risques engendrés par la poursuite de l’accumulation du capital, ils n’associent pas les phénomènes de crise éco-nomique à l’expansion du luxe. Bien au contraire, ils font du luxe la consé-quence directe de l’inégalité du partage des richesses.

Sur cette question, et en dépit de son adhésion complète à la loi des dé-bouchés, la position d’un auteur comme Jean-Baptiste Say est en accord avec

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le point de vue de ses contemporains. Pour Say en effet le luxe et la misère vont de pair : « Les consommations immorales sont bien plus multipliées là où se rencontrent la grande opulence et la grande misère » (Say, 1841, pp. 451-452), et cette dernière « marche toujours à la suite du luxe » (ibid., p. 460). S’inscri-vant dans le prolongement de l’analyse de David Hume, Say défend ce qu’il nomme le luxe de commodité, qui accompagne l’enrichissement national, par opposition à ce qu’il appelle le luxe d’ostentation, aussi bien privé que public, qui est pour lui un facteur de désordre dans la société (Ravix et Spindler, 2003). Il peut dès lors en conclure que « si les dépenses de luxe sont fâcheuses, si elles sont contraires aux accumulations d’où naissent les capitaux, si elles exaltent la vanité et la sensualité de la classe qui se les permet, en excitant l’envie des classes qui n’y peuvent atteindre, il est en général utile de les frapper de l’impôt beaucoup plus fortement que les dépenses mieux entendues » (Say, 1828-1829, II, p. 428). Ce constat, qui est partagé par tous les économistes classiques, vient donc s’opposer au discours de ceux qui « sont quelquefois séduits par l’attirail et le fracas d’un luxe brillant » et qui « croient à la prospérité dès l’instant où ils voient de la dépense ». Il ne s’agit là pour Say que d’une illusion trompeuse, car « un pays qui décline offre pendant quelque temps l’image de l’opulence (…). Mais cet éclat factice n’est pas durable ; et comme il tarit les sources de la reproduction, il est infailliblement suivi d’un état de gêne, de marasme politique, dont on ne se guérit que par degrés et par des moyens contraires à ceux qui ont amené le dépéris-sement » (Say, 1841, p. 461).

L’originalité de l’approche développée par les économistes classiques réside ainsi dans le fait qu’ils écartent l’idée que le luxe ne serait qu’une question de morale pour en faire une question qui regarde directement la prospérité nationale. Dans cette perspective, ils élaborent un cadre théo-rique dans lequel le luxe exerce deux effets différents. D’une part, il apparaît comme un facteur essentiel du développement économique en raison du rôle stimulant qu’il exerce sur l’innovation. D’autre part, le luxe peut également être vu comme un frein à la croissance économique puisqu’il vient encoura-ger les dépenses improductives. Cette double dimension perd toutefois son caractère contradictoire dès l’instant où elle est replacée dans la perspective d’emblée dynamique qui caractérise l’approche classique de la reproduction. Elle prend en effet la forme d’une dialectique qui permet de comprendre pourquoi le développement économique n’est ni linéaire ni homothétique, mais qu’il s’accompagne de transformations, de ruptures et de déplacements. Cette approche classique offre alors la possibilité d’expliquer non seulement le fait que le luxe se développe en période de crise économique, parce que ces dernières ont pour conséquence d’accroître les inégalités de richesse, mais aussi le fait que le luxe engendré par l’innovation peut venir soutenir l’émer-gence de nouvelles activités économiques, sans doute improductives dans un

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