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LACANLidentification

1961-1962

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Ce document de travail a pour sources principales:

Lidentification, sur le site E.L.P. (stnotypie pdf).

Lidentification, reprographie format thse, deux tomes.

Le texte de ce sminaire ncessite linstallation de la police de caractres spcifique, dite Lacan, disponible ici:

http://fr.ffonts.net/LACAN.font.download (placer le fichier Lacan.ttf dans le rpertoire c:\windows\fonts)

Les rfrences bibliographiques privilgient les ditions les plus rcentes. Les schmas sont refaits.

N.B. Ce qui sinscrit entre crochets droits [ ] nest pas de Jacques LACAN.

(Contact)

TABLE DES SANCES

Leon 1 15 novembre 1961

Leon 2 22 novembre 1961

Leon 3 29 novembre 1961

Leon 4 06 dcembre 1961

Leon 5 13 dcembre 1961

Leon 6 20 dcembre 1961

Leon 7 10 janvier 1962

Leon 8 17 janvier 1962

Leon 9 24 janvier 1962

Leon 10 21 fvrier 1962

Leon 11 28 fvrier 1962

Leon 12 07 mars 1962

Leon 13 14 mars 1962

Leon 14 21 mars 1962

Leon 15 28 mars 1962

Leon 16 04 avril 1962

Leon 17 11 avril 1962

Leon 18 02 mai 1962

Leon 19 09 mai 1962

Leon 20 16 mai 1962

Leon 21 23 mai 1962

Leon 22 30 mai 1962

Leon 23 06 juin 1962

Leon 24 13 juin 1962

Leon 25 20 juin 1962

Leon 26 27 juin 1962

15 Novembre 1961 Table des sances

Lidentification, tel est cette anne mon titre et mon sujet. Cest un bon titre, mais pas un sujet commode.

Je ne pense pas que vous ayez lide que ce soit une opration ou un processus trs facile concevoir.

Sil est facile constater, il serait peut-tre nanmoins prfrable, pour le bien constater, que nous fassions un petit effort

pour le concevoir. Il est sr que nous en avons rencontr assez deffets pour nous en tenir au sommaire - je veux dire des choses qui sont sensibles mme notre exprience interne - pour que vous ayez un certain sentiment de ce que cest. Cet effort

de concevoir vous paratra du moins cette anne, cest--dire une anne qui nest pas la premire de notre enseignement

sans aucun doute, par les lieux, les problmes, auxquels cet effort nous conduira, aprs coup justifi.

Nous allons faire aujourdhui un tout premier petit pas dans ce sens. Je vous demande pardon: cela va peut-tre nous mener

faire ces efforts que lon appelle proprement parler de pense. Cela ne nous arrivera pas souvent, nous pas plus quaux autres.

Lidentification, si nous la prenons pour titre, pour thme de notre propos, il convient que nous en parlions autrement

que sous la forme, on peut dire mythique, sous laquelle je lai quitte lanne dernire. [sance du 21-06-1961]

Il y avait quelque chose de cet ordre - de lordre de lidentification, minemment - qui tait intress, vous vous souvenez,

dans ce point o jai laiss mon propos lanne dernire, savoir au niveau o, si je puis dire, la nappe humide laquelle

vous vous reprsentez les effets narcissiques qui cernent ce roc, ce qui restait merg dans mon schma:

Ce roc auto-rotique dont le phallus symbolise lmergence : le en somme battue par lcume dAPHRODITE, fausse le dailleurs, puisque aussi bien, comme celle o figure le Prote de CLAUDEL, cest une le sans amarre, une le qui sen va la drive.

Vous savez ce que cest que le Prote de CLAUDEL : cest la tentative de complter lOrestie [footnoteRef:1] par la farce bouffonne qui, [1: Paul Claudel: Prote, Gallimard, Pliade, 1956, p.307. Eschyle: L'Orestie, Agamemnon - Les Chophores - Les Eumnides. ]

dans la tragdie grecque, obligatoirement la complte, et dont il ne nous reste dans toute la littrature que deux paves

de SOPHOCLE, et un Hracls dEURIPIDE, si mon souvenir est bon.

Ce nest pas sans intention que jvoque cette rfrence propos de cette faon dont, lanne dernire, mon discours

sur le transfert se terminait sur cette image de lidentification. Jai eu beau faire, je ne pouvais que faire du Beau pour marquer la barrire o le transfert trouve sa limite et son pivot. Sans aucun doute, ce ntait pas l la beaut dont je vous ai appris

quelle est la limite du tragique, quelle est le point o la Chose insaisissable nous verse son euthanasie.

Je nembellis rien, quoiquon imagine entendre quelquefois sur ce que jenseigne quelques rumeurs: je ne vous fais pas la partie trop belle. Ils le savent, ceux qui ont autrefois cout mon sminaire sur lthique [1959-60], celui o jai exactement abord

la fonction de cette barrire de la beaut sous la forme de lagonie quexige de nous la Chose pour quon la joigne.

Voil donc o se terminait Le Transfert lanne dernire. Je vous lai indiqu - tous ceux qui assistaient aux Journes provinciales doctobre [1961] - je vous ai point, sans pouvoir vous dire plus, que ctait l une rfrence cache dans un comique

qui est le point au-del duquel je ne pouvais pousser plus loin ce que je visais dans une certaine exprience.

Indication, si je puis dire, qui est retrouver dans le sens cach de ce quon pourrait appeler les cryptogrammes de ce sminaire - et dont aprs tout je ne dsespre pas quun commentaire un jour le dgage et le mette en vidence, puisquaussi bien il mest arriv davoir ce tmoignage, qui en cet endroit est bon espoir, cest que le sminaire de lanne avant dernire, celui sur Lthique, a t effectivement repris - et aux dires de ceux qui ont pu en lire le travail, avec un plein succs - par quelquun qui sest donn la peine de le relire pour en rsumer les lments, nommment M. SAFOUAN[footnoteRef:2], et jespre que peut-tre ces choses pourront tre mises assez vite votre porte pour que puisse sy enchaner ce que je vais vous apporter cette anne, dune anne sautant [2: M. Safouan: notes du sminaire Lthique, Bulletin de la Convention Psychanalytique, n10 Dc.86 et n12 Mars 87. ]

sur la deuxime aprs elle.

Ceci peut vous sembler poser question, voire tre regrettable comme retard: cela nest pas tout fait fond pourtant,

et vous verrez que si vous reprenez la suite de mes sminaires depuis lanne 1953...

le premier sur Les crits techniques,

celui qui a suivi sur Le moi, la technique et la thorie, freudiennes et psychanalytiques,

le troisime sur Les Structures freudiennes de la psychose,

le quatrime sur La Relation dobjet,

le cinquime sur Les Formations de linconscient,

le sixime sur Le Dsir et son interprtation,

puis Lthique,

Le Transfert,

LIdentification auquel nous arrivons, en voici neuf,

...vous pourrez facilement y retrouver une alternance, une pulsation.

Vous verrez que de deux en deux, domine alternativement la thmatique du sujet et celle du signifiant, ce qui - tant donn que cest

par le signifiant, par llaboration de la fonction du symbolique que nous avons commenc - nous fait retomber cette anne aussi

sur le signifiant, puisque nous sommes en chiffre impair. Encore que ce dont il sagit doive tre proprement dans lidentification

le rapport du sujet au signifiant.

Cette identification donc, dont nous proposons de tenter de donner cette anne une notion adquate, sans doute lanalyse

la rendue pour nous assez triviale, comme quelquun, qui mest assez proche et mentend fort bien, ma dit :

Voici donc cette anne ce que tu prends, lidentification - Et ceci avec une moue - lexplication tout faire !

Laissant percer du mme coup quelque dception concernant en somme le fait que, de moi, on sattendait plutt autre chose.

Que cette personne se dtrompe ! Son attente en effet - de me voir chapper au thme, si je puis dire - sera due,

car jespre bien le traiter, et jespre aussi que sera dissoute la fatigue que ce thme lui suggre lavance.

Je parlerai bien de lidentification mme.

Pour tout de suite prciser ce que jentends par l, je dirai que quand on parle didentification, ce quoi on pense dabord,

cest lautre qui on sidentifie, et que la porte mest facilement ouverte pour mettre laccent, pour insister sur cette diffrence de lautre lAutre, du petit autre au grand Autre, qui est un thme auquel je puis bien dire que vous tes dores et dj familiariss. Ce nest pas pourtant par ce biais que jentends commencer. Je vais plutt mettre laccent sur ce qui dans lidentification

se pose tout de suite comme faire identique [idem facere], comme fond dans la notion du mme, et mmedu mme au mme,

avec tout ce que ceci soulve de difficults.

Vous ntes pas sans savoir, mme sans pouvoir, assez vite reprer quelles difficults depuis toujours pour la pense nous offre ceci: A est A. Si lA est tant A que a, quil y reste! Pourquoi le sparer de lui-mme pour si vite le rassembler ?

Ce nest pas l pur et simple jeu desprit. Dites-vous bien par exemple, que dans la ligne dun mouvement dlaboration conceptuelle qui sappelle le logico-positivisme, o tel ou tel peut sefforcer de viser un certain but, qui serait par exemple celui

de ne poser de problme logique moins quil nait un sens reprable comme tel dans quelque exprience cruciale:

il serait dcid rejeter quoi que ce soit du problme logique qui ne puisse, en quelque sorte, offrir ce garant dernier,

en disant que cest un problme dpourvu de sens comme tel.

Il nen reste pas moins que si RUSSELL peut donner en ses Principes Mathmatiques, une valeur lquation, la mise galit,

de A = A, tel autre: WITTGENSTEIN, sy opposera en raison proprement dimpasses qui lui semblent en rsulter

au nom des principes de dpart. Et ce refus sera mme appos algbriquement: une telle galit sobligeant donc un dtour

de notation pour trouver ce qui peut servir dquivalent la reconnaissance de lidentit A est A.

Pour nous, nous allons - ceci tant pos: que ce nest pas du tout la voie du logico-positivisme qui nous parat, en matire

de logique, tre daucune faon celle qui est justifie - nous interroger, je veux dire au niveau dune exprience de parole,

celle laquelle nous faisons confiance travers ses quivoques, voire ses ambiguts, sur ce que nous pouvons aborder

sous ce terme d identification .

Vous ntes pas sans savoir quon observe dans lensemble des langues certains virages historiques assez gnraux,

voire universels, pour quon puisse parler de syntaxes modernes en les opposant globalement aux syntaxes, non pas archaques, mais simplement anciennes, entendons des langues de ce quon appelle lAntiquit. Ces sortes de virages gnraux, je vous lai dit, sont de syntaxe. Il nen est pas de mme du lexique, o les choses sont beaucoup plus mouvantes. En quelque sorte,

chaque langue apporte, par rapport lhistoire gnrale du langage, des vacillations propres son gnie et qui les rendent,

telle ou telle, plus propice mettre en vidence lhistoire dun sens.

Cest ainsi que nous pourrons nous arrter ce qui est le terme, ou substantifique notion du terme, de l identit:

dans identit, identification, il y a le terme latin idem. Et ce sera pour vous montrer que quelque exprience

significative est supporte dans le terme franais vulgaire, support de la mme fonction signifiante, celui du mme.

Il semble en effet que ce soit le em, suffixe du id dans idem, ce en quoi nous trouvons oprer la fonction,

je dirai de radical dans lvolution de lindo-europen au niveau dun certain nombre, de langues italiques.

Cet em est ici - dans mme - redoubl: consone antique [consonantique?], qui se retrouve donc comme le rsidu,

le reliquat, le retour une thmatique primitive, mais non sans avoir recueilli au passage la phase intermdiaire de ltymologie, positivement de la naissance de ce mme, qui est un metipsum familier latin, et mme un metipsissimum

du bas latin expressif, donc pousse reconnatre dans quelle direction ici lexprience nous suggre de chercher le sens

de toute identit, au cur de ce qui se dsigne par une sorte de redoublement de moi-mme.

Ce moi-mme tant - vous le voyez - dj ce metipsissimum, une sorte dau jour daujourdhui dont nous ne nous apercevons pas, et qui est bien l dans le moi-mme [Cf. Lthique, sance du 30-03]. Cest alors dans un met ipsissimum que sengouffrent aprs le moi, le toi, le lui, le elle, le eux, le nous, le vous, et jusquau soi qui se trouve donc en franais tre un soi-mme.

Aussi nous voyons l en somme dans notre langue, une sorte dindication dun travail, dune tendance significative spciale, que vous me permettrez de qualifier de mihilisme, pour autant qu cet acte, cette exprience du moi se rfre.

Bien sr, la chose naurait dintrt quincidemment, si nous ne devons pas en retrouver dautres traits o se rvle ce fait,

cette diffrence nette et facile reprer, si nous pensons quen grec, le [autos] du soi est celui qui sert dsigner aussi

le mme, de mme quen allemand et en anglais, le selbst ou le self qui viendront fonctionner pour dsigner lidentit.

Donc, cette espce de mtaphore permanente dans la locution franaise cest - je crois - pas pour rien que nous la relevons ici,

et que nous nous interrogeons.

Nous laisserons entrevoir quelle nest peut-tre pas sans rapport avec le fait - dun bien autre niveau - que ce soit en franais,

je veux dire dans DESCARTES, quait pu se penser ltre comme inhrent au sujet, sous un mode en somme que nous dirons assez captivant pour que depuis que la formule a t propose la pense, on puisse dire quune bonne part des efforts de la philosophie consiste chercher sen dptrer, et de nos jours de faon de plus en plus ouverte, ny ayant, si je puis dire, nulle thmatique de philosophie qui ne commence - de rares exceptions - par tenter de surmonter ce fameux Je pense, donc je suis .

Je crois que ce nest pas pour nous une mauvaise porte dentre, que ce Je pense, donc je suis marque le premier pas de notre recherche.

Il est entendu que ce Je pense, donc je suis est dans la dmarche de DESCARTES. Je pensais vous lindiquer en passant,

mais je vous le dis tout de suite: ce nest pas un commentaire de DESCARTES que je puis daucune faon aujourdhui tenter daborder, et je nai pas lintention de le faire.

Le Je pense, donc je suis bien sr si vous vous reportez aux textes de DESCARTES est - tant dans le Discours que dans les Mditations - infiniment plus fluent, plus glissant, plus vacillant que sous cette espce lapidaire o il se marque, autant dans votre mmoire que dans lide passive ou srement inadquate que vous pouvez avoir du procs cartsien. Comment ne serait-elle pas inadquate, puisque, aussi bien, il nest pas un commentateur qui saccorde avec lautre pour lui donner son exacte sinuosit ?

Cest donc non sans quelque arbitraire et cependant avec suffisamment de raisons, que ce fait, que cette formule - qui pour vous

fait sens et est dun poids qui dpasse srement lattention que vous avez pu lui accorder jusquici - je vais aujourdhui my arrter pour montrer une espce dintroduction que nous pouvons y retrouver. Il sagit pour nous, au point de llaboration o nous sommes parvenus, dessayer darticuler dune faon plus prcise ceci que nous avons dj avanc plus dune fois comme thse: que rien dautre ne supporte lide traditionnelle philosophique dun sujet, sinon lexistence du signifiant et de ses effets.

Une telle thse, qui, vous le verrez, sera essentielle pour toute incarnation que nous pourrons donner par la suite des effets de lidentification,

exige que nous essayons darticuler dune faon plus prcise comment nous concevons effectivement cette dpendance

de la formation du sujet par rapport lexistence deffets du signifiant comme tel. Nous irons mme plus loin, dire que si nous donnons au mot pense un sens technique - la pense de ceux dont cest le mtier de penser - on peut, y regarder de prs,

et en quelque sorte aprs coup, sapercevoir que rien de ce qui sappelle pense na jamais rien fait dautre que de se loger quelque part lintrieur de ce problme.

ce signe, nous constaterons que nous ne pouvons pas dire que, tout le moins, nous ne projetions de penser que dune certaine faon

- que nous le voulions ou non, que vous layez su ou non - toute exprience de linconscient qui est la ntre ici, toute recherche

sur ce quest cette exprience, est quelque chose qui se place ce niveau de pense o - pour autant que nous y allons sans doute ensemble, mais non pas sans que je vous y conduise - le rapport sensible le plus prsent, le plus immdiat, le plus incarn de cet effort,

est la question que vous pouvez vous poser, dans cet effort, sur ce qui suis-je ? .

Ce nest pas l un jeu abstrait de philosophe, car sur ce sujet du qui suis-je ? - ce quoi jessaie de vous initier - vous ntes pas sans savoir, au moins certains dentre vous, que jen entends de toutes les couleurs. Ceux qui le savent, peuvent tre,

bien entendu, ceux de qui je lentends, et je ne mettrai personne dans la gne publier l-dessus ce que jen entends.

Dailleurs pourquoi le ferai-je, puisque je vais vous accorder que la question est lgitime ?

Je peux vous emmener trs loin sur cette piste, sans que vous soit un seul instant garantie la vrit de ce que je vous dis,

encore que dans ce que je vous dis il ne sagisse jamais que de la vrit. Et dans ce que jen entends, pourquoi aprs tout ne pas dire que cela va jusque dans les rves de ceux qui sadressent moi. Je me souviens dun dentre eux. On peut citer un rve :

Pourquoi - rvait un de mes analyss - ne dit-il pas le vrai sur le vrai ? .

Ctait de moi quil sagissait dans ce rve. Ce rve nen dbouchait pas moins, chez mon sujet tout veill, me faire grief

de ce discours o, lentendre, il manquerait toujours le dernier mot.

Cela nest pas rsoudre la question que de dire : Les enfants que vous tes attendent toujours, pour croire, que je dise la vraie vrit.

Car ce terme la vraie vrit a un sens, et je dirai plus, cest sur ce sens quest difi tout le crdit de la psychanalyse.

La psychanalyse sest dabord prsente au monde comme tant celle qui apportait la vraie vrit. Bien sr on retombe vite

dans toutes sortes de mtaphores qui font fuir la chose.

Cette vraie vrit, cest le dessous des cartes [sic]. Il y en aura toujours un, mme dans le discours philosophique le plus rigoureux.

Cest l-dessus quest fond notre crdit dans le monde, et le stupfiant cest que ce crdit dure toujours, quoique, depuis un bon bout de temps, on nait pas fait le moindre effort pour donner un petit bout de commencement de quelque chose qui y rponde.

Ds lors, je me sens pas mal honor quon minterroge sur ce thme : O est la vraie vrit de votre discours ? . Et je peux mme

aprs tout trouver que cest bien justement en tant quon ne me prend pas pour un philosophe, mais pour un psychanalyste,

quon me pose cette question.

Car une des choses les plus remarquables dans la littrature philosophique, cest quel point entre philosophes - jentends:

en tant que philosophant - on ne pose en fin de compte jamais la mme question aux philosophes, sauf pour admettre avec

une facilit dconcertante que les plus grands dentre eux nont pas pens un mot de ce dont ils nous ont fait part, noir sur blanc, et se permettent de penser, propos de DESCARTES, par exemple quil navait en Dieu que la foi la plus incertaine

parce que ceci convient tel ou tel de ses commentateurs, moins que ce ne soit le contraire qui larrange.

Il y a une chose, en tout cas, qui na jamais sembl auprs de personne branler le crdit des philosophes, cest quon ait pu parler propos de chacun deux, et des plus grands, dune double vrit[footnoteRef:3]. Que donc pour moi qui, entrant dans la psychanalyse, [3: Lacan reprendra cette thmatique de la double vrit dans le sminaire 1965-66: Lobjet de la psychanalyse, sance du 19-01-1966. Cf. Thomas DAquin: De ternitate mundi contra murmurantes.]

mets en somme les pieds dans le plat en posant cette question sur la vrit, je sente soudain ledit plat schauffer sous la plante

de mes pieds, ce nest l aprs tout quune chose dont je puis me rjouir puisque, si vous y rflchissez, cest quand mme moi

qui ai rouvert le gaz.

Mais laissons cela maintenant. Entrons dans ces rapports de lidentit du sujet, et entrons-y par la formule cartsienne

dont vous allez voir comment jentends aujourdhui laborder. Il est bien clair quil nest absolument pas question de prtendre dpasser DESCARTES, mais bien plutt de tirer le maximum deffets de lutilisation des impasses dont il nous connote le fond.

Si lon me suit donc dans une critique pas du tout commentaire de texte, quon veuille bien se rappeler ce que jentends en tirer pour le bien de mon propre discours. Je pense donc je suis me parat sous cette forme concentrer les usages communs,

au point de devenir cette monnaie use, sans figure, laquelle MALLARM fait allusion quelque part[footnoteRef:4]. [4: Cf. crits p. 251 et p. 801. Mallarm use de la mtaphore de la pice de monnaie use pour dsigner le langage: Narrer, enseigner, mme dcrire, cela va et encore qu' chacun suffirait peut-tre pour changer la pense humaine, de prendre ou de mettre dans la main d'autrui en silence une pice de monnaie, l'emploi lmentaire du discours dessert l'universel reportage dont, la littrature excepte, participe tout entre les genres d'crits contemporains. Stphane Mallarm: Crise de vers, Divagations.]

Si nous le retenons un instant et essayons den polir la fonction de signe, si nous essayons den ranimer la fonction notre usage,

je voudrais remarquer ceci: cest que cette formule - dont je vous rpte que sous sa forme concentre nous ne la trouvons dans DESCARTES quen certain point du Discours de la Mthode [footnoteRef:5]- ce nest point ainsi, sous cette forme densifie, quelle est exprime. [5: Ren Descartes: uvres et lettres, Paris, Gallimard, Pliade, 1953, Discours de la Mthode, 4me partie, p.147: Fondements de la mtaphysique. ]

Ce Je pense, donc je suis se heurte cette objection - et je crois quelle na jamais t faite - cest que Je pense nest pas une pense.

Bien entendu, DESCARTES nous propose cette formule au dbouch dun long processus de pense, et il est bien certain

que la pense dont il sagit est une pense de penseur. Je dirai mme plus: cette caractristiquecest une pense de penseur,

nest pas exigible pour que nous parlions de pense. Une pense, pour tout dire, nexige nullement quon pense la pense.

Pour nous particulirement: la pense commence linconscient.

On ne peut que stonner de la timidit qui nous fait recourir la formule des psychologues, quand nous essayons de dire quelque chose sur la pense, la formule de dire que cest: une action ltat dbauche, ltat rduit, le petit modle conomique de laction.

Vous me direz quon trouve a dans FREUD quelque part ! Mais bien sr, on trouve tout dans FREUD: au dtour de quelque paragraphe, il a pu faire usage de cette dfinition psychologique de la pense. Mais enfin, il est totalement difficile dliminer

que cest dans FREUD que nous trouvons aussi que la pense est un mode parfaitement efficace, et en quelque sorte suffisant

soi-mme, de satisfaction masturbatoire. Ceci pour dire que, sur ce dont il sagit concernant le sens de la pense ,

nous avons peut-tre un empan un peu plus long que les autres ouvriers.

Nanmoins, ceci nempche pas quinterrogeant la formule dont il sagit Je pense, donc je suis nous puissions dire que, pour lusage qui en est fait, elle ne peut que nous poser un problme. Car il convient dinterroger cette parole: je pense - si large que soit le champ que nous ayons rserv la pense - pour voir si elle satisfait les caractristiques de la pense, pour voir si elle satisfait

les caractristiques de ce que nous pouvons appeler une pense.

Il se pourrait que ce ft une parole qui savrt tout fait insuffisante soutenir en rien quoi que ce soit que nous puissions

la fin reprer de cette prsence: je suis. Cest justement ce que je prtends. Pour clairer mon propos, je pointerai ceci:

que Je pense pris tout court sous cette forme nest logiquement pas plus sustentable, pas plus supportable que le Je mens,

qui a dj fait problme pour un certain nombre de logiciens. Ce Je mens qui ne se soutient que de la vacillation logique, vide sans doute mais soutenable, qui dploie ce semblant de sens, trs suffisant dailleurs pour trouver sa place en logique formelle.

Je mens, si je le dis cest vrai, donc je ne mens pas, mais je mens bien pourtant, puisquen disant Je mens jaffirme le contraire.

Il est trs facile de dmonter cette prtendue difficult logique et de montrer que la prtendue difficult o repose ce jugement

tient en ceci : le jugement quil comporte ne peut porter sur son propre nonc, cest un collapse. Cest de labsence de la distinction de deux plans - du fait que le Je mens est cens porter sur larticulation du Je mens lui-mme, sans quon len distingue - que nat cette fameuse difficult. Ceci pour vous dire que, faute de cette distinction, il ne sagit pas dune vritable proposition.

Ces petits paradoxes - dont les logiciens font grand cas dailleurs - pour les ramener immdiatement leur juste mesure,

peuvent passer pour de simples amusements. Ils ont quand mme leur intrt: ils doivent tre retenus pour pingler en somme

la vraie position de toute logique formelle, jusque et y compris ce fameux logico-positivisme dont je parlais tout lheure.

Jentends par l qu notre avis, on na justement pas assez us de la fameuse aporie dPIMNIDE, qui nest quune forme

plus dveloppe de ce que je viens de vous prsenter propos de Je mens, que :

Tous les Crtois sont des menteurs, ainsi parle pimnide le Crtois [footnoteRef:6] . [6: Alexandre Koyr, philosophe franais, a montr que la version crtoise du menteur se rsout facilement si on prend en compte conjointement le sens du Jugement prononc par pimnide et le fait que cest lui qui le prononce. La conclusion sera toujours : pimnide a menti, car, si pimnide dit la vrit, tous les Crtois sont menteurs, et lui aussi, or un menteur ne dit jamais la vrit, donc pimnide ne dit pas la vrit. Cf. A. Koyr: Epimnide le menteur, Paris, Herman, 1947, p.5.]

Et vous voyez aussitt le petit tourniquet qui sengendre. On nen a pas assez us pour dmontrer la vanit de la fameuse proposition dite affirmative universelle A[footnoteRef:7]. Car en effet, on le remarque ce propos, cest bien l - nous le verrons - la forme la plus intressante de rsoudre la difficult. Car, observez bien ce qui se passe si lon pose ceci - qui est posable - qui a t pos dans la critique de la fameuse affirmative universelle A, dont certains ont prtendu non sans fondement que sa substance na jamais t autre que celle dune proposition existentielle ngative : Il ny a pas de Crtois qui ne soit capable de mentir . [7: Aristote forme ainsi quatre familles de propositions: Les affirmatives universelles, notes A (tous les hommes sont mortels). Les ngatives universelles, notes E (aucun homme nest immortel ou tous les hommes ne sont pas mortels ou il nexiste pas dhomme non mortels). Les affirmatives particulires, notes I (quelques hommes sont peintres). Les ngatives particulires, notes O (quelques hommes ne sont pas peintres). Un moyen mnmotechnique pour se souvenir des lettres A, E, I, O: AffIrmo, nEgO (jaffirme et je nie) du carr logique mdival.]

Ds lors il ny a plus aucun problme.

PIMNIDE peut le dire, pour la raison quexprim ainsi, il ne dit pas du tout quil y ait quelquun, mme crtois, qui puisse mentir jet continu, surtout quand on saperoit que mentir tenacement implique une mmoire soutenue qui ferait quil finit

par orienter le discours dans le sens de lquivalent dun aveu. De sorte que mme si Tous les Crtois sont des menteurs veut dire quil nest pas un crtois qui ne veuille mentir jet continu, la vrit finira bien par lui chapper au tournant, et en mesure mme

de la rigueur de cette volont. Ce qui est le sens le plus plausible de laveu par le Crtois PIMNIDE que Tous les Crtois

sont des menteurs , ce sens ne peut tre que celui-ci, cest que il sen glorifie, il veut par l vous drouter,

en vous prvenant vridiquement de sa mthode.

Mais cela na pas dautre volont, cela a le mme succs que cet autre procd qui consiste annoncer que, soi, on nest pas poli, quon est dune franchise absolue: cela, cest le type qui vous suggre davaliser tous ses bluffs. Ce que je veux dire cest que toute affirmative universelle - au sens formel de la catgorie - a les mmes fins obliques, et il est fort joli quelles clatent, ces fins,

dans les exemples classiques.

Que ce soit ARISTOTE qui prenne soin de rvler que Socrate est mortel, doit tout de mme nous inspirer quelque intrt,

ce qui veut dire offrir prise ce que nous pouvons appeler chez nous interprtation, au sens o ce terme prtend aller un peu

plus loin que la fonction qui se trouve justement dans le titre mme dun des livres de la Logique dARISTOTE[footnoteRef:8]. [8: Aristote: Organon II, De l'interprtation, Paris, Vrin, 2004.]

Car si videmment cest en tant quanimal humain que celui quAthnes nomme SOCRATE est assur de la mort,

cest tout de mme bel et bien en tant que nomm SOCRATE quil y chappe, et videmment, ceci non seulement parce que

sa renomme dure encore pour aussi longtemps que vivra la fabuleuse opration du transfert opre par PLATON, mais encore

plus prcisment, parce que ce nest quen tant quayant russi se constituer, partir de son identit sociale - cet tre datopie

qui le caractrise - que le nomm SOCRATE - celui quon nomme ainsi Athnes, et cest pourquoi il ne pouvait pas sexiler -

a pu se sustenter dans le dsir de sa propre mort jusqu en faire lacting out de sa vie. Il y a ajout en plus cette fleur au fusil

de sacquitter du fameux coq Esculape[footnoteRef:9] dont il se serait agi sil avait fallu faire la recommandation de ne pas lser le marchand [9: Cf. Georges Dumzil: Un coq Esculapein Le moyne en gris dedans Varennes, Gallimard, Coll. Blanche, 1984.]

de marrons du coin.

Il y a donc l, chez ARISTOTE, quelque chose que nous pouvons interprter comme quelque tentative justement dexorciser

un transfert quil croyait un obstacle au dveloppement du savoir. Ctait dailleurs de sa part une erreur puisque lchec en est patent.

Il fallait aller srement un peu plus loin que PLATON dans la dnaturation du dsir pour que les choses dbouchent autrement.

La science moderne est ne dans un hyper-platonisme, et non pas dans le retour aristotlicien sur, en somme, la fonction du savoir selon le statut du concept. Il a fallu, en fait, quelque chose que nous pouvons appeler la seconde mort des dieux -

savoir leur ressortie fantomatique au moment de la Renaissance - pour que le verbe nous montrt sa vraie vrit, celle qui dissipe, non pas les illusions, mais les tnbres du sens do surgit la science moderne.

Donc, nous lavons dit, cette phrase de Je pense a lintrt de nous montrer - cest le minimum que nous puissions en dduire - la dimension volontaire du jugement. Nous navons pas besoin den dire autant: les deux lignes que nous distinguons comme nonciation et nonc nous suffisent pour que nous puissions affirmer que cest dans la mesure o ces deux lignes sembrouillent

et se confondent que nous pouvons nous trouver devant tel paradoxe qui aboutit cette impasse du je mens

sur lequel je vous ai un instant arrts.

Et la preuve que cest bien cela dont il sagit, savoir: que je peux la fois mentir et dire de la mme voix que je mens.

Si je distingue ces voix, cest tout fait admissible. Si je dis : Il dit que je mens , cela va tout seul, cela ne fait pas dobjection,

pas plus que si je disais: Il ment . Mais je peux mme dire : Je dis que je mens .

Il y a tout de mme quelque chose ici qui doit nous retenir, cest que si je dis: Je sais que je mens , cela a encore quelque chose

de tout fait convainquant qui doit nous retenir comme analystes puisque, comme analystes justement, nous savons que loriginal,

le vif et le passionnant de notre intervention est ceci: que nous pouvons dire que nous sommes faits pour dire, pour nous dplacer dans la dimension exactement oppose, mais strictement corrlative, qui est de dire : Mais non, tu ne sais pas que tu dis la vrit

Ce qui va tout de suite plus loin. Bien plus : Tu ne la dis si bien que dans la mesure mme o tu crois mentir, et quand tu ne veux pas mentir, cest pour mieux te garder de cette vrit. Cette vrit, il semble quon ne puisse ltreindre qu travers ces lueurs, la vrit:

fille en ceci - vous vous rappelez nos termes - quelle ne serait par essence - comme toute autre fille - quune gare.

[...vous ne valez pas plus porter mes couleurs que ces habits qui sont les vtres et pareils vous-mmes, fantmes que vous tes. O vais-je donc, passe en

vous, o tais-je avant ce passage ? Peut-tre un jour vous le dirai-je ? Mais pour que vous me trouviez o je suis, je vais vous apprendre quel signe me

reconnatre. Hommes, coutez, je vous en donne le secret. Moi la vrit, je parle. crits p. 409]

Eh bien, il en est de mme pour le Je pense: il semble bien que sil a ce cours si facile pour ceux qui lpellent ou en rediffusent

le message - les professeurs - a ne peut tre qu ne pas trop sy arrter. Si nous avons pour le Je pense les mmes exigences que pour le Je mens:

ou bien ceci voudra dire: Je pense que je pense , ce qui nest alors absolument parler de rien dautre que le Je pense dopinion ou dimagination, le Je pense comme vous dites quand vous dites : Je pense quelle maime qui veut dire que les embtements vont commencer. suivre DESCARTES - mme dans le texte des Mditations - on est surpris du nombre dincidences sous lesquelles ce Je pense nest rien dautre que cette notation proprement imaginaire sur laquelle aucune vidence, soi-disant radicale ne peut mme tre fonde, sarrter.

Ou bien alors ceci veut dire : Je suis un tre pensant , ce qui est bien entendu alors bousculer lavance tout le procs de ce qui vise justement faire sortir du Je pense un statut sans prjug comme sans infatuation mon existence. Si je commence dire : Je suis un tre , cela veut dire : Je suis un tre essentiel ltre, sans doute. Il ny a pas besoin den jeter plus, on peut garder sa pense pour son usage personnel.

Ceci point, nous nous trouvons rencontrer ceci qui est important, nous nous trouvons rencontrer ce niveau, ce troisime terme que nous avons soulev propos du Je mens, savoir, quon puisse dire Je sais que je pense . Et ceci mrite tout fait de nous retenir. En effet, cest bien l le support de tout ce quune certaine phnomnologie a dvelopp concernant le sujet.

Et ici jamne une formule qui est celle sur laquelle nous serons amens reprendre les prochaines fois, cest celle-ci: ce quoi nous avons affaire - et comment cela nous est donn, puisque nous sommes psychanalystes - cest radicalement subvertir, rendre impossible ce prjug le plus radical, et dont cest le prjug qui est le vrai support de tout ce dveloppement de la philosophie, dont on peut dire quil est la limite au-del de laquelle notre exprience est passe, la limite au-del de laquelle commence la possibilit de linconscient, cest quil na jamais t - dans la ligne philosophique qui sest dveloppe partir des investigations cartsiennes dites du cogito - quil na jamais t quun seul sujet que jpinglerai, pour terminer, sous cette forme: le sujet suppos savoir.

Il faut ici que vous pourvoyiez cette formule du retentissement spcial qui, en quelque sorte, porte avec lui son ironie, sa question, et remarquiez qu la reporter sur la phnomnologie - et nommment sur la phnomnologie hglienne - la fonction

de ce sujet suppos savoir prend sa valeur dtre apprcie quant la fonction synchronique qui se dploie en ce propos.

Sa prsence toujours l, depuis le dbut de linterrogation phnomnologique, un certain point, un certain nud de la structure nous permettra de nous dprendre du dploiement diachronique cens nous mener au savoir absolu.

Ce savoir absolu lui-mme - nous le verrons la lumire de cette question - prend une valeur singulirement rfutable,

mais seulement en ceci: aujourdhuiarrtons-nous poser cette motion de dfiance dattribuer ce suppos savoir - comme savoir suppos - qui que ce soit, mais surtout de nous garder de supposer [sub-poser] - subjicere [footnoteRef:10] - aucun sujet au savoir. [10: Subjicere: jeter, tomber ou mettresous subjectum (sujet) (upokeimenon)]

Le savoir est intersubjectif, ce qui ne veut pas dire quil est le savoir de tous, mais quil est le savoir de lAutre, avec un grand A.

Et lAutre - nous lavons pos, il est essentiel de le maintenir comme tel - lAutre nest pas un sujet, cest un lieu, auquel on sefforce depuis ARISTOTE de transfrer les pouvoirs du sujet.

Bien sr, de ces efforts il reste ce que HEGEL a dploy comme lhistoire du sujet. Mais cela ne veut absolument pas dire

que le sujet en sache un ppin de plus sur ce de quoi il retourne. Il na, si je puis dire, dmoi quen fonction dune supposition indue, savoir: que lAutre sache, quil y ait un savoir absolu. Mais lAutre en sait encore moins que lui, pour la bonne raison justement quil nest pas un sujet. LAutre est le dpotoir des reprsentants reprsentatifs de cette supposition de savoir, et cest ceci

que nous appelons linconscient pour autant que le sujet sest perdu lui-mme dans cette supposition de savoir.

Il entrane a son insu, et a ce sont les dbris qui lui reviennent de ce que ptit sa ralit dans cette chose, dbris plus ou moins mconnaissables. Il les voit revenir, il peut dire, ou non dire cest bien a ou bien ce nest pas a du tout , cest tout fait a tout de mme.

La fonction du sujet dans DESCARTES: cest ici que nous reprendrons la prochaine fois notre discours, avec les rsonances

que nous lui trouvons dans lanalyse. Nous essaierons la prochaine fois, de reprer les rfrences la phnomnologie

du nvros obsessionnel, dans une scansion signifiante o le sujet se trouve immanent toute articulation.

22 Novembre 1961

Vous avez pu constater, non sans satisfaction, que jai pu vous introduire la dernire fois notre propos de cette anne par une rflexion qui en apparence pourrait passer pour bien philosophante, puisquelle portait justement sur une rflexion philosophique - celle de DESCARTES - sans entraner de votre part, me semble-t-il, trop de ractions ngatives.

Bien loin de l, il semble quon mait fait confiance pour la lgitimit de sa suite. Je me rjouis de ce sentiment de confiance que je voudrais pouvoir traduire, en ce quon a tout au moins ressenti o je voulais, par l, vous mener.

Nanmoins pour que vous ne preniez pas - en ceci que je vais continuer aujourdhui sur le mme thme - le sentiment que je mattarde, jaimerais poser que telle est bien notre fin dans ce mode que nous abordons, de nous engager sur ce chemin. Disons-le

tout de suite, dune formule que tout notre dveloppement par la suite clairera, ce que je veux dire, cest que

pour nous analystes, ce que nous entendons par identification - parce que cest ce que nous rencontrons dans lidentification, dans ce quil y a de concret dans notre exprience concernant lidentification, cest une identification de signifiant.

Relisez dans le Cours de linguistique [footnoteRef:11] un des nombreux passages o DE SAUSSURE sefforce de serrer, comme il le fait sans cesse en la cernant, la fonction du signifiant, et vous verrez - je le dis entre parenthses - que tous mes efforts [11: Ferdinand de Saussure: Cours de linguistique gnrale, Paris, Payot, 1972.]

nont pas t finalement sans laisser la porte ouverte ce que jappellerai moins des diffrences dinterprtation

que de vritables divergences dans lexploitation possible de ce quil a ouvert avec cette distinction si essentielle

de signifiant et de signifi.

Peut-tre pourrais-je toucher incidemment pour vous, pour quau moins vous en repriez lexistence, la diffrence quil y a entre telle ou telle cole, celle de Prague laquelle JAKOBSON - auquel je me rfre si souvent - appartient, de celle de Copenhague laquelle HJELMSLEV[footnoteRef:12] a donn son orientation sous un titre que je nai jamais encore voqu devant vous de la glossmatique. Vous verrez, il est presque fatal que je sois amen y revenir, puisque nous ne pourrons pas faire un pas sans tenter dapprofondir cette fonction du signifiant, et par consquent son rapport au signe. Vous devez tout de mme dores et dj savoir - je pense que mme ceux dentre vous qui ont pu croire, voire jusqu me le reprocher, que je rptais JAKOBSON - quen fait la position que je prends ici est en avance, en flche par rapport celle de JAKOBSON, concernant la primaut que je donne la fonction du signifiant dans toute ralisation, disons, du sujet. [12: Louis Hjelmslev: Prolgomnes une thorie du langage, Paris, Minuit, 2000. ]

Le passage de SAUSSURE auquel je faisais allusion tout lheure - je ne le privilgie ici que pour sa valeur dimage -

cest celui o il essaie de montrer quelle est la sorte didentit qui est celle du signifiant en prenant lexemple

de lexpress de 10 h 15. Lexpress de 10 h 15, dit-il, est quelque chose de parfaitement dfini dans son identit,

cest lexpress de 10 h 15, malgr que, manifestement, les diffrents express de 10 h 15qui se succdent toujours identiques chaque jour, naient absolument, ni dans leur matriel, voire mme dans la composition de leur chane,

que des lments voire une structure relle diffrente. Bien sr, ce quil y a de vrai dans une telle affirmation suppose prcisment, dans la constitution dun tre comme celui de lexpress de 10 h 15, un fabuleux enchanement dorganisations signifiantes entrer dans le rel par le truchement des tres parlants.

Il reste que ceci a une valeur en quelque sorte exemplaire, pour bien dfinir ce que je veux dire quand je profre dabord ce que je vais essayer pour vous darticuler, ce sont les lois de lidentification en tant quidentification de signifiant.

Pointons mme, comme un rappel, que - pour nous en tenir une opposition qui pour vous soit un suffisant support -

ce qui sy oppose, ce de quoi elle se distingue, ce qui ncessite que nous laborions sa fonction, cest que lidentification, de qui par l elle se distancie? Cest de lidentification imaginaire.

Celle dont il y a bien longtemps jessayais de vous montrer lextrme, larrire-plan du stade du miroir,

dans ce que jappellerai leffet organique de limage du semblable, leffet dassimilation que nous saisissons en tel ou tel point de lhistoire naturelle, et lexemple dont je me suis plu montrer in vitro sous la forme de cette petite bte qui sappelle le criquet plerin et dont vous savez que lvolution, la croissance, lapparition de ce quon appelle lensemble des phanres, de ce comme quoi nous pouvons le voir dans sa forme, dpend en quelque sorte dune rencontre qui se produit tel moment de son dveloppement, des stades, des phases de la transformation larvaire, o selon que lui seront apparus - ou non - un certain nombre de traits de limage de son semblable, il voluera - ou non - selon les cas, selon la forme que lon appelle solitaire ou la forme que lon appelle grgaire.

Nous ne savons pas du tout, nous ne savons mme quassez peu de choses des chelons de ce circuit organique qui entranent de tels effets, ce que nous savons, cest quil est exprimentalement assur. Rangeons-le dans la rubrique

trs gnrale des effets dimage dont nous retrouverons toutes sortes de formes des niveaux trs diffrents

de la physique et jusque dans le monde inanim, vous le savez, si nous dfinissons limage comme: tout arrangement physique qui a pour rsultat, entre deux systmes, de constituer une concordance biunivoque, quelque niveau que ce soit.

Cest une formule fort convenable, et qui sappliquera aussi bien leffet que je viens de dire par exemple,

qu celui de la formation dune image, mme virtuelle, dans la nature par lintermdiaire dune surface plane,

que ce soit celle du miroir ou celle que jai longtemps voque, de la surface du lac qui reflte la montagne.[footnoteRef:13] [13: Cf. sminaire1954-55: Le moi..., sance du 08-12. ]

Est-ce dire que, comme cest la tendance...

et tendance qui stale sous linfluence dune espce, je dirais divresse, qui saisit rcemment la pense

scientifique, du fait de lirruption de ce qui nest en son fond que la dcouverte de la dimension de

la chane signifiante comme telle mais qui, dans de toutes sortes de faons, va tre rduite par cette pense des termes plus simples, et trs prcisment cest ce qui sexprime dans les thories dites de linformation

...est-ce dire quil soit juste, sans autre connotation, de nous rsoudre caractriser la liaison entre les deux systmes

- dont lun est, par rapport lautre, limage - par cette ide de linformation, qui est trs gnrale, impliquant certains chemins parcourus par ce quelque chose qui vhicule la concordance biunivoque ?

Cest bien l que gt une trs grande ambigut, je veux direcelle qui ne peut aboutir qu nous faire oublier les niveaux propres de ce que doit comporter linformation si nous voulons lui donner une autre valeur que celle, vague, qui naboutirait en fin de compte qu donner une sorte de rinterprtation, de fausse consistance ce qui jusque-l avait t subsum - et ceci depuis lAntiquit jusqu nos jours - sous la notion de la forme: quelque chose qui prend, enveloppe, commande les lments, leur donne un certain type de finalit qui est celui, dans lensemble, de lascension:

de llmentaire vers le complexe, de linanim vers lanim.

Cest quelque chose qui a sans doute son nigme et sa valeur propre, son ordre de ralit, mais qui est distinct

- cest ce que jentends articuler ici avec toute sa force - de ce que nous apporte de nouveau dans la nouvelle perspective scientifique, la mise en valeur, le dgagement, de ce qui est apport par lexprience du langage et de ce que le rapport au signifiant nous permet dintroduire comme dimension originale - quil sagit de distinguer radicalement du rel - sous la forme de la dimension symbolique.

Ce nest pas, vous le voyez, par l que jaborde le problme de ce qui va nous permettre de scinder cette ambigut.

Dores et dj tout de mme jen ai dit assez pour que vous sachiez, que vous ayez dj senti, apprhend, dans ces lments dinformation signifiante, loriginalit quapporte le trait, disons de srialit quil comporte. Trait aussi de discrtion, je veux dire de coupure, ceci que SAUSSURE na pas articul mieux, ni autrement, que de dire que ce qui les caractrise chacun, cest dtre ce que les autres ne sont pas.

Diachronie et synchronie sont les termes auxquels je vous ai indiqu de vous rapporter.

Encore tout ceci nest-il pas pleinement articul: la distinction devant tre faite de cette diachronie de fait, trop souvent elle est seulement ce qui est vis dans larticulation des lois du signifiant, la diachronie de droit par o nous rejoignons la structure.

De mme la synchronie: a nest point tout en dire, loin de l, que den impliquer la simultanit virtuelle dans quelque sujet suppos du code. Car cest l retrouver ce dont la dernire fois je vous montrais que pour nous, il y a l une entit pour nous intenable. Je veux dire donc que nous ne pouvons nous contenter daucune faon dy recourir, car ce nest quune des formes de ce que je dnonais la fin de mon discours de la dernire fois

sous le nom du sujet suppos savoir.

Cest l ce pourquoi je commence de cette faon cette anne mon introduction la question de lidentification,

cest quil sagit

de partir de la difficult mme,

de celle qui nous est propose du fait mme de notre exprience,

de ce do elle part,

de ce partir de quoi il nous faut larticuler, la thoriser.

Cest que nous ne pouvons - mme ltat de vise, promesse du futur - daucune faon nous rfrer, comme HEGEL

le fait, aucune terminaison possible - justement parce que nous navons aucun droit la poser comme possible -

du sujet dans un quelconque savoir absolu. Ce sujet suppos savoir, il faut que nous apprenions nous en passer tous les moments.

Nous ne pouvons y recourir aucun moment. Ceci est exclu par une exprience que nous avons dj, depuis le sminaire sur

Le dsir et son interprtation, premier trimestre, qui a t publi[footnoteRef:14], cest trs prcisment ce qui ma sembl en tout cas ne pouvoir tre suspendu de cette publication, car cest l le terme de toute une phase de cet enseignement que nous avons fait: cest que ce sujet qui est le ntre, ce sujet que jaimerais aujourdhui interroger pour vous, propos de la dmarche cartsienne, cest le mme dont ce premier trimestre je vous ai dit que nous ne pouvions pas lapprocher plus loin quil nest fait dans ce rve exemplaire qui larticule tout entier autour de la phrase : Il ne savait pas quil tait mort. [14: Sminaire1958-59: Le dsir et son interprtation, rsum par J. B. Pontalis, Bulletin de Psychologie, 1960, vol. XIII, n5 et 6. ]

En toute rigueur, cest bien l - contrairement lopinion de POLITZER[footnoteRef:15] - le sujet de lnonciation, mais en troisime personne, [15: Politzer: Critique des fondements de la psychologie, Paris, PUF, 1967.]

que nous pouvons le dsigner. Ce nest pas dire, bien sr, que nous ne puissions lapprocher en premire personne, mais cela sera prcisment savoir, qu le faire - et dans lexprience la plus pathtiquement accessible - il se drobe, car le traduire dans

cette premire personne, cest cette phrase que nous aboutirons dire ce que nous pouvons dire justement, dans la mesure pratique o nous pouvons nous confronter avec ce chariot du temps, comme dit John DONNE hurrying near [footnoteRef:16], il nous talonne, [16: En fait : Andrew Marvell (1621-1678) : To His Coy Mistress : But at my back I always hear Time's winged chariot hurrying near ;]

et dans ce moment darrt o nous pouvons prvoir le moment ultime, celui prcisment o tout dj nous lchera,

nous dire Je ne savais pas que je vivais dtre mortel.

Il est bien clair que cest dans la mesure o nous pourrons nous dire lavoir oubli presque tout instant, que nous serons mis dans cette incertitude, pour laquelle il ny a aucun nom, ni tragique, ni comique, de pouvoir nous dire, au moment de quitter notre vie, qu notre propre vie nous aurons toujours t en quelque mesure tranger.

Cest bien l ce qui est le fond de linterrogation philosophique la plus moderne, ce par quoi, mme pour ceux qui ny entravent,

si je puis dire, que fort peu, voire ceux-l mmes qui font tat de leur sentiment de cette obscurit, tout de mme quelque chose passe - quoi quon en dise - quelque chose passe dautre que la vague dune mode, dans la formule nous rappelant au fondement existentiel de ltre pour la mort [Heidegger].

Cela nest pas l un phnomne contingent. Quelles quen soient les causes, quelles quen soient les corrlations,

voire mme la porte, on peut le dire, que ce quon peut appeler la profanation des grands fantasmes - forgs pour le dsir par

le mode de pense religieuse - est l ce qui, nous laissant dcouverts, voire inermes, suscite quelque chose: ce creux, ce vide, quoi sefforce

de rpondre cette mditation philosophique moderne, et quoi notre exprience a quelque chose aussi apporter, puisque

cest l sa place linstant que je vous dsigne suffisamment, la mme place o ce sujet se constitue comme ne pouvant savoir, prcisment, ce dont pourquoi il sagit l pour lui du Tout.

Cest l le prix de ce que nous apporte DESCARTES, et cest pourquoi il tait bon den partir. Cest pourquoi jy reviens aujourdhui, car il convient de reparcourir pour remesurer ce dont il sagit dans ce que vous avez pu entendre que je vous dsignais comme limpasse, voire limpossible du Je pense, donc je suis . Cest justement cet impossible qui fait son prix et sa valeur.

Ce sujet que nous propose DESCARTES, si ce nest l que le sujet autour de quoi la cogitation de toujours tournait avant,

tourne depuis, il est clair que nos objections dans notre dernier discours prennent tout leur poids, le poids mme impliqu

dans ltymologie du verbe franais penser qui ne veut dire rien dautre que peser.

Quoi fonder sur je pense, o nous savons, nous analystes, que ce quoi je pense que nous pouvons saisir, renvoie unde quoi, et do, partir de quoi je pense, qui se drobe ncessairement? Et cest bien pourquoi la formule de DESCARTES

nous interroge, de savoir sil ny a pas du moins ce point privilgi du je pense pur, sur lequel nous puissions nous fonder.

Et cest pourquoi il tait tout au moins important que je vous arrte un instant.

Cette formule semble impliquer quil faudrait que le sujet se soucie de penser tout instant pour sassurer dtre, condition dj

bien trange, mais encore suffit-elle ? Suffit-il quil pense tre pour quil touche ltre pensant ? Car cest bien cela o DESCARTES, dans cette incroyable magie du discours des deux premires Mditations, nous suspend.

Il arrive faire tenir - je dis: dans son texte - et non pas une fois que le professeur de philosophie en aura pch le signifiant,

et trop facilement montrera lartifice qui rsulte de formuler quainsi pensant, je puis me dire une chose qui pense -

cest trop facilement rfutable, mais qui ne retire rien de la force de progrs du texte - ceci prs quil nous faut bien interroger

cet tre pensant, nous demander si ce nest pas le participe dun trepenser, crire linfinitif et en un seul mot : Jtrepense, comme on dit joutrecuide, comme nos habitudes danalystes nous font dire je compense, voire je dcompense, je surcompense. Cest le mme terme, et aussi lgitime dans sa composition.

Ds lors, le je penstre quon nous propose pour nous y introduire, peut paratre, dans cette perspective, un artifice mal tolrable puisque aussi bien, formuler les choses ainsi, ltre dj dtermine le registre dans lequel sinaugure toute ma dmarche:

ce je penstre - je vous lai dit la dernire fois - ne peut, mme dans le texte de DESCARTES, se connoter que des traits du leurre et de lapparence. Je penstre napporte avec lui aucune autre consistance plus grande que celle du rve o effectivement DESCARTES, plusieurs temps de sa dmarche, nous a laisss suspendus. Le je penstre peut lui aussi se conjuguer comme un verbe, mais il ne va pas loin, je penstre, tu penstres, avec ls si vous voulez la fin, cela peut aller encore, voire il penstre.

Tout ce que nous pouvons dire cest que si nous en faisons les temps du verbe dune sorte dinfinitif penstrer, nous ne pourrons que le connoter de ceci qui scrit dans les dictionnaires: que toutes les autres formes, passe la troisime personne du singulier du prsent, sont inusites en franais. Si nous voulons faire de lhumour nous ajouterons quelles sont supples ordinairement par les mmes formes du verbe complmentaire de penstrer, le verbe semptrer.

Quest-ce dire ? Cest que lacte dtrepenser, car cest de cela quil sagit, ne dbouche pour qui pense qui ?, que sur un peut-tre ai-je ?, peut-tre je?. Et aussi bien je ne suis pas le premier ni le seul depuis toujours avoir remarqu le trait de contrebande

de lintroduction de ceje dans la conclusion: Je pense, donc je suis .

Il est bien clair que ce je reste ltat problmatique et que jusqu la suivante dmarche de DESCARTES, et nous allons voir laquelle, il ny a aucune raison quil soit prserv de la remise en question totale que fait DESCARTES de tout le procs,

par la mise en profil, pour les fondements de ce procs, de la fonction du Dieu trompeur.

Vous savez quil va plus loin - le Dieu trompeur cest encore un bon Dieu, pour tre l, pour me bercer dillusions -

il va jusquau malin gnie, au menteur radical, celui qui mgare pour mgarer, cest ce quon a appel le doute hyperbolique.

On ne voit aucunement comment ce doute a pargn ce je et le laisse donc, proprement parler, dans une vacillation fondamentale, ce sur quoi je veux attirer votre attention.

Il y a deux faons, cette vacillation, de larticuler: larticulation classique: celle qui se trouve dj - je lai retrouve avec plaisir -

dans la Psychologie de BRENTANO [footnoteRef:17]. Celle que BRENTANO rapporte trs juste titre Saint THOMAS DAQUIN[footnoteRef:18], [17: F.C. Brentano: Psychologie du point de vue empirique, Paris, Vrin, 2008.] [18: Cf. Thomas DAquin: Somme thologique, I, Q. 85, 86, 87.]

savoir que ltre ne saurait se saisir comme pense que dune faon alternante: cest dans une succession de temps alternants

quil pense, que sa mmoire sapproprie sa ralit pensante, sans qu aucun instant puisse se conjoindre cette pense

dans sa propre certitude.

Lautre mode, qui est celui qui nous mne plus proches de la dmarche cartsienne, cest de nous apercevoir justement du caractre

proprement parler vanouissant de ce je, de nous faire voir que le vritable sens de la premire dmarche cartsienne,

cest de sarticuler comme un: Je pense et je ne suis. Bien sr, on peut sattarder aux approches de cette assomption,

et nous apercevoir que: Je dpense penser, tout ce queje peux avoir dtre. Quil soit clair quen fin de compte cest de cesser de penser que je peux entrevoir que je sois tout simplement. Ce ne sont l quabords.

Le Je pense et je ne suis introduit pour nous toute une succession de remarques, justement de celles dont je vous parlais

la dernire fois concernant la morphologie du franais, celle dabord sur ce Je, tellement - dans notre langue - plus dpendant dans sa forme de premire personne que dans langlais ou lallemand par exemple, ou le latin, o la question qui est-ce qui la fait ? vous pouvez rpondre:

I, Ich, ego,

mais non pas Je en franais, mais cest moi ou pas moi.

Mais Je est autre chose, ce Je - dans le parler- si facilement lid grce aux proprits dites muettes de sa vocalise,

ce Je qui peut tre un Jsais pas cest--dire que le e disparat. Mais Jsais pas est autre chose - vous le sentez bien,

pour tre de ceux qui ont du franais une exprience originale - que le je ne sais. Le je ne sais est un je sais sans savoir.

Le ne du je ne sais porte non pas sur le sais, mais sur le je.

Cest pour cela aussi que, contrairement ce qui se passe dans ces langues voisines auxquelles, pour ne pas aller plus loin,

je fais allusion linstant, cest avant le verbe que porte cette partie dcompose - appelons-la comme cela pour linstant -

de la ngation quest le ne en franais. Bien sr, le ne nest-il pas propre au franais, ni unique, le ne latin se prsente

pour nous avec toute la mme problmatique, que je ne fais aussi bien ici que dintroduire et sur laquelle nous reviendrons.

Vous le savez, jai dj fait allusion ce que PICHON[footnoteRef:19], propos de la ngation en franais, y a apport dindications. [19: E. Pichon, J. Damourette: Des mots la pense. Essai de grammaire de la langue franaise, Vrin (2000).]

Je ne pense pas - et ce nest pas non plus nouveau: je vous lai indiqu en ce mme temps[footnoteRef:20] - que les formulations de PICHON [20: Cf. sminaire 1958-59: Le dsir..., sances des 10-12 et 17-12.]

sur le forclusif et le discordantiel puissent rsoudre la question, encore quelles lintroduisent admirablement, mais le voisinage, le frayage naturel dans la phrase franaise du je avec la premire partie de la ngation, je ne sais est quelque chose qui rentre

dans ce registre de toute une srie de faits concordants, autour de quoi je vous signalais lintrt de lmergence particulirement significative dans un certain usage linguistique des problmes qui se rapportent au sujet comme tel dans ses rapports au signifiant.

Ce quoi donc je veux en venir cest ceci: que si nous nous trouvons - plus facilement que dautres - mis en garde lendroit

de HEGEL contre ce mirage du savoir absolu, celui dont cest dj suffisamment le rfuter que de le traduire dans le repos repu

dune sorte de septime jour colossal en ce Dimanche de la vie[footnoteRef:21] o lanimal humain enfin pourra senfoncer le museau dans lherbe, [21: Cf. Raymond Queneau, citant Hegel en exergue de Le dimanche de la vie, Gallimard, 1952, Folio n442, 1973 : ...c'est le dimanche de la vie, qui nivelle tout et loigne tout ce qui est mauvais ; des hommes dous d'une aussi bonne humeur ne peuvent tre foncirement mauvais ou vils.]

la grande machine tant dsormais rgle au dernier carat de ce nant matrialis quest la conception du savoir.

Bien sr, ltre aura enfin trouv sa part et sa rserve dans sa stupidit dsormais dfinitivement embercaille, et lon suppose que du mme coup sera arrach, avec lexcroissance pensante, son pdoncule, savoir: le souci[footnoteRef:22]. Mais ceci, du train o vont [22: Martin Heidegger: tre et temps (Sein und Zeit), nouvelle traduction intgrale par Emmanuel Martineau, hors commerce. ]

les choses, lesquelles sont faites, malgr son charme, pour voquer quil y a l quelque chose dassez parent ce quoi nous nous exerons, avec - je dois dire - beaucoup plus de fantaisie et dhumour: ce sont les diverses amusettes de ce quon appelle communment la science-fiction, lesquelles montrent sur ce thme que toutes sortes de variations sont possibles.

ce titre, bien sr, DESCARTES ne parat pas en mauvaise posture. Si on peut peut-tre dplorer quil nen ait pas su plus long

sur ces perspectives du savoir, cest ce seul titre que, sil en et su plus long, sa morale en eut t moins courte, mais - mis part ce trait que nous laissons ici provisoirement de ct - pour la valeur de sa dmarche initiale, bien loin de l, il en rsulte tout autre chose.

Les professeurs, propos du doute cartsien, semploient beaucoup souligner quil est mthodique. Ils y tiennent normment. Mthodique, cela veut dire doute froid. Bien sr, mme dans un certain contexte, on consommait des plats refroidis,

mais la vrit je ne crois pas que ce soit la juste faon de considrer les choses.

Non pas que je veuille daucune faon vous inciter considrer le cas psychologique de DESCARTES - si passionnant que ceci puisse apparatre - de retrouver dans sa biographie, dans les conditions de sa parent, voire de sa descendance, quelques-uns

de ces traits qui, rassembls, peuvent faire une figure au moyen de quoi nous retrouverons les caractristiques gnrales

dune psychasthnie, voire dengouffrer dans cette dmonstration le clbre passage des porte-manteaux humains [Cf. Mditation seconde],

ces sortes de marionnettes autour de quoi il semble possible de restituer une prsence que, grce tout le dtour de sa pense,

on voit prcisment ce moment-l en train de se dployer, je nen vois pas beaucoup lintrt. Ce qui mimporte, cest quaprs avoir tent de faire sentir que la thmatique cartsienne est injustifiable logiquement, je puisse raffirmer quelle nest pas pour autant irrationnelle. Elle nest pas plus irrationnelle que le dsir nest irrationnel de ne pouvoir tre articulable, simplement parce quil est un fait articul, comme je crois que cest tout le sens de ce que je vous dmontre depuis un an:

de vous montrer comment il lest.

Le doute de DESCARTES - on la soulign, et je ne suis pas non plus le premier le faire - est un doute bien diffrent du doute sceptique bien sr. Auprs du doute de DESCARTES, le doute sceptique se dploie tout entier au niveau de la question du rel. Contrairement ce quon croit, il est loin de le mettre en cause: il y rappelle, il y rassemble son monde. Et tel Sceptique dont tout le discours nous rduit ne plus tenir pour valable que la sensation, ne la fait pas du tout pour autant svanouir, il nous dit

quelle a plus de poids, quelle est plus relle que tout ce que nous pouvons construire son propos. Ce doute sceptique a sa place,

vous le savez, dans la Phnomnologie de lEsprit de HEGEL[footnoteRef:23]: il est un temps de cette recherche, de cette qute quoi sest engag par rapport lui-mme le savoir, ce savoir qui nest quun savoir pas encore, donc qui de ce fait est un savoir dj. [23: G.W.F. Hegel: Phnomnologie de l'Esprit, Paris, Aubier, 1998, Coll. Philosophie de l'esprit.]

Ce nest pas du tout ce quoi DESCARTES sattaque. DESCARTES na nulle part sa place dans la Phnomnologie de lEsprit:

il met en question le sujet lui-mme et, malgr quil ne le sache pas, cest du sujet suppos savoir quil sagit. Ce nest pas de se reconnatre dans ce dont lesprit est capable quil sagit pour nous, cest du sujet luimme comme acte inaugural quil est question. Cest, je crois, ce qui fait le prestige, ce qui fait la valeur de fascination, ce qui fait leffet de tournant qua eu effectivement dans lhistoire cette dmarche insense de DESCARTES, cest quelle a tous les caractres de ce que nous appelons dans notre vocabulaire un passage lacte.

Le premier temps de la mditation cartsienne a le trait dun passage lacte: il se situe au niveau de ce qua de ncessairement insuffisant, et en mme temps ncessairement primordial, toute tentative ayant le rapport le plus radical, le plus originel au dsir. Et la preuve: cest bien ce quoi il est conduit dans la dmarche qui succde immdiatement.

Celle qui succde immdiatement, la dmarche du Dieu trompeur, quest-elle ? Elle est lappel quelque chose que - pour la mettre

en contraste avec les preuves antrieures, bien entendu non annulables, de lexistence de Dieu - je me permettrai dopposer

comme le verissimum lentissimum: pour Saint ANSELME[footnoteRef:24], Dieu cest le plus tre des tres. Le Dieu dont il sagit ici, celui que fait entrer DESCARTES ce point de sa thmatique, est ce Dieu qui doit assurer la vrit de tout ce qui sarticule comme tel: [24: Saint Anselme de Cantorbery: Fides quaerens intellectum, Labor Fides 1989. Cf. Alexandre Koyr: L'ide de Dieu dans la philosophie de St Anselme, Vrin 1984.]

cest le vrai du vrai, le garant que la vrit existe. Et dautant plus garant quelle pourrait tre autre, nous dit DESCARTES,

cette vrit comme telle, quelle pourrait tre - si ce Dieu l le voulait - quelle pourrait tre proprement parler lerreur.

Quest-ce dire sinon que nous nous trouvons l dans tout ce quon peut appeler la batterie du signifiant, confronts ce trait unique, cet einziger Zug que nous connaissons dj, pour autant qu la rigueur il pourrait tre substitu tous les lments de ce qui constitue la chane signifiante, la supporter cette chane lui seul, et simplement dtre toujours le mme.

Ce que nous trouvons la limite de lexprience cartsienne comme telle du sujet vanouissant, cest la ncessit de ce garant,

du trait de structure le plus simple, du trait unique si jose dire, absolument dpersonnalis, non pas seulement de tout contenu subjectif, mais mme de toute variation qui dpasse cet unique trait, de ce trait qui est Un dtre le trait unique.

La fondation de lUn que constitue ce trait nest nulle part prise ailleurs que dans son unicit. Comme tel on ne peut dire de lui

autre chose sinon quil est ce qua de commun tout signifiant: dtre avant tout constitu comme trait, davoir ce trait pour support. Est-ce que nous allons pouvoir, autour de cela, nous rencontrer dans le concret de notre exprience ?

Je veux dire ce que vous voyez dj pointer, savoirla substitution, dans une fonction qui a donn tellement de mal la pense philosophique, savoir cette pente presque ncessairement idaliste qua toute articulation du sujet dans la tradition classique,

lui substituer cette fonction didalisation: en tant que sur elle repose cette ncessit structurale qui est la mme que jai dj devant vous articule sous la forme de lidal du moi, en tant que cest partir de ce point, non pas mythique, mais parfaitement concret didentification inaugurale du sujet au signifiant radical, non pas de lUn plotinien, mais du trait unique comme tel,

que toute la perspective du sujet comme ne sachant pas peut se dployer dune faon rigoureuse.

Cest ce que, aprs vous avoir fait passer aujourdhui sans doute par des chemins dont je vous rassure en vous disant

que cest srement le sommet le plus difficile de la difficult par laquelle jai vous faire passer qui est franchi aujourdhui,

cest ce que je pense pouvoir devant vous, dune faon plus satisfaisante, plus faite pour nous faire retrouver nos horizons pratiques, commencer de formuler.

29 Novembre 1961

Je vous ai donc amens la dernire fois ce signifiant quil faut que soit en quelque faon le sujet pour quil soit vrai que le sujet

est signifiant. Il sagit trs prcisment du Un en tant que trait unique:

Nous pourrons raffiner sur le fait que linstituteur crit le un comme cela: 1, avec une barre montante qui indique en quelque sorte do il merge. Ce ne sera pas un pur raffinement dailleurs parce quaprs tout cest justement ce que nous aussi nous allons faire: essayer de voir do il sort. Mais nous nen sommes pas l!

Alors, histoire daccommoder votre vision mentale fortement embrouille par les effets dun certain mode de culture,

trs prcisment celui qui laisse bant lintervalle entre lenseignement primaire et lautre dit secondaire, sachez que je ne suis pas en train de vous diriger vers lUn de PARMNIDE[footnoteRef:25], ni lUn de PLOTIN[footnoteRef:26], ni lUn daucune totalit dans notre champ de travail, dont on fait depuis quelque temps si grand cas. Il sagit bien du 1 que jai appel tout lheure de linstituteur, [25: Parmnide: Le pome, par Marcel Conche, PUF, 1996. ] [26: Plotin: Ennades, trad. Brhier, Les Belles Lettres, 1995.]

de l1 du lve X vous me ferez cent lignes de 1 , cest--dire des btons, lve Y, vous avez un 1 en franais .

Linstituteur sur son carnet, trace leinziger Zug, le trait unique du signe jamais suffisant de la notation minimale.

Cest de ceci quil sagit, cest du rapport de ceci avec ce quoi nous avons affaire dans lidentification. Si jtablis un rapport,

il doit peut-tre commencer apparatre votre esprit comme une aurore, que a nest pas tout de suite collaps, lidentification,

ce nest pas tout simplement ce 1, en tout cas pas tel que nous lenvisageons. Tel que nous lenvisageons, il ne peut tre

- vous le voyez dj le chemin par o je vous conduis - que linstrument, la rigueur, de cette identification et vous allez voir,

si nous y regardons de prs, que cela nest pas si simple.

Car si ce qui pense - ltrepensant de notre dernier entretien - reste au rang du rel en son opacit, il ne va pas tout seul

quil sorte de ce quelqutre o il nest pas identifi, jentends: pas dun quelqutremme o il est en somme jet sur le pav

de quelque tendue[footnoteRef:27] quil a fallu dabord une pense pour balayer et rendre vide. Mme pas! Nous nen sommes pas l. [27: Cf. le concept dtendue chez Descartes.]

Au niveau du rel, ce que nous pouvons entrevoir, cest lentrevoir parmi tantdtre - aussi en un seul mot tantdtre -

dun trtant o il est accroch quelque mamelle, bref tout au plus capable dbaucher cette sorte de palpitation de ltre

qui fait tant rire LEnchanteur au fond de la tombe o la enferm la cautle de La Dame du lac [footnoteRef:28]. [28: Sminaire 1955-56: Les psychoses, sance du 04-07 qui se termine sur une citation de LEnchanteur pourrissant de Guillaume Apollinaire. ]

Rappelez-vous il y a quelques annes - lanne du sminaire sur le Prsident SCHREBER - limage que jai voque lors du dernier sminaire de cette anne, celle - potique - du Monstre Chapalu aprs quil se soit repu du corps des sphinx meurtris par leur saut suicidaire, cette parole, dont rira longtemps LEnchanteur pourrissant, du Monstre Chapalu disant: Celui qui mange nest plus seul. .

Bien sr, pour quil vienne au jour de ltre, il y a la perspective de LEnchanteur. Cest bien elle, au fond, qui rgle tout.

Bien sr, lambigut vritable de cette venue au jour de la vrit est ce qui fait lhorizon de toute notre pratique, mais il ne nous est point possible de partir de cette perspective dont le mythe vous indique assez quelle est au-del de la limite mortelle:

LEnchanteur pourrissant dans sa tombe.

Aussi nest-ce pas l un point de vue qui soit jamais compltement abstrait de notre pense, une poque o les doigts en haillons de larbre de Daphn [footnoteRef:29], quand ils se profileront sur le champ calcin par le champignon gant de notre toutepuissance, toujours prsent lheure actuelle lhorizon de notre imagination, sont l pour nous rappeler lau-del do peut se peser le point de vue de la vrit. [29: Cf. le mythe de Daphn dans Les Mtamorphoses dOvide (I, 452-567).]

Mais ce nest pas la contingence qui fait que jai ici parler devant vous des conditions du vritable, cest un incident beaucoup plus minuscule: celui qui ma mis en demeure de prendre soin de vous en tant que poigne de psychanalystes dont je vous rappelle

que de la vrit, vous nen avez certes pas revendre, mais que quand mme cest a votre salade, cest ce que vous vendez.

Il est clair que, venir vers vous, cest aprs du vrai quon court. Je lai dit lavant dernire fois que cest du vrai de vrai quon cherche.

Cest justement pour cela quil est lgitime que, concernant lidentification, je sois parti dun texte dont jai essay de vous faire sentir le caractre assez unique dans lhistoire de la philosophie pour ce que la question du vritable y tant pose de faon spcialement radicale, en tant quelle met en cause, non point ce quon trouve de vrai dans le rel, mais le statut du sujet en tant quil est charg de ly amener, ce vrai, dans le rel.

Je me suis trouv, au terme de mon dernier discours, celui de la fois dernire, aboutir ce que je vous ai indiqu comme reconnaissable dans la figure pour nous dj repre du trait unique, de leinziger Zug pour autant que cest sur lui que se concentre pour nous la fonction dindiquer la place o est suspendue dans le signifiant, o est accroche concernant le signifiant, la question de sa garantie, de sa fonction, de ce quoi a sert ce signifiant, dans lavnement de la vrit.

Cest pour cela que je ne sais pas jusquo aujourdhui je pousserai mon discours, mais il va tre tout entier tournant autour de

la fin dassurer dans vos esprits cette fonction du trait unique, cette fonction du 1 . Bien sr, cest l du mme coup mettre

en cause, cest l du mme coup faire avancer - et je pense rencontrer, de ce fait, en vous une espce dapprobation,

de cur au ventre - notre connaissance de ce que cest que ce signifiant.

Je vais commencer, parce que cela me chante, par vous faire faire un peu dcole buissonnire. Jai fait allusion lautre jour

une remarque - gentille, toute ironique quelle ft - concernant le choix de mon sujet de cette anne comme sil ntait point absolument ncessaire. Cest une occasion de mettre au point ceci - ceci qui est srement un peu connexe du reproche quelle impliquait - que lidentification a serait la clef tout faire, si elle vitait de se rfrer un rapport imaginaire qui seul en supporte lexprience, savoir: le rapport au corps.

Tout ceci est cohrent du mme reproche qui peut mtre adress dans les voies que je poursuis, de vous maintenir toujours

trop au niveau de larticulation langagire telle que prcisment je mvertue la distinguer de toute autre. De l lide que

je mconnais ce quon appelle le prverbal, que je mconnais lanimal, que je crois que lhomme en tout ceci a je ne sais quel privilge, il ny a quun pas, dautant plus vite franchi quon na pas le sentiment de le faire.

Cest - y repenser - au moment o plus que jamais cette anne je vais faire virer autour de la structure du langage tout ce que je vais vous expliquer, que je me suis retourn vers une exprience proche, immdiate, courte, sensible et sympathisante, qui est la mienne, et qui peut-tre clairera ceci: que jai moi aussi ma notion du prverbal qui sarticule lintrieur du rapport du sujet au verbe dune faon qui ne vous est peut-tre point tous apparue.

Auprs de moi - parmi lentourage de Mitsein o je me tiens comme Dasein - jai une chienne que jai nomme Justine en hommage

SADE, sans que - croyez-le bien - je nexerce sur elle aucun svice orient. Ma chienne - mon sens et sans ambigut - parle.

Ma chienne a la parole sans aucun doute. Ceci est important, car cela ne veut pas dire quelle ait totalement le langage.

La mesure dans laquelle elle a la parole sans avoir le rapport humain au langage est une question do il vaut la peine denvisager

le problme du prverbal . Quest-ce que fait ma chienne quand elle parle, mon sens ? Je dis quelle parle, pourquoi ? Elle ne parle pas tout le temps: elle parle - contrairement beaucoup dhumains - uniquement dans les moments o elle a besoin de parler.

Elle a besoin de parler dans des moments dintensit motionnelle et de rapports lautre, moi-mme, et quelques autres personnes.

La chose se manifeste par des sortes de petits couinements pharingaux. Cela ne se limite pas l.

La chose est particulirement frappante et pathtique se manifester dans un quasi-humain qui fait que jai aujourdhui lide

de vous en parler: cest une chienne boxer, et vous voyez sur ce facis quasi humain, assez nandertalien en fin de compte,

apparatre un certain frmissement de la lvre, spcialement suprieure - sous ce mufle, pour un humain un peu relev, mais enfin, il y a des types comme cela: jai eu une gardienne qui lui ressemblait normment - et ce frmissement labial, quand il lui arrivait de communiquer - la gardienne - avec moi en tels sommets intentionnels, ntait point sensiblement diffrent. Leffet de souffle sur les joues de lanimal nvoque pas moins sensiblement tout un ensemble de mcanismes de type proprement phonatoire qui, par exemple, prterait tout fait aux expriences clbres qui furent celles de labb ROUSSELOT[footnoteRef:30], fondateur de la phontique. [30: Abb J.P. Rousselot: Principes de phontique exprimentale, Didier, Paris,1923.]

Vous savez quelles sont fondamentales et consistent essentiellement faire habiter les diverses cavits dans lesquelles se produisent les vibrations phonatoires par de petits tambours, poires, instruments vibratiles qui permettent de contrler quels niveaux et quels temps viennent se superposer les lments divers qui constituent lmission dune syllabe, et plus prcisment tout ce que nous appelons le phonme, car ces travaux phontiques sont les antcdents naturels de ce qui sest ensuite dfini comme phonmatique.

Ma chienne a la parole, cest incontestable, indiscutable, non seulement de ce que les modulations qui rsultent de ses efforts proprement articuls, dcomposables, inscriptibles in loco, mais aussi des corrlations du temps o ce phnomne se produit,

savoir la cohabitation dans une pice o lexprience a dit lanimalque le groupe humain runi autour de la table doit rester longtemps, que quelques reliefs de ce qui se passe ce moment-l, savoir les agapes, doivent lui revenir. Il ne faut pas croire que

tout soit centr sur le besoin: il y a une certaine relation sans doute avec cet lment de consommation mais llment communionel

du fait quelle consomme avec les autres y est aussi prsent.

Quest-ce qui distingue cet usage, en somme trs suffisamment russi pour les rsultats quil sagit dobtenir chez ma chienne,

de la parole, dune parole humaine ? Je ne suis pas en train de vous donner des mots qui prtendent couvrir tous les rsultats

de la question, je ne donne des rponses quorientes vers ce qui doit tre pour nous ce quil sagit de reprer, savoir:

le rapport lidentification. Ce qui distingue cet animal parlant de ce qui se passe du fait que lhomme parle, est ceci, qui est

tout fait frappant concernant ma chienne, une chienne qui pourrait tre la vtre, une chienne qui na rien dextraordinaire,

cest que, contrairement ce qui se passe chez lhomme en tant quil parle, elle ne me prend jamais pour un autre.

Ceci est trs clair: cette chienne boxer de belle taille et qui, en croire ceux qui lobservent, a pour moi des sentiments damour,

se laisse aller des excs de passion envers moi dans lesquels elle prend un aspect tout fait redoutable pour les mes plus timores telles quil en existe, par exemple, tel niveau de ma descendance: il semble quon y redoute que dans les moments o elle commence me sauter dessus en couchant les oreilles et gronder dune certaine faon, le fait quelle prenne mes poignets

entre ses dents puisse passer pour une menace. Il nen est pourtant rien.

Trs vite - et cest pour cela quon dit quelle maime - quelques mots de moi font tout rentrer dans lordre, voire au bout de quelques ritrations, par larrt du jeu. Cest quelle sait trs bien que cest moi qui suis l, elle ne me prend jamais pour un autre, contrairement ce que toute votre exprience est l pour tmoigner de ce qui se passe, dans la mesure o dans lexprience analytique vous vous mettez dans les conditions davoir un sujet pur parlant, si je puis mexprimer ainsi, comme on dit

un pt pur porc. Le sujet pur parlant comme tel - cest la naissance mme de notre exprience - est amen, du fait de rester pur parlant vous prendre toujours pour un autre.

Sil y a quelque lment de progrs dans les voies o jessaie de vous mener, cest de vous montrer qu vous prendre pour un autre,

le sujet vous met au niveau de lAutre, avec un grand A. Cest justement cela qui manque ma chienne: il ny a pour elle que le petit autre. Pour le grand Autre, il ne semble pas que son rapport au langage lui en donne laccs.

Pourquoi, puisquelle parle, narriverait-elle point comme nous constituer ces articulations dune faon telle que le lieu,

pour elle comme pour nous, se dveloppe de cet Autre o se situe la chane signifiante ? Dbarrassons-nous du problme en disant que cest son odorat qui len empche. Et nous ne ferons que retrouver l une indication classique, savoir que la rgression organique chez lhomme de lodorat est pour beaucoup dans son accs cette dimension Autre.

Je suis bien au regret davoir lair, avec cette rfrence, de rtablir la coupure entre lespce canine et lespce humaine.

Ceci pour vous signifier que vous auriez tout fait tort de croire que le privilge par moi donn au langage participe de quelque orgueil cacher cette sorte de prjug qui ferait de lhomme, justement, quelque sommet de ltre.

Je temprerai cette coupure en vous disant que sil manque ma chienne cette sorte de possibilit - non dgage comme autonome avant lexistence de lanalyse - qui sappelle la capacit de transfert, cela ne veut pas du tout dire que a rduise avec son partenaire, je veux dire avec moi-mme, le champ pathtique de ce quau sens courant du terme jappelle justement les relations humaines.

Il est manifeste, dans la conduite de ma chienne, concernant prcisment le reflux sur son propre tre des effets de confort,

des positions de prestige, quune grande part disons-le, pour ne pas dire la totalit, du registre de ce qui fait le plaisir

de ma propre relation, par exemple avec une femme du monde, est l tout fait au complet.

Je veux dire que quand elle occupe une place privilgie comme celle qui consiste tre grimpe sur ce que jappelle ma couche,

autrement dit le lit matrimonial, la sorte dil dont elle me fixe en cette occasion, suspendue entre la gloire doccuper une place dont elle repre parfaitement la signification privilgie et la crainte du geste imminent qui va len faire dguerpir, nest point

une dimension diffrente de ce qui pointe dans lil de ce que jai appel par pure dmagogie la femme du monde: car si elle na pas, en ce qui concerne ce quon appelle le plaisir de la conversation, un spcial privilge, cest bien le mme il quelle a, quand aprs stre aventure dans un dithyrambe sur tel film qui lui parait le fin du fin de lavnement technique, elle sent sur elle suspendue de ma part la dclaration que je my suis emmerd jusqu la garde, ce qui du point de vue du nihil mirari [footnoteRef:31], [31: Nihil mirari, nihil lacrimari, sed intelligere (Spinoza). La formule signifiait, chez les Stociens, l'acquiescement la rationalit du monde et l'absence de passions.]

qui est la loi de la bonne socit, fait dj surgir en elle cette suspicion quelle aurait mieux fait de me laisser parler le premier.

Ceci pour temprer, ou plus exactement pour rtablir le sens de la question que je pose concernant les rapports de la parole au langage, est destin introduire ce que je vais essayer de dgager pour vous concernant ce qui spcifie un langage comme tel,

la langue comme on dit, pour autant que si cest le privilge de lhomme, a nest pas tout de suite tout fait clair pourquoi

cela y reste confin. Ceci vaut dtre pel, cest le cas de le dire. Jai parl de la langue.

Par exemple, il nest pas indiffrent de noter, du moins pour ceux qui nont pas entendu parler de ROUSSELOT ici pour la premire fois, cest tout de mme bien ncessaire que vous sachiez au moins comment cest fait, les rflexes de ROUSSELOT,

je me permets de voir tout de suite limportance de ceci, qui a t absent dans mon explication de tout lheure concernant

ma chienne, cest que jai parl de quelque chose de pharyngal, de glottal, et puis de quelque chose qui frmissait tout, par-ci par-l,

et donc qui est enregistrable en termes de pression, de tension, mais je nai point parl deffets de langue. Il ny a rien qui fasse

un claquement par exemple, et encore bien moins qui fasse une occlusion: il y a flottement, frmissement, souffle,

il y a toutes sortes de choses qui sen approchent, mais il ny a pas docclusion. Je ne veux pas aujourdhui trop mtendre,

cela va reculer les choses concernant l1. Tant pis, il faut prendre le temps dexpliquer les choses.

Si je le souligne au passage, dites-vous le bien que ce nest pas pour le plaisir, cest parce que nous en retrouverons - et nous ne pourrons le faire que bien aprs coup - le sens. Ce nest peuttre pas un pilier essentiel de notre explication, mais cela prendra

en tout cas bien son sens un moment, ce temps de locclusion, et les tracs de ROUSSELOT, que peut-tre vous aurez consults dans lintervalle de votre ct - ce qui me permettra dabrger mon explication - seront peut-tre l particulirement parlants.

Pour bien imager ds maintenant pour vous ce que cest que cette occlusion, je vais vous en donner un exemple. Le phonticien touche dun seul pas - et ce nest pas sans raison vous allez le voir - le phonme pa et le phonme ap, ce qui lui permet

de poser les principes de lopposition de limplosion ap lexplosion pa, et de nous montrer que la consonance du p

est - comme dans le cas de votre fille - dtre muette. Le sens du p est entre cette implosion et cette explosion. Le p sentend prcisment de ne point sentendre, et ce temps muet au milieu, retenez la formule, est quelque chose qui, au seul niveau phontique de la parole, est comme qui dirait une sorte dannonce dun certain point o, vous verrez, je vous mnerai aprs quelques dtours. Je profite simplement du passage par ma chienne pour vous le signaler au passage, et pour vous faire remarquer en mme temps que cette absence des occlusives dans la parole de ma chienne est justement ce quelle a de commun avec une activit parlante que vous connaissez bien et qui sappelle le chant.

Sil arrive si souvent que vous ne compreniez pas ce que jaspine la chanteuse, cest justement parce quon ne peut pas chanter

les occlusives, et jespre aussi que vous serez contents de retomber sur vos pieds et de penser que tout sarrange,

puisquen somme ma chienne chante, ce qui la fait rentrer dans le concert des animaux. Il y en a bien dautres qui chantent

et la question nest pas toujours dmontre de savoir sils ont pour autant un langage, de ceci on en parle depuis toujours.

Le chaman, dont jai la figure sur un trs beau petit oiseau gris fabriqu par les KWAKIUTL de la Colombie britannique,

porte sur son dos une sorte dimage humaine qui communique dune langue qui le relie avec une grenouille.

La grenouille est cense lui communiquer le langage des animaux.

Ce nest pas la peine de faire tellement dethnographie puisque, comme vous le savez, Saint FRANOIS leur parlait, aux animaux.

Ce nest pas un personnage mythique, il vivait dans une poque formidablement claire d