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M. Maurice Blondel et le problème de l'intelligence Autor(en): Reymond, Marcel Objekttyp: Article Zeitschrift: Revue de théologie et de philosophie Band (Jahr): 19 (1931) Heft 81 Persistenter Link: http://dx.doi.org/10.5169/seals-380206 PDF erstellt am: 20.03.2015 Nutzungsbedingungen Mit dem Zugriff auf den vorliegenden Inhalt gelten die Nutzungsbedingungen als akzeptiert. Die ETH-Bibliothek ist Anbieterin der digitalisierten Zeitschriften. Sie besitzt keine Urheberrechte an den Inhalten der Zeitschriften. Die Rechte liegen in der Regel bei den Herausgebern. Die angebotenen Dokumente stehen für nicht-kommerzielle Zwecke in Lehre und Forschung sowie für die private Nutzung frei zur Verfügung. Einzelne Dateien oder Ausdrucke aus diesem Angebot können zusammen mit diesen Nutzungshinweisen und unter deren Einhaltung weitergegeben werden. Das Veröffentlichen von Bildern in Print- und Online-Publikationen ist nur mit vorheriger Genehmigung der Rechteinhaber erlaubt. Die Speicherung von Teilen des elektronischen Angebots auf anderen Servern bedarf ebenfalls des schriftlichen Einverständnisses der Rechteinhaber. Haftungsausschluss Alle Angaben erfolgen ohne Gewähr für Vollständigkeit oder Richtigkeit. Es wird keine Haftung übernommen für Schäden durch die Verwendung von Informationen aus diesem Online-Angebot oder durch das Fehlen von Informationen. Dies gilt auch für Inhalte Dritter, die über dieses Angebot zugänglich sind. Ein Dienst der ETH-Bibliothek ETH Zürich, Rämistrasse 101, 8092 Zürich, Schweiz, www.library.ethz.ch http://retro.seals.ch

M. Maurice Blondel et le problème de l'intelligence

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M. Maurice Blondel et le problème de l'intelligence

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  • M. Maurice Blondel et le problme del'intelligence

    Autor(en): Reymond, Marcel

    Objekttyp: Article

    Zeitschrift: Revue de thologie et de philosophie

    Band (Jahr): 19 (1931)

    Heft 81

    Persistenter Link: http://dx.doi.org/10.5169/seals-380206

    PDF erstellt am: 20.03.2015

    NutzungsbedingungenMit dem Zugriff auf den vorliegenden Inhalt gelten die Nutzungsbedingungen als akzeptiert.Die ETH-Bibliothek ist Anbieterin der digitalisierten Zeitschriften. Sie besitzt keine Urheberrechte anden Inhalten der Zeitschriften. Die Rechte liegen in der Regel bei den Herausgebern.Die angebotenen Dokumente stehen fr nicht-kommerzielle Zwecke in Lehre und Forschung sowie frdie private Nutzung frei zur Verfgung. Einzelne Dateien oder Ausdrucke aus diesem Angebot knnenzusammen mit diesen Nutzungshinweisen und unter deren Einhaltung weitergegeben werden.Das Verffentlichen von Bildern in Print- und Online-Publikationen ist nur mit vorheriger Genehmigungder Rechteinhaber erlaubt. Die Speicherung von Teilen des elektronischen Angebots auf anderenServern bedarf ebenfalls des schriftlichen Einverstndnisses der Rechteinhaber.

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    http://dx.doi.org/10.5169/seals-380206

  • M. MAURICE BLONDELET LE PROBLME DE L'INTELLIGENCE*

    Ce n'est pas la philosophie tout entire de M. Blondel que me jepropose d'examiner, mais seulement la thorie de la connaissance quien constitue, il est vrai, l'introduction. Nous la trouvons formuledans L'Action, dans divers articles comme L'illusion idaliste1-1^, etsurtout dans Le procs de l'intelligence^.

    Un mot a connu en ces dernires annes , crivait nagureM. Paul Archambault W, une trange fortune qu'on aurait pucroire bien mal prpar et qui, avant d'apparatre clatant commeun drapeau, avait longtemps sembl austre et rebutant commeun titre de chapitre de manuel : l'Intelligence. Non pas, remarquez-le, les mots de Pense ou d'Esprit, non pas mme le mot de Raison,charg par le XVIIIe sicle de trop d' affinits lectives . Mais lemot prcis, technique, sec, troit, d'Intelligence. Oui, l'intelligence,la vieille facult aristotlicienne et aussi la facult kantienne descatgories, est charge nouveau de toutes ses antiques besognes.

    Un retour un certain intellectualisme, dans lequel la connaissance intellectuelle serait plus judicieusement analyse et o la

    porte respective de la raison discursive et de l'intuition serait biendlimite, telle parat tre l'orientation de la pense philosophique,

    * Etude ptsente en dcembre 1929 au Colloque de philosophie des Etudes deLettres, puis, avec diverses modifications au groupe vaudois de la Socit romandeie philosophie, en janvier 1931.

    (1) Revue de mtaphysique et de morale, novembre 1898, p. 726 745. (2) Article d'une centaine de pages paru dans le recueil d'tudes que, sous ce titremme, les Cahiers de la Nouvelle Journe ont publi en 1922. (3) L'intelligenceet l'intellectualisme, dans le Procs ie l'intelligence, p. 1 31.

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    en France notamment W ; l'opposition abrupte de l'intelligence etde l'intuition que M. Bergson tablit dans L'volution cratrice nerpond pas la ralit, car les donnes de l'intuition sont immdiatement intellectualises par l'esprit. M. Le Roy lui-mme, dans Lapense intuitive (I, 183), renonce cette opposition et montre quel'intuition est pense. Il est superflu, enfin, de rappeler longuementcomment le problme de la connaissance a t repos rcemment pardes pistmologues comme M. L. Brunschvicg, M. Lalande ou M. Me

    yerson.M. Maurice Blondel traite son tour le problme ; on sait comment

    sa thse sur L'Action use habilement de la mthode immanentiste

    pour condamner la doctrine de l'immanence, comment elle part del'idalisme subjectif pour fonder (lgitimement ou non, il n'importeici) un ralisme intgral. Or, dans l'tude cite, le Procs de l'intelli

    gence, M. Blondel reprend et prcise ses dclarations antrieures surla question.

    Intelligence signifie d'abord, en son acception la plus rudimentaire,puissance d'adaptation, empirisme lucide, empirisme organisateur , propos de quoi M. Blondel montre ce qu'a d'insuffisant lapense de ceux qui, comme Ch. Maurras, rduisent l'intelligence

    l'organisation du temporel.La philosophie aristotlicienne fait consister l'intelligence dans la

    dcouverte du substratum commun x faits particuliers, ou, selonles termes consacrs, des genres dans lesquels sont incluses les diverses

    espces. L'intelligence est essentiellement une puissance d'abstraction ; elle tire des donnes singulires de la sensation le conceptdfini, le type universel. Cette dfinition ne satisfait pas M. Blondel,car, pour lui, l'objet de la connaissance est, non un ensemble d'abstractions, mais l'tre, dont le fond est singulier et concret

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    qui les relient d'autres ides ou d'autres choses, les rapports aussiqui relient entre eux leurs divers lments. Aux yeux de M. Blondel,on ne peut dfinir srement des rapports entre des choses que Ponne connat pas encore dans leur singularit, dans leur originalitradicale. Cette conception relationiste de l'intelligence supposequ'on se reprsente le rel comme un ensemble d'atomes, d'lmentsisolables juxtaposs partes extra partes. Or, cette division n'est pasdans les choses ; elle est l'uvre de l'esprit, qui ne domine le relqu'en le morcelant, selon l'expression de M. Bergson.

    L'intelligence , dit M. Blondel (Procs, p. 236), apparat commeune puissance d'intuition possdante... son objet propre et essentiel, c'est la fois l'tre mme, en ce qu'il a de singulier et d'unique,res ipsissima, individuum ineffabile, et la solidarit organique etune qui dfie toute analyse et toute synthse factices. Comprenonsdonc bien l'incommensurabilit de la connaissance notionnelle et de laconnaissance relle : par la premire, nous nous fabriquons un mondede reprsentations, comme en une cage de verre dpoli o nous nesommes en contact qu'avec des produits de l'industrie... par laconnaissance relle, ce que nous cherchons, ce ne sont pas des reprsentations, des images, des symboles, des spcimens, des phnomnes,c'est la vive prsence, l'action effective, l'intussusception, l'unionassimilatrice, la ralit. Et c'est cela que, pour tre pleinementelle-mme, l'intelligence aspire.

    Dans L'itinraire philosophique de Maurice Blondel^ nous trouvons la pense de notre auteur exprime sous une forme plus imprieuse encore (p. 201) : Oui ou non, la connaissance par abstraction

    puise-t-elle ce qui est connatre, ce qui est connaissable, ce qui est,ce qu'il y a d'essentiel et de substantiel dans les ralits subsistantesOui ou non, puise-t-elle notre pouvoir de connaissance intelligente,de spculation raisonnable, de certitude et de dterminations objectives Non et non : les raisons que la raison ignore sont encoredes raisons .

    Cela ne signifie pas que la connaissance notionnelle soit vaine.Mais elle se rattache la connaissance relle qui, selon M. Blondel, enest la condition secrte et dont elle rend possible l'avnement. Rser

    vant la discussion de ces vues plus tard, passons l'analyse desmthodes de la connaissance relle.

    (*) Propos recueillis et publis par Frdric Lefvre (1928).

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    Dsireux d'viter les deux extrmes la connaissance rive aumonde des phnomnes, selon Kant, et l'intuition mtaphysiqueoppose l'intelligence, selon M. Bergson , M. Blondel esquisse ladialectique de la connaissance relle, laquelle comporte une mthode prcise et une clart propre (p. 248). Cette connaissancerelle, au reste, a dj t dcrite par saint Augustin, par Pascal,

    par Newman. Jouant sur la difficult, M. Blondel se sert, pour lacaractriser, des expressions mmes de saint Thomas.

    La connaissance relle est concrte, synthtique, elle se fonde surla disposition mme du sujet qui juge autant que sur l'intime naturede l'objet affirm et apprhend (Procs, p. 254). Elle apprhendel'objet dans son originalit irrductible, dans sa singularit ; il nes'agit pas de vrits universelles et communes ; il s'agit de connaissances particulires, concrtes et distinctes... d'une initiation progressive qui requiert des dmarches raisonnables, des justificationsdcisives, des preuves originales et accessibles tous, des lumiresindfiniment croissantes et aussi claires que chaudes .

    La connaissance relle est une connaissance par affinit, selon la prcieuse vrit nonce par saint Thomas et dont M. Blondelfait la dfinition mme du principe d'immanence W : Nihil potestordinari in finem aliquem, nisi prceexistat in ipso queedam proportioad finem (De veritate, quaest. disp. XIV, art. 2).

    Elle est connaissance par inclination, elle s'avance vers l'objet,elle s'offre lui (contingit aliquem judicare uno modo per moduminclinationis ; sicut qui habet virtutis habitum, recte judicat de his qucesunt secundum virtutem agenda (1,1, a. 6, ad. 3).

    Elle est participation (cf. la ji9e?t de Platon) l'objet dans saplnitude ; par compassion, elle nous rend coextensifs l'action et l'tre d'autrui ; elle est une coopration.

    Une telle connaissance est insparable de l'action ; on sait le rle

    que lui attribue M. Blondel

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    comme le pragmatisme, celui d'instinct, d'impulsion aveugle, d'lanvital, mais achvement, actualisation de toutes les puissances (Itinraire, p. 93). L'action est la condition de la connaissance relle,l'organe ducable et l'instrument de prcision mthodiquement appropri l'uvre de l'intelligence raliste. (Procs, p. 265)

    La connaissance relle est une connaissance par connaturante (cf.saint Thomas II-11, 45, 2), par amour (p. 271). Mais, dira-t-on, c'est

    passer sur le plan affectif, et mettre en cause, pour le croyant, lagrce divine. M. Blondel ne l'entend pas autrement : La vie parfaitede l'intelligence ne saurait tre finalement que don, grce, rvlationd'un mystre naturellement inaccessible (p. 273). C'est quoi tendent tous les efforts de l'intelligence, du plus humble au plus lev.Il y a solidarit profonde et interdpendance entre les stades del'intelligence. Les formes infrieures de celles-ci ne sont possibles quepar la prsence de ses virtualits suprieures ; rciproquement, lafonction suprme de l'intelligence prsuppose l'exercice des fonctions subalternes. Ainsi se trouve sauvegarde l'unit de l'esprit.Une fois les prtentions ontologiques de la connaissance notionnellecartes, il s'agit d'entrevoir l'unit, l'insparabilit de ces deux aspects de l'intelligence.

    M. Blondel se dfend de reprendre la vieille question de la pluralitdes formes substantielles. Il entend, au contraire, refaire la synthsede l'intelligence, quilibrer la pense discursive avec l'intuition (p. 278). Le discours et l'intuition sont solidaires.

    Si l'intellectualisme a le tort de s'en tenir la seule spculation, une vue froide et conceptuelle du rel, la philosophie bergsoniennedprcie indment l'intelligence, qu'elle s'obstine envisager sous saforme infrieure : la connaissance de la matire inerte et discontinue ;l'intuition que prconise M. Bergson est d'ailleurs, selon M. Blondel, bien prcaire et bien relative, puisqu' la limite de sa perfectionune telle connaissance s'absorberait en son objet, dans la perte detoute conscience personnelle (p. 288).

    Si la philosophie de notre auteur condamne le positivisme etl'idalisme, elle se spare tout autant du bergsonisme, auquel on l'aparfois, bien tort, apparente W. Les proccupations des deux philosophes sont fort diffrentes : religieuses et morales chez M. Blondel,

    (') Cf. D. Parodi, La philosophie contemporaine en France, p. 303. Voir aussi : Itinraire, p. 47 s., comme quoi il n'y a pas parler d'une influence de Bergson surBlondel.

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    scientifiques , cognitives chez M. Bergson, dsireux de voir le rel comme il est et non au travers d'habitudes mentales ou de formes d'intelligence nes de la pratique. Leurs consquences sont de mme,divergentes : l'augustinisme de M. Blondel mne une apologtiqued'orientation catholique, l'exprimentalisme de M. Bergson abou

    tirait, logiquement, une morale de la force ou du sentiment.

    Si les termes dont se sert M. Blondel lui sont propres, le problmeest bien l'ordre du jour parmi les philosophes. Voyez l'ouvragercent de M. Le Roy sur la Pense intuitive, commentaire et miseau point des crits de M. Bergson sur la question, surtout dans les cha

    pitres III et IV du tome I : Le retour l'immdiat et L'acte d'intuition.Aprs avoir tabli que l'immdiatement donn n'est pas de l'indi

    viduel, M. Le Roy montre que l'immdiat vritable est ncessairementincontestable, car le tenir pour relatif la structure de notre espritimplique une dpendance de l'immdiat par rapport une ralitantrieure et inconnaissable. Or nous ne pouvons dfinir la relationde cette ralit notre conscience pour porter un jugement ngatifsur l'immdiat. L'immdiat vritable ne peut tre que le termeinitial, en droit du moins, car l'immdiat, entendu comme l'irrductible, est en fait un point d'arrive W ; il doit tre retrouv,comme le cogito cartsien.

    L'immdiat, dit-il, peut tre aussi bien de l'ordre de l'intelligibleque de celui du sensible ; il est essentiellement indfinissable, maison ne peut l'liminer ; il domine tous les systmes d'expression ; ilest apprhend par l'intuition. La pense intuitive est une penseimmdiate et une pense de l'immdiat ; elle donne une ralit indubitable et une vrit immdiate. Sans doute, une vrification s'im-pose-t-elle ; mais elle ne vient pas confrer du dehors l'intuitionune vrit dont celle-ci serait dpourvue (cf. p. 178).

    La phnomnologie allemande est aussi un retour aux donnesimmdiates de la conscience . Son inititateur, Husserl, la dfinit unedescription pure du vcu (reiner Erlebnisstrom) ; elle apparat comme

    (') A l'immdiat au sens mtaphysique et non chronologique (cf. Le Roy, op. cit.,p. 107 ; R. Berthelot, Un romantisme utilitaire. II. Le pragmatisme chez Bergson,p. 209 s.) s'applique la parole d'Aristote T o"X

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    un positivisme des essences extra-temporelles , un appel la des

    cription, rien qu' la description des donnes irrductibles et isolesde l'intuition pure , selon les termes de son rcent historien M. Gur-vitch. Et c'est la mthode phnomnologique qui a montr MaxScheler l'existence, ct de l'intuition intellectuelle, d'une intuition motionnelle, laquelle conduit faire place, dans l'intemporel, ct des essences logiques aux essences alogiques et irrationnelles,aux valeurs qui chappent toute dfinition, en vertu de leur singularit, et ne peuvent tre que vcues. Dans ses tudes sur la sympathie (l), Scheler a repris et illustr les remarques de Pascal sur P ordredu cur . M. Blondel, lui aussi, s'appuie sur Pascal, ainsi que sursaint Augustin et sur Newman.

    Rappelons brivement, avant d'apporter nos remarques personnelles, la critique que le P. de Tonqudec dans Immanence, puisM. Jacques Maritain dans les Rflexions sur l'intelligence et sur savie propre ont faite de la thorie blondlienne de la connaissance ; le

    point de vue thomiste des deux critiques rend leurs observationsd'autant plus intressantes.

    Dans son ouvrage d'une vigoureuse dialectique le P. de Tonqudec examine les divers aspects de la pense de M. Blondel. Je ne retiensici que ce qu'il dit, sur la base des premiers ouvrages de notre philosophe, de sa thorie de la connaissance.

    D'une part, M. Blondel dforme la notion de concept et la connaissance rflchie, en attribuant aux intellectualistes l'affirmation selonlaquelle le concret pourrait tre connu par la seule pense conceptuelle, par la seule dialectique. Depuis le positivisme, en effet, nulne prtend qu'une ide puisse galer le rel qu'elle exprime.

    D'autre part, il place au-dessus de la connaissance intellectuelleune connaissance directe, vivante, o la notion de vrit perd sasignification ; elle devient, en effet, la cohrence totale de la vie.Elle est bien encore un rapport, mais, outre que ce rapport n'estjamais ralis, il n'existe pas entre connaissance et ralit. L'quation qui tend sans cesse s'tablir est celle des virtualits intrieureset de leurs ralisations (p. 90).

    Quant M. Maritain, il reprend, contre M. Blondel, le procssculaire du thomisme contre l'augustinisme. Il maintient une dis-

    (') Wesen und Formen der Sympathie (1923), trad, franc, de M. Lefebvre dans lacollection Payot : Nature et formes de la sympathie (1929).

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    continuit, un hiatus entre la raison et la rvlation, entre la penserflchie et la connaissance par affinit, par amour, qui relve de lagrce, donc du surnaturel. En effet, si la connaissance par conceptstait finalement dpendante de la connaissance par grce, commentexpliquer la valeur de l'uvre d'Aristote, par exemple

    Du point de vue thomiste, la connaissance notionnelle est la connaissance relle. Sous prtexte d'assurer l'intgralit et la cohsionde la vie de l'intelligence, dit notre critique, on brouille tous lesobjets formels. On concerte entre elles avec soin des expressionsempruntes saint Thomas, et l'on blesse saint Thomas la prunelle de l'il, en supprimant les distinctions essentielles par lesquellesil assure la fois et la surnaturalit de la sagesse des saints, et lavraie nature de l'intelligence humaine, et la valeur de la connaissance intellectuelle. On fait en ralit de la contemplation mystiquele terme suprme auquel l'effort philosophique est ordonn, et Ponrefuse toute valeur vritablement relle et raliste la connaissance

    tant qu'elle n'est pas parvenue encore ce terme. (p. 103)

    La thorie de la connaissance est l'introduction naturelle l'ontologie ; mais comment examiner le problme de la connaissance sil'on n'a aucune ide de l'tre Rciproquement, comment mditersur l'tre sans se soucier de la connaissance que nous en pouvonsacqurir et de ses mthodes La thorie de la connaissance et l'ontologie se fondent donc rciproquement ; rien d'tonnant par cons

    quent ce que, dj dans la thorie blondlienne de la connaissance,nous trouvions une attitude trs nette devant le problme de l'tre.

    Car pourquoi M. Blondel souligne-t-il l'insuffisance du concept, del'activit rflchie de l'esprit D'o vient son anti-intellectualismeDe sa thorie de l'tre, de son organicisme, d'aprs lequel tout tient tout, tout dpend de tout. Or, cette interdpendance universelle rendncessairement dficiente toute vue fragmentaire du donn, et par lmme insuffisant tout concept dtermin.

    Tout est interdpendant : M. Blondel donne ce principe un senst rs prcis W ; il n'y a rien au-dessous ou au del du phnomne ;ce n'est donc pas par un noumne sous-jacent que cette interdpen-

    (') Voir P. Archambault, Vers un ralisme intgral. L'uvre philosophique deMaurice Blondel, 12e Cahier de la Nouvelle Journe (1928).

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    dance est assure, mais par le sujet connaissant, envisag commesujet d'inhrence.

    De l la critique que fait M. Blondel de l'extrinscisme, consistant envisager la ralit par pices isoles, d'o l'on tire des vritsfragmentaires qu'on juxtapose les unes aux autres. De l son apologie de la connaissance dite relle , par affinit, en ce qu'elle nemorcelle pas le rel comme la connaissance notionnelle.

    De ce point de vue, il est clair que tout intellectualisme visant superposer au rel un rseau de relations notionnelles n'est pas satisfaisant.

    Pour cette mme raison, M. Blondel affirme une continuit entreles diverses formes de la connaissance, entre la connaissance notionnelle et la connaissance relle.

    Tout est donc suspendu au principe de l'interdpendance, l'or-ganicisme, dont le principe d'unit est le sujet connaissant. Toutdonn est sans doute relatif un esprit qui le pense, mais la critiqueblondlienne de la connaissance fragmentaire ne porterait que s'il yavait interdpendance rigoureuse entre les seuls phnomnes, enl'absence de tout sujet. Comme tel n'est le cas, ni en fait, ni dansla pense de M. Blondel, la connaissance d'un ensemble limit defaits n'est pas ncessairement vicie parce que l'attention se portesur cet ensemble exclusivement.

    En fait, toute connaissance, la connaissance philosophique comprise, est limite ; une connaissance totale est une limite qui se dplaceincessamment. A priori dj, le principe de l'interdpendance universelle revient nier la possibilit mme d'une connaissance rflchie, il mne au scepticisme ; en fait, il est indfendable ; il y a desinterdpendances, non une interdpendance absolue entre tous leslments du donn. Sans doute, plus le champ de la connaissances'tend, plus les rsultats de la connaissance partielle doivent-ilstre mis au point, harmoniss entre eux ; mais ils ne doivent pasncessairement tre abandonns ou modifis entirement.

    Les vues de M. Blondel sur la solidarit de la connaissance rflchieet de la connaissance mystique apparaissent donc comme non fondes

    en fait. Sur ce point, je suis d'accord avec M. Maritain. La connaissance dite relle est une connaissance sui generis, non indispensable l'exercice normal de l'intelligence commune. La question desavoir si cette connaissance est surnaturelle sort de mon propos ;car il faudrait, au pralable, rsoudre une foule de problmes ressor-

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    tissant l'epistemologie et la mtaphysique. Quoi qu'il en soit, ily a discontinuit entre la connaissance philosophique et la connaissance mystique.

    La connaissance philosophique ne diffre pas radicalement de laconnaissance scientifique, puisque celle-ci reconnat, ct des vritsde faits, des vrits de raison. Celles-ci portent sur un devoir tredont la connaissance suppose celle de l'tre.

    Qu'est-ce ensuite que le concept Loin d'tre un cran qui masquerait le donn l'esprit, il apparat comme un rceptacle d'intuitions, comme une forme labore par l'esprit nous permettant de

    grouper nos intuitions, de les manier plus facilement.D'ailleurs, une critique plus grave peut tre faite M. Blondel :

    la connaissance rationnelle repose non sur le concept mais sur le

    jugement ; elle possde ainsi un dynamisme, une souplesse queM. Blondel oublie tout fait dans sa critique, o il en reste la conception aristotlicienne de l'intelligence. Sans doute pas de jugementsans concepts ; mais l'acte de l'esprit est le jugement. Le jugementporte sur des intuitions, mieux : l'intuition renferme implicitementun jugement ; il n'est pas d'intuition sans la prsence de la penseque la rflexion vient dployer. Il y a donc une double erreur attendre de l'intuition, comme M. Le Roy, un savoir absolumentvrai , car, d'une part, il convient de laisser de ct l'adverbe absolument , de l'autre, une intuition ne donne un savoir authentiqueque par le jugement qu'elle contient ; mais alors, c'est de penserflchie autant que de pense intuitive qu'il s'agit. On voit combienpeu est justifie l'abrupte opposition que statue M. Blondel entreces deux modes de connaissance.

    L'intuition porte sur l'intelligible et sur le sensible ; l'intuition intellectuelle, dont le cogito de Descartes reste le modle et l'idal,l'intuition d'un rapport fonctionnel est aussi relle que l'intuitionsensible, seule dcrite dans la Critique de la raison pure. Entre le

    concept et l'intuition, la diffrence est celle de la connaissance mdiateet de la connaissance immdiate.

    On accorde volontiers que la pense est prsente dans l'intuitionintellectuelle ; il en va de mme, en dpit des apparences, dans l'intuition sensible. Comme le remarque M. A. Spaier(l), les impressionssensibles requirent encore logiquement le jugement et l'impliquent

    () Quelques aspects ie l'idalisme, dans la Revue des cours et confrences du15 dcembre 1930, p. 24.

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    en fait. Car la conscience n'est pas une scne sur laquelle viendraientvoluer des personnages indpendants d'elle et passivement supports

    par elle. Avoir conscience n'est pas soutenir des donnes mentales,comme un plateau, ou les contenir, comme un vase : c'est constaterquelque chose, c'est--dire porter un jugement existentiel. Une conscience sans jugements existentiels est une conscience endormie, etl'veil d'une conscience consiste en jugements existentiels .

    L'analyse peut bien distinguer entre la sensibilit, l'intuition et lejugement, ceux-ci n'en sont pas moins associs dans l'acte d'intuition. D'ailleurs, le problme subsiste : comment accorder l'intuitionune valeur de vrit en l'absence du jugement, donc de la penserflchie

    L'intuition, avons-nous dit, est connaissance immdiate. Le contenu de celle-ci peut-il tre transpos en connaissance mdiate ou conceptuelle Oui, lorsque le contenu de la connaissance immdiate estd'ordre sensible ou intelligible. Mais il est, comme Pa montr MaxScheler, des contenus qui n'ont pas de significations intellectuellesdirectes et que, nanmoins, chacun apprhende immdiatement.Tels sont l'agrable et le dsagrable, le beau et le laid, le bien et lemal. Ces qualits irrductibles ou valeurs sont apprhendes par uneforme sui generis de l'intuition, l'intuition motionnelle, laquelle nepeut aucunement tre ramene une forme dgrade de l'intuitionintellectuelle. Ces valeurs sont singulires, elles excluent la possibilitd'une gnralit, elles peuvent tre vcues, mais le discours ne peutles dfinir, ni les exprimer ; il ne peut que les suggrer celui quiles a dj vcues.

    On voit combien M. Blondel tend arbitrairement le champ del'intelligence en l'identifiant l'intuition, et sans distinguer les diverses formes d'intuition, l'intuition sensible et l'intuition intellectuellerentrant seules dans le domaine de l'intelligence. Aussi la thorie deM. Blondel, sympathique pourtant dans son aspiration la connaissance totale, ne reprsente-t-elle pas l'activit de l'esprit dans sarationalit.

    M- Blondel se rclame de saint Augustin, de Pascal et de son ordre du cur ; pourtant celui-ci a crit : Personne n'ignorequ'il y a deux entres par o les opinions sont reues dans l'me :l'entendement et la volont. La plus naturelle est celle de l'entende

    ment, car on ne devrait jamais consentir qu'aux vrits dmontres;mais la plus ordinaire, quoique contre la nature, est celle de la

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    volont car tout ce qu'il y a d'hommes sont presque toujoursemports croire non pas par la preuve, mais par l'agrment. Cettevoie est basse, indigne et trangre... (De l'esprit gomtrique)

    Le style chaud, affectif, allusif de M. Blondel voque plus de choses

    que sa pense n'en treint, d'autant plus que les exemples sont raresdans l'expos de cette philosophie qui entend tre concrte avanttout. Comme l'augustinisme M, dont l'esprit a t remarquablementcaractris par M. Gilson la fin de son Introduction l'tude desaint Augustin, pour dfinir un point quelconque de sa doctrine,il lui faut absolument l'exposer tout entire (p. 294). Avec saintAugustin, M. Blondel proclame l'insuffisance d'une philosophie quiprtendrait, par un effort purement spculatif, rsoudre les nigmes

    que posent l'homme et l'univers. Sa philosophie est un intgrisme ;chacune de ses thses touche au centre mme de la doctrine. Celle-ci pourrait tre figure par une circonfrence, alors que des doctrinesplus purement rationnelles dans l'intention de leur auteur, dumoins comme le thomisme, font penser une chane d'anneaux, une succession unilinaire.

    Le dfaut de la philosophie de M. Blondel, telle que nous venonsde l'exposer, nous parat rsider dans son coefficient d'affectivit et,pour tout dire, dans sa subjectivit. Certes, nous ne faisons pas fi desbesoins profonds et permanents de l'me humaine, mais, en matirede connaissance, le moi trop prsent peut induire en erreur le .philosophe comme le savant. Mme dans l'examen de problmes qui,directement ou indirectement, engagent notre destine, il convienttout d'abord de pratiquer l'objectivit et le dsintressement.

    Le problme de l'intelligence, en particulier, demande tre prismoins en gros, moins en bloc. Le philosophe doit, la lumire de

    son exprience et de la connaissance scientifique, trop laisse dansl'ombre par M. Blondel, dcrire objectivement les conditions inluctables dans lesquelles, en fait, nous pensons. Pour cette tche,une exprience strictement personnelle ne saurait suffire ; commeles travaux de M. Brunschvicg sur la philosophie des mathmatiqueset des sciences exprimentales le montrent, il faut s'adresser l'histoire, c'est--dire l'exprience collective de l'humanit. Sansdoute, il faut dpasser l'histoire, et indiquer, comme l'a fait M. La-

    (') Cf. l'article de M. Blondel sur saint Augustin dans le 17e Cahier de la NouvelleJourne, 1930.

  • 332 MARCEL REYMOND

    lande, en quel sens, dans quelle direction s'oriente la pense rationnelle ; car seule la connaissance de cette direction nous permet demarcher dans le sens de la vraie rationalit.

    La vraie manire d'tudier le problme, je la trouve donc dansles ouvrages des deux philosophes que je viens de citer, comme aussidans ceux de M. Meyerson, de M. Spaier, et, chez nous, entre autres,dans L'ide de la raison, de M. Jean de la Harpe. C'est par une analyseminutieuse de la pense l'uvre dans les diverses sciences, dans lamorale et dans la philosophie, qu'on pourra, par approximationssuccessives, serrer de plus prs le problme.

    Marcel REYMOND.

    M. Maurice Blondel et le problme de l'intelligence