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Réplique du second siècle après Jésus-Christ d'un buste de Diogène que l'on date du premier siècle avant notre ère. L’identification n'est cependant pas absolument certaine. Voir Jiri Frel, Greek Portraits in the J. Paul Getty Museum, 1981, p. 96, 46. La photographie nous a été gracieusement communi- quée par le Musée J. Paul Getty. HISTOIRE DES DOCTRINES DE L'ANTIQUITÉ CLASSIQUE Directeur Jean PÉPIN ------ ---------------------------------------- 10 .......................................................... L’ASCÈSE CYNIQUE Un commentaire de Diogène Laërce VI 70-71 PAR Marie-Odile GOULET-CAZÉ chargée de recherche au C.N.R.S. Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, PLACE DE LA SORBONNE, V" 1986

M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

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Réplique du second siècle après Jésus-Christ d'un buste de Diogène que l'on date du premier siècle avant notre ère. L’identification n'est cependant pas absolument certaine. Voir J iri Frel, Greek Portraits in the J. Paul Getty Museum, 1981, p. 96, n° 46. La photographie nous a été gracieusement communi­quée par le Musée J. Paul Getty.

HISTOIRE DES DOCTRINES DE L'ANTIQUITÉ CLASSIQUE Directeur Jean PÉPIN

---------------------------------------------- 10 ...................................... ....................

L’ASCÈSE CYNIQUEUn commentaire de Diogène Laërce

VI 70-71

PAR

Marie-Odile GOULET-CAZÉchargée de recherche au C.N.R.S.

Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique

PARISLIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN

6, PLACE DE LA SORBONNE, V"

1986

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« Te souvient il de ces gens du temps passé, qui recerchoyent les maux avec si grande faim, pour tenir leur vertu en haleine et en exercice ? »

Montaigne, III, 13 (De l'expérience).

« Il est malaisé que le discours et l'instruction, encore que nostre creance s'y applique volontiers, soient assez puissantes pour nous acheminer jus- ques à l'action, si outre cela nous n’exerçons et formons nostre ame par experience au train auquel nous la voulons renger : autrement, quand elle sera au propre des effets, elle s'y trouvera sans doute empeschée. Voylà pourquoy, parmy les philo­sophes, ceux qui ont voulu atteindre à quelque plus grande excellence, ne se sont pas contentez d'attendre à couvert et en repos les rigueurs de la fortune, de peur qu'elle ne les surprint inexpe- rimentez et nouveaux au combat ; ains ils luy sont allez au devant, et se sont jettez à escient à la preuve des difficultez. »

Montaigne, II, 6 (De Vexercitatiori).

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INTRODUCTION

Quand on veut étudier la morale cynique, on se heurte à la rareté des fragments et des témoignages de contenu doctrinal. Cette rareté tient peut-être moins en fait aux lacunes de la tradi­tion qu'à la nature même de la philosophie cynique, qui se récla­mait avant tout d’une pratique, d'un mode de vie, et se voulait une morale des actes *. Aussi est-on tenté, lorsque l’on rencontre dans la doxographie diogénienne transmise par Diogène Laërce, un passage substantiel concernant l’ascèse2 selon Diogène (VI 70-71), de l’exploiter au maximum afin de définir ce qui devait constituer l’expérience clef de la pratique morale du phi­losophe. La prudence toutefois s’impose, puisque certains exé- gètes ont été amenés par le passé à mettre en doute l’authenti-

î . Pour Antisthène, voir D .L. V I n , et pour D iogène, ibid. V I 48.2. Par souci de pure commodité, nous avons souvent traduit au long de

cette étude le term e grec άσκησις par « ascèse ». Mais il convient de préciser que la connotation de mortification qui est celle du m ot dans le vocabulaire chrétien et qui s’est peu à peu imposée en français m oderne demeure to u t à fait étrangère à l ’ascèse diogénienne. Le term e le plus susceptible de rendre la valeur d ’aa)«)aiç dans le contexte cynique serait celui d ’«entraînem ent». N ous y aurons d ’ailleurs maintes fois recours. Sur le verbe άσκεΐν et ses dérivés, consulter H. D r e s s le r , The usage of άσκέω and Us cognâtes in greek documents to 100 A .D ., coll. « Patristic Studies » 128, W ashington, 1947, x i i -86 p. Sur la thém atique de l’ascèse en général, voir F. H ieronym us, Μ ελέτη , Uebung, Lernen und an- gren ende Begrijfe (Diss.), Bâle, 1970,1.1 : Text, 118 p.; t. II : Anmerhmgen. Register,128 p. Ce dernier explique (pp. 4-7) comm ent jusqu’à Pindare le verbe άσκεΐν n’avait qu’un seul sens, celui de « façonner avec art ». Par la suite, un second sens est apparu, parallèlement au prem ier, celui de « m ener à son arête », « cultiver », « exercer », « entraîner ». I l est attesté chez E s c h y le , au vers 1066 du Prométhée enchaîné et dans u n fragm ent (17, 35 Mette) d’une pièce perdue : Les théores ou les spectateurs des jeux Tsthmiques. C’est à partir de ce second sens que le verbe en est venu à désigner l ’exercice physique, l’entraînement des athlètes. O n peut consulter également W. C a p e lle , « Altgriechische Askese », Neue Jahrbücber fu r das klassische Altertum 13 (1910) 681-708 ; Th. H o p fn er, art. « Askese », R E Suppi. V II (1940) cols. 50-64 ; J. L e ip o ld t, Griechische Philosophie und frübchristliche Askese, coll. « Berichte über die Verhandlungen der sàchsischen Akademie der W issenschaften zu Leipzig » — « Philologisch-historische Klasse», CVI, 4, Berlin, 1961, 67 p.

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12 l ’a sc èse c y n iq u e

cité de ces lignes. Sonder la valeur du témoignage doxographique laërtien, voilà donc l’objet de cette étude qui nous conduira à confronter les vues que prête Diogène Laërce à notre philosophe aux idées-forces de la morale diogénienne, telles que nous les connaissons par ailleurs. Il va de soi qu’élaborée dans une pers­pective aussi précise, la synthèse de ces idées-forces ne prétend point évoquer tous les aspects de la morale diogénienne. Il s’agit seulement de comprendre la genèse d’une inspiration : comment Diogène en est venu à faire de l’ascèse le grand axe de sa morale et à identifier cette ascèse avec la mise en pratique d’une vie de chien au sens le plus concret du terme.

Il serait malhonnête d’aborder ce travail en masquant au lecteur une difficulté que rencontre constamment l’exégète du cynisme ancien. Pour juger de l’authenticité d’un fragment, celui-ci doit, en effet, tirer profit d’un ensemble de témoignages dont la valeur historique est loin d’être au-dessus de tout soup­çon, car autour du personnage de Diogène s’est tissée peu à peu toute une tradition, pour ne pas dire toute une légende. Si cer­tains des aboutissements de cette construction sont aisés à cerner— il est facile en effet, puisque les œuvres de ces auteurs sont conservées, de caractériser et de saisir de façon synthétique le Diogène d’Épictète3, celui de Dion Chrysostome4, de Lucien5 ou plus tardivement de Julien6 —, en revanche on ne peut quasi­ment point remonter les filières qui conduisent à ce véritable patchwork qu’est le livre consacré par Diogène Laërce au cynisme.

3. O utre les allusions dispersées, on trouve des développements plus longs sur Diogène dans les Entretiens d ’Épictète par A r r ie n I 24, 6-10 (« Com ment il faut lu tter contre les difficultés ») ; III 22 (« Sur le cynisme ») ; III 24, 40.64-73 (« Q u’il ne faut pas s’ém ouvoir des choses qui ne dépendent pas de nous ») ; IV i , 30-31.114-117.152-158 (« De la liberté »). Sur l’Entretien I II 22, vo ir Epiktet. Vont Kynismus, herausgegeben und übersetzt m it einem Kom m entar v o n Mar- garethe B ille r b e c k , coll. « Philosophia Antiqua » 34, Leiden, 1978, xvi-188 p. et notre compte rendu dans Repue des Études Grecques 92 (1979) 570-572.

4. V oir Discours IV (« Sur la royauté »), V I (« Diogène ou de la tyrannie »), V III (<( D iogène ou de la vertu »), IX (« Diogène ou le Discours Isthm ique »), X (« Diogène ou des serviteurs »). Sur ces textes, vo ir A. B r a n c a c c i, « Le orazioni diogeniane di D ione Crisostomo », dans Scuole socratiche minori e filosofia ellenistica a cura di G . G ia n n a n to n i, coll. « Pubblicazioni dei Centro di studio per la storia délia storiografia filosofica », 4 [Bologne], 1977, pp. 141-171; M. S zarm ach , « Les discours diogéniens de D ion de Pruse », Eos 65 (1977) 77-90.

5. Un certain nom bre de dialogues de L u cien m ettent en scène Diogène : Vies à l ’encan 8-11 ; Dialogues des Morts I ; X I ; X III ; X X I ; X X II ; X X IX ; L e Pêcheur 23-27 ; 38 et 48 ; Double accusation 24.

6. V oir les Discours V II (« Contre Héracleios le Cynique ») et IX (« Contreles Cyniques ignorants »).

INTRODUCTION 13

Face à cette situation, deux attitudes sont possibles. En pre­mier lieu, la suspicion systématique qui marquerait de son sceau tout témoignage dont l’authenticité n’aurait pas été démontrée et qui entraînerait tout bonnement au silence, car le cynisme ancien, notamment celui de Diogène, échappe à peu près toujours, de par l’état de la documentation qui nous le fait connaître, à une investigation de type historique rigoureuse. Point de corpus bien établi ! Même les titres des œuvres du philosophe sont sujets à caution, puisque dès l’antiquité certains lui refusaient la paternité de ces productions7. Anecdotes, apophtegmes, chries, quelques rares passages doxographiques : telle est la matière sur laquelle doit œuvrer l’exégète qui, au départ, avait par trop ambitieuse­ment rêvé de pouvoir dégager des cohérences, retrouver des signes de continuité et ainsi découvrir la source de telle ou telle théorie dite cynique. Second volet de l’alternative : accorder une certaine valeur aux témoignages pour la raison suivante. Même si l’ensemble des matériaux est tardif, même si l’on est contraint de reconnaître le caractère « flottant » de bon nombre d'entre eux, telle anecdote pouvant se rapporter à la fois à Diogène, à Socrate ou à Aristippe, et même si par conséquent toute cette tradition n’offre pas beaucoup de valeur historique, il faut bien admettre qu’elle remonte à une littérature cynique ancienne où s’exprime une attitude intellectuelle marquée par l’expérience philosophique de Diogène. On constate d’ailleurs, si on lit simul­tanément un grand nombre de ces textes, que les mêmes thèmes reviennent avec insistance et que l’on n’a pas affaire à de pures inventions fantaisistes. Une conception uniforme de la vie s’en dégage, qui porte la trace indélébile d’une expérience philoso­phique originale. C’est à cette seconde solution que nous nous sommes ralliée dans le présent travail, tout en étant consciente au demeurant de la fragilité inévitable que peut présenter la ten­tative de reconstruction théorique d’une morale qui entendait s’affirmer par les actes. Plutôt que de taire le message diogénien, ne vaut-il pas mieux courir le risque de l’énoncer, dût-il être affublé de quelques scories émanant de telle falsification mal­honnête ou de tel enjolivement légendaire ?

Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, l’objectif final de cet ouvrage est de rendre compte de Diogène Laërce VI 70-71. Pour y parvenir, nous avons dû nous livrer à une approche synthétique de la morale de Diogène et déterminer en quoi l’ascèse préconisée

7. Cf. D .L . V I 73 et 80 ; J u lie n , Discours V II 6, p. 210 CD ; IX 7, p. 186 C. V oir Excursus I I : L ’activité littéraire de Diogène, pp. 85-90.

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14 L'ASCÈSE CYNIQUE

par le philosophe était une méthode originale pour accéder à la vertu. C’est pourquoi le commentaire du passage n’apparaît qu'à la troisième et dernière partie de cet ouvrage, comme l’aboutis­sement de toute une réflexion sur les idées-forces de la morale de Diogène (première partie) et sur l’originalité de l'ascèse cyni­que face au Socratisme et Stoïcisme (deuxième partie).

P REMIÈRE PARTIE

LES IDÉES-FORCES DE LA MORALE DIOGÉNIENNE

« Comme on lui demandait quel profit il retirait de la philosophie, Diogène répondit : ' A défaut d’autre chose, au moins d'être prêt à toute éven­tualité '. »

Diogène Laërce VI, 63.

« On ne peut savoir ce qu'un homme doit perdre pour avoir le courage de braver toutes les conven­tions, on ne peut savoir ce que Diogène a perdu pour devenir l'homme qui s'est tout permis, qui a traduit en acte ses pensées les plus intimes avec une insolence surnaturelle comme le ferait un dieu de la connaissance, à la fois libidineux et pur. »

E.-M. Cioran, Précis de décomposition, Paris, 1949, p. 94.

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Diogène avait une conscience aiguë de l’universelle faiblesse humaine. C’est à un homme esclave de chaînes multiples que le philosophe veut faire découvrir la liberté. Chaînes du désir1, de l’orgueil qui, « tel un berger, mène la plupart des gens là où il veut »2, de la crainte qui est « le propre de l’esclave »3, du

1. V oir D .L . V I 66 : «L es serviteurs sont esclaves de leur maîtres et les gens mauvais de leurs désirs ».

2. Gnomologium Parisinum 207 ; p. 22 Sternbach ; même témoignage chez A n to in e M elissa , Loci communes, pars II, sermo 74, P G 136, c. 1185 A , et chez M axime, Loci communes, sermo 34, P G 91, c. 896 C. Antisthène déjà condamnait le tuphos, à la fois « orgueil » et «illusion » (cf. la critique adressée à Platon dans D .L . V I 7 = fr. 151 Caizzi). Selon C lém en t d ’A le x a n d r ie (.Stromate II 21, 130, 7 = fr. 97 A Caizzi), Antisthène considérait Ÿatuphia comme la fin de la vie et, selon T h é o d o re t (Thérapeutique des maladies helléniques X I 8 = fr. 97 B Caizzi). comme le « bien ultime ». A son tour D iogène reprit la lutte contre le tuphos. V oir par exemple D .L . V I 26 ou encore cette anecdote rapportée par É lie n , Histoire variée IX 34 : « D iogène vint à Olym pie, et à la vue de jeunes Rhodiens qui, dans l ’assemblée, étaient somptueusement vêtus, il se mit à rire et dit : * V oilà de l ’o rgu eil’ . Ensuite il tomba sur des Lacédémoniens qui portaient des tuniques de mauvaise qualité, toutes sales. * V oilà, dit-il, une autre forme d’orgueil ’ ». Dans la Lettre pseudépigraphe X X I de D io g èn e à Amynatidre (p. 240 Hercher), le philosophe évoque « les gens qui vivent non pas selon l ’orgueil, mais selon la vertu ». Chez son disciple Cratès, le même thème revient comme un leitmotiv. V o ir D .L . II 118 = Supplementum Hellenisticum, ediderunt H . L loyd -Jo n es et P. Parsons, coll. «T exte und Kommentare », 11, Berlin, 1983 [ouvrage désor­mais abrévié SH ], n° 347 ; D .L . V I 86 = Anth. Pal. V II 326 et P lu ta rq u e , De laude ipsius 17, 546 A B = S H 355 ; M a r c - A u r è le V I 13 = S H 350. Dans son poème intitulé Pèra, l ’île de ce nom est située au milieu d’une mer d’orgueil (D.L. V I 85 ; D ém étrius, De elocutione 259 ; A p u lée , Apologie 22 ; C lém ent d ’A le x a n ­d r ie , Pédagogue II 10, 93, 4 = S H 351). Le Cynique Monime, lui aussi, disait que « tout ce que l ’homme a conçu n’est qu’orgueil » (M énandre, dans D .L . V I 83). Signalons encore que le Cynique du 111e siècle av. J.-C., T é lé s , dans sa Diatribe II (Sur l ’autarcie), p. 14,3-5 Hense, qualifie Diogène et Cratès d ’atuphoi. Sur le concept de tuphos, voir D . R. D u d le y , A History of Cynicism, p. 56, η. 8a ; Fet- nanda D e c le v a C aizzi, « Τϋφος. Contributo alla storia di un concetto », Sanda- lion 3 (1980) 53-66.

3. D .L . V I 75. Cf. déjà A ntisthène : «C elui qui craint les autres ne se rend pas compte qu’il est esclave » (Stobée III 8, 14 ; t. III, p. 344, 1-2 Hense = fr. 119 Caizzi). Dans le V Ie Discours de D ion Chrysostom e (« Diogène ou sur la tyrannie »), 41-42, Diogène dénonce les méfaits de la crainte, notam m ent de la crainte de la m ort.

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18 LA MORALE DIOGÉNIENNE

chagrin qui parvient à gâcher la vie d’un Xerxès ou d’un Crésus4, et surtout du plaisir. Diogène n’appelait-il pas « triples esclaves » les gens qui se laissent vaincre par le ventre, le sexe et le sommeil5 ? Que ce soit sur le Cranéion ou aux Jeux Isthmi- ques, partout le philosophe rencontre des âmes qui, « lâches et impuissantes face aux épreuves, asservies par les plaisirs, amou­reuses des voluptés et des corps, mènent une vie de honte et d’opprobre, non pour l ’avoir choisie, mais pour avoir été emportées vers elle » 6.

En fait, l’homme n’est pas victime seulement des passions inhérentes à son être propre ; il succombe, en outre, aux agres­sions du monde ambiant qui l’emprisonne dans ce qu’on pour­rait appeler les valeurs de la civilisation. Ainsi, « la renommée dont tous sont esclaves, grecs et barbares »7, ou la richesse « à

4. Cf. M axime d e T y r , Dissertation X X X II 9 ; p. 377, 1-9 H obein : « Si tu compares plaisirs et plaisirs, l ’existence de D iogène l’emporte. E n effet, celle des gens que nous venons de m entionner (Xerxès, Smindyride, Cambyse, Sardana­pale, Alexandre et Crésus) est remplie de plaisirs, mais le chagrin s’y mêle de part en part. Xerxès se plaint quand il est vaincu ; Cambyse gémit quand il est blessé ; Sardanapale se lamente quand il est la proie des flammes ; Smindyride est affligé quand on le chasse ; Crésus pleure quand il est fait prisonnier ; Alexandre est chagriné s’il ne combat point. Les plaisirs de Diogène ignorent les lamen­tations, les gémissements, les larmes et le chagrin. ». Les Gym nosophistes contem­porains de Diogène, que rencontra Onésicrite d’Astypalée, amiral de la flotte d ’Alexandre et disciple de Diogène, distinguaient entre le πόνος utile et le chagrin (λύπη) ennemi de l’hom me (Strab on X V 1, 65 ; Onésicrite, F G rH 134 F 17). Dans la Diatribe V II (« Sur i’apathie ») de T é lé s , on peut lire : « Mais celui qui est dans la douleur, le chagrin et la crainte, com m ent se plairait-il à la vie? E t s’il ne s’y plaît pas, comm ent serait-il heureux? O u bien, si le chagrin l’atteint, comm ent ne l’atteignent pas aussi la crainte, l’inquiétude, la colère et la pitié?... Si donc un individu est dans le chagrin, comm ent sera-t-il exempt de quelque passion? Ou, s’il n ’est exempt d ’aucune passion, comm ent sera-t-il impassible? O r il faut que l ’hom me heureux soit impassible » (Teletis Reliquiae*, p. 56, 4-15 Hense ; trad. Festugière).

5. Gnomologium Vaticanum 195 ; p. 79 Sternbach. D e même Gnomologium Parisinum, Appendix Vaticana I 28 ; p. 40 Sternbach.

6. D ion C hrysostom e IV 115 ; cf. V I 29 : «L es hommes emploient leur sagesse à obtenir non point le courage ni la justice, mais le plaisir. Par conséquent, lorsqu’ils poursuivent par tous les moyens ce qui est agréable, ils vivent de façon moins agréable et avec plus de difficultés ». D iogène dans le IV e Discours de D ion (« Sur la royauté ») 83-138, fait la distinction entre trois types d ’esprits qui dom inent parmi les hommes : l’esprit avare, celui qui célèbre la déesse Hèdonè et l ’esprit ambitieux.

7. D io g èn e, Lettre V II à Hicétas, 1. Sur l ’authenticité des lettres des Cyniques voir la note suivante. Dans L u cien , Les Portraits 17, Lycinus rapporte ce m ot de D iogène : « A lors qu’on lui demandait comment acquérir la réputation, il dit : ‘ Si on méprise la réputation ’ ». V o ir aussi T h éo n , Progymnasmata V (Π ερί χρείας) : « Le philosophe D iogène, alors qu’on lui demandait comment acquérir la réputation, répondit : ' E n se souciant de la réputation le moins possible ’ ».

L’HUMAINE FAIBLESSE 19

qui les hommes accordent davantage d’honneurs qu’au bonheur, sans se rendre compte qu’ils nourrissent en leur sein un tyran »8 ; cette richesse fait d’eux de véritables « hydropiques » qui, « bien qu’ils soient pleins d’argent, en désirent encore davan­tage »9. Ceci sans parler des multiples devoirs sociaux dont Maxime de Tyr rappelle que Diogène avait su si bien se défaire,

8. D io g èn e, Lettre X X X V II à Monime, 6. Les lettres des Cyniques ont été éditées par R. H e r c h e r , Epistolographi Graeci, Paris, 1873 ; rp. Amsterdam, 1965. N ouvelle édition avec traduction anglaise et notes par A . J. M a lh e rb e , The Cynic Epistles, coll. « Sources for Biblical Study », X II, Missoula (Montana), 1977, vn-334 p. Sur les problèmes posés par ces lettres, vo ir V. E m eljan ow , The Letters o f Diogenes, Diss. Stanford University, 1968, 272 p. (microfilm) ; R. N ih a rd , « Les lettres de D iogène à Monime et la confrontation des τόποι », Revue de Philologie 38 (1914) 259-271 ; K . v o n F r itz , Quellen-Untersuchungen, pp. 63-71. L ’étude classique reste celle de W . C a p e lle , De Cynicorum Epistulis Diss. Gôttingen, 1896,63 p. L ’existence de Lettres deD iogène est bien attestée dans l ’Antiquité. Ainsi chez É p ic tè te IV 1, 30-31 où est cité un passage d ’une lettre de D iogène au R oi des Perses, chez J u lie n où il est fait allusion à des Lettres à Archidamos (Discours V II Contre Héracleios le Cynique 8 ; 212 D ). A propos de ce passage de Julien, nous sommes convaincue que la correction proposée par Spanheim : 'Αλέξανδρον au lieu de Ά ρ χίδα μ ο ν n’est pas justifiée. E n effet, on peut lire dans É p ic tè te IV 1, 156: « V oilà pourquoi i l t ’est permis à toi, Diogène de discuter avec le roi des Perses et avec Archidamos, le roi de Lacédémone, comme tu l ’entends. » I l est par conséquent tout à fait possible que D iogène ait adressé des lettres à ce roi de Lacédémone. Rappelons encore que D iog èn e L a e rc e dans les deux listes d’écrits de D iogène qu’il cite en V I 80 fait mention de lettres. Il est admis que ces lettres ne peuvent être identifiées avec le corpus de lettres cyniques édité par Hercher ; celui-ci d ’ailleurs ne comporte pas de lettres à Archidamos et ne contient pas le passage cité par É p ic tè te IV 1, 30-31. Les lettres attribuées à Diogène sont des lettres pseudépigraphes écrites par des auteurs différents entre le premier siècle avant J.-C. et le second siècle de notre ère. Puisqu’elles ne sont pas authentiques, on pourrait décider de n’en point tenir compte. En fait, comme tout pastiche, elles avaient le souci de paraître authentiques et elles devaient par conséquent s’ inspirer au maximum de la littérature cynique connue à l ’époque. D ’autre part, comme leur but était certainement de diffuser une propagande cynique auprès des contemporains, leur témoignage est loin d ’être sans intérêt. Aussi, lorsque la teneur de ces lettres se trouve confirmée par d’autres sources, pourquoi ne pas la prendre en considération? Ceci dit, il est bien évident que ces lettres sont marquées par les convictions personnelles des faussaires et qu’il faut les manier avec prudence.

9. Stobée III 10, 45 ; t. III, p. 419, 8-12 Hense. Cf. D .L. VI 50 : « L ’amour de l ’argent est la m étropole de tous les maux ». Voir aussi d ’autres témoignages, sur le mépris de la richesse par Diogène dans T é lé s , Diatribe I I (Sur l ’autarcie) , p. 14, 3-5 Hense ; Sénèque, De beneficiis V 4, 3-4 ; Ju v én al, Satire X IV 308-314 ; D io n Chrysostom e IV 10 : « Diogène disait à tous la vérité et, quoique ne possédant pas une drachme, il agissait à sa guise et ne manquait aucun des buts qu’il s’était proposés ; il était seul à vivre cette vie qu’il estimait la m eilleure et la plus heureuse ; i l n ’aurait point échangé sa propre pauvreté contre la royauté d ’Alexandre ni contre la richesse des Perses et des Mèdes ». Pour C ra tè s , voir la Lettre X III à Eumolpe (p. 210 Hercher).

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20 LA MORALE DIOGÉNIENNE

qu’il s’agisse de la crainte du tyran, de la contrainte imposée par la loi, de la participation aux activités politiques, ou encore du soin des enfants, du mariage, des travaux des champs, de la vie mili­taire ou du commerce 10.

Dans la bouche du philosophe, « homme » est devenu syno­nyme de « malheureux ». C’est ainsi « qu’il appelait les orateurs et tous ceux qui courent après la réputation en se lançant dans l'éloquence ' hommes trois fois hommes ', pour dire ' trois fois malheureux ' » u. Mais les contemporains de Diogène n'auraient- ils pu répondre à tant de pessimisme qu’il y avait des exceptions, qu’un tel discours ne s’appliquait pas, par exemple, à ces athlètes dont la gloire était sur toutes les lèvres et qu’on venait de partout applaudir aux Jeux, ou encore à ces puissants du jour dont tous les désirs pouvaient être assouvis ? Ce sont pré­cisément ces exceptions apparentes que Diogène s’attache le plus à vilipender et à qui il réserve une place de choix dans sa galerie des esclaves. A ce vainqueur qui se targue de remporter les Jeux Pythiques dans la catégorie « hommes », que répond-il ? « C’est moi le vainqueur dans la catégorie ' hommes ' ; toi, tu l’es dans la catégorie ' esclaves ' » n. A Olympie, quand le héraut proclame que « Dioxippe remporte la victoire dans la catégorie ' hommes ' », Diogène corrige : « Lui, c’est dans la catégorie ' esclaves ' ; dans la catégorie ' hommes ', c’est moi » 13. Ce Dioxippe d’ailleurs qui, vainqueur olympique, fait son entrée triomphale sur un char, est incapable de détourner les yeux d’une jolie fille qui contemple le cortège. Et Diogène de ricaner : « Regardez l’athlète, le cou tordu à cause d’un brin de fille » u. Peu soucieux de ménager ses critiques, notre philosophe ne se prive point de ridiculiser le régime alimentaire auquel les athlètes doivent leur force phy­sique et, selon lui, leur stupidité. S’ils sont stupides, c’est parce qu’ « on les bâtit avec de la viande de porc et de bœuf » 1S.

10. D issertationX X X Vl 5, p. 420, 15-421,5 H obein; É p ic tè te I I I 22, 67-76, décrit le philosophe cynique comme entièrem ent libéré des contraintes sociales.

11. D .L. V I 47.12. D .L . V I 33. V oir aussi D io n C hrysostom e IX 11 : « Ils sont nom breux

et puissants les adversaires sur lesquels je rem porte la victoire ; rien à voir avec ces esclaves qui en ce m om ent lu tten t en ces lieux, lancent le disque et font la course ».

13. D .L. V I 43·14. P lu ta rq u e , De curiositate 12 ; 521 B ; voir aussi É lie n , Histoire variée

X II 58.15. D .L . VI 49. V oir aussi D ion C hrysostom e IX 13 : « Est-ce que je vous

parais digne de cette branche de pin (récompense accordée aux vainqueurs desjeux Isthmiques) ou allez-vous la prendre et la donner à celui qui est rassasié de

L'HUMAINE FAIBLESSE 21

Diagnostic tout aussi inexorable prononcé à l’égard des puis­sants, Alexandre en tête, que Diogène considère comme « esclave de la renommée » 16, et à qui il lance cette remarque : « Ce n’est point être pauvre que de n’avoir pas de richesses à sa disposi­tion ; ce n ’est point un mal que de mendier, mais c’en est un que de désirer tout (...) et de recourir à la force » 17. De même, « à celui qui proclamait Callisthène18 bienheureux sous prétexte qu’il avait part aux magnificences d’Alexandre, Diogène rétorque : 'I l est malheureux, à coup sûr, lui qui déjeune et dîne quand il plaît à Alexandre ' » 19. Quant au Roi de Perse, Diogène en brosse un bien triste portrait :

Il se trouve être le plus malheureux de tous les hommes ; en dépit de tout son or, il craint la pauvreté ; il craint aussi les maladies, incapable qu’il est de s’abstenir de ce qui les cause ; il est frappé de terreur à l’idée de la mort et il croit que tous complotent contre lui, jusqu’à ses enfants et ses frères

Aussi bien Cicéron rapporte-t-il que Diogène considérait sa situation comme supérieure à celle du Grand Roi :

Lui, il ne manquait de rien, tandis qu’à son rival, rien jamais ne suffisait ; les plaisirs dont il aurait été impossible de rassasier son rival, lui-même n’en éprouvait pas le besoin, et il avait ses plaisirs à lui auxquels l’autre ne pouvait aucu­nement prétendre21.

viande à l’excès ? ». Selon plusieurs témoignages (P orp hyre, Vie de Pythagore 15 ; Jam blique, Vie de Pythagore 25 ; D .L . V III 12), ce serait Pythagore qui aurait entraîné les athlètes à manger, p lu tô t que les figues et le from age traditionnels, de la viande, afin d ’acquérir la vigueur corporelle. Jam blique cependant précise qu’il s’agit non point de Pythagore, fils de M nésarque, mais d ’un autre Pythagore, fils d’Ératoclès, et D .L . rappelle que, si F avorin u s, au troisièm e livre de ses Mémorables, a rendu Pythagore responsable de cette innovation dans le régime des athlètes, il en est d’autres pour dire que le Pythagore en question était un entraîneur sportif. E n fidèle disciple de Diogène, Cratès de Thèbes reprit à son compte cette critique à l’égard des athlètes et de leur régime alimentaire ; voir Gnomologium Parisinum 193 ; p. 21 S ternbach; M axim e, Loci communes, Sermo 27, P G 91, c. 876 CD.

16. D io n Chrysostom e IV 60.17. D io g èn e, Lettre X X X III à Phanomaque, 3.18. Callisthène d ’Olynthe accompagna en tant qu’historien l ’expédition

d’Alexandre. Les fragments de Callisthène sont rassemblés dans F G rH 124.19. D .L. V I 45.20. D io n C hrysostom e V I 35.21. C icé ro n , Tusculanes V 32, 92 ; trad. J. H um bert légèrement modifiée.

V oir aussi Sénèque, De tranquillitate animi V III 3-4.

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22 LA MORALE DIOGÉNIENNE

C’est par conséquent face à des esclaves attachés à de fausses valeurs que Diogène, l’apatride à la besace symbolique, vêtu du tribôn grossier qui incarna, durant toute l'antiquité, l’appartenance au monde des philosophes, apporta le témoignage de sa vie, prêchant par l’exemple une exigence radicale de conversion. Car c’est bien d’une conversion qu'il s'agissait. On ne mène pas des années durant une vie de « chien » uniquement pour satisfaire à un goût de la provocation ou pour transmettre un message philosophique qui se veut original. Derrière la caus­ticité de Diogène, derrière sa volonté de choquer, nous percevons une attitude philosophique sérieuse, autant qu’avait pu l’être celle d’un Socrate. S’il s’est appliqué à faire tomber un à un les masques de la vie civilisée et à opposer à l’hypocrisie ambiante ses mœurs de « chien », c’est parce qu’il pensait pou­voir proposer aux hommes une voie qui les conduirait au bonheur.

A. UN RACCOURCI VERS LA VERTU

«Un raccourci vers la vertu» (σύντομον έπ’ άρετήν οδόν), telle est la définition du cynisme que nous a transmise l’anti­quité, plus précisément le philosophe stoïcien du n° siècle avant J.-C. Apollodore de Séleucie dans son É thique72. Le

Z2. Ce philosophe, condisciple de Panétius chez Diogène de Babylone, est l’auteur d’un ouvrage intitulé Α ί εις τά δόγματα εΐσαγω γαί, qui com portait au moins une Éthique et une Physique. Deux fragments conservés par D iogène L a ë rc e invitent à penser que cette Introduction comptait également une Logique (VII 54 et 64). Les fragments et témoignages se trouvent rassemblés dans S V F III, pp. 259-261. D ’après la Souda (Hésychius) s.v. Θέων, Θ 203 ; t. II, p. 702, 5-7 Adler, le Stoïcien T héon d’Alexandrie, contem porain d ’Auguste, aurait écrit un Commentaire sur la Φυσιολογική εισαγω γή d ’A pollodore. Ce passage est absent du recueil de von Arnim . Sur le rôle éventuel qu’a pu jouer A pollodore dans la doxographie diogénienne transmise par Diogène Laërce, vo ir notre article : « Un syllogisme stoïcien sur la loi dans 1a doxographie de Diogène le Cynique. A propos de Diogène Laërce V I 72 », Rheinisches Museum für Philologie N .F. 125 (1982) 214-240, surtout pp. 238-239. Voici la form ulation exacte que l’on trouve en D .L. V II 121 ( = S V F III, A p o llo d o re , fr. 17 ; p. 261, 20-22) : κυνιεϊν τ ’ αυτόν (scil. τον σπουδαΐον) · είναι γάρ τον κυνισμόν σύντομον έπ ’ άρετήν όδόν, ώς Α πολλόδω ρος έν τη Ή θ ικ η . Or, en D .L. V I 104, dans la doxographie cynique générale, il est dit sans autre précision : τον κυνισμόν είρήκασι σύντομον έ π ’ άρετήν όδόν. Grâce au tém oignage précédent, on peut donc identifier la source de cette définition. Deux autres passages m éritent d’être mis en parallèle avec la form ule qui permettait à A pollodore de définir le cynisme. L ’un, transmis par la Souda, s.v. Κυνισμός, K 2711 ; t. III, p. 214, 11-12 Adler), reprend sous une forme un peu différente la form ule que l’on trouvait en D .L. V II 121 : εύτονος έπ ’ άρετήν όδός. κα ί, κυνιεϊν δεΐν το ΐς σπουδαίοις. O n notera la colo-

UN RACCOURCI VERS LA VERTU 23

raccourci des Cyniques s’opposait à la voie plus longue emprun­tée traditionnellement par les écoles philosophiques, qui pas-

ration nettement stoïcienne du m ot εύτονος. Le second passage, une citation d’ARius Didym e chez Stobée II 7, n s ; t. II, p. 114, 24-25 W achsm uth, présente davantage d ’intérêt, car il veut expliquer en quoi le sage fera le chien : Κυνιεϊν τε τον σοφόν λέγουσιν (les Stoïciens), Ισον τφ έπιμένειν τ φ κυνισμφ , ού μήν σοφόν 8ντα ένάρξασθαι τοϋ κυνισμού. Ce texte diffère sur quelques points de celui de Wachsmuth. Le passage transmis par les manuscrits présente en effet un certain nom bre de difficultés et on a par le passé proposé diverses corrections que men­tionne W achsm uth dans son apparat critique. Ισον τ φ έπιμένειν τ φ κυνισμω a été corrigé en δσον έπιμένειν τ φ κυνισμω par Madvig, en όσον τφ κυνισμφ έμμένειν par M eineke et en έτοιμον έπιμένειν τ φ κυνισμω par Mullach. Le temps même du verbe était problématique. Afin de l’harmoniser avec le futur κυνιεϊν, Usener proposa de le corriger en έπιμενεΐν. Valckenaer ajouta, lui, un ov après Ισον, que W achsmuth jugea bon de conserver dans son édition. Enfin, à la leçon ένάρξασθαι des manuscrits, M advig substitua un αν &ρξασθαι et Wachs­m uth un ένάρξεσθαι. Dans son Epiktet. Vom Kynismus, p. 44, n. 2, M argarethe B i lle rb e c k a repris l’examen du passage. Si elle n ’a point retenu le ov suggéré par Valckenaer, elle a conservé le έπιμενεΐν de Usener et le ένάρξεσθαι de Wachs­m uth. Pour notre part, nous préférons garder les verbes aux temps attestés dans les manuscrits, c’est-à-dire έπιμένειν au présent, ένάρξασθαι à l’aoriste, dont la valeur inchoative convient parfaitement ici. A propos de la construction de έπιμένειν avec le datif, il est certain qu’elle n ’est attestée que tardivem ent dans les dictionnaires (n e-n ie siècles après J.-C.) ; ceci n ’exclut pas toutefois qu’elle ait pu être employée avant. E n tout cas, s’il fallait vraim ent corriger cette construc­tio n ,'n o u s proposerions έπιμένειν <έν> τ φ κυνισμω, à la suite d ’un parallèle trouvé dans la Lettre X II de D iogène à Cratès (p. 238 Hercher) : σύ δέ έπίμενε έν τή άσκήσει ώσπερ ήρξω. Nous voudrions d’autre part souligner que Ισον au sens de « ce qui équivaut à » nous paraît faire partie d ’un lo t de tournures qui pourraient être propres à Apollodore de Séleucie, à moins que ce ne soit au doxographe qui a tiré de Y Éthique u n certain nom bre de doxai. Ainsi, en D .L. V II 117, dans un passage qui est vraisemblablement emprunté à Y Éthique d ’Apollodore, puisque celle-ci est citée à la fin du paragraphe suivant, on peut lire : άλλον άπαθή τόν φαϋλον, εν ϊσφ λεγόμενον τ φ σκληρφ καί ά τέγκ τφ et u n peu plus loin άλλον δέ είνα ι αύστηρόν, παραπληοίως λεγόμενον τ φ αύστηρφ οϊνφ. Curieuse coïncidence, sauf si l’on admet que ces lignes et le passage d’Arius Didyme proviennent d’un même chapitre d’Apollodore. Une pareille hypothèse est tou t à fait plausible : on remarque en effet que le passage de Stobée suit préci­sément une définition du m ot αυστηρός et qu’en D .L. V II 117, donc peu avant que soit mentionnée comme source YÉthique d ’Apollodore, est donnée une explication du caractère αυστηρός du sage. I l est probable par conséquent que le passage d’Arius Didyme, de même que D .L. V II 117-118 proviennent de YÉthique d’Apollodore. Pour en revenir au texte lui-même, là encore, s’il fallait absolument apporter une correction, nous choisirions, à la suite des parallèles évoqués, Ισον <λεγόμενον> τ(~ι, en supposant un saut du même au même. Mais comme la construction Ισος et le datif est bien attestée, nous ne jugeons pas la correction indispensable. Voici la traduction que nous proposons : « Le sage fera le chien, disent-ils, ce qui revient à dire qu’il persévère dans le cynisme et non, qu’étant sage, il se met à embrasser le cynisme ». A la question que l ’on devait se poser dans les milieux stoïciens du second siècle sur l’opportunité de pratiquer le raccourci cynique, Apollodore, car nous sommes convaincue que c’est bien lui l’auteur de ces lignes, répond que celui qui parvient à la sagesse grâce au mode de vie cynique do it continuer, une fois devenu sage, à pratiquer ce m ode de vie,

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24 LA MORALE DIOGÉNIENNE

sait par l'étude et l’acquisition des connaissances23. L’expres­sion a-t-elle été forgée tardivement par des Stoïciens qui comparaient au cynisme leur philosophie de tendance beaucoup plus savante, ou remonte-t-elle au cynisme ancien ? Elle reflète certainement davantage le point de vue des Cyniques, qui trou­vent inutile le détour par une voie longue, que celui des Stoï­ciens, qui reconnaîtraient alors implicitement que leur voie n’est pas indispensable. Toujours est-il que même si la formule elle- même n’est pas nécessairement le fait des premiers Cyniques, l'idée d’une méthode rapide d'accession à la vertu devait déjà être présente chez Antisthène et Diogène.

Dans une lettre pseudépigraphe adressée à son père Hicétas, Diogène est censé montrer comment Antisthène, pour faire comprendre à ceux qui l’écoutaient la nature des deux voies

mais que celui qui y parvient grâce au stoïcisme n ’a pas, lui, à se m ettre au cynisme une fois devenu sage. Autrem ent dit, quand il s’exprime de la sorte, A pollodore a présent à l’esprit la problém atique des deux voies. Qui aura em prunté la voie cynique s’y tiendra ; qui aura marché vers la sagesse en suivant la voie longue des Stoïciens ne changera pas d’orientation, une fois arrivé au but. Par conséquent, si les Stoïciens veulent bien admettre les Cyniques comme d’authentiques amis de la vertu, le m ode de vie cynique ne saurait être à leurs yeux la condition nécessaire de la sagesse. Peut-être pourrait-on, afin d ’illustrer ce passage, faire appel à la présentation que donne Épictète III 22, 67-76, du sage cynique. Celui-ci apparaît certes comme u n modèle, comme un exemple, mais il reste une exception, u n phénomène extraordinaire, en marge de la société. E n aucun cas les sages stoïciens n ’ont à viser un tel idéal. Ce sont deux conceptions différentes de la sagesse qui, l ’une comme l’autre, se révèlent nécessaires. V oir M argarethe B il le r b e c k , op. cit., p. 43 : « Les Cyniques, comme les Stoïciens, aspirent à la vertu. Ils s’en distinguent seulement dans la façon d ’atteindre ce but. Tandis que le Cynique veut y parvenir à travers une façon de vivre exempte de comprom is, astreinte seulement à l ’autarcie, pour le sage stoïcien le chemin qui mène àl 'arête passe par l’accomplissement des devoirs sociaux ». V oir aussi du même auteur : « La réception du cynisme à Rome », Antiquité classique 51 (1982) 151-173. Grâce à tous les tém oignages produits, on peut non seulement avancer qu’Àpollo- dore était probablem ent une des sources d’Arius Didyme, mais encore reconstituer ainsi le raisonnem ent du philosophe de Séleucie : Κυνιεΐν τε τον σοφόν, ϊσον τ φ έπιμένειν τω κυνισμφ, ού μήν σοφόν οντα ένάρξασθαι τοϋ κυνισμού * είνα ι γάρ τον κυνισμόν σύντομον επ ’ αρετήν οδόν.

23. La form ule se retrouve, un peu différente, dans la bouche de C ra tè s : τό δέ κυνίζειν τό συντόμως φιλοσοφειν, mais il s’agit là encore d ’une lettre pseudépigraphe (Lettre X V I à ses disciples ; p. 211 Hercher). Sur le thèm e du court chemin, voir V. E m eljan ow , « A note on the cynic short eut to happiness », Mnemosyne 18 (1965) 182-184. Ce dernier, comme l ’avait déjà proposé K. J o ë l, Der echte und der Xenophontische Sokrates II. Bd, 1, Berlin, 1901, pp. 286-332, estime (p. 183) qu’à l’origine de la notion de « raccourci vers la vertu » il pourrait bien y avoir Antisthène et ses écrits, ceux notam m ent qui accordent une large place à Héraclès. Il examine également ce qu’est devenu le thème des deux voies chez D ion Chrysostome, Lucien, Plutarque et dans les Lettres de Diogène.

UN RACCOURCI VERS LA VERTU 25

conduisant au bonheur24, se servit de l’exemple concret des deux voies qui montaient à l’Acropole d’Athènes, « l’une courte, escar­pée et difficile, l’autre longue, plane et facile »75. Contrairement aux autres auditeurs, « effrayés par l’aspect difficile et abrupt du court chemin », Diogène choisit « la voie escarpée et difficile, car celui qui s’élance avec ardeur vers le bonheur doit marcher même à travers le feu et le fer »26. La voie cynique est courte, parce qu’elle élimine en fait le détour par la formation intellec­tuelle 27. Pour Antisthène, « la vertu relève des actes, elle n ’a besoin ni de longs discours, ni de connaissances »28. D’où ce rejet, présent chez tous les philosophes cyniques, de la logique, de la physique et des connaissances encycliques, toutes disci­plines jugées « inutiles et non nécessaires »19.

Les Cyniques soutiennent qu’il faut rejeter la partie logique et la partie physique (de la philosophie), tout comme Ariston de ChiosΜ, et ne s’appliquer qu’à la seule partie éthique. Et Dioclès, rapportant à Diogène une citation homé­rique que certains rapportent à SocrateM, lui fait dire : il

24. O n peut se demander qui est à l ’origine du thème des deux voies. Est-ce bien Prodicos dans le célèbre apologue rapporté par X énophon, Mémorables I I 1, 21-34 (D K 84 B 2) ? K. J o ë l, op. cit., pp. 284-332, a essayé de dém ontrer que la fable de Prodicos portait la marque d’Antisthène et qu’en fait celui-ci en était l’auteur. E n réalité, la problém atique des deux voies n ’est pas du to u t la même chez Prodicos et dans la Lettre X X X à Hicétas qui, selon Emeljanow, donnerait une description élaborée de ce qui était certainement la pensée cynique originelle. L ’Héraclès de Prodicos se trouve en effet confronté à une voie qui est à la fois facile et courte, celle du vice, et à une voie difficile et longue, celle de la vertu. Dans la Lettre à Hicétas, au contraire, c’est la voie courte qui est difficile.

25. D io g èn e, Lettre X X X à Hicétas', pp. 244-245 Hercher.26. O n trouve un écho de ce passage dans la Lettre V I de C ra tè s à ses

disciples (pp. 208-209 Hercher) : « S’il est difficile de philosopher ainsi (c’est-à- dire comme Diogène), c’est cependant plus court. Pour atteindre le bonheur, comme disait D iogène, il faut m archer même à travers le feu ».

27. Cf. D .L . V I 48, cité plus loin, p . 69.28. D .L. V I 11. Cf. Gnomologium Vaticanum 12 ; p. 9 Sternbach = fr. 86

Caizzi. V oir aussi C ra tè s , Lettre X X I à Métroclès le Chien (p. 212 Hercher) : « Longue est la route qui mène au bonheur par le biais des discours ; au contraire court est l ’exercice qui passe par les actes quotidiens » ; Lettre V I à ses disciples (p. 209 Hercher) et Lettre X III à Eumolpe (p. 210 Hercher).

29. D .L. V I 73.30. V oir D .L. V II 160.31. Cf. P h ilo n d ’A le x a n d r ie , De migratione Abrahami 195. Philon cite ce

vers quand il évoque le passage de la m étéorologie à la connaissance de soi. V oir aussi De somniis I 57. Là, la citation est associée au « Connais-toi toi-même » et évoquée dans un contexte socratique. Le vers est également cité par Socrate chez M usonius R ijfus dans Stobée II 31, 126 ; t. II, p. 245, 6 W achsmuth ; chez D.L.I I 21 ; Sextus, Adv. Math. X I 2 ; Eusèbe, Prép. évang. X V 62, 11 ; t. II, p. 424, 14 Mras ; Thém istius, Discours X X X IV 5.

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26 LA MORALE DIOGÉNIENNE

faut chercher « t o u t c e q u i a r r i v e d e b i e n e t de m a l d a n s l e s m a i s o n s (Od. IV 392) ». Us repoussent aussi les connaissances encycliques. Antisthène disait de fait que les sages ne doivent pas apprendre à lire, afin d'éviter d’être corrompus par les écrits des au tres32. Us rejettent aussi la géométrie, la musique et toutes les disciplines du même ordre33.

32. O n peut relever une certaine incohérence dans les témoignages. E n effet, Antisthène et D iogène qui refusaient les disciplines intellectuelles et l ’acquisition des connaissances, on t pourtant laissé une œuvre littéraire. Si A ntisthène ici condamne même le simple fait d ’apprendre à lire, i l affirme ailleurs que « les gens sans éducation sont des rêves éveillés » (Gnomologium Vaticanum 3 ; p. 6 Sternbach = fr. 68 Caizzi) et que « la plus belle couronne est celle qui vient de l ’éducation » (S tobée II 31, 33 ; t. II , p . 207, 19-21 W achsm uth = fr. 172 Caizzi). O n sait d’autre part qu ’il écrivit un ouvrage en cinq livres intitulé Π ερ ί παιδείας ή ονομάτων dans lequel il affirmait que l’examen des mots est le commencement de l’éducation » (fr. 38 Caizzi). A ntisthène en fait croyait certainement à une édu­cation qui au m oins partiellem ent était de caractère théorique. E n D .L. V I 103, quand il déclare que les sages ne doivent pas apprendre à lire, il veut simplement dire que lorsqu’on est parvenu à la sagesse, c’est-à-dire à la vertu , l’étude ne sert plus à rien et que seuls les actes comptent. Mais le type d’éducation q u ’il préconise se situe encore dans une ligne intellectuelle. E n revanche, avec D iogène, on assiste à une évolution très nette. L’éducation que celui-ci propose est purement morale ; elle ne passe pas par l’étude, mais par l’apprentissage d’u n m ode de vie fondé sur la lutte contre les ponoi, et quand il fait l ’éloge de l’éducation ou la critique de l’absence d’éducation, ce n ’est certainement pas, ainsi que nous le verrons plus loin (p. 152-3), l’éducation traditionnelle qu’il vise, mais la seule éducation véritable à ses yeux, c’est-à-dire celle qui suppose l’apprentissage des ponoi te l que l’illustra Héraclès. Dans le IV e Discours sur la royauté de D io n C hrysostom e 29-31, l ’éducation divine que D iogène oppose à l’éducation humaine renvoie sans aucun doute à cet apprentissage des ponoi. Voici en quels termes D iogène s’adresse à Alexandre : « N e sais-tu pas qu’il y a deux sortes d’éducation, l’une divine, l’autre humaine ? Celle qui est divine est grande, forte et facile ; celle qui est humaine est petite, faible, elle comporte beaucoup de dangers et une grande trom ­perie. Cependant, si to u t se passe bien, elle s’ajoute, nécessaire, à l’autre. La plupart des gens appellent la seconde ‘ éducation ’ (paideian) , comme si c’était, j e suppose, un jeu d’enfant (paidian), et ils croient que c’est celui qui connaît le plus de littérature perse, grecque, syrienne et phénicienne, celui qui a commerce avec le plus grand nom bre de livres, qui est le plus sage et le plus instruit. Mais en revanche, quand parm i ces gens ils rencontrent des hommes pervers, lâches et avares, il disent que l’affaire comme l ’hom m e est de peu d’importance. Q uant à l’autre sorte, on l’appelle tan tô t ‘ éducation ’, tan tô t ‘ virilité et grandeur d ’âme ’. C’est pour cette raison que les hommes d ’autrefois appelaien t1 fils de Zeus ’ ceux qui recevaient la bonne éducation et avaient des âmes viriles, puisqu’ils avaient été éduqués comme le grand Héraclès ».

33. D .L. V I 103-104 ; cf. V I 27-28 (jugement sévère porté sur les grammai­riens, les musiciens, les mathématiciens et les orateurs). Pour une critique de la géométrie, vo ir aussi Stobée I I 31, 118 ; t. II , p. 229, 9-11 W achsm uth : « U n géomètre qualifiait D iogène de 1 non instru it ’ et de ‘ stupide ’. Mais celui-ci répliqua : ‘ Pardonne-m oi de n ’avoir pas appris ce que même C hiron n ’a pas enseigné à Achille ’ ». Pour l’astronomie, v o ir Gnomologium Parisinum 7 ; p. 2

UN RACCOURCI VERS LA VERTU 27

Cette voie cynique ne permet pas à l'homme de se détourner un seul instant de la confrontation active avec ses deux pires ennemis : le plaisir (ηδονή) et la souffrance (πόνος). S’adressant à Cratès, Diogène insiste sur l’intérêt que présente le court chemin pour ceux qui sont prêts à la lutte :

La plupart des gens, quand ils entendent dire qu’un rac­courci mène au bonheur, s’élancent vers l’eudémonisme, comme nous vers la philosophie. Mais quand ils arrivent sur le chemin et qu’ils contemplent sa difficulté, alors ils se retirent, comme saisis de faiblesse, puis ils se mettent à accuser, je suppose, non point leur propre mollesse, mais notre impassibilité. (...) Toi, cependant, persévère dans l'ascèse, comme tu as commencé de le faire, et applique-toi à résister de façon égale au plaisir et à la souffrance34, puisque tous deux à égalité par nature nous font la guerre et au premier chef constituent une entrave, le premier parce qu’il conduit au mal, la seconde parce qu’elle inspire la crainte qui détourne du bien35.

Le thème du raccourci vers la vertu devait peu à peu devenir .un véritable slogan que l’on utilisait pour caractériser la méthode éducative des Cyniques. On le retrouve, par exemple, chez Plu­tarque qui, évoquant à la suite de Caton la portée de la relation amoureuse entre l’amant et l’être aimé, y voit un raccourci édu­catif qu'il compare au raccourci cynique : « (L'être aimé) par­court d’une traite une longue route, tout comme les Cyniques disent qu’ils ont découvert un trajet à la fois ardu et court vers la vertu » 3®. Mais ce slogan, de par la prétention qu’il paraît afficher, ne manqua pas d’attirer sur ses partisans sarcasmes et ricanements. Manifestement choqué par l’audace grossière des Cyniques tout autant que par leur refus de la logique, Galien s’associe aux gens qui tournent en ridicule le slogan cynique et parlent d'un « raccourci vers la forfanterie » (σύντομον επ’ αλα­ζονείαν οδόν) :

Sternbach : « Alors qu’un astrologue sur l’agora dessinait des astres et disait : ‘ Voici les astres errants ’, D iogène dit : ‘ N on, homme pervers, les errants, ce sont ceux qui se tiennent autour de to i et qui sont saisis de stupeur comme si des choses descendaient du ciel ’ ». Pour une version un peu différente de cette anecdote, voir Stobée I I 1, 23 ; t. II, p. 8, 5-11 Wachsmuth.

34. Dans la Lettre X IX à Patrocle (p. 212 Hercher), C ra tè s présente juste­m ent Diogène comme le vainqueur de la souffrance et du plaisir : « Diogène qui a revêtu le costume cynique pas seulement une fois, mais qui, to u t au long de sa vie, a été plus fort que la souffrance et le plaisir ».

35. D io g èn e, Lettre X II à Cratis ; p. 238 Hercher.36. P lu ta rq u e , Amatorius 16, 759 D .

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28 LA MORALE DIOGÉNIENNE

Il est très facile pour des jeunes gens incultes de croire le maître qui leur dira d’un visage grave qu’une voie des plus aisées mène à la sagesse, celle qu’ont ouverte tous ceux qu'on appelle Cyniques. Ceux-ci affirment en effet eux aussi que le mode de vie qui leur est propre est un raccourci vers la vertu. (...) D’autres cependant, tenant des propos plus conformes à la vérité, affirment, en raison de l’audace gros­sière de ces hommes, que la philosophie cynique est un rac­courci vers la forfanterie. Par conséquent, comme c’est le cas pour tous les Cyniques, du moins ceux que j ’ai observés au cours de mon existence, il se trouve parmi les gens qui font profession de philosophie quelques individus pour avouer fuir l’exercice qui ressortit à la théorie logique37.

Parodie encore chez Lucien quand, dans ses Vies à l’encan, il prête à Diogène cette description de la voie cynique :

Elle est d’une facilité extrêm e38 et tous peuvent aisément la suivre. Tu n'auras besoin en effet ni d’éducation, ni de doctrines, ni de bavardages. Elle sera pour toi un raccourci vers la renommée (επίτομος αυτή σοι προς δόξαν ή οδός). Même si tu n ’as reçu aucune éducation, que tu sois corroyeur, marchand de salaisons, charpentier ou banquier, rien ne t ’empêchera de susciter l’admiration, à condition seulement que tu sois impudent et effronté et que tu saches parfaite­ment injurier les gens de la belle façon39.

B. LE TERME DE LA VOIE CYNIQUE

Que vise cette voie courte ? Peut-on caractériser le cynisme, comme on le faisait dans l’Antiquité pour les autres écoles philo­sophiques, par la poursuite d’une fin spécifique, d’un télos auquel se rapportent tous les actes de la vie humaine ?

1. Le cynisme est-il une philosophie?

En premier lieu, il est intéressant de rappeler qu’assez tôt certains contestèrent l’idée que le cynisme puisse être une école

37. G a lie n , De peccatorum dignatione III 12-13 > ΡΡ· 4$, 23-49, ίο de Boer = t. V, p. 71 Kühn.

38. Plus tard, l’empereur Ju lie n dans son Discours V II Contre Héracleios le Cynique 19 ; 225 C, reprochera précisément lui aussi à Héracleios et aux Cyniques de son temps de prendre la voie courte par goût de la facilité.

39. Vies à l'encan 11.

LE CYNISME EST-IL UNE PHILOSOPHIE ? 29

philosophique véritable. C’était le cas, à ce que rapporte Diogène Laërce dans le prologue de ses Vies et doctrines des philosophes illustres, d'un auteur de l’époque hellénistique : Hippobote40. Ce dernier en effet, dans son Péri Haireseôn, donne une liste de neuf haireseis d'où se trouvent exclues les écoles cynique, éliaque et dialectique. Ensuite, Diogène Laërce, voulant expliquer pourquoi l’école pyrrhonienne tantôt est regardée comme une hairesis, tantôt ne l’est pas, donne une définition de Yhairesis — avec laquelle lui-même n’est pas d’accord — qu'il pourrait bien avoir empruntée à l’ouvrage d’Hippobote cité juste auparavant :

Si nous concevions qu’une école de pensée (implique) une inclination à (définir) des dogmes cohérents, l’école pyrrhonienne ne saurait plus être appelée école de pensée, car elle n’a point de dogmes41.

Certains, par conséquent, refusaient au cynisme le statut d’école philosophique parce qu’il ne revendiquait pas un corps de doctrines fermement établi, et voulaient le réduire à un mode de vie original. Diogène Laërce fait à nouveau allusion à cette problématique en VI 103, au terme de son livre sur le cynisme, quand il rappelle que pour certains, et probablement pense-t-il entre autres à cet Hippobote, le cynisme n’est pas une école de pensée (hairesis), mais seulement une façon de vivre (enstasis biou)42 :

Voilà pour la biographie de chacun des Cyniques. Nous allons maintenant y ajouter les doctrines professées en commun, car nous estimons que la philosophie cynique est une école de pensée, et pas seulement, comme le croient certains, une façon de vivre.

La conséquence extrême du raisonnement tenu par ceux qui voient dans le cynisme un simple mode de vie est tirée par Varron quand, dans son De Philosophia, il s’attache à distinguer, en fonction de leur télos, deux cent quatre-vingt-huit écoles philo­sophiques possibles. En effet, au moment où il parvient à une classification en quarante-huit écoles philosophiques, il entre­prend de doubler ce nombre, en adoptant comme principe formel de classification le genre de vie :

40. D .L. I 19-20. V oir p. 219, n . 66.41. Ibid. I 20.42. Le P seu d o -G alien , dans Histoire Philosophique 3, p. 602, 5 Diels, dit

que l’école cynique tire son nom d’une enstasis, celle du chien.

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30 LA MORALE DIOGÉNIENNE

Comme l’un peut encore suivre l’une de ces quarante- huit sectes en adoptant le genre de vie des autres philo- sophies et l’autre en adoptant le genre de vie des cyniques, cette distinction double à nouveau leur nombre et le porte à quatre-vingt-seize (...). Dans la différence tirée de la tenue et du genre de vie des Cyniques, on ne se demande pas quelle est la fin du bien, mais s’il faut vivre dans cette tenue et de cette manière quand on poursuit le vrai bien, quel que soit d’ailleurs le bien qu’on se propose et quelle que soit l’idée qu’on se fasse de sa vérité. Aussi bien s’est-il trouvé des gens pour rechercher des biens suprêmes opposés, les uns la vertu, d’autres la volupté, qui néanmoins avaient adopté la tenue et le genre de vie d’où les Cyniques tirent leur nom. Quel que soit donc ce qui distingue les Cyniques des autres philosophes, cela n’avait assurément aucune importance pour le choix et la possession du bien qui les ren­drait heureux ; sinon la même tenue obligerait à tendre vers la même fin et des tenues diverses ne permettraient pas de poursuivre une fin identique43.

Selon Varron, la qualification de « cynique » peut s’appliquer à des positions philosophiques différentes dont le seul trait d’union est constitué par l’adoption de la tenue et du mode de vie des Cyniques. Dans cette optique, on peut très bien imaginer que des Platoniciens, des Aristotéliciens ou des Stoïciens' se disent cyniques. Varron refuse au cynisme un télos qui lui soit propre. Or, comme le télos est le noyau essentiel du système philosophique dont une école peut se réclam er44, Varron ne consi­dère pas le cynisme comme une école philosophique.

Il existait donc dans l’Antiquité toute une tradition pour laquelle le cynisme était seulement un mode de vie. Cette concep­tion s’appuyait certainement sur le fait qu’à la différence des autres écoles, il n’avait jamais eu de cadre institutionnel ni de système doctrinal. Toutefois, même parmi les gens qui l’admet­taient comme une philosophie, il y en avait pour le regarder comme une forme dégradée de philosophie, ainsi qu’on peut le déduire de certains propos tenus par Julien :

Puisque le cynisme se trouve être une forme de philoso­phie — non la plus vile et la plus discréditée, mais la rivale

43. A u g u stin , Cité de Dieu X IX 1, 2-3 ; trad. G. Combès modifiée.44. Cf. C icé ro n , De Finibus V 14 : « U n désaccord sur le souverain bien

suppose un désaccord sur l’ensemble du système philosophique » (trad. J . Martha).

LES DÉFINITIONS DU TÉLOS CYNIQUE 31

des plus estimables —, il nous faut tout d’abord dire quel­ques mots de la philosophie elle-même45.

Julien développe ensuite sa façon très personnelle de conce­voir le cynisme. Il s'agit à ses yeux d’une philosophie univer­selle et tout à fait naturelle, qui exclut l’érudition et implique seulement l’obéissance aux deux préceptes delphiques : « Connais- toi toi-même » et « réévalue ta monnaie ». A l’origine de cette philosophie dont Antisthène, Diogène et Cratès sont les cory­phées, Julien situe le dieu de Delphes. Mais visiblement tout le monde ne lui prêtait pas une telle noblesse !

De ces divers éclairages braqués sur le cynisme, on peut conclure que, perçu de l’extérieur, il apparaissait comme une réalité complexe à laquelle pouvaient s’appliquer au moins trois définitions ; simple mode de vie, philosophie dégradée, philoso­phie au sens le plus noble du terme.

2. Les définitions du télos cynique

Quels que soient les jugements que l’on ait pu porter de l’extérieur sur le cynisme, il est certain que les gens qui se disaient cyniques et respectaient les principes de Diogène, préten­daient atteindre une condition spirituelle déterminée qui ne se laissait pas assimiler aux objectifs des autres écoles. C’est pourquoi, quand on a voulu caractériser les écoles philoso­phiques par leur télos, on a donné également des définitions du télos cynique, dont plusieurs nous sont parvenues. Avant de les examiner, il faut avoir conscience que la problématique du télos est certainement postérieure à Antisthène et Diogène. C’est en effet, semble-t-il, après Aristote et l'Éthique à Nicomaque que chaque école s’est attachée à préciser son télos propre et que l’on s’est employé à définir d’après leur télos la spécificité des écoles philosophiques les unes par rapport aux au tres46. Épi-

45. Discours IX Contre les Cyniques ignorants 2 ; 182 C ; trad. G. Rochefort.46. Ceci ne signifie pas bien évidemment q u ’avant Aristote les philosophes

n ’on t pas réfléchi sur la fin de la vie humaine. Dans le Lysis 219 D-220 E, Socrate aborde à propos de l ’amitié le problèm e des fins relatives et de la fin absolue. Dans le Banquet 211 B, il désigne par télos le terme de l’ascension qui permet de passer de l’am our des beaux corps aux belles occupations, puis aux belles sciences, pour parvenir enfin à la science du beau surnaturel, autrement dit à la connaissance de l’essence du beau. O n peut lire également dans le Gorgias une définition du télos due à Socrate, qui préfigure tou t à fait les définitions du télos que donneront Aristote et les Stoïciens : « Le bien est, sans exception, la fin de tous nos actes et c’est en vue de lui que tou t le reste doit être fait, mais non pas le bien en vue du reste » (499 E ; trad. L. Robin). Cependant la détermination d’un télos propre à

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32 LA MORALE DIOGÉNIENNE

cure47, Cléanthe48 ou Chrysippe49 écrivirent un Péri îélous et Cicéron, par exemple, dans un ouvrage comme le De Finibus, compare le télos des différentes écoles philosophiques grecques χ . Ce serait donc faire preuve de naïveté que de considérer les défi­nitions dont nous disposons pour le cynisme ancien comme des définitions littérales originelles, même si Antisthène a dû évi­demment réfléchir, dans l’élaboration de sa morale, aux fins qu’il poursuivait.

Parmi ces définitions, certaines sont en effet attribuées à Antisthène lui-même, tandis que d’autres concernent les Cyniques en général. Dans la doxographie qui clôt le livre que Diogène Laërce consacre au cynisme, on peut lire :

Les Cyniques soutiennent encore que la fin consiste àvivre selon la vertu, comme le dit Antisthène dans sonHéraclès. C’est aussi ce que pensent les Stoïciens, car il ya une communauté de vues entre ces deux écoles51.

chaque école devint nécessaire le jour où il y eut une diversité d’écoles telle qu’i l fallut trouver un m oyen commode de les situer les unes par rapport aux autres.

47. Cf. D .L . X 27 ; vo ir fr. 22 Arrighetti.48. Cf. D .L . V II 175 = S V F I 481 ; vo ir aussi S V F I 552-556.49. L ’ouvrage de Chrysippe est m entionné dans S V F II 30 ; III 4.85.178.223.

D .L . V II 84 rappelle que les Stoïciens Chrysippe, Archédémos, Z énon de Tarse, A pollodore, Diogène, A ntipater, Posidonius et leurs disciples divisaient la branche éthique de la philosophie en hu it topoi dont le cinquième était le. Péri télous.

50. Cette pratique se retrouve dans plusieurs ouvrages. Citons à titre d ’exemples la partie intitulée Péri félons du chapitre d ’ARios D idym e consacré à l’éthique (Stobée II 7, 3 ; t. II, p. 45. 11-53, 20 W achsmuth), de même que le chapitre 21 du second Stromate de C lém en t d ’A le x a n d r ie ou le livre X I de la Thérapeutique des maladies helléniques de T h é o d o rf.t de C yr.

51. D .L . V I 104. Antisthène consacra apparemment plusieurs ouvrages à Héraclès (fr. 22-28 Caizzi). Chez D io g èn e L a ë r c e V I 104-105 et chez É ra to s - th è n e , Catasterismoi, ch. 40, on trouve seulement l ’expression έν τω Ή ρα κ λεϊ. Dans la liste que donne D io g èn e L a ë r c e V I 16.18 des ouvrages d ’Antisthène, trois titres font intervenir le nom du héros : Η ρ α κ λ ή ς δ μείζω ν ή περί ισχύος, Η ρ α κ λή ς ή Μ ίδας, Η ρ α κ λή ς ή περί φρονήσεως ή ισχύος. D ’autre part, en V I 2, D io g èn e L a ë r c e emploie l ’expression διά τοϋ μεγάλου Ή ρακλέους et en I I 61 apparaît le titre τον 'Η ρακλέα τον έλάσσω. O n est tenté alors de rapprocher ce titre de I I 61 de celui des autres titres qui contient égale­ment un comparatif, c ’est-à-dire Η ρ α κ λή ς 6 μείζω ν ή περί ισχύος et de considérer qu’on a un Héraclès majeur et un Héraclès mineur, tout comme on connaît de Platon un Hippias majeur et un Hippias mineur. Le titre indiqué en D .L . V I 2 serait alors à identifier avec Y Héraclès majeur. A . P a tz e r , Antisthenes der Sokratiker. Das literarische IVerk und die Philosophie, dargestellt am Katalog der Schriften [Teil- druck] (Diss.), Heidelberg, 1970, pp. 148-149, propose de voir dans les titres 'Η ρακλής ό μείζω ν ή περί ισχύος d’une part et 'Η ρακλής ή περί φρονήσεως καί Εσχύος d ’autre part, un seul et même écrit dont le titre originel aurait été Η ρ α κ λή ς ό μείζω ν ή περί φρονήσεως κα ί Ισχύος. UHéraclès mineur serait alors à identifier avec 'Η ρακλής ή Μ ίδας. Par le passé, A . M ü lle r ,

LES DÉFINITIONS DU TÉLOS CYNIQUE 33

Outre qu’il ne s’agit probablement pas d’une citation tex­tuelle de l 'Héraclès d’Antisthène, il faut noter qu’on a affaire ici à une formule de caractère doxographique, donc stylistiquement « lypée ». D’autre part, une doxographie peut être « orientée » vers un but précis. Ailleurs52, nous avons montré que la doxo- nraphie cynique de Diogène Laërce était commandée par uneI lièse bien précise : dans l’esprit de son auteur, le cynisme doit apparaître comme une préparation du stoïcisme et la filiation ■Socrate -» Antisthène Diogène -»■ Zénon —> Cratès doit s’im-I mscr. D’où les parallèles multiples que l’on peut relever entre la doxographie cynique et la doxographie stoïcienne du livre VII. < "est comme si le doxographe s’était attaché à citer toutes les opinions communes aux deux mouvements afin de mieux mettre en relief le lien étroit qui les unit. Or, dans le cas présent, on remarquera que non seulement le doxographe lui-même établit l<- parallélisme avec les Stoïciens, mais encore que la formule « vivre selon la vertu » est une des définitions les plus typiques du télos stoïcien, définition dont il est fait état dans le livre VII sur le stoïcisme53. Par conséquent, tout ce que nous pouvons dire, c’est que le doxographe stoïcien ou prostoïcien, en attri­buant à Antisthène une telle définition, a dégagé de l'Héraclès une leçon morale qui s’harmonisait parfaitement avec les vues sloïciennes sur le télos.

Un autre témoignage, doxographique lui aussi, puisqu’il est liré de la doxographie d’Antisthène, permet de compléter la pré-

lh Antisthenis vita et scriptis, M arburg, 1860, p. 41 ss, et R. H irz e l , Der Dialog. Ein literarhistorischer Versitch, Leipzig, 1895, t. I, p. 120, n. 1, ne croyaient à l’existence que d ’un seul Héraclès d ’Antisthène. L ’hypothèse de Patzer iious paraît plus vraisemblable. Signalons encore que Diogène a écrit une tragédie intitulée Héraclès indiquée dans la première liste que D.L. donne des écrits du philosophe, mais qui n ’est pas citée dans la liste émanant de Sotion (VI 80). Sur cette tragédie, vo ir A. B a r ta lu c c i , « Una probabile ricostruzione dell ’Eracle di Diogene di Sinope », Studi Classici e Orientali 19-20 (1970-1971) 109-122. O n a proposé de voir dans deux vers cités par D io n Cassius X LV II 49 et présentés comme une parole d ’Héraclès reprise par Brutus au m oment de sa m ort (T rG F 88 F 3 Snell), des vers tirés de YHéraclès de Diogène : « Ô vertu malheureuse, tu n’étais donc qu’un mot. Moi, cependant, je te pratiquais comme quelque chose de bien réel ; mais toi, tu n ’étais que l’esclave de la Fortune ». Le même passage est partiellement cité par P lu ta rq u e , De superstitione 1, 165 A. Comme le contenu de ces vers s’harmonise assez mal avec les idées diogéniennes, nous doutons que cette identification soit fondée.

i2. V oir notre article « Un syllogisme stoïcien sur la loi », pp. 233-236.53. Cf. D .L. V II 87 = S V F I 179. Sont cités plusieurs équivalents de la

formule, donnés par des philosophes stoïciens de Zénon à Archédémos. O n la retrouve aussi chez C lém ent, Strotnate I I 21, 129, 1 ; t. II, p. 183, 1-2 Stàhlin = S V F I 180, et chez A riu s Didyme dans Stobée II 7, 6 e ; t. II, p. 77, 18 Wachs­m uth = S V F I II 16.

2

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34 LA MORALE DIOGÉNIENNE

cédente définition, même s’il ne fait pas intervenir directement la notion de télos. « La vertu suffit au bonheur ; elle n'a besoin de rien de plus, si ce n’est de la force socratique » s4. Deux parties peuvent être distinguées dans ce témoignage. La première reprend une formule que l'on rencontre fréquemment dans le stoïcisme : « La vertu suffit au bonheur »5S. La seconde, en revanche, offre davantage d’intérêt, car elle traduit une concep­tion chère à ce disciple fervent de Socrate qu'était Antisthène. Ce dernier, ainsi que nous aurons l’occasion de le voir ultérieure­m ent56, nuance l’idée que la vertu suffit au bonheur — idée qui était impliquée dans la morale socratique et que les Stoïciens reprendront à leur compte —, en présentant Yischus comme une condition nécessaire de ce bonheur. Rappelons d’ailleurs que deux ouvrages d'Antisthène consacrés à Héraclès font inter­venir dans leur titre la notion d 'ischus 57. Vertu, ischus et bonheur forment donc une trilogie au sein de laquelle l’agir moral selon Antisthène trouve tout son dynamisme.

Une seconde définition du télos antisthénien nous est par­venue dans le second Stromate de Clément d’Alexandrie. « Antis­thène dit que Yatuphia est la fin de la vie »58. Ce concept d’atuphia est assez facile à cerner, mais difficile à traduire. U englobe le refus de toutes les illusions auxquelles l’homme peut être tenté de succomber. Jamais Antisthène, Diogène ou Cratès ne perdaient une occasion de fustiger le tuphos de leurs contem­porains, auquel ils opposaient la vertu cynique59. Le tuphos, en tant qu’illusion sur soi-même détourne l’homme de la nature. C’est pourquoi le cynisme, philosophie naturaliste, rejette aussi bien la métaphysique qui entraîne l’homme à réfléchir sur des questions qui le dépassent que les valeurs sociales dont le respect entrave la réalisation de l’apathie. Beaucoup plus que la précé­dente, cette définition du télos nous paraît fidèle aux vues cyniques originelles. Elle fait appel à un concept clef du cynisme ancien, que les Stoïciens reprendront d’ailleurs à leur compte quand ils soutiendront qu’entre autres qualités le sage est atuphos60.

54. D .L . V I i i .55. Cf. D .L. V II 127 = S V F I 187 et III 49, où la form ule est attribuée à

Zénon, à Chrysippe, dans le prem ier livre de son ouvrage Sur les vertus, e t à Hécaton, dans le second livre de son ouvrage Sur les biens. Cf. aussi le titre du second paradoxe dans Les paradoxes des Stoïciens de C icé ro n .

56. P. 145.57. Cf. D .L . V I 16 et 18. V oir p. 32, n. 51.58. C lém en t d ’A le x a n d r ie , Stromate II 21, 130, 7 ; t. II , p. 184, 18 Stâhlin.59. Sur le tupbos chez les Cyniques, voir plus haut p. 17, n. 2.60. Cf. D .L . V II 117 = S V F I I I 646.

LES DÉFINITIONS DU TÉLOS CYNIQUE 35

Plusieurs témoignages de Julien confirment et précisent la définition du second Stromate. Dans son seul Discours IX, il «•nonce trois définitions du télos cynique, que l’on nous permettra de citer successivement, car elles sont complémentaires :

Le but de leur vie (s.e. de la vie d’Antisthène, de Diogène et de Cratès) et leur fin étaient, à mes yeux, la connaissance de soi-même, le mépris des vaines opinions et aussi la pour­suite de la vérité — « principe de tous les biens », dit-on, « tant pour les Dieux que pour les hommes » (Platon, Lois V, 730 C) — avec toute la force de leur intelligence61.

Cette fin (s.e. la fin que se propose le cynisme), c’est l'apathie ; ce qui équivaut à devenir Dieu62.

Le but et la fin que se propose la philosophie cynique, comme d'ailleurs toute philosophie, est le bonheur. Or ce bonheur consiste à vivre conformément à la nature, et non selon les opinions de la foule63.

Si la première de ces définitions est manifestement teintée <lc socratisme, ce qui correspond à la vision personnelle que Julien se faisait du cynisme, elle présente cependant un élément typiquement cynique: le mépris des vaines opinions, attitude qui rejoint directement Yatuphia. Quant à Yapathie du second passage, elle caractérise précisément l’état d’âme de celui qui est parvenu à cette atuphia. Le dernier passage enfin rappelle que le bonheur s’identifie à la vie selon la nature et que celle-ci implique le rejet des opinions de la foule, autrement dit du tuphos.

U nous paraît évident que toutes ces définitions du télos antisthénien et cynique ne résultent pas d’une réflexion théorique structurée que les Cyniques auraient menée sur le télos, du type de celle que produiront plus tard les Stoïciens. Elles ne font que décrire de façon complémentaire l’état spirituel auquel parvient le sage cynique au terme de sa démarche philosophique. Vertu, bonheur, atuphia, apathie, sont autant d’aspects d’un même télos.

Toutefois, même si les Cyniques n’avaient pas un système de doctrines très élaboré, les débats sur des questions théoriques n'étaient pas exclus, du moins à l’époque de Galien, si l’on en juge par ce que ce dernier rapporte:

61. Discours IX Contre les Cyniques ignorants 8 ; 188 BC ; trad. G. Rochefort.62. Ibid. 12 ; 192 A.63. Ibid. 13 ; 193 D ; cf. 18 ; 201 C.

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36 LA MORALE DIOGÉNIENNE

Les Cyniques affirment que le mode de vie qui leur est propre est un raccourci vers la vertu. Mais certains d’entre eux, récusant cette définition, disent que la philosophie cynique est une voie qui conduit non point à la vertu, mais au bonheur en passant par la vertu64.

La vertu doit-elle être recherchée pour elle-même ou n’est- elle qu’un moyen permettant d’accéder au bonheur ? Ce genre de discussion reflète peut-être l’influence du stoïcisme qui affirme tantôt que la vertu doit être recherchée pour elle-même, tantôt que le télos est le bonheur65.

Peut-être s’étonnera-t-on que nous n’ayons pas fait allusion jusqu’à présent à des définitions du télos selon Diogène. Ceci n ’est pas très surprenant si l’on se souvient que les formulations doxographiques du télos cynique dont nous disposons sont pro­bablement dues à des Stoïciens. Il est évident que Diogène ne présentait pas aux yeux des Stoïciens le même attrait qu'Antis- thène. Doctrinalement son œuvre devait être beaucoup moins séduisante que celle de son prédécesseur, et surtout elle scan­dalisait, ce que bien des Stoïciens ne pouvaient supporter66, au

64. G a lie n , De peccatorum dignatione I I I 12 ; p . 49, 2-5 de Boer = t. V, p. 71 Kühn.

65. I l n ’y avait pas vraim ent chez les Stoïciens opposition entre les deux façons de voir. Ils estimaient en effet que c’est dans la vertu que réside le bonheur ( S V F III 39). Toutefois Zénon et l’ensemble du Portique éprouvaient le besoin de préciser que « c’est la vertu elle-même qui conduit à elle, grâce à son éclat propre, les esprits, sans qu’aucun avantage extérieur n’intervienne, absolument aucun, et n’exerce sa séduction, en quelque sorte au titre de récompense » ( S V F I 186). Dès l’ancien stoïcisme par conséquent cet aspect faisait problème. Un tém oi­gnage, bien tard if certes, puisqu’il est dû à L a c ta n c e , m ontre qu’à l’extérieur la position stoïcienne n ’alla pas sans soulever d’objections : « Les Stoïciens disent que sans la vertu personne ne peut connaître le bonheur. La vie heureuse est donc la récompense de la vertu, si la vertu, comme on l’a dit justement, rend la vie heureuse. La vertu par conséquent ne doit pas être recherchée pour elle-même » ( S V F III 47). Sur le télos défini comme « vie selon la vertu », voir S V F I 179 et180, comme « bonheur », S V F III 16 et 280 ; sur la vertu qui doit être recherchée pour elle-même, vo ir S V F I 186 et III 38-48.

66. V oir par exemple ce que dit P hilodèm e à propos de la Politeia de D io­gène dans son De Stoicis (PHerc. 339), colonnes X III, X IV , V II-X 6, passages édités, traduits et commentés par Rosa G ia n n a tta s io A n d ria , « Diogene Cinico nei papiri ercolanesi », Cronachs Ercolanesi 10 (1980) 129-151. Pour l’éditiond’ensemble du papyrus, voir m aintenant l’édition de T. D o ra n d i, « Filodemo.Gli Stoici (PHerc 155 e 339) », Cronache F.rcolanesi 12 (1982) 91-133, qui remplace celle de W. C r ô n e r t , Kolotes und Menedemos. Texte und Untersuchungen xur Philo- sophen- undLiteraturgeschichte, coll. « Studien zur Palaeographie und Papyruskunde»,6, Leipzig, 1906 (rp. Amsterdam, 1965), pp. 53-67. D ’après Philodème, Cléanthe,dans son ouvrage Sur le vêtement, approuvait le contenu de la Politeia et donnait l ’explication détaillée de quelques passages. Chrysippe lui aussi parle de la Politeia

LES DÉFINITIONS DU TÉLOS CYNIQUE 37

point qu’ils prirent la peine de renier l’authenticité d’un certain nombre de ses écrits67. Pour des Stoïciens, par conséquent, le télos cynique qu’il importait de définir était celui d’Antisthène. Nous citerons cependant quelques textes qui font indirectement allusion à la visée morale poursuivie par Diogène. Dans son liuitième Discours intitulé Diogène ou Sur la vertu, Dion Chrysos- tome fait dire au philosophe cynique : « L’homme de bien aime à combattre les souffrances constamment, nuit et jour (...), afin de gagner bonheur et vertu, et cela tout au long de sa vie »68. Voilà donc bonheur et vertu associés comme les deux termes d'une même quête. C’est encore le bonheur qui paraît essentiel à Diogène dans ce passage transmis par le Gnomologium Vaticanum :

Diogène avait tous les malheurs que l'on rencontre dans les tragédies. Il était en effet « Mendiant, errant, vivant au jour le jour». Cependant, disait-il, bien que telle soit ma situation, je suis prêt à rivaliser avec le Roi des Perses sur le chapitre du bonheur69.

Témoignage tardif, mais éloquent, de cette recherche d'un bonheur difficile à atteindre, accessible cependant : la lettre pseudépigraphe de Diogène à son père Hicétas70. Le philosophe raconte comment Antisthène enseignait le bonheur à ses disciples et utilisait, pour ce faire, une comparaison bien concrète, celle des deux routes qui montaient à l’Acropole, l’une courte et difficile, l’autre longue et aisée.

En passant en revue ces divers témoignages, nous avons pu constater en premier lieu qu’à la différence du stoïcisme qui a échafaudé un système moral dans lequel la définition du télos

diogénienne dans Sur la cité et la loi, Sur la République, Sur ce qui ne doit pas être choisi par soi-même et Contre ceux qui conçoivent différemment la sagesse. Au tome IV de son traité Sur le beau et le plaisir, Chrysippe m entionne avec des éloges l’ouvrage de Diogène et dans Sur la justice i l aborde le problèm e de l’anthropophagie dont traitait Diogène. C’est seulement chez des Stoïciens contemporains de Philodème qu’on assiste à la critique et au rejet de la Politeia. V oir Excursus II, pp. 85-90.

67. C’est ainsi qu’iis renièrent la Politeia, mais il sont peut-être aussi à l’origine des discussions, mentionnées par D .L. V I 8o, qui eurent lieu sur l’authen­ticité des tragédies e t même sur l’authenticité de l’œuvre littéraire de Diogène dans son ensemble.

68. D io n Chrysostom e, Discours V III 15.69. Gnomologium Vaticanum 201, p. 80 Sternbach ; cf. Gnomologium Parisi-

num 24, p. 4 Sternbach ; D .L. V I 38 ; É lie n , Histoire variée III 29 ; Ju lien , Discours V I A Thémistius 4 ; 256 D , et Discours IX Contre les Cyniques ignorants 14 ; 195 B.

70. Lettre 30 à Hicétas, pp. 244-245 Hercher.

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38 LA MORALE DIOGÉNIENNE

venait s’inscrire de façon cohérente et logique, le cynisme n’avait probablement pas au départ une doctrine du télos. Par consé­quent, lorsque les Stoïciens ont appliqué au cynisme la problé­matique post-aristotélicienne du télos, ils ont formulé leurs défi­nitions dans des termes qui leur étaient propres et dans la pers­pective qui leur était chère d'une filiation cynisme-stoïcisme, tout en respectant certaines données cyniques originales comme1 ’ischus ou Vatuphia.. Nous remarquerons, d'autre part, que le flottement conceptuel qui nous est apparu dans les définitions du télos cynique prouve seulement que les divers concepts uti­lisés visent davantage à décrire un état spirituel qui peut être perçu sous divers aspects qu’à s’inscrire dans une réflexion morale systématique.

3. Les conditions du bonheur cynique

La vertu, dans ses acceptions classiques, vertu du guerrier, vertu du citoyen, vertu de l’homme politique, n ’intéresse pas Diogène. Ce qui lui importe avant tout, c’est d’être personnelle­ment heureux. Or, pour y parvenir, il faut vivre à l’abri de tout ce qui peut entraver la liberté. D’où les trois conditions requises pour que se réalise le bonheur selon Diogène : l’autarcie, la liberté et l'apathie. La vertu diogénienne ne déborde pas la réali­sation de cet état d’indépendance totale; c’est pourquoi si sou­vent on reproche aux Cyniques de n’avoir pas donné à leur vertu un contenu positif.

Les concepts d’autarcie, de liberté et d’apathie permettent donc de décrire l’attitude morale essentielle que tout l’entraîne­ment cynique vise à assurer et qui permettra à l’homme de connaître le bonheur, quelles que soient les circonstances. Alors que la mentalité traditionnelle considère que l’homme est heu­reux quand il parvient à posséder les biens matériels, à dominer les autres et à jouir d’une grande célébrité, Diogène montre, lui, qu’on peut atteindre beaucoup plus facilement le bonheur en limitant au maximum ses besoins. Parvenu à se débarrasser du tuphos, le sage cynique est αυτάρκης en ce qu’il n’a besoin ni des richesses, ni de la civilisation, ni des faveurs de la fortune. Comme il ne tient à rien de ce qui lui est extérieur, on ne peut rien lui ôter qui compromette son bonheur71. C’est cette autarcie

71. L ’attitude adoptée par D iogène dans le domaine sexuel illustre assezbien son aspiration à l’autarcie. I l pratique en effet la m asturbation, ainsi quel’atteste ce m ot rapporté par D .L. V I 46 : « Un jour qu’il se m asturbait sur laplace publique, il d it : ‘ Ah I si seulement en se frottant aussi le ventre, on pouvait

LES CONDITIONS DU BONHEUR CYNIQUE 39

qu'une très belle épitaphe, citée par Diogène Laërce, présente comme le message essentiel du philosophe et son plus grand titre de gloire :

Même le bronze subit le vieillissement du temps,mais ta gloire, Diogène, l’éternité ne la détruira point.

Car toi seul as montré aux mortels la gloire d’une vieautonome et le sentier de l’existence le plus facile à

parcourir12.

Sénèque n ’hésite pas à assimiler la félicité diogénienne issue de l’autarcie à la condition des Dieux immortels :

Il est, je le répète, plus supportable et plus simple de ne pas acquérir que de perdre, et de là vient qu'on voit un air plus gai aux gens que la fortune n'a jamais visités qu’à ceux qu'elle a trahis. C'est ce qu'avait compris Diogène dans sa sublime sagesse ; aussi prit-il ses mesures pour qu'on ne pût rien lui ôter. Appelle cela pauvreté, dénuement, misère, donne à cette sécurité n'importe quel nom flétrissant : je cesserai de croire Diogène heureux quand tu me trouveras un autre homme qu'on ne puisse priver de rien. Ou je me trompe, ou c'est être roi que de vivre environné de gens rapaces, de fourbes, de bandits, de larrons, et d'être le seul au monde qui soit à l’abri de leurs méfaits. Si l'on doute de la félicité de Diogène, que l'on doute aussi de la condition des dieux immortels, et qu’on se demande s'ils ne sont pas malheureux de n’avoir ni propriétés ni jardins ni terres mises en valeur par des bras mercenaires, ni capitaux engagés à gros intérêt sur la place73.

Devenu presque l’égal des Dieux, puisqu’ainsi qu’il le disait lui-même : « le propre des Dieux est de n’avoir besoin de rien, celui des gens semblables aux dieux, de désirer peu de choses »74,

calmer sa faim ’ » (de même ibid. V I 69). D ’autre part, i l refuse les liens du mariage (cf. D .L . V I 29 : « Il louait les gens qui, sur le point de se marier, ne se mariaient po in t », et les fragments de la Politeia où est expressément posé le prin­cipe de la comm unauté des femmes) et préfère trouver du plaisir auprès des courti­sanes (cf. les anecdotes qui le présentent fréquentant Laïs, dans A th é n é e , Deipno­sophistes X III ; 388 C et 588 Ë F ou encore cette remarque que lui attribue P lu ­ta rq u e , De liberis educandis 7 ; 5 C : « E ntre dans un mauvais lieu, afin d ’apprendre que ce qui coûte cher ne diffère en rien de ce qui est sans dignité »).

72. D .L. V I 78 = A n th. Pal. X V I 334.73. De tranquillitate animi V III 3-5 ; trad. R. Waltz.74. D .L. V I 105.

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40 LA MORALE DIOGÉNIENNE

Diogène prétend retirer de la philosophie ce profit : « être riche sans avoir une obole »75, et il donne du riche cette définition : « celui qui se suffit à lui-même »76.

Seconde condition du bonheur, liée de très près à la précé­dente : la liberté, à laquelle le philosophe rattache expressément son bonheur souverain. « Diogène s’étonnait que lui qui n’agissait en rien comme les autres, fût seul libre parmi tous et que nul autre ne comprît son bonheur souverain »77. C’est cette même liberté que chérissent les sages auxquels Cratès, témoin du cynisme le plus ancien, fait certainement allusion dans les deux vers qui suivent :

75. Gnomologium Vaticanum 182; p. 74 Sternbach.76. Ibid., 180 ; p. 74 Sternbach. A ntisthène avait déjà présenté le sage comme

αύτάρκης : « Le sage se suffit à lui-même, car tous les biens des autres lui appar­tiennent » (D.L. V I 11 = fr. 80 Caizzi). Dans la cité des sages que conçoit A nti­sthène, cité fondée sur la concorde, on pratique en effet probablem ent la commu­nauté des biens.

77. D ion Chrysostom e V I 34. Ce sentiment d’être intérieurement différent des autres conduit D iogène à adopter extérieurement des attitudes choquantes. C’est là d ’ailleurs un aspect essentiel de sa pédagogie. D ’où ce genre d ’anecdotes : « Comme sous le portique il marchait à reculons et que des gens riaient, il d it :1 N ’avez-vous pas honte, vous qui parcourez à reculons le chemin de la vie, de me blâm er quand je parcours à reculons le chemin de la prom enade? ’ » (S t o b é e I I I 4, 83 ; t. III , p. 238, 7-11 Hense = Gnomologium Parisinum 322 ; p. 33 Sternbach). « Comme quelqu’un se m oquait du sage Diogène, parce que, étant philosophe, il mangeait des gâteaux, celui-ci répondit : ‘ Les philosophes goûtent à tou t, mais pas comme le reste des hommes ’ » (Gnomologium Vaticanum 188 ; p. 76 Sternbach). « Quelqu’un disait que Diogène était insensé, mais lui répliqua : ‘ Je ne suis pas insensé, mais je n ’ai pas le même sens que vous ’ » (S t o b é e III 3, 51 ; t. III, p. 210, S-10 Hense). La liberté revendiquée par D iogène implique une attitude authen­tique de l’âme et des actes en conséquence, ainsi qu’en tém oigne cette anecdote rapportée par P h il o n , Quod omnis probus 15 7 : « C’est pourquoi, comme il voyait un de ces gens qu’on appelle affranchis affecter de grands airs au milieu d’une foule qui le congratulait, pénétré d’étonnem ent devant ce que le spectacle prouvait d’absurdité et d’irréflexion, Diogène s’écria : 1 C’est comme si quelqu’un procla­m ait qu’à com pter de ce jour tel de ses serviteurs était grammairien, géomètre ou musicien, alors qu’il n ’aurait pas la m oindre idée de ces arts. ’ Pas plus qu’elle ne rend les hommes savants, une proclam ation ne saurait leur conférer cet état de félicité qu’est la liberté : elle peut simplement mettre un term e à leur condition de serviteur » (trad. M. Petit légèrement modifiée). Un des signes de cette authen­tique liberté dont se réclame Diogène, c’est la capacité d ’être prêt à m ourir : « Diogène affirme quelque part : le seul m oyen d’assurer la liberté, c’est d ’être prêt à m ourir, et il écrit au ro i des Perses : ‘ T u ne peux pas réduire en servitude la ville d’Athènes, pas davantage, ajoute-t-il, que les poissons. ’ ‘ Comment? Je n ’arriverais pas à prendre ces gens-là ? ’ 1 Si tu les prends, réplique-t-il, les Athé­niens auront vite fait de te quitter et de t ’échapper comme les poissons. Car, aussitôt que tu as pris un de ces derniers, il m eurt. E t si, une fois pris, les Athéniens viennent à m ourir, quel profit retires-tu de ton appareil guerrier? ’ » ( É p ic t è t e , Entretiens IV 1, 30-31 ; trad. J . Souilhé). Cf. aussi I 24, 6.

LES CONDITIONS DU BONHEUR CYNIQUE 41

Refusant la domination du plaisir, inflexibles devant lui, ils chérissent la royauté immortelle et la liberté78.

De l’autarcie et de la liberté découle l’apathie qui fait du sage un Dieu et se présente comme le plus proche équivalent du bonheur cynique. Cette apathie est un héritage socratique qu’Antisthène aurait transmis à Diogène. « Comme il habitait au Pirée, Antisthène parcourait chaque jour les quarante stades pour venir écouter Socrate, dont il emprunta l’endurance et imita l'apathie, ouvrant ainsi, le premier, la voie au cynism e»79; et Diogène Laërce à qui est dû ce témoignage, ajoute plus loin : «Antisthène a montré le chemin à l ’apathie80 de Diogène, à la modération de Cratès et à l’endurance de Zénon»81. S’il fallait brièvement caractériser l’apathie cynique, c’est certainement à son radicalisme que nous ferions appel. Il n’est que de rappeler le mot d’Antisthène : « La folie plutôt que le plaisir » 82 ! Cette apathie s’appuie sur l’idée qu’entre la vertu et le vice, il n’est rien d’autre que des indifférents83, totalement indifférents. D’où le mépris souverain qu’un Diogène pouvait afficher à l’égard des conventions et des coutumes de tous ordres; d’où ses prises de position choquantes sur l’inceste84 ou l’absorption de chair humaine85! Au sage cynique, insensible au plaisir comme à la peine, il importe seulement de poursuivre la vertu et de rejeter If mal. Tout le reste n’est qu’indifférents86.

78. C lém en t d ’A le x a n d r ie , Stromate II 20,121, 1 ; t. II, p. 179, 5-6 Stàhlin ;■ 1 T u é o d o re t, Thérapeutique des maladies helléniques X II, 49 = S H 352.

79. D .L. V I 2. L ’Épicurien P o ly s tr a te , dans son De Contemptu 5, c. X X I / m, |>. 120 Indelli, évoque « le poin t de vue de ceux qui se sont qualifiés eux- iiiimm d’impassibles et de cyniques».

Ko. Dans la Eettre X X I à Amynandre (p. 240 Hercher), D io g èn e se présente IIIIIIIIIC f) τής άπαθείας προφήτης. Sur le concept d ’apathie, voir Th. R ü th er ,I >ip iitllicbi Forderung der Apatheia in den beiden ersten christlichen jahrhunderten und I·.· k /emens von Alexandrien. Ein Beitrag zur Geschichte des christlichen Vollkommen- htutbfuriffis, coll. « Freiburger Theologische Studien », 63, Fribourg-en-Brisgau, " Ί 1). !· 117 p., notam m ent pp. 6-7.

Ki. D .L. V I 15.K/. D .L. V I 3.Ht. D .L . V I 105.H i- Piui.odème, De Stoicis (PHerc 339), P1 X I 2, p . 131 Giannattasio Andria

I μ,Ι. XVIII D orandi).Hj. D .L . V I 73.h<>. l.e sage stoïcien lui aussi se prétendra apathis (cf. S V F III 448), mais

HMII.I.· fî.l la distance qui sépare son apatheia de celle du sage cynique. T out en •iilvniil dur bien des points le cynisme, Zénon s’en est démarqué en établissant........ Il’iilnction parmi les indifférents : certains sont préférables, d ’autres ne le* I" · Le sage stoïcien ne peut donc pas être détaché de to u t comme son1.......!’’K'ic cynique. D ’autre part, on ne peut plus le dire «sans émotions »,

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42 LA MORALE DIOGÉNIENNE

Fort d'un bonheur auquel le commun des mortels n’a point accès, le sage apparaît comme un être singulier et cette singula­rité le pousse à revendiquer l’appellation d’« homme » qu’il refuse à ses contemporains. D'où cette anecdote transmise par Hécaton au premier livre de ses Chries : « Un jour qu’il s’écriait :' Holà des hommes ! ', des gens s’attroupèrent. Diogène les frappa de son bâton en disant : ' J'ai appelé des hommes, pas des ordures ’ »a . A titre de rappel également, le célèbre άνθρωπον ζητώ lancé par un Diogène qui avait allumé une lanterne en plein jo u r88, ou encore cete réponse qu’il fit lorsqu’on lui demanda en quelle région de Grèce il avait vu des hommes de bien : « Des hommes, nulle part, mais j ’ai vu des enfants à Lacédémone » 89.

C. LES ADVERSAIRES DE L’HOMME :LE PLAISIR ET LA SOUFFRANCE

Diogène est convaincu que le malheur de l’homme est dû pour une large part à son engagement dans la civilisation, laquelle fait du plaisir le critère du bonheur. Il ne rejette pas le plaisir en soi, mais il constate que les plaisirs de la vie civi­lisée sont répréhensibles pour au moins trois raisons. Tout d’abord parce que souvent un lot de souffrances les accompagne.

puisque Zénon reconnaît que les pathi laissent dans l’âme une cicatrice, des soupçons et des om bres de passions ( S V F I 215) et puisque Chrysippe distingue (cette distinction était probablement déjà chez Zénon) à côté des m ouvements irrationnels de l ’âme que l’on doit essayer à to u t prix d’extirper, des états émotifs rationnels parfaitement contrôlés : les eupalheiai ( S V F III 431-432). L ’apatheta cynique, qui s’identifiait à une absence totale d ’émotions, s’est donc transmuée en un état qui supprim e les émotions irrationnelles, mais conserve des émotions auxquelles le sage donne son assentiment et qui ne contredisent pas la raison. Le point de vue cynique cependant sera à nouveau à l’ordre du jour avec A riston de Chios. Celui-ci en effet prendra ses distances à l’égard de l’orthodoxie stoïcienne et, rejetant la théorie des préférables, il reviendra au principe de Yadiaphoria cynique (cf. S V F I 351 et D .L. V I 105, absent du recueil de V on Arnim ). Sur cette question de Yapatheia du sage cynique et du sage stoïcien, consulter J. M. R ist, Stoic Philosophy, Cambridge, 1969, 54-80 ; pour le sage stoïcien, voir aussi Id ., « The Stoic Concept o f Detachment », dans le recueil d’études publié sous sa direction, The Stoics, Berkeley/Los Angeles/London, 1978, pp. 259-272.

87. D .L. V I 32. D iogène pousse à l’extrême l’antithèse entre le sage, homme véritable, et le fou, qui n’est même pas à ses yeux un homme ; cf. H.C. B a ld r y , The Unity o f Mankind in Greek Thought, Cambridge, 1965, pp. 101-112.

88. D .L. V I 41.89. D .L. V I 27. Cf. V I 59 : « Alors qu’il revenait de Lacédémone à Athènes,

quelqu’un lui demanda : ‘ O ù vas-tu et d ’où viens-tu? ’ Il répondit : ‘ Je viens du côté des hommes et je vais du côté des femmes ’ » ; V I 60 : « I l revenait des Jeux Olympiques. Quelqu’u n lui demanda s’il y avait foule. ‘Foule, ou i’, dit-il, ‘mais bien peu d’hommes ’ ».

LE PLAISIR ET LA SOUFFRANCE 43

« Dans les maisons où la nourriture abonde, disait Diogène, nombreuses sont les souris et les belettes. De même les corps qui reçoivent beaucoup de nourriture attirent des maladies en quantité égale »Μ. Dans une lettre pseudépigraphe, Diogène montre encore comment l’intempérance en matière alimentaire peut avoir des conséquences fâcheuses :

A maintes reprises, j ’ai vu des mendiants qui, à cause de leur indigence, étaient en bonne santé, et des riches qui, à cause de l’intempérance de leur malheureux ventre et de leur sexe, étaient malades. En effet, quand vous avez eu pour ces derniers des complaisances, court est le temps où vous avez été chatouillés par un plaisir51 qui laisse voir ouverte­ment de grandes et violentes souffrances. Vous n’aurez aucune aide à attendre de votre maison ni de ses chapiteaux ; allon­gés sur des couches d’or et d’argent, vous vous tordez de douleur et c'est bien fait...92

Le philosophe n’a point de terme assez fort pour décrire les effets néfastes du plaisir : « Quand il est parvenu à dominer et à enserrer ses partisans, le plaisir les livre aux souffrances les plus haïssables et les plus difficiles à supporter »93.

90. Stobée III 6, 37 ; t. III, p. 294, 10-12 Hense. A l’inverse, le Cynique j< mit d ’une grande vigueur corporelle, car une vie dure est plus saine qu’une vie de mollesse. Les témoignages s’accordent en effet pour souligner que Diogène était étonnam ment résistant et jamais incommodé par la maladie. « Diogène n ’était pas, comme le croyaient quelques insensés, sans souci de son corps. Quand ccux-ci le voyaient avoir froid, vivre en plein air et avoir soif, ils croyaient souvent qu’il négligeait sa santé et sa vie. Mais lui, en supportant pareil régime, était en meilleure santé que les gens constamment rassasiés, que ceux qui restent chez eux sans faire jamais l’expérience ni du froid ni du chaud. I l éprouvait même davantage de plaisir qu’eux à se chauffer au soleil et davantage de plaisir à prendre de la nourriture » (D ion C hrysostom e VI 8-9). « Diogène était si accoutumé λ la nature de l’univers qu’à partir d’un te l mode de vie (la vie selon la nature) il Kardait la santé et la force. I l prolongea son existence jusqu’à l’extrême limite sans recourir aux médicaments, ni au fer (du scalpel), ni au feu (du cautère), ni à Chiron, ni à Asclépios, ni aux Asclépiades, ni aux devins et à leurs prédictions, ni aux prêtres et à leurs purifications, ni aux magiciens et à leurs incantations » (Maxime d e T y r , Dissertation X X X V I 5, pp. 422, 10-423, 3 Hobein). Cf. aussi Î îp ic tè te I 24, 7. Sur la menace que représente pour le plaisir l ’absorption d’une nourriture excessive, voir Stobée III 6, 40 ; t. III , p. 295, 4-5 Hense : « Diogène «lisait que les hommes mangent pour éprouver du plaisir, mais qu’ils ne veulent pas cesser de m anger en vue de ce même bu t ».

91. L ’emploi de la form ule έγαργαλίσθητε ΰφ’ ήδονής est une allusion à la term inologie épicurienne du plaisir (cf. É p icu re , Π ερί τέλους, fr. [22.1] 4 Arrighetti).

92. Lettre X X V III 5-6 (pp. 242-243 Hercher).93. D ion C hrysostom e V III 26. V oir aussi Maxime d e T y r , Dissertation

X X X II 9 ; pp. 376, 7-378, 3 Hobein.

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44 LA MORALE DIOGÉNIENNE

Seconde conséquence du plaisir, à la fois regrettable et sur­prenante : quand l’homme s’enfonce dans ce gouffre trompeur et illusoire, il finit par ne même plus être capable de ressentir la sensation de plaisir et il se trouve alors contraint de recourir à des expédients de plus en plus coûteux.

Parce qu’ils (les autres hommes, par opposition à Dio­gène) peuvent bénéficier, l’été, d’une ombre abondante et boire tout le vin qu’ils veulent, ils passent leur vie sans faire l’expérience du soleil et sans faire l’expérience d’une soif naturelle ; ils restent à la maison tout autant que les femmes ; leurs corps paresseux ne font aucun effort et leurs âmes sont remplies d’une ivresse hébétée. Aussi inventent-ils, pour éviter ces inconvénients, des nourritures malsaines et des bains, et souvent, le même jour, ils ont besoin d’une brise et ils ont besoin d’un vêtement, ils ont besoin en même temps de glace et de feu et, ce qui est le plus absurde de tout, ils désirent avoir faim et soif. Malgré leur intempérance, ils ne se réjouissent point des plaisirs de l’amour parce qu’ils n ’attendent pas de les désirer. Ils recherchent par conséquent des plaisirs dépourvus de charme et d’agrém ent94.

Enfin, le philosophe profère une dernière accusation : l’homme soumis au plaisir n’a même plus la force de lutter contre le second adversaire qui le menace, à savoir la souffrance. C’est ce qu’exprime un passage d’une de ses tragédies transmis par Clé­ment d’Alexandrie :

Ceux-ci, remplis en leur cœur des plaisirs de la mollesse privée de virilité et baignant dans les souillures, ne consentent point à supporter la moindre souffrance95

Devant tous ces dangers, Diogène recommande de fuir cet adversaire fourbe et rusé qu’est le plaisir.

Le plaisir n’use point ouvertement de violence. En fait, il trompe et ensorcelle par des drogues funestes, tout comme Circé, à ce que dit Homère, ensorcela les compagnons d’Ulysse qui, par la suite, devinrent des porcs, des loups ou d’autres bêtes sauvages. La réalité qu’est le plaisir est sem­blable ; il tend ses pièges non pas d’une manière simple, mais de toutes les manières possibles, par la vue, l’ouïe,

94. D ion Chrysostom e V I 11-12.95. Stromate I I 20, 119, 6 ; t. II , p. 178, 6-8 Stâhlin = T rG F 88 F îh Snell.

Le texte grec est cité p. 222.

LE PLAISIR ET LA SOUFFRANCE 45

l’odorat, le goût ou le toucher ; il essaie encore de corrompre par la nourriture, la boisson et les plaisirs de l'amour, aussi bien les gens qui sont éveillés que ceux qui sont assoupis. Impossible en effet de dormir après avoir posté des senti­nelles, comme on le fait contre des ennemis ordinaires, car c’est à ce moment-là entre tous que le plaisir lance ses attaques. Tantôt il consume et asservit par le truchement du sommeil lui-même ; tantôt il envoie des songes fourbes et insidieux qui le rappellent à celui qui dort. Ainsi donc, alors que la souffrance la plupart du temps survient par l’inter­médiaire du toucher et que c'est de la sorte qu’elle progresse, le plaisir, lui, progresse par tous les sens dont dispose l’homme et, s’il faut rencontrer les souffrances et en venir aux prises avec elles, il faut en revanche fuir le plaisir, s’en éloigner au maximum et n’avoir affaire à lui que dans les strictes limites du nécessaire96.

Le second adversaire de l’homme est la souffrance, qu’il doit combattre en réprimant le sentiment qui la lui fait trouver pénible. « L’homme de bien», dit Diogène, «considère les souf- lia ilces comme ses adversaires les plus redoutables et il aime .1 les combattre constamment, nuit et jo u r» 97. Le concept de ιιύνος présente une certaine complexité de sens puisqu’il sert à lU-signer aussi bien les épreuves rencontrées par l'homme au tours de son existence que la souffrance physique ou morale qui en découle, ou que l’effort fourni pour en venir à b o u t98. C’est la notion de «souffrance» qui nous paraît en français la plus à même de rendre à la fois l’aspect objectif et l’aspect

96. D io n Chrysostom e V III 21-23.97. Ibid. 15.98. Au second livre des Tuscuianes (II 15, 35), C icé ro n fait allusion, à

propos du m ot πόνος, à ce qu’il considère comme un signe de la pauvreté de la I in^ue grecque. Pour une fois, c’est elle et non la langue latine qui ne dispose t |uc d ’un seul m ot pour traduire deux notions : « Il y a une différence entre l’effort f htbcr) et la douleur (dolor). Ce sont choses to u t à fait voisines, mais il y a néan­moins une distinction à faire : l’effort est une fonction déterminée soit de l’âme■ ilt du corps qui com porte une activité physique et morale relativement pénible ;

lu douleur, elle, est u n mouvement rude qui se produit dans le corps et répugne 1 nos sens. Pour ces deux notions, les Grecs, don t la langue est plus riche que la n6trc, n ’ont qu’u n seul terme... O combien parfois ton vocabulaire est pauvre, ft ( rrfccej qui te figures avoir des mots de reste 1 » (trad. J. Hum bert). A lors que I" mr les Cyniques, le πόνος est un stimulant, un adversaire qui invite à la lutte, li rhagrin, lui, est en revanche totalem ent négatif. Telle était également l’idée . In Gymnosophistes évoqués par Onésicrite : καί δτι λύπη καί πόνος Λ ιαφίριι ■ τό μέν γάρ πολέμιον, τί> δέ φίλιον αύτοΐς (S trab on X V 1,65 = < W '.h icrite, F G rH 1 3 4 F 17)·

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46 LA MORALE DIOGÉNIENNE

subjectif du ponos mais, dans nos traductions, nous aurons, selon les contextes, recours également aux termes de « labeur », d’ « épreuve » et d’ « effort ».

En accordant à la lutte contre les πόνοι une place centrale dans sa morale, Diogène suit les traces d’Antisthène. Nous ne disposons plus aujourd'hui que de quelques rares témoignages sur le rôle joué par la notion de πόνος dans la morale d’Antis­thène, mais ceux-ci sont suffisamment explicites pour prouver que chez le disciple de Socrate il s’agissait bien d’une notion clef. Celui-ci, en effet, avait démontré, dans au moins deux de ses œuvres, le Grand Héraclès et le Cyrus ", que, contrairement à l’opinion couramment admise, « la souffrance est un bien », « empruntant un de ses exemples aux Grecs, l’autre aux Bar­bares » 1C0. Du témoignage suivant on peut déduire qu'il avait déjà lui aussi pensé que le seul moyen de vaincre les souffrances était de s’entraîner à les combattre : « Antisthène a dit que les souf­frances ressemblent à des chiens. De fait, ceux-ci mordent les gens qui ne sont point accoutumés à eux »101. Enfin, conscient

99. Sur les personnages d’Héraclès et de Cyrus, héros cyniques, voir R. H ô is ta d , Cynic Hero and Cynic King. Studies in the Cynic conception of man, Uppsala, 1948, 22-94. Sur Héraclès, vo ir aussi G. K . G a lin sk y , The Herakles Themt : The Adaptation o f the Hero in Literature from Homer to the Twentieth Century, Oxford, 1972, notam m ent pp. 106-107. Pour les œuvres d ’Antisthène consacrées à Héraclès, cf. p. 32, n. 51. Q uant à Cyrus, la liste fournie par D .L. V I 15-18 présente quatre titres se rapportant au personnage : Κϋρος, Κϋρος ή περί βασιλείας, Κϋρος ή έρώμενος, Κϋρος ή κατάσκοποι. Pour ces deux derniers titres, les manuscrits B et P de Diogène Laërce offrent la leçon Κύριος et F la leçon Κϋρος. Si on lit, comme le fait P a tz e r , op. cit., pp. 149-150 ; 153-157, Κυρσας au lieu de Κύριος, ou si l’on choisit Κύριος, la lectio difficilior, on n ’a plus alors que deux titres faisant intervenir Cyrus, ce qui s’harmonise bien avec le tém oignage d ’Hérodicus conservé par A th é n é e (Deipnosophistes V 220 C) qui emploie la form ule έν θατέρω τω ν Κύρων. Comme d’autre part dans D .L . II 61 il est fait allusion à τόν τε μικρόν Κΰρον, A . Patzer suggère que le titre simple Κϋρος qui est situé dans le même tom e que VHéraclès majeur pourrait être le Cyrus majeur et qu’on pourrait identifier le Κϋρος ή περί βασιλείας avec le Cyrus mineur.

100. D .L. V I 2. Antisthène ne veut pas dire que souffrir physiquement est en soi un bien, mais que l’effort qui consiste à supporter la souffrance physique en vue de la vertu est un bien. Chez Antisthène la notion de πόνος recouvrait probablement les seules souffrances physiques, à en juger d ’après cette pensée que lui attribue D .L. V I 11 = fr. 95 Caizzi : « La mauvaise renommée est un bien, et qui équivaut à la souffrance ». Chez D iogène au contraire la notion de πόνος a une plus grande extension, s’étendant aux souffrances de l’âme, du m oins autant que nous pouvons en juger d’après D io n Chrysostom e V III 16 qui inclut la mauvaise renommée parmi les πόνοι.

ιο ί . Gnomologium Vaticanum 1 ; p. 4 Sternbach = fr. 96 Caizzi. Cette idée que l’entraînement aide à supporter les souffrances aurait déjà été exprimée par Dém ocrite (Stobée III 29, 63. 64 et 66 ; t. III, p. 640, 1-4.8-9 Hense = D K 68 B 240-242). A propos de l’influence exercée par Dém ocrite sur les Cyniques et du

LE PLAISIR ET LA SOUFFRANCE 47

tics dangers qu’il y aurait à rechercher ce que l’on appelle commu­nément les plaisirs, il précise ce qu’il entend, lui, par plaisir: « Ce sont les plaisirs qui font suite aux souffrances qu’il faut rechercher et non ceux qui précèdent les souffrances » 102. L’idée est certainement la même dans cet autre témoignage : « Antis­thène, quand il disait que le plaisir est un bien, ajoutait: 'le plaisir dont on ne se repent pas ' » 103.

A son tour Diogène reprit ce thème de la lutte contre les πόνοι et il montra tant de zèle à inscrire cette lutte dans sa vie quotidienne que les πόνοι sont restés attachés à son nom comme le mot fétiche de sa m orale104, ainsi que le rappelle cet extrait d’une dissertation de Maxime de Tyr :

rôle que jouèrent ceux-ci dans la préservation de ses écrits, vo ir Z. S te w a r t , « Democritus and the Cynics », Harvard Studies in Classical Pbilology 63 (1958) '79-191.

102. Stobée III 29, 65 ; t. III, p. 640, 5-7 Hense = fr. 113 Caizzi. Peut-être n t-on un écho de cette idée d’Antisthène dans le troisième Discours de D ion ( juiysostom e (III 83) : « Le bon roi com prend que les souffrances apportent la ■■anté, le salut, ainsi qu’une bonne réputation, tandis que le luxe apporte tou t le contraire. D e plus les souffrances constamment diminuent et se font plus faciles Λ supporter ; quant aux plaisirs ils augm entent et deviennent m oins nuisibles quand ils suivent· les souffrances... Par conséquent, celui qui aime les souffrances ci sait se maîtriser non seulement est davantage capable d ’être roi, mais encore il mène une vie beaucoup plus plaisante que ceux qui sont dans la situation opposée ». I .'idée que les plaisirs véritables font suite aux souffrances est exprimée également par le Platonicien Nigrinus chez L u cien , Nigrinus 33 : « Les plaisirs plus vrais, qui tous sont dispensés par la philosophie à ceux qui choisissent une vie de «ouffrances ». O n peut se faire une idée assez précise de la façon dont Antisthène concevait le plaisir grâce aux quinze fragments sur ce thème rassemblés par I'. D. Caizzi (fr. 108 A-113). Citons seulement la form ule célèbre : « Plutôt la folie que le plaisir » (fr. 108 A-F), et la définition qu’il donnait de l’am our : « un vice de la nature » (fr. 109 B). Sur le plaisir selon Antisthène, vo ir A. J . Festü- ( .1ère, « La doctrine du plaisir des premiers sages à Épicure », article de 1936, repris dans Études de philosophie grecque, coll. (( Bibliothèque d ’H istoire de la l’hilosophie », Paris, 1971, pp. 90-91.

103. A th é n é e , Deipnosophistes X II 513 A = fr. 110 Caizzi.104. O n est en droit de se demander si le Têl'ephe d ’Euripide n’a pas eu une

influence déterminante sur la morale cynique et la vision des πόνοι qu’elle déve­loppe. O utre le fait que, d ’après D .L. V I 87, le personnage de Télèphe semble avoir joué un rôle décisif dans la conversion de Cratès le Cynique (« C’est pour avoir vu dans une tragédie Télèphe qui portait un misérable panier et qui par ailleurs traînait un air de misère que Cratès s’élança vers la philosophie cynique »), les fragments 701 et 714 N auck2 qui nous sont parvenus du Télèphe s’harmonisent assez bien avec les conceptions cyniques. Il est significatif également que D iogèn e dans une lettre pseudépigraphe (Lettre X X X IV à Olympias ; p. 248 Hercher = fr. 697 N auck2) se réclame de l’exemple de Télèphe, le fils d ’Héraclès, et cite ileux vers prononcés par celui-ci dans la tragédie d ’Euripide qui porte son nom. Enfin, M axime de T y r , Dissertation I 10, p. 17, 16-17 Hobein, rappelle à propos de Diogène, l’accoutrement de Télèphe. Sur la littérature d ’époque classique et hellénistique consacrée au personnage, voir F. Sch w enn , art. « Telephos », RE V A i (1934) c. 366.

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48 LA MORALE DIOGÉNIENNE

La philosophie elle aussi enfante de nombreux peuples et quantité de législateurs ; elle éparpille et disperse son trou­peau, envoyant l'un ici, l’autre là, Pythagore à la musique, Thalès à l’astronomie, Héraclite à la solitude, Socrate aux amours, Caméade à l’ignorancel0S, Diogène aux labeurs et Épicure au plaisir106.

On ne saurait donc s’étonner de voir Diogène assigner aux πόνοι, un rôle essentiel dans sa conception de l’éducation :

Diogène disait que l’éducation des enfants ressemble aux ouvrages des potiers. En effet, tout comme ceux-ci façonnent et disposent à leur gré l’argile tendre, mais ne peuvent plus la modeler une fois qu’elle a été cuite, de même ceux qui, dans leur jeunesse, n’ont pas été formés par les labeurs, ne peuvent plus, à l’âge mûr, se prêter à des transformations 107.

Afin de voir plus clair dans cette pratique fondamentale pour Diogène qu’est l’ascèse, nous distinguerons à l’intérieur des ponoi deux grandes catégories : d’un côté, les ponoi que nous qua­lifierons d’ « ultimes », c’est-à-dire ces épreuves qui accablent l’homme, le font souffrir, et que l’entraînement cynique vise comme sa cible dernière ; de l’autre, les ponoi de l’entraînement, ces efforts, ces souffrances que le philosophe cynique assume volontairement afin d’être capable d'affronter, le jour venu, les ponoi ultimes. Ce sont ces derniers que nous allons d'abord considérer, réservant à la section plus proprement consacrée à l’ascèse l’examen des ponoi de l’entraînement.

Au sein de ces épreuves que Diogène présente comme les grands adversaires de l’homme, et contre lesquelles il se déclare prêt à ouvrir la lutte, il nous paraît utile de procéder à une nouvelle distinction. Même si celle-ci n ’est pas clairement expri­mée dans les témoignages dont nous disposons, elle n'est pas arbitraire, car elle permet de rendre compte de deux inspirations sous-jacentes au cynisme diogénien, indépendantes l'une de l'autre, mais formant un tout cohérent. Diogène est convaincu que le bonheur ne s’obtient qu’au prix d’une double victoire : contre

105. Le texte à cet endroit est incertain. Bien que H obein ait choisi la leçon άγνείαν (« chasteté »), nous préférons la leçon du manuscrit H : άγνοιαν (a igno­rance »).

106. Dissertation X X IX 7 ; p. 349, 3-9 Hobein.107. Stobée II 31, 87 ; t. II, p. 216, 8-13 Wachsmuth. Dans D io n C hrysos­

tom e IV 29-31, l ’éducation que D iogène appelle divine est de toute évidence uneéducation par les πόνοι. V o ir p. 153.

LE PLAISIR ET LA SOUFFRANCE 49

les coups de la Fortune, d’une part, contre les malheurs imposés par la Nature, de l’autre.

En premier lieu, la Fortune. Au hasard elle dispense son lot de malheurs sur les hommes : exil, pauvreté, basse naissance, mauvaise réputation. N’importe qui, du jour au lendemain, peut être victime de ce genre de vicissitudes, mais, alors que la menta­lité traditionnelle plaint l’infortuné victime de ces maux, Diogène propose de réagir, car plus l’homme est lâche à l’égard des épreuves, plus elles exercent sur lui leur empire. « Diogène affir­mait opposer à la Fortune la hardiesse, à la loi la nature, à la passion la raison » 108. C’est par un mépris souverain qu’il réagit personnellement aux coups de la Fortune. « Quand il tombait de nouveau dans des malheurs, Diogène disait: 'Vraiment, tu fais bien, Fortune, de te dresser devant moi virilement. ' Dans de Ici les circonstances, il s’éloignait109 même en fredonnant » 110. Du témoignage suivant, où notre philosophe fait appel à un vers tl'Homère, se dégage une attitude audacieuse, faite d’un mélange d'orgueil, de joie de vaincre et d'impudence : « Diogène disait qu'il croyait voir la Fortune s’élancer sur lui et dire : 'C e c h i e n e n r a g é , j e n e p u i s l ’a t t e i n d r e d e m e s t r a i t s '

108. D .L. V I 38.109. Les manuscrits ont la leçon άνεφώνει ; Meineke « dubitans » a conjec-

luré άνεφάνη et Hense, dont nous avons suivi la conjecture, άνεχώ ρει.n o . Stobée IV 2, 44, 71 ; t. V, p. 976, 3-6 Hense. V oir aussi ce que dit

Diogène dans D io n Chrysostom e V III 15-16 : « L ’hom me de bien ne craint aucune des épreuves et il ne prie pas pour obtenir du sort un autre adversaire. Au contraire, il les provoque toutes sans exception, l’une après l ’autre, aimant à rivaliser avec la faim et le froid, supportant la soif et ne m anifestant aucune mollesse, dut-il endurer le fouet, le fer et le feu. Pauvreté, exil, mauvaise réputa­tion et autres maux du même ordre ne représentent rien de terrible à ses yeux, mais lui paraissent au contraire tou t à fait légers à supporter. Souvent l’homme accompli s’amuse au m ilieu de ces épreuves, comme les enfants avec les osselets et les balles colorées ». Cf. aussi P lu ta rq u e , De Tranquillitate animi 6, 467 C. Une attitude similaire à l’égard de la Fortune se rencontre chez Cratès : « Il avait pour patrie, disait-il, la mauvaise réputation et la pauvreté, dont la fortune ne peut s’emparer » (D.L. V I 93), Zénon : « Le même Zénon, quand il fut victime d’un naufrage et qu’il perdit ses biens, ne proféra aucune parole dépourvue de noblesse ; au contraire il dit : * T u fais bien, Fortune, de nous avoir réduit à ce misérable tribôn » ( Gnomologium Vaticanum 298 ; p. 114 Sternbach ; cf. S V F I 277 où von Arnim indique d ’autres attestations de l ’anecdote, mais ignore celle du Gnomologium Vaticanum) , et Métroclès : « Que le Vice, debout à côté d ’elle (la Fortune), nu et sans aucun secours étranger contre l ’homme demande encore à la Fortune comment elle rendra cet homme malheureux et découragé. ‘ Tu menaces, Fortune, / D e la pauvreté? Métroclès se rit de to i ’, lui qui en plein hiver dorm ait dans les parcs à m outons, et en été sur les parvis des sanctuaires, et défiait le Roi de Perse, qui passait l’hiver à Babylone et l’été en Médie, d ’être plus heureux que lui » (P lu ta rq u e , A n vitiositas ad infelicitatem sufficiat 3, 499 AB ; trad. J . Dum ortier).

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50 LA MORALE DIOGÉNIENNE

(Θ 299) » m. Un tel dédain de la Fortune suscita l’admiration de l’empereur Julien.

Le franc-parler est de mise quand on a d’abord démontré sa propre valeur. Ainsi firent, je crois, Cratès et Diogène : ils furent si éloignés de prendre avec humeur toutes les menaces de la Fortune, ou plutôt, s’il faut le dire, ses caprices et ses folâtreries, que Diogène aux mains des pirates conti­nuait de plaisanter112, et que Cratès mettait ses biens à l'encan113, puis, devant la difformité de son corps, se moquait de sa jambe boiteuse et de ses épaules courbées 114.

m . Stobée I I 8, z i ; t. II, p. 157,7-9 W achsm uth; cf. Pseudo-D ion C hrysostom e (peut-être de Favorinu s), Discours LX IV (Sur la Fortune), 18. Le même vers, prononcé par la Fortune, est appliqué à Antisthène dans É lia s , In Categ., p. 111 , 22 Busse.

112. Il existe au moins deux versions du départ de Diogène pour Corinthe : ou il quitta Athènes parce que son maître Antisthène était mort et qu’il jugeait que nul autre ne méritait que l ’on s’associât à lui (voir D io n C hrysostom e, Discours V III [Diogène ou Sur la vertu] 4), ou il fut pris par des pirates lors d ’un voyage en mer ; ces pirates, dont le chef était un certain Skirpalos, selon D .L. (Skirtalos, à en croire la Souda), l’auraient emmené avec eux en Crète et vendu. Acheté par Xéniade, D iogène aurait alors vécu à Corinthe (voir par exemple D .L . V I 29.30.36.74.75 ; 'Lettre 34 de C ra tè s A Métroclès ; pp. 215-216 Hercher ; P h ilo n d ’A le x a n d r ie , Quod omnisprobus 121-124 > M usonius R ufus, Diatribe IX [Que l ’exil n’est pas un mal], apud Stobée III 4c, 9 ; t. III, p. 754, 20-21 Hense ; Souda, s.v. Δ ιογένης, Δ 1143 ; t. II, p. 101, 29-32 Adler ; ibid., s.v. Δ ιογένης, Δ 1144 ! t· H, P· lo z , 4' 10 Adler). En bien des occasions, le philosophe manifesta la même sérénité à l ’égard des coups de la Fortune ; ainsi, lorsque s’échappa son serviteur Manès : « Diogène, lui, n’avait qu’un esclave, qui s’échappa ; on lui indiqua où il était, i l ne daigna pas le reprendre : ‘ I l ferait beau voir, dit-il, que Manès pût se passer de Diogène, et non pas D iogène de Manès ’ . Pour moi c’est comme s’il eût dit : ‘ Fortune, va-t’en voir ailleurs : Diogène ne possède plus rien sur quoi tu aies encore des droits. M on esclave s’est enfui? Que non pas I c’est m oi qui suis libre ’ » (Sénèque, De Tranquillitate animi V III 7 ; trad. R. Waltz).

113. Différentes versions ont circulé sur la façon dont Cratès se débarrassa de ses biens. D .L. V I 87 s. fait état de tro is traditions. Selon l’une, Cratès, une fois sa décision prise de s’adonner à la philosophie, décida de convertir ses biens en argent et distribua les deux cents talents qu’il en obtint à ses concitoyens. Seconde version rapportée par Dioclès : « Diogène, à ce que dit Dioclès, le persuada d’abandonner ses terres à la pâture des m outons et de jeter à la mer tou t l’argent qu’il pouvai* avoir ». Enfin, en VI 88, on apprend que « Dém étrius Magnès dit qu’il confia son argent à un banquier, convenant avec lui que si ses enfants devenaient des hommes ordinaires, celui-ci leur remettrait cet argent, mais que, s’ils devenaient philosophes, il le distribuerait au peuple. Devenus philosophes, ils n’auraient en effet besoin de rien ». Sur les différents témoignages se rapportant à cet épisode de la biographie de Cratès, vo ir S H 365, pp. 171-172. Quand G r é g o ir e d e N a zia n ze , Carmina I 2, 10 (De virtute), vv. 236-243 ; P G 37, c. 697 A, rapporte la tradition selon laquelle ce serait au cours d ’un naufrage que Cratès aurait perdu tous ses biens, on peut penser qu’il s’agit d’une confusion avec Zénon de Citium. G régoire de Nazianze d ’ailleurs précise que, pour certains auteurs, ce n ’est pas de Cratès qu’il s’agit, mais d ’un philosophe de même tendance.

114. Discours IX contre les Cyniques ignorants 18, 201 B (trad. G. Rochefort).

LE PLAISIR ET LA SOUFFRANCE 51

Mais l'homme n’est pas menacé seulement par la Fortune, il est aux prises avec la Nature qui le soumet aux rigueurs climatiques, aux cataclysmes où se déchaînent les forces cos­miques, à la maladie, à la mort, autrement dit, pour employer un terme qui ressortit au vocabulaire tragique, aux prises avec le Destin. Le cynisme diogénien a le souci de répondre aux angoisses les plus profondes que dicte à l'homme sa conscience métaphysique. Sous ses affectations impudentes et ses airs fan­farons, le philosophe ressent avec acuité la fragilité humaine et le manque de rationalité du cosmos. Il n'est que de citer ces vers tirés vraisemblablement d'une de ses tragédies :

Ô race humaine, mortelle et misérable,Nous ne sommes rien que des reflets d'ombre,Qui errent, poids inutile, sur la te rre 115.

Révélateur également le fait que Dion Chrysostome, dans son quatrième Discours Sur la Royauté, ait mis dans la bouche de Diogène s'adressant à Alexandre les trois premiers vers que prononce Électre au début de YOreste d’Euripide :

Il n'est rien de terrible, disons-le.Il n'est point de souffrance, ni de malheur voulu par les DieuxDont la nature humaine n'ait à supporter le fardeau116.

Peut-être Diogène lui-même citait-il ces vers dans un de ses ouvrages. En tout cas, ils répondaient au moins à la per­ception que Dion Chrysostome avait du personnage et qui, de façon générale, s’harmonise assez bien avec ce que nous connais­sons de la morale diogénienne par le reste de la tradition117.

115. M axim e, Loci communes, Sermo 67, P G 91, c. 1008 D. Le passage se trouve cité sous le lemme « Sophocle », par Stobée IV 2, 34, 1 ; t. V, p. 824, 4-7 Hense ( = Soph., inc. fab. fr. 859 N auck2) et sous le lemme « Diogène », comme chez M axime, dans le Corpus Parisinum 434 Elter.

116. Discours IV 82. C icéro n , Tusculanes IV 63, dit qu’à une représentation d 'Oreste donnée par Euripide, Socrate demanda la reprise de ces trois vers.

117. K . von F r it z , Quellen-Untersuchungen, pp. 70-90, considère que D ion Chrysostome, dans les Discours où Diogène est le personnage principal, s’est inspiré fortem ent des écrits d ’Antisthène. A la question que l’on se pose alors tout naturellement : pourquoi D ion aurait-il choisi Diogène comme porte-parole des théories d ’Antisthène, von Fritz donne la réponse suivante : « Quand un personnage historique est choisi, il doit s’agir d’un personnage qui a marqué les hommes de son empreinte par son activité, sa conduite, son allure, sa personnalité, et non d’un philosophe dont l’influence s’est exercée après sa m ort, uniquem ent à travers ses écrits » (p. 82). A. B ra n c a c c i, « Le Orazioni diogeniane di D ione Crisostomo », p. 163, s’élève à juste titre contre cette thèse,

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52 LA MORALE DIOGÉNIENNE

Citons encore deux lettres de Diogène, pseudépigraphes certes, mais témoignant elles aussi d'un état d'esprit qui, lui, devait être authentique. L’une, adressée à Agésilas, pousse à l'extrême cette conscience aiguë de la fragilité humaine évoquée plus haut :

Vivre est pour moi chose si incertaine que je ne suis pas convaincu de durer jusqu’à la fin de cette lettre. Ma besace est un grenier qui suffit à ma vie. Tout ce qui a trait aux Dieux reconnus dépasse l’homme. Pour moi, j ’ai conscience que la seule certitude, c’est qu’après la naissance il y a la mort. Muni de ce savoir, je dissipe moi-même les vains espoirs qui se dressent autour de mon misérable petit corps, et je t ’exhorte à ne pas porter tes pensées au-delà de l’hom m e118.

Quant à la seconde, elle s’applique à rappeler à ses destina­taires la grande loi de la Nature : « Moi le chien, c’est en paroles que je vous punis, mais la Nature, elle, c’est en actes, et tous de la même manière. La m ort en effet est suspendue sur vous tous de façon égale, cette mort que vous, vous craignez»119.

On ne peut, à notre avis, comprendre le cynisme de Diogène si on n'a pas conscience de ces deux inspirations irréductibles l'une à l’autre, mais complémentaires. Le philosophe est bien un homme de son époque, quand il pressent que le raffinement extrême auquel est parvenue la société où il vit ne peut que nuire au bonheur de ses membres rendus peu aptes à supporter le moindre caprice de la Fortune. Mais c’est aussi un homme qu'agi­tent les angoisses intemporelles de tous les hommes, qui a pris conscience du conflit existentiel opposant l’individu à la Nature et qui a cru trouver dans l’ascèse une solution adéquate lui per­mettant de dépasser ses angoisses par l’affirmation de sa liberté.

en rappelant que Diogène avait lui-même exprimé u n certain nom bre de doctrines, notam m ent politiques et pédagogiques, et que ce serait une erreur que de le réduire dans les discours de D ion Chrysostome à un simple expédient littéraire.

118. Lettre X X II à Agésilas (p. 240 Hercher).119. Lettre X X V III 5 (p. 242 Hercher). Cf. É p ic tè te I 25, 22 où Démétrius

fait la même réflexion à Néron. V oir aussi D .L. II 13 et Gnomologium Vaticanum 116 (p. 53 Sternbach), qui prêtent une idée similaire à Anaxagore, et D .L. II 35, Gnomologium Vaticanum 487 (p. 181 Sternbach), où Socrate est présenté raisonnant de la sorte.

LES PONOI INUTILES 53

D. L'ASCÈSE DIOGÉNIENNE

1. Les ponoi inutiles

La méthode proposée par Diogène est de nature préventive, lin effet, s’il suggère de constamment s'entraîner, de se confronter Λ des exercices d’un niveau de plus en plus difficile, c'est afin il'être capable, le jour venu, de sortir vainqueur de la lutte contre ii's ponoi ultimes.

Dans l’esprit de ses contemporains, la notion d’ascèse faisait surgir immédiatement l’image de l’athlète qui s’entraîne avec régularité et courage afin de remporter la victoire au stade120, un encore celle de l’artiste qui, à force d’exercices, réussit à acquérir une perfection technique remarquable. Mais à l'époque ilo Diogène, on va attribuer à l’ascèse une finalité nouvelle et passer de l’exercice corporel des gymnastes à l’exercice moral méthodique121. C'est en raison de ce changement de registre que l'on se met à établir des comparaisons entre l'athlète et l’homme moral qui, tous deux, s’entraînent, l’un pour la santé de son t orps, l’autre pour celle de son âme. Mais le parallélisme s’arrête ait niveau de la métaphore, l’athlète moral n’exerce pas son corps.

Pour le philosophe cynique, il en va tout autrement. Loin d’être une métaphore, l’ascèse sur laquelle il fonde sa morale est une ascèse bien concrète qui, même si dans ses modalités elle diffère beaucoup de celle de l’athlète, reste avant tout de nature corporelle. Mais ce qui fait l’originalité de cette ascèse par rapport à l’ascèse sportive ou artistique traditionnelle, c’est

120. L’exemple le plus caractéristique pourrait être celui du Pythagoricien Milon de Crotone, qui s’était accoutumé à porter un petit veau et qui continuait à li·. porter en faisant le tour du stade, lors même que celui-ci était devenu un taureau (cf. Q u in tilie n , Institution oratoire I 9, 5 ; C icéro n , De senectute 10, 33 ; I’étSOne, Satyricon 25 ; A th é n é e , Deipnosophistes X , 412 E). Sur l’ascèse sportive, Icllc qu’on pouvait la pratiquer à l’époque d’Antisthène et de Diogène, voir à titre d ’exemples E sch in e l e S o cratiq u e, dans Stobée II 31, 23 ; t. II ; pp. 205, 1 <; -206, 9 W achsmuth ( = fr. 37 Dittm ar) ; P la to n , République 404 A ; X énophon, Banquet II 17. Sur l’ascèse des athlètes à une époque beaucoup plus tardive, voir D io n C hrysostom e, Discours X X V III [Mélancomas II],

121. Sur la notion d’askèsis appliquée au domaine moral, voir par exemple I’ i.aton, République V II, 518 D E ; 536 B ; X énophon, Cyropédie V II 2, 23 ; VII 5, H 5 ; Mémorables I 2, 19 : « Je constate en effet que, tout comme les gens qui n'exercent pas leur corps sont incapables d ’accomplir les œuvres du corps, de inim e également ceux qui n ’exercent pas leur âme sont incapables d’accomplir les1 ruvres de l ’âme » ; I so cra te , A d Démon. 12 : « Par nature, les corps se dévelop­pent grâce aux efforts appropriés et l’âme grâce aux discours moraux ».

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54 LA MORALE DIOGÉNIENNE

qu’elle a une finalité tout autre. Il ne s’agit plus d’acquérir la vigueur corporelle ou la virtuosité artistique, mais d ’assurer la santé de son âme. Diogène propose donc une ascèse corporelle à finalité morale qui permettra à l’homme de vaincre le senti­ment selon lequel il perçoit comme pénibles les épreuves envoyées par la Fortune et le Destin. En d’autres termes, c’est à l’ascèse du corps que le philosophe cynique confie l'entraînement de sa volonté.

Nombreux d’ailleurs sont les témoignages où à l'ascèse tra­ditionnelle Diogène oppose sa conception personnelle. « Chose étrange, disait Diogène, les athlètes et les citharèdes parviennent à maîtriser leur ventre et les plaisirs, les uns pour leur voix, les autres pour leur corps ; mais pour la tempérance, personne ne les méprisera » 122. E t le philosophe de déplorer le manque de combattants dans l’arène morale : « Les hommes, disait-il, entrent en lutte quand il s’agit de creuser la terre pour se jeter de la poussière et de se donner des coups de pied, mais quand il s’agit de la beauté morale, alors il n ’y a point de combattants » m , ou encore : « Diogène disait qu’il voyait bon nombre de gens s'évertuer à lutter et à courir, mais qu'il n'en voyait point s'éver­tuer à acquérir la perfection morale » 124.

L'essentiel réside par conséquent dans le choix de la lutte à entreprendre. Les seuls combats véritables, dont il faut absolu­ment sortir vainqueur, sont ceux où l'homme affronte Fortune et Destin. Tout autre combat, qu’il soit de nature sportive ou qu'il vise la gloire, la richesse, est sans importance. Pour vaincre les seules épreuves qui le méritent, Diogène propose donc de s’entraîner à souffrir. Mais à quelles souffrances est-il utile de s’entraîner quotidiennement ? Aux yeux du philosophe, il va de soi que tous les efforts ne sont pas équivalents. « Point de beauté morale, dit-il, dans un effort qui, au lieu d'avoir pour fin les bonnes dispositions et la tension de l'âme viserait celles du

122. Stobée III 5 ,3 9 ; t. III, pp. 267,16-268,4 Hense = M axim e, Loci communes, Sermo 3, P G 91, c. 741 D . V oir aussi P la to n , Lois V III, 840 BC.

123. D .L. V I 27.124. Stobée III 4, 111 ; t. III, pp. 246, 12-247, 2 Hense. O n notera l’expres­

sion grecque employée pour évoquer la lutte en vue de la beauté morale. I l s’agit en effet d ’un hapax : διακαλοκάγαθίζεσθαι, forgé à l’imitation de διαπαλαίεινou de διατρέχειν. Sur la critique de l’exercice physique des athlètes pratiqué comme fin en soi, voir le dialogue de Lu cien , Anarcharsis, notam m ent les paragraphes 11-13. Sur Anacharsis, consulter J. F. K in d s tra n d , Anacharsis. The Legend and the Apophthegmata, coll. « Acta Universitatis Upsaliensis » — « Studia GraecaUpsaliensia », 16, Uppsala, 1981, xxn-176 p. Le dialogue de Lucien est examiné aux pages 65-67.

LES PONOI INUTILES 55

corps » 125. Certains efforts se révèlent moralement utiles, en ce qu’ils permettent à l’homme d'être prêt le jour où frappe l’épreuve ; d’autres, en revanche, sont déployés en pure perte. Tous les gens qui sacrifient par un biais ou par l’autre aux valeurs de la vie civilisée se donnent du mal en vain. C'est pourquoi au lutteur de pancrace du nom de Cicerme, qui avait reçu la couronne olympique, Diogène donne ce dur conseil :

Dis à tes combats, Cicerme, un adieu sans retour; ne lutte pas au pancrace ni contre des hommes auxquels tu seras inférieur sous peu, au moment où tu seras parvenu à la vieillesse. Affronte les combats réellement beaux et apprends à tenir bon quand te frappent non de misérables petits hommes, mais ton âme, non des lanières de cuir ou des poings, mais la pauvreté, la mauvaise réputation, la basse naissance ou l'exil. En effet, si tu t'es exercé à maîtriser ces épreuves, alors tu vivras heureux et tu mourras en acceptant la mort. En revanche, si tu poursuis tes combats habituels, alors tu vivras malheureux126.

Diogène s’élève également contre les ponoi qu'imposent les coutumes sociales et qui conduisent l’homme à toutes sortes de Iracas et de m isères127. C’est ainsi que dans une lettre pseudé-

125. Stobée III 7, 17 ; t. III , p. 314, 3-5 Hense.126. Lettre X X X I à Phènylos 4 (p. 246 Hercher). O n trouvera un bel exemple

d e ponos inutile aux yeux d ’Antisthène dans le Banquet de X én oph on IV 35.127. E n fait, c’est un véritable changement de mentalité que prône Diogène.

L’hom me pris dans les rets de la vie civilisée est prisonnier de toutes sortes d ’idées fausses, par exemple l’idée couram ment admise selon laquelle la valeur des choses dépend de leur prix. « Ce qui a beaucoup de valeur, disait Diogène, se vend pour rien et le contraire est vrai. C’est ainsi qu’une statue se vend trois mille drachmes, alors que pour deux sous de cuivre on a un chénice de farine » (D.L. V I 35). « Diogène attendait toujours d’avoir faim et soif avant de prendre de la nourri­ture et il estimait que c’était là le plus satisfaisant et le plus piquant des assaisonne­ments. C’est ainsi qu’il portait à sa bouche avec plus de plaisir une galette que les autres les nourritures les plus coûteuses, et qu’il buvait avec plus de plaisir de l’eau courante que les autres du vin de Thasos » (D ion Chrysostom e VI 12). « Prends l ’exemple de ce que fit D iogène avec l’individu qui se plaignait qu’Athènes fût coûteuse. I l le prit, l’emmena chez le marchand de parfums et demanda le prix d’un cotyle d’huile de cyprus. ‘ Une mine ’, dit le marchand. ‘ O ui bien, coûteuse est la ville ’, s’écria Diogène. Il le conduisit ensuite au quartier des cuisiniers et demanda le prix des pieds de porc. ‘ Trois drachmes \ Il s’écria : ‘ Oui bien, coûteuse est la ville ’. Les voilà ensuite au quartier des lainages moel­leux. 1 Comblent coûte le m outon ? ’ ‘ Une mine ’, dit le marchand. Il s’écria : ‘ Oui bien, coûteuse est la ville ’. ‘ Viens ici dit-il, et sur ce i l conduit l’homme aux lupins. ‘ Combien le chénice ? ’ ‘ Un chalque ’, dit le marchand. Diogène s’écria : ‘ Pas chère est la ville ’. De nouveau aux figues sèches. ‘ Deux chalques ’. ‘ Combien les m y rte s? ’ ‘ Deux chalques’. ‘ Pas chère est la v ille ’ » (T élés, Diatribe II, pp. 12, 8-13, 9 Hense ; trad. Festugière).

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56 LA MORALE DIOGÉNIENNE

pigraphe, il adresse à Zénon les conseils suivants qui, s’ils étaient suivis, aboutiraient à la disparition de la race humaine :

Il ne faut ni se marier, ni élever des enfants, car notre race est faible128. Le mariage et les enfants chargent d’un fardeau supplémentaire de peines la faiblesse humaine. En tout cas, ceux qui en sont venus à se marier et à élever des enfants dans l’espoir de trouver un secours, quand ils se rendent compte après coup que ces situations apportent encore plus d’ennuis, sont saisis de regret, alors qu’il leur était possible dès le début d’éviter ces ennuis. L’homme apathique considère qu’il lui suffit de supporter ses propres affaires et il décline mariage et procréation des enfants129. Mais, diras-tu, la vie des hommes sera solitaire. D’où, en effet, tireront-ils leur succession ? Puisse la mollesse quitter notre vie, une fois tous les hommes devenus sages ! En réalité, seul celui que nous avons réussi à convaincre fera peut-être défaut, mais tous les autres hommes résisteront à notre persuasion et engendreront des enfants. Cependant, à sup­poser que la race humaine vienne à manquer, y aurait-il là de quoi se lamenter autant que si la production des mouches et des guêpes venait à manquer ? Ce sont là en effet les propos que tiennent ceux qui ne contemplent pas la nature des choses130.

A l’opposé des hommes pris dans l’engrenage social, Diogène, lui, mène une existence libre de toutes contraintes :

Après avoir consulté Apollon, Diogène se dépouilla de tous les embarras et se défit de ses chaînes. Il parcourut le monde, libre, tel un oiseau doué de raison ; il était sans crainte du tyran, n’était pas contraint par la loi, pas occupépar la vie publique, pas étouffé par l’éducation des enfants,pas emprisonné par le mariage, pas retenu par le travail de la terre, pas troublé par les campagnes militaires, pas

128. Cf. D .L. V I 29 : « Diogène louait les gens qui, sur le po in t de se marier, ne se mariaient po in t ; ceux qui, prêts à faire une traversée, ne la faisaient po in t ; ceux qui, disposés à s’occuper de politique, ne s’en occupaient po in t ; ceux qui avaient envisagé d ’élever des enfants et n ’en élevaient poin t ; ceux qui s’apprê­taient à vivre dans la compagnie des princes et qui ne s’en approchaient po in t ». Sur ce passage, vo ir K. v o n F r it z , Quellen-Untersuchungen, pp. 14-15.

129. A utre description de 1a vie asociale du Cynique, chez É p ic tè te III 22, 67-76. Cratès a lui aussi tenu à se libérer des contraintes sociales ; voir D .L . V I 89 ; Stobée III 5, 52 ; t. III, p. 273, 3-8 Hense.

130. Lettre X L V II à Zénon (p. 257 Hercher).

LE RETOUR A LA VIE KATA PHUSIN 57

détourné de sa route par le commerce. Il se moquait au contraire de tous les hommes qui s’adonnent à de telles acti­vités, tout comme nous nous moquons des petits enfants, quand nous les voyons occupés à jouer aux osselets, à se battre et à être battus, à dépouiller les autres et à être eux- mêmes dépouillés ; Diogène, lui, menait la vie d’un roi exempt de crainte et qui était libre...131

2. Les ponoi utiles ou le retour à la vie kata phusin

Mais alors, si les souffrances assumées dans les combats sportifs, la compétition musicale, la recherche de la gloire ou simplement la vie qui veut se conformer aux usages sociaux sont inutiles, quelles sont donc ces souffrances utiles auxquelles convie Diogène ? A un premier stade, il faut viser la capacité à rem­porter la victoire sur la Fortune, par conséquent s’entraîner à des exercices susceptibles de rendre apte à supporter l’exil, la pauvreté ou la mauvaise réputation, des exercices qui feront de l’homme un sujet autarcique, libre et capable surtout de juger que les épreuves envoyées par la Fortune ne sont pas des maux.Il devra donc s’accoutumer à ne pas réagir selon les valeurs de la vie civilisée. Tel est précisément le but que poursuit l’ascèse diogénienne : soustraire celui qui s’y adonne à l’emprise de ces valeurs. C’est pourquoi elle préconise de s'entraîner aux souf­frances qu’impose la vie kata phusin: boire de l’eau, manger le plus frugalement possible, coucher sur la dure, supporter le froid et le chaud des saisons, se vêtir de façon extrêmement simple. Ainsi, le jour où, au gré des caprices de la Fortune, il lui faudra nécessairement supporter ces dures conditions de vie, il le fera d’un cœur léger, car il y aura été préalablement habitué.

La façon de vivre proposée par le philosophe cynique est fondée sur la frugalité et la satisfaction des seuls besoins néces­saires. Car en s’entraînant chaque jour à une extrême simplicité clans le logement, l’habillement et l’alimentation, l’homme finit par acquérir son indépendance face au monde extérieur.

Il plaît encore aux Cyniques de vivre frugalement, en usant des aliments d’un régime autarcique et du seul tribôn, en méprisant richesses, réputation et bonne naissance. Quel­ques-uns, en tout cas, mangent des herbes, ne boivent rien d’autre que de l’eau froide et utilisent des abris de fortune, ainsi que des tonneaux, comme Diogène qui disait que le

131. M axim e de T y r, Dissertation X X X V I 5 ; pp. 420, 12-421, 11 Hobein.

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58 LA MORALE DIOGÉNIENNE

propre des Dieux est de n ’avoir besoin de rien et celui des gens semblables aux Dieux de désirer peu de choses132.

Une fois de plus, Diogène lui-même peut servir d ’exemple.

Dans toutes les cités lui étaient ouvertes les maisons les plus belles et les plus salubres, c’est-à-dire les temples et les gymnases. Un seul manteau lui suffisait pour l’été et pour l’hiver. En effet, il supportait facilement le grand air, parce

132. D .L . V I 105 (le passage du présent à l ’imparfait à l ’intérieur de la seconde phrase suggère peut-être que les Cyniques dont il est question ici ne sont pas des contemporains de Diogène). Cf. D .L . V I 37 : « Ayant vu un jour un jeune enfant qui buvait dans ses mains, D iogène sortit alors sa tasse de sa besace et la jeta en disant : ‘ Un jeune enfant me bat sur le chapitre de la frugalité ’ . I l jeta aussi son bol, parce qu’il avait vu de la même façon un jeune enfant qui, pour avoir brisé sa gamelle, recueillait ses lentilles dans le creux de son petit morceau de pain ». L ’anecdote de l ’enfant qui boit dans ses mains est également rapportée par Sim plicius, Commentaire sur le Manuel d ’Épiciète X X X III 7 ; p. 117,5-12 Dübner. Cf. aussi Cratès qui, dans la Diatribe II de T é lé s (pp. 14,6-15, 2 Hense), dit : «Ramasse une coquille et une fève,et ce qui leur est proportionné : si tu agis ainsi, tu dresseras aisément un trophée contre la pauvreté » (trad. Festu- gière). Sur l ’autarcie des philosophes cyniques, vo ir Audrey N . M . R ic h , «T he Cynic conception o f αύτάρκεια », Mnemosyne, Ser. IV , 9 (1956) 23-29 ; H. S ch u lz- F a lk e n th a l , « Κ ατά φύσιν. Bemerkungen zum Idéal des naturgemàOen Lebens bei den ‘ âlteren ’ K yn ikem », Wissenschaftliche Zeitschrift der Martin-Luther- Universitat, Halle-Wittenberg, Gesellscbafts- und Sprachwissenschaftliche Reihe 26 (1977) 51-60; H. N ieh u es-P rô bstin g, Der Kynismus des Diogenes und der Begriff des Zynismus, coll. « Humanistische Bibliothek » — « Reihe I : Abhandlungen »,40, M unich, 1979, pp. 149-160. L ’autarcie est le fondement de la paradoxale richesse du sage qui, dans le plus extrême dénuement, trouve toujours de quoi satisfaire ses besoins : « Le même philosophe (Diogène), alors qu’on lui deman­dait qui parmi les hommes est riche, répondit : ‘ Celui qui se suffit à lui-même ’ » {Gnomologium Vaticanum 180 ; p. 74 Sternbach). Même revendication de la richesse du sage chez Cratès : « Nous vivons dans une paix parfaite, libérés de tout mal par D iogène de Sinope et, alors que nous n ’avons rien, nous avons tout, tandis que vous qui avez tout, vous n ’avez rien, à cause de votre am our de la chicane, de votre haine, de votre crainte et de votre am our de la vaine gloire » (Lettre V II de C ra tè s aux riches ; p. 209 Hercher). Sur la simplicité de vie des Cyniques, voir R. V is c h e r , Das einfache Leben. Wort- und motivgeschichtliche Untersucbungen %u e'tnem Wertbegriff der antiken L i teratur, coll. « Studienhefte zur Altertumswissen- schaft », 11, G ôttingen, 1965, pp. 75-83. Le thème de la vie frugale en accord avec la nature revient souvent dans les lettres des Cyniques, mais aussi dans celles qui ont été influencées par le cynisme, par exemple les lettres d’ANACHARSis 5 (p. 103 Hercher) et 9 (pp. 104-105 Hercher), ou encore la lettre 7 d ’HÉRACLiTE (pp. 284-285 Hercher) ; pour cette lettre, le texte donné par Hercher doit être complété par les colonnes X III à X V du papyrus de Genève inv. 271 édité par V. M a rtin , «u n recueil de diatribes cyniques : Pap. Gen. inv. 271 », Muséum Helveticum 16 (1959) 77-115· V. Martin traduit cet appendice à la lettre du Pseudo- Héraciite, aux pages 81-83. La lettre entière est éditée et traduite en anglais parH. W. A t t r id g e , First-century cynicism in the epistles of Heraclitus, coll. « Harvard Theological Studies » 29, Missoula (Montana), 1976, pp. 67-79.

LE RETOUR A LA VIE ΚΑΤΑ PHUSIN 59

qu’il y était habitué. Jamais il ne couvrait ses pieds car, disait-il, ceux-ci ne sont pas plus délicats que les yeux et le visage. Quoique plus faibles par nature, ces parties du corps supportent parfaitement le froid, car elles sont constamment découvertes. De fait, les hommes ne peuvent se promener en bandant leurs yeux, comme ils le font pour leurs pieds. Il disait que les riches ressemblent à des nouveau-nés. A tout moment, en effet, ils ont besoin de langes 133.

I>e même encore cette description due à Maxime de Tyr :

Les temples, les gymnases et les bois sacrés étaient pour Diogène des demeures royales. Sa richesse était des plus abondantes, des plus sûres et parfaitement à l’abri des complots ; c’était la terre entière, ses fruits et les sources, filles de la terre, dont le flot est plus généreux que celui de n’importe quel vin de Lesbos ou de Chios 1M. U était ami du grand air et accoutumé à lui, comme les lions, et il n’essayait pas de fuir les saisons de Zeus ni de lutter avec lui en s’ingéniant à trouver l’hiver la chaleur de l’été et en désirant l’été avoir de la fraîcheur135.

Dans le mode de vie que, personnellement, il adopta, Diogène n'est engagé sur la voie d’un retour à un état de nature originel que l’homme à ses yeux n’aurait jamais dû quitter.

Cette volonté d’un retour à la nature est profondément ancrée <lnns le cynisme. Diogène a le sentiment, quand il s’entraîne à se libérer des contraintes sociales et qu’il affronte les ponoi kata lihusin, de renouer avec un paradis perdu : « Diogène répétait .1 cor et à cri que la vie accordée aux hommes par les Dieux ι'·.ι une vie facile, mais que cette facilité leur est cachée, du lait qu’ils recherchent gâteaux de miel, parfums et autres raffi­nements du même genre»136. De cette situation, le philosophe

133. D io n C hrysostom e V I 14-15.134. Certains vins, réputés pour leur qualité, étaient fréquemment invoqués

I ',ir les Cyniques comme symboles du luxe. Pour le vin de Thasos, voir Antisthène■ liins le Banquet de X én oph on IV 41 ; pour le vin de Chios, T é lé s , Diatribe II (p. H, 1 Hense). Chez D io n Chrysostom e V I 12-13, les vins de Chios, de LesbosI I <lc Thasos sont unis dans une même condamnation.

135. M axim e de T y r , Dissertation X X X V I 5 ; p. 422, 1-9 Hobein.136. D .L. V I 44. Les Gymnosophistes eux aussi étaient convaincus qu’au

ilipart c’était une vie facile qui avait été donnée aux hommes. Voici ce que l’un• l'entre eux, Calanos, dit à Onésicrite : « Autrefois tout était plein de farine d’orge Ί «le farine de from ent, de même que maintenant tou t est plein de poussière.I )c« eources d’eau coulaient, des sources de lait aussi et il y avait de même des "■ 'nrr.es de miel, de vin et certaines d’huile. Mais à cause de leur besoin de satiété

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60 LA MORALE DIOGÉNIENNE

rend Prométhée responsable, lui qui, en donnant le feu aux hommes, leur a permis de dominer la nature et de s’engager sur la voie de la civilisation. « Si le mythe dit que Zeus châtie Pro­méthée pour avoir trouvé le feu et en avoir fait don aux hommes, c’est selon Diogène parce que ce don fut pour les hommes le commencement et le point de départ de la mollesse et du luxe » 137.

Parfaitement cohérent avec sa conception de l’entraînement, Diogène, quand on lui confie l'éducation des enfants de son maître Xéniade, inscrit la frugalité au cœur même du programme de vie qu’il leur propose. «A la maison, il leur apprenait à se servir eux-mêmes, à prendre une nourriture frugale et à boire de l’eau ; à son instigation, ils portaient les cheveux coupés à ras, s’habillaient sans coquetterie et sortaient sans tunique, les pieds nus... » 138

Symbole par excellence de cette volonté d’anticonformisme social et de retour à une vie naturelle : l’accoutrement cynique. Le philosophe apparaît en effet d'abord comme un homme du voyage, comme une sorte de missionnaire qui, chez lui partout, n 'a d’attaches nulle part, ainsi que l’attestent la besace qui contient tout ce qu’il possède, et le bâton, qu’on ne peut conce­voir autrement que comme un bâton de rou te139. Le tribôn plié en deux, servant d’unique vêtement été comme hiver, utilisé même la nuit comme couverture, vient compléter la panoplie140.

et de luxe, les hommes tom bèrent dans la démesure. Zeus, qui avait pris en haine l’humaine condition, fit to u t disparaître et produisit la vie selon l’effort. Lorsque la tempérance et les autres vertus arrivèrent au milieu des hommes, à nouveau régna l’abondance des biens. Mais désormais l’écueil de la satiété et de la déme­sure est proche et la disparition des biens risque de survenir » (S t r a b o n X V 1, 64 = F G rH 134 F 17).

137. D io n C hr y so st o m e V I 25. V o ir au ss i P l u t a r q u e , Aquane an ignis utilior 2, 956 B. « Le C y n ism e e s t tr a v e rs é p a r to u t u n c o u ra n t a n tip ro m é th é e n , d ir ig é c o n tre l ’in v e n t io n d u fe u te c h n iq u e et c iv il is a te u r .. . Le r e to u r à la s a u v a ­g e rie p asse p a r la c r i t iq u e d e P ro m é th é e , n o n p lu s le sac rif ic a te u r re s p o n sa b le d e la s é p a ra tio n d e Dieu e t d e s h o m m e s , m a is le t i ta n c iv il is a te u r d e l ’a n th ro p o lo g ie c u ltu re lle , le m é d ia te u r c o u p a b le d ’a v o ir t i r é l ’h u m a n ité d e l ’é ta t s au v a g e e n lu i fa isan t le c ad e a u e m p o is o n n é du fe u » (M. D e t ie n n e , Dionysos mis à mort, c o ll . «L es Essais», 195, P a ris , 1977, p p . 153-154).

138. D .L. V I 31.139. Cf. Anth. Pal. V I 298 : βάκτρον τοϋτό γ ’ οδοιπορικόν.140. Nom breux sont les témoignages sur cet accoutrement. A titre d’exem­

ples, voir D io g è n e , Lettre X X X à Hicétas 3-4 (p. 245) ; É p ic t è t e III 22, 10; J u l ie n , Discours V II contre Héracleios le Cynique 19, 225 AB; Anth. Pal. V II 65 ; 66. La sentence suivante de Sex tu s suggère dans sa forme lapidaire tou t ce que l ’accoutrement cynique pouvait avoir de choquant : « Κυνικοϋ μη το σχήμα άποδέχου, άλλα τήν μεγαλοψυχίαν ζήλου » (Sentence 462 Chadwick). Sextus rejette le mode de vie cynique, probablem ent à cause de tous les excès que celui-ci affiche, mais i l reconnaît la valeur de l’ascèse cynique : « Κυνικοϋ άνδρδς άσκησις μέν άγαθή, βίος δέ ού προηγούμενος » (Sentence 461 Chadwick). Dioclès,Néanthe et Sosicrate n ’étaient point, à en croire D .L. V I 13, du même avis sur

LE RETOUR A LA VIE KATA PHUSIN 61

Diogène, d’ailleurs, aimait à citer et reciter ces deux vers de tragédie qui lui permettaient de définir son errance essentielle :

Sans cité, sans maison, privé de patrie,Mendiant, vagabond, vivant au jour le jour...141

Parce qu’il incarne parfaitement cette autarcie à laquelle aspire Diogène, l’animal lui sert constamment de référence142.

«clui qui, le premier, avait doublé son vêtement. « Antisthène fu t le premier à plier en deux son tribôn, à ce que dit Dioclès, et c’était là son unique vêtement. Il prit aussi un bâton et une besace. Néanthe dit lui aussi qu’il fu t le premier à plier en deux son manteau. Toutefois Sosicrate, dans le troisièm e livre àtsSuccessions, attri­bue la prim eur à D iodore d ’Aspendos ; il rappelle aussi que ce dernier laissait croître sa barbe et qu’il portait besace et bâton ». E n V I 22, D iogène Laërce fait état encore d ’une autre thèse : « Diogène fut le premier, au dire de certains, à |>licr en deux son tribôn, en raison de la nécessité où il était de s’en envelopper également pour dorm ir ». Très vite l’accoutrem ent cynique deviendra le symbole de cette philosophie. Concernant l’influence exercée par cet accoutrem ent sur l’état d ’esprit du philosophe, voir P l u t a r q u e , A n vitiositas ad infelicitatem sufficiat3. 499 D : « Le tribôn, la besace, la quête de leur nourriture quotidienne, voilà le. commencement du bonheur pour Diogène, voilà le commencement de la liberté et de la réputation pour Cratès » ; P s e u d o - L u c ie n , Le Cynique 19 : « Mais ce manteau dont vous vous moquez, ces cheveux et cette apparence qui est la mienne on t une puissance telle qu’ils me perm ettent de vivre en paix, de faire• out ce que je veux et d’avoir la compagnie de m on choix ». V oir également la I .ettre 15 de D io g è n e à Antipater (p. 239 Hercher). Sur le tribôn, consulterH. S c h u p p e , art. « tribôn », RE V I A 2 (1937) cols. 2415-2419, et, pour une étude détaillée de l ’accoutrement cynique, voir J . F. K i n d s t r a n d , Bion of Borysthenes. Λ Collection of the Fragments with Introduction and Commentary, coll. « Acta Univer­sitatis Upsaliensis — Studia Graeca Upsaliensia», Uppsala, 1976, pp. 161-163. Ilcaucoup plus tard, au second siècle après J.-C., le philosophe cynique Sécundus présentera encore le même aspect : bâton, besace, cheveux longs, barbe ( Vita Secundi, p. 68, 7-8 Perry), et au v e siècle le Cynique Saloustios est ainsi décrit : « Saloustios, qui vivait en chien, empruntait non point la route habituelle de la I philosophie, mais celle qui est taillée en vue de la réfutation, de l’injure et surtout de l’effort qui vise la vertu. Il était rarem ent chaussé, ou alors il attachait les iphicratides athéniennes ou les habituelles sandales. Manifestement il n ’avait jamais bien longtem ps un corps malade ni une âme souffrante ; au contraire, i I supportait, à ce qu’on dit, l ’entraînement d ’une nuque robuste » ( P h o t iu s , bibliothèque, cod. 242, § 89 = D a m a s c iu s , Vie d ’Isidore, Epit. Phot. 89 ; p. 130,I 8 Zintzen). A u g u stin , dans la Cité de Dieu X IV 20, 44, dit qu’il connaît des philosophes cyniques et que ceux-ci, non contents de s’envelopper du manteau, portent aussi la massue (cette massue était un des attributs d ’Héraclès, le héros préféré des Cyniques).

141. D .L. V I 38 = T rG F 88 F 4. Cf. É p i c t è t e III 22, 47 ; É l i e n , Histoire variée III 29; Ju lien , Discours V I « A Thémistius », 4, 256 D ; Discours IX ( antre les Cyniques ignorants 14, 195 B et Gnomologium Vaticanum 201, pp. 80-81 Stcrnbach. O n peut rappeler également ce vers, très radical dans la négation des valeurs sociales qu’il affiche, prononcé selon toute vraisemblance par un Cynique dans le Pentathle du poète comique E u b u l e : νόθος, άμφίδουλος, ούδαμόθεν οΰδείς, κύων ( P h o t iu s Berol. 100. 17 Reitzenstein = fr. 86 a Hunter)

142. Antisthène avait écrit un Π ερ ί ζφ ω ν φύσεως (D.L. V I 15) dont aucun fragm ent n ’a été conservé, mais dont on peut penser qu’il offrait une

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62 LA MORALE DIOGÉNIENNE

Le chien, bien sûr, se trouve privilégié143, mais les témoignages mentionnent également les chevaux et les lions144, la souris14S, les poissons14é, les animaux qui paissent dans les pâturages147

comparaison entre la nature de l’homme et celle de l ’animal, du genre de celle q u ’établit D iogène chez D io n C h r y so st o m e V I 26-29. Sur les conceptions antiques des rapports entre l’animal et l ’hom me, vo ir U. D ie r a u e r , Tier und Mensch im Denken der Antike, Amsterdam, 1977, xvn-320 p., notam m ent pp. 180- 193 où il étudie le po in t de vue cynique.

143. Antisthène avait pour surnom 'Α πλοκύων (D .L. V I 13). Sur ce terme dont la signification n’est pas évidente, vo ir G . R u dberg, « Zum Diogenes- Typus », Symbolae Osloenses 15 (1936) 13-14 ; H. S c h u lz - F a lk e n th a l, « Kyniker. Zu r inhaltlichen Deutung des Namens », Wissenscbaftliche ‘Zeitschrift der Martin- Luther-Universitat, Halle-Wittenberg, Gesellschafts- und Sprachwissenschaftliche Reihe 26 (1977) 47, n. 10. Notons que ce surnom fut également donné au philo­sophe cynique du Ier siècle avant J.-C. Favonius (P lu ta rq u e , Brutus 34). Dans la liste des œuvres d ’Antistbène, on trouve attesté par le manuscrit B de D .L . un Π ερ ί τοΰ κυνός. Mais le manuscrit P rattache ce titre au précédent par καί, ce qui donne un titre unique : Π ερί του Ό δυσ σ έω ς καί Πηνελόπης καί περί τοΰ κυνός. O n ne saura donc jamais s’i l s’agissait du chien d’Ulysse ou du chien en général. Fernanda D e c le v a C a izz i dans son édition des Antisthenis Fragmenta, coll. « Testi e D ocum enti per lo Studio deU’antichità », 13, M ilan, 1966, p. 85 suggère que de cette œuvre Π ερ ί του κυνός dérive peut-être la création du nom κυνισμός. Quant à D iogène, toute une série de témoignages le présentent comme revêtu des caractéristiques du chien ou comme revendiquant l ’appellation « chien ». V oir par exemple D io n Chrysostom e V III 11 ; IX 3 et 7 ; D io g èn e L a ë r c e VI 33. 40. 55. 60. 6 i ; D io g èn e , Lettre V II à Hicêtas, 1 (pp. 236-237); Thém istius, De virtute, fol. 37 de la version syriaque, pp. 65, 2-67, 3 Mach ; Stobée III 13, 44 ; t. III, p. 462, 16-18 Hense ; Gnomologium Vaticanum 194 ; p. 79 Sternbach. Sur le chien, animal modèle pour les Cyniques, vo ir A th é n é e , Deipnosophistes X III, 611 B (Cléarque de Soles, fr. 16 W ehrli) ; C ra tè s , Lettre X X IX à Hipparchia (p. 214 Hercher); Ammonius, in Categ., p. 2, 2-8 Busse; O lym piodore, in Categ., p. 3, 20-30 Busse ; P h ilo p o n , in Categ., p. 2, 24-29 Busse ; É lia s , in Categ., p. 111, 1-32 Busse ; Pseudo-N onnos, In invect. I adversus lulianum ( Orat. I V ) historiae, 25, P G 36, col. 997 D-1000 A . Sur les liens entre Antisthène et le Cynosarges, voir D .L . V I 13 (fr. 136 A Caizzi) ; Souda, s.v. Α ντισ θένη ς, A 2723 ; t. I, p. 243, 24- 25 Adler. Sur l ’étym ologie du mot Cynosarges, vo ir Pseudo-N onnos, In Invect. I adversus lulianum ( Orat. I V ) historiae 60, P G 36, c. 1016 C ; Souda, s.v. Κυνόσαργες, K 2721 ; t. III, p. 215, 6-13 Adler. Pour une vue d ’ensemble des problèmes que pose l ’étymologie du m ot Cynique, consulter S c h u l z - F a l k e n t h a l , art. cité,

PP- 41-49· T .144. Cf. P seu d o -L u c ie n , Le Cynique 15. Les lions sont mentionnes en

D .L. V I 75.145. V oir le passage du Mêgarique de T h é o p h r a s t e transmis par D .L. V I 22

et cité plus loin. V oir aussi D .L. V I 40 ; P l u t a r q d e , Quomodo quis suos in virtute sentiat profectus 5, 77 F ; É l ie n , Histoire variée X III 26 ; St o b é e III 6, 37 ; t. III, p. 294, 9 Hense ; Pap. Bouriantn0 1, feuillet V I, pp. 1-2, édité par P . Jouguet et P . Perdrizet, dans W. C r o e n e r t , Iiolotes und Menedemos, Leipzig, 1906 ; rp. Amsterdam, 1965, p. 157. Sur l’anecdote de la souris, voir G. St e in e r , « Diogenes’ mouse and the royal dog. Conformity in nonconform ity », Classical Journal 72 (1976) 36-46.

146. V oir D io n Chrysostom e V I 18.147. V oir ibid. 13.

LE RETOUR A LA VIE KATA PHUSIN 63

ou encore les oiseaux148. Ainsi, par exemple, c’est à une souris, •■I l'on en croit Théophraste, que Diogène aurait dû sa décision• N- renoncer aux jouissances de la civilisation :

A ce que dit Théophraste dans son Mêgarique1*9, c’est parce qu’il aperçut une souris qui courait de tous côtés, sans chercher un lieu de repos, sans prendre garde à l’obscurité ni rien désirer de ce qui passe pour des sources de jouissance, que Diogène découvrit une solution à ses difficultés150. Il fut le premier, au dire de certains, à plier en deux son tribôn, en raison de la nécessité où il était de s’en envelopper éga­lement pour dormir. Il se mit à porter aussi une besace dans laquelle il mettait sa nourriture, et tout endroit lui convenait pour toute activité, pour manger, dormir et converser1S1.

Soucieux d ’ « ensauvager la vie » au maximum, selon une i mpression de Plutarque152, que celui-ci voulait moqueuse, mais■ inc Diogène n’aurait pas nécessairement reniée, le philosophe aurait même prétendu rivaliser avec les chiens en mangeant un poulpe cru. « Diogène osa manger un poulpe cru afin de

148. V oir D io n C h ry so sto m e X 16.149. D. R. D u d l ey , op. cit., p. 3, tire parti de ce passage de Théophraste pour

«■<11 îclure que ce n ’est pas Antisthène qui par son enseignement a converti Diogène, muis une souris, ce qui à ses yeux a des conséquences sur les origines du cynisme : « Une histoire qui, probablement, dérive de Théophraste et, de ce fait, peut représenter un com pte rendu contem porain, m ontre D iogène proclamant lui- mêtne qu’il a été converti à la philosophie, non par les enseignements d ’Antis- lliène, mais par l’exemple pratique d ’une souris ; cette histoire suggère en outre que, lorsqu’il arriva à Athènes, D iogène était déjà un dévôt de la vie ascétique. C 'est seulement chez les écrivains tardifs, Épictète, D ion Chrysostome, Élien, Stobée, Diogène Laërce et Suidas, que nous entendons parler d’une connexion riitrc Antisthène et D iogène ; et il est significatif que ces auteurs ne nom ment I »1« d’autres élèves d’Antisthène que Diogène, et que leurs histoires sur les relations •'iilre les deux personnages mettent l’accent sur le caractère hargneux d ’Antis- tliène à l’égard des élèves et sur le mécontentement manifesté par Diogène à l’égard de l ’exemple pratique qu’of&ait Antisthène ». Théophraste a composé l'Kalement un ouvrage intitulé Τ ω ν Διογένους συναγωγή, que m entionneI I io g è n e L a ë r c e V 43 dans la liste qu’il donne des écrits du philosophe. O n peut toutefois se demander si le Diogène en question n ’est pas p lu tô t le philosophe présocratique Diogène d’Apollonie.

150. Cf. P l u t a r q u e , Quomodo quis suos in virtute sentiat profectus 5, 77 F- /H A ; voir aussi É l ie n , Histoire variée X III 26, où Diogène se d it à lui-même : « Cette souris n ’a aucunement besoin de la munificence des Athéniens, et toi, Diogène, tu souffres de ne pas manger à la table des Athéniens! ».

151. D .L. V I 22.152. P l u t a r q u e , De esu carnium I 6, 995 D . V oir M. D e t ie n n e , Dionysos mis

à mort, pp. 153-154.

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64 LA MORALE DIOGÉNIENNE

rejeter la préparation des viandes par la cuisson au feu. Alors que beaucoup d’hommes l’entouraient, il s’enveloppa de son man­teau et, portant la viande à sa bouche, il dit : ' C’est pour vous que je risque ma vie, que je cours ce danger ' » 153. Plutarque d’ailleurs, qui rapporte ce témoignage, l’accompagne de ce commentaire ironique : « Quel beau risque, ô Zeus ! Comme Pélopidas pour la liberté des Thébains ou comme Harmodius et Aristogiton pour celle des Athéniens, le philosophe n’a-t-il pas risqué sa vie en luttant avec un poulpe cru, afin d’ensauvager notre vie ? »

Aux yeux des Cyniques, l’animal l’emporte sur l’homme en ce qu’il sait limiter ses besoins aux besoins naturels et se contenter en toutes circonstances de ce que lui apporte la nature.

Diogène se moquait des gens qui, quand ils ont soif, passent à côté des sources sans s'arrêter et cherchent par tous les moyens où ils pourront acheter du vin de Chios ou de Lesbos. Us sont, disait-il, beaucoup plus insensés que les bêtes des pâturages. Celles-ci, en effet, quand elles ont soif, ne passent jamais sans s’arrêter à côté d’une source ou d’un ruisseau à l'eau pure et, quand elles ont faim, elles ne dédai­gnent pas les feuilles très tendres ni l’herbe qui suffit à les nou rrir154.

Ainsi, parce qu’il ne possède rien, l’animal échappe à tous les soucis qui rendent l’homme si malheureux155. Tel est l’avis du Diogène de Dion Chrysostome :

Ne vois-tu pas combien les bêtes sauvages et les oiseaux mènent une vie moins pénible que les hommes et en outre plus agréable, combien ils ont une meilleure santé, plus de

153. P lu ta rq u e , ibid., 995 CD . Cf. D .L . V I 34.77. Plusieurs versions de la m ort de D iogène ont circulé. D .L . en V I 76-77 en cite trois : (a) i l aurait été attaqué par le choléra pour avoir mangé un poulpe cru (cf. S o ta d e d e M aron ée chez Stobée I V 2, 34, 8 ; t. V , p. 826, 16 Hense = fr. 15 P o w ell; P lu ta rq u e , Aquane an ignis utilior 2, 956 B ; L u cien , Les Vies à l ’encan 10 ; T a tie n , Discours aux Grecs 2,1 ; A th é n é e , Deipnosophistes V III, 341 E ; Censorinus, De die natali 15,2 ; Ju lien , Discours I X contre les Cyniques ignorants 12, 192 CD) ; (b) selon d’autres, dont Cercidas de M égalopolis, D iogène aurait retenu sa respiration ; (c) i l aurait été mordu au tendon du pied par des chiens à qui i l disputait un poulpe cru (cf. D .L . V I 79 ; Anth. Pal. V II 116; Souda, s.v. Διογένης, À 1141 ; t. II, p. 101, 20-22 Adler).

154. D io n C h r y so st o m e , Discours V I 13.155. D ’où ce vœu à première vue étrange que form ule Cratès dans une de

ses poésies : « L oin de m oi d ’entasser des trésors fabuleux! Je brigue / pour toutbien le bonheur de l’escarbot, l’aisance / de la fourm i » ( J u l ie n , Discours V II 9,213 C ; trad. G. Rochefort).

LE RETOUR A LA VIE ΚΑΤΑ PHUSIN 65

force et vivent chacun la vie la plus longue possible ? Pour­tant, ils n ’ont ni les mains ni l ’intelligence de l’homme. Pour compenser ces défauts et tous les autres, ils ont un très grand avantage : ils ne possèdent r ien 156.

Si l’on se souvient que Diogène aimait à comparer sa situa-1 mu à celle des Dieux, on peut être tenté de considérer comme paradoxale cette référence à l’animal. En fait, parce qu’il a très peu de besoins, l’animal, aux yeux des Cyniques, se rapproche île la divinité qui, elle, n’en a point du to u t157. Le Cynique du l’Miido-Lucien rappellera plus tard ce trait commun à l’animal, m Cynique et à la divinité.

Si tu crois que je mène une existence de bête sauvage parce que j ’ai besoin de peu et que je fais appel à peu de choses, alors, selon ton raisonnement, les Dieux risquent d’ctre inférieurs même aux bêtes sauvages, puisqu'ils n’ont aucun besoin. (...) D’une façon générale, en tout domaine, le laible a plus de besoins que le fort. C’est pour cette raison i|iie les Dieux n ’ont aucun besoin et que ceux qui sont les plus proches des Dieux n’en ont que très p eu 158.

Diogène lui-même ira jusqu’à dire : « Les hommes de bien mil des images des Dieux»159, et Cratès qualifiera d’armes

iluini-s le manteau grossier et la besace du Cynique:

1 j<>. D ion C h rysto stom e X 16. V o ir aussi Pseudo-Lucien, L e Cynique 15 :■ |. nrmlmitc (dit le Cynique) que mes pieds, comme on led it de ceux de Chiron, .m limèrent en rien des sabots des chevaux. Je voudrais n ’avoir pas plus besoinil. 11 mverturc que les lions e t ne pas exiger de nourritu re plus coûteuse que celle1I1 · 11liais. Que la terre entière me soit une couche suffisante ; puissé-je considérer li nu uulc comme ma demeure et choisir comme nourriture celle que je puis me.......... le plus facilement. Puissé-je n ’avoir besoin n i d ’o r n i d ’argent, pas plusi|i 1 *n 1 u un de mes amis. C’est en effet du désir de l’o r et de l’argent que viennent inni Irn maux qui accablent l’homme, séditions, guerres, conspirations et meurtres.I .1 «niroc com m une de tous ces m aux est le désir de posséder davantage. L oin il* 11111 m cc désir! Puissé-je ne jamais aspirer à l’abondance, mais au contraire me...... il n i capable de supporter l ’indigence ».

M /. Voir déjà Socrate dans X én oph on , Mémorables 1 6, 10 e t chez D .L . I I 27.I K ιιι/Ίικ· idée se retrouvera plus tard chez C ra tè s : «Exercez-vous à avoir lu «11I11 de peu ; ceci rapproche en effet de la divinité ; le contraire en éloigne et il *1111« ne l a possible, à vous qui êtes entre les dieux et les êtres privés de raison, det .................Μ α Λ l’espèce la meilleure et non à l ’espèce inférieure » ( Lettre X I à sestim/i'inHom ; p. 210 Hercher). O n relève dans la Politique d ’ARiSTOTE une phrase >|iil I ilI allusion, croyons-nous, au philosophe cynique : «C elui qu i n ’est pas• 11 · ·I·I. il! vivre en comm unauté ou qui, à cause de son autarcie, n ’en éprouve «I. .· il 111111 ni pas le besoin, ne fait en rien partie d ’une cité, de sorte qu’il est ou une p l i «,nivale ou un dieu » (I 2 ; 1253 a 26-29).

Mil I’si'.uuo-Lucien, L e Cynique, 12.M U . D .L VI 51.

3

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66 LA MORALE DIOGÉNIENNE

La philosophie cynique, c’est la philosophie de Diogène ; le chien, c’est celui qui œuvre selon cette philosophie ; faire le chien, c’est prendre un raccourci pour philosopher. Par conséquent, ne craignez pas l’appellation et ne fuyez ni le manteau grossier ni la besace qui sont les armes des Dieux 16°.

Devenu l’égal des Dieux, 1’ « ascète » cynique, habitué à ne rien posséder, ne peut rien perdre et voit arriver les coups de la Fortune dans la plus parfaite tranquillité, alors que l’homme qui ne s’est jamais entraîné à un mode de vie frugal et qui subitement tombe dans le dénuement, ne parvient pas à envi­sager sa situation d’une âme sereine et, de ce fait, ne peut connaître le bonheur. On saisit mieux alors dans un tel contexte le lien de cause à effet qu’établit Diogène entre pauvreté et vertu :« Diogène disait que la pauvreté est une aide instinctive pour la philosophie. En effet, ce dont cette dernière cherche à persuader par des discours, la pauvreté y contraint par des actes » 161, ou encore cette formule plus lapidaire : « Diogène disait que la pauvreté est une vertu instinctive » 162.

3. Les ponoi utiles ou l’homme plus fort que la Nature

Ce serait toutefois tronquer le cynisme d’une autre compo­sante essentielle que de réduire sa conception de l’ascèse à la pratique d’une vie selon la nature, même si, envisagé sous l’angle du retour à la nature, il apparaît comme un ensemble parfai­tement cohérent. En fait, le philosophe, parvenu à se défaire de la civilisation, ne peut être pleinement heureux, car il reste assujetti aux forces hostiles à l’homme qui régissent le monde, lui assignant pour lot les maladies, la mort, ceci sans parler de

160. Lettre X V I à ses disciples (p. z n Hercher).161. St o b é e IV z, 32, 11 ; t. V , p. 782, 17-20 Hense. La même sentence est

signalée dans le Gnomologium Varisimm, Appendix Vaticana I I 117; p. 81 Stembach, mais elle est attribuée au « même » auteur que la sentence qui précède, c’est-à-dire à Xénophon.

162. S to b é e IV 2, 32, 19 ; t. V, p. 784, 19-20 Hense. Même idée chez le philosophe académicien Arcélisas dans un fragm ent du Κ ατά (ou Π ερί) πλούτου de P l u t a r q u e (fr. 152 Sandbach) : « Arcésilas disait que la pauvreté est dure, comme l’est Ithaque, mais que c’est une bonne nourrice, car elle accoutume les jeunes gens à vivre en compagnie de la simplicité et de l’endurance, et que de façon générale elle est un exercice actif de vertu (γυμνάσιον άρετης Ιμπρακτον) ».Dans le fr. 151 tiré du même traité, P l u t a r q u e donne une définition intéressantede la pauvreté qui pourrait bien renvoyer au thème du raccourci cynique : « lapauvreté est une tempérance vite acquise (βραχεία τις έστι σωφροσύνη τό πενη-τεύειν).

l ’h o m m e p l u s f o r t q u e la n a t u r e 67

la faim, de la soif, du chaud, du froid, tous phénomènes qui, ilc-s l’instant où ils dépassent le seuil de résistance de l’homme, lr menacent dans sa vie même. On voit très bien, dès lors, en quoi les deux inspirations que nous avons précédemment déga­ines demeurent irréductibles l'une à l’autre. Dans la première perspective, l’homme découvrait qu’en renonçant aux artifices de la civilisation et en tirant parti de ce que lui offrait la nature, il pouvait être heureux. Aussi Diogène passe-t-il l’hiver en Attique,1 niion où cette saison est clémente, alors que l’été il préfère séjourner à Corinthe, ville qui bénéficie du souffle des vents 163. Cependant, même l’homme qui vit selon la norme naturelle doit affronter des rigueurs climatiques qui peuvent lui sembler insup­portables et surtout, l’entraînement à un mode de vie frugal, •'il rend apathique face à la pauvreté ou à l’exil, n ’a pas néces­sairement le même effet concernant la maladie ou la mort. Alors ‘•'impose un nouveau registre d’entraînement, car cette nature qui apparaissait dans le premier cas comme une garantie de bonheur face aux coups de la Fortune, peut également se révéler, ‘■11 tant qu’elle prend la forme du Destin, un adversaire impla­cable. C’est sans doute la conscience de cette hostilité de la Nature envers l’homme qui pousse Diogène sur la voie d’une ascèse différente, de type rigoriste. D'où, par exemple, ce témoi­gnage: «L'été, il se roulait sur le sable brûlant, tandis que l'hiver il étreignait les statues couvertes de neige, tirant ainsi profit de tout pour s’exercer»164, ou encore: « Il marchait pieds m u s dans la neige et faisait tous les autres tours de force que nous avons mentionnés plus h a u t» 165. La souffrance acceptée ou volontairement assumée a un effet anticipateur. C’est ainsi qu’ «à un de ses familiers qui, affligé de souffrances corporelles, appelait1 son secours, Diogène d it: 'C 'est une bonne chose pour toi, mon ami, de souffrir pour ne pas so u ffrir '» 166. Sur le mode de

163. Cf. D io n C hrysostom e V I 1-3 ; P lu ta rq u e , Quomodo quis suos in intute sentiat profectus 6, 78 CD, où Diogène compare son déplacement de Corinthe >1 Athènes et d ’Athènes à Corinthe aux séjours du G rand Roi à Suse au printem ps,.1 I lubylone l’hiver et en Médie l’été.

164. D .L. V I 23.165. D .L. V I 34. Cf. P lu ta rq u e , Apophthegmata laconica 13, 233 A : « U n

I ucédémonien qui vit Diogène le chien entourant de ses bras une statue de bronze, n li u s qu’il faisait très froid, lui demanda s’il avait froid. Devant sa réponse néga- llvc, il lui dit : * Alors que fais-tu donc d’extraordinaire?’ ».

166. Stobée IV 2, 36, 10 ; t. V, p. 868, 16-19 Hense. Cf. C ra tè s , Lettre X X XIII à Hipparcbia 1 (p. 215 Hercher) : το πονεΐυ α?τιόν έστι τοϋ μή πονεΐν ;I Utre IV à Hermaïscus (p. 208 Hercher) : « Que l ’on doive choisir la souffrance mi que l’on doive la fuir, souffre afin de ne pas souffrir. Car en ne souffrant pas, im ne fuit pas la souffrance, au contraire on la recherche ».

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68 LA MORALE DIOGÉNIENNE

la boutade, l’anecdote suivante traduit la même conception. « Un jour qu’il demandait l’aumône à une statue, on interrogea Dio­gène sur la raison de son geste. Il répondit: 'J e m’exerce à essuyer des échecs ' » 167.

Parce qu’il est convaincu de remporter la victoire sur les seuls adversaires véritables, le philosophe revendique pour lui- même la couronne de la victoire qu'il se plaît tant à refuser aux athlètes.

Diogène demanda aux Corinthiens pourquoi il était illégal qu’il portât la couronne de pin, alors que ce ne l’était point pour d’autres. A quoi l’un d’entre eux répondit : « Parce que tu n’as pas remporté de victoire, Diogène ». Mais ce dernier répliqua : « Nombreux, je t ’assure, sont les adversaires que j ’ai vaincus, et ils sont de taille, pas comme ces esclaves qui actuellement luttent en ces lieux, lancent le disque et font la course. Ce sont des adversaires qui, pour tout homme, sont plus difficiles à vaincre : pauvreté, exil, mauvaise réputation, mais aussi colère, chagrin, désir, crain te168, et de tous le fauve le plus invincible, sournois et lâche, le plaisir »169.

Face au combat d’un homme avec la fièvre, les épreuves d'Olympie ne font pas le poids. Épictète prête à Diogène, brûlé par la fièvre, le discours suivant adressé aux passants : « Mau­vaises têtes, ne vous arrêterez-vous pas ? Pour voir mourir ou se battre des athlètes, vous entreprenez un grand voyage jusqu’à Olympie, et vous ne voulez pas voir le combat de la fièvre et d’un homme ? » 170

Alors qu’il invitait ses contemporains à emprunter la voie courte, mais terriblement exigeante de l’ascèse, Diogène voyait ses appels condamnés à n’être point entendus. On ne saurait en effet plaire à la foule, quand on lui signifie la voie de l’effort et de la souffrance :

Comme on lui demandait quelle sorte de chien il était, Diogène répondit : « Quand j ’ai faim, je suis un petit Mal­tais ; quand je suis repu, je suis un Molosse ; ce sont deux races dont la plupart des gens font l’éloge, mais qu’ils

167. D .L. V I 49. Cf. V I 90 : « Cratès invectivait de propos délibéré les courtisanes, s’exerçant ainsi lui-même à supporter les injures ».

168. L ’apparition des quatre passions stoïciennes invite à penser que Dion Chrysostome n’hésitait pas à m ettre dans la bouche de D iogène des propos teintés de stoïcisme.

169. D io n C h r y so st o m e IX 11-12.170. Entretiens I I I 22, 58 ; trad. J . Souilhé.

L’HOMME PLUS FORT QUE LA NATURE 6 9

n'osent, par crainte de l'effort, emmener avec eux à la chasse.Il en est ainsi de vous qui n ’êtes même pas capables devivre en ma compagnie par crainte des souffrances » 171.

Malgré cet insuccès, Diogène ne cessa de provoquer pour Inquiéter, pour rappeler que l’homme s’est fourvoyé en inventant li s artifices de la civilisation et qu’il n ’est point de bonheur il. 111.s la crainte du malheur à venir. Le rappel constant des exi­gences qui lui paraissaient fondatrices du seul bonheur humain valable, relevait de ce qui était à ses yeux la tâche essentielle du philosophe. Et Platon qui, à son gré, n’était point animé du m<\me souci, s’attire cette critique cinglante : « De quelle utilité est pour nous un homme qui, bien que pratiquant la philosophie depuis longtemps déjà, se trouve n’avoir dérangé personne?»172.

S’il fallait rappeler brièvement en quoi l'ascèse diogénienne peut être considérée comme une méthode originale, voici quel-■ iiics-unes des caractéristiques que nous retiendrions. Plutôt que île s’adresser à une élite, elle est à la portée de tout un chacun. ■Seul critère de sélection : avoir le courage de s’entraîner selon l'optique diogénienne. Elle se veut une voie courte; inutile alors île perdre du temps dans les livres ou à l’école, mieux vaut ■/entraîner concrètement. Un jour qu’Hégésias le priait de lui prêter un de ses ouvrages, Diogène répondit: «Pauvre sot que lu es, Hégésias ! Quand il s’agit de figues, tu ne prends pas des figues peintes, mais des vraies ; en revanche, quand il s’agit il'ascèse, tu négliges l’ascèse véritable pour te précipiter sur celle nue l’on trouve dans les livres » 173. Alors qu’une morale comme le

171. D .L. V I 55. E n fait, les gens on t peur de Diogène, de sa franchise rude i l de sa causticité m ordante. V oir par exemple D io n Chrysostom e IX 6-7 I Stobée III 13, 37 ; t. III, pp. 460, 15-461, 9 Hense) : « D e même que les gens i|nl 11 ont pas l’habitude du miel du Pont et qu i essaient d ’y goûter, le rejettent lu r le champ, à peine y ont-ils goûté, ne le supportant pas, parce qu’il est amer et• I·’ 1 -luisant, de même les gens qui, par curiosité, souhaitaient faire l’essai de I'i"gène, une fois confondus se détournaient et s’enfuyaient. Q uand d ’autres fu ien t raillés, ils se réjouissaient, mais quand c’était eux, ils avaient peur et se Π 11 raient. Si D iogène se m oquait et plaisantait, comme il en avait quelquefois I luihitude, ils se réjouissaient outre mesure. Mais s’il menaçait et devenait sérieux, Un ne supportaient pas sa franchise ».

172. Stobée III 13, 68 ; t. III, p. 468, 6-8 Hense.173. D .L. V I 48 (il s’agit probablem ent d’Hégésias Cloios, disciple de

I )logène, m entionné en D .L. V I 84. O n ne saurait toutefois exclure la possibilité au I legésias soit à identifier avec le philosophe cyrénaïque du même nom). AinÎKthène déjà manifestait ce souci d’une morale en actes. V oir D .L . V I 11 ( · fr. 70 Caizzi) ; D .L . V I 5 ( = fr. 188 Caizzi) : « Un jour qu’un de ses disciples •1 plaignait à lui d ’avoir perdu ses notes de cours, Antisthène lui dit : ‘ I l aurait lui la en effet inscrire ces notes dans to n âme et non sur des feuilles ’ ». Chez

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70 LA MORALE DIOGÉNIENNE

stoïcisme, nous y reviendrons, m ettra l’accent sur les exercices spirituels, le cynisme est parvenu à ce tour de force d'assurer la santé de l’âme uniquement grâce à des exercices de type cor­porel, et c’est là, croyons-nous, sa grande originalité174. Seul un corps dompté par une vie de frugalité et de souffrances peut permettre à l’âme de devenir apathique, donc à l’homme d’être libre parce qu’indifférent à tous les coups que peuvent lui envoyer la Fortune ou le Destin. Philosophie réaliste, la morale diogénienne a d’autre part comme souci essentiel de transformer en bonheur une vie que l’opinion courante juge parsemée de malheurs. Là où les Stoïciens, par exemple, feront appel à la théorie d’un Logos universel, à la fois Destin et Providence, auquel le Sage par son logos propre participe, le Cynique assume orgueilleusement sa solitude au sein de l’univers. Il est à lui seul la source de son bonheur, un bonheur construit de toutes pièces, obtenu en additionnant jour après jour les efforts qui lui permet­tront de vaincre Fortune et Nature. Comme tout naturalisme enfin le cynisme est contraint de vivre une ambiguïté : d’un côté

M axim e d e T y r , Dissertation X X X V I 5 ; p . 423, 8-12 Hobein, on trouve vm autre tém oignage concernant Diogène : « D iogène réfutait les méchants, mais au lieu d ’opposer des paroles à des sophismes [nous corrigeons λόγων σοφίσμασιν en λόγους σοφίσμασιν] (ce qui est le genre de réfutation le plus blessant), il opposait à chaque fois des actes à des actes [ <εργα > εργοις selon la conjecture adoptée par l ’édition Dübner] (ce qu i est le genre de réfutation le plus efficace et le plus pacifique). C’est pourquoi aucun Mélétos ne se dressa contre D iogène, aucun Aristophane, aucun Anytos, aucun Lycon ». V oir encore Thém istius, De virtute, fol. 28a de la version syriaque, p. 27, 2-5 Mach : <( Si quis autem et anim o et corpore perpeti paratus est, ille Cratetem et D iogenem audiat, qui nec vocabula com ponebant nec verbis fallebant, sed nihil nisi virtutem ad felicitatem efficiendam valere clara voce dicebant ». V oir aussi D .L . V I 28 et 64. L ’idée d ’une morale en actes est également celle des Gymnosophistes, ainsi que l’atteste une lettre de C a la n o s à Alexandre, citée par P h ilo n , Quod omnis probus liber sit 96 : « N ous ne ressemblons pas à ces philosophes grecs qui déclament des discours dans les assemblées. Chez nous aux paroles correspondent les actes e t aux actes les paroles » (trad. M. Petit). Les Stoïciens reprendront à leur compte cette exigence qu’avaient leurs m aîtres cyniques : « Z énon disait avec raison au sujet des Indiens qu’il voudrait voir un seul Indien en train de rô tir p lu tô t qu’apprendre toutes les dém onstrations su r la souffrance » (C lém en t, Stromate II 20, 125, 1 ; t. II , p. 180, 25-26 Stâhlin = S V F I 241). Cléanthe lui aussi opposait l ’acte et la parole : « Comme on demandait à Cléanthe : ‘ Pourquoi chez les Anciens, où peu de gens s’adonnaient à la philosophie, y eut-il cependant plus d’hommes illustres que m aintenant ? il répondit : ‘ parce qu’autrefois c’est l’acte qu’on pratiquait, alors que maintenant c’est le discours ’ » (Gnomologium Parisinum 81 ; p. 11 Stembach).

174. Concernant le lien direct qui unit les exercices corporels et la santé de l ’âme, ou plutôt ic i l ’ absence d ’exercices corporels et la maladie de l’ âme, on trouve une excellente form ule chez D i o n C h r y so st o m e (Discours V I 11) : « Ils ne fournissent pas d’efforts corporels ni d ’activité et leurs âmes sont remplies de lourdeur et d’oubli ».

LE BONHEUR DU SAGE CYNIQUE 71

li· philosophe prend pour norme de sa conduite la nature ; de l'autre, il doit bien reconnaître que c’est cette Nature qui le condamne à souffrir, à mourir, et qu’il n’a d’autre solution que d'accepter. Aussi s’entraîne-t-il quotidiennement à préserver en lui un domaine que rien ne peut attaquer et qui est son aptitude .1 nier toute adversité.

Un schéma simple permet d’illustrer les données qui nous sont apparues sous-jacentes à la réflexion cynique sur l’ascèse:

• M a u x : ponoi ultimes = épreuves envoyées à l’homme par :— la Fortune ;— le Destin.

• R e m è d e s : ponoi de l’entraînement = ascèse— à éviter : les ponoi inutiles, efforts imposés par les

coutumes sociales ;— à pratiquer : les ponoi utiles ;

- un entraînement à la vie selon la nature pour lutter contre la Fortune,

- un entraînement de type rigoriste pour supporter le Destin.

Nous espérons avoir dès à présent montré qu’on a eu tort■ I' ne pas accorder à l’ascèse cynique la place qui lui revenait. 1*11 on n’en parlait pas, alors même qu’on faisait l’inventaire des illll'ôrentes formes d’ascèse philosophique175, ou on la réduisait loi il bonnement à l’ascèse stoïcienne en se fondant sur le pas- »HUe de Diogène Laërce que nous nous proposons d’expliquer dans la troisième partie de cette é tude176.

E. LE BONHEUR DU SAGE CYNIQUE

I,'ascèse cynique peut-elle déboucher sur un bonheur authen- 11· 11 n· ? Autrement dit, faut-il croire Diogène heureux? De réduc­tion en réduction, car c’est bien de cela qu’il s’agit quand Miocène élimine successivement tous les plaisirs, le bonheur illo i’iin len a-t-il encore un sens? Sa nature est facile à définir: il est tranquillité d’âme, il est sérénité Mais, et c’est là que peut

175. A insi H . S t r a t h m a n n , art. « Askese » I (« nicht christlich »), R A C I ( iV P ) col. 749-758·

176. Ainsi À . J a g u , Musonius Rjifus. 'Entretiens et Fragments. Introduction, n /ion et commentaire, coll. « Studien und Materialien zur Geschichte der Philo- · · ·|>1 tic », Kleine Reihe, B d V , Hildesheim/New Y o rk , 1979, p. 38, n. 35.

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72 LA MORALE DIOGÉNIENNE

naître le doute, Diogène prétend que de cette sérénité découlent joie et gaieté.

Sur le chapitre de la sérénité, il n ’est point de raison de contester ses affirmations. Dès l’instant où l’homme peut voir arriver n’importe quel malheur sans en éprouver le moindre trouble, il jouit de la paix intérieure.

Moi, dit Diogène, je me promène où je veux la nuit, je me promène seul le jour ; je n ’aurais pas peur, s’il le fallait, de traverser une armée sans le caducée du héraut ni de passer au milieu d’une troupe de brigands. En effet, je n’ai sur ma route aucun ennemi, ni public ni privé. Si tout l’or, tout l’argent, tout le cuivre, disparaissaient, je n ’en éprou­verais point pour ma part le plus petit dommage. Si toutes les maisons s’écroulaient sous l’effet d’un séisme, comme ce fut le cas autrefois à S parte177, et si tous les moutons suc­combaient au point que personne ne puisse se procurer de vêtements, si la disette venait à s’emparer non seulement de l’Attique, mais encore de la Béotie, du Péloponnèse et de la Thessalie, comme la chose s’est, dit-on, déjà produite autrefois, je ne vivrais quant à moi ni plus mal ni dans une plus grande indigence. Comment en effet pourrais-je être plus nu que maintenant ? Comment pourrais-je être davantage dépourvu de maison ? Une nourriture suffisante m ’est fournie par les pommes, le millet, l’orge, les graines de vesce, qui sont les moins chères des légumineuses, les glands cuits sous la cendre et les fruits du cornouiller dont Circé, au dire d’Hom ère178, fit se régaler les compagnons d'Ulysse, nourri­ture qui permet aux bêtes, même les plus énormes, de subsister179.

De cette tranquillité d’âme qu’assure le dépouillement du mode de vie cynique, Thémistius fait la caractéristique essen­tielle de la voie diogénienne :

Sur cette route (celle découverte par Socrate et empruntée ensuite par Antisthène, Diogène et Cratès), on trouve la tranquillité, le ciel pur et la paix. Les aliments nécessaires à ceux qui se promènent sur cette route, la terre

177. Probablem ent le trem blem ent de terre de 464, qui détruisit la plus grande partie de la ville. V oir W . C a p e l l e , art. (( Erdbebenforschung (Pelo- ponnes) », R E Suppi. IV (1924) c. 35t.

178. Odyssée X 241-243.179. D io n C h r y so st o m e V I 60-62.

LE BONHEUR DU SAGE CYNIQUE 73d’elle-même veille à les faire pousser. Le cheval de ces voyageurs n ’est pas exténué. En effet, il ne tremble pas, il n’est point ombrageux, il ne les entraîne pas à sa guise, mais c’est eux qui le conduisent là où ils veulent et le font paître dans des prairies verdoyantes et fertiles, non loin du sentier de la vertu. Eux-mêmes sont joyeux et pleins d’ardeur ; ils se promènent en jouissant de biens pour lesquels leurs bras ne se sont donné aucun mal. Là en effet, on n’entend point résonner l ’argent, et l'or ne brille pas dans leurs bagages. Ce sont les seuls voyageurs que n’affecte pas la crainte des voleurs. Vicissitude et Puissance ne sortent pas de leurs châteaux pour se précipiter sur eux et, si jamais elles se sont précipitées, elles s’en retournent, frappées de honte, parce que c’est à des hommes invincibles qu’elles ont donné l'assaut180.

De façon plus lapidaire, en deux vers bien frappés, Cratès sut illustrer en quoi la frugalité de la vie naturelle était bien la clef de la sérénité.

Tu ne sais pas quelle force ont une besace,Un chénice de lupins et l’absence de soucis.181

Mais Diogène va plus loin. Il affirme clairement que la tran­quillité de l’âme s’accompagne de joie, de gaieté, autrement dit clu plaisir véritable. Plusieurs témoignages vont en ce sens. Deux sont transmis par Stobée : « Il n ’y a qu’un seul bonheur, qui consiste à se réjouir d’une joie véritable (τό εύφραίνεσθαι άληΰινώς) et à ne jamais s’affliger, quel que soit le lieu ou la circonstance où l’on se trouve » 182 et « Nous affirmons que le bon­heur véritable, c’est quand la pensée et l’âme se trouvent conti­nuellement dans la tranquillité et la gaieté (έν ησυχία καί Ιλαρότητι) » 183. Un autre par le Gnomologium Vaticanum : « Dio- lïène affirmait que le plaisir véritable, c’est d’avoir son âme danslu tranquillité et la gaieté; sans quoi, ni les richesses de Midas,ni celles de Crésus ne sont utiles. Si on éprouve du chagrin, que l’objet en soit important ou qu’il en soit minime, on n’est pas heureux, mais malheureux » 184.

180. Thém istius, De virtute, fol. 26a de la version syriaque, pp. 19, 21-21, 8 Much.

181. T é lé s , Diatribe IV A (p. 44, 3-6 Hense) = S H 367.182. Stobée IV 2, 39, 20 ; t. V, p. 906,10-13 Hense.183. Stobée IV 2, 39, 21 ; t.V , p. 906, 14-17 Hense. V oir aussi T é lé s ,

/ ·iii/ribe I I (Sur l ’autarcie), p. n , 7-10 Hense.184. Gnomologium Vaticanum 181 ; p. 74 Sternbach. V oir aussi Ju v é n a l,

Satin X IV 308-314 : « La jarre où loge le Cynique nu est à l’abri du feu ; si on

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74 LA MORALE DIOGÉNIENNE

En quoi par conséquent le mode de vie cynique qui devait, aux yeux des contemporains de Diogène, paraître austère et inhumain, pouvait-il engendrer des plaisirs véritables, donc le bonheur ? Dans le cadre de l’inspiration du retour à la nature, ce bonheur est finalement assez facile à concevoir. Dion Chrysos­tome par exemple, dans son VIe discours intitulé « Diogène ou de la tyrannie » 18S, mentionne comme des plaisirs goûtés par notre philosophe le simple fait de se chauffer au soleil, de porter des aliments à sa bouche, de se réjouir des saisons ou encore de déguster une galette d’orge quand on sait attendre d’avoir faim. S’adressant dans une lettre pseudépigraphe à son disciple Monime, Diogène explique comment les pratiques apprises chez Antisthène procurent à l'homme des plaisirs qui, contrairement à ceux de la richesse, ne risquent pas de l’asservir.

Que les coupes auxquelles nous boirons soient celles qui, faites d'une mince argile, ne sont pas dispendieuses. Pour boisson prenons de l’eau de source, pour nourriture du pain et pour assaisonnement du sel ou du cresson. C’est là ce que pour ma part j ’ai appris à manger et à boire quand Antisthène faisait mon éducation, non comme s’il s’agissait d'aliments vils, mais bien plutôt d’aliments meilleurs que les autres et davantage susceptibles d’être trouvés sur la route qui conduit au bonheur. (...) Moi, c’est chez Antisthène que pour la première fois je me suis entraîné à manger et à boire de la sorte et que je suis parvenu sur la route qui conduit au bonheur en me hâtant à perdre haleine186. Arrivé là où se tient le Bonheur, je lui dis : « J ’ai supporté à cause de toi, Bonheur, et de boire de l’eau — un grand malheur ! — et de manger du cresson et de coucher sur la dure ». Mais le Bonheur me répliqua : « Ces pratiques, je ferai en sorte que, sans souffrance, elles soient pour toi plus douces que les biens de la richesse, cette richesse à qui les hommes accor­dent davantage d'honneurs qu’à moi, sans se rendre compte qu’ils nourrissent en leur sein un tyran ». Depuis le jour

la casse, il la remplacera demain par une autre maison semblable et, to u t aussi bien, il gardera la même, raccommodée avec du plom b. Alexandre com prit, lorsqu’il vit dans cette argile le grand hom me qui l’habitait, combien celui qui ne désirait rien était plus heureux que celui qui revendiquait tou t l’univers, se préparant à courir des dangers non m oins grands que ses exploits » (trad. P. de Labriolle etF . Villeneuve).

185. Discours V I 9-12.186. Chez P l u t a r q u e , Quaestiones convivales II 1, 632 E , D iogène attribue

également à A ntisthène sa conversion à la pauvreté : « C’est lui qui m ’a vêtu de haillons, qui m ’a contraint à devenir m endiant et à quitter ma m aison ».

LE BONHEUR DU SAGE CYNIQUE 75

où j ’ai entendu le Bonheur s’exprimer de la sorte, j ’ai mangé et bu ces aliments en y voyant non plus matière à exercice, mais matière à p laisir187.

Ainsi, sur le chapitre du plaisir, Diogène a « falsifié la mon­naie », transform ant ce qui passe communément pour désagréable en source de plaisir. C’est pourquoi ce serait commettre une erreur, comme l’a bien vu Maxime de Tyr, que de mesurer le bonheur diogénien à l’aune des valeurs de la vie civilisée. Malgré les apparences, le cynisme est bien un hédonisme et un eudé­monisme 188.

Les plaisirs que connaît Diogène, toi, tu les appelles des peines ; car tu mesures la vie de Diogène en prenant pour critère ta propre nature ; or, c’est une mauvaise mesure. Quand tu agiras ainsi, en effet, toi, tu éprouveras de la sou- france, alors que Diogène, lui, ressentait de la joie. Je me hasarderais, quant à moi, à affirmer que du plaisir nul n ’était plus véritablement amoureux que Diogène. Il n'admi­nistrait point de maison, car c’est chose pénible que l’admi­nistration des affaires domestiques ; il ne toucha point à la politique, car c’est là une source de tracas ; il ne s’essaya point au mariage, car il avait entendu parler de Xan­thippe 189 ; il ne s’essaya point à élever des enfants, car il voyait les dangers de l’entreprise. Mais débarrassé de tout ce qui peut provoquer la crainte, libre, exempt de soucis, de besoins et de chagrin, il administrait la terre entière comme une unique maison, seul qu’il était parmi les hommes à participer à des plaisirs qui n’exigeaient ni gardien ni contrôle et qui étaient dispensés à profusion190.

Mais quand le philosophe demande que l’on s’entraîne en vue des attaques de la Nature, quand il prône un entraînement beaucoup plus rigoriste dont l’unique norme se révèle être la difficulté, qu’en est-il du bonheur ? Ce bonheur ultime se trouve

187. 'Lettre X X X V II à Monime 4-6 (pp. 251-252 Hercher). V oir aussi Souda s.v. Ζ ω ή πίθου, Z 127 ; t. II, p. 512, 7-8 Adler, où le tonneau est défini comme ή ήδίστη κατα γω γή ; E p ic t è t e I 24, 7, où Diogène dit que « la nudité est préférable à toutes les robes de pourpre » et que « le sol nu pour dorm ir est la plus m olle des couches » (trad. J . Souilhé).

188. Cf. A. B r a n c a c c i , « Le orazioni diogeniane di D ione Crisostomo »,pp. 153-157·

189. L ’épouse acariâtre de Socrate.190. M a x im e d e T y r , Dissertation X X X II 9 ; pp. 377, 9-378, 3 Hobein.

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7 6 LA MORALE DIOGÉNIENNE

réduit à la prise de conscience d’une sérénité totale. Est-ce alors un bonheur de pur principe ou un bonheur réel? Sans ambi­guïté aucune, les témoignages cités plus haut associaient tran­quillité d’âme et joie. Orgueil, diront certains ; bonheur négatif, diront d’autres. Mais si Diogène s’est proclamé heureux, pour­quoi ne pas le croire ? Ainsi qu’il le disait lui-même : « Un homme de bien ne voit-il pas dans chaque jour une fête ? 191 ». Même dans sa rigueur la plus extrême, le cynisme se veut un eudémonisme.

191. P l u t a r q u e , De tranquillitate animi 20, 477 C ; vo it aussi à propos de Cratès ibid. 4, 466 E : « Cratès, de son côté, avec sa besace et son tribôn, a passé sa vie à plaisanter et à rire, comme s’il était à une fête ».

E x c u r s u s I

L’ASCÈSE DIOGÉNIENNE DANS LA TRADITION LITTÉRAIRE ANTIQUE

La distinction que nous avons faite entre deux inspirations fondamentales présentes dans la morale de Diogène permet peut- être d’apporter quelque lumière sur un problème qui depuis longtemps a retenu l’attention des critiques, celui de l’incohérence que l’on peut discerner dans les témoignages relatifs au compor­tement de Diogène. G.A. Gerhard 1, K. von Fritz2 et R. H oistad3 s’accordent en effet à reconnaître dans l’ensemble de ces témoi­gnages deux figures de Diogène, l’une rigoriste et l’autre hédo­niste. Mais ils divergent quand il faut attribuer à l’une des deux le label de l’authenticité.

Gerhard a décelé dans la biographie de Diogène par Diogène Laërce un certain nombre de contradictions. Il a remarqué ainsi que Diogène, dans les multiples anecdotes qui circulent sous son nom, s’oppose parfois fortement à Aristippe qu’il considère comme un parasite ami des princes, et que dans d’autres cas sont attribuées à Antisthène, à Diogène et à Aristippe les mêmes déclarations, ou encore que l’attitude de Diogène peut être à l’occasion qualifiée d’hédoniste. Il en conclut : « Dans la légende, Diogène nous apparaît à maintes reprises changé en son contraire et d’anti-hédoniste strict transformé même en hédo­niste relâché. Naturellement, il s’agit là d’une invention qui n’a rien d’historique »4. Les transformations subies par la figure du philosophe entré dans la légende peuvent s'expliquer, selon

1. G . A. G e r h a r d , « Z ur Legende vom Kyniker Diogenes », Archiv fiir Religionsmssenscbaft 15 (1912) 388-408.

2. K . von F r it z , Quellen-Untersuchungen Leben und Philosophie des Diogenes von Sinope, coll. « Philologus », Suppl. Bd. 18, 2 (1926), pp. 42-46.

3. R. H o i s t a d , Cynic Hero and Cynic King. Studies in the Cynic conception of man, Uppsala, 1948, pp. 118-123 · 131-138.

4. G e r h a r d , art. cité, p. 392.

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78 EXCURSUS I

Gerhard, par l’évolution ultérieure de l’école cynique. Avec Cratès déjà se serait produite « die humane Reaktion » et peu à peu, notamment avec des philosophes comme Bion le Borysthé- nite, Télés ou Phénix de Colophon, l'école cynique se serait rap­prochée de l’école cyrénaïque. « On comprend », dit Gerhard, « que des philosophes d’une telle tendance aient aussi transformé plus ou moins consciemment selon leur propre façon de voir les figures des anciens maîtres. Si la plupart des traits hédonistes non historiques de Diogène s’expliquent de la sorte, sans doute peut-on attribuer les anecdotes qui restent à l’invention d’ennemis malveillants »5.

Gerhard rappelle qu’à côté de cette tendance hédoniste, on rencontre une tendance rigoriste très stricte qui s’est développée après Diogène, accentuant l’ascétisme du philosophe, et dont on relève des traces dans de nombreuses épigrammes de Y Antho­logie ainsi que dans les lettres apocryphes de Diogène et Cratès. C’est à ce courant qu’il faudrait attribuer l’évolution de la figure du philosophe, devenu, de joyeux philanthrope qu’il était au départ, un misanthrope acharné. Pour Gerhard, par conséquent, alors que le Diogène historique aurait pratiqué une ascèse rigou­reuse, deux courants opposés, « eine überstrenge und eine über- milde », seraient responsables des traits contradictoires légués par la tradition. Enfin, une troisième influence se serait encore manifestée qui, peu à peu, aurait fait du philosophe le type du « volkstümlichen Witzboldes », du « plaisantin populaire » dont on rapporte les bons mots dans les chries.

Von Fritz considère que c’est le rigorisme qui a, en premier lieu, caractérisé l’image de Diogène telle que l’a forgée la tradi­tion. On trouve déjà ce rigorisme chez Théophraste qui, selon von Fritz, est, en raison de son ancienneté, notre meilleure source. A l’appui de son interprétation, il allègue le fait que dès sa rencontre avec Antisthène, Diogène avait fait du ponos un principe clef de sa morale et que Cratès, son disciple, pratiquait déjà le rigorisme. Les anecdotes hédonistes seraient alors le fruit d’une époque ultérieure. Comme Gerhard, von Fritz pense qu’on les doit à l’influence de Bion le Borysthénite qui, après avoir été l’élève de l’académicien Cratès, fréquenta de fait pen­dant un temps l’école cynique, avant de rejoindre le Cyrénaïque Théodore l’Athée, lequel, selon von Fritz, eut davantage d ’influence sur Bion que les Cyniques, puis le péripatéticien Théophraste6.

5. Ibid., p. 394.6. Cf. D .L. IV 51-5 2. V o it J. F. K in d s tr a n d , Bion of Borysthenes, pp. 160-166.

C’est à la conclusion inverse que parvient Hoistad. Ce dernier procède à une double distinction. En premier lieu, tirant parti des divers témoignages que nous possédons sur l’épisode de Diogène pris par les pirates, puis vendu à Xéniade qui en fit le précep­teur de ses enfants, Hoistad oppose une tradition sérieuse qu’illustre par exemple la version qu’Eubule donne des faits (D.L. VI 30-31), et une tradition burlesque qui, née certainement dans les oeuvres de Ménippe, par exemple la Vente de Diogène évoquée par Diogène Laërce en VI 29, a ultérieurement laissé des traces dans l’ouvrage de Philodème Contre les Stoïciens et dans les Vies à l'encan de Lucien. D’autre part, Hoistad dis­tingue entre un ascétisme de couleur hédoniste, « the mild hedo- nistically tinged asceticism », visant Yeudaimonia, qu’il reconnaît aussi bien dans la version d’Eubule que dans Diogène Laërce VI 70-71 (qui fera l’objet de notre troisième partie), et un ascétisme strict, « a coarse, vulgar and essentially ascetic Cynicism »7, visant cette fois Yenkrateia, qu'il relève dans Diogène Laërce VI 22, 23, 34 et 37 et chez Lucien8. Or, selon lui, c'est l’ascétisme hédoniste qu’il faudrait regarder comme historique. Quant à l’ascétisme strict qu’on a voulu attribuer à Diogène, Hoistad cherche son origine du côté des récits faits par un des disciples de Diogène, Onésicrite d’Astypalée, sur les Gymnosophistes de l’Inde. Amiral de la flotte d’Alexandre, cet Onésicrite accompa­gna le souverain en Inde et rédigea un ouvrage intitulé Sur l'éducation d’Alexandre9. Peut-être est-ce dans cet ouvrage qu’il racontait entre autres comment Alexandre, désireux d’obtenir des renseignements sur la philosophie des Gymnosophistes qui pra­tiquaient un ascétisme tout particulièrement rigoureux, le dépêcha lui-même auprès des membres de la secte. L’un d’entre eux exposa à Onésicrite les grandes lignes de l’ascétisme gymnoso- phiste, le justifiant de la sorte :

S’ils exercent leurs corps à la souffrance, c’est pour que leurs jugements soient forts, ces jugements qui leur permet­tent de faire cesser les dissensions et de venir en aide à tous, dans la vie publique et dans la vie privée, comme conseillers des bonnes décisions10.

L'ASCÈSE DIOGÉNIENNE DANS LA TRADITION LITTÉRAIRE 79

7. H o ista d , op. cit., p. 131.8. Vies à l ’encan 9.9. D .L . V I 84 = O n é sic r ite , F G rH 134 T 1.10. Τ ά γ ε σώ ματα άσκοϋσι πρός πόνον, ί'ν’ α! γνώ μα ι ρωννύοιντο,

άφ’ ών καί στάσεις παύοιεν καί σύμβουλοι πασιν άγαθών παρεΐεν καί κοινγ) καί ISiqc (S trab o n X V 1, 65 = F G rH 134 F 17).

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80 EXCURSUS I

Le Gymnosophiste demanda ensuite si en Grèce également on soutenait de semblables doctrines. Le disciple de Diogène répondit que Pythagore, Socrate et Diogène enseignaient des idées du même ordre. Mais, sur un point au moins, la comparai­son méritait, aux yeux du Gymnosophiste, d’être nuancée :

Le Gymnosophiste répondit que si pour le reste ces philo­sophes avaient, à ses yeux, de sages pensées, sur un point cependant ils commettaient une faute : ils plaçaient la loi avant la na tu re11.

Hoïstad voit dans ce témoignage, d’ailleurs confirmé par Plutarque12, une preuve de ce que l’ascétisme diogénien authen­tique était moins rigoureux que celui des Gymnosophistes, et il conclut :

Nous obtenons ainsi confirmation de la priorité de ce que nous avons appelé l'ascétisme eudémoniste de type socra­tique. Au vu de cette évidence, l’ascétisme rigoriste enragé des fragments de Diogène doit être regardé comme une addi­tion secondaire de la tradition. Ceci semble particulièrement évident pour l’histoire de Diogène se roulant dans le sable chaud (D.L. VI 23). Cette anecdote paraît copiée sur le récit que fait Onésicrite des philosophes indiens allongés nus sur les rochers brûlants. Ici aussi nous avons le modèle des his­toires où Diogène mendie dans les rues et sur la place du m arché13.

De toute évidence, Gerhard, von Fritz et Hôistad ont soulevé un problème réel qu’ils ont voulu résoudre en faisant corres­pondre, de façons d’ailleurs divergentes, les anecdotes à première vue incompatibles d’un côté au Diogène authentique, de l’autre au Diogène revu et corrigé par la légende. En aucun cas nous ne nions qu’il puisse y avoir diverses couches littéraires dans la documentation diogénienne et que certaines anecdotes aient pu avoir été inventées après coup. Cependant, les deux inspirations que nous avons précédemment dégagées sont susceptibles, croyons-nous, de rendre compte de la présence simultanée de certains témoignages à première vue contradictoires. La morale de Diogène fait intervenir en effet deux types à'askèsis, visant

11. Ibid.12. Vie d'Alexandre 65, 3.4, 701 D.13. H ô is t a d , op. cit, p. 137. J . F. K in d s t r a n d , op. cit., pp. 66-67, se range

à l’avis form ulé par Hôistad.

L’ASCÈSE DIOGÉNIENNE DANS LA TRADITION LITTÉRAIRE 81

d’ailleurs tous les deux l’obtention d'une forme de plaisir : l’un est fondé sur le retour à la nature et prend comme référence l’animal ; l’autre, supposant acquise 1 ’autarkeia qui découle de la vie naturelle, amène l’homme à supporter volontairement des souffrances extrêmes et débouche sur une sérénité totale. Fina­lement, ces deux types d’entraînement correspondent assez bien à l’opposition relevée par les critiques entre ascétisme strict et ascétisme hédoniste, avec une nuance toutefois, puisque Diogène, même dans le cas de l’ascétisme strict, prétend à un bonheur rée l14. Contrairement à ce que concluaient les théories précé­dentes, ces deux formes d’entraînement pouvaient, à notre avis, exister simultanément dans la pratique morale d’un même homme, puisqu’elles correspondent à deux besoins humains pro­fonds : le retour à un paradis perdu identifié avec l’état de nature et le besoin de dépasser le conflit existentiel que vit l’individu aux prises avec le Destin. Il serait en tout cas bien difficile de prouver que le même Diogène ne pouvait pas à la fois prendre plaisir à se chauffer au soleil de l’été et rechercher la souffrance en se roulant dans le sable brûlant pour s’endurcir. Hoïstad lui-même reconnaît d’ailleurs que chez un auteur comme Dion Chrysostome les tendances hédoniste et rigoriste se trouvent fréquemment combinées15 ; il n’est pas facile, par conséquent, de déterminer où se situe la ligne de démarcation. Plutôt que de chercher à dégager dans la tradition littéraire plusieurs strates qu’il est en fait impossible de repérer exactement, puisque tous les maillons de cette tradition font défaut, nous proposons d’expli­quer comment à l’intérieur même de la pensée diogénienne ont pu se développer des inspirations susceptibles d’entraîner parfois des attitudes apparemment hétérogènes.

L’argument avancé par Hôistad, quand il veut prouver la priorité du Diogène hédoniste sur le Diogène rigoriste, n’infirme pas notre thèse. Que vaut en effet la remarque du Gymnoso­phiste sur Pythagore, Socrate et Diogène qui avaient le tort selon lui de mettre la loi avant la Nature ? On constate bien sûr que les trois noms cités devaient représenter à l’époque d’Onésicrite les grandes figures de la philosophie grecque. Ils servent essen­tiellement à une comparaison entre la philosophie grecque et la

14. N ous ne suivons pas H ô is t a d quand il affirme : « A ux yeux du Diogène rigoureusem ent ascète, l ’idée de bonheur perd toute signification » (p. 135). Nous avons suggéré plus haut comm ent les deux formes d’ascétisme voulaient débou­cher sur le bonheur.

15. H ô i s t a d , op. cit., p. 123. V oir aussi K. P r a e c h t e r , « Z ur Frage nach der Com position der sechsten Rede des D ion Chrysostomos », Hermes 37 (1902) 283-291.

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82 EXCURSUS I

sagesse hindoue, dont Onésicrite veut démontrer la supériorité. Le cynisme n’est donc pas visé en tant que tel par le Gymnoso- phiste. Celui-ci, en reprenant en bloc, sans distinction aucune, les trois noms qu’avait cités Onésicrite, adresse globalement à la philosophie grecque sa critique, sans la diriger plus particulière­ment contre Diogène. Il est d’ailleurs manifeste que son propos manque de fondement, car on ne peut absolument pas ranger sous la même bannière des philosophes comme Pythagore, Socrate et Diogène dont les vues sur la loi et la nature de toute évidence divergentI6. Prétendre en tout cas que Diogène mettait la loi avant la nature est un contresens, d'autant plus choquant qu’Oné- sicrite, qui rapporte les propos du Gymnosophiste, semble, bien qu’il soit lui-même disciple de Diogène, accepter la réponse qui lui est faite, du moins ne pas la contredire. En réalité, on pour­rait comprendre cette attitude si l'on admet que le but de l’ouvrage d’Onésicrite était certainement de montrer, grâce aux descriptions de la vie ascétique des Gymnosophistes, la supério­rité morale de l'Orient sur l'Occident17. Mais on peut encore souligner que l'historicité même du propos attribué au Gymnoso­phiste est loin d’être évidente, puisque Plutarque, qui rapporte le même trait, signale les doutes émis sur son authenticité :

Dandamis était plus courtois (sous-entendu que Calanos,un autre Gymnosophiste dont il vient d’être question) et, après avoir écouté jusqu’au bout ce qu’il (l’envoyé d’Alexandre) disait de Socrate, Pythagore et Diogène, il déclara qu’à ses yeux c’étaient des hommes bien nés, mais qu’ils avaient vécu en respectant trop les lois. D’autres cependant affirment que Dandamis n’a rien dit hormis ceci uniquement : « Pour quelle raison Alexandre a-t-il parcouru une si longue route pour venir jusqu’ici ? » 18.

16. Pour les vues de Pythagore et de son école sur la loi, voir D .L . V III 16 et 23. Pour celles de Socrate, il suffit d’évoquer l’attitude du philosophe respec­tueux des lois lors de son procès et de son emprisonnement. Q uant à l ’allergie de Diogène à la loi au sens traditionnel du term e, vo ir notre article « Un syllogisme stoïcien sur la lo i », pp. 227-231.

17. Dans cette perspective, Onésicrite n ’hésite pas à recourir au merveilleux afin de mieux impressionner son lecteur. Strabon d’ailleurs fait la remarque suivante : « (...) Onésicrite, qu’on pourrait en outre appeler le général en chef non d ’Alexandre, mais p lu tô t du merveilleux. Tous ceux en effet qui entouraient Alexandre on t accordé davantage de créance à ce qui est étonnant qu ’à ce qui est vrai et, par le côté prodigieux de ses récits, Onésicrite paraît les surpasser. Par conséquent il d it aussi des choses vraisemblables et dignes de mémoire, de manière à ce que l’incrédule ne laisse pas de côté ces récits merveilleux » ( S t r a b o n X V 1, 28 = F G rH 134 T 10). O n retrouve des critiques du même ordre dans les tém oignages 11 et 12.

18. P l u t a r q u e , V ie d’Alexandre 65, 3.4,701 D .

L’ASCÈSE DIOGÉNIENNE DANS LA TRADITION LITTÉRAIRE 83

On ne saurait, par conséquent, tirer du témoignage transmis par Strabon et partiellement confirmé par Plutarque un argu­ment décisif en faveur de l’historicité d’un cynisme diogénien hédoniste.

Dans sa démonstration, Hoistad fait intervenir encore un autre élément. Il estime que l’extrait d'Eubule qui expose l’atti­tude pédagogique de Diogène à l’égard des enfants de Xéniade reflète les théories éducatives authentiques du philosophe. Or il considère que « la pédagogie d’Eubule est un exemple typique de l’ascétisme eudémoniste » 19. Nous voudrions dire brièvement pourquoi ce passage d’Eubule ne nous semble pas pouvoir être cité comme un témoignage sur les conceptions proprement diogéniennes de Yaskèsis. Voici cet extrait :

Eubule, dans son ouvrage intitulé Vente de Diogène, dit que celui-ci forma les enfants de Xéniade en leur apprenant, après les autres disciplines, à monter à cheval, à tirer à l’arc, à lancer à la fronde et à lancer le javelot. Puis, à la palestre, il ne permit pas au pédotribe de leur donner une formation d'athlète, il le laissa seulement leur apprendre les exercices qui confèrent des bonnes couleurs et une bonne santé. Ces enfants retenaient par cœur maints passages d’œuvres de poètes, de prosateurs et des écrits de Diogène lui-même ; il les faisait s’exercer à tous les procédés qui permettent de se souvenir vite et bien. A la maison, il leur apprenait à se servir eux-mêmes, à prendre une nourriture frugale et à boire de l’eau; à son instigation, ils portaient les cheveux coupés à ras, s’habillaient sans coquetterie et sortaient sans tunique, pieds nus ; ils devaient garder le silence et tenir les yeux baissés quand ils marchaient dans la rue. Il les emme­nait aussi à la chasse20.

Xéniade a confié à Diogène l’éducation de ses enfants. On peut donc légitimement s’attendre à ce que le philosophe observe des principes éducatifs qui ne soient point en contradiction avec ses vues cyniques. Mais il ne va pas de soi que Diogène ait asséné à ses élèves, probablement encore assez jeunes, l’entraî­nement cynique qu’il s’imposait à lui-même et qu’il devait pré­coniser pour ses disciples21. C’est ainsi, à notre avis, qu’on peut

19. H o is t a d , op. cit., p. 134.20. D .L . V I 30-31.21. Si l’on veut se faire une idée du m ode de vie que Diogène souhaitait

pour ses disciples, il faut se reporter au contenu de la Politeia du philosophe, tel que le présente P h il o d è m e dans son De Stoicis. O n mesurera alors toute la distance qui sépare l’éducation des enfants de Xéniade des principes audacieux et choquants, mais parfaitem ent cohérents avec la théorie cynique de 1 ’adiaphoria, sur lesquels D iogène voulait fonder sa République idéale.

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84 EXCURSUS I

expliquer que le passage ne soit pas teinté d’un cynisme franc et qu’il apparaisse somme toute assez traditionnel dans les vues pédagogiques qu’il exprime. On ne serait point étonné par exemple de lire un tel programme dans la Cyropédie de Xéno­phon. Les principes mis en œuvre ne contredisent pas toutefois les grandes lignes de la morale diogénienne exposée plus haut. Le philosophe refuse pour ses élèves une formation d’athlète, esti­mant qu’il leur faut acquérir seulement la vigueur corporelle susceptible de les maintenir en bonne santé. Sobriété, frugalité dans la nourriture, la boisson et la mise vestimentaire, telles sont les caractéristiques du mode de vie qu’il leur enjoint de suivre. Seul un détail finalement pourrait sembler en contradiction avec les principes diogéniens. Eubule dit, en effet, que Diogène fait apprendre par cœur à ses élèves maints passages d’œuvres de poètes, de prosateurs et de ses propres écrits, ceci après leur avoir inculqué les disciplines traditionnelles. N’est-ce pas incom­patible avec le refus clairement affiché des disciplines ency­cliques et la prétention qu’a la philosophie cynique d’être une voie courte vers la vertu ? Il est normal en fait que ces enfants, qui ne deviendront pas nécessairement des philosophes cyniques puissent bénéficier d’une formation générale. Les exercices mnémotechniques auxquels les soumet Diogène devaient leur per­m ettre d’avoir rapidement à l’esprit un certain nombre de sen­tences qu’il jugeait utiles, notamment celles tirées de ses propres œuvres. Les Cyniques eux-mêmes, et Diogène le premier, se plai­saient à user de citations empruntées à Homère et aux Tragiques. Ce passage par conséquent n’est pas vraiment représentatif, comme le prétend Hôistad, de la conception diogénienne de l'askèsis et on ne peut de ce fait en tirer parti pour définir les modalités de cette même askèsis. C’est pourquoi, si nous suivons parfaitement Hôistad quand il distingue, à propos de l’épisode de Xéniade une version sérieuse, celle d’Eubule, et une version burlesque qui pourrait être d’origine ménippéenne, nous ne le suivons plus quand, des récits d’Onésicrite et du témoignage d’Eubule, il conclut à deux formes d’ascétisme, l’un originel, l’ascétisme hédoniste, l’autre forgé a posteriori par la tradition, l’ascétisme rigoriste. Il nous paraît beaucoup plus plausible de supposer la présence dans le cynisme de Diogène des deux inspi­rations simultanées et indépendantes auxquelles nous avons fait allusion plus haut. Il va de soi, dans notre esprit, que cette façon de voir n’exclut absolument pas que la tradition cynique posté­rieure, celle notamment de Bion de Borysthène, ait pu être à l’origine d’un certain nombre d’anecdotes de couleur hédoniste. Nous voulons simplement souligner que déjà chez Diogène, hédonisme et rigorisme pouvaient se côtoyer.

E x c u r s u s II

L’ACTIVITÉ LITTÉRAIRE DE DIOGÈNE

Diogène Laërce1 fait état des discussions qui eurent lieu dans l’antiquité sur le problème de l’authenticité des œuvres de Diogène. Sosicrate de Rhodes, dans le premier livre de sa Dia- dochè2, et Satyros, au quatrième livre des B ioi3, prétendent qu'aucune des œuvres attribuées à Diogène ne lui revient. Satyros ajoute que les « petites tragédies » sont le fait d’un disciple de Diogène, Philiscos d’Égine.

Ce Philiscos4 non seulement serait, si l’on en croit Satyros, l’auteur des tragédies de Diogène, mais il aurait donné son nom à un ouvrage du philosophe mentionné uniquement dans le cata­logue de Sotion. A l’argument de K. von Fritz5, selon lequel Diogène n’aurait certainement pas donné pour titre à un de ses dialogues le nom d’un de ses disciples, Dudley oppose le cas du Théétète de Platon et celui de VEudème d’Aristote6. Rosa Giannattasio Andria7 considère comme tout à fait probable la

1. D .L. V I 8o.2. F H G IV , p. 50} ; fr. 21.3. F H G III , p. 164 ; fr. 17.4. Sur ce personnage, voir K . v o n F r i t z , art. « Philiskos », R E X IX 2

( 1958) c°l- 2382-2383. U s’agit vraisemblablement de Philiscos d ’Égine, le fils d’Onésicrite d ’Égine, et non d’Onésicrite d ’Astypalée, comme le pense von Fritz (cf. Appendice, p. 238). Philiscos, to u t comme son père et son frère A ndrosthène, devint disciple de Diogène. La Souda consacre à ce Philiscos deux articles. Dans l’un (s.v. Φιλίσκος, Α ίγινήτης, Φ 359 ; t. IV , p. 725, 28-30 A dler — S tilp o n , fr. 175 D ôring), sont donnés des renseignements que v o n F r i t z et D ô rin g estiment inconciliables pour des raisons chronologiques : « Philiscos d ’Égine, lui qui a appris à lire à Alexandre de Macédoine. C’était un auditeur de Diogène le Chien et, selon Herm ippe, de Stilpon. Il écrivit des dialogues, don t un Codros ». Le second article (Φ 362 ; t. IV, p. 726, 8-16 Adler) reprend des renseignementsfournis par D iogène Laërce et se trouve, dans sa deuxième moitié, consacré àD iogène lui-même.

5. Quellen-XJntersucbmgen, p. 57.6. Op. cit., p. 55, n. 6. Il s’agit de l’Académicien Eudèm e de Chypre,

condisciple d ’Aristote.7. A r t. cité, p. 141.

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86 EXCURSUS I I

reconstitution par Crônert de τ[ώ ι Φιλί]||σκωι dans un passage du De Stoicis de Philodème qui traite de certaines œuvres de Diogène8. Si cette reconstitution est juste, on peut en conclure que le Philiscos était pour Philodème un ouvrage authentique du philosophe cynique, au même titre que YAtrée ou YŒdipe.Il faut signaler encore que Julien9 mentionne Philiscos comme l’auteur possible des tragédies attribuées à Diogène. Mais si, dans le Discours VII, il regarde ces tragédies comme le comble de l’ignominie et a tendance à accréditer la thèse de leur inau­thenticité, dans le Discours IX en revanche il accepte de porter leurs outrances au compte de l’usage légitime de la plaisanterie par le philosophe. D’autre part, nous avons retrouvé dans le chapitre Περί φιλοπονίας de Stobée10 une sentence d’un certain Philiscos qui pourrait parfaitement illustrer les vues diogéniennes et que nous attribuerions volontiers au disciple du Cynique :« Il n’est pas possible, homme sot, d’obtenir avec facilité, sans se donner de mal, ce qu’obtiennent ceux qui se donnent du mal ».

Favorinus, dans son Histoire variéen, propose encore une autre solution : ce serait à un certain Pasiphon12 que reviendrait

8. Colonnes X IV 31-VII 1 ( = colonnes X V I-X V II D orandi).9. Discours IX 7, 186 C ; V II 6, 210 C-211 A, e t 8, 212 A .10. III 29, 40 ; t. III, p. 635, 7-9 Hense.1 1 . Fr. 40 M ensching ; fr. 72 Barigazzi.12. Sur P asiphon, v o ir K . v o n F r it z , art. « Π α σ ιφ ώ ν ό Λ ουκ ια νο ύ », R E

X V III 4 (1949) co l. 2084, et F . Su se m ih l , Geschichte der griechischen Literatur inder Alexandriner^eit, t . I , L e ip zig , 1891, pp . 20-21. L ’ expression utilisée parD .L . V I 73 Π α σ ιφ ώ ν το ς τοΰ Λ ου κ ια νο ύ reste m ystérieuse. L e com plém ent évoq u e-t-il le n om d u p ère de P asiphon? E . M e n s c h in g dans Favoritt von Arelate. Der erste Tei/ der Fragmente. Memorabilien und Omnigena Historia, c o ll. cc T e x te un d K om m en tare » 3, B erlin , 1963, p. 126, estim e que le nom de L u cien ne devait pas être très em p loyé vers 300 avant J.-C . F aut-il a lors interpréter ce com plém ent com m e le n om de la patrie de P asip h on ? G . R ô p e r {Philologus 3 [1848] 62) a su ggéré la co rrectio n Λ ο υ σ ιά το υ , à partir de la v ille de Λ ο υ σ ο ί en A rcad ie , tandis que C r o n e r t , Ko/otes und Menedemos, p . 30, risquait u n Λ ευ κ ιά δ ο υ q u ’ i l accom pa­gn ait d ’un p o in t d ’in terrogation . U . v o n W ila m o w it z - M o e l le n d o r f f , Antigonos von Karystos, c o ll. cc P h ilo lo gisch e U n tersuchungen », 4, B erlin , 1881, p . 142, n. i 3 a, a p rop osé de co rrig er Λ ουκ ια νο ύ en Έ ρ ε τ ρ ια κ ο ϋ et de v o ir dans ce personnage Pasiphon d ’ É rétrie, le disciple de M énédèm e, que le Stoïcien Persaios présente com m e u n faussaire. C e Pasiphon aurait com posé la p lu p art des sept d ialogues d ’E sch in e et aurait rangé ces fau x parm i les ouvrages d u ph iloso p he socratique. I l est plus probab le en fa it que le tra va il de faussaire de Pasiphon ait p o rté n on sur les sept d ialogues d ’E sch in e q u i paraissent rédigés par le m êm e auteur, à en ju g er par les fragm ents qui nou s en restent, m ais sur les d ialogues cc acéphales » faussem ent attribués à E sch in e (cf. v o n F r i t z , art. cité, c o l. 2084 ; N a t o r p , art. cc A isch in es », R E I 1 [1893] co l. 1049). C e Pasiphon aurait égale­m ent écrit le Cyrus mineur, l ’Héraclès mineur et 1’Alcibiade d ’A n tisth ène (D .L . I I 61). S ignalons encore que Plutarque, Nicias 4, rap p orte un passage d ’un d ialo gue de P asiphon d ’É rétrie concernant les sacrifices qu e N icias offrait quotidiennem ent.

L’ACTIVITÉ LITTÉRAIRE DE DIOGÈNE 87

la paternité des tragédies de Diogène qui en fait auraient été écrites après la mort du philosophe. Il s’agit peut-être de Pasi­phon d’Érétrie, le disciple de Ménédème13.

A ces témoignages qui mettent en cause l’authenticité des écrits diogéniens viennent s’opposer les deux listes différentes des écrits du philosophe mentionnées par Diogène Laërce ; celui-ci précise que la seconde est indiquée par Sotion au sep­tième livre de ses Diadochai14. Des treize titres de dialogues de la première liste quatre seulement subsistent dans la seconde. Aucune des tragédies n’y est conservée, tandis que huit titres nouveaux apparaissent, ainsi que la mention de Chries. Quant aux lettres, elles sont signalées dans les deux listes. Pour von F ritz15, le catalogue de Sotion serait d’inspiration stoïcienne et aurait expurgé de l’ensemble des écrits de Diogène tous ceux qui paraissaient trop audacieux aux Stoïciens, en y insérant d’autre part des ouvrages de facture stoïcienne, faussement attri­bués à Diogène. Ainsi les traités Περί άρετης, Περί άγαθοϋ, de même que le Philiscos seraient des œuvres stoïciennes.

Cette hypothèse est séduisante ; peut-être est-elle juste sur un point important : l’origine stoïcienne du catalogue de Sotion. L’absence de la Politeia et des tragédies dans ce catalogue pour­rait en effet recevoir ainsi une explication, car on sait que ces œuvres étaient rejetées par certains Stoïciens. Cependant quel­ques remarques s’imposent. Dans son chapitre sur Aristippe, Diogène Laërce fait état, comme pour Diogène, de deux listes d’ouvrages, l’une anonyme, l’autre due à Sotion et présente éga­lement chez Panétius16. On peut penser que ce dernier l’a empruntée à Sotion et qu’il la citait dans son Περί αιρέσεων17. Comme dans le cas de Diogène, la liste de Sotion compte cinq titres en commun avec la liste anonyme18. Une question se pose alors : si l’on peut à la rigueur imaginer une pseudépigraphie diogénienne d’origine stoïcienne, quel intérêt des Stoïciens auraient-ils eu à supprimer certains titres de la liste d’Aristippe, le propagandiste du plaisir, et à mettre sous son nom des

C’est là la seule attestation d’un ouvrage que Pasiphon aurait composé sous son propre nom.

13. Su s e m ih l , op. cit., 1 .1, p. 21, n. 64, suggère que, si l’on a pensé à Pasiphon comme auteur des tragédies de Diogène, c’est peut-être justement parce que ce Pasiphon avait composé un certain nom bre de faux sous le nom d’Antisthène.

14. Fr. 19 W ehrli.15. Quellen-Untersuchungen, pp. 55-60.16. D .L. II 84-85.17. O n connaît cet ouvrage par D .L. II 87 = fr. 49 Van Straaten.18. So t io n , fr. 6 W ehrli.

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8 8 EXCURSUS I I

ouvrages de leur propre mouture ? En outre, un aspect de l'argu­mentation de von Fritz nous semble contestable. Que des Stoïciens aient nié l’authenticité de certains écrits de Diogène, soit. Le fait est bien attesté chez Philodème et Diogène Laërce19. Mais faut-il aller jusqu’à penser qu’ils ont attribué à Diogène des écrits rédigés par des membres de leur école ? En faveur de l’hypothèse de von Fritz, on pourrait citer un exemple d’une pratique simi­laire indiqué par Diogène Laërce II 61 : celui du faussaire Pasi- phon d’Érétrie. Toutefois doit-on suivre von Fritz quand, à l'appui de sa thèse, il allègue la fréquence du titre Περί άρετής chez les auteurs stoïciens, et doit-on suivre Wehrli quand, dans son commentaire du fragment 6 de Sotion, il emboîte le pas à von Fritz et prétend que les titres d’ouvrages d’Aristippe transmis par Sotion, tels que Περί. παιδείας, Περί άρετής, Προτρεπτικός, Περί τύχης, répondent à une thématique de l’époque hellénis­tique ? Nous ne le pensons pas. A titre indicatif, rappelons qu’Antisthène écrivit un Περί παιδείας ή ονομάτων, Simon le cordonnier un Π ερί άρετής 8τι ού διδακτόν, Xénocrate et Théo- phraste un Περί άρετής, Aristote un Προτρεπτικός, et un Περί παιδείας, Démétrius de Phalère un Περί τύχης. En tout cas, si, dans la liste des ouvrages de Diogène, le Περί άρετής est un titre d’allure stoïcienne, il doit en être de même du Περί άγαθοϋ présent dans le seul catalogue de Sotion. Or là aussi des ouvrages portant ce titre sont bien attestés au iv” siècle, par exemple ceux de Simon le cordonnier, d'Antisthène, d’Aristote20 et d’Héraclide le Pontique. Finalement, et là nous nous rangeons à l'avis prudent formulé par Dudley21, si le catalogue de Sotion peut avoir connu une rédaction stoïcienne, il est raisonnable de considérer comme authentiques les cinq titres communs aux deux listes, ainsi que la Politeia et les tragédies72. Mais, « nous ne sommes pas en mesure », dit Dudley, « de nous prononcer sur l'authen­ticité des autres ouvrages ». En d’autres termes, rien ne permet de penser que les neuf titres propres à la liste de Sotion recou­vraient des ouvrages de facture stoïcienne. Dudley suggère éga­

19. O n rencontre d ’ailleurs un cas de ce type chez D io g è n e L a ë r c e V II 34, où il est rapporté que le rhéteur Isidore de Pergame accusait le Stoïcien Athéno- dore d’avoir expurgé les écrits stoïciens d ’un certain nom bre de passages inconvenants.

20. L ’ouvrage d ’A ristote a été rédigé à partir de la leçon orale de Platon sur le Bien.

21. Op. cil., pp. 25-26.22. V oir aussi Th. G o m p e r z , « E ine verschollene Schrift des Stoikers

Kleanthes, der ‘ Staat ’, und die sieben Tragôdien des Cynikers Diogenes »,Zeitschrift fu r die ôsterreichischen Gjmmsien 29 (1878) 252-256.

L'ACTIVITÉ LITTÉRAIRE DE DIOGÈNE 89

lement qu'il faut peut-être identifier les traités Περί άγαθοϋ et Περί άρετής avec la Τέχνη ήθική mentionnée dans la pre­mière liste23.

Qui sont les Stoïciens auxquels fait allusion Philodème ? Il les présente comme des contemporains, qui, à la fois, nient l’authen­ticité de la Politeia de Diogène et voient dans celle de Zénon un péché de jeunesse. Plutôt que Panétius ou Sosicrate, aux­quels avaient pensé, pour l'un Cronert, pour l’autre Gomperz, et pour les deux Dümmler, Rosa Giannattasio Andria24 y recon­naît des Stoïciens qui suivaient la ligne inaugurée par Panétius. A titre d’hypothèse, elle avance les noms de Stratoclès de Rhodes, Apollonius de Tyr et Hippobote (qu’elle situe, avec Pohlenz, après Panétius).

De son côté, la Souda25 attribue à un Diogène dont la nais­sance, ou plus probablement le floruit (γέγονε), coïnciderait avec le renversement des Trente, huit titres de tragédies classées par ordre alphabétique. Or, sept de ces titres recouvrent ceux indi­qués par Diogène Laërce dans sa première liste. Un extrait de la huitième tragédie, Sémélé, se trouve conservé par Athénée26. Apparemment la Souda, comme d’ailleurs Athénée qui parle de « Diogène le tragique », n’identifie pas ce Diogène « athénien, auteur tragique », au philosophe cynique. Peut-être faudrait-il alors distinguer le Cynique et un Diogène un peu plus ancien, auteur des huit tragédies, ou éventuellement de la seule Sémélé. A noter encore que la Souda, dans sa façon de présenter l’auteur des tragédies : « Diogène, ou Œnomaos, athénien, auteur tra­gique », laisse entendre que Diogène aurait porté un autre nom, celui d’Œnomaos. On doit se souvenir cependant qu'Œnomaos de Gadara, philosophe cynique du second siècle, avait lui aussi écrit des tragédies et que Julien27 évoque précisément ces tra­gédies en même temps que celles de Diogène. La Souda atteste­rait alors une confusion entre les deux auteurs cyniques.

Au total, nous pouvons remarquer que la mise en doute radi­cale de l'activité littéraire de Diogène semble n'avoir été soulevée que par Sosicrate et Satyros. Julien28 pose seulement le problème de l’authenticité des tragédies et Dion Chrysostome29 se borne à

23. Sur la question des deux listes de D iogène, voir aussi l ’article de Rosa G ia n n a tta s io A n d r ia cité plus haut, p. 141.

24. A rt. cité, p. 137.25. Souda, s.n. Διογένης, Δ 114 2 ; t. II, p. 101,23-25 Adler.26. Deipnosophistes X IV , 636 A B .27. Discours V II 6, 2 10 C -2 11A .28. Discours V II 6.8 et IX 7.29. Discours L X X II 11.

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90 EXCURSUS IX

rappeler que parmi tous les dits attribués à Diogène, il en est certains que le philosophe a pu prononcer lui-même, mais que le reste a été composé par d’autres. En faveur de l'hypothèse d’une activité littéraire de Diogène, plusieurs faits peuvent être invo­qués. Au témoignage de Philodème, la Politeia pour Cléanthe et Chrysippe était bien une œuvre du philosophe cynique ; dans une anecdote rapportée par Diogène Laërce30 Hégésias demande à Diogène de lui communiquer ses écrits et dans un passage emprunté à la Vente de Diogène d’un certain Eubule, il est dit que « les enfants de Xéniade retenaient par cœur maints pas­sages de poètes, de prosateurs et des écrits de Diogène lui- même »3I. On constate enfin que les quelques fragments de tragé­dies qui ont été conservés sous le nom de Diogène présentent un caractère cynique incontestable32.

30. D .L . V I 48.31. D .L . V I 31.32. Ainsi T rG F 88F îd ; le i f îh Snell.

DEUXIÈME PARTIE

L’ASCÈSE CYNIQUE FACE AU SOCRATISME ET AU STOÏCISME

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CHAPITRE PREM IER

LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

Pour mieux comprendre comment Antisthène d'abord et Dio­gène ensuite furent amenés à fonder leur morale sur Y askèsis, il n ’est pas inutile de rappeler en quels termes on posait à leur époque le problème de l’acquisition de la vertu. Immédiatement surgit la figure de Socrate, puisque celui-ci exerça une influence déterminante sur Antisthène. Mais comme la position adoptée par Socrate se voulait une réponse aux solutions préconisées par les sophistes en matière de vertu et comme Antisthène fut éga­lement le disciple de Gorgias, une évocation succincte des vues sophistiques sur le rôle de l'askèsis dans l'éducation s’impose avant que soit abordée la problématique socratique.

I. — LE MOUVEMENT SOPHISTIQUE

C’est sans nul doute aux sophistes1 que le ν' siècle dut la mise à l’ordre du jour d’une interrogation qui très vite devint essentielle dans les débats intellectuels de l’époque : la vertu peut-elle s’enseigner ? En d’autres termes, l’éducation est-elle à même d’orienter, d’infléchir de façon décisive la nature de l’homme ? Le simple fait de poser la question devait apparaître proprement révolutionnaire en un temps où n’avait pas encore

î. Pour une vision d ’ensemble du m ouvem ent sophistique, voir par exemple P . R a b b o w , Paidagogia. Die Grundlegung der abendlandischen Erzjehungskunst in der Sokratik. Aus dem NachlaB herausgegeben von E rnst P f e i f f e r , G ôttingen, 1960, pp. 161-166 ; W. J a e g e r , Paideta. La formation de l ’homme grec, tome I : La Grèce archaïque. L e génie d’Athènes. Traduction française de André et Simonne Devyver, coll. «B ibliothèque des idées», Paris, 1964, pp. 333-381 ; W . K . C. G u t h r i e , A History of Greek Philosophy, tome I II : The Fifth-Century Enlightenment, Cam­bridge, 1969, notam m ent pp. 27-54 et 261-319.

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94 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

complètement disparu, même si on sentait qu’elle devait être remplacée par celle d’une vertu adaptée à un état démocratique, la conception aristocratique d’une excellence fondée sur la nature, par conséquent transmise par la naissance, prenant appui sur l’exemple familial et visant à la réalisation du kalos kagathos doté des plus hautes vertus du corps et de l'esprit2. Issus de la classe moyenne, les sophistes se faisaient fort d’enseigner l’excel­lence qui permet à tout homme désireux de faire carrière poli­tique de réussir, une excellence, fondée sur les capacités intellec­tuelles et l’art oratoire, qu’on peut appeler « la vertu politique »3. Ainsi pour la première fois il était clairement affirmé que la vertu peut s’acquérir par l'instruction, qu’elle est un savoir trans- missible. Pour la première fois encore, des individus se procla­maient éducateurs d’hommes4.

Lorsqu’ils s’employèrent à définir le cadre conceptuel de leur réflexion sur l’acquisition de la vertu, les sophistes firent appel aux trois notions de phusis, mathèsis et askèsis. Mais s’ils recon­naissaient qu’en l’absence d’une bonne phusis les deux autres composantes de l’éducation se révèlent insuffisantes, c'est cepen­dant sur l’instruction qu'eux-mêmes dispensaient moyennant salaire et sur la nécessité d’un réel entraînement qu’ils mirent l’accent. En fait, toute leur théorie politique et morale s’expli­quait par la définition qu’ils donnaient de la vertu comme

2. Cf. G u t h r ie , op. cit., p. 250 : « La prétention des sophistes, selon laquelle Yareté pourrait être communiquée, m oyennant salaire, par des professeurs itinérants, au lieu d’être spontaném ent transmise par les préceptes et l’exemple de la famille ou des amis, et par l’association avec les « gens de bien », facteurs venant s’ajouter aux qualités de caractère innées chez tou t jeune hom me de bonne famille, cette prétention était profondém ent choquante pour les gens d ’esprit conservateur ». La paideia des sophistes et la paideia socratico-platonicienne apparaîtront toutes deux profondém ent novatrices, l’une en prônant l’étude de la rhétorique, l’autre la pratique de la dialectique.

3. Apparem m ent seul Gorgias n’affichait pas cette prétention d ’enseigner l’arête. A son propos en effet, M énon dit à Socrate : « E n tou t cas, Socrate, ce que j’admire le plus de Gorgias, c’est que jamais tu ne l’entendrais, justement, prom ettre cela (c’est-à-dire enseigner la vertu), mais bien plus, il se gausse de ses confrères quand il leur entend faire cette promesse : tou t ce qu’on doit prom ettre, selon lui, c’est de form er des hommes habiles à parler » (Ménon 95 C ; les traduc­tions de P l a t o n sont empruntées dans ce chapitre à la traduction française par L. R obin et M .-J. M oreau des Œ uvres complètes de Platon dans la Bibliothèque de la Pléiade).

4. Cf. Protagoras dans P l a t o n , Protagoras 317 B : « Je reconnais que je suisu n sophiste, un éducateur d ’hommes » ; Socrate dans Apologie de Socrate 19 E :« C’est pourtant une belle chose, à m on sens, d ’être capable, éventuellement, defaire l’éducation des gens, comme font Gorgias de Léontini, Prodicos de Céos,H ippias d ’Élis ».

LE MOUVEMENT SOPHISTIQUE 95

technè5 : en tant qu’art, la vertu implique l’assimilation d’un enseignement tout autant que l’effort d’un entraînement. Par conséquent, un disciple doué d’une bonne nature parvient, s’il reçoit du sophiste les connaissances appropriées, notamment les éléments de l'art oratoire, et s’il fournit l'effort nécessaire que supposent les exercices exigés de lui par son maître, à jouer un rôle important dans la cité, en utilisant au mieux ses capacités intellectuelles.

Néanmoins, ce serait une erreur de croire que tous les sophistes professaient des théories éducatives identiques et qu’entre eux régnait la concorde la plus parfaite. Bien au contraire ! Chacun, soucieux d’acquérir le plus grand nombre de disciples, prétendait que sa méthode était la meilleure, d’où cette rivalité parfois assez dure qui opposait tel sophiste à ses col­lègues. Il est vrai que, même si le but visé par tous était le même, à savoir la formation de l’esprit, les moyens mis en œuvre res­taient très divers. Pour reprendre une distinction établie par W. Jaeger6, rappelons que se pratiquaient chez les sophistes au moins deux techniques différentes correspondant à deux concep­tions de l’esprit humain :

D’un certain point de vue, l’esprit est l’organe par lequel l’homme appréhende le monde des objets, il est donc relié aux choses. Mais si nous adoptons l’attitude que cette époque avait inaugurée et si nous libérons l’esprit de tout ce qu’il comporte d’objets réels, il n’en devient pas pour autant un réceptacle vide — il possède une structure interne propre révélée ici pour la première fois. Dans ce dernier cas l’esprit est envisagé comme un principe form el7.

La première de ces techniques, qu’il appelle « la technique encyclopédique », et dont le représentant le plus fameux fut cer­tainement Hippias d’É lis8, se proposait de former l’esprit du

5. Toutefois I’A n o n y m e d e J a m b l iq u e 2, 7 (D K 89, tom e II, p. 401, 7-13),don t on peut au m oins dire qu’il reflète l’influence des sophistes, nuance la simple identification arétiftechnl· : « Si on a été instru it dans la technique des discours, si on l ’a apprise, on peut devenir en peu de temps aussi bon que son professeur ; en revanche, une excellence, quelle qu’elle soit, qui résulte de nombreuses actions, il n ’est pas possible en commençant tard et en y consacrant peu de temps de lam ener à son term e ; il faut avoir été élevé en elle et avoir grandi en elle, ens’abstenant d’une part des paroles et des habitudes mauvaises et en pratiquant, et accomplissant d ’autre part certains actes longtem ps et avec application ».

6. W. J a e g e r , op. cit., pp. 340-341.7. W. J a e g e r , op. cit., p. 340.8. D ie l s - K r a n z , n° 86.

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disciple en lui apportant « une quantité encyclopédique de faits, les matériaux du savoir ». Fort d’un encyclopédisme mathémati­que incontesté, Hippias inventa même une méthode mnémotech­nique qui lui valut une illustration sans égal9; en tout cas, par­tout où il passait, l’universalité de son savoir provoquait l’admi­ration 10. La seconde technique, baptisée par Jaeger « technique formelle », visait à former l’esprit par le biais d’un entraînement formel de type grammatical et linguistique. S’il faut m ettre un nom exemplaire sur ce second volet de la pédagogie sophistique, c’est certainement celui de Prodicos de Céos qui s'impose n. Les subtiles distinctions qu’établissait ce sophiste entre les termes, et son souci extrême d’exactitude ne peuvent pas ne pas frapper le lecteur des dialogues platoniciens. Bien sûr il n’était pas exclu que les deux méthodes évoquées, technique encyclopédique et technique formelle, fussent associées sous la forme d’un compro­mis. Il faut rappeler encore que la technique formelle connut une variante plus évoluée avec Protagorasn, qui voulait, lui, cultiver toutes les facultés de l’âme :

Outre la grammaire, la rhétorique et la dialectique, ce dernier utilisait surtout la poésie et la musique pour former l’âme. La base de sa méthode — la troisième parmi les types d'éducation sophistiques — était la politique et la m orale13.

Cette troisième voie se distinguait des précédentes en ce qu’ « elle ne considérait pas l’homme de façon abstraite, comme un individu isolé, mais en tant que membre de la communauté ». Politique et morale, étroitement unies, formaient la toile de fond de l’enseignement de ce sophiste qui ne répugnait en rien à proclamer bien haut son originalité face à ses confrères :

Les autres sophistes font du mal à la jeunesse ; car, alors que celle-ci s’est éloignée des disciplines spéciales, ils l’y ramènent contre son gré et la précipitent dans l’étude de spécialités, en leur enseignant le calcul, l’astronomie, la géo­métrie, la musique (ce disant, il tourna les yeux du côté d’Hippias), tandis que, s'il (le jeune Hippocrate) vient auprès de moi, il n’apprendra rien d’autre que ce qu’il vient pour

9. P l a t o n , Hippias Majeur 285 E (D K A n ) ; P h i l o s t r a t e , Vies des sophistes X 11 (A 2) ; X é n o p h o n , Banquet IV 62 (A 5 a).

10. P l a t o n , Hippias Majeur 281 A (A 6) ; 282 D E (A 7) ; 285 B (A 11) ; 286 A (A 9) ; P h i l o s t r a t e , Vies des sophistes I 11 (A 2).

11. D ie ls -K ra n z , n* 84.12. D iels-K r a n z , n° 80.13. W . J a e g e r , op. cit., p. 340.

LE MOUVEMENT SOPHISTIQUE 97

apprendre. Or, l’objet de mon enseignement, c’est le bon conseil touchant les affaires qui le concernent proprement : savoir comment administrer au mieux les affaires de sa maison à lui, et, pour ce qui est des affaires de l’État, savoir comment y avoir le plus de puissance, et par l'action, et par la parole14.

Toutefois, quelle que fût la méthode préconisée, l’entraîne­ment y jouait un rôle important, car lui seul permet de dévelop­per les dons octroyés par la nature. Quand il s’agit de s’exprimer avec conviction, de manier avec dextérité les multiples possibi­lités de l’art oratoire et d’être capable de répondre à n’importe quelle question sur n’importe quel sujet, il n ’est de méthode qui vaille sinon de contraindre par des exercices constants ses capa­cités intellectuelles à donner leur rendement maximal et de s’entraîner régulièrement à l'art de la parole. Au bout du chemin, le disciple ainsi formé parvenait à une excellence qui lui permet­tait d’agir au mieux dans sa vie privée comme dans l’arène poli­tique15. Voilà donc l’entraînement à la rhétorique promu au rang de voie d’accès privilégiée à la vertu. En réalité, il n’est pas exclu qu’il y ait eu parmi les sophistes des gens assez peu sérieux pour oser affirmer que l’instruction suffit à rendre vertueux, qu’elle constitue un court chemin dispensant et des qualités naturelles et surtout des efforts de l’entraînement. La disparition de la litté­rature sophistique dans sa quasi-totalité contraint à cette réserve. Mais les sophistes célèbres, par exemple Protagoras d’Abdère ou Prodicos de Céos, loin de professer pareille incongruité, se plurent au contraire à insister sur le caractère nécessaire de la présence des trois éléments phusis, mathèsis et askèsis.

Ainsi, de la vertu politique, Protagoras précise, dans le dia­logue platonicien qui porte son nom, qu’elle n’est à ses yeux ni

14. P l a t o n , Protagoras 318D -319A .15. L ’excellence que les sophistes prétendent enseigner était en fait de

nature plus intellectuelle que morale et avait, en tant que condition nécessaire du succès, une finalité politique. Il s’agissait avant to u t d ’inculquer à l ’élève des qualités intellectuelles ainsi que l’art de s’exprimer avec conviction, indispensable à qui veut devenir un chef politique. Cf. J a e g e r , op. cit., p. 339 : « La tentative des sophistes d ’enseigner l ’areté politique était la conséquence directe d ’un bouleversement profond dans la structure de l ’É tat. (...) La rationalisation de l ’éducation politique n ’est qu’u n exemple particulier de la rationalisation de toute la vie à Athènes : alors plus que jamais, le bu t de l’existence fut l’accomplissement, le succès. U n te l changement devait nécessairement modifier les valeurs qui servaient de critères pour jauger les individus. Les qualités morales se virent désormais reléguées à l’arrière-plan, tandis que l’accent fut mis sur les qualités intellectuelles ». Socrate aura lui aussi des préoccupations politiques, mais, à la différence des sophistes, il m ettra l’accent sur l ’excellence comme qualité morale.

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98 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

une qualité naturelle, ni un produit du hasard, mais qu’au contraire elle s’enseigne et qu’elle résulte d’une application16. Dans son Grand Discours, il reprend la même idée, quand il pose que « l ’enseignement a besoin des dispositions naturelles et de l’exercice » et que « c’est dès la jeunesse qu’il faut commencer à apprendre » 17. Un écho de ces discussions apparemment chères à Protagoras a été conservé chez Stobée sous la forme d’une sen­tence qui vient confirmer une fois de plus que pour le sophiste la nécessité de l'exercice se faisait pressante : « Protagoras disait qu’art sans exercice n’est rien qui vaille, et exercice sans a rt de même » 18. Sans doute faut-il rattacher à ce même corps d’idées la citation que l’on rencontre dans le Πε ρ ί ά σ κ ή σ ε ω ς du Pseudo-Plutarque ; c’est du moins à cette conclusion que l'on parvient si l'on tient compte du commentaire qui accompagne la citation :

Protagoras ferner hat gesagt : « Nicht sprofit Bildung in der Seele, wenn man nicht zu vieler Tiefe kommt », indem er Tiefe die aus vieler Uebung hervorgehende Kenntnis nannte19.

Un vernis superficiel acquis à la hâte ne saurait nullement engendrer chez quiconque la vertu : telle est la conviction de Protagoras. Mais il n'est pas jusqu'au sophiste Critias qui, en

16. P la to n , Protagoras 323 C : "Ο τι δέ αύτήν ού φύσει ήγοϋνται είναι ούδ’ άπό τοϋ αύτομάτου, άλλά διδακτόν τε κα ί έξ έπιμελείας παρα- γίγνεσθαι φ αν παραγίγνηται, τοϋτό σοι μετά τοϋτο πειράσομαι άποδεΐξαι. Cf. ; 2 ; D : έξ έπιμελείας καί άσκήσεως καί διδαχής. Cf. 324 A : έξ έπιμελείας κα ί μαθήσεως.

ιγ· De Hippomacho fabella, dans A . B o h l e r , Sophistae anonymi Protreptici fragmenta instaurata illustrata (Diss.), Leipzig, 1903, p. 46, 6-7 (D K 80 B 3) :

« φ ύ σ ε ω ς κ α ί ά σ κ ή σ ε ω ς δ ιδ α σ κ α λ ία δ ε ϊ τ α ι » et « ά π ό ν ε ό τ η τ ο ς δ έ ά ρ ξ α - μ έν ο υ ς δ ε ι μ α ν θ ά ν ε ιν ». V oir aussi Γ Α ν ο ν υ μ ε d e J a m b l iq d e 2, 1 (D K 89, t. XI, p. 400, 11-13) : « Dès l ’instant où l’on veut acquérir de la réputation auprès des hommes et être reconnu tel que l’on est, il faut commencer dès sa jeunesse et s’y consacrer de façon régulière, constam m ent, et non de façon épisodique », ou encore ibid. 2, 6 (p. 401, 5-7) : « Le temps, qui accompagne to u t acte et toute opération, s’il est long et étendu, renforce la m atière dans laquelle on s’exerce ; en revanche, s’il est cou rt, i l ne peu t p roduire ces effets » ; u n troisièm e passage (2 ,7) a été déjà cité p. 95, à la note 5. D e même également A n t ip h o n dans St o b é e I I 31, 39 ; t. I I , p. 208, 18-21 W achsm uth (D K 87 B 60 ; t. I I , p. 365,6-9) : « Q uand dans u n corps jeune on sème une bonne éducation, cette semence v it et grandit durant toute la vie, et ni pluie ni sécheresse ne la font disparaître ».

18. Stobée I I I 29, 80 ; t. III , p. 652, 21-23 Hense (D K 80 B 10) : Π ρω ταγόραςίίλεγε μηδέν είνα ι μ,ήτε τέχνην όίνευ μελέτης μήτε μελέτην έένευ τέχνης.

19· Π ερ ί άσκήσεως 178, 25 (traduction allemande du texte syriaque parJ . G il d e m e is t e r et F . B ü c h e l e r dans Rheinisches Museum, N .F . 27 [1872] 526).

LE MOUVEMENT SOPHISTIQUE 9 9

dépit de ses sympathies aristocratiques, n 'ait reconnu que « davan­tage de gens sont moralement bons sous l'effet de l'exercice que sous l’effet de la nature »20.

Il est dommage qu’en raison de l'état fort lacunaire de la littérature sophistique on demeure si mal armé pour décrire avec quelque précision ces exercices qu'envisageait le sophiste afin de faire éclore dans l’âme de son disciple la vertu. Alors que la mathèsis impliquait des acquisitions diversifiées qui pou­vaient englober la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l’étude critique des poètes, mais aussi les mathématiques, l'astronomie ou la musique, l ’askèsis, elle, devait consister principalement en exercices oratoires. Ceux-ci pouvaient à l’occasion prendre la forme de joutes qui opposaient le sophiste à ses élèves ou les élèves entre eux. Grâce à Diogène Laërce21, on sait par exemple que Protagoras organisa des joutes de ce type (λόγων αγώνας). Les Dissoi Logoi, d ’auteur inconnu22, qui, en opposant sur des thèmes précis le pour et le contre, imitent la méthode de Protago­ras, permettent de se faire au moins une idée du genre littéraire que revêtaient ces exercices. On ne peut que regretter bien sûr la perte des deux livres d 'Arguments contraires (Α ντιλογία!.)23 de Protagoras, de même que celle des écrits où Gorgias sur chaque sujet traité produisait la thèse et l'antithèse24. Dans la pratique de ces exercices oratoires la mémoire jouait un grand rôle. Rap­pelons, à cet égard, qu'il suffisait à Hippias d'Élis d’entendre une seule fois cinquante noms pour les réciter par coeur25 et qu’un des conseils donnés par l’auteur des Dissoi Logoi était de s’exer-

20. S to b é e I I I 29, 11 ; t. III, p. 629, 2-3 Hense (D K 88 B 9) : έ κ μ ελέτη ς π λείους ή φ ύσεω ς άγαθοί. O n retrouve une form ule to u t à fait similaire chez D é m o c r i t e : Π λέο ν ες έ ξ ά σκήσ ιος ά γα θοί γ ίνο ν τα ι ή άπό φύσιος ( S to b é e III 29, 66 ; t . III , p. 640, 8-9 Hense = D K 68 B 242). Le m otif de Yaskèsis apparaît encore dans un fragm ent des Entretiens (έν 'Ο μ ιλ ιώ ν προτέρφ ) de Critias conservé par G a l i e n , Comment, in Hippocr. de offic. I 1, t. X V III B, p. 656 K ühn (D K 88 B 40) : « S i toi-même tu t ’exerçais à acquérir compétence en matière de jugem ent, tu tie subirais dans ces conditions absolument aucun to rt de leur part (c’est-à-dire de la part des sensations) ».

21. D .L. IX 52 (D K 80 A 1).22. D ie l s -K r a n z , n° 90.23. V oir D .L. III 55 (D K 80 A 1 ; t. II , p. 255, 4) ; III 37 et 57 (D K 80 B5).24. C f. C ic é r o n , Brutus 12,46-47 (D K 82 A 25) : «Protagoras écrivit et

li nt to u t prêts des développements sur de grandes idées générales, ce qu’on appelle aujourd’hui des * lieux communs ’ ; Gorgias fit de même, en composant par écrit, sur des questions particulières, des développements pour et contre : i I estimait que la qualité essentielle de l’orateur était, en parlant pour une chose, de la faire valoir et inversement, en parlant contre, de la déprécier » (trad. J. Mattha).

25. P h il o s t r a t e , Vies des sophistes I 11 (D K 86 A 2).

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cer à rabâcher ses leçons26. Aristote d’ailleurs souligne dans ses Réfutations sophistiques que les professeurs qui enseignaient l'éristique moyennant salaire dispensaient une éducation sem­blable au système de Gorgias, et il précise : « Ils donnaient à apprendre par cœur les uns (les sophistes comme Gorgias) des discours rhétoriques, les autres des argumentations par questions et réponses, dans lesquels les uns et les autres estimaient que retombent la plupart du temps les arguments de chacun des partis »v . Ainsi, chez Gorgias, mais ce devait être également le cas chez les autres sophistes, la mémoire était un des principaux ressorts de la technique éducative.

Cependant, quelle qu’ait été la nature précise de ces exer­cices sophistiques, remarquons que leur caractère strictement intellectuel ne fait aucun doute. L’éducation sophistique ne s’attache à promouvoir ni l’exercice physique ni l’exercice moral entendu au sens où l’on considère qu’en s’exerçant à des actes vertueux on devient vertueux. Seul l’entraînement oratoire est susceptible de produire la vertu politique. Derrière cette activité fébrile à laquelle l’intelligence, la mémoire et le talent de parole apportent leur contribution, peut-être est-on en droit de noter une certaine passivité de l’esprit. Celui-ci reçoit plus qu’il ne découvre, imite plus qu’il ne crée, et le résultat obtenu relève davantage de la persuasion que de la recherche de la vérité28. D’où le cri d’alarme poussé par Socrate et la critique corrosive qu’il fit de cette éducation à ses yeux parfaitement inapte à faire naître dans l’âme du disciple la vertu tant recherchée !

26. Dissoi Logoi 9, 1-3 (D K 90, t. II, p . 416, 13-16).27. Réfutations sophistiques 34, 183 b 36-184 a 1 (D K 82 B 14 ; t. II , p. 304,

5-7)·28. Même si le jugement que porte R a b b o w sur les sophistes est par trop

sévère, influencé qu ’il est par son admiration pour l’intellectualisme conséquent de Socrate, il n ’a certainement pas to rt quand il leur reproche leur « Substanz- losigkeit » et quand i l regrette que l’élément moral soit remplacé chez eux par la form ation rhétorique (op. cit., p. 163). V oir aussi J a e g e r , op. cit., p. 341, qui nuance son éloge des sophistes en ces term es : « Ils furent les inventeurs de la culture intellectuelle et de cet a rt de l’éducation qui vise à la créer. E n revanche i l est visible que toutes les fois que, forts de leur culture récente, ils voulurent dépasser le dom aine de l’éducation form elle ou factuelle, que toutes les fois qu’ils s’attaquèrent au cours de leur instruction politique aux questions plus complexesde la moralité et de l’É tat, ils risquèrent d’enseigner des demi-vérités ».

LE SOCRATE DE PLATON 101

II. LE SOCRATE DE PLATON

L’existence même du mouvement sophistique et la prétention qui était la sienne d’enseigner la vertu prirent valeur de question pour Socrate. Celui-ci, confronté à la problématique des sophistes, apporta sa solution propre : une conception intellectualiste de la vertu, valable à la fois pour la morale personnelle de l'indi­vidu et pour l’action politique. Mais dès que l’on veut aborder la morale socratique, inévitablement on se heurte toujours à la même difficulté. Comment rejoindre le Socrate historique, celui que connut Antisthène, par-delà les esquisses littéraires, qu’elles fussent brillantes comme celles de Platon et de Xénophon, qu’elles aient adopté le mode caricatural comme chez Aristophane ou la sécheresse de ton pratiquée par Aristote ? Si, sur un cer­tain nombre d'aspects, ces témoins se retrouvent unanimes, il en est d’autres qui laissent le lecteur moderne pour le moins per­plexe. Or c’est le cas précisément des relations qu’est censée entretenir la vertu socratique avec Yaskèsis. A cet égard, en effet, non seulement on note une divergence réelle dans les positions adoptées respectivement par le Socrate de Platon, celui d’Aristote et celui de Xénophon, mais à l’intérieur même de l’œuvre de Platon, la position du philosophe accuse des variantes sensibles.

De fait, chez Platon cohabitent plusieurs Socrate qui corres­pondent à l’évolution philosophique du disciple, de la jeunesse à la maturité, puis à la vieillesse. Aussi, à défaut de pouvoir trier avec certitude dans les dialogues platoniciens les données pro­prement socratiques et l’apport de Platon, adoptons-nous comme position de principe qu’il est au moins plus vraisemblable, pour des raisons chronologiques, de rencontrer le Socrate historique dans les dialogues dits « socratiques » — dont la série se clôt sur le Gorgias29 — que dans les dialogues postérieurs. Nous ferons

29. Certains savants ont voulu dém ontrer que le premier livre de la Répu­blique appartient lui aussi à la série des dialogues de jeunesse de Platon. Pour une mise au po in t sur cette question, vo ir A. D iès, dans son introduction à l’édition Iiudé de la République, t. I, Paris, 1932 (2e édition : 1965), pp. xvn i-x x n , et W. K . C. G u t h r i e , A History of Greek Philosophy, t. IV : Plato. The man and his dialogues : earlier period, Cambridge, 1975 (rp. 1980), p. 437. Tous deux restent réservés quant à l ’indépendance éventuelle du livre I par rapport aux autres livres de la République. Sur la classification chronologique des dialogues platoniciens voir par exemple L. R o b in , Platon, coll. «L es grands penseurs », Paris [1935] « Nouvelle édition avec bibliographie mise à jour et complétée », 1968, pp. 25-31 ; W. K. C. G u t h r i e , A History o f Greek Philosophy, tom e IV , pp. 41-56. L ’accord n’est fait p o u r d istinguer tro is périodes dans la composition des dialogues plato-

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102 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

également appel à l’occasion à quelques dialogues antérieurs à la République, comme le Ménon ou l’Euthydème, dans lesquels Socrate continue à professer un intellectualisme strict et de ce fait n ’apparaît pas encore comme le simple héraut des idées platoniciennes.

Les dialogues dits « socratiques » ont en commun d’être aporétiques, orientés qu’ils sont vers la découverte — à laquelle ils ne parviennent jamais — d’une définition susceptible de pro­duire un accord, une homologia, entre les interlocuteurs30. A la différence de la République où se manifestera une tendance évi­dente à la systématisation, ils se proposent de décaper l’esprit de ses erreurs de jugement, condition indispensable pour pouvoir l’entraîner, lors d’une démarche ultérieure, vers la découverte éventuelle de la vérité. Cependant, la prudence est encore de règle face à ces dialogues, car même si le portrait de Socrate qu’ils nous révèlent a, pour des raisons chronologiques, plus de chances d’être fidèle au Socrate historique, il demeure celui de Socrate tel que perçu par le jeune Platon.

Le but de notre enquête, maintenant que nous avons rappelé

niciens : les dialogues de jeunesse, rédigés avant les voyages (jusqu’au Gorgias inclus), ceux de la maturité, correspondant à l’activité de Platon à l ’Académie (dans cette liste tantôt sont inclus, tantôt ne le sont point le Théétète et le Parménide), enfin ceux de la vieillesse qui furent écrits à partir du second voyage en Sicile et dont la série se referme sur les Lois. Les dialogues qui intéressent notre propos, c ’est-à-dire ceux de la première période, couramment appelés « dialogues socra­tiques », sont les suivants : Ion, Hippias Mineur et Majeur, Protagoras, Apologie, Criton, Euthyphron, Lâches, Cbarrtiide, Lysis, République I (?) et Gorgias. N ous leur adjoindrons le Premier Alcibiade dont l ’authenticité platonicienne, à l ’inverse de celle du Second Alcibiade, n’a jamais été contestée dans l ’antiquité, mais a suscité des réserves chez les Modernes, par exemple E . d e S tr y c k e r , « Platonica, I : l ’authenticité du Premier A lcibiade», Les Études classiques 11 (1942) 135-151. E n faveur de l ’authenticité peuvent être signalés M . C ro ise t dans l ’édition Budé du Premier Alcibiade (1920), et plus récemment : A . M o tte , « Pour l ’authenticité du Premier Alcibiade », L ’Antiquité classique 30 (1961) 5-32 et S. K r a tz s c h , Platos grosser Alkibiades. Éine echtheitskritische Untersuchung, Diss. Iena, 1965, 188 p. [dactylographié]. N ous prendrons également en considération le Ménon, dialogue appartenant au début de la période de maturité, car, même s’i l présente des nouveautés doctrinales et si c ’est avec lu i qu’apparaissent pour la première fois chez Platon des préoccupations mathématiques, ce dialogue est, comme les dialogues socratiques, de nature aporétique et, par son sujet : la recherche d ’une définition de la vertu, i l se situe dans leur lignée. Quant à l ’ Euthydème, chronolo­giquement proche du Ménon, il s’emploie à définir la connaissance susceptible aux yeux de Socrate de rendre sage et heureux.

30. L . R o b in , op. cit., p. 51, définit ainsi la méthode des « dialogues socra­tiques » : « opposer dialectiquement des opinions, en vue d ’éliminer ce par quoi elles se contredisent, d ’apercevoir ce qui manque à certaines d ’entre elles, et enfin de se mettre sur la voie (ce que signifie justement le m ot ‘ méthode ’) de découvrir une notion à propos de laquelle l ’accord se substituera au conflit ».

LE SOCRATE DE PLATON 103

comment, dans la perspective des sophistes, certaines formes d ’askèsis intellectuelle s'avéraient indispensables, est de déter­miner si la notion d’entraînement, d’exercice, joua un rôle quel­conque dans la morale du Socrate des premiers dialogues. Pour y parvenir, il nous faut d’abord examiner en quoi consiste ce que l'on a appelé l’intellectualisme socratique.

A . L ’i n t e l l e c t u a l i s m e s o c r a t iq u e

I. Les paradoxes socratiques.

L’intellectualisme socratique a été élaboré en réaction contre le scepticisme qui régnait à l’époque. En raison de l’empirisme ambiant qui résultait de la mise en œuvre des thèses sophis­tiques, Socrate fut en effet naturellement amené à vouloir définir l'essence des vertus et de la vertu31. Quand les sophistes se fai­saient fort de prouver que tel acte était, en fonction du point de vue où l’on se place, tantôt bon, tantôt mauvais, le plus urgent n ’était-il pas de définir l'essence du bon, du mal, de l’utile, de l'agréable ? C'est ce à quoi s’employa Socrate, en utilisant la méthode inductive qui faisait progresser le raisonnement du particulier à l’universel32.

Dans sa volonté de parvenir à une définition de l'essence des vertus qui ne soit pas que la description des valeurs d'une société donnée, Socrate confesse, au départ des dialogues, une ignorance totale et renouvelle, à la fin de l’échange, au travers de l'aporie sur laquelle celui-ci achoppe, le constat de cette même igno­rance33. Le cercle alors se referme, par-delà la démarche philo-

31. Sur le dissentiment qui anime les contemporains de Socrate à propos du juste e t de l’injuste, vo ir Euthyphron 7 CD, Premier Alcibiade 111 E-112 A. Pour les sophistes, les vertus ne bénéficient d ’aucun fondement dans la réalité. Elles relèvent du nomos et non de la phusis. Aussi varient-elles selon les tem ps, les lieux et les personnes. Sur ce relativisme éthique, voir W. K . C. G u t h r ie , A History of Greek Philosopby, tom e III, pp. 164-175 ; 431-432.

32. Sur la façon dont Socrate utilise la méthode inductive, voir par exemple Lâchés 191 E , Euthyphron 6 D E , Ménon 71 E-73 C.

33. Socrate ne cesse d ’affirmer sa propre ignorance. V oir par exemple Hippias Majeur 304C : «M oi, don t continuellem ent la pensée est errante et embarrassée ; m oi qui, d ’autre part, en étalant aux yeux de vous autres savants m on propre embarras... » ; Apologie de Socrate 21 D : « Voilà un homme (il s’agit d ’un hom me politique qui avait la réputation d ’une très grande sagesse) qui est m oins sage que moi. I l est possible en effet que nous ne sachions, n i l ’un n i l’autre, rien de beau n i de bon. Mais lui, il c ro it qu’il en sait, alors qu’il n ’en sait pas, tandis que m oi, to u t de même que, en fait, je ne sais pas, pas davantage je ne crois que je sais! » ; Charmide 165 B : « Si je continue, avec to n concours, m on enquête sur le problèm e posé, c’est que, personnellem ent, je ne sais pas ».

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104 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

sophique ; mais malgré la répétition des essais de définition avortés, le philosophe, avec un courage intellectuel jamais démenti, ne cesse de réitérer sa tentative, comme si l’échec n’était que le signe patent de l’urgence de l’entreprise.

Cette quête inlassable d’une définition des vertus : du cou­rage dans le Lâchés, de la piété dans l’Euthyphron, de la tempé­rance dans le Charmide et de la justice au premier livre de la République, se veut beaucoup plus qu’un simple divertissement intellectuel. Elle procède de la conviction que toute l’activité humaine vise à acquérir le bon et l’u tile 34 et que tout le problème moral serait résolu si on parvenait à démontrer que la vertu est le bien véritable que l’on recherche35.

C’est dans ce contexte que prennent leur sens les paradoxes socratiques selon lesquels « la vertu est connaissance » 36 et « nul ne fait le mal volontairement »37. Dans la perspective intellec­tualiste de Socrate qu’illustrent ces principes, on peut réduire l’analyse d’un acte à celle du jugement porté par l’individu sur le bien qui est recherché au travers de cet acte. Mais il est facile de se tromper dans l’évaluation du bon et de l’utile. On considère souvent comme agréable ce qui, à long terme, provo­quera des peines et, inversement, on estime pénible ce qui sera la source d’un plaisir impossible à percevoir dans l’im m édiat38. La réflexion morale peut donc être conçue comme une science quasi mathématique de la mesure appliquée aux plaisirs et aux peines 39. « C’est par manque de savoir que ceux qui commettent une faute dans leur choix à l’égard des plaisirs et des peines commettent cette faute »40. Une conception analogue est évoquée dans le Charmide, quand Critias pose que le savoir qui, seul, donne à l’homme le bonheur, consiste en une connaissance du bon et du mauvais41 et que c’est dans ce savoir que réside le savoir des divers savoirs, autrement dit la sagesse42. Dans

34. Cf. Gorgias 468 AB ; 499 E ; Ménon 87 E ; Protagoras 333 D.35. A ce que rapporte Cléanthe dans le second livre de son ouvrage Sur

le plaisir, Socrate maudissait le premier hom me qui avait séparé le juste de l’utile, parce qu’il avait, à ses yeux, commis un acte impie. Les Stoïciens, qui identifiaient le beau et l’utile, partageaient le même p o in t de vue (cf. S V F I 558).

36. Sur la vertu-connaissance, vo ir Prot. 357 A E ; Premier Alcibiade 125 A ; Lâches 194 D ; Lysis 210 D .

37. Cf. Hippias Majeur 296 C ; Apologie 26 A ; Protagoras 345 D E ; 357 D - 358 D ; Gorgias 488 A ; 509 E ; Ménon 78 A.

38. Cf. Protagoras 353C -357E .39. Ibid. 357 A.40. Ibid. 357 D .41. Charmide 174 BC.42. Ibid. 174 E.

LE SOCRATE DE PLATON 105

l’anthropologie plus poussée du Premier Alcibiade, cette recherche de ce qui est véritablement bon pour l’homme fait appel à la distinction entre l’âme, qui est l’homme, et le corps, qui est ce qui appartient à l’homme43. Socrate interprète en ce sens le pré­cepte delphique du « Connais-toi toi-même » **, rappelant que la hiérarchie de ce qui domine et de ce qui est dominé dans l’homme doit entraîner une subordination du bien du corps au bien de l’âm e45. L’essentiel est de « s ’occuper de son âme» et de laisser à d’autres le soin du corps et des affaires d 'argent44.

Par conséquent, si la vertu se ramène à la connaissance, c'est à une erreur de jugement et à l’ignorance dont elle procède qu’il faut réduire l’acte moralement mauvais. En accomplissant le mal, l’homme fait ce qui lui semble un bien. En ce sens, il ne commet pas le mal en le voulant positivement comme m al47.

A la racine des diverses vertus il faut donc poser une vertu d'ordre intellectuel gouvernant l'ensemble du comportement moral : la phronèsis48. Pour reprendre l'expression de L. Robin, « l’intelligence est la condition dernière de la moralité »49.

Au héros traditionnel mis en scène par Homère ou les Tra­giques, dont la tempérance ou le courage relève soit de la nature, soit de l'effort, Socrate substitue la figure d’un sage dont la vertu repose sur une juste appréciation de la nature humaine et de ses intérêts véritables. « Chacun de nous vaut en ce que précisément il sait, mais en ce que précisément il ignore, en cela il ne vaut rien »50.

2. L’acquisition de la vertu.

Dans les dialogues « socratiques », l’objectif visé prioritaire­ment reste la définition de la vertu. Le plus urgent pour Socrate est de faire table rase des opinions erronées, des jugements faux. C’est pourquoi la méthode mise en œuvre, au lieu de tracer un programme éducatif concret, s’inscrit dans les limites de

43. Cf. Premier Alcibiade 130 CE.44. Socrate évoque ce précepte par exemple dans le Premier Alcibiade 124 B ;

129 A ; 132 C ; le Protagoras 343 B. Sur le sens que peut avoir la form ule delphique, vo ir notam m ent P. H a d o t , Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, 1981, p. 31.

45. Cf. Premier Alcibiade 130 AC.46. Cf. Premier Alcibiade 132 B C ; Apol. 2 9 D -3 0 B ; 36 C.47. V oir p . 104, n. 37.48. Cf. Premier Alcibiade 133 B ; Ménon 88 BE.49. L. R o b in , op. cit., p . 187.50. Lâchés 194 D.

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106 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

Y elenchos, de la réfutation51. Concernant l'acquisition de la vertu, Socrate se contente d’énoncer les principes qui lui sont chers :« Connais-toi toi-même » et « Prends soin de ton âme ».

Cependant, à plusieurs reprises, le philosophe se trouve confronté à la problématique des sophistes et à la trilogie phusis - mathèsis - askèsis. Comment alors réagit-il à cette façon d’envi­sager l’acquisition de la vertu ?

Il est des cas où, apparemment, il fait sienne cette trilogie. Mais, à y regarder de près, on se rend compte que cette appro­priation socratique relève des besoins spécifiques du dialogue : le philosophe entre dans la problématique de son interlocuteur, utilise les mêmes concepts que lui, mais au fur et à mesure qu’il oriente le dialogue vers sa façon personnelle de comprendre la vertu, un glissement s’opère et la problématique traditionnelle s’estompe. L’exemple du Premier Alcibiade illustre bien le procédé.

Convaincu par Socrate que les hommes politiques athéniens sont des ignorants qui croient savoir ce qu’en réalité ils ignorent, Alcibiade, qui est soucieux de réussir dans la carrière politique, en tire des conclusions sur la façon dont lui-même doit se comporter et il fait intervenir à ce propos les trois composantes de l’éducation alors en vigueur :

A t ’entendre parler, je réfléchis cependant, et j ’en viens à ton sentiment : oui, les hommes qui gèrent les affaires de l’État me semblent, hors un petit nombre, des gens sans culture (απαίδευτοι) ! (...) S’ils avaient, je pense, reçu de la culture, il faudrait que celui dont le projet est d’entrer en compétition avec eux se mît à apprendre et à s’exercer (μαθόντα και άσκήσαντα), comme si c’était contre des athlè­tes qu’il eût à lu tter! En fait, puisque ceux-là même qui ne sont pas des spécialistes viennent se mêler des affaires publiques, quel besoin ai-je, moi, de m ’exercer et d’apprendre ? Je sais fort bien en effet que, rien que par mes dons naturels (τη γε φύσει), j ’aurai, et de loin, sur ces gens-là une supé­riorité absolue52 !

51. Pour un bel exemple d’application de cette méthode socratique, voir Premier Alcibiade 113D -116E . Alcibiade est amené finalement à reconnaître son embarras : « Par les Dieux, Socrate! E n vérité je ne sais plus, ma foi, ce que je dis! Mais j’ai to u t bonnem ent l ’air de quelqu’un qui extravague! Q uand tu me questionnes, ce que je pense est en effet tan tô t ceci, et tan tô t autre chose! » (116 E).

52. Premier Alcibiade 119 BC.

LE SOCRATE DE PLATON 107

Ainsi donc, dans l’hypothèse où l’homme politique entre en compétition avec des adversaires dépourvus de paideia, la phusis seule paraît à Alcibiade un atout suffisant pour les vaincre.

Mais Socrate réagit en se moquant d’Alcibiade, préci­sément parce que celui-ci ne sait pas choisir ses adversaires dans l’arène politique : au lieu d ’entrer en compétition avec les rois de Lacédémone et le roi de Perse, il se contente de vouloir l'emporter sur les flatteurs du peuple athénien. Or c’est en pro­nonçant ces paroles moqueuses qui ont pour but de montrer à son interlocuteur l’absurdité de sa démarche, que Socrate reprend à son propre compte le cadre conceptuel utilisé par Alcibiade :

Oui, c’est le regard attaché à ces gens dont je parle (les flatteurs du peuple), qu'il te faut, enfin, être insouciant de toi-même ; ne chercher, au moment d’être compétiteur dans une compétition de cette envergure, ni à t ’instruire de tout ce qui dépend d’une instruction, ni à t ’exercer, après t ’y être en tout préparé comme on doit s’y préparer, à tout ce qui réclame de l’exercice, voilà les conditions dans lesquelles tu abordes la gestion des affaires de l’État ! 53

Si Socrate fait entrer en ligne de compte ici la mathèsis et Yaskèsis, c’est parce que la paideia, telle qu’on la concevait dans le milieu politique athénien de l’époque, supposait l’acquisition d’une technè, donc une instruction et un entraînement. Ainsi, pour parvenir à une compétence réelle dans l’art politique, Alci­biade doit se plier aux lois de l'acquisition de toute technè. Jus­qu’au bout, Socrate se conforme au contexte de pensée dans lequel évolue son interlocuteur. Aussi prend-il ensuite en compte également la phusis et l’idée traditionnelle que, par nature, cer­tains individus valent mieux que d’autres :

S o c r a t e : Y a-t-il, ou non, vraisemblance que de meilleurs naturels apparaissent dans des familles où il y a de la noblesse ?

A l c ib i a d e : Dans les familles où il y a de la noblesse, c’est clair !S o c r a t e : Et aussi, que ceux qui sont bien nés parvien­nent, à condition aussi d’avoir été élevés comme il le faut, à la perfection dans la voie du vrai mérite ?

A l c ib i a d e : Forcément54.

53. Ibid. 120 BC.54. Ibid. 120 D E.

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Mais peu à peu le philosophe va amener son interlocuteur à ses propres vues sur la vertu-connaissance, et cela par le biais de la notion de « s’occuper de soi-même ». Socrate associe d’abord celle-ci à Yaskèsis et à la mathèsis. On le voit bien dans le pas­sage suivant par exemple, quand il se demande quelle réaction pourrait avoir Amestris, épouse de Xerxès et mère du Grand Roi, si on lui disait qu’Alcibiade prétend rivaliser avec son fils :

Que serait-ce pourtant si on informait Amestris que l’entreprise présente de cet Alcibiade, premièrement est celle d’un homme qui n ’a pas encore tout à fait vingt ans ; en second lieu, qu’il est absolument sans culture ; que, en plus de cela, alors que son amoureux lui dit la nécessité de com­mencer par s’instruire, par avoir souci de lui-même, par s’exercer (μαθόντα καί έπιμεληθέντα οώτοϋ καί άσκήσαντα) avant d’en venir à vouloir être de la sorte un compétiteur à l’égard du Grand Roi, il se refuse à le faire et prétend au contraire se contenter de l’état où il est ? Elle serait, je crois, bien surprise55.

Socrate convie ensuite Alcibiade à tenir compte du précepte delphique dont peu à peu il l’amène à découvrir le sens véritable : se connaître soi-même signifie connaître son âme et savoir que cette âme doit avoir autorité sur le corps. Dès l’instant où Alci­biade a reconnu qu’il devait prendre soin de son âme, Socrate le conduit à admettre que c’est la sagesse morale (sôphrosunè) qui seule peut rendre l'homme heureux et la vertu qui seule est sus­ceptible de faire le bonheur des É ta ts56. Il n’est plus question alors ni d ’askèsis ni de mathèsis57, mais bien plutôt d’une expé­

55. Ibid. 123 D E .56. Ibid. 134AB.57. O n peut s’étonner de ce que Socrate, vers la fin du dialogue, en 132 B,

fasse encore appel aux deux données traditionnelles que sont Yaskèsis et la mathi- sis : « Commence, bienheureux jeune homme, par t ’exercer et apprends ce qu’il faut avoir appris avant d ’aborder la politique ». E n fait, on com prend mieux en quel sens la boucle apparemment se referme, si l’on se souvient du contexte« érotique » du dialogue. Alcibiade, dit Socrate au départ, s’est m ontré indifférent à l’égard de tous ses amoureux, car, en raison de la très haute opinion qu’il a de lui-même, il prétend n ’avoir besoin de personne. Mais Socrate, lui, contrairem ent aux autres amoureux d ’Alcibiade, ne se décourage pas et finalement to u t le dialogue pourrait se définir comme une entreprise de séduction visant à faire naître chez Alcibiade un désir, en to u t cas u n besoin. D e fait, si celui-ci prend conscience de son ignorance, il ressentira alors u n impérieux besoin de l ’enseigne­m ent socratique. Voilà pourquoi, parti de la triade traditionnelle, Socrate en vient à conclure qu’Alcibiade doit à la fois s’exercer et apprendre avant d ’aborder lapolitique. Mais Socrate donne à ces expressions un sens tou t autre que le sens

LE SOCRATE DE PLATON 109

rience de nature spirituelle que Socrate formule à l'aide d’une comparaison avec la vision. Pour que l'œil se voie lui-même, il faut qu’il se regarde dans un autre œil, et plus précisément dans la pupille de cet autre œil, car c’est la pupille qui, parce qu’elle est instrument de la vision, est le meilleur de l’œil. De la même façon, si une âme veut se connaître elle-même, elle doit regarder vers une âme, et plus spécialement vers « ce point de l’âme qui est le siège de la vertu propre d’une âme, c'est-à-dire sa sagesse (sophia) » 58. Or, cette sagesse représente ce qu'il y a de plus divin dans l’âme, car c’est à elle que se rapportent l’acte de connaître et celui de penser59. Dans la perspective « érotique » qui est la sienne, Socrate invite Alcibiade à se modeler sur sa sagesse, à regarder son âme à lui Socrate, afin de parvenir à se connaître soi-même.

Nous avons cité Y Alcibiade, mais nous pouvons faire encore appel au Gorgias pour montrer qu'en certains cas Socrate feint d’adopter la problématique traditionnelle pour ensuite mieux la dépasser. Face à Calliclès, le philosophe se demande si, pour ne pas commettre l’injustice et pour se préserver de la subir, il suffit du simple vouloir ou s’il ne faut pas également un pouvoir :

Est-ce que, dans le cas où l'on ne veut pas subir l’injus­tice on devra par là même ne point la subir ? Ou bien est-ce, quand on se sera ménagé la possession d’un pouvoir de ne point subir l'injustice, qu’on ne la subira point ?

C a l l i c l è s : Il est de toute évidence que c'est à condition de posséder un tel pouvoir.

habituel. Les connaissances qu’Alcibiade a besoin d’acquérir et l’entraînement auquel Socrate le convie se réduisent en réalité à une complète soumission à Socrate et à sa méthode dialogique.

58. Premier Alcibiade 133 B.59. J ’interrom ps ici la paraphrase pour ne pas m’aventurer dans le problème

de l’authenticité de la section qui suit (Premier Alcibiade 133 C 8-16), absente des manuscrits de Platon et transmise par E u s è b e , Préparation évangélique X I 27, et S to b é e III 21, 24. Sur ce passage, qui expose comment Dieu est le m eilleur m iroir de l’âme, vo ir Geneviève F a v r e l l e , dans son édition du livre X I de la Préparation évangélique, coll. « Sources Chrétiennes », 292, Paris, 1982, pp. 350-374. A la suite d ’une comparaison entre les diverses traductions données jusqu’ici des lignes qui le précèdent immédiatement, elle se demande si le passage contesté est nécessaire au raisonnem ent à l’endroit où il s’insère dans le dialogue, puis s’il est nécessaire au sens de toute la fin de ce dialogue. Sur ces deux points, sa conclusion est négative. I l semble qu’Eusèbe et Stobée, le second plus m aladroitement que le premier, aient introduit dans le corps du dialogue une glose marginale de contenu métaphysique. A propos de ce passage du Premier Alcibiade et de son influence sur les auteurs chrétiens, consulter J. P é p in , Idées grecques sur l ’homme et sur Dieu. « Collection d’Études Anciennes », Paris, 1971, pp. 15-16 ; 73 ; 192-196.

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S o c ra te : Et commettre l’injustice, qu’en est-il donc à ce sujet ? Quand on ne veut pas la commettre, est-ce là une condition suffisante, et de fait ne la commettra-t-on pas ? Ou bien, pour cela, faut-il en outre se ménager à soi-même la possession d’un certain pouvoir et d’une certaine habileté (δύναμίν τινα και τέχνην), en se disant que, faute de s’en être instruit et de s’y être exercé (έάν μή μάθη αύτά και άσκήση), on commettra l’injustice60?

Socrate procède alors à une démonstration en deux étapes. D’abord il explique comment l’habileté qui permet de ne pas subir l’injustice consiste ou à exercer personnellement un pouvoir dans l’État, ou à être soi-même tyran ou à devenir l’ami et l’imitateur du tyran. Ensuite, il montre que l’individu qui détien­dra cette dernière habileté sera amené à commettre le plus d’injustices possible et à n’en point payer la peine. D’où cette conclusion qu’il tire :

C’est donc le mal le plus grand qui se réalisera en lui, en lui dont l’âme est pervertie, en lui que déshonorent son imitation du maître, et, comme conséquence, la possession d’un pouvoir61.

Par conséqent, l’hypothèse d’un pouvoir et d'une compétence en la matière se trouve complètement désavouée.

Comme dans le Premier Alcibiade, Socrate est parti d’une conception que peut admettre son interlocuteur, ici celle d’une vertu politique envisagée comme technè et faisant donc inter­venir instruction et entraînement. Mais, seconde étape, il par­vient à faire reconnaître à cet interlocuteur qu’une telle vue des choses contredit le principe sur lequel ils s’étaient mis d’accord, à savoir qu’il faut se détourner à tout prix de commettre l’injus­tice. C’est donc bien que la vertu politique n’est pas cette habi­leté et ce pouvoir évoqués au départ. Elle implique, et c’est là la conviction profonde de Socrate, que l’homme politique soit juste, qu’il ait la connaissance de ce qui est ju s te 62 et qu’il vise à rendre les citoyens sur lesquels il a autorité les meilleurs pos­sible63. Il ne nous paraîtrait donc pas légitime d’invoquer ces passages empruntés au Premier Alcibiade et au Gorgias pour pré­

60. Gorgias 509 D E .61. Ibid. 511 A.62. Ibid. 508 C.63. Ibid. 515 C.

LE SOCRATE DE PLATON 111

tendre que la morale socratique accordait un rôle à Yaskèsis dans l’acquisition de la vertu64.

Cependant une fois éliminés ces textes où Socrate feint d’entrer dans le cadre conceptuel traditionnel, il reste quelques passages dans lesquels est employée l’expression άσκεΐν άρετήν (ou éventuellement σωφροσύνην, δικαιοσύνην, φιλοσοφίαν)65. Il n’est pas toujours facile de déterminer s’il faut comprendre ces termes au sens d’une pratique de la vertu ou d’un entraînement à la vertu, pour autant qu’on puisse concevoir la distinction en grec66. Les éditions modernes d’ailleurs montrent qu’il existe une certaine hésitation non seulement d'un traducteur à l’autre, mais encore à l’intérieur d’une même traduction67. Du point de vue qui nous intéresse, nous nous bornerons à constater que l’expression n’est jamais développée et qu’elle n'évoque pas le choix volontaire d'actes spécifiques préparant à l’accomplisse­ment d’actes vertueux68.

64. N otre interprétation des passages en cause dans le Gorgias ne suit pas celle développée par M. J. O ’Brien, The Socratic Paradoxes and the Greek Mind. Chapel H ill, 1967, p. 92. Celui-ci considère que « bien des croyances courantes ailleurs dans la pensée grecque trouvent leur entrée dans le platonisme et que là elles siègent en paix à côté de doctrines expressément désignées pour les annihi­ler ». Le fait que soit acceptée dans le Gorgias la notion traditionnelle d ’askèsis, alors que la connaissance est l’acte central du système platonicien, illustrerait ce phénomène. W. K . C. G u t h r ie , op. cit., t. III, p. 457, qui s’appuie d ’abord sur Xénophon, mais aussi sur Gorgias 5 09 D , conclut, lui, que Socrate, dans l ’acqui­sition de la vertu , accorde une place aux tro is facteurs comm unément reconnus au v e siècle : les dons naturels, l ’étude et la pratique. Nous croyons p lu tô t que Socrate rejette ici, après l’avoir examinée, l’idée admise par Calliclès que la vertu politique est une technè exigeant en tant que telle askèsis et mathèsis.

65. Par exemple Gorgias 507 D ; 527 D ; Euthydème 283 A ; 307 C.66. E n français, on ne peut confondre entraînem ent à la vertu et pratique

de la vertu. Dans un cas il s’agit de s’adonner à des exercices dont la répétition aura pour effet de perm ettre l’acquisition de la vertu, dans l ’autre de poser des actes vertueux sans qu’intervienne nécessairement l’idée d’un entraînement. E n Grec manifestement le verbe askein recouvre les deux notions et il nous paraît impossible de déterminer dans les cas précédemment cités s’il faut choisir l’une p lutôt que l’autre. E n to u t cas, aucun élément n ’impose de façon évidente le sens d ’entraînement.

67. A titre d ’exemple, Léon R obin traduit différemment askein en Gorgias 507 D : pratiquer la sagesse (A. Croiset dans l ’édition Budé : s’exercer à la tempé­rance) ; 527 D : pratiquer l’exercice de la vertu ; 527 E : pratiquer l’exercice de la justice et des autres vertus ; en Euthydème 283 A : s’exercer à la sagesse et à la vertu ; 307 C : exerce-toi (à la philosophie) ; République III , 407 A : pratiquer la vertu.

68. O n pourrait nous objecter qu’en Gorgias 527 D sont cités un certain nom bre d’exemples d ’actes vertueux : se laisser mépriser, outrager, frapper d’un coup ignominieux. E n fait ces actes n ’illustrent pas ce qu’est pour Socrate 1 ’askèsis, puisque celui-ci dit qu’ils ne présentent rien de terrible pour l’homme accompli qui s’adonne à l ’askèsis de la vertu. Si l’askèsis aide à les supporter, ils ne sont

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112 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

Quoi qu’il en soit de l'expression άσκεΐν άρετήν dans ces quelques passages, c’est au plan théorique qu’il faut reconnaître l’inutilité d’un entraînement dans le cadre de l’intellectualisme socratique. Admettre qu’un entraînement, quel qu’il soit, est nécessaire pour devenir vertueux, c’est supposer que l’application des principes moraux peut être entravée par des faiblesses phy­siques ou morales que seul un effort de volonté parvient à sur­monter. Or, une telle perspective est tout à fait étrangère à l’intellectualisme socratique qui considère que la connaissance à elle seule suffit à amener l’homme à poser des actes vertueux : ou le sujet moral connaît ce qui est bon et utile, ou il l'ignore. En tout cas, si la connaissance est acquise, elle est souveraine®, et l’homme ne peut la perdre.

Afin d’illustrer comment Socrate, conséquent avec ses posi­tions théoriques, éliminait purement et simplement l’hypothèse même de la nécessité de l’entraînement, on peut faire appel au Ménon. Dès l’ouverture du dialogue, Ménon demande à Socrate :

Es-tu à même, Socrate, de me dire, au sujet de la vertu, si c’est quelque chose qui s’enseigne ; ou bien, si, au lieu d’être quelque chose qui s’enseigne, elle est matière d’un exercice ; ou bien si, au lieu d’être matière d’exercice ou d’enseignement (ουτε άσκητον οΰτε μαθητόν), elle est chez les hommes un don naturel (άλλα φύσει) ; ou bien s’il y a quelque autre façon encore dont on l’acquière ? 70

Successivement Socrate démontrera que la vertu qui est intelligence n’est pas un don naturel, sinon on pourrait recon­naître immédiatement parmi les jeunes ceux dont le naturel est bon71, et qu’elle n’est pas non plus un savoir puisqu’elle ne

donc point des exemples à’askèsis. N ous com prenons ici que, pour Socrate, l ’hom m e qui pratique la vertu, autrem ent dit l ’hom m e vertueux, est capable de supporter Jes outrages, même les plus offensants. I l n ’est pas question ici. à notre avis, d ’entraînem ent, mais bien de pratique de la vertu.

69. Cf. Protagoras 352 C. Socrate critique la conception que se fait la m ulti­tude du savoir, « le savoir étant conçu par elle, à l ’image to u t bonnem ent d ’un esclave, comme tiraillé de droite et de gauche par l’ensemble des autres influences ». Lui, au contraire, estime qu’« il n’est pas possible que rien ait sur lui (le savoir) le dessus, au point de nous faire agir autrem ent que ne nous le prescrit ce savoir ».

70. Ménon 70 A . Une problém atique similaire concernant cette fois la justice est évoquée par Socrate lui-même au début du Cütophon. Clitophon rapporte ce que Socrate avait coutum e de dire aux Athéniens : « Vos fils, à qui vous trans­mettez des richesses, sauront-ils en user avec justice? D e cela vous vous désin­téressez ; vous ne cherchez pas pour eux des maîtres de justice, si toutefois c’est là une chose qui s’apprenne, ou, si c’est le fru it d ’un exercice et d ’un entraînem ent, des maîtres capables de les entraîner et de les exercer comme il faut » (407 B).

71. Cf. ibid. 89 AB.

LE SOCRATE DE PLATON 113

s’enseigne pas et qu’il n ’existe pas de maîtres de vertu72. Mais très curieusement, il esquive totalement l’hypothèse de l 'askèsis et cette exclusion est volontaire. Dans la position même du pro­blème, Socrate refuse d’envisager que la vertu puisse résulter d’un entraînement. On remarquera d’ailleurs que la conclusion à laquelle il aboutit n ’est pas une réponse véritable au problème posé par Ménon. Elle ressemble plutôt en la circonstance à une échappatoire.

Quant à nous, si, dans tout le cours de cet entretien, nous avons bien conduit notre recherche, si notre langage était juste, alors la vertu ne pourra être ni une chose qu’on pos­sède par nature, ni une chose qui s’enseigne, mais une dispen­sation divine, qui se produit, sans que la pensée y ait part, chez ceux en qui elle vient à se produire (...) sauf le cas où, parmi nos hommes d’Etat, il s'en trouverait un qui fût capable de rendre autrui pareillement homme d’État ! (...) Quand vient à se produire chez certains hommes la vertu, elle s’y produit grâce à une dispensation divine. Mais le cer­tain là-dessus, nous le saurons le jour où, avant de nous m ettre à chercher de quelle façon il vient à se produire de la vertu chez les hommes, nous aurons commencé par nous m ettre à chercher ce que peut bien être la vertu, en soi et par so i7·5.

En fait, Socrate n’envisage ici que des cas exceptionnels de vertu où l’homme bénéficie d’une sorte de grâce divine. En aucun cas ce type de vertu ne saurait fonder la morale individuelle et collective des citoyens d’un État.

A l’issue du dialogue, le philosophe en profite pour rappeler qu’il est inutile de répondre au problème de l’origine de la vertu dans l’homme avant d'avoir défini celle-ci. C'est pourquoi tous les dialogues « socratiques » apparaissent comme des variations sur un même thème : celui de la quête d’une définition. Mais en réalité, c’est comme si l’essentiel, plutôt que d'être la définition elle-même, à laquelle de toute façon Socrate et son interlocuteur ne parviennent pas, était ailleurs, dans la mise à l’épreuve de la vie de chacun. Sans relâche, Socrate invite son interlocuteur à se débarrasser de ses jugements faux, à procéder à l'examen de soi-même et à se préoccuper davantage de ce qu'il est que de

72. Cf. ibid. 89 E-90 E ; 93 B ; 94 E ; Protagoras 319 B-320 B ; Premier Alcibiade 118 C-i 19 A.

73. Ménon 99E -100A .

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114 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

ce qu’il a. Sur le plan strictement intellectuel, la démarche au total apparaît peu satisfaisante, puisqu’elle finit dans l’aporie, mais sur le plan éthique, elle s’avère très fructueuse, car, en ren­dant compte de sa vie et en étant amené à reconnaître qu’il ne sait pas ce qu'il croit savoir, l’interlocuteur obéit au précepte delphique et s’engage sur la voie de la connaissance qui mène à la vertu. On peut donc dire que Socrate a mis au jour une nouvelle formule éducative qui échappe aux catégories tradition­nelles de l’époque. C’est à travers la méthode dialogique que se réalise le cheminement vers la vertu. Toute la conception éduca­tive s’en trouve modifiée : le maître n’est plus celui qui sait et propose des modèles à imiter, le disciple n’est plus celui qui apprend et imite. Sous la conduite de Socrate qui, tel un tao n 74, le réveille, le stimule et le provoque, il est acculé à rendre compte de sa v ie75. Même quand des réponses un peu plus positives seront données sur la façon d’acquérir la vertu — réponses dont nous ignorons si elles sont socratiques ou platoniciennes — sous la forme de la réminiscence qui apparaît dès le Ménon, ou de l’appel à Éros dans le Banquet, ou encore de l’exhortation à l’exercice de la m ort au corps dans le Phédon, la méthode fon­cièrement ne changera pas : ce sera celle de l’examen de conscience pratiqué sous la conduite de Socrate.

B. SOCRATE ET L’IRRATIONNEL PRÉSENT DANS L’HOMME

Toute la morale socratique est fondée sur la connaissance, donc sur la pensée. Dans l’âme, le logos est souverain et pleine­ment autarcique. Rien ne peut en effet entraver son action. Il est légitime alors de se demander quelle attitude Socrate adoptait à l’égard de l’irrationnel présent dans l’homme. Ce dernier connaît effectivement désirs et passions, puisque son âme est prisonnière dans un corps. Comment l’intellectualisme socra­tique est-il parvenu à résoudre cette question du corps et des

74. Apologie 30E-31 A.75. Lâches 187 E , où Nicias s’adresse à Lysimaque : «t T u m ’as l ’air de ne

pas savoir que, quand on approche Socrate de très près et que ce voisinage estune conversation avec lui, son interlocuteur est forcé (quel qu’en pû t être, d’aven­ture, le sujet, to u t autre, sur lequel on avait auparavant commencé à converser)de se laisser sans répit tourner et retourner, grâce à la façon dont Socrate mènela causerie ; jusqu’à ce que finalement, il en vienne à être lui-même l’objet dontil s’agit de rendre raison, aussi bien quant à la m anière dont il v it présentementqu’à celle dont il a vécu son existence passée! ».

LE SOCRATE DE PLATON 115

passions qui, au moins dans l’opinion du grand nom bre76, peu­vent faire obstacle à l’action du logos ?

1. Sur le plan théorique : un intellectualisme conséquent.

L’anthropologie socratique repose sur un dualisme strict corps/âm e77. Dans les premiers dialogues, l’âme humaine est conçue comme un principe unitaire qui doit détenir une autorité absolue sur le corps. Les rapports entre l’âme et le corps sont comparés à ceux qui relient l'artisan et son outil78 ; le corps n’est qu’un instrument que l'âme doit parfaitement maîtriser, car l’âme, c'est l’homme, tandis que le corps est quelque chose qui appartient à l’hom m e79.

Mais comment se réalise cette maîtrise du corps et des pas­sions découlant de la liaison âme-corps ? La réponse de Socrate est parfaitement claire : si l’homme se connaît lui-même, donc s’il sait qu’il est de son intérêt qu’en lui la partie supérieure garde une pleine autorité sur la partie inférieure, alors il saura pratiquer la maîtrise des plaisirs et des peines, autrement dit la tempérance80. A l’inverse, s’il ignore sa nature véritable, il est condamné à l'incontinence.

Ainsi, dans une perspective intellectualiste cohérente, la tem­pérance se définit comme un savoir et l’incontinence comme une ignorance81. Les passions peuvent donc être considérées comme des erreurs de jugement et de cette façon la souveraineté du logos se voit parfaitement sauvegardée82. On comprend mieux alors pourquoi ce que Socrate reproche à ses contemporains, ce n’est point leur incontinence (akrasia), mais leur ignorance (agnoia, amathia), et pourquoi il les exhorte de façon pressante à la connaissance de soi.

Dans un tel contexte l’idée d’un entraînement corporel des­tiné à permettre la maîtrise du corps et des passions, n'a pas

76. Cf. Protagoras 352 D E.77. Ce dualisme trouvera son expression extrême dans le Phédon 67 A :

« Pendant que nous vivons, le moyen, semble-t-il, d’être le plus près de la connais­sance, c’est d ’avoir le moins possible commerce avec le corps, pas davantage de nous associer à lui à moins de radicale nécessité, pas davantage de nous laisser contam iner par la nature de celui-ci, mais au contraire de nous en purifier, jusqu’au jour où la D ivinité en personne nous en aura déliés ».

78. Cf. Premier Alcibiade 129 CE.79. Cf. ibid. 130 C-131 A.80. Cf. ibid. 1 3 1 B ; 133 C.81. Protagoras 357 D E.82. Cf. ibid. 357 C : « Partout où le savoir existe dans un homme, il y est

toujours souverain, à l’égard du plaisir comme de tou t le reste, sans exception ».

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116 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

grand sens, car vouloir discipliner le corps serait s’attaquer aux effets secondaires plutôt qu’à la cause principale du dérèglement. C’est en ce sens, croyons-nous, qu’il faut interpréter les théories du médecin thrace dont fait état Socrate dans le Charmide, théories avec lesquelles il est manifestement tout à fait d’accord.

C’est dans l’âme que, pour le corps et pour tout l’homme, les maux et les biens ont leur point de départ ; c’est de là qu’ils émanent, comme émanent de la tête ceux qui se rap­portent à la vue ; c’est par conséquent à ces maux et à ces biens de l’âme que doivent s’adresser nos premiers soins et nos soins principaux, si nous voulons que se comportent comme il faut les fonctions de la tête et celles du reste du corps83.

C’est dans la sôphrosunè de l’âme que réside la source de la bonne santé du corps84.

2. L’exemple de Socrate.

On peut se demander dans quelle mesure les témoignages biographiques relatifs à Socrate se conforment aux vues théori­ques que nous venons d’évoquer. La tradition est unanime pour reconnaître à Socrate une parfaite maîtrise du corps. Il n’est que de rappeler l’évocation par Alcibiade dans le Banquet85 de la karteria manifestée par le philosophe à Potidée : aptitude excep­tionnelle à supporter la fatigue et la faim quand les circonstances l’y contraignaient, à boire sans devenir ivre s’il y avait abondance de vin et surtout cette endurance étonnante face aux rigueurs de l’hiver. Socrate n’hésitait pas à marcher nu-pieds sur la glace, irritant d’ailleurs ainsi les autres soldats. Xénophon rappelle lui aussi que Socrate était très endurci au froid, au chaud, et aux peines de toutes sortes86. Enfin, Aristophane dans les Nuées ne manque pas de faire allusion à cette endurance qui devait frap­per tous les contemporains87.

83. Charmide 156E-157 A.84. Cf. ibid. 157 AB. V oir aussi République III , 403 D : « Il est évident pour

moi que, si favorable que puisse être i ’état corporel, ce n’est pas lui qui, par son excellence propre, fait l’âme bonne ; mais que, tou t au contraire, c’est une âme bonne qui, par son excellence propre, procure au corps la condition la meilleure possible ». De même ibid. III 408 E : « C’est par l ’âme que les médecins soignent le corps ».

85. Banquet 220 E-221 B.86. X é n o p h o n , Mémorables I 2, 1.87. A r is t o p h a n e , Nuées, vers 362. Le chœur d it à Socrate : <( T u endures

bien des maux à m archer pieds nus ».

LE SOCRATE DE PLATON 117

Cette maîtrise corporelle s'accompagnait d’une maîtrise des passions. Qu’on relise à cet égard le Charmide. Dans le récit qu’il donne de sa rencontre avec le jeune Charmide, Socrate avoue : « J ’étais en feu, je ne me possédais plus », et pourtant il parvint à assurer tout un entretien avec le jeune hom m e88. L’Alcibiade du Banquet atteste de son côté la fermeté d’âme du philosophe en matière de désir amoureux :

Il dédaignait la fleur de ma beauté, il la tournait en dérision, il l’insultait ! (..) Après cela, donc, en quel état d'esprit vous figurez-vous que j ’étais ? D'une part, me jugeant méprisé, plein d’admiration d’autre part pour le caractère de cet individu, pour sa tempérance (sôphrosunè), pour sa vail­lance (andreia), après cette rencontre que j ’avais faite d’un homme comme je n'imaginais pas qu’il fût jamais possible d’en rencontrer un pareil pour le bon jugement et pour la fermeté du vouloir89 !

Aucun de ces passages n’établit de lien particulier entre les dispositions évoquées et les principes intellectualistes de la morale socratique. Ils indiquent cependant que Socrate, par le seul témoignage exemplaire de sa vie, réussissait à prouver la validité de ses thèses. En revanche, il est certain que d’autres textes mentionnent expressément à propos de la figure de Socrate un entraînement corporel dont il nous faut rendre compte à la lumière de l’intellectualisme du philosophe. Diogène Laërce évoque la sômaskia du philosophe90 ; il fait état, avec Xénophon et P lutarque91, de la danse à laquelle Socrate aimait à s’exercer, parce qu'elle fait travailler le corps tout entier et le rend bien équilibré. On pourrait considérer avec P. Rabbow que cet entraî­nement physique est un élément irrationnel dans l'intellectua­lisme de Socrate92. Mais peut-être suffit-il de faire observer que l'entraînement évoqué vise principalement l'équilibre physique et ne semble pas être mis en rapport avec des dispositions morales. Il répond à un souci d’hygiène et de santé, à une attitude de bon sens, à l’écart de tout ascétisme fondé sur un mépris du corps et de toute valorisation outrancière de la force corporelle. On sait, en effet, que Socrate rejetait l’entraînement corporel poussé

88. Charmide 155 D.89. Banquet 219 CD. L. R obin a traduit sôphrosunè par « sagesse ».90. D io g è n e L a ë r c e II 22.91. Ibid. I I 32 ; X é n o p h o n , Banquet I I 17 ; P l u t a r q u e , De tuenda sanitate

praecepta 6 ; 124 Ë.92. P. R a b b o w , Paidagogia, pp. 108-109.

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118 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

à l’extrême que pratiquent les athlètes en vue d’acquérir la seule force physique nécessaire aux épreuves sportives auxquelles ils se destinent93. Comme pour lui l'essentiel reste d’accorder tous ses soins à l’âme, la pratique d’exercices corporels ne peut répondre qu’à un seul objectif : l’équilibre et la santé du corps. Le témoignage de Xénophon va tout à fait en ce sens :

Socrate ne négligeait pas son corps et n’approuvait pas ceux qui le négligeaient. Aussi bien désapprouvait-il que l’on fît des efforts excessifs, après avoir trop mangé, mais approu­vait-il que l’on fît des efforts suffisants pour tous les exer­cices que l’âme accueille avec agrément. Cette habitude de fait, disait-il, suffit à assurer la santé et elle n'entrave point les soins dus à l’âm e94.

La pratique d’un entraînement corporel par le philosophe n’avait donc qu’une finalité purement physique : la santé et l’hygiène du corps.

Ainsi, au terme de cette enquête sur l'askèsis chez Socrate, il apparaît que l’entraînement corporel auquel il se livre n'entre pas dans les composantes de son système moral et que la concep­tion de Yaskèsis développée par les sophistes, une askèsis fondée essentiellement sur l’acquisition de l’art oratoire, n’occupe aucune place dans son système moral de nature intellectualiste.

C. L 'é v o l u t i o n d e P l a t o n a l ’é g a r d d e l 'a s k è s i s

Nous avons jusqu’ici limité notre enquête aux dialogues pla­toniciens dits « socratiques », parce qu’ils nous paraissaient plus à même, pour une simple raison chronologique, d’être fidèles aux

93. Cf. X é n o p h o n , Banquet II 17 : Socrate entraîne son corps en dansant, « et non pas à la façon des coureurs du long stade qui grossissent des jambes et maigrissent des épaules, n i à celles des pugilistes qui grossissent des épaules et maigrissent des jambes » (trad. F. Ollier).

94. X é n o p h o n , Mémorables I 2, 4. O n retrouve cette même conception d’unehygiène physique pratiquée dans les limites du bon sens dans la République III407 BC. Socrate s’adresse à Glaucon : « Peu s’en faut, en vérité, que le plus grand obstacle (à la pratique de la vertu) ne soit justem ent cette préoccupation démesurée du corps, au-delà des bornes de la gym nastique ; elle est en effet une gène par rapport à l’adm inistration d ’une maison, par rapport au service en campagne, par rapport aux charges sédentaires de l’État. Mais ce qu ’il y a assu­rém ent de plus grave, c’est qu’elle est néfaste à l’acquisition des connaissances,à la réflexion, à la m éditation sur soi ; qu’elle est sans cesse en méfiance à l’égard de je ne sais quelles contentions de tête et vertiges, et qu’elle accuse la philosophie d ’en être responsable ; si bien que, partout où cette préoccupation existe, elle fait complètement obstacle à l’exercice et à l ’épreuve de la vertu ».

LE SOCRATE DE PLATON 119

vues philosophiques du Socrate historique. Dans les dialogues postérieurs en effet, surtout à partir de la République, Socrate reste le principal acteur des dialogues, mais les propos qu’il tient se trouvent, au moins partiellement, dictés par les préoccu­pations spécifiques de son disciple. On a même soutenu que Platon, entre le début et la fin de son œuvre, était passé d’un intellectualisme strict à un antiintellectualisme qui n ’avait plus rien de socratique. Telle est par exemple la thèse de P. Rabbow95.

Ce n ’est point ici le lieu de prendre position dans le débat qui peut opposer les partisans de l’unité de pensée dans l’œuvre de Platon et les tenants d’une évolution de la pensée platoni­cienne96. Simplement il nous paraît intéressant de souligner comment la problématique de Yaskèsis a été abordée différem­ment par Platon en diverses étapes de son œuvre et pourrait témoigner en faveur de la thèse de P. Rabbow. Même si l’ouvrage de ce savant accuse de graves défauts dus peut-être à son carac­tère posthume, notamment une composition lâche, une expres­sion souvent très confuse et obscure, de multiples répétitions97, la thèse d’ensemble qui le sous-tend mérite d’être prise en consi­dération : il serait possible de déceler, des dialogues de la pre­mière période aux Lois, une évolution assez nette de Platon à l’égard de l’intellectualisme. Voici résumée dans ses grandes lignes la thèse soutenue par Rabbow.

Socrate, dans les dialogues antérieurs à la République, pro­fesse un intellectualisme strict qui soutient que l’idée selon laquelle l’homme est dominé par le plaisir est fausse. Ni les plaisirs, ni les désirs, ni les passions ne peuvent parvenir à vaincre le savoir. Par l’intermédiaire de la phronèsis qui est purement rationnelle, le logos exerce donc sur l’âme une souveraineté

95. Cette thèse est soutenue dans Paidagogia.96. V oir par exemple P. S h o r e y , The Unity of Plato’s thought (1903), Chicago,

i960, 88 p. ; Th. G. R o sen m e y er , c.r. de P. R a b b o w , Paidagogia, dans Gnomon 33 (1961), 1-7.

97. Rosenmeyer form ule en outre à l’encontre de cet ouvrage une critique très négative sur le fond, notam m ent sur l’idée de Logisierung. Seul le spécialiste de Platon pourrait être en mesure de porter un jugement d’ensemble argumenté sur la validité de la thèse soutenue par Rabbow et sur la justesse des critiques formulées par Rosenmeyer à son endroit. Pour notre part nous avons tenu seule­m ent à souligner com m ent la conception platonicienne de Yaskèsis avait pu évoluer au cours du cheminement qui mène des premiers dialogues aux Lois. Nous sommes bien consciente que cette évolution va de pair avec celle, beaucoup plus difficile à cerner, de l’attitude de Platon envers la question fondamentale de l’intellectualisme. L ’ouvrage de Rabbow a en to u t cas le mérite de soulever un problèm e que ne saurait éluder, nous semble-t-il, quiconque veut comprendre Platon.

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120 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

absolue. Socrate règle la question de l’irrationnel en substituant à l’action du corps sur l’âme, moment critique de la posi­tion intellectualiste, un processus de nature intellectuelle que P. Rabbow appelle die Logisierung, par lequel l'action de l’irra­tionnel se trouve soumise au contrôle du logos : le savoir n’est pas vaincu par l’irrationnel ; en fait, même quand les passions interviennent, le logos reste maître de la situation. Il commet des erreurs de jugement et alors se produit un non-savoir. Ainsi le Socrate des dialogues antérieurs à la République résout les contradictions qui pourraient surgir dans la position intellectua­liste stricte, grâce au processus de Logisierung98. Un exemple, particulièrement frappant de ce processus : celui du Banquet. En passant des beaux corps aux belles pensées, puis de là aux belles âmes, l’esprit poursuit une ascension dialectique qui, au terme, débouche sur une contemplation et une connaissance du Beau. Voilà donc la « passion des passions », la plus grande des irrationalités, Éros, ramenée dans la sphère du logos, soumise au contrôle de ce dernier.

C’est avec la République et la conception tripartite de l'âme qui y est développée que se dessine chez Platon un changement de perspective. Cet ouvrage marque en effet un tournant, puisque pour la première fois le problème de l’irrationalité y est traité positivement. Pour la première fois en effet, il est admis que les facteurs irrationnels peuvent transform er l’opinion droite en opinion fausse. En conséquence de quoi, des méthodes agissant directement sur l’irrationnel de l'homme, tels l’exercice et la mise à profit de l’habitude, font leur apparition dans la sphère de l’éducation platonicienne. Cependant comme elles portent non seulement sur le côté irrationnel de l’âme, mais aussi sur la pensée et comme elles sont mises en pratique uniquement en vue de la vertu de l’âme, elles subissent ce que Rabbow appelle une « Depotenzierung durch Logisierung », une « perte de pouvoir à travers le processus d’intellectualisation » ". C’est pourquoi, même

98. Nous sommes en désaccord avec Rabbow sur l’interprétation de l’atti­tude adoptée par Socrate à l’égard du corps. Selon Rabbow, Socrate, conscient de l’opposition fondamentale corps/âm e et du risque que le corps fait courir à la vertu de l’âme, se voit contraint de m ettre l’accent sur la discipline corporelle : « La discipline corporelle est un élément irrationnel dans l’intellectualisme de Socrate » (p. 108) ; «elle est, dans sa nature et sa signification, le tribu t que cet intellectualisme strict devait payer à l’irrationnel » (p. 109). Pour notre part, ainsi que nous l’avons dit plus haut, nous estimons que la maîtrise corporelle atteinte par Socrate grâce à des exercices physiques répond à un souci d ’hygiène cor­porelle, d ’équilibre, et n’est pas dictée par une préoccupation d’ordre moral. La prise en considération du corps n ’intervient pas, nous semble-t-il, dans l’élabo­ration de la morale socratique.

99. Op. cit., p. 69.

LE SOCRATE DE PLATON 121

si dans la République l’intellectualisme subit une cassure, Rabbow parle encore à propos de ce dialogue d'une Paideia du Logos.

Un pas de plus est franchi dans le Timée quand Socrate est amené à dire que les maladies de l’âme sont causées par l’état défectueux du corps ou par la négligence des parents 10°. L’homme dépend donc de façon involontaire des forces contraignantes que représentent pour lui sa constitution physique ou son éducation.

Les Lois marquent le point d’aboutissement de la démarche qui éloigne progressivement Platon de l’intellectualisme socra­tique. Cette fois le protagoniste n’est plus Socrate, mais l’Étran- ger d’Athènes. Il est clairement établi que le logos peut être vaincu, écrasé par le plaisir ou le déplaisir. D’où cette définition nouvelle de la vertu qui désormais repose sur la concordance des instincts de plaisir et de déplaisir avec une conception réfléchie du plaisir et du déplaisir101. Autant dire que la souveraineté du logos n ’existe plus. Corollaire inévitable : l’exercice est devenu la base de l’éducation platonicienne dans les Lois, où Rabbow découvre non plus une Paideia du logos, mais une « Paideia de l’irrationnel de l’âme ». Toutefois, Platon garde la nostalgie de cet intellectualisme socratique qu’il a abandonné comme à regret. Aussi tente-t-il de sauver les apparences. C’est ainsi, par exemple, qu’un des principes-clefs de la perspective intellectualiste : « nul ne fait le mal volontairement » est conservé, mais que son sens s’est complètement modifié. Alors qu’au départ on accomplis­sait le mal par ignorance, Platon ajoute cette fois : ou par incon­tinence ou sous l’effet des deux102. Jusqu’au bout le philosophe a voulu marquer sa fidélité à son maître, mais l’intellectualisme présente désormais trop de failles pour qu’on puisse l’appeler encore ainsi. La volonté a peu à peu supplanté le logos dans la pratique morale.

Les perspectives développées dans cet ouvrage de P. Rabbow méritent toute notre attention puisqu'elles mettent en cause direc­tement les conceptions socratique et platonicienne de Yaskèsis. Nous avons déjà noté dans les dialogues « socratiques » la mise en œuvre d’un intellectualisme strict ; aussi allons-nous nous attacher à montrer maintenant comment Yaskèsis en est venue à jouer un rôle important dans la République et un rôle de pre­mier plan dans les Lois.

Quand il jette les fondements de sa République, Platon ne peut se permettre de sacrifier à l’utopie. Il se doit de dépasser

100. Cf. Timée 86 E.101. Cf. Lois I I 653 B.102. Cf. ibid. V 734 D.

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122 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

le caractère aporétique des dialogues de jeunesse et d ’apporter des réponses aux « embarras » caractéristiques des dialogues antérieurs. Soucieux d’envisager l’éducation des citoyens de sa République potentielle, il va à la fois suivre Socrate et s’en écarter. C’est probablement sa conception d’une âme tripartite qui a permis cet éca rt103. En effet, alors que Socrate avait de l’âme une vision unitaire fondée sur la souveraineté incondition­nelle du logos, Platon détermine trois fonctions dans l’âme : la fonction raisonnante, la fonction irraisonnée et désirante, enfin l’ardeur du sentiment. Si Platon a procédé ainsi, c’est certaine­ment par souci d’éthique pratique. Pour un homme débarrassé du corps on peut bien sûr admettre un seul principe gouvernant dans l’âme. Mais il est beaucoup plus difficile de maintenir une vision unitaire de l’âme dans le cas d’un homme prisonnier d'un corps ; d’où cette conception platonicienne d’une âme tripartite. La vertu apparaît alors comme un ordre rationnel dans l’âme, comme l’attribut d’une âme harmonisée.

De cette tripartition découle un bouleversement important dans la conception même de la vertu et de la façon dont on peut l'acquérir. Est intéressante à cet égard la formation des gardiens, classe supérieure dans la hiérarchie des citoyens de la Répu­blique. Après les remarques faites sur l’absence d 'askèsis dans les premiers dialogues, nous ne pouvons qu’être étonnés de voir apparaître telle quelle dans l’éducation de ces gardiens la trilogie phusis/mathèsis/askèsis. Platon examine d’abord longuement les qualités physiques naturelles requises d’un guerrier apte à défendre la République qu’il conçoit : acuité à dépister, agilité à poursuivre ce qui a été dépisté, force pour se battre avec la prise, courage, a rdeu r104. Toutes ces qualités vont de pair avec celles de l’âme. Platon souhaite que les gardiens aient un natu­rel ardent, doté cependant de mansuétude, et qu’ils aient le désir de connaître, de savoir, cet amour de la sagesse qu’est la philo­sophie105. C’est sur ce naturel que vient se greffer l'éducation adaptée à la future fonction de guerrier que les enfants devront un jour assumer. En matière d’éducation, Platon recourt aux

103. Cette évolution de Platon était déjà amorcée dans le Gorgias 503 CD, quand il évoquait l ’idée d ’ordre dans l’âme, de kosmos. E n effet, si un ordre est possible, c’est bien qu’est présente la notion d ’une âme non unitaire. Le Gorgias suppose déjà des parties dans l’âme, mais celles-ci ne sont pas encore spécifiées. Cf. Helen N o r t h , Sophrosyne. Self-Knotvledge and Selj-Restraint in Greek Litcrature, Coll. « Cornell Studies in Classical Philology », 35, Ithaca/New Y ork, 1966, pp. 162-163.

104. Cf. République I I 375 AB.105. Cf. ibid. I I 375 B-376 C.

LE SOCRATE DE PLATON 123

deux disciplines traditionnellement pratiquées dans la paideia grecque et faisant toutes deux appel à l'askèsis : la gymnastique et la mousikè, qui dépasse le cadre de la seule musique et recouvre en fait la notion plus vaste de cu lture106. S’il rejette Homère et conteste la valeur morale des compositions littéraires et de la fiction mythologique, en revanche il souligne l’influence profonde exercée par la musique sur le caractère de l’homme et souhaite que celle-ci joue un rôle de premier ordre dans la for­mation morale des gardiens 107. Aussi prononce-t-il un éloge sans réserve d’une éducation musicale intelligemment menée, suscep­tible d’entraîner les sentiments vers le Beau et le B ien108. La musique agit sur l’irrationnel de l’âme qu’elle soumet à la fin intellectuelle de l'éducation. Dans toutes ces considérations, Platon ne s’étend pas avec précision sur le mode d’exercices qu’il préconise, car il s’attache surtout à définir la nature de la musique à pratiquer. On conçoit cependant que l’habitude et l’entraînement soient importants dans un apprentissage musical dont Platon présente ainsi l’ultime visée :

Dans ses exercices eux-mêmes et ses rudes travaux (τά γυμνάσια καί τούς πόνους), c’est le regard fixé sur ce qu’il y a d’ardent dans sa nature, c’est en donnant l’éveil à cet élément, que le musicien accomplira ces travaux, bien plutôt qu’avec la vigueur corporelle pour o b je t109.

Après la question de la musique est abordée celle de la gym­nastique. Platon affirme clairement qu’il n’est pas question d’avoir une préoccupation démesurée du corps, au-delà des bornes de la simple gymnastique, car ce serait un obstacle à la pratique de la v ertu no. Définie d’abord comme simple discipline du

106. Cf. ibid. I I 376 E : « N ’est-il pas difficile de découvrir une meilleure éducation que celle dont un très long temps a permis la découverte? O r, c’est, je pense, la gymnastique pour ce qui concerne le corps, la culture pour ce qui concerne l ’âme ».

107. Cf. ibid. I I I 400 D E : « L ’excellence du langage, celle de l’harmonie, l’élégance de la forme, la perfection du rythme, to u t cela sert d ’accompagnement à la candeur ; non point à cette réelle imbécillité que, par gentillesse, nous qua­lifions de candeur, mais à cette pensée réfléchie qui, en toute vérité, équipe le m oral pour ses fins de la bonne et belle manière ».

108. Cf. ibid. I II 401 D : « La culture musicale est d’une excellence souve­raine, rien ne plonge plus profondém ent au cœur de l’âme que le rythme et l’harmonie ; rien ne la touche avec plus de force en y portant l’harmonieuse élégance qui en fait la noblesse, dans le cas où cette culture a été correctement conduite ».

109. Ibid. III 410 B.110. Cf. ibid. III 404 A ; 407 BC.

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124 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

corps111, la gymnastique est présentée ensuite comme devant servir à l’entraînement de l’âm e112. Assurément on a là un bel exemple de cette Logisierung chère à Rabbow. Platon, en accor­dant une place à l ’exercice et en reconnaissant que le champ d’application de cet exercice est à la fois le rationnel et l’irra­tionnel, a certes sacrifié à l’irrationnel ; toutefois en visant à tra­vers la gymnastique et la musique les seuls soins dus à l’âme, il a inscrit cet exercice dans la sphère du logos. Mais le type d’éducation que nous venons d’évoquer s’adresse en fait seule­ment à une catégorie de gardiens, les gardiens auxiliaires, aux­quels commandent les gardiens parfaits, ceux que Platon iden­tifie aux philosophes.

A ces gardiens parfaits Platon réserve un type d'exercices qui met l’accent sur un entraînement de nature intellectuelle. Ceci ne veut pas dire, comme semble le penser Rabbow113, que le gardien parfait ne s’adonne pas aux exercices physiques ; il reste malgré tout un guerrier. Platon souhaite que le naturel de ces gardiens parfaits allie notamment amour du savoir, tempé­rance, justice, courage et douceur à une grande facilité à apprendre, à une bonne mémoire, à de la mesure et de la grâce114. Un entraînement de type intellectuel va amener le gardien à la vertu, en lui faisant parcourir la voie la plus longue : έν μαθήμασι πολλοΐς γυμνάζειν δει115. Au bout du chemin, les gardiens par­faits possèdent la sophiaI16, ce qui n’est pas le cas des gardiens auxiliaires qui, eux, bénéficient seulement des exercices de gym-

111. Cf. ibid. I I 376 E.112. Cf. ibid. I II 411 E. De même ibid. IX 591 CD : « Touchant la condition

et la culture de son corps, il (l’homme qui réfléchit) fera en sorte de ne pas s’en remettre, dans sa vie, au plaisir bestial et irraisonné; quand c’est sa vie physique qui l’occupe ; bien p lu tô t, sans porter vers la bonne santé ses regards, sans non plus faire en sorte, en donnant à cela un privilège, de devenir vigoureux, bien portant, beau, alors même que le résultat n ’en devrait pas être pour lui de devenir plus sage ; mais en faisant toujours en sorte de manifester que, s’il règle harm o­nieusement l’harmonie intérieure du corps, c’est en vue de la symphonie inté­rieure à l ’âme ».

113. Op. cit., par exemple pp. 67-68 : « L ’étape inférieure et l’étape supé­rieure de l’éducation se séparent, l’une étant une éducation à travers l’exercice et l’habitude, l’autre à travers la connaissance philosophique ». E n fait on peut se rendre compte que le gardien parfait a été lui aussi instruit dans le domaine musical ('République I I I 413 E) et qu’il a subi l ’entraînem ent physique que connais­sent les enfants et les adolescents jusqu’à v ing t ans (VII 537 B).

114. Cf. République V I 484 D-487 C ; 503 C ; V II 535 A-536 B.115. Ibid. V I 503 E ; cf. V II 536 B : τοσαύτην μάθησιν καί τοσαύτην

δσκησιν.ι ι6 . Cf. ibid. IV 428 Β-429 A.

LE SOCRATE DE PLATON 125

nastique et de l’entraînement m usical117. Reste encore à préciser en quoi consistent ces exercices intellectuels réservés aux seuls philosophes et susceptibles de m ontrer la voie qui « mène avec force l’âme quelque part en haut » 118. Us s’appliquent à la science du calcul, à la géométrie, à la géométrie des solides, à l’astro­nomie, à l’harmonie, et surtout à la science suprême : la dialec­tique, qui fait monter l’âme vers la contemplation du B ien119.

Ainsi, la grande nouveauté de la République, du point de vue qui nous intéresse, c’est d’avoir reconnu explicitement la valeur éducative de l’habitude et de l’exercice dans le domaine moral :

Ce qu’on appelle les talents de l'âme a chance d’être, en général, assez voisin des talents corporels car, pour commencer, ils n ’y résident pas effectivement, mais plus tard ils s’y réalisent au moyen de l’habitude et de l’exercice120.

Apparemment Platon maintient les grands principes intellec­tualistes ; l'importance du savoir est soulignée à maintes reprises m . Cependant, dès l’instant où il admet que l’âme n’est pas pur logos, que les passions peuvent renverser l’opinion mo­rale droite, il ne respecte plus la cohérence de l’intellectualisme.

Mais l’évolution bien amorcée dans la République vient à son terme avec les Lois où l’entraînement apparaît cette fois comme la grande technè éducative. L’Étranger d’Athènes affirme :

Je dis donc que, pour devenir en quoi que ce soit un homme de mérite, on doit à ce dont il peut s’agir s’exercer dès l’enfance, aussi bien en s'amusant que d’une manière sérieuse, en chacun des actes qui sont du ressort de l'acti­vité en cause122.

A l’origine de cette évolution on trouve une conception nou­velle de la phronèsis. Alors que dans l’intellectualisme socratique cette fonction du logos se trouvait être purement rationnelle, pour l’Étranger d’Athènes, elle implique l’accord, la symphônia, de la raison et du déraisonnable. L'irrationnel contrebalance le rationnel et peut le vaincre. Tout ceci est rendu possible par la

117. Gymnastique et musique fondées sur une discipline des habitudes ne sont pas aptes à produire une conversion de l’âme, à faire m onter celle-ci vers le réel (cf. Ibid. V II 521 C-522 A).

118. Ibid. V II 525 D.119. Cf. ibid. V II 525 A-532C.120. Ibid. V II 518 D E.121. Par exemple en V I 484 AB ; 506 C ; V II 518 C.122. Lois I 643 B.

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126 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

conception nouvelle de l’évolution humaine qui est développée dans les Lois. Jusqu’à vingt ans seuls le plaisir et la peine déter­minent l'homme. Le logos apparaît encore comme inachevé et inefficace, d’où le but fixé à l’éducation : susciter une harmonie entre le logos et les affections de plaisir et de peine. Voici comment est exposée au livre II cette conception :

Ce que j ’appelle éducation, c’est l ’éclosion initiale d’un mé­rite moral chez l’enfant : que donc le plaisir et l’amour, la douleur et la haine viennent à exister au-dedans de son âme avec leur juste objet, alors qu’il est encore incapable de s’en faire une conception réfléchie ; que, d’autre part, une fois celui-ci parvenu à cette conception, les affections dont il s’agit soient en concordance avec elle, je dis que c’est en cela que consiste une juste formation des habitudes individuelles sous l’action des habitudes qui conviennent, et que c’est cet accord, dans son ensemble, qui constitue la vertu (αυτή’ σΟ’ ήσυμφωνία σύμπασα μεν αρετή). Quant à la partie de cetaccord qui est une discipline des plaisirs et des peines, réglée de façon que, du commencement à la fin de l’existence, on haïsse ce qu’il faut haïr et qu’on chérisse ce qu’il faut chérir, voilà ce que, après l’avoir isolé pour les besoins de mon argumentation, j ’appelle justement «éducation» et que tu aurais raison, c’est au moins mon sentiment, d’appeler a insi123.

Si l’éducation vise à un équilibre dans l’âme du logos et des passions, s’il est admis que les passions peuvent vaincre le logos, faut-il alors avec Rabbow parler d'antiintellectualisme ? Il est certain que grande est la distance qui sépare les premiers dia­logues des Lois : la souveraineté du logos s’est transmuée enun état de dépendance de ce logos à l’égard des passions et lebut franchement avoué de l’éducation est de faire tourner cet état de dépendance à l’avantage du logos 124. A cet effet, on fait encore appel, comme c’était le cas dans la République, à la musique et à la gymnastique, mais la façon dont sont envisagées

123. Ibid. XI 653 BC.124. O n peut mesurer cette distance en comparant par exemple Protagoras

352 D -357E où il est dit que l’homme ne peut être vaincu par Je plaisir, «qu’il n’y a rien qui soit plus fort que le savoir » et que « partout où il existe dans u n homme, il y est toujours souverain », et Lois I II 689 B : « Lorsque l’âme se m et en oppo­sition, soit avec ses connaissances, soit avec ses opinions, soit avec ce qui estraisonnable, c’est-à-dire avec to u t ce qui de nature est fait pour comm ander, en elle j’appelle cela ‘ déraison ’, et identiquem ent dans l’É ta t quand la masse n ’obéitpas aux magistrats et aux lois ». V oir aussi des expressions comme « livrer labataille à ses propres plaisirs, s’exercer à lu tter contre sa pusillanimité intérieure,et en triom pher » en I 647 C, ou encore la com paraison de l’hom m e avec unem arionnette en I 644 E.

LE SOCRATE EE PLATON 127

ces deux disciplines n’est plus la même. La gymnastique conserve toujours une place importante dans l’éducation des enfants, sous la forme plus précisément de la danse et de la lutte, mais le but qu’on lui confère désormais est purement physique : on s’exerce en vue des compétitions gymniques organisées lors des fêtes, et en vue de la guerre125. Quant à la musique, elle doit produire Xeupsuchia, le bon état de l’âm e126, c’est-à-dire qu’elle doit amener celle-ci à la ressemblance avec ce qui est une image du Beau127. Les incantations musicales, comme d’ailleurs toute l’éducation, visent à produire la sumphônia de l’âm e128. Toute­fois, si la perspective des Lois débouche sur la reconnaissance de l’irrationnel et la volonté de remporter la victoire sur cet irra­tionnel, l’intellectualisme resurgit dans l’affirmation du pré­cepte initial : nul ne fait le mal volontairement129. L’ignorance est bien toujours à la source du mal moral. Mais dans les premiers dialogues l’acte vertueux était dû à une erreur de jugement, ce qui ne détruisait pas la souveraineté du logos. L'homme qui choi­sissait le mal était convaincu qu'il choisissait le bien. Dans les Lois au contraire, l'homme juge qu’une chose est bonne et néan­moins il la h a it; il sait qu’une chose est perverse et injuste, cependant il l’aime :

Cette discordance entre la peine et le plaisir d’une part, et, d’autre part, l’opinion raisonnable, je déclare qu’elle est la suprême ignorance 13°.

La partie de l'âme qui est le sujet de la peine et du plaisir n’obéit plus au logos. Mais quelle est l’origine de cette défaite du logos ? L’Étranger d’Athènes propose deux explications qui peuvent d'ailleurs se conjuguer :

Quiconque est incontinent l'est forcément sans le vou­loir : c’est ou bien dans l’ignorance, ou dans le défaut de maîtrise de soi, ou dans les deux ensemble, que réside la

125. Cf. ibid. V II 795 D où la distinction est faite entre les études qui ont en vue un entraînem ent physique, comme la gymnastique, et celles qui on t en vue le bon état de l’âme, comme la musique ; cf. V II 796 D : « A coup sûr, les compétitions gymniques avec les exercices qui les préparent, si elles on t un but, ne doivent pas en avoir u n autre que celui-là : l’apprentissage de la guerre et la célébration des fêtes ».

126. Cf. V II 795 D.127. Cf. II 668 B.128. Cf. II 659 E .129. Cf. ibid. V 731 C ; 734 B ; IX 860 D .130. Cf. ibid. III 689 A.

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128 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

cause de l’existence, dépourvue de sagesse, de la tourbe humaine tout entière131.

L’homme fait le mal non plus seulement par ignorance, mais également parce que le logos est impuissant face au plaisir et à la peine. La méthode pédagogique qui s’impose alors consiste à former l’âme, grâce à l’entraînement aux harmonies et aux rythmes, à la discipline des passions. Long est le chemin par­couru depuis la République : alors que la faculté désirante de l’âme y était considérée comme une faculté inférieure, dans les Lois plaisirs et peines prédominent dans l’âme.

Ce qui au plus haut point est naturel aux hommes, c’est d ’avoir des plaisirs, des peines, des désirs, auxquels il est forcé que le vivant mortel en général soit tout bonnement comme accroché et suspendu par les intérêts les plus sérieux de son existence132.

Le lecteur a le sentiment que Platon a dû à regret renoncer dans l’élaboration concrète de ses Lois à l’idéal intellectualiste qui reste le sien. La nécessité de faire des Lois ne signifie-t-elle pas précisément que chez l’individu le savoir n’est pas souverain ?

Bien entendu, si un jour il naissait un homme qui, en vertu d’une grâce divine, possédât de nature la capacité d’unir l’une à l’autre les deux conditions dont j ’ai parlé (c’est-à-dire reconnaître la nécessité de s'occuper de l’intérêt commun avant l’intérêt individuel et demeurer fidèle à cette conviction tout au long de sa vie), il n’aurait nul besoin de lois pour régir sa conduite personnelle : il n’y a, en effet, niloi, ni règlement quelconque qui ait une puissance supérieure à celle du savoir, et il n ’est pas permis non plus de sou­m ettre l’intelligence (nous) à quoi que ce soit, encore moins d’en faire une esclave, elle à qui appartient au contraire une légitime autorité sur toutes choses : à cette condition pré­cise toutefois qu’elle soit une intelligence authentique, une intelligence réellement libre en conformité de sa n a tu re133.

Platon n'est donc pas devenu antiintellectualiste. Il est au contraire resté fidèle à Socrate, mais l’expérience lui a démontré que les hommes ne sont pas des Socrate et qu’il faut tenir

131. Ibid. V 734 B.132. Ibid. 732 E ; cf. IX 875 BC.133. Ibid. IX 875 CD.

LE SOCRATE DE PLATON 129

compte, quand on veut faire œuvre concrète, de toute la distance qui sépare l’humaine nature de l’idéal. Ainsi s'explique le type d’éducation qu’il préconise, fondé sur une appréciation réaliste de l’âme humaine, mais soucieux de rappeler la référence à l’idéal.

D. C o n c l u s io n

De cette étude sur la présence ou l’absence d’entraînement dans la morale socratique, il ressort que, selon toute vraisem­blance, le Socrate historique professait un intellectualisme strict dans lequel la notion d 'askèsis n’avait pas de place. En effet, quand la connaissance de soi est considérée comme l'unique facteur moral décisif et quand l’ignorance seule peut être à l’ori­gine de l’action mauvaise, un entraînement quel qu’il soit en vue d’acquérir la vertu n’a pas de sens. C’est ainsi que Socrate ignore l’entraînement physique à finalité morale qui sera préconisé par les Cyniques, qu’il ne reconnaît pas à l’entraînement intellectuel de type sophistique, visant à acquérir une habileté technique, la valeur morale que veulent lui conférer les sophistes, et que l’idée qui, par exemple, sera développée par Aristote134, selon laquelle, à force de s'habituer à poser des actes vertueux on devient ver­tueux, lui est étrangère.

On peut aisément rendre compte de certaines données qui apparemment contredisent cette conclusion générale135. Nous avons tout d’abord remarqué que la tradition littéraire offrait de

134. Dans YÉthique à Nicomaque I I 1, 1103 a 14-18, A r is to te rappelle que la vertu morale n’est pas un don de nature, mais qu’elle est le fruit de l ’habitude (έξ ϊθους) et il développe ainsi cette conception : « En accomplissant ce qui a trait aux contrats avec autrui, ceux-ci deviennent justes et ceux-là injustes ; en agissant face au danger et en s’habituant à avoir peur ou à faire preuve d’audace, tels deviennent courageux et tels autres lâches. D e même encore dans le domaine des convoitises et des mouvements de colère : on devient tempérant et placide ou, au contraire, intempérant et coléreux selon qu’on s’y comporte. Nous pouvons donc résumer d ’un mot : les états habituels du caractère sont le résultat d ’activités qui leur sont semblables» (Ibid. 1103 b 13-21 ; trad. R.-A. Gauthier et J.-Y. Jolif). D ’autre part, en IX 9, 1170 a 11, A r is to te fait allusion à un passage de Théognis où il est question d’ « entraînement à la vertu» : «Peut-être aussi s’entraîne-t-on en quelque sorte à la vertu en vivant dans l ’intimité des gens de bien (γίνοιτο δ’ αν κα ί ασκησίς τις της άρετης εκ τοϋ συζην τοΐς άγαθοΐς), selon

le mot classique de Théognis ». Dans leur commentaire de ce passage, G a u th ie r et J o l i f (UÈthique à Nicomaque. Introduction, traduction et commentaire, coll. « Aris­tote. Traductions et études », Louvain-Paris, 1970, t. I I 2, p. 755) voient là une réminiscence probable de X é n o p h o n , Mémorables I 2, 20 où se trouve évoqué le même passage de Théognis.

135. Cf. pp. 106-113 ; 116-118.

5

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130 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

Socrate le portrait d’un homme qui ne répugnait pas à s'adonner à des exercices physiques comme la danse. Fallait-il voir là le signe d’une faille dans son intellectualisme ? Comme Socrate nulle part dans les dialogues de la première période n’invite à des exercices de ce type en vue de la santé de l’âme, nous avons conclu que cet entraînement physique ne relevait pas chez lui d’une préoccupation morale immédiate, mais qu’il était dû au souci d’hygiène, de santé et d’équilibre corporel partagé par bon nombre d’Athéniens de l’époque. Socrate accorde au corps un minimum de soins, dans les limites du bon sens, qui à la fois assurent sa santé et n'entravent pas les seuls soins importants, ceux dus à l’âme.

Nous avons encore signalé un certain nombre de passages où la présence du verbe askein pouvait donner à penser que Socrate avait recours à l’entraînement dans sa façon de concevoir l'acqui­sition de la vertu. En fait il pouvait s'agir autant de pratique de la vertu que d’entraînement à celle-ci, le contexte ne permettant pas de choisir avec certitude une solution plutôt que l'autre. L’absence, par ailleurs, de données plus explicites concernant un éventuel entraînement à la vertu nous a personnellement convaincue que ce qui est évoqué au travers de ces expressions, c’est la pratique de la vertu, une pratique bien concrète qui fait que l'intellectualisme socratique n’a rien d’une morale théorique. Au moment où le langage achoppe, où le dialogue aboutit à une impasse, la pratique de la vertu devient nécessaire. Quand l’exer­cice de définition a échoué, quand la nature de la vertu refuse de se laisser formuler, que dit Socrate sinon : vivez la vertu ? L’homme socratique est condamné à pratiquer une vertu qu’il cherche inlassablement à cerner dans les mots, mais en vain. P. Hadot a très bien mis en lumière la façon dont la vie prend chez Socrate le relais d’un langage déficient :

Socrate, il est vrai, est un passionné de la parole et du dialogue. Mais c’est qu’il veut tout aussi passionnément montrer les limites du langage. On ne comprendra jamais la justice si on ne la vit pas. Comme toute réalité authentique, la justice est indéfinissable. C’est précisément ce que Socrate veut faire comprendre à son interlocuteur pour l’inviter à « vivre » la justice. La mise en question du discours mène en fait à une mise en question de l’individu qui doit décider, si, oui ou non, il prendra la résolution de vivre selon la conscience et la raison136.

1 3 6 . Exercices spirituels, p. 9 1 .

LE SOCRATE D’ARISTOTE 131

III. LE SOCRATE D’ARISTOTE

La présentation qu’Aristote et l’auteur des Magna Moralia donnent de Socrate confirme sur un point essentiel, l’intellec­tualisme, les données platoniciennes. Mais l’exposé des convic­tions socratiques est accompagné chez ces auteurs d'une critique de certains aspects précisément de cet intellectualisme socra­tique, tel du moins qu’ils l’ont perçu.

Le principe de base selon lequel rien n ’est plus fort que la phronèsis137 demeure valable. L’élément rationnel représente en effet la seule force effective dans l’homme. Toutes les vertus sont des sciences 138. Ainsi on dira qu’est juste celui qui sait ce qu’est la justice et qu’est courageux celui qui sait ce qu’est le courage. Et, toujours comme chez Platon, nul ne peut choisir le mal volontairement139.

Mais Aristote tire des conclusions que Socrate, du moins chez Platon, ne tirait pas. Il conclut par exemple que si l’homme ne peut choisir volontairement le mal et que si c’est la connaissance qui de façon absolue détermine ses choix, il n’est point respon­sable de ses actes, conséquence qu’il s’empresse de critiquer :

C’est alléguer une excuse indéfendable que de prétendre que celui qui commet une injustice ne souhaite pas être injuste, ou que celui qui commet une faute d’intempérance ne souhaite pas être intem pérant140.

Pour donner du poids à sa critique, Aristote fait appel à l’expérience :

Il est parfaitement évident que cette théorie [selon laquelle nul n ’agit à l’encontre du meilleur autrement que par ignorance] est en contradiction avec l’expérience141.Voilà donc Socrate devenu déterministe.

137. V oir Éthique à Eudème V III 1, 7 ; 1246 b 34.138. V oir Éthique à Nicomaque V I 13 ; 1144^29-30; III 8 ; 1116 b 4-5 ;

Éthique à Eud'eme I 5, 15 ; 1216 b 6 ; Magna Moralia I 1, 7 ; 1182 a 16-17.139. V oir Éthique à Nicomaque V II 2 ; 1145 b 25-27 ; Magna Moralia II 6, 2 ;

1200 b 25-27.140. Éthique à Nicomaque I II 5 ; 1114311-12; trad. R.-A. G authier et

J.-Y . Jolif.141. Ibid. V II 2 ; 1145 b 27-28.

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132 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

L’auteur des Magna moralia reprend à son compte cette cri­tique qui fait de l'homme un irresponsable, en prétendant que si l’on n’est point vicieux volontairement, on ne saurait être ver­tueux volontairement142. Poussant alors dans ses conséquences les plus extrêmes l’intellectualisme socratique, cet auteur, comme Aristote143, affirme que pour Socrate l’incontinence n’existe pas, puisque rien ne saurait prendre le dessus sur la science et la mettre en esclavage :

Socrate l’Ancien supprimait complètement l’incontinence ; il affirmait que celle-ci n’existe pas, disant que personne ne saurait choisir le mal, tout en sachant que c'est le mal. Pourtant, c’est tout en sachant que c’est le mal que l’incon­tinent, poussé par la passion, paraît choisir le mal. De la sorte, il concluait que l’incontinence n’existe, pas, ceci à tort. Ceux qui font confiance à ce raisonnement suppriment en effet de façon étonnante ce qui se produit selon toute vraisemblance. Les hommes de fait sont incontinents, et quand bien même ils connaissent le mal, ils le fo n t144.

Ce n'est pas le lieu ici d’étudier si Aristote et l’auteur des Magna Moralia ont interprété correctement ou de façon erronée la pensée de Socrate. Cette question d’ailleurs a suscité le désac­cord chez les savants145. Mais ce qui nous importe, c’est de constater que la notion même d’entraînement à la maîtrise de soi et à la tempérance n’a aucun sens dans la présentation aris­totélicienne de la pensée socratique, dès l’instant où l’inconti­nence n’existe pas. Le Socrate que l’on découvre dans ces textes a poussé l’intellectualisme à son paroxysme. On a même parfois le sentiment d’être en face d’une caricature du Socrate véritable,

142. Cf. Magna Moralia X 9, 7 ; 1187 a 7.143. Éthique à Nicomaque V II 2 ; 1145 b 25-26.144. Magna Moralia I I 6, 2 ; 1200 b 25-33.145. K . Jo ë l, par exemple, dans Der echte und der Xenophontische Sokrates,

t. I, Berlin, 1893, p. 256, fournit une explication qui renforce l’interprétation déterministe qu’Aristote donne de Socrate : « Parce qu’aucun combat intérieur ne troublait l’unité de cette âme vouée à la pensée, parce que le mal ne trouvait même pas d ’écho dans cette poitrine, pour cette raison Socrate niait la puissance du πάθος, ainsi que Γάκρασία, et la volonté de faire le bien était pour lui un phénomène évident, naturel ». W. K . C. G u t h r ie , op. cit., t. III , pp. 459-462, y est opposé. De même M. J. O ’B r ie n , The Socratic Paradoxes and the Greek Mind p. 207, qui parle cette fois de Platon : <( Quelles que soient les implications apparentes de la doctrine platonicienne, P laton n ’est pas explicitement un déter­ministe : il ne parle pas de l’hom m e comm e d’une victime sans ressources de forces qui échappent à son contrôle. L ’hom m e est une victime, mais qui n’estpas sans ressources ».

LE SOCRATE D’ARISTOTE 133

d'autant que l’on ne dispose plus ici, comme c’était le cas dans les dialogues platoniciens, du témoignage de la personnalité de Socrate engagé dans une conversation vivante avec un inter­locuteur. L’intellectualisme socratique se trouve réduit à des théories dont aucune expérience existentielle ne vient tempérer la sécheresse. Quand Aristote reproche à Socrate d’inviter les autres à définir la vertu plutôt que de leur m ontrer comment on devient vertueux, le lecteur de Platon a le sentiment d’assister à une mauvaise querelle, conscient qu’il est que connaissance et vie vertueuse étaient indissolublement liées chez le protagoniste des dialogues.

Socrate l’Ancien croyait que la fin, c’est de connaître la vertu, et il s’appliquait à rechercher ce qu’est la justice, le courage et chacune des parties de la vertu. Il agissait ainsi à juste titre, car il croyait que toutes les vertus sont des sciences, de sorte que c'est simultanément que l'on connaît la justice et que l'on est juste. En effet, lorsque nous connais­sons la géométrie et l’architecture, nous sommes architectes et géomètres. Aussi cherchait-il ce qu’est la vertu, et non comment elle se produit et à quelles conditions... Pour la vertu cependant, le plus valable, ce n’est pas de savoir ce qu’elle est, mais de connaître dans quelles conditions elle existe. De fait, nous ne voulons pas savoir ce qu'est le cou­rage, mais être courageux, ni ce qu'est la justice, mais être justes, de même que nous préférons être en bonne santé plutôt que savoir ce qu'est la bonne santé et nous bien por­ter plutôt que de savoir ce qu’est se bien p o rte r146.

Avec Platon et Aristote, nous avons découvert un Socrate avant tout intellectualiste pour lequel l’action droite n'a de valeur que si elle découle d’un savoir. Toute l’exhortation morale se réduit alors au seul et unique principe du « connais-toi toi- même ». Axec Xénophon et ses Mémorables, la perspective radi­calement change. L’intellectualisme est battu en brèche.

146. Éthique à Éudime I 5, 15-18 ; 1216 b 2-25.

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134 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

IV. LE SOCRATE DE XÉNOPHON

Dans les Mémorables, la connaissance ne suffit plus à assurer la vertu. Faut-il voir là une influence de Xénophon lui-même, caractère avant tout pragmatique, soucieux d’une morale de l’action, ou découvrons-nous chez cet auteur le Socrate véritable dont l’hyperintellectualisme platonicien se serait plu à masquer la personnalité authentique ? La question reste et restera sans réponse ; si certains critiques, tel K. Joël, affirment que le por­trait de Socrate tracé par Xénophon tient du roman, ils ne nous donnent pas les arguments susceptibles de rendre leur thèse incontestable. Tout au plus pouvons-nous prendre le parti de considérer comme authentiques les traits qui persistent d’un auteur à l’autre.

L’intellectualisme tout d’abord. Le Socrate de Xénophon affirme lui aussi clairement que la vertu est connaissance et que, par conséquent, nul ne fait le mal volontairement.

Socrate ne faisait pas de distinction entre sagesse et tempérance, mais si un homme connaissait et pratiquait le beau et le bien, savait et évitait ce qui est mal, il le jugeait à la fois sage et tempérant... Il disait aussi que la justice, de même que toutes les autres vertus, est sagesse. En effet, toutes les actions justes qui sont accomplies par vertu sont belles et bonnes. Ceux qui connaissent le beau et le bien ne sauraient choisir autre chose et ceux qui les ignorent ne peuvent les accomplir ; s’ils essaient, ils faillissent. Ainsi, le beau et le bon, ce sont les sages qui l’accomplissent, tandis que les non-sages ne le peuvent et que, s’ils essaient de les accomplir, ils faillissent. Par conséquent, puisque les actions justes et toutes les autres actions belles et bonnes sont accomplies par vertu, il est évident que la justice, de même que toutes les autres vertus, est sagesse147.

Quand il veut donner une définition correcte des hommes justes, Socrate dit que ce sont « ceux qui connaissent ce qui est juste concernant les hommes » 148 et quand il invite Euthydème à définir la sagesse, il le contraint à reconnaître que c’est une

147. Mémorables III 9,4-5.148. Ibid. IV 6, 6.

LE SOCRATE DE XÉNOPHON 135

science. A la question qu'il lui pose : « Est-ce que chacun est sage en cela qu’il sait ? (Ό άρα έπίστατοα έκαστος, τοϋτο κ<χ ί σοφός έστιν ; »)149, Euthydème ne peut que répondre affirmati­vement. Comme chez Platon encore, Socrate amène ses inter­locuteurs à tenter constamment de définir la ou les vertus :

Je vais essayer de dire comment il rendait ses disciples plus habiles dialecticiens. Socrate estimait, en effet, que ceux qui connaissent la nature de chaque chose peuvent l’expliquer aux autres. En revanche, rien d’étonnant, disait-il, à ce que ceux qui l’ignorent se trompent eux-mêmes et trompent les autres. Pour cette raison, il ne cessait jamais d’examiner avec ses disciples la nature de chaque chose150.

Mais si la vertu reste connaissance de soi, elle est en même temps clairement présentée comme une technè, qui, en tant que telle, suppose l’intervention des trois éléments nature, instruc­tion, exercice151.

Comme on lui demandait si le courage résulte de l’ensei­gnement ou de la nature, il dit : « Je crois que, tout comme un corps est par nature plus fort qu’un autre corps à l’égard des fatigues, de même une âme est par nature plus brave qu’une autre âme à l’égard des dangers. Je constate, en effet, que des gens élevés dans le cadre des mêmes lois et des mêmes coutumes diffèrent beaucoup les uns des autres par l’audace. Mais j ’estime que toute nature accroît son courage grâce à l’instruction et à l’exercice... Il est évident que tous les hommes, les plus naturellement doués comme les plus dégénérés, doivent apprendre et pratiquer (μανθάνειν κα ί μελετάν) ce en quoi ils veulent exceller » 152.

Le Socrate de Xénophon s’inscrit par conséquent dans la problématique développée par les sophistes au ν' siècle. L’entraî­nement comme tel joue un rôle de premier ordre dans l’acqui­sition de la vertu. Xénophon d’ailleurs reprend à son propre compte cette idée qui, selon lui, était soutenue par Socrate.

149. Ibid. IV 6, 7.150. Ibid. IV 6, 1.151. Cf. Gorgias 509 E . J o ë l insiste beaucoup sur le fait que l’idée d’entraî­

nem ent qui prend en compte l’irrationnel de l ’âme n ’a rien de socratique.152. Mémorables I I I 9, 1-3. Cf. ibid. II 6, 39 ; III 9, 14. O n trouvera un

tém oignage tardif, mais intéressant sur la trip le composante de l’éducation : φύσις, μώθησις, άσκησις chez P lu ta rq u e , De liberis educandis 4, 2 AB.

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136 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

Bien des prétendus philosophes153 pourraient peut-être dire que l’homme juste ne saurait jamais devenir injuste, ni l’homme tempérant insolent, et qu’en aucune matière qui s’enseigne, celui qui a appris ne saurait jamais devenir igno­rant. Quant à moi, sur ce point, je ne suis pas de cet avis. Je constate en effet que les gens qui n’exercent point leur corps sont incapables d’accomplir les œuvres du corps et que, de même, ceux qui n’exercent point leur âme sont incapables d’accomplir les œuvres de l’âme. Ils ne peuvent, en effet, ni faire ce qu’il faut ni éviter ce qu’il faut éviter. C’est pour cette raison que les pères, même si leurs fils sont tem­pérants, essaient de les détourner d’une compagnie perverse, estimant que la fréquentation des honnêtes gens est un entraînement à la vertu (άσκησιν τής άρετής) et celle des pervers une ruine pour la v ertu 154.

Le rôle dévolu par Xénophon lui-même à l’entraînement est si fondamental dans sa morale qu’il l’érige en condition indispen­sable pour l’acquisition du beau et du bon : « Tout ce qui est beau et bon me semble résulter d’une entraînement (άσκητά εΐνοα) et ceci est particulièrement vrai de la tempérance » 155. Cet entraînement prend diverses formes, tout d’abord celle de l’exercice intellectuel qui consistera par exemple à retenir des vers, des bons conseils, à s'exercer à la dialectique, mais aussi et surtout celle de l’entraînement à la maîtrise de soi et à la tem pérance156, sans lequel toute prétention à la vertu demeure­rait vaine.

On peut mieux mesurer alors toute la distance qui sépare le Socrate de Xénophon de celui de Platon. Certes, ils ont bien des points communs. Tous deux, ainsi que nous l’avons vu, exer­cent leur corps. Le Socrate de Xénophon ne néglige point sa san té 157 et, s’il rejette l’exercice corporel pratiqué comme fin en soi et visant l'acquisition de la seule force, autrement dit, s’il n ’a que faire des préoccupations de l’athlète158, il entraîne son corps en pratiquant très souvent la danse159. A ses yeux, se

153. I l s’agit là d’une critique d’A ntisthène qui affirmait qu’on ne saurait perdre la vertu une fois qu’on l’a acquise. V oir fr. 23 et 71 Caizzi.

154. Ibid. I 2, 19.155. Ibid. I 2 ,23 .156. Chez X énophon, c’est Yenkrateia qui, accompagnée de la karteria et

de 1 ’autarkeia, réalise en l’hom me la sôpbrosune.157. Cf. Mémorables I 2, 4-5 ; I 3, 5-6 ; I 6, 7.158. Cf. Banquet II 17.159. Cf. Banquet I I 16-20 ; de même dans D .L . I I 32 e t 39.

LE SOCRATE DE XÉNOPHON 137

consacrer uniquement aux exercices de l ’esprit serait une erreur. La sômaskia se révèle indispensable dans la vie du sage 16°. A un de ses disciples qui, physiquement, manquait de vigueur, Socrate rappelle que

le corps est utile pour tout ce que font les hommes. Dans tous les usages où nous l’employons, il importe beau­coup d’avoir le corps dans la meilleure forme possible. Mais même là où tu crois en avoir le moins besoin, c'est-à-dire dans l'acte de penser, qui ignore que beaucoup de gens commettent de graves fautes parce que leur corps n ’est pas en santé ? Oubli, découragement, mauvaise humeur, folie, assaillent souvent l'esprit de bien des gens à cause de leur mauvais état physique, à tel point qu’ils en chassent même les connaissanceslél.

Dans les Mémorables aussi bien que chez Platon, Socrate est perçu comme un modèle de maîtrise de soi, comme un exemple pour ceux qui l’entourent, car son enkrateia se traduit dans les actes. Après avoir rapporté des propos du philosophe qui fai­saient l’éloge de Yenkrateia, Xénophon conclut :

Telles étaient ses paroles ; mais il se montrait encore plus maître de lui-même par ses actes que par ses discours. De fait, non seulement il maîtrisait les plaisirs corporels, mais encore le plaisir que procure l’argent, car il estimait que si l’on reçoit de l’argent de quiconque, on se donne un maître et on se rend esclave de la plus honteuse servitude162.

Cette maîtrise de soi retentissait évidemment sur sa façon de vivre concrète, qui d’ailleurs n’était pas perçue par tous à sa juste valeur. Aux yeux d'un sophiste comme Antiphon par exemple, une telle existence ne présentait rien d’enviable. Voici, en effet, les propos que le sophiste lui adresse sur un ton de reproche :

Tu vis de telle sorte qu’aucun esclave soumis par son

160. Cf. D .L. II 22.161. Mémorables I I I 12, 5-6.162. Ibid. I 5, 6 ; c f I 2, 1 : « D ’abord, de tous les hommes, c’est lui qui

m aîtrisait au plus haut point les plaisirs et le ventre ; ensuite c’est lui qui était le plus endurant à l’égard de l’hiver, de l’été, et de toutes les souffrances » ; I 2, 3 : « jamais il ne fit profession d ’être un maître en cette matière (à savoir devenir hom me de bien), mais du fait qu’il était tel de façon éclatante, il faisait espérer à ses disciples que, s’ils l’imitaient, ils deviendraient tels ».

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138 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

maître à pareil régime ne demeurerait chez lui. Tu te nour­ris des aliments les plus vils et tu bois les boissons les plus viles. Le manteau que tu portes non seulement est de mau­vaise qualité, mais c’est le même, été comme hiver ; tu continues d’aller sans chaussures ni tunique. En plus, tu n’acceptes pas d'argent, cet argent qui réjouit ceux qui l’acquièrent et qui rend la vie plus libre et plus agréable à ceux qui le possèdent163.

Mais, et c’est là que le Socrate de Xénophon se sépare de celui de Platon, il proclame nettement et fortement que 1 ’enkra- teia est le fondement de la vertu. Cette exigence de maîtrise de soi devient une des lignes de force de son enseignement moral. En procédant de la sorte, il prend en compte l’irrationnel de l'âme, ce que ne faisait pas le Socrate platonicien ou aristo­télicien164, et renonce ainsi à son intellectualisme rigoureux. Il ne suffit plus de savoir pour être vertueux.

Ne faut-il pas que tout homme estime que la maîtrise de soi est le fondement de la vertu et commence par l’établir fermement dans son âme ? Car sans elle, qui pourrait apprendre quelque chose de bien ou s’y exercer comme il convient ? ou quel homme, esclave des plaisirs, pourrait ne pas m ettre son corps et son âme dans des dispositions honteuses ? 165

L’exercice envisagé n’est point seulement de nature intellec­tuelle ou spirituelle, il fait intervenir aussi le corps. Socrate exhorte en effet ses disciples à « s’entraîner à la maîtrise de soi (άσκεΐν εγκράτειαν), en matière de nourriture, de boisson, de sexualité, de sommeil, de froid, de chaud et de souffrance166. L’abandon de l'intellectualisme se trouve dès lors consommé, puisque la vertu-connaissance ne saurait prétendre se réaliser sans Venkrateia ; celle-ci par conséquent est devenue une condi­tion sine qua non de l’acquisition de la vertu. Mais curieusement,

163. Mémorables I 6, 2-3.164. D ans un passage des Magna Moralial i , 7 ; 1182 a 20-26, i l est d it claire­

m ent que Socrate ne prenait pas en com pte l’irrationnel de l’âme : « E n faisant des vertus des branches de la connaissance, Socrate éliminait la partie irrationnelle de l’âme, et avec elle l’ém otion et le caractère moral. A insi son traitem ent de la vertu était, sous cet aspect, erroné. Après lui, Platon, assez justem ent, divisa l ’âme en une partie rationnelle et une partie irrationnelle, et i l attribua à chacune les vertus qui lui convenaient ».

165. Mémorables I 5,4-5.166. Mémorables I I 1, 1.

LE SOCRATE DE XÉNOPHON 139

ce qui chez Platon eût été impensable s’impose sans dificulté chez Xénophon, comme si chez cet auteur l’intellectualisme avait perdu de sa stricte rigueur, mais avait gagné en authenticité. L’akrasia est considérée ici bel et bien comme un obstacle à la sagesse167 et l’homme akratès se voit condamné à ne différer en rien de la bête sauvage la plus stupide. « Seuls les gens maîtres d’eux-mêmes peuvent considérer celles des choses qui sont les plus importantes, les classer par genres et, en paroles comme en actes, choisir les bonnes et s'abstenir des mauvaises » 168. Nous faisons nôtre cette conclusion de Guthrie : « Ici les notions de self-control moral et d’acquisition de la connaissance sont mises en rapport d’une façon qui ne comporte pas de contradic­tion... Un certain degré de discipline morale est une condition indispensable à toute connaissance » 169.

On se doute que dans la perspective adoptée par le Socrate de Xénophon, les ponoi, en tant qu’efforts volontairement assu­més, jouent un rôle important. Ce sont eux qui conduisent à Venkrateia et donc à la vertu.

Celui qui peine volontairement se réjouit de ses efforts, car il a l’espoir du succès, de même que les chasseurs sup­portent avec joie la fatigue, car ils ont l’espoir de prendre du gibier... L’indolence et les plaisirs du moment ne sont point propres à susciter une bonne forme corporelle, ainsi que l’affirment les gymnastes, ni à mettre dans l’âme aucune science de valeur ; en revanche, les efforts d’endurance font parvenir aux actes beaux et bons, ainsi que l’affirment les hommes de b ien 170.

Dans l’apologue de Prodicos rapporté par Xénophon, Héra­clès, à la croisée des chemins, entend la Vertu lui faire l’éloge du ponos : « De toutes les choses bonnes et belles, les dieux n’en donnent aucune aux hommes sans effort ni peine (άνευ πόνου κοά έπιμελείας) ». Un des exemples qu’elle choisit, celui du corps, illustre au mieux la nécessité de cet entraînement : « Si tu veux la force corporelle, il te faut accoutumer ton corps à obéir à ton esprit et t ’exercer au prix d’efforts et de sueur » 171. L ’askèsis et son lot de ponoi ont acquis ainsi droit de cité au cœur de la pratique morale et occupent une place aussi importante que

167. Cf. Mémorables IV 5, 6.168. Ibid. IV 5, 11.169. Op. cit., t. III, p. 456.170. Mémorables I I 1, 18. 20.171. Ibid. II 1,28.

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140 LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

l’intellectualisme dans la définition et la mise en œuvre de la vertu.

Cette conception de Xénophon s’oppose, du moins dans son fondement, à l’idée d’Antisthène selon laquelle la vertu une fois acquise ne saurait être perdue. C’est précisément parce qu’il croit qu’un homme peut être sage à un moment donné et ne plus l’être ensuite que l’auteur des Mémorables insiste tant sur la nécessité de s’entraîner aux vertus, notamment à la tempé­rance 172 et sur le rôle que peut jouer l’exemple. Socrate est un maître qui fait progresser ses disciples à la fois par son exemple et par son enseignement.

Comment il rendait ses disciples plus forts, c’est ce que je vais dire maintenant. En effet, comme il estimait que la maîtrise de soi est un bien pour celui qui veut poser une action moralement belle, en premier lieu il offrait lui-même à ses disciples le modèle d’un homme qui s’y exerçait mieux que tous les hommes ; ensuite, par ses conversations, il exhortait ses disciples à pratiquer plus que toute chose la maîtrise de so i173.

Partant du principe selon lequel l’autarcie du logos ne peut exister chez l’homme concret si le terrain est miné par les pas­sions, le Socrate de Xénophon a donc réussi ce tour de force de faire de la maîtrise de soi la condition du savoir. Quant à affirmer que c’est chez Platon qu’on rencontre le Socrate authentique, et non chez Xénophon, ou l'inverse, rien ne nous y autorise. Les deux disciples ont perçu leur maître chacun selon sa propre per­sonnalité ; l’un a pu exagérer l’intellectualisme, l’autre le côté application pratique. Tous deux s’accordent en tout cas et pour faire de Socrate un modèle d’enkrateia, et pour témoigner de ce que la vertu socratique est connaissance. Mais seul le Socrate de Xénophon a fait de Vaskèsis corporelle la condition de l’enkrateia et de l’enkrateia une condition indispensable de la vertu. Il ne faut donc point tenter de minimiser la différence de perspective.

172. Cf. Mémorables I 2,23-39. X énophon, pour contredire la théorie d ’Antisthène, allègue les exemples de Critias et d’Alcibiade qui, après avoir fréquenté Socrate, se sont conduits d’une manière déplorable.

173. Ibid. IV 5, 1.

CHAPITRE II

LE CYNISME

I. — ANTISTHÈNE

Le fait que nous abordions maintenant seulement Antisthène n’exclut pas qu’il ait pu dans une certaine mesure du moins influencer un auteur comme Xénophon *. Ce dernier, nous l’avons vu, reproche à Antisthène de croire que la vertu ne peut être perdue2 et au caractère inébranlable de la vertu antisthénienne il oppose sa morale de l’entraînement. Pour Antisthène en effet la vertu, une fois acquise, n’a plus besoin de Vaskèsis, puis­qu’elle ne peut être perdue. En revanche, on peut se demander si, pour l’acquérir, Antisthène prévoit ou non une forme d’entraî­nement. En d'autres termes, comment se situe-t-il face à l’intellec­tualisme socratique ?

On ne saurait nier que ce disciple de Socrate, qui passe pour le fondateur du cynisme3, qui, en tout cas, semble avoir direc­tement ou indirectement influencé Diogène, ait voulu maintenir l’intellectualisme de son maître. Quelques témoignages soulignent par exemple que la seule sécurité à laquelle l’homme peut pré­tendre repose sur la vertu de son âme, laquelle dépend de la soli­dité des raisonnements qu’il construit.

1. K. J o ë l par exemple, op. cit., t. I, p. 25, pense qu ’au départ Xénophon prônait le seul exercice physique et que c ’est sous l’influence d ’Àntisthène qu ’il se serait tourné vers l’exercice de la vertu.

2. D .L. V I 105 = fr. 23 Caizzi.3. Sur la responsabilité d’Antisthène dans la fondation du cynisme, question

qui a divisé et continuera de diviser les savants, voir par exemple D u d l ey , A History o f Cynicism, ch. 1 : « Antisthenes. N o direct connexion w ith Cynics. H is ethics », pp. 1-16.

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142 LE CYNISME

Le rempart le plus sûr, c’est la sagesse ; en effet elle ne s’effondre pas et ne se laisse pas livrer par trahison. Il faut construire des remparts dans ses propres raisonnements ren­dus inexpugnables4.

Les remparts des cités sont chancelants face au traître qui est à l'intérieur ; en revanche les remparts de l'âme sont inébranlables et infrangibles5.

La vertu est une arme imprenable6.

Tout comme la sécurité de l’homme réside dans son attitude intérieure, sa richesse véritable ne peut être que dans son âme, non dans les biens qu’il possède7, et la fin de la vie consiste à vivre selon la vertu8. En soutenant ces principes, Antisthène a inscrit sa réflexion morale dans le cadre de la pensée socratique. L’excellence personnelle n’entretient plus aucun rapport avec les origines sociales. Seul celui qui est vertueux peut être dit « bien né »9. Tous les hommes par conséquent sont, au départ, à même de progresser en direction de la vertu, puisque tous participent du même logos et peuvent acquérir du nous10. On lui prête cette sentence impitoyable : « Il faut acquérir de l’esprit (nous) ou une corde » n.

Antisthène amorce déjà une distinction qui deviendra essen­tielle aux yeux de Diogène, entre les sages d’une part, les insensés de l’au tre12. Mais que préconise-t-il pour passer de la folie à la

4. D io c l è s d e M a g n é s ie dans D .L. V I 13 = fr. 63 et fr. 88 Caizzi.5. E p ip h a n e , Adv. haer. I II 26 = fr. 90 Caizzi.6. D io c l è s d e M a g n é s ie dans D .L . V I 12 = fr. 71 Caizzi.7. Cf. X é n o p h o n , Banquet IV 34 = fr. 117 Caizzi : « J ’estime, mes amis, que

ce n ’est pas dans leur maison que les hommes ont de la richesse ou de la pauvreté, mais bien dans leurs âmes ».

8. Cf. D .L. V I 104 = fr. 22 Caizzi.9. Cf. D .L. V I 11 = fr. 69 Caizzi : « Ceux-là sont bien nés qui sont ver­

tueux ». O n se souviendra qu’Antisthène était à Athènes un nothos parce que sa mère était Thrace. V oir D .L. V I 1.

10. C’est à cette idée que l’on peut rattacher l’affirmation selon laquelle à l’homme et à la femme appartient la même vertu (cf. D .L. V I 12 = fr. 72 Caizzi). Le logos n ’a que faire de la barrière des sexes, de celle des conditions sociales ou des frontières géographiques.

11. Chrysippe ( S V F I II 167) dans P l u t a r q u e , De Stoic. repugn. 14, 1039 E = fr. 67 Caizzi. Un m ot similaire est attribué à Diogène par D .L. V I 24 (voir aussi la lettre pseudépigraphe 28, 6 ; p. 243 Hercher) et à Cratès dans le Gnomologium Vaticanum 386 ; p. 146 Sternbach.

12. Sur l’hom m e saisi de folie, voir St o b é e II 2, 15 ; t. II, p. 23, 3-6 Wachs­m uth = fr. 65 Caizzi ; ibid., III, 14, 19 ; t. III , p. 474, 10-13 Hense = fr. 89 Caizzi,où il est dit que les courtisanes souhaitent tous les biens à ceux qu’elles aiment,sauf le nous et la phron'esis, et qu’il en est de même pour les flatteurs à l’égard desgens qu’ils fréquentent. V oir aussi D .L. V I 6 = fr. 186 Caizzi.

ANTISTHÈNE 143

sagesse, c’est-à-dire pour acquérir la vertu ? L'insensé doit rece­voir un enseignement, car la vertu s’enseigne13. De quel ensei­gnement s'agit-il ? Il est probable qu’Antisthène faisait intervenir des acquisitions théoriques relevant de la logique14 et de la physique15. Mais l’essentiel pour lui était certainement ailleurs, si l'on en juge par les témoignages suivants. L'ignorance de l’insensé en effet n'a rien à voir avec une incompétence dans les matières que pouvaient enseigner la paideia traditionnelle ou la paideia sophistique. Son ignorance porte par exemple sur la notion de plaisir. Sont vaincus, dit Antisthène, « ceux qui sont tout particulièrement ignorants parce qu’ils méconnaissent la nature du plaisir, dont il ne faut pas s'approcher»16. Elle porte également sur la notion de mal, de peine. «A celui qui lui demande ce qu'il faut faire pour devenir un homme de bien, il répond : ' Apprendre de ceux qui le savent que tu peux fuir les maux qui t'accablent ' » 17. C’est donc parce que l’homme n’a pas une connaissance, fondée sur un jugement raisonnable, de ce que sont le plaisir et la peine, qu'il ne parvient pas à la vertu. Comme chez Socrate la question du bien et du mal est liée pour l’homme au jugement qu'il porte sur le caractère bon ou mauvais des actes et des choses.

Mais par quel cheminement acquérir la connaissance néces­saire ? Cyrus, héros typiquement antisthénien, apporte une pre­mière réponse : « La connaissance la plus nécessaire est celle qui consiste à désapprendre le mal » IS. A première vue un peu étrange, cette affirmation se comprend bien dans la perspective cynique. Avant même de pouvoir se tourner vers la vertu, l'homme doit nécessairement faire table rase des fausses idées sur le bien et le mal que la société, avec son lot de coutumes

13. Cf. D .L. V I 105 = fr. 23 Caizzi ; V I 10 = f r . 69 Caizzi. V oir aussi ce passage du Π ε ρ ί π α ιδ ε ία ς ή π ε ρ ί ο ν ο μ ά τ ω ν , cité par É p i c t è t e I 17, 10 (fr. 38 Caizzi) : « L ’examen des termes est le principe de l’éducation ».

14. C’est un fait qu’Antisthène a écrit des traités que nous rattacherions à la logique. V oir les fragm ents 44 A à 50 C dans Caizzi.

15. Il écrivit aussi un livre intitulé Physique (cf. 39 A -40D Caizzi).16. C l é m e n t d ’A l e x a n d r ie , Stromate II 20, 107, 3 = fr. 109 A Caizzi. A u

plaisir qu’il faut fuir, Antisthène oppose le plaisir dont on ne se repent pas, lequel e s t un bien (A t h é n é e , Deipnosophistes X II, 513 A = fr. 110 Caizzi). Ce plaisir recommandé par Antisthène fait suite aux ponoi, au lieu de les précéder (S to b é e III29, 65 ; t. III, p. 640, 5-7 Hense = fr. 113 Caizzi).

17. P h a in ia s dans son ouvrage Sur les Socratiques, cité par D .L. V I 8 = fr. 17s Caizzi.

18. St o b é e I I 31, 34 ; t. II, p. 207, 22-23 W achsmuth = fr. 21 B. O n ren­contre chez P h il o n , De migratione Abrahami, deux formules qui rappellent celle d ’Antisthène : ά π ο μ α θ ε ΐν ά μ α θ ία ν (§ 149), « désapprendre son ignorance », et ά π ο μ α θ ε ΐν τ ά π ά θ η (§ 1 5 1), « désapprendre les passions ».

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144 LE CYNISME

et de conventions, lui a inculquées. S’il n’accepte pas cette pre­mière étape de nature négative, il ne pourra accéder à une forme de connaissance positive. Une seconde définition, rapportée par Diogène Laërce 19, vient compléter la précédente : « Comme on lui demandait quelle est la plus indispensable des connais­sances, il répondit : ' celle qui supprime le fait de désapprendre ' (το περιοαρεΐν το άπομανθάνειν) ». Sur le contenu réel de cette connaissance positive, nous manquons de témoignages. Il en est un cependant, tiré selon toute vraisemblance d’une des pièces d’Antisthène intitulées Héraclès. Prométhée dit à Héraclès :

Vilissimus est labor tuus, quod res humanae tibi sunt curae, sed tamen curam eius, quod iis maioris momenti est, deseruisti. Perfectus enim vir non eris, priusquam ea, quae hominibus sublimiora sunt, didiceris. Si ista disces, tunc humana quoque disces ; sin autem humana tantum didiceris, tu tamquam animal brutum errab is20.

Connaître ce qui est plus haut que l’homme, tel est donc l’apanage de l’homme accompli. Un passage de Dion Chrysostome, que nous avons déjà évoqué et sur lequel nous reviendrons à propos de Diogène21, permet d’éclairer ces formules un peu mystérieuses avec lesquelles Prométhée dépeint à Héraclès l’édu­cation idéale. On y verra que l’éducation des « fils de Zeus » est fondée sur la virilité et la grandeur d’âme, par opposition à la paideia humaine ordinaire qui s’appuie sur l’étude.

Malgré l’état lacunaire de notre documentation, nous sommes déjà en mesure de tirer quelques conclusions. Pour Antisthène, comme pour Socrate, l’acquisition de la vertu passe par l’acquisi­tion d'une connaissance, plus précisément de la connaissance de ce qu’est le bien et de ce qu’est le m al22. La voie qui aboutit à cette connaissance impose à l'homme de se dégager des fausses valeurs transmises par la société ; ensuite seulement il pourra

19. D .L. V I 7 = fr. 174 Caizzi.20. T h é m is t iu s , De virtute, fol. 31 b de la version syriaque ; p. 43 Mach =

fr. 27 Caizzi.21. D io n C h r y so st o m e , Discours IV sur la royauté, 27-35. V oir p. 48, n. 107

et p . 153.22. Cf. D io c l è s d e M a g n é s ie dans D .L. V I 12 = fr. 73 Caizzi : « Le bien

est beau, le mal est laid. Les perversités, considère-les toutes comme étrangères à toi-même ». O n trouve un autre tém oignage sur le contenu de cette connaissance selon Antisthène dans la Lettre pseudépigraphe 28, 8 (p. 243 Hercher) de D io ­g è n e , où il est dit qu’Antisthène évitait de s’entretenir avec « ceux qui ne connais­saient ni la nature, ni la raison, ni la vérité ».

ANTISTHÈNE 145

prétendre à une connaissance supérieure, du type de celle que recommande Prométhée à Héraclès.

Mais est-ce à dire que l’intellectualisme permet de caracté­riser à lui seul la morale antisthénienne ? Aucunement. Car il ne suffit pas, comme c’était le cas chez Socrate, de savoir ce qu’est le bien véritable pour être capable, aux yeux d’Antisthène, de l’accomplir. Or, ce qui lui importe avant tout, c’est l’accomplis­sement de l’acte moral : « La vertu relève des actes, elle n’a besoin ni de l’aide des longs discours, ni de celle des connais­sances »23. C’est justement parce que pour lui l’agir est fonda­mental qu'Antisthène, lorsqu’il évoque la vertu, parle de phro- nèsis, de sagesse pratique.

Celle-ci est fondée sur le logos, tel qu'il se manifeste à travers le nous de chaque individu, mais les jugements droits formulés par ce nous ne pourront se concrétiser dans des actes sans l’intervention d’une force, Vischus, que les Cyniques prêtaient tout particulièrement à Héraclès 24, ainsi qu’à Socrate : « La vertu suffit au bonheur ; elle n ’a besoin de rien de plus, si ce n ’est de la force socratique (Σωκρατικής ισχύ oc) »25. C’est ici que l’intellectualisme hérité de Socrate connaît une faille, moindre certes que celle relevée dans les Mémorables, mais une faille tout de même. Cette formule lapidaire exprime en effet toute l’ambiguïté de la position à laquelle s’est résolu Antisthène. La vertu de Socrate, sous-entendu la vertu-connais­sance, suffit théoriquement à assurer à l’homme le bonheur, mais Vischus propre au Socrate vivant et agissant, modèle pour tout son entourage, cette force à la fois physique et spirituelle qui fascina tous ses disciples, est nécessaire pour permettre à la vertu-connaissance d’être efficace, c’est-à-dire de se concrétiser dans des actes et d’assurer le bonheur. A coup sûr, jamais le

23. D .L. V I 11 = fr. 70 Caizzi. Les mathemata en cause dans ce fragment sont bien sûr les connaissances que propose la paideia traditionnelle. V oir égale­m ent Gnomologium Vaticanum 12 (p. 9 Sternbach) = fr. 86 Caizzi ; A n t is t h è n e , A ja x 7 = fr. 14 Caizzi.

24. Le fait que dans un titre (ou deux ?) d ’Antisthène soit m entionnée Vischus indique toute l ’importance que pouvait revêtir cette notion aux yeux du philo­sophe (D.L. V I 16 et 18). Cf. plus haut, p. 32, n. 51. Sur ce thème, voir K. J o ë l, op. cit., t. I I 1, Berlin, 1901, p. 107 : a A ntisthène a donné à la φρόνησις de Γίσχύς; c’était son idée fondamentale ; il voulait avant tou t laisser la conscience, sur laquelle Socrate avait mis l’accent, innerver la corporéité, la laisser se répandre dans les muscles en tant que force assurant la vigueur physique » ; p. 124 : « Γίσχύς est le principe concentré de l’éthique de la volonté ; elle englobe l’énergie de l’esprit et du corps, la force de Ι’έπιμέλεια et la force à l’égard du πόνος ».

25. D .L. V I 11 = fr. 70 Caizzi.

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146 LE CYNISME

Socrate de Platon n'aurait admis cette idée. Pour bien agir et être heureux, savoir ne suffit donc plus. Avec Antisthène, on assiste à l'émergence d’un vouloir, d’une force. L’autarcie du logos s’en trouve détruite. Dès l’instant où Yischus doit inter­venir à un moment de l’agir moral, il y a prise en compte de l’irrationnel et de ce fait se trouve brisée la cohérence d’un intellectualisme strict. La volonté, non pas le concept clairement défini de volonté, mais plutôt la réalité diffuse sous-jacente à un tel concept, fait son apparition dans la sphère morale.

Une fois que l’on a saisi comment Antisthène a en même temps maintenu et rompu l’intellectualisme de son maître, on perçoit davantage la portée de certaines affirmations posées par Diogène Laërce. De Socrate, dit-il, Antisthène a hérité l’endu­rance (to karterikon) et l’impassibilité (to apathès), ouvrant ainsi le premier la voie au cynisme26. Ici l'accent n'est point mis sur le côté intellectualiste de la vertu socratique, mais sur l'influence exercée par la personnalité de Socrate lui-même. De même, lorsque Diogène Laërce présente la succession antisthénienne, que met-il en évidence ? « Antisthène a ouvert la voie à l'impas­sibilité (apatheia) de Diogène, à la maîtrise de soi (enkrateia) de Cratès et à l’endurance (karteria) de Zénon, ayant défini lui- même les fondements de la cité »27. Les qualités évoquées sup­

26. D.L. V I 2 = fr. 128 A Caizzi. C f. C ic é r o n , De oratore III 17 = fr . 134 B C aizzi.

27. D .L . V I 15 = 135 B Caizzi. L a dernière partie de cette citatio n : αύτός ύποθέμενος τη π ό λ ε ι τ ά θ εμ έλια n ’est pas aisée à com prendre. A lo r s que les m anuscrits B et P offrent la leço n π ό λ ε ι, o n tro u v e dans F π ολιτεία ., ce q u i a am ené R e is k e (dans H . D ie l s , « R eisk ii A n im ad version es in Laertium D io g e ­nem », Hermes 24 [1889] 313), W il a m o w it z (De biographis graecis quaestiones selectae, c o ll . a P h ilo lo g isch e U ntersuchungen », 3, B erlin , 1880, p. 156), ainsi que A p e l t et H ic k s dans leurs éditions, à com prendre qu ’A n tisth ène avait posé les fondem ents de la Politeia de Z én o n . G ig a n t e , au tom e II de son édition de D io g è n e L aërce, p . 523, n . 26, a p rop osé d e co rrig er π ό λ ε ι en π ρ α γ μ α τ ε ία ; A ntisthène aurait a lors posé les fondem ents de la « doctrine ». N o u s vo ud rion s faire to u t d ’abord une rem arque sur le sens de ύποθέμενος. P lu tôt que « poser » o u « supposer », n o u s pensons qu e ce v erb e sign ifie « définir » e t q u e n otre passage apporte un tém oignage supplém entaire à G u t h r ie , t. III, p. 433, n. 2, qui a rassem blé plusieurs textes des Mémorables, de l’Euthyphron, du Ménon et du Phédon, o ù le v erb e a ce sens et o ù ύπ ό θεσις a ce lu i d e « défin ition ». Q u ’ il s’agisse de πόλε'., la cité en général, ou de π ο λ ιτεία , la cité en tant que régim e p olitiqu e, A n tisth ène a certainem ent défini dans l ’un ou l ’autre de ses ou vrages, que l’on so n g e par exem ple au Π ε ρ ί νόμου ή π ερ ί π ο λ ιτ ε ία ς , o u encore au Π ε ρ ί νόμ ου ή π ερ ί καλοϋ κ α ί δ ικα ίου , les bases d ’une cité idéale, du m oins de la cité que ses principes philosophiques l ’am enaient à envisager. O n peut supposer bien sûrqu e ces vues d ’A n tisth èn e o n t in flu en cé la Politeia d e D io g è n e et, d irectem ent ou indirectem ent, ce lle de Z én o n . D e u x tém oignages conservés (D .L . VI 6 =fr. 92 Caizzi et S to b é e III 1, 28 = fr. 93 Caizzi) nous perm ettent de su ggérerq u ’un e des bases d e cette c ité th éoriq ue d ev a it être Vhomonoia, la co n co rd e entrecitoyens.

ANTISTHÈNE 147

posent toutes les trois l’intervention de l’ischus. Ailleurs encore, Diogène Laërce, quand il établit un lien entre Antisthène et l’école stoïcienne, souligne qu’il faut chercher ce lien du côté de la virilité : « Antisthène semble même avoir donné l’impulsion à l’école stoïcienne qui est des plus viriles »28.

Comment Antisthène envisageait-il l’acquisition de cette ischus ? Si nous comprenons bien le témoignage de Diogène Laërce cité plus haut, Yischus étant constamment nécessaire pour rendre efficace la vertu-connaissance, qui, elle, ne peut être perdue, il convient de s’entraîner précisément pour acquérir cette ischus. Aussi ne s’étonnera-t-on pas de trouver dans les fragments conservés du philosophe des traces minimes certes, mais réelles attestant le besoin de s’entraîner. Xénophon, curieusement, en attaquant à mots couverts l’hyperintellectualisme du principe antisthénien selon lequel la vertu, une fois acquise, ne saurait se perdre, n’a pas pris en considération le contrepoids de Yischus et de l’entraînement qu’il suppose.

Comme nous l’avons déjà signalé dans la première partie de notre étude, Antisthène faisait du ponos, c’est-à-dire de la souf­france, un b ien 29 ; non qu’il ait vu dans la souffrance physique comme telle un bien — chez Antisthène en effet le ponos est de nature corporelle30 —, mais il a estimé que l’effort fourni pour affronter le ponos était un bien, donc qu’indirectement le ponos lui-même était un bien. Or, un témoignage transmis par le Gnomologium Vaticanum rapporte en ces termes une compa­raison qu’établissait le philosophe entre les ponoi et les chiens : « Les ponoi mordent ceux qui ne sont point accoutumés à eux (τούς ασυνήθεις) »31. Comme le ponos est un bien, on ne peut que conclure qu’Antisthène préconisait de s’entraîner aux souf­frances afin de les vaincre. Les attestations de sa karteria et de son apatheia dans le Banquet de Xénophon par exemple, invitent à penser qu’il appliquait personnellement le principe de cet entraînement dans sa façon de vivre. D’autre part, dans les lettres de Diogène, le philosophe de Sinope rappelle que c’est chez Antisthène qu’il a appris à s’entraîner, à supporter le chaud

28. D .L. V I 14 = fr. 135 A Caizzi.29. D .L. V I 2 = fr. 19 Caizzi et V I 11 = fr. 95 Caizzi. A lors que X énophon

emploie le m ot ponos surtout dans sons sens d ’« effort », chez Antisthène les ponoi désignent p lu tô t les souffrances.

30. Si ce n ’était pas le cas, on ne com prendrait pas pourquoi D .L. V I u (fr. 95 Caizzi) dit qu’Antisthène faisait de la mauvaise réputation un bien, au même titre que la souffrance. Chez Diogène en revanche, la mauvaise réputation fera partie elle aussi des ponoi.

31. Gnomologium Vaticanum 1 (p. 5 Sternbach) = fr. 96 Caizzi.

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148 LE CYNISME

et le froid aussi bien qu’à manger et à boire frugalement32. L'en­traînement aux ponoi devait donc être un des leitmotive de l'enseignement d’Antisthène.

Un autre témoignage, transmis cette fois par Stobée, mérite de retenir l’attention.

D’Antisthène. Pour devenir des hommes de bien, il faut entraîner son corps par des exercices et son âme par des <raisonnem ents> (το μέν σώμα, γυμ,νασίοις άσκεϊν, την δέ ψυχήν <λόγοις >)33.

Ce fragment pose un problème textuel difficile à résoudre. Alors que le manuscrit L présente la leçon την δέ ψυχήν ποαδεύειν, Meineke a proposé de corriger παιδεύειν en παιδεύσει, Halm en παιδεύσεσιν et F. D. Caizzi, qui s’appuie sur un paral­lèle donné par un papyrus inédit d’Oxyrhynchos (Inv.-Nr. O. 4) en λόγοις34. En fait la conception d'Antisthène qui nous est trans­mise ici ne présente rien de bien original. C’est à la formation complète qui doit être celle de l’homme de bien au ν ' siècle que fait allusion Antisthène : exercices sportifs d’une part, intellec­tuels de l’autre. Cette conception de la paideia se retrouve aussi bien chez les sophistes que chez Xénophon, Platon ou Isocrate35. A une époque où l’entraînement corporel allait de soi, on éprou­vait le besoin d’affirmer et de justifier une formation de l’âme parallèle aux exercices du corps. Le témoignage d’Antisthène transmis par Stobée s’inscrit dans ce courant et ne nous révèle aucune innovation doctrinale ; en revanche, celui que rapporte Diogène Laërce VI 11 et qui mentionne la nécessité de 1 ’ischus, oriente l’héritage socratique dans une voie toute nouvelle, que

32. Cf. D io g è n e , Lettre X X X à Hicétas, 3 (p. 245 Hercher) : δ δέ (Α ν τ ισ ­θένης) εφη « ?να σε προς άμφ ω συνα σκή σω , κ α ί κα ϋμ α το άπό θερείας καί ψ ύχος το άπό χ ε ιμ ώ ν ο ς » ; Lettre X X X V II à Monime, 6 (p. 252 Hercher) : έγ ώ τ ο ι παρά Ά ν τ ισ θ έ ν ε ι π ρ ώ τον ά σ κ ή σ α ς έσθ ίειν τε κ α ί π ίνειν.

33- St o b é e I I 3 1 ,6 8 ; t. II, p. 213, 14-16 W achsmuth = fr . 64 Caizzi.34. Voici le texte transmis par ce papyrus du n e siècle, tel que le cite Fernanda

D e c l e v a C a iz z i , à la page 110 de son édition des Antisthenis Fragmenta : ό μέν γ ε ω ρ γ ό ς τή νγ η ν , ό δε φιλόσοφος τή ν φύσιν έξσ ιμ ερ ο ΐ. δ ε ι τούς μ έλλοντα ς άγαθούς άνδρας γ ε ίν - σθαι τό μέν σ ώ μ α γ υ μ - να ισ ίο ις άσκεν, <τήν> δέ ψυχήν λό γο ις.

35- X é n o p h o n , Mémorables I 2, 19 ; P l a t o n , Théétète 153 B ; Clitophon407 E ; I s o c r a t e , A d Démon. 12.

ANTISTHÈNE 149

le Socrate intellectualiste de Platon ou d’Aristote aurait certai­nement récusée.

Finalement, on pourrait définir la morale d’Antisthène comme la synthèse de deux composantes : l’enseignement socra­tique d’une part, la force d’Héraclès de l’au tre36. Chez Antisthène, Socrate acquiert Yischus et Héraclès la phronèsis. Savoir et volonté, pensée et action sont indissolublement réunis. La mora­lité prend alors sa pleine dimension dans l’union de la volonté et de la liberté37.

Si l’on compare maintenant Xénophon à Antisthène38, on ne peut pas ne pas être frappé par les points de convergence, même si, comme nous l’avons dit, il peut y avoir désaccord et même attaques de la part de Xénophon. De par leur tempéra­ment respectif, de par aussi l’influence qu’Antisthène dut exercer sur Xénophon, les deux penseurs ont miné l’intellectualisme de leur maître. Même si la nécessité de la connaissance n’est pas remise en cause, elle n’exerce plus un pouvoir absolu et l’acqui­sition de la vertu exige des exercices à la fois spirituels et corpo­rels. En fait, on a le sentiment que l’exemple de Socrate a davan­tage marqué les deux disciples que son enseignement. Pris dans la contradiction, Antisthène a tenté de sauver l’intellectualisme

36. Cf. P. R a b b o w , Paidagogia p. 154 : « P o u r Antisthène, la vertu est et demeure en son être exclusivement savoir ; en toute rigueur, i l a marqué, et encore accentué, cette proposition fondamentale. Ainsi est conservé sur le point décisif l’intellectualisme du maître. Mais pour parvenir à son effet, le bonheur, la vertu doit avoir besoin en sus de la ‘ force ’. Ainsi est introduite de façon tout aussi décisive une rupture dans la position intellectualiste ; pour celle-ci en effet les éléments du progrès moral : savoir, vertu et bonheur, dépendent d’une manière infrangible les uns des autres, se conditionnent, et c’est seulement dans cette liaison infrangible qu’ils fondent au sein du progrès m oral l ’autarcie du savoir ».

37. Le Père A. J. F e s t u g iè r e , « Antisthenica », article de 1932 repris dans Études de philosophie grecque, coll. « Bibliothèque d’H istoire de la Philosophie », Paris, 1971, p. 314, a remarquablement su exprimer en quoi cette originalité du cynisme fait sa grandeur : « E n tou t cas, l’on comprend fort bien que des natures énergiques, passionnées de dom ination morale comme l’ont été les cyniques, aient surtout insisté, dans l’analyse du m oi, sur l ’élément volontaire. E t l’on saisit ainsi que le propre de leur apostolat ait bien m oins consisté dans des disputes théo­riques que dans une sorte d’influx. Ils ne songeaient pas tant à convaincre qu’à entraîner, par la vertu de l’exemple, par l’accent du propos, par le sentiment d’une force qui se répand et qui emporte. D e là, pour eux-mêmes, la nécessité d ’une ascèse. I l fallait être, to u t le temps, comme un ressort bandé. I l fallait se hausser à ses propres yeux pour être à même d ’en imposer aux autres. Il fallait se connaître héroïque pour inspirer de l’héroïsme. Les disciples d ’Antisthène on t été les toniques de l’hellénisme. Cela les obligeait à un état de tension continue, de πόνος. Idéal un peu factice, mais qui n ’est pas sans grandeur ».

38. Cf. Helen N o r t h , Sophrosyne, p. 125.

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150 LE CYNISME

qui, à ses yeux, restait le dogme essentiel, en soutenant qu'une fois acquise la vertu ne saurait être perdue, mais la contrainte imposée par le corps et les passions pesait d’un tel poids que la vertu pour être efficace ne put se dispenser de Vischus. Avec Xénophon la situation s’est encore simplifiée, puisque l’existence même de la vertu se voit subordonnée à la présence de Venkra­teia. Schématiquement, on pourrait dire que chez Antisthène la vertu sans ischus reste privée de conséquence pratique et que chez Xénophon elle n’a même pas droit à l’existence, privée qu’elle est de la qualité qui la fonde.

II. — DIOGÈNE

Qu’il ait été ou non le disciple direct d’Antisthène, Diogène a subi à coup sûr son influence. Nous voudrions montrer en quoi l’écart par rapport à l’intellectualisme socratique se trouve encore davantage accentué chez lui que chez Antisthène.

Certes Diogène est présenté comme le phronimos qui, tel un médecin, va essayer de convaincre les insensés de leur folie et de châtier leur anoia39. Comme Ulysse parmi les prétendants, il ressemble, sous ses dehors de mendiant, à un roi qui se pro­mène au milieu d’esclaves rendus fous à cause de leur ignorance et de leur stupidité (μαινομένους ύπο άγνοιας καί άμαθίας)40. A Alexandre il ose dire : « N’entreprends pas, pauvre sot, de régner avant d’avoir atteint la sagesse (φρόνησα!.) »41. Significative aussi cette réponse qu’il fait à qui lui demandait « Pourquoi donc ne meurs-tu pas, Diogène, et ne te débarrasses-tu pas de tes maux ?» : « Ceux qui savent ce qu’il faut faire dans la vie et ce qu’il faut dire, ceux-là il convient qu’ils vivent. Mais toi qui ne sais ni ce qu’il faut dire ni ce qu’il faut faire, c’est une belle chose que tu meures. En revanche, moi qui suis instruit en ces matières, il convient que je vive » 42. Le sage diogénien reste donc encore « celui qui sait ce qu’il faut dire et ce qu’il faut faire ». Mais, à la différence d’Antisthène, Diogène a fait table rase de la logique et de la physique43. Il sait seulement ce qu’est la vertu

39. Cf. D io n Chrysostom e, Discours V III 5.40. Ibid. IX 9. O n peut rappeler également la Lettre pseudépigraphe 28 de

D io g è n e , o ù le philosophe, s’adressant aux Grecs de son époque, fustige vigou­reusement leur ignorance : « Vous ne connaissez rien (§ 1)... vous ne jugez rien avec une raison saine... vous ne savez rien, ni vos ancêtres, n i vous-mêmes (§ 2) ».

41. D io n Chrysostom e, Discours IV 70.42. É lie n , Histoire variée X 11.43. D .L . V I 103.

DIOGÈNE 151

et ce qu'est le vice ; il sait aussi qu’entre vice et vertu il n ’est que des indifférents44.

Peut-on cependant parler encore d’intellectualisme à propos de Diogène ? Peut-on dire que pour lui l’action morale découle directement d’un savoir produit par un logos souverain ? Nous avons vu dans la première partie de cette étude que la vertu diogénienne se définissait comme une sagesse pratique fondée sur l’autarcie, la liberté et l’apathie et que le bonheur qui était concomitant à la réalisation de cette vertu consistait en un état d’indépendance totale. Or comment parvient-on à ce bonheur ? Savoir qu’il faut être indifférent aux coups de la Fortune ou du Destin ne suffit absolument pas pour l'être réellement. Si une telle connaissance n’est pas supportée par un entraînement volontaire et rigoureux à affronter les ponoi, elle reste lettre morte, incapable qu’elle est de produire par elle seule l’acte moral. C’est seulement parce que le sage se sera entraîné à affronter les ponoi que le jour où sa raison lui enjoindra de sup­porter sereinement l’exil, il aura la force d’obéir. Ainsi Yaskèsis joue le rôle d’une auxiliaire indispensable de la raison, à qui elle assure une efficacité pratique ; aussi apparaît-elle comme la condition même de la vertu en acte.

A la différence d’un entraînement de type intellectuel qui viserait l’acquisition d’un savoir, Yaskèsis cynique se définit comme une voie courte vers le bonheur. Autant qu’on peut en juger en effet, le savoir cynique est une sorte de donnée objective dont seul le sage est appelé à bénéficier, mais dont l’acquisition apparemment ne résulte pas d’un entraînement. Uaskèsis cynique, elle, rend apte à poser des actes, seul critère déterminant pour Diogène. Aussi irions-nous jusqu’à dire que dans la morale diogénienne le vouloir a relégué au second rang la raison et que l'essentiel de la moralité réside dans la force issue de l’entraîne­ment et permettant le passage à l’ac te45. Une telle perspective, on

44. D .L . V I 105. Diogène reproche justement aux autres hommes d ’avoir des jugements sur le bien et le mal qui ne sont pas fondés en raison. Ainsi chez D .L. V I 42-43 : « Diogène adressait des reproches aux hommes au sujet de la prière (εύχης Casaubon : τύχης mss) : ils réclament ce qu’ils croient être des biens, mais ne l ’est pas vraiment ».

45. Dans D .L. V I 34, on trouve évoquée, sous la forme d’une comparaison avec la force physique déployée par l ’athlète au stade, la tension morale qui anime D iogène : « A ceux qui lui disaient : 1 Te voilà vieux ; repose-toi donc m ain tenan t’, il répliqua : ‘ Pourquoi donc? Si je courais au stade la course longue, faudrait-il que je me repose to u t près du bu t au lieu de bander mes muscles (έπιτεϊναι) d av an tag e ? '» . Nous sommes tentée de reconnaître derrière cette image une représentation de la tension morale qui annonce le concept stoïcien de tonos, d ’autant plus que dans un fragm ent de Diogène rapporté

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152 LE CYNISME

nous l’accordera, est bien éloignée de l’intellectualisme socra­tique, puisque le logos a perdu sa souveraineté et son autarcie,tandis que la force du vouloir est devenue le facteur décisif del’agir moral.

Un passage d’un discours de Julien qui vilipende « lesCyniques ignorants » illustre l’originalité de la conceptiondiogénienne :

Considère maintenant si telle ne fut pas par excellence la règle de vie suivie par Diogène, lui qui assujettit son corps à tous les travaux (τοΐς πόνοις), indistinctement, afin d’aug­menter ses forces naturelles, et qui réclamait le droit de ne faire que ce qui paraissait correspondre aux exigences de la raison. Quant aux troubles d’origine corporelle qui assaillent l'âme — à de tels tracas mainte fois nous soumet le souci de cette enveloppe charnelle —, Diogène les comptait pour rien. Cet entraînement (ταύτης τής άσκήσεως) contribua à donner à notre philosophe un corps d’une virilité telle que je n’en vois à aucun de ceux qui ont lutté pour gagner des couronnes, et à organiser son âme en sorte qu’il connaissait le bonheur, et une royauté égale, sinon même supérieure, à celle du Grand-Roi, selon l’expression habituelle des Hellènes d'alors parlant du roi de Perse

Soumettre son corps aux ponoi et agir selon la raison ne sont point deux aspects différents de l’attitude morale. C’est parce qu'il est capable de compter pour rien les troubles d'ori­gine corporelle qui assaillent son âme que Diogène peut agir selon la raison et connaître le bonheur.

Quel type d'éducation va-t-il alors promouvoir ? Nous par­lons d’éducation parce que le philosophe insiste beaucoup sur la nécessité de la paideia et récrimine sans cesse contre les apaideutoi. Voici à titre d’exemples quelques témoignages qui illustrent cette apologie de l’instruction.

Alors qu’on demandait à Diogène quel est le plus lourd fardeau que supporte la terre, il répondit : « Un homme sans instruction »47.

par Sto b é e III 7, 17 ; t. III, p. 314, 3-5 Hense, est explicitement formulée l’idée d’une tension de l’âme : « Point de beauté morale dans un effort qui, au lieu d ’avoir pour fin les bonnes dispositions et la tension de l’âme, viserait celles du corps ».

46. J u l ie n , Discours IX Contre les Cyniques ignorants 14 ; 194 D-195 B (trad. G. Rcchefort).

47. M a x im e , Loci communes, Sermo 17 ; P G 91, c. 824 D ; sans indication de lemme chez A n t o in e M e l is s a , Loci communes, pars I, Sermo 30, P G 136, c. 937 A ; St o b é e II 31, 75 ; t. I l , p . 214 , 20-21 W achsmuth.

DIOGÈNE 153

Diogène disait que les gens qui ont belle apparence, mais qui sont sans instruction, ressemblent à des vases contenant du vinaigre48.

L’éducation ressemble à une couronne d’or. Elle comporte en effet considération et magnificence49.

Cependant il ne faudrait pas interpréter cet éloge de l'édu­cation comme le signe que Diogène recommandait un entraîne­ment de type intellectuel ou spirituel. L’éducation véritable, selon lui, est une éducation morale, fondée sur l’entraînement à une vie simple et frugale, qui seul peut rendre apte à supporter les épreuves, que celles-ci soient d’ordre physique, comme le froid, la faim, ou d’ordre moral, comme l’exil, la mauvaise répu­tation. Or, ainsi que nous l’avons déjà montré, le mode d'entraî­nement auquel recourt le philosophe est de type corporel50, et on aboutit à ce paradoxe que pour l’intellectuel qu’est Diogène51

l'apathie de l’âme dépend de l’entraînement du corps. L’éducation qu’il propose se veut une éducation à la souffrance et à la virilité, en d’autres termes une éducation de la volonté fondée sur la maîtrise du corps. Aussi le modèle par excellence reste-t-il le grand Héraclès. C’est pourquoi dans le quatrième discours Sur la royauté de Dion Chrysostome, Diogène distingue clairement entre deux sortes d’éducation, opposant ainsi la paideia tradi­tionnelle fondée sur l’étude, l’acquisition des connaissances intel­lectuelles, et une seconde sorte d’éducation qu’on appelle « viri-

48. M a x im e , Loci communes, Sermo 44 ; P G 91, c. 928 B ; Gnomologium Pari- sinum 233 (p. 24 Sternbach).

49. S to b é e I I 31, 92 ; t. II, p. 217, 10-12 Wachsmuth. D ’autres témoignages, par le mépris qu’ils manifestent à l’égard du manque d’instruction, confirment cette apologie de la paideia : D .L. V I 47 et 68 ; G a l i e n , Protreptique 6, p. 109, 16-19 M arquard t; T h é o n , Progymnasmata V ; t. II, p. 97, 20-21 Spengel; A p h t h o n i u s , Progymnasmata I II ; t. X , p. 4, 9-11 Rabe ; Ostracon 5730 Preisigke, édité par I. G a l l o , Vratnmenti biografici da papiri, coll. « Testi e commenti », 6, vol. II : L a biografia deifilosofi, Rome, 1980, pp. 369-375.

50. Cf. L ib a n io s , Progymnasmata, chrie n" 2, 2 ; t. V III, p. 74, 16 Fôrster : το σώμα παρείχε το ΐς πόνοις ; J u l i e n , Discours IX 14, 194 D : τό μέν σώμα το ΐς πόνοις άνέδην παρεΐχεν. De façon plus large, on peut dire que Diogène ne fait pas intervenir d ’exercices intellectuels ou spirituels, mais que l’entraînement qu’il propose s’applique toujours à la vie pratique et qu’il suppose toujours la maîtrise du corps.

51. Même si la philosophie diogénienne peut se caractériser comme une morale des actes, la vision du philosophe demeure très intellectuelle, puisque le bonheur auquel il prétend implique qu’il soit fait table rase, par un acte de pure volonté, des composantes physiques, qu’elles soient naturelles comme la beauté, la santé, ou acquises, comme la force, et matérielles, tels le pouvoir et la richesse, afin de libérer l’âme de tou t ce qui n ’est pas conforme à la raison et de la faire parvenir à Yapatheia, bonheur suprême selon Diogène.

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154 LE CYNISME

lité » ou « grandeur d’âme » et qui est l’éducation des « fils de Zeus » dont Héraclès est le prototype. D’Antisthène Diogène a conservé Yischus, mais a abandonné l’intellectualisme. Sans vou­loir jouer sur les mots, on peut se risquer à dire que la vertu n’émane plus d’un savoir, mais bien d’un savoir-vivre dont le critère est l’entraînement aux ponoi. Fanatique de Yaskèsis, Diogène a substitué à la vertu socratique issue de la connais­sance théorique une vertu issue d’un entraînement : ασκήσει τη προς άρετήν, selon la formule de Musonius52. Finies les longues discussions dialectiques chères à Socrate, finis ces raisonnements qu’Antisthène voulait rendre inexpugnables ; l’entraînement seul suffit à rendre le sage capable de suivre la raison. Le cynisme de Diogène qui prétend être un court chemin l’est effectivement. Alors qu’Antisthène exigeait Yischus pour rendre efficace la vertu, Diogène a fait de cette force l’essence même de la vertu. L'ascèse physique à finalité spirituelle recouvre toutes les exigences de la morale. Il est intéressant de rappeler qu'à la même époque en Inde les Gymnosophistes suivaient une voie parallèle, confiant eux aussi à l'impassibilité corporelle le soin d'assurer l'impassi­bilité de l'âme.

Dernier aspect à souligner : alors que dans le dialogue socra­tique le langage jouait un rôle prépondérant, dans la perspective diogénienne il est devenu secondaire par rapport au témoignage de l'exemple, même s’il exerce encore une certaine influence de par sa force corrosive et cinglante. Quand le philosophe cynique accepte de prêcher au sein des foules, ce n'est pas pour s’attirer les acclamations de ses auditeurs, mais pour qu'ils agissent à son imitation.

Diogène faisait un discours sur la tempérance et la maî­trise de soi. Comme les Athéniens le louaient, il dit : « Puis- siez-vous périr de maie mort, vous qui me contredisez par vos actes »53.

Diogène apporte à ses disciples le témoignage de sa façon de vivre, mais en retour il exige d'eux qu'ils choisissent le mode de vie conforme aux principes cyniques. Lui-même d’ailleurs, au temps où il fréquentait Antisthène, imitait son maître à travers des actes, à travers un mode de vie, ainsi que l’atteste ce passage

52. M u so n iu s , Diatribe IX (Sur l'e x il) , p. 43, 18-44, 1 dans les Musonii Reliquiae de O . Hense.

53. St o b é e II 15, 43 ; t. II, p. 192, 12-15 W achsmuth ; cf. aussi D .L. V I 64;M a x im e d e T y r, Dissertation X X X V I 5 ; p. 423, 8-12 Hobein.

CRATÈS 155

du pseudo-Galien : Αντισθένης . . . oû Διογένης γέγονε ζηλωτής προσομοιωθείς κατά τά επιτηδεύματα54. Mais si le témoignage du mode de vie est le moyen privilégié pour faire passer le mes­sage moral, l’exemple doit être clair et nettement perceptible à autrui. C'est en partie la raison pour laquelle Diogène ne recule pas devant les outrances qui, parce qu’elles choquent, sont aptes à faire réfléchir. Diogène est donc doublement infidèle à Socrate, d’une part à cause de l'abandon de l’intellectualisme, mais aussi à cause de la perte de la notion de mesure dans la façon de vivre et de se com porter55. Paradoxalement, c’est l’antisthénisme qui a engendré ce « Socrate devenu fou » dont parlait Platon

III. CRATÈS

Cratès de Thèbes, le disciple de Diogène, maintint, autant que nous pouvons en juger par ce témoignage de Thémistius, la néces­sité de l’entraînement physique qui assure la santé corporelle, mais aussi l’endurance face aux plaisirs :

Il convient que le philosophe s’exerce par l'effort (se labore exercere). C’est ainsi en effet qu’il acquiert la santé du corps et qu’il supporte facilement les choses par lesquelles d’autres sont vaincus rapidement, qui, du matin au soir, mal­traitent leur corps en buvant et en mangeant. Il faut qu’ils imitent Cratès. Celui-ci, en effet, s'était habitué (assuetus erat) à courir quotidiennement des courses précisément déter­minées, disant : « C'est à cause de ma rate, de mon foie et de mon ventre que je cours. » Celui qui l’imite fait des efforts et ce corps qu’il fait persévérer dans les efforts, il montre qu'il acquiert la santé et qu’il n'est pas soumis aux plaisirs 51.

54. P seu d o -G a l ie n , Histoire philosophique 3 ; p. 600,4-7 D M s = fr . 136 D Caizzi.

55. Les outrances du mode de vie cynique étaient d ’ailleurs probablement étrangères aussi à Antisthène.

56. D .L. V I 54 ; cf. Gnomologium Vaticanum 442 (p. 165 Sternbach) ; Gnomo­logium Parisimim. Appendix Vaticana II 127 (p. 82 Sternbach) ; É l i e n , Histoire variée X IV 33.

57· T h é m is t iu s , De virtute; fol. 36a de la version syriaque; p. 59 Mach. Cf. D .L. V I 92 : « Cratès n ’était pas beau à vo ir et, quand il s’exerçait au gymnase, on se gaussait de lui. I l avait coutum e de dire en levant les mains : ‘ Aie confiance, Cratès, en tes yeux et en to u t le reste de to n corps. Ces gens qui se m oquent de toi, tu les verras d ’ici peu, contractés par la maladie, envier ton bonheur et se reprocher leur propre paresse ’ ».

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156 LE CYNISME

Comme Diogène, Cratès critique l’exercice à outrance que pra­tiquent les athlètes en vue de développer la seule force corporelle :

A la vue d'un jeune athlète qui nourrissait par le vin, l’absorption de viande et l’entraînement, sa grosse masse de chair, Cratès dit : « Homme infortuné, cesse de construire en toi-même une prison fortifiée. » 58

La frugalité constitue la partie maîtresse du programme de vie qu'il recommande :

Rassemble une cosse de lentille et une fève, et ce qui leur est proportionné ; si tu agis de la sorte, tu dresseras faci­lement un trophée contre la pauvreté59.

Il révérait tellement cette frugalité qu’il lui dédia un hymne dont trois vers, probablement l'ouverture, nous sont parvenus :

Salut, divine maîtresse que chérissent les sages,Frugalité, toi qui descends de la célèbre Tempérance ;Tous ceux qui s’entraînent aux actes justes honorent ton

[excellence ω.

L’intérêt de ce fragment, c’est qu’il laisse apparaître chez Cratès la notion d’un entraînement (όσοι τά δίκαι’ άσκοϋσιν) qui, comme dans le cas de l’entraînement diogénien, vise une finalité morale, ici les actes justes, mais passe par la maîtrise du corps, puisqu’il s’agit de mener une vie de frugalité. On pourrait également traduire l’expression par « tous ceux qui pratiquent la justice », sans faire intervenir l’idée d’un entraînement, auquel cas il faudrait tout de même signaler que la frugalité apparaît comme une condition de la sagesse.

Même si les lettres de Cratès ne sont point authentiques, elles nous livrent d’excellents témoignages, probablement inspirés des œuvres de Cratès elles-mêmes, sur l’état d’esprit qui devait

58. M a x im e , Loci communes, Sermo 27 ; P G 91, c. 876 CD.59. T é l é s , Diatribe II, p. 14, 6-15, 2 Hense = SH 354 ; cf. Diatribe IV A,

p. 44, 3-6 (le passage est cité p. 73) ; D .L. V I 93 : « I l avait pour patrie, disait-il, la mauvaise réputation et la pauvreté, don t la fortune ne peut s’emparer, et il se disait concitoyen de D iogène contre qui les attaques de l’envie restaient sans effet ».

60. Anthologie Palatine X 104 = S H 361 ; cf. J u l ie n , Discours IX (Contreles Cyniques ignorants) 16, 199 A. O n se souviendra également de l’évocation del’île de Pèra : « E lle produit du thym, de l’ail, des figues et du pain,/ biens qui nesuscitent aucune guerre intestine parmi les habitants ;/ ceux-ci ne prennent lesarmes ni pour l’argent, ni pour la gloire » (D.L. V I 85 = SH 351).

CRATÈS 157

être celui du philosophe. La nécessité de l'entraînement y est plusieurs fois mentionnée. Ainsi, dans la Lettre 11 où Cratès dit à ses compagnons : « Entraînez-vous à avoir besoin de peu » 61 ; dans la Lettre 14, adressée à des jeunes gens : « Habituez-vous à manger du pain et à boire de l'eau, mais ne goûtez ni au poisson ni au vin »62, ou encore dans la Lettre 18 : « Habituez-vous à vous laver à l’eau froide, à boire de l’eau, à ne manger qu'après avoir bien sué, à revêtir le tribôn et à coucher régulièrement sur la dure »63. Dans le cadre de cet entraînement, les ponoi jouent ici également un rôle privilégié puisque l’auteur de la Lettre 15 exhorte ses compagnons dans les termes suivants :

Ne fuyez pas seulement les maux les pires, c'est-à-dire l’injustice et l'incontinence, mais aussi leurs causes, les plaisirs. Car c’est sur eux seuls que vous vous concentrerez, qu’ils soient présents ou que vous les espériez, et sur rien d’autre. E t ne poursuivez pas seulement les meilleurs des biens, c’est-à-dire la maîtrise de soi et la fermeté d’âme, mais aussi leurs causes, les ponoi ; que ce ne soit pas leur âpreté qui vous les fasse fu ir64.

Tous ces témoignages s’accordent pour attribuer à Cratès l’idée d’un entraînement corporel orienté vers une finalité morale : le mépris des plaisirs et la pratique de la vertu. Toutefois cer­tains, comme P. Rabbow65, ont pensé qu’on trouvait chez Cratès des traces d’un entraînement propre à l’âme, ceci notamment dans l’anecdote suivante rapportée par Diogène Laërce : « Cratès invectivait de propos délibéré les courtisanes, s'exerçant ainsi lui-même à supporter les injures. » 66 En fait, le genre d’exercice qui est en cause ici ne peut absolument pas être comparé aux exercices spirituels ou intellectuels que recommanderont les Stoïciens d’époque impériale. Il ne suffirait manifestement pas à Cratès de se répéter à la manière des Stoïciens que les injures ne sont pas un mal pour pouvoir un jour les supporter ; il tient à affronter concrètement les injures des courtisanes. De même, on ne saurait arguer des vers suivants, également cités par Dio­gène Laërce, pour parler d’un intellectualisme de Cratès :

61. C r a t è s , Lettre X I à ses disciples (p. 210 Hercher).62. Lettre X IV aux jeunes gens (p. 210 Hercher).63. Lettre X V III aux jeunes gens (p. 211 Hercher).64. C r a t è s , Lettre X V à ses compagnons (pp. 210-211 Hercher).65. Paidagogia, p. 270.66. D .L. V I 90. O n pourrait rapprocher ce passage de D .L. V I 49, où

Diogène demande l’aumône à une statue afin de s’exercer à essuyer des refus.

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158 LE CYNISME

Mes biens, les voilà : ce que j'ai appris, ce sur quoi j ’ai réfléchiE t les nobles leçons que m ’ont enseignées les Muses ;Quant à l’abondance et à la prospérité, elles sont la proie des

[fumées de l’orgueil67.

Le poète oppose ici l’éducation qu’il a reçue et la philosophie à laquelle il s’adonne, aux fausses richesses du commun des mortels. L’absence d’un contexte plus développé ne permet pas de deviner le contenu de cet enseignement des Muses, mais on peut légitimement supposer qu'il s’agissait d’une éducation cynique fort différente de la paideia classique. Quoi qu’il en soit, ne serait-ce que par l’opposition avec l’abondance et la prospérité, on se doute que la composante intellectuelle que révèle cette citation ne se laisse aucunement assimiler à un intellectualisme au sens strict. Les Cyniques sont des intellectuels, mais pas des intellectualistes. Ils estiment que l’entraînement de l’âme, plus précisément de la volonté, passe par l’entraînement du corps. Finalement nous pouvons dire que sur ce point essentiel Cratès a manifesté une réelle fidélité à l’enseignement de son maître. Simplement, il devait montrer moins de raideur, moins de dureté que Diogène dans l’application du principe de l’entraînement, autant que nous puissions en juger par les traits de sa person­nalité qui nous sont connus : beaucoup d’humanité, de la philan­thropie, à tel point qu’on le révérait, nous dit Apulée68, comme un lar familiaris, arbitre des querelles familiales, capable, nouvel Héraclès, de lutter non plus contre des animaux, des monstres et des géants, mais contre la colère, l’envie, la cupidité et le plaisir, ces fléaux qui attaquent l’âme humaine.

Avec Diogène et Cratès, le cynisme maintint inébranlables les mêmes principes mais, tel Janus, offrit deux visages : d’une part, celui d'un homme intransigeant, par bien des côtés héroïque, qui choisit, pour témoigner de son message auprès de ses semblables, de les choquer, et par sa façon de faire et par son langage d’une causticité mordante ; de l’autre, celui d’un homme tout aussi convaincu mais peut-être plus humain dans la manière, plus proche des autres. On admirait Diogène, le « chien céleste », mais on le craignait ; on admirait Cratès, le « cher bossu », mais on l’aimait.

67. D .L. V I 86 = S H 355.68. A p u l é e , Florides X X II 1-4.

CHAPITRE II I

LE STOÏCISME

L'éthique stoïcienne est un domaine complexe qui, sur bien des questions de fond, continue de susciter la controverse. En l'évoquant ici, notre seul but est d’examiner comment les Stoïciens ont réagi à l’héritage que leur ont transmis les Cyniques. Que sont devenus chez eux cet intellectualisme socratique qu’Anti­sthène avait essayé de sauver et cette askèsis qui, à elle seule, recouvrait pour Diogène toutes les exigences de la morale ?

I. L’ANCIEN STOÏCISME

Sur le chapitre de l’intellectualisme, l’ancien stoïcisme a voulu manifester une fidélité réelle à Socrate. Par la raison qui constitue son être propre, l’homme, selon les Stoïciens, participe de la Raison universelle qui est immanente au cosmos et le gouverne. C'est cette raison qui fonde toute son activité cognitive, mais également son agir moral. L'acte moral découle en effet de la connaissance et la vertu est définie comme un savoir. C’est ainsi que parmi les quatre vertus cardinales que distingue Zénon, la phronèsis est dite une science, tandis que courage, tempérance et justice apparaissent comme des formes particulières de savoir1. De longues listes nous ont été transmises, qui remontent certainement à Chrysippe, où sont répertoriées les différentes vertus, et pour chacune le secteur particulier de connaissance où elle s’exerce2. La raison fonde la vertu et celle-ci est identifiée à la raison dro ite3.

1. Cf. i W I201 .2. Cf. S V F I II 262-275.3. Cf. S V F I 199 : « Zénon plaçait toutes les vertus dans la raison» ; III,

198 : « la vertu elle-même peut être dite, pour aller au plus bref, ‘ raison droite ’ » ;

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160 LE STOÏCISME

De cette conception intellectualiste de la vertu découle une triple conséquence : si la vertu est connaissance, elle s’enseigne4

et son acquisition s’effectue par le biais de la m athèsis5 ; si elle s’acquiert, c’est que le progrès sur la voie de la vertu est pos­sible 6 ; enfin, dès lors que le sage détient la vertu, il ne saurait la perd re7.

Seul le sage « sait », d'une connaissance à la fois théorique et pratique, qui lui permet de savoir quoi faire et de le faire bien, puisque tout ce qu’il accomplit est conforme à la raison d roite8. Seul encore le sage est heureux, car lui seul pratique la vertu et celle-ci, selon Zénon et Chrysippe, suffit à assurer le bonheur 9.

Pour que cet intellectualisme soit parfaitement conséquent, il faudrait que la conception de l’âme sur laquelle il s’appuie soit celle d’un monisme rationaliste. Rappelons en effet que l'âme socratique était une et rationnelle, que, s’il y avait acrasie, celle-ci était due à la seule ignorance et ne pouvait donc être combattue que par l'acquisition de la mathèsis. Il fallut qu’interviennent la tripartition platonicienne de l’âme et la reconnaissance de l’exis­tence dans cette âme d’éléments extérieurs au logos pour que le rôle joué par l’habitude et l’entraînement, dans la lutte contre les passions, fût pris en considération.

200a. V oir M. P o h l e n z , Die Stoa. Geschichte einer geistigen Bewegimg, D ritte , unver- âncbrte Auflage, G ôttingen, 1964,1 .1, p. 35 : « Le logos était pour lui non seule­ment la raison qui pense et qui reconnaît, mais encore le principe spirituel qui façonne le m onde entier conform ém ent à la raison selon un plan ferm e et qui assigne à toutes les manifestations individuelles leur destinée ».

4. Cf. S V F I 567 (Cléanthe) = I I I 223.5. Cf. S V F III 225.6. Cf. S V F I 234 ; III 510 ; 530 ; 532 ; 539 ; 542 ; 543.7. Cf. S V F I 568-569 ; III 237-244. Alors que pour Cléanthe la vertu une

fois acquise ne saurait être perdue, Chrysippe admet qu’elle peut l’être notam m ent sous l ’effet de l’ivresse, de la mélancolie, de 1a torpeur, de la léthargie, de certaines drogues, de l’étourdissem ent et de la démence.

8. Cf. S V F III 295 : « l ’homme vertueux a la théorie et la pratique de ce qu’il faut faire ». Il est vrai que si la définition de la vertu stoïcienne comme connaissance ne pose pas problème, il est en revanche plus délicat d’attribuer à cette connaissance un contenu précis. G. B. ICe r f e r d , (( W hat does the wise man know ? », dans The Stoics, recueil d ’études édité par J. M. R is t , Berkeley/Los Angeles/Londres, 1978, pp. 125-136, a voulu éclaircir cette question. H conclut que la connaissance du sage revêt deux aspects. Lorsque l’on dit que le sage connaît ce qui est en accord avec la nature, on signifie d ’un côté qu’il connaît ce en quoi consiste agir rationnellem ent, en d ’autres term es qu’il a une connaissance form elle du Comment, du katorthôma dans le dom aine de l’action, mais aussi d 'un autre côté, qu’il a une connaissance du Q uoi, du kathèkon, adapté aux diverses circonstances. L ’activité vertueuse est une, mais elle peut être vue sous deux angles différents, celui de 1’« intensionalitry » et celui de 1’« extensionality ».

9. Cf. S V F I 187 = S V F III 49. Sur ce thèm e, vo ir S V F I I I 49-67.

L’ANCIEN STOÏCISME 161

Cette question de l'unité de l’âme dans l’ancien stoïcisme, qui était étroitement liée au problème de l’interprétation des passions, a divisé non seulement les Stoïciens eux-mêmes, puisque Posidonius a reproché à Chrysippe son monisme rationaliste10, mais aussi les Modernes qui ont tiré des textes des conclusions divergentes. Pour Zénon, la passion se définit comme « un mou­vement de l’âme irrationnel et contre nature (ή άλογος καί παρά φύσιν ψυχής κίνησις) » Π, comme une « tendance excessive » 12, un « transport de l’âme » 13. Faut-il conclure de ces définitions, de la première notamment, que Zénon professait un dualisme psycho­logique et que pour lui l’âme comportait, à côté de 1 ’hégémonikon, une partie irrationnelle ? Quant à Chrysippe, il voit dans la passion un jugement erroné dû à un mauvais usage de la raison, donc une perversion du logos lui-même14; telle n'était pas la position de Zénon : pour celui-ci, la passion n’est pas une krisis, mais elle réside « dans les contractions, les relâchements, les exaltations et les chutes de l’âme qui se produisent à la suite des jugements » 15. Aussi quand Plutarque présente comme une doctrine commune à tous les Stoïciens l'idée que les passions relèvent des jugements, c'est en fait à la théorie exposée par Chrysippe dans son Traité des passions qu'il fait allusion.

Tous ces philosophes s'accordent sur ce principe que la vertu est une disposition de la partie directrice de l’âme et une faculté produite par la raison, ou plutôt qu’elle est la raison conséquente avec elle-même, ferme et constante. Ils ne

10. L es vu es de P osidonius sont rapportées par G a l ie n dans so n De placitis Hippocratis et Platonis. A la suite de P osidon ius, G alien estim e que C h rysippe 11 est pas cohérent quand i l reconnaît qu e la cause des passions est une « faculté •iiitre que la faculté ration nelle » et en m êm e tem ps affirm e qu e les passions sont des jugem ents (cf. S V F I II 473). Sur cette critiq u e par Posidonius du m onism e p sych o lo g iq ue de C h rysip p e, v o ir par exem ple M . P o h l e n z , « Z e n o n und C a ïy s ip p », article de 1938 repris dans ses Kleine Schriften, H ildesheim , 1965, t. I, pp. 1-38 ; Id ., Die Stoa, 1 .1, p p . 89-92 ; 143 ; 145 ; 225 ; J. M . R is t , Store Philosopby, C am bridge, 1969, pp. 2 12 -2 14 ; A. J. V o e l k e , L'idée de volonté dans le stoïcisme, c o ll. « B ib lio th èqu e de p h ilo so p h ie con tem porain e », Paris, 1973, pp . 81-91 ; i 2 i - 116 ; I . G . K id d , « P osidonius on ém otions », dans Prob/ems in Stoicism, recueil d 'études édité par A . A . L o n g , L o nd res, 19 7 1, pp. 200-215 ! A. A . L o n g , Helle- nistic Philosophy. Stoics, Epicureans, Sceptics, L o nd res, 1974, pp. 219-220 ; A .C . l.i.OYD, « E m o tio n and D é cis io n in S to ic P sy ch o lo g y », dans The Stoics (recueil■ l’études cité à la n o te 8), p p . 233-246.

11. S V F I 205.12. S V F I 205-206.13. S V F I206 .14. Les fragments du Traité des passions de C h r y s ip p e on t été rassemblés

|nir v o n A r n im dans S V F I I I 456-490.15. S V F I209 .

6

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162 LE STOÏCISME

croient pas que la faculté passionnelle et irrationnelle soit distincte de la faculté rationnelle de l’âme par une différence de nature ; ils pensent que c'est la même partie de l'âme qu'ils appellent précisément intelligence et faculté directrice, qui change et se transforme du tout au tout dans les états passionnels et les changements dus à son état ou à ses dispo­sitions, et qu’elle devient vice ou vertu, sans qu'il y ait rien d’irrationnel en elle (μηδέν έχειν άλογον έν έαυτω), mais qu’elle est dite irrationnelle quand le débordement des impul­sions rendu puissant et triomphant l'emporte vers un acte insolite, contraire au choix de la raison. Ils veulent que la passion elle-même soit raison, mais une raison vicieuse et dépravée qui, par l ’effet d’un jugement médiocre et perverti, a acquis force et vigueur16.

Faut-il donc alors accorder au seul Chrysippe le bénéfice d'un intellectualisme cohérent que l’on refuserait à Zénon ?

Sans vouloir entrer dans le détail compliqué de l’interpré­tation de tous les textes, signalons qu’une telle conclusion a été adoptée par Pohlenz sur la foi de la présentation posidonienne de la morale de Chrysippe. Zénon aurait admis l’existence dans l’âme d’un élément extérieur à la raison, tandis que Chrysippe aurait rationalisé les passions et établi un monisme qui pous­sait dans ses conséquences les plus extrêmes l’intellectualisme socratique.

Mais cet avis n’est pas partagé par les commentateurs les plus récents qui, malgré des variations de détail, s’accordent en général pour reconnaître que chez Zénon comme chez Chrysippe il n ’existe pas dans l’âme de faculté qui serait indépendante de l’hégémonikon. Pour Rist, par exemple, Yhégémonikon n’est pas uniquement rationnel, il constitue le vrai moi de chaque individu, sa personnalité et, en tant que tel, présente à la fois une activité impulsive et une activité rationnelle. Loin d'être de purs actes mentaux, les jugements qu’il produit comportent une coloration émotionnelle. Dans ce cadre, ce qui sépare Zénon de Chrysippe, ce n’est point leur façon d’expliquer la passion — pour Rist, Pohlenz a tort de croire que Chrysippe a rationalisé les pas­sions —, mais plutôt leur conception de la krisis. Tandis que Zénon y voit une décision prise dans Yapatheia, décision qui, si elle n’obéit pas à la raison, peut être suivie d’états patholo­giques irrationnels, Chrysippe estime qu’au sein de la krisis la décision et sa contrepartie émotionnelle sont inséparables. Si le

16. S V F I 202 = I I I 459.

L'ANCIEN STOÏCISME 163

jugement est correct, il s’ensuit une affection bonne, ce que les Stoïciens appellent eupatheia; s’il est faux, alors se produit la passion.

Voelke, dans son excellente étude sur L'idée de volonté dans le stoïcisme, reprend cette question. Convaincu, comme Rist, que Zénon n’envisageait pas de partie de l’âme extérieure à Yhégé­monikon 17, il met l’accent sur le rôle joué par la tension, le tonos, dans la production des passions. Quand l’homme se trouve entraîné par un excès de la tendance, on peut dire que son hégé- monikon est irrationnel, mais en prenant l'expression au sens d’ « anti-rationnel », non d’ « extra-rationnel ». La raison elle-même se met en échec, parce qu’elle exerce mal ses propres pouvoirs. Alors se produit la passion qui, parce qu'elle comporte un élément de violence et de contrainte, « met littéralement l’homme en état d 'extase » )8. Cette intensité de la passion est inversement propor­tionnelle à la force du tonos de Yhégémonikon. Plus le tonos est faible, plus la passion se révèle intense. Par conséquent, « que l’on considère la passion comme un jugement erroné ou comme une tendance excessive, en dissociant deux moments d’un pro­cessus unique, c’est donc toujours à la faiblesse, à l'atonie de l’âme qu’elle-même et la dépravation qui en résulte devront être imputées » 19. Mais si on accorde au tonos ce rôle déterminant, ne faut-il pas, se demande Voelke, reconnaître qu’une explication purement rationaliste des passions ne suffit pas et conclure au dualisme psychologique20 ? Posidonius et Galien n’ont-ils pas rai­son quand, se fondant sur le rôle déterminant que joue le tonos dans la passion, ils expliquent que, contrairement à ce que pense Chrysippe, celle-ci résulte d’une faculté autre que la raison 21 ? Voelke toutefois se refuse à conclure au dualisme psychologique.

C’est le logos qui, disposant du pouvoir de se mettre lui-même en mouvement, maintient ou modifie sa propre ten­sion. C’est donc en fin de compte lui seul et lui tout entier qui est responsable de sa force ou de sa faiblesse, de sa constance ou de sa passion. De ce fait, toute passion est

17. V oir op. cit., p . 83.18. Ibid., p . 84.19. Ibid., p. 89.20. Ibid., p. 90. Voelke rappelle que c’est la position de R. P h il ip p s o n dans

« Z u r Psychologie der Stoa », Rheinisches Muséum 86 (1937) 165-168.21. Cf. De placitis Hippocratis et Platonis V 6, 4-5 ; p. 326, 20-27 de Lacy =

fr. 187 Edelstein-Kidd. C’est l’irrationnel de l’âme, c’est-à-dire les deux fonctions qui existent dans Yhégémonikon à côté de la raison : la fonction irascible et la fonc­tion concupiscible, qui entraîne celle-ci vers les passions (cf. G a lie n , ibid., V 1, j ; p. 292, 20-25 = f1 · 152 Edelstein-Kidd).

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164 LE STOÏCISME

volontaire et doit être mise au nombre des modifications de nous-mêmes dont nous sommes l’auteur22...

Examinons de plus près ce tonos, ce facteur dynamique qui intervient dans tous les domaines de la pensée stoïcienne. En physique tout d’abord, c’est le tonos universel23, symbolisé par Héraclès :

Héraclès est la tension qui s’exerce dans le Tout, selon laquelle la Nature est forte et puissante, parce qu’invincible et insurpassable, dispensatrice, même pour les êtres indi­viduels, de force et de vaillance24.

L'âme humaine, en tant qu’elle est un pneuma, participe de cette tension immanente à son hégémonikon et qui lui confère sa force Dans le domaine de la connaissance, c’est le tonos qui permet de distinguer la compréhension, connaissance vraie, et la science, « compréhension sûre, solide, qui ne peut être modifiée par aucun raisonnement ». Seule la science possède cette fermeté, cette inébranlable solidité qui manque à la compréhension et dont est dépourvue à plus forte raison, bien sûr, l’opinion qui est une connaissance à la fois faible et fausse26. Dans le domaine éthique, enfin, le tonos est la force nécessaire pour accomplir les actes vertueux, c’est-à-dire en fait la volonté. Cléanthe va même jusqu’à identifier le tonos à la vertu :

Cléanthe, dans ses Commentaires physiques, dit que le tonos est un coup de feu et que, si dans l’âme il est capable de faire accomplir ce qui incombe à l'âme, on l'appelle « force » et « puissance ». Il continue dans les termes sui­vants : « Cette force elle-même, cette puissance, quand elle se produit dans les choses où il faut manifestement persé­vérer, c’est de la maîtrise de soi. Quand elle se produit dans les choses qu’il faut supporter, c’est du courage. Quand elle concerne ce que chacun mérite, c'est de la justice. Quand il s’agit de ce qu’il faut choisir ou éviter, c’est de la tempérance » 21.

22. VoELKE, op. cit., p. 91.23. Cf. S V F 1 497 ; I I 546.24. S V F 1 514.25. Cf. S V F II 785.26. Cf. S V F I 66 ; II 90. V o ir V o e lk e , op. cit., pp. 45-49.27. S V F I 563.

L’ANCIEN STOÏCISME 165

Voelke a traduit ainsi le lien qui unit le tonos et l’intellec­tualisme stoïcien : « Si la vertu consiste en un savoir et si la science doit sa solidité inébranlable à la force de la tension, cette force fait également le fond de la vertu. » 28 A son tour Chrysippe utilisera le concept de tonos quand il évoquera Yeutonia ou Vatonia de l’âme, estimant que c’est par suite d’atonie que le logos en arrive à se détourner de ses propres résolutions Ainsi, dans l’avènement de la vertu stoïcienne, deux composantes sont à l’œuvre : le logos et son tonos. C'est de leur action conjuguée que résulte le caractère ferme et stable de l'acte moral.

Il est légitime alors de se demander où les Stoïciens ont puisé l’inspiration qui les a amenés à concevoir cette tension originelle dont le rôle est déterminant. Pohlenz déjà avait suggéré que le tonos stoïcien pourrait être l'héritier de Yischus cynique30

et Voelke estime que « l’on a tout lieu de penser que la notion stoïcienne de tension reprend et approfondit la notion cynique d'effort (πόνος) »31. Nous sommes, pour notre part, convaincue que Yischus des Cyniques, cette force d’âme qu'Héraclès symbo­lisait aux yeux d’Antisthène, que le philosophe admirait tant chez Socrate et que Diogène manifestait en s'entraînant quoti­diennement à supporter les ponoi, est bien à l’origine du tonos stoïcien.

II faut certes se garder de toute assimilation hâtive. L'ischus cynique voit en effet son rôle réduit à la sphère éthique, alors que le tonos stoïcien, avant d’être la tension à l’œuvre dans l’acte moral, se veut une force physique immanente au cosmos. Cette tension est le pilier de tout un système doctrinal bien éloigné des vues cyniques. Il s’agirait donc seulement dans notre esprit d'une influence au niveau de l’inspiration. Mais à plusieurs signes nous la considérons comme bien réelle.

Avant d ’en venir à cette question précise de Yischus, rap­pelons brièvement que Zénon fut le disciple de Cratès32 et qu’il dut de ce fait subir l’influence des ouvrages d’Antisthène et de Diogène33. D’autre part, Cléanthe qui, de façon significative, était

28. V o e lk e , op. cit., p. 94.29. Cf. S V F I II 471.30. P o h le n z , D ie Stoa, t. I, pp. 125-126.31. V o e lk e , op. cit., p. 94.32. Cf. S V F I 1 ( = D .L. V II 2) ; 1 11.3 3. Cette influence est évidente au m oins pour la Politeia, don t on disait par

manière de m oquerie qu’il l ’avait écrite « sur la queue du chien » ( S V F I 1 =D .L. V II 4). O n peu t rappeler aussi que Z énon écrivit des Mémorables de Cratis ( ibid.).

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166 LE STOÏCISME

surnommé le second Héraclès34 et qui fut probablement, avec Ariston de Chios35, le Stoïcien le plus imprégné de cynisme, semble justement avoir été le premier à élaborer le concept de tonos. Incontestablement, on décèle chez lui l’influence d’Anti- sthène. Les ressemblances sont frappantes. Comme lui, il pensait que la vertu est un savoir, qu’elle s’enseigne36, qu’une fois acquise elle ne peut se perdre, grâce aux saisies fermes de l'esprit (βεβαίους καταλήψεις)37, que le télos consiste à vivre selon la vertu 38 et que le ponos est un bien 39. Nous pourrions citer encore plusieurs passages parallèles des doxographies cynique et stoï­cienne de Diogène Laërce, qui témoignent des liens unissant les deux mouvements40. Rappelons seulement qu’Antisthène serait à l’origine de l’endurance de Zénon41 et qu'il aurait donné l’impul­sion à la virile école stoïcienne 42. Il ne saurait donc être question de rattacher directement les Stoïciens à Socrate en faisant abstraction de l’influence que purent exercer sur eux les Cyniques.

Mais comment prouver que Yischus cynique survit, du moins par certains de ses aspects, dans l’ancien stoïcisme ? Voici quelques indices qui invitent à le penser. Une des qualités du sage, selon Zénon, est d’être ισχυρός43. En outre, quand Cléanthe définit le tonos, c’est à la notion d’ischus qu’il fait appel44. Signa­lons encore un passage du résumé des doctrines stoïciennes que donne Arius Didyme ; il est procédé là à une distinction parmi les vertus : à côté des vertus parfaites, définies comme des έπιστήμαι καί. τέχναι et présentées comme fondées sur les théo- rèmata, sont mentionnées quatre vertus qui ne sont plus des technai, mais des dunameis : la santé de l’âme, son intégralité, sa force (ischus) et sa beauté. Or voici comment cette ischus est définie :

Tout comme la force du corps est une tension suffisante

34. Cf. S V F I 463 ( = D .L. V II 170).35. Sut les liens qui relient A riston au cynisme, vo ir par exemple Anna

M aria I o p p o l o , « A ristone di Chio », dans Scuole socratiche minori e filosofia ellenis- tica a cura di G. G iannantoni, coll. « Pubblicazioni dei Centro di studio per la storia délia storiografia filosofica », 4, [Bologne], 1977, pp. 115-140 ; id., Aristone di Chio e lo Stoicismo antico, coll. (( E lenchos », 1, Naples, 1980, 374 p.

36. Cf. S V F I 567.37. S V F 1 568 ; cf. I 569.38. Cf. S V F 1 552.39. Cf. S V F I 611.40. Cf. notre article « U n syllogisme stoïcien sur la lo i» , pp. 234-235.41. Cf. D .L. V I 15 = fr. 135 B Caizzi.42. Cf. D .L. V I 14 = fr. 135 A Caizzi.43. Cf. S V F I 216.44. Cf. S V F I 563.

l 'a n c ie n s t o ïc is m e 167

dans les nerfs, de même la force de l'âme est une tensionsuffisante qui se manifeste dans le jugement et l'action45.

Ainsi, pour les Stoïciens, les notions de tonos et d ’ischus se rejoignent. De même la Souda, dans une définition qu'elle donne du stoïcisme, semble établir un lien entre le tonos stoïcien et la conduite cynique : « Le stoïcisme est une voie énergique (εύτονος) vers la vertu ; il faut que les sages fassent le chien. » 46

Enfin, dans un fragment de Diogène cité plus h au t47, il était question du tonos de l’âme, tandis que dans un apophtegme également déjà cité48, le philosophe utilisait, pour évoquer la tension de l’âme, l’image de la tension des muscles (έπιτεϊναι). Ces divers détails indiquent que l’hypothèse formulée précé­demment est au moins plausible.

Aussi le moment est-il venu de se demander si cette démarche fondamentale du philosophe cynique qu’est Yaskèsis a, d’une façon ou d'une autre, connu des prolongements dans l’ancien stoïcisme. Dès l’instant, en effet, où l’on doit disposer d’un tonos suffisamment fort pour agir selon la vertu, se pose la question de l’acquisition de ce tonos. Pour éviter toute confusion, il importe de rappeler que Yaskèsis cynique était un entraînement de nature physique à finalité morale. S’entraîne-t-on également c hez les anciens Stoïciens ? De quelle façon et dans quel but ?

Eliminons tout d ’abord un premier type d’askèsis : l'entraî­nement physique qui vise la seule vigueur corporelle. Selon l’anthropologie dualiste des Stoïciens, le corps doit obéir en loutes circonstances aux directives de l’âme, et ce qui le concerne relève de la catégorie des indifférents. Néanmoins, comme la santé du corps fait partie des préférables, les Stoïciens prati­quent des exercices physiques modérés, ainsi que le faisait déjà Socrate : « L’homme moralement bon acceptera l’entraînement • ilin d’acquérir la vigueur corporelle. » 49

A un second niveau, que nous identifierions volontiers avec celui de l’ascèse cynique, nous constatons que des philosophes comme Zénon ou Cléanthe pratiquaient un mode de vie dont les

45. S V F III 278 = Sto b é e II 7, 5bl ; t. II , pp. 62, 24-63, 1 W achsmuth. Λ lu fin du passage, nous supprim ons ή μή qui est une correction de W achsmuth «11 lextc κ α ί μή des m anuscrits et suivons Heine qui considère ces derniers mots■ ( mime ajoutés « im prudenter » par Stobée. V oir l’apparat critique de W achsmuth ■ni lac.

46. Souda, s.v. Κυνισμός, K 2711, t. III , p. 214, 11-12 Adler.47. V oir plus haut, p. 152, n. 45.48. P. 151,n. 45.49. S V F I I I 715 = D .L. V II 123 : τήν μέντοι άσκησιν άποδέξεται

|« . Λ σπουδαίος] ύπέρ τή ς τοϋ σώ ματος υπομονής.

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168 LE STOÏCISME

maîtres-mots étaient pauvreté, frugalité, sobriété. Selon le témoi­gnage de Diogène Laërce, Zénon « manifestait la plus grande endurance et la plus grande sobriété, mangeant de la nourriture crue et portant le mince tribôn » s·. Dans sa pièce Les philosophes, le comique Philémon présente ainsi la philosophie du fondateur du stoïcisme :

Un unique morceau de pain, une figue en accompagnementE t en plus boire de l’eau,

Telle est la nouvelle philosophie que celui-ci professe ;Il enseigne la pauvreté et trouve des disciples51.

La même exigence dans le mode de vie est attestée chez Cléanthe :

Cléanthe était célèbre pour son amour de l’effort (φιλο- πονία), lui qui, comme il était trop pauvre, entreprit de gagner un salaire. La nuit il tirait l’eau du puits dans les jardins et le jour il s’exerçait à raisonner. Aussi l'appela-t-on le « Tireur d’eau du puits » (Φρεάντλης)52.

Diogène Laërce le définit encore comme ponikos, laborieux53, et il rapporte cet apophtegme :

Alors qu'un Lacédémonien disait que l’effort est un bien, Cléanthe, tout content, d it: « T u e s d ’u n n o b l e s a n g , m o n c h e r e n f a n t » (CM. IV 611)

Chrysippe, lui, opposera le philoponos au phaulos et fera dela philoponia une des vertus soumises au courage. Ainsi, quandles Stoïciens pratiquent un mode de vie fondé sur l’austérité, ils s’inscrivent tout à fait dans la lignée cynique. Cependant, ce mode de vie qui est le raccourci propre au cynisme pour atteindre la vertu, n’est pas la caractéristique essentielle de la voie qu’ils proposent à leurs disciples.

De fait, la voie longue des Stoïciens passe d'abord par la mathèsis, c’est-à-dire par l’acquisition d’un certain nombre de connaissances, dont celles relevant de la logique et de la physique. Mais elle suppose aussi une forme d’askèsis, absente chez les

50. S V F 1 5 ( = D .L . V II 26).51. S V F I 6 ( = D .L . V II 27).52. S V F I 463 ( = D .L. V I I 168).53. S V F I463 ( = D .L. V I I 170).54. S V F I 611 ( = D.L. V II 172). Le même apophtegme est déjà rapporté

par M u so n iu s dans St o b é e I I 31, 125 ; t. I I , p . 243, 7-9 W achsmuth.

L’ANCIEN STOÏCISME 169

Cyniques, que nous pouvons appeler l’exercice spirituel, qui vise à donner du tonos à l’âme. Nous voilà donc au cœur de notre problématique de départ. Les Stoïciens, tout en adm ettant que1 ’askèsis cynique puisse être une voie courte vers la vertu, ont recommandé eux aussi un type d’entraînement moral, mais qui cette fois est propre à l'âme. « On comprend bien », dit P. Hadot, « qu’une philosophie comme le stoïcisme, qui exige vigilance, énergie, tension de l'âme, consiste essentiellement en des exercices spirituels »5S. Aussi nous risquons-nous à formuler l’hypothèse suivante : si Yaskèsis des Cyniques a bien influencé les Stoïciens, c’est peut-être moins en ce que certains d’entre eux ont adopté un mode de vie respectueux des règles essentielles du mode de vie cynique qu’en ce que l’école stoïcienne a élaboré elle aussi une méthode originale fondée sur l’entraînement.

Mais, dira-t-on alors, si le logos a besoin d’entraînement pour se libérer de la passion, ne faut-il pas parler d’une rupture de l’intellectualisme ? Peut-être, si l’on considère que le logos perd une partie de son autarcie dès l'instant que son tonos a besoin d’être entraîné. Mais on peut constater toute la distance qui sépare cet entraînement propre à l’âme de l’entraînement corporel des Cyniques56. Les Stoïciens ont réussi à combiner l'intellectualisme socratique et l’idée d ’askèsis.

On aimerait pouvoir présenter de nombreux témoignages surI’askèsis dans l’ancien stoïcisme qui viendraient confirmer notre hypothèse. Ceux-ci, malheureusement, se font très rares et nous sommes réduits à tirer parti du moindre indice. En premier lieu, il est à noter que les Stoïciens Hérillus de Carthage et Denys d’Héraclée ont tous deux écrit un Περί άσκήσεως57. Ces ouvrages sont perdus, mais le simple fait qu’ils aient existé atteste au moins que Yaskèsis était une réalité sur laquelle on réfléchissait et on débattait dans l’ancien stoïcisme.

Ariston de Chios, ce Stoïcien qui refusait les « préférables » de Zénon, qui, à l’instar des Cyniques, rejetait la logique et la

55. Exercices spirituels, p. 25.56. D .L. V I 6 = fr. 177 Caizzi rapporte à propos d ’Antisthène le m ot

miivant : « Q uand on lui demandait quel profit il retirait de la philosophie, le disciple de Socrate répondait : ‘ Celui de pouvoir converser avec soi-même ’ ».I’. I îa d o t , op. cit., p. 33, voit dans ce dialogue avec soi-même une forme d ’exercice «pirituel. Une autre interprétation du passage est possible ; on peut comprendre ru effet que la philosophie perm et au sage de se passer du commerce des hommes 11 de n’avoir de conversation qu’avec soi-même. Cependant, quelle que soit l’interprétation que l ’on adopte, ce seul passage ne perm et pas de conclure que, 1I0 façon générale, on pratiquait chez les Cyniques des exercices spirituels. Nous1 ir disposons en effet d ’aucun tém oignage de ce type concernant Diogène.

57. Cf. S V F I4 0 9 et 422.

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170 LE STOÏCISME

physique, et affirmait que la fin consiste dans l’indifférence à l’égard de ce qui est entre vertu et vice, disait que « contre le tétracorde en son entier, plaisir, chagrin, crainte, désir, il faut beaucoup d’entraînement et de lutte »58. La nécessité d’un entraî­nement est ici clairement affirmée, même si sa nature n’est pas précisée.

Nous avions précédemment fait allusion à un passage d’Arius Didyme59 où étaient distinguées les vertus έπιστήμαι και τέχνοα et les vertus δυνάμεις. Chacune de ces deux catégories fait inter­venir, à notre avis, une forme d'entraînement. La première, qui regroupe la phronèsis, la sôphrosunè, Yandreia et la dikaiosunè, parce que nous savons par ailleurs que « la vertu est un art » et que « tout art est un système fondé sur des principes auxquels on s’exerce » M. Ainsi l’habitude, sous une forme qui n ’est pas précisée, intervient dans l'acquisition de ces technai. Elle consiste certainement dans ce cas à assimiler les principes afin de les avoir à sa disposition le moment venu. C’est cet entraînement de l’hégémonikon qui doit donner à 1 ’épistèmè sa force inébran­lable. Quant aux secondes vertus, les dunameis, elles sont dites εκ της άσκήσεως περιγιγνομένας. Alors que, dans le premier cas, il s'agissait d’un entraînement des vertus-connaissances, cette fois c’est le tonos de l’âme qui subit cet entraînement et acquiert ainsi la force de poser des actes moraux. L’entraînement spirituel stoïcien nous paraît recouvrir ce double registre.

Un exemple précis d’entraînement est donné par Clément d’Alexandrie quand il explique comment il est possible de soigner la présomption :

Triple est la façon de soigner la présomption, comme d’ailleurs toute passion ; en apprenant quelle en est la cause, comment on pourrait supprimer celle-ci et, en troisième lieu, en entraînant son âme (ή ασκησις της ψυχής) et en l’habi­tuant à pouvoir suivre ce que l'on a jugé être bien... Quand quelqu’un a transgressé la raison... si c’est subitement qu’il a eu la faiblesse de succomber à une représentation, il faut faire en sorte qu’il ait sous la main les représentations conformes à la raison. Mais si c’est par une habitude qui était déjà là qu’il a été vaincu, ainsi que dit l’É criture61, comme un homme du commun, il faut faire cesser complètement l’habitude et exercer son âme à la contredire62.

58. S V F I 370.59. V oir plus haut, pp. 166-167.60. S V F III 214.61. Cf. Exode I 7.62. S V F III 490.

L'ANCIEN STOÏCISME 171

Dans cet exemple, on voit comment mathèsis et askèsis se complètent afin d’extirper de l’âme les passions. Sans aucune ambiguïté, Yaskèsis y apparaît comme un exercice spirituel : il s’agit d’habituer l’âme à pouvoir suivre ce que l’on juge être bien61.

Au total, les Stoïciens ont essayé de sauvegarder au maxi­mum l’intellectualisme socratique, mais sans perdre le jaillis­sement de la volonté qui faisait l’originalité de la morale cynique. Il est probable qu’ils ont puisé l’idée de tonos dans Vischus cynique et il est possible que celle d’un entraînement à finalité morale plonge ses racines dans Yaskèsis cynique. Certes, en faisant appel à un tonos de l'âme, même si ce tonos n’est pas extérieur à Yhégémonikon, ils ont fait éclater les limites d'un intellectua­lisme strict. Mais leur écart est moins sensible que chez les Cyniques puisqu’ils ont élaboré tout un système doctrinal intel­lectualiste et que là où la rupture aurait dû être la plus nette, c'est-à-dire sur l’appel à la nécessité d’un entraînement moral, ils l’ont atténuée, en faisant de cet entraînement une askèsis du logos lui-même M. La voie longue stoïcienne fondée sur la mathèsis

63. Dans une lettre à Ctésiphon (S V F III 447), J é r ô m e confirme ce carac­tère spirituel de l’entraînem ent stoïcien : « Les Stoïciens affirment que les passions peuvent être extirpées des esprits, qu’absolument aucune fibre n i aucune racine de vice ne reste dans l’hom me grâce à la m éditation et à l ’exercice constant des vertus (meditatione et assidua exercitatione virtutum) ». Sur la meditatio comme exercice e t su r l’am biguïté du terme latin, voir P. H a d o t, op. cit., p. 21, n. 36.

64. Pour une excellente mise en parallèle du socratisme et du stoïcisme sur la question du savoir et de l’exercice^ voir Ilsetraut H a d o t, Seneca und die griecbisch- rômische Tradition der Seelenleitmg, coll. « Quellen und Studien zur Geschichte der Philosophie », 13, Berlin, 1969, p. 107 : « La présence du savoir entraîne automa- liquement dans son sillage chez Socrate des actions correspondantes, tandis que, selon l’enseignement stoïcien, le savoir et les actes peuvent tou t à fait se contredire (à ceci près qu’un savoir juste représente la condition non négociable d’un agir moral). O r, si cette absence de coïncidence entre le savoir et les actes doit être •iplanic grâce à des exercices, alors persiste sans doute une certaine ressemblance avec Aristote ; mais à l’inverse de ce qui se passe chez Aristote, l’accoutumance pour l’essentiel ne se p roduit pas à propos du domaine irrationnel, que ce soit à Ira vers la gymnastique et la musique, comme dans la République de Platon, que ce soit à travers la répétition constante d ’actes pratiques, mais, fidèlement au monisme stoïcien, à travers un exercice de la Ratio elle-même, par conséquent à travers des exercices de la pensée, à travers une constante répétition d’actes qui Ibnt intervenir la pensée ». Mais, ainsi que le note l’auteur, une fois que le savoir cHt assimilé, une fois que, grâce à des exercices intellectuels, il est devenu partie intégrante de l’être, i l reste encore une troisième étape, « l ’étape de la mise en notion du savoir à travers des actes », au cours de laquelle on a recours à des exercices qui concernent à la fois le corps e t l ’esprit. Pour cette dernière étape,I. I Iadot fait appel à des textes que nous aurons l’occasion de revoir en abordant le Stoïcisme impérial : la diatribe Sur l ’ascèse de M usonius et la Lettre CVIII, 15 ss il·· Sé n è q u e à Lucilius. M ais les remarques générales évoquées plus haut peuvent «crvir à caractériser le stoïcisme dans son ensemble.

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172 LE STOÏCISME

et Yaskèsis a pris le pas sur la voie courte cynique de l'entraî­nement corporel à finalité morale.

II. LE MOYEN-STOÏCISME :PANÉTIUS ET POSIDONIUS

A. Panétius

Pour Panétius, l’homme se distingue des animaux en ce qu’il participe de la raison65. Alors que les animaux n’ont d’autre sentiment que celui du plaisir, « l’esprit de l’homme se nourrit par l’étude et la réflexion »66. En outre, l’homme individuel se distingue de ses semblables par sa nature propre, ce qui dans le stoïcisme est nouveau. En effet, si tous les hommes ont une nature commune qu’ils doivent à tout prix sauvegarder et qui peut être définie comme la participation à la raison, chacun d’entre eux, pour Panétius, se doit également de suivre la règle de sa propre na tu re67. « Rien n’est convenable, dit-on, contre le gré de Minerve, c’est-à-dire en contradiction et opposition avec la nature »68. Cette nature propre de chacun fait intervenir sa condition sociale et le genre de vie qu’il a choisi : « Il faut avant tout définir qui nous voulons et quels nous voulons être et en quel genre de vie ; or ce choix est de tous le plus difficile » 69. C’est en effet dès la jeunesse, alors même que son jugement n’a pas acquis toute sa force, que l’homme doit être capable de juger ce qui sera pour lui le meilleur.

Les jugements qu’il porte sont tributaires de la nature de son âme. Avec Panétius le stoïcisme s’oriente vers le dualisme psychologique, même s'il est impossible d’affirmer que ce dua­lisme se trouve clairement exprimé dans le fragment suivant transmis par Cicéron :

Double est la force des âmes et de la nature : une part,qui est Γόρμή grecque, réside dans les désirs qui entraînentl’homme ici et là ; l’autre réside dans la raison qui enseigne

65. De officiis I 4, 11 = fr. 80 dans M. V a n S tra a te n , Panaetii Rbodii Fragmenta, coll. «Philosophia A ntiqua» , 5, troisième édition, Leyde, 1952.

66. Ibid.,1 30, 105 = fr. 81. Les traductions du De officiis sont empruntées à l’édition de M. T e s ta rd , celles des Tuscuianes à l’édition de J. H um bert, l’une et l’autre parues dans la Collection des Universités de France.

67. Jbid., 131, 110-111 = fr. 97.68. Jbid.69. Ibid., I 32, 117.

PANÉTIUS 173

et explique ce qu’il faut faire et éviter. C’est ainsi pour que la raison commande et que les désirs obéissent70.

De ce passage il ressort que la tendance doit être soumise à la raison71, mais il n’est pas dit que cette tendance diffère, dans sa nature même, de la raison. A tout le moins a-t-on là la première amorce d’un dualisme psychologique72.

L'homme, toutefois, n ’est pas seulement une âme, il possède aussi un corps. Comme ses prédécesseurs, Panétius estime qu’il faut mépriser et rejeter le plaisir corporel73, mais il ne considère plus le corps comme un indifférent et intègre la santé parmi les biens appropriés à la nature : « Que la nourriture et l’entretien du corps aient donc pour but la santé et la vigueur, mais non pas le plaisir. » 74 Ainsi le dualisme tranché corps - âme, tel qu’il existait dans l’ancien stoïcisme, a disparu chez Panétius, ce qui conduit M. Pohlenz à présenter de la façon suivante les vues anthropologiques du philosophe :

L’homme n’est pas un être spirituel doté d’un corps animal, mais un organisme qui a une unité, au sein duquel âme et corps sont réglés l'un sur l’autre et connaissent un accord intime. C’est à l’intérieur du stoïcisme une toute nou­velle façon de voir. Le premier, l’hellène Panétius enseigne à concevoir l’homme d’une façon totale et à l’apprécier comme un ensemble75.

70. Ibid I 28, 101 = fr. 87.71. Cf. ibid., I 36, 132 = fr. 88 : « Les m ouvements de l’âme sont de deux

sortes : les uns sont ceux de la pensée, les autres ceux des désirs. La pensée s’applique surtout à la recherche du vrai, tandis que les désirs poussent à l’action.Il faut donc veiller à employer notre pensée aux meilleures choses possibles et rendre nos désirs dociles à la raison ». V oir aussi II 5, 18 = fr. 89 : « Toute vertu si·, développe généralement en trois domaines : l’un consiste à reconnaître ce qui dans chaque affaire est vrai et authentique, ce qui s’accorde à chacune, ce qui est dans sa logique, de quoi naît chacune, quelle est la cause de chaque affaire ; le second consiste à contenir les m ouvements désordonnés de l ’âme, que les Grecs appellent πάθη et, pour les désirs qu’ils appellent όρμάς, de les rendre obéissants Λ la raison ; le troisièm e consiste à user avec mesure et savoir-faire des hommes... ».

72. Telle est par exemple la position de V o e l k e , op. cit., pp. 115-117. Remar­quons toutefois que Cicéron, lui, interprète la pensée de Panétius dans un sens plutôt dualiste et distingue clairement, dans un passage cité plus loin qui rappelle beaucoup le fragm ent 87, deux parties de l’âme, l’une rationnelle et l’autre irra­tionnelle (Tuscuianes I I 21,47).

73. De officiis I 30, 106. Ce passage qui fait suite au fragm ent 81 n ’a pas été retenu par Van Straaten.

74. Ibid.75. M. P o h l e n z , Die Stoa, t. I, p. 196.

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174 LE STOÏCISME

C’est sur cette analyse de la nature humaine que se fonde la morale de Panétius. De la définition du télos traditionnelle dans l’ancien stoïcisme : « vivre en accord avec la nature », il donne une interprétation toute nouvelle, intimement liée à ses vues anthropologiques.

Panétius a montré que le télos consiste à vivre selon lespropensions qui nous ont été données par la nature (κατάτάς δεδομένας ήμΐν έκ φύσεως άφορμάς)76.

Il s’agit donc pour l’homme de développer au maximum toutes les potentialités que la nature lui a accordées. Mais rien ne permet de préciser si ces propensions sont uniquement ration­nelles ou si dans l’esprit de Panétius elles comportent également des éléments irrationnels.

Dans la perspective de ce télos, comment va être conçue la vertu ? Alors que pour l’ancien stoïcisme la Vertu et les vertus étaient des connaissances, Panétius, lui, distingue la vertu théoré­tique et la vertu pratique77. La première s’identifie à la phronèsis, tandis que la vertu pratique englobe justice, courage et tempé­rance, les quatre vertus correspondant aux quatre άφορμαί présentes dans l’homme : le désir de discerner le vrai, celui de sauvegarder la société humaine, celui d'acquérir la force d’une âme élevée et invincible, enfin le désir d'être modéré et tem pérant7S.

Alors que chez Zénon et Chrysippe la vertu suffisait au bonheur, la conception nouvelle que se fait Panétius de la nature humaine l’amène à une vision différente du bonheur : « Panétius et Posidonius disent que la vertu ne suffit pas (s.e. au bonheur), mais qu’il faut également la santé, l’aisance matérielle et la force. » 79 L’homme de bien doit, à cause de sa situation humaine, utiliser les biens extérieurs, ce qui implique que la vertu n ’est donc pas autosuffisante. On est loin de l’ancien stoïcisme pour qui les éléments pris en considération par Panétius relevaient de la catégorie des indifférents ; on est loin aussi des Cyniques qui assurément auraient été hostiles à l’intervention de l’aisance matérielle dans la définition du bonheur.

Le corps n’étant plus un indifférent, on peut s’attendre à

76. C lém en t d ’A le x a n d r ie , Stromate I I 2 1 ,1 2 9 ,4 ; t. II, p. 183,8-10 Stâhlin = fr. 96.

77. D .L. VII 92 — fr. 108.78. De officiis I 5, 15-17 = fr. 103.79. D .L. V I I 128 = fr. 110. V oir J . M. R is t , S taie Pbilosophy, pp. 7-10 :

189-190.

PANÉTIUS 175

trouver chez Panétius un entretien du corps ayant pour fin la santé physique. Nous l’avons effectivement déjà rencontré dans un passage cité plus h au t80. Mais Panétius devait préconiser surtout des exercices visant à assurer la santé de l’âme. C'est en effet ce qui apparaît dans le second livre des Tusculanes, dont on admet qu’il est inspiré de Panétius M, plus précisément d’une lettre De dolore patiendo que le philosophe adressa à Q. Tubéron et dont Cicéron fait mention à la fois dans les Tusculanes82 et dans le De finibus*3.

La question examinée dans ce second livre est la suivante : la douleur est-elle le plus grand des maux ? L’intérêt de ces pages, c’est qu’elles exposent une méthode destinée à rendre capable non seulement de supporter la douleur, mais aussi d ’accomplir tous les devoirs moraux, quels qu’ils soient. Certes, la lettre en question de Panétius n’est point citée dans ce livre précis, mais on sait, grâce au passage du De finibus, que Panétius, « homme de l'esprit le plus distingué et d’une haute autorité », « au lieu de soutenir que la douleur n'est pas un mal », « se contenta de dire ce qu’est la douleur, ce qui la caractérise, dans quelle mesure il y a en elle de quoi contrarier la nature, puis quelle est la méthode à suivre pour la supporter (quae ratio esset perferendi) ». Or, dans le second livre des Tusculanes, ce que nous livre Cicéron, c’est bien une méthode pour combattre la douleur. Il est par conséquent tout à fait permis de penser que, pour l'essentiel, cette méthode remonte à Panétius.

Elle fait appel à deux procédés distincts : d’une part, ce que Cicéron appelle exercitatio, meditatio, consuetudo, c’est-à-dire l’entraînement, l’exercice, l’accoutumance ; d’autre part, la mise en œuvre de la ratio. Mais à regarder de près les développements que donne Cicéron sur ces deux points, on constate qu’ils recou­vrent en réalité deux types d'entraînement : un entraînement de l’âme à l’effort et un entraînement de nature purement spirituelle.

Le premier tout d’abord. Cicéron affirme que « l’accoutu­mance à l’effort facilite la résistance à la douleur »84, et il cite plusieurs exemples qui peuvent lui être propres mais qui peuvent remonter aussi à Panétius : les usages des Spartiates, le service militaire à Rome, Eurypyle dans une tragédie d’Ennius, les chas-

80. V oir p. 173, n. 74.81. Cf. R. P h il ip p s o n , art. « M . Tullius Cicero », R E V IIA 1 (1939)0. 1146;

J. H u m b e r t dans l’introduction de son édition des Tusculanes, t. I, p. xi.82. Tusculanes IV 2, 4 = fr. 47.83. De finibus IV 9, 23 = fr. 46.84. Tusculanes I I 15, 35 ; cf. II 21,49 : « P o u r apprendre à supporter la

souffrance, l’habitude est une maîtresse digne d ’estime ».

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176 LE STOÏCISME

seurs, les pugilistes et les gladiateurs. Tous ces exemples font intervenir l’accoutumance à l’effort physique comme moyen de résister aux assauts de la douleur : « L’effort même développe comme une espèce de cal qui amortit la douleur. » 85 II conclut :

Telle est la puissance de l’entraînement (exercitatio), de l’exercice (meditatio), de l’habitude (consuetudo). Et si « u n S a m n i t e , u n v i l i n d i v i d u , b i e n d i g n e d ’u n m é t i e r a u s s i m i s é r a b l e » 86, a tant de courage, est-ce que l’homme né pour la gloire souffrira que le moindre point faible de son être moral ne soit pas fortifié par l'exercice et le raisonnement (meditatione et ratione) ?... Voilà pour l’entraînement, la pratique, la préparation. Passons mainte­nant au raisonnement87.

Cicéron ne donne pas de précision sur le mode exact d’entraî­nement à l’effort qu’il envisage pour l'homme moral. Mais compte tenu de tous les exemples qu'il cite et comme il s’agit d’acquérir de l’énergie face à la douleur et à la mort, on peut penser, encore qu’il faille bien se garder de rapprocher Panétius des Cyniques dont il dénonçait le manque de pudeur et les outrances88, que le type d’entraînement en cause est assez proche dans sa perspective de celui envisagé par les Cyniques : la volonté s'entraîne à travers un effort qui fait intervenir et le corps et l’âme.

Vient ensuite la ratio, c'est-à-dire à la fois la raison et ses productions : les raisonnements. Pour mener à bien la tâche qui, dans le cas précis, lui incombe : être apte à mépriser la douleur et la m o rt89, elle dispose d’une medicina, d’un traitement appro­prié, qui consiste à se commander à soi-même, parce qu’il y a deux parties dans l'âme, l’une qui possède la raison et l’autre qui en est dépourvue : « Par suite, le précepte de se commander à soi-même revient à dire que la raison doit maîtriser la partie impulsive de l’âme. » 90 Pour que la raison parvienne à cette

85. Ibid., I I 15, 36.86. L u c iliu s , Satins IV 1.87. Tusculanis I I 17,41-18,42 (traduction H um bert, légèrement modifiée).88. Cf. R ist, Stoic Philosophy, pp. 195-196, qui explique par exemple que si

Panétius rejette l’apalheia, c’est parce qu’il estime que la vertu consiste non pas à supprim er les émotions irrationnelles, mais à les restreindre, et en outre parce que le m ot a des connotations cyniques indésirables. D ans le Oe officiis I 35, 128 et 1 41, 148, C icé ro n critique sans ménagement les Cyniques, partant du principe q u ’il faut m aintenir la pudeur, surtout lorsque la nature elle-même l ’enseigne et y conduit. Ce point de vue reflète probablem ent celui de Panétius.

89. Tusculanes II 18, 43.90. Ibid. I I 21, 47. Cicéron, ainsi que nous l’avons dit plus haut, adopte ici

une position plus franchement dualiste que ne l ’était peut-être celle de Panétius.

PANÉTIUS 177

maîtrise en quoi réside la vertu, elle doit faire des efforts per­sonnels et marquer des progrès (quae conixa per se et pro­gressa) 91. A cet effet, l’homme a plusieurs armes à sa disposition : contentio, confirmatio, sermoque intumus, c’est-à-dire la tension de l’âme, son affermissement et le discours intérieur, lorsqu’il se dit à soi-même : « Évite tout ce qui est honteux, lâche, indigne d’un homme. » 92 Tendre son âme, la raffermir, dialoguer avec soi-même, ces pratiques relèvent de l’exercice spirituel typique­ment stoïcien.

Que le Stoïcien exerce sa volonté ou qu’il exerce son esprit, dans les deux cas il veut affermir l’intentio de son âme, sa ten­sion et éviter son relâchement, sa remissio, car il sait que « la contentio est la seule garantie du devoir »93. Dans l’exercice spiri­tuel stoïcien c’est de la même façon que l’on résiste à la douleur et aux passions, c’est-à-dire en bandant son âme et en construisant en elle une forteresse94. « Pour supporter la douleur dans la tranquillité et dans le calme, on gagne beaucoup à se bien péné­trer, comme on dit, de l'idée que cela est beau. » 95

Nous avons la chance de disposer encore, grâce à Aulu-Gelle, d'une longue citation de Panétius qui établit un parallèle entre l'athlète et l’homme moral ; même si elle ne traite pas expres­sément de l'entraînement, elle montre comment pour le philo­sophe l’homme moral doit être toujours prêt et toujours en alerte, ce qui indirectement suppose la nécessité d’un entraî­nement spirituel aussi exigeant que celui de l'athlète :

On lisait le second des trois livres célèbres du traité Des devoirs du philosophe Panétius, ce traité qu’imita M. Tullius avec un grand zèle et de très grands efforts. Là, parmi beaucoup d'autres incitations au bien, on trouve écrite cette idée qui, tout particulièrement, doit être dans l'esprit et s'y maintenir, et qui se présente à peu près comme suit : « La vie des hommes qui passent leur existence au milieu des

91. Ibid.92. Ibid. I I 22, 51.93. Ibid. I I 23, 55.94. Cf. Tusculanes I I 24, 58 : « Ce précepte (opposer à la douleur la tension

de l ’âme) qui vise la souffrance a une portée plus considérable : ce n ’est pas seule­ment à la douleur, c’est à toute chose qu’il faut opposer pareille tension de l’âme (omnibus enim rebus, non solum dolori, simili contentione animi resistendum est). La colère s’allume, la passion s’anime : cherchons un refuge dans la même forteresse, armons-nous des mêmes armes ».

95. Ibid. : « A d ferendum igitur dolorem placide atque sedate plurim um proficit to to pectore, u t dicitur, cogitare quam id honestum sit ». Cf. ibid. II 27, 66 : « Quae meditare, quaeso, dies et noctes ».

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178 LE STOÏCISME

affaires et qui veulent être utiles et à eux-mêmes et aux leurs, comporte soucis et dangers constants, imprévus et presque quotidiens. Afin de s’en garder et de les éviter, il faut avoir l’esprit toujours prêt et tendu (animo prompto semper atque intento), comme l’ont ceux des athlètes qu’on appelle pancra- tistes. Ceux-ci, en effet, quand on les convoque au combat, prennent position, les bras projetés en l’a ir; ils protègent leur tête et leur visage en opposant leurs mains comme un rempart, tandis que tous leurs membres, avant que ne soit engagé le combat, sont sur leurs gardes pour éviter les coups ou sont prêts à en donner. Or, de la même façon, l'esprit, lapensée d’un homme prudent qui, en tout lieu et en toutecirconstance, veille contre la force et la pétulance des injures, doit être dressé, tout droit, solidement protégé (erecta, ardua, saepta solide), préparé au milieu des inquiétudes, ne fermant jamais les yeux, ne relâchant jamais l’acuité de son regard, opposant, comme des bras et des mains, ses jugements et ses pensées aux coups de la Fortune et aux embûches que tendent les iniques, pour éviter que, dans une soudaine adversité, ne surgisse contre nous une attaque, sans que nous soyons pré­parés ni protégés. » 96

L’entraînement de l’âme que suppose ici Panétius permettra à celui qui l’aura pratiqué de porter des jugements conformesà la raison quand surgira l’adversité.

La morale de Panétius fait donc appel à la combinaison de deux types d’exercices susceptibles d’affermir la contentio (τόνος) de l’âme, l'un dans la lignée de la pratique cynique, l’autre de nature spirituelle, typiquement stoïcien.

B. Posidonius

Avec Posidonius, non seulement le monisme psychologique dont se réclamait Chrysippe est abandonné, mais il est même franchement critiqué97. Dans Yhégémonikon de l’âme, Posidonius distingue clairement le rationnel et le non-rationnel sous la forme de trois fonctions : la raison, d’une part, la faculté concupiscible et la faculté irascible, de l’au tre98. Estimait-il qu’il y avait dans

96. N uits attiques X III 28 = fr. 116.97. Les principales critiques adressées par Posidonius à Chrysippe sont

transmises par G a lie n dans son De placitis Hippocratis et Platonis. Ce texte est édité, traduit et commenté par Ph. D e L a c y , C .M .G . Y 4, 1, 2, tome I, deuxième édition, 1981 ; t. II, 1980 ; t. III, 1984.

98. Ibid. V 7, 3-4 ; p. 336, 25-26 D e Lacy = fr. 143 Edelstein-Kidd ; cf. IV3, 3 ; p. 248, 5 = fr. 34.

POSIDONIUS 179

l'âme une « partie » rationnelle et une « partie » irrationnelle, comme on peut le déduire d’un passage de Clément d’Alexandrie ", ou songeait-il seulement à des facultés distinctes dans l’âme, comme l’affirme Galien100 ? Finalement, que le mot μέρος ait été ou non employé par Posidonius, peu importe ; l'essentiel est de remarquer qu’en reconnaissant l’existence dans l’âme d’un élé­ment rationnel et de deux fonctions non rationnelles, Posidonius se rapproche davantage de la tripartition platonicienne de l’âme que du monisme chrysippéen et se situe dans la ligne ouverte par Panétius.

Sur cette psychologie de l’âme humaine vient se greffer une conception originale des passions IM. Partant en guerre contre ses prédécesseurs, Posidonius rejette avec force arguments les défi­nitions que Zénon et Chrysippe donnèrent de la passion. Si la passion est due à un débordement de la tendance, comment la raison peut-elle en être la cause ? A ses yeux, ce sont les deux facultés non rationnelles de l’âme, auxquelles viennent s’adjoindre des facteurs physiologiques et physiques102, qui sont à l’origine du débordement de la tendance103.

Pour éviter que le non-rationnel de l’homme l'emporte sur la raison, Posidonius propose une éducation appropriée. L'homme recevra les connaissances nécessaires au développement de sa raison, mais il faudra lui inculquer également des habitudes susceptibles de dompter ses fonctions irrationnelles, car si la vertu de la raison est connaissance, la vertu des dunameis

99. C lém en t d ’A le x a n d r ie , Stromate II 21, 129, 4 ; t. II, p. 183, 12 Stâhlin fr. 186 (κατά μηδέν άγόμενον ύπό τοϋ άλόγου μέρους τη ς ψυχής).

ιοο. G a lie n , De placitis V I 2, 5 ; p. 368, 22-24 = &. 146 : « Aristote et Posidonius ne parlent pas de formes ou de parties de l ’âme (εϊδη μέν ή μέρη ΨυΧ%)> mals ils disent qu’il y a des fonctions d ’une substance unique qui s’élance du cœur ».

101. Sur les passions selon Posidonius, voir par exemple M. P o h le n z, Die Stoa, t, I , pp. 224-226 ; t. II, pp. 112-114 · K. R e in h a rd t, art. « Poseidonios von Apameia », R E X X II 1 (1953) cc. 733-745; Marie L a ffra n q u e , Poseidonios d’Apamée. Essai de mise au point, coll. « Publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Paris», série « Recherches », 13,Paris, 1964, pp. 405-448 ; L. E d e ls te in , The Meaning o f Stoicism, coll. «M artin Classical L ectures», 21, Cambridge (Mass.), 1966 ; deuxième édition, 1968, pp. 55-60 ; J. M. R ist, Stoic Philosophy, pp. 212-213 ; A. J. V o e lk e , L ’idée de volonté dans le stoïcisme, pp. 121- 126 ; A. A. L o n g, Hellenistic Philosophy, pp. 219-220.

102. Cf. G a lie n , ibid. V 5, 23-24 ; p. 322, 3-5 : « Les mouvements passionnels de l’âme suivent toujours la disposition du corps et celle-ci varie de façon impor- 1 ante en fonction du mélange dans le milieu environnant ». V oir aussi V 5, 26 = fr. 155.

103. G a lie n , ibid. V 1, 5 ; p . 292, 20-25 — &· *52 Edelstein-Kidd.

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180 LE STOÏCISME

non rationnelles est elle-même non rationnelle. Aussi Posidonius prône-t-il un entraînement spécifique de ces deux fonctions :

L'éducation et la vertu de la partie rationnelle de l’âme, c’est la science de la nature des choses, tout comme la vertu de l’aurige est la connaissance des règles relatives à la conduite des chars. Car il ne se produit pas de science dans les facultés irrationnelles de l’âme, pas plus qu’il ne s’en produit dans les chevaux : pour ceux-ci, la vertu propre naît d’une habitude qui ignore la raison, tandis que pour les conducteurs de chars elle naît d’un enseignement qui s’adresse à la raison104.

La lutte contre les passions va donc emprunter la voie de Yaskèsis. Galien évoque les modes d’entraînement (τούς τρόπους της άσκήσεως 105) de l’irrationnel envisagés par Posidonius, notamment le recours à la musique :

Nous prescrirons aux uns de vivre dans tels rythmes, telles harmonies et telles pratiques, aux autres dans tels autres, ainsi que Platon nous l’a enseigné, éduquant ceux qui sont sans vigueur, lents, abattus, dans les rythmes aigus et les harmonies qui remuent fortement l’âme ainsi que dans les pratiques de même sorte, ceux qui sont plus fougueux et qui s’élancent avec plus d’exaltation, dans les harmonies contrai­res 106.

La raison cependant peut agir sur les facultés irrationnelles, mais de façon indirecte. Toujours grâce à Galien nous disposons d’un témoignage sur la façon dont précisément la raison peut, par le biais de l’accoutumance à certaines représentations imagi­natives, exercer cette action.

Posidonius demande pourquoi tout ce à quoi on n’est pas préparé d’avance, tout ce qui est étranger et qui assaille soudainement, plonge dans l’épouvante et pousse à aban­donner ses jugements anciens, alors que ce à quoi on s’est exercé, à quoi on s’est accoutumé, et cela pendant un certain temps, ou ne bouleverse absolument pas au point de susciter

104. Ibtd. V 5 , 3 5 ; p. 324, 18-23 = fr. 148 ; cf. IV 7, 40-41 ; p. 290, 5-7 : « Les habitudes et le tem ps en général on t un très grand pouvoir sur les m o u v e ­m e n ts passionnels. L a partie irrationnelle de l’âme peu à peu se familiarise a v ec les habitudes dans lesquelles elle est nourrie ». V oir K. R e i n h a r d t , art. cité, c . 753 ; Marie L a f f r a n q u e , op. cit., pp. 469-471.

105. G a l ie n , De placitis V 6, 14 ; p. 328, 23-26 = fr. 150 B.106. Ibid. V 6, 20 ; p. 330, 8-13 = fr. 168.

POSIDONIUS 181

un mouvement passionnel, ou le fait dans une très faible mesure. C’est pourquoi Posidonius dit de se familiariser à l’avance avec les choses et de se comporter envers elles, quand elles ne sont pas encore là, comme si elles étaient là. Le mot προενδημεΐν signifie pour Posidonius imaginer et concevoir en soi-même la chose qui peut arriver et s’y accoutumer peu à peu comme si elle était déjà arrivée107.

Mais Posidonius se souvient que l'homme a un corps et que sa constitution physique peut avoir de l’influence sur les mou­vements passionnels de son âme. Aussi fait-il intervenir dans ses vues éducatives la nécessité de soins corporels108. M. Pohlenz souligne avec justesse comment avec Posidonius l’éducation morale fait intervenir toutes les composantes de l'être humain :

L’éducation ne peut pas viser à étouffer la vie des instincts ; elle doit habituer celle-ci, dès avant la mise en place de l’influence intellectuelle, à se soumettre au Logos. Elle ira même jusqu’à favoriser le développement de l’ardeur, afin qu’elle puisse servir le Logos, en tant qu’instrument utile à un agir énergique.

Étant donné que la vie des instincts est très fortement influencée par la constitution corporelle, l'éducation ne peut pas non plus se limiter au domaine psychique ; elle doit au contraire prendre en considération l’organisme dans son ensemble. C’est expressément à Platon qu’ultimement Posi­donius ici se rattache, et c’est de lui qu’il reçut encore l’exi­gence de veiller, depuis la naissance, et encore bien aupa­ravant, grâce à un régime correct et à des soins corporels, à ce que le corps obtienne le meilleur mélange des éléments matériels 109.

On comprend mieux alors pourquoi, comme Panétius, Posi­donius a pu affirmer que la vertu ne suffit pas au bonheur, mais qu’elle a besoin aussi de la santé, de l’aisance matérielle et de la force n0.

Depuis Antisthène, tout un chemin a été parcouru, jalonné par Yischus cynique et le tonos stoïcien, qui, peu à peu, a modifié

107. Ibid. IV 7, 8 ; p. 282, 7-14 = fr. 165, 24-32.108. Ibid. V 5, 30-35 ; pp. 322, 27-324, 23 = fr. 31. O n sait également que

Posidonius louait la karteria des anciens Romains et la frugalité de leur mode de vie (A th én ée , Deipnosophistes VI, 274 A = fr. 266).

109. M. P o h l e n z , Die Stoa, t. I, pp. 236-237.110. Cf. D .L. V II 128 = fr. 173.

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182 LE STOÏCISME

l’héritage socratique et a conduit à l’abandon au moins partiel de l’intellectualisme au profit de Yaskèsis à finalité morale. Celle-ci a revêtu chez les Cyniques et les Stoïciens deux formes diffé­rentes : l’entraînement corporel des premiers a été non pas vraiment évincé, mais déclassé chez les Stoïciens par l’entraî­nement spirituel.

III. LE STOÏCISME D’ÉPOQUE IMPÉRIALE : SÉNÈQUE, MUSONIUS RUFUS ET ÉPICTÈTE

Même s’il s’en tient à la primauté indiscutable de l'ascèse de l’âm em, le stoïcisme d’époque impériale fait état cependant d’une ascèse corporelle qui vise la santé du corps, tout en favo­risant celle de l’âme. Chez Sénèque, par exemple, il est fait allu­sion aux deux types d'ascèse corporelle que l’on peut concevoir, l’une à finalité purement corporelle, l’autre à finalité spirituelle, mais ils sont clairement distingués. Sénèque met en garde contre le premier type, c’est-à-dire contre l’ascèse des athlètes :

Que la santé de l’âme soit le principal objet de tes soins ; tu pourvoiras, mais seulement en second lieu, à celle du corps, qui te coûtera peu, si tu ne veux que te bien porter. Il est déraisonnable, mon cher Lucilius, il ne convient nullement à une personne cultivée de passer son temps à faire travailler ses bras, à s’élargir l’encolure, à se fortifier la poitrine. Quand tu auras achevé un bel engraissage, quand tes muscles auront pris du volume, jamais tu n’égaleras la puissance d’un gros bœuf, jamais tu ne pèseras autant. Ajoute ici que le bagage d’un corps épais écrase l’âme, paralyse son agilité. Dans ces conditions, réduis autant que possible la part du corps et mets ton âme au large. (...) Il y a des exercices faciles et courts qui procurent une saine fatigue au corps, sans trop d’embarras, et en ménageant le temps, dont on doit tenir le plus grand compte. (...) Adopte n’importe lequel d’entre eux pour une gymnastique élémentaire, facile112.

111. A dessein, nous n’aborderons pas la question des exercices spirituels dans le Stoïcisme impérial. I l existe d ’ailleurs sur le sujet d ’excellentes études mentionnées plus loin. Ceci dépasserait en outre le cadre de notre propos, dont le bu t en dernière instance est de déterminer si la conception cynique de l’ascèse a connu des prolongem ents dans le Stoïcisme. C’est ainsi que nous n ’évoquerons pas les Pensées de M a r c -A u r è l e , parce que nous n ’y avons pas trouvé de traces précises d ’une ascèse corporelle à finalité morale, toute la démarche de Marc- Aurèle étant fondée sur des exercices spécifiques de l’âme.

112. Lettre X V z et 4. O n trouvera quelques exemples précis d ’exercicespratiqués par Sénèque lui-même dans la Lettre CVIII 15-16. N os traductions des

LE STOÏCISME D'ÉPOQUE IMPÉRIALE 183

Sénèque oppose ici l'ascèse sportive et l’ascèse physique pra­tiquée dans le seul but de se bien porter. Il estime en effet que si la robustesse physique est tout de même préférable à la fai­blesse 1B, il ne faut cependant accorder au corps qu’une part très limitée : « Minimum exercitationi corporis datum » 114, afin de pouvoir très rapidement revenir à la seule ascèse importante qui est celle de l’âme.

De quelque façon que tu t ’y prennes, bien vite reviens du corps à l’âme. Exerce ton âme nuit et jour ; elle n’exige pas tant de peine pour son entretien. Les exercices qu’il lui faut, ni le froid ni le chaud ne les gêneront, ni la vieillesse même. Cultive un bien qui s’améliore avec le temps 115.

En soi, par conséquent, l’ascèse corporelle ne présente que peu d’intérêt. Si elle est excessive, elle peut même devenir dange­reuse, car elle empêche alors le corps d’obéir à l’âm e116. On sent que Sénèque, quant à lui, est tout naturellement porté vers l’ascèse spirituelle : « La vertu n’est conférée qu’à l’âme éduquée et instruite, que de perpétuels exercices ont conduite au sommet de la perfection. » 117 Mais Sénèque est conscient malgré tout de l’utilité que peut présenter pour l’âme un certain type d'ascèse corporelle. Aussi propose-t-il de s’adonner à ce genre d’exercices, mais pour des périodes limitées.

Du reste, je suis si résolu à éprouver la fermeté de ton âme que de la règle établie par de grands philosophes je tirerai pour toi spécialement cette règle : prends par-ci par-là un certain nombre de journées où tu te contenteras de la nourriture la plus modique et la plus commune, d’un vête­ment grossier et rude, afin de pouvoir te dire : « C’est cela qui te faisait peur ! » Que dans le temps même de la sécurité, l’âme s'apprête aux tâches difficiles, qu’elle s’assure contre les injures de la fortune au milieu de ses bienfaits. (...) Ils

l.ettres à Lucilius sont empruntées à H . N o b l o t ( Collection des Universités de France). Sur les liens que pouvait entretenir Sénèque avec les Cyniques, notam ­ment Dém étrius, v o ir M argarethe B il l e r b e c k , Der Kyniker Demetrius. Ein lieitrag r Gescbichte der frühkaiser^eitlichen Popularphilosophie, coll. «Philosophia Antiqua », 36, Leiden, 1979, pp. 12-18.

113. Cf. De vita beata 22, 2-3.114. Lettre L X X X III 3.115. Lettre X V 5.116. Lettre V III 5.117. Lettre XC 46. Sur les exercices spirituels et la direction de conscience

«don Sénèque, vo ir l’ouvrage d’Ilsetraut H a d o t , cité plus haut : Seneca und die fyiechisch-rômische Tradition der Seelenleitung.

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184 LE STOÏCISME

se conformaient à ce principe ceux qui, pratiquant tous les mois l'imitation de la pauvreté, ont été jusqu’aux confins de la misère, pour ne jamais reculer de peur devant ce dont ils auraient fait l’apprentissage répété. (...) Que ce soit un vrai grabat, un sayon, du pain dur de la dernière qualité. Soutiens ce régime trois, quatre jours, quelquefois plus, en sorte qu’il n’y ait pas là un jeu mais une épreuve 118.

Finalement Sénèque prône une ascèse qui ressemble, du moins dans ses manifestations extérieures, à l’ascèse cynique, mais à ce détail près, qui fait toute la différence, qu’elle se veut temporaire. Pas question pour lui de renoncer à l'opulence119. Il faut simplement, au cas où un jour la Fortune frapperait, savoir supporter ses coups. On est donc là en présence d'une ascèse prophylactique susceptible de procurer la firmitas animi dans les circonstances difficiles.

Il est à noter cependant que par bien des traits Sénèque rejoint exactement la perspective qui était celle de Diogène. Ainsi, par exemple, il soutient que la théorie ne saurait suffire et qu’il faut se contraindre à la pratique : « verba rebus proba » 120. L’homme moral, vainqueur des coups de la Fortune, se voit comparé dans les Lettres à l'athlète vainqueur au stade et, comme Diogène, Sénèque conclut que m ettre la Fortune hors de combat est une victoire bien supérieure à une victoire sportive :

Nous aussi, sachons tout surmonter. Le prix de la victoire n'est pas une couronne, une palme ou la fanfare du trompette commandant le silence avant la proclamation de notre nom, mais la vertu, la fermeté d'âme, la paix pour toujours assurée, si une fois, en quelque rencontre, nous avons mis la Fortune hors de com bat121.

Comme Diogène encore, Sénèque, très sensible aux vertus de l'entraînement qui amène les athlètes à accomplir des perfor­mances extraordinaires, déplore qu’on ne dépense point autant d’énergie à fortifier son âme :

n 8 . Lettre X V III 5-7.119. I l rappelle to u t de même qu’il a hérité de son maître Attale to u t un

program m e d’austérités dont il a conservé quelques éléments jusque dans sa vieillesse, par exemple le renoncement à certaines délicatesses comme les huîtres ou les champignons, l’abstention de vin ou encore de bains et de parfums (cf. Lettre CVIII 15-16).

120. Lettre X X 1.121. Lettre L X X V III 16.

LE STOÏCISME D’ÉPOQUE IMPÉRIALE 185

Si le corps peut arriver par l’entraînement à cette capa­cité de résistance qui lui fait endurer coups de poing et coups de pied de plusieurs assaillants ; qui permet à un homme de durer tout un jour, en plein soleil, dans une poussière brû­lante, tout dégouttant du sang qu’il perd, combien il serait plus facile à l’âme de fortifier son énergie pour recevoir, sans lui accorder victoire, les coups de la Fortune et, terrassée, foulée par elle, se relever toujours 122.

Ces points de convergence, qui méritent d’être soulignés, ne doivent pas cependant masquer l’écart entre les deux perspec­tives. A son lecteur Sénèque propose de faire comme s’il était pauvre, et ceci temporairement, alors que Diogène prêchait et vivait authentiquement une pauvreté quotidienne. De toute évi­dence, pour les gens à qui s’adressait Sénèque, l’ascèse de l’âme devait aller de soi, tandis que le type d’ascèse corporelle qu’il préconisait pour des durées limitées appelait justification. Aussi Sénèque s’emploie-t-il à démontrer que l’homme, grâce au régime de vie éprouvant que cette ascèse suppose, peut prendre conscience que la pauvreté qui fait si peur ne comporte en soi rien de terrible.

Mais c'est avec Musonius Rufus que la distinction d'une double ascèse, du corps et de l'âme, pratiquée dans une perspec­tive clairement morale, apparaît de la façon la plus évidente. Les hasards de l’histoire nous ont par chance conservé, parmi plusieurs diatribes de Musonius, un Περί άσκήσεως123 et un "Οτι πόνου καταφρονητέον124. La simple lecture de ces deux textes permet de saisir à quel point le philosophe stoïcien a pu être influencé par le cynisme. La diatribe Sur l'ascèse insiste en effet sur la nécessité de l'exercice dans l’acquisition de la vertu, laquelle, en aucun cas, ne saurait se réduire à une science théo­rique ; il faut s’exercer notamment à résister aux plaisirs et à mépriser les biens apparents. « C’est pourquoi il faut que l’exer­cice suive de toute façon l’appréhension des connaissances appro­priées à chaque vertu, si du moins l’on veut que cette appréhen­sion elle-même ait quelque utilité pour nous. » 125 Musonius rappelle que le ponos, la mort ou la pauvreté ne sont pas des

122. Lettre L X X X 3.123. St o b é e III 29, 78 ; t. H I, p. 648, 1-651, 21 Hense ; p. 22-27 dans les

Musonii Reliquiae de O. Hense.124. St o b é e . III 29, 75; t . III, p . 643, 10-646, 2 Hense ; p . 28-31 Mus. Rel.125. St o b é e III 29, 78 ; t. III, p. 648, 21-649, 2 Hense ; p. 23, 14-17 Mus.

Rel. Nous avons em prunté pour les passages de Musonius la traduction du Père Λ. (. F e s t u g iè r e , Deux prédicateurs de l ’antiquité : Télés et Musonius, Paris, 1978.

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186 LE STOÏCISME

maux et qu’inversement la richesse, la vie ou le plaisir ne sont pas des biens.

Dans le "Οτι πόνου καταφρονητέον, il exprime son regret de voir les gens se donner du mal pour des ponoi que lui-même juge inutiles, par exemple à cause de leur amour sans frein ou encore pour gagner de l’argent ou acquérir de la réputation. Il s’étonne de voir des jongleurs accomplir des exploits gratuits, faire la culbute sur des poignards, marcher en l’air sur la corde raide ou voler comme des oiseaux pour un petit salaire, alors que des gens refusent de se donner de la peine pour l’entière béatitude. C’est en direction de la vertu qu'ils devraient au contraire diriger leurs efforts, car celle-ci procure bonheur et félicité126. L'entraînement aux ponoi, en tout cas, se révèle la condition indispensable de la vertu et Musonius conclut : « Celui qui ne veut pas se donner de la peine prononce presque contre lui-même le jugement qu’il n’est digne d’aucun bien, puisque c’est par la peine que nous acquérons tous les biens. » 127

L’arrière-plan théorique de Musonius est donc ici en parfaite harmonie avec les grandes idées de la morale diogénienne. Mais en même temps Musonius est un Stoïcien et, quand bien même il ne renchérit pas sur l’intellectualisme, il reconnaît qu’en soi la théorie est valable, que l’homme pour acquérir la vertu ne peut se passer de l’appréhension des connaissances ; toutefois celle-ci doit être suivie d’un entraînement effectué selon ces connaissances, car pour Musonius s’habituer à agir selon la théorie est plus efficace pour acquérir la vertu que la théorie elle-même qui enseigne en quoi consiste la conduite droite. En dernière instance, même si la théorie précède la pratique et apparaît comme indispensable, c’est cette dernière qui se révèle la plus nécessaire, car la plus efficace128. Le stoïcisme de Muso-

126. Cf. Sé n è q u e , De ira II 12, 4-6 et É p ic t è t e I II 12, 2.127. St o b é e III 29, 75 ; t. III, p. 645, 19-21 Hense ; p. 31, 9-11 Mus. Rel.

O n retrouve la même idée dans le Π ερ ί άσκήσεως 184, i du P s eu d o -P l u t a r q u e , conservé en syriaque : « Es gibt aber kein Gutes, das ohne M ühe erworben oder, wetin erworben, bew ahrt würde » (trad. Gildemeister-Bücheler, p. 533). V oir aussi un fragm ent du Télèphe d ’E uR ip iD E transmis par St o b é e III 29, 10 ; t. III, p. 628, 10-629, 1 Hense : « I l est nécessaire que ceux qui veulent être heureux se donnent du mal ». Pour une critique de ceux qui ne veulent pas se donner de peine, voir le fr. 25 de M u so n iu s , p. 120, 4-7 Mus. Rel.

128. Cf. St o b é e I II 29, 78 ; t. III , p. 648, 5-11 Hense ; p. 22, 9-23, 3 Mus. Rel.« D e même que le médecin et le musicien ne doivent pas seulement avoir assumé les principes chacun de son art, mais aussi s’être exercés à agir selon les principes,de même celui qui veut être un homme vertueux ne doit pas seulement avoirappris à fond toutes les connaissances qui porten t à la vertu, mais aussi s’êtreexercé selon ces connaissances avec zèle e t laborieusement ».

LE STOÏCISME D’ÉPOQUE IMPÉRIALE 187

nius transparaît bien dans sa conception de Yaskèsis m . Partant de l’anthropologie dualiste traditionnelle chez les Stoïciens, il en Lire la conclusion suivante à propos de la nature de l’ascèse.

Comme l’homme n’est pas seulement une âme ni seule­ment un corps, mais un composé de ces deux, celui qui s’exerce doit nécessairement prendre soin des deux, plus de la partie supérieure, c’est-à-dire de l’âme, comme il est juste, mais il doit prendre soin aussi de l’autre partie, si du moins aucune partie de l’homme ne doit être défectueuse 13°.

Mais, comme si Yaskèsis corporelle n’était pas évidente pour le lecteur ou l’auditeur de cette diatribe, Musonius éprouve aussitôt le besoin de la justifier :

Il faut en effet que le corps de celui qui s'adonne à la philosophie soit bien disposé pour les travaux corporels, parce que souvent les vertus se servent du corps comme d’un instrument nécessaire pour les activités de la vie m.

Il s’agit cette fois d'une askèsis corporelle pratiquée de façon constante et non momentanée, comme celle à laquelle songeait Sénèque. Explicitement, en tout cas, Musonius réserve à l’exercice physique un rôle dans l’agir moral. Aussi Yaskèsis qu'il recom­mande est-elle double : « Une partie donc de l’exercice devrait être correctement propre à l’âme seule, une autre partie devrait être commune à l'âme et au corps. » 132 Or, il est facile de constater que les exercices qu’il cite comme relevant de l'ascèse commune à l’âme et au corps sont exactement les mêmes que ceux conseillés par Diogène.

Ainsi donc l’exercice commun aux deux aura lieu si nous nous accoutumons au froid, au chaud, à la soif, à la faim, à la frugalité de la nourriture, à la dureté de la couche, à l’abstinence des choses agréables, au support des choses pénibles. Par ces méthodes et autres semblables, le corps d’une part se fortifie, devient impassible contre la douleur, ferme, utile à toute tâche ; l’âme, d’autre part, se fortifie en

129. Sur l ’ascèse selon M u s o n iu s , voir A. C. V a n G e y t e n b e e k , Musonius Rufus and greek diatribe, revised édition, translated by B. L . Hijmans Jr, coll. « W ijsgerige Teksten en studies », 8, Assen, 1963, pp. 40-50; R. L a u r e n t i , « L a concezione délia v irtù in M usonio », Sophia 35 (1967) 301-317.

130. St o b é e I I I 29, 78 ; t. I II , p. 649, 12-17 Hense ; p. 24, 9-14 Mus. Rel.131. Ibid., p. 649, 18-650, 1 Hense ; p. 24, 14-25, 4 Mus. Rel.132. Ibid., p. 650, 1-3 Hense ; p. 25, 4-6 Mus. Rel.

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188 LE STOÏCISME

s'exerçant d’un côté au courage par le support des choses pénibles, de l’autre à la tempérance par l’abstinence des choses agréables133.

Ce passage pourrait constituer une excellente définition de l’entraînement propre au Cynique. Vient ensuite une description de l’exercice spécifique de l’âme, lequel

consiste d’abord à faire que soient toujours à notre dispo­sition les démonstrations qui prouvent que les biens appa­rents ne sont pas des biens et que les maux apparents ne sont pas des maux, et à s’accoutumer à séparer et distinguer les vrais biens de ceux qui ne le sont pas vraiment ; il consiste ensuite à s’exercer et à ne fuir aucun des maux apparents et à ne poursuivre aucun des biens apparents, à rejeter par tout moyen les maux vraiment tels et à recher­cher de toute manière les biens vraiment tels 134.

L’impression qu’on a en lisant cette diatribe c’est que Muso- nius, en bon Stoïcien, est convaincu du caractère irremplaçable de l’ascèse de l’âme, mais qu’en plus, en héritier du cynisme, il est sensible à l’importance de ces adversaires que sont ponos et hèdonè, donc à la nécessité d’une ascèse corporelle à finalité morale. Il tente alors une appropriation stoïcienne de l’ascèse cynique, en établissant cette distinction un peu boiteuse, il faut bien le reconnaître, d'une double askèsis, de l’âme d’une part, du corps et de l’âme de l’autre.

Épictète, son élève, sera moins clair sur la distinction de deux formes d’ascèse, mais on sent cependant celle-ci sous- jacente aux Entretiens et au Manuel. Plus intellectualiste que celle de Musonius, la morale d’Épictète est centrée sur cette réalité complexe qu’est la prohairesis, à la fois acte de l’intellect et fonction permettant à l’homme de faire un usage rationnel de ses représentations, cette prohairesis qu’il présente comme une faculté supérieure usant des autres facultés comme de ses ser­vantes 135. Pour que cette prohairesis s’oriente vers les actes de la vertu, il faut exercer son jugement. C'est pourquoi Épictète insiste tant sur la nécessité d'une ascèse de l’âme qui soit à la fois théorique (lecture, méditation, réflexion. . . ) 136 et pratique

133. Ibid., p. 650, 3-11 Hense ; p. 25, 6-14 Mus. Re/.134. Ibid., p. 650, 11-19 H ense; p. 25, 14-26, 5 Mus. Rel.135. É p ic t è t e . I I 23,6-15. Sur l’in te l le c tu a l ism e d ’É p ic tè te e t sur la

prohairesis, v o i r A. J. V o e l k e , op. cit., pp . 131-160.136. Cf. le titre de I 17 et de I I 25 : De la nécessité de la logique.

LE STOÏCISME D’ÉPOQUE IMPÉRIALE 189

(beaucoup d’exercices très intellectualisés, comme s’entraîner à faire face aux représentations, à refréner ses désirs...)137. Concer­nant le corps, il refuse l’ascèse corporelle pratiquée comme fin en so i138, mais n'exclut pas une ascèse corporelle à finalité morale. C’est ainsi que dans son Περί άσκήσεως, après avoir montré que l’exercice doit porter d’abord sur les désirs et les aversions, en second lieu sur la volonté et en troisième lieu sur l’assentiment, il conclut en faisant intervenir une ascèse corporelle dont le but serait de régler désirs et aversions.

Tous les procédés qu’appliquent à leur corps ceux qui l’exercent sont de bons exercices, s’ils ont pour but de régler le désir et l’aversion ; mais si c’est pour l’exhibition, ils sont bons pour des gens qui se penchent vers le dehors, qui cherchent autre chose que nous, qui veulent entendre des spectateurs dire : « Oh ! le grand homme ! » 139

On retrouve encore un écho de cette ascèse du corps qui agit directement sur les désirs dans le passage suivant où Épic­tète rejoint l'idée d’une ascèse corporelle temporaire chère à Sénèque :

Exerce-toi parfois à te conduire en malade, pour te conduire un jour en homme sain. Jeûne, bois de l’eau, abstiens-toi de tout désir pour ne plus avoir un jour que des désirs raisonnables. Si tu as des désirs raisonnables, lorsque tu posséderas en toi-même un bien, tu désireras comme il fa u t140.

De par son intellectualisme personnel, Épictète était donc beaucoup moins porté que son m aître vers la pratique corpo­relle 141. Il est intéressant toutefois de constater qu’il lui accorde,

137. Cf. le titre de I I I 12 : Sur l'ascèse. Sur la nécessité de l ’exercice, vo ir par exemple II 9, 13 : « Aussi les philosophes professent qu’il ne suffit pas d ’apprendre, mais qu’il faut en plus la méditation (rnélétè), puis l ’exercice (askèsis) » [trad. É. Bréhier], Pour des exemples précis d ’exercices, voir aussi III 3, 14-16. Sur le thème de l’exercice spirituel chez Épictète, se reporter à P. Rabbow, Seelenführmg. Meihodik der Exersjtien in der Atttike, M unich, 1954, notam m ent pp. 131-145 ;B. L. H ijm ans Jr, *Α σ κη σ ις. Notes on Epictetus’ educational system, coll. « Wijs- gerige Teksten en Studies », 2, Assen, 1959, 110 p. ; P. H a d o t, op. cit., pp. 17-25. Rappelons seulement que dans tous les exercices spirituels prônés par Épictète est à l’œuvre la prosoebè, l’attention, qui fait intervenir le tonos de l’âme, sa tension, sa vigilance. Cf. IV 12.

138. Cf. Manuel 41 ; Entretiens III 12.139. É p ic t è t e III 12, 16 (trad. Bréhier).140. É p ic t è t e III 13,21 (trad. Bréhier).141. Cf. A. B o n h o f f e r , Die Ethik des Stoikers Epictet, S tuttgart, 1894, p. 71 :

« Si Musonius déjà, malgré sa propension à l’ascèse, est des plus éloigné de l’in-

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190 LE STOÏCISME

en tant qu'elle peut être une aide pour l’entraînement moral, une place réelle à côté de ces exercices spirituels dont il fut l’un des champions.

C o n c l u s io n

Assumer l’héritage socratique, telle fut la tâche difficile que durent affronter le platonisme, le cynisme et le stoïcisme. Peut- être est-ce chez Platon que l’on découvre le plus de traces de l’intellectualisme conséquent de Socrate, même si la fidélité du disciple n’est pas la même dans les premiers dialogues et dans les derniers. Parce qu'il avait dû être subjugué par le témoignage puissant de la personnalité de Socrate, Antisthène, dans sa façon de concevoir le bonheur, tint, quant à lui, à accorder une place spécifique à Yischus socratique. Mais il ouvrit ainsi la brèche où devait s’épanouir librement la morale de ce « Socrate devenu fou» que fut Diogène. C’est ainsi que l’entraînement aux ponoi allait devenir pour tout le cynisme postérieur « le court chemin

culture de D iogène, ceci vau t encore bien davantage pour É pictète ». Un peu plus loin Bonhôffer établit une comparaison très intéressante entre l’ascèse selon Épictète et l’ascèse cynique, telle du m oins que la concevait Épictète, notam m ent dans son entretien III 22 (Sur le cynisme) pour lequel nous disposons aujourd’hui du remarquable ouvrage de M argarethe B i lle rb e c k déjà cité : Epiktet. Vom Kynismus : « L ’ascèse cynique ne joue chez Épictète aucun rôle ; elle n ’a de signification pour lu i qu ’en tant qu’ascèse au sens propre, qu’en tan t qu ’exercice, et non comme bu t en soi, qu ’en tan t qu’elle est un moyen relatif nécessaire, pour parvenir à la liberté morale, et non en tant que m om ent essentiel de la vie morale. C’est uniquem ent pour le Cynique que l’ascèse relève de la profession : celui-ci est en effet destiné à m ontrer aux hommes bien clairem ent à partir de sa propre personne combien le minimum suffit pour se tirer d’affaire et combien le bonheur dépend au m inim um des possessions extérieures. A l’exemple personnel Épictète de façon générale attribue une influence plus grande qu’à to u t enseignement ou exhortation. C’est pour cette raison qu’il considère comme nécessaire l’entrée en scène des Cyniques ; mais il ne laisse subsister absolument aucun doute sur le fait que le vrai Cynique doit être un homme aux dons extraordinaires, dons qui ne peuvent nullem ent être un but auquel tendre ni un objet d’imitation. (...) T o u t le côté ‘ ascèse ’ que présente le Cynique n ’est là que pour le grand nom bre, car, pour que celui-ci comprenne dans une certaine mesure que les biens terrestres sont sans valeur, on doit lui po rter devant les yeux, pour ainsi dire en couleurs appuyées, le dédain de ces mêmes biens. Mais pour la perfection personnelle du Cynique en tant qu’homme, l ’ascèse n’est absolument pas nécessaire ; elle n ’est qu’un moyen exceptionnel qui aide à l’amélioration des masses. Dans un É ta t de sages, le cynisme serait totale­m ent sans signification. » I l convient de préciser clairement que c’est là la façon dont Épictète com prend le cynisme, mais que jamais Diogène n ’aurait admis que l’ascèse qu’il pratiquait à longueur de journée n ’était pas nécessaire à sa perfection morale personnelle.

CONCLUSION 191

vers la vertu ». Quant aux Stoïciens, acculés à deux fidélités diffi­cilement compatibles : fidélité à leurs maîtres directs, les Cyni­ques, et fidélité à Socrate, dont ils tenaient par-dessus tout à se proclamer les héritiers, ils tentèrent l’impossible conciliation, maintenant fermement l’intellectualisme, mais proclamant en même temps la nécessité de l’exercice spirituel, sans toutefois renoncer à la pratique d'une ascèse corporelle qui revêtit des formes plus ou moins rigoureuses selon la personnalité de chacun.

Dans l’ensemble des mouvements philosophiques, le cynisme occupe indéniablement une position originale, tellement originale qu’on a voulu lui contester son statut de mouvement philosophi­que. Diogène n’hésita pas à proposer comme démarche philoso­phique essentielle un entraînement quotidien du corps aux ponoi, sous la forme d’un genre de vie dominé par la pauvreté et la frugalité extrêmes. De la sorte la santé de l’âme se trouvait directement liée à une ascèse du corps et la vertu soumise bien davantage à la force de la volonté qu’aux jugements du logos.

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TROISIÈM E PARTIE

COMMENTAIRE DE DIOGÈNE LAERCE VI 70-71

7

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Le but de toute cette étude était, comme nous l'annoncions au départ, de pouvoir rendre compte du passage doxographique consacré à l’ascèse selon Diogène, que transmet Diogène Laërce VI 70-71. Maintenant que nous avons tenté de définir les inspi­rations sous-jacentes à la pratique morale de Diogène et de situer sa morale face au socratisme et au stoïcisme, il nous semble être davantage en mesure d'apprécier l'authenticité des lignes en question.

A. TEXTE ET TRADUCTION DU PASSAGE

Avant d'examiner les théories énoncées dans ce passage, il convient d'en donner une traduction aussi littérale que possible, en se gardant d'introduire trop rapidement des liens entre les différentes affirmations de cette doxographie ·.

D.L. VI 70 :

(a ) Διττήν δ’ ελεγε είναι την άσκησιν, την μέν ψυχικήν, την δέ σωματικήν · (h ) ταύτην καθ’ ήν έν γυμνασία συνεχεϊ γινόμεναι φαντασίαι εύλυσίαν προς τά της άρετης εργα παρέ­χονται.

(a) L'ascèse présente deux for­mes 2, disait Diogène, l’une spirituelle, l'autre corporelle,(b) cette ascèse (corporelle), au cours de laquelle des repré­sensations, nées dans un exer­cice constant, permettent de se tourner avec aisance vers les œuvres de la vertu.

i . Le texte est celui de l’édition de D io g è n e L a ë r c e par H . S. L o n g , coll. « Oxford ClassicalTexts », Oxford, 1964 (réimpression 1966), tome II, p. 277, 6- 278, i l . F . L é o , Die griechisch-rômische Biographie, Leipzig, 1901, pp. 49-50, a suggéré que le par. 70 pourrait être la suite directe du par. 23 qui fait allusion à des exercices pratiqués par Diogène. Avec raison, V o n F r it z , op. cit., pp. 11-12, réfute cette hypothèse, estimant que le passage de la description de la vie à la présentation de la théorie philosophique serait beaucoup trop abrupt.

1. La pratique de la diairesis est une sorte de tic doxographique que l’on retrouve fréquemment. V oir par exemple D .L. V II 43 et 51. Parfois, et c’est le cas dans notre passage, la division num érique est exprimée. Ainsi en D .L. III 82.

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196 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

(c ) είναι δ’ άτελη τήν έτέραν χωρίς της έτέρας, ούδέν ήττον ευεξίας καί ισχύος èv τοΐς; προσήκουσιγενομένης, ώ ςπερ ί την ψυχήν καί περί το σώμα.

( d ) παρετίθετο δέ τεκμήρια τοΰ ραδίως άπο της γυμνασίας έν τη άρετη καταγίνεσθαι *

(e) όραν τε γάρ ëv τε ταΐς τέχναις βαναύσοις καί τα ΐς άλλαις ού την τυχοΰσαν όξυ- χειρίαν τούς τεχνίτας άπο της μελέτης πεποιημένους τούς τ ’ αύλητάς καί τούς άθλητάς δσον ύπερφέρουσιν έκάτεροι τη ίδια πονήσει τη συνεχεΐ, καί ώς ούτοι εί μετήνεγκαν τήν άσκησιν καί επ ί τήν ψυχήν, ούκ άν άνωφελώς καί άτελώς έμόχθουν.

(c) Mais l’une de ces deux formes reste privée d'effet3

sans l’autre, car vigueur et force ne sont pas moins au nombre des qualités qu'il con­vient de rechercher: comme c’est vrai pour l’âme, c’est vrai aussi pour le corps.

(d) Il avançait des preuves pour montrer qu’il est facile à partir de l’exercice de rési­der dans la vertu.

(e) On voit en effet, disait-il, combien, dans les métiers ma­nuels et les autres, les arti­sans qui ont acquis par suite de la pratique un savoir-faire hors du commun, combien aussi les joueurs de flûte et les athlètes4 excellent dans leur domaine respectif grâce au labeur constant qui leur est propre ; s’ils faisaient por­ter les fruits de leur ascèse sur l’âme également, comme la peine qu’ils se donnent ne serait ni inutile ni vaine !

83. 84 ou en V II 130. O n retrouve ce même procédé chez A r i u s D id y m e dans ses doxographies stoïcienne (S to b é e II 7, j^ · ; t. II, p . 64, 13 W achsm uth ; II 7, 6» ; t. II, p. 76, 16 ; II 7, 11“ ; t. II, p. 94, 21 ; II 7, n * ; t. II, p. 103, 17 ; II 7, n » ; t. II, p . 112, 2) e t péripatéticienne ( S to b é e II 7,13 ; t. II, p . 117,18 Wachs­muth).

3. O n retrouve le même m ot άτελής employé dans un contexte absolument identique chez P l u t a r q u e , De Uberis educandis 4, 2 B ; le passage souligne la nécessaire complémentarité de la φύσις, de la μάθησις et de 1’άσκησις dans l’édu­cation : ή μέν γάρ φύσις άνευ μαθήσεως τυφλόν, ή δέ μάΟησις δ ίχα φύσεως έλλιπές, ή δ’ άσκησις χω ρίς άμφοΐν άτελές.

4· Les exemples choisis par Diogène doivent retenir l ’attention. E n effet, si l’on peut considérer l ’entraînem ent de l’athlète ou de l’artisan comme purem ent corporel, celui des joueurs de flû te est en revanche beaucoup plus complexe, puisqu’il fait in tervenir non seulement la technique instrumentale, mais aussi l ’étude de la musique. Par conséquent, l’entraînem ent qui aux yeux de Diogène est inutile, n ’est pas uniquem ent celui qui vise une finalité corporelle, mais bien p lu tô t to u t entraînem ent dont la finalité n’est pas morale.

TEXTE ET TRADUCTION 197

( f ) Ούδέν γε μήν έλεγε το παράπαν èv τω βίω χωρίς άσκήσεως κατορθοϋσθαι, δυ­νατήν δέ ταύτην παν έκνική- σαι.

( y ) δέον οδν άντι των αχρή­στων πόνων τούς κατά φύσιν έλομένους ζην εύδαιμόνως,

VI 71 :

(Ιι) παρά τήν άνοιαν κακοδαι- μονοϋσι.

( i ) καί γάρ αύτης της ήδο- νής ή καταφρόνησις ήδυτάτη προμελετηθεΐσα, καί ώσπερ οί συνεθισθέντες ήδέως ζην, άηδώς επί τουναντίον μετία- σιν, οδτως οί τούναντίον άσκη- Οέντες ήδιον αύτών τών ήδονών καταφρονουσι.

( j ) τοιαϋτα διελέγετο καί ποιών έφαίνετο, όντως νόμισ­μα παραχαράττων, μηδέν ου- τω τοΐς κατά νόμον ώς τοΐς κατά φύσιν διδούς '

(f) A vrai dire, rien, disait-il, strictement rien ne réussit dans la vie sans ascèse ; celle- ci est capable de triompher de tout.

(g) Il faudrait, par consé­quent, vivre heureux en choi­sissant au lieu des labeurs inutiles ceux qui sont confor­mes à la natu re5.

(h) C'est à cause de leur folie que les hommes sont malheu­reux.

(i) Et de fait, du plaisir lui- même le mépris est des plus doux, à condition de s’y être exercé au préalable. Tout comme les gens qui se sont accoutumés à une vie de plai­sirs trouvent déplaisant de passer au style de vie opposé, de même ceux qui se sont exercés au style de vie op­posé éprouvent plus de plaisir à mépriser les plaisirs eux- mêmes.(j) Tel était le langage que tenait Diogène et de toute évidence il y conformait ses actes, falsifiant réellement la monnaie6, n’accordant point du tout la même valeur aux prescriptions de la loi qu’à celles de la nature,

5. Ainsi pour D iogène il existe deux grandes catégories de ponoi, les uns utiles, les autres non. Comme les premiers sont dits ici κατά φύσιν, on peut supposer que les seconds se trouvent liés à la v ie en société (cf. pp. 53-57).

6. Cf. p. 69, n . 173. Sur la falsification de la monnaie de Sinope traditionnelle­ment attribuée à Diogène, ou à son père, ou aux deux, voir D .L. V I 20-21.56 ; Souda, s.v. Διογένης, Δ 1143 ; t. II , p. 101, 26-27 Adler ; Δ 1144 ; p. 102, 3-4

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198 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

( k ) τον αυτόν χαρακτήρα τοΰ (k ) disant qu’il menait préci-βίου λέγων διεξάγειν δνπερ sèment le même genre de v ie7

καί 'Η ρακλής, μηδέν έλευθε- qu’Héraclès, en m ettant laρίας προκρίνων. liberté au-dessus de tout.

Ce texte et cette traduction appellent un certain nombre de remarques. Nous les faisons en suivant l’ordre des paragraphes.

(b) ταύτην introduit ici une précision. D’un point de vue grammatical, il ne peut que renvoyer au dernier terme cité, c’est-à-dire τήν δέ σωματικήν, ainsi que l’ont compris la majorité des traducteurs ou des commentateurs8. Cependant R. Hoistad, tout en étant conscient de la coutume grammaticale, rattache ταύτην à την μέν ψυχικήν pour des raisons dogma­tiques : « Il est bien peu probable que Diogène, avec son attitude critique parfaitement connue à l’égard de l’athlétisme, attitude qui apparaît à l’évidence précisément au paragraphe 70, se soit fait le champion d’une άσκησις physique qu’il aurait envisagée comme créant directement des φαντασίαι ayant une valeur morale. » 9

Pour le mot συνεχεΐ, nous nous écartons du texte de Long. Celui-ci a adopté la leçon des manuscrits B et F : συνεχείς. Il faudrait alors construire συνεχείς . . . φαντασίαι. L’apparat de

A dler ; L u cien , Double accusation 24. Cette falsification réelle de la m onnaie a pris une valeur sym bolique et D iogène est devenu celui qui falsifie les coutum es, les valeurs traditionnelles. C’est ainsi que dans no tre passage on le voit falsifier les notions de ponos et d ’hédone. Pour une telle valeur de la falsification, v o ir Ju lien , Discours IX 8, 188 AB ; IX 12, 192 BC et V II 4, 208 D ; V II 7, 211 B, ainsi que l ’expression utilisée par Alexandre dans P lu ta rq u e , De Alexandri magni fortuna aut virtute I 10, 332 C : δει κάμε νόμισμα παρακόψαι κ α ί παραχαράξαι τό βαρβαρικδν Έ λληνικη πολιτείςι.

η. D . R. D u d l e y , A History of Cynicism, p. 31, tire de l’expression τδν αύτον χαρακτήρα τοΰ βίου la conclusion suivante : « La phrase suggère que nous avons peut-être affaire aux m ots véritables utilisés par D iogène ; χαρακτήρ ainsi employé est une m étaphore num ismatique ». É p i c t è t e I I I 22, 50 et 80, fait allusion lui aussi au χαρακτήρ de D iogène, c’est-à-dire à la m arque que celui-ci im prim e sur sa vie ; il s’agit certainement là encore d’une allusion à la falsification de la monnaie.

8. Ainsi G . C. C ob et (Paris, 1850, deuxième édition 1862), O . A p e lt (Leipzig, 1921), R. D . H ick s (Londres/New Y ork, 1925), D . R. D u d le y , op. cit., appendice II, p. 217, M. G ig a n te (Bari, 1962), R. G e n a i l le (Paris, 1965) et L. Paquet, Les Cyniques grecs. Fragments et témoignages, coll. <( Philosophica », 4, O ttaw a, 1975, p. 90. Signalons au passage une om ission dans l’apparat de L o n g. Les m ots καθ’ ην (sic) sont rajoutés supra lineam dans le m anuscrit P (Parisinus Graecus 1759).

9. R. H o ista d , Cynic Hero and Cynic King. Studies in the Cynic conception o f man, Uppsala, 1948, pp. 41-42.

TEXTE ET TRADUCTION 199

Long indique que P post correctionem propose συνεχές, auquel cas il s'agirait d ’un adverbe destiné à préciser le sens du participe γινόμεναι. En fait, la consultation du manuscrit P (Parisinus Graecus 1759, fol. 127v) nous a permis de vérifier qu’il n ’y avait aucune correction dans P. On constate seulement que la fin du mot συνεχείς y est abrégée. P, B et F ont donc la leçon συνεχείς. Reiske, enfin, a suggéré de corriger συνεχείς en συνεχεΐ, cet adjectif devenant alors l’épithète de γυμνάσιά. Cette correction a été adoptée notamment par Apelt ( « bei deren regelmàssigem Betrieb »)10, Hicks (« with constant exercice ») u, Hieronymus ( « in anhaltender Übung » ) 12 et Paquet (« par un exercice continu » )13. Considérant que συνεχεΐ suit immédiatement γυμνάσιά, que d’autre part l’idée d'un exercice constant revient à la fin du paragraphe 70 (τν) ιδία πονήσει τη συνεχεΐ) et qu’enfin, d’un point de vue moral, il importe avant tout que l’exercice soit de tous les instants, nous nous rangeons à la même solution.

(c) Pour l’ensemble des traducteurs ou des commentateurs w, cette phrase viserait à enseigner la nécessité d’une ascèse spiri­tuelle analogue à l’ascèse corporelle. Cependant, d ’après les termes de la comparaison qui se trouve à la fin de la phrase, on est contraint, nous semble-t-il, de conclure de l’âme au corps et non du corps à l’âme. C’est bien la nécessité d’une ascèse corporelle qui, aux yeux de l’auteur, demande à être reconnue,

10. Tome I, p. 290.11. Tom e II, p. 71.12. F. H ie r o n y m u s , Μ ελέτη, Uebutig, Lernen und angren ende Begriffe

(Diss.), Bâle, 1970, tom e I, p. 57.13. L. P a q u e t , op. cit., p. 90.14. Ainsi C o b e t , p. 149 : « Porro alteram sine altera esse imperfectam,

nihilominus bono habitu et robore inter ea quae com petunt adnumerato, quippe quae veluti circa corpus, ita et circa animam sin t », A p e l t , t. I, p. 290 : « Z ur vollkommenen Bildung sei die eine so unentbehrlich wie die andere ; denn W ohlsein und Kraft gehoren zu den Forderungen fiir die Seele so gu t wie fiir den K ôrper », G e n a il l e , tom e II, p. 32 : « la bonne santé et la force n ’étant pas moins utiles que le reste, puisque ce qui concerne le corps concerne l ’âme aussi ». H ic k s , tome II, p. 71, en traduisant : « g o o d health and strength being just as inuch included am ong the essential things, whether for body or soul » esquive la difficulté de la comparaison. D e même G ig a n t e : « La buona condizione fisica <- la forza sono g li elementi fondamentali per la salute dell’anima e del corpo » ; Pa q u e t : « la bonne form e et la force ne font pas moins partie des choses essen-1 telles tan t pour l’âme que pour le corps ». Q uant à H o is t a d , op. cit., pp. 41-43, il a compris, à en juger par le commentaire qu ’il donne de ces lignes, qu’il fallait passer de l’âme au corps et que c’était le corps qui lui aussi devait bénéficier de la bonne santé et de la force. Sur cette conclusion nous le suivons, même si nous ne sommes pas d ’accord avec les arguments qu’il utilise pour en dém ontrer le bien-fondé.

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200 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

du moins si l’on veut s’en tenir à la lettre du texte. D'autre part, à la suite des mots ούδέν ήττον, on attendrait une expression du type έν τω σώματι ή έν τη ψυχ/j. Mais, probablement à cause de la proposition qui précède (είναι 8’ άτελή την έτέραν χωρίς της έτέρας), l’auteur s’est contenté d’une formulation plus ellip­tique et a préféré reprendre son idée à la fin de la phrase sous une forme plus positive : ώς περί την ψυχήν καί περί το σώμα.

(e) L’infinitif όραν dépend d’un έλεγε sous-entendu, comme il est fréquent dans les textes doxographiques. Voir par exempleVI 72 : μόνην τε ορθήν πολιτείαν είναι τήν έν κόσμω ; VI 73 : μηδέν τε άτοπον είναι . . .

Par l’expression εί μετήνεγκαν τήν άσκησιν καί έπί τήν ψυχήν, Diogène suggère un dépassement de l’ascèse des artisans, des athlètes et des joueurs de flûte ; le but visé ne doit pas être un savoir-faire pratique 15.

(h) A cause de l’asyndète, il est difficile de voir au premier abord quel lien cette proposition entretient avec l’affirmation qui précède.

(i) Pour le comparatif ήδιον, nous comprenons que les gens qui s’exercent à un style de vie excluant les plaisirs trouvent dans le mépris du plaisir davantage de plaisir qu’ils en auraient éprouvé s’ils avaient choisi de mener une vie de plaisirs u.

(k) Grammaticalement, προκρίνων pourrait se rapporter aussi bien à Héraclès qu’à Diogène. Les deux constructions aboutissent en fait au même sens : Héraclès m ettait la liberté au-dessus de tout et Diogène fit de même.

B. QUELQUES INTERPRÉTATIONS ANTÉRIEURES

Ce texte capital a suscité l’intérêt des spécialistes du cynisme ancien, qui en ont cependant donné des interprétations fort divergentes.

Ainsi, pour K. von Fritz, ces deux paragraphes ne provien­draient pas d’un écrit de Diogène mais d’un faux rédigé par des Stoïciens et attribué par eux intentionnellement à Diogène17.

15. Diogène veut que les fruits de l ’ascèse corporelle servent également à l ’âme. Par conséquent, non seulement il ne supprim e pas l’ascèse corporelle, mais il lui confère une nouvelle finalité qui est la vertu de l’âme.

16. O n remarquera dans cette phrase la répétition à coup sûr volontaire destermes formés sur ήδύς : ήδονης, ήδυτάτη, ήδέω ς, άηδώς, ήδιον et ήδονών.

*7· QucIIen-Untersuchungeti, pp. 58-59·

QUELQUES INTERPRÉTATIONS ANTÉRIEURES 201

A l'appui de son hypothèse, il montre que le passage offre toute une série de termes techniques qu'il classe en deux groupes : les uns, bien connus d’Antisthène et du cynisme (άσκησις, ήδονή, πόνος, μελέτη), les autres, propres à l’école stoïcienne (φαντασίαι, ατελής, τά προσήκοντα κατορθοΰσθαι18, τά κατά φύσιν αίρεΐσθαι). Von Fritz voit dans la présence simultanée de ces termes la trace d ’un auteur stoïcien. On sait en effet, par Philodème19, que certains Stoïciens de son époque, soucieux de montrer que le stoïcisme se rattachait à Socrate par l’intermé­diaire du cynisme, n’aimaient pas les audaces de bon nombre d’écrits diogéniens et par conséquent en niaient l’authenticité. Philodème rappelle le cas de la Politeia de Diogène. Par Diogène Laërce, on apprend également que l’authenticité des tragédies était contestée20. C’est pourquoi von Fritz en vient à supposer que le catalogue des œuvres de Diogène dû à Sotion et cité par Diogène Laërce VI 80 est une liste d ’inspiration stoïcienne dont se trouveraient exclus les écrits jugés choquants d'un point de vue stoïcien et où prendraient place des titres d'écrits rédigés par des Stoïciens et faussement attribués au philosophe cynique. Ainsi s’expliquerait le fait que la liste de Sotion, qui comporte quatorze titres, en ait seulement cinq en commun avec l’autre liste des écrits de Diogène citée par Diogène Laërce qui, elle, en compte vingt et un. Selon cette hypothèse, von Fritz suggère que le passage sur l’askèsis pourrait être extrait d’un de ces ouvrages de rédaction stoïcienne, en l’occurrence le Περί άρετής.

Tout se résout pour le mieux si l’on accepte que le pas­sage provient d’un écrit qui fut faussement attribué à Diogène par les Stoïciens. Il est de plus caractéristique que ceux-ci, dont la perspective était de rattacher le stoïcisme à Socrate, aient rassemblé à partir d’éléments stoïciens et antisthéniens ce qu’ils attribuaient faussement à Diogène21.

C’est sur la base d'une analyse du vocabulaire que von Fritz avait récusé l'authenticité diogénienne du passage. Tout en recon­naissant que plusieurs des termes techniques employés sont nés

18. E n fait, ces deux m ots ne sont pas réunis dans le texte, ainsi que l ’avaient déjà remarqué D u d l e y , A History of Cynicism, p. 218 et H ô is t a d , Cynic Hero and >'ynic King, p. 39. Il est possible d’ailleurs que le rapprochement des deux termes fiiez von Fritz soit dû à l’omission d’une virgule.

19. Π ερ ί των Στοικώ ν {PHerc. 339), cols. X I 1-4; X III 12-16 (pp. 58 et (10 C r ô n e r t ; p. 130 R. G ia n n a tta s io A n d r ia ; pp. 101-102 D oran d i).

20. D .L. V I 80. Les fragments de ces tragédies ont été édités par B. S n e l l , l'ragicorum Graecorum Fragmenta, t. I, G ôttingen, 1971, pp. 253-258.

21. Quellen-Untersuchmgen, p. 59.

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2 0 2 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

à l’extérieur du cynisme, D. R. Dudley22 a montré que des expres­sions comme φαντασίαι, άτελής, τά προσήκοντα ou κατορθοΰσθαι, étaient en réalité d’un usage courant dans la prose du iv' siècle et en tout cas bien antérieurs au stoïcisme. Il n’est donc pas invraisemblable que Diogène, qui n ’hésitait pas à recourir à l’argumentation habituelle des écoles philosophiques quand cela servait son propos23, ait usé de ce vocabulaire. Selon Dudley, on pourrait même retrouver dans le cercle de Diogène quel­ques-unes des idées-forces de notre passage24 :

Nous voyons que les théories contenues dans le passage, celle de la sensation et celle de l’éducation, qui en dépend, étaient familières au iv* siècle, que l’interdépendance d’un entraînement de l’esprit et du corps était une doctrine cou­rante dans le cercle de Diogène, que Diogène et les Cyniques contemporains pouvaient emprunter des termes scientifiques quand cela leur convenait. On peut en inférer que, même si les théories du passage ne peuvent avoir été inventées par Diogène, elles ont fort bien pu être exposées dans les 'g e r­mana Diogenis sc r ip ta '25.Comme Dudley, R. Hoistad26 se prononce lui aussi en faveur

de l’authenticité. Non seulement il admet que la plupart des termes signalés par von Fritz étaient déjà employés dans la litté­rature précynique, mais il va jusqu’à considérer le mot φαντασίαι comme un terme technique du langage d’Antisthène et de Dio­gène, à cause d’un passage d’une diatribe d’Épictète où Diogène s’exprime de la sorte :

« Depuis qu’Antisthène m ’a délivré, je ne suis plus un esclave. » Comment l’a-t-il délivré ? Écoute ce qu’il dit : « Il m’a appris ce qui était à moi et ce qui n’est pas à moi ; ma fortune n’est pas à moi ; parents, proches, amis, réputa­

22. Op. cit., pp. 216-220.23. Dudley signale que Diogène recourt aux théories d’Anaxagore en

D .L . V I 73.24. Dudley rappelle à cet égard les théories et les pratiques des Gymno-

sophistes telles que les transm et Onésicrite, le disciple de Diogène (St r a b o n X V 1, 63-65).

25. Op. cit., p. 220. A. B r a n c a c c i, « Le orazioni diogeniane di D ione Crisos- tom o », pp. 164-166, suit Dudley et essaie en outre de m ontrer que dans la pre­m ière section d u Discours V I de D i o n C hrysostom e on rencontre les mêmes thèmes qu’en D .L . V I 70-71. Il en conclut que D ion a utilisé une compilation dérivée de l’ouvrage don t dépend D .L. T o u t en reconnaissant qu’un certain nom bre de thèmes son t comm uns au discours de D ion et au passage de Diogène Laërce, nous hésiterions à tirer une conclusion aussi précise.

26. R. H o is t a d , Cynic Hero and Cynic King, pp. 41-47.

QUELQUES INTERPRÉTATIONS ANTÉRIEURES 203

tion, résidence habituelle, manière de vivre, rien de tout cela n'est à moi. » Qu'est-ce donc qui est à moi ? L'usage de mes représentations ( χρήσιςφαντασιών ). Il m’a montré qu'il n ’y a là pour moi ni obstacle ni contrainte ; personne ici ne peut m 'arrêter, personne ne peut me forcer à en faire un autre usage que je ne veux...27.

Persuadé, par conséquent, de l'origine diogénienne du passage, Hoistad suggère qu'il pourrait provenir de la tragédie Héraclès citée dans la première liste des écrits de Diogène, ou d’une autre œuvre de Diogène dans laquelle Héraclès aurait été chargé de présenter des vues pédagogiques29.

En fait, le parallèle auquel recourt Hoistad à propos du mot φαντασίαι n ’a sans doute pas la valeur qu'il lui prête. La présence de l’expression χρήσις φαντασιών dans ce passage s’explique vrai­semblablement par l’entreprise de réinterprétation du cynisme à laquelle se livre Épictète dans un certain nombre de ses diatribes. C'est ainsi, par exemple, qu’il donne une description du philo­sophe cynique qui fait intervenir les notions-clefs de sa propre éthique :

Mais, quand il s’agit de sa volonté (προαίρεσις) et de l'usage de ses représentations (χρήσις των φαντασιών), tu verras combien d’yeux il a, si bien qu’on peut dire qu’Argus est un aveugle à côté de lui. Voit-on chez lui un assentiment précipité (συγκατάθεσις), une volonté irréfléchie (όρμή), un désir qui manque son but (δρεξις), une aversion (έ'κκλισις) qui tombe sur l’objet détesté...30?

Nous voyons que l’analyse du vocabulaire a conduit les inter­prètes du passage de Diogène Laërce à des conclusions opposées. Notre sentiment est que cette approche du problème peut diffi-

27. É p i c t è t e I I I 24, 67-69 (trad. É . Bréhier).28. H o is t a d , op. cit., p. 47.29. Parmi les œuvres de Diogène citées par D io g è n e L a ë r c e , la Τέχνη ηθική

mentionnée dans la première liste pouvait contenir des vues pédagogiques to u t autant que le Π ερ ί άρετης auquel pensait von Fritz ou le Π ερί άγαθοϋ, œuvres «lui étaient signalées seulement dans le catalogue de Sotion.

30. Entretiens I I I 22, 103-104 (trad. É . Bréhier). Cf. M. B i l l e r b e c k ,/ Ipiktet. Vom Kynismus, pp. 8-9, ainsi que notre compte rendu dans la Revue des études grecques 92 (1979) 570-572. D e façon générale, on assiste avec Épictète à une spiritualisation du cynisme. Un exemple : l’attitude du Cynique face aux ponoi. Aux yeux d ’É piC T È T E , si le Cynique accepte les souffrances, c’est parce qu’il considère qu ’elles lui sont envoyées par Zeus afin de l ’exercer ( I I I 22, 56-57).

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204 COMMENTAIRE DE D.L. VI 70-71

cilement aboutir à des résultats définitifs. D’une part, aucun des termes en question, y compris φαντασίαι, n’est à ce point spéci­fique d’une école philosophique qu’il ne puisse avoir été employé par les philosophes des autres écoles. D’autre part, les doctrines que ce vocabulaire sert à exprimer sont beaucoup plus impor­tantes que ce vocabulaire lui-même31. Or, sur ce point, les ana­lyses des commentateurs sont restées très imprécises32. On peut enfin se demander si l’on a jusqu’ici suffisamment tenu compte du caractère doxographique de l'ensemble du passage et si l’on n’a pas tenté d’en identifier trop rapidement l’auteur comme s’il s’agissait d’un fragment homogène.

C. LES THÉORIES CYNIQUES DU PASSAGE

A la lumière de l’analyse des lignes directrices de la morale diogénienne à laquelle nous avons procédé dans la première partie de cette étude, il nous faut maintenant déterminer si notre passage sur Yaskèsis peut, et dans quelle mesure, s’intégrer à la perspective diogénienne, telle que nous avons tenté de la définir. Nous pouvons constater d’emblée qu’un certain nombre des idées qui y sont développées s’inscrivent sans difficulté dans cette perspective.

31. Le problèm e n ’est pas propre au cynisme. W . K. C. G u th r ie , A History of Greek Philosophy, tom e I, Cambridge, 1962, p. 404, note de la même façon à propos d’Héraclite : « Certaines de ses idées furent adoptées et remodelées par les Stoïciens, de sorte que, dans des sources plus tardives, i l y a tou jours la possi­bilité qu’une coloration stoïcienne s’immisce dans ce qui se veut une pensée originale d ’H éraclite ».

32. P. Rabbow, Paidagogia, p. 270, fait bien intervenir deux argum ents d ’ordre doctrinal afin de nier la paternité diogénienne du passage. Toutefois nous ne sommes pas d ’accord avec lui quand il affirme la présence chez D iogène d’un intellectualisme de fond face auquel Yaskèsis serait secondaire. Aussi son inter­prétation d ’ensemble du passage ne nous convainc-t-elle pas : a D ’une signification exceptionnelle serait la représentation détaillée d ’une double άσκησις (de l’âme, du corps) chez D iog. V I 70, si elle offrait un tém oignage authentique sur la position de D iogène. Ceci est to u t à fait invraisemblable pour deux raisons : 1’άσκησις a ici une valeur tellem ent écrasante, tellem ent quasi exclusive, que l’affirmation attestée pour Diogène de la position intellectualiste centrale paraît inconciliable avec elle. L’exigence fondamentale d ’une όίσκησις « de l’âm e » à côté de celle du corps contredit la lim itation insistante de l’ascèse au corps ; il en est ainsi chez Antisthène, i l en est ainsi chez D iogène. N ous avons ici un document intéressant du cynisme assez tard if ou très tard if (je dis ‘ docum ent cynique comme nous l’apprend le premier examen du texte, et non 1 falsification stoï­cienne comme V on Fritz... le pense sans m otifs suffisants) ».

LES THÉORIES CYNIQUES DU PASSAGE 205

1. La seule askèsis valable est d'ordre moral (cf. e).

Pour illustrer sa thèse, le philosophe emprunte ses exemples à trois domaines qui étaient familiers à ses contemporains : les métiers manuels, la musique et le sport. Qu’il s’agisse d’un entraî­nement d’ordre manuel, artistique ou sportif, Diogène constate que grâce à des efforts constants ceux qui s'entraînent par­viennent à des résultats remarquables. Mais il considère que les finalités diverses visées par ces types d’entraînement sont inutiles et vaines, car elles ne tiennent absolument pas compte de ce qui seul importe à ses yeux : la santé de l’âme. Aussi propose-t-il aux gens qui s’entraînent dans ces différents secteurs de modifier la perspective de leur askèsis en assignant à celle-ci une fin morale.

2 . L’exercice permet de résider facilement dans la vertu (cf. d et f).

A l’aide des deux sentences exprimées dans ces paragraphes, Diogène veut affirmer sa conviction que l’homme accoutumé à s’entraîner afin d’acquérir une âme forte aura toute facilité, le jour où il sera frappé par les ponoi, pour affronter la situation d'une âme vertueuse, donc pour sauvegarder sa liberté. L'askèsis apparaît ainsi comme la méthode permettant de vaincre tous les maux qui peuvent entraver le bonheur humain. C’est pourquoi Diogène lui accorde une si grande importance dans son éthique.

3. Il faut choisir comme adversaires non les πόνοι, άχρηστοι, mais les πόνοι κατά φύσιν (cf. g et h).

Les formules των άχρηστων πόνων et τούς κατά φύσιν (sc. πόνους) restent très elliptiques. Mais le contexte de la lutte contre les ponoi que nous avons exposé plus haut permet de les éclairer. Pour que la lutte morale soit efficace, il importe de bien savoir choisir ses adversaires. Aussi Diogène met-il en garde contre les ponoi inutiles qui sont des maux artificiels, que l’homme se contraint, parce qu’il est pris dans l'engrenage de la vie civilisée, à affronter pour son malheur. Ainsi se donner du mal pour acquérir la force physique et la gloire, comme les sportifs par exemple, représente un effort absolument inutile, puisque à l'issue de cet effort l’âme n’est point devenue meilleure. Par conséquent se mesurer à ce genre de ponoi relève de 1’ άνοια, de la pure folie33. C’est à un véritable procès de la civilisation

33. Cette phrase (h) se rattache donc directement à celle qu i précède, κακοδαιμονοΰσιν répondant à εύδαιμονώς. O n aurait très bien pu avoir entre les deux phrases une liaison comme γέ ou δή.

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206 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

que se livre Diogène dans ces lignes. Au contraire, si l'homme prend le parti de s’entraîner à la lutte contre les πόνοι κατά φύσιν, alors seulement il pourra vivre heureux en toutes circons­tances. En soi ces ponoi ne sont pas des biens, mais dans le contexte de la lutte morale ils prennent une valeur positive car, en forçant l’homme à combattre, ils le rendent capable d’affronter, au moment décisif, les ponoi envoyés par la Fortune ou le Destin.

Ces ponoi utiles, c’est l'homme qui les choisit. Or, en aucun cas, il ne doit les choisir en prenant comme critères les valeurs de la vie civilisée. Ce sont en fait les efforts qu’implique la vie selon la nature, c’est-à-dire, comme nous l’avons vu plus haut, le fait de s'astreindre à se nourrir frugalement, à boire de l’eau, à coucher sur la dure, etc. En s’exprimant ainsi, Diogène rappelle à l’homme qu’il est en fait l’artisan de son propre bonheur et qu’il lui suffit simplement de ne pas se tromper dans son choix.

4. Il faut s’entraîner à mépriser le plaisir en vue d'un plaisir supérieur (cf. ï).

Aux yeux du Cynique, la folie humaine s’exerce dans deux domaines : le manque de discernement dans le choix des ponoi d’une part, la recherche du plaisir d’autre part. Diogène veut renverser la notion traditionnelle de plaisir en m ontrant que le plaisir suprême découle du mépris de ce qu’on entend commu­nément par plaisir. Cette idée s’inscrit dans la perspective cynique de lutte contre la civilisation, laquelle ne peut engendrer que ces faux-plaisirs qui sont à l’origine des ponoi inutiles. C'est parce qu’on éprouve un certain plaisir à vivre dans le luxe qu'on se donne beaucoup de mal pour gagner l'argent qui permet ce luxe. En prétendant que le mépris du plaisir est des plus doux à condition de s'y être exercé au préalable, Diogène propose à l’homme qui pratique Vaskèsis cynique une philosophie hédo­niste34. Mais de quelle nature est ce plaisir issu du mépris du plaisir ? Deux interprétations sont possibles. Ou bien Diogène pense aux plaisirs naturels qui, à ses yeux, sont supérieurs à ceux de la vie civilisée, ou bien il envisage la joie que procure la sérénité totale à une âme qui se sait plus forte à la fois que la Fortune et le Destin. La concision de notre extrait ne permet pas de trancher entre les deux possibilités.

34. La même idée se trouvait déjà chez Antisthène : Stobée I I I 29, 65 ;t. III , p. 640, 5-7 Hense = fr. 113 Caizzi, cité p. 47.

LES THÉORIES CYNIQUES DU PASSAGE 207

5. Les grands slogans du cynisme (cf. j et k).

On a le sentiment, en lisant la fin de notre passage, que le doxographe a tenu à clore le développement sur l 'askèsis en ajoutant quelques slogans cyniques qui s'harmonisaient particu­lièrement bien avec les doctrines énoncées.

— L’accord des actes avec les paroles3S.

L’authenticité dans le rapport à soi est une des grandes exigences cyniques. C’est elle qui explique, au moins en partie, que le sage n’hésite pas à choquer par ses attitudes quand il s'agit de m ettre en pratique des principes essentiels à sa doctrine. Quant à ceux qui posent des actes en désaccord avec leurs affir­mations, Diogène comme Antisthène ne perd pas une occasion de les condamner.

— La falsification de la monnaie36.

La portée symbolique de cette falsification apparaît, dans le cas présent, de façon évidente. Diogène marque en effet d'une fausse empreinte la monnaie, en prouvant que les valeurs sociales couramment admises, en l’occurrence la recherche du plaisir ou de la célébrité, ne sont en fait que de fausses valeurs qu’il est nuisible à l’homme de poursuivre. A l’inverse, il valorise le ponos véritable que la mentalité traditionnelle engage à fuir le plus possible. Grâce à Diogène Laërce VI 20, on sait que c'est dans le Pordatos37 que le philosophe disait avoir falsifié la monnaie.

35. Cf. p. 25, n. 28 ; p. 69, n. 173.36. Sur le sujet, voir K . von F r it z , op. cit., pp. 19-20 ; D .R . D u d le y , op. cit.,

pp. 20-22 et p. 54, n. 3 ; G. B a sta D o n z e ll i , «D el παραχαράττειν τό νόμισμα », Siculorum Gymnasium 11 (1958) 96-107 ; H . N ieh ues-P rôbstin g, Der Kynismus des Diogtnes und der Begriff des Zynismus, pp. 43-77. Sur les banques dans la Grèce antique, consulter R. B o g a e rt, Banques et banquiers dans les cités grecques, Leiden, i 968, 428 p. ; sur Sinope et la falsification diogénienne, voir pp. 226-229.

37. Le Pordalos est cité à la fois dans la liste anonyme et dans celle de Sotion. T out porte donc à penser que cet ouvrage est authentique. F. W e h r l i toutefois, dans son commentaire du fragm ent 19 de S o tio n (Die Schule des Aristoteles, Supplementband II, Bâle, 1978, p. 52), estime que si D iogène y parle en son propre nom , c’est qu’il est un des personnages du dialogue et que par conséquent il n ’en est po in t l’auteur. E n fait, un tel argum ent n ’est pas dirim ant. Aristote par exemple se m ettait lui-même en scène dans ses dialogues, ainsi que l ’atteste C icé ro n dans une lettre à Atticus (X III 19, 3-4) où il précise que lui-même fit pareillement dans les cinq livres de son De finibus : « Quae autem his tem poribus scripsi, Ά ριστοτέλειον morem habent, in quo sermo ita inducitur ceterorum, u t penes ipsum sit principatus, ita confeci quinque libros Π ερ ί τελών ».

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208 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

— L’opposition νόμος - φύσις.La falsification de la monnaie va de pair avec l’éloge de la

φύσις et le rejet du νόμος, c’est-à-dire d’abord de l’usage, de la coutume, qui incarne les valeurs de la vie civilisée38. L’homme doit avant toutes choses retrouver l’état de nature qu’il a eu le to rt d’abandonner.

— La référence à Héraclès.Hoistad39 a très bien su montrer comment Héraclès, le héros

περιερχόμενος, 1’εύεργέτης souffrant, à la fois δοϋλος et βασιλεύς, le vainqueur des ponoi, avait pu finalement devenir le « saint » cynique par excellence. Nous ne reviendrons donc point sur cette appropriation du héros par l’école cynique. Rappelons seulement qu'Héraclès fournit à Antisthène le thème de deux (ou trois) de ses ouvrages : Η ρα κ λή ς ό μείζων ή περί ισχύος, Η ρα κλή ς ή Μίδας, Η ρα κλή ς ή περί φρονήσεως ή ισχύος40, et à Diogène la matière d’une tragédie intitulée 'Η ρ α κλ ή ς41. Très idéalisé, l’Héraclès cynique semble assez différent de l’Héraclès légendaire. Ses douze travaux qui, traditionnellement, devaient lui permettre d’expier le meurtre involontaire des enfants qu’il avait eus de Mégara en sont venus à symboliser dans la perspective cynique les épreuves rencontrées par l’âme sur la voie de la vertu. Antisthène faisait appel à l’exemple d’Héraclès pour soutenir que le ponos est un bien 42 et énoncer ce principe fondamental de sa morale que le télos est de vivre selon la vertu43. A partir du iv' siècle avant Jésus-Christ, comme l’a souligné Hoistad, la figure d’Héraclès se mit curieusement à décliner et il fallut attendre la fin du ΓΓ siècle après Jésus-Christ pour que, grâce à Dion Chrysostome, le héros incarne de nouveau le mode de vie cynique et symbolise, par le biais de la lutte contre les ponoi, l’accès à la vertu44.

38. V oir notre article « Un syllogisme stoïcien sur la lo i ».39. Op. cit., pp. 33-63.40. Sur ces ouvrages d ’Antisthène, vo ir p. 32, n. 51.41. Cette tragédie est évoquée en D .L . V I 80, seulement dans la première

liste des écrits de D iogène, et dans la Souda, s.v. Δ ιογένης, Δ 1142 ; t. Π , p. 101, 23-25 Adler. Sur les tragédies de Diogène, vo ir Excursus I : l'activité littéraire de Diogène, pp. 85-90.

42. Cf. D .L . V I 2 = fr. 19 Caizzi, et D .L . V I 11 = fr. 95 Caizzi.43. Cf. D .L. V I 104 = fr. 22 Caizzi.44. H o is t a d , op. cit., pp. 49-50. Dans le V II Ie Discours de D io n C h ry so s­

t o m e , 27-30, D iogène s’exprime ainsi : « Les gens ne prêtaient pas attention non plus à Héraclès tandis qu’il luttait et se donnait du mal. Ils ne se souciaient point de lui, mais, qui plus est, peut-être admiraient-ils alors certains athlètes, Zétès,Calais, Pélée et d’autres du même genre, coureurs et lutteurs... Mais Héraclèsqui se donnait du mal et qui luttait, ils le prenaient en pitié et disaient qu’il était le plus malheureux des hommes. Pour cette raison, ils appelaient ses labeurs e t ses travaux des ‘ combats comm e si la vie de labeur était une vie de misère. Mais

LES THÉORIES CYNIQUES DU PASSAGE 209

Ajoutons à ces remarques le témoignage de Julien qui rapporte qu’il y eut même des Cyniques pour voir en Héraclès le fon­dateur du mouvement :

Il n’est pas facile de trouver le fondateur auquel il faut rapporter l’origine de cette philosophie, même si d’aucuns supposent qu’elle se rattache à Antisthène ou à Diogène. En tout cas Oenomaos45 dit avec raison, semble-t-il, que « le cynisme n ’est ni l’antisthénisme, ni le diogénisme ». Ainsi les plus distingués des Cyniques soutiennent-ils que le grand Héraclès, qui s’employa à nous dispenser tous les autres biens, légua également aux hommes le plus haut exemple de ce genre de v ie46.

maintenant qu ’il est m ort, ils l ’honorent plus que to u t autre, le considèrent comme un dieu et disent qu’il a Hébé pour compagne. Tous le prient, lui qui a souffert les plus grands maux, afin de ne pas connaître eux-mêmes la souffrance. Ils pensent qu’Eurysthée l’avait en son pouvoir et lui donnait ses ordres, cet Eurysthée qu’ils considèrent comme u n indigne, à qui jamais personne n ’a adressé ni prière ni sacrifice. Mais Héraclès, lui, parcourait l’Europe et l’Asie tou t entière, bien qu’il ne ressemblât en rien à ces athlètes dont il a été question. O ù en effet aurait-il pu aller, s’i l avait eu autant de chair, s’il avait eu besoin d ’autant de viande ou s’il avait dorm i d’un sommeil aussi profond? N on, il était toujours en alerte, mince comme les lions, doué d’une vue perçante, d ’une ouïe perçante. 11 ne se souciait ni de l’hiver ni de la chaleur, il n’avait besoin ni de lits, ni de manteaux, ni de couvertures. N on, il s’enveloppait dans une peau de bête grossière, exhalant un air de famine, apportant son aide aux bons et châtiant les méchants ». De ce texte, H o is t a d , op. cit., p. 53, conclut : « L a peinture cynique d’Héraclès qui est pré- Kentée dans ce passage n ’a rien de comm un avec l’Héraclès athlétique, sensuel, du drame satyrique et de la comédie. Héraclès est adapté à l’idéal de conduite cynique et apparaît, sous son nouvel aspect, comme un Saint cynique. Pour ce portrait, D ion, selon to u te probabilité, est redevable directem ent à des sources cyniques plus anciennes ». Epictète et Lucien on t eux aussi repris ce thème d’IIéraclès héros cynique (cf. H o is tad , op. cit., pp. 61-73). Dans le cynisme tardif, on le retrouve également, par exemple dans Le Cynique du Pseudo-L ucien (§ 13), où le Cynique s’adresse à Lykinos en ces termes : « Crois-tu que c’est à cause de «a mauvaise fortune qu’Héraclès, le meilleur de tous les hommes, homme divin et à juste titre considéré comme un dieu, errait çà et là, nu, ne portant qu’une peau ■ le bête et ne présentant aucun de vos besoins? N on, cet hom me n ’était pas un Infortuné, lui qui écartait des autres le m alheur, ni un pauvre non plus, lui qui dom inait terre et mer. E n effet, dans toutes les entreprises où il se lançait, il l’em portait sur tous, partout, et parmi les hommes d ’alors, i l ne rencontrait personne qui fû t son égal ou son supérieur, jusqu’au jour où il quitta le monde «les hommes. (...) I l se dominait, était dur au mal ; il voulait vaincre et refusait la vie de luxe ». V oir aussi D iogène, Lettre X X V I à Hippon (p. 241 Hercher).

45. Sur ce philosophe cynique qui vivait vers 120 après J.-C., voir H. f. M ette , art. « Oinom aos » 5, R E X V II 2 (1937) cols. 2249-2251. Il est intéres- nimt de noter que dès le second siècle se posait déjà le problème de l’origine du i ynisme. Sur cette question vo ir G. B a sta D o n z e ll i , « I l Π ερ ί αιρέσεων di Ippoboto e il κυνισμός », Rivista di Filologia e di Istrusyone Classica, n.s. 37 ( 1Vï 9) 24‘39·

46. Ju lien . Discours IX ( Contre les Cyniques ignorants) 8, 187 BC ; trad.( .. Rochefort. Cf. A u s o n e , Epigramme X LV I ; p. 306 Prete (Les vers de cette

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210 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

On conçoit donc fort bien qu’un doxographe, soucieux de soigner la fin du développement sur Yaskèsis, ait fait appel au héros qui incarnait précisément la victoire sur les ponoi et la sauvegarde de la liberté.

La conclusion s’impose d'elle-même : le corps du passage sur Yaskèsis, de même que les quelques lignes qui viennent le clore, s’harmonisent bien avec la morale diogénienne, telle que nous l’avons décrite. Il nous paraît par conséquent tout à fait légitime d’attribuer à Diogène les paragraphes d à i. S'il nous fallait risquer une plus grande précision sur l'identité de l'ouvrage dont s’est servi le doxographe, nous opterions à première vue pour la Τέχνη ήθική ou le Περί άρετής mentionnés en Diogène LaërceVI 80, plutôt que pour la tragédie 'Ηρακλής comme le proposait Hoistad, puisque la mention du héros à la fin de VI 71 nous semble être un ajout de la part du doxographe. En fait, nous penchons davantage pour la Τέχνη ηθική que pour le Περί άρετής, parce que la question de Yaskèsis relève vraiment d’un traité où l’auteur veut recommander une méthode, une « tech­nique », pour parvenir à la vertu.

D. LE THÈME DE LA DOUBLE ASCÈSE

1. Une double ascèse chez Diogène ?

Jusqu’ici, nous n’avons point à dessein fait mention de la théorie d’une double ascèse, de l’âme et du corps, qui ouvre le passage et qu’on s’attendrait, en raison de la place qui lui est accordée en tête du morceau sur Yaskèsis, à retrouver ensuite.

Les paragraphes a, b et c forment une unité. Il est évident que la formule qui introduit le paragraphe suivant : παρετίθετο δέ τεκμήρια... entraîne un nouveau développement. Elle fait d’ailleurs intervenir le doxographe, ce qui est bien le signe quea, b, c et les paragraphes qui suivent ne constituaient pas au départ un texte continu.

Dans les trois premiers paragraphes se trouve exposée une conception de Yaskèsis morale qui, s'appuyant sur une anthro-

épigramme sont dits « Placés sous un portrait du Cynique Antisthène : « Inventor prim us Cynices ego. ‘ quae ratio istaec ? / Alcides m ulto dicitur esse prior / Alcida quondam fueram doctore secundus : / nunc ego sum Cynices primus, et ille deus. ») et Épigramme X LV II ; p. 306 Prete (« De eodem » : « Discipulus m elior nulli m eliorve magister / εις άρετήν συνέβη κ α ί Κλινικήν σοφίην. / dicere me novit verum , qui novit u trum que / κα ί θεόν Ά λ κ είδη ν κ α ί κύνα Διογένην »).

LE THÈME DE LA DOUBLE ASCÈSE 211

pologie dualiste, préconise des exercices moraux propres et à l’âme et au corps. Si l’on essaie de préciser le point de vue adopté par l’auteur de ces lignes, on constate que pour lui Yaskèsis de l’âme va de soi et que c’est la présence d’une askèsis de nature corporelle qu'il convient de justifier. En premier lieu, de fait, il mentionne celle de l’âme puis, quand il en vient à citer celle du corps, il éprouve le besoin d’ajouter une phrase d’expli­cation (b) : « L’ascèse corporelle, [entendons] cette ascèse au cours de laquelle des représentations nées dans un exercice constant permettent de se tourner avec aisance vers les œuvres de la vertu. » Une telle précision est là pour éviter toute ambi­guïté. L’auteur ne songe pas à l’ascèse physique telle qu'on la conçoit d'ordinaire, c’est-à-dire à une ascèse de type sportif qui viserait la seule vigueur corporelle, mais à une ascèse qui, si elle est corporelle dans sa modalité, n ’a de finalité que morale. Ensuite, comme s’il voulait répondre à l’éventuelle objection de qui prétendrait qu’à elle seule l'ascèse de l'âme suffit pour atteindre la vertu, il rappelle qu’elle serait incomplète sans celle du corps. Les deux vont de pair. La construction grammaticale et l’ordre des termes de la fin de c : ώς περί τήν ψυχήν καί περί το σώ >.α, ne laissent planer aucun doute sur l’identification de τήν έτέραν avec l’ascèse de l’âme et de τής έτέρας avec celle du corps. Une proposition participiale, qui explique que vigueur et force sont deux qualités qu’il convient à l’homme de viser tout autant dans le domaine spirituel que corporel, vient étayer la théorie énoncée. Ainsi les paragraphes a à c laissent deviner chez leur auteur le souci de présenter, à côté d ’un entraînement spiri­tuel qui semble aller de soi, la nécessité d'un entraînement corporel complémentaire.

Peut-on de façon plausible identifier à Diogène l’auteur de ces trois premiers paragraphes ? Le tableau des idées-forces de la morale diogénienne que nous avons brossé plus haut ne laisse aucune place pour un entraînement spécifique de l’âme, analogue par exemple à ces exercices que l’on rencontrera plus tard chez les Stoïciens et que décrit P. Hadot dans Exercices spirituels et philosophie antique : lectures, méditations, exercices de mémori­sation, explication de textes philosophiques... En fait, il faut bien distinguer chez Diogène le but que poursuit l'ascèse et la moda­lité concrète que celle-ci adopte. Le but se veut franchement spirituel ou, disons plutôt, moral, car pour notre philosophe seule compte la santé de l'âme, et cette santé dépend de la force qui anime l'âme, c'est-à-dire de ce que nous appellerions la volonté. Tous les effets que peut produire l'ascèse sur le corps, même s’ils sont bien réels et appréciables, que l’on pense à la

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212 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

santé, à la vigueur, restent subordonnés à la force de caractère, à la volonté requise pour le combat moral. Mais Diogène a-t-il jamais envisagé une ascèse clairement diversifiée qui impliquerait la distinction du corps et de l'âme ? Un lecteur peu attentif pour­rait se croire autorisé à affirmer la présence d’une ascèse spiri­tuelle chez Diogène quand celui-ci, à la fin de VI 70 (= e), paraît distinguer deux types d’ascèse : « S'ils (les artisans, les joueurs de flûte et les athlètes) faisaient porter (les fruits de) leur ascèse sur l’âme également, comme la peine qu’ils se donnent ne serait ni inutile ni vaine ! » Ce qu’il importe de remarquer ici, c’est que Diogène critique l’ascèse corporelle des athlètes, non pas en tant qu’elle est purement corporelle mais, au même titre que celle des artisans et des joueurs de flûte, en tant qu’elle est soustraite à l’unique finalité que reconnaît le philosophe, et qui est la finalité morale. Par conséquent, l'opposition qui prévaut dans ces lignes est celle d'une ascèse professionnelle, qu’elle soit technique, artis­tique ou sportive, et d’une ascèse morale, non point celle d’une ascèse du corps et d’une ascèse de l’âme. Il serait difficile d’ailleurs de ranger tout bonnement sous la bannière de l’ascèse corporelle l’entraînement des joueurs de flûte ! Diogène, en fait, aurait pu tout aussi bien choisir, plutôt que l’exemple de l’artisan, du joueur de flûte ou du sportif, celui du rhéteur qui s’adonne à un entraînement de nature principalement intellectuelle. Il aurait formulé à son endroit exactement la même réserve, car ses efforts sont, du point de vue du moraliste, inutiles et vains. Nous en concluons donc que l’opposition formelle de ces lignes ne se situe pas entre une ascèse du corps et une ascèse de l’âme, mais entre une ascèse professionnelle et une ascèse morale.

D'autre part, on notera que la formule du paragraphe d : « Il est facile à partir de l’exercice de résider dans la vertu » ne fait intervenir aucune distinction entre un exercice de type corporel et un exercice de type spirituel.

Si, de notre point de vue, nous voulions caractériser comme corporelle ou spirituelle l’ascèse diogénienne, telle que nous l’avons décrite tout au long de cette étude, nous parlerions cer­tainement d’une ascèse corporelle à finalité spirituelle47. Mais il semble bien, à en juger par les témoignages, que la distinction entre le corps et l’âme n’ait guère joué de rôle dans la réflexion de Diogène sur l’ascèse. Pour ce dernier, en fait, c’est tout l’être humain qui globalement s’entraîne à la vertu quand il affronte

47. C’est ainsi également que nous caractériserions l’ascèse des Gymno- sophistes qui faisaient découler directem ent des efforts corporels la force de leursjugements. V oir plus haut p. 79.

LE THÈME DE LA DOUBLE ASCÈSE 213

le froid, le chaud, la soif, la faim ou la maladie. La perspective de Diogène n’est pas d’assurer l’autonomie de la raison grâce à des exercices spirituels qui progressivement lui montreraient sa dignité et la soustrairaient aux contraintes imposées par le corps — ce qui pourrait constituer une définition valable de l’entreprise stoïcienne —, mais d’habituer le corps à supporter les ponoi pour qu’il ne constitue pas un obstacle aux décisions morales de la personne. De toute manière, à supposer que Diogène ait conçu une distinction entre une ascèse du corps et une ascèse de l’âme, en aucun cas il n ’eût présenté la première comme un simple complément de la seconde, ce que fait l’auteur des para­graphes a a c.

2. L’auteur des paragraphes a, b et c.

Mais si l'on ne peut imputer à Diogène la responsabilité des paragraphes a, b et c, encore faut-il expliquer leur présence dans la doxographie diogénienne.

Chez les Stoïciens d'époque impériale, notamment chez Muso­nius mais aussi chez Sénèque et, dans une moindre mesure, chez Épictète, nous avons déjà rencontré le thème d’une double ascèse morale, de l'âme et du corps. C'est ainsi que la diatribe consacrée par Musonius à l’ascèse pourrait constituer un excellent commen­taire de nos paragraphes a, b et c.

Au départ, on a le sentiment que Musonius veut s’opposer à une conception trop intellectualiste de la vertu. Pour lui, la vertu n ’est pas seulement connaissance, elle est aussi et surtout pratique. Par conséquent, pour poser des actes vertueux, il ne suffit pas de connaître à fond les mathèmata relatifs à la vertu, il faut s’être exercé selon ces mathèmata, « car comment quel­qu’un deviendrait-il tempérant s’il sait seulement qu’il ne faut pas être vaincu par les plaisirs, et ne s’est pas exercé à résister aux plaisirs ? » 48 Ce rôle irremplaçable de l ’habitude est bien mis en lumière dans la diatribe Πότερον ίσχυρότερον εθος ή λόγος :

Comment donc savoir la théorie de chaque chose serait-il meilleur que d’avoir l’habitude et d’agir en tout acte selon la direction de la théorie ? Puisqu’en vérité l’habitude mène à être capable d’agir, savoir la théorie de la chose à être

48. Stobée III 29, 78 ; t. III, p. 648, 11-13 H ense; p. 23, 6-8 Mus. Rel. N ous rappelons que les traductions de Musonius sont empruntées au P. Festu- g iè r e (cf. p. 185, n. 125). La même idée se retrouve chez Sénèque, Lettre 94, 47 : « La vertu repose en partie sur la doctrine, en partie sur la pratique : tu dois apprendre, et puis confirmer par l’action ce que tu as appris » (trad. H . Noblot).

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capable de discourir. Sans doute la théorie collabore à la pratique, car elle enseigne comment il faut agir et elle pré­cède l’habitude dans l’ordre des temps : car il n'est pas possible d’avoir bonne habitude si l’habitude ne se conforme pas à la théorie. En valeur cependant, l’habitude l’emporte sur la théorie, parce qu’elle a plus d’autorité que la théorie pour mener l’homme à la pratique49.

D’autre part, Musonius tient compte du caractère personnel de l’individu, de son histoire :

Ceux qui aspirent aux autres arts s’y portent sans avoir l’âme corrompue et sans avoir appris des choses contraires à ce qu’ils veulent apprendre. Mais ceux qui entreprennent de philosopher ont été auparavant en une grande corruption et c’est remplis de vice qu’ils poursuivent la vertu, en sorte que, de ce point de vue, ils ont besoin de plus d’exercice50.

C’est donc malgré son passé et ses mauvaises habitudes que l’homme doit parvenir à porter des jugements exacts sur les biens et les maux, à ne plus estimer que la peine est un mal et le plaisir un bien, à ne plus céder à une vision des choses qui entraîne des jugements erronés.

Dans cette perspective, Musonius propose sa théorie d’une double ascèse. Il considère en effet que l’homme, puisqu’il n’est pas seulement une âme, et pas seulement un corps, mais «un composé des deux », doit « nécessairement prendre soin des deux, plus de la partie supérieure, c’est-à-dire de l'âme, comme il est juste, mais [qu’] il doit prendre soin aussi de l’autre partie, si du moins aucune partie de l’homme ne doit être défectueuse»51. D’où les deux aspects de l’ascèse morale selon Musonius : « Une partie donc de l’exercice devrait être correctement propre à l’âme seule, une autre partie devrait être commune à l’âme et au corps. » 52

Ce que Musonius entend par ascèse propre à l’âme correspond aux exercices spirituels du stoïcisme traditionnel53. Quant à l’ascèse mixte, ce qu’il en dit permet d’éclairer la formule quelque peu obscure qui sert de définition à l’ascèse corporelle dans le paragraphe b de Diogène Laërce. Tout le problème chez Musonius

49. St o b é e II 15, 46 ; t. II , p . 194, 16-26 W achsm uth ; p. 21, 17-22, 3 Mus.Rel.

50. St o b é e I I I 29, 78 ; t. III , p . 649, 6-11 Hense ; p. 24, 2-8 Mus. ReJ.51. Ibid., p. 649, 12-17 Hense ; p. 24, 9-14 Mus Rel.52. Ibid., p. 650, 1-3 Hense ; p. 25, 4-6 Mus. Rel.53. Le passage où M usonius définit les exercices propres à l ’âme est cité

p. 188.

LE THÈME DE LA DOUBLE ASCÈSE 215

vient de ce que les dispositions de l’homme récemment converti à la philosophie ne permettent pas aux dogmes moraux de jouer pleinement leur rôle dans le gouvernement de la vie. L’ascèse mixte a justement pour objet d'empêcher que le corps soit l’occa­sion pour l’âme de représentations susceptibles d’entraîner un jugement de celle-ci que ne guideraient pas les principes ration­nels fondamentaux. Nous retrouvons donc chez Musonius, dans le langage non technique de la diatribe, la théorie de l’usage des représentations qui nous est bien connue grâce à Épictète et qui d'ailleurs, dans au moins un fragment de cet auteur, est nomi­nalement attribuée à Musonius54. A la fin de la diatribe en effet, Musonius, ne distinguant plus formellement entre les deux types d’ascèse, continue à décrire les effets de l’ascèse mixte et montre comment celle-ci, face au plaisir, à l’argent, à la peine, à la mort, toutes réalités que l’homme non entraîné risquerait de juger comme des biens ou des maux, permettra à la raison de porter des jugements droits.

Grâce à cet exposé de Musonius sur l’ascèse, nous sommes mieux à même de saisir la portée du paragraphe b de Diogène Laërce : « L’ascèse corporelle, [entendons] celle au cours de laquelle des représentations nées dans un exercice constant per­mettent de se tourner avec aisance vers les actes de la vertu. » L’auteur veut certainement dire que l’ascèse corporelle provoque des représentations qui favorisent l’exercice du jugement selon la raison et incitent l’homme à agir selon la vertu. Prenons, à titre d’exemple, l'entraînement à supporter la faim. L’homme qui s’y est exercé de façon constante pourra, le jour où la faim le tenail­lera, juger conformément à la raison que la faim n’est pas un mal.

54. É p ic t è t e en effet, dans un fragm ent transmis par St o b é e (fr. 38 de M u s o n iu s , pp. 124-125 Mus. Rel.), prête à Musonius ces paroles : « Parmi les choses, D ieu a placé les unes en notre pouvoir ; les autres, non. Parmi celles qui sont en notre pouvoir, la plus belle, îa plus digne d’être recherchée, celle qui constitue le bonheur de Dieu lui-même, c’est l’usage des représentations » (trad. Jagu). Nous reprochions plus haut à Hoistad d ’avoir argué d’un passage d ’une Diatribe d ’Épictète, où celui-ci m ettait dans la bouche de D iogène le concept d ’« usage des représentations », pour conclure que la notion était déjà présente dans le bagage conceptuel du philosophe cynique. N ous pensions en effet que c’était Épictète qui, en l’occurrence, prêtait à Diogène la théorie fondamentale de son propre système. Nous ne voudrions donc pas tom ber sous le coup du même reproche. Mais remarquons to u t d ’abord que Musonius est le maître d’Épictète, ce qu i n ’était pas le cas de Diogène. D ’autre part, même s’il est vrai que dans les Diatribes et dans les fragments de Musonius qui nous sont parvenus, l’expression comm e telle n ’apparaît jamais, il faut bien reconnaître que la réalité sous-jacente au concept d ’« usage des représentations » est partout présente dans la diatribe consacrée à l’ascèse. Il n ’est donc pas impossible que le fragm ent 38 rapporte effectivement les propos de Musonius.

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Mais le rapprochement avec Musonius ne se limite pas à la distinction d’une double ascèse. On peut noter aussi dans les deux cas le même souci de présenter l’ascèse de l’âme comme première et allant de soi, et l’ascèse du corps comme complé­mentaire de la précédente. Quand il est dit chez Diogène Laërce qu’une des deux formes d'ascèse est incomplète sans l’autre, Musonius de même affirme que si l’on pratiquait la seule ascèse de l’âme, une partie de l’homme serait défectueuse. Les deux points de vue sont par conséquent très similaires. Malheureu­sement, on manque d’éléments pour établir l'existence d'une filiation entre les deux passages55. A supposer qu’un tel lien existe, tout au plus pourrait-on dire que, sur le plan conceptuel, la distinction proposée par Musonius entre une ascèse de l’âme et une ascèse du corps et de l’âme paraît moins schématique que la distinction ascèse de l'âme-ascèse du corps rencontrée chez Diogène Laërce et que Musonius, par conséquent, représente un stade de réflexion ultérieur.

La mise en parallèle avec Musonius déborde le cadre des seuls paragraphes a, b, c, car la diatribe de Musonius sur l'ascèse, de même d’ailleurs que celle intitulée 'Ό τι πόνου καταφρονητέον,

55· N ous nous perm ettrons cependant de souligner quelques détails qui tendraient à confirmer l ’hypothèse d’un lien éventuel entre les deux passages. Q uand, dans sa diatribe IX : "Ο τι où κακόν ή φυγή, M usonius en vient à alléguer l ’exemple de Diogène, c’est à l’ascèse qu’il fait appel pour caractériser le philosophe cynique : « Diogène qui, par son ascèse tendue à la vertu a surpassé les philo­sophes ». M usonius admirait D iogène et certainement que l’ascèse pratiquée par ce dernier l ’avait profondém ent marqué. D ’autre part, nous notons que deux expressions au m oins, l’une en b et l’autre en c, se re trouvent dans les diatribes de M usonius. Le term e προσήκων to u t d ’abord. S’il est u n m ot qui constam m ent revient, tel un leitm otiv, dans les diatribes musoniennes, c’est bien celui-là. A titre d’exemples : S to b é e II 9, 8 ; t. II, p. 184, 9 W achsmuth ; II 31, 123 ; t. II, p. 236, 24 ; p . 237, 12.14.19 ; p. 238, 22.23 ! H 31* 126 ; t. II, p. 244, 22.24.25 ; p. 246, 20 ; III 29, 78 ; t. III, p. 648, 21-22 Hense ; III 50, 9 ; t. III, p. 748, 16. V oir aussi le titre de la diatribe X I (en S to b é e IV 1, 15, 18). Seconde expression, beaucoup plus rare celle-là : εύλυσία. L S J ad loc. par exemple signale la référence de notre passage de Diogène Laërce, celles d’une diatribe de Musonius (Diatribe X IX chez S to b é e III 1, 209 ; t. III , p. 174, 16 Hense), d ’un passage d’une lettre de C i c é r o n ( A d familiares X V I 18, 1) o ù ce dernier emploie l’expression grecque εύλυσία κοιλίας pour signifier le relâchem ent du ventre, enfin de PFlor. 296.21 (v ie s. après J.-C.) où le nom est utilisé comme contraire de στένωσις. Chez Diogène Laërce, ce sont les représentations nées dans u n entraînem ent constant qu i per­m ettent un mouvement aisé en direction des actes de la vertu. Chez M usonius, le contexte est différent, encore qu’intervienne aussi l’idée d’entraînement. Le philosophe soutient que le fait de m archer nu-pieds donne une grande liberté de mouvement et de la souplesse aux pieds quand ils sont entraînés. Dans les deux cas le nom vient com pléter le même verbe παρέχειν. Cette étroite sim ilitude dans le vocabulaire do it être soulignée, car le term e en cause est si rare que Gesner avait même suggéré de corriger dans la diatribe de M usonius εύλυσίαν en άλυπίαν.

LE THÈME DE LA DOUBLE ASCÈSE 217

traduisent nettement une tentative de syncrétisme cynico-stoïcien et Musonius y a exprimé bien des idées chères à Diogène. Ainsi la liste qu’il donne des ponoi que l’on affronte quand on pratique l’ascèse mixte recouvre parfaitement les ponoi kata phusin que Diogène constamment mentionne dans les témoignages qui nous sont parvenus. Il s’agit en effet chez Musonius de s’accoutumer « au froid, au chaud, à la soif, à la faim, à la frugalité de la nourriture, à la dureté de la couche, à l ’abstinence des choses agréables, au support des choses pénibles »56. Pour l’un comme pour l’autre également, le but à rechercher est le bonheur ; pour l’un comme pour l’autre, la règle à suivre est de se donner de la peine, car selon Diogène « rien, strictement rien ne réussit dans la vie sans ascèse », et selon Musonius « c’est par la peine que nous acquérons tous les biens »37. Enfin, dans la diatribe consacrée au ponos, le philosophe stoïcien oppose, comme le Cynique, les gens qui supportent des ponoi en vain, tels ces jongleurs qui font la culbute sur des poignards ou qui marchent en l’air sur la corde raide, et cela pour un tout petit salaire58, à ceux qui le font en vue de la santé de leur âme. On ne peut pas ne pas penser alors à ces athlètes qui, au grand regret de Diogène, se fatiguent « inutilement et en vain »59. Le côté intel­lectualiste de la vertu stoïcienne se trouve donc tempéré chez Musonius par la théorie des ponoi et la conception de l’ascèse propres au cynisme.

3. Conclusions sur D.L. VI 70-71.

Diogène paraît avoir écrit au moins un ouvrage où il traitait de l’ascèse. Outre le passage qui nous intéresse, rappelons cette anecdote significative, également rapportée par Diogène Laërce, où le philosophe cynique reprochait à Hégésias qui lui demandait ses συγγράμματα de « négliger l’ascèse véritable pour se préci­piter sur celle que l'on trouve dans les livres » M. Au vu des deux listes de titres transmises par Diogène Laërce, c'est la Technè èthikè qui, de par son caractère nécessairement méthodologique, pourrait être, croyons-nous, à l'origine du résumé de nature doxo- graphique que l’on trouve dans les paragraphes d à i 61.

56. St o b é e I I I 29 , 78 ; t. III, p. 6 5 0 ,4 -6 Hense.57. St o b é e I I I 29, 75 ; t. III, p. 645 , 21 Hense. Musonius parle encore du

ponos dans les fragments 24 (pp. 119-120 Mus. Rel.) et 25 (p. 120 Mus. Rel.).58. St o b é e III 29 , 75 ; t. III, p. 644 , 16-645, 3 Hense ; p. 3 0 ,1 -7 Mus. Rel.59. D .L. V I 70 .60 . D .L. V I 48.61. Dans (( U n syllogisme stoïcien sur la loi », p. 219 , nous avions, sensible

au caractère plus long et plus continu du développem ent sur l’ascèse, par oppo-

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218 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

Quant aux paragraphes a, b, c, qui ouvrent le passage et déve­loppent la théorie d’une double ascèse à finalité morale, nous en refusons la paternité à Diogène pour des raisons purement doctrinales et y décelons un point de vue stoïcien proche de celui de Musonius 62. De là à établir un lien plus précis avec Musonius, c’est une étape qu'il semble prématuré de franchir par manque d’éléments déterminants. Ces trois paragraphes, en tout cas, pré­sentent une unité certaine. Même b, dont la formule ταύτην καθ’ ή pouvait au premier abord paraître un peu lâche, s'harmo­nise parfaitement avec ce qui précède, dès lors qu’on la comprend comme apportant une précision restrictive sur la nature de l’ascèse corporelle.

Les paragraphes j et k, enfin, viennent clore le passage doxo- graphique et rappellent les grands slogans du cynisme diogénien

Ces conclusions en fait confirment au moins partiellement celles que nous avions formulées dans un précédent travail sur une autre partie de la doxographie diogénienne : le syllogisme sur la loi de VI 72, dont nous avions démontré qu’il ne pouvait être cynique et ne s’expliquait que par une conception stoïcienne de la loi. Après avoir constaté que les doxographies cynique et stoïcienne offraient de multiples parallèles, et des plus obvies64, nous avions conclu que la source de Diogène Laërce défendait la thèse selon laquelle le cynisme est une préparation du stoï­cisme et permet de rattacher celui-ci directement à Socrate. Dès le prologue d’ailleurs65, Diogène Laërce établit la succession Socrate -> Antisthène -» Diogène ->■ Cratès -> Zénon -* Cléanthe

sition à la brièveté des deux syllogismes de V I 72 et à l’aspect discontinu des doxai morales de V I 72-73, émis l’avis que les paragraphes ι/ à / n e provenaient pas d ’un catalogue doxographique, mais d’un extrait d ’une œuvre de Diogène. L ’analyse plus précise du passage nous a convaincue que, si une œuvre de D iogène était bien à l’arrière-plan de ces paragraphes, ils représentaient malgré tou t u n résumé doxographique ainsi que l’attestent des interventions comme : « il avançait des preuves » (b) ou : « i l disait » (f) .

62. C’est chez M usonius que le rapprochem ent est le plus clair. Cependant Sénèque, ainsi que nous l’avons m ontré plus haut, faisait appel lui aussi, mais pour une période tem poraire seulement, à une ascèse corporelle à finalité morale. Épictète également, mais chez lui celle-ci restait vraim ent très secondaire par rapport à l’ascèse spirituelle.

63. M. G iu s t a , I dossografi di etica, tom e I, T urin , 1964, pp. 139 et 443, a suggéré que le passage de Diogène Laërce, ainsi qu ’un passage du même auteur dans le livre consacré aux Cyrénaïques (II 91 : τήν σωματικήν άσκησιν συμβαλ- λεσθαι προς άρετης άνάληψιν) et un troisièm e dans le livre sur le stoïcisme (VII 123 : τήν μέντοι άσκησιν άποδέξεται υπέρ της τοϋ σώ ματος υπομονής) pourraient avoir une origine doxographique et dériver tous d ’un même chapitre consacré à l ’ascèse dans ce qu’il appelle les Vetusta placita di etica.

64. V oir notre article « Un syllogisme stoïcien sur la loi », pp. 233-235.65. D.L. I 15.

LE THÈME DE LA DOUBLE ASCÈSE 219

-» Chrysippe, et il précise, à la fin de son livre sur le cynisme, que pour lui (et donc pour sa source) le cynisme est une école philosophique à part entière et pas seulement une façon de vivre66. Nous savons encore que cette source avait le souci de rapprocher le cynisme et Ariston de Chios67.

Notre étude sur les paragraphes VI 70-71 renforce par consé­quent l’hypothèse de l’intrusion d’un point de vue stoïcien dans la doxographie diogénienne. Ce point de vue a gauchi la doctrine cynique de l’ascèse. Mais ce qui, dans le cas présent, est plus difficile à déterminer, c’est la motivation sous-jacente à cette présence stoïcienne. Autrement dit, un tel gauchissement est-il ou non volontaire ? Si le gauchissement est volontaire, il faut bien reconnaître que son auteur n'a pas pris la peine de tirer la conclusion qui pouvait lui être utile, puisque aucun trait ne vient souligner ici expressément le rapprochement avec le stoï­cisme. En réalité si, comme nous le pensons, la doxographie cynique a été marquée, à quelque étape de sa constitution, par un auteur stoïcien, il était inévitable que celui-ci comprît, à la lumière de ses propres convictions philosophiques, les idées transmises par la tradition cynique. Or il était possible, croyons- nous, à un Stoïcien convaincu de la nécessité impérieuse d’une ascèse de l’âme, de retrouver celle-ci dans l’invitation que formule Diogène à l’endroit des artisans, des joueurs de flûte et des athlètes, de faire porter les fruits de leur ascèse sur l’âme éga­lement. Quant à l ’ascèse corporelle cynique, même si elle n’est pas clairement évoquée dans les paragraphes d à i — on relève en effet seulement une allusion derrière la formule : « Il faudrait vivre heureux en choisissant au lieu des labeurs inutiles ceux qui sont conformes à la nature » —, le Stoïcien en question ne pou­vait pas ne pas l’évoquer puisqu'elle est tout à fait caractéristique du cynisme, mais en en donnant bien sûr une définition stoïcienne. Le gauchissement dans ce cas précis a donc fort bien pu être involontaire.

66. D .L . V I 103. Dans son prologue (I 19), D io g è n e L a ë r c e cite le nom d’un auteur pour qui l ’école cynique n’est pas une αί'ρεσις : H ippobote qui, dans son Π ερ ί αιρέσεων, exclut les écoles cynique, éliaque et dialectique de sa liste des sectes philosophiques. Sur cet auteur, voir v o n A r n im , art. « H ippo- liotos », R E V III 2 (1913) col. 1722-1723, qui situe son activité littéraire peu ;ivant la fin du I I I e s., J. M e j e r , Diogenes Laertius and his hellenistic bachground, coll. « Hermes-Einzelschriften », 40, W iesbaden, 1978, pp. 69-72 ; 76 et ss, qui, même s’il n ’est pas d’accord avec certains des arguments avancés par von Arnim , considère sa datation comme probablement correcte, et G. B asta D o n z e l l i , «Il Π ερ ί αιρέσεων di Ippoboto e il κυνισμός », Rivista di Filologia e di Istru- \'ione Classica, n.s. 37 (1959) 24-39.

67. Cf. D .L. V I 103 et 105.

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220 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

Dans d'autres cas, la façon dont se manifeste cette source stoïcienne est plus claire : tantôt elle a tout bonnement inséré dans la doxographie cynique telle doctrine stoïcienne (c’est le cas du syllogisme sur la loi), tantôt elle s’est employée à rappeler avec insistance les liens étroits qui unissaient les deux mouve­m ents68, tantôt enfin elle a répété quasi textuellement dans les deux livres les théories qui leur étaient communes69. On ne peut donc manier qu’avec une extrême prudence la doxographie diogé­nienne. Il faut en tout cas se garder de citer, comme on le fait souvent, le début de VI 70 pour illustrer la conception diogé­nienne de l’ascèse.

De façon plus générale, notre travail concernant le syllogisme sur la loi et cette étude sur l’ascèse nous ont peu à peu convaincue que l’analyse purement littéraire des textes permettait de dévoiler des incohérences qui invitaient à clarifier les concepts clefs de la philosophie cynique et que corrélativement une représentation mieux articulée des théories invitait à départager dans les informations doxographiques données authentiques et éléments adventices.

4. Un nouveau témoignage sur l’ascèse diogénienne ?

Dans son livre IV 2, Stobée70 présente un fragment de douze vers traitant de l ’ascèse. Ces douze trimètres iambiques, dans les manuscrits S, M, A de Stobée, suivaient sans aucune interruption ceux du fragment précédent qui portait le lemme Εύριπίδου (fr. 285 Nauck2). Or, Gesner déjà, dans sa première édition de Stobée, avait vu qu’il fallait séparer les deux passages et avait supposé que la même attribution avait été omise en tête du second. Wilamowitz lui aussi attribua d'abord à Euripide ces douze vers71, mais finalement il se rendit à l’avis d’O. Crusius72

qui les considérait comme un fragment d’une tragédie cynique. Récemment, B. Snell73 classa le passage, sans plus de commen­taire, parmi les dubia de Diogène. Nous pensons, quant à nous,

68. D .L. V I 2.14.15.103.104.105.69. D .L . V I i l et V II 128 ; V I 11 et V II 121 ; V I 72 e t V II 125 ; V I 72 et

V II 131 ; V I 73 et V II 121 ; V I 103 et V II 160 ; V I 104 et V II 128 ; V I 105 et V II 127 ; V I 105 et V II 160.

70. S t o b é e IV 2, 33,17 ; t. V , p. 803, 4-804, 2 H ense ( = Adesp. 546 Nauck*).71. U. v o n W il a m o w it z -M o e l l e n d o r f f , Euripides. Herakles, première

édition, tome II, Berlin, 1889, p. 298, η. î.72. Id ., Kleine Schriften, tom e I : Klassische griechische Poésie, Berlin, 1935

(rp. Berlin/Amsterdam, 1971), p. 192.73. B. Sn e l l , Tragicorum Graecorum Fragmenta, t. I, Gôttingen, 1971, p. 258

(D io g è n e d e S in o p e , f r . 7).

LE THÈME DE LA DOUBLE ASCÈSE 221

qu’il provient, selon toute probabilité, d’une tragédie de Diogène. Le texte mérite d’être cité et traduit :

Έ γ ώ γάρ, si νοΰν είχ’ εμ’ δ σπείρας πατήρ, ήπιστάμην άν μουσικήν πάρεις πονεΐν, ώς εύτυχήσων καί κακώς πράξων ποτέ.Πρώτον μέν, εξ ών πάντα γίγνεται βρότοις, εΰογκος είναι γαστρί μή πληρουμένη στέργειν θ’ ύδρηροΐς ώστε θήρ άεί ποτοΐς, χειμώνί τ ’ άσκεΐν σώμα θερμά θ’ ήλιου τοξεύματ’ αΐνεϊν μή σκιατραφούμενος.Νϋν δ’ ούκ έθισθείς ταϋτ’ έπίσταμαι μέν οδ, φέρειν δ’ άνάγκη · τον γάρ Όρφέα λαβών άπαν τε Μουσών έννεάφθογγον μέλος, ούκ άν πίθοιμι γαστέρ’, άλλα δει βίου.

Moi, si le père qui m ’a engendré avait eu de la raison, j ’aurais laissé de côté l’art des Muses et je saurais souffrir pour être heureux, quand bien même le malheur devrait un jour

[me frapper.En premier lieu, < je saurais que > tout ce qui est donné aux

[mortelsconstitue une bonne ration pour un estomac qui n'est pas rempli, < je saurais > me contenter de ne boire toujours, telle une bête

[sauvage, que de l’eau, exercer mon corps en hiver et accueillir du soleil les chaudes flèches sans me m ettre à l’ombre.Mais maintenant, en raison de mon manque d’entraînement, je n'ai point ces aptitudes, et pourtant nécessité m’est faite de

[supporter.Car ce n’est pas avec Orphée et tout le chant aux neuf sons

[des Musesque je saurais convaincre mon ventre ; il me faut de quoi

[vivre ( ? ) . 74

Reconnaissons que si l'on avait voulu trouver un texte illus­trant parfaitement la conception diogénienne de l'ascèse, on n'eût pu trouver mieux. En effet, nombre des grands thèmes chers à Diogène sont exprimés ici : la nécessité d'une éducation qui

74. I l faut avouer que l ’expression δει βίου est étrange. O n peut penser que la phrase se prolongeait sur le vers suivant et que celui-ci nous manque. Mais si l ’on accepte la fin de phrase telle quelle, il faut certainement comprendre que la culture ne nourrit pas son homme et que, si l’on n ’est pas entraîné, la satisfaction des besoins est problématique.

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222 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

apprend à affronter les ponoi, le dédain de l’éducation tradition­nelle sous la forme de la mousikè7S, l’idée que si l’on sait souffrir on connaîtra le bonheur même au sein de l’adversité, enfin et surtout la méthode concrète préconisée en vue de parvenir à ce bonheur : un entraînement corporel aux quatre ponoi caracté­ristiques que sont la faim, la soif, le froid et le chaud. On remar­quera l’insistance mise sur cet entraînement : άσκεΐν, έθισθείς.

Il est par conséquent tout à fait plausible que Diogène, dans une de ses tragédies, ait mis ces vers dans la bouche d’un de ses personnages, lequel, probablement frappé par le malheur, regrettait de n’avoir pas bénéficié d’une éducation cynique. On a peine à identifier ce personnage formé à l’art des Muses et coupé des facilités de la civilisation avec le personnage principal d’une des sept tragédies attribuées à Diogène par Diogène Laërce ; mais il est possible que ce soit un personnage secondaire qui ait proféré ces paroles.

Peut-être pourrait-on rapprocher de notre passage anonyme trois trimètres iambiques que Clément d’Alexandrie, dans son second Stromate, attribue nominalement à Diogène et qui vien­nent d’une des tragédies du philosophe :

ΟΙ τής άνανδρου καί διεσκατωμένης τρυφής ύφ’ ήδοναΐσι σαχθέντες κέαρ πονεΐν θέλοντες ουδέ βαιά — w —

Ceux-ci, remplis en leur cœur des plaisirs de la mollesse,privée de virilité et baignant dans les souillures,ne consentent point à supporter la moindre souffrance76 <***>.

Ainsi le thème des ponoi devait occuper une place cen­trale dans les écrits de Diogène, même dans son œuvre tragique77.

75. Cf. D .L. V I 73, ainsi que V I 104 où sont cités ces deux vers de D iogène : « Ce sont les pensées des hommes qui perm ettent de bien administrer les cités / et les maisons, non les mélodies de la lyre ou les trilles de la flû te ».

76. C l é m e n t d ’A l e x a n d r ie , Stromate I I 20, 119, 6 ; t. I, p. 178, 4-8 Stâhlin ( = T rG F 88 F ih Snell).

77. U n passage en vers transm is sans indication de lemme par St o b é e I I I 17, 5 ; t. i l l , p. 490, 13-1 δ Hense, pourrait p rovenir d’une tragédie de Diogène. Sn e l l (Diogène de Sinope, fr. 6) l’a rangé parmi les dubia du philosophe. O r dans ce fragm ent, on retrouve encore une notion très proche de πονεΐν sous la form e du verbe έκμοχθοϋσι. O n remarquera d’ailleurs que dans le paragraphe e de D .L . V I 70 est employée la form e έμόχθουν. Voici une traduction du passage : « Pour tous ceux qui philosophent et se donnent de la peine, / la règle de vie, c’est de vain­cre son ventre ; / car c’est la frugalité qui enseigne les sages / décisions, c’est-à- dire les meilleures ». Ces vers qui illustrent la portée m orale que peut avoir l’ascèsecorporelle, s’harm onisent parfaitement aux vues cyniques.

POSTÉRITÉ DE L'ASCÈSE DIOGÉNIENNE 223

E. LA POSTÉRITÉ DE L’ASCÈSE DIOGÉNIENNE DANS LE MOUVEMENT CYNIQUE

On peut se demander si l’ascèse propre à Diogène a gardé toute son importance, après la disparition du philosophe, à l’inté­rieur du mouvement cynique. Nous avons vu que Cratès avait été fidèle à son principe. Mais qu’en est-il dans le cynisme plus tardif ? Nous voudrions m ontrer comment c ’est précisément ce type d’ascèse qui continuera de caractériser le cynisme postérieur.

Par exemple, quand Pérégrinus se rend en Égypte auprès du Cynique Agathobule, Lucien, moqueur, nous dit qu’il s’entraîna à « la remarquable ascèse » (τήν θαυμαστήν άσκησί,ν διησκεΐτο) :

Il se rasait la moitié de la tête, s’enduisait de boue le visage, mettait son membre en érection au milieu d’une assis­tance nombreuse, démontrant ainsi ce qu’on appelle un acte indifférent, puis il donnait et recevait des coups de férule sur les fesses et il accomplissait bien d’autres prodiges encore plus audacieux78.

C’est ici l’aspect de contestation sociale de l’ascèse cynique qui est mis en relief.

D'autre part, quand on lit les Vies à l'encan du même Lucien, on reconnaît à un petit détail significatif que c'est toujours à l’ascèse que l’on a recours pour définir le cynisme. En effet, lorsque l’Acheteur interroge les représentants des différentes phi- losophies, il demande par exemple au Pythagoricien : « Que m’enseigneras-tu ? », ou au Sceptique : « Et toi que sais-tu ? », alors qu'au Cynique il pose la question suivante : « Si je t'achète, de quelle manière m ’exerceras-tu ? (τίνα με τον τρόπον Six- σκήσεις ;) »79. La réponse du Cynique mérite d’être citée car, même si Lucien adopte ici le point de vue du satiriste, on se rend parfaitement compte que ce qui est en cause c'est bien l’ascèse telle que la concevait Diogène :

Tout d'abord, je te prendrai en charge, je te dépouillerai de ton luxe, te réduirai à la misère et te ferai revêtir un petit tribôn ; ensuite, je te contraindrai à souffrir et à prendre de la peine (πονεΐν καί κάμνει,ν), à dormir par terre, à boire de l’eau, à te remplir le ventre de ce que tu trouveras ; tes

78. L a mort de Pérégrinus 17.79. Vies à l'encan 9.

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224 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

richesses, si tu en as, sur mon conseil tu les jetteras à la m er; tu ne te soucieras ni de mariage, ni d’enfants, ni de patrie ; tout cela sera pour toi niaiserie ; tu abandonneras la maison de tes pères et tu habiteras ou un tombeau ou une tour désertée ou même un tonneau. Ta besace sera pleine de lupins et de rouleaux de papyrus écrits recto verso. Si tu te comportes de la sorte, tu te prétendras plus heureux que le Grand Roi. Que l’on te fouette ou que l’on te torture, tu ne verras là rien de pénible80.

Il est certain que bien des pseudo-Cyniques abusaient du côté facilement spectaculaire que pouvait présenter l’ascèse cynique. Épictète leur oppose le Diogène véritable81 et Lucien, par ses moqueries réitérées, laisse entendre qu’il y avait réellement place pour la satire. On peut justement se demander si les philosophes qu’il critique par l’intermédiaire du philosophe platonicien Nigri­nus dans un passage du dialogue du même nom ne sont pas des Cyniques, de ces Cyniques qui s’adonnaient à d’incontestables excès. Ces philosophes pensent que c’est un entraînement à la vertu (τήν άσκησιν άρετής) que d’entraîner les jeunes gens à supporter « de nombreux maux et souffrances » :

La plupart d’entre eux demandent qu’on fasse prendre à ces jeunes gens des bains froids, d’autres les fouettent, d’autres, les plus raffinés, leur coupent avec un fer la surface de la peau. Nigrinus, lui, estimait que c’est bien plutôt dans les âmes qu’il faut créer l’endurance et l’insensibilité82.

Nigrinus qui souhaite pour ses disciples une formation axée sur la disposition intérieure méconnaît peut-être, et Lucien à sa suite, la finalité réelle de cet entraînement en apparence purement physique, fondé sur des sévices corporels et des pratiques rigo­ristes : c’est bien l’endurance et l’insensibilité de l’âme face à la douleur que ces philosophes extrémistes, peut-être cyniques, espéraient atteindre.

Un Cynique, cependant, trouve grâce aux yeux de Lucien. C'est Démonax. Il l’admire et répugne d’ailleurs à en faire un Cynique, déclarant qu’ « il paraissait ressembler davantage à Socrate, même si, de par son extérieur et la vie facile qu’il

80. Ibid.81. En/reliens III 22, 10 et 80 ; IV 8, 4-5 et 34.82. Nigrinus 27.

POSTÉRITÉ DE L'ASCÈSE DIOGÉNIENNE 225

menait, il passait pour imiter l’homme de Sinope » ®. Il est vrai que tout ce qu’il dit de Démonax l’apparenterait finalement assez peu à Diogène s’il ne mentionnait pas précisément à son actif un entraînement de type physique : καί τό σώμα δέ έγεγύμναστο καί προς καρτερίαν διεπεπόνητο, et le souci de vivre une vie autarcique : « En tout, il se préoccupait de n’avoir besoin de personne d’autre, de sorte que le jour où il comprit qu’il ne se suffisait plus à lui-même, volontairement il quitta la vie, laissant aux meilleurs des Grecs une grande opinion de lui. » 84

Le maître de Démonax85, Démétrius le Cynique, qui fut l’ami de Sénèque, pratiquait lui aussi l’ascèse dans l’esprit de Diogène.Il vivait « seminudus »M, « couchait sur ce qui était bien moins qu’une paillasse » 87 et faisait des discours contre la richesse et le luxe88. Sénèque disait à son propos : « Il n'enseigne pas la vérité, il témoigne pour elle. » 89

Dans les lettres cyniques pseudépigraphes d’époque impériale, on relève également maints témoignages sur l’ascèse cynique90. Nous ne retiendrons, à titre d’exemple, qu’une lettre peu connue du pseudo-Ménippe91, adressée « à ceux qui n’ont qu’une besace ». « La loi diogénienne » qui s'y trouve évoquée est à identifier de loute évidence avec la loi de l’ascèse qui, si elle n ’est pas res­pectée, entraîne à la fois la maladie du corps et celle de l’âme :

Vous faites bien d’avoir faim, d’avoir soif, d’avoir froid et de coucher par terre. C’est là en effet ce qu’ordonne la loi de Diogène qui fut rédigée selon Lycurgue, le nomothète des Lacédémoniens92. Si l’un de vous refuse de lui obéir, il sera

83. Démonax 5.84 . Démonax 4.85 . Ibid. 3.86 . Sé n è q u e , Lettre 6 2 ,3 . V oit M argarethe B il l e r b e c k , Der Kyniker

I hmetrius, pp. 18-43.87. Lettre 20 , 9.88 . V oir par exemple De beneficiis V II 8, 3-10, 6.89. Lettre 20 , 9.90 . Ainsi P s eu d o - D io g è n e , Lettres 12 (à Cratès), 27 (à Annicéris), 30 (à

I I icétas), 31 (à Phaenylos), 37 (à Monime) ; P s e u d o - C r a tè s , Lettres 11 (à ses Kimpagnons), 19 (à Patrocle).

9 t. Cette lettre en effet, la seule conservée du philosophe cynique, n ’a pas été reproduite par A. J . M a l h e r b e , The Cynic Epistles.

92. Diogène a trouvé une illustration de l’ascèse qu’il pratiquait chez les Spartiates, Ce peuple était certainement celui qu’il admirait le plus. V oir D io g è n eI aïsrce VI 27 et 59. Mais, comme l’atteste la Lettre 27 du P seu d o -D io g è n e à Annicéris (p. 241 Hercher), il pouvait faire une sévère critique des Spartiates de •1 ni époque, dont il regrettait Faffaiblissement moral. Sur les liens entre le cynisme cl Sparte, consulter F. O l l ie r , Le mirage Spartiate, tom e II : Etude sur Γ idéalisation •U sparte dans l ’antiquité grecque du début de l ’ école cynique jusqu’ à la fin de la cité, coll.

8

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226 COMMENTAIRE DE D. L. VI 70-71

voué à la maladie, à la jalousie, au chagrin et à tous les maux qui découlent de ce choeur; ceux qui n ’obéissent pas seront saisis par la goutte, la toux, les vents qui sortent d'en bas avec un bruit de tonnerre, parce qu’ils ont outragé la loi juste et divine qui vient de Sinope93.

Plus tard, l’empereur Julien s’élèvera vigoureusement contre les Cyniques sans culture, tel cet Héracleios qu’il attaque dans un de ses discours, parce qu’il couvre les dieux de blasphèmes, ou un des prédécesseurs de celui-ci, Oenomaos, qui a perdu dans ses écrits toute pudeur94. Il leur opposera le Diogène authentique dont il rappelle que la règle de vie débouchait à la fois sur la santé du corps et sur une organisation de l’âme susceptible de faire naître le bonheur :

Cet entraînement contribua à donner à notre philosophe un corps d’une virilité telle que je n’en vois à aucun de ceux qui ont lutté pour gagner des couronnes, et à organiser son âme en sorte qu’il connaissait le bonheur95.

Même dans l’idéalisation du cynisme à laquelle se livre Julien, on constate que l’ascèse corporelle telle que l’entendait Diogène garde tous ses droits.

Nous pouvons terminer ce survol de la postérité qu’a connue l’ascèse diogénienne à l’intérieur du mouvement cynique en rap­pelant Le Cynique du pseudo-Lucien, manifeste philosophique probablement d’époque tardive96. L’esprit authentique de Diogène y demeure très vivant : même exigence d’autarcie91, de frugalité extrême98 ; même prise de conscience des maux qu'entraîne la

« Annales de l ’Université de Lyon », troisièm e série, 13, Paris, 1943, pp. $-20 ; E . N . T ig e r s t e d t , Tbe Legend of Sparta in Classical Antiquity, coll. « Acta Univer­sitatis Stockholmiensis »-« Stockholm Studies in H istory o f Literature », 15, t. II, Stockholm, 1974, pp. 30-41.

93. La lettre est éditée par H e r c h e r , p. 400.94. J u l ie n , Discours V II 19, 225 B, considère que l’aspect extérieur adopté

par les Cyniques de son époque : bâton, tribôn, cheveux longs, est en fait une preuve d’ignorance, d ’audace et d ’impudence. V oir aussi Discours IX 18, 200D - 201 A : « il ne suffit pas à quiconque désire faire profession de cynisme d ’adopter le manteau, la besace, le bâton et les cheveux longs pour marcher, hirsute et illettré, comme dans un village privé de boutique de coiffeur et d’école, mais il lui faut tenir pour a ttributs de la philosophie cynique la raison au lieu du bâton, et la règle de vie au lieu de la besace » (trad. G. Rochefort).

95. Discours IX 14, 195 AB (trad. G. Rochefort).96. O n admet généralement que ce dialogue n ’est pas de Lucien. Voir

J. B i e l e r , Über die Hchtbcit des Lucianischen Dialogs Cynicus, Hildesheim, 1891.97. Le Cynique 3.98. Ibid. 5 et 15.

POSTÉRITÉ DE L’ASCÈSE DIOGÉNIENNE 227

vie civilisée et ses raffinements99 ; même référence à Héraclès, le héros qui savait se contrôler, être endurant, et qui refusait le luxe 10°. Revendiquant son tribôn, ses cheveux longs, ses pieds nus, sa barbe, le Cynique affirme que cet extérieur lui permet « de vivre en paix, de faire ce qui lui plaît et de fréquenter la compa­gnie de son choix » 101, autrement dit d ’être heureux.

99. Ibid. 8 et 9.100. Ibid. 13.101. Ibid. 19.

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ii

CONCLUSION

« Le penseur qui réfléchit sans illusion sur la réalité humaine, s'il veut rester à l ’intérieur du monde, et qu 'il élimine la mystique comme échappatoire, aboutit à une vision dans laquelle se mélangent la sagesse, l'amertume et la farce. »

E.-M. C io r a n , Précis de décomposition, Paris, 1949, pp. 95-96.

En consacrant à l'ascèse cynique cette étude, nous avons voulu cerner le noyau central de la philosophie de Diogène, sur quoi viennent se greffer dans la plus parfaite cohérence toutes les prises de position qu’exigeait la situation concrète où il vivait. Le Cynique, dans un combat de tous les instants, a à se défendre contre les multiples agressions qui menacent son moi le plus profond, qu’elles émanent de son propre irrationnel, de la société, de la Fortune ou du Destin. Telle est la prise de conscience qui a amené Diogène à choisir 1 ’askèsis comme seule technè morale valable et à faire de l'animal le symbole de la réalisation de toutes ses aspirations. Une fois posée la justification de Yaskèsis, les diverses faces de l’agir cynique s’éclairent en toute logique : ainsi, par exemple, le cosmopolitisme en matière politique qui permet d’être libre de tout lien à l’égard d’une cité concrète, ou encore la liberté manifestée envers les dieux et les croyances religieuses. C’est dans la réalisation de l’autarcie, de l’indépen­dance dans tous les domaines, donc dans la pratique de l’ascèse, que se façonne la figure du sage cynique. Orgueil démesuré, dira-t-on ! Plus fort que soi-même, plus fort que la Fortune, plus fort que le Destin, le sage cynique, rival de Dieu, n’illustre-t-il pas cette hubris dont les Grecs surent si souvent rappeler les dangers ? Certes, ce héros dont l’héroïsme se traduit non par des hauts faits de nature exceptionnelle, mais par une victoire sur

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230 CONCLUSION

soi dans les actes quotidiens, est orgueilleux, très orgueilleux même, et pourtant nous le percevons proche de nous. Peut-être est-ce à cause de l’ardeur qu’il déploie dans sa quête du bonheur, une ardeur passionnée grâce à laquelle la dure loi de l’ascèse cynique ne tombe pas dans le piège d’un rigorisme absurde.

Mais si l’ascèse a pour fonction première d’assurer le bonheur et la vertu de qui la pratique, il ne faudrait pas sous-estimer sa portée pédagogique et sa valeur « missionnaire ». Diogène en effet, malgré son individualisme et sa revendication d’une autarcie absolue, ne fuit pas la cité, comme si la misanthropie cynique avait besoin du contact de la foule. Bien décidé à vivre au milieu de ces hommes dont il s’emploie à dénoncer la folie, il témoigne en pratiquant son ascèse. Rien de commun, du moins pour la signification profonde de la démarche, avec l’anachorète chrétien qui, lui, ira au désert anéantir son corps et son moi afin de pouvoir tourner totalement son âme vers Dieu. Parce qu’elle choque, l’ascèse cynique a valeur de question, au même titre d’ailleurs que l’attitude de dérision adoptée par Diogène dans ses relations avec autrui. Qu’il mange de la viande crue, aille nu-pieds, couche sur la dure ou qu’il accable ses interlocuteurs de ses plaisanteries grinçantes et corrosives, le philosophe vise un même effet pédagogique et parénétique. Ascèse et sarcasme cherchent tous deux à provoquer. Assurément cette détermination qu’ils montrèrent à ne pas quitter le monde humain, trop humain, contribue pour beaucoup à la grandeur de ces misanthropes aux aboiements agressifs.

Si leur philosophie n’a pas les lettres de noblesse de la philosophie spéculative, elle mérite toutefois d’être prise en consi­dération comme ira des moments originaux de l’histoire de la pensée post-socratique. Alors que le ν ' siècle avait assisté à l’épa­nouissement d’une civilisation si raffinée qu’on en est venu à parler du « miracle grec », le cynisme est en effet venu rappeler au IVe siècle qu’il n ’est qu’un seul et unique mot d’ordre valable : suivre la nature. Ainsi, en quelques dizaines d’années, la Grèce avait réussi à sécréter un des grands achèvements de l’esprit humain et sa critique. Diogène entrait au théâtre quand tout le monde sortait et il déambulait à reculons sous les portiques.

APPENDICE

RÉPERTOIRE DES PHILOSOPHES CYNIQUES CONNUS

I l n’est pas facile de se faire une idée exacte de l’ampleur du mouvement cynique, parce qu ’o n n ’a jamais répertorié, de façon systématique et dans une perspective d ’exhaustivité, l’ensemble des philosophes de cette tendance. C’est pourquoi nous avons jugé utile de com pléter notre étude par un b re f répertoire des Cyniques connus. Les courtes notices qui accompagnent le nom de chaque personnage on t pour seul bu t de perm ettre son identification. Elles com portent généralement u n repère chronologique et la référence à l’article de la R ealencyclo- pàdie der classischen Alttrtumsmssenschaft quand i l en existe un. Afin d’éviter les confusions, nous avons décidé d ’instaurer un classement en hu it rubriques :

I. Les Cyniques dont l’existence historique est attestée (81).II. Les Cyniques anonymes (14).

III. Les personnages don t l ’appartenance au cynisme est incertaine (9).IV. Les Cyniques des L,ettres pseudépigraphes (30).V. Les Cyniques probablem ent fictifs mis en scène dans des œuvres litté­

raires (12).VI. Un Cynique par erreur.

VII. Personnages non cyniques qualifiés de « Chiens » (4).VIII. Quelques titres d’ouvrages où est présent le m ot « chien ».

I. LES C YN IQUES D O N T L’E X IST E N C E H ISTO R IQ U E E ST A T T E S T É E

A g a t h o b u l e (R E 1) 11e s. ap. J.-C. Cynique d ’Alexandrie qui pratiquait un ascétisme rigoureux. M aître de Dém onax (Lucien, Vie de Démonax 3) ; on sait que Pérégrinus lui rendit visite en Égypte (Mort de Pêrégrims 17). Dans la Chronique de Jérôm e (p. 198, 1-3 Helm) il est aux côtés de Plutarque de Chéronée, Sextus et Oenomaos, l ’un des « philosophi insignes » connus en l’année 119 ap. J.-C. Dudley suggère, à titre d’hypothèse, que cet Agathobule pourrait être « le fameux sophiste de Rhodes » sous la conduite duquel Démétrius de Sounion s’exerça à l’ascèse cynique à Alexandrie. Cf. R E I 1 (1893) c. 745 V on Arnim.

A n a x im è n e d e L a m psa q u e (R E 3) iv e s. av. J.-C. Rhéteur présenté par la Souda s.v. comme u n élève de Diogène le Chien et de Zoïlos d’Am phipolis. Les deux anecdotes rapportées par Diogène Laërce V I 57 qui mettent en scène Diogène et Anaximène son t lo in de prouver que le rhéteur fu t bien l ’élève du philosophe. Cf. R E I 2 (1894) cc. 2086-2098 Brzoska.

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232 APPENDICE

A n d r o s t h è n e (R E 10) iv e s. av. J.-C . F ils d’Onésicrite d’Égine ; disciple, comme son père et son frère Philiscos, de D iogène le Chien. Cf. R E 1 2 (1894) c. 2173 N atorp.

A n t io c h u s d e C i l i c i e , d it le « transfuge » (R E 64) n e s. ap. J.-C . D ion Cassius L X X V II 19, suivi par la Souda A 2695, dit qu’a au début i l jouait au philosophe cynique », qu’à la guerre contre les Parthes il encourageait les soldats qu i souffraient des rigueurs climatiques, se jetant lui-même dans la neige et s’y roulant, ce qui lui valut de l ’argent et des honneurs de la part de Sévère et d ’A nto- n in (Caracalla). Mais i l déserta pour rejoindre les Parthes. C f. R E I 2 (1894) c. 2494 V on A rnim ; P IR 2 A 743.

A n t is t h è n e (R E 10) ca 445-360. Fils d ’u n Athénien du nom d’A ntisthène et d ’une femme Thrace. I l étudia la rhétorique auprès de Gorgias et devint lui-même rhéteur. Ensuite il fréquenta assidûment Socrate et fit partie des quelques disciples présents à la m ort du philosophe. La trad ition fait de lui le maître de D iogène, ce qui n ’est pas sans poser u n certain nom bre de problèm es chronologiques, et le fondateur du cynisme (Clément d’Alexandrie, Stromate 1 14, 63, 4 ; Souda, s.v.).Il dispensait son enseignement au gymnase du Cynosarges qui était réservé aux « n o th o i» , d ’où , selons certains (D .L. V I 13), l’appellation « c y n ism e » ; lui- même avait pour surnom « haplokuôn » (Ibid ) . Son œuvre littéraire abondante aussi bien dans le domaine rhétorique que philosophique eut un grand retentisse­m ent. R E I 2 (1894) cc. 2538-2545 N atorp.

A s c l é p ia d e (R E 19) Deuxième moitié du iv c s. ap. J.-C. Philosophe cynique qui en 362 rendit visite à l’Em pereur Ju lien à A ntioche et provoqua à la suite d ’une im prudence l’incendie du tem ple d’A pollon à D aphné (Ammien M arcellin X X II 13, 3). Cf. R E I I 2 (1896) c. 1625 Seeck ; PL R E 1 4.

A v id ié n u s I er s. av. J.-C. É voqué par Horace, Satire I I 2, vv. 5 5-62, mais inconnu par ailleurs. H orace le présente ainsi : « Avidiénus, à qui s’attache le surnom bien mérité de Chien, se caractérise par la vie sordide qu’il mène ». Cf. R E II 2 (1896) cc. 2378 Klebs.

B é sa n° 1381 dans J. Baillet, Inscriptions grecques et latines des tombeaux des rois ou syringes, coll. « Mémoires publiés par les membres de l ’Institu t Français d’archéologie orientale », 42, Le Caire, 1926.

B é t io n 111e s. av. J.-C. Un des familiers de Bion de Borysthène (D.L. IV 54).B io n d e B o r y s t h è n e (RE 10) ca 335-245. Fils d ’un affranchi m archand de

salaisons et d ’une courtisane, i l fu t vendu avec sa famille parce que son père avait fraudé le fisc. U n rhéteur l’acheta. Ainsi il reçut d’abord une form ation rhétorique. A la m ort de son m aître, il se rendit à A thènes où il pu t bénéficier d ’une form ation philosophique éclectique : à l ’Académie auprès de Xénocrate et Cratès, puis chez les Cyniques, les Cyrénaïques (il fu t le disciple de Théodore l’Athée), et enfin chez les Péripatéticiens (il fréquenta Théophraste). Comme D .L. I I 77 lu i prête des diatribai, on a pensé que B ion pourrait être à l’origine du genre littéraire de la diatribe. Cf. R E III 1 (1897) cc. 483-485 V on Arnim.

C a r n é a d e Ier s. ap. J .-C . Seul Eunape, Vies des Philosophes et des SophistesII 1, 5 atteste son existence. I l le présente comme un contem porain d ’Apollonius de Tyane et comm e un des représentants remarquables du cynisme, à côté de « M usonius, Dém étrius, M énippe et bien d’autres ».

C e r c id a s d e M é g a l o p o l is (R E 2) ca 290-220. Hom m e politique, ami d’Aratos de Sicyone ; nom othète ; poète, auteur d’iambes, de méliambes et peut- être d ’une A nthologie m orale ; philosophe pratiquant lui-même le m ode de vie cynique et m anifestant de l’hostilité envers l’hom osexualité stoïcienne. Cf. RE X I 1 (1921) cc. 294-308 G erhard-K roll.

C h y t r o n ïv e s. ap. J.-C. Cynique connu de l ’E m pereur Ju lien (Julien,

RÉPERTOIRE DES PHILOSOPHES CYNIQUES 233

Discours V II 1 8 , 2 2 4 0 ) . Faut-il l’identifier avec Dém étrius d’Alexandrie, dit Cythras (voir infra)? Cf. R E III 2 (1899) c. 2532 V on Arnim ; PL R E I.

C l é a n t h e d ’A sso s (R E 2) ca 331-231. Philosophe stoïcien, élève et successeur de Zénon. Il est qualifié de cynique par N onnos, In invect. I adversus lulianum ( Orat. I V ) historia 35. La Souda K 1711 le présente comme un « disciple de Cratès, puis de Zénon, dont il devint le successeur ». A noter également son surnom à consonance cynique : « le second Héraclès » (D .L. V II 170). Cf. R E X I 1 (1921) cc. 558-574 V on A rnim ; R E Suppi. X II (1970) cc. 1705-1709 Dôrrie.

C l é o m è n e (RE 12) iv e/m e s. Élève non de Métroclès, comme on le croit généralement, mais p lu tô t de Cratès si la fin du chapitre consacré à Métroclès dans D .L. V I 95 et commençant par « m athètai d ’autou » se rapporte, ainsi que nous le pensons, non pas à Métroclès, mais à Cratès, l’expression ne faisant que reprendre celle identique de V I 93 ; à l ’appui de cette hypothèse, on remarquera que D .L. V I 98 revient à la biographie de Cratès, évoquant son œuvre littéraire et sa m ort. Cléomène fu t le maître de Tim arque d’Alexandrie e t d ’Échéclès d ’Éphèse (D.L. V I 95). I l écrivit u n Paidagôgikos où il racontait notam m ent comment Diogène traitait de sots les disciples qui voulaient le racheter, après qu’il eut été vendu comm e esclave à Xéniade de Corinthe (D .L. V I 7 5 ). Cf. R E X I1 (1921) c. 712 V on Arnim.

C l é o m è n e d e C o n s t a n t in o p l e (RE 11) iv e s. ap. J .-C . Libanios parle de lui dans ses Lettres (nos 399 , 43 2 et 446 dans l’édition Foerster). C’est u n Cynique, ami d ’Andronicus, qui vivait à Constantinople en 355 . Cf. R E X I 1 (1921) c. 712 Seeck ; PLR E I.

C r a t è s d e T h è b e s (R E 6) ca 360-280 . Frère du philosophe mégarique Pasidès ; mari d ’H ipparchia de Maronée ; élève de Diogène ; cependant H ippobote prétend qu’il était l ’élève non de Diogène, mais de Bryson d’Achaïe (D.L. V I 85). i l v in t au cynisme après avoir vu dans une tragédie le personnage de Télèphe portant un misérable petit panier (D.L. V I 87). Son œuvre littéraire comprend des tragédies, des élégies, des parodies, un poème en hexamètres : Pera, un hymne à la frugalité, des Lettres et un A r t culinaire. I l eut pour disciples M étroclès, Zénon Cléanthe, H ipparchia, M onime ainsi que, comme nous l’avons suggéré (voir C l é o m è n e ) , Cléomène, Théom brote et M énippe. Cf. R E X I 2 (1922) cc. 1625- 1631 Stenzel.

C r e sc e n s (R E 3). Son existence est attestée (agnoscitur) en 154 ap. J.-C. par liusèbe (Chronique de férôme, p . 203 , 13-18 Helm). Ce cynique qu i vécut à Rom e bous les A ntonins, attaqua les Chrétiens et fu t responsable du m artyr de Justin qui eut lieu en 165 (Tatien, Adversus Gentiles 19). Cf. R E IV 2 (1901) c. 1707 Von Arnim.

D é m é t r iu s n° 319 dans Baillet.D é m é t r iu s d ’A l e x a n d r ie (R E 88) ca 300 av. J.-C . Disciple de Théom brote

(D .L . VI 95). Cf. R E IV 2 (1901) c. 2842 V on Arnim.D é m é t r iu s d ’A l e x a n d r i e , dit C y t h r a s (R E 63) ive s. ap. J.-C. Parce qu’il

était païen e t faisait des sacrifices, on lu i intenta u n procès sous Constance à Scythopolis en 359, alors qu’il était déjà très âgé. Interrogé et torturé, il maintint «es positions ; on l’acquitta et on le laissa rentrer à Alexandrie, ville où il était né (Ammien M arcellin X lX 12, 12). Faut-il l ’identifier avec le Cynique Chytron mentionné par l’Em pereur Julien (Discours V II 18, 224 C)? C f. R E IV 2 (1901) c. 2804 Seeck ; PLR E I 4.

D é m é t r iu s d e C o r in t h e (RE 91) Ier s. ap. J.-C. Ami de Sénèque et de Thraséa Paetus. Enseigna à Rome sous Caligula, N éron et Vespasien, mais apparemment n ’écrivit rien. Curieusement, en 7 0 , il se porta défenseur de P. Egna- lius Celer contre M usonius (Tacite, Histoires IV 40). Vespasien le bannit en 71

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234 APPENDICE

en même temps que tous les autres philosophes (D ion Cassius L X V I 13). Ensuite il rejoignit les Brahmanes en Inde. I l semble qu’il faille identifier ce Démétrius avec celui auquel fait allusion Lucien dans Toxaris 27-34 (un Dém étrius dit « de Sounion » qui s’exerça à l’ascèse cynique à Alexandrie sous la conduite du « fameux sophiste de Rhodes »), avec le Cynique Dém étrius qu’il évoque dans le De saltatione 63 et avec celui de VAdversus indoctum 19, mis en scène dans une anecdote située à Corinthe. D ’autre part, même si les données rapportées par Philostrate dans la Vie d'Apollonius de Tyane semblent d ’une valeur historique douteuse, on admet généralement que le Dém étrius qu’il présente comme disciple d ’Apollonius de Tyane et comme m aître de M énippe de Lycie est à identifier également avec le philosophe ami de Sénèque. Philostrate précise en outre que Favorinus a parlé m aintes fois de D ém étrius dans ses ouvrages. O n notera qu ’une lettre d ’A pollonius (Lettre 111, p. 129 H ercher) a pour destinataire « Dém é­trius de Sounion ». Cf. R E IV 2 (1901) cc. 2843-2844 V on A rnim ; P IR 2 D 39.

Dém onax (R E 1) ca 70-170. Connu surtou t par la biographie que lui consacra Lucien. N é à Chypre, il passa sa vie à Athènes. Épictète, T im ocrate d’Héraclée, Agathobule et D ém étrius furent ses maîtres et Lucien son disciple. Apparemment i l pratiqua un cynisme adouci qui lu i perm ettait de vénérer Socrate, d’admirer Diogène et d ’aimer A ristippe (Demonax 62). I l ne laissa aucune œuvre écrite. Athènes lui rendit des funérailles officielles quand il eut quitté la vie après s’être laissé m ourir de faim. Cf. R E V 1 (1903) cc. 143-144 V on Arnim.

Didym e surnom m é P la n é t ia d e (RE 5) Ier s. ap. J.-C. Un des interlocuteurs du De defectu oraculorum de Plutarque (7, 412 F-413 D). Cf. R E V 1 (1903) c. 444 V on Arnim.

D io c lè s num éros 1542, 1611, 1721, 1735 dans Baillet.D io g èn e d e Sinope (R E 44) IVe s. av. J.-C. Fils du banquier Hicésias

(appelé « Hicétas » dans la Lettre pseudépigraphe 30 de Diogène) ; il quitte Sinope pour avoir, selon la tradition, falsifié la monnaie et vient à Athènes où il s’attache à Antisthène. Chronologiquem ent cette fréquentation d’Antisthène pose des problèmes. Fait prisonnier par des pirates lors d ’un voyage en mer, puis vendu à Xéniade de Corinthe, il aurait vécu chez ce dernier jusqu’à sa m ort qui eut lieu à Corinthe, en l’an 323, le même jour qu ’Alexandre à ce que rapporte Dém é­trius dans son ouvrage sur les Homonymes (D .L. V I 79). E n fait, il est très difficile de départager les données historiques et l ’apport de la légende dans la biographie de Diogène. I l eut pour disciples Onésicrite d’Égine et ses deux fils : Androsthène et Philiscos, ainsi que M onime de Syracuse, M énandre surnom m é Drum os, Hégésias Kloios, Cratès de Thèbes, Phocion Chrestos et Stilpon de Mégare. Sur son activité littéraire les tém oignages divergent. Selon D .L . V I 80, Sosicrate, au premier livre de ses Successions, et Satyros, au quatrième livre de ses Vies, affirment qu’il n ’a rien écrit ; Satyros attribuait d ’ailleurs les tragédies au disciple de Diogène Philiscos d’Égine. D iogène Laërce n ’en donne pas moins deux listes d ’écrits : la première compte des dialogues (treize titres), des Lettres et sept titres de tragé­dies ; la seconde, due à Sotion, douze titres de dialogues, dont huit absents de la première liste, ainsi que des Chries et des Lettres (D .L. VI 80). Cf. R E V 1 (1903) cc. 765-773 Natorp.

D io g èn e l e Sop histe (RE 25) i er s. ap. J.-C. En 75, il pénétra au théâtre à Rome, alors que celui-ci était rempli, et il proféra de nombreuses insultes contre Titus et Bérénice, laquelle se comportait comme la femme de Titus et espérait le mariage. D iogène fut fouetté (Dion Cassius L X V I 15, 5). Cf. R E V 1 ( i 9° 3) c. 736 Stein ; PIR 2 D 97.

D ion C hrysostom e (RE 18) né ca 40, m ort après 112. Originaire de Pruse, ce sophiste fut d ’abord un adversaire de la philosophie, mais il devint ensuite disciple de M usonius Rufus. Banni de Bithynie et d ’Italie par Dom itien en 82,

RÉPERTOIRE DES PHILOSOPHES CYNIQUES 235

il mena pendant plusieurs années la vie d ’un prédicateur errant et p rit les appa­rences d’un philosophe cynique : tribôn, cheveux longs, barbe et besace. Ce m ode de vie cynique prit fin sous Nerva, lorsqu’il pu t revenir d ’exil. Mais dans les années qui suivirent, il reprit la route et fit des discours de ville en ville comme philosophe populaire. Il s’occupa aussi de sa ville natale, ce qui lu i valut l’inim itié de certains de ses concitoyens et un procès qui eut lieu en 111/112. Parmi les nom breux discours qu’il composa, traitent plus particulièrem ent de thèmes cyniques les Discours IV, VI, V III à X . Cf. R E V 1 (1903) cc. 848-877 W. Schmid ; P IR 2 D 93

D om itius n° 1825 dans Baillet. É c h é c lè s d ’Éphèse (R E 2) ive/m e s. Disciple de Cléomène et Théom brote ;

maître de Ménédème de Lampsaque (D .L. V I 95). Cf. R E V 2 (1905) c. 1909 Natorp.

F avon ius (RE 1) Ier s. av. J.-C. Cet hom me politique, édile en 52, préteur en 49, était disciple de Caton d ’Utique dont il im itait follem ent la parrhisia (Piutarque, César 41, 3 ; Pompée 60, 7-8). Brutus le qualifie d ’baplokuna et de pseudokuna (Brutus 34, 7). Cf. R E V I 2 (1909) cc. 2074-2077 Münzer.

G o rg ia s . Dans deux vers anonymes de VAnthologie grecque V II 134, on peut lire : « C’est ici que j’ai trouvé le repos, m oi la tête du Cynique Gorgias, / mais je ne crache plus et ne me m ouche plus ».

H égésian ax (R E 3). L ’un des dix Cyniques mentionnés dans la seconde partie du Prooemium perdu de Stobée, selon Photius, cod. 167, p. 114 b 24. Cf. RE V II 2 (1912) c. 2606 V on Arnim.

H égésias d e Sinope, surnommé K lo io s , Collier de chien (RE 11). Disciple de Diogène le Chien (D .L. V I 84). N atorp suggère que son surnom pourrait s’expliquer à partir de son dévouem ent au Chien. Cf. R E V II 2 (1912) c. 2607 Natorp.

H é ra c le io s (RE 12 et 16). Ce Cynique vécut au temps d e l’Em pereur Julien qui écrivit contre lui son septième discours : Π ρός Η ρά κλειον Κυνικύν περί τοϋ πώς κυνιστέον (Eunape, Chronique, fr. 18,3 Millier). Eunape (Ibid. fr. 31) rapporte les paroles qu’Héracleios adressa à Procope, un parent de Julien qui voulut usurper le titre d’Empereur. Cf. R E V III 1 (1912) c. 503 Seeck et Von Arnim (ces deux articles sont des doublets) ; PLRE I 4.

H é ra s (R E 3). E n 75, sous Vespasien, il pénétra comme D iogène le Sophiste dans le théâtre à Rome. Mais alors que celui-ci fu t fouetté pour les insultes qu ’il avait proférées, Héras qui, convaincu de subir un châtiment du même ordre, avait émis des criailleries cyniques contre T ite et Bérénice, eut la tête coupée (D ion Cassius L X V I 15, 5). Cf. R E V III 1 (1912) c. 529 V on A rnim ; P IR 2 H 91.

H erm odote Ier s. ap. J.-C. M entionné dans une épigramme de Lucillius (Anthologie grecque X I 154).

H ip p a rch ia de M aro n é e (RE 1) ive/n ie s. av. J.-C. Sœur du Cynique Métroclès, issue d ’une famille aisée, elle voulut épouser le Cynique Cratès de Thèbes, menaçant de se suicider si on l’en empêchait. D .L. V I 96-98 ne lui attribue aucun écrit ; mais la Souda I 517 dit qu’a elle écrivit des Hypothèses philosophiques, des Épichérlmes et des Questions adressées à Théodore dit l’Athée ». Cf. R E V III 2 (1913) c. 1662 V on Arnim.

H o n o ra tu s (RE 10) 11e s. ap. J.-C. Ce Cynique philosophait enveloppé d’une peau d ’ours (arktos). C’est pourquoi Dém onax (Lucien, Démonax 19) par raillerie l’appelait non pas Honoratus, mais Arcésilas ( Arkesilaos). Cf. R E V III 2 (1913) c. 2276 V on A rnim ; PIR 2 H 195.

H orus iv e s. ap. J.-C. Égyptien ; fils de Valens ; frère de Phanès ; pugiliste, vainqueur en 364 aux jeux olympiques d ’A ntioche (Libanios, Lettres 1278 et

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236 APPENDICE

1279). C’est u n des interlocuteurs des Saturnales de Macrobe. Cf. R E V III 2 (1913) c. 2489 Seeck ; PL R E I.

Ip h ic lè s (RE 2 et 3) IVe s. ap. J.-C. Com pagnon de l ’Em pereur Julien, au tem ps où celui-ci était éduqué par H ardonios. Ju lien rappelle qu’il avait « la chevelure m alpropre, la poitrine débraillée et un fort méchant m anteau sur les épaules au cœur de l ’hiver » (Discours IX 16, 198 A). Probablem ent à identifier avec l ’Iphiclès m entionné par Libanios dans une lettre adressée à Thém istius en 356/357 (Lettre 508) et avec l’Iphiclès envoyé par les É pirotes, contre son gré, en 375, sur la demande du préfet du préto ire Probus, à l’Em pereur Valentinien à Carnuntum. Au lieu de remercier l’Em pereur pour les mérites de Probus, Iphiclès qui était réputé pour sa force d’âme, parla en toute vérité et dénonça les méfaits du personnage (Ammien M arcellin, X X X 5, 8-10. Cf. R E IX 2 (1916), cc. 2018- 2019 V on A rnim et Seeck (ces deux articles sont des doublets) ; P L R E I.

Isid o re (R E 9) Ier s. ap. J.-C. Ce Cynique se m oqua publiquem ent de N éron qui le punit en le bannissant de Rom e et d ’Italie (Suétone, Néron 39, 5-6). Cf. R E IX 2 (1916) c. 2062 Stein ; PIR 2 I 55.

M axim e H é ro n d ’A le x a n d r ie (R E 109) iv e s. ap. J.-C. Cynique chrétien qui com battit l’A rien Lucius après 1a m ort d’Athanase. A lors qu’il était l’ami de G régoire de Nazianze et que celui-ci avait prononcé un discours à son éloge (Discours X X V ), il gagna la confiance de l ’évêque Pierre I I et se fit nom m er évêque en secret, d’où la rupture avec Grégoire et les nom breuses allusions hostiles que l ’on relève dans les Carmina et les Lettres de ce dernier. Au Concile de Constantinople en 381 il fut déposé. R. W eijenborg dans « Is Evagrius Ponti­cus the A uthor o f the Longer Recension o f the Ignatian Letters », Antonianum 44 (1969) 339-347, propose d’identifier Maxime H éron, Évagre d’A ntioche et Évagre le Pontique. Cf. R E Suppi. V (1931) c. 676 EnBlin.

M é lé a g r e d e G a d a r a (RE 7) ca. 135-50 ·, floruit 96 av. J.-C. Poète cynique qui vécut à Tyr, puis à Cos. Il composa des Satires dans le style de M énippe : les Χάριτες, un ouvrage contenant une Λεκίθου κ α ι φακής σύγκρισις (Athénée, DeipnosophistesïV 157 B), un Banquet (Athénée, Ibid. X I 502 C) et des Épigrammes dont 130 environ sont conservées, de contenu surtout ésotérique. Celles-ci sont insérées dans la Couronne d’épigrammes anciennes qu’il composa en 70. Cf R E XV1 (1931) cc. 481-488 Geffcken.

M én an d re surnom m é Drum os, c’est-à-dire Bois de Chêne (R E 17) iv e s. av. J.-C. Disciple de D iogène le Chien et adm irateur d ’H om ère (D .L . V I 84). Cf. R E X V 1 (1931) c. 764 V on Fritz.

M énédème d e Lampsaque (R E 1 1 ) 111e s. av. J.-C. D isciple de l ’Épicurien Colotès de Lampsaque, puis du Cynique Échéclès d’Éphèse, lui-même disciple de Cléomène et de Théom brote. Une polémique concernant notamment la poésie et la morale éclata entre Colotès et Ménédème, dont les papyrus d’Herculanum ont conservé des extraits. Il est possible, comme on l ’a proposé (Crônert et Mejer), que la section consacrée par D .L . V I 102 à Ménédème repose en fait sur une confusion avec Ménippe. Cf. R E X V 1 (1931) ce. 794-795 V o n Fritz.

M é n e stra to s (RE 7) Ier s. ap. J.-C. Présenté comme un Cynique dans une épigramme de Lucillius (.Anthologie grecque X I 153). Faut-il l’identifier avec le M énestratos m entionné également par Lucillius dans une autre épigramme (Ibid. X I 104) ? V on Fritz dans R E XV 1 (1931) c. 856 ne fait pas allusion à l’épigramme de X I 153.

M énippe d e G a d a r a (RE 10). Floruit : première m oitié du 111e s. av. J.-C. Esclave phénicien, au service d ’un certain Bâton dans la région du Pont, d’où le qualificatif de « Sinopeus » que lui attribue D .L . V I 95. I l acquit ensuite sa liberté, ou en m endiant ou en pratiquant l’usure (son surnom était himêrodaneisfes, « prê­teur à intérêts journaliers »). I l fut disciple de Cratès de Thèbes (D.L. V I 95).

RÉPERTOIRE DES PHILOSOPHES CYNIQUES 237

Finalement, à la suite d ’un com plot, il perdit toute sa fortune et de désespoir se pendit. D .L. V I 1 o 1 dit que ses œuvres com portent treize livres ; il m entionne six de leurs titres, dont la Nekyia qui devait tan t influencer Lucien, et rappelle que, selon certains, c’est à Denys e t à Zopyre de C olophon que reviendrait la paternité des œuvres de Ménippe. Athénée cite de lui un Banquet (Deipnosopbistes X IV 27), un Arcêsilas (Ibid. X IV 85) et D .L. V I 29 utilise sa Diogenous Prasis. M énippe influença Méléagre de Gadara, les Satires Ménippées de Varron, l’Apocolocyntose du divin Claude de Sénèque, Pétrone, Lucien, Apulée et plus tard M artianus Capella, Boèce. Cf. R E X V 1 (1931) ce. 888-893 Helm.

M énippe d e L y c ie Ier s. ap. J.-C. Eunape ( Vies des philosophes et des sophistesII 1, 5) en fait u n des représentants remarquables du cynisme, à côté de Musonius, Démétrius et Carnéade. Philostrate dans la Vie d ’Apollonius de Tyane le présente comme un disciple de Dém étrius, mais ajoute que celui-ci le convertit, ainsi que d’autres, à Apollonius. I l transm ettait, ainsi que Damis, des lettres d ’A pollonius à M usonius alors en prison. Chez Philostrate, ce M énippe a 25 ans ; il est très beau et Philostrate le compare à un athlète. I l le range aux côtés d ’A pollonius parmi les opposants à N éron et il raconte comm ent Ménippe s’éprit d ’une empuse jusqu’au m oment où A pollonius lui ouvrit les yeux.

M é tr o c lè s d e M aro n ée 111e s. av. J.-C. Frère d ’H ipparchia, l’épouse de Cratès de Thèbes. I l fut d ’abord disciple de Théophraste, puis de Xénocrate, enfin de Cratès (Télés, Diatribe IV A). Selon Hécaton, i l brûla ses propres écrits ; d’autres disent qu’il brûla les notes prises chez Théophraste (D .L. V I 95).I l est l’inventeur de la Chrie (courte anecdote ou apophtegm e que l’on peut apprendre par cœur et utiliser comme référence dans les situations difficiles de la vie). Les disciples que D .L. paraît lui attribuer à la fin de V I 95 sont en fait p lu tô t des disciples de Cratès. I l m ourut âgé, en retenant son souffle. I l est à noter que Stilpon écrivit u n dialogue intitulé Mêtrocl'es (fr. 190 D ôring). Cf. R E X V 2 (1932) cc. 1483-1484 V on Fritz.

M onime d e S yracuse (RE 10) iv e s. av. J.-C. Disciple de Diogène. Alors qu’il était esclave d ’un banquier de Corinthe, il entendit parler du philosophe par Xéniade chez qui vivait Diogène. Afin de pouvoir quitter son maître, il se serait mis à jeter to u t l’argent par la fenêtre, puis devint disciple de Diogène. I l fréquenta aussi Cratès de Thèbes (D.L. V I 82). Il a laissé des Π α ίγν ια σπουδή λεληθυία μεμ ιγ- μένα (aussi le considère-t-on comme l’inventeur du spoudaiogeloion), deux livres Π ερ ί δρμών et un Protreptique. Chez Sextus Empiricus (Adversus Mathematicos V II 48 ; 87-88 ; V III 5), Monime le Chien est mis en relation avec Xéniade de Corinthe. E n fait, le Xéniade de Corinthe don t il est question chez Sextus est non pas le Xéniade, maître de Diogène, mais le philosophe de la première moitié du v e s. av. J.-C. qui soutenait que n ’existe aucun critère de la vérité et que toute représentation e t toute opinion sont fausses (Hypotyposes Pyrrhoniennes I I 18 ; Adversus Mathematicos V II 53). E n m ettant en relation les idées de Monime le Chien et celles de ce Xéniade, Sextus commet probablem ent une confusion et une erreur de chronologie. Cf. R E X V I 1 (1933) cc. 126-127 V on Fritz.

M usonius R u fu s (R E 1) Ier s. ap. J.-C. Philosophe stoïcien influencé par le cynisme. Eunape, dans ses Vies des philosophes et des Sophistes I I 1, 5 le range, aux côtés de Démétrius, Ménippe et Carnéade, parmi les représentants remarquables du cynisme. En fait, Eunape s’appuie sur la Vie d ’Apollonius de Tyane qui, elle, parle d’un Musonius de Babylone dont la figure a été probablement forgée à partir du personnage de Musonius Rufus (voir M usonius de B abylon e dans la liste des cyniques fictifs). Dans les Scholies sur Lucien, De Peregrini morte 18 ; p. 221 Rabe, Musonius se trouve qualifié de cynique, cette fois aux côtés de D ion et d’Épictète. Mais de toute évidence, dans ce passage, l ’appellation « cynique » ne recouvre pas l ’appartenance à une école. E lle signifie seulement que les trois philosophes cités pratiquent la parrhesia caractéristique des Cyniques. Cf. R E X V I 1 (1933) cc. 893- 897 V o n Fritz.

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238 APPENDICE

Œnomaos de G a d a r a (R E 5) 11e s. ap. J.-C. C ontem poraind’H adrien; auteur de plusieurs ouvrages que cite la Souda CH 123 : Π ερ ί Κυνισμού, Π ολ ιτεία , Π ερ ί τη ς καθ’ "Ομηρον φιλοσοφίας, Π ερ ί Κ ράτητος καί Διογένους καί τω ν λοιπών. D ’après Julien, il écrivit des tragédies {Discours V II 6, 210 D -211 A), u n ouvrage in titu lé ή τοϋ κυνδς αύτοφωνία et un Κ ατά τω ν χρηστηρίων (Ibid. 5,209 ΑΒ) q u ’il faut certainement identifier à la Γοητώ ν φωρά dont la Préparation Évangé­lique d ’Eusèbe a conservé des fragments. Dans cet ouvrage, Œ nom aos attaque le déterminisme des Stoïciens et tourne en dérision les Oracles. Julien critique vivem ent les écrits d’CEnomaos. Cf. R E X V H 2 (1937) cc. 2249-2251 Mette.

O n é s ic r ite d ’A s ty p a lé e 380/375-305/300. Disciple de D iogène de Sinope (Plutarque, De Alexandri magni fortuna aut virtute 10, 331 E ; Vie d’Alexandre 65, 701 C). O n a voulu l ’identifier, certainement à to rt, à Onésicrite d ’Egine, disciple lu i aussi avec ses deux fils de Diogène le Chien (cf. D .L . V I 84 : « Certains le disent d ’Égine, mais Dém étrius Magnès affirme qu’il est d ’Astypalée »). Il prit part à l’expédition d ’Alexandre en O rient et il fu t nommé tim onier du navire royal lors du voyage sur l’Hydaspes et l’Indus ; c’est lui que le souverain envoya en 326 comme interprète auprès des Gymnosophistes indiens de Taxila. E n 324, i l reçut d’Alexandre une couronne d’or. L ’ouvrage qu’il écrivit sur Alexandre et qui s’intitulait Π ώ ς Α λέξανδρος ή/Θη s’inspire de la façon don t X énophon a écritla Cyropédie (D.L. V I 84). Cet ouvrage dont la fiabilité historique fu t contes­tée dès l’A ntiquité, est peut-être une source de l’Anabase d ’Arrien de Nicomédie. Strasburger qui refuse d ’identifier Onésicrite d’Astypalée et Onésicrite d’Égine allègue d’une part la façon don t D .L. V I 75 présente Onésicrite d’Égine : Onèsi- kriton tina, comme s’il s’agissait d ’un inconnu, d’autre part un argum ent de nature historique : si l’historien avait eu, avant de partir avec Alexandre, deux fils disciples de Diogène, il eût été bien âgé pour assumer les fonctions que lui confia le souve­rain lors de son expédition. Cf. R E X V III 1 (1939) ce. 460-467 Strasburger.

O n é s ic r ite d ’É g in e rve s. av. J.-C. D .L . V I 75 parle d’un « certain Onési- crite d’Égine » qui envoya successivement ses deux fils A ndrosthène et Philiscos auprès de D iogène, puis qui, ne les voyant pas revenir, alla lui-même auprès du philosophe et fut à son to u r tellement séduit qu’il devint son disciple. Cf. R E, art. cité à la notice précédente, c. 461.

O u ra n io s K u n ik o s n° 562 dans Baillet. Faut-il penser qu’un Cynique a voulu reprendre l ’expression d’ordinaire appliquée à D iogène? Celui-ci en effet, dans les Méliambes de Cercidas de M égalopolis, est évoqué comme « rejeton de Zeus », comme « véritablement ouranios kuôn » (D .L. V I 76) ; A ntipater de Thessalonique, dans une épigramme de l’Anthologie grecque X I 158, rappelle aussi que Diogène était un chien céleste, et le philosophe lui-même, dans une lettre apocryphe adressée à son père Hicétas (Lettre 7), déclare : « O n m’appelle chien du ciel (κύων ό ούρανοϋ), non de la terre ».

P a n cra tè s I (R E 6) 11e s. ap. J.-C. Ce Cynique vécut à l’époque d’Hadrien et d ’A ntonin le Pieux. D ’après Philostrate ( Vies des Sophistes I 23), un jour que le titulaire de la chaire de rhétorique à A thènes; Lollianus d’Éphèse, qui remplissait également la fonction d’« hoplite général », faillit être lapidé dans le quartier des boulangers, Pancratès, qui professait la philosophie à l’Isthme, v in t devant les Athéniens et d it: « Lollianus n ’est pas vendeur de pain (άρτοπώλης), mais vendeur de mots (λογοπώλης) », ce qui divertit les Athéniens et sauva Lollianus de la lapidation. Cf. R E X V III 3 (1949) c. 619 V on Fritz.

Paniskos n° 172 dans Baillet ([Pani]skos).Parm éniscus (R E 2). D ate inconnue. A uteur d ’un Banquet des Cyniques dédié

à un certain Molpis, don t Athénée (Deipnosophistes IV 156 C-157 D ) cite un large extrait. Méléagre de Gadara y est présenté comme « progonos » des Cyniques du banquet, lequel par conséquent ne pu t avoir lieu avant la fin du prem ier siècle av. J.-C. Cf. R E X V III 4 (1949) ce. 1569-1570 V on Fritz.

RÉPERTOIRE DES PHILOSOPHES CYNIQUES 239

P a s ic l è s d e T h è b e s (RE 6) iv e s. av. J.-C. Frère de Cratès de Thèbes ; d ’après la Souda S 1114, il fu t le disciple de son propre frère ; c’est à ce titre qu’il peut avoir une place dans cette liste. Mais en fait c’est surtout com m e philosophe mégarique, disciple peut-être d ’Euclide (D .L. V I 89), en to u t cas de l’élève de celui-ci, D ioclide, qu’il est connu. La Souda fait de lui le maître de Stilpon. Cf. R E X V III 4 (1949) c. 2061 V on Fritz.

P é r é g r in u s (RE 16) surnommé P r o t e u s (R E 3) ca. 100-165. La principale source sur ce philosophe né à Parium en Mysie est l’ouvrage de Lucien Sur la mort de Pérégrinus. Pérégrinus aurait tué son père pour s’emparer de ses biens, puis gagné la Palestine où il serait entré en contact avec des Chrétiens. E n raison de son appartenance au milieu chrétien, il fut jeté en prison. Revenu ensuite à Parium, il fit de nouveaux voyages, s’éloigna du m ilieu chrétien et devint cynique, fréquen­tant en Égypte le philosophe cynique A gathobule qui eut également pour élève Démonax. Il mena alors la vie d’un prédicateur errant, se rendit à Rome, puis revint en Grèce. Aulu-Gelle l’écouta à Athènes. Pérégrinus eut l ’occasion de rencontrer H érode Atticus, Démonax et Lucien lui-même. La m ort qu’il se donna par le feu, d ’une façon théâtrale et pathétique, aux jeux olympiques de 165, voulait illustrer le mépris cynique de la m ort et de la souffrance. Le rhéteur Ménandre, Péri epideikt. 2, 1, évoque un Έ γκ ώ μ ιο ν Π ενίας ή τοϋ Π ρω τέω ς τοϋ κυνός ; on peut supposer que ce titre fait allusion à Pérégrinus. D ’autre part, quand la Souda Ph 422 attribue au premier Philostrate u n Π ρω τεύς κύων ή σοφιστής, ou bien il s’agit, comme le suggère W. Aly, de deux ouvrages, auquel cas Proteus pourrait se rapporter au dieu de la mer et la seconde partie serait un titre à la m anière de Lucien, ou bien il nous faut admettre que c’est Pérégrinus qui est en cause. Cf. R E X IX 1 (1937) c. 656-663 V on Fritz ; R E X X III 1 (1957) c. 975 Aly.

P h il is c o s d ’É g in e (RE 6) iv e s. av. J.-C. Élève de D iogène de Sinope ; frère d ’A ndrosthène et fils d ’Onésicrite d ’Égine (D .L. V I 75). A en croire Satyros, les sept tragédies attribuées à Diogène seraient son œuvre (D .L. V I 73 et 80). Assez curieusement, parmi les écrits de Diogène, Sotion m entionne un Philiscos (D.L. V I 80). Selon Herm ippe cité par la Souda Ph 359, i l aurait été l ’élève de Stilpon ; la Souda ajoute qu’il a appris à lire à Alexandre et qu’il a écrit des dia­logues dont un Codros. É n fait, il est chronologiquem ent difficile qu’il ait été l’élève de Stilpon et le maître d’Alexandre. Stobée, dans son chapitre consacré à la Philoponia (III 29, 40) rapporte une parole d ’un Philiscos qui, en raison de son contenu, pourrait bien être d’un disciple de Diogène. Enfin signalons que Philiscos d’Égine n ’a probablem ent rien à voir avec le cordonnier Philiscos qui s’adresse à Cratès dans u n fragm ent de Télés (IV B : Sur la pauvreté et la richesse). Cf. R E X IX2 (1938) cc. 2382-2383 V on Fritz.

P h o c io n surnom m é C h r e s t o s , c’est-à-dire le bon. ive s. av. J .-C . Présenté par D .L. VI 76 et la Souda Ph 362 comme un disciple de Diogène.

P o l y zé lo s (RE 5). L ’un des dix Cyniques qui étaient mentionnés dans la seconde partie du Prooemium perdu de Stobée, selon Photius, Bibl. cod. 167, p. 114b 25. Cf. R E X X I 2 (1952) c. 1865 Ziegler.

(P o) s o c h a r è s . V oir S o c h a r è s .Sa l o u stio s (RE 39) v e s. ap. J.-C. Ce philosophe originaire de Syrie est

connu surtout par la Vie d’Isidore de Damascius ; il fit des études de d roit et reçut une form ation rhétorique à Émèse chez le sophiste Eunoios. Après avoir décidé de se tourner vers la vie sophistique, il partit à Athènes et de là, en compagnie du philosophe néoplatonicien Isidore, il gagna Alexandrie où il fréquenta les écoles de rhétorique. S’il eut des contacts avec les milieux néoplatoniciens, c’est cependant à la philosophie cynique qu’il se consacra, pratiquant une ascèse rigoureuse et austère. Lui qui affirmait que philosopher pour les hommes non seulement n ’est

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240 APPENDICE

pas facile, mais est impossible, réussit à détourner de la philosophie un membre du cercle de Proclus, A thénodore, et à se quereller avec Proclus lui-même. Pendant un temps il séjourna chez le prince dalmate Marcellinus. Cf. R E I A 2 (1920) cc. 1967-1970 Praechter ; PLRE II 7.

S é c u n d u s l e T a c i t u r n e . Début du second siècle ap. J.-C. Connu seulement par une Vie légendaire anonyme. A cause du vœu de silence qu’il s’était imposé à la suite de la m ort de sa m ère dont i l portait la responsabilité, la Vie le présente comme un Pythagoricien. Il y est dit toutefois qu’à la fin de ses études, il revint dans sa patrie « affichant l’ascèse du chien, portant bâton et besace et ayant laissé pousser ses cheveux et sa barbe ». L ’empereur H adrien voulut lui faire rom pre le le vœu de silence qu’il avait formulé, mais en vain. I l accepta seulement de répondre à v ing t questions posées par l’em pereur sur des sujets philosophiques. Ces questions sont conservées en même temps que la Vie. O n peut se demander s’il faut identifier Sécundus et le rhéteur athénien homonyme, dit « la cheville », maître d ’H érode A tticus, d o n t parle Philostrate ( Vies des sophistes I 26). A lors que Fluss dans R E II A 1 (1921) c. 992 consacre un court article à Sécundus d ’Athènes, sophiste du prem ier siècle, sans signaler le problème. K . G erth, dans R E Suppi. V III (1956), art. « Zweite Sophistik », c. 767, identifie, sans donner de justification, les deux personnages.

S é r é n i a n u s (R E 1) IV e s. ap. J.-C. Julien, Discours V I I 18, 224 D , le présente comme un de ses contem porains. Cf. R E II A 2 (1923) c. 1674 V on A rnim ; PL R E I I .

S o c h a r è s (ou P o s o c h a r è s , si l’on suit le m anuscrit P de VAnthologie grecque et la correction proposée par Meineke). Ce Cynique est connu seulement par deux épigrammes de Léonidas de Tarente (111e s. av. J.-C .) dans VAnthologie grecque (VI 293 et 298).

S o t a d e d e M a r o n é e (R E 2) n ie s. av. J.-C . Poète auteur de poésies iam- biques et inventeur du Versus sotadeus. La Souda S 871 a conservé plusieurs des titres de ses œuvres. O n notera entre autres une Descente dans l ’Hadès, dont le thèm e est typiquem ent cynique. I l est certain que dans ses écrits, o ù régnent la parrhisia et 1 ’anaideia, on peut retrouver une atm osphère cynique. Cf. R E III A 1 (1927) cc. 1207-1209 Aly.

S p h o d r i a s (RE 2). A uteur d ’une Techn'e érôtikè signalée par Athénée, Deipnosophistes IV 162 BC. Inconnu par ailleurs. Athénée le cite en compagnie d ’Archestratos de Géla, auteur d’une Gastrologia, de Protagoridès à qui l’on attribue des akroaseis erôtikai, et de Persaios, auteur de Sumpotikoi dialogoi. Cf. R E III A 2 (1929) cc. 1750-1757 Hobein.

S t i l p o n d e M é g a r e ca. 360-280. Se caractérise par une double appartenance : au cynisme et principalement à l’école de Mégare qu’il dirigea à la suite d’Ichthyas. Selon D .L . V I 76 (fr. 149 D ôring), i l fu t le disciple de D iogène de Sinope ; selon Héraclide Lembos (D .L. I I 113 = fr. 147 Dôring) celui de Thrasymaque de Corinthe, u n disciple d ’Ichthyas ; d’après la Souda celui d’Euclide, ce qui chrono­logiquem ent est impossible, et du frère de Cratès le Cynique : Pasiclès de Thèbes. Cratès lui-même est présenté comme son disciple. O n arrive donc à cette situation un peu compliquée : Sdlpon, disciple de Pasiclès ; Pasiclès, disciple de son propre frère Cratès, et Cratès, disciple de Stilpon... Signalons encore que le Stoïcien Zénon fut également disciple de Stilpon (D.L. V II 2), de même que Philiscos d’Égine {Souda, Ph 359, qui rapporte l’opinion d ’Hermippe). S’il est chronologique­ment bien invraisemblable que Stilpon ait été à la fois le disciple d ’Euclide et celui de Pasiclès, M égarique de la troisièm e génération, i l se peut très bien en revanche qu’il ait été le disciple de Diogène et que Cratès ait été son élève. Selon cette dernière hypothèse toutefois, faudrait-il alors conclure que Cratès avait abandonné D iogène pour fréquenter S tilpon? I l est bien difficile de répondre. Concernant son activité littéraire, D .L. fait état de deux traditions. E n I 16, dans

RÉPERTOIRE DES PHILOSOPHES CYNIQUES 241

son prologue, i l range Stilpon dans le groupe de ceux qui, « selon certains », n ’ont rien écrit, alors qu’en II 120, il cite les titres de neuf dialogues de sa compo­sition. L ’appartenance de Stilpon au cynisme se manifeste dans le titre d ’un de ces dialogues : Métroclès (D.L. I I 120), dont une citation textuelle est conservée (fr. 190 D ôring). Le même Cynique M étroclès apparaît dans une anecdote en compagnie de Stilpon (Plutarque, De tranquillitate animi 6, 468 A ; fr. 154 Dôring). O n notera d ’autre part que les fragments III et V II des diatribes de Télés, ce professeur d ’obédience cynique, rapportent certains propos du philosophe. Cf. R E I I I A 2 (1929) cc. 2525-2533 Praechter ; art. « M egariker » dans R E Suppi. V (1931) c. 721 V on Fritz.

T é lé s (RE 2). Floruit : milieu du 111e s. av. J.-C. Professeur de philosophie qui se rattache à l ’école cynique. Sept extraits de ses diatribes, empruntés à1 ’Épitom'e d’un certain Théodore, on t été transmis par Stobée. Ce sont les plus anciens témoignages conservés de la diatribe cynico-stoïcienne. Télés y évoque notam m ent divers philosophes cyniques : D iogène, Cratès, M étroclès, Stilpon et Bion de Borysthène, son modèle préféré. Cf. R E V A 1 (1934) cc. 375-381 Anne- liese Modrze.

T h é a g è n e d e P a tr a s (RE 11) 11e s. ap. J.-C. Ce disciple de Pérégrinus, originaire de Patras, fait de son maître, qu ’il compare aux Gym nosophistes de l ’Inde, un éloge excessif, notam m ent à propos de sa m ort par le feu. Lucien, qui a entendu Théagène à É lis faire cet éloge, le critique vivement, et à travers lui le cynisme, dans son ouvrage Sur la mort de Pérégrinus. Galien, Methodi medendi X III 15 ; t. X , pp. 909-910 K ühn, qui rappelle qu ’il dispensait chaque jour un enseigne­m ent public à Rom e dans le Forum de Trajan, d it qu’il m ourut par suite du traite­m ent non approprié que lui prodigua pour une inflam m ation du foie le médecin Attale, élève de Soranus. Faut-il to u t de même identifier à ce Cynique le philosophe Théagène dont Lucien dit dans le Cataplus 6 qu’il s’est suicidé par am our pour « la courtisane de Mégare » ? Cf. R E V A 2 (1934) cc. 1348-1349 Anneliese Modrze.

T héom brote (RE 1) iv e/m e s. Disciple de Cratès, en même temps que Cléomène et M étroclès (cf. notice Cléom ène). Théom brote eut lui-même pour disciples D ém étrius d ’Alexandrie et Échéclès d ’Éphèse, ce dernier étant également disciple de Cléomène. Cf. R E V A 2 (1934) cc. 2033-2034 Anneliese Modrze.

Théom nestos (R E 12). L’un des dix Cyniques mentionnés dans la seconde partie du Prooemium perdu de Stobée, selon Photius, Bibl. cod. 167, p. 114 b 25. Cf. R E V A 2 (1934) c. 2036 Anneliese Modrze.

T h r a s y lle (RE 6) ive s. av. J.-C. Ce Cynique vécut au temps d ’A ntigone le Borgne (ca 382-301). Plutarque (Kegum et Imperatorum Apophthegmata, Antigonus15, 182 E ; cf. De vitioso pudore 7, 531 F où Plutarque évoque un Cynique sans préciser son nom ) e t Sénèque (De Beneficiis I I 17, 1) rapportent une anecdote qui met en scène A ntigone le Borgne, un des successeurs d’Alexandre, et le Cynique Thrasylle. A lors que Thrasylle demande à A ntigone une drachme, celui-ci répond que le présent n ’est pas digne d’un roi. Mais quand Thrasylle, devant la réponse qui lui est faite, réclame un talent, A ntigone rétorque alors que la somme reçue n ’est pas digne d ’un Cynique. Cf. R E V I A 1 (1936) c. 581 Anneliese Modrze.

Tim arque d ’A le x a n d r ie (RE 9) deuxième moitié du 111e s. av. J.-C. Selon D .L. V I 95, Tim arque fut, de même qu’Échéclès d ’Éphèse, le disciple de Cléo- mène. Faut-il, comme le suggère Beckby dans son édition de VAnthologie grecque, l’identifier avec le Tim arque de la tribu Ptolémaïde, fils de Pausanias, que mentionne une épigramme de Callimaque (VII 520)? Cf. R E V I A 1 (1936) c. 1238 Nestle.

V a r r o n , M arcu s T é re n tiu s (R E 84) 116-27 av· J--C. I l écrivit entre autres des Satires Ménippées. C’est probablement en raison de cette imitation de Ménippe que Tertullien, Apologétique X IV 9, le qualifie de « Romanus Cynicus ». Cf. RE Suppi. V I (1935) ce. 1172-1277 Dahlmann.

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242 APPENDICE

X an th ippos. L ’un des dix Cyniques mentionnés dans la seconde partie du Prooemium perdu de Stobée, selon Photius, Bibl. cod. 167, p . 114 b 25.

X én iad e de C o r in th e (R E 2) ive s. av. J.-C. Diogène le Chien, qui voguait vers Égine, fu t pris par des pirates que commandait Scirpalos, emmené en Crète et vendu. A u moment de la vente, alors que le héraut lui demandait ce qu’il savait faire, D iogène répondit : « commander des hommes ». Xéniade l’acheta et l ’emme­na à Corinthe où il lu i confia ses enfants e t tou te sa m aison (D .L. V I 74). C’est en entendant Xéniade louer les paroles et les actes vertueux de D iogène que M onim e se prit de passion pour le philosophe (D.L. V I 82). Quelle historicité peut-on accorder à l ’épisode de Xéniade dans la biographie de D iogène? Faut-il croire que le philosophe a vécu jusqu’à sa m ort chez ce personnage ou bien, comme le suggèrent d’autres anecdotes, qu’il menait la vie d ’un hom me libre, l’été à C orinthe dans son tonneau, l’hiver à A thènes? L ’épisode de M onime rapporté par D .L. V I 82 tend à prouver qu’il y avait certainement là un noyau historique sur lequel bien sûr on t pu venir se greffer un certain nom bre d’inven­tions. E n to u t cas le thèm e de la vente de D iogène comme esclave fu t utilisé à la fois par Ménippe dans sa Diogenous Prasis (D.L. V I 29), par Eubule dans son ouvrage intitulé également Diogenous Prasis (D .L. V I 30) et par Cléomène dans son Paidagôgikos (D.L. V I 75). Cf. R E IX A 2 (1967) cc. 1439-1440 V on Fritz.

Z én on d e Citium (R E 2) ca. 335-263. A vant de devenir le fondateur du stoïcisme, Z énon fréquenta Cratès de Thèbes (D .L. V II 2). Son prem ier ouvrage : la Politeia, « écrite sur la queue du Chien » (D.L. V II 4), traduit une très forte influence cynique. I l fut le disciple d’autres philosophes : Stilpon, don t Cratès voulut le détourner, les Académiciens X énocrate et Polém on (D .L. V II 2), le Mégarique D iodore Cronos (D .L. V II 25). Cf. R E X A (1972) cc. 83-121 V on Fritz.

II . LES CYN IQUES A N O N Y M ES

IVe s. av. J.-C. Athénée, Deipnosophistes IX 366 BC. Antiphane, le poète de la comédie m oyenne (ive s. av. J.-C .) cite dans sa pièce L a Besace quelques vers d ’un Cynique anonyme. O n aurait donc pu classer ce personnage également parmi les Cyniques fictifs.

iv e/m e s. G régoire de Nazianze, Carmina I , Poemata theologica I I , Poemata moralia X : De virtute, vv. 250-258 ; P G 37, c. 698. L ’auteur fait allusion à un des άρχαίων κυνών qui, s’approchant d’un Roi, don t le nom n ’est pas précisé, lui dem anda de la nourriture. S’étant vu octroyer un talent d ’or, le Cynique l’accepta, mais acheta aussitôt à la vue du Roi un pain pour lequel il donna to u t le talent.Il accompagna son geste de ce commentaire : « C’est ce pain que je voulais obtenir, et non de la fumée (τϋφος) don t on ne peut se nourrir ».

iv e/ in e s. D .L. V I I 17. U n Cynique demande de l’huile à Zénon, lequel refuse de lu i en donner. A u m om ent où le Cynique s’éloigne, Z énon lu i dit d ’examiner qui des deux est le plus impudent.

Ier s. av./ier s. ap. J.-C. A ntipater de Thessalonique (Anthologie grecque X I 158) se moque d’un Cynique qui, selon lui, usurpe les attributs de D iogène.

Ier s. ap. J.-C. M artial. Epigrammes IV 5 3. U n vieux Cynique, aux cheveux et à la barbe sales, revêtu d’une robe crasseuse, portan t bâ ton e t besace, se tient souvent dans le sanctuaire du tem ple de M inerve et sur le seuil du temple d ’Auguste. Là il mendie sa nourriture.

Ier s. ap. J.-C. Un philosophe d’allure cynique est attaqué par Lucillius, Anthologie grecque X I 155.

Ier s. ap. J.-C . Lucillius (Anthologie grecque X I 410) critique un Cynique fin gourm et dont le com portem ent contredit les belles paroles.

RÉPERTOIRE DES PHILOSOPHES CYNIQUES 243

11e s. ap. J.-C. Lucien, Démonax 48. Démonax voit un Cynique portant un tribôn, une besace et une massue (ύπερον) qui remplace le traditionnel bâton.I l crie et se présente comme l ’émule d ’Antisthène, de Cratès et de Diogène. Démonax alors lui d it : « Ne mens pas, tu es en fait le disciple d ’Hypéride ».

11e s. ap. J.-C. Lucien, Démonax 50. Un Cynique, m onté sur un rocher, accusait le proconsul d ’être efféminé. Ce dernier, fâché, voulait que le philosophe fût roué de coups de bâton ou envoyé en exil. Démonax qui passait par là demanda que l ’on pardonne à cet homme qui m ontrait une insolence propre aux Cyniques. Le proconsul accepta pour une fois, mais dit : « S’il ose encore, quel châtiment mérite-t-il? ». Dém onax répondit : « O rdonne alors qu’il soit épilé ».

11e s. ap. J.-C. A rtém idore, L a C lef des Songes IV 33 ; p . 267, 6-14 Pack. U n Cynique se querelle avec le philosophe Alexandre (peut-être Alexandre de Séleucie qui fut secrétaire de Marc-Aurèle) et donne à celui-ci un coup de bâton sur la tête.

11e s. ap. J.-C. A ct. Mart. Apoll. 33 ; p. 98, 22-23 M usurillo. Au procès du m artyr Apollonius Sakkéas, dans les années 180-185, un Cynique était présent en même tem ps que d ’autres sages.

IVe s. ap. J.-C. Julien, Lettre (A Maxime le Philosophe) 26, 414 D . L ’empe­reur raconte au philosophe néoplatonicien Maxime d ’Ephèse qu’il rencontra aux abords de Besancon u n Cynique portan t tribôn e t bâton ; de loin, i l le p rit pour Maxime, puis pour le messager de celui-ci.

IVe s. ap. J.-C. Julien, Discours IX 1, 180 D , évoque un Cynique qui accuse Diogène de vaine gloire, le raille d’avoir m angé u n poulpe cru et qui, lui, refuse de se baigner dans l ’eau froide, alors qu’il est en pleine vigueur et dans la force de l’âge.

IVe s. ap. J.-C. David, Prolegomena Philosophiae 11. D avid rapporte les paroles qu’un Cynique « déjà à moitié sec » (ήμίξηρος) adressa à Julien.

III. PER SO N N A G ES D O N T L ’A PPA R TEN A N C E AU CYNISM E EST IN C E R T A IN E

D io d o re d ’A spendos (RE 40) IVe s. av. J.-C. Philosophe pythagoricien proche, par son extérieur et son m ode de vie, du cynisme. Contemporain d ’Arches- tratos de Géla et du musicien Stratonicos (Athénée, DeipnosophistesIV 163 DF). Il portait la barbe et les cheveux longs, marchait nu-pieds et était malpropre. D ’après Sosicrate, dans le troisièm e livre de ses Successions, i l fut le premier à doubler son manteau, pratique qui deviendra courante chez les Cyniques. D ioclès prétend en revanche, comme d’ailleurs Néanthe, que c’est à Antisthène que revient la prim eur de cette pratique (D.L. V I 13). Cf. R E V 1 (1903) c. 705 Wellmann.

E u bu le 111e s. av. J.-C. Auteur d’une Diogenous Prasis qui apparaît comme un rom an éducatif, et dont Diogène Laërce cite un long extrait (D .L. V I 30-31). Faut-il, comme l’a suggéré Ménage, corriger Euboulos en Euboulides et identifier Eubule à Eubulide?

E u b u lid e 111e s. av. J.-C. A uteur d ’un Péri Diogenous (D.L. V I 20). Natorp, dans R E VI 1 (1907) c. 870, s.v. « Eubulides von M ilet », n° 8, estime difficile d’identifier l’Eubulide de Diogène Laërce et le dialecticien de l ’école de Mégare Eubulide de M ilet (D.L. I I 108).

H erm eias de K u rio n (RE 10). Dans Athénée, Deipnosophistes X III, 563 D E , le Cynique M yrtilus cite cinq vers tirés de ses Iamboi, où il attaque l’hypocrisie stoïcienne dans un rythm e et une âpreté qui rappellent les Cyniques. Cf. R E V III 1 (1912) c. 732 Maas.

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244 APPENDICE

H o s t i l i a n u s (R E t ) I e r s. ap. J.-C. I l fait partie des philosophes expulsés de Rome par Vespasien en 74. I l fut envoyé en même temps que Dém étrius le Cynique dans les îles (D ion Cassius L X V apud X iphilin, Épitomè L X V I 13, 2). Mais est-ce u n Cynique ou un Stoïcien? Dans cette dernière hypothèse, faut-il l’identifier au philosophe stoïcien C. T utilius Hostilianus? Cf. R E V III 2 (1913) c. 2501 Stein ; PIR 2 H 222.

N il u s IV e s. ap. J.-C. L ’empereur Julien, qui l’appelle également « Denys », vitupère contre lui dans une lettre qu’il écrivit à A ntioche (Lettre 82). Ce person­nage de l’aristocratie avait refusé une fonction officielle que lui avait proposée Julien. Pour se justifier et rentrer en grâce, il fit rem ettre à Ju lien u n texte où il développait sa propre apologie et où il priait l’empereur d’accepter ses services. Celui-ci répondit par une lettre ouverte où i l reprochait à Nilus son outrecuidance et son effronterie. Dans une lettre qui paraît dater de la fin de 362, Libanios (Lettre 758 ; voir aussi Discours 18, 198) évoque la mésaventure arrivée à Nilus comme si elle avait eu lieu récemment. Pour Asmus, « Z ur K ritik u n d Erklàrung von Julian. Ep. 59 ed. H ertl. », Philologus L X X I (1912) 376-389, N ilus fait partie d u groupe des Cyniques auxquels en voulait Julien. Mais J. Geffcken (Kaiser Julianus, Leipzig, 1914, pp. 158-159) a réfuté cette hypothèse. I l est certain en to u t cas que Julien reconnaissait en lu i un philosophe auquel i l reprochait sa parrh'esia, son excès de suffisance, son intem pérance de langage et son extrava­gance. Cf. PL R E I 2.

S o s t r a t e H é r a c l è s (R E 6a) 11e s. ap. J.-C. Dans Démonax 1, Lucien dit qu’il lui consacra un ouvrage, lequel est aujourd’hui perdu. O n connaît ce Sostrate grâce à Démonax 1 (« le Béotien Sostrate que les Grecs appelaient ’ Héraclès ’ et qu’ils estimaient être ce héros » ; i l v it en p lein air sur le m ont Parnasse, fait des routes et des ponts). Faut-il, comme Dudley et W eber, en faire un Cynique? J. F. K indstrand dans l’article qu’il lui a consacré (« Sostratus-Hercules-Agathion, The Rise o f a Legend », Kungl. Humanistiska Vetenskaps-Samfundet i Uppsala, Ârsbok 1979-1980, 50-79), reste très réservé, estim ant difficile de considérer Sostrate comme m em bre d ’une école précise, même si Lucien interprète le per­sonnage en termes cyniques et en fait le représentant d’une philosophie pratique. K indstrand se demande surtou t s’il faut identifier le Sostrate de Lucien avec l ’Héraclès-Agathion ainsi décrit par H érode A tticus dans Philostrate, Vies des Sophistes I I 1, 7 ; 5 52-5 54 Olearius : « sourcils velus qui se rejoignaient », (( tempé­ram ent im pulsif », « nez aquilin », « nuque solide », « s’enveloppait dans des peaux de loup » e t com battait les animaux sauvages, et avec le Sosastre de Plutarque (Quaestiones convivales IV 1, 660 E). Sa réponse est affirmative. Cf. RE Suppi. V III (1956) c. 782 Johanna Schmidt.

T h é o x è n e iv e s. av. J.-C. ? Dans son ouvrage intitulé « Le Scythe », au chapitre 8, Lucien rapporte qu’Anacharsis fu t le seul des Barbares à avoir été initié aux Mystères d ’Éleusis, « s’il faut en croire Théoxène qui à son sujet donne également cette inform ation ». Celle-ci se trouve reprise par le sophiste du ive s. Himérius (Discours X X IX dans l’édition Colonna). A partir de ces témoignages, Aristide Colonna, Scripta Minora, Brescia, 1981, pp. 127-129, suggère de voir en Théoxène un philosophe cynique, peut-être du m ilieu ou de la fin du iv e s., qui aurait écrit un livre sur Anacharsis qu’aurait pu utiliser Lucien, mais aussi plus tard Himérius. I l signale également, sans prétendre bien sûr qu’il s’agit de façon certaine du même Théoxène, une scholie sur Théocrite I, 3-4 (p. 32, 1 C. W endel) où l ’on peut lire : « Théoxène dit que Pan est un dieu céleste ».

Z o ïlo s d ’A m phipolis surnom m é I’H om érom astix (R E 14) iv e s. av. J.-C. Cet adversaire d’Isocrate, qui critiqua Hom ère, reçut, à en croire É lien (Histoire variée X I 10), le surnom de « kuôn rhètorikos », à cause de son accoutrem ent cynique et de son agressivité. D ’après la Souda Z 130, c’était un rhéteur et un

RJÉPERTOIRE DES PHILOSOPHES CYNIQUES 245

philosophe. Denys d’Halicarnasse, Epistula ad Pompeium Geminum I 16, rappelle que Zoïlus et ses disciples critiquaient les dogmes de Platon. O n sait encore qu’il fut le disciple de Polycrate (Élien, ibid.) et le m aître d ’Anaximène de Lampsaque {Souda A 1989). Mais les avis des savants divergent quand il s’agit de faire de lui un philosophe cynique. Cf. R E Suppi. X V (1978) cc. 1531-1554 Gartner.

IV . LES L E T T R E S PSEU D ÉPIG R A PH ES

N ous prenons en considération dans cette rubrique uniquem ent les destina­taires inconnus par ailleurs. Ainsi des philosophes comme Platon, Antisthène, Cratès, H ipparchia, M étroclès, M onime, Zénon..., ou encore des personnages du m onde politique comme Denys, Perdiccas, Alexandre, A ntipater..., ou des gens dont on sait de façon certaine qu’ils ne furent pas cyniques, comme Hicétas, le père de D iogène, ou Olympias, sa mère, ne son t pas signalés.

A . Les d e s tin a ta ire s des l e t t r e s des Cyniques

1. Les Lettres de Diogène

A g é s ila s , Lettre 22. A m ynandre, Lettre 21. A n a x ila s , Lettre 19. A n n ic é ris , Lettre 27. A n ta lc id a s , Lettre 17. A p o le x is , Lettres 13, 16 et 18. A ro u é c a , Lettre 49. Épim énide, Lettre 51. E ügnésios, Lettre 8.Hippon, Lettre 25.

L acyd ès, Lettre 23 (présent dans la Lettre 37).

M élésippè, Lettre 42 (une femme). M élésippos, Lettres 20 et 41. P h aen ylos, Lettre 31.Phanom aque, Lettre 33.Rhésos, Lettre 48.S op olis, Lettre 35.Timomaque, Lettre 36.

2. Les Lettres de Cratès

A p e r, Lettre 35. Dinom aque, Lettre 36. Eum olpe, Lettre 13. Ganym ède, Lettre 23. H erm aïscos, Lettre 4.

Lysis, Lettre 10.M naso, Lettre 9 (une femme). O rio n , Lettre 12.P a tr o c le , Lettre 19.

B. Les Cyniques m entionnés dans le s l e t t r e s

P h ry n ich o s de L arisse , Lettre 48 de D iogène (Diogène le présente comme son auditeur : ακουστής ήμών).

P a n c ra tè s II, Lettre d’A lciphron III 55, 5. V on Fritz suggère que dans cette lettre qui copie le Banquet ou les Lapithes de Lucien, A lciphron a remplacé par d ’autres les noms des personnages de Lucien, mais que les noms qu’il a utilisés proviennent quand même d’une certaine façon de Lucien. C’est ainsi que le Cynique Alcidamas chez Lucien παγκρατιάζει avec Satyrion, d ’où le nom de Pan­cratès chez Alciphron. Mais dans « O nom astique des philosophes chez Lucien de Samosate et A lciphron », Antiquité Classique 51 (1982) 263, J. Schwartz pense que le nom est repris du Philopseudés de Lucien où i l est question d’un magicien

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246 APPENDICE

égyptien du nom de Pancratès. Quoi q u ’il en soit de ce problème, il est à peu près certain que le Pancratès d’A lciphron n ’a rien à voir avec le Cynique Pancratès évoqué par Philostrate (voir section I, notice P a n c r a tè s I).

Lh f i l s de P h ilo m éto r, Lettre d ’A lciphron III 40 (de Philomêtor à Philisos). Philom étor se plaint de ce que son fils, parti en ville pour vendre du bois et de l’orge, ait pris la décision de suivre le même genre de vie qu’un Cynique qu’il rencontra à la ville, et de ne plus revenir aux champs.

Signalons encore que quatre lettres de Théophylacte Simocat(t)ès (v n e s.) sont présentées comme étant envoyées par un certain Diogène. Est-ce le philo­sophe cynique ? O n ne peut en être absolument sûr, mais c’est fort probable. Ce sont les Lettres 19 ( A Chryses) ; 43 ( A Démonicos) ; 46 ( A Aristarque) ; 76 ( A Sotion).

V. LES CYNIQUES PRO BA BLEM EN T FICTIFS M IS E N SCÈN E DA NS DES Œ UVRES LITT ÉR A IR ES

E n plus des personnages dont on trouve les nom s dans les Lettres et qui peuvent très bien être fictifs, nous tenons à signaler un certain nom bre de Cyniques que l’on rencontre dans des œuvres littéraires, par exemple chez Lucien ou Athénée et qui, selon toute vraisemblance, tiennent de la fiction plus que de l’histoire.

A lcid am as. Personnage du Banquet de Lucien, au com portem ent typique­m ent cynique.

C arn éiu s d e M é g a re . Parméniscus fait allusion à ce personnage dans son Banquet des Cyniques que cite Cynulcus dans Athénée, Deipnosophistes IV 156 CE. A la tête d’un groupe de six « chiens », Carnéius assiste à un dîner que donne Cébès de Cyzique à Athènes durant les fêtes en l’honneur de Dionysos.

Cébès d e Cyzique. I l est probable que ce soit un Cynique (cf. N otice précé- cente). Rien ne perm et de l’identifier avec l ’auteur de la Table de Cébès. Cf. art. Kebes n° 2, RE X I 1 (1921) c. 103 V on Arnim .

C ra to n . In terlocuteur de Lycinus dans la Danse de Lucien. Lycinus le présente comme un « chien aux dents aiguisées ». T out comme Dém étrius le Cynique était hostile à la danse, mais avait été finalement conquis par la démons­tration d’un danseur de grande renommée, Craton, au départ défavorable à cet art, se laissa peu à peu gagner aux argum ents de Lycinus.

Cyniscus. I l apparaît dans deux dialogues de Lucien : la Traversée ou le tyran 7, où il est dit qu’il m eurt après avoir m angé un poulpe cru, et dans Zeus réfuté où il est l’interlocuteur de Zeus.

C yn ulcus. V oir notice T h éo d o re .H é ro p h ile (RE 3) 111e s. av. J.-C. Dans Lucien, Icaroménippe 16, Ménippe

d it qu’il a vu ce Cynique dorm ir dans une m aison close. Cf. R E V III 1 (1912) c. 1104 V on Arnim.

H ypéride. Dém onax dans le dialogue du même nom (par. 48) d it à un Cynique qui porte une massue (ύπερον) et qui se prétend disciple d ’Antisthène, de Cratès et de Diogène, qu’il est p lu tô t disciple d’Hypéride. O n ne sait si ce nom a été inventé pour la plaisanterie ou s’il correspond à un personnage réel, par exemple Hypéride le rhéteur.

M usonius de Βαβυι,ονε. Ce personnage m entionné à plusieurs reprises par Philostrate échange des lettres avec Apollonius de Tyane par l’intermédiaire de Ménippe et de Damis. I l a été jeté en prison par N éron et dans le dialogue de Lucien Néron ou Sur le creusement de l ’Isthme, il s’entretient avec le Cynique

RÉPERTOIRE DES PHILOSOPHES CYNIQUES 247

Démétrius. Selon Von Fritz, autour de ce Musonius de Babylone se sont regrou­pées des légendes qui originellement concernaient M usonius Rufus. Cf. R E X V I 1 (1933) c. 897 V on Fritz.

M y r tilu s (R E 7). Un des interlocuteurs du banquet dans les Deipnosophistes d’Athénée, qui professe des thèses cyniques et attaque les Stoïciens. C’est le fils d ’un cordonnier thessalien. Ulpien le considère comme un didascalos (IX 386 E) et dans le dialogue il reçoit encore le qualificatif de grammaticos (X III 6îo C). Cf. R E X V I 1 (1933) c. 1166 Hanslik.

N ic io n surnom m ée M ou ch e λ ch ien s, courtisane du Banquet des Cyniques de Parméniscus (cf. Deipnosophistes IV 157 A). Elle cite les Grâces de Méléagre de Gadara et « Antisthène le Socratique ».

T h é o d o re . Mis en scène par Athénée, Deipnosophistes X V . De son vrai nom Théodore (Démocrite, le deipnosophiste de Nicomédie, en X V 669 E , le désigne ainsi et précise que c’est là son vrai nom ), il est appelé, en X V 692 B, Théodore- Cynulcus, c’est-à-dire « conducteur de chiens ». Dans le banquet, i l apparaît comme le principal opposant d ’Ulpien de Tyr.

Thesm opolis. Philosophe stoïcien mis en scène par Lucien dans Sur ceux qui sont aux gages des grands 33-34. Comme il habitait chez une dame riche, celle-ci un jour lui demanda un service : elle souhaitait qu’il prît sa chienne, laquelle attendait des petits, dans sa voiture et qu’il veillât à ce qu’elle ne m anquât de rien. Sur ses instances pressantes, Thesmopolis accepta. D urant le voyage, la chienne le m ouilla, aboya, lécha sa barbe et fit même ses petits dans son manteau. A ses côtés était assis un débauché qui, par la suite, se m oqua de lui au cours d’un repas en disant : « A propos de Thesmopolis, to u t ce que je puis dire, c’est que notre Stoïcien est devenu désormais Cynique ».

VI. UN C Y N IQ U E PAR ERREU R

N a b a l. Les Septante, dans leur traduction de I Rois ( = I Samuel) 25, 3 ont traduit le m ot kâlibbî, qui servait à définir Nabal, par « kunikos » à cause de kéleb « chien », alors qu’il signifiait « Calébite », c’est-à-dire « de la tribu de Caleb ». C’est pourquoi Flavius Josèphe, dans ses Antiquités juives V I 13, 6 dit de ce Nabal qu’il était « rude, m échant dans sa façon de faire, car il réglait sa vie sur l’ascèse cynique ».

V II. PE R SO N N A G ES N O N CYN IQUES QU ALIFIÉS D E « CHIENS »

A ris tip p e d e C yrèn e (RE 8). Dans D .L. II 66, il est dit que Diogène traitait A ristippe de « chien royal », parce que celui-ci jouissait du plaisir qui était à sa portée et q u ’il ne poursuivait pas avec force peine la jouissance qui ne l’était pas. Cf. R E II 1 (1895) cc. 902-906 Natorp.

A r is to g ito n (R E 2). Ce rhéteur athénien du iv e s. av. J.-C. était appelé dans le premier Discours contre Aristogiton attribué à Démosthène (Discours XX V 40) « chien du peuple ». C’est pourquoi la Souda A 3912 dit qu’il reçut le surnom de « chien » à cause de son impudence. Cf. R E II 1 (1895) cc. 931-932 Thalheim.

Ménédème d ’É r é t r ie (RE 9) 339/337-247. D ’après D .L. II 140, les habitants d ’Érétrie se m ontrèrent tou t d’abord hostiles à son égard, le traitant de « chien » et de <( radoteur », puis ils l’admirèrent et rem irent entre ses mains leur cité.

T h e rs ite . Dém onax, dans Vie de Démonax 61, fait l ’éloge de Thersite, disant de lui que c’est un orateur « cynique ».

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248 APPENDICE

V III. QU ELQ U ES TITR ES D ’OU VRAG ES O Ü EST PR É SEN T L E M O T « C H IE N »

Certains titres d ’ouvrages littéraires font intervenir le m ot « chien ». M alheureusement il est impossible de dire en quel sens.

Athénée V I 247 E , m entionne un vers des Cynégites (Conducteurs de chiens ?) d ’Anaxandride, un poète de la comédie moyenne.

Athénée V II 280 C ; X III 570 F et 587 E F , cite plusieurs vers de la Cynagis (Conductrice de chiens ?) du poète de la comédie m oyenne Philétairos.

D .L. V III 89 ( = Fr. 374 Lasscrre) : « Ératosthène d it dans ses ouvrages Contre Bâton (F G rH 241 F 22) qu’Eudoxe (ive s. av. J.-C.) a composé aussi des Dialogues de chiens ».

Souda Ph 422 ; t. IV , p. 734, 17 ss Adler. « Le prem ier Philostrate, fils de Vérus et père du second Philostrate, était lui aussi u n sophiste ; il exerçait son m étier à Athènes sous Néron. Il écrivit... Le chien ou k sophiste (?). Sur ce titre vo ir la notice P é r é g r i n u s P r o t e ü s .

Sonda E 3023 ; t. II, p. 411, 27 Adler. «H erm agoras d ’Am phipolis, philo­sophe, disciple de Persaios (111e s. av. J.-C.) ». I l écrivit des dialogues don t un Misokuôn.

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ADDENDA

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Page 224, note 82. Au v* siècle, un authentique Cynique, Salous- tios, pratiquera le même genre d’exercices. S im p l ic iu s , Commen­taire sur le Manuel d'Epictète VIII, p. 40, 29-32 Diibner, raconte en effet qu’il posait sur sa cuisse nue un charbon ardent, soufflait dessus et se soumettait à l’épreuve aussi longtemps qu’il pouvait l’endurer. Cf. p. 61, n. 140.

Page 126: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

IN D EX

Le présent travail était achevé et le manuscrit envoyé à l’imprimeur lorsque nous avons eu en mains l’édition en quatre volumes des Socraticorum Reliquiae de G. Giannantoni, parue à Rome de 1983 à 1985. C’est au tome II de cette édition que sont rassemblés les textes concernant le cynisme ancien. Afin de permettre au lecteur de se repérer aisément, notre Index des auteurs cyniques indique, entre autres, les numéros attribués aux différents passages dans cette récente édition.

I . I ndex des auteurs cyniques

Antisthène.

Fragments, éd. F. Decleva Caiz­zi, Milan, 1966 ; éd. G. Gian­nantoni, Rome, 1983 (sub n° V A).

1 = 41 : 32, n. 51; 34, n. 57;46, n. 99 ; 61, n. 142 ; 145, n. 24.

6 = 43 ; 32, n. 51 ; 46, n. 99 ; 8 6 , n. 1 2 .

14 = 53 : 145, n. 23.19 = 85 : 32, n. 51 ; 46, n. 100 ;

147, n. 29 ; 208, n. 42.21 B = 87 : 143, n. 18.22 = 98 : 32, n. 51 ; 142, n. 8 ;

208, n. 43.22-28 : 32, n. 51.23 = 135 : 136, n. 153 ; 141, n. 2 ;

143, n. 13.24 A = 92 : 32, n. 51.27 = 96 : 144, n. 20.29 A = 141 : 46, n. 99.38 = 160 : 26, n. 32 ; 143, n. 13.39 A · 40 D : 143, n. 15.

44 A - 50 C : 143, n. 14.63 = 134 : 142, n. 4.64 = 163 : 148, n. 33.65 = 174 : 142, n. 12.66 = 161 : 26, n. 32.67 = 105 : 142, n. 11.68 = 164 : 26, n. 32.69 = 134 : 142, n. 9 ; 143, n. 13.70 = 134 : 11, η. 1 ; 25, n. 28 ;

34, n. 54 ; 69, n. 173 ; 145, n. 23.25.

71 = 134 : 136, n. 153 ; 142, n. 6.72 = 134 : 142, n. 10.73 = 134 : 144, n. 22.80 = 134 : 40, n. 76.86 = 104 : 25, n. 28 ; 145, n. 23.88 = 134 : 142, n. 4.89 = 132 : 142, n. 12.90 = 107 : 142, n. 5.92 = 108 : 146, n. 27.93 = 125 : 146, n. 27.95 = 134 : 46, n. 100; 147, n. 29.

30 ; 208, n. 42.96 = 113 : 46, n. 101 ; 147, n. 31.

9

Page 127: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

258 INDEX DES AUTEURS CYNIQUES

97 A = 111 : 17, n. 2 ; 34, n. 58.97 B = 111 : 17, n. 2.108 A-113 : 47, n. 102.108 A-F : 47, n. 102.108 A = 122 : 41, n. 82.109 A = 123 : 143, n. 16.109 B = 123 : 47, n. 102.110 = 127 : 47, n. 103 ; 143, n. 16. 113 = 126 : 47, n. 102 ; 143, n. 16 ;

206, n. 34.117 = 82 : 55, n. 126 ; 59, n. 134 ;

142, n. 7.119 = 79 : 17, n. 3.122 A = 1 : 142, n. 9.128 A = 12 : 41, n. 79 ; 146, n. 26.134 B = Socratici, fr. 4 : 146, n.

26.135 A = 22 : 147, n. 28 ; 166, n. 42.135 B = 22 : 41, n. 81 ; 146, n. 27 ;

166, n. 41.136 A = 22 : 60, n. 140 ; 62, n. 143.136 B = 23 : 62, n. 143.136 D = Socratici, fr. 8 : 155, n.

54.136 n. = Socratici, fr. 9 : 50, n.

1 11 .137 n. = 39 : 209, n. 46.151 = 27 : 17, n. 2.172 = 162 : 26, n. 32.174 = 87 : 144, n. 19.175 = 172 : 143, n. 17.177 = 100 : 169, n. 56.186 = 167 : 142, n. 12.188 = 168 : 69, n. 173.

Fragments, éd. Giannantoni(absents de l’édition Caizzi).

40 : 210, n. 46.136 : 27, n. 36.ap. Julien, Discours IX 8 , 188 BC

(= Diogène, fr. 8 Giannantoni) : 35, n. 61.

B io n de B o ry sth èn e .

Fragments, éd. J. F. Kind­strand, Uppsala, 1976.

T. 19 : 78, n. 6 .

Cratès de Thèbes.

Fragments, éd. G. Giannantoni, Rome, 1983 (sub n° VH) ; Supple­mentum Hellenisticum edideruntH. Lloyd-Jones & P. Parsons, Berlin, 1983 (sub n“ 347-369).

4 : 47, n. 104.4 = 365 : 50, n. 113.8 : 50, n. 113.15 : 61, n. 140.17 : 50, n. 114.18 : 158, n. 6 8 .19 : 56, n. 129.27 : 6 8 , n. 167 ; 157, n. 6 6 .31 : 49, n. 110 ; 156, n. 59.40 : 155, n. 57.46 : 76, n. 191.51 : 56, n. 129.61 = 350 : 17, n. 2.63 : 155, n. 57.64 : 21, n. 15 ; 156, n. 58.67 = 347 : 17, n. 2.70 = 351 : 17, n. 2 ; 156, n. 60.71 = 352 : 41, n. 78.73 : 17, n. 2.73 = 354 : 58, n. 132 ; 156, n. 59.74 = 355 : 17, n. 2 ; 158, n. 67.77 = 361 : 156, n. 60.79 : 142, n. 11.81 = 365 : 50, n. 113.83 = 367 : 73, n. 181 ; 156, n. 59.84 : 64, n. 155.91 : 67, n. 166.93 : 25, n. 26. 28.94 : 58, n. 132.98 : 65, n. 157 ; 157, n. 61 ; 225,

n. 90.100 : 19, n. 9 ; 25, n. 28.101 : 157, n. 62.102 : 157, n. 64.103 : 24, n. 23 ; 6 6 , n. 160.105 : 157, n. 63.106 : 27, n. 34 ; 225, n. 90.108 : 25, n. 28.116 : 62, n. 143.

INDEX DES AUTEURS CYNIQUES

120 : 67, n. 166.121 : 50, n. 112.

Fragment absent de l’édition Giannantoni.

ap. Gnomologium Parisinum 193, p. 21 Stembach : 21, n. 15.Fragment classé dans une sec­tion différente du même ou­vrage.

ap. Julien, Discours 1X8, 188 BC ( = Diogène fr. 8 Giannantoni) :35, n. 61.

Diogène de Sinope.

Fragments, éd. G. Giannantoni Rome, 1983 (sub VB).

2 : 197, n. 6 .3 : 197, n. 6 .4 : 197, n. 6 .5 : 198, n. 6 .7 : 49, n. 108.8 : 35, n. 61 ; 198, n. 6 ; 209, n. 46.9 : 198, n. 6 .10 : 198, n. 6 .13 : 154, n. 52.14 : 49, n. 110.2 0 : 74, n. 186.2 2 : 203, n. 27.30 : 2 1 , n. 19.31 : 198, n. 6 .33 : 2 1 , n. 2 1 .42 : 19, n. 9 ; 73, n. 184.46 : 19, n. 8 .55 ;: 17, n. 2.59 :: 62, n. 143 ; 155, n. 5661 : 69, n. 172.70 : 17, n. 3 ; 50, n. 112 : 60. n

138 ; 79 ; 83, n. 20 ; 90, n. 3171 : 50, n. 112.73 : 50, n. 112.74 : 50, n. 112.76 : 20, n. 12. 13.80 ; 64, n. 153 ; 79, n. 881 : 150, n. 42.83 : 151, n. 45.

25990 : 64, n. 153.93 : 60, n. 137 ; 63, n. 152 ; 64,

n. 153.94 : 64, n. 153.95 : 35, n. 62 ; 64, n. 153 ; 198,

n. 6 .96 : 64, n. 153.97 : 64, n. 153.99 : 6 8 , n. 170.108 : 39, n. 72 ; 64, n. 153.112 : 60, n. 140.113 : 60, n. 140.117 : 33, n. 51 ; 85, η. 1. 3 ; 87,

n. 14 ; 201, n. 20 ; 207, n. 37 ;208, n. 41.

118 : 11, η. 1 ; 25, n. 27 ; 69,n. 173 ; 90, n. 30 ; 217, n. 60.

126 : 36, n. 6 6 ; 41, n. 84 ; 8 6 , n. 8 ;201, n. 19.

128 : 13, n. 7 ; 85, η. 1 ; 8 6 , n. 9.11. 12 ; 89, n. 27. 28.

130 : 89, n. 25 ; 208, n. 41.132 : 41, n. 85 ; 90, n. 32 ; 202,

n. 23.135 : 44, n. 95 ; 222, n. 76.143 : 62, n. 143 ; 69, n. 171.144 : 62, n. 143.145 : 62, n. 143.146 : 38, n. 71.147 : 38, n. 71 ; 39, n. 7.148 : 50, n. 111.149 : 62, n. 143.151 : 62, n. 143.153 : 61, n. 140.158 : 58, n. 132 ; 79.160 : 58, n. 132.166 : 47, n. 104.171 : 75, n. 187.172 : 62, n. 145 ; 63, n. 150.

151; 79.173 : 62, n. 145.174 : 61, n. 140 ; 67, n. 164 ; 79 ; 80.176 : 67, n. 16 ; 79.177 : 67, n. 165.180 ; 18, n. 5 .182 : 43, n. 90.189 : 40, n. 77.195 : 43, n. 90 ; 62, n. 145.213 : 39, n. 71.

U I

Page 128: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

260 INDEX DES AUTEURS CYNIQUES

222 : 55, n. 127.223 : 6 6 , n. 161. 162.228 : 19, n. 9.229 : 19, n. 9.232 : 153, n. 49.241 : 40, n. 76 ; 58, n. 132.245 : 17, n. 2 ; 19, n. 9.247 : 6 8 , n. 167 ; 157, n. 6 6 .258 : 19, n. 9.260 : 67, n. 163.263 : 37, n. 69 ; 61, n. 141 ; 152,

n. 46 ; 153, n. 50 ; 198, n. 7 ; 226,n. 95.

264 : 35, n. 63 ; 50, n. 114.265 : 43, n. 90 ; 75, n. 187.267 : 40, n. 77.272 : 42, n. 8 8 .273 : 42, n. 89.278 : 42, n. 87.280 : 42, n. 89 ; 225, n. 92.282 : 42, n. 89 ; 225, n. 92.283 : 154, n. 53.288 : 17, n. 2.289 : 17, n. 2.290 : 198, n. 7.291 : 217, n. 59.292 : 55, n. 125 ; 152, n. 45.293 : 19, n. 8 .294 : 19, n. 8 ; 40, n. 77.297 : 39, n. 71 ; 56, n. 128.298 : 18, n. 4 ; 43, n. 93 ; 75, n. 190.299 : 20, n. 10 ; 43, n. 90 ; 57,

n. 131 ; 59, n. 135 ; 70, n. 173 ; 154, n. 53.

300 : 73, n. 183. 184.301 : 73, n. 182.302 : 18, n. 7.303 : 142, n. 11.305 : 17, n. 3.309 : 51, n. 115.318 : 17, η. 1.320 : 70, n. 173 ; 154, n. 53.322 : 59, n. 136.323 : 55, n. 127.340 : 90, n. 32.341 : 21, n. 21.350 : 151, n. 44.351 : 49, n. 110.352 : 50, n. 111.

353 : 218, n. 61.354 : 65, n. 159.361 : 40, n. 75.368 : 26, n. 33 ; 150, n. 43 ; 219,

n. 67.370 : 25, n. 29 ; 222, n. 75.372 : 27, n. 33.373 : 26, n. 33.374 : 26, n. 33 ; 70, n. 173.377 : 152, n. 47.378 : 153, n. 48.379 : 153, n. 49.380 : 153, n. 49.381 : 153, n. 49.382 : 4θ, n. 107.387 : 153, n. 49.388 : 18, n. 7 ; 153, n. 49. 50.398 : 39, n. 71.427 : 40, n. 77.441 : 21, n. 21 ; 39, n. 73 ; 50,

n. 112 .446 : 20, n. 15.450 : 54, n. 123. 124.451 : 54, n. 122.452 : 20, n. 14. 15.464 : 76, n. 191.474 : 89, n. 29.476 : 69, n. 171.486 : 67, n. 166.497 : 222, n. 75.501 : 20, n. 11.519 : 73, n. 180.520 : 70, n. 173.537 : 18, n. 7 ; 62, n. 143.542 : 23, n. 22.542 : 27, n. 35 ; 225, n. 90.545 : 61, n. 140.549 : 27, n. 34.551 : 17, n. 2 ; 41, n. 80.552 : 52, n. 118.556 : 209, n. 44.557 : 225, n. 90. 92.558 : 43, n. 92 ; 52, n. 119 ; 142,

n. 11 ; 144, n. 22 ; 150, n. 40.560 : 25, n. 24. 25 ; 37, n. 70 ; 60,

n. 140 ; 148, n. 32 ; 225, n. 90.561 : 55, n. 126 ; 225, n. 90.563 : 21, n. 17.564 : 47, n. 104.

INDEX DES AUTEURS CYNIQUES 261

567 : 19, n. 8 ; 75, n. 187 ; 148, n. 32; 225, n. 90.

577 : 56, n. 130.582 : 18, n. 6 ; 19, n. 9 ; 21, n. 16 ;

26, n. 32 ; 48, n. 107 ; 51, n. 116 ; 144, n. 21 ; 150, n. 41.

583 : 17, n. 3 ; 18, n. 6 ; 21, n. 20 ; 40, n. 77 ; 43, n. 90 ; 44, n. 94 ;55, n. 127; 59, n. 133. 134; 60, n. 137 ; 62, n. 142. 146. 147 ; 64, n. 154 ; 67, n. 163 ; 70, n. 174 ; 72, n. 179 ; 74, n. 185 ; 202, n. 25.

584 : 37, n. 68 ; 43, n. 93 ; 45, n. 96. 97 ; 46, n. 100 ; 49, n. 110 ; 50, n. 112 ; 62, n. 143 ; 150, n. 39 ; 208, n. 44.

585 : 20, n. 12. 15 ; 62, n. 143 ; 6 8 , n. 169; 69, n. 171; 150, n. 40.

586 : 63, n. 148 ; 65, n. 156.

Tragicorum graecorum frag­menta, éd. B. Snell, Gottingen, 1971 (sub n° 8 8).

F 1 d = 132 Giannantoni : 90, n. 32.

F ie = 340 G : 90, n. 32.F 1 f = 126 G : 90, n. 32.F 1 h = 135 G : 44, n. 95 ; 90,

n. 32; 222, n. 76.F 3 : 33, n. 51.F4 = 263 G : 61, n. 141.F 6 : 222, n. 77.F 7 : 220, n. 70. 73.

Fragments absents de l’édition Giannantoni ou classés dans une section différente :

ap. Gnomologium Parisinum 207, p. 22 Stembach : 17, n. 2 .

ap. Gnomologium Parisinum 233, p. 24 Stembach : 153, n. 48.

ap. Gnomologium Parisinum, App. Vatie. II 127, p. 82 Stern- bach : 155, n. 56.

ap. Maxime de Tyr, Disserta­tions XXIX 7 : 48, n. 106.

ap. Philon, Quod omnis probus 157 : 40, η. 77.

ap. Athénée, DeipnosophistesXIII 588 E F ( = Aristippe, fr. 92 Giannantoni) : 39, n. 71.

ap. Diogène Laërce VI 103. 105 (= Antisthène, fr. 135 Giannan­toni) ; 39, n. 74 ; 219, n. 6 6 . 67.

H égésias de Sinope.

Fragments, éd. G. Giannantoni, Rome, 1983 (sub n° V F ).

1 : 69, n. 173.

M étroclès de M aronée

Fragments, éd. G. Giannan­toni, Rome, 1983 (sub n° VL).

3 : 49, n. 110.

M onim e de Syracuse.

Fragments, éd. G. Giannantoni, Rome, 1983 {sub n° V G).

1 : 17, n. 2.

G nésicrite d ’Astypalée.

Fragments, éd. F . Jacoby, FGrH 134.

T 1 : 79, n. 9.T 10 : 82, n. 17.T 11-12 : 82, n. 17.F 17 : 18, n. 4 ; 45, n. 98 ; 60,

n. 136; 79, n. 10.Fragments, éd. G. Giannantoni, Rome, 1983 (sub n° V C).

1 : 79, n. 9.3 : 80, n. 11.3 : 80, n. 12.3 : 82, n. 18.

Philiscos d ’Égine.

Fragments, éd. G. Giannantoni, Rome, 1983 {sub η" V D).

1 : 85, n. 4.

Philiscos (d ’Égine ?).ap. Stobée III 29, 40 : 8 6 , n. 10.

Page 129: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

I I . I ndex des passages cités

Am m onius.

In Arist. Categ., éd. A. Busse, CAG IV 4, Berlin, 1895.

p. 2, 2-8 : 62, n. 143.

Anacharsis (Pseudo-).

Lettres, éd. R. Hercher, Paris, 1873.

V : 58, n. 132.IX : 58, n. 132.

Anaxagore (DK 59).

A 1 (13) : 52, n. 119.

Anonym e de Jam blique (DK 89).

2, 1 : 98, n. 17.2, 6 : 98, n. 17.2, 7 : 95, n. 5.2, 7 : 98, n. 17.

Anthologie Palatine.

VI 298 : 60, n. 139.VII 65-66 : 60, n. 140. VII 116 : 64, n. 153.VII 326 : 17, n. 2.X 104 : 156, n. 60. XVI 334 : 39, n. 72.

Antiphon (DK 87).

13 60 : 98, n. 17.

Antoine M elissa.

Loci communes (PG 136).I 50, 937 A : 152, n. 47.II 74, 1185 A : 17, n. 2.

Aphthonius.

Progymnasmata, éd. H. Rabe, Rhetores Graeci, t. X, Leipzig, 1926.

III, p. 4, 9-11 : 153, n. 49.

A pollodore de Séleucie.

Fragments (SVF III).3 : 22, n. 22.17 : 22, n. 22.ap. Diogène Laërce VII 64 : 22,

n. 2 2 .

Apulée.

Apologie.22 : 17, n. 2.

Florides.XXII 14 : 158, n. 6 8 .

Arcésilas.

Fragments, éd. H. J. Mette, Lustrum 26, 1984.

T 11 : 6 6 , n. 162.

INDEX DES PASSAGES CITÉS

Aristippe.

Fragments, éd. G. Giannantoni, Rome, 1983 (sub n° IV A).

172 : 218, n. 63.

Ariston de Chios.

Fragments (SVF I).351 : 25, n. 30.370 : 170, n. 58.

Aristophane.

Nuées.

v. 362 : 116, n. 87.

Aristote.

Éthique à Eudème.I 5, 15-18 ; 1216 b 2-25 : 133, n. 146.I 5, 15 ; 1216 b 6 : 131, n. 138.VIII 1, 7 ; 1246 b 34 : 131, n. 137.

Éthique à Nicomaque.II 1 ; 1103 a 14-18 : 129, n. 134.II 1 ; 1103 b 13-21 : 129, n. 134.III 5 ; 1114 a 11-12 : 131, n. 140.III 8 ; 1116 b 4-5 : 131, n. 138.VI 13 ; 1144 b 29-30 : 131, n. 138.VII 2 ; 1145 b 25-27 : 131, n. 139.VII 2 ; 1145 b 25-26 : 132, n. 143.VII 2 ; 1145 b 27-28 : 131, n. 141.IX 9 ; 1170 a 11 : 129, n. 134.

Politique.I 2 ; 1253 a 26-29 : 65, n. 157.

Réfutations sophistiques.34 ; 183 b 36-184 a 1 : 100, n. 27.

A ristote (Pseudo-).

Magna Moralia.I 1, 7 ; 1182 a 16-17 : 131, n. 138.I 1, 7 ; 1182 a 20-26 : 138, n. 164.I 9, 7 ; 1187 a 7 : 132, n. 142.

II 6 , 2 ; 1200 b 25-33 : 132, n. 144.II 6 , 2 ; 1200 b 25-27 : 131, n. 139.

Arius Didym e.

Extraits ap. Stobée II 7.II 7, 3 : 32, n. 50.II 7, 5M : 167, n. 45 ; 170, n. 59.II 7, 5“ : 196, n. 2.II 7, 6b : 196, n. 2.II 7, (f : 33, n. 53.II 7, 11' : 196, n. 2.II 7, 11' : 196, n. 2.II 7, 11” : 196, n. 2.II 7, l l s : 2 2 , n. 22.II 7, 13 : 196, n. 2.

Arrien.

Entretiens d'Épictète.I 17 : 188, n. 136.I 17, 10 : 143, n. 13.I 24, 6 : 40, n. 77.I 24, 6-10 : 12, n. 3.I 24, 7 : 43, n. 90 ; 75, n. 187.I 25, 22 : 52, n. 119.II 9, 13 : 189, n. 137.II 23, 6-15 : 188, n. 135.II 25 : 188, n. 136.III 3, 14-16 : 189, n. 137.III 12 : 189, n. 137. 138.III 12, 2 : 186, n. 126.III 12, 16 : 189, n. 139.III 13, 21 : 189, n. 140.III 22 : 12, n. 3.III 22, 10 : 60, n. 140 ; 224, n. 81. III 22, 47 : 61, n. 141.III 22, 50 : 198, n. 7.III 22, 56-57 : 203, n. 30.III 22, 58 : 6 8 , n. 170.III 22, 67-76 : 20, n. 10 ; 24, n. 22 ;

56, n. 129.III 22, 80 : 198, n. 7; 224, n. 81.III 22, 103-104 : 203, n. 30.III 24, 40 : 12, n. 3.III 24, 64-73 : 12, n. 3.III 24, 67-69 : 203, n. 27.IV 1, 30-31 : 12, n. 3 ; 19, n. 8 ; 40,

n. 77.

Page 130: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

264 INDEX DES PASSAGES CITÉS

IV 1, 114-117 : 12, n. 3.IV 1, 152-158 : 12, n. 3.IV 1, 156 : 19, n. 8 .IV 8 , 4-5 : 224, n. 81.IV 8 , 34 : 224, n. 81.IV 12 : 189, n. 137.

Manuel d'Épictète.41 : 189, n. 138.

Athénée.Deipnosophistes.

V 220 C : 46, n. 99.VI 274 A : 181, n. 108.VIII 341 E : 64, n. 153.X 412 E : 53, n. 120.XII 513 A : 47, n. 103 ; 143, n. 16.XIII 588 C : 39, n. 71.XIII 588 EF : 39, n. 71.XIII 611 B : 62, n. 143.XIV 636 AB : 89, n. 26.

Augustin.

Cité de Dieu.XIV 20, 44 : 61, n. 140.XIX 1, 2-3 : 30, n. 43.

Aulu-Gelle.

Nuits attiques.XIII 28 : 178, n. 96.

Ausone.

Êpigrammes.XLVI : 209, n. 46.XLVII : 210, n. 46.

Calanos.ap. Philon, Quod omnis probus

96 : 70, η. 173.

Censorinus.De die natali.

15, 2 : 64, η. 153.

Chrysippe.

Fragments (SVF II-III).II 30 : 32, n. 49.II 90 : 164, n. 26.II 546 : 164, n. 23.II 785 : 164, n. 25.III 4 : 32, n. 49.III 16 : 33, n. 53 ; 36, n. 65. III 38-48 : 36, n. 65.III 39 : 36, n. 65.III 47 : 36, n. 65.III 49 : 34, n. 55.III 49-67 : 160, n . 9.III 85 : 32, n. 49.III 167 : 142, n. 11.III 178 : 32, n . 49.III 198 : 159, n . 3.III 200 a : 160, n. 3.III 214 : 170, n . 60.III 223 : 32, n. 49 ; 160, n. 4. III 225 : 160, n. 5.III 237-244 : 160, n. 7.III 262-275 : 159, n. 2.III 278 : 167, n. 45.III 280 : 36, n. 65.III 295 : 160, n. 8 .III 431432 : 42, n. 8 6 .III 447 : 171, n. 63.III 448 : 41, n. 8 6 .III 456490 : 161, n. 14.III 459 : 162, n. 16.III 471 : 165, n. 29.III 473 : 161, n. 10.III 490 : 170, n. 62.III 510 : 160, n . 6 .III 530 : 160, n. 6 .III 532 : 160, n. 6 .III 539 : 160, n. 6 .III 542 : 160, n. 6 .III 543 : 160, n. 6 .III 646 : 34, n. 60.III 715 : 167, n. 49.

Cicéron.

Ad Atticum.XIII 19, 3-4 : 207, n. 37.

INDEX DES PASSAGES CITÉS

Ad familiares.XVI 18, 1 : 216, n. 55.

Brutus.12, 4647 : 99, n. 24.

De finibus.IV 9, 23 : 175, n. 83.V 14 : 30, n. 44.

De officiis.I 4, 11 : 172, n. 65.I 5, 15-17 : 174, n. 78.I 28, 101 : 173, n. 70.I 30, 105 : 172, n. 6 6 .I 30, 106 : 173, n. 73. 74 ; 175, n. 80.I 31, 110-111 : 172, n. 67. 6 8 .I 32, 117 : 172, n. 69.I 35, 128 : 176, n. 8 8 .I 36, 132 : 173, n. 71.I 41, 148 : 176, n. 8 8 .II 5, 18 : 173, n. 71.

De oratore.III 17 : 146, n. 26.

De senectute.10, 33 : 53, n. 120.

T usculanes.II 15, 35 : 45, n. 98 ; 175, n. 84.II 15, 36 : 176, n. 85.II 17, 41-18, 42 : 176, n. 87.II 18, 43 : 176, n. 89.II 21, 47 : 173, n. 72 ; 176, n. 90 ;

177, n. 91.II 21, 49 : 175, n. 84.II 22, 51 : 177, n. 92.II 23, 55 : 177, n. 93.II 24, 58 : 177, n. 94. 95.II 27, 6 6 : 177, n. 95.IV 2, 4 : 175, n. 82.IV 63 : 51, n. 116.V 32, 92 : 21, n. 21.

Cléanthe.Fragments (SVF I).

463 : 166, n. 34 ; 168, n. 52. 53.

481 : 32, n. 48.497 : 164, n. 23.514 : 164, n. 24.552-556 : 32, n. 48.552 : 166, n. 38.558 : 104, n. 35.563 : 164, n. 27 ; 166, n. 44.567 : 160, n. 4 ; 166, n. 36.568-569 : 160, n. 7.568 : 166, n. 37.569 : 166, n. 37.611 : 166, n. 39 ; 168, n. 54.

Cléarque de Soles.

Fragments, éd. F. Wehrli2, Die Schule des Aristoteles, t. III, Bâle-Stuttgart, 1969.

16 : 62, n. 143.

Clém ent d ’Alexandrie.

Pédagogue.II 10, 93, 4 : 17, n. 2.

Stromates.II 20, 107, 3 : 143, n. 16.II 20, 119, 6 : 44, n. 95 ; 222, n. 76.II 20, 121, 1 : 41, n. 78.II 20, 125, 1 : 70, n. 173.II 21 : 32, n. 50.II 21, 129, 1 : 33, n. 53.II 21, 129, 4 : 174, n. 76 ; 179, n. 99.II 21, 130,7 : 17, n. 2 ; 34, n. 58.

Cratès (Pseudo-).

Lettres, éd. R. Hercher, Paris, 1873.

IV : 67, n. 166.V : 58, n. 132.VI : 25, n. 26. 28.VII : 58, n. 132.XI : 65, n. 157 ; 157, n. 61 ; 225,

n. 90.XIII : 19, n. 9 ; 25, n. 28.XIV : 157, n. 62.XV : 157, n. 64.XVI : 24, n. 23 ; 6 6 , n. 160.XVIII : 157, n. 63.

Page 131: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

266 INDEX DES PASSAGES CITÉS

XIX : 27, n. 34 ; 225, n. 90.XXI : 25, n. 28.XXIX : 62, n. 143,XXXIII 1 : 67, n. 166.XXXIV : 50, n. 112.

Critias (DK 88).

B 9 : 99, n. 20.B 40 : 99, n. 20.

D am ascius.

Vie d’Isidore, éd. C. Zintzen, Hildesheim, 1967.

ap. Epit. Phot. 89 : 61, n. 140.

D ém étrius.

De elocutione.259 : 17, n. 2.

D ém étrius M agnes.

Fragments, éd. J. Mejer, Her­mes 109, 1981.

21 : 50, n. 113.

D ém ocrite (DK 68).

B 240-242 : 46, n. 101.B 242 : 99, n. 20.

D enys d ’H éraclée.

Fragments (SVF I).422 : 169, n. 57.

D ioclès de M agnésie.

ap. Diogène Laërce VI 12 : 142, n. 6 ; 144, n. 22.

ap. Diogène Laërce VI 13 : 142, n. 4.

ap. Diogène Laërce VI 87 : 50, n. 113.

ap. Diogène Laërce VI 103 : 26, n. 33.

D iogène (Pseudo-).

Lettres, éd. R. Hercher, Paris, 1873.

VII 1 : 18, n. 7 ; 62, n. 143.XII : 23, n. 22 ; 27, n. 35 ; 225,

n. 90.XV : 61, n. 140.XIX : 27, n. 34.XXI : 17, n. 2 ; 41, n. 80.XXII : 52, n. 118.XXVI : 209, n. 44.XXVII : 225, n. 90. 92.XXVIII 1 et 2 : 150, n. 40. XXVIII 5 : 52, n. 119.XXVIII 5-6 : 43, n. 92.XXVIII 6 : 142, n. 11.XXVIII 8 : 144, n. 22.XXX : 25, n. 24. 25 ; 37, n. 70

225, n. 90.XXX 3 : 148, n. 32.XXX 34 : 60, n. 140.XXXI : 225, n. 90.XXXI 4 : 55, n. 126.XXXIII 3 : 21, n. 17.XXXIV : 47, n. 104.XXXVII : 225, n. 90.XXXVII 4-6 : 75, n. 187. XXXVII 6 : 19, n. 8 .XXXVII 6 : 148, n. 32.XLVII : 56, n. 130.

Diogène Laërce.

I 15 : 218, n. 65.I 19-20 : 29, n. 40.I 19 : 219, n. 6 6 .I 20 : 29, n. 41.II 13 : 52, n. 119.II 21 : 25, n. 31.II 22 : 117, n. 90 ; 137, n. 160.II 27 : 65, n. 157.II 32 : 117, n. 91 ; 136, n. 159.II 35 : 52, n. 119.II 39 : 136, n. 159.

INDEX DES PASSAGES CITÉS 267

II 61 : 32, n. 51 ; 46, n. 99 ; 8 6 , n. 12 .

II 84-85 : 87, n. 16.II 87 : 87, n. 17.II 91 : 218, n. 63.II 118 : 17, n. 2.III 37 : 99, n. 23.III 55 : 99, n. 23.III 57 : 99, n. 23.III 82 : 195, n. 2.III 83 : 196, n. 2.III 84 : 196, n. 2.IV 51-52 : 78, n. 6 .V 43 : 63, n. 149.VI 1 : 142, n. 9.VI 2 : 32, n. 51 ; 41, n. 79 ; 46,

n. 100 ; 146, n. 26 ; 147, n. 29 ;208, n. 42 ; 220, n. 6 8 .

VI 3 : 41, n. 82.VI 5 : 69, n. 173.VI 6 : 142, n. 12 ; 146, n. 27 ; 169,

n. 56.VI 7 : 17, n. 2 ; 144, n. 19.VI 8 : 143, n. 17.VI 10 : 143, n. 13.VI 11 : 11, η. 1 ; 25, n. 28 ; 34,

n. 54 ; 40, n. 76 ; 46, n. 100 ; 69,n. 173 ; 142, n. 9 ; 145, n. 23. 25 ;147, n. 29. 30 ; 208, n. 42 ; 220, n. 69.

VI 12 : 142, n. 6 . 10 ; 144, n. 22.VI 13 : 60, n. 140 ; 62, n. 143 ; 142,

n. 4.VI 14 : 147, n. 28 ; 166, n. 42 ; 220,

n. 6 8 .VI 15-18 : 46, n. 99.VI 15 : 32, n. 51 ; 41, n. 81 ; 61,

n. 142 ; 146, n. 27 ; 166, n. 41 ;2 2 0 , n. 6 8 .

VI 16 : 34, n. 57 ; 145, n. 24.VI 18 : 32, n. 51 ; 34, n. 57 ; 145,

n. 24.VI 20-21 : 197, n. 6 .VI 22 : 61, n. 140 ; 62, n. 145 ; 63,

n. 151; 79.VI 23 : 67, n. 164 ; 79 ; 80.VI 24 : 142, n. 11.VI 26 : 17, n. 2.VI 27-28 : 26, n. 33.

VI 27 : 42, n. 89 ; 54, n. 123 ; 225, n. 92.

VI 28 : 70, n. 173.VI 29 : 39, n. 71 ; 50, n. 112 ; 56,

n. 128 ; 79.VI 30-31 : 83, n. 20 ; 79.VI 30 : 50, n. 112.VI 31 : 60, n. 138; 90, n. 31.VI 32 : 42, n. 87.VI 33 : 20, n. 12 ; 62, n. 143.VI 34 : 64, n. 153 ; 67, n. 165 ; 79 ;

151, n. 45 ; 167, n. 48.VI 35 : 55, n. 127.VI 36 : 50, n. 112.VI 37 ; 58, n. 132 ; 79.VI 38 : 37, n. 69 ; 49, n. 108 ; 61,

n. 141.VI 40 : 62, n. 143. 145.VI 41 : 42, n. 88 .VI 42-43 : 151, n. 44.VI 43 : 20, n. 13.VI 44 : 59, n. 136.VI 45 : 21, n. 19.VI 46 ; 38, n. 71.VI 47 : 20, n. 11 ; 153, n. 49.VI 48 : 11, η. 1 ; 25, n. 27 ; 69,

n. 173 ; 90, n. 30 ; 217, n. 60.VI 49 : 20, n. 15 ; 6 8 , n. 167 ; 157,

n. 6 6 .VI 50 : 19, n. 9.VI 51 : 65, n. 159.VI 54 : 155, n. 56.VI 55 ; 62, n. 143 ; 69, n. 171.VI 56 : 197, n. 6 .VI 59 : 42, n. 89 ; 225, n. 92.VI 60 : 42, n. 89 ; 62, n. 143.VI 61 : 62, n. 143.VI 64 : 70, n. 173 ; 154, n. 53.VI 66 : 17, η. 1.VI 68 : 153, n. 49.VI 69 : 39, n. 71.VI 70-71 : 195-198.VI 70 : 217, n. 59.VI 72-73 : 218, n. 61.VI 72 : 218, n. 61 ; 220, n. 69.VI 73 : 13, n. 7; 25, n. 29; 41,

n. 85 ; 8 6 , n. 12 ; 202, n. 23 ; 220,n. 69; 222, n. 75.

VI 74 : 50, n. 112.

Page 132: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

‘268 INDEX DES PASSAGES CITÉS

VI 75 : 17, n. 3 ; 50, n. 112 ; 62, n. 144.

VI 76-77 : 64, n. 153.VI 77 : 64, n. 153.VI 78 : 39, n. 72.VI 79 : 64, n. 153.VI 80 : 13, n. 7 ; 19, n. 8 ; 33,

n. 51 ; 37, n. 67 ; 85, η. 1 ; 201,n. 20 ; 208, n. 41.

VI 83 : 17, n. 2.VI 84 : 69, n. 173 ; 79, n. 9.VI 85 : 17, n. 2 ; 156, n. 60.VI 86 : 17, n. 2 ; 158, n. 67.VI 87 : 47, n. 104 ; 50, n. 113.VI 88 : 50, n. 113.VI 89 : 56, n. 129.VI 90 : 6 8 , n. 167 ; 157, n. 6 6 .VI 92 : 155, n. 57.VI 93 : 49, n. 110 ; 156, n. 59.VI 103-104 : 26, n. 33.VI 103 : 26, n. 32 ; 150, n. 43 ; 219,

n. 6 6 . 67 ; 220, n. 6 8 . 69.VI 104-105 : 32, n. 51.VI 104 : 22, n. 22 ; 32, n. 51 ; 142,

n . 8 ; 208, n . 43 ; 220, n. 68 ; 222, n . 75.

VI 105 : 39, n. 74 ; 41, n. 83 ; 42, n . 86 ; 58, n . 132 ; 141, n. 2 ; 143, n. 13 ; 151, n. 44 ; 219, n. 67 ; 220, n . 6 8 . 69.

VII 2 : 165, n. 32.VII 4 : 165, n. 33.VII 26 : 168, n. 50.VII 27 : 168, n. 51.VII 34 : 8 8 , n. 19.VII 43 : 195, n. 2.VII 51 : 195, n. 2.VII 54 : 22, n. 22.VII 64 : 22, n. 22.VII 84 : 32, n. 49.VII 87 : 33, n. 53.VII 92 : 174, n. 77.VII 117-118 : 23, n. 22.VII 117 : 34, n. 60.VII 121 : 22, n. 22 ; 220, n. 69.VII 123 : 167, n. 49 ; 218, n. 63.VII 125 : 220, n. 69.VII 127 : 34, n. 55 ; 220, n. 69.

V II 128 : 174, n. 79 ; 181, n. 110 ;220, n. 69.

V II 130 : 196, n. 2.V II 131 : 220, n. 69.V II 160 : 25, n. 30 ; 220, n. 69.V II 168 : 168, n. 52.V II 170 : 166, n. 34 ; 168, n. 53.V II 172 : 168, n. 54.V II 175 : 32, n. 48.V III 12 : 21, n. 15.V III 16 : 82, n. 16.V III 23 : 82, n. 16.IX 52 : 99, n. 21.X 27 : 32, n. 47.

D ion Cassius.

XLVII 49 : 33, n. 51.

D ion Chrysostom e.

Discours.I I I 83 : 47, n . 102.IV : 12, n. 4.IV 10 : 19, n. 9.IV 27-35 : 144, n. 21.IV 29-31 : 26, n. 32 ; 48, n. 107.IV 60 : 21, n. 16.IV 70 : 150, n. 41.IV 82 : 51, n. 116.IV 83-138 : 18, n. 6 .IV 115 : 18, n. 6 .V I : 12, n. 4.V I 1-3 : 67, n. 163.V I 8-9 : 43, n. 90.V I 9-12 : 74, n. 185.V I 11-12 : 44, n. 94.V I 11 : 70, n. 174.V I 12-13 : 59, n. 134.V I 12 : 55, n. 127.V I 13 : 62, n. 147 ; 64, n. 154.V I 14-15 : 59, n. 133.V I 18 : 62, n. 146.V I 25 : 60, n. 137.V I 26-29 : 62, n. 142.V I 29 : 18, n. 6 .V I 34 : 40, n. 77.V I 35 : 21, n. 20.

INDEX DES PASSAGES CITÉS 26‘J

VI 4142 : 17, n. 3.VI 60-62 : 72, n. 179.VIII : 12, n. 4.VIII 4 : 50, n. 112.VIII 5 : 150, n. 39.VIII 11 : 62, n. 143.VIII 15-16 : 49, n. 110.VIII 15 : 37, n. 68 ; 45, n. 97.VIII 16 : 46, n. 100.VIII 21-23 : 45, n. 96.VIII 26 : 43, n. 93.VIII 27-30 : 208, n. 44.IX : 12, n. 4.IX 3 : 62, n. 143.IX 6-7 : 69, n. 171.IX 7 : 62, n. 143.IX 9 : 150, n. 40.IX 11-12 : 6 8 , n. 169.IX 11 : 20, n. 12.IX 13 : 20, n. 15.X : 12, n. 4.X 16 : 63, n. 148 ; 65, n. 156.XXVIII : 53, n. 120.LXXII 11 : 89, n. 29.

Dion Chrysostom e (Pseudo-).

Discours.LXIV 18 : 50, n. 111.

D issoi Logoi (DK 90). 9, 1-3 : 100, n. 26.

E lias.

In Arist. Categ., éd. A. Busse, CAG XVIII 1, Berlin, 1900.

p. 111, 1-32 : 62, n. 143. p. 111, 22 : 50, n. 111.

É lien.

Histoire variée.III 29 : 37, n. 69 ; 61, n. 141.IX 34 : 17, n. 2.X 11 : 150, n. 42.XII 58 : 20, n. 14.

XIII 26 : 62, n. 145 ; 63, n. 150.XIV 33 : 155, n. 56.

É pictète voir Arrien.

Épicure.

Fragments, éd. G. Arrighctti2, Turin, 1973.

22 : 32, n. 47.22, 1, 4 : 43, n. 91.

Épiphane.

Adv. haer.III 26 : 142, n. 5.

É ratosthène.

Catasterismoi.40 : 32, n. 51.

E schine le Socratique.

Fragments, éd. H. Dittmar, Berlin, 1912.

37 : 53, n. 120.

E schyle.

Prom. ench. v. 1066 : 11, n. 2 .

Fragments, éd. H. J. Mette, Berlin, 1959.

17, li. 35 : 11, n. 2.

Eubule.

Fragments, éd. R. L. Huntcr, Cambridge, 1983.

8 6 a : 61, n. 141.

Euripide.

Fragments, éd. Nauckr, Tragico­rum Graecorum Fragmenta,

Page 133: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

270 INDEX DES PASSAGES CITÉS

Leipzig, 1889 ; réédition avec supplément par B. Snell, Hil- desheim, 1964.

697 : 47, n. 104.701 : 47, n. 104 ; 186, n. 127.714 : 47, n. 104.

Eusèbe.

Préparation évangélique.XI 27 : 109, n. 59.XV 62, 11 : 25, n. 31.

Exode.

I 7 : 170, n. 61.

Favorinus.

Fragments, éd. E. Mensching, Berlin, 1963 ; éd. A. Barigazzi, Florence, 1966.

14 et 26 = 44 et 58 : 21, n. 15.40 = 72 : 86 , n. 11.

Galien.

De peccatorum dignotione.III 12 : 36, η. 64.III 12-13 : 28, η. 37.

De plac. Hippocr. et Plat.IV 3, 3 : 178, n. 98.IV 7, 8 : 181, n. 107.IV 7, 4041 : 180, n. 104.V 1, 5 : 163, n. 21 ; 179, n. 103.V 5, 23-24 : 179, n. 102.V 5, 26 : 179, n. 102.V 5, 30-35 : 181, n. 108.V 5, 35 : 180, n. 104.V 6 , 4-5 : 163, n. 21.V 6 , 14 : 180, n. 105.V 6 , 20 : 180, n. 106.V 7, 3-4 : 178, n. 98.VI 2, 5 : 179, n. 100.

In Hippocr. de offic.I 1 : 99, n. 20.

Protreptique.6 : 153, n. 49.

Galien (Pseudo-).Histoire philosophique.

3 : 29, n. 42 ; 155, n. 54.

Gnom ologium Parisinum, cum A ppend ix Vaticana.

éd. L. Stembach, Cracovie, 1893.

7 ; p. 2 : 26, n. 33.24 ; p. 4 : 37, n. 69.81 ; p. 11 : 70,n. 173.193 ; p. 21 : 21, n. 15.207 ; p. 22 : 17, n. 2.233 ; p. 24 : 153, n. 48.322 ; p. 33 : 40, n. 77.App. Vatie. I 28 ; p. 40 : 18, n. 5.App. Vatie. II 117 ; p. 81 : 66 ,

n. 161.App. Vatie. II 127 ; p. 82 : 155,

n. 56.

Gnomologium Vaticanum.

e codice Vaticano Graeco 743, éd. L. Stembach, Wiener Stu- dien 9-11, 1887-1889 ; rp. Berlin, 1963.

1 ; p. 4 : 46, n. 101.1 ; p. 5 : 147, n. 31.3 ; p. 6 : 26, n. 32.12 ; p. 9 : 25, n. 28 ; 145, n. 23.116 ; p. 53 ; 52, n. 119.180 ; p. 74 : 40, n. 76 ; 58, n. 132.181 ; p. 74 : 73, n. 184.182 ; p. 74 : 40, n. 75.188 ; p. 76 : 40, n. 77.194 ; p. 79 : 62, n. 143.195 ; p. 79 : 18, n. 5.201 ; pp. 80-81 : 61, n. 141.201 ; p. 80 : 37, n. 69.298 ; p. 114 : 49, n. 110.386 ; p. 146 : 142, n. 11.

INDEX DES PASSAGES CITÉS 271

442 ; p. 165 : 155, n. 56.487 ; p. 181 : 52, n. 119.

Gorgiae (DK 82).

A 25 : 99, n. 24.B 14 : 100, n. 27.

Grégoire de Nazianze.

Carmina (PG 37).I 2, 10, w . 236-243 : 50, n. 113.

H écaton.

Fragments, éd. H. Gomoll, Der Stoische Philosoph Hekaton, Bonn, 1933.

22 : 42, n. 87.

H éraclite (Pseudo-).

Lettre, éd. R. Hercher, Paris, 1873.

VII : 58, n. 132.

H érillus de Carthage.

Fragments (SVF I).409 : 169, n. 57.

H érodicus.

Fragments, éd. I. Düring, Stockholm, 1941.

4 : 46, n. 99.

H ippias (DK 8 6 ).

A 2 : 96, n. 9. 10 ; 99, n. 25.A 5 a : 96, n. 9.A 6 : 96, n. 10.A 7 : 96, n. 10.A 9 : 96, n. 10.A 11 : 96, n. 9. 10.

Hippobote.

Fragments, éd. M. Gigante, dans Mélanges P. Treves, Pa- doue, 1983, pp. 151-193.

A 1 : 219, n. 6 6 .

Homère.Odyssée.IV 611 : 168.IV 392 : 25, n. 31 ; 26.X 241-243 : 72, n. 178.

Isocrate.

Ad Démon.12 : 53, n. 121 ; 148, n. 35.

Jamblique.

Vie de Pythagore.25 : 21, n. 15.

Jérôme.

Lettre.133 (à Ctésiphon) : 171, n. 63.

Julien.

Discours.VI 4, 256 D : 37, n. 69 ; 61, n. 141.VII : 12, n. 6 .VII 4, 208 D : 198, n. 6 .VII 6 : 89, n. 28.VII 6 , 210 C-211A : 8 6 , n. 9 ; 89,

n. 27.VII 6 , 210 CD : 13, n. 7.VII 7, 211 B : 198, n. 6 .VII 8 : 89, n. 28.VII 8 , 212 A : 8 6 , n. 9.VII 8 , 212 D : 19, n. 8 .VII 9, 213 C : 64, n. 155.VII 19, 225 AB : 60, n. 140.VII 19, 225 B : 226, n. 94.VII 19, 225 C : 28, n. 38.

Page 134: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

272 INDEX DES PASSAGES CITÉS

IX : 12, n. 6 .IX 2, 182 C : 31, n. 45.IX 7 : 89, n. 28.IX 7, 186 C : 13, n. 7 ; 8 6 , n. 9. IX 8 , 187 BC : 209, n. 46.IX 8 , 188 AB : 198, n. 6 .IX 8 , 188 BC : 35, n. 61.IX 12, 192 A : 35, n. 62.IX 12, 192 BC : 198, n. 6 .IX 12, 192 CD : 64, n. 153.IX 13, 193 D : 35, n. 63.IX 14, 194 D : 153, n. 50.IX 14, 194 D-195 B : 152, n. 46.IX 14, 195 AB : 226, n. 95.IX 14, 195 B : 37, n. 69 ; 61, n. 141.IX 16, 199 A : 156, n. 60.IX 18, 200 D-201 A : 226, n. 94.IX 18, 201 B : 50, n. 114.IX 18 ; 201 C : 35, n. 63.

Juvénal.Satires.

XIV 308-314 : 19, n. 9 ; 73, n. 184.

Libanios.Progymnasmata. chrie n° 2, 2 : 153, n. 50.

Lucien.Démonax.

3 : 225, n. 85.4 : 225, n. 84.5 : 225, n. 83.Dialogues des morts.I : 12, n. 5.XI : 12, n. 5.XIII : 12, n. 5.XXI : 12, n. 5.XXII : 12, n. 5.XXIX : 12, n. 5.

Double accusation.24 : 12, n. 5 ; 198, n. 6 .

La mort de Pérégrinus.17 : 223, n. 78.

Le Pêcheur.23-27 ; 38 ; 48 : 12, n. 5.

Les Portraits.17 : 18, n. 7.

Nigrinus.37 : 224, n. 82.33 : 47, n. 102.

Vies à l’encan.8-11 : 12, n. 5.9 : 79, n. 8 ; 223, n. 79 ; 224, n. 80.10 : 64, n. 153.11 : 28, n. 39.

L ucien (Pseudo-).

Le Cynique.3 : 226, n. 97.5 : 226, n. 98.8 : 227, n. 99.9 : 227, n. 99.12 : 65, n. 158.13 : 209, n. 44 ; 227, n. 100.15 : 62, n. 144 ; 65, n. 156 ; 226,

n. 98.19 : 61, n. 140 ; 227, n. 101.

Lucilius.

Satires.IV 1 : 176, n. 8 6 .

Marc-Aurèle.

Pensées.VI 13 : 17, n. 2.

M axim e.

Loci communes (PG 91).3, 741 D : 54, n. 122.17, 824 D : 152, n. 47.27, 876 CD : 21, n. 15 ; 156, n. 58. 34, 896 C : 17, n. 2.44, 928 B : 153, n. 48.67, 1008 D : 51, n. 115.

INDEX DES PASSAGES CITÉS 271!

Maxime de Tyr.Dissertations.

I 10 : 47, n. 104.XXIX 7 : 48, n. 106.XXXII 9 : 18, n. 4 ; 43, n. 93 ; 75,

n. 190.XXXVI 5 : 20, n. 10 ; 43, n. 90 ;

57, n. 131 ; 59, n. 135 ; 70, n. 173 ; 154, n. 53.

Ménandre.Fragments, éd. T. Kock, t. III, Leipzig, 1888.

249 : 17, n. 2.

Musonius Rufus.

Diatribes, éd. O. Hense, Musonii Reliquiae, Leipzig, 1905 ; Sto­bée, Anthologium, t. II, éd. K. Wachsmuth, Berlin, 1884 ; t. III, éd. O. Hense, Berlin, 1894.

I ; p. 4, 12-14 = II 31, 125 : 168, n. 54.

IV ; p. 10, 7-9 = II 31, 126 : 25, n. 31.

V ; p. 21, 17-22, 3 = II 15, 46 : 214, n. 49.

VI ; p. 22-27 = III 29, 78 : 185, n. 123.

VI ; p. 23, 6-8 : 213, n. 48.VI ; p. 23, 14-17 : 185, n. 125.VI ; p. 24, 2-8 : 214, n. 50.VI ; p. 24, 9-14 : 187, n. 130 ; 214,

n. 51.VI ; p. 24, 14-25, 4 : 187, n. 131.VI ; p. 25, 4-6 : 187, n. 132 ; 214,

n. 52.VI ; p. 25, 6-14 : 188, n. 133.VI ; p. 25, 15-26, 5 : 188, n. 134.VII ; p. 28-31 = III 29, 75 : 185,

n. 124.IX ; p. 43, 1844, 1 = III 40, 9 :

154, n. 52 ; 216, n. 55.IX ; p. 49, 4-5 : 50, n. 112.

Fragments.24; p. 119-120 = III 5, 21 : 217,

n. 57.25 ; p. 120, 4-7 = III 6 , 21 : 186,

n. 127 ; 217, n. 57.38; p. 124-125 = II 8 , 30 : 215,

n. 54.

N onnos (Pseudo-).

In invect. I adv. Iulianum hist.25 : 62,n. 143.60 : 62, n. 143.

Olym piodore.

In Arist. Categ., éd. A. Busse, CAG XII, Berlin, 1912.

p. 3, 20-30 : 62, n. 143.

Osiracon.éd. F. Preisigke, Sammelbuch griechischer Urkunden aus Ae- gypten, Strasbourg, 1915.

5730 : 153, n. 49.

Panétius.

Fragments, éd. M. Van Straa- ten2, Leyde, 1952.

46 : 175, n. 83.47 : 175, n. 82.49 ; 87, n. 17.80 : 172, n. 65.81 : 172, n. 6 6 .87 : 173, n. 70. 72.88 : 173, n. 71.89 : 173, n. 71.96 : 174, n. 76.97 ; 172, n. 67. 6 8 .103 : 174, n. 78.108 : 174, n. 77.110 : 174, n. 79.116 ; 178, n. 96.

Pap. Bomiant (= P. Sorb. 826, VI-VII).éd. P. Jouguet-P. Perdrizct, en annexe à W. Croencrt, Kolutrs

Page 135: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

‘274 INDEX DES PASSAGES CITÉS

und Menedemos, Leipzig 1906, pp. 148461 ; cf. I. Gallo, Fram- menti biografici da Papiri, t. II, Rome, 1980 (sub n° III 8 ).

n° 1, feuillet VI, pp. 1-2 : 62, n. 145.

Pap. Flot.

296. 21 : 216, n. 55.

Pap. Gen.

éd. V Martin, Museum Helve­ticum 16, 1959.

Inv. 271, cc. XIII-XV : 58, n. 132.

Pap. Oxyzhynchos.

Cité par F. Decleva Caizzi, Antisthenis Fragmenta, Milan,1966, p. 110 ; édité par A. Hein- richs, Zeitschrift für Papyro­logie und Epigraphik 1, 1967, 45-46.

Inv.-Nr. O. 4 : 148, n. 34.

Pétrone.

Satyricon.25 : 53, n. 120.

Phainias d'Erèse.

Fragments, éd. F. Wehrli2, Die Schule des Aristoteles, t. IX, Bâle-Stuttgart, 1969.

30 : 143, n. 17.

Philodèm e.

De Stoicis (PHerc 339).c. P1 XI 2 : 41, n. 84. c. VII-X6 : 36, n. 6 6 . c. XIII : 36, n. 6 6 . c. XIV : 36, n. 6 6 . cc. XIV 31-VII 1 : 8 6 , n. 8 .

c. XI 1-4 : 201, n. 19. c. XIII 12-16 : 201, n. 19.

Philon d ’Alexandrie.

De migratione Abrahami.149 : 143, n. 18.151 : 143, n. 18.195 : 25, n. 31.

De somniis.I 57 : 25, n. 31.

Quod omnis probus.96 : 70, n. 173.121-124 : 50, n. 112.157 : 40, n. 77.

Philopon.

In Arist. Categ., éd. A. Busse, CAG XIII 1, Berlin, 1898.

p. 2, 24-29 : 62, n. 143.

P hilostrate.

Vies des sophistes.I 11 : 96, n. 9. 10 ; 99, n. 25.

P hotius.

Cod. Berol. graec. oct. 22 ; apud R. Reitzenstein, Der Anfang des Lexikons des Photios, Leipzig/Berlin, 1907.

p. 100, li. 17-18 : 61, n. 141.Bibliothèque.

cod. 242, § 89 : 61, n. 140.

Platon.

Apologie de Socrate.19 E : 94, n. 4.21 D : 103, n. 33.26 A : 104, n. 37.29 D-30 B : 105, n. 46.30 E-31 A : 114, n. 74.36 C : 105, n. 46.

INDEX DES PASSAGES CITÉS ‘275

Banquet.211 B : 31, n. 46.219 CD : 117, n. 89.220 E-221 B : 116, n. 85.

Chartnide.155 D : 117, n. 8 8 .156 E-157 A : 116, n. 83.157 AB : 116, n. 84.165 B : 103, n. 33.174 BC : 104, n. 41.174 E : 104, n. 42.

Clitophon.407 B : 112, n. 70.407 E : 148, n. 35.

Euthydème.283 A : 111, n. 65. 67,307 C : 111, n. 65. 67.

Euthyphron.6 DE : 103, n. 32.7 CD : 103, n. 31.

Gorgias.468 AB : 104, n. 34.488 A : 104, n. 37.499 E : 31, n. 46 ; 104, n. 34. 503 CD : 122, n. 103.507 D : 111, n. 65. 67.508 C : 110, n. 62.509 D : 111, n. 64.509 DE : 110, n. 60.509 E : 104, n. 37 ; 135, n. 151. 511A : 110, n. 61.515 C : 110, n. 63.527 D : 111, n. 65. 67. 6 8 .527 E : 111, n. 67.

Hippias Majeur.281 A : 96, n. 10.282 DE : 96, n. 10.285 B : 96, n. 10.285 E : 96, n. 9.286 A : 96, n. 10.296 C : 104, n. 37.301C : 103, n. 33.

Lâchés.187 E : 114, n. 75.191 E : 103, n. 32.194 D : 104, n. 36; 105, n. 50.

Lois.I 643 B : 125, n. 122.I 644 E : 126, n. 124.I 647 C : 126, n. 124.II 653 BC : 126, n. 123.II 653 B : 121, n. 101.II 659 E : 127, n. 128.II 668 B : 127, n. 127.III 689 A : 127, n. 130.III 689 B : 126, n. 124.V 731 C : 127, n. 129.V 732 E : 128, n. 132.V 734 B : 127, n. 129 ; 128, n. 131.V 734 D : 121, n. 102.VII 795 D ; 127, n. 125. 126.VII 796 D : 127, n. 125.VIII 840 BC : 54, n. 122.IX 860 D : 127, n. 129.IX 875 BC : 128, n. 132.IX 875 CD : 128, n. 133.

Lysis.210 D : 104, n. 36.219 D-220 E : 31, n. 46.

Ménon.70 A : 112, n. 70.71 E-73 C : 103, n. 32.78 A : 104, n. 37.87 E ; 104, n. 34.88 BE : 105, n. 48.89 AB : 112, n. 71.89E-90E : 113, n. 72.93 B : 113, n. 72.94 E : 113, n. 72.95 C : 94, n. 3.99 E-100 A : 113, n. 73.

Phédon.67 A : 115, n. 77.

Premier Alcibiade.111 E-112 A : 103, n. 31.113 D-116 E : 106, n. 51.

Page 136: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

276 INDEX DES PASSAGES CITÉS

118 C-119 A : 113, n. 72.119 BC : 106, n. 52.120 BC : 107, n. 53.120 DE : 107, n. 54.123 DE : 108, n. 55.124 B : 105, n. 44.125 A : 104, n. 36.129 A : 105, n. 44.129 CE : 115, n. 78.130 AC : 105, n. 45.130 C-131 A : 115, n. 79.130 CE : 105, n. 43.131B : 115, n. 80.132 BC : 105, n. 46.132 B : 108, n. 57.132 C : 105, n. 44.133 B : 105, n. 48 ; 109, n. 58.133 C : 115, n. 80.133 C 8-16 : 109, n. 59.134 AB : 108, n. 56.

Protagoras.317 B : 94, n. 4.318 D-319 A : 97, n. 14.319 B-320 B : 113, n. 72.323 C : 98, n. 16.323 D : 98, n. 16.324 A : 98, n. 16.333 D : 104, n. 34.343 B : 105, n. 44.345 DE : 104, n. 37.352 C : 112, n. 69.352 D-357 E : 126, n. 124.352 DE : 115, n. 76.353 C-357 E : 104, n. 38.357 AE : 104, n. 36.357 A : 104, n. 39.357 C : 115, n. 82.357 D-358 D : 104, n. 37.357 DE : 115, n. 81.357 D : 104, n. 40.

République.II 375 AB : 122, n. 104.II 375 B-376 C : 122, n. 105.II 376 E : 123, n. 106 ; 124, n. 111.III 400 DE : 123, n. 107.III 401 D : 123, n. 108.III 403 D : 116, n. 84.

III 404 A : 53, n. 120; 123, n. 110.III 407 A : 111, n. 67.III 407 BC : 118, n. 94 ; 123, n. 110.III 408 E : 116, n. 84.III 410 B : 123, n. 109.III 411 E : 124, n. 112.III 413 E : 124, n. 113.IV 428 B-429 A : 124, n. 116.VI 484 AB : 125, n. 121.VI 484 D487 C : 124, n. 114.VI 503 C : 124, n. 114.VI 503 E : 124, n. 115.VI 506 C : 125, n. 121.VII 518 C : 125, n. 121.VII 518 DE : 53, n. 121 ; 125, n.

120.VII 521 C-522 A : 125, n. 117.VII 525 A-532 C : 125, n. 119.VII 525 D : 125, n. 118.VII 535 A-536 B : 124, n. 114.VII 536 B : 53, n. 121 ; 124, n. 115.VII 537 B : 124, n. 113.IX 591 CD : 124, n. 112.

Théétète.153 B : 148, n. 35.

Timée.86 E : 121, n. 100.

Plutarque.Vie d’Alexandre.

65, 3. 4, 701 D : 80, n. 12 ; 82, n. 18.Vie de Brutus.

34 : 62, n. 143.Amatorius.

16, 759 D : 27, n. 36.An vitios. ad infel. suff.

3, 499 AB : 49, n. 110.3, 499 D : 61, n. 140.

Apophthegmata laconica.13, 233 A : 67, n. 165.

Aquane an ignis utilior.2, 956 B : 60, n. 137 ; 64, n. 153.

INDEX DES PASSAGES CITÉS 277

De Alex. fort, aut virt.I 10, 332 C : 198, n. 6 .

De curiositate.12, 521 B : 20, n. 14.

De esu camittm.I 6 , 995 CD : 64, n. 153.I 6 , 995 D : 63, n. 152.

De laude ipsius.17, 546 AB : 17, n. 2.

De Uberis educandis.4, 2 AB : 135, n. 152.4, 2 B : 196, n. 3.7, 5 C : 39, n. 71.

De Stoicorum repugnantiis.14, 1039 E : 142, n. 11.

De superstitione.1, 165 A : 33, n. 51.

De tranquillitate animi.4, 466 E : 76, n. 191.6 , 467 C : 49, n. 110.20, 477 C : 76, n. 191.

De tuenda sanit. praecep.6 , 124 E : 117, n. 91.

Quaestiones convivales.II 1, 632 E : 74, n. 186.

Quomodo quis suos in virtute sentiat profectus.

5, 77 F : 62, n. 145.5, 77 F-78 A : 63, n. 150.6 , 78 CD : 67, n. 163.

Fragments, éd. Sandbach.151 : 6 6 , η. 162.152 : 6 6 , η. 162.

Plutarque (Pseudo-).

nisches Museum, N.F. 27, 1872, 520-538.

178, 25, : 98, n. 19.184, 1 : 186, n. 127.

Polystrate.

De Contemptu, éd. G. Indelli, Naples, 1978.

5, c. XXI 7-10 : 41, n. 79.

Porphyre.

Vie de Pythagore.15 : 21, π. 15.

P osidonius.

Fragments, éd. L. Edelstein etI. G. Kidd, Cambridge, 1972.

31 : 181, n. 108.34 : 178, n. 98.143 : 178, n. 98.146 : 179, n. 100.148 : 180, n. 104.150 B : 180, n. 105.152 : 163, n. 21 ; 179, n. 103.153 : 179, n. 102.165, 24-32 : 181, n. 107.168 : 180, n. 106.173 : 181, n. 110.186 : 179, n. 99.187 : 163, n. 21.266 : 181, n. 108.

Prodicos (DK 84).B 2 : 24, n. 24.

Protagoras (DK 80).A 1 : 99, n. 21. 23.B 3 : 98, n. 17.B 5 : 99, n. 23.B 10 : 98, n. 18.

Quintilien.

Περί άσκήσεως, éd. F. Bûche- Institution oratoire.1er et J. Gildemeister, Rhei- I 9, 5 : 53, n. 120.

Page 137: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

278 INDEX DES PASSAGES CITÉS

Satyros.

Fragments (FHG III).17 : 85, n. 3.

Sénèque.

De beneficiis.V 4, 3-4 : 19, n. 9.VII 8 , 3-10, 6 : 225, n. 8 8 .

De ira.II 12, 4-6 : 186, n. 126.

De tranquillitate animi.VIII 34 : 21, η. 21.VIII 3-5 : 39, η. 73.VIII 7 : 50, η. 112.

De vita beata.22, 2-3 : 183, η. 113.

Lettres à Lucilius.VIII 5 : 183, η. 116.XV 2 : 182, η. 112.XV 4 : 182, η. 112.XV 5 : 183, η. 115.XVIII 5-7 : 184, η. 118.XX 1 : 184, η. 120.XX 9 : 225, η. 87. 89.LXII 3 : 225, η. 8 6 .LXXVIII 16 : 184, η. 121.LXXX 3 : 185, η. 122.LXXXIII 3 : 183, η. 114.XC 46 : 183, η. 117.XCIV 47 : 213, η. 48.CVIII 15-16 : 182, η. 112; 184,

η. 119.CVIII 15 ss : 171, η. 64.

Sextus.

Sentences, éd. Η. Chadwick, Cambridge, 1959.

461 : 60, η. 140.462 : 60, η. 140.

Sextus E m piricus.

Adversus Mathematicos.XI 2 : 25, n. 31.

Sim plicius.

Comm. sur le Manuel d’Épic­tète.

VIII : 255.XXXIII 7 : 58, η. 132.

Sophocle.

Fragments, éd. A. Nauck2, Tragicorum Graecorum Frag­menta, Leipzig, 1899.

859 ; 51, n. 115.

Sosicrate de R hodes.

Fragments (FHG IV).21 : 85, n. 2.

Sotade de Mar^née.

Fragments, éd. J. U. Powell, Collectanea Alexandrina, Ox­ford, 1925.

15 : 64, n. 153.

Sotion.

Fragments, éd. F. Wehrli, Die Schule des Aristoteles, Sup- plbd. II, Bâle-Stuttgart, 1978.

6 : 87, n. 18.19 : 87, n. 14 ; 207, n. 37.

Souda.

Lexicon, éd. A. Adler, 5 vols, Leipzig, 1928-1938.

A 2723 ; t. I, p. 243, 24-25 : 62, n. 143.

Δ 1141 ; t. II, p. 101, 20-22 : 64,n. 153.

INDEX DES PASSAGES CITÉS 279

Δ 1142 ; t. II, p. 101, 23-25 : 89, n. 25 ; 208, n. 41.

Δ 1143 ; t. II, p. 101, 26-27 : 197, n. 6 .

Δ 1143 ; t. II, p. 101, 29-32 ; 50, n. 1 12 .

Δ 1144; t. II, p. 102, 34 : 197, n. 6 .

Δ 1144 ; t. II, p. 102, 4-10 : 50, n. 112 .

Z 127 ; t. II, p. 512, 7-8 : 75, n. 187.O 203 ; t. II, p. 702, 5-7 : 22, n. 22.K 2711 ; t. III, p. 214, 11-12 : 22,

n. 22 ; 167, n. 46.K 2721 ; t. III, p. 215, 6-13 : 62,

n. 143.φ 359 ; t. IV, p. 725, 28-30 ; 85,

n. 4.φ 362 ; t. IV, p. 726, 8-16 : 85,

n. 4.

Stilpon.

Fragments, éd. K. Doring, Die Megariker, Amsterdam, 1972.

175 : 85, n. 4.

Stobée.

Anthologium., éd. K. Wachs- muth - O. Hense, Berlin, 1894-1912.

II 1, 23 : 27, n. 33.II 2 , 15 : 142, n. 1 2 .II 7, 3 : 32, n. 50.II 7, 5M : 167, n. 45II 7, 5 u : 196,, n. 2 .II 7, 6 b : 196, n. 2 .II 7, 6 · : 33, n. 53.II 7, 1 1 e : 196, n. 2 .II 7, 1 1 1 : 196, n. 2 .II 7, 1 1 ”1 : 196, n. 2 .II 7, 1 1 * : 23, n. 2 2 .II 7, 13 :: 196, n. 2 .II 8 , 21 : 50, n. 1 1 1 .II 8 , 30 : 215, :n. 54.II 9, 8 : 216, n. 55.

II 15, 43 : 154, n. 53.II 15, 46 ; 214, n. 49.II 31, 23 : 53, n. 120.II 31, 33 : 26, n. 32.II 32, 34 ; 143, n. 18.II 31, 39 : 98, n. 17.II 31, 68 : 148, n. 33.II 31, 75 : 152, n. 47.II 31, 87 : 48, n. 107.II 31, 92 : 153, n. 49.II 31, 118 26, n. 33.II 31, 123 216, n. 55.II 31, 125 168, n. 54.II 31, 126 216, n. 55.III 1, 28 : 146, n. 27.III 1, 209 216, n. 55.III 3, 51 : 40, n. 77.III 4, 83 : 40, n. 77.III 4, 111 54, n. 124.III 5, 21 : 217, n. 57.III 5, 39 : 54, n. 122.III 5, 52 : 56, n. 129.III 6 , 21 : 186, n. 127 ; 217, n. 57.III 6 , 37 : 43, n. 90; 62, n. 145.III 6 , 40 : 43, n. 90.III 7, 17 : 55, n. 125 ; 152, n. 45 ;

167, n. 48.III 8 , 14 : 17, n. 3.III 10, 45 19, n. 9.III 13, 37 69, n. 171.III 13, 44 62, n. 143.III 13, 68 69, n. 172.III 14, 19 142, n. 12.III 17, 5 : 222, n. 77.III 21, 24 109, n. 59.III 29, 10 186, n. 127.III 29, 11 99, n. 20.III 29, 40 8 6 , n. 10.III 29, 63 46, n. 101.III 29, 64 46, n. 101.III 29, 65 47, n. 102 ; 143, n. 16 ;

206, n. 34.III 29, 66 46, n. 101 ; 99, n. 20.III 29, 75 185, n. 124; 186, n.

127; 217, n. 57. 58.III 29, 78 : 185, n. 123. 125 ; 186,

n. 128 ; 187, n. 130. 131. 132 ; 188, n. 133. 134 ; 213, n. 48 ; 214, n. 50. 51. 52 ; 216, n. 55 ; 217, n. 56.

Page 138: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

280 INDEX DES PASSAGES CITÉS

III 29, 80 : 98, n. 18.III 40, 9 : 50, n. 112 ; 154, n. 52 ;

216, n. 55.III 50, 9 : 216, n. 55.IV 1, 15, 18 : 216, n. 55.IV 2, 32, 11 : 6 6 , n. 161.IV 2, 32, 19 : 6 6 , n. 162.IV 2, 33, 17 : 220, n. 70.IV 2, 34, 1 : 51, n. 115.IV 2, 34, 8 : 64, n. 153.IV 2, 36, 10 : 67, n. 166.IV 2, 39, 20 : 73, n. 182.IV 2, 39, 21 : 73, n. 183.IV 2, 44, 71 : 49, n. 110.

Strabon.

XV 1, 28 : 82, n. 17.XV 1, 63-65 : 202, n. 24.XV 1, 64 : 59, n. 136.XV 1, 65 : 18, n. 4 ; 45, n. 98 ;

79, n. 10.

Tatien.

Discours aux Grecs.2, 1 : 64, n. 153.

Télés.

Diatribes, éd. O. Hense, Teletis Reliquiae, Tübingen, 1909.

II ; p. 8 , 1 : 59, n. 134.II ; p. 11, 7-10 : 73, n. 183.II ; p. 12, 8-13, 9 : 55, n. 127.II ; p. 14, 3-5 : 17, n. 2 ; 19, n. 9.II ; p. 14, 6-15, 2 : 58, n. 132 ; 156,

n. 59.IVA; p. 44, 3-6 : 73, n. 181 ; 156,

n. 59.VII ; p. 56, 4-15 : 18, n. 4.

Thém istius.

De virtute, éd. R. Mach, Leip­zig, 1974.

p. 19, 21-21, 8 : 73, n. 180. p. 27, 2-5 : 70, n. 173. p. 43 : 144, n. 20. p. 59 : 155, n. 57. p. 65, 2-67, 3 : 62, n. 143.

Discours.XXXIV 5 : 25, n. 31.

Théodoret.

Thérapeutique.XI : 32, n. 50.XI 8 : 17, n. 2.XII 49 : 41, n. 78.

Théon.

Progymnasmata, éd. L. Spengel, Rhetores Graeci, t. II, Leipzig, 1854.

V, p. 97, 13-15 ; 18, n. 7.V, p. 97, 20-21 : 153, n. 49.

Théophraste.

ap. D.L. VI 22 : 62, n. 145 (fr. absent de l'édition F. Wimmer).

Vita Secundi, éd. B. E. Perry, Ithaca, 1964.

p. 6 8 , 7-8 : 61, n. 140.

Xénophon.

Banquet.II 16-20 : 136, n. 159.II 17 : 53, n. 120 ; 117, n. 91 ; 118,

n. 93 ; 136, n. 158.IV 34 : 142, n. 7.IV 35 : 55, n. 126.IV 41 : 59, n. 134.IV 62 : 96, n. 9.

Cyropédie.VII 2, 23 : 53, n. 121.VII 5, 85 : 53, n. 121.

INDEX DES PASSAGES CITÉS 281

Mémorables.12, 1 : 116, n. 86 ; 137, n. 162.I 2, 3 : 137, n. 162.I 2, 4 : 118, n. 94.I 2, 4-5 : 136, n. 157.I 2, 19 : 53, n. 121 ; 136, n. 154 ;

148, n. 35.I 2, 20 : 129, n. 134.

IV 6 , 1 : 135, n. 150.IV 6 , 6 : 134, n. 148.IV 6 , 7 : 135, n. 149.

Zénon.

Fragments (SVF I).1 : 165, n. 32. 33.5 : 168, n. 50.

I 2, 23 136, n. 155. 6 : 168, n. 51.I 2, 23-39 : 140, n. 172. 11 : 165, n. 32.I 3, 5-6 : 136, n 157 ; 137, n. 162. 6 6 : 164, n. 26.I 5, 4-5 : 138, n 165. 179 33, n. 53 ; 36, n.I 5, 6 : 137, n. 162. 180 33, n. 53 ; 36, n.I 6 , 2-3 : 138, n 163. 186 36, n. 65.I 6 , 7 : 136, n. 157. 187 34, n. 55; 160, n.II 1, 1 138, n. 166. 199 159 n. 3.II 1, 18 : 139, n 170. 201 159 n. 1.II 1, 20 : 139, n. 170. 202 162 n 16.II 1, 21-34 : 25, n. 24. 205 161 n. 11.II 1, 28 : 139, n. 171. 205-206 : 161, n. 1 2 .II 6 , 39 : 135, n. 152. 206 161 n 13.III 9, 1-3 : 135, n. 152. 209 161 n 15.III 9, 4-5 : 134, n. 147. 215 42, n. 8 6 .III 9, 14 : 135, ti. 152. 216 166 n 43.III 12, 5-6 : 137 n. 161. 234 160 n 6 .IV 5, 1 : 140, n 173. 241 70, n. 173.IV 5, 6 : 139, n 167. 277 49, n. 1 10 .IV 5, 11 : 139, n. 168. 351 42, n. 8 6 .

Page 139: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

III. I ndex des noms pro pres

Achille : 26, n. 33.Acropole : 25 ; 37.Agathobule : 223.Alcibiade : 106-109 ; 116 ; 117 ; 140,

n. 172.Alexandre : 18, n. 4 ; 19, n. 9 ;

21; 21, n. 18; 26, n. 32; 51;74, n. 184; 79; 82; 82, n. 17;85, n. 4 ; 150.

Amestris : 108.Anacharsis : 54, n. 124.Anaxagore : 52, n. 119.Androsthène : 85, n. 4.Antipater : 32, n. 49.Antiphon : 137.Anytos : 70, n. 173.Apollodore de Séleucie : 22 ; 22,

n. 22 ; 32, n. 49.Apollon : 56.Apollonius de Tyr : 89. Archédémos ; 32, n. 49 ; 33, n. 53. Archidamos : 19, n. 8 .Aristippe : 77 ; 87.Aristogiton : 64.Ariston de Chios : 25 ; 166 ; 169. Aristophane : 70, η. 173.Aristote : 31 ; 88 ; 8 8 , η. 20 ; 129,

η. 134 ; 131-133 ; 207, η. 37. Asclepiades (les) : 43, η. 90. Asclépios : 43, η. 90.Athènes : 50, η. 112 ; 67, η. 163. Athéniens : 40 ; 77 ; 112 η. 70. Athénodore : 8 8 , η. 19.Attale : 184, η. 119.

Babylone : 49, η. 110 ; 67, η. 163.

Bion le Borysthénite : 78 ; 84. Brutus : 33, η. 51.

Calais : 208, η. 44.Calanos : 59, η. 136 ; 82.Calliclès : 109.Callisthène d’Olynthe : 21, n. 18. Cambyse ; 18, n. 4.Caméade : 48.Charmide : 117.Chios : 59 ; 59, n. 134 ; 64.Chiron : 26, n. 33 ; 43, n. 90 ; 65,

n. 156.Chrysippe : 32 ; 32, n. 49 ; 34,

n. 55 ; 36, n. 6 6 ; 42, n, 86 ; 90 ; 159-172; 174; 178; 179; 219.

Cicerme : 55.Cicéron : 32.Circé : 44; 72.Cléanthe : 32 ; 36, n. 66 ; 90 ; 160,

n. 7 ; 164 ; 165-166 ; 168 ; 218. Clitophon : 112, n. 70.Corinthe : 50, n. 112 ; 67. Corinthiens : 6 8 .Cranéion : 18.Crésus : 18 ; 18, n. 4 ; 73.Crète : 50, n. 112.Critias : 98 ; 104 ; 140, n. 172. Cynosarges : 62, n. 143.Cyrus : 46, n. 99 ; 143.

Dandamis : 82.Démétrius de Phalère : 8 8 . Démétrius le Cynique : 52, n. 119 ;

183, n. 112; 225.Démocrite : 46, n. 101.

INDEX DES NOMS PROPRES 283

Démonax : 224.Diodore d’Aspendos : 61, n. 140. Diogène d’Apollonie : 63, n. 149. Diogène de Babylone : 22, n. 22 ;

32, n. 49.Diogène le tragique : 89.Dioxippe : 20.

Electre : 51.Épicure : 31 ; 48.Épictète : 188-190 ; 202-203 ; 203,

n. 30 ; 215, n. 54 ; 218, n. 62. Ératoclès : 21, n. 15.Eschine : 8 6 , n. 12.Eudème de Chypre ; 85, n. 6 . Eurysthée : 209, n. 44. Euthydème : 134-135.

Favonius ; 62, n. 143.Fortune : 49 ; 49, n. 110 ; 50 ; 50,

n. 111. 112; 52; 54; 57.

Galien : 27.Gorgias de Léontini ; 93 ; 94, n. 3 ;

99; 99, n. 24; 100. Gymnosophistes : 18, n. 4 ; 45,

n. 98; 59, n. 136; 70, n. 173; 79-82 ; 212, n. 47.

Harmodius : 64.Hécaton : 34, n. 55.Hégésias : 69 ; 69, n. 173 ; 90. Héracleios : 28, n. 38 ; 226. Héraclès : 25, n. 24 ; 26, n. 32 ; 32,

n. 51 ; 34 ; 46, n. 99 ; 61, n. 140 ; 139; 144; 145; 149; 153; 154; 164; 165; 203 ; 208-209 ; 208, n. 44.

Héraclide le Pontique ; 88 . Héraclite ; 48 ; 204, n. 31. Hippias d’Élis : 94, n. 4 ; 95-96 ;

99.Hippobote : 29 ; 89 ; 219, n. 6 6 . Homère : 44 ; 84 ; 105.

Isidore de Pergame : 8 8 , n. 19.

Jeux Isthmiques : 18 ; 20, n. 15. Jeux Olympiques : 42, n. 89.

Jeux Pythiques : 20.Julien : 28, n. 38 ; 31 ; 50.

Lacédémone (ou Sparte) : 42 ; 42, n. 89 ; 72 ; 107 ; 225, n. 92.

Lacédémoniens (ou Spartiates) :17, n. 2 ; 67, n. 165 ; 175 ; 225, n. 92.

Laïs : 39, n. 71.Lesbos : 59 ; 59, n. 134 ; 64. Lucien : 28.Lycon : 70, n. 173.Lysimaque : 114, n. 75.

Maltais : 6 8 .Manès : 50, n. 112.Mèdes : 19, n. 9.Médie : 49, n. 110 ; 67, n. 163. Mélétos : 70, n. 173.Ménon : 94, n. 3 ; 112-113.Midas : 73.Milon de Crotone : 53, n. 120. Mnésarque : 21, n. 15.Molosse ; 6 8 .Muses : 158 ; 222.Musonius Rufus : 185-188 ; 213-

218 ; 218, n. 62.

Néron : 52, n. 119.Nicias : 114, n. 75.Nigrinus : 224.

Oenomaos : 89 ; 209, n. 45 ; 226. Olympie : 17, n. 2 ; 20 ; 6 8 .

Panétius : 22, n. 22 ; 87 ; 172-178. Pasiphon (d’Érétrie ?) : 86 ; 8 6 ,

n. 12 .Pélée : 208, n. 44.Pèra : 17, n. 2.Pérégrinus : 223.Persaios : 8 6 , n. 12.Perses : 19, n. 9.Phénix de Colophon : 78. Philiscos d’Égine : 85 ; 85, n. 4 ;

8 6 .Platon : 101-133 ; 181.Polystrate : 41, n. 79.

Page 140: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

284 INDEX DES NOMS PROPRES

Posidonius : 32, n. 49 ; 161 ; 163 ;178; 181.

Prodicos de Céos : 24, n. 24 ; 94, n. 4 ; 96 ; 97.

Prométhée : 60 ; 60, n. 137 ; 144. Protagoras : 94, n. 4 ; 96-99 ; 99,

n. 24.Pythagore : 21, n. 15 ; 48 ; 80-82 ;

82, n. 16.

Rhodiens : 17, n. 2.Roi des Perses (Grand Roi) : 19,

n. 8 ; 21 ; 40, n. 77 ; 49, n. 110 ; 67, n. 163 ; 107 ; 108.

Saloustios ; 61, n. 140. Sardanapale : 18, n. 4.Sécundus : 61, n. 140.Sénèque : 182-185 ; 189 ; 218, n. 62 ;

225.Simon le cordonnier : 8 8 . Sinope : 197, n. 6 .Skirpalos (Skirtalos) : 50, n. 112. Smindyride : 18, n. 4.Socrate : 25 ; 25, n. 31 ; 31, n. 46 ;

33 ; 41 ; 48 ; 51, n. 116 ; 52, n. 119; 65, n. 157; 72; 80-82, 82, n. 16 ; 93 ; 94, n. 4 ; 97, n. 15 ; 100; 101-140; 146; 155.

Sosicrate : 89.Stilpon : 85, n. 4.Stratoclès de Rhodes : 89.Suse : 6 , n. 163.

Télèphe : 47, n. 104.Télés : 78.Thalès : 48.Thasos : 55, n. 127 ; 59, n. 134. Théodore l’Athée : 78.Théon d’Alexandrie : 22, n. 22. Théophraste : 78 ; 8 8 .

Ulysse : 44 ; 62, n. 143 ; 72 ; 150.

Vairon : 29 ; 30.

Xanthippe : 75.Xéniade : 60 ; 79 ; 83 ; 90. Xénocrate ; 8 8 .Xénophon : 134-140.Xerxès : 18 ; 18, n. 4.

Zénon de Citium ; 33 ; 33, n. 53 ; 34, n. 55 ; 41, n. 86 ; 50, n. 113 ; 8 8 , n. 19 ; 146 ; 146, n. 27 ; 159- 172; 174; 179; 218.

Zénon de Tarse : 32, n. 49.Zétès : 208, n. 44.Zeus : 59, n. 136 ; 60.

IV. I ndex des auteurs modernes

Arnim (H. von) : 219, n. 6 6 . Attridge (H.W.) : 58, n. 132.

Baldry (H. C.) : 42, n. 87. Bartalucci (A.) : 33, n. 51.Basta Donzelli (G.) : 207, n. 36 ;

209, n. 45 ; 219, n. 6 6 . Billerbeck (M.) : 12, n. 3 ; 23,

n. 22 ; 183, n. 112 ; 190, n. 141 ; 203, n. 30.

Bogaert (R.) : 207, n. 36. Bonhôffer (A.) : 189, n. 141. Brancacci (A.) : 12, n. 4 ; 202,

n. 25.

Capelle (W.) : 11, n. 2 ; 19, n. 8 ;72, n. 177.

Crônert (W.) : 36, n. 66 ; 62, n.145 ; 86 ; 201, n. 19.

Croiset (M.) : 102, n. 29.Crusius (O.) : 220.

Decleva Caizzi (F.) : 17, n. 2 ; 62, n. 143.

Detienne (M.) : 60, n. 137. Dierauer (U.) : 62, n. 142.Diès (A.) : 101, n. 29.Doring (K.) : 85, n. 4.Dorandi (T.) : 36, n. 6 6 ; 41, n. 84 ;

8 6 , n. 8 ; 201, n. 19.Dressler (H.) : 11, n. 2.Dudley (D. R.) : 17, n. 2; 63,

n. 149; 8 8 ; 141, n. 3; 198, n. 7; 201-202 ; 201, n. 18 ; 202, n. 23. 24.

Edelstein (L.) : 179, n. 101.Emeljanow (V.) : 19, n. 8 ; 24,

n. 23. 24.

Favrelle (G.) : 109, n. 59.Festugière (A.-J.) : 47, n. 102 ; 149,

n. 37.Fritz (K. von) : 19, n. 8 ; 77 ; 78 ;

85 ; 85, n. 4 ; 87 ; 195, η. 1 ; 200- 201 ; 204, n. 32.

Galinsky (G. K.) ; 46, n. 99.Gauthier (R.-A.) : 129, n. 134.Gesner (C.) : 220.Geytenbeck (A. C. van) : 187,

n. 129.Giannantoni (G.) : 12, n. 4.Giannattasio Andria (R.) : 36,

n. 6 6 ; 41, n. 84 ; 89 ; 89, n. 23 ; 201, n. 19.

Gerhard (G. A.) : 77-78.Gigante (M.) : 146, n. 27; 199,

n. 14 ; 255.Giusta (M.) : 218, n. 63.Gomperz (Th.) : 8 8 , n. 22.Goulet-Cazé (M.-O.) : 12, n. 3 ; 22,

n. 22 ; 33, n. 52 ; 82, n. 16 ; 166, n. 40 ; 208, n. 38 ; 217, n. 61 ; 218, n. 64.

Guthrie (W.K.C.) : 93, η. 1 ; 94, n. 2; 101, n. 29; 103, n. 31 ; 111, n. 64 ; 139 ; 146, n. 27 ; 204, n. 31.

Hadot (I.) : 171, n. 64 ; 183, n. 117.Hadot (P.) : 105, n. 44 ; 130 ; 169 ;

169, n. 56; 171, n. 63; 211.

Page 141: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

286 INDEX DES AUTEURS MODERNES

Hieronymus (F.) : 11, n. 2 ; 199, n. 1 2 .

Hijmans Jr (B. L.) : 187, n. 129 ; 189, n. 137.

Hirzel (R.) : 33, n. 51.Hoistad (R.) : 46, n. 99 ; 77 ; 79-

80 ; 81 ; 198, n. 9 ; 199, n. 14 ; 201, n. 18 ; 202-203 ; 202, n. 26 ; 203, n. 28 ; 208, n. 44 ; 215, n. 54.

Hopfner (Th.) : 11, n. 2.Ioppolo (A. M.) : 166, n. 35.Jaeger (W.) : 93, η. 1 ; 95-97 ; 100,

n. 28.Joël (K.) : 24, n. 23 ; 25, n. 24 ;

134 ; 145.Jolif (J.-Y.) : 129, n. 134.Kerferd (G. B.) : 160, n. 8 .Kidd (I. G.) : 161, n. 10.Kindstrand (J. F.) : 54, n. 124 ; 61,

n. 140 ; 78, n. 6 ; 80, n. 13.Kratzsch (S.) : 102, n. 29.

Laffranque (M.) : 179, n. 101 ; 180, n. 104.

Laurenti (R.) : 187, n. 129.Leipoldt (J.) : 11, n. 2.Léo (F.) : 195, η. 1.Lloyd (A. C.) : 161, n. 10.Long (A. A.) : 161, n. 10 ; 179,

n. 1 01 .

Malherbe (A. J.) : 19, n. 8 .Martin (V.) : 58, n. 132.Mejer (J.) : 219, n. 6 6 .Mensching (E.) : 8 6 , n. 12.Mette (H. J.) : 209, n. 45.Motte (A.) : 102, n. 29.Müller (A.) : 32, n. 51.

Natorp (P.) : 8 6 , n. 12.Niehues-Prôbsting (H.) : 58,

n. 132 ; 207, n. 36.Nihard (R.) : 19, n. 8 .North (H.) : 122, n. 103; 149,

n. 38.

O’Brien (M. J.) : 111, n. 64.Ollier (F.) : 225, n. 92.

Patzer (A.) : 32, n. 51 ; 46, n. 99. Pépin (J.) : 109, n. 59.Philippson (R.) : 163, n. 20 ; 175,

n. 81.Pohlenz (M.) : 160, n. 3; 161,

n. 10; 162; 173; 181.Praechter (K.) : 81, n. 15.

Rabbow (P.) : 93, η. 1 ; 100, n. 28 ;117 ; 119 ; 119, n. 96. 97 ; 120 ; 120, n. 98 ; 124 ; 149, n. 36 ; 204, n. 32.

Reinhardt (K.) : 179, n. 101 ; 180, n. 104.

Rich (A. N. M.) : 58, n. 132.Rist (J. M.) : 42, n. 8 6 ; 160, n. 8 ;

162 ; 176, n. 88 ; 179, n. 101. Robin (L.) : 101, n. 29 ; 102, n. 30 ;

105, n. 49 ; 111, n. 67.Roper (G.) : 8 6 , n. 12. Rosenmeyer (Th. G.) : 119, n. 96.

97.Rudberg (G.) : 62, n. 143.

Schulz-Falkenthal (H.) : 58, n.132 ; 62, n. 143.

Schuppe (E.) : 61, n. 140. Shorey (P.) : 119, n. 96.Snell (B.) : 220.Steiner (G.) : 62, n. 145. Strycker (E. de) : 102, n. 29. Susemihl (F.) : 8 6 , n. 12 ; 87, n. 13. Szarmach (M.) : 12, n. 4.

Vischer (R.) : 58, n. 132.Voelke (A.J.) : 161, n. 10; 163;

173, n. 72; 179, n. 101; 188, n. 135.

Wehrli (F.) : 88 ; 207, n. 37. Wilamowitz-Moellendorff (U.

von) ; 8 6 , n. 12; 220, n. 71.

V . I ndex thématique

animal : 61-65 ; 172.Antisthène (fondateur du cynis­

me ?) : 141, n. 3; 209 ; 209, n. 45.

apatheia : 35 ; 41 ; 146 ; 147 ; 153, n. 51 ; 162.

athlètes : 20 ; 53 ; 182 ; 184. autarcie : 38-40.

bonheur : 34 ; 36 ; 37 ; 38-42 ; 71- 76; 174.

chagrin : 18 ; 6 8 . conversion : 2 2 . crainte : 17 ; 6 8 . cynisme ancien :

— école philosophique ou mode de vie ? ; 28-29.— hédonisme ou rigorisme ? : 77-84.— valeur de la documentation : 11-13 ; 32 ; 51, n. 117.

désir : 17 ; 6 8 .Destin : 51-52 ; 66-67. deux voies (les) : 24 ; 24, n. 24. devoirs sociaux : 20 ; 55-56. Diogène :

— activité littéraire : 85-90.— sa mort : 64, n. 153.

Divinité (le Cynique comparé àla) : 65 ; 65, n. 157.

éducation :— cynique : 25-26 ; 26, n. 32. 33 ; 143 144; 152-154.

— socratico-platonicienne : 103- 129.— sophistique : 93-100.

enkrateia : 79 ; 137-140 ; 146. exercice physique :

— pour Cratès : 155-156.— pour Diogène : 152-154.— pour Socrate 117-118 ; 136- 137.— pour les Stoïciens ; 181 ; 182- 184; 187; 189.

falsification de la monnaie : 197, n. 6 ; 207 ; 207, n. 36.

filiation cynisme-stoïcdsme : 33 ; 218.

folie humaine : 17-22 ; 142, n. 12 ; 150.

Fortune : 49-50.

hairesis : 29.

intellectualisme : 102-116 ; 131-133 ; 134-135; 141-145; 151; 159-172; 189.

ischus : 34; 145-147; 149; 165;166.

karteria :— cynique : 147 ; 225.— romaine : 181, n. 108.— socratique : 116 ; 146.

liberté : 4041.

paradoxes socratiques : 103-105.

Page 142: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

288 INDEX THÉMATIQUE

phusisjmathèsis/askèsis : 94-100 ;135 ; 135, n. 152.

phiisis/nomos : 207-208. plaisirs :

— illusoires : 27 ; 42-45 ; 157 ; 206.— véritables : 74-75 ; 206.

ponos : 27 ; 45 ; 45, n. 98 ; 139 ;147; 151; 157; 165; 168; 186; 206 ; 217.— ponoi de l'entraînement :26, n. 32 ; 53-71.— ponoi ultimes : 48-52.

provocation (goût de la —) : 2 2 ;155 ; 158 ; 223 ; 230.

renommée : 18.représentations (usage des —

chez Musonius) : 215 ; 215, n. 54.

richesses : 19.

Stoïciens :— exercices spirituels : 169-171 ; 177-178 ; 183 ; 186 ; 188 ; 211.— mathesis/askèsis : 168-172.— monisme ou dualisme psy­chologique ? : 160-164 ; 172-173 ;178-179; 187.— passions : 41, n. 8 6 ; 161-163 ;179-180 ; 179, n. 101. 102.— tonos : 151, n. 45 ; 163-167.

télos : 2842 ; 133 ; 174.tribôn : 22 ; 60 ; 60, n. 140 ; 168 ;

223 ; 227. tuphos : 17, n. 2 ; 34 ; 158.

vertu (raccourci vers la) : 22-28. v ie kata phusin : 57-66.

TABLE DES MATIÈRES

I n t r o d u c t i o n .................................................................................................................. 11

PREMIÈRE PARTIE

LES IDÉES-FORCES DE LA MORALE DIOGÉNIENNE

I n t r o d u c t i o n ............................................................................................................ 17

A . U n r a c c o u r c i v e r s la v e r tu ................................................ 22

B. L e te r m e d e la v o ie c y n iq u e ............................................................ 28

1. Le cynisme est-il une philosophie ? ....................................... 28

2. Les définitions du télos cynique ............................................ 31

3. Les conditions du bonheur cynique ............................... 38

C. L es a d v e r sa ire s d e l ’h o m m e : le p la is ir e t la so u ffra n ce . . 42

D . L ’a s c è s e d io g é n ien n e ............................................................................ 53

1. Les ponoi inutiles ................................................................................ 53

2. Les ponoi utiles ou le retour à la vie kata phusin .. . . 57

3. Les ponoi utiles ou l’homme plus fort que la Nature .. 6 6

E . L e b o n h e u r d u sa g e cy n iq u e ...................................................... 71

Excursus I : L ’a s c è se d io g é n ien n e d a n s la tr a d it io n l i t t é ­ra ire a n tiq u e ....................................................................... 77

Excursus II : L ’a c t iv ité l itté ra ir e d e D io g èn e .............................. 85

Page 143: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

290 TABLE DES MATIÈRES

DEUXIÈME PARTIE

L’ASCÈSE CYNIQUE FACE AU SOCRATISME

ET AU STOÏCISME

C h a p it r e p r e m ie r

LA PROBLÉMATIQUE SOCRATIQUE

I. Le mouvement sophistique ......................................... 93

II. Le Socrate de Platon .................................................. 101

A. L'intellectualisme socratique ........................................ 1031. Les paradoxes socratiques ...................................... 1032. L’acquisition de la vertu .......................................... 105

B. Socrate et l’irrationnel présent dans l’h o m m e ........ 1141. Sur le plan théorique : un intellectualisme consé­

quent .............................................................................. 1152. L’exemple de Socrate ................................................. 116

C. L'évolution de Platon à l’égard de I’a s k è s is .......... 118C o n c l u s io n ......................................................................................................... 129

III. Le Socrate d’Aristote .................................................. 131

IV. Le Socrate de Xénophon ............................................ 134

C h a p i t r e II

LE CYNISME

I. Antisthène ................................................................ 141

II. Diogène ..................................................................... 150

III. Cratès ......................................................................... 155

ta ble d es m a t iè r e s

Chapitre III

L E ST O ÏC IS M E

I. L ’a n c ie n s to ïc is m e ................................................................ 159

II. L e m o y e n -s to ïc ism e : P a n é tiu s e t P o s id o n iu s ................ 172A. Panétius .............................................................................. 172B. Posidonius .......................................................................... 178

III. L e s to ïc is m e d ’é p o q u e im p é r ia le : S é n è q u e , M u so n iu sR u fu s e t É p ic tè te ................................................................... 182

Conclusion ..................................................................................... 190

TROISIÈME PARTIE

COMMENTAIRE DE DIOGÈNE LAËRCE VI 70-71

A. T e x te e t tr a d u c tio n d u p a s sa g e ......................................... 195

B. Q u elq u es in te r p r é ta tio n s a n té r ie u r es .............................. 200

C. L es th é o r ie s c y n iq u e s d u p a s sa g e ..................................... 2041. La seule askèsis valable est d’ordre moral .................. 2052. L’exercice permet de résider facilement dans la vertu. 2053. Il faut choisir comme adversaires non les πόνοι

άχρεστοι, mais les πόνοι κατά φύσιν ........................... 2054. Il faut s'entraîner à mépriser le plaisir en vue d'un

plaisir supérieur ............................................................... 2065. Les grands slogans du cynisme ...................................... 207

D. L e th è m e d e la d o u b le a s c è s e ............................................. 2101. Une double ascèse chez Diogène ? .................................. 2102. L’auteur des paragraphes a, b et c .................................. 2133. Conclusions sur D.L. VI 70-71 ......................................... 2174. Un nouveau témoignage sur l’ascèse diogénienne ? .. 220

Page 144: M.-o. Goulet-Caze L'Ascese Cynique

E . L a p o s t é r i t é d e l ’a s c è s e d io g é n i e n n e d a n s l e m o u v e m e n t

292 TABLE DES MATIÈRES

c y n i q u e .................................................................................................................. 223

C o n c l u s io n .................................................................................................................. 229

A p p e n d ic e : R é p e r t o i r e des p h i l o s o p h e s c y n iq u e s c o n n u s ____ 231

B ib l io g r a p h ie g é n é r a l e ...................................................................................... 249

I n d ex ................................................................................................................................. 257

I . I n d e x d es a u t e u r s c y n iq u e s ........................................................... 257

II. I n d e x d e s p a s s a g e s c i t é s ..................................................................... 262

III. I n d e x d e s n o m s p r o p r e s .................................................................. 282

IV. I n d ex d es a u t e u r s m o d e r n e s ........................................................... 285

V. I n d ex th é m a t iq u e .................................................................................... 287

Im p rim erie A. B ontem ps, Limoges (F ra n c e ) — Dépôt légal : Juillet 1986 Numéro Im prim eur : 12511/1985