33
Revue du livre et de la lecture en Limousin publiée par ALCOL - Centre régional du livre en Limousin 24 4,50 MACHINE à FEUILLES e n f r a n ç a i s d a n s l e t e x t e L ' é v i d e n c e f r a n c o p h o n e e n L i m o u s i n

MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

Revue du livre et de la lecture en Limousin publiée par ALCOL -Centre régional du livre en Limousin n° 24

4,50 €

MACHINE à FEUILLES

enfrançaisdans le texte

L'évidence francophone enLi

mou

sin

Page 2: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

La francophonie est pour certains cequ’étaient les « authentiques » pour le

Papé et Hugolin de Pagnol : une plante quipousse dans les livres et les institutions.

Depuis presque vingt ans pourtant, enLimousin, les lecteurs et spectateurs ont lachance de découvrir les nombreux rivages

irrigués par la langue française. La circulationentre texte et théâtre, recherche et littérature,

paysages d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique,archivage et transmission des écritures sont, ici,

les pratiques quotidiennes des quatre pôlesfrancophones et de certains éditeurs. L’année de

la francophonie, initiée par le Ministère de laCulture et de la Communication, sera une

formidable occasion de partager cette « évidence »limousine mais aussi la singularité de chaque auteur

et ses multiples sources d’inspiration. Grâce ausoutien de la Région et de la DRAC, le Centre

régional du livre a pu coordonner une fortemobilisation pour que le lancement des Francofffonies

au Salon du livre de Paris traduise toute la vitalité del’édition en Limousin : les 23 éditeurs présents

s’emploient –avec tous les autres – à mêler allègrementtous les auteurs d’expression française pour promouvoir,

avant tout, la qualité des œuvres. Ce numéro deMachine à feuilles porte le témoignage des multiples façonsd’habiter et d’enrichir la langue française, en métropole ou

ailleurs. Au pays des milles sources, nous savons que lecourant ne va pas toujours dans le même sens d’un côté ou

de l’autre de la ligne de partage des eaux.

Ce début d’année est particulièrement actif pour l’équipe duCentre régional du livre (CRL) en Limousin et ce numéro deMachine à feuilles en est la parfaite illustration. Le 3 mars serainaugurée, à la BFM, une exposition consacrée à Saint-Pol-Rouxet réalisée à partir du fonds d’archives de l’éditeur RenéRougerie qui publie depuis plus de trente ans les manuscritsdu poète. Les 7 et 9 mars les commissions de soutien àl’édition « Création » et « Savoirs » examineront 35 manuscritsprésentés par des éditeurs limousins, signe de la richessede l’édition dans notre région. Le CRL sera ensuiteprésent, avec 23 éditeurs et les 4 pôles francophones duLimousin, au Salon du livre de Paris dont la thématique« la francophonie » ne peut susciter en Limousin qu’unengouement encore plus important qu’à l’ordinaire.Début avril, l’auteur de BD Jean-Philippe Stasseninterviendra dans différents lycées de la région àl’occasion de la tournée des auteurs francophones.Nous continueront notre parcours francophone enaccueillant le 8 mai, avec les BDP partenaires, le« Caravansérail des conteurs » en ouverture duFestival Coquelicontes qui a fait appel, pour fêterses 10 ans à de nombreux conteurs que vous avezdécouverts et aimés lors des précédentesmanifestations. Trois mois donc, particulièrementchargés avant notre Assemblée générale qui setiendra au début du mois de juin. L’équipe duCRL Limousin a besoin de votre soutien pourmaintenir ses actions et je vous invite àrenouveler votre adhésion pour 2006 et àparticiper activement à la vie et audéveloppement du CRL.Bienvenue à Sophie Peytoureaud qui nous arejoint pour assurer le secrétariat et lacomptabilité de notre association, sur unmi-temps partagé avec l’IEO du Limousin.

Jean-Pierre JacquetPrésident d'ALCOL-CRL en Limousin

Marie-Laure Guéraçague, directrice d’ALCOL- Centre régional du livre en Limousin

ÉDITO

LE MOT DU PRÉSIDENT

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

3

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

2

2 • Sommaire.

3 • Édito.

4 • Colloques/Formations.

6 • Marque-page d’ALCOL-Centre régional du livre en Limousin.

8 • Marque-page.

EN FRANÇAIS DANS LE TEXTE

11 • Avant-propos.

12 • Pour une autre francophonie.

14 • Paroles d’auteurs.Edouard Glissant et Patrick ChamoiseauSuzie BastienEric DurnezArezki MellalSonia RisticOuaga-Ballé DanaïMoussa KonatéNatacha Appanah

26 • Hommage à Senghor.

29 • La francophonie au cœur de la bibliothèque de Limoges

30 • Festival des Francophonies.« Je crois qu’il existe une littérature de langues françaises ».

34 • Le prix Sony Labou Tansy des lycéens.

38 • L’évidence francophone des éditeurs du Limousin.

40 • L’édition de littérature africaine francophone.

43 • La politique linguistique de l’État français.

45 • Parlez-vous français?

48 • La place du conte et du conteur.« La France pour nous, ce n’est pas la mère patrie, c’est la mère partie »

50 • La place du conte et du conteur.Conter en langue française.

53 • Abonnement.

55 • Feuilles reçues en Machine.

61 • Feuilles lues.

64 • Machin & machine.

S OM

MAI

RE Machine à feuilles n° 24mars 2006

Publié par ALCOL -CRL en LimousinAssociation limousine

de coopération pour le livre -Centre régional du livre

en Limousin34, rue Gustave-Nadaud

87000 Limoges

Tél. 0555 774749

fax 0555 10 9231

e-mail [email protected]

Directeur de publication :Jean-PierreJacquet

Rédactrice en chef :Marie-Laure Guéraçague

Coordination :Olivier Thuillas

Mise en page :Terre-lune* communication

Imprimeur :Lavauzelle graphic, Panazol

ISSN : 1286-9228Dépôt légal : mars 2006

Ont participé à ce numéro :• Christine Andrien

• Natacha Appanah• Philippe Arnaud

• Pierre Bacle• Suzie Bastien

• Ouaga-Balle Danaï• Michel Beniamino• Béatrice Castaner

• Patrick Chamoiseau• Nadine Chausse• Christian Chêne

• Abdou Diouf• Pierre-Eric Droin• Pascale Dumont• Claude Duneton

• Eric Durnez• Agnès Faure

• Pierrette Fleutiaux• Edouard Glissant

• Marie-Laure Guéraçague• Salim Hatubou

• Aïni Iften• Jean-Pierre Jacquet

• Moussa Konaté• Martine Lissajoux

• Arezki Mellal• Jean Moyen

• Aurélie Murat• Corinne Pago

• Geneviève Parot• Monique Pauzat

• Fred Pellerin• Arlette Pragout

• François Prothée• Aurélie Ribière

• Sonia Ristic• Pierre Rosat• Axelle Roze

• Marie-Agnès Sevestre• Jean-Noël Schifano

• Chantal Stoïchita de Grandpré• Olivier Thuillas

• Lydie Valero

Que soient remerciés :• Le Festival des francophonies

en Limousin• Le Centre régional de documentation

pédagogique du Limousin• Agnès Briot

• Alain Déroudilhe• Vincent Gloeckler

• Julie Tilman• Leslie Véga

couverture :terre-lune* communication.

ALCOL -CRL en Limousin est principalement financée par le ministère de laCulture et de la Communication, Direction régionale des affaires culturelles du Limousin et par la Région Limousin.Elle reçoit le soutien de la Direction régionale des services pénitentiaires, de laJeunesse, des Sports et de la Vie Associative, du ministère de l’Éducation nationaleet des Conseils généraux de la Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne.

Page 3: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

5

COLLOQUES/FORMATIONS

Le 22 mai,École Nationale Supérieure des Sciences et de l’Information et des Bibliothèques,Villeurbanne (69).Formation : « Libraire, bibliothécaires : quels partenariats mettre en place? ».Proposée par l’ENSSIB 69.Contact : Guylène Gérard, 04 72 11 44 52.

Le 23 mai, Bibliothèque Départementale de Prêt de la Corrèze, Tulle (19).Formation : « Indexation Dewey : perfectionnement ».Intervenant : Marie-Hélène Coffin, de la BDP de la Corrèze.Proposée par l’Association des Amis de la BDP.Contact : Céline Bernard, 05 55 29 94 13.

Du 29 au 31 mai,École Nationale Supérieure des Sciences et de l’Information et des Bibliothèques,Villeurbanne (69).Formation : « Réorganiser des services en bibliothèque universitaire : conduite de projet ».Proposée par l’ENSSIB 69.Contact : Gaël Revelin, 04 72 11 44 53.

Le 30 mai,Bibliothèque Départementale de Prêt de la Corrèze, Tulle (19).Formation : « Savoir gérer et animer une bibliothèque ».Proposée par l’Association des Amis de la BDP.Contact : Céline Bernard, 05 55 29 94 13.

Le 1er juin,Bibliothèque départementale de la Haute-Vienne, Limoges (87).Formation : « L’animation : monter un projet, présentation des nouveautés, matérield’animation de la BDP ».Proposée par la BDP 87.Contact : Danièle Chauffier, BDP 87, 05 55 31 88 90.

Le 12 juin,Pyramyd, Paris (75).Formation : « Le papier : connaître et comprendre ses qualités ».Proposée par Pyramyd.Contact : 01 40 26 00 99.

Du 13 au 15 juin,La joie par les livres, Paris (75).Formation : « Constituer et organiser les collections en section jeunesse ».Intervenantes : Viviane Ezratty (l’Heure Joyeuse) Claudine Hervouët et Nic Diament(La Joie par les livres). Proposée par La joie par les livres.Contact : Claudine Hervouët, 01 55 33 44 44.

Les 29 et 30 juin,École Nationale Supérieure des Sciences et de l’Information et des Bibliothèques,Villeurbanne (69).Formation : « Édition universitaire : histoires, enjeux et perspectives ».Proposée par l’ENSSIB 69.Contact : Patricia Cesco, 04 72 11 44 43.

• Des annonces de formations et de concours : www.limousin.culture.gouv.fr.• Le plan régional de développement des formations : www.carif-limousin.net.• Les annonces de concours au Journal officiel : www.legifrance.gouv.fr.• Les calendriers des concours d’État, les conditions d’accès : www.fonction-publique.gouv.fr.• Les concours de la Fonction publique territoriale : www.cnfpt.fr.• Les concours, les organismes de formation, les formations : www.abf.asso.fr.

Pour en savoir plus sur…

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

4

COLLOQUES/FORMATIONS

Du 30 au 31 mars,BDP Haute-Vienne Limoges (87).Formation : « Marchés publics d’achats de livres et documents multimédia ».Proposée par le Centre national de la Fonction Publique Territoriale.Contact : Nicole Soubé, 05 55 30 08 73.

Du 4 au 6 avril,Brive (19).Formation : « Lecture à voix haute ».Proposée par le Centre national de la Fonction Publique Territoriale.Contact : Nicole Soubé, 05 55 30 08 73.

Du 5 au 7 avril,La joie par les livres, Paris (75).Formation : « Comment présenter un roman à un groupe d’enfants ou d’adolescents? ».Intervenante : Véronique-Marie Lombard (directrice de Livralire).Stage proposé par l’Association Livralire.

Les 6 et 7 avril, le 4 mai, les 1er et 29 juin,Bibliothèque Départementale de Prêt de la Corrèze, Tulle (19).Formation : « Formation-sensibilisation aux ateliers d’écriture ».Intervenant : Claire Sénamaud (animatrice-formatrice de l’association Princesse Camion).Proposée par l’Association des Amis de la BDP.Contact : Céline Bernard, 05 55 29 94 13.

Le 13 avril, Bibliothèque départementale de la Haute-Vienne, Limoges (87).Formation : « Accueil spectacle de conteur du 10e festival Coquelicontes ».Proposée par la BDP 87.Contact : Danièle Chauffier, BDP 87, 05 55 31 88 90.

Le 13 avril, l’après-midi, Bibliothèque Départementale de Prêt de la Corrèze, Tulle (19).Formation : « Accueil spectacle de conteur du 10e festival Coquelicontes ».Intervenantes: Axelle Roze (ALCOL-CRL en Limousin) et Michèle Vergne (BDP de la corrèze).Proposée par l’Association des Amis de la BDP.Contact : Céline Bernard, 05 55 29 94 13.

Le 14 avril,Bibliothèque Départementale de Prêt de la Creuze, Guéret (23).Formation : « Accueil spectacle de conteur du 10e festival Coquelicontes ».Intervenante : Axelle Roze (ALCOL-CRL en Limousin).Proposée par la BDP 23.Contact : Marie-Pascale Bonnal, 05 44 30 26 26.

Le 4 mai,Bibliothèque départementale de la Haute-Vienne, Limoges (87).Formation : « Les périodiques ».Proposée par la BDP 87.Contact : Danièle Chauffier, BDP 87, 05 55 31 88 90.

Les 12 et 23 mai et le 12 juin,La Joie par les livres, Paris (75).Formation : « Explorez la littérature de jeunesse ».Intervenants : La joie par les livres : Aline Eisenegger (presse et premières lectures),Olivier Piffault (bande dessinée), Lucile Trunel (documentaire). Cité des sciences etde l’industrie : Georgia Leguem (multimédia).Contact : Juliette Robain, 01 55 33 44 44.

MA

RS

/AV

RIL

/MA

I/JU

IN

Page 4: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

Culture en prison

L’année 2006 permet à l’action culturelle en milieu pénitentiaire de trouver une impulsionnouvelle. Un programme d’interventions consacrées à la sensibilisation des détenus auxdifférents ar ts est d’ores et déjà mis en place dans les maisons d’arrêt de Guéret,Limoges et Tulle et au Centre de détention d’Uzerche. La musique, l’écriture, la photo,le conte, les ar ts plastiques et le théâtre trouveront ainsi une place, si petite soit-elle, ausein des prisons limousines. Le CRL en Limousin inscrit dans cette dynamique un travail et une réflexion autour de lacorrespondance en proposant à tous les établissements de la région un atelier estival d’artpostal. Le projet « Correspondance : Art postal en milieu pénitentiaire » doit permettre derévéler la capacité de chacun à échanger et à matérialiser, par le biais de l’art plastique, sacréativité, son inventivité et sa poésie intime. Rémy Pénard, Joël Thépault et Chrystèle Lerisseanimeront les différents ateliers en juillet. En écho à ce travail, certaines bibliothèquesassociées aux établissements pénitentiaires travailleront avec les détenus sur le thème de lacorrespondance en littérature.

Les détenues du Quartier Femmes de la Maison d’arrêt de Limoges exposent.

« La Galerie des portes closes vous invite à venir ouvrir quelques unes de ses portes pourdécouvrir les travaux qui y sont détenus. » Exposées en mars prochain à la Maison d’arrêt de Limoges, ces œuvres des détenues duQuartier Femmes doivent être données à voir au public du 30 juin au 2 juillet à Mais… L’Usine(20, rue de la Réforme, Limoges). Nous espérons que ces travaux, résultat d’un atelier hebdomadaire animé par la plasticienneCécile Boulège, auront une permission de sortie…

1er au 25 mars : Exposition Saint-Pol-Roux à la Bfm de Limoges.

Auteur à cheval sur deux siècles (né en 1861 et mort en 1940), Saint-Pol-Rouxest à la fois le dernier grand poète symboliste et le précurseur de plusieursmouvements littéraires du XXe siècle, dont le surréalisme. Tombé dans unrelatif et fort injuste oubli, il bénéficie depuis une trentaine d’années dutravail remarquable mené par René Rougerie et sa maison d’éditionRougerie éditeur. Cette dernière a, en effet, publié vingt-deux tomes del’œuvre du chantre du Verbe et de la Lumière, dont de nombreux textesinédits. L’exposition que nous vous proposons de découvrir dans lehall de la Bfm va, nous l’espérons, permettre de redonner à l’auteurde La Dame à la faulx la place qu’il mérite dans l’histoire littéraire.Conçue par Jean-Michel Ponty et Monique Pauzat, à partir du fondsd’archives possédé par René Rougerie, cette exposition est organiséeen partenariat avec la bibliothèque départementale du Finistère. Elle estsusceptible d’être accueillie par toute bibliothèque intéressée par ceprojet. Pour tout renseignement, n’hésitez pas à prendre contact avec leCentre régional du livre en Limousin.

L’équipe du CRL en Limousin s’agrandit !

Sophie Peytouraud vient de prendre ses fonctions de secrétaire-comptable au sein de notreassociation. Elle travaille désormais à mi-temps avec nous, et à mi-temps au sein de la sectionlimousine de l’Institut d’études occitanes. Cette embauche a pu être réalisée grâce audispositif de soutien aux projets et l’emploi associatifs mis en place par le Conseil régional duLimousin. Nous souhaitons à Sophie la bienvenue au sein de notre équipe.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

7M

ARQU

E-PA

GE

D.R.

MAR

QUE-

PAGE

MAR

QUE-

PAGE

MAR

QUE-

PAGE D’AL

COL-

CENT

RERÉ

GION

ALDU

LIVR

EEN

LIM

OUSI

N

Le Limousin revient en force au Salon du livre de Paris.

Au Salon du livre de Paris (17-22 mars 2006), sera donné le coup d’envoi duFestival francophone en France (Francofffonies !) par le Ministre de la Culture et dela Communication. Tout au long de l’année, les cultures francophones seront àl’honneur, l’occasion pour les éditeurs et les pôles francophones en Limousin dedéployer toutes les facettes de vingt années d’activités autour de la francophonie.Le dossier que vous allez découvrir en est la trace vivante, grâce notamment auxnombreux témoignages qui ont pu y être réunis. Vingt trois maisons d’édition serontprésentes ainsi que les quatre pôles francophones du Limousin. Un documentspécifique présentera les nouveautés de chaque éditeur, les auteurs qui serontprésents, les rencontres/lectures qui seront proposées ainsi que les activités de laBibliothèque francophone multimédia de Limoges, de la Maison des auteurs duFestival Francophonies en Limousin, du Pôle national de Ressources « Écriturescontemporaines francophones et Théâtre », et de l’Université de la francophonie.

RENDEZ-VOUS AU STAND LIMOUSIN, PORTE DE VERSAILLES, HALL 1, STAND E. 178

Coquelicots et crème de conteurs : Coquelicontes fête ses dix ans !

Un cru exceptionnel pour les dix ans du festival itinérant duconte en Limousin. Le public retrouvera en effet quatorze deses conteurs préférés, déjà venus sillonner le Limousin lorsdes précédentes éditions. Un caravansérail international desconteurs et trois nouvelles artistes originaires de Belgique,d’Italie et de Kabylie se joignent à eux pour parfaire ladiversité et la richesse des cultures francophones.Le Caravansérail des conteurs est composé de femmes etd’hommes originaires d’Afrique, d’Europe et d’Amérique :

Ahcene Boulkaraa (Algérie), Issiaka Bonkoungou dit Grand Grenier (Burkina-Faso),Fine Poaty (Congo-Brazzaville), Rahila Hassane (Niger), Magda Léna Górska(Pologne), Nadine Walsh (Québec), Boubakar N’Diaye (Sénégal), NéfissaBenouniche (Suisse), Kokou Beno Sanvee (Togo). Grands et petits pourront serégaler les yeux et les oreilles en écoutant les artistes du Caravansérail, maisaussi Christine Andrien, Gilles Bizouerne et ses musiciennes, Jean-Claude Botton,Jean-Claude Bray, Monica Burg, Thérèse Canet, Pierre Deschamps, Jeanne Ferron,Salim Hatubou, Aïni Iften, Daniel L’Homond, Jan dau Melhau, Frida Morrone,Frédéric Naud, Michèle Nguyen, Christèle Pimenta et Pierre Rosat.

BON VOYAGE EN LIMOUSIN !

Suivez la FILL : la FFCBmld devient la FILL.

À la suite des réflexions communes des structures du livre en région, à leur travailen commissions et en assemblées générales, la Fédération de coopération entrebibliothèques et des métiers du livre et de la documentation (FFCBmld) change denom, et devient la FILL : Fédération Interrégionale du Livre et de la Lecture. La FILL c’est : • un outil d’observation des actions menées en direction du livre et de la lecture

sur le territoire,• une fédération attentive à l’ensemble du secteur du livre, de la lecture et de ses acteurs,• un lieu d’échange, de réflexion et d’analyse,• un réseau professionnel de 37 adhérents de 20 régions, dont 22 structures

régionales du livre et 4 institutions nationales.

La nouvelle organisation se fera autour de trois pôles et une mission : pôle« Observatoire de la vie du livre et de la lecture en région », pôle « Information,communication et publications », et pôle « Actions culturelles ». La mission dedéveloppement culturel en milieu pénitentiaire est maintenue. Forte du succès, en2005 de Hors des sentiers battus : Parcours avec les petits éditeurs au Salon dulivre de Paris, la FILL propose au Salon du livre de Paris 2006 un nouveauprogramme de coups de cœur à travers les éditeurs sur les stands des régions.

Pour de plus amples informations : CRLL Limousin ou FILL, 54, boulevard Richard-Lenoir, 75011 Paris, tél. 01 43 57 85 02. Site Internet : www.ffcb.org

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

6M

ACHI

NEà

FEUI

LLES

-6

Page 5: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

Ouverture de la médiathèque «Au fil des mots » à Bessines-sur-Gartempe (87).

La médiathèque municipale « Au fil des mots » vient d’ouvrir ses portes à Bessines-sur-Gartempe.Le projet a été réalisé dans un bâtiment existant, attenant à l'école maternelle. C’est l'architecteFabrice Lévêque (qui réalise actuellement la médiathèque du Père Castor à Meuzac (87)) qui adessiné cet aménagement. La superficie de ce nouvel établissement est de 217 m2. Il offre déjà unfonds de 8000 documents pour 21h30 d'ouverture au public, une journée étant réservée àl'accueil des classes. Trois espaces bien délimités occupent l’espace de la médiathèque: un espacejeunesse, un espace adulte et un espace multimédia avec 5 ordinateurs, disponibles pour le publicaux heures d'ouverture. Depuis le 1er février, « l’heure du conte » propose deux séances lemercredi, de 15h à 16h pour les 6/9 ans et de 16h à 17h pour les 3/6 ans.

Contact : Rebecca Lenoir, Médiathèque municipale "Au fil des Mots", 7 rue Ingolsheim,

87250 Bessines-sur-Gartempe, tél. 05 55 76 81 19. Courriel : [email protected]

MADUViL est en ligne !

Le projet MADUViL (Mutualisation d’Accès Documentaire Université Ville de Limoges) a pour objectif depermettre l’interrogation simultanée des catalogues des bibliothèques municipales de Limoges (6 sites) etdu Service Commun de la Documentation de l’Université de Limoges. Ces deux institutions possèdent déjàleur site internet respectif. Il s’agit maintenant avec MADUViL de permettre une recherche sur l’ensembledes catalogues. L’internaute peut ainsi connaître la disponibilité d’un document sur l’ensemble des sitesconcernés, la localisation du site (carte et plan d’accès), les informations pratiques sur ce site (coordonnées,horaires, conditions de prêt). De plus, un agenda présente les animations en cours ou à venir.L’environnement technologique du projet permettant l’interrogation simultanée de plusieurs baseshétérogènes est basé sur le protocole Z39.50 bien connu des professionnels de la documentation etdes bibliothèques. Ce protocole est supporté par la plupart des logiciels documentaires et de gestionde bibliothèque. Ce choix doit permettre une ouverture du portail MADUViL à d’autres bibliothèqueset établissements documentaires de la région. Le projet permettra aussi, à terme, l’intégration dedonnées numériques du SCD et de la Bfm pour mise à disposition des usagers via ce site commun.Le portail MADUViL est accessible à l’adresse suivante : http://maduvil.limoges.fr

Reneignements : Thierry Samain, Université de Limoges, Service Commun de la Documentation,

Bibliothèque des Sciences, 123, avenue Albert-Thomas, 87060 Limoges Cedex. Tel. 05 55 45 72 46.

Courriel : [email protected]. Site Internet : www.unilim.fr/scd

Banc public : un journal de quartier pas comme les autres

«Lorsque nous étions en foyer de vie, nous avions créé un journal. Depuis octobre 2005 nous avons quittéle foyer pour vivre en appartement à Limoges. Aussi notre projet est de créer un journal Banc public, sur lequartier des Coutures à Limoges. Ce sera pour nous un moyen d’aller à la rencontre des gens, de créer dulien, de rendre compte de la vie du quartier où nous vivons (histoire, évènements, manifestations…)»Les rédacteurs sont Mireille, Lucienne, Anne, Laurent, Jean-Christophe, Stéphane, résidents del’appartement d’autonomie. Banc public paraîtra une fois par an. L’Association Les pupilles del’enseignement public de la Haute-Vienne, qui gère des établissements pour enfants, adolescents etadultes handicapés, encadre les nombreuses idées de ces rédacteurs.

Contact : Les Pupilles de l’Enseignement Public, 19, rue Adrien-Pressemane, 87000 Limoges.

« Autour du 1er Mai » : Cinéma et société en mouvement.

Cette nouvelle association, « Autour du 1er mai », a un double objectif : • créer une base audiovisuelle en ligne (BAL) de films sur la société en mouvement. À partir de ce

catalogue, la consultation des films pourra s’effectuer soit en se rendant dans les institutionsdétentrices de ces films (BNF), soit en s’adressant aux festivals qui ont programmé ces films, soitenfin en s’adressant aux distributeurs et producteurs dont les coordonnées seront mentionnées,

• organiser un festival annuel pour faire connaître cette base. En 2006, il se déroulera à Tulle autourdu Front Populaire au cinéma et aura lieu du 28 avril au 4 mai 2006. Ce festival prolongera letravail de diffusion culturelle mené par l’association Peuple et Culture. L’initiatrice de ce projet estSylvie Dreyfus-Alphandery, chargée de mission à la Bibliothèque nationale de France.

Contact : « Autour du ler Mai », 51bis rue Louie Mie, 19000 Tulle. Courriel : [email protected]

« Raconte-moi une histoire » : éveil culturel & petits plats à Limoges.

Ce nouveau lieu est à la fois une brasserie associative fort sympathique et un lieu d’animations etd’ateliers pour petits et grands. Les idées et les projets fourmillent : ateliers théâtre, arts plastiques,photographie, percussions… Un cercle de lecteurs « Ivre de livres » est aussi prévu une fois parsemaine. Seule obligation pour participer à toutes ces festivités : adhérer à l’association.

Pour plus d’information : « Raconte-moi une histoire », 31 rue des Tanneries, 87000 Limoges,

tél. 05 55 35 48 32. Courriel : [email protected]

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

9M

ARQU

E-PA

GE

MAR

QUE-

PAGE

MAR

QUE-

PAGE

MAR

QUE-

PAGE

« Dernier Télégramme » : un nouvel éditeur de poésie

contemporaine s’installe à Limoges…

Fabrice Caravaca vient de créer à Limoges une nouvelle maison d’édition depoésie contemporaine et expérimentale : « Dernier télégramme ».Dans la lignée de la poésie expérimentale du mouvement dada, dessurréalistes ou de la Beat generation, Dernier Télégramme souhaite mettre envaleur une poésie qui réfléchit sur elle-même, qui s’attache aux rythmes et auxsonorités, à la déconstruction du langage, et qui cherche à inventer denouvelles formes. Dernier Télégramme publiera, dans un premier temps, deuxouvrages par an ainsi que des textes courts à un prix attractif au sein de lacollection Longs courriers. Le premier livre de ce nouvel éditeur sera présentéau Salon du livre de Paris 2006, sur le stand Limousin : il s’agitd’Action Writing (manuel), de Sylvain Courtoux. Fabrice Caravaca prévoitégalement d’organiser régulièrement des lectures, des rencontres et desperformances de poètes sonores.

Contact : Fabrice Caravaca, Dernier Télégramme, 16, rue Charles-Michels,

87000 Limoges, courriel : [email protected],

site internet : http://dernier.telegramme.free.fr

…Une nouvelle maison d’édition, venue du Mali,

s’installe en Limousin : « Hivernage ».

Hivernage est une maison d’édition et de distribution domiciliée à Limoges.Elle est étroitement liée aux éditions du Figuier, au Mali, dont elle est ledistributeur en France et en Europe. Hivernage est un éditeur généraliste qui seconsacre essentiellement au Limousin et au Tiers-Monde. Pour les deuxpremières années d’activité, sa production sera de dix ouvrages annuels.Le premier titre La Sentinelle du fleuve Niger est un ouvrage consacré au Mali.Les photographies sont de Michel Calzat et les textes d’Antoine Martin.Sa parution est prévue pour le mois de février 2006.

Contact : Hivernage, chez Moussa Konaté, 50 rue Jules Noriac, 87000 Limoges

tél. 05 55 77 51 95.

L’ALIFRAL ouvre sa bibliothèque germanophone.

L’Association limousine franco-allemande (ALIFRAL) fête ses vingt annéesd’existence en mettant à la disposition du public germanophile une bibliothèquede plus d’un millier de volumes. Ayant bénéficié d’un don de 700 ouvrages de lapart de la famille d’un germaniste limousin, Pierre Guiraud, l’association quiœuvre pour le renforcement des liens d’amitié entre la France et l’Allemagne metainsi ces ouvrages à la disposition des chercheurs, étudiants et enseignantsgermanophones. Le catalogue des titres ainsi que toutes les actions del’ALIFRAL sont consultables sur le site http://alifral.free.fr.

Contact : Laurent Peurot, Président de l’ALIFRAL, espace associatif,

40, rue Charles-Sylvestre, 87100 Limoges, courriel : [email protected].

Daniel le Goff : nouveau Directeur de la Bibliothèque

francophone multimédia (Bfm) de Limoges.

Ancien directeur de la Bibliothèque départementale de prêt de l’Aisne,Daniel le Goff a pris au 1er janvier 2006 ses nouvelles fonctions à la tête de laBfm de Limoges. Visiblement enchanté de prendre la direction d’unétablissement dont il salue le bon fonctionnement, il compte bien faire profiter àla Bfm de ses expériences nationales et internationales. Détaché en effetpendant plusieurs années au centre culturel français de Rabat (Maroc) et à laMission française de Beyrouth (Liban), il a naturellement à cœur de mettre envaleur le pôle francophone. Il s’est fixé plusieurs priorités pour les mois à venir,la première étant de refondre le site internet de la Bfm en mettant en avant lespoints forts de l’établissement municipal, la francophonie et le multimédia.Il souhaite également mettre mieux en valeur le pôle Patrimoine-Limousin ainsique les bibliothèques de quartier, notamment celle de L’Aurence, qui va fêter en2006 ses trente années d’existence.

Contact : Daniel Le Goff, Directeur de la Bfm-Ville de Limoges,

2, rue Louis-Longequeue, 87032 Limoges cedex, tél. 05 55 45 96 00.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

8

Page 6: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

EN FRANÇAIS DANS

LE TEXTE

EN FRANÇAISDANS LE TEXTE

Avant-propos

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

11

Un écrivain est celui qui invente sa proprelangue. Le dossier que vous allez découvrir faitla part belle aux écrivains francophones, car

c’est bien la question de la langue et de sonenrichissement par l’influence d’autres cultures,d’autres langues et d’autres sensibilités littérairesqui nous semble passionnante lorsqu’on parle defrancophonie. C’est ce qui nous a conduit à choisirce titre En français dans le texte, clin d’œil proposépar notre collaborateur Pierre Bacle. La présence enLimousin et au sein de notre comité de rédaction desquatre pôles francophones (Université de lafrancophonie, Pôle national ressources « Écriturescontemporaines francophones et théâtre » du Centrerégional de documentation pédagogique du Limousin,Pôle francophone de la Bibliothèque francophonemultimédia de Limoges et Les Francophonies enLimousin) nous a ouvert de nombreux horizonsfrancophones, et c’est grâce en particulier à l’équipedes Francophonies en Limousin que nous avons puréaliser des entretiens avec des auteurs originairesdes quatre coins du monde. Cette « Évidencefrancophone en Limousin » prend donc heureusementvie et traces dans les pages qui suivent et j’espèrequ’elle vous procurera autant de plaisir et de surpriseà la lecture que nous avons eu à la préparer.

La France présente à la littérature francophone unvisage de Janus, porte ouverte et souriante d’uncôté, sombre et condescendante de l’autre. Janussouriant tout d’abord, tant la défense de la languefrançaise, partout où elle est présente dans lemonde, est clairement affichée par l’État français.Sourire encore lorsque l’Organisation internationalede la francophonie œuvre dans ce sens et que leréseau des centres culturels français à l’étrangerreste dense. Sourire et enthousiasme enfin avecFrancofffonies, le festival francophone en France quise déroule entre le Salon du livre de Paris (du 17 au22 mars 2006) et le Festival des Francophonies enLimousin (du 26 septembre au 8 octobre), et quiconstitue une occasion précieuse de mettre en valeurles cultures francophones sur notre territoire.

Mais la France présente dans le même temps, àl’égard des pratiquants de sa langue, la face sombreet grimaçante du Janus. La littérature francophonen’est en effet probablement pas reconnue en Franceà sa juste valeur. C’est un peu comme s’il y avait la

littérature française d’un côté, sous entendue, la« grande » littérature, et de l’autre une littérature delangue française portée par des écrivains étrangersou d’outre-mer que la critique, les éditeurs et lesuniversitaires regarderaient avec un brin decondescendance (lire à ce propos l’article deMichel Beniamino qui ouvre ce dossier). Et ce,jusqu’à ce que l’auteur francophone ait lareconnaissance suffisante pour devenir enfin un« écrivain français », comme le sont devenus Beckett,Ionesco, Michaux ou plus récemment PatrickChamoiseau, qu’un prix Goncourt a fait passerd’auteur martiniquais à écrivain français, un peucomme le Franco-Camerounais Yannick Noah étaitdevenu français en brandissant le saladier d’argentde Roland-Garros.

Défendre la langue française partout où elle pourraitêtre menacée est une bien belle idée, mais eninterrogeant auteurs et artistes francophonesoriginaires de pays étrangers, on se rend compte dela difficulté de plus en plus grande pour eux depouvoir pénétrer sur le territoire français, ne serait-ceque pour y échanger avec d’autres artistes, voirepour travailler avec eux. À l’heure où le gouvernementfrançais projette de choisir ses immigrés, de mettreen place progressivement une immigration« rentable », on peut se demander si les artistes etles auteurs pourront obtenir un visa pour pénétrerdans « le pays des droits de l’homme » et si Janus nerefusera pas de leur ouvrir la porte. Artistes, auteurs,écrivains : pas très rentable tout ça…

par Olivier Thuillas

Page 7: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

13

FRANCOPHONIEuniversitaire français qui campe sans le dire sur laforteresse de la littérature de la nation française quin’accepte en aucune manière que celle-ci soit autrechose qu’une production strictement nationale quandbien même, si l’on regarde son histoire, ons’aperçoit qu’elle ne peut exister sous sa formeactuelle que par les écrivains occitans, savoyards,régionaux dirait-on aujourd’hui, mais aussieuropéens et francophones qui ont fabriqué lalangue française et la littérature en français.

Si, encore, la belle idée francophone ne se heurtaitpas au champ politique qui en fait un « domaineréservé » de la présidence de la république, aumépris de toutes les valeurs de la République.Ce qui permet que, sans débat au Parlement, la« politique africaine » de notre pays soit décidée parun seul homme prêt à pardonner à n’importe quelputschiste africain après un délai plus ou moinsdécent. De cela découle encore la manière dont estgérée la francophonie dont la spécificité a été niée :sa subordination au ministère des Affairesétrangères signe un divorce total (la francophonien’a en effet rien d’étranger puisqu’elle est chez nousdepuis longtemps…) a conduit a un immense gâchisdans la mesure où les ambassadeurs sont pluspréoccupés de vendre des airbus que de défendreune langue qui est le dernier de leurs soucis tandisque des fonctionnaires qui ont consacré leur carrièreà la valorisation de notre langue et de notre culturesont livrés à la plus extraordinaire des violencesadministratives puisqu’après une carrière souventprestigieuse à l’étranger l’État ne leur offre qu’unefin de carrière misérable dans les postes les plusdifficiles de l’Éducation nationale…

Si, enfin, la belle idée francophone ne se heurtaitpas à la marchandisation de l’enseignementsupérieur qu’entérinent diverses conclusions derapports d’experts qui élaborent leurs documentsdans le secret des cabinets ministériels, sans oserles soumettre à la discussion, ce qui pour desuniversitaires est pour le moins déontologiquementsuspect… Nous pensons ici au rapport de novembre2004 de Josy Reiffers, ancien directeur adjoint ducabinet du ministre Luc Ferry et ex-président deBordeaux II (Le Monde du 29 novembre 2005).Si nous partageons certaines conclusions tenant auxconditions d’accueil des étudiants étrangers, il n’enreste pas moins que noter que 50 % des étudiantsétrangers que les universités françaises accueillentviennent du Maghreb et de l’Afrique (Le Monde du29 janvier 2005) montre une singulière vision del’histoire : d’où voulait-il qu’ils viennent ? Après tout,

nous avons bien accueilli il y a très longtemps lefutur académicien Senghor… Mais l’idée est bien làd’« attirer moins d’Africains […] et plus d’Asiatiquesou d’Américains » (Le Monde du 3 octobre 2005) ;moins intelligents ou moins rentables? D’où l’idéede sélectionner dès le départ et donc de confier auxpostes consulaires – c’est-à-dire à la police – cettetâche : « l’immigration choisie » (futur thème decampagne présidentielle ?) envahit l’espace deliberté qu’a constitué l’université… Que pèsent lesinstitutions francophones dans ce débat ?

Si nous n’y prenons garde, l’espace francophone nesera plus qu’une vieille lune tandis que la prochaine« chinoisation » du monde promet des avenirsradieux dans des universités conçues de plus enplus comme des entreprises soumises àconcurrence, au mépris des idées démocratiquesdont par ailleurs ces mêmes experts ettechnologues se prétendent les meilleursdéfenseurs… La dernière illustration étant cesentreprises du monde « démocratique »(Google, Microsoft pour ne pas les citer) acceptantde bannir le mot « démocratie » de leurs moteurs derecherche sous le prétexte de conquérir le marchéchinois… Il y a du souci à se faire… n

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

12

L’idée francophone est – il faut sanscesse le rappeler – une idée qui au

départ n’est pas française.Les « Pères » de la francophonie durent

forcer la main à un De Gaulle réticentpour que débutent les premières formes

d’organisation de la francophonie.On peut certes aujourd’hui, à juste titre

hélas, arguer de la sinistre« Françafrique », pour indiquer quele pré-carré français reste une des

formes de néo-colonialisme héritéesde la guerre froide que l’idéologie

tiers-mondiste toujours vivace malgréses nouveaux atours dénonce avec unevigueur inlassable… Mais on omet par

la même occasion – car cela gêneautant que le rôle positif de la

colonisation, tant la France manque delucidité et de courage par rapport à sonpassé – de souligner le rôle qu’ont joué

les administrateurs de l’ancienneENFOM (École nationale de la France

d’Outre-mer) dans le passage àl’indépendance des pays africains.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui,l’idée francophone n’est plus à penser

dans cette perspective pour denombreuses raisons que l’on n’évoquera

ici que rapidement.

Parlons d’abord de Mellila. La mondialisationouvre et ferme dans le même temps lesfrontières et constitue ainsi aux marges du

nouvel empire mondialisé des « stocks » de main-d’œuvre dont l’accès sera sévèrement contrôlé enfonction des besoins économiques. Faut-il signaler –fausse question, bien sûr ! – que ces désespérés quitentent d’entrer dans la forteresse Europe sontfrancophones (voir le point de vue signé par Françoisde la Chevalerie dans Le Monde du 29 octobre 2005et intitulé « Pauvres francophones »).Peu de réactions et même silence gêné tant il estprobable que l’idée francophone est aujourd’hui enFrance confisquée par des élites dont le niveau devie et les possibilités de déplacement à la surfacedu globe sont sans commune mesure avec cellesdes Africains qui veulent tout simplement vivre avecun minimum de décence. Pour dire nettement notresentiment, une photographie parue dans leCourrier international et représentant des Espagnolsjouant au golf dans la zone tampon entre Mellila etl’Europe, entre donc des barbelés hauts de plusieursmètres visant à nous (?) protéger, nous est apparuecomme une insulte aux valeurs que prétendentincarner l’Europe et la France. De cela, noussommes tout à la fois responsables et, si nousl’acceptons encore, coupables : il faut peut-êtreaujourd’hui penser, contre la francophonieinstitutionnelle, non plus une francophonie de lacompassion – qui ne se porte pas si mal – mais unefrancophonie du refus, de la révolte contre ceux quila sabordent, élites toujours tentées par la « trahisonlinguistique », qui finit d’ailleurs par constituer unesorte d’habitus que la mondialisation vientaujourd’hui tenter de justifier au nom de la rationalitééconomique et autres diverses billevesées, de plusen plus contestées d’ailleurs par certainséconomistes modernes. Ces élites d’ailleurs, tententde nous faire oublier que si nous fêtons lafrancophonie en 2006, c’est que la « Francepolitique » s’est avérée incapable d’interrompre sesvacances estivales – pas plus qu’au moment de ladernière canicule, d’ailleurs – lors de la mort duPrésident Senghor. Il ne m’apparaît pas évident, entant qu’universitaire, que j’aie à jouer un quelconquerôle de pompier à cette occasion, et pour tout dire,je m’y refuse avec la dernière vigueur.

Cependant, la belle idée francophone a quelqueschances de réussir si…

Si, par exemple, la belle idée francophone ne seheurtait pas de plein fouet à la tradition du champ

par Michel Beniamino,Professeur à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de Limoges.

POUR UNE AUTRE FRANCOPHONIE

Page 8: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

gouvernementaux ne propose une véritable politique de la Relation : l’acceptation franche des différences, sansque la différence de l’immigrant soit à porter au compte d’un communautarisme quelconque ; la mise en œuvrede moyens globaux et spécifiques, sociaux et financiers, sans que cela entraîne une partition d’un nouveaugenre ; la reconnaissance d’une interpénétration des cultures, sans qu’il y aille d’une dilution ou d’une déper-dition des diverses populations ainsi mises en contact : réussir à se situer dans ces points d’équilibre seraitvivre réellement l’une des beautés du monde, sans pour autant perdre de vue les paysages de ses horreurs.

Si chaque nation n’est pas habitée de ces principes essentiels, les nominations exemplaires sur labase d’une apparence physique, les discriminations vertueuses, les quotas déculpabilisants, les financements decultes par une laïcité forcée d’aller plus loin, et toutes les aides versées aux humanités du Sud encore victimesdes vieilles dominations, ne font qu’effleurer le monde sans pour autant s’y confronter. Ces mesures laissentd’ailleurs fleurir autour d’elles les charters quotidiens, les centres de rétention, les primes aux raideurs policières,les scores triomphants des expulsions annuelles: autant de réponses théâtrales à des menaces que l’on s’inventeou que l’on agite comme des épouvantails, autant d’échecs d’une démarche restée insensible au réel.

Aucune situation sociale, même la plus dégradée, et même surtout celle-là, ne peut justifier d’untraitement de récurage. Face à une existence, même brouillée par le plus accablant des pedigrees judiciaires,il y a d’abord l’informulable d’une détresse : c’est toujours de l’humain qu’il s’agit, le plus souvent broyé parles logiques économiques. Une République qui offre un titre de séjour, ouvre en fait sa porte à une dignitéhumaine à laquelle demeure le droit de penser, de commettre des erreurs, de réussir ou d’échouer commepeut le faire tout être vivant, et cette République peut alors punir selon ses lois mais en aucun cas retirer cequi avait été donné. Le don qui chosifie, l’accueil qui suppose la tête baissée et le silence, sont plus prochesde la désintégration que de l’intégration, et sont toujours très loin des humanités.

Le monde nous a ouverts à ses complexités. Chacun est désormaisun individu, riche de plusieurs appartenances, sans pouvoir se réduire àl’une d’elles, et aucune République ne pourra s’épanouir sansharmoniser les expressions de ces multi-appartenances. De tellesidentités relationnelles ont encore du mal à trouver leur place dans lesRépubliques archaïques, mais ce qu’elles suscitent comme imprécationssont souvent le désir de participation à une alter-République. LesRépubliques « unes et indivisibles » doivent laisser la place aux entitéscomplexes des Républiques unies qui sont à même de pouvoir vivre lemonde dans ses diversités. Nous croyons à un pacte républicain, commeà un pacte mondial, où des nations naturelles (des nations encore sansÉtat comme la nôtre) pourront placer leur voix, et exprimer leursouveraineté. Aucune mémoire ne peut endiguer seule les retours de labarbarie : la mémoire de la Shoah a besoin de celle de l’esclavage,comme de toutes les autres, et la pensée qui s’y dérobe insulte lapensée. Le moindre génocide minoré nous regarde fixement et menaced’autant les sociétés multitransculturelles. Les grands héros deshistoires nationales doivent maintenant assumer leur juste part de vertuet d’horreur, car les mémoires sont aujourd’hui en face des vérités dumonde, et le vivre-ensemble se situe maintenant dans les équilibres desvérités du monde. Les cultures contemporaines sont des cultures de laprésence au monde. Les cultures contemporaines ne valent que par leurdegré de concentration des chaleurs culturelles du monde. Les identitéssont ouvertes, et fluides, et s’épanouissent par leur capacité à se« changer en échangeant » dans l’énergie du monde. Mille immigrationsclandestines, mille mariages arrangés, mille regroupements familiauxfactices, ne sauraient décourager la juste posture, accueillante etouverte. Aucune crainte terroriste ne saurait incliner à l’abandon desprincipes du respect de la vie privée et de la liberté individuelle. Dansune caméra de surveillance, il y a plus d’aveuglement que d’intelligencepolitique, plus de menace à terme que de générosité sociale ou humaine,plus de régression inévitable que de progrès réel vers la sécurité…

C’est au nom de ces idées, du fait de ces principes seuls, quenous sommes à même de vous souhaiter, de loin, mais sereinement,la bienvenue en Martinique. n

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

15

...

©J.

Sas

sier

©J.

Sas

sier

Édouard Glissant

Patrick Chamoiseau

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

14

1 Dernier ouvrage paru : La Cohée dulamentin, Gallimard, Collection Blanche,2005.

2 Dernier ouvrage paru: À bout d’enfance,Gallimard, Collection haute-enfance, 2005.

M. le Ministre de l’Intérieur,

La Martinique est une vieille terre d’esclavage, decolonisation, et de néo-colonisation. Mais cette interminable douleurest un maître précieux : elle nous a enseigné l’échange et le partage.Les situations déshumanisantes ont ceci de précieux qu’ellespréservent, au cœur des dominés, la palpitation d’où monte toujoursune exigence de dignité. Notre terre en est des plus avides.

Il n’est pas concevable qu’une Nation se renfermeaujourd’hui dans des étroitesses identitaires telles que cette Nation ensoit amenée à ignorer ce qui fait la communauté actuelle du monde :la volonté sereine de partager les vérités de tout passé commun et ladétermination à partager aussi les responsabilités à venir. La grandeurd’une Nation ne tient pas à sa puissance, économique ou militaire(qui ne peut être qu’un des garants de sa liberté), mais à sa capacitéd’estimer la marche du monde, de se porter aux points où les idées degénérosité et de solidarité sont menacées ou faiblissent, de ménagertoujours, à court et à long terme, un avenir vraiment commun à tousles peuples, puissants ou non. Il n’est pas concevable qu’une telleNation ait proposé par une loi (ou imposé) des orientationsd’enseignement dans ses établissements scolaires, comme aurait faitle premier régime autoritaire venu, et que ces orientations visent toutsimplement à masquer ses responsabilités dans une entreprise(la colonisation) qui lui a profité en tout, et qui est de toute manièreirrévocablement condamnable.

Les problèmes des immigrations sont mondiaux : les payspauvres, d’où viennent les immigrants, sont de plus en plus pauvres,et les pays riches, qui accueillaient ces immigrants, qui parfoisorganisaient leur venue pour les besoins de leurs marchés du travail et,disons-le, en pratiquaient comme une sorte de traite, atteignent peut-êtreaujourd’hui un seuil de saturation et s’orientent maintenant vers unetraite sélective. Mais les richesses créées par ces exploitations ontgénéré un peu partout d’infinies pauvretés, lesquelles suscitent alorsde nouveaux flux humains : le monde est un ensemble où l’abondanceet le manque ne peuvent plus s’ignorer, surtout si l’une provient del’autre. Les solutions proposées ne sont donc pas à la hauteur de lasituation. Une politique d’intégration (en France) ou une politiquecommunautariste (en Angleterre), voilà les deux orientations généralesqu’adoptent les gouvernements intéressés. Mais dans les deux cas,les communautés d’immigrants, abandonnées sans ressources dansdes ghettos invivables, ne disposent d’aucun moyen réel de participer àla vie de leur pays d’accueil, et ne peuvent participer de leurs culturesd’origine que de manière tronquée, méfiante, passive : ces culturesdeviennent en certains cas des cultures du retirement. Aucun des choix

DE LOINPar Edouard Glissant 1 et Patrick Chamoiseau 2, écrivains

Machine à feuillesreproduit ici, avec

l’aimable autorisation desdeux auteurs, une

« Lettre ouverte auMinistre de l’Intérieur dela République Française,à l’occasion de sa visite(finalement annulée) en

Martinique. »

Cette lettre a été publiéeune première fois dans le

journal Le Monde du11 décembre 2005.

Paroles d’auteurs

Page 9: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

2 Sokott, la bête, éditions Lansman, 2005.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

17

auteurs ...« J ’a i le goût des personnages

qui ont du mal à s ’expr imer ,qu i sont dans la rétent ion »

Olivier Thuillas pour Machine à feuilles : Quellessont les raisons qui vous ont poussé à écrire ?Comment êtes-vous devenu écrivain ?

Éric Durnez : Enfant, adolescent puis jeune adulte,j’ai toujours écrit. J’écrivais des poésies, des romansinachevés, mais pas de théâtre. D’autre part, j’ai suivides études de mise en scène. Le fait d’écrire duthéâtre aujourd’hui, c’est un peu la rencontre de cesdeux passions. Mais je ne me suis réellement sentidevenir auteur dramatique qu’au moment où un éditeurs’est intéressé à ce que j’écrivais, où les journalistesont commencé à faire des articles. Pour moi, ce sontles autres qui vous identifient comme écrivain.

Màf : Quel est votre univers d’écriture, les thèmestransversaux de votre écriture?

Éric Durnez : Je me suis toujours donné pour défi dedévelopper plusieurs univers, de puiser dans desstyles très différents. J’ai toujours cherché à mepositionner comme un apprenti, s’essayant à desstyles, des formes d’expression différentes. J’essaiede rester en permanence dans une sorte de tensionentre ce que je contrôle ou non. Les thèmesrécurrents dans mes pièces, ce sont souvent lesmetteurs en scène et les comédiens qui me lessignalent. Pour tenter de répondre à la question,mon écriture apparaît plutôt intimiste, je mets enscène des personnages dérisoires, des anti-héros.Je m’intéresse beaucoup au quotidien, à sa banalité.J’ai envie de parler de tout, j’ai beaucoup dequestions. Une pièce comme Sokott 2 par exemple,c’est un ensemble de questions sur la guerre, lepouvoir, la tyrannie.En définitive, je peux rarement dire de quoi parlentmes pièces. Elles parlent de beaucoup de choses,parfois même de choses dont je n’ai pasconscience. Ma réponse est assez ambivalente maisc’est assez proche de la façon dont je vis ma réalité.

Màf : Vous êtes auteur mais êtes-vous également unlecteur ? Est-ce que ce sont vos lectures qui vousont amené à écrire ?

Éric Durnez : Indéniablement, mais il faut dire que jesuis un lecteur lent. Je ne suis pas de ceux quipeuvent lire un ou deux livres par jour. Je sais que jelirai très peu dans ma vie et c’est donc avecbeaucoup de soins que je choisis un livre. Pénétrerdans une librairie me donne un sentiment defrustration immense car je me dis que je ne pourraijamais tout lire. Je me constitue donc une sorte de

programme. Récemment, la lecture de Proust m’aouvert des univers de langue, de subtilité comme àvingt ans, la lecture de Kafka et de Céline. Je croisqu’il y a des lectures qui sont des jalons, commeTchekhov ou Shakespeare pour le théâtre.Professionnellement, je lis beaucoup de théâtre.J’aime lire chaque phrase, la relire, parfois à voixhaute. Il y a des auteurs qu’on lit à voix haute, Duraspar exemple. Ce qui est intéressant, c’est le son etsa respiration. Cela me nourrit beaucoup et celanourrit mon écriture.

Màf : L’écriture théâtrale est-elle réellementdifférente?

Éric Durnez : La différence principale réside dans lefait que l’on écrit pour des comédiens. J’ai toujourscela en tête lorsque j’écris. L’écriture théâtrale doitforcément passer par un comédien, j’écris d’abordpour que les pièces soient jouées.

Màf : Ca veut dire que le théâtre n’est qu’unintermédiaire, qu’il ne peut pas se suffire àlui-même?

Éric Durnez : Le texte de théâtre est nécessairementincomplet, il a besoin des acteurs. Le livre estimportant, il crédibilise. La première édition d’une demes pièces m’a rendu très heureux ; c’était le débutde quelque chose : j’étais écrivain. Cependant unauteur de théâtre vit de son envie de voir ses pièces.La plus belle chose qui puisse lui arriver, c’est dedécouvrir un spectacle, découvrir combien lescomédiens se sont investis.

Màf : La langue française est votre languematernelle ? Comment vivez-vous le fait d’êtrefrancophone mais non français ?

Éric Durnez : Le français n’est pas la langue de laFrance, c’est la mienne. La situation des francophonesen Belgique est assez particulière. Ils ont tendanceà se voir comme une lointaine province de la Franceet ont une sorte de déférence envers la culturefrançaise telle qu’elle nous a été imposée, commeun modèle. Au lycée, on étudie 99 % d’auteursfrançais (je devrais dire nonante-neuf !) et puis detemps en temps on parle d’un auteur belge alorsque ceux-ci sont nombreux.

1 Considéré aujourd’hui comme un des auteurs les plus importants dela Communauté française de Belgique, Éric Durnez est l’auteur d’unetrentaine de pièces, dont la plupart sont publiées chez Lansman.Également auteur de nouvelles, romans et poèmes, il animerégulièrement des ateliers d’écriture dramatique.

•••

n Entretien avec Éric Durnez 1

©O

livie

rTh

uilla

s

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

16

Olivier Thuillas pour Machine àfeuilles : Comment êtes-vousentrée en écriture?

Suzie Bastien : Je crois que ça acommencé parce que,

depuis que je suistoute petite, on

m’a toujours ditque j’étaistrès bonne enfrançais ! J’aicommencé àécrire assez

jeune, mais çane prenait pas

de forme précise,j’écris mon journal

depuis que je suisadolescente, j’écrivais de la poésieà quinze ans, j’ai écrit un assezmauvais roman, mais qui a étépublié ! J’avais l’envie mais je netrouvais pas la forme. J’ai toujoursété par ailleurs une spectatricepassionnée et une amoureuse folledu théâtre. Il a fallu que j’attendel’âge de trente ans pour que cesdeux passions, l’écriture et lethéâtre, finissent par se rencontrer.L’écriture de dialogue me convientvraiment bien parce que j’ai unelangue concise. En fait, j’aicommencé réellement à écrirelorsque j’ai commencé à écrire pourle théâtre.

Màf : Que vous apporte l’écriture?Comment procédez-vous pourécrire une pièce?

Suzie Bastien: J’écris pour soulagermon cœur, c’est aussi simple queça ! Je puise dans une espèce demagma intérieur, je laisse filer laplume et ce qui sort de moi,bizarrement, c’est toujours unpersonnage, une voix différente dela mienne. C’est ce personnagequi est premier, l’histoire ne vientqu’ensuite. De l’écriture naît unpersonnage, et de ce personnage

naît une histoire et de cettehistoire naît le théâtre. Je mesens en cela proche des poètes,car je travaille la matière mêmedes mots, leur sonorité avanttoute question de signification oud’histoire. C’est aussi pour celaque j’écris pour la scène, pourque les dialogues soient vus etentendus. Je n’écris pas pour êtrelue, cela ne m’intéresse pasvraiment d’être publiée, sauf àêtre lue par un metteur en scènequi s’empare du texte pour lemonter. Le roman a un rapportvisuel aux mots, le théâtre – celuique j’écris – a un rapport sonoreaux mots. J’entends très fort lesmots que j’écris, je parled’ailleurs assez fort lorsquej’écris !Je sais qu’il y a des textes dethéâtre très intéressants à lire,mais pas les miens. Mes motssont incomplets sans la scène.

Màf : Quel rapport entretenez-vous avec la langue française?

Suzie Bastien : Je suis d’unegénération qui suit celle du baby-boom, j’ai donc bénéficié ducombat des plus anciens pourfaire reconnaître le fait français auQuébec, je n’ai donc pas eu à mebattre, j’ai grandi dans unefrancophonie confortable. J’ai unegrande admiration pour RéjeanDucharme qui, en écrivant enfrançais, faisait à l’époque unacte de résistance. Ses livres ontété une révélation pour moi, carj’ai vu que le plus prestigieuxéditeur français, Gallimard,publiait un auteur qui n’hésitaitpas à créer sa langue avec dufrançais, bien sûr, mais aussi desmots anglais ou typiquementquébécois, pour en faire unelangue drôle, truculente, vivante,et encore une fois, proche del’oralité, de la sonorité.

Màf : Vous venez régulièrementen France, notamment pour despériodes de résidence d’écriture.Est-ce que cette présence sur lesol français, les rencontres quevous pouvez y faire ont uneinfluence sur votre écriture?

Suzie Bastien : oui, je pense queça joue beaucoup. Non pas àcause de l’air qu’on respire quiserait différent, mais en raisondes rencontres, des ambiancesau cours des résidences. Ça a étésurtout le cas à la Chartreuse deVilleneuve-lez-Avignon où j’aipassé trois mois. Je ne suis pasune grande voyageuse et je n’aipas beaucoup quitté l’Amériquedu Nord. Je me suis rendu compteen arrivant en France que j’étaisassez ignorante du théâtre quis’écrit ici, alors même que j’ai faitdes études de théâtre et que j’aimoi-même eu une compagnie.J’ai beaucoup lu de théâtrecontemporain, j’ai vraiment apprisbeaucoup sur l’écriture dethéâtre. J’avais plutôt une culture« américaine » de l’écriture dethéâtre où tout doit aller vite pourne pas ennuyer les spectateurs :il faut de l’action, il faut que çaavance. Il m’a fallu séjournerlonguement en France pour merendre compte qu’on pouvait allerplus lentement, qu’on pouvaitprendre le temps d’exposer leschoses, que la pensée aussi peutfaire avancer les choses toutautant que l’action. Du coup,toutes mes pièces fonctionnentmaintenant sur ce mode : dèsl’ouverture, tout est déjà arrivé, etla pièce n’est que l’explication dupourquoi et du comment on enest arrivé là. n

1 Née en 1963 à Montréal où elle vit encore aujourd’hui, Suzie Bastien est auteure de théâtre.Membre du Centre des auteurs dramatiques de Montréal, elle a écrit cinq pièces dont LukaLila(publiée aux éditions Comp’Act en 2002), Le Désir de Gobi (publiée chez Lux éditeur en 2003)et Ceux qui l’ont connu.

paroles d’« Mes mots sont incomplets

sans la scène »n Entretien avec Suzie Bastien 1

Page 10: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

19

avons traversée, tous cesévénements m’ont conduit à passerd’une écriture assez légère à uneimplication plus grande, à un désiret une nécessité de parler, demettre des mots sur les horreursque nous vivions, d’écrire aussiavant peut-être de disparaître.C’est par cette porte de l’horreurque je suis entré véritablement enlittérature. Écrire m’est devenunécessaire. D’abord pourm’adresser aux autres, et en mêmetemps pour mieux me comprendremoi-même, pour plonger au plusprofond de moi. Vous ne serez passurpris si je vous dis que le thèmequi domine tout mon travail d’écritureest la violence, la dénonciation de laviolence et de l’injustice.

Màf: Vous êtes ici en résidencepour écrire une pièce de théâtre,comment et pourquoi aborder cegenre nouveau pour vous?

Arezki Mellal: Je ne me suis pasposé la question, les chosess’imposent naturellement à moi.Le sujet vient avec la forme. Je nesuis pas un écrivain de romans oude nouvelles, je suis un écrivain toutcourt. Le sujet que j’aborde – lesrelations entre la France et l’Afriqueet les relents de colonialisme quiprésident à ces relations – appellela forme théâtrale: je vois despersonnages, des dialogues, donc

j’écris une pièce. Mais je suiscomplètement dans la littérature,je veux dire par là que je ne pensepas une seconde à une mise enscène possible; de toute manière,je connais bien mieux le théâtre parles livres que par les spectacles.Je regrette qu’il y ait aujourd’hui unecoupure entre le théâtre et lalittérature, comme si le théâtrepouvait se passer des écrivains.Je n’écris pas un spectacle, je suisdans un retrait complet de ce quipourrait advenir ensuite de la pièce.

Màf : Vous vivez en Algérie etvous connaissez bien le mondedu livre. Quelle est la place del’édition et de la littératureaujourd’hui dans votre pays?

Arezki Mellal: La situation n’est pascatastrophique, on arrive à produiredes livres à un prix abordable,

même si seule la classe moyennepeut les acheter. En septembre2000, lorsque le salon du livred’Alger a repris sa place après desannées d’interruption, on avait unequinzaine d’éditeurs algériens.En septembre 2005, soit cinq ansaprès, on arrive à plus d’unecentaine d’éditeurs présents ausalon. Le secteur est donc enpleine progression, avec environ70 % des livres édités qui le sonten langue française. Le problèmeprincipal est plutôt le coût prohibitifdes livres importés de France :mon livre2 qui se vend 15€ enFrance est inabordable pour unlecteur algérien. Il a été édité enAlgérie et se vend, en dinaralgérien, dix fois moins cher !Ce renouveau de l’édition algériennepermet l’éclosion d’une générationprometteuse de jeunes auteurs,mais la plupart des écrivainsalgériens et africains en généralrésident en dehors de leur pays, enFrance principalement. Pour mapart, la question ne se pose pas:l’Algérie est mon pays et je nepourrais pas vivre ailleurs, je suis néà Alger et c’est la ville où je mesens bien. Ce n’est pas pour autantqu’écrire à Alger est une chosefacile: je publie d’ailleurs sous unpseudonyme. Je me sens moinsmenacé par le terrorisme islamiqueque par le poids général de l’Islamdans la société. Vous n’imaginez

pas la difficulté d’être laïc etdémocrate dans un pays où l’Islamest partout et progresse aussipolitiquement. Ce que je crains,c’est d’être un jour ou l’autre arrêtéet fusillé de manière parfaitementlégale, simplement parce que je suislaïc. L’islamisme légal et politiquegagne du terrain dans tout le mondemusulman et remplace de fait leterrorisme dans ces pays.

Màf : Quel rapport entretenez-vous avec la France et la languefrançaise?

Arezki Mellal: La France était avanttout livresque pour moi, j’aidécouvert Paris avec Victor Hugo,Émile Zola, Jacques Prévert…C’était un pays rêvé, admiré etidéalisé. Je suis bien évidemmenttombé de haut lorsque j’ai vraimentdécouvert la France! Il m’a fallu

cette désillusion pour à nouveauaimer la France et surtout salittérature. Même si j’ai grandi horsdu territoire français, la langue quej’écris est un français très pur. Il n’ya pas dans la littérature algériennede tentative d’écrire dans unfrançais mâtiné d’arabe, d’adapterla langue française à l’Algérie, à ladifférence je crois du Québec, decertains pays africains ou plusencore des Caraïbes. Mesréférences, ce sont la littératurefrançaise de la plus classique à laplus contemporaine et ledictionnaire français.

Màf: Comment est-on considéré enAlgérie lorsqu’on est un écrivain?

Arezki Mellal : Écrivain, çan’existe pas, il n’y a pas destatut. Dans les années 1970,certains écrivains avaient unevraie reconnaissance, un poidsdans la société mais tout cela adisparu. Pour ce qui me concerne,je vous l’ai dit, j’écris sous unpseudonyme, mes voisins nesavent même pas que j’écris deslivres ! Seuls mon éditeur etquelques amis connaissent montravail d’écriture.La reconnaissance et le réelsoutien que je reçois, je les doisà la France, au Gouvernementfrançais, au Centre national dulivre qui m’a attribué une boursede résidence. Le fait que l’on medonne les moyens,l’indépendance financière pourquelques mois et la possibilité devenir ici en résidence, je trouvecela admirable. Sans cessoutiens, je n’aurais peut-être pascontinué à écrire et je n’auraispas pu mener d’aussi grandsprojets d’écriture. Cette exceptionculturelle française est un acquisfantastique, c’est aussi lesymbole de la France quej’admire. Le Limousin et Limogessont devenus pour moi un havrede paix et de tranquillité, et doncun lieu d’écriture privilégié.Et puis j’ai découvert aussi qu’il ya en Limousin des vachesmagnifiques. Avant je pensaisqu’en France il n’y avait desvaches qu’en Normandie, pourfaire le Camembert ! n

oles d’auteurs ...

2 Maintenant, ils peuvent venir, éditionsBarzakh, Alger, 2000 et éditions Actes Sud,mars 2002.

seulement des écrivains d’expression française »

Màf : Il y a beaucoup de très bons auteursque l’on dit français et qui sont en fait belges.Y a-t-il une sorte de dénégation de l’identité belge?

Éric Durnez : C’est une attitude très belge et queles Français ont du mal à comprendre. Il faut direqu’historiquement la Belgique est une fiction, c’estune construction politique récente. J’ai un réel goûtpour la langue française. Pour avoir vécu en Belgiqueet voyagé en Afrique notamment, je constate que lalangue française s’enrichit et se nourrit par sesfrontières. En France, il existe des crispations parrapport à ça. Je rencontre des gens qui ont lesentiment d’être maîtres de la langue. Or ce n’estpas vrai du tout.

Màf : Le fait d’être belge a-t-il influencé votrelangue d’écriture? Avez-vous été influencé pard’autres langues? Vous sentez-vous parfois prisentre deux langues?

Éric Durnez: Pas réellement. Je penseque le peuple belge est plutôt mal àl’aise avec la parole.C’est un peuple « taiseux » voiretaciturne. Cela agit évidemment sur

l’écriture : j’ai le goût des personnages quiont du mal à s’exprimer, qui sont dans la

rétention. C’est un moteur dans la construction depersonnages, le théâtre se nourrissant beaucoup de ladifficulté de parole. Il y a peut-être aussi un autrehéritage de mon univers belge qui serait une sorte de« surréalisme à la belge », un côté un peu« bruegelien » mais en réalité je pense avoir été autantinfluencé par les auteurs français que par ce côté-là.

Màf : Vous aimez la langue française, est-ce quepour vous c’est une langue qui se prête mieux qued’autres à l’écriture et à la littérature?

Éric Durnez: C’est difficile à dire car on ne connaît lesautres langues que de l’extérieur. Ce que je peux direc’est que, pour avoir beaucoup travaillé dans l’universmusical, je suis très sensible aux sonorités, aux rythmesde la langue. Dans l’écriture théâtrale mais aussi dansl’écriture romanesque, le facteur son est pour moi aussiimportant que le facteur sens. Il m’arrive de relire mestextes en m’interrogeant uniquement sur leur rythme,leurs sonorités. Ce travail-là est indispensable égalementpour les comédiens. Un des grands plaisirs de l’écriturepour moi, c’est aussi le plaisir infini que j’éprouve lorsquej’ai l’impression d’utiliser un mot pour la première fois.C’est peut-être naïf mais je le revendique.

Màf : La Francophonie, ça veut dire quelque chosepour vous?

Éric Durnez : La Francophonie est un vaste territoire.Il y a quelque chose d’assez fascinant dans le faitd’aller sur un autre continent et d’arriver à communiqueravec des gens grâce à une langue qui est à la foissemblable et tout à fait différente. Au-delà de la langue,il y a aussi une culture qui a son berceau en France.La langue, c’est aussi la pensée, une façon d’appréhenderle monde. La Francophonie m’intéresse par là et jesoupçonne que ce n’est pas uniquement le fait de parlerune langue mais surtout de « parler une pensée ». Pourmoi, la langue et la manière d’organiser la penséesont intimement liées. Mon approche n’est pas trèsscientifique, c’est plutôt un ressenti vécu au traversde mes voyages dans la Francophonie. n

•••par

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

18

Olivier Thuillas pour Machine àfeuilles: Il me semble que lesécrivains algériens ont une place àpart au sein de la francophonie…

Arezki Mellal: Oui, c’est vrai, c’estun pays francophone mais qui sesitue en dehors des institutions dela francophonie. Le terme« francophonie » n’est pas utiliséchez nous, il n’y a pas d’écrivainfrancophone en Algérie, seulementdes écrivains d’expressionfrançaise. Pour ma part, ma languematernelle est l’arabe algérien, maisla langue de l’écrit c’est le français,c’est la langue de l’école, de latransmission du savoir et des idées.J’écris et je pense toutnaturellement en français.Le français est ma langue culturelle,

alors que l’arabe est la langue de lacommunication avec la famille, dansla rue etc. Mais toute la sociétéalgérienne fonctionne avec lefrançais, les administrations, lesentreprises…

Màf: Vous voulez dire que lesvolontés politiques successivesd’arabisation politique du pays,des noms etc. n’ont rien changé àcette omniprésence du français?

Arezki Mellal: Ça n’a rien changé,non. La loi oblige les magasins àprésenter leur enseigne en arabe,de même pour les noms sur lesemballages des produits. Mais en

réalité, tout est en français. Il y aégalement beaucoup plus dejournaux, de romans, d’écrits engénéral en français qu’en arabe.

Màf: Comment êtes-vous entréen littérature?

Arezki Mellal: Je suis venu àl’écriture par des choses plutôtlégères comme la bande dessinéeet la nouvelle. J’ai ensuite écrit duroman, puis aujourd’hui du théâtre.Depuis peu de temps, l’écriture estdevenue mon activité principale. Jepense que le basculement de monpays dans la violence dans lesannées 1990, l’horreur que nous

n Entretien avec Arezki Mellal 1

1 Né en 1949 à Alger, Arezki Mellal vit et travaille à Alger dans les métiers du livre et de lacommunication. Son roman Maintenant ils peuvent venir (Editions Actes sud, 2002) est en coursd’adaptation pour la scène.

« Il n’y a pas d’écrivain francophone en Algérie,

Page 11: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

21

d’auteurs ...Olivier Thuillas pour Machine àfeuilles : Vous avez une bonneconnaissance de l’Afriquefrancophone et de sa littératureet vous êtes égalementenseignant, qu’est ce qui vousa poussé à écrire ?

Ouaga Balle Danaï :C’est l’envie de

communiquer, deparler de lasituation queconnaît monpays et en

particulier de laguerre qu’a connue

et que connaît encore leTchad. En Afrique, le français estla langue officielle héritée de lacolonisation et c’est aussi lalangue d’enseignement, mais cequi est intéressant ce sont lesfrançais parallèles qui sedéveloppent en s’inspirant desréalités locales et qui nourrissentmon écriture comme par exemple leNouchi et le français de Moussaen Côte-d’Ivoire.

Màf : Votre écriture puiselargement dans les mythesoccidentaux et africains…

Ouaga Balle Danaï : En Afriquecoexistent des croyances et desmythes fondateurs qui tententd’expliquer le monde comme celuide la femme poisson que l’onretrouve dans l’imaginaire del’Afrique Centrale et de l’Afriquede l’Ouest. Au cours de maformation, j’ai également étéinfluencé par d’autres mythes,

comme le complexe d’Œdipe dontje peux m’inspirer dans mestextes pour expliquer l’itinérairede mes personnages. Finalement,je suis un peu à la croisée del’Afrique traditionnelle et del’Afrique d’aujourd’hui.

Màf: Lorsque l’on parle de l’Afrique,de ses mythes et de ses contes,on a souvent l’image d’unetransmission orale. En tantqu’écrivain, comment vous situez-vous par rapport à cette oralité ?

Ouaga Balle Danaï : La questionqui se pose est la suivante :comment donner à l’écriture lasubstance de l’oralité ? L’écrivainafricain doit aujourd’hui arriver àfaire une synthèse de l’écriture etde l’oralité pour transmettre lepassé tout en restant dans lamodernité. La démarche d’écritureva être différente et le texte vadevoir fonctionner sur un autremode de narration.Le texte sur lequel je travailleactuellement fonctionne sur lemode du jeu, celui de la prise deparole. Ne peut devenir narrateurque celui qui arrive à trouver laréponse à une devinette parexemple. L’histoire sera donccontée par plusieurs narrateurs.

Màf : Pensez-vous que le publicpuisse se sentir dépossédé de satradition orale, ne pas seretrouver dans l’écriture?

Ouaga Balle Danaï : En Afrique, deplus en plus de personnes lisent,même si beaucoup n’ont pas

accès à l’éducation. Je pensequ’elles peuvent retrouver dansleurs lectures un rythme, unsouffle propre à l’oralité.L’écrivain africain doit arriver àintéresser le lecteur à un récitcertes écrit mais dans lequel onretrouve une particularité quireste africaine.

Màf : En cela, l’écriture théâtraleest un prolongement naturel devotre écriture?

Ouaga Balle Danaï : Oui tout àfait, car j’y retrouve l’oralité. Dansmes pièces il y a un personnagefondamental du point de vue de lanarration et typique de la traditionorale, le griot. À l’heure actuelle,tout écrivain en Afrique est leprolongement du griot. Unequestion en découle : dans lasociété africaine moderne, le griotperd progressivement sa place etsa parole est désacralisée, sinous, écrivains africains, nousconsidérons comme sessuccesseurs, quelle est notreplace, quel est le regard que lasociété porte sur nous, est-ce quenotre parole est importante ?

Màf : Croyez-vous que lesécrivains africains peuventacquérir aujourd’hui la légitimitéqu’avait autrefois le griot auprèsde l’ensemble de la population?

Ouaga Balle Danaï : Le griotappartenait à un clan. On devientécrivain non par descendancemais suite à une formation, à undéclic. La légitimité n’est

1 Né en 1963 au Tchad, Ouage-Ballé Danaï vit actuellement au Gabon où il enseigne le français. Poète, romancier, dramaturge et metteur en scène,il est également l’auteur de nombreux articles et notes de lecture sur la littérature. Dernier ouvrage publié: Djim Zouglou: l’enfant des rues,L’Harmattan jeunesse, 2003.

« Écrire me rapproche de ce paysoù je ne suis plus allé depuis longtemps »

n Entretien avec Ouaga-Ballé Danaï 1

•••

©O

livie

rTh

uilla

s

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

20

Olivier Thuillas pour Machine à feuilles : Quel estvotre univers d’écriture ? Qu’est-ce qui vous aamené à écrire ?

Sonia Ristic : Je ne sais pas… Avant d’être auteur,je suis d’abord une lectrice. C’est la rencontre avecles écrits des autres qui est première dans monécriture. Ces « chocs » de lectrice, je les ai eus avecdes auteurs aussi différents que Romain Gary,Kessel, Garcia Marquez, Steinbeck, Hemingway…Ensuite, la question de l’écriture est plus difficile àdéterminer. J’ai toujours écrit des textes, depuis queje suis toute petite,sans jamais me direque j’allais devenirécrivain. Je crois quej’ai cette envie sincèrede raconter, de fairepartager quelque chose,mais en tout premierl’envie de raconter àsoi-même, ou plus encore de se raconter à soi-même.Même lorsque j’écris de la fiction, je sais que je puisebeaucoup en moi, dans le ressenti que j’ai face à desimages, des situations, des rencontres.

Màf : Est-ce que l’écriture aide aussi à coucher surle papier des choses que l’on ne pourrait pas dire ?

Sonia Ristic : Oui. J’ai beaucoup plus de facilité àparler des choses que j’ai écrites, justement parcequ’elles ont été d’abord révélées sur le papier.Je pense en particulier à un texte de théâtre que j’aiécrit en 2004 et qui s’appelle 14 minutes de danse.L’histoire évoque un viol collectif en période deguerre. Il se trouve que j’ai connu ce type d’horreurd’assez près puisque j’ai été interprète pour des ONG(organisations non gouvernementales) à l’époque dela guerre en ex-Yougoslavie. J’ai donc traduit àplusieurs reprises des témoignages de femmesviolées ; témoignages dont j’ai eu énormément demal à parler par la suite. Il a fallu que ce texte sorte,même si c’est une fiction, pour que je me senteenfin libérée de ces histoires que j’avais en moi.J’ai eu besoin de créer des personnages de fictionpour évoquer ces tragédies, comme si moi, Sonia,je ne pouvais pas m’autoriser à le faire.

Màf : Quel rapport entretenez-vous avec la languefrançaise ?

Sonia Ristic : J’écris en français mais ma languematernelle est le serbo-croate… j’ai la nationalitéd’un pays, la Croatie, dans lequel je n’ai presquepas vécu, puisque je l’ai quitté à l’âge de cinq anspour vivre au Congo où ma mère était diplomate.Mais la plupart des textes que j’ai écrits l’ont été enFrance, à Paris, où je vis depuis une quinzained’années. Mon rapport avec la langue françaiseévolue avec le temps et une certaine forme dematurité linguistique : lorsque je faisais corriger mes

premierstextes enfrançais, on me disaitque c’était bien écrit, mais qu’il y avait des fautes,des tournures que j’utilisais qui n’étaient pasvraiment françaises. Aujourd’hui, je veux assumerces tournures différentes du français traditionnelcomme ma propre langue d’auteur, c’est ma manière

de m’approprier lefrançais, avec un souffleserbo-croate qui peutaussi être sa richesse.Vous savez, je suisoriginaire d’un pays (laYougoslavie) qui n’existeplus et qui n’a plus rien àvoir avec ce que j’ai

connu lorsque j’étais enfant. J’ai vécu dans denombreux pays, notamment en Afrique, j’ai desorigines sud-américaines, mon grand-père maternelétait chilien, que je ressens fortement dans monrapport à la littérature, à la musique, au jeu théâtral.Mais au fond, l’endroit où je me sens chez moi, cen’est même pas la France, c’est Paris, ou plutôtcertains quartiers très cosmopolites de Paris.

Màf : Au fond, vous pratiquez le français comme sivous l’aviez toujours maîtrisé, vous ne voussouvenez pas de l’avoir appris ?

Sonia Ristic : Je n’ai qu’un souvenir en fait, c’estcelui de la non-connaissance totale du français.Je me revois très bien ce premier jour d’école,je devais avoir six ans, où ma mère m’a laissée àl’école française. J’étais dans la file avec les autresécoliers et j’étais paniquée à l’idée de devoir parleralors que je ne connaissais pas un mot de français !J’ai passé cette première journée de classe à dire« je ne comprends pas » en serbo-croate, alors qu’onme demandait sûrement mon prénom ou mon paysd’origine ! Mais après ce traumatisme du premierjour, j’ai comme un trou noir, je ne me souviens pasd’avoir appris le français, ma mémoire garde ensuitela trace d’une saine compréhension de la langue,d’échanges avec les petits camarades, de jeux dansla cour de l’école. n

1 Née en 1972 à Belgrade, Sonia Ristic est comédienne et metteuse en scène de théâtre. Elle a créé en 2004 la compagnie « Seulement pour les fous ».Elle vit à paris depuis 1991 et écrit en français. Dramaturge elle a également écrit de nombreuses nouvelles et deux romans non publiés à ce jour.

Entretien avec Sonia Ristic 1n

« Je veux assumer ces tournures différentesdu français traditionnel

comme ma propre langue d’auteur »

paroles

©O

livie

rTh

uilla

s

Page 12: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

d’aute

urs

...

MàF : Vous n’hésitez pas à aborder plusieursgenres, le roman, le théâtre…

Moussa Konaté : Oui, à chaque fois que j’écris unlivre, je veux qu’il soit différent des précédents aussibien dans l’expression que dans le genre, desromans policiers, du théâtre, des nouvelles. J’ai mêmepublié un livre comique Gorgui à la naissance deséditions du Figuier. J’ai écrit un peu dans tous lesgenres sauf en poésie, mais la poésie j’y tienstellement que j’attends d’être vieux, d’être détachéde tous les problèmes quotidiens pour m’y confronter.

MàF : Vous attendez la substantifique moelle ?

Moussa Konaté: Oui exactement, donc j’attends encore!

MàF : Avez-vous toujours écrit en français ?

Moussa Konaté : Oui car je parle beaucoup mieux lefrançais que ma langue maternelle, la kasonke qui tendà disparaître de la grande famillemandingue-bambara. J’ai tendanceà passer par le français pourparler ma langue, donc beaucoupde personnes ne me comprennentpas, je ne sais plus très bienquelle est ma langue, c’est leproblème auquel je suis confronté,mais j’aimerais écrire, un jour, en bambara, mais c’estun projet, je ne sais pas si j’y parviendrai.

MàF : Pouvez-vous expliciter « Je ne sais plus quelleest ma langue? »

Moussa Konaté: j’ai rencontré le français et la lecture, àl’école, à l’âge de 7 ans. Je suis né dans une petiteville, Mita, qui est à 200 km de Bamako, au Mali, où iln’y avait qu’une seule bibliothèque, celle de la missioncatholique, c’est là où j’ai découvert mon premier livreTintin, depuis Tintin, je n’ai pas cessé de lire, dedévorer les livres. À ce moment-là, dans les annéescinquante, il n’y avait pas énormément de livrespubliés en Afrique, et pour les enfants il n’y en avaitpas du tout. Je suis rêveur de nature et je neretrouvais pas dans ma langue cette possibilité derêver. Je me demande si cela n’a pas influé sur monrapport à la langue française. En plus, à ce moment-là, ma langue n’était pas écrite. Je cherche donc àsavoir si je pense en français ou dans ma languematernelle, je passe par les structures de la languefrançaise dont j’ai une connaissance plus objective,l’ayant étudiée depuis longtemps ainsi que le grec etle latin. Je suis, par exemple, incapable de direquelles sont les origines ou les structures de malangue maternelle.

MàF : La notion de francophonie a-t-elle du senspour vous?

Moussa Konaté : Cela exprime une appartenance àune communauté de langue qui est aussi, d’unecertaine façon, une communauté de culture. Dans cesens ce n’est pas rien. Entre la France et nous, il y ades liens culturels, au-delà de la colonisation, je nesuis pas seulement malien, mandingue kasonké, au-delà de toute connotation politique, je suis aussi liéà la culture française et c’est ce qui me lie à laFrance et aux Français.

MàF : La circulation entre les différentes culturesde langue française se passe-t-elle mieux qu’avant ?

Moussa Konaté: Il y a un déséquilibre, peut-être est-cedû à la différence des moyens de communication,le mouvement de la France vers l’Afrique est plussoutenu que celui de l’Afrique vers la France même sice n’est pas vrai dans certaines disciplines comme

la musique, par exemple.En littérature, l’échange n’est pastrès important dans le sensAfrique France, tout simplementparce que l’essentiel des auteursafricains francophones est éditéen France : pourquoi n’y aurait-ilpas une littérature faite et éditée

en Afrique qui s’échangerait avec une littérature faiteet éditée en Europe? Néanmoins les échanges sontde plus en plus nombreux ne serait-ce que par le biaisdes nouvelles technologies, et cela va s’amplifier.

MàF : Pour l’instant il n’y a pas énormémentd’éditeurs en Afrique francophone?

Moussa Konaté : Le problème n’est pas tellementdans la quantité d’éditeurs mais plutôt dans leurqualité et leurs capacités à diffuser.

MàF : Je m’adresse à une autre de vos autres« casquettes ». Pour vous quelle est la raison d’êtred’Étonnants voyageurs de Bamako qui en sera à sa6e édition en 2006?

Moussa Konaté : L’objectif essentiel est le suivant :Comment faire en sorte que le livre s’installe dansles cultures africaines? Il y a, certes, Internet etc.…mais jusqu’à preuve du contraire, c’est le livre quiest porteur du savoir. Le livre est une conditionindispensable du développement, mais pourl’instant, le livre ne s’est pas encore installé dansnos cultures. Étonnants voyageurs c’est ça : que lesAfricains prennent possession du livre. Autrefois onparlait de contes au clair de lune et autour du feu,mais maintenant ce sont des images, des rêves quin’existent pratiquement plus et quand la traditionorale disparaît que reste-t-il ? Le livre. La situationest non seulement difficile économiquement maisaussi socialement : s’isoler pour lire, pour écrire,c’est s’attaquer aux fondements même de lasociété, où tout se fait en commun. Comment fairecomprendre qu’il faut lire pour nourrir la

1 Moussa Konaté dirige les éditions Le Figuier au Mali et vient de créerHivernage en Limousin, dont il présente le premier ouvrage sur lestand Limousin au Salon du livre de Paris. Il co-dirige, avec MichelLe Bris le Festival Étonnants voyageurs de Bamako au Mali.Derniers ouvrages parus ou en cours de publication: L’Empreinte du renard, Éditions Fayard. Khasso, Éditions théatrâles,2004. L’Assassin du Bancoli, Gallimard, 2002.

« Il faudrait que l’Afriqueaccepte d’installer le livre

dans sa culture »

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

23

•••

donc pas évidente.D’un autre côté, la sociétéévoluant, on ne peut rester dansune société totalement traditionnelle.La question qui se pose, c’estquelle est la place de l’écrivaindans la société africaine moderne?

Màf : Quel a été le déclencheurde votre écriture?

Ouaga Balle Danaï : J’ai toujourseu l’écriture en moi mais je necherchais pas à écrire. Depuislongtemps, je portais cettenécessité d’écrire, mais ressentieaussi comme une charge, unedouleur, qui était à la foispersonnelle et universelle. J’aiperdu mon père très tôt dans uneguerre qui ne concernait pas mafamille a priori puisque mon pèren’était pas militaire. Imaginez ungarçon de 14 ans qui, le matin,regarde son père partir et à quil’on vient annoncer le soir qu’il asauté sur une mine.

Lorsque je suis parti en Côte-d’Ivoire, je me suis retrouvé dansune grande solitude. Il fallait queje dise ce que j’avais sur le cœur.Le premier texte a été unethérapie, un exutoire. Je ne l’aipas écrit dans un autre but. Il estresté une dizaine d’années dansun tiroir et puis des amis quicherchaient une pièce à jouerm’ont poussé à l’envoyer à unéditeur. Ensuite, je me suis renducompte que j’avais encore deschoses à dire et que je pourraiscontinuer à écrire.

Màf : Est-ce qu’aujourd’huicette dimension thérapeutiquedemeure chez vous ou lessources de l’écriture ont-ellespris d’autres formes?

Ouaga Balle Danaï : Écrire resteune thérapie car l’exil me pèse.Écrire me rapproche

de ce pays où je ne suis plus allédepuis longtemps et qui restetoujours dans mon imaginaire.Les voyages m’apportentégalement énormément.L’aspect thérapeutique prendalors d’autres dimensions, cellesde vouloir communiquer avec lesautres, de vouloir leur montrerqu’il existe d’autres choses surd’autres continents, qu’ellessoient atroces ou merveilleuses.Je pense également que monécriture qui était peut-êtreviolente au départ est devenueplus sereine et apaiséeaujourd’hui. n

•••

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

22

Moussa Konaté estemblématique des liens quipeuvent se créer entre unauteur et une région : venudeux fois en résidence à la

Maison des auteurs du Festivaldes Francophonies, il vit

désormais à Limoges où il vient decréer la maison d’édition Hivernage.

Il a, par ailleurs, reçu le prix SonyLabou Tansi des lycéens en 2005.

n Entretien avec Moussa Konaté, auteur, éditeur 1

Marie-Laure Guéraçague pour Machine à feuilles :Nous interrogeons plusieurs auteurs (invités duFestival les Francophonies en Limousin) sur cetteéternelle question : Pourquoi écrivez-vous?

Moussa Konaté : Je peux le dire maintenant avec unpeu de recul : L’écriture est ce qui me rattache aumonde et me permet un certain équilibre. Je parlepeu, ce qui me relie aux autres passeessentiellement par l’écrit. Pour moi, c’estfondamental. C’est ce qui explique que j’ai tout

abandonné pour l’écriture, j’étais professeur deformation, censeur d’un lycée, alors que ce n’estpas un métier facile. Ce n’était plus une question debon sens mais de survie pour moi.

MàF : Écrivez-vous depuis longtemps?

Moussa Konaté : J’avais 23 ans, encore àl’université, lorsque j’ai écrit mon premier roman.J’ai ensuite enseigné quelques années, mais j’ai sentique ma vocation était d’écrire et non d’enseigner.

paroles

Page 13: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

J'ai aimé La Noce d'Anna, de Nathacha Appanah,Gallimard/Continents noirs. Une femme marie sa fille. C'est le

jour du mariage. La jeune fille est heureuse, un peu inquiète poursa mère qu'elle aime tendrement mais qui, déjà, inexorablement,glisse au second plan de sa vie. La mère fait tout ce qu'elle peutpour être à la hauteur de la situation: « Je serai comme elle aime

que je sois, bien coiffée, bien maquillée, souriante, prête à desconversations… » Pas facile. Les souvenirs affluent, de l'enfance

de sa fille, du père absent, rêves déçus et espoirs persistants.Être la mère de la mariée, c'est aussi jouer un rôle, présenter une façade, c'est

une épreuve pour la mère d'Anna, qui s'efforce de brider sa sensibilité, sespensées de “vieille folle”. Ni folle, ni vieille pourtant, le dénouement estinattendu, impertinent et joyeux. Il me semble que toute mère devrait se

reconnaître dans ce beau roman d'une grande pureté narrative. J'avais aiméaussi Les Rochers de Poudre d'Or (Prix RFO 2003) qui raconte un épisode peu

connu de la colonisation de l'Île Maurice, et Blue Bay Palace (Grand prix littérairedes Océans Indien et Pacifique), l'histoire d'un amour dans “un pays in

extremis”, tous deux publiés dans la collection Continents noirs de Gallimard.

Pierrette

« Mon imaginaire est en français »

n Quatre questions à Natacha Appanah 1

d’auteurs

Olivier Thuillas pour Machine àfeuilles : Quelles sont vosinfluences en littérature?

Natacha Appanah : Elles sont trèsvariées. J'ai eu une éducationlittéraire où nageaient dans unecertaine harmonie Shakespeare,Austen, Camus, Pagnol, Naipaul.Plus tard, j'ai nourri cette baseavec beaucoup d'auteurs delangue anglaise : Tharoor, Tagore,Desai, Ruth Rendell, Roy,Auster… Aujourd'hui, je lisbeaucoup de mes contemporainset j'ai des coups de cœurs,souvent : Hubert Mingarelli, parexemple, que je lis toujours avecbeaucoup d'émotion. Je souhaiteatteindre ce qu'il réussit à chaquelivre : l'émotion à chaque phrase,cette évidence dans le phrasé,l'écriture, le rendu dessentiments. Toutes ses histoiresd'hommes qui me parlent à moi,

c'est cela prendre un livre et nepas le lâcher. Plus tard, bien sûr,envier un peu l'écrivain…

Màf : Avez-vous des thématiquescommunes à vos trois romans?

Natacha Appanah : Je n'ai écritque trois romans et je n'ai pas dethème privilégié. J'essaie deprogresser, d'explorer. À chaquelivre que je lis, j'ai besoin desavoir si l'auteur a pris desrisques dans son écriture et moiaussi, je me tiens à cela : ne pasavoir peur de dépasser « son »univers, que ce soit aussi biendans la forme que dans le fond.

Màf : Comment expliquez-vous larichesse de la productionlittéraire mauricienne?

Natacha Appanah : Il y a toujourseu une grande production littéraire

mauricienne. Ce qui a changé,c'est que désormais, les auteursmauriciens sont publiés ailleursque chez eux. Nous avonstoujours l'impression de découvrirdes territoires littéraires, maiscelui de l'île Maurice était vivantet bien vivant avant.

Màf : Quels rapports entretenez-vous avec la langue française?

Natacha Appanah : J'ai toujoursécrit en français. Mon imaginaireest en français.Ce n'est pas une question dechoix, c'est comme cela. C'estdans la vie quotidienne que je merends compte, parfois, que lefrançais n'est pas ma languematernelle. Dans l'intimité del'écriture, jamais je ne me suisposé la question. n

1 Romancière d’origine mauricienne, Natacha Appanah vit à Paris où elle est journaliste.La Noce d’Anna, paru aux éditions Gallimard, dans la collection Continents noirs est son troisième roman.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

25

©C

athe

rine

Hél

ie

réflexion, et qu’il n’y a pas de société qui avancesans des personnes qui réfléchissent. Il faudraitdonc que l’Afrique accepte que le livre s’installedans sa culture. C’est pourquoi lorsque le festival sedéroule, cela se passe dans l’ensemble du pays,dans dix villes de Kayes à Tombouctou jusqu’à lafrontière algérienne, à l’université, dans les écoles,pour les enfants et le grand public. Cette année,20000 livres ont pu être distribués que nous avonschoisis en fonction des programmes maliens. Nousavons pu créer des bibliothèques là où il n’y en ajamais eu et aussi des formations, des ateliersd’illustrateurs, d’auteurs de livres pour la jeunesse.Il y a aussi un atelier cinéma pour faire un lien entrelittérature et cinéma : les cinéastes africains onttendance à ignorer la littérature africaine. C’est unelutte de longue haleine dont les principaux obstaclessont essentiellement culturels. Vous savez, le livreest arrivé, chez nous avec la colonisation, il a étéimposé par la colonisation mais l’obstacle le plusgrave est le statut du savoir : le savoir dépend del’âge, plus on est âgé plus on possède le savoir,lorsque la colonisation a apporté le livre, cela arenversé complètement l’échelle des valeurs etdonné le savoir aux plus jeunes, les plus vieux ontété de plus en plus dépossédés du savoir. Ce fut unchoc, le savoir n’est plus là où il était. Donc on amis tout dans le même sac, tout ce qui menaçaitnos structures sociales.

MàF : Mais si les vieux s’emparaient de ce savoir,ils n’en seraient pas dépossédés… et puis lesjeunes deviennent vieux?

Moussa Konaté : Oui mais ils n’en ont pas envie etc’est une autre langue. Ce qu’ils veulent c’est leurlangue. Ce problème se pose encore, n’est toujourspas résolu, reste vivace. Il faudra du temps.

MàF : Vous pouvez peut-être aussi nous parler devotre vie et de votre travail en Limousin?

Moussa Konaté : C’est en effet un exil choisi ettardif : ce que je voulais c’est continuer à écrire,je me suis rendu compte qu’au Mali, ce n’était pluspossible, plus on avance en âge plus on doitparticiper aux activités sociales, laisser sa porteouverte, ne pas s’enfermer pour travailler et quand

les gens veulent vousvoir, ils doivent pouvoiraccéder à votre maison etquand il y a des baptêmes,des mariages et desdécès, il faut y aller aussi.Écrire ce n’est pas vivrecomme tout le monde,je paraissais de plus enplus comme un marginal quine se soucie pas desautres. À mon corpsdéfendant j’ai quitté monpays pour pouvoir écrire et leLimousin est le seul endroitoù je pouvais venir car il n’estpas encore pollué par lemodernisme : il y a ici unecertaine quiétude qui rappellemon pays, surtout en dehorsde Limoges, une quiétudepaysanne qui me plaîtbeaucoup. De plus, le paysageest magnifique et les personnestrès agréables. Je ne regrettepas d’être ici. n

La collection Métiers d’autrefoisdes éditions Le Figuier

Écrits par Moussa Konaté et illustrés par Ali Zoromé, cette collectiondestinée aux enfants se décline en cinq titres: La Potière, La Fileuse,

La Savonnière, La Teinturière et Le Tisserand. Devraient bientôtsuivre: Le Forgeron, Les Mineurs du désert, Les petits ingénieurs,

Le Pêcheur, Le Berger, La Ménagère et Les Chercheurs d’or.

Étape par étape, l’auteur nous enseigne la pratique du métier évoquépar le titre. Simple, clair, efficace le texte va à l’essentiel. Hormis

La Savonnière pour lequel le narrateur est extérieur, les documentairessont écrits à la première personne. En s’adressant directement aulecteur, ce « je » provoque une attention accrue. L’illustration quasi

pleine page alimente la concision du texte: le lecteur y voit la posturequ’adopte l’artisan pour travailler, son habillement, son habitat, son

environnement proche. D’après l’expérience des libraires spécialiséesjeunesse de Rêv’en Pages (16, rue Othon-Péconnet à Limoges):

« les enfants auxquels ces livres ont été présentés ont montré un réelintérêt; ils observent attentivement les illustrations, recherchant dansl’image les outils, matériaux et ingrédients représentés en deuxième

de couverture de l’ouvrage ».

La vitrine que les libraires de Rêv’en Pages réalisent durant le Festivaldes Francophonies n’est jamais conçue sans ces titres qui, comme

l’indique l’éditeur en quatrième de couverture, « amènent à mieuxconnaître la vie quotidienne de millions d’hommes et de femmes

du continent noir qui se battent pour mener une vie honnête etdécente grâce au travail ».

Arlette

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

24

•••

paroles

Page 14: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

27

SENGHOR 1

immédiate et sensuelle de l’être-du-monde, en exprimant cette poésie enfrançais et en l’ouvrant ainsi aux cinqcontinents francophones, Senghor donnela plus haute illustration de la Négritude :enracinement dans les valeurs négro-africaines et participation à la culturemondiale. Surmontant sa préventioncontre la politique, il se fit élire député àl’Assemblée Nationale française.Il y resta de 1945 à 1959.Il n’abandonna pas l’écriture pourautant. Pendant toute cette période, ildéfendit avec acharnement ses idées,les fondant de façon récurrente sur lesvaleurs de la Négritude. Senghor veutfaire du négro-africain « un créateur », unhomme intégral ; il n’en a pas encoretous les moyens. Alors, il utilisera ceuxqui sont pour le moment à sadisposition. Son mandat deparlementaire lui en donne l’occasion.Il multipliera les interventions au PalaisBourbon et ailleurs. Tout sujet importantqui concerne l’Afrique, son présent et son futur, est,pour lui, thème d’intervention, objet de réflexion.Mais sur bien des sujets, Senghor se fait quandmême Blanc avec les Blancs. Il en appelle à laraison discursive de ses collègues députés, commeà son propre tempérament de Négro-africain, à saNégritude. Il tempère la violence d’un Césaire, d’unDamas, d’un Depestre sans retirer de leurs écrits cequi en fait le fond, mais en se projetant dansl’avenir. La complémentarité entre l’Europe etl’Afrique, l’Eurafrique et sa construction, lepréoccupe. L’indépendance proclamée, il devientPrésident de la République du Sénégal. Il veut créerun Sénégal nouveau, un Sénégalais nouveau. Il veutque celui-ci soit un créateur sur la base des valeursles plus authentiquement sénégalaises, des valeursde la Négritude ouverte sur l’Universel et d’abord surla Francophonie. Il cherche et pratique « une voieafricaine du socialisme », légifère sur le foncier,promulgue un code de la famille favorisant la femme,soutient la décentralisation, prône le dialogue pour ladémocratie et la fait avancer au Sénégal, veille aurespect des droits de l’Homme, réforme l’économie,donne enfin la primauté au Culturel sur le politique,réalisant la transcription des langues nationales,réussissant avec le premier Festival mondial des

arts nègres, l’ouverture au monde de la diasporanoire, consacrant enfin plus du tiers du budgetnational à l’épanouissement dans l’humain,j’entends par là l’éducation et la culture. Lui aussi,comme Martin Luther King, a fait un rêve : c’est unrêve de progrès et de paix, de fraternité entre lespeuples et symbiose entre les cultures. Un rêved’humaniste qui, selon l’expression de Césaire, a« la force de regarder demain » et qui se donne pourtâche « d’éveiller [son] peuple aux futursflamboyants ». Rêve de poète dont le bonheur est defaire du poème une action et de l’action un poème.Car Senghor n’est pas un président qui « taquine laMuse » mais un poète devenu président et quisoumet son action politique à une vision et à unprojet proprement politique, « la politikè [n’étant], envérité, que l’art de l’humanisme intégral » puisqu’ellea pour finalité de tenter de réaliser ici-bas la Citéidéale. Cette Cité qui sera communauté mondialed’espérance et de destin trouve dans laFrancophonie l’une de ses premières fondations.Car la langue française est pour Senghor « l’armemiraculeuse » laissée dans les décombres de lacolonisation. Elle lui permet d’abord de se construireet de se révéler. Il se forme en effet à « la clartéet [à] la richesse, [à] la précision et [à] la

Il en est des véritables écrivainscomme des bons amis sans doute,

avec eux comme jamais l’absence estune présence plus grande encore. On

n’a toujours pas fini de parcourir lemonde dans les pas de Nicolas

Bouvier, quelques années après sadisparition… Les éditions Zoé

proposent cette fois sous la formed’un beau coffret de deux disques

compacts qui est tout de même unlivre (reproduisant les poèmes de

l’auteur) d’entendre la voix si particulière de notre Suissefrancophone et bourlingueur favori. Des enregistrementsinédits, et de fortune, sur les chemins d’Orient, et leurs

commentaires inspirés disent la passion de Bouvier pour lamusique. Celui qui fut également iconographe est aussi

revisité avec amitié et érudition par Jacques Lacarrière ouKenneth White. Les éclairs poétiques, enfin, qui

traversaient déjà Le dehors et le dedans (Zoé, 1982) sontlus ici, et avec quelle sincérité, finissent de rendre cette

parution indispensable à tous les amoureux de cette œuvrefrancophone à la portée universelle. Les autres, qui n’ont

encore jamais suivi Bouvier dans « le vent des routes »tiennent là une opportunité de le faire sans plus attendre :

les chanceux qui ne savent pas encore la somme detrésors qu’ils vont être amenés à découvrir !

Pierre

Le Vent des routes : Entretiens avec et autour de Nicolas Bouvier,Coffret de 2 CD et un livret, éditions Zoé, 2005.

•••

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

26

par Abdou Diouf,

Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie.

En 1930, lorsque Césaire, Damas et Senghor,alors étudiants à Paris, lancent le mouvementde la Négritude, ils étaient révoltés devant le

mépris dans lequel étaient tenus le continent et lemonde noirs. Il fallut en effet du temps auxanthropologues et aux africanistes pour fairecomprendre et aimer les cultures négro-africaines.Longtemps leurs voix crièrent dans le désert del’indifférence mais peu à peu se firent entendre etSenghor fut le plus ardent des propagateurs.C’est le temps où Bergson par « la Révolution de1889 » remettait en cause le monopole intellectuelde la raison discursive et où Rimbaud avec lapublication d’Une saison en enfer proclamait :« Je suis nègre ». « L’ère des fétiches », selonl’expression d’Emmanuel Berl, commençait et elleallait trouver dans le Paris des années 20 et 30 uncreuset d’idées et de sensibilités nouvelles.Les poètes de Harlem exilés du racisme américain,le succès de La Revue Nègre, celui considérable del’Exposition coloniale, l’épopée de l’expédition Dakar-Djibouti, la publication des travaux de MauriceDelafosse, Robert Delavignette, Marcel Griaule, duPère Aupiais et, surtout, en 1936 de l’allemandLéo Frobenius : pouvait-il y avoir meilleur terrain pourl’éclosion de ce « mot-concept » de Négritude ?Forgé par Césaire, nourri par Senghor, exalté par lesdeux poètes, il devint très vite « une idée-force »,l’exigence de la reconnaissance des cultures noireset la proclamation du droit à une différenceconstitutive d’une personnalité individuelle etcollective originale : « la Négritude, c’est l’ensembledes valeurs culturelles du monde noir, telles qu’elles

s’expriment dans la vie, les institutions et les œuvresdes Noirs. Je dis que c’est là une réalité : un nœudde réalités ». Il en résulta, en pleine périodecoloniale, un an après le discours de Brazzaville,de lourdes conséquences au plan politique :« assimiler et non être assimilés » déclara Senghor,péremptoire. Et d’expliquer dans un texteremarquable qui date de 1945 que « La Colonisation,fait historique, » n’est pas mission civilisatrice, mais« contact entre deux civilisations ; la définition lameilleure du problème » ajoute-t-il. Il en fit la pluslimpide des démonstrations, convoquant lesafricanistes les plus prestigieux de l’époque,décrivant, maints exemples à l’appui, la réalité decette civilisation africaine et critiquant objectivementla colonisation, « le but dernier » de celle-ci – noussommes en 1945 et l’heure n’est pas encore venuede parler d’indépendance – le but étant donc « unefécondation intellectuelle, une greffe spirituelle,une assimilation qui permette l’association ; maisune assimilation par l’indigène ». Plus exactement,assimiler les apports fécondants du génie françaispour mieux s’associer à la France.

Dès 1945, en tout cas, poétique et politique sontétroitement imbriquées dans la pensée, dans l’actionet dans l’œuvre de Senghor ; poétique et politiqueprocèdent chez lui du même rêve et de la mêmevolonté : rêve de changer le monde, d’imposer audésordre de l’histoire l’ordre d’une raison éprise depaix et de fraternité ; volonté d’infléchir la force deschoses pour aider efficacement à l’avènement de laCité parfaite. La poésie de Senghor comme celle deCésaire est politique au sens le plus noble del’adjectif : elle entend annoncer un monde enfinréconcilié avec lui-même, redevenu humain, toujoursplus humain et ce monde anticipe, pour leSénégalais, sur la Cité de Dieu et, pour leMartiniquais, sur une société enfin sans classe :« La poésie ne doit pas périr », rappelle Senghor en1956. « Car alors, où serait l’espoir du Monde ? ».La philosophie négro-africaine considère que laparole est acte. Ou, si l’on préfère, que la poésie estaction. En recherchant une poésie expressive de sonmoi profond, de ses « lointains intérieurs » maisaussi de rythme négro-africain qui est saisie

Puisque nous sommes au seuil de

cette année 2006 que nous avons

appelée « l’Année Senghor »,

en hommage au poète et au Président

également grands qu’il fut,

permettez-moi de vous entretenir de

celui qui ne capitula jamais devant

la politique, accordant toujours

la « primauté » à la culture.

Les deux s’influencèrent.

Poétique et politique. Comment en

aurait-il pu être autrement ?

1 Ce texte reprend une grande partie du discours qu’Abdou Diouf aprononcé le 4 novembre 2005, lors de l’inauguration de la 24e Foiredu livre de Brive-la-Gaillarde.

HOMMAGE À SENGHOR

Page 15: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

La francophonie est au cœur même del’appellation « Bibliothèque francophonemultimédia de Limoges ». On voit par là

toute l’importance accordée à cette thématiqueportée par la Ville depuis 1984, date de lacréation du Festival de théâtre francophone, quifut suivie en 1985 par la mise en place deL’Université de la Francophonie au sein del’Université de Limoges, puis par l’ouverture,en 1988, de la Maison des Auteurs.

En 1996, soit deux ans avant l’inaugurationde la Bfm, le pôle de littérature francophoneétait reconnu pôle national associé à laBibliothèque nationale de France dans lesdomaines du théâtre, de la poésie et de lacritique francophones. C’est dire l’excellencedu travail accompli par le responsable dupôle à cette époque, Jean Souillat, ainsi quepar l’ensemble des chercheurs qui ontœuvré sous la direction de Jacques Chevrierafin de constituer le fonds de ce pôle,unique par sa transversalité puisqu’ilconcerne l’ensemble des productions littérairesdes différents pays francophones. La vocation dupôle est double : il s’adresse au grand public à qui ilpropose la plupart de ses ouvrages et ses documentsaudiovisuels en accès libre, en plus de la pressefrancophone internationale ; et il réserve par ailleurscertains documents à un public de chercheurs.

Depuis sa création, le pôle a fait l’acquisition defonds uniques, souvent prestigieux. Ces fonds sontconstitués notamment par tout le théâtre inédit quiprovient du Centre des Auteurs dramatiques duQuébec, du Centre des écritures dramatiquesWallonie-Bruxelles, du concours théâtral de RadioFrance Internationale (RFI), et bien entendu, duFestival des Francophonies en Limousin. En 2002, leThéâtre international de langue française de La Villettea aussi fait don de ses archives à la Bfm deLimoges. Enfin, la même année, l’association pourla diffusion de la pensée française a fait don d’unfonds documentaire de plus de 5000 ouvrages.

En 2003, dans le cadre de l’Année de l’Algérie enFrance, grâce à un financement exceptionnel de laVille de Limoges et à une aide du Centre national dulivre, le pôle a fait l’acquisition du Fonds Charlot, dunom de l’éditeur algérois Edmond Charlot qui fut lepremier à publier Camus, Roblès, Audisio et tantd’autres dans les années 1930.

ÉCRIVAINS FRANCOPHONES D’AUJOURD’HUI

Le pôle ne néglige pas pour autant la troisièmecomposante de l’appellation de la bibliothèque:le multimédia. Il met ainsi en œuvre chaque année unimportant travail de numérisation des textes inédits.En 2000, un partenariat avec RFI a permis de coproduiredes CD consacrés à des écrivains francophonescontemporains. Ces CD, constitués de trois émissions,proposent deux entretiens avec un écrivain, l’un sur savie et l’autre sur son œuvre, ainsi qu’une table rondede spécialistes. Avec le développement de l’Internet etle renouvellement du site de la bibliothèque, cesentretiens prennent dorénavant une nouvelledimension: outre le son, nous proposons des imageset des textes autour d’un auteur. Certains entretiensdonneront lieu à la production de CD et auront undébouché commercial, à commencer par celui qui futcoproduit avec RFI en 2003 sur l’École d’Alger.

Pour plus d’informations :

Site Internet : www.bm-limoges.fr

ou www.francophonie-limoges.com

Courriel : [email protected]

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

29

Selon la tradition universitaire, unmaître qui se respecte se voit honorépar ses étudiants et ses collègues, lejour où ces derniers lui composent un

volume de « mélanges »… Celui quifait l’objet d’une publication aujourd’hui reprend, une fois n’est

pas coutume, les seuls textes de son destinataire:Guy Tessier, bien connu des lecteurs de Giraudoux (au sujetduquel il a notamment dirigé récemment l’édition du Théâtre

complet pour la collection La Pochothèque). Mais ce fortvolume est aussi l’occasion d’un voyage dans la littératurefrancophone avec quatre articles consacrés au Maghreb, à

ces romans qui « racontent les colonisations etdécolonisations tant collectives qu’individuelles » (AssaDjebar, Driss Chraïbi, Tahar Ben Jelloun…) suivis d’une

défense du théâtre québécois (« si vivant et insuffisammentconnu »). À la clef, un détour par l’univers oulipien d’Italo

Calvino, preuve s’il en fallait que l’étude de Giraudoux mène àparcourir l’univers: tous les mots et tous les mondes, pour

cause: sa langue est bien celle de la littérature!

Pierre

Des mots et des mondes: de Giraudoux aux voix de la francophonie,par Guy Tessier, Presses Universitaires François Rabelais, 2005,

Collection Littérature et Nation.

LA FRANCOPHONIE AU CŒURDE LA BIBLIOTHÈQUE DE LIMOGES

par Chantal Stoïchita de Grandpré,Responsable du pôle de littérature francophone à la Bfm de Limoges.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

28

nuance » qui caractérisent la langue de Descartesalors que, très tôt, sa sensibilité a découvert avecémerveillement les blandices sensuelles des motsfrançais, « la gentillesse et l’honnêteté », comme ilse plaît à le répéter, d’un langage dont il n’a jamaisdouté qu’il fut éclos sur les lèvres des dieux.« Maître de langue », il fut un maître africain de lalangue française. De celle-ci il usa en effetmagistralement pour exprimer les tréfonds d’unepersonnalité négro-africaine, pour sonder les racinesde l’âme noire et puiser la sève nourricière depoèmes qui sont « œuvres de Beauté » offertes àses frères de race et de sang et, au-delà, à sesfrères des autres races et continents ». Victor Hugobouleversera la « noble et austère ordonnance deMalherbe » ; il « mit un bonnet rouge sur le vieuxdictionnaire ». Il libéra du même coup une foule demots tabous « pêle-mêle, mots concrets et motsabstraits, mots savants et mots techniques, motspopulaires et mots exotiques. Et puis vinrent, unsiècle plus tard, les Surréalistes qui ne secontentèrent pas de mettre à sac le jardin à lafrançaise du poème-discours. Ils firent sauter tousles mots-gonds, pour nous livrer des poèmes nus,haletant du rythme même de l’âme. Ils avaientretrouvé la syntaxe nègre de juxtaposition, où lesmots, télescopés, jaillissent en flammes demétaphores : de symboles.Le terrain était préparé pour une poésie nègre delangue française ». « Langue éminemmentpoétique », le français lui sert également à exprimerson enracinement dans sa Négritude et à ouvrircelle-ci et sonœuvre à la communautéinternationale : « …Si nous sentons en nègres, nousnous exprimons en français, parce que le françaisest une langue universelle [et] que notre messages’adresse aussi aux Français de France et auxautres hommes ».

En fait, Senghor n’a jamais douté de l’universalité dela langue française, pour parler comme Rivarol,c’est-à-dire de la vocation universelle des valeursde la civilisation française, de ce qu’il appelle« la francité ». Avec celles de la Négritude et de« l’arabité », elles sont ces apports à nul autrepareils qui contribuent à la diversité et à la richessede la culture mondiale : « Avant tout, pour nous, laFrancophonie est culture, déclare-t-il en 1966.C’est une communauté spirituelle : une noosphèreautour de la terre ». La Francophonie permettra deréaliser, il n’en saurait douter, cette « symbioseculturelle » qui se parachève dans « la civilisation del’Universel », « idée-force » et, pourrait-on dire, utopienécessaire que Senghor emprunte à Pierre Teilhardde Chardin. Inaugurant en décembre 1974 à laSorbonne le Centre international d’étudesfrancophones, il affirme « la nécessité d’élaborer,s’étendant sur les cinq continents, une symbioseculturelle comme celle de la Francophonie, qui estd’autant plus humaine, parce que d’autant plusriche, qu’elle unit les valeurs les plus opposées ».Trois ans plus tard, il préconise « d’accorder nos

différences pour en faire une symbiose » et ajoute :« C’est ainsi que la langue française sera acceptéecomme notre langue de communication mais aussid’épanouissement international au sein de laquellechacune de nos cultures se reconnaîtra en naissantà l’universel ». Et le 19 septembre 1985, rendantvisite au siège de l’Agence intergouvernementale dela Francophonie, il donne de la Francophonie unedéfinition qui n’a rien perdu de sa pertinence et deson actualité : « La Francophonie, déclare-t-il, c’estl’usage de la langue française comme instrument desymbiose, par-delà nos propres langues nationalesou régionales, pour le renforcement de notrecoopération culturelle et technique, malgré nosdifférentes civilisations ». La Francophonie est doncpour lui à la fois culture et humanisme pour lestemps présents « Il s’agira, écrit-il en 1988 àl’intention des générations d’aujourd’hui, pour fairede la Francophonie le modèle et le moteur de laCivilisation de l’Universel, de favoriser les échangesd’idées en respectant la personnalité originaire etoriginale de chaque nation ».

La Francophonie est donc pour lui promesse d’uneaube nouvelle annonciatrice d’un monde danslequel chaque civilisation sera enfin reconnue àparité avec les autres. Ainsi, « la Négritude rédimée »dans un monde qui, riche de ses différencesculturelles réalisera enfin « la civilisationpan-humaine », « l’Humanisme intégral ». n

•••

Page 16: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

31

Màf : Qu’est-ce que vous associez au mot« francophonie » ? Existe-t-il, pour vous, unelittérature francophone?

Marie-Agnès Sevestre : J’ai plus eu le sentiment,dans mes différentes activités, d’être étiquetée« francophone » que de faire une véritable démarchefrancophone. Je veux dire par là qu’en travaillantavec des auteurs de pays francophones, je me suistrouvé dans des projets labélisés, pouvant êtresoutenus, par exemple, par la Commissioninternationale de théâtre francophone. Dans lemême esprit, lorsqu’on veut faire voyager desauteurs ou des artistes, on peut obtenir dessubsides de l’Organisation internationale de lafrancophonie. J’ai souvent travaillé avec desorganisations de soutien à la francophonie, sansvraiment avoir envisagé les projets artistiques souscet angle ! Au-delà de cet aspect administratif deschoses, je crois que la littérature francophone estmieux considérée et enseignée à l’étranger, auxÉtats-Unis par exemple où l’on enseigne dans unprogramme de littérature française, à la fois Honoréde Balzac et Maryse Condé ! En France, on a gardécette frontière entre un auteur français et un auteurd’expression française écrivant en dehors de lamétropole : on a du mal à considérer les auteursuniquement par le biais de la langue dans laquelleils s’expriment. En fait, pour répondre à votrequestion, je crois qu’il existe une littérature delangues françaises. L’ethnocentrisme à la françaiseconduit aussi à intégrer dans la Littérature françaiseavec un grand « L » des auteurs francophones quiont gagné leurs lettres de noblesse académiquesou médiatiques.J’ai fait une expérience il y a une dizaine d’annéesavec deux dramaturges canadiens écrivant enfrançais, Michel-Marc Bouchard et Jean-Marc Dalpé.Ces deux auteurs qui étaient régulièrement montésau Québec, n’étaient jamais joués en France, carleur langue passait mal « la rampe » sur la scènefrançaise, pour des raisons de rythme, de sonorité,d’accroche de cette langue, de possibilité pour desacteurs français d’incarner cette langue en l’état.Les Muses orphelines de Michel-Marc Bouchard étaittraduit et joué en Italie, en Espagne et partout enEurope donc, sauf en France. Quant à la pièce de

Jean-Marc Dalpé, auteur francophone d’Ontario, donctrès imprégné d’anglais, elle était égalementinjouable en France pour les mêmes raisons. Je leurai donc proposé de trouver des auteurs françaissusceptibles, non pas de traduire leur pièce, mais del’adapter pour la scène française. Ils ont de primeabord été choqués et même bouleversés par unetelle proposition, mais ont accepté de tenterl’expérience. Noëlle Renaude a donc adaptéLes Muses orphelines avec Michel-Marc Bouchard,et Eugène Durif a travaillé à l’adaptation de Le Chiende Jean-Marc Dalpé. Ils ont réfléchi ensemble à cesversions pour la scène française, en adaptant lesjeux de mots, les sonorités et les anglicismes aupublic français. Finalement, ces deux textes1, sontmaintenant régulièrement joués en France, etnotamment la version de Noëlle Renaude des Musesorphelines. Le théâtre, dans la mesure où il reflèteaussi une société, a parfois besoin de cetteadaptation, même si c’est dans une même baselinguistique, le français, car les registres de langue,les références, sont différents d’un continent àl’autre. Parfois l’écart entre ces registres de languefait tout le charme et la poésie d’un texte, et il peutêtre monté dans sa version première, mais parfoisl’écart est trop grand et empêche une bonnecompréhension du metteur en scène, ne permet pasaux comédiens de s’investir complètement dans letexte et laisse le public sur sa faim.

Màf : Dans quels pays trouve-t-on à votre avis lalittérature et le théâtre les plus prometteurs etnovateurs?

Marie-Agnès Sevestre : Si je continue sur le Québec,je crois qu’il y a eu deux grandes vagues de créationthéâtrale de grande qualité : dans les années 1960,au moment de l’apparition d’une revendication dufait français, avec par exemple les premières piècesde Michel Tremblay, puis dans les années 1990,avec des auteurs comme Daniel Danis, Michel-MarcBouchard, Normand Chaurette, Jean-François Caron,Carole Fréchette etc. Actuellement, je ne sens pas,de mon point de vue, dans les jeunes gens dont je

une littératurelangues françaises »

1 Un seul volume, regroupant les deux pièces adaptées en français aparu chez Théâtrales en 1994.

« Je crois qu’il existe une littératurede langues françaises

entretien avec Marie-Agnès Sevestre,Directrice du Festival des Francophonies en Limousin.

Olivier Thuillas pour Machine à feuilles :Vous aviez déjà une bonne connaissance de lafrancophonie et de la littérature francophone avant deprendre vos fonctions à la tête du Festival desFrancophonies en Limousin?

Marie-Agnès Sevestre : Une bonne connaissance,je ne sais pas, mais un intérêt de longue date pourles auteurs d’expression française en dehors de lamétropole, sans aucun doute, puisque j’aicommencé à m’intéresser à eux à la fin des années1980 lorsque j’ai animé un comité de lecture detextes dramatiques francophones aux éditionsThéâtrales. Toujours pour ces mêmes éditions, j’aiorganisé des échanges avec le Québec, la Suisse,la Belgique et le Maghreb. Je suis ensuite restéedix ans à la tête de l’Hippodrome de Douai, scènenationale au sein de laquelle j’ai créé le festival« Les Météores », construit autour de la question dela langue et de l’écriture, mais avec uneprogrammation pluridisciplinaire avec de la musique,de la danse, du cirque, du cinéma et bien sûrdu théâtre.

Màf : Ces différentes expériences vont-elles orienterla programmation du Festival des francophonies?

Marie-Agnès Sevestre : L’écriture francophone et sonpassage à la scène sont déjà au cœur du Festivaldepuis sa création. J’apporterai probablement uneouverture plus grande aux autres disciplines, à lachanson par exemple, aux auteurs-compositeurs demusique ou encore aux scénaristes qui me semblenttout aussi intéressants que les auteurs de théâtre.Je suis aussi très intéressée par la question de latraduction, qui est une vraie écriture, ou plutôt une« ré-écriture ». Il est étonnant de constater, parexemple, que l’on traduit assez différemmentShakespeare pour la scène française ouquébécoise ! À l’intérieur de la même langue, lefrançais, on a donc des interprétations assezdifférentes et des registres poétiques variés.

Màf : Que pensez-vous de l’initiative assezcontroversée de Patrick Le Mauff d’avoir chaqueannée une langue invitée au Festival ?

Marie-Agnès Sevestre : Je trouve celatrès intéressant, car ça replace la languefrançaise dans ce qu’elle estobjectivement : une langue qui voisineavec d’autres langues, avec descroisements, des influences, desemprunts d’une langue à l’autre.Cette langue invitée permettait ausside décentrer le propos, de surprendreet d’étonner, ce qui est le propred’un festival. En tant que spectatrice,je trouvais cette idée vraiment forte.Mais en tant que directrice duFestival, mon point de vue divergeun peu ! Les moyens du festivaln’étant pas, à l’heure actuelle, auniveau des ambitions artistiquesaffichées, je crois que je vaisdevoir me concentrer d’abord surla création d’expressionfrançaise, quitte à ouvrir laprogrammation vers d’autres« langages scéniques » dont jevous parlais précédemment.

FESTIVAL DES FRANCOPHONIES

« Est-ce volontaire ou une coïncidence heureuse? Le Festivaldes Francophonies prend ses quartiers d’automne à l’époque

où le Limousin s’habille des couleurs de l’été indien. Nature etculture s’associent pour stimuler nos sens, prélude aux

émotions à venir. En deux décennies cet événement a mûri,grandi, rompu avec une vision restrictive de la francophonie.

Je partage en effet l’idée que sans se perdre, le festival doitêtre un moment d’ouverture et d’accueil. De ce point de vue,l’expérience de la « langue invitée » me semble heureuse, ne

serait-ce que parce qu’elle contraint les spectateurs à écouter,regarder, ressentir autrement. Il m’est impossible de classer les

spectacles car, du plus modeste au plus prestigieux, de laréussite magique, au lamentable échec, ils sont le reflet d’une

aventure humaine, qui par nature est imparfaite. Pour cesdifférentes raisons, depuis deux décennies nous sommes

fidèles au rendez-vous de cette « sonate d’automne », certainsde prendre beaucoup de plaisir dans ce désordre

soigneusement organisé, partageant ainsi des tranches de viedifférentes et complémentaires. »

Christian

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

30

Page 17: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

33

En revanche il est plus difficile de s’approvisionnerauprès des éditeurs africains et canadiens :transport très coûteux, pas de faculté de retour,petite remise.Commandes passées, livres arrivés, la librairieoccasionnelle doit être installée. « L’accès auxlocaux du Zèbre est pratique, l’espace estfonctionnel » précise le libraire. Il peut aisémentcréer son espace de vente : tables dédiées auxauteurs, aux conférenciers aux spectaclesprésentés ; tables présentant l’essentiel des éditionsde théâtre (L’Arche, les Solitaires intempestifs,Le bruit des autres, les Éditions théâtrales…) ;tables attribuées aux guides et carnets de voyages,à la géopolitique selon les thèmes abordés par lesspectacles, à l’Histoire des pays, la sociologie,l’édition jeunesse et la littérature. La librairiethématique s’efforce de répondre à chaque âge, àchaque centre d’intérêt, à chaque recherche.

Au fil des ans, grâce aux recherches menées, auxbibliographies mises à jour aux informationscollectées, la librairie du Zèbre prend plus d’ampleur.Y voir la conséquence directe de l’intérêt que porteVincent Gloeckler à ces littératures n’est pas erroné :il suffit de l’écouter évoquer les pièces de théâtreLes Indépendants tristes de William Sassine ouFatma de M’hamed Benguettaf, l’un et l’autre éditéspar Le bruit des autres, ou encore Le Collierd’Hélène de Carole Fréchette édité par Lansmann,pour avoir envie de les lire. Demandez-lui de parler deRené Depestre (haïtien), Sahar Khalifa (palestinienne)ou Suzie Bastien (québecquoise) et vous aurezl’impatience de les lire ! L’exposition-vente ne dure quequinze jours au Zèbre mais les lecteurs bénéficienttoute l’année au sein même de la librairie de cerintérêt porté aux littératures francophones.

Arlette Pragout

E n 1988, quatre ans après lanaissance du festival des

Francophonies en Limousin, uneMaison des Auteurs voit le jour àLimoges. Des écrivains, se dédiantprincipalement à l’écriture théâtrale,viennent y faire un séjour dequelques mois. Cette maison, àl’image du festival auquel elle estrattachée, voit passer dans sesmurs des auteurs d’expressionfrançaise vivant en Afrique, enAmérique du Nord, au Proche-Orient ou en Europe.

Depuis sa naissance, plus de120 auteurs de 29 paysdifférents sont venus travailler surleur projet d’écriture et leur œuvrepersonnelle, tout en participant àdifférentes rencontres avec lespublics. En effet, lectures,débats, animations littéraires,ponctuent aussi le temps deprésence de ces auteurs.Ces résidences ouvrent aussiparfois le chemin qui mène de lapage à la scène, puisque, parexemple, en vingt-deux ans

d’existence, le festival desFrancophonies en Limousin aprésenté, entre autres, plus de50 spectacles écrits par desauteurs francophones venus enrésidence d’écriture ; et puis aussiparfois, elles ouvrent le cheminqui va de la page au livre, puisquenombre d’écrits sont devenuslivres chez des éditeurs commeThéâtrales, Le bruit des autres ouLansman.

La Maison des Auteurs des Francophonies en Limousin

en Limousin

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

32

lis les textes, d’émergence d’une qualitéidentique à celle qu’on a pu connaîtrelors de ces deux grandes vagues decréation. Les trentenaires dont je lis lespièces sont, me semble-t-il, très influencés par lecinéma, par la télévision et par une certaine formede zapping. Je lis de bonnes pièces, mais pas destextes exceptionnels comme a pu l’être à sa sortieen 1992 une pièce comme Cendres de cailloux 2.Les Antilles donnent, me semble-t-il, d’excellentspoètes et romanciers, que l’on parle d’Haïti, de laGuadeloupe, de la Martinique, mais aussi de trèsgrands philosophes, essayistes qui abordentjustement la question de la langue et de la créolité.Je n’y vois pas, par contre, émerger de grandesplumes dramatiques.Le Maghreb fournit bien entendu de grandsdramaturges de langue française, mais beaucoup deces auteurs vivent depuis longtemps en France.Doit-on considérer Slimane Benaïssa par exemplecomme un auteur francophone? Une grande partiede la création algérienne, tous arts confondus, est,pour les raisons que l’on connaît, exilée depuisplusieurs années en France.Pour ce qui concerne l’Afrique noire, je constate quede plus en plus d’auteurs s’impliquent directementdans des projets inscrits sur le territoire africain.Je pense en particulier à Dieudonné Niangouna àBrazzaville et à Étienne Minoungou à Ouagadougouautour des « Récréatrâles ». Ces auteurs, mais jesais qu’il y en a d’autres, produisent des textes et

réfléchissent aussi aux conditions del’écriture dans leur propre pays, à la

nécessité de créer des réseaux de soutien,de création, de production, d’échange

d’expériences ou de matériel… Ils parviennent àcréer des événements, des festivals autour de la

question de l’écriture dans un échange permanentavec le public et avec les autres artistes. Ça mesemble à la fois très nouveau – on ne voyait pas detelles initiatives il y a encore une dizaine d’années –et vraiment généreux de la part d’auteurs reconnuset publiés en France, qui se sentent le devoir etl’envie d’agir pour la création artistique de leur paysd’origine. Ils ont cessé d’attendre simplement quel’on monte leur pièce, mais agissent comme desopérateurs et des porteurs de projets.Par ailleurs, la Belgique donne régulièrement degrands dramaturges et de grandes pièces, je penseparmi d’autres à Jean-Marie Piem, mais je ne senspas, encore une fois dans les jeunes auteurs, detrès grandes plumes, mais j’espère tomber trèsprochainement sur des textes novateurs.La production théâtrale belge est de grande qualité,mais émane plutôt des Flammands qui font souventdu détournement de texte existant ou desimprovisations à partir de canevas de textes écritspour la scène. En fait, dans les productions belgesque j’ai pu voir ces dernières années, l’auteur etl’écriture étaient rarement au centre du projet.Pour finir, je crois qu’il y a une émergence d’unthéâtre de grande qualité dans les Mascareignes, àl’île Maurice mais aussi et surtout aux Comores et àLa Réunion. J’ai lu de jeunes auteurs trèsprometteurs venant de cette région du monde,comme par exemple la Réunionnaise Lolita Manga. n

« Que la langue française (y) soit la langue del’apprentissage des autres ; que puissentpar elle, communiquer des cultures, des

traditions, des identités différentes » : en sa qualitéde libraire, Vincent Gloeckler s’associe depuis dixans pour le compte de « Pages et plume » à laphilosophie que Pierre Débauche soutenait lors dudiscours d’ouverture du premier Festival desFrancophonies en 1984.Apprendre des autres, comprendre, communiquer,le libraire y est sensible, c’est sans doute pourquoi,sur l’espace qui lui est attribué au Zèbre (rue de laRéforme à Limoges), il propose des revues et denombreux livres (environ mille titres) tous genresconfondus : essais, théâtre, romans, poésie,jeunesse, documentaires. Sur une surface de trentemètres carrés, le public a tout loisir de satisfaire sacuriosité par cette sélection thématique.Pour en arriver là, le travail commence en amont

avec Nadine Chausse, du bureau organisateur desFrancophonies en Limousin. Elle transmet les nomsdes invités et leur bibliographie, les spectacles,lectures et conférences prévus afin d’assurer lescommandes spécifiques qui leur sont liées.Ensuite Vincent Gloeckler dirige ses recherches versles parutions récentes et vers les livres de fondssoigneusement sélectionnés par les canauxhabituels : Electre, Internet, catalogues d’éditeurs,revues d’information telle que Notre Librairie (Revued’actualités et de critiques des littératures d’Afriquedes Caraïbes et de l’Océan Indien), Africultures ouencore La Scène.Le travail est aisé avec les éditeurs français :Gallimard et sa collection Continents noirs, Hatier etla collection Monde noir, l’Harmattan, Dapper, leSerpent à plumes, Alternatives et la collection Pollen,Albin Michel pour sa collection Sagesse ; facile etagréable avec les éditeurs belges notamment Lansman.

La librairie éphémère du Festival des Francophonies en Limousin

2 Cendres de cailloux, de Daniel Danis, éditions Léméac / Actes sudPapiers, 2000.

Page 18: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

35

Entretien croisé avec Corinne Pago et Philippe Arnaud,professeurs de Lettres 1.

« Si la différence déstabilise, elle est aussisource de curiosité et d’interrogation »

Olivier Thuillas pour Machine à feuilles : Comment sedéroule le Prix Sony Labou Tansy dans vos classes?

Corinne Pago: J’ai participé au Prix Sony Labou Tansy,l’année de son lancement, c’est-à-dire en 2002.Il s’appelait alors Comité de Lecteurs Lycéens.J’ai senti d’emblée une appréhension de mes élèvesde Seconde – pas très attirés par la littérature parailleurs – face à la quantité de livres à lire. Du coup,j’ai insisté sur l’aspect vivant : le rapport avec leFestival des Francophonies et surtout lesrencontres avec les comédiens, les metteurs enscène et les lecteurs. Cet aspect m’a permisd’obtenir leur adhésion a priori au projet,indispensable pour moi à sa mise en œuvre.Ce sont ces rencontres ainsi que la participationau festival qui ont rythmé le travail, et ont permisde donner une dynamique et d’écarter toutelassitude. Le travail s’est par ailleurs mis en placepar séances espacées de trois semaines, tempsnécessaire à la lecture d’un texte. Ces séances sefont en groupes, constitués selon l’œuvre lue,donnant lieu à un compte-rendu critique et à unelecture d’extraits choisis, suivis d’un échange detextes en vue de la séance suivante. Les dernièresséances, une fois les lectures faîtes, ont étéconsacrées à la constitution de groupes desoutien autour de chacun des textes. Un seultexte, peut-être trop difficile n’a pas été

représenté dans la classe.L’idée d’un échange avec les auteurs des textess’est alors révélée extrêmement stimulante et abeaucoup contribué à la fois à la motivation dugroupe et à la qualité des argumentaires, d’autantplus que les auteurs se sont prêtés avecbeaucoup de disponibilité à cet échange. Interneta d’ailleurs joué un rôle primordial dansl’élaboration du travail en particulier en phasefinale qu’il s’agisse de la communication entreélèves à l’intérieur des groupes, entre profs etélèves ou avec les auteurs.La journée de rencontre académique, le travail engroupe et le vote final (contre l’attente généralecette année-là) ont été totalement surprenants parl’implication de chacun et la qualité du travail degroupes entre élèves qui ne se connaissaient pas,sauf à être réunis par l’intérêt pour un texte.Le Mouton et la baleine d’Ahmed Ghazali a obtenule prix cette année-là.Mes deux craintes de départ, c'est-à-dire le rejetd’une charge de travail supplémentaire tout aulong de l’année associée à un programme déjàlourd et la lassitude sur la durée ont été dominéeschez les élèves par l’idée de participer à uneaction exceptionnelle et par le fait de construireun lien avec un univers situé hors de l’école parles rencontres, les sorties ou les relationsavec les auteurs. •••

TANSYDES LYCÉENS

1 Corinne Pago était enseignante au lycée Bernard-Palissy de Saint-Léonard-de-Noblat (87), elle est aujourd’hui en poste à la Faculté des lettresde l’Université de Limoges. Philippe Arnaud est enseignant au lycée d’Arsonval de Brive-la-Gaillarde (19).

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

34

par Agnès Faure,Chargée de mission auprès du directeur du CRDP du Limousin.

Le Prix SLT : une manifestation surla littérature francophone

Les grandes étapes du projet• Proposition de textes de théâtre par les éditeurs.• Sélection des textes par deux comités de lecteurs :

- un comité de lecteurs « professionnels »constitués par la Maison des Auteurs et lesÉcrivains Associés du théâtre, sélectionne dixtextes,

- un comité de lecteurs « enseignants »sélectionne les six textes qui constituent lecorpus.

• Appel à candidature et inscription.• Travail en classe sur les œuvres choisies : lecture,

débats, argumentation (éloge et blâme)…• Lecture d’extraits des textes dans les classes par

des comédiens.• Correspondances par courriel avec les auteurs.• Rencontre académique : groupe de soutien aux

œuvres ; argumentations orales.• Vote : un élève = une voix.• Collecte de l’ensemble des résultats.• Désignation du lauréat.

>>> Lecture publique du texte primé par les élèvespendant le Festival des Francophonies et remise duprix au lauréat.

Un prix, pourquoi faire ?• pour mettre en contact de jeunes lycéens avec les

écritures de théâtre en prise directe sur lasensibilité de leur temps,

• pour faire découvrir l'originalité, la diversité et larichesse des auteurs de théâtre francophones,

• pour susciter des rencontres, des échanges entredes lycéens et des artistes et comprendre lesenjeux spécifiques du texte de théâtre,

• pour stimuler la lecture au lycée et offrir uneouverture culturelle et artistique,

• pour contribuer à former la réflexion et laresponsabilité par la confrontation des différentspoints de vue sur les œuvres proposées et enamenant les élèves à assumer leurs choix,

• pour remotiver l'acte de lire en lui conférant unenjeu et une légitimité par la possibilité donnéeaux lycéens d'élire leur œuvre préférée.

LE PRIX SONY LABOU T

LES ŒUVRES LAURÉATES :

• Le Mouton et la baleine d’Ahmed Ghazali(Maroc/Canada-Québec, texte édité par Théâtralesdans la collection Passages francophones en2002) en 2003.

• Incendies de Wajdi Mouawad (Liban/Canada-Québec, texte coédité par Léméac et Actes suddans la collection Papiers, en 2003) et Le Collierd’Hélène de Carole Fréchette (Canada-Québec, texteédité par Lansman en 2002) ex aequo en 2004.

• Un appel de nuit de Moussa Konaté (Mali, textepublié aux éditions Lansman en 2004) en 2005.

CONTACTS :

Agnès FAURE, CRDP du Limousin, Chef de projet.Tél. : 0555435787/0678 442304Courriel : [email protected] CRDP : www.crdp-limousin.frNadine CHAUSSE, Les Francophonies en Limousin,relations publiquesTél. : 0555 109010Courriel : [email protected] Festival des francophonies en Limousin :www.lesfrancophonies.comRoland Garniche, Rectorat, Limoges.Tél. : 0555 114311Courriel : [email protected]

Le Prix Sony Labou Tansy (SLT) est un despoints forts du Pôle National de Ressources

« Écritures contemporainesfrancophones et théâtre » piloté par

le Centre Régional de DocumentationPédagogique (CRDP) du Limousin et le Rectoratde Limoges, en partenariat avec la Maison des

Auteurs du Festival des Francophonies enLimousin et soutenu par la Direction Régionaledes Affaires Culturelles et le Conseil Régional

du Limousin. Il est né d’une préoccupationcommune à l’Éducation Nationale et aux

Francophonies en Limousin : faire lire, entendreet voir du théâtre contemporain d’expression

française. Mis en place depuis 2002 dansl’Académie de Limoges, il est devenu national

en 2004 et s’internationalise en 2005 puisquela Belgique vient de le rejoindre. De nouveaux

partenaires se sont également associés auprix : Les Écrivains Associés du Théâtre et la

fondation pour la lecture du Crédit Mutuel.

Page 19: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

37

somme de la qualité littéraire du langage dontbeaucoup d’élèves me semblent avoir prisconscience à l’occasion de ces lectures. Larencontre, même épistolaire, avec les auteurs afortement contribué à dépoussiérer le rapport àl’écriture littéraire.

Philippe Arnaud : La langue peut être surprenante,c’est vrai. Cette année L’invisible de PhilippeBlasband les a beaucoup déroutés. Mais, endécembre, des comédiens de L’Unijambiste théâtresont venus lire des extraits desœuvres, et, dans lecas de Blasband, cela a été très bénéfique. Dansdes cas comme celui-là, la lecture à haute voix estessentielle. L’avantage, c’est que les élèvescomprennent mieux l’idée de « style », del’appropriation par un auteur d’une langue.

Màf : L’étude de textes francophones est-ellel'occasion pour vous ou vos collègues d'aborderpar la même occasion les pays, les civilisations etles cultures évoquées (projets pluridisciplinaires,Travaux Personnels Encadrés…) ?

Corinne Pago : Bien sûr la culture des régionsévoquées est omniprésente dans les textes et le rôledu prof est là aussi très important. Il peut aussi biens’agir de culture historique et traditionnelle que deculture politique actuelle. Certains textes (je pensenotamment à La Confession d’Abraham de MohamedKacimi 2) demandent une véritable explication detexte suivie autour d’un éclairage culturel aussi bienfondateur (ici La Bible) que politique (la situation auProche-Orient et ses origines, par exemple la naturede certains conflits africains). Cet éclairage senourrit des connaissances acquises en Histoire,notamment autour de la colonisation puis de ladécolonisation, ou de la création de l’État d’Israël

par exemple. Dans mon cas, on ne peut pasvéritablement parler de travail interdisciplinaire car ilme semble que l’objectif est avant tout littéraire etl’intervention d’un collègue historien à part égalereviendrait à considérer davantage dans lesœuvresles prises de position historiques et politiques queleurs qualités d’écriture. Ce qui est souvent trèstentant pour nos élèves.En revanche, mon collègue d’histoire-géo est àplusieurs reprises intervenu pour apporter deséclaircissements sur des situations géopolitiquesparticulières. Mais il s’agit avant tout d’attribuer unprix littéraire.

Philippe Arnaud : Non. Je le regrette ; en histoire-géole programme n’a jamais correspondu. Il y aurait untravail à faire avec les sections SES (SciencesÉconomiques et Sociales), que je n’ai pas menéjusqu’à présent.

Màf : Avez-vous en mémoire des réactions d'élèvesou des commentaires de leur part ?

Philippe Arnaud : …des souvenirs forts en tout cas.Je me souviens, c’est un exemple parmi d’autres, decette élève d’origine algérienne qui avait défenduavec force et constance La Délégation officielled’Arezki Mellal 3, pièce assez austère à laquelle laplupart de mes autres élèves ne comprenaient pasgrand-chose. Elle avait construit, sans que je ne luidemande rien, un argumentaire très élaboré - c’étaitune élève brillante -, et sa déception le jour du voteétait assez triste à voir. En même temps, le livreavait été pour elle l’occasion d’un dialogue avec unepartie de sa culture un peu occultée par ailleurs. Lespièces francophones plaisent en général beaucoupaux élèves de l’option « théâtre », qui en « montent »volontiers des extraits pour l’épreuve du bac. n

2 La Confession d’Abraham de Mohamed Kacimi, Gallimard, 2000.3 La Délégation officielle suivi de Sisao, d’Arezki Mellal, Actes sud,

Collection Papiers, 2004.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

36

•••Philippe Arnaud : Techniquement parlant, lesélèves lisent tous les six œuvres présélectionnées,nous avons autant de livres que d’élèves (cinq ousix exemplaires de chaque œuvre), et on fait« tourner » tous les mois. Nous avons par ailleursdes échanges réguliers sur les œuvres : fiches delecture, arguments pour/contre, petits débats etdiscussions, mises en scènes, lectures… le touten vue du vote final en mai, avec les autres élèvesde l’académie. Nous faisons aussi une sortie auFestival des Francophonies.

Màf : Est-il aisé d'aborder la littérature francophone,qui plus est le théâtre, avec des classes ?

Corinne Pago : Le fait qu’il s’agisse de théâtre en soine me semble pas un obstacle, bien au contraire,c’est une forme simple et vivante qui entretient unerelation avec l’échange oral et ne suscite ni réserveni difficulté. Le principal souci tient aux habitudes delectures scolaires et à la représentation de ce qu’estun texte littéraire, souvent un langage un peu désuetdans l’esprit des élèves en tout cas très loin del’usage qu’ils en font dans leur communicationquotidienne. Une fois le statut des textes reconnu, lamodernité du langage vivant en œuvre suscite engénéral un grandplaisir de lecture.

Philippe Arnaud : Oui. La proximité temporellecompense l’éloignement géographique…La principale difficulté au fond, c’est celle de l’étudede tout texte théâtral dans un contexte scolaire : ilest fait pour être représenté, pas lu. Par ailleurs,l’intensité et « l’urgence » qui habitent beaucoup deces textes évitent les questions du type « À quoi çasert la littérature ? » D’une certaine façon, travaillersur cesœuvres légitime le travail sur la littératureplus « classique » aux yeux de certains élèves.

Màf : La langue ou les mots utilisés par les auteursfrancophones, souvent loin des grands classiquesfrançais, déstabilise-t-elle les élèves ?

Corinne Pago : Le fait qu’il s’agisse de textesfrancophones peut constituer un obstacle par lacomplexité du lexique, des références culturelles.C’est souvent un motif d’échange au sein de laclasse, et le rôle du professeur est alorsfondamental. Si la différence déstabilise, elle estaussi source de curiosité et d’interrogation, c’estalors à l’enseignant de répondre et d’éclairer afin depermettre au lien de se faire entre le texte et l’élève.La langue francophone par la richesse desexpressions et des images permet le plus souventde prendre conscience de la capacité d’une langue à

rendre un univers, une culture par les mots, en

Texte composé dans le cadre d'un atelier d'écriture intitulé"Carnet de voyage imaginaire en Francophonie",pour des élèves de Terminale BEP Alimentation,

du Lycée Jean Monnet à Limoges.

J'suis francophone

J'suis francophone j'aime comme le français sonneJ'aime le parler franc et même le verlanJe kiffe le gaulois le patois le grivoisJ'aime tous les accents les traînants les roulantsroucoulants truculentsSurtout j'aime le vert la langue des truandsla langue de Villon qui n'avait pas le rondla langue de Voltaire et celle d'ApollinaireTabarnac j'adore le Canadien la langue de nos cousinstout comme le cajun qu'on appelle acadienLe Levantin il n'est pas loin nous côtoyons la même merJ'apprécie qu'une fois le Belge nous dise le Suisseplan-plan qui parle si lentementL'Africain le Tonkin nous tissent dans leurs lienset présentent si bien les maux tels qu'on les vitnaguère aux ColoniesLe créole j'en raffole "Kanminm* li la pa ginÿ**la kouler*** li nana koné bien lé maler****"En somme nous sommes de la même fratrie avonsla même chair la langue bien pendue etqui nous est si chère

Martine

Prononcer :* quand même / ** gagné / *** couleur / **** malheurTraduction : « Même s'il n'est pas né blanc il connaît bien la douleur »

Page 20: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

FRICHES - CAHIERS DEPOÉSIE VERTE

Les Cahiers de Poésie Vertedéfendent depuis plus devingt ans la poésie vivanteet publient les collectionsTrobar et Typoème.Une place importante a été

laissée à la francophonie notammentdans un ouvrage de la collection Trobar qui estentièrement consacré à l’auteur Gabriel Okoundjiainsi que dans le numéro 86 de la revue « Friches »dédié au Libanais Salah Stétié, le numéro 67 avecun dossier spécial sur le malgache JacquesRabemananjara ou encore Vénus Khoury-Ghatadans le numéro 58.

ROUGERIE

Éditeur de poésie depuis prèsde soixante ans, Rougerie aconstruit au fil des années,des rencontres et des amitiésun catalogue assez imposantde poètes belgesd’expression française.Citons parmi eux FrançoiseLison-Leroy qui adernièrement publié L’Incisive, Marcel Hennartavec A contre mort paru en 2005 ou Gaspar Honsavec Visage racinéant, paru en 1999. On citeraaussi le Luxembourgeois Marc Dugardin qui a publiéFragments du jour en 2004.

LE BRUIT DES AUTRES

Dans la collection le Traversier, Lebruit des autres a publié encollaboration avec le Festival desFrancophonies en Limousin unesérie d’ouvrages d’auteursfrancophones : on trouvera lapoésie de Khal avec Palabres àparole, les pièces de KossiEfoui Que la terre vous soit

légère, Fatma de M’hamed Benguettaf, Nuit deCristal du Togolais Kangni Alem ou encore Quandj’étais grande de Abla Farhoud (Prix Arletty

« Universalité de la langue française » en 1993) etExils de Kously Lamko qui réunit aussi un récit etdeux poèmes. On citera aussi le roman L’Afrique enmorceaux de Williams Sassine.L’éditeur Jean-Louis Escarfail nous fait découvrirrégulièrement des auteurs francophones de théâtreet de poésie, comme Cécile Oumhani (Des sentierspour l’absence), Tanella Boni (Gorée île baobab) ouOusmane Moussa Diagana (Cherguiya).

PASSAGES FRANCOPHONES

La collection Passagesfrancophones a vu le jour en2002 d’une collaboration entreles Francophonies en Limousinet les éditions Théâtrales.C’est à travers des résidencesde dramaturges organisées parla Maison des Auteurs deLimoges, que se crée unevéritable alchimie de cultures métissées et permetau spectateur de goûter à toutes les languesfrançaises sur la scène contemporaine.Parmi les treize ouvrages déjà publiés, on peut citerLe Mouton et la baleine de Ahmed Ghazali ou LittleBoy de Jean-Pierre Cannet. La pièce d’Ahmed Ghazalia reçu le prix SACD de la Dramaturgie francophoneen 2001. Elle décrit dans un huis clos qui est lepont d’un cargo russe racheté par unemultinationale, les drames et les absurdités de notremonde lorsque les corps de clandestins marocainssont repêchés par des marins et rejetés par lesterritoires marocains et espagnols.La cinquième pièce de Jean-Pierre Cannet, Little Boy,a été récompensée par le prix d’écriture théâtrale dela ville de Guérande 2005. Dans ce théâtre-récitnovateur, Cannet décrit un pilote américain,George Kane, hanté par le visage d’une femmejaponaise qu’il a aperçue juste avant le largage de labombe à Hiroshima. De retour dans son pays, il sedétache de ses proches et de sa vie d’avant. Il sefait surnommer « Little Boy », nom donné à la bombeatomique. Ce sera 25 ans plus tard qu’une jeunefille découvrira l’identité de ses parents et qu’elleest donc la fille d’un certain George Kane qu’elleretrouvera à Paris. Le lecteur sera le témoin del’incroyable épopée d’un homme révolté contre cettepage de l’histoire. n

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

39

ÉDITEURS DU LIMOUSIN

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

38

PULIM

Les Presses Universitaires de Limoges (Pulim) ontpour but de promouvoir la recherche universitaire enLimousin dans les divers domaines qui la

concernent. Parmi tous lesthèmes abordés, la collectionFrancophonies publie desétudes sur la littérature, lalinguistique ainsi que lesphénomènes médiatiquespermettant au lecteur d’éclaircirsa vision géographique,politique et culturelle dumonde francophone.Jusqu’à ce jour six ouvragesont été publiés parmi lesquels

L’Espace poétique de Gaston Miron de ClaudeFilteau, paru en mars 2005 où l’auteur cherche àdéfinir en détail l’œuvre poétique de l’écrivainquébécois et à le replacer au centre de son histoire.Claude Filteau montre le côté tragique et impudiquede sa narration qui se mêle à un véritableengagement politique et éthique.On notera la parution en octobre 2005 deVocabulaire des études francophones : les conceptsde base sous la direction de Michel Béniamino etÉlise Gauvin, ouvrage permettant de pénétrer lemonde francophone pour les néophytes.Cette synthèse définit les différents courantsthéoriques des recherches francophones à traversune présentation claire, agrémentée de référencesbibliographiques qui permettront au lecteurd’assouvir sa curiosité et d’approfondir son savoir.

L’INDICIBLE FRONTIÈRE

La revue L’Indicible frontièreprivilégie une grande ouverturesur « l’Ailleurs » c'est-à-dire lesauteurs francophones ouétrangers traduits, notammentle deuxième numéro dontl’éditorial intitulé « NotreLangue » est rédigé par Marcel Zang,écrivain camerounais qui prône les pouvoirs d’unelangue, ses facultés d’identité et de rapprochementcommunautaire : « Parler une langue, c’est faire acted’amour ». Mais aussi la langue est là pour punir,juger, démoraliser. Selon lui la langue oppose leblanc pur rédempteur au « Noir-obscur-ténèbre-enfer »et il se pose : « Que penser d’une telle langue quandvous êtes un Noir et que cette langue est la vôtre ?La quitter ? Mais on ne quitte pas “sa” langue ainsi– autant se quitter. C’est le tragique de l’âme noire“occidentalisée”. » (L’Indicible Frontière, n° 2, 2002)On trouvera aussi dans ce numéro un dossier« Ailleurs » avec des auteurs tels qu’Ivan P. Nikitineet ses Poèmes de ma Russie : Temps I, II, III, destextes de la Belge Marie-Clotilde Roose et le poètecongolais Mwènè Okoundji qui écrit L’âme blesséed’un éléphant noir : « C’est de l’étoile que naissenttoutes les légendes/la légende de la lumière dans leciel noir/dans la clairière de l’ombre/dans l’éclair destempêtes/la légende de la nuit à l’heure des ténèbres/O mon fils !/tu apprendras à la forêt à être fière del’arbre/Mamonomè! eh Da! l’âme blessée d’un éléphantnoir reconnaît en toi/son adresse. » (L’IndicibleFrontière, n° 2, 2002).Les numéros 4/5, réunis dans le même ouvrage,regroupent des textes inédits de – entre autres –Alem Kangni originaire du Togo (deux poèmes inédits)ou Benoît Kongbo de la République Centrafricaine,auteur de poèmes et de nouvelles.

Par Aurélie Murat et Olivier Thuillas.

L’ÉVIDENCE FRANCOPHONEDES ÉDITEURS DU LIMOUSIN

À l’image de la région tout entière, les éditeurs du Limousins’intéressent depuis une vingtaine d’années à la littérature

francophone. Rougerie éditeur, les Pulim (Presses universitaires deLimoges), Le Bruit des autres, Friches-Cahiers de poésie verte,

L’Indicible Frontière ou encore la collection PassagesFrancophones ont ainsi décidé de consacrer l’intégralité ou une

partie de leurs travaux aux auteurs francophones.

Page 21: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

Olivier Thuillas pour Machine à feuilles : Êtes-voussatisfait de l’évolution de la collection Continentsnoirs après six années d’existence?

Jean-Nöel Schifano : Je crois qu’elle se renforce àchaque publication. À chaque livre c’est du terraingagné. On arrive aujourd’hui à quarante volumes,avec des auteurs qui couvrent la côte ouest et estde l’Afrique ainsi que le centre, auxquels il convientd’ajouter la diaspora, puisque j’ai des auteursafricains qui vivent en Allemagne, au Québec, àPékin, à l’île Maurice ou encore à Madagascar.Ce qui a d’emblée suscité mon intérêt, outre laqualité des auteurs déjà publiés, c’est qu’on est làface à la plus jeune littérature du monde. Nousarrivons en effet à la troisième générationd’écrivains d’Afrique noire, après Senghor, Césaire…Cette troisième génération s’est libérée desthématiques classiques : colonisation, décolonisationetc. Ils sont libres d’aborder les thématiquesmondiales avec leursracines africainescomme par exempleKoffi Kwahulé avecBaby face qui fait cequ’il veut avec lalangue française, sonécriture est douce etnaturelle. Il est comme un funambule qu’on verraitdanser. Son écriture est immédiate, elle peut êtreperçue par les plus simples comme ceux qui aimentla littérature de haute voltige. La construction et lethème reflètent un véritable réalisme couplé d’unbaroque existentiel qui est fabuleux. Ce roman estréellement un pic dans la collection.

Màf : Le fait de créer une collection spéciale chezGallimard sur cette Afrique noire n’est-il pas aussiune manière de les traiter encore une fois à part ?

Jean-Nöel Schifano : Non, c’est tout le contraire !Il y avait un ghetto avant, et j’ai permis aux écrivainsd’en sortir. Continents noirs a quand même ouvertune voie très large, qui a permis aux écrivains depublier ailleurs que dans un champ réservé.

Les autres grandes maisons d’édition « persillaient »les auteurs africains alors que nous nous sommesspécialisés dans une collection. Mais nous avonsvoulu ouvrir largement notre maison, et permettreaux auteurs de rentrer dans une collection, pouréventuellement aller dans d’autres collections de lamaison. La collection donne une force et unevisibilité à ces écrivains. Des spécialistes enlittérature africaine, sous le coup de la jalousie, nous

ont attaqués dans lesjournaux en disantqu’on leur avait piquéleurs auteurs, car lemonstre Gallimard semettait en marche versl’Afrique. Au départc’était une collection

risquée, on ne savait pas si on allait l’arrêter aubout d’un an ou deux et, avec le soutien d’AntoineGallimard, j’ai continué à aller de l’avant envers etcontre tous.Il faut que ces auteurs commencent à avoir unsuccès en occident pour qu’ils soient au moins lusen petite quantité dans leur pays africain. Gallimardfait des efforts pour diffuser largement ces ouvragesen Afrique. On a par exemple baissé de 50 % le prixdu livre pour l’Afrique noire. J’ai fait une campagneen Afrique et j’espère qu’elle portera ses fruits :dans les pays pétroliers, j’ai proposé le plan« une goutte de pétrole contre une goutte M

ACHI

NEà

FEUI

LLES

-4

1

LITTÉRATURE

1 Jean-Noël Schifano est également traducteur de l’italien etécrivain. Parmi ses derniers ouvrages : Sous le soleil de Naples,Gallimard, collection Découvertes Gallimard, 2004.

Entretien avec Jean-Noël Schifano 1,Créateur et directeur de la collection

Continents noirs des éditions Gallimard.

« On est là face à la plus jeunelittérature du monde »

©J.

Sas

sier

•••MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

40

L’ÉDITION DE AFRICAINE FRANCOPHONE

par Marie-Laure Guéraçague et Olivier Thuillas.

PRÉSENCE AFRICAINE 1

Présence africaine (revue et maisond’édition), créée par Alioune Diop en1947, a été pour plusieursgénérations « le centre nerveux, lecreuset des intellectuels africains

dans l’hexagone » 2 et une effervescente tribuneentre les deux rives de l’Atlantique pour LéopoldSedar Senghor, Aimé Césaire, Jean-Paul Sartre,Richard Wright etc. Des concepts tels que« la Négritude » s’y sont forgés au fil des pages(cf. Leopold Sedar Senghor et la revue Présenceafricaine, articles entre 1947 et 1979 réunis pourles 90 ans de Senghor). La liste est aussi longuedes ouvrages désormais classiques qui onttransformé le regard de nombre de lecteurs : Nationsnègres et cultures de Cheikh Anta Diop, Cahier d’unretour au pays natal d’Aimé Césaire, Le Mondes’effondre de Chinua Achebe, Sous l’orage deSeydou Badiane, Les interprètes de Wole Soyinka,Wirriyamu de Williams Sassine ne sont que quelquesexemples. La collection de livres de poche permetaujourd’hui d’élargir le cercle des lecteurs,notamment d’Afrique. La maison, restée modeste,assure sa propre diffusion par sa librairie2. Puisseson voisin de rue – les éditions L’Harmattan – plusglouton que gourmet s’inspirer de ce prestigieuxparcours éditorial !

> Dernières parutions :• Banlieue noire de Thomas Ryam, 2005.• Femmes de l’ombre & Grandes royales deJacqueline Sorel et Simone Pierron Gomis• Revue Présence Africaine n° 169 : Haïti etl’Afrique

LE SERPENT À PLUMES

En référence au Mexiquemythique de D.H. Lawrence,Pierre Astier crée, en 1988, larevue Le Serpent à plumes pourprésenter de courtes fictions.Cette revue se transforme, en 1993, en maisond’édition dont le credo était l’écriture francophone etétrangère sous-représentée (Maghreb, Afrique,Caraïbes, Scandinavie, Balkans) à travers de courtsromans. Plusieurs collections comme Motifs, aux

couvertures irrésistibles, ont réuni au fil des annéesplus de 400 titres et auteurs parmi lesquels JohnMichael Coetzee, Dany Laferrière, Nerudin Farah,Emmanuel Dongala, Abdourahman Waberi, IouriMamleïev…Le Serpent à plumes a aussi souvent changé depeau : de 2000 à 2004 il a appartenu au groupe deséditions du Forum et a été racheté, non sans douleurset procès, en février 2004, par les éditions du Rocher,elles-mêmes intégrées dans le groupe Privat.En ce début 2006, il semble impossible de savoirs’il reste beaucoup de plumes à ce cher Serpent, nimême de connaître ses dernières parutions.Au téléphone, les éditions du Rocher 3 n’ont pas punous en dire plus. Peut-être tel un phénix renaîtra-t-ilde ses cendres ? Ce que nous espérons ardemment.

ÉDITIONS DAPPER 4

Les éditions Dapper, quidépendent des activités du musée,ont pour vocation, de publier desouvrages liés aux expositions. LeMusée Dapper est une fondationqui, depuis 1986, propose des expositionsconsacrées aux arts anciens et contemporains del’Afrique, des Caraïbes et de leurs diasporas 5.

> Prochaines expositions :Sénégal contemporain, du 27 avril au 13 juillet 2006Masques, 90 visages, du 27 avril au 13 juillet 2006

> Dernières publications :• Le Ciel a oublié de pleuvoir de Beyouk,Dapper Littérature, 2006• Brésil, l’héritage africain, Collectif sous ladirection de Christiane Falgayrettes-Leveau avecla collaboration scientifique d’Erwan Dianteill,Dapper Beaux-arts, 2005• Attrape-Dollar de Sharon G. Flake,Dapper Jeunesse, 2005

1 25 bis rue des Écoles, 75005 Paris. Tél. : 01 43 54 15 882 Lilyane Kasteloot in : Journée d’étude consacrée à Alioune Diop,fin janvier 2006, au Centre Lebret de Dakar.

3 Éditions du Rocher, 6, place St Sulpice, 75006 Paris,tél. : 01 40 46 54 00

4 35 rue Paul Valéry, 75116 Paris. Tél. : 01 45 00 01 50www.dapper.com

Page 22: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

43

« La langue française est notre bien

commun, elle est à ce titre l'affaire de tous.

Et parce que la langue est le premier des

liens sociaux, l'État a une responsabilité

particulière dans son apprentissage et sa

transmission. La maîtrise de la langue, c'est

l'accès à l'information et à la culture, mais

aussi l'insertion sociale, la réussite

professionnelle et l'exercice des droits

civiques. C'est la raison pour laquelle les

pouvoirs publics sont amenés à définir une

politique de la langue. Le Gouvernement en

présente chaque année les grandes lignes au

Parlement et lui rend compte des évolutions

constatées dans les pratiques linguistiques

de nos concitoyens. »

Ainsi s'exprime Dominique de Villepin, PremierMinistre, dans l'avant-propos du Rapport augouvernement sur l'emploi de la langue françaiseprésenté en 2005 1. L'instrument de cette politiqueest la Délégation générale à la langue française etaux langues de France au sein du ministère de laCulture et de la Communication, relayée en régionpar les Directions régionales des Affairesculturelles sous l'autorité des Préfets.

La délégation générale à la langue française et auxlangues de France est un service rattaché auministère de la Culture et de la Communication.Elle a pour mission d'animer, au planinterministériel, la politique linguistique de l'État.Créée en 1989 sous le nom de Délégation généraleà la langue française (DGLF), elle est devenue en2001 la Délégation générale à la langue françaiseet aux langues de France afin de prendre en compteles langues régionales.La DGLF contrôle le respect de la loi du 4 août1994, dite loi Toubon. Elle participe auxprogrammes d'enseignement du français auxmigrants. Elle coordonne la mise au point de listesterminologiques par les commissions determinologie et de néologie et l'Académie française.Elle soutient l'utilisation des langues régionalesdans les médias et les spectacles. Elle assureégalement le secrétariat du Conseil supérieur de lalangue française. Elle coordonne l'action despouvoirs publics pour la promotion et à l'emploi dufrançais et veille à favoriser son utilisation commelangue de communication internationale. Elles'efforce de valoriser les langues de France et dedévelopper le plurilinguisme.

Ainsi a été créée la Semaine de la languefrançaise 2 (du 17 au 26 mars 2006) qui, poursa onzième édition, prendra un caractèreexceptionnel, puisqu’elle marquera le coupd’envoi d'une saison entière consacrée à lafrancophonie, le Festival francophone en France(Francofffonies ! 3) du 16 mars au 9 octobre 2006.Ainsi chacun sera invité à fêter la langue française,à lui témoigner son attachement en mettant enavant sa richesse, sa diversité et sa vitalité.

Par Lydie Valero,Conseiller pour le livre, la lecture et les langues de France à la DRAC(Direction régionale des affaires culturelles) du Limousin.

LA POLITIQUELINGUISTIQUE

DE L'ÉTAT FRANÇAIS

1 Pour consulter ce rapport dans son intégralité : http://www.culture.gouv.fr/culture/dglf/rapport/2005/rapport_parlement_2005.pdf2 Pour tout savoir sur la semaine de la langue française : http://www.semainelf.culture.fr3 Pour consulter le programme de « Francofffonies ! » : http://www.francofffonies.fr

•••MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

42

d’encre », pour aider au voyage et à ladistribution du livre dans un but de gratuité.Les réponses tardent à venir… Du côté desgouvernants j’ai l’impression qu’on se fiche du livre,mais j’ai bon espoir, car à force de demander, ontrouve des ministres qui ont eux-mêmes publié desouvrages et j’espère qu’un jour ils seront touchés.

Màf : Le mot « francophonie » veut-il dire quelquechose pour vous? Est-ce quelque chose qui a uneréalité littéraire tangible ?

Jean-Nöel Schifano : Non, la francophonie n’est pasune réalité littéraire. C’est une possibilité que nousdonne la France d’un développement y compris dansl’écriture de l’expression française. Et unécrivain, qu’il soit né à Paris, de parentsfrançais depuis cinq générations ou àTombouctou, crée sa propre langue, il n’estpas plus francophone que Joyce n’étaitanglophone ou irlandophone. Un écrivain ades instruments, il veut se servir dufrançais. Il veut violer la langue françaiseet y ajouter ses propres mots, il est libred’employer la langue qu’il veut.La francophonie est un moteur pourmettre « l’Afrique écrivante » au premierchef c'est-à-dire soutenir le meilleur del’Afrique. Il y a le pétrole, le cuivre, lesdiamants et le livre et ce serait bienque pour une fois on le mette avanttout le reste !

n

Les Syémou et Contes SyémouJean-Luc Moreau et Traoré Christophe Bakary se sontrencontrés au cours d’un projet d’alphabétisation de

villageoises au Burkina Faso. De leur entente amicale est néel’idée de faire mieux connaître voire découvrir les us et

coutumes du peuple Syémou composé de vingt-cinq millehabitants divisés en sept ethnies. Peuple sans écrit, ce sont

les griots et les personnes âgées qui ont pour l’essentielcontribué à l’élaboration de ces deux livres; le premier,

Les Syémou est un documentaire traitant de l’histoire, del’habitat, des croyances, du mariage, des rites de naissance

mais aussi de l’excision et de la circoncision. De nombreusesphotographies prises par Jean-Luc Moreau illustrent ce texteinstructif. Le second est un livre de contes, Contes Syémou,

dont les dessins sont de Soumaïla Bélenviré. Il nousenseigne, sous couvert de divertissement, les règles morales,

sociales et traditionnelles de la société. Le lièvre rusé etmalin, la hyène naïve et gloutonne, le lion fier et puissant, latortue lente et résistante et bien d’autres animaux familiers

aux Syémou sont les protagonistes de contes à raconter dèscinq ans. Les auteurs ont souhaité, comme ils le précisent,

mettre par écrit ces paroles qui leur ont été confiées afin d’enlaisser une trace pour l’avenir.

Arlette

Les Syémou et Contes Syémou, Gaïa of life,16, rue Fernand-Malinvaud, 87000 Limoges.

•••

Page 23: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

45

Monique Pauzat a rencontré ClaudeDuneton dans sa maison de Corrèze.

Il aborde, pour Machine à feuilles,la difficulté de traduire en français des

situations vécues dans deslangues originelles.

«Je vais prendre l’exemple du livre d’un auteuraméricain que je ne connaissais pas, JohnGrisham 2. J’ai voulu savoir pourquoi on a parlé

avec autant d’enthousiasme de ce livre qui a unsuccès mondial, pourquoi il est si bien reçu.Ça s’appelle La Dernière récolte et ça se passe dansl’Arkansas chez les planteurs de coton. Je me suismis à le lire en français. La traduction est de PatrickBerton. C’est bien traduit, mais dans une languedont les Américains ne voudraient pas. Si c’étaitécrit comme ça en américain, personne ne le liraitparce que la langue de la traduction est totalementfausse par rapport au sujet. Le livre décrit despaysans assez frustres, des types qui viennent descollines pour la récolte du coton, qui sont desjournaliers. Ce sont des pauvres, qui parlent peu et,quand ils parlent en français, ils parlent comme desprofs d’université, ce qui est quand même trèscomique. À un moment, cela se passe près de larivière, le traducteur fait dire au type qui descend dela montagne et qui ne sait pas trois mots d’anglais,il lui fait dire « des terrains alluviaux ». Tout est unpeu comme ça. On utilise un français de bonnecompagnie et qui serait ridicule si on le traduisaiten américain.

La question que je me pose est : pourquoi desmilliers de gens en France se délectent à la lecturede ce récit ? Une chose est sûre : le mythe américaindes planteurs fonctionne très, très bien. L’auteur, ceJohn Grisham a un vrai talent de conteur. Il a uneefficacité filmique, avec des images, sans détailspsychologiques embêtants. Mais il n’empêche que,si des milliers de Français peuvent lire et se délecterde ces aventures, c’est qu’ils n’ont aucune identitédans leur langue. Ce serait intéressant de traduire

ce livre en breton ou en occitan parce qu’il y aurait làune langue vraie. Si les lecteurs français neremarquent même pas que la traduction est fausse,qu’elle est complètement hors musique, c’est qu’ilsn’ont pas suffisamment l’identité dans la languefrançaise. On peut exprimer une situation citadine oubourgeoise avec beaucoup de finesse en françaismais on ne peut pas passer à des situations rurales.Les personnages ne peuvent pas être localisés, nigéographiquement, ni socialement. Je ne tape passur le traducteur ; il a fait ce qu’il a pu, d’unecertaine façon.

Les Français réagissent exactement à l’inverse desAméricains. Ce français un peu faux leur paraîtcharmant, voire très américain. Les Américains, eux,ne supportent pas, par exemple, quand dans lesfilms, les acteurs anglais ne soient pas doublés pardes acteurs américains. C’est une question de forcede l’identité. À la place de « Je me fais pas desouci », le traducteur fait dire : « Je me faisais pasde mouron ». Du mouron… Ce qui est un termeargotique typiquement parisien est parfaitementdéplacé dans la bouche d’un paysan planteur del’Arkansas ! Ce sont des ridicules comme ça quidevraient faire repousser le livre par un Français.Or, non. C’est une sorte de daltonisme langagier.C’est comme quelqu’un qui verrait Collonges-la-Rouge en vert. C’est pourquoi ce besoin d’identitése réfugie en France dans les langues régionales,d’autant plus fortement qu'il n’y a pas ce recoursdans la langue nationale, à part dans les villes.

Un écrivain comme Mordillat né et élevé à Bellevillepeut écrire dans la langue nationale et employer unelangue qui fait partie de ses racines. Mais il nepourra pas écrire sur des paysans du Limousin.Le problème que j’ai et qui m’a toujours arrêté,c’est qu’on ne peut pas entendre parler des paysanslimousins d’autrefois autrement qu’en occitan.Pendant toute la rédaction de mon livre,Le Monument 3, je lisais tous les soirs avant dem’endormir un livre de Marcelle Delpastre enoccitan, avec une sorte de consternation pour labeauté de la langue, de la justesse de ses récits,parce que ça colle complètement à l’identité

Par Claude Duneton,Écrivain 1.

PARLEZ-VOUSFRANÇAIS ?

1 Dernier ouvrage publié : Au plaisir des jouets : 150 ans decatalogues, éditions Hoebeke, 2005.

2 La Dernière récolte de John Grisham, éd. Pocket. Trad. de PatrickBerton, 2004.

3 Le Monument, de Claude Duneton, Ed. du Seuil,Collection Points, 2005.

•••

Des manifestationsseront conduites àl’initiative de tous ceuxqui souhaitent s’impliquerà leur manière dans cetteopération : personnalités,collectivités locales,associations,établissements culturels,bibliothèques, écoles,entreprises… La Semainede la langue française estorganisée conjointement parle ministère de la culture etde la communication(délégation générale à lalangue française et auxlangues de France) et leministère des affairesétrangères (service desaffaires francophones) autourde la Journée internationalede la francophonie qui a lieuchaque année le 20 mars.Cette campagne desensibilisation a pour objectifde faire découvrir la richesse dela langue française et demontrer combien il est importantde la maîtriser : au cœur del’apprentissage et des savoirs,mais aussi de l’affectivité, de lacréation et de l’imagination, lalangue, orale ou écrite, permetl’expression personnelle, ledialogue avec l’autre, l’accès à lacitoyenneté et à la culture.

LES CONTACTS :Ministère de la Culture et de laCommunicationDGLFLF – 6 rue des Pyramides -75001 PARISAstrid Roche : 01 40 15 36 [email protected]

Direction régionale des Affairesculturelles du Limousin6 rue Haute-de la comédie -87000 LIMOGESLydie Valero : 05 55 45 66 72([email protected])

Ministère des Affaires étrangèresService des affaires francophones57 boulevard des Invalides-75007-PARISThomas Wauquier : 01 53 69 39 84([email protected])

On n’a pas souvent l’occasion, au théâtre,d’entendre des spectateurs crier de stupeurdevant une révélation… C’est ce qui m’estarrivé à une représentation d’Incendies de

Wajdi Mouawad, lors du Festival desFrancophonies en Limousin, mis en scènepar l’auteur. Ayant lu la pièce avant de lavoir, j’avais pour ma part vécu la même

stupeur à la lecture de ce texte flamboyant.Rappelons brièvement l’intrigue de la pièce: Jeanne et Simon, à la

lecture du testament de leur mère, qui n’avait pas parlé les cinqannées précédant sa mort, se voient confier une double mission:

remettre une lettre à leur frère (dont ils ignoraient l’existence), et uneautre à leur père (qu’ils n’ont pas connu). Au fil de leur quête, loin de

leur pays d’adoption – le Canada –, dans un pays orientalindéterminé, ils vont découvrir la vie de leur mère, que le spectateurpartage à l’aide de flash-back: elle a aimé passionnément à quinzeans un homme, a eu un enfant avec lui. On lui a arraché son enfantet son amant. Trente ans plus tard, en pleine guerre civile, elle estarrêtée et torturée par Abou Tarek, qui la viole à plusieurs reprises.

C’est de ces viols que naîtront Jeanne et Simon. À cette découvertedouloureuse s’ajoutera celle, au final, que leur père, bourreau craint

et haï, est aussi leur frère… C’est au moment de cette révélation queplusieurs personnes ont crié dans la salle, un cri immaîtrisé, crid’horreur qui m’a donné l’impression que Wajdi Mouawad avait

retrouvé la pureté même de la tragédie antique, qui faisait frissonnerles Grecs devant le destin d’Œdipe. Le souffle qui traversait les

presque trois heures de représentation ne laissait personneindifférent, et une bonne partie des élèves que j’accompagnais avait

en sortant les yeux humides. Les partis pris même de mise enscène, par exemple faire cohabiter en même temps sur la scène le

temps de la vie de la mère et celui de l’enquête des enfants, offraientune représentation saisissante du destin traversant les générations. À

mes yeux, l’intensité et la puissance de cette pièce laisse bien loinderrière elle la majeure partie du théâtre français actuel : elle est

habitée par une « urgence » et une faim d’aller au cœur du monde etde l’homme que nombre de dramaturges français contemporains ne

semblent pas connaître.

Philippe

Incendies, de Wajdi Mouawad, éditions Actes sud,collection Papiers, 2004.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

44

•••

Page 24: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

du lieu et des gens dont elle parle. DansLe Monument, les types qui ne parlaient pas français,je ne les ai pas fait parler français, et pour lesautres, j’ai essayé de respecter le genre de françaisrégional qu’ils utilisaient. C’est l’inverse de cettetraduction de Grisham. Si je veux parler de la réalitéoccitane de mon enfance, je ne peux pas le faire enfrançais parce que la langue n’y va pas. Je n’ai pasce problème tout le temps. Dans Rires d’hommeentre deux pluies 4, qui se passe à Paris, je manie lefrançais que je connais aussi d’enfance. C’est mabiographie personnelle : mon père avait émigré àParis à l’âge de 17 ans et était devenu garçon decafé dans un milieu complètement « argot-phone ».Il parlait donc forcément sa langue natale, le Limousin,il parlait le français d’école et il parlait l’argotcomme un argotier. C’est parce que j’ai baigné danscette trilogie, ces trois langues, que MarcelleDelpastre me procure autant d’émotion. Mais leFrançais qui veut traduire une situation de pêcheurbasque se retrouve comme un semi-francophone, oùc’est la langue de l’école qui passe pour la languede base, du terroir, ce qu’elle n’est pas.

Par exemple, c’est ce qui fait la fausseté, si je puisdire, de Joseph Delteil. Il aurait été un immenseécrivain s’il avait écrit dans sa langue natale, leLanguedocien. Ses parents ne parlaient pas françaiset lui, avait appris le français à l’école. Mais sonlivre Sur le fleuve Amour 5 commence par unepremière phrase extrêmement distinguée etextrêmement fausse. J’ai beaucoup d’estime pourJoseph Delteil qui est très doué et qui aurait été untrès grand écrivain s’il n’avait écrit dans une languequi lui était étrangère, une langue apprise qui n’étaitpas une langue des veines, des artères. Tout ças’atténuera bien sûr. Dans cent ans, plus personnen’aura entendu parler une langue régionale. Macrainte, c’est que le français, lui-même, sera devenuune langue régionale parlée en famille. Pour écriredes romans en anglais sur la réalité française, cesera compliqué aussi. C’est une espèce d’autocolonisation permanente.

Avez-vous vu « les très singuliers de la littérature »?

C’est façon de parler : je ne pousse pas vers d’étranges contrées,simplement vers le large. Vers où la petite édition lance ses filets

pélagiques. Tenez, un exemple parmi quelques: Alain Jégou,poète, dur à cuir des embruns, marin-pêcheur ayant vécu des

flots. Tout feu, tout brasier, l’homme est simple comme bonjouravec l’ambition, il est écrivain avec sa conscience, pas avec le

caquetage médiatique qui entaule le rêve, réprime les pulsions oumouche les trilles, il est poète dans la tare d’appartenance étaléeau grand jour… il me pardonnera de reprendre ces phrases en les

bidouillant pour la cause: parler de son dernier bouquin: Quicontrôle la situation?, une somme de textes qui fait saigner les

gerçures dans l’espace écœuré… disons une manière à lui depuisune quinzaine d’ouvrages de tourmenter les naufrages, et de

couler les blablas dans le plat. Qu’on se le dise.

Jégou (qui a aussi participé à de nombreux ouvrages collectifs et revues) n’est donc pas un petitnouveau cybercontrôlé. On le connaît aussi bien dans son monde – qui est un peu le nôtre dès

qu’on se saisit d’un livre – que Machin dans le quadrilatère Saint-Germain-des-Près. Certains mêmeguettent à l’huis de La Digitale, Gros textes, blanc Silex, Le Dé bleu ou Wigwam, ses frasques

petites éditoriales qui, vous vous en doutez, font nulle écume dans le flux furibard des « rentrées ».Au fond, il fait le même métier que Verlaine ou Villon en leur temps, c'est-à-dire poète, oui, poète

comme on dirait Schlague-moi cette rime triste avant qu’elle nous émeuve… Est-ce cela qui fiche lapétasse à l’éditueur de Machin du quadrilatère germano…? Mais non! Mais non! Consultez vos

miroirs reluquez vos dégaines / Soyez fermes sur le constat et cravachez vos cernes / […] Secouez-vous la membrane / Ecarquillez vos chairs / Et ne pensez plus qu’à ça. […] Pêchez Jégou!

Pierre-Eric

Qui contrôle la situation? Éditions La Digitale, 238, rue Jean-Marie Carer, Baye, 29300 Quimperlé.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

46

•••

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

47

Pour moi, la Francophonie, ça marche sans marcher.J’adore le parler du Québec qui est resté très proched’un parler XVIIIe voire XVIIe, celui des gens qui sontpartis là-bas de Vendée ou d’ailleurs. Ça me touche,cette langue charnue bien que très anglicisée.Le peu de cas que les Français en général font duparler québécois ! J’ai entendu de mes propresoreilles des gens vivant à Paris dire : « mais je ne lescomprends pas… ». Ce sont des couillons, mais descouillons efficaces qui représentent l’attitudefrançaise en général. C’est honteux. On a dressé lesFrançais à être sourds aux traces de picard, denormand, au français dialectal. Il y a une attitude demépris, par exemple, envers les belgicismes dontcertains sont superbes. Il y a plein de choses qui nese disent pas en français comme : « porter peine »par exemple, pour « se faire du souci ». Le grand-père portait peine, il se faisait pas du mouron. Maisle traducteur ne sait pas et de plus c’est valabledans une seule partie de la France, pas dans leNord. On a des identités éclatées, diverses. Ellesn’étaient pas éclatées tant que l’expression estrestée dans une classe sociale. La langue qu’emploieProust est totalement juste et collée à la réalité qu’ildécrit et aux sentiments qu’il exprime. Céline emploieaussi une langue d’enfance, à la fois une languefamilière absolument parisienne et une languechâtiée. Ses parents étaient cultivés mais il était alléà l’école primaire où on parlait argot, l’équivalent del’occitan ! Toute l’histoire de la littérature céliniennes’explique comme ça.

L’avenir du français dans le monde? C’est l’avenirdu latin et du grec : de vieillir et de devenir unesuperbe langue morte pour universitaires distingués.Comme langue véhicule, comme langue utilitaire,je ne vois pas bien. La langue se fera mourir par lesinstituteurs, ses propagateurs auprès des enfants.Mais il n’est pas incertain que les mieux placésactuellement pour les vingt, trente ans qui viennent,ne soient pas justement les fils et filles d’émigrésqui, eux, sont dans une situation linguistiquecomplexe. Pour eux, l’expérience enfantine est enfrançais et en arabe ou en wolof ou en ceci ou encela. Il n’est pas impossible que ce soit eux quiproduisent les écrits les plus intéressants.L’originalité de la production en français devraitnormalement chuter à cause de la scolarisationprécoce. La classe maternelle à partir de deux anspour tout le monde, c’est du désherbant sur unchamp de fleurs. C’est une annihilation despossibilités linguistiques des bébés français.Normalement, dans trente ans, on ne devrait plusavoir d’écrivains français de souche mais, dans laquasi-totalité, des écrivains français d’origineémigrée. Parce qu’ils ont de quoi lutter contre lalangue scolaire, parce qu’ils sont dans une situationlinguistique riche avec la langue de base des parentsqui est dynamisante. Ce serait compliquéd’approfondir mais ce qui est certain, c’est

l’empêchement d’un enfant qui va à la maternelle,qui se retrouve dans une situation monolingualeavec des enfants du même âge. Il est allé à l’école,il a tourné sur la même situation glossique toute lajournée avec une seule référente, l’institutrice,certes charmante et dévouée, mais sans variation,sans aucun étonnement langagier. On réduit sonchamp d’expérience linguistique. Pour que la langued’un enfant de trois ans s’enrichisse, il faut qu’il soitdans des situations langagières multiples, qu’ilentende ses grands-parents parler différemment etc’est ce qui stimule et ouvre les petites vannes deson petit cerveau. Tous ceux qui sont un peu endehors, qu’on croit défavorisés, sont en faitprivilégiés. Je suis né, j’ai grandi dans un milieudéfavorisé, non, extrêmement privilégié : mon pèreparlait trois langues, ma mère deux. Un mômed’émigré, il va à la maternelle aussi, maisheureusement, chez lui, il y a la grand-mère qui parlepas français, il y a les grands qui parlent verlan, il ya… etc. C’est lui qui sera écrivain. » n

4 Rires d’homme entre deux pluies, de Claude Duneton, Grasset, 1997.5 Sur le fleuve Amour, de Joseph Delteil, Grasset, 2002.

Page 25: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

49

Vous savez, j’ai grandi au Québec dans la honted’une grande pauvreté langagière : à l’école, onnous apprenait qu’on parlait mal le français, nonpas qu’on avait une langue à nous, comme unesorte de créole, non : on parlait simplement mal leFrançais. Vous savez qu’au Québec nous avons toutune batterie de jurons formés à partir de motssacrés, de mots des églises, et qu’on peut par foisne parler qu’avec ces mots-là : ciboire, tabernacle,ostie… Et bien cette création langagière-là estressentie par la population comme une pauvreté delangue, de même que l’utilisation des anglicismes.Pour ma part, je revendique le français comme unelangue vivante, j’ai le droit de la prendre, de la tordre,d’inventer des mots, et finalement de l’enrichir.

Màf : Votre goût du néologisme et de laconstruction d’une langue propre vient donc enréponse à ce sentiment de mal parler qui vous tientdepuis l’enfance?

Fred Pellerin : Tout à fait. C’est vrai que je n’ai pastoujours le bon mot pour dire la bonne chose, etbien je l’invente, ou mieux, j’en invente dix quidisent presque ce mot-là. Les gens finissent parcomprendre, et ça les fait rire en plus ! Ils pensententendre un conteur québécois typique, et peu àpeu ils se rendent compte que j’invente tout, queje délire toute une soirée sur les mots qui seterminent en « ance », parce que je trouve que çasonne bien ! L’oral est premier chez moi, mais unefois que j’ai conté deux cents ou trois cents foisune histoire, j’essaie de l’écrire avant de passer àautre chose, mais c’est difficile d’écrire, de figer letexte, quand on l’a inventé des centaines de foissur scène 2.

C’est vrai que j’invente une langue improvisée etdifférente chaque soir, mais je reste bien assis surune tradition orale car, vous le savez, la totalité demes contes viennent de la bouche des vieux de

mon village, Saint-Elie-de-Caxton, en Mauricie. Maisau village, ce ne sont pas des contes, ce ne sontque des histoires qu’Eugène ou un autre peuventraconter au cours de veillées de placotage3, maisce sont des histoires comme on peut en raconterpartout pour passer le temps, des souvenirs unpeu arrangés.

Màf : Quelle image aviez-vous de la France et de lalangue française avant de venir tourner en Europe?

Fred Pellerin : Encore une fois, je me sentais commeun petit frère pauvre en langue face aux Français quiparlent si bien, qui ont du vocabulaire. Tous les motsvolent bien dans leur bouche. L’image de la France,c’est celle d’une mère qui serait partie et nousaurait laissé grandir seule. En fait c’est ça, la Francepour nous, ce n’est pas la mère patrie, c’est la mèrepartie ! Lorsque je viens en France, je garde présenteen moi cette sensation que je viens de là, que desgens sont partis d’ici pour traverser l’océan ets’installer au Canada. Chez nous, dès qu’il y a undébat sur la langue, sur la culture, on se tourne versla France pour voir si elle nous soutient toujours, sion peut compter sur cette alliée : on ne fait tellementpas le poids, nous, les sept millions defrancophones, face aux centaines de millionsd’anglophones et d’hispanophones d’Amérique duNord. On dort tout à côté de ce gros éléphantaméricain. Alors ce qui m’a surpris lors de mespremières tournées en France, c’est laméconnaissance que les gens avaient du Québec, lesituant difficilement sur une carte par exemple.J’avais imaginé un autre aller-retour que ça, car pournous au Québec, on vit à l’heure française, on suitvos actualités, vos élections, vos débats.

C’EST LA MÈRE PARTIE ! »

La place du conte et du conteur

2 Dernier livre publié, avec un CD du spectacle : Comme une odeurde muscles, Editions Planète rebelle, 2005.

3 Placotage : bavardage, papotage au Québec.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

48

« LA FRANCE POUR NOUS,CE N’EST PAS LA MÈRE PATRIE,

Entretien avec Fred Pellerin 1

Olivier Thuillas pour Machine à feuilles : Vosspectacles de contes nous font découvrir unelangue qui semble n’être ni du français, ni duQuébécois, mais du « Fred Pellerin »…

Fred Pellerin : Je ne sais pas, parce qu’en fait leshistoires ne sont pas écrites, j’ai juste un canevassur lequel je brode, mais le « show » se fait ets’invente sur scène : je ne fais jamais deux fois lemême spectacle. Pour ce qui est de l’inventionlangagière, je suis content que vous remarquiezcette création personnelle, car lors de mespremières tournées en France, les gens pensaientque je parlais un français typiquement québécois etque c’était pour cette raison que ma langue leursemblait étrange. En fait, je démonte et je remonteen permanence la langue, pour faire destrouvailles, des perles de mots.

1 À 28 ans, Fred Pellerin est déjà reconnu comme un des conteursles plus talentueux de la Belle Province. Ses spectacles, d’unedensité et d’une vivacité exceptionnelles, font littéralement seplier de rire les spectateurs sur leurs chaises et affichentcomplets dans les salles de la plupart des pays francophones oùil se produit.

©O

livie

rTh

uilla

s

Page 26: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

51

beaucoup de chance devenir une bonne histoire àpartager. On écrit un texte, même s’il doit être ditparce que nous sommes dans une culture del’écriture, en comparaison à l’Afrique noire qui est,qui était en tous les cas (car cela aussi changedoucement) plus une culture de l’oral.

Màf : Quel est l’univers de vos contes?Quelles sont vos influences?

Pierre Rosat : J’ai une préférence marquée pour leschroniques d’aujourd’hui, et en particulier pour lestranches de vie. C’est un terme qui ne me convientpas car la vie, on ne la tranche pas et surtout parceque je ne donne pas des faits, je raconte deshistoires à partir de faits vus, lus ou rencontrés.Il y a traitement de ce que je reçois.Je suis guidé artistiquement par un auteur suisse :Charles-Ferdinand Ramuz 5. Je ne pourrais pas dire, àpart Ramuz, quelles sont mes influences, si ce n’esttout ce qui me touche artistiquement : Le Foostbarnthéâtre, Jean-Pierre Chabrol, Yvan Audouard, ArianeMnouchkine, Yves Hunstad, Claude Régi, DavidWarilow, Jihad Darwiche, Gabriel Alvarez, DanielL’Homond, Didier Kowarski mais aussi tous ceux queje rencontre de manière fortuite et qui par leurmanière de parler, par leurs gestes, m’intéressent.

Aïni Iften : Étant d’origine algérienne je suis trèsinfluencée, très touchée par les contes berbères queme racontait ma mère quand j’étais petite. Monidentité de conteuse je l’ai acquise par le filtre qu’aconstitué mon déracinement. En effet, je suis née enFrance, et j’y ai été élevée, mais j’ai été influencéepar mes deux cultures, française et algérienne ; monunivers se situe toujours entre ces deux mondes,entre ces deux langues. Par exemple, lorsque je

raconte l’histoire de Nunja, qui est au Maghrebl’équivalent de Blanche neige, je raconte aussi enmême temps, l’histoire d’une petite beurette quiveut s’affranchir de sa culture.

Salim Hatubou : Les Comores restent un carrefourde plusieurs civilisations. Le conte comorien reflètedonc cette richesse. Il est à la fois africain etoriental. L’idiot qui joue des tours à tout le monde etqui, au fond, n’est pas si sot que ça ; l’orphelin quirelève et réussit des défis lancés par un roimenteur ; le faible qui triomphe du puissant par sasagesse et sa malice… voilà quelques thèmesabordés par les contes comoriens.

Christine Andrien : J’aime les contes merveilleux,mais je vais aussi volontiers vers la légende et lerécit de vie. Mes influences sont multiples et doncdifficiles à définir, j’ai travaillé et travaille encoreavec Hamadi, j’admire le travail de Didier Kowarski…En fait, j’aime aller écouter les conteurs en généralet tente de me nourrir de chaque rencontre…C’est le thème de l’amour que j’aborde le plussouvent… je l’avoue…

À la frontière de l’écrit et de l’oral, le conte offre unesouplesse et un jeu uniques avec la langue.Au regard de ce rapport particulier à la langue, quelsliens entretenez-vous avec le français ? En d’autrestermes, comment votre art vit-il dans la languefrançaise, s'inspirant de traditions, de légendes, demythes ou de cultures d’autres pays?

Salim Hatubou : Le conte authentiquement comorienest ancré dans une langue comorienne très riche etcomplexe. Par exemple, il est difficile de restituer leschants en français. Moi, je les dis en Comorien et jetraduis pour le public. Je pars du principe que cen’est pas le français qui doit enrichir le contecomorien, mais l’inverse. À partir de là, on peutretrouver une certaine aisance artistique.

Aïni Iften : Les histoires que je raconte sont toujoursdans les deux langues. C’est plus fort que moi,alors que ma langue de référence, ma langued’expression quotidienne est le français, je ne peuxm’empêcher de faire parler mes personnages enlangue berbère, j’ai la sensation que c’est danscette langue qu’ils trouvent toute leur vérité.Ce va-et-vient entre les deux langues, mélangeantles mots m’est indispensable.

Christine Andrien : J’aime les mots. Il paraît que j’aiune drôle de manière de parler, outre l’accent et lesbelgicismes, j’utilise, me dit-on, un vocabulairefleuri ! J’aime la langue française, mais j’ai horreurde la dictature du « bien parlé » avec en tête queseul est bon, le français de France, voire même de

La place du conte et du conteur

FRANÇAISE

4 Pierre Rosat est un conteur comédien suisse. Ses intérêts l'ontmené des matches d'improvisation aux per formances, de lacomédie aux démarches artistiques d'avant-garde de Grotowski.Pierre Rosat a participé à Coquelicontes en 2004 et 2005 etrevient cette année.

5 Pour en savoir plus sur cet auteur suisse d’expression française,un site Internet très complet http://pages.infinit.net/poibru/ramuz/

Pier

reR

osat

©M

anon

Ros

at

Axelle Roze et Olivier Thuillas pour Machine àfeuilles : Comment écrit-on un conte? En quoil’écriture du conte est-elle différente d’une autreécriture (prose, poésie, romans, théâtre…)?

Christine Andrien 1 : Pour moi, je parlerais plutôtd’une réécriture orale puisque dans ma pratique jepars en général d’une histoire que j’ai lue et quej’adapte à ma manière pour qu’elle soit entendue.Dans cette réécriture (qui ne passe pas toujours parl’écrit d’ailleurs), je privilégie les images, je tente dedonner à voir aux auditeurs. Ce n’est jamais un textefigé une fois pour toutes, il change en fonction del’auditoire que j’ai en face de moi, en fonction del’humeur. Il s’agit d’une partition sur laquelle je joue…Pour moi la relation contée est essentielle, le « texte »ne suffit pas. Si ce contact privilégié avec le publicn’est pas présent, il me semble qu’il s’agit d’unautre type de travail.

Salim Hatubou 2 : Mes contes viennent de la traditionorale comorienne. Ils me sont racontés, enComorien, par ma grand-mère maternelle qui était laconteuse du village. Je les ai enregistrés et réécrits.Mais il ne s’agit pas d’une pure traduction :je m’approprie l’histoire, garde sa colonnevertébrale, sa quintessence pour mieux l’enrichir.Quand j’écris un roman, je ne pars de rien, oudisons que je cherche lesmatériaux en moi-même.Pour le conte, j’ai déjà unebase, une structure avecdes étapes. On peutcroire que cela facilite letravail, mais c’est lecontraire, c’est trèsdifficile, car il faut fairevoyager l’histoire du Comorienau français, de l’oralité àl’écrit, d’une oralitécomorienne à une oralitéfrançaise… Il faut veiller àne pas l’appauvrir et faireen sorte que le texte sesuffise à lui-même,c’est-à-dire qu’une fois écritet publié, les contes nem’appartiennent plus.D’autres conteurs s’en

saisissent pour leurs spectacles, voilà pourquoile texte doit se suffire à lui-même pour qu’il parleà l’autre.

Aïni Iften 3 : Pour moi on n’écrit pas un conte on leréécrit. Tout le travail du conteur est de redire ou deréécrire une histoire entendue, lue ou imaginée,contrairement à la poésie ou au théâtre. Pour que leconte existe il faut tout de suite passer à l’oralité.

Pierre Rosat 4 : Pour moi, il n’y a pas d’opposition oude différence majeure entre l’écriture d’un conte ouune autre forme d’écrit. Parce que je crois en unelittérature qui a un style propre à chaque auteur.Ceci devrait être vrai également pour le conte et pourcelui qui en faitœuvre de création. L’écriture est unpassage, pour certains d’entre nous, qui permet defixer des idées de l’histoire mais ensuite il faut lestravailler, les remanier, retrouver ou trouver sonstyle, les respirations de l’histoire, ses intensitésdramatiques, ses rythmes. Seulement ensuite onchoisit la forme définitive en fonction du destinataire.L’édition, le livre pour ce qui est de « l’écrivain », lepublic, l’auditoire pour le conteur ou le narrateur.Une conteuse comme Patricia Gaillard démontreavec talent comment on peut partir d’un conte trèsconnu et se l’approprier en lui donnant un style trèspersonnel (en l’occurrence très poétique) que leconte n’avait pas au départ.

Ce qui compte avant c’est le corpus même dutexte et effectivement il doit, à la base sesuffire à lui-même (en général). Une histoirequi n’aurait pas assez le corps n’a pas

CONTER EN LANGUE FRANÇAISEEntretien croisé avec Christine Andrien, Aïni Iften,

Salim Hatubou et Pierre Rosat

à l’occasion de leur participation aux dix ans de Coquelicontes (8-21 mai 2006),festival itinérant du conte en Limousin.

1 Originaire de Belgique, Christine Andrien conte, avecun langage fleuri et légèrement décalé, sessouvenirs, les récits de vie qu'on lui confie ou des

contes traditionnels. Elle aime rire de tout et surtoutd'elle-même. Nous allons la découvrir pour la premièrefois cette année à Coquelicontes.

2 Seul conteur comorien en France, Salim Hatubouparcourt le monde pour transmettre les contesde la mère de sa mère. Écrivain, il a publié unedizaine d'ouvrages, principalement des romanset des contes. Il a participé à Coquelicontesen 2003 et 2004 et revient cette année.

3 Originaire de Kabylie, Aïni Iften relie descontes traditionnels aux rituels de la viequotidienne. Elle nous fait plonger dans une deces cultures de la parole, qui construisent,encore aujourd'hui, l'imaginaire collectif. Nousallons la découvrir pour la première fois cetteannée à Coquelicontes.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

50

Aïni Iften © AISp

Page 27: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

53

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

53

abonnementadhésionabonnementadhésion

Conditions d’adhésion à ALCOL -Centre régional du livre en Limousin, incluant l’abonnement à Machine à feuilles (pour l’année civile en cours)

cc Premier collège : 46,00 €

(organismes et personnes relevant du droit privé : associations, éditeurs, libraires…).

cc Deuxième collège : 46,00 €

(collectivités territoriales et établissements publics au titre des bibliothèques, archives, musées, centresde documentation…).

cc Troisième collège : 15,00 €

(personnes physiques — adhérents individuels — qui ont des activités ou projets liés à la promotiondu livre, de la lecture et du patrimoine audiovisuel).

Nom : ................................................ Prénom :.............................................................Établissement : .............................................................................................................Adresse : ......................................................................................................................Code postal :..................................... Commune : .........................................................

Règlement à l’ordre d’ALCOL-CRL en Limousin - 34, rue Gustave-Nadaud, 87000 Limoges.

Li

i

vr

ech

zso

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

52

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

52

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

52

Paris. J’ai fait des études de lettres et j’ai eu unprofesseur de grammaire particulièrement militant,valorisant sans complexe le parlé de Belgique. Doncpour moi, les richesses d’une langue ce sont sesdifférences, ses accents, ses mots « étranges », sestournures de phrases particulières. Voilà comment lalangue française vit dans mes histoires, librement…

Pierre Rosat : Puisque la question s’adresse àquelqu’un qui est de culture suisse (et je préciseraisde culture suisse romande) je laisserais la place àCharles-Ferdinand Ramuz (parce que je suisentièrement d’accord avec lui et il l’a dit avant moi) :« Mon pays a eu deux langues : une qu’il lui fallaitapprendre, l’autre dont il se servait par droit denaissance ; il a continué de parler sa langue enmême temps qu’il s’efforçait d’écrire ce qu’onappelle chez nous à l’école, le « bon français », et cequi est en effet le bon français pour elle, commeétant une marchandise dont elle a le monopole (laFrance)… Nous avions deux langues : une qui passaitpour « la bonne », mais dont nous nous servions malparce qu’elle n’était pas à nous, l’autre qui était soi-disant pleine de fautes, mais dont nous nousservions bien parce qu’elle était à nous. »Ceci dit, la langue française est un véhicule essentielet nous nous devons la respecter, tout en respectantces différences qui font de nous des êtresenracinés. Ce qui est valable pour le langage l’estégalement pour le contenu des histoires, sachantque l’important est que, pour chaque récit ou conte,nous trouvions et transmettions son universalité enmême temps que sa spécificité. Une histoire, pourmoi, bien sûr, a atteint son but lorsque, par exempleune femme burkinabé ou un Albigeois puisse dire : lecouple dont tu parles dans ton histoire, j’en connaisun tout pareil.

Màf : Que représente la francophonie pour vous?Comment vit-on la langue française détachée duterritoire français ? Quel est, d’après votreexpérience internationale, l’avenir du français dansle monde?

Aïni Iften : Par son passé justement, et par ce quej’en ressens, et ce que j’en ai appris, le françaisreste une langue d’échange entre des personnes deculture différentes, de communication desentiments, une langue de rassemblement aussipour tous les peuples qui la parlent : c’est aussi unelangue de liberté.

Salim Hatubou : La francophonie représente pour moiun lien entre des millions de gens, un lien entredifférentes cultures. C’est un espace d’amitié et defraternité. Je me souviens que quand j’étais petit,aux Comores, je considérais le français comme lalangue de la réussite, de l’excellence. J’enviaismême les Français de pouvoir bien maîtriser le…français. J’étais loin de savoir que l’illettrismeexistait en France. Quand je suis arrivé en France,j’avais une dizaine d’années, je passais mon tempsà corriger mes camarades. J’ai mis du temps avantde dire « Je vais pas à l’école » au lieu de « Je nevais pas à l’école ». Cela montre combien, onrespectait cette langue. Il faut préciser égalementqu’il y a un autre français parlé en Afrique parexemple. Ahmadou Kourouma l’a d’ailleurs bienrestitué dans son roman Allah n’est pas obligé, paruen 2000 aux éditions du Seuil.Par rapport au français dans le monde, à mon avis,à force de mener une politique méprisante etcatastrophique dans ses anciennes colonies, à forcede fermer ses frontières aux étudiants et artistesdes zones francophones (c’est la croix et la bannièrepour un étudiant ou un artiste d’avoir un visa), laFrance creuse malheureusement elle-même la tombedu français dans le monde. Il ne faut pas oublier quetout est lié. Parce qu’ils se sentent humiliés,certains pays francophones se tournent vers laChine, les pays arabes, les États-Unis…Et c’est dommage. n

Chr

istin

eAn

drie

Sar

ahTa

nt

Sal

imH

atub

ou©

Luco

Bar

ret

Page 28: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

Livres, chez les éditeurs du Limousin

LES AMIS DU PÈRE CASTOR

87380 Meuzac

• Conte du petit poisson d’or,de Rose Celli (texte) et IvanBilibine (illustrations)

Cet ouvrage, paru pour lapremière fois chezFlammarion en 1937, estle fac-similé de cettepremière édition. « Le petitpoisson d’or » est un vieuxconte populaire russe quia gardé toute sa magie etsa finesse. Les illustrations sont-elles un peuvieillottes et désuètes ou bien restent-ellesmerveilleuses car intemporelles?Ce sera aux enfants de trancher…

24 x 28 cm, 24 p., ISBN : 2-08165411-3, 2005.

• La petite sirène,d’Hans Christian Andersen(texte) et Ivan Bilibine(illustrations)

Fac-similé de l’édition de1937, ce petit bijoud’édition « à l’ancienne »nous offre une desversions de ce magnifiqueconte d’Andersen qui n’apas pris une ride.

22 x 26 cm, 28 p., ISBN : 2-08165412-1, 2005.

• Théâtre d’ombres du Père castorLes livres à découper étaient une des trouvailleséducatives du Père Castor. François Faucher etl’équipe des Amis du Père Castor nous proposent iciun objet remarquable, un petit théâtre d’ombres àmonter soi-même, avec le livret de deux pièces(Cendrillon et La Belle au bois dormant) et tous lespersonnages à découper et à mettre en scène.Il faut probablement en acheter deux exemplaires :un à découper à réaliser avec les plus jeunes,et un autre à garder précieusement comme unexceptionnel livre objet. Cet ouvrage est un fac-similéde la première édition de 1936.

28 x 32,5 cm, 28 p. cartonnées à découper,plus une scène de théâtre en carton et papier-calque,ISBN : 2-08165410-5, 2005.

ROUGERIE ÉDITEUR,7, rue de l’Échauguette, 87330 Mortemart

• L’Orée d’une parole,de Pierre Bacle

Notre collaborateur Pierre Bacle, bibliothécaire àBellac, passe de l’autre côté du miroir pour publier sonpremier recueil de poèmes. Belle révélation que cetteécriture tout en retenue et en économie de mots, qui

peut faire songer à la poésiede Christian Viguié par sonattention aux petits riens,aux premiers pas. Tout lerecueil pourrait se lirecomme la descriptionintérieure du passage del’état de lecteur à celuid’écrivain, avec cetteinsistance touchante àaffirmer que les motsoubliés, ceux qui s’envolent,ceux qu’on rature, ceux qui ne sont pas imprimés,restent vivants au cœur du lecteur devenu poète.La dernière partie du recueil, « Éclosion d’une parole »,nomme presque cette sortie de la chrysalide etconfirme cette attention à l’orée des mots, à cet« avant dire » fragile. Par cette description poétique dela naissance d’une parole singulière, Pierre Bacleouvre la voie d’une œuvre prometteuse.

14,5 x 22,5 cm, 56 p., ISBN : 2-85668-117-4,2005, 11 €.

• L’Incisive,de Françoise Lison-Leroy.

« …en réponse/aux cent lignes/je lancerai un livre… »Poète belge d’expression française, Françoise Lison-Leroy a déjà publié de nombreux recueils chez deséditeurs de part et d’autre du Quiévrain. Elle nous livreici une très belle série de textes, dans une poésie vive,enlevée et rythmée comme un « nananananèèreu »enfantin, tirant la langue à ses années de pensionnat,franchissant la haie de l’enfance pour s’évader vers lapoésie, vers la liberté.« …mais qu’est-ce qui t’as pris/on avait dit/c’estun secret… »

14,5 x 22,5 cm, 64 p., ISBN: 2-85668-116-6, 2005, 12 €.

• Saisons noires et rouges,de François Perche.

Écrivain voyageur, voyageuren poésie, François Perchenous offre ici deux saisonssensibles. Saison noire,d’abord, celle de l’Afrique,de la sécheresse du Sahel,de la jeune fille pour laquelleil invente une voix. Saisonrouge ensuite, saison mayacélébrant la pluie sur laterre indienne.Deux saisons pour dire aussi le sang desfemmes muettes.

14,5 x 22,5 cm, 72 p., ISBN 2-85668-115-8, 2005, 13 €.

• Forêt,de Jeanine Mitaud.

Huitième recueil de poésie de Jeanine Mitaud chezRougerie, Forêt continue avec obstination et patienceun cheminement en poésie, célébrant la terre et toutesles forces de la vie.

14,5 x 22,5 cm, 64 p., ISBN 2-85668-118-2, 2005, 11 €.

EN MACHINEFEUILLES REÇUES

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

55

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

54

Je commande les numéros de Machine à feuilles suivants :c n° 12 - Histoire et mémoire en Limousin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . x 4,50 = . . . . . . . €

c n° 13 - Livre & art. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . x 4,50 = . . . . . . . €

c n° 14 - Littérature occitane en Limousin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . x 4,50 = . . . . . . . €

c n° 15 - Limousin traversé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . x 4,50 = . . . . . . . €

c n° 16 - Images d’hier, regards d’aujourd’hui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . x 4,50 = . . . . . . . €

c n° 17/18 - « Monsieur le conteur, vous parlez comme un livre ! ». . . . . . . . . . . . x 4,50 = . . . . . . . €

c n° 19 - Librairies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . x 4,50 = . . . . . . . €

c n° 20 - Lecteurs /Lectures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . x 4,50 = . . . . . . . €

c n° 21 - BD en Limousin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . x 4,50 = . . . . . . . €

c n° 22 - Être éditeur(s) aujourd’hui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . x 4,50 = . . . . . . . €

c n° 23 - Lecture et animation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . x 4,50 = . . . . . . . €

TOTAL : . . . . . . . . .€

Nom : ................................................ Prénom :.............................................................................Établissement :..............................................................................................................................Adresse :.......................................................................................................................................Code postal :..................................... Commune : .........................................................................

Règlement à l’ordre d’ALCOL-CRL en Limousin (34, rue Gustave-Nadaud, 87000 Limoges, tél. 05 5577 47 49, fax 0555 10 9231)

Certains numérosde Machine à feuillessont encore disponibles.Il vous est donc possible devous les procurer auprès d’ALCOL -CRL en Limousin au prix de 4,50 € l’exemplaire(franco de port).

Li

i

v

r

ech

zso

R

evue du livre et de la lecture en Limousinpubliée par ALCOL -Centre régional du livre en Limousin n° 224,50 €

MACHINE à FEUILLES

ÊTRE

}S{AUJOUR

D’HUI

ÉDITEUR

Page 29: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

LE BRUIT DES AUTRES,15, rue Jean-Baptiste-Carpeaux, 87100 Limoges

• Eva, Evita,de Marie-Ange Munoz.

« De l’ultime agonie, en passantpar les étapes de la préparationde son corps, jusqu'à l’expositiondans son cercueil de verre, EvaPeron lutte contre les douleurs etrefuse la mort en revivant touteson histoire. Voilà un « autreportrait » de cette femmemythique, un portrait à quatrevisages : Eva l’épouse du président, celle des jours defêtes et des discours ; mais aussi Eva l’autoritaire,rancunière, manipulatrice, mensongère ; Eva lacompagne du Leader pour les pauvres, généreuse,aimante, fidèle ; mais aussi Eva l’enfant adultérine,blessée, inculte, naïve, gaffeuse… Tout est dit, dansce texte, sur sa famille, son enfance, sa carrière, sarelation à Peron, son ambition politique… »

12,5 x 19,5 cm, 96 p., ISBN : 2-914461-56-9, 2005, 11 €.

• Frank-Amédée, alias Job,de Michèle Cavalleri,

« Je suis né en Amérique centrale, au bord du lac deGuixar. Rien ne m’y prédisposait. Mais on voyage, onvoyage tellement ! Il est possible que l’on ne fasse pasgrand-chose de mieux ; c’est une autre affaire. Est-ce àcette circonstance que je dois de me ruerpériodiquement vers ailleurs ? »

14 x 21,5 cm, 252 p., ISBN : 2-914461-55-0, 2005, 18 €.

• Chienne est la nuit des papillons,de Filip Forgeau.

« Un homme à l’asile. Depuiscombien de temps? Trois jours?Vingt-cinq ans? Une éternité ?Après tout, trois jours, c’est aumoins aussi long que la vie d’unpapillon… Et si l’asile n’était enfait que la chambre ou la cave denotre enfance? Un monde sous-marin d’où remontent lessouvenirs et les fantômes? »

14 x 21,5 cm, 236 p., ISBN : 2-914461-57-7,2005, 17 €.

IEO DAU LEMOSIN,2 chamin de la Codercha, 19510 Mas SerenTerra d’Oc, seccion occitana de R.A.C.I.N.E., Terras deVinherias, 16380 Charreç

• Glossari lemosin : Contribucion al’estudi de la linga lemosina,de Roger Pagnoux.

« L’auteur a su, en se penchantavant tout sur sa langue, celle deses gens, de son petit monde deChabanais, nous faire partagertoute une intimité avec l’occitan.Il est aussi sorti de sa« charriera » pour rattacher sacollecte à tout le Limousin et, au delà, à l’Occitanieen la revêtant d’une orthographe rigoureuse etnormalisée reflet d’une étymologie scrupuleusementrecherchée et disséquée. »

16 x 24,5 cm, 96 p., ISBN : 2-99523897-0-5, 2005, 10 €.

EDICIONS DAU CHAMIN DE SENT-JAUME,Royer, 87380 Meuzac

• Jan Picatau de Sent-Barrancon,d’Henri Delage.

Épuisées depuis denombreuses années, leshistoires du facétieux paysandu Nontronnais sontheureusement rééditées par lasection limousine de l’IEO etles Edicions dau Chamin deSent-Jaume. Entièrement enlangue d’Oc maisaccompagnées d’un glossaire assez complet, ceshistoires courtes et toujours drôles sont illustrées parJean-Marc Siméonin.

14.2 x 21,7 cm, 272 p., 2005, 20 €.

PULIM (PRESSES UNIVERSITAIRES DE LIMOGES),39 e, rue Camille-Guérin, 87036 Limoges Cedex

• Temporalités n° 2 : L’Obéissance,Collectif sous la direction de Michel Cassan.

Ce deuxième numéro de la revue du CERHLIM(Centre de recherche historique de la Faculté deLimoges) est composé, pour l’essentiel, de six articlesde chercheurs ayant en commun le thème del’obéissance. Du monde romain (Jacqueline Carabia) àla Révolution française (Laurent Brassard) et passantpar le Moyen-âge (Alexis Grelois, Anne Massoni) etl’époque moderne (Elie Haddad, Vincent Meyzie),l’obéissance au pouvoir politique ou religieux est doncle point commun de ces articles.

14.8 x 27 cm, 152 p., ISBN : 2-84287-362-9, 2005, 15 €.

• Les Aires spécialement protégées d’importanceméditerranéenne (Cahiers du CRIDEAU n° 13),de Kathleen Monod.

Si le fait de protéger des zones terrestres, enparticulier littorales, est depuis longtemps admis,la protection des espaces maritimes est encorebalbutiante. Cet ouvrage fait ainsi le point sur la listedes aires spécialement protégées d’importanceméditerranéenne (ASPIM), liste permettant de poserles bases d’un statut juridique propre aux airesmarines protégées.

16 x 24 cm, 168 p., ISBN : 2-84287-361-0, 2005, 17 €.

• L’Emploi public en Europe : Une ambition pour demain,Textes réunis par Hélène Pauliat

« L’emploi public est-ilcondamné à n’être qu’uneexception en Europe?Comment démontrer salégitimité, mais aussi sonattractivité ? L’associationEUROPA a tenté de répondreà ces questions lors de soncolloque annuel 2004 àLimoges. L’emploi publicbénéficie d’une utilité etd’une légitimité, qu’ilconviendrait de mieux mettre en évidence, et quidemeurent fondées sur les valeurs du service publicet de l’intérêt général. Cet ouvrage met l’accent surles expériences des différents pays européens surces questions. »

16 x 24 cm, 334 p., ISBN : 2-84287-369-6, 2005, 20 €.

EN MACHINEFEUILLES REÇUES

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

57

EN MACHINEFEUILLES REÇUES

ÉDITIONS LES 3 ÉPIS,rue Léon-Lecornu 19100 Brive-la-Gaillarde

• Sous les signes du soleil,de Pierre Eymard.

« En ce samedi d’automne, les habitants de Limogesapprennent par les médias le plus horrible des faitsdivers : l’assassinat de l’un des conseillers municipauxen pleine salle du Conseil. Le crime? horrible etsanglant… La victime? Un personnage respecté etaimé de tous, enfin… de presque tous ! L’enquêteur?Un homme un peu à l'écart des autres, qui se retrouverattrapé par son passé…Démarre alors une folle course contre la montre pourdécouvrir un assassin qui sème derrière lui la mort etle mystère. »

15 x 22 cm, 412 p., ISBN 2-912354-35-8, 2005, 20 €.

CAHIERS DE POÉSIE VERTE (COLLECTION « TROBAR »),Le Gravier-de-Glandon, 87500 Saint-Yrieix-la-Perche

• Aubiat,de Michel-François Lavaur

Auteur de près d’unetrentaine de recueils depoésie, Michel-FrançoisLavaur, qui anime depuisune grosse cinquantained’années la revueTraces, est originaire deSaint-Martin-la-Méanne(19). Aubiat rassembleune série de poèmesbilingues occitan-françaisdans lesquels l’amour dupays natal et les souvenirs de l’enfance corrézienneoccupent une grande place. Nulle nostalgie, nulleexaltation du terroir corrézien dans ces textes vifs etsauvages, mais un vrai chant d’admiration, pour samère tout d’abord, et pour ce qu’il a connu d’un tempsqui n’est plus, la proximité avec les bêtes et les bois.Une sagesse pleine d’avenir.

14,5 x 21,5 cm, 64 p., ISBN : 2-905422-36-X, 2005,12,50 €.

COLLECTION LA MAIN COURANTE,59, rue Auguste-Coulon 23300 la Souterraine

• Baby Beat Generation(An Anthology –Une Anthologie) : la SecondeRenaissance de San Francisco, traduction, sélection etintroduction de Mathiasde Breyne.

Cet ouvrage bilingue anglais-français réunit pour lapremière fois l’ensembledes poètes qui ont suivi latrace des grands aînés de laBeat Generation (Burroughs, Kerouac, Ginsberg,Pélieu…) au sein de ce qu’on a pu appeler la SecondeRenaissance poétique de San Francisco. Un CD audiod’une lecture publique des plus célèbres Baby Beat,enregistrée à San Francisco en 1976, accompagnecet ouvrage passionnant. (voir aussi la rubriqueFeuilles lues).

16,7 x 24,5, 272 p., ISBN 2-913919-24-3, 2005, 20 €.

ASSOCIATION DE LA CULTURE AFGHANE – ÉDITIONS BAMIYAN,18, rue Rhin-et-Danube, BP 2099, 87280 Limoges

• La Cuisine afghane,de Simin Heiderfazel (traduit del’allemand par Ulrike Gossmann).

« L’auteur, née à Kaboul, vie ettravaille depuis 1977 àHeidelberg (Allemagne). Elledispense des cours de cuisineafghane et de langue persane à l’Université populairede Heidelberg. Au-delà des recettes de cuisine, ce livrenous renseigne sur les habitudes alimentairesafghanes mais également sur la nature de l’hospitalitéproverbiale des Afghans. La grande majorité desingrédients naturels qui forment la base de ces platsest disponible en Limousin. »

18 x 20 cm, 166 p., ISBN : 2-914245-22-x, 2005, 16 €.

CULTURE & PATRIMOINE EN LIMOUSIN,6, rue François-Chénieux, 87000 Limoges

• L’Art de l’émail à Limoges,de Véronique Notin et Jean-Marc Ferrer(Collection Patrimoine en poche)

« L’émail de Limoges est encore mal connu du grandpublic. En une synthèse claire et abondammentillustrée, cet ouvrage retrace l’histoire de cet artprécieux exercé par les artistes de Limoges,du Moyen-âge à nos jours, avec une étonnantecapacité de renouvellement. Proposé pour la premièrefois dans une lecture continue, ce panorama estjalonné de chefs-d’œuvre mondialement connus et dedécouvertes issues des plus récentes recherches. »

14 x 22 cm, 162 p., ISBN 2-911167-44-9, 2005, 21 €.

• Cousins cuisines : Des recettes pour donner aux produitsd’ici un goût venu d’ailleurs,de Jean-Marc Ferrer et Marie-Hélène Restoin-Evert.

« Un livre sur la mixité des origines et le métissageinattendu des saveurs autour d’une région.Une rencontre avec dix-neuf personnalités originairesdes quatre coins du monde. Elles ont un pointcommun : avoir quitté leur pays natal pour s’installer etvivre en Limousin. Ils nous font partager des recettesfamiliales, faciles à réaliser avec des produits du terroir. »

20 x 20 cm, 96 p., ISBN 2-911167-45-7, 2005, 15 €.

• Seigneuries et châteaux-forts en Limousin, volume 2,de Christian Rémy (Collection Regards)

« La période allant du XIVe auXVIIe siècle apparaît comme unvéritable âge d’or du château-fort, témoin du sentimentd’insécurité : le paysagemonumental encore visible denos jours se met en place, pourl’essentiel, à partir de la Guerre de Cent ans et leséléments défensifs perdurent au-delà des guerres deReligion. Le Limousin entre alors dans l’ère du châteaufort « moderne », tel qu’on le retrouve dans beaucoupde provinces du royaume. Par son approche à la foishistorique, sociologique et monumentale, ce volume 2(qui précède donc la sortie du volume 1 à paraître en2006) permet à chacun de mieux comprendre lephénomène castral limousin, dans ses manifestationsles plus courantes comme dans ses réalisations lesplus prestigieuses. »

24,7 x 24,7 cm, 157 p., ISBN: 2-911167-43-0, 2005, 39 €.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

56

Page 30: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

59

UNIVERS COMICS - MÉGALITHES PRODUCTIONS,16, place des Bancs, 87000 Limoges

• Univers Comics : Le Répertoire 2005La livraison annuelle de la cote officielle des comics enfrançais est, d’année en année, de plus en plusétoffée, avec plusieurs pages de cote des figurines etautres objets dérivés de séries cultes. Un travailremarquable et très complet de Frédéric Tréglia,l’animateur d’Univers Comics.

21 x 29,7 cm, 52 p., ISBN : 2-9519827-8-X, 2005, 8 €.

Livres, chez les éditeurs hors région

LE BORD DE L’EAU ÉDITIONS,12, allée Bastard, BP 61, 33600 Latresne.

• Le Métallo ministre : entretiens de Marcel Rigout avecGeorges Châtain (Collection Clair&Net )

« Marcel Rigout a eu une vie engagée exceptionnelle :résistant dans le Limousin, membre du PartiCommuniste et responsable national très tôt,ministre de François Mitterrand en 1981, réformateurdans les années 90. Il représente ainsi les évolutionsde l’engagement communiste de l’Après-Guerrejusqu’à aujourd’hui.Son itinéraire personnel est une illustration à la foisde sa traversée d’un siècle tumultueux, souventtragique, et de la personnalité séculaire de la région,le Limousin, à laquelle il est lié par toutes sesracines. Manœuvre, apprenti, métallo, député,ministre, agitateur d’idées capable de s’émanciper dela tutelle d’un parti dans lequel il a construit sa vie,et sans lequel, dit-il volontiers, il serait resté unouvrier agricole. »

14 x 21,5 cm, 168 p., ISBN : 2-915651-23-X, 2005, 17 €.

BEAUDOIN-LEBON ÉDITEUR,38, rue Saint Croix de la Bretonnerie, 75004 Paris

• De grâce, ce pas dans l’absence en quoi tout demeure,(collection Actes Sud – Papier)photographies de Chrystèle Lerisse(préface de Jean-Paul Chavent).

Publié à l’occasion del’exposition Chrystèle Lerisse àla Galerie Beaudoin-Lebon du6 septembre au 15 octobre2005, cet ouvrage présente laplupart des images de l’artisteplasticienne des années 2003,2004 et 2005. Fidèle à ses engagements personnelset artistiques (cf. l’entretien qu’elle a accordé àMachine à feuilles n° 23), Chystèle Lerisse a puisé auxalentours de sa maison de Saint-Gilles-les-Forêts (87)une matière visuelle qu’elle rend sous forme d’indices,de tons, de taches, faisant la moitié du chemin verscelui qui se penche vers le petit format de ses images,en lui laissant faire l’autre moitié de ce chemin. Danscette rébellion contre l’ordre établi des images netteset lisses qu’on nous impose et qu’on oublie aussitôt,l’artiste rejoint peut-être celui qui a, pour notre région,le mieux incarné la rébellion et l’indépendanced’esprit ; et qui repose désormais au cimetière deSaint-Gilles-les-Forêts : Georges Guingouin.

16,5 x 21 cm, 64 p., ISBN : 2-87688-050-4, 2005.

ÉDITIONS GROS TEXTES,Fontfourane 05380 Châteauroux-les-Alpes

• Imagine un monde qui s’épuise à mourir,de Pierre-Eric Droin.

« Mais supposez un monde qui s’épuiserait àmourir ! Et, dans ce monde, une multitude d’êtressélectivement obtenus. Une pépinière d’abstraits,proies de la plus féroce iconoclastie. Une fraternellecohue domestiquée au bazar. Une écurie dépuceléeaux babioles juteuses d’hélicoïdes cancéreux.Un troupeau sagement appareillé pour subir… »

9,7 x 20,7 cm, 128 p., ISBN : 2-35082-020-3, 8 €.

• Boxes,de Marie-Noëlle Agniau.

Recueil de textes à lire d’un souffle, Boxes confirmel’étendue du talent littéraire de Marie-Noëlle Agniau.Nous voici plongés dans le trop-plein de la tête d’unepetite fille qui pense déjà trop et déverse tout cequ’elle voit, sent et ressent. Un des mérites de ce petitouvrage est bien de nous faire entendre la voix d’uneenfant, mais sans le filtre de l’adulte qu’elle estdevenue, une voix pure. Texte probablement antérieuraux poèmes publiés par ailleurs, Boxes dit la douleurde ne pas s’aimer, la relation complexe à la mère,l’extrême attention aux habitudes, aux codes deconduite, à l’entourage. Le propos est servi parune écriture travaillée et déconstruite où le verbesecoue la page par petites phrases courtes etrépétitives, dans la lignée d’un Joyce ou, plus près denous, d’un Tarkos ou d’un Prigent.

14,5 x 20,7 cm, 74 p., ISBN : 2-35082-021-1, 8 €.

ÉDITIONS ACTES-SUD,Le Mèjan, place Nina-Berberova, 13200 Arles

• Sur les chemins d’Oxor,de Marc Roger.

« Ce livre nous entraîne dansune formidable balade, pas àpas et pied à pied, devant deslecteurs captivés par la voix deMarc Roger. Trois ans depréparation, un an sur les routeset plus de 20000 kilomètresparcourus tout autour du Bassinméditerranéen. Au terme de cepériple, véritable Grand Tour quirenoue avec les voyages inspirés d’hier, Marc Rogernous revient avec ces chroniques faites de bellesrencontres, et parfois de mauvaises surprises, avecdes personnages et des lieux qui changent une vie.Une invitation au voyage et au partage des mots, ouquand le plaisir de la lecture se transforme en véritablegoût de l’écriture… »

10 x 19 cm, 220 p., ISBN : 2-7427-5896-8, 2005, 19 €.

ÉDITIONS ENCRES VIVES,2 allée des Allobroges, 31770 Colomiers

• Sombre nuit où fut ma mort,de Laurent Bourdelas (Collection Encres Blanches n° 220)

« En juin 2004, Laurent Bourdelas fit l’expérience -comme bien d’autres avant lui - de la douleur extrême,de la morphine et de la séparation familiale (…)Il écrivit la suite rassemblée et publiée ici. »

21 x 29,7 cm, non paginé, 2005.

EN MACHINEFEUILLES REÇUESM

ACHI

NEà

FEUI

LLES

-5

8M

ACHI

NEà

FEUI

LLES

-5

8

• Le Département rouge : République, socialisme etcommunisme en Haute-Vienne (1895-1940),de Dominique Danthieux.

« Cet ouvrage est la versiondestinée à la publication d’unethèse de doctorat soutenue en2002. Il se donne pour objetl’étude des mécanismes de laconstitution d’une identité delocale dont l’ancrage politiqueà gauche depuis le milieu duXIXe siècle est l’un desprincipaux traits constitutifs.Ce travail conjugue deuxapproches. La première s’intéresse aux processus etaux acteurs de la politisation des masses. La secondeapproche privilégie les représentations développéespar la population, permettant d’envisager sous unangle différent les rapports entre la politique et lesélecteurs. En outre, sont envisagés les liens unissantles sociétés rurales aux sociétés urbaines pour mieuxen montrer les influences et les apports réciproques,restituant ainsi toute sa cohérence à l’ensemble formépar les villes et les campagnes rouges du départementde la Haute-Vienne. »

16 x 24 cm, 348 p., ISBN : 2-84287-367-X, 2005, 20 €.

• L’Espace poétique de Gaston Miron,de Claude Filteau (Collection Francophonies)

« Gaston Miron (1928-1996) est connu comme l’undes meilleurs écrivains du Québec grâce à son recueilde poèmes, L’Homme rapaillé, publié pour la premièrefois à Montréal en 1970. Claude Filteau examineminutieusement l’œuvre de Miron, dont l’écritureest traversée par un tellurisme qui lui donne sonsouffle épique. »

16 x 24 cm, 312 p., ISBN : 2-84287-346-7, 2005, 18 €.

• Boulevards du populaire,de Jacques Migozzi (Collection Médiatextes)

Dans un style clair et vif, imagé et plein d’humour,Jacques Migozzi dresse une synthèse remarquable destravaux universitaires menés sur la littérature populairedepuis une vingtaine d’années. Si le propos estrigoureux et référencé avec précision, le texte se litavec grand plaisir. Cet ouvrage est indispensable àtoute personne intéressée par la littérature, qui croitsavoir ce qui en est et ce qui n’en est pas (voir aussinotre rubrique Feuilles lues).

16 x 24 cm, 248 p., ISBN : 2-84287-341-6, 2005, 27 €.

• Raymond Queneau en scènes,de Jean-Pierre Longre,

« Raymond Queneau n’a pas toujours prêté un intérêtmanifeste au théâtre ; même si son œuvre est chargéed’une densité dramaturgique, même si la thématiquethéâtrale la parcourt de bout en bout, l’attitude del’auteur à l’égard du théâtre est souvent réservée(dans ses propos, ses écrits, ses réactions) ; il semblelui préférer des arts du spectacle apparemment plusfutiles (cirque, music-hall, cinéma…). Cela expliquerait-il que l’œuvre dramatique soit restée limitée àquelques publications et à quelques inédits, achevés,inachevés ou simplement ébauchés, et que, plusprofondément, l’œuvre quenienne relève de la mise enscène du langage (plutôt que de personnages au sensclassique du terme), ainsi que d’une volonté de restermaître de son écriture, de ne pas se laisser abuser pardes limites passant pour artificielles? »

16 x 24 cm, 286 p., ISBN : 2-84287-345-9, 2005, 20 €.

• Vocabulaire des études francophones: les concepts de base,Sous la direction de Michel Beniamino et Lise Gauvin(Collection Francophonies)

« Cet ouvrage se veut à lafois une présentation del’état de la recherche dans ledomaine des étudesfrancophones et un outil deréférence permettantd’« entrer » dans le domainepour un lycéen, un étudiantnovice en la matière et pourun enseignant désireux de seformer ou de préparer unenseignement nouveau pour lui. La présentation enarticles vise à l’essentiel : souligner les inflexionsparticulières que le domaine fait subir à certainsconcepts ; présenter les principaux concepts forgésdans la discipline en fournissant chaque fois lesréférences bibliographiques indispensables pour unapprofondissement des questions abordées.L’ensemble des articles entend aussi présenter lesdifférents courants théoriques qui animent les étudesfrancophones. »

16 x 24 cm, 212 p., ISBN : 2-84287-364-5, 2005, 20 €.

ÉDITIONS DE LA RUE MÉMOIRE,117 bis, rue de la Barrière, 19000 Tulle

• En toute liberté : Tulle, ma ville. 1928-1985, tome secondde Paul Mignot.

Second tome des mémoires de Paul Mignot, cetouvrage relate vingt-cinq années de vie tulloise, lerugby, la « Manu », la résistance sur un ton tour à tourléger, sentimental, incisif, drôle et parfois aussivéhément et amer.

16 x 23 cm, 208 p., ISBN : 2-9519590-5-2, 2005, 20 €.

FEL (FORMATION ENTREPRISES DU LIMOUSIN),52, rue Turgot, BP 261, 87007 Limoges Cedex

• …Et les mots se mettent à pousser :Atelier d’écriture et rencontre littéraire pour un publicéloigné de l’écrit

« Vingt-six avril 2005.Le centre dedocumentation du lycée deLa Souterraine en Creuse.C'est un mardi deprintemps et c'est le jourde la rencontre entre ungroupe de stagiairesadultes, en remise àniveau, et Wajdi Mouawad,auteur de plusieurs pièceset d'un roman Visageretrouvé. Ce groupe desept personnes travailledepuis deux mois déjà autour et avec le roman de cetauteur, dans le cadre d'un atelier d'écriture. Dans cettedynamique hebdomadaire s'enlace un travail de lectureet d'écriture, espace de création pour chacun desparticipants. Ce recueil retrace ce patient tissage, ilouvre la perspective d'une écriture s'enracinant dansune terre apparemment peu fertile mais au fil despages, au rythme des rendez-vous du mardi, les motsse mettent à pousser. »

12,5 x 21 cm, 79 p., ISBN : 2-9525924-0-3, 2005, 3 €.

EN MACHINEFEUILLES REÇUES

Page 31: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

FEUILLES LUESFEUILLES LUES

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

61

Babyface1

de Koffi Kwahulé

Il faut parfois attendre des annéesavant d’écrire un premier roman,c’est le cas pour Koffi Kwahulé, quiétait l’auteur reconnu de plus d’unevingtaine de pièces de théâtreavant de s’attaquer à Babyface, leroman qu’il vient de faire paraîtredans la collection Continents noirsdes éditions Gallimard.

Un roman qu’on pourrait qualifier de « roman total »,mêlant les thèmes et les tons, décalant en permanencele style et la narration, englobant dans un même élanbaroque le journal intime, la poésie, les dialogues dethéâtre, la confession, le conte, la correspondance…Bien sûr, l’approche est surprenante, et il faut avaler enapnée une vingtaine de pages avant de reprendre sonsouffle de lecteur et de trouver enfin un confort delecture, tant les paragraphes et les protagonistes sontenchâssés dans la page. Mais cette forme originale denarration colle parfaitement au fond de ce que l’auteurde Jazz nous propose: la vie à Little-Manhattan, une villeimaginaire d’un pays qui serait l’Afrique noire à elle touteseule: Eburnéa. Chacun raconte à sa manière la vie à Little-Manhattan,les femmes surtout, qui parlent des hommes de leur vie,des blancs ou des noirs, des riches, des fous, desPrésidents ou des soldats, et au milieu de tous ceshommes, Babyface, celui qui fait tourner la tête et lecœur de Mozati. Sur cette trame amoureuse, toutel’Afrique se tisse, la guerre et les conflits ethniques,le rêve de l’Occident, la corruption et le pouvoir deshommes. Rarement un auteur avait évoqué l’Afriquenoire avec une telle justesse, une telle force. Car ce livrevous remue, il est de ceux dont on ne peut pas dire« c’est un bon livre, j’ai passé un bon moment enlisant ». C’est au contraire un roman qui déstabilise sonlecteur, qui le pousse à aller là où il ne voudrait pass’aventurer, qui évoque ce qu’il préférerait ne pasconnaître: les plus bas instincts des hommes et ladiscrète complicité des femmes.

Olivier Thuillas

Cette aveuglante absence de lumière 2

de Tahar Ben Jelloun

« Nothing is bigger than life »Johnny got his gunDalton Trumbo

Maroc, Juillet 1971. Des soldats participent sans lesavoir à une tentative d’assassinat contre le roiHassan II. Après l’échec de cet attentat, cinquante-huit soldats survivants sont envoyés dans le sud dupays, au bagne de Tazmamart, où ils resterontenfermés, dix-huit longues années, dans des cellules-tombeaux,où nul ne peut se tenir debout, ni étendre sesmembres. Seuls quelque uns en reviendront etpourront témoigner. C’est d’un de ces témoignages, celui d’Aziz Binebine,dont Tahar Ben Jelloun s’inspire pour écrire un romanpoignant d’une intense poésie : Cette aveuglanteabsence de lumière. Le paradoxe du titre montre quece livre est bien plus qu’une dénonciation politique,peut-être tardive, des « années de plomb » au Maroc,c’est avant tout le paradoxe d’un homme dont lamort est programmée, un homme à qui on retiretoute raison de vivre et qui, malgré tout, s’accrocheavec une force et une constance inouïes à la vie,même si celle-là se présente sous sa forme la plusmince et porte le masque de la mort. Faut-il encorese battre pour vivre lorsque la vie n’est qu’une lenteet douloureuse mort ?Malgré la torture et la déchéance physiques, malgréla faim, le froid, les scorpions, malgré l’immobilité,l’obscurité, la folie et la mort des codétenus, Salim,personnage principal du roman, résiste à lasouffrance, à l’intolérable, au mal. Il renonce à toutplaisir, à la haine, à son passé, parce que « lessouvenirs et la colère tuent », il s’abstrait du mondepour satisfaire ce qui est plus qu’un instinct desurvie, un inextinguible désir, une inaltérableexigence de vie. Le paradoxe de ce roman est d’êtreà la fois l’histoire morbide d’un homme condamné àune mort inhumaine et un bouleversant hymne à lavie, d’être « la pierre noire » et étincelante qui« purifie l’âme de la mort », une obscure clarté…

Aurélie Ribière

FEUILLES LUESFEUILLES LUES

1 Babyface, de Koffi KwahuléGallimard, collection Continents noirs, 2006.

2 Cette aveuglante abscence de lumière,de Tahar Ben Jelloun, Éditions du Seuil, 2000.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

61

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

60

ÉDITIONS LA DIFFÉRENCE,30, rue Ramponeau, 75020 Paris

• Les cinq et une nuits de Shahrazède,de Mourad Djebel.

« Shahrazède, l’héroïne originelle des contes desMille et une nuits, avait choisi pour défi de sauver savie et celle d’autres femmes d’une exécution certainepar le roi Shahrayar en usant de sa ruse et de sontalent de conteuse. Celle qui porte ce surnom dans leroman aura, elle, à sauver de lui-même un hommequ’elle pressent au bord du gouffre. N’ayant purésister au chaos et à l’anarchie d’une réalité où lamort trouvait un terrain à la mesure de ses projets lesplus fous, il était prêt à mourir. À cet homme, elle estliée par un très ancien pacte secret… »

13,1 x 20 cm, 368 p., ISBN : 2-7291-1570-6, 2005, 23 €.

Périodiques, chez les éditeurs du Limousin

MÉGALITHES PRODUCTIONS,16, place des Bancs, 87000 Limoges

• Aquariun : le fanzine des nouvelles bulles limousines, n° 1.Ce fanzine présente les travaux de jeunes talents dedessinateurs et de scénaristes de BD réunis au seindu studio de création créé par Mégalithes productions.Réunis chaque jour de la semaine de 17 à 19 heures àMais… l’usine, 20, rue de la Réforme à Limoges, lesmembres du studio touchent à tous les styles de laBD, réalisme, Héroïc fantasy, manga, humour…Un entretien avec Michel Janvier complète lesdifférentes planches présentées dans cette feuille.À suivre…

21 x 29,7 cm, 30 p., 2005, 4,50 €.

LEMOUZI,13, place Municipale, 19000 Tulle

• Lemouzi, n° 176 (octobre 2005)La livraison d’automne de la revue régionaliste etfélibréenne rend un hommage à Bernard Meilhac,secrétaire général de la Société historique etrégionaliste du Bas-Limousin, décédé endécembre 2004. En plus des habituellescontributions érudites en histoire, archéologie,agriculture ou généalogie, Michel Chadeuil nousrégale d’une chronique énervée et très drôle,bilingue occitan/français : Domaisela meteo /Mademoiselle météo.

16 x 23,4 cm, 167 p., ISSN : 0024-0761, 2005, 15 €.

CAHIERS DE POÉSIE VERTE,Le Gravier-de-Glandon, 87500 Saint-Yrieix-la-Perche

• Friches : Cahiers de poésie verte, n° 91, automne 2005.La grande voix contemporaine de ce numéro estRichard Rognet, qui livre ici quatre lettres d’unecorrespondance avec Danièle Corre et onze poèmesinédits. Suivent douze voix également contemporainesmais pas encore tout à fait aussi grandes que celle deRichard Rognet, dont quelques belles lignes d’AlainRicher et de Christian Saint-Paul.

14 x 21,4 cm, 82 p., ISSN : 0294-0914, 2005, 8 €, 2005.

ASSOCIATION DES ANTIQUITÉS HISTORIQUES DU LIMOUSIN,22, rue Jules-Massenet, 87000 Limoges

• Travaux d’archéologie limousine,tome 25.

Six articles et cinq notes ettravaux constituent le corpsde cette vingt-cinquièmelivraison annuelle de TAL, quiprofite de son quart de sièclepour rajeunir agréablement sapremière de couverture.Les six articles proposés sontpassionnants, et pas seulement pour un publicspécialisé, grâce en particulier à l’iconographietoujours très riche de la revue et aux nombreux planset cartes reproduits. Quelle était la faune présenteautour de Limoges pendant le Haut Moyen-âge? Où enétait la cartographie routière en Limousin entre la findu XVIIe siècle et la fin de l’Ancien régime? Voici entreautres les questions auxquelles les savantsprofesseurs réunis autour de Jean-Pierre Loustaud etJean-Michel Desbordes tentent de répondre.

21 x 29,7 cm, 162 p., ISSN : 0750-1099, 2005, 25 €.

LES AMIS DE ROBERT MARGERIT,BP16, 87170 Isle

• Cahiers Robert Margerit n° 9, 2005.Plus de 430 pages pour cette livraison annuelle desCahiers Robert Margerit qui publient intégralement unroman inédit de Jean Colombier : Et le soleil aussi…Ce neuvième Cahier offre, entre autres, plusieursétudes sur l’œuvre de Robert Margerit, de nombreusesnotes de lecture, un petit dossier sur Georges-EmmanuelClancier et une nouvelle de Marc Formet.

13,7 x 21,5 cm, 432 p., ISSN : 1773-6749, 2005, 18,30 €.

EN MACHINEFEUILLES REÇUES

Page 32: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

FEUILLES LUESFEUILLES LUES

Rapaces 5

d’Anna Moï

Le roman d’Anna Moï s’ouvre surune chute: un cavalier et samonture tombent dans l’eau rouged’une rivière en crue. Noussommes à l’automne 1950, auNord du Vietnam, qui n’est pasencore le Nord-Vietnam, et plus tout à fait le Tonkin.Le général Giap vient de mettre en échec les troupesde la Légion Etrangère. Le cavalier désarçonné,narrateur et héros du roman, transporte le courrierdestiné aux combattants clandestins cachés dansdes grottes de montagne. Rude voyage, qui luiensanglante les pieds, fait fondre toute la graisse deson corps, déchire ses vêtements, et surtout leprojette dans une solitude où il se retrouve face àson passé. À trente-trois ans, il n’a rien d’unpartisan, et il n’a pas choisi de remplir cette missiondangereuse. Il n’a d’ailleurs pas choisi grand-chosedans sa vie. C’est un homme entre deux eaux :fils unique d’une famille d’artisans fondeurs decloche, il a réussi à se démarquer de l’héritagepaternel, mais il reste un fils soumis à l’emprisematernelle, au point de laisser à sa mère, comme leveut la tradition, le choix de son épouse. Sculpteurformé par un maître français, il aurait pu devenir unartiste « à l’occidentale », mais il a tourné le dos à lacréation pour une voie plus conventionnelle, celle desculpteur animalier. Il a choisi pour sujet les rapaces...Dans le temps de son périple va ressurgir peu à peula figure de la femme aimée, petite paysanne dudelta devenue modèle pour gagner sa vie, jeune filleà laquelle il a renoncé, pire, qu’il a trahie, et qu’il alaissée mourir loin de lui. Mais nous ne sommesjamais « seulement » dans une histoire d’amour.D’emblée Anna Moï crée une tension entre deux voix :celle du narrateur et celle de l’amiral Decoux,Gouverneur Général d’Indochine durant la dernièreguerre, dont les propos sont cités en exergue dechaque chapitre. Derrière la vision « naïve » dunarrateur se profile donc sans cesse, en contrepoint,le discours officiel, celui du colonisateur doublé dupétainiste, allié des japonais. L’histoire prend icitoute son épaisseur, et le choix des propos del’amiral jette une lumière cruelle sur le cynisme aveclequel les puissants mentent aux peuples. En échoaux lâchetés et aux mensonges d’État, résonnent leslâchetés et les mensonges du narrateur, quiculminent dans une scène de reniement d’uneviolence inexprimée, à fleur de peau.Et lorsque le héros a enfin affronté l’épreuveultime, celle de la lucidité, Anna Moï, usant de lalangue française avec la subtilité d’un pinceau demaître diluant d’une goutte d’eau l’encre dans lepapier, nous dissout, nous lecteurs, avec sonpersonnage, dans le « on » magnifique de sesdeux dernières pages.

Geneviève Parot

Baby Beat generation. AnAnthology – Une Anthologie.6

Traduction, sélection etintroduction de Mathias deBreyne

Voilà un livre qui vivifie le cœur etl’esprit et qui, sans mauvais jeude mots, rend béat d’admirationdevant le travail accompli par l’éditeur PierreCourtaud et par Mathias de Breyne. 20 ans ontpassés entre Howl d’Allen Ginsberg en 1955, devenule manifeste de la « Beat generation » « révolutionpoétique » de l’après guerre en Amérique et 1975date dite de la Seconde Renaissance de SanFrancisco lorsque Bob Kaufman, « Le Rimbaud noir »arrête 13 ans de vœu de silence entamé aprèsl’assassinat du Président John Kennedy. Toute unenouvelle génération de poètes se retrouve à laLibrairie City Lights pour des lectures et reprend larevue Beatitude magazine. Ce sont surtout leurspoèmes qui sont la vraie nouveauté de cetteanthologie. Il y a ici une évidence frappante et pas assez soulignéeen France : la poésie est un art vocal, et même si lelecteur ne comprend pas l’anglo-américain, il y a unvrai plaisir à lire à haute voix les poèmes qui sontproposés dans cette édition bilingue :« When the moon is drinking, the sea staggers like adrunken sailor. Poets who drown at sea, themselves,become beautiful wet songs, cranes … ». « Lorsque lalune boit, la mer titube comme un marin enivré. Lespoètes qui se noient dans la mer, eux-mêmes, deviennentde belles chansons mouillées, des grues … »(Bob Kauffman).« …United States of Amercica in a united stateof ignorance and greed, I wash your dishes »,« États-Unis d’Amérique, dans un état uni d’ignoranceet d’avidité, je fais ta vaisselle. » « Inside I a amcrying ». « À l’intérieur, je pleure. When are you goingto wash and dry these tears ? » « Quand vas-tu laveret essuyer ces larmes ?… » (Thomas Rain Crowe). Un CD de neuf poètes lisant leurs textes estutilement joint à ce livre. Si après la « générationperdue » chère à Gertrude Stein, les « Beats » sesont considérés comme la « génération future »,pour les « Babies » et nous, ils resteront uneressource renouvelée.

Marie-Laure Guéraçague.

MAC

HINE

àFE

UILL

ES-

63

5 Rapaces, d’Ana Moï,Gallimard, 2005.

6 Baby Beat generation. An Anthology – Une Anthologie.

Traduction, sélection et introduction de Mathias de Breyne,

Collection La Main courante, 2005.

FEUILLES LUESFEUILLES LUESM

ACHI

NEà

FEUI

LLES

-6

2

3 Boulevards du populaire,de Jacques Migozzi, éditions PULIM, 2005.

4 Vivre à propos, de Jacques Rigaud,Grasset, 2005.

Boulevards du populaire 3

de Jacques Migozzi

Jacques Migozzi, doyen de la Facultédes Lettres de Limoges, vient depublier aux PULIM un ouvrage intituléBoulevards du populaire. Il publie cetouvrage dans la collectionMediatextes qu’il co-dirige avec Myriam Boucharenc etoù sont déjà parus Littérature et reportage, Fictions,énigmes, images, lecture (para?) littéraires, Le Fils deMonte Cristo – Idéologie du héros de roman populaire,La légitimité culturelle en question(s) et enfinProduction(s) du populaire, actes d’un colloqueinternational s’étant tenu à Limoges en 2002.À la lecture de cette liste, la parution de Boulevards dupopulaire apparaît comme la synthèse, l’aboutissementd’un ensemble de travaux et recherches ayant fait l’objetdes précédentes publications. En effet, Jacques Migozziréunit dans cet ouvrage passionnant les figures jusqu-làantinomiques du populaire et de la littérature.En plaçant l’ouvrage sous la célèbre ritournelle chantéepar Yves Montand « J’aime flâner sur les grandsboulevards, il y a tant de choses à voir » et une citationde Sartre extraite de Les Mots où il avoue qu’enfant, iladorait la lecture des romans d’aventure de la collectionHetzel à laquelle il s’adonnait clandestinement etfinalement conclut « aujourd’hui encore, je lis plusvolontiers les “séries noires” que Wittgenstein »,Jacques Migozzi nous prévient dès l’ouverture de sonouvrage qu’il traitera du populaire comme de la littératuresans hiérarchie et sans préjugé: « Ce livre sera donccelui d’un lecteur. Mais aussi, celui d’un enseignant delittérature, qui ambitionne modestement d’accompagnerde “jeunes” lecteurs dans les vertiges formateurs dumentir-vrai romanesque, et qui ne se résout pas audivorce grandissant entre les enseignements dispenséspar l’institution universitaire et les pratiques culturellesde ses étudiants… Plutôt que de s’indigner, lesdéfenseurs intransigeants d’une école-sanctuaireabritée de la culture médiatique ambiante feraient biende s’interroger sur les conséquences de leur choixexclusif : à trop tenir pour suspect le plaisir“indiscipliné” procuré aux jeunes lecteurs-spectacteurspar des œuvres jugées “illégitimes” ».Après avoir analysé le sens du qualificatif « populaire »et son application aux ouvrages fictionnels dits« populaires », Jacques Migozzi montre les liensessentiels qui existent entre les modes de production dulivre et la naissance du roman populaire qui correspond àl’industrialisation de cette production. Une troisième partietraite de la réception de ces ouvrages en s’appuyant surles travaux des sociologues français comme P. Bourdieu,J-C Passeron et C. Guignon. On aura compris que JacquesMigozzi nous invite à renverser nos appréciations desmots « littérature » et « populaire » au risque de condamnerles futurs de la lecture et de la littérature.Pour conclure, Jacques Migozzi appelle à reconsidérerl’étude et l’enseignement de la littérature.Pour ma part, j’inviterais tout bibliothécaire à lire celivre et à en faire son miel pour réfléchir à sesconvictions et méthodes de sélection des collectionsqu’il propose aux publics.

Lydie Valero

Vivre à Propos 4

de Jacques Rigaud

Jacques Rigaud que nous avions invitéà Limoges en 2002 après lapublication des Deniers du Rêve vientde publier Vivre à propos chez Grasset.Il ne s’agit pas de mémoires, JacquesRigaud, modeste, dit que sa vie ne mérite pas cettedémarche formelle. Le mot qui viendrait à l’esprit s’iln’était pas si désuet ce serait celui de livre de raison.En fait, il y a des éléments biographiques dans ce livrenon pas exposés pour eux-mêmes mais plutôtconvoqués afin d’étayer une argumentation, uneréflexion au soir de sa vie.L’auteur parle de son enfance studieuse, de sa solitude,de sa formation avec en particulier le décalage entreune formation scolaire brillante et précoce etl’apprentissage de la vie. Imaginez l’arrivée enpréfecture d’un énarque de 19 ans. Imaginez la tête deschefs de service chevronnés sans parler des éluslocaux. Rien n’est éludé, ni les difficultés, ni l’isolement.On assiste, au contraire, aux efforts pour s’adapter,pour mûrir. Et c’est l’occasion d’aborder le sujet desmaîtres qui l’ont aidé, qui l’ont formé et qui l’ontmarqué! Maîtres de profession, de rencontre et aussi,je dirai surtout de lecture et de réflexion suggérée:essentiellement Montaigne. On sent que ce dernier aété un compagnon de route tout au long de la vie. Il enparle bien si bien d’ailleurs que j’ai éprouvé le besoinparfaitement ignoré la veille de me replonger dansLes Essais. Je pense, d’ailleurs, que c’est ce côtéanalyse du texte et commentaire littéraire etphilosophique des Essais qui justifie qu’on parle de celivre dans une revue telle que Machine à feuilles.L’analyse est plaisante gaie, constructive, avec unesimplicité rafraîchissante.Les références à la vie professionnelle ne manquentpas: au Ministère de la Culture, à l’Unesco, à RTL.C’est l’occasion d’une réflexion sur les problèmes dela culture. Quel rôle l’État peut-il bien avoir? Et lescollectivités locales? L’aide et le soutien à la création,une politique de l’offre suffisent-elle? Les actions desMalraux, Duhamel, Lang… et autres, admirables enleur temps, sont elles toujours indiscutables, voireintouchables? Pour ma part j’ai bien aimé lespassages se rapportant aux médias, en particuliercomment un homme de culture très classique a pus’adapter et influencer un média au caractère populaireindiscutable. Enfin l’évocation de sa vie familiale pleinede pudeur permet d’aborder la paternité, la vie familialeet les engagements personnels et religieux.Évidemment cela donne au livre un aspect un peucomposite mais qui ne nuit pas à l’agrément de lecturepuisque les références personnelles alternent avec lesréflexions générales. Jacques Rigaud n’est pasintimidant et on sort de ce livre avec le désir decompléter sa propre culture. Enfin j’ai apprécié sur la forme le rejet systématique detout jargon. On est loin de l’énarchie culturelle et sur lefond une grande liberté de jugement, sans jamaistomber dans le règlement de comptes, Jacques Rigaudn’a pas fréquenté assidûment Montaigne pour rien!

Jean Moyen

Page 33: MACHINE FEUILLES - crl-limousin.org · soutien de la Région et de la DRAC, le Centre régional du livre a pu coordonner une forte mobilisation pour que le lancement des Francofffonies

M A C H I N & M A C H I N EEn tournée avec le bibliobusde la Creuse

Direction régionaledes affaires culturelles

Limousin

Première surprise en montantdans l’un des trois bibliobusde la bibliothèque

départementale de la Creuse(BDC) : ce n’est pas un bus, c’estun camion ! Confortablementinstallé entre Thierry, le chauffeuret Catherine, la bibliothécaire,je roule vers Saint-Eloi,166 habitants et 56 inscrits à labibliothèque, soit un très bon tauxd’inscrits de 34 % de la population,c'est-à-dire le double de lamoyenne nationale. Marie-AnneMazure, la responsable de labibliothèque, nous attend avecimpatience. Le bibliobus ne passeen effet que trois fois dans l’annéepour desservir chacun des 189 pointsdu département, et bientôt deuxfois pour les établissements ayantun budget d’acquisition d’ouvrages.Des piles de livres qui vontretourner dans le bus nousattendent. Thierry, armé de sonordinateur portable et de safameuse « douchette », entrent lesouvrages en retour, pendant queMarie-Anne parcourt lesrayonnages du bus pour choisir lenouvel assortiment qu’elle vaproposer aux lecteurs. « Je connaismaintenant assez bien les goûtsdes lecteurs du village, c’estl’avantage de la proximité ». Sanssurprise, les auteurs régionaux etles romans du terroir sont les plusdemandés. Mais elle choisit aussides ouvrages un peu moins« attendus », et ils sont nombreuxdans le bus, puisque les rayons« poésie », « théâtre » ou « scienceshumaines » sont très bien fournis.Marie-Pascale Bonnal, la directricede la BDC et militante infatigabledu livre, enfonce le clou : « Il nefaut jamais qu’une bibliothécairese laisse dominer par la demandedu public, sinon on ne fait querétrécir l’univers des lecteurs.Du régionalisme ou même deslivres de la collection Harlequin,il faut en proposer, mais en petitnombre, pour que les lecteurs aientaussi envie d’aller découvrir autrechose. Il faut faire confiance auxgens et ne jamais présager de cequi pourrait les intéresser ou nepas les intéresser ». La venue du

bibliobus est aussi l’occasion derecevoir les livres réservés par leslecteurs. C’est un des services quela BDC rend aux Creusois, et ilfonctionne bien puisqu’elle enregistreplus de 12000 réservations par an.N’importe quel ouvrage estsusceptible d’être réservé, ets’il n’est pas parmi les160000 documents de la BDC,le prêt inter bibliothèque fonctionnegratuitement pour les lecteurs– décidemment gâtés – dudépartement.

Si la bibliothèque de Saint-Eloiapparaît, à bien des égards,comme exemplaire, celle dePeyrabout, où nous arrivons endébut d’après-midi, semble commelaissée à l’abandon. « Là-bas, c’estvraiment un placard » m’avaitprévenu Catherine. Trois étagèresdans un coin du bureau de lasecrétaire de mairie, voilà labibliothèque ! Les inscrits?Une douzaine, tout au plus, pour158 habitants. Marie-PascaleBonnal, comme toujours lucidemais ambitieuse, explique : « Nousdesservons une cinquantaine de“placards” comme Peyrabout.On se déplace parfois pour deuxlecteurs ! Mais cela ne dure pas,c’est un dialogue permanent avecles élus : soit ils s’engagent à créerun espace spécifique et à dynamiserle lieu en prévoyant du personnelcompétent pour l’animer, soit le“placard” ferme. Mais n’oublionspas la mission de service publicqui nous incombe : chaque habitantdu département doit pouvoir

bénéficier du service de la BDC ».La directrice va même plus loindans sa logique d’offre de qualité,en exigeant que chaque dépôtbénéficie au moins de600 documents : « Si c’est pourlaisser 150 livres dans un placard,ça ne sert à rien, c’est même unsaupoudrage contre-productif !Il faut que le lecteur potentiel aitle choix. Et le jour où les élus sedécident à faire un effort pour labibliothèque, le dépôt est déjàconséquent, ils peuvent voir que laBDC a fait le premier pas, à eux defaire le deuxième».

En attendant, la bibliothèque« fantôme » de Peyrabout nousoccupe une bonne partie de l’aprèsmidi, nous choisissons seuls lesouvrages à déposer, nous lesinstallons méticuleusement sur lesétagères du local, pendant que lasecrétaire de mairie semble sedésintéresser de notre présence.« C’est vrai qu’on a l’impressionde travailler pour des lecteursfantômes, avoue Catherine, mais ilsuffit qu’une personne du village,souvent une bénévole, veuilles’impliquer dans la bibliothèque,et tout peut changer très vite ».Et Marie-Pascale Bonnal deconclure : « les élus des communesde la Creuse sont en grandemajorité demandeurs d’un vraiservice public de lecture et nousessayons de leur donner ; encorefaut-il qu’ils puissent mettre ànotre disposition un vrai localpour accueillir les ouvrages etles lecteurs ». n

ALCOL -CRL en Limousin est principalement financée par le ministère de laCulture et de la Communication, Direction régionale des affaires culturelles du Limousin et par la Région Limousin.Elle reçoit le soutien de la Direction régionale des services pénitentiaires, de laJeunesse, des Sports et de la Vie Associative, du ministère de l’Éducation nationaleet des Conseils généraux de la Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne.

Marie-Anne Mazure, bibliothécaire à Saint-Eloi © Olivier Thuillas