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Samedi 31 octobre 2015 - 71 e année - N o 22018 - 4 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve-Méry Directeur : Jérôme Fenoglio Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 4 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 4 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA Chine, la fin du dogme de l’enfant unique XI JINPING VEUT DES ENFANTS LIRE PAGE 20 ÉTATS-UNIS MANDAT D’ARRÊT CONTRE THOMAS FABIUS LIRE PAGE 6 XINHUA/ZUMA/REA Le Parti communiste chinois a autorisé, le 29 octobre, tous les couples à avoir un second enfant Une décision historique, après l’interdit de 1979, qui ne devrait cependant pas bouleverser l’évolution démographique LIRE PAGES 2-3 A un mois de la conférence mondiale sur le climat, à Paris, l’ONU prévient que les engage- ments des Etats contre le réchauf- fement sont insuffisants La hausse des températures pourrait atteindre 2,7 °C, selon l’ONU, voire 3 °C, selon les ONG, très loin de l’objectif d’un accord de limitation à 2 °C visé à la COP21 L’évaluation de l’ONU porte sur les engagements de 146 des 195 pays membres de la convention sur le climat et couvre 86 % des émissions de gaz à effet de serre Il pourrait ainsi être indispensa- ble de réviser à la hausse l’engage- ment des Etats dès 2016 ou 2017, un point qui est loin d’être acquis LIRE PAGE 7 Climat : la bataille perdue des 2 °C A l’assaut de la culture DOSSIER TOURISME L’HIVER AU CHAUD UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE, EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG CULTURE & IDÉES BIG DATA, LE BON SENS NOYÉ DANS LE VOLUME SPORT & FORME MONDIAL DE RUGBY : C’EST LA LUTTE FINALE Cérémonie au mausolée d’Atatürk, le 29 octobre 2015. U.BEKTAS/REUTERS Turquie : la dérive autoritaire d’Erdogan P fizer a décidé de tenter une nouvelle mégafu- sion. Après avoir échoué en 2014 à racheter As- traZeneca, puis Actavis, le nu- méro deux mondial de la pharmacie cherche à mettre la main sur Allergan, qui a confirmé, jeudi 29 octobre, être en discussion avec Pfizer. Si les négociations devaient aller à leur terme, l’opération constituerait la plus impor- tante fusion de l’histoire du secteur pharmaceutique. Le rapprochement entre le fabricant du Viagra et celui du Botox permettrait à Pfizer de redevenir le numéro un mondial devant le suisse No- vartis. Mais l’enjeu est aussi fiscal : avec cette fusion, Pfi- zer continuerait de réaliser l’essentiel de son chiffre d’af- faires aux Etats-Unis, mais pourrait devenir une société de droit irlandais et réaliser ainsi de colossales économies d’impôts. p LIRE LE CAHIER ÉCO PAGES 1 ET 4 PHARMACIE PFIZER, L’AMBITION D’UN MARIAGE GÉANT L e président turc, Recep Tayyip Erdogan, réussira-t-il son pari ? Dans un contexte très tendu, sur fond de terro- risme et de conflits régio- naux, les élections législati- ves, dimanche 1 er novembre, vont permettre de détermi- ner si son mouvement, le Parti de la justice et du déve- loppement (AKP, islamo- conservateur), obtient une majorité et peut former un gouvernement. Portrait d’un homme qui veut transfor- mer la Turquie en système présidentiel. Les tribunes d’Anne-Marie Le Gloannec, Hamit Bozarslan, Elif Shafak et Ali Kazancigil. p LIRE PAGES 4, 12-13 ÉCONOMIE APRÈS BOLLORÉ, NIEL S’INVITE CHEZ TELECOM ITALIA LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 3 DIPLOMATIE SARKOZY DÉNIGRE HOLLANDE CHEZ POUTINE LIRE PAGE 4 « ON N’EST PAS OBLIGÉ D’AIMER LES RELIGIONS » Boualem Sansal LITTÉRATURE L’ écrivain algérien Boua- lem Sansal, qui a obtenu jeudi 29 octobre le Grand Prix du roman de l’Académie fran- çaise pour 2084, la fin du monde (Gallimard), s’interroge sur les dé- rives de l’islam, où le discours martial a remplacé la spiritualité. « On croit que les sociétés sont so- lides, mais pas du tout : au moindre choc, tout part en éclats, se désole l’auteur. En face de l’islamisme, les valeurs de la raison s’effondrent comme un château de cartes. Les Lumières se sont éteintes. » L’entretien avec le grand écri- vain, modeste, doux-amer et mé- connu dans son pays, sur la peur, le courage, l’Algérie. « Je fais les choses pour moi. Qu’elles soient interdites par Dieu ou diable. » p LIRE LE SUPPLÉMENT CULTURE & IDÉES PAGES 4-5

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Samedi 31 octobre 2015 ­ 71e année ­ No 22018 ­ 4 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry Directeur : Jérôme Fenoglio

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 4 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 4 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA

Chine, la fin du dogme de l’enfant unique

XI JINPING VEUT DES ENFANTS→ LIRE PAGE 20

ÉTATS-UNISMANDAT D’ARRÊT CONTRE THOMAS FABIUS→ LIRE PAGE 6

XINHUA/ZUMA/REA

▶ Le Parti communiste chinois a autorisé, le 29 octobre, tous les couples à avoir un second enfant▶ Une décision historique, après l’interdit de 1979, qui ne devrait cependant pas bouleverser l’évolution démographique

→LIRE PAGES 2-3

▶ A un mois de la conférence mondiale sur le climat, à Paris, l’ONU prévient que les engage­ments des Etats contre le réchauf­fement sont insuffisants

▶ La hausse des températures pourrait atteindre 2,7 °C, selon l’ONU, voire 3 °C, selon les ONG, très loin de l’objectif d’un accord de limitation à 2 °C visé à la COP21

▶ L’évaluation de l’ONU porte sur les engagements de 146 des 195 pays membres de la convention sur le climat et couvre 86 % des émissions de gaz à effet de serre

▶ Il pourrait ainsi être indispensa­ble de réviser à la hausse l’engage­ment des Etats dès 2016 ou 2017, un point qui est loin d’être acquis→ LIRE PAGE 7

Climat : la bataille perdue des 2 °C

A l’assaut

de la culture

D O S S I E R T O U R I S M E L ’ H I V E R A U C H A U D

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CULTURE & IDÉES

BIG DATA, LE BON SENS NOYÉ DANS LE VOLUME

SPORT & FORME

MONDIAL DE RUGBY :C’EST LA LUTTE FINALE

Cérémonie au mausolée d’Atatürk, le 29 octobre 2015. U.BEKTAS/REUTERS

Turquie : la dérive autoritaire d’Erdogan

P fizer a décidé de tenterune nouvelle mégafu­sion. Après avoir

échoué en 2014 à racheter As­traZeneca, puis Actavis, le nu­méro deux mondial de la pharmacie cherche à mettre la main sur Allergan, qui a confirmé, jeudi 29 octobre, être en discussion avec Pfizer. Si les négociations devaient aller à leur terme, l’opération constituerait la plus impor­tante fusion de l’histoire du secteur pharmaceutique.

Le rapprochement entre le fabricant du Viagra et celui du Botox permettrait à Pfizer de redevenir le numéro un mondial devant le suisse No­vartis. Mais l’enjeu est aussi fiscal : avec cette fusion, Pfi­zer continuerait de réaliser l’essentiel de son chiffre d’af­faires aux Etats­Unis, mais pourrait devenir une société de droit irlandais et réaliser ainsi de colossales économiesd’impôts. p

→LIRE LE CAHIER ÉCOPAGES 1 ET 4

PHARMACIE

PFIZER, L’AMBITION D’UN MARIAGE GÉANT

L e président turc,Recep Tayyip Erdogan,réussira­t­il son pari ?

Dans un contexte trèstendu, sur fond de terro­risme et de conflits régio­naux, les élections législati­ves, dimanche 1er novembre, vont permettre de détermi­ner si son mouvement, leParti de la justice et du déve­

loppement (AKP, islamo­conservateur), obtient une majorité et peut former un gouvernement. Portrait d’unhomme qui veut transfor­mer la Turquie en système présidentiel. Les tribunes d’Anne­Marie Le Gloannec, Hamit Bozarslan, Elif Shafak et Ali Kazancigil. p

→ LIRE PAGES 4, 12-13

ÉCONOMIEAPRÈS BOLLORÉ, NIEL S’INVITE CHEZ TELECOM ITALIA→ LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 3

DIPLOMATIESARKOZY DÉNIGRE HOLLANDE CHEZ POUTINE→ LIRE PAGE 4

« ON N’EST PAS OBLIGÉ D’AIMER LES RELIGIONS »Boualem Sansal

LITTÉRATURE

L’ écrivain algérien Boua­lem Sansal, qui a obtenujeudi 29 octobre le Grand

Prix du roman de l’Académie fran­çaise pour 2084, la fin du monde (Gallimard), s’interroge sur les dé­rives de l’islam, où le discours martial a remplacé la spiritualité.

« On croit que les sociétés sont so-lides, mais pas du tout : au moindrechoc, tout part en éclats, se désole l’auteur. En face de l’islamisme, les valeurs de la raison s’effondrent comme un château de cartes. Les Lumières se sont éteintes. »

L’entretien avec le grand écri­vain, modeste, doux­amer et mé­connu dans son pays, sur la peur,le courage, l’Algérie. « Je fais leschoses pour moi. Qu’elles soientinterdites par Dieu ou diable. » p

→ LIRE LE SUPPLÉMENTCULTURE & IDÉES PAGES 4-5

2 | international SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

La Chine abandonne la politique de l’enfant uniquePour faire face au vieillissement de la population et favoriser la consommation intérieure, Pékin autorise tous les couples à avoir un deuxième enfant

pékin - correspondance

Dans un revirement historique,trente­six ans après avoir li-mité les couples à une seulenaissance, le Parti commu-

niste chinois (PCC) a annoncé, jeudi 29 octobre, l’adoption d’une politique permettant d’avoir deux enfants. Cette décision a été annoncée à l’issue de qua-tre jours de réunion de son comité cen-tral, qui a approuvé le treizième plan quinquennal, feuille de route économi-que, politique et sociale qui guidera laChine jusqu’en 2020. Ce changement a pour but de « répondre au défi du vieillis-sement de la population » et « d’améliorer la stratégie de développement démogra-phique », a expliqué un communiqué.

La décision était attendue après que lepremier ministre, Li Keqiang, eut évoqué en mars une prochaine vague d’ajuste-ments. Les Chinois, préoccupés par leurnombre qu’ils voient comme un poids autant que comme un élément de puis-sance, ont reconnu au strict contrôle des naissances, mis en place en 1979, d’avoir accéléré la transition démographique. Les officiels mettaient en avant les400 millions de naissances évitées – unchiffre douteux, car fondé sur des projec-tions de natalité bien antérieures auxchangements économiques.

Le « planning familial » est devenu au fildes années synonyme de violente intru-sion de l’Etat dans le plus intime de la vie des citoyens. Obsédés par des statistiquesdéterminantes pour leurs carrières, ses officiels avaient recours aux avorte-ments forcés, selon des procédés barba-res et, pour éviter la récidive, allaient jus-qu’à imposer la ligature des trompes. Aumois de juin 2012, l’opinion chinoise avaitété choquée en découvrant sur les ré-seaux sociaux la photo d’une jeune femme de la province du Shaanxi, Feng Jianmei, épuisée sur un lit d’hôpital au côté du fœtus, après un avortement sous la contrainte à sept mois de grossesse. Le couple avait déjà un enfant de 5 ans et n’avait pas les moyens de payer l’amendede 40 000 yuans (5 750 euros).

Le mois suivant, Zhang Erli, un anciendirecteur des statistiques au sein de la

puissante Commission nationale de lapopulation et du planning familial (qui a depuis fusionné avec le ministère de la santé), exprimait ses remords pour le coût de l’enfant unique sur les femmes deson pays sur la chaîne de télévision Phoe-nix, de Hongkong. « Je suis désolé pournos femmes chinoises. Je me sens assez coupable. Les femmes chinoises ont fait unsacrifice énorme », reconnaissait M. Zhang, soulignant la responsabilité du gouvernement.

1,7 enfant par femmesLe problème des enfants dont la nais-sance n’a jamais été déclarée et qui ont leplus grand mal à progresser dans la so-ciété faute d’existence sur les registres officiels subsiste. Il a par ailleurs fallu in-terdire, en 2001, aux médecins de révéleraux futurs parents le sexe de l’enfant etprocéder à des campagnes d’affichage depropagande dans les villages, afin de ré-duire le nombre d’avortements sélectifsde filles. Certains couples vont réaliserces échographies à l’étranger. Du fait del’enfant unique et d’un biais culturel, 118 garçons naissent en Chine pour 100filles, alors que la moyenne mondiale estde 103 contre 107.

L’officiel retraité Zhang Erli juge la déci-sion de jeudi bienvenue, mais bien tar-dive. Arrivé dans les bureaux du planningfamilial en 1988, il dit avoir eu dès 1995 la conviction personnelle que « vivre une vieheureuse est plus important que lecontrôle de la population ». Il y a dix ans, M. Zhang calculait avec des démographesque la main-d’œuvre aura considérable-ment réduit à l’horizon 2035, avec pour

Dans un villageprès de Shangrao,dans l’est de la Chine. QILAI SHEN/PANOS-REA

Le « planning familial »est devenu

au fil des années

synonyme de violente

intrusion de l’Etat

dans le plus

intime de la vie

des citoyens

En 2050, 370 millions de personnes âgées

* Après 2015, projections à fécondité constante INFOGRAPHIE : FRANCESCA FATTORI, HENRI-OLIVIER - SOURCE : NATIONS UNIES, WORLD POPULATION PROSPECT, THE 2015 REVISION

RÉPARTITION DE LA POPULATION CHINOISE, PAR TRANCHE D’ÂGE, EN MILLIONS DE PERSONNES*

1 500

1 000

500

0

1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050

0-14 ans

15-64

1979 Politique coercitive

de l’enfant unique

2015Abandon de la politique de l’enfant unique

2013Assouplissement

de la politique de l’enfant unique

1970 Politique des « mariages

tardifs, naissances peu nombreuses »,incitant à se limiter

à deux enfants

65-79

80 +

1 880

1 304

376

544

1950 20502015

Chine

Inde

POPULATION, EN MILLIONS D’HABITANTS*

1,5

6,1 6,3

1950-1955 2010-2015

TAUX DE FÉCONDITÉ, NOMBRE MOYEND’ENFANTS PAR FEMME EN ÂGE DE PROCRÉER

075 75

Hommes Femmes

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

Hommes Femmes

0 7575Millions de personnes Millions de personnes

Tranches d’âge

ÉVOLUTION DE LA PYRAMIDE DES ÂGES CHINOISE, À FÉCONDITÉ CONSTANTE

Aujourd’hui Dans 35 ans

DÉFICIT DE FEMMES

conséquence un fort impact sur l’écono-mie. « Il aurait été préférable de procéder àce changement plus tôt et beaucoup d’en-tre nous avaient écrit au gouvernement pour exprimer ce sentiment », dit M. Zhang. Mieux vaut tard que jamais, ju-ge-t-il, « mais le moment le plus approprié pour revenir sur cette politique est déjàderrière nous ».

A 1,36 milliard d’habitants en 2014, se-lon la Banque mondiale, la populationchinoise est toujours la première de laplanète, mais elle pourrait être détrônée rapidement par l’Inde. L’indice de fécon-dité chinois est tombé à 1,7 enfant par femme et seulement 17 % des Chinois ontaujourd’hui moins de 14 ans, contre une moyenne mondiale de 27 %.

A celle des droits humains – quid’ailleurs n’était pas évoquée dans la déci-sion de jeudi – s’est donc progressive-ment ajoutée une évidence démographi-que. Le vieillissement constituera un far-deau pesant sur les épaules de la nouvellegénération chinoise, qui devra financer les personnes âgées, un modèle résumé par la formule « 4-2-1 », un jeune tra-vailleur qui aurait tous ses grands-pa-rents devant potentiellement leur veniren aide, ainsi qu’à ses père et mère.

Arrivé à la tête du PCC il y a trois ans,Xi Jinping a procédé à un implacable res-serrement sur le débat politique, maiss’est en revanche montré ouvert à desévolutions sur des questions de natureplus sociale, au premier rang desquelles leplanning familial mais aussi le « hukou », un passeport intérieur limitant l’accèsaux services publics des ruraux migrant vers les villes qui est progressivement ré-formé. L’annonce d’une « politique des deux enfants », fruit déjà largement mûr, contribuera à prouver que les réformes avancent à bon train dans un contexte de ralentissement économique qui laisse champ aux voix s’interrogeant sur la ca-pacité de l’équipe du tout-puissant Xi Jinping à moderniser la Chine.

Pour le démographe Liang Zhongtang,de l’Académie des sciences sociales de Shanghaï, la réforme annoncée jeudi s’imposait au pouvoir. Malgré ce change-ment, M. Liang continue de soutenir qu’iln’est pas dans les prérogatives de l’Etat de

fixer le nombre d’enfants auxquels lepeuple a droit de donner naissance. « Ce n’est pas une question d’un ou de deux, il faut se débarrasser entièrement de la poli-tique de planning familial. Le nombre d’enfants qu’a un couple est une décision qui lui appartient à lui, pas au gouverne-ment », dit M. Liang.

Des effets limités

En novembre 2013, un an après l’acces-sion de M. Xi au poste de secrétaire du parti, le PCC avait annoncé ouvrir la pos-sibilité d’avoir un deuxième enfant si un

D É M O G R A P H I E C H I N O I S E

0123SAMEDI 31 OCTOBRE 2015 international | 3

Xi Jinping en plein activisme économiqueLes autorités misent sur l’innovation et la consommation pour soutenir la croissance

pékin - correspondance

D ans les salons de l’hôtelJingxi, tenu par l’Arméepopulaire de libération,

les membres du comité central du Parti communiste chinois (PCC) ont planché pendant quatre jours, du lundi 26 au jeudi 29 octobre, surla feuille de route qui guidera l’éco-nomie chinoise jusqu’en 2020. Le rendez-vous est entouré d’un cer-tain secret, étant limité au sérail.

La réunion devait d’abord con-firmer la puissance qu’a su con-centrer autour de lui le secrétaire général du PCC, Xi Jinping, en troisannées au pouvoir. Selon la presseofficielle, plus de la moitié (104 sur205) des membres du comité cen-tral ont déjà été « promus, rétro-gradés ou expulsés » depuis son accession, à l’automne 2012, lors du 18e congrès. Le PCC a ainsi enté-riné la décision d’exclure de ses rangs Ling Jihua, l’ancien chef de cabinet du président Hu Jintao, ainsi que neuf autres officiels.

Toutefois, il semble ne pas avoirété question de la promotion de généraux proches de M. Xi au seinde la Commission militaire cen-trale, ce qui lui permettrait de po-sitionner davantage de ses hom-mes au prochain congrès, en 2017,à mi-mandat. « La campagne anti-corruption a déjà porté un coup aumoral de l’armée et il ne veut plus lancer de nouvelle controverse d’icilà », estime Willy Lam, politolo-gue à l’université chinoise de Hongkong et auteur récemment d’un livre sur Xi Jinping.

Questions sur la croissanceLe Global Times veut désormais inscrire l’activisme du secrétaireXi dans le sens de l’efficacité éco-nomique, et non de la purge poli-tique. Ce journal cite ZhangXixian, un professeur à l’école duparti, selon lequel ces change-ments de personnel « ont aidé à choisir des dirigeants d’action et debravoure, dont la Chine a besoinpour s’attaquer aux problèmeséconomiques et s’assurer d’un dé-part fort pendant le treizième plan quinquennal ».

C’est que les questions sur lacroissance chinoise se font enten-dre. Comme le faisait valoir l’agence de presse officielle, ChineNouvelle, « La Chine entre dans une phase-clé pour échapper aupiège du revenu intermédiaire ». Laformule fait référence aux pays, d’Amérique latine par exemple, qui ont su s’extirper de l’extrême pauvreté sans parvenir ensuite àétablir l’économie de forte valeur ajoutée des nations les plus ri-ches. Le ministre des finances, dans un discours à l’université de Tsinghua, à Pékin, en mars, don-nait à « 50-50 » les chances que la Chine stagne dans cette situation.

Les dirigeants chinois ont déjàréaffirmé leur ambition de parve-nir à ce que l’économie chinoise aitdoublé de volume entre 2010 et 2020. Selon l’agence Bloomberg, citant des sources anonymes, le premier ministre, Li Keqiang, aurait évoqué lundi 23 octobre dans le cadre du plénum la néces-sité pour parvenir à l’objectif d’unesociété de « modeste prospérité » de maintenir une progression an-nuelle de 6,5 %, même si la seule formule employée dans les com-muniqués officiels est « croissance économique moyenne à haute ». L’économie chinoise a progressé de 6,9 % au troisième trimestre surun an selon les données officielles,en deçà de l’objectif fixé par Pékin pour 2015. Pékin promet pour cela de miser sur davantage d’innova-tion et une meilleure allocation des ressources, et de renforcer la consommation, alors que la moi-tié du PIB est encore drainée par l’investissement. Les détails sont attendus ultérieurement. p

h. th.

L’ambition desdirigeants est

que l’économie

chinoise ait

doublé de

volume entre

2010 et 2020

« Il est peu probable que cette décision permette à la fécondité de remonter »Le contrôle des naissances était de plus en plus contesté, souligne la démographe Isabelle Attané

ENTRETIEN

L a mise en place en 1979 de lapolitique de l’enfant unique,trois ans après la mort de

Mao et au moment où Deng Xiao-ping lançait sa politique de réfor-mes et d’ouverture, s’expliquait par des raisons économiques. Toutcomme son abandon, près de qua-rante ans plus tard, dans une Chine grisonnante et en quête d’un nouveau modèle de dévelop-pement qui donne une part plus importante à la consommation. Mais, pour la démographe et sino-logue Isabelle Attané, de l’Institut national des études démographi-ques, qui publiera en janvier chez Fayard La Chine à bout de souffle, l’autorisation accordée à tous les couples d’avoir deux enfants ne devrait pas permettre d’assister à une remontée de la fécondité.

Pourquoi cette politique de l’enfant unique avait-elle été mise en place ?

La Chine appliquait depuis 1971une politique de contrôle desnaissances, à la fois à la campagne(trois enfants maximum) et en

ville (deux enfants maximum). Elle a été très efficace en termes debaisse de la fécondité dans les an-nées 1970, mais elle était moinsstricte. Deng Xiaoping, en arri-vant au pouvoir en 1978, a lancé les réformes. Et la politique del’enfant unique mise en place un an plus tard visait à permettre de soutenir cet objectif d’accélérer le développement du pays. L’argu-ment était donc économique.

Comment a-t-elle évolué ?Finalement, cette politique de

l’enfant unique n’a concerné qu’une fraction de la population. Dans les années 2000, ce n’était plus qu’un tiers, car elle ne con-cernait plus que les grandes villes.

Dès le début, en 1979, il était pos-sible pour les couples composés de deux enfants uniques de faire deux enfants. A la fin de l’année 2013, après le troisième plénum, cette possibilité a été élargie aux couples dont l’un des deux con-joints seulement était enfant uni-que. Avec l’autorisation pour tous les couples d’avoir deux enfants, on assiste à un nouvel assouplisse-ment du contrôle des naissances.

Comment expliquer cette décision de l’abandonner ? Est-ce historique ?

Oui. Il faut cependant se souve-nir que, lors de sa mise en œuvre en 1979, il avait été expliqué que lapolitique de l’enfant unique était censée ne durer que trente ans, donc qu’elle serait provisoire. A partir des années 2000, la Chine acommencé à vieillir à un rythme soutenu. La communauté des dé-mographes chinois et d’autres secteurs de la population ont prôné l’abandon de cette politi-que qui n’avait plus lieu d’être pour différentes raisons.

En premier lieu, parce que laChine va se retrouver avec une structure de population qui va commencer à devenir défavorable à son économie. Entre les années 1980 et la fin des années 2000, le pays a bénéficié d’une structure démographique extrêmement fa-vorable : la part d’actifs, en gros les adultes – nous, les démographes, considérons que c’est la popula-tion âgée de 15 à 59 ans –, était ex-ceptionnellement élevée. Elle a at-teint jusqu’à 70 % de la populationtotale. Mais, depuis le début des

années 2008, cette part com-mence à diminuer. Le nombre de personnes âgées va augmenter et, en raison de la baisse de la natalité,la population adulte va diminuer.

L’assouplissement de 2013 a-t-il eu un impact ?

Il ne s’est pas traduit par une re-montée de la natalité. Aujourd’hui,ils autorisent tous les couples à avoir deux enfants. S’ils ont pris cette décision, c’est aussi pour ré-pondre à la contestation crois-sante vis-à-vis de la politique del’enfant unique, et je ne suis pas sûr qu’elle ait un impact significa-tif. Il est assez peu probable que cela permette d’une part à la fé-condité de remonter significative-ment et d’autre part de lutter con-tre l’élimination des petites filles. Avoir un enfant coûte cher. Il y a très peu de structures d’accueil, et quand elles existent, elles sont chères, tout comme le système de santé ou l’université… Les études supérieures coûtent très cher éga-lement. Pour les familles, c’est un budget considérable. p

propos recueillis parfrançois bougon

seul des deux parents est lui-même en-fant unique. Il s’agissait déjà là d’une ouverture, puisqu’il fallait auparavantque les deux futurs parents soient fils et fille uniques pour être autorisés à don-ner la vie une seconde fois. D’autres ex-ceptions couraient de plus longue date, notamment pour les paysans ayantd’abord eu une fille et pour les ethnies minoritaires.

Or les effets de la réforme de 2013 res-tent aujourd’hui relativement limités. Lepays a enregistré 16,8 millions de nais-sances en 2014, soit 470 000 de plus que

l’année précédente. Les maternités n’ontpas été prises d’assaut. Selon une étude réalisée plus tôt en 2015, sur les onzemillions de couples qui remplissaient lecritère d’un seul parent lui-même enfantunique et pouvaient ainsi profiter de la réforme de l’automne 2013, seuls 40 %disaient en fait envisager un second en-fant.

C’est que les jeunes couples n’aspirentabsolument pas à fonder des famillesnombreuses. A Shanghaï, une étude réa-lisée par l’université Fudan a montré enmars que seulement 15 % des femmes de

la ville la plus peuplée du pays, et aussil’une des plus riches, seraient désireusesd’avoir deux enfants : 58 % d’entre ellescitaient le poids financier comme prin-cipal motif de refus, venaient ensuite le problème des crèches pour s’occuper desenfants et le prix des logements. « L’im-pact démographique se fera peut-être res-sentir dans dix ans, mais il ne sera pasmajeur car les jeunes d’aujourd’hui ne dé-sirent pas avoir davantage d’enfants », es-time Zhang Erli, le haut officiel retraité du planning familial. p

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4 | international SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

La dérive autoritaire du président turc ErdoganA deux jours des législatives, les instituts de sondage ne donnent pas la majorité parlementaire à l’AKP

istanbul - correspondante

A trois jours des élec­tions législatives, leprésident Recep TayyipErdogan est sorti, jeudi

29 octobre, sur le balcon de son gi­gantesque palais, à Ankara, pour célébrer le 92e anniversaire de la République turque : « Après 2023, nous allons entrer dans la catégo-rie des dix pays les plus puissants de la planète. Votre marche est cellede la liberté. Tous ensemble nous allons faire la Turquie ! »

2023 est une date-clé. Dansl’imaginaire du chef de l’Etat, ils’agit de célébrer le centième anni-versaire de la République fondée par Atatürk, afin de mieux la fossi-liser et de créer à sa place la « Répu-blique d’Erdogan ». L’homme aime à s’approprier l’Histoire. Pendant le scrutin présidentiel d’août 2014, trois dates vertigi-neuses figuraient sur ses affiches de campagne : 2023, centenaire de la République, 2053, 600e anniver-saire de la prise de Constantinopleet 2071, millénaire de l’arrivée des Seldjoukides en Anatolie.

Pour les islamo-conservateurs,ces dates préfigurent les grandsrendez-vous d’une Turquie forte. « Dans le contexte des grands bou-leversements mondiaux, le pays a une occasion historique devant lui.L’émergence d’une grande Turquie sera favorisée en 2023 », écrivait Yigit Bulut, le conseiller du prési-dent, le 7 septembre 2014, dans untexte intitulé Doctrine pour la Grande Turquie 2023 et le nouveaumonde. Selon lui, grâce à RecepTayyip Erdogan, le pays a réussi àse débarrasser de la « laisse » im-posée jadis par l’Occident.

Devenu le premier président éluau suffrage universel en août 2014, « Tayyip bey », comme le surnomment ses partisans, a

voulu passer à la vitesse supé-rieure, ne plus être un président« protocolaire », comme le sup-pose l’actuelle Constitution, mais un chef de l’Etat doté de larges pouvoirs. « Environ 80 % des paysdu G20 connaissent un régime pré-sidentiel (…) nous sommes obligésde reconnaître les nouvelles réali-tés du monde », plaidait-il en 2013.

Censées donner à son Parti de lajustice et du développement (AKP,islamo-conservateur) la majorité nécessaire pour faire basculer le pays vers un régime présidentiel àpoigne, les législatives du 7 juinont ruiné son projet.

Pour la première fois en treizeans, son parti a perdu sa majorité parlementaire. Avec 41 % des suf-frages, soit 258 députés sur 550, l’AKP accuse la défaite électorale laplus cinglante de son histoire.

Incapable de former une coali-tion gouvernementale, le premierministre, Ahmet Davutoglu, a jeté l’éponge et, comme le fixe la Cons-titution, après quarante-cinq joursde vains pourparlers avec les partisprésents au Parlement, un nou-veau scrutin législatif a été convo-qué pour le 1er novembre.

Si, comme le prévoient les prin-cipaux instituts de sondage, lesrésultats ne donnent toujours pasla majorité parlementaire à l’AKP, M. Erdogan verra son projet d’hy-perprésidence définitivement en-

terré. Il risque alors de mesurer combien son étoile a pâli. L’homme « providentiel » sembleavoir perdu sa magie auprès d’unebonne partie de l’électorat.

Quel contraste avec 2002, quandles islamo-conservateurs prirentles commandes du pays. M. Erdo-gan était alors en parfaite réso-nance avec son peuple. Il parlaitd’or : pluralisme, liberté, prospé-rité, réformes. Empreints de prag-matisme, ses discours étaient dé-nués d’idéologie.

Le peuple d’Anatolie n’avaitaucun mal à se reconnaître dans ce fils d’un capitaine de bateau duquartier populaire de Kasimpasa, à Istanbul, parvenu à se hisser auposte de premier ministre par les urnes. Il gagna les sympathies de la gauche et des intellectuels, brisa les tabous – question kurde, chypriote, arménienne –, fit ren-trer l’armée dans les casernes.

Posture de victimeSon charisme commença à s’es-tomper au printemps 2013, au mo-ment des événements de Gezi, lorsque des centaines de milliers de Turcs se dressèrent contre un projet d’aménagement urbain au centre d’Istanbul. Violemment ré-primée – les affrontements avec la police firent huit morts –, la pro-testation du parc Gezi se retourna contre le premier ministre d’alors, taxé d’autoritarisme.

La presse, la justice, la police ontété placées sous son étroit contrôle. Engagé, depuis décem-bre 2013, dans une vaste purgecontre la confrérie de son ancienmentor, l’imam Fethullah Gülen,exilé aux Etats-Unis, il a fait mu-ter, destituer ou arrêter policiers, juges et procureurs.

Vécue comme une trahison– « un coup de poignard dans ledos », dira-t-il un jour –, la rupture

avec les gülenistes va renforcer sa posture de victime. Son entou-rage échappe de peu à une en-quête pour corruption, diligentée par les adeptes de l’imam. Sa bles-sure narcissique est à vif. A partir de là, tous ses opposants devien-nent des « traîtres ». Selahattin Demirtas, le chef du Parti démo-cratique des peuples (HDP, pro-kurde), qui, le 7 juin, a recueilli les voix kurdes allant d’ordinaire à l’AKP, est décrit par lui comme un suppôt du terrorisme.

L’installation dans un palais de200 000 mètres carrés à Ankara, après son élection à la présidence en août 2014, renforce sa perte de

contact avec la réalité. Sa folie des grandeurs lui vaut alors le sur-nom de « sultan ». Ses discours de-viennent plus idéologiques. Il uti-lise à l’envi la rhétorique popu-liste, religieuse et nationaliste.

Dans une obsession du com-plot, il mettra un point d’honneurà recevoir dans son palais, de jan-vier à août, des dizaines de mil-liers de maires de villages et dequartiers (mukhtars). « Les mairesdevraient savoir qui vit dans quellemaison, qui sont les terroristes. Ilsdevraient rapporter ces informa-tions aux services de sécurité les plus proches », dira-t-il le 19 août.

A cette occasion, un système in-

formatique a été mis sur pied qui permet aux maires d’envoyer leurs informations aux services. « Non seulement le président tente de polariser la société, mais il veut créer ses propres moukhabarat [lesservices de renseignement de Ba-char Al-Assad] », protesta alors Le-vent Gok, député du Parti républi-cain du peuple (CHP, social-démo-crate). Jamais la Turquie n’aura étéaussi divisée. « Ceux qui professentle séparatisme ethnique, religieux,vestimentaire sont les traîtres de la République », a déclaré le présidentlors d’une réception en l’honneur de la fête de la République. p

marie jégo

A Moscou, Nicolas Sarkozy met en cause la diplomatie françaiseL’ancien président a fustigé les sanctions européennes envers la Russie et mis en garde contre une « nouvelle guerre froide »

moscou - correspondante

L e tête-à-tête a duré près dedeux heures, et NicolasSarkozy n’a pas boudé son

plaisir d’être reçu comme un chef d’Etat encore en exercice. « On aparlé de la Syrie, de l’Ukraine, du

rapport de la Russie avec l’Europe, de l’influence des Etats-Unis sur l’Union européenne, de certaines choses personnelles, et le temps apassé vite », s’est-il réjoui à l’issuede son entretien, jeudi 29 octobre,avec le président russe Vladimir Poutine, dans sa résidence de

Novo-Ogarevo, près de Moscou.Cette rencontre, inhabituelle par sa forme pour un chef de l’opposi-tion étranger, est la troisième avecle maître du Kremlin depuis le dé-part de M. Sarkozy de l’Elysée en 2012. Elle a surtout permis à l’ex-dirigeant français de déco-cher des flèches acerbes contre la diplomatie menée depuis Paris.

« Ils ignorent l’Histoire »Contenu le matin devant les étu-diants de l’Institut des relations in-ternationales, le discours de M. Sarkozy est en effet devenu net-tement plus critique, dans la soiréedevant la communauté française rassemblée dans un grand hôtel, après sa visite à Novo-Ogarevo. « Jene sais pas qui a inventé ce système des sanctions, mais ils ignorent l’Histoire ! », s’est exclamé l’ancien président français, en prenant ainsi position en faveur de la levée des mesures restrictives euro-péennes imposées à la Russie pourson rôle dans le conflit ukrainien. « Je suis très attaché au lien transat-lantique mais où est-il dit que nous devions suivre aveuglément nos al-liés ? , a-t-il poursuivi. J’aurais été président, jamais je n’aurais laissé sortir la Russie du G8, déjà que je le trouvais trop petit ! »

Répondant à une question d’unsympathisant sur la vente des na-vires de guerre Mistral, conclue sous sa présidence puis dénoncéepar son successeur à l’Elysée, sa

mise au point a été des plus sè-ches : « Sans doute que nous n’avons pas la même notion géo-graphique avec M. Hollande, luipense qu’on peut envahir Donetsk [fief des séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine] avec ! »

Mais de ces bateaux, il n’a jamaisété question avec M. Poutine. Un mois après le début de l’engage-ment militaire de la Russie au côtédu régime de Damas, et à la veille d’un sommet à Vienne des inter-venants extérieurs dans le conflit syrien, l’échange a surtout portésur le sort de ce pays dévasté de-puis plus de quatre ans par une guerre civile et celui de son diri-geant. « Bachar Al-Assad a sur laconscience la mort de 250 000 deses compatriotes, a reditM. Sarkozy, comme il l’avait fait, au matin, devant les étudiants moscovites. Il a utilisé l’aviation et l’arme chimique contre sa popula-tion, ce n’est pas un détail. (…) Il ne peut pas représenter l’avenir. »

Sur ce point, le chef du parti LesRépublicains ne se démarque pas de la position adoptée par M. Hol-lande. A ses yeux, le départ du diri-geant syrien ne constitue pas un « préalable » pour tenter de cher-cher une solution alternative « dans les rangs de sa famille, du parti Baas ou de la minorité alaouite ». « Entre “Assad jusqu’à la fin” et Assad, “départ demain ma-tin”, il y a peut-être un équilibre à trouver. » Et sur ce point, la posi-tion de M. Poutine lui est apparue « beaucoup moins en abscisse et en ordonnée qu’on ne le dit ».

« Politique insensée »

Au passage, M. Sarkozy s’est af-franchi des critiques – souvent émises à Moscou − sur l’interven-tion en Libye dont il avait pris latête en 2011 et qui a conduit à lachute, et à la mort de son diri-geant, Mouammar Kadhafi. « Si Bachar et Kadhafi, ou même Ben Ali, avaient été des remparts con-tre l’islamisme, nous n’en serions pas là aujourd’hui », a-t-il lancé.

Restait un autre gros dossierabordé avec M. Poutine, l’Ukraine.Autant le sujet avait été éclipsé lors de son intervention devant les étudiants, autant M. Sarkozyest revenu plus en détail dans la soirée sur le sujet devant la com-munauté française. L’occasion, là aussi, de critiquer sans les nom-mer directement « ceux qui veu-lent intégrer à toute force l’Ukraine

« Intégrer à toute

force l’Ukraine

dans l’Union

européenne est

une politique

insensée »

NICOLAS SARKOZY

L’installation

dans un palais de

200 000 mètres

carrés à Ankara

a renforcé sa

perte de contact

avec la réalité

Le président Erdogan s’adresse à la communauté turque, à Strasbourg, le 4 octobre. FREDERICK FLORIN/AFP

dans l’Union européenne, une poli-tique insensée ». « Si vous obligez l’Ukraine à choisir une rive, vous lacoupez de l’autre, a-t-il souligné,vous la faites exploser et c’est ce quiest en train de se passer. Je vou-drais qu’on sorte de cette logique de sphères d’influence. » Les fron-tières de l’Ukraine, a-t-il ajouté,doivent être « respectées » toutcomme les accords de Minsk « desdeux côtés », moyennant quoi la question de la Crimée, annexéepar la Russie, est éludée.

« Personne de crédible, à ma con-naissance, ne demande le retour de la Crimée à l’Ukraine, a assené M. Sarkozy. Sur le fond, personne neconteste qu’à part peut-être les Ta-tars de Crimée, l’immense majorité de la population était pour le ratta-chement à la Russie. Sur la forme, il y aurait beaucoup à dire. Le droit in-ternational n’a pas été respecté, mais il y a besoin de quelques mois, peut-être quelques années, pour apaiser les choses. Laissons vivre une situation pour qu’elle trouve sa place. » Pour l’ancien président,qui a pris soin de souligner à sa-tiété le rôle de « grande puissance » de la Russie, « nous ne devons à aucun prix accepter une nouvelle guerre froide ». Surnommé il n’y a pas si longtemps « Sarkozy l’Amé-ricain » pour sa politique atlan-tiste, l’opposant de François Hol-lande est reparti de Moscou dans les habits de « Sarkozy le Russe ». p

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6 | international SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

Mandat d’arrêt contre Thomas Fabius aux Etats-UnisLe fils du chef de la diplomatie française est accusé d’avoir escroqué plusieurs casinos de Las Vegas

washington - correspondant

Ce qui se passe à Vegasreste à Vegas », selon leslogan publicitaire de lacapitale américaine du

jeu. Excepté les dettes. Thomas Fa­bius, fils du ministre français desaffaires étrangères, est visé par unmandat d’arrêt émis par le procu-reur du comté de Clark, dont dé-pend la ville du Nevada, pour avoir émis des chèques sans pro-vision pour un montant supé-rieur à 3,5 millions de dollars (3,2 millions d’euros). Cette infor-mation révélée par l’hebdoma-daire Le Point a été confirmé au Monde par la porte-parole du pro-cureur, Audrie Locke. Cette der-nière s’est refusé à préciser la dateà laquelle le mandat d’arrêt avait été émis.

Les faits détaillés par la plainte àl’origine de la procédure et que leMonde a pu consulter remontentà 2012. Le 15 mai de cette même année, Thomas Fabius se rend tout d’abord au Palazzo, un casinositué sur le South Las Vegas Boule-vard − le Strip −, tout près des célè-bres Flamingo et Caesars Palace.Pour pouvoir jouer, il rédige suc-cessivement trois chèques à en-tête de la Banca Monte dei Paschi di Siena, pour un montant supé-rieur à 1,6 million de dollars. La vi-rée du flambeur se poursuit en-suite à l’Aria, à deux pas du Pa-lazzo. Dans ce casino, Thomas Fa-bius remplit successivement cinq chèques pour un montant totalde 1 million de dollars, à partircette fois-ci d’un compte de la banque française Société géné-rale. Quelques heures plus tard, le 16 juin, il se rend cette fois-ci au Cosmopolitan voisin, situé à deuxpas des fontaines du Bellagio. Il yrédige cette fois-ci un chèque de 900 000 euros.

La plainte qui va déboucher surle mandat d’arrêt est déposée

presque un an plus tard, le12 avril 2013, par le procureur ducomté, chargé notamment defaire respecter la législation surles jeux, cruciale pour Las Vegas.Ce dernier y affirme que le joueurinvétéré savait pertinemment, au moment des faits, qu’il rem-plissait des chèques sans provi-sions. Audrie Locke précise que lemandat qui vise Thomas Fabiuscouvre « le territoire américaincontinental » où il peut donc êtrearrêté à tout instant. Selon

nifester de l’intérêt pour les mou-vements financiers identifiés surles comptes de Thomas Fabius.Quelques mois auparavant, la So-ciété générale a déposé une plainte le visant. Il y est accuséd’avoir produit un faux courriel de la banque dans le but d’obtenir un crédit du casino de la Mamou-nia à Marrakech, au Maroc.

Cette plainte ainsi que plusieurssignalements de Tracfin, l’orga-nisme antiblanchiment du mi-nistère des finances, avaient fina-

lement conduit le parquet de Pa-ris à confier l’enquête aux juges d’instruction René Cros et RogerLe Loire en mai 2013 pour des faitsde faux, d’escroquerie et de blan-chiment. Les ardoises que Tho-mas Fabius a laissées dans lestrois casinos de Las Vegas ne sont pas les premières de cet « accro » àla roulette. Déjà, au printemps 2012, il avait quitté un casino mo-négasque avec un compte débi-teur de 700 000 euros.

L’acquisition en juin 2012 d’unluxueux appartement au cœur deParis pour quelque 7 millions d’euros a aussi suscité la per-plexité des enquêteurs. Son avo-cat, Me Cyril Bonan, a assuré que celui-ci avait été financé « pour partie par un apport et pour partiepar un emprunt bancaire ». « Il ve-nait de gagner 8 millions d’eurosaux jeux », assure-t-on dans sonentourage et « sur les conseils d’unami, il a souhaité le placer dans la pierre ». Selon Le Point, qui cite un document de la police judiciaire, il aurait précisément gagné13 millions d’euros entre avril 2011et avril 2012, pour 5 millions de pertes dans des établissements dejeux londoniens.

Les ennuis judiciaires de Tho-mas Fabius remontent à 2009 quand une association autour d’un projet de carte de paiement à puce pour l’Afrique a fini par tourner court. Un entrepreneurpartie prenante à l’affaire avaitfini par porter plainte. Enjuin 2011, l’intéressé avait fini parreconnaître avoir « détourné desfonds à hauteur de 90 000 euros »lors d’une procédure de plaider coupable. A ce jour, Thomas Fa-bius n’a toujours pas été entendupar les juges malgré les deman-des répétées de son avocat. Con-tacté, ce dernier s’est refusé à toutcommentaire. p

gilles paris et simon piel (à paris)

Thomas Fabius,à la sortiedu tribunalde Paris,en juin 2011.BERTRAND GUAY/AFP

A Paris, le président uruguayen exprime sa solidarité dans la lutte contre le djihadismeL’Uruguay, principal pourvoyeur de casques bleus, siégera au Conseil de sécurité, dès janvier 2016

L e président de l’Uruguay, lesocialiste Tabaré Vazquez,75 ans, médecin, a un dia-

gnostic sur l’état de la planète : « Lemonde est un asile de fous géré parles patients. » Il en veut pour preuve l’instabilité économique, avec le ralentissement de la Chine,le terrorisme international et le dérèglement climatique. « Du temps de la guerre froide, les règlesétaient connues, on pouvait s’ali-gner ou pas sur l’un des deux blocs,confie le président uruguayen, en visite officielle à Paris, jeudi 29 oc-tobre. Face au chaos actuel, les Na-tions unies n’arrivent pas à assurer la paix, la question de la réforme del’ONU est posée. Notre époquemanque de leaderships forts. »

L’Uruguay va siéger au Conseilde sécurité de l’ONU à partir de janvier 2016. Le pays est d’ores et déjà le principal fournisseur de casques bleus au regard de sa po-pulation de 3,5 millions d’habi-tants. François Hollande a promis de fournir aux diplomates uru-guayens, comme aux soldats, ex-pertise et coopération. Il n’est pas question d’achat de matériel mili-taire français.

Le président Vazquez marchetoutefois sur des œufs, la diploma-tie ne faisant pas l’unanimité dansles rangs de sa coalition de centre-gauche. Exprimer sa solidarité avec Paris dans la lutte contre les djihadistes a suscité des question-nements à Montevideo. « L’Uru-guay ne va pas intervenir dans la

guerre en Syrie, assure M. Vazquez.En revanche, nous accueillons120 familles syriennes. Nous som-mes un pays d’immigration qui a reçu plusieurs vagues de réfugiés. J’ai l’habitude de dire que les Uru-guayens descendent des bateaux. »

Président d’un petit pays coincéentre le Brésil et l’Argentine, M. Va-zquez admet volontiers être obligéde jouer l’équilibriste. Il voudrait boucler l’accord entre le Mercosur (l’union douanière sud-améri-caine) et l’Union européenne, dontil est question depuis quinze ans. Le changement politique immi-nent en Argentine, connue pour son protectionnisme, devrait faci-liter les négociations. « La France aussi a fait preuve de protection-nisme sur l’agriculture », rappelle leprésident uruguayen, et porte ainsi une part de responsabilité dans cet ajournement.

« L’Amérique latine a une voca-tion ancienne d’intégration régio-

nale, comme le montrent plusieursorganismes, mais en même temps une énorme inefficacité pour la traduire concrètement, déplore M. Vazquez. A l’intérieur même du Mercosur, nos pays sont en con-currence, alors que nous devrions chercher les complémentarités. » En d’autres termes, il faut cons-truire des chaînes de valeur : par exemple, les Uruguayens souhai-tent collaborer avec l’industrie automobile brésilienne.

Dette de mémoire

L’Uruguay observe aussi avec in-térêt l’émergence d’un nouvel en-semble transpacifique, qui réunit les Etats-Unis, des pays latino-américains et asiatiques. Les Uru-guayens ne se rangent pas parmi ceux qui cultivent l’anti-américa-nisme, même après le rétablisse-ment des relations diplomatiquesentre Washington et La Havane. « Le rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba est une excellente nouvelle, affirme M. Vazquez. La présidence de Barack Obama est parvenue à renouer avec l’Améri-que latine, après la distance prisepar ses prédécesseurs. Maintenant,il faudra voir quelle sera la politi-que américaine après l’élection présidentielle de 2016. »

Une vague de scandales de cor-ruption ébranle les Latino-Améri-cains, du Mexique à la Terre du feu, en passant par le Guatemala, où des révélations ont provoqué la chute du président Otto Pérez,

ou encore le Brésil, où la popula-rité de Dilma Rousseff s’est effon-drée. L’Uruguay est le seul pays,avec le Chili, à tirer son épingle dujeu dans l’indice de perception de la corruption de l’ONG Transpa-rency International.

« Personne n’est vacciné contreles malversations, note M. Vaz-quez. L’Uruguay a une justice indé-pendante, des partis politiques qui sont les plus vieux du monde avec ceux de la Grande-Bretagne, une culture qui refuse l’impunité. Bien-tôt, toutes les démarches pourront être faites par Internet. Nousaurons ainsi un gouvernement100 % numérique, la meilleure fa-çon d’éviter la bureaucratie et la corruption. Chaque écolier reçoit un ordinateur portable, tous les foyers sont connectés. Les petits pays ont aussi leurs avantages. »

L’impunité n’a pourtant pas étéévitée concernant les crimes de la dictature (1973-1985). Alors que l’Uruguay célèbre les trente ans duretour à la démocratie et dix ans de centre-gauche, l’absence quasi absolue de procès contraste avec l’Argentine ou le Chili. « J’ai créé unGroupe pour la vérité et la justice, qui comprend des proches de dis-parus, pour élucider les cas en souffrance », plaide M. Vazquez. A l’instar des Brésiliens avec leur Commission nationale de la vé-rité, les Uruguayens tentent d’ho-norer leur dette à l’égard de la mé-moire historique. p

paulo a. paranagua

« Le monde est

un asile de fous

géré par les

patients (…) Notre

époque manque

de leaderships

forts »

TABARÉ VAZQUEZprésident de l’Uruguay

IRAKUn camp de l’opposition iranienne visé par des roquettes à BagdadAu moins quinze roquettes ont été tirées, jeudi 29 octo-bre, sur un camp abritant des membres de l’opposition ira-nienne en exil à Bagdad. Le camp Liberty accueille de-puis 2011 des centaines de membres des moudjahidin du peuple d’Iran, ancienne-ment alliés à Saddam Hus-sein. Selon un porte-parole de l’organisation, cette atta-que aurait fait au moins 23 morts. – (AFP.)

BIÉLORUSSIEL’Union européenne suspend ses sanctionsL’Union européenne a an-noncé, jeudi 29 octobre, la suspension, pour quatre mois, des sanctions à l’encon-tre de la Biélorussie et no-tamment de celles pronon-cées contre son président autoritaire, Alexandre Louka-chenko. Dans son communi-qué, l’UE note un « contexte d’amélioration des relations UE-Biélorussie ». Des prison-niers politiques ont été récemment graciés et la réélection de M. Louka-chenko ce mois-ci ne s’est pas traduite par une vague de répression. – (Reuters.)

ITALIE

Le maire de Rome retire sa démissionLe maire de Rome a retiré, jeudi 29 octobre, sa démis-sion, présentée il y a une vingtaine de jours. Ignazio Marino, un des hommes poli-tiques les plus impopulaires d’Italie, avait présenté sa dé-mission à la suite d’une

énième affaire dans laquelle il s’était trouvé impliqué, en l’occurrence des notes de frais injustifiées. La loi lui donnait un délai de vingt jours pour confirmer ou reti-rer cette démission. – (AFP.)

IRAN

Arrestation d’un homme d’affaires irano-américainUn homme d’affaires irano-américain a été arrêté par les forces de sécurité à Téhéran, rapporte le Wall Street Jour-nal, jeudi 29 octobre. Siamak Namazi, responsable de la programmation stratégique chez Crescent Petroleum, se serait rendu en Iran pour ren-dre visite à des proches. Selon le journal, il aurait été inter-pellé par les services de ren-seignement des gardiens de la révolution. – (Reuters.)

MAROC

L’historien Maâti Monjib arrête sa grève de la faimL’historien et défenseur des droits de l’homme marocain Maâti Monjib a suspendu, jeudi 29 octobre, sa grève de la faim, commencée il y a trois semaines, après avoir obtenu le droit de voyager hors du pays. L’historien de 55 ans avait cessé de s’alimen-ter le 7 octobre, jour où il lui avait été notifié à l’aéroport de Casablanca son interdic-tion de quitter le territoire alors qu’il devait se rendre en Norvège pour participer à un colloque scientifique. L’uni-versitaire, président de l’asso-ciation pour la défense de la presse Freedom Now, avait dénoncé des pressions admi-nistratives liées à ses prises de position. – (AFP.)

les spécialistes, sa transforma-tion en mandat d’arrêt inter-national supposerait une inter-vention des autorités fédéralesaméricaines.

Signalements de TracfinLa folle équipée à Las Vegas ne coïncide pas seulement avec la nomination du père du flambeur au poste de ministre des affaires étrangères. C’est en effet à lamême époque, en mai, que la jus-tice française a commencé à ma-

La Société

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0123SAMEDI 31 OCTOBRE 2015 planète | 7

Climat : les Etats ne tiendront pas l’objectif des 2 °CA un mois de la COP21, l’ONU annonce que les engagements des pays conduisent à un réchauffement de 2,7 °C

PARIS CLIMAT 2015

Le compte n’y est pas.A exactement unmois de l’ouverturede la conférence mon-diale sur le climat de

Paris (COP21), les Nations unies ont dressé, vendredi 30 octobre, le bilan des engagements nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En l’état actuel, ils conduisent tout droit vers un ré-chauffement de la planète proche de 3 °C, voire même davantage se-lon les ONG. Très loin en tout cas de l’objectif fixé à la COP21, qui est

de parvenir à un accord universelcontenant la hausse des tempéra-tures sous la barre de 2 °C.

Sur les 195 pays membres de laConvention-cadre des Nations unies sur les changements clima-tiques (CCNUCC), 146 avaient re-mis au 1er octobre, qui était la date butoir, ce qu’on appelle, dans le jar-gon onusien, leur « contribution prévue déterminée au niveau na-tional », qui fixe le niveau de leur effort. Ce sont ces contributions, couvrant au total 86 % des émis-sions mondiales de gaz à effet deserre et donnant donc un aperçu assez robuste de la situation, qu’a analysées l’ONU. Depuis, le nom-bre des engagements nationaux a été porté à 155, sans changer de fa-çon significative la donne.

Verre à moitié plein

Le bilan établi par l’ONU n’indique pas explicitement vers quelle tra-jectoire de réchauffement se dirigel’humanité, en raison de l’absence de données sur les émissions pourla période post-2030. Mais, dans un communiqué accompagnant la publication de cet état des lieux, la secrétaire exécutive de la CC-NUCC, Christiana Figueres, estime que « les contributions ont la capa-cité de limiter la hausse prévue des températures à environ 2,7 °C d’ici à2100 ». Ce qui, poursuit-elle, « n’est en aucune façon suffisant, mais beaucoup plus bas que les quatre ou cinq degrés de réchauffement, voire davantage, projetés par cer-tains avant les contributions ».

Les Nations unies veulent voir leverre à moitié plein plutôt qu’à

moitié vide. Elles considèrent que les engagements « gardent la porteouverte » pour atteindre l’objectif des 2 °C « Un effort mondial sans précédent est en cours pour lutter contre le changement climatique, renforçant la confiance que les na-tions peuvent, de façon rentable, at-teindre leur objectif annoncé de maintenir la hausse globale des températures sous les 2 °C », assu-rent-elles. Et Mme Figueres d’ajou-ter : « Je suis confiante dans le fait que ces contributions ne sont pas le dernier mot de ce que les pays sont prêts à accomplir. Le trajet vers un futur climatique sûr est en cours etl’accord qui doit être scellé à Paris peut confirmer cette transition. »

En l’état actuel, évalue l’ONU, lesengagements des Etats se tradui-ront par un niveau mondial d’émissions de gaz à effet de serre de 55,2 milliards de tonnes (giga-tonnes) équivalent CO2 en 2025 – contre 49 gigatonnes en 2010 – etde 56,7 gigatonnes en 2030. Soit une baisse de 9 % des rejets carbonés par habitant en 2030 par rapport à leur niveau de 1990, mais de 5 % seulement par rapport

à celui de 2010. Pour la Fondation Nicolas Hulot, qui tient un « ther-momètre des engagements », les efforts promis par la communautéinternationale – s’ils sont respec-tés – mènent plutôt à « une hausse des températures supérieures à trois degrés ». « Les scénarios clima-tiques compatibles avec un ré-chauffement plafonné à 2 °C exi-gent tous de limiter les émissions mondiales, en 2030, entre 30 et 50 gigatonnes, explique son porte-pa-role, Matthieu Orphelin. Dès que l’on s’approche de 60 gigatonnes, on arrive à 3 °C de réchauffement. »

A ses yeux, il est donc essentielque l’accord de Paris intègre unprocessus de révision périodique des engagements. « Les pays du G20, responsables des trois quarts des émissions de gaz à effet de serre, pourraient prendre l’initia-tive et s’engager à revoir à la hausse leur effort dès 2016 ou 2017 », préconise-t-il.

Le WWF, lui aussi, pronostique,en l’état actuel, un réchauffement « d’environ 3 °C ». Les promesses des Etats marquent « une avancée significative dans ce qu’il est néces-

saire de faire pour lutter contre le réchauffement climatique », mais « beaucoup plus » doit être accom-pli, souligne Samantha Smith, chargée des campagnes sur le changement climatique et l’éner-gie. L’ONG insiste également sur l’impératif d’une révision des en-gagements « tous les cinq ans ».

80 chefs d’Etat présents

Le 27 novembre, le ministre fran-çais des affaires étrangères, Lau-rent Fabius, interrogé lors d’une rencontre avec la presse sur un dépassement possible du seuil de deux degrés avait répondu : « C’estnettement moins que les 4,5 ou même 6 °C des scénarios catastro-phe de l’inaction, mais cela rend encore plus indispensable des mé-canismes de révision à la haussedes engagements. » Mais cette question divise les Etats. Les Chi-nois, en particulier, ne veulent pas entendre parler d’un méca-nisme de révision contraignant. C’est l’une des principales raisons du déplacement de François Hol-lande et de Laurent Fabius à Pékinà partir de lundi 2 novembre.

A quatre semaines du coup d’en-voi, le 30 novembre, de la COP21, pour lequel 80 chefs d’Etat, dont les présidents américain, Barack Obama, et chinois, Xi Jinping, ontdéjà annoncé leur présence, le che-min à parcourir reste considéra-ble. Le spectre d’un l’échec, commeà Copenhague en 2009, sera-t-il unaiguillon suffisamment puissant pour pousser les gouvernements àun sursaut ? p

pierre le hir

LES CHIFFRES

0,85 °C

Le réchauffement actuel

Depuis le XIXe siècle, la tempéra-ture moyenne mondiale a déjà augmenté de 0,85 °C. Il ne reste donc que 1,15 °C pour atteindre le seuil des 2 °C fixé par la com-munauté internationale en 2009.

400 PPMLa teneur actuelle en CO2

En 2015, la concentration de dioxyde de carbone (CO2) est d’environ 400 parties par million (ppm). Elle était de 270 ppm au XIXe siècle et n’avait jamais dépassé 300 ppm depuis un mil-lion d’années.

LES DATES

30 NOVEMBREOuverture de la COP21

La 21e conférence des parties, l’organe suprême de la Conven-tion-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), aura lieu à Paris du 30 novembre au 11 décembre. Elle réunira 195 Etats dont l’ob-jectif est de parvenir à signer un accord universel pour contenir le réchauffement climatique de la planète sous la barre des 2 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle. Le proces-sus des négociations a com-mencé en 1992 au Sommet de la Terre à Rio (Brésil).

1ER OCTOBREDépôt des contributions nationalesC’était la date fixée par l’ONU aux Etats pour remettre leurs engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Au 1er octobre, 146 pays avaient remis leur contribution. Le chiffre atteint au 30 octobre 155 pays.

« Ces contributions

ne sont pas le

dernier mot de ce

que les pays sont

prêts à accomplir »

CHRISTIANA FIGUERES

secrétaire exécutive de la CCNUCC

Les Chinois

ne veulent pas

entendre parler

d’un mécanisme

contraignant

de révision

des engagements

8 | france SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

Cet impôt qui fait grincer la majoritéPlus de 900 000 retraités voient leur taxe d’habitation exploser : 115 députés PS tirent le signal d’alarme

La fronde, ce mouvementd’une trentaine de dépu-tés socialistes qui ont pen-dant des mois fait valoir

avec force leur opposition à la poli-tique économique du gouverne-ment, s’achève, comme l’ont con-firmé les deux derniers votes sur lebudget de l’Etat et celui de la Sécu-rité sociale. Un autre mouvement de grogne, plus discret et diffus, mais aussi bien plus étendu, gagnenéanmoins doucement le groupe majoritaire depuis quelques jours. Et celui-là, quoique nettement moins spectaculaire, pourrait se révéler plus fâcheux encore pour le gouvernement.

Le 26 octobre, ce sont 115 élus so-cialistes qui ont écrit au premier ministre, Manuel Valls, pour l’aler-ter sur le cas de « nombreux conci-toyens retraités » – environ 900 000 – qui ont vu leurs impôts locaux – taxe d’habitation et taxe foncière – « exploser ». Et ce alorsmême que l’exécutif a abondam-ment communiqué, depuis plu-

sieurs mois, sur des baisses immé-diatement constatables de la fisca-lité. Une situation « insupporta-ble » pour ces retraités modestes qui viennent, « désemparés et dé-sorientés », interpeller les députés dans leur permanence, en circons-cription. Certes, le gouvernement a fait voter un amendement au projet de loi de finances pour ten-ter de résoudre le problème : une « intention louable mais très large-ment insuffisante » et qui « n’en-lève rien à la dureté de la situa-tion », estiment les parlementai-res.

« Une priorité politique »

Si un peu moins de la moitié du groupe a signé ce courrier, presquetous ses membres en partagent le contenu. L’un des initiateurs Jean-Louis Bricout, député de l’Aisne, l’assure : lorsqu’il en a parlé en réu-nion de groupe, le mardi 27 octo-bre, personne ne l’a contredit. Au contraire, « le groupe en fait une priorité politique », explique-t-il. D’ailleurs, le secrétaire d’Etat au budget, Christian Eckert, a immé-diatement réagi, affirmant que le gouvernement allait essayer d’al-ler encore plus loin avec un nouvelamendement. Mais pour les signa-taires, le compte n’y est toujours pas. C’est pour eux une question de « cohérence politique » : « Alors que nous venons de voter une baisse de l’impôt sur le revenu pour huit millions de Français (…), notre message perd de sa force », écri-vent-ils.

Ce n’est bien sûr pas la premièrefois que des élus interpellent l’exé-cutif. Mais cette fois, la donne est un peu différente. Parce que l’ini-tiative émane de deux députés guère connus pour leurs coups d’éclat, qui se sont toujours mon-trés loyaux : depuis leur élection, en 2012, Jean-Jacques Cottel (Pas-de-Calais) et Jean-Louis Bricout (Aisne) ont voté « oui » à quasi-ment tous les textes du gouverne-ment. Et, surtout, parce qu’ils ont souhaité agir en toute discrétion, sans battage médiatique. « C’est une nouvelle fronde qui arrive. Pas

de la part des habituels frondeurs, mais de la part de députés de base,fidèles, qui ne veulent pas que cela se sache », avance ainsi un élu qui, comme sa déclaration l’indique, souhaite rester anonyme.

C’est presque pire. Après avoirsubi de plein fouet la guérilla parle-mentaire des frondeurs, qu’il n’atoujours pas digérée, Manuel Valls va-t-il devoir affronter la révolte souterraine de la majorité silen-cieuse des députés PS ? « C’est un sujet très important que l’on prend très au sérieux, souligne-t-on à Ma-tignon. Nous partageons complè-tement le souci légitime de ces dé-putés et nous continuons à tra-vailler. Mais c’est tout sauf un pro-blème de frondeurs. Ce n’est pas un sujet idéologique. » A l’évidence, le chef du gouvernement fera tout pour éviter une tempête dans le marais du groupe PS.

Car au-delà du désastre annoncéaux élections régionales de dé-cembre, c’est l’échéance électorale

de 2017 qui inquiète majorité et exécutif. S’il se représente, Fran-çois Hollande aura besoin de ses troupes parlementaires pour faire campagne. Or, aujourd’hui déjà, le « travail de conviction sur le terrainest difficile », assurent MM. Cottel et Bricout, rejoint en cela par l’im-mense majorité des députés PS. « On ne va pas applaudir, dire qu’ilssont les meilleurs, quand sur le ter-rain on nous dit l’inverse », appuie un élu qui n’a pourtant rien d’un frondeur. Pour un poids lourd de la

majorité, « les députés de base qu’on entend peu ne sont pas pour autant des béni-oui-oui. Ils voient bien le désenchantement sur le ter-rain ».

Certains s’inquiètent d’uneforme de retour du ras-le-bol fiscalqui avait fait tant de mal au gou-vernement à l’automne 2014 : « On reçoit plein de lettres sur le thème : on s’en souviendra, et on nerisque pas de voter pour vous la prochaine fois… », témoigne l’un d’eux. Alors, ceux qui jusqu’ici ne faisaient pas de vagues semblent vouloir se faire entendre.

Début octobre, un amendementau projet de loi de finances pro-posé par Jean-Marc Ayrault et Pier-re-Alain Muet (instauration d’un impôt citoyen sur le revenu) avait été signé par 140 députés. Selon lesauteurs de l’amendement, Fran-çois Hollande pourrait finalement l’accepter si son entrée en applica-tion était reportée du 1er juillet 2016 au 1er janvier 2017.

François Hollande à Tulle (Corrèze), le 7 janvier 2012, pendant la campagne présidentielle. JEAN-CLAUDE

COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS.COM

POUR « LE MONDE »

Après la guérilla

des frondeurs,

M. Valls va-t-il

devoir affronter

la révolte

de la majorité

silencieuse ?

Mais n’est-il pas déjà trop tardpour entendre les alertes des par-lementaires ? Cette question des retraités modestes touchés par l’impôt n’est pas nouvelle : l’annéedernière, déjà, plusieurs socialistesavaient tenté d’interpeller le gou-vernement sur la question. En vain.

Dès 2013, les socialistes LaurentGrandguillaume, député de Cô-te-d’Or, et Thierry Mandon, alors député de l’Essonne, avaient es-timé que la refiscalisation des heu-res supplémentaires était une er-reur. Personne, au gouvernement, ne les avait écoutés. Or, beaucoup de leurs collègues admettent aujourd’hui qu’ils n’avaient peut-être pas tort. Conclusion d’un par-lementaire socialiste : « On aura passé le quinquennat à courir aprèsnos propres erreurs. » Il ne reste plus que dix-huit mois pour tenterde les corriger. p

hélène bekmezian

et david revault d’allonnes

et voilà une nouvelle bombe à retar-dement – « Une bombe à fragmentation », selon l’expression d’un député socialiste –, qui n’en finit pas d’empoisonner le gouver-nement et sa majorité. Il s’agit pourtant d’une disposition héritée de l’ancienne majorité. Fin 2008, elle décide la suppres-sion progressive de la demi-part fiscale dont bénéficiaient les parents isolés et lesveufs ou veuves ayant eu au moins un en-fant. Etalée sur cinq ans, cette suppression s’est faite par l’abaissement successif desplafonds de réduction d’impôt jusqu’à ex-tinction totale en 2013.

Le problème est que, conjuguée à d’autresmesures intervenues depuis le début de lalégislature – plafonnement des niches fis-cales, modification du calcul de la CSG re-traités, fiscalisation de la majoration de pension des retraités ayant eu au moins trois enfants, fiscalisation des complémen-taires santé –, la perte de la « demi-partveuves » a entraîné pour plusieurs centai-nes de milliers de contribuables une hausse de leur revenu fiscal de référence (RFR). Il s’agit principalement de personnes

âgées aux revenus modestes qui, du coup, voient bondir leur taxe d’habitation et leur taxe foncière ou qui vont devoir en acquit-ter alors qu’elles n’en payaient pas aupara-vant. Le RFR sert de critère pour l’allége-ment ou l’exonération des impôts locaux.

Des pistes de sortie

Selon les estimations de Bercy, environ 250 000 contribuables modestes sont ainsi devenus redevables de la taxe d’habitation alors qu’ils ne l’étaient pas et, au total, 900 000 personnes sont « entrées » dans lataxe d’habitation ou l’ont vue augmenter. Ce qu’elles ont découvert en recevant, débutoctobre, leurs avis d’imposition. Bercy a plus de mal à chiffrer le nombre de cas con-cernés par la taxe foncière.

La bombe est en train d’exploser, alorsmême que le gouvernement tente de fairepasser en boucle le message de la « baisse » des impôts. Dès la discussion de la premièrepartie du projet de loi de finances à l’Assem-blée nationale, le sujet a été évoqué lors de la séance du 14 octobre. Un amendement défendu par Christine Pires Beaune (PS,

Puy-de-Dôme) proposait de relever de 2 % les seuils du RFR. Le secrétaire d’Etat au bud-get, Christian Eckert, non seulement a ap-prouvé l’amendement, mais il a indiqué que les recettes dégagées par le rééquili-brage de la fiscalité entre l’essence et le die-sel devraient permettre d’aller plus loin dans le relèvement du RFR.

Le gouvernement devrait dans les pro-chains jours déposer un amendement qui le portera à 8 % ou 8,5 % – les simulations nesont pas encore définitivement arrêtées –, ce qui devrait permettre de faire sortir envi-ron 450 000 personnes de la taxe d’habita-tion et de la diminuer pour 300 000 autres. Mais ces mesures ne deviendront effectives qu’en 2016. Le problème demeure entier pour cette année. Bercy dit étudier des pis-tes de sortie, peu évidentes. En attendant, leministère devrait donner des instructions pour que l’administration fiscale se montre souple sur les demandes de remise gra-cieuse ou d’échelonnement des paiements. Pas sûr, cependant, que cela suffise à étein-dre la mèche. p

patrick roger

Un boulet fiscal dont le gouvernement ne parvient pas à se libérerLE CONTEXTE

LE REVENU FISCAL DE RÉFÉRENCELe revenu fiscal de référence (RFR) est calculé à partir du montant net des revenus impo-sables de l’année précédente, majoré de certains revenus exo-nérés ou soumis à un prélève-ment obligatoire et de certains abattements et charges déducti-bles du revenu global. Il sert de critère, notamment, pour l’exo-nération ou l’allégement de la taxe d’habitation et de la taxe foncière, par exemple pour les ti-tulaires du RSA, ainsi que pour l’évaluation de la prime pour l’emploi, l’attribution de bour-ses, de chèques-vacances, des tarifs de cantine et de crèches. Le RFR est indiqué sur l’avis d’imposition sur le revenu.

0123SAMEDI 31 OCTOBRE 2015 france | 9

Au tribunal de Melun, la folie meurtrière d’un avocat Me Joseph Scipilliti a tiré sur le bâtonnier avant de se tuer d’une balle dans la tête

Il est à peine 9 h 30, ce jeudi29 octobre, et Henrique Van-nier attend son confrère,Me Joseph Scipilliti, dans son

bureau, au deuxième étage du tri-bunal de Melun. Le bâtonnier, élu deux ans auparavant par ses pairspour régler les différends entre lesavocats de cette petite juridiction tranquille, a une tâche délicate à accomplir. Il doit confirmer à Me Scipilliti une « interdiction d’exercer pour trois ans », décidée au mois de mai par le conseil ré-gional de discipline. Et il sait que la sanction sonnera forcément comme une fin professionnelle pour cet homme de 63 ans dont lecabinet a déjà été mis en liquida-tion judiciaire.

Au cœur du bâtiment ultramo-derne abritant le tribunal, les audiences ont déjà commencé. A quelques pas du bureau du bâton-nier Vannier, au bout du couloir,des justiciables attendent devantle conseil des prud’hommes. Le greffe est encore tranquille. Me-lun, « avec ses airs de ville de pro-vince à 30 minutes de train de Pa-ris », comme on l’assure or-gueilleusement à l’office de tou-risme, ignore le plus souvent lesgrandes affaires qui défraient la chronique judiciaire des ban-lieues voisines. Au rez-de-chaus-sée, malgré les mesures Vigipi-rate, les vigiles n’ont même passongé à fouiller ni à faire passer sous le portique de sécurité Me Scipilliti, dont ils connaissent la courtoisie, derrière son regard flou de myope.

Parmi les magistrats et les avo-cats, presque personne n’ignore pourtant les difficultés de cet homme solitaire qu’on ne voit ja-mais ni au Rotary local, ni aux potsdu barreau, ni même au bistrot du palais où se retrouvent les profes-sions judiciaires. « Il avait été con-voqué par le conseil de l’ordre, ex-plique un membre du conseil, de-puis qu’il ne payait plus sa cotisa-

tion professionnelle mensuelle de 300 euros, pas plus que ses cotisa-tions retraite, ses charges à l’Urssaf et les loyers de son petit cabinet. »

D’autres, parmi les quelque centcinquante avocats de la juridic-tion, traversent de semblables dif-ficultés financières. Il est le seul, cependant, à contester régulière-ment les décisions du barreau. Cesdernières années, ses pairs ont tous pu lire, sur la messagerie in-terne, les nombreuses lettres ouvertes, vindicatives jusqu’à l’in-sulte, qu’il a écrites aux bâtonnierssuccessifs et plus particulière-ment à Henrique Vannier. Il n’est pas difficile de comprendre que Joseph Scipilliti ne supporte pas l’autorité de ce confrère de 43 ans, dynamique, parfois rugueux mais respecté, qui l’a plusieurs fois rap-pelé à l’ordre sur ses dettes et sur ses nombreuses absences lors des permanences que chaque avocat doit pourtant accomplir.

Les désillusions de « Joseph »

Ce matin-là, avant de se rendre au tribunal, Me Scipilliti s’est installé une nouvelle fois devant son ordi-nateur. Parmi ses rares clients, l’avocat compte depuis cinq ans l’association Riposte laïque, dont il partage « le combat contre l’isla-misation de la France ». A plu-sieurs reprises, il a plaidé devantla justice la cause de Pierre Cassenet de sa compagne Christine Ta-sin, fondateurs de ce petit groupe d’extrême droite qui s’est illustré en organisant des apéritifs « sau-cisson-pinard » et en qualifiantl’islam de « saloperie ».

Le couple ne connaît rien de lavie personnelle de cet homme se-cret venu un jour leur proposer deles défendre bénévolement. Maisc’est à eux qu’il envoie, à 5 h 42, alors que l’aube se lève à peine, unmail intitulé « A partager le plus possible », accompagné en pièce jointe d’un « Journal indélicat » de240 pages.

Christine Tasin, qui découvre ledocument vers 7 heures du matin, parcourt en quelques minutes l’in-troduction de ce drôle de journal. Elle y reconnaît les désillusions de « Joseph » et ses critiques maintesfois entendues contre le « sys-tème », la justice et le bâtonnier Vannier. « Il incarnait à lui seul, écrit Scipilliti, tout ce que je com-battais depuis le début de ma car-rière. On n’aurait pu me donner de meilleur interlocuteur pour que je puisse exprimer, comme j’allais le faire, ce que je préparais et retenais depuis longtemps avant de partir. Ilétait le candidat idéal. »

Ce sont les dernières lignes del’introduction qui l’inquiètent :

« Me voilà donc sur le point de satis-faire ceux qui pour justifier leur do-mination ou leur soumission m’ont fait une réputation de cosaque. Pour une fois, je vais vraiment man-quer de délicatesse. » Elle n’a pas encore lu les quelques phrases glis-sées sous un article du Parisien re-latant le suicide d’un homme qui devait 26 000 euros au fisc : « Le suicide seul ne sert à rien, a noté l’avocat. Cet homme n’est pas le pre-mier à le faire, quelques jours plus tard, plus personne ne s’en souvient.Pour susciter une prise de cons-cience, il faut faire un grand bruit. »

Elle envoie aussitôt un texto àl’avocat : « Pourquoi veux-tu que l’on partage ce texte ? » La réponse

ne tarde pas : « Aujourd’hui vont se passer des événements graves qui vont lui donner toute sa por-tée. Je regrette de ne pouvoir t’endire plus à l’instant. » Puis, plus rien. Malgré ses tentatives, « Jo-seph » n’est plus joignable.

Vers 9 h 30, le voilà qui prendl’ascenseur du tribunal, puis entredans le bureau d’Henrique Van-nier. La secrétaire, dans la pièce voisine, entend presque aussitôt trois coups de feu, puis un autre. L’avocat déchu a gravementblessé le bâtonnier au thorax, à l’épaule et à la hanche, sans toute-fois le tuer. Avant de se tirer uneballe dans la tête. p

raphaëlle bacqué

Une figure du barreau d’Ajaccio réchappe d’une tentative d’assassinatRéputé pour son franc-parler, Me Jean-Michel Mariaggi s’est fait des ennemis chez les nationalistes comme dans les gangs criminels

bastia - correspondant

F igure du barreau ajaccien,Me Jean-Michel Mariaggi,58 ans, a réchappé d’une

tentative d’assassinat jeudi29 octobre, peu après 19 heures,alors qu’il circulait à bord de saVolvo sur la route qui mène à sondomicile, dans le village familiald’Ucciani (Corse-du-Sud), à unetrentaine de kilomètres au nord d’Ajaccio.

Sérieusement touché au braspar « plusieurs projectiles de groscalibre », Me Mariaggi a pu quittersa voiture et tenter de s’enfuir avant que ses agresseursne s’éloignent à bord d’un véhi-cule utilitaire blanc – peut-êtrevolé la semaine passée dans larégion d’Ajaccio. Secouru parun automobiliste, l’avocat a puêtre pris en charge médicale-ment sur place, avant son trans-

fert sous bonne escorte à l’hôpi-tal d’Ajaccio.

« C’est un miraculé, déclarait hierau Monde un proche autorisé àdemeurer près du blessé. Il a perdu beaucoup de sang, mais ses jours ne sont pas en danger. » Hier,les réactions témoignaient des sentiments contrastés qu’inspire Me Mariaggi, avocat franc-tireur au verbe haut, capable d’embras-ser la défense d’un client au point de faire parfois cause commune avec lui en dehors du prétoire.

« Un courage incontestable »

Me Mariaggi s’est aussi distingué,dixit un magistrat insulaire, par « un courage incontestable dans des affaires où il avait bien plus de coups à prendre qu’à donner ». En 2002, il tient tête au « clan »Pieri au procès de Christophe, fils du leader indépendantiste Char-les Pieri : la chronique judiciaire

révèle ses talents de bretteur – et ses côtés tête brûlée. En 2008, sur le banc des parties civiles, il seheurte au puissant gang bastiais de la Brise de mer.

Mais Mariaggi ne réserve pas sesinimitiés à un camp ou à un autreen fonction des circonstances. Il n’hésite pas à ouvrir d’autres fronts, avec l’ordre judiciaire comme avec ses confrères. En 2010, une inimitié de moins en

moins larvée avec Me Antoine Sol-lacaro, ex-bâtonnier d’Ajaccio as-sassiné le 16 octobre 2012, éclateainsi au grand jour au cours du procès de la SMS, la Société médi-terranéenne de sécurité, dossier judiciaire où se côtoient policiersdévoyés, anciennes figures du na-tionalisme combattant, élus, hommes d’affaires.

L’audience, tendue, fournira àMes Mariaggi et Sollacaro l’occa-sion de copieuses invectives, cha-que avocat qualifiant les clients deson adversaire – et leurs proches –de « balances » et d’« indicateurs de police ». En juin 2013, Me Ma-riaggi sera par ailleurs condamné à trois mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Marseille pour des incidents en marge d’un procès où comparais-saient plusieurs militants natio-nalistes soupçonnés d’avoir oc-cupé puis incendié les bureaux du

président du conseil exécutif de l’Assemblée de Corse en 2007. Aucours de ces échauffourées, la robe noire de l’avocat avait été fil-mée au cœur de la mêlée qui op-posait prévenus et forces de l’or-dre. En 1996 déjà, quatre ans seu-lement après avoir prêté serment,Mariaggi avait été poursuivi pour outrages après avoir fustigé, au cours d’un procès, un ministère public « couché ».

« Aux limites de l’inconscience »

« S’en prendre à Jean-Michel est choquant », observait jeudi, fata-liste, un confrère du blessé. « Et prévisible », renchérissait un autre. Car à force de hanter les dossiers locaux les plus marquéspar la haine, les rancœurs maléteintes, les menaces non assou-vies, Me Mariaggi s’est attiré de puissantes inimitiés, attisées parun « franc-parler aux limites de

Depuis plusieurs

semaines, il était

apparu « moins

méfiant

qu’auparavant »

selon l’un de ses

amis ajacciens

Au tribunal de Melun, jeudi 29 octobre. YOAN VALAT/EPA

« Le suicide seul

ne sert à rien.

Pour susciter

une prise

de conscience,

il faut faire

un grand bruit »

JOSEPH SCIPILLITI

l’inconscience ». Voyous d’un bordou de l’autre, nationalistes recon-vertis ou non dans les affaires, an-ciens plastiqueurs, « il y a en Corsepas mal de gens qui lui en veu-lent », soupire un enquêteur.

Me Mariaggi se sentait-il pourautant en danger ? Non, d’après plusieurs connaissances. Hier matin, il avait été aperçu devisant paisiblement au Grand Café Na-poléon d’Ajaccio. Et, depuis plu-sieurs semaines, il était apparu « moins méfiant qu’auparavant », selon l’un de ses amis ajacciens, etsemblait avoir oublié que des me-naces de mort proférées à son en-contre avaient motivé, en 2013, l’ouverture d’une enquête par la juridiction interrégionale spécia-lisée de Marseille et une proposi-tion officielle de protection poli-cière – qu’il avait catégorique-ment déclinée. p

antoine albertini

10 | france SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

Fin de vie : le Parlement en quête d’un compromisLe texte, adopté jeudi au Sénat, est une « remise en cause totale » de la loi, selon ses deux auteurs

Comment garantir à cha-que Français le droit àune fin de vie digne etapaisée, sans pour

autant autoriser le suicide assisté, ligne rouge infranchissable pour laplupart des élus de droite ? Les sé-nateurs ont adopté, jeudi 29 octo-bre, en deuxième lecture, par 287 voix pour et 10 contre, leur propre version de la proposition de loi desdéputés Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (LR) visant à instaurer un droit à pouvoir « dormir avant de mourir pour ne pas souffrir » et donnant un caractère contrai-gnant aux directives anticipées des patients.

Soucieux de ne pas voir se répé-ter l’affront du mois de juin, où ils avaient été contraints de rejeter lors du vote solennel un texte en-tièrement réécrit une semaine plus tôt par les plus conservateurs d’entre eux, les sénateurs ont mis un point d’honneur à s’entendre sur un texte acceptable par tous lesgroupes politiques. Jeudi, seuls les écologistes se sont abstenus, ju-geant les avancées insuffisantes.

« Pas question d’affadir le texte »Dix ans après l’adoption à l’unani-mité d’une première loi Leonettisur la fin de vie, et presque un an après l’appel de François Hollande à ce qu’un nouveau texte créant un « droit nouveau » soit voté « dans un esprit de rassemble-ment », chacune des deux Cham-bres du Parlement a donc trouvé son propre point d’équilibre politi-que sur cette question. Une com-mission mixte paritaire composéede sept députés et sept sénateurs devra, mi-novembre, trouver un compromis autour de ce texte pourtant pensé initialement, déjà, comme un compromis. En respec-tant les lignes rouges de chacun.

Dans leur souci de « garantir »que la sédation profonde et conti-nue jusqu’à la mort, mesure em-blématique de la proposition de loiClaeys-Leonetti, ne « constitue en

aucun cas un acte d’euthanasie », les sénateurs ont apporté des mo-difications substantielles au texte. Au cours de la séance, la ministre de la santé, Marisol Touraine, a d’ailleurs dénoncé dans certaines d’entre elles une « régression des droits des patients » par rapport à la version originelle du texte adop-tée par une majorité de députés, mais surtout par rapport à la loi Leonetti du 22 avril 2005.

Une analyse partagée par lesdeux auteurs de la loi, qui ont vu dans le vote des sénateurs une « re-mise en cause totale » de leur texte.

nier mot revenant alors à l’Assem-blée nationale.

Premier désaccord majeur àtrancher : le choix des sénateurs de définir l’hydratation artificiellecomme un « soin » qu’il serait pos-sible de maintenir lors de la mise en place d’une sédation profonde et continue jusqu’à la mort. « C’est un symbole et une garantie pour dire qu’on ne va pas vers le suicideassisté », a fait valoir jeudi le séna-teur UDI Gérard Roche. Le texte adopté à l’Assemblée spécifiait que la nutrition et l’hydratationartificielle devaient être inter-

rompues au même titre que les autres traitements. « On ne peut pas appuyer en même temps sur le frein et l’accélérateur », a coutume de dire Jean Leonetti pour justifiercet arrêt complet.

« Maintenir l’hydratation et arrê-ter la nutrition, c’est une pratiquemaltraitante et un contresens », analyse Bernard Devalois, le chef de service de l’unité de soins pallia-tifs de l’hôpital de Pontoise (Val-d’Oise), qui voit dans cette me-sure l’instauration de « l’obligation d’acharnement thérapeutique ». Dans le cas de Vincent Lambert,

c’est le maintien de cette seule hy-dratation artificielle qui avait per-mis de le maintenir en vie pendanttrente et un jours, alors que l’arrêt des traitements avait été décidé.

Autre point d’achoppement en-tre les deux Chambres : la défini-tion de l’« obstination déraisonna-ble » qui permet aux médecins de décider d’un arrêt des traitements.Pour les sénateurs, ceux-ci de-vraient être jugés « disproportion-nés » ou visant au « seul maintien artificiel de la vie » pour pouvoir être arrêtés, et pas seulement « inutiles » comme le prévoit le texte de MM. Claeys et Leonetti. « En supprimant ce critère, vous re-venez à un état du droit antérieur à celui de 2005 », a souligné Mme Tou-raine. Les sénateurs ont enfin sup-primé le fait que la « sédation pro-fonde et continue » jusqu’au décès soit mise en œuvre « à la demandedu patient », alors même que les promoteurs du texte avaient as-suré vouloir remettre le patient aucentre du processus.

« Il fallait soit assumer d’aller plusloin, soit ne pas ouvrir ce chantier »,regrette aujourd’hui le Dr Véroni-que Fournier, la directrice du Cen-tre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin, pour qui la future loi Claeys-Leonetti, « en n’assumant pas l’intention de mort, ne chan-gera rien et risque même de compli-quer les choses ». Dans l’Hémicycle,jeudi, Marisol Touraine a une nou-velle fois répété que le texte devait être vu comme une « étape ». p

françois béguin

A Mâcon, des adolescents impliquésdans l’incendie de cinquante véhiculesLa municipalité (LR) est critiquée pour une politique défavorable aux quartiers populaires

mâcon - envoyée spéciale

Q uarante-neuf véhiculesbrûlés en trois semaines.Des unités de la brigadeanticriminalité (BAC) dé-

ployées toutes les nuits dans la ville, ces huit derniers jours. Trois quartiers populaires de Mâcon connaissent depuis début octobredes incidents répétés, impliquant une poignée de jeunes mineurs. Une situation inhabituelle pour cette tranquille ville bourgeoise etdont les quartiers dits « sensi-bles » semblent bien sages.

La nuit de mercredi 28 octobre aété plutôt calme : deux véhicules incendiés. C’est la première de-puis une dizaine de jours. Il a fallu pas moins de six équipages poli-ciers, dont quatre de la BAC ve-nues en renfort de Chalon-sur-Saône, pour arriver à ce résultat. Sept mineurs ont été interpellés, cinq doivent comparaître devantle juge pour enfants. Tous sont très jeunes (entre 13 et 15 ans), sco-larisés, sans casier judiciaire et in-connus des services de police.

« Nous avons été assez surpris, carce ne sont pas des quartiers crimi-nogènes. Quand, début septembre, nous avons été confrontés à des faits une ou deux fois par semaine, nous pensions pouvoir les traiter avec les effectifs locaux », indique Myriam Akkari, directrice dépar-tementale de la sécurité publique.

Les premiers incendies se sontdéroulés à La Chanaye, un quar-tier populaire situé à deux kilo-mètres au sud du centre-ville.Avec ses petits immeubles re-peints de frais, ses espaces verts,son petit centre commercial et son stade de foot, le quartier a plu-tôt belle allure. « Ce n’est pas du “tout béton” et l’ambiance est plu-tôt celle d’un village. On n’a pas compris ce qui se passait », déclareLaurent Dardouillet, directeur ducentre social. L’incompréhension est devenue encore plus grande quand deux autres quartiers ontété à leur tour gagnés par les vio-lences.

Blanchettes, au sud de la ville,Saugeraies, Gautriats, Murgerets dans la ZUP nord (zone à urbani-ser en priorité)… Les uns après les autres, les quartiers pauvres ontvu des voitures et des deux-roues flamber. Avec, à chaque fois, le même scénario : à la nuit tombée,

deux ou trois groupes de cinq ou six adolescents mettent le feu et s’égaillent avant que les pompierset la police n’arrivent. Puis recom-mencent plus loin. Le lendemain, les épaves sont très vite enlevées.

Crédits réduits

Depuis trois semaines, les autori-tés essaient de comprendre ce quimotive ces actes. Il y a bien eu, dé-but octobre, une histoire de stade de foot que la mairie a décidé d’al-louer un soir par semaine à l’équipe de rugby du centre-ville.Les jeunes de La Chanaye sont ve-nus leur dire vertement de partir. Ont aussi été évoquées l’exclusiond’un lycéen pour indiscipline, avant les vacances scolaires, ou une opération de police dans le quartier Saugeraies avec saisie de cannabis. « Ce ne sont que des pré-textes d’un jeu organisé par une vingtaine de jeunes qui nous pour-rissent la vie », juge Eric Maréchal, adjoint à la sécurité.

Pour le maire, Jean-Patrick Cour-tois (Les Républicains), il s’agit de « jeunes inconscients, le plus sou-vent sous l’emprise de produits stu-péfiants », contre lesquels il fau-drait envoyer des CRS. Le préfetGilbert Payet a refusé, estimantque les renforts étaient suffisants.« Il ne s’agit pas de violences urbai-nes, il n’y a eu d’affrontements nulle part. Il s’agit de très jeunes laissés sans surveillance durant les

vacances scolaires, assure-t-il. Dans ces circonstances, on ne peut que regretter que les services de po-lice et les pompiers soient les seuls présents la nuit dans certains quartiers. »

La critique à l’égard de la mairieest récurrente. Depuis qu’elle estpassée à droite en 2001, les asso-ciations ont vu leurs crédits ré-duits, voire coupés. Dans le mêmetemps, les réaménagements ur-bains ont tous été effectués en centre-ville. « On a une belle ville au détriment du lien social », re-marque Fatiha Seba, présidentede la Maison des jeunes et de laculture. Une nouvelle organisa-tion des transports collectifs, avecune desserte moindre des quar-tiers périphériques, mais une na-vette gratuite en cœur de ville, aaussi donné l’impression que toutétait fait pour le centre.

« Le maire fait beaucoup pour saville, mais d’abord pour son électo-rat », assure Noureddine Omar,président de l’Association pour laculture, la science et l’éducation. Ainsi, dans ces quartiers pauvres, où le revenu médian annuel os-cille entre 7 500 et 10 000 euros, les habitants ont le sentimentd’être oubliés. « Une politique de laville ne se fait pas qu’avec la police,mais avec une véritable action so-ciale », rappelle l’opposition socia-liste et communiste. p

sylvia zappi

« L’ambiance

est plutôt celled’un village. On n’a pas compris

ce qui se passait »LAURENT DARDOUILLET

directeur du centre social du quartier de La Chanaye

100 MILLIONSC’est le montant en euros de la hausse du budget 2016 de l’immigra-tion, de l’asile et de l’intégration. Cette augmentation a été votée par les députés, jeudi 29 octobre, pour financer l’accueil de 30 000 deman-deurs d’asile en deux ans dans le cadre de l’accord européen.

JUSTICELe syndicat de la magistrature soutient le juge qui a libéré des migrantsDans un communiqué publié jeudi 29 octobre, le Syndicat de la magistrature apporte son soutien au juge des liber-tés et de la détention de Nîmes, Jean-Louis Galland. Le magistrat avait ordonné, le 23 octobre, la remise en li-berté de 46 migrants transfé-rés vers le centre de rétention de Nîmes dans le cadre des opérations de dispersion des camps de Calais. Le syndicat réclame que cessent ces opé-rations qui, « en les impli-quant dans des procédures d’éloignement engagées à des fins manifestement dé-tournées, instrumentalisent » les juges des libertés et de la détention.

SANTÉLes médecins libéraux en grève le 13 novembreTous les syndicats de méde-cins libéraux appellent à fer-mer les cabinets le 13 novem-bre pour une « journée santé morte » contre le projet de loi de Marisol Touraine – le prin-cipal syndicat de généralistes, MG France, ayant décidé,

jeudi 29 octobre, de rallier le mouvement. Ils comptent faire entendre leur mécon-tentement une dernière fois avant l’examen du texte en deuxième lecture à l’Assem-blée nationale, qui débutera le 16 novembre. – (AFP.)

La conférence de santé aura lieu le 11 févrierLe premier ministre Manuel Valls a annoncé, jeudi 29 oc-tobre, devant l’Ordre des mé-decins, que la « grande confé-rence de santé » aura lieu le 11 février. Cette conférence, annoncée en mars, doit no-tamment porter sur la forma-tion des professionnels de santé.

FAMILLE

Près de 10 % des enfants de moins de 2 ans s’endorment avec des écouteursLe casque audio et les écou-teurs sont utilisés par des enfants de plus en plus jeu-nes. Près d’un enfant sur dix de moins de 2 ans s’endort dans son lit avec un casque sur les oreilles, selon une en-quête Ipsos réalisée auprès de 1 500 personnes pour le compte de l’association « La semaine du son ».

« Pas question d’affadir le texte pour parvenir à un compromis à tout prix, car cela remettrait en cause l’utilité même de notre pro-position de loi », assure M. Claeys au Monde. « Certains points sont non négociables », confirme-t-on dans l’entourage de M. Leonetti.

Charge donc aux quatorze élusde la commission mixte paritaire de dire si un terrain d’entente est malgré tout possible entre les deux Chambres – auquel cas le texte pourrait être adopté d’ici la fin de l’année – ou si le processus législatif doit être relancé, le der-

« Il fallait soit

assumer d’aller

plus loin, soit

ne pas ouvrir

ce chantier »

VÉRONIQUE FOURNIERdirectrice du Centre d’éthique

clinique de l’hôpital Cochin

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12 | débats SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

Turquie, après l’impasse, l’implosion ?Les Turcs se rendent aux urnes le 1er novembre pour élire leurs députés. Chef de l’Etat au style autoritaire, Recep Tayyip Erdogan cherche à obtenir une majorité absolue à l’Assemblée afin de pouvoir imposer un régime présidentiel. Ce scrutin se déroule sur fond de terrorisme et de tensions régionales

Incapables de former un gouvernementstable depuis les élections législatives du7 juin, les Turcs sont de nouveau appelésaux urnes le 1er novembre pour renouvelerleur Assemblée nationale. Contrarié par levote des électeurs, qui l’ont privé d’une

majorité absolue au Parlement, le président Re-cep Tayyip Erdogan a montré qu’il était prêt àtout pour monopoliser le pouvoir, réformer laConstitution et imposer un régime présidentiel. Car au lieu d’apparaître comme un arbitre au-des-sus de la mêlée, le leader de l’AKP, à la tête du paysdepuis 2002, a multiplié les provocations et misles Turcs sous pression, prenant le risque d’abî-mer au passage le processus démocratique enTurquie et de bloquer la vie politique en rejetant toute idée de gouvernement de coalition.

TROIS DÉFISPour sortir de cette impasse, ce qui se joue actuel-lement à Ankara n’est rien d’autre que l’avenir dela démocratie, suspendu à trois défis.

Le premier défi est institutionnel. Les Turcsdonneront-ils cette fois-ci une majorité absolue àM. Erdogan ? Rien n’est moins sûr. La société tur-que a changé, en une génération. Les classes moyennes se sont enrichies et les Turcs sontouverts à la mondialisation. Or, au moment oùles citoyens turcs semblent se libérer de la domi-nation paternaliste imposée par M. Erdogan, cedernier se prend pour le successeur du derniersultan ottoman et entend cadenasser le pays àtous les échelons du corps social.

Le deuxième défi est politique. Singularité tur-que, la Constitution a fixé à 10 % le seuil d’entréeau Parlement. M. Erdogan n’a toujours pas digéréle fait que le Parti démocratique des peuples (gau-che et prokurde) l’ait déjà franchi une première fois en juin. Il n’est pas le seul, les élites turquesont du mal à accepter l’idée de partager le pou-voir. Dans son histoire, impériale ou républi-caine, la Turquie a toujours considéré que le pou-voir politique relevait du domaine réservé des éli-tes turques centralisatrices. Il est arrivé dans l’his-toire qu’un individu issu d’une minoriténationale ou religieuse non musulmane occupe une place prestigieuse dans l’appareil d’Etat. Mais le fait d’entrer en force au Parlement en tantque groupe constitué – en l’occurrence en tantque parti de la gauche démocratique prokurde – représente pour la nouvelle « Sublime Porte » unesorte de crime de lèse-turcité. Peu d’observateurs,en Turquie ou à l’étranger, relèvent cette pratiquearbitraire et antidémocratique proprement tur-que.

Enfin, le dernier défi est stratégique et soulèvede graves questions pour le développement éco-nomique de la Turquie en toute sécurité : quelleque soit l’issue du scrutin, rien ne dit que les frac-tures ouvertes entre le régime et le PKK, maisaussi les tensions entre Ankara et les djihadistesde Daech, qui multiplie les attentats sur le solturc, se refermeront. D’autant que les métastasesde la guerre en Syrie et en Irak peuvent à tout mo-ment ronger le territoire turc et la stabilité du ré-gime. Ce qui ne sera pas sans effet sur la positionde la Turquie par rapport à ces conflits périphéri-ques, ni sans incidence sur le processus d’adhé-sion – déjà bien compromis – d’Ankara à l’Unioneuropéenne.

En juin, les électeurs ont dit non à l’ambition ul-traprésidentielle de M. Erdogan. En véritable in-génieur du rapport de force, il a riposté en blo-quant la vie des institutions républicaines. Le1er novembre, les électeurs peuvent sortir le paysde l’impasse, satisfaire ou non le projet de leurprésident et se réveiller au lendemain du scrutin dans une Turquie au bord de l’implosion. p

service débats

La gauche démocratiqueest la cible du « système Erdogan »

par hamit bozarslan

L a stratégie de terreur et depeur que Recep Tayyip Er-dogan poursuit avec téna-

cité depuis les élections législati-ves du 7 juin, qui l’ont privé de sa majorité absolue à l’Assemblée, atransformé la Turquie en une maison endeuillée.

La défaite estivale que le prési-dent subissait alors l’empêchait de présidentialiser le système po-litique comme il le souhaitait etbalayait ses ambitions de faire de son pays une puissance mon-diale, turque et sunnite, avant le centenaire de la République en 2023. Deux autres échéances, situées au-delà de son temps gé-nérationnel – le 600e anniversairede la conquête d’Istanbul (2053) etle millénaire de l’arrivée des Turcsen Asie mineure (2071) –, devaientsuccéder à cette date pour ancrer l’« erdoganisme » dans l’éternité.

Certes, intégrant une bourgeoi-sie d’origine anatolienne demoins en moins puritaine, des couches défavorisées dépendant de sa charité, une puissante con-fédération syndicale et une Ana-tolie turque et sunnite profondé-ment conservatrice, le « système Erdogan » disposait encore de la confiance de 41 % des électeurs.Mais les complaisances d’Ankara

à l’égard de l’organisation Etat is-lamique et sa profonde hostilité à l’encontre des Kurdes syriens lui avaient fait perdre une bonne partie de son électorat kurde.

Venant après des scandales decorruption à répétition, la cons-truction d’un palais présidentielsomptueux avait créé un malaise,cette fois-ci parmi les Turcs de condition modeste. Avec la dispa-rition de tout mécanisme d’équi-libre et de contrôle au sommet del’Etat, le pays avait des allures d’un bateau ivre, dont les passa-gers disaient leur mélancolie col-lective aux instituts de sondage qui voulaient bien les écouter.

La mue d’Erdogan en « hommeunique » du pays entre les législa-tives de 2011 et celles de 2015 étaitallée de pair avec une réelle dé-sinstitutionnalisation de l’Etat, les Cours constitutionnelle et descomptes à l’Assemblée nationale votant « en vrac » les milliers deprojets de loi présentés selon lebon vouloir du « reis ». Mais l’AKPlui-même voyait ses figures de premier plan comme l’ancien président Abdullah Gül s’effacer au profit de quadras inconnus.Tenant désormais le haut du pavédans l’empire médiatique del’AKP et dans le « palais », ceux-ci invitaient les Turcs à se préparer à une « impitoyable guerre de ré-sistance » contre les ennemis del’intérieur et de l’extérieur.

En écho à sa cour, le présidentlui-même déclarait que la pre-mière guerre mondiale, à la-quelle l’Empire ottoman avaitparticipé de son propre chef et sans agression aucune, se pour-suivait : les petits-enfants de Kut-Al-Amara, l’une des rares locali-tés en Irak où les forces ottoma-nes purent résister aux Britanni-

Au-delà des Kurdes,le président turcs’en prend à toutce que la société civile compte de libertés et de pluralisme

¶Hamit Bozarslan est historien et sociologue, directeur d’études à l’EHESS. Il est l’auteur d’Histoire de

la Turquie. De l’Empire à nos jours,

(Taillandier, 680 p., 12,50 €).

ques en 1916, étaient appelés à sedresser contre ceux de Lawrenced’Arabie.

Cette lecture de l’histoire mon-diale, comme l’histoire de la guerre du monde contre les Turcset les musulmans, explique lar-gement la logique vindicativeque poursuit le président dans sapolitique interne et externe. LeKurdistan paye ainsi le prix lourdpour avoir permis au Parti démo-cratique des peuples (HDP) de dé-passer les 13 % des votes et priverl’AKP de sa majorité. Il est aussi« châtié » pour son refus de semettre au service de la « nationturque et sunnite » en contrepar-tie de la simple reconnaissancedu « fait kurde » par le président.

DÉCLARATIONS TROUBLANTESIl en va de même des alévis, com-munauté confessionnelle (envi-ron 15 % de la population) qui pri-vilégie le principal parti d’opposi-tion, le Parti républicain du peu-ple (CHP). Si M. Erdogan ne les voue pas publiquement aux gé-monies, à l’instar des « zoroas-triens » et des « homosexuels », il ne manque pas de rappeler l’alé-vité tue de son leader Kemal Kili-çdaroglu, comparée à son propre sunnisme « fièrement » affiché.

Il faut, enfin, mentionner lesdissidents turcs de toutes confes-sions qui firent le choix de voter le HDP pour le transformer en un parti de Turquie capable de défen-dre autant la cause kurde que celle de la démocratie. Ce n’est pasle fruit du hasard si les deux at-tentats sanglants qui eurent lieu après les élections à Suruç (33 vic-times) en juillet et à Ankara (102 victimes) en octobre visè-rent explicitement la gauche dé-mocratique turque.

Il est, bien entendu, difficile deconnaître les auteurs de ces atten-tats et les modalités de leur orga-nisation. Mais les déclarations du premier ministre, Ahmet Davuto-glu, selon lesquelles son « Etat de droit » ne saurait, pour des rai-sons juridiques, se permettre de « fouiller », encore moins d’arrê-ter, les militants de l’organisation Etat islamique sur son sol – une liste dont il reconnaît par ailleurs disposer – sont pour le moins troublantes. Comment expliquer ce traitement de faveur alors que, des journalistes ou des étudiants aux militants syndicaux ou poli-tiques, toute personne peut être interpellée sur une simple accu-sation d’insulte à l’encontre du président ?

Nombre d’observateurs souli-gnèrent que, depuis juin 2007, la Turquie était prise en otage par celui qu’elle avait désigné en 2014 pour la représenter. Celui-ci ac-ceptera-t-il le résultat des nouvel-les élections qu’il a convoquées,qui pourrait être identique à celuidu 7 juin, ou décidera-t-il de sus-pendre purement et simplement le jeu démocratique, déjà passa-blement malmené par chacun deses actes et discours ? Telle risqued’être la question que la Turquie se posera au lendemain des scru-tins du 1er novembre. p

0123SAMEDI 31 OCTOBRE 2015 débats | 13

Monsieur le Président, les Turcs ne veulent pas de votre culte du « Baba »Dominée par la peur et les désillusions, la société turque doit se délivrer du carcan et de la tyrannie paternaliste imposés par Recep Tayyip Erdogan

par elif shafak

L a situation politique en Turquie estvraiment déconcertante pournous », me confiait récemment un

ancien journaliste européen. « Que se pas-se-t-il ? On n’y comprend rien ! » Les obser-vateurs étrangers ne sont pas les seuls àavoir du mal à suivre les événements. Les Turcs eux-mêmes sont déconcertés et peinent à comprendre ce qui se passe. C’est fatigant d’être turc aujourd’hui. La Turquie est un pays liquide : rien ne tient, rien n’est stable. Le temps s’écoule plus vite à Istanbul que dans n’importe quelle autre ville du monde. Chaque jour, il faut aller plusieurs fois sur Internet pour voir ce qui a encore pu se passer. Et chaque jour, il se passe quelque chose. L’« anor-mal » est devenu « normal ». Les scandaleset les tragédies qui pousseraient à la dé-mission les responsables politiques des démocraties développées sont devenus notre quotidien. Et personne ne démis-sionne.

On considère souvent que la politiqueest un champ de bataille. Il vaut la peine de regarder de plus près du côté de son étymologie. En turc, il existe deux con-cepts de politique : siyaset, le terme an-cien, et politika, le nouveau terme, em-prunté aux langues européennes. Siyaset vient de l’arabe seyis qui signifie « dres-seur de chevaux ». La politique est pa-reille au dressage des chevaux. Elle estperçue comme un travail dangereux et une sale besogne.

Il existe un autre sens du mot siyaset,répandu au temps de l’Empire ottoman : condamnation à mort pour raison d’Etat.Si le sultan n’approuvait pas l’attitude d’un de ses sujets, il pouvait convoquer lebourreau et lui demander d’exécuter un siyaset sur la personne en question. Après l’exécution, le bourreau allait se la-ver les mains dans une fontaine du pa-lais. On appelait cette fontaine « la Fon-taine de la politique ».

Ce pays a connu trois coups d’Etat. On aappris aux citoyens à obéir à l’Etat. En Tur-quie, la politique est dominée par les hommes. Elle est machiste et agressive. Un mot-clé à mes yeux permet de com-prendre la société turque : ce mot est baba (« père »). Tout commence toujours par la famille. Un foyer turc traditionnel est un foyer patriarcal. Les enfants apprennent à respecter leur père, lui obéir et le craindre.Et cela continue à l’école. Au football. Au bureau. Sur le lieu de travail. Les gens sontconditionnés à avoir un baba qui s’occupede tout. La société turque est patriarcale, sexiste et homophobe.

La culture du baba est aussi présente enpolitique. La nation est représentée comme une mère et l’Etat comme un père. On attend des mères qu’elles soient compatissantes, des pères qu’ils soient sé-vères et autoritaires. Le président Erdoganest un de ceux qui auront le plus sacrifié au culte du baba. En particulier durant les événements de Gezi en 2013. Quand des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour demander justice et ap-peler à la démocratie, voici ce qu’il a dit

aux manifestants : « Ne vous en faites pas. J’ai convoqué les responsables dans mon bureau et je les ai réprimandés. Je les ai fait pleurer. »

Aujourd’hui, la psyché du peuple turc serésume en quatre mots : peur, colère, mé-fiance, désillusion. Commençons par la peur. Le gouvernement AKP est arrivé au pouvoir il y a treize ans en promettant deslibertés. Les premiers temps, c’était la di-rection qu’il semblait avoir prise. De nom-breux intellectuels libéraux ont soutenu le parti à l’époque. Et puis, progressive-ment, les choses ont commencé à chan-ger. Le vieux proverbe disait vrai : le pou-voir corrompt. Le pouvoir absolu cor-rompt encore plus vite.

Plus ces hommes politiques restaientau pouvoir, plus ils voulaient de pouvoir.Le principe de la séparation des pouvoirsa été enfreint. L’Etat de droit n’était pas protégé. La liberté d’expression n’était pas défendue. Les voix sont passées sous silence, intimidées. Comme la Russie et la Chine, la Turquie est passée maîtredans l’art d’emprisonner les journalistes.Le journalisme est sans aucun doute le métier le plus difficile aujourd’hui en Turquie.

NE PAS RIRE EN PUBLICPuis, il y a la rage. Tout le monde est en co-lère contre quelqu’un. Nous avons perdu notre capacité à écouter l’Autre. Il y a bien les élections, la structure même de la dé-mocratie. Mais nous n’avons pas la cul-ture de la démocratie, qui exige le respect de la diversité, la tolérance vis-à-vis des autres points de vue, et la liberté d’expres-sion. En la matière, la Turquie a beaucoup régressé, mais aussi sur la question du sta-tut de la femme. On nous a demandé de ne pas rire dans les lieux publics. On nousa expliqué aussi qu’il n’existait pas d’éga-lité des genres, que, selon l’islam, les hom-mes et les femmes sont des créatures dif-férentes. En même temps, les violences domestiques se multipliaient. Le nombre de femmes mortes sous les coups de leur mari, de leur ex-mari ou de leur compa-gnon atteignait des records. Et aucune mesure efficace n’a encore été prise pour empêcher de telles atrocités. En tant qu’écrivaine élevée par une mère céliba-

taire, je suis indignée de voir comment la Turquie a pu régresser sur les droits des femmes. Toujours à propos de la rage, on ne saurait évaluer la qualité de la démo-cratie d’un pays en regardant les gens qui forment sa majorité. La qualité d’une dé-mocratie dépend de la manière dont on traite ses minorités. Les minorités tur-ques – culturelles, religieuses, ethniques, sexuelles – sont tout sauf bien traitées.

Et il y a la méfiance. Les gens ne croientplus dans les institutions. Un sondage ré-vélait récemment que plus de 50 % de la population ne croyait pas au fait que les élections sont libres et équitables. Quand la transparence disparaît, apparaissent les théories du complot. Et le gouvernement a attisé cette paranoïa. Au moment des événements de Gezi, les hommes politi-ques nous expliquaient que les lobbys in-ternationaux étaient derrière tout ça.

J’appartiens à une génération qui agrandi avec le slogan : « Le seul ami d’un Turc est un autre Turc. » Ce slogan chauvinétait peu à peu tombé dans l’oubli. Mais aujourd’hui, malheureusement, il est de retour. L’ancien discours ultranationalistese mélange à une rhétorique islamiste. Le désespoir et la déception sont immenses, notamment parmi les libéraux et les dé-mocrates. Jamais de ma vie je n’avais vu les gens aussi démoralisés.

Je suis inquiète pour mon pays. Le spec-tacle de la politique turque m’afflige. En même temps, lorsque je me concentre surces gens merveilleux : ces jeunes, ces fem-mes, ces minorités, ces démocrates, qui sont aussi nombreux en Turquie, je sens monter en moi de l’espoir. Comme on ra-masse des coquillages sur la plage, je ra-masse des morceaux d’espoir. p

Traduit de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria

¶Elif Shafak est écrivaine turque et poli-tologue. Elle collabore à plusieurs quoti-diens occidentaux, est membre fondatrice du think tank European Council on Fo-reign Relations. Et auteure d’ouvrages dont Crime d’honneur (traduction de Dominique Letellier, Ed. Phébus, 2013). Ses romans ont été traduits en 40 langues

Arrêtons tout cynisme dans les relationsentre Bruxelles et AnkaraOn ne peut pas relancer les négociations d’adhésionde la Turquie à l’Union européenne sans tenir comptede l’autoritarisme de M. Erdogan

par anne-marie le gloannec

F allait-il que la chancelière alle-mande se précipite à Ankara, le18 octobre, et que les Européens

multiplient les ouvertures au président turc Recep Tayyip Erdogan alors que les négociations d’adhésion, entamées en 2005, étaient, pour le moins qu’on puisse dire, au point mort depuis quel-ques années ?

L’enjeu immédiat : obtenir du gouver-nement turc, au mieux et au plus vite, qu’il « coopère » à la gestion des passages frontaliers, telle que l’Union européenne (UE) la conçoit, et contenir les arrivées d’immigrants, notamment syriens, dontl’Europe ne sait plus comment les rece-voir décemment, sans parler, pour cer-tains pays, de les intégrer à long terme. Depuis des années, l’UE n’a eu de cesse que de s’entourer de pays dits « amis » et de repousser à leurs frontières externes le contrôle des migrants et réfugiés péné-trant sur leurs territoires pour gagner l’Europe. Et dans l’affolement qui suivitl’offre généreuse d’accueillir les réfugiés syriens en Allemagne, Angela Merkel et, avec elle, le président de la Commission,Jean-Claude Juncker, et une bonne partie des chefs d’Etat et de gouvernement, ont ignoré ce qui leur a paru primordial du-rant toutes ces dernières années : le mé-pris des droits de l’homme, le non-res-pect de la règle de droit et l’autoritarisme grandissant de l’ancien premier ministre devenu président de la République, M. Erdogan.

Car, outre l’octroi de 3 milliards d’eurosdestinés à mettre en œuvre le plan d’ac-

tion portant sur la gestion des flux de mi-grants et réfugiés, il serait question d’un donnant-donnant entre visas destinés aux Turcs se rendant dans l’Union et con-clusion d’un accord de réadmission,autorisant le renvoi de nationaux turcs etde citoyens de pays tiers traversant la Turquie, considérée comme pays sûr. La Turquie, pays sûr ? On se rappelleraqu’avec la Russie, c’est le pays dont le plusgrand nombre de citoyens en appellent à la Cour européenne des droits de l’homme pour faire valoir leurs droits.

Enfin, les Européens ouvriraient denouveaux chapitres alors que, depuis le début des négociations, en 2005, un seul chapitre est clos et huit sont bloqués du fait de la non-reconnaissance de la Répu-blique de Chypre par la Turquie, alors quepour celle-ci, seule existe l’entité cypriote turque.

UNE HISTOIRE MALAISÉEL’histoire des négociations d’adhésion dela Turquie à la Communauté et à l’Union européennes prend ainsi un tour émi-nemment pervers. Elle fut certes tou-jours malaisée, par le fait et la nature même des deux partenaires. La Turquie posa sa candidature pour la première foisen 1987, à la fois trop tard et trop tôt. Troptard, car la Grèce, sa sœur ennemie d’alors, déjà membre de la Communauté, opposa son veto. Et trop tôt, parce qu’An-kara s’extrayait à peine d’un coup d’Etatmilitaire qui ne fut d’ailleurs pas le der-nier. Il était pour la Communauté et pourl’Union difficilement acceptable d’ac-cueillir un Etat à peine sorti d’une gangueétatiste, peu respectueux des droits, etqui occupait militairement une partie

d’un territoire étranger, Chypre, membre de l’UE à partir de 2004.

La libéralisation de l’économie et de lasociété turque, à partir de la deuxième moitié des années 1990, et la venue au pouvoir, en 2002, d’un parti islamiste modéré, l’AKP, qui donnait en fait la pa-role à ces musulmans de la « périphérie » que le pouvoir kémaliste avait ignorés,parurent changer la donne, au moment où, à Berlin, Gerhard Schröder accueillait avec bienveillance l’entrée de la Turquiedans l’UE. En 1999, au sommet d’Hel-sinki, la candidature de la Turquie fut ac-ceptée, sans que les méprises et les ma-lentendus fussent levés.

Depuis le début du nouveau millénaire,les opinions européennes se montrent deplus en plus hostiles aux élargissements et à l’adhésion de la Turquie. Non pas né-cessairement au nom d’une hostilité au monde musulman, mais bien parce que la Turquie dans l’UE en déplacerait le cen-tre de gravité, parce que les droits des mi-norités n’y sont pas respectés, parce que le génocide des Arméniens n’y est pas re-connu, parce que l’AKP a promis sur le pa-pier plus de réformes qu’il n’en accomplitet parce que le régime d’Erdogan sombre de plus en plus dans la corruption et l’autoritarisme, au prix de violences et de profonds clivages qui minent la société.

Mais l’UE elle-même n’est pas dépour-vue d’immenses faiblesses. Pendant trop longtemps, certains gouvernements se sont volontiers cachés derrière la Grèce ou Chypre, espérant que les promesses neseraient jamais tenues. Et voilà que main-tenant, par une volte-face cynique si elle n’était désespérée, l’UE offre au pire mo-ment des concessions qui eussent peut-être été dignes il y a quelque quinze ans. p

¶Anne-Marie

Le Gloannec est directricede recherche au CERI, Sciences Po, Paris.Spécialiste des questions européennes, elle est l’auteur de Berlin

et le monde : les timides

audaces d’une nation

réunifiée (Autrement, 2007)

Pour une coalition gouvernementale !

par ali kazancigil

L a trajectoire de la Turquiesous le gouvernement del’AKP comporte deux pério-

des fortement contrastées. La pre-mière, entre 2002 et 2010, est celledes progrès de la démocratie et des avancées économiques et so-ciales. La seconde s’ouvre avec la troisième victoire électorale del’AKP, en 2011, à l’issue de laquellele premier ministre de l’époque,Recep Tayyip Erdogan, a pris un tournant autoritaire.

Depuis, incapable de compren-dre l’émancipation de la société civile, traversée par des processusd’individualisation et de séculari-sation, il s’en prend à l’Etat de droit et tente l’impossible pourque l’AKP emporte largement lescrutin du 1er novembre, en s’ap-puyant sur une stratégie de la ten-sion aux méthodes fascisantes : locaux de journaux indépen-dants (Cumhuriyet ou Hürriyet) attaqués et journalistes tabassésdans la rue.

La vague d’attentats qui a en-deuillé la Turquie ces derniers mois a été attribuée par le gouver-nement à l’Etat islamique. Maisles opinions sont convaincues que les autorités du pays parta-gent avec ce dernier la responsa-bilité des massacres : les servicessecrets et les forces de l’ordre,dont on sait qu’ils avaient des

renseignements précis sur les ac-tivités de l’Etat islamique en Tur-quie, n’ont rien fait pour assurer la sécurité des rassemblements de l’opposition.

Le président Erdogan espèreque sa stratégie de la tension ac-croît les chances de l’AKP d’obte-nir une très large majorité à l’As-semblée. Or, les sondages sur les intentions de vote montrent queles suffrages obtenus par l’AKP nelui permettraient pas d’atteindre ce cap. La plus forte probabilitéau lendemain du 1er novembre estla formation d’un gouvernementde coalition.

De plus, en octobre, la popula-rité d’Erdogan a baissé à 39 %. Uneautre mauvaise nouvelle pour cedernier est la fronde, au sein de l’AKP, contre son autocratisme etson penchant pour créer le chaosdans le pays, qui pourrait aboutirà une scission. Ces développe-ments confirment que les législa-tives qui viennent seront très pro-bablement un échec pour M. Er-dogan, qui serait alors contraint de respecter la Constitution et derenoncer à son rôle usurpé de « président-chef de l’exécutif ».

Son rêve d’introduire une nou-velle Constitution, avec un ré-gime présidentiel accordant tous les pouvoirs au président, ne se concrétiserait pas. La démocratie, l’Etat de droit, la société civile et laperspective d’une paix juste et durable entre les Kurdes et les Turcs en seraient confortés. p

Les Turcs ne veulent pas donner tous les pouvoirs à M. Erdogan. Il sera contraint au compromis

¶Ali Kazancigil

est politologue et codirecteur de la revue de géopolitique Anatoli (CNRS Editions)

14 | éclairages SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

Usé, l’homme ? | par alexios tjoyas

POLITIQUE | CHRONIQUEpar françoise fressoz

Trois hirondelles ne font pas le printemps

I ncroyable, mais vrai. Trois bonnes nouvel-les cette semaine ! Trois hirondelles dans leciel brouillardeux de l’automne, qui disent

que François Hollande va dans la bonne direc-tion.

D’abord, le chômage, ce fléau du quinquennat.Il a reculé de 0,7 % en septembre par rapport à août, a annoncé le gouvernement, lundi 26 oc-tobre. Soit la plus forte baisse depuis la fin de2007. Evidemment, cette baisse, qui concerne23 800 personnes, paraît dérisoire si on la com-pare à la lancinante progression de ces dernièresannées, qui a porté le nombre de demandeursd’emploi au nombre faramineux de quelque 3,5 millions.

Elle mérite, en outre, d’être durablement con-solidée, si l’on veut commencer à y croire, maisenfin le sort des jeunes s’améliore : ce sont eux qui profitent le plus du mouvement et ce depuisquatre mois consécutifs

Deuxième bonne nouvelle : la France cesse deperdre en compétitivité. Selon l’étude de l’Inseepubliée mardi 27 octobre, le coût du travail n’a progressé que de 1,1 % entre 2012 et 2014, alors

que la hausse a été, en Allemagne, de 3,2 % du-rant la même période. Du coup, les entreprises françaises vont mieux. Leur taux de marge ne sedégrade plus. Il commence même à se redresserdans quatre secteurs-clés : la construction, les transports, les services aux particuliers et l’hô-tellerie-restauration.

DISCRÉTION TOTALETroisième bonne nouvelle : l’attractivité du paysprogresse, selon le rapport « Doing Business »de la Banque mondiale, publié mardi, qui fait re-monter la France de la 38e à la 27e place en deux ans. Certes, l’Hexagone est encore loin de l’Alle-magne (15e rang) et du Royaume-Uni (6e), mais, enfin, dans les trois cas, une mauvaise tendances’inverse.

Et François Hollande peut se vanter d’y êtrepour quelque chose : l’Insee comme la Banquemondiale soulignent l’effet positif du créditd’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE),adopté fin 2012, qui a eu pour mérite d’alléger substantiellement les charges des entreprises.

Le plus surprenant est que le chef de l’Etat ne

s’en vante pas. Discrétion totale, alors que laFrance est en campagne régionale et que l’exé-cutif aurait tout intérêt à valoriser ses premiers succès. Mais le récepteur est cassé, il n’y a plusd’écoute. Les candidats qui parcourent les ré-gions rapportent la colère des Français, exaspé-rés par les difficultés de leur vie quotidienne etrenvoyant les politiques à leur impuissance.

Pour les appâter, il en faudra bien davantage.Raison de plus pour amplifier la politique de l’offre, mais non ! Car le CICE a un gros défaut : ildivise la gauche. Certains, du côté du Front degauche, ne l’ont toujours pas digéré. Ils le quali-fient encore de « cadeau aux patrons ».

Donc, éviter, avant deux tours délicats, de jeterde l’huile sur le feu au risque d’accroître encore la dispersion. Voilà pourquoi le président estmuet, hésite à capitaliser sur une ligne qui com-mence pourtant à porter ses fruits, entoure demultiples garde-fous la réforme annoncée ducode du travail. Manuel Valls et Emmanuel Ma-cron ont beau pousser autant qu’ils peuvent, luigarde obstinément le pied sur le frein. Il a peurde perdre sa gauche. Il a peur de trahir. p

ANALYSEjoan tilouine

Le Monde Afrique

I nternet et certains téléphones coupés, in-terdiction de manifester, maintien à rési-dence de figures de l’opposition, déploie-

ment militaire d’ampleur : Denis Sassou-Nguesso a une fois de plus usé de la force pour faire adopter par référendum une nouvelle Constitution taillée sur mesure. Selon les ré-sultats officiels, annoncés mardi 27 octobre et contestés par l’opposition, 92,96 % des votants ont approuvé le changement de la Loi fonda-mentale. Certes, celle-ci modernise la gouver-nance et les institutions congolaises. Mais elle permettrait aussi à Denis Sassou-Nguesso, qui cumule déjà trente années au pouvoir, de res-ter à la tête de l’Etat jusqu’en… 2031, au terme detrois nouveaux mandats si, comme personne n’en doute, il se représente en 2016.

Denis Sassou-Nguesso, l’ex-agent de rensei-gnement devenu général puis président passé par un marxisme tropical et brutal, vient en ef-fet de démontrer sa mainmise absolue sur ce riche pays pétrolier dont près de la moitié des 4,4 millions d’habitants vit sous le seuil de pau-vreté. A la tête d’un système clanique et opa-que, le pouvoir fait fi de l’exaspération d’une partie de la population.

Sur un continent où les exemples de transi-tions démocratiques se multiplient, Denis Sas-

sou-Nguesso perpétue donc une tradition d’unautre âge. A l’image de cette région d’Afrique centrale, « la dernière d’Afrique [avec quelques cas comme l’Erythrée, la Gambie, l’Algérie ou leZimbabwe] où des vieux dictateurs corrompus s’accrochent au pouvoir et malmènent la démo-cratie », comme l’observe le sénateur congolaisNicéphore Fylla Saint-Eudes.

Dans cette région riche en ressources natu-relles et en proie à l’instabilité, les chefs d’Etat s’entraident pour la préservation du pouvoir. Ainsi José Eduardo Dos Santos, 73 ans, qui di-rige l’Angola depuis 1979, a soutenu militaire-ment Denis Sassou-Nguesso, et aidé financiè-rement et diplomatiquement le président bu-rundais, Pierre Nkurunziza, réélu cet été dans un climat de terreur pour un troisième man-dat. Au Cameroun, Paul Biya, 82 ans, affiche trente-trois ans de pouvoir, un record égalé parson cadet, le président équato-guinéen, Teo-doro Obiang Nguema.

« DÉPHASAGE COMPLET »Certains de ces Etats, parmi les plus corrom-pus de la planète, ont aussi en commun des années de conflits armés qui ont bouleversé larégion dans la seconde moitié du XXe siècle.Ce sombre passé est aujourd’hui transformé en atout par ces présidents qui n’hésitent pas à instrumentaliser le traumatisme de la guerre pour justifier la répression et leurmaintien au pouvoir. Quitte, comme Denis Sassou-Nguesso, également médiateur de la

crise en République centrafricaine, à adopter une posture de vieux sage garant de la paix et de la stabilité régionale.

Mais les temps ont changé. Désormais, plusde 70 % de la population a moins de 25 ans et n’a connu qu’un seul et unique président. Ces jeunes ont suivi en direct les renversements par la foule de dictateurs d’Afrique du Nord en 2011 et, trois ans plus tard, du président bur-kinabé Blaise Compaoré, un proche de Denis Sassou-Nguesso. « C’est un terrible aveu de fai-blesse que de dire “Sans moi, le système s’effon-dre et la guerre reprendra”, car la longévité au pouvoir est incontestablement un facteur d’ins-tabilité en Afrique, explique un diplomate afri-cain en poste dans la région. Ces pouvoirs d’Afri-que centrale, en déphasage complet avec les at-tentes de leurs peuples et du reste du continent, ne vont pas tenir, même avec des changements de Constitution. Et le pire est à craindre s’ils im-posent leurs enfants pour leur succéder. »

Ces tentatives de changements constitution-nels dans la région alimentent le risque de cri-ses politiques, voire militaires. Elles se conju-guent à une pénurie de personnalités politi-ques capables de succéder à ces dinosaures quiont écrasé leurs oppositions et asphyxié toute ambition dans leur propre camp. Non sans unecertaine paranoïa, ces chefs d’Etat ne s’entou-rent plus que des membres de leur famille ou de leur ethnie. Au Congo, en Guinée équato-riale, en Angola, les enfants de présidents ontvu leur influence politique et économique dé-

cupler, au point d’incarner le visage de la réus-site entrepreneuriale africaine, à l’instar de l’Angolaise Isabelle Dos Santos.

Certains, comme le pétrolier controversé De-nis-Christel Sassou-Nguesso, se verraient bien succéder un jour à leur père, comme l’a fait Jo-seph Kabila qui règne sans gouverner en Répu-blique démocratique du Congo depuis la mort de son père, Laurent Désiré Kabila, assassiné en 2001. La « tragédie dynastique », selon les mots d’un diplomate occidental, est égale-ment à l’œuvre au Gabon, où Ali Bongo a suc-cédé à son père, Omar Bongo, décédé en 2009, après quarante et un ans à la tête de l’Etat.

Le changement constitutionnel au Congo estsuivi de près par ses homologues de la région, mais aussi par les partis d’opposition et la so-ciété civile. Face aux tergiversations de la France qui a fini par ne pas reconnaître les ré-sultats du référendum, les oppositions et les activistes savent désormais qu’ils peuvent da-vantage compter sur l’inflexibilité des Etats-Unis qui condamnent sans louvoyer tout changement de Constitution.

Au sein des majorités au pouvoir, commedans les rangs de l’opposition, reste à penser etpréparer l’après, à faire émerger de nouveaux leaders capables d’affronter les héritages de cesvieux chefs d’Etat qui légueront à leurs peuplesdes institutions fragiles et une gouvernanceparmi les plus mauvaises de la planète. p

[email protected]

À LA TÊTED’UN SYSTÈME

CLANIQUEET OPAQUE,LE POUVOIRFAIT FI DE

L’EXASPÉRATION D’UNE PARTIE

DE LA POPULATION

« Sassou », maître du Congo jusqu’en 2031 ?

La côte de Nuits, un écrin de bijoux

« CONNAÎTRE ET CHOISIR LE VIN »,UNE COLLECTION « LE MONDE »-HACHETTE

ophélie neiman

La nuit est propice aux rêves. La côte de Nuitsl’est tout autant. Sur cette étroite langue deterre d’une vingtaine de kilomètres, de Dijon àCorgoloin, sont rassemblés les vins les plus

prestigieux de la planète. Les plus chers aussi. Wine-Searcher, le grand site spécialisé en recherche de vin, a publié au mois d’août la liste des cinquante vins les pluschers au monde (prix moyen et sans distinction de mil-lésimes) : les trois premiers sont nés de la côte de Nuits.L’incontournable romanée-conti de la Romanée-Conti est en deuxième position, encadrée par le richebourg etle cros-parantoux du défunt Henri Jayer.

Mieux, la côte de Nuits truste, à elle-seule, vingt-neufplaces de ce top 50. Echézeaux, musigny, chambertin, chambolle-musigny Les Amoureuses, vosne-roma-née… ce sont des noms de fantasme, d’envie inassouvie– sauf pour les plus chanceux ou fortunés d’entrenous –, de scandale, même. Pour trouver un bordeaux, le si célèbre Pétrus, il faut attendre la dixième position. Voilà exactement ce qu’est la côte de Nuits : un coffretrempli de bijoux secret, discret. Tandis que la presse et les experts autoproclamés vocifèrent sur les grandschâteaux bordelais, les mettent à l’honneur à chaque campagne de primeur, discutent de l’envolée des prix, les grands crus bourguignons se taisent.

LES VINS TOUJOURS ÉLÉGANTSDe toute façon, les quantités de vin sont riquiqui et écoulées depuis longtemps, il n’y a plus rien à vendre. Ilfaut s’inscrire sur liste d’attente pour espérer accéder,de son vivant, à une allocation et recevoir quelquesbouteilles chaque année. Alors à quoi bon en parler ? Motus et bouche cousue, le grand public les oublie. On aurait tort, pourtant, de se laisser abuser par cette dis-crétion polie et de ne pas ouvrir cette boîte aux trésors. Parce que cette région, quart nord de la Bourgogne viti-cole, recèle aussi des vins plus accessibles, les caveaux sont ouverts, les vignerons sont souriants, les vins sont,eux, toujours élégants.

De ce rubis qu’offre le pinot noir dans ses terres. Vouspouvez certes piocher dans les premiers et grands crus si le cœur vous en dit, si l’occasion est belle, si le mo-ment est opportun, important. Mais vous devez décou-vrir les appellations plus décontractées, le marsannay et sa déclinaison en rouge, blanc et ébouriffant rosé, le fixin, « vin d’hiver » qui fait des pieds de nez aux plus grands, le gevrey-chambertin béni des dieux, le délicat chambolle-musigny, le morey-saint-denis équilibristeou les côtes-de-nuits-villages qui émaillent le territoire de leur fruité débonnaire.

Il faut rester en Nuits mais quitter le rêve, remettre lespieds sur terre et célébrer les climats de ce territoire dé-sormais inscrits au Patrimoine de l’humanité. p

« Connaître et choisir le vin », volume 2 : Bourgogne – côte de Nuits.En kiosques depuis le 27 octobre. Le livret, la fiole d’arôme cuir, sa fiche et le classeur pour 2,99 €

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AU CARNET DU «MONDE»

Naissances

Mme Anne-Marie PAillet,M. et Mme Paul Bourdu,Kerianne et Chloéline,

ont la joie d’annoncer la naissance deAlizaé,

le 19 septembre 2015.Jean-Baptiste et Hélène Bourdu,31, Windsor Road,Cambridge, UK.

Vincent BrouSSe et Karine BoYeront le plaisir d’annoncer la naissance de

Maya, elida BrouSSe,le 14 octobre 2015.

52, rue du Clos Adrien,87000 Limoges.

Décès

La famille Bachimona la profonde tristesse de faire partdu décès de

Pierre BACHiMoN,

survenu dans sa quatre-vingt-dixièmeannée, le dimanche 25 octobre 2015,à Castelnaudary.

L’inhumation a eu lieu le mercredi28 octobre, au cimetière de Carlipa(Aude).

Elle remercie toutes les personnesqui l’ont entouré ces dernières années.

[email protected]@outlook.fr

« Expliquez aux jeunes la valeurdes mots Paix et Liberté. »

Floréal BArrier,Trélazé, 3 janvier 1922 -

Cagnes-sur-Mer, 25 octobre 2015,résistant-déporté

au camp de concentration nazide Buchenwald, il a dédié sa vie

pour que vive le Serment de Buchenwald,président

du Conseil des anciens détenusde Buchenwald près la Fondationdes Mémoriaux de Buchenwald

et Mittelbau-Dora,commandeur

dans l’ordre de la Légion d’honneur,décoré de l’ordre du Méritede l’Etat libre de Thuringe.

C’est un conseiller précieux et un trèsgrand ami que nous pleurons.

Professeur docteur Volkhard Knigge,directeur de la Fondation des Mémoriauxde Buchenwald et Mittelbau-Dora,en son nom personnel et celui de tousses collègues.

François Beaujolin,Jean-Marc et Katharina Beaujolin,

ses enfants,

Rachel et Jacques Bellet,Céline et Éric Tremblay,Lucas, Julien, Johannes et Soia,Amadeus, Anna, Raphaël, Matthias,

ses petits-enfants,

Pierre, Martin, Maud, Nicolas, Arthur,Giulio,ses arrière-petits-enfants,

ont la douleur de faire part du décès de

Christiane BeAuJoliN,née de reNtY,

oficier de la Légion d’honneur,combattant volontaire de la Résistance,

réseau Alliance,médaille de la Résistance,

survenu le 27 octobre 2015,dans sa quatre-vingt-treizième année.

La cérémonie religieuse sera célébréele lundi 2 novembre, à 10 h 30, en l’égliseNotre-Dame-de-l’Assomption, 88, ruede l’Assomption, Paris 16 e, suiviede l’inhumation, à 12 h 30, au cimetièredu Père-Lachaise, Paris 20e.

Ils rappellent le souvenir de son époux,

Gilbert BeAuJoliN,

décédé le 6 août 1993.

Ni leurs ni couronnes.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Jean-Marc Beaujolin,Route de Lully, 31,CH-1131 Tolochenaz.

Juliénas. Lyon. Bruxelles.

Mme Claire David Beaupère,son épouse

Et ses enfants,

ont la douleur de faire part du décès de

Jean-Paul dAVid,médecin

endocrinologue-diabétologue,

le samedi 24 octobre 2015, à Bruxelles.

Une cérémonie religieuse aura lieuce vendredi 30 octobre, à 14 heures,en l’église de Juliénas, suivie del’inhumation au cimetière d’Emeringes.

Une cérémonie commémorative auralieu samedi 7 novembre, à 10 h 30, en lachapelle de la clinique Sainte-Anne Saint-Rémi-d’Anderlecht, Bruxelles (Belgique).

Paris.

Colette de Sadeleer,Henri et Anne, Anne-Marie,

Isabelle Fraisse,

ont la profonde tristesse de faire partdu décès de

M. Bernard FrAiSSe,peintre-écrivain,

survenu le 23 octobre 2015, à Paris,à l’âge de soixante-dix-neuf ans.

L’incinération a lieu ce vendredi30 octobre, au crématorium du cimetièredu Père-Lachaise, Paris 20e, à 16 heures.

Janine, Jacques, Bruno,ses enfants,

Ben, Tess, Kim, Shaï,Matéo, Maxime, Leon,

ses petits-enfants,Sa famille aux Pays-Bas,Sa famille en Israël,

ont la tristesse de faire part du décès de

louise HABBAH,née VAN KAMMeN.

Fernande,son épouse bien-aimée,

Yvon, Isabelle, Dominique,ses enfants,

Ses cinq petits-enfantsEt ses quatre arrière-petits-enfants,

ont le regret d’annoncer à sa demandele décès dans sa quatre-vingt-quinzièmeannée de

François HelFt,F.F.L. 1940-1945.

Homme de bonne volonté. Père defamille consciencieux. Philosophe.

S’étant toujours demandé ce quesigniiait la vie dans ce monde, il espéraitqu’à ce stade, rassasié de jours, expériencefaite, Dieu lui ferait connaître la réponse.

L’enterrement aura lieu au cimetièredu Montparnasse, Paris 14e, le mercredi4 novembre 2015, à 15 heures.

Ni pleurs ni couronnes,une pensée bienveillante.

Paris. Montpellier. Prades-le-Lez.

Eugène Manolakakis,son époux,

Laurence Manolakakis,sa ille,

Vladimir Demoule,son petit-ils,

ont la tristesse de faire part du décès de

Anne MANolAKAKiS,née leSCASSe,

survenu le 26 octobre 2015,à Prades-le-Lez (Hérault),à l’âge de quatre-vingt-huit ans.

Périgueux (Dordogne).

Au jour anniversaire des quarante ansdu décès de son ils,

François,X 74,

le docteurMarie-Hélène MulloN,

pédiatre,ancien maire adjoint de Périgueux,

nous a quittés.

Ses obsèques religieuses ont eu lieuce vendredi 30 octobre 2015, à 10 heures,en l’église Saint-Etienne-de-la-Cité,à Périgueux, où l’on se réunira.

De la part de

Pierre Mullon,Marie et Frédéric Seval,Claire et François Baylac,Charlotte et Pierre Henri de la Codre,Anne, Jean, Luc Baylac,Famille, parentsEt amis.

Paris.Pierre Namia,Dominique Namia Nimmo,

et son époux, Stuart Hamilton Nimmo,ses enfants,

Sa familleEt ses proches amis,

ont la tristesse de faire part du décès deNoelle NAMiA MiCHelot,

journaliste,survenu à Paris, le 17 octobre 2015,dans la plus grande sérénité.

Saint-Guénolé. Penmarc’h. Paris.

Claudia Hutchins-Puéchavy,son épouse,

Thomas et Johanna,ses enfants,

Ezra,son petit-ils,sa mère, Andrée,

Christian et Sylvie,son frère et sa belle-sœur,

Thomas et Gale Hutchins,son beau-frère et sa belle-sœur,

Stéphanie, Blandine, Alexandreet Hermine,ses nièces et neveu,

Toute sa familleEt ses amis,

ont la douleur de faire part du décès de

Michel PuÉCHAVY,avocat honoraire au Barreau de Paris,

survenu à Quimper,le dimanche 27 septembre 2015,dans sa soixante-douzième année.

Ses obsèques civiles ont eu lieu dansl’intimité.

Ses enfants,Ses frères et sœur,Ses petits-enfants,Ses arrière-petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décès deM. Gérard tAuPiN,

survenu le 28 octobre 2015, à Paris.La cérémonie religieuse aura lieu

le mardi 3 novembre, à 14 h 30, en l’égliseSaint-Sulpice, Paris 6 e, suivie del’inhumation dans l’intimité.

Colloque

Musée d’OrsayAuditorium

Jeudi 5 novembre 2015, dès 12 heures,vendredi 6 novembre, dès 10 heures,

colloque« Images et imaginaires

de la prostitution au XIXe siècle »Dans le sillage de l’exposition

Splendeurs et misères,un colloque pour découvrir l’importance

du thème de la prostitutiondans l’imaginaire érotique

et la production artistique du XIXe siècle.musee-orsay.frEntrée libre.

Conférence

les Mardis de Sévigné« Le Baroque ».

Conférence donnée par Sonia Brunel,conférencière,

aux Musées du Louvre et d’Orsay,mardi 3 novembre 2015,de 18 h 30 à 20 h 30.Collège Sévigné,

28, rue Pierre-Nicole, Paris 5e,Tél. : 01 53 10 14 14.

http://www.collegesevigne.org

Communications diverses

Société de Psychanalyse Freudienne

Journées d’études,samedi 14 novembre

et dimanche 15 novembre 2015,de 9 heures à 18 heures, à l’ASIEM,6, rue Albert-de-Lapparent, Paris 7e.

L’intelligence inconsciente

Martine Bacherich,Marie-Christine Baffoy,

Maurizio Balsamo, Monica Broquen,Véronique Chastel, Laurence Chriqui,

Monique David-Ménard,Christophe Dejours,

Alain Didier-Weill, Françoise Gertler,Suzanne Ginestet-Delbreil,

Patrick Guyomard,Florian Houssier, Derek Humphreys,

François Lévy, Pierre Mac Gaw,Jean-Pierre Marcos, Lucien Mélèse,Sylvain Menasché, Jacques Mervant,Catherine Muller, Bernard Pechberty,

Jean Pibarot, Sébastien Poinat,François Pommier, Dominique Rabaté,

Jean-François Solal.

Entrée : 120 € (étudiant : 50 €).Renseignements : 01 43 22 12 13.

Inscription sur place possibleSite : www.spf.asso.fr

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5, rue Roquépine, Paris 8e.Tél. : 01 42 65 43 58.

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Heureux ceux qui ont contribuéà rendre notre monde plus juste

et solidaire. Ils ont fait de l’Humanitétout entière leur héritière.

le Comité catholique contre la faimet pour le développement,CCFd-terre solidaire,

souhaite rendre ici hommageaux femmes et aux hommes qui,

à travers un legs, une assurance-vieou une donation,

ont contribué à construiredurablement un mondeplus juste et solidaire.

Qu’ils restent dans nos cœurs à jamais.

A votre écoute dans le respectde vos souhaits et de vos valeurs.PRÉVOIR • Une anticipation des étapes et des droitsORGANISER • Une prise en main des démarchesACCOMPAGNER • Un suivi au-delà des funérailles

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16 | culture SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

La rage poétique de Feu! Chatterton« Ici le jour (a tout enseveli) », premier album du groupe parisien, témoigne d’une belle énergie lyrique

POP-ROCK

Je suis venu à la musique parle texte », insiste Arthur Te-boul, chanteur, dont laplume autant que la voixdonnent des ailes au groupe

Feu ! Chatterton. Avec ses quatre complices − Clément Doumic à la guitare, Sébastien Wolf aux cla-viers, Antoine Wilson à la basse, Raphaël de Pressigny à la batterie –, ce Parisien au timbre rauque et à la moustache stylée use, depuis 2013, d’une verve poétique qui re-vivifie le rock français.

Après quelques EP (extendedplay) excitants – La Malinche,Boeing –, un premier album, dont le titre onirique, Ici le jour (a tout enseveli), est amplifié par une po-chette reproduisant un tableaud’Odilon Redon (Les Yeux clos),confirme l’énergie lyrique duquintette. Et la réconciliation des artistes de l’Hexagone avec leur langue natale.

« Je n’ai pas l’impression de fairepartie d’un mouvement, mais il y ades choses dans l’air, analyse Ar-thur Teboul. L’envie commune de parler notre langue, tout en l’ex-plorant de différentes manières. »

Une appétence verbale qui a dela gueule sur disque (malgré quel-ques scories emphatiques), mais encore plus sur scène, où Feu ! Chatterton excelle à force d’inces-santes tournées. Nouvelle preuve,le 19 octobre, à Paris, sous les moulures du Trianon (où, entre deux dates en région, le groupe seproduira chaque mois jusqu’en fé-vrier), dont l’ambiance théâtrale convient à merveille aux narra-tions flamboyantes des Parisiens.

Dandy incendiaireParfaitement encadré par des ca-marades multi-instrumentistes capables de maîtriser avec tran-chant une grande variété stylisti-que (rock’n’roll fifties dans Fou à lier, post-punk luminescent dans Concorde, funk érotique dans LaMalinche…), Arthur Teboul rayonne en dandy incendiaire. En-tre zazou ironique et conteur pos-sédé, le frêle jeune homme en cos-tume-gilet-cravate et son puissant éraillement révèlent une capacité d’incarnation charismatique.

En tête à tête, attablé dans un

café de la rue du Faubourg-Saint-Denis, le garçon perd sa préciositéde gouape au profit d’une allure juvénile accentuée par de longs cils de velours et un sourire en-fantin. Différente de celle habi-tant ses concerts, son intensitéquotidienne se manifeste par lafébrilité, ponctuée de petits rires, avec laquelle il partage ses en-thousiasmes.

Les mots et ceux qui les écriventsont d’inépuisables sujets d’émer-veillement. « La littérature me passionne depuis toujours, recon-naît-il, la lecture permet de s’éleverau-dessus de soi, grâce à la voix d’un autre. » John Fante, Charles Bukowski, Roberto Bolaño, Julio Cortazar, Honoré de Balzac… Lesauteurs de son panthéon sont in-nombrables, explique-t-il, avant

de s’émouvoir devant la scène du bal ouvrant Splendeurs et misèresdes courtisanes. « Cette complicitétissée dans un livre avec un in-connu, je la ressens aussi très fort dans la chanson. »

Bardés d’électricité contempo-raine, les morceaux de Feu ! Chat-terton s’enracinent dans une tra-dition francophone. « Je redécou-vre indéfiniment la subtilité destextes de Trenet, Gainsbourg, Brel,Brassens, Barbara », souligne Ar-thur Teboul, tout en fredonnantun vers de « la dame en noir » –« J’ai vu l’or et la pluie sur des fo-rêts d’automne » –, avant de dissé-quer la construction de La Fessée,du Sétois moustachu. « Si je truffemes textes de sens caché, c’est pour tenter d’être à la hauteur deces gens-là », explique ce fan des

chansons énigmatiques d’Alain Bashung.

Le virus de l’écriture le prend aucollège où ses poches se remplis-sent de feuilles volantes, griffon-nées de ses premières poésies. Un plaisir associé à celui de la diction. Arthur Teboul ne chante pas, mais récite.

« J’étais à la ramasse »

Au lycée Louis-le-Grand, cette sen-sibilité littéraire fédère quelques copains, dont deux musiciens, fous de rock anglo-saxon, ClémentDoumic et Sébastien Wolf. Les ly-céens de la génération Internet partagent aussi des moments di-gnes du Cercle des poètes disparus. « On se retrouvait pour lire “Je te sa-lue, vieil océan !”… de Lautréamont,des textes érotiques d’Henry Miller,

se souvient le chanteur. On avait l’impression de percer autre chose de la vie, la noirceur, la brillance de l’interdit. »

La mise en commun de leurspassions musicales et textuelles ne donne, dans un premier temps,rien de concret. « Nous avons fait ensemble une répétition, mais j’étais complètement à la ramasse en termes de rythme », dit Arthur Teboul, qui en sourit aujourd’hui. Un déficit que le jeune homme comblera en fréquentant, pen-dant son année de prépa HEC, les concours de slam des bars de Bel-leville. Le succès de ces premièresperformances publiques à décla-mer ses textes sur un mode pro-che du rap, le chanteur le doit peut-être à son goût du hip-hop.

Car Arthur peut citer aussi faci-

Spasiuk, le chaman du chamaméL’Argentin est en tournée alors que ressort « Pynandi : Los Descalzos »

MUSIQUE

A près un premier passagecet été, l’accordéonisteargentin Chango Spasiuk

revient en France pour une tour-née d’une quinzaine de dates, qui s’achèvera, le 22 novembre, au Théâtre Claude Lévi-Strauss du Musée du quai Branly, à Paris.

A cette occasion, HarmoniaMundi réédite sur son label World-Village l’album Pynandi : Los Des-calzos (« les pieds nus »), publié en 2009. Le titre fait référence aux cueilleurs de feuilles de yerba maté, dans les provinces du nord-est de l’Argentine (Corrientes, For-mosa, Misiones…), la plante avec laquelle se prépare le maté, infu-sion consommée avec constance par beaucoup d’Argentins.

Descendant d’immigrés ukrai-niens, Chango Spasiuk est né en 1968 à Apostoles, dans la pro-vince de Misiones, la terre du maté. Il est l’un des compositeurset musiciens les plus renommésdu chamamé, la musique de pré-dilection des petits paysans cueilleurs de feuilles dans ces ré-gions. Une musique à guincher, surgie de la connexion des Amé-

rindiens Guarani, vivant sur ces terres, avec l’accordéon et la polka apportés par les Européens, au XIXe siècle. Chango Spasiuk a com-mencé sa carrière avec son père, charpentier-menuisier et violo-niste. Le souvenir du premier bal reste intact. « On a été embauchés pour un mariage. Nous ne connais-sions que deux morceaux. On a tenu toute la nuit avec. Les gens étaient ravis, conquis. »

Dimension mélancolique

Ensorcelant, débordant d’émo-tion, le chamamé et ses mystères...Il y a une foule d’anecdotes, nous raconte le musicien, à propos de morceaux trop « lourds » d’un point de vue émotionnel. Certainsdéclenchaient des cris, des bagar-res, dans les années 1930 et 1940. Les mœurs se sont calmées. Le chamamé n’est pas une musique fonctionnant uniquement à l’énergie, nuance Chango Spasiuk. Il véhicule aussi une dimension spirituelle, mélancolique. « Quand je joue, je suis à la fois sur cette éner-gie qui réveille et disposé à une ex-pression plus douce. »

Un pied dans la tradition d’unemusique régionale s’épanouis-

sant aussi à Buenos Aires, appor-tée et transmise à leurs enfants par les migrants des provinces du Nord-Est, l’autre dans une cer-taine sophistication. En 2013, Chango Spasiuk s’est produitavec ses musiciens, accompagnéd’un orchestre à cordes, au pres-tigieux Teatro Colon de Buenos Aires. Quelque 3 500 spectateurs,salle comble. « Une vraie recon-naissance pour le chamamé,longtemps déconsidéré, que lesArgentins ne connaissent qu’ensuperficialité. »

Chango Spasiuk ne fréquentepas les lieux où l’on danse le cha-mamé, chaque week-end dans la capitale argentine, où il vit aujourd’hui, mais il n’est pas ex-clu, nous confie-t-il, qu’il enregis-tre un jour un disque à danserpour ce public-là. p

patrick labesse

Pynandi : Los Descalzos, 1 CD Chango Spasiuk/Rééd. WorldVillage/Harmonia Mundi.Prochaines dates en France :le 30 octobre à Faverges(Haute-Savoie), le 31 à Beaumont (Puy-de-Dôme), le 1er novembreà Saint-Mélany (Ardèche)…

De gauche à droite, Clément Doumic (guitare clavier), Arthur Teboul (chant), Raphaël de Pressigny (batterie), Antoine Wilson (basse clavier) et Sébastien Wolf (guitare clavier). FANNY LATOUR LAMBERT

Entre zazou

ironique et

conteur possédé,

Teboul et son

puissant

éraillement

révèlent une

capacité

d’incarnation

charismatique

lement Booba que Barbara. « Les rappeurs sont les seuls à avoir vrai-ment renouvelé la langue, insiste-t-il. Je ne partage pas leurs codes, jene suis pas de ce monde, mais je lestrouve plus audacieux et irrévéren-cieux que moi. Des gens comme PNL, Vald ou Alkpote sont les sur-réalistes d’aujourd’hui. »

Ses progrès rythmiques font re-naître l’idée d’un groupe. En se baptisant, en 2012, d’une excla-mation brûlante, suivie du nomd’une figure romantique (le poèteanglais Thomas Chatterton, qui s’est suicidé en 1770, à l’âge de17 ans), Feu ! Chatterton ne cacherien de ses ambitions.

Rejoints par Antoine Wilson etRaphaël de Pressigny, les Pari-siens impressionnent vite par leurs vidéos (La Mort dans la pi-nède) et quatre titres autopro-duits. Après avoir additionné lesrécompenses (Prix chorus des Hauts-de-Seine, Paris Jeunes Ta-lents, Les Inrocks lab…), ils peu-vent se féliciter d’un premier al-bum, brassant, avec panache, en-volées épiques, double sens, fou-gue sexy et ambiancescinématographiques. Adaptant à la française, la formule de Patti Smith, appelant à marier « la ragedu rock à la puissance duverbe ». p

stéphane davet

Ici le jour (a tout enseveli),de Feu ! Chatterton, 1 CD Barclay/Universal.Concerts : en tournée dans toute la France, le 31 octobre à Vendôme (Loir-et-Cher) ; le 13 novembreà Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) ;le 14 à Saint-Lô (Manche)…

0123SAMEDI 31 OCTOBRE 2015 culture | 17

Les policiers américains se déchaînentcontre TarantinoLe réalisateur a dénoncé les violences policières. Les forces de l’ordre de plusieurs villes appellent au boycottage de ses films

new york – correspondant

M ême le pire des banditsdans l’un des films deQuentin Tarantino n’a

jamais eu autant de policiers à sestrousses. Après les polices de NewYork et de Los Angeles, c’était au tour de celle de Philadelphie,jeudi 29 octobre, d’appeler au boy-cottage des films du célèbre réali-sateur américain.

Sa faute ? Avoir participé à unemanifestation, samedi 24 octo-bre, à New York, pour dénoncer lesviolences policières qui ont con-duit notamment à Ferguson (Mis-souri), Baltimore (Maryland) et New York à la mort de suspects noirs. Lors de ce mouvement, baptisé « Rise up October », Quen-tin Tarantino avait notamment déclaré : « Quand je vois des meur-tres, je ne reste pas là sans rien faire… Il faut appeler les meurtriersdes meurtriers. Je suis un homme avec une conscience et je suis icipour montrer que je me tiens du côté des victimes. »

« Fictions dépravées »

« Honte à lui », avait immédiate-ment lancé le chef de la police new-yorkaise, William Joseph « Bill » Bratton, avant que Patrick Lynch, le responsable du principalsyndicat de policiers de la ville, dé-clare : « Ce n’est pas étonnant quequelqu’un qui gagne sa vie en glori-fiant le crime et la violence déteste les policiers. Les officiers de police que Quentin Tarantino appelle des “meurtriers” ne vivent pas dans l’une de ses fictions dépravées con-çues pour le grand écran. Ils pren-

nent des risques et doivent parfois même sacrifier leur vie, afin de pro-téger les communautés des vrais crimes », a-t-il estimé, avant de lan-cer un appel au boycottage des films du réalisateur américain.

Une réponse particulièrementvirulente, qui intervenait après la mort de Randolph Holder, un agent du New York City Police De-partment, originaire des Caraïbes, abattu en mission dans le quartierd’East Harlem, dans la nuit du mardi 20 au mercredi 21 octobre. Ses obsèques ont eu lieu, mercredi28 octobre, dans le Queens, en pré-sence du maire démocrate de NewYork, Bill de Blasio.

Loin de se calmer, le mouvementde protestation contre les propos du réalisateur de Reservoir Dogs (1992), Pulp Fiction (1994) et Inglou-rious Basterds (2009) prend une ampleur nationale. Le président du syndicat Los Angeles Police Pro-tective League, Craig Lally, a dé-noncé l’« irresponsabilité inaccep-table » du cinéaste. Le président de la Philadelphia Fraternal Order of Police Lodge, John McNesby, lui a emboîté le pas, en déclarant que M. Tarantino « a bien gagné sa vie avec ses films, en projetant une image violente de la société et un respect pour les criminels ; il se ré-vèle aussi qu’il déteste les flics ».

Le réalisateur n’a pas répondu àces attaques, mais il a reçu plu-sieurs marques de soutien sur Twitter, notamment de la part de l’acteur Peter Coyote, de la coali-tion nationale contre la censureainsi que des familles des victi-mes de la violence policière. p

stéphane lauer

A Bologne, le MAST relie l’art et l’industrieL’entrepreneuse italienne Isabella Seragnoli a créé un lieu original et une Biennale consacrés à l’image industrielle

ARTSbologne (italie)

I sabella Seragnoli est à la têtede Coesia, un groupe d’entre-prises spécialisées dans la

mécanique de haute précision, qui emploie 6 000 personnes dans le monde. Mais, en matièred’art, cette discrète Italienne n’a pas suivi l’exemple de nombreux capitaines d’entreprises florissan-tes : elle n’a pas collectionné lesartistes contemporains cotés dumarché, n’a pas créé une fonda-tion à son nom, n’a pas recruté unarchitecte superstar pour imagi-ner un bâtiment.

Cette amoureuse de sa ville na-tale, Bologne, et de son métier apréféré créer un lieu atypique, la Manufacture des arts, expéri-mentation et technologie (MAST,le « mât », en italien), ancré dans l’histoire et le terroir industriel del’Emilie-Romagne.

Ce mât plutôt plat, bâtiment ul-tramoderne de 25 000 mètres car-rés, construit dans un quartier pé-riphérique de la ville par de jeu-nes architectes romains, abrite undrôle de concept : il réunit à la foisdes services réservés aux em-ployés du groupe – une crèche ouverte sur le jardin, une salle desport et de bien-être, une cafétériabio et gratuite – et des lieux diri-gés vers le public : un auditorium, qui peut accueillir des conféren-ces et des spectacles, un centre de formation avec des salles de visio-conférence dernier cri, un musée.

« MAST est un pont entre l’entre-prise et la communauté au sens le

plus large du terme, explique Isa-bella Seragnoli. Il se veut un centreculturel, qui encourage l’expéri-mentation, la connaissance et l’in-novation sociale hors des limitesde l’entreprise. »

Avant le MAST, elle avait déjàcréé dans la région une fondation consacrée aux malades atteintsde troubles alimentaires et un établissement de soins palliatifs. Pour cette dirigeante, qui a su faire fructifier l’entreprise fondée par son père, « l’entrepreneur a le devoir et la responsabilité d’occu-per une place dans la société ».

« Des archives incroyables »

Pour le musée, et la collection qui l’abrite, Isabella Seragnoli a aussicherché à faire de l’art qui ne soit pas « hors-sol ». Le musée com-prend un espace d’« edutainment »(« éducation par le jeu ») où les en-fants peuvent apprendre à pro-grammer des machines, diriger des chaînes de montage, inventer des outils qui fonctionnent.

Elle a choisi de concentrer la col-lection sur un secteur bien parti-culier : les images de photogra-phie industrielle. Pour ce faire,elle a recruté l’un des grands spé-cialistes de la photographie, UrsStahel, ancien directeur du Foto-museum Winterthur (Suisse).« L’industrie est une partie impor-tante de notre histoire, explique-t-il. Les photographes ont travaillé pour les entreprises, les compa-gnies ont souvent des archives in-croyables, mais il n’y a que depuis dix ans que ce sujet intéresse. Peut-être parce que beaucoup d’usines

ferment. » Pour le MAST, il aacheté 1 500 photographies, qui vont de la photo engagée aux re-cherches contemporaines de l’Américain Trevor Paglen.

Le MAST offre chaque année desbourses à de jeunes photographes et accueille trois expositions par an. Des images qui ne peignent pasle monde de l’industrie unique-ment en rose. « La première exposi-tion incluait des images très dures sur le travail à l’usine », note M. Sta-hel. En ce moment, il montre au MAST une collection de livres de photos d’entreprises italiennes – certains sont signés par des photo-graphes de renom, d’Ugo Mulas à Gabriele Basilico.

Visions étonnantes

Le MAST organise aussi la Bien-nale, Foto/Industria, dont la se-conde édition se tient jusqu’au1er novembre : 14 expositions gra-tuites réparties dans toute la

ville, palais baroques, musées d’art ou d’histoire naturelle, égli-ses. Le directeur de la Biennale, François Hébel, a pris l’acception« photo industrielle » au sens large, pour exposer des travauxqui décrivent le monde du travail dans son ensemble.

On y voit des choses connues, lespaysages industriels du CanadienEdward Burtynsky ou les illumi-nations de Paris vues par Léon Gimpel au début du XXe siècle. Mais on y fait aussi des découver-tes, comme les visions étonnantesd’un chirurgien coréen, Jason San-gik Noh, qui fait de son métier l’ob-jet de recherches photographi-ques – journaux intimes, natures mortes, abstractions.

Ou les belles archives de HeinGorny, chouchou des industriels en Allemagne dans les années 1930, qui a photographié les bis-cuits Bahlsen, rangés comme despetits soldats, avec des cadrages modernistes. Et même les impres-sions photographiques de Kathy Ryan, la directrice du service photo du New York Times Maga-zine : cette « instagrammeuse » ac-complie a saisi avec acuité, sur sontéléphone portable, les jeux de lu-mière sophistiqués dans l’immeu-ble où elle travaille.

La Biennale doit finir en beautéet en musique, le 31 octobre, avec des lieux ouverts jusqu’à minuit. p

claire guillot

Foto/Industria,jusqu’au 1er novembre : 14 expositions gratuites à Bologne. Fotoindustria.it et Mast.org.

« Le MAST se veut

un centre culturel

qui encourage

l’expérimentation,

la connaissance

et l’innovation

sociale hors

des limites

de l’entreprise »

ISABELLA SERAGNOLI

fondatrice du MAST

LE

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MS CHRISTOPH WILLIBALD GLUCK

Orfeo ed Euridice Version originale de Vienne et temps forts de la version de ParisLa première version de l’opéra Orfeo ed Euridice, le chef-d’œuvre de Gluck, à Vienne, en 1762, comme si vous y étiez ! Plus qu’aux cornets à bouquin et autres instruments d’époque adoptés par

l’Insula Orchestra, la sensation de remonterle temps est surtout liée à la prestation deFranco Fagioli, contre-ténor à même defaire revivre les castrats. Quel timbre ! Desgraves de bronze pour une virilité de statueantique, des aigus du troisième type, à mi-chemin entre l’ange et la bête, et un phraséapte à gommer toute impression de « cu-

riosité ». Sans minimiser les mérites d’Emmanuelle de Negri (fringant Amour), de Malin Hartelius (déchirante Eurydice), et du chœur Accentus (d’une grande noblesse), le chant de Franco Fagioli invite à parler d’un Orfeo retrouvé, au même titre que la direction de Laurence Equilbey qui fouette les sens autant qu’elle les flatte. p pierre gervasoni3 CD Archiv Produktion.

RAURYAll We NeedRaury est ce jeune artiste d’Atlanta, rappeur et chanteur, qui de-vait être l’une des révélations des Transmusicales de Rennes de 2014. Seulement, à 18 ans, trop de pression sur ses épaules, l’auteur des très réussis God’s Whisper et Cigarette Song s’était

enfermé dans des pauses de rocker, et avaitraté son passage devant le public français.Un an plus tard, son premier album, All WeNeed, confirme en revanche son talent enstudio. Aussi inspiré qu’un Frank Oceandans le texte, Raury enrichit ses composi-tions à la guitare de trouvailles électro.Epaulé à la production par Malay sur la ma-

jorité des titres et notamment sur les remarquables Forbidden Knowledge et CPU, le rap de Raury ne détonne pas face à des se-niors comme Big K.R.I.T. ou le maître du Wu Tang Clan, RZA. Il va jusqu’à se mesurer au guitariste de Rage Against The Machine, Tom Morello pour Friends, où Raury raconte comment il se sert de ses amis sur Twitter ou Facebook pour faire le tour des Etats-Unis à moindre coût. A la guitare, à la basse et aux claviers pour Mama, le jeune chanteur prend des intonations pop à la Queen. Sa mère peut être fière. p stéphanie binet

1 CD Columbia/Sony Music.

K Retrouvez sur Lemonde.fr « Héroïnes du baroque vénitien », de Francesco Cavalli ; « Still Got That Hunger », de The Zombies ; « < l°_°l > », de Caravan Palace ; « Angels & Ghosts », de Dave Gahan & Soulsavers ; « Vol pour Sidney (aller) », divers Artistes

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UNE HISTOIRE D’AMOUR DE YORGOS LANTHIMOS

ACTUELLEMENT AU CINÉMA

LES ANIMAUX NE SERONT PAS ACCEPTÉS DANS LES SALLES, CE SERAIT ABSURDE, PENSEZ-Y.

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18 | télévisions SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

HORIZONTALEMENT

I. Sans prendre le moindre risque.

II. Ne rate pas une station sur son

parcours. Finit son cours à Grave-

lines. III. Principe chinois. Avait une

bonne opinion. IV. Démonstratif. Es-

pace pour une rencontre. Refus d’un

autre temps. V. Massifs européens. Au

cœur du foyer. VI. Dessous qui prend

le dessus sur la plage. Poésie lyrique.

Précieux bois venu d’inde. VII. Pri-

sonnier des chaînes. Chez Léon.

VIII. Donne de belles couleurs. Suivi à

la trace par les bons marcheurs. Bois-

son anglaise. IX. Fait l’innocent. Doit

beaucoup à Clément Ader. X. Si l’on

tient le coup, un jour ou l’autre il fau-

dra le voir.

VERTICALEMENT

1. Une difusion qui ne s’entend pas

sous la Coupole. 2. Richement colo-

rée mais craint les chocs. 3. Enfant

d’Harmonie. Soutient le talonneur

sur le terrain. 4. Négation. Tendres

petits vieux. 5. Estuaires en Bretagne.

Hymne en l’honneur d’Apollon.

6. Voie détournée. Interjection. En vi-

tesse. 7. A intégré la DGSI. Interprété

sans précipitation. 8. Bien complet.

9. Rapporter sans dire un mot. La

moitié de tout. 10. Amateurs de son.

Sur une plaque de priorité. 11. En des-

sous de la moyenne. Toutes sauf le

Grec. 12. Attachée aux plus petits

détails.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 256

HORIZONTALEMENT I. Irrespirable. II. Mairie. Anion. III. Mirettes. Sic.

IV. Osé. Usnées. V. Ronde. Jugeai. VI. TNT. Naos. Ris. VII. En. Atèles. Es.

VIII. Lens. Ri. Aï. IX. Lue. Déversée. X. Erotiserions.

VERTICALEMENT 1. Immortelle. 2. Raisonneur. 3. Rirent. Néo. 4. Ere. As.

5. Situent. DI. 6. Pets. Aérés. 7. Enjolivé. 8. Raseuse. Er. 9. An. Eg. Sari.

10. Bisser. ISO. 11. Loi. Aïe. En. 12. Encaissées.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 15 - 257

PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°15-257

& CIVILISATIONS

&CIVILISATIONS

N° 11NOVEMBRE 2015

PALMYRELE JOYAUBRISEDEL'ANTIQUITE

LAVALLEEDES INCASRITUELETPOUVOIR

AUCŒURDESANDES

CHATIMENTSMEDIEVAUXHOMMESETFEMMES

FACEÀLA JUSTICE

L’AGED’ORDESFAITSDIVERSL’ESSORDELAPRESSE

AUXIXE SIÈCLE

CALIGULAL’EMPEREURQUIVOULAIT ÊTREDIEU

´

´´^

^

´´

CHEZ VOTREMARCHAND DE JOURNAUX

Chaque mois,un voyage à traversle temps et les grandescivilisations à l’originede notre monde

S A M E D I 3 1 O C TO B R E

TF120.55 Danse avec les starsPrésenté par Sandrine Quétier et Laurent Ournac.23.25 Danse avec les stars, la suite France 220.55 Le Plus Grand Cabaret du mondePrésenté par Patrick Sébastien.23.20 On n’est pas couché

Présenté par Laurent Ruquier. France 320.50 Commissaire Magellan

Série créée par Laurent Mondy. Avec Jacques Spiesser (Fr., 2015, 95 min).22.55 Miss Marple

Série écrite d’après l’œuvre d’Agatha Christie (Can., 2007, 90 min). Canal+20.55 La prochaine fois

je viserai le cœur

Film policier de Cédric Anger. Avec Guillaume Canet, Ana Girardot (Fr., 2014, 108 min).22.55 Jour de Coupe du monde

Magazine présenté par Isabelle Ithurburu et Guilhem Garrigues. France 520.40 Echappées belles

Intensément Baléares. Magazine présenté par Sophie Jovillard.22.10 Les Seychelles,

paradis de l’océan Indien

Documentaire d’Eric Bacos (Fr., 2011, 55 min). Arte20.50 Pirates

Documentaire de Christoph Weinert et Robert Schotter [1/2] (All., 2015, 105 min).22.35 Cinema Perverso

Documentaire d’Oliver Schwehm (All., 2015, 60 min). M620.55 NCIS : Los Angeles

Série créée par Shane Brennan. Avec Daniela Ruah, Chris O’Donnell (EU, S6, ép. 22/24 ; S3, ép. 22 et 13/24 ; S1, ép. 21 et 22/24).

Et la Pieuvre bouge encore…Le récit de l’organisation mafieuse Cosa Nostra, à travers l’itinéraire de Toto Riina et de Bernardo Provenzano

LCPSAMEDI 31 – 22 H 10

DOCUMENTAIRE

Situé dans la province dePalerme, le village de Cor-leone, berceau de la Mafiasicilienne, a été rendu célè-

bre par le film de Francis Ford Cop-pola, Le Parrain (1972), dans lequel Marlon Brando interprétait avec maestria le rôle de Don Corleone.

Une saga pas très éloignée de laréalité. C’est dans ce bourg entouréde collines qu’au XIXe siècle s’est créé un pouvoir occulte, composé d’hommes de main, d’abord au service des grands propriétaires terriens, avant de se transformer en puissante organisation ma-fieuse baptisée Cosa Nostra (« ce qui est à nous »).

Guerre sanglante

C’est sur les terres de Corleone qu’ont grandi les parrains de la Ma-fia issus de la bande de Luciano Liggio, que les clans rivaux avaient surnommé, avec beaucoup de mé-pris, « les bouseux ». Parmi eux, Salvatore Riina, dit « Toto » Riina, qui, dans les années 1980, devint « le parrain des parrains » après avoir massacré ses ennemis ; Ber-nardo Provenzano, son bras droit puis successeur à la tête de l’orga-nisation, et Vito Ciancimino, ma-fieux qui réussit à se faire élire maire de Palerme sous les cou-

leurs de la Démocratie chrétienne.Riina, surnommé « la Bête »,

pour sa férocité, ou « le Court », à cause de sa taille, qu’un juge anti-Mafia décrivait comme « un pay-san, rugueux, antipathique mais doté d’une intelligence pratique », ainsi que Provenzano, dit « le Trac-teur », en raison de sa détermina-tion pour éliminer ses rivaux fu-rent en cavale pendant près de quarante ans, sans jamais être in-

quiétés. Ils se cachaient à Palerme et ses environs et continuaient de diriger Cosa Nostra en assassinant leurs ennemis palermitains pour contrôler l’organisation.

Cette guerre sanglante, qui fitplusieurs centaines de morts, les spécialistes de la Mafia l’ont appe­lée la « Matanza », en référence à la pêche où les thons sont tués par di-zaines dans une petite baie où l’eau devient rouge sang.

Après avoir éliminé leurs rivauxqu’ils tuaient d’une balle dans la tête ou ligotaient à des fils électri-ques dans les coffres de voitures, Riina et Provenzano s’en prirent aux juges du pôle anti­Mafia Gio­vanni Falcone et Paolo Borsellino, qui avaient décidé de ne rien lâ-cher dans leur lutte contre Cosa Nostra. A quelques semaines d’in-tervalle, ils furent assassinés en 1992 dans deux attentats. Spec-

taculaires, ces attaques au cœur del’Etat furent fatales aux deux boss. Lâchés par leurs protecteurs et tra-his par leurs anciens amis, dont le parrain repenti Tommaso Bus-cetta, Riina et Provenzano furent arrêtés, en 1993 pour le premier et en 2006 pour le second, et con-damnés à la prison à vie.

Cette histoire – chaotique etcompliquée –, Anne Véron et GadhCharbit la racontent dans leur filmCorleone (diffusé en mars 2015). Journalistes spécialisés, juges anti-Mafia et témoins de l’époque aujourd’hui repentis comme Mas-simo Ciancimino, le fils de l’ex-maire de Palerme, y relatent par le détail l’histoire et le fonctionne-ment de l’organisation. Et là, nous ne sommes plus dans la fiction.

Toujours active et puissante,malgré les coups qui lui ont étéportés, Cosa Nostra règne tou-jours sur l’île grâce à des complici-tés politiques et à la loi du silence.« En fait, même si elle est peu visi-ble, la Mafia est davantage pré-sente dans le nord du pays, beau-coup plus riche, car c’est là que se traitent les affaires. La capitale dela Mafia, aujourd’hui, c’est Mi-lan », expliquaient les deux auteurs en mars 2015 dans un en-tretien à Télérama. p

daniel psenny

Corleone, d’Anne Véron et Gadh Charbit (France, 2014, 50 min).

Deux carabiniers à l’entrée de Corleone (Sicile), après les attentats de 1992. TONY GENTILE /REUTERS

Allemagne, années KinoLa folle aventure des cinémas de gare allemands, dont les programmations kitsch, trash ou sexy attirèrent les foules

ARTESAMEDI 31 – 22 H 35

DOCUMENTAIRE

A u lendemain de la se-conde guerre mondiale,dans une Allemagne en

ruine, les grandes gares font partiedes infrastructures à rebâtir d’ur-gence et, dans une trentaine d’en-tre elles, les autorités construisent des salles de cinéma bon marché. L’idée de départ est que, entre deux trains, les passagers puissent tuer le temps dans ces Bali-Kino (pour Bahnhof Lichtspiele) où les

projections ont lieu non-stop.A la fin des années 1940, ces sal-

les aux entrées et sorties indépen-dantes et aux sièges espacés pré-sentent des actualités et des diver-tissements. On y promet un tour du monde en cinquante minutes pour 50 pfennigs ! Petit à petit, la programmation évolue, l’atmos-phère des lieux change. Sur l’écran défilent des séries Z, d’improba-bles nanars, des films érotiques, des péplums à petits budgets, de l’horreur en carton. Au milieu des années 1960, alors que la télévi-sion envahit les foyers, les Bali-

Kino continuent à attirer une clientèle avec des films scandina-ves et une programmation mélan-geant films d’action de seconde zone et porno soft.

Œuvres improbables

En matinée, les retraités viennent se rincer l’œil. En soirée, les jeunes déboulent en bandes. Et les SDF y trouvent un refuge. Nouvelle étape dans les années 1970 avec dukung-fu, toujours du sexe et quel-ques productions américaines à petit budget. La décennie 1980, avec l’arrivée en masse des casset-

tes VHS, marquera la fin des an-nées Bali-Kino, même si cinq sallesexistent encore aujourd’hui.

Riche en témoignages et en ima-ges d’archives (municipales en provenance de Hambourg, Stut-tgart, Cologne ou Fribourg), ce do-cumentaire inédit plonge dans l’histoire du cinéma populaire al-lemand et donne une vision origi-nale de la société. D’anciennes gloires comme René Weller, inter-prète de Macho Man, se rappellent le bon vieux temps. Gertrud Son-nenburg, employée à la caisse d’unBali-Kino depuis 1959, énumère

avec un sourire en coin les titres decertains films projetés dans ces salles, de L’Empire des fourmis géantes à Vendredi sanguinaire en passant par Samson contre le cor-saire noir ou La Révolte des morts-vivants. Les extraits de ces œuvres improbables diffusés dans ce do-cumentaire valent le détour. Comme certaines bandes-annon-ces, véritables chefs-d’œuvre de mauvais goût et d’humour noir. p

alain constant

Cinema Perverso, d’Oliver Schwehm (All., 2015, 60 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ansà compter du 15 décembre 2000.Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00Abonnements par téléphone :de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ;de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;par courrier électronique :[email protected] 1 an : Francemétropolitaine : 399 ¤Courrier des lecteursblog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ;Par courrier électronique :[email protected]édiateur :[email protected] : site d’information : www.lemonde.fr ;Finances : http://inance.lemonde.fr ;Emploi : www.talents.fr/Immobilier : http://immo.lemonde.frDocumentation : http ://archives.lemonde.frCollection : Le Monde sur CD-ROM :CEDROM-SNI 01-44-82-66-40Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60

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PRINTED IN FRANCE

Présidente :Corinne Mrejen

0123SAMEDI 31 OCTOBRE 2015 styles | 19

MODE

Elle a été élue meilleure ar-tiste féminine de l’annéeaux Victoires de la musi-que 2015, démarre une

tournée scintillante aux Etats-Unis, et pourtant, quand on parle d’elle, c’est autant pour son style que pour ses chansons : les costu-mes d’Héloïse Letissier, plus con-nue sous le nom de Christine and the Queens, sont devenus le symbole de sa démarche queer et féministe.

Evoquant pêle-mêle l’éléganceandrogyne de Michael Jackson et la rigueur distante d’Annie Len-nox, ses ensembles « veste-panta-lon » signés AMI, Jacquemus, Chloé ou Kenzo sont retravaillés pour permettre à la chanteuse de danser librement sur scène. « Christine fait toujours ses essaya-ges en bougeant, en faisant des pas de danse, raconte Alexandre Mat-tiussi, fondateur de la griffe pour homme AMI, qui lui a confec-tionné plusieurs ensembles de scène sur mesure. Cela en dit long sur le rôle du costume féminin ac-tuel : un chic égal à celui des hom-mes doublé du confort d’un vête-ment de sport, pour une tenue ur-baine qui convient à tous les mo-ments de la journée. »

Relecture novatriceD’ailleurs, si AMI fait défiler hom-mes et femmes en costume sur lespodiums, c’est parce qu’une part non négligeable de la clientèle fé-minine ne jure désormais que par ces ensembles « volés » au dres-sing classique masculin. Certaines personnalités, bien connues des amateurs de mode et reconnues pour leur style, contribuent de-puis plusieurs années à dépoussié-rer l’image du costard : Caroline deMaigret, incarnation de la Pari-sienne, agrémente les siens de bas-kets en toile élimées ; Solange Knowles, sœur de Beyoncé, creuse un sillon plus bohème en arborantdes modèles en wax africain ; Jenna Lyons, présidente de J. Crew, ou l’actrice Tilda Swinton ont faitdu costume leur uniforme.

Ce n’était pourtant pas gagné : laveste trop largement épaulée des« power suits » des années 1980 – alors rigides, structurés et conçus pour faire sa place dans un mondedu travail dominé par des hom-mes – n’a pas laissé que de bons souvenirs. Ni d’ailleurs la banali-sation extrême, dans les an-nées 1990, du tailleur-pantalon mal coupé et si possible dans destissus gris brillants et stretch… Uniforme idéal du « paraître stricte pour être prise au sérieux »,le tailleur-pantalon était resté as-socié aux rendez-vous d’affaires, réunions de direction, agences bancaires. Loin de l’attitude sexy des filles en smoking d’Yves Saint Laurent en 1966…

Plus récemment, les grandsnoms de la mode ont joué un rôle important dans la redéfinition profonde du costume pour femme : d’Hedi Slimane chez DiorHomme (les femmes ont été im-médiatement attirées par les cos-tumes slim du Français au début des années 2000) à Nicolas Ghes-quière chez Balenciaga ou Christo-phe Lemaire pour Hermès, dont les ensembles souples rappelaientl’élégance d’une Annie Hall.

Le marché actuel semble suivrecette impulsion et propose une relecture novatrice du costumepour femme, adapté à toutes les saisons et tous les âges. Actuelle-ment, sous la direction artistiquede Jason Wu, le géant Hugo Bosslance une ligne baptisée Funda-mentals qui remet le tailleur (jupe ou pantalon) au cœur dudressing moderne. Chez Paul Smith, on trouve cette saison descostumes pour homme et femme faits pour voyager (sousl’appellation « A suit to travel

in ») qui ne froissent pas et of-frent un confort tel que, pour leurprésentation à la presse, les mo-dèles ont été portés par des spor-tifs et des contorsionnistes !

Ressort hors du communLe plus étonnant étant que leur composition n’affiche pas un seul pour-cent d’élasthanne. Ils sont 100 % laine : une laine tellement twistée qu’elle donne aux vestes etpantalons un ressort hors du com-mun. « Le but n’est pas d’imiter l’homme mais d’élargir la proposi-tion contemporaine de la mode femme », précise Etienne Deroeux, nommé au prix Andam 2015, qui travaille avec un atelier italien spé-cialisé dans les costumes pour homme, où il crée des tailleurs auxréférences à la fois masculines, tra-ditionnelles et sportives – comme des jambes à fentes tenues par des boutons-pression, de grandes fer-metures Eclair, de larges poches in-térieures.

Si le costume gagne les rues, ilconquiert aussi l’un des derniers bastions de la féminité ultraclassi-que, celui des « grandes occa-sions » : alors que le Festival de Cannes tente d’interdire les chaus-sures plates pour les femmes, nombreuses sont les actrices qui, àla place d’une robe extravagante, optent pour un tailleur classique – souvent créé par la maison Pallas, ancien façonnier pour le luxe, aujourd’hui spécialiste du smo-king et costume revisités, et qui compte parmi ses clientes le man-nequin Aymeline Valade et Laura Smet. « Sur les tapis rouges, une cer-taine mode archiféminine est deve-

l’automne 2015 est la saison des grands bouleversements dans l’industrie du luxe : après la séparation de Christian Dior et RafSimons, c’est au tour de la maison Lanvin deconfirmer la fin de sa collaboration avec Al-ber Elbaz. Après une annonce faite, en in-terne uniquement, dans l’après-midi du 28 octobre, une lettre signée d’Alber Elbaz (etexpédiée depuis une adresse mail hors Lan-vin) a officialisé la rupture dans la soirée.« Au moment où je quitte la maison Lanvin sur décision de l’actionnaire majoritaire, je veux exprimer mes remerciements et mes chaleureuses pensées à tous ceux qui ont tra-vaillé avec acharnement au réveil de Lanvin au cours des quatorze dernières années (…) », écrit le designer qui signe d’un cœur.

Cette union a en effet été longue et parti-culièrement fructueuse. Avec son nœud papillon, ses rondeurs et son sens de l’hu-mour – lisible aussi dans les vitrines sur-réalistes inventées pour Lanvin –, ce sty-liste, né au Maroc et élevé en Israël, a su se faire une place à part dans le cœur de sesclients comme d’ailleurs dans celui des

gens de la mode qui ne se montrent pastoujours très tendres.

Avant d’arriver chez Lanvin en 2001, sonCV était déjà bien chargé : la maison améri-caine Geoffrey Beene à New York (un spécia-liste du drapé glamour), Krizia en Italie, GuyLaroche puis Yves Saint Laurent avaient ac-cueilli le créateur. Chez Lanvin, il a véritable-ment imposé un style, une allure. Ses robes de cocktail en satin drapé, ses vestes en gros-grain, ses blouses à manches bouffantes, sestops asymétriques, ses grosses fermetures à glissière industrielles, ses bijoux (en colla-boration avec Elie Top) portés en cascade fa-çon Castafiore rock et délicieusement tur-bulente ont fini par incarner une esthétiqueunique.

Fan-club au-delà du luxe

Fantaisiste, ultraféminin, glamour, conqué-rant, le style Elbaz est une sorte de version généreuse, joyeuse et quotidienne de l’es-prit « couture parisienne ». Sa recette a viterencontré le succès : la maison de couture fondée en 1889 (la plus ancienne du mar-

ché) et rachetée en plein déficit en 2001 par la Taïwanaise Shaw-Lan Wang est redevenuebénéficiaire en 2007. En 2010, le succès de sacollection en collaboration avec H&M a aussi prouvé qu’il avait un fan-club qui dé-passait largement les frontières du luxe.

Cette histoire d’amour s’achèveaujourd’hui alors que courait la rumeur d’un froid entre le designer et la propriétairetaïwanaise. Lanvin a communiqué mer-credi soir pour remercier le designer et con-firmer « la mise en œuvre de son plan straté-gique d’entreprise afin de continuer à faire dela plus ancienne des maisons de couture pari-siennes l’ambassadrice de l’excellence du luxefrançais, dans l’esprit d’indépendance de sa créatrice, Jeanne Lanvin ». La maison va de-voir trouver un directeur artistique capable de lui donner un nouvel élan, hors de l’om-bre et de l’héritage laissés par « Monsieur El-baz » que certains voient déjà chez ChristianDior. Un bruit qui s’ajoute au mystère inson-dable qui règne autour de la succession de Raf Simons. p

carine bizet

Lanvin se sépare d’Alber Elbaz

nue uniforme pour ne pas dire con-formiste et, surtout, déconnectée des envies actuelles », observe le fondateur Daniel Pallas.

Cela vaut aussi pour les tenues demariage. « Toutes les filles ne rêventpas de grandes robes de princesse »,ajoute-t-il, faisant référence aux commandes – de plus en plus fré-quentes – de smokings en guise derobe blanche. « En ne s’affichant pas de façon clinquante et agui-cheuse, on se fait davantage remar-quer pour son élégance et son assu-rance », analyse Allegria Torassa, la directrice de création de la mar-que. « Il y a une vraie évolution des mœurs dans la rue comme dans lessphères mondaines conservatri-ces », confirme Racil Chalhoub, fondatrice de la marque de smo-kings et costumes féminins Racil. Chez elle à Londres ou dans son Beyrouth natal, où un chic ultra-classique est de rigueur, elle peut à présent sortir « de jour comme de nuit en smoking et baskets, ce qui aurait été impensable il y a quel-ques années ». p

alice pfeiffer

« Il y a une vraie

évolution

des mœurs dans

la rue comme

dans les sphères

mondaines

conservatrices »

RACIL CHALHOUB

fondatrice de Racil

le costume,

ce nouveau jogging

Le tailleur-pantalon fait son grand retour dans le vestiaire des femmes. Avec l’aisance d’un survêtement

Ci-contre : la chanteuse Christine and the Queens. DR

Ci-dessous : ligne Fundamentals de Hugo Boss. DR

Paul Smith. PAUL SMITH

20 | 0123 SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

Il ne se passe pas une semaineà Hollywood sans qu’une ac-trice de renom grogne. Sur lethème « l’usine à rêves est

sexiste ». Elle nous paie moins que les hommes, nous jette à 40 ans, nous cantonne dans des rôles de cruches sexy. On a entendu Cate Blanchett, Gwyneth Paltrow, Me-ryl Streep, Robin Wright, Kristen Stewart, Jessica Chastain, Patricia Arquette, Sandra Bullock, Jennifer Lawrence et beaucoup d’autres en-core. La dernière : Geena Davis. Pasn’importe qui. Elle formait avec Susan Sarandon le tandem d’enfer du road-movie Thelma et Louise (1991), de Ridley Scott, film culte du féminisme. Le 26 octobre, sur lesite américain The Daily Beast, elleécrit : « Vous croyez que les choseschangent à Hollywood ? Je suis bienplacée pour vous dire que non. » Bien placée, pour avoir lancé en 2006 un centre de recherche sur la place des femmes à Hol-lywood. Son truc, ce sont les chif-fres. Et ils sont effarants.

En gros, les rôles masculins sontdominants – trois contre un rôle féminin –, et cela n’a pas bougé de-puis 1946. Sans compter que le personnage féminin n’est souvent qu’« un bonbon pour les yeux », écrit Geena Davis. Autre donnée troublante : quand une foule est convoquée à l’écran, et même pour un dessin animé, on n’y compte que 17 % de femmes. Il pa-raît que les décideurs d’Hollywoodsont tombés des nues quand Geena Davis leur a montré ses chiffres. Ces derniers ont plutôt l’oreille sourde et l’œil aveugle. Les Etats-Unis sont en effet un pays oùla question du genre est centrale etla sociologie d’Hollywood éplu-chée – bien plus qu’en France.

Aussi l’Union américaine pourles libertés civiles (American Civil Liberties Union, ACLU) a appelé, en mai, le gouvernement à com-battre le sexisme d’Hollywood. Avec ses propres chiffres, dont ce-lui-ci : sur les cent films les plus vus en 2014, deux seulement ont été réalisés par des femmes. « Hol-lywood estime qu’une femme ne peut pas diriger un film d’action », aconfié un cadre de l’ACLU au maga-zine Time, le 12 mai.

Changement d’attitude Le point le plus médiatisé reste l’argent. Attisé par deux événe-ments. Le piratage informatique du studio Sony Pictures, en no-vembre 2014, a permis d’appren-dre que Jennifer Lawrence, hé-roïne de Hunger Games, oscarisée pour Happiness Therapy (2013), a été moins bien payée que ses collè-gues masculins Jeremy Renner ou Bradley Cooper pour American Bluff (2014). A temps d’écran égal. Le deuxième événement est une loi californienne votée le 6 octobrevisant à renforcer l’égalité salarialeentre les hommes et les femmes. Beaucoup d’actrices se sont bat-tues pour une loi qui sera effective au 1er janvier 2016.

Le changement d’attitude de Jen-nifer Lawrence est significatif. Quand elle a découvert, il y a un an, qu’elle gagnait moins que ces « gens qui ont le bonheur d’avoir unpénis », elle a surtout pensé qu’elle était « piètre négociatrice ». Mais en octobre, elle s’est montrée plus offensive dans une lettre ouverte – qui a fait du bruit – publiée dans le magazine en ligne Lenny, de sa

consœur Lena Dunham. Il est vrai qu’elle venait d’apprendre, par For-bes, que si elle a été l’actrice la mieux payée au monde en 2014 avec 52 millions de dollars (47,5 millions d’euros), son homo-logue masculin, Robert Downey Jr.avait, lui, engrangé 80 millions.

Jennifer Lawrence n’a pas la ré-putation d’être timorée. Mais d’autres actrices lui ont ouvert la voie depuis le début de l’année. Et d’abord Patricia Arquette, en fé-vrier, qui, lors de la cérémonie des Oscars, où elle a été primée pour son rôle de mère qui lutte seule pour élever ses enfants dans Boyhood, a estimé que c’était « le moment pour les femmes de récla-mer le même niveau de rémunéra-tion ». Ou la cinéaste Kathryn Bige-low, qui déclarait dans Time, le 12 mai : « La discrimination sexuellestigmatise toute notre industrie. » Fin juillet, c’est Robin Wright, de la série House of Cards, qui, dans un entretien au London Evening Stan-dard, appelait à l’apparition d’une « Che Guevara féminine ».

Les langues des stars intoucha-bles se délient. Pour les autres, c’estplus dangereux. Rose McGowan a rapporté sur son compte Twitter que, pour un casting, on lui avait demandé de se présenter en « dé-bardeur moulant noir (ou sombre) qui montre le décolleté (soutien-gorge push-up conseillé). Leggings ou jean moulant ». Quelques jours après avoir rendu publique cette note, elle a été virée par son agent. Aucune star n’a bronché. Dans Gala du 18 septembre, Diane Kru-ger racontait, elle, que « l’acteur est toujours casté en premier. Et il a le droit d’approuver, ou non, sa parte-naire. C’est dégueulasse ».

Ouvrons un autre front. Il estsouvent demandé aux actrices, à l’écran, de s’éprendre d’un acteur qui pourrait être leur père. Sans que ce soit un élément décisif du scénario. Le site Vulture a publié le 1er juin des graphiques qui mon-trent comment Jennifer Lawrence,Scarlett Johansson ou Emma Stone tombent souvent sous le charme d’hommes mûrs. Pas nou-veau. En 1942, dans Casablanca, In-grid Bergman (27 ans) convolait avec Humphrey Bogart (43 ans). Mais la conséquence a été cernée par Maggie Gyllenhaal, qui a ré-vélé en mai ce que lui a dit un pro-ducteur : à 37 ans, elle est trop vieille pour incarner la maîtresse d’un homme de 55 ans.

Il n’en a pas toujours été ainsi.Les Américaines Clara et Julia Ku-perberg travaillent à un documen-taire pour montrer que ce sont desfemmes qui ont créé Hollywood dans les années 1910 – avec gros postes et gros salaires. « Dans les années 1930, en pleine récession, leshommes se sont rendu compte qu’ily avait de l’argent à faire à Hol-lywood, et ont pris les places des femmes », racontent-elles dans un article publié le 22 juillet sur le site Cheek Magazine, sous un titre qui ressemble à celui d’un film de su-per-héros : « Le sexisme à Hol-lywood peut-il être exterminé ? » Pas gagné. p

[email protected]

C e fut l’un des symboles éclatantsdes « trente glorieuses » chinoises :la politique de l’enfant unique et sa

cohorte de « petits empereurs », cette pro-géniture aux joues roses et rebondies, gâ-tée par deux parents et quatre grands-pa-rents.

La Chine voulait s’extraire de la pauvretéde l’ère maoïste. Pour cela, elle était déter-minée à freiner une démographie galo-pante dans un pays qui frôlait déjà le mil-liard d’habitants. Elle fut le seul Etat aumonde à vouloir contrôler à ce point la na-talité. Le seul aussi à disposer d’une case spéciale dans ses statistiques pour recenserles enfants uniques : ils sont aujourd’hui quelque 160 millions (12 % de la populationtotale), deux sur trois dans les villes chez

les moins de 15 ans, un sur trois dans les campagnes.

Ce contrôle des naissances impératif, dontle principe fut inscrit dans la Constitution, avait été institué en 1979, soit un an après le lancement des réformes économiques par le « Petit Timonier », Deng Xiaoping. L’an-cien commandant révolutionnaire de Mao, limogé pendant la Révolution culturelle, était de retour et posait les fondations d’unerenaissance de l’empire du Milieu. Grâce àces réformes, le pays a connu une croissanceimpressionnante : il est devenu la deuxièmepuissance économique mondiale.

Mais ce contrôle des naissances n’a passeulement fait l’objet d’une contestation croissante, en particulier dans les campa-gnes, où les traditions restent bien ancrées. Il a aussi conduit à des dérives, des abus et des drames humains comme ces millionsde stérilisations ou d’avortements forcés, oul’élimination systématique des filles dans un pays où l’enfant mâle est valorisé pour son rôle dans la perpétuation de la lignée.

Jeudi 29 octobre, le cinquième plénum ducomité central du Parti communiste a enté-riné la fin de cette politique en autorisant tous les couples à avoir deux enfants. L’ob-jectif premier est de tenter de lutter contre les effets néfastes du malthusianisme en vi-gueur depuis trois décennies : le vieillisse-ment rapide de la population et le tarisse-ment de la population active.

Mais cette décision a également une por-tée hautement symbolique : la Chine est en train de solder l’héritage de Deng. Sur le planéconomique, en tentant de trouver un nou-veau modèle, qui ne repose plus sur l’exploi-tation d’une main-d’œuvre à bas coût et sur les seules exportations mais qui puisse compter sur la consommation intérieure et l’innovation. Mais aussi sur le plan démo-graphique, en redevenant un pays comme les autres.

Néanmoins ce changement historique neproduira ses effets que si l’Etat-parti réinves-tit des secteurs que les communistes avaientabandonnés dans les années 1980 et 1990, l’éducation et la santé. Car élever un enfant en Chine coûte cher, ce qui constitue un frein à la natalité autrement plus efficaceque les agents du planning familial. Les autorités devront aussi mettre en place un système de sécurité sociale et de retraite so-lide pour assurer un certain bien-être aux personnes âgées, d’autant plus que les plus jeunes, plus individualistes, ne voudront plus, très probablement, s’occuper de leursparents.

Ce sont des défis immenses auxquels vadevoir s’atteler le numéro un, Xi Jinping, dé-sireux d’imprimer sa marque sur ce nou-veau cycle. Mais c’est une condition indis-pensable pour que le « rêve chinois » qu’il necesse de mettre en avant puisse, un jour, se réaliser. p

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CULTURE | CHRONIQUEpar michel guerrin

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Cet artiste britannique a fait de la fausse naïveté sa spéCialité.Chaque semaine, il ouvre à “m” ses Carnets de dessinsoù l’absurde est presque toujours au rendez-vous.

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David Shrigley.

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31 octobre 2015—MLemagazine duMonde

“Normaux”... Ils soNtNormauxcar Ils pourraIeNt êtrevousetmoI. Ils sont,d’ailleurs,déjàvous etmoi: un voisin, un collègue,un ami parfois.Les électeurs duFront national, et partant,les élus du parti, sont donc des gens « normaux ». Les études le montrent, les politologues leconfirment, les journalistes le racontent. Et les démocrates bon teint que nous sommes pleu-rent toutes les larmes de leur corps, effrayés de voir les idées et les militants du FN gagner duterrain.Se rapprocher d’eux,de nous. Impuissants et paralysés. Incapables de trouver la parade.Longtemps, nous n’avons pas voulu ou pas su les voir. Nous avions une bonne excuse : ilsparaissaient si loin, si différents. Cela nous arrangeait d’imaginer que les élus et les électeursdu Front national ressemblaient tous à un homme avec un bandeau sur l’œil flanqué defemmes au brushing géant. Puis est arrivée la dédiabolisation, la présidente blonde et forte engueule, l’énarque théorisant, la jeune nièce à la silhouette élancée et aux idées courtes, lecortège d’élus locaux bien sous tous rapports…Normaux donc.Alors que débute la campagnedes élections régionales de décembre, la journaliste du MondeMarion van Renterghem estallée en région PACA où le FN est implanté depuis longtemps. PourM Le magazine duMonde, elle s’est intéressée au rapport que le parti entretient sur place avec la culture.Trèsprévisible quand il prône le retour aux racines provençales ou caricature l’art contemporain.On n’est pas loin alors des critiques sur l’art dégénéré entendues à d’autres périodes. Plusambigu et surprenant quand il ne s’oppose pas aux subventions à l’expositionPatriceChéreau,quimarquait cet été la réouverture de la Collection Lambert, àAvignon.Les images s’enchaî-nent.Terriblement normales, lorsque la journaliste surprend la nièce aussi altière que réaction-naire se défouler en boîte sur les tubes du moment. Presque hystériques quand un maired’arrondissement deMarseille se livre à unedanse-transe sur duhard-rock, samusique fétiche.Certains sondages voient la nièce et ses colistiers fans d’AC/DC remporter la région PACA…Peut-on vraiment trouver ça « normal »? Marie-Pierre LanneLongue

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Le portfolio62

Compagnons de danse.La photographe espagnoleBegoAntón a saisi, à traversles Etats-Unis, de drôles

de chorégraphies entre desmaîtres et leurs chiens.

Les chroniques30

Marc Beaugé rhabille…Natacha Polony.

35

Revu et… corrigéMystérieux sabotage.

Il fallait oserCoursier 2.0.

36

Sur invitationC’est pas du cinoche.

Lemagazine37

La culture vue du Front.Dans la stratégie derespectabilité du FN,la culture ne fait pas

exception : le discours lissédes jeunes élus cacheà peine des prioritésinchangées – culturepopulaire, patrimoine,identité. Reportageen PACA, une régionqui pourrait basculer

en décembre.44

Les bonnes fées des héritiers.Banquiers, psychologues,conseillers financiers…Ils préparent les enfants

de millionnaires à gérer leurfutur héritage.Unmarchépromis à un bel avenir.

50

L’exil sans fin des Arméniens.Certains Arméniens

de Syrie, chrétiens, fuyantl’organisation « Etatislamique », décident

de revenir sur la terre queleurs ancêtres ont fuie il y aun siècle.Mais reconstruireleur vie enArménie s’avèreplus difficile qu’espéré.

56

Auteurs à temps partiel.95 % des écrivains français

ne vivent pas de leurplume. Par obligationou par goût, ils mènentune autre carrière.

Rencontres.

La semaineA la «une»

20

Le docu qui dérangela scientologie.

22

NewYork votepour le fonds populaire.

24

A San Remo, fin de récrépour les tire-au-flanc.

26

Le roman-photoLa politiquedans le sang.

28

Qui est vraimentSébastienArsac.

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Tirage à partPlanning familial.

L’illustration de couverturea été réalisée par

Jean-Baptiste Talbourdet-Napoleone/

MLe magazine du Monde.

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Coordonnées de la série Un peu de tenues« Le manteau », p. 82.American Vintage Store : www.americanvintage-store.com – BrunelloCucinelli : www.brunellocucinelli.com –Forte_Forte : www.forte-forte.com – HilfigerCollection : fr.tommy.com – Lacoste : www.lacoste.com – Lancel : www.lancel.com – MarcO’Polo : www.marc-o-polo.com – MargaretHowell : www.margarethowell.co.uk – MaxMara : www.maxmara.com – Minelli : www.minelli.fr – Pablo : www.pablo.fr – Paul Smith :www.paulsmith.fr – Ports 1961 : www.ports1961.com – Ralph Lauren Collection :www.ralphlauren.fr – Sandro : www.sandro-paris.com – Sessùn : www.sessun.com –The Row : www.therow.com

La culture96

MusiqueA l’école de l’electro.

Et aussi : photo, art, danse,cinéma, BD, théâtre, polar.

1 12Le DVD

de Samuel BlumenfeldDe Funès

à Dada sur son époque.1 15

Dossier tourismeTous les soleils.

136Les jeux

138Le totem

La canne deTomi Ungerer.

Le style71

Stars de la mode.Les sœurs Olsen et Victoria

Beckham sont les rarescélébrités à avoir réussi

à s’imposer dans la mode.74

FéticheŒuvre d’or.

75Le goût des autres

Intelligence artificielle.76

L’invité mystèreAuteur de thriller.

77Variations

Pied d’égalité.78

A quoi ça sertLe Lip Primer.

79Ligne de mire

Emotion primaire.80

Ma vie en imagesKarim Rashid.

81Objet trouvéLe seau.

82Un peu de tenuesLemanteau.

88Une affaire de goûtBoudin à tartiner.

89Garden-party

Retour en grâce.90

Une ville, deux possibilitésBudapest la festive.

92Dessous de table

Renversant Jeu de Quilles.94

Deuxième rideauDe la gouaille et du goût

rédactrice en chefMarie-Pierre Lannelonguedirection de la créationEric Pillaultdirecteur artistique et de l’imageJean-Baptiste Talbourdet-Napoleonerédaction en chef adjointeEric Collier, Béline Dolat,Pierre Jaxel-Truer, Camille SeeuwsassistanteChristine DoreaurédactionCarine Bizet, Samuel Blumenfeld,Louise Couvelaire, Emilie Grangeray, LaurentTelo, Vanessa Schneider, avec François KrugstyleVicky Chahine (chef de section),Fiona Khalifa (styliste), avec lacollaboration de Lili Barbery-Coulondirectrice de la modeAleksandra Woroniecka,assistée d’Aline de BeauclairechroniqueursMarc Beaugé, Guillemette Faure, Lucien Jedwab,Jean-Michel Normand, François SimongraphismeAudrey Ravelli (chef de studio),MarielleVandamme (adjointe). Avec Aurélie Bert etCamille Roy.photoLucy Conticello (directrice), Cathy Remy(adjointe), Laurence Lagrange, FedericaRossi. Avec Hélène Bénard.assistanteFrançoise DutechéditionAgnès Gautheron (chef d’édition), AnneHazard (adjointe technique), avec CorinneCallebaut (adjointe editing) et GabrielRichalot (adjoint numérique).BéatriceBoisserie, Valérie Gannon-Leclair, CatarinaMercuri, Olivier Aubrée, Stéphanie Grin, AgnèsRastouil, avec Alexandra Bogaert, ElodieRatsimbazafy et Thomas Richet. Et ThouriaAdouani, Valérie Lépine-Henarejos, MaudObels et Ide Parenty (édition numérique).correctionNinon Rosell. Avec Agnès Asselinne etAdélaïde Ducreux-Picon.rédaction numériqueMarine Benoit, Marlène Duretz,Julien Guintard (coordinateurs),François Bostnavaron, Sylvie Chayette, ThomasDoustaly, Pascale Kremer, Véronique Lorelle,Jean-Michel Normand, Catherine RollotassistanteMarie-France WillaumeipadAgence Square (conception),Charlotte Terrasse(coordination) et Cécile Coutureau-Merino,avec Christelle CaussephotogravureFadi Fayed, Philippe Laure et GillesKebiri-Damour.documentationSébastien Carganico (chef de service),Muriel Godeau et Vincent Nouvet

infographieLe Mondedirecteur de la diffusionet de la productionHervé Bonnaudchef de la fabricationJean-Marc MoreaufabricationAlex Monnetdirecteur développement produitsle monde interactifEdouard Andrieudirecteur informatique groupeJosé Boluferresponsable informatique éditorialeEmmanuel Griveauinformatique éditorialeSamy Chérifi, Christian Clerc, Igor Flamain,Pascal Riguel

— diffusion et promotion —responsable des ventes franceChristophe Chantreldirectrice des abonnementsPascale Latourdirectrice des ventes à l’internationalMarie-Dominique [email protected] France, 32-89 (0,30 €/min + prix appel) ;de l’étranger (33) 1-76-26-32-89promotion et communicationBrigitte Billiard, Marianne Bredard,Marlène Godet et Elisabeth Tretiackdirecteur des produits dérivésHervé Lavergneresponsable de la logistiquePhilippe BasmaisonModification de service, réassorts pour marchandsde journaux : Paris 0805-050-147, dépositairesbanlieue-province : 0805-050-146

— m publicité —présidenteCorinne Mrejendirectrices déléguéesMichaëlle Goffaux,Tél. 01-57-28-38-98(michaëlle.goffaux @mpublicite.fr)et Valérie Lafont,Tél.01-57-28-39-21([email protected])directeur délégué - activités digitalesArnaud de Saint Pastou, Tél.01-57-28-37-53([email protected])

M Le magazine du Monde est édité parla Société éditrice du Monde (SA). Imprimé enFrance :Maury imprimeur SA, 45330 Malesherbes.Dépôt légal à parution. ISSN 0395-2037 Commissionparitaire 0712C81975. Distribution Presstalis.Routage France routage. Dans ce numéro, un encart« Relance abonnement » destiné à la venteau numéro France métropolitaine. Un encart

« Catalogue Noël » destiné aux abonnésFrance métropolitaine.

80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 —Tél. : 01-57-28-20-00/25-61Courriel de la rédaction : [email protected] —Courriel des lecteurs : [email protected] —Courriel des abonnements : [email protected]

président du directoire, directeur de la publication — Louis Dreyfusdirecteur du monde, directeur délégué de la publication,membre du directoire — Jérôme Fenogliodirecteur de la rédaction — Luc Bronnerdirectrice déléguée à l’organisation des rédactions — Françoise Tovodirecteur de l’innovation éditoriale — Nabil Wakimdirecteurs adjoints de la rédaction — Benoît Hopquin, Virginie Malingre, Cécile Prieursecrétaire générale du groupe — Catherine Jolysecrétaire générale de la rédaction — Christine Laget

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Ils ont participé à ce numéro.Journaliste— Photographe— IllustrateurStyliste—Chroniqueur—Grand reporter

MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Louise CouveLaire, journaliste àM, signe dans ce numéro une enquêtesur un business en plein boom : la for-mation des héritiers. Partout dans lemonde, banques, gestionnaires de for-tunes, associations, organisations carita-tives ou encore psychologues semettenten quatre pour préparer cette aristocra-tie financière… à hériter. « Dans l’es-poir qu’ils ne dilapident pas leur patri-moine, les héritiers de demain ont droitaux meilleurs soins. Car le monde seprépare au plus grand transfert de for-tunes de l’histoire… » (p. 44)

aLex Crétey systermans, photo-graphe, a réalisé pour ce numéro les por-traits de cesécrivainsdont l’écrituren’estpas le « vrai »métier.«Pour faire un bonportrait, une relation entre le sujet et lephotographe doit se créer, aussi brève soit-elle. Je garde un très bon souvenir de cha-cun d’eux, particulièrement de Jean Gré-gor, qui m’a fait visiter son univers àl’aéroport privé du Bourget. »Voyageuret portraitiste, entre autres pour leNewYork Times, Alex Crétey Systermanscontribue régulièrement à de nombreuxtitres français et internationaux. (p. 56)

marion van renterGHem, grandreporter auMonde,mènedenombreusesenquêtes enFrance et à l’étranger.Danscelle qu’elle signe cette semainepourM,elle s’est plongée dans la culture du FN,s’interrogeant sur « la contradiction »entre le profil et l’engagement de sesmembres, « des gens passe-partout auservice d’unprogramme extrémiste ».Ellevient par ailleurs de publier FOG, DonJuan du pouvoir (Flammarion), un por-trait de Franz-Olivier Giesbert, qui estaussi le roman du pouvoir et de la viepolitique depuis les années 1980. (p. 37)

aLexandre Lévy, journaliste, arencontré pour M des Arméniens qui,pour échapper auxpersécutions enSyrie,ont rejoint la patrie dont leurs ancêtress’étaient enfuis il y a un siècle. Ancienchef de service àCourrier International,Alexandre Lévy s’est expatrié en 2010en Bulgarie, d’où il a couvert l’actualitédes Balkans et de la mer Noire pour desmédias français et suisses. Depuis, il vitentre Paris et Sofia et a gardé le goût despériphéries, ces « banlieues du monde »où il ne sepasse rien.Oupresque…D’oùson voyage à Erevan. (p. 50)

vanessa sCHneider, grand reporteràM et auteure d’essais et de romans, s’estintéressée à la « vraie » profession des écri-vains.«En cette période de prix littéraires,les projecteurs sont braqués sur quelques-uns. Mais on oublie bien souvent qu’écriremême en étant publié et célèbre ne suffit pasà faire vivre les romanciers. Dans leurimmense majorité, ceux-ci exercent unmétier, soit manuel soit intellectuel,et ils ont donc deux identités socialestrès différentes. » (p. 56)

pierre La poLiCe, dessinateur,s’inspiredesprocédésnarratifsde labandedessinée, du langage des médias et de laculturepopulaire.Il illustre cette semainele sujet consacré à ceux qui préparent lesenfants de millionnaires à hériter. PierreLaPolicecultive l’anonymat.Nullephotode lui n’est publiée – il se donne les traitsduchanteurde tangoEdmundoRivero–,nulle biographie ne dévoile son parcours.Auteur de dessins de presse, d’albums etde livres d’artistes (aux éditions Corné-lius et Item), il expose et réalise aussi desvidéos pour la télévision (Canal+). (p. 44)

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Pour nous écrire ou envoyer vos photographies de M (sans oublierde télécharger l’autorisation de publication sur www.lemonde.fr/m-le-mag):M Le magazine du Monde, courrier des lecteurs, 80, bd Auguste-Blanqui,75707 Paris Cedex 13, ou par mail : [email protected]

LeMde la semaine.« Une borne vient ponctuer ce M

souligné d’un trottoir peint en jaune. »Claude Panais

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31 octobre 2015— M Le magazine du Monde

à l a u n ei—Le docu qui dérange la scientologie. p. 20

i i—New York vote pour le fonds populaire. p. 22i i i—A San Remo, fin de récré pour les tire-au-flanc. p. 24

Alex Gibney estune figure dudocumentaireaux Etats-Unis.Habitué des

sujets sensibles,il s’attendait aux

menaces etaux coups depression que

l’Eglise de scien-tologie fait pesersur lui depuis lasortie de son film

Going Clear.

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Going Clear estun résumé

pédagogique dufonctionnementde l’institution.

- I -

Le docu quidérange lascientologie.

trois fois couronné aux emmy awards,“going clear” sera diffusé sur canal+le 11 novembre. cette enquête fouillée

sur l’église de scientologie a valuà son réalisateur pressions et menaces.

Alex Gibney a été suivi, surveillé, harcelé dansla rue, insulté, menacé de représailles juridiques etcalomnié sur la Toile. Un site Web a même été créé parl’Eglise de scientologie uniquement pour le décrédibili-ser. L’objet de ce courroux? Son documentaire GoingClear, inspiré du best-seller du journaliste LawrenceWright (prix Pulitzer en 2007), Devenir clair, laScientologie, Hollywood et la prison de la foi, publié en2013 (en octobre 2015 en France, aux éditions Piranha),qui a fait l’effet d’une bombe aux Etats-Unis. Présentéau Festival du film Sundance en janvier dernier (etaccueilli par une standing ovation), puis diffusé surHBO en mars, il a été visionné par plus de 8 millionsde personnes jusqu’à présent. Soit l’un des plus groscartons de la chaîne câblée, la seule à avoir acceptéde le produire. « J’ai été surpris de voir que les autresrefusaient de s’embarquer dans un projet qui risquaitde les amener devant les tribunaux », explique AlexGibney. La crainte de contentieux a aussi poussé cer-tains pays, comme la Grande-Bretagne, à reculer deplusieurs mois la date de diffusion. Car la scientologieest rompue aux intimidations judiciaires : c’est aprèsplusieurs dizaines de procès au fisc américain, qu’ellel’a acculé à lui accorder le statut de religion, en 1993, luipermettant dès lors d’être exemptée d’impôts.En France, Canal+ diffuse, le 11 novembre, le documen-taire incendiaire, qui a raflé trois Emmy Awards en sep-tembre dernier. Résumé pédagogique de l’histoire del’Eglise, née il y a soixante ans, et de son fondateur,L.Ron Hubbard (mort en 1986), Going Clear décor-tique la façon dont les célébrités (parmi lesquelles lesstars John Travolta et Tom Cruise, qui, selon le docu-mentaire, aurait réclamé de mettre son ex-femme,Nicole Kidman, sur écoute) sont « utilisées » et met aujour le fonctionnement interne de l’institution : lesméthodes, les étapes, les enjeux, les différentesbranches, le dogme ultime que seuls les plus « avan-cés » sont censés connaître (l’histoire d’un dictateurintergalactique nommé Xenu, qui aurait transporté desmilliards d’extraterrestres sur Terre avant de les jeterdans des volcans et de les faire exploser), mais aussiles brimades, les abus de pouvoir, les pressions, lesescroqueries… Sans oublier le premier rôle du redou-table David Miscavige, actuel président, successeur du

fondateur, qui organise des réunions annuelles gran-dioses dignes d’une république bananière. Le tout,grâce à des témoignages d’anciens, « des repentis » del’Eglise, qui en racontent les coulisses.récompensé par un oscar en 2008 pour son film Un taxipour l’enfer, Alex Gibney, 62 ans, est une figure du filmdocumentaire outre-Atlantique et un habitué dessujets sensibles : Lance Armstrong, le scandale Enron,l’organisation WikiLeaks, Steve Jobs, la torture exercéepar les services américains, la pédophilie au sein del’Eglise catholique… Il s’attendait à subir les foudres del’Eglise de scientologie, mais il a été surpris par cer-tains angles d’attaque, très personnels et très saugre-nus. « Ils ont par exemple écrit sur un site que monpère, un enseignant, travaillait en réalité pour la CIA!Mais quel est le rapport !? », s’amuse-t-il. Dix joursavant la première du film, l’Eglise de scientologie aacheté des pleines pages dans les quotidiens The NewYork Times et Los Angeles Times, comparant GoingClear au récit discrédité du prétendu viol collectif surun campus universitaire récemment publié dans lemagazine Rolling Stone.« Cela figure dans le dogme de l’Eglise ! souligne le réa-lisateur. Sous le chapitre intitulé “Fair Game”, il est indi-qué que les membres sont autorisés à user de tous lesmoyens pour contre-attaquer. Il faudrait être fou pourne pas s’en méfier. » Si les pressions exercées sur lestémoins du documentaire n’ont rien de drôle (filatures,menaces physiques, pression morale, manifestationssur le pas de leur porte…), la stratégie de défense del’Eglise de scientologie, notamment sur Internet, a faitsourire les médias américains qui la qualifient tourà tour d’« hilarante », de « ridicule », « grotesque »,« dépassée » : un compte Twitter suivi par à peine plusde 700 personnes, des sites Web accusant les unsde battre leur femme, les autres d’être des ivrognes ouencore des feignants… Certains y voient surtout lastratégie du désespoir d’une institution en pleine crisede recrutement. Si la scientologie revendique12 millions d’adeptes dans le monde (dont 45000en France), selon Alex Gibney, elle ne compterait pasplus de 50000 membres actifs. Louise Couvelaire

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New Yorkvote pourle fondspopulaire.

le maire avait fait du logement sociall’une de ses priorités. il vient de signerun accord autorisant un fonds d’inves-tissement à acquérir 11 200 logements

à manhattan contre la promessede maintenir des loyers plafonnés.

New York, ville de tous les excès en termesde spéculation, vient de connaître une petite révolutionimmobilière. Blackstone, le plus gros fonds d’investisse-ment du secteur – sa branche immobilière gère plus de93 milliards de dollars – et le maire, Bill de Blasio – qui afait du logement social l’un de ses chevaux de bataille –ont signé un accord le 20 octobre. L’enjeu : une gigan-tesque parcelle dans l’est de Manhattan, StuyvesantTown et Peter Cooper Village, regroupant 11200 appar-tements. Blackstone vient de la racheter pour 5,3 mil-liards de dollars grâce à la promesse de plafonnerune partie des loyers. Un compromis qui va permettrede préserver l’une des dernières enclaves de la classemoyenne sur Manhattan, où le prix médiand’un appartement dépasse le million de dollars.Il s’agit d’un retour aux sources pour Stuyvesant Town,une cité de brique située le long de la Première avenue,entre la 14e et la 23e rue, qui avait été construite par legroupe d’assurance MetLife en 1947. L’idée était depouvoir accueillir les familles des vétérans de laseconde guerre mondiale. En échangede la concession, le groupe s’était engagé à maintenirles loyers à des niveaux abordables. Jusqu’en 2006,quand MetLife décide de vendre le quartier à TishmanSpeyer Properties et BlackRock pour 5,4 milliardsde dollars. Une opération spéculative, financéepar la dette, que les deux associés sont persuadésde pouvoir rembourser rapidement.N’étant pas liés par l’accord signé par MetLife, ilspensent qu’il suffira d’augmenter substantiellementles loyers pour réussir leur opération. En 2006, lecomplexe rapporte environ 112 millions de dollars, unesomme qu’ils veulent porter à plus de 300 millionscinq ans plus tard. Las : leurs plans seront contrariésà la fois par l’effondrement du marché immobilier,suite à la crise des subprimes, et par la résistancedes locataires auxquels on demandait de payer plus de

Jonathan D. Gray,directeur del’immobilierdu fonds

d’investissementBlackstone (centre),

et le mairede New YorkBill de Blasio

(gauche) devantla cité de briqueStuyvesant Town.

4200 dollars (3800 euros) par mois pour deux mal-heureuses chambres.La proportion de loyers plafonnés à Stuyvesant,qui était de 71 % en 2006, est ainsi tombée aujourd’huià 46 %. Une chute qui n’a toutefois pas été suffisanteaux spéculateurs pour rembourser leur dette.En janvier 2010, ils font défaut et l’ensemble immobiliertombe dans les mains des créanciers. C’est l’actuelpropriétaire, CW Capital, qui a vendu à Blackstone,associé à la Caisse de dépôt et placement du Québec.Les acquéreurs se sont engagés à plafonner les loyersde 5000appartements pendant au moins vingt ans :certains deux-pièces seront ainsi loués 1500 dollars,soit trois fois moins que le prix du marché.En échange, la ville a tiré un trait sur 77 millionsde dollars d’hypothèques, tout en accordant un prêtà taux bonifié de 144 millions. Dans le même temps,l’opération rapportera à la mairie 160 millions de dollarsde droits de mutation.Même si Blackstone sera loin des 18 % de retour surinvestissement qui sont actuellement en vigueur dansle secteur à New York, le fonds pense y trouver soncompte en se rattrapant sur la partie des loyers libresd’évoluer au gré du marché. « Il y a une pénuried’appartements à New York. Nous pensons que lesloyers vont augmenter. C’est l’une des raisons pourlaquelle nous investissons autant », explique JonathanGray, le patron de l’activité immobilier chez Blackstone.« Il s’agit d’une opération de long terme, ajouteSylvain Fortier, le responsable de l’immobilier au seinde la Caisse de dépôt et placement du Québec.Nous ne cherchons pas à faire la culbute pourempocher un profit rapide. » Quant à M. Bill de Blasio,l’opération contribue à lui permettre de tenir l’une deses principales promesses électorales. Stéphane Lauer

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

En Italie, la paressede certains

employés est denotoriété publiquedepuis longtemps.Dès 1975, le film

Fantozzi,premier d’une

longue série, narraitles aventures

d’un comptablecherchant à en fairele moins possible(Paolo Villagio

dans Fantozzi allariscossa, 1990).

- I I I -

A San Remo,fin de récrépour les

tire-au-flanc.la mairie de la cité balnéaire italiennea installé des caméras cachées dansses services. objectif : lutter contrela fainéantise de ses employés. dont

beaucoup ont été surpris en flagrantdélit de truquage à la pointeuse.

Alberto Muraglia n’était jusqu’à présentqu’un des 528 employés municipaux sans histoire quecompte la ville de San Remo. Car il en faut du mondepour entretenir les parcs et les jardins de cette citébalnéaire de Ligurie, assurer la sécurité de ses54000 habitants et, tous les ans en février, veiller aubon déroulement du Festival de la chanson italiennequi réunit la fine fleur de la variété dans le décor unpeu kitsch du cinéma Ariston. Mais aujourd’hui, aprèstrente ans de labeur, Alberto se désole : « Une vieentière à travailler, travailler, travailler… Et finalement,on se souviendra de moi comme du vigile en slip. »La dernière image connue de ce policier municipal lemontre en effet en slip et maillot de corps en train depointer à l’entrée de son lieu de travail. Une tenue quin’a rien de l’uniforme officiel des vigili urbani de la ville :si Alberto s’est ainsi laissé surprendre, c’est qu’il avaitl’intention, juste après avoir pointé… de retournerse coucher à son domicile, tout proche. « Une petitelégèreté », assure son épouse.Alberto n’est pas seul dans son malheur. Sur les271 employés municipaux soupçonnés par la brigadefinancière d’être des fannulloni – expression italiennedésignant les fainéants et bons à rien – 150 ont étésurpris par les caméras de vidéosurveillance à glisserleur badge (ainsi que celui d’un ou de deux autrescollègues qui n’avaient même pas fait l’effort de sedéplacer) dans la pointeuse pour s’en retourner aussi-tôt à leurs petites affaires. Une trentaine d’employésont été placés en arrêt domiciliaire. Ce qui les contraintà rester chez eux… à ne rien faire.Les activités parallèles des fannulloni de San Remoétaient diverses et variées. Qui se précipitait à la merpour faire du canoë avec un ami, une pratique quela météo clémente de la côte ligure autorise presquetoute l’année; qui allait faire ses courses ; qui retrouvaitses amis au bar pour discuter et lire la presse locale ;

qui allait donner un coup de main à son épouse,fleuriste de son état. Sans crainte d’être pincé, lerameur postait ses plus belles photos sur Facebook.Quant à l’aide-fleuriste, il s’en prenait, sur le mêmeréseau social, aux « politiciens qui n’en fichent pasune à Rome ».

la juge qui a mené l’enquête évoque dans sonrapport « une pratique diffuse, partagée par unegrande partie du personnel ». Elle stigmatise « lemépris démontré par ces employés vis-à-vis de leurtravail à l’heure où en avoir un est pour beaucoup unequestion de survie et en être privé un motif dedésespérance ». Au palais Bellevue, ancien hôtel deluxe devenu l’hôtel de ville, c’est la consternation.Alberto Biancheri, le maire de centre-gauche, prometd’être « inflexible » avec les coupables. Mais sespriorités sont ailleurs. Avec 150personnes suspenduesde leurs fonctions, les services municipaux risquentla paralysie. « Il manque des employés à l’état civil, auxtravaux publics. Même le gardien de la mairie n’estplus là ! » Les mariages non plus ne peuvent êtreassurés. Il y a quarante ans sortait le premier film de lasérie des «Fantozzi», interprété par Paolo Villaggio.Fantozzi est un médiocre comptable d’une grandeentreprise qui ne sait quoi inventer pour travailler lemoins possible. Ce personnage grotesque etemblématique connut un tel succès que neuf autresfilms suivirent. Hasard de la programmation :les deux premiers opus – les meilleurs selon lesspécialistes du genre – sont ressortis en versionrestaurée fin octobre sur les écrans italiens. « C’est unpersonnage qui ne vieillit pas », assure le distributeur.Il semblerait que ce soit, hélas, vrai. Philippe Ridet

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IT’S WILD OUT THERE.

MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

l e r o m a n - p h o t o

La politiquedans le sang.

fils de l’ancien premier ministre canadienpierre elliott trudeau, justin trudeau vient de prendreà son tour la tête du pays. le pouvoir est-il une affaire

de famille? certaines dynasties le laissent penser.par Laurent teLo

vles trudeau

de père en fils

Pierre Elliott Trudeau aété premier ministre duCanada à deux reprises,de 1968 à 1979, puis de1980 à 1984. En octobre2000, son fils JustinTrudeau prononce sonoraison funèbre et inau-gure, de fait, son entréesur la scène publiquetant ce discours estremarqué et médiatisé.Le 19 octobre 2015,Justin remporte lesélections fédérales etdevient, à son tour,premier ministre duCanada.

ivle règne sans partage

des Kim

Kim Jong-un, le com-mandant suprêmede la Corée du Nord,est le troisième membrede la famille à dirigerle petit Etat commu-niste depuis la partitionde la péninsule asia-tique en 1948. Il a suc-cédé à son père, KimJong-il, au pouvoir de1998 à 2011, qui avaitlui-même pris la suitede son père, Kim Il-sung, aux commandesde 1948 à 1994, aprèsun deuil national detrois ans.

iiila sagades Bush

La famille Bush a donnédeux présidents républi-cains aux Etats-Unis :George H. W. Bush en1988, battu en 1992 parle démocrate Bill Clin-ton. Puis son fils GeorgeW. pour deux mandats(2001-2009). A 62 ans,«Jeb» Bush, le frèrecadet et ancien gouver-neur de Floride, estcandidat à l’investiturerépublicaine pourl’élection présidentiellede 2016.

iila malédiction

des Bhutto

Ali Bhutto, fondateur duParti du peuple pakista-nais en 1967, fut prési-dent de la République(1971-1973), puis premierministre (1973-1977).Renversé par un coupd’Etat militaire, il estpendu le 4 avril 1979.Sa fille Benazir, chef dugouvernement en 1988-1990 puis en 1993-1996,est la première femmeélue démocratiquementà la tête d’un paysmusulman. Redevenuechef de l’opposition, elleest assassinée en 2007.

ila tragédie

nehru-gandhi

Indira Gandhi, premierministre d’Inde de 1966à 1977, puis de 1980à 1984 – jusqu’à sonassassinat – n’avaitaucun lien de parentéavec le MahatmaGandhi. Elle était la filleunique de JawaharlalNehru (photo), le pre-mier premier ministrede l’Inde indépendante(1947-1964). Rajiv, lefils d’Indira, a lui aussioccupé ce poste, justeaprès la mort de sa mèreet jusqu’en 1989, avantd’être assassiné en 1991.

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

q u i e s t v r a i m e n t

SébastienArsac.

Militant pour la protectiondes aniMaux d’élevage,il est le co-fondateur

de l214. cette associationest à l’origine des iMages

chocs Montrant destechniques cruellesà l’abattoir d’alès.

par Marine Benoit

enfant du terroir

L’élevage, l’abattage,l’équarrissage faisaient partiede la vie de Sébastien Arsacbien avant la création de L214(du nom d’un article du coderural qui définit les animauxcomme des êtres sensibles).Son grand-père paternel,boucher à l’origine devintplus tard marchand de bétailen Haute-Loire. « Il m’arrivaitde mélanger la viandepour la préparation dessaucisses ou de nettoyer lesboyaux des cochons. »Ses grands-parents maternelstenaient quant à eux uneexploitation laitière.

Militant tous aziMuts

Étudiant en mathématiques,il s’encarte au syndicat UNEFet s’engage autant auprèsdes sans-papiers quedes féministes. Cet objecteurde conscience rejoint ensuiteune association écologistelyonnaise pendant deux ans.C’est là qu’il découvre lesécrits du philosophe austra-lien Peter Singer, auteurde La Libération animale, quile « bouleversent à jamais ».

hoMMe de terrain

Cet antispéciste (il refusede considérer que l’hommeest supérieur aux animaux)fonde en 2003 Stop Gavage,un mouvement anti-foiegras, aujourd’hui intégréà l’association L214. Là,il peaufine sa méthode :enquête de terrain et imageschocs. En 2008, il tourneen caméra cachée dansun abattoir de Charal pourmettre en évidence la cruautédes méthodes employées.Bruno Le Maire, ministre del’agriculture, se dira« choqué » par les images.

porte-parole réaliste

« Viandard repenti », il estl’un des deux représentantsde l’association de défenseanimale, qui compteaujourd’hui 11 employéset 300000 fans Facebook.Peu présent dans les médias,il est pourtant à l’originedes révélations liées aubroyage des poussins mâles,aux conditions d’élevagedes lapins de batterie etaux méthodes brutales del’abattoir d’Alès (Gard). « Sila vidéo a eu un impact fortsur le grand public, on saitqu’on ne va pas déclencherune révolution », admet-il.

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IllustrationMatthewGreen pourMLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

m a r c b e a u g é r h a b i l l e…

Natacha Polony.

queuse de « On n’est pas couché » portaiten effet un haut en cuir noir à col rond,recouvert d’un long trench-coat, en cuirnoir lui aussi. Soit l’opposé d’une tenuede néo-réac.Alors quoi? Quelle reconversionprofessionnelle peut bien motiver cetteorientation cuir? Natacha Polony a-t-ellesoudainement décidé d’épouser lacarrière de maîtresse SM ou a-t-elledécroché en douce un rôle d’enverguredans un futur Matrix 4? Au regard duprofil de son mari, le critique gastrono-mique Périco Légasse, homme d’insou-mission s’il en est, la première hypothèsene tient guère. La deuxième est beaucoupplus crédible, tant Carrie-Anne Mosssemble aujourd’hui lassée du rôlede Trinity et prête à passer la main…Mais l’essentiel n’est pas là. Quelle que soitla future orientation donnée à sa carrière,Natacha Polony court assurémentau-devant de grands tracas. Réalise-t-elleen effet ce qu’une telle débauche de cuirdemande comme soin et entretien?Concrètement, au quotidien, les piècesde cuir doivent toujours être suspendues,pour garder leur forme. Elles nécessitentégalement d’être stockées dans deshousses de coton, afin de pouvoir respirertout en restant à l’abri des griffures.C’est loin d’être fini. Pour protéger le cuir, ilfaut pulvériser sur celui-ci, idéalement unefois par semaine, un spray imperméabili-sant. Imaginez à quel point cette opérationpeut être chronophage, et consommatriceen spray, sur un long trench-coat commecelui de Natacha Polony. Et ce n’est pastout! Il est recommandé, une fois par moisenviron, d’appliquer sur le cuir une crèmenourrissante spécifique. Celle-ci protégera,assouplira et rénovera la peau durable-ment. Et en cas de tâche, directionun pressing spécialisé! Là, il en coûtera,au bas mot, une centaine d’euros.L’un dans l’autre, tout cela en vaut-il fran-chement la peine? Certes, Hollywood etses superproductions de science-fictionoffrent bien des débouchés et des plaisirs,sans doute plus que la profession dejournaliste néo-réac, mais une garde-robeentièrement cuir peut pourrir bien desjournées, sachez-le. Natacha. Et réfléchis-sez bien avant de changer de vie !

M ais dans quelle

galèreNatachaPolony est-elle entrain de se fourrer?L’autre jour, celleque nous croyions

solidement installée dans son fauteuilde journaliste néo-réac condamnée à direpour toujours que « c’était mieux avant »,posa en couverture du Figaro Magazinedans une tenue indiquant clairementqu’elle était en train de changer de vie.Sur ladite couverture, l’ancienne chroni-

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Afrique du Sud - Le Drakensberg

Vertige originelTutoyer des sommets à 3 000 mètres en s’imprégnantde la beauté et du message de peintures millénaires

Nkululeko, gracile et légère, grimpe comme une chèvre vers les hauts sommetsdu Drakensberg, imposante chaîne de montagnes dont 30 sommets culminentà plus de 3 000 mètres. Elle semble connaître chaque virage et prend de courtespauses à l’ombre des quelques arbres couverts de fleurs qui jalonnent lechemin. Elle vit dans la vallée qui roule à nos pieds, dans le petit villageZoulou de Tendele. Les maisons sont rondes, avec de ravissants toits de

chaume et les rires des enfants montent jusqu’à nous.

L’air est si pur que le paysage s’étendà perte de vue. Dans la vallée, lesfemmes sortent et battent de magni-fiques tapis et couvertures colorés quiviennent encore ajouter à la beautédu site. Leurs chants nous donnent

l’impression d’avoir atteint le paradis. Nous croisonsde jeunes artistes et potiers qui façonnent desstatuettes à couper le souffle, semblant tout droitsortir de l’imaginaire de leurs ancêtres. Impossiblede résister, nous les achetons toutes tant elles sontfines et originales. Nous sommes dans le Parcdu Royal Natal en plein KwaZulu Natal, région de93 000 km2, gouvernée par un roi Zoulou.Devant nous se dresse une chaîne de basalte dontle plissé rocheux est si beau qu’il a été surnommé« l’Amphithéâtre » et longtemps les humains ontpensé qu’il délimitait la fin du monde. Des sourcesy jaillissent toujours et le peuple San, dont estissue Nkululeko, y a vécu pendant des millénaires.On peut admirer leurs peintures rupestres dans 550lieux désormais protégés, certaines ayant jusqu’à5 000 ans.« Comme vous le voyez, mon pays est très vieux,même s’il a le cœur jeune », dit-elle avec fierté touten nous guidant sur un sentier de plus en plusescarpé. Après encore 20 minutes d’ascensiondans un paysage à chaque pas plus imposant,nous arrivons au bord d’une fa-laise et découvrons,bouche bée, des peintures protégées par une légèrecavité rocheuse. Découvrir ainsi des peinturesmillénaires, à ciel ouvert, dans leur écrin naturelest une expérience extrêmement puissante. Nousavons effectivement l’impression d’être dans leberceau de l’humanité, de toucher de très prèset peut-être pour la première fois de notre vie, desvérités qui nous rassemblent et nous concernenttous. Des élans admirablement représentés courentdevant nos yeux, des femelles allai-tent leurs petits,des hommes et des femmes dansent, travaillentla terre et chassent. Ces images nous viennent dufond des âges, transmises par des chamans entranse. Nous avons perdu la clé de certaines de cesimages et restons rêveurs devant des représentationsd’animaux à demi-humains, qui rappellent l’imageriede l’Egypte an-tique. Ces dessins sont la mémoirede ce pays en devenir, trans-mise de génération engénération, comme une boussole dans le temps.

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

t i r a g e à p a r t

Planning familial.par Stuart Franklin avec l e s arch i ve s d e magnum photoS

Les 375 membres du comité centraL du Parti communiste chinois se sont réunis en plenum, du26 au 29 octobre, pour ébaucher le 13e plan quinquennal du pays, couvrant la période2016-2020. Au menu des débats devait notamment figurer l’avenir de la politique del’enfant unique. Lancée en 1979, elle interdisait à un grand nombre de familles d’avoirplus d’un enfant. Les familles chinoises « favorisant » souvent l’arrivée d’un garçon,cela a indirectement provoqué un grave déséquilibre démographique homme-femme.Au point d’atteindre aujourd’hui un ratio de 116 naissances de garçons pour 100 filles.Cette photo de Stuart Franklin a été prise à Shanghaï en 1993, soit vingt ans avant quedes assouplissements soient introduits dans la loi. Bien qu’ils aient autorisé certainscouples à avoir deux enfants, ils n’ont à ce jour pas eu l’effet escompté, entraînant« seulement » un million de naissances supplémentaires. Des projections font étatd’un contingent de 30 millions d’hommes célibataires en 2020, et la presse officiellea mentionné ces dernières semaines les travaux de certains démographespréconisant une politique de deux enfants par couple.

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i l f a l l a i t o s e r

Coursier 2.0.par jean-michel normand

Cela s’appelle la « livraison collaborative». Le principe est simple :transformer un particulier en livreur. «Pendant que tu es là, tu nepourrais pas aller déposer le paquet de litière pour chat chez le voi-sin ? Tu auras peut-être droit à un pourboire. » Avec ce système,Amazon a trouvé mieux que la distribution de ses colis par drone. Legéant d’Internet vient de lancerFlex,un service assuré par des livreursimprovisés, géolocalisés par leur smartphone, qui se mettent à dispo-sitionpendant deuxheures avec leur propre véhicule.Cheznous,cette«uberisation » de la logistique est déjà en marche. Les start-upTokTokTok, à Paris, ou Drivoo, à Toulouse, emploient non pas descoursiers mais des « runners » (coureurs) qui s’en vont hardimentcrapahuter dans les cages d’immeuble et les arrière-cours.Cesmiettesd’emploi – destinées aux étudiants, aux chômeurs, aux auto-entrepre-neurs, aux petits retraités voire aux bas salaires – comportent uneévaluationde la part du client final.Celle-ci n’est évidemmentpas sansconséquence et doit être fondée sur le service, la célérité,mais aussi laqualité du sourire. On pourrait également inclure d’autres critères,comme l’aptitude à lancer le fameux «Ben quoi, je bosse !» en remon-tant, imperturbable sous le concert de klaxons, dans sa voiture quibloquait la rue. Quant au bilan carbone, certains le prennent déjà enconsidération. C’est ainsi que les clients sensibles à la question envi-ronnementale ne doivent pas s’étonner de voir le «runner» arriverchez eux en nage. En effet, certains ténors de la logistique 2.0 se fontfort de faire déposer, enmoins d’une heure et par du personnel n’uti-lisant pas de moyen de transport motorisé, les croissants chauds, leslivres ou les capsules de café. Ce qui pourrait ouvrir des débouchésprometteurs aux marathoniens désargentés.

r e v u e t… c o r r i g é

Mystérieux sabotage.par lucien jedwab

OppOsantautracédutrain LyOn-turin devant traverser le val de Suse,enItalie, l’écrivain Erri De Luca a employé, dans une interview, le verbe« saboter » : « Le [train à grande vitesse] doit être saboté. » Et lespromoteurs franco-italiens du projet, de porter plainte. Et la justiceitalienne,depoursuivre,en cherchant à lui faire endosser la responsabi-lité morale des incidents ayant émaillé les actions des adversaires dutracé.Pour sa défense,ErriDeLuca a invoqué… ledictionnaire.Et sesarguments ont su convaincre jusqu’à ses juges.Qui l’ont relaxé, au lieude lui infliger les huit mois de prison requis en vertu d’une loi nonabrogéedes annéesdu fascisme.Consultons undizionario italiano.Aumot sabotare, on trouve deux définitions : 1. détériorer intentionnelle-ment (danneggiare intenzionalmente).2. gêner, faire obstacle,empêcher(intralciare, ostacolare).Gandhi etMandela, voilà plutôt les référencesde l’auteur deLa Parole contraire.EnFrance, lemot « saboter » a unelonguehistoire.Et,commeenItalie,aprisplusieurs sens,de fabriquer…des sabots à « faire vite etmal ».Avant que le sabotage soit revendiquépardesmilitants anarchistes,à l’oréeduxxe siècle,commeuneméthodede lutte sociale.Ouque,plus tard,YvesMontandne reprenneuncertainChant des partisans (chair de poule assurée) :«Ohé, les tueurs à la balleet au couteau, tuez vite ! / Ohé, saboteur, attention à ton fardeau :dynamite…» (paroles de JosephKessel etMauriceDruon, Immortels).Mais c’était l’Occupation, et le sabotage d’installations civiles oumilitaires pouvait conduire les « Terroristen » au peloton d’exécution.Ou leur valoir la Légion d’honneur – après la guerre.PS :Mais alors,quelle est l’origine exacte dumot « saboter »?Le gestedes canuts lyonnais révoltés parce que sous-payés jetant leurs sabotsdans lesmétiers à tisser?Légende,hélas!Et comme ledisait JohnForddansL’homme qui tua Liberty Valance,« quand la légende dépasse laréalité, alors on publie la légende ».Ce qu’on sait donc avec certitude,c’est… qu’on ne sait pas.

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Hazanavicius s’agace des caricatures auxquelles sonmi-lieu prête le flanc.Ne rien faire, ne rien dire alors que lepopulisme progresse en Europe? « L’immense majoritédes gens sont de bonne volonté mais ne le font pas sa-voir. » C’est lui qui a lu la déclaration du groupe. Il yparle des citoyens bénévoles mobilisés depuis des se-maines quand l’immensemajorité de la classe politiquetarde, tétanisée.Et il demande que des fonds soient dé-bloqués pour les aider.L’autre problèmedes gens du cinémaquand ils s’enga-gent, c’est qu’ils ne peuvent le faire comme nous, sim-plement, avec des pétitions : on leur demandesystématiquement pourquoi ils n’en font pas un film.«Vous avez l’instrument narratif, vous pouvez raconterce drame. Lorsqu’on donne un visage aux personnes quiéchappent à la guerre, tout change, la réception est com-plètement différente », les salue Silvia Costa. « Parleraux politiciens c’est bien, mais ce serait mieux d’en faireun film », leur lance un journaliste, demandant si l’und’eux compte s’y mettre. Est-ce qu’à des bouchers in-dignés par la crise des migrants, on aurait conseillé dele dire avec des steaks? «Moi, il me faut trois ans pourfaire un film, répond Michel Hazanavicius.Le dernierabordait la guerre en Tchétchénie et je ne suis pas sûr quevous en ayez parlé. » Ce à quoi personne n’a rien àajouter. Ils sont venus en supercitoyens, mais pour se-couer l’Europe on compte sur eux comme supracom-municants. Un journaliste interroge Valeria BruniTedeschi : va-t-elle donner des conseils sur la façon defaire passer lemessage aux représentants de l’Europe?« Mais quand je fais un film, je n’ai pas de messageclair », proteste-t-elle, citant l’ethnopsychiatre TobieNathan pour rappeler qu’accueillir des réfugiés n’estpas qu’un acte de générosité :«C’est aussi notre intérêt.Ces gens vont apporter une énorme richesse intellectuellehumaine. Ce n’est pas de haut qu’on doit se positionnermais d’égal à égal! »LadélégationestconduitechezMartinSchulz,présidentdu Parlement européen. Le décorum, le protocole etmême les sandwichs… tout a été préparé pour la visitedes représentants du cinéma européen.A la volonté desEtats membres près, tout est prêt en Europe.

“Ce qu’on m’a Crié, je ne savais pas que ça voulait dire

‘CoChon de polonais’.” Hanna Schygulla a été fille de ré-fugiés en Allemagne.Aujourd’hui, la comédienne a lescheveux gris et raconte ses souvenirs d’enfance lorsd’une conférencedepresse àBruxelles,devant des jour-nalistes plus habitués aux commissaires européensqu’aux gens du cinéma. « Ma mère a eu la chance desauter dans un des derniers trains. » Le convoi s’estarrêté dans un champ. Hanna et les siens ont d’abordvécu là : dans le champ. Jusqu’à ce qu’une Bavaroisearrive avecunplatpoureux.Un« emblèmede gentillesse »qu’elle a conservé. C’est à cette époque que d’autresAllemands lui ont crié« cochon de Polonais ».Quelquesannées plus tard, note-t-elle, elle incarnerait au cinémal’Allemagne « dans une certaine période de son histoire »[la fin de la seconde guerre mondiale et l’après-guerredans Le Mariage de Maria Braun, de Rainer WernerFassbinder, NDLR]. Il y a à ses côtés d’autres enfantsd’immigrants.ValeriaBruniTedeschi,MichelHazanavi-cius…«Plein de bonsFrançais » aux racines étrangères,note la productrice Fabienne Servan-Schreiber, tousmembres de cette délégation venue secouer les respon-sables de l’UE sur la crise desmigrants.A l’originede cette initiative, la productrice autrichienneUrsula Wolschlager et la réalisatrice belge NathalieBorgers,alarméesfinaoûtpar la découvertedes cadavresde 71 réfugiés abandonnés dans un camion. Elles ontpassé des appels. De Juliette Binoche à DanielCraig « 007 », des stars européennes mondialementconnues ont rejoint leur mouvement. Les frères Dar-denne ont regretté de ne pouvoir venir.Laurent Canteta repoussé un voyage, Hanna Schygulla a déplacé desrendez-vousmédicaux,ValeriaBruniTedeschi a piloté àdistance, au téléphone, la garde de ses enfants… Evi-demment quand le milieu du cinéma s’émeut pour lesmigrants, ou pour quoi que ce soit d’ailleurs, on a déjàenviedeblaguer.Surtout quand l’eurodéputée italienneSilvia Costa, présidente de la commission de la culturedu Parlement européen, rappelle avoir, comme d’autresau mêmemoment en Italie,« marché pieds nus » sur letapis rouge de laMostra deVenise pour protester contrel’immobilisme face à la crise migratoire. Michel

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C’est pas du cinoche.par Guillemette Faure

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31 octobre 2015—MLemagazine duMonde

La culture vue du Front.Dans sa quête de respectabilité, le Front national a trouvé un nouveauterrain d’expression : la culture.Le secteur n’a rien d’anodin en PACA,région que le parti compte remporter en décembre.Entre dénonciationd’artistes “dérangés”et signes d’ouverture, le FN oscille.Un grand écarttroublant qu’incarnent ses jeunes élus,MarionMaréchal-Le Pen en tête.

par marion van renterghem – i l l u s t rat i on s Jean-Baptiste talBourdet-napoleone

Illustrations Jean-BaptisteTalbourdet-Napoleone/MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Elle danse. GiGote, se

dandine, se trémousse.

Cherchez-la dans lafoule des Terrasses duport, la boîte de nuit per-chée sur un toit du portmaritime de Marseille,et vous aurez dumal à la

repérer. Sur la piste de danse, en boots àtalons, pantalon moulant et chemisetteblanche,MarionMaréchal-LePen,25 ans,estune jeune femme moderne, jolie, fluette etpasse-partout. Aucun signe particulier. Rienqui permette de déceler chez elle une desreprésentantes les plus en vue du parti quidéfend l’un des programmes les plus extré-mistes de toutes les droites européennes. Pasde garde du corps visible, en tout cas pas dugenre crâne rasé et lunettes noires commeceuxqui escortent son grand-père Jean-Mariele même jour, dans un autre quartier de laville. Ce week-end de septembre, le Frontnational tient son université d’été àMarseilleet la candidate, tête de liste du parti en Pro-vence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) pour lesélections régionales de décembre, s’éclate.Elle est là pour incarner la banalité formellede l’ultra droite française en ce début duxxie siècle. Elle sourit. Sa région est, avec leNord-Pas-de-Calais, l’une des deux que leFN peut remporter.Dans le genre « rois de la piste », la plupart deses acolytes de PACA ne sont pas en reste.Lemaire FN de Fréjus, David Rachline, dont leparti aime répéter qu’il est, à 27 ans, « le plusjeune sénateur de toute l’histoire de la Répu-blique », est un inconditionnel de la musiqueelectro. Le sénateur Stéphane Ravier, 46 ans,lui, entre en transe dans les concerts de hardrock.Lemaire FN de Cogolin,Marc-EtienneLansade,41 ans,grand adepte des nuits tropé-ziennes, a même dirigé un night-club enCroatie de 2007 à 2010. La patronne du partiet prétendante à la régionNord-Pas-de-Calais,Marine Le Pen, n’est pas non plus la dernièredes fêtardes, elle que l’on surnommait « lanight-clubeuse » au temps de ses études dedroit àAssas et de ses vacances bretonnes dansles boîtes de La Trinité-sur-Mer. Comme laprésidente, les jeunes élus FN de PACA dan-sent moderne. Invisibles, banals, normaux.A se demander si c’est bien cette jeunesse quiporte une idéologie aussi radicale que sa rhé-torique est douce et sa manière de danser sicommune ; si c’est bienMarionMaréchal-Le

Pen, jeune femme au look et aux goûts mon-dialisés, qui défend un programme fondé surla fermeture des frontières, l’enfermementnational, la stigmatisation de l’immigration,l’étatisation de l’économie, l’accroissementdes dépenses publiques dans un pays qui endétient déjà le record, la sortie de l’euro, lasortie de l’Union européenne, la sortie del’OTAN. A se demander si c’est bien cettemêmepersonne que l’on a entendu déclameravec solennité son projet d’une politiqueculturelle d’arrière-garde, privilégiant lesvaleurs sûres du patrimoine plutôt que l’in-connude la création, s’enveloppant des habitsrhétoriques traditionnels du parti frontiste etdes mots du fondateur, son grand-père Jean-Marie. « Nous serons les soutiens d’uneculture populaire où notre patrimoine etnotre identité seront mis en valeur, annonce-t-elle à Marseille le 6 septembre, lors de sondiscours de clôture de l’université d’été duFN.Nos monuments, notre histoire pétrifiée,qui sont à la fois notre mémoire et notrerichesse, qui fascinent le monde entier, doiventêtre au cœur de notre projet régional. »Au botte-à-botte dans les sondages avecChristian Estrosi, tête de liste des Républi-cains,MarionMaréchal-LePenest enmesurede remporter la PACA. Son discours, passérelativement inaperçudans lesmédias,n’a paséchappé aux artistes d’une région où la culturepasse pour le nerf de la guerre, avec leFestivald’Avignon, lesChorégies d’Orange, leThéâtrede la Criée ou la Fiesta des Suds à Marseille,entre autres institutions ou festivals. La can-didate promet, une fois élue, de revisitertoutes les subventions en fonction de la doc-trine culturelle du FN. Pourquoi la régionpayerait-elle pour ce qui nemet pas en valeurces trois notions-clés du programme, « laculture populaire », « le patrimoine »,« l’identité » ?« Vous n’appréciez pas que vosimpôts servent à financer les délires d’espritsmanifestement dérangés », note-t-elle.Les « esprits dérangés » sont ceux qui sepâment devant un art contemporain auxformes et aux valeurs infiniment diverses,mais souvent élitiste et objet de moquerieidéal pour séduire lesmasses.La jeune candi-date ne s’en prive pas :elle le réduit à un « artd’élite inaccessible » qui ne se comprend qu’àcoups « d’explications fumeuses ou dediplômes ». « L’œuvre d’art devrait pouvoirplaire aux moins instruits d’entre nous, dit-elle, car la beauté, elle est universelle. Dix

bobos qui font semblant de s’émerveillerdevant deux points rouges sur une toile, carle marché de la spéculation a décrété que cetartiste a de la valeur, ce n’est pas franchementma conception d’une politique culturelledigne de ce nom. »

Serait-ce l’un de ces

“esprits déranGés” quel’on voit s’ébrouer là, surcette scène de concertmarseillaise ? Mais non.Il danse. Gigote, se dan-dine, se trémousse,comme sa jeune dépu-

tée. Stéphane Ravier, maire d’un secteur deMarseille rassemblant pas moins de150000 habitants, se dit « monomaniaque duhard-rock et du groupe AC/DC ». Et ajoute :« Marion écoute beaucoup de rap », mais luinon. « Le rap, même pas en rêve, c’est undégueulis de haine envers la police, lesfemmes, la France. Mais AC/DC, j’adore. »Cegroupe australo-britannique est-il si repré-sentatif du patrimoine et de l’identité qu’ilcherche à promouvoir ? « Non, j’avoue »,répond-il avant d’esquisser une explication :« Quand même si, un peu. AC/DC, ils n’ontjamais varié dans leur style, jamais cédé auxmodes politico-culturelles ni aux messagespolitiques droit-de-l’hommistes. » Philo-sophe, Stéphane Ravier conclut : « De toutefaçon, on peut bien se défouler… »Voir Stéphane Ravier se défouler vaut ledétour. C’est sur sa page Facebook, et lavidéo est culte. Elle montre le concert d’ungroupe de hard rock qu’il avait accueilli en samairie de secteur. Le groupe reprend unefameuse chanson d’AC/DC au nom évoca-teur de Sin City – la ville du péché. Et voilàmonsieur le maire qui monte sur scène enjeans et chemise, s’empare du micro, saute,hurle, tend les bras en pointant le doigt enl’air, s’agenouille, agite son bassin, se redresse,chante les paroles en dodelinant de la têtecomme un déjanté et en fermant les yeux,suffisamment pro pour pouvoir tenter sachance à l’émission « The Voice ». StéphaneRavier est à fond. « Amène les filles qui dan-sent, je vais dans la ville du péché, je vaisgagner dans la ville du péché, laisse-moi tefaire rouler, bébé… », dit le texte de SinCity. Lemaire le connaît par cœur. •••

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31 octobre 2015 —Illustrations Jean-BaptisteTalbourdet-Napoleone/MLemagazine duMonde

A se demander si c’est bien le mêmejeune et branché Stéphane Ravier qui raille« Marseille, capitale européenne de la culture decannabis », condamne « l’art dégénéré » et, cedébut septembre,participait au premier rang àune manifestation pour protester contre l’ex-position de quelquesœuvres selon lui « pédo-pornographiques ». Il s’agissait d’une minus-cule installation présentée dans un atelier deLa Friche, prestigieux espace d’art, de cultureet d’inclusion sociale situé dans les locauxd’une ancienne usine de cigarettes, dans lequartiermarseillais de laBelle-de-Mai.Sous letitre « Berlinhard », l’expo rassemblait lesœuvres « trash»dedeuxartistes allemandsquiabordent des thèmes tabous comme la sexua-lité adolescente, la zoophilie ou la pédophilie.Un travail « proche de l’esprit du défunt maga-zine Hara-Kiri », indiquait le textedeprésen-tation.L’exposition était interdite auxmineursnon accompagnés.Les sites d’extrême droite, des religieux inté-gristesde toutes obédiences etdes associationsféministes s’enflamment alors bizarrement aumoment où l’exposition est déjà terminée–mais enpleinepériodede campagnepour lesrégionales.L’occasion rêvée pour s’en prendreà La Friche, lieu d’avant-garde d’autant plusagaçant qu’il est devenu une institution àMarseille.StéphaneRavier saisit l’opportunité.Il tweete en interpellant le maire de la ville,Jean-ClaudeGaudin :« Exposition d’art pédo-phile avec l’argent du contribuable : @jcgaudindoit s’expliquer! » Il demande « la suspensionprovisoire de toute subvention publique à LaFriche » et promet, si son parti est élu, la miseenplace d’un« cahier des charges engageant lesassociations culturelles à bannir la pédoporno-graphie, préalable à la demande et à l’obtentionde subventions des collectivités territoriales ».

Voilà donc Stéphane

RavieR, le-maire-qui-s’égosille-sur-les-paroles-de-Sin-City, donnant de lavo i x au hau t -parleur sous lesfenêtres du conseil

régional pour dénoncer desœuvres qu’il jugecontraires à la morale. Il est accompagnéd’une petite centaine de manifestants aussiindignés que lui.A l’intérieur du bâtiment duconseil régional, quelques élus de gauche ontl’idée de répliquer en déroulant le long de la

façade extérieure, sous les yeux desmanifes-tants, une affiche agrandie de L’Origine dumonde. Ce tableau scandaleux de GustaveCourbet, désormais fleuron du patrimoinefrançais du xixe siècle, représente le sexe etle ventre d’une femme allongée nue, cuissesécartées. L’apparition soudaine de ce sexeféminin géant ne contribue pas à calmer lesesprits de la petite foule en colère mais ellevéhicule un message : gare aux « pointsrouges », car si certains peuvent tout à faits’avérer des croûtes destinées à tomber dansle grand vide de l’histoire, il arrive assez sou-vent aussi que l’avant-garde d’aujourd’huidevienne le classicisme de demain. Chez lesjeunes élus FN, aujourd’hui à la tête de sixmairies dans la région Provence-Alpes-Côted’Azur, la conception de la culture est traver-sée de paradoxes. Les fondamentaux du dis-cours restent les mêmes (on célèbre le folk-lore, le patrimoine, l’identité, les santons deProvence), mais pour ce qui est des goûts etpenchants naturels, c’est une autre histoire.Achacun ses contradictions. « Il faut bien sedéfouler », comme dit Stéphane Ravier.Schizophrénie ? Stratégie? Hypocrisie ? Lediscours de Marion Maréchal-Le Pen sur les« deux points rouges » est le symptôme de lamutation qui s’opère dans le parti entre lavieille génération dupère fondateur et la nou-velle,« relookée »parMarineLePen.« De sapart, ce n’est ni une stratégie ni une gaffe »,analyse Pascal Perrineau, professeur àSciences Po, spécialiste du FN et qui analysedans La France au front (Fayard, 2014), lespermanences et les variantes dans les deuxgénérations du FN.Aux yeux du politologue,« cette tirade antimoderne de la candidatefrontiste en PACA est l’expression du tiraille-ment qu’elle porte en elle. Dans son éducationet ses influences politiques, Marion Maré-chal-Le Pen est partagée ».Sur les questions culturelles, poursuit PascalPerrineau, « les nouveaux élus frontistes nesont pas clairs parce qu’ils veulent tout : l’an-cien et le moderne, tenir les deux bouts de lachaîne en même temps ».D’un côté, ils s’effor-cent de ne pas perdre le vieil électorat FN etsont d’autant plus raides en PACA qu’ilss’adressent à un électorat plus traditionnelle-ment à droite, sensible à l’enracinement et aufolklore local.De l’autre, ils sont de leur âge :ils ne se retrouvent naturellement pas dans laconception d’une culture repliée sur sonpatrimoine; ils ont le souci de la stratégie glo-bale de respectabilité mise en place parMarine Le Pen pour conquérir les classes

moyennes, les cols blancs, les jeunes ; ilsoscillent.« Même avec le souci du “lifting”, lanouvelle génération est porteuse de ces contra-dictions », conclut le politologue.

RéSultat de ceS tiRaille-

mentS :uneffet camou-flage. Le comporte-ment des élus Frontnational est, pour lesacteurs culturels,d’au-tant plus inquiétantqu’il est moins identi-

fiable.Avec le parti deMarineLePen et de sanièce Marion en PACA, on n’en est plus autemps où un leader borgne avec un bandeaunoir sur son œil mort se complaisait ostensi-blement dans le rôle duméchant.On n’en estplus au temps de la prise de pouvoir deCatherineMégret (et de son mari Bruno) à lamairie de Vitrolles en 1997 ou des premierspas de Jacques Bompard à Orange en 1995,lorsque les livres jugés politiquement nonconformes ou des abonnements aux journauxde gauche étaient censurés par les biblio-thèques publiques.Onn’en est plus au tempsdes attaques systématiques et caricaturales.Dans les villes tenues par le FN, les posturesdogmatiques ont eu des effets désastreux.Elles ont conduit à tirer des enseignements età recomposer les stratégies.Le site duFront national est en cela éloquent.A la partie « culture »,quel est le héros cité enexemple, symbole de l’exception culturellefrançaise (« menacée par la globalisation mon-dialiste ») et de la démocratisation de laculture ? Jean Vilar, ancien directeur duThéâtre national populaire (TNP), fondateurduFestival d’Avignon et compagnonde routeduParti communiste!« Notre vie culturelle nesait pas suffisamment se mettre à l’écoute desgoûts et des attentes de notre peuple – commeJean Vilar et son Théâtre national populaireont su le faire un temps, indique le site duFN.La démocratisation culturelle est en panne. »Après la mention habile par Nicolas Sarkozy,dans son discours de candidature à la prési-dentielle de 2007, du socialiste Jean Jaurès,c’est maintenant au tour du Front nationald’évoquer Jean Vilar dans son programmeélectoral.De la triangulation à tous les étages.De la stratégie du trompe-l’œil.Emmanuel Serafini, directeur du centre dedéveloppement chorégraphique desHivernales à Avignon, vient de se lancer

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Illustrations Jean-BaptisteTalbourdet-Napoleone/MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

dans la campagne électorale. Il a été dési-gné tête de liste EELV-Front de gauche dansleVaucluse. Il l’avoue, le comportement d’unde ses adversaires politiques à Avignon, leconseillermunicipal FNPhilippeLottiaux, leprendde court :« Lors de délibérations sur laCollection Lambert en Avignon, un temple dela modernité de l’art contemporain, je pen-sais naïvement qu’il dirait : “Qu’est-ce quec’est que ces croûtes ?” ou “On n’est pas làpour aider une expo sur Patrice Chéreau”…Eh bien pas du tout, il a insisté sur la chanceinouïe pour l’Etat d’avoir un tel musée àdisposition. C’est le plus troublant dans las t ra t é g i e d e s é lu s FN : i l s son timprévisibles. »Pour les municipales de 2014, la candidaturede Lottiaux, énarque venu de l’UMP, anciendirecteur général des services à la mairie deLevallois, humoriste et imitateur au talentcontestable, suscitait les moqueries. Moyen-nant quoi il est arrivé en tête au premier tour.« Il y a peu d’élus FN, les prises de décisionset les dérapages sont peu visibles pour l’ins-tant, note M. Serafini. Il est évident que s’ilsprennent la PACA, l’effet sera un cataclysmepour la culture et le tissu associatif, mais il estdifficile aujourd’hui de relever des élémentsfactuels qui le prouvent. Seul l’état d’esprit etles fondamentaux idéologiques laissent suspec-ter qu’il se prépare quelque chose de grave. »

Même phénomène à

orange, où règnetoujours JacquesBompard, dissi-dent du FN etfondateur de laLigue du Sudavec d’anciens

membres du FN. « A ses débuts, Bompardprenait des décisions radicales. Les journa-listes me demandaient de leur raconter dusensationnel et j’avais de quoi faire, se sou-vient Fabienne Haloui, conseillère munici-pale d’opposition. Aujourd’hui, je ne peuxpas. C’est plus insidieux. »AMarseille, l’ad-jointe à la culture à la mairie, Anne-Maried’Estienne d’Orves note que, « en conseilmunicipal, les élus frontistes votent systéma-tiquement contre tout projet culturel ou s’abs-tiennent. Mais hors conseil et à l’exception dubruit contre l’exposition de La Friche, on neles entend pas plus que ça ».Le jeunemairedeFréjus,DavidRachline,estmoins soucieuxdes formes.Elu sur une imagede rassemblement qui a séduit l’électorat de

droite classique, il a vite durci le ton.A peineen poste, il a fait retirer le drapeau européendu fronton de l’hôtel de ville pour n’y laisserque le français. Il a viré de son bureau le por-trait du président de la République, FrançoisHollande,pour lui substituer un grand tableaud’un artiste local représentant une Libertéguidant le peuple couleur rouge sang. Et sursa table en désordre, où un cendrier accueillelesmégots qu’il accumule à grande vitesse,unseul et unique journal est posé : le quotidienPrésent, organe du Front. Il ne s’est pasencombré demanières pour mettre un termeaux avantages locatifs dont bénéficiaient cer-tains artistes du centre-ville dans le but demaintenir une attraction touristique. Ceux-cise sont vu notifier qu’ils devraient compléterleur activité artistique par des heures consa-crées aux enfants des écoles.C’était à prendreou à laisser. La plupart ont obtempéré, ceuxqui ont fait de la résistance sont partis. Unphotographe obstiné a été viré.« Il est complè-tement taré, je l’ai évacué », dit le maire sansdétour. « Accueillir les enfants, pourquoi pas,mais c’est leur manière qui fait peur, dit unartiste du centre-ville. Vu la façon qu’ils ontd’imposer leurs décisions, la vie va devenir deplus en plus difficile. »Pour organiser les événements culturels del’été aux Arènes de Fréjus, David Rachlineconfie les rênes à une société proche du FN,au logo bleu-blanc-rouge et martialementnommée La Patrouille de l’événement. Finjuillet, ladite Patrouille a eu l’idée de fairevenir un « invité-surprise » enpremière partiedu concert du groupe de rock alternatif LaSouris déglinguée. Les spectateurs ont puainsi savourer la prestation inopinée dugroupe In Memoriam, formation musicaled’extrême droite, figure du Rock identitairefrançais (RIF) des années 1990. L’un de sestitres,Persona non grata, relève de la poésieidentitaire : « Nulle part où aller sans qu’onnous dévisage / Notre couleur de peau n’estplus à la page / Les uns nous rejettent, lesautres nous bâillonnent / Nos pensées sontsuspectes, il faut qu’on change la donne! »Lafête fut telle qu’elle se termina par unebagarre, l’intervention de la police et des gazlacrymogènes. « Je suis pour la liberté d’ex-pression », plaide David Rachline, qui enmatière de rhétorique se situe dans la lignéede la familleLePen,dugrand-père à la petite-fille. « Quand je fais venir un groupe quichante du Bob Marley ça ne pose pas de pro-blème, quand je fais venir InMemoriam, toutle monde crie au scandale. Pourquoi? Je suispour la liberté dans tous les sens, moi. Il n’ya pas une seule culture… »

Pas une seule culture,mais des « préférées ».Dans l’idéologie frontiste, la « libertéd’expression » est volontiers synonyme de« préférence culturelle », comme l’expliqueStéphane Ravier. « J’aime les cultures aupluriel, nous dit-il, du moment qu’il y a uneidentité forte. Le métissage en tout, c’est lanégation de notre culture. Quand on auratout mélangé, il restera quelque chose d’in-forme, sans âme, sans saveur, sans racine. Sije suis un jour maire de Marseille, je ne m’in-terdirai pas de l’ouvrir aux autres cultures,mais priorité sera donnée à la culture mar-seillaise provençale nationale. Aux gens dechez nous, quoi, qui le méritent, aux gens quitransmettent ce qui nous a été confié. »

La révolution culturelle du

Front national avanceaussi masquée que sa radi-calité politique, et elle ases nouvelles héroïnes :Les Brigandes. Elles por-tent sur les yeux le ban-deau noir de Zorro, sont

vêtues de déguisements divers et chantentd’une voix de collégienne inoffensive dansdes décors bucoliques, parfois armées degros gants de boxe avec lesquels elles ponc-tuent leurs refrains en souriant : « Bing,Bang, Bong ! » Les Brigandes, chanteusesde variété new style sur Internet, sans éti-quette et sans parti, font discrètement labande-son du Front national, en paroles eten musique.Elles se surnomment « Comité de Salutpublic » ont pris pour mot d’ordre « le grandremplacement », cette théorie conspiration-niste selon laquelle la population européenneserait remplacée par des peuples autres.Rienn’échappe à la vigilance des Brigandes : « leschiens de politicards », « les technocrates sanscœur », « les félons qui squattent la nation »,« les charognards qui vendent la patrie »,« les bronzés livides » s’en prenant à unejeune fille qui lit sa Bible dans le train.Avantqu’intervienne la censure d’Internet pourcause de racisme et d’antisémitisme, on pou-vait lire d’autres paroles du genre : « L’antifane vous ratera pas si vous avez l’air d’unGaulois. Et si on mange des quenelles frites :antisémite ! »… Culture populaire, patri-moine et identité, Les Brigandes cochent lestrois cases-clés du programme culturel deMarion Maréchal-Le Pen. Pas de « pointsrouges », tout est en place, rien ne dépasse.Bing, Bang, Bong.

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Les bonnes féesdes héritiers.

D eux milliards

quatre cent

milledollars.

En chair eten os. Voilàce que ren-f e rme , cematinde juin,la salle de

conférence du troisième étage du chiquissimeHôtelTrump SoHo, à New York. Et encore, ils’agit de l’évaluation la plus chiche : ils sontquarante-huit dans la pièce, ils ont entre 22 et35 ans et pèseront un jour chacun au moins50 millions de dollars – le montant minimumdevant figurer sur le compte en banque depapa-maman pour être invité à ce séminaire.Baptisé «Campd’entraînement à la gestiondefortune », ce rendez-vous est exclusivementréservé à ceux que le monde de la financeappelle les NextGen. Entendez, la prochainegénération d’héritiers.Avec le nombre de millionnaires qui ne cessed’augmenter dans le monde – 2325 milliar-daires en 2014 et 53 millions de millionnairesd’ici à 2019,d’après leCredit Suisse etUBS –,l’héritier sort de sa niche pour devenir unmarché colossal.A l’abri des regards, il est aus-culté, bichonné, cajolé, pouponné. Par lesbanques, qui entendent garder la main sur laprogéniture de leurs plus gros clients; par lesfamily offices, structures spécialisées dans lagestion de patrimoine ; par des associations,

qui ont pourmissionde les former et leur offrirun réseau de soutien ; par les organisationscaritatives,qui comptent en faire de généreuxdonateurs; par des psychologues, appelés à larescousse pour déminer les conflits familiaux;par les écoles de commerce, qui leur concoc-tent des programmes sur mesure…Tous sonten ordre de bataille pour faire mentir l’adage :« La première génération construit, la secondemaintient, la troisième détruit. »

à la manœuvre ce matin-là, àNewYork, la banque suisseUBS.Dans le hallde l’hôtel, aucun indice sur ce rassemblementtrès exclusif.Au troisième étage, en revanche,l’établissement financier a déroulé le tapisrouge :accueil VIP,état-major au garde-à-vous,nappes blanches, petit déjeuner raffiné… Ilsarrivent au compte-gouttes, le regard un peuperdu, le visage crispé, la démarche hésitante.Certains ont soigné leurmise, version « je suisquelqu’un de sérieux », les garçons sanglésdans des costumes sombres avec pochette etcravate un ton plus clair, les filles sur talonssages, la taille marquée par une veste cintrée.Ils viennent d’un peu partout des Etats-Uniset ne se sont jamais rencontrés auparavant. Ilsne savent ni où s’asseoir ni avec qui.Si ce n’estleur conseiller financier, qui ne les lâche pasd’une semelle. Ces baby-sitters de luxeveillent au grain. L’un d’eux, Drew, sourireUltrabright et souliers lustrés, a fait le voyagede San Francisco pour accompagner les deux

filles (22 et 26 ans) de son plus gros client.« Sion les quitte du regard, on risque de se les fairepiquer par un collègue », confie-t-il.Au cours du quart d’heure « icebreaker »(brise-glace), les héritiers se lèvent à tour derôle et se présentent en quelques mots. « Jegagne ma vie en fabriquant des bretzels et jen’aime pas le chocolat » ; « Je travaille avecmon père dans l’immobilier, j’aime le scotch, legolf et le cinéma »…Ils n’ont rien en communsi cen’est qu’un jour, ils seront riches.Et qu’ilsn’y entendent rien à la chose financière. Uncours definancepour les nuls,voilà ceque leurpropose UBS. En mettant à leur dispositionses meilleurs experts, chargés d’aborderles thèmes indispensables au « bon » héri-tier : obligations, taux d’intérêts, biensimmobiliers, investissements alternatifs,emprunts, contrat de mariage… Pour la pre-mière session « Comprendre les actions bour-sières », c’est JonathanWoloshin qui s’y colle.La cinquantaine grisonnante, le genre finan-cier à l’ancienne avec bretelles, cravate rougeet pin’s du drapeau américain épinglé sur lerevers gauche de la veste, cet analyste desmarchés boursiers dirige le départementRecherchede labanqueprivée.Unvétérandumétier. Avec son débit mitraillette façonWoody Allen, il dispense la première leçonde la journée : « Pourquoi les gens achètentdes actions ? »:« La volatilité, ça veut direque ça monte et ça descend »…Pour étayer sesexplications, il fait référence aux films

Banquiers, conseillers en gestion de patrimoine, psychologues…Des nounous d’un genre particulier entourent de leurs bons soins fils

et filles demillionnaires.Objectif : les préparer, financièrementcomme émotionnellement, à gérer le pactole.Unmarché d’avenir,alors que le nombre de grandes fortunes est en pleine explosion.

par Louise CouveLaire — i l l u s t rat i on s Pierre La PoLiCe

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Wall Street et Un fauteuil pour deux et ahabilement mis au point une présentationtruffée d’images et de dessins. Histoire demaintenir l’auditoire éveillé.Si, dans le monde entier, les établissementsfinanciers veillent jalousement sur ces trèschers bambins, c’est que les héritiers ont lafâcheuse tendance à aller voir ailleurs dès queles parents trépassent. « Il faut devenir leurconseiller avant qu’ils héritent », assume JudySpalthoff, patronne du développement clientdudépartementGestionde fortune chezUBS,et grande prêtresse des programmes destinésaux NextGen, organisés depuis 2012 auxEtats-Unis, à Londres, à Singapour et enSuisse. « Si on ne crée pas un lien avec euxmaintenant, ils partiront, confirmeMoney K,directeur généralmondedesNextGen,basé àSingapour, chez le géant Citigroup. Plus de1000 fils et filles de riches clients à travers lemonde ont suivi nos séminaires. »L’un d’euxcomprend un atelier « vente aux enchères »orchestré par lamaisonChristie’s,qui organisepour l’occasionune fausse vente.« La plupartde ces familles possèdent des collections, nousessayons donc de leur apprendre à regarder etévaluer l’art, raconteMoneyK.Nous leur don-nons un catalogue et un budget, et ils doiventnous expliquer pourquoi ils ont enchéri sur telleœuvre à tel prix. »

L es banques ne sont pas les

seules à se ruer sur cettearistocratie financière héré-ditaire. A New York, l’Insti-tute for Private Investors(IPI), spécialisé dans « l’édu-

cation à la gestion de fortune » avec un réseaumondial de 300 familles (80% aux Etats-Unis), convie des invités de prestige à faire laleçon : en mai dernier, une quarantaine deNextGen ont ainsi pu écouter Dylan Lauren,la fille du célèbreRalph, raconter le succès deDylan’s Candy Bar, la chaîne de magasins debonbons qu’elle a créée en 2001 : commentgérer son nom de famille, comment en faireun atout, comment lancer sa propremarque…En France, à l’Insead, prestigieuse école decommerce près deFontainebleau,au cours duprogramme « Family enterprise challenge »(6 000 euros par tête pour cinq jours), lesparticipants viennent en famille (frères, sœurs,parents...) pour étudier des cas fictifs.Commecelui de « l’hôtel de Pueblo Valley » : unemère appelle sa fille pour lui annoncer sa déci-sion de vendre le complexe hôtelier familialà un groupe qui vient de lui faire une offrealléchante.Originedu lieu,mariages,divorces,suicides, brouilles, non-dits, situation desquatre petits-enfants… Tout est passé aucrible. Vendre ou pas, et dans quelles condi-tions? Les familles ont trois heures et demie

pour plancher. Autre approche : à Londres,dans le cabinet d’audit et de conseil Deloitte.Les apprentis héritiers partent en prome-nade :petit tour dans les cuisines d’un restau-rant, visite de quartiers pauvres, découverted’organisations caritatives. « L’idée est de les(r)éveiller à la réalité, bien qu’il soit parfoisdifficile de les reprogrammer, constate PeterLeach, associé de Deloitte.Certains vivronttoute leur vie de leur rente et on ne peut rieny faire. »

De l’avis général, la philanthropie est lemeilleur moyen de s’adresser à ces jeunessans les barber. « Ce qui est rafraîchissantavec la future génération, c’est qu’elle est socia-lement plus consciente, insiste Mindy Rosen-thal, la présidente de l’IPI, à New York. Ilsveulent avoir une influence positive. » Si bienque,depuis quelques années, les banques ontcréé des départements spécialisés dans laphilanthropie en interne. Lors du séminaire

d’UBS, c’est William Sutton, patron des ser-vices philanthropiques aux Etats-Unis, quiendosse le beau rôle. «Will », comme l’appel-lent ses collègues, a les cheveux longs. Il res-semble aux jeunes qu’il veut séduire et cap-tive la précieuse assemblée en brandissantune statistique qui les fait frémir :« Seulement9% des membres de la troisième générationparviennent à conserver la fortune familiale! »Lepourcentagen’a pas échappé auxHewlett-Packard par exemple, qui se chargent eux-mêmes de préparer leurs descendants : tousles héritiers font leurs classes à laFloraFamilyFoundation, créée à la fin des années 1990.C’est ainsi que Marianne Gimon, 39 ans,petite-fille de l’undes fondateurs de la société,s’est « formée » :« Chacun a 50000 dollars àsa disposition pour choisir une cause, raconte-t-elle.Ma cousine, elle, avait 12 ans lorsqu’elley a fait ses premières armes : elle a attribué4000 dollars à une association d’aide auxenfants. »On ne commence jamais trop tôt.Sensibiliser les héritiers à la gestion de leurfortune dès l’enfance, c’est le pari de certainsintervenants. UBS a lancé un programmepilote en ligne destiné à des élèves de pri-maire. Intitulé « comprendre l’argent », il com-porte des jeux en 3D, des vidéos, des anima-tions et un réseau social spécifique. ASaint-Louis, dans leMissouri, auxEtats-Unis,chezMatter FamilyOffice (MFO),qui gère lafortuned’une cinquantaine de familles améri-caines, on prend enmain les enfants dès l’âgede 6 ans depuis plus d’une décennie.Dans lesbureaux, une pièce a été aménagée afin d’ac-cueillir des « money camps », sorte de petitsstages de familiarisation à l’argent : de gigan-tesques reproductions debillets de 100dollarstapissentmurs et plafond.« Cela crée un envi-ronnement très rigolo », estime Diane Mil-burn,66 ans, institutrice à la retraite,employéeparMatter depuis huit ans.Cheveux bruns aucarré, manières exquises et sourire jovial, ellesillonne les Etats-Unis au gré de ses « inter-ventions » auprès des familles, inventantmilleet une astuces pour divertir les futurs héritierstout en leur inculquant« le sens des responsa-bilités ». Aux plus jeunes, elle apprend àreconnaître et à compter les pièces de mon-naie : « Ils sont nombreux à n’en avoir jamaisvu! Leurs parents sortent leurs cartes de crédit,règlent la cantine scolaire ou les fournitures avecdes comptes prépayés… » A 10 ans, elle lesenvoie au centre commercial avec une liste etun budget. Objectif : comparer les prix, ache-ter intelligent,nepas tout dépenser et, surtout,faire la différence entre le besoin et l’envie.A12 ans, Diane Milburn leur alloue environ200dollars pour l’organisationd’un après-midien famille, repas compris.Histoire de remettreles idées en place à ceux qui partent envacances en jet privé dans des lieux somp-tueux : s’amuser a un coût. Aux pré-ados,

Des stages defamiliarisationà l’argent sontproposés dès6 ans dans unepièce tapisséede reproduc-tions debilletsde 100dollars.“Cela créeunenvironnementrigolo”, estimel’animatrice.

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31 octobre 2015—Illustrations Pierre La Police pourMLemagazine duMonde

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

elle parle aussi portefeuille boursier et leurfait acheter des actions fictives. Et aprèschaque session, elle envoie un petit rapport etses recommandations aux parents auxquelselle fournit également un jeu de 52 cartes,destiné à amorcer le dialogue en famille.Chaque carte comporte unequestion :«Est-cequ’il est plus important d’aimer votre emploi oude gagner beaucoupd’argent dans un boulot quevous n’aimez pas? », « Comment aimeriez-vous que l’on se souvienne de vous? »,« Quelleorganisation caritative vous aimeriez souteniret pourquoi? »

C’estàsedemandersi toutce

petit monde ne finit pas par

se substituer aux parents.

« Certains me disent qu’ilspréféreraient parler desexe avec leurs enfants

plutôt que d’argent ! », s’exclame WhitneyKenter,associée chezMFO.Oncroyait l’Amé-rique décomplexée vis-à-vis de l’argent. Enréalité, lorsqu’il s’agit d’héritage, elle semure,comme la vieilleEurope,dans lenon-dit.Chezles Russell, le sujet a été soigneusement plan-qué sous le tapis. « On n’a jamais parlé derien, et surtout pas de la fortune familiale »,regrette Zac Russell. Silhouette rondouillardeet visage poupin, le jeune hommeparle lente-ment, mais beaucoup. A 27 ans, il tente derésumer l’histoire de sa vie, dans laquelle il aun peu demal à mettre de l’ordre. Son grand-père paternel a fait fortune dans la finance(plusieurs indices boursiers portent son nom,dont le plus connu : le Russell 2000) sansjamais quitter la petite ville deTacoma,au sudde Seattle. Ses parents, hippies sur le retour(lui, rocker ; elle, adepte de la méthode Fel-denkrais qui prône la conscience de ses mou-vements dans l’espace), ont longtemps vécudans le déni de fortune avant de s’offrir unranch de plus de 160 hectares à Hawaï et unyacht. « Mais nous volons tous en classe éco-nomique ! », précise le jeune homme. Il avait12 ans lorsqu’il a fait ses comptes pour la pre-mière fois, calculant combien l’entreprisefamiliale avait pu être vendue (un milliard dedollars, selon ses estimations). « Je n’en pou-vais déjà plus de tous ces secrets »,dit-il.Aujour-d’hui encore, il ne sait rien de ce qui l’attend.Ni quand ça va lui tomber dessus.En 2013, il a créé une société de conseil en« storytelling », ou comment faire de son his-toire personnelle une stratégie d’entreprise.« J’ai dû aller défendre mon projet devant letrust familial pour obtenir une petite sommede départ, raconte-t-il. J’ai une fortune colos-sale mais je vis sur mon salaire, je dépendsdu bon vouloir de types que je paie moi-même.Vous savez que vous êtes riche, mais vous

n’avez rien ! Cette vie n’est pas normale… ».Il est lucide,ZacRussell.Orateur régulier pourl’organisation à but non lucratif Nexus – sortede «Uber communauté planétaire » de futursultrariches au grand cœur, fondée il y a quatreans et rassemblant 2000 jeunes de 70 paysdans lebut de créer unpont avecdes entrepre-neurs sociaux – il a été invité à la Maison

Blanche, au Congrès, aux Nations unies… auseul titre qu’un jour il sera riche.Convoité parles banques, il a participé à plusieurs sémi-naires chezHSBCouCitibank.«Là-bas, je nesuis ni le petit gros ni le sale gosse de riches, sou-rit-il.Ce sont surtout des thérapies de groupe! »A n’en pas douter.Banques, family offices et autres organismessoucieux de cette élite héréditaire font régu-lièrement appel à des psychologues. Pourformer leurs conseillers ou s’occuper directe-ment des familles. « Beaucoup de ces jeunessont dépressifs », souligne le psychologue

XavierGautier.Sa spécialité?Lesnantis.Dansles coulisses, cet homme discret de 50 ansaccompagne les fortunes de France dans l’undes moments les plus délicats de leur exis-tence : la préparation à la succession. Plus dequinze ans qu’il officie pour « les aider à luttercontre le déni, les aveuglements, les silences et lestabous ». Son activité, assure-t-il, « marche dufeu de Dieu ». Inutile de lui demander desnoms, il pousse la confidentialité jusqu’à coderses dossiers : jamais de patronymes, que desprénoms,et des nomsde codes pour les entre-prises et les lieux de rencontre. Et d’insister :« Personne ne doit savoir que la famille est enconflit et risque l’implosion. »Mauvais pour lesaffaires.Mauvais, aussi, pour l’économie.Car la plupart de ces légataires n’hériteront passeulement d’un gros compte en banque,maisaussi d’une entreprise familiale.Et de ses sala-riés. « Si ça n’est qu’un portefeuille ou du cashqu’ils risquent de perdre, on s’en fout! lance unfamily officer.Mais s’il s’agit de transmettreune entreprise, là, on ne s’en fout pas du tout. »LucDarbonne,ex-PDGdeDaregal,« l’empe-reur méconnu des herbes surgelées » comme l’asurnomméunmagazine en 2009,est passé parles bons soins du docteur Gautier et par leséminaire de l’Insead.Aujourd’hui, à 65 ans, ilafficheunemine réjouie.Depuis près dedeuxans, c’est son fils Charles qui a repris les rênesde l’entreprise,« avec succès ! », se félicite-t-il.L’homme est devenu un croisé de la gouver-nance familiale, comprenez l’art d’« établir uncalendrier et des règles au sein des familles ».Présidentduchapitre françaisFamilyBusinessNetwork (FBN), une association à but nonlucratif qui compte vingt-sept antennes danslemonde et réunit 9000 propriétaires d’entre-prises familiales, il organise à son tour desséminaires et autres rencontres au sommetpour les NextGen.Dans un monde post-crise financière où lesdérives du capitalisme sauvage et de la spécu-lation outrancière ont fait des ravages, l’entre-prise familiale est apparue comme une valeursûre.«Elles sont plus pérennes et plus stables,elles ont une vision à long terme, des action-naires plus patients, un nom à défendre etpassent une sorte de contrat social impliciteavec la communauté dans laquelle elles opè-rent », expliqueChristine Blondel, professeuradjoint à l’Insead, à l’origine des séminairesfamiliauxqu’elle anime toujours,et fondatricede FamilyGovernance, un cabinet de conseilen gouvernance et succession d’entreprisesfamiliales.Il est essentiel de former ces héritierssoit à être de bons dirigeants, soit à être debons actionnaires. » Pour le psychologueXavierGautier, impossiblededire si ces effortspaieront : « Aujourd’hui, personne ne peutprédire l’impact sur la société qu’aura cettegénération qui n’aura rien gagné mais touthérité. »On le saura bien assez tôt.

“Si ça n’estqu’un

portefeuilleou du cash

qu’ils risquentde perdre, ons’en fout!

Mais s’il s’agitde transmettreune entre-prise, là,

on ne s’en foutpas du tout.”

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A l’angle d’une large avenue au trafic incessanttrône un imposant immeuble en pierre ocre,marque de fabrique des édifices staliniens ducentre-ville d’Erevan, la capitale d’Arménie.Au quatrième étage, à gauche, vit une famillea priori sans histoires : les Sarkissian. Commedans tant d’appartements ici, trois généra-tions cohabitent sous le même toit. Un peu à

l’étroit dans ce trois-pièces haut de plafond aux murs épais, typique de la«grande époque», lorsque la République d’Arménie faisait partie de l’Unionsoviétique. Mais les Sarkissian ne connaissent pas cette histoire-là. C’en estune autre,bien plus ancienne,que porte cette famille.Plus douloureuse aussi.Les Sarkissian sont des Arméniens d’Alep. Au début du xxe siècle, leursancêtres ont fui leur foyer pour la Syrie afin d’échapper au génocide. Eux,chassés par le conflit qui fait rage dans le pays de Bachar Al-Assad, ont fait letrajet inverse. Avec le sentiment poignant que la tragédie arménienne n’apas de fin. «La guerre a fait éclater nos familles. Allons-nous rester ici ?Repartir sur la route de l’exil? Pourrions-nous rentrer un jour en Syrie?

L’exil sansfin desArméniens.Il y a un siècle, fuyant le génocide,leurs ancêtres avaient trouvé refugeà Alep ou Damas. Mais la guerreen Syrie les contraint à un nouvelexode. C’est vers l’Arménie quecertains se tournent aujourd’hui.Une patrie de cœur qui les accueilleà bras ouverts. Même si elle n’a rien dela terre promise dont ils avaient rêvé.par alexandre lévy — photo s eric GriGorian

31 octobre 2015—MLemagazine duMonde

Hagop, ici avec sa femme, Ani, et leur filsHaroutyun, est le dernier de la famille Sarkissianà avoir quitté la Syrie. C’était il y a quatre mois.

Depuis, ce propriétaire d’un garage à Alepvit de petits boulots occasionnels.

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Photos Eric Gregorian pourMLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

J’ai l’impression que l’histoire de nos aïeux se répète…»,se désole Hagop. Les yeux embués de larmes, il se souvientaussi de ces dimanches insouciants à Alep, lorsque la tablecroulait sous les mets et que les enfants jouaient dans la rue,jusque tard dans la nuit. C’était avant. Avant les bombes etles persécutions, au bon vieux temps de cette Syrie de cartepostale aussi artificielle qu’injuste,mais dont le régime met-tait un point d’honneur à faire des Arméniens une minoritéchrétienne protégée. Et, même, privilégiée. «Nous ne man-quions de rien, n’avions peur de personne. Vous connaissez unautre pays arabe comme celui-là?», s’emporte-t-il.Hagopest lemari d’Ani, l’unedes filles Sarkissian. Il a les nerfsà fleur de peau.Arrivé il y a quatremois, ce père d’Haroutyun,9 ans, est le dernier de la famille à avoir fait le coûteux et incer-tain voyage d’Alep à Erevan, via Beyrouth. Passer par laTurquie n’est pas une option pour cesArméniens hantés par lepassé.Le restede la famille est installé depuis septembre2012.A l’époque, trois fois par semaine, un vol reliait encoreAlep, lecœur vibrant de la communauté arménienne de Syrie, à Ere-van.Une ligne de vie pour les Souriahay – comme on appelleici ces Arméniens de Syrie – qui s’est brutalement rompue enjanvier 2013, lorsque les combats ont gagné l’aéroport. Entre-temps, les prix des billets d’avion ont atteint des sommets.Kevork, le fils aîné des Sarkissian, ne cache pas son soulage-mentde s’y êtrepris à tempspour organiser le départ des siens:sa femmeet leur petite fille, sa sœurAni et le petitHaroutyun,ses vieux parents ainsi que sa belle-mère. En cette chaudesoirée d’automne, les Sarkissian enfin réunis se serrent autourde «Baba», le grand-père,patriarche âgéde 74 ans,derrière lesstoresbaissésde leur appartementd’Erevan.«Nous ne voulonsêtre une charge pour personne, mais ici c’est notre deuxièmepatrie après tout», glisse Kevork.

D epuis le début de la guerre, la communautéarméniennedeSyrie s’est réduite commeunepeau de chagrin. De ses 100000 membres(dont 80000 dans la seule ville d’Alep), il res-terait aujourd’hui entre 6000 et 10000 per-

sonnes,regroupéesessentiellementdans lesbastionspro-Assad.S’appuyant sur des liens familiaux et communautaires, lagrandemajoritéd’entre eux a réussi à trouver refugeenEuropeou enAmérique duNord.Environ 17000 ont choisi l’Arménie.«A l’échelle européenne, nous sommes le troisième pays, aprèsl’Allemagne et la Suède, à avoir accueilli le plus de réfugiéssyriens.Maisper capita, nous sommes certainement le premier»,affirme l’homme d’affaires et philanthrope RubenVardanyan.Il a co-créé la fondation IDeA (Initiatives pour le développe-ment de l’Arménie) qui facilite l’insertion des réfugiés syriensenArménie. Indépendante depuis 1991, cette République necompte aujourd’hui que trois millions d’habitants, dont plusd’un tiers dans sa capitale. Les Arméniens de l’étranger sont,eux,quelque septmillions.Legouvernementd’Erevanest l’undes rares au monde à disposer d’un ministère de la diaspora,dont l’ambition est de servir de pont entre le jeune Etat et ses«enfants»dispersés suite augénocidedusiècledernier.Unpeucomme Israël qui organise l’alya (« ascension », en hébreu) dessiens, mais avec bien moins de moyens. «Notre mission n’estpas de rapatrier tout le monde, mais de venir en aide à ceuxvenus chez nous tout comme à ceux restés sur place», expliqueFirdus Zakarian. Ce haut fonctionnaire dirige depuis 2012 ungroupe créé ad hoc au sein du ministère pour s’occuper desArméniens de Syrie. Parmi la centaine de personnes qu’ilemploie, «quatre sont des Souriahay», précise-t-il non sans

fierté.Sonministère,qui encourage les entreprises publiques àembaucher ces réfugiés,a vouludonner l’exemple.Car l’emploireste la principale préoccupation de ces nouveaux venus. «Cesont des gens entreprenants, débrouillards. Ils ont une capacitéd’adaptation bien supérieure à la majorité de nos concitoyens,encore trèsmarqués par leur passé soviétique. Tout ce qu’ils veu-lent, c’est travailler, s’en sortir»,poursuitFirdusZakarian.Maisles Souriahay ne pouvaient pas tomber plus mal: avec un tauxde chômage avoisinant les 20%, l’Arménie est elle-mêmeun pays d’émigration économique, essentiellement vers laRussie – seulealliée d’Erevandans la région etprincipal débou-ché commercial.Lorsqu’unArmé-nien veut trouverun emploi, i lprend l’un destrois vols quoti-diens reliant Ere-van àMoscou.Rêvan t d ’unpays de cocagne,lesArméniens deSyrie ont décou-vert une terree x s angue e tenclavée, entou-rée de voisinshostiles, et dontl’essentiel dubudget est avalépar la défense enraisonde la guerre larvéequi l’opposedepuis 1991 à l’Azerbaïd-jan. Un pays également miné par la corruption et le népo-tisme, dont la langue de travail continue d’être le russe – queles Souriahay n’ont jamais appris.Pourtant, l’Etat arménien a été généreux avec les nouveauxarrivants: depuis 2012, une procédure accélérée de naturalisa-tion a été mise en place. Les Arméniens de Syrie obtiennentleurnouveaupasseport enquelques semaines.Ilspeuvent aussibénéficier de crédits à tauxpréférentiel,de formations,de soinsgratuits… Mais aucun projet d’envergure, comme celui deconstruire un quartier pavillonnaire destiné à accueillir600 familles àAchtarak,àunevingtainedekilomètresd’Erevan,n’a jamais abouti.Surnommé le«NouvelAlep»,ce chantier estgelé fautedefinancements:«Nousavons recueilli 200000dol-lars, alors qu’il nous en faut 20 millions», affirme FirdusZakarian.Lespuissantes organisations caritativesde ladiasporaont aussi étémises à contribution.CesONG,qui travaillent enétroite collaboration avec l’Etat arménien, sont cependant sou-vent perçues par les Souriahay commedes émanations de l’ad-ministration locale et, par conséquent, accablées des mêmestorts: inefficacité, lenteur, bureaucratie…Assis à la petite table,Hagop regarde les photos stockées dansson portable : toits d’Alep éventrés par les obus, ruelles cou-vertes de cendres et de détritus du centre-ville et aussi lebalcon de ce qui était sa maison, resté étonnamment intact,comme suspendu dans les airs. Ses mains sont couvertes decals et de gerçures. «Ce n’est pas des aides que je veux, c’estpouvoir travailler comme je l’ai toujours fait», assène-t-il.Commerçants et entrepreneurs plutôt aisés chez eux,voici lesSouriahay déclassés enArménie.Réduits au chômage ou à

Des 100000membresque comptaitla communauté

arménienne en Syrie,il en resterait moins

de 10000.Environ 17000 ontchoisi l’Arménie.

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Sarkis Sarkissian, 74 ans, a fui Alep pourErevan en septembre 2012 avec son épouse,Samiha (ci-contre), leurs enfants et petits-

enfants, dont Arpy Hera (ci-dessous).A l’époque, une ligne aérienne reliait encore

directement les deux villes. C’était avantque les combats ne gagnent l’aéroport,rompant cette liaison en janvier 2013.

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Photos Eric Gregorian pourMLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

faire depetits boulots.«Certains jours, je préfère vivre sousles bombes que comme ça», fulmine encoreHagop.Propriétaired’un garage àAlep, il donne ici un coup demain à unmécani-cien qui le paie unemisère.La plupart de ses compatriotes seretrouvent au «Vernissage», lemarché auxpuces de la capitaleoù ils vendent des babioles. Mais, le plus souvent, ils secontentent de commenter l’actualité. D’autres occupent desemplois de serveur ou de cuisinier dans des établissements«exotiques», comme des bars à chicha et des restaurantsorientaux. Kevork, l’aîné des Sarkissian, se produit tous lessoirs dans un établissement prisé des nouveaux riches, l’Al-Cheikh, au décor digne desMille et UneNuits. Sanglé dans uncostume noir, les cheveux gominés, cet ancien joaillier ychante avec beaucoup d’emphase des tubes arabes, entre lesdanseuses suggestives «venues directement de Saint-Péters-bourg» et l’avaleur de sabres. «Je ne comprends pas toujoursce qu’il dit, mais c’est un gars bien», souritVahé, le propriétairede ce lieu de perdition,persuadé d’avoir fait une bonne affaireen l’embauchant.

L es souriahay bénéficient toujours d’un grand

capital sympathie auprès de la population locale.A Erevan, on ne compte plus les gestes de soli-darité envers ces nouveaux venus. Les locauxs’émeuvent de redécouvrir cet arménien occi-

dental littéraire et sophistiqué parlé par les immigrés et qu’ilsont quelque peu oublié, que l’on entend désormais sur les ter-rasses des cafés et les parcs de la ville.«Ils ont apporté un nou-veau souffle, voire un nouveau visage, à notre capitale un peuprovinciale et assoupie», témoigne GayaneMkrtchian du sitebilingueArmenia Now.Mais elle a aussi l’impression que cer-tains se sentent «un peu à l’étroit» dans la réalité arménienneet se sont rapidementmis à rêver d’un nouveau départ.«L’Ar-ménie n’est devenue qu’une étape dans leur route vers l’Occident.Une zone de transit, sécurisée mais hermétique, comme dans lesaéroports…», dit-elle. Firdus Zakarian confirme que, pourbeaucoup, la greffe n’a pas pris. Selon son ministère, quelque4000 personnes sont déjà parties chercher un meilleur avenirailleurs.Elles sont certainement plus nombreuses.

Trois ans après ledébutde leur exil, les Sarkissian commencentà douter de leur choix de venir en Arménie. Aujourd’hui, lafamille entière – neuf personnes – vit des talents musicaux deKevork et des petits boulots occasionnels de Hagop. Elletouche aussi une petite aide de l’Etat pour payer les 450 eurosdu loyer. C’est loin, très loin, de suffire.Du coup, eux aussi semettent à rêver de l’Occident et plus particulièrement de laFrance où une sœur de Kevork a trouvé asile. Munis de leurpasseport arménien flambant neuf, ses parents ont tenté d’ob-tenir un visa pour rendre visite à leur fille, à Valence. En vain.Les ambassades occidentales d’Erevan craignent,non sans rai-son, que ces Arméniens – qui ont conservé leurs documentsd’identité syriens – ne viennent grossir les rangs des deman-deurs d’asile.Aujourd’hui, les Sarkissian hésitent à renouvelerleurdemande,tétanisés à l’idéed’essuyerunnouveau refusquileur barrerait à tout jamais la route vers l’Europe.Pendant toutl’été, ils sont restés scotchés devant le petit poste de télévisiondu salon pour regarder les images dramatiques de l’odyssée deleurs compatriotes tentantd’atteindre l’eldoradoeuropéen,puislespremières imagesde l’intervention russeenSyrie.Qu’ils ontaccueillie avec soulagementet espoir.«LesOccidentaux fermentles yeux sur notre tragédie, les Turcs soutiennent nos bourreaux,seule la Russie nous aide. Comme au siècle dernier…», com-menteHagop.Toute la famille acquiesce, en silence.Bloqués dans uneArménie qui commémore en grandepompecette année le centenaire du génocide, les Sarkissian ont,comme tant d’autres, désormais la certitude que l’histoire serépète, avec les mêmes acteurs et les mêmes conséquences:la fuite ou la mort. Des souvenirs douloureux, enfouis danstoutes lesmémoires arméniennes, ont ainsi refait surface.«Jesuis moi-même descendant de rescapés du génocide. Et je nepeux pas m’empêcher de penser à ce qu’ont vécu mes parentsen voyant ces Arméniens fuyant la Syrie», dit Firdus Zaka-rian, en s’essuyant discrètement le visage. Comme la plupartde ses compatriotes, il voudrait tellement que ces Souriahayrestent en Arménie pour participer à son développement etqu’ils ne prennent pas ces risques inouïs pour se rendre enEurope…Mais leur patrie historique saura-t-elle les retenir?«Nous sommes un petit peuple, mais avec de grands rêves»,répond le fonctionnaire en levant les yeux au ciel.

Kevork Sarkissian a trouvé un emploi de chanteurdans un bar pour riches Arméniens (ci-contre).

Toute la famille vit sur son salaire, auquel s’ajouteune petite aide de l’Etat. Il retrouve la communauté

arménienne de Syrie (les Souriahay)au marché aux puces d’Erevan (ci-dessous).

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MLemagazine duMonde— 31 octobbre 2015

François Sureau, avocat à la Courde cassation, profite tous

les jours de sa pause déjeuner pourécrire dans son bureau.

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Auteursà tempspartiel.Médecin, avocat, prof, économiste ou employéd’aéroport, ils assouvissent leur besoind’écrire dans l’ombre de leur activitéprofessionnelle. Comme 95% des écrivainsfrançais, dont les droits d’auteur ne suffisentpas à les faire vivre. S’ils le regrettent parfois,la plupart le vivent avec sérénité, leur métiernourrissant même leur œuvre.par Vanessa schneider — photo s alex crétey systermans

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ous les jours,

à midi, François Sureau, avocat à la Cour de cassation, ferme àclef la porte de son vaste bureau. Il éteint son téléphone et sedéshabille, ôte le costume dans lequel il reçoit ses clients etenfile une vieille veste beige informe qui appartenait à sonpère. Il s’installe derrière sa longue table enbois de teinte cara-mel.Seule la fenêtre entrouverte,qui évacue tant bienquemalla fuméedu tabac qui l’accompagne tout au long de la journée,le relie au bruit du monde. Il se saisit d’un cahier noir, d’uneplume de même couleur, et écrit. Certains jours, il couvrequatre pages d’un graphisme fin aux lettres élégamment for-mées, d’autres il n’accouche que de deux ou trois lignes. Il gri-gnote un sandwich, trempe ses lèvres dans un café froid et nerouvre sa porte qu’à quatorze heures trente après s’être changéà nouveau. Ce rituel, ce moment volé au temps, lui a permisd’écrire une quinzaine de livres, dont uneœuvre romanesqueappréciée et régulièrement primée, éditée chez Gallimard.François Sureau est un auteur qui, comme l’immensemajoritédes romanciers, mène en parallèle écriture et activité profes-sionnelle intellectuelle ou manuelle. Combien d’écrivains enFrance vivent de leurs livres?Quelques dizaines,une centainetout au plus.Les disparités de revenus sont spectaculaires : lesavances touchées par les auteurs vont de 2000 à 2 millionsd’euros par livre pour les plus célèbres comme AmélieNothomb,MarcLevy,MichelHouellebecq ouAnnaGavalda.Se voir attribuer un prix littéraire prestigieux dope les venteset devient décisif pour l’avenir financier du primé. Pour lesmilliers d’autres, ceux dont les droits d’auteur ne permettentpas de vivre (plus de 95%), il faut bien avoir unmétier.L’écri-ture doit alors s’imposer dans les interstices du quotidien, seplier aux contraintes horaires, à la fatigue, aux tracas. « Jen’écris qu’à l’extrême marge de mon temps, quand j’ai tra-vaillé, que je me suis occupé de mes gosses, discuté avec mafemme, étendu le linge », expliqueTancrèdeVoituriez, écono-miste dans un think tank le jour, auteur de romans chezGras-set la nuit. Il ne s’en plaint pas : « Ecrire à deux heures dumatin est le test de la nécessité du livre : on le passe ou pas. Sion n’a pas le courage de s’y mettre, c’est que le livre ne doitpas exister, que l’histoire n’est pas assez forte. »Qu’ils soient enseignants,médecins, journalistes ouplombiers,tous ont un rapport vital et fondamental à l’écriture. Devenirécrivain est souvent une obsession de jeunesse, qu’ils ont dûconcilier avec la vie réelle.Une victoire et un renoncement

En haut à gauche : Laurent Seksik, médecin et auteur àsuccès : « Dans un cas on ressuscite les morts, dansl’autre on guérit. » En haut à droite, l’avocat FrançoisSureau. En bas à gauche : Jean Grégor, à l’aéroport duBourget, où il travaille sur les pistes. En bas à droite :

Cypora Petitjean-Cerf, professeure de collège en banlieue.

31 octobre 2015—PhotosAlex Crétey Systermans pourMLemagazine duMonde

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••• n’est ni rentier ni délinquant, il faut bien se poser la question decomment gagner sa vie », constate Rouaud. Il multiplie alorsles petitesmissions,pompiste,déménageur occasionnel, chro-niqueur dans un journal, puis monte à Paris pour travaillerdans une librairie.Là, aumilieu des livres, il n’a plus le tempsd’écrire, il étouffe et se fait embaucher dans un kiosque du19e arrondissement, un quartier populaire de Paris.A l’abri dukiosque, il écrit, dévore tous les journaux qui lui passent entrelesmains,emmagasine une culture phénoménale, fait des ren-contres. « Tous ces gens qui me racontaient leur vie m’ont aidéà raconter la mienne », analyse-t-il aujourd’hui.

PourlaPluPartdesécrivains, vieprofessionnelle et vielittéraire sont cloisonnées.Yves Bichet, dont le dernier romanpublié chez Mercure deFrance figure dans la sélec-tion du prix Renaudot, a eupendant des années deuxactivités saisonnières. Huitmois à construire des mai-sons pour cet ancien salariéagricole du Dauphinédevenu maçon, quatre moisà écrire.« Cela s’exclut tota-lement. L’artisanat demandeune attention complète, il estmême impossible de lire. Enrentrant d’un chantier, jem’écroulais devant la télé. »Pendant l’hiver, à cause dugel, l’activité de gros œuvrequi est sa spécialité est à l’ar-rêt.C’est là, loin des regardsde ses copains de béton-nière qu’il tisse ses récits.« Tout le monde dans le coins’imaginait que je chassais,mais je n’ai jamais touchéun fusil ! Personne ne savaitque j’écrivais. Je ne voulaispas être emmerdé, être consi-déré comme foutraque. »C’est sur son tracteur d’em-ployé agricole, en traversantles champs de lavande, quelui sont venus ses premiersvers. Il envoie quelquespoèmes par La Poste à laNRFqui les publie aussitôt.Totalement étranger aumonde littéraire, il trouve alors ça « normal », estime mêmequ’il est bien mal payé. Il publie son premier roman à 40 anschez Gallimard et une douzaine d’autres dès lors chez diffé-rents éditeurs.Depuis qu’il s’est esquinté le dos, il a dû arrêterson métier. « Je vis aujourd’hui de l’écriture, mais petitement,avec 1500 euros parmois queme procurentmes droits d’auteuret mes scénarios. Je n’ai pas de crédit, j’ai construit mamaison,alors c’est gérable. »Ceux qui exercent unmétier très qualifié comme le médecinLaurent Seksik, auteur de romans à succès chez Flammarion,ressentent également le besoin de séparer leurs activités.Lorsqu’il enfile sa blouse blanche et que ses patients l’appel-lent « docteur », il n’est plus écrivain. Dès l’adolescence,pourtant, il sait que l’écriture et la médecine seront les piliersde sa vie. Fils d’une lignée de médecins, il résume :

à la fois. « J’ai toujours écrit, raconte Cypora Petitjean-Cerf, professeure dans un collège de banlieue et auteure chezStock. Avant même de savoir écrire, je dictais des textes à mamère et àmon oncle. Si j’avais pu, j’aurais passémavie à écrire.J’ai eu du mal à me dire que j’allais travailler un jour. Pourmoi, vivre c’est écrire. » Elle a rédigé son premier roman enCM1,un autre enCM2etne s’est plus jamais arrêtée :poèmes,fictions,piècesde théâtre, jamais publiés.Elle étudie les lettreset se retrouveprof,unpeupar hasard,après avoir vuunepetiteannonce pour un remplacement dans les couloirs de la fac.Contre toute attente,elle s’y est sentie bien :« Enseigner, c’estune façon de ne pas quitter l’école. » Elle ne travaille pas àplein-temps,cequi lui permetdenepasserquequatre joursparsemaine au collège et de consacrer les trois autres à l’écriture.Il existe autant de façons d’écrire que d’écrivains, autant derapports au travail que d’individus. Jean Grégor, auteur dedouze livres – dont le dernier,Femme nue devant sa glace estparu en 2014 aux éditions Fayard – a délibérément choisi unmétier manuel. « Si j’exerçais une profession en rapport avecl’écriture, je vivrais avec la crainte de perdre l’inspiration, lasève. » Ce romancier de 47 ans cultive une admiration pourl’écrivain américain John Fante et une forme d’esthétique du«petit boulot ».Diplôméenéconomieet en sciencespolitiques,il a tout envoyé balader. Il fut pompier, chauffeur de granderemise, steward dans l’Eurostar avant de trouver unmétier quilui convînt parfaitement.Depuis dix-huit ans, il travaille sur lespistes de l’aéroport du Bourget, gère le flux des avions privéssur le parking, les exigences des clients, patrons fortunés ougrands de ce monde, vêtu d’un gilet fluo et coiffé d’une cas-quette. Il aime l’adrénalineque lui procure son activité, les ren-contres variées qu’il y fait, régler les problèmes qui se posent.Le côté physique également, pousser des avions, porter desbagages :« Etre dans le concret me laisse une partie de cerveaudisponible où mon histoire tourne dans ma tête. » Il travaille enhoraires décalés, deux semaines le matin, deux semainesl’après-midi, ce qui lui permet d’écrire le reste du temps.« J’aime la piste, j’y passe beaucoup de temps, j’y gagne monargent,mais le plus important, ce sontmes histoires,mes livres. »

E n 1990, l’attribution du Prix Goncourt

avait suscité un emballementmédia-tique plus bruyant qu’à l’accoutu-mée. La prestigieuse académievenait de couronner un inconnu,auteur d’un premier roman, JeanRouaud. Une si belle récompensepour une premièreœuvre est en soit

un objet de curiosité. Celle-ci s’accroît lorsque la pressedécouvre que l’écrivain est kiosquier. Quinze ans après, l’au-teur des Champs d’honneur, publié aux Editions de Minuit,s’amuse encore de l’émoi qu’il a provoqué. Issu d’un milieude catholiques chouans,fils de commerçants, rienne le destineà l’écriture.Pourtant, elle s’impose à lui à l’âge de 12 ans, aprèsla mort de son père, « comme un substitut au deuil ». Il estfrêle, peu enclin à la bagarre que pratiquent volontiers sescamarades de pension, mais épate profs et élèves en écrivantdes alexandrins. Il passe un bac scientifique, poursuit desétudes de lettres et écrit des manuscrits qu’il se voit refuser.L’idée d’avoir un métier ne lui passe pas par la tête.Dans cesannées post-68, il est de bon ton de considérer que le travailest aliénant. Le slogan «Ne travaillez jamais » est reproduit àl’infini sur les murs des villes universitaires.Mais « quand on

“Ecrire àdeux heures dumatin est le testde la nécessitédu livre : on

le passe ou pas.Si on n’a pas

le courage de s’ymettre, c’est quele livre ne doitpas exister.”

Tancrède Voituriez, économiste dans un think tanket romancier publié chez Grasset.

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Jean Grégor a délibérément choisi un métier manuel.« Si j’exerçais une profession en rapport avec l’écriture,je vivrais dans la crainte de perdre l’inspiration, la sève. »

31 octobbre 2015—PhotosAlex Crétey Systermans pourMLemagazine duMonde

••• « Ma vocation personnelle est d’être écrivain, ma vocationfamiliale est d’êtremédecin. »Lesdeux sont complémentaires :«Dans un cas on ressuscite les morts, dans l’autre on guérit, onsauve, on prolonge l’existence. Le point commun est l’empathie,lamême à l’égard de ses patients et de ses personnages. »Exercerun métier permet aussi d’adoucir certaines interrogations quiempoisonnent l’esprit de la plupart des auteurs : « Lorsquel’on estmédecin, on ne se pose pas la question de sa légitimité caron a passé tous les diplômes. Avec l’écriture, on se demandetoujours à partir de quand a-t-on le droit de se définir commeécrivain. »Etre romancier etmédecin lui permet de «marchersur deux pieds », d’avoir deux vies qui se nourrissent l’une del’autre,mais gardent une certaine étanchéité.

C ertains ont deux noms, un nomd’écrivain,un autrepour la viepro-fessionnelle.Unecommoditépourne pas mélanger les genres. JeanGrégor, qui a pris un pseudonymepour faire oublier qu’il est le fils dePierrePéan,se réjouit tous les joursd’avoir plusieurs identités. Sur la

piste du Bourget, Péan ne parle jamais de Jean Grégor.CyporaPetitjean-Cerf enseigne également sous un autre nom etn’évoque pas les livres qu’elle écrit devant ses collègues : « Jetrouverais çaprétentieux, déplacé, gênant. »Sonstatutd’écrivain,commeceluide JeanGrégor,afinipar se savoirdequelques-unsau gré d’apparitionsmédiatiques et suscite unmélange d’éton-nement et de fierté : « Vous cachez bien votre jeu! », lui disentparfois ses élèves.Cloisonner complètement est une illusion.D’autant plus quel’environnementprofessionnel constitueàdesdegrésdiversunesource d’inspiration pour les auteurs. L’économiste TancrèdeVoituriez puise directement les histoires de ses livres dans sesobjets d’études.Ainsi, travaillant en cemoment sur l’économiedu climat, ça lui a donné l’idée d’une fiction sur unemanipula-tion climatique enChine qui sortira enmars.Cypora Petitjean-Cerf trouve samatière chez les préadolescents qu’elle côtoie aucollège.Lepremier livred’YvesBichet,LaPart animale,estnéd’une rencontre avecunapprenti fermier spécialisédans lamas-turbation des dindons.Aucun de ses livres ne se situe dans lemilieu de la construction,mais il reconnaît que ses rencontresnourrissent les personnages de ses récits : « Quand je décrisquelqu’un, c’est incarné, ce n’est pasdupipeau. » JeanGrégorquipasse lamoitié de sa vie aumilieu des avions a écritTransportsen commun, une histoire d’amour qui se déroule uniquementdans des transports, et Frigo, un roman qui a pour cadre lesimmenses réfrigérateurs dans lesquels il avait l’habitude d’allerchercher les plateaux-repas pour les passagers.Le dernier livredeLaurentSeksik s’intituleL’Exercice de lamédecineet raconteune saga de médecins juifs d’origine russe. Et ses autres livrestraitent de la folie et du suicide, des thèmes peu éloignés de lamédecine.Une question les taraude tous : s’ils sortaient un best-seller quiles mettait à l’abri du besoin, continueraient-ils à travailler ? Laréponse n’est pas évidente. « A 25 ans, après mes études, je mesuis donné le temps pour écrire un roman, se souvientTancrèdeVoituriez. Je n’avais que ça à faire et le livre était nul, il a étérefusé par tous les éditeurs. Je me suis dit “plus jamais ça ”. Laleçon que j’en ai tiré est d’écrire le moins possible, n’écrire quelorsque l’on a quelque chose à dire, lorsque c’est prêt, lorsque lelivre est préconçu dansma tête, quand je sais comment il finit, où

il se situe. »D’autres s’interrogent :s’ilsn’avaientquecela à faire,leurs romans ne seraient-ils pas meilleurs, plus aboutis? JeanGrégor le reconnaît :« C’est une interrogation perpétuelle. Tra-vailler trente-huit heures par semaine a conditionné ma façond’écrire. Si je n’avais pas cette contrainte du temps, je suppose queje lécherai davantage mes phrases. Là j’ai tendance à privilégierl’idée au style et mes premières versions neme satisfont pas. »Enmême temps, il sait que sonmétier nourrit « son obsession de lapâte humaine » : « Je crois en l’idée que l’on n’est jamais aussiintime avec quelqu’un que lorsque l’on partage un objectif com-mun. Or le travail est un objectif commun. »L’avocat François Sureau n’a jamais été tenté de quitter sonmétier :« Même si je faisais un gros héritage, je ne changeraisrien, assure-t-il.Ne faire qu’écrire seraitmepriverde lapulsationdumonde. Si je ne faisais queça, je passerais ma vie dansma tête, ce ne serait pas bonpour ma petite littérature. »Entre deux bouffées defumée, il philosophe :« Si jedois faire un grand livre, je leferai, Cour de cassation oupas. » Après le succès etl’adaptation théâtrale desDerniers Jours de StephanZweig, Laurent Seksik s’estautorisé à arrêter la méde-cine pendant deux ans pourécrire son dernier livre. Ilauraitpucontinuer àvivredeses droits d’auteur, mais enjanvier, il enfilera à nouveausa blouse blanche à mi-temps. « J’ai besoin dereprendre contact avec uneréalité autre que la mienne,sortir du monde que je bâtisen écrivant. Replonger dansle réel permet de préserver lagrâce du livre à venir. »

après le Goncourt

et 650000 exemplaires ven-dus en édition brochée,Jean Rouaud n’a pas eu lechoix, il a quitté sonkiosqueà journaux. « J’avais gagnébeaucoup d’argent, celaaurait été obscène de pour-suivre. » Il a continué àécrire, mais n’a jamaisretrouvé le succès passé.Aujourd’hui, il avoue courageusement ne vendre que 3000 à4000 exemplaires de ses romans. Ses droits d’auteur ne luisuffisent plus à vivre, il gagne son argent avec sa notoriété etaccepte des commandes de tout ordre : une plaquette pour leprochain spectacle de Francis Cabrel, un texte sur Ronaldodans le cadre de l’Euro 2016, des conférences, une chansonpour JohnnyHallyday,une autre pourOliviaRuiz.Ça ne l’em-bête pas : « Tout m’intéresse. Je ne vis pas de mes livres, maisau moins de mon écriture et de mon imaginaire. » En cemoment, il écrit sur ses années passées à vendre des journauxet convoque les souvenirs et les personnages qui ont défilédevant lui. Le livre s’appellera « Le Kiosque ». Là où il futconsacré écrivain, là où tout a commencé.

“J’ai besoinde reprendre

contact avec uneréalité autre quelamienne, sortirdumondeque jebâtis en écrivant.Replonger dansle réel permetde préserver lagrâce du livre.”

Laurent Seksik, médecin et auteur de romansà succès chez Flammarion.

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Dépassés, les “donne lapapatte” et autre “vachercher”? La photographeespagnole BegoAntóna saisi aux Etats-Unisd’étonnants pas de deuxentre des maîtres etleur chien.Une disciplinesportive encore confiden-tielle que ses compétiteursprennent très au sérieux.photo s bego antÓn — tex te louise couvelaire

Compagnonsde

danse.

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Sandy et Bliss,Jerry et Diva.

Phoenix, Arizona.

M Le magazine du Monde — 31 octobre 2015

K athetMaisysont

dans un chaMp,

une femme etsa chienne per-dues au cœurde l’Etat deVirginie, auxE t a t s -Un i s .

Ensemble, au grand air, elles répètent unechorégraphie plus ou moins synchronisée surun air de cabaret. Et que je lève une jambe/une patte, et que je lève l’autre, et que je sau-tille, et que je tournicote… C’est Kath quimène cette petite danse incongrue,et encou-rage Maisy à coups de « spiiiiin » (touuurrr-ne!), avant de conclure le numéro dans unerévérence commune.Ailleurs,un autre de cesimprobables duos s’entraîne dans les bois,déguisé en Indiennes (veste à franges pour lapremière, collier à plumes pour la seconde),au son duCycle de la vie, du dessin animéLeRoi Lion. Et un troisième tandem sedéhanche dans son salon sur la musique deJai Ho, du film Slumdog Millionaire.Aussi surprenantes soient-elles, ces démons-trations de danse en couple mixte humain-

chien ne sont pas qu’un simple hobby pourretraitées en mal d’activité (même si la trèslarge majorité des participants sont desfemmesd’un certain âge).Dansdenombreuxpays, elle est reconnue comme une véritablediscipline sportive, avec ses compétitionsmondiales, nationales et locales. Aux Etats-Unis, elle est baptisée « Musical CanineFreestyle ». En Grande-Bretagne, « Heel-work to Music », en Belgique, « Dog Dan-cing » et en France (où elle a été officielle-ment reconnuepar la Société centrale canine,en 2005), «Obé rythmée »,pour « obéissancerythmée ».Cette performance chorégraphiée met enscène le chien et son maître portant souventdes costumes assortis et virevoltant au sond’une chanson « qu’ils aiment tous lesdeux », insiste la photographe espagnoleBego Antón, 32 ans, auteure de cette sérieintitulée « Chachacha Dogs », aux Etats-Unis. Son idée? Mettre en valeur la compli-cité entre les deux partenaires. La photo-graphe va même plus loin : la danseuse « nefait qu’un avec son chien. » « Je sais que celaparaît fou, et je ne m’y attendais pas du tout,

mais j’ai été émue aux larmes lorsque j’ai vuune danse pour la première fois », se sou-vient Bego Antón. Elle a parcouru huit Etatspendant plusieurs semaines pour aller à larencontre de ces femmes et de leurs chiens,avec l’idée de « mieux comprendre les liens,souvent contradictoires, qui unissent les êtreshumains aux animaux ».Dans le cas présent, la relation est, à l’évi-dence, fusionnelle. Mugs, tapis, couvertures,lustres, photos, assiettes… « Leurs maisonssont remplies d’objets à l’effigie de leurchien », raconte la photographe, qui a choiside les voir à domicile plutôt qu’en compéti-tion,« afin de mieux comprendre leur psycho-logie ».Mais ces femmes « restent conscientesque leurs chiens ne sont pas des êtreshumains », précise-t-elle. Même si certainesavouent, aumicro de la photographe (qui réa-lise également un documentaire), les aimer« autant que leurs enfants ». L’une d’elles ad’emblée annoncé la couleur à son nouveaupetit ami : « Tu passeras toujours aprèseux ! » Si la discipline reste encore confiden-tielle, aux Etats-Unis, elle compte déjà2500 adeptes. Et 6000 dans le monde.

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Beg

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Ci-contre, chez Janice, qui pratique le « Musical Canine Freestyle »(« Obé rythmée », en français)avec deux de ses sept chiens, Martinsburg, West Virginia.

Ci-dessous, Frances et Candy, Albuquerque, Nouveau-Mexique.

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Beg

oAntó

n.

Page de gauche, Barbara et Rambo. Quakertown, Pennsylvanie.Ci-dessus, Mari Aynn et Garden. Phoenix, Arizona.

31 octobre 2015—MLemagazine duMonde

MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Page de gauche, Stephanie et Charleston. Phoenix, Arizona.Ci-dessous, Kath et Maisy. Boyce, Virginie.

69Beg

oAntó

n.

Stars de la mode.nombreuses sont les célébrités à lancer leur griffe,

mais peu parviennent à s’imposer. parmi les exceptions, les sœurs olsenet victoria beckham ont vu leur marque primée par leurs pairs.

par Alice Pfeiffer

Mary-Kate et AshleyOlsen, le 4 mai dernier,

lors d’un gala auMoMA de New York.

JohnLam

par

ski/Get

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ages

31 octobre 2015—MLemagazine duMonde

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

sœurs Olsen se font remarquerpour leurs vêtements épuréset luxueux, fabriqués auxEtats-Unis et aujourd’hui distri-bués dans une quarantaine depays. Un parcours suivi de prèspar le milieu de la mode. En2014, Hermès débauchait leurdirectrice du design, NadègeVanhee-Cybulski, pour dirigerla création féminine. «Lesjumelles Olsen ont conquis unmarché américain en quête devêtements basiques au luxediscret. Le lien entre leur passésur le petit écran et leur pré-sent près des podiums? Unmême travail acharné et méti-culeux», analyse Leah Cher-nikoff, directrice éditorialeau magazine Elle américain.Bien souvent considérées comme

un énième produit dérivé, lesmarques de mode lancéespar des célébrités – la lignede lingerie de Britney Spears,Kardashian Kollection par Kimet sa famille, Twenty8Twelvepar Sienna Miller et sa sœurSavannah – sont rarementprises au sérieux. Certaines

d’entre elles – peu nom-breuses – ont aujourd’huigagné en légitimité. Ainsi,outre-Manche, VictoriaBeckham a réussi à biense réinventer. AncienneSpice Girls mariée au footbal-leur David Beckham, elle lanceen 2008 une marque portantson nom, avec un vestiaireféminin et élégant pensé pourle quotidien. Aujourd’hui, ellecompte 500 points de ventedans 60 pays, afficherait unefortune personnelle s’élevantà 210 millions de livres sterling(290 millions d’euros) eta reçu l’année dernière le trèsrespecté prix du meilleurentrepreneur britannique dumagazine Management Today.«Honnêtement, quand VictoriaBeckham a annoncé qu’ellese lançait dans la mode, ons’imaginait une série de jeanstaille basse et de bustiers.En fin de compte, toute lapresse a été surprise», raconteMorwenna Ferrier, rédactricede mode pour le quotidienbritannique The Guardian.

«Les célébrités ont toujours étéintrinsèquement liées à lamode. Dès le xviiie siècle, ellesjouent le rôle de muses auprèsdes couturiers, qui dessinentdes vêtements pour et avecelles. Elles leur apportent unregard externe et pragmatiquesans compter la valeur symbo-lique pour la cliente», analyseMichele Majer, historienne demode. Aujourd’hui, les successstories des sœurs Olsen et deVictoria Beckham séduisent laculture libérale anglo-saxonne:«Malgré une immense fortune,ces femmes se sont entière-ment dévouées à leur marqueet ont montré beaucoup d’hu-milité. Par ailleurs, le fait queleur succès ait pris du tempsa joué en leur faveur», ajouteMorwenna Ferrier. Pour JustinO’Shea, directeur des achatsdu site de vente en ligneMytheresa.com, qui distribueles deux marques, «elles ontréussi à développer une imageaux antipodes de leur passéet leur évolution stylistiquepersonnelle et professionnelleest telle qu’on oublie d’oùelles viennent».

E n juin dernier,

lors de la presti-gieuse cérémo-nie des CFDAFashion Awards,

les Oscars de la mode, deuxjeunes filles à l’air familiermontaient sur scène récupérerle prix de la marque fémininede l’année. Si The Row est pourl’instant assez peu connue dugrand public français, le visagedes deux créatrices, lui, l’est :c’est celui de Mary-Kate etAshley Olsen, sans doute lesjumelles les plus célèbres dushow-business. Après avoirdébuté leur carrière à l’âgetendre de 9 mois dans la sériedes années 1990 « La Fête à lamaison », elles enchaînent lesfilms et se retrouvent million-naires dès l’adolescence grâceà une exploitation impression-nante de produits dérivés.C’est pourtant dans l’anony-mat qu’elles choisissent delancer, en 2006, leur marque.Un pari osé mais gagné.Lentement mais sûrement, les

Enfants stars de «La Fêteà la maison», les sœurs Olsen(en haut, à droite, en 1993) ontlancé en 2006 la griffe The Row(ci-dessus, collection automne

2015).

Britney Spears (ci-contre) a crééen 2014 la ligne de lingerie TheIntimate Britney Spears (ici, unetenue de la collection été 2015).

Créatrice de la marque dVben 2008, l’ex-Spice Girls VictoriaBeckham (page de droite, le

3 septembre, lors de la FashionWeek à New York) développedepuis 2011 la ligne Victoria,Victoria Beckham (à gauche,

collection automne-hiver 2015).

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Œuvre d’or.Les collaborations entre les marques et les créateurs extérieurs se multiplientafin d’apporter sans cesse un regard neuf sur les collections. Fred est allé plusloin en externalisant entièrement son studio de création, confiant ses lignesà différents noms. Pour sa dernière-née, Une Ile d’Or, le joaillier a rappelél’Argentin Marcial Berro, qui avait réalisé des pièces fortes de la maison dansles années 1990. Ce dernier livre ici des bijoux en or, dont certains pavés dediamants – comme ce bracelet manchette –, évoquant un lointain imaginaire,solaire, qui donnent un coup de projecteur sur la maison Fred. CQFD. V. Ch.

Bracelet manchette 5 rangs en or jaune et diamants, Fred. Prix sur demande. www.Fred.com

Photo François Coquerel pourMLemagazine duMonde. Stylisme Fiona Khalifa— 31 octobre 2015

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La machine à fantasmes

de la mode n’est jamais à courtd’idées. Une de ses dernièreslubies : ressortir de la naphtalineun style vieillot et l’estampiller« geek chic ». Le geek étant unêtre intellectuellement déve-loppé, socialement inapte et fandehigh-tech et de science-fiction,on peut considérer cela commeune avancée pour la féminité.Sauf que la mode s’est contentéed’adopter la panoplie « jupe plis-sée un peu vintage etmocassins »– les lunettes de vue ringardessont en option – censée incarnerce « geek chic ».L’habit ne faisantpas plus le geek que le moine,Miss Mode ne fait pas vraimentillusion dans son rôle d’intelli-gence artificielle. A la librairie,elle erre dans les rayons pour res-sortir avec un guide sur la vie deChoupette Lagerfeld (le chat deKarl) et le énième volume com-mis sur le style de la Parisienne.Elle jure qu’elle a croisé PhilipK.Dick à la Fashion Week, maisc’est parce quelle confond l’au-teur de Ubik avec un journalisteaméricain vu à la télévision.Elle aaussi tendance à mélanger Tol-kien et Tolstoï – tant pis s’il n’y a

l e g o û t d e s a u t r e s

Intelligenceartificielle.

par Carine Bizet — i l l u s t rat i on Kristian hammerstad

pas beaucoup de Hobbits dansGuerre et Paix. Elle n’est guèremeilleure quand il s’agit de diver-tissement. Il a fallu lui expliquertrès vite qu’elle ne pouvait pascommander un Comic-Con aurestaurant japonais : il s’agit d’unSalon pour fans de culture geek,nonpas une variété de sashimi unpeu rare. Elle a aussi un ordina-teur qui ferait baver quelquesvrais nerds – moins intéressés, ilest vrai, par sa housse grifféeassortie au porte-iPhone –, maiselle lutte d’arrache-pied pourmaîtriser cette technologie neuveet fougueuse. Le cloud lui jouedes tours : ayant perdu ses fichiersdans le gouffre d’Internet, elle aacheté trois fois le même album(1989 de Taylor Swift). Cettepanoplie « geek chic » n’arrangepas non plus ses relationshumaines. Elle a d’abord rougid’aise quandquelqu’un a suggéréqu’elle ressemblait à Daria – ellepensait à Daria Werbowy, le top-modèle. Mais elle a changé decouleur quand on lui a parlé deDaria Morgendorffer, héroïne« geek chic » des années 1990,beaucoup moins sexy mais cein-ture noire de sarcasmes misan-

thropes. Ses tentatives de rappro-chement avec un jeune hommemignon (un vrai geek raccord avecsa panoplie) dans une file d’at-tente se sont soldéespar unéchec.Elle lui a dit qu’elle aimait beau-coup son sweat-shirtVêtements etlui a demandé ce qu’il pensait del’embauche du designer de lamarque chez Balenciaga. Le gar-çon a écarquillé les yeux,bafouillé

que son pull venait de chezDécathlon et qu’il n’était « pastrop branché trucs de filles ».Mais lacerise sur ce gâteau aux quipro-quos est venue plus tard : quandMiss Mode a aperçu son refletdans une vitrine et sa ressem-blance frappante avec sa grand-mère, affectueusement surnom-mée Mamie Nova. Elle a renfiléillico son slim et ses Stan Smith.

h o r l o g e r i e

Une bête de montre.Lancés par Fendi en 2013, les Bags Bugs sont de petites créatures en fourrurequi ont colonisé les sacs de la maison romaine. Après avoir été déclinées surles baskets, elles viennent de faire un saut de puce vers les cadrans de la montreMomento, l’un de ses classiques. Chacun de ces quatre chronographes typéssport a sa créature. Elle se matérialise sur le cadran par ses grands yeux furibondssoulignés de diamants. Une montre dont la pointe d’humour est une qualitéassez rare dans le domaine horloger pour être soulignée. D. C.

Momento Fendi Bugs. Boîtier en acier PVD noir de 40 mm.Mouvement à quartz. 2000 €. www.fendi.com

Fen

di

l ’ i n v i t é m y s t è r e

Auteur de thriller.acteur, chanteuse, romancier, héroïne de fiction...

qui se cache derrière ces quatre indices?

par Fiona KhaliFa

v u s u r l e n e t

De bon Keur.après une carrière dans la mode, alfi tall Brun, styliste d’originesénégalaise, a lancé une e-boutique baptisée Keur. « Ça signifie

“maison” ou “chez” en wolof », décodela créatrice, qui souhaite imposerune vision actuelle du tissu africain dansles intérieurs français. au menu, des waxet des bazins graphiques et vitaminésqu’elle chine puis décline en houssesde couette (150 €), sacs, plaids mais aussipoufs (165 €). un choix en constante évo-lution, puisqu’il dépend de ses trouvailles,mais aussi de ses inspirations. M. Go.

www.keurselection.com

l i b r e m e n t i n s p i r é

L’artde la géométrie.

Le créateur BeLge cédric charLier

en appeLLe aux couLeurs et

aux formes viBrantes de L’artiste

Kees goudzwaard pour concevoir

sa nouveLLe coLLection.

C’est le cas à chaque collection,mais pour l’automne-hiver 2015,Cédric Charlier a particulièrementsoigné son nuancier : bleu marine,bordeaux, vert gazon… Une paletteinspirée, cette saison, par les pein-tures et collages abstraits de l’ar-tiste hollandais Kees Goudzwaard(photo, Flight of Stairs, 2005).« Il y a une profondeur dans sontravail graphique qui me touche.Les superpositions, la sensation devibration des formes et des couleursme renvoient à une géométrie quim’est proche », raconte le créateurbelge. Une géométrie, justement,que l’on retrouve dans cettesilhouette féminine. « Pour élaborercet imprimé, j’ai utilisé un peules mêmes principes : des rayureset formes géométriques mises enscène par la couleur, qui se ploientet se déploient dans le mouvementdu vêtement », explique-t-il.Une association de nuances quiévite l’overdose grâce à une épuresophistiquée, l’un des points fortsde Cédric Charlier. V. Ch.

les gantsà paillettes,Le gant blanc, 5,90€www.le-gant-blanc.com

la canettede Pepsi, 33 cl, 2,49 €le pack de 6.www.monoprix.fr

les lunettesde soleil en métalargenté, Ray Ban, 159 €.www.grandoptical.com

la crèmecoiffante nourrissanteSmooth Infusion, Aveda,31,50 € les 250 ml.www.aveda.com.

Réponse:MichaelJackson

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31 octobre 2015—Photo François Coquerel pourMLemagazine duMonde. Stylisme Fiona Khalifa

v a r i a t i o n s

Pied d’égalité.C’est presque vieux comme le monde : la mode féminine ne cesse

d’emprunter les codes du vestiaire de l’homme, à tel pointque le style androgyne est devenu un intemporel. Chemise,borsalino, blazer… mais aussi mocassin, soulier à l’originemasculin. Maintenant qu’il se retrouve aux pieds de la gentféminine, il s’autorise l’excentricité de couleurs franches,

de strass, voire d’un imprimé vache. F. Kh.de gauche à droite : en cuir argenté, robert clergerie,

650 €. www.robertclergerie.commors 1953 en poulain, gucci, 575 €. www.gucci.com

en veau et veau epsom verni coloris noir et tomette,hermès, 650 €. www.hermes.com

180 en veau lisse toucan, J.m. weston, 515 €. www.Jmweston.fr

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r é é d i t i o n

Charme naturel.La célébrité de Janine Abraham et Dirk Jan Rol est inversement proportionnelle àleur talent. Auteur d’un design aux lignes pures et aux matières brutes, ce coupleréalisa à la fin des années 1950 des projets d’aménagement d’appartements et desmeubles. «Leur modestie et leur discrétion les ont empêchés d’accéder à la notoriétécomme Guariche ou Motte», se désole Xavier Bourdery, fondateur de Yota Designqui détient les droits de leurs meubles. Il réédite la table basse AR 36, fabriquéeen 1957 par Rougier, et peu diffusée à l’époque. «Ce modèle représente tout ce quej’aime chez Abraham et Rol : un meuble poétique dessiné avec l’intelligence ducœur, dont les formes dégagent de la sympathie. Grâce à cette économie de matière,cet objet très simple d’usage parle à tout le monde.» En bois et rotin, cette tablelégère colle au goût de l’époque pour le nomadisme. Et sera bientôt déclinéeen version outdoor. M. Go.

Table AR 36, de Janine Abraham et Dirk Jan Rol, 900€. www.yota-design.com

L’industrie de la beauté est sournoise.A peine a-t-on digéré un conceptqu’elle crée un nouveau besoin. Etdans le domaine de ce qu’on appelleles «primers», la liste ne cesse des’allonger. Tout a commencé parl’utilisation d’une base siliconéeavant l’application du fond de teint.Baptisée primer, qui signifie «sous-couche» en anglais, cette formule ad’abord envahi les studios photo et les

coulisses des défilés avant d’êtreproposée au grand public pour fixerle fond de teint. Très vite, les pau-pières ont eu droit à leur propreenduit, nommé Eye Primer, qui pro-longe la tenue des fards et des liners.Face au succès phénoménal de ceproduit (chez Sephora, ce segmentest l’un des plus puissants), toutes lesmarques s’y sont mises. Laissée pourcompte, la bouche méritait bien un

rituel de préparation au rouge àlèvres. Sont donc nés ces primers quicréent une adhérence entre les lèvreset les pigments afin que le fard ne fileplus dans les ridules. Prochaine étape,la sous-couche avant de maquillerles sourcils? L. B.-C.

All About Lips, Clinique, 27€. www.clinique.comLip Primer Pot, & Other Stories,

12€. www.stories.comFix It, Dior, 35,50€. www.dior.com

à q u o i ç a s e r t ?

Le Lip Primer.

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Emotion primaire.par jean-michel tixier

31 octobre 2015—MLemagazine duMonde

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M A V I E E N I M A G E S

Karim Rashid.Iconoclaste et ultraproductif, ce designer conçoit aussi bien des montres

que du mobilier, des hôtels ou même, prochainement, un modèle desmartphone. Connu dans le monde entier pour son utilisation des couleursvives et notamment du rose, dont il est souvent vêtu, il passe sa vie dansles avions. De quoi donner des idées à la compagnie britannique Odyssey

Airlines qui lui a demandé d’imaginer l’intérieur de ses appareils.

P ROPO S RECU E I L L I S P A R CATHERINE MALISZEWSKI

1 – « Mon père était artiste.Il m’a appris à regarder,à dessiner en perspective.Il m’a enseigné à tout décrirepar le dessin. Dès l’âge de 5 ans,je crayonnais des heures,j’imaginais des cités futuristes,des boutons pour cuisinerà la perfection, des mursmétamorphosés. »

3 – « J’esquisse avec presquen’importe quel outil, maisje préfère dessiner au doigt surun iPad, où je peux manipulerles couleurs et la taille des lignes.Chaque semaine, je remplisaussi des carnets entiers decroquis à la main. Le dessinest paisible et cathartique. C’estma seule façon de me relaxer. »

2 – « J’ai toujours aimé le rose,je l’ai toujours porté, associé àdu noir ou du blanc. Pour maremise de diplôme à Toronto,où j’ai grandi, j’arborais uncostume en satin rose et j’avaisteint mes cheveux et mesongles en rose également! »

4 – « Ma création favoriteest sans doute la Kaj watch,imaginée en 2006 pour Alessi.Elle est légère, confortable,simple. Et pas chère, c’est monmantra! Comme elle existeen douze couleurs, j’en porteune différente chaque jour. »

6 – « Imaginé pour Deknudt,mon miroir Scoop & Scoopy estné d’une réflexion sur la matière.Sa mousse en polyuréthanneen forme de coque offre des jeuxde lumière, un effet tactile trèsdoux et un confort visuel. C’estun produit concis, minimal,organique, anamorphique, avecdu caractère et très humain. »

5 – « Je viens de présenterce projet de resort [hôtel]à Cancun : il reflète la lumièrecrépusculaire de la ville,si sensuelle et romantique.Je dessine des objets commedes hôtels, j’aime créer du tout-petit au très grand. »

7 – « Avec mon épouse et mafille, nous visitons des musées,des galeries, des sites d’architec-ture partout dans le monde.Sur cette photo, nous étions auLos Angeles County Museum ofArt. D’autres week-ends, nousarpentons le Whitney Museumof American Art de New York,la Dia Art Foundation deBeacon, le MoMA. Je veuxinitier ma fille au design, àl’art, à la création, commemon père l’a fait avec moi. »

Kar

imRas

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o b j e t t r o u v é

Le seau.Les designers stefaniadi PetriLLo et godefroyde Virieu ont dénichéPour “M” des objets

du quotidien à La beautécachée. cette seMaine,un seau qui résiste

à tout tyPe de charges.

« Ce seau utilisé pendant lesvendanges est fabriqué dansun plastique souple et incassable.Sa poignée en plastique, enfiléecomme une perle sur un fild’acier galvanisé, permet de porterde fortes charges liquides ousolides. Sa couleur noir mat,sa contenance (15 litres) et sonévasement en font le fidèlecompagnon des glaneurs : qu’ils’agisse de la cueillette des mûressur les haies, du ramassage desfruits et légumes du potager, dela collecte des pièces de Lego dansla chambre des enfants ou dustockage de glaçons pour les fêtes. »

nom : seau agricole – année decréation : 1970 – Matériau : PEBD(polyéthylène basse densité), fil defer galvanisé, plastique –fabricant : CNTT – Prix : 2,30 € –coordonnées : www.cntt.fr

www.virieudipetrillo.com

t ê t e c h e r c h e u s e

Figurines de style.François Hollande sur des skis, les positions du Kama-sutra, les pas de danse de MichaelJackson… Ces figurines peintes à la main et reproduites en miniature sur des chemisesen soie ont fait la renommée de G. Kero, la marque que Marguerite Bartherotte (photo)a lancée avec son frère Philippe en 2012. « J’ai toujours aimé le dessin. Après des étudesd’animation à La Cambre en Belgique, j’ai commencé à peindre sur des tee-shirts »,se rappelle la jeune femme élevée au Cap-Ferret (où son père, Benoît Bartherotte, a crééles emblématiques cabanes en bois). Très tôt, sa patte se décline et séduit. « Je n’ai pasle vertige de la page blanche, je dessine très vite, de la même façon que j’écris des parolesou que je chante », explique Marguerite, qui vient de participer à un disque avec le duomusical Polo & Pan. Un travail spontané dont le côté artisanal lui rappelle les cachemiresfaits main (vendus chez Barneys à New York) de sa tante italienne, Diane de Clercq : « J’aigrandi dans un environnement très inspirant. Ma famille a le goût des belles choses. » V. Ch.

www.gkero.fr

31 octobre 2015—Photo Jonathan Frantini pourMLemagazine duMonde

PhilippeBar

ther

otte.

G.K

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u n p e u d e t e n u e s

Lemanteau.page de gauche,Trench engabardine,AmericAn VintAge.ManTeau enTweed eT blouseMarocaineen soie, rAlphlAurencollection.

ci-dessous,ManTeau en drapde laine, lAcoste.robe longueen jerseyde laine vierge,Forte Forte.

en yak, en alpaga ou en gabardine, la star de la saisonse porte long pour mieux souligner la silhouette.

par mArine chAumien — photo s quentin de briey

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31 octobre 2015—MLemagazine duMonde

ci-contre, trenchen gabardine,SeSSÙn. chemiseà plastron encoton, TommyHilfiger.pantalon enviscose ceinturé,Sandro. sacbianca en cuirlisse, lancel.

page de droite,manteauen alpaga etlaine vierge,marc o’Polo.chemise poignetsmousquetaireet pantalon encoton, ceintureen cuir etécharpe de soiréeen mérinos,margareT Howell.

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Mannequin :Misha hart@ViVa ModelsCoiffure etMaquillage :PaCo garriguesassistantestyliste :MaeVa danezan

Ci-dessus,Manteau en laineVierge et alPaga,BrunelloCuCinelli. Blouseen soie et juPeen laine, PaBlo.

Manteau en linet laine Vierge,Paul Smith.BlouseMaroCaineen soie, ralPhlaurenColleCtion.Pantalon enCoton, PortS 1961.saC en Cuir,minelli.

Page de droite,Manteau en yak,max mara.CheMise en Coton,the row.

86

MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

u n e a f f a i r e d e g o û t

Boudin à tartiner.Cuisinier paysan – C’est ainsi qu’il se déCrit –, patriCk dulermitonne ses propres produits dans le lot. ses spéCialités :

le jambon longuement affiné, les salaisons et le pain de blétruffier. quant au boudin, C’est toute une histoire…

par Camille labro

longtemps, j’ai détesté leboudin. Je ne veux pasfaire pleurer dans les

chaumières, mais cela vient deloin… J’ai perdu ma mère quandj’étais petit, mon père s’estremarié, et, de mes 8 ansjusqu’au bac, j’ai été pension-naire dans les Hautes-Pyrénées,à 100 km de chez moi. C’étaitun pensionnat religieux sinistre,où on nous servait une bouffeinfecte: poireaux vinaigrettefadasses, steaks hachés réchauf-fés, boudin froid, plein demorceaux de gras froid. Ça medégoûtait. J’ai mis longtemps àm’en remettre. La cuisine, pour-tant, j’adorais ça, surtout grâceà ma grand-mère, Marguerite,excellente cuisinière. Elle prépa-rait des plats toute la journéedans l’âtre, des bouillons, desviandes, des jus, des gratins(mais jamais de boudin)…Les repas du dimanche chez elleétaient très formels, les enfantsdevaient se taire et se tenir biendroit à table. J’avais trouvéla parade: je passais mon tempsen cuisine. Là, il n’y avait plusd’interdits, que des avantages: je

n’avais pas besoin d’être sage, jemangeais avant tout le monde,et on me félicitait pour ce queje faisais. J’ai pris beaucoup deplaisir à aider ma grand-mèreaux fourneaux, mais je n’avaisjamais imaginé en faire un métieravant mes 24 ans. A cetteépoque, mon père, agriculteur,a acheté le domaine de Saint-Géry. Ma deuxième mère estdécédée peu après et il n’a rienvoulu faire de cette propriété.J’étais étudiant à Toulouse, pastrès motivé, et peu à peu, je mesuis installé ici. J’ai fait un stagechez une dame de Mazamet,Yvette, qui faisait table d’hôtes.Elle confectionnait des jambons,des magrets grillés, des terrinesde foie gras, des croûtes auxchampignons, des gâteaux auxpommes. J’ai retapé la maisondu domaine, commencé à fairela cuisine comme Yvette, etdistribué des tracts à Cahorspour appâter le chaland. Dès lepremier soir, j’avais des clients.Progressivement, je suis devenuagriculteur, j’ai planté du blé, deslégumes, des chênes truffiers,et j’ai commencé un élevage de

cochons noirs gascons pour lessalaisons. Et forcément, quandon abat le cochon, il y a du sang.Alors j’ai eu l’idée de faire unboudin sans gras, plein d’épices,en ajoutant un peu de viande,beaucoup d’oignons, façonboudin antillais. Commeje ne supportais pas l’idée dele mettre en boyaux, j’ai faitdu boudin en pot, à manger surdes tartines, comme un pâté, ouchaud et bien grillé. Aujourd’hui,je n’élève plus mes porcs moi-même, je les achète à des superpetits producteurs pour fairemes jambons, et je me suis remisà faire du boudin… Auquel jerajoute parfois, en fin de cuisson,un peu de mon lard affiné auxaromates. Cela ajoute du moel-leux et de la profondeur de goût.Finalement, moi qui détestais ça,j’ai remis du gras dans monboudin! Mais c’est un grasdélicieux, dans un boudin à mafaçon. Un plat que je me suisréapproprié au fil du temps,comme une thérapie.

Domaine de Saint-Géryà Lascabanes (Lot),www.saint-gery.com

l e s r e c e t t e sle boudin

de patr ick duler(Pour 4 à 5 terrines)

INGRÉDIENTS1 litre de sang de porc noir

gascon (ou porc bio),1 kg d’oignons du jardin

(ou bio), pelés et émincés,500 g de gorge

de porc noir gasconEpices : piment d’Espelette,

gingembre, genièvre,clou de girofle, poivre,

18 g de sel marin non raffiné

Hacher la gorge finement.La faire revenir quelquesminutes dans une grande

sauteuse puis ajouterles oignons, et faire réduirejusqu’à ce qu’il n’y ait plusde jus. Ajouter les épices(à doser généreusement),le sel, puis le sang filtré,

petit à petit et sans cesser deremuer. Dès que la couleurvire au brun, arrêter le feu,verser dans 4 ou 5 bocauxde 500 g préalablementébouillantés, et fermer

hermétiquement.Poser les pots dans unemarmite, recouvrir d’eautiède, porter à ébullition

et laisser bouillir à petit feupendant une heure. Refroidirdans l’eau froide. Ces terrinespeuvent se conserver un an.

boudin de porcnoir à la

rhubarbe et auxpommes sauvages

(Pour 4 personnes)

INGRÉDIENTS350 g de boudin de porc noir

gascon aux épices,100 g de lard affiné de porcnoir gascon aux aromates,

1 kg de branches de rhubarbenon traitée,

50 g de baies de sureauséchées,

2 pommes sauvages oupommes bio acidulées

Fleur de sel, poivre du moulin

Laver, peler et émincer fine-ment les tiges de rhubarbe.Les cuire dans une casseroleavec un fond d’eau, à petitfeu. Lorsque la rhubarbe a

pris la texture d’une compote(quelques minutes suffisent),la retirer du feu et incorporer

les baies de sureau.Tailler le lard en dés de

3x3 mm. Chauffer le boudindans une poêle à petit feu, enremuant doucement jusqu’àce qu’il s’émiette. Ajouterle lard, mélanger et sortirdu feu. Râper les pommesà l’aide d’une mandoline.Les disposer au fond des

assiettes, ajouter une cuille-rée de compote de rhubarbepuis déposer le boudin chaud

en couche épaisse. Saler,poivrer et servir aussitôt.

Flo

rence

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Monde

La rareté, La beauté, La cherté des choses

les rendent souvent désirables à nos yeux.C’est ce qui se passa pour les premièresorchidées arrivées des pays tropicauxen Europe. Au xixe siècle, on parlait mêmed’« orchidélire » pour désigner l’engoue-ment de certains chasseurs d’orchidéesprofessionnels qui partaient à la recherchede ces fleurs, surtout des spécimens rares.A leur retour, ils vendaient leurs trouvaillesaux enchères, à des prix exorbitants. C’estainsi que l’orchidée acquit sa réputationde fleur de luxe, ce qui perdura pendanttout le xixe et la majeure partie du xxe siècle.Mais vers la fin des années 1970, on se mità cultiver l’orchidée Phalaenopsis selon lesméthodes industrielles. On avait réussià reproduire et à faire pousser facilementet rapidement une plante qui pendantsi longtemps avait représenté un défi pourles cultivateurs. La production de masse

entraîna une chute spectaculaire des prix,on les vit partout, stockées en grandesquantités dans les supermarchés et autreslieux peu associés à l’idée de luxe. Elledevint l’une des plantes en pot les pluscourantes et les plus appréciées.L’orchidée traversait-elle une crise d’iden-tité? Notre perception de cette fleur avait-elle évolué du fait de son tarif désormaisaccessible? Ceux qui se demandaientsi l’orchidée n’avait pas perdu un peude son aura obtinrent la réponse au défiléhaute couture Dior automne-hiver 2014.Ce dernier se déroula en effet dans unerotonde aux murs recouverts d’orchidéesblanches, parfaitement à la hauteurdu terme « orchidélire ». Tous les doutesconcernant le chic et la désirabilité del’orchidée s’évanouirent. Sa crédibilité entant que symbole d’exception et debeauté était intacte.

Ci-dessus, ce vaporisa-teur en nickel, conçu

en 1886 par John Haws,est toujours fabriquépar la même entrepriseanglaise. La plupart

des orchidéesapprécient l’humidité,

il faut pulvériserrégulièrement de l’eausur leurs feuilles et

leurs racines pour leurbonne santé. 25 € surwww.thegardenedit.com

Ci-contre, les orchidéessont posées sur

un présentoir/porte-revues en céramiquede Laetitia de Allegri.« Sans titre no 2 ».

www.laetitiadeallegri.com

g a r d e n - p a r t y

Retour en grâce.par John Tebbs, j a rd i n i e r ang la i s .

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31 octobre 2015—PhotosAmber Rowlands pourMLemagazine duMonde

u n e v i l l e , d e u x p o s s i b i l i t é s

Budapest la festive.à cheval sur le danube, la capitale hongroise possède

le charme de la mitteleuropa. mais c’est aussi une ville moderneet dynamique qui fourmille d’adresses originales.

par Pascale DesclOs

Roger

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Comme à la maisonau Brody House

Parquet, moulures, bow-windowsdonnant sur le parc attenant,

photos et toiles d’artistes passéspar ici : installée dans un hôtel par-ticulier du xixe siècle, cette maisond’hôtes abrite onze chambres

à l’esprit arty. Localisation idéaleau cœur du quartier étudiant,

près du métro Kálvin tér.

Chambre double de 90 à 130€. BródySándor utca, 10. www.brodyhouse.com

noCturne magiqueau lánCHíd 19

Un hôtel tout en verre sur les rivesdu Danube, au pied de la collinedu château. Derrière sa façadetransparente, 45 chambres et3 suites au mobilier résolumentsixties. Toutes offrent une vue

plongeante sur le fleuve et la ville :magique quand les lumièress’allument, à la nuit tombée.

Chambre double à partir de 83,50€ avecpetit déjeuner. Lánchíd ut, 19.

www.lanchid19hotel.fr

plongée art nouveauaux Bains gellért

Une splendide piscine Art nouveauau toit coulissant, des bassins

décorés de mosaïques turquoiseoù l’on barbote dans de l’eaude source à 38 °C, des bains

extérieurs à vagues, des salles demassage: les bains Gellért sontle plus bel établissement thermal

de Budapest.

Env. 16€ l’entrée. Kelenhegyi út, 4 (aupied du mont Gellért). fr.gellertfurdo.hu

saveurs inventivesau mák Bistro

Voûtes recouvertes de chaux, menuà l’ardoise, musique lounge…

Dans ce bistronomique, on savourela cuisine inventive du jeune chef

János Mizsei. Consommé debetterave jaune, canard aux

lentilles, crème brûlée à la pistacheet, en prime, le pain aux grainesde pavot («mák», en hongrois).

Menu à 12€ et vins hongrois au verre.Vigyázó Ferenc utca, 4. www.mak.hu

tournée de tokayau Bar Baltazar

Un bar à vins chaleureux, à deuxpas des galeries de peinture duPalais royal de Buda. Entouré demurs de brique et blotti dans descanapés de velours, on y dégustele top des crus hongrois : tokay,riesling, furmint… Plus de 200

références à explorer. Egészségére !(Santé !).

Országház utca, 31.www.baltazarbudapest.com

mode inspiréeCHez retroCk

Le temple de la fripe décalée. Danscet ancien entrepôt relooké en loftde béton et de métal, on déniche

sur deux niveaux des piècesvintage des années 1960-1990 etdes créations de jeunes stylisteshongrois de l’université d’artappliqué Moholy-Nagy: robestuniques pop, capelines en

astrakan, chaussures hautes àlacets, sacs aux motifs ethniques...

Anker köz, 2. www.retrock.com

pause strudelau new york Café

A la fin du xixe siècle, écrivains etartistes se donnaient rendez-vousdans ce café élégant. Embouti par

un char soviétique en 1956 etrénové depuis, le lieu a retrouvéson charme d’antan. A tester :le très généreux strudel aux

pommes et aux noix ou la moussenoisettes-coulis de cerises.

Erzsébet körut 9-11.www.newyorkcafe.hu

soirée arroséeau szimpla

Le plus couru des «romkocsmák»(littéralement «bars en ruines»)de Budapest. Dans cette courpavée, encadrée d’entrepôts àverrière qui abritent Trabant del’époque soviétique, graffitis,baignoires-canapés et lustres

à pompons, on écluse au coude-à-coude bières ou shots de vodkalime à 2€, sur fond d’indie-rock.

Kazinczy ut. 14. www.szimpla.hu

i— tour historique

i i— balade branchée

Les bains Gellért.

Le Mák Bistro.

Le bar Baltazar.

Le bar Szimpla.

y a l l e r

en avion VoL qUoTiDiEN EASyJET PAriS CDG-BUDAPEST A/r à PArTir DE 115 €. www.EASyJET.CoMoffice du tourisme de Hongrie — hoNGriEToUriSME.CoM

31 octobre 2015— Photos Kasza Gábor pour M Le magazine du Monde

illustrationSatosh

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Lemag

azineduMonde.

d e s s o u s d e t a b l e

Renversant Jeu de Quilles.par françois simon

C ombien sont-ils à Paris, à attendre le chaland?Ils ont le cœur vaillant, les langoustinesgrouillantes, le vin rafraîchi. Et pourtantparfois, il n’y a pas grand monde (d’autres,si). Juste une table ou deux. De quoi

se mordre l’intérieur des joues. Et attendre le prochainservice. Le Jeu de Quilles, dans le 14e arrondissement deParis, appartient à ce genre de tables. Il y a là un chef, BenoîtReix, impatient et bouillant d’une cuisine franche, de marché.D’instinct. Un peu l’école Passard dans sa simplicité. Riende trop. Jamais. La salade de chin-chards, pois blonds de la Planèze,concombre et sauce Genjiro roulebien sur son axe. Elle raconte pasmal de choses, des paysages.On a l’impression d’écarter desbranchages et de se rapprocherdes saveurs. Pareil avec le crous-tillant de pied de cochon ave sonchutney de mangue et de la tré-vise : un gras scélérat, un contre-pied soyeux. Rien n’est compliqué

p l a c e d e c h o i xLa table de la cuisine pourle partage des sensations,

sinon en devanture. Laterrasse aux beaux jours.

à e m p o r t e rLa carte de visite,

à refiler aux bons amis.

d o m m a g ePlus de notoriété

donnerait encore plusd’ampleur à la cuisine

de Benoît Reix.

p a s s a g e à l ’a c t eLe Jeu de Quilles, 45, rue Boulard,

Paris 14e. Tél. : 01-53-90-76-22. Fermésamedi soir, dimanche et lundi.

Décibels :83 dB, ambiance détendue

d’une clientèle en confiance.Mercure :

23 °C, cuisine ouverte et convivialité.Addition :

Menu carte à 35 et 39 €.Minimum syndical :

Formule déjeuner à 18 €.Verdict :

Réservez dès maintenant, please.

Le Jeu de Quillesprodigue une cuisine

de marché savoureuse :ci-dessus, salade

de chinchards, poisblonds de la Planèze,

concombreet sauce Genjiro ;

à droite, croustillantde pied de cochon avecson chutney de mangue

et de trévise.

à l’instar de cette cocotte de veau (venu de son voisin HugoDesnoyer) au paprika fumé et sa mousseline de céleri. Lesproduits conversent sous votre fourchette et vous actionnezl’attelage. La clientèle est à l’unisson d’un chef vibrant. Il officiederrière son comptoir et il a tout le loisir de piger les vibrationsde ses clients. Il localise les tables impatientes, celles auxtimidités rentrées, et manie le soufflet de ses forges douces.Salle étroite et petite dont on sent la ferveur tranquille. Le menuest à 39 euros, c’est très bon. Et tout compte fait, ce n’est passi fréquent à Paris.

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Pages réalisées par Vicky Chahine et Fiona Khalifa (stylisme). Et aussi Lili Barbery-Coulon, Carine Bizet, Marine Chaumien,Pascale Desclos, Stefania Di Petrillo, David Chokron, Laure Gasparotto, Marie Godfrain, Emilie Grangeray, Camille Labro,

Catherine Maliszewski, Alice Pfeiffer, François Simon, John Tebbs, Jean-Michel Tixier et Godefroy de Virieu.

u n i o n l i b r e

La nuit blanche du potiron.en version potage, cet incontournable de halloween

se marie à des vins blancs secs et fruités.

domaine elian da ros côtes du

marmandais coucou blanc 2011

A base de sauvignon et desémillon, ce joli vin se marieraencore mieux au potirons’il est légèrement épicé, voiresafrané. Fraîcheur en boucheavec des notes de pomme,poire et fruits secs.

17€.Tél.: 05-53-20-75-22.

domaine plageoles gaillac

premières côtes ondenc 2013

Tonique, ce blanc sec donnedu relief au potage grâceà son ampleur et à ses arômesde coing. Un accord trèsréussi. L. Go

12,25€.Tél.: 05-63-33-90-40.

d e u x i è m e r i d e a u

De la gouailleet du goût.

oh! celui-là, question deuxième rideau, c’estdu gratiné! vous passeriez vingt fois dans larue que vous ne le calculeriez pas. le quartierabonde en adresses rutilantes (colette sepavane tout à côté) et ce petit bistrot est dansson jus années 1960: le formica donne à fond,le ventilo helix brasse l’air, les murs sont jaunepastis, et le distributeur de cacahuètes tendson bec-de-lièvre. l’assiette ne paie pas demine. c’est une cuisine de maman: œuf mayo,salade de tomates, rôti avec frites maison«et fraîches», tarte du jour aux fraises. Qu’est-ce qu’on est bien! le service a de la gouaille,de la tendre dérision, de l’apostrophe pari-gote. et voilà : clientèle parisienne avec sonbrassage invraisemblable et toujours un peude place. addition (au maximum 20€ pourentrée-plat-dessert) rédigée sur des feuillesvolantes, pas de carte de crédit bien entendu.sixties, définitivement. Fr. S.

Au Petit Bar, 7, rue du Mont-Thabor, Paris 1er.Tél.: 01-42-60-62-09.

Du lundi au samedi de 7h à 21h. Sandwiches au bar.

94

Illustrations Gilles & Cecilie et Broll & Prascida/Agence Karine Garnier pourMLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

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la red bull music academy investit paris.l’occasion pour de jeunes musiciens

de faire leurs classes aux côtésde stars de la musique électronique.

mais l’academy est aussi un festival mêlantexpositions, conférences et concerts.

par Stéphane Davet

Le duo anglais Malaand Coki, lors de l’éditionde 2014 de la Red Bull

Music Academy,à Tokyo. R

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31 octobre 2015—MLemagazine duMonde

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

La Red Bull Music Academytourne dans le monde entier.L’édition 2014 s’est tenue

à Tokyo. Cette année,les 61 étudiants

assisteront notammentà des ateliers en studios.

Page de droite : le ChilienAlejandro Paz, lors dela précédente édition.

N ous auraient-ils

snobés? Peut-être parce quele leadermondial des

boissons énergisantes estresté interdit de vente enFrance jusqu’en 2008? Paris aattendu dix-sept ans pouraccueillir (après Berlin,Londres, New York, Barcelone,São Paulo…), jusqu’au27 novembre, la Red Bull MusicAcademy (RBMA). L’événe-ment est devenu, depuis sacréation en 1998, l’un des plusprestigieux de l’avant-gardemusicale et l’un des exemplesles plus raffinés de marketing.« Les musiciens n’ont jamais euautant besoin de s’inventer uneidentité visuelle. Et Paris, par sarichesse dans les domaines dela mode, du design, du cinémaet de l’art, est plus que jamais aucœur de la création », assurel’Allemand Many Ameri, cofon-dateur, avec son compatrioteTorsten Schmidt, de l’Academy.A la fois « université d’au-tomne » privée et festival,la RBMA propose dans letemple multimédia de la Gaîté-Lyrique et plusieurs salles de lacapitale cinq semaines deconcerts, d’exposition (ParisMusique Club, sur les liensentre musique et arts digitaux),de projections de films oud’installations accessibles aupublic.

allemands les plus puristes enmatière d’electro. « A la fin desannées 1990, le succès de cesmusiques a commencé à attirerles marques, explique-t-il. Lesopérations publicitaires semultipliaient, sans sens, nilendemain. Red Bull nous adonné la possibilité d’imaginerquelque chose de différent. »La société autrichienneaccepte alors de privilégier ladimension culturelle, plus quefêtarde, du milieu de la nuit– l’un de ses cœurs de cibles.« La pédagogie est depuis ledébut au centre du projet,revendique Many Ameri, afinde transmettre aux jeunesartistes l’expérience despionniers, et pour favoriser leséchanges entre musiciens. »A Berlin d’abord, puis dans uneville du monde différentechaque année, des interve-nants célèbres – dont BrianEno, Nile Rodgers, GiorgioMoroder et, à Paris, LaurentGarnier, Geoff Barrow de Por-tishead, Jean-Michel Jarre etCerrone (pour deux confé-rences publiques) – partagentleur savoir, entre deux ateliersde productions organisés dansdes studios éphémères.Les étudiants sont programméslors de concerts, en compagniede pointures de l’avant-gardepop. Les soirées sont souventconceptuelles, reprenant lesobsessions intergénération-nelles des fondateurs (cetteannée, la soirée vogue deLasseindra Ninja, la confronta-tion des collectifs hip-hop Yardet Free Your Funk, le premier

concert solo du membre d’Air,Nicolas Godin, la soirée du label50Weapons…).Une fructueuse expériencepour Alexandre Berly – aliasLa Mverte –, participant dela RBMA 2014, organisée àTokyo. « Deux semainesintenses, marquées par desconférences comme celle deMichael Rother, du groupe Neù,et surtout par mon travail avecdes gens d’autres pays etd’autres univers, s’enthou-siasme le producteur et DJparisien. Beaucoup sont deve-nus des amis, comme le ChilienAlejandro Paz, avec qui je sorsun disque, The Line, que nousavions commencé à Tokyo. »Le sponsoring de Red Bull,parfois critiqué (comme parl’artiste electro-engagéMatthew Herbert, qui y avaitpourtant participé commeconférencier), n’a pas posé deproblème au Français. « RedBull ne nous impose aucuncontrat. Sans qu’on ne medemande rien en échange,la RBMA a aussi continué dem’accompagner après Tokyo,que ce soit en me permettantd’utiliser leur studio d’enregis-trement parisien ou en me pro-grammant sur les plateaux defestivals aussi prestigieux quele Sonar, Villette Sonique,les Transmusicales ou NuitsSonores. » Et sur l’une desscènes de cette éditionparisienne.

Red Bull Music AcAdeMy,jusqu’Au 27 noveMBRe,

à lA GAîtée-lyRique et dAns d’AutRessAlles pARisiennes.

RedBullMusicAcAdeMy.coM

61 « étudiants » de 37 nationali-tés auront, eux, accès à desconférences et des ateliers enstudios. Retenus sur dossierparmi plus de 5000 candidats,ils se scinderont en deuxgroupes. Deux Français yparticiperont, dont MarylouMayniel, alias OK Lou, 22 ans,brillant espoir d’un electro-R’n’B aux ambiances rêveuses.Comme beaucoup d’autresparticipants, cette jeunefemme encore inconnue dupublic a fait frétiller les réseauxsociaux grâce à de premièresautoproductions et quelquesconcerts. « Je ne connaissaisrien de l’Academy, reconnaît-elle. C’est un copain beatmaker,Frensh Kyd, qui m’a conseillé deposer ma candidature. » Undossier loin des fastidieuxformulaires de soutien auxartistes qu’elle avait pu remplirauparavant : « Ce sont 20 pageshyperludiques où tu parles detoi, de ton rapport au son, enfaisant des dessins, en répon-dant à des questions comme“Quelle musique passeriez-vousau dessert lors d’un dîner avecvos parents?” » Si plusieursanciens élèves ont connu lesuccès (Flying Lotus, NinaKraviz, Aloe Blacc…), « le butn’est pas de trouver des bêtesde concours, insiste ManyAmeri,mais des artistes créatifscapables de s’ouvrir et departager ».L’idée de la RBMA a germé en1997, rappelle l’autre cofonda-teur, Torsten Schmidt, àl’époque rédacteur en chef deGroove, un des magazines

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RedBullMusicAcademy

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LES IMAGINAIRES DE LA TÉLÉPATHIEDANS L’ART DU XXe SIÈCLE :

KANDINSKY, KUPKA, MIRÓ, POLKE…

28.10.15 > 28.03.16

Chaque année,dans une villedifférente, desintervenants telsque Brian Eno,Nile Rodgers ouLaurent Garnierpartagent leursavoir faire avecles jeunes artistessélectionnés.

Le photographeOlivier Culmann

s’est amusé à posersous les traits

de personnagesincarnant la société

indienne. Ici, enemployé de bureau.

Dans les studiosde photo indiens,

le portraitdevient une

fiction délirante.

p h o t o

Clichésd’identité.

par Claire Guillot

Hop un cartable! Hop une per-ruque! Hop des moustaches!Hop un gros bide… Dans sonexposition au Musée NicéphoreNiépce, à Chalon-sur-Saône,Olivier Culmann ressemble àces petits personnages depapier que les enfants habillentet déshabillent en un tourne-main. C’est toujours le mêmehomme sur la photo, mais enun clin d’œil, il est devenuun autre, le décor a valsé. Etcomme nous sommes en Inde,défilent sous nos yeux unsadou (ermite), un employé debureau au pull sans manches,un militaire… L’identité, danstout ça ? Rien d’autre qu’unaccessoire, qu’on peut enfileret quitter à sa guise.Celui qui se cache derrière cescostumes et ces perruques estun Grand Duduche qui abriteson regard étonné derrièrede petites lunettes rondes.Olivier Culmann, photographedu collectif Tendance Floue,connaît bien l’Inde, où il ahabité plusieurs années. Aprèsen avoir rapporté des imagesclassiques, « des photos faitesavec un regard occidental,destinées à être exposéesen Europe », dit-il, il a décidéd’« inverser les choses ».Pour son projet « The Others »

(« les autres »), il s’est appro-prié les pratiques populairesde la photographie en Inde, oùles studios ont encore le venten poupe. Là-bas, les notionsde ressemblance et devraisemblance semblentsecondaires : le visage estsystématiquement lisséet blanchi. Le numérique aencore accentué et facilité cespratiques : on peut choisir lefond sur lequel on pose – le TajMahal, les montagnes suisses,la galaxie… –, mais aussiincruster son visage sur uncorps parfait. Olivier Culmanns’est amusé à poser dans desstudios de quartier en incarnantdifférents personnages repérésdans la société indienne. Maisil est allé plus loin, en laissants’exprimer l’inconscientdes photographes indiens :il a demandé à des studiosde compléter une image dontil ne fournissait qu’un morceau– il est courant, en Inde,lorsqu’une personne meurt,de faire reconstituer son imageà partir d’un portrait abîmé.Le résultat est parfois à peinehumain. Il a aussi fait appelà un peintre indien, qui afabriqué des tableaux à partirde ses photos. Et qui a missa touche personnelle :le drapeau indien est ajoutésur un portrait de sportif etdes flammes infernales autourd’un homme visiblement musul-man… Olivier Culmann a mêmeparticipé à un roman-photoindien, publié dans la presse : ily incarne un photographe occi-dental plein aux as qu’une jolie

fille va tenter de plumer, avantd’avoir des remords. A cliché,cliché et demi… Tous ces jeuxde rôle aux couleurs pétardsfont d’abord hurler de rire.Mais l’aspect ludique va depair avec une réflexion sur lanature et les limites de l’exer-cice du portrait. Comme si lesIndiens, avec leurs pratiquestotalement décomplexées,avaient finalement compris

mieux que tout le monde lesmutations de l’image actuelle,devenue un objet de désir,un outil de communication,et même une fiction, loin, trèsloin de son objet de départ.« The OThers », Musée NicéphOre Niépce,

28, quai des Messageries,chalON-sur-saôNe. Tél. : 03-85-48-41-98.

jusqu’au 17 jaNvier 2016.www.MuseeNiepce.cOM

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Édouard BaerImaginé avec humourpar Taï-Marc Le Thanh

Joyeusement illustrépar Rose Poupelain

Orchestré avec talent par

The Amazing Keystone Big Band

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Slogansféministeset œuvres

coup de poingponctuentl’œuvre

de l’IvoirienneValérie Oka.

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Véritécrue.

par Roxana azimi

« Ce n’est pas une revendica-tion ni un traité féministe. »Koyo Kouoh, commissairede l’exposition « Body Talk »– sur le féminisme et la sexua-lité en Afrique, au Fonds régio-nal d’art contemporainLorraine – nous aura prévenus.Sur les six artistes présentés,une voix est pourtant hautperchée, celle de l’IvoirienneValérie Oka. Son néon rougecarmin apostrophe ainsi le visi-teur : « Tu crois vraiment queparce que je suis noire je baisemieux ? » Manière provocantede dynamiter les clichés etde lancer le débat. Valérie Okan’a pas peur de paraître crue,voire outrancière. Les formuleschocs, elle s’y connaît, ellequi a fait ses armes dansla communication publicitaire,aussi bien à Paris qu’à Abidjan.Née d’un père ivoirien et d’unemère française, Valérie Okaest double, à la fois créatrice etcommunicante, artiste et desi-gner, touche-à-tout foncière-ment indépendante. Si ellea d’abord choisi la voie de la

publicité, c’est pour s’assurerune autonomie financière quene lui aurait pas donnée l’art.Mais aussi pour maîtriserles codes, « manipuler plutôtqu’être manipulée ». Même sielle se sent plus africaineque française, elle se voit en« extraterrestre » de Côted’Ivoire, où elle a décidé devivre en 1995, après avoir faitses études à Paris. « J’ai ten-dance à dire ce que je veux,quand je veux, comme je veux,alors que la femme africaine estplus dans la négociation, quiest une forme d’hypocrisie. »Cash, jusqu’au bout desongles. Son médium préféré?La performance, notammentles dîners où elle réunit destêtes pensantes du mondeculturel, politique ou écono-mique, pour discuter d’amouret de peur. Au terme du repas,les convives sont invités àlaisser sur la table des « négo-ciations » : un dessin, unepensée, la trace d’une émotion.« La performance, une foisterminée, continue de trotterdans la tête des gens, commeun parfum, explique-t-elle.On peut ainsi plus facilementtoucher les consciences. »Quant au moteur de sonœuvre, il tourne autour del’intimité et des fantasmes,du désir et de la violence.« La société africaine estencore très patriarcale,regrette-t-elle. En Côte d’Ivoire,ce n’est que depuis 2010qu’une loi donne l’égalitéhomme-femme dans lemariage. Une femme n’a plus

besoin de demander l’autorisa-tion à son mari pour voyagerou travailler. Quand je défendsl’indépendance financière dela femme en Afrique, on me ditque c’est mon côté “blanc”. »Ce qui la révulse encore plusque le machisme ambiant,c’est la persistance enOccident des stéréotypeshérités du colonialisme, qu’ellemet notamment en scènedans une performance où unefemme nue, prisonnière d’unecage, côtoie un pénis surdi-mensionné. Une réminiscencede la «Vénus hottentote»,exhibée comme une bêtede foire dans toute l’Europeau xixe siècle. « Le regard del’homme blanc sur la femmenoire, je le vis tous les jours.Parfois, je me vois commeun sexe ambulant, dit-elle.Les Occidentaux ont faitdu corps de la femme africaineun fétiche, un objet de désir,un objet tout court. » Quandon lui fait remarquer que cer-taines œuvres coup de poingsonnent comme des sloganspublicitaires, elle assènel’exemple d’Andy Warhol,maître en communication.« Je veux être le plus directpossible pour faire passerun message, réplique-t-elle.Arrêtons de tourner autourdu pot ! »

« Body Talk », Frac lorraine,1 bis, rue des TriniTaires, MeTz. Tél. :

03-87-74-20-02. jusqu’au 17 janvier 2016.www.Fraclorraine.org

MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Anciennepublicitaire,Valérie Okadétourne

les codes de lacommunicationpour dénoncerles stéréotypeshérités du

colonialisme.

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en partenariat avec3 T H R I L L E R S D I S P O N I B L E S A U R A Y O N B D

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

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Jeuxdemiroir.

par Rosita Boisseau

Viscéral et sophistiqué,organique et savant, le gestedu chorégraphe SaburoTeshigawara est unique. Ala tête de la compagnie Karas(« corbeau », en japonais – cen’est pas un oiseau de mauvaisaugure au pays du Soleil-

Levant) depuis 1985, passépar des études de peinture,de mime et de danse classique,il a creusé une voie fascinanteentre paysages plastiques etmouvements électriques. AvecMirror and Music (2012), pourhuit interprètes, il plonge lescorps dans une nasse d’éclatsde miroirs réverbérés pardes jeux de lumière. Surune bande-son composée demorceaux variés surfant entrebaroque et contemporain,celui qui a choisi la danse à20 ans –« parce qu’il désirait seservir de son propre corps pour

atteindre une autre compré-hension du monde »– aimeaussi « guider les danseurs enlaissant le mouvement jaillir ».Pour Mirror and Music, lechorégraphe sera présent surscène au milieu de sa troupeet c’est un régal. « Le miroiret la musique n’existent pasdans la réalité, aime-t-il dire. Ilsreflètent et démultiplient notrevision ou notre imaginationla plus féconde. »

Mirror and Music,de Saburo TeShigawara,

ThéâTre deS ChampS-élySéeS,15, av. monTaigne, pariS 8e,

du 6 au 8 novembre, à 20 h. de 15 à 68 €.

Les mouvementsélectriques

du chorégrapheSaburo Teshigawara.

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L’intégrale de la saison 2 en DVD et BLU-RAYL’intégrale des saisons 1 et 2 en DVD et BLU-RAY

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CRÉATEUR ORIGINAL

Des corps plongésdans une nasse de

miroirs réverbérés pardes jeux de lumière.

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Steve McQueen, férude course automobileet alors au sommet desa gloire, ne s’est jamaisremis de l’échec du Mans.

Vous participez au documentaire

consacré à Votre père et

au tournage mouVementé du film

« le mans ». échec lors de sa sortie

en 1971, il a changé radicalement

la fin de carrière de Votre père,

qui ne s’en est jamais tout à fait

remis. pourquoi être reVenu

dessus?

Tout le monde s’en souvientcomme d’un flop. Mais à sasortie, Le Mans a attiré autantde spectateurs lors de sa pre-mière semaine en salles auxEtats-Unis que L’InspecteurHarry avec Clint Eastwood.La carrière du film a été pluscompliquée ensuite. Mon pèreavait des idées claires quandil travaillait et n’en faisait qu’àsa tête. J’ai une collection desscénarios qu’il a conservés.

Quand vous les consultez, vousvoyez plein de monologues qu’ila barrés en totalité au stylo.Il entoure parfois un seul mot,qui correspond à l’idée qu’ilveut faire passer à l’écran.Il savait simplifier à l’extrêmepour tout exprimer avec sonvisage. Et il s’est lancé dansLe Mans sans scénario. Maisce n’était pas si incroyable quecela. Après tout, ils avaientun scénario à moitié terminésur Bullitt (1968). Les produc-teurs faisaient des proposi-tions à mon père sur le plateau.Il répondait par monosyllabes :« oui », « non », « oui », « non ».

Votre père, au sommet de

sa popularité, était le Véritable

maître de cette superproduction

consacrée à sa passion :

le sport automobile.

Il tenait à ce que Le Mansdevienne un documentairesur la course automobile, pasun film de fiction. C’est pour-quoi il n’y a pas de dialoguesdurant les vingt premièresminutes. L’absence de scénariol’arrangeait sans doute car

cela mettait tout le mondedans l’obligation de faireun documentaire. Mais ce nefut pas le cas, et ça ne risquaitpas de l’être, puisque le film acoûté dix millions de dollars.Mon père était un type compli-qué, mais intelligent. Il savaitmanipuler les gens. Le filmsaisit l’essence de la courseautomobile, ce sont les imagesles plus spectaculaires jamaistournées dans le genre.

comment Vous êtes-Vous retrouVé

sur ce tournage?

Il faisait tout pour que jepuisse, avec ma sœur, êtreprésent lors de ses tournages.L’avantage d’avoir un père quine se comportait pas commetel fut de pouvoir le regardertravailler. Il aurait trèsbien pu nous laisser avecdes nourrices, mais non,nous avons voyagé avec lui.

que recherchait Votre père

dans la course automobile?

Il y a quelque chose, dansle pilotage d’une voiture de700 chevaux, lorsque vousdépassez les 220 km/h, qui estimpossible à décrire. Ce seuildépassé, vous ne pensez plusà rien et trouvez une paix inté-rieure. Mon père recherchaitcela au guidon d’une moto ouau volant d’une automobile :la roue qui tourne, le circuitdont le tracé se répète et,en même temps, l’expressiond’une expérience singulière.Vous avez le contrôle d’unmonstre, vous maintenez unevitesse sur des zones où vous

ne devriez jamais la maintenir.Mon père tenait à ce quele spectateur capte cettesensation en regardantLe Mans. Les 24 heures duMans étaient la plus grandecourse du monde, avec les500 miles d’Indianapolis etle Grand Prix de Monaco enFormule 1. Et puis, les voituresqui concouraient au Mans, lesFerrari 512 et les Porsche 917,roulaient plus vitequ’une Formule 1.

quand êtes-Vous monté

pour la première fois à bord

d’une Voiture de course ?

A 10 ans, sur ce circuit du Mans,en y arrivant en juin 1970, lorsdu tournage du film. Mon pèrem’a pris sur une ligne droitede plusieurs kilomètres avec unseul virage très vicieux – on y aajouté depuis deux chicanespour limiter la vitesse. Il a passétoutes les vitesses, a poussél’engin à son maximum. Le chocétait tel que je me suis retrouvécollé sur lui. Il était un peudingue. Tout le monde s’en sou-vient comme le « King of cool ».Moi pas, je n’avais pas cette per-ception. Je pense qu’il voulaitme dégoûter de la courseautomobile. Cela a produitl’effet inverse. J’ai fini par piloterune Porsche 917 trente ansplus tard. Vous n’avez pas idéedu défi physique que poseun tel engin à un pilote.

c i n é m a

“Mon père étaitun peu dingue.”

par Samuel Blumenfeld

dans “le mans”, steVe mcqueen exprimaitsa passion pour la course. son fils chad reVientsur le tournage mouVementé de ce film, objetd’un documentaire en salles le 4 noVembre.

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“Mon père était un pilote à colbleu. Dans le monde aristocratequ’était la course automobile,il permettait au spectateur

de s’identifier à cet univers.”Que sont devenues les voitures

et les motos collectionnées

par votre père?

Il avait 138 motos et 35 voitures.Quand il est mort, elles n’inté-ressaient plus personne. Je saisque Jerry Seinfeld a récupérésa Porsche 917. J’en ai conservéquelques-unes. Le reste a étévendu aux enchères en 1984.J’avais songé à bâtir un muséeà la mémoire de mon père avecses engins, mais ce n’était paspossible, les taxes sont tropélevées aux Etats-Unis.

comment votre père gérait-il

le risQue létal de ce sport?

Mon père était un pilote à colbleu. Dans le monde aristocra-tique qu’était la course auto-

mobile, il permettait auspectateur de s’identifierà cet univers. Mais s’identifiersignifie prendre en comptesa dimension la plus morbide.Mon père avait en tête lesmorts croisés sur les circuits.Lui et moi avons, par exemple,été très marqués plus tard parla mort de François Cevert, en1973, lors des essais du GrandPrix des Etats-Unis. Françoisest mort très salement, la têtesectionnée. Le pilote belge,Jacky Ickx, nous avait racontéla scène, quand il a vu sa têteavec son casque rouler sur lebas-côté. L’accident grave deDavid Piper sur le tournage duMans, où il a perdu une partiede sa jambe, m’a terriblementmarqué. Il y avait une tenteprès du circuit où nous avions

l’habitude de manger. Ce jour-là, mon père était parti avantmoi, une voiture est venue mechercher du château où nousrésidions. Je prends un sand-wich et je sens que quelquechose de grave s’est produit :le comportement de l’équipeavait changé. Mon père arrivealors à moto – il se déplaçaitainsi d’un endroit à l’autre ducircuit –, me fait un signe de lamain et me dit : « Viens là petit,je veux que tu vois ce qui peutarriver durant une courseautomobile. » J’ai vu la voiturefracassée. L’odeur était insup-portable. Plus tard, un autrepilote, Derek Bell, a été brûlé.Après Le Mans, mon pèren’a plus jamais pris le volant

d’une voiture de course.Il était ainsi : quand il estimaitmaîtriser quelque chose, il ledélaissait pour passer à autrechose. Il a ensuite commencéà collectionner les motosdes années 1950, s’est laissépousser la barbe, et nousnous sommes baladés à motojusqu’à sa mort en 1980.

Steve McQueen : the Man & Le ManS,de Gabriel Clarke, John MCkenna.

en salles le 4 noveMbre.

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

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C’est l’homme du grand écart.Connu pour ses sériespotaches comme « L’élèveDucobu » ou « Tamara », lescénariste Benoît Drousie, aliasZidrou, multiplie les récits pouradultes : « J’écoute aussi bienBrahms que Stan Getz ou AC/DC, j’aime varier les plaisirs,justifie l’auteur belge, qui vitaujourd’hui en Espagne. Je suistous les matins devant monordinateur. Autant m’amuser. »

Effet du hasard, le scénaristesort deux albums en mêmetemps chez Dargaud. Lesthèmes sont forts différents,et les deux sont recomman-dables. Dessiné par le prodigeespagnol Jordi Lafebre,Les Beaux Etés raconte latranshumance en 4L d’unefamille belge en août 1973,l’été de La Maladie d’amourde Michel Sardou. Un péripleterni par la crise que connaît

le couple, sur le point de seséparer mais qui ne veut pasgâcher les vacances desenfants. Délicieusement nostal-gique, l’album épate par lesbons sentiments qu’il dégage.« C’est voulu, insiste Zidrou. Jevoulais montrer de la tendresse,des sentiments, du sexe, tout cequi fait le sel de la vie. Tant pis sicertains trouvent cela mièvre. »Radicalement différent, Bouf-fon conte l’histoire d’un jeunegarçon au visage déformé,né dans la fange d’un cachotmoyenâgeux avant de devenirle bouffon de la fille du comteet de se découvrir un donpour ressusciter les femmesrécemment décédées. Maispour cela, il doit les embras-ser… Très noir, ce conte cruel

oscille constamment entredésespoir et espérance.La narration, assurée par unprisonnier, est un joli tour deforce. Et la couverture, ornéede dorures, vaut le coup d’œil.« J’aime bien me mettreen danger », avance Zidroupour justifier son éclectisme.D’ailleurs, le scénariste envi-sage, après une reprise de« Clifton » ou de « Léonard »,deux séries tombées endésuétude, de réaliser bientôtune BD poétique, très onirique.« Tous les Belges font cela,on est le pays du surréalisme,ça aide ! »

Les Beaux étés, Cap au sud !,de Zidrou et Jordi Lafebre,

dargaud, 56 p., 13,99 €.Bouffon, de Zidrou et francis porceL,

dargaud, 64 p., 14,99 €.

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Docteur Drousieet Mister Zidrou.

par CédriC Pietralunga

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t h é â t r e

La piècedans la pièce.

par Patrick Sourd

Il s’est installé en France à la findes années 1990. Mais DanJemmett est aussi anglaisqu’iconoclaste, et cultive dansses mises en scène un humourqui flirte avec les limites dutrash. Lorsqu’il monte Hamlet,de Shakespeare, avec DenisPodalydès à la Comédie-Française, il transpose la piècedans les années 1960 et situel’action dans le hall désolé d’unclub d’escrime des bas quar-tiers. Quand il se lance dans unhommage à la poésie dédiéeau légendaire Billy the Kid parle Canadien Michael Ondaatje,il renoue avec la tradition

des saloons et offre aux specta-teurs une tournée généralede bourbon du Kentucky.Avec Macbeth (The Notes),Dan Jemmett raconte avechumour le moment où, aprèsune répétition, le metteur enscène confie ses notes auxcomédiens et à l’équipe artis-tique: « Tout est parti d’une dis-cussion avec un de mes acteursau Français autour de la placed’une tasse sur un guéridon.C’était très réel pour nous…Sans nul doute surréalistepour un auditeur de l’extérieur.D’où l’intuition qu’il y avait là unesituation à creuser. » L’idée estde reconstituer le dérouléd’un spectacle : Dan Jemmettimagine même les derniersréglages de cette mise en scènetotalement virtuelle. « Le choixd’une œuvre où le public a sesrepères s’imposait. J’ai opté sans

hésitation pour Macbeth. »Restait à inventer la tramed’un spectacle n’existant pasen multipliant les séancesde brainstorming avec soncomplice, David Ayala. Celui-ciincarne un metteur en scèneà bout de nerfs à trois joursde la première, inquiet dubricolage des machinistesautant que des idées avant-gardistes de son vidéasteallemand. « J’ai découvertle théâtre en Angleterre avec lastand up comedy qui se donneà Londres dans les pubs, confieDan Jemmett. L’immédiateté durapport au public est un héritageprécieux, il témoigne dela manière dont on devait inter-préter le théâtre élisabéthainà l’époque de Shakespeare.Pour Macbeth (The Notes), jeme tiens aux principes du standup en offrant à David la liberté

David Ayala,seul sur scène,pour une mise

en abymede la créationd’une pièce.

d’improviser dans le cadre d’unparcours balisé. » Adressant sesnotes aux sorcières ou à LadyMacbeth, David Ayala choisitses partenaires dans les rangsdu public. Ce faisant, son pre-mier défi est de transformerchaque spectateur éluen acteur. « C’est un grandbonheur de voir David faireévoluer la pièce en fonctiondes réactions de la salle. »Un objet artistique hors normeque Dan Jemmett qualifiede « théâtre de la distorsion ».Une ultime pirouette pouravouer son plaisir de constaterque le spectacle lui échappeun peu plus chaque soir.

Macbeth (the Notes), d’après Macbethde William shakespeare, adaptationdan Jemmett et david ayala, miseen scène dan Jemmett. au théâtredes Bouffes du nord, 37 Bis, Bd dela chapelle, paris 18e. Jusqu’au14 novemBre. tél. : 01-46-07-34-50

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Son nouvel album

00 mois 2015—MLemagazine duMonde

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Sagasafricaines.

par Yann Plougastel

En Afrique, un peu plusqu’ailleurs, les rumeursurbaines appartiennent à la viequotidienne. Tantôt, on s’enmoque, tantôt elles alimententde véritables paniques quidébouchent sur des mouve-ments de foules totalementirrationnels. Une des pluscélèbres est celle dite des« voleurs » ou « rétrécisseurs »de sexe, en cours depuis lesannées 1970 en Afrique del’Ouest et centrale. Elle veutque, par un simple contact,le sexe d’un homme peut êtresubtilisé par un autre individu,à des fins de sorcellerie… L’écri-vain gabonais Janis Otsiemi,disciple plein de verve deFrédéric Dard, d’André Hélénaet de David Goodis, s’estemparé de cette légendeurbaine pour écrire son nou-veau polar, Les Voleurs de sexe.Ce qui nous vaut une plongéetrès roots, pleine de bruit etde fureur, dans les quartiersmal famés de Libreville.Le capitaine Pierre Koumbadoit à la fois enquêter sur untrafic de photos pas très nettesdu président de la République,sur l’assassinat d’un entrepre-neur chinois et sur cette épidé-mie de zizis qui disparaissentpar la magie du Saint Esprit…Ce roman truculent, dignesuccesseur des excellents

African Tabloid, La vie est unsale boulot et Le Chasseur delucioles, vaut surtout par sonstyle (fortement) pimentéd’argot, de néologismes,de « gabonismes » et de pro-verbes colorés. On ne peutque rire à cette descriptioncocasse et ironique de lasociété africaine qui tire à vuesur tous les trafics…Le côté plus sombre et plusinquiétant de l’Afrique,on le retrouve dansLontano, l’épais thriller deJean-Christophe Grangé,où les effigies vaudouesoccupent une place de choixdans l’imaginaire torturéd’un tueur en série. Quantà l’Anglais Richard Hoskins,il mélange avec beaucoupde subtilité dans L’Enfantde la Tamise une enquêtesur un meurtre rituel en pleinLondres et de la sorcellerievenue de Kinshasa.Les voLeurs de sexe, de Janis Otsiemi,

Jigal POlar, 200 P., 18 €.Lontano, de Jean-ChristOPhe grangé,

albin miChel, 784 P., 24,90 €.L’enfant dans La tamise, de riChard

hOskins, traduit de l’anglais Par marieCausse, belfOnd, 384 P., 21 €.

MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

Dans L’Homme orchestre, il est habillé en rougecriard, le plus souvent sur un fond de la mêmecouleur. Quand il apparaît en bleu, c’est pour seconfondre avec un décor de la même teinte. Il luiarrive de se balader en pyjama à pois multico-lores, mais c’est pour remettre en cause toutdécor possible, devenir un acteur orchestre, unpoint d’attention éradiquant tout ce qui existeautour de lui. Arrivé au sommet de sa notoriété,il peut tourner ce qu’il souhaite, comme il l’en-tend, bouleverser la disposition des décors,modifier les angles de prise de vue, imposer sonrythme – le tournage qui devait durer onzesemaines sera deux fois plus long. De Funèsdevient une créature hybride, démiurge sur sontournage, obsédé par son image et bousculé parson époque – Mai 68 et le Flower Power. Sonmanteau à jabot, que portera plus tard Princedans Purple Rain, en est l’évidente réminiscence.L’acteur prend acte de la révolution sexuellepour se conduire en Torquemada de l’absti-nence, tout en se transformant en une créaturesortie d’un « Dim Dam Dom » de Jean-Chris-tophe Averty. Dans L’homme orchestre, deFunès gesticule, de Funès couine, ne s’habilleque d’une seule couleur, maîtrise l’espace par seschorégraphies dépouillées, refuse les mots,regarde son entourage de manière fonctionnelle,impropre à vivre sa vie, au service de sa perfec-tion. Bref, de Funès se complaît dans l’expéri-mentation et l’abstraction. Issu d’une traditionancienne de la commedia dell’arte et du théâtrede boulevard, il prend pied dans son époque. Ilétait un comique parfois ringard, il s’épanouitdésormais dans l’avant-garde. En fait, en 1970,Louis de Funès arrive à l’heure.L’Homme orcHestre, de Serge Korber, en blu-ray, gaumont.

En 1970, Louis dE Funès avait pErdu La têtE. Pourtant,à cette époque, l’acteur français le plus popu-laire de son époque galvaudait son géniecomique dans le conformisme du Gendarmede Saint-Tropez, des Grandes vacances ou duGendarme se marie. Mais il y a un bref moment,

dans la foulée de Mai 68, où deFunès se reconfigure intégrale-ment, devient un comédien incon-trôlable. Il apparaît dans des filmssurréalistes ou dadaïstes, c’estselon, choisit des sujets sibaroques, à ce point aberrants,tellement décalés, que l’on sedemande si le spectateur prenait lamesure de ce qu’on lui proposait.Dans une trilogie improbable,Louis de Funès se pose sur lesrives audacieuses d’un AlfredJarry. Ce mouvement va de Hiber-natus (1969) d’Edouard Molinaro,dans lequel un homme congelé àl’âge de 25 ans dans le pôle Nordest retrouvé au bout d’un siècleet va rejoindre son petit-fils, àSur un arbre perché (1971) deSerge Korber, situé intégralementdans une voiture tombée sur unpin parasol accroché à la paroid’une falaise, en passant parL’Homme orchestre (1970) dumême Serge Korber, où l’acteur

incarne un chorégraphe – mélange de RolandPetit et de Maurice Béjart – obsédé par la virgi-nité de ses danseuses. Louis de Funès devientun comédien absurde et ubuesque. Il se donne,enfin, les moyens de son génie.

Louis de Funèsse pose sur les

rives audacieusesd’unAlfred Jarry.Il devient un

comédien absurdeet ubuesque.Il se donne,

enfin, les moyensde son génie.

l e d v d d e s a m u e l b l u m e n f e l d

De Funès à Dadasur son époque.

Pagescoordonnéespar EmilieGrangeray

Le génie de Louis de Funès, toutde rouge vêtu en maître de choré­

graphies dépouillées, s’épanouit dansl’abstraction de L’Homme orchestre.

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HORS-SÉRIE

UN HÉROS, UNE ŒUVRE

AstérixL’irréductible

Entretien exclusif avec Uderzo : comment sont nés Obélix et Idéfix

Par Toutatis, ils sont de retour ! La 36e aventure d’Astérix et Obélix,Le papyrus de César, sort le 22 octobre, avec un tirage prévu de 5 millionsd’exemplaires… A cette occasion, Le Monde consacre un volume de sacollection à l’irréductible Gaulois qui appartient désormais aupatrimoine national. Albert Uderzo et Anne Goscinny y racontent lagenèse et l’histoire de ce personnage culte. Cabu et Franquinexpliquent en quoi le héros gaulois a révolutionné la bande dessinée…Astérix est apparu pour la première fois dans Le Monde en 1974.Quarante ans plus tard, il y est à nouveau. Alea jacta est.

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Photo Putu Sayoga pour M Le magazine du Monde — 115

d o s s i e r t o u r i s m e

tous les soleils.Dossier réalisé par Stéphanie Chayet, Pascale Desclos,

Olivier Joly, Alexandre Kauffmann, Camille Labro.Illustrations Edith Carron/Costume 3 Pièces.

Doha, capitale des artsFer de lance de cette ambition ?Le magnifique Musée d’ArtIslamique (MIA), conçu parIeoh Ming Pei, l’architecte de laPyramide du Louvre à Paris.Ouvert en 2008, le MIA est uneicône dans le monde de l’art etdu patrimoine. Car ses lignespures en pierre calcaire et ses-volumes géométriques serventd’écrin à l’une des plus bellescollections d’œuvres et d’objetsislamiques, allant du VIIème auXIXème siècle. Sur deux niveauxet dix-huit galeries, se répar-tissent ici de délicates jarresd’Irak, des soies et tapis brodésd’or venus d’Iran, des lampesottomanes, des textiles égyptienset des bijoux indiens Moghols.Le raffinement se poursuitdans l’assiette, au dernier étage,puisque le restaurant Idam,décoré par Philippe Starck, estdirigé par le chef étoilé AlainDucasse. A l’extérieur, unenavette rose attire l’attention.Le « Mathafbus » propose auxvisiteurs de poursuivre gratuite-ment leur découverte culturellevers le Mathaf, le musée arabed’art moderne, à trente minutesde là. Construit par l’architectefrançais Jean-François Bodin, ilabrite une collection de près de8 000 objets du monde arabe,des expositions temporaires etun centre de recherche.

Le Qatar, terre d’histoireD’aussi loin que remontent lesmémoires de la péninsule, on ytrouve des bédouins se déplaçantà dos de chameau, un faucon

sur l’épaule, pour chasser dansle désert ; et des hommes plon-geant à la recherche d’huîtresperlières depuis des boutressur les eaux du Golfe. Certes leQatar s’est beaucoup développéces dernières années, mais iln’oublie pas pour autant sesracines et ses traditions. Conçudans le style de la région, levillage culturel de Katara estjustement dédié au richehéritage du pays, avec unnombre fou d’expériencesartistiques et gastronomiques àvivre. Ici, on écoute un concertdans les allées ombragées ou unopéra dans un amphithéâtreromain. On admire les troispigeonniers de terre crue, lamosquée aux motifs iraniens etcelle entièrement dorée. Onflâne dans les galeries d’art, ondîne sous des tentes ou enterrasse.Un autre lieu, historique celui-là,a récemment servi de décor àdes démonstrations de danseset d’artisanat. Al Zubarah estune ancienne ville de pêcheurs,autrefois prospère, aujourd’huiabandonnée, inscrite au patri-moine mondial de l’Unesco.Protégée pendant des décen-nies par une couche de sable dudésert, elle dévoile ses mystèresau fil des fouilles. Pour l’heure,le fort Zubarah est le principalattrait de la visite. Avec saforme carrée, ses murs hauts etépais, ses tours dans chaquecoin et sa grande cour, ilrenferme un musée interactifsur son surprenant passé.

Ilest des portes que l’on n’ose pas franchir. Par manque de temps ou de curiosité.Ou parce que l’on ignore les trésors cachés derrière. Les portes de l’aéroport deDoha sont de celles-là. Et si on osait les ouvrir… Dehors, un monde méconnu,intemporel et surprenant s’ouvre à vous ! Le Qatar n’a pas fini de vous étonner.Doha, la capitale, envoûte ses visiteurs dès la première balade sur sa corniche de7 km bordant le Golfe arabique. De jour, les façades étincelantes de sa skyline mi-roitent au soleil. De nuit, les reflets multicolores des buildings se muent en feud’artifice. Mais au-delà de sa frénésie de construction, la ville se revendique aussicomme la destination culturelle incontournable du Golfe. Et elle le prouve.

Le Qatarnouvelle destination culturelle

Katara

MIA

zubara fort Rafeek Manchayil

n Visa de 30 jours prolongeable à l’arrivéen Visa d’entrée conjointe avec Omann Décalage horaire : +2hn Climat désertique modéré : chaud en été(jusqu’à 50°C) et doux en hiver (minimum 7°C).Peu de pluie (entre octobre et mars).

A savoirContrairement à certaines idées reçues, lesvisiteurs peuvent consommer de l’alcool dansla plupart des bars et restaurants d’hôtels; etles femmes peuvent se baigner en maillot deuxpièces dans les plages du désert ou aux abordsdes piscines d’hôtels.

Y allerEn véritable spécialiste du Moyen-Orient par saprésence dans la région depuis près de 60 ans,AYA DÉSIRS D’ORIENT ET DES ILESsouhaite vous proposer toujours plus d’inédit,d’authentique et d’exceptionnel avecces nouvelles offres à la découverte du Qatar.

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Mathaf

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118Dossier tourisme — Photos Putu Sayoga et illustrations Edith Carron/Costume 3 Pièces pour M Le magazine du Monde

Sur l’île de Sumba,la végétation luxuriante

des rivages (3, l’anacardierou pommier-cajou) côtoie

les zones plus aridesde l’intérieur des terres (4).

Ambu Leke devant letombeau sculpté de ses

ancêtres (2). Un Sumbanaispose avec son arme (1).

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Les plages blanches ourlées de turquoisede cette île d’Indonésie appellent àl’indolence. Mais le charme de Sumbaréside aussi dans sa partie invisible, oùflotte l’esprit des ancêtres. Par Alexandre Kauffmann

Sumba,l’île auxÂmeS viveS.

C’est une autre respiration. Le balan-cement des pommes de cajou sur lesbranches des anacardiers. La lumière pen-sive du matin dans les brumes. Le poulstranquille des fleuves qui descendent versla mer. A Sumba, île perdue au sud-est dugrand archipel indonésien, le temps règleson pas sur celui des solitudes équatoriales.La vie, elle, se moque des limites fixées parla nature. Les morts ne meurent jamais. Lesesprits s’égaillent librement dans le mondevisible. « Vingt de mes ancêtres habitentici, confie Ama Soli, 60 ans, en désignantle tombeau gagné par les mousses qui setrouve devant sa maison. Je les écoutechaque jour et prends soin d’eux, ils ont degrands pouvoirs… » Le vieil homme – qui vitdans un village traditionnel à une portée deflèche de Waikabubak, deuxième ville del’île se résumant à quelques allées enfouiessous les bougainvilliers – parle de sesaïeux comme s’ils étaient à nos côtés, prêtsà engager la discussion.

Dans sa demeure en bambou coiffée depaille, chacun tient son rang. Les cochonset les poules somnolent sous le plancher.Les vivants séjournent à hauteur du sol. Lesesprits, quant à eux, errent dans la tour quise dresse sur le toit, où l’on entrepose de lanourriture et des objets rituels. Après avoirréajusté son turban, Ama Soli glisse un longcouteau dans le fourreau d’acajou qu’il porteà la ceinture: « Cette lame est mon âme,prévient-il, et elle sera dans mon tombeau. »Comme les premières chaleurs montent dela vallée, soulevant des bouffées de basilicsauvage, le villageois nous salue d’un airabsent et tourne les talons sans autre formede procès. Fallait-il s’attendre à de plusgrands honneurs? Il est encore trop tôt.Nous ne sommes que des vivants.

Sumba – 685000 en 2010 – est apparuetardivement sur la mappemonde. L’exis-tence de cette terre n’est mentionnée qu’auxive siècle, au fil des chroniques javanaises,qui établissent que Sumba vit sous ladomination de l’Empire hindo-bouddhiqueMajapahit. Un parfum sulfureux émane déjàde l’île, qui ne se soumet en réalité qu’à sapropre loi, celle des conflits claniques etdes chasseurs de têtes. Seuls quelquesmarchands arabes et chinois s’y aventurent,à la recherche de bois de santal, d’épicesou d’écailles de tortue. Sumba – 70 kilo-mètres de large pour trois fois plus long –présente peu d’intérêts commerciaux.A telle enseigne que les Hollandais,

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120Dossier trourisme — Photos Putu Sayoga et illustrations Edith Carron/Costume 3 Pièces pour M Le magazine du Monde

tations spontanées. A l’évidence, le passaged’un Occidental suffit à créer l’événement.Dans les lumières sépia du couchant, levent emporte l’appel du muezzin et l’échod’un prêche calviniste. Si plus de 85 % desIndonésiens sont musulmans, les Sumbanaissont majoritairement chrétiens. Les religionsdu Livre doivent ici composer avec lescroyances ancestrales, qui reposent sur lesmarapu: à la fois dieux, esprits et ancêtres,ils abolissent toute frontière entre le ciel,la terre et l’enfer.

Piter nous conduit jusqu’à son villagenatal, près de Kodi, quelque cinquante kilo­mètres au nord­ouest de Waikabubak. Aubout d’une route étroite, entre les tamari­niers, on découvre une quarantaine de mai­sons surmontées par des flèches de chaumequi encerclent un champ de tombes. Uneodeur de sel marin flotte dans l’air, mê­lée aux brûlis qui s’envolent des cultures.« Cette région est à part, précise notreguide. On parle une douzaine de langues àSumba, mais celle de Kodi est très diffé-

qui contrôleront l’archipel indonésien àpartir du xviie siècle, ne jugent pas utile d’yétablir une administration avant 1913. Et en­core demeurent­ils discrets, s’appuyant surl’aristocratie locale pour gouverner. Dernièrepreuve de la solitude de Sumba: la nouvellede l’indépendance de l’Indonésie, reconnuepar les Pays­Bas en décembre 1949, mettraprès de six mois à atteindre l’île.

En fin de journée, à l’heure où le chantdes criquets retombe dans le silence, notreguide se fait annoncer à la réception de l’hô­tel – Waikabubak ne compte qu’un établis­sement confortable, davantage destiné auxriches commerçants qu’aux touristes. Enfantdu pays, Piter Rehi est un quinquagénaire auvisage rond qui a appris l’anglais en vendantdes journaux sur les plages de Bali. Il faitpartie des dix guides officiels que compteSumba : l’île n’est pas assaillie par le tou­risme de masse… Dans les rues de Waika­bubak, où des bougainvilliers ruissellent surles murs pistache et citron, notre présencesuscite des rires discrets et quelques salu­

Carnet prat ique

y allerASIA, spécialiste du voyage sur mesure,propose un itinéraire de 11 jours 8 nuitsà travers les villages de Sumba et lesateliers d’ikat. Hébergement pour 2 nuitsà Bali, au Keraton Jimbaran Resort, etdans les meilleures adresses de Sumba,dont le Sumba Nautil, en chambre doubleavec petit déjeuner. Forfait incluant voi­ture particulière avec chauffeur et guideà Sumba, transferts privés à Bali, volsParis­Singapour­Bali A/R sur SingaporeAirlines et vols domestiques Bali­SumbaA/R sur Garuda Indonesia. Nuit supplé­mentaire possible à chaque étape.A partir de 2915 € TTC/pers. (base 2 personnes).Tél. : 01-44-41-50-10. www.asia.fr

dormir, manger, faire des achatsLe Sumba Nautil, perdu au sud de l’île,est sans conteste l’un des meilleurs hôtelsde Sumba. Dominant la superbe plagede Marosi, prisée des surfeurs,l’établissement offre de confortablescottages environnés de bougainvillierset d’hibiscus. Le pain, les pâtisserieset les sorbets sont faits maison.Tél. : (+62)81/558-692-198.www.sumbanautilresort1.com

Dans la périphérie de Waingapu, « capi­tale » de Sumba, la boutique Ama Tukangpossède l’une des plus vastes et desplus belles collections d’ikat de l’île, à telpoint que le maître des lieux ignore lenombre exact de ses pièces. Le prix desœuvres s’échelonne de 35 à 2000 €.Tél. : (+62)85/237-474-140.

À lireIndonésie, Lonely Planet, 830 p., 31,50 €.Les Iles de la Sonde, Eugène Thirion,Magellan et Cie, 124 p., 30 €.

rente des autres. » Une région « à part »,donc, sur une terre qui ne l’est pas moins…Au­delà de ce mystère, comment une sipetite île parvient­elle à entretenir une tellevariété de langues? Piter hausse les épaules,préférant nous présenter au chef du village.Comme le veut la coutume, nous lui offronsdes noix d’arec et des feuilles de bétel pourprouver nos intentions pacifiques. Autrefois,ceux qui oubliaient cette étape du protocoleavaient la tête coupée. Le trophée venaitalors enrichir l’« arbre à crânes » qui s’élevaitau milieu du village. Inutile de s’inquiéter,cette pratique est officiellement interditedepuis le début des années 1960… Mélangédans la bouche avec un peu de chaux, lejus des noix d’arec et des feuilles de bételproduit un liquide rouge sang, qui coloreles lèvres des villageois, leur donnant desallures de vampires débonnaires.

En contrebas, près de l’Océan quidéroule ses boucles blanches et turquoisesur le sable, des hommes taillent d’im­menses plaques de corail qui serviront à la

Le mode de vie sur l’îleest ancré dans les traditionset les rituels : les maisons

dotées de flèche de chaumepour abriter les défunts (1) ;la décoration faite de crânes

et cornes de buffles (3).Les femmes fabriquent

le sel à partir d’eaude mer (4) et tissent

des étoffes colorées (2).

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entrer dans un paysage de savane. Au milieud’étendues fauves et pelées, quelques che-vaux à la robe havane cherchent un carréd’ombre au pied des murets. Des peauxde buffles sèchent au soleil, dans des cadresen bambou. La route file bientôt versle nord-ouest, jusqu’à Waingapu, capitaleet port principal de Sumba. De capitaleces rues somnolentes n’ont que le nom.Après un bain rafraîchissant sur la côte nord,où s’égrènent quelques camps pour les tou-ristes, on rejoint le village de Rende, à deuxheures de route à l’est de Waingapu. Cettepartie de l’île est connue pour la qualité deses ikat, étoffes de coton teinté de couleursvégétales. Leur confection obéit à unrituel ancestral. Quelques descendantsdes familles nobles, assis en tailleur surla terrasse en bambou de leur demeure,nous détaillent les étapes de la fabrication.Cachés par des lanières de pandanus,les motifs du tissu se révèlent en creuxau terme d’un long processus. Tortues,crocodiles, marapu, autant d’ornements queles familles se transmettent d’une généra-tion à l’autre, s’inspirant parfois des ombrestressées sur la poussière par les banians.Le destin de ces symboles, dissimulésavant d’éclater au grand jour, est aussi celuide l’île, où l’essentiel demeure invisible.•

construction des tombes. A Sumba, siles morts sont mieux traités que les vivants,c’est que l‘existence n’est que l’« ombre dumonde invisible ». Non loin de Waikabubak,à Anakalang, où demeurent les descendantsde grandes familles royales, se trouve untombeau finement sculpté qui pèse près detrente tonnes. Pour honorer les funéraillesde son hôte, au début du siècle dernier, pasmoins de trois cents buffles ont été sacrifiés.Dans ce monde ouvert aux enchantementset aux malédictions, il est impératif de seconcilier les bonnes grâces des esprits. Aulendemain de la seconde guerre mondiale,une « taxe sur les sacrifices » sera miseen place par les autorités pour protégerle bétail. Face aux résultats mitigés de cettemesure – les Sumbanais préféraient s’en-detter –, le gouvernement indonésien estallé plus loin, limitant en 1990 les offrandesfunéraires à cinq grands mammifères. Augrand dam des rato, ces prêtres chamanesqui président aux enterrements et lisentl’avenir dans le foie des cochons.

A la pointe du jour, Piter nous conduitvers l’est de l’île, qu’il considère curieuse-ment comme un pays étranger. « Ici, lesgens respectent moins les traditions qu’àl’ouest, explique-t-il. Et il fait très chaud… »On quitte la partie tropicale de l’île pour

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Robinsons aux bahamas.Avec l’offre « 2 Fly Free » de l’officedu tourisme des Bahamas (valabledans 50 hôtels partenaires), onprofite de vols aller-retour gratuitsentre Nassau et les autres îles del’archipel. Pour faire, par exemple,une escale « à la Robinson » à l’inti-miste hôtel 3-étoiles Small Hope BayLodge, les pieds dans l’eau (transpa-rente) de la paradisiaque île d’Andros.séjour all inclusive à partir de 222 € par jouret par personne. smallhope.com, 1 vol a/Rnassau-andros offert pour 4 nuits, 2 volsofferts pour 7 nuits. Vol a/R Paris-nassau àpartir de 800 € via miami, americanairlines.frou via Londres, britishairways.comListe des hôtels partenaires sur bahamas.fr

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FaRnienTe en guadeLouPe.Pour profiter de l’offre « Réser-vez tôt » (–15%) du voyagisteDes Hôtels et des îles, on opte pourun break antillais au Toubana Hôtel& Spa, dans le village de pêcheursde Sainte-Anne. Au bord d’uneplage privée, face à l’île de Marie-Galante, ce 4-étoiles à taille humainedécline des chambres et des suiteslumineuses dans des bungalowsde bois prolongés de terrasses. Enprime, une piscine « infinity pool »,deux restaurants gourmands, un spaet plusieurs activités nautiques.a partir de 1543 € la semaine pour deuxen b&b. deshotelsetdesiles.comVol a/R Paris-Pointe-à-Pitre à partir de 458 €.corsair.com

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122dossier tourisme — Illustration Edith Carron/Costume 3 Pièces pour M Le magazine du Monde

Plongée aux Seychelles, balade épicée à Zanzibar,rando aux Canaries, musique en Jamaïque…les séjours en bord de mer ne manquent pasde sel. Par Pascale desclos

bienvenue aux paradis.

Séjour confidentielSur leS îleS turkS-et-caicoS.A trente minutes en bateau rapidede l’île de Providenciales, en merdes Caraïbes, Parrot Cay by Como,sur une île privée confidentielle,privilégie le lâcher-prise, sous lesigne de la philosophie indiennede l’ayurveda. Autour des60 chambres et villas à la décoépurée, les plages de sable fin,la mer couleur lagon et le spaShambhala pour ouvrir ses chakras.a partir de 400 € la nuit pour deux,avec petits déjeuners, activités yoga-pilateset deux soins de 60 min. au spa (1 nuitofferte pour 4 réservées). comohotels.comVol a/r Paris-Providenciales via Miamià partir de 1279 €. americanairlines.fr

glaMour à Saint-BarthéleMy.Les Caraïbes en version luxe etvolupté? Cap sur le tout nouveauCheval Blanc St-Barth et son spaGuerlain, sur l’idyllique baie desFlamands. Dans le jardin tropicalouvrant sur la mer, les chambres,suites et vastes villas blanchescultivent l’esprit des îles : balustresde bois peint, longues terrasses,piscines privées… Côté table, le chefYann Vinsot fait rimer les saveursantillaises et bretonnes.a partir de 620 € la nuit pour deux.chevalblanc.comVol a/r Paris-Saint-Martin à partir de 762 €.aircaraibes.com

eScale nature à rodrigueS.Entre océan Indien, collines etfilaos, on se fond dans la naturede la paisible Rodrigues, petite îlede pêcheurs posée à 560 kmde Maurice. On pose ses valisesau Bakwa Lodge, qui propose huitbungalows de bois au design épuréet au mobilier naturel.8 j. à partir de 1900 € avec hébergement,demi-pension et vols inclus.ilesdumonde.com

Villa coSy à Maurice.Cet hiver, Pierre & Vacances ouvreune nouvelle collection de résiden-ces haut de gamme sur l’île Maurice :les villas Heritage dans le Domainede Bel Ombre, sur la côte ouest.Le décor : une ancienne plantationde canne à sucre nichée entre plageet golf 18 trous. On y loge en famille(de 4 à 8 personnes), chacune a sapiscine privée, sa cuisine, son jardin…On profite aussi des restaurants etdu spa.Villa 4 pers. à partir de 4290 € les 7 nuits.pierreetvacances.comVol a/r Paris-Maurice à partir de 893 €.corsair.fr.

Magique Majorque.La douceur hivernale des Baléaresn’est pas un mythe. On peut savoureren tribu le soleil du village ocrede Fornalutx dans cette luxueuse

finca (propriété) majorquine, blottieentre vergers d’orangers et oliveraie,dans un cadre magique : vieillespierres, grand jardin, piscine chauf-fée intérieure, mais aussi baladessur les sentiers de l’île.a partir de 1899 € la semaine pour 9 pers.novasol-vacances.frVol a/r Paris-Majorque à partir de 169 €.vueling.com

danS le SillagedeS croiSéS à rhodeS.A 3h30 de vol direct depuis Paris,l’île de Rhodes est baignée de soleilmême en hiver. Après avoir visitéla citadelle bâtie au xive sièclepar les chevaliers de l’ordre deSaint-Jean et classée au Patrimoinemondial de l’Unesco, on pose sesbagages en bord de mer dans lepittoresque village de Lindos.La bonne adresse? Le Lindos Sun(3-étoiles) et ses villas cubesentourant l’ovale bleu de la piscine.8 j./7 n. à partir de 699 € avec hébergement,petits déjeuners et vols inclus. heliades.fr

randonnée aVec VueSur Mer à la goMera.A une heure de ferry de Tenerife,dans l’archipel des Canaries, lapetite île volcanique de La Gomeras’arpente sur les sentiers perchésdu parc national de Garajonay,classé au Patrimoine mondial de

l’Unesco. Forêts de pins sylvestres,bouquets de palmiers et d’euphor-bes, villages blancs arrimés auxfalaises… Besoin d’un QG confortpour randonner? Pourquoi pas lesstudios Los Telares, dans une joliedemeure traditionnelle avec piscine,dans le village d’Hermigua.8 j./7 n. à partir de 375 € avec l’hébergement,les petits déjeuners, le ferry tenerife-la gomera et la location de voiture.chamina-voyages.comVol a/r Paris-tenerife à partir de 288 €.iberia.com

carnaVal au caP-Vert.En février, c’est le temps du carnavalà Mindelo, sur l’île de São Vicente,au Cap-Vert. Avec ce nouveau circuit« Petite rando, zouk et carnaval »,on plonge dans la fête mais ondécouvre aussi les sentiers à grandspectacle de São Vicente et deSanto Antão, semés de villagesmulticolores, de cultures enterrasses, de plages sauvageset de pensions de charme.du 6 au 14 février 2016, circuit accompagné8 j. à partir de 1499 € avec hébergementen pension complète (sauf 4 repas) et vols.nomade-aventure.com

Cuba en immersion.Le nouveau circuit Découverteby Club Med « Terres Cubaines »propose une itinérance deLa Havane aux plages de Cayo San-ta Maria via les plantations de tabacde la vallée de Vinales. En chemin,on admirera l’architecture hispano-coloniale et on s’initiera à la salsa.Circuit accompagné par un guidefrancophone, 10 j à partir de 2290 €, hôtels4-étoiles en pension complète, cours dedanse et vol inclus. www.circuits-clubmed.fr

panama la première fois.Un itinéraire idéal pour un premiervoyage au Panama. Temps forts:flâner dans la cité coloniale de Pana-ma City ; regarder passer les cargosgéants sur le canal ; emprunter lemythique train transisthmique;caboter dans l’archipel des San Blaset ses îlots Robinson.Circuit 9 j. à partir de 3500 €, hôtels decharme, petits déjeuners, transferts etvol inclus. www.voyageursdumonde.fr

Couleur Café en Colombie.Un parcours clé en mai pour décou-vrir les vestiges coloniaux, les valléesluxuriantes, les îles aux eaux cristal-lines de la « Locombia ». A savourer

sur la route: les pièces uniques duMusée de l’or à Bogota, la dégusta-tion du meilleur café du mondedans une plantation, les ruelles dela belle Carthagène.Circuit accompagné 11 j. à partirde 3989 € avec hôtels 3 et 4-étoilesen pension complète et vol inclus.www.jettours.com

l’équateur au naturel.Dans cette trilogie équatoriennede vingt jours, on grimpe d’abord lechemin des cimes pour contemplerles 5897 m du Cotopaxi. On s’im-merge ensuite dans les fonds marinsdes Galapagos: otaries, raies,tortues… Puis on s’enfonce au plusprofond de la forêt amazonienne àla rencontre des Indiens siona.Circuit accompagné de 20 j. à partirde 5295 €, hébergement en hôtelset lodges, repas, transferts et vols inclus.www.huwans-clubaventure.fr

saintes philippines.Du 13 au 24 janvier 2016, autour dutrès coloré festival Sinulog, organiséen l’honneur de Santo Niño (l’enfantJésus), une découverte de l’archipelphilippin en trois temps: escapadeurbaine au cœur de Manille, immer-

sion dans la ferveur délirante etles défilés costumés de Cebu Cityet exploration de la sauvageonne îlede Bohol, tressée de plages et deforêts tropicales.Circuit sur mesure 12 j. à partirde 1900 € avec hôtels, petits déjeuners,transferts et vols inclus.www.monde-authentique.com

proCession en éthiopie .Un voyage exceptionnel en Ethiopie,pour s’immerger dans la liesseunique de la fête du Timkat, qui re-noue avec les premiers temps de lachrétienté. Loin de la foule, on assisteaux cérémonies et processions dansles églises rupestres du Gheralta, deSion Mariam, d’Abraha Atsbeha, onarpente à pied les villages du Tigré,on découvre Lalibela, la « Jérusalemnoire », la cité impériale de Gondar,le lac Tana et ses monastères…Du 10 au 23 janvier, circuit accompagné14 j. à 2745 €, hébergement en pensioncomplète et vol inclus. www.terdav.com

bivouaCs ChiCs en namibie.Pour les amateurs de randonnée(dont une avec assistance mule-tière), une expérience en Namibiehors des sentiers battus en camp de

tentes, hébergements de charme etmaisons d’hôtes pour découvrir ledésert du Kalahari, le Fish RiverCanyon, le parc de Gondwana…Circuit de 16 j., à partir de 2890 €en pension complète et vols inclus.www.monde-authentique.com

ConCentré D’afrique Du suD.Formaté pour les « pressés », cecircuit en minibus avec guidefrancophone permet de découvrirles incontournables de la nationarc-en-ciel. Au programme, le Cap,son Waterfront et l’ascension entéléphérique de Table Mountain;la route des vins; les manchotsde la péninsule du cap de Bonne-Espérance; Durban et le Zoulouland;une nuit sous tente au parc Kruger;le township de Soweto.Circuit 12 j. à partir de 2090 €avec hébergement en hôtels et lodges4-étoiles, pension complète et vols inclus.www.kuoni.fr

safari sans frontières.Des safaris construits avec destransferts en avion d’un lodge àl’autre… Dans ce séjour qui combinetrois pays, on enchaîne les escalesen lodges de charme aux chutes

124Dossier tourisme — Illustration Edith Carron/Costume 3 Pièces pour M Le magazine du Monde

Célébrer la fête du Timkat en Ethiopie, suivre les tortues aux Galapagos,bivouaquer dans le désert de Namibie… Pour ceux qui n’aiment pasrester en place, florilège de séjours itinérants. par pascale Desclos

hors circuits.

Victoria (Zimbabwe), à Chobe(Namibie) et dans le delta del’Okavango (Botswana). Et l’oncroise éléphants, zèbres, buffles,antilopes, crocodiles…Circuit 10 j. à partir de 4647 €,hébergement en lodges de charme,repas, entrées dans les parcs, transfertset vol inclus. safaris-a-la-carte.com

farniente à SÃo tomé.Cap sur cette île volcanique du golfede Guinée, réputée pour son cacaobio d’excellence. En voiture avecchauffeur, on collectionne plages etvillages colorés sertis d’églises, ons’aventure dans la jungle sur lessentiers du parc national d’Obo,on fait escale dans des écolodgesou des roças, ces ex-demeures deplanteurs portugais devenues mai-sons d’hôtes. En point d’orgue, latraversée en bateau vers l’île de Ro-las, sur la ligne de l’Equateur.Circuit 9 j. à partir de 2050 €,vol et hébergement inclus.www.acabao.com

royale inde du Sud.Un itinéraire en Inde du Sud qui reliela foisonnante Mumbai au Karnatakavia l’ancien comptoir portugais deGoa. En chemin, rizières verdoyanteset temples à foison. Dernière escaleà Hampi, ancienne capitale duroyaume de Vijayanagara, où lessinges ont élu domicile. Un voyage

en petit comité, accompagné parune conférencière expérimentée.Circuit 14 j. à partir de 2990 €,pension complète et vols inclus.www.terresdecharme.com

bollywood et hindouiSme.Un voyage pour découvrir le Rajas-than, le Madhya Pradesh et la valléedu Gange, avec Claude Raynaud,spécialiste de l’Inde. En mêmetemps que la visite de Delhi, Man-dawa, Bikaner, Udaïpur, Agra, Béna-rès, on s’initie aux rituels hindouistesavec un prêtre, on s’offre une séancede cinéma Bollywood, on essaie deskilomètres de saris rutilants…Circuit 20 j. à partir de 3890 €, hébergementen hôtels 1re catégorie, pension complèteet vol inclus. www.orients.com

le Sri lanka à deux-roueS.Spécialiste des voyages à moto,Vintage Rides propose ce roadtripau Sri Lanka qui affiche 1000 km aucompteur en 11 jours. Au program-me: moto le matin, temps librel’après-midi. Des sublimes plages dusud aux plantations de thé du nord,on côtoie le sublime, telle l’approchede la forteresse Lion’s Rock, au-des-sus de la plaine de Sigiriya.Circuit 11 j. à partir de 4090€/motard,3590 €/passager, location de moto et hôtelsen demi-pension inclus. vintagerides.comVol a/r Paris-Colombo à partir de 542 €.qatarairways.com

leçon de Photo en birmanie.Aguila Voyages propose des séjoursavec un photographe professionnelqui livre ses conseils techniques.Prochain départ en Birmanie, du4 au 15 décembre 2015. Alors que lesoleil se lève sur le lac Inle, les piro-gues glissent dans l’aube brumeuse,le marché flottant déploie sa mo-saïque de couleurs. Plus loin, àl’ouest, les pagodes de la cité de Ba-gan se découvrent en montgolfière.Circuit accompagné 12 j. à partir de 3940 €,activités, hôtels en pension complète et volinclus. www.aguila-voyages.com

le laoS buiSSonnier.Ce circuit offre le format de voyageparfait pour découvrir le nord duLaos. Au départ de Luang Prabang,on file en voiture avec chauffeurvers le nord à la rencontre desethnies Lü et Hmong. Sur la route,on dort en lodges de charme avecretour en bateau traditionnel par lefleuve Mékong.Circuit sur la route de muang la, 5 j.,à partir de 1303 € avec hébergementen demi-pension. www.asia.frVol a/r Paris-luang Prabang via hanoï àpartir de 748 €. www.vietnamairlines.com

l’iran ClaSSé.Depuis l’élection d’Hassan Rohanien 2013, l’Iran, et ses quelque vingtsites classés par l’Unesco, connaîtun engouement touristique. La

signature de l’accord historique surle nucléaire de juillet ne devrait querenforcer cette tendance. Ce circuitclé en main permet de découvrirles déserts minéraux aux couleursirréelles, la délicatesse des céra-miques bleues d’Ispahan, la poésiedes toits plats de Yazd dominés parleurs célèbres tours du vent…Circuit randonnée chamelière et villesimmortelles, 16 J., à partir de 2495 €,hôtels, bivouacs, pension complète etvol inclus. www.terdav.com

la réunion Côte à Côte.Un périple d’est en ouest sur l’îlede La Réunion, dans l’océan Indien.Au départ de deux hôtels decharme, le St-Alexis 4-étoiles àSaint-Gilles et le Diana Dea Lodge4-étoiles dans le sud sauvage, onrayonne en s’offrant tous lesincontournables de l’île : le pitonMaïdo, le cirque de Cilaos, lescascades de Salazie, les petitesmaisons créoles peintes de Hell-bourg, le piton de la Fournaise,la forêt primaire de Belouve…autotour 10 j. à partir de 1647 €,location de voiture, hébergement,petits déjeuners et vol inclus.www.vacancestransat.fr

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126Dossier tourisme — Illustrations Edith Carron/Costume 3 Pièces pour M Le magazine du Monde

Le vieux ferry glisse lentement sur les eauxjaunes du rio de la Plata. Buenos Aires, sonvacarme et son chaos sont derrière nous. Dansle quartier de Puerto Madero, nous avons passéla zone frontière et fait tamponner nos passe-ports direction l’Uruguay. D’un pays à l’autre, il ya moins de 80 km, mais sur l’estuaire, la traverséepeut prendre trois heures. Le temps d’échangeravec un équipage uruguayen d’une gentillessedésarmante, au débit beaucoup plus poséque celui des Porteños (les habitants de la ca-pitale argentine). La traversée donne le ton duvoyage: l’Uruguay, territoire trois fois plus petitque la France – cerné, au nord, par le colossalBrésil et, au sud-est, par la vaste Argentine –,est un pays discret et tout en retenue. Ici, pas demontagnes spectaculaires, pas de ruines millé-naires, pas de stars médiatiques ni de barons dela drogue. Mais près de 200 kilomètres de plagesimmaculées et une douceur de vivre intacte.

Nous accostons à Colonia del Sacramento,petite cité coloniale inscrite au Patrimoine mon-dial de l’Unesco que se sont longtemps disputéeles Portugais (ses fondateurs) et les Espagnols.Le temps d’un café con leche sous les platanes,et nous prenons la voie qui traverse le pays.La route 1, qui mène tout droit à Montevideo,est bordée de palmiers telle une allée royale oùaucun véhicule ne circule. Nous filons, longeantle littoral, dépassons la capitale jusqu’à Punta delEste. Nous ne nous arrêterons pas: les Argentinsont fait de ce cap une hideuse station balnéaire,hérissée de grands immeubles, où ils viennents’entasser de décembre à février. Nous emprun-tons la route 10 quand soudain le bitume fait

Ses 200 km de plage, ses dunes à perte de vue ouses villages de pêcheurs sur l’Atlantique invitentà la contemplation. De quoi donner envie d’y faireescale. Et de goûter aux délices locaux autantqu’à la douceur de vivre de ce petit pays coincéentre Brésil et Argentine. Par Stéphanie Chayet et Camille Labro

le charme discretde l’uruguay.

place au sable, et stoppe brutalement faceà une lagune. Il faut attendre une petite barge(«servicio gratuito») pour atteindre l’autre rive.Le passeur nous confie que nous sommes parmises derniers passagers : d’ici quelques mois,un pont l’aura remplacé.

Isolée par un désert de dunes, la péninsulede Cabo Polonio, notre destination, n’a pasl’électricité. «Arrivez de jour !», nous avaitconseillé Rubens, le propriétaire de notre casita,une maisonnette à 60 dollars la nuit trouvéedans un recoin du Web. Course contre la montre.On rate un embranchement, le soleil baisse,la tension monte. Dommage, car le paysageest grandiose – des vaches, encore et toujours(trois par habitant en Uruguay), mais ausside longs cocotiers lancés vers un ciel poudré,de plus en plus crépusculaire.

La nuit tombe quand nous embarquonsenfin sur le camion tout-terrain qui assurela liaison avec Cabo. La traversée – 7 kilomètresde secousses dans l’obscurité – s’achève parun spectacle qui met le peuple du 4×4 en émoi :l’immense plage sud du cap est léchée pardes vagues phosphorescentes. Ce phénomèneest l’œuvre du noctiluque, un plancton qui émetune lumière bleutée au moindre mouvementde l’eau pour effrayer ses prédateurs. Les nuitsà noctiluques sont rares, informe une résidente.«Allez nager ! On ressort tout bleu.»

Rubens nous attend au magasin général duvillage – une véritable épicerie de western, touten bois – pour nous guider jusqu’à la maison.Pour une casita, c’est une casita : un lit contreune petite table, une échelle, une mansarde. L

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Cap sur la péninsule de CaboPolonio, et vue sur l’Atlantique.

On peut se loger dans desmaisonnettes alimentées pardes réservoirs d’eau de pluie.L’épicerie générale est le seul

commerce de ce paradis côtier(1, 3 et 5). Fresque dans

la vieille ville de Montevideo,et marché de rue de

Tristan Narvaja (2 et 4).

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Comme toutes les résidences de Cabo, celle-ciest faiblement éclairée par des LED branchéessur un panneau solaire. Le robinet cracheun filet d’eau de pluie. Pas de draps – il fallaiten apporter. «Vous n’êtes pas en ville, ici.Les ressources sont précieuses.»

Le parc national de Cabo Polonio est un groscap rocheux en forme de champignon, flanquépar deux croissants de sable fin et semé debicoques colorées. Il n’y a ni voitures ni routes,tout juste des sentiers. Les baroudeurs en mald’utopies qui peuplent ce paradis côtier pendantl’été sont repartis, laissant derrière eux des che-vaux en liberté, une colonie de lions de mer etune cinquantaine de résidents à l’année: famillesde pêcheurs, poètes coupés du monde, vieuxhippies à la peau tannée. La plupart des maisonsfurent construites sans permis à partirdes années 1960.Pour l’heure, le gouvernementles tolère. A l’extrémité du cap, le gardien duphare s’ennuie ferme et nous invite à partagerson maté (une infusion traditionnelle indienne,très populaire en Uruguay).

Lorsque nous arrivons à Garzon, villageperdu au milieu de la pampa, on cherche envain les gauchos, on tombe sur une gare fanto-matique, un pont métallique inachevé qu’aurait– peut-être – construit Gustave Eiffel, deux ga-leries d’art désertes. A quelques pas, une bou-tique où se vendent huile d’olive, miel et vinslocaux. Plus loin dans les terres, de curieusesinstallations d’art monumental. Drôle d’atmos-phère en devenir, qui rappelle un peu Marfa,ce village fantôme en plein désert texan, devenuun haut lieu de la création contemporaine.

L’auberge Posada Paradiso,à José Ignacio, le Saint-Trop’ local(1). Garzon, hameau perdu dansla pampa, doit sa renommée àFrancis Mallman. Le chef argentiny a établi son hôtel-restaurantEl Garzon. Au menu : jardin

luxuriant, cocktails et assiettesemplies de fraîcheur (2, 3 et 4).

128Dossier tourisme — Illustrations Edith Carron/Costume 3 Pièces pour M Le magazine du Monde

Escale à José Ignacio, à la Posada Para-diso. Nous sommes seules dans la pension. Enpleine saison, cet ancien village de pêcheursest le Saint-Tropez uruguayen, avec boutiquehotels à la pelle, tables branchées et fêtesperpétuelles. Nous ne verrons rien de toutcela. Les ruelles sont vides, les plages livréesau vent. Nous déjeunons à La Huella, belleguinguette posée sur les dunes. L’un des seulsétablissements ouverts en basse saison. LaPatricia, bière locale, nous tient compagnie.

Dernière étape, la capitale. Nous arrivonspar la route littorale, qui longe une intermi-nable rambla (22 kilomètres) évoquant tourà tour la Promenade des Anglais, le Maleconet Copacabana. Petite sœur complexée deBuenos Aires, Montevideo est pourtant la plusavantagée des deux — un vrai front de mer,une vieille ville romantique, et pas un embou-teillage. Comment croire que 40% de la popu-lation uruguayenne vit dans cette métropoleindolente où une maison sur deux est à louer ?Dans le centre historique désert, on détecteun signe de vie au coin de la charmante place

Au centre du hameau se dresse l’hôtel-res-taurant El Garzon de Francis Mallmann, célèbrechef argentin, établi ici il y a dix ans pour «explo-rer un nouveau territoire». Drapé dans une vestede peintre et foulard rouge au cou tel un Picassodes fourneaux, l’homme nous accueille dansson sanctuaire. Piscine sous les palmiers,parfums de feu et d’herbes, jardin luxuriant– en parfait contraste avec les environs arides.Les assiettes défilent, emplies de légumesfrais, viandes grillées, poissons braisés. Un festin.Mallmann est un prodigieux maître de cérémonie,volubile et cabotin, fanatique de la cuisson par lefeu. Aussitôt le déjeuner terminé, il nous convieà un barbecue vespéral dans son ranchito, dansles collines. Fin de la journée devant un crépus-cule spectaculaire avec l’équipe du restaurant,déplacée pour l’occasion, qui allume un immensebrasero. Le repas servi à la belle étoile est simple,étrange, savoureux. Mais soudain le vent selève. Il faut retenir bougies et bouteilles. L’orageapproche, la nature se fait menaçante. Nousmanquons d’écraser une tarentule et partons àtoute allure dans la nuit noire.

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CamilleLabro.StéphanieChayet

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www.artsetvie.com

Faire de la culture votre voyage

Visitez Zürich.Découvrez l’art qui défie sesbeautés naturelles.

ExpositionMiró

au KunsthausZurich

Exposition Miró au Kunsthaus Zurich,du 2 octobre 2015 au 24 janvier 2016zuerich.com/kunsthaus#VisitZurich

Zabala : c’est Jacinto, le bistro branchéd’une disciple de Francis Mallmann, LuciaSoria. La jeune chef vient de Buenos Aires,mais elle préfère Montevideo — moins destress, nous dit-elle. Championne en matièrede qualité de vie, la capitale de l’Uruguay estaussi la plus progressiste d’Amérique latine.Avant de quitter la présidence, au débutde l’année, l’ex-guérillero moustachu JoséMujica a légalisé la consommation de cannabiset le mariage gay.Comme c’est dimanche, Lucia nous conseillede visiter la feria de Tristan Narvaja. Chaquesemaine, la ville entière semble se retrouversur l’étroite allée centrale de ce marché de ruetendance bric-à-brac. On y achète à peuprès tout, primeurs, pinces à linge, empañadas,littérature d’occasion, produits d’entretien,ustensiles en fer blanc. Et on avance à grandpeine : une Thermos d’eau chaude au creuxdu bras, les accros au maté font de fréquentsarrêts pour remplir leur calebasse. Aprèsdix jours et 700 kilomètres, c’est notrepremier bain de foule en Uruguay.•

Carnetprat ique

Y allerVols Paris-Montevideo à partirde 674 €. airfrance.fr

dormir, mangerà CaBo PolonioPosada mariemarL’une des trois aubergesde la péninsule, sur la plage nord.Chambre double à partir de 87 €.

lo de dani, camino Posadas.Pour manger un chivito (le burgeruruguayen) et autres spécialités,en écoutant les histoires de Dani.

à garZonel garzon, costa José Ignacio.Luxe, calme et volupté selonFrancis Mallmann. 750 € la nuiten pension complète pour deux.www.restaurantegarzon.com

lucifer, camino a la Estacion.Tables au jardin, feu de bois,produits locaux par Lucia Soria.www.lucifer.com.uy

Bodega garzon, calle 9.Pour goûter et acheter lesspécialités locales (huile, vin, etc.).www.experienciasgarzon.com

à JoSÉ ignaCioPosada Paradiso, calle Picaflores.Charmante auberge, fleurie et colo-

rée, avec piscine. Chambres de 130à 400 €. www.posadaparadiso.com

Parador la Huella, calle delos Cisnes. Pour boire, mangeret festoyer les pieds dans le sable.www.paradorlahuella.com

el mostrador Santa Teresita,à côté du phare. A emporter ousur place, le grand buffet du chefargentin Fernando Trocca.

à monTeVideoalma Historica, plaza Zabala,Solis 1433. Un petit hôtel de luxeau cœur de la ciudad vieja.Chambres à partir de 165 €.www.almahistoricahotel.com

Splendido Hotel, BartoloméMitre 1314. Décor vintage.Chambre individuelle à partirde 30 €, dortoir à 60 €.www.splendidohotel.com.uy

Jacinto, Sarandi 349. La cuisinefraîche et saisonnière de LuciaSoria, dans le centre historique.www.jacinto.com.uy

la otra Parrilla, Tomas Diago 758.Un restaurant de grillades typique,où l’on choisit ses morceauxsur le brasier.

Café Bacacay, Bacacay 1306.Le repaire des intellectuels etdes artistes. www.bacacay.com.uy

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se réfugier à TarouDanT.A 60 km de l’aéroport d’Agadir,au pied des remparts en pisé deTaroudant, au sud du Maroc, etde son souk aux merveilles, un re-fuge ensoleillé pour l’hiver: Dar alHossoun. Autour du jardin arabo-andalou et de son long bassin denage, huit chambres et suites auchic local, des hammams «beldis»(traditionnels) chauffés au feu debois et une table inspirée dupotager.Chambre double à partir de 110 € avec petitdéjeuner. alhossoun.com/fr. Vol a/r Parisorly-agadir à partir de 184 €. transavia.com

musarDer à grenaDe.A Grenade en hiver, on boit son caféen terrasse, sous les orangers… Dupalais-jardin de l’Alhambra, ciseléd’arabesques et de bassins, auxruelles de l’Albaicin, le vieux quartiermaure, on découvre la ville dans saplus belle lumière. Une adresse: Alo-jamientos con Encanto, collection de

vieilles demeures andalouses restau-rées en appartements de charme.Double à partir de 75 €. granada-in.comVol a/r Paris-grenade via madrid à partirde 259 €. iberia.com et www.airnostrum.es

Passer noël à maDère.Un havre perché domine la baie deFunchal, le chef-lieu de Madère: l’Hô-tel Savoy Gardens et son jacuzzi surle toit. De ces hauteurs, on glisse versles pavés de la rua Santa Maria, oùpassa Christophe Colomb; on égraineplaces, églises et musées; on fait leplein de fruits au Mercado dos Lavra-dores; on grimpe au jardin botanique.Dès décembre, les décorations deNoël illuminent la cité historique.Vol a/r et 7 nuits en demi-pensionà partir de 599 €. ovoyages.com

Plonger Dans l’âme Du brésil.Quatre jours à Rio entre le Pain deSucre et le Corcovado, avec héber-gement à la Casa Amarelo, élégante

demeure 1900 du quartier bohêmede Santa Teresa, aux ruelles colo-niales semées d’ateliers d’artistes etde restaurants. La plage d’Ipanemaest à quinze minutes. Puis trois joursà Salvador de Bahia avec nuits à laVilla Bahia, pousada chic, et charmedu quartier historique du Pelourinho.Aux premières loges pour danser lasalsa, pousser les portes des gale-ries, se régaler de moqueca depeixe. Terminus du voyage les piedsdans l’eau, à Morro de São Paulo.Voyage itinérant de 13 jours à partir de2900 € (vol a/r, hébergements avecpetits déjeuners et transferts inclus).voyageursdumonde.fr

sillonner HongKong.On achète sa carte rechargeableOctopus dans le MTR, le métro local,puis on décline les balades desgratte-ciel de Central aux plus beauxspots alentours: Victoria Peak poursa vue sur la baie, Sai Kung EastCountry Park, sa jungle et ses plages

vierges, l’île de Lantau et sonbouddha géant… Puis on rechargeles batteries au Dorsett MongkokHotel, à Kowloon, dans l’une deschambres design aux parois de verreouvertes sur la ville.a partir de 95 € la chambre double.mongkok.dorsetthotels.com. Vol a/r Paris-Hongkong à partir de 609 €. airfrance.fridées de parcours sur hiking.gov.hk/eng

se CulTiVer à singaPour.En clôture du 50e anniversaire del’indépendance de Singapour, l’inau-guration de la National Gallery, unmusée d’art moderne de plus de8000 pièces, véritable vitrine del’art d’Asie du Sud-Est. Pour décou-vrir ce bijou, situé dans l’ex-palais dejustice, on profite des nombreusespromotions « spécial jubilé ».avec l’opération « stay 2 nights, 3rd nightfree », séjour luxueux au sheraton Towers,à partir de 374 € (au lieu de 561 €).www.yoursingapore.com/campaigns/golden-jubilee.htmlVol a/r Paris-singapour à partir de 682 €.singaporeair.com

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132Dossier tourisme — Photos Olivier Joly pour M Le magazine du Monde

Légende

2

D’octobre à juillet,les régions

intérieures sontinaccessibles, maisla route 1, qui faitle tour de l’île et

reste ouverte toutel’année, donne accèsà de spectaculaires

chutes d’eau(1, Svartifoss ;

3, Skogafoss) et àde somptueux sites

naturels (2 et 4,caverne de glace

et plage prèsde Jökulsarlon).

Paysage duLaugavegur (5).

1

5

133

•••

Pour tracer son périple à la découvertedes cascades d’Islande, inutile de parler lalangue la plus proche du viking ancien : il suffitde repérer sur la carte routière tous les nomspropres se terminant par « foss » (cascade, enislandais). C’est ainsi que l’on peut mettre ledoigt sur Skogafoss, Svartifoss, Dettifoss, Goda­foss, Barnafoss, Haifoss, Gullfoss… et des dizainesd’autres chutes d’eau. Aucun pays au monde,sans doute, ne compte autant de grandes cas­cades sur son territoire, et d’une telle diversité.

Au départ de Reykjavik, il faut emprunterla route 1, qui fait le tour de l’île. Cette routecirculaire, ouverte toute l’année, donne accèsaux plus spectaculaires cascades d’Islande. Ilest préférable de commencer son périple dansle sens inverse des aiguilles d’une montre carla première cascade n’est alors qu’à une heureet demie de route (contre cinq en passant parle nord). La période idéale pour admirer lescascades est d’octobre à juillet (hors saisonen Islande), cela permet ainsi de les découvrirautrement qu’au milieu d’une horde de touristes.Pendant toute cette période, il est impossible,d’accéder aux magnifiques régions intérieuresde l’île : recouvertes d’un épais tapis de neigeet battues par le blizzard, les routes secondairesqui permettent d’y accéder sont alors « lokad »(« fermées »).

Avant le départ, penser à bien s’équiper :vêtements chauds, pantalon et chaussuresparfaitement imperméables, bonnet et gants.Emporter aussi son âme d’enfant pour se prêterà ce jeu de piste. Aucune difficulté techniqueen vue, si ce n’est celle de savoir tenir un volantsous la neige et le vent. Pourtant, le sentimentde vivre une incroyable aventure est bien présentgrâce à l’inconnu, la démesure, l’infinie variétédes paysages et des lumières, soumis auxhumeurs brusques de la météo.

Une heure et demie après avoir quitté Reyk­javik, qui abrite les deux tiers de la populationde l’île (327000 habitants), apparaît la première

cascade : Seljalandsfoss. Son charme tientsurtout au petit chemin de terre qui permetde se glisser derrière le rideau d’eau. A peinele temps de s’ébrouer, voici Skogafoss, 30 kilo­mètres plus loin. Haute et étroite, très photogé­nique, elle jaillit d’un écrin de roches sombreset de mousses verdoyantes au pied du fameuxvolcan Eyjafjöll dont le monde entier maîtrisedésormais la prononciation, depuis qu’en 2010son éruption avait désorganisé le trafic aérien(les dates des grandes éruptions sont d’ailleursau programme des élèves islandais).

A Skogafoss, il faut bien surveiller le sensdu vent. Car si les brises marines repoussentl’eau vers l’amont, les bourrasques descenduesdes hautes terres poussent, elles, les embrunsvers les audacieux qui s’approchent trop près.C’est ici que s’achève le Laugavegur, l’un desplus beaux treks du monde. Les jours de soleil,les voyageurs peuvent contempler un arc­en­ciel depuis le pied de la cascade. Et les plusaventureux (et les moins frileux) iront s’asseoirà ses pieds, dans une cavité parfois ornée decristaux glacés.

Plus loin vers l’est, au pied du glacierVatnajökull, vaste comme la Corse, se niche leparc de Skaftafell, bordé de deux magnifiqueslangues glaciaires. C’est le point de départ d’unemarche d’une demi­heure pour rejoindre Svarti­foss. Cette cascade délicate se distingue par sonarrière­plan d’orgues basaltiques formées par unrefroidissement très lent de la lave. Les Islandaisvoient dans ces majestueuses sculptures miné­rales en forme de fer à cheval une cathédraledes trolls, personnages du peuple invisibleauxquels ils aiment encore croire.

A une heure de voiture, le lagon glaciaireJökulsarlon, piqueté de petits icebergs, est l’unedes cartes postales de l’Islande. En hiver, on ycroise dix fois moins de curieux venus profiterdu spectacle des glaces translucides poséessur la plage de sable noir. Certains opterontpour une balade en bateau parmi les phoques

Skogafoss, Svartifoss, Dettifoss, Godafoss… Grâceà ses glaciers et à sa géographie tourmentée,l’île des Vikings abrite quelques-unes des plusbelles « foss » – cascades – du monde. Par Olivier Joly

L’isLandeen cascades

3

4

134Dossier tourisme — Photos Olivier Joly pour M Le magazine du Monde

cascade de Dieu », ainsi nommée parce qu’unchef de clan y aurait jeté des effigies païenneslors de la conversion de l’Islande au christia-nisme, autour de l’an 1000. Elle est large etgracieuse. Passé les grandes vallées du nord etavalé l’horizon de volcans et de déserts de lavedessinés au fusain, voici Haifoss, l’une des plushautes cascades d’Islande (122 m). Puis apparaîtGullfoss, « la chute d’or », double cascade qui sejette dans un profond canyon. A deux heures dela capitale, près de Geysir (qui a donné son nomaux geysers) et de la faille de Thingvellir, cettecascade très imposante est la plus visitée dupays. C’est en hiver, lorsqu’elle est en partie figéedans des volutes bleutées, qu’elle apparaît dansses atours les plus poétiques.Au fil du périple, on se prend au jeu de

dénicher des cascades dans les moindresrecoins de l’île. Le bassin d’orgues basaltiquesd’Aldeyjarfoss, par exemple, seulement acces-sible en circuit organisé avec des 4x4 équipésde pneus immenses; l’étonnante chute horizon-tale de Barnafoss ; ou même cette chute sansnom, statufiée par l’hiver à l’orée de la péninsulede Snaefellsness. Derrière son rideau glacé sedissimule une grotte hérissée de stalagmites etde stalagtites. Secrète et magique, comme il siedà ces paysages de science-fiction.•

– un classique –, d’autres se glisseront dansl’une des cavernes de glace qui se reformentaux premiers froids, tels d’étranges coconsd’un bleu luisant.

Plus loin, la route suit le dessin sinueuxdes fjords de l’est. Dissimulée au fond de l’und’entre eux, Klifbrekkufoss est méconnue. Ellevaut pourtant le détour, avec ses six chutesen escalier, un tableau digne du Seigneur desanneaux. Pour la découvrir, il ne faut pas atten-dre les grosses chutes de neige qui bloquentle col menant au fjord. En novembre, ça passeencore… Pour s’en assurer, les Islandais consul-tent néanmoins religieusement tous les matinsl’état des routes en temps réel sur Internet.Dans sa remontée des vastes espaces

lunaires du nord-est, la route 1 passe au large deDettifoss. Trente kilomètres d’une route latérale,500 mètres d’un chemin balisé, et l’incroyablerumeur se fait soudain entendre. La plus puis-sante cascade d’Europe (100 m de large, 45 mde haut) est un monstre écumant d’eau et delimons. Comme la plupart de ses sœurs, elleprend sa source dans les glaciers des Highlandsavant de descendre les reliefs en rapides et dedévaler avec fracas les escaliers de basalte.A pleine plus loin, la route 1 longe l’une des

plus fameuses cataractes du pays. Godafoss, « la

•••

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dormir, mangerIl existe toute une gamme delogements de qualité en Islande.Les hôtels sont les plus chers.Les guesthouses et les fermes-auberges proposent souvent unebelle réduction pour qui apporteson propre sac de couchage.

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SvartifossHôtel Skaftafell. De 200 €(basse saison) à 230 € (juin-sept).Tél. : +354 4781945www.hotelskaftafell.is

KlifbrekkufossGuesthouse Egilsstadir,Egilsstadir. De 130 € (basse saison)à 220 € (juin-sept).Tél. : +354 4711114www.lakehotel.is

dettifoss, godafossDimmuborgir guesthouse, Myvatn.Chambres : 60-80 € (basse saison),150 € (juin-sept). Cottages : 70-150 € (basse saison), 160-210 €(juin-sept). Tél: +354 4644210www.dimmuborgir.is

gullfossSydra-Langholt guesthouse, Fludir.De 60 € (single) à 140 € (triple).Tél. : +354 4866574www.sydralangholt.is

Le lagon glaciaire de Jökulsarlon(ci-dessus) est l’un des sites

les plus réputés de l’île.Impressionnante, Gullfoss,

« la chute d’or », est une doublecascade qui se jette dans un

profond canyon (en haut à droite).Haifoss est, avec ses 122 mètres,l’une des plus hautes d’Islande

(ci-contre).

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Compléter toutela grille avec deschiffres allant de 1à 9. Chacun ne doitêtre utilisé qu’uneseule fois par ligne,par colonne et parcarré de neuf cases.

Horizontalement 1 Prend les bonnes mesures.Donne les bonnes mesures.2Maintient enforme et évite les plis. JulienViaud.3 Personnel.Habille les étoiles.Drôle par les deux bouts.Passe à Saint-Omer.4Suit la reine en partant.Contradiction dans le raisonnement.5Roule surle tapis.Dépassés par les textos et autres SMS.6Belle africaine dure et noire.Sans bavure.Vautde l’or.Article.7Allongée dans la cage. Finit au tapis.Maintient une bonne fermeture.8Tou-jours belle avec le temps.Unimais défait. Proche.9 Point vite gagné.Bienmeilleurs quand ilsprennent de l’âge. 10 Lettres d’un facteur. Grand aigle australien. Principes fondamentaux.11 Ouvrent en grand. Arpentas le trottoir. 12 Personnel. Dégagea par en haut. Maîtrisa lesauvageon. 13 Plongèrent. Maintient la quille en radoub. 14 Bonne gardienne. Repaires derapaces.Théologien musulman.15Des Gaulois chez les Belges.A déposer délicatement.

Verticalement 1Evite des tonnes de paperasse administrative.2En attendant une suite plussérieuse. Cœur de bâtard. 3 Echassier au bec arqué. Auxiliaire. Aller de pair. 4Met tout lemonde d’accord. Dangereuse en dormant. Cours africain. 5 Se permet des privautés. ArroseMillau et Gaillac. Pointe d’étoile. 6 Fait de belles pipes. Doit être arrêtée pour être mise enœuvre. 7 Coup de chaleur pour mettre à l’abri. Suit les dizaines de près. Recherche dans lesparticules. 8Tabassâmes. Exerces un certain pouvoir. 9 Eûmes beaucoup de mal à suivre.10Armedu gallinacé.Dubleu à la campagne.Dieu des bergers.11Belle envolée pour la diva.Prophète qui a pris les pinceaux.Elimina.12Renvoie vers la douleur.Dame palmée.Mesureà Pékin. 13 Patron dans la Manche. Piégé. Se déplacent à pied. 14Mit de côté. Pâte batave.Bonne opinion.15Ne sont que fadaises.Homme libre.

Solution de la grille no 214Horizontalement 1Romaine.Menteur.2Acalculie.Etire.3Fertilisant.Géo.4Face.Leone Réer.5En.Roi.Ld. Pur. 6 Rien.Tueries. La. 7Menaces. Edredon. 8One.Assis. OMI. 9 Sarclage. Ointes. 10 Semelle. Elle.11Ere.Europe.VTT.12.Me.OS.Baccarat.13Eros.Pointa. Ira.14Nansouk.Dessein.15Titus.Alésèrent.Verticalement 1Raffermissement.2Océanie.Aérerai.3Marc.Enorme.Ont.4Alternance.Ossu.5 Ici.Celles.Os.6Nullité.Alu. Pu.7Elie. Usager. Oka.8 Isolé. SE.Obi.9Méandres. Epande.10Ne. Idiolectes.11Net.Persil.Case.12Tt.Ruse.Neva. Sr.13Eiger.Dot.Triée.14Urée.Lomé.Tarin.15Réorganisé.Tant.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

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Solution de la grille

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MLemagazine duMonde— 31 octobre 2015

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connu pour ses livres jeunesse, l’auteur des “trois brigands” l’est aussipour ses textes érotiques. peintre et sculpteur, il est le seul artiste

français célébré de son vivant par un musée, à strasbourg, où il est né.certaines de ses œuvres sont à voir en ce moment au musée des arts

déco de paris qui retrace l’histoire de son éditeur, l’école des loisirs.

par Émilie GranGeray

J’entretiens, avec mes objets, desrapports très étroits — intimes,même. Je les caresse, les remercie.

En revanche, je ne possède pas de gadgetélectronique et considère le téléphoneportable comme une véritable atteinte à laliberté. En Irlande, où j’habite, je conservetoujours mes premiers pots de peintureacrylique qui datent de 1965. Elle est encorefraîche après tout ce temps. J’ai aussi de l’af-fection pour mon vieux porte-plume, moncouteau suisse et mes Yellow Pad, ces blocs-notes de couleur jaune que l’on trouve auxEtats-Unis, et sur lesquels j’écris. C’est donctrès difficile pour moi de choisir un seul objet.Pourtant, si j’aime vraiment tous ceux queje viens de citer, il y en a deux qui me sontabsolument nécessaires : mes lunettes etma canne. J’ai besoin de cette dernière poursoulager mon dos comme mes jambes et,depuis que j’ai perdu un œil, elle me permet

de recouvrer le sens de la profondeur quej’ai perdu. J’en détiens quatre en vérité, maiscelle-ci, je la garde depuis plus de quinze ans.Elle est particulière car j’y ai mis une poignéede porte Braun — marque allemande qui, ducoup, en a fabriqué une série limitée de 100,griffées TU pour Tomi Ungerer — et la faitainsi ressembler à un club de golf. Mais,surtout, j’y ai adjoint une sonnette de véloau sommet. A cause de ma cécité partielle,j’en suis venu à craindre les lieux très peu-plés, comme les aéroports. J’ai peur qu’onme bouscule, et c’est en cela que ma son-nette m’est bien utile : dès que j’ai l’impres-sion que quelqu’un me rentre dedans, jel’actionne! Je dois avouer que j’en profiteaussi pour faire quelques farces — j’aimeeffrayer les passants. Parfois, je faisaussi exprès de l’activer au restaurant.Bref, je fais ce que j’aime le mieux :m’amuser, encore et toujours.

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Le big data, entre nombres et lumièresUltraconnectée, l’humanité produit toujours plus de données numériques. Les enseignements qu’on peut tirer

de ces volumes vertigineux d’informations brutes restent incertains : les mathématiques peinent encore à les interpréter

antoine reverchon

Les chiffres sont impression-nants. Pendant la seule année2011, le volume de l’informa-tion qui a été numérisée dansle monde a atteint 10 puis-sance 21 octets. Pour les plus

fâchés avec les maths, cela signifie un 1avec 21 zéros derrière : ça s’appelle des « zettaoctets », et cela représente… autant que toute l’information numérisée jus-que-là. En 2013, ce volume a été 4,4 fois supérieur ! A ce rythme, en 2020, l’huma-

nité stockerait 44 zettaoctets de données dans ses ordinateurs, téléphones, tablet-tes – mais aussi dans ses montres, lunet-tes, réfrigérateurs, automobiles, puces sous-cutanées, objets de plus en plus bar-dés de capteurs connectés à Internet. Soit44 000 milliards de gigaoctets…

Cet univers du big data, ou « donnéesmassives » en français, ne servirait pas àgrand-chose si celles-ci ne pouvaient être stockées (dans des serveurs de plus en plus grands), transmises (par un débit In-ternet de plus en plus élevé) et surtout traitées (par des ordinateurs de plus en

plus puissants) – bref : si l’on ne pouvait pas en « extraire de la valeur ». Là encore, les chiffres sont énormes : selon l’institutaméricain Data Driven Marketing, 156 milliards de dollars ont été tirés de l’exploitation des données personnelles dans le monde en 2012. Un chiffre qui, d’après le cabinet de conseil McKinsey, se-rait porté à 600 milliards de dollars par ansi les entreprises exploitaient toutes les données dont elles disposent.

Garder la tête froide devant une tellemanne ? Impossible. Des dizaines de rap-ports, études et séminaires se sont pen-

chés avec gourmandise sur cette « Nou-velle frontière pour l’innovation, la con-currence et la productivité » (titre du rapport McKinsey de juin 2011, devenu le livre de chevet des thuriféraires du big data). Les médias publient des « supplé-ments big data » payés par la publicité des éditeurs de « solutions logicielles ». Lespouvoirs publics sont sommés de « Faire de la France un champion de la révolutionnumérique » (titre d’un rapport de l’Insti-tut de l’entreprise, d’avril 2015)…

lire la suite page 7

JULIEN

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CACHEZ CE DEUIL QUE JE NE SAURAIS VOIR

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CINÉMA

GÉZA RÖHRIG, ACTEURHONGROIS SANS FRONTIÈRES

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LITTÉRATURE

BOUALEM SANSAL : « OUI, J’AI PEUR,COMME BEAUCOUP DE GENS »

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2 | 0123Samedi 31 octobre 2015 | CULTURE & IDÉES |

Géza Röhrig, la clé de Saul

Dans « Le Fils de Saul », l’acteur hongrois incarne un déporté, membre du « Sonderkommando » d’Auschwitz. Un rôle quasiment

sur mesure, tant il a nourri son personnage de sa propre histoire

qu’aux chambres à gaz, les pousser à se dés-habiller, les rassurer, puis extraire les cadavres et les brûler tout en nettoyant les lieux. Pour l’acteur, le fait de savoir que les membres du Sonderkommando ne possé-daient pas le corps décharné des autres dé-portés rendait l’identification possible.

Lorsque le tournage du Fils de Saul a com-mencé, Géza Röhrig en savait plus qu’il n’enfallait sur les Sonderkommandos. L’ampleurde la documentation qu’il a consultée lui apermis d’aborder son travail avec une cer-taine légèreté. De dominer son rôle. De leconstruire. De se l’approprier.

Un livre en particulier l’a marqué, WeWept Without Tears (« Nous avons pleurésans larmes »), de l’historien israélien Gideon Greif (Yale University Press, 2005,non traduit en français). L’ouvrage est com-posé de huit entretiens avec des membresde Sonderkommandos, réalisés sur une pé-riode de onze ans (l’un de ces témoignagesa été publié dans le numéro de janvier-avril 2001 de la Revue d’histoire de la Shoah).L’acteur en a retenu les questions posées,directes, froides, concrètes.

Que ressentaient ces hommes en ouvrantla porte des fours crématoires, à la vue descorps brûlés ? Comment séparaient-ils les corps les uns des autres ? Comment reti-raient-ils les dents en or des juifs gazés ?Avec quoi coupaient-ils leurs cheveux ? Ces questions l’ont aidé à pallier les ellipses duscénario. Car on ne sait rien de Saul Auslan-der dans le film. Il est nu, sans passé, définipar sa fonction de rouage de la machine dedestruction nazie. On voit juste sa volontéde trouver un rabbin susceptible de réciter lekaddish, la prière des morts, et d’enterrerson fils, qu’il croit religieux.

L’acteur s’est conduit en romancier dansl’approche de ce personnage créé par unautre, le modelant à son image. Il y a intégrésa trajectoire personnelle : Géza Röhrig, qui a perdu ses parents à 4 ans, a été adopté par des amis de sa famille à 12 ans. Son père dis-paru, dont il était très proche, lui manqueencore. Dans Le Fils de Saul, il a voulu incar-ner le père qu’il aurait voulu avoir. Il a fait sienne cette scène où Saul tient absolumentà enterrer son fils, estimant qu’il n’avait ja-mais été assez présent auprès de lui de sonvivant. Dans le film, il s’agit pour le person-nage de préserver un facteur humain – les hommes enterrent les leurs, à la différencedes animaux – dans un lieu d’inhumanitéabsolue. Pour Géza Röhrig, l’enjeu prenait une signification supplémentaire. Comme s’il était, effectivement, la seule personnecapable d’incarner Saul Auslander. p

moment de visiter les lieux. « J’avais 19 ans,je passais du bon temps en Pologne, et je savais que la visite d’Auschwitz casseraitcette ambiance. Mon grand-père avait perdul’essentiel de sa famille là-bas. Il s’en étaitsorti de manière miraculeuse. Ayant perduune jambe, on l’avait jugé inapte à quitter leghetto de Budapest. Plus la date de mon re-tour en Hongrie approchait, plus je sentais qu’il faudrait que j’aille à Auschwitz. C’étaitun aimant qui m’attirait irrésistiblement. »

Un jour, il a fini par franchir le pas. Puis ils’y est rendu tous les jours pendant unmois, de l’ouverture du site, à 9 heures, à safermeture, à 17 heures. Si étrange que celaparaisse, il s’y est senti chez lui. Cet endroitne souhaitait pas le laisser repartir. Il a com-mencé à écrire le premier de ses huit re-cueils de poésie là-bas – tous rédigés enhongrois, à l’exception d’un, en allemand.

Plus tard, après le tournage du Fils de Saul,il y est retourné en compagnie de ses quatreenfants. Le camp avait, à ses yeux, perdu lasolennité que lui apportait son isolement,du temps du communisme. « C’est devenu une attraction touristique. Il y a trop de monde. Il se trouve toujours quelqu’un der-rière vous en train de mâcher du chewing-gum avec des écouteurs sur les oreilles. On secroirait au Louvre. » Il a conservé en lui cetAuschwitz intime, pour l’intégrer, dans savie, dans sa poésie, au cinéma. Mais il l’a faitavec pondération. Pour se souvenir. Et poursurmonter l’Histoire. Il y a une injonctiondans la Torah que Géza Röhrig se plaît à ci-ter : « Nous devons prendre soin de nous. » Ila donc pris soin de lui. Auschwitz est alorsdevenu une source de vie.

C’est avec une forme de soulagement qu’ila accueilli le rôle de Saul. Le film a fait réap-paraître la vieille question de la représenta-tion de la Shoah à l’écran. « J’ai du mal à com-prendre ce débat, observe le comédien. Nous explique-t-on que la représentation est maté-riellement impossible ? Ou alors, nous dit-onqu’elle est matériellement possible, mais in-justifiable d’un point de vue éthique ? C’est trèsdifférent. Je pourrais vous citer l’exemple de David Olère, qui n’a cessé par ses dessins et sestoiles de témoigner de son expérience de Son-derkommando. Il a enchaîné les expositions. Personne n’a évoqué le moindre interdit à son sujet. Mais quand on en vient au cinéma, c’estcurieux, tout le monde perd la tête. »

D’autant qu’un membre d’un Sonderkom-mando n’était pas un déporté ordinaire. Ilne côtoyait pas les autres détenus, il étaitlogé à part, mieux nourri aussi, pour ac-complir la mission que les nazis lui assi-gnaient : accompagner les prisonniers jus-

samuel blumenfeld

Le personnage de Saul Auslander,ce ne pouvait être que lui.Comme si sa trajectoire le pré-destinait à incarner un membred’un Sonderkommando. Poète,comédien, romancier, ensei-

gnant, Géza Röhrig est l’acteur principal dufilm Le Fils de Saul, de Laszlo Nemes (GrandPrix du jury du dernier Festival de Cannes).Né en Hongrie communiste, passé par laPologne et Israël, vivant désormais à NewYork, Géza Röhrig est devenu l’un de ces dé-portés juifs chargés d’assister les nazis ausein des camps d’extermination.

A l’écran, l’adéquation entre l’homme et lepersonnage semble évidente. Pourtant, il a fallu beaucoup de temps pour que Laszlo Nemes lui propose de jouer dans ce long-métrage s’aventurant sur le terrain com-plexe de la mise en scène de la Shoah, se fo-calisant sur un groupe, celui des Sonderkom-mandos, rarement représenté à l’écran. Des mois, presque des années, avant que le met-teur en scène réalise que la personne qu’il cherchait se trouvait devant lui.

Car les deux hommes sont amis depuislongtemps. Ils se sont rencontrés à NewYork, au milieu des années 2000. LaszloNemes venait d’intégrer le départementcinéma de l’université de New York. GézaRöhrig étudiait dans une yeshiva deBrooklyn, un centre d’étude de la Torah etdu Talmud. L’attirance du réalisateur pourle monde juif orthodoxe, ses origines hon-groises communes avec son futur acteur,un goût partagé pour les parcours obliquesavaient créé un lien indéfectible entre eux.Depuis Le Fils de Saul, cette fraternité s’est transformée en destin commun.

Laszlo Nemes tenait à ce que le visage deSaul Auslander soit celui d’un inconnu. Lefilm montre uniquement ce que voit sonpersonnage : la crémation des juifs àAuschwitz-Birkenau, en octobre 1944, juste avant le soulèvement de 250 membres duSonderkommando. Evoquant Géza Röhrig,Laszlo Nemes explique : « Tout est mouvantet mouvement chez lui, sur son visage et soncorps : impossible de lui donner un âge, il està la fois jeune et vieux, mais il est aussi beauet laid, banal et remarquable, profond et im-passible, très vif et très lent. »

L’âge de Géza Röhrig, 47 ans, semble en ef-fet impossible à établir d’emblée. Avec sa barbe et sa casquette vissée sur sa tête, le timbre de sa voix, l’insertion d’accents hon-grois, yiddish, polonais, hébreu dans son anglais, il présente un tableau complexe. Lechoix même du lieu où il fixe son rendez-vous, The Hungarian Pastry Shop surAmsterdam Avenue, à Manhattan, donneen revanche une idée de sa géographie in-time : entre l’Europe et l’Amérique, le

monde d’hier et celui de demain, l’impar-fait et le futur. Au bout du compte, GézaRöhrig renvoie l’image d’un individu dotéd’un centre de gravité particulier, situé entre deux mondes.

C’est en 1987, à l’époque du rideau de fer,qu’il est allé pour la première fois àAuschwitz. Né en Hongrie, le jeune hommeétudiait alors la littérature polonaise à l’uni-versité de Cracovie : il fallait former de nou-veaux élèves à la traduction en hongrois dela poésie polonaise, dont il deviendra plustard l’un des passeurs. « On nous expliquaità l’école que le capitalisme allait s’effondrer,que le communisme devait triompher, que leparadis était à portée de main. » Pendant son séjour, il commence par tenir Auschwitz à distance, reculant sans cesse le

¶à voir

« le fils

de saul »

film hongrois de Laszlo Nemes (1 h 47). Avec Géza

Röhrig, Urs Rechn, Levente Molnár.

En salles le 4 novembre.

« Il est à la fois jeune et

vieux, mais il est aussi

beau et laid, banal et

remarquable, profond

et impassible, très vif

et très lent »laszlo nemes

réalisateur du « Fils de Saul »

Géza Röhrig dans la peau

de Saul Auslander, un déporté juif chargé

d’assister les nazis à Auschwitz. DR LA BRETAGNE

| CULTURE & IDÉES | Samedi 31 octobre 2015

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A Washington, un musée haut en couleurConsacré aux Afro-Américains, il ouvrira en 2016 et ne veut « ni victimiser les Noirs ni culpabiliser les Blancs »

Le National Museum of African American History

and Culture est encore

en construction sur le National Mall,

à Washington. L’ancienne First

Lady Laura Bush (ci-dessous, au centre) a participé

à la cérémonie de pose de la

première pierre, en février 2012.

SHAWN THEW/EPA, ALEX

WONG/GETTY IMAGES/AFP

stéphanie le bars

Washington, correspondance

Des décennies de tergiversa-tions, un concept paradoxalet, désormais, une coursecontre la montre : si tout vabien, le dernier-né des mu-sées nationaux américains,

qui sera consacré à l’histoire des Afro-Améri-cains, sera inauguré en septembre 2016 à Washington par Barack Obama. Les concep-teurs du musée s’en sont fait la promesse : le premier président noir des Etats-Unis cou-pera le ruban du National Museum of African American History and Culture (NMAAHC).Quoi de mieux que la force symbolique de cette image pour lancer sous les meilleursauspices ce projet maintes fois avorté ?

L’ouverture du NMAAHC sur le NationalMall verdoyant de la capitale fédérale, bordé par la quinzaine de musées nationaux géréspar la très officielle Smithsonian Institution,constitue en effet un événement politique autant qu’une gageure scientifique. Aujour-d’hui, l’imposant bâtiment de six étages, figu-rant une couronne africaine composée decentaines de plaques de fer forgé – hommage au travail des esclaves dans les Etats améri-cains du Sud aux XVIIIe et XIXe siècles –, trôneen bonne place sur l’esplanade de la capitale, au pied de l’obélisque du Washington Monu-ment. Cet emplacement, au cœur des mémo-riaux et musées qui fondent l’identité natio-nale américaine, n’est pas anodin : avant même la pose de la première pierre, en 2012, ila constitué une victoire symbolique pour les promoteurs du projet – au fil des ans, lesdésaccords sur la localisation du musée, que certains souhaitaient hors du Mall, ont nourriles atermoiements sur sa construction.

Tout cela est désormais de l’histoire an-cienne. A quelques centaines de mètres dubâtiment encore en chantier, le Musée natio-nal de l’histoire américaine héberge, jusqu’àl’ouverture, une exposition préfigurant lefutur musée. Y sont présentés 140 des33 000 objets collectés à ce jour par le NMAAHC autour des grands thèmes retenuspar le musée : l’esclavage, la ségrégation, la viedes communautés, la culture et le sport. Un tableau figurant des esclaves en fuite ouvre l’exposition, qui se poursuit avec les photos d’une famille éduquée ayant obtenu sa li-berté. La collerette d’Harriet Tubman, une es-clave du Maryland qui a facilité l’évasion denombre de ses compagnons, y côtoie le barda de soldats noirs durant la guerre civile, la nappe sur laquelle fut rédigé l’argumentaire demandant la déségrégation scolaire dans les années 1950, la combinaison du premier astronaute noir ou des costumes de scène d’artistes… La plus grande pièce du futur mu-sée, un wagon datant de la ségrégation avec des sièges réservés aux gens de couleur, ne sera visible que lors de l’inauguration.

La nécessité de donner à voir la vie des Amé-ricains d’origine africaine et leur présencedans la grande épopée des Etats-Unis a misdes années à s’imposer. L’idée d’honorer la mémoire des Afro-Américains remonte à 1915 : des anciens combattants noirs de la guerre civile (1861-1865) demandent alors – envain – l’érection d’un mémorial. En 1929, leCongrès donne son accord à la création d’un musée mais, alors que le pays plonge dans la crise, lui refuse toute subvention. A la fin des années 1960, dans la foulée des victoires liées aux droits civiques, l’idée est relancée, mais làencore, ni le monde universitaire ni le mondepolitique ne pousse en ce sens. « Longtemps, le groupe dominant, l’homme blanc d’origine européenne, a choisi de ne pas inclure cette histoire dans le récit national », analyse Rhea L.Combs, la conservatrice du nouveau musée.

Les efforts sont relancés à la fin des années1980 par des élus comme John Lewis, un com-pagnon de route de Martin Luther King. Il se heurte cependant à une frange ultraconserva-trice de parlementaires qui ne veulent pasmettre un dollar dans un tel projet. Les oppo-sants au musée afro-américain, à l’instar du sénateur de Caroline du Nord Jesse Helms mettent en avant le risque d’être confrontés à « des demandes communautaires » sans fin. A cette époque, le Congrès vote pourtant lesfonds pour la création du Musée des Indiensd’Amérique, qui verra le jour en 2004.

Des raisons moins avouables expliquentces réticences, estime Julieanna Richardson, fondatrice, à Chicago, de l’institution TheHistory Makers, consacrée à la préservation et à la collecte de milliers de témoignagesaudiovisuels d’Afro-Américains. « N’oublionspas qu’un groupe social a considéré pendant

des décennies qu’un autre groupe n’avait pasde valeur », souligne cette ancienne avocate.Difficile dans ces conditions de lui accorderune place dans le récit national sans stigma-tiser la partie de la population qui l’avait hu-milié. Au-delà des réels problèmes finan-ciers, « le projet s’est en outre heurté durantdes années à un manque d’éducation, unmanque d’appréciation et un manque de do-cumentation », estime-t-elle. Il aurait aussipâti de la volonté de valoriser principale-ment « une histoire heureuse » de l’Amérique,estime de son côté l’historien John W. Fran-klin, aujourd’hui conseiller auprès du direc-teur du NMAAHC.

Il faudra donc attendre 2003 pour que leCongrès accorde son feu vert à la constructiondu musée afro-américain, après l’avis favora-ble d’une commission mise en place par leprésident George W. Bush et le soutien desresponsables de la Smithsonian Institution.La moitié du budget, qui atteint 500 millions de dollars, est pris en charge par les financespubliques, à charge pour les promoteurs de le compléter par des dons privés. Parmi ces do-nateurs, l’animatrice et actrice Oprah Winfreya apporté à elle seule 13 millions. Douze ans plus tard, et à moins d’un an de l’ouverture programmée, quelque 60 millions de dollars manquent encore à l’appel, selon M. Franklin.

Ces difficultés matérielles n’ont pas remisen cause le consensus qui semble désormaisacquis en faveur du projet. En revanche, unequestion de fond demeure : si le but consisteà (ré) introduire la population d’origine afri-caine dans l’histoire, sombre ou joyeuse, de l’Amérique, faut-il lui consacrer un lieu spécifique ? « Les femmes, les juifs ou les In-

diens d’Amérique ont leur musée ; consacrerun musée à l’histoire des Afro-Américains n’est pas plus paradoxal », explique Mme Ri-chardson. « Il fallait créer ce lieu, car il n’exis-tait pas d’autres endroits où était racontéeune histoire collaborative, soutient JacquelynSerwer, commissaire en chef du musée. Nousallons nous efforcer de montrer que pas un grand événement ne s’est produit aux Etats-Unis sans que les Noirs y soient impliqués.L’objectif est de créer des interconnexions, de

démanteler les séparations. » « Le musée nesera pas un musée sur les Afro-Américainsmais pour les Afro-Américains », affirme sondirecteur, Lonnie Bunch.

Conçu par la commission mise en placepar M. Bush comme un lieu de « guérison »susceptible de contribuer à « la réconcilia-tion entre les races », le musée saura-t-il tenirses promesses ? Les promoteurs du projet assurent qu’il ne s’agit « ni de victimiser lesNoirs ni de culpabiliser les Blancs ». « L’idéeest que ce musée contribue à une meilleurecompréhension réciproque, explique la con-servatrice du musée. On veut montrer que,comme dans les familles blanches, les origi-nes et les histoires des familles noires sont multiples. Que l’énergie de la culture afro-américaine a irrigué la culture en général ouque les sportifs noirs sont des diplomates del’Amérique à travers le monde. »

En dépit des difficultés à rassembler des ob-jets ayant appartenu aux esclaves, le muséeentend pallier le manque de connaissances dela société américaine sur la période de l’escla-vage, « le péché originel dont l’Amérique nes’est toujours pas remise », ainsi que l’a récem-ment qualifiée Hillary Clinton, candidate à l’investiture démocrate. « La plupart des Amé-ricains pensent encore que l’esclavage était li-mité aux Etats “ignares” du Sud alors que les nordistes aussi furent esclavagistes », explique M. Franklin. Le musée exposera ainsi une trouvaille archéologique rare : des objets re-

cueillis dans l’épave d’un navire négrierportugais, qui a sombré en 1794 au large del’Afrique du Sud. Mais il a aussi l’ambition de s’attaquer à la persistance des discrimina-tions à l’encontre des Afro-Américains. « On collecte actuellement des tracts et des objets liés aux manifestations de Ferguson [ville duMissouri en proie à des émeutes après la mortd’un jeune Noir tué par un policier blanc en 2014] ou aux actions du mouvement Blacklivesmatter [les vies noires comptent] »,indique Rhea L. Combs.

L’« histoire heureuse » des populationsd’origine africaine cohabitera donc avec laviolence institutionnelle de l’Amérique blan-che durant la période coloniale ou les annéesde ségrégation, et ses séquelles actuelles. Sespromoteurs le savent : l’enjeu sera de trouver un équilibre entre la mise en scène desconnaissances académiques et le risque de tomber dans une forme de militantisme.« On espère aussi en faire un lieu de débats surles thèmes difficiles que sont l’esclavage, la sé-grégation et les discriminations, alors que desinstitutions “blanches” auraient peut-être peur d’être entraînées sur de tels terrains », as-sure Jacquelyn Serwer. Les responsables dumusée espèrent attirer 3 millions à 3,5 mil-lions de visiteurs par an et placer ainsi leNMAAHC dans le tiercé de tête des muséesnationaux. Juste derrière le Musée de l’es-pace, et au coude-à-coude avec celui consacréà… l’histoire américaine. p

L’« histoire heureuse »

des populations d’origine africaine

cohabitera avec la violence

institutionnelle de l’Amérique

blanche durant la période coloniale

ou les années de ségrégation

Boualem Sansal à Paris,le 23 octobre.PASCAL AMOYEL

POUR « LE MONDE »

« L’islam s’est mondialisé, il a un coup d’avance »

Le dernier roman de l’écrivain algérien Boualem Sansal, « 2084 », décrit un avenir mis en coupe réglée par une religion totalitaire. Plébiscité par la critique, ce livre, que vient de récompenser le Grand Prix du roman

de l’Académie française, s’est déjà vendu à 100 000 exemplaires . Entretien avec l’une des grandes voix du Maghreb

4 | 0123Samedi 31 octobre 2015 | CULTURE & IDÉES |

propos recueillis par

raphaëlle rérolle

Le nouveau roman de l’écri-vain algérien BoualemSansal, 2084, s’est déjàvendu à 100 000 exem-plaires depuis sa parution,fin août. En dépit de ses in-contestables qualités, le li-vre semble avoir divisé les

jurés des grands prix littéraires. Après avoir figuré sur toutes les sélections, 2084 a disparu des listes du Renaudot, duMédicis et du Goncourt, avant de rem-porter, jeudi 29 octobre, le Grand Prix du roman de l’Académie française, ex-aequoavec Les Prépondérants, de Hédi Kad-dour. L’ouvrage de Boualem Sansal est-il empreint d’islamophobie ? L’écrivain s’explique sur la nature de ses senti-ments vis-à-vis de la religion, et sur sa si-tuation dans son pays.

Dans votre dernier roman, « 2084 », vous décrivez un totalitarisme religieux derrière lequel on devine l’islam. Pourtant, celui-ci n’est jamais nommé. Est-ce par prudence ?

Quelle religion sera au pouvoir après2084 ? Pas l’islam que j’ai connu dansmon enfance, et pas celui d’aujourd’hui non plus. Il y a déjà une différence colos-sale entre l’islam contemporain et celuid’il y a trente ans : d’une petite pratique qui ne dérangeait pas, il est passé à uneréalité tonitruante. Jusqu’au début des années 1990, l’Algérie était un pays socia-liste, où l’islam occupait à peu près lamême place, marginale, que le christia-nisme en France. Nous vivions dans une religion transparente. Et voilà que d’unseul coup cette chose lointaine s’est im-posée partout, avec des discours, des constructions de mosquées. Le paysage lui-même a changé, les pratiques vesti-mentaires se sont modifiées, les barbes se sont mises à pousser, on se croirait en Afghanistan. De plus, comme les pro-grammes scolaires ont fait une large place à l’enseignement de la religion, les enfants se transforment en petits ayatol-lahs à la maison, et les gens se plient à cela pour ne pas avoir d’ennuis.

Alors, qu’en sera-t-il dans soixante-dixans ? Je pense que l’islamisme, ce dévoie-ment de l’islam, est en train de se consti-tuer en religion, c’est comme un phéno-mène de scissiparité. On voit cette évolu-tion d’un mois sur l’autre dans l’univers

musulman. Certains mots disparaissent. Le terme charité, par exemple, qui était invoqué cinquante fois par jour dans l’is-lam traditionnel, a cédé du terrain, demême que la pratique qui lui était asso-ciée. De plus en plus, c’est un vocabulairemartial qui s’impose.

Si un écrivain français tenait des pro-pos de ce genre, on dirait de lui qu’il est islamophobe. Est-ce votre cas ?

Je dirais plutôt que je suis « islamisto-phobe ». Même s’il est vrai que je n’ai pas une vision positive de l’islam dans lequel je suis né, que j’ai étudié, et qui me sem-ble pauvre en spiritualité. De façon géné-rale, je pense surtout qu’on n’est pasobligé d’aimer les religions, je n’ai per-sonnellement de sympathie pour aucuned’entre elles. Je peux m’en accommoder dans la mesure où elles n’envahissent pasl’espace public et n’embrigadent pas lesenfants. Si j’étais un Français du début duXXe siècle, on dirait que je suis anticléri-cal. Avant tout, je crois en la raison hu-maine : il y a en elle plus de beauté et despiritualité que dans n’importe quelle re-ligion. L’homme est capable de fouillerl’infini, de photographier le fin fond de

l’Univers, de continuer à poser des ques-tions sans se décourager. Cela dit, quand j’ai fini 2084, je le trouvais très anodin parrapport à ce que j’ai écrit depuis quinze ans. Il est moins dur que certains de mes ouvrages précédents. Poste restante : Al-ger, ou Le Village de l’Allemand, par exem-ple, contiennent une description très cri-tique de l’islamisme. Surtout, je me suis interdit le blasphème durant toute la phase d’écriture de ce livre.

Ne craignez-vous pas que votre roman soit récupéré en France par ceux qui instrumentalisent la peur de l’islam à des fins idéologiques ou politiques ?

Je ne pense pas à cela quand j’écris. Jesais bien que je suis récupéré, qui peutl’empêcher ? La droite, l’extrême droite,mais aussi la gauche laïque, l’extrême gauche, tous prennent des passages, des phrases… Quoi que je dise, ce sera utilisé. Faut-il que je me taise définitivement ? Que j’attaque en justice ? Non, un livre c’est un objet public.

Comment êtes-vous considéré en Algérie ?

En 1999, quand Le Serment des barba-res, mon premier roman, est sorti, j’étaispresque considéré comme un héros na-tional. Imaginez le contexte : Bouteflika venait d’arriver au pouvoir dans une Al-gérie essorée par dix ans de violences. Ila fait la danse du ventre en disant que la guerre était enfin finie, que nous allions enfin connaître le bonheur. Un ventd’optimisme extraordinaire s’est mis àsouffler. A ce moment-là, les Algériens étaient fiers qu’un de leurs compatriotessoit publié chez Gallimard, qu’il se re-trouve sur la liste du Goncourt etd’autres grands prix. Mais ils me lisaient très peu, notamment parce que mes li-vres sont relativement chers : comme je n’ai pas d’éditeur algérien, les ouvragessont acheminés depuis la France et coû-tent en moyenne quatre fois plus que leséditions locales.

Les choses ont changé avec mondeuxième roman, L’Enfant fou de l’arbre creux, paru en 2000. Entre-temps, la lu-mière avait commencé à baisser en Algé-rie. Les gens se rendaient compte que la violence et la misère n’avaient pas dis-paru. Certains ont commencé à me lire,et là, ils se sont dit : qui est ce sale type ? Ilcritique le régime et les islamistes, très bien, mais il nous critique nous aussi, le peuple. Car, oui, j’affirmais que nous sommes les premiers responsables de ce qui nous arrive. Nous avons laissé la dic-tature s’installer, nous sommes allésécouter les prêches à la mosquée. A leurs yeux, c’était impardonnable : en Algérie,le peuple est intouchable. Et je ne parlemême pas des islamistes, pour qui je suisdevenu un apostat, ou du régime, qui m’atraité comme un ennemi.

Finalement, en 2003, j’ai été limogé encinq minutes et sans indemnités du poste que j’occupais dans la haute fonc-tion publique. J’avais une sale réputation,les gens en haut lieu commençaient à en avoir marre de mes déclarations dans les journaux contre Bouteflika. Je suis resté longtemps sans salaire. Je ne pouvais tra-vailler ni dans le public ni dans le privé. Tout le monde m’évitait. Les autorités se sont attaquées à mon frère, un artisan qu’ils ont presque poussé au suicide en lui infligeant redressement fiscal sur re-dressement fiscal, au point de le ruiner. Ils s’en sont aussi pris à ma femme, qui est prof, en instrumentalisant l’associa-tion de parents d’élèves. Ils l’ont accusée d’être l’épouse d’un traître, pro-israélien, pro-français, antimusulman. Mes livres ont été interdits pendant plusieurs an-nées. Puis, au bout d’un moment, les autorités m’ont traité par le mépris, enm’ignorant. Aujourd’hui, on trouve à nouveau mes livres dans certaines librai-ries, en petites quantités. Mais je reste os-tracisé, je ne participe à aucun débat, à aucune séance de signatures.

Avez-vous pensé à émigrer ?On n’est pas obligé d’aimer son pays

pour y rester. On est là, on vit, on y a sa fa-mille, ses amis. Mais c’est aussi une ques-tion de circonstances : dans les années 1970, quand j’étais étudiant en sciences, il

« Quoi que je dise, ce sera utilisé.

Faut-il que je me taise

définitivement ?

Que j’attaque en justice ? Non,

un livre c’est un objet public »

¶à lire

« 2084, la fin

du monde »

de Boualem Sansal

(Gallimard, 288 p., 19,50 €).

était très facile de partir. On venait en France avec une carte d’identité. C’est l’époque où est apparu un mot qui allait ruiner le pays : l’algérianisation. Le ré-gime militaire de Boumediene était mo-derniste : il voulait installer des usines,des complexes industriels. Pour cela, il fallait envoyer des jeunes gens à l’étran-ger afin de les former aux métiers d’ouvriers, de cadres. Or, beaucoup nesont pas revenus, ce qui a eu des consé-quences dramatiques. Moi, je me suis posé la question, mais les choses ont tourné autrement : on a mis à ma disposi-tion un laboratoire sur les turboréacteurs,qui sont devenus ma spécialité. J’ai fait des expériences, publié des articles dans de grandes revues. Nous vivions dans desconditions dignes du tiers-monde, l’eau

était rationnée, nous n’avions pas de lé-gumes, mais j’étais jeune et passionné par mon travail. Les jours ont passé, j’ai reporté à plus tard alors que tous mes co-pains partaient, mes frères aussi.

Quand la guerre civile a commencé, audébut des années 1990, j’ai changé de cap, je suis entré dans l’administration. Le ministre du commerce m’a appelécomme conseiller parce que je connais-sais bien les problèmes de la dette, ques-tion centrale dans ces années qui ont vu le passage de l’Algérie à une économie de marché, en 1994.

Et maintenant ?Je suis passé par des périodes de grande

souffrance, où je me suis vraiment inter-rogé. Partir semblait urgent, par exemplequand les islamistes étaient aux portesd’Alger [1995-1996], qu’ils avaient conquisune grande partie du territoire national. Moi, j’étais en pleine zone islamiste puis-que j’habite à Boumerdès, à 50 km à l’est d’Alger, sur la route de la Kabylie. Pen-dant la décennie 1990, nous avons eu desbombardements toutes les nuits dans lesmaquis environnants, des attentats con-tinuellement. Parfois, des accrochagesentre l’armée et les islamistes se produi-saient quasiment sous nos fenêtres. A la longue, ça fatigue.

Mais quelle souffrance pour obtenir unvisa… Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoirdes visas de circulation valables cinq ans,mais à l’époque on ne m’aurait donnéqu’un visa de trois mois. Qu’est-ce qu’on peut faire en trois mois ? Et puis, quandon voit toutes les difficultés qu’il y a às’installer en France et comme on estmal reçu, ça décourage. Lorsque je vaisdans certaines villes françaises, je fais en sorte d’entrer en France par Paris pour nepas arriver directement d’Alger en avion. Dans les aéroports de ces villes, si vous présentez un passeport algérien, vous êtes mal reçu, vous avez droit à des re-gards, des discours, parfois des grossière-tés. Un mépris que vous n’imaginez pas. Je ne veux pas être l’immigré de plus.

Enfin, partir, ce serait aussi céder àceux qui m’ont persécuté. C’est une ques-tion d’amour-propre.

Avez-vous peur ?Oui, j’ai peur depuis des années.

Comme beaucoup de gens. Avant, dutemps de Boumediene, on redoutait quelque chose qu’on n’avait jamais vu : laSM, la sécurité militaire, autrement dit les services secrets algériens. Dans 2084, c’est les « V », on ne sait même pas s’ils existent, ils sont partout et nulle part,tout le monde les craint. Puis, à la mortde Boumediene, le patron de la SM quepersonne ne connaissait est sorti del’ombre. Et là, on a vu apparaître un petit bonhomme tout falot, tout petit, l’aird’avoir peur de son ombre ! On s’est dit :« C’est pas possible ! C’est ça qui nous a

terrorisés pendant vingt ans ? » Il s’appe-lait Kasdi Merbah, au moins il avait un nom. Mais le jour où il a été assassiné, enaoût 1993, on a appris que ce n’était même pas son vrai nom. Il s’appelait envérité Abdallah Khalef. Vingt années du-rant, on avait été terrorisés par un petitapparatchik qui n’avait ni nom ni visage. Sur le plan intellectuel, c’est une situa-tion étrange, quand on y pense. Et trèshumiliante.

Chaque Algérien se sentait espionné.Pourtant, il n’y avait pas forcément autant d’espions que de gens. Mais les peuples sont naïfs, ils se laissent berner, on dirait qu’ils aiment la peur. Moi comme les autres. Ils acceptent ce queleur inculque la propagande officielle. Aujourd’hui encore, on nous fait croire que nous sommes menacés en perma-nence par l’ennemi extérieur, le néocolo-nialisme, l’impérialisme, les juifs, le Ma-roc… On vit dans ces fantasmes. Les ru-meurs marchent toutes seules et il n’y a pas de journalistes d’investigation, on ne sait jamais la vérité.

Comment vous êtes-vous organisé pour ne pas vous laisser paralyser par cette peur ?

J’ai raisonné, j’ai lu, j’ai essayé d’obtenirdes informations ici ou là, par des copainsqui connaissent quelqu’un dans l’armée ou dans la haute fonction publique, il n’y apas d’autre moyen. Quand je suis allé au Salon du livre de Jérusalem, en 2012, j’ai reçu des tombereaux de menaces. Je me suis finalement dit : ce sont des dingues, des malades, il ne faut pas y prêter atten-tion. On minimise pour se rassurer.

C’est ce que l’on appelle le courage ?Je ne sais pas si ce mot convient. Je ne

l’aime pas tellement. Tout le monde estbrave, le seul fait de vivre est courageux. Quand j’écris, je ne pense pas à ça. C’estau moment de relire, avant l’envoi à l’édi-teur, que je me rends compte qu’il y a despassages qui peuvent m’attirer des en-nuis… Mais, encore une fois, je n’utilise pas le mot courageux. Je relativise. Je dis ce que je veux, eux aussi. Je fais les chosespour moi. Qu’elles soient interdites par Dieu ou par le diable, tant qu’elles ne tombent pas sous le coup d’une loi écritepar les hommes, je les fais.

Vous ne faites pas confiance à l’être humain ?

A l’individu, si, quand il arrive à s’auto-nomiser, à se libérer des prescriptions gé-nérales. Sinon, la capacité des hommes à céder du terrain est incroyable. Ils se lais-sent mettre la corde au cou à toute vitesse.Voyez ce que les nazis ont fait des Alle-mands en très peu de temps. L’humanité me désespère : dès que les humains sont plus de trois, ils deviennent des moutons.

Vous considérez-vous comme un lanceur d’alerte ?

En un sens, oui. J’ai une vision tragiquede l’avenir. J’ai vu mon pays se laisser sur-prendre par une évolution tout à fait inat-tendue et cela a détruit un Etat, un corps social à toute vitesse. On croit que les so-ciétés sont solides, mais pas du tout : aumoindre choc, tout part en éclats. Je l’ai vu. En face de l’islamisme, les valeurs de la raison s’effondrent comme un château de cartes. Les gens se disent : le progrès, çanous a menés à quoi ? A polluer la Terre ? A remplacer les relations humaines par ledroit ? Ils sont malheureux dans ce sys-tème. Les Lumières se sont éteintes. L’Oc-cident doit faire une nouvelle révolution. Mais qui ferait des lois supranationales ? Alors que l’islam, lui, s’est mondialisé. Il a un coup d’avance.

Les prix littéraires, c’est important pour vous ?

Il est vrai qu’un grand prix donneraitde l’importance à ma voix, à l’échelle française et européenne. C’est une ma-nière de participer à un débat dont je suisexclu chez moi. Là-bas, ils s’en fichent. Pour les autorités algériennes, je n’existe pas, que j’aie le Goncourt, le Nobel oun’importe quoi. Quand j’ai reçu le Prix dela paix des libraires allemands, en 2011,un prix très important en Allemagne, jen’ai même pas été félicité par le maire de ma petite ville de Boumerdès. p

« Partir d’Algérie,

ce serait céder à ceux

qui m’ont persécuté.

C’est une question

d’amour-propre »

| CULTURE & IDÉES | Samedi 31 octobre 2015

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6 | 0123Samedi 31 octobre 2015 | CULTURE & IDÉES |

Un clip pour ne pas détourner les yeuxUsher Terry Raymond IV, dit Usher, est un chanteur de R’n’B. Son dernier morceau, Chains, qui traite du racisme, est accompagné d’un clip d’un nouveaugenre : quatorze portraits d‘Afro-Améri-cains tués par la police ces dernières années – Sean Bell, 23 ans, Rekia Boyd, 22 ans, Michael Brown, 18 ans, Marlon Brown, 38 ans, Caesar Cruz, 35 ans, Jordan Davis, 17 ans, Amadou Diallo, 22 ans, Ramarley Graham, 18 ans, Oscar Grant, 22 ans, Kendrick Johnson, 17 ans, Andrew Joseph, 14 ans, Eric Garner, 43 ans, Trayvon Martin, 17 ans, Tamir Rice, 12 ans. Pour chacune de ces affaires,présentées en quelques lignes dans la vidéo, les policiers responsables ont été acquittés. Usher s’est associé avec la plate-forme de streaming Tidal pour diffuser son clip. S’il veut le visionner, l’internaute doit donner accès à sa webcam, si bien que la recon-naissance oculaire de la caméra capte son regard. S’il quitte des yeux les portraits qui défilent, la vidéo s’arrête et une injonction apparaît : « Dont look away » (« Ne détournez pas les yeux »). Le message que veut faire passer Usher est clair : la société ne veut pas regarderen face les crimes commis par la police contre les jeunes Afro-Américains. Un hashtag #dontlookaway a été lancé sur Twitter. Des personnalités comme Michael Moore et Leonardo DiCaprio l’ont retwitté.

> Pour voir le clip : Chains.tidal.com

Dark Vador remplace Lénine à Odessa En mai, à la demande du président PetroPorochenko, des lois de « désoviétisa-tion » ont été promulguées en Ukraine. Ils’agit d’accélérer la rupture avec le passécommuniste du pays et d’en finir avec l’influence russe. Des monuments à la gloire des dirigeants soviétiques ont étédéboulonnés et des noms de localités etde rues ont été changés, suscitant parfoisl’opposition des prorusses. Signe fort dece changement d’époque : à Odessa, unestatue de Lénine a été transformée en… Dark Vador, le personnage de la saga StarWars. Elle est l’œuvre de l’artiste ukrai-nien Alexander Milov, qui a expliqué à l’AFP : « Honnêtement, je n’aimais pas l’idée de la détruire (…). Le bronze de Lénine est toujours à l’intérieur. » Pourquoi avoir choisi Dark Vador, le seigneur sith ? Sans doute parce qu’il faitdésormais partie du folklore politique ukrainien : en 2014, pendant l’élection présidentielle, le porte-parole du Parti ukrainien de l’Internet (UIP) avait fait campagne dans les rues de Kiev déguiséen Dark Vador. Il avait alors déclaré : « Moi seul peut faire un empire de notre république, lui redonner sa gloire passée,lui rendre ses territoires perdus et sa fierté. » En novembre 2013, déjà, il s’étaitfait transporter par plusieurs militants habillés en Stormtroopers – les soldats de l’empire galactique du film – à la mai-rie d’Odessa, où il s’était déclaré maire.

Le neuvième art bat tous les records au marteauD’après la maison d’enchères Sotheby’s de Paris, il s’agit d’un « record mondial pour une double planche originale de l’artiste ». Issue du Sceptre d’Ottokar, d’Hergé, le huitième album des aventu-res de Tintin, et parue dans Le Petit Ving-tième en 1939, elle montre l’avion du héros abattu en plein vol. Evaluée entre 600 000 et 800 000 euros, elle a été adjugée le 25 octobre pour 1,563 million d’euros. Déjà, le 5 octobre, un dessin en noir et blanc à l’encre de Chine du Lotus bleu (1936), montrant Tintin en pousse-pousse dans une rue de Shanghaï, avait été acquis pour 1,1 million d’euros à Hongkong, chez Artcurial, par un collec-tionneur asiatique. Chez Sotheby’s, une planche tirée d’une aventure de Spirou et Fantasio, Les Pirates du silence (1956), d’André Franquin, est partie pour 243 000 euros. Une autre, signée Edgar P. Jacobs et tirée de l’album La Marque jaune (1954), a été enlevée pour 147 000 euros. D’autres célébrités du neuvième art ont déjoué les pronos-tics. Une page originale du comic strip Flash Gordon (1935), dessinée par l’Améri-cain Alex Raymond, est partie pour 105 000 euros, le double de son estima-tion. Une autre planche, tirée de Little Nemo in Slumberland, l’œuvre onirique de l’Américain Winsor McCay, a été vendue 84 600 euros. p f. jo.

marion rousset

Est-on vraiment obligé de « faireson deuil » ? Deux petits jours decongé pour le décès d’un enfantou d’un conjoint, un seul pour unparent, un frère ou une sœur, rienpour un aïeul : le code du travail

est rude pour tous ceux qui ont perdu un êtrecher – ils sont sommés de se remettre surpied sans tarder. Avec sa pause réglementaire de quatre jours, le salarié qui se pacse ou semarie est plus avantagé que celui qui a perdu un proche. Implicitement, la société demandeaux « endeuillés » de se débarrasser des émo-tions que l’on exhibait autrefois sur la place publique ou, au moins, de les enfouir profon-dément pour éviter d’embarrasser les vivants.

A défaut de le porter, il faut maintenant« faire son deuil » – vite et bien. « Cette for-mule évoque une technique dont la réussite dé-pend exclusivement de la bonne volonté du su-jet », analyse le philosophe Michaël Fœssel. Et derrière se dessine, selon lui, « une conceptionmanagériale de la perte transformée en non-événement, ou l’idée d’un sentiment passagerqui doit être au plus vite canalisé » – au besoin en faisant appel à des coachs spécialisés qui promettent à leurs clients une meilleure « gestion » de leur stress.

A l’évidence, les rituels qui entouraient lamort se font de plus en plus discrets : il estloin le temps des veuves vêtues de noir au vi-sage couvert d’un voile de crêpe, et des veufs en costume sombre qui se ceignaient parfois le bras d’un bandeau. On a aussi perdu l’habi-tude des longues processions funéraires ac-compagnant les corbillards : aujourd’hui, ilsse dirigent sans bruit vers des cimetières re-foulés aux périphéries des grandes villes. Quant aux cendres des personnes incinérées, elles sont dispersées dans des « jardins du souvenir » qui se réduisent souvent à une simple bande de pelouse. En dehors de la Toussaint, les occasions collectives de com-mémorer le défunt ont quasiment disparu. A la place : une bougie allumée sur la cheminée,une photo encadrée, une promenade sur leslieux qu’il aimait…

Retranché à l’intérieur du foyer, le deuil estdésormais banni de la voie publique. C’estun accident privé que ceux qu’on appelle

parfois les « endeuillés » ne prolongentqu’en secret, si bien que, selon Marie-Frédé-rique Bacqué, psychanalyste et présidente dela Société de thanatologie, « beaucoup seplaignent de ne pas pouvoir parler de leursouffrance et de gêner les autres ». « Ils se sen-tent un peu exclus », ajoute-t-elle. Et incom-pris : ils ont besoin de temps, et ce besoin estmal perçu. « Décliner une invitation à une soi-rée parce qu’on a perdu son frère quelque temps auparavant est considéré comme indé-cent. Ce qui n’est pas acceptable, c’est d’utili-ser sa tristesse pour motiver un refus de viesociale », affirme la philosophe belge Vin-ciane Despret, qui vient de publier Au bon-heur des morts. Récits de ceux qui restent (LaDécouverte, 232 p., 17 €).

« Le prix à payer de la disparition des rituelscodifiés du deuil, explique Vinciane Despret,c’est que l’on n’a plus le droit d’être triste. Car quand on ne peut pas manifester sa tristesse,il devient difficile de la vivre. » D’autant quecette opération camouflage se double d’unevéritable injonction au détachement. « Faireson deuil » nécessite d’écarter, voire

d’oublier ses morts. Autrement dit, de fairecomme si rien ne s’était passé.

C’est en tout cas le leitmotiv d’une sociétéobsédée par le concept de « résilience », qui désigne la capacité d’un organisme à retrou-ver ses propriétés initiales après un choc. « L’expression “faire son deuil” est galvaudée,explique Marie-Frédérique Bacqué. Elle ren-voie à une mauvaise interprétation des tra-vaux de Freud, qui explique qu’à la fin du deuil le sujet est capable de réinvestir un nouvel ob-jet d’amour. Cette conclusion a été prise pour argent comptant par un certain nombre demédecins et de psychologues, alors que c’étaitun vœu pieux qui n’était pas conforté par une pratique clinique. En réalité, le lien affectif avecle mort ne s’affaisse pas d’un seul coup. Faireson deuil, c’est pouvoir penser à la personneperdue sans être plongé dans un état d’afflic-tion tel que celui qu’on éprouve au début. Aubout d’un certain temps, l’endeuillé peut à nou-veau parler du mort, regarder des photos delui, écouter sa voix, sans désespoir. Il ne s’agit pas de se détacher de lui. »

Pourtant, c’est ce que la société en est venueà exiger au fil d’une histoire qui remonte à la seconde guerre mondiale. En ce temps-là, l’objectif était de contenir la souffrance pro-voquée par les pertes humaines pour éviterque ce sentiment négatif ne vienne abîmerl’image héroïque des soldats morts au front. Aujourd’hui, les motivations sont tout autres : dans un monde laïque et matérialiste qui ne croit plus en un au-delà invisible habitépar l’esprit des défunts, ceux qui pleurent leurs morts sont accusés de vivre au ralenti.On craint qu’ils ne soient plus assez efficaces. « Demander aux individus de “gérer” leur deuilrenvoie à un idéal de performance ou de maî-trise qui dénie ce qu’il y a d’irréductible dans lespertes humaines », estime Michaël Fœssel.

« Il y a aussi une obligation à la bonne santémentale », ajoute Vinciane Despret. Le culte contemporain de la bonne santé a investi ledomaine de la psyché : le deuil et les symptô-mes qui l’accompagnent ont tôt fait de passer pour une pathologie, a fortiori depuis la der-nière version du Manuel diagnostique et statis-tique des troubles mentaux publié par l’Asso-ciation américaine de psychiatrie : il autorise en effet à qualifier le deuil d’épisode dépressif majeur si, au bout de deux semaines, les in-somnies, les sanglots, les difficultés de con-

centration et les pertes d’appétit n’ont pas dis-paru. Ressentir un chagrin persistant n’a pour-tant rien d’anormal. « Dire qu’il faut aller vite,c’est ne pas comprendre que cette expérience à traverser qu’est le deuil est longue et sans cesse relancée par les événements de la vie, affirme lapsychanalyste José Morel Cinq-Mars. Je me souviens de femmes qui avaient perdu leur mère quand elles étaient encore jeunes. A la naissance de leur bébé, elles se demandaient ce qui se serait passé si leur mère avait vécu, si leurs enfants avaient eu une grand-mère. »

Pendant sept ans, José Morel Cinq-Mars atravaillé en Seine-Saint-Denis auprès de fa-milles endeuillées par la perte d’un enfant,dans un centre de protection maternelle et in-fantile unique en son genre, Empathie 93. Et elle raconte ces vagues qui submergent sou-dain les personnes, alors que la souffranceavait fini par s’estomper. « Avec la rentrée des classes, il est par exemple revenu à cette mère une grosse vague qui a réactivé quelque chose de la perte : son enfant serait rentré à l’école primaire cette année-là… »

Il n’empêche : les deuils pathologiques exis-tent. « Tous les experts considèrent que si deux ans après l’endeuillé est toujours en mauvaise santé psychique, il faut soigner, explique AlainSauteraud, psychiatre à Bordeaux. La tristesse dure toute la vie, c’est l’empreinte d’attache-ment. Mais si la personne fait des crises d’an-goisse à l’évocation de ses défunts, si elle estterrassée par l’état de manque ou si elle ne peutpas réaliser un certain nombre de tâches fon-damentales, c’est que le deuil s’est figé soit dansun excès d’émotion, soit dans des pensées ac-cablantes. » Le vécu, cependant, varie en fonc-tion des circonstances. « Les moyennes disent que le deuil aigu dure trois à quatre mois, avance Alain Sauteraud. Mais comment com-parer la mort d’un père, à 87 ans, d’un long cancer de la prostate et celle d’un enfant de 8 ans à la suite d’un accident d’anesthésie ? »

Face à la pression, certains se rebellentcomme ils peuvent. En organisant, par exem-ple, des cérémonies d’hommage qui prépa-rent ce que sera la vie, non pas sans la per-sonne décédée, mais avec elle. « Les nouveauxrituels permettent de bâtir quelque chose debeau après, d’essayer que cette vie avec le mort vaille la peine, affirme Vinciane Despret. Ce sont des étapes destinées à construire des mo-des de présence réussis. » p

Pas de pitiépour le chagrin

Dans nos sociétés obsédées par la performance, il faut« faire son deuil » le plus rapidement possible. En dehors de la fête

de la Toussaint, les morts n’ont plus vraiment droit de cité

Photographie extraitede la série « Le petit monde

de Sandro ». JOANNA TARLET-GAUTEUR/PICTURETANK

¶à lire

« au bonheur des

morts. récits de

ceux qui restent »

Vinciane Despret(La Découverte,

232 p., 17 €).

« le temps de

la consolation »

Michaël Fœssel(Seuil, 288 p., 21 €).

« le deuil »

Marie-Frédérique Bacqué et

Michel Hanus(PUF, « Que sais-je ? »,

2014).

« vivre après ta

mort. psycholo gie

du deuil »

Alain Sauteraud(Odile Jacob, 2012).

« le deuil

ensauvagé »

José Morel Cinq-Mars(PUF, 2010).

o n e n p a r l e

« Le prix à payer de

la disparition des rituels

codifiés du deuil,

c’est que l’on n’a plus

le droit d’être triste »vinciane despret

philosophe

| CULTURE & IDÉES | Samedi 31 octobre 2015

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Le défi de tous les superlatifsDes milliards de milliards d’informations organisées dans des espaces à plus de 100 dimensions… Le big data déclenche

des fantasmes d’omnipotence et d’omniscience. Mais le chemin est encore long pour transformer ce magma de chiffres en or

Face à cette vague, la critique s’organise, qui dénonce les intrusions des entreprises (par la publicité) et des Etats (par la surveillance)dans la vie privée. Mais quelques mathémati-ciens et informaticiens experts du sujet, pour certains travaillant eux-mêmes avec les entre-prises, soulignent d’autres limites, inhérentesà la nature même du big data.

Ces limites sont apparues clairementen 2013, lorsque le programme Google FluTrends (GFT) s’est avéré incapable de prédirele pic d’une épidémie de grippe aux Etats-Unis. Avec force publicités, Google avait créé,en 2008, un moteur de recherche capable decapter les données personnelles fournies parles internautes sur leur état de santé, assortid’algorithmes pouvant prédire l’arrivée d’une épidémie plusieurs semaines àl’avance. Après cet échec, Google a aban-donné le programme.

Mais ses causes – médiocre qualité et mau-vaise interprétation des données collectées – ont passionné les chercheurs. Les enseigne-ments qu’on en a tirés confirment que l’utili-sation optimale du big data n’est pas encorepour demain.

Exploiter les données disponibles sur lesclients, usagers, citoyens ou électeurs est aussi vieux que le commerce et la politique.Toute la science du marketing et de la ges-tion publique consiste à les collecter et à les chiffrer, pour pouvoir en faire des statisti-ques que des algorithmes organiseront de fa-çon logique et que des modèles mathémati-ques cartographieront afin d’en faire desoutils d’aide à la décision. Quelle couleur de« packaging » va plaire à la ménagère de moins de 50 ans ? A qui envoyer des messa-ges pour lancer le buzz sur le prochain épi-sode de Star Wars… ou sur un candidat à l’élection présidentielle ? A quelles condi-tions météorologiques devra résister cetteaile d’avion ? Auprès de quel type de maladesce nouveau médicament sera-t-il le plus effi-cace ? A quel quartier d’une ville consacrer leplus de moyens pour ramasser les ordures ?Les objectifs sont toujours les mêmes, maisla possibilité d’exploiter les données massi-ves a renouvelé la façon de faire.

Dans la gestion traditionnelle des données,on isole et on agrège les données « pertinen-tes » : celles que l’on estime, intuitivement ou empiriquement, liées à l’hypothèse à vérifier, à la question posée. Il s’agit ensuite de com-prendre la nature des rapports liant ces don-nées entre elles, puis de modéliser la struc-ture de ces rapports. Le big data, lui, implique « de traiter d’immenses quantités de donnéeshétérogènes, faisant apparaître des liens inat-tendus, des structures cachées, explique Frank Pacard, mathématicien et directeur des étu-des et de la recherche à l’Ecole polytechnique. Au lieu d’utiliser des données pour interrogerune hypothèse préalable, la découverte de structures nouvelles permet de formuler de nouvelles hypothèses, qui peuvent et doiventensuite être testées ». Une promesse de nou-veaux continents qui intéresse au plus haut point les entreprises et les investisseurs – les premières rêvant du logiciel qui ciblera leurscampagnes de pub sur leurs seuls futurs ache-teurs, les seconds de l’algorithme qui leur feragagner en Bourse à coup sûr.

Transformer des données brutes en « or in-formationnel », tel est donc l’enjeu. Les cher-cheurs sont d’autant plus prêts à y participer que la raréfaction des budgets publics les in-cite à quêter le soutien du secteur privé, comme le note Michael Jordan, professeur d’informatique à l’université de Berkeley (Ca-lifornie), qui a formé des bataillons de data scientists (spécialistes des données) pour Google, Facebook, Amazon, les assureurs et les banques. Mais en réalité, la plupart des en-treprises sont loin d’atteindre ce but. « Elles ensont encore à résoudre des questions d’accessi-bilité à leurs propres données, tant les restruc-turations permanentes de leur périmètre en-travent la mise en place d’un système d’infor-mation unique », observe Julien Laugel, de MFG Labs, une start-up récemment rachetéepar Havas Media et qui vend aux entreprises des systèmes d’exploitation de données. Elles sont peu nombreuses à avoir franchi la se-conde étape, celle de la sécurisation des don-nées (indispensable pour conserver leur avan-

suite de la page 1

tage concurrentiel). Elles le sont encore moinsà utiliser ces données pour guider leurs déci-sions… Et elles ne sont qu’une poignée à en re-tirer de la valeur. Ce qui ne les empêche pas, pourtant, de se ruer sur les solutions venduespar les prestataires de services.

« Il y a une sorte de “pensée magique” asso-ciée aux chiffres, dont l’exactitude paraît syno-nyme d’efficacité ; les volumes évoqués déclen-chent des fantasmes d’omnipotence et d’om-niscience », reconnaît Julien Laugel. Lespromesses du big data font ainsi oublier queles données massives sont… des données, quiobéissent aux lois statistiques de marges d’erreur, d’intervalles de confiance et de faus-ses interprétations. Complication supplé-mentaire : l’apparition de structures de corré-lations fortuites au sein de nuages de don-nées massives accroît la tentation d’y déceler

des causalités inexistantes. « Avec tant depoints de mesure et donc tant de liens poten-tiels entre ces mesures, nos outils d’analysestatistique produisent des résultats dénués de sens », observe Alex Pentland, professeur desciences des médias au Massachusetts Insti-tute of Technology (MIT). A Berkeley, son alterego Michael Jordan souligne un autre biais : àmesure que les individus prennent conscience de la valeur de leurs données, ilsvont livrer des informations aux capteurs etaux réseaux avec un degré de sincérité de plus en plus sélectif.

Les internautes seront par exemple plus en-clins à communiquer leurs données de santéà leur médecin que leurs goûts culinaires ouartistiques à Facebook. Déjà, ils cliquent ainsi

régulièrement sur la page de désabonne-ment des sites des opérateurs téléphoniques,car ils savent que l’algorithme va automati-quement leur proposer une offre promotion-nelle. Or, explique Michael Jordan, nous nesavons pas évaluer l’impact de l’insincérité des données sur les résultats offerts par le bigdata, précisément parce que le big data traitepar définition toutes les données, même lesfausses ! Le chercheur a également observéque la mise en parallèle d’ordinateurs de plusen plus nombreux et puissants pour traiteret modéliser l’information engendre un typespécifique d’erreurs. « Le big data reste pourl’instant l’apanage de gens qui inventent et vendent des systèmes informatiques, mais qui n’affrontent pas les problèmes spécifiques po-sés par le traitement de données massives, ob-serve-t-il. Nous n’avons pas encore de théorie bien affirmée pour penser les modèles cons-truits à partir de ces données. Parfois, ça mar-chera, parfois non. »

Deux autres écueils, d’une nature cette foispurement mathématique, sont mis en avant par les experts. Le premier concerne ce qu’on appelle la « discrétisation » : il s’agit d’intégrer de la discontinuité dans des modèles mathé-matiques continus, ceux-là mêmes qu’utili-sent les ordinateurs pour élaborer des modè-les. Les effets dévastateurs de cette différence entre continuité supposée et discontinuitéréelle ont été observés dans la finance à hautefréquence : la succession d’achats et de ventes de titres à la nanoseconde près selon un mo-dèle continu a, dans la réalité discontinue, ruiné quelques investisseurs insouciants…Certes, les mathématiciens savent réintégrer de la discontinuité dans leurs modèles (c’est la« discrétisation »). Mais cette opération est dé-licate et parfois source de nouvelles erreurs.

L’autre problème mathématique tient auvolume même des données. A l’école, on ap-prend à répartir des « objets » dans un espaceconstruit selon deux paramètres, donc surdeux axes : l’abscisse et l’ordonnée. Les élè-ves des sections scientifiques planchent surdes espaces « vectoriels » à trois dimensions.Les cadors des mathématiques, eux, savent construire des espaces à dix, vingt, trente,cinquante dimensions, permettant de carto-graphier les relations entre des objets enfonction d’autant de paramètres. Mais avec

les données massives, les objets se répartis-sent dans des espaces à 60, 70, 100 dimen-sions, voire plus. Il devient alors difficiled’identifier des structures entre des objets très « éloignés » les uns des autres, et d’en ob-tenir une visualisation perceptible à l’œil hu-main, a fortiori lorsque cet œil est managé-rial ou politique.

Ces craintes épistémologiques doucheront-elles l’enthousiasme d’entreprises et d’admi-nistrations qui pensent avoir trouvé la pierre philosophale ? Pas certain. « Le traitement des données massives peut engendrer des erreurs massives, et donc de mauvaises décisions d’une ampleur catastrophique », affirmeMichael Jordan. Le mathématicien redoute le triomphe de ce qu’il appelle « la pensée infor-matique » sur « la pensée intuitive ». Car la pre-mière, dit-il, ne sait pas prendre en compte lanotion de risque. C’est pourquoi la présence de l’expert aux côtés de l’informaticien est in-dispensable.

Contrairement à ce que l’on lit dans de nom-breux rapports, les entreprises n’ont pas besoin de recruter en masse des « data scientists », renchérit Frank Pacard. Il leur faut plutôt « des experts de leur secteur d’activité ayant une compétence en informatique et enmathématiques qui soient capables d’expli-quer quels sont les enjeux et les réalités de leur métier, de formuler les bonnes questions et éventuellement d’interpréter les structures qui apparaissent dans les “nuages” de donnéesmassives ». Si les informaticiens et les finan-ciers de l’entreprise deviennent les seuls interlocuteurs des prestataires du big data, lesrisques de dérapage seront multipliés.

Julien Laugel dit la même chose, mais autre-ment. Les données massives, remarque-t-il, ont « un faible ratio signal/bruit », c’est-à-direque chacune d’entre elles offre une faible pro-babilité de présenter un intérêt pour l’utilisa-teur, et une forte probabilité de n’avoir aucun sens. Même le fameux « like » de Facebook, qui permet à la firme américaine de gagner des millions auprès d’annonceurs fascinés,présente un défaut d’asymétrie d’informa-tion sous son apparente simplicité binaire. Si cliquer sur le pouce dressé (le 1) délivre un message clair (la personne aime), ne pas cli-quer (le 0) est ambigu : n’aime-t-elle pas, oun’a-t-elle pas vu, ou a-t-elle sciemment omis de donner son avis ? « C’est typiquement le genre de situations où faire des extrapolations à partir de corrélations est extrêmement ten-tant… et dangereux. »

La facilité pour les utilisateurs est alors de seréfugier derrière l’automatisation du traite-ment des données, c’est-à-dire de renoncer àexercer un choix humain parmi les données proposées. Or, cette automatisation oblige à« simplifier » les objets mathématiques pour faciliter leur mise en algorithme, et donc àprivilégier leur similitude plutôt que leur dif-férenciation. Au risque de renoncer à l’apport principal du big data : nous faire découvrirdes réalités que nous ne soupçonnions pas.

Julien Laugel n’en reste pas moins convain-cu : le big data ne sera pas une bulle et chan-gera radicalement la gestion des affaires et de la décision publique. Mais il reste un long che-min à parcourir pour en dépasser les erreurs de jeunesse. « Après le Far West des mathéma-ticiens modélisateurs, la victoire reviendra, tôt ou tard, à celui qui aura le plus de données, pré-voit-il. Nos clients les plus importants, les assu-reurs par exemple, ont des équipes de data scientists capables de comprendre les limitesde leurs propres modèles. Nous savons aussi réintroduire dans nos modèles des données agrégées, ou des données extrêmes, qui réta-blissent la robustesse de nos modèles. » Lascience des algorithmes progresse implaca-blement, dissipant les fantasmes tout en révé-lant l’ampleur de ce qui reste à accomplir.

En attendant, mieux vaut rester vigilant. ATrente, en Italie, les équipes du professeur duMIT Alex Pentland ont mené, avec les entre-prises de la ville et la municipalité, une expé-rience de « nouveau contrat social sur les données ». Les habitants ont été invités, sur labase d’un « consentement éclairé », à livrerdes données personnelles afin de participer à l’amélioration des politiques publiques : seules les informations nécessaires à ces po-litiques étaient demandées. Une façon élé-gante de ne pas céder à l’illusion lyrique dubig data, ainsi résumée par Michael Jordan :« Le problème, c’est qu’on ne sait pas de com-bien de données il faut disposer pour résoudreun problème. » p

antoine reverchon

« Le traitement des données

massives peut engendrer des erreurs

massives, et donc de mauvaises

décisions d’une ampleur

catastrophique »michael jordan

mathématicien à l’université de Berkeley

JULIENGRATALOUP

8 | 0123Samedi 31 octobre 2015 | CULTURE & IDÉES |

Hitler, la dictature des imagesPendant et même après la guerre, rares sont les artistes à s’attaquer à la représentation

du Führer. Le peintre alsacien Joseph Steib fait figure d’exception. Son œuvre sort de l’oubli

philippe dagen

Comment représenter le na-zisme, et plus particulière-ment Hitler ? Des portraitsdu dictateur peints puis re-couverts par Gerhard Richterau dos de la toile Hirsch,

en 1963, à Him, un mannequin d’Hitler agenouillé, comme en prière, de Maurizio Cattelan, en 2001, la question est un grandclassique de la création contemporaine. Georg Baselitz, Christian Boltanski, An-selm Kiefer et Robert Morris se sont me-surés au « motif », si l’on peut dire, et à ses enjeux historiques. Mais qu’en était-il du-rant la seconde guerre mondiale, quand laphotographie, les films et la propagande répandaient partout les images duFührer ?

Formuler l’interrogation, c’est aussitôtmesurer la rareté des œuvres qui s’empa-rent explicitement de l’image d’Hitler. Symbole et allégorie dominent. En 1942, Pablo Picasso peint les deux versions de safunèbre Nature morte au crâne de bœuf, suivies d’autres vanités, de son Crâne et deson Faucheur de bronze, de 1943, et du Charnier, toile achevée en 1945 au mo-ment de la révélation des camps : allégo-ries tragiques. Le Rêve de Monte-Carlo et le Prométhée de Max Beckmann, de 1942 : al-légories encore et détournements satiri-

ques des imageries néoclassiques dont le IIIe Reich fait un usage pompeux.

Si ces deux peintres procèdent de façonindirecte, c’est en raison de leur situation : Picasso vit dans le Paris occupé et Beck-mann peint dans un grenier à Amsterdam,sous la menace de la Gestapo. Artiste « dé-généré » selon la terminologie nazie, il est en danger, comme l’est Otto Dix, un autre « dégénéré » – retiré près de la frontière suisse, soumis à une surveillance obstinée,il s’en tient à des paysages hivernaux.

Si Victor Brauner ou Hans Bellmer ne sontpas plus explicites, c’est affaire de survie : ilsse cachent dans des villages français, mena-cés par la police aux ordres de Vichy et les

dénonciations. Celles-ci seront fatales à Otto Freundlich, assassiné à Majdanek en 1943, et à Felix Nussbaum, assassiné à Auschwitz en 1944, tous deux parce qu’ils sont juifs. Avant d’être pris, Nussbaum, qui se dissimule à Bruxelles, peint plusieurs al-légories, dont Le Triomphe de la mort, mais aussi son Autoportrait au passeport juif – l’une des rares toiles réalistes de la période.

Ces raisons de sécurité ne valent pas pourceux qui ont pu s’exiler aux Etats-Unis.Surréalistes pour la plupart, ils s’exprimentpar symboles. Max Ernst peint en 1942 La Planète affolée, un tableau au titre sanséquivoque : il peuple d’oiseaux armés delances des paysages pétrifiés par un cata-clysme. La Nuit rhénane ne porte pas ce ti-tre par coïncidence : en 1944, la nuit est tombée sur l’Allemagne depuis 1933 et Ernst n’y a échappé que grâce au chaos de1940 en France. Sous la lune, il ne reste quedes ruines et des monstres, dont un ricane.

Son rire n’est pas moins effroyable quecelui du Reitre d’André Masson, lui aussi exilé aux Etats-Unis. Son engagement an-tinazi est public depuis la guerre d’Espagneet ses caricatures de Franco et de ses trou-pes catholiques et barbares. Mais que ce soit pour dénoncer l’hitlérisme ou célébrerla Résistance, en 1944, Masson procède paremblèmes : monstres d’un côté, jeunes femmes martyrisées et bouches hurlantes de l’autre. Quand il veut peindre La Vic-time, en 1942, il transperce une forme abs-traite de longues pointes, sur fond rouge.

Représenter le tyran et l’horreur telsquels, tous s’y refusent : l’inhumanité ex-cède toute représentation visuelle et il se-rait moralement injustifiable de « faire de l’art » avec la souffrance des torturés et des déportés. Parmi les exilés, George Grosz est l’exception, aussi virulent contre le na-zisme qu’il l’était contre le militarisme et le capitalisme. En 1944, son Caïn ou Hitler en enfer montre le Führer assis sur des tas de squelettes dans une fournaise rougeoyante.

Jusqu’à une date récente, l’inventaires’arrêtait là. Désormais, il comprend un in-connu jailli de l’oubli, Joseph Steib (1898-1966), employé municipal mulhousien etartiste amateur. De 1940 à 1945, dans sacuisine, il tient la chronique de l’Alsace au temps du Gauleiter Robert Wagner, chargé de la germanisation définitive de la région.Perquisitions, déportations, tortures : il n’oublie rien. Avec une minutie digne du Douanier Rousseau, à partir de ce qu’il voitdans les rues et dans les journaux, il in-vente sa peinture d’histoire. Elle est parse-mée de symboles du mal et de la libertémais elle comprend aussi des représenta-tions réalistes : départs forcés en gare de Mulhouse, viols, camions « à gaz » des SS conçus pour exterminer rapidement de petits groupes de personnes.

Obsessionnellement, Steib peint et re-peint Hitler en spectre, en ogre, en penduaussi. On lui doit cette rareté absolue : un portrait grotesque du Führer à la manièred’Arcimboldo, Le Conquérant, de 1942. S’ilavait été pris, son destin l’aurait conduit aucamp du Struthof, près de Mulhouse.En septembre 1945, Steib expose dans levillage de Brunstatt l’ensemble de sonœuvre de guerre, sous le titre singulier de « Salon des rêves » – 57 toiles, disparues en-suite. On doit à l’historien et collection-neur François Pétry sa résurrection. Com-mencée à l’occasion de l’exposition « L’art en guerre, France 1938-1947 », à Paris, elle continue par la publication des œuvres re-trouvées, au nombre de 34. Il reste donc 23 Steib à retrouver, en espérant qu’ils n’aient pas été victimes de l’indifférence. p

¶à lire

« le salon des

rêves – jo seph

steib. comment

le peintre fit

la guerre

à ad olf hitler »

de François Pétry(La Nuée Bleue/

Place des Victoires, 232 p., 35 €).

« Le Conquérant » (1942), ci-dessous, et « L’Espoir des peuples » (1941), à droite, deux tableaux de l’Alsacien

Joseph Steib comptant parmi l’ensemble de 57 toiles « Le Salon des rêves », exposé par le peintre en 1945.

COLLECTION PARTICULIÈRE/K. STÖBER

« Caïn ou Hitler en enfer » (1944), de l’Allemand George Grosz. DR

« Him » (2001), mannequin de cire de l’Italien Maurizio Cattelan. OLYCOM/SIPA

Perquisitions, déportations,

tortures : Steib n’oublie

rien. Avec une minutie

digne du Douanier

Rousseau, il invente

sa peinture d’histoire

Cahier du « Monde » No 22018 daté Samedi 31 octobre 2015 - Ne peut être vendu séparément

FINANCELAMINÉE, DEUTSCHE BANK S’IMPOSEUNE SÉVÈRE CURE D’AMAIGRISSEMENT→ LIRE PAGE 5

PLEIN CADREWIKO, LE TRUBLION MARSEILLAISDU SMARTPHONEMADE IN SHENZHEN

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PERTES & PROFITS | TELECOM ITALIA

Tentations milanaises

Depuis Jules César, le trafic a toujoursété intense sur les cols alpins. Pas-sages des légions romaines, des élé-phants d’Hannibal, des conscrits de

Bonaparte, des capitaux en tout genre. Ceux deVincent Bolloré et de Xavier Niel, par exemple. Et le nouveau pont d’Arcole des deux conquérants s’appelle Telecom Italia.

Ils avancent en terrain connu. L’entrepre-neur breton est l’actionnaire incontournablede la banque d’investissement milanaise Mediobanca, et Xavier Niel a racheté en 2008 les activités françaises de l’opérateur télépho-nique italien et fréquente le milliardaireégyptien Naguib Sawiris, très présent dansle secteur.

A priori, les deux hommes n’agissent pas deconcert. Ce qui serait immédiatement sanc-tionné par les autorités boursières, qui les obli-geraient à lancer une OPA à plus de 20 milliardsd’euros sur l’entreprise.

L’affaire ne fait donc que commencer. Trèsaccueillants, mais tout de même sourcilleuxsur leur indépendance, les Italiens n’ontjamais prisé cette arrogance française à lesconsidérer comme l’arrière-cour de leurs jeux capitalistiques. D’autant que les mêmes mon-tagnes les séparent à égale distance des Suis-ses et des Allemands.

L’imbroglio des télécoms italiens suffit à rap-peler cette évidence. Et l’imprévisibilité des af-faires dans la Péninsule. En 1997, France Télé-com avait déjà tenté d’entrer sur ce marché. Il avait conclu un accord avec la toute jeune en-

treprise Omnitel, propriété à l’époque d’unautre milliardaire célèbre, Carlo De Benedetti, par le biais de sa filiale Olivetti. Le français de-vait prendre la moitié du capital de la nouvellefiliale spécialisée dans le téléphone fixe.

Prestidigitateur financierTrois mois plus tard, revirement d’Olivetti, quichoisit finalement de s’allier avec l’allemand Mannesmann. Dommage pour le français, puisque deux ans plus tard le même opérateurgermanique rachetait la totalité d’Omnitel,deuxième opérateur italien, pour près de10 milliards d’euros… Avant de céder le tout aubritannique Vodafone en 2001.

Dans le même temps, le patron d’Omnitel,Roberto Colaninno, un petit comptable devenu prestidigitateur financier, réussit l’ex-ploit, non seulement de tout vendre aux Alle-mands, mais, quasiment en même temps, de racheter l’opérateur public Telecom Italia à l’occasion de l’une des plus grosses opérationsfinancières de l’histoire italienne. Avant de céder le tout aux familles Benetton et Pirelli.

France Télécom retentera sa chance, cettefois allié à Deutsche Telekom, avec la constitu-tion du troisième opérateur italien, Wind… qui sera revendu plus tard à Naguib Sawiris, qui lui-même le cédera au russe Vimpelcomen 2011. C’est peu dire que le soleil d’Italie échauffe les esprits. Mais c’est finalement tout ce qui excite les deux tycoons français. Cetourbillon milanais. p

philippe escande

j CAC 40 | 4 906 PTS + 0,42 %

J DOW JONES | 17 755 PTS – 0,13 %

j EURO-DOLLAR | 1,0996

J PÉTROLE | 48,30 $ LE BARIL

j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,85 %

VALEURS AU 30/10 - 9 H 30

Accor en passe d’élargir son offre d’hôtels de luxe

E t si les enseignes presti-gieuses de l’hôtellerie deluxe que sont Fairmont,

Raffles et Swissôtel tombaient dans l’escarcelle du français Ac-cor ? Selon le Wall Street Journal dujeudi 29 octobre, les négociations avec le canadien FRHI sont bien avancées, et le montant de la tran-saction avoisinerait les 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros). Accor serait le mieux placé des quatre repreneurs potentiels pourracheter le groupe. Fairmont gère aussi le Four Seasons George V, à Paris, le Plaza, à New York, et le Sa-voy, à Londres…

Cet intérêt n’est pas nouveau.Les précédentes directions d’Accoravaient déjà regardé le dossier il y a quatre ou cinq ans, sans donner suite. Car l’époque était au recen-trage des activités. Aujourd’hui, Sébastien Bazin, PDG d’Accor de-puis août 2013, repart à l’offensive.

D’autres chaînes sont à vendre,comme Starwood, qui exploite les Sheraton, Westin et St. Regis. L’américain est en discussion avancé avec Hyatt, même si troisgrandes entreprises chinoises sont aussi candidates.

Ce mouvement est lié à la re-composition en profondeur dusecteur de l’hôtellerie, dont les marges sont grignotées, d’un côtépar les sites de réservation d’hô-tels en ligne et de l’autre par les plates-formes type Airbnb. p

→LIRE PAGE 4

3MILLIARDS DE DOLLARS

C’EST LE MONTANT QU’ACCOR

SERAIT PRÊT

À DÉBOURSER POUR ACQUÉRIR FRHI

Après Vincent Bolloré, Telecom Italia attire Xavier Niel

Xavier Niel,en mars. THOMAS

PADILLA/MAXPPP

▶ Le fondateurde Free entreau capitalde l’ex-monopole d’Etat▶ M. Niel détient des options lui permettantde s’offrir 15,1 % du premier opérateur italien▶ Telecom Italiaest aussi convoitépar Vivendi, qui en possède 20 %▶ Une bataille contre M. Bolloré, le patronde Vivendi,n’est pas à exclure→ LIRE PAGE 3

new york - correspondant

J amais deux sans trois. Pfizer a décidéde tenter une nouvelle mégafusion,la troisième en dix-huit mois. Aprèsavoir échoué, en 2014, à racheter As-

traZeneca puis Actavis, le numéro deux mondial de la pharmacie cherche à met-tre la main sur Allergan, qui a confirmé, jeudi 29 octobre, être en discussion avec Pfizer. Il n’y a aucune garantie que les né-

gociations aillent à leur terme, mais, si c’était le cas, il s’agirait de la plus grosse fusion de l’histoire du secteur pharma-ceutique et de la plus importante de l’an-née tous secteurs confondus, d’un mon-tant supérieur à celle annoncée le 13 octo-bre entre les deux fabricants de bière Anheuser-Busch InBev et SABMiller.

Cette opération permettrait à Pfizer deredevenir numéro un mondial du secteur,devant le suisse Novartis, mais, surtout,

elle résoudrait un double problème pour le groupe basé à New York. Le premier concerne sa situation fiscale. Pour le PDG, Ian Read, le groupe américain pâtit d’un « énorme désavantage » sur ce plan. Il se plaint d’être obligé de se battre contre ses concurrents « avec une main attachée dans le dos », comme il l’a expliqué, jeudi 29 octobre, lors d’une conférence organi-sée par le Wall Street Journal. En cause : le taux d’imposition des sociétés aux Etats-

Unis (IS), qui s’élève pour Pfizer à 25,5 % et qui peut monter à 35 %, l’un des taux les plus élevés au monde (33,33 % en France).

Cet obstacle, Allergan l’a contourné. Legroupe est issu, lui aussi, d’une fusion. Ac-tavis l’avait racheté fin 2014 pour 66 mil-liards de dollars (60 milliards d’euros) et cette société, américaine à l’origine, avait implanté son siège en Irlande en mai 2013.

stéphane lauer

→LIRE L A SUITE PAGE 4

Pharmacie : Pfizer et Allergan discutent d’une mégafusion▶ S’il se conclut, le mariage des fabricants du Viagra et du Botox donnera naissance au numéro un mondial du secteur

eric-bompard.com

2 | plein cadre SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

LA PETITE MARQUE CRÉÉE EN 2011 FAIT

UN CARTON SUR L’« OPEN MARKET »,

CE MARCHÉ DIT LIBRE OÙ LES TÉLÉPHONES

SE VENDENT SANS

OPÉRATEUR

Le train file à toute allure vers Pa-ris. A l’extérieur, le soleil géné-reux du Sud laisse place à une gri-saille bien parisienne. A l’inté-rieur, Tiphaine et Noémie (lesprénoms ont été changés) n’en

ont cure, il pourrait bien neiger sur la Sainte-Victoire que ça ne les détournerait pas de leur conversation. Ce qui les intéresse, c’est surtout l’absence « scandaleuse » de réseau dans la rame. Casque autour du cou, les ado-lescentes pianotent sur leurs smartphones,dont elles vantent les mérites respectifs. Si Noémie a eu droit à un Samsung, les parentsde Tiphaine ont fait un autre choix : « Lemien est un Wiko, clame l’adolescente. Cen’est pas un iPhone, mais il est super. Il est tel-lement fin que parfois, quand je le sors dans lebus, on me demande ce que c’est. »

La famille de Tiphaine n’est pas la seule àavoir pris cette option. En 2015, 2,5 millions de Français et 7,5 millions d’Européens ont acheté un Wiko. C’est bien simple : arrivée sur le marché en 2011, cette petite marquefrançaise qui fabrique ses smartphones en Chine fait un carton sur « l’open market », cemarché dit libre où les téléphones se ven-dent sans la subvention des opérateurs.

Commercialisés dans les enseignes de lagrande distribution (Carrefour, Auchan,Darty, Fnac…) et sur les sites de e-commerce(RueDuCommerce, Cdiscount…), les termi-naux de la marque se sont accaparé, selon le cabinet GfK, pas moins de 15 % de part de marché sur ce segment en 2015. Se classant ainsi deuxième des ventes libres, juste der-rière Samsung (36 %), mais devant Apple(11 %) et le chinois Huawei.

Ce succès, Michel Assadourian, jovial Mar-seillais directeur général de l’entreprise, l’ex-plique assis devant une copieuse assiette de

supions, quasiment les pieds dans l’eau dansun restaurant du 7e arrondissement de la Citéphocéenne : « Nous avons eu la bonne idée aubon moment. Nous avons proposé des smart-phones de bonne qualité à des prix défiant toute concurrence au moment où Free arri-vait sur le marché et remettait en question le modèle de la subvention. »

« BIEN DE CHEZ NOUS »Retour en arrière : en janvier 2012, le qua-trième opérateur lance des forfaits à prix im-battables, sans téléphone associé. Charge àl’abonné de se procurer son propre terminal.« Les consommateurs ont commencé à se ren-dre compte du prix réel d’un smartphone et à regarder à la dépense », explique M. Assa-dourian.

Les prix des terminaux de Wiko s’étalent de65 à 350 euros et ceux-ci figurent en outre ré-gulièrement dans le top 10 des meilleurs smartphones à moins de 200 euros. « Ils ont plutôt de bonnes caractéristiques et sont sim-ples d’utilisation et d’accès. Du coup, ils ont

avons aidé à redynamiser le quartier où nous sommes installés et participons à la vie de laville ! », insiste le responsable, qui revendiqueun esprit d’entreprise très fort, avec très peu de turnover.

Pour lui, le procès fait à Wiko est injuste.Après tout, « il y a bien des Chinois ou des Qa-taris qui sont au capital de grands groupesfrançais comme PSA aujourd’hui », rappelle-t-il. M. Assadourian veut remettre les choses au clair : certes, les capitaux et les moyens deproduction sont asiatiques, mais les idées, le marketing, la commercialisation ou encore la distribution et le service après-vente sont français.

Il en veut pour preuve les équipes qui sontemployées à ces tâches dans les locaux du1, rue du Capitaine-Dessemond à Marseille. Là, la marque loue un immeuble sur plu-sieurs étages qu’elle est en train de rénover.

À L’ASSAUT DES OPÉRATEURSCertes, reconnaît-il, au départ, l’entreprise achetait ses téléphones sur catalogue : « Nous n’en commandions pas assez, donc nous ne pouvions pas imposer nos choix. » Mais les volumes ont fini par croître et, avec eux le poids de Wiko, lui permettant de choi-sir les caractéristiques des appareils.« Aujourd’hui, nous avons notre propre ligne d’assemblage et du personnel dans l’usine, nos équipes passent plusieurs jours par mois en Chine pour expliquer notre cahier des char-ges », rapporte Guillaume Treves, directeur de la formation des vendeurs aux produits de la marque.

Si les smartphones ne sont pas totalementconçus en France, les équipes du marketinget de la recherche et développement hexago-nales établissent tout de même un « plan deroute ». « On leur dit ce qu’on veut : telle qua-lité d’appareil photo, telle épaisseur, telle réso-lution d’écran, et eux nous proposent des solu-tions pour fabriquer les modèles qui corres-pondent », explique M. Treves. C’est ainsi queles terminaux de Wiko se différencient des autres produits Tinno avec des détails qui leur sont propres. « Nous avons introduit dela couleur très vite, là où, au départ, il n’y avaitle choix qu’entre le blanc, le noir ou le gris », explique ainsi M. Assadourian.

Aujourd’hui, Wiko veut partir à l’assaut desopérateurs, comme le confirme son patron : « Nous discutons avec tous, être présent chez eux va renforcer notre légitimité et nous aider àpoursuivre notre conquête de l’international. »

D’ici à fin 2015, la marque devrait être pré-sente dans quarante pays dont la Suède, la Roumanie et le Vietnam. Elle envisage par ailleurs de se lancer au Liban et même en In-donésie. De nouvelles terre de soleil, àl’image de Marseille. p

sarah belouezzane

réussi à se faire une réputation et à sortir un peu du lot », explique un responsable desachats dans une grande enseigne de distribu-tion.

Autre argument décisif pour les consom-mateurs : implantée dans la capitale des Bou-ches-du-Rhône, la marque de smartphones se dit française. De quoi convaincre lesamoureux de la région. « J’ai d’abord entenduparler d’eux par le bouche-à-oreille, et j’ai ap-pris qu’ils étaient marseillais. Mon cœur est à Marseille, j’y suis né, j’y ai grandi. Mon équipe de football préférée, c’est l’OM, il était logique que je choisisse un téléphone bien de chez nous », sourit Eric Roubineau, courtier en as-surances à Tarascon. Bien décidée à en jouer, la marque a récemment lancé « CocoWiko », une campagne de publicité axée sur cethème. Pour se faire remarquer, elle a même envoyé des coqs vivants à certaines rédac-tions de radio et de télévision.

Français, Wiko ? L’affaire n’est en réalité passi simple. De fait, l’entreprise est immatricu-lée dans l’Hexagone. Son fondateur et PDG,Laurent Dahan, ancien négociant en télépho-nes mobiles, est lui aussi français. Mais lescapitaux qui ont servi à la création de la mar-que ne le sont pas. Wiko est une filiale deMega Alliance, une entreprise sise à Hon-gkong, elle-même propriété de Tinno, un fa-bricant de smartphones basé à Shenzhen. Certaines grandes enseignes se gardentd’ailleurs d’estampiller les produits Wiko « marque française ». « Nous sommes pru-dents avec ce type de communication », expli-que-t-on chez un grand distributeur.

Lorsqu’on évoque le sujet, M. Assadourianvoit rouge. « Nos locaux sont ici ! Nous em-ployons 180 personnes en France et nous ypayons nos impôts ! Comment peut-on dire que nous ne sommes pas français ? Nous

Au siège de Wiko, à Marseille.BENJAMIN BECHET

POUR « LE MONDE »

Wiko, ligne directe Marseille-ShenzhenLa marque de smartphones installée dans les Bouches-du-Rhône capitalise sur son image française, tout en confiant la conception et la fabrication de ses téléphones à son actionnaire chinois, Tinno

de tencent à huawei, une bonne partie des nouveaux champions chi-nois de la « tech » ont installé le gros de leurs opérations à Shenzhen, dansle Guangdong (sud). C’est aussi dans cette ville – qui faisait parler d’elle, voilà trois décennies, pour le seul assemblage à bas coût – qu’est installéTinno, le fabricant de smartphones propriétaire de Wiko. Ce sont dans cesbureaux que sont réalisés l’étude defaisabilité technique et l’essentiel del’ingénierie.

Le groupe emploie 1 200 cols blancs,principalement en recherche et déve-loppement, c’est-à-dire sur la création de téléphones répondant aux

caractéristiques demandées par les clients, comme l’explique par courrierélectronique Meng Qinghui, directeurdes ventes. La société dispose égale-ment de sa propre usine, qui compte 3 000 ouvriers, à Heyuan, dans les ter-res de cette même province du Guan-gdong.

Nouveaux horizonsDepuis son lancement, en 2005, Tinno est l’un de ces nombreux « ori-ginal design manufacturers », unfournisseur chez lequel on choisit sonproduit et les quantités à livrer avant d’y apposer sa propre marque. Il a tou-tefois pris un virage en devenant ac-

tionnaire majoritaire du françaisWiko lors de sa création, en 2011. « Tinno travaille avec de nombreusesmarques mais n’est pas actionnaire de toutes, ce n’est pas un business modelstandard », assure le courriel de MengQinghui. Le groupe de Shenzhen a vu dans cet investissement une occasionde s’ouvrir de nouveaux horizons. « Il y avait une logique pour les deux entre-prises à resserrer leurs liens, à être par-tenaires, chacun apportant sa propre expertise », ajoute M. Meng.

Au-delà de cette relation d’action-naires, la spécificité de Tinno, parrapport aux autres fabricants desmartphones, est peut-être de ne

pas se pencher sur le premier dé-bouché de la planète : la Chine.Meng Qinghui reconnaît que la taillecolossale de ce marché le rend inté-ressant. « Toutefois, l’entreprise se focalise pour le moment sur les mar-chés internationaux car elle pense les comprendre mieux que d’autres producteurs en Chine, et parce qu’il ya toujours un potentiel à explorer »,précise M. Meng. Dans cette région du delta de la rivière des Perles, nepas voir son avenir en Chine maisuniquement à l’étranger constitue une rareté. p

harold thibault

(shanghaï, correspondance)

En Chine, le fabricant de téléphones Tinno fait dans le sur-mesure

0123SAMEDI 31 OCTOBRE 2015 économie & entreprise | 3

Xavier Niel s’invite dans la course à Telecom ItaliaLe fondateur de Free pourrait acquérir 15,1 % du capital du premier opérateur transalpin, déjà convoité par Vivendi

Que cherche à faire Xa-vier Niel, le fondateurde Free (actionnaire àtitre personnel duMonde), en Italie ? La

question agite tous les milieux d’affaires parisiens depuis l’an-nonce, jeudi 29 octobre, de sa prise de participation potentielle de 11,2 % dans Telecom Italia, aug-mentée à 15,1 % vendredi matin. S’il concrétisait ces options, M. Niel pourrait débourser 2,2 milliards d’euros de sa propre poche, l’investissement étant per-sonnel et ne concernant pas Iliad, la maison mère de Free.

L’information, révélée parBloomberg avant d’être confirméepar Consob, l’autorité italienne des marchés financiers, a de quoi surprendre. Jusqu’ici, l’ex-mono-pole d’Etat de la Péninsule était le terrain de jeu d’un autre milliar-daire français : Vincent Bolloré. Vi-vendi, le géant des médias et du divertissement, dont l’homme d’affaires est le premier action-naire, était entré au capital de Tele-com Italia à la faveur de la vente, en septembre 2014, de l’opérateur brésilien GVT à Telefonica.

A l’époque, la société espagnoleétait indirectement le plus gros actionnaire du groupe italien. Le conglomérat français est ensuite progressivement monté au capi-tal, jusqu’à annoncer, en octobre, en détenir 20,3 %. A eux deux, MM. Niel et Bolloré posséde-raient un peu plus de 35 % du ca-pital de Telecom Italia.

En s’invitant dans la partie,M. Niel s’engage dans un mano a mano avec l’une des entreprisesles plus puissantes et les plus ri-ches de l’Hexagone en matière de

communication : Vivendi détient un trésor de guerre 9 milliards d’euros, accumulé grâce à lavente, ces dernières années, de plusieurs actifs (GVT, Maroc Tele-com, Activision et SFR).

Si l’ex-Générale des eaux estmontée au capital de Telecom Ita-lia, c’est parce qu’elle est guidéepar la foi dans la convergence en-tre télécommunications et mé-dias, secteur autour duquel le groupe est aujourd’hui centré,avec des actifs comme Canal+ ou Universal Music. Pour autant, Vi-vendi ne souhaiterait pas fran-chir le seuil des 25 % et lancer uneoffre publique d’achat (OPA) sur un groupe valant quelque 20 mil-liards d’euros.

« C’est à y perdre son latin »

Chez le groupe de médias, « on ne commente pas » cette arrivée sou-daine du trublion des télécoms français dans les affaires italien-nes. Mais MM. Niel et Bolloré se connaissent. Ils entretiendraient une bonne mais distante relation, selon certains de leurs proches. Le premier a racheté une maison au second, dans la Villa Montmo-rency, enclave huppée du 16e ar-rondissement de Paris. Par ailleurs, Antoine Bernheim, long-temps mentor de M. Bolloré (et son guide en Italie, où il dirigeait Generali), avait aussi pris M. Niel sous son aile à la fin de sa vie.

Ceci dit, Vivendi et les observa-teurs ne peuvent que s’interroger sur les intentions de M. Niel. Sim-ple placement financier opportu-niste, motivé par les perspectives de rapprochement entre TelecomItalia et un autre acteur du sec-teur ? Ou tentative de prise de contrôle ? « C’est à y perdre son la-tin », soupire un patron français, bon connaisseur des télécoms.

En tout état de cause, pour Vi-vendi comme pour d’autres, il semble difficile de croire, vu son montant, que cet investissement, fait à titre personnel, soit un sim-ple coup financier, comme le sug-gèrent certains. Le conglomérat et les observateurs s’interrogent plutôt sur l’éventualité de l’exis-tence d’un partenaire de l’ombre.

De fait, M. Niel n’a pas, a priori,la surface financière pour pren-dre seul le contrôle du groupe ita-lien. De plus, il est connu pourson aversion à la dette, à l’inverse d’un Patrick Drahi. Selon la presseitalienne, un autre acteur pour-rait être tapi dans l’ombre et at-tendre son tour. Le nom de Na-guib Sawiris, homme d’affaireségyptien et ex-patron de l’opéra-teur Wind, est notamment cité.

L’ex-monopole d’Etat de la Botteest une proie de choix. Certes, l’opérateur est endetté, avec un ra-

tio dette sur excédent brut d’ex-ploitation de 3, quand Orange est à 2,5 et devrait bientôt passer à 2. Mais il est bien positionné en Ita-lie pour profiter de la future stabi-lisation, voire de la montée des prix qui s’annonce. Wind et Tre, les troisième et quatrième opéra-teurs du pays, n’attendent que le feu vert de la Commission euro-péenne pour fusionner. Une opé-ration qui devrait, selon les ana-lystes financiers, créer de la valeurpour tous les acteurs.

Aussi, contrairement à la Franceavec Numericable-SFR, l’Italie ne dispose pas d’un acteur fort sur le câble. Telecom Italia peut donc dé-ployer de la fibre sans craindre la concurrence d’un opérateur dis-posant déjà d’une infrastructure de très haut débit fixe.

Une situation qui pourrait per-mettre à M. Niel d’appliquer au pays ce qu’il sait faire le mieux : le« quadruple play », ces offres qui permettent de garder les clients,en leur offrant à la fois Internet, la

télévision, le téléphone fixe mais aussi le mobile. Des forfaits qui ne sont pas encore très répandus dans la Péninsule. Autre atout de poids de Telecom Italia : TIM Bra-zil, sa filiale dans le plus grand pays d’Amérique latine. « Il y aquelque chose à faire avec cet ac-tif, commente un observateur. Onpeut soit le restructurer, soit le vendre. Dans tous les cas, il est possible de créer de la valeur. »

Enfin, aucune partie en pré-sence n’ignore que Telecom Italia est aujourd’hui l’objet de toutesles convoitises de la part des géants des télécoms européens. Orange, Deutsche Telecom et même Telefonica ont fait savoir, àun moment ou à un autre, qu’ils étaient intéressés. Qu’ils en pren-nent le contrôle ou qu’ils placent seulement leur argent, MM. Bol-loré et Niel seraient gagnants encas de cession de l’opérateur à un de ses concurrents. p

sarah belouezzane

et alexandre piquard

A eux deux,

MM. Bolloré et

Niel pourraient

détenir un peu

plus de 35 %

du capital de

l’opérateur italien

le secteur européen des télé-communications n’en finit pas de se restructurer. L’information ré-vélée jeudi 29 octobre par Bloom-berg, selon laquelle Xavier Niel [actionnaire à titre personnel duMonde] monterait au capital de Telecom Italia, ouvre un nouveau chapitre d’une séquence de dix-huit mois riche en rebondisse-ments. En septembre, c’était Vin-cent Bolloré qui augmentait sa participation dans l’ex-monopole d’Etat, la faisant passer à 20 %.

Spécialiste des emplettes valantdes dizaines de milliards d’euros, Patrick Drahi, le propriétaire d’Al-tice, la maison mère de Numerica-ble-SFR, a acheté trois opérateurs en 2015 : Portugal Telecom et les « câblos » américains Suddenlink et Cablevision. Le tout, un an à peine après avoir pris le contrôle de SFR, enlevé au nez et à la barbe de Bouygues Telecom.

Offrir tous les services

Mais les milliardaires français ne sont pas les seuls à livrer bataille. En 2014, l’Espagne a vu sur son sol le rachat de Jazztel par Orange. La Commission de Bruxelles doit dire si elle autorise le rapproche-ment entre les troisième et qua-trième acteurs italiens du secteur, Tre et Wind.

Fin 2014, au Royaume-Uni, c’estBritish Telecom, l’opérateur histo-rique, retiré du marché grand pu-blic, qui souhaitait y revenir en mettant la main sur EE, coentre-prise créée outre-Manche par

Orange et Deutsche Telekom. En Allemagne, la même année, O2 et E + fusionnaient. Plus récemment,le britannique Vodafone et l’amé-ricain Liberty Global ont tenté un type de rapprochement novateur en expliquant qu’ils allaient pro-céder à un échange de filiale. L’opération a finalement échoué.

Ce foisonnement d’opérationsen Europe s’explique, selon une note publiée par Oddo, par la né-cessité de la convergence fixe-mobile. « Dans les pays avancés dans le quadruple play [télépho-nie fixe, mobile, Internet, télévi-sion] on observe une marginalisa-tion du challenger centré sur le mo-bile et ne parvenant plus à animer le marché. Il se trouve en situation de sous-investissements et doit fu-sionner sous peine de détruire de lavaleur », écrit le cabinet. Dans unmarché de plus en plus concur-rentiel, il est nécessaire pour les opérateurs de pouvoir proposer à leurs abonnés toute la palette de services afin de ne pas les voir passer à la concurrence.

« On voit que pratiquement tou-tes les fusions ont été motivées par un schéma où ceux qui ne dispo-saient pas d’infrastructures fixes envoulaient une », dit Alexandre Ia-trides, chez Oddo. Sous-évalués, les opérateurs européens sont, en outre, une cible d’autant plus inté-ressante que les potentiels acqué-reurs n’ont aucun mal à lever de la dette en cette période de taux bas et d’argent pas cher. p

s. b.

L’Europe au cœur d’un grand Monopoly des télécoms

LES CHIFFRES

66 917Les effectifs de Telecom Italia en juin. Près de 80 % des salariés sont basés en Italie.

10,1C’est, en milliards d’euros, le chiffre d’affaires de l’entreprise au premier semestre. Sur la totalité de 2014, il s’était élevé à 21,5 milliards d’euros.

20Le nombre de pays où le groupe est implanté. L’Italie et le Brésil sont ses principaux marchés.

30C’est, en millions, le nombre d’abonnés de l’opérateur.

Bien qu’endetté,

l’ex-monopole

d’Etat de la Botte

est une proie

de choix sur un

marché en cours

de consolidation

4 | économie & entreprise SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

Accor veut s’offrir Raffles et SwissôtelLes négociations seraient bien avancées et l’hôtelier pourrait débourser 3 milliards de dollars

C’ est une surprise sans enêtre une. Accor seraitbien placé pour acqué-

rir le groupe canadien FRHI, pro-priétaire des hôtels de luxe Fair-mont, Swissôtel et Raffles. Révé-lées jeudi 29 octobre par le Wall Street Journal, les négociations se-raient bien avancées et le mon-tant de la transaction avoisinerait les 3 milliards de dollars (2,7 mil-liards d’euros). L’annonce pour-

rait être faite dans les prochainessemaines. Trois autres groupes, dont le numéro un mondial, l’américain Intercontinental, se-raient également candidats au ra-chat de ce groupe propriété de fonds qataris (Katara Hospitality)et de Kingdom Compagny, la so-ciété du prince saoudien Al-Wha-lid, propriétaire de palaces comme le Four Seasons George V à Paris.

Dans la capitale, au siège d’Accor,personne ne faisait de commen-taire. Mais cet intérêt pour le cana-dien n’est pas nouveau. Le dossier avait déjà été regardé voici quatre ou cinq ans par les anciennes di-rections, sans qu’elles donnent suite. A l’époque, il s’agissait avanttout de recentrer le groupe pourqu’il retrouve de la rentabilité. Ce fut le temps des désengagements d’actifs, comme Ticket Restau-rant, devenus Edenred en 2010, oude la vente de la chaîne améri-caine Motel 6, cédée au fonds Blackstone en 2012. Cette politi-que de revalorisation était pous-sée par les actionnaires, dont le fonds d’investissements ColonyCapital, représenté par SébastienBazin. Le but était de faire remon-ter le cours de l’action et du mon-tant du dividende. Devenu PDG du groupe hôtelier en août 2013, Sébastien Bazin part à l’offensive.

Un marché amputé par Airbnbe

« Après le recentrage, on assiste à un basculement de la stratégie du groupe », constate Georges Pa-nayotis, PDG du cabinet de conseilMKG Group. Pour cela, Accor pro-fite des incertitudes de la conjonc-ture sur un marché en pleine res-tructuration. « C’est sans doute le bon moment pour faire des affai-res », souligne-t-il, reconnaissant « les réelles synergies » entre les hô-tels de luxe Sofitel et ceux de FRHI.

Le groupe canadien n’est pas leseul à être mis en vente. D’autres chaînes le sont également, comme Starwood, qui exploite lesSheraton, Westin et St. Regis. Il est

en discussions avancées avecHyatt, et, là aussi, un accord pour-rait être conclu rapidement. Tou-tefois, trois grandes entrepriseschinoises sont aussi candidates au rachat de l’américain.

Ce mouvement est lié à la muta-tion en profondeur qui boule-verse le secteur de l’hôtellerie. Leshôtels se trouvent pris en étau en-tre le marché collaboratif et celui de la distribution. Les réserva-tions sur des sites en ligne telsBooking.com ou Expedia, leurprennent de 15 % à 20 % de leur marge. Et le phénomène de loca-tion directe tel Airbnb ampute leur marché. Cela concerne aussile haut de gamme, avec des loca-tions de villas offrant toutes lesprestations liées au luxe. Face àcette évolution de fond, l’une des pistes est de renforcer la présence mondiale, d’où les mouvements de concentrations en cours. Ainsi,Accor, en reprenant les 125 hôtelsde FRHI, doublerait sa taille.

De plus, à cette mutation qui pé-nalise l’hôtellerie s’ajoute unautre aléa pour le haut de gamme,et non des moindres, lié cette fois à la crise que connaissent les pays émergents. La clientèle vient laplupart du temps des BRICS (Bré-sil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et des pays pétroliers. Nul ne sait si ce tassement économi-que et donc de leurs revenus in-fluera sur leur comportement. Même si un ralentissement d’acti-vité est possible, l’hôtellerie de luxe a encore de belles perspecti-ves de développement. p

dominique gallois

1,5 %C’est, en rythme annualisé, le niveau atteint par la croissance améri-caine au troisième trimestre, selon la première estimation publiée jeudi 29 octobre par le département américain du commerce. Il mar-que un net ralentissement par rapport aux 3,9 % enregistrés lors des trois mois précédents. Après la publication décevante des chiffres de l’emploi en septembre, ce nouvel accès de faiblesse ne fait qu’ajouter à l’embarras de la Réserve fédérale devant une éventuelle hausse des taux d’intérêt dès le mois de décembre, comme elle l’avait envisagé dans un premier temps.

CONJONCTURECroissance très ralentie pour le luxeLa croissance du marché mondial du luxe devrait tom-ber à 1 % ou 2 % à taux de change constants en 2015, son plus bas niveau depuis la crise de 2008, selon une étude du cabinet Bain & Compagny, publiée jeudi 29 octobre avec la fédération italienne Altagamma. En cause, le ralentissement de l’économie chinoise, la chute des flux touristiques chinois à Hongkong et Macao, l’effon-drement du tourisme russe et le tassement du marché américain.

TOURISMELBO France proposede reprendre 77 %des salariés de FramLe fonds LBO France, déjà propriétaire de Karavel-Pro-movacances, a annoncé, jeudi 29 octobre, avoir soumis une offre de reprise du voyagiste Fram, qui avait déposé son bi-lan plus tôt dans la journée. Le fonds propose de repren-dre « 77 % des effectifs actuels, soit 356 CDI et l’ensemble des contrats non permanents ».

Nouveau tour de table pour Voyageursdu mondeMontefiore a annoncé, ven-dredi 30 octobre, avoir pris 22 % du capital d’Avantage, la holding du groupe Voyageurs du monde. Le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 365 millions d’euros en 2014.

CONGLOMÉRATSamsung arrêtela chimieLe conglomérat sud-coréen Samsung Group, propriétaire de Samsung Electronics, a an-noncé, vendredi 30 octobre, qu’il allait se séparer de ses ac-tivités dans la chimie. Elles vont être vendues à Lotte Che-mical pour 3 milliards de wons (2,4 milliards d’euros).

RECTIFICATIFContrairement à ce qui était écrit dans l’article « Apple, toujours plus haut, mais jus-qu’où ? » (Le Monde daté 29 octobre), la montre conçue par la firme s’appelle l’Apple Watch, et non l’iWatch. Par ailleurs, la marque Beats, qui vend des casques audio, ne propose plus de streaming de-puis son achat par Apple.

Pfizer courtise Allergan pour un mariage géantLa fusion des fabricants du Viagra et du Botox créerait le premier groupe pharmaceutique mondial

suite de la première page

Ce déménagement avait pour but, pour Actavis, de profiter d’un im-pôt sur les sociétés plus bas : les bénéfices ne sont taxés, en Ir-lande, qu’à 12,5 %. Un avantage quela société a gardé après le rachatd’Allergan, dont elle a pris le nom.

Des économies qui sont autant d’argent disponible pour investir dans la recherche et développe-ment (R&D), le nerf de la guerredans l’industrie pharmaceutique. Un impôt est « une dépense, qui doit être gérée comme toute autre dépense », estime M. Read.

En fusionnant avec Allergan,Pfizer se livrerait au même tour de passe-passe : tout en conti-nuant à réaliser l’essentiel de sonactivité aux Etats-Unis, le labora-toire pourrait devenir une société de droit irlandais et faire ainsi de colossales économies d’impôt.

Division en deux entités

C’est cette même logique, connue aux Etats-Unis sous le nom de « tax inversion », qui avait présidé aux discussions entamées en 2014par Pfizer avec le britannique As-trazeneca. Le différentiel fiscalavec le Royaume-Uni est lui aussi substantiel avec les Etats-Unis. Le fait qu’un fleuron de l’industrie américaine parte à l’étranger avait provoqué une levée de boucliers au Congrès. Mais le dossier se heurte aux dissensions entre les républicains, qui veulent une miseà plat de la fiscalité, tandis que les démocrates prônent une simple baisse de l’IS. Des mesures avaient été prises il y a un an pour réduire l’attractivité de l’« inversion ». Visi-

côté les médicaments génériques et de l’autre les blockbusters, cesmédicaments sous brevets capa-bles de générer plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires.

Ce projet ne peut voir le jour quesi les deux activités sont assez soli-des pour affronter la concurrence. Pfizer a déjà récemment consolidé

son pôle générique avec le rachat cette année de Hospira pour 17 milliards de dollars. La fusion avec Allergan viserait à renforcer son portefeuille de médicaments sous brevet en mettant la main surle Botox, le célèbre traitement an-tirides, mais aussi le Restasis, un traitement ophtalmique contre le syndrome de l’œil sec. De quoi compenser le déclin des revenus sur le Lipitor, son anticholestérol phare, ou sur le Viagra, sa pilule contre les troubles de l’érection. D’autant que la liste des médica-ments de Pfizer en passe d’être co-piés ne cesse de s’allonger avec no-tamment le Celebrex (anti-inflam-matoire), l’Enbrel (polyarthrite rhumatoïde), le Zyvox (antibioti-que). L’apport d’Allergan viendrait en la matière à point nommé.

Voilà pour la théorie. La prati-que, en revanche, pourrait se révé-ler plus compliquée. Comme le

Pfizer pourrait débourser plus que les 113 milliards de dollars que vaut Allergan. SCOTT EISEN/BLOOMBERG/GETTY IMAGES

blement insuffisantes pour dis-suader Pfizer, même si en 2014 As-trazeneca avait finalement re-poussé ses avances.

Le second argument pour tenterune fusion avec Allergan est in-dustriel. Mardi, lors d’une confé-rence téléphonique organisée à l’occasion de la publication des ré-sultats du troisième trimestre, M. Read a expliqué qu’il regarde-rait trois éléments avant de se lan-cer dans une fusion. Il a ainsi faitpart de sa préférence pour des opé-rations qui « créent plus de valeur pour l’actionnaire », en combinant l’enrichissement du portefeuille de produits en cours de développe-ment, des synergies opérationnel-les et des synergies financières.

De façon plus précise, l’acquisi-tion d’Allergan s’inscrirait dans un vaste projet stratégique. Pfizer envisage en effet de se diviser endeux entités distinctes, avec d’un

Avec cette

acquisition, Pfizer

deviendrait

une société

de droit irlandais

et réaliserait ainsi

de colossales

économies

d’impôts

LES CHIFFRES

185 MILLIARDSC’est le montant, en euros, de la plus grosse OPA jamais réalisée, lorsque Vodafone s’est emparé de Mannesmann en 1999.

96 MILLIARDSC’est la somme, en euros, de la plus grosse fusion annoncée de l’année 2015. Le numéro un mondial de la bière, AB Inbev, et le numéro deux du secteur, SAB-Miller, s’apprêtent à s’allier.

81 MILLIARDSC’est le montant, en euros, de la plus grosse acquisition dans la pharmacie. Pfizer avait racheté Warner-Lambert en 2000.

soulignait M. Read jeudi matin, la valeur des entreprises pharma-ceutique, qui a baissé substantiel-lement en Bourse depuis cet été,ne reflète pas nécessairement leurvaleur intrinsèque dans le cadre d’une éventuelle fusion. Pfizerpourrait donc être contraint de mettre sur la table beaucoup plus que les 113 milliards de dollars quevaut actuellement Allergan. Les analystes financiers parlaient jeudi de plus de 150 milliards.

Ensuite, comme dans toute fu-sion, vont se poser des problèmes de management et de doublons, entraînant des licenciements. Le PDG d’Allergan, Brent Saunders, qui avait déjà repoussé les avances de Pfizer à l’été 2014 va-t-il cette fois se laisser convaincre ? Wall Street semble y croire : l’action Al-lergan a terminé la séance jeudi enhausse de 5,98 % à 304,38 dollars. p

stéphane lauer

Le décryptagede l’éco

du lundi au vendredi à 8h10

avec Vincent Giret,

journaliste auMonde

avec

0123SAMEDI 31 OCTOBRE 2015 économie & entreprise | 5

Statu quo monétaire au Japon, malgré la faible inflationL’Archipel a renoué avec la croissance en septembre, mais la banque centrale n’arrive pas à relancer les prix, son objectif principal

tokyo - correspondance

A la peine pour atteindreson objectif d’inflation, laBanque du Japon (BoJ) a

néanmoins renoncé à adopter de nouvelles mesures d’assouplisse-ment monétaire. L’institution a décidé de maintenir son pro-gramme d’achats d’actifs (princi-palement des titres de dette publi-que) de 80 000 milliards de yens (604 milliards d’euros) par an.

La décision, adoptée vendredi30 octobre, confirme les positions du gouverneur de la banque cen-trale. Haruhiko Kuroda avait es-timé, le 11 octobre, que la politique actuelle « [fonctionnait] et [avait]

l’impact voulu sur l’économie ». Dans son rapport économique se-mestriel dévoilé vendredi, la BoJ a une nouvelle fois reporté la réali-sation de son objectif d’inflation de 2 %. Il devrait être atteint au deuxième semestre 2016, et non plus au premier. Elle table désor-mais sur une progression des prix de seulement + 0,1 % pour la pé-riode d’avril 2015 à mars 2016, con-tre + 0,7 % anticipé auparavant.

Malgré l’optimisme de M. Ku-roda, nombre d’économistes ana-lysent cette révision à la baisse comme un semi-échec. L’objectif de cette politique de relance mo-nétaire massive, entamée mi-2013,était de sortir le pays du piège de

l’inflation faible, dans lequel il se débat depuis quinze ans. Le gou-vernement lui-même semble dou-ter. « Il y a une limite à l’impact d’une politique monétaire pour faire monter les prix », a déclaré, le 23 octobre, le ministre des finan-ces, Taro Aso. Le même jour, Et-suro Honda, l’économiste ayant pensé les « Abenomics » – les me-sures adoptées par Tokyo pour re-lancer l’économie – attribuait les difficultés actuelles du Japon à « l’absence de progrès dans les ex-portations et la consommation ».

Dans ces domaines, la troisièmeéconomie mondiale inquiète tou-jours, même si, après une baisse de 1,3 % sur un an entre avril et

juin, le produit intérieur brut (PIB) pourrait renouer avec la crois-sance entre juillet et septembre, notamment grâce à la production industrielle. Le 29 octobre, Tokyo aannoncé que l’activité a crû de 1 % en septembre, alors que les analys-tes l’attendaient en repli. Cette hausse pourrait compenser la contraction des dépenses des mé-nages, en recul de 0,4 % sur le même mois sur un an.

Les salaires n’augmentent pas

Dans son rapport semestriel, la BoJ estime que l’économie « de-vrait continuer à croître sur un rythme supérieur à son potentiel aux exercices 2015 et 2016 ». Elle a

toutefois revu à la baisse ses prévi-sions de croissance pour l’année en cours, à + 1,2 % contre + 1,7 % at-tendu en juillet.

La conjoncture contraste avecles résultats des grands groupes nippons. Si certains ont des diffi-cultés, comme Sharp, Sony a an-noncé, le 29 octobre, 116 milliards de yens (876 millions d’euros) deprofits entre avril et septembre, etPanasonic a vu les siens bondir de37 %, à 111,3 milliards de yens.

Malgré ces bénéfices, les entre-prises n’augmentent pas les ré-munérations de leurs salariés, comme le souhaite le gouverne-ment. Voilà pourquoi M. Honda estime que soutenir la consom-

mation serait plus efficace que des mesures monétaires pour re-lancer l’économie. Il plaide pourle versement de 50 000 yens(378 euros) aux vingt-deux mil-lions de foyers les plus modestes.

D’après le quotidien économi-que Nihon Keizai du 30 octobre, Tokyo envisagerait de consacrer 3 000 milliards de yens (22,7 mil-liards d’euros) aux soins aux per-sonnes, à la revitalisation des ré-gions et à l’agriculture. Ces inves-tissements ne seraient pas finan-cés par l’émission de nouvelles obligations, afin de ne pas alourdirla dette publique, qui culmine déjàaujourd’hui à 246 % du PIB. p

philippe mesmer

Laminée, Deutsche Bank tente de se réinventerLa première banque allemande a enregistré une perte record de 6 milliards d’euros au troisième trimestre

berlin - correspondance

Fin de l’arrogance chezDeutsche Bank (DB). Auterme de vingt ansd’aventurisme au som-

met de la finance mondiale, la première banque germanique a décidé de remettre le client alle-mand et européen au cœur de sespréoccupations stratégiques. Iro-nie du sort, il aura fallu attendre qu’un Britannique occupe la tête de l’établissement pour opérer ce revirement historique. John Cryan, PDG de Deutsche Bank de-puis le 1er juillet, a annoncé, jeudi29 octobre, une stratégie qui res-semble fort à une sévère cure dejeûne, après deux décennies d’ex-cès achevées dans le désastre.

Lors d’une conférence de pressejeudi matin à Francfort, M. Cryan a détaillé les mesures qui doivent réduire de 3,5 milliards d’euros lescoûts de la Deutsche Bank : sup-pression de 9 000 emplois, fer-meture de 200 succursales sur un réseau de 750, retrait de dix pays où la banque avait des activités… Si on y ajoute les 20 000 emploisde moins, liés à la vente annoncéede Postbank, DB va réduire ses ef-fectifs de presque 30 000 postes !

Ce train de mesures radicales estle troisième lancé par John Cryan depuis le début du mois d’octo-bre : après une dépréciation d’ac-tifs de 6,7 milliards d’euros an-noncée le 7, une vaste réorganisa-tion du directoire le 18, le chapitrede la baisse des coûts intervient en même temps que les résultats trimestriels. Un jour noir : la ban-que essuie une perte de 6 mil-liards d’euros, la plus forte de son histoire.

Pour sa première apparition enpublic depuis sa prise de fonctions,début juillet, M. Cryan a incarné la profonde rupture de style par rap-port à ses prédécesseurs. Calme-ment, dans un allemand presque sans accent et sans aucune théâ-

tralité, le dirigeant britannique a annoncé des objectifs concrets et atteignables : une rentabilité sur capitaux propres de 10 %, un ratio produits/charges de 65 % en 2020 et une baisse des actifs à risques à 310 milliards en 2020.

Surtout, le PDG a cassé le taboudes pratiques de management de la banque de ces dernières an-nées, marquées par une orienta-tion sur le bénéfice à court terme,une désastreuse gestion des coûtset des infrastructures informati-ques obsolètes, victimes d’unmanque d’investissement criant.

Pour comprendre la révolutionen cours, il faut revenir vingt-cinq ans en arrière. C’est en 1989 que la DB, jusque-là sage banque d’affai-res allemande, fait son entrée dans la banque d’investissement. Avec le rachat de la britannique Morgan Grenfell en 1989, puis de l’américaine Bankers Trust en 1998, DB s’aventure sur le ter-rain inconnu des deals en mil-liards de dollars et du négoce sur les produits financiers complexes.

De tous les coups tordus

A Francfort, les dirigeants sont impressionnés par les bénéfices engrangés par ces nouvelles acti-vités. A Londres et à New York, les traders obtiennent plus de libertéet engrangent des bonus gigan-tesques. L’heure est à l’expansion.Joseph Ackermann, alors PDG dela banque (de 2002 à 2012), ambi-tionne d’atteindre une rentabilitéde 25 % sur capitaux propres. Du jamais-vu.

Les résultats sont à premièrevue impressionnants. DB est la seule banque non américaine à rentrer dans le cercle très fermé des grandes banques d’investisse-ment. La banque devient nu-méro un sur le marché des devi-ses, elle occupe une place de choixsur le marché des fusions et ac-quisitions, est en pôle position sur le marché obligataire…

En 2011, elle accompagne trois descinq plus grosses entrées en Bourse du monde.

En quelques années, la DB s’esthissée au rang des plus grandes banques mondiales. C’est avecfierté qu’elle proclame gagner son argent à New York, Londres et Hongkong. Elle a surmonté la crisefinancière sans aide de l’Etat alle-mand, contrairement à sa grandeconcurrente, la Commerzbank.

Mais le prix à payer est élevé.Après la crise financière, les auto-rités entendent mettre bon ordre dans les activités d’investisse-ment. Il apparaît alors que la DB est de tous les coups tordus : prêtshypothécaires américains, taux interbancaires, devises, pas un

secteur où les traders de la mai-son n’aient manipulé ou fraudé.

Entre 2012 et 2014, la banques’est acquittée de 5 milliards d’euros d’amende. S’ajoutent à cela les pertes liées à ces activités :3,7 milliards en 2013 et 2014. De

quoi pulvériser les 9 milliardsd’euros de bénéfices réalisés sur lamême période. Alors que les tra-ders ont continué d’engrangerdes bonus de 6 milliards. Les ac-tionnaires, eux, se sont partagé 2,2 milliards d’euros mais ont vuleurs actions noyées par deux augmentations de capital.

C’est cette culture malade à la-quelle John Cryan entend aujourd’hui mettre fin. L’anciencodirecteur Anshu Jain, qui a long-temps dirigé la banque d’investis-sement, a quitté l’établissement au début de l’été, suivi par ses pro-ches, dont les derniers ont été re-merciés mi-octobre. La banque d’investissement sera séparée en deux à partir de 2016 afin d’intro-

duire plus de transparence.La nouvelle DB sera plus resser-

rée, plus européenne et surtout plus centrée sur le marché alle-mand, a annoncé la nouvelle di-rection. La priorité est le client,privé ou d’affaires, et la relation deconseil. Un spectaculaire retour aux racines. A courir après les mil-liards sur les marchés financiers, empêtrée dans ses problèmes ju-diciaires, DB s’est éloignée de son marché naturel : les entreprisesallemandes de taille moyenne fortement exportatrices. Un mar-ché que ses concurrentes, commeCommerzbank ou BNP Paribas en Allemagne, n’entendent pas luirendre facilement. p

cécile boutelet

Le PDGJohn Cryan (au centre),à Francfort, jeudi 29 octobre. REUTERS/

KAI PFAFFENBACH

La banque

germanique sera

plus resserrée,

plus européenne

et surtout plus

centrée sur le

marché allemand

LA 6e ÉDITION

DES GRANDS PRIXDE LA FINANCE SOLIDAIRE

lundi 2 novembre

Un événement enpartenariat avec :

organiséepar

À RETROUVER

lundi 2 novembre dans

le Grand Soir/3 présenté

par Patricia Loison et mardi

3 novembre dans le 12/13

présenté par Samuel Etienne.

sur France 3 avec Le Monde

dans un dossier spécial

du supplément

Argent & placements

à paraître avec l’édition du

Monde datée 4 novembre

6 | idées SAMEDI 31 OCTOBRE 2015

0123

SOS CONSO | CHRONIQUEpar rafaële rivais

Les devis funéraires en mairie, « une fausse bonne idée »

D epuis février, les opérateursfunéraires ont l’obligationd’envoyer des devis types

dans les mairies de plus de 5 000 ha-bitants des départements où ils ont leur siège social ou un établissement secondaire. Il s’agit de fournir aux familles endeuillées des informa-tions comparables sur les prix des diverses prestations liées aux obsè-ques, en distinguant celles qui sont obligatoires de celles qui sont seule-ment optionnelles.

Sont obligatoires, notamment, la fourniture d’un cercueil (de 22 mm d’épaisseur, en cas d’inhumation, et de 18 mm, en cas de crémation) – sans indications sur la qualité du bois – avec quatre poignées, le creusement et le comblement de la fosse. Sont op-tionnelles des prestations telles que la toilette mortuaire, les frais de sé-jour en salon de présentation, la four-niture d’un caveau ou d’un monu-ment, ou le dépôt de l’urne dans un columbarium.

Connaître cette distinction permetaux familles endeuillées de résister aux pressions de certains commer-ciaux qui, dans les magasins de pom-

pes funèbres, jouent sur leur igno-rance et leur culpabilité, pour leur vendre des cercueils haut de gamme ou des soins de conservation sans utilité. Depuis 2011, ces devis, dont la présentation et la terminologie ont été imposées par un arrêté ministé-riel, étaient obligatoires seulement en magasin. Un amendement, intro-duit par le sénateur PS Jean-Pierre Sueur, lors du vote de la loi relative à la modernisation et à la simplifica-tion du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affai-res intérieures, en janvier, a rendu obligatoire leur expédition en mairie.

Certains opérateurs funéraires se sont exécutés, d’autres pas. Le groupe OGF, leader français des pom-pes funèbres, qui se veut « exem-plaire », a envoyé la bagatelle de… 70 226 devis, dans toute la France. « Pour quel résultat ? », soupire Jean Ruellan, son directeur du marketing et de la communication.

Dérisoire, apparemment : il nous a,par exemple, été impossible de pren-dre connaissance des 70 devis qu’OGF a envoyés à chacune des mairies d’ar-rondissement de la capitale. Le ser-

vice de presse de la Mairie de Paris, interrogé sur leur sort, n’a pas été en mesure de nous éclairer. A Lyon, la direction des cimetières nous a ré-pondu qu’elle n’en « avait pas », avant, sur notre insistance, de vérifier et de nous indiquer qu’elle n’en avait reçu que « quelques-uns ». Même chose à Brest (Finistère), où la mairie n’a ob-tenu que ceux du groupe OGF.

TRAVAIL DE TITAN

Manifestement, les mairies ne savent pas quoi faire de ces devis types. « Celle de Lille les a refusés, en nous expliquant qu’elle n’avait pas le droit de faire de la publicité ! », s’agace Jean Ruellan.

Certaines les ont mis en ligne, dansl’ordre d’arrivée, ou l’ordre alphabéti-que. Le public, lui, ignore qu’il peut consulter ces documents, faute de publicité. Et s’il le savait, comment pourrait-il comparer des centaines de pages, sur un coin de table du service de l’état civil, ou même sur un écran ? A quand la mise au point d’un logi-ciel lui permettant de cocher les ca-ses qui l’intéressent et calculant la somme due ?

La Confédération des profession-nels du funéraire et de la marbrerie (CPFM) estime que les devis types en magasin sont une « excellente chose » pour les consommateurs. Mais elle trouve que l’obligation de les envoyer en mairie est l’« exemple même de la fausse bonne idée ».

En effet, explique son directeur gé-néral délégué, Richard Féret, « le de-vis type est une ossature que l’on complète, en magasin, en fonction des besoins de la famille : le prix des prestations obligatoires ne sera pas le même selon que la personne est décé-dée à deux cents kilomètres de chez elle ou dans sa commune, à l’hôpital ou à son domicile, le dimanche ou en semaine, et que nous devons ajouter des opérations telles que le transport de nuit, la mise en bière immédiate, les vacations de police pour la créma-tion ou le passage en maison funé-raire. Le client qui le découvrirait en magasin, alors qu’il est venu sur la base d’un devis moins élevé lu en mai-rie, risquerait de prendre l’opérateur pour un escroc ».

Richard Féret a conseillé à chacun des membres de la CPFM d’envoyer

une vingtaine de devis types, qui ré-pondraient à la variété des situa-tions de décès. Ils n’ont pas sauté de joie, car cela représenterait un tra-vail de titan.

Avec seulement deux devis par agence (l’un pour l’inhumation, l’autre pour la crémation), le groupe OGF a dépensé des milliers d’euros en modélisation informatique et en frais postaux. Les opérateurs qui n’enverraient rien pourraient subir une sanction administrative du pré-fet, consistant en la suspension ou le retrait de leur habilitation.

La plupart des opérateurs funérai-res trouvent que la disposition liti-gieuse est « inutile », « coûteuse » et « totalement anachronique » : « A l’heure d’Internet, n’importe qui peut consulter nos tarifs en ligne ! », s’ex-clame M. Ruellan – nous en avons fourni l’illustration sur notre blog Sosconso. Le PDG d’OGF, Philippe Lerouge, a émis une protestation auprès du premier ministre, Manuel Valls… qui s’est contenté d’accuser réception. p

http://sosconso.blog.lemonde.fr

Les inégalités de patrimoine sont la vraie fracture sociale

Le tassement des écarts de revenus souligné par l’Insee dissimule les déséquilibres dus à l’envolée des prix de l’immobilier

par jean taricat

L’Insee l’annonce : en 2013, lesinégalités se sont tassées enFrance. C’est la preuve del’efficacité redistributive de

l’Etat providence, qui complète les re-venus des plus faibles en ponction-nant ceux des plus élevés. Déjà en 2008, un rapport de l’Insee (« Lesmécanismes de réduction des inégali-tés de revenus ») notait que la redistri-bution augmentait de 47 % les revenusdes 20 % de Français les plus modes-tes, et diminuait de 20 % ceux des 20 %les plus aisés. En résultait une divisionpar deux des écarts entre pauvres et ri-ches avant et après redistribution. Il faut donc se féliciter qu’en 2013 cet écart s’amenuise un peu plus.

Mais cette apparente réduction desinégalités dissimule une autre réalité.Aujourd’hui, 58 % des Français, pro-priétaires de leur logement, pour laplupart ni très riches ni très pauvres, s’enrichissent beaucoup plus vite parleur patrimoine que par leurs revenus.

Le patrimoine des plus riches aug-mente très vite (entre 2004 et 2010,les 10 % des ménages les plus fortu-nés ont vu leur patrimoine moyen augmenter de 400 000 euros, une croissance de 47 %), mais les « enquê-tes patrimoine » de l’Insee révèlent aussi que celui des ménages du cin-quième décile a progressé, sur la même période, de 36 000 euros, soitun gain presque équivalent, de 45 %. Ils’agit là d’un pur produit de la spécu-lation immobilière, car l’actif finan-cier n’augmente que pour les grandesfortunes. L’immobilier creuse doncles écarts d’enrichissement entre Français modestes.

On le vérifie en comparant, par mé-nage, les gains issus de la redistribu-

tion avec ceux issus de la spéculation. De 2004 à 2010, le cumul des aides aulogement pour les deux premiers dé-ciles s’élève à 14 000 euros, tandis que l’augmentation du patrimoine pour lecinquième décile atteint 36 000 euros.Autrement dit, la spéculation est deuxfois et demie plus rémunératrice pourle Français moyen que la redistribu-tion ne l’est pour les plus démunis.

Autrement dit encore, les proprié-taires ont reçu des aides publiques àl’accession, dont ils retirent beaucoupplus. Est ce équitable ? Encouragée par la gauche et la droite, la France despropriétaires avance, mais le pays nesera jamais recouvert de propriétai-res, pas plus que l’Angleterre où leurnombre décroît depuis quelques an-nées. L’utopie libérale a ses laissés-pour-compte.

ENRICHISSEMENT À DEUX VITESSESLa raison en est que, en France comme ailleurs, depuis plusieurs dé-cennies, l’évolution des salaires a ététrès inférieure à celle des prix de l’im-mobilier. De 1990 à 2010, le prix des logements neufs a crû de 6 % par an, celui des logements anciens de 3,3 %par an, et les salaires nets de 0,5 %.Grandissante d’année en année, lamise initiale paralyse les primo-accé-dants modestes au point que le prêt à taux zéro, qui leur était destiné, sou-lage maintenant des ménages quin’en ont pas besoin.

L’aide publique produit ainsi un en-richissement à deux vitesses. Cette inégalité ne se comblera pas d’elle-même. Il faudrait une redistribution plus favorable aux non-propriétaires modestes, une autre fiscalité immo-bilière et de la succession, accompa-gnées d’un puissant soutien électoral.Quand la France atteindra le tauxeuropéen des 65-70 % de propriétai-res, il sera trop tard car, accaparés par la valorisation de leurs biens pourleurs retraites ou l’avenir éducatif deleurs enfants, les propriétaires n’ac-cepteront pas une redistribution enleur défaveur. En l’absence de réfor-mes, le risque est celui d’un pays frac-turé en deux, entre « héritiers » et« exclus ».

A l’heure où les inégalités sont cu-mulatives (scolarité, diplômes, reve-nus, patrimoine), comment mettre enlumière ce danger ? Notre thermomè-tre n’est visiblement plus adapté à la mesure des écarts, non pas entre les revenus ou les niveaux de vie, maisentre la réussite et la relégation, entre la certitude d’accéder au patrimoine et son impossibilité pure et simple. p

par yann coatanlem

Perçu comme injuste, tropcompliqué, instable, rétroac-tif, confiscatoire, n’incitantpas au travail, l’impôt, en

France, est massivement rejeté etsymbolise très largement l’illisibilité et l’inefficacité des politiques écono-miques suivies depuis plusieurs dé-cennies. Les contribuables ont l’im-pression de servir de variable d’ajuste-ment à des pouvoirs publics qui vivent au-dessus de leurs moyens.

Encore faut-il savoir de quel impôton parle : trop souvent, le débat publicse focalise sur les plus visibles, en gé-néral ceux qui ne sont pas prélevés à la source, comme l’impôt sur le re-venu, l’impôt sur la fortune (ISF) ou les impôts locaux. Or ceux-ci ne repré-sentent guère plus d’un quart de la fis-calité totale des ménages ! Si l’on con-tinue à se focaliser un jour sur l’impôtsur le revenu, un autre sur la CSG, onne fait que remuer du vent. Unebonne réforme de la fiscalité doit con-sidérer l’ensemble des prélèvementsdirects et indirects (essentiellement laTVA), ajustés des sommes directe-ment redistribuées aux contribua-bles, c’est-à-dire les prestations socia-les et les aides à l’emploi.

Trois critères de choix nous parais-sent essentiels dans le dosage d’une bonne réforme. Premièrement, la simplicité : la fiscalité est devenue bien trop compliquée. De nombreux économistes ont notamment mis enévidence la grande confusion des con-tribuables entre taux marginaux et taux moyens. Et, comme le souligne le« Rapport sur la fiscalité des ména-ges » (Dominique Lefebvre et François Auvigne, avril 2014) remis au premier ministre, Manuel Valls, « le bas de ba-rème de l’impôt, au sens large, est de-venu illisible, pour les contribuables

comme pour les meilleurs spécialistes,et grevé par les effets de seuil qui doi-vent être atténués pour éviter des res-sauts d’imposition brutaux pour les contribuables ». La complexité peutaussi constituer un facteur d’inégalité.

Deuxièmement, il faut de la stabi-lité. On peut, là encore, s’appuyer surdes études techniques, mais elle va presque de soi, et elle est réclamée de façon unanime par toute la société française. Or la politique budgétaireest forcément volatile : de nombreux imprévus peuvent creuser les déficits au-delà des limites fixées par nos obli-gations européennes et forcer le gou-vernement à augmenter la pression fiscale. Il serait utile qu’un méca-nisme puisse amortir les chocs fis-caux de manière à ce que les prélève-ments directs soient épargnés. Il noussemble que c’est la TVA, à défaut d’unesolution plus indolore (mais nous ne pouvons plus faire marcher la plancheà billets), qui pourrait jouer ce rôle etsubir des augmentations ou baisses temporaires.

LA PLUS NEUTRE POSSIBLETroisièmement, une bonne fiscalité doit être la plus neutre possible, c’est-à-dire modifier le moins possible lecomportement des agents économi-ques. Clairement, une fiscalité qui dé-courage la reprise d’un emploi ou l’en-richissement n’est pas neutre.

Armés de ces principes, nous pou-vons imaginer une fiscalité nouvelle,qui puisse, au choix, facilementépouser la progressivité actuelle ou évoluer vers des systèmes plus oumoins progressifs.

Aujourd’hui, plus de 40 % du revenudisponible des Français les plus mo-destes provient des prestations socia-les. Sans forcément remettre en ques-tion ce modèle, on peut au moins es-pérer le rendre plus efficace et réactiver la mobilité sociale. C’est pourquoi il nous paraît pertinent de remplacer les prestations sociales,d’une part, par un revenu minimum universel, tel qu’il est envisagé notam-ment en Finlande et qui, contraire-ment aux allocations, éviterait les ef-fets de seuil ; d’autre part, par un im-pôt négatif, qui rendrait l’aide reçue del’Etat incitative, car proportionnelle autravail accompli – de la même manièreque dans un impôt positif, l’impôt augmente en fonction des revenus dé-clarés. Afin de laisser aux politiques

une grande latitude dans le paramé-trage de l’aide sociale, il conviendraitd’introduire non pas une, mais deuxtranches d’impôt négatif, par ailleursfonctions du nombre d’enfants et de certains critères de pénibilité.

Une fois l’aide sociale mise en place,la question devient : quel est le sys-tème le plus simple possible permet-tant de conserver la progressivité ac-tuelle ? De façon surprenante, une seule tranche additionnelle à taux po-sitif suffirait à remplacer l’impôt sur le revenu actuel, mais aussi la CSG et l’ISF,et éventuellement les impôts locaux.Nous proposons également la sup-pression de 27 milliards de niches ne remplissant aucun rôle social et per-mettant une trop grande optimisation fiscale surtout bénéfique aux ménagesles plus aisés, tout en nuisant à la lisibi-lité du système dans son ensemble.

Dans ce système, l’impôt devien-drait universel et comprendrait :

– un revenu minimum qui permet-trait à tous de naviguer dans des carriè-res entrecoupées de périodes de for-mation, de chômage et de pauses pro-fessionnelles de plus en plus aléatoires ;

– un impôt progressif, avec deuxtaux négatifs, remplaçant toutes les aides sociales, et un taux positif uni-que s’apparentant à une « flat tax », mais partie intégrante d’un système qui reste progressif.

Les gagnants de cette nouvelle fisca-lité sont la plupart des ménages mo-destes, notamment ceux proches du revenu médian. Les – légers – per-dants sont le top 20 % des ménages lesplus aisés, sauf le top 1 %, qui, certes,perdrait l’avantage de nombreuses ni-ches fiscales, mais bénéficierait de taux moyens nettement en baisse.

Dans un système lisible pour tous,stable et relativement neutre, il y aurait moins d’obstacles à ce que l’as-censeur social se remette en marche et moins d’incertitude sur l’imposi-tion des revenus, donc plus d’incita-tions à s’enrichir. p

¶Yann Coatanlem

est président du Club Praxis,un think tank transatlantique installé à New York,et directeur de la recherched’une banque d’investissement américaine. Le Club Praxisa publié, le 16 octobre,un rapport intitulé« Pistes de réformede la fiscalité des ménages »

Le revenu minimum, base d’une refonte complète de la fiscalité

Une véritable réforme fiscale doit combiner impôtà taux unique, impôt négatif et revenu universel

SI L’ON CONTINUE

À SE FOCALISER UN JOUR SUR L’IMPÔT SUR

LE REVENU, UN AUTRE SUR LA CSG, ON NE FAIT

QUE REMUER DU VENT

¶Jean Taricat est sociologue et enseignant à l’Ecole natio-nale supérieure d’architec-ture de la ville et des territoi-res, à Marne-la-Vallée

0123SAMEDI 31 OCTOBRE 2015 MÉDIAS&PIXELS | 7

Mme Ernotte s’oppose au rachat de Newen par TF1La présidente de France Télévisions a réagi à la vente du producteur de « Plus belle la vie » à un concurrent

France Télévisions réagitfermement au projet deprise de contrôle deNewen par TF1 (...) Dès

aujourd’hui, le groupe suspend les développements et les projets avec le groupe Newen et réserve tous sesdroits à agir. » Le communiqué envoyé à 18 h 30, jeudi 29 octobre, par le groupe public dirigé par Delphine Ernotte a soudaine-ment changé l’ambiance autourde l’opération qui avait fait l’ac-tualité toute la journée : le rachat-surprise par la chaîne de Martin Bouygues, au lendemain du choixde son nouveau PDG, du troi-sième producteur audiovisuelfrançais. Un deal que la ministre de la culture Fleur Pellerin avaitpourtant d’emblée qualifié de« beau projet »…

Une particularité de Newenn’était pas apparue tout de suite aux observateurs du rachat : la so-ciété, qui produit notamment l’émission quotidienne culte « Plus belle la vie », réalise « deux

tiers de son chiffre d’affaires » avec le service public ; elle est même « lepremier fournisseur de program-mes de France Télévisions », selon le groupe public. Celui-ci avance le chiffre de 100 millions d’euros par an consacrés à Newen et le com-pare aux 40 millions réalisés par lafiliale de production interne de France Télévisions MFP. De son côté, Newen ne communique pas sur son chiffre d’affaires, estimé autour de 150 à 200 millions d’euros.

« Nous contestons que les inves-tissements de France Télévisions, principalement financés par la contribution des citoyens par la re-devance, puissent aujourd’hui fairel’objet d’une telle tractation com-merciale, s’insurge le communi-qué. Ce sont les idées, les savoir-faire et les compétences développésen partenariat avec le service pu-blic qui constitueraient l’actif es-sentiel de cette opération entre no-tre principal fournisseur et l’un denos principaux concurrents. »

Que peut faire Mme Ernotte ?France Télévisions suspend les projets en développement avec Newen mais pas les programmes déjà à l’antenne comme « Plus belle la vie », « Les Maternelles », « Le magazine de la santé », « Fai-tes entrer l’accusé »... Ni ceux en cours de production.

Une façon de renégocier

Au-delà, Delphine Ernotte et les services juridiques de France Télé-visions étudient tous les angles possibles : l’entreprise, qui ne pos-sède pas de droits de copropriété sur les reventes de programmes comme « Plus belle la vie », peut-elle assurer la sécurisation d’ap-provisionnement de ses marques importantes ? Elle est en train de revoir ses contrats avec Newen.

France Télévisions se demandeaussi si le respect de la concur-rence peut être un angle d’attaque.Il s’est déjà vu que l’autorité de la concurrence fixe des conditions à la réalisation d’un rachat. Une

autre règle étudiée est celle qui fixe à 15 % du capital le seuil de dé-tention d’une société au-delà du-quel la chaîne qui la possède doit considérer la production réalisée comme « dépendante », l’équiva-lent d’une production en interne. Mais en l’état cette règle ne s’appli-que qu’aux émissions produites pour la chaîne propriétaire, pas pour les autres…

Au ministère de la culture, onconteste que Fleur Pellerin soit mise en porte-à-faux par la vive ri-

poste de France Télévisions. La mi-nistre maintient que le rachat de Newen par TF1 s’inscrit dans sa vo-lonté de faire « émerger des cham-pions français » de l’audiovisuel. Mais elle assure aussi qu’elle sera attentive à ce que « l’indépendanceéditoriale » soit respectée : que Newen continue à produire pour France Télévisions et les autres chaînes comme il le fait aujourd’hui.

Pour une source proche du dos-sier, la sortie de Mme Ernotte est une façon de renégocier avec Newen. Sachant que par ailleurs France Télévisions s’est engagée dans une large discussion avec les producteurs, pour faire émerger une plaforme de vidéo à la de-mande inspirée de Netflix. Les su-jets sont multiples : parts de co-production, droits de diffusion nu-mérique, droit de suite…

Mme Pellerin se dit toutefois sen-sible au message de Delphine Er-notte sur l’inadaptation de la légis-lation actuelle. Celle-ci oblige les

chaînes à confier à des sociétés ex-térieures la majorité de leurs pro-ductions. Conçue pour favoriser la diversité du secteur, elle a amené àdes absurdités, mises en lumière par le deal Newen, pense France Télévisions. En réponse, la minis-tre se dit très « ouverte » à faire évo-luer le taux de production « dé-pendante » de l’entreprise publi-que, qui aujourd’hui n’a le droit de produire que 5 % de ses program-mes de fiction et documentaires en interne.

A TF1, on observe sans commen-ter. L’entreprise assure simple-ment qu’elle veut laisser Newen continuer à produire pour d’autres chaînes. Chez le produc-teur, pas plus de réaction officielle.Tout juste plaide-t-on que perdre des clients comme France Télévi-sions ferait perdre de la valeur à la société. Tous ne s’accordent que sur un point : il faut de la confiancepour travailler ensemble. Ce qui n’est jamais acquis. p

alexandre piquard

Au ministère de

la culture, on

conteste que

Fleur Pellerin soit

mise en porte-à-

faux par la vive

riposte de France

Télévisions

Le vestiaire en ligne Showroomprivé faitson entrée en BourseA l’issue de sa mise sur le marché, vendredi 30, le site est valorisé 660 millions d’euros

A près un échec, un succès,même s’il apparaît quel-que peu mitigé. Annoncé

le 28 octobre, le report in extremisde la cotation du pionnier du streaming musical, Deezer, qui es-pérait lever 300 millions d’euros,avait jeté un froid sur la place de Paris. De courte durée, puisque le groupe français de déstockage en ligne Showroomprivé.com a, lui, réussi son entrée à la Bourse de Pa-ris vendredi 30 octobre au matin.

S’ils n’ont pas reculé devantl’obstacle comme Deezer qui avaitévoqué « des conditions de mar-chés » défavorables, les dirigeants de Showroomprivé avaient sansdoute rêvé meilleur baptême boursier. La déception est venue du prix de l’offre, situé dans leplus bas de la fourchette, à 19,50 euros l’action. L’offre, qui re-présente 35 % du capital, a été souscrite pour un montant de 226 millions. Et pourra atteindre 260 millions d’euros en cas d’exercice intégral de l’option de surallocation. Mais la cotation n’arien arrangé : le titre chutait déjàde 10 % à peine une heure aprèsson introduction.

Malgré tout, Emmanuel Macronn’a pas boudé son plaisir. Le mi-nistre de l’économie, qui fait du numérique l’un de ses chevaux debataille, s’est félicité vendredi decette levée de fonds, la plus im-portante d’une société Internetdans l’Hexagone depuis 2006. Présidant la cérémonie d’ouver-ture du marché, il a donc sonné lacloche. Un geste symbolique et médiatique, puisque les marchés électroniques démarrent et s’ar-rêtent automatiquement.

La Bourse de Paris considère,elle aussi, les nouvelles technolo-gies comme une réelle priorité etmultiplie les initiatives pour atti-rer les pépites de ce secteur. Dans cette veine, Euronext a ainsi lancéle label Tech 40 et le programme Tech Share, pour sensibiliser lesacteurs du Web aux marchés fi-nanciers et faire de l’accès à ceux-ci une étape du développe-ment de ces entreprises.

Showroomprivé.com est néen 2006, de la rencontre d’un in-génieur, Thierry Petit, le créateur du premier comparateur de prix en France, toobo.com, et d’un

autodidacte, David Dayan, qui tra-vaillait avec son père dans des sol-deries. Leur PME a grandi, ils l’ont professionnalisée et elle emploie plus de 700 salariés. Ces deux qua-dras ont fait fortune en dix ans.

A l’issue de la mise en Bourse, lafamille des fondateurs conser-vera 41,86 % du capital et 56,9 % des droits de vote. Leur ambition d’expansion n’est pas un vain mot : alors que le chiffre d’affairesa atteint en 2014 350 millions d’euros et le bénéfice net 5,87 mil-lions, leur objectif est de conser-ver une croissance annuelle de 20 % pour atteindre 750 millionsd’euros de ventes d’ici à 2018.

Doper les ventes à l’étranger

Avec cette opération, le site estdonc valorisé à 660 millions d’euros. Mieux que les 625 mil-lions d’euros retenus en marslorsqu’un groupe d’investisseurs du Moyen-Orient était entré au capital. Cette introduction enBourse va permettre au site d’ac-célérer son développement et ac-croître sa visibilité. Une stratégie d’autant plus urgente que la con-currence des grands groupes, comme le numéro un françaisVente-privée.com ou l’américain Amazon, s’aiguise chaque jour.

Le nouvel entrant à la Bourse deParis reste encore très focalisé sur la mode féminine (le déstockage de ses invendus représente plus des deux tiers des ventes) et s’est diversifié doucement dans labeauté, la maison, la gastrono-mie, les voyages ou les spectacles. Le site – le deuxième après Vente-privée –, propose des réductions allant jusqu’à 70 % et collabore avec 1 300 marques.

Avec plus de 20 millions demembres en Europe où il est ins-tallé dans neuf pays, Showroom-privé veut renforcer sa présence en Espagne, en Italie et au Portu-gal. L’ambition est de doper lesventes à l’international pour lesporter de 15 à 25 % d’ici trois ans. Ala faveur de cette levée de fonds, le groupe a accueilli dans son ca-pital (à hauteur de 4,7 %), le chi-nois Vipshop Holdings, un desleaders mondiaux de la vente pri-vée. Un moyen de préparer son arrivée en Asie. p

nicole vulser

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Cahier du « Monde » No 22018 daté Samedi 31 octobre 2015 - Ne peut être vendu séparément

Frères ennemisSi l’affrontement entre l’entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, samedi 31 octobre, est inédit en finale de la Coupe du monde de rugby,

elle renvoie à plus d’un siècle de rivalité sportive entre ces deux nations du Commonwealth

P A G E S 4 - 5

On a retrouvé… Konstantin Rachkov

En 2011, il découvrait avec la Russie la Coupe du monde de rugby.Installé dans le sud de la France, il se reconvertit dans… la manucure

GETTY/AFP

Quatre ans après avoir essuyé une large défaiteface à l’Australie (68-22) lors de la dernièreCoupe du monde de rugby, Konstantin Rach-kov n’est pas rancunier. L’ex-trois-quarts centrede la sélection russe soutiendra les Wallabies,

samedi 31 octobre, lors de la finale face à la Nouvelle-Zélande, sûrement en souvenir du maillot offert par l’Aus-tralien Quade Cooper. Mais l’ancien rugbyman, 37 ans, ne se fait pas d’illusions : l’issue de la compétition, à laquelle son pays n’a participé qu’une seule fois, en 2011, ne devraitpas passionner ses compatriotes. « Pour beaucoup de Rus-

ses, le rugby reste un sport aux règles méconnues. Les gens voient seulement trente mecs qui se battent pour un seul ballon. Et, en plus, un ballon ovale ! » Au temps de l’URSS, où le rugby était considéré comme un « sport bourgeois », le jeune Konstantin a d’ailleurs dû insister pour continuerà pratiquer son sport, s’entraînant, enfant, une saison avecl’équipe féminine du SKA Almaty.

Installé dans les Bouches-du-Rhône après une carrièresportive passée en France, entre la première et la qua-trième division, il s’apprête désormais à ouvrir un « stand de manucure express ». p PAG E 8

Des supporteurs australien et néo-zélandais lors de la demi-finale de la Coupe du monde, le 16 octobre 2011, à l’Eden Park d’Auckland. MOUNIC/PRESSE SPORTS

TROPHÉE JULES-VERNE

ÉCURIE DE LUXE CONTREESPRIT COMMANDO

→ PAGE 6

BUSINESS

JUSQU’OÙ VA ALLERLE « NAMING » ?

→ PAGE 3

AUX ORIGINES DU RUGBY

TWICKENHAM, LE CHÂTEAUSANS MAÎTRE

→ PAGE 7

2 | 0123Samedi 31 octobre 2015 | SPORT & FORME | À V O S M A R Q U E S

Agenda

Inaccessible Ovalie

Je n’y arrive pas. Pourtant, j’ai essayé.Avec la meilleure volonté, en refoulantles a priori, j’ai tenté de m’en approcher,de comprendre sa langue, faire miennesses valeurs. Rien n’y fait, malgré des

efforts sincères, je ne parviens pas à aimer le rugby.

L’Ovalie, ce pays mythique où le sport, à ce qu’on dit, est resté du sport, et où les hommes sont restés des hommes, ce monde meilleur m’a refusé le visa. Il m’a refoulé

à la frontière à chaque fois que j’ai essayé d’y entrer.

Je me sens exclu. Toutes ces années à peau-finer mon français, à m’approprier la culture de ce pays, à intérioriser les principes de la République – en vain ! Le rugby, avec ses règles bizarres, son comptage de points pour le moins bancal et son culte de la virilité qui semble d’un autre âge, me montre les limites de l’assimilation culturelle.

Même son vocabulaire me reste imperméa-ble. Evidemment, je suis capable de glisser, non sans élégance, une expression comme « transformer l’essai » dans une conversation, mais au moment même où je l’énonce, son sens profond m’échappe. Pourquoi « essai » ? Pourquoi « transformer » ? Qu’est-ce que c’est que ces termes ridicules ? Sans même parler des « mauls », des « rucks », des « packs », puis de tout ce langage fleuri qui tourne autour. Et de cette rhétorique de lutte, d’abné-gation, de sacrifice et de camaraderie tout droit sortie du lexique de la Grande Guerre.

Bien sûr, j’ai été intrigué. Par le côté archaï-que, animal et authentique de ce combat qui fait appel à des instincts enfouis de conquête et de défense de territoire. Par l’atmosphère étonnamment amicale dans les tribunes, malgré la dureté des coups sur le terrain. Et par le respect absolu pour l’arbitre et ses décisions.

J’ai donc voulu comprendre. Lu des ouvra-ges et des articles savants, consulté deux

amis gallois qui n’avaient qu’enthousiasme pour le rugby et des collègues français qui n’avaient que condescendance pour le foot-ball, appris par cœur la terminologie du jeu sur Wikipédia. A l’heure de la Coupe du monde 2007, j’étais fermement résolu à partager enfin la passion française pour ce sport. Après m’être forcé à suivre de près les premières semaines (ô combien longues) du tournoi, la compétition m’a servi ce quart de finale de légende qui vit le XV de France battre les invincibles All Blacks. Pouvait-il y avoir un moment plus propice pour enfin se convertir à la magie de ce jeu que l’un des retournements les plus spectaculaires de son histoire ?

Mais une fois l’excitation du direct retom-bée, j’ai dû me rendre à l’évidence : je n’y arri-vais pas vraiment, je faisais semblant. C’est étonnant : on peut s’émanciper de sa sociali-sation religieuse et politique pour embrasser d’autres systèmes de pensée. On peut se libé-rer d’une bonne part des traditions culturel-les transmises par son éducation et s’ouvrir à d’autres façons de voir le monde. Mais en matière de culture sportive, il semble qu’on reste prisonnier de son enfance.

L’Ovalie me restera inaccessible. C’est ainsi,je dois en faire mon deuil. Ne le dites à per-sonne, mais samedi après-midi, pendant la finale de la Coupe du monde, je consulterai en cachette sur Internet les résultats de la Bundesliga. p

Portes ouvertes au Masters

Bonne nouvelle cette année pour les partici-pantes du Masters de tennis féminin, ou plutôt du BNP Paribas WTA Finals, qui se déroule jusqu’au 1er novembre à Singapour : Serena Williams a déclaré forfait. Quand on sait que l’Américaine a remporté les trois dernières éditions et qu’elle collectionne

cinq Masters depuis le début de sa carrière, on imagine le soulagement de ses adver-saires. En son absence, la Russe Maria Sharapova (photo) et l’Espagnole Garbine Muguruza font figure de favorites dans cette compétition qui regroupe les meilleures joueuses mondiales. p

clément guillou

Lorsque les Cleveland Cavaliers et lesChicago Bulls se sont réunis autour deleurs bancs respectifs pour le premier

temps mort du match d’ouverture de la sai-son de NBA, mardi 27 octobre, la masse sala-riale de l’assemblée s’élevait – entraîneurs compris – à quelque 187 millions d’euros annuels. Soit, en moyenne, plus de 1 million d’euros par match officiel disputé.

Pendant ce temps, les Luvabulls se déhan-chaient sur le parquet de l’United Center de Chicago. Leur revenu ? Compter 50 dollars (45 euros) par danseuse et par match, selon le témoignage au Chicago Tribune de Paula Marsh, qui a quitté la troupe en 2013. Pas cher payé pour représenter une franchise valori-sée à 1,8 milliard d’euros et subir les contrain-tes d’un régime d’athlète, les avances de cer-tains joueurs et les commentaires salaces d’internautes sous des portfolios qui font l’audience des sites de sport.

Les cheerleaders, éléments incontournablesdu sport spectacle américain, sont devenues des acrobates interprétant des chorégraphies exigeantes. Mais elles sont aussi les esclaves d’une industrie multimilliardaire, sexiste et

inégalitaire. Lauren Herrington, danseuse des Milwaukee Bucks lors de la saison 2013-2014, s’est rebellée contre sa condition de cheer-leader sous-payée. Elle a déposé plainte contre la franchise pour avoir été rémunérée en dessous du salaire horaire minimum (6,56 euros) dans le Wisconsin. Sa paye était de 59 euros par match et 27 euros par entraî-nement, soit entre 3 et 4 euros de l’heure selon ses estimations.

Dans la plainte, ses avocats ajoutent que sesheures supplémentaires n’étaient pas payées et que les séances de cabines de bronzage, l’entretien de ses tenues, les dépenses de maquillage, manucure et coiffure étaient à sa charge. Et les blessures ne sont pas couvertes.

Des mascottes mieux payéesIl s’agit de la première plainte d’une cheer-

leader dans l’histoire de la NBA, et Lauren Herrington a déjà été rejointe par une cama-rade des Milwaukee Bucks. Cinq autres son-gent à ajouter leur nom, assure son avocat.

Les plaintes déposées contre des franchisesde NFL ont débouché sur plusieurs règle-ments à l’amiable : les Oakland Raiders, en 2014, ont par exemple versé plus de 1,1 million d’euros à 90 danseuses.

La Californie a adopté cet été une loi obli-geant les franchises à payer les cheerleaders comme leurs autres employés. L’Etat de New York a le même projet. « Nous ne devrions pas en passer par des poursuites judiciaires et des lois pour que la NBA respecte le droit du tra-vail », a souligné l’élue démocrate du Queens Nily Rozic le 26 octobre.

Réponse du porte-parole de la NBA, Mike Bass : les pom-pom girls « sont des membres importants de la famille NBA. Comme pour les autres employés, nous travaillons avec les équipes pour faire en sorte qu’elles appliquent les conditions de travail et de salaire fixées par la loi ». De façon surprenante, d’autres mem-bres de la « famille NBA » au rôle similaire, les mascottes, sont beaucoup mieux payés : plus de 10 000 euros par mois pour certains des acteurs se cachant sous la peluche.

Pour Lauren Herrington, le silence des cheerleaders est le fruit d’années de lavage de cerveau, depuis l’université, sur le prestige présumé attaché à la fonction. « Dès le pre-mier jour, dit-elle au magazine Vice, on vous fait comprendre que c’est un honneur d’être ici, et vous ne remettez jamais rien en cause car vous êtes privilégiée. Et si vous contestez, on vous retire ce privilège. » p

8milliardsC’est, en yuans (soit 1,1 milliard d’euros), le montant que la société China Media Capital, du magnat asiatique Li Ruigang, a accepté de payer pour les droits de diffusion de la Super League, le championnat de football chinois, pour cinq ans, selon le Financial Times. Un contrat très sensiblement supérieur à l’actuel, de 7 millions d’euros par an. En France, les droits annuels de la Ligue 1 s’élèventà 750 millions d’euros.

Samedi 31 octobreFootball C’est une opposition qui résonne souvent comme un choc au sommet. Pas cette fois-ci, mais elle s’annonce d’autant plus électrique. Liverpool (9e) et Chelsea(15e), deux cadors embourbés dans les profondeurs de la Premier League, chercheront à se ressaisir. Le match vaudraaussi par le choc de ses entraîneurs : face au « Special One », surnom du coach des Blues, José Mourinho, l’Alle-mand Jürgen Klopp s’est autoproclamé le « normal one ». (13 h 45, Canal+ Sport.) Si vous êtes nostalgique de la Francedes années 1960 et 1970, vous privilégierez alors le duel entre Saint-Etienne et Reims, juste après l’heure du tea. (17 heures, Canal+.)Rugby (1) La Coupe du monde de rugby est un trophée qui aime s’offrir à l’hémisphère Sud, hormis une brève infi-délité en 2003, avec la victoire de l’Angleterre. Cette année ne déroge pas à la règle. Le vainqueur de la finale entre la Nouvelle-Zélande et l’Australie deviendra l’équipe la plus titrée, avec trois couronnes mondiales. Les All Blacks tente-ront de devenir la première nation à conserver son titre. Les Wallabies, eux, voudront prendre leur revanche après leur défaite en demi-finale, il y a quatre ans. (17 heures, TF1.)Basket Contrairement au football, le ballon orange offre un derby francilien au plus haut niveau. Mais entre Paris-Levallois et Nanterre, deux mauvais élèves de la Pro A, il sera surtout question de ne pas sombrer au classement. (18 heures, Ma chaîne sport.)Rugby (2) Que ceux qui, après six semaines d’Ovalie, auraient du mal à entrer dans une déprimante période de sevrage soient rassurés : le soir même, le Top 14 offre une alléchante affiche – moins exotique, certes –, le match entreClermont et Castres. (20 heures, Canal+ Sport.)

Dimanche 1er novembreCyclisme Si vous êtes insomniaque, ou complètement accro au vélo, la deuxième étape du Tour du lac Taihu, en Chine, va vous permettre de découvrir des paysages et des cyclistes méconnus. (6 h 30, Eurosport.)Athlétisme Le point commun entre Lance Armstrong, Pamela Anderson, Marie-José Pérec et Yannick Noah ? Tous ont couru le Marathon de New York. Mais au-delà de la présence des people, l’épreuve attire aussi les meilleurs spécialistes de la discipline, à l’image des Kényans Wilson Kipsang, ancien détenteur du record du monde, et Mary Keitany (photo), qui tenteront de conserver leur couronne acquise en 2014. (15 h 30, Eurosport.) (PHOTO : AFP)

Football Si vous croyez que l’argent ne fait pas tout, que la réussite ne s’explique pas uniquement par les moyens financiers, alors la belle aventure du promu Angers ne peutpas vous laisser indifférent. L’avant-dernier budget de Ligue 1, qui se déplace à Monaco, occupe la position de dauphin du Paris-Saint-Germain. Les Angevins défieront-ilsencore une fois les pronostics ? Réponse sur une chaîne qa-tarie pas vraiment connue pour manquer de sous. (17 heu-res, BeIN Sports.) En soirée, Marseille tentera de poursuivreson timide redressement, face à Nantes. (21 heures, Canal+.)Formule 1 Certes, le suspense s’est évaporé depuis le Grand Prix d’Austin et le troisième sacre mondial de Lewis Hamilton. Certes, le titre des constructeurs est déjà attribuéà Mercedes. Mais le Grand Prix du Mexique, 17e manche de la saison, devrait comporter plusieurs sources d’intérêt.Qui, des Allemands Sebastian Vettel et Nico Rosberg, pren-dra une option sur la deuxième place au classement géné-ral ? Surtout, Lewis Hamilton et Nico Rosberg, les deux équipiers qui se détestent cordialement, vont-ils continuerleur bataille de lancer de casquettes, commencée à Austin ?(20 heures, Canal+ Sport.)Basket Rien de mieux que la reprise de la NBA pour oublier sa déception avec l’équipe de France. Les San Anto-nio Spurs affrontent les Boston Celtics, et Tony Parker voudra rebondir en club après son Euro raté avec la sélec-tion. (21 h 30, BeIN Sports.)

l ’ h i s t o i r e

« Cheerleaders » de la NBA, unissez-vous !

WONG MAYE-E/AP

c h r o n i q u e

Albrecht SonntagEnseignant-chercheur.

ESSCA Ecole de management

E N Q U Ê T E | SPORT & FORME | Samedi 31 octobre 20150123 | 3

Au nom du fricb u s i n e s s | Inexorablement, le « naming » gagne du terrain : à l’image de l’ancien Palais omnisports de Paris-Bercy,

stades, tournois et équipes sont de plus en plus nombreux à vendre leur nom à une marque

Le nouveau nom de l’ancien Palais omnisports

de Paris-Bercy rapportera trois millions d’euros par an.

JÉRÔME PRÉVOST/PRESSE SPORTS

henri seckel

Certains amateurs de tennis s’ima-ginent peut-être qu’ils vont assis-ter au Tournoi de Bercy, du sa-medi 31 octobre au dimanche8 novembre. Tout faux. C’est de-vant le spectacle du BNP Paribas

Masters, et dans les gradins de l’AccorHotelsArena, qu’ils s’apprêtent à vibrer : officielle-ment, le tournoi parisien s’appelle comme ceci depuis 2002, et le Palais omnisports de Paris-Bercy (POPB) comme cela depuis la mi-octobre.

Le POPB, flambant neuf après dix-huit mois detravaux, est le premier équipement sportif ma-jeur de la capitale à découvrir les joies du naming(que l’on peut traduire par « nommage » si l’on

y tient vraiment), pratique consistant pour le propriétaire d’un lieu à en céder le nom à une marque commerciale contre de l’argent. Ainsi le premier groupe hôtelier de la planète s’affiche-t-il désormais en énormes lettres blanches au-dessus des pelouses obliques de cet édifice que lepublic aura du mal à cesser d’appeler Bercy.

Le Parti communiste et le Front de gauche àParis proposaient d’honorer la mémoire d’Alain Mimoun en donnant à la salle du 12e ar-rondissement le nom du champion olympiquedu marathon, en 1956, à Melbourne, morten 2013. Les socialistes ont préféré opter pourles millions d’euros d’AccorHotels – un peu plusde trois par an, pendant au moins dix ans – qui permettent d’alléger un peu la facture de larénovation (135 millions d’euros).

Le nouveau nom a choqué de nombreuxParisiens, il a choqué Laurence Parisot – « Tout

s’achète peut-être, mais tout ne doit pas être mis en vente ! », a twitté l’ancienne présidente duMedef –, mais il ne choque pas Jean-François Martins, adjoint chargé des sports et du tou-risme à la mairie de Paris : « Il ne faut pas êtrenaïf sur la présence des marques dans notre société, qui est une société de consommation. Je préfère faire partie des gens lucides qui saventque ça fait partie du jeu. Le groupe AccorHotels achète simplement un espace publicitaire, comme il pourrait acheter une page dans Le Monde ou une bannière sur Lemonde.fr. »

Drôle de parallèle : outre qu’il ne s’appelletout de même pas encore AccorHotels Le Monde, le journal que vous tenez en mainest une propriété privée, tandis que le POPBappartient à la mairie de Paris, donc à tous les Parisiens. « Avec le naming, une marque rebap-tise l’espace public, explique Nicolas Bonnet-Oulaldj, président du groupe Communiste -Front de gauche du conseil de Paris. On sort de l’idée du patrimoine public qui peut être utilisé pour un travail de mémoire ou de transmission culturelle et on entre dans un processus de mar-chandisation. Si on ne réagit pas dès maintenantà propos des équipements sportifs, demain l’en-semble de notre patrimoine urbain pourrait êtreun support à la publicité. »

En attendant de le voir s’attaquer à ses rues,ses musées, ses parcs ou ses métros – comme à Madrid, où la seconde ligne s’appelle « Linea 2 Vodafone » –, la France voit le naming prendre d’assaut ses enceintes sportives. Avant l’Accor-Hotels Arena de Paris étaient déjà sortis deterre le Kindarena de Rouen, la Park & Suites Arena de Montpellier, le Matmut Stadium de Lyon, la Skoda Arena de Morzine, la Pubeco Pévèle Arena d’Orchies, la MMArena du Mans,le Matmut Atlantique de Bordeaux et l’AllianzRiviera de Nice. En 2016 viendront s’ajouter les nouveaux stades de l’Olympique lyonnais et duRacing 92 – qui en seront, eux, propriétaires. Pour l’heure, avec moins d’une dizaine d’en-ceintes « namées », la France est en retard ou résiste encore, selon les points de vue.

Rien qu’en Bundesliga, le championnat defootball allemand, 14 des 18 stades portent le nom d’entreprises privées, comme la Volks-wagen-Arena de Wolfsburg. Le Royaume-Uni, leJapon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou la Suède y ont massivement recours, mais pas

autant que les deux champions du naming quesont le Canada et les Etats-Unis. Sur les 122 équipes évoluant dans les quatre grandes ligues nord-américaines – NBA (basket), NFL(football américain), MLB (base-ball) et NHL (hockey sur glace) –, 101 évoluent dans une salleou un stade faisant référence à une marque.

Quand on souhaite conserver le nom de sonantre (ou quand on y est contraint), il est tou-jours possible de modifier celui des tribunes,comme à Rennes, où le stade de la Route-de-Lorient abrite une romantique « tribune Su-per U ». Le naming s’applique volontiers auxinfrastructures secondaires : le PSG ne s’en-traîne plus au Camp des Loges mais au « Centred’entraînement Ooredoo », tandis qu’à Lyon lesapprentis footballeurs seront désormais for-més à la « Groupama OL Academy ».

Face à une telle évolution, la lutte s’organisetimidement. A Bordeaux, les ultras grondent contre le Matmut Atlantique, qu’ils ont décidéd’appeler stade René-Gallice, tandis qu’à New-castle les supporteurs ont obtenu, grâce au suc-cès de leur pétition, que le Saint James’ Park, de-venu Sports Direct Arena, retrouve son nom. Mais la bataille semble d’ores et déjà perdue,explique Jean-Marie Brohm, professeur émé-rite de sociologie à l’université Montpellier-III et critique radical du sport : « Le sport est aujourd’hui totalement sous l’emprise du capi-tal multinational, et l’épiphénomène du naming n’est que la conséquence logique et l’expressionla plus claire de ce processus. »

Les enceintes sont loin d’être les seules ciblesdu naming, qui a déjà posé sa patte sur des tasde compétitions, dans des tas de sports, àl’image du BNP Paribas Masters et d’à peu prèstous les tournois importants de tennis et degolf, à l’exception de ceux du Grand Chelem,qui n’ont aucun intérêt à brader leur nomcontre quelques millions. Le championnat an-glais de foot s’appelle Barclays Premier Lea-gue, celui de Belgique Jupiler Pro League ; laHeineken Cup désigne la Coupe d’Europe derugby, et la Turkish Airlines Euroleague cellede basket ; et il faut désormais parler duSchneider Electric Marathon de Paris ou du Qatar Prix de l’Arc de triomphe.

La publicité s’incruste jusque dans les nomsd’équipes – le Red Bull Salzbourg en football, leGamyo d’Epinal en hockey sur glace – ou dans

les classements mondiaux – le Longines Ran-kings en équitation, l’Emirates ATP Rankingsen tennis. Les cyclistes roulent pour la Fran-çaise des jeux ou AG2R La Mondiale, les marinsnaviguent sur Macif ou Sodebo, et la cavalière suédoise Malin Baryard-Johnsson concourt sur un cheval nommé H&M Tornesch, tout pre-mier cas de naming d’un être vivant. Pourquelques euros supplémentaires, peut-être aurait-elle pu se faire appeler elle-même MalinH&M Baryard-Johnsson.

En 2011, Les Cahiers du football s’étaient amu-sés à imaginer un contrat passé entre l’entre-prise d’informatique IBM et le footballeur sué-dois Zlatan Ibrahimovic qui, pour 15 millionsd’euros, acceptait de se renommer Zlatan IBMovic, tandis que le Belge Eden Hazard était censé être en pourparlers avec les sham-pooings Head & Shoulders pour se faire appe-ler, contre rémunération, Eden Shoulders. Sommes-nous vraiment si loin du naming hu-main ? « Là, je pense que l’éthique entre en jeu, estime Lionel Maltese, spécialiste du marketingsportif. La réputation d’un athlète pourrait être affectée. » « Le naming pour les infrastructures, oui. Pour l’équipe et les joueurs, non », résumeJean-Michel Aulas, le président de l’Olympique lyonnais, qui estime que le naming de sportifs marque l’entrée « dans un autre monde, qui suppose de se transposer dans le futur ».

Déjà saturés de publicité, les supporteurs nerisquent-ils pas d’en faire une overdose ? « Lesmarques sont conscientes de ce qu’elles font, et àun moment donné un équilibre concurrentiel va se créer, anticipe Lionel Maltese. On ne va pas seretrouver dans une situation où n’importe qui “name” n’importe quoi. »

Pour être efficace, le naming doit bénéficierentre autres de la complicité des journalistes,mais ces derniers sont généralement réfrac-taires à l’idée de servir d’agents publicitaires bénévoles – évidemment, pour cet article,c’était compliqué de faire autrement – et sontparfois gentiment rappelés à l’ordre. En 2014,pour avoir persisté à évoquer le « tournoi de Bercy » dans ses articles, l’auteur de ces lignesavait reçu un sermon mémorable de la partd’un représentant de BNP Paribas : « Ce n’estpas comme ça que le tournoi s’appelle. Vous comprenez, c’est comme si on vous appelaitHenri Eckel. » p

« Il ne faut pas être naïf sur la présence des marques

dans notre société, qui est une société de consommation »

jean-françois martinsadjoint chargé des sports et du tourisme à la mairie de Paris

4 | 0123Samedi 31 octobre 2015 | SPORT & FORME | R É C I T

Le derbyde l’Océanie

r u g b y

C’est « le » classique du ballon ovale.La 155e confrontation entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande,

deux titres mondiaux chacune, sera malgré tout inédite : pour la première fois, les deux équipes s’affronteront,

samedi, en finale de la Coupe du monde

bruno lesprit et adrien pécout

Twickenham, envoyés spéciaux

Le rugby n’est plus à unparadoxe près. C’est ainsique, pour la première foisde leur histoire, samedi31 octobre, la Nouvelle-Zélande et l’Australie s’af-frontent en finale de laCoupe du monde. L’affi-

che présente un (faux) air de déjà-vu. Ces retrouvailles sous le ciel londonien de Twickenham opposent en effet les deuxnations les plus titrées de la compétition,à égalité avec l’Afrique du Sud : déjà deux sacres chacune et la perspective, pourl’une comme pour l’autre, de prendre la tête au terme de cette 8e édition. Surtout,la rencontre de samedi après-midi mar-que la 155e confrontation entre All Blacks et Wallabies. Soit l’opposition la plus ré-currente du rugby international depuis plus d’un siècle, plus précisément depuiscent douze ans.

En 1903, les Néo-Zélandais profitentd’une tournée sur la grande île voisine – séparée tout de même par 2 000 kilo-mètres à travers la mer de Tasman – poury imposer un savoir-faire jamais démentidepuis : 105 victoires, contre 42 défaiteset sept matchs nuls. « Tout le monde sait que la rivalité est intense entre nous, ex-plique à la veille de la finale le demi de mêlée néo-zélandais Tawera Kerr-Barlow,né à Melbourne d’une mère internatio-nale de rugby australienne. Etre si pro-ches l’un de l’autre fait que l’on est des rivaux naturels dans tous les sports. »

Pour formaliser leurs relations, Sydneyet Wellington inventent en 1932 un tro-phée destiné au vainqueur d’un matchannuel : la Bledisloe Cup, du nom de Charles Bathurst, premier vicomte Ble-disloe, gouverneur général de la Nouvel-le-Zélande et représentant du roi britan-nique George V. De plus en plus deman-deuses, les télévisions auront eu ensuite d’autres rendez-vous annuels à se mettresous la caméra. En 1996, à peine le rugby devenu professionnel, un consortium in-ternational se saisit de l’occasion pour faire converger les intérêts économiques des trois principales équipes de l’hémis-phère Sud, All Blacks, Wallabies et Spring-boks. L’ex-Tri-Nations, renommé « Cham-pionship » depuis l’inclusion des Pumasargentins en 2012, donne désormais lieu à 12 matchs chaque été.

Si bien que les deux anciens dominionsde l’Empire britannique ont aujourd’hui dépassé Anglais et Ecossais en nombre de confrontations : déjà 22 de plus, etl’écart risque de se creuser. Les représen-

tants de la vieille Europe avaient pour-tant pris de l’avance grâce à leur partici-pation au premier match (1871) du rugby international, puis au premier trophéeconnu, la Calcutta Cup (1879).

Parce qu’on n’arrête pas le commerce,les vedettes australes se rencontrentdésormais deux fois l’an. Voire trois sil’on ajoute le match annuel de Bledisloe Cup, rendez-vous historique que les dirigeants australiens et néo-zélandaisont déjà osé délocaliser à Hongkong (en 2008 et 2010) comme à Tokyo (en 2009).

Leurs deux confrontations les plus ré-centes ? Une victoire partout. Cet été, si les Wallabies ont dominé les Blacks (27-19) à Sydney et remporté pour la pre-mière fois le Championship sous sa forme actuelle, ce sont surtout les Néo-Zélandais qui ont marqué les esprits – et des essais – lors de la Bledisloe Cup (41-13). Cette large victoire à Auckland, certes face à une Australie remaniée, confirme une tendance de fond : les All Blacks ont gagné sept de leurs dix der-niers matchs face aux Wallabies, dontdeux en terrain hostile. Dur de résister à ces terreurs qui collectionnent les victoi-res autant que les hakas : tous matchs et tous adversaires confondus, la phalangedu sélectionneur Steve Hansen reste sur un total sidérant de 90,6 % de victoires en 53 rencontres depuis 2012. Ce qui faitbeaucoup, diront les statisticiens.

Suffisamment, en tout cas, pour pla-cer Richie McCaw, Julian Savea et leurs coéquipiers en position de favoris pourla finale de samedi. « Je crois que lecharme de la Coupe du monde, c’est quetout ce qui s’est passé avant ne signifiepas grand-chose, affirme cependant ledeuxième-ligne néo-zélandais Sam Whitelock, avec une bonne dose de lan-gue de bois. Tout est possible en quatre-vingt minutes samedi. »

Depuis la création de la Coupe dumonde en 1987, l’Australie et la Nouvelle-

Zélande ne s’étaient rencontrées que trois fois dans ce tournoi. Chaque fois en demi-finale. Jamais, avant ce 31 octobre, l’occasion ne fut fournie d’assister à un dénouement malgré l’assiduité de cha-cune au palmarès de la Coupe du monde,selon un mode opératoire bien différent. Toujours aux dépens de la France (1987 et2011), la Nouvelle-Zélande a triomphé àdomicile, dans son Eden Park d’Auckland.

L’Australie, à l’inverse, a perdu lors dela seule finale programmée chez elle : àSydney, en 2003, un maudit drop de l’An-glais Jonny Wilkinson l’a privée dutriomphe à la dernière minute.

C’est en voyageant jusqu’en Grande-Bretagne que la sélection au maillot jaune et vert a trouvé le Graal : d’abord à Twickenham, contre des Anglais qui jouaient pourtant à domicile (1991), puis au Millennium de Cardiff, face au XV deFrance (1999).

La Nouvelle-Zélande et l’Australie sa-vent donc ce qu’il leur reste à faire. Pour l’une, guérir son mal du voyage ; pour l’autre, au contraire, conserver son pied marin. En poste depuis octobre 2014, lesélectionneur australien Michael Cheika évoque sa feuille de route : « Nous avons préparé un plan pour pratiquer un jeu plus physique, et pour bien jouer au rugbytout en suscitant le soutien des suppor-teurs. Nous voulons qu’ils apprécient no-tre façon de jouer. Cela ne veut pas direforcément toujours gagner, même si c’est cela que nous visons en priorité. »

Son entraîneur des arrières, StephenLarkham, est bien placé pour savoircombien « les matchs contre la Nouvel-le-Zélande peuvent parfois être débri-dés ». « On y va avec notre plan de jeu, etaprès ça dépendra des conditions, del’arbitrage et des erreurs qui seront fai-tes. J’aimerais avoir une boule de cristalpour pouvoir vous répondre », lâchel’ancien demi d’ouverture, championdu monde en 1999, plutôt que de se ris-quer à un pronostic.

En Coupe du monde, l’histoire récenteincite effectivement à un minimum de précautions oratoires. Alors que la Nou-velle-Zélande mène largement sur l’en-semble des matchs, avec 63 victoires d’avance, c’est l’Australie qui domine légèrement pour le bilan, succinct, desdemi-finales mondiales : deux victoires (1991 et 2003) contre une pour les AllBlacks (2011).

Plutôt bon enfant, la rivalité entre lesdeux pays a pris un tour déplaisant lors du Mondial néo-zélandais de 2011. Pouravoir été aigrement pris à partie par une spectatrice locale (« C’est notre sport ! Vous, Français, n’avez pas le droit de gâcher notre fête ! ») lors de la finale à l’Eden Park, remportée d’un point et dans la peur par les All Blacks contre labande à Thierry Dusautoir, on peut té-moigner que certains supporteurs kiwis n’admettent pas que leur hégémonie soit menacée dans ce qu’ils considèrent comme leur pré carré.

« Tout le monde sait que la rivalité est intense entre nous.

Etre si proches l’un de l’autre fait que l’on est des rivaux naturels

dans tous les sports »tawera kerr-barlow

demi de mêlée néo-zélandais

R É C I T | SPORT & FORME | Samedi 31 octobre 2015

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Ce caprice n’était rien en regard de l’ac-cueil qui fut réservé, à les en croire, aux fans australiens. D’aucuns ont affirmé avoir essuyé des injures et même des cra-chats, après la défaite de leur équipe contre l’Irlande en phase de poules. Le Sydney Morning Herald publia un son-dage en ligne selon lequel 64 % des sup-porteurs des Wallabies se sentaient me-nacés. Le patron du comité d’organisa-tion, Martin Snedden, dut intervenir pour faire part de sa « grande déception »quant au comportement « contre-na-ture » de certains de ses compatriotes, dont avait été vantée l’hospitalité. Dansun éditorial, le New Zealand Herald jugea utile de rappeler que « les copains aussiesne méritent pas nos insultes ».

Lors des matchs des Australiens, dessupporteurs locaux n’hésitaient pas à faire dans la provocation en brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « U Suck Aussies » – « Aussies, vouscraignez ». Les adorateurs de la fougère argentée affirment en effet soutenir « les All Blacks et tous ceux qui affrontent l’Aus-tralie ». Même les Français. C’est dire.

La tension a atteint son paroxysme le16 octobre 2011, à l’Eden Park, avec la demi-finale entre les deux pays. Un homme est conspué dès qu’il touche leballon, le demi d’ouverture australienQuade Cooper. Transformé par les jour-naux locaux en cible à fléchettes, il a été qualifié d’« ennemi public numéro un ». Son crime ? Etre maori, avoir émigré à

Brisbane à l’âge de 13 ans et avoir optéensuite pour le maillot jaune. Et aussi avoir rudoyé et invectivé l’icône natio-nale, Richie McCaw.

Le jour du choc, le renégat n’est pas dansson assiette. Au coup de sifflet final, laréalisation s’offre le plaisir de s’attarder longuement sur son visage. Lequel, sur l’écran géant, provoque la réaction recher-chée : un concert de huées. Le public néo-zélandais devrait toutefois être privé cetteannée de sa tête de turc préférée puisque Cooper, ingérable génie, a perdu sa placede titulaire au profit de Bernard Foley.

Après la victoire contre l’ennemi in-time, la sono du stade cracha le Paint It Black, des Rolling Stones. En s’imposant20-6, leur première victoire contre l’Aus-tralie en Coupe du monde, les All Blacks avaient remporté ce que la presse dési-gna comme la « vraie » finale de la com-pétition. Et pris une revanche sur la dou-ble humiliation de 1991 et de 2003, lesdeux demies perdues contre l’Australie.

En ce jour de 2011, il y avait un autre« traître » dans les rangs australiens : lesélectionneur Robbie Deans, devenu en 2008 le premier coach étranger des Wallabies. Ce Néo-Zélandais avait été l’as-sistant chez les All Blacks de l’entraîneur John Mitchell jusqu’à ce que le tandem saute après le désastre de 2003.

A l’origine, cette cinquième édition duMondial devait être un remake de la toute première, coorganisée par lesdeux nations en 1987. Les Néo-Zélandais

avaient d’emblée marqué leur supréma-tie en obtenant que soient disputés àl’Eden Park le premier match de l’his-toire de la Coupe du monde (les AllBlacks martyrisèrent l’Italie) comme lafinale (les mêmes battirent les Fran-çais). Neuf de leurs enceintes furent re-tenues pour le tournoi, contre deux seulement pour l’Australie.

Seize ans après, en 2003, les maîtres del’Ovalie furent privés d’une deuxièmeCoupe du monde à domicile, en raison d’une absurde querelle entre leur fédé-ration et l’International Rugby Board sur la publicité affichée dans les stades.Ils ne manquèrent pas de persiflerquand il apparut que l’Australie, restéeseule organisatrice, peinait à remplir sesarènes. Il était pourtant dit que cetteédition ne serait pas celle des Néo-Zélandais. Le 15 novembre 2003, à Syd-ney, les All Blacks, qui venaient de rem-porter facilement la Bledisloe Cup(50-21), étaient pourtant donnés large-ment favoris. Et ils étaient fermementdécidés à laver l’affront d’une demi-fi-nale perdue (16-6) contre ces mêmesWallabies douze ans plus tôt à Dublin. Iln’y eut pas de revanche à Sydney, mais une stupéfiante défaite (22-10) qui fit mentir l’adage selon lequel « les Néo-Zélandais sont des Ecossais qui ont ap-pris à gagner ».

Pour qualifier les relations entre lesdeux pays, un thème revient inlassable-ment dans les discours : celui de la fra-

trie. En 2011, Steve Hansen, alors entraî-neur adjoint des All Blacks, évoquait « une rivalité saine dans l’Histoire avecbeaucoup de respect entre les deux équi-pes ; depuis toujours ils se sont comportéscomme des grands frères, nous considé-rant comme des petits frères ». Les obser-vateurs furent toutefois surpris par la fu-tilité des réactions entre les supporteurs. « Cela ressemble beaucoup à des disputes et des chamailleries d’enfants sur le mode : “Je joue mieux au rugby que toi !” ou : “C’est toi qui as commencé !”, confiaitalors un documentariste australien fande rugby. Vu de l’extérieur, ce doit être assez consternant. » Les Aussies aiment généralement dépeindre les Kiwis comme des ruraux frustes. Ceux-ci, en retour, moquent des surfeurs bronzéstoute l’année et arrogants.

En superficie, le « grand frère » dé-passe effectivement de près de trentefois le « petit », avec une population de 23,5 millions d’habitants contre 4,5 mil-lions. Mais la concurrence ne reposepas, comme souvent en sport, sur un conflit militaire passé. Les deux paysont même célébré le 25 avril le cente-naire de la bataille de Gallipoli, dans le détroit des Dardanelles, au cours de la-quelle s’illustra l’Anzac (Australian andNew Zealand Army Corps). Pour lesétrangers, il est d’ailleurs facile deconfondre leurs drapeaux avec UnionJack et Croix du Sud sur fond bleu foncé.Les Néo-Zélandais pourraient changer de bannière. Un référendum est prévudans ce sens, et la fougère argentée fait partie des projets retenus.

Mais en rugby, écrit Gregor Paul dans leNew Zealand Herald, « l’Australie est le petit frère de la Nouvelle-Zélande ». Chez les Kiwis, ce sport est en effet une reli-gion, alors que pour les Australiens il n’est qu’une discipline de quatrième rang, derrière le cricket, le rugby à XIII et le football australien (ou footy). « Ce fu-rent d’ailleurs les Néo-Zélandais exilés, nostalgiques de leur jeu et des traditions,qui aidèrent à la relance totale du rugby dans l’Etat de Sydney, puis dans celui de Victoria », écrit Jacques Verdier dans son Anthologie mondiale du rugby (Flamma-rion, 2012). Alors qu’en Nouvelle-Zélande, « ce pays relativement neuf, le rugby tenaitlieu d’affirmation nationale et devint une préoccupation quotidienne, qui donna à rêver aux Pakehas [les Néo-Zélandais blancs] comme aux Maoris, traités sporti-vement sur un pied d’égalité ».

« Beaucoup de joueurs jouent l’un con-tre l’autre en Super Rugby [la compéti-tion opposant des clubs néo-zélandais, australiens et sud-africains]. Pour mapart, j’en connais plusieurs depuis lessélections de jeunes et j’ai de bonnes rela-tions », rappelle Sam Whitelock, pourrelativiser la rivalité. On objectera queKiwis et Aussies jouent précisément« l’un contre l’autre », pratiquement ja-mais ensemble. Parmi les cinq Etats aus-traliens représentés en Super Rugby, onne trouve au mieux qu’un joueur néo-zélandais par équipe, à l’exception desWestern Force de Perth qui en comptenttrois, peut-être parce qu’ils furent en-traînés de 2006 à 2011 par l’ancien coachdes All Blacks, John Mitchell. Dansl’autre sens, Peter Samu, des Crusaders de Christchurch, se distingue : il est leseul Australien évoluant pour l’une descinq franchises néo-zélandaises. p

Rencontres

1903 La Nouvelle-Zélande rem-porte (22-3) son premier test-match en Australie, à Sydney.

1932 L’Australie s’impose (22-17)lors de la première édition de laBledisloe Cup, toujours à Syd-ney .

1991 A Dublin, victoire des Australiens (16-6) en demi- finale de la Coupe du monde, dont ils soulèveront le trophée.

1996 Création du Tri-Nations, qui réunit chaque été All Blacks,Wallabies et Springboks.

2003 A Sydney, victoire (22-10)des Australiens en demi-finale du Mondial, qu’ils perdront ensuite.

2011 A l’Eden Park d’Auckland, les All Blacks dominent (20-6) en demi-finale de la Coupe du monde, qu’ils gagneront.

2015 Première finale entre la Nouvelle-Zélande et l’Australie en huit éditions de la Coupe du monde.

Mêlée lors de la demi-finale de la Coupe du monde entre

la Nouvelle-Zélande et l’Australie, le 16 octobre 2011,

à l’Eden Park d’Auckland.MOUNIC/PRESSE SPORTS

Les Aussies aiment généralement dépeindre

les Kiwis comme des ruraux frustes. Ceux-ci, en retour, moquent des surfeurs bronzés toute

l’année et arrogants

6 | 0123Samedi 31 octobre 2015 | SPORT & FORME | R E P O R T A G E

Vents contrairesv o i l e | Budget comme esprit, tout semble opposer les deux maxi-trimarans qui guettent,

à La Trinité-sur-Mer, une météo favorable pour s’affronter dans le Trophée Jules-Verne

Le maxi-trimaran « Idec-Sport », skippé par Francis Joyon,

à La Trinité-sur-Mer, le 27 octobre.YVAN ZEDDA POUR « LE MONDE »

patricia jolly

La Trinité-sur-Mer (Morbihan), envoyée spéciale

Amarrés à quelques dizaines depieds l’un de l’autre dans leurport d’attache de La Trinité-sur-Mer, Idec-Sport (31,50 m) etSpindrift-2 (40 m) piaffentd’impatience. Leurs voisins de

ponton habituels, Actual d’Yves Le Blevec et Sodebo-Ultim’ de Thomas Coville, ont mis les voiles il y a quelques jours pour s’aligner au départ de la Transat Jacques-Vabre reliant Le Havre à Itajai, dans le sud du Brésil. Les deux maxi-trimarans et leurs équipages sont, eux, condamnés à peaufiner leur préparation tout en se « reniflant ». Ils attendent une fenê-tre météo favorable pour prendre la mer.

Idec-Sport et Spindrift-2 sont tous deux enstand-by pour se lancer à l’assaut du Trophée Jules-Verne : le record du tour du monde enéquipage sans escale et sans assistance en lais-sant à bâbord les caps de Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn. Vingt et un mille six centsmilles nautiques par la route la plus courte… Le chrono à battre est de 45 jours, 13 heures, 42 minutes et 53 secondes. Il a été établi le 6 janvier 2012 par Loïck Peyron à la tête d’un équipage de treize hommes sur le trimaranMaxi-Banque-populaire-V (40 m), mené à une vitesse moyenne de 19,75 nœuds (37 km/h).

L’épreuve imaginée au milieu des années1980 par Yves Le Cornec – qui disputa à 19 ansla Route du rhum 1978 sur le multicoque Journal-de-Mickey – et ses règles ont été éla-borées par quelques marins de légendecomme Florence Arthaud, Jean-FrançoisCoste ou Yvon Fauconnier.

En 1993, pour la première tentative, troiséquipages avaient relevé le défi : le trimaran

Charal d’Olivier de Kersauson, et les catama-rans Enza-New-Zealand, de Peter Blake et Ro-bin Knox-Johnston, et Commodore-Explorer,de Bruno Peyron. Ce dernier l’avait emportéen 79 jours, 6 heures, 15 minutes et 56 secon-des, après que ses deux adversaires eurent res-pectivement heurté un iceberg au large del’Afrique du Sud et été victime d’une avariedans l’océan Indien.

Idec-Sport et Spindrift-2, qui pourraients’élancer en même temps ou à quelques heu-res d’intervalle, ont des projets au budget et à la philosophie très différents. Ils offrent ainsi la perspective d’un duel planétaire contre lamontre particulièrement pimenté.

Prenons Spindrift-2. Anciennement Maxi-Banque-populaire-V, il est le détenteur du re-cord, et a été optimisé par la milliardaire suisseDona Bertarelli, 47 ans – qui en est l’armateur –,son compagnon breton Yann Guichard, 41 ans – qui le skippera – et leur équipe technique. « Les seules choses auxquelles on n’a pas touché sont la plate-forme, les foils [dérives porteuses] et les safrans [parties du gouvernail] », dit Yann Guichard, qui a accompli l’exploit de mener cette bête de 40 m, en solitaire, à la deuxième place de la Route du rhum en novembre 2014.

Issu de la voile olympique, Guichard a étépar deux fois deuxième de la Transat Jacques-Vabre (en 2005 avec Frédéric Le Peutrec et en 2007 avec Lionel Lemonchois). Il était em-ployé par l’écurie Rothschild avant de rencon-trer Dona Bertarelli en 2008.

Sœur cadette d’Ernesto Bertarelli, premierSuisse à avoir remporté la Coupe de l’America, celle-ci naviguait depuis sa petite enfance sur les bateaux paternels. Elle s’est mise à la voile professionnelle il y a huit ans pour devenir en 2011 la première femme à s’adjuger le Bold’or, épreuve reine du lac Léman, sur Ladycat, son catamaran de 35 pieds.

A la tête d’une considérable fortune person-nelle depuis la vente en 2007 du laboratoirede biotechnologies familial Serono, elle s’est lancée dans l’acquisition d’hôtels de luxe et a fondé l’écurie Spindrift Racing avec Yann Gui-chard. C’est lui le véritable maître à bord. Pour ce Jules-Verne, Dona, unique femme d’un équipage composé de quatorze personnes en tout, prendra ses quarts comme barreuse-régleuse. « Spindrift-2 nous permet de vivre

notre passion commune de la mer, explique Yann Guichard. Dona n’a pas la prétentiond’être skippeuse, ni de faire du solo, mais elle se plaît en équipage et elle barre bien. »

Le couple a choisi conjointement les autresmembres du bord : un mélange de marins spécialisés dans les différentes tâches à bord qu’a côtoyés Guichard lors de ses annéesd’olympisme ou dans la course au large, dont son frère cadet, Jacques Guichard, maître voi-lier de l’écurie. « Je suis comblé, dit le skippeur de Spindrift-2. J’ai le bateau que je voulais, et unéquipage qui nous ressemble à Dona et à moi : des gens qui savent faire avancer un bateau quiva naturellement vite à des moyennes élevées sans le faire souffrir. »

Pour Francis Joyon aussi, il est « primordiald’aller vite sans casse ». « C’est même tout l’art du multicoque », observe ce marin de peu de mots. Agé de 59 ans, ce fils d’un entrepreneur en bâtiment a monté avec Idec-Sport une véri-table opération commando.

En accord avec IDEC, une PME de 250 em-ployés spécialisée dans le bâtiment sur me-sure, l’actuel détenteur du record du tour du monde en solitaire et sans escale (57 jours, 13 heures et 34 minutes) a vendu son trimaranprécédent pour racheter l’ex-Groupama-3 de Franck Cammas, qui s’était adjugé le Trophée Jules-Verne en 2010 en 48 jours, 7 heures, 44 minutes et 52 secondes.

Pour en compléter le financement sans avoirà chercher de partenaire supplémentaire, cette

nouvelle acquisition – qui a également gagné laRoute du rhum 2014 aux mains de Loïck Pey-ron – a ensuite été louée de mars à septembre àune écurie américaine pour une campagne de records sur l’océan Pacifique. Après un petitchantier de trois semaines, il s’est vu redoté de son gréement court (33,50 m), d’ordinaire uti-lisé pour les courses en solitaire. Un véritablepari. « Ça nous fait gagner deux tonnes et ça per-met d’avancer plus vite dès qu’il y a 18 nœuds de vent », explique Francis Joyon.

Cette configuration permet aussi d’embar-quer moins d’hommes. Ils ne seront que cinq,triés sur le volet et pas forcément très connus du grand public. « Ce sont tous des skippeurs et ils se verront tous confier la barre, dit Joyon. Ce sera très intense. »

Ces « furieux qui ne se satisfont pas d’unevitesse de moins de 35 nœuds », selon Joyon,sont le Breton Gwenolé Gahinet, architectenaval, vainqueur de la Mini-Transat 2011 enbateau de série puis de la Transat AG2Ren 2014 sur Figaro-2 (monocoque de 10,10 mavec Paul Meilhat) ; l’Allemand Boris Herr-mann, auteur de deux tours du monde etqui vient de forcer pour la première fois lepassage du Nord-Est, la voie maritime re-liant l’Atlantique au Pacifique le long de lacôte nord de la Sibérie ; l’Espagnol AlexPella, préparateur de grands multicoques,quatrième de la Barcelona World Race (tourdu monde en double sur monocoque)en 2011 et vainqueur de la Route du rhum

2014 en Class40 ; et enfin Clément Surtel,préparateur d’Idec-Sport du temps où il étaitskippé par Cammas.

Comme Joyon ne dédaigne pas non plus l’es-prit de famille et qu’il lui fallait bien avoir, luiaussi, son Suisse à bord, il a ajouté au casting son beau-frère, Bernard Stamm.

Agé de 51 ans, Stamm est à peu près le con-traire de Dona Bertarelli. Tandis qu’elle fré-quentait un internat pour jeunes filles bien nées à Chicago puis rejoignait l’université de Boston, il parcourait les océans du monde sur un cargo et goûtait aux geôles helvètes pourexcès de vitesse sur sa grosse moto.

Deux fois vainqueur du tour du mondeen solitaire avec escale sur monocoque de60 pieds en 2003 et 2007, et de la BarcelonaWorld Race (tour du monde en double sur mo-nocoque de 60 pieds) en mars 2015 avec Jean Le Cam, il était aussi barreur dans l’équipage qui a conquis le Trophée en 2005 sur le maxi-catamaran Orange-2 de Bruno Peyron. C’est donc un familier de l’atmosphère glaciaire du grand Sud qui plongera Idec-Sport dans des champs d’icebergs.

« On est fous mais pas complètement, confieJoyon, qui n’a guère fait de longues sorties avec ses hommes. Il faudra descendre de trois jours le temps réalisé par Franck Cammas en 2010 avec le même bateau, mais c’est possi-ble car il avait eu une météo correcte mais pas aussi favorable que celle dont avait bénéficié Loïck Peyron en 2012. » p

« Idec-Sport » et « Spindrift-2 » offrent la perspective

d’un duel planétaire contre

la montre particulièrement

pimenté

R É C I T | SPORT & FORME | Samedi 31 octobre 2015

0123 | 7

La chute de la forteressea u x o r i g i n e s d u r u g b y ( 7 | 7 ) | Twickenham devait voir le triomphe du XV de la Rose,

il a été l’écrin de son naufrage. Retour sur la riche histoire du stade centenaire

Les abords du stade de Twickenham avant un match

amical entre la Franceet l’Angleterre, en août.

FRÉDÉRIC STUCIN/PRESSE SPORTS

bruno lesprit (avec éric albert)

Twickenham (Royaume-Uni), envoyé spécial

Nul visiteur ne peut ignorer queTwickenham est « la maisondu rugby anglais ». C’est écriten lettres rouges sur fondblanc derrière le point de ras-semblement, une sculpture de

cinq rugbymen jouant une touche. Lors de soninauguration en 2010, l’œuvre de Gerald Laing,huit mètres de haut et cinq tonnes de bronze, fut ainsi décrite par John Owen, alors présidentde la Rugby Football Union (RFU), la fédérationanglaise : « Ce n’est pas de l’art pour l’amour de l’art mais de l’art pour l’amour du rugby. »

Cet amour n’aura pas permis de sauver leXV de la Rose, qui n’a pas été maître dans sa maison pendant cette Coupe du monde. En fou-lant la pelouse de Twickenham le 18 septembre pour le match d’ouverture remporté contre Fidji, le capitaine Chris Robshaw et ses coéqui-piers pensaient revenir en septième semaine pour la finale du 31 octobre. Las, ce sont les Néo-Zélandais et les Australiens qui occuperont le terrain pour se disputer la Coupe Webb-Ellis.

Fort de ses 82 000 places, Twickenham de-vait justifier sa réputation de « forteresse » pour l’équipe d’Angleterre, acquise au début des années 2000 lorsque la sélection, alorsentraînée par Clive Woodward, enchaîna 19 matchs sans défaite. Dans son sanctuairesurvolé par les avions en approche de l’aéro-port d’Heathrow, elle aurait dû vaincre « une armée de sept nations », comme dans le tubedes White Stripes. L’enceinte fut son tombeau après quatre rencontres seulement. L’esto-cade fut donnée par le Pays de Galles le 26 septembre, le coup de grâce par l’Australieune semaine plus tard.

Ce ne fut pourtant pas par manque de fer-veur. Twickenham a vibré, chantant d’uneseule voix son hymne Swing Low, Sweet Cha-riot. Si le temple du rugby anglais n’a pas l’ef-fervescence de chaudron que peuvent connaî-tre certains stades de football, il s’en dégage néanmoins une communion presque intimi-dante. Il a été conçu en effet dans les moindresdétails pour être une arme de guerre sportive.A commencer par les vestiaires, refaits à neuf en 2013 sous la supervision de l’entraîneur Stuart Lancaster, dont il n’est pas dit qu’il soit toujours à son poste quand l’équipe nationale reviendra à Twickenham le 27 février 2016 pour recevoir l’Irlande dans le cadre du Tour-noi des six nations.

Dans cet espace intime d’émulation collec-tive, il convient de ne rien laisser au hasard. Tout a été fait pour rappeler aux porteurs dumaillot blanc que l’Histoire les contemple.Dès l’entrée des vestiaires est affichée la liste de l’ensemble des sélectionnés depuis plus d’un siècle. Décennie par décennie, les noms de légendes du rugby sont égrenés pour met-tre la pression sur les héritiers. A côté, une énorme rose rouge des Lancaster a été peinte sur le mur. Elle est devenue un talisman : les superstitieux, et ils sont nombreux, la tou-chent avant de rejoindre la pelouse.

Côté douches, deux baignoires en émail trô-nent, leurs parois repeintes aussi en rouge. La plupart des joueurs ne les utilisent plus, préfé-rant les équipements d’hydrothérapie situés àcôté. Les bains collectifs, qui faisaient vivre l’es-prit de groupe, ont été supprimés, en partie pour des raisons d’hygiène. « Certains trouvent

que ça manque, sourit Lee Emmerson, guide à Twickenham. Ils aimaient bien passer deux heu-res à barboter après les matchs. »

Pour le tournoi, chaque joueur dispose deson box, son nom indiqué sur une petite pla-que, deux maillots soigneusement suspendusl’attendant. Dans cette salle carrée aux murs blancs, un faux plafond rond a été installé, laissant filtrer une lumière rouge diffuse. Sur son bord ont été inscrits des mots-clés stimu-lants : « Travail d’équipe, respect, plaisir, disci-pline… » Rouges également le liseré séparantchaque rugbyman, le petit coussin pour s’as-seoir et la bordure du plafond. « C’est une cou-leur positive, chaude, agressive, réservée pourl’équipe qui joue à domicile », explique Lee Em-

merson. Pour les visiteurs, même décor mais en bleu, teinte censée avoir un effet apaisant.

Les rêves en rouge du pays hôte se sontévaporés. D’ici au Tournoi des six nations, Twickenham redeviendra un stade pour évé-nements insulaires, sinon londoniens, avec le London Double Header, deux rencontres le 28 novembre entre clubs de la capitale, et en décembre le Varsity Match, la confrontation annuelle entre Oxford et Cambridge. Un re-tour à la genèse puisque le premier match dis-puté en ces lieux opposa devant 3 000 specta-teurs, le 2 octobre 1909, les riverains de Rich-mond aux Harlequins.

Twickenham abrite surtout le siège de sonpropriétaire, la RFU. En 1907, la fédération se mit en quête d’un terrain. La tâche fut confiée à Billy Williams, un promoteur immobilier,qui acheta pour 5 572 livres sterling de l’épo-que quatre hectares à 18 km du centre de Lon-dres. Cet éloignement conjugué à l’étroitesse des rues allait être un « cauchemar récur-rent », selon Chris Jones, auteur de The Secret Life of Twickenham (Aurum Press, 2014), quirelève que « quand le prince de Galles a inau-guré les nouveaux bureaux de la RFU, en 1977, ilest arrivé et reparti en hélicoptère, à l’évidence bien informé des problèmes de transport ».

L’emplacement était un ancien jardin pota-ger, ce qui vaut à Twickenham le sobriquet tou-jours en vigueur de « Cabbage Patch » (« champde choux »). Le XV de la Rose y fait sa première apparition en janvier 1910 en s’imposant 11-6 devant les Gallois. Il n’aura le temps de disputerque quatre éditions supplémentaires du Tour-noi des cinq nations. A l’été 1914, la pelouse est réquisitionnée et transformée en prairie pour les chevaux de l’armée britannique.

La jauge n’a cessé d’être agrandie dans lesdécennies 1920 et 1930, au vif déplaisir desriverains. Le rugby a toujours joui d’unemeilleure réputation que le football, mais une phrase attribuée tantôt à George Orwell tantôt à un autre écrivain, Philip Toynbee, prétend qu’« une bombe placée sous la tri-bune ouest lors d’un match international ré-glerait le problème du fascisme en Angleterre pour une génération ». Twickenham devint réellement une tribune politique à l’hiver 1969 lors de la tournée britannique des Sud-Africains. Un svastika géant est brûlé au cen-tre de la pelouse, à côté des lettres « AA » (pour « anti-apartheid »). L’action prouverason efficacité puisque les Springboks ne re-mettront plus les pieds à Twickenham avantla fin du régime ségrégationniste.

Le parking du stade accueille alors un rituel,prohibé depuis pour des raisons de sécurité :le barbecue, coffre de voiture ouvert. Uneautre interdiction est signifiée aujourd’huipar des affichettes en forme de main brandis-sant un carton jaune : il en coûte 80 livressterling pour les ventres à bière de se soula-ger alentour. A l’intérieur sont vendues 150 536 pintes par an, un ratio pourtant éton-namment faible et qui fait mentir tous les cli-chés sur les Anglais.

Selon les dires de l’intéressée, l’abus de bois-son a pourtant été à l’origine de la fugace célé-brité d’Erica Roe, en janvier 1982. En jean maistopless, cette jeune femme fière de son opu-lente poitrine qui n’avait rien à envier à celles exposées en page 3 du tabloïd The Sun, profitade la mi-temps d’Angleterre-Australie pour courir sur la pelouse et populariser le phéno-mène des streakers, ces exhibitionnistes des stades. Elle avait été précédée à Twickenham dès 1974 par un Australien qui avait surgi entenue d’Adam lors d’un Angleterre-France. Il avait gagné son pari de 10 livres, mais fut condamné à une amende de la même somme.

Rattrapé par de tels scandales, Twickenhampouvait dès lors pleinement prétendre au sta-tut d’institution typiquement anglaise. Il lui manquait cependant l’essentiel : un chant deralliement. Ce fut fait le 19 mars 1988 lors de ladernière journée du Tournoi des cinq nations.La sélection, qui n’avait plus remporté la compétition depuis 1980, était au fond du trou. Après trois défaites, la cuillère en bois luisemblait promise puisqu’elle était menée 3-0 à la mi-temps par l’Irlande. Les supporteurs avaient le moral dans les chaussettes : en deux ans, leur équipe ne les avait gratifiés qued’un maigre essai à Twickenham. Miracle auretour des vestiaires : les Anglais en inscriventsix d’un coup et l’emportent 35 à 3.

Le héros du jour se nomme Chris Oti, auteurd’un triplé pour sa deuxième sélection. Cet ailier d’origine nigériane était le deuxième Noir à porter le maillot national après James Peters, huit décennies plus tôt. Son troisième essai fut célébré par les élèves de la Douai School, qui chantèrent en son honneur l’hymne de l’équipe de rugby de leur école : Swing Low, Sweet Chariot, un negro spiritual, cequi n’était pas anodin pour un joueur dont les ancêtres sont africains. Les Anglais adoptèrent ce gospel pour le transformer en chanson à boire. Ils en ont tant abusé pendant cette Coupe du monde qu’ils ont fini par monter dans le chariot. p

Si Twickenham n’a pas l’effervescence de

chaudron que peuvent connaître certains

stades de football, il s’en dégage néanmoins

une communion presque intimidante

8 | 0123Samedi 31 octobre 2015 | SPORT & FORME | O N A R E T R O U V É . . .

adrien pécout

Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône), envoyé spécial

Les Wallabies peuvent compter sur un nou-veau supporteur. Konstantin Rachkov adéjà choisi son camp pour ce week-end.Samedi 31 octobre, devant son téléviseur,l’ancien rugbyman de la sélection russesoutiendra l’Australie en finale de la

Coupe du monde face à la Nouvelle-Zélande. Avec un maillot jaune et vert sur le dos, mais pas n’importe lequel : « Quade Cooper [ouvreur australien] me l’avait donné quand je l’avais affronté pendant laCoupe du monde, et j’en ai aussi profité pour prendre le ballon du match », s’amuse le jeune sportif retraité,qui a décidé, il y a un an, de rester en France à l’issue d’une longue carrière passée entre la première et la quatrième division. Sur le canapé de son apparte-ment, à Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône), le Russesort d’un grand sac le maillot en question : ce « tro-phée » personnel date d’un match contre l’Australie lors du précédent Mondial, il y a quatre ans.

Large défaite (68-22), mais jour de fête : en 2011,Konstantin Rachkov et ses coéquipiers marquaient l’histoire du rugby à leur manière. Les Ours de Russiedisputaient pour la première fois la Coupe dumonde, pour ce qui reste leur seule incursion en huitéditions. Un souvenir heureux, sourit l’ex-demid’ouverture, malgré l’élimination dès le premiertour : « Contre l’Australie, on a quand même mis trois essais à des grands joueurs comme Cooper ou Genia. On voulait leur montrer ce qu’on savait faire. En début de match, quand tu n’as jamais eu l’équipe d’Australie en face de toi, tu t’attends à jouer contre des géants de 3 mètres et de 150 kilos chacun. Mais non, ce sont des gens comme toi et moi. »

Des « gens » qui, sur un moment d’égarement, peu-vent très bien s’incliner face à un joueur au gabaritaussi humain que le sien : 1,75 m pour 89 kilos. Titu-laire lors des premiers matchs, le Russe entre en cours de jeu pour inscrire le troisième et dernieressai de son équipe face aux Wallabies, le 1er octobre de cette année-là, à une semaine de ses 33 ans. Uneremise en jeu sur le côté droit, un décalage vers l’in-térieur, puis Rachkov s’enfonce tête la première entreles corps adverses, vers la ligne d’en-but du Trafalgar Park, à Nelson, la ville néo-zélandaise où se joue le match. « En Russie, à cause du décalage horaire, il

devait être quelque chose comme 5 heures du matin. Quand j’ai marqué l’essai, ma mère a tellement crié qu’elle a réveillé tout l’immeuble. Les voisins se de-mandaient ce qu’il pouvait bien se passer ! »

Et, aujourd’hui encore, ils continuent peut-être de sedemander ce que le mot « rugby » peut bien signifier. « Pour beaucoup de Russes, le rugby reste un sport aux règles méconnues ; les gens voient simplement trente mecs qui se battent pour un seul ballon. Et, en plus, un ballon ovale ! Pour les chaînes de télé, un match de foot,de hockey sur glace ou même de volley restera toujours préférable. Surtout quand nous encaissons soixante points au rugby. » Bilan du Mondial : quatre matchs, quatre défaites, dont trois très larges face à l’Irlande (62-12), l’Italie (53-17) et, donc, l’Australie.

La première défaite, pour les grands débuts de laRussie en Coupe du monde, fut plus serrée. Plus géopolitique, aussi. Vingt ans après la chute del’URSS, la Russie s’inclinait face aux Etats-Unis (13-6),autre nation mineure du rugby. « Il y avait de la pression sur ce match. Des sponsors nous avaientbien rappelé qu’on jouait contre les Etats-Unis ; ilsnous parlaient de la guerre froide, etc., rappelle le bu-teur, auteur en toute fin de rencontre de la pénalitéqui offrit à son équipe le point du bonus défensif. A la fin du match, nos deux équipes ont posé ensemble,mais sans plus. Aujourd’hui, je regrette un peu de ne pas avoir insisté pour échanger mon équipementavec celui d’un Américain… » Le tissu aurait fait très bel effet dans la collection de maillots que l’anciensportif projette d’encadrer.

ReconversionA présent, Konstantin Rachkov prépare surtout un

chantier de plus grande envergure. Il s’apprête àouvrir le mois prochain « un stand de manucure ex-press », en qualité de gérant, dans un centre commer-cial d’Avignon. Il était au départ question de s’im-planter à Vitrolles. « Trop cher », reconnaît le joueur àla retraite, qui rêve déjà de monter toute « une chaîne » d’établissements similaires. Etonnant, de la part d’un rugbyman en reconversion ? Lui y voit plu-tôt une évidence frappée au coin du bon sens et de larentabilité. « En décembre dernier, on est allés en Rus-sie avec ma femme pour le Jour de l’an et Noël. Commej’étais au chômage, je commençais à réfléchir à monavenir. On s’est baladés pour voir ce qui existe en Rus-sie et ce qui n’existe pas encore ou peu en France. Et là-bas, le concept de bar à ongles marche déjà super bien,il y a des stands partout. »

Sur un dépliant de présentation, le futur entrepre-neur précise que le concept a d’abord été « lancé en Asie » puis « importé aux Etats-Unis ». De sa liasse de documents, Konstantin Rachkov extrait aussi son CV.Age : 37 ans. Langues parlées : russe, ukrainien, an-glais, français. Etudes : un diplôme en managementdu tourisme obtenu à l’université de Moscou. Men-tion subsidiaire : ancien rugbyman international. « Je pense que si un client lit “rugbyman”, ça peutm’aider. Sinon, avec mon accent, je redoute parfois

que les gens aient peut-être peur des Russes, peur que je parte ou que je les trahisse… »

Ce polyglotte a grandi à Almaty, actuellement dans leKazakhstan. Un coin où ses parents, très tôt divorcés,ont tous deux atteint une certaine forme de respecta-bilité sportive. Le père ? Champion du monde de boxe amateur en 1978, l’année de sa naissance. La mère ? Une ancienne escrimeuse, reconvertie directrice d’un centre de formation omnisports. Entre l’âge de 6 ans et l’âge de 12 ans, ce fils de sportifs s’initie ainsi autennis. Au point de devenir, assure-t-il, « numéro 1 duKazakhstan chez les jeunes et numéro 23 en URSS ».

Konstantin Rachkov abandonne pourtant la ballejaune au début des années 1990. Faute d’argent et, selon lui, d’un minimum de patience : « Comme ten-nisman, je me comportais de façon assez impulsive, je cassais des raquettes. A l’époque, tout ce matériel va-lait beaucoup d’argent. Alors ma mère m’a dit un jour, un peu pour plaisanter : “Mets-toi au rugby, tu mecoûteras moins cher.” » L’idée en aurait refroidi plusd’un. « En URSS, pour les dirigeants politiques, le rugby avait une image de sport “bourgeois”. Ce mot revenait souvent dès qu’on parlait de quelque chosequi venait de l’étranger. »

L’écolier assiste tout de même à un match « Ka-zakhstan-Pologne ». Quatre-vingts minutes suffisent à le rendre accro, complètement « malade de ce sport ». Au point d’être le seul garçon à s’entraîner pendant toute une saison avec les femmes de l’équipe senior du SKA Almaty, le club local de l’ar-mée. « Lorsque l’URSS a disparu, mon club a fermé l’école de rugby et les équipes de juniors. Une centaine de gamins ont arrêté le rugby. Moi, j’ai voulu rester, je voulais progresser malgré tout, je voulais me faire un nom dans le rugby. J’aurais pu revenir dans le tennis, ou bien tenter le foot, le basket, mais non. Lorsqu’ils me voyaient, certains se disaient peut-être : “Qui est cet imbécile ?” Mais d’autres ont peut-être pensé que,grâce à ça, j’allais devenir quelqu’un… »

Et quelqu’un qui voyage, de surcroît. Car le jeunepionnier au foulard rouge a circulé bien au-delà deslimites balisées du Kazakhstan et des autres républi-ques socialistes soviétiques. Depuis 2001, le rugby-man a surtout fréquenté les terrains des première et deuxième divisions françaises (à Montauban, sur la recommandation d’un coéquipier russe), ou encore en troisième, voire en quatrième division, comme à Châteaurenard, jusqu’en 2014. « Le nom de mon père m’a toujours motivé pour avancer », affirme l’ancienrugbyman, à la retraite depuis un an. Loin de cette fi-gure paternelle, Rachkov junior vit donc depuis maintenant près de quatorze ans en France. Un pays dont il a obtenu le passeport, dont il a appris la lan-gue à l’université de Tarbes, et dont il apprécie aussi bien « l’architecture » que « le climat », suffisamment propice à ses yeux pour donner naissance au petit Evgeni, avec sa femme Lidia, il y a un an. Pas ques-tion, cependant, de se priver de gâteaux ou de chaî-nes de télévision russes. Ni même de refuser un maillot australien. p

Konstantin Rachkov a participé avec la Russie, en 2011, à l’unique Coupe

du monde de rugby disputée par ce pays.A 37 ans, ce jeune retraité vit en France et

s’apprête à ouvrir un bar à ongles à Avignon

« En URSS, pour les dirigeants politiques, le

rugby avait une image de sport “bourgeois”.

Ce mot revenait souvent dès

qu’on parlait de

quelque chose

qui venait

de l’étranger »

Konstantin Rachkov, chez lui, à Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône), en juillet. PATRICE TERRAZ POUR « LE MONDE »

Le pionnier russe

Dates

1978 Naissance à Almaty (Kazakhs-tan), le 8 octobre.

1997 Honore la première de ses quarante-quatre sélections en équipe de Russie.

2001 Signe à Mon-tauban, alors en première division française.

2011 Dispute la Coupe du monde, puis met un terme àsa carrière en sélec-tion (316 points).

2014 Dispute encore une saison àChâteaurenard, en quatrième divisionfrançaise.

2015 Prépare l’ouverture d’un bar à ongles à Avignon.