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MANAGEMENT DE LA QUALITE DE VIE AU TRAVAIL, LEVIER DE PERFORMANCE DURABLE ? Quels indicateurs de suivi pour piloter la qualité de vie au travail ? Groupe de travail de l’Anvie Compte rendu Séance du 17 novembre 2011 Anvie, 14, rue de Liège, 75009 Pariswww.anvie.fr

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MANAGEMENT DE LA QUALITE DE VIE AU TRAVAIL, LEVIER DE PERFORMANCE DURABLE ?

Quels indicateurs de suivi pour piloter la qualité de vie au travail ?

Groupe de travail de l’Anvie

Compte rendu

Séance du 17 novembre 2011

Anvie, 14, rue de Liège, 75009 Paris– www.anvie.fr

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De nombreuses enquêtes font aujourd’hui état de difficultés récurrentes relatives à la motivation, l’implication, l’engagement des salariés dans le travail, quelles que soient les catégories professionnelles.

Ajoutés au stress au travail, ces problèmes sont susceptibles d’altérer la qualité de service et la santé des personnes mais également d’impacter la performance des entreprises (le seul coût économique du stress est évalué entre deux et trois milliards d’euros en 2009).

Dans le même temps, la recherche d’économies peut entraîner les entreprises dans un cercle vicieux où toute politique de rationalisation est susceptible de provoquer en retour une dégradation du bien-être.

Au-delà de la mise en place de dispositifs individuels, les entreprises s’intéressent aujourd’hui à l’organisation du travail en initiant des démarches collectives de prévention à la recherche d’une cohérence entre santé des salariés, qualité du travail et performance durable des organisations.

De quelle manière aborder la négociation avec les partenaires sociaux ?

Comment mieux impliquer et soutenir l’encadrement de proximité sur le thème de la qualité de vie au travail ?

Quels indicateurs de suivi peuvent permettre de piloter au mieux la démarche pour faire de la qualité de vie au travail un réel levier de performance durable ?

Trois séquences rythmeront ce groupe de travail :

Qualité de vie au travail : comment négocier avec les partenaires sociaux ? (22 septembre 2011)

Qualité de vie au travail au travail et performance : comment mieux accompagner l’encadrement de proximité ? (20 octobre 2011)

Quels indicateurs de suivi pour piloter la qualité de vie au travail ? (17 novembre 2011)

Présentation de la séance

Le management de la qualité de vie au travail suppose un minimum d’instrumentation, ne serait-ce que pour mesurer les progrès accomplis.

De quelle manière construire des indicateurs pertinents au-delà des indicateurs sur l’absentéisme ? Comment les sélectionner, les bâtir et les faire accepter par le corps social ?

Pour autant, jusqu’où faut-il aller dans la construction d’indicateurs ? Faut-il inclure des indicateurs de qualité de vie au travail dans la mesure de la performance des managers ? Quelle place laisser aux expérimentations locales ?

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Animateur scientifique

Thierry ROCHEFORT, Professeur associé en GRH, Sociologue des organisations, IAE DE LYON

Intervenants

Jean-Marc AMBROSINI, Directeur délégué aux ressources humaines, RATP Pascale LEVET, Directrice technique et scientifique, ANACT Emmanuel SEDILLE, Chef du Service Compétences et Parcours professionnels, Chargé de mission prévention du stress au travail et des risques psychosociaux, CEA Thomas VALLETTE, Pôle Ameublement, Institut technologique FCBA

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√ Introduction par Thierry Rochefort

La première séance de ce groupe de travail s’est interrogée sur la façon dont les accords sociaux pouvaient structurer l’objet qu’est la qualité de vie au travail. Il est apparu qu’il s’agissait d’accords « à vivre », d’accords procéduraux qui donnaient des espaces d’autonomie aux acteurs, notamment locaux, et qui s’accompagnaient toujours de dispositifs particuliers d’observatoires dans une logique que les sociologues appellent « la régulation conjointe », c'est-à-dire le fait que les règles du haut puissent rencontrer les initiatives prises en bas.

La seconde séance s’est intéressée aux acteurs-clés de la mise en œuvre. En effet, il ne suffit pas que les acteurs sociaux signent des accords pour que ces politiques puissent se déployer sur le terrain. Encore faut-il des relais. A cet égard, le management de proximité est central dans le déploiement de ces politiques. L’encadrement doit équiper les collectifs pour organiser la discussion autour du travail et des conditions de travail.

Toutefois, vis-à-vis des directions générales, la qualité de vie au travail doit « faire ses preuves ». Elle est soumise à l’évaluation. De quelle manière peut-on mesurer l’amélioration de la qualité de vie au travail ? Se pose donc inévitablement la question des indicateurs. Que mesure-t-on, à quelle fréquence, dans quelle configuration et avec quelle restitution ? Ces questions sont majeures pour légitimer ces démarches. Il est essentiel de mettre en lumière le lien entre la qualité de vie au travail et les enjeux de performance.

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√ Eclairage scientifique

Panorama des enjeux de la qualité de vie au travail

Pascale LEVET

Directrice technique et scientifique, ANACT

Réflexion critique sur les questions de qualité de vie au travail

Bien que l’expression « qualité de vie au travail » soit entrée dans le langage commun, il est utile de revenir sur sa signification, tant elle fait bouger les lignes.

Admettons que la qualité de vie au travail ne soit pas un glissement sémantique qui euphémise les enjeux de souffrance ou d’exposition à des risques. Cette posture est porteuse d’un certain nombre de conséquences.

Historiquement, la question des conditions de travail a été institutionnalisée par la création de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) en 1973. A l’époque, le législateur n’a pas défini ce qu’étaient les « conditions de travail ». Ceci était laissé à l’appréciation des partenaires sociaux. L’ANI de 1974 les décrit comme « l’environnement physique de travail, l’hygiène et la sécurité, le travail posté, le rythme de travail et les cadences, les horaires flexibles, le salaire au rendement, l’élimination progressive du travail à la chaîne, la restructuration des tâches, la participation à l’organisation, la révision des classifications et la grille unique ». Le champ est donc large et touffu. L’amélioration n’est pas plus définie. Le parti est pris de considérer que l’amélioration des conditions de travail passe inévitablement par des démarches participatives.

Le contexte qui se met en place après cette institutionnalisation vient modifier les enjeux des rapports de force entre les acteurs, et les fait dériver vers des questions d’emploi. Malgré tout, un volet réglementaire s’instaure. Il est pensé en termes de prévention, de compensation et de réparation. On voit combien ces constructions institutionnelles sont éloignées de celles que l’on connaît aujourd'hui.

Une mutation du régime de mobilisation de la main-d’œuvre

Le travail est un coût : telle est l'idée dominante dans les années 70, 80 et 90. On considère alors que la compétitivité des organisations passe par la maîtrise, voire la diminution de ce coût. Dès le milieu des années 70, des réorganisations renforcent une transformation profonde du régime de mobilisation de la main-d’œuvre, qui passe d’une logique de qualification à une logique de compétence. Il ne s’agit plus d’affecter un individu, quelles que soient ses qualités personnelles, à un poste dont les tâches sont précisément prescrites par l’organisation, mais de mobiliser des individus considérés comme autonomes, responsables, compétents et par conséquent capables de faire face aux événements qui surviennent non plus dans les tâches, mais dans l’activité.

Ce changement profond, que décrivent bien Luc Boltanski et Eve Chiapello dans Le nouvel esprit du capitalisme

1, rejoint la modernité. Les démocraties

avancées s’organisent autour du principe d’expression active de l’individu. Les entreprises, en proposant ce régime de mobilisation, répondent aux aspirations des individus. Alors que les conditions de travail s’intensifient et se complexifient, le système global positionne les individus comme responsables et producteurs d’eux-mêmes dans leur activité professionnelle. Un consensus émerge, considérant que l’on se dirige vers une situation moins conflictuelle et capable d’aligner les exigences de l’organisation, de la production et des individus.

Le travail devient moteur du développement individuel

Deux lectures de ces transformations peuvent s’affronter. D’une part, on peut se féliciter d’un accroissement de l’autonomie de l’individu au travail. D’autre part, on peut y voir une crise de la

1 Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du

capitalisme, Gallimard, Coll. NRF Essais, 1999.

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prescription qui caractérise toute relation de travail subordonnée. Les individus se trouvent seuls face aux injonctions qu'ils ont à porter. Seuls les plus dotés en ressources, y compris en ressources organisationnelles, peuvent tirer leur épingle du jeu. La promesse de modernité n’est alors pas atteinte.

Aujourd'hui apparaît une littérature qui propose la lecture suivante. Dans les systèmes productifs contemporains éclatés, complexes, abstraits, où l’immatérialité domine, le sens du travail, son ethos, changent profondément. Autant le modèle taylorien reposait sur un ethos instrumental dans lequel le travail fournissait un salaire ou une protection sociale, autant prévaut aujourd'hui un ethos expérientiel. Ainsi, l’individu contemporain est en développement, il puise dans différentes sphères de sa vie personnelle et professionnelle des ressources et occasions de se développer. Si cet ethos expérientiel domine, alors les enjeux de conditions de travail changent. Le travail doit désormais être le moteur du développement individuel.

Ceux qui se retrouvent le plus dans cette affirmation d’un ethos du développement professionnel sont aussi ceux qui considèrent comme les moins pertinentes les frontières entre le travail et le hors travail. Ils ne veulent pas l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre. Se pose donc un enjeu d’équilibre et d’articulation, et non de conciliation.

La qualité de vie au travail s’inscrit donc profondément dans la transformation des modalités de mobilisation des individus au travail. Les entreprises tâtonnent pour répondre aux attentes que cela génère et explorent différentes voies. Certaines proposent des salles de gym, séances de massages ou autres conseils diététiques, qui ont leur intérêt. Mais au-delà de ces aménagements périphériques, l’émergence des risques psychosociaux place la qualité de vie au travail au cœur même du travail.

La qualité de vie au cœur des enjeux productifs

d’une organisation

Ceci conduit à affirmer que le contenu de la qualité de vie au travail ne peut pas être discrétionnaire. Ce ne peut être le choix d’une direction ou d’un service de médecine au travail. La qualité de vie au travail nourrit le compromis productif. Elle s’inscrit dans le modèle productif, dans le corps social, dans les acteurs en charge de la régulation politique de la légitimité de l’organisation. On ne peut donc résumer le contenu de la qualité de vie au travail ni

à un discours d’experts, ni à des valeurs de l’entreprise. La qualité de vie au travail s’inscrit au contraire dans les enjeux de production d’une organisation. Au Crédit agricole par exemple, dont la caractéristique est d’opérer sur un métier très réglementé, amplement porté par des systèmes d’information et dans une configuration productive éclatée, la qualité de vie au travail ne sera pas la même que dans un environnement où le compromis productif repose sur d’autres spécificités.

Un enjeu d’innovation organisationnelle

Il en découle des problèmes inédits. Tout d’abord, cela encourage la production d’innovations sociales dans les organisations. Dans un monde où il faut désormais articuler des grandeurs différentes (les attentes des individus et des collectifs, les exigences de l’organisation), il est nécessaire de trouver des arrangements d’acteurs permettant de faire émerger le compromis au bon endroit. Peut-on par exemple gérer de la qualité de vie au travail dans une agence bancaire de cinq personnes ? Sans doute pas. L’articulation entre les enjeux du marché, les enjeux de l’organisation et les attentes des individus nécessite de rechercher la bonne maille, celle qui permettra d’optimiser les enjeux de performance productive, de performance de l’organisation et de prise en compte des individus. France Télécom va ainsi devoir constituer des « parcs de clients », sans quoi l’entreprise ne pourra pas prendre en charge les enjeux de qualité de la relation client et de la qualité de vie au travail. Ce ne pourrait se faire dans une configuration où les appels clients sont renvoyés de façon aléatoire vers n’importe quel centre d’appel, interne ou externalisé. Cela montre combien la prise en charge des questions de qualité de vie au travail répond à des enjeux de reconception de l’organisation, et par conséquent d’innovation organisationnelle.

Dès lors, comment innover ? A cet égard, il faut expérimenter - et c’est cela que l’on évalue. On a peu de chance d’innover et de mobilier les acteurs sans expérimenter.

Renouveler le cadre institutionnel

Si l’on considère que le contenu de la qualité de vie au travail n’est pas discrétionnaire, il faut en appeler à un renouvellement du cadrage institutionnel. Après les récentes vagues de suicides sur des lieux de travail, la volonté a été exprimée de prendre en charge les risques psycho-sociaux, en particulier en légiférant. Or depuis dix

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ans étaient menées des batailles juridiques épuisantes consécutives à la loi sur le harcèlement. Cette loi avait masqué un ensemble de risques psycho-sociaux de nature organisationnelle, en fabriquant des problèmes de nature relationnelle et interpersonnelle. Le cadrage institutionnel n’est donc pas neutre, et peut plus ou moins contribuer à l’innovation en termes de qualité de vie au travail. Notons qu’il prévaut aujourd'hui une confusion entre les risques psycho-sociaux, la qualité de vie au travail, la souffrance, le stress, le bien-être au travail, etc.

Jusqu'à présent, la réglementation sur les conditions de travail et les prérogatives des instances s’inscrivaient dans un continuum institutionnel qui allait de la prévention à la réparation. Aujourd'hui, la configuration est tout autre et nécessite de réviser ce levier. Le cadre institutionnel doit se déplacer.

Enfin, si le contenu de la qualité de vie au travail et son déploiement dans l’organisation ne sont pas discrétionnaires, il faut alors s’intéresser aux nouveaux acteurs qui viennent parfois déstabiliser ou concurrencer les acteurs institués que sont les directions, les DRH et les partenaires sociaux. Ces nouveaux entrants sont les agences de notation sociale, les classements de type « great place to work » ou encore les assureurs qui subordonnent les tarifs de leur mutuelle à la mise en place de programmes de santé dans l’entreprise. Ces acteurs n’ont pas l’habitude de se parler, évoluent dans des mondes différents et sont parfois en concurrence les uns avec les autres. Une démarche innovante de qualité de vie au travail doit s’y intéresser.

Résoudre la tension entre les enjeux collectifs et les aspirations individuelles

La qualité de vie au travail traduit un certain nombre de ruptures, lesquelles butent sur la meilleure façon de prendre en charge les tensions entre les individus modernes et un intérêt commun qui doit prévaloir dans l’organisation.

En guise d’illustration, citons un grand intégrateur informatique ayant mis en place une démarche de prévention très bien conçue et innovante. L’équipe du pricing, qui compte une trentaine de personnes, était soumise à des exigences productives extrêmement soutenues, la nuit comme le week-end. Dans de telles conditions de mobilisation, le levier de l’accomplissement personnel dans l’activité professionnelle devait être utilisé à plein. Chacun avait trouvé des arrangements avec les contraintes de ce système, avait « bricolé » sa qualité de vie au travail, l’un pour passer le mercredi après-midi avec ses enfants, l’autre pour s’accorder une séance de sport hebdomadaire. Un jour, le directeur s’est fait attaquer pour harcèlement. Qui plus est, deux de ses collaborateurs ont subi des infarctus. Ce manager est donc entré dans le dispositif des risques psycho-sociaux, auquel il a adhéré. Il a monté un séminaire d’une journée. Les propositions qui en ont émané étaient nombreuses, mais il s’est avéré impossible de s’accorder sur des solutions. En effet, l’intérêt collectif n’existait plus : il n’y avait plus que des individus. Il n’a même pas été possible d’instaurer une plage horaire commune de 10 heures à 16 heures. Comment gérer une organisation quand l’intérêt collectif ne répond plus ? Comment faire de la qualité de vie au travail avec des talents, mais sans groupe ? Ce cas révèle l’impuissance d’un système à prendre en charge les tensions qu’il génère.

En conclusion, la qualité de vie au travail naît de la modernité, des aspirations des individus à développer une expression active et de la capacité des entreprises à entendre ces aspirations. Pour être robuste, une politique de qualité de vie au travail doit prendre en charge la tension entre les aspirations individuelles et les enjeux collectifs de l’organisation. Elle doit par conséquent être capable de redéfinir les modalités et les enjeux de l’organisation. Cela nécessite beaucoup d’intelligence collective. La qualité de vie au travail est de fait, innovante, expérimentale et soumise à évaluation – cette dernière étant constitutive de l’expérimentation.

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√ Témoignage d’entreprise

Les indicateurs de performance RH au service de la qualité de vie au travail

Jean-Marc AMBROSINI

Directeur délégué aux ressources humaines, RATP

La RATP 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires 56 000 salariés dont 45 000 en Ile-de-France 12 millions de voyageurs par jour dont 10 millions en Ile-de-France 5

ème groupe mondial de transport

500 à 600 localisations géographiques en Ile-de-France 66 métiers recensés Deux tiers du personnel en horaires décalés

Dispositifs en place

Accords et dispositifs négociés

A la suite de la négociation sur la réforme des retraites en 2007, la RATP a engagé une discussion avec les organisations syndicales sur la création d’un observatoire des conditions d’exercice des métiers, qui a vocation à identifier les risques et à préconiser des pistes de politique pour l’entreprise. La création de cet observatoire a fait l’objet d’un accord. En 2010 a été signé un accord de méthode sur les risques psycho-sociaux, témoignant de l’engagement de l’entreprise et de l’ensemble des acteurs à se mobiliser sur ce sujet. Nous sommes en cours de signature d’un accord sur le fond, qui cette fois approfondit une politique de prévention des risques psycho-sociaux. Nous nous engageons en outre dans une négociation sur la prévention de la pénibilité.

Parallèlement, une série de protocoles sont liés à l’adéquation entre la vie professionnelle et la vie personnelle : aide à la garde d’enfant, aide à l’accès au logement, prise en charge du trajet domicile-travail au-delà des obligations légales, protocole sur le handicap, accord d’égalité, femmes-hommes, accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

L’accompagnement du management

Parmi les atouts dont dispose la RATP, ses managers sont véritablement responsabilisés. Depuis la décentralisation du début des années 90, la politique de l’entreprise a consisté à faire porter par le management une responsabilité opérationnelle avec de vraies marges de manœuvre. Cela suppose que chaque manager soit formé et apte à gérer la prévention des risques dans son équipe. De manière générale, la RATP pratique amplement les méthodes participatives (groupes d’échange, animation de réseaux, échanges de bonnes pratiques…). La fonction RH est clairement positionnée en soutien du management, avec notamment des préventeurs locaux. En cas d’action de changement significative, un collaborateur appartenant à la DRH est l’interlocuteur unique du management et coordonne pour lui les différentes expertises transversales nécessaires. En cas de difficulté du management ou des salariés, des dispositifs d’accompagnement peuvent être mobilisés : plateforme d’appui et de conseil au management, interventions de psychologues de l’Institut d’accompagnement psychologique et de ressources (IAPR),service social.

Pourquoi des indicateurs de performance RH ?

Dans un contexte où prévalent les enjeux de performance économique, le discours de la prévention des risques a de fortes chances de ne pas être entendu par les décideurs, ni d’ailleurs par les clients. Comme dans les autres entreprises, la performance économique est au cœur de la stratégie de la RATP, avec une pression croissante sur les coûts. En effet, la RATP est d’ores et déjà en concurrence sur son marché historique d’Ile-de-France pour l’ouverture de nouvelles lignes. A terme, les réseaux existants seront mis en concurrence. Pour la RATP, c’est évidemment une préoccupation majeure.

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« Il n’y a de richesse que d’hommes » affirmait le philosophe et économiste Jean Bodin. Cette belle idée est à l’épreuve des logiques financières et nécessite qu’on lui apporte des éléments de preuve, d’autant que l’industrialisation a montré que l’on pouvait remplacer les hommes par des machines, la mondialisation a prouvé que l’on pouvait recourir à de la main d’œuvre à autre bout du monde, à moindre coût. Dans un tel contexte, il n’est pas évident d’affirmer que la richesse provient des hommes et des femmes qui font la force de l’entreprise. De manière générale, il est davantage demandé aux DRH d’accompagner la productivité que le bien-être de leurs salariés. L’enjeu pour la fonction RH est de faire converger les préoccupations économiques et les performances sociales. Car dans une entreprise comme la RATP où la main-d’œuvre a encore du sens, nous sommes convaincus que si le personnel n’est pas formé, pas motivé et en souffrance, les performances économiques ne seront pas au rendez-vous. Encore faut-il en apporter la démonstration. Cela pose la question de la mesure de la performance RH et de son articulation avec la performance économique.

La construction de l’offre de reporting RH à la RATP

Au début des années 2000, l’entreprise a fait le constat que ses systèmes d’information étaient désuets et défaillants. Elle s’est lancée dans un grand projet de refonte de ses systèmes. Nous n’avions auparavant aucun reporting RH. Il a semblé pertinent de faire le lien entre les outils de gestion et ce que l’on pouvait attendre en matière d’outils de reporting. Un indicateur n’est autre, en effet, qu’un agrégat de données - mais encore faut-il disposer de ces données. L’outil final s’appuie sur le progiciel HR Access. Il est lié à un entrepôt de données qui alimente des tableaux de reporting. Ce fut l’occasion de mener une refonte de l’ensemble des processus RH.

Les quatre vertus cardinales d’un indicateur

Un indicateur, pour être pertinent et utile, doit présenter quatre qualités.

- La pertinence

L’indicateur doit répondre aux enjeux stratégiques de l’entreprise, tout en présentant une efficience opérationnelle. Il peut être difficile de concilier ces deux pôles dont l’un est évocateur pour le Comex, et l’autre pour le management de proximité. Le risque est de décider en haut lieu d’un outil de reporting en considérant que « l’intendance

suivra ». A contrario, si l’exercice est confié aux managers de proximité, le risque est que chacun préconise un tableau de bord à l’aune de ses spécificités locales, le tout aboutissant à plusieurs centaines d’indicateurs. Lorsqu’on est en situation de construire un tableau de bord, il faut donc s’efforcer de faire se rencontrer les enjeux stratégiques exprimés par la direction générale, les problèmes de terrain et la pertinence de l’indicateur construit sur le terrain. Ce n’est rien d’autre que de la conduite de projet.

- La cohérence

Si les données qui sont agrégées de façon transversale reposent sur des systèmes d’information qui ne se parlent pas entre eux, il se pose nécessairement un problème de cohérence des données. Par exemple, un système d’information et de gestion de la direction financière et un système d’information de la DRH, s’ils n’ont pas été harmonisés, ont de fortes chances de ne pas communiquer les mêmes données sur les effectifs de l’entreprise. Dans le même temps, on ne cesse d’affirmer que dans le cadre de la prévention des risques psychosociaux, il est essentiel de mesurer l’exposition d’une population donnée à un risque. Mais on ne sait même pas combien l’on est dans l’entreprise ! Il faut donc a minima connaître les définitions adoptées par les différents systèmes et savoir analyser les écarts. Par ailleurs, l’outil doit faire l’objet d’une bonne gouvernance, pour éviter que des acteurs ne construisent localement leurs propres indicateurs dans le système d’information, risquant de nuire à l’ensemble.

- L’accessibilité

Pour que les indicateurs soient nourris, les données doivent pouvoir être saisies aisément dans l’outil. Le système d’information doit être ergonomique et performant, sans quoi les utilisateurs ne s’en empareront pas. C’est une condition de succès du dispositif.

- La fiabilité

Elle résulte de la qualité des données et des indicateurs produits. Ce volet peut paraître évident, mais il est souvent omis. Il est nécessaire d’accompagner et de former les acteurs chargés de renseigner les systèmes d’information, sans quoi l’outil sera défaillant. Les acteurs doivent savoir quelles informations ils doivent saisir. Quand 1 200 utilisateurs entrent des données dans un SIRH, il suffit qu’ils soient 300 quelques uns à ne pas savoir comment procéder pour que le système global soit mal alimenté. Enfin, il est essentiel de

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concevoir des systèmes évolutifs. Ainsi, nous n’avons pas opté pour l’outil de reporting proposé par l’éditeur mais avons décidé de constituer un entrepôt de données. Nous pouvons donc faire évoluer les outils de reporting sans avoir à intervenir dans le système d’information et de gestion.

Quelques statistiques d’utilisation

Nos systèmes d’information RH ont tous les jours 700 utilisateurs, appartenant essentiellement aux RH mais aussi, pour 20 %, au contrôle de gestion. Environ 18 000 rapports sont lancés chaque mois. Le vrai danger de la politique de reporting est finalement de passer son temps à mesurer, sans mettre en œuvre les plans d’actions qui s’imposent. En multipliant les indicateurs et les outils, on ne fait que construire du risque psycho-social supplémentaire…

Problématiques propres aux indicateurs RH

Il faut éviter de multiplier les indicateurs destinés à un acteur donné, sans quoi il ne pourra pas les croiser ni les exploiter. Chacun, à son échelon, doit disposer des indicateurs pertinents au regard de son activité.

Il se pose, par ailleurs, un problème de capacité du système à analyser finement les évolutions. La plupart du temps, on ne parvient pas à constituer des données fiables et cohérentes dans la durée, permettant d’analyser les situations dans le temps. En effet, dès lors que les entreprises et les périmètres se renouvellent en permanence, tout historique devient hasardeux.

Les indicateurs doivent permettre de construire une politique et d’élaborer des plans d’action. Prenons l’indicateur d’absentéisme. Si un manager a connaissance, avec trois mois de retard, d’un indicateur global portant sur 2 000 personnes, il ne peut guère en tirer de conclusion pertinente pour son action sur le terrain, tant l’absentéisme est pluricausal. En revanche, si le système d’information permet d’obtenir une analyse fine par des regards croisés entre les différents paramètres de l’absentéisme, l’exercice devient nettement plus intéressant. Il aide notamment à repérer des malaises dans des secteurs donnés, voire dans une équipe précise, traduisant un problème managérial. Si les indicateurs révèlent

que l’absentéisme se dégrade sur un emploi précis, cela peut traduire des problèmes de pénibilité. Si dans cet emploi, les accidents du travail ou les maladies répétées touchent des tranches d’âge élevées, la pénibilité se confirme. Si au contraire les plus jeunes sont touchés, cela peut être le signe d’une carence de formation initiale. Ces diagnostics fins aident à élaborer des politiques pertinentes. Encore faut-il que le système d’information sache identifier, outre l’indicateur global, les zones géographiques, les causes d’absentéisme, les emplois, les âges, etc. Il faut donc que ces données aient été saisies dans l’outil.

Rien ne sert d’avoir des indicateurs, même fins, s’ils ne débouchent pas sur des plans d’action. Les indicateurs doivent interpeller le manager, et les plans d’actions qui en découlent doivent s’intégrer dans les leviers de l’entreprise. Cela peut passer par des contrats d’objectifs avec les managers intégrant la performance sociale, ou par l’introduction d’indicateurs dans les accords sociaux – ce qui a en outre le mérite de structurer le dialogue social autour des véritables problèmes.

Le danger est que l’indicateur devienne une finalité en soi. Si l’entreprise construit une politique de prévention des risques qui s’appuie sur des indicateurs, mais si cette problématique ne pénètre pas les processus RH et les processus managériaux, si le manager a le sentiment d’être noté sur ses performances économiques mais aucunement sur les aspects sociaux, l’exercice est peine perdue. En insérant un indicateur social dans un contrat d’objectifs, on s’assure que le manager y portera attention. Attention toutefois aux vices cachés : un manager peut être tenté de ne voir dans cet indicateur que sa prime de résultat, et faire pression par exemple pour que les accidents du travail ne soient pas déclarés. Un travail de sensibilisation aux enjeux des risques psycho-sociaux est donc nécessaire auprès des managers.

A ce jour, la RATP dispose d’indicateurs fins sur l’absentéisme et sur les taux de fréquence et de gravité des accidents du travail, ainsi qu’un certain nombre d’indicateurs liés au dialogue social (alarmes sociales, demandes d’attention permettant à un salarié d’alerter sa hiérarchie sur ses difficultés) et à la fonction RH, notamment en lien avec le bien-être au travail (turnover, mobilités...). Une réflexion a de surcroît été engagée sur la performance sociale.

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√ Témoignage d’entreprise

L’aménagement des espaces de travail pour une qualité de vie au bureau

Thomas VALLETTE

Membre du comité scientifique, Actineo (Observatoire de la qualité de vie au bureau) et de l’équipe VIA, Institut technologique FCBA

Actineo, Observatoire créé en 2005 au sein du syndicat des professionnels de l’ameublement, considère que l’aménagement des espaces de travail est l’une des composantes de la qualité de vie au bureau, aux côtés d’autres facteurs (organisationnels, relationnels, etc.). Le bureau n’est probablement pas à l’origine des risques psycho-sociaux, mais un aménagement ou un mobilier inadaptés peuvent se surajouter à une situation déjà difficile.

Une responsabilité partagée dans la création de

situations de travail au quotidien

Il est important de rappeler qu’au quotidien, tous les acteurs de l’entreprise conçoivent des situations de travail. L’intervention du management dans l’aménagement et la disposition des locaux de son équipe y participe pleinement. La qualité des espaces de travail offerts aux salariés constitue une forme de reconnaissance et de respect de l’entreprise à leur égard. Cela ne se limite pas à l’octroi de certains services comme des salles de repos, mais concerne les aspects les plus quotidiens. Par exemple, une standardiste peut-elle facilement lire l’écran du téléphone avant d’y répondre, afin d’adapter son message d’accueil à l’interlocuteur, ou doit-elle pour cela se contorsionner ? Chacun, au quotidien, innove pour adapter son environnement immédiat à son activité ; et l’on voit ainsi un salarié qui, bouclant un dossier tard le soir, adopte une posture proche de celle qu’il aurait dans un canapé – certains diraient avachie. Ce faisant, il invente une nouvelle façon de se tenir, qui n’est pas encore entrée dans la culture de l’entreprise mais dont s’emparent déjà certains fabricants de mobilier. Car pourquoi faudrait-il nécessairement travailler assis sur une chaise ? Si les salariés innovent de cette façon, c’est que le mobilier qui leur est proposé ne leur convient pas.

Je suis ergonome de formation et ai suivi un doctorat en génie industriel au cours duquel je me

suis intéressé aux processus d’innovation permettant d’introduire la question de l’humain dans la conception de produits. Pour l’anecdote, je travaillais dans l’entreprise qui m’accueillait sur l’ergonomie et les usages des outils à main. Il a fallu trois ans pour que l’entreprise considère qu’il était important de focaliser son attention de design sur ces questions, alors qu’elle fabriquait des outils à main ! La démarche n’a vraiment démarré qu’à partir du moment où nous avons considéré qu’il n’y avait pas d’expert sur les questions d’ergonomie et de design, mais que tous les acteurs de l’entreprise pouvaient y contribuer.

Un indicateur de la satisfaction des environnements physiques des espaces de travail

L’objectif d’Actineo est de sensibiliser tous les acteurs de l’entreprise (direction générale, ressources humaines, services généraux…) à la dimension de la qualité des espaces de travail. Un indicateur a été construit pour soutenir cette démarche.

L’indicateur de la satisfaction des environnements physiques des espaces de travail élaboré par Actineo s’efforce de prendre en compte les multiples éléments qui constituent un bureau : l’acoustique, l’éclairage, la présence de rangements personnels et collectifs, la hauteur de la table, le confort du siège, la température ambiante, la qualité de l’air intérieur, l’esthétique du mobilier, l’aménagement, la décoration, etc. Des salariés ont été précisément interrogés sur leur satisfaction au regard de l’équipement de leurs bureaux et des locaux de leur entreprise.

L’objectif, à terme, est de cumuler ces résultats et d’accompagner les entreprises qui souhaiteraient utiliser ce type de questionnaire pour créer un indicateur adapté à leur situation actuelle, voire pour les aider à effectuer un réaménagement. Ces résultats seront capitalisés puis comparés à une enquête nationale menée avec TNS Sofres.

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√ Témoignage d’entreprise

La qualité de vie au travail, vecteur d’innovation pour les RH

Jean-Marc SEDILLE

Chef du Service compétences et parcours professionnels, chargé de mission prévention du stress au travail et des risques psycho-sociaux, CEA

Interrogations liminaires

A quoi servent les risques psycho-sociaux ? La question peut paraître provocatrice. Pourtant, les risques psycho-sociaux constituent une incroyable chance pour réinvestir la question du travail, pour améliorer la gestion des ressources humaines du point de vue du développement des salariés et pour rendre le management plus efficient. C’est avec ces arguments que l’on peut convaincre tout à la fois la direction générale, les partenaires sociaux et les managers.

Les sujets RH sont nécessairement associés à la problématique de la productivité. La productivité que nous appelons de nos vœux doit être durable. Elle ne se limite pas à des chiffres et à des résultats financiers. Evidemment, certains font le rêve d’une entreprise sans salarié… Je sais, pour ma part, que mon entreprise sera toujours constituée d’hommes et de femmes. Dès lors, comment mobiliser les ressources, humaines ou techniques, comment les rendre plus efficientes ? A cet égard, la problématique de l’autonomie croissante des salariés, considérés comme producteurs de leur activité, est centrale.

Faut-il privilégier une approche individuelle ou collective de la qualité de vie au travail ? Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) compte des chercheurs de très haut niveau, en compétition féroce au sein de leur équipe. Faut-il se concentrer sur l’individu génial ou sur l’équipe composée d’individus géniaux ?

En matière de risques psycho-sociaux, il ne doit pas y avoir « d’usine à gaz ». Car si l’on n’a pas conscience que les indicateurs que l’on construit doivent servir l’action, ils sont inutiles. On se contente alors de s’acquitter d’un devoir sous la pression de la législation, des médias ou de la direction générale. D’ailleurs, combien d’accords sur le stress ont vraiment du contenu et comportent des engagements concrets ? Parmi les 1 300 entreprises qui étaient censées négocier ou établir un plan d’actions, combien y a-t-il eu d’accords ? Très peu, 200. Il reste donc un travail

considérable à mener sur ce terrain. Progressivement, les entreprises comprennent qu’il est inutile d’élaborer des indicateurs qui ne débouchent pas sur une action.

Un plan d’action

Le CEA est un EPIC dont les salariés relèvent du droit privé. Il emploie 16 000 salariés en CDI et un grand nombre de CDD (thésards, post-doctorants et contrats de recherche). Il compte dix établissements. Ses cinq pôles opérationnels sont chargés de développer les missions confiées par l’Etat.

Nous avons abordé la thématique de la qualité de vie au travail grâce à la démarche de prévention des risques psycho-sociaux. En février 2009, la direction générale a acté un plan d’action de prévention de ces risques plutôt que de lancer la négociation d’un accord. Cela ne témoignait en rien d’un manque de volonté face à cette problématique. Ce plan d’action était simple. Il prévoyait la création d’un groupe pluridisciplinaire accueillant deux représentants du personnel par organisation syndicale ainsi que des fonctionnels (responsable sécurité, RH, médecin du travail, assistante sociale…). La deuxième décision fut de réaliser un diagnostic. Dans une troisième étape est intervenue une sensibilisation des salariés à la problématique des risques psycho-sociaux, via des conférences et des rencontres avec des experts et des responsables du CEA. D’emblée, le plan d’action posait aussi la question de la formation des managers aux risques psycho-sociaux.

Le groupe de travail avait pour mission non pas de piloter la prévention des risques psycho-sociaux, mais d’accompagner le plan d’action en faisant des propositions, et ce faisant de l’améliorer. Des sous-groupes de travail ont été constitués sur quatre sujets :

- la détermination des indicateurs psycho-sociaux ;

- la conduite du changement et les risques psycho-sociaux ;

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- l’intégration des risques psycho-sociaux au document unique ;

- la politique de communication et de formation en matière de risques psycho-sociaux.

Dix-sept réunions se sont tenues sur ces thèmes, ainsi que des assemblées plénières, le tout assorti d’un retour à la direction générale, au DRH, au responsable du pôle maîtrise des risques et à une instance conventionnelle au niveau CE. A chaque étape, une intervention a été organisée dans les CHSCT pour présenter l’avancement du plan.

Construire les bons indicateurs

Dans le travail de construction d’indicateurs, il est nécessaire de privilégier une démarche pluridisciplinaire et de concertation. Il faut choisir des indicateurs simples à comprendre, faciles à lire et à utiliser. Il faut utiliser les indicateurs déjà existants, notamment dans le bilan social ou le rapport de santé au travail, et qui sont rarement rapprochés. Enfin, il est nécessaire de réfléchir à la construction d’indicateurs qualitatifs. Prenons l’exemple de l’absentéisme. Cet indicateur est indispensable mais insuffisant pour comprendre des situations de dégradation. En effet, il n’est pas corrélé à l’indicateur de la productivité. Une entité dont l’absentéisme est légèrement supérieur à la moyenne n’affiche pas nécessairement une productivité moindre.

Lorsqu’on construit un nouvel indicateur, il faut s’interroger d’emblée sur le type d’action qu’il permettra de mener. Il est également utile de construire une méthodologie en phase avec des démarches de production d’indicateurs aux niveaux national et international, car l’entreprise devra se comparer à d’autres. Nous nous sommes inspirés, dès le début, des travaux de Michel Gollac au Centre de recherche en économie et statistiques (CREST) et de travaux menés au Québec.

Je n’ai cessé de marteler, y compris à la direction générale, que nous devions prendre notre temps. En allant trop vite, on omet en effet un certain nombre de situations. Autre principe fort, nous n’avons pas externalisé la mise en place de notre politique de prévention des risques psycho-sociaux, ce qui ne nous a pas empêchés d’être ponctuellement épaulés par des consultants. Dans le cadre du diagnostic sur le stress, nous avons élaboré notre propre questionnaire avec les médecins du travail et avec l’appui de l’Anact. Ce questionnaire anonyme était rempli à l’occasion de

la visite médicale annuelle. Il était, en quelque sorte, la propriété du médecin coordinateur qui en assurait l’exploitation. Cette collecte a duré plus d’un an, de septembre 2009 à décembre 2010. Plus de 13 500 questionnaires ont été validés. 77 % des salariés permanents du CEA y ont répondu. Le taux de refus de répondre n’a atteint que 3 %. Dans la mesure où la démarche était menée avec les médecins du travail, qui ont accepté de prendre en charge l’opération en lien avec les RH - grande innovation ! - elle a permis d’objectiver un certain nombre de situations.

Le questionnaire est simple. Il se rapproche de celui de Karasek sur certains points et comporte une évaluation visuelle analogique (EVA) utilisée par les médecins pour traiter la douleur, ainsi qu’une symptomatologie (« souffrez-vous de maux de tête ? », etc.). Surtout, il permet d’identifier les secteurs auxquels appartiennent les répondants. Le salarié devait indiquer s’il était cadre ou non cadre, s’il avait des responsabilités d’encadrement, quels étaient son centre de rattachement, son établissement, son département, son service et son laboratoire. C’était un geste fort : je voulais pouvoir identifier les métiers et les sous-populations à risque.

Citons quelques-uns des premiers résultats :

- charge de travail excessive : 5 % ; - autonomie passable ou mauvaise : 11 % ; - absence de soutien des collègues :

11,4 % ; - absence de soutien de la hiérarchie :

28,2 % (donnée supérieure à l’enquête nationale Sumer) ;

- plutôt pas de reconnaissance : 23 % ; - missions bien définies 17,6 % ; - pas de possibilité de faire un travail de

qualité : 9 % ; - insatisfaction globale : 20,7 %.

Vertu du regard sociologique

Ces indicateurs ne nous suffisaient pas pour analyser finement la situation. C’est pourquoi nous avons fait appel à un universitaire sociologue et statisticien, Thomas Le Bianic, qui a exploité différemment les données par le biais d’une analyse des correspondances multiples. Cette méthode statistique permet d’obtenir des représentations simplifiées d’un ensemble de variables qui entretiennent des rapports entre elles.

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L’analyse de ce sociologue a produit une image d’une pertinence et d’une précision qui ont convaincu la direction générale de l’intérêt du diagnostic. Elle nous a permis de déterminer deux axes principaux autour desquels nous concentrer : la satisfaction au travail et le stress. Tout l’intérêt de l’étude était de pointer des métiers et des populations fragiles.

Les multiples retombées de la démarche

Parmi les populations fragiles se trouvaient les femmes cadres en milieu de carrière. De fait, nous venons de conclure un accord sur l’égalité professionnelle et l’articulation de la vie professionnelle et de la vie privée. Dans la méthodologie de l’accord, nous avons souhaité effectuer avec les partenaires sociaux un constat partagé de la situation comparée des hommes et des femmes au CEA. Il s’agissait de se mettre d’accords sur l’interprétation à donner aux chiffres. En outre, l’accord comporte des indicateurs sur les engagements d’amélioration de la situation. Ces indicateurs ont même été intégrés au contrat d’objectifs et de performance conclu entre l’Etat et le CEA. Pour les partenaires sociaux, la direction générale, les managers et les salariés, c’est une démarche on ne peut plus engageante ! Les éléments de diagnostic ont donc contribué à porter la dynamique de cette négociation. De fait, l’accord a été signé à l’unanimité.

Autre traduction de notre démarche, l’intégration des risques psycho-sociaux au document unique. Il s’agissait, pour chaque établissement, de définir les risques spécifiques en matière psycho-sociale, et de déterminer en parallèle les actions à entreprendre. Une batterie de solutions doit être proposée pour chaque risque identifié comme pertinent pour l’établissement considéré. Nous ne réfléchissons pas là à l’aune de l’unité de travail, mais à une maille plus large. Les préventeurs se sont pressés pour se saisir de cette démarche localement. Cette démarche a donc donné envie aux acteurs de s’emparer du sujet.

La prévention des risques psycho-sociaux et la réflexion sur la qualité de vie au travail réinterrogent les pratiques syndicales. Certains représentants syndicaux ont d’ailleurs vu d’un mauvais œil la concertation à laquelle cette démarche donnait lieu entre la direction et les

partenaires sociaux. Quoi qu’il en soit, la dynamique lancée sur la prévention des risques psycho-sociaux nous a appris à travailler ensemble différemment, en meilleure intelligence et sur la base d’un constat partagé de l’existant. Cela porte ses fruits sur d’autres sujets sociaux.

Une autre conséquence s’est fait sentir en matière de conduite de changement. Ainsi, il a été décidé – et les représentants du personnel l’ont avalisé – que la procédure d’information-consultation des CE, avec le spectre du délit d’entrave, ne devait pas freiner la possibilité pour les salariés de s’emparer d’évolutions de l’organisation. Nous avons donc acté à travers un accord de GPEC qu’il était possible, en amont des informations-consultations, d’évoquer des projets d’évolution de l’organisation ayant des impacts significatifs sur l’emploi. Une fois par an, dans une sous-commission du CCE, nous présentons ces projets et annonçons que nous allons lancer à leur sujet un travail avec les salariés et les représentants du personnel locaux. Une fois mûrs, ces projets sont présentés en information au CE ad hoc, et ultérieurement pour consultation. Nous avons innové en créant une démarche en trois étapes qui n’est pas prévue par le Code du travail.

Sur le plan managérial, nous en venons aujourd'hui à une problématique d’évaluation. Certes, nous avons des variables et des indicateurs. Mais qu’en est-il de l’efficience managériale ? Le management est un fusible facile, auquel on est tenté d’attribuer tous les malheurs de l’entreprise. Il faut se garder de le stigmatiser. Toutefois, nous savons fort bien qu’il existe un management « toxique », même s’il est minoritaire. Depuis quelque temps, nous licencions les managers de ce type et le faisons savoir. Nous réfléchissons par ailleurs à des actions en matière de performance managériale. L’accompagnement fort du management nous semble être la priorité des RH. Cet appui au management doit s’articuler avec les informations qui remontent des indicateurs et des enquêtes. Tout ceci doit se concevoir dans une approche intégrée.

Au fil du temps, de nouvelles demandes nous parviennent : pourquoi ne pas lancer une étude GPEC de tel ou tel métier ? Au total, cette dynamique a eu une incidence majeure pour les RH.

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√ Conclusion par Thierry Rochefort

Sur la question des indicateurs et des données à collecter, il ne faut pas confondre différentes étapes. Il importe dans un premier temps de concevoir des indicateurs, ce qui suppose ensuite de collecter des données. Puis vient un travail de reporting de données. Mais il ne faut pas oublier l’étape essentielle, sur laquelle l’impasse est souvent faite, d’interprétation des données et d’analyse des conditions organisationnelles que l’entreprise se donne pour que les acteurs soient en capacité d’interpréter les données de façon pluridisciplinaire. Si l’on laisse à un seul acteur – les RH, les médecins ou les préventeurs - la légitimité exclusive d’interpréter les données, on omettra des informations capitales. Cette phase d’interprétation débouche, enfin, sur des plans d’action doivent eux-mêmes être évalués. Il est donc nécessaire d’outiller les acteurs pour leur permettre de mener le travail d’interprétation des indicateurs.

Enfin, il apparaît que ces démarches sur la qualité de vie au travail ne jouent pas seulement pour elles-mêmes, mais ont un effet de diffusion de l’innovation dans d'autres champs comme l’égalité professionnelle, le dialogue social ou encore la conduite du changement.