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COMMUNICATION BREVE Manifestations h matologiques accompagnant une septic mie campylobacter coli. A propos d'un cas V. BRUNEL*, Th. ALLEGRE**, S. CAILLERES**, A.P. BLANC** R~sum6 -- Les auteurs d~crivent le cas d'un patient atteint depuis 10 ans d'une leuc~mie lympho'fde chronique pr~sentant brutalement un fl~chisse- ment de I'~tat g~n~ral et des perturbations h~matologiques faisant craindre une aggravation de son h~mopathie (syndrome de Richter). Les h~mocultures permirent de diagnostiquer une septic~mie & Campylobacter coli. Le traite- ment antibiotique de cette infection a permis le retour & la situation clinique et biologique ant~rieure. Les diverses manifestations visc~rales de cette infection sont discut~es. Rev Med Interne 1993 ; 14 : 39-40. Les campylobact6rioses humaines, extra-digestives, sans 6tre tr~s fr6quentes, sont de plus en plus facilement retrouv6es en pathologie infectieuse notamment chez I'immuno-d@rim6. En voici un exemple : OBSERVATION Un homme de 71 ans est suivi dans le service depuis 10 ans pour une leuc6mie lymphoi'de chronique class6e stade C de Binet devant une thrombop6nie ~a moins de 100 000 plaquettes. II est trait6 r6guli~rement par de petites doses de chlorambucil, 4 milligrammes par jour, et par injections de gammaglobulines, dix millilitres tousles 15 jours. II est hospitalis6 le 9 novembre 1990 pour une suspicion d'embolie pulmonaire, devant une alt&ation de l'~tat g~n~ral avec fi~vre ~ 38°5C, une dyspn~e, des douleurs thoraciques ~voluant depuis I 0 jours. L'examen clinique retrouve un foyer de r~les cr~pitants ~ la base pulmonaire gauche, une tachycardie 110/ran, des oed~mes des membres inf~rieurs, douloureux, mais sans signe de Homans. Toutes les aires ganglionnaires sont fibres ; on retrouve une h(~patospl(~nom(~galie d(~j& connue. Biologiquement, la leucocytose est ~ 30 000/ram 3, avec I 0 % de polynucl(~aires neutrophiles et 88 % de lymphocytes. Une * Laboratoire d'H6matologie ; Institut Paoli Calmettes ; Boulevard de Sainte- Marguerite ; 13009 MARSEILLE. **Service d'H6mato-Oncologie; Centre HospitalierG~n&al;Avenue des Tamaris ; 13616 AIX-EN-PRO VENCE C6dex. an~mie macrocytaire de novo, & 8 g/dl d'h~moglobine, VGM 104 ~3, est constat~e. La thrombop6nie connue s'est major~e 56 000 plaquettes par mm 3. La vitesse de s~dimentation est ,~ 90/mm ~a la l~re heure, la protid~mie & 88 g/I dont 7 % de gammaglobulines. II n'y a pas de stigmates biologiques d'h~molyse. Le my~logramme qui porte sur une richesse cellu- laire correcte r6v?~le une infiltration lymphocytaire & 80 %, une ligne~e &ythroblastique & 6 % et une s&ie granuleuse ~ 14 %. Sur la gazom6trie on constate une 16g~rehypoxie-hypocapnie : l a radiographie du thorax une accentuation de l atrame bronchi- que sans foyer syst~matis~. Le scanner thoracique est normal, ainsi que la scintigraphie pulmonaire et la phl6bographie. Une ~chographie cardiaque (~limine une possible dOcompensation. L'embolie pulmonaire ~tant ~limine~e par la n~gativit~ de toutes les investigations, une aggravation de I'h~mopathie (syndrome de Richter) est ~voqu~e devant le fl~chissement de 1'6tat g~nOral, la fi~vre, la majoration de la thrombop~nie et I'apparition d'une an~mie macrocytaire. Toutefois, aucune ad~nopathie p&iph~- rique n'est retrouv6e en faveur de ce diagnostic. Aucun pr~l~- vement anatomopathologique n'est pratiqu6. Devant la persistancede la fi~vre, des pr~l~vements bact~riologiques sanguins et urinaires sont pratiqu6s, et une antibioth~rapie empirique par ampicilline (2g/jour) est dObute~e. Une s~rie d'h~mocultures revient alors positive & Campylobacter Re~:ule 01-3-1991 Renvoipour correction le 15-1-1992 Acceptation d~finitive]e 03-7-1992 1993 - Tome XIV Manifestations h~matologiques accompagnant une septic#mie d campylobacter coli 39 Num~ro 1

Manifestations hématologiques accompagnant une septicémie à campylobacter coli. À propos d'un cas

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Page 1: Manifestations hématologiques accompagnant une septicémie à campylobacter coli. À propos d'un cas

C O M M U N I C A T I O N BREVE

Manifestations h matologiques accompagnant une septic mie

campylobacter coli. A propos d'un cas V. BRUNEL*, Th. ALLEGRE**, S. CAILLERES**, A.P. BLANC**

R ~ s u m 6 - - Les auteurs d~crivent le cas d'un patient atteint depuis 10 ans d'une leuc~mie lympho'fde chronique pr~sentant brutalement un fl~chisse- ment de I'~tat g~n~ral et des perturbations h~matologiques faisant craindre une aggravation de son h~mopathie (syndrome de Richter). Les h~mocultures permirent de diagnostiquer une septic~mie & Campylobacter coli. Le traite- ment antibiotique de cette infection a permis le retour & la situation clinique et biologique ant~rieure. Les diverses manifestations visc~rales de cette infection sont discut~es.

Rev M e d In te rne 1993 ; 14 : 3 9 - 4 0 .

Les campylobact6rioses humaines, extra-digestives, sans 6tre tr~s fr6quentes, sont de plus en plus facilement retrouv6es en pathologie infectieuse notamment chez I'immuno-d@rim6. En voici un exemple :

OBSERVATION

Un homme de 71 ans est suivi dans le service depuis 10 ans pour une leuc6mie lymphoi'de chronique class6e stade C de Binet devant une thrombop6nie ~a moins de 100 000 plaquettes. II est trait6 r6guli~rement par de petites doses de chlorambucil, 4 milligrammes par jour, et par injections de gammaglobulines, dix milli l itres tousles 15 jours.

II est hospitalis6 le 9 novembre 1990 pour une suspicion d'embolie pulmonaire, devant une alt&ation de l'~tat g~n~ral avec fi~vre ~ 38°5C, une dyspn~e, des douleurs thoraciques ~voluant depuis I 0 jours. L'examen clinique retrouve un foyer de r~les cr~pitants ~ la base pulmonaire gauche, une tachycardie 110/ran, des oed~mes des membres inf~rieurs, douloureux, mais sans signe de Homans. Toutes les aires ganglionnaires sont fibres ; on retrouve une h(~patospl(~nom(~galie d(~j& connue.

Biologiquement, la leucocytose est ~ 30 000/ram 3, avec I 0 % de polynucl(~aires neutrophiles et 88 % de lymphocytes. Une

* Laboratoire d'H6matologie ; Institut Paoli Calmettes ; Boulevard de Sainte- Marguerite ; 13009 MARSEILLE. **Service d'H6mato-Oncologie; Centre HospitalierG~n&al;Avenue des Tamaris ; 13616 AIX-EN-PRO VENCE C6dex.

an~mie macrocytaire de novo, & 8 g/dl d'h~moglobine, VGM 104 ~3, est constat~e. La thrombop6nie connue s'est major~e 56 000 plaquettes par mm 3. La vitesse de s~dimentation est ,~ 90/mm ~a la l~re heure, la protid~mie & 88 g/I dont 7 % de gammaglobulines. II n'y a pas de stigmates biologiques d'h~molyse. Le my~logramme qui porte sur une richesse cellu- laire correcte r6v?~le une infiltration lymphocytaire & 80 %, une ligne~e &ythroblastique & 6 % et une s&ie granuleuse ~ 14 %.

Sur la gazom6trie on constate une 16g~re hypoxie-hypocapnie : l a radiographie du thorax une accentuation de l atrame bronchi-

que sans foyer syst~matis~. Le scanner thoracique est normal, ainsi que la scintigraphie pulmonaire et la phl6bographie. Une ~chographie cardiaque (~limine une possible dOcompensation. L'embolie pulmonaire ~tant ~limine~e par la n~gativit~ de toutes les investigations, une aggravation de I'h~mopathie (syndrome de Richter) est ~voqu~e devant le fl~chissement de 1'6tat g~nOral, la fi~vre, la majoration de la thrombop~nie et I'apparition d'une an~mie macrocytaire. Toutefois, aucune ad~nopathie p&iph~- rique n'est retrouv6e en faveur de ce diagnostic. Aucun pr~l~- vement anatomopathologique n'est pratiqu6.

Devant la pers is tancede la f i~vre, des pr~l~vements bact~riologiques sanguins et urinaires sont pratiqu6s, et une antibioth~rapie empirique par ampicil l ine (2g/jour) est dObute~e. Une s~rie d'h~mocultures revient alors positive & Campylobacter

Re~:u le 01-3-1991 Renvoi pour correction le 15-1-1992 Acceptation d~finitive ]e 03-7-1992

1993 - Tome X IV Manifestations h~matologiques accompagnant une septic#mie d campylobacter coli 39 Num~ro 1

Page 2: Manifestations hématologiques accompagnant une septicémie à campylobacter coli. À propos d'un cas

coil, et ce m~me germe est retrouv6 aux coprocultures (Labora- toire des diagnostics des maladies infectieuses H. Chardon CHG Aix). Une septicSmie ~ Campylobacter coli est donc affirmSe, et I'antibioth~rapie cliniquement inefficace est modifiSe pour de la p~floxacine 800 mg/jour. AprEs 15 jours de traitement, 1'6tat gSnSral du patient s'est nettement amSliorS. II est apyr6tique, et ses paramEtres biologiques sont mei l leurs : leucocytes 48 000/ram 3 dont 8 % de polynucl~aires neutrophiles, et 90 % de lymphocytes, plaquettes 60 000/mm 3, hSmoglobine 10g/I, VS

50/mm ~ la 1ere heure. Les coprocultures sont st&iles. U n mois plus tard, apr?~s arr~t de tout traitement, le patient est revu en consultation : ses r6su Itats se sont encore amSlior6s : hEmoglobine spontan6ment remont6e h 12g/I, plaquettes ~ 80 000/mm 3, VS 38/mm h la 1 Ere heure. Les leucocytes sont ~ 30 000/mm 3, dont 8 % de polynuclEaires et 90 % de lymphocytes.

DISCUSSION

Les septic6mies ~ camphylobacter sont causSes par des germes gram n6gatif, Sgalement incriminSs dans des diarrh~es aigu~s, des gastrites, et dans la maladie ulc&euse. Dans 90 % des cas, c'est I'espEce Campylobacter fetus qui est retrouvSe aux hSmocultures ; deux autres espEces sont Sgalement pathogEnes : Campylobacter pylori parfois impliqu6 dans les gastrites, et Campylobacter jejuni dans les diarrh~es aiguEs. Ces deux germes sont sporadiquement responsables de bactSriEmies ou septic~- mies, qui peuvent ~tre pures ou s'accompagner de Iocalisations viscSrales secondaires (1) :

- - Cardiovasculaires : il s'agit essentiellement d'endocardites, survenant pour moiti6 sur coeur sain et pour autre moiti6 sur valvulopathie prS-existante. II existe Sgalement un tropisme vasculaire particulier prouvS par plusieurs cas de thrombophlSbites ou d'anSvrismes mycotiques docu- ment, s (2).

- -Neurologiques : il s'agit essentiellement de mSningo- encSphalites et mSningites purulentes. Un seul cas d'ab- cEs c~r~bral a StS rapports (3).

- - Articulaires : ce sont des arthrites septiques oE le germe peut ~tre mis en 6vidence dans le liquide de ponction.

- - Gyn~cologiques : durant la grossesse, le pronostic d'une infection systSmique & campylobacter est bon pour [a mere, mais mauvais pour le foetus (50 % de decEs).

--Pleuropulmonaires : ces manifestations sont rares, et peuvent 6tre prouv~es par la mise en 6vidence du germe aux hSmocultures ou dans le liquide de ponction pleurale. Aucune manifestation hSmatologique n'a pQ ~tre retrou- vEe dans la litt&ature.

L'origine de la septic6mie n'est le plus souvent pas retrouvSe. II semble que, dans la majorit~ des cas, la porte d'entrSe soit digestive (3). Toutefois, au moins deux cas de transmission percutan~e ont 6t6 rapportSs : aprEs morsure de chien (4) et aprEs

cellulite de la main (5). La caractSristique principale de ces septic~mies est leur terrain de survenue : dans plus de 80 % des cas les malades prSsentent une immuno-d~pression : diabEte, cirrhose Sthylique, tumeur solide, hSmopathie, SIDA, greffe, traitement immuno-suppresseur et grossesses sont les cas les plus frSquents. Le pronostic de ces infections est presque exclusive- ment li6 & la fragilite de ce terrain, elles sont en elles-m~mes peu agressives et r~pondent bien au traitement antiobiotique (5).

Les campylobacters sont sensibles & I'Srythromycine qui est ['antibiotique de choix, aux tStracyclines, & I'ampicil l ine, aux fluoroquinolones syst(~miques et aux aminosides (6).

Chez notre patient, dont I'immuno-d~pression Stait connue, le tableau clinique n'Stait pas directement Svocateur d'une pathologie i nfectieuse et le diagnostic a ~t~ affirms par la mise en ~vidence du germe aux hSmocultures. II faut noter que le germe retrouv6 (Campylobacter coli) n'est pas le plus fr~quemment en cause dans les infections syst~miques et qu'il est rSsistant au traitement classique par ampicilline. Par ailleurs, des my6locultures n'ont pas permis de retrouver le germe dans [a moelle. La responsabilit6 du campylobacter a donc 6re retenue, en I'ab- sence de rSfSrence retrouvSe, devant le retour & I'Stat hematologique ant(~rieur aprEs traitement de I'infection.

CONCLUSION

Ai nsi se trouve rapport~ u n cas de septic~mie ~ campylobacter chez un sujet immuno-d~primS, dont I'originalit~ a consists en une aggravation de ses paramEtres hSmatologiques faisant crain- dre ['apparition d'un syndrome de Richter.

Toutefois, la clinique et I'imagerie ne retrouvaient pas d'aug- mentation de la masse tumorale, et le mySlogramme Stait iden- tique h ceux prSc~dent I'Spisode. De plus, le traitement anti- infectieux a permis le retour h I'~tat hSmatologique ant~rieur et la correction du syndrome inflammatoire. II semble donc que ces perturbations puissent ~tre imput~es au campylobacter, dont le retentissement h~matologique est encore real connu h ce jour.

S u m m a r y - - Haematological manifestations associated with Campylohacter coli septicaemia.

We report the case of a 71-year old male patient with a chronic lymphoid leukaemia of 10 years' duration who abruptly suffered deterioration of this general condition and haematological disturbances suggesting worsening of this blood disease (Richter's syndrome). Blood cultures demonstrated a Campylobacter coli septicaemia. Treatment with antibiotics resulted in a return to the previous clinical and biological situation. The various visceral manifestation of the infection are discussed.

BIBLIOGRAPHIE 1. Canton Ph, Hoen B, G~rard A, May T, Burdin P. Infections h campylobacter

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3. Lacut Y, Megrand F, Rogues AM et coll. Enqu~te nationa]e sur les infections Campylobacter. M~d et Ma[ Infectieuses 1989 ; 19 : 55-60.

4. Huchon A, Clergeaud P. Campylobact~riose septic~mique apr~s morsure de chien. Presse M~d 1986 ;27 : 1284.

5. Dromigny E. Les modes de transmission des Campylobact6rioses. M~d et Mal lnfectieuses 1989 ; 19 : 35-42.

6. Lambert T, Courvalin P. Sensibilit6 de Campylobacter aux antibiotiques. M~d et Ma[ lnfectieuses 1989 ; 19 : 25-8.

40 V. BRUNEL et coll. La Revue de M~decine Interne Janvier