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marché de change

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Page 1: marché de change

A quoi sert le marché des changes ?

Le marché des changes est l’endroit où se détermine le prix des monnaies entre

elles. C’est un marché planétaire sur lequel interviennent les établissements

financiers et quelques grandes entreprises. Son essor récent est notamment lié à

des facteurs technologiques et au poids grandissant qu’y jouent les fonds

d’investissement. Bien que le dollar reste la monnaie dominante, sa place

devrait être amenée à diminuer dans les décennies à venir, ce qui pourrait

susciter une plus grande instabilité des taux de change faute de coopération

entre les banques centrales.

1. Un marché planétaire

Sur le marché des changes (le Foreign exchange, ou « forex » pour les

initiés), on échange des euros contre des dollars, des livres sterling contre des

yens, des yens contre des euros… en bref des monnaies (on dit aussi dans ce

contexte des devises) les unes contre les autres. On appelle taux de change le

prix d’une monnaie exprimée par rapport à une ou plusieurs autres. Ce taux de

change se forme et évolue sans cesse en fonction des achats et des ventes de

devises sur le marché des changes. Par exemple, le cours de l’euro contre le

dollar s’apprécie lorsque la demande d’euros relativement aux autres monnaies

augmente, et à l’inverse, se déprécie lorsque les opérateurs préfèrent acheter du

dollar, de la livre sterling, etc., et vendre des euros.

Les variations du cours de change, ce qu’on appelle plus techniquement sa

volatilité, dépendent du régime de change* choisi. Pour la plupart des monnaies

des pays avancés, ce régime de change est « flottant » (on dit aussi « flexible »).

Il en va ainsi depuis que le système de Bretton Woods, mis en place à la sortie

de la Seconde Guerre mondiale et qui instaurait un régime de change fixe entre

l’or et le dollar et entre le dollar et les autres monnaies, a été abandonné en

1973. Le cours des monnaies en change flottant se forme sur le marché des

changes au gré de l’offre et de la demande. Il n’est pas contraint par un ancrage

dont il ne faudrait pas s’écarter1. Cela veut dire aussi que les variations du cours

de change peuvent être très amples.

A l’inverse, lorsqu’un pays est en régime de change fixe, le cours de sa

monnaie est défini par rapport à une autre monnaie ou à un panier de monnaies.

Le taux de change de la monnaie chinoise, le yuan qui est aussi appelé renminbi,

est par exemple ancré sur le dollar américain : le taux de change indicatif est de

8,11 yuan pour un dollar. Quand le cours d’une monnaie dont le change est

« fixe » s’écarte de la parité définie, la banque centrale du pays intervient sur le

marché des changes pour rétablir cette parité. Il lui faut alors mobiliser ses

réserves de change* pour acheter sa propre monnaie lorsque son cours a baissé.

Si à l’inverse, c’est une hausse du cours qu’il faut contrer, alors la banque

1 Même si, en pratique, on observe plutôt un « flottement géré », certaines banques centrales intervenant pour

limiter les fluctuations de leur devise.

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centrale vend de sa propre monnaie. Alors qu’il faut avoir accumulé

suffisamment de réserves de change pour soutenir le cours d’une monnaie en

difficulté, il n’y a techniquement aucun obstacle à une intervention pour

stabiliser une évolution à la hausse car la banque centrale peut toujours émettre

la monnaie qu’elle a besoin de vendre.

Le marché des changes est un marché planétaire, sans frontière, sans

localisation géographique précise, le plus dématérialisé qui soit. Les spécialistes

de ces opérations (on les appelle des cambistes) passent leurs ordres d’achat ou

de vente depuis des salles de marché dotées de puissants systèmes informatiques

connectés aux réseaux internationaux d’information financière. Partout ce sont

les mêmes produits, les mêmes procédés, les mêmes technologies qui sont

utilisés. Ainsi, grâce aux décalages horaires, les opérations de change se

déroulent pratiquement en continu, successivement sur chacune des principales

places financières, en Extrême-Orient (Tokyo, Hong-Kong, Singapour), en

Europe (Londres, Francfort, Paris) et en Amérique du Nord (New York). Un

cambiste européen peut par exemple traiter tôt le matin avec l’Extrême-Orient et

l’après-midi avec les Etats-Unis.

Ce ne sont pas les quelques centaines d’euros échangés contre des livres

sterling pour aller assister au mariage du prince William qui influenceront le

cours de change euro / livre sterling. Les opérations de change dites

« manuelles » des particuliers ne représentent presque rien face aux opérations

de change « scripturales », celles qui transitent par les comptes des grandes

banques internationales. Le marché des changes est, en effet, un marché de

professionnels, dominé par les grandes banques internationales, qui y effectuent

des opérations de gros montants. Banques commerciales et banques

d’investissement y interviennent pour leur compte propre ou celui de leurs

clients (entreprises et particuliers), car eux n’ont pas directement accès au

marché. Seules les très grandes entreprises, essentiellement des multinationales

dotées de filiales bancaires, effectuent elles-mêmes des opérations de change

nécessaires à leur activité internationale.

Enfin, si la fonction première du marché des changes est de permettre

l’échange immédiat de devises, les techniciens disent « au comptant », son autre

grand rôle est de permettre aux entreprises et aux banques de gérer les risques

liés aux variations des cours de change, ce qu’on appelle le risque de change.

Dès qu’une entreprise est en relation avec des fournisseurs étrangers ou des

clients étrangers et que ce qu’elle doit régler en monnaies étrangères ne

correspond pas exactement à ce qu’elle va recevoir en monnaies étrangères, elle

est exposée au risque de change. Elle peut transférer ce risque sur le marché des

changes grâce à des « opérations à terme ».

On parle d’opérations à terme car elles se caractérisent par un décalage entre

le moment où le contrat est signé et le moment où il est exercé. L’entreprise

cherchera par exemple un cambiste qui accepte de lui vendre les dollars dont

elle aura besoin pour régler une facture dans 3 mois à un cours de change entre

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le dollar et l’euro fixé le jour de la signature du contrat financier (ici un contrat

d’achat de dollars appelé « call »). Le cours de change étant fixé aujourd’hui

pour dans 3 mois (c’est le cours à terme), il n’y a plus d’incertitude quant à la

variation du taux de change euros / dollars, donc plus de risque de change. Bien

sûr, si au terme des 3 mois, le cours au comptant du dollar a baissé vis-à-vis de

l’euro, notre entreprise serait bien heureuse de régler sa facture dans un dollar

moins cher. Si le contrat financier qu’elle a signé est un contrat « ferme », elle

devra acheter les dollars au cours convenu dans le contrat et ne pourra pas

profiter de la baisse. Si le contrat est « optionnel », elle s’acquittera juste d’une

prime et pourra ne pas exercer le contrat et acheter moins cher sur le marché au

comptant les dollars dont elle a besoin. Il existe ainsi tout un éventail de contrats

à terme (ou produits dérivés) qui ont pour support (on dit « sous-jacent ») des

devises. Les plus utilisés d’entre eux sont les « swaps de change » qui consiste à

échanger un prêt libellé par exemple en euro contre un prêt libellé par exemple

en dollar. Les banques centrales y ont notamment recours.

2. Pourquoi un tel essor ?

D’après l’enquête triennale de la Banque des règlements internationaux (BRI) de

décembre 2010, il s’est échangé chaque jour de l’année 2010 sur le marché des

changes, pas loin de 4000 milliards de dollars (avec environ un tiers

d’opérations au comptant et deux tiers d’opérations à terme). Pour fixer les

idées, c’est à peu près 2 fois le PIB annuel de la France ! Cela veut dire aussi

qu’en quelques jours sur le marché des changes, il s’échange autant d’argent

qu’en une année entière sur le marché des biens et des services.

Après un creux en 2001 liée au repli général des opérations financières qui a

suivi le krach de la « nouvelle économie », les volumes échangés sur les

marchés des changes ont repris leur ascension. Celle-ci a même été

particulièrement forte à partir du milieu des années 2000 : 56% de progression

entre 2001 et 2004, 72% entre 2007 et 2004, et encore 20% de croissance entre

2007 et 2010 en pleine période de crise financière.

Quels sont les facteurs à l’origine d’une telle progression ? Tout d’abord des

facteurs liés à l’essor d’investisseurs institutionnels tels que les fonds de

pensions, les OPCVM* et autres fonds de placements, les fond spéculatifs ou

encore les banques d’investissement qui diversifient leur portefeuille de

placements à l’international et qui gèrent activement le risque de change auquel

ils sont exposés. Ce sont aussi de gros « acheteurs de risques » sur le marché

des changes, c’est-à-dire qu’ils acceptent de jouer le rôle de contrepartie pour

ceux qui cherchent à se protéger des variations de change. Autant de stratégies

qui les font intervenir souvent et massivement sur le marché des changes.

De plus, les fortes différences de taux d’intérêt observés entre les Etats-Unis, le

Japon, la zone euro, la Suisse d’un côté, et la Nouvelle Zélande ou l’Australie de

l’autre, ont favorisé au cours des années 2000 des stratégies de carry trade

consistant à emprunter la(les) monnaie(s) dont le taux d’intérêt est bas et à

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placer dans la(les) monnaie(s) dont le taux d’intérêt est plus élevé. Là encore, il

s’agit de stratégies qui font augmenter les transactions de change.

Un facteur technologique est également à prendre en considération. Les

programmes de trading électronique se sont beaucoup développés au cours des

années 2000. Ces programmes sont mis au point pour exploiter des mouvements

de cours probables entre les devises. Le trading électronique consiste ainsi à pré-

programmer des opérations qui se déclencheront automatiquement au cas où un

seuil prévu ou est franchi à la hausse ou à la baisse (variations de taux d’intérêt

de titres publics, écart de taux d’intérêt à court terme entre deux ou plusieurs

monnaies, variations de cours de change…). Ces opérations automatiques ont

contribué sensiblement à l’augmentation des volumes d’opérations.

Une explosion des transactions Histo cumulés verticaux

Transactions quotidiennes sur le marché des changes

En milliards de dollars US

Type d’opération 1998 2001 2004 2007 2010

Total des transactions

quotidiennes 1 527 1 239 1 934 3 324 3 981

Transactions au comptant 568 386 631 1 005 1 490

Transactions à terme 959 853 1303 2319 2490

Source : Enquête triennale de la BRI, décembre 2010

Environ 85 % (sur 200 % puisqu’une opération de change implique toujours

deux monnaies) des opérations de change concernent le dollar. Il faudra sans

aucun doute du temps pour détrôner le leader américain mais sa part a amorcé sa

décrue depuis 2004. L’euro occupe une deuxième position à distance, avec

seulement 39 % des transactions quotidiennes mais cette part a progressé en

2010. Viennent ensuite le yen et la livre sterling qui ont vu leur poids se réduire

au profit de devises émergentes (réal brésilien, won coréen, renminbi, rupee

indienne) dont la part progresse depuis le milieu des années 2000.

Le dollar dominant Camemberts

Répartition par devise des transactions de change (/200%)

1

Part moyenne en pourcentage des transactions quotidiennes

2001 2010

Dollar 89,9 84,9

Euro 37,9 39,1

Yen 23,5 19

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Livre sterling 13 12,9

Dollar australien 4,3 7,6

Franc suisse 6 6,4

Dollar canadien 4,5 5,3

Devises émergentes

d’Asie*

4,6 7,6

Autres 16,3 17,2

*Chine, Corée du Sud, Hong Kong, Inde, Singapour, Taïwan

1 Comme chaque transaction de change implique deux monnaies, la somme des

parts de chaque devise est donc exprimée par rapport à un total de 200% au lieu

de 100%.

Source : Enquête triennale de la BRI, décembre 2010

3. Quelles armes pour la paix des monnaies ?

Les tendances qui viennent d’être évoquées laissent présager d’ici plusieurs

années un système monétaire international moins dominé par une devise

hégémonique, en tout cas moins centré sur le dollar. Pour devenir véritablement

multipolaire, il faudra toutefois que l’euro consolide sa part et qu’une devise

émergente ou un panier de devises émergentes s’affirme. On pense bien sûr à la

monnaie chinoise. Celle-ci a entamé une régionalisation, certaines entreprises

chinoises étant d’ores et déjà autorisées à régler en renmimbi des échanges avec

Hong Kong et Taiwan. Toutefois, il n’est pas certain que les autorités chinoises

fassent le choix de l’internationalisation de leur monnaie et qu’elles permettent à

n’importe quel investisseur de l’acheter et de la vendre partout dans le monde.

Et même si elles le décidaient ouvertement, l’internationalisation d’une monnaie

ne se décrète pas. Elle dépend de nombreux facteurs. Entre en jeu le poids

économique du pays mais pas seulement. Et le délai peut être long avant que

l’importance économique trouve son équivalent au plan monétaire : le dollar

américain a mis du temps avant de détrôner la livre britannique au début du XXe

siècle. Intervient aussi le niveau de développement financier : une monnaie ne

devient une devise clé que s’il existe une palette suffisamment importante de

placements sûrs et liquides* libellés dans cette monnaie. Or la Chine accuse

pour l’instant du retard en la matière. Ses marchés financiers et son secteur

bancaire restent sous-développés. L’Europe ne souffre pas d’un tel retard certes,

mais l’émission d’euro bonds (obligations européennes garanties par les Etats de

la zone euro) permettrait par exemple d’approfondir le marché obligataire

européen, c’est-à-dire d’augmentert l’offre de titres européens et d’offrir une

alternative aux bons du Trésor américain. Interviennent enfin des facteurs

politiques et institutionnels, ceux qui nourrissent la confiance sans laquelle une

monnaie, et a fortiori une monnaie internationale, ne peut exister.

Page 6: marché de change

En outre, si l’on peut se réjouir à l’idée que le système monétaire

international sera sans doute à l’avenir moins dominé par une seule devise et de

ce fait plus équilibré, il n’est pas certain que la transition soit facile. De ce point

de vue, la question de l’organisation du système monétaire international trop

longtemps tenue pour une « non question » dans un monde de changes flottants

va sans doute occuper le devant de la scène pour un bon moment. Les autorités

monétaires ne pourront plus s’en tenir à la douce négligence qui était la leur en

matière de change, tout particulièrement les Etats-Unis qui voient déjà la part du

dollar se réduire en tant que monnaie de transaction (on l’a vu plus haut) mais

aussi en tant que monnaie de réserve (62 % en 2010 contre plus de 70 % au

début des années 2000). En effet, pour les banques centrales des pays émergents,

la tendance est à la diversification des réserves de change. Or ces mouvements

ne seront pas sans incidence sur les taux de change vu les masses de réserves en

jeu. On sait officieusement que les réserves de la banque centrale de Chine

avoisinent les 2500 milliards de dollars dont 65 % seraient en dollars et 25 % en

euros. Une modification de cette répartition secouera inévitablement le cours

euro / dollar. Seules des interventions coordonnées des banques centrales sur le

marché des changes pourront atténuer ces secousses. Or, malheureusement, en

sortie de crise, l’heure ne semble guère à la coopération. Chaque pays cherche à

jouer la dépréciation de sa monnaie pour en faire un facteur de compétitivité et

soutenir ses exportations. Ce jeu non coopératif bute pourtant sur une simple

contrainte arithmétique : sur le marché des changes, toutes les monnaies ne

peuvent pas baisser en même temps puisqu’elles s’échangent les unes contre les

autres.

Alors plutôt que de se lancer dans une guerre des monnaies qui les exposerait à

d’importants dommages collatéraux, les banques centrales devraient au plus tôt

changer leur fusil d’épaule et se préparer ensemble à l’ère multipolaire qui

s’annonce, en coordonnant leurs actions et en réfléchissant ensemble aux

instruments qui rendront le système monétaire et financier de demain plus

stable.

Jézabel Couppey-Soubeyran*

*Maître de conférences en sciences économiques à Paris I Panthéon- Sorbonne

Lexique

Ancrage : lien fixe entre deux devises ou entre une devise et un métal précieux

(l’or ou l’argent généralement). On parle également de parité.

Liquide : se dit d’un actif financier que l’on peut facilement acheter et vendre

OPCVM : Organismes de placements collectifs en valeurs mobilières. Ils

collectent l’épargne des ménages, qui achètent des parts d’OPCVM, et

l’investissent dans des actifs financiers (obligations, actions…) plus ou moins

risqués.

Page 7: marché de change

Régime de change : ensemble des règles retenues par un pays pour définir les

conditions de la détermination des taux de change de sa monnaie.

Réserves de change : ensemble des devises étrangères et de l’or détenu par une

banque centrale.

Pour en savoir plus

Monnaie, banques,finance, Jézabel Couppey-Soubeyran, coll. Licence

économie, éd. PUF, 2010.

Les taux de change, Dominique Plihon, coll. Repères, éd. La Découverte, 5ème

édition, 2010

Triennial Central Bank Survey of Foreign Exchange and Derivatives Market

Activity in 2010 - Final results, Banque des règlements internationaux, décembre 2010.

Pour le grenier

Un marché très concentré

Nombre de banques nécessaires pour assurer les trois quarts du marché

Source : Enquête triennale de la BRI, décembre 2010

1998 2010

Royaume-Uni 24 9

Etats-Unis 20 7

Japon 19 8

France 7 4

Allemagne 9 7

Les investisseurs premiers utilisateurs

Part dans les transactions totales, en %

Source : Enquête triennale de la BRI, décembre 2010

1998 2010

Banques 63 39

Investisseurs* 20 48

Entreprises non

financières

17 13

*Fonds spéculatifs, fonds de pension, compagnies d’assurance…

Page 8: marché de change

Le Royaume-Uni, 1er

marché des changes

En % du total des transactions en 2010

Source : Enquête triennale de la BRI, décembre 2010

Royaume-Uni 37

Etats-Unis 18

Japon 6

Hong Kong 5

Singapour 5

Suisse 5

Australie 4

France 3

Allemagne 2

Reste du monde 15